Karine Tuil : la consécration

Transcription

Karine Tuil : la consécration
2€ NUMÉRO OFFERT
• ARCADY TOURNE : «24 JOURS,
LA VÉRITÉ SUR LA MORT D’ILAN HALIMI»
• LE JOUR OÙ ISRAËL DEVAIT DISPARAÎTRE :
KIPPOUR 1973
Karine Tuil :
la consécration ?
Dans l’Invention de nos vies, son
neuvième ouvrage, le plus accompli, Karine Tuil nous livre un
roman sur l’imposture, les faux-semblants, les identités trompeuses,
l’argent, la réussite, l’amitié.
INTERVIEW EXCLUSIVE ET ANALYSE DU ROMAN
SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013 - NUMÉRO 63
• LES JUIFS EN CHINE DEPUIS LE VIIIÈME SIÈCLE
3
ÉDITO
SOMMAIRE
Histoire du «bulletin de nos
Communautés»
HISTORIQUE
P4
Karine Tuil la consécration
INTERVIEW
P6
Commencer par sa blessure
LIVRES
P8
Arcady tourne: «24 jours,
la vérité sur la mort de Ilan
Halimi»
CINÉMA
P10
Israël et la corne africaine
AFRIQUE
P12
Le jour ou Israël devait
disparaitre : Kippour 1973
DOSSIER
P13
Netanya, veille de Kippour
1973
DOSSIER
P16
En chinois XIN veut dire
nouveau
ISRAËL
P18
Les juifs en chine: Depuis le
VIIIéme siècle
INTERNATIONAL
P19
Les odeurs et les saveurs
du Maroc de ma jeunesse
SOCIÉTÉ
P22
Hanokh Levin, le parcours
d’un immense dramaturge
Israélien
PORTRAIT
P26
«inconnu à cette adresse»
SPECTACLES
P28
«Les livres à s’offrir»
LIVRES
P30
Un été bien bleu (bilan de
rentrée)
SPORT
P32
Les brèves
P25
P34
Edité par Yves Saro & Partners
78 Boulevard Soult - 75012 PARIS
Directeur de la publication :
Yves Sroussi
Rédacteur en chef :
André Mamou
Directrice de la rédaction :
Sylvie Bensaid
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Commission prioritaire en cours.
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La renaissance
Tribune Juive Magazine vient de naître,
de renaître.
Il y a 68 ans, au lendemain de la
Seconde Guerre Mondiale, des gens
admirables par leur courage et leur
intégrité morale, avaient édité un petit journal de 6 puis de 8 pages : Le
Bulletin de nos Communautés d’Alsace et de Lorraine. Le premier numéro est daté du 21 décembre 1945
et ce n’est qu’en 1965 que le Bulletin
devint La Tribune Juive.
Vous lirez tous les détails de sa
naissance et de son développement
dans le texte du Rabbin Jacquot
Grunewald que nous reproduisons
in extenso.
Le magazine eut son heure de gloire
surtout sous la direction de Pierre
Besnaïnou, et quand Ivan Levaï, journaliste de talent et de conviction était
aux commandes. Les difficultés de
la confection d’un magazine, le coût
exorbitant d’une distribution ciblée,
la baisse du lectorat devant l’offre
surabondante des radios, stations de
télévision et le torrent ininterrompu
de l’Internet mirent à mal Tribune
Juive dont la coque percée prit l’eau
jusqu’à s’échouer en mars 2011.
tous les sujets et toutes les disciplines.
Républicain, laïque et admirateur
de l’État d’ Israël, tel devait être le site
Internet et ses animateurs se voulurent indépendants, rigoureux dans
le contrôle de l’information, ennemis
de la pensée unique, des controverses
stériles et des jugements hâtifs.
Allez sur Internet et cliquez sur
tribunejuive.info : vous ne serez pas
déçus ! Le site continuera d’exister, de
publier tous les jours et d’envoyer par
mail plusieurs fois par semaine une
newsletter de ses meilleurs articles à
ses lecteurs. Ce service gratuit, vous
pouvez en bénéficier : il vous suffit de
vous inscrire.
Vous avez en mains le magazine
Tribune Juive, navire dont nous avons
réparé les avaries, que nous avons
redressé pour le remettre à flot. On
ne sait pas quel sera son destin. Il dépendra de l’estime que vous lui porterez . Nous avons fait de notre mieux,
nous pourrons encore améliorer .
La communauté juive francophone et tous nos amis méritent un
magazine ouvert à l’actualité avec
Lui succéda un avatar de Tribune des analyses sans parti pris, avec de
Juive, le site web tribunejuive.info l’intelligence pour convaincre et de
animé par des rédacteurs du maga- l’optimisme pour séduire.
zine, qui recrutèrent des talents et
qui réussirent à fidéliser un lectorat
On va essayer tous ensemble.
nouveau dans sa grande majorité.
La première conférence de rédaction
décida que la mission était de rendre
André Mamou
compte de l’actualité de la commuRédacteur en chef
nauté juive en France, en Israël et
partout dans le monde en abordant
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
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HISTORIQUE
Histoire du «Bulletin de
nos Communautés
d’Alsace et de Lorraine »
L’histoire du «Bulletin de nos Communautés d’Alsace et de Lorraine» est
associée étroitement au retour à la France, après la Shoah, des deux
provinces perdues, qui cessaient d’être «judenrein». D’autres ont parlé, d’autres
parleront, de ces premières journées, des premières semaines ou des mois
d’après-guerre, d’une communauté décimée, exsangue, sans moyens.
Q
uant au Bulletin (c’est ainsi que
nous abrégerons dans la suite du
texte), son premier numéro paraîtra le 21 décembre 1945, sous forme d’un
bi-mensuel de six puis de huit pages 21x27,
sans couleur bien sûr.
Les noms qui apparaissaient, avec celui
des communautés d’origine, laissaient deviner peu à peu les longues listes de tous ceux
qui ne reviendraient plus, dont les noms
seront gravés sur les monuments du souvenir dans les cimetières juifs d’Alsace et de
Lorraine.
Nephtali Grunewald
Co-fondateur du Bulletin
Salli, Salomon et Berthe
Grunewald
Le Bulletin a été fondé par Abraham
Deutsch, nouveau grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin, qui en était le rédacteur en chef et par mon oncle Nephtali
Grunewald qui, avec sa sœur Berthe, en
assura la charge financière et l’ensemble du
travail technique. C’était là une façon de
continuer l’œuvre entreprise à Limoges où la
Communauté de Strasbourg était officiellement et pratiquement réfugiée pendant la
guerre.
journal indépendant. Il faut avoir connu le
grand rabbin Deutsch pour comprendre.
Le rabbin à tous les niveaux de la réflexion
était totalement indépendant des présidents, du Consitoire et de la Communauté.
Rubriques et articles
Cependant, le Bulletin n’était pas seulement «communautaire». Par son apport
rédactionnel, il était bien plus qu’un «bulletin». Au-delà de ses éditoriaux, le grand
rabbin Deutsch rédigeait régulièrement La
quinzaine dans le monde juif, de courtes
informations et réflexions correspondant
au titre de la rubrique. Il y avait bien sûr
les lectures bibliques (qui, avec l’éditorial
et d’autres articles paraîtront aussi en allemand jusqu’en 1965, pour les «parashioth»)
et puis des billets de toutes sortes.
Dans le n°1, on peut relever les signatures
de Edouard Bing, Benno Gross, Henri Smolarski, J.P. Blum (qui revenait de déportation) ainsi qu’un Rapport sur la situation de
la communauté de Colmar après le retour
de l’Alsace à la France, par le grand rabbin
Fuks. Le fameux Carnet de famille y figurait
déjà. Ainsi que Des nouvelles de partout
grâce au service de l’Agence Télégraphique
juive auquel le journal s’était abonné.
Journal communautaire ? Il faut s’entendre sur les mots. Ils n’ont sans doute
plus la même signification qu’en ces temps
d’après-guerre, où le retour d’une communauté, sa renaissance, étaient par euxmêmes la chose la plus merveilleuse qui
Par la suite, au fur et à mesure que passent
soit, quasi miraculeuse... Le Bulletin de nos les années, le journal s’étoffera; il paraîtra
Communautés portait ce titre dans cette sous une couverture bleue avec sa mosaïque
perspective. Cela dit, le Bulletin était un de publicité, une Revue de la presse fran-
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
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EN 1968 LE BULLETIN PRIT LE TITRE DE TRIBUNE JUIVE...
çaise et étrangère d’André Lazar, les contributions parisiennes de Roger Berg, celles
d’Arnold Mandel, de Jean-Georges Kahn,
du Dr. Joseph Weill, de Hélène Rapoport
La Lettre de Jérusalem de Moshé Catane
est sans doute le signe le plus évident que
le grand rabbin Deutsch admettait que la
forteresse d’une certaine orthodoxie intellectuelle pût être forcée.
gues restaient quasi désertes, était une démarche importante qui s’inscrivait parfaitement dans l’idée que je me faisais du travail
rabbinique.
Souvenirs. Dans le premier numéro du
Bulletin dont je prenais la charge, peu avant
Ticha beav, en 1965, j’évoquais la présence
de deux murs, le Kotel qui, cruellement,
coupait Jérusalem en deux et celui de BerEnfin, avant de m’excuser auprès de tous lin qui perpétuait la guerre froide. Ce qui
ceux que je devrais encore citer, il faut sou- prouve bien que l’optimisme et l’espoir ne
ligner le rôle de Claude Hemmendinger qui sont pas des denrées prohibées.
sut apporter au journal une note professionnelle.
Je le pensais déjà. Et c’est pourquoi j’imaginais que le Bulletin pouvait officielleDu «Bulletin» à «Tribune Juive»
ment sortir d’Alsace-Lorraine pour aller au
devant d’un lectorat plus large.
Lorsqu’en 1965, mon oncle décida de
prendre sa retraite et m’invitait à prendre
Ce fut d’abord, compte tenu de la place
sa succession (je n’avais alors contribué à la de Strasbourg comme capitale de l’Europe
rédaction que par le Coin des jeunes) deux et par l’ajout de pages pour la Suisse (après
considérations m’amenèrent à répondre la fusion avec Liaison) et d’un carnet belge,
positivement. La première, était le caractère le passage au Bulletin des Communautés
indépendant du journal, le seul parmi tous d’Europe d’expression française !
les organes de la presse juive en France.
A mon grand étonnement, personne ne
Je m’en étais longuement entretenu avec protesta. Il est vrai qu’aucune organisation
le rabbin Charles Friedeman, mon ami, juive européenne n’existait encore. Puis, en
qui lui aussi écrivait dans le Bulletin, et qui 1968, le Bulletin prit le titre de Tribune Juive,
considérait, comme moi, qu’une presse une façon de rappeler La Tribune Juive qui
juive indépendante méritait d’être dévelop- paraissait à Strasbourg avant-guerre.
pée.
L’année suivante, Tribune Juive devint
La seconde réflexion venait de l’état très hebdomadaire.
faible de la communauté juive dans son
ensemble. Et je me disais qu’un journal
Commençait alors une autre histoire.
arrivant dans les foyers, toutes les veilles de
Shabath, alors que la plupart des synagoRabbin Jacquot Grunewald
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
Ivan Levaï
Rabbin Jacquot Grunewald
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INTERVIEW
Karine Tuil :
la consécration ?
Dans l’Invention de nos vies, son neuvième ouvrage,
le plus accompli, Karine Tuil nous livre un roman
sur l’imposture, les faux-semblants, les identités
trompeuses, l’argent, la réussite, l’amitié.
C’est l’histoire
d’un trio amoureux, au destin
croisé.
Samir,
le musulman et
Samuel, le juif,
sont amoureux de
Nina une somptueuse créature. Vingt ans plus tard, tout a
changé. Samir qui est devenu un brillant avocat d’affaires
à New York, doit son succès à une usurpation d´identité.
Il a emprunté l’histoire familiale de son ami de jeunesse,
Samuel. Ce roman phare de la rentrée, fait partie de la première sélection de romans en lice pour le Goncourt, le prix
Interallié et le Femina.
d’un puissant entrepreneur juif américain – l’une des plus
grosses fortunes américaines.
TJ : Est-ce la contrainte sociale qui oblige Samir à un
changement d’identité ?
KT : Samir est persuadé d’avoir été victime d’une discrimination raciale, alors que Pierre Lévy, son employeur puis
associé, lui dira un peu plus tard dans le livre - c’est un passage très important – que, « dans notre société, la discrimination n’est pas raciale mais sociale », précisant qu’il l’aurait
embauché même s’il avait su qu’il était musulman. Samir,
d’une certaine façon, s’est laissé piéger par son mensonge
originel, mais il n’y avait chez lui ni honte des origines, ni
volonté de tromperie.
Rencontre avec Karine Tuil, une jeune femme à l’allure
volontaire, un esprit toujours en éveil, un regard qui déTJ : Samir a-t-il un désir de revanche si fort qu’il l’emvoile une part de douceur et de fragilité
pêche de se dévoiler ?
Tribune juive : Dans L’invention de nos vies, votre dernier roman, vous traitez de l’imposture, du mensonge,
de la falsification, des sujets universels. Pensez-vous que
ce sont des contre-valeurs totalement banalisées dans
notre société ?
K.T : Samir est quelqu’un de très méritant, très brillant,
Il est arrivé parmi les premiers au concours du Barreau de
Paris. Le jeune des cités veut rompre le « cycle de l’échec et
de la misère », lié à ses origines, notamment - sa mère est
femme de ménage, son père, qui était chauffeur, est mort
dans des circonstances tragiques alors que Samir était encore jeune. Il y a donc en lui un très fort esprit de revanche.
Revanche sur l’amour, car il a été rejeté par la femme qu’il
aimait - Nina l’a abandonné pour retrouver Samuel qui
avait tenté de se suicider pour la garder - ; revanche contre
la société qui impose ses règles sociales impitoyables et auxquelles il faut se soumettre pour survivre ; revanche contre
l’humiliation qu’a subie sa mère qui a eu une liaison avec
son employeur, un homme politique français, membre du
parti socialiste qui, après lui avoir fait un enfant qu’il a refusé de reconnaître, l’a abandonnée.
Karine Tuil : Oui, je crois que Samir est assez emblématique de notre société, c’est un Rastignac des temps modernes, un ambitieux mais c’est aussi un pur produit de la
« méritocratie » à la française. Il est travailleur, volontaire,
il a envie de trouver sa place sociale et est prêt à tout pour
ça. Mais il va être acculé au mensonge d’identité parce qu’il
pense être victime d’une discrimination raciale. Etudiant
brillant, il est persuadé que les lettres de refus d’embauche
des prestigieux cabinets d’avocats sont dues uniquement à
son patronyme d’origine arabe. Samir Tahar, devenu Sam,
rencontre Pierre Lévy, son futur employeur qui, d’emblée, le
prend pour un juif. En effet, le nom de Tahar est porté ausTj : Vous êtes-vous inspirée de DSK pour les pulsions
si bien par des juifs d’Afrique du nord que par des musul- de votre héros?
mans. Samir ne dénonce pas ce quiproquo et commence à
New-York une brillante carrière sous l’impulsion de Pierre
K.T : Non, je ne me suis pas inspirée de DSK, mais le
Lévy et de celle qui deviendra sa femme, Ruth Berg, la fille goût pour une sexualité sans contrainte était un trait de caTRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
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ractère qui rendait Samir plus intéressant. C’est un séducK.T : Etre écrivain c’est se nourrir beaucoup des autres,
teur, noceur, un homme à femmes, qui a une sexualité tota- avoir le désir d’incarner plusieurs vies, en changer par prolement débridée, il est incapable de réprimer ses pulsions et curation, c’est être un peu acteur, ça donne une liberté, une
le lecteur guette sa chute.
audace, une énergie très particulières. J’aime soulever des
questions de société comme l’antisémitisme, la discriminaTJ : Si votre livre devenait un film qui pourrait incar- tion, la quête identitaire et les intégrer dans une grande
ner Nina ?
histoire romanesque. A travers ce livre, je souhaitais évoquer les compromissions et les trahisons que chacun est
K.T : Beaucoup de personnes s’y intéressent. Je vois prêt à faire pour trouver sa place sociale, notamment le
bien Monica Belluci dans le rôle de Nina. Il faut une femme mensonge. Quant à l’identité, c’est un thème qui m’obsède
extrêmement charnelle et sensuelle avec une charge érotique depuis mon premier roman. J’aime beaucoup cette phrase
puissante.
du poète russe Joseph Brodsky qui illustre bien mon livre :
« Mon premier mensonge avait un rapport avec mon idenT.J : Dans votre roman, les femmes sont soumises et tité. »
manipulées et au fur à mesure on les voit s’émanciper.
T.J : C’est aussi un livre sur l’amitié ?
K.T : La question des rapports de pouvoir, que ce soit
dans la sphère professionnelle ou intime, m’intéresse deK.T : Oui, amitié déçue ou amitié forte, proche de la
puis longtemps. J’ai d’ailleurs écrit un livre à ce sujet «La fraternité. Dans ce livre, l’amitié entre Samir Tahar et son
Domination». Il me semble que beaucoup de choses se mentor Pierre Lévy est indéfectible. J’ai voulu parler de
jouent dans les rapports de pouvoir, de désir. Les femmes réconciliation. C’était important d’évoquer l’amitié judéodeviennent des enjeux, des objets, des faire-valoir pour des musulmane, les préoccupations communes, les crispations
hommes plus puissants qu’elles. Au fil du livre, elles s’éman- identitaires.
cipent, se libèrent du regard des hommes.
T.J : Ce livre est aussi une variation sur la réussite ?
T.J : Samuel a aussi un rapport ambigu avec son identité juive… Il va même jusqu’à changer de prénom.
K.T : C’est un roman qui parle de l’obsession de la réussite dans nos sociétés occidentales. Qui est le raté ? Qui
K.T : Samuel Baron, qui rêve de devenir écrivain, recon- a réussi ? Celui dont la réussite repose sur un mensonge
verti en éducateur social auprès de jeunes en difficulté est identitaire ? Samuel qui a, en apparence, échoué mais qui
le fils d’intellectuels juifs orthodoxes avec lesquels il rompt tire un certain orgueil de son refus des compromissions ?
tout lien quand il apprend, à l’âge de 18 ans, qu’il n’est pas Mes personnages vont être placés successivement dans des
leur fils biologique, mais celui d’une chrétienne. Il s’éloigne situations d’échec et de réussite.
du judaïsme. Il vit dans une banlieue sous tension, où la
montée de l’antisémitisme est très forte. Il est menacé, il a
T.J : Comment vous est venue l’idée de ce roman ?
peur, et se voit contraint de cacher sa judaïté, il prend le prénom de son père, Jacques. Dans mon livre, tout le monde
K.T : J’avais été très marquée par la vague de suicides à
ment sur son identité pour survivre.
France Telecom, signe d’une société malade de son obsession de la performance. Je voulais décrire le climat de vioTJ : Peut-on se réinventer une vie ou est-ce une illusion ? lence et de brutalité qui sévissait dans notre société contemporaine, l’esprit concurrentiel, l’obsession de la réussite, de
K.T : Ce qui m’intéresse, c’est le désir qu’on peut avoir la compétitivité.
d’échapper au déterminisme, de se créer une identité
propre. Dans une société ultra compétitive, où la réussite est
T.J : Avez-vous toujours eu ce goût pour l’écriture ?
une norme sociale à laquelle il faut se soumettre, peut-être
encourage-t-on les gens à falsifier leur existence, à mentir
K.T : Très tôt, ma mère qui était par ailleurs assez réserpour paraître sous un jour plus favorable, plus enviable. vée et pudibonde, qui m’interdisait par exemple de voir une
« Avec le mensonge on peut aller très loin, mais on ne peut scène un peu osée à la télévision, m’a donné à lire des textes
jamais en revenir » dit un proverbe yiddish, qui m’a guidée forts – pas toujours adaptés à mon âge d’ailleurs : Camus,
tout au long de l’écriture de ce roman. On voit les person- Vian, Kafka, dans une liberté totale, m’incitant à échanger
nages, tour à tour s’inventer des vies… mais tôt ou tard ils avec elle après lecture, sans tabou. J’ai toujours aimé écrire,
sont rattrapés par leurs origines, leur passé. Pour Samir, j’ai fait des études de droit pour rassurer mes parents, mais
qui a tout eu, être débarrassé de son masque social devient j’ai écrit mon premier roman à l’âge de dix-neuf ans sans
libératoire… il s’affranchit enfin des non-dits et des secrets. être publiée. D’ailleurs, mon roman est aussi une réflexion
sur l’écriture, sur la place de l’écrivain dans notre société.
T.J : Vous abordez dans ce livre des thèmes récurrents :
le mensonge et l’identité…
Propos reccueillis par Sylvie Bensaid
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
8
LIVRES
« L’INVENTION DE NOS VIES » DE KARINE TUIL
Commencer par
sa blessure
« Commencer par sa blessure, commencer par ça - dernier stigmate d’un
caporalisme auquel Samir Tahar avait passé sa vie à se soustraire »
« ...Lui même n’aspirait plus qu’à jouir de son identité retrouvée. »
Ce sont la première et la dernière phrase de « L’invention de nos vies »,
roman de Karine Tuil : 493 pages (Grasset).
I
l y a trois personnages principaux : Samir, arabe musul- sollicités, comme dans les tragédies du répertoire classique.
man, fils d’immigrés tunisiens, Samuel, fils d’une polo- Il y a l’épouse de Samir, parfaite jewish american princess...
naise catholique, adopté par des juifs français communistes « revenus» à la religion, Nina trop belle, fascinante,
Mais le livre de Karine Tuil n’est pas seulement un roman
que les deux hommes se disputent.
réussi, c’est aussi un reportage fouillé, une analyse au scalpel
des banlieues françaises, « léopardisées» par des zones de
Celui qui devient avocat de haut niveau à New York et non droit, avec une jeunesse en déshérence et en désesqui épouse la fille du juif le plus important de Manhattan, pérance. Les ascenseurs toujours en panne dans les barres
c’est l’arabe. Celui qui végète à Clichy sous Bois dans un
emploi d’assistant social, c’ est le juif. Nina, elle a aimé le
premier, elle est restée par pitié avec le plus faible mais elle
Personne n’ est à sa place, chacun s’invente un
le quittera pour le premier.
Pour réussir à Paris puis à NewYork, Samir ne contredit pas son premier employeur qui pense avoir engagé un
jeune avocat juif prénommé Sami. « On peut aller très loin
avec le mensonge... » Et Sami bâtira sa carrière, son mariage, sa vie sur un malentendu jamais dissipé. Samuel se
veut écrivain mais n’ a jamais été édité. Son échec le transforme en agressif hystérique. La misère s’impose à lui mais
il ne l’assume pas et se drape dans une attitude de mépris
envers tous ceux qui connaissent la réussite. Il en est même
réduit à recevoir les arabes venus lui demander son assistance en se cachant d’être juif.
Personne n’ est à sa place, chacun s’invente un rôle mais
la vie va rebattre les cartes et le jeu va changer pour chacun
des personnages.
C’est un beau roman. Karine Tuil raconte une histoire,
une intrigue, avec un début, des rebondissements et des
personnages secondaires qui sont les acteurs, les témoins
de la tragédie. Le demi frère de Samir, né d’une relation ancillaire, blond comme son père, homme politique français,
qui devient terroriste après avoir été dealer puis musulman
intégriste. Il y a l’avocat juif parisien, tout en intelligence et
en culture qui écoute les confidences et donne les conseils
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
rôle mais la vie va rebattre les cartes et le jeu va
changer pour chacun des personnages.
de 8 étages, c’est pour décourager ou ralentir les policiers
venus arrêter des auteurs de délits ou les dealers de shit et
de coke, ou de simples préposés au guet.
« L’invention de nos vies », c’est également une réflexion sur
le sort réservé aux arabes ou plutôt sur l’idée qu’ils s’en font:
« Pour trouver un bon travail quand on est arabe,tu peux
crever, et un logement, oublie. Les Français ont fait venir
nos parents, ils leur ont promis l’eldorado et, au lieu de ça,
ils les ont parqués comme des bêtes dans des cités-dortoirs,
ils les ont exploités, maltraités, maintenant ils veulent s’en
débarrasser, et tu voudrais quoi, que nous, leurs enfants, on
dise merci ? Les juifs sont toujours là, à pleurer sur leurs
morts, mais nous, qui pleure sur nos victimes ? Tu veux
que je te dise ? Les morts n’ ont pas tous la même valeur ! »
Karine Tuil rapporte aussi ce que beaucoup d’arabes pensent des juifs quand il leur arrive de s’ exprimer : « Les juifs
ne sont pas paranoïaques peut être ? Dès qu’ils sont visés
par la moindre remarque, dès qu’ils se sentent mal-aimés,
lésés, critiqués, ils dégainent leur arme, l’antisémitisme ! »
9
L’écriture de Karine Tuil est vive, précise,
nerveuse : peu de descriptions et beaucoup
de dialogues, de confessions. Elle utilise
souvent des phrases avec deux ou trois
verbes ou adjectifs séparés par des barres
obliques : « il te faut charmer/ruser/négocier» ou autre exemple : « quelque chose
était corrompu/détruit /souillé ».
Il y a également quelques notes en bas de
page pour rendre vrais des personnages
sans importance : par exemple, deux dan-
« Pour trouver un bon travail
quand on est arabe,tu peux crever,
et un logement, oublie. »
seuses nues dans une boîte de nuit, astérisque et en bas de page : « Charlène et
Nadia, 23 et 25 ans. La première rêvait de
devenir danseuse classique, la seconde avait
été longtemps professeur d’aérobic ».
C’est un livre sur l’état de la France aujourd’hui, laïcité et communautarisme,
hostilité raciste et violence incontrôlable,
chômage humiliant et assistance décourageante. Le pays ne va pas bien et chacun le
ressent. Karine Tuil restitue la vibration et
son livre interpelle : « supporter l’horreur
économique, l’horreur sociale-utopie car
rien ne changera, toujours plus minable,
faut pas rêver »
Karine Tuil
Romancière
Le Point parle d’une « fresque post balzacienne sur l’ambition et ses ressorts » mais
ce livre puissant charrie les craintes « d’un
avenir sombre, terrorisant » et il parle surtout de passion, d’ambition , de mensonge,
et de désillusion .
Samir, Samuel, Nina ont quarante ans.
« Les feux mal éteints » de leur jeunesse
brillent encore dans leurs yeux. Le livre de
Karine Tuil parle de la vie qui vous fait exulter et qui peut vous broyer.
André Mamou
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
L’invention de nos vies,
Karine Tuil
Éditions Grasset
10
CINÉMA
Arcady tourne :
« 24 jours, la vérité sur la
mort de Ilan Halimi »
Ilan Halimi, est le premier juif assassiné en
France depuis la fin de la guerre mondiale.
Aucun d’entre nous ne l’a oublié : c’est notre
épine au cœur. Il va y avoir deux films, le second
sera tourné par Richard Berri , le premier est en
cours de tournage par Alexandre Arcady.
Arcady a été « adoubé » par Ruth Halimi, la
mère d’ Ilan qui avait signé avec Émilie Frèche
un témoignage intitulé : « 24 jours, la vérité sur la
mort d’Ilan Halimi ».
Ce sera le titre du film et la distribution réunit des talents confirmés et des
nouveaux venus au profil intéressant.
Zabou Breitman reprend le rôle de Ruth qui devait être celui de Valérie
Benguigui. Ilan sera incarné par Syrus Shaidi (pas de commentaire : c’est
Ruth qui l’a choisi).
LA MÈRE
ILAN
LE PÈRE
Zabou Breitman
Syrus Shaidi
Pascal Elbé
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
11
Alexandre Arcady
Tournage d’ une scène d’un dîner de Shabbat
Synopsis
E
lle est entrée dans une boutique de téléphonie sur le
boulevard Voltaire. Elle a fait mine de s’intéresser aux
nouveaux portables, a obtenu le numéro du vendeur
et s’en est allée. Elle l’a rappelé dès le lendemain, lui a dit
qu’elle voulait le revoir. Ilan ne s’est pas méfié. Il avait vingttrois ans, la vie devant lui… Comment pouvait-il se douter qu’en rejoignant cette jolie fille dans un café de la porte
d’Orléans, il avait rendez-vous avec la mort ?
Ilan et sa mère
Le vendredi 20 janvier 2006, Ilan Halimi, choisi par le gang
des Barbares parce qu’il était juif, est enlevé et conduit dans
un appartement de Bagneux. Il y sera séquestré et torturé
pendant trois semaines avant d’être jeté dans un bois par ses
bourreaux. Retrouvé gisant nu le long d’unevoie de chemin
de fer à Sainte-Geneviève-des-Bois, il ne survivra pas à son
calvaire.
Dans ce film, Ruth Halimi revient sur ces 24 jours de cauchemar. 24 jours au cours desquels elle aura reçu, elle et son
mari, Didier, plus de six cents appels, des demandes de rançon dont le montant ne cessera de changer, des insultes, des
menaces, des photos de son fils supplicié… 24 jours d’angoisse de toute une famille, contrainte de garder le silence pour
laisser travailler le Quai des Orfèvres. Mais le Quai des Orfèvres ne sait pas à quels individus il a affaire. Il ne mesure pas
la haine antisémite qui habite les ravisseurs, et ne s’imagine pas qu’Ilan allait perdre la vie...
Photos : Etienne George
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
12
AFRIQUE
Israël et la
corne africaine
La présence de commandos israéliens à Nairobi pendant la prise d’otages du
centre commercial Westgate n’est pas une surprise pour les connaisseurs de la
région. L’est africain est une zone stratégique pour l’Etat hébreu.
L
’attaque, puis la prise d’otages menée par des combattants shebabs en plein cœur de la capitale kényane
restent encore parsemées de zones d’ombre. Mais ce
qui continue d’intriguer, c’est l’implication de forces spéciales israéliennes, relatée par l’Agence France Presse (AFP)
un peu plus de vingt-quatre heures après le début des évènements. A l’intérieur du centre commercial de Nairobi,
au moins deux blessés disent avoir été secourus par un
« agent israélien », sans qu’on sache comment celui-ci a pu
être identifié.
N’en déplaise aux nostalgiques du spectaculaire raid
d’Entebbe en 1976, la présence de commandos israéliens
au Kenya répond avant tout à des intérêts stratégiques.
Depuis les attentats de Mombassa en 2002, la coopération
israélo-kenyane s’est intensifiée en matière de lutte contre
le terrorisme. En apportant son assistance militaire à Nairobi, l’État hébreu espère réduire la capacité de nuisance
de groupes islamistes affiliés à la nébuleuse Al-Qaïda, qui
prospèrent dans la région. Il engage aussi une lutte d’influence contre l’Iran, dont la présence navale et les activités
se sont renforcées dans la Corne de l’Afrique.
aptes à encadrer le déroulement d’un assaut ou d’opérations
de secours, et à prodiguer des conseils à l’armée kényane.
Une intervention militaire directe contre le commando
terroriste semblait donc exclue. Reste que les Yamam, équivalent du GIGN, sont surtout réputés pour leur expertise
en matière de libération d’otages. Il n’est donc pas impossible qu’un petit nombre d’officiers israéliens ait pénétré à
l’intérieur du centre commercial, aux côtés de membres des
forces de sécurité kenyanes.
Vus d’Israël, les évènements à Nairobi prouvent la nécessité d’agir dans l’est africain, d’autant que cette région offre
un accès privilégié à deux zones sensibles : le Golfe d’Aden
et l’Océan indien. L’an passé, lors du passage à Jérusalem de
son homologue kényan, Raila Odinga,Netanyahu déclarait :
« nous allons aider à la formation d’une coalition contre
le fondamentalisme en Afrique de l’Est, incluant le Kenya,
l’Éthiopie, le Soudan du Sud et la Tanzanie. » Son objectif,
ambitieux, est de rassembler sous son étendard plusieurs
nations africaines à forte population chrétienne.
Les relations entre Jérusalem et Nairobi ont connu un essor exceptionnel sous la présidence de Mwai Kibaki (20022013). Sur le plan sécuritaire, des experts israéliens dans la
lutte antiterroriste ont formé des centaines de militaires et
de policiers kényans aussi bien dans leur pays que lors de
stages intensifs en Israël. Plusieurs accords bilatéraux ont été
signés, y compris dans d’autres secteurs clés comme l’énergie ou l’agriculture. Depuis 2009, un partenariat permet au
Kenya de bénéficier des techniques israéliennes d’irrigation
et de gestion des eaux de pluie. En 2011, l’agence israélienne
Cet axe pourrait également inclure l’Ouganda. Son présipour la Coopération au Développement (Mashav) achevait dent, Yoweri Museveni, s’était rendu en Israël dans la foulée
la construction d’un département médical d’urgences dans du Premier ministre kenyan. Sa visite avait été organisée
l’hôpital de Kisumu, troisième ville du pays.
par l’ancien chef du Mossad Rafi Eitan, 86 ans, reconverti
dans les affaires en Afrique. Elle lui avait permis de renconSur ordre du ministère de la défense, c’est une équipe du trer l’ancien ministre de la défense, Ehud Barak, le chef du
Yamam, unité d’élite de la police israélienne, qui s’est envo- Mossad, Tamir Pardo, ainsi que plusieurs grands acteurs de
lée vers la capitale kényane.
l’industrie militaire israélienne.
A Tel Aviv, des sources sécuritaires ont assuré que les
hommes engagés sur place étaient des « négociateurs »,
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
Maxime Perez
13
DOSSIER
Par Maxime Perez
Le jour où Israël
devait disparaître :
Kippour 1973
Ouverts au public, les protocoles de réunions secrètes entre Golda Meir et les
membres de son cabinet sont un véritable trésor de l’histoire. Ils traduisent la
stupeur qui s’est emparée des responsables israéliens dans les premières heures
de l’offensive arabe contre l’Etat juif. Extraits.
L
e 5 octobre 1973 à l’aube, Zvi Zamir, directeur du
Mossad, reçoit un message de l’une de ses sources les
plus fiables : l’Egypte et la Syrie s’apprêtent à déclencher les hostilités contre Israël. Le général Eliahou Zeïra,
chef des renseignements militaires (Aman), se dit sceptique. Par deux fois, en mai et août, les exercices effectués
par les troupes égyptiennes à la frontière avaient obligé
l’armée israélienne à se mobiliser. Coût des opérations : 20
millions de dollars. Zeïra demande au directeur du Mossad de vérifier cette source avant d’en informer Golda Meir,
alors premier ministre.
Zamir s’envole pour Londres afin de rencontrer son informateur. Il apprend que plusieurs milliers de familles de
conseillers soviétiques en Egypte et en Syrie sont rapatriées
en URSS. Des navires russes, habituellement amarrés dans
les ports égyptiens de Port-Saïd, Alexandrie et Marsa Matrouh, ont même déjà rejoint le large. Le chef du Mossad
alerte Tel Aviv dans la nuit du 5 au 6 octobre, au moment
où la plupart des réseaux de communication sont paralysés par la fête de Yom Kippour, le jour le plus sacré du
calendrier hébraïque. Par précaution, l’état-major de Tsahal
place son aviation en état d’alerte. Plusieurs escadrilles se
tiennent prêtes à l’attaque de bases aériennes ennemies.
Samedi 6 octobre, 8h05. Golda Meir, qui a été réveillée
à 3h45 par son aide de camp, le général Yisrael Lior, ouvre
une réunion de crise. Tendue, elle fume cigarette sur cigarette, au point d’incommoder certains membres de son
cabinet.
Les débats commencent. Craignant une offensive syrienne sur le Plateau du Golan, « Golda » préconise l’évacuation immédiate des kibboutz frontaliers. « Nous enverrons
des bus chercher les enfants en fin d’après-midi », suggèret-elle. Le ministre de la défense Moshé Dayan la soutient
mais s’inquiète plutôt des divergences de point de vue avec
les Etats-Unis : « Les Américains viennent de nous informer que pour l’heure, ils ne constatent aucun préparatif à la
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
guerre. Mais ils sont incapables d’expliquer le rapatriement
des ressortissants soviétiques et beaucoup d’autres choses ».
Tout comme Golda Meir, Dayan rejette l’idée de frappes
aériennes préventives, arguant qu’Israël ne peut se permettre de passer une seconde fois pour un agresseur,
comme lors de la guerre des Six-jours en 1967. Afin de ne
pas éveiller la suspicion des occidentaux, il propose une
mobilisation partielle des réservistes, 50 à 60.000 hommes,
et de deux divisions blindées. David Elazar, le chef d’étatmajor de Tsahal, juge cette mesure insuffisante : « Avec
moins de 200.000 soldats, nous serons limités à une guerre
défensive. Il faut décréter une mobilisation générale, cela
ne changera rien vis-à-vis de la communauté internationale et les arabes comprendront qu’ils ont perdu l’effet de
surprise. »
Elazar annonce que les Syriens ont avancé leurs pièces
d’artillerie. Il ajoute que l’aviation israélienne peut lancer
une attaque totale à midi précise. Golda Meir se tourne
vers Eliahou Zeïra : « quelle est votre estimation ? » - Ils
sont en position de nous attaquer à tout moment, réplique
le chef d’Aman avant de tempérer : « Selon moi, Sadate (le
président égyptien, ndlr) n’est pas en mesure de mener une
guerre. L’équilibre des forces n’a pas changé, ils savent qu’ils
perdront. »
DOSSIER
14
pilonnés par près de 100.000 obus, créant la panique dans
les communications radio. Les fantassins des 2e et 3e armées égyptiennes en profitent pour traverser la rive à bord
de canots et établir des têtes de ponts.
Au même moment, sur le Plateau du Golan, l’armée
syrienne franchit la ligne de cessez-le-feu. Un bataillon
héliporté prend le contrôle de la station d’écoute du Mont
Hermon, ne laissant aucune chance aux soldats israéliens
qui y sont retranchés. Trois divisions d’infanterie se ruent à
l’assaut des positions de Tsahal, appuyées par des centaines
de tanks et des tirs nourris d’artillerie.
Au premier soir de la guerre, l’armée israélienne parvient
toutefois à contenir la progression syrienne. Dans le Sinaï,
la situation est plus critique. Les avions israéliens lancés
dans la bataille se heurtent aux redoutables défenses antiaériennes égyptiennes, notamment les batteries de missiles
SAM.
9h05. Golda Meir ordonne d’alerter sans plus attendre
les Etats-Unis des mouvements de troupes ennemis aux
frontières nord et sud. De vifs échanges se poursuivent sur
la nécessité de mobiliser immédiatement les réservistes
ou d’attendre le soir. Golda Meir finit par trancher : « Si la
guerre éclate réellement, nous devons être dans les meilleures conditions possibles et disposer de l’armée la plus
forte. De toute façon, personne ne saura évaluer l’étendue
de notre mobilisation. »
Un quart d’heure plus tard, le ministre de la défense
Moshé Dayan fait savoir au chef d’état-major de Tsahal
qu’il accepte l’ordre de mobilisation générale, de même que
l’évacuation des civils vivant sur le Golan. Mais en ce jour
de Kippour, les consignes parviennent difficilement aux
populations et aux postes militaires. A 9h30, Golda Meir
s’entretient avec l’ambassadeur américain Kenneth Keating
qu’elle venait de convoquer en urgence. « Soyez-en sur,
nous ne comptons pas attaquer. Mais nous pourrions être
en difficulté », lui confie-t-elle.
À 12h30, le gouvernement reprend ses délibérations.
« Golda » apparait le visage pâle et ses yeux marqués par la
fatigue, donne l’impression d’une vieille dame. Après avoir
lentement regagné sa chaise, elle passe en revue une pile de
documents, allume une énième cigarette, et finit par lancer :
« la séance est ouverte ».
14h05. Le conseil des ministres est brusquement interrompu par le bruit des sirènes qui retentissent dans tout le
territoire israélien. Les armées arabes viennent de lancer
l’opération « Badr », une offensive généralisée contre l’Etat
hébreu. Sur le front sud, 200 chasseurs égyptiens bombardent les troupes israéliennes stationnées dans le Sinaï :
bases aériennes, radars et centres de commandement. Le
long du canal de Suez, les fortins de la Ligne Bar-Lev sont
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
7 octobre 1973, 9h10. Itzhak Rabin est convoqué à une
nouvelle réunion d’urgence du cabinet israélien. Le général victorieux de la guerre des Six-jours livre une analyse
presque optimiste de la situation sur le terrain. « Au nord,
les tanks syriens maintiennent la pression. Au sud, le canal
de Suez est aux mains des Egyptiens mais leurs blindés n’ont
toujours pas franchi les ponts. Nos renforts sont en route.
D’ici ce soir, 200 tanks arriveront dans le Sinaï. L’acheminement des troupes se poursuit à un très bon rythme. »
Confiant, Rabin préconise d’attendre encore un peu avant
de lancer une contre-offensive.
Mais au sein du gouvernement, l’inquiétude est d’autant
plus grande que certaines unités manquent déjà d’équipements et de munitions. Golda Meir hésite à porter le combat sur la scène diplomatique : « si la situation perdure,
il faudra ignorer le monde et laisser l’armée agir. Le plus
important, c’est d’avoir le soutien des Américains. » Le Premier ministre israélien doute cependant de la capacité du
secrétaire d’Etat Henry Kissinger à obtenir un cessez-le-feu
à l’ONU, surtout si la question est portée devant l’Assemblée générale, noyautée par les « arabes et leurs amis ».
La plupart des ministres considèrent que dans les conditions actuelles, un arrêt des combats est prématuré. « Nous
devons repousser les Egyptiens derrière le canal de Suez.
Il nous faut du temps pour frapper », conclut le ministre
Israel Galili.
14h50. Vingt-quatre heures après le déclenchement des
hostilités, Moshé Dayan dresse un tableau noir de la situation. « Le canal est perdu, ordonnons une retraite de 30 kilomètres ! Ceux qui peuvent être évacués le seront. Les soldats blessés qui ne le peuvent pas seront abandonnés. Il faut
leur dire que nous ne pourrons pas les atteindre et qu’ils
ont le choix entre déguerpir ou se rendre. » Le ministre de
la défense admet qu’il a sous-estimé le niveau des forces
armées arabes. « Le mode opératoire est celui des Russes,
15
mort, la guerre va être longue. » Il poursuit : « nous devons
rappeler les anciens généraux, acheter des armes, réorganiser le commandement sud et enrôler des Juifs à l’étranger. »
Golda Meir et son cabinet s’interrogent sur la nécessité de dire la vérité à l’opinion publique. Elle se propose
d’effectuer une visite secrète de 24 heures aux Etats-Unis.
Son objectif : obtenir du président Nixon une aide militaire
urgente. « Je lui dirai que nos hommes se battent contre les
soviétiques, c’est notre meilleure carte à jouer pour obtenir
gain de cause. Mon intuition me dit qu’il me comprendra.»
Golda Meir vise en priorité les tanks et avions de chasse
disponibles dans les bases américaines en Europe.
tout a été parfaitement planifié », affirme-t-il. Golda
Meir comprend que les armées égyptiennes et syriennes
ne s’arrêteront pas en si bon chemin. « Ils sont assoiffés de
sang et veulent s’emparer de toute la terre d’Israël. C’est une
guerre d’indépendance, comme en 1948. »
Sur le front du Golan, la situation militaire s’améliore.
23h50. Ytzhak Rabin revient d’une tournée sur le front.
« Le bilan n’est pas clair. Il y a 80 morts et 400 blessés. On
estime que l’attaque a fait de 150 à 200 morts. La division
Albert a essuyé de lourdes pertes. Nous avons perdu 150
tanks, essentiellement à cause des missiles antichars. Le
bilan est identique sur le Golan. » Alors que près de 500
tanks égyptiens ont franchi le canal, il estime que Tsahal
doit reprendre l’initiative : « Nous contre-attaquerons demain avec deux divisions et un appui aérien. Les plans ont
été approuvés par Dado (surnom du chef d’état-major). »
8 octobre 1973, 19h50. Les généraux Ariel Sharon et
Avraham Adan sont partis depuis plusieurs heures à l’assaut du canal de Suez. Nommé dans la précipitation à la
tête du commandement sud, Haïm Bar-Lev effectue un
premier briefing sur l’avancée des troupes. « Un premier
contact entre les deux divisions a eu lieu vers 15h30. Ils ont
atteint la péninsule du Sinaï et entament leur descente. »
Tzvika Zamir, conseiller militaire de Golda Meir, estime
qu’il faut rapidement appuyer les forces engagées dans la
bataille : « Je propose le renfort d’une centaine de tanks ».
Les Israéliens assènent un premier coup sévère aux forces
syriennes qui perdent 270 tanks en une nuit. Moshé Dayan
estime qu’il faut en profiter pour définitivement briser le
moral de l’ennemi : « Je demande l’autorisation d’ordonner des frappes sur Damas et ses alentours car leurs tirs de
missiles Frog se poursuivent. » Même s’il n’exclut pas une
riposte syrienne sur Tel Aviv, le chef d’état-major David
Elazar donne son feu vert à une campagne de bombardeLe Premier ministre israélien s’interroge : « Je voudrais ments stratégiques. Ils débuteront à 11h55.
tout de même comprendre. Notre situation s’est-elle améliorée ou pas ? » Zamir lui répond par la négative. « La quaEpilogue. Ces protocoles rendent avant tout justice au
lité des armements soviétiques utilisés sur les deux fronts chef d’état-major de Tsahal David Elazar. Lors de la compose un sérieux problème », poursuit le général Haïm Bar- mission d’enquête Agranat constituée après la guerre, il
Lev. Leur utilisation massive explique les succès enregistrés porta le chapeau des fautes commises par l’échelon polijusqu’ici par les armées syriennes et égyptiennes.
tique et fut poussé à la démission. A l’inverse, Moshé Dayan,
dont les erreurs d’appréciations sont aujourd’hui flagrantes,
9 octobre 1973, 7h30. Mal coordonnée, insuffisam- fut innocenté. Sur les 2689 soldats israéliens tués dans les
ment préparée, la contre-offensive israélienne est un échec. combats, deux tiers le furent dans les premiers jours de la
Durant les opérations, les équipages de pointe se trompent guerre.
de trajectoires, heurtant les Egyptiens de front alors qu’ils
devaient les attaquer de flanc. Dans la salle du conseil de
Maxime Perez
guerre, c’est la consternation. Le ministre de la défense
Moshé Dayan semble céder à la panique : « C’est une lutte à
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
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DOSSIER
Netanya, veille
de Kippour 1973
« NOUS SAVIONS MAIS NOUS N’AVONS PAS BOUGÉ »
Depuis 1971, les francophones de Netanya avaient l’habitude de se réunir
à l’occasion de Kippour à l’hôtel King Salomon de Netanya. L’établissement
était mis à leur disposition par les propriétaires Jo Lévi et Fernand Douieb
entre autres.
P
lus de 400 personnes se pressaient à cet office communautaire de Kippour. Parmi elles, tous les olim francophones des années 70 rejoints par les plus anciens,
étaient présents. Rien ne laissait présager le déclenchement
d’une guerre. Pour preuve, le lendemain, dimanche 7, les
dirigeants francophones devaient partir en croisière. Un
voyage de détente organisé par l’UNIFAN et son secrétaire
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
général, René Kessous. La veille de Kippour, vendredi soir
5 octobre, nous étions réveillés toute la nuit par un défilé
incessant d’hélicoptères qui longeaient le bord de mer.
Au petit matin, les offices commençant à 6h, je traversais le
Kikar Atsmaout et je constatais la présence de dizaines de
camions de Tsahal bâchés et dans l’attente... Je mettais cela
sur le compte de manoeuvres militaires...
17
Vers 10h du matin, en plein office de Chahrit dans une
salle remplie, nous recevons la visite d’un ami. Il nous interroge sur l’identité des jeunes présents. Je lui communique
la liste. Il me fait savoir qu’il reviendra dans deux heures.
Sans aucun commentaire. Rien.
Il est de retour vers 11h avec une liste précise. Il me demande de prévenir les personnes dont les noms figurent
sur la liste. Tous sont convoqués immédiatement au lobby
de l’hôtel. La plupart d’entre eux venaient de terminer leur
période de service militaire obligatoire.
J’explique alors au grand rabbin Hazan la raison de ce
remue-ménage. Il décide d’interrompre la prière de Chahrit avant de monter avec les jeunes au lobby. Il décide d’allumer la radio et nous constatons que les informations de
11h reprenaient alors que durant tout Kippour, toutes les
émissions sont interrompues.
Sans le savoir précisément, nous pressentions un grave
danger. Le rabbin Hazan demande aux parents de venir le
rejoindre auprès des enfants et décide alors avant de les laisser partir d’organiser une «bircat cohanim» exceptionnelle.
Une heure après, il est midi, Israël découvrait que nous venions d’entrer en guerre.
Char Syrien sur le Plateau du Golan
Les olim qui venaient d’arriver n’étaient pas encore en
mesure de combattre. Ils décidaient donc de s’associer pour
venir aider les soldats. Les femmes investissaient la trampiada de Beit Lid sur la route 4, pour ravitailler, surtout en
sous-vêtements et en nourriture, les militaires qui, partis
précipitamment de chez eux, étaient totalement démunis.
Les hommes, eux, à l’initiative, entre autres de Marcel
Hayoun et Yvan Zibi, se rendaient à Roch Pina afin de
mettre leurs véhicules (une quarantaine) à la disposition
du Magen David Adom pour le transport des blessés très
nombreux vers l’ancien hôpital de Safed.
Une anecdote en passant : le nouvel hôpital de Safed
n’étant ni terminé, ni équipé, notre ami Yvan Zibi prenait l’initiative de se rendre à Paris pour réunir ses amis
et recueillir des fonds. La communauté francophone de
Netanya mettait également du sien en offrant à l’hôpital la
somme dont elle disposait pour la construction d’un centre
francophone rue Dizengoff (qui hélas ne verra jamais le
jour).
Char Israélien sur le Plateau du Golan
14h. La mobilisation générale est annoncée à la radio.
Nous, les non-mobilisables dans l’urgence, terminons
notre journée de prière dans l’incertitude totale. Pressés de
rentrer et d’allumer radio et télévision. Deux visages apparaissent alors : le Premier ministre Golda Meir et le ministre
de la Défense, Moché Dayan. Blêmes, livides, décomposés.
Balbutiants, hésitants, ils tentent de nous expliquer ce qui
vient de se produire. C’est le début de la guerre.
Dès le lendemain, les noms de jeunes de Netanya tombés
au champ d’honneur étaient publiés et égrenés à la radio.
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
Zibi revenait de Paris avec un budget permettant, avec
celui des francophones de Netanya, l’équipement immédiat
de deux salles d’opération.
Quarante ans plus tard, Je me souvient parfaitement de
ces instants comme si c’était hier. Et de se poser la question :
«Nos dirigeants savaient. Les camions bâchés sur le Kikar,
les hélicoptères, la liste des jeunes enlevés à leurs familles en
plein office de Kippour alors que les Egyptiens attaquaient
seulement à 14h. »
Nous savions et nous n’avons pas bougé. Pourquoi?
Pourquoi ?
Julien Zenouda
18
ISRAËL
En chinois XIN
veut dire nouveau
L’Université de Tel Aviv va participer à la fondation d’un centre scientifique en
Chine. L’Université de Tel Aviv et l’Université Tsinghua de Chine ont signé un
protocole d’entente pour la coopération stratégique en matière de recherche
et d’enseignement innovant.
D
ans la première phase, les deux
universités vont investir des centaines de millions de dollars dans
la création d’un institut de recherche qui se
concentrera sur les sciences de la technologie et de la vie.
Accord Infinity Casik Inc
Mai 2013
Klafter à Nanjing
2012
idées dans divers domaines de la technologie et de la science. Les chercheurs serviront
d’instructeurs et de mentors aux étudiants,
et les aideront à développer leurs projets.
Estime considérable
Le centre s’appellera centre XIN (nouLe président de l’Université de Telveau en chinois).
Aviv, le Prof Joseph Klafter, souligne qu’il
s’agit d’un accord extrêmement imporLe centre XIN se concentrera d’abord tant, ouvrant de nouveaux horizons pour
sur des domaines qui bénéficient d’ un Israël et la société israélienne. Selon lui,
développement accéléré en Israël et en la création du Centre XIN est la preuve
Chine tels que les sciences de la vie et de l’estime considérable dans laquelle les
la nanotechnologie, mais il sera étendu Chinois tiennent l’innovation israélienne
plus tard à d’autres domaines. Le Centre et les normes académiques élevées de
s’efforcera également de de créer des par- l’Université de Tel-Aviv.
tenariats avec l’industrie high-tech.
Le Président Chen de l’Université de
Infinity Group
Tsinghua a exprimé la volonté de son institution de travailler avec l’Université de
Dans le cadre du projet XIN, un fonds Tel-Aviv pour faire avancer la recherche
d’investissement sera créé pour initier la interdisciplinaire et étudier les moyens
création d’entreprises. Le fonds de 100 mil- de répondre aux défis mondiaux. Il a
lions de yuans (environ 16 millions de dol- souligné l’importance d’aider les scientilars) sera mis en place par Infinity Group.
fiques et les futurs leaders innovants.
Ce fonds d’investissement est l’un des
plus importants en Chine, et gère déjà
d’autres gros projets sino-israéliens. Le gouvernement de Pékin et d’anciens élèves de
l’Université de Tsinghua seront intéressés
directement au projet, par Infinity.
Les projets sino-israéliens sont nombreux. Celui-ci est particulièrement prestigieux, et voit le jour à une période où
les projets israélo-européens semblent
s’éloigner. Il est donc particulièrement
important pour Israël de maintenir son
ouverture et ses liens avec le monde uniLe Centre XIN visera à recruter les meil- versitaire de la recherche.
leurs chercheurs et étudiants dans les deux
pays ainsi que dans le reste du monde . Il
Line Tubiana
encouragera l’innovation chez les étudiants
en leur donnant des conditions optimales
pour créer, développer et exploiter leurs
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
19
INTERNATIONAL
Les juifs en Chine :
éme
Depuis le VIII siècle
L’université de Tel Aviv et l’université Tsinghua de Chine ont signé un
protocole d’entente pour la coopération stratégique en matière de recherche
et d’enseignement innovant. Cette collaboration n’est pas surprenante si l’on
connaît le lien depuis plusieurs siècles entre les juifs et la Chine.
O
Shangaî-la-juive
Par Michèle Kahn
n trouve les premières traces de Au XIXéme, il n’y a plus de rabbin
juifs venant en Chine vers le VIIIème
Cette communauté s’est donc réduite au
siècle sous la dynastie des TANG.
nombre de 2000 personnes, doucement
Ils sont venus soit par la mer soit par la éteinte jusqu’au XVIIème siècle, et a perdu
route terrestre de la soie pour le commerce contact avec le judaisme de l’extérieur.
jusqu’à s’établir sous la dynastie des SONG Au XIXème siècle la synagogue de Kaifeng
tombait en ruine et il n’y avait plus de rab(960-1279) dans la ville de Kaifeng.
bin.
La première communauté juive en Chine
Quelques vestiges de cette communauté
est donc née là à Kaifeng ou elle a été accueillie chaleureusement et a pu conserver florissante subsistent aujourd’hui comme
un coffret de Torah, quelques portions de
ses traditions.
rouleaux de Torah, des illustrations et phoLes juifs étaient considérés au même titre tos témoignant de cette époque.
que la population du pays et avaient les
Les juifs ont également vécu dans
mêmes droits.
d’autres villes comme Xi’an, Beijing (Pékin
Dans ce climat amical ils ont pu dévelop- aujourd’hui), Hangzhou etc., mais la comper leurs affaires jusqu’à devenir un groupe munauté de Kaifeng reste la plus établie.
suffisamment nombreux et construire leur
Il faut attendre le XIXème siècle pour que
première synagogue en 1163.
d’autres juifs arrivent en Chine.
Cette communauté grande de plus de
500 familles soit 4500 personnes environ Shangaï la juive
a prospéré jusqu’à la dynastie des MING
Les uns viennent de Bagdad, Bombay,
(1368-1644). Leur statut social s’est également élevé, leurs affaires étaient florissantes Singapour, pays sous gouvernement britanet nombre d’entre eux ont occupé des postes nique.
d’officiels du gouvernement en réussissant
Parmi les plus célèbres David Sassoon,
des examens impériaux.
Elly Kadoorie, Aaron Hardoon. Ces marPeu à peu ce groupe s’est fondu dans la chands d’origine Séfarade s’installent à
société chinoise jusqu’à s’assimiler tant et si Shanghai et Hong Kong, développent le
bien qu’ils ont adopté le costume chinois, commerce d’import – export d’opium tout
changé leur nom hébreu en chinois, utilisé d’abord avec l’Angleterre.
la langue chinoise et ont épousé des chinois.
Peu à peu ils cessent cette activité, se
Ce glissement vers cette intégration les a
amené à adopter les coutumes locales au tournent vers la construction immobilière
et développent leur communauté tout en
détriment des leurs.
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
20
INTERNATIONAL
participant à la vie chinoise, culturelle et
politique.
Tout un quartier de Shanghai témoigne de
cette vie prospère et sereine, c ‘est le Bund.
Malheureusement cette époque est subitement stoppée par l’invasion japonaise en
1937.
Ces riches marchands perdirent tous
leurs biens et s’expatrièrent.
Les autres, pour des raisons plus tristes,
vinrent de Russie par dizaines de milliers
suite à la montée de l’antisémitisme à partir
de 1880.
Ils purent se réfugier en Chine en toute
tranquillité, vécurent principalement dans
la ville de Harbin. Cette communauté
d’abord pauvre s’éleva ensuite et accéda à
la classe moyenne. Ils formaient une force
communautaire active mais considéraient
la Chine comme leur seconde patrie.
De 1933 à 1941 sous l’impulsion de Madame Sun Yat- sen épouse du père de la
nation chinoise Sun Yat sen, Shanghai a accepté plus de 30000 juifs réfugiés d’Europe,
bien plus que des pays accueillants comme
le Canada ou l’Australie. Malgré nombre
de pressions des Japonais et des Allemands
pour une solution finale de la communauté
juive de Shanghai, les juifs survécurent.
La synagogue deKafeng - Musée Beth Hatefusoth - Israël
La communauté Habad
C’est aux alentours de ces années qu’à
nouveau des juifs reviennent en Chine, particulièrement à Shanghai. La communauté
Habad s’y installe, créant un centre communautaire, aidée de généreux donateurs
et du dynamisme de Maurice Ohana président de la communauté.
Au sein même de la mégalopole chinoise
chaque juif peut désormais vivre un shabbat dans sa communauté.
Aujourd’hui on peut visiter la synagogue
Ohel Moshé remise en état avec un musée
attenant, témoignant de la vie de la communauté juive à Shanghai grâce aux fonds mis
à disposition par le gouvernement local. Un
livre d’or est là pour qui veut y laisser une
trace de son passage.
Au delà de l’entente cordiale entre le
peuple juif et la Chine, plusieurs convicAprès la seconde guerre mondiale et sur- tions les rapprochent comme les liens famitout à la fondation de la république popu- liaux, la priorité donnée à l’éducation.
laire de Chine, une partie de la communauté est partie mais ceux restés ont vécu et
L’histoire de la communauté juive et la
travaillé en paix en Chine.
Chine est une histoire qui conjugue admiration réciproque, et respect commun.
En 1992 la Chine et Israël ont établi des
relations diplomatiques.
Zibeline
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La synagogue Ohel
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SOCIÉTÉ
Les odeurs et les saveurs
du Maroc de ma
jeunesse
Ce texte de Carlos Benaïm, un maître parfumeur, a été publié dans le
numéro 9 de la revue Continuum, la revue des Ecrivains Israéliens de langue
française. Les odeurs et les saveurs du Maroc de ma jeunesse: ces gouttes de
mémoire dans des flacons.
odorantes les yeux fermés. Une en particulier sentait le sang de façon incompréhensible. Non seulement j’y voyais rouge mais
la sensation que son odeur me procurait
était même violente. À ma grande surprise,
il s’agissait de l’essence de cèdre de l’Atlas
du Maroc. Ce ne fut que plus tard que je
compris : enfant, lorsque j’accompagnais
ma mère chez le boucher, et observais avec
horreur les carcasses sanglantes, l’odeur
qui me montait aux narines était celle de la
sciure de bois du cèdre de l’Atlas recouvrant
le plancher.
Q
Un autre exemple est tout aussi significatif. Au cours de mon premier entretien
d’embauche, on me demanda d’évoquer un
de mes souvenirs olfactifs les plus intenses.
Le tabac à priser de mon grand-père paternel me vint immédiatement à l’esprit. Cultivé clandestinement à Bni Ider au Maroc,
ce type de tabac sylvestre, de qualité assez
rude, était ultérieurement parfumé par
mon père à la violette ou au géranium, dans
son laboratoire.
uand d’un passé ancien rien ne
subsiste, après la mort des êtres,
après la destruction des choses,
seules, plus frêles mais plus vivaces, plus
immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore plus
longtemps, comme des âmes, à se rappeler,
à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le
reste, à porter sans fléchir, sur leur goutteLes odeurs et les saveurs de mon enfance
lette presque impalpable, l’édifice immense à Tanger scandaient les saisons et se renoudu souvenir.
velaient au rythme des fêtes religieuses.
Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Été
À la recherche du temps perdu, I, II
En été, les odeurs atteignaient leur paL’alliance particulière entre senteur, sa- roxysme. J’étais assailli de tous sens par
veur et mémoire constitue mon univers ol- leur multitude lors de mes promenades
factif. Lors de ma formation de parfumeur, au soco. Je me souviens surtout de voir les
je devais sentir des matières premières paysannes berbères venues des montagnes
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
23
Cependant, tous les étés, l’aventure la plus
excitante était la récolte et la distillation des
plantes aromatiques sylvestres, du romarin
et de la menthe pouliot, pour la fabrication du menthol. Mon père avait créé une
industrie d’extraction de plantes aromatiques, avec une cinquantaine de distilleries
dispersées dans tout le Maroc, au bord des
rivières. Nous parcourions les campagnes
en Jeep pour les visiter.
du Rif. Leurs habits folkloriques et colorés
dégageaient à la fois une odeur rance d’un
petit-beurre nommé azuda et de cuir. Elles
étaient assises les jambes croisées en tailleur et épluchaient de leurs mains nues et
expertes des figues de Barbarie.
Les marchands de pâtisseries arabes
nous offraient des chubaikias, fritures dorées, fleurant bon le miel dégoulinant. Les
odeurs animales et fécales des mulets et
ânes qui passaient nonchalamment par les
ruelles, étaient si familières que nous n’y faisions plus attention.
Tous les vendredis, s’élevait au diapason
de la prière du muezzin l’odeur butyrique
des centaines de babouches dont les fidèles
se déchaussent à l’entrée de la mosquée.
Dans les ruelles de la vielle ville, l’agneau
enduit d’une sauce au paprika, cumin,
poivre et curcuma, et cuisiné en brochettes
pinchitos était grillé au feu de bois. La fumée aveuglante et parfumée envahissant la
rue, faisait à la fois pleurer et saliver J’évitais
à tout prix de pénétrer dans la grande salle
des vendeurs de poisson, car la puanteur
des entrailles de poissons éventrés et décapités s’avérait intenable.
Le marchand d’eau affublé de l’accoutrement bigarré de sa profession, enjolivé de
verres en laiton, nous offrait de l’eau tirée
d’une outre en peau de chèvre. La partie intérieure de cette peau était enduite de goudron de bois de Thuya, provenant du Rif et
donnant à son eau un goût et une fraîcheur
inexplicables.
Les odeurs d’eucalyptus, menthe, romarin, thym, verveine, myrte, laurier, fenouil,
faux Poivrier accompagnaient le son assourdissant des cigales sous une chaleur
accablante. Ces senteurs, constituent des
thèmes auxquels je reviens souvent dans
mes créations pour hommes. Je m’en suis
servi dans des parfums comme Polo de
Ralph Lauren.
Mon père rentrait le soir à la maison,
les mains imprégnées d’essence de menthe
pouliot et jaunies par les cigarettes Anglaises “Craven A”. Cet alliage est plus évocateur de lui qu’un vrai portrait.
Le lait d’amandes parfumé à la fleur
d’oranger (horchata) et le jus de grenades
pressées étaient nos boissons préférées.
Nous allions aussi boire du thé à la menthe
au café Hafa sur les terrasses surplombant
le Détroit de Gibraltar, d’où s’élevait l’odeur
des brises marines et du goudron de cèdre
utilisé par les pécheurs en contrebas. Pour
y arriver, il fallait traverser une salle d’ambiance dangereuse et illicite, où les fumeurs
de kif et de hachish étaient nonchalamment
allongés par terre dans un état de stupeur.
Par la suite, j’ai toujours associé l’odeur du
kif au danger.
Automne
À Rosh Hashana, on mélangeait le fenouil
doux avec du sucre pour symboliser le début d’une année douce, et signifier un vœu
de multiplication du peuple juif promis à
devenir aussi prolifique que les graines de
fenouil.
À Kippour, pour rompre le jeune, nous
prenions une compote de coings rouge parfumée aux clous de girofle, nommée mosto.
Le jour d’après, nous avions coutume de
manger un plat à base d’aubergines parfumées au carvi Almoronia.
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Épices
Épices du marché
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SOCIÉTÉ
À Souccot, l’élaboration du loulab avec
mon grand père maternel était tout un
rituel. Pendant l’assemblage que nous faisions ensemble, le plaisir d’être auprès de
mon grand-père se mêlait aux odeurs sylvestres de la myrte, du palmier, des joncs et
du cédrat.
Fleurs d’Oranger
Cédrat
Printemps
La fleur d’oranger évoque plus que tout
mon enfance à Tanger : les arbres en fleur,
parfumant la ville entière ; son eau dont on
aspergeait les convives lors des fêtes ; et la
saveur de ses pétales confites, le letuario de
Azahar, ainsi que des confitures d’orange
Hiver
douce que l’on préparait toujours au printemps. Ainsi, c’est la splendeur de la fleur
Nos promenades en hiver nous me- d’oranger qui m’a inspiré Armani Code de
naient invariablement à la forêt diploma- Giorgio Armani.
tique, une forêt aux alentours de Tanger,
où les mimosas en fleur et les aiguilles de
Pour Pessah, le haroset était une prépapin embaumaient l’air sur fond de mer ration complexe faite de dates, gingembre,
bleue. Autrefois en hiver pour se réchauf- clous de girofle, cannelle, jus de grenade,
fer, on initiait sa journée par une soupe de pommes, figues, amandes, poivre (sasemoule assaisonnée d’une profusion de hraouia), noix de muscade et pétales de
menthe pouliot poleada. Pendant ces hivers rose. En lieu du thé, nous buvions des infusans chauffage d’autres optaient pour la ma- sions de camomille à l’absinthe chiba (Artehia. L’eau-de-vie, ou mahia, comme elle se misia absintum), avec de la menthe nana
nomme au Maroc, était traditionnellement et des pétales de bigaradier (fleur d’orange
parfumée aux graines d’anis. Dans le Sud, amère). Un des plats typiques était la cuaon la préparait avec de l’absinthe ou de la jada, un flan de pomme de terre parfumé à
cire d’abeille, pour lui conférer un goût de la marjolaine.
miel. Au Maroc, le gouvernement autorisait
toute agglomération de plus de 3 000 juifs
À Shavouot, nous attendions avec impaà monter un alambic pour la distillation tience les harabullos, des douceurs au gind’alcool destiné au Kiddoush rituel. Mais je gembre, et les fameux fartalejos, gâteaux
me souviens surtout d’entendre parler de la faits de pâte feuilletée fourrée au fromage
grande consommation de mahia faite lors blanc, au beurre, à la menthe et à la cannelle.
des longues veillées de la Hevra Kadisha (la
Confrérie chargée d’inhumer).
Comment transmettre ces senteurs et
les souvenirs qui leur sont associés, à mes
Un jour, mon père décida de se lancer propres enfants grandis aux États-Unis ?
lui-même dans la création d’une nouvelle Comment communiquer à un ami, à un
mahia à partir de fèves de Caroube avec être cher, aux nouvelles générations, ce que
un alambic de laboratoire, installé dans j’ai ressenti dans mon être intime ? Nos sennotre cuisine. Il en résulta non seulement sations, libératrices par les univers qu’elles
un liquide imbuvable, mais également une nous font connaître, ne nous isolent-elles
odeur pestilentielle, à la fois âcre et animale, pas, si elles ne peuvent être partagées?
qui flotta longtemps dans notre appartement. L’expérience, néanmoins, fut inouMon métier de parfumeur m’a permis de
bliable.
résoudre cette impasse. Ces saveurs et senteurs de mon enfance sont devenues une de
Pour Pourim, nos grands-mères prépa- mes sources d’inspiration. Et une de mes
raient les hormigos, des pâtes de confection plus grandes joies est non seulement de
artisanale délicieusement aromatisées aux recréer ces senteurs qui me sont inextricafeuilles de coriandre. Mais ce sont surtout blement liées, mais également de verser ces
des douceurs appelées Marron Chinos, gouttes de mémoire dans des flacons, et de
confectionnées à l’aide d’amandes râpées, transmuer ainsi l’intime en universel.
de cannelle, de clous de girofle et de vanille,
que j’associe le plus à la fête d’Esther. ParCarlos Benaïm
faitement ronds et multicolores sur glaçage
Kefisrael.com
blanc, ils annonçaient pour moi les beaux
jours et le cycle des odeurs s’apprêtant à renaître au printemps.
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LES BRÈVES
BRÉVES...
C’EST UNE PREMIÈRE DEPUIS 40 ANS. LE
GRAND PALAIS À PARIS OFFRE UNE AMPLE
RÉTROSPECTIVE DE GEORGES BRAQUE,
INITIATEUR DU CUBISME AVEC PICASSO ET
INVENTEUR DES PAPIERS COLLÉS.
Riche de quelque 240 peintures de Georges Braque
(1882-1963), l’exposition, qui a ouvert ses portes mercredi 18 septembre au Grand Palais, embrasse toute la
carrière du peintre français. De ses années fauvistes à
sa collaboration cubiste avec Picasso, de ses travaux de
papiers collés à ses immenses oiseaux, Georges Braque a
dominé l’histoire picturale du XXe siècle.
L’exposition se tiendra au Grand Palais, à Paris,
jusqu’au 6 janvier.
BRÉVES...
RÉACTION DU CRIF AUX PROPOS TENUS
PAR SÉBASTIEN THOEN DANS LE GRAND
JOURNAL DE CANAL+.
Suite aux propos tenus par Sébastien Thoen dans
l’émission du 20 septembre 2013, «…Comme quoi, on
peut être de confession juive et pas complètement dégueulasse !... », Roger Cukierman, Président du CRIF
a appelé l’attention de Bertrand Meheut, Président du
groupe Canal+, sur la gravité de ces propos qui s’apparentent à une banalisation de l’antisémitisme.
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
BRÉVES...
DAVID GUETTA.
Le retour de David Guetta DJ numéro 1 mondial, est
vivement attendu apres sa performance de 2010 en Israël. C’est chose faite puisque David Guetta se produira
à Massada, un lieu touristique d’exception, le 17 octobre
pour une représentation unique et exceptionnelle, dans
le désert de Judée, près de la mer Morte, le point le plus
bas sur Terre.
26
PORTRAIT
Hanokh Levin, le parcours d’un immense
dramaturge israélien
« Mon avis est que le théâtre est plus séduisant. Plus interpellant parce que
vous voyez les choses se passer devant vous. C’est plus palpitant. Je ne sais
pourquoi… »
C
’est ainsi que Hanoch Levin, l’un des plus grands
auteurs satiriques et principaux dramaturges israéliens, témoigne à la fin de sa vie de sa fascination pour l’art théâtral.
Une enfance inspiratrice
Né dans la banlieue de Tel Aviv
en Palestine mandataire le 18 décembre 1943, Hanoch Levin est
issu d’une famille immigrée polonaise profondément religieuse. Il
grandit dans le quartier de Neve
Sha’anan au sud de Tel Aviv. Son
père, qui meurt alors que l’enfant
entame sa douzième année, y tient
une modeste épicerie. Pour aider
sa famille, Hanoch abandonne ses
études et suit les cours du soir de l’école artistique Ironi
Aleph, tandis qu’il travaille comme coursier la journée.
Le quotidien de son voisinage et de sa famille sera, tout au
long de sa carrière d’auteur, une source inépuisable d’inspiration; il y puisera la substance pour composer un miroir
privilégié de la société israélienne.
Naissance d’un citoyen engagé
sions ne cesseront de croître après
la guerre des Six Jours, époque à
laquelle le jeune homme fait ses
premiers pas comme auteur dramatique.
Quand le théâtre devient
un tremplin à l’analyse politique
Dans la période de 1967 à 1970,
Levin se consacre principalement
à l’écriture de satires politiques qui
lui offrent une réputation d’auteur
subversif et qui ne cessent d’agiter
l’opinion israélienne. Sa première
pièce, au titre plus que provocateur,
Toi, moi et la prochaine guerre est
mise en scène par son frère, David
Levin, dans les caves d’un cabaret
de Tel Aviv. Le jeune communiste s’y moque du masque
larmoyant dont se grime le Tsahal (l’armée israélienne)
pour justifier son combat et inciter les jeunes à prendre les
armes. Il tourne également en dérision dans Discours de célébration de la guerre de onze minutes le discours du général
Samuel Gonen à l’issue de la guerre des Six Jours.
Avec une étonnante acuité, l’auteur braque sa plume sur
la réalité politique, sociale et culturelle de son pays. Nurit
Yaari, professeur à l’université de Tel-Aviv dit à propos de
son œuvre : « Levin n’a cessé d’interpeller ses concitoyens
contre les conséquences nuisibles d’une occupation durable
des territoires conquis. »
Après avoir accompli son service militaire obligatoire
comme agent de transmission, il entreprend des études de
philosophie et de littérature hébraïque à l’université de Tel
Aviv, entre 1964 et 1967. C’est pendant ses études universitaires, que le jeune étudiant adhère au Parti communiste
israélien. Il atteint l’âge adulte dans les années 1960, au mo- Bilan d’une œuvre
ment où son pays souffre de nombreux clivages : entre Séfarades et Ashkénazes, entre natifs et immigrés, entre Juifs
L’œuvre dramatique de Levin se compose de 52 pièces
et Arabes, mais également entre riches et pauvres. Les divi- dont 32 sont jouées de son vivant. On peut les diviser en
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
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trois catégories : les cabarets satiriques, dont nous venons
de parler, et qui feront l’objet de violentes critiques de la part
du gouvernement; les comédies, centrées sur des individus médiocres, représentatifs du microcosme de la société
moyenne israélienne; et enfin les tragédies, ayant pour inspiration notamment des passages de la Bible.
Débat : Un artiste muselé par l’opinion ou un
écrivain libre dans la contrainte ?
Certaines de ces pièces sont vivement contestées par certains spectateurs qui quittent, outrés, les sièges des salles
de représentations, ou encore par le Mafdal (alors parti
nationaliste religieux) qui demande la censure d’un chant
de La Reine de la salle de bain. Uri Porat affirme alors :
« Ce théâtre dépotoir fait de nous des meurtriers abjects, citoyens âpres au gain d’un état militariste ». Dans les années
70 à 80, les textes de Hanoch Levin sont montés à Haïfa ou
sur les scènes des théâtres nationaux de Cameri et Habima.
Levin dirige lui-même 21 de ses pièces, elles sont dès lors
traduites et jouées à l’étranger lors de nombreux festivals
autour du monde.
En lisant ou en assistant à une représentation de Yaacobi
et Leidental, de Kroum, l’éctoplasme, ou encore de Ceux qui
marchent dans l’obscurité, on constate que les questionnements des personnages, propres à un temps et à un moment donnés, sont bien plus universels qu’ils n’y paraissent.
De tristesse en malaise, exprimant l’énergie de l’agonie,
chaque voix imaginées par Levin laisse bientôt éclater la révolte et s’élever les cris d’hommes et de femmes en détresse
dans un monde absurde et nihiliste.
Mort d’un homme, genèse d’une œuvre majeure
Le dramaturge décède d’un cancer, le 18 août 1999 en
Israël, à l’âge de 55 ans. Si aujourd’hui il est étudié dans les
universités, si ses œuvres sont traduites et jouées un peu
partout à travers le monde, c’est parce que, à l’instar d’un
Shakespeare, d’un Molière ou d’un Brecht, Levin fait partie
de ces écrivains qui auront permis de mieux appréhender
le monde qui nous entoure.
Elle survivra à l’épreuve du temps.
Amandine Sroussi
Le parcours de Levin témoigne de la puissante
liberté d’expression de l’état israélien
Le parcours de Levin témoigne de la puissante liberté
d’expression de l’état israélien. L’audace de l’auteur aura fortement dérangé l’establishment du pays, qui l’accable de pressions diverses et variées pouvant aller jusqu’aux menaces
de censure. Pourtant, jamais l’écrivain ne fut contraint au
silence et la majorité de ses pièces ont été représentées dans
des théâtres subventionnés par l’état. La liberté de Levin
était totale, l’homme n’épargnait personne, pas moins ses
spectateurs que les politiques, religieux, militaires, traditionalistes ou encore intellectuels de son époque.
Derrière l’agitateur, le poète de l’intime
Avare en interview, le dramaturge devient peu à peu l’enfant chéri de l’intelligentsia israélienne. Bien que la nature
tortueuse du propos de Levin rende parfois difficile son accessibilité au grand nombre, sa dénonciation de la guerre,
son mépris du besoin de « posséder », de « conquérir » au
détriment du besoin d’« être » seront les leitmotivs principaux de son œuvre. Derrière la silhouette agitée du contestataire, du militant et de l’artiste engagé, on retient essentiellement du talent du dramaturge cette faculté qu’il avait de
rendre sur scène les petites vicissitudes de la vie, les micros
événements qui s’avèrent parfois bien plus douloureux et
pénibles que les grandes tragédies et les guerres. Il maniait
le burlesque, la chanson, les masques avec une rare habilité,
tout en restituant, avec une légèreté assumée, les failles les
plus profondes de l’humanité.
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
28
SPECTACLES
« Inconnu à cette
adresse » en Israël
Thierry Lhermitte et Patrick Timsit sont Martin Schulse un
Allemand, et Max Eisenstein, un juif américain. Un duo
fraternel dont l’amitié tourne au drame, sur fond tragique
des errements politiques et moraux de la vieille Europe.
P
oignante, l’oeuvre de Kressmann Taylor, adaptée au
théatre, a été récompensée aux Globes Cristal 2013.
Elle raconte, au travers de la correspondance, 19
lettres échangées à partir de novembre 1932, l’histoire de
deux amis durant l’ascension du nazisme en Allemagne.
Patrick Timsit et Thierry Lhermitte, son complice, seront
en Israël pour interpréter cette pièce les 22 et 23 Octobre,
un pari audacieux et un véritable challenge.
Entretien avec Patrick Timsit
Tribune juive : Après le succès de la pièce au festival
d’Avignon, vous entamez une tournée mondiale. Vous
revenez en Israël en homme de théâtre, dans un tout
autre registre que celui dans lequel on vous connaît.
Cette rencontre aura-t-elle une dimension particulière ?
Patrick Timsit : Oui effectivement, jouer en Israël a une
résonance particulière, c’est intéressant, je m’y suis déjà
produit sous un autre registre, celui de l’humour. Je vais à la
rencontre d’un public à l’esprit vif et aiguisé pour lui proposer un texte fort, bouleversant. C’est une pièce qui va faire
réfléchir et qui va prendre tout son sens là-bas.
Tribune juive : Vous êtes Marc Eisenstein dans la pièce,
vous avez un rôle à contre-emploi de ce que l’on connaît
de vous. Votre judaïsme a-t-il facilité votre interprétation ?
Patrick Timsit : En interprétant Marc Eisenstein je suis
dans mon «emploi». Un comédien doit pouvoir s’adapter, changer de registre. Quand on est un bon acteur on
rentre dans son rôle, l’interprétation se fait naturellement.
Comme on est dans un travail de vérité, d’émotion pure,
mon judaïsme m’a peut être donné une force particulière.
Mais il peut arriver que le texte et son interprétation posent
des problèmes, c’est ce qui s’est passé avec Tcheky Karyo,
mon ancien partenaire, au demeurant un très bon acteur,
qui est pourtant d’origine juive et qui n’était pas fait pour ce
rôle.
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
Tribune Juive : La pièce a été écrite en 1938 mais elle
parle de 32 et 33. On voit monter l’esprit qui mène à la
catastrophe...
Patrick Timsit : Il n’est pas évident de faire vivre au théâtre
un échange de lettres, c’est notre défi à tous les deux. Le
29
Tribune Juive : Est-ce que de tels événements peuvent
revenir ?
Patrick Timsit : Après l’interprétation de cette pièce, je
peux vous dire que de telles horreurs peuvent se reproduire, car l’homme n’apprend rien de ses erreurs. Chacun a
une part sombre en soi, et la crise sociale que nous traversons est dangereuse.
Tribune Juive : Vous êtes l’un des acteurs les plus en vue,
avec une actualité chargée, sur tous les fronts : la réalisation, le théâtre, la comédie, l’humour, rien ne vous
arrête. Avez-vous d’autres projets ?
Patrick Timsit : Oui, bien sûr, j’ai des projets, j’ai aussi la
tournée de cette pièce, c’est vrai, j’ai beaucoup travaillé ces
derniers mois, mes 7 vies, je suis en train de les vivre en
texte est formidable, tellement dans la réalité, qu’on lui a été même temps.
très fidèle. On ne nait pas nazi, on le devient, c’est un esprit,
un endoctrinement qui se forge. On a tous en nous une
zone d’ombre qui peut ressurgir. Regardez ce qui s’est passé Inconnu à cette adresse, avec Patrick Timsit et Thierry Lherrécemment en Grèce, tout d’un coup les néo- nazis ont mitte, mise en scène par Delphine de Malherbe.
commencé à tirer dans les rues. L’idéologie fasciste s’infiltre A Jérusalem - théâtre Gérard Bechar- le 22 octobre 2013.
de cette manière.
A Tel-Aviv – théâtre Guesher – le 23 octobre 2013.
Propos recueillis par Sylvie Bensaid
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LIVRES
« Les livres à s’offrir »
Par Brigitte THEVENOT
C’est la rentrée donc la rentrée littéraire.
Pour vous accompagner en douceur, mais non sans intelligence et en
soignant votre inlassable curiosité, nous avons sélectionné pour les lecteurs de
Tribune Juive trois ouvrages, laissant volontairement de côté les romans de
tout genre.
Sadate, Robert Solé
Éditions Perrin
Histoire des juifs,
Michel Abitbol
Éditions Perrin
• SADATE
• HISTOIRE DES JUIFS
Le dernier Robert Solé, tout d’abord, une
biographie remarquable consacrée à Sadate
publiée aux Éditions Perrin. Longtemps
journaliste au journal Le Monde, Robert
Solé a consacré de nombreux essais à son
pays d’origine, l’Égypte. Habitué des media,
ses ouvrages sont toujours une référence et
accueillis comme telle, en plus d’être bien
écrits, ce qui ne va pas forcément de pair.
Et les Éditions Perrin restent à l’honneur
avec le très beau livre de Michel Abitbol,
Histoire des Juifs de la genèse à nos jours,
paru en avril dernier mais qui mérite vraiment que nous y revenions car, à n’en pas
douter, c’est un ouvrage qui fera désormais
référence. Orientaliste de réputation internationale, Michel Abitbol nous livre ici un
travail d’une érudition remarquable de plus
de 700 pages à savourer sans modération, à
ma connaissance unique en son genre, sur
l’histoire du peuple juif, « éparpillé comme
autant de fines gouttelettes d’huile sur les
eaux profondes des autres civilisations ».
Des origines jusqu’à nos jours, enjambant les siècles, les continents et les civilisations dans un périple dont on a souvent
oublié des épisodes, c’est une véritable
odyssée que nous raconte ici l’auteur, avec
toute la rigueur et la précision d’analyse qui
le caractérisent, nous confiant ainsi les clés
d’un destin souvent douloureux, parfois
tragique, mais qui n’en finit pas de s’écrire et
dont chaque page, ancienne et nouvelle, est
nôtre. Passionnant.
Après son livre consacré à la chute de
Moubarak et au « Printemps égyptien »
(2011, Le Pharaon renversé), son Sadate
se lit comme un roman, le roman de la vie
d’un homme, un petit garçon d’origine paysanne né en 1918 près du Caire, que rien
ne prédisposait à prendre un jour la tête de
cet immense pays pour lequel il allait aussi
donner sa vie dans des circonstances tragiques.
Un homme plein de contradictions
mais aussi d’audaces et de courage, un de
ces hommes, « peu nombreux, » comme
le dit l’auteur, « qui par un discours ou par
un geste ont changé le cours de l’histoire ».
Histoire des Juifs de la genèse à nos jours,
Les années Sadate ont laissé des traces profondes que le livre de Robert Solé explique Michel Abitbol, Éditions Perrin, 27 €
et éclaire pour nous aider à mieux comprendre l’Égypte d’aujourd’hui et les enjeux
géopolitiques essentiels de toute cette ré- • L’HUMOUR YIDDISH
gion.
Enfin, un dernier coup de cœur avec le
livre
de Jacqueline et David Kurc, Humour
Sadate, Robert Solé, Éditions Perrin,
Yiddish, un ouvrage très soigné (couver22,50 €
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
31
ture, papier, textes, glossaire et un DVD de 26 minutes des
spectacles sur scène de David), bilingue français/yiddish,
en caractères hébraïques pour les yiddishisants, et en yiddish translittéré, pour ceux qui le comprennent mais ne le
lisent pas.
Là encore, un livre sans pareil, que nous encourageons
d’autant plus que les deux auteurs, médecins retraités, y ont
mis plus de dix ans de leur vie et en assurent eux-mêmes
l’édition pour être sûrs de bien obtenir le livre qu’ils voulaient. Cerise sur le gâteau, l’ouvrage est préfacé en plus par
deux maîtres ès yiddish, Marek Halter et Yitskhok Niborski. Un pari réussi !
Humour Yiddish, de Jacqueline et David Kurc, aux
Éditions Zeldov, (livre et DVD) 29 €
Humour iddish,
Jacqueline et David Kurc
Éditions Zeldov
Le vitsn de mame-loshen : les blagues
dans la langue de maman
été capable d’assurer. Et c’est une réussite complète : non
seulement le livre est original mais il est beau.
La religion, l’argent, la famille, les médecins, les riches,
les pauvres, les avares, les simples d’esprit, les femmes, les
vitsn s’inspirent de tout, se moquent de tous, sans restriction. Sans restriction mais jamais sans respect ni jamais
méchamment.
Les vitsn ? Ce sont ces histoires drôles où
l’on rit de soi plus que des autres, éternellement revisitées, anecdotes ou réparties que
l’on se raconte traditionnellement en famille
ou entre amis surtout lorsque l’on a des racines polonaises et qui sont en grande partie responsables de la réputation mondiale
et légendaire –n’ayons pas peur des mots
- de « l’humour juif », même s’il convient
de distinguer sans plus tarder, au risque de
fâcher les uns et de déplaire aux autres, l’humour ashkénaze de l’humour séfarade… A
chacun sa culture, à chacun son humour,
même si les blagues sont souvent les mêmes,
accommodées d’autres saveurs, d’autres parfums.
Les 502 histoires retenues ici ont été sélectionnées parmi
des milliers et chacun y retrouvera sans doute un peu des
siennes, un peu de soi. Certaines ont valeurs de fables et, à
l’instar des proverbes yiddish, expriment une sagesse ancestrale, la richesse d’un patrimoine culturel
et folklorique unique.
502 HISTOIRES RETENUES
Jacqueline et David Kurc sont tous deux enfants de parents immigrés de Pologne. Tous deux ont grandi dans le
quartier du Marais à Paris, les oreilles baignées de la musicalité du yiddish, la mame-loshen, « langue de maman »,
leur langue, que l’on parlait encore au quotidien dans tous
les foyers du Pletsl dans les années 1930/40 et qu’ils vont
parfaire ensuite en suivant les cours de Yitskhok Niborski.
C’est dire s’ils ont l’un et l’autre longtemps porté en eux –
sans même le savoir vraiment ?- ce recueil de vitsn qu’ils
publient aujourd’hui après plus de dix ans de travail assidu,
avec un soin émouvant, des précautions et des attentions
dans la forme et le fond de l’ouvrage que seul le désir profond de transmettre un patrimoine rare et précieux en perdition peut motiver et qu’aucune maison d’édition n’aurait
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
« Ce sont celles de l’enfance, celles qu’il
nous reste aujourd’hui d’une génération
perdue dans les fureurs de l’Histoire dans
une langue qui est la nôtre, que nous aimons
et qui a été massacrée avec ses locuteurs
pendant la Shoah », expliquent les deux
auteurs. Elles proviennent aussi des innombrables livres en français, anglais, allemand,
yiddish, russe, et hébreu parus, ainsi que de
quelques anecdotes authentiques et savoureuses dont ils se sont abreuver pour nourrir aussi parallèlement les spectacles que
David, « humourologue » et conteur dans l’âme, montait
en one man show sur de nombreuses scènes, dont le DVD
contenu dans le livre donne un bel aperçu.
« Le but de cet ouvrage n’est pas d’analyser les caractères
et les mécanismes de l’humour juif, d’autres l’ont fait bien
avant nous et très bien, continuent-ils. Nous avons voulu
donner avec ce livre un aperçu de la société ashkénaze en
Europe de l’Est avant la Shoah, ainsi que de la vie juive en
Israël et en diaspora aujourd’hui ».
La dédicace qu’ils font parlent d’elle-même : « En hommage à nos parents disparus, en héritage à nos enfants et petitsenfants, à tous ceux qui ne veulent pas oublier et à leurs descendants. A tous les curieux… »
Brigitte Thévenot
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SPORT
Un été bien bleu
(Bilan de rentrée)
Parler de rentrée quand on évoque le sport est toujours impropre, puisque
celui-ci ignore les vacances, au point de souvent écrire ses plus belles pages
à l’heure où les citoyens goûtent un repos mérité sur les plages. Certes les
saisons de championnat dans l’ensemble des sports attentent la percée
de l’automne pour vraiment prendre leur envol, mais l’été livre souvent
les événements les plus riches en fulgurantes émotions et déraisonnables
exploits. Tribune Juive fait le bilan.
l’état d’esprit et la manière qui ont frappé les
observateurs. A mille lieues de Knyssa ou
des mouvements d’humeur de l’Euro 2012,
les bleuets ont prouvé que le football peut
encore être synonyme de joie et de solidarité, d’émotion et de partage. Hélas, la reprise
du championnat et les transferts houleux
de deux des héros de l’été, Florian Thauvin
et Mario Lemina, tous deux vers l’OM, ont
vite rappelé combien les sirènes financières
et un entourage vénal peuvent transformer
de gentils garçons en avides négociants.
MARION BARTOLI
C
oup de chance, en ces temps où le
sport business pare les clameurs des
stades d’un gênant halo mercantile,
notre été fut marqué par la fraîcheur de
triomphes juvéniles propres à changer un
peu l’image de sports gangrenés par les incivilités et la cupidité. Tandis que le mercato
footballistique s’enfonçait dans une démesure, aussi gênante que propre à raviver les
couleurs ternies de notre Ligue 1, ce sont les
enfants du ballon qui nous ont offert la joie
du triomphe en bleu. Excusez du peu : la
France du prodige Paul Pogba a décroché le
titre de championne du monde des moins
de 20 ans, tandis que l’équipe féminine des
moins de 19 ans est montée sur le toit de
l’Europe, les garçons de la catégorie ayant
eux accédé à la finale dans la même compétition. Plus que les succès, ce sont également
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Mais qu’importe, depuis, la Ligue 1 a
repris ses droits et ce sont bien les nouveaux
mastodontes, Monaco et Paris Saint-Germain qui, avec Marseille et l’outsider stéphanois occupent le haut de l’affiche et du classement. Avec les arrivées de stars mondiales
et autre valeurs sûres de la trempe de Falcao, Moutihno, Toulalan, Abidal, Carvalho
côté monégasque ou Cavani, Marquinhos
et Digne côté parisien, les nouveaux riches
de la L1 commencent à inquiéter l’Europe,
même si ce faste masque la réalité d’un
championnat dont les autres équipes ont
tendance à s’appauvrir.
Sur les courts, outre la sempiternelle victoire de Raphael Nadal à Roland-Garros et
la domination sans partage du robotique
big four (Nadal, Djokovic, Murray, Federer), le tennis français peut s’enorgueillir
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de la magnifique victoire de la jeune retraitée, Marion Bartoli, à Wimbledon, comme
des demi-finales respectives de Tsonga à
Roland-Garros et de Gasquet à l’US Open.
Avec 5 victoires en Grand Chelem depuis
1995, les filles ont cependant largement pris
l’ascendant sur les garçons qui attendent encore le successeur de l’icône Yannick Noah.
Du côté des sports épris de chimie, le
Tour de France à accouché d’un nouveau
héros en proie à la maladie, Chris Froome,
ouvrant encore les vannes du doute et faisant planer à nouveau le souvenir de l’escroc
Lance Armstrong. Et que dire de la victoire
de Chris Horner à la Vuelta ? Quand un
papy de 42 ans, sans palmarès flamboyant, place de Renaud Lavilenie au concours de
dompte trois semaines durant les jeunes saut à la perche, le bilan est encourageant
poulains de la giclette, les questions se bous- avec 4 médailles, dont l’exceptionnel titre de
Teddy Tamgho au triple saut, avec un bond
historique au-delà des 18 m.
culent et la gêne s’installe. Certes, remettre
systématiquement en cause les feuilles de
résultats des grandes compétitions cyclistes
n’aidera pas à laisser respirer un sport éminemment populaire, mais l’habitude et les
précédents sont trop présents pour envisager toute candeur.
LAVILENIE ET TAMGHO
Il en est de même pour l’athlétisme, dont
les Championnats du Monde de Moscou
se déroulèrent sans une part conséquente
d’une équipe jamaïcaine encore une fois rattrapée par le dopage. La terre du reggae n’en
fut pas moins à l’honneur avec la énième
consécration de l’extraterrestre du sprint,
Usain Bolt, dont le palmarès, la personnalité et les caractéristiques surnaturelles le
font presque échapper au soupçon et le triplé historique de Shelly-Ann Fraser-Pryce
sur 100, 200 et 4 x 100 m. Dans tous les cas,
ces deux là ont déjà fait de longue date leur
entrée au Panthéon du sport et ne sont pas
près d’en être délogés. Côté français, en dépit de la relative déception de la deuxième
Nous finirons cet incomplet tour d’horizon d’un riche été sportif, en replongeant
dans les bassins du Championnat du
Monde de natation de Barcelone qui ont
confirmé l’installation de la France dans
le carré de tête des plus grandes nations
mondiales, tandis que l’Australie perd peu
à peu de sa superbe. Avec 9 médailles dont
quatre en or, et une historique domination
dans les relais masculins, l’hexagone touche
les fruits d’un changement dans sa gestion
du haut niveau qui, désormais, privilégie la
qualité à la quantité. Les Américains et les
Chinois n’en restent pas moins les grands
vainqueurs de la compétition, durant laquelle ils ont respectivement glané 15 et 14
titres.
TONY PARKER
Alors que l’été s’est donc achevé, la rentrée
s’ouvre elle aussi en bleu, avec le premier
titre majeur obtenu par le basket masculin,
l’Équipe de France, guidée par un Tony Parker en feu, ayant enfin vaincu ses démons
en remportant l’Euro en Slovénie au prix
d’unparcours éprouvant pour les nerfs. Reste
à espérer que les footballeurs de Didier Deschamps sauront s’inspirer des hommes de
Vincent Collet, à l’heure où, après d’inquiétantes rencontres face à la Géorgie (0-0) et
la Bielorussie (4-2), se profilent d’étouffants
barrages qui conditionneront la présence
des bleus au Mondial brésilien de 2014.
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Benjamin Altman
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LES BRÈVES
BRÉVES...
DAVID GROSSMAN SOUS LES FEUX DE LA
RAMPE
David Grossman déjà lauréat du Prix Médicis étranger 2011, gagne le prix du meilleur roman des Edtions
Points présidé par Marie Desplechin avec son livre «Une
femme fuyant l’annonce»
L’histoire : une femme
partagée entre deux
hommes, et qui hésite
toute une vie. Elle est une
mère dont l’enfant est en
danger, et qui préfère fuir
la réalité. En Israël, pour
elle, l’espoir et l’émotion se
logent entre les bombes.
BRÉVES...
ZELDA & SCOTT.... FITZGERALD, BRÛLENT
LES PLANCHES AU THÉÂTRE LA BRUYÈRE.
Il est peu de couples aussi mythiques que celui que
formaient, dans les années 20, Zelda et Scott Fitzgerald,
symbole du faste et de la démesure, qui a fasciné toute
une génération par son anticonformisme.
Lorsqu’il rencontre Zelda, Scott Fitzgerald est persuadé qu’elle est venue au monde pour incarner l’héroïne
de ses romans. Deux ans plus tard, ils sont devenus le
symbole de l’Amérique, et les livres de Fitzgerald ont fait
de sa femme une légende.
Ernest Hemingway devient le confident passionné, le
frère de littérature. Le couple mythique est interprété par
des comédiens de talents. Sarah Giraudeau incarne en
femme libérée, une Zelda, totalement scandaleuse. Julien
Boisselier fait un Scott assez fin, tout en nuance. JeanPaul Bordes, campe un Ernest Hemingway confondant
de ressemblance. Une excellente pièce de rentrée.
BRÉVES...
DEUX CANDIDATS POUR UN FAUTEUIL
Le 5 octobre au soir, après le bilan moral et financier
des deux années écoulées, le nouveau Président de l’UEJF sera élu.
Deux personnes se sont portées candidates à la Présidence de l’UEJF: Sacha Reingewirtz vice président de
l’institution et Yoann Sportouch, Secrétaire Général de
l’UEJF pour succéder a Jonathan Hayoun le président
sortant.
C’est la première fois depuis 10 ans que deux candidats
sont en lice pour cette élection, cela montre que l’institution fait preuve d’une grande vitalité
Sacha Reingewirtz et Yoann Sportouch, ne sont pas
des inconnus. Tous les deux sont membres actifs de
l’UEJF depuis de longues années et occupent des postes
à responsabilité, ils connaissent parfaitement les rouages
et le fonctionnement de l’institution. Nous leurs souhaitons bon courage et que le meilleur gagne.
Voici le site officiel de la campagne 2013 pour la présidence de l’UEJF : http://electionsuejf.org/
Vous y retrouverez les professions de foi et affiches des
candidats.
BRÉVES...
YOUSSOUF FOFANA CONDAMNÉ À 7 ANS
DE PRISON SUPPLÉMENTAIRES
Zelda & Scott, du 4 septembre au 28 décembre 2013.
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013
Youssouf Fofana, condamné en juillet 2009 à la prison
à perpétuité avec une peine de sûreté de 22 ans pour
avoir séquestré, torturé et tué le jeune juif Ilan Halimi,
écope de 7 ans de prison supplémentaires pour apologie du terrorisme. Le tribunal a diffusé des extraits de
vidéos tournées par Youssouf Fofana où il appelait à «la
révolte des Africains»
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BRÉVES...
ILS REVIENNENT : LES SOUL MESSENGERS,
CHANTENT POUR HADASSAH
Les Soul Messengers, un groupe originaire d’Afrique
de renommée internationale, séjournant en Israël, dirigé par Abraham Ben Israël, chantent pour Hadassah
Le comité de Hadassah France et sa directrice Karine Israël organisent leur soirée de gala le 7 octobre
à la salle Gaveau en présence de nombreuses personnalités. Yossi Gal, l’Ambassadeur de France en Israël, le
professeur Alexander M.M. Eggermont, directeur de
l’institut de cancérologie Gustave Roussy, Nicole Guedj, présidente de la Fondation France Israël, et Michel
Leeb, parrain de Hadassah France sont attendus.
Cette formation, au style inimitable, composée de
17 artistes, musiciens et danseurs, remporte un grand
succès dans le monde depuis 33 ans.
L’histoire débute en terre promise au début des
années 70 lorsque ce groupe de 12 artistes, issus de la
communauté des blacks Hebrews de la ville israélienne
de Dimona, commence à se produire avec éclat sur de
nombreuses scènes du pays et officie régulièrement
lors de réceptions données pour les chefs d’état et personnalités officielles. Ils ont été invités à se produire aux
côtés d’immenses stars de la scène, Ray Charles, Stevie
Wonder, Whitney Houston, Barry White et Kool and
the Gang.
Leur spectacle vous fera voyager à travers des décennies de musique. Leurs chansons, combinant le son
classique de la musique soûl des années 60, reprennent
des airs des plus grands artistes contemporains et de
leurs propres productions.
Les bénéfices récoltés lors de la soirée
seront destinés à la
recherche sur le cancer et les maladies
neuro dégénératives
telles que la maladie
d’Alzheimer, le Parkinson ou la Sclérose
en plaques.
Une très belle soirée
en perspective à ne
pas manquer.
Dimanche 6 Octobre au Plaza - Nice
Lundi 7 Octobre à 20 heures à la Salle Gaveau - Paris
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2013