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Heiva i Tahiti
Le temps de la fierté et du partage
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Heiva i Tahiti
Le temps de la fierté et du partage
D
epuis plus de 125 ans, le mois de juillet est
une période de festivités à Tahiti et ses îles.
Au cours du Heivā i Tāhiti se succèdent avec
ferveur les spectacles musicaux de danses, de chants
et les compétitions de sports et jeux. Condamnés
et dévalorisés au 19ème siècle par les missionnaires
chrétiens, ces arts et divertissements ont su
ressurgir de l’oubli pour briller de nouveau sur les
scènes du 21ème siècle. Bien au-delà d’un simple festival,
le Heivā i Tāhiti est devenu un temps fort de partage
artistique, technique, folklorique et le symbole
d’une culture fière de son passé.
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Dans les temps anciens
En reo tahiti (langue tahitienne), le terme heivā (de hei - qui rassemble - et vā
- les espaces communautaires -) se rapportait à des activités ayant trait au
divertissement, au passe-temps, à l’exercice physique, à la fête,… La musique, la
danse, le chant, les jeux et sports regroupés sous cette notion tenaient une place
capitale dans les communautés insulaires polynésiennes. Ainsi et par-delà leur
statut de divertissement, les chants et danses étaient une composante essentielle
des cérémonies de la vie religieuse et politique.
La danse était un art des plus sophistiqués et des plus ritualisés. Elle était pratiquée
en groupe ou individuellement, de façon mixte ou hommes et femmes séparés. Les
chants, cérémoniels ou populaires, rythmaient la vie au quotidien, accompagnant
les tâches courantes comme les rites religieux les plus complexes.
Les divertissements étaient très présents lors des festivités liées aux cycles des
saisons (« Matāri’i i ni’a » vers la fin octobre, « Matāri’i i raro » vers la fin mai) ou
aux périodes initiatiques (récolte des premiers fruits, joutes communautaires,
championnats d’alliances,…).
Des confréries de baladins formés à ces arts et divertissements se distinguaient
au travers de représentations théâtrales et dans la transmission de ces savoirs
artistiques. Se déplaçant d’île en île en pahī ou pirogue double, ils montaient des
spectacles de chants et danses où la mise en scène caricaturale bien souvent,
mimait les façons d’être des femmes et des hommes qu’ils observaient dans leurs
faits et gestes au quotidien.
Les premiers explorateurs, arrivés sur les rivages tahitiens à la fin du 18 ème siècle,
relevèrent l’importance de ces manifestations et le goût des Polynésiens pour
ces festivités. Certains furent particulièrement séduits par la beauté des danses,
d’autres furent profondément troublés. Ainsi, la venue de ces étranges visiteurs sur
« leur grande pirogue sans balancier » amorça le déclin des ces arts séculaires.
Arrivés dans le sillage des explorateurs, les missionnaires associèrent rapidement
ces divertissements à une perte de temps. La danse, avec sa gestuelle décrite
comme érotique, fut perçue comme une forme de débauche.
En 1819, sous l’influence des missionnaires et de la nouvelle foi chrétienne qu’il
venait d’embrasser, le roi Pōmare II interdit la danse dans le code de lois portant son
nom. Bannie de l’espace public et réprouvée, elle devint une pratique clandestine.
Danser pour les Dieux, chanter sa Terre et s’affronter
entre Hommes
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« Tahitiens dansant l’upaupa », années 1880. © G. Spitz - Collection Musée de Tahiti et des Iles - Te Fare Manaha
Naissance du Heiva
Au terme d’une longue lutte d’influence contre les Anglais et les missionnaires
protestants, la France parvint, en 1881, à annexer une grande partie des îles formant
l’actuelle Polynésie française. La commémoration de la prise de la Bastille, fête
nationale française, fut célébrée en grande pompe. Soucieux de contrer l’influence
anglo-saxonne et de satisfaire le goût polynésien pour la fête, le pouvoir colonial
autorisa les sports et chants traditionnels au sein de cette célébration républicaine
du 14 juillet. La danse fit son timide retour bien que sévèrement encadrée, en
particulier au niveau des costumes des participants qui ne devaient plus dévoiler
certaines parties du corps (nombril, jambes des femmes, cuisses et fesses des
hommes).
L’année 1881 marqua officiellement la naissance du premier Heivā i Tāhiti alors
baptisé Tiurai ( de « july », mois de juillet pendant lequel se déroulaient ces festivités).
Ainsi commença, la longue histoire du Tiurai, puis du Heivā i Tāhiti avec sa longue
marche de réhabilitation des divertissements et arts polynésiens.
En 1946, les Etablissements Français de l’Océanie obtinrent le statut de Territoire
d’outre-mer. Leurs habitants devinrent des citoyens, mettant fin au régime de
« l’indigénat ». Il n’est peut-être pas étranger que dix ans plus tard, la danse se
soit définitivement extraite du carcan de la réprobation et de l’interdit. Mémé de
Montluc et Madeleine Mou’a, deux polynésiennes, lui donnèrent une légitimité
artistique, sociale et culturelle avec leurs groupes : « Arioi » et « Heiva ». Dès 1956,
le concours de chants & danses devint une compétition phare des festivités du
Tiurai.
A partir de 1977, la Polynésie française va obtenir une autonomie politique encore
plus grande par rapport à l’Etat français. Fortes de cette émancipation politique
et culturelle, les autorités polynésiennes organisent, dès juin 1985, les festivités du
Heivā i Tāhiti qui se substituèrent aux cérémonies républicaines du Tiurai. Au-delà
du changement d’appellation, l’intention était de renouer encore plus fortement
avec les racines de la culture polynésienne et d’en faire une manifestation festive
typiquement mā'ohi, c’est-à-dire authentique et propre à la Polynésie française.
Dans l’appellation Heivā i Tāhiti, l’utilisation du terme Tāhiti - en lieu et place de
Tahiti - fait d’ailleurs référence à l’ensemble des îles principales considérées autrefois
comme les îles frontières de l’aire géographique, sociale et culturelle de l’actuelle
Polynésie française. Le Heivā i Tāhiti est donc une période de festivités pour toute
ces îles et pas seulement l’île de Tahiti.
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Le prestigieux concours
de chants et danses
Aujourd’hui, le concours de chants & danses s’impose comme un des grands temps
forts du Heivā i Tāhiti. Chaque année en juillet, il met en compétition sur la scène
de la Place To’atā à Papeetē, plus d’une dizaine de formations de soixante à cent
cinquante artistes en provenance de tous les archipels de la Polynésie française.
De par l’ampleur des groupes, la splendeur des costumes et la puissance des
rythmes, ce concours dévoile la quintessence et la diversité des ’ori (danses) de
Tahiti et des îles. Les créations présentées allient une dramatique digne d’un opéra,
les mouvements divertissants d’un ballet et l’empreinte marquée d’une tradition
ancestrale.
Cette magie est renforcée par le caractère inédit des oeuvres. Elles ne sont pas
des reprises de spectacles mais bien des créations de A à Z. Pour les parachever,
environ six mois de travail sont nécessaires. Il faut choisir et exploiter un thème
historique ou légendaire, écrire les textes et musiques, définir et mettre en place
la chorégraphie et enfin, confectionner des dizaines de costumes originaux.
Chaque danseuse et danseur en portera, au minimum, trois différents au cours des
45 minutes de spectacle. Un soin tout particulier est apporté à la réalisation de
ces tenues laissant une large part aux matériaux naturels. Très convoités, des prix
récompensent les meilleures créations dans ce domaine.
Musiques et chants accompagnent en direct les danseurs. Les orchestres sont
composés de cinq à cinquante musiciens. Ils utilisent des instruments traditionnels
tels que les flûtes nasales ou vivo, réalisées avec un morceau de bambou et les
conques marines ou pū. Les instruments à percussion rythment la prestation autour
du thème musical : ce sont principalement les tambours sur pied (pahū, fa’atete et
tariparau) ainsi que les célèbres tō’ere ou tambours à lèvres, réalisés à partir d’un
morceau de bois évidé et fendu dans le sens de la longueur. A ces instruments
s’ajoutent des instruments plus modernes comme les guitares et le ’ukulele, petite
guitare hawaïenne aux douces tonalités.
La ferveur des spectateurs ajoute une dimension supplémentaire à ce spectacle
grandiose.
Un spectacle superbe et unique
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Le concours de chants traditionnels constitue également un grand moment du Heivā
i Tāhiti. Chantées a capella en reo mā'ohi (langues polynésiennes) par des chœurs
réunissant hommes, femmes et enfants, ces mélodies ou vocalisations expriment
tour à tour la nostalgie, la mélancolie ou l’ivresse de la joie. Envoûtantes et hors du
temps, les voix résonnent et s’élèvent depuis le tahua To’atā (place To’atā).
Cette force d’expression est sans doute issue de l’étonnante origine des chants
présentés lors de ce concours. Avant l’arrivée et l’établissement des premiers
Européens vers la fin du 18ème siècle, les pehe ou poèmes lyriques et polyphoniques
accompagnaient les manifestations collectives de la vie quotidienne. Ils étaient un
support nécessaire à la transmission des mythes fondateurs, des épopées et sagas,
de l’identité première des îles et des Hommes. Aujourd’hui les chants traditionnels
sont le fruit d’un complexe métissage des pehe de la période pré-européenne et
des cantiques religieux importés par les missionnaires protestants et catholiques
depuis le 19ème siècle. D’ailleurs, leur nom actuel, hĪmene, provient de l’anglais
« hymn » (hymne). Il est suivi du type de pehe qui caractérise ces chants (hĪmene
rū’au…).
Ainsi, le hīmene tārava, le plus complexe de tous, met en jeu des chœurs composés
de 60 à plus de 100 chanteuses et chanteurs. Il raconte l’histoire mythique d’une
île, nommant ses hauts lieux, ses personnages prestigieux et leurs faits héroïques.
Le chef de chœur, le ra’atira, dirige avec passion et justesse les dictions, tons et
hauteurs de voix. En plus de la narration propre à chaque espace communautaire
ou vā’a mata’eina’a, les hīmene tārava se distinguent aussi en fonction de leur archipel
d’origine : tārava Tahiti, tārava Raro māta’i (Iles Sous-le-Vent) et tārava Tūha’a pae
(Australes).
Le hīmene rū’au quant à lui, très empreint des mélodies des cantiques religieux,
possède un tempo plus lent, une mélodie très nostalgique et est généralement
construit sur un des thèmes forts développés dans le hīmene tārava. Il peut être
interprété par l’ensemble du groupe ou partie de celui-ci.
Enfin, le ’ūtē est une chansonnette rythmée interprétée par deux ou trois chanteurs
accompagnés généralement d’instruments de musique à cordes. On distingue deux
types de ’ūtē : le ’ūtē paripari dont les paroles mettent en exergue les noms des lieux
importants ou les faits et gestes d’un héros que l’on retrouve dans le hīmene tārava,
et le ’ūtē ’ārearea, construit sur des jeux de mots souvent improvisés et qui relate,
gestuelle expressive à l’appui, des anecdotes drôles, moqueuses et amusantes de
la vie quotidienne.
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Les spectaculaires sports
et jeux traditionnels
Dès sa création, le Heivā i Tāhiti a été étroitement associé aux sports et jeux
traditionnels. Aujourd’hui encore, ce rendez-vous est considéré comme le plus
important de l’année. Il met en lumière ces jeux, déclinaisons modernes et codifiées
d’activités athlétiques et guerrières anciennes.
Parmi les épreuves reines figurent les courses de va’a, la pirogue à balancier ou
double. Ces courses d’endurance et de vitesse en pleine mer ou sur les eaux du
lagon mettent en compétition des pirogues de un, trois, six et seize rameurs.
Vient ensuite l’épreuve du lancer de javelot, Pātia fā - Pātia ’ai, dans laquelle les
athlètes font preuve d’une précision étonnante. La pointe de leur te’a - teka (javelot
en bois) atteint des noix de coco placées sur la haute extrémité de mâts hauts
d’une dizaine de mètres et éloignés à plus de vingt mètres. A l’origine, c’était une
activité à laquelle s’adonnaient les guerriers polynésiens dans leurs entraînements
quotidiens à la guerre, affinant ainsi précision du tir, vitesse et force du lancer. Les
traditions rapportent même qu’autrefois, sur certains atolls des Tuamotu, la cible
d’entraînement était une véritable tête de guerrier vaincu sur laquelle les guerriers
vainqueurs s’entraînaient.
Le concours de lever de pierre, amora’a ’ōfa’i, trouve son origine sur l’île de Rurutū
dans l’archipel des Australes. Hommes ou femmes doivent soulever une pierre de
60 à 150 kg, le plus rapidement possible et la stabiliser en position debout, pendant
un temps défini.
Ce type d’exploit physique se retrouve aussi au niveau des courses de porteurs de
fruits, horo tīmau rā’au / horo tāmaiho’a, réservées aux hommes, où les concurrents
s’affrontent dans une course à pied, portant sur leur épaule un bâton ou un double
bâton sur lequel pendent des charges de fruits et légumes pesant de 15 à 50 kg.
Enfin, le concours de décorticage de noix de coco ou pā’aro ha’ari, témoigne d’une
activité devenue quotidienne, source de revenus pour les insulaires et ce, depuis
la création des grandes cocoteraies par les missionnaires et colons au 19ème siècle.
Les qualités physiques d’endurance, de vitesse et de dextérité de cette activité
familiale l’ont définitivement inscrite à la liste des joutes sportives et festives des
grandes manifestations. Il s’agit en effet et en un minimum de temps d’ouvrir à la
hache des cocos et d’en extraire intégralement la noix. Le poids de noix détermine
le vainqueur en individuel ou en équipe.
Déclinaisons modernes d’activités des temps anciens
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Par-delà les festivités
Plus qu’une succession de spectacles, les festivités du Heivā rythment la vie des
Polynésiens pendant près de deux mois. Très symboliquement, ce sont les plus
jeunes, et donc la relève, qui ouvrent les représentations avec le concours des
écoles de danses, « Heiva Tama Hiti Rau ». Après le temps de la transmission,
vient le temps de l’exhortation. Chaque commune, île ou archipel soutient jusqu’à
la déraison ses groupes de chanteurs, danseurs et sportifs. Ils devront donner le
meilleur d’eux-mêmes pour honorer la communauté qu’ils représentent. Comme
le souligne Jean-Daniel Devatine, ethnologue et professeur au Centre des Métiers
d’Art à Papeetē, le Heivā i Tāhiti est une « grande fête communautaire », permettant
de renforcer «l’unité familiale, l’unité communale, d’affirmer l’unité de la Polynésie
toute entière et de favoriser la paix sociale». Il est l’aboutissement d’une longue
préparation. Chaque année, dans l’ombre, plus de huit mille Polynésiens travaillent
quasi-bénévolement à sa réalisation. Les artistes répètent inlassablement, les
sportifs s’entraînent au quotidien. L’implication des familles est primordiale,
notamment pour la confection des costumes. Ces préparatifs sont perçus comme
un moment d’apprentissage, de découverte et de partage autour d’une même
ferveur culturelle.
Terme polynésien pré-européen, le concept de heivā est hautement symbolique.
Il renoue avec un passé, celui d’avant l’instauration des colonies et de l’influence
européenne, celui des grandes chefferies, des croyances et rites ancestraux, des
valeurs premières de vie, de don et d’humilité.
L’investissement matériel, physique et spirituel correspond à une fierté retrouvée,
fierté de faire vivre cette culture polynésienne dans ce qu’elle a de merveilleux. La
pratique des arts et sports traditionnels est désormais mise sur le devant de la
scène après des phases de dévalorisation. Les festivités du Heivā i Tāhiti sont donc
un temps de partage intemporel entre Polynésiens mais aussi entre Polynésiens
et visiteurs. Décrivant des participants du Heivā i Tāhiti, Jean-Daniel Devatine
de conclure : « Tous ouvraient leur cœur et montraient qui ils étaient, ce dont ils
étaient capables et d’où ils venaient ! »
retrouvé
“Le temps
du don de soi
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“
Texte : tahiti communication & GIE Tahiti Tourisme - Remerciement a Jean-Daniel Devatine
© Photos : G. boissy - couverture, pages 2, 15, 19 • P. Collignon - pages 9, 10-11, 12, 16-17
• Anonyme (années 1960) - Collection Musée de Tahiti et des Iles - Te Fare Manaha - Page 6
Edition 2009 : GIE Tahiti Tourisme - Conception : TAHITI COMMUNICATION
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