1. La matière grasse laitière

Transcription

1. La matière grasse laitière
AVERTISSEMENT PREALABLE
Le présent document a été réalisé par des étudiants du Master Pro
Qualimapa (USTL-Lille) dans le cadre de leur scolarité. Il n’a pas un
caractère de publication scientifique au sens strict. En effet, il n’a pas été
soumis à un comité de lecture avant publication. Ce travail a été noté, ainsi
que la soutenance orale et l’éventuelle production multimédia auxquelles il a
donné lieu. Ces évaluations participent à l’évaluation globale des étudiants
en vue de l’obtention du diplôme de Master ; elles ont un caractère privé et
ne sont pas communiquées ici.
Le contenu de ce document est donc proposé sous la seule responsabilité de
leurs auteurs et doit être utilisé avec les précautions d'usage. C’est pourquoi
le lecteur est invité à exercer son esprit critique.
Sa reproduction, totale ou partielle, est autorisée à condition que son origine
et ses auteurs soient explicitement cités.
La liste des autres projets étudiants disponibles en ligne est disponible sur le
site Internet du Master Qualimapa : http://qualimapa.univ-lille1.fr/rapp1.htm
L’équipe enseignante
P ~ O A ~2000-2001
Y~~OH
Khady DIA - Marjorie MUNIER - Dorothée VANDREDEUIL
REMERCIEMENTS
A Messieurs Dominique ANFRY et Ludovic BEGUE de la beurrerie CANELIA (Groupe
LACTALIS) de Petit-Fayt (59) d'avoir bien voulu nous recevoir une après-midi entière, de nous
avoir expliquéf en détail la fabrication de beurres industriels et de nous avoir fait visiter leur
usine
A Monsieur Michel PARMENTIER, du laboratoire de Physico-chimie et Génie Alimentaire de
I'ENSAIA à Vandoeuvre-lès-Nancy (54), de nous avoir reçues afin de nous expliquer l'avancée
de ses recherches dans le domaine de la filtration membranaire
A Monsieur Jean-François BOUDIER, Responsable R&D chez INGREDIA, de nous avoir
reçues et accordé un entretien
A Madame ROYER, Ingénieur Développement chez SI0 (Société Industrielle des Oléagineux)
pour ses informations sur l'interestérification
A Monsieur Jean-Louis MAUBOIS Dr du Laboratoire de Recherche en Technologie Laitière de
l'INRA de Rennes, de nous avoir accordé un entretien téléphonique
A l'entreprise De Smet (fournisseur de matériel pour le traitement des huiles végétales) de nous
avoir fourni de la documentation
M. Daniel Dalemans R&D Manager de l'entreprise CORMAN en Belgique (fabrication de
beurres) d'avoir répondu à nos questions.
SOMMAIRE
INTRODUCTION..............................................................................
Pl
1- La matière grasse laitière.................................................................Pl
1-Composition de la matière grasse..................................................PI
2- Propriétés physiques.................................................................
P3
3- Intérêt nutritionnel de la matière grasse du lait.. ................................P3
a- Les CLA : Conjugated Linoleic Acid
b- Quelques mécanismes sont à éclaircir
c- Les autres acides gras
II- Le beurre : principale valorisation de la matière grasse laitière.
. .
1- Fabrication du beurre.. ..............................................................P5
a- Le barattage
b- Réglementation
2- Fabrication de la MGLA (Matière Grasse Laitière Anhydre). ................~7
3- Fractionnement de la MGLA.. ....................................................P9
a- Fractionnement à sec
b- Fractionnement de la matière grasse parJiltration membranaire
c- Utilisation des dzflérentesj?actions de la MGLA
4- Etude de cas : fabrication de beurres industriels à la beurrerie
CANELIA (Beurrerie Petit-Fayt)................................................pl5
III- Autres valorisations de la matière grasse laitière.. ..............................pl8
1- La crème............................................................................pl8
a- Ecrémage
b- Pasteurisation
c- Ensemencement et maturation
d- Dénomination
e- Utilisation des crèmes
2- Production d'arômes.. ............................................................. ~ 2 0
a- Les EMDI
b- Etude de cas
3- Textures et flaveurs i ~ o v a n t e grâce
s
à la séparation des globules gras...p23
4- Valorisations non alimentaires...................................................P24
III- Vers une matière grasse laitière à haute valeur nutritionnelle grâce à
l'interestérification ?........................................................................~ 2 4
1. L' interestérification ...............................................................P24
a- L 'interestérification chimique
b- L 'interestérzjîcationenzymatique
2- Utilisation de l'interestérification ................................................P27
3- De nouvelles perspectives ?......................................................P28
CONCLUSION...............................................................................Pz9
INTRODUCTION
Depuis quelques années, les produits laitiers sont de plus en plus allégés pour répondre à la
demande des consommateurs plus soucieux de leur «ligne». Pendant longtemps, le beurre, par
exemple, a été critiqué du fait de sa composition en acides gras, de façon finalement injustifiée
comme nous allons tenter de le démontrer. Les nouveaux modes d'alimentation - l'augmentation
des repas pris hors domicile, le retrait de la tartine du petit déjeuner au profit du bol de céréales, la
vogue de certains modes de cuisson: vapeur, micro-ondes - ont également contribué à ce
détournement par rapport à la matière grasse laitière.
Nous nous sommes donc intéressées à la valorisation possible de la matière grasse du lait
pour entrer dans cette dynamique qui consiste à ((redorerson blason» aujourd'hui.
Nous nous attacherons donc après un rappel de sa composition, à présenter l'état actuel des
recherches et innovations dans les domaines de l'industrie du beurre essentiellement, avec la
valorisation des MGLA (matière grasse laitière anhydre).
Nous traiterons également des autres valorisations alimentaires - comme la crème -, et non
alimentaires de la matière grasse laitière.
Enfin nous avons envisagé une perspective d'enrichissement nutritionnel de la matière
grasse laitière par le biais de l'interestérification, en tenant compte des problèmes de faisabilité
technique et économique qui pourraient se poser.
Pour faire cet état des lieux, nous avons contacté quelques acteurs régionaux : les Sociétés
CORMAN S.A et De SMET en Belgique, CHARTON, SIO, CANELIA dans le Nord-Pas de Calais.
Nous avons d'ailleurs pu visiter cette dernière et nous entretenir avec quelques responsables.
1. La matière grasse laitière
1) Composition de la matière grasse
La matière grasse du lait est un mélange extraordinairement complexe par la diversité de ses
molécules. Elle est présente, dans le lait, sous forme de globules gras sphériques de 0.1 à 10 pm et
secondairement de diglycérides (2 '%O),
de
est essentiellement constituée de triglycérides (96 '%O),
lipides complexes (1%) et de substances liposolubles (0.7 à 1 %).
Ces globules gras sont entourés d'une membrane qui joue un rôle actif dans la forme et
l'intégrité de ces microgouttes. Chaque globule reste séparé dans le lait par un film d'adsorption,
qui le protège contre la lipolyse. La membrane périglobulaire représente 2 à 6 % du globule gras
(soit 0.4 g/l de lait). Sa composition est très complexe. A part les triglycérides (TG), elle est
constituée de 25 à 60 % de protéines diverses (glycoprotéines, butyrophylline, environ 25 enzymes,
des phospholipides, etc.. ..). Elle a donc la propriété unique d'être arnphiphile et de rendre le
caractère hydrophobe des globules gras compatible avec le milieu aqueux du lait. Elle est capable
de lier une certaine quantité d'eau (0.6 % de plus que les protéines natives du lactosérum). Cette
structuration de l'eau par la membrane des globules aurait une influence sur l'arôme des fiomages
et leur texture en bouche.
La composition des triglycérides des globules gras est différente selon leur taille. Les petits
globules ont 12 % de moins d'acide stéarique C18, 6 % de moins d'acides gras à courte chaîîe et
4.6 % d'acide oléique en plus (Cl8 : 1). Ces différences de composition peuvent être en partie
responsable de la texture en bouche des produits laitiers utilisant l'une ou l'autre fiaction. Mais
c'est surtout la taille des globules qui joue le rôle le plus important.
Composés lipidiaues : 99.5 % de la matière grasse
Lipides simples : 98.5 % de la matière grasse
- glycérides : triglycérides : 95-96 %
diglycérides : 2-3 %
monoglycérides : 0.1 %
- cholestérides : esters d'acides gras et de cholestérol : 0.03 %
- cérides : esters d'acides gras et alcools longs : 0.02 %
Lipides complexes : 1 % de la matière grasse
Acides gras libres : 0.1 % de la matière grasse
Composés li~osolubles: 0.5 % de la matière grasse
- cholestérol : 0.3 % de la matière grasse
- hydrocarbures divers : 0.1 %
- vitamines : E (tocophérol) : 1.7 à 4.2 mg1100g de MG
A (axérophtol) : 0.6 à 1.2 mg1100g de MG
D : 10 à 20 Og1100g de MG
- alcools : phytol, alcools palmitiques, stéarique, oléique
Les principaux acides aras de la matière arasse laitière
Noms et nombre d'atomes
de carbone
En g pour 100 g d'acides
gras
60 à 70
Butyrique C4
Caproïque C6
3à4
2à5
Caprolique C8
Caprique C1O
Laurique Cl2
1 à 1.5
2à3
3à4
Myristique C14
Palmitique C16
Stéarique C18
11
25 à 30
12
Palmitoléique C16 :1
Oléique C18 :1
Vaccénique C18 :1
30 à 35
2
23
2à3
Linoléique Cl8 :2
Linolénique Cl 8 :3
2
0.5
Acides gras saturés
- acides gras volatils
(AGv)
solubles dans l'eau
insolubles dans l'eau
- acides gras fixes (non
volatils)
Acides gras insaturés
- monoinsaturés
- polyinsaturés
2) Propriétés physiques
Les propriétés physiques de la matière grasse laitière (MGL) dépendent de la composition en
acide gras et de leur distribution dans les triglycérides. Selon que certains acides gras estérifient
l'une ou l'autre des trois fonctions alcools du glycérol, on peut obtenir des résultats différents.
Les triglycérides, même purs, sont des composés polymorphes. En ce sens ils peuvent
prendre plusieurs formes cristallines, selon les conditions de passage de l'état solide à l'état liquide,
et inversement. Chaque forme cristalline a un point de fusion, le plus élevé étant celui de la forme la
plus stable. Il est donc impossible de parler de point de fusion d'une graisse. On parle d'intervalle
de fusion.
Du fait de la grande variété des acides gras dans la matière grasse laitière, il existe de
nombreuses associations possibles entre acides gras et la molécule de glycérol. On obtient donc une
multiplicité de combinaisons possibles de triglycérides. Chaque triglycéride possède des
températures de point de fusion et de solidification qui lui sont propres. Ainsi, des phénomènes
d'intersolubilité entre certains triglycérides viennent perturber les règles classiques de la
cristallisation en accroissant l'instabilité de la matière grasse. De plus, les triglycérides, ayant des
points de fùsion différents, les possibilités, pour la matière grasse butyrique, de cristalliser sont
diverses.
3) Intérêt nutritionnel de la matière grasse du lait
La matière grasse du lait représente à elle seule la moitié de l'apport énergétique du lait. La
consommation de cette matière grasse est indispensable dans l'alimentation. Ces lipides ne
soulèvent pas d'objection particulière sur le plan nutritionnel et sont une source de vitamines A, D
et E pour l'essentiel. En outre, les laits des ruminants sont caractérisés par la présence d'acides gras
conjugués : les CLA (acide linoléique conjugué) dont l'intérêt nutritionnel semble être démontré.
Cependant la matière grasse laitière contient du cholestérol qui fait aujourd'hui l'objet d'une
phobie collective. Pourtant, il est bien établi que la quantité de cholestérol exogène (apporté par
l'alimentation) ne représente qu'un tiers de la quantité contenue dans le sang.
Chez un sujet non cholestérolémique, un apport exogène journalier de cholestérol inférieur à 1.5 g
ne modifie que très peu la cholestérolémie. L'apport normal conseillé est inférieur à 300 mgljour.
Un litre de lait de vache apporte 100 à 140 mglitre de cholestérol (3 fois moins qu'un litre de lait de
femme).
Dans la ration alimentaire, les produits laitiers apportent beaucoup moins de cholestérol que
la viande. Le cholestérol n'a un rôle pathologique que chez les sujets à risques : déficience
génétique, tabac, manque d'activité, etc.... ou ayant une alimentation déséquilibrée : alimentation
trop riche en matière grasse ou en sucres courts.
a- Les CLA (Conjugated Linoleic Acid)
Les CLA forment un groupe de composants lipidiques qui désigne un ensemble d'acides
gras isomères de l'acide linoléique comportant une structure proche de ce dernier : deux doubles
liaisons conjuguées. Des isomères sont des composés chimiques formés des même éléments, en
proportion, mais de propriétés différentes ce qui s'explique par une disposition différente des
atomes de la molécule. Ces isomères se forment dans l'un des estomacs des ruminants, le rumen,
sous l'action de bactéries spécifiques. L'isomère Cl8 :2, cis9-1 ltrans (80 à 95 % des CLA) est
d'ailleurs appelé acide mménique. Chez les vaches laitières, les CLA se retrouvent dans le lait au
taux de 3 à 6 mg/g de matière grasse.
Les propriétés physiologiques de ces acides gras n'ont été mises en évidence que dans les
années 90 dans le cadre de travaux de laboratoire (animaux, cellules en culture) sur les ingrédients
nutritionnels. Les études cliniques sur l'effet bénéfique des CLA chez l'être humain sont encore peu
nombreuses. Mais les activités déjà détectées sont multiples : abaissement du taux de cholestérol,
effets anti-athérogènes, action sur certaines réactions allergiques, modulation du diabète, de
l'obésité. Enfin, les CLA présenteraient une action anti-tumorale.
Ces isomères de l'acide linoléique (Cl8 :2 cis9 cisl2) possèdent comme lui deux doubles
liaisons mais l'une d'elles ou les deux sont de la forme trans. Il semble que l'isomère 9cis 1 ltrans
soit biologiquement actif car des observations ont montré qu'on le trouve dans les phospholipides
de l'organisme humain. Ce qui ne signifie pas que les autres composants des CLA soient inactifs
mais on ne le sait pas encore. Une contradiction existe concernant les acides gras insaturés trans.
Dans les margarines, produites à partir d'huiles végétales, la tendance, depuis 95, est d'obtenir des
margarines zéro trans c'est à dire d'éviter la formation par hydrogénation partielle d'acide élaïque et
d'acide gras isomères trans de l'acide linoléique. La différence entre ces deux groupes de
constituants contenant des acides gras trans est le procédé. Les huiles sont obtenues par des
procédés chimiques alors que les CLA sont obtenus lors de la rumination des bovins par des biohydrogénases et des isomérases. Les CLA peuvent être considérés comme naturels. Mais cette
opposition chimique 1 enzymatique n'est peut être pas la seule raison. Il pourrait s'agir d'une
question de dose : l'efficacité des CLA semble optimale pour des teneurs faibles dans le régime
alimentaire (de l'ordre de 1 %) alors que les fortes doses d'acides gras trans des huiles végétales
entraînent une augmentation des LDL (mauvais cholestérol) dans le plasma sanguin.
b- Quelques mécanismes sont à éclaircir
Une première étude chez l'homme vient de démontrer que le taux de CLA dans le tissu
adipeux mammaire est inversement associé au risque de cancer du sein. Pour les auteurs de ces
travaux, il est nécessaire d'identifier la période de vie où l'apport alimentaire de CLA est le plus
susceptible de diminuer la probabilité ultérieure d'apparition de cancer du sein.
Il reste que plusieurs inconnus demeurent. On ne sait toujours pas si les CLA sont actifs sous
leur forme native (non métabolisés) ou après transformation. La teneur en CLA du lait maternel
(0.42 %) présente des différences significatives en fonction de l'apport plus ou moins important du
lait dans l'alimentation. Par ailleurs, une supplémentation de l'alimentation en CLA se traduit chez
l'homme par une augmentation du taux de CLA dans le plasma sanguin.
L'impact de l'administration de CLA par voie nutritionnelle a donc de grandes chances d'être
efficace. Leur effet bénéfique dans notre alimentation demande, cependant, à être démontré au
travers d'une meilleure connaissance de leurs propriétés physiologiques et biologiques.
c- Les autres acides gras
Alors qu'on accuse les acides gras saturés du Cl2 :O au Cl6 :O d'avoir un effet sur
l'augmentation du taux du mauvais cholestérol dans le sang, des études attribuent un effet neutre à
l'acide stéarique Cl8 :O. En revanche, il pourrait être thrombogénique.
Autre exemple, celui de l'acide myristique Cl4 :O qui interviendrait sur la diminution d'un
facteur de risque cardiovasculaire (la lipoprotéine a) apparaît moins hypercholestérolémiant que
prédit par les équations. De plus, s'il induit une élévation de LDL (mauvais cholestérol) il augmente
le taux de HDL (effet favorable). On devrait également tenir compte de la position des acides gras
sur les triglycérides. En effet, dans le lait, la matière grasse est composée à 96 % de triglycérides et
ce sont eux qui sont exposés aux enzymes lipolytiques, non les AG.
Ainsi, leur structure dépend du résultat de la digestion par les lipases gastriques,
pancréatiques et biliaires et le contrôle de l'absorption qui en découle. C'est grâce à ce regard
nouveau sur la structure des TG (voir schéma ci-après) qu'il a été démontré que les AG en position
Sn-2 sont protégés lors des mécanismes de la digestion et contribuent directement à l'élaboration de
complexes moléculaires au niveau des cellules. Ainsi, selon le Dr François Mendy, pédiatre,
conseiller scientifique en nutrition, ((l'acide myristique en Sn-2 sur la molécule de TG évoque
d'emblée l'entrée dans le tube digestif dans un chemin préférentiel qui évitera une utilisation
énergétique immédiate et le réservera pour un rôle structural».
Structure d'un trialvcéride
Position :
Sn-1
Sn-2
Sn-3
E
Glyœrol
OR3
Acides gras
II- Le beurre : principale valorisation de la matière masse laitière
La France est le premier producteur européen de beurre, avec 448 000 tonnes fabriquées en
1999 : 25 % de la production européenne, 7 % de la production mondiale.
Le marché du beurre s'est doucement amélioré. Alors qu'ils étaient encore à 19,20 Fkg
jusqu'en avril 2000, les cours du beurre se sont progressivement redressés pour atteindre aujourd'hui
le niveau plus satisfaisant de 21,50 Fkg.
Cependant, avec la vague des allégés en 1980, à nouveau d'actualité, avec la mauvaise image
qui a été donnée au beurre du fait de sa composition, et avec la concurrence qui lui est faite par la
margarine et les différentes spécialités à tartiner ainsi que les nouveaux modes d'alimentation, la
consommation de beurre a nettement diminué ces dernières années. En 25 ans, les achats des
ménages ont été divisés par deux ! Mais selon certains, la tendance devrait progressivement
s'inverser. La phobie des matières grasses animales qui a cassé l'image du produit il y a quelques
années est aujourd'hui remplacée par des préconisations médicales (25 g de beurre par jour) tendant
à le réhabiliter.
1) Fabrication du beurre
Pour faire un kilo de beurre, il faut de nos jours 20
litres de lait entier.
Le progrès technique, en portant essentiellement sur
l'hygiène, la rapidité et la fiabilité de la production, n'a pas
fondamentalement modifié les grandes étapes de la
fabrication du beurre.
Le beurre est fabriqué à partir de la crème du lait. Le
lait est d'abord écrémé, puis la crème subit les étapes de pasteurisation et de maturation (ces étapes
sont décrites dans la partie II. 1). Elle est ensuite barattée pour donner le beurre.
La production de beurre à partir de crèmes maturées ne représente plus qu'environ 10 % de
la production nationale. Elle ne concerne plus que la fabrication discontinue à l'aide de barattes et le
procédé continu, dit du «Nizo» qui permet l'utilisation de crèmes douces, non maturées, le
réensemencement intervenant en fin de fabrication.
a- Le barattage
C'est l'opération principale de la fabrication du beurre. Cette agitation énergétique de la
crème fait éclater les globules de matière grasse et les soude entre eux, en libérant un liquide riche
en protéines et en lactose : le petit lait ou babeurre.
Les grains de beurre sont lavés à l'eau pure, puis malaxés dans une nouvelle agitation qui
perfectionne leur agglomération et répartit uniformément l'eau nécessaire à la masse du beurre.
Aujourd'hui, les barattes en continu forment les grains de beurre en moins d'une seconde ; le
babeurre est automatiquement évacué, les grains de beurre sont lavés et malaxés et le ruban de
beurre continu est immédiatement découpé et empaqueté.
En milieu industriel, du fait des grands volumes traités, on utilise de plus en plus des
butyrateurs, les barattes étant réservées à la fabrication de quantités moindres.
Photo d'un butvrateur (Beurrerie CANELU)
b- La réglementation,
Le beurre est défini par l'article 1 du décret du 30 décembre 1988. C'est une appellation
juridiquement protégée non seulement en France, mais sur le territoire de lunion Européenne.
La dénomination «BEURRE» est réservée au produit laitier de type émulsion d'eau dans la
matière grasse, obtenu par des procédés physiques et dont les constituants sont d'origine laitière. Il
est obtenu à partir de crèmes pasteurisées, congelées ou surgelées.
Il doit présenter pour 100 grammes de produit fini au moins 82 grammes au mjnimum de
matière grasse butyrique, 2 grammes au maximum de matière sèche non grasse et 16 grammes au
maximum d'eau.
Le décret de 1988 a précisé les dénominations de vente, le traitement des crèmes, et la
composition des beurres et de certaines spécialités laitières.
2) Fabrication de la MGLA (Matière Grasse Laitière Anhydre ou huile de
beurre)
Fabrication de la MGLA (Beurrerie CANELIA): retrait de l'eau de la matière grasse
La matière grasse laitière est surtout connue sous forme de beurre et de crème. C'est un
corps gras complexe. Il peut subir plusieurs opérations pour donner naissance à divers ingrédients,
utilisés dans de nombreux produits finis industriels.
La crème et le beurre sont composés d'eau et de matière grasse laitière. Celle-ci est ellemême constituée d'un grand nombre d'acides gras aux propriétés physiques variées. Il est possible
de concentrer, puis de fiactionner la matière grasse laitière.
Initialement fabriquée à partir de beurre, ce mode de production de la MGLA est aujourd'hui
de plus en plus remplacé au profit d'un traitement de la crème. Il est facile de comprendre que le
bilan énergétique, en particulier thermique est largement défavorable à l'utilisation directe du
beurre. S'il est encore parfois utilisé pour produire de la MGLA, c'est qu'il permet d'écouler des
beurres subventionnés, mais cette utilisation reste anecdotique.
e3
Technologie
Le principe de l'obtention de l'huile de beurre est relativement simple mais deux modes de
production existent. D'un point de vue général, on part d'une crème standardisée à 40 % de matière
grasse (MG) que l'on pasteurise et que l'on concentre ensuite. Une inversion de phase
(homogénéisation) libère l'huile concentrée qui après polissage et séchage sous vide libère la
MGLA (((butteroh) dont la concentration en matière grasse est supérieure à 99,8 %.
Procédé 1
Procédé 2
*
Crème à 40 %
Crème à 40 %
J(
Pasteurisation
Pasteurisation
J(
*
Concentration de la crème
Inversion de phase
J(
*
*
Ecrémage
Second
écrémé
Ecrémage
Concentration de l'huiie
-7
Concentration de l'huile
4+
/
Ecrémage
Polissage de l'huile
Traitement sous vide
Séchage sous vide
J(
Huile de beurre
MGLA 99,8 %
Babeurre
Huile de beurre
MGLA 99,8 %
B-sérum
Procédés de fabrication de la MGLA (source : RLF no 596)
Dans le procédé 1, la phase de concentration de la crème génère un sous-produit appelé
babeurre ou ((butter milk)). La valorisation de ce produit (0,4 à 0,5 % de matière grasse et 0,2 à 0,3
% de phospholipides) n'est pas évidente. Culturellement en Allemagne, on en consomme beaucoup
en l'état (après une simple pasteurisation), mais au niveau international se pose le problème de
valorisation, d'autant plus que ce babeurre est relativement difficile à sécher car riche en MG.
Dans le procédé 2, le principe d'obtention de la MGLA entraîne la production de deux sousproduits. Le premier est obtenu en ré-écrémant la phase lourde en sortie du concentrateur que l'on
renvoie ensuite en tête de pasteurisation. Le second écrémé (encore appelé ((secondary skim) a une
teneur en MG qui n'est plus que de 0,2 à 0,25 % et qui possède 0,08 à 0,l % de phospholipides. Il
pourra être utilisé en caséineries ou en £iomageries. Au niveau de la production d'huile de beurre,
on obtient un second sous-produit appelé B-sérum relativement riche en MG (1,5 %) et qui contient
également un taux important de phospholipides : 0,8 à 1 %. Ce produit trouve des débouchés très
intéressants entre autre en cosmétologie (utilisation des lipoprotéines).
L'analyse des bilans matière met en évidence un net intérêt pour le second process. Pour
obtenir 1000 kg de MGLA produit fini, il faut au départ 5 kg de moins de crème à 40 % de MG
dans le procédé 2. Cela peut sembler négligeable au regard des 2500 kg de crème mis en œuvre.
Mais la différence apparaît nettement dans l'analyse des sous-produits obtenus. Le procédé 1 génère
environ 1500 kg de babeurre (produit difficilement valorisable). Dans le second process, le volume
global de sous-produits est identique mais la répartition est nettement différente : 1200 kg de
((secondary skitm qui peut facilement être réutilisé et surtout, il n'y a production que de 300 kg de
B-sérum. Retraité, ce produit trouve des applications intéressantes dans le domaine de la
cosmétologie grâce à sa teneur importante en phospholipides.
3) Fractionnement de la MGLA
La matière grasse laitière est fortement concurrencée par les matières grasses végétales et a
longtemps souffert d'une mauvaise image. Aujourd'hui, de nouveaux marchés se sont créés et l'on
commence à parler de l'intérêt nutritionnel de certaines fiactions issues de la matière grasse laitière.
a- Fractionnement à sec
Pallier les fluctuations naturelles de la matière grasse laitière dues à la saison, la race, l'âge
et l'alimentation de l'animal est possible avec la maîtrise du fiactionnement à sec de la MGLA.
Cette technologie est considérée comme le plus simple et le plus économique des procédés de
cristallisation.
Elle a véritablement redonné à la MGLA un nouvel essor. Elle a permis de diversifier au maximum
les produits dérivés en créant des fiactions inédites aux propriétés thermiques et nutritionnelles
particulières, ofiant ainsi de nouvelles potentialités.
La technique générale consiste à porter la matière grasse en fusion puis à la soumettre à un
refroidissement contrôlé de sorte que l'on cristallise préférentiellement les triglycérides à haut point
de fusion (stéarine) par rapport aux triglycérides à bas point de fusion (oléine). L'huile cristallisée
comporte un mélange de cristaux de matière grasse et des fiactions encore liquides. (Cf. Annexe La
courbe de cristallisation d'une matière grasse butyrique).
La séparation de ces composés se fait ensuite selon deux techniques : sous vide ou sous filtre
membrane. La technique sous vide initialement fort répandue est de plus en plus remplacée par des
techniques de fitres presses à membranes. L'utilisation de pressions variables au niveau des filtres
augmente le rendement en fiaction lipidique. Seules les propriétés physico-chimiques de la matière
grasse sont utilisées ici. De ce fait, on parle de technologie «verte». Cette dénomination s'oppose
aux techniques chimiques qui pourraient également être mises en œuvre mais qui pour des raisons
économiques ou de sécurité ont été abandonnées. Parmi ces dernières, on peut citer le
fiactionnement en solvant qui utilise de l'acétone ou de l'hexane (technique extrêmement sélective)
ou le fiactionnement avec détergent qui met en jeu une solution aqueuse combinant agents
tensioactifs et électrolytes.
On rencontre essentiellement deux types de procédés : le fiactionnement Tirtiaux et le
fractionnement De Smet.
Le procédé développé par la société Fractionnement Tirtiaux offi-e une grande flexibilité
dans la mesure où le système de contrôle est pourvu d'une série d'étapes de refroidissement et de
paramètres opérationnels sur lesquels on peut jouer de manière à obtenir le produit désiré. Il est
possible de réaliser des fiactionnements multiples.
Le cristalliseur Tirtiaux a une capacité de 20 tonnes. Chaque cycle a une durée de 15 à 38 heures. Il
permet d'obtenir des cristaux de bonne qualité.
La filtration du mélange liquide/cristauxest réalisée sous vide sur un filtre métallique rotatif,
dit ((filtre florentine)).
du filtre
Schéma du vilote de fractionnement Tirtiaux
Avec le procédé De Smet, on travaille par paliers brutaux de refoidissement, sur un volume
plus petit : 3000 litres, pour un cycle de 8 heures. Les cristalliseurs sont plus petits et comportent 5
cylindres contenant à l'intérieur des racleurs. (Cf. Annexe Schéma de fiactionnement De Smet).
La double enveloppe qui constitue chaque cristalliseur permet une vitesse d'oxydation plus
importante. Ainsi, les sphérolytes formés sont beaucoup plus petits. Si la pression est insuffisante,
on obtient alors un rendement inférieur à celui du procédé Tirtiaux. De plus, on ne peut pas aller audelà du second Factionnement. L'avantage de ce procédé est de traiter un volume initial
relativement faible, donc la quantité utile contrairement au procédé Tirtiaux pour lequel de grosses
quantités sont mises en œuvre, pendant un temps relativement long.
Photo d'un cristalliseur De Smet (Beurrerie CANELIA)
1O
Le cristalliseur est connecté à une unité de contrôle du refroidissement (automate
programmable gérant les températures). Quand on a atteint la température idéale de fonte
permettant de séparer les différents produits, on entre dans la phase de filtration. L'huile est pompée
dans un filtre dit filtre presse à membrane. Dans cette première étape de filtration, la phase liquide
est récupérée dans un tank (oléine), la phase solide étant le gâteau de stéarine.
Dans une seconde étape, phase de compression, on applique une pression à ce gâteau retenu
sur le filtre de manière à récupérer toute l'oléine restante et augmenter les rendements. Il y a donc
deux sources d'oléines: filtration et compression. Dans un schéma classique, la compression est
d'environ 5 bars. Après ouverture des filtres, on récupère le gâteau de stéarine dans une cuve
positionnée sous le filtre. Il est fondu puis envoyé dans un autre tank pour un nouveau traitement
par exemple.
Filtre-vresse à membrane (Beurrerie CANELIA)
Ce schéma de base du fiactionnement peut être effectué en double ou triple étape, ce qui
élargi la gamme des produits obtenus. Le marché est tel qu'aujourd'hui on s'oriente vers une
demande de plus en plus ciblée sur la triple oléine. Avec ce produit, les quantités mises en jeu sont
plus faibles pour des caractéristiques identiques à celles obtenues avec de la double oléine.
La température de filtration et le nombre de fiactionnernents successifs sont choisis par
expérience, en fonction de la nature de la matière grasse à &actionner (MGLA dliiver ou d'été,
Factionnement primaire ou secondaire...), de manière à obtenir des Factions ayant les
caractéristiques souhaitées.
Schéma de fractionnement
PG (= point de goutte) : hiverlété
Premier fractionnement
PRIh4AREi
PG : 41,5/43,5
PG : 22,5/21,5
Second fractionnement
PG : 14,5/14,5
SECONDAIRE
PG : 28/29
PG : 38 /-
PG : 471-
Troisième
fractionnement
TERTIAIRE
PG : 26/23
Le point de goutte est la température à laquelle 95% de la matière grasse est sous forme
liquide. A ne pas confondre avec le point de fusion qui est la température à laquelle la totalité de la
quantité d'un triglycéride donné est sous forme liquide.
b- Fractionnement de la matière grasse par filtration membranaire
La technique de fractionnement à sec est bien maîtrisée, mais il existe une alternative qui
évite la cristallisation. Cette méthode alternative de fiactionnement membranaire est encore au stade
de développement mais les travaux réalisés par l'équipe de Michel Parmentier, du laboratoire de
physico-chimie et génie alimentaire de I'ENSAIA à Vandoeuvre-lès-Nancy, ont débouché assez vite
sur une filtration à l'échelle industrielle. En effet, depuis 1999, un pilote industriel de 1000 L/h est
installé à l'Union Beurrière de Vesoul (70).
Les séparations membranaires, très répandues dans certains domaines de l'industrie
alimentaire, et en particulier dans l'industrie laitière, ne sont pas familières au secteur des corps
gras. L'extrapolation, à partir de ces techniques mises en œuvre en milieu hydrophile à des milieux
hydrophobes, est délicate.
Dans le lait, les protéines présentent une grande diversité de poids, ce qui rend possible une
sélection efficace par poids moléculaire, ainsi qu'une utilisation efficace des séparations sur
membranes de filtration tangentielle (microfiltration et ultrafiltration). Mais en ce qui concerne les
triglycérides, la faible dispersion des poids moléculaires ne permet pas la séparation par cette
méthode. La fourchette des poids moléculaires des triglycérides se tient entre 500 et 1000 daltons.
Pour ces derniers, la taille des molécules est très inférieure à celle des pores généralement utilisés. Il
faudrait utiliser la nanofiltration, ce qui s'avère incompatible avec les débits nécessaires à l'échelle
industrielle. Il a donc fallu trouver une autre solution par un mode d'approche nouveau. Les
chercheurs du laboratoire de I'ENSAIA ont mis au point un système de filtration en milieu
homogène hydrophobe, en faisant l'hypothèse que le passage à travers une membrane poreuse peut
permettre de séparer les différentes classes de triglycérides. Il faut préciser que dans les essais
effectués, il s'agit d'une filtration fiontale par pression ou aspiration sur une membrane poreuse de
silice. Et le résultat dépend en partie de la force de pression sur la membrane. A l'échelle du
laboratoire, il s'est révélé possible de fiactionner sur membrane un mélange complexe de
triglycérides comme la MGLA. Mais en précisant que la MGLA est à l'état liquide d' ((huile de
beurre)).
L'état physique de cette huile n'est pas totalement homogène, comme dans un liquide
hydrophile. On y observe des systèmes micellaires, des inclusions, des molécules polaires.
Comment cette huile va-t-elle se comporter sur une membrane de filtration ? Les chercheurs ont été
conduits à considérer ce qui se passe dans des conditions proches du point de fusion de la MGLA.
«Il ne sufit pas de mettre tout simplement l'huile de beurre en contact avec la membrane de
filtration)),souligne Michel Parmentier. Car un certain nombre de problèmes se posent. Il faut tenir
compte de tous les facteurs qui entrent en jeu dans l'interaction membranelmilieu hydrophobe. Ils
sont de deux sortes et s'additionnent. Certains facteurs sont globaux (température, pression, porosité
de la membrane) et d'autres sont particuliers à la matière grasse à filtrer, comme la stéréochimie,
l'hydrophobicité, la polarité, l'insaturation des acides gras. Chacun de ces facteurs spécifiques est
important.
La relation du degré d'insaturation avec le point de fùsion est quasiment la clé de la
séparation des matières grasses par filtration. Ainsi, les triglycérides saturés restent en amont de la
membrane, formant un rétentat, et les insaturés traversent la membrane, constituant un perméat. Il
faut en conclure, d'après Michel Parmentier, que le passage est lié à l'insaturation, par interaction et non par agrégation- des triglycérides sur la couche filtrante. Dans ce cas, le support est actif C'est
l'interaction de la membrane avec les molécules d'huile qui va générer la séparation.
En amont, les triglycérides se mettent en conformation de diapason, ce qui permet la
formation d'un rétentat et d'un perméat. L'objectif, pour l'huile de beurre, est de faire passer à
travers la membrane les triglycérides à bas point de fiision (oléine). Ceux à haut point de fusion
(stéarine) restent dans le rétentat. «Les difficultés majeures résident d m le fait que nous ne
disposons pas encore des matériaux barrières adéquats en termes de taille des pores, de colmatage et
de sélectivité pour la filtration sur membrane des matières grasses)), précise Michel Parmentier.
Cette technique est prometteuse. Elle pourra se substituer aux techniques coûteuses de
fiactionnement à sec des MGLA. En effet, elle ne nécessite, comme matériel, qu'une cuve et une
membrane de filtration, alors que le fiactionnement à sec nécessite un cristalliseur, une unité de
refioidissement et un filtre presse à membrane. Le capital de départ est donc moindre pour le
fiactionnement membranaire. D'autre part, malgré les phases de nettoyage régulières, la durée d'un
cycle de fiactionnement membranaire est de 6 heures, alors qu'elle est de 20 heures pour le
fiactionnement à sec. Là aussi il existe un réel intérêt : gain de temps = gain d'argent. Actuellement,
l'Union Beurrière de Vesoul qui a breveté son pilote est la seule à bénéficier des intérêts de cette
technique.
c- Utilisation des différentes fractions de la MGLA
+$Le beurre liquide
Parmi les développements qu'a connu le marché ces dernières années, il y a eu le lancement,
par la société Elle et Vire, du beurre liquide au premier trimestre 1999, mis au point en
collaboration avec la société CORMAN. Stocké au réfiigérateur afin de lui conserver toutes les
caractéristiques organoleptiques, le produit reste liquide à cette température. De par sa texture, c'est
la réponse du beurre à la facilité d'emploi que l'on retrouve dans le cadre d'une cuisine à l'huile.
Nous sommes ici en présence d'une solution extrême avec la mise à contribution d'oléines à
très bas point de fusion. Mais le produit a été déréférencé en mars 2000 car les ventes ne décollaient
pas. Pourtant, il semble difficile de trouver plus novateur ! C'est peut-être là que se trouve
l'ambiguïté, sa texture liquide n'était pas en phase avec l'imaginaire des consommateurs et aurait
nécessité une intense communication. Et comme dirait Isabelle Wallart de 1'IAE de Valenciennes,
«en innovation, il ne faut pas avoir plus d'un quart d'heure d'avance, en France !»
+3Le beurre fiigotartinable
La maîtrise de la tartinabilité du beurre à basse température est une des applications les plus
connues de l'utilisation de ce fiactionnement des triglycérides qui composent les globules gras de la
matière grasse laitière. Ainsi, les industriels du beurre disposent aujourd'hui de techniques pour
modifier la composition de la matière grasse utilisée. Ils peuvent travailler directement de la crème
par apport d'oléine (super ou top) ou bien réaliser un mélange de stéarine et de superoléine ou
topoléine avant de démarrer le procédé de fabrication du beurre. Ils ont ainsi la possibilité de
fabriquer un produit à texture constante toute l'année, mais aussi d'ofliir au consommateur une
gamme de beurres avec des textures différentes, en particulier des beurres tartinables dès leur sortie
du réfkigérateur.
De plus, la modification de la tartinabilité entrahe un changement de la perception
organoleptique qu'est la fraîcheur de fusion en bouche. Une des caractéristiques du goût du beurre
est liée au fait qu'il y a fusion fianche. Durant cette fusion, il libère les arômes, ce qui induit cette
sensation de fraîcheur. En jouant sur la courbe de fusion du beurre, on arrive à améliorer cette
perception sensorielle.
+
Le
:+
beurre industriel
En briocherie - viennoiserie, on recherche des beurres à texture ferme avec une excellente
tenue leur permettant de résister aux opérations de pétrissage pour la brioche ou de laminage pour
les pâtes feuilletées (environ 700 couches) et les croissants (40 couches). La malléabilité du beurre
doit lui permettre de résister à ces opérations mécaniques. Une matière grasse à haut point de fusion
répond à cette demande. Alors, plus d'excuse pour les croissants «pur beurre)) à la margarine ! ...
+:+
Le fiomage
Dans le cadre du fiomage, en travaillant sur la composition de la matière grasse, on peut agir
sur la texture du fromage, et ce pratiquement pour tous les types et les technologies. Cela est
d'autant plus vrai que le produit est riche en matière grasse. Par exemple, pour des pâtes molles
solubilisées ou ultrafiltrées, ce traitement améliore la texture en influençant la fondance en bouche,
ce qui lisse le défaut de texture «caoutchouteuse» qui est parfois mis en évidence sur ces produits.
Pour les pâtes demi-dures ou dures en fabrication industrielle, on recherche une optimisation du
comportement au râpage, tranchage. Pour cela, on travaille sur la dureté du fiomage et non plus sur
sa fondance.
Plus en amont, durant la phase d'élaboration du fiomage, des études ont été effectuées pour modifier
la texture du caillé en le rendant plus ferme sans avoir besoin d'intervenir sur les paramètres
habituels (température, pH.. .). Cette opération n'est pas adaptable à tous les fiomages.
*:* La crème
En apportant des fiactions de matière grasse à la crème, on obtient des comportements du
foisonnement originaux sur des plages de température allant de 2 à 18°C. L'intérêt est non
négligeable quand on sait qu'en général au-dessus de 13"C, il devient impossible de monter une
crème en chantilly au risque de la baratter.
Q Le babeurre
Le babeurre (issu du fiactionnement à sec) liquide, concentré ou en poudre, mélangé à de la
poudre de lait écrémé, de la poudre de lactosérum, des amidons modifiés ou de la matière grasse
végétale, est, lui aussi, utilisé par la boulangerie - pâtisserie dans les crèmes glacées, les sauces, le
chocolat de couverture.. .
*:* Autres
D'autre part, les fiactions obtenues à partir de la MGLA sont également recherchées par
l'industrie du chocolat - outre la MGLA déjà présente dans la composition des pralines, pour éviter
le blanchiment - afin d'obtenir un chocolat qui «fond dans la bouche et pas dans la main», ou encore
dans l'industrie des glaces pour obtenir des produits moins durs à la sortie du congélateur.
Très prisée dans les actions humanitaires -qui intéressent les entreprises pour les avantages
financiers qui sont accordés aux entreprises mécènes -, l'huile de beurre, qui est sous forme stable
peut supporter le transport et les températures élevées des pays chauds. La MGLA peut alors être
utilisée pour recomposer le beurre.
4) Etude de cas : fabrication de beurres industriels à la beurrerie
CANELIA de Petit-Fayt (59)
Dans le cadre de notre étude, nous souhaitions avoir un exemple d'application concret des
méthodes que nous avions étudiées, ce qui explique notre visite de l'usine CANELIA (Groupe
LACTALIS) à Petit-Fayt.
Cette beurrerie fabrique des beurres destinés à diverses applications au niveau industriel.
Ses produits reçoivent une aide européenne de 8 fiancslkg, ce qui leur permet de vendre leurs
produits moins cher et donc d'être compétitifs. Dans ce contexte, et pour éviter les fiaudes, ils se
voient obligés de tracer leurs produits, soit par des traceurs chimiques (repérables par CPG), soit par
des traceurs colorés tel que le carotène, soit par des traceurs aromatiques telle que la vanille. Ces
traceurs sont soumis à des permis de I'Onilait.
L'usine fabrique sa propre MGLA, destinée à différents usages :
+
Empaquetée dans des füts de 200 kg, sous azote (afin d'éviter au maximum l'oxydation), elle est
vendue dans des pays du Proche et du Moyen-Orient, qui ne produisent pas eux-mêmes de
beurre. Ceux-ci reconstituent ce que l'on appelle du ((beurre intermédiaire)) à partir de la
MGLA, avec de la poudre de lait et de l'eau dans un échangeur de chaleur à surface raclée, ou
du lait.
Sous cette forme, la MGLA peut se conserver longtemps, sans conditions de stockage
particulières.
4
Pour certains clients extrêmement exigeants, les fluctuations saisonnières posent un problème.
Ainsi, CANELIA stocke ses MGLA d'hiver (dont la quantité est plus importante que celle des
MGLA d'été du fait des périodes de lactation des vaches) et peut les réutiliser tout au long de
l'année.
Le principe est le suivant : l'huile de beurre est fiactionnée. Puis un mélange de différentes
fiactions est réalisé puis passé dans un cristalliseurltexturateur type Schader (Cf. Annexes
Echangeur à surface raclée) afin de redonner du beurre puis il est conditionné.
4
Dans un processus continu, après fabrication de la crème, la MGLA est fiactionnée pour obtenir
des fiactions plus ou moins riches en oléines ou stéarines. Ces fiactions seront ensuite
mélangées à de la MGLA, en différentes proportions, afin d'obtenir des «beurres» aux propriétés
variables :
Le produit quatre quart, à bas point de fusion, au point de goutte de 22 à 28 OC. Ce
produit est utilisé dans les mélanges à sec, pour les quatre quarts ou les brioches.
Le produit standard, à moyen point de fusion, au point de goutte de 32 à 35°C. Il est
utilisé par les glaciers pour donner du fondant. Mais aussi pour les 414 ou les croissants,
même s'il ne permet pas un optimum d'efficacité.
Le produit croissant, à haut point de fusion, au point de goutte de 36 à 38°C. Il permet
de faire lever la pâte.
Le produit feuilletage, à haut point de fusion, au point de goutte de 39 à 41°C. Ce
produit peut être laminé. Il est également utilisé par les chocolatiers pour le chocolat de
couverture.
Chaque produit est donc le résultat de travaux de formulation. De plus, il est impossible de
prévoir le point de goutte d'un mélange. Et la dificulté est d'obtenir un produit homogène, pour
qu'il n'y ait pas une partie qui fonde et pas l'autre, ce qui entraînerait la formation de grumeaux.
Ces produits en fonction de leur courbe de fusion sont adaptés à leur utilisation. (Cf Annexes
Courbe defusion de la matière grasse butyrique)
La beurrerie CANELIA dispose d'un Conseil clients qui travaille en étroite collaboration
avec ses clients afin d'apporter le produit adapté à chacun. (Cf. Annexes Classzjkation des produits
de la biscuiterie)
Les produits cités ci-dessus ne portent cependant pas l'appellation (( beurre )) mais (( beurre
concentré )p. Afin de contourner la réglementation, CANELIA a créé un produit: (( BBS ».
Il s'agit de beurre fondu repassé dans le texturateur, cristallisé, auquel on additionne de la MGLA et
ceci dans un process continu. Ce produit a donc droit à l'appellation (( beurre ».
Rôle des matières grasses dans les produits de boulangerie, pâtisserie, biscuiterie et
chocolaterie :
4
+
Les pâtes brisées, les sablés :
J La matière grasse interrompt le réseau formé par le gluten afin d'obtenir une structure
plus courte, plus fondante, ...après cuisson.
J Pour s'incorporer dans la pâte, la matière grasse doit être plastique.
Les pâtes à cake, madeleine :
J La matière grasse permet l'incorporation et la rétention de l'air dans la pâte au cours du
crémage.
J
La matière grasse doit être plastique.
+
Les pâtes feuilletées :
J La matière grasse est répartie en feuillets minces séparant des couches de pâte
constituées d'un réseau de gluten déjà développé.
J La matière grasse doit être ferme et plastique ; elle doit résister au travail d'étalement et à
l'élasticité de la pâte.
+
Les pâtes levées -feuilletées (croissants) :
J Idem pâtes feuilletées.
J La texture de la matière grasse doit résister à la fermentation.
+
Les crèmes au beurre fourrage et décoration) :
J La matière grasse incorpore l'air et le sirop de sucre.
J La texture doit être sufisamment ferme, lisse et fondante.
+
Les couvertures (chocolats) :
J La matière grasse doit cristalliser rapidement et présenter une texture très ferme et
brillante.
Le beurre fait peur et un certain nombre de fieins sont liés à son utilisation, même si on
continue à s'en servir pour la cuisine. Ainsi, il est étonnant de voir à quel point les pâtisseries 100 %
pur beurre séduisent, alors que le produit garde son image d'aliment gras et calorique. Il reste le
dernier aliment important de la culture fiançaise dont l'image santé n'ait pas encore été valorisée. Et
pourtant, outre sa richesse en vitamine A, sa composition en acides gras, après avoir été décriée à
tort, se voit maintenant reconnue pour son rôle fonctionnel. Et si les industriels n'ont pas encore
«surfé sur cette vague » pourtant largement exploitée dans d'autres secteurs, ils se sont rattrapés en
s'appuyant sur d'autres tendances. Car le souci principal est de redorer une image largement ternie
ces dernières années.
Les innovations se positionnent ainsi sur deux courants forts : la praticité et le plaisir. Si les
beurriers et les beurres fiigotartinables étaient tout d'abord les fers de lance de la praticité, les
innovations ont ensuite évolué avec la motte moulée, utilisable facilement grâce à sa cloche avec
socle et le beurre liquide d'Elle et Vire.
Le mariage du plaisir et de la tradition est largement plébiscité par les consommateurs. La
dimension plaisir est présente grâce aux beurres de spécialité au sel de mer. L'authenticité n'est pas
en reste dans ces spécialités avec la découverte du beurre AOC, des moulés de spécialité et des
beurres barattés au lait cru. Ainsi, alors que les produits basiques chutent régulièrement, à l'inverse,
les produits qualitatifs et dits de spécialités sont en croissance. L'évolution positive des moulés et
des spécialités est liée à deux attentes majeures des consommateurs : une réassurance sur l'origine
du produit et une garantie de qualité.
Les segments du beurre et leur évolution
irs i l ~ i i r r i c !progresseilt
~
f:ricorc de 6.4 ",:eri 1999.
noter aussi ln croissance a deiix chiffres des betitie.j tartinables
III- Autres valorisations de la matière masse laitière
1) La crème
La crème est une émulsion de matière grasse dans l'eau : les particules de matière grasse
sont dispersées en gouttelettes dans la phase aqueuse. A l'inverse du beurre qui est une émulsion
d'eau dans la matière grasse : les gouttelettes d'eau sont réparties dans la matière grasse.
La crème contient de la matière grasse (30 à 40 % en moyenne), de l'eau (59 %) et 6 % d'éléments
non gras : protéines, lactose et minéraux. Elle est riche en calcium et vitamines liposolubles: A, D,
E et K
Sa fabrication demande plusieurs phases : l'écrémage, la pasteurisation, l'ensemencement et la
maturation.
a- L'écrémage
La crème est obtenue à partir de l'écrémage du lait. Pendant longtemps, celui-ci s'est fait
naturellement : on patientait 24 heures pour attendre que les globules de matière grasse, plus légers
que l'eau, remontent lentement à la surface du lait au repos.
En effet, la séparation des globules gras au repos est un processus normal puisque le globule
gras résente une masse volumique (0.92 &m3) inférieure à celle de la phase dispersante (1.034
glcm ). Il en résulte une remontée de la matière grasse (phénomène de crémage).
Dans la pratique les basses températures favorisent le crémage malgré l'augmentation de la
viscosité. On attribue ce phénomène à l'instabilité de la matière grasse qui peut présenter des
problèmes d'agrégation et de coalescence.
L'invention en 1878 de l'écrémeuse-centrifugeuse par le Suédois Laval et l'Allemand
Lefeld a permis d'accélérer la fabrication. Le lait, d'abord chauffé à 35°C' alimente en continu
l'écrémeuse-centrifugeuse. Il est soumis à une rotation très rapide à l'intérieur d'une cuve. Dans un
bol en rotation, la particule est entraînée par la force dispersante et soumise à l'action de la force
centrifùge. Le sens de déplacement de la particule est celui de la résultante de ces deux forces.
La force centrifuge accélère la séparation des composants du lait. Les plus lourds gagnent
les parois tandis que les plus légers -les corps gras- se rassemblent au centre et forment la crème.
Selon qu'on prélève plus ou moins près de l'axe de rotation, celle-ci est plus ou moins riche en
matière grasse.
6- La pasteurkation
Etape relativement récente, puisqu'elle a un siècle.
A la sortie de la centrifùgeuse, la plupart des crèmes sont pasteurisées à une température de
95°C à 98°C pendant 30 secondes, sauf pour celles destinées à rester crues, puis immédiatement
refroidies. On assure ainsi la destruction des germes et l'inactivation des enzymes, tout en
préservant les qualités organoleptiques de la crème.
b- L'ensemencement et la maturation
Autrefois naturelle, elle est désormais dirigée. Son but : favoriser le meilleur développement
de l'arôme du beurre, grâce à la formation de diacétyle. On ensemençait la crème avec un levain de
ferments lactiques provenant de crèmes ou de beurres sélectionnés pour leur goût. Puis on laissait
maturer en cuve pendant une quinzaine d'heures, entre 14 et 16°C.
Aujourd'hui, cette maturation de la crème, à la fois biologique (acidification et aromatisation) et
physique (cristallisation de la matière grasse) a été quasiment abandonnée.
Après maturation, la crème est refroidie et conditionnée. Puis elle est stockée en chambre
froide (6°C) et commercialisée.
d- La dénomination
--
.m.---^--X
Les différentes crèmes se distinguent les unes des autres grâce à
plusieurs critères : les traitements de conservation, la teneur en matière grasse,
et la consistance (liquide ou épaisse). En combinant ces critères, on obtient une
large palette de produits : la crème crue, la crème fraîche pasteurisée liquide, la
crème fraîche pasteurisée épaisse, la crème stérilisée liquide, la crème UHT, la
crème légère, etc.
La crème provient exclusivement du lait. L'addition de toute autre
matière grasse est formellement interdite (loi du 29 juin 1934). Selon la
réglementation en vigueur (décret du 23 avril 1980), le droit de s'appeler «crème» est réservé au
lait contenant au moins 30% de matière grasse. Les laits contenant au moins 12 g de matière grasse
pour 100 g ont droit à l'appellation ((crème légère)).
Crème et crème légère sont, hormis la crème crue, toujours soumises à un traitement thermique
(pasteurisation ou stérilisation). En revanche, la mention ((crème fraîche))ou ((crèmelégère fraîche))
s'applique à des crèmes qui sont pasteurisées et conditionnées sur le lieu de production dans les 24
heures après la pasteurisation. Elle est donc interdite aux crèmes stérilisées.
La seule dénomination ((crème fraîche» signifie que la crème a été pasteurisée. Car la mention
((pasteurisée))n'est pas obligatoire. Les crèmes stérilisées n'ont pas le droit à l'appellation ((crème
fraîche)).
La législation autorise en très petites quantités l'addition de certains produits : saccharose
(15% maximum), ferments lactiques, stabilisateurs (0,5%).
Lorsque la crème ou la crème légère contient des additifs autorisés, la détermination de la matière
grasse est effectuée sur la partie lactée.
e- Utilisation des crèmes
Avec 60% d'eau, la crème n'appartient pas à la catégorie des corps gras.
100 grammes de crème apportent 335 calories, alors que la même quantité d'huile en donne 900g, et
pour le beurre ou la margarine environ 700g !
La crème donne un goût harmonieux. Elle lisse et équilibre les différentes saveurs ; elle
apporte aux préparations une texture fine, homogène et moelleuse.
Elément de finition discret mais indispensable en cuisine classique, la crème est aussi, en
France, associée à certaines cuisines régionales. La cuisine normande, particulièrement, l'a mise à
l'honneur : sole à la Normande, escalope à la crème, poulet au cidre et à la crème, moules à la
crème.. .
Mais l'Anjou n'est pas en reste, avec ses fricassées de volailles ou de lapin à la crème, pas plus que
la Lorraine qui ne peut s'en passer dans son plat traditionnel, la quiche, ou l'Alsace qui l'associe
aux soupes et tartes de légumes.
Cependant, depuis la vogue de l'allégé, son emploi a été reconsidéré. D'élément de finition,
elle est devenue élément de liaison principal. Notamment, en réduction dans des cuissons longues,
grâce aux progrès réalisés sur la crème UHT. On l'intègre également dans des sauces chaudes
réduites ou minute, le beurre blanc, les quiches diverses, les sauces fioides. Elle est devenue un
partenaire obligé des pâtes (tagliatelles au saumon, carbonara, fettuccine aux champignons) et ne
saurait se faire oublier dans certains plats courants comme les gratins.
En pâtisserie, elle est indispensable telle quelle ou fouettée, pour les bavarois, les mousses, les
soufflés, les flans. Dans les glaces, avec les fiaises, et certaines boissons, elle apporte une touche
inimitable.
2) La production d'arômes
Les goûts laitiers sont dans l'air du temps ! La tendance est apparue avec la confiture de lait,
venue d'Amérique du Sud. La demande de goûts de lait, de lait caramélisé, de lait concentré.. . est
aujourd'hui bien réelle, pour les produits laitiers comme pour la biscuiterie. On a pu voir se
développer des saveurs crème, confiture de lait ou même yaourt dans des liqueurs à la crème. Le
goût yaourt a même servi à la fabrication de chewing-gum. Et si les notes beurre sont depuis
longtemps utilisées en biscuiterie, on va aujourd'hui vers des arômes de plus en plus doux, proches
de ceux de la crème.
a- Les EMDI
SKW Biosystems a pour sa part décidé d'exploiter une de ses forces : les EMDI (Enzyme
Modified Dairy Ingredients). Fabriquées aux USA, ces préparations aromatisantes sont obtenues par
surmaturation à partir de matières premières laitières (yaourt, beurre.. .) auxquelles on ajoute des
enzymes. On obtient ainsi des notes de fond très intenses proches des matières premières de départ.
Si cette technologie est désormais utilisée par d'autres entreprises américaines, SKW Biosystems est
considéré comme précurseur en la matière. Le groupe, qui dispose déjà d'une large expertise dans
les notes crèmes (en dehors des EMDI), pourra désormais les utiliser dans la formulation de ses
arômes crème, lait, fromage... pour obtenir des goûts encore plus proches de ceux du produit
naturel. Un résultat intéressant pour le secteur des glaces, de la biscuiterie et du salé, comme pour
l'apport de goût beurre dans des produits où une partie des matières grasses animales est remplacée
par des matières grasses végétales.
b- Etude de cas
Un arôme naturel EMDI associé à un texturant peut constituer un substitut économique à la
crème fraîche dans un appareil à quiches, par exemple, ou une sauce à la crème.. .
Une formule de quiche lorraine contient traditionnellement de la crème fraîche : celle-ci
contribue à apporter un goGt onctueux. Elle donne de la texture, car elle contient de la matière
grasse et de l'extrait sec laitier dégraissé en petite quantité. Elle procure aussi de la couleur et
confère généralement une image positive au produit auquel elle est incorporée... Cependant, dans
certain cas, il peut être nécessaire de la remplacer par un substitut, soit pour réduire le coût de
formulation, soit pour des raisons d'ordre logistique : la DLC courte de la crème fraîche impose un
entreposage dans des conditions contrôlées et un réapprovisionnement fréquent. Une raison à des
problèmes liés au process mis en œuvre pour la fabrication du produit fini : une température trop
élevée peut dénaturer la crème fraîche et dégrader son goût. La substitution peut également résulter
d'une volonté de changer l'image du produit fini, par exemple de l'alléger.
C'est en réponse à ces préoccupations qu'Epi Ingrédients, filiale ingrédients de la Cana et
Coopagri Bretagne, a étudié les possibilités de substitution partielle de la crème fraîche dans des
produits comme les appareils à quiches et flans, les sauces à la crème et les soupes et veloutés. La
principale orientation donnée à ces travaux était d'étudier dans quelles conditions les EMDI ou
concentrés de crème obtenus à partir de crème fiaîche pouvaient remplir cette fonction de substitut
et dans quelles conditions ils pouvaient répondre aux objectifs « qualitatifs » (texture, goût,
procédé) et économiques définis pour une quiche lorraine.
Ces EMDI interviennent sur la texture, car ils conservent une partie de l'environnement du
produit dont ils sont originaires (il reste un peu d'extrait sec laitier et de matières grasses) avec, en
supplément, les caractéristiques du support éventuel sur lequel ils sont séchés (l'arôme peut être un
support laitier par exemple). Ils rappellent en fond et en cœur le goût onctueux de la crème. Ces
caractéristiques s'expliquent par leur procédé d'obtention : il s'agit d'un concentré de crème obtenu
par fermentation à partir d'une crème fraîche sélectionnée en fonction d'un taux en matière grasse et
d'une maturation spécifiques... La crème fraîche, les enzymes et la conduite du process
(température, durée...) sont choisis en fonction du profil aromatique que l'on souhaite obtenir.
Les caractéristiques des EMDI continuent à évoluer : alors que les premiers étaient une
simple concentration du produit, obtenue naturellement par l'intervention de lipases et de protéases,
ce qui pouvait apporter à une concentration non négligeable des molécules responsables de mauvais
goûts, aujourd'hui les arômaticiens définissent précisément un profil aromatique en sélectionnant les
notes de tête, celles de cœur et celles de fond (phénomène rétro-nasal + arômes volatils) et
choisissent la matière première en fonction des molécules qu'ils désirent booster. Dans certains cas,
ils réalisent des mélanges d'EMDI, en utilisant l'arôme de tête de l'arôme X, la note de fond de
l'arôme Y.. . Les produits obtenus sont réglementairement des (( arômes naturels ».La qualification
supplémentaire "arôme naturel de crème fiaîche" est réglementairement interdite. Ces arômes sont
dotés d'une intensité aromatique environ 10 fois supérieure à celle de la crème fraîche.
Homogénéisation du support aromatique :
crème fraîche
Ajout
d'enzymes
*
Inactivation des enzymes
et bactéries endogènes
Ajout
de cultures
*
Fermentation
Inactivation:
blocage des enzymes et cultures
9
Homogénéisation
de la pâte
*
*
*
+
Obtention d'un
concentré en
pâte
Mise en support
si nécessaire
Séchage
Obtention d'un concentré
en poudre
Fabrication d'un concentré de crème fraîche
Les premiers essais d'Epi Ingrédients ont été réalisés à partir d'une formule de base
d'appareil à quiche lorraine correspondant à une recette classique. Les principaux ingrédients en
sont : l'œuf entier (35 %), émulsifiant et texturant, la crème fiaîche (25 %), l'eau (25 %) dont le rôle
est d'assouplir la pâte et d'assurer la solubilisation des protéines, et du lait écrémé (15 %) qui influe
sur la texture et la couleur du produit. Des critères sélectifs ont été définis pour le produit dont une
partie de la crème ftaîche a été substituée, concernant la texture, le goût et la tenue au procédé, afin
de mesurer si les produits et les formules testées correspondaient aux objectifs préalablement
définis. Ainsi, le produit devait avoir une texture homogène, être tranchable avec une coupe lisse et
nette et disposer d'une bonne tenue. Le goût devait être onctueux (ou « riche ») et provoquer une
sensation fianc-laitier. Au niveau du process, les priorités ont été données à la résistance du produit
à la température, mesurée par l'absence d'exsudats et la tenue des marquants (lardons), ainsi qu'à la
couleur.
Il est apparu qu'il était possible de substituer 25 à 50 % de la crème fiaîche par un arôme
EMDI issu de crème (0,5 à 3 % max.), associé à un texturant avec un complément d'eau. Ceci, sans
modifier substantiellement la formule initiale et en respectant les critères sélectifs. Au-delà, il serait
utopique de vouloir faire de la crème fiaîche avec autre chose que de la crème fiaîche. Par ailleurs,
il a été constaté qu'un ingrédient tel que I'EMDI issu de crème fiaîche donne le meilleur de son
potentiel quand il est associé à son substrat de référence dans la matrice alimentaire, c'est-à-dire à
de la crème fiaîche dans ce cas précis. Quant au texturant, il vient suppléer la perte de texture.
Certes, I'EMDI de par son environnement initial, contient encore une partie de protéines
susceptibles d'apporter de la texture, mais généralement, celle-ci n'est pas suffisante pour tenir la
cohérence des lardons (ils risquent de tomber) et répondre aux critères sélectifs retenus en terme de
texture et de tenue de la pâte.
Dans le cadre de ces essais, Epi Ingrédients a utilisé différents hypercolloïdes, mais ces tests
ne sont pas encore totalement finalisés. D'autres agents de texture ont été employés, dont l'usage
permet de conserver l'esprit « laitier » : il s'agit d'ingrédients laitiers constitués de protéines (des
caséinates ou autres), d'un support de lactose ou de matières grasses. Ils sont conçus pour
développer un goût marqué de crème : soit ils subissent un traitement qui permet de développer ce
goût, soit ils sont associés à des EMDI issus de crème fiaîche. L'utilisation de ce type d'ingrédients
permet de jouer simultanément sur la réduction de la quantité d'œuf pour aller encore plus loin dans
la substitution.
3) Textures et flaveurs innovantes grâce à la séparation des globules gras
Les globules gras sont des gouttelettes sphériques contenant principalement des triglycérides
(à 95%), entourées à l'état natif d'une membrane dont la composition est très complexe. A part les
triglycérides, elle est constituée de 25 à 60% de protéines diverses (glycoprotéines, environ 25
enzymes) des phospholipides...etc. Le diamètre des globules gras varie de 0,2 à 15 y m Pour la
plupart des petits globules, il est généralement de 1 ou 2 ym. Pour les gros globules, il est le plus
souvent compris entre 2 et 12 Pm.
L'équipe du Laboratoire de Recherche et de Technologie Laitière (LRTL) à l'INRA de
Rennes a réussi une avancée technologique dans le domaine du fiactionnement de ces globules gras.
Mais que peut-on attendre de la séparation de ces éléments de la matière grasse laitière ? Pour
l'équipe du LRTL, l'objectif était de savoir si la taille des globules gras et donc leur nombre dans le
même volume influence la texture en bouche et la flaveur des produits laitiers. La technique mise en
œuvre a pour base l'hypothèse suivante : le fait de conserver aux globules gras leur membrane
intacte ne doit pas modifier la nature des interactions globule/milieu aqueux laitier, mais la
réduction significative de leur taille dans le perméat doit accroître sensiblement l'intensité des
liaisons des globules avec les protéines du lait et avec l'eau. Selon J. L. Maubois, directeur du
LRTL, ((cette structuration de l'eau par la membrane des globules aurait une influence sur l'arôme
des fiomages par exemple et leur texture en bouche par le biais d'interactions avec la matrice
caséique ».Le LRTL cherchait donc à réussir cette séparation sans entraîner aucune altération de la
structure ou de la forme des globules, c'est-à-dire en évitant la chaleur, les cisaillements.
La seule technologie qui permette cela est une méthode douce : la microfiltation tangentielle
qui se fait à température modérée, sous une pression faible et uniforme, avec selon le procédé du
LRTL l'utilisation de membranes de microfiltration en céramique dont la taille des pores varie entre
2 et 5 Pm. Les petits globules passent dans le perméat (25 à 75%) de la matière grasse et les gros
globules restent dans le rétentat dans des proportions inverses.
Même s'il ne s'agit que d'essais préliminaires, les résultats présentés concernant divers types de
produits laitiers sont très intéressants. Avec les petits globules, les laits sont plus agréables à la
dégustation, les yaourts et les fiomages blancs ont une texture plus fme et plus lisse, les fiomages
de type camembert ont une pâte moins ferme, plus douce en bouche, mais le beurre donne une
sensation huileuse et grasse. A l'inverse avec les gros globules, la texture du beurre est jugée moins
grasse et plus lisse que celle des beurres de référence, et les yaourts et les crèmes acides plus fermes
et plus fondantes en bouche. Il y a donc des différences et comme le souligne M. Maubois, elles
peuvent déboucher sur des perspectives de nouvelles textures, de nouvelles saveurs, voire de
produits nouveaux ou améliorés.
L'intérêt du procédé réside également dans le fait qu'il permet de fiactionner la matière
grasse directement dans le lait, et à obtenir directement et donc à moindre coût des produits à
matière grasse modifiée.
Il reste cependant beaucoup d'études à mener car il est possible que les phénomènes
constatés proviennent d'une différence dans la quantité de substances membranaires introduites
dans les produits après séparation des globules ou de la composition en triglycérides des globules
gras en fonction de leur diamètre.
4) Les valorisations non alimentaires
On utilise également la matière grasse laitière en cosmétique pour ses acides gras et surtout
pour ses phospholipides issus du babeurre. Les phospholipides sont formés par l'association d'un
glycérol à deux chaîîes d'acides gras à un groupe phosphate. Ces phospholipides ont un rôle
important dans la structure des membranes cellulaires.
En cosmétologie, on les utilise dans l'élaboration des liposomes qui sont essentiellement
utilisés pour la vectorisation des produits cosmétiques (encapsulation et transport). Un liposome
correspond à l'assemblage de lipides en double couche formant des sphérules multilamellaires. Ce
sont des réservoirs qui libèrent «à la demande)) la substance active et qui o f i e une excellente
tolérance cutanée. La structure vésiculaire est stable et possède, par conséquent, un pouvoir
encapsulant pendant un temps indéterminé. Mais si elle est déposée sur la peau (contenant le
cholestérol et ses dérivés) elle devient métastable et se compartimente en produits aqueux et
huileux. On obtient alors un pouvoir de pénétration important. C'est ainsi que l'on fait pénétrer des
agents actifs tels la caféine, les vitamines ...
III- Vers une matière erasse laitière à haute valeur nutritionnelle
grâce à I'interestérification ?
1) L'interestérification
Toutes les graisses naturelles présentent une distribution particulière des acides gras sur le
glycérol estérifié. L'interestérification est une opération qui consiste à modifier la structure
glycéridique par le réarrangement moléculaire des acides gras sur le glycérol. Elle devient une
technique de transformation de plus en plus importante ayant pour but de modifier les propriétés
rhéologiques d'un corps gras (mollesse, dureté, plasticité, fiigotartinabilité...) pour des usages
particuliers dans les transformations alimentaires.
En général on a recours à ce procédé pour :
- modifier la courbe générale de fusion du produit (souvent pour réduire la teneur en graisse
solide) ou le point de fusion du mélange (à la baisse)
- améliorer la compatibilité des différents triglycérides à l'état solide
- améliorer la plasticité d'un produit en modifiant les propriétés de re(cristal1isation)
- combiner les propriétés de mélanges d'huiles et de graisses.
Triglyceride
Triglycéride
Triglycéride
Triglycéride
... = Acides gras
R1, R2,R3
Principe de I'interesterification : il s'agit, à partir de molécules différentes
de triglycérides d'intervertir certains de leurs acides gras.
Schéma simplifié de la réaction d'interestérification
L'interestérification est possible entre acides gras d'une même molécule de triglycéride
(échange intramoléculaire) ou entre triglycérides différents (échange intermoléculaire). Il en existe
deux types : l'interestérification chimique, la plus courante, qui utilise un agent du même type et
l'interestérification enzymatique qui utilise un biocatalyseur.
a- L 'interestérzjicationchimique
L'interestérification peut se faire sans catalyseur à des températures supérieures à 200°C. En
présence d'un acide la réaction se satisfait de températures nettement plus douces, de 20 à 100°C.
Les meilleurs catalyseurs sont les méthylates alcalins (méthylate de sodium) et les alliages
sodiurn/potassium.
L'interestérification chimique modifie la répartition naturelle des acides gras dans les
triglycérides et cette redistribution peut être dirigée ou laissée au hasard. Si on la laisse au hasard,
on atteint un équilibre répondant aux lois de la probabilité : les acides gras sont distribués de
manière non sélective dans les différents esters. Il est également possible de la diriger (Cf Annexes
Schéma simplijié d'une interestérijication chimique dirigée), par exemple par ségrégation des esters
à haut point de fiision produits par la réaction au moyen d'une cristallisation contrôlée en cours
d'interestérification. La première est très commune, l'interestérification dirigée n'étant
d'application que dans certains cas bien précis.
La réaction catalytique est entravée par l'eau, les acides gras et les peroxydes. Il convient de
neutraliser et sécher l'huile avant le contact avec le catalyseur.
A l'échelle industrielle, on procède en continu ou par charges (Cf. Annexes Diagrammes
d'installation d'interestérijication opérant par charges, et d'interestérzjication continue).
Le procédé en continu convient mieux à des installations de bonne capacité et permet
d'avantageuses récupérations d'énergie.
Dans le procédé par charges, une quantité bien précise d'huile est utilisée et soumise au traitement,
puis à la fin de d'interestérification, une autre quantité (charge) subit cette opération et ainsi de
suite.
Force est de constater que les meilleurs résultats sont obtenus en continu, grâce au contrôle
simplifié des différentes étapes d'un procédé conduit dans un petit réacteur continu plutôt que dans
un grand réacteur opérant par charges. II existe d'ailleurs deux types de réacteurs : à agitation
interne (système à hélice) ou à boucle de recirculation.
-
-
--
-
Réacteurs d'interestérificationà agitateur (a) ou à boucle de recirculation fb)
Cependant en dépit des avantages certains du procédé continu, la plupart des installations
aujourd'hui sont de type semi-continu (c'est-à-dire opérant par charges) vu les capacités
relativement basses traitées par l'industrie.
Un problème demeure cependant. L'interestérification chimique, qui s'effectue à une
température assez élevée, induit la formation d'acides gras insaturés trans. Une partie de l'acide
oléique cis Cl8 :1 oméga-9 est transformé en acide élaédique trans. De même, jusqu'à 30% de
l'acide linolénique Cl8 :2 oméga-6 de forme cis-cis sont transformés en isomères insaturés de
forme trans c'est-à-dire les formes trans-trans, trans-cis ou cis-trans. (Rappelons cependant que le
taux d'acide linolénique dans la matière grasse laitière n'est que de 0'5%).
Les industriels tentent actuellement de limiter ou d'annuler cette formation d'isomères trans
car cela pose un problème nutritionnel. En effet, l'acide linoléique cis-cis est un acide gras essentiel
qui doit être apportée par une alimentation végétale car ne pouvant être synthétisé par des
organismes animaux. Un de ses rôles est de s'incorporer dans la double couche phospholipidique
des membranes cellulaires. Sa transformation en isomère trans modifie son devenir. L'isomère cistram semble être utilisé en tant qu'acide gras mono-insaturé (acide oléique). La forme trans-cis
n'est pas incorporée dans les membranes. Mais l'isomère trans-trans se comporte comme un acide
gras saturé prenant la place dans la bicouche lipidique des vrais acides gras saturés. Or une
consommation accrue d'acides gras insaturés trans semble induire deux effets nocifs : l'élévation du
taux de LDL cholestérol, le ((mauvais cholestérol », et une augmentation de la faculté d'agrégation
des plaquettes sanguines, facteur de thrombose.
Par ailleurs les travaux de Weihe (1961) montrent que l'interestérification chimique affecte
fortement le profil aromatique de la matière grasse butyrique.
b- L 'interestér~jlcation
enzymatique
Une méthode alternative à ce procédé est l'interestérification enzymatique. Grâce à des
conditions plus douces de pression et de température (30 à 60°C), le bioprocédé met en œuvre une
enzyme, en milieu pratiquement anhydre (moins de 2% d'eau et une Aw inférieure à 0'5). Pour
obtenir une efficacité maximale, cette enzyme, une lipase (souvent celle du microchampignon
Mucor miehei) doit être spécifique, n'affectant que les positions 1 et 3 du triglycéride. Ce type
d'interestérification est qualifié de régiosélective 1-3. La régiosélectivité est conservée pendant une
douzaine d'heures, délai largement suffisant pour la réaction. L'interestérification enzymatique
s'impose lors de la production d'une composition de triglycérides très ciblée. La réaction est
cependant lente et sensible aux impuretés et aux conditions de réaction. Toutefois la haute
sensibilité du procédé aux diverses conditions opératoires ainsi que les coûts élevés du substrat
d'enzyme et de l'équipement de process restreignent l'emploi à des produits à très haute valeur
ajoutée. On constate néanmoins que depuis quelques années les techniques d'immobilisation se sont
développées de façon considérable. L'enzyme peut être réutilisée plusieurs fois sans perte notable
d'efficacité.
Peu d'études ont été réalisées sur les effets de l'interestérification enzymatique sur les
propriétés physiques de la matière grasse laitière. Il semble qu'elle cause moins de dommages à
l'arôme du beurre que l'interestérification chimique. Ka10 et al. (1986a, b, 1990) ont examiné les
propriétés de fusion et de cristallisation et ont montré qu'il y a peu de différences entre une matière
grasse laitière interestérifiée chimiquement et une autre par voie enzymatique (avec une lipase non
spécifique). Bornaz et al. en 1994 ont étudié les moyens d'augmenter le contenu en matière grasse
solide du beurre à température ambiante par l'addition de tripalmitine ou de trimyristine lors de
l'interestérification, ou la combinaison des deux.
Mais dans le cas de l'interestérification enzymatique, plusieurs facteurs doivent être pris en
considération :
- le choix de la lipase (pour des considérations de spécificité)
-
la méthode d'immobilisation de l'enzyme et le matériel de support
les conditions du milieu (température, pH, quantité d'eau.. .etc.).
Le contenu en eau est un facteur clé. Dans un environnement riche en eau, l'hydrolyse prédomine
alors que pour un milieu pauvre en eau c'est la formation des esters qui est majoritaire (Yamane,
1987). L'interestérification requiert un équilibre entre ces deux réactions pour être efficace.
Certaines études aux perpectives diverses ont montré que les lipases peuvent modifier
considérablement la composition de la matière grasse laitière. Christensen et Holrner (1993) ont
synthétisé un substitut de la matière grasse du lait humain pour des aliments infantiles par
l'interestérification de la matière grasse avec l'acide eicosapentanoïque (EPA), l'acide
docosahexanoïque (DHA), les acides oléique et linoléique, catalysée par la lipase de Mucor miehei
immobilisée sur une résine échangeuse d'ions.
2) Utilisation de I'interestérification
L'interestérification enzymatique est essentiellement pratiquée dans le monde végétal. Son
développement concernant les huiles végétales permet de mettre sur le marché des corps gras
végétaux possédant de meilleures propriétés fonctionnelles. Elle permet tout aussi bien que
l'interestérification chimique de durcir une huile végétale sans modification des acides gras
essentiels polyinsaturés (AGPI) cis. Elle permet également d'enrichir des huiles végétales en AGPI,
tout en conservant leur fluidité à température ambiante.
Lorsque l'interestérification enzymatique est appliquée à l'huile de palme, elle permet de fabriquer
des laits maternisés comme Betapol de Loder-CroklaanfUnilever, dans lequel est incorporé un
triglycéride de formule oléique-palmitique-oléique (OPO), ou des substituts au beurre de cacao qui
diminuent le blanchiment du chocolat.
La principale utilisation de l'interestérification aujourd'hui concerne la modification du
comportement à la fusion d'une huile /graisse sans modifier la composition en acides gras. Le
produit fini présente un point de fusion abaissé et une texture plus fine. Au niveau de la matière
grasse du lait, quelques études ont été réalisées.
Rousseau et al. (1998) ont utilisé l'interestérification enzymatique pour produire une matière grasse
fiigotartinable à partir d'un mélange d'huile végétale et de matière grasse butyrique.
Oba et Witholt (1994) ont utilisé une lipase provenant de Rhizopus oryzae pour interestérifier de la
matière grasse du lait et de l'acide oléique afin d'améliorer les propriétés nutritionnelles du beurre.
Avec cette réaction, la proportion de la fiaction à haut point de fusion a considérablement chuté.
Il semble qu'aujourd'hui le procédé permettant la production de beurre fiigotartinable par
abaissement du point de fusion des triglycérides de la matière grasse butyrique grâce à
l'interestérification soit maîtrisé. Cependant il ne trouve guère de débouchés. Selon le Pr.
Parmentier de I'ENSAIA de Nancy, il ne serait pas rentable d'un point de vue économique. Le
produit reviendrait cher à fabriquer : la matière première a déjà un certain prix et il faudrait y
ajouter un coût de production engendré par la technologie. Par ailleurs le produit ne pourrait pas
bénéficier de l'appellation ((beurre » car n'étant pas directement issu de la crème et de son
barattage, et il faudrait donc le vendre moins cher. D'autre part, comme nous l'a expliqué M. JeanFrançois Boudier d'Ingrédia, «le milieu laitier est protégé et à l'abri des ((manipulations
chimiques ». C'est essentiellement pour des questions d'image » que l'interestérification de la
matière grasse du lait a du mal à émerger. Les matières laitières sont considérées comme ((nobles ))
doivent pas subir de traitements chimiques (décret du 30 décembre 1988) tels que
et
l'@ferestérification, même enzymatique.
3) De nouvelles perspectives ?
Dans le cadre de ce travail nous souhaitons envisager l'utilisation de l'interestérification pas
seulement comme moyen d'abaisser le point de fùsion des matières grasses, mais également
comme un moyen d'obtenir une matière grasse laitière avec de meilleures propriétés nutritionnelles.
L'idée est d'ajouter lors de l'opération des acides gras polyinsaturés, d'origine végétale, afin
d'enrichir la matière grasse en ces AGPI, comme cela est déjà fait pour les huiles végétales.
L'intérêt est d'ordre nutritionnel car le rôle de ces acides gras n'est plus à démontrer (cf Projet de
filière Lait).
Les utilisations peuvent être diverses dans les produits laitiers. Dans la fabrication de
((beurre » par exemple, cela peut permettre de concurrencer des produits tels que Primevère ou
Pro'activ actuellement sur le marché, avec une communication de type nutritionnel autour du
produit. Cette matière grasse enrichie pourrait peut-être trouver une utilisation dans les laits : il
s'agirait de retirer une partie de la matière grasse d'origine et de la remplacer par celle-ci pour
donner des laits encore meilleurs nutritionnellement parlant. Elle pourrait également être incorporée
dans les crèmes glacées, le chocolat, les viennoiseries et pâtisseries, bref partout où l'on utilise
actuellement du beurre ou de la matière grasse d'origine laitière, et peut-être même plus (produits
dans lesquels on incorpore de la matière grasse végétale).
Il y aura certainement des paramètres physiques à prendre en compte, qui touchent la
rhéologie et le comportement général du produit obtenu et son utilisation en industrie. Il faudra par
exemple partir d'une matière grasse laitière pratiquement anhydre comme l'eau pose quelques
problèmes au niveau du procédé qu'il soit de nature chimique ou enzymatique.
Les personnes rencontrées mettent presque toutes en avant l'aspect réglementaire qui
empêche les industriels de traiter d'une telle façon la matière grasse laitière, mais elles pensent
également que des études plus poussées sur ce sujet seraient nécessaires, car cela peut être
intéressant. Cette interdiction pourrait peut-être être levée un jour.. ..
Reste aussi le problème du coût. L'interestérification est une opération assez coûteuse (Cf. Annexes
Frais d'exploitation estimés de l'interestérijkation) qui même si elle apporte de la valeur ajoutée
aux produits traités, doit être sérieusement pensée.
CONCLUSION
Longtemps décriée et objet de nombreuses controverses, la matière grasse laitière revient
aujourd'hui sur le devant de la scène, grâce, notamment, aux recommandations des nutritionnistes
qui l'ont longtemps critiquée. Son intérêt réside dans la richesse et la variété de ses composants qui
lui conferent (par ses acides gras à chaînes courtes et moyennes) :
un faible point de fusion (32 - 36"C), ce qui la rend particulièrement digeste,
un temps de séjour dans l'estomac plus faible que les autres matières grasses animales et une
vitesse très rapide d'absorption,
une action très douce sur les voies biliaires, et qui assurent pour une part :
- l'apport en vitamine A et vitamine D,
- l'apport en acides gras saturés à chaîîe longue indispensables à l'édification
cérébrale chez.
La consommation de matière grasse laitière apparaît indispensable dans l'alimentation de
l'enfant et de l'adulte bien portant. La seule question qui se pose est : à partir de quel niveau de
consommation la matière grasse lactique peut-elle présenter des inconvénients sur le plan de
l'étiopathogénie des maladies ischémiques cardiaques, de l'athérosclérose et de la thrombose ?
Aujourd'hui, grâce au développement de différentes technologies de fiactionnement de la
MGLA entraînant l'émergence des beurres fiigotartinables, et la communication marketing des
industriels sur le bon goût du terroir, il semble que la matière grasse laitière ait encore de beaux
jours devant elle. Ceci malgré le retour vers la mode des allégés des années 80.
De nouvelles voies de valorisation sont apparues récemment telles que la production
d'arômes à partir de matière grasse laitière, ou l'innovation en matière de textures et de flaveurs
grâce à la séparation des globules gras. L'avenir pourrait peut-être en voir émerger d'autres, comme
l'interestérification qui permettrait d'obtenir une matière grasse enrichie nutritionnellement. Mais
pour cela, il faudra attendre que la législation entourant le lait et ses dérivés soit plus souple, et
qu'elle privilégie et stimule les innovations technologiques re-dynamisantes, sans pour autant casser
l'image «noble» de ces produits.
RIA No 587,592,593,594,595,597,599.
RLF No 588,596,597,599,601.
Points de vente No 753,797
Le Raffmage des corps gras, Jean Denise. Westhoek Editions - Les Editions des Beffrois, 1983.
Tailoring the Textural Attributes of Butter FatICanola Oil Blends via Rhizopus arrhizus Lipasecatalyzed interesterification. Rousseau D. ; Marangoni, A. G. J. Agri. and Food Chem., 46, N06,
June 1998.
Enzyme technology for the lipids industry : an engineering overview. Yamane, T. J. Am. Oil
Chem. Soc., 1987,64.
Lipase catalyzed acyl-exchange reactions of butter oil. Synthesis of a human milk fat substitute
for infant formulas. Christensen, T C. ; Holmer, G. Milchwissenschaft 1993,48.
Changes in triglyceride composition and melting properties of butter fat fiactionlrapeseed oil
mixtures induced by lipase catalyzed interesterification. Kalo, P. ;Vaara, K. ;Antila, M. Fette,
Seifen, Anstrichtm. 1 986b, 88.
Limit on the solid fat modification of butter. Bornaz, S. ; Fanni, J. ;Parmentier, M. J. Am. Oil
Chem Soc. 1994,71.
Interesterification of milk fat with oleic acid catalyzed by irnmobilized Rhizopus Oryzae lipase.
Oba, T. ;Witholt, B. J. Dairy Sci. 1994,77.
Technologie de
modification
des
matières
grasses.
Derniers
développements -
L'interestérification des huiles et des graisses. Dr Ir. Marc J. Kellens. Workshop on oils
interesterification. Texas A&M University, College Station, Texas (USA). De Smet, Novembre
1996
Introduction à la biochimie et à la technologie des aliments, volume 1, Jean-Claude CHEPTEL,
Henri CHEPTEL, 1992.
Initiation à la physicochimie du lait, Tec et Doc Lavoisier, Jacques Mathieu, 1997.
Les produits industriels laitiers, Edition Tec et Doc, 2000.
La matière grasse laitière, Arilait Recherches, 1997.
Lait et produits laitiers, tome 2, Tec et Doc lavoisier, 1985
www.cidi1.fr
www.corman.be
www.alpha.eru.uiaval.ca
La courbe de cristallisation
d'une matière grasse butyrique
60
24
,-h:&q.Q
Heures
70
Température
O C
Vapcur
I-liiile
Cristalliseurs concentriques
Huile entrante
Circuit de refroidissement
~ouc~dc.-
Eau de relroidisseniciit
Installation De Smet
le fractionnement à sec
pz1
4g@(VJ&@
$j@
fJggfi@m @J@
* MGLA ETE
* MGLA HIVER
* MG HAUT POINT DE FUSION
* MG BAS POINT DE FUSION
* PATlSSlER
* CROISSANT
+ FEUILLETE
* 4/4
B : Croissant
C : Pâte à brioche
Températures O
C
"---,
>,<&,
Hiule
neutre
....
.O"--.
CO.
Tnitcnicnt
ultineur
Schéma simplifié d'une interestérification chimique dirigée (Bailey's
Industrial Oils and Fats Products, 1982)
(b) Interestérification semi-continue
Diagrammes d'installation d'interestérification opérant par charges
1
huik
huile
désactivation du catalyseur par
voie humide
Interestérification ccintinue avec
désactivation du catalyseur
l'acide
Diagramme d'une interestérification continue avec
désactivation du catalyseur par voie humide ou acide
1
frais d'exploitation estimés de interestérification (Europe)
1 ex: mélange d'huile de soya à 1.1.
130 et d'huile de soya à 1.1. 2
1 Capacité de l'installation (semi-continu):
Utilisation de l'installation : 330 jours par an
1O0 tpj
1
33.000 tpa
Investissements:
- interestérification
- bâtiment
- utilités
- installationlengineering
Investissement total:
1 Investissement par tonne:
9.1 US$ltonne
I
( (amortissement sur 5 ans)
Frais d'exploitation:
Entretien
15.000 US$
Main-d'œuvre
1.5 homme
40.000 US$/par an par opérateur
60.000 US$
Réaction d'estérification
0.5 kgltonne
- catalyseur NaOCH3: 4 US$/kg
66.000 US$
Post - raffinage
- citrique acide citrique: 1.5 US$/kg
1 .O kgltonne
49.500 US$
- terre décolorante: 0.5 US$/kg
3 kgltonne
49.500 US$
- perte d'huile: 0.7 US$/kg
1
10 kgltonne
231 .O00 US$
Utilités
- électricité: O.O7US$/kWh
kW httonne
- vapeur: 20US$/tonne de vapeur
- eau, air, azote
0.5 US$/ton
Frais liés à la protection de l'environnement
- terre décolorante 0.1 US$/kg
(25-30% huile)
Frais généraux: 5% des frais totaux
Coût total des frais d'exploitation :
Frais d'exploitation par tonne
Coût total de production
y compris l'amortissement de l'investissement