Défis d`avenir Défis d`avenir Défis d`avenir Algérie

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Défis d`avenir Défis d`avenir Défis d`avenir Algérie
01_CouvN84_AACouv 24/10/12 18:31 Page1
TUNISIE Vidéo, mensonge et pigeons…
n ANGOLA La bourde du MPLA
n LIBYE Les États-Unis piégés à Benghazi
n ISRAËL Le grand isolement
n
NIGER Dans l’œil du cyclone
n MALI Hollande, droit dans ses rangers
n QATAR Franco-foutaises !
n MAURITANIE Le marteau et l’enclume
n
www.afrique-asie.fr
Novembre 2012
Algérie
Défis
d’avenir
M 03276 - 84 - F: 4,00 E
3:HIKNMH=[UYUUW:?k@k@i@e@a;
Afrique Zone CFA 2 100 CFA - Algérie 200 DA - Belgique 5 € - Canada 6,99 $ - Comores 3 € - Djibouti 4 € - Égypte 4 € - États-Unis 7 $ Europe Zone euro 5,50 € - Ghana 7,00 C - Guinée 3 € - Haïti 5 $ - Hongrie 3 € - Kenya 4 € - Liban 6 000 LBP - Madagascar 3 € Maroc 25 DH - Mauritanie 4 € - Nouvelle-Calédonie 850 XPF - Roumanie 4 € - Rwanda 4 € - Suisse 7,00 FS - Tunisie 3 DT
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Algérie
Défis d’avenir
Éditorial L’Algérie, qui célèbre du 5 juillet 2012 au 5 juillet 2013 le cinquantenaire de son
indépendance, a les yeux rivés sur l’avenir. Elle continue à avancer dans la sérénité sur le
chemin des réformes démocratiques en déjouant les pièges qui lui sont tendus. L’année
2013 sera décisive.
Une transition maîtrisée
’Algérie, tant officielle que populaire, a résisté aux mirages des
« printemps arabes », qui n’ont pas
tardé à tourner aux « hivers islamistes ». Ceux-ci ont fini par dévoiler les agendas occultes des puissances occidentales et les calculs machiavéliques de leurs
roquets arabes comme le Qatar et l’Arabie
Saoudite, qui vivent aujourd’hui sur leurs
marges la fable de « l’arroseur arrosé ». Les
Algériens ont franchi cette passe difficile, malgré les pressions extérieures qui s’étaient conjuguées pour
faire souffler les vents mauvais d’une révolte fantasmée,
alors que le pays s’employait à surmonter le traumatisme
d’une tragédie nationale qui le poussait vers les abysses.
À la grande déception des protagonistes d’un changement
inspiré de l’extérieur, l’Algérie ne s’est pas levée pour
renverser un gouvernement légitime qui a fait de la réconciliation nationale sa boussole depuis plus de dix ans,
mais pour dire non aux manipulations. Ce faisant, elle a
apporté le démenti le plus cinglant à ceux qui la voyaient
se fourvoyer dans une voie aventureuse et sans issue qui
n’a jamais été la sienne.
dans l’espace politique sur lequel il lui arrive
de poser la main. Cette transition dévoyée est
à l’origine des retards enregistrés dans la
réforme institutionnelle que le peuple algérien
appelait de ses vœux et qu’il fallait préparer
par une remise en état de l’économie délabrée,
soumise pendant des années aux diktats
contre-productifs et imbéciles du FMI, et en
recousant le tissu social déchiré.
Tertio : tout en pansant les plaies du pays, les
dirigeants politiques ont poursuivi leur quête
de réforme. Ils ont défriché des pistes hors des sentiers
battus et ouvert toujours plus grand le champ des libertés
à la presse, les partis, les syndicats et la société civile.
Ces divers boucliers ont incontestablement protégé le
pays d’une contamination annoncée comme imminente.
Un échec cuisant pour les cassandres.
En fait, l’Algérie s’est constamment démarquée des
solutions de facilité et n’a jamais rien fait comme les
autres. Il faut comprendre qu’elle s’est refusée à tout
panurgisme, au suivisme et au mimétisme béat qui paralysent la pensée et obstruent l’horizon politique. En 1954
déjà, les militants nationalistes du Front de libération
nationale (FLN) avaient rejeté la voie pacifiste et électoraw L’exception algérienne
liste qui leur était « généreusement » recommandée, pour
Des hommes politiques, des analystes et des observaentrer en guerre contre le colonialisme, avec des moyens
teurs de diverses obédiences ont dit les raisons de ce
dont on sait, l’ouverture des archives aidant, qu’ils ont été
rejet algérien. On peut résumer les divers argumentaires
dérisoires au vu de ceux déployés par l’ennemi colonisacomme suit. Primo : le printemps politique algérien a
teur. Ils avaient seulement compris – les uns intuitivebien eu lieu, mais en 1988, lorsque la jeunesse s’est soument, les autres à la suite d’une analyse approfondie – que
levée pour réclamer l’abrogation du parti unique, l’insc’était « le moment ». La victoire fut au bout du fusil.
tauration du multipartisme et l’ouverture du pays à ce
Au début des années 1970, alors que la plupart de
qu’on n’appelait pas encore la mondialisation. Elle avait
leurs partenaires au sein de l’Organisation des exportaalors reçu une réponse qui, si elle était prudente et
teurs de pétrole (Opep) et leurs conseillers empressés
mesurée par certains côtés, n’avait rien d’hésitant.
préconisaient des aménagements avec les Sept Sœurs du
Secundo : les Algériens ont payé au prix fort les erreurs
cartel international du pétrole et les sociétés françaises
commises dans la foulée et les embardées faites par cerimplantées au Sahara, ils n’ont pas hésité à franchir,
tains apprentis sorciers. Ceux-là qui ont joué impunéseuls, le Rubicon en nationalisant leurs hydrocarbures.
ment avec le feu en entrouvrant la porte à l’islamisme,
Ils ont fini par avoir gain de cause, malgré la pression
dont l’objectif jamais
internationale et la mise
démenti reste l’instaurasous embargo de leur
tion d’une théocratie et
L’ALGÉRIE SE REFUSE À TOUT PANURGISME
pétrole.
l’enterrement, au nom de
Contre vents et marées,
OU MIMÉTISME QUI PARALYSENT LA PENSÉE.
la démocratie, de toute
endurant les critiques
espérance démocratique
injustes et intéressées Â
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AFP
L
Par Majed Nehmé
© Arami
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Un sentiment national vivace qui s’exprime en toute occasion :
le président Bouteflika symbolise la réconciliation de tous les Algériens.
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Algérie
Défis d’avenir
qui fondaient sur sa tête, Alger a aidé les mouvements
africains de libération nationale jusqu’à l’indépendance
de leur pays. Elle continue à apporter son ferme soutien
au parachèvement de la décolonisation en Afrique et au
Maghreb, tout en faisant face aux stratégies interventionnistes à contre-courant en Libye, en Syrie et au
Mali.
Dans les années 1990, elle fut la seule à relever le défi
du terrorisme islamiste avec lequel Paris et Washington
lui conseillaient de passer des compromis, aussi bien
que de livrer le pays aux « barbus » et de leur donner
l’occasion de « faire leur expérience pour voir jusqu’où
ils peuvent aller ». En d’autres termes, transformer l’Algérie en laboratoire des stratégies qui ont trouvé un
point d’application dans les pays du « printemps
arabe ».
Les exemples illustrant l’indépendance d’esprit et l’allergie aux modes politiques abondent dans l’histoire
algérienne récente. L’universitaire américain William B.
Quandt, un des observateurs les plus lucides des réalités
de l’Algérie, qui les suit depuis plus de cinquante ans,
résume l’ensemble dans l’appréciation suivante : « En
Algérie, les gens revendiquent, certes, un changement
du système, mais ne veulent pas le faire avec violence.
Ils ont conscience que le changement va venir un jour
ou l'autre. C’est pourquoi les citoyens se sont montrés
patients. Et puis il faut souligner que, en Algérie, il y a
des atouts permettant un changement sérieux sans pour
autant passer par une révolte. Le peuple a connu beaucoup d’expériences en matière de lutte. Il y a donc des
alternatives qui se construisent, par-ci par-là, contrairement aux autres pays arabes. Il faut dire que les autorités ont anticipé le traitement de certaines questions
qui fâchent. À ma connaissance, des réformes sont
engagées, même si j’ignore leur contenu. S’il y a une
volonté effective et ferme des autorités pour œuvrer à la
réalisation et à la traduction sur le terrain des revendications du peuple, cela pourrait épargner à l’Algérie de
passer par un changement violent et réaliser un changement plutôt tranquille. La situation actuelle exige l’ouverture d’un dialogue sincère et franc entre les franges
de la société et le pouvoir en place. »
La Constitution actuelle, dont la refonte est envisagée,
est en fait le résultat de plusieurs compromis politiques
qui se sont succédé dans le temps au gré de circonstances, parfois dramatiques, pour parer au plus pressé.
Déséquilibrée par endroits, bancale dans d’autres, la Loi
fondamentale a pu faire son office pour gérer le pays et
lui éviter d’horribles secousses parce qu’elle a été appliquée avec souplesse, compte tenu des autres urgences
auxquelles était confrontée l’Algérie. Un des derniers
amendements a consisté à supprimer la dyarchie à la
tête de l’exécutif, en conférant au président de la République la plénitude des pouvoirs attachés à ses fonctions
par son élection au suffrage universel. Le premier
ministre est ainsi devenu le « premier des ministres »,
coordinateur du gouvernement et responsable exclusivement devant le chef de l’État.
Cette ambiguïté levée, faut-il aller plus loin ? Certains
estiment que ni le régime parlementaire ni le régime
semi-présidentiel ne conviennent à l’Algérie. Ils plaident
pour un régime présidentiel « à l’américaine ». Mais tous
les acteurs politiques sont d’accord sur la nécessité de
renforcer les contre-pouvoirs, d’aller vers plus de décentralisation et de conforter les organismes de contrôle dans
leur rôle, notamment pour lutter contre la corruption.
w Nouvelle architecture institutionnelle
Dans la somme historique décapante qu’il vient de
C’est dans cette direction que s’est engagé le présipublier à Alger (lire p. 26-27), Hachemi Djiar, ancien
dent Abdelaziz Bouteflika en ouvrant une vaste
conseiller à la présidence, ancien ministre, anticipe que
concertation sur les réformes institutionnelles, dont le
ces « réformes tendent à assurer un passage pacifique
dernier étage, les amendements à la Constitution en
entre un système fondé sur la légitimité historique et un
vigueur, doit être mis sur pied au début de l’année proautre fondé sur la légitimité démocratique ». Il ajoute,
chaine. Déjà, la levée de l’état d’urgence, les amendefixant les enjeux : « Ces réformes interviennent dans des
ments à la loi sur les partis, la réforme de la loi électocontextes marqués par des bouleversements profonds,
rale, l’ouverture de l’Assemblée à la représentation
porteurs d’espoir, mais aussi d’incertitudes et de
féminine (une vague de 144 députées élues sur les
risques dans un monde instable où la compétition fait
diverses listes en concurrence), la dépénalisation des
rage. Et où seules les nations entreprenantes, soudélits de presse, etc., étaient des jalons bienvenus sur
cieuses de leur cohésion et conscientes des enjeux du
cette voie. On peut en prendre les paris : avant 2014,
monde qui bouge, peuvent se ménager une place solide
échéance du mandat en
sur une scène internatiocours du chef de l’État, la
nale en voie de reconfigunouvelle architecture insLE PREMIER MINISTRE
ration. »
titutionnelle donnera
En cinquante ans d’inEST DEVENU LE « PREMIER DES MINISTRES ».
un nouveau visage à
dépendance, les général’Algérie.
tions actuelles peuvent
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L’Algérie a toujours apporté son soutien aux mouvements
de libération nationale et négocié avec les plus grands.
P. de dr. et ci-dessus, Bouteflika, alors ministre
des Affaires étrangères avec le président Boumédiène.
Ci-contre, hommage aux martyrs.
Au-dessous, spectacle inaugural du cinquantenaire
de l’indépendance.
APS
être sans aucun doute fières de ce que leurs aînés ont
accompli. Et cela malgré la « nostalgérie » qui continue
à battre son plein en France, dans des milieux qui n’ont
rien oublié ni rien appris et continuent à distiller la haine
par-dessus la Méditerranée, alors que les révisionnistes
de l’Histoire sont à l’œuvre, défigurant la longe marche
des Algériens vers leur affranchissement de la longue
nuit coloniale. Il ne s’agit pas seulement de mettre en
exergue des bilans physiques, mais aussi la satisfaction
de cette quête de dignité qui était la trame du combat
libérateur et qui soutient aujourd’hui la lutte pour le
développement économique, social et culturel du pays.
En prenant les rênes en 1999 d’un pays saigné à
blanc, le président Abdelaziz Bouteflika, revenu aux
affaires non par ambition personnelle, mais à l’appel du
devoir, a pris le temps de réorganiser les priorités, mobiliser la population tétanisée par la peur et découragée
par les vaines promesses de ses prédécesseurs. Elle a
ainsi surmonté la psychose qui régnait en maître. La
réconciliation nationale a été adossée à une politique
vigoureuse de relance économique qui a transformé le
pays en un chantier à ciel ouvert. Cette politique s’est
concentrée sur la réalisation de nouvelles infrastructures, le comblement du déficit de logements, la lutte
contre le chômage et la refonte des enseignements primaire, secondaire et supérieur.
Elle s’est accompagnée par ailleurs par une remise en
ordre des affaires de l’État, le désendettement du pays et
la mise en place de nouvelles structures de soutien aux
entreprises publiques et privées, dans la perspective de
l’après-pétrole qui frappera un jour ou l’autre aux
portes. Les résultats chiffrés de cette stratégie volontariste fondée sur un triptyque : paix, croissance, stabilité,
sont connues. Mais, plus encore, l’espoir est revenu et
les Algériens, malgré les difficultés qu’ils continuent à
affronter, ont repris confiance dans leur avenir et leur
pays. Ils commencent à toucher du doigt les dividendes
des promesses faites par le candidat Bouteflika lors de
son accès au pouvoir : rien n’est jamais perdu tant qu’un
peuple n’a pas renoncé, et aucun Algérien ne doit se
sentir exclu de son pays, car aucun Algérien n’a de
patrie de rechange.
w Vitalité démocratique
En même temps que la remise sur pied de l’économie,
retenue comme par miracle au bord du gouffre, le chef
de l’État a lancé la réforme des institutions pour rapprocher l’administration des administrés, la justice du justiciable et élargir la participation citoyenne au sein des
assemblées locales et régionales. Des élections à tous
les niveaux – national, régional et local – ont eu lieu
régulièrement depuis 1999. Le champ politique national,
animé par une presse qui paraît débridée à l’aune des
médias arabes et africains, s’est structuré autour d’une
majorité plurielle de soutiens à l’action présidentielle et
d’une opposition pugnace, dont la virulence à l’égard
des pouvoirs n’a rien à envier à ses semblables d’autres
Parlements dans le monde.
C’est cette vitalité démocratique qui a mis l’Algérie à
l’abri du tumulte des « printemps arabes » et épargné au
pays une aventure que de nombreux médias occidentaux
avaient inscrite dans ce qu’ils présentaient comme un
« effet domino » inéluctable. n
• Dossier dirigé et réalisé par Majed Nehmé, Hassen Zenati,
Philippe Lebeaud, Hamid Zedache, Hamid Zyad, Roger Lahouès
avec la contribution de Badr’eddine Mili et Djoghlal Djemaâ.
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Algérie
Défis d’avenir
Débat Deux articles publiés par « Algérienews » et « Le Soir d’Algérie », l’un de Djoghlal Djemaâ,
qui analyse le film d’Alexandre Arcady, « Ce que le jour doit à la nuit », l’autre de Badr’eddine Mili
sur les travaux de l’historien français Benjamin Stora, sont représentatifs du malaise qu’éprouve la
société algérienne à l’égard de travaux prolifiques qui entendent réécrire l’histoire de son pays.
Histoire et histoires
A
lors que l’Algérie fête cette année
le cinquantième anniversaire
d’une indépendance acquise les
armes à la main, l’histoire de la colonisation et de ses rapports avec le peuple colonisé connaît un regain d’intérêt parmi les
historiens algériens et français. Les uns à
la recherche de témoignages précis auprès
des acteurs de la guerre libératrice, afin de
les soumettre à l’examen critique de leur
discipline et d’établir ainsi le récit national objectif – autant que l’Histoire peut
l’être – et cohérent dont les jeunes générations algériennes ont tant besoin. Les
autres pour revisiter l’histoire coloniale en
gommant le plus souvent la réalité de
l’exploitation, de l’humiliation, de la spoliation et du racisme du colonat dominant
à l’encontre de l’indigène, afin de mettre
en exergue un récit à l’eau de rose où les
communautés cohabitant dans la « paix
française » fraternisaient « malgré tout ».
w Une guerre inéluctable
Puisque cette cohabitation fantasmée
était possible, ceux-ci en viennent à
regretter que la guerre de libération
nationale ait eu lieu. Ce qu’ils refusent
de voir, c’est qu’elle était pourtant rendue inéluctable par la volonté du colonisé de briser ses chaînes et l’aveuglement du colonat arc-bouté sur ses
pouvoirs et ses privilèges, et son rejet
intransigeant de l’Autre – cet indigène
dont il récusait jusqu’à l’humanité. Sans
parler de l’exode des pieds-noirs, chassés non par le Front de libération national (FLN) victorieux, mais par leurs
propres compatriotes ultras colonialistes
de l’Organisation de l’armée secrète
(OAS) qui, par une politique de la terre
brûlée affichée, voulait l’effondrement
de l’État national renaissant avant qu’il
ait eu le temps de se remettre sur pied.
Le sort des harkis, ces supplétifs algériens de l’armée coloniale qui ont choisi
leur camp, est devenu pour sa part l’ob-
jet de manipulations sans fin. La « nostalgérie » bat son plein dans beaucoup
de ces écrits qui submergent l’édition en
France et en Algérie, non sans connivence et souvent avec complaisance.
Elle imprègne aussi le projet de cette
« histoire partagée » que les uns et les
autres préparent dans le calme serein des
bibliothèques, souvent à l’insu des principaux acteurs de l’histoire réelle qui a
façonné la nouvelle Algérie.
Deux Algériens s’interrogent sur cette
nouvelle façon d’écrire l’Histoire. Le premier, Djoghlal Djemaâ, l’analyse à travers
un film d’Alexandre Arcady inspiré d’un
roman de Yasmina Khadra : Ce que le
jour doit à la nuit. Le second est un chercheur et écrivain, Badr’eddine Mili, qui
tente de percer « l’énigme » Benjamin
Stora et son rôle dans la fédération d’une
cohorte de nouveaux historiens qu’il a
pris sous son aile de professeur spécialiste
de l’histoire maghrébine à Paris. Avec ce
postulat : « L’histoire de l’Algérie sera
écrite par la diaspora algérienne. »
Les deux articles, publiés par Algérienews et Le Soir d’Algérie sont représentatifs du malaise qu’éprouve la société à
l’égard de ces travaux prolifiques qui
appellent ouvertement à une « troisième
mi-temps », pour que les vaincus de
l’Histoire se donnent l’illusion d’avoir
gagné le match. À défaut de les publier
intégralement par manque de place, nous
livrons de larges extraits de l’un et un
résumé étoffé de l’autre. n
Chaulet en paix
P
ierre Chaulet, résistant de la première heure en faveur de l’indépendance
de l’Algérie, décédé à 82 ans à Montpellier, au sud de la France, repose,
selon ses vœux, en terre algérienne aux côtés de l’adjudant Maillot, un
autre résistant anticolonialiste français, dans le cimetière chrétien de Diar
Essaâda, surplombant la baie d’Alger. Jeune médecin, il avait soigné clandestinement des combattants du FLN blessés. Avant de rejoindre la Tunisie, où, en
plus de ses activités de médecin, il contribua au journal El Moudjahid, alors
porte-parole de la résistance algérienne.
En Algérie, dès les premières années de la guerre, il se lia d’amitié avec le
psychiatre martiniquais Frantz Fanon, auteur de plusieurs essais, entre autres
L’An cinq de la révolution algérienne, dans lequel il théorisait la violence du
colonisé contre le colonisateur. Il l’avait chargé notamment d’assister des prisonniers du FLN, fragiles psychologiquement, qui risquaient de parler sous la torture. Après l’indépendance, Pierre Chaulet fut nommé à l’hôpital MustaphaBacha, le plus grand centre hospitalier d’Algérie, où il s’employa à combattre la
tuberculose, tandis que son épouse, Claudine Chaulet, enseignait la sociologie à
l’université d’Alger. En 2012, ils ont publié à Alger leurs mémoires rédigées à
quatre mains : Le Choix de l’Algérie : deux voix, une mémoire. Chaulet faisait
partie d’un grand nombre d’intellectuels progressistes qui s’étaient engagés aux
côtés du peuple algérien dans sa lutte pour l’indépendance, parmi eux, outre
Fanon et Maillot, Fernand Yveton, Maurice Audin, Francis Jeanson, Henri
Curiel, Henri Alleg, Étienne Bolo, Pierre Ghnassia… n
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Gamma
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L’Armée de libération nationale entre à Alger portée par le peuple. Cinquante ans après l’indépendance,
certains n’admettent toujours pas l’aveuglement du colonialisme et l’inéluctabilité de la victoire algérienne.
Mémoire Avec toute la quincaillerie du monde qui inonde les marchés de notre pays, devrionsnous, aussi, importer notre Histoire? s’interroge l’écrivain algérien dans « Algérienews ». Extraits.
L’énigme Stora
P
our nombre d’Algériens, Benjamin Stora constitue une énigme.
Comment et pourquoi ce Français, natif de Constantine, est-il
devenu, en l’espace de quelques
années, l’incontournable spécialiste de
l’histoire de la guerre d’Algérie,
l’homme qui détient le quasi-monopole sur la question, intervenant sur
tous les registres de la recherche universitaire et de la création artistique,
produisant des ouvrages, des scénarios, des documentaires audiovisuels,
parrainant des thèses de doctorat, ani-
mant des séminaires en France et dans
notre pays, trustant les plateaux de
télévision de l’Hexagone et les
colonnes de nos journaux, à longueur
d’année ? Qu’est-ce qui explique cette
hyperactivité ? Sa parfaite connaissance du dossier ? La grande facilité
avec laquelle il accéderait aux sources
et aux archives ? La médiocrité et le
peu de fiabilité des autres historiens
français ou algériens ? Son art de jouer
des contradictions et des différends
des uns et des autres des deux côtés de
la Méditerranée pour prétendre à un
rôle d’intermédiaire. Une sorte de
pongiste français, un « Monsieur Â
LE NOUVEAU CONCEPT « D’HISTOIRE PARTAGÉE » : UNE LESSIVE
MAGIQUE FABRIQUÉE POUR NIVELER L’HISTOIRE PAR LE BAS.
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Algérie
Défis d’avenir
bons offices » qui aiderait à enterrer la
hache de guerre des mémoires ainsi
qu’il l’avait laissé entendre, à l’issue
de l’élection de François Hollande à la
présidence de la République française,
alors qu’il défendait le contraire sur
France 2 à l’émission de David Pujadas en mars dernier ? Ou bien, plus
prosaïquement, une inclinaison, terre à
terre, pour le business qui lui fait
prendre l’Algérie pour un juteux fonds
de commerce, en cette année de commémoration du Cinquantenaire de
l’indépendance ?
w Subjectivité et mise en scène
La frénésie avec laquelle il s’emploie à agiter l’opinion française, mais
surtout algérienne à laquelle il
s’adresse, chez nous, par le biais de
certains médias, laisse penser que ses
objectifs sont autrement moins superficiels qu’il n’y paraît. Ce matraquage
et cette exposition aux feux de la
rampe ne sont pas gratuits. Pourquoi
lui et pas les autres, car ce ne sont pas
les historiens étrangers qui manquent
sur le créneau « Algérie » ? […] Plusieurs d’entre eux se sont acquittés
chacun selon la particularité de son
temps et le degré de son équidistance
avec le sujet, d’un travail qui, sans
avoir totalement rendu justice au combat de la nation algérienne contre le
système du colonialisme – loin de là –,
a eu, au moins, le mérite de ne pas
déborder de l’académisme scrupuleux
qu’ils avaient choisi comme méthode
de traitement de l’objet de leur
recherche. Alors qu’est-ce qui fait la
singularité de Stora dont le touche-àtout tranche avec la tradition de
sobriété et de rigueur des grands historiens français […] Qu’est-ce qui le fait
courir, lui et ses sous-traitants algériens ? [Mili souligne que l’historien a
tiré profit du vide créé par la censure
algérienne concernant les recherches
historiques, ndlr].
Parce que la nature a évidemment
horreur du vide, l’historien français
s’est engouffré dans la brèche, flairant
le bon filon qui allait lui permettre
d’asseoir sa notoriété, de tisser de
solides amitiés avec les cercles locaux
qui avaient des comptes politiques et
idéologiques à régler et de préparer,
ainsi, le terrain à la diffusion de ses
thèses favorites. Une dizaine d’ouvrages, de films et de préfaces, plus
tard, on sait, aujourd’hui, au détail
près, lesquelles elles sont. Il ne s’en
cache, d’ailleurs, même plus, assume
et va jusqu’à quitter son costume
d’historien pour revêtir celui de l’idéologue partisan avec lequel il apparaît,
souvent, sur la scène publique. […]
Ce qui pose problème, c’est que
Stora et d’autres « historiens » français enjambent, allégrement, les
garde-fous scientifiques et éthiques de
leur métier pour échafauder des thèses
leur permettant de relire les événements historiques selon leur propre
grille, dans le but de leur donner un
sens différent. Ils écrivent l’Histoire
comme ils écriraient un roman, à la
manière d’un Yves Courrière, en
convoquant leur subjectivité et leur
talent de metteur en scène pour faire
passer des faits et des idées pour ce
qu’ils n’ont jamais été, avec l’intention arrêtée de reconstruire l’Histoire.
Une telle supercherie a un nom : le
révisionnisme. Et comme tout révisionnisme n’est pas fortuit, il a un soubassement : l’arrière-pensée politique.
Stora a commencé à élaborer ses
thèses après qu’il eut été approché par
la fille de Messali Hadj afin de suivre
la mise en forme de la première partie
des mémoires du fondateur de l’Étoile
nord-africaine. À partir de là, il posa
D. R.
22
quatre présupposés qui constitueront
la charpente de ses démonstrations
ultérieures.
w Raisonnement spécieux
1. Pour lui, le peuple algérien aurait
pu faire l’économie d’une guerre
dévastatrice s’il avait accepté d’écouter le chef du MNA et refusé de se
mettre sous la bannière du FLN.
2. La responsabilité de la violence
est partagée par les deux camps, le
tandem FLN-ALN étant accusé d’avoir
commis des massacres et des crimes
contre le peuple lui-même, les harkis
et les pieds-noirs, « des taches indélébiles » qui discréditeraient, à ses yeux,
la Révolution algérienne, au même
titre que l’armée française pour ses
actes de torture.
3. La Révolution algérienne est
ramenée à une concurrence entre chefs
et clans, l’engagement, les sacrifices et
les pertes humaines et matérielles du
STORA VA JUSQU’À QUITTER SON COSTUME D’HISTORIEN
POUR REVÊTIR CELUI DE L’IDÉOLOGUE PARTISAN.
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Photos : Gamma
23
Les jeunes diplomates de la révolution,
négociateurs des accords d’Evian
autour de Krim Belkacem (2e à partir
de la gauche), chef de la délégation.
Page de gauche : en haut à g. :
l’émir Abdelkader, âme de la résistance
populaire. En haut à dr. : Messali Hadj
ou le nationalisme dévoyé.
En bas : Benjamin Stora,
« M. Bons offices ».
peuple se retrouvant réduits à leur plus
simple expression.
4. Les causes lointaines de la guerre
qui remontent à 1830 sont rarement
évoquées et analysées pour éclairer et
justifier la lutte légitime de la nation
algérienne pour la restauration de son
État usurpé. Et Stora, péremptoire, de
trancher : « Aux Algériens, l’histoire
de l’héroïsme, aux Français, l’histoire
des pieds-noirs et les harkis ! » Conclusion logique de ce raisonnement très
spécieux : exit la repentance, la présentation d’excuses, tout ce qui, selon
lui, « insulterait l’avenir des relations
entre la France et l’Algérie », feignant
d’ignorer que c’est là que réside la
pierre sur laquelle ces dernières achoppent et continueront d’achopper tant
que l’État français s’obstine à ne pas
admettre l’évidence. N’importe quel
lecteur algérien averti aurait pu
répondre, point par point, à ces aprioris par trop simplistes :
1. Vouloir vendre le messalisme
comme un catéchisme pour novices
équivaut à engager une bataille Â
TANT QUE L’ÉTAT FRANÇAIS S’OBSTINE
À NE PAS ADMETTRE L’ÉVIDENCE, IL FALSIFIE SON HISTOIRE.
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Algérie
Défis d’avenir
Le colonel Houari Boumédiène (au centre, en treillis), passant en revue un détachement de l’ALN après le cessez-le-feu.
À ses côtés (5e en partant de la gauche), Ahmed Ben Bella. Les deux hommes occuperont la fonction présidentielle du pays.
perdue d’avance. Tout en reconnaissant au leader du PPA-MTLD le
mérite d’avoir été le premier, avec
Radjef et Inal, à revendiquer l’indépendance de l’Algérie, les Algériens
se sont fait une religion définitive sur
la question : l’image de Messali Hadj
a été ternie ad vitam æternam par les
positions qu’il eut à défendre à contrecourant de la Révolution armée et personne ne peut en restaurer le lustre
originel sans être rappelé à l’ordre par
la vérité historique qui est au-dessus
de tous et de toute considération sentimentale. […]
2. Le renvoi dos à dos des protagonistes de la guerre est un blasphème
contre l’Histoire. La violence révolutionnaire opposée à la violence coloniale était une violence juste qui
répondait à une violence première
injuste.
3. L’engagement du peuple algérien
pour le triomphe de sa cause n’a
jamais fait l’ombre d’un doute. Exception faite de la minorité de féodaux et
d’auxiliaires alliés du colonialisme qui
tentent précisément, aujourd’hui, par
l’intermédiaire de leurs héritiers de
classe, de travestir leur rôle véritable
durant l’occupation, le peuple a entretenu une résistance de masse ininterrompue de 1830 jusqu’à la délivrance
finale le 5 juillet 1962. « Un seul
héros, le peuple » n’a pas été un slogan creux, confondant tous ceux qui
avaient vu dans la Révolution une
affaire de chefs et de clans, ce qui a
fait dire à Hocine Aït-Ahmed, à juste
raison : « Nous récusons le terme
“d’historiques”, le seul “historique”,
c’est le peuple. »
w Un seul héros, le peuple
4. Les causes fondamentales de l’insurrection de 1954 tirent leur force de
l’agression perpétrée, en 1830, par
Charles X contre l’Algérie, un pays
prospère, pacifique où rivalisaient universités et écoles prestigieuses, réduit
en quelques années en un pays soumis,
délesté de ses terres, vidé de ses ressources, déculturé, interdit de religion,
des crimes que Stora considère comme
des broutilles inaptes à expliquer le
soulèvement du 1er novembre.
« L’Histoire de l’Algérie, décrète
Benjamin Stora, sera écrite par la
diaspora algérienne. » Autrement dit,
par les groupuscules d’hybrides auxquels des organismes français spécialisés accordent des bourses « d’études
et de recherches », assorties d’un
cahier des charges imposant une ligne
éditoriale, politiquement orientée,
pour produire des œuvres de dissimulation, de dissipation et de diversion.
Pour ainsi dire, des machines de
guerre des mémoires. Un danger sur
lequel certains milieux politiques et
médiatiques semblent fermer, pudiquement, les yeux, découvrant, par
ailleurs, au nouveau concept « d’Histoire partagée » qui court ces derniers
temps les rues de Paris et d’Alger, les
vertus d’une lessive magique fabriquée pour laver plus blanc et niveler
l’Histoire par le bas. n
UNE LIGNE ÉDITORIALE POLITIQUEMENT ORIENTÉE...
UNE MACHINE DE GUERRE DES MÉMOIRES.
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Cinéma Le film d’Alexandre d’Arcady : « Ce que le jour doit à la nuit », analysé par un jeune
Algérien sous l’angle de l’Histoire et de la mémoire partagées, nouvelle marotte d’une catégorie d’intellectuels en France et en Algérie. Résumé de l’article paru dans « Le Soir d’Algérie ».
La perplexité du spectateur algérien
joghlal Djemaâ attaque d’emblée en partant d’une déclaration
du réalisateur Alexandre Arcady,
selon lequel « il n’y a pas qu’une seule
vérité », justifiant ainsi les libertés qu’il a
décidé de prendre avec l’histoire coloniale, fil rouge de son film. « Aucun fait
aussi minime soit-il ne peut être l’objet
d’une vérité unique, mais l’histoire d’un
couple ou d’un village en période coloniale est-elle représentative des dépossessions, exploitations et génocide vécus
par neuf millions de “bicots” en 132
ans ? », rétorque Djemaâ, en soulignant
la perplexité du spectateur algérien, traité
en simple « consommateur d’images préfabriquées » de sa propre histoire. La
première scène du film montre un caïd
corrompu, qui, après avoir tenté en vain
de racketter un paysan pauvre, ordonne à
ses sbires de le venger en brûlant la
récolte en pleine maturité du récalcitrant.
« Ce message d’une expropriation se
déroulant entre deux frères “indigènes”
absout le colon français, dont le caïd
n’est que le bras », interprète Djoghlal. Il
fait le rapprochement avec l’enseignement dispensé par l’historien Benjamin
Stora : « L’Algérie a connu de 1954 à
1962 sa première guerre civile et de
1991 à 2000 sa deuxième guerre civile
(contre le terrorisme) », en altérant le
sens profond de la guerre d’indépendance contre l’occupant étranger. « Comment ne pas voir qu’Alexandre Arcady
utilise les souvenirs personnels d’un
écrivain algérien né après l’indépendance et ayant grandi en Algérie à des
fins politiques, et place tous les Algériens, ceux d’Algérie et ceux de l’étranger, entre paternalisme et tutelle ? »
Les buts qu’il poursuit depuis plusieurs
années, le pied-noir Arcady les a clairement définis : « Nos racines, notre histoire font de nous un incontournable trait
d’union entre nos communautés. C’est le
rôle que nous devons jouer si nous voulons que nos enfants et petits-enfants ne
soient pas coupés du pays qui nous a vus
Gamma
D
naître, afin qu’ils portent toujours au
fond de leur cœur le souvenir heureux et
souriant du 7, rue de Lézard à Alger »,
rappelle le critique. Sauf que, rétorque-til au réalisateur, la dernière fois que deux
Français avaient joué les traits d’union
entre la régence turque d’Alger et les souverains de France, « cela a abouti au
débarquement des troupes coloniales
françaises [à Sidi Fredj sur la côte algéroise] le 5 juillet 1830 » et à une occupation de 132 ans du pays.
w Ambiguïtés et non-dits
Si l’on peut comprendre le désir d’un
homme comme Arcady de retourner sur
sa terre natale, poursuit le critique algérien, « les ambiguïtés et les non-dits »
du film relèvent plus de la propagande
que de la recherche de l’intérêt commun
bien compris des deux peuples. « Arcady
semble ignorer qu’à l’heure où les
défenseurs du néolibéralisme agissent
par des détours sinueux, les images du
monde tel qu’il est révèlent aux opinions
publiques les nouvelles formes de guerre
et les outils utilisés pour faire avancer
cet impérialisme, dont les agissements et
les résultats dans les pays pauvres
détenteurs de matières premières ressemblent à s’y méprendre à la sinistre
période coloniale et à celle aussi meurtrière de la traite négrière. »
Avant d’aborder le thème majeur de la
« réconciliation », nouvelle marotte des
amitiés factices en train de se nouer pardessus la Méditerranée, Djoghlal relève
que, dans le film d’Arcady, ce n’est pas
l’occupation coloniale qui est à l’origine
de la violence, mais que, contre toute
évidence historique, c’est « la violence
des “fellagas du FLN” qui déclenche
inexorablement la violence des pieds-
noirs et des forces de l’ordre colonial ».
S’agissant de la réconciliation, l’historien Mohamed Harbi a témoigné : « Dans
le système colonial, les trois communautés ne vivaient pas en fusion, mais par
accommodement. » Ce témoignage restreint singulièrement le champ de la
« fraternisation » supposée entre les
indigènes et les « autres », avec la
volonté manifeste d’effacer le colon du
tableau. « On peut témoigner que tous
les pieds-noirs ne possédaient pas la
fortune d’un Borgeaud [le plus connu et
le plus emblématique des magnats de la
colonisation, ndlr], mais on peut affirmer avec certitude que même situé au
plus bas de l’échelle sociale, un piednoir demeurait un citoyen français de
plein droit pendant que les Arabes et les
Mauresques courbaient le dos sous les
lois du Code de l’indigénat. »
De quelle réconciliation s’agirait-il
alors ? Certainement pas de celle solidaire et désintéressée initiée par des
intellectuels français pendant la « décennie rouge » du terrorisme en Algérie
pour dénoncer l’assassinat de leurs collègues d’outre-Méditerranée et la déferlante islamiste, suggère Djoghlal. À
ceux qui proclament que les Algériens
sont « assez mûrs pour dépasser la blessure historique » infligée par le colonisateur aux colonisés, il répond par un
dicton arabe : « Ne ressent la brûlure
que celui qui foule la braise. » Il ajoute
« Aller au-delà des simplifications et des
aigreurs ne signifie pas que les blessures, leur traitement et leur cicatrisation sont identiques pour tous les Algériens. ». Et il récuse l’idée que la
« maturité » puisse être mesurée à l’aune
du « déni de soi et du bradage de sa
mémoire ». n
« NE RESSENT LA BRÛLURE QUE CELUI QUI
FOULE LA BRAISE. » UN DICTON ARABE
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Algérie
Défis d’avenir
Livre Historien et grand serviteur de l’Etat qui a traversé deux époques contrastées de la vie
mouvementée de son pays, Hachemi Djiar aborde, porte et fenêtres ouvertes, l’histoire de
l’Algérie et aboutit à une conclusion : le projet démocratique est en route.
Une Histoire revisitée
C
’est à une vaste et ambitieuse
entreprise d’interprétation-réinterprétation de l’histoire algérienne sur le long cours que s’est attaqué Hachemi Djiar dans son livre
L’Algérie. Histoire sans tabous. Des
pistes pour l’avenir (1). Il l’a confirmé à
l’occasion du Salon international du
livre d’Alger, du 20 au 29 septembre :
« Le projet de ce livre est de tenter de
lever le voile sur le passé et ses non-dits
afin de prendre du recul et d’élargir du
même coup la perspective de la réflexion
sur la crise de conscience et d’identité
qui affecte le pays. Cela semble d’autant plus nécessaire que cette crise
forme la trame de la tragédie de la dernière décennie du siècle passé. C’est
par ses effets dévastateurs que peut
aussi s’expliquer un certain désarroi
des Algériens face aux difficultés du
présent et aux incertitudes de l’avenir. »
w Deux idéologies divergentes
Derrière le ministre, le conseiller de
la présidence, le wali qu’il fut tout long
d’une carrière consacrée au service
public, surgit l’historien qui multiplie
les questionnements sur « cette société
lézardée par des ruptures et des clivages qui affectent les fondements
mêmes de son identité, affaiblissant du
même coup ses défenses ». Un trouble
qui a trouvé « un terrain d’expression
dans deux idéologies divergentes,
inégalement, mais incontestablement
enracinées dans la société, à savoir le
berbérisme et l’islamisme », deux courants d’origine exogène, insiste-t-il, qui
ont fini par s’algérianiser. Si le « berbérisme » relève du « mythe berbère »
inscrit dans la stratégie coloniale de
démantèlement identitaire du pays et du
culte de la différence célébré par les
romantiques en Europe au XIX e siècle,
« l’islamisme » est instrumentalisé par
ses adeptes soit comme un bouclier
contre l’occidentalisme, soit comme un
moyen de conquérir le pouvoir.
Les tabous levés, Hachemi Djiar peut
procéder à une réinterprétation de
l’Histoire adossée à une documentation
d’une très grande richesse et à des
auteurs de grande renommée, en s’écartant ostensiblement d’une approche
purement nationaliste du passé privilégié par l’État postcolonial. Celui-ci estimait que l’heure du débat n’avait pas
encore sonné et qu’il fallait canaliser la
réflexion et les énergies vers la
construction nationale, selon la feuille
de route tracée lors du déclenchement
de la guerre de libération. Ce regard
encyclopédique, aux antipodes de
« l’Histoire suspecte » servie dans les
programmes scolaires, s’avérera d’une
très grande utilité pour réconcilier les
jeunes Algériens avec leur mémoire et
leur Histoire.
L’histoire des Berbères est revisitée
sous l’angle des rapports de leurs chefs
mythiques avec Rome et la romanité,
ainsi que sous celui de l’empreinte
qu’ils ont laissée dans la civilisation
antique, puis dans leur participation à
l’enracinement de l’islam au Maghreb.
L’auteur consacre d’amples développements à l’implantation de l’islam dans
le pays berbère, « dont l’ouverture aux
musulmans avait magistralement et
positivement synthétisé près de dix
siècles de carence autochtone et de
mépris carthaginois d’abord, romain,
vandale puis byzantin, c'est-à-dire
européen, ensuite ».
Les Berbères sont attirés par cette
« nouvelle et splendide expérience de
physique sociale […] qui allait provoquer le déclic qui les sortira de leur
archaïsme pour les propulser, non plus
comme simples figurants, mais comme
acteurs à part entière sur la scène his-
torique où ils allaient effectivement
contribuer à provoquer l’éveil d’un
nouveau monde et l’expansion d’une
nouvelle civilisation : la civilisation
arabo-musulmane ». C’est à la tête
d’une armée berbère que Taraq Ibn
Zyad franchit le détroit de Gibraltar –
qui ne portait pas encore ce nom – pour
conquérir l’Andalousie et y planter
l’emblème de l’islam. L’Histoire fera
D. R.
26
ensuite son œuvre, car si les Berbères
ont eu maille à partir avec leurs gouvernants arabes, ils n’ont jamais renié la
nouvelle religion.
L’invasion française de l’Algérie en
1830 est analysée comme une
« débâcle de l’archaïsme face à la
modernité » et « la victoire de la supériorité d’un système politique mature
[celui de la France issue de la Révolution de 1789, ndlr] sur un système
politique immature, engoncé dans l’archaïsme et figé dans les pratiques du
prononciamento » de la Régence d’Alger, avec des dirigeants turcs qui ne
s’étaient pas préparés à ce choc brutal.
Le résultat en fut que, pour les Algériens, un nouvel horizon se dessina : la
nation algérienne, qui supplante dans
L’ISLAMISME : UN BOUCLIER CONTRE L’OCCIDENTALISME
ET UN MOYEN DE CONQUÉRIR LE POUVOIR.
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trouve dans le projet démocratique qui
clôt la crise née de l’insurrection islamiste et de ses dérives terroristes dans
les années 1990. « Ce projet fut précisé
en 1999 à l’occasion de l’élection présidentielle, puis en 2004 à la faveur de
la décision prise au plus haut niveau du
pouvoir à substituer la légitimité démocratique à la légitimité révolutionnaire. » En date du 15 avril 2011, ledit
projet entra dans une phase décisive de
sa mise en œuvre à la faveur de l’an-
tiques, les syndicats et la presse voient
leur droit de regard sur la vie institutionnelle consacré sans ambiguïté.
Elles signifient encore que le code du
travail ne suffit plus à canaliser le dialogue social entre l’État, les organisations professionnelles et les syndicats,
et que la société civile accède en tant
qu’acteur. Les réformes signifient enfin
que les nouvelles générations sont
appelées à jouer un rôle politique qui
leur pose un gros défi, celui de s’adap-
D. R.
leur esprit la référence à l’umma
musulmane incarnée par la Sublime
Porte siégeant à Istanbul.
L’ouvrage évoque alors la genèse du
nationalisme algérien sous l’Empire,
puis sous la République, et fait une analyse fort éclairante de l’émergence d’un
mouvement national qui prélude, prépare et déclenche la guerre d’indépendance. Celleci est relatée
dans ses dif-
Hachemi Djiar, ministre et historien : une analyse éclairante de l’émergence du mouvement
national qui prépare et déclenche la guerre d’indépendance. À g., le coup d’éventail : une légende.
férentes péripéties. Hachemi Djiar
n’occulte aucun des conflits qui ont
marqué la marche vers l’indépendance
ni aucun des problèmes qui continuent
à faire débat parmi les politiques et les
historiens, et dont les échos atteignent
la rue. Il serait trop long d’en faire état
dans ces quelques lignes de compte
rendu, mais le lecteur trouvera dans
l’ouvrage matière à lecture enrichissante et réflexion.
Les pistes pour l’avenir, l’auteur les
nonce officielle de réformes politiques.
Ces réformes sont de nature à modifier fondamentalement les modes opératoires qui prévalaient jusque-là dans
les domaines politique et administratif
et donc en matière de gouvernance.
Que signifient-elles ? « Elles signifient
d’abord que l’État postcolonial, tel
qu’il était compris et qu’il est passé
dans les mœurs, n’est plus le protagoniste exclusif de l’intérêt général. Elles
signifient aussi que les partis poliNovembre 2012 l Afrique Asie
ter aux exigences de la nouvelle époque
où l’individu se voit reconnaître son
originalité irréductible à respecter, et
donc son statut de sujet auteur libre de
son activité politique et économique en
même temps que responsable et partie
prenante dans la vie collective. » Ce
projet de rupture est pour demain. n
w (1) L’Algérie. Histoire sans tabous. Des pistes
pour l’avenir, Hachemi Djiar, Éditions Anep,
Alger 2012, deux tomes, 700 p. chacun.
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Algérie
Défis d’avenir
Hommage Disparu à 83 ans, Chadli Bendjedid, résistant de la première heure de la guerre
de libération, a présidé l’Algérie pendant treize ans. Son dernier mandat a été marqué par
l’irruption chaotique de l’islamisme armé sur la scène politique.
L’homme d’une transition
dévoyée
arti en toute discrétion après une
hospitalisation de quelques jours
à Alger, le président Chadli
Bendjedid a emporté bien des secrets
dans la tombe. Ses mémoires destinées
à être publiées de son vivant ne verront le jour qu’à titre posthume, en
novembre. Elles ne comporteraient
aucune révélation ni sur son parcours
de résistant de l’Armée de libération
nationale (ALN), qu’il a rejointe dès
1955, ni sur sa longue présidence
controversée de 1979 à 1992. Mais la
plupart des observateurs de la vie politique algérienne s’accordent à dire que
s’il fut l’homme d’une ouverture politique prudente et partielle, il fut aussi
celui d’une transition dévoyée, qui a
conduit son pays au seuil de l’impasse
islamiste. Le traumatisme n’en fut que
plus profond dans la population. Le
pays fut sauvé d’un chaos annoncé par
l’armée, à l’appel d’une coalition de
démocrates. Les Algériens vécurent
les rigueurs de l’état d’urgence, les
affres du terrorisme, les horreurs de la
« décennie rouge » et la psychose des
attentats aveugles contre les civils.
Le président Abdelaziz Bouteflika a
rendu à Chadli Bendjedid l’hommage
qu’il mérite, soulignant qu’il avait
« consacré sa vie au service de la
nation, en toute humilité » – un trait de
caractère qui lui est reconnu par tous
ses compagnons.
Arrivé au pouvoir après la disparition du président Houari Boumédiène,
emporté brutalement par la maladie en
décembre 1978, Chadli Bendjedid,
P
membre du Conseil de la révolution
depuis la chute du président Ahmed
Ben Bella en 1965, était le moins préparé de ses pairs à l’exercice de la
magistrature suprême. Le choix s’est
porté sur lui en tant qu’officier le plus
ancien dans le grade le plus élevé de
l’Armée nationale populaire, héritière
de l’ALN. D’Oran, où il dirigeait la 2e
région militaire avec le grade de colonel, il s’est alors trouvé propulsé au
palais présidentiel d’El-Mouradia. Sa
belle prestance, sa décontraction et sa
crinière blanche rappelant l’acteur
américain Jeff Chandler suggéraient
une volonté d’apaisement qui fut
saluée par les Algériens.
w L’ANP barre la route au Fis
Mais la confrontation avec le pouvoir sera plutôt rude pour l’homme. Il
agira par à-coups, donnant l’impression de courir derrière l’événement au
lieu de l’anticiper. Entouré de réformateurs pressés de détricoter l’œuvre
économique de Boumédiène, il laissera s’amorcer une désindustrialisation
sauvage, dont l’Algérie continue à
payer le prix fort. L’ouverture du marché algérien aux importations, à travers un Plan anti-pénuries (PAP) non
maîtrisé, conduira le pays à une quasibanqueroute lorsque les revenus du
pétrole, son unique ressource extérieure, s’effondreront en 1986, sous
les coups de boutoir de la spéculation
internationale. Harcelée par ses créanciers, sommée par le Fonds monétaire
international (FMI) de se convertir à
IL LAISSERA S’AMORCER UNE DÉSINDUSTRIALISATION SAUVAGE,
DONT L’ALGÉRIE CONTINUE À PAYER LE PRIX FORT.
Novembre 2012 l Afrique Asie
l’économie de marché et de privatiser
ses entreprises publiques, l’Algérie
connaîtra alors des années difficiles,
marquées par une envolée de l’inflation et du chômage, des restrictions
budgétaires et une limitation drastique
des subventions aux produits de
consommation courante. Ni Chadli
Bendjedid ni son gouvernement
n’avaient vu venir la crise. Ils avaient
épuisé leurs marges de manœuvre
pour y faire face.
Sur le plan politique, il passera dans
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29
APS
Trois ex-présidents autour
de Bouteflika : Ahmed Ben Bella,
Ali Kefi, Chadli Bendjedid. Ce dernier
sera poussé vers la sortie en 1992. En bas :
le président en tête du cortège aux
obsèques de Chadli Bendjedid.
Novembre 2012 l Afrique Asie
l’Histoire comme l’homme de la suppression de l’autorisation de sortie
pour les Algériens et de la transition
du parti unique au pluralisme politique, concrétisé dans la Constitution
de 1989, après les émeutes de 1986 à
Constantine et Sétif, puis d’octobre 1988 à Alger. Mais le président
défunt fut aussi celui qui entrouvrit la
porte au Front islamique du salut
(Fis), qui se présenta au seuil du pouvoir avant que l’armée ne fît barrage à
son entrée à l’Assemblée. C’est sur
cette période et les tractations présumées entre le Fis et la présidence que
le témoignage de Chadli Bendjedid
fera défaut. Poussé vers la sortie, il
démissionna le 11 janvier 1992, laissant le pays sous l’état d’urgence,
dans l’incertitude du lendemain, alors
que le Fis s’employait à organiser ses
maquis armés pour une prise violente
du pouvoir. n
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Algérie
Défis d’avenir
Réconciliation nationale Il y a sept ans, la politique mise en place par Bouteflika tournait la
page douloureuse du terrorisme et de la barbarie, et ouvrait celle en faveur de plus de
concorde et de stabilité, dans un environnement chargé de menaces.
Les fruits du pardon
près la concorde nationale,
dont elle était le prolongement
naturel, la politique de réconciliation nationale a été l’option stratégique définie par le président Abdelaziz Bouteflika dès son retour au pouvoir
en 1999 pour retourner la situation
périlleuse dans laquelle son pays se
consumait lentement depuis le début
des années 1990, dans le silence assourdissant d’une communauté internationale indifférente à la tragédie.
A
w En finir avec l’effusion de sang
Malgré la farouche résistance de la
société civile – les femmes et les intellectuels en particulier – qui a payé un
très lourd tribut à la barbarie, les autorités d’alors, au-delà d’une posture
éradicatrice de circonstance réaffirmée
avec force après chaque attentat meurtrier, peinaient à trouver une solution
permettant d’en finir avec l’effusion
du sang et le retour à la paix. Chaque
jour charriait son lot de victimes. Le
bilan macabre ne cessait de s’alourdir.
La psychose de l’attentat aveugle, les
meurtres gratuits, les expéditions punitives contre les villages isolés et les
massacres de civils sans défense ont
fini par tétaniser de larges couches
d’une population éprouvée qui, malgré
les promesses, ne voyait pas le bout du
tunnel ni la fin de son calvaire.
Les groupes armés déchaînés, s’inspirant de la politique de la terre brûlée
suivie par les ultras du colonialisme de
l’OAS de sinistre mémoire pendant la
guerre de libération nationale (19541962), prirent aussi pour cible l’infrastructure laborieusement mise sur pied
durant les trois décennies précédentes
grâce à un effort colossal d’investissements publics et privés. Les dégâts se
chiffraient à des centaines de millions
de dollars au moment où le pays, en
raison de l’imprévoyance des mêmes
autorités, se trouvait confronté à la
plus grave crise d’endettement qu’il
ait jamais connue depuis l’indépendance. Au bord du gouffre, il était
alors menacé d’un triple effondrement : politique, économique et moral.
Une partie de l’intelligentsia – enseignants, chercheurs, médecins, ingénieurs –, fuyant le chantage et la terreur des groupes armés, prenait le
chemin de l’exil souvent sans espoir
de retour.
C’est dans cette atmosphère pesante
et lugubre (« décennie noire » pour les
uns, « décennie rouge » pour les
autres) que le chef de l’État, sans nullement renoncer à la lutte implacable
contre le terrorisme menée depuis plus
de dix ans par les forces de sécurité,
avec à leur tête l’armée, proposa au
peuple algérien, par référendum, une
Charte pour la paix et la réconciliation
nationale prévoyant d’accorder le
« pardon » aux intégristes « égarés »
qui accepteraient de se repentir, déposer les armes et renoncer à la violence.
À condition qu’ils n’aient pas trempé
dans des crimes de sang. La proposition fut adoptée massivement le 29 septembre 2005 par 97 % des votants,
représentant près de 80 % du corps
électoral. Les textes d’application,
entrés en vigueur six mois plus tard,
permirent dès les mois suivants la reddition des premiers repentis, au nombre
de 2 000. En juin 2012, la Commission
d’assistance judiciaire pour l’application de la Charte (CAJADC) a recensé
au total 8 500 repentis ayant tourné
définitivement le dos à toute action
armée.
La plupart des victimes ont par
ailleurs été indemnisées par l’État. Y
compris les familles de disparus (plus
de 6 500 dossiers, soit plus de 90 %
des cas recensés officiellement) qui
ont accepté d’être indemnisés contre la
clôture des investigations pour déterminer le sort de leurs proches. Une
minorité d’ayants droit, restée sur ses
positions initiales depuis près de dix
ans, continue à demander la poursuite
des enquêtes et réclame la tenue de
procès contre les responsables et les
commanditaires de ces disparitions.
Mais si cette position de principe n’a
pas trouvé d’objection auprès des
autorités décidées à faire toute la
lumière sur ce qu’elles qualifient officiellement de « tragédie nationale », il
s’est avéré en revanche qu’il s’agissait
d’actes isolés, dont il est impossible
d’identifier les auteurs. L’organisation
de procès dans ces conditions s’apparenterait au mieux à un vain psychodrame, au pire à une médiatisation
judiciaire sans lendemain. En effet,
alors que le pays continuait à panser
ses plaies, le réalisme et la sagesse
commandaient de ne pas ajouter le
traumatisme au traumatisme et de se
tourner vers l’avenir.
Mais si le dossier des disparus est
désormais officiellement clos, malgré
les manifestations sporadiques de
quelques familles qui souhaitent le
garder ouvert (jusqu’à quand ?), ne
faut-il pas aller plus loin dans la réparation des préjudices subis ? Le débat
reste ouvert, s’agissant aussi bien de la
réhabilitation d’anciens détenus libérés sans jugement ou acquittés par la
justice, de la prise en charge des
femmes victimes d’enlèvement et de
viol, esclaves sexuelles des « émirs »
dans les maquis, et de leurs enfants
nés sous X, dont il faut assurer la filiation et régulariser l’état civil. Aucune
HUIT MILLE CINQ CENTS REPENTIS
ONT DÉFINITIVEMENT TOURNÉ LE DOS À TOUTE ACTION ARMÉE.
Novembre 2012 l Afrique Asie
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31
Au fur et à mesure que l’insécurité
et la peur ont reculé, la société a repris
confiance en son avenir et le pays sa
marche vers le développement. Les
dernières années ont été marquées,
outre par la consolidation de l’État de
droit et le renforcement du pluralisme
politique, par un formidable élan de
reconstruction qui englobe tous les
secteurs. Ces acquis sont indissociables de la politique de paix. Un
nouveau train de réformes est en préparation qui doit ouvrir le champ politique à des forces nouvelles. Il doit
aussi marquer le passage de témoin
entre la génération de l’indépendance
et les générations suivantes. La paix
retrouvée à l’intérieur permet par
ailleurs à l’Algérie de faire face aux
menaces qui s’accumulent à ses frontières, dans le respect de sa politique
de dialogue et de sécurité collective.
AFP
w Aux trois quarts plein
Plébiscité par la population, l’appel à la réconciliation nationale
du président Bouteflika a permis de sortir le pays d’une tragédie annoncée.
de victimes des années de plomb et de
terreur ne doit être laissée au bord de
la route, insistent les autorités. Il y va
de la crédibilité du processus de réconciliation initié par le chef de l’État et
de la bonne application de la Charte.
Cette politique de réconciliation
nationale judicieusement menée a créé
les conditions d’une régression du terrorisme, réduit, sept ans après, à
quelques groupuscules résiduels épars
et sans avenir qui se terrent dans les
montagnes. Pourchassés par les forces
de sécurité, ils n’ont plus que le choix
entre une reddition honteuse et une
mort sans gloire. Dans sa première
intervention après la constitution du
gouvernement, le nouveau premier
ministre Abdelmalek Sellal a appelé
les derniers récalcitrants à rendre les
armes et à réintégrer la communauté
nationale.
Les droits de l’homme ont enfin
connu nombre d’avancées cette dernière décennie. Il reste sans doute de
nombreux jalons à poser sur un chemin qui s’avère long, difficile, plein
d’embûches. Mais le socle a été posé.
Il est solide. L’état d’urgence, instauré
en 1992 pour combattre le terrorisme,
a été levé il y a un peu plus d’un an. Il
faut rappeler qu’il n’a jamais été utilisé pour restreindre les libertés
publiques, qui connaissent « un printemps » sans pareil dans de nombreux
autres pays de la région. La presse
algérienne, qui a payé un lourd tribut à
la terreur pour défendre son droit à
l’expression, s’est hissée, par sa
liberté de ton et sa pugnacité dans
l’investigation, sur les plus hautes
marches du podium parmi ses
consœurs africaines et arabes. La vie
associative a conforté l’élan pris au
début des années 2000 et le champ
politique s’est enrichi de dizaines de
partis et de syndicats qui tentent, au
quotidien, de faire face aux aspirations
des citoyens. Le verre est aux trois
quarts plein dans cette quête d’une
transition démocratique paisible que
l’Algérie a entamée il y a un peu plus
de dix ans, dans un scepticisme ayant
depuis longtemps sa raison d’être. n
LA PAIX RETROUVÉE À L’INTÉRIEUR PERMET À L’ALGÉRIE
DE FAIRE FACE AUX MENACES QUI S’ACCUMULENT À SES FRONTIÈRES.
Novembre 2012 l Afrique Asie
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32
Algérie
Défis d’avenir
Diplomatie Alors que la zone des tempêtes s’est étendue du Moyen-Orient au Sahel, Alger reste
ferme sur ses principes : non-ingérence, non-intervention militaire, respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des États, échange et entente pour résoudre les crises.
Reuters
Les vertus du dialogue
et de la coopération
ocle inébranlé de la diplomatie
algérienne depuis son indépendance, ces principes, qui ont été
forgés durant la guerre de libération
nationale (1954-1962) par les jeunes
diplomates de la révolution, ont été
réaffirmés tout récemment par le chef
de la diplomatie, Mourad Medelci,
dans un entretien à la chaîne satelli-
S
taire arabe Al-Arabiya. En pleine crise
syrienne, au nom de son pays, il s’est
déclaré fermement opposé à toute
intervention directe étrangère dans un
espace arabe, à l’inverse de pays
comme le Qatar et l’Arabie Saoudite,
qui y poussent de toutes leurs forces.
L’Algérie s’était déjà opposée à l’intervention de l’Otan en Libye, quelles
Novembre 2012 l Afrique Asie
que soient les réserves qu’elle pouvait
avoir sur le colonel Mouammar
Kadhafi et sa gouvernance. Elle avait
mis par ailleurs en garde contre les
conséquences désastreuses et prévisibles pour le voisinage de l’effondrement du régime de Kadhafi sous les
coups de boutoir de la coalition militaire étrangère comprenant notamment
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33
niens à une patrie et un État, et la préservation de la solidarité arabe. Les
deux pays avaient en leur temps appartenu au Front de la fermeté qui voulait
relever le défi sioniste après la défaite
militaire égyptienne de 1967 face à
Israël. C’est cet esprit de résistance
qui continue à les animer.
Reuters
w Des djihadistes d’Al-Qaïda dans l’arène
Le chef de la diplomatie algérienne Mourad Medelci
avec le président Abdelaziz Bouteflika (ci-dessus) et son homologue américaine
Hillary Clinton (à g.) : priorité au dialogue et au règlement politique des conflits.
la Grande-Bretagne, la France et de
quelques États de la Ligue arabe, en
violation de la Charte de cette organisation et du principe sacro-saint de la
solidarité arabe.
« Le gouvernement algérien a sa
propre vision [de cette crise], au
regard de ses relations historiques
avec la Syrie, de sa coopération
durable avec ce pays et compte tenu
de l’importante communauté algérienne établie dans ce pays », a-t-il
dit. Les dirigeants algériens vivent la
crise syrienne comme un déchirement.
La Syrie et l’Algérie sont en effet liées
par des liens historiques (la nombreuse
colonie arrivée en Syrie dans la suite
de l’émir Abdelkader et qui s’y est
parfaitement intégrée continue à
revendiquer ses origines algériennes),
affectifs (nombre de couples mixtes
algéro-syriens résident dans les deux
pays), et politiques, centrés en particulier sur le soutien du droit des Palesti-
Derrière les velléités de changement
démocratique orchestré par les monarchies pétrolières autocratiques du
Golfe et des puissances occidentales
aux motivations commerciales, religieuses et stratégiques occultes, on
pressent de plus en plus que la Syrie
est devenue la cible d’une expédition
punitive pour avoir continué à contester l’hégémonie militaire des ÉtatsUnis dans le Golfe et celle d’Israël au
Proche-Orient. L’apparition dans
l’arène syrienne de « djihadistes » inspirés par Al-Qaïda, armés et financés
par le Qatar et l’Arabie Saoudite, sous
la protection de la Turquie, indique
bien que l’enjeu de la bataille syrienne
n’est pas tant l’établissement de la
démocratie que la chute d’un régime
récalcitrant à la « neutralisation » définitive de sa puissante armée souhaitée
par Israël et l’Occident.
L’offre de réformes politiques proposée par le président Bachar alAssad, comprenant la révision de la
Constitution, l’ouverture des champs
politique et médiatique et l’organisation d’élections pluralistes, a été rejetée par les opposants de l’extérieur,
rassemblés sous la houlette de Paris,
Londres et Washington. Elle se fera
probablement sans eux dès que le
régime aura repris son souffle. Soutenue par la Russie et la Chine au Conseil
de sécurité, Damas peut compter aussi
sur le soutien algérien parmi les pays
arabes. Pour Alger, en effet, le pire
des crimes serait la mise sur pied, à
laquelle travaillent Doha et Riyad,
d’une coalition étrangère pour réduire
militairement la Syrie, comme une
autre coalition l’avait fait en 1991 puis
en 2003 pour démolir l’Irak, livré aux
dissidences ethniques et religieuses.
Au risque d’ouvrir la voie à une guerre
civile et la boîte de Pandore des Â
POUR ALGER, LE PIRE DES CRIMES SERAIT
DE REFAIRE EN SYRIE CE QUI A ÉTÉ FAIT EN IRAK.
Novembre 2012 l Afrique Asie
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34
Algérie
Défis d’avenir
conflits religieux dans un pays qui a su
jusque-là juguler les dérives confessionnelles et communautaires.
La solution à la crise crânement
défendue par l’Algérie auprès de ses
pairs de la Ligue arabe est celle qui
émanerait d’une négociation entre les
deux parties en conflit, hors de la pression des pays hostiles au régime de
Damas. « En dépit de l’échec des
efforts arabes, c’est cette position que
continuera à défendre l’Algérie », a
martelé Mourad Medelci, en reconnaissant que la question syrienne était
« très complexe », mais qu’il fallait
éviter « l’aggravation de la situation », notamment en cessant les
livraisons d’armes et en mettant un
bémol aux attaques incessantes des
médias contre le régime syrien.
« Favorable à la pratique des libertés
loin de la violence, quelle qu’en soit la
source, l’Algérie n’a pas de parti pris
dans la crise syrienne, mais elle veut
être un trait d’union » entre les frères
ennemis, a souligné le ministre. Celuici a appelé le « gouvernement syrien à
faire preuve de responsabilité, à rétablir le calme et garantir un climat
favorable à une solution politique »,
car, a-t-il précisé, « la préservation de
la Syrie ne saurait être réalisée par la
poursuite des tueries, mais exige des
concessions de la part du gouvernement et de l’opposition armée ».
L’Algérie, qui estime du devoir des
États arabes et ceux de la région d’accueillir les civils fuyant la guerre –
elle en a recueilli 12 000 elle-même
depuis le début du conflit –, est opposée à la création de « zones sécurisées » en territoire syrien. Sous une
couverture humanitaire, elles pourraient se transformer en marchepied
pour une intervention étrangère. « Si le
but des zones sécurisées est l’intervention étrangère, nous nous y opposons », a-t-il dit fermement. Même
opposition à l’envoi sur le terrain de
forces militaires arabes et onusiennes
pour « le maintien de la paix » – sans
que les conditions de leur présence et
les modalités de leur interposition ne
soient définies et acceptées.
Tandis que l’effet domino des « printemps arabes » continue de s’estomper, allégeant ainsi la pression sur
l’ensemble des pays de la région, les
préoccupations algériennes se sont
tournées vers le Nord du Mali où une
coalition hétéroclite d’islamistes, de
Touaregs dissidents et de trafiquants
de drogue, de carburant et de cigarettes s’est emparée d’un territoire
aussi vaste que la France, qu’elle
compte ériger en sanctuaire pour protéger ses activités criminelles. Le danger menace directement le Sud algérien qui recèle les principales richesses
d’hydrocarbures du pays. Le conflit
s’est compliqué avec l’intrusion
intempestive du Qatar, qui veut jouer
les « grands » dans une zone avec
laquelle il n’a aucun lien historique, et
la position aventureuse du président
français François Hollande, qui veut
« sa » guerre au Mali, comme son prédécesseur Nicolas Sarkozy avait
fomenté la sienne en Libye. Ses dernières interventions indiqueraient par
ailleurs qu’il songerait à mener la
même « guerre contre le terrorisme »
en Afrique que George Bush avait
menée en Afghanistan, avec les résultats que l’on sait.
w Intervention par Africains interposés
Le chercheur Yvan Guichaoua, soulignant la mutation de la doctrine de
Hollande – qui est allée jusqu’à envisager de sacrifier les otages français
détenus au nord du Mali sur l’autel
d’une expédition militaire commente :
« Il était question auparavant de
régler la situation à Bamako, puis de
reconquérir le Nord du pays. Désormais, il faut mener une guerre contre
le terrorisme ; c’est une invitation aux
djihadistes pour qu’ils viennent en
découdre sur le sol malien et cela
risque de pousser les différents
groupes à mutualiser leurs ressources
pour mener une guerre sainte. »
En fait, gauche et droite continuent
à prôner, dans le pré carré de la France
en Afrique, la même politique d’intervention militaire qui avait conduit
Valéry Giscard d’Estaing à ordonner à
ses parachutistes de sauter sur Kolwezi (RD Congo) et à envoyer des
Jaguar contre le Polisario au Sahara
Occidental, en passant par les interventions au Tchad, au Rwanda et en
Côte d’Ivoire. Mais l’armée française,
qui a perdu ses marges de manœuvre
en réintégrant l’Otan, a été affaiblie
par les restrictions budgétaires qui lui
ont été imposées ces dernières années
par la droite et la gauche confondues.
Elle n’a plus les moyens de se déployer
hors de l’Hexagone sans l’aval américain. Aussi, les ministres des Affaires
étrangères socialiste, Laurent Fabius,
et son prédécesseur de droite, Alain
Juppé, ont-ils défendu, pratiquement
dans les mêmes termes, une stratégie
d’intervention par Africains interposés, auxquels ils promettent un appui
logistique de la France. Alors que
Paris s’était ingéniée en octobre 2010
à écarter l’Algérie de la réunion du G8
avec les pays sahéliens – en y invitant
paradoxalement le Maroc, qui est bien
loin du champ de bataille –, la diplomatie française s’est mise soudain à
flatter ce pays – un peu hypocritement,
il est vrai – pour qu’il « prenne ses
responsabilités en tant que puissance
régionale » afin de chasser les terroristes de leur sanctuaire malien.
Outre qu’Alger n’a pas attendu les
invitations françaises pour mener une
bataille acharnée contre le terrorisme,
les autorités algériennes ont flairé un
piège dans lequel elles ne sont près de
tomber. Aucun stratège sérieux ne
parierait un euro aujourd’hui sur une
victoire militaire au nord du Mali
contre des groupes dont la mobilité
extrême est la plus grande caractéristique, dans un territoire hostile truffé
d’obstacles. Le secrétaire général de
l’Onu, Ban Ki-moon, a lui-même poliment éconduit Français Hollande
après son discours belliqueux à la tribune des Nations unies en l’appelant à
une « extrême prudence ».
Sous l’égide de Paris, les pays de la
Communauté économique de l’Afrique
de l’Ouest (Cedeao) se sont laborieusement entendus pour mobiliser 3 300
soldats afin de les envoyer assister
l’armée malienne pour reconquérir le
Nord. L’opération devrait être déclenchée lorsque le Conseil de sécurité lui
aura donné le feu vert et que les dispositions opérationnelles, qui ne sont pas
simples, auront été mises sur pied pour
fusionner des troupes venues d’armées
différentes et définir la chaîne de commandement. Pas avant l’été 2013,
selon toute probabilité.
Pour Alger, qui a une solide expérience des hommes de la région et du
ALGER N’A PAS ATTENDU LES INVITATIONS FRANÇAISES
POUR MENER UNE BATAILLE ACHARNÉE CONTRE LE TERRORISME.
Novembre 2012 l Afrique Asie
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L’EXPERTISE ALGÉRIENNE DANS LA LUTTE ANTITERRORISTE
EST LARGEMENT APPRÉCIÉE PAR WASHINGTON.
Novembre 2012 l Afrique Asie
mener. « Elle reste disposée à aider
toutes les parties pour parvenir à une
solution 100 % malienne », a rappelé
le ministre des Affaires étrangères.
Après un bref et intense moment de
tension à la suite de l’appel à l’intervention étrangère, le dialogue s’est
rétabli avec la Libye, qui a accepté de
coopérer avec Alger pour sécuriser
leurs frontières communes. Elle a
aussi accepté l’appui algérien pour
mettre sur pied de nouvelles forces de
AFP
terrain, et qui s’était employée à ras- Alger, l’a confirmé aux autorités algésembler les pays sahéliens autour riennes. « Si la Cedeao estime qu’il y
d’une stratégie préventive avant que a un rôle militaire qui doit être joué
le Nord du Mali ne soit submergé par pour résoudre la crise au nord du
les Touaregs rescapés de l’armée de Mali, ce rôle doit être également
Kadhafi, cette opération, outre qu’elle accompagné par un rôle politique »,
sera vaine, risque de provoquer un a-t-il indiqué, ajoutant : « Les défis qui
embrasement généralisé aux marches se posent au niveau du Mali doivent
de l’Afrique. Elle n’est pas loin de être d’abord résolus au plan politique,
soupçonner la France, à travers cette tout en prenant en compte l’aspect
opération aux relents colonialistes, de humanitaire. »
chercher à recréer un « arc français »
Washington n’ignore pas qu’Alger,
rassemblant une
fraction des Touaregs, le Maroc et la
Mauritanie pour
l’opposer à l’Algérie. La diplomatie
algérienne préconise
à l’inverse l’ouverture d’un dialogue
approfondi entre les
belligérants et des
solutions politiques
pérennes, fondées
sur la redistribution
des responsabilités
entre le Sud et le
Nord du Mali, le partage des richesses et
le développement
des zones marginalisées.
Le premier ministre
Abdelmalek Sellal
l’a redit à François
Hollande, en marge
du Sommet des 5+5
(Algérie, Tunisie,
Maroc, Libye et Les présidents Bouteflika et Poutine
Mauritanie, France, condamnent toute violation de la souveraineté des États.
Italie, Espagne, Portugal et Malte) à
Malte. Le président Abdelaziz Boute- dont l’expertise dans la lutte antiterroflika le lui confirmera mi-décembre riste est appréciée outre-Atlantique, a
lors de sa visite officielle programmée été à l’origine de la création d’un comà Alger, avant que les choses ne tour- mandement militaire régional conjoint,
nent à la tragédie annoncée. Ce point le Cemoc, afin de mobiliser les « pays
de vue est partagé par les États-Unis, du champ » contre le danger terroriste
qui n’ont aucune intention d’agir mili- au Mali et au-delà en Afrique. L’Algétaire dans la région et qui privilégient rie a joué plusieurs fois de sa médiala solution politique à la solution mili- tion entre les belligérants pour tenter
taire préconisée par la France. Le de rapprocher leurs points de vue sur
commandant de l’US Africa Com- un conflit qui dure pratiquement
mand (Africom), le général de corps depuis la création du Mali et qu’aucun
d’armée Carter F. Ham, dépêché à président de ce pays n’a réussi à
sécurité nationales. Les liens n’ont en
réalité jamais été rompus entre les
dirigeants des deux pays qui, au pouvoir ou dans l’opposition, se connaissent bien pour avoir travaillé longtemps ensemble sur des dossiers
communs. Pour l’Algérie, la Libye
doit rester un allié stratégique en raison de sa position géopolitique de trait
d’union entre le Maghreb et le
Machrek et de son importante façade
sur la Méditerranée, mais aussi de sa
place de producteur important d’hydrocarbures (3e d’Afrique) au sein de
l’Organisation des pays exportateurs
de pétrole (Opep). L’inexistence de
contentieux d’ordre matériel entre les
deux pays a sans doute facilité leur
rapprochement. n
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36
Algérie
Défis d’avenir
Gouvernement Le nouveau premier ministre Abdelmalek Sellal a reçu une feuille de route
chargée, qu’il doit mettre en œuvre dans les deux années. Soit avant la présidentielle de 2014.
APS
Relancer, corriger et recadrer
’est par ces trois verbes qu’on
peut résumer le programme du
gouvernement d’Abdelmalek
Sellal, approuvé le 17 septembre par
le conseil des ministres sous la présidence du chef de l’État Abdelaziz
Bouteflika, puis soumis aux députés
et voté à une large majorité par l’Assemblée nationale. Sur 280 députés
présents, 221 ont approuvé le programme, 41 ont voté contre et 47 se
sont abstenus.
Le nouveau premier ministre n’a
pas dissimulé dès l’investiture qu’il
situerait son action dans le programme
de relance tracé par le président Bouteflika, et dont le dernier volet prévoit
un investissement de 286 milliards de
dollars jusqu’à la fin 2014. Tout en
apportant sa touche personnelle à la
C
gestion gouvernementale, Abdelmalek
Sellal a décidé de s’inscrire dans la
continuité de ses prédécesseurs qui
ont mis en œuvre les deux premiers
volets de la stratégie économique présidentielle.
w Bonne gourvernance
Ses grands axes restent la remise à
niveau des infrastructures publiques
dévastées durant la « décennie rouge »
du terrorisme, la promotion des investissements agricoles et industriels pour
conforter l’économie de production –
en s’appuyant en priorité sur le secteur
privé national et la petite et moyenne
entreprise algérienne –, la création
d’emplois, la promotion de l’habitat
social, la lutte contre la corruption, la
moralisation de la vie publique, l’élargissement du dialogue social à toutes
les organisations représentatives et la
« bonne gouvernance ». Le gouvernement a ainsi décidé de renforcer les
moyens d’action de la Cellule de traitement du renseignement financier
(CTRF) pour lui permettre d’accroître
son efficacité opérationnelle et de
« L’ALGÉRIE N’AURA PAS D’AVENIR ÉCONOMIQUE
SANS LE DÉVELOPPEMENT DES PME. » ABDELMALEK SELLAL
Novembre 2012 l Afrique Asie
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APS
37
Ci-dessus : le premier ministre Abdelmalek Sellal devant les députés. Parmi ses priorités, l’accélération du programme
de construction de plus d’un million de logements avant 2014. À gauche : chantier à Constantine.
La Fonction publique en pointe
L
a Fonction publique devrait ouvrir plus de 52 000 nouveaux postes en
2013, portant ainsi ses effectifs à près de 2 millions d’agents. Près de
80 % de ces postes profiteront aux départements de l’Intérieur et des
Collectivités locales, à la Santé, l’Enseignement supérieur, l’Éducation nationale et les Finances. Allant à contre-courant des adeptes de l’austérité budgétaire – notamment par une réduction drastique des subventions publiques
aux produits de consommation populaire –, le ministre des Finances, Karim
Djoudi, s’est prononcé contre tout « programme de rigueur », mais pour une
« gestion encore plus prudente » des finances publiques. « Au niveau des
dépenses, nous ne toucherons pas aux salaires, aux transferts sociaux et au
soutien des prix des matières premières », a-t-il annoncé, tout en maintenant
la « cadence de l’investissement public », principal moteur de la croissance.
Les dépenses de fonctionnement seront ainsi réduites de 589,5 milliards de
dinars (DA) en 2013, soit un recul de 12 %. Les subventions de fonctionnement baisseront pour leur part de 17 %, tandis que le soutien à l’emploi, qui
concerne près de 1,7 million de personnes profitant des différents dispositifs,
s’élèvera à 217,5 milliards de DA. « L’important est de trouver le point
d’équilibre d’une politique prudente en matière budgétaire et la nécessité de
préserver la croissance économique et l’emploi. » n
Novembre 2012 l Afrique Asie
mieux lutter contre le blanchiment
d’argent. S’agissant de la rationalisation de la dépense publique, il étendra
le contrôle préalable à l’ensemble des
budgets des communes et des établissements de santé ; au chapitre recettes,
il veut lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.
Le point faible des gouvernements
précédents ayant été la communication, le nouveau premier ministre s’est
engagé à « conduire une politique de
communication efficace permettant
d’assurer la mise en place et la consolidation de canaux d’échanges permanents entre les pouvoirs publics et les
citoyens sur tous les thèmes d’intérêt
national ». Il a promis, dans cet esprit,
de réhabiliter les services publics qui
ont connu une nette dégradation ces
dernières années, d’améliorer le cadre
de vie des citoyens dans les villes et
les campagnes, de lutter contre le gaspillage des deniers publics et de veiller
à une gestion rigoureuse de la Â
36-39-AlgerGouvernement_MaqAA3ColsC10 26/10/12 18:19 Page38
38
Algérie
Défis d’avenir
dépense publique. Des études d’évaluation des grands projets réalisés ou
en cours de réalisation seront menées
afin de déterminer les sources de surcoûts éventuels et de les prévenir. Il
s’agira aussi d’en évaluer l’impact réel
sur la vie locale et régionale en dehors
des effets d’annonce.
w Encourager l’investissement
Abdelmalek Sellal s’est montré
décidé à prendre à bras-le-corps le
problème du logement qui reste, avec
l’emploi, l’une des principales préoccupations des Algériens. Outre l’accélération du programme de construction
de plus d’un million de logements
avant 2014, qui a connu du retard en
raison, notamment, de la faiblesse des
et des bénéfices, ainsi que les produits
de cession du capital. Le gouvernement veut néanmoins alléger les procédures d’investissement en faveur des
investissements directs étrangers
(IDE). « Dans le cadre de la législation en vigueur, les IDE seront encouragés et les procédures y afférentes
allégées », a promis Abdelmalek Sellal. Il agira notamment d’améliorer les
conditions d’attractivité du territoire et
intéresser les IDE « participant au
transfert de technologies, à l’exploitation des ressources naturelles du pays
et à la création d’emplois au profit de
la main-d’œuvre locale ». Il veillera
également « à réunir les meilleures
conditions pour la négociation et la
conclusion de partenariats avec les
Un ordinateur par famille
L
e gouvernement Abdelmalek Sellal a décidé de relancer le projet
Ousratic d’un ordinateur bon marché par famille. Le projet avait pris
du retard, sans atteindre ses objectifs initiaux. Sa remise en selle
concernera dans un premier temps 500 000 bénéficiaires par an, dans le cadre
d’une opération baptisée « Alphabétisation numérique », destinée à se généraliser. Le gouvernement table sur 3 millions d’abonnés au haut débit à l’horizon 2014. Il a fait du lancement de la téléphonie mobile de troisième génération (3G) une priorité et veut améliorer la qualité des services dans le
secteur des postes et télécommunications. n
moyens nationaux de réalisation et
d’entraves bureaucratiques, il a
annoncé le lancement de 150 000 logements en location-vente afin de
répondre à une demande importante
restée sans réponse. « Nous donnerons
un nouveau souffle au logement locatif
pour satisfaire la demande de beaucoup de citoyens restée sans suite », at-il dit en s’engageant à mettre un
terme à la pression sociale autour du
logement. Concernant l’emploi, il a
confirmé l’objectif national de création de trois millions de postes
entre 2010 et 2014, à travers la promotion d’une « économie génératrice de
richesses », a-t-il souligné.
Le gouvernement Sellal a confirmé
le maintien de la règle dite des 51-49
(pour cent) régissant l’investissement
étranger en Algérie, malgré les vives
pressions de certains milieux patronaux et de partenaires étrangers pour
l’abroger, ou, à tout le moins, supprimer les dispositions régissant les
conditions de transfert des dividendes
opérateurs de qualité en vue de moderniser l’outil de production ».
L’institution en 2009 de la règle des
51 %-49 % exige de tout investisseur
étranger de s’associer à un partenaire
algérien majoritaire public ou privé –
en gardant éventuellement le management de l’entreprise – marquait la
volonté de l’État de mettre un coup de
frein à « l’économie de bazar » en
train de s’installer durablement au profit d’une économie de production. Il
s’est donné comme objectif ambitieux
de remettre à niveau les grandes entreprises stratégiques du domaine public
et d’atteindre en 2025 le nombre de
deux millions de petites et moyennes
entreprises (PME) en activité, afin de
réindustrialiser le pays et de densifier
son tissu industriel de sous-traitance,
notamment. Les importations, qui ont
atteint 50 milliards de dollars par an –
« un chiffre qui fait froid dans le
dos », selon un patron de PME,
M. Bensaci –, pourront ainsi être
réduites. Il reviendra aux entreprises
algériennes de capter une part de la
demande nationale, notamment dans
les services où les bureaux d’études
algériens peinent à se placer sur le
marché, alors que les bureaux d’études
étrangers se font un argent fou. « L’Algérie n’aura pas d’avenir économique
sans le développement des PME », a
tranché Abdelmalek Sellal, qui s’engage aussi à « ne ménager aucun
effort pour inciter le capital privé
national à s’engager davantage dans
l’investissement productif ».
L’Algérie, qui vient de reporter à
2020 au lieu de 2017 la date d’entrée
en vigueur de la zone de libre-échange
avec l’Union européenne, prévue dans
le cadre de l’accord d’association la
liant à la zone euro, compte poursuivre
les négociations en cours en vue d’adhérer à l’Organisation mondiale du
commerce (OMC). Mais les exigences
de cette dernière sont jugées encore
exorbitantes pour un pays à revenu
intermédiaire, estime Alger. Le pays
participera fin 2012 au 11 e round de
négociation de l’OMC, en affichant sa
volonté de lutter contre les pratiques
déloyales à l’importation.
Le chef du gouvernement a par
ailleurs confirmé l’option en faveur de
l’exploitation du gaz non conventionnel (gaz de schiste), dont la découverte
et l’exploitation aux États-Unis commencent à peser sérieusement sur le
marché international du gaz. Cette
activité, qui exige d’importants
moyens technologiques et financiers,
sera entourée du maximum de garanties pour préserver l’environnement,
notamment la nappe souterraine. Plusieurs pays se sont engagés dans cette
recherche. L’Algérie ne pouvait pas
prendre du retard dans ce domaine
sans grever ses capacités productives
dans un domaine essentiel à son développement à moyen et long terme. Un
projet de loi est en cours d’examen
pour encourager l’investissement
étranger dans ce domaine.
UNE DETTE EXTÉRIEURE RAMENÉE À 4,4 MILLIARDS DE DOLLARS,
CONTRE 32 MILLIARDS AU MILIEU DES ANNÉES 1990.
Novembre 2012 l Afrique Asie
36-39-AlgerGouvernement_MaqAA3ColsC10 26/10/12 18:19 Page39
mis en exergue la bonne santé financière de l’Algérie, qui a bien géré ses
rentrées pétrolières pour se procurer
une sécurité financière dans cette
période trouble de crise mondiale. Les
réserves de change sont ainsi passées
de 11,9 milliards de dollars en 2000 à
193,7 milliards de dollars fin septembre 2012, contre 186,32 milliards
de dollars à fin juin 2012 et 162,2 milliards de dollars à fin 2010, pour une
dette extérieure ramenée à 4,4 milliards de dollars, contre 32 milliards
de dollars au milieu des années 1990.
APS
APS
39
Le gouvernement veut intéresser les investissements directs étrangers participant
au transfert de technologie et à la création d’emplois au profit de la main d’œuvre locale.
Le texte devrait aussi, par des
mesures fiscales incitatives, renforcer
l’investissement et intensifier l’effort
d’exploration des hydrocarbures
conventionnels afin d’augmenter
l’offre nationale en énergie et accroître
les réserves. « L’objectif est d’assurer
la sécurité énergétique à long terme
et de maintenir un niveau d’exportation compatible avec les besoins
nationaux en matière de développement économique et social », a indi-
qué Abdelmalek Sellal. Il a annoncé
la construction de cinq nouvelles raffineries à Biskra, Tiaret, Ghardaïa,
Hassi-Messaoud et dans une ville du
centre – cette dernière devant abriter
un port en eaux profondes. En outre,
deux nouvelles usines de liquéfaction
de gaz naturel ainsi que des unités
d’ammoniac et d’engrais doivent
entrer en production en 2013.
Concernant le bilan des dix dernières années, le premier ministre a
Novembre 2012 l Afrique Asie
Ces performances s’entendent en
tenant compte de l’énorme effort d’investissement frôlant les 600 milliards
de dollars durant les quinze dernières
années. Le PIB a pour sa part été multiplié par quatre, passant de 4 milliards
de dinars en 2000 à 16 milliards de
dinars en 2012. Le chômage a reculé à
9 % contre 29,5 % en 2000. Le chômage des jeunes, en particulier des
diplômés de l’enseignement supérieur,
reste, lui, préoccupant. n
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40
Algérie
Défis d’avenir
Renouveau Un vent de changement souffle sur l’Algérie depuis que le président Bouteflika
a lancé un train de réformes politiques qui devrait aboutir, avant la fin de l’année, à une
architecture institutionnelle rénovée.
Faire, refaire, sans défaire
epuis le début de l’indépendance il y a cinquante ans, l’Algérie a accumulé, dans des
contextes différents, une expérience
politique sans égal dans les mondes
africain et arabe. Cette expérience,
d’une richesse incomparable, qui a fait
mûrir son peuple et a aguerri ses élites,
l’a préservée de l’effet domino qu’on
lui prédisait dans le tumulte des « printemps arabes », sans en faire pour autant
un cas insulaire insensible à l’effervescence qui l’entoure. En 1988, déjà, un
mouvement populaire sans précédent
dans les pays du Sud a permis aux
jeunes Algériens de desserrer la
contrainte en mettant un terme au règne
du parti unique et en ouvrant le champ
politique au pluralisme.
D
w Unité dans la diversité
Le processus de transition enclenché
alors a failli être interrompu par la
« décennie noire » du terrorisme. Sous
les coups de boutoir des groupes armés
islamistes engagés dans une guerre
implacable contre les civils, les institutions et l’infrastructure économique du
pays, l’État a sans doute vacillé, mais il
n’a pas rompu. Soutenu par les forces
démocratiques, il a préservé l’essentiel
des acquis de 1988, poursuivi les
réformes sans relâche, quoiqu’à des
rythmes irréguliers, et une fois le terrorisme vaincu militairement et politiquement, relancé la machine réformatrice.
Les principales avancées ont été
initiées par le chef de l’État en exercice,
Abdelaziz Bouteflika, dès son accession
au pouvoir en 1999 à partir de plusieurs
postulats de base. Le premier est que la
société algérienne est diverse et que
cette diversité appelle des modes d’expression variés qui s’enrichissent
mutuellement de leurs différences, dans
le respect de l’unité nationale. La
langue berbère, marginalisée tout au
long des premières décennies de l’indépendance, fut ainsi reconnue langue
nationale et gravée dans le marbre de la
Constitution comme élément constitutif
de l’identité algérienne aux côtés de
l’arabe et de l’islam. Des moyens conséquents ont été mis à la disposition des
associations concernées pour sortir ce
patrimoine du folklore et de l’oralité
dans lesquels il était confiné sous la
colonisation, tout comme l’arabe
d’ailleurs.
Le deuxième postulat est que l’Algérie est un pays jeune, dont les moins de
30 ans forment l’essentiel de la population. Nés après l’indépendance, ils aspirent à prendre le relais des pionniers de
la guerre de libération, dans un contexte
international qui connaît les bouleversements de la mondialisation. Le président
leur a signifié en avril dernier, dans le
discours historique de Sétif, à la veille
des élections législatives, que les aînés,
après avoir longtemps porté le fardeau,
sont prêts à le laisser aux cadets. Usant
d’une expression imagée très populaire,
il a leur annoncé que la génération de la
résistance a accompli son devoir et
qu’elle a fait son temps : « Tab djnanou. » La jeune génération est d’autant
plus impatiente qu’elle est formée, cultivée, et qu’elle s’est nourrie à la fois de
l’expérience nationale et de celle de tant
de pays du Sud qu’elle a vu émerger de
leur sous-développement. L’Algérie, qui
dispose de richesses appréciables – dont
les hydrocarbures – est capable d’en
faire autant et de se hisser au premier
rang de ces nouvelles nations, qui commencent à disputer leur hégémonie – au
moins leur monopole – aux vieilles
nations.
Certains rêvent d’un « Brésil méditerranéen » – comme leurs aînés rêvaient
d’atteindre en quelques années le niveau
de l’Espagne, du Portugal ou de la Grèce.
Ils l’auraient sans doute atteint, n’étaient
les errements des années 1980-2000,
marquées notamment par une désindustrialisation massive, des désordres dans
l’agriculture et la prédominance des
importations. Ils ont brisé l’élan imprimé
au développement dans les années 19701980 avec la nationalisation des hydrocarbures et la mise sur pied d’une industrie structurante selon le mot d’ordre :
« semer le pétrole pour récolter de l’industrie », très en vogue durant cette
décennie. S’ils n’ont pas vécu cette
période héroïque de la construction de
l’économie, ou n’en ont pas gardé le souvenir, beaucoup de jeunes ressentent
aujourd’hui la nécessité de constituer ou
reconstituer une base industrielle pour
préparer l’après-pétrole.
Autre postulat : après avoir participé à
la lutte de libération, les Algériennes
doivent avoir leur place – toute leur
place – dans l’édification du pays. Plus
de 60 % des diplômés des universités
algériennes sont des femmes. Elles figurent dans toutes les sections à égalité –
sinon en meilleure position – que les
hommes : sciences sociales, sciences
exactes, sciences médicales, sciences
juridiques, langues et littérature. Beaucoup ont choisi le métier des armes :
l’armée compte deux femmes générales,
d’autres se sont engagées dans la police
et la gendarmerie. Pas moins de 144
femmes siègent depuis mai dernier au
Parlement, le plus fort contingent de
députées dans les mondes africain et
arabe. En novembre prochain, un autre
contingent de femmes doit rejoindre les
assemblées régionales et locales.
En 2005, le président Abdelaziz Bouteflika a apporté plusieurs modifica- Â
L’ALGÉRIE EST UN PAYS JEUNE, DONT
LES MOINS DE 30 ANS FORMENT L’ESSENTIEL DE LA POPULATION.
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Séance de vote au Parlement : 144 femmes y ont fait leur entrée par la grande porte.
Elles représentent le plus fort contingent de députées dans les mondes africain et arabe.
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Algérie
Défis d’avenir
tions majeures au code de la famille qui
les enserrait dans un statut archaïque de
mineure à vie. Ces amendements portaient sur le régime matrimonial en particulier, qui a été modifié au profit de
l’épouse et de la mère, ainsi que dans
l’intérêt des enfants. Certes, les organisations féminines revendiquent d’autres
évolutions auxquelles le pouvoir n’est
pas indifférent – bien au contraire –,
mais il n’en reste pas moins que les
amendements de 2005 ont initié une
« révolution douce » qui commence à
produire ses effets. Les débats sociétaux
les plus audacieux, qui se multiplient
dans la presse et au sein des associations
de la société civile, indiquent que bien
des tabous ont été dépassés et que les
lignes ont bougé. Au grand dam des
conservateurs quelque peu dépassés et
condamnés à l’arrière-garde.
w L’Algérien maître de son destin
Sur le plan politique, même si les clichés vis-à-vis de l’Algérie, dans les
médias occidentaux en particulier, ont
la vie dure, la situation est bien loin
d’être figée. Après les émeutes de 1988,
les partis et la presse ont été les principaux bénéficiaires de l’ouverture démocratique. Une quinzaine de partis seniors
– parmi plus de soixante reconnus – animent le paysage politique, certains aux
côtés du pouvoir, d’autres dans l’opposition. La plupart ont participé aux élections nationales, régionales et locales
qui ont eu lieu sans interruption depuis,
en dépit de l’insurrection armée islamiste. De nouveaux leaders ont tracé
leur chemin dans la nouvelle arène et
d’autres – souvent trop attachés au
passé – ont sombré dans la mêlée. Majorité et opposition ont fait leur apprentissage de la vie parlementaire. Malgré
certains débordements de la rue, les
assemblées élues restent le centre de la
vie démocratique.
La presse a connu son « printemps »
très tôt. Elle s’est rapidement libérée de
la tutelle politique du parti unique et de
la censure officielle en accédant à l’indépendance. L’exercice ne s’est pas
avéré simple pour tous : faiblesse des
moyens financiers et des structures, gestion défectueuse, défaut de professionnalisme dans certains cas et absence de
journalistes spécialisés dans d’autres,
rétention de l’information, etc. Un
ensemble d’obstacles que tous les journalistes de par le monde ont dû sauter
pour asseoir leur crédibilité et élargir
leur audience.
Celles de la dizaine de journaux du
haut du panier – parmi une cinquantaine – sont très grandes. Leurs rentrées
sont confortables. Ils couvrent un éventail très large de lecteurs arabophones
et francophones. Très critiques pour la
plupart, ils ont aussi ouvert des débats
contradictoires dans les divers domaines
de la vie politique, économique et culturelle. Aucune autorité n’échappe à la
causticité de certains de leurs rédacteurs, qui ne reconnaissent aucun pouvoir sacré. Pas un seul visiteur étranger
qui n’ait été surpris par le foisonnement
d e c e t t e p r es s e , s a l i b e r t é d e t o n à
l’égard des pouvoirs et sa pugnacité à
traquer la corruption (tchipa, en dialectal algérien), les passe-droits (le piston)
et sa promptitude à mettre le doigt là où
cela fait mal.
La dernière entrave à la liberté de la
presse a été levée par le président Abdelaziz Bouteflika, qui a abrogé le délit de
presse. Il reste sans aucun doute de nombreuses mesures à prendre pour conforter l’indépendance de cette presse, qui a
acquis sa maturité au fil des ans, et plus
particulièrement pour améliorer le sort
de ses journalistes. Dominée pendant
longtemps par les hommes – les pionnières étaient rares il y a cinquante
ans –, la presse s’est féminisée à la
vitesse de l’éclair ces dernières années.
De nombreuses femmes s’y sont fait un
nom comme chroniqueuses, éditorialistes ou reporters. Elles sont aussi directrices et rédactrices en chef dans un
monde ou le machisme est désormais
moins prégnant qu’ailleurs.
Ce rapide tableau souligne assez clairement que le pays est depuis longtemps
en « mouvement ». C’est sur ce socle
que le chef de l’État a voulu construire
un palier de réformes supplémentaires
destinées à parfaire l’architecture institutionnelle. Avec une philosophie : faire,
refaire, sans défaire. Quel rythme imprimer au changement ? Ignorant le tumulte
des « printemps arabes » et les soupçons
d’immobilisme, il a tenu à rester maître
du processus, de son rythme et du temps,
afin d’épargner à l’Algérie des mesures
précipitées, dont elle a eu à éprouver
dans le passé le caractère ravageur et
sans lendemain.
Il reviendra à la nouvelle Assemblée
nationale élue en avril dernier, rajeunie
et féminisée, de débattre d’un projet présidentiel faisant la synthèse des idées
émises par d’innombrables acteurs politiques à l’occasion d’une consultation
menée le président du Sénat, Abdelkader
Ben Salah, assisté de deux représentants
du chef de l’État. Ces changements institutionnels doivent précéder le premier
scrutin présidentiel post-« printemps
arabe » programmé en avril 2014. Ce
sera un moment clé de la transition
démocratique. Le détail des amendements qui seront proposés à la Constitution en vigueur n’est pas connu. Il
semble cependant que l’on s’oriente vers
la confirmation du régime présidentiel
fort établi depuis l’indépendance, avec
cependant des pouvoirs plus étendus qui
seront consentis au Parlement et des
ajustements à réaliser dans les prérogatives respectives de ses deux Chambres.
Dans un entretien à Ech-Chourouk en
mai dernier, l’ancien président de l’Assemblée nationale Abdelaziz Ziari,
actuel du ministre de la Santé, a émis la
crainte qu’un régime parlementaire
n’ouvre la voie, « pour les trente ou
quarante années à venir, à un régime
tribal, régionaliste » et affirmé qu’il
n’est « pas normal qu’une assemblée
désignée [le Sénat, élu au suffrage indirect] puisse bloquer une loi adoptée par
une assemblée élue [au suffrage universel] ». Il a souligné par ailleurs qu’il fallait « reconstruire les institutions et renforcer leurs rôles, car […] il est temps
que l’Algérien se gouverne lui-même,
loin de tout paternalisme ou tutelle et
jouisse de son droit à la citoyenneté ». Il
a plaidé pour une « concurrence » accrue
entre partis politiques pour donner plus
de vigueur à l’opposition.
Pour sa part, le secrétaire général du
Front de libération nationale (FLN –
majoritaire), Abdelaziz Belkhadem,
parle de « profonde refonte » de la
Constitution. La démarche choisie serait
de « changer l’Algérie sans la casser » –
comme le préconise l’écrivain Tarik
Ghezali –, car « si l’Algérie ne peut pas
continuer comme avant, elle ne veut
pour autant faire table rase de l’existant ». Des forces politiques nouvelles
sont prêtes à s’engager dans la réalisation de ce changement. n
AUCUNE AUTORITÉ N’ÉCHAPPE À LA CAUSTICITÉ
DES JOURNALISTES, QUI NE RECONNAISSENT AUCUN POUVOIR SACRÉ.
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AFP
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Une Algérie disposant de richesses appréciables, qui a su ignorer les tumultes
des faux printemps arabes et qui se tourne désormais vers l’avenir, à son propre rythme.
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Algérie
Défis d’avenir
APS
44
Travaux L’Algérie poursuit à marche forcée la remise à niveau et le développement de ses
infrastructures routières, ferroviaires, portuaires, aériennes, hydrauliques et urbaines. Ces
grands chantiers sont en passe de transformer le quotidien de ses habitants dans tous les
domaines.
Investissements d’avenir
es grands chantiers des infrastructures ouverts il y a douze
ans sont achevés ou en voie
d’achèvement. D’autres suivront. Il ne
s’agit pas seulement de rattrapage et de
remise à niveau d’ouvrages existants,
vieillis et parfois obsolètes, mais aussi
d’extension ou de création d’ouvrages
qui doivent accompagner la relance
économique et le développement.
Des sommes colossales ont été
consacrées à ces travaux souvent d’aspect pharaonique, qui ont nécessité
L
une mobilisation maximale des énergies nationales (bureaux d’étude,
entreprises, cadres, salariés) et la mise
sur pied de partenariats étendus avec
de grands groupes internationaux chinois, japonais, espagnols, français,
allemands, etc.
w Réalisations emblématiques
En même temps qu’elle s’acquittait
par anticipation de ses lourdes dettes
extérieures – boulet hérité de la période
précédente –, Alger a mis à profit
Novembre 2012 l Afrique Asie
l’embellie pétrolière depuis le début
des années 2000 pour s’y engager et
mettre ainsi un terme au désinvestissement qui affectait le secteur depuis
plus de vingt ans.
Les deux réalisations les plus emblématiques qui marquent ce renouveau
des infrastructures sont sans conteste,
aux yeux de la population, l’ouverture
du métro d’Alger et la construction de
l’autoroute Est-Ouest reliant désormais la frontière marocaine à la frontière tunisienne.
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APS
45
À g., le barrage de Béni Haroun, le plus grand complexe hydraulique du pays. Les grands travaux ont le plus
souvent nécessité une mobilisation de nombreux acteurs et des partenariats avec des groupes internationaux.
Projeté depuis la fin des années
1980, le métro d’Alger a connu bien
des déboires avant que les premières
rames n’emportent les centaines de
milliers d’Algérois qui s’y pressent
tous les jours. Les retards dans le programme ne furent pas tous le fait des
autorités, loin de là. Le creusement
des tunnels était déjà avancé lorsque
l’Algérie entra dans la décennie rouge
du terrorisme, rendant aléatoire la
poursuite des travaux souterrains dans
un climat d’insécurité grandissant. Il y
allait de la vie des travailleurs. Dès
que les groupes armés furent éliminés
de la capitale et de ses environs immédiats, les travaux ont pu être relancés.
La remise en chantier fut laborieuse.
Les montages financiers et techniques
mis au point dans les années 1980
étaient à refaire, le choix des partenaires à réviser. Mais le premier coup
de pioche de la reprise donné, les travaux progressèrent rapidement.
La première ligne, longue de dix
kilomètres, serpente depuis un an
entre la Grande Poste – au centre
d’Alger – et le quartier périphérique
de Haï el-Badr, dans des conditions
très satisfaisantes selon les passagers.
Ils sont notamment ravis que la sécurité y soit maximale. Équipé d’un système d’automatismes identique à celui
en fonction sur la ligne 14 à Paris
notamment, il est équipé de quatorze
rames de six voitures chacune, roulant
à 70 km/h avec une fréquence de trois
minutes aux heures de pointe et de
cinq minutes en heures creuses. Sa
capacité est de 25 000 voyageurs à
l’heure. Il est, avec celui du Caire, le
seul métro souterrain du continent
africain. Une première extension de la
seule ligne actuellement en service
vers la banlieue populaire et industrielle d’El-Harrach est en bonne voie.
Deux autres extensions doivent suivre
et les études ont été lancées pour porter le réseau du métro algérois à 40
kilomètres dans les années 2020. Il
fera alors sa jonction, au sud de la
capitale, avec le tramway – un métro à
ciel ouvert – dont plus de seize kilomètres sont en service à l’est d’Alger.
Un nouveau tronçon à l’étude pour
le prolonger jusqu’à Bir Mourad Raïs,
à l’entrée du ravin dit de la femme
sauvage. Il pourra transporter entre
150 000 et 185 000 voyageurs par jour,
dans des conditions de confort (climatisation, larges baies vitrées donnant
sur la ville) sans équivalent dans
d’autres moyens de transport public Â
LE MÉTRO D’ALGER EST, AVEC CELUI DU CAIRE,
LE SEUL MÉTRO SOUTERRAIN DU CONTINENT AFRICAIN.
Novembre 2012 l Afrique Asie
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Algérie
Défis d’avenir
existants. Le réseau métro-tramway,
lorsqu’il sera achevé dans quelques
années, devrait grandement faciliter
les déplacements entre la capitale et sa
banlieue et désengorger Alger. Théâtre
depuis des années d’embouteillages
monstres, la ville est devenue difficilement accessible aux heures de pointe.
Un autre métro doit desservir Oran –
la capitale de l’Ouest algérien –, qui
recevra aussi entre-temps son tramway, selon le même schéma de desserte qu’Alger. À terme, ce sont dixsept tramways qui sillonneront les
principales villes d’un pays comptant
une trentaine d’agglomérations de plus
de 100 000 habitants.
Un autre moyen de transport urbain
connaît par ailleurs un regain d’intérêt
auprès de la population et des autorités : le téléphérique. Des télécabines
sont en service à Alger et Constantine.
Sept autres systèmes sont en projet
pour l’ensemble du pays là où le relief
l’impose.
Relatée à plusieurs reprises dans la
presse nationale et internationale,
l’épopée de l’autoroute Est-Ouest tire
désormais à sa fin. Le tapis d’asphalte
comporte deux fois trois voies. Gagné
sur la rocaille dans des conditions qui
n’avaient rien d’une sinécure, il s’étire
pratiquement sans interruption entre
Tlemcen, à la frontière marocaine, et
El-Tarf, à la frontière tunisienne,
réduisant de plus de moitié la durée de
déplacement entre les grands centres
urbains desservis. Ce mégaprojet est
l’un des plus grands chantiers de travaux publics d’Afrique et de la Méditerranée. Il a nécessité la création de
près de 600 ouvrages d’art, 500 ponts,
70 viaducs et une quinzaine de tunnels, pour un coût avoisinant 11 milliards de dollars. Il s’intègre dans le
cadre global du schéma directeur
d’aménagement du territoire et de
développement durable, afin de désenclaver ses régions les plus reculées et
d’améliorer l’attractivité du territoire
aux yeux des investisseurs étrangers et
nationaux. L’autoroute Est-Ouest, qui
s’étendra sur 1 720 kilomètres, est en
effet la colonne vertébrale d’un réseau
autoroutier et routier pour lequel l’État
a dégagé des investissements sans
équivalent depuis l’indépendance.
Une autoroute des hauts plateaux
sur 1 300 kilomètres, pour un coût
estimé à 8 milliards de dollars, a été
lancée dans le cadre du programme
quinquennal en cours de réalisation
(2010-2014). Elle se déploie plus au
sud, sur un couloir est-ouest, de la
frontière tunisienne à la frontière
marocaine, pour desservir une quinzaine de départements. Elle est appelée à devenir l’axe névralgique d’un
trafic sans cesse croissant. Diverses
liaisons sont prévues pour assurer sa
jonction avec les ports de la côte
méditerranéenne. Sept dessertes autoroutières d’un linéaire global de 515
kilomètres, reliant les ports d’Oran,
Mostaganem, Tenès, Skikda et certains chefs-lieux de département
(Laghouat, Djelfa, Tizi Ouzou, Tipaza)
à l’autoroute Est-Ouest, sont par
ailleurs prévues pour compléter ce
réseau de transport.
w L’hydraulique maîtrisée
Le ministère des Travaux vient par
ailleurs de dévoiler un plan routier de
désengorgement de plusieurs localités
de la périphérie de la capitale, consistant à dédoubler les liaisons actuelles
vers le sud des Anassers et sur la route
Chéraga-El-Biar. Il s’agit de répondre
aux besoins urgents actuels et d’anticiper ceux du futur qui seront induits par
la construction de villes nouvelles sur
ces axes menacés de rapide saturation.
La route transsaharienne, dite de
l’Unité africaine, édifiée sur une distance de plus de 1 000 kilomètres dans
les années 1970, a été complétée par
une autoroute vers le nord du pays.
Avec ses ramifications diverses, elle
relie le territoire algérien à plusieurs
pays limitrophes : Tunisie, Mali,
Niger, Mali, Tchad, Nigeria. Elle
répond à une vision stratégique de
création d’une vaste zone d’échanges
régionale afin de dynamiser l’économie saharienne et d’améliorer les
conditions de vie de sa population.
S’agissant des ports, les équipements
actuels sont devenus notoirement insuffisants. On le constate quotidiennement
en observant le port d’Alger encombré
de navires en attente d’être déchargés –
ce qui coûte cher au pays en termes de
surestaries payables en devises fortes.
Plusieurs projets d’aménagement et
d’agrandissement sont en cours dans
les ports d’Oran et de Djen Djen – sur
la côte algéroise – pour réorienter une
partie du trafic de celui de la capitale.
La construction d’un nouveau port en
eaux profondes est par ailleurs à l’étude
dans la région Centre, en plus du lancement des projets d’une dizaine de pôles
multimodaux pour fluidifier un trafic
de marchandises de plus en plus dense
et concentré sur un nombre réduit de
places.
Les grands chantiers se sont étendus
à l’hydraulique, domaine où les retards
se sont accumulés depuis l’indépendance. En 2014, à la fin du programme
quinquennal 2010-2014, l’Algérie
comptera quelque 80 barrages avec
une capacité globale de stockage de
9 milliards de mètres cubes, contre 44
en 1999, avec une capacité totale de
remplissage de 3,3 milliards de mètres
cubes. Soixante-cinq barrages sont
déjà en exploitation sur le territoire,
avec une capacité de remplissage de
7,5 milliards de mètres cubes, dont 21
ont été construits dans le cadre des
deux premiers plans de relance initiés
par le président Abdelaziz Bouteflika.
Treize autres sont inscrits dans le programme quinquennal 2010-2014. Certains projets ont atteint un taux de réalisation très avancé.
Ces ouvrages hydrauliques fournissent l’essentiel des ressources
hydriques disponibles du pays. Les
diverses réalisations ont permis à l’Algérie de se placer parmi les pays ayant
atteint les Objectifs du Millénaire pour
le développement (OMD) de l’Onu
dans ce domaine. La stratégie des
autorités a été de miser sur l’augmentation de la capacité de stockage des
barrages en exploitation pour sécuriser
l’approvisionnement en eau potable de
villes de plus en plus nombreuses et
peuplées et d’étendre la superficie des
périmètres irrigués pour l’agriculture.
La plupart des agglomérations
urbaines, où la pénurie d’eau potable
était chronique, sont désormais desservies vingt-quatre heures sur vingtquatre, en dépit d’un réseau d’adduction vétuste, source de gaspillage.
Parmi les grands ouvrages, il faut
citer le barrage de Béni Haroun, le
plus grand complexe hydraulique en
Algérie, dans la wilaya de Mila, qui
affiche une capacité de plus de
L’AUTOROUTE EST-OUEST A NÉCESSITÉ LA CRÉATION DE 600 OUVRAGES
D’ART, 500 PONTS, 70 VIADUCS ET UNE QUINZAINE DE TUNNELS.
Novembre 2012 l Afrique Asie
Gamma
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47
960 millions de mètres cubes. Depuis
sa mise en service en 2005, il alimente
en eau potable la plupart des grands
centres urbains de l’Est algérien et
assure l’irrigation de plusieurs milliers
d’hectares de terres agricoles dans la
région. Le barrage de Koudiat Acer-
Parmi les opérations hydrauliques
les plus spectaculaires réalisées ces
dernières années, sous la supervision
de l’actuel premier ministre Abdelmalek Sellal, qui détenait le portefeuille
des Ressources hydrauliques dans le
gouvernement précédent, figure le
développement du grand Sud dans un
le cadre de la politique nationale
d’aménagement du territoire. Tamanrasset, porte du Sahel, secoué par des
attaques terroristes, connaît déjà une
forte expansion urbaine. L’implantation d’autres agglomérations dans ces
Le port d’Alger que surplombe la mythique Casbah étant souvent surchargé, des projets
d’aménagement sont en cours sur la côte algéroise pour réorienter une partie du trafic.
doune (Bouira), une retenue de
640 millions de mètres cubes, assure
l’irrigation de la plaine de la MitidjaEst et de la plaine du Moyen-Isser et
fournit de l’eau potable aux départements de Bouira, Médéa, Boumerdès,
Alger et Tizi-Ouzou. Le barrage de
Djorf Torba, qui irrigue l’immense
plaine d’Abadla (5 400 hectares), est
aussi un bassin d’aquaculture, dont la
production est très précieuse pour la
région.
transfert d’eau potable de In Salah à
Tamanrasset, sur une distance de plus
de près de 800 kilomètres, dans des
conditions climatiques et géographiques extrêmes. Le projet comptait
parmi les choix stratégiques pour le
zones autrefois désertées est une
garantie supplémentaire de sécurité
contre le terrorisme et ses relais
mafieux, pour l’ensemble d’une région
dont le potentiel touristique est considérable. n
LA VILLE DE TAMANRASSET AUX PORTES DU SAHEL
CONNAÎT UNE EXPANSION REMARQUABLE.
Novembre 2012 l Afrique Asie
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