SPECIAL MODE ET PARFUM

Transcription

SPECIAL MODE ET PARFUM
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ST YLE
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CREA
TIVE
N° 6 V
OL. 2
— DÉ
CEM
SPEC
ZINE
INDU
STRY
L 14709 - 4 - F: 5,00 € - RD
France 5 € |
Esp/It/Port/Bel/
Lux 6,90 € |
Suisse 12 CHF |
Maroc 65 MAD |
Canada 8,25 CAD|
De 9 € | UK 6£ |
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ÉDITO
Durant une période économique difficile, on peut
accabler le luxe de tous les maux : superficialité, élitisme,
ostentation… Mais un attribut est intrinsèque au luxe et
le distingue, la qualité. Ce qui le fait échapper de facto
à cette maladie contemporaine de l’obsolescence [durée
de vie volontairement limitée des objets manufacturés].
Malgré la vague de la fast fashion, la durée ne s’effacera
pas de l’ADN luxueux. Faisons un rêve : si les fabricants de
machine à laver, d’ordinateur, de voiture, etc. s’ingéniaient
à concevoir des objets qui duraient une génération…
Je sais, « la vie est un rêve, et les rêves sont des rêves »,
disait Calderon.
Angelo Cirimele
MAGAZINE NO 6
3
SOMMAIRE
P.10 — Brèves
P.70 — Portfolio
24 HOURS MODEL
Photographie : Olivier Amsellem
P.14 — Magazines
BAKU / GARAGE / ZOO / JUKE / PORT
P.82 — Portfolio
2E ANNÉE COUPE ET STYLISME
Photographie : Charles Fréger
P.24 — Shopping
© Olivier Roller
QUE FAIRE AVEC 2066 EUROS ?
Portfolio : Romain Bernardie James
Stylisme : Clémence Cahu
TEXTES
TEXTES
P.96 — Contre
LES COMMISSIONS
Par Stéphanie Moisdon
P.36 — Interview
ÉLISABETH DE FEYDEAU
par Cédric Saint André Perrin
P.98 — Moodboard
TRENCH COAT
Par Florence Tétier
P.40 — Images
AMATEUR
Par Céline Mallet
P.102 — Art Contemporain
LIONEL BOVIER
Par Emmanuelle Lequeux
P.42 — Biographie
PACO RABANNE
Par Marlène Van de Casteele
P.106 — Design
POSTMODERNISME
Par Pierre Doze
P.46 — Lexique
MANNEQUIN
Par Anja Aronowsky Cronberg
P.108 — Retrovision
BIZARRE
Par Pierre Ponant
P.48 — Rencontre
TAORMINA AVEC UN GRAND A
Par Mathias Ohrel
PORTFOLIO
P.50 — Chronique
NORMALISSIME
Par Stéphane Wargnier
P.112 — Portfolio
CAIRO
Photographie : Clément Pascal
P.52 — Off record mode
“MOOD BOARD”
Par Angelo Cirimele
P.122 — Abonnement
P.123 — Agenda
MODE
P.125 — Jeu
P.56 — Portfolio
CHEZ TANTE ODETTE
Photographie : Emanuele Fontanesi
Stylisme : Anna Schiffel
14-16 fév. 2012 / printemps été 13 / Premier Salon Mondial des Tissus d’Habillement
Parc d’Expositions Paris-Nord Villepinte France / T. 33[0]4 72 60 65 00 / [email protected]
www.premierevision.com
MAGAZINE NO 6
5
CONTRIBUTEURS
CLÉMENT PASCAL
ANNA SCHIFFEL
CÉDRIC SAINT ANDRÉ PERRIN
CHARLES FRÉGER
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Je shoote sans arrêt, le plus possible.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Je prépare un fanzine et j’essaye de monter un
collectif/agence de photographes avec des amis.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Corduroy.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Du stylisme !
Le projet qui vous tient à cœur ?
Le sauvetage de l’euro.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
i-D, Time, The Economist, Tar, Vogue Italia ; et j’attends avec
impatience le nouveau Man About Town.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
J’ai toujours plusieurs casseroles sur le feu.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Mon bel amour.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Voici, avant de prendre le train. Grosse déception ; j’avais
souvenir de piques mordantes, d’un ton trash bien années
90, qui souvent me manque… Là, j’ai trouvé ça gnangnan.
Ce ton d’ironie complice, ces poses cool, scolaires, propres
aux féminins d’aujourd’hui : quel ennui !
.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Je travaille sur mon livre Wilder Mann.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Continuer.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Dazed & Confused.
CÉLINE MALLET
OLIVIER AMSELLEM
ROMAIN BERNARDIE-JAMES
STÉPHANIE MOISDON
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Découvrir ma fille et réaménager mes perspectives.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Lire tous les romans de Fitzgerald..
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
J’ai cru acheter Les Inrocks et je me suis retrouvée avec un
hors série Patti Smith.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Vivre à Paris.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Faire déplacer le centre de Paris dans le 16e.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Fantastic Man.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Rien à voir avec la photo, qui reste surtout un hobby :
je prépare actuellement un salon homme qui s’appellera
MAN et aura lieu à Paris et New York en janvier.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Une expo qui rassemblera des portraits réalisés au Congo
et de nouvelles natures mortes. Elle aura lieu cet été à
La Pinata, un espace galerie à Los Angeles.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Le calendrier des pompiers ce matin, et hier une vieille
édition de 032c sur eBay. Celui avec le shooting controversé
de Juergen Teller dans la maison de Carlo Mollino.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Élaborer un programme innovant pour le master arts
visuels que je dirige à l’ECAL, concevoir l’exposition au
Consortium « The World As Will and Wallpaper », adaptée
de La Carte et le Territoire de Michel Houellebecq.
Le projet qui vous tient à cœur ?
« La décennie, une histoire des années 90 », avec une
scénographie de Dominique Gonzalez-Foerster, en 2013 au
Centre Pompidou-Metz.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Kaleidoscope, Fall 2011.
PHOTOGRAPHE
STYLISTE
PROFESSEUR DESIGN & MODE
PHOTOGRAPHE
MAGAZINE NO 6
6
PHOTOGRAPHE
JOURNALISTE LIFESTYLE
PHOTOGRAPHE
CURATOR ET CRITIQUE
MAGAZINE NO 6
7
STYLE, MEDIA & CREATIVE INDUSTRY
MAGAZINE
N°6 - VOL. 2 - DÉCEMBRE, JANVIER, FÉVRIER 2012
Rédacteur en chef
Angelo Cirimele
—
Directeur artistique at large
Yorgo Tloupas
Soutien-gorge : Fifi Chachnil
Pantalon : Sonia Rykiel
Cardigan : Kenzo vintage par vintage clothing
Ceinture : collection personnelle
—
Retouches
Janvier
—
Imprimeur
SIO
94120 Fontenay-sous-Bois
—
Conseil distribution et diffusion shop
KD Presse
Éric Namont
14 rue des Messageries
75010 Paris
T 01 42 46 02 20
kdpresse.com
—
Distributeur France
MLP
—
Issn n° 1633 – 5821
CPAPP : 0413 K 90779
—
Directeur de publication
Angelo Cirimele
—
Éditeur
ACP - Angelo Cirimele
32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris
T 06 16 399 242
—
magazinemagazine.fr
[email protected]
—
Design
Charlie Janiaut
—
Photographes
Olivier Amsellem, Romain Bernardie James,
Emanuele Fontanesi, Charles Fréger, Charlie Janiaut
et Juliette “thejudge” Villard (magazines), Clément Pascal
—
Stylistes
Anna Schiffel, Clémence Cahu (accessoires)
—
Contributeurs
Anja Cronberg, Pierre Doze, Emmanuelle Lequeux,
Céline Mallet, Mathias Ohrel, Pierre Ponant, Cédric Saint
André Perrin, Florence Tétier, Marlène Van de Casteele,
Stéphane Wargnier.
—
Illustratrice
Florence Tétier.
—
Remerciements
Odette et René, Marie Rucki, Jean Vedreine et l’équipe du
Mansart, Monsieur X
—
Traduction
Kate van den Boogert, Thibaut Mosneron Dupin
—
Secrétaire de rédaction
Anaïs Chourin
—
Publicité
ACP
32, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 06 16 399 242
[email protected]
—
Couverture
Photographie : Emanuele Fontanesi
Stylisme : Anna Schiffel
Mannequin : Lida Fox chez Next
Coiffure : Vincent de Moro chez Aurélien
Maquillage : Yacine Diallo chez Artlist
© Magazine et les auteurs, tous droits de reproduction réservés.
Magazine n’est pas responsable des textes, photos et illustrations
publiées, qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.
MAGAZINE NO 6
8
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BRÈVES
Après les collaborations
avec des stylistes, c’est
vers des designers que
La Redoute se tourne,
puisqu’une première
collection de mobilier et
d’objets a été commandée
à Sam Baron. Rendezvous dans le catalogue
printemps-été 2012.
After collaborations
with fashion designers,
La Redoute now turns
towards designers, as a
first collection of furniture
and objects has been
commissioned from
Sam Baron. Check out
heir Spring-Summer
2012 catalogue.
La galerie 12Mail va
changer de visage en
septembre pour accueillir
un studio de musique,
avec une table de mixage
d’époque.
The gallery 12Mail will
be revamped in September
to include a music studio,
with a vintage mixing desk.
Jean-Jacques Picart
prépare un cahier de notes
et de souvenirs : À la vie, à
The magazine Encens
has launched its blog
(encensmagazine.com/blog),
where the history of
fashion battles it out with
fashion news.
la mode sera comme une
série de petites histoires
de la mode, à travers le
regard de 30 professionnels.
Parution début 2012.
Jean-Jacques Picart is
preparing a book of notes
and memories: À la vie, à la
mode (To Life, to Fashion)
will be a series of little
fashion anecdotes, through
the eyes of 30 professionals.
Out early 2012.
Les Arts déco préparent
une exposition intitulée
« Graphisme et French
Touch » pour octobre.
The Decorative Arts
Museum is preparing for
October 2012 an exhibition
called “Graphic Design and
the French Touch”.
Le prix du meilleur
plagiat de presse de la
rentrée a été attribué à
The Good Life (groupe
Express-Roularta), pour sa
longue et minutieuse étude
du magazine Monocle.
The prize for the best
press plagiary goes to
The Good Life (Express-
Nouvelle formule de
Télérama annoncée pour
mars, avec changements
cosmétiques à la clé.
A new format for
Télérama has been
announced for March, with
cosmetic changes thrown in.
Après sa nouvelle
formule, le magazine
Encens a lancé son blog
(encensmagazine.com/blog),
où l’histoire de la mode le
dispute à son actualité.
MAGAZINE NO 6
10
Roularta), for its long
and detailed study of the
magazine Monocle.
Pour fêter ses 10 ans
de maison, Alber Elbaz
prépare un livre en forme
de gâteau : 700 pages
qui reprendront toutes
les étapes d’une collection
Lanvin. Parution en
février chez Steidl et
lancement festif pendant
les shows.
To celebrate the
maison’s tenth birthday,
Alber Elbaz is preparing
a book shaped like a cake:
700 pages that will go back
over all the stages of a
Lanvin collection. Out in
February by Steidl, and
with a fun launch during
the shows.
Malgré (à cause de ?)
l’indignation ambiante, la
maison Yves Saint Laurent
n’a pas publié de Manifesto
cette saison.
Despite (because of?)
the prevailing indignation,
Yves Saint Laurent
did not publish Manifesto
this season.
Belleville n’attire
pas seulement les galeries,
ArchiLib, une nouvelle
librairie d’l’architecture,
vient d’y ouvrir ses portes
(49 bd de la Villette, 10e),
adossée à Bookstorming.
After Anne Pontégnie,
it’s Paul Ardenne’s turn
to be artistic director for
the 2012 edition of the
Printemps de Septembre
festival.
dans la ligne de mire de la
marque suédoise. L’équipe
de designers est constituée,
et fin 2012 paraît une date
raisonnable pour les débuts.
Levi’s inaugurera
son flagship sur les
Champs-Élysées au premier
semestre 2012.
Levi’s will inaugurate
its flagship on the ChampsÉlysées during first
semester 2012.
Belleville is not only
attracting galleries, ArchiLib,
a new bookshop dedicated
to architecture, has just
opened its doors (49 Bd de
la Villette, 10th), next door
to Bookstorming.
Après Anne Pontégnie,
c’est Paul Ardenne qui
sera le prochain directeur
artistique de l’édition 2012
du Printemps de Septembre.
After the success of
COS, H&M’s prestige line,
accessories (bags and shoes)
are in the Swedish brand’s
firing line. A design team
has been designated, and
late 2012 seems a reasonable
date for the launch.
Après la mode, le design
et les voyages, l’Officiel
prépare une déclinaison art
pour le printemps. Olivier
Reneau en sera le rédacteur
en chef, et Jérôme Sans le
directeur de création.
After fashion, design
and travel, L’Officiel is
preparing an art version
for the spring. Olivier
Reneau will be Editor in
Chief, and Jérôme Sans,
Creative Director.
Le format magazine
semble exciter la presse
quotidienne, après M,
le magazine du Monde,
Libération prépare une
« offre de week-end » et
on parle d’un magazine
réunissant Laurent Joffrin
(Nouvel Obs) et Olivier
Wicker (ex-Libération).
(ex-Next ?)
The magazine format
seems to excite the dailies,
Après le succès de COS,
la ligne chic de H&M, c’est
au tour des accessoires
(sacs et chaussures) d’être
MAGAZINE NO 6
11
after M, the Le Monde
supplement, Libération is
preparing a new “weekend
offer”; there’s talk of a
magazine bringing together
Laurent Joffrin (Nouvel
Obs) and Olivier Wicker
(ex-Libération). (Exit Next?)
Dans la poursuite de
Logorama, H5 prépare une
exposition polymorphe à
la Gaîté Lyrique, mettant
en jeu une marque et ses
déclinaisons. Le projet, plus
politique que ludique, a
pour nom de code Hello,
l’exposition est prévue pour
fin 2012.
Following on from
Logorama, H5 is preparing
a polymorphous exhibition
at the Gaîté Lyrique,
exploring a brand and its
variations. The project, more
political than playful, has
the code name Hello, and
the exhibition is planned
for late 2012.
Un crédit erroné figurait
dans le précédent numéro,
c’était une robe Acne et non
Carven. C’est dit.
An incorrect legend
appeared in Magazine n° 4:
the dress was by Acne,
not Carven.
Pour ses 75 ans,
Orangina réédite quelques
illustrations d’époque,
notamment de Bertrand
Villemot, sur une série
limitée de bouteilles.
For its 75th birthday,
Orangina reissues some
vintage illustrations,
notably by Bertrand
Villemot, for a limitededition series of bottles.
The multiplication
of Vélibs in Paris hasn’t
changed a thing; car
culture seems as present
as ever. Garagisme is a
new magazine that should
launch in January 2012.
And its participative
economic model could
gain a following. Info on
garagisme.com/
Red Bull a publié
le premier numéro un
consumer magazine gratuit
baptisé Red Bulletin (c’était
peut-être ma contrainte
de mettre la marque dans
le titre), dont les sujets
alternent les champs du
sport, de la culture et de
la société.
Red Bull published
the first issue of a free
consumer magazine
called Red Bulletin (it was
perhaps an obligation
to put the name in the
title), whose subjects rotate
between sport, culture
and society.
Le 7 février, Karl
Lagerfeld sera le rédacteur
en chef invité de… Métro.
Le quotidien gratuit signe
pour l’occasion son intérêt
pour les fashion weeks,
qu’il va couvrir désormais.
The 7 February, Karl
Lagerfeld will be guest
Editor in Chief of… Métro.
The free daily demonstrates
its interest for Fashion
Week, which it will
henceforth cover.
Au chapitre mode et
cinéma font bon ménage,
John Malkovich lance
une ligne de vêtements
masculins, sous la marque
Technobohemian, visible
La multiplication
des Vélib dans Paris n’y
fait rien, la car culture
semble toujours présente.
Garagisme est un nouveau
magazine qui devrait voir
le jour en janvier 2012.
Son modèle économique
participatif pourrait
faire école. garagisme.com/
dans un concept store
éphémère parisien du
5 au 24 décembre (14 rue
d’Uzès, 2e)
In the saga “fashion and
film make a good match”,
John Malkovich launches a
menswear collection, under
the brand Technobohemian,
on view in a pop-up
concept store in Paris from
5-24 December (14 rue
d’Uzès, 2nd).
On parle d’un concept
store de luxe qui devrait
ouvrir place du marché
Saint-Honoré (Paris 1er), à
deux pas de Colette. Baptisé
N15, il pourrait ouvrir au
premier semestre 2012.
There’s talk of a luxury
concept store that is meant
to open on the Place du
Marché Saint-Honoré (1st),
two steps from Colette.
Called N15, it could open
in the first semester 2012.
Fable, un nouveau
magazine articulé autour
du récit et de la mode
devrait voir le jour en avril.
Il sera dirigé par un trio
féminin : Inès Fendri à la
mode, Alice Litscher à la
DA et Alice Pfeiffer à la
rédaction.
MAGAZINE NO 6
12
Fable, a new magazine
structured around narrative
and fashion, should see
the day in April. It will be
directed by a female trio:
Inès Fendri on fashion,
Alice Litscher for the art
direction, and Alice Pfeiffer
on editorial.
Probablement boostée
par le marché émergeant
qu’est la Russie, le joailler
Fabergé revient à Londres
après 96 ans d’absence,
avec une boutique à
Mayfair, pendant qu’une
autre est annoncée en 2012
à New York.
Probably boosted by
the emerging market that
Russia has become, the
jeweller Fabergé returns
to London after a 96-year
absence, with a store in
Mayfair, and with another
announced for New York
in 2012.
La marque de jeans
J.Brand a demandé au
styliste anglais Christopher
Kane de dessiner une
collection pour 2012, qui
sera disponible sur le site
de la marque ainsi que sur
net-a-porter.
The jeans brand J.Brand
has asked the English
designer Christopher
Kane to create a collection
for 2012, which will be
available on the brand’s
website, as well as via
net-a-porter.
puisqu’on annonce que
Naomi Campbell devient
editor at large des versions
allemandes et russes
d’Interview magazine.
Enfin une bonne raison
d’apprendre le russe !
Helena Christensen
was perhaps a pioneer
when she got involved
with Nylon magazine in
1999, since the word’s out
that Naomi Campbell is to
become Editor at Large of
the German and Russian
version of Interview
magazine. At last, a good
reason to learn Russian!
Luxe et mass market
continuent leurs appels
du pied : alors que Versace
conçoit une ligne pour
H&M (en attendant la
deuxième), la chanteuse
Rihanna signe une ligne
de jeans pour Armani.
Luxury and mass
market continue to make
covert advances to each
other: as Versace creates a
line for H&M (while waiting
for the second one), the
signer Rihanna prepares a
jeans collection for Armani.
Chloé fêtera ses 60
ans en 2012, ce devrait être
l’occasion d’une exposition
et d’un livre sur la marque.
Chloé will celebrate its
60th birthday in 2012, the
occasion for an exhibition
and a book about the brand.
Helena Christensen était
peut-être un précurseur
quand elle s’est engagée en
1999 dans Nylon magazine,
Le Labo de la
Bibliothèque nationale de
France a créé un comptoir
MAGAZINE NO 6
13
de la presse numérique,
où 200 titres régionaux
peuvent être consultés sur
tablette numérique. Ça
donne des idées ?
The National Library’s
experimental space Le Labo
has created a digital
press counter, where 200
regional titles can be
consulted on a digital
notepad. That’s inspiring!
Bien que cédé par
Lagardère, le magazine Elle
continue son expansion en
annonçant sa 44e édition,
qui sera australienne.
Although sold by
Lagardère, Elle magazine
continues to expand,
announcing a 44th edition,
which will be Australian.
MAGAZINES
BAKU
Angleterre, trimestriel, 144 p., no 1, 230 x 300 mm, 10 €
[email protected]
Même si on n’en fait jamais étalage, on crée un magazine pour saisir un hic et nunc
– un ici et maintenant. Alors, forcément, un titre en forme de nom de ville, c’est tentant, car que savons-nous de l’Azerbaïdjan ? Ou de Bakou ? Trop peu pour ne pas
regarder de plus près. La baseline nous éclaire assez vite : « art, culture et Azerbaïdjan
vus par Condé Nast ». Le plus frappant, après avoir regardé de près ces 144 pages, est
qu’on ne peut raisonnablement pas dater le contenu de Baku. Entre images surannées, mélange de clichés nostalgiques d’une ex-république soviétique et modernisme
interchangeable (Zaha Hadid), le magazine nous livre un non-lieu et un non-temps
– bravo ! À côté de cet « existant », Baku dévoile ce qu’il voudrait exporter et voir ces
prochaines années dans la capitale : les dix galeries qui montent repérées à Frieze Art
Fair, Tom Ford et même Gérard Depardieu… La ficelle est un peu épaisse et quand les
maladresses du premier numéro d’un magazine indépendant sont touchantes, celles
d’un groupe de presse sont confondantes de calcul et de courtes vues. Reste, si on veut
apprendre quelque chose de l’Azerbaïdjan, à attendre un Brownbook consacré non pas
au Moyen-Orient mais à l’Est. On peut rêver.
EXTRAIT
WHITE NOISE
– by moving too fast. The canvases and sculptures, most of them abstract,
really do tell the tale of the birth of a nation.
Even the atmosphere speaks of something cutting-edge, especially as
you settle in at one of the tables and the bohemian and always buzzing Art Café – over a pomegranate juice, a double espresso or something
stronger – to discuss the work you have just been gazing at.
The history of art in Azerbaijan is a long and intriguing one the stretches
from exquisite Islamic miniatures, by artists such as Bakhrus Kenderli, to
searing contemporary photography by the likes of Rena Effendi, via painting and such notable 20th century artists as Baku-born Tahir Salakhov,
the latter of whom is the vice-president of the Russian Academy of Arts,
had individual exhibitions in London in 2009 – the same year, as it happened, that the Museum of Modern Art (also known as MiM) opened.
Indeed Azerbaijan’s artistic tradition dates back as far as the Mesolithic
era, if one takes the fabled rock drawings of Gobustan as its genesis.
About 64km south of Baku, between the foothills of the Caucasus and the
Caspian Sea, the limestone ravines of this UNESCO World Heritage Site
were carved with detailed animals – bulls, deer, camels, reptiles, insects –
along with human figures up to a metre high.
[…] Claire Wrathall p. 44
Enter the Museum of Modern Art in Baku and you could be forgiven for
pausing to wonder just where you’d stumbled into, for it has the air of
a hothouse in ways that go well beyond the ambient temperature. First,
there’s the abundant light, thanks to expansive walls of glass. Then there
is the prevalence of plant life, clumps of sub-tropical greenery and small
copses of kentia palms, the only real accents of colour until one catches
sight of the art; the walls, floors and exposed metalwork have all been
painted white so as not to compete with, much less detract from, the work
the exhibit. But horticultural connotations aside, it’s also a hothouse in
the sense that it’s a place that cultivates and nurtures talent – a gallery
where the seeds of the future, a cavernous quasi-industrial space with a
towering, sculptural, irregularly angled white meal staircase at its heart
and lattice of lighting gantries cross-hatching its ceiling. Walking around
the two light, bright floors, with their angles and tricks of the eye, you feel
as if you are in a giant avant-garde pavilion rather than a bricks-andmortar building. The concentration of art (more than 800 works overall)
is such that it’s easy to miss a key of history – current, recent or Soviet
EDITOR IN CHIEF :
Leila Aliyeva
EDITORIAL DIRECTOR
CONDE NAST :
Darius Sanai
ART DIRECTOR :
Daren Ellis
FASHION DIRECTOR:
Mary Fellowes
PUBLISHER:
Conde Nast
MAGAZINE NO 6
14
MAGAZINES
GARAGE
Angleterre, semestriel, 272 p., no 1, 260 x 340 mm, 18 €
garagemag.com
On a l’impression d’avoir déjà vu toutes les mises en scène et toutes les combinaisons
du duo art et mode, couple de raison plus que de passion. Mais puisque c’est dans
la limitation que consiste la maîtrise (Goethe), c’est encore ce corps à corps art-mode
qui nous offre les réjouissances de la saison. Le magazine Garage, donc, du nom de
ce centre d’art moscovite dirigé par Dasha Zhukova, elle-même ex-editor du magazine
Pop ces trois dernières années, qui signèrent sa renaissance créative. L’idée de Garage,
c’est de mettre la mode dans les mains de l’art, plus précisément, de demander à des
artistes de mettre un peu de mode dans leurs formes, ou de leur forme dans la mode.
Résultat, des robes végétales : Prada en rondelles de citron, McQueen en feuilles de laitue, Vuitton en noix ou Moncler en anchois. Plus loin, les Frères Chapman fabriquent
une maison de poupée pour servir de série mode, et des artistes comme Hirst, Pettibon
ou Baldessari sont invités à imaginer un tatouage, dont un verra la réalisation. Œuvre
unique, invendable, intime… on joue subtilement des identifiants et des frontières
d’une œuvre – mais, lecteur, ne réduisez pas ça au Tatoué de Denys de la Patellière
(1968) avec Jean Gabin et son Modigliani dans le dos, merci. Garage ne néglige pas des
incursions dans une approche plus classique de la mode, avec des séries de Sofia &
Mauro ou d’Angelo Pennetta, ou encore des sujets testant la durée de vie avant décomposition d’objets de luxe. La direction artistique est l’œuvre de Mike Meiré, dont la
typographie choisie intègre une alternance de grasses entre les lettres qui produit un
relief étonnant. Garage profite donc d’un réseau de relations dans l’art et la mode en
le mettant à contribution de manière créative, un peu comme une galerie le ferait. Et
c’est bien l’intérêt du magazine : fonctionner comme une extension 2D d’un autre lieu
(le centre d’art, en l’occurrence), ce que les magazines de style font encore le mieux.
EXTRAIT
SKIN
That year – 1946 – winter was a long time going. Although it was April,
a freezing wind blew through the streets of the city, and overhead the
snow clouds moved across the sky. The old man who was called Drioli
shuffled painfully along the sidewalk of the rue de Rivoli. He was cold
and miserable, huddled up like a hedgehog in a filthy black coat, only
his eyes and the top of his head visible above the turned-up collar. The
door of a café opened and the faint whiff of roasting chicken brought a
pain of yearning to the top of his stomach. He moved on glancing without any interest at the things in the shop windows – perfume, silk ties
and shirts, diamonds, porcelain, antique furniture, finely bound books.
Then a picture gallery. He had always liked pictures galleries. This one
had a single canvas on display in the window. He stopped to look at it.
He turned to go on. He checked, looked back; and now, suddenly, there
came to him a slight uneasiness, a movement of the memory, a distant
recollection of something, somewhere, he had seen before. He looked
again. It was landscape, a clump of trees leaning madly over to one
side as if blown by a tremendous wind, the sky swirling and twisting
all around. Attached to the frame there was a little plaque, and on this
it said: Chaim Soutine (1894-1943). Drioli stared at the picture, wondering vaguely what there was about it that seemed familiar. Crazy painting, he thought. Very strange and crazy – but like it… Chaim Soutine…
Soutine… “By God!” he cried suddenly. “My little Kalmuck, that’s who
it is! My little Kalmuck with a picture in the finest shop in Paris! Just
imagine that!” The old man pressed his face closer to the window. He
could remember the boy – yes, quite clearly he could remember him.
But when? The rest of it was not so easy to recollect. It was so long ago.
How long? Twenty – no, more like thirty years, wasn’t it? Wait a minute.
Yes it was the year before the war, the first war, 1913. That was it. And this
Soutine, this ugly little Kalmuck, a sullen brooding boy whom he had
liked – almost loved – for no reason at all that he could think of except
that he could paint. And how he could paint! It was coming back more
clearly now – the street, the line of the refuse cans along the length of it,
the rotten smell, the brown cats walking delicately over the refuse, and
then the women, moist fat women sitting on the doorsteps with their
feet upon the cobblestones of the street. Which street? Where was it the
boy had lived?
[…] Roald Dahl p. 96
EDITOR IN CHIEF :
Dasha Zhukova
MANAGING EDITOR :
Becky Poostchi
ART DIRECTION :
Mike Meiré
MAGAZINE NO 6
16
FASHION EDITOR :
Chloé Kerman
PUBLISHER :
Artistic cube inc.
MAGAZINES
ZOO
Pays-Bas, trimestriel, 226 p., no32, 230 x 300 mm, 8 €
zoomagazine.com
L’exercice obligé d’un magazine de style est de penser sa propre évolution : subreptice
ou radicale, superficielle ou profonde, en renouvelant l’équipe parfois. Tous les magazines ont un jour proposé une nouvelle formule ; ainsi Zoo, magazine néerlandais
lancé en 2003 et héritier de Dutch, paru pendant quelques années au tournant du
millénaire, présente une nouvelle robe cet automne. Pour marquer le changement,
un logo a été dessiné, ainsi qu’une typo de titre ; l’helvetica continuant de régner en
maître dans les pages intérieures. La structure du magazine n’a pas bougé : mises
en bouche créatives, interviews et séries mode. Ici, la nouvelle formule sert à rendre
visible le travail de fond (assez inchangé), en misant sur un effet de couverture mais
aussi sur un jeu de papiers presque plastifiés, révélant les contrastes et la profondeur
des images. L’équipe est restée aux commandes : Sandor Lubbe, mais aussi Diane
Pernet et un vieux compagnon de route, Matthias Vriens. Le style Zoo, mélange de
mélancolie et de froideur, opère toujours et rend les séries reconnaissables. C’est donc
reparti pour un tour !
EXTRAIT
BL33N THERE, DONE THAT
then encouraged him to take more. By the time they created BL33N, a
t-shirt line and web magazine, it seemed only natural for them to shoot
and collaborate on all fronts. Matthias and Donovan got married after
Barack Obama was elected US president. While gay was not legal at
the time, they believed it was their right anyway. The couple asked
Matt Tyrnauer, director of Valentino: The Last Emperor, to perform the
service. The wedding invitation read: ‘Donovan McGrath and Matthias
Vriens invite you to their illegal wedding.’ A year later, they tied the
knot legally in Provincetown, Massachusetts. Donovan and Matthias
took each other’s names to underline their bond. The two say they spend
every minute together, when they are in the same city. “Wee shoot, edit,
work, design, eat, fuck, and sleep together – and do a great job at all of
it while having a blast,” says Matthias. “That’s a pretty intense life like,
you cannot believe.” Both are drawn to the visual delights of the human
body. They like to think of nudity as a metaphor for freedom, something
we all have, though we might not all have access to.
[…] Diane Pernet p. 54
Matthias & Donovan Vriens-McGrath dare you to bare.
Between 1997 and 1999, Mathias Vriens was editor-in-chief of influential style publication Dutch, founded by Sandor Lubbe. That was when
I first became aware of his power to provoke. Vriens then went on to
become the worldwide creative director for Giorgio Armani and senior
art director at Gucci Group. His husband and collaborator is Donovan
Vriens-McGrath, an actor who has performed in theatres around New
York, including a stint on Broadway. The yoga enthusiast met Matthias
at yoga retreat in Mexico, and from then on, life took on a whole new
direction. “From the beginning, Matthias and I were inseparable. I really
didn’t know what he did or had accomplished professionally and was
just head over heels in love. Spending more time together and joining
Matthias on his shoots opened my eyes to a whole new world of creative
possibilities,” says Donovan. From then everything happened organically. Donovan started taking pictures, which impressed Matthias, who
EDITOR IN CHIEF :
Sandor Lubbe
CO-EDITOR IN CHIEF :
Diane Pernet
CREATIVE DIRECTOR :
José Klap
FASHION DIRECTOR:
Lotta Aspenberg
MAGAZINE NO 6
18
ZOOKEEPER:
Bryan Adams
PUBLISHER:
Melon Collie
MAGAZINES
JUKE
Angleterre, trimestriel, 172 p., no 3, 225 x 300 mm, 7,90 €
the-juke.com
C’est encore de Londres que nous parviennent de nouveaux titres dont l’énergie déborde des pages. Juke, donc, dont le 3e numéro est une déambulation entre musique et
mode, soirées déjantées et images intimes. Des angles croisés, où DJ et musiciens sont
interrogés sur leur musique mais aussi sur ce qu’ils portent, des séries mode spontanées et des triangles, partout des triangles, comme un fil rouge dans le magazine. Ils
masquent et dévoilent à la fois, mais nous obligent à chercher dans des images, sur
lesquelles notre regard aurait pu glisser. L’iconographie est parfois brute, violente,
mais a le mérite de montrer des images qu’on ne voit pas à longueur de pages dans
les magazines sages, qui construisent une réalité plus qu’ils ne s’intéressent à elle.
La chose étrange de Juke est ce sentiment qu’il n’y a pas de frontière entre ceux qui
font le magazine et ceux qui s’y trouvent représentés – comme dans un blog – ; on fait
naturellement référence au magazine dans les interviews (que pensez-vous de Juke ?)
et le lecteur ne se trouve plus face à quelque chose, mais comme étant un pôle parmi
d’autres. Une série de Wolgang Tilmans au milieu d’un univers plus street et hip hop,
un horoscope de l’espace (voir extrait) ; une belle énergie secoue Juke, dont l’équipe se
partage entre Angleterre et Scandinavie.
EXTRAIT
YOUR MONTH ACCORDING TO…
outskirts of a petty galaxy in a mostly empty,
desolate universe that doesn’t give a shit whether
you win lottery tomorrow, or get eaten by a tramp.
Gemini Love and truth collide unexpectedly on an idle Tuesday,
making a juicy emotional pancake. Whilst you are cleaning up
this mess, Jupiter whispers gently of travel and guns.
Now might be the time to steal food. If you’re single, a friendly
smile on the night bus leads to date. Which leads to hepatitis.
Cancer Put on your best funeral face, you’re going to a party.
And the love of your life awaits you there. But you must meet
When you wearing a dour expression for it to launch properly.
It is written in your stars the way. It’s all down to the first impression
on the first look. Now that Spring has arrived and the sun
has murdered the snow, it’s time for you to get laid. Hard.
[…] p. 162
These summery horoscopes were written
Under the influence of the suburban kids
With biblical names album, #3…
Aries No one knows about you, but everyone loves it.
Is it your new hair? Your new cardigan?
Your new toothpaste? That book you
finished recently that made you see through
new eyes? Or is it that squirrel you murdered
with a hammer?
Taurus The moon could turn friendship into love.
Or it could just be the moon: a sphere of magnesium,
iron, calcium and aluminium orbiting another
ball of rock in meaningless solar system on the
EDITOR :
Lucy Stehlik
ART DIRECTOR :
Yassa Khan
FASHION EDITOR :
Amy Leverton
MAGAZINE NO 6
20
PUBLISHER :
Daniel Ross
MAGAZINES
PORT
Angleterre, trimestriel, 208 p., no 3, 230 x 290 mm, 10,00 €
port-magazine.com
Port avance masqué. Le couple affiché cache un magazine masculin, une fois la couverture passée. Un rapide coup d’œil évoque un business magazine moderne, héritier
de Monocle, tant dans son format que sa maquette rangée et aérée. Il faut y revenir
posément pour constater que le projet est tout autre. Port convoque les rendez-vous
obligés des magazines pour y glisser des moments de vie, de temps suspendu, de fiction. Une anecdote, les à-côtés d’un film ou de l’écriture d’un livre, même les séries
mode sont une invitation à la fiction. Ce parti pris n’est pas une posture, puisque Dan
Crowe, l’editor et co-fondateur de Port, est le literary editor d’Another magazine et avait
commis il y a quelques années Zembla, magazine de style dédié à la littérature, déjà.
La préparation est donc différente, puisqu’elle fait un détour par les objets, la mode,
mais aussi les intérieurs. Quelques essais ou points de vue esquissent un cahier, et
Port se clôt sur quelques récits, raison d’être du titre : une fiction précède des notes de
tournage, un compte rendu de tribunal jouxte un voyage en Mongolie. C’est déjà le
numéro 3 d’un magazine qui semble avoir trouvé sa formule.
EXTRAIT
What image comes to mind when we hear the word “dandy”?
Is the modern dandy a cut above modernist like Tom Ford or Thom
Browne and all the hottest labels? Or is he none of the above and found
only in the depths of the country where men dress in strange mixtures
of tweeds, wool and waterproof to make a look not only unique but also
effortless? Does fashion itself define elegance as a look that appears so
effortless that we forget the hours spent by most people to achieve it?
I have a friend in the depths of Yorkshire who has never read a man’s
magazine in his life and avoids fashion shops like the plague, yet his
clothes are not only totally unique and more stylish than any expensive fashion shoot could ever be, but also truly family affair. Boots made
for his grandfather shortly after World War II; wife’s father’s sports coat
(torn in several places); cords on which pheasants have bled and dogs
have whelped, originally made for an uncle long dead – I could go on
but I do not need to. The point is made, I hope.
All this raises a question. Can style be manufactured or does it develop
in response not to fashion, but to dressing as a way of life? Is it a natural
element of masculinity or a contrived addition to the complex business
of being a man – or, rather, a very specific kind of man?
I am increasingly of the opinion that style is the manifestation of an
original and often transgressive mind, something that can never be
learned from the pages of magazine and a million miles away from the
copycat approach of “this season’s hottest trends”.
It is entertaining to read the clothes fetishism of Beau (Brummel, that
is); the Count D’Orsay (a flamboyant bisexual Frenchman who electrified London with his reputed affairs with both the society hostess Lady
Blessington and her husband in the early part of the nineteenth century); or Gabriele D’Annunzio, the turn-of-the-century Italian poet and
womaniser. All were perfectly dressed at all the times and for an adoring audience, which loved the, for their larger-than, lifestyle, although
they were largely unaware of the colossal egos that fed the minute selfinspection and of course, self-love needed to care so much..
[…] Colin McDowell p. 46
EDITOR :
Dan Crowe
CREATIVE DIRECTORS :
Kuchar Swara, Matt Willey
THE DANDY REISSUED
PUBLISHERS :
Dan Crowe, Kuchar Swara,
Matt Willey
MAGAZINE NO 6
22
FASHION DIRECTOR :
Davis St John-James
SHOPPING
QUE FAIRE
AVEC 2066 ?
Photographie : Romain Bernardie James
Stylisme : Clémence Cahu assistée de Emma Jeanmaire
EAU DE COLOGNE
MANCHETTE
CLOCHE
BOUGIE
BOUTEILLE D’EXTRAIT DE PARFUMS
CALENDRIER « RÈGLE DU TEMPS »
BOULE EIFFEL ENNEIGÉE
TROIS CHAISES BLEUES
74€
600€
45€
65€
90€
34€
12€
1146€
2066€
Vous êtes pour mélanger le domestique et le cosmétique, l’Eau
du Coq (74 € chez Guerlain) voisinera donc avec la verrerie
quand votre manchette en résine, métal et strass (600 € chez
Chanel) trônera, sous cloche (45 € en brocante), au milieu du
sel et poivre, loin de cette petite bouteille d’extrait de parfum
rare (90 € chez Le Labo Fragrances). Vous n’avez que trois amis,
mais vous les choyez avec cette chaise Thonet no 107 designée
par Robert Stadler (382 € sur thonet.de) et les faites rêver à Paris
enneigée, sous cloche encore (12 € chez Les Fées, 19 rue Charlot
Paris 3e). Mais le temps passe, vous répète votre règle du temps
(34 € à l’Atelier d’exercice), la lumière fuit et vous allumez une
bougie (65 € chez Margiela) pour conjurer l’augure.
MAGAZINE NO 6
24
MAGAZINE NO 6
25
Vous êtes donc ici comme chez vous… Votre blouson (800 €
chez Courrèges) posé sur le dos de la chaise, en train de
déguster quelques petits choux (2 € chez Popelini, 29 rue
Debelleyme Paris 3e), après quoi vous tremperez vos lèvres
dans un Pomerol 2007 (57 € chez Lavinia), avec modération et
délectation, non sans avoir choisi un verre Harcourt darkside
(300 € chez Baccarat). Vos lunettes (540 € chez Thom Browne),
négligemment posées dans votre desserte portative (20 € en
brocante), le cendrier de poche (29 € chez Margiela) toujours
à portée d’envie. Une bougie en spray (110 € chez Cire Trudon)
pour chasser une dernière trace de tabac. Vous lisez, certes,
mais pensez surtout à cet « air concert » privé (200 € sur airnadette.com) qu’Airnadette n’a (pas) joué pour vous.
VERRE
BLOUSON
5 PETITS CHOUX
AIRNADETTE CONCERT PRIVÉ
LUNETTES
BOUGIE SPRAY
CENDRIER DE POCHE
BOUTEILLE DE POMEROL 2007
MAIN ORANGE
300€
800€
10€
200€
540€
110€
29€
57€
20€
2 066€
Pas de temps à perdre, votre rendez-vous est déjà en route.
Vous optez pour le rouge Velvet de Chanel (30 € chez Séphora),
vous hésitez entre les bagues cœur, lune, étoile ou ancre (550 €
chez Fred), vous coordonnez vos gants en laine mouillée (650 €
chez Louis Vuitton) à votre chapeau, fixez votre broche (630 €
chez Chanel) à votre robe, mais dédaignez ce set de toilette
vintage (45 € en brocante). Déjà 14 heures ! On avalera deux
plats du jour (24 € au Mansart). Avec quelques amuse-gueule
dans cette soucoupe cube (38 € chez Astier de Villatte). Tiens,
le cuisinier a oublié son gant en métal (99 € chez Manulatex).
ROUGE À LÈVRES
SOUCOUPE CUBE
BROCHE
BAGUE
GANT CUISINE MÉTAL
SET TOILETTE VINTAGE
2 PLATS DU JOUR
GANTS
30€
38€
630€
550€
99€
45€
24€
650€
2066€
Et puis si, nous prendrons un dessert. Les clips couteau
et cuillère (9 € chez Merci) nous amuserons en attendant
le café. Vous aimez toujours les insectes, surtout s’ils sont
coulés dans la résine (5 € en brocante), mais depuis l’autre
jour, vous avez décidé de tout changer : la couleur des cheveux (36 € le pot chez Christian Robin), vos baskets (490 €
chez Chanel) et votre bague fétiche pour le modèle protège-moi (10 220 € chez Lorenz Bäumer). Heureusement que
vous jouez au PMU et que vous gagnez 8 694 € au triplé…
BAGUE
CLIP COUTEAU ET CUILLÈRE
RECTANGLE À INSECTES
SOINS
BASKET
TICKET PMU
10 220 €
9€
5€
36€
490€
– 8 694 €
2066€
MAGAZINE NO 6
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SAC À MAIN
BOUGIE
VERRE
KIT DE COUTURE
AGENDA
PHOTO ANONYME
MIROIR
C’est finalement au comptoir qu’on prendra le café. Et un
peu d’eau dans un verre recyclé (7 € chez Merci). Encore une
bougie ! (65 € chez Cire Trudon) Ce comptoir est une desserte !
De votre sac (835 € chez Margiela), vous avez extrait ce kit de
couture (44 € chez Rue Herold) et surtout votre agenda (600 €
chez Chanel) pour noter quelques idées, mais votre regard se
perd dans cette photographie anonyme (470 € à la librairie du
Royal Monceau). Allez, un coup d’œil dans le miroir (45 € chez
Eno Studio) et c’est parti !
835€
65€
7€
44€
600 €
470 €
45€
2066€
MAGAZINE NO 6
32
TEXTES
P.36 : INTERVIEW
ÉLISABETH DE FEYDEAU
P.40 : IMAGES
AMATEUR
P.42 : BIOGRAPHIE
PACO RABANNE
P.46 : LEXIQUE
MANNEQUIN
P.48 : RENCONTRE
TAORMINA AVEC UN GRAND A
P.50 : CHRONIQUE
NORMALISSIME
P.52 : OFF RECORD MODE
“MOOD BOARD”
Exposition organisée par le Jeu de Paume, Paris,
en collaboration avec The Estate of Diane Arbus llc.
MAGAZINE NO 6
35
INTERVIEW
ELISABETH
DE FEYDEAU
Docteur en histoire, Élisabeth de Feydeau enseigne à L’École des parfumeurs
de Versailles et collabore avec nombre de maisons de luxe. Auteur d’ouvrages
dédiés à sa passion des fragrances, elle vient de publier « Les parfums »1…
… à la fois histoire, anthologie et dictionnaire
des senteurs, dans la collection « Bouquins » de Robert
Laffont. Elle nous éclaire sur les grands courants de la
parfumerie contemporaine.
des huiles, élaborait-on des pots-pourris pour masquer la puanteur ; le parfum relevait du cache-misère.
Ajourd’hui, on évolue dans un monde terriblement
aseptisé, où tout ce qui pourrait déranger doit être masqué par une bonne odeur de propre, bien jeune, bien
vive. L’absence d’odeur angoisserait presque, comme si
les lieux n’étaient pas sécurisés… Ce sont d’ailleurs les
mêmes, parfumeurs, qui développent les senteurs pour
désodorisants, lessives ou parfums d’ambiance, et composent les jus des griffes de luxe. N’oublions pas que
les origines de la parfumerie remontent à l’industrie de
la savonnerie ! Un très grand parfumeur comme Ernest
Beaux, créateur du No5 pour Chanel, fit ses armes dans
une usine de savons. Les deux domaines interagissent
toujours, la parfumerie fonctionnelle se permettant
parfois des fantaisies que n’oserait pas d’emblée la parfumerie sélective. Par exemple, les notes fruitées furent
d’abord introduites dans les lessives avant d’entrer
dans la composition des parfums.
Qu’est-ce au juste que le parfum ?
Des odeurs, plutôt bonnes serait-on tenté
de répondre. Mais pas uniquement. Dans l’Égypte
ancienne, brûler de l’encens en offrande aux dieux
permettait de relier monde d’en haut et monde d’en
bas. C’était un vecteur. Longtemps le parfum eut – et
il conserve toujours – une aura religieuse. L’eau étant
soupçonnée au XIVe siècle d’ouvrir les pores de la peau
au risque d’attraper la peste, les substances aromatiques
se parèrent alors de vertus hygiénistes. Là encore, cela
reste dans l’inconscient… Le parfum est un bon baromètre pour scruter l’imaginaire des époques.
[…] Les grandes Maisons
développent donc une
parfumerie à double vitesse,
des jus qui rapportent et
d’autres destinés à
l’image. Car l’image, c’est
capital pour elles ; une
marque de luxe qui a perdu
son image a tout perdu.
Pourquoi se parfume-t-on ?
On se cherche à travers un parfum. On pourrait presque dire que l’on cherche à traduire son moi. Le
parfum revêt une dimension émotionnelle très forte :
c’est une forme de présence dans l’absence. Jusque dans
les années 50-60, une femme s’identifiait totalement à
sa fragrance. De très jolis textes de Colette ou Louise de
Vilmorin rendent compte de l’attention qu’une femme
doit porter au choix de son parfum. Un choix se devant
d’être en corrélation avec sa personnalité.
Ce qui est moins le cas depuis les années 80, où le
rapport aux senteurs est devenu, disons… plus frivole.
À partir du moment où l’on a considéré que
le parfum ne devait plus refléter ce que l’on était mais
la façon dont on vivait, un glissement s’est obligatoirement opéré. On est entré dans du lifestyle. Le parfum
représente toujours une quête, une façon de se définir plus comportementale. À l’instar de nos vêtements,
on adapte son parfum à ce que l’on fait. Vous n’allez
pas suinter Shalimar au sport, de même que vous
ne vous rendrez pas en jeans à une soirée. On glisse
d’une situation à une autre… ce qui nécessite de posséder plusieurs flacons. On se laisse alors tenter par la
nouveauté, on se projette sur le dernier profil présenté.
Cela est très notable chez les jeunes filles, qui ont un
Quand on pense parfum, on pense désormais surtout
sent-bon.
Oui, mais ces « parfumages » sont partout présents dans notre quotidien, les lessives, les parkings,
les boutiques… Nous avons de tout temps évolué
dans des univers embaumés. Autrefois pour désodoriser – aérer signifiait courir le risque de laisser les
épidémies pénétrer dans la maison, alors brûlait-on
MAGAZINE NO 6
36
[…] on a considéré que le parfum
ne devait plus refléter ce qu’on était
mais la façon dont on vivait […]
C’est très notable chez les jeunes
filles, qui ont un rapport très
léger au parfum ; c’est quasiment
du déodorant pour elles
rapport très léger au parfum, c’est quasiment du déodorant pour elles. Même si elles conservent toujours ce
fantasme d’avoir la révélation d’elles-mêmes à travers
une senteur.
par exemple le grand retour des Colognes. Les Colognes,
c’est sain, authentique, c’est frais. Mais il ne s’agit
pas non plus de « bien-être » – on trouve aujourd’hui
chez Dior des Colognes sophistiquées beaucoup plus
concentrées que les Colognes à l’ancienne… Pour ce qui
est des très jeunes filles, on assiste très clairement à un
retour au romantisme à travers des senteurs fleuries,
un peu fruitées, voire gourmandes. Des choses parfois
carrément vanillées… relevant de l’enfance.
Le choix d’un parfum passe souvent par des senteurs
qui rassurent, évocatrices de souvenirs. En parfumerie masculine, on parle souvent des eaux de toilette
comme de la blancheur des chemises : des odeurs de
propre, de lessive même.
L’odorat c’est l’instinct de survie, car une
odeur que vous ne connaissez pas, qui n’a aucun référent, vous inquiète. Il faut donc toujours emmener les
gens dans un univers connu pour les rassurer et cela
passe par des images. L’odeur est ainsi vécue non plus
comme un danger mais comme un réconfort.
Vous pensez à la composition de l’Eau de Parfum de
Chloé ?
Chloé remporte un grand succès auprès des
jeunes filles – c’est l’Anaïs Anaïs d’aujourd’hui –, mais
je pense aussi au nouveau Diesel, au Candy de Prada.
L’autre grande tendance actuelle, ce sont les grands
classiques adaptés pour les nouvelles générations. Une
jeune fille peut être fascinée par le mythe Shalimar,
mais la senteur trop marquée ne lui convient pas, d’où
le lancement de dérivés plus doux comme Shalimar
Initial, l’Eau Première de Chanel, Trésor In Love de
Lancôme. Les jeunes filles adoptent ces parfums
comme des sacs vintage, pour se donner un statut, avec
à l’esprit l’idée que leur parfum leur permet de pénétrer
dans le monde des grandes dames.
On parle de 500 lancements de parfum par an à travers le monde, dont très peu survivront. Pourquoi un
tel turn-over ?
Il y a deux générations de femmes, la précédente possédait un parfum, un sac et une paire de
chaussures, tous très élégants, qui lui duraient des
années. Aujourd’hui, on zappe. Tout n’est que technologie jetable, flot d’informations, course après le temps.
On ne regarde jamais un film en entier à la télévision,
on se désintéresse de tout très rapidement. Et pourtant,
quand on scrute le top 10 des ventes de parfum, ce sont
toujours les grands classiques qui caracolent en tête.
Ce qui prouve bien qu’à titre individuel, hommes et
femmes cherchent un parfum référent – une pantoufle,
une seconde peau. Quelque chose qui leur parle de
leur histoire. Même s’ils possèdent plusieurs parfums,
ils demeurent attachés à un seul.
Il est vrai que les grands lancements se raréfient, au
profit de nombreuses déclinaisons de grands succès en
versions light, extrême, voire sport pour ce qui est de
la parfumerie masculine.
Les Maisons capitalisent sur des légendes en leur
apportant une dose de modernité. L’odorat s’avère un sens
hyper évolutif. Le No5 de Chanel, chef-d’œuvre absolu des
années 20, est devenu trop lourd, trop alcoolisé, trop
rosé, voire trop impressionnant pour certaines femmes.
À travers l’Eau Première, Chanel ne s’est pas contenté
de reformuler une composition plus légère : le flacon,
qui se rapproche de celui d’une Cologne, a également
été revu pour une gestuelle moins précieuse. L’Eau
Première c’est un peu l’aquarelle du No5.
Quel type d’odeur séduit aujourd’hui ?
Difficile de nommer une tendance. Comme
pour la mode, de nombreuses directions cohabitent. Le
choix d’un parfum dépend de l’âge, du milieu socioprofessionnel, des goûts… Mais si l’on veut donner
l’orientation générale, disons que l’on va vers une sorte
de transparence ; des parfums possédant de la densité,
de la texture, de la tenue, sans être lourds. Les compositions sont enlevées. On ne veut plus de « flotte »
comme dans les années 90, ni davantage de senteurs
tapageuses façon années 80. Un entre-deux plutôt. C’est
On a également vu se développer ces derniers temps
beaucoup de parfums néo-classiques dotés de flacons
aux airs de déjà-vu. Des sortes de vintage neufs,
comme le Balenciaga, The One de Dolce & Gabanna ou
encore le nouveau Givenchy.
MAGAZINE NO 6
37
[…] Le vrai problème de la parfumerie
actuelle ce n’est pas son manque de
créativité […] mais que la distribution
impose ses règles. D’où ces jus
marketing sans saveur, destinés à des
rayonnages de libres-services
le plus grand nombre sont donc apparus des jus marketés sans grande créativité, d’une grande civilité, et
bien souvent sous influences… On est sans doute allé
trop loin dans la démocratisation ; d’où une certaine
perte de magie. Le parfum doit conserver sa part de
mystère, c’est un talisman ! Il s’agit d’une double peau,
le premier vêtement dont on se pare, c’est très riche
en symbolique… Plus que des concepts de produit, les
envies des créateurs parlent à l’inconscient. C’est ce qui
a fait la force de ces parfums dits de niche, ils ravivent
les passions.
Là encore, ces eaux ne sont pas destinées à des
« bourgeoises » mais à des jeunes femmes. La jeunesse
étant en quête de repères, ces produits les rassurent. On
notera également un aspect post-crise, beaucoup de ces
parfums ayant été lancés après 2008. Le phénomène est
récurrent. Après 1968, déjà, les parfums Cacharel avaient
remporté un vif succès avec leur côté rétro 1900 revu
baba cool. Le classicisme rassure, mais il valorise également, soulignant la dimension noble d’un parfum.
Pourquoi acheter un jus griffé plutôt qu’un déodorant ?
Pourquoi dépenser 80 euros quand on trouve des trucs
très bien beaucoup moins chers au Monoprix ?
Que recouvre au juste ce domaine ?
On parle de parfums de niche à propos de
fragrances produites dans les règles de l’art par des
marques indépendantes.
Le phénomène a pris son envol à l’aube des années 90
et ne cesse depuis de gagner du terrain.
Les pionniers furent des créateurs comme
Serge Lutens, Annick Goutal ou même Diptyque, suivis quelques années plus tard de Frédéric Malle ou
Tom Ford. Voyant l’ampleur prise par ce phénomène,
les grandes Maisons comme Chanel, Dior ou Hermès,
craignant de se faire doubler et que ce marché du
luxe ne leur échappe, se sont à leur tour lancées dans
des lignes de prestige. Créativité affirmée, qualité des
matières premières, distribution plus sélective, tout a
été revu pour revenir aux vraies valeurs du métier. Il
est certain qu’en termes de volumes, ce n’est pas avec
ses Exclusifs que Chanel risque de faire son chiffre
d’affaires. Les géants du luxe développent donc une
parfumerie à double vitesse, des jus qui rapportent
et d’autres destinés à l’image. Car l’image c’est capital
pour elles ; une marque de luxe qui a perdu son image
a tout perdu.
Il s’agit d’une politique globale de revalorisation d’une
industrie qui, n’ayant eu de cesse de se démocratiser
depuis les années 80, avait pour un peu perdu de sa
magie.
La position du parfum est ambiguë parce qu’il a
toujours représenté le premier pas vers le luxe. Jusqu’en
1860, cela demeurait l’apanage de l’aristocratie, mais
dès la fin du XIXe, une Maison comme Guerlain a dû son
développement économique à la bourgeoisie , qui pouvait acquérir ses eaux. Coty révolutionna véritablement
la donne en 1921. Souhaitant faire fortune pour entrer
en politique, il misa sur le potentiel de ce nouveau
marché que représentait la classe moyenne en lançant
un produit ressemblant à du luxe, sans en être – même
s’il s’agissait d’un jus de qualité. Il baptisa son parfum
Émeraude. Vous vous rendez compte, s’offrir une émeraude ! C’était énorme ! Coty avait tout compris…
On envisage souvent les marques de niche comme des
maisons de parfumeur, mais pas plus Serge Lutens
que Frédéric Malle, et encore moins Tom Ford, ne sont
des nez. Ces Maisons sont animées par des directeurs
artistiques.
Il est rare d’être à la fois un créatif et un technicien. Sans Coco Chanel, Ernest Beaux n’aurait jamais
créé le No5. Le parfum est une entité immatérielle qui
a besoin d’un support, c’est pour ça que les couturiersparfumeurs ont balayé tous les parfumeurs dans les
Le parfum demeure depuis un produit de diffusion.
Le parfum est fait de paradoxes. Il porte une
robe haute couture mais on le trouve dans n’importe
quelle parfumerie de quartier, dans les aéroports et les
chaînes de magasins en libre-service. Pour satisfaire
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années 20 – et plus encore dans les années 50. Parce
qu’ils ont réussi à donner une silhouette au parfum, à
mettre du visible sur de l’invisible. Personne n’a plus
la chance, ni le temps, d’entretenir une relation confidentielle avec son parfumeur à la façon de Monsieur
Fargeon allant s’enquérir chaque matin auprès de la
gouvernante de Marie-Antoinette de l’humeur de la
reine afin de lui concocter une senteur sur mesure.
Nous évoluons dans un monde d’images, notre relation au parfum se tisse donc à travers des univers dans
lesquels nous nous reconnaissons. Si vous adhérez à
un style très poétique, vous irez chez Annick Goutal ;
chez Serge Lutens dans un genre plus onirique…
parce que j’en ai besoin, mais je ne pourrais jamais
y acheter un parfum. Un Sephora, au moins, propose
un design, un vrai concept de self-service. C’est très
pratique : si on sait ce que l’on veut, l’achat prend dix
minutes. Mais pour la découverte ?… Jusque dans les
années 80, il a existé des parfumeries de quartier où les
vendeuses, qui connaissaient leur clientèle, savaient la
conseiller et offraient un très bon service. Franchir leur
porte avait certes un côté un peu intimidant… Mais
elles manquent bien aujourd’hui. Il faudrait revenir à
un système à deux vitesses : des surfaces en self-service pour la parfumerie de masse, et des boutiques plus
intimistes dédiées à des senteurs plus pointues. Le vrai
problème de la parfumerie actuelle ce n’est pas son
manque de créativité – et l’on dispose de techniques
permettant des compositions absolument exceptionnelles –, non, le souci c’est que la distribution impose
ses règles. D’où ces jus marketing sans saveur destinés
à des rayonnages de libres-services.
Quel avenir pour ces marques de niche ?
On pourrait craindre que ce marché, qui représente de petits volumes, ne sature au regard du nombre
de nouveaux entrants, mais il reste de belles potentialités de développement à l’international. Les marques
de niche, c’est encore pour l’instant un phénomène
franco-français, voire européen, et tout au plus Côte Est
des États-Unis. Les nouveaux pays consommateurs de
luxe, comme la Chine qui intègre très vite ce qu’est le
luxe – le vrai –, de beaux débouchés s’ouvrent donc.
Quelles évolutions attendre de la parfumerie ?
Des marques de niche comme Serge Lutens ou
Comme des Garçons servent de laboratoires conceptuels
en composant de nouveaux accords qui influencent
le reste du marché. Mais pour espérer des avancées
majeures, il faudrait de nouvelles molécules, et depuis
dix ans, l’industrie ne propose plus que des molécules
de substitution. Des produits de synthèse servant à
reproduire des senteurs naturelles devenues trop rares
ou trop onéreuses. Sans nouvelles molécules, pas de
nouveaux courants olfactifs ! C’est le rôle des laboratoires que de développer les senteurs de demain.
La distribution semble enfin bouger. À travers la
refonte de son magasin Haussmann, le Printemps
cherche à mettre en avant les parfums de prestige.
Ils appellent cela La Belle Parfumerie. Je m’y
suis rendue dans un état d’esprit extrêmement positif ;
j’ai été un peu déçue… Cela ne fonctionne pas vraiment,
les stands des marques exclusives comme Frédéric
Malle ou Tom Ford se trouvent relégués en périphérie
et l’espace central est dédié aux lignes de diffusion :
c’est un peu le monde à l’envers ! Les parfums de niche
doivent peut-être demeurer confidentiels, car ont-ils
forcément leur place dans un grand magasin ? Leur
diffusion passe plutôt par des boutiques en propre ou
des espaces multimarques spécialisés – je pense à Jovoy
Parfums Rares, magasin proche de la place Vendôme
qui a une très belle sélection, où l’on se rend compte
qu’il faut savoir vendre, parler, mettre en valeur ces jus
parfois déroutants.
Propos recueillis par
Cédric Saint André Perrin
1 : Les Parfums. Histoire, anthologie, dictionnaire, éd. Robert Laffont,
Que penser de la distribution traditionnelle ?
Rentrer dans un Marionnaud me donne le
cafard. J’y prends une crème à épiler, bon, c’est vraiment
Coll. Bouquins
Photo : Elisabeth de Feydeau ©Lucie Sassiat
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IMAGES
AMATEUR
Alors qu’Internet peine à être la révolution annoncée, et que les marques de luxe
sont plutôt empruntées avec ce nouveau média, Lanvin renverse les rôles en
partant du film destiné à Internet pour arriver à la pub print.
[…] Rien de nouveau
pour un œil inattentif, sauf
qu’un léger flou dans le
mouvement indique que cette
fois, cela se passe ailleurs
Dans l’aventure totale et multimédia où toute grande
marque de luxe est aujourd’hui embarquée, Internet
et particulièrement le site officiel sont peut-être les
moments les moins créatifs. Le site Internet s’offre la
plupart du temps comme un simple relais d’événements qui eux promeuvent de manière toujours plus
élitiste et raffinée l’esprit des collections de vêtements
et d’accessoires : défilés spectaculaires, collaborations
avec les plasticiens, concerts privés ou courts métrages
en avant-première pour les happy few. C’est aussi sur le
site que l’on va découvrir l’intégralité de la campagne
presse, qui demeure un rouage essentiel de la machine
mode et traditionnellement son objet de diffusion grand
public par excellence, lorsqu’une affiche ou une page
de magazine suffisent pour faire rêver autour d’un produit et appréhender un univers.
de son piédestal ; surtout, l’amateurisme ostentatoire de
la chorégraphie qu’elle improvise est un appel du pied
à l’amateurisme compulsionnel et fasciné des blogs et
autres tumblr qui pullulent sur le Net en convoitant
l’objet mode. Et le message a parfaitement fonctionné,
puisque l’on peut désormais voir des vidéos d’anonymes reprenant le dispositif de la campagne au geste
près, signe imparable de son succès.
La maison Lanvin et son créateur Alber Elbaz
envoient accessoirement un signe d’efficacité railleuse
à leurs très ambitieux confrères : on pense à Prada et
à ses pratiques du mécénat ; on pense à Chanel et aux
courts métrages que réalise depuis quelque temps Karl
Lagerfeld, lorgnant du côté du septième art : le pompier « The Tale of a Fairy », qui met en scène la collection croisière 2011-2012, où l’hystérie pure prise au
sérieux fait office de jeu et dont la vision sur le Net, une
fois la magie de l’événement entourant la projection
à l’hôtel du Cap-Eden-Roc au cap d’Antibes disparue,
s’avère plutôt laborieuse, Lagerfeld étant plus styliste
que cinéaste. La marque Lanvin assume l’humilité d’un
geste en mode mineur ; elle s’empare au fond pleinement du média Internet, de sa logique visuelle et de ses
pratiques de consommation en produisant une petite
fenêtre mobile, une courte séquence fun assimilable en
un clic, un pur véhicule tongue in cheek et accessible.
Même si, évidemment, ce n’est jamais que l’image du
luxe que l’on démocratise, et non le luxe lui-même.
C’est ici que la campagne Lanvin de cet
automne 2011 marque un point, en inaugurant une
complémentarité inédite entre la campagne presse et
la vidéo visible sur le Net et dont elle est l’émanation.
Sur le papier glacé, les tops Karen Elson et Raquel
Zimmermann esquissent un pas de danse en grandes
bourgeoises suaves, dans un décor comme une composition au classicisme compassé. Rien de nouveau a
priori pour un œil inattentif, sauf qu’un léger flou dans
le mouvement indique que, cette fois, cela se passe ailleurs. Le dispositif emmené par Steven Meisel est en
deux temps et il faut en parcourir la totalité pour en saisir l’exacte teneur. Et sur le Net, le ton de la campagne
s’avère franchement humoristique, les mannequins
exécutant, pince-sans-rire, une chorégraphie raide et
outrée sur le rap de Pitbull, I Know You Want Me, luimême assez abominable – ou la mode comme objet de
tous les désirs. Avec ce clip, la vieille dame chic qu’est
le prêt-à-porter de luxe consent un instant à descendre
Céline Mallet
Photos : Campagne Lanvin, Automne-Hiver 2011/2012.
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BIOGRAPHIE
PACO RABANNE
Habité du sens de la déité, Paco Rabanne « le métallurgiste » a délaissé la mode
pour se recentrer sur les domaines plus « sérieux » que sont la méditation, l’ésotérisme
et la réincarnation. S’il prédit l’avènement de la race bleue, il n’en préfère pas moins,
parmi toutes ses vies antérieures, celle où il fut couturier forgeron.
1934 Naissance de Francisco Ramaneda Cuervo, à
San Sebastian, au sein d’une famille de Républicains,
marxistes à la vie, à la mort : « Je viens d’un milieu de
gauche athée, bouffeur de curés. » Un affront que paiera
cher le général Ramaneda, fusillé par des soldats franquistes alors qu’il menait la garnison de Garnica au
combat. Pour manifester son aversion envers la patrie,
le clan Rabanne guillotine une syllabe de son patronyme et cesse de rouler les « r » – jusqu’à la mort de
Franco, Paco Rabanne refusera également de présenter
ses collections en Espagne.
1941 Exilée en France après avoir traversé les Pyrénées
à pied dans la neige, avec ses enfants sous le bras,
Madame Ramaneda, ex-militante activiste devenue
première main chez Balenciaga, se fait du souci pour
son cadet qui préfère occuper ses nuits interminables
à lire plutôt qu’à dormir. Des insomnies que le petit
garçon de 7 ans nomme « des flashes extraordinaires ».
Il témoigne : « Et brusquement, le temps s’est vraiment
figé. Tout en restant éveillé, j’ai été lancé à une vitesse
effrayante, dans une sorte de tunnel argenté, et je me
suis retrouvé en dehors de mon corps, dans une espèce
de ciel étoilé… Un long fil d’argent me reliait à moimême. J’ai eu très peur, je me suis dit que quelqu’un
d’autre pouvait entrer dans mon corps de la même
façon que j’en étais sorti. J’ai donc réussi à réintégrer
mon enveloppe charnelle ; ça fait très mal. »
parallèle et pour financer ses études, il emballe des
chaussures dans une usine, balaie le sol dans une
colonie de vacances et pose avec sa moustache corbeau chez un photographe pour payer ses fournitures.
Il met aussi à profit ses dons manuels en réalisant des
dessins de sacs et de chaussures pour Roger Model et
Charles Jourdan, des tissus pour Staron, des cravates
pour Cardin, dans la ferme intention de s’extraire un
jour de sa condition de fournisseur. Les jeunes stylistes
du prêt-à-porter (Michèle Rosier, Christiane Bailly,
Emmanuelle Khanh) lui tendent cette perche en lui
confiant l’accessoirisation de leurs collections. Mise à
contribution, Madame Rabanne, qui s’est depuis reconvertie en mercière fantasque pour les beaux yeux de su
hijo, fait tourner l’atelier familial à plein régime : boutons baroques réalisés avec diverses matières insolites
– vermicelles, grains de café –, broderies et accessoires
se font livrer aux portes des maisons Dior, Courrèges,
Cardin, Torrente ou Maggy Rouff.
1964 Fraîchement diplômé (avec la mention « excellent ») et lauréat de la Biennale de Paris avec une
sculpture habitable pour jardin exposée au musée d’Art
moderne, il part en quête de matériaux particuliers.
Tandis que Quasar invente les meubles gonflables, que
Talon remodèle notre télévision, que Pierre Restany
concentre dans son « Nouveau réalisme » tous les piégeurs d’objets (César le compresseur de métal, Arman
l’entasseur de fers à repasser), le jeune Paco Rabanne
rêve au syncrétisme des arts dans sa mansarde d’étudiant… « Ce qui me frappe, c’est ce décalage terrifiant
entre la Haute Couture et les autres arts […]. Or, il faut
que tout nouveau matériau donne naissance à de nouvelles formes et à de nouvelles techniques. Les arts
contemporains s’adaptent aux nouveaux supports :
l’architecture abandonne la pierre, la peinture la toile,
1959 C’est le début d’un long cheminement ésotérique.
Il commence à prier partout, dans le métro, dans la rue,
où des « étincelles jaillissent du sol et lui brûlent les
talons ». Pour occuper son esprit tourmenté, il se met
en tête d’étudier l’architecture aux Beaux-Arts, dans
l’atelier d’Auguste Perret, l’inventeur du béton armé, et
reçoit l’enseignement de Xenakis, Carzou, Estève. En
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« j’ai compris que si j’étais resté
architecte, je n’aurais jamais eu
accès aux mass media. En tant
que couturier, je peux parler et
faire passer un message à des
gens qui écoutent et
attendent »
la sculpture le marbre et la couture quittera le tissu. » Ces paroles prophétiques
augurent de son changement de statut :
« Je me suis souvent demandé pourquoi j’ai abandonné
ces projets étonnants pour faire un métier de con,
sacrément décrié par tous mes amis […] Et j’ai compris
que si j’étais resté architecte, je n’aurais jamais eu accès
aux mass media. En tant que couturier, je peux parler
et faire passer un message à des gens qui écoutent et
attendent. Qui appellent au secours. Au secours spirituel… » Pour soulager sa conscience, il remplace alors
Marx par Dieu, Le Capital par la Cabale et Que faire ?
par la Divine Comédie.
en triangles de cuir rivetés sur Anouk Aimée et
Françoise Hardy (en couverture du Elle dans un maillot en rectangles de plastique blanc), la presse succombe à « la rabannomanie »,
cette ferveur de l’inédit, du détonnant, de l’importable.
« J’avais une amie journaliste qui se trouvait laide. Elle
est arrivée chez moi en pleurs parce qu’elle avait une
soirée importante et qu’elle avait peur de la rater. Je
lui ai prêté une robe en métal. Le lendemain, elle est
revenue me voir, rayonnante, en me disant : “Ça a marché, pour une fois, parmi tous ces gens, j’ai existé !” » (1)
D’Audrey Hepburn aux James Bond Girls, « toutes les
héroïnes modernes portent les “cottes de mailles” de
Paco Rabanne, “cousues” non pas avec du fil mais
avec des agrafes, des œillets et des pinces ! » s’esclaffe
la presse. Paco le rationnel se doit pourtant de calmer
leurs ardeurs : « Les femmes qui suivent strictement
la mode ne sont que des péronnelles […] Une femme
habillée comme ça dans la rue ? C’est grotesque ! Le soir
à la rigueur… »
1966 Il présente sa première collection, composée de
« douze robes importables en matériaux contemporains »
(comprendre douze robes pesant 30 kg et des boléros en
plastique enduits de petites plaques de métal assemblées par des anneaux), qui défilent au son du Marteau
sans maître de Pierre Boulez dans une salle de l’hôtel
George-V. Non content de rompre délibérément avec
l’esthétique vestimentaire en se rapprochant de celle
des arts plastiques, cette « première tentative de vêtements » substitue également au traditionnel défilé de
haute couture une déambulation de vierges blanches
et de Vénusiennes à la peau d’ébène dansant pieds nus.
Ces douze robes expérimentales déclenchent le rire et
l’indignation : « Des journalistes de Vogue américain
sont venus m’insulter, me cracher au visage en hurlant : “les blanches, et elles seules, peuvent porter de
la haute couture !” » Un scandale qui manque de provoquer son renvoi de la Chambre syndicale de la couture parisienne. Mais quand, trois mois plus tard, il
expose ses robes en stalactites d’acier, crochetées de cuir
et de plumes d’autruche, et qu’il tricote des cottes de
maille en jersey d’aluminium laqué ou des manteaux
1967 Ses instruments de couturier – la pince ou
le chalumeau – et ses méthodes peu orthodoxes
déclenchent bientôt la foudre de ses détracteurs. On
le voit hanter le sous-sol du BHV, « le meilleur choix
en pinces, anneaux, rivets », mais aussi les ateliers de
mécanique d’emboutissage, de bijouterie, les doreurs et
les laqueurs… C’est qu’il adore détourner les matières
brutes, faire chouiner le plexiglas, le papier enduit, les
bandages élastiques ; s’extasier sur le caoutchouc, « une
matière qui me fait vibrer parce que, mise sur un corps,
elle prend vie, redessinant enfin le corps de la femme,
moulant ses seins, sa taille, ses fesses » ; coller des bouts
de verre sur des bandes de plastique ou sur du tulle
découpé en franges ; tailler le métal à même le corps des
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femmes allongées sur son établi… « Ce n’est pas un couturier mais un métallurgiste ! » s’indigne Mademoiselle
Chanel. « Un créateur est un être fou. S’il n’était pas fou,
il serait ouvrier spécialisé dans une usine ! […] Je suis
bien le seul à travailler de mes mains, contrairement
à mes confrères intello », lui rétorque le brutaliste. Au
terme de longues recherches, l’homme d’acier assemble
dans l’usine d’Anik Robelin une robe éphémère en
papier mélangé de fils de nylon, sans couture ni colle.
Il expérimente ensuite en collaboration avec M. Giffard,
un industriel spécialisé dans les masques de protection,
le premier vêtement en plastique moulé par le procédé
de la vaporisation de chlorure de vinyle – ces modèles,
vendus à bas prix grâce à leur procédé de fabrication
industrielle, répondent par leur caractère éphémère au
besoin de « voyager léger », mais n’en ont pas moins été
des échecs commerciaux. Qu’importe, l’argent n’est pas
une fin en soi… « Ce qui me différencie de mes autres
confrères, c’est que je ne reproduis jamais deux fois la
même robe. Aussitôt qu’un modèle est commandé, il est
retiré de la collection […] Je n’ai jamais vendu plus de
soixante-dix robes par saison, ce qui est très peu, mais
j’ai la chance de pouvoir me permettre ce luxe grâce
aux parfums qui, eux, connaissent les chiffres d’une
diffusion colossale… »
1969 Il peut en effet compter sur son premier parfum
Calandre – composition : ciste, pin et sauge, notes cuivrées, senteurs « métalliques » –, « révélateur de la vie
moderne et de sa rencontre avec les dieux », pour compenser ses investissements utopiques peu rentables et
s’installer au 33 rue Bergère, dans une boutique tendue
de noir avec des tubulures d’acier, des sièges de voiture
et des selles de vélo tenant lieu de fauteuils. « Je fais
le désespoir de mes banquiers car je suis toujours en
rouge à la banque. Pourtant, je n’ai pas de voiture, mon
appartement est en location et je vis au plus simple,
mais je donne beaucoup et ma porte est toujours entrouverte… » En osmose avec son administrateur, le groupe
catalan Puig, qui a fait fortune dans les parfums et les
cosmétiques, le couturier médium a semble-t-il le nez
fin pour choisir des parfums juteux. Quelques années
plus tard, en 1973, la star des parfums, Paco Rabanne
pour Hommes, dont le succès ne se démentira pas pendant dix-huit années, finit par éclipser le costumier de
Polly Magoo (1966) et de Barbarella (1967), tombé dans
l’oubli. Trop de célébrité trop vite ?
1978 Il s’entête cependant à présenter deux collectionsinnovation par an (parmi elles, des robes assemblées
en goulots de bouteilles de plastique, des manches en
papier de truffes au chocolat, un sac façon Chanel réalisé avec une chasse d’eau en guise de bandoulière…),
tout en s’adonnant au mécénat. Après avoir créé le
Centre 57, une ancienne fabrique de montgolfière destinée à l’accueil et à la production d’artistes de la diaspora noire, tout comme la revue Louna qu’il édite. « Je
suis poussé à la fois par ma passion et par ma compassion pour tous ceux qui ont un faciès différent du
mien. » Il finance également une école de danse et d’arts
martiaux, collectionne les jeunes peintres et reverse un
dixième de ses revenus aux pauvres... « Je suis effectivement le seul à me laisser interpeller par les clodos :
“Eh ! Rabanne, t’as pas 10 balles pour un hamburger ?” »
1988 Au cours des années 80, la griffe vit une traversée du désert à laquelle elle réagit en signant de
nombreuses licences sans grande cohérence (près de
150, dont un tiers au Japon et autant en Amérique
latine). Afin de remettre un peu d’ordre, la famille
Puig fusionne sa société de parfums avec la maison
de couture. Le chiffre d’affaires parfums (350 millions
de francs [plus de 53 millions d’euros, ndlr]) dépasse
alors celui de la couture. Débarrassé de la gestion, Paco
Rabanne redevient 100 % créatif – « Je ne suis pas Cardin.
Son plaisir, c’est les affaires. Moi c’est de dessiner » – et
offre sa griffe à la diffusion en annonçant sa première
collection de prêt-à-porter, bien obligé de s’adapter à
son époque marketing qui ne voit plus en lui qu’un
« after-shave »… « C’est avec un peu de tristesse que je
me suis lancé dans le prêt-à-porter. J’aurais souhaité
n’être qu’un sculpteur de pièces uniques, exposées dans
les musées, témoins de leur époque… Mais aujourd’hui,
le coût d’une collection devient insensé. Dix millions
de francs. La concurrence est chaque jour plus sauvage… Trop de grands couturiers ont agi n’importe comment, apposant leur griffe sur des quantités de choses
médiocres. Ils sont devenus des marchands d’accessoires. Et comme l’époque est lâche, les gens n’ont plus
d’opinions, ils suivent et n’achètent que des marques,
cousues sur n’importe quoi. » (2) Pour le récompenser
de tous ces efforts fournis pendant vingt-six ans, on
lui offre tout de même le Dé d’or et la Caméra d’or au
festival de Cannes pour la production du film Salam
Bombay de Mira Nair.
« Je ne suis pas Cardin. Son
plaisir, c’est les affaires. Moi
c’est de dessiner »
[…] On le voit hanter le sous-sol
du BHV, « le meilleur choix en
pinces, anneaux, rivets », mais
aussi les ateliers de mécanique
d’emboutissage, de bijouterie,
les doreurs et les laqueurs
1992 Il fête ses 60 ans
et 25 ans de vareuse de
moine portée sur une
chemise sans col et sans
cravate. « Si je ne porte jamais de cravate, c’est que la
cravate est un symbole d’allégeance à des conventions
et que je tiens à m’habiller comme un prêtre. Le prêtre
que j’étais dans mes nombreuses vies antérieures. » Il
vit dans un immense appartement vide où règne le
plus grand des luxes : le silence et l’espace… La vogue
de l’irrationnel dans les magazines féminins lui ouvre
la voie des séances de voyance sur papier glacé et
des délires prédictifs sur les plateaux de télé – « Mon
livre Trajectoire est ma réponse à la centaine de lettres
hebdomadaires que je reçois des téléspectateurs qui
m’ont vu aux émissions de Christophe Dechavanne. »
En attendant, sa griffe semble brouillée par des ondes
paranormales…
Lafayette se souviennent encore du coffre-fort géant
dans lequel étaient encastrés les murs de lingot). Une
conjuration de l’austérité et de la morosité du secteur,
menacé par la banalisation de ses produits, l’essentiel
des budgets étant désormais consacré aux contrats des
égéries publicitaires au détriment des jus interchangeables devenus secondaires ; pour un flacon vendu
70 euros, le coût du jus lui-même se situe autour d’un
euro, une goutte de parfum dans un océan de marketing. Avec One Million (propulsé no 1 mondial auprès
des 15-25 ans avec près de 120 millions d’euros de
CA), Puig crée une success story de parfumerie. Vient
ensuite le tour du féminin Lady Million, une déclinaison de pacotille, mais tout aussi rentable. Paco
Rabanne progresse de 38 % en un an et se hisse au
5e rang des marques de parfum en France. Le CA avoisine les 800 millions d’euros. Une réussite qui permet
désormais à Puig de ressusciter la marque de mode.
1999 Sa dernière collection Haute-Couture AH 2000
défile pour la dernière fois juste avant la destruction
de Paris (et allez savoir pourquoi, du Gers !), qu’il a
prophétisée le 11 août. Les débordements du profanateur embarrassent bientôt son partenaire financier,
Mariano Puig – surtout quand il déclare avoir vu Dieu
trois fois : pendant une partie de foot, dans un taxi
et dans sa voiture. « Parfois Paco me fait peur, parfois il me fait rire », commente le PDG. Il y a de quoi.
Persuadé d’être « venu de la planète Altaïr pour fonder
l’Atlantide », le couturier tellurique affirme qu’il mène
« sa dernière vie » sur terre après y avoir zoné depuis
75 000 ans, date de son « plus ancien souvenir ». Version
officielle, le couturier pose son arc à souder pour une
retraite bien méritée… La maison Paco Rabanne cesse
alors l’activité haute couture et se recentre sur sa ligne
de prêt-à-porter qu’elle confie à une styliste inconnue.
La même année est lancé le parfum Ultra Violet : « Les
UV sont à l’origine de la vie. Et le violet, c’est la couleur
de l’ère du Verseau », dixit Paco.
2011 Élu pour son goût du travail artisanal et son
obsession pour le jersey métal, Manish Arora, le nouveau directeur artistique, qui aime travailler le goudron et le plastique, transformer les objets du quotidien
en objets de mode, a, semble-t-il, suivi les conseils de
Paco Rabanne : « Surtout, n’ouvrez pas un magazine
de mode, inspirez-vous des artistes de votre temps ! »,
en taillant sa première collection à partir des formes
organiques et sculpturales d’Anish Kapoor. Le gourou,
lui, s’est retiré en Bretagne pour mieux chanter ses
louanges aux dieux ; eux seuls l’écoutent encore…
Marlène Van de Casteele
1. Femme, mars 1988.
2. Philippe Trétiack, Elle no 2233, 24.10.1988.
Page précédente : ©Gérald Bloncourt
À gauche : Françoise Hary dans une robe de rectangles de plastique blanc,
1966 ©Jean-Marie Perrier
À droite : Robe chainmail, 196
Publicité parfum Paco Rabanne pour homme, 1973
2008 Le parfum One Million défie la crise avec son
flacon bling-bling en forme de lingot (les Galeries
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LEXIQUE
LE MANNEQUIN
C’est l’empirisme qui a été le père du mannequin tel que nous le connaissons.
Des modèles de boutique aux podiums de défilé en passant par la publicité,
petite histoire en dix points.
[…] Chaque type de silhouette pouvait
correspondre à celui des clients supposés
d’un styliste ; longue et mince pour Patou,
courte et trapue pour Balenciaga
1 Marie Vernet est considérée comme le premier
modèle vivant. Elle était vendeuse chez Gagelin et
Opigez à Paris. En 1848, Charles Fredrick Worth, le
couturier vedette de la Maison (qui deviendrait plus
tard son mari), eut l’idée de lui faire présenter, en
plus des bonnets et des châles, quelques-unes de ses
propres créations. Les robes conçues par Worth et présentées par sa femme se vendirent comme des petits
pains tandis qu’un nouveau métier apparaissait à la
surface de la terre.
que les consommateurs pouvaient s’identifier aux
mannequins. Et, avec cette mise en valeur de l’individualité, le statut de ceux-ci, lentement, progressa.
des séries d’échantillons uniformes, et ainsi les gabarits du mannequin professionnel devinrent-ils de
plus en plus interchangeables.
4 Vers la fin des années 20, les agences de mannequins se répandirent en Europe et aux États-Unis,
voyant les écoles de mannequinat, où les débutantes
et les jeune femmes du monde apprenaient le savoirvivre et les astuces pour être belle, prospérer dans leur
sillage.
2 Le mannequinat resta jusque tard dans le XXe siècle
une profession peu recommandable. Les mannequins
étaient mal payées, restaient anonymes, mais leurs
chances de faire un bon mariage étaient toutefois
grandes. Le couturier Lady Duff Gordon, propriétaire
de la maison Lucille, fit de son mieux pour que les
choses changent. Elle recrutait des femmes issues de
milieux souvent pauvres, les choyait et les lançait
dans des défilés de mode spectaculaires. Le mannequin gagnait ainsi en renommée, même s’il n’était
toujours pas reçu dans la bonne société.
5 Le statut du mannequin continuait de progresser en même temps que la photographie de mode
prenait de l’importance. L’ex-danseuse suédoise Lisa
Fonssagrives fut le premier mannequin à sortir de
l’anonymat. Elle devint célèbre dans les années 30. Les
photographes de mode les plus célèbres de l’époque
l’avaient représentée : Horst P. Horst, Richard Avedon,
Man Ray, Erwin Blumenfeld et Irving Penn, qu’elle
épousa en 1950.
7 Pendant la même décennie, avec la diversification
technique des tirages, la photographie de mode se fit
omniprésente : journaux, magazines, panneaux d’affichage, etc. Les mannequins furent de plus en plus sollicités pendant que leur statut et salaire progressaient
en conséquence. Au cours des années 60, quelques
mannequins décrochèrent des rôles dans des films.
Les Penelope Tree, Twiggy ou Jean Shrimpton devenaient familières aux masses, elles préfiguraient le
mannequin/people. Chaque star du rock et chaque
acteur allait bientôt devoir, pour exister, fréquenter un
mannequin.
6 Tant que la haute couture prédominait, les mannequins pouvaient se permettre toutes sortes de formes
et de tailles. Chaque type de silhouette pouvait en
effet correspondre à celui des clients supposés d’un
styliste ; longue et mince pour Patou, courte et trapue
pour Balenciaga. Mais quand, dans les années 60, la
production de masse du prêt-à-porter vint imposer ses
diktats au marché, il fallut couler les modèles dans
3 Avec Jean Patou, le mannequin a commencé de ne
plus être perçu comme un élément subalterne. Pour se
faire connaître aux États-Unis, le créateur sélectionna
pour ses défilés des femmes américaines grandes et
fines. Il s’ensuivit que les clientes américaines se précipitèrent dans ses magasins. Patou fit ainsi la preuve
MAGAZINE NO 6
46
terme fut de plus en plus usité dans les années 80
avec l’avènement des Paulina Porizkova, Elle
Macpherson, Linda Evangelista, Naomi Campbell,
Christy Turlington, Tatjana Patitz, Claudia Schiffer et
autres Cindy Crawford.
10 « Nous ne nous levons pas le matin pour moins
de 10 000 dollars par jour » : cette réplique de 1990 de
Linda Evangelista à une journaliste de Vogue est
depuis devenue légendaire. Mais les mannequins
gagnent aujourd’hui bien plus. Dans cette course aux
gains, Gisèle Bundchen caracole en tête depuis 2004,
ses émoluments étant même supérieurs à ceux de
l’omniprésente Kate Moss…
Autrement dit et en résumé, le chemin fut
long depuis les silhouettes mobiles, sans visage ni
statut, du début du XXe siècle. Les mannequins d’aujourd’hui nous incitent à acheter à peu près tout et
n’importe quoi : des parfums aux vêtements, des tongs
aux crèmes de jour… leur nom figurant bien en évidence sur le produit.
8 En 1973, Lauren Hutton gagna 200 000 dollars
pour vingt jours de travail, ce qui en fit la modèle la
mieux payée au monde. Elle fut détrônée en 1976 par
Margaux Hemingway et son contrat d’un million de
dollars pour la promotion du parfum Babe de Fabergé.
Le phénomène des « supermodels » allait naître la
décennie suivante.
Anja Aronowsky Cronberg
Traduit de l’anglais par
Thibaut Mosneron Dupin
9 Le terme « supermodel » commença d’être utilisé
au début des années 40 dans des articles de revues
de mode et dans des ouvrages destinés à enseigner
aux jeunes femmes l’art de devenir mannequin. Le
De gauche à droite : Gilda Gray, 1924, anonyme. Lisa Fonssagrives par
Irving Penn, 1950. Jean Shrimpton, 1966.
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47
RENCONTRE
TAORMINA,
AVEC UN
GRAND A
« In caso di emergenza, tirare il cordoncino. »
L’avis était curieusement traduit par « en cas d’émergence, tirer le cordonnet »,
dans cette mini-douche d’une pension suisse de Taormina.
La mer était bonne, mais l’atmosphère franchement
automnale pour la Toussaint, et cette douche chaude
était bienvenue. J’y ai réalisé que tout était curieux,
depuis quelques heures qu’avaient commencé ces
quatre jours de colonie de vacances en amoureux.
Nous avions laissé la toute petite Bianca
(quatre mois seulement, une enfant, vraiment) pour
la première fois en Bretagne chez sa grand-mère. Et
filé sans faire de sac vers l’aéroport, à moto. Les autres
étaient déjà sur place : Joël en prof de yoga hilare,
savourant la surprise des invités, Fab avec sa casquette
noire sans aucune inscription, Marie et son mari en discrets représentants de la Mafia, H au bar en attendant
des nouvelles de l’avion, devisant gaiement avec mon
ex-femme. Celle-là même qui, dans cette page, s’appelait Petit Poney. Son nouveau mec (tout est relatif, ils
sont ensemble depuis longtemps maintenant) et H se
marraient déjà bien, au sujet de ces magazines qu’ils
ont chacun. Maria L passait par le T3 de CDG pour
compléter ce casting insolite, dont nous ne savions
rien à l’avance.
Quarante invitations lancées, quinze réponses
positives, six couples engouffrés avec le Sirocco et sous
la pluie dans les ruelles du mythe classique et ambigu.
Arpentant les huit cents mètres qui séparent la Porte
de Messine de celle de Catane. Explorant les encadrements du paysage vertigineux entre les deux bouches,
à chaque extrémité du ventre de la petite ville. Le Corso
Umberto comme un intestin tentaculaire, regorgeant
de champignons fantastiques, de pasta, de bœuf tranché en lamelles biaisées, de poissons grillés, de vins
blancs et rouges, de champagnes, de limoncello et
d’amaretto, de vodka, de whiskey, de danses et de joies.
Même de pizzas.
La grosse boule de feu tombait précisément
dans le puits du volcan quand nous sommes remontés
de la plage. Pour la dernière fois du séjour. Le premier
jour. Nous étions déjà ivres et salés, plus rien ne comptait, et tant pis pour toute cette pluie à venir. Après
avoir regardé le lancement d’une fusée en « brut live »
sur Euronews, j’ai appris que le mot le plus recherché
par les Européens cette semaine sur Google était « gaddafi ». C’est au San Domenico que nous avons recommencé à sautiller. Chafik et Sandra ont surgi comme
des fleurs pour le dîner, alors que nous avions déjà
fréquenté insouciants plus d’étoiles dans les Palace de
Taormina que Monte Carlo n’en revendique. Isola Bella
et sa sublime maison de pierre avaient commencé à
nourrir nos fantasmes. H nous a fait entrer au Morgana
et les physio ont trouvé qu’il y était allé un peu fort
sur le déguisement, nous n’étions que l’avant-veille
d’Halloween. Marlon Dean, lui aussi apparu sans que
je comprenne comment – inutile de se demander pourquoi, il était évident dans le rôle du très jeune rebelle
magnifique –, racontait qu’il avait été élevé à Tahiti.
Sans doute par pudeur, il n’a pas souhaité échanger
en Maori, mais a pris nos destins en main. Ensemble,
nous avons parlé de motocross et de boxe thaï, du dépôt
sous la conciergerie et des planteurs de Fleury-Mérogis.
Discrètement, il nous servait des verres et s’assurait
que nous allions dans le bon sens. Nos rires sonores
ont retenti sous les porches baroques. Aux portes du
village suspendu, nous avons évité de trop nous pencher avant de plonger dans la piscine curaçao : l’Etna
d’un côté, le terrain de foot, le cimetière scintillant, la
montagne et la mer de l’autre. Partout des jardins ravissants. Taormina est une île dans le ciel.
Le plus vieux copain de Joël dans ce groupe
était H. H s’appelle Robert. Comme c’est l’usage dans
l’armée, personne ne l’appelle jamais autrement que par
son nom. Entre deux éclats de rire, il nous a raconté ses
« trois jours » : « Je vais à Caen, chez les Ch’tis. Ou à Laon.
Enfin dans une ville où quand les gens te parlent, tu
ne comprends pas ce qu’ils disent. Visite chez le psychiatre. Je lui dis “monsieur j’aime beaucoup l’armée, et
j’adoooore les militaires. Vive les forces de l’ordre ! C’est
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[…] Nous étions déjà
ivres et salés, plus rien
ne comptait, et tant pis
pour toute cette pluie
à venir
où la chambrée ?” Je me retrouve dans
une cellule, je m’allonge après moult
discussions avec mes coreligionnaires,
et j’entends toutes les portes se fermer à clef. Un zozo
de sergent fermait. Je me suis levé et j’ai tambouriné
sur les portes toute la nuit. » Tout fils de militaire qu’il
était, il a été relâché à l’issue de ces trois jours. Il n’avait
sans doute rien à voir physiquement avec le personnage aux pommettes hautes, au corps gigantesque ou
maigre selon les excès, aux cheveux synthétiques et
aux authentiques fulgurances romantiques dont il est
coupable depuis. Mais déjà, rien ni personne ne pouvait l’enfermer.
Car le citoyen H a son propre gouvernement.
Créature à la solde des marques de luxe qu’il vénère et
maltraite avec leur consentement, il vit dans les images
qu’il crée pour sa propre consommation. Et porte son
regard gris sur le monde avec la circonspection et l’humour qui conviennent aux icônes. Son monde a peutêtre l’épaisseur d’une feuille, dont le recto séduisant
a un verso que l’on devine douloureux. Mais sa voix
cuivrée raconte les histoires avec gaîté. Contradictoire
avec les paysages lunaires de pierres noires de l’Etna,
qui servaient de décor à notre exploration curieuse de
l’ambivalence des sentiments.
Comme en bande, nous sommes entrés vivants
et avec délice dans une image animée de Taormina,
composée par Joël pour sa carte postale personnelle
et en relief de cinquantenaire. Marlon Dean rendait
hommage aux silhouettes gracieuses du baron von
Gloeden. Les modèles de l’aristo souffreteux et jouisseur
du XIXe, auxquels on doit le lancement de Taormina sur
la scène glamour internationale, étaient des paysans,
des bergers, des pêcheurs, des artisans, des danseurs de
tarentelle et des muletiers ; figés sur la toile, puis sur
le papier photo, ils procurent un sentiment de liberté
sans contrainte. Les beautés de Taormina sont devenues
symboles d’une attitude magique des Siciliens. Nous
avions dans notre groupe
les caractères capables
de nous faire découvrir
ce village sans âge, de nous faire vivre tous ensemble
dans ce que Barthes appelait, à propos des images de
von Gloeden, « un monde irréel et réel, réaliste et faux,
un onirisme inverti, plus fou que le plus fou des rêves ».
Avant de partir, nous avons carrément communiqué avec le cosmos sur les flancs noirs et sidérants du volcan. Le spectre d’une chaude et pénétrante
lumière traversait les vitres du minibus. Et un avion
nous a ramenés à Paris. À aucun moment nous n’avions
eu envie de tirer le cordonnet.
Ce matin à L’Armor-Baden, l’eau m’a paru
très froide. L’automne breton est parfaitement homothétique avec la Toussaint sicilienne : il fallait vite se
sécher sur la plage de Taormina, à l’abri de la pluie,
en sortant de l’eau. Ici, on peut en novembre prendre
son temps après avoir nagé, l’eau est réglée beaucoup
plus bas que la température extérieure. Je suis tout de
même venu m’adosser au poêle à masse de lave – une
autre pierre que celle de l’Etna, beaucoup plus claire,
très efficace –, pour écrire ces lignes avec la sublime
Bianca dans les bras. Et c’est grâce à elle, à Sonia, peutêtre à la chaleur mystérieuse de la pierre aussi, que j’ai
retrouvé le nom de cette lumière spectrale de Taormina :
l’amour. « La plus universelle, la plus formidable, et la
plus mystérieuse des énergies cosmiques », disait l’inventeur de la noosphère, Pierre Teilhard de Chardin.
C’est ici comme là-bas une même force qui nous chauffe
vraiment, toujours insoumise et curieuse, immense, ubiquiste et étrange.
Mathias Ohrel
Photo : Baron Wilhelm von Gloeden, autoportrait en costume oriental, 1900
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CHRONIQUE
NORMALISSIME
Design, mode, politique : l’époque est à l’apologie rassurante du simple et de
l’essentiel. Mais la norme peut-elle vraiment éveiller le désir ?
suffisant pas, on se doit d’être « hyper » normal, ou au
moins « super » normal, comme le pointait déjà le titre
d’une exposition de Jasper Morrison et Naoto Fukuzawa
à Tokyo en 2006. Éloge de l’ordinaire, surenchère de
simplicité et intrusion surprise de la sincérité dans la
conception : une foule de jeunes designers se rangent
comme un seul homme dans la ligne ascétique de cette
esthétique durable, forcément durable…
Bientôt les fêtes ? C’est vrai, ça sent le sapin. Comme un
violent repentir d’ivrogne un lendemain de cuite, les
lendemains qui déchantent sont à l’austérité. Fini les
créateurs drôles et drogués, les objets délirants et inutiles, l’ivresse de l’excès et le romantisme de la gratuité !
Dans une période où le mot « création » est en passe
de devenir aussi vulgaire que le mot « luxe » dans la
bouche des responsables et des experts de tous poils,
seul le vocable « savoir-faire » reste digne d’être rabâché par toutes les langues de bois authentiques. Au
diapason de ce rétropédalage frénétique vers le sépia
rassurant de la tradition, les faiseurs de tendances se
doivent de trouver au feutré les vertus hier attribuées
à l’extravagant. Honnis soient les excès de l’hystérie
médiatique ! Faut faire simple pour être moderne ! C’est
le grand retour du less is more cher à Mies van der
Rohe, mais dans une version spectaculaire. Normal ne
La mode leur emboîte aujourd’hui pieusement
le pas et les déclarations de contrition abondent : « l’ornement, c’est – à nouveau – le crime ». Vive la mode
qui ne veut pas en être et bienvenue à l’éternel retour
de l’intemporel ! L’esthétique juergentellerisante est
devenue l’idéal d’un luxe vaguement coupable d’exister. L’apologie du banal veut laver l’époque de ses penchants honteux pour l’artifice… Plus rien qui dépasse.
[…] L’apologie du banal veut laver
l’époque de ses penchants honteux pour
l’artifice… Plus rien qui dépasse.
Victoire du moyen. Tous au centre
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de la litote, les délices du lieu commun : « l’œuvre d’art
accomplie sera celle qui passera d’abord inaperçue,
qu’on ne remarquera même pas » (Gide). Autant dire
qu’on nous a déjà fait le coup du tellement-simple, de
l’ultra-essentiel, du plus-qu’épuré ! La mode peut-elle
raisonnablement suivre le sinologue François Jullien,
chantre des plaisirs très subtils de l’insipidité orientale,
qui résume : « le caractère parfait est sans caractère ; la
plénitude est platitude » ? À s’imposer une trop puritaine cure de rigueur morale, on pourrait lasser… Qui
voudrait nous faire croire au potentiel érotique d’une
nuit d’amour « normale » ? L’ennui est le pire ennemi de
l’envie.
Victoire du moyen. Tous au centre. Même le candidat
socialiste, que l’on ne saurait soupçonner d’être la victime des tendanceurs, pense que pour être crédible, il
doit se dire normal… À ce stade, ça n’est pas l’émergence d’une nouvelle modestie prophétisée par le très
comique M. Lagerfeld, c’est un vrai tsunami d’humilité.
À croire que la Chine ne domine pas seulement le monde économique mais que sa philosophie traditionnelle a gagné les esprits occidentaux.
Triomphe de la voie médiane, éloge de la fadeur : « le
sage savoure la non-saveur », de même « qu’il agit sans
agir », nous enseigne Lao Tseu. Bien plus prosaïquement, on connaît depuis longtemps l’art du maquillage
« no make-up », de la coiffure « no hair » et de la lumière
« no light », apologie du retrait, art du peu imposé par
les créateurs japonais à leur arrivée à Paris. La culture
occidentale a, elle aussi, son penchant pour les vertus
Stéphane Wargnier
Image : campagne Priceminister.com par l’agence Leg.
MAGAZINE NO 6
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OFF RECORD MODE
“MOOD BOARD”
Dans la publicité pour le luxe, le préalable à une idée est souvent la compilation
choisie d’autres images, qu’on nomme communément « mood board ».
C’est donc quelque part entre inspiration et copie que les visuels du luxe trouvent
leur source. Voici quelques us et coutumes de ces praticiens de l’amalgame
d’images, en tout anonymat.
[…] Depuis une dizaine d’années,
on ne nourrit plus l’imagination
des commanditaires d’images ; on
rassure leurs attentes, on atténue
leurs angoisses
Alors que le champ de la publicité est censé incarner la
nouveauté, on constate souvent que le processus créatif
commence par se retourner vers le passé…
Au départ, il y a souvent l’angoisse de la page
blanche, à laquelle on peut ajouter le besoin de se rattacher à une certaine culture ou image du passé qu’on
va tenter de remettre au goût du jour ; c’est vrai notamment pour la photographie de mode, qui est un recyclage permanent.
Et il y a un troisième cas de figure ?
Oui, celui de l’agence de pub qui est en compétition, qui est de loin le plus compliqué. On a affaire
à des commerciaux qui n’ont pas le sens de l’image
et, s’ils ne sont pas accompagnés d’un DA capable de
comprendre l’idée et de la traduire en discours, ils ont
besoin de l’image finale.
[…] On pourrait se demander
comment sont recrutés les
responsables d’une marque et ce
qu’ils connaissent des images,
puisque l’industrie du luxe
repose essentiellement là-dessus
Comment en est-on venu à ce « recyclage permanent » ?
Il ne faut pas oublier qu’on parle de publicité, que le client est roi, qu’il a souvent une formation
de marketing mais aucune culture de l’image. À une
époque pas si lointaine, le directeur de création pouvait
montrer un petit dessin très bien fait et ça suffisait pour
lancer la réalisation d’une image. Aujourd’hui, il faut
quasiment arriver avec la photo déjà shootée. Ça limite
forcément la création, et les possibles surprises sur la
prise de vue. Depuis une dizaine d’années, on ne nourrit plus l’imagination des commanditaires, on rassure
leurs attentes, on atténue leurs angoisses.
On répète à l’envi que les commerciaux ne comprennent
rien aux images mais, à force d’être témoins de tant
de situations, n’ont-ils pas une certaine sensibilité à
l’image ou bien est-ce une cause perdue ?
D’abord, on ne peut pas tout mettre sur le dos
des commerciaux, car ils se trouvent souvent entre le
marteau et l’enclume, et leurs clients ne sont pas toujours d’une très grande finesse. Quand un brief part sur
des clichés intemporels, c’est difficile de tirer la campagne vers le haut. Enfin, l’agence ne traduit que les
desiderata de ses clients ! On pourrait alors se demander
comment sont recrutés les responsables d’une marque
et ce qu’ils connaissent des images puisque l’industrie
du luxe repose essentiellement là-dessus, mais c’est un
autre débat.
Concrètement, comment ça se passe ? Une marque ou
une agence demande de documenter un thème ? Elle va
jusqu’à demander une idée ?
Il y a plusieurs cas de figure. Soit on est en
ligne directe avec le créateur de mode, qui agira comme
un DA avec le photographe de la campagne. La commande de mood board s’exprime avec des mots clés, par
exemple « Paris et tel photographe », et consiste à alimenter le thème avec des images de mode, mais aussi
historiques ou ce qu’on veut ! Ici, les interlocuteurs
ont un sens de l’image et un besoin d’ouverture ; bref,
la situation idéale. La deuxième possibilité, c’est une
marque qui travaille en interne, qui connaît son histoire et sait où elle veut aller et, ici aussi, il faut proposer
des pistes. Ensuite, en fonction de la taille de l’entreprise, on montre parfois l’image qu’on projette de faire
à la direction générale, qui valide ou non…
Ce travail de recherche iconographique n’est-il pas fait
par les agences de publicité ?
MAGAZINE NO 6
52
Si, souvent par des stagiaires… Mais si par exemple
on cherche une image de tapis rouge, en allant sur
Internet, on constate rapidement la pauvreté du matériau recueilli. Une personne qui compose des mood
boards présentera la même image de tapis rouge mais
par Testino ou Meisel, donc avec un « plus » luxe et mode
qui peut parler aux commanditaires. […] Les agences
utilisent beaucoup Internet, mais leurs recherches se
bornent souvent au minimum syndical, les deux ou
trois derniers mois et basta… Internet, c’est utile pour
dénicher un photographe ; le site art + commerce anthology est parfait pour ça. Mais en général, on trouve
sur Internet ce qu’on connaissait déjà, on y découvre
rarement des choses.
magazine, on ne la retrouve pas immédiatement. Et il
faut feuilleter, feuilleter… c’est de cette manière que l’œil
s’aiguise et que la culture visuelle se constitue.
Un mood board provoque la copie ou l’inspiration ?
Je ne sais pas si on peut réellement parler de
copie, car il peut y avoir des procès [John Galliano a
été condamné en 2007 pour un plagiat d’images de
William Klein, ndlr]. On voit très rarement du copiercoller, c’est toujours de l’inspiration, un point de départ.
Car même s’il s’inspire d’une image, un photographe
en donne toujours son interprétation. Faire appel à un
grand photographe pour réaliser une image, ce n’est
pas pour le name dropping, c’est pour qu’il apporte sa
patte. […] Quand Steven Meisel travaille pour une commande publicitaire, il demande que le set soit préparé,
le mannequin prêt, etc. Puis il parle avec le mannequin,
le met en confiance et change quelques détails au set, il
déplace un accessoire ou ajuste un vêtement, et ce sont
ces détails qui feront que l’image sera réussie ; c’est pour
ça qu’on le paye si cher.
Quelle est la méthode pour réaliser un mood board ?
C’est toujours un fil d’Ariane : on part d’un livre,
qui nous en rappelle un autre et appelle à son tour une
autre image, et on tire ainsi le fil qui va tisser une combinaison d’images. Le cheminement est assez balisé :
les livres collectifs sur un thème, un magazine ou un
styliste ; les premières pistes mènent aux monographies
de photographes, car, à la fin, ce qu’on demande à un
mood board c’est ça : une écriture photographique et un
traitement, pas un sujet. Ensuite, il faut aussi regarder
des pistes hors mode, dans la photographie plus généraliste, mais y aller avec parcimonie.
Si on considère que derrière toute publicité il y a un
mood board, peut-on deviner quelle est l’idée ou le
brief ?
Très souvent, un visuel luxe joue sur le mannequin, la lumière, le mouvement ou la gestuelle, mais il
n’y a pas une idée particulière derrière ; et le mood board
doit être assez minimal ou dans la tête du directeur de
création. Il y a tellement de publicités dans lesquelles
une fille tient un sac à main dans un cadre serré que
la demande peut consister à documenter les différentes
positions de main ou le placement de l’objet, donc finalement tenir à la composition de l’image.
Pourquoi ?
Les agences attendent une image de mode,
car c’est ce qu’elles auront à produire. Une image qui
appartient au champ plus large de la photographie, ça
vient bousculer leurs catégories. Ça les angoisse aussi
par rapport aux attentes de leurs clients que sont les
marques. Ils sont plus à l’aise avec une image « proche »
de ce qu’il faudra réaliser et de laquelle il faudra s’inspirer fortement.
Les mood boards sont une manière de baliser l’image.
En même temps, l’absence de risque tue la création…
Pourquoi les marques continuent-elles à travailler
selon ce processus ?
Parce que les idées créatives suivent un certain
chemin. Quand un photographe a une idée, il ne va pas
Quel est le secret de ce métier ?
Quand on a enfin en tête l’image qu’on
recherche, à moins qu’elle ait fait la couverture d’un
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53
[…] Il y a tellement de publicités
dans lesquelles une fille tient un
sac à main dans un cadre serré
que la demande de moodboard
peut consister à documenter les
différentes positions de main ou
le placement de l’objet
la proposer à une marque, il va faire une série pour un
magazine qui lui donne une certaine liberté et ce n’est
qu’ensuite qu’un directeur de création va tomber sur
l’image ou qu’un mood board va l’intégrer. Ce n’est que
parce qu’un magazine a légitimé une idée – qu’on a pu
voir à quoi elle ressemble une fois réalisée et que le
reflet du papier glacé a pu taper dans l’œil du directeur
de création – qu’une marque peut s’y intéresser pour
une publicité. Les choses n’avancent que comme ça et
les magazines de niche ne servent quasiment qu’à ça.
photographe de refaire un édito pour une publicité,
ça arrive régulièrement, et les éditos ont souvent cette
arrière-pensée.
Steven Meisel est assez libre dans ses séries pour Vogue
Italie mais joue beaucoup des références…
Je crois qu’il n’a pas de problème avec ça,
y compris pour ses séries dans le Vogue italien. Il lui
est arrivé de rencontrer des photographes oubliés des
années 60 et 70, avec qui il discutait longuement, il
leur achetait parfois des tirages et leur demandait s’il
pouvait s’inspirer de l’un de leurs travaux pour le réinterpréter, comme on ferait un remake.
C’est un impératif de l’industrie ?
Le truc est que ça rassure. Le créateur qui va
faire un parfum ou une robe va à un moment devoir la
vendre. D’abord aux rédactrices, pour qu’elle soit dans
les séries de mode, mais aussi au grand public, à travers une publicité. Donc ce visuel représente la toute
fin d’un parcours créatif qui doit se retrouver en une
image et dans les magazines du monde entier, ce qui
représente une prise de risque énorme. C’est pourquoi
la marque comme l’agence ont besoin du maximum
d’éléments pour prendre une décision et si possible la
bonne. C’est pour cette raison qu’une idée est toujours
plus facile à vendre au milieu de plusieurs autres pistes.
L’histoire de la photographie ne reconnaît que les photographes qui ont un style : Roversi, Lindbergh… Donc
un Meisel ne fera pas partie du Panthéon ?
Les grands photographes de pub sont ceux
qui n’ont pas de style personnel. Steven Meisel a tous
les styles possibles, qu’il maîtrise parfaitement ; Mario
Testino n’a pas de style, c’est un grand fan de mode ;
Sorrenti a une lumière qui est assez reconnaissable,
mais Demarchelier n’a pas de style. Pour moi, Steven
Meisel est au sommet du Panthéon, mais les historiens de la photographie ne savent même pas qui il
est. Récemment, une étudiante qui voulait faire une
recherche sur Meisel à l’école Louis Lumière s’est aussi
heurtée à un : qui est-ce ? Mais on a mis du temps à
considérer Guy Bourdin…
On est à mille lieues de la création !
La créativité, on la trouve dans certains magazines regardés par les professionnels, où les contraintes
sont très faibles ; c’est le contraire dans la publicité où
les codes évoluent très lentement, aussi parce qu’elle
s’adresse au plus grand nombre… Et puis, la créativité
suit aussi la courbe du CAC 40, et en ce moment ce n’est
pas fameux.
Et, du coup, personne n’archive le travail d’un Steven
Meisel ou des quelques photographes de mode intéressants.
Pas l’institution en tout cas. Mais des opérateurs privés le font, je crois, à New York.
Quels sont les magazines que vous regardez avec le
plus d’attention ?
Pop depuis quelques années, Another et Self
Service ; c’est là qu’on a vu de nouvelles écritures, qu’on
retrouve ensuite dans la publicité. Parce qu’on peut
très bien court-circuiter les mood boards en feuilletant les magazines et en allant ensuite demander au
Propos recueillis par
Angelo Cirimele
MAGAZINE NO 6
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MODE
P.56 : CHEZ TANTE ODETTE
PHOTOGRAPHIE EMANUELE FONTANESI, STYLISME ANNA SCHIFFEL
P.70 : 24 HOURS MODEL
PHOTOGRAPHIE OLIVIER AMSELLEM
P.82 : 2E ANNÉE COUPE ET STYLISME
PHOTOGRAPHIE CHARLES FRÉGER
CHEZ
TANTE ODETTE
Photographie : Emanuele Fontanesi
Stylisme : Anna Schiffel
Mannequin : Lida Fox chez Next
Coiffure : Vincent de Moro chez Aurélien
Maquillage : Yacine Diallo chez Artlist
BLOUSE :
CACHAREL VINTAGE
par vintage clothing paris
ROBE EN CROCHET :
CHRISTIAN DIOR
ROBE ZIPPÉE :
MIU MIU
CHEMISE :
VIVIENNE WESTWOOD
CHAUSSETTES :
FALKE
SANDALES COMPENSÉES :
CÉLINE
CHEMISE ET PANTALON IMPRIMÉ :
CÉLINE
CARDIGAN :
VIVIENNE WESTWOOD ANGLOMANIA
BLOUSE :
CACHAREL VINTAGE
par vintage clothing paris
ROBE EN CROCHET :
CHRISTIAN DIOR
ROBE :
CARVEN
JUPE :
ACNE
CARDIGAN :
AZZEDINE ALAÏA VINTAGE
par vintage clothing paris
CHAUSSETTES :
FALKE
SANDALES COMPENSÉES :
CÉLINE
PANTALON IMPRIMÉ :
DIANE VON FURSTENBERG
ROBE :
RUE DU MAIL
KIMONO IMPRIMÉ CHINOIS :
COLLECTION PERSONNELLE
CHAUSSETTES :
FALKE
BLOUSE LAVALIÈRE :
VINTAGE CLOTHING PARIS
CARDIGAN :
PHILOSOPHY BY ALBERTA FERRETTI
PANTALON DENTELLE VIOLET :
PHILOSOPHY BY ALBERTA FERRETTI
BLOUSE, PANTALON :
YLIAS NACER
BLOUSON ‘TEDDY’ :
IGLAINE PARIS
SANDALES COMPENSÉES :
CÉLINE
BLOUSON EN DENIM :
JEAN PAUL GAULTIER
PANTALON IMPRIMÉ :
RUE DU MAIL
CHAUSSETTES :
FALKE
SANDALES COMPENSÉES :
CÉLINE
SHORTS RAYÉ :
MARC BY MARC JACOBS
BLOUSE :
VINTAGE CLOTHING PARIS
BLOUSON ‘TEDDY’ :
IGLAINE PARIS
FITTING NICOLAS ANDRÉAS TARALIS
24 HOURS
MODEL
Photographie : Olivier Amsellem
Mannequin : Karin Hansson chez Next
CASTING HAIDER ACKERMANN
CASTING MUS
CASTING VÉRONIQUE LEROY
CASTING AKRIS
FITTING NICOLAS ANDRÉAS TARALIS
HAIR : YOHJI YAMAMOTO
SHOW YOHJI YAMAMOTO
LAUNCH AZZARO BOOK, JEU DE PAUME.
REPÉTITION PEACHOO KREJBERG
HUGO FERROUX
2 ANNÉE
COUPE ET
STYLISME
e
Portraits d’étudiants en 2e année au Studio Berçot, Paris.
Photographie : Charles Fréger
assisté de Salla Pesonen
ARTHUR LHERMITTE
JAYEON SHIN
PAUL ZACARIAS
KARINA MORA
CASSANDRE CEFAÏ
MICHAEL FERREIRA
SORIA SAY
HÉLÈNE MOLARD
CAMILLE WAGNER
BARRY ALIMOU
TEXTES
P.96 : CONTRE
LES COMMISSIONS
P.98 : MOODBOARD
TRENCH COAT
P.102 : ART CONTEMPORAIN
LIONEL BOVIER
P.106 : DESIGN
POSTMODERNISME
P.108: RETROVISION
BIZARRE
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CONTRE
LES
COMMISSIONS
Difficile d’y échapper si on convoite un poste à la tête d’une école ou d’un centre
d’art : les commissions sont ces assemblées étranges dont les membres choisis de
manière parfois mystérieuse élisent leur candidat dans un apparent consensus.
Je suis contre les commissions parce que je voudrais
que les gens qui ont été désignés pour gouverner, donc
pour décider, fassent des choix. Or, c’est ce qui en train
de manquer cruellement dans toute l’institution.
[…]
Le vrai problème des institutions, en France, et dans
l’art en particulier, c’est que les responsables ne sont
plus désignés par des gens qui désirent voir un certain
type de profil, de compétence, d’expérience… Pourtant,
on sait bien que les grandes réussites sont dues à des
personnes qu’on est allé chercher, parfois à l’étranger,
parce que la personne nous intéresse, comme ça a été le
cas avec Pontus Hulten [directeur du Centre Pompidou
de 1973 à 1981, ndlr]. Ça peut d’ailleurs faire l’objet d’une
discussion, ce n’est pas forcément le fait du prince.
Mais en tout cas, ça ne passe pas par une sorte de simulacre de démocratie qui neutralise et qui écrase totalement les convictions ou les positions les plus tranchées
ou les plus radicales. Et je pense que c’est ce qui produit cette espèce de médiocrité latente, où sont élus
ceux qui font le moins de vagues, qui bousculeront le
moins l’institution.
[…]
C’est une question mécanique : dès qu’on met en place
un comité, une commission, dès qu’on est plus de deux,
on produit inévitablement un choix médiocre. Donc je
préfère qu’on se trompe – pourvu que ce soit radicalement –, ou qu’on fasse quelque chose de formidable,
qui sera jugé dans quelques années, à l’aune de ce qui
a pu évoluer historiquement en dix ou quinze ans.
[…]
Alors, certaines nominations peuvent mécontenter
des gens, mais je trouve ça très bien ! Il faut toujours
se méfier de la réaction collective, surtout si elle est
unanime. Sur l’École des beaux-arts de Paris, il n’y a
pas eu de commission et, si on regarde les choses d’un
autre point de vue, beaucoup de gens se diront mécontents du choix de Nicolas Bourriaud. Personnellement,
je m’en réjouis, car c’est un véritable choix.
[…]
C’est vrai, ça ressemble à un modèle très libéral, mais je
dois reconnaître que j’ai une certaine méfiance dans les
systèmes démocratiques actuels, au-delà des commissions
dont on parle, et y compris pour la social-démocratie.
[…]
En presque vingt ans, j’ai dû être confrontée à une dizaine de commissions et à ce qui les accompagne : les
mensonges, les vices de procédure, l’illégalité… Parce
que ces commissions sont en réalité des simulacres
pour dissimuler qu’il y a de toute façon une décision
prise par une seule personne ou un tout petit comité de
gens invisibles.
[…]
La seule commission que j’ai vu bien fonctionner,
c’était à « Manifesta », où les gens n’étaient pas là pour
évaluer les candidats mais pour discuter très longuement du projet. Ce n’est pas une situation d’examen,
mais d’égalité entre commission et candidats.
[…] je préfère qu’on se trompe,
pourvu que ce soit radicalement,
ou qu’on fasse quelque chose
de formidable, qui sera jugé dans
quelques années
[…]
La réalité est que si on ne te demande pas de te présenter à un poste, il ne faut pas y aller. Disons les choses
clairement, ça peut aider les générations à venir à ne
pas faire les mêmes erreurs.
[…]
Aujourd’hui, les gens qui sont appelés à des postes très
importants dans de très grands musées ne l’ont jamais
désiré ou manifesté. Un jour, ils reçoivent la visite de
conservateurs du MoMA qui leur demandent de réfléchir à cette hypothèse. Et ça arrive aussi en Europe, à
des gens de ma génération. C’est leur travail qui est
regardé, avec un réseau de prescripteurs.
MAGAZINE NO 6
96
Mais j’ai aussi participé à de nombreuses commissions !
Certaines dans lesquelles des gens brillants étaient
simplement garants du bon déroulement de la séance,
et n’avaient pas le droit de voter ni de s’exprimer ; j’ai
donc démissionné.
[…]
Les prix, c’est assez arbitraire, ça ne me dérange pas,
c’est l’argent d’un sponsor… mais les commissions
d’État, j’ai du mal à comprendre. Je dois avoir un fond
de moralité républicaine, car c’est de l’argent public,
c’est l’outil d’une politique culturelle ! Je suis ulcérée
quand je vois qu’on peut aider un tout petit peu des
gens qui démarrent (car ce ne sont pas des sommes
importantes), et qu’on accorde cette somme à un artiste
installé depuis vingt-cinq ans.
[…]
En France, on voue un culte aux commissions. Par
exemple – je crois qu’on est les seuls à faire ça –, il y a
un comité assez nébuleux qui choisit l’artiste qui représentera la France à la Biennale de Venise et c’est
ensuite cet artiste qui choisit son commissaire. On
pourrait croire qu’un critique ou un commissaire aurait vocation à choisir l’artiste, comme dans n’importe
quelle exposition, mais on a préféré renverser l’élection !
C’est dommageable, car des artistes français importants
sont en train de passer à côté de la Biennale de Venise
parce qu’ils n’ont pas de galerie française par exemple.
Alors, dès qu’on commence à contester ce système, il est
entendu qu’on ne fera pas partie du comité…
[…]
Il faut aussi comprendre le mécanisme suivant : une
commission examine des réponses à un appel d’offres,
mais reste prisonnière des dossiers parvenus. Si elle ne
se satisfait pas de ce qui est sur la table, elle doit ellemême discrètement solliciter d’autres candidats, cette
fois-ci soigneusement choisis.
[…]
On pense que des choix affirmés donneraient lieu à
des effets de cour, mais les commissions produisent
aussi des effets pervers en plus de résultats médiocres !
Avec en plus l’abandon de toute radicalité… et ce qui
est radical n’a comme possibilité que de se radicaliser
davantage. Et on est devenu excellent dans cette discipline. S’il y avait des jeux Olympiques, on serait les
meilleurs.
[…]
C’est l’histoire de notre génération. C’est une discussion
que j’ai eue plusieurs fois avec Michel Houellebecq ; il
pense que ce qui marque cette génération de gens qui
ont commencé à faire des choses dans les années 90
c’est qu’ils n’ont pas voulu le pouvoir. Et il pense qu’on
a eu tort. Il raconte d’ailleurs que, malgré la reconnaissance dont il semble bénéficier, lorsqu’il recommande
le manuscrit d’un jeune auteur à un éditeur, ça n’a
aucune espèce d’effet. Si on ne prend pas le pouvoir au
début, on perd définitivement la main.
[…]
On sait aussi que jouer le jeu de manière plus politique, plus amène, plus hypocrite, aurait altéré la teneur de notre travail aujourd’hui ; parce que le temps
passé à « jouer le jeu » est un temps qu’on ne passe pas à
travailler le fond, ce qu’on fait avec un immense plaisir.
[…]
On ne ressemble pas aux personnages que décrit ce
très mauvais scénario de la génération X, dans lequel les individus seraient dépolitisés ; on veut juste
faire ce qu’on a envie de faire, et on en est conscients.
On est des enfants gâtés. Ça se paye un peu, mais ça
reste abordable…
[…]
On a voulu garder cet état d’adolescence éternelle, et
même si j’ai dû passer par un procès de 11 ans (1), je le
revendique toujours.
Stéphanie Moisdon
Propos recueillis par
Angelo Cirimele
1. Le procès suite à l’exposition « Présumé Innocents » au CAPC de Bordeaux
en 2000.
Photo : Salle de réunion, Munich, 1984 ©DR
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MOODBOARD
TRENCH COAT
L’Officiel no 622, 1976
ILLUSTRATIONS FLORENCE TÉTIER
fashions of florida
L’Officiel no 515, 1965
Imperméable en façonné
Rhodia laqué, Hermès
MAGAZINE NO 6
98
MAGAZINE NO 6
99
L’Officiel no 709, 1985
Imperméable en vinyle imprimé
façon lézard
L’Officiel no 611, 1974
Ann Francis by Gordon Parks, 1950
MAGAZINE NO 6
100
MAGAZINE NO 6
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ART CONTEMPORAIN
LIONEL BOVIER
Comment l’industrie du livre d’art parvient-elle à exister malgré un public
aussi restreint ? Après une pratique de commissaire, Lionel Bovier
a initié une maison d’édition, avant de développer JRP Ringier, un pôle spécifique
adossé à un groupe suisse.
Vous dirigez depuis 2004 la maison d’édition d’art
contemporain JRP Ringier basée à Zurich. Quelle est
l’histoire de cette structure ?
JRP Ringier est née en 2004 du partenariat de
JRP Éditions, une micro-structure créée en 1993, avec
le groupe de presse suisse Ringier. JRP était une forme
de « hobby » que je partageais avec mon ami Christophe
Cherix, aujourd’hui responsable du département Prints
and Illustrated Books du MoMA, à New York ; c’était
avant tout une activité de week-end, comme d’autres
pratiquent le golf… Nous faisions les choses, disons,
en « amateurs » – au sens de ceux qui aiment –, sans
réfléchir à la question économique ni à celle de la
diffusion ; nous obéissions simplement à notre envie
de « jeunes curateurs » de travailler avec des artistes
auxquels, grâce à ces projets, nous trouvions un accès
plus facile. Ce n’est pas tant le fait que nous financions tout de notre poche qui comptait, mais bien celui
d’une forme de « solution de continuité » qui pouvait
exister entre nos activités curatoriales et le domaine
de l’imprimé.
Il n’est pas un éditeur d’art
aujourd’hui qui gagne
véritablement de l’argent. [...]
Pour des éditeurs tels que
nous, quand tout va bien, nous
sommes à zéro
Pourquoi avoir renoncé à ce statut d’amateur ?
J’étais parfois frustré par la faible diffusion des
ouvrages et il était presque impossible de trouver une
distribution professionnelle avec notre catalogue d’une
vingtaine de titres seulement. Il faut dire aussi que,
parallèlement, j’étais commissaire d’exposition indépendant, collaborant notamment avec le Magasin de
Grenoble, je participais à la création de l’espace Forde
à Genève, j’enseignais à l’école d’art de Lausanne, bref,
j’étais pris dans pas mal d’autres activités. Tout ce que
je voulais, c’était apporter du contenu. À un moment,
je me suis donc posé la question de me consacrer à
un seul « métier ». Mon analyse était assez simple : en
tant que commissaire d’exposition, à 30 ans, en tout
cas dans nos pays, il y avait peu de chances que l’on
m’offre la direction d’un lieu, disons comme Beaubourg
ou même Portikus ; de plus, ayant une forme appuyée
de désintérêt pour le format des Biennales, il me semblait que l’horizon allait se résumer à la répétition
du même, jusqu’à ce que je sois suffisamment « mûr »
pour que l’on me confie la direction d’un petit espace,
dans lequel j’allais m’acharner à refaire ce que je faisais (mieux) en indépendant… Bref, après réflexion et
quelques déconvenues liées à la pratique curatoriale, à
un moment où s’y imposait de plus en plus un pseudo
discours de « management », j’ai décidé de changer de
« rôle ». Disons que je n’appréciais ni les perspectives
professionnelles qui s’offraient à moi ni la valorisation
nouvelle du rôle du « curateur », qui repose plus sur son
nom que sa pratique.
Vous participez pourtant à cette starification des commissaires en éditant notamment tous les entretiens
d’Hans Ulrich Obrist, paroxysme de ce phénomène.
Obrist est un cas particulier : il n’a pas travaillé dans l’optique de faire de son nom une « marque »
ou une « valeur », il a d’abord énormément travaillé !
En parallèle de cette débauche d’énergie, il est aussi
habité par un projet quasi artistique : rencontrer le
plus grand nombre possible d’artistes, d’intellectuels
et de « créateurs » de contenus ; on dirait presque une
œuvre de Douglas Huebler… Je ne trouve pas qu’il
ressemble beaucoup à ses collègues. Il s’est peut-être
contenté de jouer le jeu de son époque. Pour moi, les
« curateurs » sont des figures récessives, des passeurs
au sens où Walter Benjamin l’entendait, plutôt que des
personnages publics. Mais, le plus grave, ce n’est pas
tant cette médiatisation ou ce changement d’état, c’est
que les gens qui élisent ces « curateurs » à des postes,
quels qu’ils soient, n’ont en général strictement aucune
idée de ce qu’est le commissariat, ni des réalisations
spécifiques de ceux qu’ils choisissent…
Revenons au fil de votre histoire. Vous décidez donc
de vous tourner complètement vers l’édition d’art.
Quelles ambitions vous êtes-vous fixées pour cette
entreprise à inventer ?
En 2002, j’ai rencontré Michael Ringier, avec
lequel nous avons discuté d’un projet d’édition, par
l’entremise de Beatrix Ruf. Je me suis lancé dans cette
aventure assez progressivement et frileusement. J’ai
pris une année sabbatique afin de m’initier au management, pour lequel je n’étais pas très bien équipé en
venant de l’histoire de l’art… puis je suis revenu le voir.
L’ambition était de créer une compagnie, c’est-à-dire,
pour le coup, de se confronter aux questions économiques dans la culture à « balles réelles » : il faut, dans
une société, générer l’argent qui va permettre aux projets de se réaliser et non l’inverse… J’avais gardé de JRP
l’envie de réaliser à la fois des livres d’artiste et des
MAGAZINE NO 6
102
monographies, à quoi j’ai souhaité ajouter des collections de textes et l’ambition de fonctionner en trois langues, anglais, français et allemand.
Comment avez-vous défini votre place dans ce secteur
très ciblé ?
Pendant mon année de réflexion, j’ai rencontré beaucoup d’éditeurs d’art et de personnes travaillant
dans ce domaine. Je devais sans doute plus ressembler
à un étudiant venu réclamer un entretien qu’à un éditeur en projet, mais… j’avais conscience de mes lacunes.
La plupart de mes interlocuteurs n’ont pas été très honnêtes ou précis sur les chiffres, pratique courante dans
la profession, mais ils m’ont permis de comprendre
comment travaillaient les éditeurs dits « commerciaux »,
comme Thames & Hudson ou Phaidon. Nous avons
commencé comme une très petite PME, raisonnablement, en externalisant tout de suite diffusion et distribution ; même en Suisse, nous ne faisons pas de vente
directe, manière de défendre cette chaîne de l’édition
qui passe par diffuseur, distributeur, représentant et
libraire, et qui est en péril aujourd’hui. Actuellement
encore, notre équipe se limite à dix personnes et une
vingtaine de mandataires. J’ai essayé de mettre en place
un système original : nous fonctionnons classiquement avec un éditeur par langue, mais également avec
un réseau d’éditeurs associés qui viennent du monde
de l’art. Ces derniers travaillent un peu comme des
directeurs de collection : basés en Europe de l’Est, à
Los Angeles ou au Canada, ils analysent les informations artistiques et nous les font remonter.
Comment trouver un équilibre financier avec des éditions aussi pointues ?
Vous connaissez la plaisanterie classique des
éditeurs : « Comment devient-on millionnaire dans
l’édition ? — En commençant avec 10 millions ! » Il n’est
pas un éditeur d’art aujourd’hui qui gagne véritablement de l’argent. Et je trouve de plus en plus souvent
sur ma table des propositions de reprise d’entreprise
en difficulté… Pour des éditeurs tels que nous, quand
tout va bien, nous sommes à zéro… Il faut savoir que
Phaidon, par exemple, réalise certainement 90 % de son
chiffre d’affaires sur les livres de cuisine ou le lifestyle.
Dans l’idéal, nos ouvrages intéressent 5 000 personnes
dans le monde, mais réparties sur plusieurs milliers de
points de vente, donc avec de gros frais de distribution.
Un best-seller en art, cela commence à 10 000 copies,
contre 100 000 en littérature… Quant au livre d’artiste,
on travaille avec beaucoup moins de librairies et de
clients. Dans la chaîne de distribution, le producteur
reçoit traditionnellement un tiers des bénéfices, un
tiers va à la distribution et la diffusion, et un tiers à
la librairie. Mais le jeu est de plus en plus serré, chacun essayant constamment d’accroître ses marges ;
aujourd’hui, un acteur comme Amazon peut prétendre
prendre jusqu’à 80 %. De manière générale, nos marges
s’amenuisent : on vit aujourd’hui avec 20 % du prix de
vente net. Ce qui signifie que sur un livre à 40 euros,
il reste 8 euros pour payer la production du contenu,
la fabrication… et la société ! Pour tenir le coup et pour
distribuer les risques et tenter de diversifier les sources
de revenus, JRP Ringier sort environ 60 nouveaux
livres par an, avec une géographie internationale,
c’est-à-dire en pensant à chaque marché important, à
chaque saison.
Quels sont vos best-sellers ?
A Brief History of Curating d’Hans Ulrich Obrist
a atteint 20 000 exemplaires, si l’on compte les langues
étrangères et le fait que nous en sommes au quatrième
reprint. Nous avions atteint cela sur une monographie de Fischli & Weiss co-éditée avec le Kunsthaus
de Zurich, la Tate et le Mamvp, mais sur deux tirages
et trois éditions ! Pour arriver à 100 000 ventes, il faudrait faire Picasso et les maîtres, et disposer du point de
vente de l’exposition. Mais je ne crois pas que, dans l’art
contemporain, nous puissions être dans la logique du
best-seller.
Les catalogues d’exposition sont-ils plus ou moins
rentables que les monographies ?
On peut estimer à 5 % le public qui achète un
catalogue en sortant d’une exposition. Sur le million
de visiteurs de « Documenta », ça vaut le coup. Pour la
Biennale de Lyon ou de Berlin, déjà moins… et pour
une exposition d’art contemporain, même au Centre
Pompidou, encore moins... De manière générale, un
catalogue d’exposition ne m’intéresse guère en tant que
tel, il s’agit d’abord de savoir si l’artiste ou la thématique, bref, les contenus sont intéressants ou pas.
MAGAZINE NO 6
103
[…] j’adorerais que les curateurs qui
écrivent mal acceptent de déléguer.
Hans Ulrich Obrist est incapable d’avoir
le temps d’écrire, et il est l’un
des rares à l’accepter
Comment effectuez-vous vos choix éditoriaux ? Quelle
est la part des propositions reçues de l’extérieur, des
projets initiés par vos équipes ?
Nous recevons environ 300 soumissions
volontaires par an. Si l’on ajoute les projets que nous
avons envie de réaliser en interne, disons que c’est une
masse de 400 projets à parcourir par an. Au final, environ 30 % de nos projets naissent de propositions bien
formulées. C’est pourquoi il est fondamental pour moi
d’être bien conseillé.
[…] Je pense que beaucoup
[d’éditeurs] vont désormais
miser sur le livre électronique,
par exemple.
Vous êtes réputés surtout pour vos monographies,
qui représentent désormais 70 % de votre production.
Comment choisissez-vous les artistes à qui vous
consacrez un ouvrage ?
Ce sont souvent des artistes avec qui nous
sommes entrés en contact, avec qui nous avons créé de
vrais rapports en leur proposant parfois des stratégies
éditoriales sur le long terme. Certains livres prennent
parfois des années à être construits : My Mirage de
Jim Shaw, malgré son apparente modestie, nous a
demandé cinq ans de travail pour réunir les images…
D’autres se font très vite. Devant l’abondance de projets, d’envies, de propositions, etc., il faut également
saisir les opportunités, penser au timing : une série
d’expositions monographiques, par exemple. Cela nous
permet de proposer aux galeries et institutions des partenariats ou de faire plus efficacement du fundraising,
tout en espérant que la diffusion soit meilleure grâce
à l’actualité de l’artiste. Les institutions qui les invitent
et les galeries qui travaillent avec eux s’agrègent alors
plus volontiers au livre, et achètent des pré-copies ; les
fondations, elles aussi, auront tendance à privilégier
un schéma dans lequel leur contribution vient compléter un projet déjà en marche et susceptible d’avoir un
écho plus international. Ce système fonctionne, mais
il est très délicat car les institutions doivent entendre
que le livre n’est pas leur objet de communication. C’est
précisément cette confusion d’adresse qui est, de mon
point de vue, responsable d’une partie de la désaffection du lectorat pour le classique « catalogue d’exposition ». Il faut aussi redonner confiance au lecteur, en
lui faisant comprendre que ce livre n’est pas un support de communication.
Quels types de coproduction pouvez-vous envisager ?
Dans quelle mesure acceptez-vous des commandes ?
Une erreur classique consiste à croire que,
dans l’édition, le seul coût engendré est celui de la production du projet. Mais le simple fonctionnement d’une
société comme la nôtre coûte 15 000 euros par semaine…
Pour que la société tourne, il faut vendre des livres. Le
modèle allemand ou italien de la « société de service »
déguisée en éditeur, c’est-à-dire à même de rendre des
services à l’institution sur la base de la captation de
son budget d’impression, a fait long feu. En outre, cela
ne m’intéresse pas et me coûterait trop cher, n’étant ni
imprimeur ni disposé à sacrifier la qualité pour conserver une marge de profit… Ce que l’éditeur d’art essaie
de faire, c’est de pré-vendre des copies à un partenaire,
quel qu’il soit, avant la sortie du livre pour couvrir des
frais de production, de travail, etc., et pour compenser
le cash out immédiat qu’il doit faire lorsqu’un livre sort,
et cela malgré la lenteur avec laquelle cet argent lui
reviendra du circuit de distribution. Cette « couverture
des risques » n’est néanmoins pas toujours possible ni
toujours souhaitable…
Comment voyez-vous la frontière entre commande et
collaboration ?
Il y a un risque de confusion. Un éditeur est
censé travailler sur la production de contenus, y compris le design. Une commande présuppose aussi une
relation de conseil, qui soit payée, c’est-à-dire au-delà
du simple fait que le livre soit financé, que la structure
soit mandatée financièrement. Cela nous est arrivé avec
certains artistes ou collectionneurs, jamais avec des
institutions, et seulement une à deux fois par an. On
les aide alors à définir leur contenu et à faire en sorte
que cela soit un aussi bon livre que possible. Ensuite, je
considère la prise en charge du titre dans le programme
comme une option supplémentaire ; nous n’avons pas
nécessairement d’obligation en regard de cela.
N’y a-t-il pas un danger à voir certains commanditaires se « payer » l’image de marque JRP Ringier, au
risque de la voir s’affaiblir ?
Il y en aurait un si nous multipliions ce
genre de projets, en effet. Mais nous n’allons pas éditer la mauvaise collection d’une banque simplement
parce qu’elle peut payer suffisamment. Et j’ai refusé de
nombreux livres de personnages plutôt célèbres alors
qu’il y avait potentiellement de l’argent à la clef.
Quand vous collaborez avec une institution, où se
situent votre intérêt et celui du musée ?
Collaborer avec des institutions m’intéresse
moins pour cette question de couverture de budget que
parce qu’elles sont capables de produire du contenu,
un contenu que moi-même je ne pourrais pas forcément « créer » ou payer. Dans le cas idéal, le musée vient
MAGAZINE NO 6
104
vers nous avec de l’avance (une année), envisage des
partenariats sur le projet avec d’autres institutions et
comprend la nécessité d’un bon directeur d’ouvrage. Ce
n’est pas la règle… et je dois dire que j’ai souvent été
déçu : il semble que la production de contenus de qualité, avec une dimension scientifique ou même simplement originale, soit de plus en plus difficile. Nous
avons néanmoins quelques très bonnes collaborations
régulières, avec le Migros Museum et la Kunsthalle
de Zurich notamment. Mais, de manière générale, j’ai
beaucoup réduit ce type d’engagement : je ne souhaite
pas prendre un projet sans le lire et l’interroger dans
tous ses aspects. Je ne vois pas l’intérêt d’être un simple
intermédiaire et je pense que c’est le travail d’un éditeur que de prendre connaissance des contenus, de les
éditer, justement, et de les mettre en forme.
désormais miser sur le livre électronique, par exemple.
Pour ma part, je m’inquiète davantage « d’écologie »
éditoriale : je milite contre la tendance qui, depuis les
années 90, incite tous les lieux d’art à produire une
offre pléthorique et confuse qui ne profite à personne ;
j’invite mes interlocuteurs à réfléchir sur la nécessité
absolue de sortir un autre livre sur tel ou tel artiste qui
vient d’être publié ; je les interroge sur la nécessité de
prendre en compte la réalité éditoriale, et cela sur un
plan international ; et je leur propose plus de collaborations que d’actions isolées. J’espère que nous puissions
retrouver une forme plus classique de relation à un
lectorat, même très spécialisé, qui fasse confiance à un
éditeur pour faire des découvertes, etc. Nous avons commencé à modifier notre
mode de communication
dans ce sens, notamment
avec l’édition d’un journal
informant sur nos titres
et mettant l’accent sur les
contenus, plutôt qu’un
simple programme d’éditeur. Enfin, j’adorerais que
les curateurs qui écrivent
mal acceptent de déléguer.
Hans Ulrich Obrist est
incapable d’avoir le temps
d’écrire, et il est l’un des
rares à l’accepter.
Vous avez ouvert un bureau en France avec Clément
Dirié comme éditeur français ; quelle est votre analyse
de l’édition d’art en France ?
La scène est beaucoup moins dense qu’en
Allemagne, par exemple. Soit il y a des artisans qui font
de bons projets, soit de très grosses machines, comme
Flammarion. En France, nous ne réalisons encore
qu’un petit chiffre d’affaires, mais nous le voyons progresser, ce qui est, à l’heure actuelle, très positif. De
toute façon, l’avantage de travailler dans un secteur qui
fait peu d’argent, c’est qu’on a plutôt des collègues que
des concurrents…
Quand vous publiez les photographies du couturier
Hedi Slimane, cela résulte-t-il d’une commande ou de
votre propre désir ?
En l’occurrence, je pense que c’est un excellent
photographe et notre deuxième livre avec lui m’a plutôt
coûté très cher… Heureusement, il s’est aussi très bien
vendu !
Propos recueillis par
Emmanuelle Lequeux
Dans un contexte de crise, comment envisagez-vous
l’évolution de ce secteur déjà fragile ?
Je ne vois pas comment une structure de taille
moyenne va surmonter ses problèmes financiers, à part
à travers des regroupements ou la diversification de
ses sources de revenus. Je pense que beaucoup vont
Page précédente : The best suprise is no surprise, E-flux, éd. JRP Ringier
À gauche : ©Pierre Fantys
À droite : Mai-Thu Perret, éd. JRP Ringier
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105
DESIGN
POSTMODERNISME
[…] C’est beau et exaltant
comme une promesse
d’adolescent : d’abord on tue
les parents, on prend la caisse,
après on verra bien
Le postmodernisme s’expose beaucoup. On ne sait plus très bien quand on y est
entré ni si on peut en sortir. Peut-on espérer se séparer de ce que l’on
ne peut identifier mais qui serait pourtant partout ? Face à sa nouvelle actualité,
aux allures de sacre, le désespoir même devient postmoderne.
« Post Modernism: Style and Subversion, 1970/1990 »
au Victoria & Albert Museum (1), « Goudemalion » aux
Arts Déco (2), « Architecture 80 » au Pavillon de l’Arsenal (3), la parution de Scritti d’Alessandro Mendini (4).
La célébration des 30 ans de la fondation du groupe
Memphis, enfin, fait de cet ensemble un motif de
saison.
Le qualificatif de postmoderne, que l’on trouve
rarement aux pages économie ou diplomatie des quotidiens, mais régulièrement présent dans ses sections art
et littérature, unirait encore avec pertinence Lady Gaga
à Ricardo Bofill, Jeff Koons et Ettore Sottsass. Pourtant,
ce postmodernisme est sûrement un colis piégé – nous
sommes par sa faute comme otages d’un métro parisien, coincés dans un tunnel pour une durée indéterminée du fait de sa découverte menaçante. Il ne dit pas
volontiers ce qu’il est et en laisse le soin à des exégètes,
petits malins et experts en glose énervés par l’attente.
Il laisse parler l’enfant, le philosophe et le clochard.
La bombe, qu’il contient peut-être, est-elle un carton
plein de vieux papiers raffinés ou un sac emballant des
chaussettes orphelines ? Une caisse précieuse où sont
rangés les livres fondateurs de cinq cultures différentes
ou bien la liasse désordonnée agglomérant des revues
légères ? Un simple sac de dame oublié ? Le colis, supposé offensif, est le plus souvent anéanti avant même
son examen. Le postmodernisme ne permet pas une
définition simple de sa nature, ni une évacuation aussi
expéditive – il ne peut pas exploser, parce qu’il n’est ni
colis ni contenu, mais seulement l’idée de l’un et de
l’autre. Il n’est qu’une annonce et se vend comme tel.
La surface devenue matière, une apparence
susceptible de prétendre à la place d’essence. Amant du
simulacre et cousin du camouflage, le postmodernisme
est la peau et le décor, la peau du décor même. C’est peutêtre en cela qu’il se distingue d’abord, visuellement
aussi, du modernisme, qui est supposé l’avoir précédé :
le motif, les couleurs et la licence formelle deviennent
à nouveau possibles sans que l’anathème réactionnaire
vous tombe dessus. Vous êtes au contraire célébré
comme libérateur, héraut de la jouissance et apôtre
d’un bonheur possible ancré dans l’ici et le maintenant le plus excitant qui ait jamais existé. Votre attention au modeste et au quotidien vous rend populaire,
avant d’être populiste. Une fois déboulonnée ce qu’a
été l’ambition caractérisant le projet moderne – une
volonté de changer le monde servie par des moyens
souvent brutaux où l’humain paraît plus sommé de
s’adapter que la proposition lui être effectivement destinée –, que reste-t-il ? À l’enthousiasme de la liquidation de cette inquisition succède le junkspace de Rem
Koolhaas : cette galerie marchande érotique qui célèbre
sans discontinuer l’accouplement « de l’escalator et de
la climatisation dans un incubateur en placoplâtre ».
L’aménagement des gares SNCF, des aéroports et des
musées lui rendent hommage.
Aux espoirs des bienfaits de la science partagés par l’humanité se substitue la puissance du désir
mis en scène par la boutique. La jeunesse éternelle est
la perspective (celle de Jean-Paul Goude, comme celle
de Kate Moss). Le caractère punitif, le dogmatisme du
projet moderne répondaient, sûrement sans rire assez,
à la prospérité des années 60 : il apparaissait servir trop
adéquatement les besoins d’une société bureaucratisée
et disciplinaire, composée d’environnements à angles
aigus, obsédée de productivité conduite sous un éclairage unifiant. L’un des tout premiers écrits, révélant
la faille sur le point de devenir un espace total, est
celui de l’architecte Robert Venturi en 1966 (le postmodernisme ne sera qualifié comme tel que dix ans plus
tard par un autre architecte américain, Charles Jencks).
Il remplit d’enthousiasme. « Ce dont je veux parler […]
c’est d’une architecture complexe et contradictoire fondée sur la richesse et l’ambiguïté de la vie moderne
et de la pratique de l’art. […] Ce que j’aime des choses
c’est qu’elles soient hybrides plutôt que “pures”, issues
de compromis plutôt que de mains propres, biscornues
plutôt que sans détours […] » Formidable texte. Il y a
aussi dans le catalogue de l’exposition londonienne
MAGAZINE NO 6
106
cette jolie citation de David Byrne : « Comme beaucoup
d’autres, j’avais ressenti [que le modernisme] s’était à
la fois égaré, d’une part de ses origines idéalistes, et
devenu codifié d’autre part, strict, puritain et dogmatique… Qui plus est, aussi adorable puisse-t-il être, le
mobilier moderne est cruellement inconfortable. Si
le postmodernisme devait signifier que tout devenait
possible, alors j’y étais entièrement favorable. Enfin ! Ce
n’est pas que les constructions ou les meubles devenaient tout d’un coup beaucoup plus beaux ou plus
confortables. Mais au moins, on ne nous tendait pas
un guide opératoire impératif avec. »
viviers du pomo [contraction anglosaxonne de postmodernisme, ndlr] doit précisément être ce bureau de
création de l’entreprise publicitaire. Évidemment que
l’aventure ne commence pas de cette manière. Elle
est d’abord critique, et puis elle devient marchandise
– jusqu’ici, un ordre banal –, et puis elle entre au musée,
sans avoir perdu la plupart de ses accents racoleurs
– là, c’est inédit.
Le postmodernisme n’est plus un style ou
même un mouvement. Il serait devenu cette époque
ou un moment de transition inédite : on comprend, à
peu près, d’où on part et à quel instant, mais on ne sait
plus où on va et on ne veut d’ailleurs pas savoir. C’est
beau et exaltant comme une promesse d’adolescent :
d’abord on tue les parents, on prend la caisse, après on
verra bien. Cette fin du projet au sens moderne est ce
à quoi Jean-François Lyotard greffe la belle nuance de
la fin des « grands récits ». À qui le philosophe américain Fredric Jameson répondra qu’il n’y avait, de toute
façon, pas de grands récits, mais à peine des « schémas
eschatologiques », alors, bon. Et Jameson de caractériser le phénomène postmoderne par son indexation au
capitalisme tardif, notamment par son obsession de la
marchandise. Nous suivons : la perspective de la vente,
avec tous les ingrédients de la séduction immédiate
qui la composent, est bien l’une de ses caractéristiques.
La marchandise est son propos, souvent le point de
départ et aboutissement toujours. À la différence des
modernes, ce n’est plus la production qui importe (une
fascination pour ses machines) mais sa consommation.
Le défilé des réclames de Jean-Paul Goude au
musée des Arts Décoratifs est de ce point de vue-là
particulièrement troublant, surtout pour celui qui en
est le contemporain : le chemin qui va de l’agence au
musée est devenu terriblement bref, ou bien l’un des
Et ce n’est pas aussi simple non plus.
Prenez deux expositions de design en cours, d’ambitions rétrospectives distinctes : Martin Szekely au
Centre Pompidou (5), Robert Stadler chez Carpenter’s
Workshop (6). Aucun n’y est vraiment, mais personne
n’y échappe tout à fait non plus : fondé sur la contradiction et l’ambiguïté, le pomo est puissant. Aux éclairages de kermesse clignotants que sont ces expositions
multipliées, lorsqu’on pense passer à autre chose, on
s’aperçoit que l’enterrement du postmodernisme ne
peut avoir lieu : il n’y a pas de corps. Et il n’y a pas plus
de cimetière. À peine des chambres froides, des séchoirs
multicolores, avec de la musique, des vitrines et des
danses. Et des promesses de néo en promotion, pour
l’éternité.
Pierre Doze
1. « Postmodernism : Style and Subversion, 1970/1990 », Victoria & Albert
Museum, Londres. Catalogue idem.
2. « Goudemalion », musée des Arts Décoratifs, Paris. Catalogue idem.
3. « Architectures 80, une chronique métropolitaine », Pavillon de l’Arsenal. 3/0525/09/2011. Un catalogue rassemble travaux et commentaires de 200 équipes d’architectes et paysagistes, co-édition Pavillon de l’Arsenal et A&J Picard.
4. Alessandro Mendini, Scritti, Catherine Geel (éd.), préf. Pierangelo Caramia,
introduction et textes de C. Geel, trad. de P. Caramia, C. Geel, Presses du Réel,
Dijon, novembre 2011.
5. « Ne plus dessiner, Martin Szekely », Centre Pompidou, Paris, jusqu’au
2/01/2012.
6. « 1 000 jours, Robert Stadler », Carpenters Workshop Gallery, 54 rue de la
Verrerie, Paris, jusqu’au 7/01/2012.
Image : affiche de l’exposition Postmodernism, Victoria & Albert Museum
MAGAZINE NO 6
107
RÉTROVISION
BIZARRE
Une revue engagée n’épouse pas forcément des idées révolutionnaires, mais peut
être le véhicule de l’absurde, à condition de convier des experts en la matière.
Révélatrice d’un état d’esprit propre à une certaine
intelligentsia française qui, au sortir de la guerre,
privilégie la parodie et le non-sens aux dépens des
avant-gardes avortées et condamnées par les totalitarismes des années 30, la revue Bizarre s’engage dès
son premier numéro, au printemps 1953, non pas au
sens politique et « sartrien » du terme mais comme un
pied de nez anticonformiste et « pataphysicien ». La
mémoire ou plutôt l’esprit d’Alfred Jarry, inventeur de
la Pataphysique, « cette science des solutions imaginaires qui accorde symboliquement aux linéaments les
propriétés des objets décrits par leur virtualité », inspire
le journaliste et écrivain Michel Laclos, l’un des initiateur du projet et membre du collège de Pataphysique.
la mouvance éditoriale post-surréaliste des années 50
et 60, il n’en est rien dans les faits : une influence,
certes, mais Bizarre s’affirme plus comme un objet de la
culture pop naissante. En témoigne le numéro 1, dédié
à l’auteur de romans policiers et fantastiques Gaston
Leroux. Un numéro, au format 19 x 27 cm, de 90 pages
aux deux tiers consacrés à l’œuvre de Leroux. Sous le
titre Ça finira par se savoir chez les veaux, les co-signataires, membres du comité de rédaction ainsi qu’un
invité de marque, le comédien Pierre Brasseur, donnent
le ton. « Puisque c’est à Gaston Leroux que nous avons
choisi dans ce premier numéro de rendre l’hommage
collectif qui commençait à se faire attendre, toute autre
affirmation préalable de ce que nous voulons dire ou
Fondé en 1948, ce cercle accueille des personnalités telles que Jean Dubuffet, Raymond Queneau, Boris
Vian, Jacques Prévert, Joan Miro, Max Ernst, René Clair
ou encore Fernando Arrabal. Autour de Michel Laclos,
qui endosse la fonction de rédacteur en chef de Bizarre
et qui la conservera pendant une quinzaine d’années,
se constitue un premier comité de rédaction où l’on
trouve l’écrivain Jean Ferry, spécialiste de l’œuvre de
Raymond Roussel, le critique cinématographique Ado
Kirou, le collectionneur d’objets insolites et galeriste
Romi, l’acteur et illusioniste Michel Seldow, l’auteur de
récits de science-fiction Jacques Sternberg, ainsi que
l’éditeur et fondateur du Terrain vague Éric Losfeld, qui
assure la gérance des premiers numéros de la revue.
Le comité se réunit au numéro 2 de la rue des
Beaux-Arts, chez Roger Cornaille. Une adresse mythique,
celle du Minotaure, prestigieuse revue surréaliste
d’avant-guerre. Si, à travers les personnalités de Losfeld
et Cornaille, on peut être tenté d’amalgamer Bizarre à
MAGAZINE NO 6
108
[…] Bizarre convoque
des textes originaux, fac-similés
ou prospectus, des documents
divers : écrits oubliés, grande et
« mauvaise » poésie, coupures
de presse, non-art, graffitis,
musique, une sorte de langage
du temps présent
ne pas dire dans la revue Bizarre semble tellement
superflu qu’on nous excusera de ne pas présenter ici,
en termes ambitieusement abstraits, le manifeste de
rigueur. Il risquerait, d’ailleurs, de nous faire prendre
pour, employons un mot commode, des intellectuels.
Nous préférons croire que ce sommaire inaugural parlera pour nous, et que s’y intéresseront, comme à ceux
des numéros de Bizarre qui suivront, tous ceux qui
mettent au-dessus de tout l’amour, l’humour, la poésie,
trois valeurs des côtés les plus inattendus aujourd’hui
niées, attaquées, et que nous nous proposons d’exalter,
surtout en ce qu’elles ont d’excessif, disons-le, d’insolite. En passant, nous croyons que, du même coup,
nous ferons œuvre destructive, ce qui n’est pas pour
nous mécontenter en un temps où, sous le couvert des
audaces les plus hardies, les plus hautaines, s’étalent
insolemment et triomphent les pires formes de toutes
les réactions. »
Une allusion au microcosme parisien, quelques
lignes plus loin, fait réagir les Cahiers du cinéma qui
proposent de priver Jean Ferry et Ado Kyrou de bistrots.
Imprimée sur un papier de qualité médiocre avec une
maquette qui semble conçue « à l’ancienne » par l’imprimeur typographe, ce premier numéro de Bizarre, qui
convoque des textes originaux ou réédités de Lacenaire,
Edgar Poe ou Ambrose Bierce, développe une terminologie et une envie d’éditer, sous forme de fac-similé
ou prospectus, des documents divers : écrits oubliés,
grande et « mauvaise » poésie, coupures de presse, nonart, graffitis, musique, une sorte de langage du temps
présent. Bizarre se positionne dans cette tension exprimée entre la haute et basse culture. Le « High and Low »
qui va rapidement assurer une notoriété aux artistes
du « Pop Art ».
MAGAZINE NO 6
109
Trimestrielle, la revue propose son numéro 2, en septembre 1953, en partie consacrée au dessinateur et
caricaturiste nancéen Jean Ignace Grandville. On y
redécouvre le talent de cet artiste du XIXe siècle qui, à
l’instar de Daumier, fut l’un des piliers des journaux
La Caricature et Le Charivari, et un opposant féroce
à la Monarchie de Juillet. Mort fou, inventeur d’une
caricature anthropomorphe et zoomorphe, Grandville
constitua une œuvre dessinée mutante où se côtoient
merveilleux et fantastique. Un univers que les productions Disney pilleront allégrement avant de totalement
l’aseptiser. Pour ce second numéro, Bizarre offre au lecteur de plus nombreuses illustrations imprimées sur
un papier couché brillant. On y rencontre les signatures du critique Jean Adhémar et celle plus novice de
Jean-Christophe Averty, pour un article sur Grandville
et le cinéma. Sous l’intitulé, « Le terroriste », Sternberg
introduit le travail méconnu du dessinateur américain Charles Addams, inventeur des « caractères » de la
famille éponyme. Les chroniques prennent une place
plus importante au sommaire. Dans l’une d’entre elles,
Adonis Kyrou assène : « Claudel est un auteur burlesque. Ce n’est pas nous qui nous en plaindrons, au
contraire, nous vous conseillons vivement d’accourir
au théâtre où est jouée sa dernière pièce, Christophe
Colomb, afin d’applaudir cette farce monumentale qui
remet à sa place l’horrible esclavagiste Colomb et tue
sous le rire sa complice, la religion catholique. »
Bizarre a quelques difficultés, notamment
des dissensions entre le comité éditorial et le gérant
Losfeld. On attendait le numéro 3 pour la fin 53, il ne
paraît qu’en mai 1955. Le divorce est consommé. Michel
Laclos est toujours rédacteur en chef. Même format
mais avec une maquette plus élaborée et imprimée
sur un support de meilleure qualité. Avec un nouvel
éditeur, Jean-Jacques Pauvert. La numérotation repart
au numéro 1 et huit numéros à l’année sont annoncés.
Bizarre trouve un rythme, très périodique suivant les
aléas juridiques et financier de son éditeur, qui au fil
des ans fait figure de « bête noire » du pouvoir gaulliste.
Bizarre marche, trouve son lectorat et témoigne de son
époque. De plus en plus de numéros spéciaux : « Les fous
littéraires », « La Joconde », « Les mystères Rembrandt »,
« A-t-on lu Rimbaud ? », « Les monstres »… En 1960, deux
numéros consacrés au dessin paraissent coup sur
coup, « Dessins inavouables » et « Suppléments aux
dessins inavouables ». Un parti pris éditorial affirmé
tout autant par Michel Laclos que par Jean-Jacques
Pauvert. Une génération nouvelle de dessinateurs, que
la presse nationale, ancrée dans ses conventions et trop
souvent aux ordres du pouvoir, refuse dans ses propositions graphiques. Pauvert, lui, les publie, ces dessins
refusés, ceux de Folon, Chaval, Gébé, Wolinski, Topor,
Cardon, Le Foll, Siné et aussi Bonnot, Maurice Henry,
Trez, Bosc, Mose, André François… qui remportent un
succès public. Engagée, à sa façon, sous la pression
des événements politiques qui conduisent cette décennie, Bizarre cultive l’inattendu et l’insolite à travers ses
textes, laissant aux dessinateurs le décryptage contestataire et humoristique de la réalité. Bizarre étonne,
amuse ses lecteurs qui ne se sentent pas pris au piège
d’un simple jeu gratuit.
La pop culture envahit le quotidien de la première moitié des années 60 et Bizarre lui renvoie le
reflet décalé de ses fantasmes. Avec le magazine Neuf,
Delpire avait, dès 1952, pressenti le poids que prendrait le dessin dans une vision critique de la société.
Bizarre, avec Siné en chef de file, provocateur conscient
et féroce, va aiguiser le regard de toute une génération
sur le terrain de l’observation crue, de la dérision et
de la jubilation. Le dernier numéro de Bizarre paraît
en mars 1968, peut-être avec la conscience que d’autres
supports sont à naître pour d’autres contestations.
MAGAZINE NO 6
110
Pierre Ponant
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PHOTOGRAPHIE : CLÉMENT PASCAL
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Photographie : CLÉMENT PASCAL
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Mais vous les retrouverez intacts en tournant la page.
Magazine est imprimé par SIO sur Heidelberg CD 102
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MAGAZINE NO 6
123
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Magazine n° 7, mars, avril, mai paraîtra le 1er mars
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MAGAZINE NO 6
124
MAGAZINE NO 6
125
AGENDA
*
Urban poetry
HIVER 2011-2012
7 décembre
Shame de Steve McQueen,
2011, 99’. Le nouveau film
du réalisateur britannique
largement récompensé en
festivals.
En salles/
7 décembre au 29 janvier
Le Centenaire de la
Nikkatsu, ou une fenêtre
sur 100 ans de cinéma
japonais à la Cinémathèque.
cinemathèque.fr/
7 décembre au 29 février
Cycle London calling, où se
mêleront culture, musique,
société et politique au
Forum des images.
forumdesimages.fr/
11 décembre au 6 mai
Azzedine Alaïa in the
XXIst century, exposition
consacrée au designer
indépendant au Musée
de Groninger avec
la publication d’une
monographie à la clé.
groningermuseum.nl/
15 décembre au 26 février
Le sentiment des choses,
exposition d’Élodie Royer
et Yoann Gourmel au
Plateau.
fracidf-leplateau.com/
21 décembre
Le Havre de
Aki Kaurismaki, 2011, 93’.
Un œil finlandais sur
14 janvier
Vernissages dans le
Marais : Art Concept,
Gutharc, Perrotin, Ropac,
Valentin…
marais/
JANVIER
Jusqu’au 15 janvier
Derniers jours de
l’exposition L’œil sur les
rues rassemblant 23 vidéos
d’artistes engageant la rue
à la Villette.
villette.com/
18 au 22 janvier
Défilés mode masculine,
automne-hiver 2012-2013.
Détails et calendrier sur
modeaparis.com/
Jusqu’au 22 janvier
Derniers jours de Breitner,
pionnier de la photographie
de rue, exposition de
photographie au tournant
du XXe de cet artiste jusquelà regardé pour sa peinture
à l’Institut néerlandais.
institutneerlandais.com
Jusqu’au 27 janvier
Exposition //DIY à la galerie
12mail. Le travail de ce
trio de graphistes suisses
s’articulera ici autour de la
musique.
12mail.fr/
10 janvier
Séminaire public Mode et
parfum par Anne-Sophie
Breitwiller, professeur à l’IFM.
ifm-paris.com/
11 janvier
Dubaï Flamingo de
Delphine Kreuter, 2011.
Le film d’une artiste
devenue réalisatrice.
En salles/
7 février
Projection des films primés
au festival Premiers plans
d’Angers au Forum des
images.
forumdesimages.fr/
20 janvier au 6 mai
La WallpaperLab invite
5 graphistes aux Arts
Déco, Constance Guisset,
Helmo, Akroe, Big Game et
Leslie David, à imaginer un
papier peint.
lesartsdecoratifs.fr/
11 février
Projection des films primés
au festival de courts
métrages de ClermontFerrand au Forum des
images.
forumdesimages.fr/
23 au 26 janvier
Défilés haute couture,
printemps-été 2012.
Détails et calendrier sur
modeaparis.com/
24 janvier au 2 février
La guerre d’Algérie, images
et représentations,
projections et
rencontres à l’occasion
du 50e anniversaire des
accords d’Evian au Forum
des images.
forumdesimages.fr/
11 janvier au 22 avril
Henri Cartier Bresson/
Paul Strand, Mexique,
1932-34. Exposition parallèle
à la fondation HCB.
henricartierbresson.org/
MAGAZINE NO 6
126
Salon réservé aux professionnels
International home design exhibition
Trade only. Tel. +33 (0)1 44 29 02 00
[email protected]
FÉVRIER
19 janvier
Exposition de livres
de photographie latinoaméricains des années 60
à 80 au Bal.
le-bal.fr/
20 janvier au 25 mars
Exposition consacrée à
Mathieu Mercier au Crédac
d’Ivry-sur-Seine, présentant
de nouvelles réalisations.
credac.fr/
Salon international du design pour la maison
27 janvier au 12 février
Hors pistes 2012, un autre
mouvement des images :
artistes et interventionnistes
expérimentent un rapport à
l’image à travers projections,
installations, performances
à Pompidou.
centrepompidou.fr
14 janvier
Séminaire public à
l’IFM : Le design face à
l’art ? par Anne Bony,
historienne du design.
ifm-paris.com/
15 février au 23 juin
Sous les pavés, le
design, exposition au
Lieu du design autour
d’interventions de
designers dans l’espace
public, à travers différents
exemples internationaux.
lelieududesign.com/
21 février au 29 avril
Expositions de Berenice
Abbott et Ai Weiwei au
Jeu de paume.
jeudepaume.org/
preview, Cinna © C. Fillioux. Opinion Ciatti © Ezio Manciucca. Tacchini Italia © Andrea Ferrari. Organisation SAFI, filiale des Ateliers d’Art de France et de Reed Expositions France
6 décembre au 15 janvier
François Dufrêne/
Raymond Hains, une
amitié entre l’art et les mots,
une exposition de Bernard
Blistène au Passage de Retz.
passagederetz.com/
Le Havre et la condition
humaine.
En salles/
* Poésie urbaine.
DÉCEMBRE
20-24 Jan. 2012
Paris Nord Villepinte, hall 8
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