L`Europe de voies en voix - Romanisches Seminar

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L`Europe de voies en voix - Romanisches Seminar
L’Europe de voies en voix
Témoignages franco-allemands de la migration européenne
• Europa – Wege zur Vielstimmigkeit
Deutsch-französische Zeugnisse europäischer Migration
• Marie-Christine Caban
Psychologin, La Seyne sur Mer
• Sibylle Kriegel
Linguistin, CNRS, Aix-en-Provence
• Stefan Pfänder
Linguist, Lehrstuhl Romanische Philologie, Freiburg
• Avec le soutien de: | Mit Unterstützung von:
Prof. Dr. Dr. hc. mult. Wolfgang Jäger, Rektor der Albert-Ludwigs-Universität Freiburg
im Breisgau, «Vereinigung zur Förderung des Frankreich-Zentrums der Universität
Freiburg i.Br. e.V.», Philologische Fakultät und Romanisches Seminar der Universität
Freiburg, La direction de la «Résidence de St Honorat», Peter Arnold, Jean-François
Bonfils, Stephanie Boye, Nina Bürkle, Philipp Dankel, Bachir Gourari, Georg Haase,
Hiltrud Junker-Lemm, Monika Kirchmeier, Heidelinde Korf, Leonie Kuhn,
Rosalyn Saborío Díaz, Raphael Schadt, Cynthia Stäbler
15 • JEANNETTE JEAN
SOMMAIRE
• JOSEPH JURT
5
A la mémoire d’Ursula Erzgräber
6
Ursula Erzgräber zum Gedenken
10
• MARIE-CHRISTINE CABAN • SIBYLLE KRIEGEL • STEFAN PFÄNDER
15
Introduction
16
Einleitung
20
• JEANNETTE JEAN
Fille de parents italiens, elle doit quitter son village en Algérie …
27
CD|Nº2
Die Tochter italienischer Eltern muss aus Algerien fliehen …
• DENIS DOMINIQUE POLI
Marseillais d’origine corse et cuisinier, il fait le tour du monde à bord d’un câblier …
59
CD|Nº5
Der in Marseille geborene Korse fährt als Koch über die Weltmeere …
• JEAN DALOUX
Il accueille le prisonnier de guerre allemand Willi: la naissance de l’amitié de toute une vie.
95
CD|Nº8
Er umsorgt den deutschen Kriegsgefangenen Willi: Beginn einer lebenslangen Freundschaft.
• MARGUERITE LECLERC
Originaire du Luxembourg, elle travaille dans une famille juive à Paris.
135
CD|Nº12
Die gebürtige Luxemburgerin arbeitet bei einer jüdischen Familie in Paris.
• PAULINE SIMONCELLI
Enfant de la Forêt Noire, elle tombe amoureuse d’un soldat français.
181
CD|Nº16
Die Schwarzwälderin verliebt sich in einen französischen Soldaten.
• CHARLOTTE CHOPINE
Elle vit sous l’occupation française après la première guerre mondiale.
Sie erlebt die französische Besatzung nach dem ersten Weltkrieg.
209
CD|Nº19 + 20
JOSEPH JURT
• A la mémoire d’Ursula Erzgräber
6 • JOSEPH JURT
A la mémoire • Comme si c’était hier, je me souviens d’Ursula Erzgräber, dans son bureau du Frankreich-
C’est une excellente idée des auteurs du présent volume que d’accompagner la transcrip-
d’Ursula Erzgräber Zentrum, me montrant l’ouvrage édité par Stefan Pfänder avec Dagmar Barth-Weingarten:
tion d’un CD, un enregistrement acoustique qui permet d’entendre – plus personnellement
Als Schornsteinfeger noch fliegen konnten. Leben und Arbeiten damals. Zeitzeugen berichten
et plus sensiblement – la voix qui témoigne des voies parcourues. D’habitude, la voix est
(Halle 2002). Elle était fascinée par ce recueil de témoignages de gens âgés de l’ancienne
emportée par le vent; ici elle laisse une trace dans l’espace, similaire aux voies tracées
RDA, évoquant leurs vies façonnées par l’Histoire. Une fois de plus, elle manifestait sa
par la vie.
curiosité intellectuelle, si vive, et son ouverture d’esprit envers tout projet innovant. Sans
Ce sont aussi les traces qu’a laissées Ursula Erzgräber, ses paroles ont trouvé un écho dans
hésiter, elle salua l’idée de Stefan Pfänder, jeune enseignant au Frankreich-Zentrum, de
nos cœurs et ne s’oublient pas. Son sourire, sa grande bienveillance restent inoubliables.
concevoir un tel livre à partir de témoignages de retraités vivant en Provence avec un
Transcrivons ici les étapes de sa – trop courte – vie pour que jamais nous ne les oublions.
passé franco-allemand, dont les itinéraires personnels montraient combien le destin des
Ursula Erzgräber est née le 10 novembre 1959, à Darmstadt, où elle fréquenta l’école pri-
deux peuples était imbriqué. Ce qui n’était qu’un projet est désormais réalisé, et je suis
maire. Sa famille s’installa à Fribourg après que son père eût été nommé professeur de
sûr qu’Ursula Erzgräber serait très heureuse du résultat. Et c’est une idée très belle et très
littérature anglaise à l’université Albert-Ludwig. Elle fréquenta le lycée St. Ursula de 1971
noble des auteurs que de dédier cet ouvrage à sa mémoire.
à 1978. Après l’obtention du baccalauréat en 1978, elle effectua des études à l’université
Comme coordinatrice de l’école doctorale ‘Modernité et tradition’, instituée au Frankreich-
du Massachusetts à Amherst/MA, pour s’inscrire au semestre d’été 1979 à l’université de
Zentrum, Ursula Erzgräber proposa aux doctorants un débat autour de l’ouvrage La misère
Fribourg dans les disciplines de français et d’histoire. Étudiante de première année, elle
du monde de Pierre Bourdieu, dont elle avait fait la connaissance dans le cadre de notre
publiait déjà un article sur Les Conquérants d’André Malraux, qui parut dans la revue
projet sur la réception littéraire, et qui lui rendit explicitement hommage au mois de mai
französisch heute, ce qui témoigne et de ses capacités intellectuelles, et de son vif intérêt
2000, lors de la dernière conférence à Fribourg. Le présent projet ressemble à celui de
pour la littérature française. Après une année d’études à l’université de Grenoble III, elle
Pierre Bourdieu dans La misère du monde, qui réunissait lui aussi les témoignages de gens
revint à Fribourg, où elle occupa un poste d’étudiante assistante auprès de ma chaire de
exclus par une société sans pitié. La volonté de prêter la parole à ceux qui ne sont pas
1982 à 1985. Je me souviens d’une collaboratrice extrêmement motivée, qui s’engageait
écoutés était pour lui, comme il l’a dit, un défi d’ordre à la fois éthique et esthétique. La
totalement.
littérature, dans sa relation subtile entre le narrateur et l’objet de sa narration, avait parfai-
Après que mon collaborateur Martin Ebel, au sein de notre projet de recherche financé
tement résolu les problèmes d’écriture qui se posaient à lui, sociologue, alors qu’il essayait
par la DFG sur l’accueil de la littérature française moderne en Allemagne, eût trouvé un
de restituer les propos de ceux qui sont ou se sentent exclus. Pierre Bourdieu avait expri-
poste permanent auprès d’un organe de presse, Ursula Erzgräber prit spontanément la
mé, dans son introduction, la tâche ardue que représentait une telle entreprise, qui doit
relève, sauvant ainsi le projet. Il s’agissait d’un inventaire systématique des œuvres de
concilier des objectifs doublement contradictoires: «livrer tous les éléments nécessaires à
550 auteurs français contemporains ainsi que de leurs traductions allemandes. La quan-
l’analyse objective de la position de la personne interrogée et à la compréhension de ses
tité énorme de données impliquait de nombreux problèmes techniques d’inventarisation,
prises de position, sans instaurer avec elle la distance objectivante qui la réduirait à l’état
qu’Ursula Erzgräber maîtrisa avec bravoure ; elle sut motiver les collaborateurs, et réussit
de curiosité entomologiste; adopter un point de vue aussi proche que possible du sien sans
à forger une équipe très unie. Ces recherches donnèrent naissance à un volume de plus de
pour autant se projeter indûment dans cet alter ego qui reste toujours, qu’on le veuille ou
900 pages (Französischsprachige Gegenwartsliteratur 1918–1986/87. Eine bibliographische
non, un objet, pour se faire abusivement le sujet de sa vision du monde.»
Bestandsaufnahme der Originaltexte und der deutschen Übersetzungen. Tübingen, 1989),
Pierre Bourdieu souligne combien l’expérience des personnes interrogées se révèle dans
manuel qui figure dans toute bibliothèque importante, et restera à jamais associé au nom
l’entretien, mais que la transcription efface la prononciation et l’intonation, comme tout
d’Ursula Erzgräber.
le langage du corps, gestes, maintien, mimique, regards, mais aussi les silences, les sous-
Un jour, elle fut chargée de vérifier les passages cités dans un article que j’avais consacré
entendus et les lapsus.
à Julien Green. Elle s’adonna si consciencieusement à ce travail que l’auteur ne cessa de la
8 • JOSEPH JURT
fasciner. Elle lui consacra son mémoire de fin d’études et ensuite, sa thèse. Comme Julien
et son équipe a toujours été impeccable, et les hôtes extérieurs ne tarissaient pas d’éloges.
Green scrute les bas-fonds de l’âme humaine, elle entreprit une étude d’inspiration psycho-
Le Frankreich-Zentrum ne serait jamais devenu ce qu’il est aujourd’hui sans l’engagement
analytique de son œuvre. L’originalité de son travail résidait en ceci qu’elle tenait compte
incessant d’Ursula Erzgräber. Cet engagement se nourrissait d’une connaissance intime de
du fait que l’écrivain n’avait pas écrit ‘naïvement’, mais en connaissant parfaitement la
la France, ainsi que de la conviction de l’importance capitale de la coopération de ces deux
psychanalyse. Il s’agissait d’étudier son œuvre comme un processus de la réception de la
peuples voisins. A partir de son expérience, elle lança de nouvelles idées, restant en même
psychanalyse par un écrivain. A travers une étude très fine des rapports intertextuels, le
temps d’une discrétion parfaite. Elle était d’une très grande amabilité, tout en gardant son
travail s’élargit vers la question du rapport entre littérature et psychanalyse en général.
humour, et ne perdait jamais son calme. Ce qui la distinguait, c’était sa cordialité, son
Lors d’un séjour à l’EHESS à Paris (1987-1988), elle acheva sa thèse et y intégra les apports
attention permanente à l’égard des autres et sa curiosité intellectuelle, sa bienveillance et
dont elle bénéficiait en tant que membre d’un séminaire de Jacques Derrida. Après avoir
sa générosité – des qualités inoubliables.
publié ce travail d’excellence (Zur Psychoanalyse bei Julien Green, Bonn 2001), elle publia
d’autres travaux critiques portant, notamment, sur Marguerite Duras. Avec Alfred Hirsch,
elle conçut un colloque dont les actes (Sprache und Gewalt, Berlin 2001) rencontrèrent une
très grande résonance.
C’est en 1992 qu’Ursula Erzgräber entama son activité au Frankreich-Zentrum de l’université
de Fribourg; le premier octobre 1992, elle fut choisie comme première coordinatrice de
l’école doctorale Modernität und Tradition. Elle fut une interlocutrice très appréciée des
doctorants ; elle conçut un programme de conférences et de colloques stimulants, et contribua ainsi à faire de cette école la plate-forme d’un échange interdisciplinaire fructueux.
En 1994, le poste de directrice du Frankreich-Zentrum se libérait. Le Centre et l’université
eurent la chance de trouver en Ursula Erzgräber la personne idéale pour cette mission.
C’est ici qu’elle pouvait exprimer pleinement tous ses talents. Elle devint l’âme du Centre.
Du fait de ses propres travaux de recherche, le domaine universitaire lui était familier.
Elle y assuma pleinement ses responsabilités de directrice, responsabilités auxquelles
elle était parfaitement préparée grâce à sa grande capacité de communication. Elle créa
au sein de l’équipe du Centre une ambiance très sympathique qui motivait les autres
collaboratrices.
Les membres du Centre et les professeurs invités trouvèrent en elle une interlocutrice
compétente et attentive. Ursula Erzgräber s’occupait toujours très personnellement des
problèmes des étudiants du Centre. Ces derniers temps, elle s’adonna avec beaucoup
d’engagement à la conception de nouveaux cursus, adaptés au modèle de Bologne. Dans
cette tâche aussi, elle se distingua par sa compétence et sa persévérance. Enfin, il lui
incombait la préparation logistique de colloques et de grandes manifestations, telles les
Rencontres culturelles franco-allemandes ou, en 2004, le Congrès de l’Association des
franco-romanistes allemands. L’organisation de ces manifestations par Ursula Erzgräber
„
10 • JOSEPH JURT
Ursula Erzgräber • Als wäre es gestern gewesen, so erinnere ich mich noch an den Augenblick, als Ursula
möglich ist, ohne sich dabei ungerechterweise in jenes alter ego, das stets noch, ob man
zum Gedenken Erzgräber mir in ihrem Büro im Frankreich-Zentrum das Buch zeigte, das Stefan Pfänder
es will oder nicht, hineinzuprojizieren, um sich fälschlich zum Subjekt seiner Weltsicht
gemeinsam mit Dagmar Barth-Weingarten herausgegeben hat: Als Schornsteinfeger noch
zu machen.» Pierre Bourdieu betont, wie sehr sich die Erfahrung der befragten Personen
fliegen konnten. Leben und Arbeiten damals. Zeitzeugen berichten (Halle 2002). Die darin
im Gespräch offenbart, dass die Transkription jedoch die Aussprache und die Intonation
gesammelten Zeugnisse älterer Menschen aus der DDR, ihre wieder heraufbeschworenen
sowie die gesamte Körpersprache – Gesten, Haltung, Mimik, Blicke, aber auch Pausen,
Lebensläufe, die so sehr durch die geschichtlichen Umbrüche geprägt wurden, faszinierten
Andeutungen und Versprecher – ausblendet.
sie. Einmal mehr kam ihre lebhafte intellektuelle Neugierde, ihre geistige Offenheit für
Es ist so eine vortreffliche Idee der Autoren dieses Bandes, der Transkription ihrer Zeug-
innovative Projekte zum Ausdruck. Ohne Zögern nahm sie die Idee des jungen Dozenten
nisse eine akustische Aufnahme zur Seite zu stellen. Das ermöglicht uns – auf eine per-
am Frankreich-Zentrum, Stefan Pfänder, ein ähnliches Buch zu konzipieren auf, diesmal
sönlichere und sinnlichere Weise – die Stimmen zu hören, die von ihren Lebenswegen
mit Zeugnissen älterer Menschen aus der Provence mit deutsch-französischer Vergangen-
berichten. Gewöhnlich wird die Stimme vom Winde verweht; hier hinterlässt sie eine
heit. Auch diese Personen dokumentierten anhand ihrer individuellen Lebenswege, wie
Spur im Raum – den Spuren gleich, die das Leben zeichnet.
sehr die Schicksale der beiden Völker miteinander verwoben sind. Was zuerst nur eine Idee
Hier geht es auch um die Spuren, die Spuren, die Ursula Erzgräber hinterlassen hat. Ihre
war, ist nun verwirklicht, und ich bin sicher, dass Ursula Erzgräber über das hier vorlie-
Worte haben einen Widerhall in unseren Herzen gefunden, ihr Lächeln und ihr großes
gende Ergebnis sehr glücklich wäre. Es ist ein schöner und nobler Gedanke der Autoren,
Wohlwollen bleiben unvergessen.
dieses Werk ihrem Andenken zu widmen.
Zeichnen wir hier die Stationen ihres allzu kurzen Lebens nach, auf dass wir sie nie ver-
Zu der Zeit, als Ursula Erzgräber Koordinatorin des Graduiertenkollegs «Modernität und
gessen. Ursula Erzgräber wurde am 10. November 1959 in Darmstadt geboren, wo sie
Tradition» am Frankreich-Zentrum war, schlug sie den Doktoranden eine Diskussion des
auch die Grundschule besuchte. Ihre Familie zog nach Freiburg, als ihr Vater den Ruf auf
Werks La misère du monde von Pierre Bourdieu vor. Sie hatte Bourdieu im Rahmen unse-
eine Professur für englische Literatur an der Albert-Ludwigs-Universität Freiburg erhielt.
res Forschungs-Projekts über die Rezeption der französischen Literatur in Deutschland
Hier besuchte sie von 1971 bis 1978 das St. Ursula-Gymnasium. Nach dem Abitur 1978
kennengelernt: in seinem letzten Vortrag in Freiburg im Mai 2000 sprach Pierre Bourdieu
studierte sie ein Semester an der University of Massachusetts in Amherst/MA und schrieb
ausdrücklich seine Anerkennung gegenüber Ursula Erzgräber aus. Das hier vorgelegte
sich im Sommersemester 1979 an der Universität Freiburg in den Fächern Französisch und
Projekt ähnelt dem Bourdieus in La misère du monde – einem Werk, das Zeugnisse von
Geschichte ein. Bereits im ersten Studienjahr veröffentlichte sie einen Aufsatz über Les
Menschen vereint, die von einer erbarmungslosen Gesellschaft ausgeschlossen werden.
Conquérants von André Malraux, der in der Zeitschrift Französisch heute erschien – ein
Der Wille, jenen eine Stimme zu leihen, die sonst nicht gehört werden, war nach eigenen
frühes Zeugnis ihrer intellektuellen Fähigkeiten und ihres lebhaften Interesses für die
Worten für ihn eine Herausforderung sowohl ethischer als auch ästhetischer Natur. In
französische Literatur. Nach einem Studienjahr an der Universität Grenoble III kehrte sie
ihrer subtilen Beziehung zwischen dem Erzähler und dem Gegenstand seines Erzählens
nach Freiburg zurück und war von 1982 bis 1985 bei mir studentische Hilfskraft. Ich habe
erwies sich die Literatur als ideale Lösung der Probleme der Schreibweise, die sich für
sie als eine höchst motivierte und engagierte Mitarbeiterin in Erinnerung.
ihn als Soziologen ergaben, der versuchte die Erfahrungen der Ausgrenzung seiner Zeu-
Nachdem Martin Ebel, mein Mitarbeiter in dem DFG-Forschungsprojekt über die Rezepti-
gen in Worte zu fassen. Pierre Bourdieu hatte in seiner Einleitung von der Schwierigkeit
on der modernen französischen Literatur in Deutschland, eine feste Anstellung bei einer
dieses Unterfangens gesprochen, das darin bestand, doppelt widersprüchliche Ziele in
Zeitung gefunden hatte, übernahm Ursula Erzgräber spontan seine Aufgabe und rettete
Einklang zu bringen: «die Darlegung aller zur objektiven Analyse der befragten Person
so das Vorhaben. Es handelte sich um ein systematisches Inventar der Werke von 550
und zum Verständnis ihrer Stellungnahmen erforderlichen Elemente, ohne dabei zu ihr die
zeitgenössischen französischen Autoren sowie ihrer deutschen Übersetzungen. Die rie-
objektivierende Distanz einzunehmen, die sie auf den Zustand entomologischer Neugierde
sige Datenmenge zog eine Vielzahl technischer Probleme bei der Inventarisierung nach
reduzierte; die Übernahme eines Standpunktes, der dem der befragten Person so nahe wie
sich, die Ursula Erzgräber mit Bravour meisterte. Sie verstand es, die Mitarbeiter und
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Mitarbeiterinnen zu motivieren und aus ihnen eine verschworene Equipe zusammenzu-
bestens vorbereitet war. Innerhalb des Teams schuf sie eine sympathische Arbeitsatmos-
schmieden. Diese Forschungen fanden ihren Niederschlag in einem Band von mehr als
phäre, die alle Mitarbeiterinnen motivierte.
900 Seiten (Französischsprachige Gegenwartsliteratur 1918-1986/87. Eine bibliographische
Sowohl die Mitglieder des Zentrums als auch die Gastprofessoren fanden in ihr eine kompe-
Bestandsaufnahme der Originaltexte und der deutschen Übersetzungen, Tübingen 1989), der
tente und aufmerksame Gesprächspartnerin. Darüber hinaus nahm sich Ursula Erzgräber
als Handbuch in jeder bedeutenden Bibliothek steht und für immer mit dem Namen Ursula
in sehr persönlicher Weise der Sorgen und Nöte der Studierenden des Frankreich-Zentrums
Erzgräber verbunden bleibt.
an. Zuletzt widmete sie sich mit großem Einsatz der Konzeption neuer Master-Studien-
Einmal hatte sie den Auftrag, in einem Aufsatz von mir über Julien Green die Zitate zu
gänge nach dem Bologna-Modell. Auch in diesem Bereich zeichnete sie sich durch ihre
überprüfen. Sie widmete sich dieser Arbeit mit großer Gewissenhaftigkeit, so sehr, dass
Kompetenz und Beharrlichkeit aus. Schließlich oblag ihr die logistische Vorbereitung von
dieser Autor sie nachhaltig in seinen Bann zog. Ihm widmete sie ihre Magisterarbeit und
Kolloquien und Großanlässen, etwa der deutsch-französischen Kulturgespräche oder des
danach ihre Dissertation. Auf den Spuren von Julien Greens Erkundung der Abgründe
Kongresses der deutschen Frankoromanisten 2004. Die Organisation dieser Veranstaltun-
der menschlichen Seele unternahm sie eine psychoanalytisch motivierte Studie seines
gen durch Ursula Erzgräber und ihr Team war stets tadellos, und die Gäste waren stets
Oeuvres. Die Originalität ihres Ansatzes beruhte auf der Tatsache, dass der Autor keines-
des Lobes voll.
wegs «naiv» geschrieben hatte, sondern als profunder Kenner der Psychoanalyse. Es ging
Das Frankreich-Zentrum wäre ohne den unermüdlichen Einsatz von Ursula Erzgräber nie
darum, sein Werk zu lesen als einen Prozess der Rezeption der Psychoanalyse beim Autor.
zu dem geworden, was es heute ist. Ihr Engagement beruhte auf einer profunden Kenntnis
Über eine sehr feinsinnige Studie der intertextuellen Beziehungen hinaus weitet sich der
Frankreichs und auf ihrem Wissen um den hohen Stellenwert der Zusammenarbeit zwi-
Blick auf die Frage nach der Beziehung zwischen Literatur und Psychoanalyse generell.
schen den beiden Nachbarländern. Ausgehend von ihrer Erfahrung stieß sie neue Ideen
Während eines Studienaufenthalts an der EHESS in Paris 1987-1988 vollendete sie ihre
an und bewahrte dabei höchste Diskretion. Sie war von außerordentlicher Liebenswürdig-
Dissertation, nicht ohne die Anregungen aus einem Seminar bei Jacques Derrida aufzu-
keit, dabei humorvoll und nie aus der Ruhe zu bringen. Was sie auszeichnete, waren ihre
nehmen. Nach der Veröffentlichung ihrer Summa-cum-laude-Arbeit (Zur Psychoanalyse bei
Herzlichkeit, ihre Aufmerksamkeit, ihre Wissbegierde, ihr Wohlwollen und ihre Großzü-
Julien Green, Bonn 2001) publizierte sie weitere wissenschaftliche Aufsätze, insbesondere
gigkeit – Qualitäten, die uns unvergesslich bleiben.
über Marguerite Duras. Zusammen mit Alfred Hirsch konzipierte sie ein Kolloquium (Sprache und Gewalt, Berlin 2001), das auf eine sehr lebhafte Resonanz stieß.
1992 nahm Ursula Erzgräber ihre Tätigkeit am Frankreich-Zentrum der Universität Frei-
• Joseph Jurt
burg auf; am 1. Oktober 1992 wurde sie zur ersten Koordinatorin des Graduiertenkollegs
«Modernität und Tradition» gewählt. Sie wurde zur gefragten und geschätzten Ansprechpartnerin der Doktoranden. Sie entwarf anregende Vortrags- und Kolloquiumsprogramme
und trug so dazu bei, dieses Kolleg zu einer Plattform des fruchtbaren interdisziplinären
Austauschs zu machen.
1994 war die Stelle der Geschäftsführung des Frankreich-Zentrums neu zu besetzen. Es
war für das Zentrum und die Universität ein Glücksfall, in Ursula Erzgräber die ideale
Person für diese Aufgabe gefunden zu haben. Hier konnte sie ihre Talente voll entfalten. Sie
wurde zur Seele des Zentrums. Auf grund ihrer eigenen Forschungsarbeit war ihr dieses
universitäre Feld vertraut. In ihrer Funktion als Geschäftsführerin übernahm sie in vollem
Umfang die Verantwortung, auf die sie dank ihrer großen kommunikativen Kompetenz
„
MARIE-CHRISTINE CABAN
SIBYLLE KRIEGEL
STEFAN PFÄNDER
• Introduction
16 • MARIE-CHRISTINE CABAN • SIBYLLE KRIEGEL • STEFAN PFÄNDER
Introduction: • Le mot chinois «tao» est bien connu. Ce qui l‘est moins et ce qu‘éclaire François Cheng, de
une famille juive à Paris. Nous apprenons le rôle que peut jouer un chignon pour transpor-
voie et voix – le tao l‘Académie Française, c‘est son «double sens: le chemin et le parler». Tao se prête donc au
ter des messages secrets sous l’occupation allemande. Quelque temps plus tard seulement,
même jeu homophonique que voie et voix en français! «Appliqué au destin de l’homme»,
toujours pendant la Seconde Guerre Mondiale, l’Allemande Pauline Simoncelli tombera
poursuit-il, «le mot tao suggère une tâche, voire une mission dont l’homme, devenu un être
amoureuse d’un soldat français. Mariés, les deux amants iront par la suite s’installer à Aix-
de langage, doit s’acquitter: celle de dialoguer avec l’univers vivant» (F. Cheng, Le Dialogue,
en-Provence. Dans le contexte de la Grande Guerre déjà, c’est Charlotte Chopine, huguenote
Paris 2002). Parler des chemins parcourus – telle est la tâche des locuteurs dont les témoi-
de son état, qui va vivre l’occupation française dans la ré-gion frontalière jadis disputée
gnages, souvent étonnants, ont été rassemblés dans ce livre.
entre la Pologne et l’Allemagne.
Ceci dit, le lecteur ne rencontrera pas simplement quelques récits de vie sous forme
De par leur migration géographique en Europe, nos narrateurs ont tous affronté la même
d’interviews; nous souhaitons que ce recueil soit à même d’éclairer des moments forts de
nécessité: «Il faut savoir s’adapter», comme nous le dit Mme Leclerc de façon laconique.
l’histoire de la migration en Europe au 20ème siècle révélant la richesse et la complexité
Mais cela ne va pas de soi. De récit en narration, nous rencontrons des destins, des famil-
des relations franco-allemandes. Grâce à la collaboration des trois auteurs, ce projet qui
les et des personnes que le déplacement a brisés. Nos narrateurs, en revanche, ont tous
s’inscrit dans le courant de l’«oral history» s’étaye sur l’articulation de deux dimensions
relevé le défi de l’intégration. Ils l’ont presque tous réussi grâce au travail. Les entretiens
complémentaires: l’une linguistique, l’autre psychologique.
éclairent le rôle déterminant que le travail occupe dans leurs parcours. Outre le travail
Conserver la richesse des rencontres et transcrire les voix pour une lecture authentique
c’est bien sûr la langue qui joue un rôle primordial dans cette adaptation: il faut pouvoir
mais en même temps agréable, n’est pas une entreprise facile. Cela dit, les acquis de la
s’approprier une autre langue.
linguistique nous permettent un traitement très fin des voix. En effet, nous avons pris soin
• La dimension historique de ce livre n’en réduit pas moins la valeur linguistique. La verba-
d‘aborder des sujets multiples et veillé à ce que les entretiens deviennent de véritables
lisation mobilisée dans le temps de l’entretien enregistré se révèle structurante: l’inter-
la mise en mots
rencontres avec les témoins.
locuteur est là pour donner toute sa dimension au souvenir. En effet, il le sollicite, l’accueille
de la mémoire
Si le lecteur peut entendre la joie et la douleur, la vie donc, dans la voix ici transcrite
et le recueille. La confiance qui s’établit au fil des rencontres enregistrées et transcrites
sur papier et sur CD-audio, s’il peut ressentir toute la sensorialité des chants et des voix
est étroitement liée au savoir partagé, au fur et à mesure. Ceci est possible du fait que les
d’antan, la démarche des auteurs aura atteint un de ses principaux objectifs. Car la moti-
interlocuteurs parlent une même langue, le français dans la plupart des entretiens.
vation première du présent livre est bien de donner voix à ceux, dont les voies seraient
Toutefois, le français n’est pas la langue maternelle de tous nos interlocuteurs.
restées inconnues, voire inédites.
Ainsi, non seulement les accents des locuteurs se font l’écho de leurs régions natales, mais
Retracer les voies: • Nous avons souhaité, que notre livre soit, nous l’avons dit, un document historique, une
leurs témoignages mettent à jour toute l’étendue de leur langue maternelle.
les migrations source inédite et singulière de petites histoires. Mais ne sont-ce pas ces mêmes petites his-
Dans un souci d’authenticité nous avons sauvegardé ces traces langagières individuelles
européennes et toires qui constituent, en fin de compte, la grande histoire? Nous apprenons par exemple,
relatives aux migrations. Le lecteur français trouvera donc des façons de parler quelque
les relations comment Willi, captif allemand dans le Sud de la France, développe une profonde amitié
peu étranges, qui reflètent les résonances d’autres langues (allemande, luxembourgeoise,
franco-allemandes avec celui qui l’héberge, Jean Daloux qui l’initie aux délices de la cuisine française. Willi,
italienne). La langue étrangère se glisse dans le discours sous formes diverses. Mme Jean
de son côté, ne médira jamais de la France. En temps de guerre toujours, un sous-marin
nous parle du dialecte napolitain de ses origines. Mme Leclerc trahit à maintes reprises
allemand forcera Denis Poli, pâtissier à bord d’un câblier-bananier, à quitter le bateau en
ses compétences en allemand; les traces de sa langue luxembourgeoise maternelle, même
haute mer, pour regagner les côtes de Gibraltar à la nage. Si le port de Marseille a souvent
discrètes, restent omniprésentes dans l’ensemble de son discours. Mme Simoncelli nous fait
été le point de départ du corse Poli, c’est Jeannette Jean, d’origine italienne, qui y arrive.
entendre la voix de ses voisins dans son village natal dans un allemand dialectal «Er lässt
Madame Jean a dû quitter l’Algérie où ses parents s’étaient installés. Marguerite Leclerc,
sie hocken …». Parfois, c’est tout un petit dialogue apparemment dans les deux langues qui
après avoir quitté son Luxembourg natal, travaille après un court séjour en Belgique chez
rejaillit: «Mais – die zwei, die bleibet aber nicht allein da» … «Et bien c’est déjà trop tard».
Suivre la voix:
18 • MARIE-CHRISTINE CABAN • SIBYLLE KRIEGEL • STEFAN PFÄNDER
Souvent donc, c’est la voix des amis d’antan qui retrouve un auditoire actuel. C’est aussi le
reprendre une place? Pour les entretiens qui constituent la matière de ce livre, nous avons
cas de M. Daloux qui fait parler son ami allemand: «ach so, egal». Mme Chopine, dans son
eu recours non seulement à l’expertise de linguistes et d’historiens, mais aussi aux acquis
récit en allemand a recours à une stratégie bien similaire quand elle emprunte la voix des
de la psychologie qui questionne l’expérience de l’individu, le dialogue qu’il entretient avec
travailleurs polonais – en allemand polonisé et en polonais germanisé. Néanmoins, ce ne
lui-même – et avec l’univers vivant tel que F. Cheng le conçoit.
sont pas seulement les voix «des autres» qui nous parviennent en citations directes, mais
Les chemins parcourus, ceux qui donnent corps à notre livre, sont riches et denses. Toute-
aussi les voix des locuteurs qui se citent eux-mêmes; ainsi, l’Allemande Pauline Simoncelli
fois, pour une femme ou un homme qui s’approche du dénouement de son existence, la
s’adresse (en français) à un policier français (qui, lui, répond en allemand): J’ai dit: «Mais
démarche qui consiste à s’immerger dans son passé pour le mettre en mots, n’est pas sans
je n’en sais rien». Il a dit: «Ja, ich weiss, Sie wissen nix».
risques. En effet, c’est un cheminement qui conduit le locuteur à prendre la mesure tout à
Il paraît que nous fixons en notre mémoire des constructions ou des phrases dans leur
la fois: de ce qu’il n’a plus, de ce qui n‘est plus mais aussi de ce qu‘il n‘est plus.
intégrité originelle. Ainsi, on ne saurait oublier une phrase, telle celle de notre locutrice:
Le travail d’entretien biographique mobilise des contenus psychiques liés à la perte, à
«Tu as gâché ta vie!»
la séparation et au deuil: il peut donc parfois constituer une réelle épreuve. Cependant,
Le procédé stylistique de la citation sert d’un côté à souligner l’authenticité du récit et de
chemin faisant, ce retour sur les voies du passé et le désir de pouvoir les mettre en voix,
l’autre côté interpelle les deux protagonistes dans leur histoire respective mais aussi dans
en mots donc, éclaire l’aptitude de la personne âgée, à retisser le lien avec une part d’elle-
le temps partagé de l’entretien.
même qu’elle peut parfois penser perdue. Cette retrouvaille avec cette autre part de soi,
Dans le même souci d’authenticité, il a été pour nous d’une importance majeure de faire
est alors la possibilité de renouer le lien avec les toutes premières émotions, sensations
partager au lecteur non seulement les voies de la narration matériellement fixées sur du
ou sensorialités. Dès lors, le travail psychique mobilisé va pouvoir conduire la personne
papier, mais aussi de lui permettre d’écouter les voix. Un CD avec des échantillons sonores
à retisser un vécu quotidien souvent difficile, à l’aide des fils ténus et précieux d’un autre
accompagne donc ce livre.
temps, convoquant ainsi de nouveau la pulsion de vie et le plaisir dans l’espace-temps
Il est important de souligner que ces passages sur CD sont transcrits selon un autre critère
dessiné par l’échange verbal.
que le reste de l’ouvrage. La mise en parallèle de deux médiums (CD et texte) présente un
C’est ainsi que Mme Jean, à la fin des entretiens, verra resurgir de son oubli, sa voix de
défi presque insurmontable pour les éditeurs: comment garder l’authenticité de la narrati-
petite fille et entonnera d’une façon claire presque limpide, les chansonnettes de sa prime
on orale en donnant tous les repères nécessaires pour compenser ce qui fait la richesse du
enfance; le plaisir éprouvé prend alors toute sa dimension: il est jubilatoire et communi-
discours. Nous avons décidé de gommer certains phénomènes directement liés à la cette
catif. En cela, la dynamique du travail continu d’entretien nous paraît très directement
situation d’oralité: des hésitations, des pauses, des corrections sur le plan syntaxique et des
mobiliser chez la personne une compétence spécifique de l’ordre de la résilience (voir pour
prises de paroles simultanées. En revanche, nous avons maintenu le caractère oral de la
ce concept les travaux de Boris Cyrulnik).
syntaxe et, en grande partie, les marques de structuration du discours typiquement oraux.
Ainsi, le temps de l’entretien devient aussi un espace créateur: il est le lieu de rencontre et
Dans ce travail de reconstitution de l’oralité, nous avons choisi un mode de ponctuation qui
d’interaction de deux voies-voix entrées en résonance. Dès lors, peut se dessiner une aire
puisse faciliter la lisibilité des entretiens.
commune d’expérience située quelque part entre le passé et le présent – dans le temps du
De voies en voix: • En s’engageant dans ce processus de remémoration qui mobilise des contenus mnésiques
l’entretien –
anciens, la personne âgée s’inscrit dans un mouvement qui la conduit progressivement
un espace de trans- à changer de place: le statut de personne en souffrance (physique, psychologique, voire
souvenir partagé et la construction d’un récit à deux voix.
Si cette construction a été possible, c’est grâce à nos interlocuteurs qui sont, soulignons-le,
les vrais auteurs de ce livre.
mission, de création les deux tout à la fois) qui fait l’objet d’une prise en charge active de l’entourage familial
et de résilience et institutionnel, peut céder la place à l’émergence d’une position de sujet: le sujet du discours! Temps fort social et existentiel s’il en est, car re-prendre la parole, n’est-ce pas aussi
„
20 • MARIE-CHRISTINE CABAN • SIBYLLE KRIEGEL • STEFAN PFÄNDER
Einleitung: • Weg (voie) und Stimme (voix) sind im Französischen bei unterschiedlicher Schreibung
Küche bekannt macht. Willi wird danach nie schlecht über Frankreich reden. Ebenfalls
Weg und Stimme identisch im Klang. Interessanterweise hat das chinesische Wort «Tao» nach François
in Kriegszeiten zwingt eine deutsche U-Bootbesatzung Denis Poli, Bäcker an Bord eines
– das Tao Cheng, einst chinesischer Immigrant in Frankreich, heute Mitglied der ehrenwerten Aca-
riesigen Kabel- und Bananendampfers, das Schiff auf hoher See zu verlassen, um die Küste
démie Francaise, ebenfalls bei gleicher Aussprache «zwei Bedeutungen»: Weg und Stimme
Gibraltars schwimmend zu erreichen. War der Hafen von Marseille häufig Ausgangspunkt
(oder Sprechen): «Angewandt auf das Schicksal des Menschen», schreibt Cheng, «sugge-
der Reisen des Korsen Poli, so wurde er für die italienischstämmige Jeannette Jean zum
riert das Wort Tao eine Aufgabe, ja eine Mission, die der Mensch, als nunmehr sprachliches
Zufluchtshafen. Madame Jean musste Algerien verlassen, wo ihre Eltern sich niedergelas-
Wesen, zu erfüllen hat: mit dem lebendigen Universum in einen Dialog zu treten» (F. Cheng,
sen hatten. Marguerite Leclerc aus Luxemburg arbeitet, nach einem kurzen Aufenthalt in
Le Dialogue, Paris 2002). Sprechen über zurückgelegte Wege – das ist die Aufgabe der
Belgien, bei einer jüdischen Familie in Paris. Von ihr lernen wir von der lebenswichtigen
Gesprächspartner, deren oft erstaunliche Zeugnisse in diesem Buch versammelt sind.
Bedeutung eines Haarknotens zur Übermittlung geheimer Nachrichten unter der deut-
Den Leser erwartet also nicht bloß eine Handvoll Lebensberichte in Interviewform. Der
schen Besatzung. Nur wenig später, immer noch während des Zweiten Weltkriegs, verliebt
vorliegende Sammelband offenbart in aller Unmittelbarkeit geradezu unerhörte Moment-
sich die Deutsche, Pauline Simoncelli, in einen französischen Soldaten. Sie heiraten und
aufnahmen der Migrationsgeschichte in Europa im 20. Jahrhundert und leistet damit einen
ziehen nach Aix-en-Provence. Zuvor, während des Ersten Weltkriegs, erlebt Charlotte Cho-
Beitrag zur Vertiefung der überaus reichen und nicht selten komplexen deutsch-französi-
pine, hugenottischer Abstammung, die französische Besetzung jener Grenzregion, die einst
schen Beziehungen. Dank der Zusammenarbeit der drei Autoren umfasst dieses der «oral
Zankapfel zwischen Polen und Deutschland war.
history» verpflichtete Projekt mindestens zwei weitere und komplementäre Dimensionen:
Durch ihre geographische Migration in Europa mussten sich alle hier versammelten
die sprachwissenschaftliche und die psychologische.
Gesprächspartner der gleichen Notwendigkeit stellen: «il faut savoir s’adapter», wie es
Den Reichtum der menschlichen Begegnung zu bewahren und gleichzeitig den Wortlaut
Madame Leclerc lakonisch zusammenfasst. Das ist alles andere als selbstverständlich.
der Stimmen für einen authentischen und doch gut lesbaren Text zu transkribieren – das
Durch die Berichte und Erzählungen hindurch begegnen uns immer wieder Schicksale von
ist kein leichtes Unterfangen. Bei dieser Aufgabe ermöglichen die Techniken der Sprach-
Familien und Personen, die an der Umsiedlung zerbrochen sind. Dagegen haben alle Erzäh-
wissenschaft, das Phänomen der Stimmen differenziert zu untersuchen. Aus der psycho-
ler die Integration als Herausforderung angenommen; sie ist fast allen dank ihrer beruf-
logischen Perspektive haben wir auf die Vielfalt der Gespräche geachtet und darauf, dass
lichen Arbeit gelungen. Die Gespräche zeigen, wie sehr die Arbeit die Lebenswege unserer
es zu echten Begegnungen mit den Zeitzeugen kam.
Gesprächspartner bestimmt. Über die Arbeit hinaus spielt die Sprache eine Schlüsselrolle
Wenn beim Lesen und Hören der hier auf Papier transkribierten und auf Audio-CD gebann-
im Prozess der Anpassung: es geht darum, sich eine andere Sprache anzueignen.
ten Stimmen die Freude und der Schmerz, mithin das Leben in seiner Fülle sich mitteilt,
• Über der historischen Dimension des vorliegenden Buches sollte man seinen sprachwissen-
den hörenden Lesern die Gesänge und Stimmen von einst geradezu körperlich fühlbar
schaftlichen Wert nicht vergessen. Die im Moment des aufgezeichneten Gesprächs mobili-
Versprachlichung
werden, dann hat unser Unternehmen eines seiner Ziele erreicht. Denn am Ursprung die-
sierte Verbalisierung erweist sich als strukturierendes Element: Der Sprecher gibt sich mit
der Erinnerung
ses Buches steht das Anliegen, jenen eine Stimme zu geben, deren Lebens-Wege sonst
seiner ganzen Person dem Erinnern hin. Tatsächlich ruft er die Erinnerung an, nimmt sie in
unbekannt oder zumindest unveröffentlicht geblieben wären.
Empfang und in sich auf. Das Vertrauen, das sich im Verlauf der Gespräche einstellt, beruht
Spurensuche: • Dieses Buch ist ein historisches Dokument, ist eine bislang unveröffentlichte Quelle, die
auf dem sich allmählich erweiternden gemeinsamen Wissen um die Lebensläufe. Dies ist
die europäischen zuweilen Überraschendes zutage fördert. Über die Geschichte in kleinen Geschichten.
dem Umstand zu verdanken, dass die Gesprächspartner eine gleiche Sprache sprechen, in
Migrationen und die Aber sind es nicht gerade jene «kleinen» Geschichten, die manchmal mit leiser Stimme
den meisten Fällen Französisch.
deutsch-französischen erzählt werden, aus denen sich die «große» Geschichte erhebt? Die Leser erfahren z.B.,
Gleichwohl ist Französisch nicht die Muttersprache aller unserer Gesprächspartner. Auf
Beziehungen wie Willi, der deutsche Gefangene in Südfrankreich, eine tiefe Freundschaft zu Jean
diese Weise werden die «Akzente» der Sprecher nicht nur zum Widerhall ihrer Herkunftsre-
Daloux entwickelt, der ihn beherbergt und ihn mit den Köstlichkeiten der französischen
gionen. Ihr Zeugnis beleuchtet darüber hinaus die ganze Bandbreite ihrer Muttersprache.
Der Stimme folgen:
22 • MARIE-CHRISTINE CABAN • SIBYLLE KRIEGEL • STEFAN PFÄNDER
Im Interesse der Authentizität haben wir die individuellen sprachlichen Spuren der Mi-
Anhaltspunkte liefern, die mit der mündlichen Rede einhergehen? Wir haben beschlossen,
gration bewahrt. Der französische Leser wird also auf ihn fremd anmutende Redensarten
solche Phänomene zu tilgen, die durch die Situation der Mündlichkeit bedingt sind: Verzö-
stoßen, in denen Resonanzen anderer Sprachen anklingen – des Deutschen, Letzeburgi-
gerungen, Pausen, syntaktische Korrekturen oder gleichzeitige Wortmeldungen. Im Gegen-
schen, Italienischen. Die Fremdsprache sickert in verschiedenen Formen in die Rede ein.
zug haben wir den mündlichen Charakter der Syntax beibehalten sowie den größten Teil
Mme Jean erzählt uns von ihrem italienischen Ursprungsdialekt. Mme Leclerc verrät
der typisch mündlichen Gliederungssignale. Um diese Mündlichkeit in den Gesprächen
mehrfach ihre Kompetenz im Deutschen; der Geist ihrer luxemburgischen Muttersprache
wiederherzustellen, haben wir eine lesefreundliche Interpunktion gewählt.
weht angenehm unauffällig durch ihre gesamte Rede. Mme Simoncelli lässt die Stimmen
Indem eine ältere Person sich auf den Prozess des Erinnerns, der verschüttete Gedächtnis-
der Nachbarn in ihrem Geburtsdorf in dialektalem Deutsch vor uns erstehen: «Er lässt sie
inhalte zutage fördert, einlässt, vollzieht sie einen allmählichen Standortwechsel. Der lei-
hocken »… Gelegentlich blitzt sogar ein zweisprachiges Dialogfragment auf: «Mais – die
dende Mensch (physisch, psychisch, psychosomatisch), dessen Status nach Interventionen
zwei, die bleibet aber nicht allein da» … «Et bien c’est déjà trop tard». Häufig findet die Stim-
des familiären Umfelds oder der sozialen Institutionen ruft, wandelt sich zum Subjekt: dem
me der Freunde von einst eine heutige Zuhörerschaft. Das ist der Fall bei Jean Daloux, der
Subjekt der Rede! Dies kann ein sehr besonderer Moment im Leben sein, denn das Wort
seinen deutschen Freund sprechen lässt: «ach so, egal». Charlotte Chopine verfährt ähnlich
wieder zu ergreifen, heißt dann auch, sich einen Platz im Leben wiederzuerobern.
in ihrer auf deutsch gehaltenen Erzählung, indem sie die Stimmen der polnischen Arbeiter
• So haben wir für die Gespräche, die diesem Buch zugrundeliegen, nicht nur auf das Fach-
annimmt – in polnisch eingefärbtem Deutsch und germanisiertem Polnisch. Gleichwohl
wissen von Sprachwissenschaftlern und Historikern zurückgegriffen, sondern auch auf
das Gespräch – Raum
sind es nicht nur die Stimmen «der Anderen» die in direkten Zitaten erklingen, sondern
die Erkenntnisse der Psychologie, insofern sie die Erfahrung des Individuums untersucht
für Überlieferung,
auch jene der Erzähler. So wendet sich die Deutsche Pauline Simoncelli in französischer
sowie seinen mehr oder weniger intensiven Dialog mit sich selbst – und mit dem lebendigen
(Neu-) Schöpfung
Sprache an einen französischen Polizisten, der ihr auf Deutsch antwortete: «J’ai dit: Mais
Universum im Sinne von F. Cheng.
und Resilienz
je n’en sais rien». Il a dit: «Ja, ich weiss, Sie wissen nix».
Die beschrittenen Wege, welche diesem Buch Gestalt geben, sind reich und intensiv. Aller-
Offenbar erinnern wir Konstruktionen oder ganze Phrasen unsegmentiert, als Einheit.
dings geht ein älterer Mensch, der sich dem Ende seines Lebens nähert, ein unwägbares
Eine Wendung wie: «tu as gâché ta vie!», zitiert von einer unserer Gesprächspartnerinnen,
Risiko ein, indem er in die Vergangenheit eintaucht, um sie in Worte zu fassen. Tatsächlich
vergisst man nicht so schnell. Die Stimmen der Vergangenheit zu zitieren, ist ein beliebtes
begibt er sich auf eine Wanderung, in deren Verlauf der Sprecher das Ausmaß dessen
stilistisches Verfahren, das die Authentizität eines Berichts unterstreicht. Es gibt indessen
erkennt, was er nicht mehr hat ... was nicht mehr ist und: ... was er nicht mehr ist.
eine weitere Dimension: Die Stimmen in physisch unmittelbarer Weise zu hören, erlaubt
Das Arbeiten am biographischen Gespräch mobilisiert also psychische Inhalte, die mit Ver-
den Gesprächsteilnehmern die Situation wieder zu erleben – eine Situation, die womög-
lust, Trennung und Trauer zu tun haben, wird mithin zur echten Belastungsprobe. Dieses
lich weit in der Vergangenheit liegt und so auf sehr persönliche Weise heraufbeschworen
Wiederbegehen der Pfade der Vergangenheit und der Wunsch, diesen auch eine Stimme
wird.
zu leihen, sie also in Worte zu fassen, erhellt freilich die Fähigkeit der älteren Person, an
Ebenfalls im Hinblick auf die Authentizität war es uns wichtig, die Leser nicht nur an den
einen verloren geglaubten Teil ihrer selbst anzuknüpfen. Solche Wiederbegegnung birgt
materiell auf Papier fixierten Stimmen des Erzählens teilhaben zu lassen, sondern ihnen
die Chance, früheste Wahrnehmungen und Empfindungen wieder in sich aufzunehmen.
auch zu ermöglichen, diese Stimmen zu hören. Deshalb haben wir dem vorliegenden Buch
Der Anstoß zur psychischen Arbeit kann die Person dazu bringen, einen als schwierig
eine CD mit Klangproben beigefügt.
erlebten Alltag mit den kostbaren Fäden der Vergangenheit zu verweben und damit neue
An dieser Stelle sei unterstrichen, dass die Passagen auf der CD nach anderen Kriterien
Impulse der Lebensfreude aufzurufen – in einem Zeit-Raum, den allein der Wortwechsel
transkribiert wurden als der Rest des Buches. Denn das Parallelsetzen der beiden Medien
hervorzubringen vermag.
(CD und Text) stellt für die Herausgeber ein geradezu unüberwindliches Dilemma dar.
Auf diese Weise erlebt Jeannette Jean gegen Ende der Gespräche das Wiedererstehen ihrer
Wie kann man die Echtheit der mündlichen Erzählung beibehalten und dabei alle nötigen
vergessenen Stimme als kleines Mädchen und intoniert glockenrein die Lieder ihrer frü-
Wege zur Stimme:
24 • MARIE-CHRISTINE CABAN • SIBYLLE KRIEGEL • STEFAN PFÄNDER
hen Kindheit. Das dabei empfundene Glück entfaltet seine ganze Dimension: es ist jubelnd
und mitteilend zugleich. In diesem Sinn scheint uns die Dynamik der kontinuierlichen
Gesprächsarbeit bei den Personen eine spezifische Fähigkeit zur Versöhnung mit sich
selbst, also zur Resilienz zu mobilisieren (zu diesem Begriff siehe die Arbeiten von Boris
Cyrulnik).
So wird die Dauer des Gesprächs auch zum schöpferischen Raum: hier begegnen sich
die beiden Wege/Stimmen und treten in Resonanz zueinander. Von da an kann sich ein
gemeinsamer Erfahrungsbereich abzeichnen, der irgendwo zwischen Vergangenheit und
Gegenwart liegt – in der Zeitspanne der geteilten Erinnerung und der Konstruktion einer
Erzählung mit zwei Stimmen.
Wenn diese Konstruktion (überhaupt) möglich geworden ist, dann nur dank unserer
Gesprächspartner, die die eigentlichen Autoren dieses Buches sind.
• Marie-Christine Caban, Sibylle Kriegel, Stefan Pfänder
Cassis und Freiburg, im Juni 2006
„
JEANNETTE JEAN
• Originaire d’Ischia au large de Napoli, Jeannette Strino est née le 30 mai 1909 à Stora en
Algérie, un petit village de pêcheurs au bord de la Méditerranée. Avec son époux Maxime
Emile Jean, elle doit quitter l’Algérie en 1962 dans le contexte de la guerre. Ils arrivent par
bateau dans le port de Marseille pour finalement s’installer près de Toulon, à La Seyne sur
Mer. Aujourd’hui, Madame Jean habite toujours dans cette ville, à la Résidence St Honorat.
C’est là que nous l’avons rencontrée.
28 • JEANNETTE JEAN
Origines • J‘aimerais, si vous voulez bien, que nous parlions tout d’abord de votre enfance.
Et bien, voilà. Je suis née le trente mai mille neuf cent neuf en Algérie, à Stora.
Vous voulez un petit peu nous expliquer comment était Stora, enfin le Stora de votre
souvenir?
C‘était un beau village, un beau petit village, pas très grand, un village de pêcheurs.
Attendez, il y a deux, trois plages dans notre petit village, deux qui étaient grandes, et une
petite. Alors, en italien on appelait ça la Cailloute,1le Boulette et une autre plage, je ne sais
pas comment on l‘appelait.
• Parce que vous, vous êtes d‘origine italienne?
Mon père était Italien.
• Et votre maman?
Alors, ma mère, je ne peux pas vous le dire. Si j’avais le livret de famille … Parce que ma
grand-mère, sa mère, s’appelait Nigliovre ou quelque chose comme ça.
• Votre père avait émigré d’Italie pour venir s’installer à Stora?
Ah! Mais ils étaient nombreux. Ils étaient venus avec son père.
• Pour chercher du travail?
Non, mon père, il était jeune, il n’avait que quatre ans. Puis, quand ils sont venus à Stora,
ils y sont restés.
• Donc il est de Stora?
Oui. Mais seulement voilà, mon père, il s’est fait naturaliser Français. Quand mon père
était à la guerre de quatorze, on faisait trois kilomètres cinq cents tous les jours à pied
avec ma mère.
Philippeville • Mais vous étiez petite pour faire tout ce trajet à pied?
Et bien, on le faisait tous les jours! Aller et retour, parce qu‘entre Stora et Philippeville,
il y a trois kilomètres cinq cents. Et à ce moment-là, pour acheter du tissu par exemple, il
fallait aller à Philippeville.
• D‘accord. Philippeville, c‘était la grande ville à côté?
Oui. Et puis là, il y avait des beaux magasins, par exemple les grands magasins Blanchard.
Et il y avait des Juifs, et vous savez comment ils nous appelaient, quand nous allions acheter
chez eux? «Oh! La Storasienne, elle vient.» Et on allait faire des achats là. Mais dans notre
petit village, il y avait quand même des petites épiceries, qui faisaient du crédit. Et je ne
sais pas si vous le savez – moi, je m‘en souviens bien. Avant, on ne marquait pas avec des
crayons comme on le fait maintenant. Il y avait comme des règles. Et quand on allait prendre un crédit, ils faisaient une barre sur une ardoise. Alors, quand on allait prendre quelque
1 Concernant une partie des noms propres employés dans cet entretien, nous proposons des transcriptions
approximatives.
¡ petit village Stora
30 • JEANNETTE JEAN
chose après, quand on ne pouvait pas payer tout de suite, on était mal traité parfois, ça ne
vous faisait pas plaisir.
• Et qu‘est-ce que vous alliez acheter alors, vous reveniez avec quoi?
On ne pouvait pas acheter tout ce qu‘on voulait. On ne vous donnait pas tout ce qu‘on
demandait, autrefois. On mangeait, mais pas comme il fallait. Des fois on allait se coucher
sans avoir eu un bout de pain. Ça, je peux le dire.
Fagots à porter Mais on avait la campagne autour. On y allait, et on ramassait des bouts de bois, on en
faisait des fagots que je portais sur les épaules.
• Vous portiez les petits fagots sur vos épaules, toute petite?
Oui, j’en ai porté avec ma sœur aînée. Ma deuxième sœur, non! Elle ne venait pas avec
• Donc vous n‘avez pas eu droit à une pension, en fait.
Non, rien, rien. Il avait eu droit à la guerre, mais pas à la pension, parce que les papiers
avaient été déchirés par ma sœur. A l’époque, on ne savait pas ce qu‘on faisait, vous voyez?
Mais les médailles, je les avais. Finalement, mon père, il est mort à cinquante-six ans, et
ma mère à quarante-quatre ans.
• Par rapport à votre façon de parler entre vous, à l‘époque, vous parliez italien ou
vous parliez français?
Nous, entre nous, on parlait l’italien, mais pas le vrai. Il y a une dame ici, il y a trois ans
qu’elle est là, qui parle le vrai italien, elle. Mais moi, je ne la comprends pas bien.
• Vous ne vous comprenez pas bien, donc, c‘était un dialecte peut-être.
nous. Donc, on faisait des petits fagots, puis on les attachait avec des cordes et on les portait
Voilà, il y a des mots que je ne comprends pas bien: mettons «un», on dit «oun», «deux», on
comme ça. Ça oui, moi je l‘ai fait. C‘était assez loin, quoi. Mais on le faisait de bon cœur
dit «doy», le trois, on dit «tré», vous vous rappelez? Et le quatre, on disait «cua». Le cinq, on
quand même. Et à plusieurs, on marchait avec ces fagots. Et alors, on cuisinait au feu de
bois, ce qui faisait bien fumer, et ça donnait des casseroles toutes noires. Il fallait frotter
après. Et puis on n‘avait pas de salle de bain, comme on l‘a tous maintenant. On n’avait
qu‘une, non, deux pièces.
• Donc vous étiez combien en tout dans ces deux pièces?
Attendez, dans une chambre, on était les trois filles, mon père et ma mère. Après quand
disait «cinque». Dites-moi si vous vous rappelez: «oun».
• Hm. «Oun».
«Doy».
• «Doy».
«Tré».
• «Tré».
mon père est parti pour la guerre, on a quand même laissé deux lits dans la même chambre.
«Cuat».
Puis, on avait la cuisine où on faisait des potages, autrefois. Vous avez dû entendre ce mot.
• «Cuat».
On ne l’utilise plus maintenant.
• Elle s‘est passée comment, cette période de la guerre pour vous et votre famille?
Le père parti J‘avais quatre ans et demi quand mon père est parti à la guerre de quatorze. Ma mère
à la guerre pleurait tous les jours. Elle allait voir les femmes dont les maris étaient avec mon père.
Je me rappelle que ma mère pleurait tellement qu’un jour, on l’avait accusée d’être folle,
parce qu’elle avait jeté une chaise par la croisée, par désespoir de ne pas avoir des nouvelles de mon père. Oui, les gens, par désespoir, ils font des choses parfois. Maintenant je
comprends.
• Et au bout de combien de temps vous avez eu des nouvelles alors?
Je ne peux pas vous le dire … Mais il a eu beaucoup de médailles, notre père. Et qu‘est-ce
qu‘il avait comme médailles ! Je ne sais pas, il en a eu peut-être une quinzaine.
• Il a fait des actes de bravoure alors?
Oui. Et puis, il aurait dû avoir une pension. On avait des lettres. Avec ma sœur, l‘aînée,
nous, on ne faisait pas attention à tout ça, et on les a déchirées.
«Cinque».
• «Cinque». Au lieu de dire «cuatro» c‘était «cuat».
«Cuat», oui.
• Voilà, mais il y a quand même des nuances.
Après le six : «sei», «set», «ott».
• «Set», «otto».
«Nov», «diech», ça fait dix.
• C‘est alors dans la prononciation de la dernière voyelle qu‘il y a des différences,
quand vous dites «ott», au lieu de «otto».
Oui, «ott» en italien. Et – mais vous en savez un peu aussi?
• Je parle un petit peu, moi aussi.
Et oui, le bon Dieu au ciel, il a voulu que vous aussi …
• Vous savez, quand on est méditerranéen, forcément il y a toujours quelqu‘un
dans la famille qui était Italien parmi les ancêtres.
L’italien,
mais pas le vrai
32 • JEANNETTE JEAN
Pauvres … • Et quand vous repensez à cette époque à Stora, ce sont de bons souvenirs qui
mais pas tristes vous reviennent?
Oui ! On n‘était pas tristes. On était pauvres, on a désiré, ça oui. On ne pouvait pas acheter
ce qu‘on voulait. Mais sinon on était bien.
• Vous aimiez votre pays?
Ah, si, si. Mais moi, ça ne me fait rien, vous voyez, même après le départ, ça ne m‘a pas chan-
Saint Roc dans les petites pierres, priez pour le bon Dieu et … c‘est long mais je ne me
rappelle plus du reste.
• Et donc, vous demandiez le retour de votre papa, j‘imagine?
Oui, oui, oui! Après la guerre, mon père, il est mort à cinquante-six ans, et ma mère à
• Ils sont morts jeunes, vos parents.
Oui, alors, pendant la guerre, on était à trois, trois sœurs, trois filles. Et au bout de dix ans,
Je n‘aimais pas sortir beaucoup, j‘aimais bien ma maison, bien propre, bien entretenue, et
quand mon père est revenu, j‘ai eu un frère. Je ne sais pas au bout de combien de temps
faire du travail. Voilà ce que j‘aimais. Je n‘ai jamais été me promener. Et puis, le cimetière
exactement il est revenu, mais j’ai eu un frère au bout de dix ans. Moi, j‘ai quatre-vingt-
bien sûr, alors tous les dimanches, il fallait que j‘aille au cimetière. Parce qu‘autrefois on
seize ans, et mon frère il en aurait quatre-vingt-six. Après, il y en aurait un qui aurait deux
croyait beaucoup, on allait beaucoup à l’église, et il y avait cette chambre …
ans de moins, et puis une sœur, qui a encore deux ans de moins, et le dernier, il est né
quatre ans après. Quand ma mère est morte à quarante-quatre ans, il n’avait que quatre
Trop, même trop, oui. Il ne fallait rien voler, même quand on trouvait quelque chose dans la
ans ou peut-être même pas. Et mes sœurs, les deux grandes, dont l‘aînée habitait à Bougie,
rue, et qu’on le ramassait, comme par exemple une épingle en bois, ma mère le rejetait. Elle
et la deuxième à Bizerte … Mon père, il était pêcheur, et c‘est moi qui les gardais quand il
ne voulait rien, c‘était terrible. Même quand on n‘avait pas de robe, il fallait raccommoder,
allait à la mer. On avait un logement pour lui et un logement pour moi. Les logements, ils
mais elle voulait pas les choses des autres. On a marché beaucoup pieds nus.
étaient petits, et quand mon père est mort, c‘est moi qui gardais mes frères et ma sœur,
• Vous me disiez que vous étiez dans cette pièce …
Les saints On avait la chambre où il y avait les images de saints. Avant ce n‘était pas des cadres pour
faire joli, ça, on n’en voulait pas. Il y avait que des saints: saint Antoine, sainte Marie,
sainte Thérèse.
• Est-ce qu’il y avait un saint qu‘on priait davantage et plus fréquemment qu‘un autre
j‘étais la tutrice, vous voyez? Je m’appelle Jeannette, et les quatre derniers, ils m’appelaient
Nannette. Ma sœur l’aînée, et l’autre, elles m’appelaient Jeannette.
• Ils vous appelaient par un diminutif.
Mes frères et sœurs m’ont toujours appelé Nannette. Mon père, quand il est mort, il fallait
que la famille passe par la justice parce que les deux petits avaient droit à quelque chose,
chez vous?
une sorte de pension, par l’association des pêcheurs. J‘avais, je crois, six cents et quelques
Non, vous savez, on les aimait tous. Mais alors, je vais vous dire, moi quand j‘avais quatre
tous les trois mois en tout pour les deux. Il a fallu avertir mes sœurs alors, parce que mon
ans et demi, il fallait que je me mette à genoux devant chaque cadre, avec les mains jointes.
mari, il ne les voulait pas, mais moi, je voulais pas les mettre à l‘orphelinat. Non, non, non!
Maintenant, avec mes mains, je ne peux plus me tenir comme ça. Il fallait faire une prière
Vous voyez, moi maintenant je suis là, mais je n‘aurais jamais mis mes frères à l’orphelinat.
devant chaque cadre, matin et soir. Ma mère m‘obligeait à le faire matin et soir.
Ah non! Alors, j‘ai écrit à ma sœur, en disant qu‘il fallait passer par la justice parce que
• Et vos frères et sœurs le faisaient aussi? Vous le faisiez tous dans la famille?
des deux familles, de mon père et de ma mère, il fallait des parents, comme témoins. Vous
Tous, mais enfin, j‘étais la plus jeune. Et je vous dis, il fallait que je le fasse.
• Et qu‘est-ce que vous demandiez là?
devez connaître ça?
• Oui, c‘est le fonctionnement.
On priait un peu de tout, je ne m’en rappelle même pas, il y avait une prière à saint Roc
Oui, et alors j‘ai dit «Voilà, il faut faire ça, ça et ça.» Alors on m‘a dit: «Et bien, mets-les à ton
en italien, je la savais et elle était belle, celle-là, mais je ne m’en rappelle pas. Vous savez,
nom, et on en prendra quand même un chacune.» Mais ils ne sont pas restés longtemps, ils
ce que ça veut dire en français? «Saint Roc dans les petits «bo» … dans les petits …», oh
sont bientôt revenus chez moi. Et puis mon mari, il ne les voulait toujours pas. Mais avec
disons: «dans des petits …», oh je n‘arrive pas à vous le dire en français. Parfois, la nuit,
je la dis toute seule …
nouveaux bébés
quarante-quatre ans.
gé beaucoup de choses. Non, ma vie à moi … Depuis que j’étais toute petite, j‘étais comme ça.
• Vous étiez catholiques pratiquants?
Retour du père,
moi, il n’y avait rien à faire. J‘aurais plutôt laissé mon mari, mais pas mes frères.
• Vous vouliez rester avec vos frères.
Nannette
34 • JEANNETTE JEAN
Ah, je suis comme ça. Même quand ils se sont mariés, à chaque fois, quoi qu‘ils avaient
avec leurs enfants, ils m‘appelaient. J‘étais comme ça.
• Vous avez toujours eu le sens et l‘amour de la famille.
Voilà, voilà.
Le village • Et donc votre papa était pêcheur. Et dans la famille, vous avez un peu suivi sa voie?
et la pêche Vous avez travaillé aussi dans le milieu de la pêche?
Oui. Ma mère aussi, elle travaillait à l’usine, c‘était un village, tout le village y travaillait,
comme moi.
• Et à quel âge vous avez commencé à travailler?
• Ça vous manque ça, de ne plus travailler avec vos mains.
Et oui, ça me manque, je suis sans rien faire. Je ne peux pas travailler avec mes mains.
Regardez, quand on me met un café sur la table, je n‘arrive pas à le prendre dans la
main.
• Et ça, c‘est une vraie souffrance, oui.
• Et quel souvenir vous avez de cette période, quand vous travailliez dans l‘usine, à la
conserverie?
J‘étais très contente.
Oui, et puis, quand on travaillait, parfois on travaillait trop. Et il y avait des jours où on ne
J‘attendais la sirène. Ma mère, elle ne le voulait pas parce qu’à sept heures, il fallait que
travaillait pas. Même parfois, on y allait pour une demi-heure. Après, il fallait se changer,
Vous savez, le maire il avait droit à tout, et elle m‘envoyait dans les usines demander du
ça sentait le poisson.
• Vous travailliez les jours où il y avait du poisson, en fait?
poisson en son nom. Et puis, elle m‘envoyait à la montagne le porter à des gens comme nous.
Oui, voilà: ou bien on travaillait trop ou bien … Et parfois, il fallait descendre pour une
Ils avaient loué leur campagne, et je devais leur rapporter un peu du fruit.
demi-heure. Et parfois, c’étaient des journées entières, on montait à onze heures, et à midi,
• Là, il y avait un échange entre vous, vous portiez du poisson, et on vous donnait des
fruits, et donc vous étiez un peu la commissionnaire pour cette dame.
Voilà, et j‘avais peur de rien, vous savez?
• Parce que vous alliez dans les montagnes.
J‘allais dans les montagnes et il fallait donc porter le poisson. Mais personne ne m‘a jamais
rien fait. Il y avait des Arabes, mais il y avait quand même des personnes comme nous qui
avaient des plantations.
• Et avant de travailler pour cette personne, qui était parente avec le maire, vous avez
il fallait redescendre.
• Et c‘étaient uniquement des tout petits poissons, de la sardine par exemple.
La sardine, oui, il y avait de la sardine, mais autrement ils prenaient des bonites aussi.
• Les bonites, c‘est un peu comme les maquereaux, c‘est ça?
Oui, les maquereaux. Mais ce n’est pas pareil, ça ne se sale pas. La friture, c‘était les sardines. Et les salés, c‘était les anchois. C‘est bon d‘ailleurs.
• Alors, quel était précisément votre travail dans l‘usine ? C‘était le salage?
Et bien, on coupait les têtes. C‘était comme ça, des têtes, il fallait faire vite, et j‘étais dégour-
travaillé dans les usines de poisson?
die. Maintenant, je ne vaux rien [en riant]. Et puis, après il y avait le salage aussi, mais
Oui, je travaillais. Après, quand j‘étais grande, je travaillais dans les usines de poisson.
nous, on ne coupait que les têtes.
J’y allais à pied.
Et il y avait des Arabes qui travaillaient avec nous aussi, qui le lavaient qui le faisaient
• Mais ça, c‘était plus tard alors.
Oui, beaucoup plus tard. Mais là, j‘y allais quand j’étais toute jeune. Ma mère, elle me
grondait, elle ne voulait pas que je me lève si tôt. J’étais toute jeune. Non, là, ce n‘est pas
pareil.
• Ainsi, vous étiez téméraire!
Je l‘étais trop, trop. Je suis comme ça, qu‘est-ce que vous voulez. Vous voyez, maintenant
je ne peux rien faire par moi-même, autrement, je ferais du crochet, il y a des aiguilles,
mais je ne peux pas.
pas de travail
• C‘était bien, il y avait une bonne ambiance?
Moi, toute jeune, je crois. Je me levais et j‘attendais parce que je ne dors pas beaucoup.
j‘aille faire le ménage. Et puis, il y avait cette femme, la sœur du maire, qu‘elle s‘en croyait.
Trop de travail,
frire et tout. Chez nous, les Arabes, ils étaient pêcheurs. Ils allaient avec mon mari. Oui, il
y en avait qui étaient pêcheurs. Ceux de la montagne non, ce n’était pas pareil.
• C‘était l‘époque où tout le monde vivait ensemble en harmonie?
Voilà. Il y avait les Arabes qui habitaient à Stora, mais ceux de la campagne, ils n’étaient
pas pareils, ils parlaient en arabe. Les Arabes de Stora, ceux qui allaient à la pêche, qui
travaillaient à la conserverie, ils parlaient comme nous.
• Ceux qui allaient à la pêche partageaient la pêche entre eux, en fait.
Oui, ils gagnaient pareil que nos maris. Et quand un Arabe descendait de la campagne, et
Les Arabes
36 • JEANNETTE JEAN
qu’il portait des poules, ou des œufs, on l‘appelait «yo».2Maintenant, on ne les appelle plus
«yo». «Ladabe», ça voulait dire les œufs. «Dadjieuch», ça voulait dire les poulets. Et si on n’en
voulait pas, on disait «makesh, makesh».
• Tout ça, c‘est encore bien présent dans votre mémoire.
Mais là-bas, je n‘y suis pas allée. De toute façon, il n’était pas venu.
• Parce que ce n‘était pas assez éclairé?
Et bien, c’était trop … Je voulais vous dire que j‘ai connu que mon mari. Et pourtant, je vous
dirais, regardez, mon mari, il y a vingt-huit ans qu‘il est mort. Et un jour ma belle-sœur
Oui, ça, c‘est bien resté. Mais eux, ils apprenaient vite le français, mais nous non. Pourtant,
vient, puis elle dit: «Jeannette, vous allez avoir une demande en mariage, oui, vous allez
on avait des voisins ... Parfois, pour la voisine, je lui piquais quelque chose, j‘avais une
voir». Elle est morte maintenant. Elle avait été opérée d‘un cancer au sein. Elle vivait à
machine à coudre, et elle m’envoyait pour le piquer. Et alors, elle m’envoyait un saladier
Roanne avec mon frère, celui que j’ai élevé. Il était à la mairie de Roanne. Alors je lui dis:
de couscous.
«Mais de qui?» «Ah», elle a dit, «je ne peux pas vous le dire.» Je dis: «Et bien non, quand vous
• Ils sont généreux.
parlez, il faut finir.» Ah non! Elle ne voulait pas me le dire. Alors je lui ai tellement répété:
Ah oui! Très gentils. Mais nous aussi, on en avait qui étaient très gentils. Ils venaient
«Il faut me le dire maintenant» qu’à la fin, elle me dit: «Votre br.» Et je dis: «Qu‘est-ce que je
même à la maison, ils ne touchaient rien. À deux heures du matin, ils mettaient les sacs
vais en faire, de celui-là?» (Les deux rient.) Après, il m‘a écrit. Alors, je lui ai dit que je ne
de charbon, parce que le jour, ils allaient les vendre. Ils venaient donc nous les vendre, et
me remarierai plus, quoique mon mari, il était mort. Mais même si, disons que … j‘aurais
puis ils les mettaient dans les couloirs. Il n’y avait pas de porte, mais ils frappaient pas aux
portes. Il faut dire la vérité, non?
divorcé, je me serais plus remariée.
• Et donc avec votre mari, vous vous êtes rencontrés chez la sœur du maire.
• Bien sûr, oui. Quand ça se passe bien, il faut le dire, c‘est important. Mais là, c‘est
Avec mon mari, à cause de ma belle-sœur, on était chez ses parents. Il y avait le père et ils
enregistré tout ça. Et donc vous avez travaillé jusqu‘à quelle époque dans cette
étaient … (Mme Jean se rappelle la scène et d’une voix très basse elle marmonne:) «Maxime,
usine?
mon mari» … quatre frères et une sœur. Ils habitaient à Stora. Et alors au bout d‘un an, on
Jusqu‘au moment où je suis venue en France.
Très demandée • Jusqu‘à ce que vous quittiez l‘Algérie. Alors dans cette durée-là, à quel moment
avez-vous rencontré votre époux?
Je suis restée fiancée une année à l’âge de seize ans. C‘est-à-dire que je travaillais chez
cette dame, la sœur du maire dont je vous ai parlé, et elle s’entendait bien avec la sœur de
s‘est mariés.
• Et votre mari, qu‘est-ce qu‘il faisait alors, quel était son métier?
Lui, il était pêcheur. Il était à Stora, mais il est né à Constantine. Et puis, d‘après leur nom,
c‘est vraiment des Français, parce que Jean, c‘est français.
• Et qu‘est-ce que ça veut dire, Stora ? Le nom ne veut rien dire de particulier, il n’y
mon mari. J‘étais une grosse travailleuse, et quoique j‘étais mariée, j‘avais eu encore des
a pas un sens?
demandes en mariage, regardez. Ma mère, elle me dit un jour: «Tu sais, il en est venu un de
Non, Stora, tout simplement. On l‘a toujours appelé Stora, mais en italien on l‘appelle Stor,
Bougie qui …» J’ai dit: «Ma fille, elle est mariée.» Oui, il y en avait beaucoup.
• Vous étiez très demandée alors.
Stor, comme si vous disiez un store.
• Et avec votre mari vous vous êtes plus tout de suite?
Et puis, je peux le dire maintenant. Si on me touchait, alors là, il ne fallait pas me toucher.
Oui, parce qu’une année, il m‘avait fait un beau collier, des boucles d‘oreille et de belles
Vous deviez me parler, mais un homme n’avait pas intérêt à me toucher. Un jour, il y en a un
bagues. Parce que, autrefois, on faisait des bijoux, quand on se fiançait, vous devez vous
qui me dit: «Jeannette, je voudrais que tu viennes sur la Maltaise, je voudrais te parler.»
• Sur la Maltaise, c‘était où ça?
La Maltaise, ça voulait dire des coins où il y avait des arbres et tout ça. Vous savez, il n’a
pas parlé mal. Mais j‘ai dit: «Non, là-bas, je ne viens pas.» Il y avait les gaz, les becs à gaz
rappeler. Et maintenant, ce sont mes petites-filles qui les ont.
• Mais quand vous dites «Il me l‘avait faite», il vous l‘avait offerte.
Ah ! Oui, c‘est lui qui m‘a fait quand il était jeune.
• Il vous a fait ce cadeau.
avant, comme il n’y avait pas d‘électricité. Et ils étaient près de la mairie. Alors, je lui ai
Oui, quand on a fait les fiançailles. Mais autrement, il ne me faisait pas de vaisselle ni rien
dit: «Non, là, je ne viendrai pas. Si tu veux me parler, c’est là.»
du tout. Et bien, avant, les hommes, il ne fallait pas qu‘ils fassent la vaisselle.
2 Nous avons transcrit les mots arabes à la française.
Maxime, mon mari
Egalité
38 • JEANNETTE JEAN
• Oui, c‘est vrai.
Oui alors, vous devez le savoir. Il y en avait qui le faisaient, mais lui, rien. Mes frères, parfois ils venaient m‘appeler. Avant qu’on parte en soixante-deux, tous les deux, ils étaient
à Stora et pas loin. Et quand il y avait quelqu‘un de malade, ils venaient vite m‘appeler.
Alors j’y allais, je laissais la table, les assiettes et tout, mais mon mari ne touchait rien.
Quand je rentrais, il fallait que je fasse tout. Et quand j‘allais travailler, et qu’il fallait
remonter à onze heures et redescendre à midi, je ne faisais pas la vaisselle. J‘enlevais le
plus gros, je mettais tout bien arrangé dans le coin, pour la faire quand je remontais. Il ne
faisait rien, lui. C’était embêtant. Mais bon. Moi, je trouve que c‘est bien maintenant. Parce
que … Ecoutez, la femme, elle travaille, c‘est normal. La femme, si elle allait se promener ou
n‘importe … Ça, ce n‘est pas bien. Mais si elle travaille, qu‘il aide! Moi, je trouve que quand
c‘est fait comme ça, c‘est très bien.
• Oui, c‘est un peu normal. Ça, c‘est une belle évolution dans les relations des hommes
et des femmes finalement.
Oui, maintenant voilà ce qu‘il y a, c’est qu’ils se laissent trop … Vous voyez tout ça, ce n‘est
pas … Autrefois, si on faisait le mal avant, il ne fallait pas se marier en blanc. Ah non!
• Oui, si on faisait le mal, hein?
Et bien, celles qui faisaient le mal, il y en avait, où ça se voyait, alors on disait «Ils se sont
vus». Comme parfois les parents, ils ne voulaient pas tel jeune homme ou telle fille, ils
partaient, vous savez, et vite, on le savait.
• Ils partaient précipitamment et quittaient le village. Ça devait être difficile à vivre
dans un village où tout le monde se connaissait.
Ils s’aimaient et les parents, ils ne le voulaient pas, et alors ils partaient. Mais autrement
ils étaient heureux, eux, après. Mais pour vous dire, il ne fallait pas qu‘ils se marient en
blanc. On disait que ça portait malheur, qu‘on aurait des enfants estropiés. Oui, c’est ce
qu’on disait. Qu‘est-ce qu‘on ne disait pas avant!
Mariage en blanc • Et donc, vous vous êtes mariés en blanc, vous aviez une belle robe?
Oui, en blanc. Et voilà, c‘est le tort que je n‘ai pas fait la photo en blanc. Je l‘ai faite à la sortie
de noce, quand on faisait les sorties de noce. Je ne sais pas, si vous l‘avez entendu, ça.
• Expliquez-moi alors ce que c‘est que la sortie de noce.
Et bien, quand on se mariait, pendant huit jours on ne sortait pas, vous voyez, on sortait
plutôt le soir, pour aller voir la famille. Mais là, j‘étais habillée en couleurs alors.
• Et quand cette période, les huit jours, est finie, on dit que c‘est la sortie de noce.
Voilà. Et maintenant, on ne dit plus tout ça.
¡ la sortie de noce
40 • JEANNETTE JEAN
• C‘est vrai que ça, c‘est quelque chose qui a dû se perdre.
C’est dommage, je n‘ai pas la photo. Mon fils, il me l‘avait apportée.
• Vous avez la photo de la sortie de noce, mais pas celle du mariage dans votre belle
qu‘ils jetaient à la volée devant les enfants qui attendaient.
Et bien, les enfants, ils ramassaient les dragées, pas les fleurs. (Elles rient.) Alors, attendez,
quand les mariés étaient en calèche, on jetait l’assiette sur la calèche, mais, quand les mari-
robe.
és étaient à pied, on la jetait sur les mariés directement. Et alors les enfants, ils savaient
Il y en a qui l‘ont prise. Mais en blanc, je ne l‘ai pas.
qu‘il y avait des sous. Et quand ils ne passaient pas devant notre croisée, mettons de l‘autre
• Vous vous en rappelez de cette robe, elle était comment? C‘était une robe longue?
J‘avais encore ces appliques de la sortie de noce, elle avait des appliques que j‘ai faites de
mes robes marron. Mais ils l‘ont jetée.
• Mais votre robe de mariée, la robe blanche, elle était longue?
Elle était blanche, elle était belle. Oui, je me rappelle, elle était très longue. Avec le voile
et les souliers, tout en blanc.
Fleurs, • Vous aviez des fleurs?
monnaie et riz Alors, je vais vous le dire, avant que je l’oublie. Quand quelqu‘un se mariait, on préparait
une assiette. On y mettait toutes les fleurs de toutes les couleurs en petits morceaux, on y
mettait des dragées et de l‘argent. Avant, il y avait un sou, deux sous. Vous vous rappelez
de ça?
• Non, je ne me rappelle pas.
côté, on allait sur l‘église, et en sortant de l‘église on leur jetait.
• Ça, ce sont des jolis souvenirs.
C‘était beau à voir.
• Oui, ça devait être beau. Vous étiez des groupes d‘enfants qui couraient.
Et surtout de voir ces enfants, vous les voyiez.
• Ça devait être très amusant. Ça m‘a rappelé aussi un souvenir d‘enfance, moi je l‘ai
connu comme ça devant l‘église.
Oui. Je vous dis, quand on est venus ici, j‘ai vu qu’on jetait le riz.
• Le riz, ça a remplacé la petite monnaie.
Oui, ce n‘est pas pareil sans doute. Parce qu’à la place du riz, nous, on mettait les sous, les
fleurs de toutes les couleurs en morceaux.
• Donc ça, c‘était la tradition pour les mariages.
Si vous avez des parents, ils doivent se rappeler. Un sou, deux sous, trois. Il y avait que
Et bien, jusqu‘au moment où on est venus ici. On l‘a toujours fait, ça. C’est pour ça que
des pièces, des petites et un peu de grandes. Ce n‘était pas beaucoup, un sou. Et quand le
quand je suis venue, quand j‘ai vu les mariages comme ils étaient ici à l‘église, je suis
mariage était à pied, c‘était beau. Il y avait beaucoup de monde.
• Vous passiez dans les rues du village?
restée bête.
• C‘est vrai, c‘était très différent pour vous.
Oui, ils passaient devant l‘église. Surtout parce que c’était un petit village, il était tout pris.
Comme il y en a qui viennent pour critiquer, par jalousie. Ça, vous devez le savoir aussi,
Bénédictions,
Il y avait des belles rues et quand ils passaient par notre croisée, on jetait l’assiette.
qu’il y en a qui viennent dans les … et bien, quand ils s‘en vont, ils jettent du sel à la
malédictions
• Voilà oui, c‘est ce que vous jetiez au cortège.
Oui, aux mariés, sur les mariés qui passaient. Ça porte bonheur.
• Ça me rappelle quelque chose. Ça, je l‘ai connu moi, différemment, mais je l‘ai connu
petite fille.
Vous voyez, je ne vous dis pas des mensonges là, ils jetaient du riz. Quand on est venus
ici, ils jetaient du riz à l‘église.
• Oui, alors moi, je me rappelle que c‘était le témoin à la sortie de l‘église, et puis ça se
faisait aussi pour les baptêmes. Mais là, c‘était le parrain qui prenait des poignées de
petite monnaie.
Non, chez nous, les parrains ne le faisaient pas.
• Voilà, mais alors moi, je l‘ai connu, et ils prenaient des poignées de petite monnaie
porte.
• Ah oui!
Moi, je n‘ai jamais fait ça. Mais chez ma belle-sœur, qui est malade maintenant, avec sa
sœur, elles le faisaient.
• Jeter du sel …
… mais moi, je ne croyais pas à ça. On faisait «le coup de soleil».
• C’était une croyance, non?
Il y a des gens qui mettaient de l‘eau et de l‘huile dans une assiette et puis ils faisaient des
prières. L‘huile s‘éparpillait. Et ils disaient: «Oui, il y a les yeux.»
• Oui, le mauvais sort. (Mme Jean rit.) Ça, c‘étaient des pratiques assez courantes. Alors
qu‘est-ce que c‘était «le coup de soleil»?
42 • JEANNETTE JEAN
Oui. Le coup de soleil. On prenait une boîte avec de l‘eau et on la mettait là sur la tête. L‘eau,
il ne fallait pas qu‘elle tombe. Et alors quand on la retirait, ils disaient: «Elle est chaude: il
a, elle a, vous avez le coup de soleil.» Vous voyez?
• D‘accord. Et alors, ça voulait dire quoi exactement, ça?
Et bien quand on a mal à la tête.
• C‘était plus pour savoir si la personne était malade, si elle avait une insolation?
Voilà, si elle disait qu‘elle avait mal à la tête. Ou bien, si on avait un bobo, un bouton ou un
n‘importe. Ce qu‘on prenait, c’était la mauve. Vous devez le connaître, ça.
• Oui, c‘est une plante.
Alors, on la faisait cuire, et on la mettait sur des chiffons blancs qu‘on venait de faire
bouillir. Puis, j‘en faisais un cataplasme et on le mettait dessus.
• C‘était une médecine douce.
C‘est des choses d‘avant.
• Et ça se pratiquait souvent?
Oui, oui, oui.
• Et ça marchait, c‘était efficace?
Et oui, ça marchait.
Chansons Il y a autre chose aussi. Je vous le dis, s’il y avait d‘autres personnes comme moi, d‘Algérie,
on s’encouragerait, on se rappellerait l‘une l’autre. Quand on se raconte et qu’il y en a une
qui dit «ah oui», c’est là que les souvenirs reviennent.
• Oui, ça facilite.
Quand j‘entends les chansons anciennes ici, ça me rappelle beaucoup de souvenirs. Sans
ça, je ne pourrais pas vous les raconter.
• Il y a des chansons de votre enfance qui vous reviennent?
Et oui, je m’en rappelle bien. Oui, là je suis contente. Mais si je devais vous les dire maintenant, là non, je ne le pourrais pas.
• Là, comme ça, vous vous en rappelez?
Ah! Non … Mais quand j‘y pense, ça me revient un peu.
Processions • J’aurais aimé qu’on revienne un petit peu sur tout ce que vous m’avez raconté au sujet
des processions. Est-ce que vous voudriez un peu à nouveau nous expliquer comment
elles s’organisaient, ces processions?
Le curé marchait devant, les enfants de cœur – je peux pas vous dire, parfois il y en avait
plus, parfois moins – ils étaient de chaque côté et puis alors suivaient les grands saints,
par exemple sainte Thérèse, Notre Dame de …, enfin, saint Antoine tout ça, vous voyez, on
¡ procession
44 • JEANNETTE JEAN
les sortait à plusieurs dans la procession au milieu. On marchait doucement et avec des
rangées d’hommes et de femmes des deux côtés.
• Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre?
Je ne me rappelle pas bien. Si! On était tout mélangés.
• Alors, tout le monde se donnait rendez-vous à l’église.
C’est-à-dire qu’on se donnait rendez-vous, on allait aux vêpres. Parce que c’était après
les vêpres, vous voyez, ils faisaient les vêpres à l’église et puis on sortait en procession.
On appelait ça la procession. C’était en plein mois d’août, en septembre aussi mais je me
rappelle pas bien.
• Pour la sainte Marie le quinze août, il devait y avoir une grande procession?
Je vous dis: tout le village!
• Donc après les vêpres vous partiez tous et ça a duré jusqu’à la tombée de la nuit
pratiquement.
Non, il faisait encore jour. On allait jusqu’à la pointe, on appelait ça la pointe, vous voyez,
la pointe du village …
• … la pointe du village. Donc, en fait, jusqu’à la dernière maison, c’est ça?
Oui, mais encore après, ça nous appartenait entre Philippeville et Stora, il y avait le casino,
il y avait, vous voyez, ça partait plutôt du côté de Philippeville, mais il y avait un autre
endroit, je me rappelle pas c’était, il y avait une grande plage, c’était beaucoup de l’autre
côté.
Autels et reposoirs • D’accord. Les reposoirs et les autels, ils étaient préparés par les gens du village?
Oui, je vais même vous dire son nom, c’était la cousine Berbeche de Madame Baldino. Elle
était de Tamalous. Et puis, elle venait chez sa cousine à Stora.
• Est-ce que c’est elle, qui s’occupait de la décoration des reposoirs?
Oui, beaucoup, même dans l’église ...
• … même dans l’église …
… même dans l’église, il y avait beaucoup de saints et c’était joli.
• Comment est-ce qu’on organisait la décoration du reposoir? Il était constitué de
quelles pièces?
Je ne peux pas vous dire ça, mais c’était bien décoré avec du linge blanc brodé ou des dentelles. Et après, il y avait des chandeliers, un de chaque côté. Et au milieu, il y avait des saints,
des petits. Et il y avait des fleurs, des fleurs fraîches. Alors ça, c’était vraiment beau.
• Pendant la procession, il y avait, j’imagine, les hommes qui portaient le brancard?
Oui, le brancard à quatre par exemple, qui portait la Grande Vierge, ou la sainte Thérèse,
¡ Bernadette en sainte Thérèse
46 • JEANNETTE JEAN
ou bien saint Antoine.
• Et alors vous faisiez une halte à chaque autel?
Voilà.
• Et les autels, ils se trouvaient où alors, ils se trouvaient chez des gens du village, qui
organisaient ça devant chez eux?
Et bien dans les rues, comme vous dites. Devant la porte par exemple, alors on ne voyait
plus la porte.
• Devant la porte des maisons, devant les garages? Ça cachait les portes des maisons?
Oui. Ah! C’était beau, vraiment beau.
• Ça décorait la maison d’une façon magnifique.
Ça, oui. Ça, c’était joli, joli, vraiment joli. Il y aurait ma belle-fille, d’ailleurs elle est venue
l’autre jour, elle se rappelle sûrement, elle vous l’aurait expliqué comme il le faut.
• Et puis il y avait de part et d’autre du saint ces chandeliers.
Oui, c’était des beaux chandeliers en cuivre. Il y avait trois bougies d’un côté, trois bougies
de l’autre.
• C’était pour la trinité, c’est ça? Le Père, le Fils et le Saint-Esprit?
Oui, bien sûr, voilà. Et puis alors il y en avait, par exemple, là… Mettons que l’autel était
comme cela. (Elle fait des gestes pour montrer). Il y en avait un là, un là.
• Un à droite, un à gauche.
Et il y avait un saint au milieu. Puis un vase de fleurs fraîches, par exemple, avec beaucoup
de décorations.
• Et alors ces fleurs, c’étaient les habitants qui les amenaient pour fleurir, ou c’était
préparé à l’avance?
Trop, trop. Ah oui!
• Alors, votre frère, c’était un peu le bedeau, c’est ça?
Mon frère, il était au piano avec toute une bande de petites jeunes filles.
• Il était au piano dans l’église, votre frère.
Dans l’église, oui, et il jouait avec cette équipe de jeunes filles.
• Il était musicien alors, votre frère.
Non, non. Il faisait du piano comme ça. Il allait à l’école. Il est mort à dix-huit ans de la
typhoïde.
• Mais il savait jouer de la musique. Donc toute la famille était très impliquée.
Ah ! Oui. On était très chrétiens. Et je vous jure, il ne fallait pas toucher un sou, ou même
n’importe quoi. Ah non! Ça portait malheur.
• Et alors, pour ces grandes processions, est-ce qu’il y avait des tenues, des habits de Vêtements sacrés
fête? Comment est-ce que les gens s’habillaient?
Non. On s’habillait comme toujours, on se faisait une belle robe.
• Vous mettiez une robe un peu plus belle que les jours ordinaires, tout de même.
Oui, mais autrement on mettait ce qu’on avait, quand même.
• Et puis le curé, les enfants de chœur, ils avaient une tenue spéciale?
La tenue, je ne sais pas comment on appelle ça, dommage. Ils avaient une chose rouge sur
la tête. C’était beau!
• La tenue ce jour là, elle était rouge, toute rouge?
Le machin à la tête, oui, il était tout rouge. Il était comme un peu carré et il y avait un
pompon, vous voyez?
• Et les enfants de chœur, ils étaient habillés en rouge aussi?
C’était préparé à l’avance, oui. J’imagine même que c’était nous qui le préparions. Mais
Quand c’étaient les processions, ou quelque chose? Ils avaient le dessous rouge et la cha-
c’était préparé sur place. Alors, quand on allait à l’église on mettait quand même de l’argent.
suble blanche par dessus. Mais on voyait beaucoup le rouge, parce qu’il était plus long, et
On mettait de l’argent dans les troncs.
Offrandes • A propos, vous me disiez qu’il y avait des gens qui non seulement mettaient l’argent
dans les troncs, mais qui parfois en mettaient directement sous le saint.
Oui. C’était mon frère qui le prenait, qui le donnait au curé. Oui. Ouh!
• Et alors, comment ça se faisait que les gens mettaient les offrandes sous les saints?
Je ne sais pas pourquoi. Moi, je le sais parce que c’est mon frère qui me le disait. Alors il
disait: «Tu vois, j’ai trouvé de l’argent. Je l’ai donné au curé et il était content.» Oui, mais il
ne l’a jamais rapporté à moi. On était trop honnête, voilà.
• Oui, c’était important, c’était pour l’église.
la chasuble blanche était plus courte. Et la chasuble, elle avait des dentelles en bas.
• C’était d’un bel effet.
Oui, c’était beau. Maintenant, ça ne se fait plus.
• Est-ce que les femmes avaient l’habitude de porter des pièces de tissu pour se
couvrir la tête?
Oui, bien sûr. Avant on n’allait pas à l’église, si on n’avait pas quelque chose.
• Et quand la procession était terminée, qu’est-ce qui se passait?
Et bien, chacun rentrait chez soi, on rentrait tous à la maison.
• Vous rentriez tous chez vous.
48 • JEANNETTE JEAN
Ah! Oui, et bien tout de suite!
• Vous ne vous retrouviez pas ailleurs pour continuer la fête, non?
Ah! Non. Une fois que c’était fini, chacun rentrait chez soi.
Une grande famille • Et vous vous connaissiez tous là-bas, tout le monde se connaissait?
Bien sûr, c’était un petit village, quoi. On se connaissait tous. Si vous veniez, et que vous
demandiez le nom de n’importe qui, tout le monde le savait.
• C’était un peu comme une grande famille?
Voilà. On se tutoyait, vous voyez.
• Tout le monde se tutoyait.
Ah oui, au village on se tutoyait.
• Et pour les enfants, ça devait être merveilleux d’avoir les amis dans tout le village.
C’était une grande cour de récréation.
Oui, je vous en ai parlé déjà. Pendant les mariages, quand on jetait les fleurs, avec les sous
et les dragées … Je vous l’ai raconté ça, c’est enregistré ça, non?
• Les mariages, oui. Donc une fois que la procession était terminée, tout le monde
rentrait à la maison.
CD| Nº2
• Vous rentriez donc chez vous et c’était l’heure du souper et les jours de grandes
processions comme ça, vous faisiez un repas particulier?
Plaisirs de bouche Non, comme par exemple une macaronnade, ça non, une bonne macaronnade. C’est comme
la daube, vous voyez, c’est ce qu’on avait à vivre.
• Une bonne macaronnade. Oui, et vous m’avez parlé aussi d’un plat que vous aimiez
beaucoup faire, qui était le couscous de poisson.
Et ben, je l’ai dit. Ah! Ça vous voulez le savoir!
• Et oui, je veux savoir!
Le congre dans Alors, si vous avez un congre, même la tête et la queue. Que vous les aimiez ou pas, vous
le couscous le mettez, ah, ça donne du goût.
• Un congre.
Un congre. Vous savez ce que c’est, le congre …
• Ça donne toujours beaucoup de goût, les congres. On fait des fumés de poisson avec
ça. C’est bon …
… c’est bon, mais il y en a qui ne l’aiment pas, alors, il faut l’aimer.
• Alors vous, vous l’utilisiez pour le couscous. Alors, racontez moi un peu comment
vous faisiez ce couscous!
Alors, vous faites comme avec la daube. Vous faites roussir l’oignon avec un peu d’huile
d’olive. S’il n’y a pas d’huile d’olive, vous mettez de l’huile de tournesol, ou n’importe. Mais
l’huile d’olive, c’est meilleur.
• C’est bon avec de l’huile d’olive!
Et vous faites bien revenir ça, et vous faites revenir le … la tomate, comment on dit, la
tomate mais …
• … de la tomate concassée. Ou de la tomate fraîche s’il y en a?
Fraîche, ah! C’est bon, mais il faut enlever la peau, vous voyez.
• Et dites-moi, vous avez toujours beaucoup cuisiné le poisson. Qu’est-ce qu’il y avait
comme autres poissons que vous aimiez cuisiner, qu’on trouvait beaucoup là-bas et
un peu moins ici?
Ah nous, on mettait beaucoup des anchois. Et vous savez comment on fait les anchois? On
les fait frire.
• Ah, vous les faisiez frire, les anchois?
Anchois et sardines
Sauf que là, il faut enlever la tête, parce qu’avec les boyaux, sinon c’est amer.
• D’accord, vous nettoyez l’anchois.
Oui. Et puis vous l’égouttez bien, vous les farinez et vous les faites cuire à l’huile chaude,
comme la sardine.
• Comme la sardine. Et les sardines, c’était à quel moment qu’elles étaient les
meilleures chez vous?
Ah nous, c’était au mois de mars.
• Au mois de mars? Ah oui, c’est plus tôt que … Alors la bonne saison ici c’est quand?
Moi, je crois que c’était en juillet.
• C’est au mois de juillet pour qu’elles soient bien belles, bien charnues.
Et bien vous pouvez la manger, je vous conseille de le faire même fin peut-être juin.
• Pendant l’été, pendant l’été quand elles sont bien grasses.
Mais moi, je sais qu’elles sont bien grasses en juillet. Mais pas trop trop cuit, vous voyez,
il ne faut pas les faire trop cuites, pas crues quand même.
• Oui, et dites moi, des poissons comme …
Et le cavale alors, le maquereau, le blanc …
• Comment vous l’appelez le maquereau? Le cavale?
Oui, on l’appelle le cavale aussi, oui. Cavale ou le maquereau.
• Ah bon, le cavale.
Alors vous coupez en tranches aussi, c’est bon frit.
• Ah d’accord. Je ne l’ai jamais mangé comme ça, le maquereau.
Autres délices
de mer
50 • JEANNETTE JEAN
Oui, le maquereau, il est bon, mais coupé, il faut les couper bien fin alors. Le congre, ça fait
Alors de chez vous, quand vous étiez à la croisée, vous aviez la mer devant vous?
rien qu’il soit plus épais, parce que le corps il est pour jeter sur le couscous.
Oui, on avait la mer en face, c’était beau à voir.
• Mais dites-moi, je crois qu’il y a un poisson qu’on trouve beaucoup en Algérie, qui
est plus rare ici, c’est la murène.
La murène. Il y avait des poissons, des souris, on appelait ça la souris. C’étaient les plus …
c’étaient des poissons roses, plats. Ohhh!
• Oui, moi j’ai jamais vu ça.
Ça c’était très bon, ici il y en a pas.
• C’était très fin sûrement.
Il y en a. Vous savez où il y en a? En Espagne.
• Et la murène vous la cuisiniez aussi?
Et bien, moi, je … il n’y a pas longtemps que je l’ai fait ici. Un peu bouilli, je ne l’ai pas trouvé
mal, avec plein d’huile, plein d’ail et du piment.
• Parce qu’ici, on n’en trouve pas beaucoup, de la murène.
Mais autrement, chaque fois, c’est frit.
• D’accord. Et là-bas, on en pêchait souvent, des murènes?
Et bien mon mari il en pêchait. Mais : et les arapelles!
• Les arapèdes?3
Vous savez ce que c’est, les arapelles? Les escargots de mer.
• Si, si, si. Voilà, comment ça s’appelle, ce sont des coques en fait. Des coques qu’on
Oh, si vous voyiez ces grosses vagues, qui se jetaient comme cela.
• Oui, qui tapaient contre les digues.
Oui, c’était beau!
• Ça devait être magnifique.
Mais vous savez, il y en a qui meurent à la mer.
• Et oui, bien sûr. Vous avez eu parmi vos proches des gens qui sont morts à la mer?
Oui, j’avais un frère de ma mère, à seize ans, il est mort.
• Ah! Oui, un frère de votre maman … Il y avait de gros bateaux qui venaient dans le
port de Stora?
Et bien pas des grands bateaux, il y avait les bateaux de pêcheurs, quoi. Je ne peux pas
vous dire combien, il y en avait peut-être une quinzaine. Et puis, il y avait huit hommes à
bord, ce n’était pas des bateaux pour un seul pêcheur.
• Et votre mari, il allait pêcher sur un de ces bateaux-là?
Oui. Et puis, il y avait même mon fils, et mes deux frères. J’avais quatre hommes qui
revenaient la nuit. Mon fils, celui qui est mort, à seize ans, il n’a plus voulu aller à l’école,
et il a voulu aller travailler. Et puis, il a fait ça, peut-être pendant un an. Je ne le voulais
Oui, oui.
pas. De toute façon, il n’est pas resté longtemps. Alors la nuit quand ils revenaient, parfois
Ah, nous les arapelles, vous savez, l’arapelle, c’est une coquille, il y a l’arapelle qu’il faut
enlever avec le couteau. Comme c’est bon, moi j’en suis …
• Collé contre les rochers. Ça, vous adorez ça vous, oui.
Ah, c’est bon. Et les escargots de mer.
• Ah oui, vous mangez des escargots de mer.
C’est très bon. Vous faites une sauce rouge, vous jetez ça, vous coupez le pain en tranches
dans un plat et vous mangez le pain, vous vous régalez.
• Et bien dites donc, vous m’avez donné faim!
Oui, alors, il y en a qui n’aiment pas, mais il faut essayer.
CD| Nº2 fin
Euh là ! Comme c’était beau à voir!
• Ça devait être beau, et puis ça devait faire du bruit.
trouve contre les rochers. C’est ça?
• Ah bon, vous les mangiez.
• Et oui il faut essayer, bien sûr. Il faut toujours essayer. Hmm!
Vous aviez du poisson frais à profusion là-bas. Mais quelle chance, quelle chance!
3 Mme Jean dit arapelles, Mme Caban arapèdes. Mais il s’agit bien du même coquillage, les deux dénominations
sont courantes.
La mer en face
• Et quand il y avait des grosses vagues, par exemple.
ils ne voyaient rien ou il y avait du mauvais temps, alors ils frappaient à la porte. Et bien,
je me levais vite et comme ça, j’étais dérangée quatre fois. Et puis, après, ils mangeaient
quelque chose. C’est peut-être pour ça que je dors pas beaucoup.
• Il y avait tellement d’hommes pêcheurs dans la famille que vous aviez des nuits bien
courtes. Donc, ça a été quand même toute une vie au travail auprès de la pêche.
Parfois ils ne prenaient rien, parfois ils restaient un mois sans rien gagner.
• Alors, ça ne devait pas être facile.
Ils prenaient rien, et je vous dis, des fois ils revenaient à ras. Comme c’était beau de voir
ces bateaux pleins à ras bord!
• Oui, plein de poissons!
Parfois, il a même fallu qu’ils les jettent.
• Et oui, parce qu’il y en avait trop, en fait.
Pleins à ras bord
52 • JEANNETTE JEAN
Voilà.
Le départ d’Algérie • A quel moment a commencé à mûrir en vous l’idée de partir? Bon, vous aviez vos fils
adultes, qui sont venus vivre ici.
Oui, à cause de la guerre, enfin, on était en guerre.
• Mais vos fils, ils avaient quitté Stora avant?
Oui mon fils, celui-là, il était déjà à Besançon, il travaillait dans l’horlogerie. Comment cela
s’appelle déjà … Maty! Vous connaissez Maty?
• Oui, c’est une marque d’horlogerie.
Lui et sa femme, je voulais toujours aller les voir, et je pouvais pas, parce qu’on était en
guerre, et le bateau, il venait pas.
• Voilà, les bateaux ne faisaient pas la traversée.
on s’accordait bien. C’est dommage. Mais moi, ils m’ont jamais rien fait. Encore, ils n’étaient
pas tous comme ça, il y avait des Arabes plus sauvages aussi. Mais ceux qui venaient au
village, ils allaient à la pêche et tout.
• Oui, c’était des amis pour vous pratiquement?
Oui, même ceux qui venaient, qui descendaient avec des poules, ou des œufs, pour les
vendre, et bien on les appelait «yo». On disait «yo», avant.
• Oui, ça vous me l’avez dit.
On disait: «Alors dis donc, il y en a pas, makesh, makesh». Alors, on comprenait un petit
peu.
• Donc tous ces gens qui étaient finalement des gens que vous aimiez, côtoyiez, qui
étaient pratiquement des amis, d’un coup s’étaient installés dans les maisons et dans
Oui, c’était défendu. Mais dès qu’ils la faisaient, j’étais prête à partir une semaine ou un
les biens.
mois.
Oui, mais ils avaient laissé leurs parents dans les montagnes. Ils avaient faim. Enfin pas
• Donc, vous avez fait la traversée.
Mon fils, il avait sa femme en France, donc lui, il est venu en profiter pour toujours. Mais
moi, je devais rentrer, et je suis rentrée d’ailleurs.
• Vous êtes allée voir votre fils pendant une quinzaine de jours et vous êtes retournée
au pays?
Oui. Et on n’avait pas quitté l‘Algérie, avant mon séjour en France, parce que le départ
avant, c’était en juillet. Et je suis rentrée, parce que les gens, ils partaient, ils venaient en
France. On se connaissait tous.
• Et donc, quand vous êtes venue voir votre fils, il y avait déjà des gens qui quittaient
l‘Algérie, à ce moment-là …
Oui, alors ils me disaient «Jeannette, ton mari t’attend». Il avait ce bateau qu’on a vendu là
plus tard, et il allait tous les soirs à Philippeville, pour venir me chercher. Alors, je suis
rentrée en Algérie, et on en est repartis le vingt-six octobre.
Faut pas rester … • Le vingt-six octobre, vous avez quitté Stora.
Voilà, alors moi je suis rentrée, et peu de temps après on est partis, parce que mon fils, il
me disait qu’il avait peur. Il disait: «Faut pas rester, faut rentrer!»
• Vos enfants étaient inquiets pour vous. Et quand vous êtes revenue de la visite à vos
fils et que vous êtes retournée à Stora, il y avait déjà beaucoup de gens qui étaient
partis?
Ah! Oui. Dans notre village, il y avait déjà des Arabes qu’on connaissait qui s’étaient installés, qui se prenaient les meubles et tout. Ils doivent le regretter parce que, vous savez, nous,
ceux qui allaient à la pêche. Là-bas, il y en avait pas beaucoup.
• Et là, vous avez compris qu’il fallait partir.
Ils n’étaient plus là. Pendant que j’étais en France, moi, tous ceux de la maison étaient
déjà partis.
• Et vous avez pu emporter des choses, vous, quand vous êtes partie?
Non. C’est-à-dire que j’ai pris un petit quatre, qui m’a coûté deux cent mille francs, j’avais
emporté la salle à manger et quelques bricoles.
• Un quatre, c’est-à-dire un petit déménageur.
Oui, j’ai fait ça. Mais finalement, ça ne valait pas la peine, parce que ça a été tout abîmé.
Même avec du linge, ça a été abîmé.
• Tout a été abîmé dans le trajet?
Ah oui, sûrement.
• Et vous aviez emmené un bateau, je crois.
Oui, le bateau qu’on a vendu, qui nous avait coûté un demi million. Ici, on l’a vendu pour
deux cent mille.
• Ça, c’était l’achat que votre mari avait fait …
… oui, quand il m’a pas écouté. Il est venu chez ma belle-sœur …
• … à propos duquel vous n’étiez pas très d’accord.
Oui. Un jour, il est venu et puis il me dit «J’étais à la maison. Je ne t’ai pas trouvée. Viens
me donner cinquante mille francs.»
• Cinquante mille francs, c’était une petite somme quand même.
Le bateau …
54 • JEANNETTE JEAN
Cinquante mille, c’était beaucoup. Alors j’ai dit: «Pour quoi faire?». Il répond «Je veux acheter le bateau de Stopie». J’ai dit «Mais ne l’achète pas, nous devons partir.»
• Et lui, il voulait absolument acheter ce bateau.
Il n’a pas voulu écouter. Ils étaient trois qui voulaient acheter ce bateau. Et lui, il a sûrement
mis le prix qu’il fallait.
… a son prix • Et un petit peu plus peut-être, c’est ça?
• Donc c’était une technique spéciale?
Oui.
• Avec trois mailles, ça c’était pour attraper les rougets.
Les trois mailles, vous savez, on les mettait à la mer le soir, et on les relevait le lendemain.
• Et dites-moi, Madame Jean, comment ça c’est passé, cette traversée-là, ce grand
Et bien, il fallait qu’il donne les cinquante mille. Mais lui, il s’occupait pas de l’argent. Il
départ d’Algérie pour venir jusqu’ici?
disait: «Si j’en ai plus, j’en ai pas.» Il a pas voulu écouter, rien. Il disait: «Je ne fume pas, je
Et bien, quand on est partis, il y avait déjà ma belle-sœur avec mon frère. Ils étaient à Mar-
ne bois pas.» Et comme il s’occupait pas, il ne savait pas ce qu’il fallait.
seille chez sa mère. Mon mari, il avait un frère aussi, mais on ne savait pas où il habitait.
• Oui, il avait moins le sens de la réalité et de la valeur de l’argent que vous.
Voilà, et c’est lui qui portait l’argent.
• Lui, il travaillait et ramenait l’argent, et vous, vous en preniez soin.
Oui, mais après il gagnait pas toujours. Des fois, il gagnait même cent mille, mais d’autres
fois il y avait des mois où il ne gagnait pas.
• Donc, il fallait savoir mettre l’argent de côté.
Il fallait, voilà exactement.
• Et ça, c’est vous qui le faisiez, non? Et donc là, il vous a pas écoutée, parce que lui,
il préparait sa retraite. C’était sa passion.
Bernadette Et alors, aux bateaux, on mettait des noms de saints. Parce qu’avant, on aimait beaucoup
Bernadette, vous savez. Et comme j’ai une petite-fille qui s’appelle Bernadette, on a appelé
le bateau Bernadette.
• Et donc vous l’avez amené avec vous, et qu’est-ce qu’il est devenu ce bateau?
Oui alors, il était déjà à Marseille. Et il paraît qu’il allait brûler là, et alors on l’a apporté
ici. Et mon mari a été malade après ça, il était fini, il n’en pouvait plus. D’ailleurs, il a pas
été à la pêche ici.
• Il n’a pas pu en profiter, de son bateau.
Non, de rien. Et les filets, c’étaient les Arabes qui les ont pris. Il avait préparé tout ça pour
la retraite en Algérie.
• Il avait préparé ses filets aussi, vous m’avez dit qu’il faisait ses filets lui-même.
Oui, les sept ou huit tonnes de trois mailles ...
• … alors les trois mailles, qu’est-ce que c’était?
C’est pour les rougets et des choses comme ça.
• C’étaient les filets qu’il faisait lui-même?
Ah! Oui … qu’il a fait lui-même.
Arrivée à Marseille
Et puis on est arrivés. Après, j’avais une sœur à Lyon, et une sœur à Toulon.
• Et le premier contact que vous avez eu avec la France ici, ça a été le port de Marseille?
Oui, on a été débarqués à Marseille.
• Ça vous a plu, Marseille, quand vous êtes arrivés?
Oui, mais on n’est pas restés longtemps. Je ne dis pas qu’on a beaucoup vu.
• Et qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi de venir vous établir à La Seyne, enfin,
à Toulon? C’est parce que vous aviez une partie de la famille qui était là?
Oui, parce qu’il y avait ma belle-sœur. Celle dont je vous ai parlé, celle qui a été opérée. Ils
étaient hébergés, à Tamaris, au Grand Hôtel. Il y avait Mademoiselle Rougeol qui s’occupait
beaucoup de rapatriés. Vous avez peut-être entendu parler d’elle. Alors, il y en avait beaucoup là-bas, dans ce Grand Hôtel. On avait tous une grande pièce.
• Vous vous êtes retrouvés entre vous, en fait.
Oui, c’est-à-dire que nous, on avait trouvé un petit logement à La Seyne, avec un petit
jardin, il n’était pas cher. Ma belle-sœur avec sa sœur, elle a dit: «Venez à Tamaris, on est
mieux», et tout ça. Autrement nous, on était là-bas.
• Et donc vous vous êtes tous retrouvés à Tamaris.
Après, on est allés là-bas à Tamaris. Et mon mari a commencé à se paralyser. Alors, je l’ai
eu malade pendant treize ans.
• Il a commencé tout jeune à être malade.
Alors je le gardais, moi. Je le lavais, je lui coupais les cheveux, n’importe comment. Je
faisais tout, quoi.
• C’est vous qui vous occupiez de tout pour lui, c’est ça.
J’avais droit à une aide. Oui, j’avais droit, mais comme je ne le savais pas, alors j’en ai pas
eu. Et puis même, je ne l’aurais pas pris, vous voyez?
• Oui, vous préfériez le faire vous-même.
Maladie
56 • JEANNETTE JEAN
Oh, et bien je le préférais.
• Alors, dès que vous êtes arrivée, vous avez été confrontée à la maladie.
Enfin, jusqu’à soixante-dix ans. Je me débrouillais, quoi.
• Et alors aujourd’hui à plus de quatre-vingt-dix ans, ce qui vous manque le plus, c’est
Voilà. Alors, il y avait un docteur à Toulon, je ne me rappelle plus comment il s’appelait,
le travail, de ne plus pouvoir vous occuper, d’occuper vos mains.
il nous a dit que cette maladie était là parce qu’on était partis de l’Algérie. Ça, je peux le
Ah, il me manque quand même, oui. Mais je n’ai pas profité de la vie. Je vous conseille:
dire, ça les a beaucoup touchés.
«Travaillez, mais profitez!»
• Oui. Ça a été un bouleversement, tout de même. Je crois que ce départ, pour tous les
Pieds Noirs, ça a été un arrachement quand même.
Travaillez, Voilà, non, non. Moi, ça ne m’a pas fait grand-chose, parce que je me suis vite mise à
mais profitez! travailler.
• Vous vous êtes adaptée très vite?
On était hébergés à l’hôtel de Tamaris, où ils ont fait les Impôts plus tard. Il y est toujours
d’ailleurs, le Grand Hôtel, avant on disait le Grand Hôtel. Vous devez le connaître. Et puis,
j’allais prendre le pain chez un boulanger. Il faisait du bon pain, ce boulanger. Je ne sais pas
si c’est toujours le même. Et un jour, quand j’étais allée prendre le pain, je lui ai demandé
s’il pouvait me trouver une place, pour travailler, n’importe quoi. Vous voyez? Ecoutez,
qu’est-ce qu’on a avec trente mille francs par trimestre? C’était tout.
• C’était la pension de votre mari, enfin la retraite.
Voilà. Et ce jour-là, il ne travaillait pas, alors il m’en a trouvé une et c’était chez Madame
Meunier. Je ne crois pas que vous la connaissez. Son mari était ingénieur avant, au chantier.
Alors, il me dit: «Je vous ai trouvé une place». Et chez nous à Stora, en Algérie, on ne prenait
pas les gens à l’essai comme ça.
• Il n‘y avait pas de période d’essai? C’était tout de suite d’accord?
Et bien oui, la femme, quand elle m’a prise, elle m’a dit «Voilà, vous êtes à l’essai». Après,
quand elle m’a vu travailler la deuxième fois, la troisième fois, elle m’a dit: «Madame Jean,
vous n’êtes plus à l’essai.»
• Elle a tout de suite vu que vous étiez une vraie travailleuse!
Et bien oui, j’aimais travailler.
• Oui, et finalement, ça vous a permis de vous intégrer tout de suite et de pas trop avoir
la nostalgie.
Ah! Non, non, non, moi ça va.
• Alors votre migration, elle a été vraiment réussie.
Vous savez, les gens où j’ai travaillé, ils étaient très gentils. Alors du lundi au samedi je
travaillais.
• Vous avez aidé dans toute la maison. Et vous avez travaillé jusqu’à quel âge, finalement?
„
DENIS DOMINIQUE POLI
• Né à Marseille le 19 octobre 1912, Denis Dominique Poli est issu d’une famille corse. Il
passe son enfance dans le quartier des Catalans à Marseille, où il réside seul avec sa
mère, le père ayant très tôt délaissé la petite famille. Après l’apprentissage du métier du
pâtissier, le jeune homme embarque en 1937 à bord d’un navire câblier où il travaillera
comme cuisinier pendant une trentaine d’années. C’est à La Seyne que Monsieur Poli va
faire la connaissance de son épouse. C’est là que nous avons eu le plaisir de le rencontrer
en 2005, à la Résidence St Honorat, toujours à proximité de la mer, fidèle compagne de
toute une vie.
60 • DENIS DOMINIQUE POLI
En pleine forme à • Bonjour, Monsieur Poli.
quatre-vingt-treize ans Bonjour Madame.
• J‘aimerais bien d‘abord que vous vous présentiez un petit peu, que vous me donniez
votre prénom.
Ah oui. Et bien, je m‘appelle Poli, mon prénom, c‘est Denis Dominique. Je suis né à Marseille,
le 19 octobre 1912.
• Donc, ça vous fait …
... ça fait quatre-vingt-treize.
• Déjà quatre-vingt-treize ans!
Quatre-vingt-treize.
• Oui, on a déjà dû vous dire que vous les portiez plutôt bien.
Oui, comme beaucoup de gens, oui. Mon docteur aussi, il m’a dit: «Vous êtes en pleine
forme».
• Alors, vous êtes marseillais?
Je suis marseillais, oui, d‘origine corse, mais je suis né à Marseille.
• Et vous êtes né où à Marseille, dans quel quartier?
Au Quartier des Catalans. C‘est le bord de mer, c‘est un beau quartier. C‘est à une des principales plages de la ville de Marseille : la Plage des Catalans; c‘est une plage très connue à
Marseille. Assez prisée des marseillais, hein. Oui – un beau quartier, quoi!
• D’accord. Et alors, elle s‘est passée comment, cette enfance dans ce si beau quartier
de Marseille?
Oui, j‘allais à l‘école jusqu‘à quatorze ans, quinze ans, et puis, j‘ai commencé à travailler.
J‘ai commencé à travailler comme pâtissier à Marseille. J‘habitais la rue du Chevalier-Roze,
à ce moment-là. C‘est un des quartiers populaires de Marseille. Et j‘ai été mis au chômage
par le patron où je travaillais, où j‘avais commencé à travailler. Ça, c‘était en 1937, au mois
de février. Le 13 février 37, je suis venu ici à La Seyne pour embarquer à bord du navire
câblier Ampère, qui appartient aux télécommunications, dont le siège est à Paris, au vingt
de la rue Ascade, dans le septième arrondissement.
• Oui, et donc là, ça a été le début d‘une autre vie pour vous, mais, si vous voulez bien,
avant qu‘on commence à aborder vraiment votre vie professionnelle, qui a été une
vie extrêmement riche, j‘aimerais bien qu‘on s‘attarde un petit peu sur votre enfance
à Marseille, sur les souvenirs que vous en avez.
Pas trop riche Je me souviens quand j‘allais à l‘école. J’étais pas trop riche en calcul.
en calcul • Pas trop riche en calcul.
¡ Écolier à Marseille
62 • DENIS DOMINIQUE POLI
J‘aimais surtout l‘histoire, l‘histoire de France, ça, ça m’intéressait.
• Et dites-moi, la géographie, ça vous plaisait?
• Ah oui.
Voilà. Qu’il m‘a embrassé, moi, j‘étais tellement abasourdi! Alors, il a demandé à madame
Les rédactions. Il fallait faire des rédactions. Je décrivais assez bien, quoi. Je situais bien
Rubaux, ma patronne, si je pouvais arrêter de travailler pour passer trois jours avec lui.
l’endroit. Et j‘avais d’assez bonnes notes à ce sujet-là pour mon instituteur, quoi.
C‘est ce que madame Rubaux lui a accordé. Voilà, j‘ai connu mon père trois jours, c‘est
• Vous vous rappelez de vos instituteurs, il y a une personne qui vous a particulièrement marqué dans votre parcours scolaire?
Oui, c‘était Monsieur Lamour.
• Ça, c‘est un nom dont on se souvient.
Oui. Monsieur Lamour, ses parents tenaient un commerce à Aubagne. Un commerce de
tout.
• Vous avez connu votre père trois jours. Donc, il vous avait quitté, quand vous étiez
tout petit.
Et oui, j‘avais trois ans.
• Ah oui, donc il a laissé votre mère seule avec vous. Et qu‘est-ce que vous saviez de ce
papeterie, de ficellerie. Enfin, ils tenaient un commerce à Aubagne, et c‘était monsieur
départ? Votre mère vous avait expliqué pourquoi il était parti?
Lamour. J‘ai gardé un très bon souvenir de lui.
Et bien, elle n’a jamais trop expliqué. C‘est après, après l‘entrevue avec mon père là, qu‘elle
• Vous aviez des camarades?
Non, je ne pouvais pas en avoir parce que j’allais à l‘école et puis après, quand je travaillais,
je n’avais pas de camarades. J‘allais à la maison.
• Ah oui. Vous étiez d‘une nature un peu solitaire, peut-être?
Avec ma mère, oui, voilà. Ma mère m‘a entouré de tous les soins qu‘elle pouvait.
• Oui, vous avez été élevé par votre mère.
Ah oui, c‘était elle qui m‘a élevé, et puis aussi un peu mes grands-parents.
«Je suis ton père» • D‘accord, et votre père, donc, n‘était pas là.
Ah oui. (Silence.)
• Vous n‘avez pas connu votre père?
Ah non, je ne l‘ai pas connu. Oh, je l’ai connu pendant trois jours, c‘est tout. Quand il est
venu voir si je voulais partir avec lui. Il avait un commerce, il faisait des bottes pour
m‘a un peu expliqué tout ce qui s‘était passé. Paraît qu’il avait fait enceinte une autre
femme.
• Ah oui, d‘accord, il avait connu une autre femme, et donc, il est parti.
Il a préféré partir avec l‘autre femme, et nous laisser.
• Et donc, vous avez dû avoir une relation très privilégiée avec votre maman.
Ah oui, oh lala, j‘étais toujours …
Elle m’entourait de tous les soins, malgré le travail qu‘elle faisait. Elle avait trouvé du
travail à la gare St Charles à Marseille. Elle entretenait les bureaux du directeur.
• Comment s‘appelait-elle, votre maman?
Laure. Laure Anne-Marie Françoise. (Silence.)
• Donc, en fait, vous étiez extrêmement proche d‘elle, et vous avez mené une enfance
assez solitaire, hein.
l‘héritier de …
Ah, oui.
Ah, oui.
• Et vous ne le connaissiez pas.
Comme ça, oui, un jour de semaine, j‘étais en train de faire la pâtisserie, je me rappelle, je
faisais toujours des millefeuilles à ce moment-là. La patronne, madame Rubaux vient, elle
me disait: «Denis, il y a un monsieur qui te demande.» Alors: «Qui est ce monsieur?» Elle me
la mère
• Vous étiez toujours avec elle.
l‘armée. Alors, il est venu me demander si je voulais aller avec lui, enfin, que je serais
• Donc, il a, un jour comme ça, il a fait éruption dans votre vie.
Les soins de
• Qu‘est-ce qui vous a amené alors à travailler dans la pâtisserie?
Ma foi, j‘avais choisi et j‘étais gourmand. Comme je suis encore maintenant. (Ils rient tous
les deux.)
• Vous êtes toujours gourmand?
Et voilà.
• Et donc, vous avez passé une formation particulière, où vous êtes rentré chez un
dit: «Oui, c‘est un monsieur qui veut te voir.» Et alors, quand je me suis arrêté, quand je suis
patron qui vous a pris en tant qu‘apprenti, alors.
arrivé, j‘ai vu un grand gaillard avec les cheveux très noirs, les yeux noirs aussi. Et il m‘a
Ah, chez mon patron, oui. Le premier c’était monsieur Tord. Qui habitait au boulevard
pris par les épaules, et il s‘est approché pour m‘embrasser. Il me dit: «Je suis ton père.»
Chave, près de la prison de Chave.
Pâtisserie et
gourmandise
64 • DENIS DOMINIQUE POLI
¡ Avec Mme. Poli
• La prison Chave, oui, bon, maintenant elle n’existe plus. Ah, mais bon.
Ah, elle n’est plus là?
• En tout cas, il y a peut-être encore les bâtiments, mais bon, elle n’existe plus en tant
que prison. Donc, c‘est là que vous avez démarré, en tant qu‘apprenti pâtissier.
Voilà.
• Il y a des gâteaux que vous aimiez, que vous préfériez faire, à part les millefeuilles?
Tout, tout! Oui. (Ils rient.) Les millefeuilles, les gâteaux au rhum, les choux à la crème, les
éclairs au chocolat, les éclairs au café, enfin, tout ce qui est pâtisserie, quoi.
• Et durant votre enfance, et même votre adolescence, quand vous avez commencé à
travailler, vous aviez l‘occasion… parce que vous me disiez tout à l‘heure, que vous
La Corse,
pays d’origine
aviez des origines corses.
Oui.
• Ils étaient d‘où alors, vos parents, en Corse?
Mon père était de Bastia ou plus exactement de Corte.
• Ah, de Corte, oui.
Et le nom du village, où il est né, je ne me rappelle pas, … c‘est dans le sud de la Corse. Et
ma mère, elle était d‘Ajaccio.
• Elle était d‘Ajaccio. Et donc, vous devez encore avoir de la famille là-bas.
En Corse. Ah et bien, oui … J‘ai ma cousine, Denise, la fille de mon oncle Pascal, qui est
mariée. Elle était mariée avec un pâtissier aussi, qui avait déjà un commerce. Elle s‘appelle,
enfin elle s‘appelait, avant le mariage, Denise de l’Estrade. Et le commerce qu‘elle avait,
c‘était dans la rue des Petites-Maries à Marseille. C‘est le quartier populaire.
• Oui, ça me dit quelque chose. Ah, et quand vous partiez en Corse, la maison familiale,
là, où vous alliez passer vos vacances, c‘était à quel endroit?
En Corse? Ah non, une fois qu’on a été à Marseille …
• Vous n’avez jamais pu retourner en Corse.
Ah, non.
• Et pourtant, vous me disiez que vous partagiez, ou vous séjourniez dans la maison
d‘un chanteur célèbre en Corse.
Trinquer avec
Tino Rossi
Ah, et bien oui, Tino.1 C‘était après, oui.
• Ah, c‘est plus tard donc. C‘est quand vous étiez un peu plus âgé.
Il avait abandonné la rue d’Cassis. Et il s’était retiré aux Sanguinaires, aux Iles Sanguinaires. Ah, oui. J‘ai trinqué avec lui, j‘ai bu du champagne avec lui.
À ce moment-là, c‘était à Cassis. Il y avait le maire de Cassis qui était invité.
1 Chanteur français (1907 – 83), enregistre plus de 1000 chansons et vend à travers le monde plus de
300 millions de disques.
Chanter à Cassis
66 • DENIS DOMINIQUE POLI
• Le maire de Cassis, oui, et bien, je sais bien, j‘ai entendu parler de l‘amitié du maire de
Cassis, qui s‘appelait monsieur Agostini.
Oui, Agostini, oui.
• Parce que moi, j‘habite Cassis, moi. (Rit.)
Ah bon. Vous habitez là maintenant, là?
• Oui, je suis cassidenne, moi.
Ah bon.
• Oui, vous savez, au musée de Cassis, il y a des photos de Tino Rossi accueilli par le
Et puis voilà …
• Alors, vous êtes chanteur et musicien?
Eh oui!
• Un musicien, mais bon, quand on est chanteur, on l‘est forcément. Mais donc, vous
jouez d‘un instrument?
Du violon!
• Qu‘est-ce que vous aimiez jouer au violon?
Ah, et bien, je ne jouais pas encore correctement. Je connaissais le solfège, mais le violon,
maire Agostini, parce qu‘il est venu chanter évidemment à Cassis.
c‘est un instrument difficile. Non, je n‘ai jamais joué quelque chose de vraiment complet.
Ah bon?
Au violon, je me trompais souvent, et la professeur de la musique, elle se mettait en colère,
• Donc le maire de Cassis, qui était un corse aussi, qui venait lui rendre visite là-bas,
aux Iles Sanguinaires. Et donc, vous avez eu l‘occasion de le rencontrer, vous l‘avez
entendu chanter?
quelquefois (En riant.). Parce que je faisais des fausses notes.
• Oui, mais ça, c‘est dans l‘ordre des choses de faire des fausses notes. Et puis, quand
vous avez commencé à jouer un petit peu, qu‘est-ce que vous interprétiez alors? Des
Oui, oui. Parce que quand il chantait au casino de, pas au casino, c’est à l’hôtel de ville
variétés, de la musique classique, un petit peu?
qu’il chantait, à Cassis.
Oui, les deux, les deux. Mais pas les morceaux, je ne pouvais pas les finir en morceaux.
• Et donc, vous veniez à Cassis l’écouter?
Oui, parce que j‘avais un oncle qui habitait Cassis. Mon oncle Raphaël, il était l‘aîné des
huit enfants de la famille. Et lui était dans l‘octroi. Il était employé d‘octroi. Et quand il a
été en retraite, il est allé à Cassis.
• Il a pris sa retraite à Cassis. Oui, il a chanté ensuite, il venait très souvent chanter au
casino de Cassis, quand le casino était construit. C‘était un peu une figure cassidenne, n’est-ce pas? Je sais qu‘il a dédicacé des tas de …
Vous connaissez le café Liautaud1alors.
• Ah, je connais bien le café du Liautaud. Il existe toujours.
Et le Bar de la Marine2 aussi.
• Ah, le Bar de la Marine, évidemment, avec son ancienne propriétaire, qui s‘appelait
Yette, que tout le monde connaissait à Cassis. Vous avez dû la connaître, c‘était une
Je connaissais le commencement, ou la fin, voilà. Mais j‘étais incapable à ce moment-là de
jouer correctement.
• Et après, vous avez progressé.
Et après, j‘ai tout abandonné. Mon violon, je ne sais pas ce qu‘il est devenu, j‘ai jamais su
ce qu‘il est devenu. (Silence. Mme Caban sourit.)
• Et ce goût de la chanson, de la variété, vous l‘avez eu depuis toujours?
Oh oui.
• Donc à Marseille, vous aviez l‘occasion sûrement de profiter de tous les tours de chant.
Oui.
• Parce qu‘il y a quand même eu des salles réputées à Marseille.
Oui, oui.
• Vous alliez où, alors?
figure, Yette. Elle recevait tous les chanteurs, tous les comédiens de passage.
C‘était un monsieur qui, lui, avait été invité à notre table. Il faisait partie du milieu artis-
Ah, oui.
tique. Et il m‘avait fait chanter, il avait voulu entendre une chanson que je connaissais.
Chanteur et musicien • Dans le Bar de la Marine, il y avait des photos. Il y avait aussi la photo de Tino Rossi,
d‘ailleurs. Est-ce que vous avez chanté avec Tino?
Avec Tino? Non.
• Non, mais il vous a entendu chanter parce que je crois que vous chantez bien.
Oui. Il m‘a dit que, si je voulais, il m‘aurait fait enregistrer un disque, mais j’ai pas voulu.
1 Place Clémenceau 13260 CASSIS (04.42.01.75.37) http://www.cassis.fr/commissions00010122.html
2 5 Quai Baux (04.42.01.76.09.) http://www.cassis.fr/commissions00010122.html
Moi, c’était la seule chanson que j‘avais apprise de Robert Burnier.1 C’était une chanson
qui parlait de la Violette.
• De Louis Mariano?
Non, non. Non.
• Non.
1 Chanteur français
68 • DENIS DOMINIQUE POLI
«Parfois les noms «Parfois les noms de femmes portent en eux des noms de fleurs …» Allez. (M. Poli recherche
de femmes … » les paroles de la chanson. Silence.) Et bien, j’ai oublié.
• Bon, mais vous savez, vous y avez pensé, ça va sûrement revenir. Vous la chanterez
peut-être, si elle vous revient à l‘esprit.
(en chantant): Parfois les noms de femmes, et les parfums de fleurs
• Donc, on va peut-être un peu expliquer ce que sont les navires câbliers. Vous voulez
bien expliquer ce que sont ces navires, quelles sont leurs missions, en fait.
Oui, et bien, leur mission, c‘est de faire la pose, et la réparation de tous les câbles sousmarins, de tous, de toutes les mers du globe.
• Tous les câbles sous-marins.
Vous dévoilez leurs âmes, le secret de leurs cœurs.
Oui. C‘est un côté secret, enfin, parce qu‘il y a que les deux hommes qui sont au bout du
Micheline, sous ce doux prénom l’on devine,
fil. Celui qui envoie, et celui qui reçoit.
Toute une grandeur enfantine, d‘un charme délicieux.
Micheline, c‘est comme une chanson câline, que le cœur cordonne en sourdine,
C’est miche simplement, parfois dans ma détresse,
Ce nom vient m’effleurer, et mieux qu‘une caresse,
Il sait me consoler, si j‘ai l‘âme morose
Et le cœur anxieux, il est métamorphose
Je redeviens joyeux, Micheline … (Tous deux rient.)
• Ah, et bien, il est revenu d‘un coup!
Eh oui. Oui, alors, ce monsieur m‘a dit: «Mais tu chantes bien.» Alors il m‘a laissé son
adresse, enfin.
• Et puis, vous n‘avez pas donné suite. Ce n‘était pas votre voie.
Non, ce n‘était pas. J‘aimais bien chanter.
• Mais pour en revenir à Tino Rossi, qu‘est-ce que vous lui aviez chanté, pour qu‘il vous
• Oui, c‘est l’émetteur et le récepteur.
Ça, c‘est pour mieux faire la guerre, ça, sans doute.
• Oui, d‘accord. C‘était directement relié au ministère de la guerre, hein.
Voilà, oui.
• C‘était quand même des missions secrètes, donc.
Ah et bien oui! J‘ai fait partie de cette mission-là.
• Vous étiez un peu agent secret finalement.
Et oui.
• Donc, vous avez pris la décision très vite, de venir embarquer à Toulon.
Ah oui. C‘était une occasion de quitter le chômage. Et voilà.
• Bien sûr. Et comment est-ce que votre maman a vécu ça?
Ah, maman au début, elle l’a vécu douloureusement. Et oui. Elle me voyait partir, et elle
se voyait toute seule, vous comprenez?
propose de faire un disque?
• Oui.
Et bien «Ô Corse Île d’amour».1
• Et votre première mission, elle a duré combien de temps alors?
• Ah «Ô Corse Île d’amour».
À bord d’un navire • Alors, donc un beau jour, au milieu de cette vie d‘adolescent et de votre pratique
d‘apprenti pâtissier, vous avez pris une décision qui a modifié complètement le cours
Au premier voyage? Oh, c‘était pour quinze jours, c‘est tout. Pour l’inauguration du câble
«Igalau Dubrovnik». C‘est dans l‘Adriatique, ça.
• C‘était la première fois que vous preniez la mer.
de votre vie.
Et oui, c’était la première fois. Le voyage a duré quinze jours, et ça s‘est bien passé, quoi.
Et bien oui, c‘est-à-dire qu’à ce moment-là, c‘était en 37.
Moi, j‘étais content, et puis ma mère, quand elle m‘a vu retourner, évidemment, elle était
• Et donc, qu‘est-ce qui s‘est passé, comment est-ce que vous avez pris la décision de
changer de vie, finalement?
encore plus contente.
• Puis elle a dû être fière quand même, elle a dû avoir un sentiment de fierté là, de vous
Et bien, c‘est la faute à mon patron qui m‘avait mis dehors, quoi. Il ne pouvait plus me garder.
voir embarquer comme ça, hein.
Et c‘est le bureau de l‘emploi des télécoms qui m‘a contacté pour faire l‘inauguration du voy-
Ah oui. Elle a compris que j’avais une situation.
age du ministre. Voilà, alors là, j‘ai embarqué à bord de l‘Ampère là pour la première fois.
• Donc l‘Ampère, c‘était un navire.
Un navire câblier, oui.
1 Chanson interprétée par Tino Rossi en 1934, écrite par Vincent Scotto (paroles) et Géo Koger (musique)
Agent secret
• Que vous aviez une situation, hein, et que vous aviez trouvé sûrement votre voie.
Oui, voilà. Et c‘est à la suite de cette campagne-là que j‘ai été nommé titulaire.
• Oui. D‘accord.
Prendre la mer
70 • DENIS DOMINIQUE POLI
¡ Une partie de pétanque
72 • DENIS DOMINIQUE POLI
On avait été content de moi et à ce moment-là, habituellement, il faut attendre trois, quatre
Et … beaucoup, oui. Alors voilà, je prends l’histoire dès que … en premier … parce que,
ans avant d’être titulaire. Et là, ils m‘ont bombardé tout de suite titulaire, alors.
alors, c’était cinq heures du matin et je me vois sur un escalier à la porte de cette boîte
• Tout de suite, donc vous avez fait vraiment bonne impression.
Voilà, oui. J‘avais remplacé le boulanger, qui était tombé malade. Puis après, j‘ai fait le
boulanger, je vous l’ai déjà dit. Et puis j‘ai appris la cuisine. Et voilà, et ainsi de suite. Et
alors, ça, c‘était 1937.
CD| Nº5
Oui, j’avais un copain de La Seyne dont je ne citerais pas le nom parce que peut-être…
Vive la nuit! alors, je cite pas le nom.
• Oui?
de nuit là.
• Oui oui.
Je regardais, c’était cinq heures, le jour commençait à pointer et comme il fallait que j’aille
travailler tout de suite, j’ai repris mes esprits.
• Oui oui.
Revenir «à flots».
• … à la réalité. Vous êtes revenu à flots, ça veut dire, là …
Et il me dit: «Denis, toi qui … » – lui, c’est un Toulonnais – il me dit: «Toi qui connais Mar-
… ah oui oui, attendez, oui. Alors, je prends … j’ai quitté la rue de la Tour et je prends le quai
seille, tu connais un peu les boîtes de nuit. Si tu veux, on va faire un tour.» J’ai dit: «Oui, si
de Rive-Neuve à Marseille. Vous connaissez le quai de la Rive?
tu veux.» Il me dit: «J’ai jamais vu les boîtes de nuit de Marseille.» «Ben» j’ai dit.
• Oui!
«On va les voir.»
• Oui.
Et dans la rue de la Tour, c’est aux environs de l’opéra ça …
• … oui ah …
… oui.
• C’est un quartier …
… oui, il y a beaucoup de filles de joie là.
• Oui.
Et alors je me rappelle plus la boîte que c’était, mais enfin, je … alors, il y avait une grande
salle là avec un grand canapé qui faisait tout le tour de la salle là … rouge.
• Oui?
Des cocktails roses Enfin, c’était luxueux, quoi, et alors nous nous commandons, je me rappelle, c’était des …
cocktails roses à ce moment-là.
• Ah oui.
Cocktail rose, oui, c’était ça.
• C’était la mode.
Alors, je commande, moi le premier, deux cocktails roses et puis lui, il a pas voulu payer
un deuxième et le patron, lui, a voulu nous offrir un troisième.
• Ah bon.
Ah, ça, c’était beaucoup.
• Ça faisait beaucoup, oui.
• Oui, je connais bien, oui.
Et c’était ... au bout du quai de Rive-Neuve où on a tourné les films de Pagnol … enfin …
• … oui!
Et au fur et à mesure que je m’avançais sur la place … comment elle s’appelle cette place-là
… enfin, presque au bout de quai de Rive Neuve …
• … oui …
… il y avait un refuge, un refuge pour piétons.
• Oui?
Et au milieu de ce refuge, il y avait un lampadaire et alors de loin, je voyais quelqu’un qui
Autour du
tournait. Alors, quand j’ai reconnu que c’était lui …
lampadaire
• … ah, c’était lui …
… oui... et j’arrive, je … : «Qu’est-ce que tu fais là?» et il me dit: «Ben, je te cherche.»
• Autour du lampadaire, ah, c’est excellent, ça.
Oui oui … voilà.
• Et vous avez pas gardé le souvenir de ce qui s’était passé entre le début de la soirée …
et cinq heures du matin?
Ah …
• … non …
… non … on était complètement ivre.
• Vous étiez complètement ivre.
Le deuxième … ça nous avait déjà un peu perturbé, mais le troisième que le patron a offert
là, ça m’a crevé. Et voilà, c’est pour ça que je connais l’histoire là que quand je me suis
reveillé à cinq heures du matin là …
74 • DENIS DOMINIQUE POLI
• … qu’il fallait aller travailler …
… et voilà … il fallait aller travailler.
• Dites-moi, heureusement vous l’avez vu parce qu’il aurait pu tourner longtemps votre
ami, hein.
Oui oui … voilà.
• Et alors, dans toutes ces missions, parce que, bon, vous avez fait des missions au
quatre coins du monde.
«On allait partout» Ah oui, on a … ah oui, on allait partout … On travaillait aussi pour les Américains …
• … oui …
• … c’était un bel échange, ça.
Oui!
• Oui oui.
Oui …
• Donc, dans tous les coins dans lesquels vous avez pu aller …
… ah oui … ah oui, je …
• … quels sont ceux qui sont restés vraiment gravés dans …
… j’ai …
• … votre mémoire … J’ai dit, parmi tous les coins dans lesquels vous êtes allé, il y a des
… parce que les Américains étaient partout! Des câbliers, donc, ils avaient autant que
endroits qui sont restés particulièrement dans votre mémoire?
nous, mais …
Oui parce que … oui, sûrement ça. Le paysage, le port quoi …
• … oui …
Les travaux, il faut dire que, à ce moment-là, ils avaient besoin de nous et les leurs étaient
déjà occupés. Alors, ils nous avaient demandé. Je suppose que c’est ça … de travailler pour
eux pendant une campagne là …
• … d’accord …
… et c’est qu’on a fait … et comme ça que j’ai connu l’Amérique enfin. J’ai pas connu
l’Amérique, mais enfin, j’ai connu les ports. Je connais Baltimore.
• Oui.
J’ai connu d’autres ports là d’Amérique.
• Oui.
A Baltimore, c’est le port là de l’Atlantique où ils pêchent beaucoup les coquilles SaintJacques.
• Ah oui, les coquilles Saint-Jacques.
Oui, elles y viennent presque toutes …
• … elles viennent presque toutes de là, oui.
Echanger Alors les pêcheurs de coquilles Saint-Jacques, ils étaient à court de vin ou de pain.
des coquilles • Oui.
• … oui … oui …
… parce que j’avais pas beaucoup de temps de sortir, moi.
• Oui, en fait, vous faisiez peu escale, hein?
Eh oui … C’est le métier de cuisinier, c’est un d’esclave.
• Oui … et oui.
Tous les métiers pour la mangeaille, comme on dit … c’est tous des métiers d’esclave.
• Oui, oui, oui. Oui, des horaires qui sont vraiment …
… oui …
• … contraignants, hein?
Oui.
• Quels sont les paysages que vous avez retenus?
Alors, je connais pas mal de ports …
• … oui …
… mais je vais dire comment …
• … et les …
… oui …
• … et les paysages qui vous ont marqué alors, les endroits qui vous ont marqué, les
Alors nous – comme nous en avions – on faisait un échange: eux, ils nous donnaient des
plus beaux endroits pour vous.
coquilles …
Ah ben, Saint-Pierre, Saint-Pierre-et-Miquelon.
• … vous faisiez des échanges …
… et nous, on leur donnait du pain.
• … ah oui, là c’était un bel …
… et du vin.
• Oui?
Oui.
• Pourquoi?
Parce que c’est là qu’ils font les … comment … les sardines, les sardines à l’huile.
Beauté et conserves
76 • DENIS DOMINIQUE POLI
• Oui?
Ils font beaucoup de conserves, voilà.
• Ah bon.
Font beaucoup de conserves à Saint-Pierre-et-Miquelon … et puis l’entrée du port est splendide à Saint-Pierre-et-Miquelon. C’est entre deux énormes rochers là.
• Oui …
… c’est beau.
• Oui. C’était un endroit que vous gardez?
Ah oui, oui, oui.
• Que vous gardez encore très …
… oui, oui …
• … présent, hein, à l’esprit?
Oui … quand … à bout de décrire la vie des gens qui … ça, ça, je peux pas …
• … ça vous … vous n’aviez pas eu l’occasion …
… eh oui …
• … de rencontrer les …
… voilà voilà …
• … les gens sur place. Et alors, la vie à bord, quand vous partiez pour de longues missions comme ça, ça se passait comment?
Manger et grossir Ben, pour les quinze premiers jours, ça se passait bien parce que … je dis pas qu’ils mourraient de faim, mais le plus souvent, ils mangeaient des pommes de terre ou des pâtes.
Alors, les quinze premiers jours, comme je leur ai fait les menus que je faisais, ça fait leur
… et ils prenaient tous du poids. Mais au retour du voyage quand … les matelots faisaient
des manœuvres d’arrivage et du navire … il y avait les épouses de tous les marins-là … ou:
«Mais tu as grossi!» … Ben oui.
• C’était de votre faute …
Et puis la nourriture … ou là là … voilà des …
• … il devait y avoir des spécialités, des choses que vous faisiez régulièrement?
Ah oui, oui, oui, sûrement.
• Alors, quelles étaient les choses qui revenaient le plus souvent, je pense qu’il y avait
les quinze premiers jours et qu’après il y avait …
… et ben, ça moi, je continue à faire de mon mieux, mais ils commençaient à être rassasiés.
• Oui.
Alors, ils retrouvaient que des bêtises, quelquefois qu’il manque un peu de sel.
Ça, c’est chose qui peut arriver, ça …
• … ça peut arriver.
Et puis ceux qui faisaient … qui me … ça mettait la pagaille … c’est que quand les voyages
qui étaient prévus au quinze jours étaient beaucoup plus longs, ça m’a obligé à taper dans
les conserves …
• … ah oui …
… et les conserves … ça va bien un moment, mais après … et pourtant on pouvait pas faire
autrement.
• Après, c’est moins agréable, hein?
Et chef de mission … un jour Monsieur Mangon était … parce qu’il y avait eu là … les syndicalistes à bord des bateaux. Il y avait des syndicats mais il y a des …
• … oui ... ah oui, y avaient des organisations syndicales à bord.
Ah oui, ah oui.
• A bord de la …
Alors il a remis «des pointures» … «Nous sommes ici pour réparer ce câble et nous n’en sortirons que quand on l’aura réparé … On mangera des conserves tant qu’il y a de la farine
et du vin à bord du bateau. Nous resterons là … pour réparer le câble!»
• Et oui!
Voilà.
• Oui.
Alors là, ça les avait un peu calmés.
• Vous avez quand même pas assisté à des mutineries, hein?
Ah non, non.
• Vous avez pas connu ça, non?
Non, pas jusque-là … non.
• Pas jusque-là.
Mais enfin, il fallait … le commandant aussi … il fallait qu’il soit sévère là … parce que le
commandant, lui, pour les travaux, il est sous l’ordre du représentant de la direction.
• Oui.
Ah oui. Mais le maître à bord, c’est quand même le commandant. Alors les …
• … bien sûr …
… oui …
• … et il y a …
… et puis une fois …
Farine et vin
78 • DENIS DOMINIQUE POLI
… même le commandant était obligé de dérouter le navire parce qu’il fallait finir quoi.
• Et vous aviez des menus spéciaux pour les gradés et puis pour les marins?
Un hors-d’oeuvre Ah ben non non. Il y avait aucune différence, ça, c’est que les officiers … les officiers … du
supplémentaire commandant jusqu’aux officiers, ils avaient droit à un hors d’œuvre supplémentaire.
• Ah bon.
Chose que l’équipage n’avait pas droit.
• D’accord …
Je trouvais ça … mais enfin, c’était comme ça, ma foi.
• Oui, c’est comme ça. Vous étiez pas d’accord, hein?
C’est pas moi qui ai pris la décision, c’était …
• … oui, on vous l’avait imposée.
Eh oui … alors, des fois ils venaient, ils voyaient que je servais. Quand ils voyaient … quand
• C’est dur, hein?
Et c’est la fois où j’ai … où j’ai été ébouillanté par la … d’huile bouillante.
• Ah bon.
J’ai la fesse là, j’ai la fesse droite qui porte encore les marques.
Oui.
• Oui oui.
Parce que sur les fourneaux d’un bateau … j’avais quatre foyers … et puis avec des … un …
roulis … parce que quand le bateau tangue …
• … oui … oui … oui …
… ou qu’il roule … voilà …
• … faut maintenir les … il faut maintenir les marmites.
Mais ce jour-là, c’était vraiment du … et ce qui a fait que … que j’ai eu cet accident. C’était
les officiers, ah, et il y a pour nous, il y a … ça … je dis: «Non … si tu veux … si tu veux en
la faute du timonier et le commandant: «Va dire, préviens de partout quand on va virer de
donner»
bord tant que le bateau est debout au vent.»
«Moi, je te donne»
• Oui.
Et …
• … il y avait une bonne ambiance de … de camaraderie, y avait une bonne ambiance?
Oui oui oui oui oui oui.
• … de groupe …
La vie à bord … oui, y avait une bonne ambiance, oui … Parfois les matelots organisaient un peu des fêtes,
était bonne quelquefois, quand ils avaient un peu de temps. Alors ils chantaient comme moi, comme
… alors on avait … ils avaient … une bouteille de vin supplémentaire … Alors ça, c’est ça,
les contenterait, ça les … non, la vie à bord était … était bonne, quoi. Comme partout il y
avait … mais …
• Et est-ce que vous avez … vous avez sûrement eu l’occasion d’essuyer de très grosses
tempêtes?
Ah oui.
• C’est vrai, oui!
Ou là là!
• Vous en gardez le souvenir?
Là, c’est dur là, oui.
sur les fesses
• C’est vrai, ah oui.
ils … mais c’était quand … c’était l’heure du service, ils voyaient ce que je donnais pour
• Oui.
De l’huile bouillante
• Oui
Et c’est le tangage, mais quand c’est … quand par côté c’est le roulis …
• … c’est le roulis …
… alors …
• … d’accord …
… et le timonier … pour me dire en virant de bord et ça, il ne l’a pas dit, alors la … leur
première vague … elle commençait déjà à me … et la deuxième: tout est parti!
• Elle a tout fait … elle a tout fait partir.
La friteuse a franchi les barres de fer … et moi, je suis tombé le premier et la friteuse …
l’huile bouillante m’est tombée sur le … sur une fesse.
• Ou là là.
J’ai encore une marque!
• Vous avez dû atrocement souffrir là, hein?
Oui!
• Oui.
Ah, j’ai très souffert.
• On vous … on a dû vous débarquer …
… et … ah non non.
• Non? Vous étiez en pleine mer là.
Les marques
qui restent
80 • DENIS DOMINIQUE POLI
Et le docteur m’avait dit: «Si tu veux, je te débarque.» … parce que j’ai dit ça: «C’est vous,
docteur, qui commandez. Moi, je … » Il me dit: «Attends encore quelques jours.» Voilà, et puis
ça … ça allait de mieux en mieux, quoi … Voilà, c’est la … c’est la seule fois où j’ai vraiment
eu … pas peur parce qu’on était habitué, mais enfin, ça … ça m’avait choqué.
• Oui oui.
Ça m’avait marqué.
• Vous, vous étiez … vous étiez sur quel … vous étiez sur l’océan pacifique là. Vous étiez où?
Là on était … des Açores.
• Au large des Açores, oui.
• Et donc, vous en gardez la trace.
Ah oui …
• … j’ai …
… l’infirmière là … quand, les premiers jours, elle me dit: «Qu’est-ce que vous avez eu là?»
J’ai dit: «Ça, c’est des brûlures.»
• ... et oui, ça surprend.
Eh oui.
• Mais j’avais entendu dire par un … par un récit d’un de vos voisins de table qu’un jour Nager jusqu’aux
vous aviez dû nager jusqu’à la côte. Je sais plus de laquelle il s’agissait. Il y avait un
Oui voilà … parce qu’on a été au … oui … Voilà, et puis d’autres jours de mauvais temps
récit …
aussi. On en avait souvent, du mauvais temps.
… ah oh … comment … à Gibraltar. Ah oui …
• Oui. Vous avez dû parfois quitter le navire?
Ah non non, ça non.
• Non, jamais?
Non, jamais … jamais. Non, j’ai jamais … j’ai jamais abandonné mon poste.
• Vous avez jamais abandonné votre poste?
Là, là on était obligé de …
• … provisoirement mais … vous êtes … vous avez pas été débarqué, hein?
Ah oui … ah oui. Le docteur venait tous les matins … pour voir les brûlures ou quoi. Je me
souviens quand il m’a enlevé le slip, j’avais … ma peau qui était resté collée au slip.
• Oh là là.
Oui, j’étais …
• … ah oui, non, ça, vous avez vraiment, effectivement souffert.
Souffrir de Mais le plus que j’ai souffert de ça … c’était la guérison.
la guérison • Oui.
La guérison, les démangeaisons …
• … quand la peau repousse …
… des … oui … des démangeaisons épouvantables.
• Ah oui.
Je … me souviens, j’ai même arraché quelquefois enfin …
• … oui …
… c’est … les brûlures, c’est dur.
• C’est dur, oui. C’est vraiment extrêmement douloureux, hein, oui.
Et oui.
• … peut-être … c’est peut-être à Gibraltar, hein.
Peut-être …
• Et la personne, elle était extrêmement impressionnée … par … par votre exploit.
Qu’est-ce qui s’était passé là?
Ben, c’était … un sous-marin allemand qui … nous avait … qui nous avait … bombardé
quoi.
• Ah oui d’accord … qui …
… oui … et moi, à ce moment-là, j’étais … j’étais sur le bananier, j’étais à la … j’étais pas au
câble sous-marin là. Là j’étais au … La compagnie …
• Oui … compagnie fruitière.
C’était tous les … c’est tous les bananiers … oui.
• Donc, vous avez été touché par … par un tir du sous-marin?
Ah oui oui, par un sous-marin allemand qui …
• Oui … et donc là, tout le monde est parti à l’eau. Qu’est-ce qui s’est passé? … Vous …
vous avez affrété les … canots de sauvetage?
Ah oui … eh oui eh oui, tout le monde de … On s’est sauvé comme ça. On n’était pas loin
de la côte.
• Donc vous avez nagé jusqu’à … jusqu’aux côtes de Gibraltar …
… ah oui oui oui oui oui … ah oui, on a … nous avons mis les canots à la mer. Alors on était …
• … oui …
… on a pu se sauver assez facilement quoi.
• Oui.
Oui.
côtes de Gibraltar
82 • DENIS DOMINIQUE POLI
• C’est vrai que vous avez été … sûrement au premier plan là pour vivre toute la période
de la guerre … Ça devait quand même être …
… ah ben oui oui …
• … assez assez assez angoissant pour …
… et oui …
• … les gens qui étaient en mer comme vous?
Elle ne doit plus Eh oui … eh oui … ah oui, les marins quand c’est la guerre, c’est … pas bon pour eux … pour
arriver, la guerre tout le monde … Même même les …
• … bien sûr, bien sûr. Quels sont ces … quelles émotions et quels souvenirs vous en
gardez de cette période de la guerre?
Que c’est une chose qui devrait plus arriver … ça doit plus arriver ça … au siècle où on vit …
problème de guerre … On a assez des mauvais temps quelquefois dans des régions qui …
• … oui oui … qui décime des populations, hein?
Eh oui … oui.
• Vous en avez souffert personnellement?
Oui … oh … comme tous … comme tous les autres marins, hein …
• … comme tous les autres marins, hein.
CD| Nº5 fin
Tout le monde a souffert de la guerre … Quand on était à terre, il fallait vendre des cartes
de pain … il fallait et encore le pain était pas du pain, c’était presque de la …
• … ah oui hein … hein ...
... oui, il fallait ... on se débrouillait avec les paysans, les agriculteurs, tout ça. On échangeait
des cigarettes … un paquet de cigarettes contre une baguette de pain ou ainsi de suite. On
se débrouillait comme on pouvait.
«Elle se faisait du • Bien sûr … Et pour votre mère, cette période, ça a pas été une période très difficile
mauvais sang» parce que vous étiez pas à ses côtés là, hein?
Ah ben oui … elle se faisait du mauvais sang …
• … elle se faisait toujours du mauvais sang pour vous.
Mais enfin, quand elle me savait … elle se fait du mauvais … du mauvais sang, c’est quand
elle savait que je partais en mer, voilà … et autrement quand à terre.
• Oui … oui.
Elle me voyait tous les soirs et voilà, là, c’était moins dur pour elle.
• Et pendant votre période de permission donc, vous, vous continuiez à fréquenter les
• Les jours, c’était …
… comme tous les hommes, hein …
• Oui, mais vous étiez particulièrement attiré par la chanson et par le musical.
Oui oui … oui oui. J’aimais bien.
• Donc, vous alliez où à Marseille, à ce moment-là, pour aller … écouter les chanteurs? Souvenirs de théatre
Oh oui …
• … les opérettes …
J’allais au Théâtre des Variétés, j’allais à … «Le Canard»
• Oui
J’allais au Théâtre du Gymnase.
• Au Gymnase, oui.
Ben oui, j’ai vu … beaucoup de pièces là.
• Oui, joli joli Théâtre du Gymnase, hein?
Oui. Et je sais pas si ça existe toujours …
• … le Théâtre du Gymnase …
… oui, c’est dans … c’est dans la rue Sénac.
• Alors oui, oui il a … il a été restauré. Il y a pas très longtemps, il y a une …
… ah oui …
• … une quinzaine d’années.
Ah bon.
• Et … mais il est restauré à l’identique, hein. On a …
… ah oui …
• …on a vraiment retrouvé le …
… oui …
• … c’est un joli petit théâtre, très très bien.
Ah ben, oui oui …
• … décoré avec les bannes …
… on jouait les Vignes du Seigneur.
• Les Vignes du Seigneur, oui.
Eh oui … et c’est très très connu. Je me rappelle plus … oui, j’ai … pas mal de … j’aimais
beaucoup le théâtre. J’aimais la musique … voilà.
• Vous aimiez beaucoup le théâtre, oui … Et est-ce que le … l’Odéon existait déjà rue
lieux de musique? C’était …
de la Canebière?
… ah oui oui, ah ben …
L’Odéon, oui oui oui oui.
Rue de la Canebière
84 • DENIS DOMINIQUE POLI
• L’Odéon, oui hein, parce que c’est … c’est un vieil établissement aussi, ça.
Et moi, je l’ai toujours vu là … ah oui.
• Vous l’avez toujours vu …
… à l’Odéon … un peu plus bas, il y a le Capitole.
• Ça, c’est un cinéma, non? Le Capitole, un grand cinéma.
Un cinéma, oui et l’Odéon, il était … l’Odéon, je sais plus … il était …
• … la Canebière … c’était un lieu très … très vivant … très dynamique, un lieu culturel
en fait à l’époque, hein.
Ah oui … oui.
• Plus que maintenant.
Oui … oui. Avant la Canebière, elle partait du port du quai des Belges …
• … oui …
… jusqu’au … vers le Théâtre du Gymnase là …
• … voilà hein …
… alors après, c’était plus la Canebière, c’était les Allées de Meillan.
• Les Allées de Meillan …
… oui
• Voilà, oui c’est … je … c’était un bel endroit.
Oui, et là, c’est …
• … les Allées de Meillan très vert, hein, paraît-il. Il y avait de très beaux arbres.
Oui oui, beaucoup de platanes.
• Beaucoup de platanes …
Santons et … et puis, c’est l’endroit où à Noël, c’était … ils fabriquaient les santons. C’était …
tresses d’ail • … ah oui …
… c’était le … les Allées de Meillan, c’était tout.
• La foire, la foire aux santons.
Oui oui oui.
• Vous savez … je … ça existe …
… ah oui …
• … ah oui … on vend de l’ail aussi là.
Oui, des chaînes … là …
• … ah oui … ah, les jolies tresses d’ail frais, hein, qu’on faisait …
… oui oui oui oui …
• … sécher dans les cuisines, hein?
Oui oui.
• C’est vrai que c’est un endroit qui a toujours été au cœur de Marseille, hein.
Ah oui … ah oui.
Canebière, les Allées de Meillan, c’était vraiment le cœur de …
• … oui oui … et puis le Vieux Port après, hein?
… oui … jusque …
• … tout en bas …
… le quai de Rive-Neuve.
• Oui.
Et …
• … alors le quai de Rive-Neuve, c’est là où a été tournée la trilogie.
Oui oui.
• C’est ça, hein?
Oui.
• C’est là qu’il y avait le Bar de la Marine.
Le Bar de
Voilà … il y est toujours, là enfin … enfin …
la Marine
• … il y est toujours, hein.
Il y était toujours, oui oui.
• … ça fait combien d’années que vous n’êtes pas retourné à Marseille finalement?
Ben, ça fait un moment maintenant, hein?
• Oui.
J’allais à la … à Marseille … j’allais quand j’avais ma mère à Marseille parce que … ma mère,
• … toujours, ça.
elle a … elle préférait rester à Marseille quoi, voilà et alors tous les lundis je partais avec
• Oui.
La foire pour … les chaînes d’ail …
• … des tresses de … ah oui …
de Marseille
• Ah, la Canebière, les Allées de Meillan.
… printemps …
Ah oui, oui, ça oui.
Au cœur
ma femme et on allait la voir … Et c’est là quoi enfin …
• … vous vous êtes donc marié, hein? Vous vous n’avez …
… ah oui …
• … vous en avez pas encore parlé, de votre épouse.
86 • DENIS DOMINIQUE POLI
Ah ben, ma femme était une femme … gentille … très douce … qui m’aimait beaucoup. Je
l’aimais aussi.
• Vous vous étiez rencontrés à Marseille?
Nous vivions l’un pour l’autre.
Mariage avec • Vous vous êtes connus où, avec votre femme?
une Seynoise Ici, à La Seyne. C’était une vieille famille seynoise, la famille de ma femme.
• Ah oui, et quel était son nom de jeune fille?
Oui, ce n’est pas tellement ça. Ce sont les chalutiers qui draguaient pour leurs poissons. Et
en draguant ils touchaient le câble. Et ils cassaient le câble.
• D’accord. Ils cassaient le câble très régulièrement. Donc, vous alliez souvent dans ce
port.
Alors, on allait souvent le réparer.
• Vous aimiez le port d‘Alger?
Oui, c‘est une belle ville, Alger. Alger la blanche, on dit.
La famille Zonini, elle s‘appelait. Son père était entrepreneur de maçonnerie. Et la maison
• Alger la blanche. Quelles émotions, quels souvenirs reviennent quand vous y pensez?
qui me reste, c‘est son père qui l‘a construite. Il a construit celle-là et puis, la fabrique de
Oui, le quartier populaire, la rue Bavasoume, tout ça. C‘est la rue principale d‘Alger, de la
pâtes, à La Seyne sur le cours. Je ne sais pas si vous la connaissez.
• Oui.
C‘est mon beau-père qui l‘a reconstruite aussi.
• Ah oui, d‘accord, c‘est une famille …
À ce moment-là, il avait eu la chance d‘avoir une adjudication du chantier, pour faire
beaucoup d‘autres travaux. Mais la maladie l‘a emporté. Une bêtise, parait-il qu‘il avait un
furoncle qui l’a emporté. Et il en est mort. C‘est une grande famille seynoise, les Zonini.
• Vous n‘avez pas pu avoir d‘enfants.
Et non, on ne pouvait pas. Ça nous a manqué. Surtout a elle.
• Et oui.
Casbah, voilà.
• De la Casbah, voilà, d‘accord. Vous aviez l‘occasion d‘y aller alors, de temps en temps,
vous pouviez descendre un peu?
Ah oui. Et puis, à part la rue Bavasoume, il y a le boulevard Michelet, c‘est le boulevard
principal d‘Alger, la place du gouvernement sur le port là. Ah! C‘est une belle ville, Alger.
• Il vous était pas arrivé une aventure un peu particulière dans le port d‘Alger?
Il y avait une mésaventure, vous aviez rencontré … dans le port … une jeune femme
sur le pont qui se reposait …
Ah, et bien, elle se reposait et moi, je l‘ai dérangée, et voilà. C‘était dans la rue Bavasoume.
• Mais qu‘est-ce qui s‘était passé?
Quand elle voyait un petit garçon, ou une petite fille, là, elle se mettait à pleurer. Elle disait
Et bien, il s‘était passé que moi sur la place arrière, j‘ai mes casiers à légumes et fruits.
«Pourquoi eux et pas moi?» (Silence.)
Voilà, alors tous les matins, je fais mes provisions pour la journée, de légumes et de fruits
Il y a pas mal de femmes qui ne peuvent pas avoir d‘enfant, je crois.
avec mes trois garçons de cuisine. Mais ce jour-là, les matelots lavaient le pont où je
• C‘est vrai. Bon, maintenant il y a des traitements qui existent, qui à l‘époque n‘étaient
m‘approvisionnais, à la compagnie d‘un novice, dont je ne me rappelle pas le nom, je le
pas aussi au point que maintenant, malheureusement, hein.
cherche toujours. Et sous la pression d‘un matelot dont on n‘a jamais su qui c‘était, qui
Et voilà, oui.
aurait dû être puni, le jeune novice à pris une tomate, et l‘a envoyée sur la jeune femme, sur
• Vous, ça vous a manqué aussi.
Oui, ah oui. (Silence.)
Alger la blanche • Pour revenir un petit peu à vos expériences et aux émotions que vous avez pu avoir,
son maillot de bain tout noir, là. Un seule-pièce, en plein sur la poitrine. Et voilà, alors à ce
moment-là, moi, quand j‘allais passer à côté d‘elle, quoi, elle me traitait de tous les noms.
• D‘accord. (Rit.)
durant toutes vos missions. Est-ce qu il y a un endroit, où vous êtes allé, même plu-
Et oui, en croyant que c‘était moi, vous comprenez. Alors moi, je comprenais pas pourquoi.
sieurs fois, qui vous a particulièrement marqué?
Et puis, c‘est après quand le commandant m‘a appelé à la passerelle, il m‘a dit: «Poli, monte
Et bien oui, c‘est surtout Alger. On y allait très souvent, à Alger.
immédiatement à la passerelle.» Et voilà, alors là, quand il m‘a dit ça, le coup de me dire
• Pourquoi est-ce que vous alliez souvent particulièrement à Alger, alors?
Et bien, parce que le câble était souvent en panne, voilà.
• Ah bon, le câble était souvent en panne parce qu‘il y avait beaucoup de trafic?
«monte immédiatement à la passerelle» j‘ai compris qu‘il y avait une relation avec la …
• Voilà, c‘est à ce moment-là que vous avez fait la relation. Et ça a pris des proportions
importantes, cette affaire là, hein.
Une tomate
mal placée
88 • DENIS DOMINIQUE POLI
¡ Entre amis à Cassis
90 • DENIS DOMINIQUE POLI
Ah oui, ça menaçait de prendre des proportions vraiment … Il n’avait pas l‘air content,
• Parce que parfois il arrivait que les réparations soient très longues? Donc, c‘était
le papa de la jeune femme. Mais enfin, il est venu s‘excuser quand il a, quand on a su
plusieurs jours.
vraiment la vérité. Il est venu s‘excuser, il m‘a serré la main, et j‘ai dit: «Ça me fait plaisir,
Ah oui! Et oui, ça dépend du temps, ça dépend de la mer.
Monsieur.»
• Bien sûr et oui, ça aurait pu vous suivre cette affaire-là.
Et oui, s‘il avait été prouvé que c‘était moi, automatiquement en arrivant à Toulon, on me
débarquait, on m‘envoyait au chômage, ah oui.
• On vous débarquait. Ah oui, c‘était aussi expéditif que ça. C‘est une faute profession-
• Oui, voilà, ça dépendait de la mer.
Le mauvais temps ou le beau temps, ça dépend. Nous sommes tributaires de la mer.
• Et donc, cette vie quand même très prenante, cette vie de marin, avec ces absences
régulières et l’éloignement effectif de vos proches, d‘un jour à l‘autre, ça a été une
vie totalement nouvelle qui a redémarré pour vous quand vous avez pris votre retrai-
nelle, hein.
te. Je sais que votre épouse et vous, vous avez été très heureux de vous retrouver.
Ah, oui!
Mais comme vous avez passé toute votre enfance face à la mer et une bonne partie
• Alors que vous avez sûrement eu des états de service qui auraient été parfaits, n’estce pas?
Des tabliers bleus Et oui. Jamais personne n’a … D‘abord, le commandant, il a été le premier à dire: «Non Poli,
de votre vie professionnelle à bord d’un bateau, je suis sûre que la mer vous a manqué aussi et qu’elle vous manque peut-être toujours … Enfin là, vous avez pris votre
retraite dans un grand port, le port de Toulon. Donc, la mer vous a accompagné toute
il y a rien pour toi.» Quand j‘avais dit à la demoiselle ... Elle avait dit oui, vous aviez un
votre vie!
tablier bleu. Et j‘ai dit: «Mademoiselle, nous sommes douze à avoir le tablier bleu à bord. Il
Et bien oui, c’est exactement ça.
y a le personnel restaurant, et le personnel maître d’hôtel, alors, nous sommes douze qui
• Lorsque vous avez pris votre retraite, alors, j‘imagine que vous avez pas tellement
avons un tablier bleu. Vous faites une erreur.» Mais il n‘y avait rien à faire. Elle ne voulait
voyagé? Vous en aviez fait beaucoup de voyages? Comment est-ce que vous avez
pas démontrer. Et voilà alors, finalement le commandant qui me connaissait depuis très
organisé votre retraite alors avec votre épouse?
longtemps, il me dit: «Va faire ta cuisine, Poli, tu ne risques rien.» Il a pris ma défense.
Oh et bien, c‘est pas difficile à cinquante cinq ans …
• La vie à bord, avec le reste de l‘équipage, c‘était agréable? Il y avait une bonne
• Ah oui, la retraite des marins c‘est cinquante cinq ans.
entente entre vous?
À cinquante cinq ans, la direction m’a prévenu que je devais partir en retraite. Mais ils ont
Ah et bien! J‘avais des prises de bec avec certains membres d‘équipage.
ajouté: «On aura peut-être encore besoin de vous pour quelques campagnes. Mais enfin,
• Oui, ah bon?
Ah oui. Des jeunes là, qui n’étaient pas contents, soit disant que c‘était trop salé, ou enfin,
c‘était toujours pareil. Je faisais la cuisine en fonction des provisions que j‘avais à bord,
moi.
• Bien sûr.
Voilà, mais enfin, ça n’allait pas plus loin, quoi. À part deux ou trois qui étaient vraiment
des abrutis …
• Oui, il y en a partout, hein. Et donc cette mission à Alger, ça a été votre dernière mission avant la retraite?
Avant la retraite, non. Il y en a eu d‘autres. Par exemple, on allait aux Baléares. Aux Baléa-
La mer, la vie
pour l‘instant vous êtes en retraite.» (Rit.)
• D‘accord, et ça a été le cas? Vous avez fait des campagnes?
Oui, oui.
• Ah oui, d‘accord. Et comment vous l‘avez occupée, cette retraite alors, qu‘est-ce que Et encore
vous avez fait de tout ce temps avec votre épouse?
Ben, je travaillais à la mairie.
• D‘accord, je savais pas, ça …
Tous les foyers de la mairie qui ont été créés par le maire, par Philippe Giovannini, et un
autre encore. C‘est moi qui les ai ouverts comme cuisinier.
• D‘accord.
res aussi, il y avait souvent des pannes de câble, mais enfin là, ça allait assez vite, on ne
Oui, parce que depuis longtemps déjà, la secrétaire du maire, qui était une amie de ma
faisait même pas escale.
femme, le lui disait depuis longtemps: «Quand ton mari sera à la retraite, on va ouvrir des
la cuisine
92 • DENIS DOMINIQUE POLI
foyers pour des vieux. Alors, demandez-lui s‘il veut venir faire le cuisinier, quoi.» Alors
elle, ma femme, n‘était pas trop chaude. Elle a dit: «Il y a trente ans que tu navigues.» Je lui
dis: «C‘est pas pareil là, d’être tous les soirs à la maison.»
• Bien sûr. Et vous avez commencé une nouvelle vie professionnelle, alors.
Oui.
• Et lorsque vous alliez à Cassis, vous me disiez que vous aviez un parent à vous, c‘était
un oncle qui était à Cassis? Vous aviez de la famille à Cassis? Vous me disiez que vous
alliez souvent à Cassis.
À Cassis, oui, c‘est mon oncle Raphaël.
le jus de ces petits poissons-là. Ça bonifie la bouillabaisse, en plus. Donc, c‘est une recette
de tous les cuisiniers, quoi, qui veulent bonifier.
• Oui. Et dites-moi, la rouille de la bouillabaisse, comment est-ce que vous la faites?
La rouille de la bouillabaisse? C‘est l‘aïoli. Vous mettez, il faut la relever, et là, vous mettez
du …
• Il y a un peu de piment?
Voilà.
• Du safran?
Ah, du safran obligatoirement, oui.
• Votre oncle Raphaël, oui, on avait parlé de lui.
L’octroi Et lui était retraité. Il était employé d‘octroi, à ce moment-là.
• Expliquez-moi ce que c‘est, je ne sais pas ce que c‘est.
Et bien oui, l‘octroi, c‘était un service, c‘est le gouvernement qui faisait payer à tout un
quelqu’un. Et, par exemple, si vous aviez des escargots, que vous veniez de la campagne, il
fallait payer. Voilà, et c‘est beaucoup d‘autres choses aussi, ça, c‘est l‘octroi.
• Oui, c‘est l‘octroi.
Ça, c‘était mon oncle Raphaël, qui était retraité de ça, quoi.
• Alors, on a beaucoup parlé de cuisine, vous m‘avez un petit peu dit ce que vous faisiez, quels étaient les plats les plus fréquents que vous faisiez quand vous étiez à
bord, mais vous m‘avez pas dit quelles sont vos recettes préférées, qu‘est-ce que
vous préfériez cuisiner.
Bouillabaisse Ma recette préférée, c‘est la bouillabaisse. Quand je fais la bouillabaisse, ou la … bourride,
et bourride voilà. La bouillabaisse, la bourride et puis d‘autres plats aussi.
• Alors, qu‘est-ce que c‘est, la recette de votre bouillabaisse, vous voulez bien me la
donner, la recette? Ou est-ce secret?
Ah et bien oui, c‘est un peu long. Ce qui fait la saveur de la bouillabaisse et ce qui fait
qu‘elle soit bonne, c‘est surtout la variété du poisson.
• Oui, c‘est du beau poisson en général qu‘on met dans la bouillabaisse.
Et voilà, oui on met du poisson de roche. Là, si vous mettez du poisson de roche, vous ne
pouvez pas louper la bouillabaisse.
• Voilà, et le petit poisson de roche, les tout petits poissons, pour faire le fond de …
Ah, mais ça, c‘est pour faire le fond.
• Le fond avec les petites girelles, les petits poissons comme ça, c’est ça?
Oui, voilà. On fait bouillir des petits poissons, et au lieu de mettre de l‘eau naturelle, on met
„
JEAN DALOUX
• Issu d’une vieille famille aveyronnaise, Jean Daloux, né en 1919 à Méjanel, est le cinquième
et dernier des enfants. Après une enfance heureuse, passée dans le beau pays de Roquefort,
cet homme d’un caractère gai et spontané exerce les métiers les plus divers pour nourrir
sa famille pendant la guerre et l’après-guerre. À cette époque, il héberge un prisonnier de
guerre allemand, Willi, qui, bientôt, sera considéré comme un membre à part entière de la
famille. L’amitié entre «Jan», le Français du Midi, et Willi, le Bavarois, va durer toute une
vie; même si ce n’est que bien des années après, en la considérant avec la distance de l’âge,
que Jean Daloux découvre sa pleine valeur. Nous avons rencontré Monsieur Daloux à la
Résidence St-Honorat, où il nous a raconté sa vie si riche en rencontres et aventures.
96 • JEAN DALOUX
• Et voilà Monsieur Daloux, alors on va commencer du début?
Oui, d’accord
Une vieille famille • C’est-à-dire, par votre arrivée au monde, dans votre terre natale? Vous voulez bien
aveyronnaise nous le raconter?
suis né en 1919. Alors que la guerre n’était pas finie. Et c’est pour … (M. Daloux a du mal à
continuer, tellement il rit. Il continue avec une voix tremblante.) Et mon père a été démobilisé, sitôt que je suis né, avant le 11 novembre 1919. Maintenant je dois préciser une
chose quand même : ma mère ayant épousé le fils du fermier, ça a été une mésalliance.
Oui. Je suis natif de l’Aveyron. Du canton de Sévérac-le-Château, dans un pays où depuis
Les parents se sont mariés seuls, à la marie de Recoules et à l’église de Recoules et sont
1619, on a des origines de mon père. On a treize générations depuis 1619, du côté paternel.
partis après. On les a rejetés complètement. Et c’est seulement la guerre qui a fait que ma
Ce n’étaient que des manœuvres, des gens qui vivaient de leurs mains.
mère se trouvant à Martigues, avec quatre enfants, seule, sans un sou, sans rien. Elle est
• Des ouvriers.
Il y avait des tisserands, des cardeurs … des maçons, des cultivateurs, des journaliers. Et
de l’autre côté, ma maman était issue aussi de la même région. Mais sur l’état civil, on a
que de sa famille depuis 1774. Où l’on dit que c’était une famille riche bourgeoise. Morel,
revenue. Je ne sais pas qui a financé le voyage, notre ticket est arrivé au Méjanel. Et puis,
on l’a logée dans le château, qui n’était pas tellement confortable. Et puis, en principe,
j’aurais dû naître au château.
• Ah!
c’était le nom de famille de ma mère. Jean-Pierre Morel, je crois, avait acheté le château du
En principe, seulement en 1918 les prisonniers allemands étant nombreux, on avait fait le
Les hasards de
Méjanel, qui est resté dans ma famille depuis.
minimum pour Méjanel. Et ces prisonniers allemands travaillaient à la mine. Et qu’avait
la petite histoire
• Voilà, et qui existe toujours.
Et qui existe toujours et qui est même amélioré, parce que comme le partage a été fait
quand mes grands-parents sont morts, personne ne le voulait, ce château. Parce que le
toit a commencé à s’écrouler. Et on l’a donné à celui qui était le plus à même de le réparer,
et ce monsieur a fait refaire la toiture du château, il l’a fait entretenir. Et ce château est
toujours en état. Mais enfin, avec le château, il y avait la moitié du village qui appartenait
aux Morel.
• Il y avait des terres attenantes au château?
Oui, des terres, il y en avait en propriété entière. La propriété entière, qu’on appelait le
domaine du Vieilarite, on en avait des traces, ils étaient dans la même famille, depuis 1515.
fait le maire? Le maire avait réquisitionné le château pour les loger. Et il avait donné pour
ma mère et mes frères une petite maison qui était l’ancienne école, je précise, l’ancienne
école dans le village. Et voilà où je suis né par les hasards de …
• … de la petite histoire.
De la petite histoire, oui.
• Et donc, vous êtes arrivé à point nommé dans cette famille. Vous avez permis à
votre père d’être démobilisé.
Sitôt arrivé, il a été travailler à la mine avec des Allemands. Et en 1922 nous sommes partis
travailler à Roquefort.1
• Donc vous, vous aviez quel âge à cette époque-là?
On le savait par actes notariés. Après, il y a eu l’état civil.
J’étais né en dix-neuf, au mois de juin, quand on est parti, j’avais deux ans et quelques
• D’accord. Et vous-même, vous avez fait des recherches?
mois. Deux ans et huit mois ou neuf mois. Pourtant j’ai encore de très bons souvenirs de
Ce n’était pas moi-même, c’est un neveu, qui est bien placé, qui a fait l’arbre généalogique
des deux familles Morel et Daloux.
• Et est-ce que vous pouvez nous préciser, dans quel contexte vous êtes arrivé au monde?
Enfant de la guerre, Je suis arrivé au monde, peut-être je peux le dire? Et bien je me suis posé la question, parce
cette époque-là, des images qui me reviennent …
• C’est beau de pouvoir se relier comme ça de façon très concrète et visuelle au
début de sa vie, n’est-ce pas?
Bébé, j’ai le souvenir d’une eau rougeâtre qui nous envahissait. Et je vois ça tout rouge,
enfant pour la paix que j’étais le cinquième, ma maman avait déjà quatre enfants. Maman avait quarante-qua-
d’une eau rougeâtre, qui nous envahissait.
tre ans, et c’était l’extrême, pour avoir un autre enfant. Seulement la guerre ayant éclaté,
• Autour de la maison, dans les chemins?
mon père a été mobilisé, parce qu’il avait quatre enfants. S’il en avait eu cinq, il était
démobilisé immédiatement. (Tous deux rient.)
Et je pense, qu’ils ont saisi cette occasion pour le faire. J’ai dû être conçu en 1918, et je
Autour de la maison, oui. On appelait ça – si je peux le dire en patois?
• Ah oui!
Le rioulet. Ça voulait dire le petit ruisseau. Et il n’y a pas longtemps, il y a quatre ou cinq
1 Roquefort sur Soulzon dans le département de l’Aveyron.
Eau rougeâtre
et trou noir
98 • JEAN DALOUX
¡ Le château du Méjanel
100 • JEAN DALOUX
ans, je suis revenu dans le village pour voir. Je suis allé à cette maison, et la dame qui
l’habitait m’a dit: «Mais oui, Monsieur, chaque fois qu’il y a un orage dans le village un peu
grand, les eaux montent jusqu’à la deuxième marche de l’escalier.»
• Ah! Et pourquoi rougeâtre? En raison de la présence du fer?
Les grosses pluies amenaient de la terre rougeâtre. Toujours colorée, quoi. Très jaune, de
la boue.
• Donc ça, c’est un vrai souvenir de petite enfance?
Oui, et un autre souvenir, qu’on m’a expliqué après. J’avais le souvenir d’avoir vu un grand
trou noir, béant. Et on m’a expliqué comment c’était: la mine n’était pas loin, peut-être à
deux cents mètres de la maison. Et alors, ma sœur Marcelle, qui avait treize ans de plus que
moi, elle allait apporter le dîner à mon père à midi, et puis elle me prenait sur ses épaules,
elle me raconte. Et il y avait ce grand trou béant, c’était noir.
• Ça devait être impressionnant pour un petit garçon.
Pour un bébé!
• Oui, donc c’était le trou de la mine. C’est une image qui est restée gravée en vous,
c’est ça?
Oui, qui m’est restée gravée pour la vie. C’était effrayant pour moi. Effrayant! Alors que
l’eau, j’étais intrigué, mais … Et je me rappelle bien avoir vu l’eau monter et arriver à la deuxième ou troisième marche. En tout cas, il me semble. Maintenant bon, il y a les escaliers,
c’est surtout la dame qui me l’a dit quand je suis retourné au village récemment. La vie, ça
continue, mais dans un petit village comme ça, on n’a rien fait du tout.
• Bien sûr, donc cette maison est restée intacte, après autant d’années?
Oui. Même, eh bien, quand j’y ai été avec cette vieille amie-là, j’ai dit: «Et bien, tu vois,
Rosette, c’est par là que maman m’a fait». C’est dans une de ces pièces par là.
Une mère très douce • Est-ce que vous pourriez nous parler un peu plus avant de votre mère, nous faire
son portrait en quelque sorte?
C’était quelqu’un de très doux, mais c’est avec le recul, l’âge. Quand ma mère nous a
quittés, j’avais dix-huit ans. Je ne manquais de rien. J’avais mon père, j’avais ma sœur, qui
avait treize ans de plus que moi, et qui bien ou mal, remplaçait ma mère. Et moi, j’étais
tout fou. J’avais dix-huit ans, on m’a reproché que quinze jours après, en travaillant, je
chantais comme un fou.
• On vous a reproché cela.
Ça, oui, on me l’a dit, les camarades de travail.
• Ça vous a blessé.
¡ Willi
102 • JEAN DALOUX
Et bien, je n’en sais rien, j’étais, et peut-être que je le suis encore «je m’en foutiste», tout
Vous pouvez me montrer tout ce qu’il vous plaira,
glisse.
Vous moulez vos genoux, vos épaules et vos bras.
• Tout glisse.
Tout glisse, oui. Je ne fais de mal à personne, je suis comme je suis.
«Jeannot, tu nous J’ai toujours aimé de chanter, et j’avais dix-huit ans. Et je chantais toutes les chansons de
chantes ça … » Tino Rossi. Et les camarades de travail où je travaillais, me disaient: «Jeannot, Jeannot, tu
nous chantes ça, tu nous chantes ça. Hé allez, hé allez. Et je vous le dis : même une parodie
de la Marseillaise.
• Celle-là, vous nous la chanterez peut-être. Et pour en revenir, si vous êtes d’accord,
à votre mère et à son portrait: vous la dépeignez comme quelqu’un de très doux.
Les arts, Très doux, elle était infirme.
la littérature … • Cultivée?
Ah oui! Elle était cultivée.
• Éduquée?
Et elle aimait la grande musique.
• Elle avait d’abord fait un parcours scolaire qui était vraiment intéressant.
Naturellement, elle avait les moyens aussi.
• Elle avait les moyens intellectuels de le faire.
Vous montrez nue du haut en bas, je ne regarde pas,
Car je vous en informe, votre corps est bien fait …
… enfin et cetera et cetera, et ça, je l’avais appris quand maman n’était pas là, parce qu’à
l’époque, il m’était interdit de chanter des choses comme ça.
• Et bien, c’étaient des chansons friponnes.
Et oui. Et cette chanson-là, je l’ai apprise en entier. Je m’en rappellerai toujours. Je ne l’ai
• Oui, c’était donc vraiment quelque chose de marquant que vous faisiez en l’absence
de votre mère.
Oui, et puis il y avait sur l’autre face une autre opérette, qu’on appelait Maurin des Maures.
Vous en avez entendu parler ?
• Oui, je la connais très bien, bien sûr.
Maurin des Maures, je peux vous le chanter encore.
• Maurin des Maures ah oui, allez-y avec plaisir!
Allez. (En chantant.)
Dès que parut l’aurore
Et elle avait pris le, je ne sais ce que c’était, c’était le brevet supérieur à l’époque peut-être.
À l’horizon vermeil
Elle était née en 1876, donc elle était à l’école en 1880. Et encore à ce moment-là, c’étaient
Sur les sommets des Maures
des filles de la haute pour les sœurs.
Je chante mon soleil.
• Oui, de la bourgeoisie, n’est-ce pas?
Surtout que les sœurs ont tendance …
• Oui.
On leur enseignait à danser, on leur enseignait la musique, on leur enseignait à peindre.
• Les arts, c’est ça? Les arts, la littérature.
Les arts, oui. Et puis la culture.
Un air d’opéra Mais j’ai des chansons que j’ai enregistrées, que je peux vous chanter encore, parce que
nous avions une représentante de magasin qui était voisine et qui était bien, qui estimait
Salut, ma belle Provence
Et mon Estérel.
Salut à la mer immense
Qui reflète mon ciel.
Il y a un morceau qui dit : (En chantant.)
J’aime les fleurs, aime les femmes
un vrai roi n’a pas mon bonheur.
• C’est joli, ça!
beaucoup ma mère. Et nous n’avions pas de tourne-disque. Et elle avait prêté un tourne-
Oui, mais je me suis rappelé, je ne l’ai pas chantée du moment où je suis parti au boulot, où
disque: «La Voix de son Maître.» Je m’en rappelle toujours.
j’ai fait des enfants. Je n’avais plus le temps de chanter, et puis je me suis remis à chanter,
• Oui, la Voix de son Maître.
Qui chantait, je le chante encore. Un air d’opéra, d’opérette, un soir de réveillon, avec Henri
Gara qui le chantait. Et c’était: (M. Daloux se met à chanter.)
L’opérette Maurin
pas écrite.
quand j’ai eu la retraite, à soixante-cinq ans.
• Donc, c’était un talent que vous avez hérité de votre mère? Elle chantait, votre mère,
n’est-ce pas?
La belle voix
104 • JEAN DALOUX
Ah! Ma mère avait fait une voix aussi.
• Elle avait une belle voix?
Et j’ai une sœur. À quatre-vingt-cinq ans, elle chantait encore. Elle était petite, et elle avait
que j’avais des honneurs. Dans tout Roquefort, j’étais Jeannot. À l’époque, je chantais toutes
les messes des morts.
• Parce que vous étiez présent à toutes les messes et que vous aviez un rôle important.
une voix ! Elle aurait pu chanter de l’opéra. Ma mère aussi. Il y en a qu’un de nous cinq,
À toutes les messes des morts. Un rôle important, oui. Et je serais parti au couvent.
mon frère Francis, qui avait la voix juste, mais qui chantonnait, quoi. Par contre, j’avais
• Vous seriez parti au couvent. Et votre mère l’aurait souhaité qu’il y ait quelqu’un
mon frère Claude, lui, alors à la Libération, il a amusé la galerie pendant trois jours.
• Il n’a pas arrêté de chanter.
dans la famille.
Non. Non. Pas du tout. Et je le dis: heureusement que ma mère était intelligente et que je
«Je n’ai subi aucune
Oui, et il mettait des paroles un peu … Et moi, je n’ai pas eu cette chance de … à la Libération,
n’ai subi aucune pression familiale. Si j’avais eu un tant soit peu de pression familiale, je
pression familiale»
où j’étais, j’étais là-haut dans le Tarn avec mes vaches.
n’aurais pas voulu aller contre. Quand je vous dis que le curé du village avait fini par me
• Vous me disiez que vous avez des souvenirs d’enfance lorsque vous étiez avec
votre mère, et que vous alliez à l’église ou que vous sortiez de l’église.
Le chapeau du Oui, j’allais l’accompagner parce que maman avait une luxation de la hanche, et souffrait
dimanche terriblement pour marcher. Mais elle voulait que je l’accompagne à la messe. Maman avait
faire douter de mon père, parce que c’était l’un des quelques rares – c’est vrai, madame
– c’était le seul dans le village, dans Roquefort, le pays de fromage, qui n’allait pas à la
communion, faire ses Pâques.
• Faire ses Pâques, c’est-à-dire aller se confesser et communier une fois par an, en
un chapeau à l’époque. Et elle le modifiait tous les ans parce qu’elle … (À ce moment-là, M.
général pendant la semaine sainte. C’était le minimum de pratique religieuse requis
Daloux éclate de rire.) … c’est elle qui le modifiait. Elle n’avait pas d’argent, et pour mes
pour être considéré catholique. Si on refusait de remplir ce minimum, on était
sœurs, c’était pareil. Elles avaient un chapeau qu’elles … (De nouveau M. Daloux éclate
considéré hors de l’église, ce qui équivalait l’état de péché mortel, c’est ça?
de rire.)
Oui, mais dans le cas de mon père …
• C’était le chapeau du dimanche qu’on modifiait d’une année sur l’autre, pour
• … on en avait déduit des choses erronées, c’est ça?
le réno ver?
Il me disait: Jeannot, je ne te demande pas si ton père est venu, je sais qu’il n’y va pas,
Voilà, on modifiait, et elle avait sa canne à la main gauche, et moi, je lui donnais le bras
qu’il est l’un des quelques rares du village. Alors, mon père, seul dans le village, il devait
gauche. Et j’étais flatté que ces messieurs la saluent bien bas.
• Oui, parce qu’il fallait marquer de la déférence pour cette dame, parce qu’elle était
être spécial.
• Oui, l’insistance du curé par rapport à ces commentaires vous avait amené à vous
considérée comme une dame.
poser des questions?
Voilà, beaucoup de déférence. Et puis la voir aller à la messe, pour eux c’était quelqu’un de
Oui … à me poser des questions sur mon père. C’est vrai ! Et que si ma mère avait poussé,
bien. Et dans les temps où elle était, vous savez, c’était …
si lui, il avait pas été athée comme ça, je serais parti. Et qu’est-ce que j’aurais fait aussi? Je
• Ça prenait une autre dimension.
Une autre dimension.
• Oui, et vous, vous étiez très fier.
J’en étais fier. Oui, j’en étais fier. Comme je vous ai dit que j’étais premier clerc, je le répète,
crois avoir de la blague, de la tchatche. Vous savez ce que ça veut dire.
• La tchatche, oui.
Et j’aurais fait un bon curé.
• Oui, alors probablement. Au moins pour la prise de parole, n’est-ce pas?
ça, que j’étais premier clerc.1 On m’a mis premier clerc, mais que les intentions du curé qui
Mais si, parce que, j’en aurais fait … vous voyez, là, je me régale. C’est la première fois que
me mettait tous ces galons étaient bien certaines. Et que ça m’a flatté. Ça m’a flatté aussi.
ça m’arrive dans ma vie, ça, je peux vous le dire. Oui, j’ai toujours eu une vie simple et
Ça fait que ce … en fait, j’allais dire une grossièreté …
facile. J’aurais fait comme un ami curé que j’avais, qui a prêché à Budapest, qui a prêché
• (amusée): On va la couper, si vous la dites.
Il préparait bien ses choses. Si ma mère, avec tous les honneurs qu’on m’avait rendus, parce
1 1er servant de messe.
à Perpignan. Il était en conflit avec son évêque, parce que lui, il était directeur de la croix
du Tarn. Il a été en conflit avec Monseigneur Saliège, alors il a démissionné, et il s’est mis
106 • JEAN DALOUX
prédicateur libre, et quand on l’appelait quelque part, il allait prêcher une retraite, une
mission.
• Oui, déjà la démarche est intéressante en soi, n’est-ce pas?
Mais ça va du coq à l’âne, mais ça fait rien, vous arrangerez ça comme vous voulez.
• Peu importe. Le souvenir, c’est ça.
Faire Pâques avant Figurez-vous que je vous ai expliqué que j’avais fait Pâques avant les Rameaux. Vous savez
les Rameaux ce que ça veut dire?
• Et bien, vous allez nous le redire.
Oui, «Pâques avant les Rameaux», ça veut dire que ma fille a été conçue avant le mariage:
ça n’était pas un pêché … juste une petite imperfection comme avait dit mon ami, le curé.
• ... faire les choses dans l’ordre. Ou plutôt dans le désordre.
Ah oui, dans le désordre, oui. Et j’avais une petite fille.
• Donc, vous aviez eu une petite fille avant que l’union soit consacrée officiellement
qui protègent ces trucs-là.
• Et oui, on ne peut pas se l’approprier comme on veut.
Il n’a pas pu se l’approprier. Ils ont plaidé, mais enfin, c’est pas la question de plaider, voilà.
Mon instituteur était quelque chose de formidable. Je regretterai toujours, maintenant,
avec le recul des choses, je vois de ne pas lui avoir assez témoigné ma reconnaissance.
• C’est un regret que vous avez?
Je l’ai toujours.
• Parce qu’avec le temps, vous avez mesuré, combien cet homme vous a apporté?
Après tant d’années,
m’a dit: «Jeannot, j’ai plus rien à t’apprendre.»
la reconnaissance
• Ah, il vous a dit ça?
Oui, il m’a dit: «Jeannot, je n’ai plus rien à t’apprendre.»
• Il vous sentait prêt.
et par l’église. C’est ça?
«J’ai plus rien à t’apprendre.» Il y avait … Il m’avait donné tout ce … tout ce qu’il savait. Et
Oui, et alors je me suis marié au pays de mon épouse, de ma future. Il y avait un brave curé,
il avait un mot qui me revient souvent et qui me donne encore plus de remords. C’est qu’il
qui est devenu mon ami par la suite après. Je suis venu me marier le 2 avril 1940, et j’ai eu
disait toujours: «Mes enfants, la reconnaissance est une fleur bien rare.» Et avec le recul
une permission d’un mois. J’étais soldat au quatrième régiment de Zouaves en Afrique.
• Vous me disiez que le jeudi après-midi, il vous arrivait de partir herboriser avec votre
instituteur Monsieur Vidal.
Oui, presque tous les jeudis à partir d’une certaine époque. Je ne sais pas s’il sentait
CD| Nº8
Eh bien tout ça, tout ça, je le devais à Monsieur Vidal, mon instituteur, qui, un beau jour,
des choses, ça s’adresse à moi maintenant.
• Bien sûr.
Oui.
• Bien sûr, c’est une parole qui vous interpelle de plus en plus.
qu’il allait partir, mais il m’attirait davantage. Presque tous les jeudis, nous allions nous
Et oui, de plus en plus … de plus en plus. Ce pauvre Monsieur Vidal, vous savez ce qu’il avait
Pour gagner
promener dans la nature, et on herborisait, on étudiait les pierres – je ne me rappelle plus
comme fonction dans ces derniers jours à quatre-vingt et quelques années? Pour gagner
sa soupe …
comment ça s’appelle d’étudier les pierres.
sa soupe il faisait le catéchisme aux enfants de quatre ou cinq ans.
Les richesses de • Des fossiles peut-être.
la terre noire Et puis les fossiles après, mais nous faisions de tout. Nous étions dans un pays qui est riche
en quelque sorte, puisqu’on trouvait des schistes dans les terrains noirs. Il me semble que
c’est des schistes, qui sont tout noirs.
• Qui donnent la couleur noire à la terre.
Oui, et la terre friable, des strates qui se dégagent, qui s’empilent les unes sur les autres, et
quand ça s’effondrait, ça libérait des fossiles. Des couteaux, d’autres dont je ne me rappelle
plus du nom. Mais Roquefort était un pays très riche, puisqu’il y a quelques années, un
garçon a trouvé un dinosaure ou un petit ptérodactyle.
• Donc un reptile.
Un reptile entier. Et il voulait se l’approprier. Il a eu des difficultés avec des organismes
• Ah?
C’était la reconnaissance des … Enfin, il méritait mieux que ça.
• Sûrement, hein, d’après le …
Il méritait mieux que ça!
• … le personnage que vous avez dépeint …
J’ai rencontré dernièrement en quatre-vingt-dix-sept lors d’un regroupement … d’un comment on appelle ça quand on se regroupe?
• … oui, un … regroupement d’anciens …
… de notre âge de notre … de notre école. Un bon copain qui m’a dit: «Toi, tu étais le chouchou
de Vidal!» Mais moi, je lui dois tout aussi.
• Ah!
Le chouchou
108 • JEAN DALOUX
Je lui dois tout aussi.
• Vous étiez … vous étiez repéré …
… et …
• … comme étant le chouchou quand même, hein?
Chouchou, oui oui oui oui. Ah, ça se voyait, je le dis pas, mais …
Deux sous à l’époque • Vous en aviez conscience à l’époque?
Oui oui.
• Bien sûr, oui. Vous avez le souvenir du premier jour où vous avez réussi à faire du
vélo sans les petites roues? J’imagine …
Oui oui oui oui oui, et je dirai où …
• … oui …
… je vois encore un mur en arrivant à Saint-Rome de Cernon parce que nous avons … il
«Et je suis parti
Non.
m’a pris pour aller voir un de ses amis … instituteur libre à Saint-Rome de Cernon qui est
d’un coup!»
• Non.
à sept kilomètres. Cet instituteur était marié. C’était le seul peut-être dans la région, mais
Non non non, j’ai … il y a eu beaucoup de choses. Ma mère … j’en ai conscience maintenant
c’était quand même un chrétien convaincu et il habitait un vieux château aussi où ils m’ont
de ce qu’elle a été, de ce qu’il ne manquait rien. J’étais pas exigeant, nous étions des
invité à goûter, c‘est-à-dire à faire un petit quatre-heures. Mais je me rappelle comment je
ouvriers, on mangeait à volonté. On était sept dans deux pièces. Alors on n’avait pas de
suis parti, je commençais à pied et je suis parti d’un coup.
téléphone. On n’avait pas d’évier, on n’avait … on n’avait pas d’eau dans la maison, on n’avait
pas de … donc … pour parler vulgairement, j’avais le coco plein tous les jours. Tous les jours,
mon père me donnait une pièce de deux sous, deux sous.
• Ah oui?
En billon. Je sais pas si vous connaissez la … la monnaie de billon. C’étaient les pièces qui
devenaient toutes noires – c’etait en cuivre – quand on les trempait dans de l’acide elles
devenaient rouges.
• Ah oui.
Du cuivre … d’aluminium deux sous.
• D’accord, une monnaie en cuivre.
Un caramel Et avec ces deux sous, j’allais acheter un caramel tous les jours. J’étais un des privilégiés
tous les jours encore, il y avait des plus pauvres que moi, de plus … Mais enfin, l’instituteur, il m’a appris
à marcher en vélo parce que nous n’avions pas de vélo à la maison et il y avait un troisième
vélo à l’école qu’il avait je ne sais comment et nous partions tous les … on partait jamais
rien que tous les deux. Nous partions avec son adjoint.
• Ah oui.
Un plus jeune tout le temps, oui. Comme ça, il ne pouvait pas y avoir de … moi, je le vois
maintenant.
• Maintenant vous …
… mais à ce moment …
• … vous comprenez la raison, hein?
Oui, je comprenais la raison, je comprends la raison, oui.
• Oui, eh oui.
• Vous êtes parti un peu en zigzagant et après vous vous êtes …
… en zigzagant …
• … lancé…
… et puis, avant d’arriver à Saint-Rome, j’ai éprouvé un peu de fatigue et je me suis appuyé
sur un mur et ça, je me rappelle, il y avait là … là, c’était un moulin qu’il y avait au-dessous.
Et il y avait le béal qu’on appelait en patois le béal, c’est-à-dire, c’était la réserve d’eau …
• … ah oui …
… et je voyais l’eau et ça m’a un peu éprouvé.
• Ça vous a …
Mais enfin, c’est grâce à lui que j’ai appris à marcher en vélo, oui.
• C’est une belle sensation ça, la première fois quand on arrive à partir sans les
petites roues.
Ah oui, oui oui, mais puis surtout quand on est accompagné avec … avec qui vous savez …
• … et oui, bien sûr.
C’est pas pareil.
• Bien sûr, il y a une fierté hein?
Oui.
• Et vous me disiez aussi qu’il est … vous alliez dans des grottes?
Oui oui, à Roquefort il y en avait deux grottes et on a été dans des grottes pour monter.
La grotte était dans des éboulis parce que Roquefort est un pays construit sur un éboulis
de …
• … oui …
… de rochers. La falaise et alors …
Une belle sensation
110 • JEAN DALOUX
• … oui oui …
Entrer dans la grotte … pour monter, il y avait un trou, l’entrée de la grotte était assez grande, mais à cinq ou six
mètres au-dessus de … et pour y arriver, il y avait un ... une petite … un rail Decauvilles. Je
ne sais pas si vous savez ce que c’est?
• Non.
Les petites voies ferrées Decauvilles qu’on appelle alors … c’était un rail et ça servait
d’échelle et on y monta et il y avait des souricières. Je m’entends que des souricières, c’est
dans la grotte où il fallait passer un grand pas.
• Ah oui.
Mais ces grottes que nous n’avons jamais explorées à fond, elles n’étaient pas magnifiques
mais c’étaient des tunnels, ni plus ni moins, mais entre rochers. Ça devenait plus grand,
ça devenait plus petit et je me rappelle qu’une fois, c’était avec Claude l’adjoint, l’adjoint de
Monsieur Vidal, et il nous avait grondés parce qu’on a ramené une stalagtite.
• Oui?
En bas en bas, hein?
• Oui oui.
Une belle, et il nous a dit qu’il fallait la laisser, il fallait pas la couper. Il avait raison.
• Et vous, vous aviez trouvé des traces de … de vie?
Ah ça, ça, c’était en face, Roquefort était construit contre une falaise orientée au nord et
en face, nous avions une autre montagne, où y avait des grottes, aussi des grottes, mais
c’étaient pas des grottes, c’étaient des abris troglodytes, quoi. Autrefois, on en avait deux.
• Oui.
La mâchoire On les a visitées avec lui et on a trouvé une mâchoire, je crois.
• Un ossement, hein? Ou un crâne … !
… ou une … ou un bout de crâne, et Vidal l’a fait voir à tous les élèves à l’école le lendemain,
Non non, on n’avait pas les moyens. Et tout ça, il nous amenait partout, il m’a mené par-
«Il nous amenait
tout.
partout»
• Vous deviez un peu avoir le sentiment d’être un aventurier quand vous partiez
comme ça à visiter.
Mais c’est ça. Je vous le disais que dans ces terres noires qu’on appelle où on trouve des
fossiles …
• … oui …
… c’est … les eaux ont creusé entre ces terres des profondeurs.
• Oui.
Et on descendait … on se prenait pour des indiens, pour des … mais ça …
… oui …
… on le faisait sans Monsieur Vidal, vous voyez.
• Oui, avec vos amis.
Oui, avec des copains par-là.
• Oui, des copains.
On en a fait des bêtises.
• C’était un pays très riche, hein, qui offrait des tas de …
… oui, et puis c’était l’époque, il y avait pas de garderies, il y avait rien. Nous étions … nos
parents, tous nos parents dans le village travaillaient le matin à six heures et demi pour
finir à six heures le soir.
• Oui.
Il y avait des arrêts de travail, des trucs, et ça n’en finissait plus. Alors, nous étions livrés
à nous-mêmes.
Nous partions. Nous allions nous baigner dans les égouts.
• Ah d’accord.
et tout le monde a fait «wouaah». Et lui, il a passé son doigt dessus, et il l’a sucé pour nous
Et il y avait un endroit où il y avait de nouveau des terres noires. Roquefort était bâti sur
faire voir qu’il y avait plus aucun risque de …
ces terres noires. Là, il y avait une cascade, une petite cascade où l’eau glissait dessus.
• … et oui, bien sûr …
… de contamination de … il savait pas de …
• … et il avait pas … il avait pas daté cet ossement?
Ah non, il ne pouvait pas le dater, non.
• C’était pas possible, hein?
Il n’en avait pas …
• … il n’en avait pas les moyens, hein.
• Ah oui.
Et alors, nous allions nous baigner.
• C’est un beau terrain de jeu ça. (Rire.)
Nous quittions Deauville, comme on appelait ça. Un jeudi, nous étions quatre ou cinq
copains, on a tout quitté, et puis, c’était très agréable. On glissait dans l’eau sur cette pente.
La pente était douce, il y avait la mousse et on glissait.
Oh, et il y avait une baignoire. En fait, il y avait un trou que les eaux avaient fait. Et on
Deauville
112 • JEAN DALOUX
Les derrières qui tombait là-dedans et on ressortait et on retombait. Nous faisions ça toute la soirée. Et puis
saignaient … le soir, quand on a mis les pantalons, pas moyen ! Quand on s’est regardé, on avait les
derrières qui saignaient.
• Eh oui, vous étiez …
… nous étions … On avait donc les derrières qui saignaient et on est parti comme ça. Et moi
à la maison, je me tournais sur une cuisse, après sur l’autre.
• Ah bon? (rit)
Et puis, tout d’un coup, mon père m’a dit: «Mais qu’est-ce que tu as fait?» Alors il m’a quitté
les pantalons et il a vu ce que c’était.
• Il vous a …
… donné deux gifles, oui, tout à fait. Sur le cul! En sang …
• Eh bien.
Il m’a dit: «Tu as été à Deauville»
• Ça s’appelle un souvenir cuisant.
Oui, cuisant, c’est cela. Et puis il faut dire aussi que nous faisions des barrages sur la
rivière.
• Ah, c’est une belle enfance.
Play ready Ah oui et on avait que ça pour jouer et on aimait jouer comme ça. J’avais un copain qui
était fils de directeur. Il était mon copain ! Et alors, il faisait le snob, il n’a rien foutu du tout.
Dans sa vie, il a mangé tout ce que son père avait gagné ! Et il m’a appris à jouer au tennis.
Parce que ça faisait bien ! Lui, il avait des petits pantalons. Il en avait et moi, j’allais avec
des sabots. Il m’avait appris à dire «play ready».
• Qu’est-ce que ça veut dire?
«Play ready», ça veut dire je suis prêt, hein?
• Oui.
Avant de commencer …
• … oui …
… c’est en anglais.
• Oui!
… «des bourges», comme on dit maintenant.
• «Des bourges», oui.
Et nous … mais maintenant que je parle de mes souvenirs, Madame, et vous m’arrêtez …
• Mais ce sont des beaux souvenirs! Ce sont des souvenirs denses et riches.
Nous n’avions pas de jouets, nous n’avions rien.
• Et oui, et là, c’était à la nature.
C’était notre fortune et c’est une autre époque, Madame.
• Ah oui, c’est une autre époque, bien sûr. Là, on pourrait peut-être un peu avancer
dans le temps et dans votre vie, hein? Et bon, quitter le monde de l’enfance qui
doit receler encore plein de trésors mais …
… oui oui …
• … pour s’approcher un peu plus de votre vie adulte.
Comme vous voudrez, Madame.
• Et parce que j’aimerais beaucoup que vous me parliez de votre ami.
• De Willi.
Ah, c’est plus, c’est un frère …
• … que vous avez rencontré à la fin de la guerre.
C’est un frère d’ailleurs, vous l’avez vu, Madame. J’ai retrouvé sept ou huit lettres encore
de …
• … oui. Vous avez une belle correspondance, hein?
Il a … oui … là, dernièrement je les ai lues encore parce que … Il était venu chez nous passer
quinze jours et il était parti. Moi, il a, quand il est arrivé chez moi, il est arrivé avec des
jambons de Bavière entiers, du vin de Franconie, qui était excellent. Il a fait … il est arrivé,
mais chez moi, il voulait manger ce qu’il avait mangé quand nous … quand il était captif.
• Donc vous … bien, vous … comment vous vous êtes rencontrés?
Tout simplement j’étais ramené régisseur dans une propriété et j’avais du personnel et … je
«Et est-ce que vous
nourrissais déjà un ouvrier. Un vieil ouvrier qui était dans la maison depuis longtemps et
voudriez le nourrir?»
j’avais pas voulu. Et un beau jour – c’était en 1946 – donc, j’étais arrivé au mois de février,
Et c’est tout ce que j’ai retenu du tennis. J’y étais trois ou quatre fois, j’ai … c’est pas ça, ça
c’était vers le mois de mars quarante-six. Monsieur Villeneuve, un brave homme qui avait
n’a jamais été ma tasse de thé.
soixante-seize ou soixante-dix-sept ans, le propriétaire, m’a demandé … m’a dit: «Il y a des
«Fils de bourges» • Ça ne vous a pas enthousiasmé.
Non. Enfin, c’était parce que j’avais des fils de … à pèse, quoi …
• … de bourgeois …
L’ami allemand
Willi?
prisonniers de guerre». On les payait cinq francs. «Est-ce que ça pourrait vous aider?». Je
lui ai dit: «Naturellement, on lui fera toujours quelque chose.» «Et est-ce que vous voudriez
le nourrir?»
114 • JEAN DALOUX
• Et vous avez accepté?
Je l’ai nourri, bon, et il est arrivé, le pauvre gosse. Il avait vingt-deux ans quand il est arrivé,
hein? Et il est arrivé un jour à midi où nous allions déjeuner. Il s’est assis à côté de moi, il
faire ses toilettes et tout. Il était très très bien et il est arrivé mars quarante-six ou mai. Il
a fait des vendanges avec nous. Il a trouvé très intéressant.
• Oui.
a mangé à côté de lui. Il n’a pas trop compris que … comment ça se faisait, qu’il n’y ait pas
Et quand ma petite fille Monique est née, lui, il était chez nous. Et comme ma femme ne
d’histoire, qu’il n’y ait pas d’hiérarchie ni tout ça. Il s’est mis et il y avait une gamelle, une
voulait pas aller à la clinique, elle voulait rester à la maison, elle a accouché à la maison,
marmite. Je dirais que mon épouse avait fait des pâtes avec des tomates, du poulet du … y
alors pour nous laisser la paix, lui, il a pris mon petit garçon qui avait cinq ans à l’époque
avait un … Il en a mangé les trois quarts à lui tout seul, le pauvre. Il était mort de faim.
et il l’a pris, il l’a fait amuser pendant tout le temps que sa maman naissait. Puis on l’avait
• Ah oui, il était affamé, hein?
Et il était prisonnier, il était tourneur de son métier, un excellent tourneur aux usines Fouga
à Béziers où ils étaient nourris avec des tomates cuites à l’eau du … hein?
• Ah oui.
Manger des Et un mot, tiens, je vais dire un mot qui m’a fait rire un jour. Nous, on avait des aubergines
«negerpines» alors, la première fois qu’il y avait des aubergines sur la table il a fait «ach so, negerpines».
fait voir sa petite sœur quelques minutes après et puis, regardez, il lui donnait même le
biberon …
• … ah bon …
… à ma petite fille. A l’époque on n’était pas si difficile mais maintenant toutes les précautions qu’on prendrait.
• Oui.
«Des queues de nègres», il voulait dire, «so nix gut».
Non, on avait du lait et … qui venait d’un lait nourricier et puis, c’est tout. Et puis, on man-
• C’était la première fois qu’il voyait des aubergines?
geait beaucoup de fruits, beaucoup de légumes, beaucoup de la soupe. Chez nous les enfants
Non, non, il avait déjà vu des aubergines, il les avait mangées à Fouga. Mais cuites à l’eau!
• D’accord.
Alors: «Ach so, nix egal».
• Il a découvert la saveur des aubergines alors chez vous.
«Nix egal» pour après … je me rappelle plus, peut-être elles étaient farcies même. Vous
savez …
• … oui …
… comme on fait …
• … oui oui …
… à volonté, nous, on en avait à volonté, vous savez.
• Oui, il a trouvé ça excellent.
La soupe des grands
à dix-huit mois ils mangeaient de la soupe, ils mangeaient pratiquement comme …
• … comme les grands.
Oui oui aussi. Moi, j’étais resté petit, c’est le cas, ça, mais en fait, ça, c’est autre chose.
• Oui. Et donc Willi, petit à petit, est devenu un ami pour vous.
Oui, un ami et puis …
• … même plus, hein?
Ah oui.
• Vous disiez que c’était presque un frère pour vous.
Pour lui surtout.
• Pour lui?
Moi, je suis parti quand il a été parti. Je suis parti dans ma vie, et je me suis occupé de …
Des dizaines d’années
C’est qu’un trait de …
mais lui, il a toujours eu le souvenir, il est revenu me chercher. Il savait plus où j’étais passé.
d’après
• … et petit à petit, il a …
Il a été même à Roquefort où il savait que j’étais. On lui a dit: «Il est à La Seyne actuellement.
… de sa découverte …
»Il est parti à La Seyne mais il ne m’a pas trouvé et puis finalement moi, j’avais des relations
• … il a pris une place dans votre vie de famille.
Une place dans Naturellement. Il avait sa petite chambre, bon, dans notre petit immeuble, un tout petit
la famille immeuble qu’y avait sa chambre, où on entreposait les sacs d’avoine et les sacs de millet. On
n’avait pas beaucoup, mais il avait une bonne chambre bien confortable avec une fenêtre,
un bon lit. Et il venait manger chez nous, il allait monter ce … La fontaine était à côté pour
avec un ami qui était marié avec une Allemande qui a écrit une lettre au commissariat
d’Ansbach et trois jours après … Willi m’écrivait et nous avons repris alors nos …
• … et donc vous avez repris le fil de vos relations …
… de nos relations. Moi, je …
• … plusieurs dizaines d’années après, hein?
116 • JEAN DALOUX
Oui oui, moi, je ne savais pas et il m’avait fait part de son mariage, il m’avait fait part,
CD| Nº8 fin
• Et il a tenu à vous voir, juste avant sa mort. Il est venu vous dire adieu.
mais comme j’avais cinq gosses sur les bras et que mes moyens étaient réduits, je n’avais
Oui, oui, j’ai la lettre là encore. Il savait qu’il était condamné à mort, puisque … oui: con-
pas pu engager. Et c’est que lorsque j’ai eu la possibilité de le recevoir que j’ai repris les
damné à mort!
relations.
Condamné, puisque il avait un cancer – comment on appelle ça – généralisé, mais en der-
• Et donc, ça se passait en quelle année à peu près? Dans les années quatre-vingt,
hein?
travaillé, et il tenait à y revenir. Il me dit: «Jean, s’il vous plaît.» C’était toujours s’il vous plaît
Oui oui oui.
«tu me ramènes à la Chevalière», c’était la Chevalière, le nom de la propriété. Et il a voulu
• Donc, y avait eu pratiquement presque …
… c’est quarante ans, trente ans, trente-et-un ans.
• Quarante ans, quarante ans … voilà, un peu plus de trente ans.
Blessures de guerre Lui, il m’avait cherché entre-temps … mais moi, je n’avais pas cherché à … et puis alors,
quand ça a repris, ça était … presque tous les ans il venait. J’ai été chez lui en Bavière où
on était très bien reçu …
• … par sa famille …
aller dans une parcelle sur un plateau qui était très éloignée de la propriété, très grande.
C’était notre plus grande pièce, à l’époque dans la propriété, où il travaillait souvent. Et il
m’a dit: «Jean, tout seul, tout seul.» Et je vois encore le sentiment. Et il a fait tout le tour du
terrain. À quoi a-t-il pensé à quoi, je n’en sais rien. Mais il n’avait pas été malheureux.
• Il s’est remémoré toutes ces années, qui ont dû être des belles années finalement
pour lui.
Pour lui, oui, oui. Mais il était extrêmement honnête. Ils se rassemblaient tous à la Cheva-
… par sa famille oui, par son beau-frère. Quand je pense que son beau-frère … qui était à
lière, parce que j’étais le plus tolérant. Alors, ils étaient quatre ou cinq. Il y avait un Sarrois,
peu près de son âge ou un peu plus … il avait été blessé en Russie et il était blessé mais
il y avait un Prussien, un petit facteur berlinois. Et il m’avait dit: «Tu vois, Jean, celui-là,
comme il faut …
• … ah oui …
… il a été volontaire pour repartir là en Russie, mais maintenant qu’on en parlait après, il
en riait.
• C’est vrai?
méfie-toi, méfie-toi!»
• Il n’était pas fréquentable.
Non, non, ma foi.
• C’est une belle histoire d’amitié, quand même.
Oui, avec le recul. Quand on le vit dans l’instant, on ne s’en rend pas compte. Alors donc,
Ah, oui, parce que c’était le lavage de cerveau des jeunesses hitlériennes. Alors que Willi,
il est rentré en ’46, et en ’47, il est parti. Il a été comme travailleur libre à Bédarieux, dans
au début, quand il est arrivé chez moi, il avait l’air de bluffer tout ce qui se passait devant
une usine de fabrication de matériel de vendange et de cave, l’usine Regraffe. C’est-à-dire
la France, et puis après, il avait évolué en voyant ce que c’était.
des pressoirs. Alors, il y a des vis sans fin. Et comme c’était un tourneur, on l’a mis tourneur,
• Que la réalité …
Que la liberté …
• Oui, il a pris goût à la France. Il a découvert la France, et il a aimé être en France.
Jean et Jan Voilà. Et aimé la république. Au début, en 1946, il y avait la pagaille partout, et il me disait:
«So ist république». J’ai rien dit, qu’est-ce que vous auriez voulu dire? Et puis, quand il est
venu avant de partir, il a tenu à me faire ses adieux, et il m’a dit: «Jan», parce qu’il m’appelait
tout de suite, il a été payé comme un tourneur français, il me l’a dit. Il avait sa chambre. Il
s’est débrouillé, il en avait assez, il était libre, totalement.
• Libre et autonome.
Et il m’a parlé de ses amis qu’il avait faits. Je me rappelle d’un nom, Monsieur Boudaine.
Vous voyez?
• Oui.
toujours Jan. En 80, je n’ai pas vu … «Nix gewesen, ein Poleiser1 nix ein Kontrolle.» Vous
Il m’a parlé toujours de ce Monsieur Boudaine qui était si gentil. Il m’a parlé de ce qu’il
avez compris ce que ça veut dire?
vivait à Bédarieux. Et dans sa lettre, quand il est parti, il me dit: «Je ne médirai jamais
• Oui, oui.
Et je lui ai dit: «Willi, so ist république». «Ja, ja, Jan. Ich versteh!»
1 Policier
Dernière visite
nier stade. Et il est venu passer huit ou quinze jours. Alors, je n’habitais plus là où il avait
de votre pays.» Et bien, si tout le monde le faisait un peu, la vie serait plus facile quand
même.
«Il était libre»
118 • JEAN DALOUX
• Bien sûr. Avec de l’humanité et de la tolérance, un respect de l’autre, tout simplement. Vous les avez, les lettres, là, non … ?
• Vous avez donc entretenu une correspondance avec Willi.
La correspondance Et oui, certainement. Écoutez, je vais reprendre la première lettre qu’il m’a adressée le 29
avec Willi avril 1949, alors qu’il venait de rentrer chez lui en Allemagne.
«Ce jour, dix semaines sont déjà passées depuis mon retour. Je vais vous écrire une lettre
comme je vous ai promis. C’était le cinq mars que je suis arrivé ici. La joie de revoir avec
les miens était très cordiale. Après les formalités chez les autorités et toutes les visites
obligatoires je suis rentré dans la vie normale et ça va assez bien. Rien de plus beau que
l’avenir. Nous t’assurons de notre plus amical souvenir.»
C’est la dernière.
• C’est la dernière lettre, puisque après, elle est décédée aussi.
Après elle est décédée. C’est l’interprète qui m’a donné un coup de fil, qui me dit: «Irène
est morte.»
• C’est une amitié qui a compté pour vous, n’est-ce pas?
C’est ce qui a couvert une partie de ma vie. Ce n’était qu’une relation, j’ai peut-être toujours
été inconscient, qui, avec le parcours de la vie, est devenue une véritable amitié.
• Une véritable amitié, c’est vraiment ce que l’on sent.
d’être chez soi. Le pays natal ne peut être remplacé par aucune autre chose. Malgré cela je
C’était tout. Il y a des souvenirs, par exemple, quand il a vu que nous mangions de la viande
pense souvent à vous autres, aux belles heures passées dans le cercle de votre famille, ou
de lapin: Nous produisions de tout, des poulets, des canards, et ma femme faisait la cuisine
aux excursions à la plage de la mer. Mais ce sont des souvenirs, je ne crois revoir Béziers
qu’on faisait chez nous. Alors, la première fois qu’il a vu un lapin en civet1
, on gardait le
un jour.»
sang et on le lie, vous savez. Alors, c’est tout noir. Qu’est-ce qu’il dit: «Qu’est-ce que c’est?»
• C’est tout.
«Un lapin». «Ah! Karnickel, Karnickel.» Il appelait ça «Karnickel» ou «Koarnickle». «Ach,
«Je ne médirai jamais «À cette occasion je veux vous envoyer mes remerciements pour tout ce que vous avez fait
de votre pays» pour me faciliter le sort de la captivité. Je ne médirai jamais de votre pays.»
• Ça, il fallait le dire.
so. Schwarz?»
• Et oui, c’était déroutant pour lui.
(M. Daloux imite Willi qui goûte ce lapin en civet pour la première fois): «Oh, sehr gut!
Oui, c’est beau qu’il l’ait écrit. Donc il avait un traducteur?
Sehr gut». Et puis, il n’a vécu qu’un Noël chez nous, avec ses copains. «Jean, s’il vous plaît,
Oui, il avait comme traducteur une Française mariée avec un Allemand à Ansbach, qui
ein lapin. Un lapin en civet avec des pommes de terre.» Alors, il y avait du lapin en civet,
était professeur de français en Allemagne. Et durant toute notre correspondance, c’était
il y avait du pâté. On leur avait tout donné. Ils étaient cinq. Ils ont chanté, ils ont bu toute
cette dame qui traduisait et qui me téléphonait même parfois pour me donner des nouvelles
de Willi sans qu’il l’ait demandé. C’était Madame Klein.
• Et donc vous avez continué cette correspondance jusqu’au jour ou vous avez appris
la nuit à côté. Ils étaient heureux.
• Bien sûr.
Parmi ces Allemands, il y avait un Prussien. Bien! Très honnête! Et il parlait un français
sa mort.
très pur, au bout de six mois de captivité. Et, vous savez, comme il était Prussien, quand
Jusqu’au jour où Irène a été morte, où sa femme a été décédée. Sa fille s’est mariée, elle
il rentrait à la maison, il se mettait en garde-à-vous et il saluait bien bas. Alors, le facteur
est prise par le …
berlinois, c’était le titi parisien, il n’arrêtait pas de parler moitié français, moitié allemand,
• Donc vous avez gardé le lien jusqu‘à la mort de sa femme. Mais continuez la lecture,
s’il vous plaît.
La mort de Willi «22.11.1994. Bonjour cher Jean. Aujourd’hui il me faut t’apprendre une bien triste nouvelle.
Le 02.11.1994 mon cher et bon Willi a été délivré de sa grave maladie. Tous nos espoirs de
guérison ou d’amélioration ne se sont pas réalisés. (Courte pause, M. Daloux s’oriente dans
la lettre.) Cher Jean, merci mille fois pour ton amitié et tout ce que tu as fait de bon à Willi.
Il a toujours parlé de toi comme de son meilleur ami. Cher Jean, j’espère que tu es tant soit
peu en bonne santé. Bianca se joint à moi pour t’envoyer tous nos meilleurs vœux pour
chacun avait sa manière. On avait un Sarrois, qui ne parlait pas. Mais lui, il pensait que
la Sarre redeviendrait française. Ce qui n’était pas vrai. Heureusement, parce que tout
ça aurait recommencé. Mais il comprenait qu’on était fait pour s’entendre. Tout ça, on l’a
vécu.
• C’est une belle histoire, je trouve. Par-delà la guerre en fait, une histoire d’hommes …
D’humains.
• … oui, une belle histoire humaine.
Oui, à l’époque, je lui avais proposé de lui donner de l’argent, à Willi, pour qu’il s’évade,
1 Un plat français avec du lapin, la sauce est mélangée avec le sang.
Un lapin pour Noël
120 • JEAN DALOUX
mais il n’a pas voulu. Mais je dis qu’il a été sage, surtout parce qu’il savait qu’il n’avait plus
qui avait onze hectares. «On dira au fermier qu’il nous rende un champ pour faire des
que sa grand-mère qui était peut-être morte, puis des cousins ou des trucs comme ça. En
pommes de terre, un pré pour avoir une vache et du lait, et puis nous vivrons, tu verras.»
France, il ne souffrait plus de la faim, il était son maître, et il est parti quand il a vu qu’en
Effectivement, je suis parti. J’avais demandé conseil au directeur de la société agricole,
Allemagne, ça s’était arrangé définitivement.
où je travaillais. Il m’avait dit: «Tu sais Jean, je ne te critique pas, au contraire, parce que
«Mais je te donnerai • D’accord, donc il a été effectivement raisonnable et sage.
nous savons pas où nous allons.» En 43! On ne savait pas où on allait. Bon, je l’ai suivi,
mes fringues» Oui. Il y a des choses rigolotes aussi: Moi, le jour où je lui ai proposé de s’évader, je lui
j’ai demandé conseil parce que j’ai toujours été assez sage, pas toujours très sage, mais
dis: «Mais je te donnerai mes fringues.» Alors il les a prises et il est revenu en rigolant, en
enfin. Un autre monsieur qui était très bien, un comptable m’a dit: «Oui, va-t’en, va. Avec
rigolant, parce que comme moi je suis très petit, les manches lui arrivaient au coude et
tes gosses, tu es tranquille.» Effectivement, j’ai bien fait, parce que Roquefort n’a pas été
le pantalon à mi-mollet. (Mme Caban et M. Daloux éclatent de rire.) Ça a été une séance
tranquille. Elle a été tracassée par la Gestapo plusieurs fois, envahie par les Allemands.
de rire, de rire! Et il n’a pas voulu partir. Après, quand il était chez Regraffe, comme tous
Roquefort était un centre intéressant pour les Allemands. Bon.
les Français, il s’était habillé à son goût. Et il est reparti. Il est arrivé tout fier chez lui. (M.
• Et donc, vous êtes parti vous installer où, à ce moment-là?
Daloux fait une pause et reprend en conclusion.) Donc, à partir du jour où il a quitté l’usine,
Dans la commune de Moulin Mage, dans le Tarn, au hameau de Lacombe, où Yvonne avait
prisonnier, il a mangé normalement à sa faim. Mais tout le temps qu’il est resté chez lui
une maison. Et un ami m’a procuré une petite vache d’Aubrac, qui avait encore quatre litres
– c’est lui qui me l’a dit, moi, je ne me rappelait plus – pendant tout le temps qu’il est resté
travailleur libre, il venait passer le week-end avec nous. Et c’était quand même à trente ou
de lait. Ce lait, c’était de la crème, c’était du beurre, mes gosses se sont régalés.
• J’imagine, oui.
trente-cinq kilomètres de là où nous étions. Mais enfin, qu’est-ce que ça nous faisait de lui
Oui, et puis au bout de quelque temps, il m’en a donné une autre, et j’ai labouré avec mes
faire à manger. Et il avait son lit là, en haut, où il était couché. Il arrivait le samedi soir et
deux vaches. J’ai appris à labourer, j’ai appris à semer à la volée le blé. J’ai appris à semer,
il repartait le dimanche au soir.
• Oui, apparemment il se sentait bien dans votre famille.
Ah! Et bien, il était chez lui.
j’ai appris à moissonner, j’ai appris à faire des pommes de terre, enfin ...
• Les métiers de la terre, c’est ça?
Oui. Jusqu’en 1946, où je suis parti, il y a toujours eu deux à trois tonnes de pommes de
• Cette histoire avec Willi est vraiment une très belle histoire. On sent toute la place
terre à la cave, depuis quarante-trois, hein? Donc, on laissait rien. On avait trois cochons,
qu’elle a tenue dans votre vie. J’aimerais que maintenant vous nous précisiez un petit
on avait de la volaille. Et on n’a pas souffert. Pour moi, la guerre est passée sans m’en
peu à quel moment vous avez quitté, pour la première fois, votre région, qu’on sent
rendre compte.
tellement proche de vous et tellement «en vous», ne serait-ce que dans votre accent.
Un premier départ Donc, à quel moment est-ce que vous avez quitté Roquefort pour la première fois?
• Oui, ça n’a pas été une période de restrictions pour vous. Vous aviez tout ce qu’il
fallait pour vivre.
La première fois où j’ai quitté Roquefort, je l’ai quitté par obligation. J’avais été démobilisé
Non, maintenant, je me suis aperçu que la guerre existait le jour où les Allemands sont
en 1940, et j’ai commencé à travailler à Roquefort le 15 janvier 1941. J’avais trois enfants.
venus me sortir de ma maison à coups de pied dans le derrière. Ils nous ont tous rassemb-
C’était la guerre déjà. Et à Roquefort, il n’y avait pas de ravitaillement. Et tous les samedis
lés. C’était la faute des Maquisards qui avaient fait des conneries la veille. Ils leur avaient
je faisais soixante-cinq kilomètres aller, soixante-cinq kilomètres en retour. Je partais le
tiré dessus, ils étaient trente! Il y avait cinq Allemands et ils les avaient manqués. Et le
samedi à midi et je revenais dans la nuit du dimanche au lundi, avec vingt-cinq kilos de
pommes de terre sur la bicyclette.
• Avec le ravitaillement pour la semaine?
lendemain, ils sont revenus en force, avec un char.
• C’était prévisible, non?
C’était prévisible, mais je pourrais en dire d’autres. Dans l’armée, j’étais sous-off,1et four-
Avec le ravitaillement pour la semaine. J’ai fait ça de 1941 à 43; au début 43 j’ai dit à Yvon-
rier. J’avais ramené des capotes, des pantalons, de tout de l’armée, parce que je me doutais
ne:1 Écoute, Yvonne, tu as ta maison là-haut, tu as le fermier, tu as une petite propriété
qu’on manquerait de tout. Et quand j’ai entendu qu’ils mitraillaient la veille, j’ai été cacher
1 Son épouse.
1 Abréviation familière pour sous-officier
Une vie de paysan
122 • JEAN DALOUX
ça dans le fourrage, dans le foin. Et bien, c’était pas si bien ça, c’était même idiot, parce
qu’ils sont allés dedans, et avec les baïonnettes ils plantaient dans les fourrages. S’ils
avaient trouvés des habits, s’en était fait de moi, et puis, ils sont partis.
• Ils ne les ont pas trouvés.
dans une propriété du Languedoc?» et je lui dis: «Mais, j’ai jamais vu une souche, jamais
vu un pied de vigne.» Une souche en patois, c’était un pied de vigne.
• Oui, la souque en provençal.
La souque, oui. Et ça plaisait à ma femme, puis on est parti, au domaine de la Chevalière,
La guerre Ils ne les ont pas trouvés, c’était de la chance. Mais je peux le dire, c’était un dimanche
à six kilomètres de Béziers. La Chevalière devait son nom à la bague d’un évêque. C’était
matin, ils sont arrivés à quatre heures du matin, et ils sont repartis à dix heures et demie.
la résidence d’été des évêques de Montpellier. C’était un joli petit château. Il y avait une
À dix heures et demie, quand ils ont été partis, tout le monde s’est assis, personne n’a
vingtaine d’hectares. La propriété n’était pas terrible au point de vue rendement, mais
mangé à midi! Personne n’a mangé à midi! La frousse avait été telle, c’est vrai ça, c’est
authentique.
• Ça laisse des traces, n’est-ce pas?
enfin, c’est là que j’ai fait mes premières armes.
• Là, vous avez travaillé la vigne.
Et c’est là que mon ami Willi est venu me trouver presque les premiers jours.
Il y en a même un bouquin écrit par un monsieur, du pays là-haut de Cabane, qui dit que
C’est-à-dire, mes enfants devenaient grands. Il fallait qu’ils aillent à l’école, et l’école était
Les enfants passaient
les Allemands m’avaient pris et qu’ils m’avaient mis avec dix jeunes alignés pour être
à six kilomètres. Et à l’époque, il n’y avait pas de ramassage scolaire, alors il a fallu que
d’abord
fusillés. Ce n’est pas vrai. Ils ont pris les jeunes, ils les ont intimidés pour les faire parler.
je cherche du travail dans ma branche dans un village. Et le village, c’était Villeneuve lès
(En rigolant.) Mais moi, j’avais dit que j’étais malade, ils m’ont fait coucher chez l’instituteur,
Béziers, qui est à côté de Béziers, où il y avait une école, un cours complémentaire et cetera,
vous voyez un peu le fait? (Mme Caban et M. Daloux rient.) Et puis, quand ils m’ont dit
quoi. On était à cinquante mètres de l’école. Le boulot, le travail que j’ai eu, n’était pas en
«Vous êtes libre, vous pouvez partir.» Alors j’ai compris, (M. Daloux fait une pause. Un
rapport avec ce que j’avais avant, mais peu m’importait, les enfants passaient d’abord.
silence intense.) ce que c’était que la guerre. J’en entendais parler, mais j’avais rien vu de
J’étais simplement ramonet1-régisseur à l’époque. Non pas ramonet-régisseur, tout simp-
toute la guerre.
lement ramonet. Non, je n’étais pas régisseur. C’est le bonhomme qui dans une propriété
• Là, vous avez un petit peu touché du doigt de ce que …
Mais l’inconscience des hommes, les mêmes gens du village, qui les avaient vus de près.
Après, ils allaient les voir, quand les troupes allemandes partaient en débandade, ils allaient au bord des routes les voir et rigoler. C’est de l’inconscience, ça, pure et simple. Ça s’est
s’occupe des chevaux, qui les nourrit. Et il laboure, s’il y en a deux chevaux, il y a deux
hommes, s’il y en a trois, il y a trois hommes. Nous, nous étions deux, et c’était moi qui
donnais l’impulsion, sous les ordres du régisseur.
• D’accord. En fait, c’est un peu le travail d’un palefrenier, mais avec le travail du
passé à Béziers, c’étaient des mongols, ils fichaient le camp, les gens ont rigolé. Ils avaient
champ en plus, c’est ça?
ce qu’ils voulaient. Ils foutaient le camp. (M. Daloux tape dans les mains, trois fois.) Ils
Oui, voilà. Un jour, il est arrivé un cheval qui n’avait jamais travaillé, et il a fallu que je
avaient qu’à les laisser partir.
• On va peut-être en revenir.
Oui, abrégez.
• Non, c’est pas pour abréger, mais pour revenir un petit peu à votre vie professionnelle et aux différents déplacements que vous avez pu faire.
Jean le vigneron Et oui, j’allais vous le dire tout de suite. J’avais un ami qui était curé, au hameau de
Cabane, qui était la paroisse de Lacombe, et qui était un véritable ami. C’était quelqu’un
le dresse.
• Et ça aussi, vous l’avez appris sur le tas? La relation au cheval, ça, c’est quelque
chose qui s’est mis en place?
J’en étais inconscient, mais la relation au cheval, je l’avais apprise déjà à Cabane, à Lacaune.
J’allais travailler avec mon beau frère, qui avait deux chevaux. Et il avait je ne sais combien
d’hectares. Et là, j’ai appris à atteler un cheval, à le faire travailler, à le faire labourer.
• Parce qu’il faut se faire obéir de l’animal, quand même. Il faut l’amener là où on veut,
d’extraordinaire. Un jour, il vient, parce qu’il savait que ma femme ne voulait pas rester,
n’est-ce pas?
moi, j’y serais resté. J’avais prévu mon travail, continuer à travailler pour Roquefort dans le
Oui, mais le cheval, il est très docile, vous savez? Oh, je ne dis pas que, un vieux palefrenier,
coin. Et bon, mon ami le curé vient, et il me dit: «Jean, tu voudrais pas aller comme régisseur
comme vous dites, l’aurait mieux fait que moi. Pour moi, c’était le premier cheval que je
1 Gestionnaire d’une propriété agricole, expression régionale
124 • JEAN DALOUX
voyais jeune. Il avait dix-huit mois et j’ai commencé à le faire labourer.
• Donc, c’étaient des chevaux de labour, c’est ça?
Oui, des percherons.1
Du vin et du pain • Oui, c’est beau, le percheron! Et costaud!
Oui. Tout-à-fait. Puis alors, au village, à Villeneuve lès Béziers, j’avais une tante, qui était
en Tunisie. Et son mari lui avait dit toujours: «Si tu as du vin et du pain, tu vivras toujours.»
Alors, elle a voulu acheter quelques hectares de vigne dans le même village où j’étais. Elle
a acheté une maison, elle m’a confié le travail de ses vignes et la maison. Donc, je suis
redevenu mon propre patron. J’avais d’ordre à ne recevoir de personne et je travaillais
comme je voulais.
• Ça a été une période agréable, alors.
Très agréable, oui. Puis, quelques années après, je suis rentré chez ma tante en 1953, donc
je suis resté sept ans au service de ma tante. À mon service, quoi, pour ainsi dire. Parce
que ça ne lui laissait aucun profit. Quand elle m’avait payée, elle n’avait pas grand chose.
Et alors, elle a quitté la Tunisie, on lui prêtait sur sa propriété de Tunisie, on lui prêtait quatorze millions de l’époque. Et elle a acheté. Mais elle était obligée d’investir cet argent dans
un commerce. (M. Daloux oublie de dire qu’elle a investi dans une station service.) Alors,
que faire? Tant que ses enfants étaient mineurs, elle en avait deux, elle disait : «Si j’y mets
quelqu’un, quand je voudrai le sortir, il ne voudra pas.» Alors elle m’a demandé à moi.
• Elle s’est à nouveau tournée vers vous.
Voilà, alors qu’est-ce que j’ai fait? Avant de partir de Villeneuve lès Béziers à La Seyne
sur Mer …
• Ah! Oui, c’était un grand déplacement là, pour vous, cette fois-ci.
Oui, c’était une migration. Et j’avais la gérance appointée, c’est-à-dire elle me payait un
salaire. Alors, j’ai été apprendre à graisser des voitures, quinze jours à Béziers chez monsieur Revel, un monsieur qui avait une grosse station service. Quand j’ai été le trouver, je
dis: «Monsieur Revel, vous n’avez pas besoin de … » Et il me dit: «MAIS NON, Monsieur, alors
vous aurez … » «Monsieur, mais je ne veux pas que vous me payiez!»
La station service • C’était une formation accélérée.
Oui, en quinze jours. Je suis rentré à la station service, mais personne n’a su que je n’avais
jamais fait ça. Il y avait un mécanicien qui était très bon mécanicien, mais trop lent. Il
n’était pas rentable. Je m’en suis aperçu tout de suite. Alors, au début je le regardais faire
les diagnostics, et puis ensuite, c’est moi qui les faisait. Et puis, j’ai décidé de supprimer le
mécano, je lui ai dit: «Quand vous trouverez du travail, Bernard2… mais vous restez tant
1 Selon «la Perche», une région en Normandie
2 Le mécanicien polonais
¡ Ramonet à Villeneuve lès Béziers
126 • JEAN DALOUX
que vous n’avez pas de travail.» Et oui, un beau jour il en a trouvé chez Tristany, un entre-
qui est venu me rechercher, qui m’a dit: «Mais viens là-bas, tu seras bien.» Alors, je suis
preneur du bâtiment des Sablettes ici. Et il a été travailler. Entre-temps, nous, mes enfants
rentré à la cave comme chef de cave. Et j’y étais payé cent francs de moins que chez John
participaient pour servir l’essence. Quand nous avons pris la station, c’était un couple de
Deere, mais j’étais à deux mètres de la maison.
jeunes mariés, tout jeunes. Ils se disputaient pour aller servir. Ils ne voulaient pas y aller,
• Oui, c’était quand même intéressant.
ni l’un ni l’autre. «C’est encore y aller, c’est … !» Ils ne faisaient rien du tout, ils faisaient
Et puis, j’allais travailler mes vignes. J’avais deux hectares et demi de vigne que je travail-
trois cents litres par jour. Et quand vous arrivez après quelqu’un qui est nul, c’est facile
lais en plus de ma journée.
après de regonfler. Et cinq ans après, quand ma tante a revendu la station, on faisait cinq
mille litres d’essence par jour.
• Effectivement!
• Mais donc, ça devait quand même faire des grosses journées, ça.
Ah, oui!
• Mais ça, c’est un bonheur pour vous, j’imagine, quand on est dans la vigne, non?
Mais, pendant ces cinq ans on n’avait rien gagné. C’était surtout pour augmenter la valeur
Oui! Quand je pense que j’étais crevé, parce que le samedi et le dimanche je travaillais
de la station.
mes vignes. On me prêtait un cheval … Ah non, après j’avais un tracteur. Mais le dimanche
• Pour qu’elle rentabilise son achat de départ.
C’était pour la vendre. Elle l’a vendu vingt-neuf millions.
• Oui, donc c’était une bonne opération pour elle?
Oui, et en remerciement, elle m’a donné la maison qu’elle avait à Villeneuve lès Béziers.
• Ah! Oui. Donc ça vous rattachait en quelque sorte au point de départ.
Vendre des œufs Et puis, on l’a vendue en 1965. Le lendemain, je vois un monsieur arriver, il me dit: «Monau s.m.i.c. sieur Daloux, vous avez vendu la station.» «Oui.» «Vous voulez pas venir chez moi comme
à quatre heures, je prenais mon vélo et j’avais six kilomètres à faire pour aller à la messe
aux franciscains. (M. Daloux et Mme Caban sourient.) Parce qu’ils abondaient un peu dans
mes choix presque politiques, quoi. Voilà.
• Mais en vous écoutant, on a le sentiment que vous avez toujours été ouvert à tout
ce qui pouvait se présenter, et que vous vous êtes laissé porter par le ...
Oui, toujours. Par le courant.
• … le courant.
vendeur de voitures neuves?» J’avais une réputation. Ça, ça se dit dans le village. La station
Le courant de ma tante. C’est ma tante qui m’a pris, qui m’a sorti. Si je n’avais pas eu ma
service ... Il me dit: «Je vous donne votre secteur.» C’est-à-dire les retombées que j’avais
tante, toute ma vie je serais resté à la même place. Je n’étais pas ambitieux, j’avais un jar-
dans la station de service. Je lui ai dit oui. Et j’en ai profité, parce qu’il y avait beaucoup de
clients, des anciens clients, des amis, qui prenaient une Simca. Ils auraient facilement pris
une autre marque. Mais quand j’ai vu que j’avais écumé toutes mes relations, j’ai donné
ma démission, et je suis allé vendre des œufs au s.m.i.c. Mais je savais que j’allais repartir
à Roquefort, mon pays d’origine, quelque temps après.
• Oui, et la boucle était bouclée là.
din, j’avais le cheval pour travailler mes vignes. Elle est arrivée, et elle m’a fait faire.
• Une chose en a amené une autre.
Voilà.
• Et de formation en formation, vous avez embrassé beaucoup d’activités.
Oui, je reconnais que quelquefois, il fallait que je sois inconscient, quand même. Maintenant pour vendre des voitures, c’était pareil. J’étais le premier vendeur sur cinq. Et le jour
Voilà. À Roquefort, j’ai travaillé comme inspecteur de laiterie. C’est prétentieux un peu.
où je suis parti, il y avait un petit peigne-cul là de chez Simca-Paris, qui me dit: «Monsieur,
C’est-à-dire, celui qui est chargé de surveiller la fabrication et les laiteries pour Roquefort
vous êtes le premier vendeur. Il faudrait faire un effort.» (M. Daloux et Mme Caban rient.)
le Papillon. C’est une référence.
Et, je savais que je voulais partir, je lui dis: «Pourquoi? Vous n’êtes pas content?» «Mais si,
• Donc, vous êtes retourné à votre première pratique professionnelle.
Oui, il y en avait marre, hein. Alors je suis parti. Et je suis revenu. J’avais ma maison à
Des grosses journées
mais si! Mais il faut toujours faire un effort.»
• Et vous avez saisi l’opportunité.
Villeneuve. Je suis revenu à Villeneuve et à mes vignes, je suis allé chez John Deere, c’est
J’ai dit: «Mais écoutez, Monsieur, si vous n’êtes pas content, je vous donne huit jours.» Et le
les tracteurs verts qui ont le cerf dessus, vous savez? C’était une marque. Et puis là, de
lendemain, je suis parti. J’allais vendre les œufs. Oh, j’ai vendu trois mois. Mais j’assurais
nouveau c’était un ami qui était président de la cave coopérative de Villeneuve lès Béziers,
toujours ma sécurité, j’avais le s.m.i.c. Je n’ai jamais perdu une journée. Et si je n’avais pas
Se laisser porter
par le courant
128 • JEAN DALOUX
¡ Bonheur dans la vigne
130 • JEAN DALOUX
eu ça, j’aurais attendu de partir pour …
• Le travail a vraiment occupé une place extrêmement importante dans votre vie.
commis de cuisine à l’hôtel. Là, commis de cuisine, j’ai rempli toutes les fonctions: il y avait
un wagon de charbon qui arrivait, on me filait une pelle et «André, tu vas aller rentrer le
«Tout le monde Oui, ah, mais je crois qu’il y en avait qui travaillaient plus que moi, mais à l’époque tout
charbon dans la soute à charbon». Il y avait un pâtissier, et s’il avait besoin d’un coup de
travaillait avec plaisir» le monde travaillait avec plaisir. Les gens avaient du goût à travailler, maintenant on ne
main, on m’envoyait avec le pâtissier. Mais tout ça, c’était enrichissant. Puis en cuisine, il
travaille pas fort, on assume un truc.
y avait que le chef et moi, et comme c’était un hôtel qui travaillait beaucoup. Maintenant,
• Mais c’est vrai, dans tout ce que vous m’avez raconté, il y a quelque chose qui
c’était toujours le même menu. Mais sous la direction du chef, on m’a fait faire tout de suite
prédomine et que l’on sent: c’est le plaisir, le plaisir que vous avez toujours eu
des travaux. En deux ans, j’ai appris ce que je n’aurais pas appris en six ans. Je crois que
à faire ce que vous faisiez.
J’avais une famille, j’avais une responsabilité, je me contentais de ce que j’avais. Quand
je les ai racontées jusqu’au cuissot de chevreuil.
• Vous m’avez parlé de ces menus que vous élaboriez avec lui, parfois pour de grandes
j’étais simplement charretier, ou ramonet, et bien, j’avais un grand jardin, où je faisais les
occasions, avec les spécialités.
légumes. On mangeait presque tous les légumes, ou on en achetait. Qu’est-ce que vous vous
Et bien, il y avait trois menus, les pensionnaires, les voyageurs de commerce, mais ils
demandez de mieux?
avaient bien mieux que les pensionnaires, puis l’hostellerie, où il y avait en permanence
• Il y a un moment de votre parcours professionnel au tout début que vous avez évoqué, mais dont on a pas parlé, qui a été le moment où vous avez travaillé dans le
grand hôtel. Là, on fait un bond dans le temps, de la fin de la vie professionnelle,
on revient au début.
un canard qui rôtissait devant un feu dans une grande cheminée.
• Mmhh!
Un canard en plastique, bien sûr!
• Ah, oui. (rit)
Et oui, mais je crois vous l’avoir déjà raconté, que mon instituteur et monsieur Solanet, le
(en riant): Avec des flammes factices dessous, vous savez. Je ne sais pas comment ça
directeur de l’Agricole, avaient prévu de me faire saute-ruisseau, et vous avez su la suite.
s’appelle, je ne me rappelle plus. Et au service, les garçons étaient en queue-de-pie, le soir,
Et ils ne m’ont pas embauché, puis je crois aussi que …
avec des grands liserés sur le pantalon. Il y avait dans la salle un chef-trancheur, habillé
Le communiste Je peux le dire? J’avais chanté l’Internationale sur la place du village, (Mme Caban et
en chef, c’était un garçon ni plus ni moins, mais il avait le don de couper. Il découpait les
du village M. Daloux rient) au moment du Front populaire, mais je savais pas ce que c’était que
volailles, il les servait à chacun. Et s’il voyait quelqu’un d’embarrassé il allait l’aider, quoi.
l’Internationale, maintenant je vous la chanterai enfin. Mais le curé de Roquefort, a dit
que j’étais le chef de «jeunesse communiste». Je n’avais jamais su ce que c’était qu’un
communiste.
• C’est vrai?
Enfin, c’était le fin des fins. Mais il y avait des fois qu’il …
• Qui?
Non, que le client … Alors, je vais vous le dire: Pour monsieur Lautard, il avait d’habitude
Apporter son
les clients qu’il fallait soigner. C’étaient des clients. Ils les amenait, «Monsieur un tel et Mon-
propre vin
Oui, oui. C’est vrai. Et c’est ce qui m’a nui pour entrer dans les caves de Roquefort. Et un
sieur …». Et puis d’autres il disait: «Allô chef, il y a cinq tocards qui passent, cinq tocards.»
beau jour, mon père vient et il me dit: «Dis, il y a monsieur Lautard qui dit que si tu voulais
Et vous savez ce que c’était, ces «tocards»? C’étaient les gens du Midi, du Languedoc, qui
aller travailler à la cuisine … » «Et bien, j’y vais.» Le lendemain, je suis rentré sans contrat,
sans rien.
• C’est comme ça que vous êtes rentré dans ce grand hôtel, alors?
Un jour de repos Voilà. J’avais un jour de repos par mois que je n’ai jamais eu.
par mois • Vous l’avez jamais eu?
Le canard en plastique
venaient et qui apportaient leur vin.
• Ils amenaient leur vin?
À l’époque, on le tolérait, mais le père Lautard, il …
• Ça ne devait pas tellement lui plaire.
Non, ça ne lui plaisait pas. C’était un excellent maître d’hôtel. Il venait à la cuisine et il
Non, je ne le demandais pas, si je l’avais demandé, ils me l’auraient donné. Et je gagnais
faisait: (Avec une grosse voix intimidante mais qui plaisante.) «Sommelier, c’était moi le
cent francs par mois. Mais ils ne me les payaient pas tout le temps. Et je suis rentré comme
sommelier; «Un demi domaine, un demi» parce qu’il y avait tous les bourgognes. Et c’était
132 • JEAN DALOUX
moi qui allais les chercher, parce qu’il avait des extras, des gars de l’école hôtelière de
Toulouse, qui lui fauchaient tout. Alors il y avait que moi qui étais du pays avec qui il avait
confiance. Il me criait: «Sommelier!» Ça faisait chic ça. Ou pas?
• Oui, ça fait très chic. (lls se tordent de rire.)
ma bosse, mais ma galère, pour ainsi dire, parce que quand même! Enfin, c’est comme ça.
• Mais bon, on sent bien que votre région est toujours là.
Aveyronnaise?
• Oui, la région aveyronnaise, elle est toujours là.
Oui. Mais on ne le voyait pas, le sommelier, parce qu’ au début, j’avais la toque. Et j’étais
Ah oui. Tous les soirs, je téléphone à ma vieille amie. Nous allions à l’école maternelle
«Tous les soirs,
toujours en train de tripoter ma toque, elle était toute noire. Comme au temps où j’étais
ensemble. Je me rappelle encore, un jour, elle avait huit ou dix ans, il y avait un de mes
je téléphone à
à l’école, je faisais des pâtés d’encre partout, j’étais malpropre. Alors, il m’a dit: «Écoute,
copains qui avait pris une poignée d’orties, qui lui frottait le derrière avec les orties, et
ma vieille amie»
André, fous-moi ça!» Puis j’ai quitté la veste blanche et j’ai eu la veste en pied de poule,
vous savez? C’était moins salissant que la veste blanche. J’ai fait des glaces, j’ai fait toute
sorte de choses.
• C’était une vie dense, riche, et multiple, n’est-ce pas?
Oui. Oui, mais c’était une vie qui ne me fatiguait pas. J’en prenais ce qu’il y avait. Je vous
qu’elle pleurait, la pauvre.
• Et vous l’appelez tous les soirs, comme ça, vous êtes en contact permanent.
Oui, tous les soirs. Je la laisse parler parce qu’elle ne te laisse pas parler. Mais enfin, j’ai
une voix amie et que j’aime.
• Oui, que vous aimez. Il me reste à vous remercier pour ce bon moment.
raconterai des histoires de l’hôtel. Les loufiats comme on les appelait, les loufiats étaient des
C’était tout? On est arrivé? Et oui maintenant c’est ici que j’ai fini. Et je suis revenu de
serveurs qui venaient d’une école hôtelière de Toulouse. Ils ont fait mon éducation. Quand il
Saint-Affrique, mes racines, parce qu’il y avait ma fille ici, parce que ma fille habitait La
y avait un couple qui venait dans l’après-midi pour se reposer … (Les deux rient.)
Seyne, c’est pour ça que je suis revenu.
Le trou à la porte … il y avait un petit trou à la porte, et on allait faire les voyeurs.
• Eh bien!
Et moi d’abord.
• Ah, ça a été formateur à plus d’un titre, alors?
Ah, oui! Il y avait Marcelou Volnair, qui était un gentil garçon. Il était bossu, le pauvre,
mais il riait tout le temps, et il racontait toujours des histoires. C’était un ami de monsieur
Lautard, le patron, et son homme de confiance. Alors, il venait aux cuisines et il disait,
• C’est pour ça que vous êtes revenu ici et que vous vous y êtes établi maintenant,
hein?
J’attends mon tour.
• Vous attendez votre tour, tranquillement.
Oh, je préférerais qu’il soit bref. Qu’un jour vous arriviez, et qu’on vous dise: «Le père
Daloux, il a passé l’arme à gauche.»
• J’aimerais bien pouvoir vous dire au revoir quand même, avant. (Mme Caban rit
«Escoutre, chef laisse moi aconter cette histoire», et je vous le dis en patois puisque ça
doucement.)
vous plaît. «Écoute chef, laissez-moi te raconter cette histoire». Et il en finissait plus, en
Ça me fera plaisir, mais enfin. Je préférerais ne pas vous revoir parce que je serais parti
vert, en bronze, n’importe quoi. Il était formidable et gentil. Oh, je peux raconter encore
sans douleurs. (Petite pause.) Oui, et j’ai la chance d’avoir mes enfants …
comment il faisait le café, à l’époque, il n’y avait pas d’expresso, il y avait que le percolateur, et il faisait son percolateur tous les matins, et il faisait du très bon café. Alors, il me
disait «Tiens André» parce qu’il m’appelait André au lieu de m’appeler Jean, il y avait déjà
le patron qui s’appelait Jean, le maître d’hôtel qui s’appelait Jean, et le patron m’a dit: «Tu
t’appelleras André.»
• (en riant): D’accord.
C’est vrai, tout ça.
• Et alors, aujourd’hui vous êtes à La Seyne sur Mer.
Je suis revenu à La Seyne sur Mer où ma femme est décédée en 1965, et depuis je roule, pas
„
MARGUERITE LECLERC
• Née en 1914 au Luxembourg dans une famille nombreuse, Marguerite Scholtes a été obligée très jeune de quitter ses proches pour gagner sa vie. Après des étapes à Bruxelles et
dans le nord de la France, elle arrive à Paris où elle fait, en 1935, deux rencontres qui
seront déterminantes pour sa vie: la petite Françoise, fille de ses employeurs juifs dont
elle s’occupera comme si c’était son propre enfant et Henri Leclerc, son futur époux. Elle
passe des années extrêmement difficiles sous l’occupation allemande dans la famille de
Françoise, pendant que son mari, qui avait gagné Londres le 18 juin 1940, semble avoir
définitivement disparu. C’est seulement à la Libération qu‘elle le retrouve sain et sauf. Les
deux vont alors partir en Indochine où son mari poursuit sa carrière militaire. Si Marguerite Leclerc vit aujourd’hui à nouveau en France, à la Résidence St Honorat de La Seyne sur
Mer, c’est parce que les chemins de la vie ne l’ont jamais vraiment séparée de Françoise,
qui aujourd’hui reste à ses côtés.
136 • MARGUERITE LECLERC
Enfance Marguerite Leclerc est née le jour de Noël 1914, quatrième enfant de Marie-Claire Huchette
Oui, c’est ça. Maintenant, tout ça a changé.
luxembourgeoise et Michel Scholtes. Elle passe son enfance dans une fratrie de sept, voire huit enfants à Kop-
• Oui, bien sûr, ça aussi, ça a changé. Et donc vous aidiez votre maman à préparer
stal, une très belle vallée, comme elle nous l’a dit, à sept kilomètres de la ville de Luxem-
tous ces gâteaux? Il devait y avoir une belle ambiance dans la maison! Ça devait
bourg. Elle nous parle de quelques souvenirs qui ont marqué son enfance heureuse.
sentir bon!
Ah oui, je graissais les moules, oui, parce qu’il faut tout bien graisser avant, pour les
Quotidien Mais le jeudi après-midi on avait congé, mais, vous savez, le congé consistait à aller à la
forêt chercher du bois pour allumer le feu et tout ça. C’était, on n’était pas élevé …
• C’était pas le jeudi après-midi de loisir qu’ont les enfants d’aujourd’hui. Vous
travailliez en fait?
On travaillait, et on trouvait ça normal, on n’était pas comme maintenant.
• Oui. Vous trouviez ça normal. Donc vous alliez à pied jusqu’à la forêt pour prendre
du bois, couper du bois?
démouler après.
• Qu’est ce que vous utilisiez alors pour confectionner ces gâteaux?
C’était surtout de la levure qu’on mettait, vous savez, la levure de boulanger. Et alors on
faisait, elle faisait ça pour tout le monde, si vous voulez, toute la famille.
• Quand vous disiez que c’était une grande fête de village, est-ce qu’il y avait des
manifestations particulières, est-ce que les gens se rassemblaient?
C’est-à-dire, oui, les gens se rassemblaient parce que, comme ils travaillaient beaucoup, ils
On ramassait le bois mort, on faisait des fagots, et on ramenait ça à la maison pour allumer
se rassemblaient pas beaucoup autrement. Alors ces jours-là, ils se rassemblaient.
le feu; quand je pense à ça et quand je pense comme c’est maintenant pour les enfants, je
• C’était l’occasion pour tout le monde de se réunir. Et il y avait des célébrations
trouve un changement.
… et fêtes • Un jour, vous me racontiez des souvenirs de Noël que vous aviez de votre enfance,
Oui. Il y avait des célébrations religieuses. Nous autres, les enfants, on allait chanter chez
des souvenirs tout blancs …
les personnes âgées, chanter des cantiques. Alors, ils nous donnaient un gâteau quand
Ah oui, à Noël, oui, parce que Noël là-bas, c’était une des grandes fêtes de l’année, c’était
on sortait (rires). Et il était bon, ce gâteau, vous savez? Ils nous remerciaient et ils étaient
pire que la fête du village! Vous savez, ils ont des fêtes! Mais à Noël, c’était, Noël c’était
contents de voir un jeune âge. Maintenant, ça se fait plus non plus. Ils sont modernisés
vraiment …
• C’était la fête de tout le village.
maintenant comme ici.
• Et oui, et comme ça serait bien que ça puisse encore avoir lieu, ce genre d’échange!
Je vois toujours ma mère faire des gros gâteaux, vous savez, c’étaient pas des petits gâteaux,
Qu’est-ce que vous chantiez comme cantiques, vous les avez en mémoire?
c’étaient des gros gâteaux. Elle en faisait quatre. Elle faisait dix tartes et quatre gâteaux.
On chantait surtout, c’étaient des cantiques allemands, vous savez?
Il faut aller vite pour tout ça.
• Qu’est-ce qu’elle faisait comme gâteaux, il y avait des gâteaux traditionnels?
Gâteaux Surtout des gâteaux en pâte levée, genre kouglof et brioche. Les moules, c’était grand,
Françoise1• Il y en a un que tu as toujours chanté, tu pourrais nous chanter, c’est:
«O Tannenbaum».2
Je ne sais plus, il y a longtemps que je n’ai pas chanté. On chantait:
c’était comme ça (Montre de la main). C’étaient des grands moules parce que chez ma
«O Tannenbaum,
grand-mère il y avait un four de boulanger. Alors pour chauffer le four de boulanger, il
o Tannenbaum,
fallait du bois et puis, il fallait enfourner ça d’un coup.
wie grün sind deine Blätter.»
• Et donc vous alliez faire cuire les gâteaux chez votre grand-mère …
… qui était, qui habitait en face. Et quand elle venait manger chez nous à midi, on allait les
chercher. Le soir, elle mangeait son potage chez elle. C’était réglé, vous savez.
• Vous viviez vraiment avec les personnes âgées de la famille. Elles étaient là. Elles
participaient à la vie de la famille de façon étroite. C’était beau, ça.
Cantiques
religieuses?
Et chez moi, il y a beaucoup de sapins. Ils font la culture du sapin. J’ai appris à planter les
sapins. J’étais jeune, mais il fallait apprendre.
• Il fallait apprendre, et alors qu’est-ce qu’on apprend? Comment est-ce qu’il faut
planter un sapin?
Il y avait un monsieur devant qui était avec une grande bêche. Et il faisait le trou et nous,
1 C’est ici que Françoise, la filleule de Mme Leclerc se mêle pour la première fois à la conversation.
Elle était présente lors des premiers entretiens.
2 «Mon beau sapin!»
«O Tannenbaum»
138 • MARGUERITE LECLERC
¡ Les parents de Marguerite Leclerc
140 • MARGUERITE LECLERC
on mettait le sapin.
• Vous le mettiez dans le trou? Et alors après, il y avait quelque chose de spécial à
mettre avant de le planter complètement? Vous mettiez un engrais, non?
Non, non, vous savez la terre des sapins comme ça est très, comment je le dirais, très bien.
les fêtes, on se trouvait vraiment gâté, vous comprenez, ils faisaient, mes parents, ce qu’ils
pouvaient parce qu’on était nombreux. Mais ils faisaient toujours un sapin de Noël. Et on
se chipotait pour le garnir, vous savez. Et à Pâques, c’étaient les œufs de Pâques.
• … que vous faisiez. Alors, vous prépariez peut-être des choses en chocolat vous-
Parce que c’est jamais très sec, c’est toujours un peu humide. J’en ai planté des sapins
même, c’est ça?
assez jeune.
On faisait des chocolats. Non, surtout des œufs durs et ça, c’était teint. Ma mère fabriquait
• Assez jeune, ça doit être merveilleux pour une enfant d’aller planter des sapins!
Oui. Mais il n’y avait pas que moi, il y avait aussi les autres, il y avait aussi les autres
enfants.
• Et alors j’imagine que pour Noël vous n’alliez pas acheter un sapin chez le marchand
de sapin?
Je pense que c’était un peu suivant les familles parce que nous étions bien avec le maire.
On pouvait choisir son sapin parce que tous les sapins ne reprennent pas, si vous voulez.
Et après Noël, le sapin durait jusqu’au jour de l’an. On les replantait et ça repoussait.
• Donc, vous ne les coupiez pas, vous les déterriez. C’est plus joli, ça.
encore des petits trucs, des décorations pour mettre dessus. Mais ça, c’était fait aussi.
• Donc vous décoriez vous-même les œufs de poule? En peinture?
Oui, on allait chez sa marraine pour lui souhaiter quelque chose pour avoir trois œufs
(rires).
• D’accord! Et vous repartiez avec les œufs que vous alliez ensuite décorer?
Oui. Et là aussi, on allait chanter chez les personnes âgées. C’était, c’était gentil, ça, souvent
j’y pense.
• Vous y pensez souvent, peut-être aussi, je dirais en mettant un peu en perspective
C’était plus joli. On disait: «Il est de telle année, il est de telle année.» Et il y en avait aussi
une personne âgée?
qui ne reprenaient pas.
Ça oui, c’est pas la même chose du tout, maintenant la mode, c’est de les mettre dans des
• En fait, il fallait bien choisir le sapin de manière à ce qu’il puisse reprendre après.
Mais ça, on apprenait tout ça tout jeune. Maintenant les jeunes de chez moi ne savent plus
faire ça non plus.
Décorations • C’était beau à savoir toutes ces choses. Et comment est-ce que vous le décoriez?
Il y avait des fabrications traditionnelles, des choses que vous faisiez vous?
Ah oui, mais vous savez, on achetait des boîtes … Mon père était très bricoleur. Il faisait
des choses avec une scie ronde, vous savez.
• Qu’est-ce qu’il faisait? Des figurines? Donc c’était en bois?
Il était très bricoleur pour toutes ces choses là.
• Et est-ce que vous l’aidiez au niveau de ces décorations? Ou c’était vraiment le
maisons de retraite, c’est la mode partout, pas seulement ici. Ici aussi j’en vois, ça leur plaît
pas tant que ça, il faut l’accepter.
• Oui, on n’a pas forcément le choix.
Maintenant ils ont construit des maisons de repos pour des personnes âgées. Ça, c’est
nouveau.
• Est-ce que votre pays vous manque?1
Moins maintenant parce que je suis très habituée ici. Et je m’occupe tout de même un peu
de tout le monde. Vous avez vu la vieille dame qui est venue à côté de moi …
• Oui, oui je sais que vous avez une place importante ici.
• Dites-moi donc, cette place à Paris vous l’avez occupée combien de temps?
domaine des adultes de la famille? Est-ce que vous participiez aux bricolages?
Oh, je crois deux ans ou trois ans. Après, je suis allée me présenter – à Paris, il y avait un
Oui! Mais on était gentil, on était plus gentil comme enfant que maintenant, on était moins
bureau exprès pour ça, pour les gens de maison. Et alors, quand je suis passée, sa mère
égoïste. Si on avait quatre sous dans le porte-monnaie on les donnait pour aider à acheter
les petites choses.
• Quand vous repensez à ces années d’enfance – finalement, quels sont les plus jolis
souvenirs que vous gardez?
Tout est des jolis souvenirs pour moi. Parce que vous savez, on n’était pas gâté, mais pour
Il faut l’accepter
par comparaison à la vie qu’on peut avoir maintenant, que peut avoir maintenant
était là.
• Donc la maman de votre filleule …
Oui, elle était là.
Françoise • Ah bon, le jour où tu allais au bureau de placement?
Oui, et puis alors la dame a dit: «Et bien, vous savez, je vais arranger cela, je trouverai
1 Très jeune, elle se voit obligée de gagner elle-même sa vie, d’abord dans l’usine Villeroy et Boch à Luxembourg qu’elle quitte pour accepter un premier poste de dame de compagnie à Bruxelles. Mais comme en
France les salaires sont plus élevés, elle arrive enfin à Paris après une étape à Sedan. Après deux ou trois
ans de travail chez une famille aisée, elle se présente, un beau jour, au bureau des gens de maison pour y
faire une rencontre qui sera déterminante pour toute sa vie:
Une rencontre
fatidique
142 • MARGUERITE LECLERC
quelque chose pour vous, je n’en sais rien, enfin je verrai ça.» Puis le lendemain, on m’a dit:
«Madame, on a quelque chose à vous proposer.» J’avais plu à sa mère, alors elle a …
• La maman de votre filleule vous avait observée quand vous faisiez vos démarches?
Les débuts avec Voilà, alors j’y suis allée ... Françoise avait deux mois. Elle était en train de la langer, la
Françoise petite.
• Ah, quand vous vous êtes présentée donc pour la première fois dans cette maison.
j’aille chez mes parents. Ils aimaient mieux ça que de me laisser seule avec le personnel.
Ça facilitait beaucoup de choses.
• Ah oui, je comprends. Alors petit à petit la relation entre Françoise et vous a grandien même temps qu’elle? Et vous vous êtes attachée à cette enfant?
Oui, je me suis attachée à cette enfant et je comptais pour elle. Vous savez, je sais pas si
vous comprenez ça. Autrefois, les enfants avaient un parc pour jouer. Vous savez, c’était
Alors … Il faut dire qu’elle m’a beaucoup aidée. Françoise, oui, elle était petite. Je m’en occu-
pas comme maintenant. Ils sont en liberté tout de suite tout seuls. Alors elle aussi, elle avait
pais, on allait se promener au Jardin du Luxembourg et partout hein, Françoise?
son parc, et sa fenêtre donnait juste sur la fenêtre de la cuisine. Alors, on se parlait dans
Françoise • Pas au début, pas au Jardin du Luxembourg! Non, attends, au début on n’habitait
la fenêtre de la cuisine. (Mme Leclerc rit.) J’allais la voir dans son parc, sa mère n’était pas
pas là. On habitait 6, square du Trocadéro, c’était tout différent. On allait au square de la
là, et je la laissais faire un peu, puis je la remettais dedans parce que si je me serais, si je
Muette.
m’étais fait prendre, ça aurait été autre chose!
• Et alors vous étiez en train de dire qu’elle vous a beaucoup aidée. Comment est-ce
qu’elle vous a aidée? Expliquez-moi comment elle vous a aidée!
Ah oui, elle m’a beaucoup aidée parce je me suis attachée à elle. Oui, et puis alors, vous
• Mais bon, vous vous occupiez sûrement tellement bien d’elle …
Car je me suis beaucoup occupée de Françoise, oui.
• Oui, et alors à quel moment est-ce que Françoise est devenue votre filleule? C’est
savez, si j’avais quelque chose sur le cœur, ou n’importe quoi, ça passait, parce qu’avec un
bien après, qu’elle est devenue votre filleule?
enfant, ça passe plus facilement.
Ah oui, elle était déjà grande. Alors, vous savez, il y avait la guerre et il y avait … les Alle-
L’enfant • Oui. Ça aide dans les moments difficiles. C’est important d’avoir un enfant auprès
comprend mieux de soi.
C’est ça, et il y a des choses, vous savez, que l’enfant comprend mieux qu’une grande
personne, sans qu’il sache qu’est-ce que c’est. Mais il s’aperçoit que vous avez du chagrin
et il sait vous aider.
• Oui, et il vous console.
Et ça, c’est beaucoup, vous savez.
• Parce que finalement vous étiez partie de chez vous et vous avez quitté votre famille
à un âge qui est encore un jeune âge.
Je l’ai dit la dernière fois que mes parents avaient construit, et qu’en France le franc doublait … l’autre franc. Alors, c’était plus intéressant de venir travailler en France. En Belgique,
c’est le même franc qu’à Luxembourg.
• Oui, j’ai bien compris ces motivations-là, mais au niveau affectif vous étiez encore
comme ça. Alors, Françoise, comme je l’aimais beaucoup et que j’étais aussi attachée à sa
mère, je suis devenue sa marraine.
• Vous êtes devenue sa marraine comme ça?
J’étais contente parce que j’avais jamais été marraine. Ailleurs, j’avais été demandée pour
être marraine, j’ai refusé!
Françoise • Mais oui, mais tu devrais peut-être parler bien avant ça de tout ce qu’on faisait
ensemble le dimanche matin. Sans ça, je ne serais pas devenue ta filleule.
Ah oui, on allait à la messe. Comme eux, ils n’étaient pas catholiques … Moi, j’allais à la
messe, nous faisions les courses et moi, je l’amenais.
• Donc vous alliez à la messe alors et que faisiez vous encore ensemble?
Ben, on se promenait. On allait au Jardin du Luxemburg l’après-midi. On allait aux Tuileries. Jusqu’aux Tuileries je l’ai traînée, petite! Par les jardins de Paris lorsque … Vous
savez, avec les Allemands, vous n’aviez pas le droit de tout faire. Vous n’avez peut-être
Enfin, j’y allais souvent parce que …
pas connu tout ça, ni vécu tout ça. Alors, je ne peux pas vous détailler tout ça parce que
Les gens n’étaient pas comme maintenant, vous savez, quand chez les Henrion,1 quand ils
partaient quelque part, ils m’envoyaient à Luxembourg, ils me payaient le voyage pour que
1 Avant de venir à Paris, Madame Leclerc était dame de compagnie chez une famille d’industriels à Sedan,
les Henrion.
Filleule
mands. Alors, il valait mieux faire ce qu’on devait faire pour être laissé tranquille. C’est
très jeune, donc parfois vous deviez avoir un petit peu le mal du pays?
• Ah, vous retourniez souvent.
Parc et liberté
c’est très difficile.
• C’est difficile pour vous de le détailler, encore maintenant?
Avec les Allemands, c’était terrible. Moi, je suis d’une famille de résistants et j’ai eu onze
La famille déportée
144 • MARGUERITE LECLERC
¡ Luxembourg: la famille Scholtes
146 • MARGUERITE LECLERC
personnes de ma famille déportées. J’ai mon frère qui est mort à Mauthausen. Mes parents
étaient en … Je ne sais plus où, ma sœur était sur le front de Russie pour faire les fortifications pieds nus. Vous savez, on a beaucoup souffert.
• Votre sœur? Vous avez beaucoup souffert de cette guerre.
On a beaucoup souffert de ça.
• Oui, vous m’avez parlé aussi de la souffrance liée au retour de votre maman.
Ah oui, alors elle est tombée malade, et elle ne pouvait plus parler.
• Donc votre mère a été déportée, elle était dans quel camp?
• Bon, et alors cette rencontre, elle s’est faite comment?
On riait beaucoup ensemble. Tu aimais bien Henri?
Françoise • Ah oui, j’aimais bien quand il venait.
• Donc il venait assez souvent?
Ben, oui. Parce qu’à cette époque là, les gens un peu aisés se faisaient tout livrer. C’est pas
comme maintenant, maintenant on ne pourrait plus se permettre ça, vous savez?
• Et vous vous êtes fréquentés comme ça, par, on va dire, par livraison interposée?
Mais non, j’allais toujours lui chercher la femme de chambre. Alors, un jour il m’a dit, vous
Ben, elle était … Mon père, il avait plus vite compris. Ma mère, elle s’occupait de l’intérieur
savez: «Je n’ai pas besoin de la femme de chambre, je viens pour vous dire bonjour.» Et il
du camp. Ils ont demandé si mon père voudrait faire des travaux, vous savez, extérieurs.
était chez des Bougnats,1 vous savez, des Bougnats comme on dit, des marchands de char-
Alors lui, il a accepté. Ça le sortait quand même un peu du camp. Alors vous voyez, comme
bon. Ils n’avaient pas d’enfants et là, il leur aidait2et dimanche matin, il portait le charbon
la vie passe quelquefois difficilement et dont on ne peut jamais parler. Ici vous ne pouvez
aux gens parce que ce monsieur avait de l’asthme, il ne pouvait plus le faire. Alors eux, ils
pas parler de tout ça.
étaient très, très gentils avec lui. Oui, ils lui faisaient à manger, tout ça, alors tout ça, c’est
• C’est difficile d’aborder ces sujets, c’est certain. Et c’est encore difficile maintenant
pour vous.
pas à comparer avec la vie de maintenant – souvent j’y pense à tout ça …
• Oui, bien sûr, et dites-moi, alors comment est-ce qu’il s’est déclaré finalement?
Ah oui, moi je n’en parle jamais à personne. Vous savez, quelquefois nous deux, on parle
Un jour, il est venu, puis il a dit: «Si vous voulez, on pourrait faire un petit tour». J’ai dit: «Je
sur quelque chose, mais sinon …
veux bien.» Alors, on n’avait pas un sou ni l’un ni l’autre pour se payer un café. Ça, c’est
Henri Leclerc • Donc vous étiez dans cette famille, vous étiez chez Françoise et c’est là que vous
avez connu votre mari?
Ah mon mari, dans la cuisine chez Françoise … Mon mari était marbrier de son métier et
cardeur et tout ça, mais il n’y avait pas de travail. Alors, il était entré chez un pharmacien.
c’est là le plus cher. Alors, il faut attendre jusqu’à ce qu’on sera à Belleville.» Chez ses amis,
on ne payait pas le café. Vous comprenez, il m’emmenait là dans ce café.
• Donc vous êtes allés à Belleville un jour ensemble?
Oui, alors après, il a dit: «Non, je ne viens pas pour la femme de chambre, je viens pour
puis faire les courses parce qu’à cette époque-là, les gens se faisaient tout livrer.
vous voir vous, c’est pour vous voir!»
• Alors, les choses se précisaient un peu là …
Alors, quand il venait toujours livrer et tout ça, alors, vous savez, j’avais droit de donner
Et ben lui, après, il était, vous savez, il faisait partie de la classe qui prend deux ans, quand
vingt-cinq centimes de pourboire. Alors, comme c’était lui, je lui donnais toujours dix
il faisait son service militaire … Tout de suite, il était militaire, vous savez. Alors, il était …
centimes de plus. (Toutes les trois s’amusent.)
Ça, c’était l’obligation, c’était l’état. Il était à Verdun. C’est à Verdun qu’il était et c’était
… plus qu’un livreur • … parce qu’il était déjà apparemment un tout petit peu plus qu’un livreur pour vous!
(Elles rient toutes les trois.)
Ben, c‘est-à-dire, il faisait tout ce qu’il pouvait pour être plaisant parce que ça lui rapportait
toujours ça. Et puis, ça allait quand même lui servir pour manger, si vous voulez.
• Bien sûr et donc, il apportait du lait pour Françoise ? C’est ce que vous me disiez
se précisent
pour vous dire … On passait le Trocadéro. Ben, j’ai dit: «Il faut pas aller ici au Trocadéro,
Je connais le nom encore: Arvizet, c’était le pharmacien où il aidait à préparer les choses et
• Donc il est arrivé pour effectuer une livraison.
Les choses
assez dur pour lui.
• Donc il a fait ses classes là-bas?
C’est conséquent, c’est encore conséquent maintenant.
• Et à quel moment vous êtes vous mariés, alors?
Alors, un jour il me disait: «Je suis embêté, je viendrais bien plus souvent à Paris, mais je
l’autre fois?
ne sais pas chez qui coucher.» Alors je lui ai dit: «C’est simple, vous ferez vos papiers et moi
Parce qu’il portait du lait, il portait tout, tout ce qui était pharmaceutique.
les miens, et on se mariera, vous saurez où aller vous coucher!» (Elles rient.) Et il l’a fait,
1 M et Mme Glayal, natifs d’Auvergne, tenaient un bistrot rue Rampal : lui faisait les livraisons de charbon
(«bougnat»), elle tenait le café.
2 Mme Leclerc utilise régulièrement «aider + complément indirect».
Mariage
148 • MARGUERITE LECLERC
puis moi, je l’ai fait aussi, alors on s’est marié. Et le curé du seizième arrondissement n’a
pas voulu nous faire une messe. Alors, je me suis contentée d’une bénédiction, vous savez,
mais j’ai voulu quand même passer par une église … oui, dans le seizième arrondissement …
On s’est marié, il y avait trois jours pour se marier, on avait trois jours pour se marier et
le lendemain de notre mariage, on s’est levé à sept heures du matin, on était à la gare, on
a pris le train pour notre voyage de noces à Lisieux.
• Ah, vous avez fait votre voyage de noces à Lisieux! (Les deux rient.)
Un jour!
• Donc c’était une journée à Lisieux, tous les deux.
Voilà. On est rentré le lendemain et après, le soir, il fallait partir à Verdun.
• … parce que lui, il réintégrait son …
Alors il est resté là, après, vous savez, les évènements allaient de plus en plus mal, il y
avait déjà du côté des Balkans des choses qui n’allaient pas et alors ça allait de plus en
plus mal.
• Et il vous a informé …
Démobilisé et
Quand la guerre a éclaté, il était militaire puisqu’il était rappelé. On lui a passé peut-être
remobilisé
quinze jours en liberté, il était rappelé, alors là, il n’y avait rien à faire. Maintenant les
jeunes se moquent un peu mais à cette époque-là, c’était pas pareil … Mon mari, je dois dire
ce qui est: la France c’est tout, c’était tout pour lui. Il disait toujours: «Si je viens mourir,
promets-moi que tu m’enterres en terre française.» Vous voyez, je l’ai fait, je l’ai fait.
Françoise • Oui, parce qu’en fait, il a fini son service militaire, il a été démobilisé, il n’a
même pas été reprendre son travail. Quinze jours après, c’était la guerre si ma mémoire
est bonne et il a été remobilisé.
Oui, et alors là comme il est parti … Il était sans travail et il cherchait du travail. Et, à Brest
on cherchait des ouvriers de sa matière parce que c’était en construction. Alors, il est parti
à Brest et c’est là que la guerre s’est déclarée.
• Ah oui, d’accord, donc là, il a été mobilisé immédiatement.
Oui, il était toujours mobilisé! Il avait trouvé du travail, mais il n’a jamais travaillé parce
que tout de suite, ça s’est mal annoncé. Et quand on a lancé l’appel, quand Charles de Gaulle
a lancé l’appel, il a dit: «Puisque je suis en route, je pars.» Mais c’est de là qu’il est parti à
Londres. Alors de Londres, ils l’ont mis à, vous savez, j’ai pas suivi tout ça. Il m’a raconté
ça en gros, il est parti dans, ils l’ont mis dans une usine d’électricité, vous savez, pour se
perfectionner dans bien des choses, bien des choses. Et puis, il n’est jamais … Il paraît qu’il
est venu deux fois et qu’il m’a vu dans le métro, mais qu’il n’a pas parlé parce qu’il ne
¡ Marguerite et Henri Leclerc
150 • MARGUERITE LECLERC
pouvait pas se faire reconnaître. En effet, après j’ai, je me rappelle avoir vu dans le couloir
à ce moment-là; j’avais une lampe à alcool en plus, pour le café et tout ça, mais pour … La
du Châtelet qui est droit entre Belleville et chez nous ... Alors, j’ai vu en effet un type qui
midinette, je la faisais marcher à midi. Le charbon, je l’avais puisque les Bougnats, c’étaient
était plus ou moins déguisé, vous savez? Mais j’ai pas pensé que c’était lui, et lui, il n’a pas
mes amis et pour nous aussi, j’avais du charbon. J’allais chercher le charbon par cinq kilos,
parlé. Mais il me l’a dit après.
Parachutiste • Vous n’avez pas pensé que ça puisse être lui, il vous l’a dit quand il est rentré?
Françoise • Est-ce qu’il t’a dit – une chose qu’on t’a demandée avec Jean-Pierre – est-ce
qu’il t’a dit par quel moyen il était venu de Londres en France? Parce que ça semble
extraordinaire!
Par parachute. Il s’est fait parachuter.
je ramenais ça par cinq kilos de Belleville jusqu’à rue de Fleurus.
• C’est vous qui alliez les chercher à ce moment-là quand vous partiez le soir?
Souvent le soir, oui. Une chose, vous savez: les lampes changeaient de tension à ce momentlà, à une certaine heure. Il y avait une heure où ils changeaient.
• Oui, et vous partiez à ce moment-là?
Oui. Et il y avait des soldats allemands. Un jour, il me dit: «Qu’est-ce que vous trimbalez
• Il s’est fait parachuter.
dans notre sac comme ça? J’ai dit: «Du vent!» Il dit: «C’est pas possible.» J’ai dit: «Mais si,
Françoise • Mais il n’était pas parachutiste.
ouvrez!» Mais comme j’y allais, j’avais rien dedans et quand je suis revenue il m’a vu avec
Non, ils avaient, dans ce cas-là, ils avaient sans doute le droit; mais je sais pas, je ne suis
pas militaire.
• Il avait, il a reçu une formation entre-temps. Mais bon, ça paraît quand même …!
mon sac et il m’a pas demandé. (Elles rient.)
• C’était un vent qui s’était nettement alourdi, mais il vous a pas demandé d’ouvrir le
sac. L’humour, ça peut aider de temps en temps.
Il avait reçu une formation et deux fois, il est comme ça venu en France et s’est fait parachu-
Il avait dû, il avait dû comprendre. Parce que vous savez, ces gens-là1étaient commerçants.
ter pas loin de la Grand-Cour1et il m’a vue avec toi et avec tous les enfants. Alors, il a dit:
En face, c’était un boucher, qui avait besoin de charbon, ailleurs, c’était un autre commer-
«Je suis tranquille, je peux repartir parce qu’elle est toujours où elle était.»
çant qui avait … alors ils pouvaient se permettre de ravitailler un peu les autres gens.
• Oui, oui, d’accord, donc il est venu, il s’est fait parachuter uniquement …
• Bien sûr, et donc les débuts de la guerre pour vous … Quels sont les souvenirs que
Mais il n’a pas parlé, il n’a parlé à personne.
• Madame Leclerc, il s’est fait parachuter ces deux fois-là uniquement pour prendre
de vos nouvelles en toute discrétion? Bon, c’est un acte d’amour assez superbe, ça!
Ah oui, parce que, enfin, c’est-à-dire il avait peur de, vous savez, que ça nous attire des
ennuis parce que les ennuis étaient énormes, vous savez, pendant la guerre.
• Oui, je comprends. Et donc cela, il vous l’a raconté à son retour …
Après la guerre, quand il est rentré … Après, ça m’est revenu que j’avais vu, un soir que
j’allais à Belleville chez la mémé, chez la Bougnate, j’avais vu un monsieur sur le côté, un
peu mal habillé, vous savez, et tout ça et … Ça, c’était lui!
Françoise • Et la Bougnate n’a pas été son point de chute quand il est venu à Paris? Il a
bien fallu qu’il couche quelque part. C’est pas chez la Bougnate?
Ben si, il avait une chambre chez la Bougnate, alors il a, il a pu coucher là.2
Midinette Moi, j’avais une petite midinette pour faire … Vous savez ce que c’est? Une petite cuisinière
pour faire à manger.
• Oui, une petite midinette.
Ça s’appelait une midinette (Elles s’amusent.) Et puis, vous savez, on n’était pas difficile
1 La Grand-Cour est la propriété des grands-parents de Françoise, à Tressaint, petit village à un kilomètre
de Dinan.
2 Mais Madame Leclerc a vécu toutes ces années sous l’occupation sans nouvelles de son mari. Elle reste chez
la famille de Françoise. Le quotidien est difficile.
Du vent!
vous en conservez des tout premiers mois de la guerre?
La guerre … On habitait, c’était pas drôle parce que c’était habité par des gars, par des
«Pas la même chose
Allemands. Alors moi, bien sûr, je comprends l’allemand, je pouvais comprendre. Mais
c’était pas la même chose, on était très, très surveillé.
• C’était pas la même chose pour qui? Vous voulez préciser?
Françoise, parce qu’ils étaient Israélites, ils étaient de religion israélite. Alors, vous savez
que c’était … Pour ces gens-là, c’était terrible.
• Voilà, oui. Toute la famille chez laquelle vous travailliez, qui était la famille de
Françoise …
Moi, je me rappelle que quand, vous savez, les enfants qu’on séparait de leur mère, vous
savez? Mais c’était affreux de voir ça, c’est même affreux d’y penser, et pour les mères et
pour les enfants parce qu’ils ne supportaient rien.
• Bien sûr, absolument oui … C’est quelque chose qui était très présent dans l’esprit
de tout le monde dès le début?
Ah oui, dès le début …
• Et donc votre connaissance de la langue allemande au quotidien vous a aidée à
1 Elle nous parle à nouveau de ses amis, les Bougnats.
La langue allemande
152 • MARGUERITE LECLERC
aider la famille de Françoise à éviter des problèmes?
• Vous étiez sans arrêt sur vos gardes, hein?
C‘est-à-dire, j’écoutais quand je les rencontrais, j’écoutais parce qu’ils disaient n’importe
Oui, moi, je revenais de, justement de Belleville, je changeais à Châtelet. A chaque fois,
quoi. Mais quand ils me parlaient en allemand, je répondais en français.
il fallait changer, et quand je suis arrivée, on sortait, ils ont dit: «Tout le monde va sortir
• Vous répondiez en français. Vous évitiez de vous laisser piéger, c’est ça?
dehors, personne doit plus rester.» Alors, je suis sortie aussi et je suis montée le boulevard
Je me faisais pas … Oui, je répondais en français. Non, j’ai jamais été piégée, même avec
St. Michel toute seule à pied avec mon sac. Et eux, vous savez, ils étaient de l’autre côté. Ils
mes cinq kilos de charbon, j’ai jamais été piégée.
faisaient les va-et-vient sur le boulevard, ils surveillaient. Je n’allais pas prendre le Jardin
• Ça a impliqué d’être en permanence sur le qui-vive, ça, non? C’était une tension
permanente.
Oui, souvent je rentrais de Belleville avec mon charbon. Parce que vous savez, il y avait
le couvre-feu à neuf heures, à neuf heures, alors il fallait être rentré, il fallait plus personne dans les rues. Alors, ça m’est arrivé d’aller de l’hôtel Lutécia à pied jusqu’à la rue de
Fleurus avec …
• … ah oui, avec votre charge de charbon.
du Luxembourg parce que ça, c’était dangereux. Je pouvais jamais amener Françoise au
Jardin du Luxembourg parce qu’ils n’avaient pas le droit. Je sais pas si vous êtes au courant
de tout ça. Ils n’avaient pas le droit.
• Donc vous ne pouviez pas y aller avec elle.
Alors, je faisais le tour du Jardin du Luxembourg et je rentrais par le boulevard St. Michel
pour …
• Et quand vous dites «je», c’était toujours avec Françoise?
Ah oui, avec ma charge de charbon parce que mes … Ils disaient toujours en allemand:
Vous étiez toutes les deux?
«Dépêchez-vous, Madame. Dépêchez-vous!» Je ne répondais pas parce que si j’avais répon-
Oui, quand je suis entrée à leur service, Françoise avait deux mois. Je me rappelle toujours
du, ça aurait été autre chose, vous savez. Même dans la maison, on était très, très surveillé.
ce bébé, je me rappelle toujours. Sa mère le langeait sur une table, je m’en rappelle toujours.
On avait là où on habitait, chez la dame, c’était un meublé … Alors la dame qui tenait ça
était de souche anglaise. Alors on s’arrangeait très bien avec elle. Cette femme ne pouvait
pas supporter les Allemands. Alors ça… on pouvait très bien s’arranger avec elle.
Surveillé en • Quand vous disiez que vous étiez très surveillés, bon, ça se traduisait par exemple
permanence par … Vous m’expliquiez l’autre fois que vous étiez suivie quand vous sortiez par
exemple?
Ben, oui, parce que, vous savez, les Allemands, on se promenait, on était à la campagne
Alors, le bébé m’a plu. Oui, c’est vrai. (Elles rient.)
• Et vous avez plu à la maman du bébé! Donc tout allait bien.
Tout allait bien et sa maman avait confiance en moi, alors ça allait tout seul. Parce que
c’était difficile d’avoir quelqu’un, vous savez …
• Oui, l’histoire lui a donné raison d’avoir eu confiance en vous.
Et surtout pendant la guerre parce qu’un enfant parle facilement!
• C’est vrai, oui, un enfant parle facilement, c’est sûr.
toutes les deux et on se promenait et alors on cherchait à ramasser des trucs pour s’amuser.
J’ai vu des gens, Françoise a connu ça, la petite modiste à côté, il y avait une petite modiste,
Là, les Allemands nous suivaient ; alors ils étaient là: «Vous savez, Madame, vous avez pas
en dessous, à côté, la porte à côté dans la rue. Elle me faisait des chapeaux et tout ça. Elle
le même type que la petite.» Mais je dis: «Le père n’est pas le même. Il faut être deux.» Vous
fréquentait un jeune homme qui était Israélite, vous savez, elle pouvait donc pas se marier.
savez, ils étaient terribles, les Allemands. Vous ne l’avez pas connu ça.
Elle pouvait pas se marier, elle pouvait pas le recevoir non plus. Alors c’était très, très, très
• Non, je n’ai pas connu, mais c’est important justement que des personnes comme
dur, vous savez. Il a fallu le vivre pour le croire parce que les rafles du Vél d’Hiv et tous
vous puissent nous le raconter, à nous, les générations qui sont arrivées après,
ces trucs-là … Je l’amenais quelquefois au Jardin des Tuileries. C’était loin et c’était pour
c’est très important.
Ah oui, quand on se promenait, on n’allait jamais deux jours de suite dans le même jardin.
pas qu’on soit vu ni connu. Il fallait pas être connu.
• … pour ne pas être connu.
Vous savez parce que quand ils vous avaient dans le nez …
Parce que moi, de mon côté, ma famille était dans la Résistance. Je dois …
• Donc vous deviez en permanence prendre ce type de …
• Donc vous avez, vous avez deux de vos frères qui étaient résistants?
Peu importe comment ils sont, ils ne lâchent pas.
Jardins interdits
Françoise • Tu te rappelles où tu allais à propos d’eux?
Recherché
154 • MARGUERITE LECLERC
• Où alliez-vous pendant la guerre à propos de vos frères?
les gens de mon pays. On se rencontrait et on bavardait de son pays et de tout ça, tous les
Mais oui, il y avait, il y avait un Monsieur qui s’est présenté chez la gardienne avec qui
dimanches. Mais là, c’était fini, alors lui, il était resté, il a dit qu’il fallait pas revenir et il
nous étions très bien. Alors, il a dit: «On veut voir Madame Leclerc.» Elle ne laissait entrer
a été arrêté aussi, il est décédé aussi.
personne. «Vous pouvez pas voir Madame Leclerc». Il a dit aux amis qui l’accompagnaient:
• C’était effectivement dangereux.
«Si, quand elle verra mes yeux …» Il avait une barbe dans toute la figure. Il était plus jeune
Ça, c’était le père Wampack. Oui, et donc ça, le principal s’appelait Stoeffels, c’était lui qui
que moi, il avait huit ans de moins que moi. Il a dit: «Quand elle verra mes yeux, elle me
dirigeait tout ça. Et moi, j’écrivais de temps en temps. Il fallait pas y aller tous les huit jours,
reconnaîtra.» Et c’est vrai quand il est arrivé ensuite il a enlevé sa casquette. Il y avait
hein? J’allais rue Lafayette envoyer une petite lettre ouverte pour qu’il puisse la lire en cas
deux portes, on avait un appartement avec deux portes sur le même palier. Alors, c’était
facile en cas de danger de filer, mais en bas c’était toujours surveillé.
• C’était surveillé. Et alors c’était votre frère.
C’était mon frère, c’était mon jeune frère.
• … votre jeune frère qui était venu vous voir. Il avait pris des risques sûrement pour
venir vous voir aussi.
Il fallait qu’il se cache parce qu’il était recherché et sa photo était placardée dans toutes les
communes pour le vendre. Alors, il est venu à Paris, là, personne le connaissait.
• Il a pu rester quelque temps avec vous ou c’était difficile?
Oui, alors on avait, au début on avait du mal à le coucher, on le couchait une nuit ici, une
que parce que mon courrier était toujours ouvert.
• Les courriers étaient ouverts, oui.
Alors, c’était toujours ouvert et lu avant que …
• … que vous puissiez le lire, vous.
Vous savez, c’était pas facile.
• C’était une intrusion permanente dans la vie quotidienne même par le courrier.
C’est vrai que ce sont des choses auxquelles on pense avec difficulté.
Vous savez, il a fallu le vivre pour le comprendre, si on ne … J’amenais, je t’amenais rue
Lafayette.
nuit là. Vous savez, on se connaissait entre gens ; on couchait ailleurs et puis tout ça. Puis
Françoise • Oui, oui, oui, je m’en rappelle parce qu’il y avait des gâteaux.
après, il est reparti avec son amie, l’amie américaine.
• Vous avez évoqué tout à l’heure la rafle du Vél d’hiv. Est-ce que vous avez un souvenir
• Il est parti avec une Américaine.
précis à nous raconter par rapport à cela?
Françoise • Ce n’est pas à ça que je pensais mais je pensais avant, quand tu m’as toujours
Moi, je ne pouvais pas sortir la nuit. Mais quand ils descendaient par le boulevard on voy-
parlé de la mission luxembourgeoise et des prêtres de la mission luxembourgeoise.
La mission Ah, oui, oui, il est décédé aussi, le père Stoeffels, oui, c’était rue Lafayette. Le père Stoefluxembourgeoise fels, c’était un correspondant et quand je pouvais pas correspondre avec ma famille alors
j’allais voir le père Stoeffels. Lui, il faisait passer le courrier quand il pouvait. Mais il a
ait les camions et les piétons. Moi aussi, j’ai fait du plat-ventre, vous savez, parce que les
Allemands ne se gênaient pas pour tirer «au chlaque», vous savez, ils voyaient quelqu’un
debout puis …
• Mais à propos de cette rafle - vous m’en parliez tout à l’heure – vous avez un souvenir
été arrêté aussi et il est décédé. Je sais pas, pendant la torture parce que la torture, vous
précis par rapport à la rafle du Vél’ d’hiv?
savez, c’est, c’était terrible.
Ça s’est fait toute la nuit, toute la nuit.
• C’est à cela que vous pensiez, Françoise, quand vous parliez de la mission, vous
aviez quelque chose de précis en tête?
• Oui, il y a des gens autour de vous qui étaient proches que vous avez vu disparaître
dans cette rafle?
Françoise • Ah oui, parce qu’il y avait un autre père, tu me disais, et puis tu m’as raconté
Oui, c’étaient, vous savez, des amis. La dame, normalement elle n’aurait pas dû être prise.
qu’il faisait de la résistance justement, le père Stoeffels. Et il y avait un autre prêtre à la
Vous savez, si vous approchiez, vous étiez pris aussi. Et son mari, il s’occupait de l’affaire
mission luxembourgeoise. Mais moi, je ne sais pas du tout qui c’est …
Louis Wampack. Ils étaient deux, alors c’est lui qui nous disait: «Il faut plus venir parce
que vous allez vous faire pincer.» Parce que le dimanche, vous savez, c’était un relais pour
«geöffnet»
Mon courrier quand je le recevais par la poste, il était toujours marqué devant «geöffnet».
israëlite tout ça.
Françoise • … de l’UGIF
De l’UGIF, il s’occupait de tout ça. Normalement ils n’auraient pas dû l’arrêter. Alors elle a
Vél d’hiv
156 • MARGUERITE LECLERC
¡ Courrier de guerre
été dans une rafle ... Et puis, alors elle dit: «Mes enfants, qu’est-ce qu’ils vont devenir?» Il a
dit: «Ça fait rien, on ira les chercher.» Elle a été les chercher, ses enfants étaient tous passés
à la chambre à gaz avec elle.
Françoise • En parlant de la rafle du Vél d’hiv, c’est pas à ça que je pensais, je pensais, tu
te rappelles très bien, c’est les coups de téléphone que t’a donné deux fois la Bougnate
chez Madame de Kermadio.
Oui, parce qu’ils avaient pas le droit au téléphone ni à rien du tout. Alors il fallait passer
par Madame de Kermadio, c’est la dame qui était de souche anglaise. Alors il fallait aller
téléphoner chez elle, et il fallait recevoir aussi par chez elle, seulement elle pouvait pas
venir me chercher, elle prenait la commission et puis ça remontait.
• Donc la Bougnate, comme vous l’appelez, a téléphoné à cette dame et ça avait un
rapport avec la rafle, c’est ça?
Ben oui.
• Vous voulez bien m’expliquer, vous voulez bien le préciser un petit peu?
Vous savez, je ne pourrais pas vous expliquer spécialement ça parce que moi, c’était pareil,
je me montrais pas beaucoup, c’était risqué, alors quand c’est risqué, on se tient tranquille.
Quand mon frère est venu à Paris, on ne l’a pas montré, c’est pareil.
• Donc la mère de Françoise travaillait …
… et elle avait été obligée de quitter tout à cause qu’elle était juive.
La maman
de Françoise
• Tout a été extrêmement surveillé et à un moment donné elle n’a plus occupé sa
fonction.
Alors, elle s’est mise à apprendre la pédicure et moi, je lui servais de cobaye.
• Vous lui serviez de cobaye?
Le soir, elle me faisait le massage. Elle me faisait, enfin, je lui aidais pour son diplôme parce
qu’il fallait un diplôme pour ça. Alors, le soir je lui aidais quand elle rentrait. Elle pouvait
pas demander ça à n’importe qui.
• Bien sûr, donc, c’est vrai, elle était très peu disponible pour Françoise finalement,
que ça soit à cause de son poste ou ensuite parce qu’elle a dû reprendre des études
pour apprendre un autre métier.
Vous savez, sa mère avait fait de grandes études et quand elle s’est mariée, je ne sais pas ...
Et lui, il travaillait aussi, lui c’était autre chose, un autre métier, vous savez, il était … Il
était israélite aussi.
• Et lui, il travaillait dans quel secteur, vous vous en rappelez?
Il travaillait surtout dans les entrées et les sorties et puis la marchandise, vous savez.
Le papa de Françoise
158 • MARGUERITE LECLERC
Ça, c’était un homme gentil comme tout. Et le matin, il ne venait jamais sans … J’amenais
Françoise partout, je ne la laissais pas. Il ne pouvait jamais partir travailler toute la journée
– il ne rentrait pas le midi – il venait à la cuisine: «Vous pouvez me donner mon parapluie,
Marguerite?» Il avait peur qu’il pleuve. C’était son au revoir pour dire …
• C’était sa façon de dire au revoir, au fait, de venir vous voir avant de partir.
• C’est-à-dire?
Pour lui aider à garder son souvenir, j’ai raconté des choses de son souvenir.
• C’est vous qui avez entretenu la mémoire de son père, du père de Françoise auprès
d’elle? Vous avez joué ce rôle-là aussi?
Oui, et alors ça, et lui … Et je pense qu’il comptait un peu là-dessus, vous savez. Parce qu’il
Oui. Et je savais qu’il était parti. Vous savez, c’était cette question israélite qui était très
n’y avait pas de raison. Tous les matins, il venait pour son parapluie. Dans ma mémoire,
présente, vous savez. Et je crois que sa mère a été arrêtée, elle a été là au camp qui était
je le vois, vous savez.
à côté de Paris où étaient tous les Israélites. Alors, son père est venu. Pourtant, ils avaient
• Il venait tous les matins pour son parapluie. Il avait bien compris que vous pourriez
divorcé, ils avaient pas les mêmes opinions. Son père est venu, il habitait plus là puisqu’ils
occuper cette place-là auprès de Françoise.
avaient divorcé.
Je lui disais, à Françoise: «C’est ton père qui a fait libérer ta mère, tu sais, c’est lui qui a
• Donc ils ont divorcé pendant la guerre?
Oui. Alors, j’ai dit, il a dit comme ça: «Françoise, est-ce que tu seras contente que ta maman
agi.»
• Mais qu’est-ce qui s’est passé pour la mère de Françoise? Après, elle est revenue
revienne?» «Ah oui, papa, qu’est ce que je serais contente que maman revienne!» Alors, il a
revivre à la maison?
dit: «On verra ça» et lui, je crois qu’il a fait tout ce qu’il a pu. Je n’ai jamais su tout ça, mais
Sa mère est revenue à la maison mais quand il y avait des difficultés, moi, je ne laissais
Tante Juliette savait, mais elle est décédée, ils l’ont supprimée, vous savez. Alors …
jamais Françoise. Quand je sortais le dimanche, je l’amenais avec moi, on couchait même
• Parce que Tante Juliette, elle était au courant de …
Elle était présidente de l’UGIF.1
• Tante Juliette, donc c’est la tante de Françoise et présidente de l’UGIF, de l’Union
générale des Israélites de France.
Ça, c’était une femme! Je pense que lui, il a été arrêté parce que tout de suite sa mère est
rentrée et tout ça.
• Parce qu’elle est rentrée, la mère de Françoise, elle est revenue?
Oui … Je lui ai toujours dit: «Tu sais que c’est ton père qui a fait tout ça.» Lui, il a été donné
à la place, vous comprenez.
• Vous pensez qu’il s’est donné pour la faire sortir?
des fois ensemble comme j’avais qu’un lit et tout ça.
• Donc vous dormiez ensemble.
Et puis lundi matin, on retournait pour que sa mère se repose un petit peu parce que, vous
savez, elle a tout de même, elle a souffert, c’est à Drancy qu’elle était.
• Oui, alors donc elle a évidemment beaucoup souffert de son enfermement à Drancy.
Alors là, j’étais contente que …
• Mme Leclerc, vous avez su tout de suite quand vous avez rencontré cette toute petite
fille dans ses langes qu’elle allait prendre cette place aussi importante?
Oui, parce que c’était, vous savez, un bébé aimable, un bébé, vous savez …
• Un bébé qui s’est rendu aimable tout de suite et vous, vous aviez besoin d’aimer
Oui, il a fait toutes les démarches, vous savez, toutes les démarches, il y a toujours des trucs.
cette petite fille.
C’est comme ça qu’il a été arrêté, chez le coiffeur, il était chez le coiffeur.
Alors, moi, c’était pareil, j’avais besoin de … J’avais mon mari qui n’était pas là.
Echange • Il a été arrêté chez le coiffeur et donc la maman de Françoise est rentrée.
Il a été déporté mais, vous savez, quand ils vous donnaient une serviette, cela voulait dire
qu’il ne revenait pas, vous savez, une serviette de table ou de chose. Alors, lui, il a été gazé
tout de suite en arrivant donc. Ça a été fini.
• Il a tout de suite été exterminé.
Pour elle, ça l’a beaucoup touchée, Françoise. Et j’ai fait tout ce que j’ai pu pour essayer de
lui … j’ai toujours gardé les choses de son père, vous savez?
1 Elle était responsable des Services Sociaux de l’UGIF.
Parapluie
• Oui. Bien sûr.
Lui, alors tout ça. J’aurais dû vous apporter la photo quand elle est venue : Quand on s’est
marié, elle était ma demoiselle d’honneur!
• Ah oui! J’aimerais bien la voir, cette photo.
La prochaine fois, je vous apporterai ça.
• Oui, volontiers. Et à quel moment est-ce que vous avez compris qu’elle allait être en
danger, cette petite fille?
Un bébé aimable
CD| Nº12
160 • MARGUERITE LECLERC
¡ Mariage: Françoise en demoiselle d’honneur
Tout de suite.
• Tout de suite, vous l’avez compris.
Tout de suite. Moi, je, vous savez, je comprends l’allemand, je le parle et j’entendais toujours
les Allemands la nuit. On avait déménagé, il fallait pas rester dans le 16ème arrondissement où ils avaient un appartement splendide, il fallait quitter tout et on a pris un petit
logement.
• Donc chez la fameuse dame américaine, c’est ça?
Pas américaine, anglaise.
• Anglaise, pardon. Oui, c’est ça, la dame anglaise.
Anglaise. Alors, ça c’était un tout petit meublé, vous savez, et on avait une chambre pour
nous deux, Françoise couchait avec moi. Ils avaient, sa mère avait sa chambre près du
cabinet de toilette. On n’était pas, on était devenues moins difficiles, vous savez.
• Et donc, la menace s’est faite sentir tout de suite. Et est-ce que c’est aussi pour cela
que vous teniez tellement à l’amener à la messe tous les dimanches avec vous?
Oui, parce que … Je l’amenais parce que je ne la laissais pas. Alors, je l’amenais à la messe
et tout ça non pas pour la convertir, non! Parce qu’il y en a, vous savez, je connais assez,
j’ai travaillé dans ces choses-là assez, vous savez … Alors elle allait à la messe, elle trouvait
ça joli, vous savez, elle trouvait ça très joli.
• Quoi donc? La messe? Elle trouvait ça …
La messe. Les curés, vous savez, à cette époque passaient encore avec leurs petites bourses,
et puis alors … J’avais un franc, je lui ai donné pour mettre dans la bourse. Alors après,
elle m’a dit, elle m’a fait ça à l’église: «Il m’a pas rendu la monnaie». (Les deux rient.) J’y
penserai toujours, vous savez. Alors après, quand on était sorti, je lui ai expliqué pourquoi
c’était ça et qu’il pouvait pas rendre la monnaie. Et que ce qu’on donnait, on le donnait
volontairement.
• Bien sûr. Et donc petit à petit et chaque fois que vous aviez des déplacements à faire
vous l’avez emmené avec vous.
Je l’emmenais.
• Vous avez eu l’occasion d’aller en Normandie?
Et oui. Oui, parce que mon mari était Normand et il aimait beaucoup la Normandie. Moi
aussi j’aimerais même beaucoup y retourner. J’aimais beaucoup la Normandie, tout ça. Je
l’amenais partout, puisque je vous l’ai dit que je l’ai amenée à Luxembourg pour pas la
laisser seule, je ne pouvais pas la laisser à sa mère.
• Mais c’était pas pendant la guerre que vous êtes allée à Luxembourg? Si?
Je l’amenais partout
162 • MARGUERITE LECLERC
Non. Pendant la guerre, mon mari était parti, j’étais seule. C’étaient des moments très durs.
• C’étaient des moments très durs, bien sûr.
Missives dans C’était … Alors, je l’ai amenée. Quand il y avait beaucoup de danger on le sentait, vous savez,
le chignon c’est comme ça que je me déplaçais, avec des choses, des missives dans le …
• Racontez-moi ça! Alors, l’histoire des missives dans votre chignon. Racontez-moi ça!
C’était marqué: «Ne couchez pas ce soir chez vous. N’allez pas coucher chez vous.»
• Vous mettiez des messages dans votre chignon, que vous cachiez dans votre chignon!
Oui, dans les cheveux.
• … et vous traversiez Paris ainsi …
… à pied.
• … à pied, pour aller porter les messages.
Oui, à Tante Juliette et puis … Tante Juliette, c’était la sœur de sa mère.
Tante Juliette • C’était la sœur de sa maman. Et donc comme elle avait une place importante à
types: «Madame, laissez nous entrer!» Alors … je les ai laissés rentrer et puis je les ai cachés
derrière les double rideaux. Et puis alors, les Allemands ont tous suivi: «Madame, on sait
que vous les avez!» J’ai dit: «Non, cherchez partout, si vous voulez regarder. Tenez, je vous
montre. L’appartement est petit. Voilà.» J’ai montré.
• Quel risque vous avez pris là!
Ils étaient derrière les rideaux. J’ai pas ouvert les rideaux. Et après, j’ai dit: «Ne bougez pas
Parce que, vous savez, c’était une époque! Ceux qui l’ont vécue comme moi je l’ai vécue,
vous savez, c’était pas drôle. Et puis quand, vous savez, j’avais donné une petite fête pour
Françoise, vous savez, c’était son anniversaire. Elle est née le cinq décembre. Alors, j’avais
invité des petits amis et alors ils avaient fait du bruit. Cet Allemand, il est monté, il m’a dit:
«Vous savez, ça fait trembler mon lustre, il pourrait tomber». Alors je lui ai dit: «Autre chose
pourrait tomber. Ce serait encore beaucoup mieux! (Elle rit beaucoup.) Il m’a dit: «Qu’est
l’UGIF …
ce que vous dites, Madame?» Alors, j’ai dit: «C’est fini.» Alors j’ai dit: «Maintenant, il y a
Elle était présidente!
personne chez moi, alors c’est fini.»
• C’était la présidente. Donc elle était en danger perpétuellement, cette femme.
Alors après, vous savez, quand l’armée Leclerc est rentrée, ils rentraient par la rue Denfert
Oui. Mais tant que le gouvernement était comme ça, elle ne risquait rien. Mais après, tout
Rochereau. Et c’était donc rue de Rennes, rue de Fleurus, il y avait partout des choses. Et
de suite dès que … il y avait ce changement, ils l’ont supprimée pour pas qu’elle parle.1
moi, je me suis promenée toute une journée avec la carte de mon mari et j’ai dit: «Vous avez
Sûrement! Parce que sa tante savait tout de même beaucoup de choses, vous savez, que
vu un type comme ça chez vous?»
nous, on n’a jamais sues.
• Oui, probablement, probablement. Elle était comment, cette femme? C’était une
«Non, Madame.» Je cherchais mon mari. J’ai pas trouvé. Alors vers minuit, j’ai trouvé le
service de santé. Alors, j’ai dit: «Avez-vous connu ce monsieur?» Il me dit: «Oh, oui, Madame,
Oui, à tout point de vue. Pour eux, c’était une forte personnalité.
c’est un bon ami à moi. Il a eu une bilieuse en Afrique.»
• Il a eu une?
Ah oui. Quand j’arrivais, je frappais, je disais «C’est Marguerite qui est là». C’était tout.
«Une bilieuse, et moi, je l’ai soigné. Je sais. Il a été légèrement blessé mais c’est pas grave.»
Alors, elle ouvrait tout de suite, elle savait qui c’était. On ne vivait pas, on ne vivait pas.
• Et là vous aviez la preuve que votre mari n’était pas mort comme on vous avait dit,
Moi, je ne dormais jamais la nuit.
Rafles • Vous ne viviez pas, vous n’arriviez pas à dormir la nuit.
comme on vous a laissé croire!
que vous avez fait par rapport à cette annonce quand vous aviez reçu un courrier où
Raspail par là et puis ils étaient en bas, au Lutécia, vous savez? Alors, tous les matins ils
on vous expliquait que votre mari avait quitté la France par bateau. Vous voulez bien
descendaient en chantant, si vous voulez.
nous expliquer cela?
Oui. Alors je cherchais toujours mon mari puisqu’il devait tout de même être quelque part …
Oui, alors, on avait ce petit appartement-là de … Et puis, un jour il y a eu, vous savez, des
Alors, je suis partie à Brest et à Brest, j’ai demandé à voir le colonel, le commandant de
étudiants. Ils avaient fait des fois des rafles. Alors, on a frappé à la porte. C’étaient deux
la place et puis alors il m’a reçue, alors je lui ai expliqué. C’était donc en quarante. Alors,
1 Françoise nous a précisé que Tante Juliette n’a jamais été inquiétée.
CD| Nº12 fin
Parce que ce que vous ne nous avez pas raconté encore c’est tout ce cheminement
Parce que les Allemands étaient à Denfert Rochereau. Et la rue de Fleurus va boulevard
• Ah oui, vous les entendiez descendre en chantant.
Les deux Leclerc
• Vous le cherchiez.
forte personnalité?
• Quel souvenir elle vous a laissé, cette Tante Juliette?
Anniversaire d’enfant
d’ici, je descends pour voir s’ils sont encore dans la rue pour que vous puissiez descendre.»
Le vin qui sauve
164 • MARGUERITE LECLERC
il m’a dit: «Madame, vous savez, votre mari est mort. Il a pris le Vaucroix et le Vaucroix
avec tous ses hommes à bord a coulé. Votre mari est mort.» Alors, je lui ai dit: «Vous savez,
je ne le croirais que quand le gouvernement m’aura envoyé quelque chose d’officiel. Pour
l’instant, je n’ai rien vu d’officiel.» Vous voyez que j’ai bien fait!
• Oui, vous avez bien fait. Donc vous avez toujours pensé que votre mari était vivant.
Et vous avez eu un document officiel où on vous précisait que le corps de votre
époux n’avait pas été retrouvé, c’est ça?
Oui. Après, il m’a dit: «C’est le vin qui m’a sauvé.» Parce que sur le bateau, il y avait un petit
fût de vin. Il est sorti du bateau pour … Parce qu’ils se sont dit: «En Angleterre, il n’y aura
rien. Ils n’ont pas de vin.» Le Vaucroix a coulé avec tout le monde mais lui, comme il était
descendu pour chercher ce petit peu de vin, ça l’a sauvé.
• Ah, oui, d’accord! Ça, c’est la petite histoire qui fait la grande histoire! Et donc en
fait, bon, vous, vous avez cru jusqu’à la fin de la guerre, vous avez gardé cet
espoir-là.
Certitude Qu’il n’était pas mort, qu’il n’était pas mort. Et alors un jour, j’avais été à la messe, j’avais
Françoise avec moi, je l’avais amenée à la messe, je rentrais à pied parce qu’on n’était pas
loin. Et puis alors, il y avait le capitaine qui dit: «Vous savez, votre mari, il est là à Rennes,
il a été transporté à Rennes, mais il n’est pas gravement blessé. Mais il faut attendre qu’il
puisse voyager.» Quand je suis arrivée à Rennes … Je parle peu l’anglais, j’ai dit: «Je cherche
l’adjudant Leclerc.» C’étaient des Américains. Il était chez les Américains, il était très bien
là. Il était très bien, il fallait qu’il se fasse soigner. D’ailleurs sa jambe, c’était à soigner
jusqu’à sa mort.
• Donc, tout ça, c’était en quelle année? A quel moment s’est passée cette rencontre
à Rennes alors?
Et bien, quand l’armée française est rentrée par Denfert Rochereau, c’était à cette époquelà. J’avais ma belle-mère toute la guerre que j’ai soutenue et ainsi de suite. Elle était à
l’hôpital. Parce qu’elle avait perdu la raison à cause du départ de son fils.
• Elle a perdu la raison, votre belle-mère?
Tombée du ciel Elle n’a jamais reconnu son fils quand il était rentré. Pour mon mari, ça a été une chose
terrible. Alors, elle m’a amenée là, et quand je suis arrivée, mon mari a dit: «Mais, tu es
tombée du ciel?» (Elles rient)
• Ah, oui, vous étiez une apparition pour lui!
J’avais dû traverser la Normandie. Mais cette pauvre Normandie, elle était pleine de, il y
avait des gens qui mangeaient dans la rue, qui buvaient leur café tout ça. Cette pauvre
¡ Documents: Henri Leclerc, destination inconnue
166 • MARGUERITE LECLERC
Normandie, que j’avais connue si belle!
• Si belle, et là, elle était complètement ravagée et c’est là que vous vous êtes retrouvés, en fait, tous les deux.
Et après, il m’a dit deux jours après: «Rentre à Paris, fais-moi rentrer à Paris!» Parce que j’ai
demandé qu’on me rapatrie sur Paris si c’était possible. Et il me dit: «Tiens, voilà deux car-
qu’est-ce qui s’est passé à ce moment-là?
Quand la guerre était finie, petit à petit, ils avaient quand même gardé un tas de choses à
droite et à gauche, vous savez. Alors, ils ont récupéré petit à petit tout ça et ils ont, elle a
cherché un appartement, sa mère.
• Elle avait récupéré au niveau de sa santé, sa maman? Donc en fait, Françoise est
touches de cigarettes, ça peut te servir.» Je lui ai dit: «Qu’est ce que ça peut bien me servir?»
partie vivre avec sa mère?
Il dit: «Prends-les, tu verras, ça te rend service.» Alors, j’ai pris les paquets de cigarettes
Alors, après, Françoise est partie vivre avec sa mère. Moi, je suis restée avec eux puisque
et puis j’ai demandé, il y avait un camion, j’ai demandé s’il voulait m’amener à Paris. «Ah,
mon mari n’était pas là. Parce que mon mari, après, il est reparti, vous savez, pour Stras-
non, Madame, on emmène personne.» Alors plus loin, il y avait une camionnette. Elle était
bourrée de monde. J’ai dit: «Monsieur, vous n’auriez pas une place pour moi pour Paris?»
«Non, Madame!» Est-ce qu’il y a une place pour Paris?
• … en lui tendant le paquet de cigarettes.
Il m’a dit: «Montez, Madame!»
• Ça pouvait effectivement servir, là.
Ça m’a servi. Ils ont tous fumé, j’ai passé des moments très pénibles.
Après. Vie avec • Je pensais à la fin de la guerre et à votre relation avec Françoise. Pratiquement toute
Françoise sa famille a été décimée, il restait sa maman. Comment ça s’est passé alors pour eux
et pour vous à la fin de la guerre? Vous êtes restés ensemble?
On est resté, on a voyagé pas mal toutes les deux.
• Vous avez voyagé toutes les deux?
… on est allé à Ludes. Le docteur qui nous avait soigné, qui m’avait soigné, il m’a dit: «C’est
un petit hôtel qui ne paie pas de mine mais on y mange bien.» Alors on est parti toutes les
deux à Ludes et il y avait des personnes qui étaient au courant qu’on venait. Ils avaient
tous une boutonnière avec du blanc dessus. Alors, ils nous ont reçu, ils nous ont amené
bourg.
• D’accord, là où était son corps d’armée.
Alors après, Françoise, ça n’allait pas et moi j’étais partie chercher un appartement à Yssingeaux et elle était à Vichy chez des amis. Françoise était là. Et je me rappelle la dame où
j’étais à Yssingeaux, la dame avait donné six œufs durs, je lui ai dit: «Qu’est-ce que je ferai
avec les six œufs?» «Madame, gardez-les. Vous ne savez pas ce qui peut vous arriver en
route», elle a dit. Alors, je suis allée à Vichy pour voir Françoise. Quand elle a vu les œufs
durs, elle en a mangé quatre d’un coup.
• C’est pas possible.
Quatre d’un coup et les autres je lui ai laissé pour le lendemain.
• Oui, bien sûr. Et vous êtes allées à Luxembourg à la fin de la guerre toutes les deux? Luxembourg
Vous l’avez amené là-bas?
Oui, oui, je l’ai amenée à Luxembourg.
• Comment ça s’est passé?
C’était très bien, vous savez. Françoise, elle marchait comme moi.
• Bien sûr, mais je me rappelle une anecdote où elle est arrivée là-bas et elle était
dans cet hôtel. On a fait tout ça. On n’était pas perdu. On n’est pas resté longtemps parce
complètement ébahie par la profusion de nourriture qu’elle voyait.
qu’il y avait de nouveau des remous. Alors, il fallait partir, nous sommes rentrées, à Paris.
C’était à Luxembourg parce qu’il y avait les Américains parce que les Américains avaient
Et puis après, on est parti ailleurs. Je ne sais plus où on était parti, on était parti deux ou
… On est sorti à la gare. Et juste à la gare, il y avait la boucherie et il y avait du saucisson,
trois fois. Sans sa mère, avec moi.
des saucisses, de tout … Oh, elle dit: «Guite, qu’est-ce que c’est? Qu’est-ce que c’est? Où som-
• Et lorsque la fin de la guerre est arrivée et l’armistice a été signée, qu’est-ce qui s’est
mes-nous?» J’ai dit: «On est à Luxembourg. Tu sais, c’est les Américains qui commandent.»
passé? Vous êtes restées ensemble? Elle avait quel âge à cette époque, Françoise,
Des vitrines, vous savez! J’avais acheté des chaussures parce qu’on avait rien à Paris, vous
à la fin de la guerre?
savez. Vous n’avez pas connu Paris? On n’avait rien à Paris.
Elle est née au début de la guerre. Elle est née en trente-cinq.
• Elle est née un petit peu avant la guerre, donc en trente-cinq. Donc, à la fin de la
guerre, elle avait une dizaine d’année, elle avait dix ans à la fin de la guerre. Alors
• Il n’y avait rien, donc arrivée à Luxembourg, c’était l’émerveillement là-bas pour une
enfant.
Il y avait tout, je la vois toujours devant la vitrine de charcuterie et de boucherie. (Toutes
Abondance …
168 • MARGUERITE LECLERC
les deux rient.) J’avais un frère à Luxembourg, je pensais à ça parce que cette boucherie
existe toujours, c’est pas les mêmes patrons, mais ça existe toujours. Vous voyez, j’étais
d’une famille de sept enfants, huit enfants. Mon père avait encore pris une nièce qui avait
pas, plus de parents, elle a dit: «Où il en mange sept, peut manger un huitième.» Donc,
nous étions huit enfants. Et cette fille, ma mère était sa marraine et ça marchait très bien,
vous savez.
… et souffrance • Et du côté de votre famille comment s’est terminée la guerre puisque vos frères
Il parlait allemand et il pouvait marcher comme eux.
• Oui, bien sûr.
Il était, chez les Américains, il était bien soigné. Il m’a apporté même des oranges à Paris.
Moi, je n’en avais pas mangé de la guerre.
• Ah, des oranges, ah oui. Comme ça a du être bon de redécouvrir le goût de l’orange.
C’est une sensation que vous avez dû garder longtemps, présente.
Oui, j’y pense encore parce qu’il est maintenant dans une maison de retraite avec sa femme
étaient dans la Résistance luxembourgeoise?
parce qu’ils avaient un restaurant tout ça, café … et ma belle-soeur est tombée malade et
Mon frère est mort, mon frère aîné, il a été arrêté à Luxembourg et il a été, vous savez, battu.
elle ne pouvait plus rien faire, alors ils sont rentrés dans une maison de retraite. C’était
Il paraît qu’il hurlait tellement, ils le battaient et il n’a donné personne et il est décédé. Et
puis, il était enterré dans le camp où il était. Mais après la guerre, on a fait tout pour le
ramener au pays.
• … pour le rapatrier. Et votre maman? Elle avait été traumatisée par son déplacement
mieux comme ça.
• On aurait pu faire un film de cette période de votre vie, c’est très romanesque.
Si vous le voulez bien, j’aimerais que nous parlions de ce qui s’est passé après la
deuxième guerre, dans les années qui ont suivi 1946, 1947? Parce qu’il y a eu un
en Silésie?
moment où vous avez pris la décision de partir?
Ma mère était traumatisée. Mon père tenait plus aux choses que ma mère. Ma mère, elle
Ben oui, on est parti en Indochine.
se débrouillait toujours pour qu’on ait à manger. Il fallait qu’on mange. Elle s’est occupée
beaucoup …
• Mais bon, elle a perdu la parole quand même à son retour.
… à son retour de déportation elle n’a jamais pu me dire bonjour.
• Elle n’a jamais pu vous dire bonjour.
Parce qu’après la guerre dès que j’ai pu voyager, je suis allée pour voir mes parents.
• Oui, bien sûr. Elle n’a jamais retrouvé la parole?
Non, malgré les soins. Mais mon père a toujours été gentil avec elle, vous savez. C’est
• Donc, vous êtes partis pour l’Indochine …
Elle, elle a pleuré, Françoise, parce qu’elle n’était jamais séparée de moi.
• Vous n’aviez jamais été séparées toutes les deux?
Et le dimanche, je l’amenais chez moi à Belleville pour coucher tout ça, alors ça lui avait
beaucoup coûté.
• Et vous? Qu’est-ce que vous avez ressenti?
Moi aussi, moi aussi, mais il fallait que je prenne une décision.
• Vous ne pouviez pas continuer à vivre comme ça tout le temps séparée de votre
incroyable ce qu’il était gentil avec sa femme. Elle a donc eu, c’était une attaque, si vous
époux?
voulez, qu’elle a eu pour perdre la parole. Alors, il fallait qu’elle aille partout avec, elle
Non, parce que mon mari il serait parti tout seul et il aurait été obligé de partir tout seul.
allait aux toilettes … il fallait qu’il aille avec elle. Il en a, il en a vu.
D’ailleurs, il a été nommé en Indochine parce que nous n’avions pas d’enfants, ça joue, ça
• Votre famille et vous-même, vous avez beaucoup souffert de cette guerre.
Oui, beaucoup souffert. Mon plus jeune frère, il avait un an et demi de moins que moi,
Gilbert, il n’a pas porté l’uniforme allemand. Il n’a pas voulu porter l’uniforme allemand,
joue. On n’avait pas d’enfants et il était sur la liste de partir. Alors, j’ai pris la décision de
partir.
• Bon, pour vous, ça a été donc difficile cette séparation aussi?
mais il était dans l’ «Intelligence Service» des Américains. Alors, vous savez, il était dans
Oui, ça était difficile. Pour elle aussi ! Mais moi, j’ai trouvé une autre vie. Et je suis partie
l’aviation. Il était, quand on jette les gens, vous savez, il était …
seule en Indochine parce que mon mari était déjà en Indochine.
• … parachuté
… dans les troupes allemandes parce qu’il …
• … pour s’infiltrer dans les troupes allemandes.
Indochine
• Il était déjà en Indochine.
Alors, il m’écrivait: «Si tu ne viens pas, je fous le camp.». Vous savez, parce qu’il ne pouvait
pas s’habituer à leur nourriture. Parce qu’il était très, très, très difficile avec la nourriture.
Décision difficile
170 • MARGUERITE LECLERC
Il était habitué d’avoir de la bonne nourriture et tout ça et il a fait un régime parce qu’il
avec tout le monde. Ça ne m’allait pas du tout. Alors, je me suis débrouillée. J’ai vu le type
était diabétique. Et tout ça alors, c’était mieux. Alors, c’est là que j’ai pris la décision de
des FFL, alors je me suis présentée et j’ai dit: «Voilà, je voudrais retrouver mon mari tout
partir. J’avais jamais pris l’avion.
de suite le plus rapidement possible. Alors, est-ce possible de m’aider?» Il me dit: «Oui, oui,
• C’est vrai, vous n’aviez jamais pris l’avion. C’est la première fois que vous preniez
l’avion? Comment ça s’est passé alors ce voyage?
oui, mettez-vous sur le côté.» Alors, je suis, comme ça, partie. Et quand je suis arrivée là,
mon mari, il était parti en opération. Alors, il y avait un monsieur avec un tout petit chien.
Baptême de l’air Alors, Françoise et sa mère m’ont conduit jusqu’à l’aéroport. Et puis alors l’hôtesse a dit:
Alors, il me disait: «Madame, je viens vous chercher.» J’ai dit: «Vous n’êtes pas Leclerc
«Madame, est-ce que vous avez déjà pris un avion?» «Non» je dis, «c’est la première fois.»
Henri» «Non, non je suis son copain, mais il est parti en opération et il n’a pas pu venir
Elle dit: «Voulez-vous un cachet pour ne pas être malade?» J’ai réfléchi, puis j’ai dit: «Après
vous chercher à l’avion. Alors, c’est moi qui viens.» Alors, c’est lui qui m’a reçu avec son
tout, oui, donnez-moi le cachet! Nous verrons bien.» Et il y avait deux militaires à côté de
petit chien. Il y avait une grande voiture, une belle voiture luxieuse. Alors, il a dit à son
moi et ils n’ont pas voulu de cachet. Alors, elle a dit: «Dès que vous serez dans l’avion, je
commandant: «C’est Mme Leclerc qui vient trouver son mari». Le commandant a dit: «Vous
me présenterai et je vous donnerai un deuxième cachet qu’il faudra prendre.» Alors moi,
allez prendre ma voiture.» Alors, il nous a prêté sa voiture et il nous a amenés où mon mari
je l’ai fait et eux ils ont été malades! Il y a eu beaucoup, beaucoup de gens malades dans
l’avion et j’aidais l’hôtesse avec ces messieurs.
• Ah, et c’est vous qui avez aidé l’hôtesse en plus! Eh bien, c’est un drôle de baptême
de l’air, ça. Et est-ce que ça vous a plu de prendre l’avion pour la première fois?
Qu’est ce que vous avez éprouvé? En dehors des incommodités?
Etape à Saïgon Ben, j’ai trouvé ça très, très bien. Non, ça ne m’a pas beaucoup frappé parce que j’ai dit
était ou plutôt la maison où il était.
• Donc, il était logé dans une maison? C’était en ville ou plutôt à la campagne?
C’était plutôt la campagne.
• La campagne. Et alors d’un coup vous êtes arrivée dans cette nouvelle vie comme
ça et comment est-ce que vous avez vécu ce très grand changement de vie quotidienne?
après, ça sera autre chose. Donc je suis restée à Saïgon, au bout de deux jours, j’en avais
Il n’y avait pas de fourneau, alors je ne pouvais pas faire beaucoup de cuisine … alors j’allais
marre. Je suis allée trouver le commandant de la place. Et puis, qu’est-ce que vous voulez,
toujours voir le commandant. J’ai dit: « Vous savez, ça va pas, il me faudrait quelque chose
mon mari, il m’avait dit: «Il faut que tu ailles à la FFL, il faut que tu te présentes. Tu seras
pour faire la cuisine. Il n’y a pas de cuisinière.» «Ben, oui, il n’y en a pas ici.» J’ai dit: «Vous
tout de suite aidée.» Et ça, c’est vrai. Alors je me présentais, j’ai montré les choses de mon
savez, vous allez faire deux pierres et des ronds dessus et je me débrouillerai.» Il m’a fait
mari, ils m’aidaient.
ça. Ils ont fait deux ronds avec des tuiles, en hauteur, comme une cuisinière. Avec des ronds
• Ah bon. Et vous, vous êtes arrivée à Saïgon et votre mari était où à ce moment-là?
Mon mari était à ce moment-là à Tourane.
• A Tourane. Et vous, vous deviez l’attendre à Saïgon? Vous deviez rester à Saïgon?
Non, parce que je devais attendre mon tour.
• Ah oui, d’accord, pour partir.
Vous savez, ça se fait pas comme ça. Alors, il m’a demandé «Vous voudriez rejoindre votre
dessus comme ça pour que je puisse faire la cuisine. C’était pas la beauté!
• C’était vraiment la débrouillardise! (en riant) Il fallait s’adapter à la situation. Et vous
avez pu lui cuisiner des plats qui le …
Non, je … pendant une semaine, on a mangé au Mess. Alors, mon mari a dit: «Je peux pas,
j’ai envie de retourner en France. Je peux pas …»
• Il n’arrivait pas du tout à supporter ce changement de …
mari?» … parce qu’il connaissait mon mari. J’ai dit: «Mais oui, je voudrais partir.» Il a dit:
Alors, j’ai dit: «Je vais m’arranger.» «Je ne sais pas comment tu vas t’arranger.» Parce que,
«Est-ce que vous vous voyez voyager sur n’importe quoi? Un avion de guerre ne vous fait
vous savez, lui, il partait huit jours en opération et puis il revenait, c’était pas la même
pas peur?» J’ai dit: «Non.»
vie. Alors, j’ai dit: «Je tâcherai de m’arranger.» Alors, je suis allée trouver des, vous savez,
Avion de guerre • Ah, vous êtes partie sur un avion de guerre?
j’aurais bien aimé avoir un petit logement où on serait tout seuls et où on pourrait faire
Il a dit: «Je verrai comment je vais faire pour vous faire partir.» J’étais encore dans le port
à manger à mon mari ce qu’il veut parce qu’il ne pouvait pas vivre comme ça. Alors, il y
à Saïgon. Alors il m’a fait partir jusqu’à Tourane. A Tourane, j’étais de nouveau mélangée
avait pour les militaires, il y avait des bâtiments où il y avait des deux pièces. Moi, j’étais
Deux pierres
et deux ronds
172 • MARGUERITE LECLERC
pas difficile, j’ai pris ce qu’on m’a donné, vous savez. Alors, mon mari, ça ne lui plaisait
• Voilà. C’était agréable pour vous d’aller au marché, au marché chinois?
pas à lui, vous savez, parce que j’aurais pu être à Paris, comme il disait. Comme il partait
Ah oui, j’étais très … pour moi, c’était bien parce que je ne suis pas une personne qui est
beaucoup d’un côté, je suis allée voir le commandant, je lui ai dit: «Ecoutez, si on pouvait
«craigneuse», vous le savez, ça.
partir de ce côté-là?» Il a dit: «Je vais voir.» Alors, en effet, il m’a fait partir.
Sur des caisses • Alors, là vous êtes partie où à ce moment-là? Vous avez quitté Tourane pour aller où?
de munition Alors, mon mari était à Tourane et à Hué. Le monsieur de l’aviation m’a téléphoné: «Madame,
il y a un départ demain. Si vous voulez partir, vous pouvez.» Alors, j’ai dit: «Ben oui.» Alors,
• Vous deviez beaucoup marcher pour vous y rendre? Vous vous rendiez comment à
ce marché?
A pied!
• A pied, oui, oui. C’était loin de chez vous?
il m’a dit: «C’est un peu sommaire, vous savez. Est-ce que vous voyageriez sur des caisses
A oui, je traversais le pont de la ville française à la ville de chez eux. Parce que chez les
de munition?»
Français, c’était bien, c’était des produits français, mais c’était tout des conserves. Tandis
• Sur des caisses de munition cette fois-ci?
… sur des caisses de munition.
• Vous l’avez fait ?
Oui, c’étaient des caisses de munition tous genres. Ça faisait un banc.
• Ça faisait un petit banc. Ça ne devait pas être très confortable. (Elle rit.)
Et pas de portières!
• Et pas de portières, rien n’était fermé!
… parce que ça a un nom, ces avions. Oh, ça me reviendra, ça a un nom! Alors, pas de
portières donc. Alors le commandant me dit: «Tenez, on survole ça, et ça.» Cela a fait quand
même un peu la trouille, vous savez. (Elles rient.)
• Ben, il y a de quoi quand même! Il y a de quoi d’avoir un peu la trouille.
Quand on est arrivé à, là-bas, alors j’ai …
• Oui, ça se situait où dans l’Indochine, cet endroit où vous êtes allés?
Il faudrait que je voie une carte, vous savez pour … Alors, on avait, mon mari, il avait
construit lui-même un petit bungalow, vous savez, une cuisine et une chambre et une salle
à manger, c’était juste. C’était assez. Pour nous deux, c’était assez.
• Et c’était votre mari qui l’avait construit?
Alors, on est resté là et puis derrière on avait comme un grand espace.
• Et vous avez enfin pu lui faire la cuisine qu’il aimait, qui le réconciliait avec l’Indochine?
Marché indochinois J’allais au marché.
• Vous alliez faire votre marché?
J’allais au marché, le marché français ne me plaisait pas. Alors j’allais tous les jours, j’allais
voir chez les Indochinois. Et alors, j’étais connue, j’achetais mes légumes frais, mes choses
fraîches et tout ça. Alors mon mari, il a assez mangé.
que là-bas, j’avais des légumes frais.
• Ah oui, des produits frais! Oui, bien sûr, bien sûr.
Je crois que j’étais une des seules qui le faisaient.
• Oui, vous ne deviez pas être très nombreuses à aller vous servir dans ce marché-là.
Non, non. Mon mari y allait souvent. Quand il rentrait de ces opérations, il invitait ses
camarades qui étaient avec lui pour manger.
• Il a invité ses camarades pour manger. Et en même temps ça vous a permis de …
Je faisais des tartes, vous savez, comme je pouvais, mais ça n’allait pas …
• Est-ce que vous aviez des moules pour faire des tartes, non?
J’ai dit à mon mari: «Tu sais, il me faudrait un four mais j’ai pas de four. Je ferais bien des
tartes quand vous rentrez comme ça.» Alors, mon mari a dit ça à l’intendance. On lui a dit:
«On va lui faire un four.» Ils sont venus. Ils m’ont construit un four.
• Vous avez fini par l’avoir, votre four!
Un vrai four de boulanger, vous savez, à trois étages!
• Mais c’est épatant! Alors, là vous avez dû faire des merveilles là-dedans!
Ça faisait deux tartes ensemble! (Elles rient.)
• Ça s’appelle avoir de la suite dans les idées, ça, Madame Leclerc. Je crois que c’est
une de vos qualités aussi, la persévérance.
Oui, je crois que c’est beaucoup …
• Oui, bien sûr. Et en même temps le fait d’aller sur ce marché, ça a dû vous permettre
tout de suite de vous intégrer à la vie là-bas.
Comme vous dites.
• Ah oui, c’est important.
Comme vous dites. Quand j’arrivais, je disais bonjour à droite et à gauche. Oui.
• Et donc …
Persévérance
174 • MARGUERITE LECLERC
Vous avez pu tisser des relations avec des Indochinois à cette époque-là?
Tamtam dans la nuit Non, on en n’avait pas beaucoup à ce moment-là. La nuit, vous savez, je ne dormais jamais
parce que les Viets ne sortaient que la nuit et alors ils étaient de l’autre côté du fleuve. Alors
moi, j’entendais le tamtam. Mon mari, non, il était fatigué, il n’entendait pas, alors j’écoutais.
• Vous aviez un boy tout le temps avec vous?
Je devais lui donner du riz tous les jours. Tous les jours, je lui donnais le riz. Mais il ne
mangeait pas le riz, il mangeait comme nous.
• Il préférait votre cuisine. Vous lui avez …
Alors quand le tamtam arrivait près, je le réveillais à ce moment-là. J’avais appris à faire
Oui, il dit: «Moi aimer mieux ce que Madame fait.» Alors j’ai dit: «Fais-en ce que tu veux!»
les choses de cartouches et tout ça …
Alors il le vendait. Ils le vendaient le long des rues à cette époque, le long des rues, ils
• Ah bon? Racontez-moi ça! Vous manipuliez la poudre?!
Non, on avait les fusils, tout ce qu’il fallait.
• Mais par rapport à toutes ces nuits-là, vous deviez être très inquiète quand même?
En écoutant ces tamtams qui se rapprochaient? Ça devait être assez angoissant
finalement, non?
Etre aimable C’est difficile, si vous voulez. C’est pas difficile si vous êtes aimable, je crois. Si vous êtes
aimable et que vous ne faites pas trop d’éloignement, vous savez.
• Il faut pas rester trop à distance.
Ils se rétractent chez eux, vous savez. «Nous sommes Français.» Et à quoi ça a servi maintenant! N’est-ce pas? Alors tandis que moi … Il y avait une voisine … j’avais une villa au
milieu d’Indochinois, il n’y avait que des Indochinois. Elle était toute neuve, la maison, et
j’étais toute seule dans le quartier.
• Alors, vous étiez entourée d’Indochinois. Vous étiez la seule Française.
vendaient tout ça.
• Il vendait le riz qu’il avait économisé grâce à vous.
Ah, mon mari lui a appris le français.
• Il lui a appris à parler le français?
Oui. On n’avait pas de baignoire, il se baignait dans le tonneau.
• Et vous, vous faisiez votre toilette dans le tonneau aussi?
Mais moi, j’avais une pièce où mon mari avait fait installer, où il y avait un lavabo, un bidet
et puis il a fait une séparation pour ceux qui voulaient se doucher. Ça, c’est lui qui l’avait
fait. Parce que lui, son métier, il était marbrier.
• Oui, donc en fait, il savait faire des tas de choses.
Oui, alors ça allait très bien. On avait beaucoup de rats.
• Beaucoup de rats?
mari là où il travaillait. Alors, il m’a dit: «Tu sais, j’ai envie d’apporter ce chat, ça me fait de
Madame, y aller!» … et alors j’y allais.
la peine dans ma chaussure.» Alors, j’ai dit: «Mais ramène-le!» C’était un ratier formidable.
(En riant) Oui!
• Des Indochinois?
Oui, mais ça m’a beaucoup aidé.
• Bien sûr!
Tout dépend Et eux, quand ils me rencontraient en ville, ils me disaient bonjour. Vous savez, je crois que
du caractère tout dépend un peu du caractère des gens. Énormément.
• Bien sûr, bien sûr. Oui, ça compte énormément. Vous, vous avez eu une attitude très
C’était formidable. Mais le chat apportait les rats qu’il attrapait la nuit, il les mettait en
dessous de notre lit et puis il grattait du côté de mon mari jusqu’à ce que mon mari lui
disait: «C’est bien, mon Kong Gai.»
• Comment vous l’aviez appelé ce chat?
Kong Gai. Quand on est parti, mon mari l’a donné à son capitaine mais il ne s’y plaisait pas.
Parce que chez nous, c’était comme un enfant, vous savez, ça se mettait dans le fauteuil,
et il était dans son fauteuil …
• Vous m’aviez dit que vous faisiez du riz pour les gens qui habitaient autour de chez
ouverte par rapport à cette population, à cette culture que vous découvriez. Ça vous
vous pour les aider?
a permis de vous intégrer, d’avoir votre place.
Juste autour de chez moi il y en avait pour qui je le préparais. Parce que le mari travaillait
Oui, et ça a aidé mon mari aussi parce que … Il ne mangeait plus au mess et on ne se faisait
plus apporter à manger. C’était moi qui faisais le manger pour mon mari et pour moi et
pour le boy. Alors lui …
Rats et chat
Il y avait un petit chat, une petite chatte qui avait mis son petit dans la chaussure de mon
Là-bas, ils me disaient toujours: «Madame, Madame, l’est coupé, mettre un pansement!
• Donc, ils venaient vous demander d’aller soigner des gens qui s’étaient blessés?
Riz vendu
en opération avec mon mari.
• D’accord. Et cette fameuse journée où il y a eu des bombardements où vous étiez
allée prêter secours à une famille?
Pas peur
176 • MARGUERITE LECLERC
Ben oui, je les ai réconfortés parce que je n’avais pas peur. Eux, ils avaient très peur.
• Vous n’aviez pas peur?
Non.
• Donc vous sortiez?
La nuit, je vous dis, la nuit j’entendais les Viets arriver. C’était la nuit. Ils nageaient avec
une paille dans la bouche et …
• … oui, et traversaient comme ça le fleuve avec une paille dans la bouche et ils arrivaient. C’étaient des opérations comme ça de nuit?
Oui. J’avais mes amis qui habitaient juste à côté. L’enfant ne se plaisait pas. Elle a voulu
repartir… J’ai connu des dames qui sont reparties, qui voulaient repartir en France.
• Et vous vous êtes bien adaptée?
Moi, j’ai jamais demandé à retourner. Je serais bien restée.
La liberté de • Vous seriez bien restée là-bas? Qu’est-ce qui vous a tant séduit dans ce pays?
faire des choses La liberté de faire des choses, pouvoir faire quelque chose.
• Construire quelque chose de différent?
Oui. Mais il y avait des, vous savez … je n’hésitais pas de … Les Françaises, c’était la
Quand on est revenu en France, je suis retournée … J’ai pas travaillé au début. Après, je suis
retournée travailler chez la maman de Françoise, je suis retournée travailler.
• Chez la maman de Françoise? Donc, ça c’était à quelle époque à peu près?
Deux ans, un an après que j’étais rentrée. Françoise, elle était contente.
• Donc, vous vous êtes retrouvés toutes les deux. (Rires) Elle a dû être très heureuse
de vous revoir, Françoise. Elle était encore adolescente ou elle était déjà rentrée un
peu dans la vie adulte?
Ben, elle allait à l’école. Après, elle a suivi l’école du Louvre, vous savez.
• Et donc, vous avez à nouveau travaillé chez Françoise, pendant combien de temps?
• Vous avez arrêté.
Parce que j’avais trop … ça faisait trop, vous savez: faire la nourriture, faire le régime pour
les diabétiques. Moi, j’étais obligée de le faire.
• Parce qu’il avait un diabète sévère, votre mari?
Et oui, vous savez, le diabète, c’est une chose qui est héréditaire.
• Et votre mari, enfin, son état de santé s’est aggravé à quel moment alors? Il avait
grandeur, la grandeur de la France et tout ça. Mais ça ne joue pas partout! Il faut savoir
pas encore pris sa retraite?
s’adapter. Si vous ne savez pas vous adapter, vous ne pouvez rien faire. Il faut savoir
Il ne pouvait plus travailler. Ensuite, il a eu des problèmes cardiaques.
s’adapter, sinon …
• Et vous, alors pendant toute cette guerre d’Indochine, vous avez aussi été très active
auprès des femmes de militaires?
Oui, j’étais très active, vous savez. Si je sentais que c’était trop haut pour moi, c’était trop
haut.
• Si vous sentiez que c’était?
Trop haut, parce que vous savez, il y avait des voisins, ils voulaient pas parler à …
• Ah, oui. Si vous sentiez que les gens avaient des comportements un peu distants et
hautains vous ne vous impliquiez pas.
Ça ne m’intéressait pas.
• Ça ne vous intéressait pas.
Et ça a fait beaucoup de bien à mon mari parce que je ne m’intéressais pas à ces choses-là.
• Et, et à quel moment vous avez soutenu les femmes de militaires, que vous organisiez
des rencontres et des …
Retour en France Parce que quand je suis arrivée en France, la vie avait complètement changé.
• Ça, c’est quand vous êtes revenue en France, donc après, c’est ça?
Maladie
Oui. Jusqu’à ce que mon mari … Quand il a commencé à être malade, j’ai arrêté.
• Et alors, après la mort de votre époux qu’avez-vous fait ? Vous étiez toujours
proche de Françoise?
Oui.
• Oui? Parce qu’elle était mariée à cette époque-là, Françoise?
Ah oui, elle était mariée.
• Vous savez, Mme Leclerc, à vous écouter depuis plusieurs entretiens je trouve que
votre vie c’est un roman. Vous avez vécu plusieurs vies en une seule. C’est extraordinaire tout ce que vous avez été amenée à voir, à vivre!
Oui, mais j’allais de temps en temps à Luxembourg, tant que mes parents vivaient, mais
après, quand mes parents sont décédés …
• Vous n’avez plus personne de votre famille mais vous avez Françoise.
Non, j’ai mon frère là.
• Oui, vous avez, en dehors de votre frère, il ne reste plus grand monde. Ça a été une
vie très dure avec une histoire terrible, vous avez vécu une vie très dure.
J’ai vécu une vie très, très dure. Françoise me l’a dit toujours.
• … et en même temps vous avez vécu une vie d’une richesse et d’une densité qui
La vie, un roman
178 • MARGUERITE LECLERC
sont peu communes, vous savez?
Oui, alors quand je suis arrivée ici, Françoise m’a dit: «Oh, ton frère est jaloux parce que tu
as une meilleure vie que lui.» Et tu mérites bien une petite vie comme ça.
• Ah bon. Et vous avez toujours Françoise à vos côtés, c’est une belle histoire quand
même, cette histoire entre Françoise et vous.
Ah oui.
• Vous l’avez beaucoup aidée et maintenant c’est elle qui vous soutient.
Ah oui … Vous savez, les vies sont quelquefois faites autrement qu’on ne pense.
• Oui, oui c’est sûr. Elles ne conduisent pas forcément là où on pensait aller?
Caractère et patience Oui, il faut avoir du caractère, il faut avoir la patience.
• Madame Leclerc, on va peut-être s’arrêter là. Je voulais vous remercier pour tous
ces souvenirs que vous avez partagés avec moi et cette grande confiance que vous
m’avez faite en nous offrant tous ces moments si forts et si durs et puis ces
moments heureux aussi, puisque c’est une vie magnifique que vous avez évoquée,
vraiment une vie magnifique!
„
PAULINE SIMONCELLI
• Pauline Hobt est née en 1925 à Neufra près de Rottweil dans le Baden-Württemberg, entre
le lac de Constance et la Forêt Noire. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle rencontre
son futur mari, Claude Simoncelli, soldat dans l’armée française qui vient faire toute la
campagne France-Allemagne dans la 1ère armée «Rhin et Danube» du général de Lattre de
Tassigny. La décision de continuer une vie commune à Aix-en-Provence est vite prise, mais
les obstacles paraissent presque insurmontables … Aujourd’hui, Pauline Simoncelli vit
toujours à Aix, sa ville d’adoption … sans pour autant avoir oublié ses origines.
182 • PAULINE SIMONCELLI
CD| Nº16
• Et Neufra, c’est là que vous êtes née?
• Vers l’est …
Jeunesse sous Hitler Oui, je suis née à Neufra en 1925, le seize novembre 1925 et puis j’ai grandi à la maison.
Et ils ont fait sauter un pont qui traversait le Neckar et qui venait sur cette route, qui venait
Et puis, la guerre a éclaté. Enfin, quand Hitler a pris le pouvoir, je me souviens encore de
chez nous et qui passait. A partir du moment où le pont a été sauté, ça a duré encore une
ce jour-là. C’est par les haut-parleurs, tout le village était réuni et on écoutait. C’était en
heure et puis après plus personne ne passait. Et donc, ils sont arrivés, il y avait un autre
trente-trois qu’il a pris le pouvoir. Et après, quand la guerre a éclaté en trente-neuf, donc
pont, ils ont pu passer ailleurs. Et puis, ils sont rentrés dans le village, et puis, on était
j’avais … – vingt-cinq à trente-neuf – donc j’avais quatorze ans. J’avais quatorze ans, j’étais
tous dans le village. Les militaires français, ils ont tout ouvert parce qu’ils cherchaient, ils
encore écolière, puis voilà, la guerre a passé. Donc, quand je suis sortie de l’école, j’ai fait
cherchaient la population, ils ont ouvert et puis ils nous ont regardés. On est sorti. Ils se
cette année «Pflichtjahr». Après, j’ai travaillé à Rottweil dans la confection.
sont arrêtés au milieu du village devant le bistro et puis, on y était tous allé, on était autour.
• Racontez cette histoire de «Pflichtjahr»!
De chaque côté de la route, il y avait les Français, les chars, enfin les militaires et nous, de
C’est Hitler qui l’avait instaurée comme il avait fait pour les garçons le «Arbeitsdienst».1
chaque côté, on regardait. Et puis, à un moment donné, par inadvertance, il y en a un qui
Et pour les filles, chaque fille, pour lui apprendre le métier de femme. (Les deux rient.) Il
a appuyé sur la mitraillette, un truc est parti et puis ça a tué un Français.
fallait faire la boniche soit dans une famille nombreuse qui avait au moins trois enfants ou
• Quelle horreur!
chez un paysan dans une ferme. Et moi, j’ai trouvé cette place parce qu’on avait une ferme,
Et puis, ma mère, on avait tué un lapin et les morceaux du lapin, elle les avait cachés dans le
ça ne me plaisait pas trop, j’ai grandi là-dedans. Mais moi, j’ai trouvé cette place chez le
lit. (Toutes les deux éclatent de rire.) ... Et ils l’ont trouvé parce qu’ils ont fouillé les maisons!
maire, il était maire de deux villages côte à côte. Donc, il n’y avait pas d’agriculture, mais
Ils ont fouillé les maisons parce qu’on avait fermé les volets. Ils sont allés dans les pièces,
il y avait trois enfants. J’ai travaillé dur! Et donc, quand j’ai eu fini, j’ai donc travaillé à
Rottweil à la confection. Et puis …
• La confection? C’étaient des vêtements pour …
… pour hommes et on a fait aussi des «Uniformen», on a aussi «Uniformen genäht».2 Et puis
la guerre est arrivée.
Les Français Les Français sont passés par chez nous, et bien, ils sont arrivés. Alors, tout le monde, tous
arrivent … ont fermé les volets, on fermait tout et on s’est mis dans des caves. On avait une petite
montagne chez nous. De là, on pouvait voir s’ils arrivaient sur la route, il y en avait qui
étaient voir.
• C’était en quarante-cinq?
Lapin dans le lit
les lits faits avec les gros édredons, ils ont secoué, eh ben, ils ont trouvé …
• … le lapin dans le lit!
Le lapin, il n’était pas cuit, mais enfin, ils l’ont emmené.
• Et oui, ils avaient besoin de nourriture, eux aussi!
Ils cherchaient surtout de la nourriture fraîche. Des œufs, ils venaient chercher des œufs,
enfin bref, ils ont continué.
• Et pour vous, c’était le repas de dimanche.
On avait la ferme, on n’était pas à un lapin près, mais enfin …
• Ah oui, vous aviez, vos parents avaient une petite ferme.
On avait une petite ferme. Mon père, il était maçon de métier. Mais il était à la guerre. C’était
En quarante-cinq, oui, printemps quarante-cinq. Et on avait deux Alsaciens dans le vil-
en … quand ils sont venus chercher les vieux. Et comme au village, il y avait le copain du
lage qui travaillaient chez une dame, enfin, dans une ferme, des Alsaciens. Et comme
maire qui était un hitlérien, comment on les appelle?
ils parlaient français, ils sont allés au devant avec le drapeau blanc. Ils sont allés sur la
… et d’autres partent
• Nazi.
route au devant des «Panzer», enfin, des chars, ils sont allés au devant parce que ... Il était
Enfin, c’est lui qui était plus jeune qui devait partir à la guerre. Eh bien, il a été pistonné
temps parce qu’ils avaient déjà dirigé le canon au milieu du village vers l’église! Et nous,
et ils ont cherché mon père à la place. Et il a fait la campagne de France. Il a fui en France
on habitait juste à côté de l’église, on aurait été en plein dedans … Donc ils leur ont dit: «Il
quand il y a eu le débarquement. Il a fui et ils sont allés jusqu’à en Autriche. Et en Autriche,
y a personne, il y a plus personne». Les militaires, la veille, ils sont tous partis. Pendant
il a fui devant les Russes. Enfin bref, on était seuls et bon ben, puis ça passait.
une heure, la veille, c’était le défilé des militaires allemands qui partaient, qui allaient
Le temps passait et puis la paix a été signée et on a fêté la fin de la guerre avec des
Fêter la fin
tous vers le lac.3
Français chez une amie. On était assis tous devant la maison, on était quatre, quatre ou
de la guerre
1 Service du travail.
2 «cousu des uniformes.»
3 Ils fuyaient direction est, vers le Lac de Constance.
184 • PAULINE SIMONCELLI
cinq filles, des copines. Un camion français qui passe, ils nous voient, ils s’arrêtent et ils
viennent demander s’ils pouvaient coucher là, s’ils pouvaient fêter avec nous. Evidemment,
ils avaient amené du vin, on a fait des spaghetti et puis dans leurs têtes, ils se sont imaginés
qu’après ils pourraient coucher avec nous. Et alors nous, on était quatre ou cinq dans deux
grands lits, on a tous couché ensemble et eux il fallait qu’ils aillent coucher en bas. Ils
n’étaient pas contents. Olala! Alors, on n’avait qu’une trouille qu’avec leurs fusils ils …
• C’était dangereux, bien sûr.
Oui, c’était dangereux. Surtout le soir, on ne pouvait pas rentrer parce qu’il y avait le
couvre-feu, il y avait le couvre-feu. Et puis, enfin bref, c’est comme ça que j’ai connu mon
mari. Il a été …
• Il était dans ce groupe?
Non, non, non pas dans ce groupe. Ça, c’était après ça. Ceux-là, on ne les a plus jamais vu.
Ils sont partis, on ne les a plus jamais vus. Et puis, donc, tout était fini et mon mari, il était
stationné à Spaichingen. C’est tout près. Et ils passaient tout le temps sur notre route pour
aller à Rottweil. Et un jour, c’était un dimanche soir, on sortait de la messe au mois de mai,
c’était toujours des «Maiandachten». Je ne sais pas si vous avez connu?
• Ah, oui, des «Maiandachten»,1 bien sûr.
Celle-là, elle est Et on se promenait dans le village et ils nous ont suivi avec la Jeep. Ils étaient deux ou trois,
pour moi! ils voulaient nous amener au bal. On a rigolé, on n’y est pas allées. Et puis, ils me voyaient
et puis moi, souvent, quand j’allais au champ, ils passaient régulièrement. Quand j’allais
aux champs, j’allais à pied parce qu’on n’en avait que deux vélos. Alors, l’un était pour ma
mère, l’autre pour ma sœur, qui était plus grande. Mais moi, j’étais sur la route. Combien
de fois, en passant, ils m’ont pris sur leur Jeep et ils m’ont amené jusqu’à où je voulais aller
et c’est comme ça que je l’ai connu un peu mieux, il s’appelait Georges. Et puis, on s’était
donné rendez-vous, je ne me rappelle plus comment, et j’étais devant la maison en train de
… comme ça se fait en Allemagne, on nettoie devant la maison, on nettoie les cours …
• Ah oui.
J’étais en train de nettoyer devant la maison que Georges arrive avec un autre dans sa Jeep.
Ils s’arrêtent. Alors, je leur ai fait signe, j’allais dire bonjour et je savais qu’ils allaient chez
une amie qui était assez libérale, enfin assez ouverte, qui recevait. J’ai dit: «Bon, ben, je …»
Il parlait un peu allemand. J’ai dit: «Bon, ben je vais venir.» Et j’ai su après que ça c’était
mon mari qui était avec, il a dit à son copain: «Celle-là, elle est pour moi.» (Elles rient toutes
les deux.) Et donc je suis allée chez, elle s’appelle Maria, ma copine, on est allés là-bas, on
a passé la soirée et puis après, on s’était donnés rendez-vous pour le lendemain. Le lende-
1 Saluts du mois de Marie.
¡ Sortie avec la Jeep
186 • PAULINE SIMONCELLI
¡ Mai 1945
main, c’était un dimanche. Pour aller se promener. Ils sont venus, ils ont garé leur Jeep et
puis on est allés, toujours pareil, on était, je crois qu’on était cinq filles, avec, mais rien
qu’avec Georges et Claude. Et on est allés dans la forêt pour chercher du muguet.
• Ah oui, bien sûr, au mois de mai.
Mai, guet, muguet
Et puis, on était dans la forêt et puis il y avait un «Hochsitz».
• Ah oui, comment on dit en français? Je vois parfaitement.
Un guet, un guet pour les chasseurs. Et moi, j’étais toujours un peu – j’ai été élevé avec
mon frère – j’étais la dernière des filles, j’étais un petit peu un garçon manqué. Quand j’ai
vu ça, je suis partie et je suis montée et qui c’est qui me suit? C’est mon Claude! Et une fois
là-haut, il m’a coincé et puis il m’a embrassé et comme ça c’est parti, quoi! Il m’a choisi au
milieu des autres. J’avais probablement à l’époque moins le type allemand.
CD| Nº16 fin
• Un beau dimanche de mai à la campagne, dans la Forêt Noire. C’est très romantique,
ça!
Et vous savez, avec ce muguet, il l’a gardé. Il l’avait toujours dans son porte-monnaie et il a
fait un porte-clé. Il savait faire ça avec du plastic. Il avait une méthode, il faisait ça dans son
travail. Il l’avait mis au milieu, et j’ai encore ce porte-clé avec un brin de muguet dedans.
• Vous le gardez toujours.
Ça, c’est un beau souvenir. Et puis voilà, il venait régulièrement et puis après, il a été
nommé à Landau in der Pfalz.
• Ah oui, au Palatinat, in der Pfalz. C’était loin, ça!
Ils sont partis de Spaichingen. Oui. Mais comme son copain était le chauffeur du capitaine
qui passait tout le temps, ils allaient tout le temps jusqu’à Lindau, ils passaient tout le
temps et un jour, il a demandé s’il pouvait venir avec. Il est venu et mon père à l’époque,
il n’était toujours pas là, il était prisonnier des Américains en Bavière. Et donc, il a fallu le
coucher. Ma mère, elle était assez ouverte aussi. Et bien, il a couché chez moi en bas dans
le salon sur le canapé et puis voilà, c’est là qu’on a fait la bêtise, enfin ! C’est là que c’est
… La seule et unique fois. Et puis, il est reparti et je ne l’ai plus vu et je me suis trouvée
enceinte. Il fallait que je le dise, je suis allée voir le docteur en Allemagne, tout ça et puis
… Avorter, c’était hors de question!
• Qu’est ce qu’ont dit vos parents? Comment ils ont réagi?
Ma mère, elle n’a rien dit avec ma sœur. Et puis, on a pu le dire. Le copain, Georges, est
toujours repassé, il s’est arrêté chez sa copine, la sœur de Maria, elle s’appelait Emma, et
on lui a dit: «Tu sais, il faut dire à Claude que je suis enceinte».
• Il n’était pas au courant, lui!
La «bêtise»
188 • PAULINE SIMONCELLI
Il n’était pas au courant, il n’était plus passé. Alors, on ne savait rien.
• Ça, c’était certainement un moment difficile.
Et puis, je crois que la fois d’après, enfin, il est arrivé avec. Et là, il a fallu qu’il le dise à son
capitaine: «Voilà, la fille que j’ai connue là-bas, elle est enceinte, est-ce que je peux aller
la voir?» Alors son capitaine lui a dit: «A une condition: Si tu as l’intention de l’épouser et
de la garder: Oui, sinon: On coupe. Tu ne retournes plus jamais. Je t’autorise de ne plus
jamais y aller.»
… pour aller chez le médecin ou des choses comme ça. Il m’a amené et puis j’ai accouché et
puis le lendemain, Claude est arrivé, il est venu me voir à la clinique et puis en rentrant – il
est rentré à pied parce que … C’était quand même à sept kilomètres de chez moi.
• C’était un garçon ou une fille, le premier enfant?
C’était un garçon. Et il était content d’avoir un garçon.
• Qui s’appelle comment?
Michel.
Vie gâchée? • … ce qui est arrivé si souvent à l’époque.
• Michel. Vous l’avez donc … Michel à la française?
Il y en a beaucoup qui sont restées avec leur gosse en quarante-cinq. Et donc, il est arrivé. Et
Oui, Michel à la française, enfin c’est toute une histoire. Il est rentré à pied et dans la deux-
entre-temps, mon père est rentré prisonnier. C’était au mois d’août. Je me souviens encore.
ième maison à droite au village, il y avait une amie qui était aussi avec un Français, qui
Ils sont partis pour couper le blé. Et on était à la maison et je suis pas allée avec. Et enfin
d’ailleurs l’a épousé aussi, qui est partie à Paris plus tard. C’est la maman de Liselotte, elle
Claude … on était dans le salon. Alors, il a dit à ma mère dans la cuisine: «Mais – die zwei,
a vu passer la police: «Claude, komm schnell, die Polizei sucht Dich!».1 La police française.
die bleibet aber nicht allein da».1Alors, ma mère a dit: «Et bien, c’est déjà trop tard. C’est déjà
Quelqu’un au village l’a dénoncé par jalousie. Par jalousie, quelqu’un l’a dénoncé: «Oui là,
trop tard. C’est déjà … la bêtise est déjà faite». Mon père est rentré dans le salon, on était
il y a, il y a un Français». Enfin. Pendant que j’étais à la clinique, ils sont allés chez moi.
tous les deux dans la salle à manger … Il est rentré, il m’a regardé, il m’a fait: «Tu as gâché
Ils ont fouillé, ils ont fouillé dans ses affaires et puis mes parents leur ont dit pourquoi il
ta vie» parce qu’il ne pensait pas que Claude m’épouserait et qu’on irait jusqu’au bout.
était là. Ils sont repartis. Et puis, quand il est rentré le soir justement avec l’ami français
• C’était difficile à imaginer à l’époque après toutes ces années.
«Tu as gâché ta vie». Et puis, il a été démobilisé et puis, pas de nouvelles. On ne pouvait pas
écrire, on ne pouvait pas correspondre, pas de nouvelles. Et alors les gens, au village, ça
jubilait: «Er lässt sie hocken und so und
so.»2
• Ha ja, klar.3
… Claude kommt! Et un beau jour …
• Et vous saviez que ce n’était pas le cas!
de cette amie-là, il a réussi à faire un papier comme quoi … Et il est parti, je l’ai plus revu,
il est parti en France avec la trouille au ventre. Il est parti.
• Et vous saviez qu’il était avec vous.
Et le lendemain, la police est venue me voir à la clinique. Enfin, la police française: «Où c’est
a dit: «Ja, ich weiss, Sie wissen nix.»2
• Il a dit ça en allemand? La police française …
Oui, ils parlaient allemand, ces policiers. C’était la police militaire, la police française.
on ne pouvait pas communiquer. A l’époque, c’était impossible. Et un jour, ma copine qui
• Eh oui, ils avaient des germanophones. Vous ne parliez pas français à l’époque ?
travaillait dans l’usine de confection avec moi arrivait du train le soir. C’était l’hiver, c’était
Mais non. Trois mots quoi! Et puis donc, je suis rentrée à la maison avec mon gosse. Quinze
au mois de février. Elle arrive en courant, on m’appelait Pauli: «Pauli, de Claude kommt.»4
jours après, la police, ils sont revenus pour voir. On leur a dit: «On n’a pas de nouvelles.
«Quoi?» «De Claude kommt, der isch, der war bei uns im Zug.»5 Il est arrivé, il s’est débrouil-
Comme on ne peut pas écrire.» Alors, je me souviendrai toujours, le policier a dit: «Wenn er
lé en fraude, sans papiers et – il s’est fait des papiers, ou, j’en sais rien, il a réussi à passer,
Sie liebt, kommt er wieder.»3 Il m’a répondu ça. Il a vu qu’il n’était pas là pour faire l’espion
à venir et il est resté là jusqu’à la naissance.
ou n’importe quoi, qu’il était là par amour, enfin.
• Et le policier l’a dit gentiment. Ce n’était pas une menace?
C’est un garçon … Oui, enfin, il est resté chez mes parents, chez moi jusqu’à l’accouchement. Je suis allée
Gentiment. Ils étaient deux. Ils ont même demandé dans le voisinage et tout. Et il a dit: «Wenn
accoucher à la clinique. Ma mère m’a emmené avec le voisin qui avait une voiture qui
er Sie liebt, kommt er wieder.» Bon, c’était «ein Trost für mich»4mais … Et puis, pendant long-
devait servir d’ambulance aussi. A condition il avait de l’essence, à condition qu’il sert de
temps, je n’ai pas eu de nouvelles, pas de nouvelles parce que … Et puis, un jour …!
1 «Ces deux-là, ils ne resteront pas tout seuls.»
2 «Il la laisse tomber etc …»
3 «Ah oui, bien sûr!»
4 «Pauli, il y a Claude qui arrive.»
5 «Claude arrive, il est, il était dans le train avec nous.»
au ventre
qu’il est?» Directement après l’accouchement alors. Oui, j’ai dit: «Mais je n’en sais rien». Il
Je n’en savais rien. J’espérais, mais je n’en savais rien. Puisqu’on ne pouvait pas s’écrire,
• Un acte courageux!
Partir, la trouille
1 «Claude, viens vite, la police te cherche.»
2 «Oui, je sais. Vous ne savez rien.»
3 «S’il vous aime, il reviendra.»
4 «… un réconfort pour moi.»
Espionnage et amour
190 • PAULINE SIMONCELLI
• Aber zur Geburt war er da?1
• Et entre-temps, le petit a grandi.
Oui, das war … en quarante-six, … sechsundvierzig, neunzehnhundertsechsundvierzig. Un
Et entre-temps, le petit, il a grandi, et quelquefois, je crois qu’on a réussi à correspondre.
jour, j’ai reçu un petit colis qui était posté à Baden-Baden et ça, c’est une tante de mon mari
Dans la maison de mes beaux-parents, il habitait une dame, une Allemande, qui après la
qui a fait une cure, qui était de Paris, qui a fait une cure ou qui a passé des vacances, je
ne sais pas, à Baden-Baden, qui a envoyé un petit paquet.
• C’était le quartier général des forces françaises!
guerre de quatorze a épousé un Français, alors qui a traduit les lettres.
• … qui a fait les traductions. Et donc, lui, il était rentré ici en Provence.
Il était rentré ici, il est allé d’abord à Paris chez des cousins parce qu’il avait peur de rent-
… et je ne me rappelle plus, il y avait une petite brassière ou des petites choses dedans
rer, de peur qu’on ne l’arrête. Comme il était en fraude. Alors, il m’a raconté tout ça plus
qu’elle m’a envoyées par la poste. C’est le seul signe que j’avais. Et puis, non, on n’a pas pu
tard. Quand il est arrivé sur Aix, de Paris, il a traversé la place des Prêcheurs parce qu’il
correspondre. Et une autre fois, il y a un prisonnier allemand qui est de Kassel, enfin, qui
habitait dans la rue par là. Il a vu des policiers. Il a eu peur, alors vite, vite, vite, il est allé
était de Kassel qui était ici à Luynes, qui était prisonnier à Luynes. Et l’amie de ma future
à la maison. Il a sonné, sonné, sonné, sa sœur qui a regardé … «Vite, vite, vite, ouvre-moi».
belle-sœur, c’était une Noire, c’était une cuisinière, elle travaillait dans ce camp et elle a
Il croyait que ce policer était là pour lui, qu’on le cherchait. Mais ça n’a rien été, le policier
connu ce prisonnier allemand et ils ont fait comme nous, enfin, ils se sont mis ensemble.
n’était pas là pour lui. Et puis voilà, j’ai réussi à avoir mon visa. Cela a duré trois mois, après
Juste l’inverse • Juste l’inverse!
il a fallu que j’aille à Reutlingen encore pour d’autres papiers, puis à Baden-Baden aussi
Juste l’inverse. Et puis, elle s’était trouvée enceinte, elle aussi, et il a eu une permission à
pour d’autres papiers. Le prisonnier allemand, lui, il n’était pas retourné en France. Il est
l’époque. Il a eu une permission pour aller en Allemagne. Il est arrivé avec deux oranges.
resté en fraude, enfin, il est resté chez lui. Et quand j’ai eu mes papiers, on lui a écrit. J’ai
Nous, des oranges pour nous, c’était …
dit: «Voilà, j’ai mes papiers, je vais partir. Tel jour, je vais partir en France.» Il a répondu et
• Vous n’en aviez jamais vu, j’imagine.
Oui, on ne nous a jamais acheté des oranges et des choses comme ça. Il est passé, il est
venu en cours de route, il a passé la nuit chez nous et il m’a apporté ça pour le gosse. Il
a dit: «Bon, je repars.» Il avait une permission d’un mois. Et moi, entre-temps, j’ai essayé
d’avoir les papiers.
• Pour aller en France?
Sans papiers Pour venir en France. Impossible. Partout on passait. C’était le gouvernement français à
Le visa
il est venu pour partir avec moi …
• Chez vous dans votre village?
Oui, oui, chez mes parents. Il est venu pour partir avec moi le lendemain en France. Sa
copine à Aix, elle a accouché d’un petit garçon et il a voulu y retourner.
• Bien sûr. Il vous a proposé de venir avec lui?
En même temps, de rentrer avec moi.
• Et votre garçon, il est resté avec vos parents?
Rottweil: «Oui, il faut faire ceci». J’ai passé des examens chez le médecin pour savoir si je
Non, non je l’ai amené. Il avait deux ans et demi, je l’ai amené, il parlait allemand, il parlait
Neufra – Aix,
n’avais pas une maladie vénérienne et des trucs comme ça. On a fait un tas de choses.
pas le français.
aller simple
• Même avec un enfant dont le père était Français!
• … et vous êtes partis tous les trois.
Il n’y avait rien à faire et puis j’ai connu à Rottweil une dame qui avait des origines
Je suis partie avec quatre valises, cramponnez-vous bien. Donc, on a pris le train ensemble
françaises, qui parlait français. Son mari était à Tübingen, il travaillait pour la recherche
de Neufra à Rottweil, de Rottweil à Villingen. Il fallait changer. Offenburg, il fallait changer,
des prisonniers allemands, des Allemands disparus et il avait un petit pied-à-terre à Tübin-
on arrive à Kehl. A l’époque, il fallait sortir du train, il fallait passer à la douane. Alors moi,
gen et l’ambassade était à Tübingen. Elle me dit: «Ecoute, viens avec moi à Tübingen». Je
suis partie avec elle, j’ai dormi chez eux et le lendemain, elle m’a emmené à l’ambassade et
je passais, j’avais mes papiers français, mon visa, mes papiers, un passeport français.
• Ah oui, même un passeport!
l’ambassadeur, il nous a gentiment reçus. Et il a dit: «Mais pourquoi vous n’êtes pas venue
Oui, ils m’ont fait un passeport français et j’étais en règle. Mais lui, la police française:
depuis longtemps, il y a longtemps que vous seriez en France». J’ai mis deux ans et demi
Tssss! Ils l’ont emmené. Alors, je me suis trouvée là au contrôle pour les bagages. Ils
pour avoir les papiers. Deux ans et demi!
n’étaient pas sympas. «Qu’est ce que vous avez?» J’ai dit: «Je vais en France pour me marier.
1 «Mais pour la naissance il était là?»
192 • PAULINE SIMONCELLI
¡ Carte d‘identité
C’est mon linge, c’est mes affaires.» J’avais quatre valises plus le petit!
• Pour un départ définitif.
Bon, ils ont regardé mes bagages. Mais après, il fallait que je reparte prendre le train
… avec quatre valises
jusqu’à Strasbourg. Mon mari m’attendait à Strasbourg. La veille, il était monté d’Aix,
et le petit
enfin de Marseille à Strasbourg. Il m’attendait et il ne savait pas avec quel train j’arrivais.
Il savait quel jour, mais quel train? … Tous les trains qui venaient d’Allemagne, il est allé à
la gare pour m’attendre. Alors, je me suis trouvée là-bas, seule avec mes quatre valises. Et
puis un cheminot allemand, il a eu un peu pitié de moi, enfin j’ai dit, je parlais pas français,
j’ai dit: «Il faudrait que je prenne le train» – toujours en allemand – «quelqu’un peut m’aider
à prendre le train?» Il m’a aidé avec les valises à me mettre dans le train. Et puis me voilà
partie et pas de trace de Georges – il s’appelait Georges – pas de trace de Georges! Bon,
j’arrive à Strasbourg dans la gare. Claude me cherche et puis on ne pouvait repartir que le
soir, il n’y avait que le train de nuit. Alors, on est allé dans un hôtel à Strasbourg pour que
le petit puisse se reposer un peu, et les valises, on les a mises à la consigne et puis on est
parti le soir. Pas de trace de Georges.
• Qu’est-ce qui c’était passé?
On arrive à Marseille, c’était toute une corrida aussi, on ne pouvait pas prendre le train
parce qu’il était bondé, pas de place, il a fallu attendre l’autre à Marseille. Et puis enfin, on
arrive à Aix. Je me souviendrai toute ma vie mon arrivée à Aix. A l’époque, il y avait une
espèce de vieille gambade qui prenait les voyageurs pour les amener dans la ville. Alors,
vous voyez la gare?
• Oui, juste à côté.1
On monte, on tourne là et on arrive à la rotonde, à la place de la Rotonde. Je me suis dit:
«Nom de Dieu! Jamais j’oserais sortir là toute seule.» Parce que moi, je sortais de mon
village …
• Ah oui, c’était la grande ville, Aix!
A l’époque, on ne pouvait pas voyager. J’ai rien vu, enfin. Je connaissais rien. Je me suis dit:
«Mon Dieu, cette place, cette grande place!» Et puis, on monte le cour Mirabeau et on était
dans la rue Marius Reynaud. On emprunte la rue Fabrot, la rue Fabrot et la rue Marius
Reynaud et là, il avait un deux-pièces, une cuisine et une chambre. Il avait ça. Moi, jamais
j’oserais aller toute seule là.
• Il vous attendait donc avec son propre appartement. Il n’était plus chez ses parents.
Oui. Un meublé rudimentaire. On n’avait rien. On était pauvre. J’avoue, on était très pauvre.
Et bon, il a fallu nettoyer le petit gamin et puis se rafraîchir un petit peu et on est allé chez
1 L’entretien se déroule dans un immeuble près de la gare d’Aix au 6e étage d’où on voit parfaitement
plusieurs des endroits mentionnés.
Aix: la grande ville
194 • PAULINE SIMONCELLI
les parents qui habitaient rue Chastel qui donne sur la place des Prêcheurs.
Présentation • Quel grand moment, la présentation des deux familles!
… et le plus beau! Avant de partir, il m’est arrivé un orgelet. Vous voyez ce que c’est?
• Ah, oui, oui.
A l’oeil, quand on a un petit …
• Oui, ah, comment on dit? Gerstenkorn?
Une petite boule. Nous, en français, on dit un orgelet.
• C’est ça. C’est ça.
J’avais un tout petit peu honte. La première fois qu’on me voit avec un truc pareil. J’étais
bien accueilli, voilà. On a mangé avec eux. Et le Georges, il était là!
• Ah bon ! Comment il avait fait?
• Ils vous ont accueilli dans la famille.
Ils m’ont accueilli comme il faut. J’ai jamais eu de reproches à faire à quelqu’un. Sur le
marché … Plus tard, sur le marché, on m’a dit une fois: «Vous êtes pas d’ici. Vous avez l’air
trop sévère, trop … » Que j’avais pas l’air des Méditerranéens, des Méridionaux.
• C’est une drôle de remarque.
Oui, oui, pas pareille. [en riant] Et une fois, je voulais aller à la charcuterie. Je me rappelle
plus : Qu’est-ce que je voulais acheter? ... Et il y en avait pas. Et je connaissais que ce
mot. Comment faire? Et par chance, je m’aperçois qu’il y a ma belle-mère qui était dans le
magasin. Je lui ai fait comprendre que … Je crois qu’elle m’a fait prendre des chipolattas.
C’est des petites saucisses. Des trucs …
• Ah oui, bien sûr, je connais. Donc vous n’osiez pas avouer que le français n’était pas
Il était là avec Liliane, ils étaient là. Georges est arrivé, il était dans le même train que
votre langue?
nous. Je dis: «Imbécile!». Il a pas eu l’idée de traverser le train pour voir si on y était. On a
Je ne voulais pas me faire remarquer pour pas me faire … Ils n’ont pas trop souffert ici à
voyagé toute la nuit dans le même train.
• … dans l’inquiétude.
Aix, mais dans d’autres régions, ils ont vraiment souffert de la présence allemande.
• Oui, c’est vrai qu’il y a des régions où c’était beaucoup plus dur.
… et il y était pas. Et à Marseille, il a pu prendre le premier train. Et voilà, installée chez moi
Ici non. Et puis, j’avais un visa pour trois mois. Il fallait que je sois mariée dans les trois
Mariée avant
… Je crois que le lendemain on a encore pu aller manger chez les beaux-parents.
mois. Evidemment, mon mari est allé tout de suite à la mairie pour faire … Comment on dit?
trois mois
Par gestes, enfin! • Et comment vous faisiez donc pour communiquer? Vous aviez progressivement
Les bans! En français, on dit les bans.
appris le français?
• Les …
Par gestes, enfin! Mais après, il a fallu que je m’occupe de ma maison. Il a fallu que j’aille
• … das Aufgebot, voilà, c’est ça!
faire les commissions. Encore sur le marché, c’est assez facile parce qu’on se sert.
• Oui, oui, voilà c’est ça.
C’était pour publier les bans. Il fallait faire tout le nécessaire. Il y est allé et on attendait,
on attendait, on attendait … et le premier octobre qui approchait. Une semaine avant, mon
J’avais appris un tout petit peu. En Allemagne, avant de venir, j’avais pris quelques cours,
mari est retourné à la mairie. Il a dit: «Qu’est-ce qui se passe? Moi, le premier octobre, il
mais très peu.
faut que je sois marié, sinon … !» Et bien, les papiers, ils étaient tout en-dessous! Voilà, ça a
• Et lui, il parlait un peu l’allemand?
encore traîné là. Alors, il leur a dit: «Ecoutez, débrouillez-vous comme vous voulez. Moi, il
Mon mari? Mais non! Quelques mots qu’il a appris comme ça. Non, non, il ne parlait pas
faut que je puisse me marier le premier octobre … » Et c’est ce qu’on a pu faire. Vite, vite,
allemand. Et puis, je me suis débrouillée. L’après-midi, j’allais au parc Jourdan avec le petit.
vite, on s’est mariés à la mairie. Sinon il aurait fallu que je reparte pour l’Allemagne!
Je voulais surtout pas qu’on m’entende parler au petit en allemand. Parce que c’était après
la guerre en quarante-huit. En quarante-huit.
• Oui, c’était pas forcément agréable si on parlait allemand.
L’épicerie où j’allais faire les courses, c’était l’épicerie où allaient mes beaux-parents. Les
propriétaires étaient au courant que j’étais Allemande. Ils ont été sympas. J’ai jamais eu
• Et c’est donc ce qui vous a permis de rester définitivement ici à Aix.
Bon, petit à petit, je me suis habituée. J’ai appris le français. Au bout de trois mois, je parlais
le français. J’entendais rien d’autre. Le petit, il a un petit peu souffert. Aussi, parce que le
père ne l’a pas vu grandir, il était très sévère avec.
• Oui, il faut une phase d’adaptation!
quelque chose de haine ou de réflexion de leur part. Sauf les enfants à l’école qui se sont
Après, il me dit: «Tu sais, je me suis rendu compte, quand je partais au travail, le gamin
parfois fait traiter de boches.
commençait à ouff … »
Bain linguistique
196 • PAULINE SIMONCELLI
¡ Aix-en-Provence, famille heureuse
• … à respirer! Et le petit, il a continué à parler allemand avec vous? Ou il a grandi
complètement francophone?
Lui, il a tout oublié. Je ne parlais pas du tout allemand ici. Pas du tout.
• A l’époque, c’était aussi une contrainte.
J’ai appris le français. On ne parlait pas du tout allemand … Et qu’est ce qui s’est passé
après?
• Et vous avez eu d’autres enfants? Vous avez quatre enfants, c’est ça?
Naissances …
Oui, j’en ai quatre.
• Ils sont tous nés à Aix?
Les autres, oui. Après, je me suis retrouvée enceinte. Et l’autre, il est né … Donc, je suis
arrivée le premier juillet à Aix, en quarante-huit. Le deuxième, il est né en quarante-neuf,
au mois de juin quarante-neuf. Et j’ai accouché à la maison avec un médecin qui était un
très bon accoucheur. Un très bon médecin. Mais ce n’était pas comme maintenant. Il fallait
payer l’accouchement. Il n’y avait pas la sécu comme maintenant. Le grand, Michel, est allé
à l’école maternelle, boulevard du Roi René, c’est là qu’il est allé à l’école maternelle et puis
après, à la grande école. L’allemand, ils l’ont appris au lycée.
• Et avec vos enfants, vous êtes retournés voir votre famille de temps en temps?
Au bout de deux ans, au bout de deux ans. Avec François, je suis partie en novembre. Il
avait un an et demi. Il avait des problèmes … Il fallait pas qu’il marche parce qu’il avait les
jambes, à cet endroit [le montre d’un geste] un peu tordues. Parce qu’il était un petit peu
trop gros, trop lourd et ça s’est tordu un petit peu. Alors, on lui faisait des rayons ultraviolets. Il fallait pas qu’il marche.
• Pauvre enfant!
Je suis partie au mois de novembre chez mes parents, toujours avec le train, avec mes
deux enfants.
• Et c’était possible à cette époque-là? Ou il fallait encore des visas?
Il fallait encore le visa, il fallait le chercher à Marseille, au consulat à Marseille.
• Et vous étiez entre-temps Française ou Allemande ou vous aviez les deux passeports?
Alors, le plus beau: Nous, on croyait qu’automatiquement, par le mariage, je serais
Française. Alors, quand j’ai voulu demander le passeport ou le visa, je me souviens plus,
enfin, les papiers, je suis allée à la préfecture qui était rue Gaston de Saporta qui va vers
la cathédrale, c’était par là.
• Oui, je vois.
Une relique
198 • PAULINE SIMONCELLI
¡ Sur le cour Mirabeau
à Aix-en-Provence
Alors je vais là-bas chez le greffe: Je me suis faite incendier! J’ai dit: «Ecoutez, je suis
Française, j’ai marié, j’ai épousé un Français!» «Mais je ne peux pas faire de vous une
Française!» Il aurait fallu faire la demande après le mariage. Et nous, on ne savait pas. Il
fallait faire la demande. Je suis rentrée à la maison, j’ai pleuré. Tellement ce bonhomme m’a
maltraité! Mon mari, il ne se laisse pas marcher sur les pieds, il est allé le voir. Il lui a dit de
tout: «Vous n’avez pas honte de traiter une pauvre femme comme ça!» … qui ne savait pas
du tout et qui parlait encore pas trop bien le français. Enfin, je le parlais mais il y avait des
choses que je ne comprenais pas. Des expressions et des trucs, je parlais couramment.
• Ah oui, l’administration, c’est pas évident à comprendre.
Et j’ai réussi à avoir mon certificat de nationalité! Pour moi, c’est une relique, ce papier. Et
chaque fois que j’ai besoin d’une carte d’identité renouvelée, chaque fois j’ai besoin de ce
papier où c’est marqué que telle est devenue Française par le mariage tel et tel jour, enfin
tout! Il est dans une enveloppe en plastique et ce papier …
• … c’est un papier qui vous accompagne.
… c’est ce que j’ai de plus précieux. Et à chaque fois … la dernière fois que j’en ai eu besoin,
c’était l’année dernière quand j’ai renouvelé ma carte d’identité qui n’était plus valable. Là
aussi … cette fois-ci, ils m’ont fait un cinéma: «Il me faut le certificat de naissance, l’extrait
de naissance.»
• Voilà … qui est en allemand et qui n’est pas traduit!
Problème de langue
… en allemand! Il y a dix ans, pareil, il me le fallait et à ce moment-là, il m’a envoyé, c’est
ma soeur qui est allée le chercher et ils me l’ont fait en trois langues.
• Oui, aujourd’hui, ça se fait en trilingue, je connais.
Pas du tout à l’époque!
• A l’époque, c’était pas du tout le cas …
Il y a dix ans, oui, je l’ai eu en trois langues. Ça a très bien marché. C’est ma sœur qui
me l’a cherché et qui me l’a envoyé. Et là, pareil. J’ai appelé ma sœur, je lui ai dit: «Il faut
que tu ailles à la mairie me chercher un extrait de naissance.» Alors, elle m’a envoyé un
extrait de naissance et cette gourde, elle s’était trompée de date de naissance! (Les deux
éclatent de rire.)
• Ah mon Dieu!
Depuis toute jeune, depuis que j’étais toute gamine, il y avait un problème: ma mère disait
toujours que j’étais née le 17 et j’ai toujours cru que j’étais née le 17, et un jour – j’étais encore à l’école – il a fallu qu’on aille à la mairie, ils voulaient qu’on ait … Et là, c’était marqué le
16! Alors, sur beaucoup de trucs, j’étais née le 17. Et elle m’envoie un extrait de naissance
… et de date!
200 • PAULINE SIMONCELLI
du 17 et tout en allemand! Je me suis dit, je ne peux pas aller avec ça à la mairie pour …
• La langue n’est pas la bonne, la date n’est pas la bonne … (Elles rient.)
J’ai lui ai dit: «Il faut que tu me … ». Ah si, j’y suis allée, mais elle n’a pas voulu l’accepter
à la mairie. Alors, j’ai retéléphoné et j’ai dit: «Il faut que tu me cherches un vrai, avec la
vraie date.» Et après, elle me dit: «Oui, effectivement sur le registre, tu es née le 16 … » Et
c’était de nouveau en allemand!
• «Geburtsurkunde» et …
lèmes pour partir.
• Mais vraiment des situations en miroir dans les deux pays!
Et donc, elle a réussi à le rejoindre en Allemagne. Ils se sont installés à Fritzlar.
• C’est dans le Nord, non?
C’est près de Kassel.
• Près de Kassel. Ah oui, c’était loin.
Et comme elle était cuisinière et que lui, il était serveur de restaurant, de café, ils ont
Geburtsurkunde en allemand! J’avais pas pensé lui dire: «Il faudrait que ça soit … » Parce
ouvert un restaurant.
que l’autre, ça a été en … On était annexé à Rottweil, je ne sais pas … Je suis retournée à
• … français, j’imagine.
la mairie, cette fois-ci c’était quelqu’un d’autre, une jeune, et je lui ai amené mon ancien
En Allemagne, non. A Fritzlar. Et on avait gardé le contact, elle nous a écrit. Au début, ils
extrait de naissance d’il y a dix ans qui était en trois langues. «Voilà, on m’a envoyé ça et
venaient par curiosité qu’est-ce qu’une Noire française pouvait faire comme cuisine.
je suis là aussi.» Elle a accepté le lieu! Elle a vu le lieu (de naissance)!
• C’était gentil!
Situations en miroir C’était gentil, oui. Et j’étais prête, je m’étais dit: «Si cette fois-ci ça marche encore pas, je con-
• Elle était d’origine antillaise ou …
D’une île, mais de laquelle, je ne sais pas.
• Oui, de Guadeloupe ou de Martinique où la cuisine est excellente!
nais une dame qui travaille à la mairie qui s’occupe du troisième âge. J’étais prête à aller la
Elle était une très bonne cuisinière. Et ça a marché. Elle a eu un autre enfant, une petite fil-
voir pour qu’elle vienne avec moi pour qu’enfin ils acceptent de prendre mes papiers.
le. Une fois, ils sont venus nous voir, on habitait à Bouc Bel Air. On n’a plus de contact. Moi,
• Et à l’époque quand vous êtes arrivée à Aix, vous étiez la seule Allemande,
j’imagine?
Je n’en connaissais pas d’autres.
• Et ça a certainement mis des années avant qu’il n’y ait d’autres Allemands qui
je leur avais annoncé la mort de mon mari. Ils n’ont pas répondu, on n’a plus de contact.
• Et il est décédé à quelle époque, votre mari, ça fait longtemps?
En quatre-vingt-huit. Ça va faire dix-huit ans. Oui, ça fait dix-huit ans au mois de juin.
• Et si j’ai bien compris, vous avez donc au moins une fille qui est revenue vivre
s’installent?
en Allemagne.
Si, une fois j’en ai connu une parce que les enfants allaient à la même école. Elle habitait
Ah oui, elle était partie pour les études et puis elle est restée. Quand son année d’assistante
dans mon quartier. D’ailleurs, la pauvre, elle est morte d’un cancer, très jeune d’ailleurs.
au lycée était finie, elle a fait la saison, elle a travaillé à Meersburg dans le Strandcafé.
Et j’en connaissais pas d’autres.
• Et le prisonnier de guerre allemand de Kassel, qu’est-ce qu’il est devenu?
Il est venu. Et comme il était serveur, Ober, de métier, et cuisinier peut-être aussi, enfin, je
ne sais pas … Son amie, elle avait réussi à travailler dans une famille riche française, à Aix.
Et elle était Française. Avec son gamin, ils l’ont pris. Elle était comme cuisinière là-dedans.
Et il a réussi à rentrer dans cette maison. Donc, ils ont travaillé tous les deux là. Le couple
avec le gamin, ils ont travaillé là. Et puis après, il a été libéré d’ailleurs, de prisonnier.
Après, il a voulu repartir en Allemagne. Il ne voulait pas rester ici. Il est parti.
• Ah oui, avec sa femme.
Non, tout seul. Il est parti tout seul parce que … pareil : Elle n’avait pas les papiers. Et je
pense qu’ils se sont mariés sinon ils auraient pas pu … Mais elle aussi, elle a eu des prob-
Exotisme à Fritzlar
La fille qui retourne
• Oui, oui. Je connais bien!
Et quand l’hiver, ils ont fermé, elle a travaillé à Meersburg im Burgkeller comme serveuse.
• Oui, oui, je connais très bien.
Là, elle a épaté les gens parce qu’elle savait défaire les Felchen.1 Parce que mon mari était
un très bon pêcheur.
• Felchen. Comment on dit en français? Je cherche le terme français …
Je ne sais pas.
• Je l’ai sur le bout de la langue.
… et mon mari était un très bon pêcheur de ligne dans les fleuves, dans les ruisseaux. Il a
beaucoup pêché des truites. On a mangé beaucoup de truites, vous savez.
• D’où l’expertise pour les Felchen du Bodensee!
1 Les corégones, un poisson d’eau douce très apprécié sur les rives du lac de Constance.
Felchen à Meersburg
202 • PAULINE SIMONCELLI
¡ Situations en miroir
204 • PAULINE SIMONCELLI
Oui. Quand il y avait des clients qui ne savaient pas trop, elle les leur défaisait. Ils étaient
Non, non. En vacances … tous les deux ans, on passait les vacances chez mes parents avec
ébahis! Il y a tout un art à défaire un poisson sans l’abîmer, et elle, elle savait le faire. Et
les enfants. Après, quand ils étaient plus grands, mon aînée, comme Brigitte d’ailleurs, ils
après, elle a travaillé à côté in einer Gärtnerei.1 Là, elle a travaillé la terre. Après, elle a
ont passé les vacances chez ma mère et ils travaillaient là-bas.
travaillé, toujours dans la région de Meersburg, elle avait gardé un petit studio à Meersburg
Section
• … ce qui crée un lien important, je pense …
sur la hauteur là. Et après, elle a travaillé dans une autre petite boîte, je me rappelle plus
Et puis, elle a connu un garçon aussi, elle est allée à Tübingen, elle a travaillé à la Poste de
de ce qu’ils faisaient. Et puis elle a réussi à trouver, elle ne voulait plus rester là, à trouver
Tübingen, elle habitait chez un ami qu’elle avait de Spaichingen. Ça n’a pas duré et c’est
du travail à Stuttgart … in der Wittwer Buchhandlung, Wittwer am Schlossplatz.2
bien dommage … Et puis, mon fils aussi. Quand on allait en vacances, il allait travailler
livres • Ah, Buchhandlung Wittwer. Ja, das sagt mir glaub ich was. Das hab ich schon gehört.3
aussi là-bas dans des usines, enfin dans des … Il travaillait, du travail de vacances, d’été.
étrangers Elle a travaillé là, elle a trouvé ce travail là-dedans et elle est partie habiter à Stuttgart.
• Et donc, elle a fait une, comment on dit, Buchhändlerlehre4là-bas.
Non, mais comme elle parlait le français, l’allemand et l’anglais …
• Ah oui, c’est un immense avantage!
… elle était dans les livres étrangers. Et son ami, entre-temps, il a voulu faire les BeauxArts à Heidelberg. Et donc, elle a voulu le rejoindre – ils n’étaient pas encore mariés – le
Et maintenant, pour elle, c’est trop tard de revenir.
• Donc, c’est vrai. Elle a passé une grande partie de l’âge adulte en Allemagne.
Elle est partie, elle avait vingt-deux ans, quand elle est partie. Comme ça. Je me souviens,
j’étais malade quand elle est partie. Elle ne savait pas où elle allait. A Meersburg, c’est la
prof responsable du lycée qui l’a accueillie …
• Vous avez aussi gardé des amis? Parce que quand vous êtes partie, vous aviez
rejoindre à Heidelberg. Et elle a cherché, elle a trouvé, pareil, dans la grande Buchhandlung
quand même vingt-quatre ans.
Braun à Heidelberg.
Vingt-trois, vingt-deux ans. Ah, oui, les amis d’enfance, oui. Dans mon village, quand j’y
• Oui, Braun à Heidelberg.
Et là, elle avait un très bon travail. Elle avait toute la section «livres étrangers», surtout
vais, et puis on se téléphone aussi.
• Ah, oui, et vous le faites toujours aujourd’hui.
livres universitaires. Comme c’est une ville universitaire, c’était elle qui commandait les
Oui, tout le temps. Régulièrement, on se téléphone. Et le plus beau! Une très bonne amie
livres anglais ou les trucs pour les étudiants.
que j’ai eu après la guerre avec qui je travaillais dans cette confection. Elle est du village
• Ah oui, un travail extrêmement intéressant !
Sauf qu’elle était mal logée. Elle avait un petit logement. Et puis, elle s’est trouvée enceinte.
de Frittlingen à côté.
• Frittlingen, oui, je connais.
Et lui, il voulait s’installer près du lac. Alors, il a cherché une maison dans la région de
… et je savais qu’elle s’était mariée et qu’elle est allée à Stockach. Et quand ma fille s’est
Singen …
installée à Stockach, j’ai dit: «Au fait, mais Friedel, elle habite à Stockach!» Et puis, je l’avais
Enfants entre • Donc, une franco-allemande qui est née et qui a grandi à Aix, qui revient en
vu une fois que j’étais chez mes parents, elle était passée, elle s’était arrêtée, elle était
deux pays Allemagne dans la région natale de sa maman. Et elle n’a jamais eu l’idée de
en visite chez ses parents aussi. On s’était vues et j’avais son adresse. Alors, j’ai dit à ma
retourner vivre en France?
fille: «Mais dis donc, au fait, Friedel, elle est ici. Si on allait voir?» Alors, on a cherché sur
A un moment donné, quand ça n’allait pas trop … Mais c’était trop tard, elle n’aurait plus
sa carte, je savais que c’était la Gaswerkstrasse. On a cherché où c’était. Alors, une belle
trouvé du travail ici. Voilà.
maison, une belle villa. Il y avait une, une … elle était en train de nettoyer sa voiture. Je
• Et quelle est sa nationalité?
parlais moins bien l’allemand, quoi! Ma fille y est allée, elle a demandé: «Est-ce que c’est
Elle est Française. Elle a gardé la nationalité française. Elle n’est pas Allemande, elle peut
ici qu’habite Frau Oswald?» Alors, elle a répondu: «Ben, oui mais laquelle?» Parce qu’il y
pas voter là-bas. Elle ne peut pas voter …
avait la belle-fille. Je l’ai vue, j’ai dit: «Oh, mon Dieu, c’est elle!» Je me suis avancée, j’ai dit:
• Et vous avez donc trois autres enfants et eux, ils sont complètement restés en
France? Ou ils ont des liens avec l’Allemagne aussi?
1 Une pépinière.
2 «chez Wittwer, dans la librairie Wittwer sur la place du château»
3 «Ah, la librairie Wittwer. Je pense que cela me dit quelque chose. Je l’ai déjà entendu, ça.»
4 Une formation de libraire.
Amis d‘enfance
«Mais Friedel!» Elle m’a regardé, elle m’a pas reconnu tout de suite.
• Vous l’aviez quitté quand vous aviez vingt ans toutes les deux?
Minijupe en guerre
206 • PAULINE SIMONCELLI
Et oui, je l’avais quittée. Je l’avais vue une fois. Oh, c’était au début quand j’étais en France.
Je l’ai connue pendant la guerre, on a travaillé …
• Ah oui, où vous aviez travaillé. C’était la même usine …
On était vraiment de très bonnes amies.
• C’était l’usine où vous aviez été obligée de fabriquer des munitions ou c’était l’usine
de confection?
Les deux. Elle a toujours été dans mon service. A l’époque, dans l’usine de confection, on
avait une surveillante. Mon amie, elle portait des minis! Quand elle la voyait – elle osait
porter vraiment des … moi, j’aurais jamais osé, vraiment des minijupes!
• C’était pendant la guerre encore?
Oui, oui, oui. Pendant la guerre, elle portait les minijupes. La surveillante, c’était une dame
d’une soixantaine d’années. [Rit] Je la vois encore! Quand elle la voyait passer avec sa
minijupe, elle était outrée. Donc, je l’ai vue. J’ai dit: «Friedel, tu me reconnais pas, enfin!»
Le Narrensprung, c’était quelque chose. Ma fille a voulu me faire plaisir, on a amené sa
voisine, on y est allées. On s’est garées et puis on a vu tout le Narrensprung.
• Et c’est le lundi de carnaval que ça se passe, juste avant le Mardi Gras?
Lundi et mardi, mardi surtout. Mais je crois qu’ils le font trois fois, le dimanche, le lundi
et le mardi.
• Et comment ça se passe?
La première fois, c’est le matin. Ou c’est la nuit ? Il y a une fois où ils le font le matin à
huit heures.
• Ils sautent avec des espèces de cannes, non?
Der Federhannes! Qui a le truc plein de plumes là avec le bâton qui saute en l’air et puis
avec son bâton vous soulève les jupes ou vous enlève le chapeau et qui fait des bêtises
comme ça! J’ai le film que mon fils avait fait. Je peux vous le prêter. J’ai la cassette.
• Ah oui, ça m’intéresse pour montrer à mes enfants qui grandissent ici!
Et depuis, comme ma fille est dans la ville de Stockach maintenant, tous les ans, je la vois.
Il y a celui de Rottweil, et je crois qu’il y a celui de Constance qu’il a filmé aussi. Donc, elle
Tout le temps, quand ma fille est au travail, souvent l’après-midi, comme elle habite en
a voulu me faire plaisir, elle a dit: «On va voir le carnaval!» Et quand c’était fini on s’est
dehors de la ville, j’allais la voir et on se promenait. On se voyait régulièrement.
baladé un peu dans la ville. Parce que, moi, la ville, j’y étais tous les jours, je la connaissais
Liens d’antan • Et vous gardez aussi des liens avec votre village natal près de Rottweil, avec Neufra?
Ah oui, j’allais toujours voir ma mère. Maintenant, je n’ai plus que ma sœur là-bas. Et des
cousins, des cousines. Il m’arrive de les rencontrer. Mais de moins en moins.
• Et vous avez encore beaucoup de souvenirs, j’imagine, des souvenirs d’enfance de
là-bas?
Oui, mais il y en a pas mal qui sont morts aussi parce que malgré tout, j’ai quand même
comme ma poche.
• C’est une belle ville médiévale.
Oui. Et puis, on est passé dans une petite rue, elle marchait devant moi et je disais encore:
«Attention, il y a une plaque de glace!» Il y avait encore dans des ruelles des plaques de
glace. Elle a glissé dessus. Ah, mon Dieu … et elle s’est cassée le …
• … poignet. Ça fait un mauvais souvenir de carnaval!
quatre-vingt ans. Il y en a qui sont morts. Quand je vais au cimetière, je vois pas mal de
gens … C’est en 2004, à l’automne 2004, que mon beau-frère est mort pendant que j’étais
chez Brigitte. Alors évidemment, on y est allées à l’enterrement et à un enterrement dans un
village, tout le monde y est. J’ai rencontré … Parce qu’après, on se réunit là-bas, on mange
et on boit au restaurant, enfin au bistro du village. Et c’est là que j’ai eu toute la famille,
tous les cousins, toutes les cousines, on a revu tout le monde et puis des amis d’enfance
que j’ai rencontrés au cimetière quand tout était fini. On a discuté avec quelques-uns et
puis voilà que …
Fasnet et carnaval • Vous avez pu renouer un peu … Et est-ce qu’il y avait des périodes où vous alliez
exprès en Allemagne pour des fêtes, pour Noël ou pour la fameuse Fasnet?1
Le carnaval? A Rottweil, il y a un grand carnaval. A Rottweil, c’est …
• Ah, oui! Le Narrensprung!
1 Fasnet désigne le carnaval alémanique. Rottweil avec son «Narrensprung» (saut des fous) et son costume
traditionnel «Federhannes» est un des hauts lieux de cette tradition ancestrale.
„
CHARLOTTE CHOPINE
• Mme Chopine est une amie de la famille de l’interviewer. Il l’appelle la «mémé», comme
cela se faisait à la campagne. Son père, Millies, était un descendant des Huguenots qui
parlait encore le français. La famille résidait dans le parc d’un «Ostjunker», un prince de
l’est, conseiller de l’empereur. Son château était calqué sur celui de Versailles, comme tant
d’autres à l’époque. La langue de la cour était encore le français, ce qui impressionnait
fortement la petite Charlotte. Comme le frère de son père travaillait à Paris, le lien avec la
France a toujours été important. Pas moins de huit fois, Charlotte Chopine a dû tout quitter,
pour tout reconstruire après. C’est une migrante qui a traversé à l’époque la République
d’est en ouest, en passant par le nord. Habitant à côté du dernier des domiciles de Madame
Chopine, l’interviewer a souvent joué, partagé les repas et travaillé à la ferme. C’est pourquoi il connaît très bien son ancienne voisine et tous deux se tutoient. Grace à l’intime
connaissance des histoires qui lui sont contées, la plupart des questions de Stefan Pfänder
sont plutôt des invocations au souvenir que des questions proprement dites.
• Frau Chopine ist eine Freundin der Familie des Interviewers, eine Nenn-Oma sozusagen,
wie es auf dem Lande eben sein konnte. Ihr Vater heißt Millies, ist Hugenottennachfahre
und sprach noch Französisch. Sie wohnten im Park eines sog. Ostjunkers, eines Fürsten im
Osten, der ein Berater des Kaisers war. Das Schloss war direkt Versailles nachgebaut, wie
so viele, und am Hofe sprach man noch Französisch. Das hat die kleine Charlotte Chopine
(eingedeutscht als Schopien von Chopine) damals sehr beeindruckt. Der Bruder des Vaters
arbeitete in Paris, so war der Bezug zu Frankreich immer sehr wichtig. Nicht weniger als
achtmal musste Charlotte Chopine alles aufgeben und wieder aufbauen. Eine Migrantin,
die von Ost über Nord nach West die gesamte damalige Republik durchwandert hat.
Dadurch, dass der Interviewer sehr oft auf ihrem an sein Haus angrenzenden Bauernhof im
letzten der acht Chopine-Wohnorte gespielt und mitgearbeitet und mitgegessen hat, kennen
sich beide sehr gut und duzen sich auch. Viele Fragen sind eher Erinnerungsanstöße als
echte Fragen, gerade weil der Interviewer die Geschichte(n) so gut kennt.
210 • CHARLOTTE CHOPINE
Als die Rosen • So beginnen wir also vielleicht ganz am Anfang! Das Geburtsjahr war 1912, nicht?
so schön blühten 1912, ja, im Juni – als die Rosen so schön blühten! Da kam ich als Chopines zweite Tochter
zur Welt: Charlotte Amalie Marie.
• «Eine schöne Frucht», erinnere ich mich, hat jemand bei der Geburt gesagt, nicht
wahr? Wer hatte das noch gesagt?
Das hatte die Hebamme gesagt. So erzählte es später jedenfalls meine Mutter.
• Die Eltern wohnten damals inmitten eines wundervollen Parks, nicht?
Bizia-Ostrosnica empfangen und auch zurückbegleitet.
• Das änderte sich dann?
mir und hielt sich in Sternthal auf, während Vater auf seinem Posten blieb. Nach Kriegsende normalisierte sich die Situation wieder, und wir gingen zurück nach Neustadt. Ich war
noch zu klein, um mich von all dem aufregenden Geschehen beeindrucken zu lassen.
• Klar, als Kind hat man – Krieg oder nicht – gespielt vor allem, denke ich?
Im Park von Neustadt, ja. Im «Haus des Garteninspektors»! Denn mein Vater war ja Gar-
Ja, und meine Spielmöglichkeiten auf dem riesigen Areal waren so vielfältig, und im Hinter-
teninspektor und Gartenarchitekt des Fürsten Freimark.
grund wachte meine liebe Ruschla, mein Kindermädchen, über meine Sicherheit. Oft war
• Garteninspektor, dann verstehe ich auch das Wort von den Rosen gut ...
... oh ja, vor unserem Haus gab es einen wunderschönen Garten. Und in diesem Garten
blühten die schönsten Rosen. Wenn man von der Terrasse kam, hatte meine Mutter zu
beiden Seiten des Weges Rosenbeete anlegen lassen.
• Wunderbar, in so einem Garten die ersten Schritte zu machen, laufen zu lernen ...
... laufen, ja, und das erste, was ich lernte, kaum dass ich laufen konnte, war das Kutschieren! Das Kutschieren brachte mir mein Vater bei. In den Schulferien! Wenn ich nicht zur
Schule musste und Vater zu den weiter entfernt liegenden Gärtnereien fuhr, ließ er den
ich im Schloss, um mit dem jüngsten Fürstensohn zu spielen, oder er kam zu mir. Ostern
veranstaltete die Fürstin ein großes Ostereiersuchen. Meine ältere Schwester Rosemarie
und ich waren immer dabei und einige andere Beamtenkinder ...
• Die Fürstenfamilie war also sehr kinderlieb?
Oh ja! Zum Beispiel, jedes Jahr – wenn es das Wetter erlaubte – ließ die Fürstin im Park am
Schloss für die Kinder Ostereier verstecken. Anschließend gab es Kuchen und Schokolade
im Schloss. Die Fürstin war stets dabei und versorgte uns auch selbst.
• Nun hatte ja der Erste Krieg wirtschaftliche Not über das Volk gebracht ...
Kutscher zu Hause. Dann durfte ich kutschieren. Deshalb bin ich auch so vertraut mit den
Ach ja, es gab wenig zu kaufen, auch Lebensmittel nicht. So ließ Vater Ställe bauen, und
Tieren aufgewachsen. Vor allem mit meinem Schäferhund ...
Schweine, Ziegen und Hühner wurden angeschafft. Personal zur Versorgung und Füt-
• Und Handarbeiten und Puppen ... ?
... waren ganz und gar nicht meine Welt!
Im Park des Fürsten • Und die Eltern wohnten also im Park des Fürsten. Und hatten einen recht engen
terung des Viehs war ja vorhanden. So gab es wieder genug Milch und die herrlichen
Schlachtfeste mit den frischen Wollfleischen.
• Wollfleische? Also Schaf, Lamm ...
Kontakt zu ihm?
... und Lamm, ja. Das ist ein besonderes Fleisch, das eben direkt unter der Wolle herausge-
Ja, das war so. Die Fürstin kam oft in die Gärtnerei und besuchte meine Mutter. Zur Betreu-
schnitten wurde. Mittags war ausgedehntes Wollfleischessen mit Gästen, die blieben, bis
ung meiner Mutter schickte der Fürst täglich seinen Leibarzt zu ihr, bevor ich auf die Welt
am späteren Nachmittag die frische Wurst fertig war, die auch noch probiert wurde. Durch
kam. Die Fürstenfamilie nahm stets Anteil am Ergehen unserer Familie. Mein Vater hatte
den nötigen Alkohol – von wegen der Bekömmlichkeit! – war die Stimmung recht lustig.
ja sowieso fast täglich Kontakt mit dem Fürsten oder der Fürstin. Auch, wenn die Fürsten
Wir Kinder fanden das immer ganz toll, waren ja auch immer mit dabei.
Gäste hatten.
• Noch einmal in der Reihenfolge: 1912 geboren, das war zwei Jahre vor dem Ersten
Krieg und Feindschaft
Sehr. Jetzt war Krieg und Feindschaft. Meine Mutter verließ Neustadt mit Rosemarie und
• Wir müssen nachher über die Zeit genauer reden, die ja eigentlich politisch sehr
unruhig war, mit Kriegen, dann Aufständen, aber das klingt alles so fröhlich. Wie
Weltkrieg.
war das denn für die Kinder?
1914 brach der Krieg aus, ja, «da wehte ein eisiger Wind aus dem Osten!». So sagte man
Uns Kindern ging es trotz der unruhigen Zeit gut. Wir hatten unsere Freunde, mit denen
damals. Die russische Grenze war damals etwa 4 km entfernt. Vor dem Krieg wurde noch
wir zusammen waren. Wir kletterten gern auf die hohen Bäume, hatten jeder so einen
viel Kontakt mit den russischen Offizieren gepflegt, gemeinsame Feste gefeiert, zum Bei-
Wohnbaum und besuchten uns von Baum zu Baum. Es wurde auch etwas Essbares mitge-
spiel Majurka, der Maifeiertag. Die Eltern wurden mit berittenen Kosaken an der Grenze
nommen, alles, was wir so ergattern konnten. Süßigkeiten waren Raritäten. Deshalb gab
Wollfleisch-Fest
212 • CHARLOTTE CHOPINE
es nur, was die Mütter selbst herstellten, Bonbons oder Kleingebäck.
Zigeunerlager • Und die Kinder spielten auch viel im Wald ...
Wir stöberten gern durch den Wald, wo wir manchmal ein Zigeunerlager beobachten konnten. Zigeuner kamen oft auf den Hof um zu betteln. War mein Vater gerade anwesend,
in der Nähe, das konnte man nun nicht … Vater konnte ja Polnisch, nicht. Ja, der konnte
noch mehr Sprachen, aber deshalb konnte er ja auch die deutschen, die polnischen Arbeiter
regieren.
• Das waren schon schwere Zeiten, nach dem ersten Weltkrieg ...
mussten die Männer ihre Geigen erklingen lassen und die Mädchen tanzen. Der Obulus
Nach dem Ersten Weltkrieg gab es ja doch alles nicht ... und erst hatten ja meine Großeltern
fiel dann reichlicher aus, und es war auch für uns wunderschön.
meinen Eltern dann immer Proviant geschickt. Da wurde extra ein Schwein und ein Kalb
• Wir sprachen ja neulich lange von den Pferden …
Ich frage mich, wie es wohl zu der großen Liebe zu Pferden und Pflanzenzucht
gekommen ist?
geschlachtet. Und dann kamen wohl die Kisten an, aber die waren leer. Die waren leer:
Alles ausgeraubt.
• Das hatte schon jemand …
Na ja, durch meinen Vater wohl. Ja, sieh’ mal: Vater war ja Sohn eines Gestütsleiters in
Ja, das war dann schon … was meinst du, was da für eine Hungersnot war. Und da sagte
Vindolona, in Oberschlesien. Er wuchs also zwischen den Pferden auf. Seine Liebe galt
meine Mutter, die Stallungen, die Gebäude sind da, also wurden Ställe eingerichtet. Da
aber auch den Gärten! Den Blumen, den Bäumen. Und so ist er später Pferdezüchter und
Landschaftsarchitekt geworden.
• Erst war er lange in Ungarn, acht, neun Jahre, glaube ich?
Leere Kisten
wurden Schweine, Ferkel und Ziegen gekauft.
• Nach dem ersten Krieg war das?
Ja, und so ist es auch nach dem zweiten Krieg wieder gewesen. So sind ja nun meine drei
Ja, neun Jahre war Vater in Ungarn. Er bekam später, zurück in Deutschland, den Auftrag,
Mädels auch mit Ziegenmilch groß geworden.
eine Orangerie bauen zu lassen. Und bei dieser Arbeit lernte er meine Mutter kennen und ...
Ja, und dann in Polen nachher, als wir dann so abgeschnitten waren, da gab es ja auch
Blaubeerwein
noch keinen Wein zu kaufen. Ja und da wurde dann Wein gemacht, nicht. Und da hat sich
in Polen
• ... sie haben dann auch bald geheiratet?
Schon bald haben sie geheiratet, ja! Und wieder sehr schnell, schon zwei Jahre nach der
meine Mutter dann am Rhein mit irgend so einem Weingut in Verbindung gesetzt und hat
Hochzeit mussten sie umziehen.
sich von da Hefe schicken lassen.
• Das war 1908, also vier Jahre vor deiner Geburt.
• Mhh.
Ja, und Neustadt war so sehr weit entfernt von Mutters Zuhause! Das war eine ganz fremde
Weinhefe! Und dann standen im Keller richtige große Flaschen so in den Körben so drin.
Welt für sie, dort in Oberschlesien. Eine fremde Sprache. Polnisch. Denn dort wurde zwar
Wo die dann so eingepackt sind, und da kamen dann verschiedene Sorten: Weißwein und
auch Deutsch, aber vor allem Polnisch gesprochen.
Rotwein. Rotwein, das weiß ich noch, haben sie aus Blaubeeren und schwarzen Johannis-
Powstajnces – • Das war also nach dem Krieg, Anfang der 20er Jahre?
die Aufständischen Politisch wurden die Verhältnisse immer schlechter und schlechter. Die Powstajnces, also
beeren und …
• Oh, das mag ich ja so gerne, wenn der Rotwein ein bisschen nach Beeren schmeckt.
die Aufständischen wurden immer dreister.
Ja, aber es war nachher nicht, von den Beeren war nichts mehr übrig, sondern es war so
Sie kämpften dafür, wieder zu Polen zu kommen. Ach ja, diese Powstajnces, die kamen ja
ein dicker, schöner Saft.
dauernd auch da zu uns auf den Hof, und die Arbeiter, die hatten alle Angst und ja, mein
Vater stand da meistens alleine und hat mit denen verhandelt. Und er hat sie dann auch
immer so angesprochen: «Meine Herren, was haben Sie für Wünsche.» Immer so getan, gar
nicht, dass sie ihn angreifen wollten, er meinte nur, sie kämen, um Wünsche zu äußern. So
ganz diplomatisch hat er das …
• Und auf Polnisch, oder?
Je nachdem, ob die Deutsch konnten oder Polnisch sprachen. Wir waren ja da auch nicht
• Und so dunkel wahrscheinlich.
Dunkel, ja.
• Das mag ich gerne.
Und dann Weißwein, das weiß ich immer noch, ach, da hatte Mutti Verschiedenes hineingetan: Äpfel und weiße Johannisbeeren und ...
• und diese …
... auch Trauben …
214 • CHARLOTTE CHOPINE
• Und diese Flaschen, waren das diese großen bauchigen?
Im Winter, wenn alle Gewässer zugefroren waren, wurde Schlittschuh gelaufen. Die Park-
Ja, solche bauchigen, so im Korb drin, und dann kam so ein Gärspunt drauf und dann
arbeiter fegten für uns die Eisflächen. Groß und Klein aus dem ganzen Ort traf sich auf
gärte das da so.
dem Eis. Besonders große Flächen gab es, wenn der See gefegt wurde. Einmal im Jahr
• Gärspunt? Das ist …
… das ist ein Korken mit so einem geschlungenen Glashahn.
• Aha, aha.
Der ist im Korken drin, so dass die Luft rausgehen kann, aber nicht rein. Durch den Druck
geht’s raus …
• … aber …
… aber es geht keine Luft rein. Sonst würde die Flasche explodieren, nicht.
• Klar, klar, hm.
Ja, und dann musste das so und so lange stehen, und dann wurde Weinprobe gemacht
(beide lachen), und wir Kinder … zum Teil kriegten wir ja dann nur so ein bisschen, und
wenn wir wussten, der schmeckte gut, dann wussten wir ja auch, wie man da in den Keller
kommen kann. Ach Gott, (lacht) was haben wir alles gemacht, nicht …
«Erzählchen» • Also ich sehe das schon, die Neustädter Tradition: gut essen, gut trinken, wie sagst
du immer: Das hält Leib und Seele zusammen. Und gut erzählen, nicht zu vergessen.
Ja, das war auch für uns nach dem Vorbild des Fürsten, nicht? Und auch wenn die Fürstin
da war und durch den Garten ging, dann kam sie auch immer erst rein zu einem «Erzähl-
wurde ein Eisfest gefeiert, mit Blasmusik und heißen Getränken. Abends wurden Fackeln
angezündet. Auch meine Eltern liefen anfangs noch Schlittschuh. Ja, und dann kam aus
aller Nachbarschaft, wer da nun Schlittschuh lief. Da traf man sich auf dem Eis und ja, das
war schön, da war viel Geselligkeit. Viele konnten gut Schlittschuh laufen. Wenn ich das
heute so bedenke: auch von den älteren Leuten.
• Ah, und hier auf dem Foto, das ist der Schulschlitten, nicht wahr? Wie sah denn das
drinnen aus?
Ja, und dann im Winter so hatten sie dann das Schellengeläut, nich so ne Bimmel, so abgestimmte kleine. Das ging dann so über den Rücken: «klingklong, klingklong, klingklong,
klingklong». Ja, das war ganz schön.
• Das haben die Freunde mich auch gefragt … hab dieses eine Bild ja gescannt und
dann gezeigt … von dem Schulschlitten, ne?!
Ach ja. Das!
• Das konnten die sich gar nicht vorstellen, wie das …
Nein?
• Nee. Wie war denn das? Also vor allem: wie sah das drinnen aus? Das sieht man ja
chen». Ja, und so war das dann immer. Und wir Kinder waren manchmal ganz froh. Ah,
nicht; man sieht ja nur, wie sie da so …
schon wieder Besuch! Die Mutti war ja nicht so froh! Der Vater war ja meistens unterwegs,
Ja! (lacht)
entweder war er im Büro und hatte schon Zeichnungen und Pläne zu machen. Oder er war
unterwegs, und dann hatten wir schon wieder freie Bahn (lacht). Meine Kinderfrau sollte
ja immer aufpassen. Aber als wir dann größer wurden, da war das mit Aufpassen gar nicht
mehr so leicht (lacht).
Viel draußen Wir waren viel draußen, und der Fürst hatte auch so ein Sportzentrum errichten lassen,
dann hat man da geübt – für die Sportstunde. Wir haben viel Leichtathletik gemacht.
• Der Park selbst bot wahrscheinlich auch viele Spielmöglichkeiten?
Der Park war von breiten Flüssen durchzogen, die zur Trockenlegung der früheren Sumpfgebiete angelegt waren. Durch Stauungen wurden sie fließfähig gehalten, und sie mündeten in den großen Schlosssee oder in den Fluss Brinica. Das Wasser war für uns eine herrliche Spielquelle. Das Paddeln im Schweinetrog oder in einer Tonne, darin kam man nur im
Kreis sich drehend durch die Strömung voran. Später bekamen wir ein Ruderboot.
• Im Sommer. Und im Winter? Die Winter waren ja kalt im Osten? Sind es ja noch ...
• drauf …
… sitzen, ja oben drauf, ja ja, da ist rechts und links ist `ne Bank ...
• Bank ...
... und da saßen wir. Und dann hier die Jungs, die haben sich dann auch noch gekabbelt.
• Im Wagen?
Mitunter … und andere wollten da noch Schularbeiten machen … ja …
• ... im Schlitten noch?
Nun klar! Wir waren ja fast ne Stunde unterwegs, ne, bis wir zur …
• Ganz schön lang, oder?
Ja.
• Und es wurde einem nicht furchtbar kalt, wenn man da …
Ja na nun, ich hatte auch beide Beine hatte ich angefroren, ich hatte auch wahnsinnige
Frostbeulen. Die meisten, fast alle ... (lacht)
CD| Nº20
216 • CHARLOTTE CHOPINE
¡ Schulschlitten
218 • CHARLOTTE CHOPINE
• Aber das war eben so, da hat keiner …
Ja, das war nun schlecht, ja.
• Wenn man überlegt zu heute, was würden die sagen und schimpfen, das würd’ gar
er so rum, da wurden bei uns dann schon die ... die Tore geöffnet und dann kam der schon.
Mutti ist ja dann immer nicht aufgestanden, aber das Stubenmädchen, die hat mich dann
schon immer: «Mach bloß jetzt!» und «Nun iss bloß!» dann hab ich hier gegessen und sie
nicht gehen.
hat mir noch die Schuhe zugebunden (beide lachen) und dann kam sie noch meistens mit
Heute? Heute ginge das alles nicht, aber wir waren ja hart, nicht, wir … ja …
zum Schlitten. Also, morgens wurde ich dann noch so eingepackt, ne, aber nachher … Nu
• Und Hausaufgaben, da war es ja auch fast zu kalt, um das … aber sie haben das …
Ja, nun, im Winter, was sollst du machen? Wenn du abends nicht fertig wurdest.
• (lacht)
(lacht)
• Und war das noch mit ... mit Federn und Tinte oder mit Stiften oder wie war das?
Ja, also im Gymnasium natürlich nur mit Tinte und Blei, nicht? Ja! Da waren ja verschiedene, da waren Sextaner und bis Prima alle Klassen vertreten. Wie viele waren wir denn? An
jeder Seite saßen wir wohl so ... acht, sechzehn. Kannst du dir ja denken, was man da so ...
Morgens war dann mehr Stille. Aber (lachend) wenn wir nach Hause fuhren, ne …
• Da seid ihr früh ja dann auch schon losgefahren morgens sicher, ne?
Ja, morgens schon vor sieben.
• Ja.
Die Schule ging aber erst um acht los.
• Ah ja.
Dann kam man mal grade so zurecht.
• Mmh.
waren ja dann die Sachen im … Der hat dann da ausgespannt und dann stand er an einem
Marktplatz da, wo sich dann die ... die Schüler alle sammelten. Und dann ging das los …
• 1928 dann wendete sich das Blatt, nicht wahr?
einer schweren Grippe, die in diesem Jahr noch viele Opfer forderte.
• Und für die Mutter ...
... brach eine Welt zusammen! Wir konnten zwar in unserem Haus wohnen bleiben, aber ihr
ganzes Sinnen und Trachten war, so schnell es nur ging, Polen zu verlassen!
• Ging das denn ohne Probleme?
Oh nein, in Deutschland war man nicht interessiert, uns Ausländern den Kauf von Häusern
oder das Mieten von Wohnungen zu genehmigen. Rosemarie studierte in Freising und
wurde von Tante Berta, Vaters Schwester betreut. Ich musste alles daran setzen, die Schule
gut zu absolvieren. Ich hoffte, noch das Musikstudium beginnen zu können und musste
daraufhin noch die Abschlussprüfung in einer deutschen Schule machen. Diese Prüfung
fand in Gleiwitz statt, dauerte zwei Tage, ich habe sie gut bestanden.
• Dann kam der Umzug?
Na ja, erst noch die Vorbereitungen. Sie brachten viele Probleme, viele Behördengänge
war ja dann offen.
waren nötig; Ausreisevisum, Einreisevisum, Genehmigung zur Mitnahme der Möbel.
Nich, und dann rechts und links so Schneewände aufgeschippt. Ja, war schön. Aber wir
waren ja auch abgehärtet.
• Ihr hattet auch mitunter solche Fußsäcke oder war das nicht ... nicht auf dem Schlitten? So für die Füße irgendwie ...?
Ja, jeder hatte nu irgendwas, ich weiß gar nicht, ich hatte, glaube ich, auch so `nen kleinen
Fußsack.
• Ja?
Ja. Manche hatten auch bloß Decken.
• Und standet ihr dann schon, wenn der Schlitten so kam dann?
Also bei mir ist er vorgefahren und dann zur Sammelstelle. Er kam vom Gutshof, dann kam
Tod und Veränderung
Ja, so war das. Zuerst starb mein Großvater und nach vierzehn Tagen auch mein Vater an
Ja, und im Winter, da war das dann ja mit dem Schlitten auch. Und dann meistens … der
• Mmh. Offen, ja?
CD| Nº20 fin
Dafür wurde aber nur ein Fünf-Meter-Möbelwagen bewilligt.
• Aber da gingen die Möbel ja nicht hinein!
Drum musste nun viel verkauft und verschenkt werden. Die Pferde wurden verkauft und
der Schäferhund, mein bester Freund, kam auf ein entferntes Gut, zu einer Freundin meiner
Mutter, Tante Liberta.
• Das war dann der schwere Abschied von Neustadt?
Mit dem Abschied von Neustadt war die unbeschwerte Jugendzeit beendet. Als die Polen
in Ostoberschlesien einzogen, hieß es von deutscher Seite: «Bleibt, wo ihr seid. Haltet das
Deutschtum hoch!». Jetzt war davon keine Rede mehr, von jedem Rücksiedler wurden
hohe Summen verlangt. Meine Mutter war nicht gewillt, ihr kleines Vermögen, das nach
der völligen Geldentwertung wieder angespart war, für diese unberechtigten Gebühren
Schwerer Abschied
220 • CHARLOTTE CHOPINE
auszugeben. So nahm sie das Angebot ihres Schwagers, Traugott Scholz, an, auf seinem
Hof eine Hühnerfarm aufzubauen.
Junge Gutsverwalterin • Und du bekamst auch deine neuen Aufgaben?
Ja! Ich sollte das Büro übernehmen, mich in die Gutsverwaltung und Lohnzahlung einarbeiten. Der Gutsinspektor war schon entlassen worden, um das Gehalt zu sparen, aber nun
konnte es der Onkel allein nicht bewältigen. Ich ging nun mit Eifer an die neuen Aufgaben,
es war viel Arbeit.
• Aber es gab ja die Arbeiter mit ihren Familien?
Im Dorf wohnten zehn Arbeiterfamilien, der Lehrer im Schulgebäude und die in der Kaserne, die vom Frühsommer bis Spätherbst voll besetzt war. Um die ganze Buchführung
über Lohnzahlung, Natural- und Viehberichte und Inventarführung schneller gut erledigen zu können, besuchte ich nebenbei eine private Handelsschule.
• Die Arbeit machte dir Freude ...
... und das Verhältnis zum Arbeitgeber und den Leuten war gut, ja!
• Deine Mutter hatte in den Jahren ihren Betrieb sehr vergrößert wegen der regen
Nachfrage. Wie war denn so der Arbeitsablauf eigentlich?
Abends wurden die Eierkisten bereitgestellt und morgens sechs Uhr nahm der Milchkutscher, der die Milchkannen zur Molkerei fuhr, diese Kisten mit, und lieferte sie an den
Geschäften ab. So auch das Schlachtgeflügel. Zum Schlachten und Rupfen kamen Frauen
aus dem Dorf für Stundenlohn. So vergingen die Jahre. Den Führerschein hatte ich gleich
erworben. Ich ging auch zur Niederwildjagd aufs Feld. Es waren recht gute Jahre.
• Ihr wart inzwischen wieder eingebürgert?
Die deutsche Staatsangehörigkeit war nun inzwischen zuerteilt worden, ohne Bezahlung.
Der Jagdgast • Wann lerntest Du Herbert Minke kennen?
Als er als Jagdgast nach Küssow kam. Er beeindruckte mich zunächst nicht.
• Bei ihm soll es anders gewesen sein!
Ja, so erzählte man mir wenigstens. Er nahm mich gerne mit zur Jagd. Wir fuhren zu
zweit im Einspänner. Einmal war ich in der Stadt und man hatte mir die Scherendeichsel
nicht richtig montiert. Da musste ich der Stute gut zusprechen, sie beruhigen. So, wie man
Kinder auch beruhigt. Und mit diesem Einspänner sind Herbert und ich auch zur Jagd
gefahren. Zur Niederwildjagd.
Patentes Mädchen • Das Wild hat euch nicht gehört?
Nein, wir fuhren auf den Feldwegen, die waren ja nicht geteert. Und die Räder waren gut
geschmiert. So hörte das Wild uns nicht kommen, nein.
¡ Nach der Jagd
222 • CHARLOTTE CHOPINE
¡ Frisch verliebt
• Die Stute war auch ruhig?
Die Stute und das Blut
Die war ruhig, ja. Sie ist aber schreckhaft. Wenn nun der Schuss fiel, ging sie auf die
Hinterbeine und wollte nur weg, nur weg! Ich musste sie aber halten, damit Herbert nicht
hinunterstürzte. Das konnte ich gut. Herbert sagte damals oft: «Du bist wirklich ein patentes Mädchen».
Wenn wir daraufhin den Kastenwagen holten, um das erlegte Wild abzutransportieren,
gab es wieder einen schwierigen Augenblick. Denn wenn die Stute an das aufgebrochene
Tier herangeführt wurde, roch sie das Blut. Und wollte nicht einen Schritt weitergehen.
Die Wahrnehmung des Todes! Sie weigerte sich. Aber sie musste ja mitkommen. Ich bin
abgestiegen und habe sie am Zügel geführt: «Nu’ komm’ ma’ mit, dir passiert schon nix!»
• Und sie ging mit?
Sie ging mit, ja, mein späterer Mann sagte bei dieser Gelegenheit immer: «Wirst sehen,
sie geht mit dir mit.» So war es auch. Herbert lud dann in Ruhe das Wild auf. Das war
Männersache. In der Nacht – nach der Großwildjagd – war das ebenso wichtig. Denn sonst
kommen schon die Hunde und machen sich über das tote Tier her.
• Nachts hast du auch kutschiert?
Ja, und ganz leicht, das hatte mir ja – wie gesagt – schon mein Vater beigebracht. Und eines
ist sicher: ihn interessierte meine vielseitige Tätigkeit.
• Bald kamen dann die Einladungen nach Mütschow, vermute ich?
Ja, ja. Mütschow war eine eintausend Hektar große Domäne. Vater und Sohn arbeiteten
zusammen; es sah alles sehr gut aus. Die Mutter regierte in Haus und Garten; dort war
auch ein Gärtner tätig, in der Küche die Köchin, wie es so üblich war, und zwei, drei junge
Mädchen für Küche und Stuben. Bald wurde die Verlobung gefeiert. Damals war ich sehr
glücklich.
• Das war eine gute Zeit ...
... aber schon 1933 kam der politische Umschwung. Die Hitlerregierung begann. Es wur-
«Es wurde nun viel
de nun viel verändert im Staat. Auch unsere Zukunftspläne wurden gänzlich in andere
verändert im Staat»
Bahnen gelenkt.
• Herbert war Soldat?
Soldat im ersten Weltkrieg. Ja, er kehrte 1918 als Leutnant nach Zerschlagung des Heeres
nach Hause zurück. Die Heimkehrer damals wurden bei ihrer Ankunft in Berlin von den
Kommunisten auf dem Bahnhof empfangen und zusammengeschlagen. Die Soldaten von
der Front hatten wenig Kenntnis von der großen Veränderung im Lande.
• Wann wurde Herbert einberufen?
224 • CHARLOTTE CHOPINE
1934 bekam Herbert den Befehl, sich in Berlin im Ministerium zu melden und wurde zu
der neu aufgestellten Wehrmacht einberufen, 1935 zum Hauptmann befördert und als
Kompaniechef nach Schneidemühl versetzt.
Heiraten im Jahre 35 • In Schneidemühl sollte geheiratet werden?
reichlich Frucht getragen.
• Und wie war das Leben in Schneidemühl?
In Schneidemühl begann das für mich ungewohnte Leben in der Stadt. Da war nun die kleine Wohnung, nur drei Zimmer und Küche, aber zum Glück war da noch der große Balkon,
Oh ja, und nun wurde die Hochzeit vorbereitet. Nach allen Regeln der Kunst. Meine Mutter
und kein Stubenmädchen, das die Betten machte und die Räume säuberte. Schwierig auch
ließ das Esszimmer bei einem Möbeltischler bauen in Massiveiche, die anderen Möbel
das Einkaufen für zwei Personen und das Kochen in kleinen Portionen. Zunächst kam ja
wurden ausgesucht, Teppiche, Gardinen, Wäsche. Alles sollte komplett sein.
mein Mann mittags zu Tisch.
• Im Hochsommer habt ihr geheiratet, weiß ich noch!
• Lerntest du schnell Freundinnen kennen?
Am 10. August 1935 war das Fest geplant. Mutti und ich fuhren vorher nach Schneidemühl
Bald erschien auch die eine oder andere Dame, die bei unserer Hochzeit war, sie holten
und richteten die neue Wohnung ein. Es kamen schon die ersten Gäste zur Begrüßung, ein
mich ab, so wurde ich schnell mit anderen bekannt; wir trafen uns auf den Tennisplätzen
fröhlicher Auftakt.
oder wir ruderten zusammen. Unsere Wohnsiedlung lag zwischen zwei großen Seen. Wir
Wer laufen kann, Am Abend des 9. überraschten uns die Leute aus dem Dorf. Sie kamen mit Musik und
der kommt alle, die laufen konnten, kamen auf den Hof. Wir versammelten uns alle im Park hinter
dem Haus.
• Und es wurde sicher viel getanzt?
waren meistens vier junge Frauen, aber Mara Mayer stand mir am nächsten.
• Etwa nach einem Jahr kam schon die Versetzung nach Hanau am Main.
1936, ja. Da war mein Mann nicht bei der Truppe tätig, er wurde Adjutant beim General.
Versetzung und
An die neue Umgebung mussten wir uns erst gewöhnen, die Menschen hier waren so völlig
Nachwuchs
Die Kinder sagten Gedichte auf und tanzten Reigen, die Musik spielte und es wurde
anders als im Osten. Der Wochenmarkt in Hanau hat mich immer begeistert. Das viele
getanzt. Ich hatte gar nicht gedacht, dass ich mich so gut geführt hatte und alle kommen
Obst und Gemüse und Käse! Frauen aus den nahen Dörfern saßen in Trachten gekleidet,
würden. Natürlich musste auch bewirtet werden; und damit die Getränke nicht alle wür-
vor ihnen je eine Kiepe, aus Weide geflochten, voller Käse. Und im März hat sich unser
den, machten sich Rosemarie und Herberts Bruder Hans schnell entschlossen auf den Weg
erstes Kind angemeldet.
«Da läuft ein Rad!» zur Stadt, um Getränke zu holen. Auf dem Weg dorthin sagt Rosemarie: «Guck’ mal, da
• Die Freude war groß?
läuft ein Autorad!» Nun merkten sie auch, dass es von ihrem Auto war. Aber sie brachten
Groß! Ich hatte auch keine Probleme, konnte weiter Streifzüge durch Wald und Wiesen
den Nachschub noch zur rechten Zeit.
unternehmen, auch Gäste empfangen und den Einladungen folgen. Mein Mann war kaum
• Wo fand die Trauung statt?
zu Hause, es hieß, sie wären zu militärischen Übungen unterwegs. Später wusste man,
Nächsten Tag ... in der Kirche in Neubrandenburg. Onkel Seewald traute uns. Anschließend
dass der «Westwall» ausgebaut wurde. Nun kam meine Mutter, damit ich nicht ganz allein
fuhren wir alle ins besagte Hotel, Goldene Kugel hieß es. Der Chef des Hauses begrüßte
war, wenn das Baby kommt. Wir machten uns schöne Tage, haben auf den Mainwiesen Ball
uns und leitete uns in die Festräume. Nun wurde erst gratuliert und Glück gewünscht,
gespielt, oder trafen uns mit Freunden. Am 7. November 1937 kam Renate auf die Welt, an
während die Kellner den Champus herumreichten. Eine kleine Kapelle spielte zur Unter-
einem Sonntag mittags 12 Uhr.
haltung, während getafelt wurde und als der Mokka im blauen Salon gereicht wurde.
• «Es erklang Tanzmusik und es wurde fröhlich gefeiert», den Satz hast du immer so
• Und der Vater war nicht dabei?
Der Vater des Kindes konnte erst nach zehn Tagen erscheinen, um seine Tochter zu begrü-
schön gesagt.
ßen. Er brachte auch die Nachricht mit, dass wir wieder umziehen müssten. Mein Mann
Sehr fröhlich wurde gefeiert, oh ja. Und getanzt, aber klar. Mein Mann und ich fuhren
war wieder zur Truppe versetzt worden und wurde Kommandeur einer Kampfabteilung,
nachts noch nach Kolberg, wo wir das Strandleben genießen konnten. Wir hatten einen
die im westfälischen Münster stationiert war. Als Renate drei Wochen alt war, musste der
sehr warmen Sommer, aber das Frühjahr war kalt und im Mai hatte es sehr geschneit
mehrere Tage, doch die blühenden Bäume haben keinen Schaden genommen und
Kein Stubenmädchen ...
Umzug stattfinden.
• Ein Glück, dass deine Mutter noch bei dir war!
226 • CHARLOTTE CHOPINE
«Herzallerliebster • Euer Problem war nun bloß, hast du mir mal erzählt: «Wie verpacken wir das Baby»?!
Korb» Ja, denn Tragetaschen gab es damals noch nicht. Wir gingen in ein Korbgeschäft und fanden
vor allen Dingen Äpfel. Apfelwein hat Mutti gemacht und …
• … und sie kannte das ja noch von Neustadt her!
einen passenden Henkelkorb. «Herzallerliebster Korb», sagte der alte Verkäufer, und der
Ja, das wusste sie ja, nicht wahr, deshalb haben wir das machen können. Aber nicht in
Korb steht heute noch in der Abstellkammer und wird zu anderen Zwecken gebraucht. Die
so großen Flaschen, wir hatten dann bloß so kleine. Wo wir die her hatten, weiß ich aber
Spediteure kamen, packten alles zusammen und richteten in Münster die neue Wohnung
ein. Wir wohnten zwei Tage im Hotel. Mit einem Baby war man aber sehr eingeengt.
• Dann kam bald die zweite Schwangerschaft?
nicht.
• Und die Hefe, Weinhefe, wo habt ihr die dann bekommen?
Ich weiß gar nicht, ob man die so kaufen konnte, also jedenfalls haben wir sie gehabt.
Tauschen, um
Die zweite, ja. Bloß als sich das zweite Kind anmeldete, wurde ich im vierten Monat der
Was wir da alles gemacht haben zum Überleben! Eine Zentrifuge haben wir uns ja auch
zu überleben
Schwangerschaft sehr krank. Nierenbeckenentzündung. Und Gelbsucht. Gleichzeitig. Ich
organisiert, die kam ja aus Sachsen. Die machten so was alles. Da haben wir dann Speck
lag acht Wochen im Krankenhaus. Schlimm war, dass das Kindermädchen nun mit Renate
hingeliefert. Aber wieder durch eine Verkäuferin im Milchgeschäft in der Stadt und die
allein in der Wohnung zurückblieb. Mein Mann hatte Dienst und war kaum in Münster.
hatte wieder Verwandte in Sachsen, und die organisierte das. Die war uns nun sehr zuge-
Als die Ärzte nach acht Wochen noch keinen Behandlungserfolg hatten und das Befinden
tan, denn die hatte auch so viel Not. Ihren Mann hatten sie auch ins Konzentrationslager
nun kritisch wurde, rief man meine Mutter herbei.
• Wie hat deine Mutter dich vorgefunden?
Mutti war entsetzt, als sie mich sah. Sie setzte sich gleich mit unserem Heilpraktiker
in Verbindung, der sofort Medikamente schickte. Die Oberschwester war einsichtig und
versorgte mich damit. Bald war die Besserung zu erkennen. Das Fieber verschwand und
ich konnte schon etwas Schonkost essen. Nach vier Wochen konnten Renate und ich mit
meiner Mutter nach Freudenberg bei Ribnitz fahren.
Das zweite Kind • Am 27. Juli 1939 kam Brigitte als gesundes Baby in Freudenberg zur Welt, das weiß
ich aus berufener Quelle.
gesteckt, in Bozen, nein, in Bautzen war der, ja.
• In Bautzen.
Na ja, jedenfalls
• Und Speck hattet ihr?
Ja, das hatten wir ja, wir haben uns ja immer ein Schwein gefüttert.
• Und dann habt ihr den Speck über das Milchgeschäft nach Sachsen und von dort ...
Aber nicht alles mit einmal, die haben ja dann auch ziemlich viel Speck haben wollen, also
die haben uns die Zentrifuge geliefert.
• Und die Zentrifuge brauchtet ihr ...
Ja, das stimmt! Inzwischen hatte meine Schwester geheiratet und wohnte auf Gut Wilms-
... für die Ziegenmilch, und die Magermilch, die haben wir wieder an die Konditorei gelie-
hagen. Ganz in der Nähe von unserem neuen Zuhause in Freudenberg, einem ganz kleinen
fert und die haben Eis gemacht im Sommer.
Haus, das meine Mutter kurze Zeit vorher erworben hatte. Mein Mann war nun öfter in
Berlin im Ministerium tätig und kam zu Stippvisiten, um nach uns zu sehen.
• Nur wenige Wochen später begann ja der Zweite Krieg?
«Wenn du Als Ende August der Krieg ausbrach, wurde seine ewige Abwesenheit verständlicher. Er
• Aus der Ziegenmilch?
Aus der Ziegenmilch, aus der Magermilch. Sonst gab es ja nur eventuell Wassereis. Milch
war ja ganz knapp!
• Was haben die euch dann gegeben?
nichts hast ...» war am Aufbau des Westwalls beteiligt. Der Krieg brachte nun etliche Einschränkungen ...
Ja, Geld, Geld. Nati jedenfalls, die hatte dann jeden Tag immer eine Milchkanne am Fahr-
Da haben wir auch Wein gemacht! Da war der Bäcker, der hatte da so einen Freundeskreis,
rad, wenn sie zur Schule fuhr und gab dann Milch da ab … auch mit Unterstützung, mit
der hatte auch mit Frauen ... mit seiner Frau hatte er nicht viel im Sinn, aber …
• (lacht): ... aber mit anderen schon?
Milch vor allen Dingen, und Eiern.
• Und Butter habt ihr auch selber gemacht?
Ja! Und andere Freunde, und die kamen dann irgendwo zusammen und brauchten
Ja, gebuttert vor allen Dingen, das wollten wir ja, da hatten wir ja dann immer Butter, so
dann ja Wein. Da haben wir uns dann ja auch noch immer so nebenbei was verdient.
sind unsere drei Kinder ganz gut durchgekommen … Und vor allen Dingen, wenn gebuttert
Der holte sich dann immer Wein. Da haben wir eben vor allem Äpfel genommen –
wurde, dann die Buttermilch, na ja, da war der Brotfahrer wieder, der wollte ja auch etwas
Buttern
228 • CHARLOTTE CHOPINE
haben. Er hatte auch Kinder, und da kriegten wir wieder Brot. Denn sonst? Das reichte ja
nicht hinten, nicht vorne! Also, normalerweise hätten wir pro Person jeder zwei Scheiben
Brot bekommen, pro Tag. Das ist ja lächerlich.
• … nicht viel.
Nee.
• Und wie macht man das mit der Butter?
Ja, da hatten wir auch wieder einen guten alten Freund, den Klempner, der machte uns auch
aus seiner Milchkanne eine Butterkanne! Und da war dieser Stab, das ist dann wie so ’ne
Rosette, und dann musst du so stampfen die Sahne, bis es Butter wird!
• Und wie lang mag das so dauern?
den Wildwechsel, die gehen auch nicht überall.
• Ach so.
Da musst du vorsichtig sein. Aber die Kinder hab’ ich da nie gehen lassen. Nur ich selber
«Aber die Kinder hab’
bin dann manchmal da gegangen.
ich nie gehen lassen … »
• Und du hast dich nach den Spuren des Wildes sozusagen gerichtet?
Ja, ja.
• Rehwild oder was gab’s da.
Rehwild, Hirsche auch, ja.
• Hirsche. Danach hast du dich gerichtet?
Ja, ja, aber irgendwie leichtsinnig war man dann auch, aber da gab es dann diese Moorbee-
Nach Witterung. Je nachdem! Wenn’s schön kühl war, ging’s schneller. Anfangs haben wir
ren, die schmeckten an sich auch ganz gut. Aber na ja, aber wo die Moorteiche so waren,
in einer Flasche Sahne geschüttelt, und dann kriegtest du die Butterkluten schlecht raus.
da war fester Boden bis an den Rand so, da war kein glitschiges Moor. Die waren am Rand
Ja, das war dann wunderschön, als wir dann ein Butterfass hatten.
und dann kam das Moor. Und da ist ja dann auch ein englisches Flugzeug abgestürzt, was
Buttermilch mit Und dann die Buttermilch, da freuten sich dann die drei Kinder immer schon. Dann riefen
da abgeschossen wurde, ein Bomber. Der ist ja dann abgestürzt, den hat man nie wieder
Zucker und Brot sie: «Buttermilch»! Und dann wurde das Brot da reingebrockt, dann Zucker drüber, das
gesehen! Da war nur so eine Brandstelle noch.
schmeckte ja ...
• … herrlich!
Und es ist nahrhaft.
• Und wer musste dann immer buttern?
Ja, Mutter oder ich, je nach dem, wir beide waren ja nur da, um das zu machen.
• Die Kinder waren noch nicht so groß, dass sie das ...
• Komplett verschwunden?
Ganz weg! Und da hatten wir so ein Glück, der ist über unser Haus so dicht geflogen und
diese Flammen so, nee, Gott noch mal und dann über die hohen Bäume und dann ...
• Und wann war das dann?
Ja, bei solchen Luftangriffen irgendwann. Da hatten wir ja noch anfangs die Jäger, und
wenn die dann Rostock angegriffen haben, für ein Flugzeug ist ja Rostock und unsere
Nee, ach Gott, Nati hat dann auch vielleicht schon geholfen, nee, die waren ja noch nicht
Gegend gar keine Entfernung, jedenfalls zwei Flugzeuge wurden da bei uns mal abgeschos-
so groß. Später, och da haben sie vielleicht auch mitgeholfen, Brigitte vielleicht. Und Ilona
sen und einer, der ist so in den Bäumen hängen geblieben und ist dann aber nicht ins Moor
war ja noch nicht geboren. Später, klar, sie war auch immer sehr fleißig, die hat auch schon
Ställe ausgemistet.
• Sie hat schon immer so dieses Zupackende gehabt?
Wasser holen im Moor Ja, aber der Anfang war schlimm, wenn ich alles Wasser aus dem Moor raufholen musste.
Das war schwer, die ersten Jahre! Und kein Strom!
• Und Moor heißt, dass es auch richtig gefährliche Stellen gab?
abgestürzt, aber einer von den Piloten, der hing auch im Baum noch.
• Das war die Zeit, als die dritte Tochter, Ilona, geboren wurde? War dein Mann eigentlich dann dabei?
Mein Mann hatte jedes Jahr zweimal je eine Woche bei uns Urlaub zu verleben. So erlebte
er auch die Bombenangriffe auf den Flugplatz bei Ribnitz. Auch als unsere Tochter Ilona
zur Welt kam, war er anwesend, als die großen Angriffe auf Rostock waren. Ich war mit
Das war ein Teich, Moorteich, da musstest du bloß eben vorsichtig sein, dass du nicht
Ilona in Blankenhagen, einem Dorf zwischen Ribnitz und Rostock, in einer kleinen privaten
reingeflogen bist, denn da drunter ist das Moor, da ist kein Grund!
Entbindungsstation.
• Aber wie habt ihr denn gewusst, wo man im Moor gehen kann? Kann man das sehen?
• Und ihr habt die Bomber gehört und wart in der Klinik?
Ist die Farbe anders?
Wir Frauen lagen im Bett, hatten unsere Babys im Arm und konnten nur hoffen, dass das
Also anfangs, wenn du durch das Moor gingst, da wusstest du die Wege, da siehst du schon
Haus nicht getroffen würde. Die Nacht war taghell durch das Abwehrfeuer und die Leucht-
Bomben überm
Wochenbett
230 • CHARLOTTE CHOPINE
körper, die die Bomber zur besseren Sicht abwarfen. In Freudenberg konnten wir 1943 hin
und wieder Luftkämpfe beobachten, wenn die Flugjäger die Bomber angriffen.
• Ihr habt das manchmal aus nächster Nähe alles beobachtet.
kaufen nach Bedarf. Die Lebensmittelkarten waren knapp bemessen.
• Und du musstest in dieser Zeit immer alle Wertsachen verstecken?
Wir beobachteten zum Beispiel den Abschuss zweier Bomber, von denen einer brennend
Wertsachen zu vergraben oder zu verstecken. Ich packte das echte Silber in einen Steintopf
über unser Haus raste und im Wald abstürzte. Gleich morgens des nächsten Tages ging
und versenkte ihn unter dem großen Komposthaufen. In den wasserdichten Jagdrucksack
ich hinunter zu den Moorteichen und sah die Toten (englische Piloten). Die Wrackteile der
packte ich Kinderschuhe, Unterwäsche etc. Mit diesem Rucksack kletterte ich in eine hohe
Maschinen hingen zum Teil noch in den Bäumen.
Tanne und hängte ihn auf. Dies war ein gutes Versteck und wurde noch viele Wochen
• Und dann wurden die deutschen Abwehrjäger abgelöst durch die britischen Tiefflieger, so hast du mir mal erzählt.
Ja, das war dann im nächsten Jahr, 1944, da gab es keine Abwehrjäger mehr. Die Bombengeschwader im Anflug auf Berlin hatten die Flugabwehr überflogen und zogen nun ganz
nicht entdeckt.
• Und die Kinder? Renate? Brigitte?
Reni und Ditta haben ihre Puppensachen auch eingegraben.
• Kannst du das erzählen, als die Russen dann ins Dorf kamen, oder ist es dir zu
gelassen ihre Bahnen. Für uns waren nun die Tiefflieger eine große Gefahr. Sie tauchten
schwer?
ohne Vorwarnung auf und schossen wie wild um sich. Man versuchte, sich flach auf den
Ja, nun. Eines Abends kamen Panzer. Unser Haus bebte, als die schweren Panzer vorbei-
Boden werfend, seine Haut zu retten. Wenn ich Renate von der Schule abholte, warfen
rollten, bis tief in die Nacht. Alle Nachbarn mit Kindern drängten sich bei uns im Haus,
wir uns bei solcher Gefahr in den Straßengraben und krochen wie im Schützengraben
aber es blieb ruhig. Erst am frühen Morgen erschienen die ersten russischen Soldaten. Sie
vorwärts.
gingen durch die Häuser und nahmen sich, was sie haben wollten und um zu sehen, wo
Der letzte Im Sommer 1944 verlebten wir den letzten Urlaub zusammen. In den Jahren vorher waren
Familienurlaub wir während der Urlaubstage fast immer ein paar Tage in Küssow. Onkel Scholz und Her-
junge Frauen waren.
• Das heißt, die jungen Frauen waren sehr in Gefahr!
bert waren enge Freunde, trotz des Altersunterschieds. Außerdem lockte in Küssow die
Abends ging die Jagd auf Frauen los. Sie waren mit einem Fuhrwerk unterwegs, um einzu-
Jagd. Als die Schwiegereltern noch lebten, waren wir auch gern in Nütschow, aber nach
fangen, was sie für die Nacht brauchten. Wir sahen sie oft im gestreckten Galopp vorbei-
dem Tod der beiden wirtschaftete Herberts Bruder Hans auf dem Gut, und zwar so schlecht,
dass es nur Ärger gab.
• Ab 1944 war Herbert also nicht mehr bei euch?
1944 hofften wir vergebens auf eine Nachricht von Herbert, und so blieb es volle sechs
Jahre. «Vermisst», hieß es schlicht.
• Eine lange Zeit ohne Vater sollte beginnen ...
fahren und hörten die Frauen laut schreien.
Die Haustür musste auch nachts offen bleiben, denn die Soldaten kamen auch, hatten eine
Karbitlampe um den Hals und suchten bis in den obersten Boden alles ab.
• Du konntest doch noch gut Polnisch sprechen, hat dir das geholfen?
Oh ja, und ich habe auch Polnisch mit den Russen gesprochen. So kamen wir insoweit
alle gut weg, was Leib und Leben betrifft. Schon morgens schwirrten die Russen im Ort
werden. Vor unserer Tür stand plötzlich Herberts Schwester mit Familie, vier Erwach-
herum. Und einmal war ich draußen, und da waren auch zwei Russen, die sagten gleich:
sene und zwei Kinder. Sie waren aus Berlin geflohen und fanden es ganz natürlich,
«Frau! Frau komm! Frau komm!» Ich sag’: «Ne matschasu, muze rabote, ne matschasu.» Da
dass wir für sie sorgen mussten. In Muttis Schlafzimmer wohnten schon Ostpreußen-
guckten sie, überlegten, war vielleicht keine Deutsche. Und dann hörte ich, dass sie sich
flüchtlinge, diese mussten nun umquartiert werden, was aber nicht so schnell ging.
zwei Häuser weiter die junge Frau vorgenommen haben.
jungen Frauen mit je einem Kind kamen schließlich in der Nachbarschaft unter. Aber
verpflegt wollten sie von uns werden, das war unerfreulich. Man konnte ja nicht ein-
Frauenjagd
• Und gab es auch Hausdurchsuchungen, nachts?
Ja. 1945 begann die schlimme Zeit. Immer neue Flüchtlinge kamen und wollten versorgt
So konnte ich im Gasthaus einen Raum bekommen für die beiden Eltern. Die beiden
Russische Soldaten
Wegen der Russen. Denn die Russen kamen inzwischen immer näher, jeder war dabei,
• Eine grausame Zeit.
Ja. Und mich hat mein Polnisch damals gerettet.
• Weißt du von anderen Frauen?
Rettung auf Polnisch
232 • CHARLOTTE CHOPINE
¡ Auf dem Gutshof
234 • CHARLOTTE CHOPINE
Von einer anderen Frau weiß ich, als der Soldat ihr die Hose heruntergerissen hat, da hat sie
geschissen, und da hat er gerufen: «Swinja!» Schwein! Und da war gut. Sie war gerettet.
• Und es wurde natürlich auch viel geplündert?
• Die Soldaten waren sehr hart mit euch.
jede Frau, die Kinder hatte, eine Kuh für sich ausmelken und die Milch für die Kinder mit-
Geraubt wurde natürlich. Die Russen trauten den Deutschen nicht, sie hatten viel Angst, so
nehmen. In den ersten Nächten nach dieser ungewohnten Arbeit konnte ich keinen Schlaf
kamen sie auch immer zu sechs, acht Mann ins Haus. Einmal musste ich Klavier spielen,
finden, die Hände und Arme schmerzten. Nach dem Melken am Abend gab es keine Milch
als sie alles absuchten.
zum Mitnehmen. Unsere fünf Kinder mussten aber die Milch mit vielen Tierwaisenkindern
• Und dann musstet ihr Freudenberg ja verlassen und seid zu deiner Schwester und
ihrem Mann auf den Wilmshager Hof gezogen. Wie kamt ihr dann eigentlich unter,
in Wilmshagen?
teilen. Da waren zwei Fohlen, sechs kleine Ferkel und vier kleine Kälbchen.
• Und hattet ihr Kontakt mit den russischen Offizieren im Herrenhaus?
Ja, die vollen Milchkannen wurden ja ins Herrenhaus geschafft; dort wurde die Sahne
Kühe melken Nun, dort waren die Arbeiterwohnungen alle vollbesetzt, mit Flüchtlingen von Ost und
abgenommen für die Offiziere. Die tranken Sahne mit geschnittenen Zwiebeln und Wodka.
Süd (Ostpreußen, Schlesien, Sudetengau). Es wurde ein Raum für uns freigemacht und wir
Nach der Melkarbeit mussten wir Sauerampfer suchen und pflücken, Körbe voll! Die Körbe
neun Personen mussten eng zusammenrücken. Fünf Kinder in zwei Feldbetten, Mutti in
mussten beim Koch in der Küche abgeliefert werden. Am Vormittag waren nur wenige
einem Bett, Karl und Rosemarie hatten auch eins. Ich hatte ein Lager neben den Kindern
Soldaten im Haus, am späten Nachmittag kamen sie vom Exerzieren zurück und lagerten
auf der Erde. Der kleine Klaus fiel nachts einmal aus dem Bett und landete auf meinem
in allen Räumen im ersten Stock im Haus, und wir mussten dort putzen und wischen,
Bauch.
während die Männer auf ihren Pritschen lagen und ihre Späße machten. Es waren junge
• Nun wart ihr letztlich als Arbeiter auf Wilmshagen?
Ja! Morgens um vier Uhr schlugen die Russen an die Tür: «Roboty – roboty!» An die Arbeit!
Männer; Weißrussen. Wir konnten ohne Angst arbeiten.
• Hatten die Russen das Herrenhaus so, wie es war, mit Beschlag belegt oder hatten
Karl, Rosemarie und ich mussten in den Kuhstall. Zunächst die große Herde (die Kühe von
sie umgebaut für ihre Zwecke?
anderen Höfen waren hier zusammengetrieben) in den Stall treiben, der für so viel Kühe
Von dem Hausrat hatten die Russen viel ausgeräumt; was sie nicht mitnahmen, wurde auf
zu klein war, die Tiere standen oben in den Krippen und dicht gedrängt in den Gängen.
einen Abfallhaufen hinter dem Pferdestall geworfen: Bücher, Kleidung, Glas, Porzellan.
Wir Frauen mussten melken.
Es war alles sehr verschmutzt. Ich fand einen grünen Filzhut von Rosemarie, der war bis
• Konntet ihr das denn?
Ich hatte noch nie eine Kuh gemolken! Eine Arbeiterfrau zeigte mir die Griffe. Sie gab mir
obenhin voller Kacke.
• Und dann musste man alles das ganz still ertragen, durfte seine Wut nicht zeigen,
Tipps, wie man die Euter nun anfasst. Und der Karl stand hinter der Kuh. Und nun waren
nehme ich an?
ja die Kühe alle nicht angebunden. Na, ich setzte mich nun also runter, zwischen den
Wir Erwachsenen mussten den Soldaten gegenüber immer sehr wachsam sein, auch wenn
Beinen den Eimer und ’ran an das Euter und: die Milch kam! Fffffffffh! «Mönsch!» Aber die
der Kommandant, der ja im Wohnhaus wohnte, ein Schutz für uns war. Besonders wenn
gutmütige Kuh hatte Mitleid mit mir, ich bekam den ersten Eimer voll.
fremde Russen auf den Hof kamen, um zu sehen, ob es was zu holen gab, und wieder
• Wurdet ihr beim Arbeiten bewacht?
weiterzogen. Dabei wurde auch unsere kleine Unterkunft durchsucht, besonders nach
Soldaten mit Maschinenpistolen standen dabei. Dass man bloß nicht einen Liter für sich
Esswaren. Sogar Quark, den Mutti aus saurer Milch gefertigt hatte, wurde mitgenommen.
oder die Kinder abzweigte! Ja. Sie bewachten uns und zählten jeden Eimer Milch, den wir
Ebenso mussten Messer und Löffel gut versteckt werden, nach jeder Mahlzeit, mit Gabeln
in die großen Milchkannen leerten. So ging es weiter; wenigstens vier Kühe musste man
konnten sie nichts anfangen.
schaffen. Soweit ging alles gut. Aber in der Nacht! Ich habe nicht schlafen können, bin
Ein Herz für Kinder
Wiederum hatten die Soldaten doch ein Herz für die Kinder. Denn für gute Arbeit konnte
• Was habt ihr gegessen?
herumgewandert, die Arme haben mir ja so wehgetan. Ein Muskelkater in den Armen –
Unsere eigenen Gerichte waren sehr bescheiden, aber jeder aß alles und es schmeckte
der hat drei Tage gedauert.
auch. Es musste getauscht werden. So gab ich dem Bäcker eine Hose von Herbert und
Dumm kann man
ja sein ...
236 • CHARLOTTE CHOPINE
bekam zehn Brote; die mussten für uns alle lange reichen. Inzwischen war es Juni gewor-
Das Obst im großen Garten plünderten die Russen. Sie kamen in Gruppen auf Lastwagen
den. Immer noch schreiben wir 1945. In diesem Jahr ist so viel geschehen.
und fielen in den Garten ein, die großen Tore wurden zerbrochen. Das Obst wurde nicht
• Wie habt ihr das bloß geschafft?
«Dumm kann man ja sein, aber man muss sich zu helfen wissen», habe ich oft gesagt. Und:
«Jetzt erst recht». «Wir wollen nun Kartoffeln pflanzen». Karl Bade ging über Land, um zu
erkunden, wer wohl ein Pferd abzugeben hätte. Tauschobjekt waren Zigaretten. Ich hatte
gepflückt. Die Äste wurden abgeschlagen, alles auf den Laster geworfen, und dann fuhren
sie ab. Der nächste Laster kam bestimmt. Es sah schlimm auf dem Grundstück aus. Es war
nun August und das Korn stand noch auf den Feldern.
• Also waren die Russen doch noch nicht vollständig abgezogen?
für meinen Mann Zigaretten gehortet. Nun musste ich 200 Stück für einen alten Klepper,
Nein, sie «verwalteten» – so hieß das damals – uns noch! Im Ort Freudenberg war nun
ein wirklich sehr betagtes Pferd, und für einen Zugochsen herausgeben. Dieses Gespann
ein kleiner fetter Russe als Kommandant eingesetzt worden. Er befahl nun, dass geerntet
wurde vor die Lochmaschine gespannt und nun ging’s auf das Feld.
werden sollte. Die Besitzer der Bauernstellen waren inzwischen wieder auf ihren Höfen,
• Als die russische Besatzung beendet war, seid ihr also nach Freudenberg zurückgegangen?
Ja. Aber als wir ins Haus kamen, die Haustür stand weit offen, waren wir starr vor Schreck.
Alles war voller Dreck, die Gardinen heruntergerissen, zum Teil mitgenommen. Der Koch-
mussten aber dem Befehl des Kommandanten folgen. Ihre Pferde waren ihnen ja vorher
abgenommen worden. Nun mussten sie mit der Sense aufs Feld. Wir Frauen gingen hinter
den Schnittern das Korn binden und in Hocken aufstellen.
• Hocken, das sind Getreidegarben, die man zusammenstellt, nicht?
herd war weg. Es gab keinen Strom und dadurch kein Wasser, weil der Brunnen eine
Ja, mehrere Getreidegarben, ja. Oh, diese Arbeit habe ich noch als schrecklich in Erinne-
elektrische Pumpe hatte. Bald merkten wir auch das viele Ungeziefer. Besonders Flöhe
rung. Die Bewachung erlaubte keine Pause, es war ein heißer Sommer, die Stoppel zersta-
überall, in kurzer Zeit waren wir von Flohbissen übersät, Unterwäsche und Bettwäsche
chen die nackten Beine und die Arme wurden von Stroh und Disteln zerkratzt. Wenn ich
blutig, dieses Problem versuchten wir wochenlang zu überwinden.
abends nach Hause kam, musste zuerst Wasser geholt werden. Morgens holte ich einen
• Ins Haus zurückgekommen, musstet ihr ja gleich versuchen einen Platz für die
Nacht zu schaffen?
Wasservorrat, eine große Wanne voll.
• Und gab es in dieser Zeit immer noch Übergriffe auf Haus und Hof?
Klar, das war das Erste! Mutti fasste tatkräftig mit zu und wir machten uns daran, einen
Es kamen immer wieder Russen ins Haus. Gefährlich wurde es, wenn Russinnen in Uni-
der Räume zu säubern. Ich ging mit zwei Eimern hinunter zu den Moorteichen, um Wasser
form dabei waren. Die wollten immer Gold. Die Männer suchten Schnaps oder «Zichar»,
zu holen. Es war mühsam, denn der ganze Weg war weit und steil der Abhang. Ein Eimer
also Zigarren. Aber auch andere Trupps kamen ins Haus. Die während des Kriegs ins Land
Wasser ist schnell verbraucht. So musste man den Weg sehr oft gehen. Das Badezimmer
geholten Arbeiter waren nun von den Russen zusammengetrieben worden.
war gar nicht zu benutzen, es war so eklig verdreckt und musste oft gescheuert werden,
• Die Grundverpflegung war das stete Problem!
bis der Gestank überwunden war. Es gab ja keine Scheuermittel.
Die Verpflegung, ja, immer die Verpflegung, darum ging es. Ich brachte von der Feldarbeit
Küche im Freien • Wasser und Strom gab es damals nicht. Wie habt ihr dann eigentlich gekocht?
etwas Gemüse oder Kartoffeln mit, aber das war zu wenig für alle. Ich entschloss mich zu
Tja, das Problem namens Kochherd. Zum Glück hatten wir warmes trocknes Sommerwet-
versuchen, eine Ziege zu kaufen oder gegen Kleidung zu tauschen. In Wilmshagen war ja
ter. So habe ich auf dem Hof eine Feuerstelle gebaut. Da konnten wir Wasser abkochen.
die Kuh zurückgeblieben, die mir damals die abziehenden Russen gelassen hatten, doch
Nun stellten wir fest, dass im Haus noch viel geplündert worden war. Während der Besetzung durch die Russen stand das Haus immer offen und es gingen auch Deutsche hinein,
in Freudenberg hatten wir dafür keine Futtergrundlage.
• Und was hast du getan?
um sich zu nehmen, was ihnen gefiel! Ein großes Problem war die Verpflegung. Ich war
Also war ich tagelang unterwegs zu den umliegenden Dörfern und fragte bei Arbeitern,
dauernd unterwegs etwas zu organisieren. Roggenschrot, in Wasser gekocht, wurde unsere
wer eine Ziege abgeben könnte. Bei einem Bahnwärter hatte ich Glück. Das große Gut
häufigste Mahlzeit.
Petersdorf wurde schon unter die Arbeiter oder Flüchtlinge aufgeteilt und der Bahnwärter
• Aber ihr hattet ja zum Glück den großen Obstgarten?
Hocken
wollte auch 20 Morgen zugeteilt bekommen und statt der Ziege eine Kuh einstellen. Nun
Schnaps und Zigarren
238 • CHARLOTTE CHOPINE
wurde die Gartenlaube zum Stall umgebaut. Zunächst musste eine Tür beschafft werden
um fünf Uhr war ich wieder zu Hause. Die Arbeit war schwer, wir Frauen mussten die
mit einem Riegel und Schloss. Es wurde alles gestohlen, was essbar war oder was sich als
auf zwei Meter gesägten Baumstämme zum Verladeplatz tragen, auf die Schulter geladen
Tauschobjekt eignete. Endlich war Heu und Stroh beschafft und die Ziege konnte in den
und durch den Schnee gestapft. Wir Arbeiter waren müde, aber wir froren nicht, trotz der
Stall gebracht werden.
Frostgrade. Den Wachsoldaten ging es nicht so gut, ihre Maschinenpistolen wärmten nicht.
• Als ihr dann die erste Milch im Topf hattet, war die Freude sicher groß!
Oh! Meine Mutter teilte sie für die drei Kinder ein. Aber Muttis jüngste Schwester, Tante
Else, die inzwischen mit ihrem Mann in Freudenberg gelandet war, Else also schlich sich
Diese jungen Russen haben uns manchmal erzählt, dass sie seit Kriegsanfang nichts mehr
von ihren Eltern gehört hatten. In der russischen Armee gab es keinen Urlaub.
• Wie lange ging diese Waldarbeit?
in die Küche und eroberte eine Tasse voll Milch für ihren Mann. Es war eben alles sehr
Bis das Waldstück abgeholzt war. Da war für uns der Arbeitseinsatz beendet. Nun konnten
knapp. Es wurde Herbst und schon recht kalt. Elses Mann, Onkel Traugott, wir sprachen
meine geschwollenen Schultern wieder abheilen. Weihnachten ging still vorbei. Das neue
schon über ihn, saß mit Mantel und Hut im Zimmer.
Jahr haben wir auch nicht fröhlich begonnen. Wir hatten aber drei kleine Kinder, die sorg-
• Ihr hattet also noch keine Heizung wieder?
ten dafür, dass wir das Lachen nicht verlernten. Sie gaben uns immer wieder neue Kraft.
Die Zentralheizung schaffte mit Holz geheizt keine Wärme. Da organisiert Karl Bade einen
Eines Tages im Februar lag unsere Ziege morgens tot im Stall. Es war ein herber Verlust.
eisernen Ofen und stellte ihn im Wohnzimmer auf. Auch im Schlafraum bekamen Schol-
Ich musste nun übers Land wandern. Mal hier, mal dort bekam ich eine Kanne voll Milch.
zens einen kleinen Ofen. Mutti, die Kinder und ich hatten unsre Schlafplätze im Esszimmer
eingerichtet.
Ungebetene Gäste • Waren die Flöhe denn noch da?
Ja, immer noch kämpften wir gegen die Flöhe. Jeder war morgens arg zerstochen, solange
das Lager noch warm war, ging die Jagd auf die Plagegeister los, ehe sie sich verkrochen.
Die Feldarbeit war nun beendet, wir hatten auch einen kleinen Vorrat an Gemüse und
Je kleiner die Bauernstelle, desto freigiebiger waren die Leute.
• Ein harter Winter ...
Als es Frühling wurde, ging es im Garten an die Arbeit. Im großen Obstgarten hatten die
Russen schlimm gehaust, die Tore zerbrochen, an den Bäumen hingen die zerbrochenen
Äste. Es musste vor allen Dingen zunächst Gemüse ausgesät werden.
• Wie war es mit den damals umgehenden Krankheiten bei euch?
Kartoffeln. In der Stadt konnte ich einen Sack Zuckerrübenschnitzel organisieren, die sonst
In der Stadt und Umgebung herrschten viele Krankheiten, besonders Typhus. An den
an Kühe verfüttert wurden. Die Schnitzel wurden ausgekocht und im süßlichen Wasser
Haustüren sah man immer wieder das große schwarze Kreuz «Typhus, nicht eintreten». Es
Roggenschrot gekocht. Dieser Brei war ein Festessen! Damals.
gab viele Todesfälle. Auch im Nachbarhaus, der Mann der Flüchtlingsfamilie Wollenweber.
• Wie war es mit Salz, das war doch auch Mangelware damals?
Nun das Problem, einen Sarg zu beschaffen, es fehlten Nägel. Im Obstgarten stand ein
Oh, das war schwierig. Als Würzmittel ist Salz so wichtig. Wir haben auch festgestellt, wie
großer Geräteschuppen aus Holz, dort haben wir Nägel herausgezogen, damit die Bretter
nötig der Körper das Salz braucht für Verdauung und Kreislauf. Wir haben das einfache
zum Sarg zusammenhielten. Als die ersten Tulpen blühten, bin ich mit einem Korb voller
rote Viehsalz besorgt.
Blütenstiele in die Stadt gegangen und habe in kurzer Zeit alles verkauft. Dies war unsere
Die dunkle Jahreszeit hatte nun begonnen. Die Russen ließen es zu, dass wir nachts von
erste Einnahme. So wurde nun daraufhin weiter gearbeitet: Blumen und Gemüse.
zwei bis vier etwas Strom bekamen. Es war kein helles Licht, aber wir Erwachsenen standen nachts auf, um zu nähen, zu stricken oder zu stopfen.
Waldarbeit im Winter • Musstet ihr auch im Wald arbeiten, wie ich es von anderen Orten gelesen habe?
• Und dein Mann war nicht zurück. Er war ja nun Offizier, hatte das Folgen für euch?
Ach – ja! Zwischendurch mussten wir aber manchen Schrecken überstehen. Jetzt hatte
uns jemand angezeigt, mein Mann wäre SS-Mann gewesen. Ein Wagen voller Russen fuhr
Ja, so manches Mal musste ich zur Holzarbeit in den Wald. Die Russen hatten angefan-
plötzlich vor das Haus, umstellte es, andere stürmten ins Haus, durchsuchten alle Räume.
gen, in den Wäldern Nutzholz schlagen zu lassen. Dazu wurde ich eingeteilt. Die Russen
Zum Glück war ich zu Hause und konnte mit dem Anführer sprechen. Als er das Bild mei-
meinten, mein Mann wäre Junker gewesen und noch Offizier, das musste bestraft werden.
nes Mannes in Uniform sah, war er überrascht: «Nix SS-Mann, ist ja Kamerad!!» Ein Pfiff
Um sieben Uhr musste losmarschiert werden, durcharbeiten bis vier Uhr nachmittags,
mit seiner Trillerpfeife und alle Russen waren zur Stelle, aber sie nahmen mit, was sie noch
Das große
schwarze Kreuz
Auch das Klavier ...
240 • CHARLOTTE CHOPINE
gefunden hatten, auch das Klavier. Sie schmissen es auf den Bretterwagen.
• Oh nein!
Ich höre heute noch die Töne, als die Saiten rissen.
• Das vergisst man nicht ...
... niemals, das vergesse ich nie. So. Das gute Stück war nun auch weg, ebenso die Ölbilder,
fiel. Die Bankguthaben waren durch die Russen ausgeplündert. Zum Glück ist das Sparbuch von dem Konto in Münster, unserer letzten Garnison, nicht verloren gegangen. So
fasste ich den Entschluss, zu versuchen über die Grenze und nach Münster in den Westen
zu kommen.
• Das war dann 1946, nicht wahr. Hast du das ganz allein unternommen?
der Radioapparat, die großen echten Brücken und Teppiche. Handgewebtes Wollmaterial
Nein, eine Bekannte wollte Bekannte bei Hannover besuchen. So machten wir uns gemein-
fand keine Beachtung.
sam auf den Weg. Von Rostock fuhren wir bis Lüchow. Es war strenger Winter, die Züge
«Heute sind wir • Das Leben war für dich der Kampf des Überlebens, die Kinder satt zu bekommen
am Leben» und vor Krankheit zu schützen und selbst arbeitsfähig zu bleiben?
hof, wo wir den Mann treffen würden, der uns den Schleichweg durch den Wald zeigen
konnte. Es war später Abend, als wir dort ankamen und der Lotse war auch wirklich da.
die gingen laut singend die Straße entlang: «Heute sind wir am Leben, heute haben wir
Der machte dieses Geschäft scheinbar fast täglich. Es brauchte nicht viel verhandelt zu
uns satt gegessen!!» Freudenberg war einmal ein großes Gut, das schon Ende der zwanziger
werden. Wir mussten noch einige Stunden warten, durften solange über dem Kuhstall ins
kleine Nebenerwerbshöfe und unsere Eigenheimsiedlung von zehn Häusern, die zum Teil
der Stadt gehörten.
• Und das Gutshaus, stand das noch?
In dem alten Gutshaus waren nun Flüchtlinge untergebracht. Dort hauste auch der alte
Wichmann mit Familie und Enkelkindern. Der bot mir seine Hilfe an für eine warme
Mahlzeit am Tag und wenn ich Geld eingenommen hatte, bekam er drei Mark für acht
Stroh kriechen. Außer uns warteten noch einige, die auch über die Grenze wollten.
• Wie lange bliebt ihr dort? Ein paar Stunden?
Um drei Uhr holte er uns vom Boden. Im Gänsemarsch ging es, der Mann an der Spitze.
Kinder durften keinen Laut von sich geben, nicht husten oder niesen, so ging es auf einem
schmalen Trampelstreifen durch den dunklen Wald. Es kam uns endlos vor. Wir kamen
gut durch und waren plötzlich im Westen.
• Erinnerst du noch, wie du dich da gefühlt hast?
Stunden. Er half mir Bäume fällen, Stubben roden, Holz hacken. Die alte Laube wurde nun
Ein wunderbares Gefühl! Nun brauchten wir nicht mehr zu schleichen, konnten das letz-
erst richtig fest als Ziegenstall ausgebaut und mit dicken Laubwänden isoliert. Da habe ich
te Stück durch den Wald auf einem festen Weg gehen und fanden auch den Weg zum
gelernt, dass man ohne Nägel und Draht eine feste Mauer aus Holz und Laub bauen kann.
nächsten Bahnhof. Wir staunten sehr, alles war erleuchtet in den frühen Morgenstunden.
Ich hatte Glück, konnte zwei Ziegen eintauschen, die nun gut Platz in diesem Stall hatten.
Auch der Zug nach Hannover, in den wir einstiegen, hatte Licht und war geheizt! Es war
Kaninchen und Hühner hatten wir auch schon und einen kleinen Hund «Boxi» eingetauscht
für ein Stück Seife.
Diebe und Neider • Hunde konnten als Wachhunde ja gut sein, aber sie wollten auch gefüttert werden.
wunderbar.
• Du fuhrst weiter nach Münster. Wie war das, als du dort ankamst?
Dort stand ich nun am Bahnhof in der Ruinenstadt. In der Innenstadt konnte man keine
Auf dem Hof hat die Schäferhündin überlebt, weil ein Kommissar mit seiner Truppe dort
Straßen erkennen. Oft musste ich über Schuttberge klettern, immer in Richtung Dom. Von
hauste. Sonst waren im weiten Umkreis alle Hunde abgeschossen. So mussten wir dieses
dort wurde es besser. Ich fand das Haus, in dem wir mal wohnten, es war gut davongekom-
kleine, kostbare Tier vor Dieben hüten. Die Diebe und die vielen Neider machten uns das
men. Die Dr. Werners wohnten noch in der zweiten Etage. Ich konnte bei ihnen bleiben.
Leben schwer. So waren wir eines Tages angezeigt worden, wir hätten eine Kuh versteckt.
Bei der Bank in Münster hatte ich keine Schwierigkeiten, bekam 10.000 Reichsmark aus-
Die Haus- und Grundstücksdurchsuchung endete mit freundlich abziehenden Polizisten.
gezahlt. Ich wollte nun Werners und auch Karges etwas Geld für ihre Gastfreundschaft
Scholzens und Fräulein Amft waren wieder nach Neubrandenburg gegangen und hatten
einen Raum in einer großen Wohnung bekommen. Uns fehlte aber nun das Geld. Meine
Mutter bekam keine Pension mehr, weil der Besitz des Fürsten enteignet war und an Polen
die Grenze
ungeheizt und ohne Fensterscheiben. In Lüchow wies man uns den Weg zu einem Bauern-
Für mich. Und auch den anderen Müttern ging es ähnlich. Da waren zwei kleine Brüder,
Jahre überschuldet aufgegeben werden musste und aufgeteilt wurde, in Bauernhöfe und
Nachts über
abgeben, aber beide lehnten es ab.
• Dann musstest du mit dem Geld den ganzen Weg zurück?
Mmmh, und um das Geld sicher über die Grenze zu bringen, nähte ich es in eine Monats-
«Ein wunderbares
Gefühl!»
242 • CHARLOTTE CHOPINE
binde aus Zellstoff mit Mullbinde überzogen. Ich trug dies Paket natürlich auch als Binde.
hinein haben Wichmann und ich einen Bienenstand gebaut. Zwei Bienenkästen konnte
Alles verlief glatt, ich landete wieder zu Hause. Meine Mutter hatte tapfer durchgehalten,
ich bei Bekannten für ein Paar Kinderschuhe, die Ilona zu klein waren, eintauschen mit
sie war ja allein mit den drei Kindern. Frau Wollenweber aus dem Nachbarhaus war schon
Waben. Ein Bienenschwarm war mir auch vermittelt worden, in Kuhlrade, zwei Stunden
mal bei Mutti, außerdem hatte die Frau auch die Ziegen gemolken und gefüttert.
Fußmarsch von uns. Der Heimweg mit dem schweren Brutkasten ist mir sehr schwer
Federvieh und • So war es im nächsten Jahr sicher etwas leichter?
geworden, aber es wurde geschafft. Über Nacht musste sich der Schwarm beruhigen und
Schmuggelreis Ja, ja, 1947 war etwas leichter für uns. Wir bauten den Hühnerstall um, der alte Wiehmann
morgens um vier Uhr habe ich das junge Bienenvolk in den vorbereiteten Kasten gesetzt.
und ich, so dass ich im unteren Teil ein Ferkel einsperren konnte und die Hühner eine
Es ist alles gut gegangen. Als die Sonne höher stieg, fingen die Bienen schon an ein- und
Etage höher nisteten. Die Ziegen haben Lämmer gebracht und gaben gut Milch. Die Kinder
hatten mit den Tieren ihre Spielgefährten, der kleine Hund dazwischen. Die Kinder aus
den Nachbarhäusern und unsere drei hatten ihre Spielplätze im Wald.
• Aber deine Aufgabe war nach wie vor die Verpflegung der Familie zu sichern?
auszufliegen.
• So war also der Anfang zur Imkerei geschafft?
Ach, es gab Erfolge, aber leider auch Rückschläge. Außerdem musste man sich gegen den
wir angezeigt, irgendwie Unerlaubtes zu tun. Aber alle Kontrollen verliefen zu unseren
Schmuggelware etwas kaufen, z.B. Zucker, Reis, Gries, Haferflocken. Die Grenze nach
Gunsten, nur die seelische und körperliche Belastung bei solchen Kämpfen war für mich
Schleichwege, verkaufte die Ware aber nur an verlässliche Kunden.
• Frühling 1948, ja?
ebenso stark wie bei der Arbeit, die ich zu leisten hatte.
• Und wie ging es den Mädchen in dieser Zeit?
Ilona ging nun auch zur Schule. Sie hatte einen gleichaltrigen Freund, der sie morgens
Ja, das weiß ich noch: 1948, das war das Jahr, da wurde es erlaubt, sich ein Schwein zu
abholte und erst noch eine Tasse Milch bekam. Seine Mutter war schon unterwegs zur
füttern! Wenn es geschlachtet werden sollte, wurde es vorher taxiert, welches Gewicht es
Arbeit. Oft musste ich den Jungen noch waschen und kämmen. Väter gab es in unserer
bringen würde. Nach diesem Gewicht wurden die Fleischkarten der Familie gestrichen,
Siedlung nicht, nur zwei alte Männer. Renate ging nun schon in Ribnitz zur Schule. Im
eventuell für ein halbes Jahr oder länger. Ein Pensionär der Landwirtschaftlichen Schule
Sommer nahm sie täglich eine Kanne Milch mit zur Stadt für eine Konditorei, die wieder
hatte dieses Amt inne.
geöffnet hatte. Mit der Milch stellte der Besitzer Eis her, das sehr begehrt war von den
So freundlich braucht • Dann musstest du gut mit ihm verhandeln?
Stadtleuten. Aber der Sommer war noch nicht vergangen, da wurde die Herstellung von
man nicht zu sein ... Na ja, klar: da musste man ja sehr nett zu diesem Herrn sein, damit das Gewicht recht
niedrig ausfiel. Dies konnte meine Mutter nicht verstehen und ich bekam jedes Mal tüchtig
Schimpfe, wenn die Leute gegangen waren, weil sie meinte, so freundlich brauchte man
nicht zu sein.
• Aber ein günstiges Gewicht für euch fand sie doch gut!
Eis dem Konditor verboten, weil die «HO», also die Handelsorganisation, ein staatliches
Unternehmen, ihr angebotenes Eis nicht verkaufen konnte.
• Ihr hattet – trotz aller Not – immerhin ein Schwein?
Ja, wir konnten nur eines halten. Unten im Keller hatten wir den Schweinestall eingerichtet. Mehr hätte man nicht geschafft. Die Kartoffeln musste ich ja erst erarbeiten, um füttern
Mutti war sehr streng mit mir, damit ich bloß keiner Versuchung erliege. Dem alten Wich-
zu können. Und ich musste ja auch einen Teil der Kartoffeln und Obst verkaufen, damit ich
mann, meinem Arbeitsgenossen, vertraute sie, mit ihm durfte ich im Wald oder Garten
Schrot kaufen konnte. Und da habe ich auch noch viel Grün gefüttert, so ist das Schwein
ohne einen dritten Arbeiter sein.
prächtig gediehen. Und es musste doch der Fleischbeschauer noch bezirzt werden, denn
• Später dann hattet ihr doch auch Bienen, da hat dir doch auch der besagte Herr
Kontrollen
Neid und die Gehässigkeiten einiger Mitmenschen zur Wehr setzen. Immer wieder wurden
Mit den Kaufleuten in der Stadt hatte ich ein gutes Verhältnis und ich konnte von ihrer
Westberlin war noch verhältnismäßig gut zu überwinden. Der tüchtige Händler nutzte die
Kämpfe und
wenn er zuviel aufgeschrieben hätte, hätten wir gar keine Fleischkarten mehr bekommen.
Wichmann geholfen oder wie war das noch?
Und der Schlachter, das war auch ein guter Mann. Ich sprach mit seiner Frau, und er kam in
Im großen Obstgarten war ein Teil des Grundstücks als Sonnenliegeplatz angelegt, rings-
der Nacht aus Ribnitz nach Freudenberg zum Schlachten. Denn das durfte ja keiner sehen.
um waren in mehreren Reihen Edeltannen angepflanzt, ein herrlich geschützter Platz. Dort
Und er bekam einen Teil des Fleisches, das er wiederum schwarz verkaufen konnte.
Ein Schwein
im Keller
244 • CHARLOTTE CHOPINE
• Und ihr hattet noch die Ziegenböcke ...
• Es ging immer noch ums Überleben; an Spielzeug für Kinder oder anderen Luxus
... ja, und damit wir nun die Wurst von dem Schwein ein bisschen strecken konnten, da
war nicht zu denken, oder?
habe ich immer zwei Ziegenböckchen gemästet. Mit einer extra Kraftsuppe mit Schrot.
Na ja, eines Tages sahen wir im Geschäft des Kaufmanns Spielzeug fürs Weihnachts-
Die anderen Lämmchen bekamen nur Milch, Magermilch nur. Nachher hatten wir ja drei
geschäft, auch Schaukelpferdchen. Wir haben nicht lange überlegt, unsere Einnahmen
Milchziegen, die waren auch im Herdbuch angemeldet. Die eine Ziege gab nun Milch wie
gezählt und wir konnten ein Schaukelpferdchen mitnehmen. Frau Wöllenweber versteckte
eine schlechte Kuh, pro Tag acht Liter Milch. Die anderen nur so drei Liter. Aber die eine
es in ihrer Wohnung. Ilonas Freude, als sie es unter dem Weihnachtsbaum sah, war riesig.
hatte ein so großes Euter, sie konnte kaum laufen.
Sie wollte doch so gern reiten und sagte immer «Ich werde Ritter». Sie meinte Reiter, sagte
• Brot bekamt ihr ja auch zugeteilt, reichte das denn aus?
Ach, klar. Mit guten Beziehungen schon. Denn das war so: Der Brotwagenfahrer hatte
auch zwei hungrige Kinder. Vor allem wollte er Obst, und Obst hatten wir ja! So hat man
aber Ritter. Das Geschäft mit Spielzeug hat den Kommunisten nicht gefallen. Alles wurde
beschlagnahmt, der Kaufmann konnte aber gen Westen entkommen.
• Du warst immer unterwegs, und deine Mutter zu Hause, so war die Arbeitsteilung?
sich damals arrangiert. Sogar unser Hausarzt Dr. Thron kam jede Woche (Ärzte durften
Meine Mutter wirkte im Haus und unterstützte meine Arbeit. Die Nachfrage nach Krän-
Auto fahren) und holte sich bei uns Milch. Im Spätherbst nutzten wir die Nachfrage nach
zen, Sträußen und Edeltannen wurde immer stärker. Ich mietete jedes Wochenende bis
Tannengrün und Grabkränzen. Edeltannen hatten wir im Garten reichlich. Und ich wusste
Weihnachten Pferd und Wagen, um alles transportieren zu können. Auch Tannenbäume
auch im Wald, wo Ilexsträucher und Edeltannen wuchsen.
in bestellten Größen, die ich ebenfalls auf unserem Grundstück schlagen konnte. So hatten
Das Tannengeschäft • Um Kränze zu binden, braucht es aber Draht und so fort ...
wir zwar viel zu tun, aber es ging uns schon recht gut. Die 90 Obstbäume im Garten brach-
Um Bindematerial für Kränze zu haben, habe ich zuerst im Wald von den Schutzzäunen, die
ten reiche Ernte und die Tierhaltung versorgte uns mit Fleisch und Fett. Die Ziegen waren
mal die Jungbäume schützen sollten, den Draht aufgetrennt. Später schickte mir Werner
nun im Herdbuch aufgenommen, dadurch war es möglich, starke Jungtiere als Zuchttiere
Gebauer, mein ehemaliger Spielkamerad aus Neustadt und inzwischen Finanzpräsident in
verkaufen zu können. Zwei von den Lämmern haben wir besonders gefüttert, die wurden
Stuttgart, das nötige Bindematerial. Er hatte es durch seinen Chauffeur besorgen und ein-
mit dem Schwein geschlachtet und das Fleisch nach ungarischem Rezept mit dem Schwei-
packen lassen. Seine Frau hatte es wohl nicht zu wissen bekommen. Sie war sehr sparsam
und einmal beklagte sie sich bei mir, dass das Leben so öde wäre und das Geld auf den
Konten immer mehr würde.
• So hat jeder seine Sorgen ...
neschinken zu Mettwurst verarbeitet.
• Einmal hattet ihr einen sehr unheimlichen Besucher, erzähl doch noch mal von
Das war, als Scholzens einmal wieder bei uns waren. Da standen Mutti, Tante Else und
ich in der Küche. Die Türen zum Garten standen weit offen, der Blick zum Garten bis zum
wieder zu teuer. Ist doch interessant, wie blöd manche Menschen ihr Leben leben! Dies
Gartentor an der Straße war frei.
Gehilfin. Morgens packten wir unsere «Transporter», sie die Schubkarre, ich das Fahrrad,
so schoben wir unsere Ware zum Markt in die Stadt.
• Da gingt ihr also zu zweit?
Unheimlicher Besuch
diesem Besucher ...
Auf meinen Rat hin, das viele Geld für schöne Reisen usw. zu nutzen, meinte sie, das wäre
nur nebenbei. Das Tannengeschäft lief sehr gut an. Frau Wöllenweber war meine treue
Ein Schaukelpferdchen
Und Wilhelm Suhr! Ach ja, wie der erschien …
• … ja.
Das können wir uns alle nicht erklären. Also Tante Else, Mutti und ich, wir standen in
Freudenberg in der Küche und haben irgendwas für Mittag wahrscheinlich beraten, und
Einmal begleitete uns Renate, aber als die Karre so sehr zu quietschen begann, und wir
die Tür stand ja immer weit auf, weil die Kinder draußen spielten. Und plötzlich kommt
so doch nicht in die Stadt gehen konnten, kam mir der Gedanke an Renates Schmalzbrot
ein junger Mann die Straße entlang, macht das Gartentor auf, kommt rein … und kommt
in der Tasche. Ein Finger voll Schmalz vom Brot abgestrichen und die Karre geschmiert.
schnurstracks in die Küche und gibt jedem von uns die Hand, sagt aber kein Wort, guckt
Es wirkte wunderbar, lautlos erreichten wir unser Ziel. In kurzer Zeit hatten wir alles
uns bloß an, dreht sich um und geht. Und als er noch nicht ganz am Gartentor war, war
verkauft.
er weg … wie Luft. Uns ist nachher also ganz kalt, und wir waren stumm. Und dann sagte
CD| Nº19
246 • CHARLOTTE CHOPINE
einer zuerst: Das war doch Wilhelm Suhr. Genau den Anzug, den er so alle Tage auf dem
• Und er kam ganz festen Schrittes auf euch zu?
Hof trug. Hatte immer so einen Herrenhut etwas schräg so auf einem Ohr, so einen rich-
Ganz festen Schrittes, sportlich, schlank; ein hübscher junger Mann! Ach, und ein flotter
tigen größeren Hut, die Joppe, die langen Stiefel, Reithosen, so kam er an, ganz aufrecht,
Reiter, Donnerwetter!
wie ein normaler Mensch. Und die Hand, ich kann mich nicht entsinnen, ob die kalt war,
das weiß ich nun nicht, aber mit einem richtigen Händedruck … Das hat bei uns also ein
paar Tage gedauert, bis man das … Irgendwie haben wir gesagt, aber wir haben es doch
alle drei gesehen…
• Das ist es.
Wenn es nur einer…
• Genau. Ihr wart ganz sicher?
Und jeder von uns sagte, das war doch Wilhelm Suhr. So was gibt es alles Komisches. Also
die Familie muss wohl unendlich gelitten haben.
• Unheimlich ...
Ja, das war wirklich sehr unheimlich ...
• Und eines Tages wurdet ihr ja mal vor einem Übergriff gewarnt, wie war das genau?
Im Flüchtlingslager hatte sich eine Männergruppe verabredet, an einem bestimmten
hohen Marktwert, daher lohnte es, solche Beute zu machen. Ich nahm unseren Hund wieder an die Leine (d.h. an die Kette, Lederleinen gab es noch nicht wieder). Wir beide bezogen
wieder Stellung im Tannendickicht an der Waldgrenze.
• Von dort kam der Angriff dann auch?
Von dort. Der Hund hob den Kopf und knurrte leise. Ich legte ihm die Hand auf den Kopf
Tante Else wusste, glaub’ ich, schon, dass sie alle tot sind. Die waren mit ihrem Fluchwagen
und sprach leise auf ihn ein: ruhig – ruhig. Ich hörte das Laub unter den Füßen rascheln
nicht mehr weit gekommen. Da haben die Russen sie schon überholt. Die Frauen wurden
und merkte, dass es etliche Männer waren. Der Hund blieb still, zitterte aber vor Angriffs-
gleich vergewaltigt. Einer sagt, sie seien alle sofort erschossen worden. Ein anderer sagt,
lust. Erst als ich hörte, dass sie über den Zaun kletterten, machte ich die Kette los. Wie ein
Wilhelm Suhr hätte die Frauen erschossen, um sie vor der Vergewaltigung zu bewahren.
Pfeil schoss der Hund an den Zaun, er hat wohl arg zugebissen, denn ich hörte mehrere
Und am Ende habe er sich selbst erschossen. Aber wer nun Recht hat, das kann man heute
Schreie, das Laufen in den Wald und alles war still. Ich nahm den Hund wieder an die
nicht mehr wissen. Sicher ist nur, dass die vier Leichen später am Trebowsee gefunden
Kette, mir war auch gar nicht wohl zu Mute. Da hörte ich Schritte auf der Straße, schnell lief
wurden. Mutter, zwei Töchter und der Sohn. Die Bewohner, die sie tot am Trebowsee vor-
ich zu dieser Seite des Zaunes. Es waren zwei junge Männer aus der Nachbarschaft. Als sie
fanden, haben sie gleich dort beerdigt.
mein Erlebnis hörten, kamen sie in den Garten und blieben bei mir bis zum frühen Morgen.
• Alle drei?
Der nächste Tag war Sonntag, wir haben alle mit vereinten Kräften das Obst geerntet.
• Und wurde nur Obst gestohlen?
Es war vielleicht Lagebesprechung. Was ich als nächstes tun musste. Was Mutti kochen
Nein, unsere Tiere hätten andere auch gern gegessen. Es wurde viel gestohlen zum Verkauf
sollte. Wie auch immer. Wir drei waren jedenfalls in der Küche. Plötzlich kommt ein Mann!
oder für den eigenen Suppentopf. Die Sudetendeutschen fingen auch Hunde ein für die
Geht das Gartentor auf und kommt ein Mann rein. Mit schnellen Schritten auf uns zu. Da
Bratpfanne. Den Hund in der Pfanne habe ich im Flüchtlingslager selbst gesehen; ein alter
sagt Tante Else: «Das ist doch Wilhelm Suhr!» Ja! Mutti sagt: «Das ist doch Wilhelm Suhr!»
Mann saß vor der Pfanne, schnitt sich Fleischstücke ab und aß mit Behagen. Wenn das
Den Anzug, den er ja immer trug und auch den Hut, den er immer so fesch auf einer Seite
Volk auch Lebensmittelkarten monatlich bekam, war dies doch sehr wenig, was man kau-
trug. Kam er so forschen Gangs an, guckte uns alle an, sprach kein Wort, gab uns allen die
fen durfte. Einige Sachen waren nur für die Belieferung der Russen bestimmt, z.B. durfte
Hand – und plötzlich war er weg! Er drehte sich um, ging raus, aber zum Gartentor kam er
man keinen Fisch kaufen, (bei Strafe nicht), ebenso durfte man keinen Sirup kochen, die
schon nicht mehr, da war er weg.
Zuckerrüben wurden zu Schnaps verarbeitet.
• Und euch ist es kalt den Rücken heruntergelaufen.
Obstgarten
Abend einen Großangriff auf den Obstgarten zu starten. Das Obst hatte damals einen
Muttis Schwester, Tante Liesa Suhr mit Familie waren auf der Flucht ermordet worden.
Und wir standen also in der Küche. Ach ja ...
CD| Nº19 fin
Angriff auf den
• Und dann irgendwann kam endlich Nachricht von deinem Mann, das muss Ende 1951 Nachricht vom Mann
Kalt! Also, als ob die Suhrs in ihren letzten Gedanken sich noch von uns verabschieden
gewesen sein?
wollten?
Ja, da bekamen wir einen Brief von Kempers aus Mackenbruch, dass eine Gruppe Offiziere
248 • CHARLOTTE CHOPINE
aus Jugoslawien in Friedland eingetroffen wären und Herbert dabei wäre. Da in Freuden-
man meinen Antrag prüfen und mir Nachricht geben. Wir verließen erleichtert das Amts-
berg alle Briefe gelesen wurden, bevor sie ausgetragen wurden (Spitzeldienst), wusste dies
gebäude und machten uns auf den Heimweg. Aber nun musste ich unbedingt aufs Klo!!
der Ort längst vor uns! Gleich ging die Spekulation los, wann wird die Familie nun nach
Wir steuerten ein Toilettenhaus an, ich wurde nicht hereingelassen, weil ich kein Westgeld
dem Westen fliehen und wie kommt man an die zurückbleibenden Sachen und das Haus.
hatte «pinkeln nur für Westgeld!» Am nächsten Klohaus die gleiche Antwort, obwohl ich
• Bei euch war natürlich die Freude groß?
Zuerst. Ja. Wir ahnten noch nicht, was für aufregende Monate vor uns lagen. Die in Fried-
der Frau zehn Mark zahlen wollte.
• Sie ließ dich nicht durch die Klotür?
land eingetroffenen Offiziere kamen alle gleich in eine Duisburger Klinik wegen ihres
Erst als ich sagte, dass ich mich nun offen auf die Straße setzen würde, um das Bächlein
elenden Gesundheitszustandes. Mein Mann hatte starke Wasseransammlung im Körper
fließen zu lassen, machte sie mir die Klotür auf. Nun wanderten wir zur Grenzstation,
durch Nierenschaden, durch Unterernährung, Leberschaden. Bei den Verhören wurden
weil wir ja für Fahrscheine in der Stadt kein Geld hatten. Und so waren wir am späten
ihm während den Folterungen alle Zähne ausgeschlagen. Trotz der Freude endlich frei zu
Nachmittag wieder zu Hause. Onkel Scholz war ja nun den Tag über allein gewesen und
sein, ging es ihm körperlich doch so schlecht, dass wir brieflich nicht so engen Kontakt
hatte sich selbst verpflegt, indem er den größten Teil der mitgebrachten Esswaren verspeist
bekommen konnten.
hatte. Tante Else war sehr erschrocken und wollte ihm Vorwürfe machen, aber er sagte
Noch mehr Kontrolle • Wurdet ihr nun besonders beobachtet?
Wir in Freudenberg wurden nun sehr oft bespitzelt, oh ja. Die Polizei schaltete sich ein,
sehr zufrieden: «Ich habe mich endlich mal sattgegessen!»
• Und zu Hause war alles in Ordnung?
ich musste mich wöchentlich zweimal beim Polizeichef melden. Die Polizei würde jeden
Ja, dort ging der Alltag weiter, ich war froh, dass während der zwei Tage Abwesenheit
Fluchtversuch vereiteln, da sie den entlassenen Offizier in die DDR locken wollte. In Fried-
nichts passiert war. Mein Vorhaben musste ja auch geheim bleiben. Auch den Kindern
land wurde den Offizieren sofort bei der Ankunft gesagt, dass keiner wagen sollte, in die
DDR zu fahren. Dort drohte ihnen Verhaftung und Lageraufenthalt. Inzwischen lief der
konnte ich nichts sagen, damit sie unbelastet waren, weil sie wirklich nichts wussten.
• Damals bist du doch auch zu einer Kartenlegerin gegangen?
Alltag bei uns in Freudenberg weiter. Immer wieder Verhöre bei der Polizei, ich musste
Oft, ja. Die Frau war mit ihrer Familie aus Böhmen geflohen und wohnte nun in Ribnitz.
glaubhaft beteuern, dass ich nicht an Flucht denke. Unterdessen war in Westberlin ein
Sie hat mich manchmal gewarnt, mir aber im richtigen Moment auch wieder Mut gemacht.
Hilfsfonds vom Roten Kreuz geschaffen worden, aus dem Soldatenfrauen unterstützt wer-
Eines Tages am späten Nachmittag kam ein fremder Mann zu uns ins Haus und sagte, er
den konnten, deren Männer aus langer Gefangenschaft nicht zu ihren Familien kommen
wäre gekommen, um uns zu warnen: Wir sollten doch «möglichst zeitig ...», es würde auch
konnten. Es war für mich sehr günstig, dass Muttis Bruder in Oranienburg noch seine
«noch alles glücken!». Er wäre bei einer Versammlung gewesen, da wäre von mir gespro-
große Wohnung hatte, und Scholzens dort auch Wohnraum gefunden hatten. So konnte
chen worden und man hätte gesagt, dass ich in der kommenden Nacht verhaftet würde. Na.
ich jederzeit dort Station machen und fuhr auch hin, um bei der Hilfsorganisation einen
Mutti und ich waren erschrocken, zweifelten aber, ob es wirklich so wäre. Mutti und ich
Antrag zu stellen, der mir einen Besuch bei meinem Mann in der Klinik ermöglichen sollte.
haben uns lange beraten. Als es dunkel wurde, fuhr ich zu meiner Frau Heise. Das war eine
Für die zwei, drei Tage in Oranienburg musste ich reichlich Esswaren einpacken, in den
sehr hilfsbereite Familie. Sudetendeutsche; sie hatten ja auch einiges durchgemacht. Ich
Städten war die Versorgung sehr schlecht.
klopfte also, es war ja schon spät. Und sie haben auch aufgemacht: «Ja, komm’ rein, gucken
Pinkeln im Westen • Nach Westberlin konnte man damals noch mit dem Personalausweis fahren!
wir mal nach ...» Und: «Nee, das is’ alles gelogen! Fahr’ mal nach Hause, kannst schlafen
Ja, aber nicht nach Westdeutschland! Wenn man zu Fuß über die Grenze ging, wurde
gehen». Ich fuhr also nach Hause. Na ja, von Schlafen war natürlich nicht die Rede! Mutti,
man kontrolliert oder auch nicht kontrolliert. Das war noch gut möglich damals. Tante
die saß zitternd in der Stube, die Kinder schliefen schon. Ich sag’: «Kannst auch schlafen
Else begleitete mich nach Westberlin, und wir mussten kreuz und quer durch die Stadt
fahren, wurden von einer Behörde zur andern geschickt, bis wir die richtige Anlaufstelle
ereichten. Hier wurde ich erst ausführlich befragt und nach Einsicht der Unterlagen würde
gehen, wir können bleiben.»
• Die Nacht verlief auch tatsächlich ruhig?
Ja, aber schlafen war dieses Mal, wie auch oft vorher, nicht möglich.
Die Kartenlegerin
250 • CHARLOTTE CHOPINE
Wir bekamen später Hinweise, dass ein Bauer aus dem Dorf in unser Haus wollte, um dort
• Es ist, als ob du die menschliche Seite selbst beim Polizeichef erreicht hast!
seine Freundinnen unterzubringen. Er hatte uns diesen Mann geschickt. Er hatte immer
Und der Schutzengel (lacht)!! Klar, und ich hab’ natürlich immer gesagt: «Es ist Ihre Macht,
gerne so Frauen, aber seine Frau zuhause wollte das natürlich nicht ...
Sie können es bestimmen; ich will ja nicht schwarz über die Grenze, ich will das ja nicht
Vereitelt • Du warst jedenfalls weiterhin unter polizeilicher Aufsicht.
hinter Ihrem Rücken, ich will ja, dass Sie das entscheiden.»
Wir hofften ja damals immer noch auf Grenzöffnung ... Später hat mir ein Jungbauer ange-
So musste ich zweimal in der Woche den Stempel holen. Und wenn ich ihn auf dem Flur
boten, ich könne die Möbel auf seinen Hof fahren. Vom Hof aus sollten sie am nächsten
traf, ist er immer schnell in irgendeiner Bürotür verschwunden. Ach, mein Gott, wenn ich
Tag auf die Bahn verladen werden. Das hätte sicherlich alles geklappt, wenn nicht ausge-
diese verbarrikadierten Kellerfenster gesehen habe, wo die Menschen zu Geständnissen
rechnet ein Polizist, der auch in der Siedlung wohnte, vom Dienst nach Hause kommend,
das Gespann gesehen hätte. Und der Polizist hat gleich seinen Chef angerufen. Und ich
gezwungen wurden!
• Und jedes Mal die Angst, man könnte doch wieder festgenommen werden ...
hatte ja vorher schon alle Möbel im großen Garten im Gartenhaus eingelagert. Eingeladen
Ja, jedes Mal neu. Im Januar 1952 kam aus Berlin über Oranienburg die Nachricht, dass
hatten wir dort. Und der Jungbauer war schon auf dem Weg. Doch der Wagen wurde
mein Antrag bewilligt sei und ich ein Flugticket und Reisegeld nach Duisburg bekomme
gekascht und musste umdrehen, hielt wieder vor unserem Haus. So schnell war das alles
und einen Aufenthalt in der Klinik bei meinem Mann. Für Mutti und mich löste diese
gegangen, ich war noch im großen Garten, also machte Mutti die Tür auf und war furchtbar
Nachricht zuerst große Aufregung aus, denn ich wäre ja längere Zeit unterwegs und Mutti
erschrocken.
mit den Kindern allein. Allmählich beruhigten wir uns, erzählten den Kindern, wohin ich
• Was hast du dann gemacht?
unterwegs sein werde.
Na, ich kam hinterhergelaufen, da waren sie schon im Haus. Mache die Tür auf, sage: «Was
Frau Wollenweber wusste es auch, sie versorgte unsere Tiere und melkte die Ziegen. Mutti
ist denn hier los?» Da stand der Jungbauer, zwei Polizisten neben ihm, der war ja schon
nähte mir noch schnell eine Pelzjacke. Das Nutriapelzfutter aus dem Ledermantel meines
halb Gefangener. Mutti war schon da im Verhör: «Mein Gott, wo bleibst du denn?» Mutti
Mannes hatte ich gesondert versteckt. Den Mantel haben Russen gefunden und mitge-
und ich sprachen mit dem Polizeichef: «Was soll ich denn machen? Ich habe bei Ihnen die
nommen, das Futter davon ergab nun eine schicke Jacke. Jedenfalls für die damaligen
Ausreise zu meinem Mann wer weiß wie lange beantragt. Sie lassen mich nicht raus. Also
Verhältnisse schick. Ich fuhr nun nach Oranienburg. Der nächste Tag war zum Reisetag
irgendwie muss ich ja sehen, dass die Familie wieder zusammenkommt!»
bestimmt. Onkel und Tante fuhren mit mir zum Flughafen Tempelhof. Ich hatte ja nun
Die menschliche Seite • Und hat er ...?
einen Westberliner Ausweis, aber zu dieser Zeit konnte man die Grenze noch ungehindert
Ein gedehntes, nachdenkliches «Jaaah» war die Antwort. Ich sag’: «Mein Mann kommt hier
passieren. Am Flughafen erfuhren wir die Abflugzeit und hatten noch über zwei Stunden
nicht her!» Mutti ging raus, denn die Kinder saßen nun schon die Treppe lang und guckten
zu warten. Wir suchten uns im Flughafenrestaurant einen gemütlichen Platz aus. Auf
über das Geländer, sie waren ja nun längst wach geworden. Und die Flüchtlingsfrau mit
dem Tisch stand ein Korb mit frischen Brötchen. Dieser Köstlichkeit konnte Onkel Scholz
einem langen Hals. Da hab’ ich ihm erklärt: «Ich halte hier aus, aber das können sie ja nun
nicht widerstehen und er verzehrte sogleich etliche. Dem Kellner gefiel das nicht, er nahm
auch nicht über das Herz bringen, wenn so eine Familie zerbricht.» Er sagt: «Das schaffen
schnell den Korb von unserem Tisch. Ich fragte nach der Speisekarte, aber die gab es noch
wir, wir kriegen ihren Mann hierher.»
«Ja», sage ich, «machen Sie es bald, denn mein Mann sagt, er will nicht kommen. Und meint,
nicht. Es wurde nur ein Gericht angeboten, es gab Schweinebraten mit Sauerkraut.
• So war es ein Festessen.
ich hätte hier Liebschaften! Und die Kinder brauchen doch auch den Vater.» «Na ja», sagte
Ja, ja ... Endlich war es an der Zeit, dass ich meinen Platz im Flugzeug einnehmen konnte.
er, «wir werden sehen. Und zweimal in der Woche melden, damit ich sehe, dass Sie noch da
Als die Maschine so ruhig über den Wolken dahinflog und nichts von der Erde zu sehen
sind.» Das Fuhrwerk war freigegeben, ich konnte die Möbel nächsten Tag verladen, um sie
war, überkam mich ein wunderbares Gefühl der Sicherheit. Viel zu schnell landeten wir
Verwandten zu schicken, die alles verloren hatten. Ehe sich hier die Nachbarn alles holen!
in Hannover. Dann ging es zum Bahnhof. Es war Nacht geworden. Ich musste bis drei Uhr
Der Polizeichef schüttelte den Kopf, aber dafür hatte er doch Verständnis.
warten, dann konnte ich in den Zug nach Duisburg steigen und war gegen sieben Uhr am
Ein Pelz für
den Westen
252 • CHARLOTTE CHOPINE
Ziel. Im Sanatorium angekommen (zu Fuß natürlich), stand ich endlich meinem Mann
gegenüber.
Zu dem bin ich auch wieder gegangen. Sagt er: «Kriegen wir hin!»
• Und du hast es ja auch «hingekriegt», ab 1955 lebtest du dann ja mit deiner Familie
Fremd nach • Acht Jahre hattest du nicht gewusst, ob er noch lebt.
in Bielefeld. Das war in einer Flüchtlingssiedlung, die ihr erst mal urbar machen
acht Jahren Acht? Acht, ja, acht Jahre. Wir freuten uns so sehr. Und doch hatte ich Mühe, meine Bestür-
musstet. Und in 20 Jahren Arbeit habt ihr daraus einen kleinen Bauernhof gemacht.
zung über das fremde Aussehen meines Mannes zu verbergen, er hatte in Gefangenschaft
Ich war dein Nachbar, ziemlich jung noch, sechs ungefähr, und da hab ich euren Hof
sehr gelitten. Es waren noch andere Offiziere anwesend aus dem gleichen Gefangenen-
sozusagen als mein Kinder-Spielparadies entdeckt. Und hab dich kennen gelernt ...
transport, auch einige ihrer Frauen. So war die erste Spannung bald überwunden. Es gab
Ja. Und in Bielefeld, da hast du auch wieder deine Rosen gepflanzt, die du so liebtest,
ja viel zu erzählen und im größeren Kreis wurde sogar gelacht und Spaß gemacht.
• Leider gingen die Tage schnell zu Ende, hast du mir gesagt ...
als Kind schon ...
Nu ja, ach! In Bielefeld, als nach Jahren überhaupt etwas wuchs, säte ich vor dem Haus erst
Ach, ja, aber wir waren guter Dinge und voller Hoffnung, dass sich alles zum Guten regeln
Kresse und Studentenblumen. Und es ist erstaunlich viel aufgegangen. Und da haben wir
lassen würde.
dann später ... viel später ... wieder in den Garten zur Straße Rosenstöcke gepflanzt. Denn
• Die Rückreise verlief glatt?
ich bin ja mit Rosen aufgewachsen. Und als ich größer wurde, und man fragte mich, wann
Ja! Zu Hause war auch alles gut verlaufen. Die Kinder freuten sich über die kleinen
ich denn Geburtstag hatte, soll ich geantwortet haben: «Wenn die Rosen blühen!» Und für
Geschenke, und ich musste erzählen. Der raue Alltag begann sogleich wieder. Naiv wie
die Geburtstagsfeiern stand immer ein Rosensträußchen auf meinem Geburtstagstisch.
ich war, bin ich trotzdem einmal zur höheren Polizeistelle nach Rostock gefahren. Am
Und so habe ich dann in Bielefeld wieder einen Rosenhain angelegt. Ach ja, und eines
Polizeipräsidium standen auch die Wachen vor der Tür, die haben mich auch angesehen
Tages stand plötzlich ein Maler auf der Straße und hat den Garten gemalt. Meinen kleinen
und haben wohl gedacht, ich bin eine Tippse. Keiner hat etwas gesagt. Also gehe ich da
Rosengarten.
rein. Mulmig war mir ja schon! Treppe rauf, standen da soviel Schilder, Treppe weiter
rauf, habe ich irgendwo geklopft, wo es nach Chef klang, und hat er auch «Herein!» gerufen, und hab’ ich ihm auch mein Anliegen vorgetragen. Da ich soviel Kummer hatte, hat
er auch so zugehört. Plötzlich sagt er: «Mensch, wie sind Sie überhaupt hier hereingekommen? Sie haben sich ja nicht einmal ausgewiesen.» «Nee», sag’ ich, «ich hab’ mich ja auch
gewundert, habe ja auch Angst, bin aber ja nun mal drin, nicht wahr. Sie werden mir ja
vielleicht helfen können. Unser Polizeichef in Ribnitz ist ja sehr nett. Er sagt ja auch, er
will das schaffen, dass mein Mann wiederkommt, aber ich weiß nicht, ob er das schaffen
wird. Und er hat ja nun so lange Gefangenschaft gehabt, und nun so lange Lazarettaufenthalt. Und er kommt nicht. Die Kinder sind nun schon so viele Jahre ohne Vater. Und
ich möchte rüber, aber ich möchte nicht einfach wie so ein schleichender Hund über die
Grenze gehen. Und ich möchte, dass man mir das doch gestatten möchte.» «Nee», sagt er,
«ich kann Ihnen das nicht gestatten, das muss der Polizeichef in Ribnitz entscheiden». Tat
ihm ja schon fast leid. Aber ich bin da wieder heil rausgekommen und meine Mutter war
froh, als ich wieder heil zu Hause war. Der Ribnitzer Polizeichef wurde am 17. Juni 1953
mit seiner ganzen Truppe nach Berlin verlegt. Da war ja Remmie-Demmie. Die Aufständischen in Berlin haben ja einen ganzen Panzer lahmgelegt. So kam ein neuer Polizeichef!
„
Rosen in Bielefeld
IMPRESSUM
• Bibliographische Information der Deutschen Nationalbibliothek
Die Deutsche Nationabibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http://dnb.d-nb.de
abrufbar.
• Série «Transcriptions», Centre Français de l’Université de Fribourg, Tome 1
• Reihe «Transkriptionen», Frankreich-Zentrum der Universität Freiburg, Band 1
• ISBN-10: 3-8305-1253-8
ISBN-13: 978-3-8305-1253-0
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