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9782953375350
Magazine N°19 – ISSN 1633-5821
8€ FR / 8£
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édito
Que publier sur un blog de magazine ? La question a tourmenté nombre
d’éditeurs. Répéter ce que le papier publie ? Le moduler ? Les magazines de
style semblent avoir trouvé une réponse empruntée à l’art contemporain :
la project room. Autrement dit, des séries d’images produites ad hoc, ne
méritant pas la pérennité du papier, mais permettant un test run pour de
jeunes photographes en devenir. L’atmosphère y est plus fraîche, moins
commerciale et, si tout n’est pas entièrement abouti, il y règne une certaine
énergie que le papier a un peu perdue. En somme, la photo de mode
a aussi son second marché !
À propos de marché, vous avez dû constater les prix prohibitifs récemment
pratiqués par les magazines de style : 20, 25, voire 30 euros. Non que la
pâte à papier se soit raréfiée, mais à force d’en parler, le magazine de style
s’est pris lui aussi pour un objet de luxe. Nous avons aussi succombé à cette
mode, faisant passer notre prix à 8 euros – convaincus que le luxe doit
rester abordable.
© Lorenzo Vitturi, Dalston Anatomy, 2013.
Winner of the Grand Prix of the Photography Jury, Hyères, 2014
angelo cirimele
Fe s t iva l 2 3 — 2 7 av ri l | E x p o s i ti o n j usq u’a u 2 4 m a i
www.villanoailles-hyere s.com
sommaire
textes
p.36, 42, 52, 62, 72 — Collection
constellations
Par Priscillia Saada
p.37 — Chronique mode
notes sur la mode
japonaise, 1970-2000
Par Alice Morin
p.43 — Website
italian chocolate
Par Céline Mallet
intro
p.46 — Interview mode
robin coussement
Par Cédric Saint André Perrin
p.10 — Brèves
p.14 — Shopping
que faire avec
233 781 euros ?
Photographie : Natalie Weiss
Stylisme : Clémence Cahu
p.24 — Magazines
1granary
office
bite me
hole & corner
plastik
p.51 — Chronique mode
la mauvaise éducation
Par Émilie Hammen
p.54 — Consumer
the happy reader
Par Angelo Cirimele
p.76 —
sasha & daisy
Portfolio de Linda Brownlee
Stylisme : Ruth Higginbotham
p.90 —
connections
Portfolio de Michal Pudelka
Stylisme : Arabella Mills
p.104 — arthur elgort
Proposé par Patrick Remy
p.120 — Collection
citations
Compilées par Wynn Dan
p.121 — Abonnement
p.56 — Off record
agent de photographe
Par Angelo Cirimele
p.122 — Agenda
p.61 — Ping Pong
not that kind of girl
Par Mathieu Buard & Céline Mallet
p.66 — Interview art
pierre bismuth
par Timothée Chaillou
p.71 — Rétrovision
f magazine
par Pierre Ponant
magazine
6
mode
M AGA
ZINE
19992013
1 000 pa Une brève hi
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ges – 33
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5 mag
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magaz re – 20 rétrov – 25 of f recor
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isions
ds
azine.fr
magazine
7
magazine
contributeurs
Style, media & creative industry
N° 19 - Mars, avril, mai 2015
rédacteur en chef
Angelo Cirimele
directeur artistique
Charlie Janiaut
fashion director
Arabella Mills
distribution france
IPS
189 rue d’Aubervilliers
75018 Paris
photographes
Linda Brownlee, Nicolas Descottes, Arthur
Elgort, Michal Pudelka, Natalie Weiss
diffusion internationale
Pineapple
stylistes
Clémence Cahu, Ruth Higginbotham,
Arabella Mills
contributeurs
Mathieu Buard, Timothée Chaillou,
Wynn Dan, Émilie Hammen, Céline Mallet,
Alice Morin, Pierre Ponant, Priscillia Saada,
Cédric Saint André Perrin
couverture
Photographie : Michal Pudelka
Stylisme : Arabella Mills
Coiffure : Philippe Tholimet chez Streeters
Maquillage : Jenny Coombs
Manucure : Saffron Goddard
Mannequins :
Mickala Mitchell chez NEVS
Zoey Key chez NEVS
Rebecca S chez MILK models
Robes Lanvin / Top rayé Sacai / Lunettes Chloé
Issn no 1633 – 5821
CPAPP : 0418 K 90779
directeur de publication
Angelo Cirimele
remerciements
Jean, Monsieur X
traduction
Rebecca Appel
Éditeur
ACP - Angelo Cirimele
32 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
T 06 16 399 242
secrétaire de rédaction
Anaïs Chourin
magazinemagazine.fr
[email protected]
design original
Yorgo Tloupas
© Magazine et les auteurs, tous droits
de reproduction réservés.
Magazine n’est pas responsable des textes,
photos et illustrations publiés, qui engagent
la seule responsabilité de leurs auteurs.
publicité
ACP
32 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
T 06 16 399 242
[email protected]
retouches
Janvier
imprimeur
Graficas Irudi
alice morin
Journaliste
What are your plans for
this summer?
Travaux et bateau !
What colours are you wearing today?
What is the last magazine you bought?
Un Interview des années 1980,
pour mes recherches…
michal pudelka
Photographer
What are your plans for this summer?
I am planning on visiting my agent’s house in
Africa and do some more traveling.
What colours are you wearing today?
What is the last magazine you bought?
System Magazine.
linda brownlee
natalie weiss
Photographer
Photographer
What are your plans for this summer?
I plan to go camping in France early summer,
spend 2 weeks in the west of Ireland in August
with family and take a week on a Greek Island
in the late summer. And in between I will need
to work quite hard!
What colours are you wearing today?
What are your plans for this summer?
Travel to Japan once more and visit a friend in Jakarta.
What colours are you wearing today?
What is the last magazine you bought?
Égoïste.
What is the last magazine you bought?
I bought British Vogue today.
magazine
8
magazine
9
brèves
Le m e r c a t o d’hiver ne
concerne pas que le football,
mais aussi la direction
artistique de presse : alors
que Thibaut Mathieu (Cake
Design) a repris la DA de AD
(ça s’appelle un palindrome).
Serge Ricco a quitté L’Obs
pour GQ, qui devrait hériter
d’une nouvelle formule.
Vogue Paris a enfilé des habits
70s’ grâce au duo Ohlman/
Consorti (ex-Petronio). Au fait,
qui reprend la DA de L’Obs ?
entité de Saturday, autre
agence également éditrice de
Industrie magazine.
We had written that the
collaboration between JeanPaul Goude and the Galeries
Lafayette for their campaigns
lasted 23 years, but it was
only 14. Their new campaign
will be handled by the British
agency W e d n e s d a y , an
entity of Saturday, the other
agency involved in editorial
for Industrie magazine.
Toujours à propos des
Galeries, c’est l’agence BETC
qui a été chargée de la refonte
du logo, succédant entre
autres à Peter Knapp. Mais
ce n’est pas pour mettre la
pression…
Speaking of the Galeries,
the BETC agency has been
charged with remaking
their logo, taking over from
Peter Knapp, among others.
But there’s no p r e s s u r e …
Winter s w a p s are not
just for footballers but also for
art directors. Thibaut Mathieu
(Cake design) has become
the AD of AD (that’s called
a repetition). Serge Ricco
has left L’Obs for GQ, which
should be taking on a new
format. Vogue Paris is putting
on its ‘70s clothes, thanks to
the Ohlman/Consorti duo
(ex-Petronio). But who will be
the AD of L’Obs?
On ne prête qu’aux
riches : nous avions écrit
que la collaboration de
Jean-Paul Goude et des
Galeries Lafayette pour
leurs campagnes avait duré
23 ans, ce n’était que 14.
Leur nouvelle campagne,
attendue pour le 2nd semestre
sera orchestrée par l’agence
britannique W e d n e s d a y ,
magazine
10
L’espace précédemment
occupé par la g a l e r i e
Yvon Lambert, rue Vieilledu-Temple (3e), ne devrait
pas se transformer en
boutique de vêtements,
mais rester une galerie,
vraisemblablement investie
par Victoire de Pourtalès, qui
a récemment quitté la galerie
Thaddaeus Ropac.
The space once occupied
by the Yvon Lambert
g a l l e r y , on rue Vieille-duTemple (3e), will not be turned
into a clothing boutique, but
will remain a gallery, run
by Victoire de Pourtalès,
who has recently left the
Thaddaeus Ropac gallery.
L’endormi musée des
Arts décoratifs renfermerait
pourtant des m e r v e i l l e s ,
notamment un fonds de
photographies d’Irving Penn,
qui ne serait même pas encore
répertorié. On se réveille !
The Museum of
Decorative Arts is packing
away some of its p r i z e d
possessions, notably an
uncatalogued cache of photos
by Irving Penn.
Centre Pompidou. Prochains
lauréats cet automne.
The Carte blanche
P M U , a prize for young
photographers, will move
from the Bal to the Centre
Pompidou. The next winners
will be crowned this fall.
On attend la parution
de Society, annoncée pour
le 6 mars. Le bimensuel
édité par So Press (So Foot,
So Film…) mêlera société,
culture, politique et
i n v e s t i g a t i o n . C’est
surtout un tout nouveau
magazine depuis longtemps,
et non une nouvelle formule
ou une édition française.
The launch of Society
magazine is planned for
March 6. The bimonthly
edited by So Press (So Foot,
So Film…) will mix society,
culture, politics and
i n v e s t i g a t i o n . We’re
eager to read it—France
hasn’t seen a brand new
magazine in a while.
Bien qu’ayant installé
une image très « Self Service »
appréciée, Petronio Associates
a perdu le budget du
b o n m a r c h é , passé
chez BETC Luxe.
Petronio associates have
lost the B o n M a r c h é
account, which is now with
BETC Luxe.
On attendra septembre
pour découvrir le premier
défilé homme de Carven
imaginé par B a r n a b é
H a r d y . Et si la marque
a été aussi inspirée qu’avec
Guillaume Henry…
September will bring us
the first men’s runway show
from Carven, dreamed
up by B a r n a b é H a r d y .
Hopefully the label
will be as inspired as under
Guillaume Henry…
La Carte blanche P M U ,
prix récompensant de
jeunes photographes, va
migrer du Bal au
Dans la continuité
du salon AD Intérieurs,
le magazine de Condé
Nast va lancer le 1er salon
AD Collections, consacré
au m o b i l i e r d’exception.
Trois meubles de 50 créateurs
seront ainsi présentés au Quai
d’Orsay, au moment du salon
Pad, du 26 au 29 mars.
Condé Nast magazine
AD will launch its first AD
Collections salon, devoted
to exceptional f u r n i t u r e .
Fifty designers will present
three pieces at the Quai
d’Orsay, during the Pad
salon, from March 26-29.
Après deux ans, Condé
Nast a décidé de stopper
la parution de son magazine
Style.com, déclinaison du site
devenu la référence pour
l’archive des silhouettes de
défilés. Mais on apprend
concomitamment la parution
d’un nouveau numéro de
Dorade, sous la houlette de
Philippe Jarrigeon, donc tout
va bien.
After two years, Condé
Nast has decided to end
publication of its magazine
Style.com, the print version of
numéro : le f l a c o n est
l’œuvre de Broken Arm et les
b i j o u x de Blanchin.
the website that has become
the reference for runway looks.
But we’ve also learned about
the publication of a new
issue of D o r a d e , helmed
by Philippe Jarrigeon, so all
is well.
Quelque trente ans après
la création du concours de
mannequins imaginé par
l’agence E l i t e , qui s’ouvre
à présent aux hommes, la
concurrence s’organise :
l’agence Next est devenue
partenaire de New Fashion
Generation, qui présente sa
deuxième édition. Plus sur
Newfashiongeneration.com/
Some 30 years after E l i t e
launched its famous modeling
competition, which is now
open to men, there’s a new kid
on the block: the Next agency
has partnered with New
Fashion Generation to present
its own competition. More on
Newfashiongeneration.com/
Il fallait que ça arrive :
Le Lieu du Design déménage,
il en a trouvé un autre dans
le 19e, 11 rue de C a m b r a i .
Première exposition dans les
murs tout neufs attendue en
avril, avec le studio Sismo.
This had to happen.
Le Lieu du Design is moving;
it has found another space
in the 19th, at 11 rue de
C a m b r a i . The first
showing in the new digs is
planned for April, with the
Sismo studio.
Deux crédits se sont
échappés du précédent
Two credits were missing
from the last edition: the
f l a s k is by Broken Arm and
the j e w e l s are Blanchin.
Les digues semblent avoir
complètement sauté : le
siège de Condé Nast vient
de lancer « 23 Stories », une
structure qui permet aux
journalistes de concevoir du
contenu pour les marques,
textes, photos et vidéos…
Des états d’âme ? Non, le
tout a reçu la bénédiction
d’A n n a W ., alors…
The barriers have been
breached: Condé Nast has
launched ‘23 Stories’, a
platform enabling journalists
to conceive content for brands,
with texts, photos and videos.
And all with the blessing of
Anna W…
Sous l’impulsion de
Bruno Ledoux,
actionnaire de référence de
Libération, le magazine Next
pourrait changer de nom. Et
d’équipe, souhaiteraient des
esprits taquins…
Under the influence of
B r u n o L e d o u x , the
majority shareholder of
Libération, Next magazine could
change it’s name.
Trussardi se verrait bien
exporter son c a f é milanais
au-delà des frontières, en
commençant par Dubaï. Dès
lors qu’il a aussi imaginé une
ligne de mobilier, quoi de
mieux pour la promouvoir ? Si
tant est qu’on veuille habiter
dans un café…
Trussardi could soon
start exporting it’s Milanese
c o f f e e beyond it’s borders,
with Dubai up first. What
better way to promote it’s
furniture line? We know we all
want to live in a coffee shop…
On retrouvera l’intégrale
des séries de n a t u r e s
m o r t e s réalisées par
Guido Mocafico pour Numéro
dans un livre en 3 volumes
à paraître en septembre
chez Steidl.
All of Guido Mocafico’s
s t i l l - l i f e s for Numéro will
be compiled in a 3-volume
book, out in September from
Steidl.
Salutaire. Le V&A
présentera en avril une
exposition intitulée « W h a t
i s L u x u r y ? », que je pense
inutile de traduire. Objets
rares fabriqués par l’homme
ou les technologies les plus
pointues, bribes d’ADN… de
quoi réévaluer nos certitudes.
Vac.ac.uk/
In April, the V&A will
present an exhibit called
“W h a t i s L u x u r y ? ”
It will feature rare objects
that are either manmade,
or produced by the most
advanced technology.
Vac.ac.uk/
Suite à la fermeture
d’Agora presse, le quartier
du Marais ne sera pas resté
longtemps sans magazines,
puisque le BHV a eu la bonne
idée d’inaugurer P a p e r
L a b au rez-de-chaussée de
son magasin principal, une
librairie consacrée à la presse
de style.
Agora may be closed, but
the Marais won’t be without
magazines for long. The
BHV has had the great idea
to start P a p e r L a b on
the first floor of its main
store: a space dedicated to
the fashion press.
Dix ans après Fresh Théorie,
Mark Alizart revient au livre
avec P o p T h é o l o g i e
(éd. Puf), dans lequel il articule
en 330 pages croyance et
société du spectacle. Signe
qu’on peut être directeur du
Prix LVMH pour les jeunes
créateurs de mode et regarder
parfois le monde comme un
cirque.
Some ten years after
Fresh Théorie, Mark Alizart
is returning to books with
magazine
11
P o p T h é o l o g i e (Ed. Puf),
in which he spells out, in
330 pages, the world of belief
and société du spectacle. It goes
to show that you can be the
director of the LVMH prize
for young fashion designers
and still regard the world
as a circus.
Les Échos préparent un
supplément mensuel, imaginé
comme une r e n c o n t r e
de M (Le Monde) et Bloomberg
Businessweek. De la lecture
avant l’été.
Les Échos are preparing
a monthly supplement,
designed as a c r o s s between
M (Le Monde) and Bloomberg
Businessweek. It should be
available before the summer.
Hier une boucherie,
aujourd’hui un concept store
baptisé Jogging, dans le centre
de M a r s e i l l e . Vêtements
de créateurs, design, photo et
librairie, le tout dans une déco
guérilla. À qui cette idée ? Au
photographe et régional de
l’étape Olivier Amsellem.
Joggingjogging.com/
Once a butcher’s, now a
concept store in the center
of M a r s e i l l e . The new
boutique, called Jogging,
features clothes, design,
photos and books. Whose idea
was this? The photographer
Olivier Amsellem’s.
Joggingjogging.com/
On se réjouit de la
parution de Desire – New Erotic
magazine
12
Photography, dirigé par Patrick
Remy, rassemblant 32 regards
sur la photo é r o t i q u e
à l’heure de sa circulation
anarchique sur les réseaux
digitaux. David Bellemere,
Paul Kooiker, Quentin de
Briey, mais aussi de parfaits
inconnus ou des couples.
Sortie en avril chez Prestel.
We’re thrilled by the
release of Desire – New Erotic
Photography, overseen by Patrick
Remy, featuring 32 examples
of e r o t i c photography
in the era of free digital
circulation. The compilation
features the work of David
Bellemere, Paul Kooiker
and Quentin de Briey as well
as several unknown artists,
and couples. Out in April
from Prestel.
Quoi de remarquable dans
les campagnes printemps-été
2015 ? Des vieux : Nobuyoshi
Araki (74 ans et toujours vert)
shoote la campagne Bottega
Veneta. De plus jeunes :
Michal Pudelka (24 ans
et découvert dans notre
numéro 12) vient de signer la
campagne Valentino. Sinon,
Bruce Weber fait renoncer
Ralph Lauren à la ville pour
le désert ; le noir et blanc
se porte bien ; et Jason Wu
n’a toujours pas quitté son
restaurant.
What’s new in the SpringSummer 2015 campaigns?
The olds! Nobuyoshi Araki
(74 years old and still fresh) is
shooting the Bottega Veneta
campaign. But there are
plenty of young people too:
Michal Pudelka (24 years old,
discovered in our 12th issue)
has just finished the Valentino
campaign. Bruce Weber has
moved Ralph Lauren from
the city to the desert, there’s
lots of black and white and
Jason Wu has still not left his
restaurant.
Les portails de
e-commerce lancent leur
propre marque. Après
Sarenza et Zalando, c’est au
tour de Spartoo d’inaugurer
trois marques pour une
clientèle dont elle a pu étudier
à l o i s i r les goûts. Et si
les concurrents des marques
de mode étaient demain à
chercher de ce côté-là ?
More e-commerce
websites are launching their
own brands. After Sarenza
and Zalando, it’s Spartoo’s
turn to inaugurate three
brands for a clientele whose
tastes i t k n o w s w e l l .
And if its competitors start
doing the same?
Le Monde d’Hermès connaît
son nouveau directeur
artistique : le Français Rémi
Paringaux, qui s’est fait
connaître à L o n d r e s dans
le magazine Dazed et à travers
des applications digitales,
succède ainsi à Fred Rawyler,
qui concevait le magazine
depuis 1983.
The Monde d’Hermès has
found it’s new art director:
Rémi Paringaux, who
made a name for himself in
L o n d o n at Dazed magazine
and across digital applications.
He is taking over from Fred
Rawyler, who has headed the
magazine since 1983.
On devrait voir des
images de Stephen Shore
et d’Alice Wielinga aux
prochaines Rencontres
d’A r l e s , pas encore
complètement imprégnées
de l’esprit de Sam Stourdzé,
nouveau directeur, puisque
les commandes avaient été
lancées bien en amont. Mais
on attend de pied ferme une
nouvelle identité visuelle !
Images by Stephen Shore
and Alice Wielinga should
be on display at the next
Rencontres d’A r l e s . The
festival has not yet been
completely taken over by the
spirit of Sam Stourdzé, it’s
new director—the orders were
placed well in advance. But
we’re all awaiting a brand new
look at the Rencontres!
Tout comme le livre, les
librairies doivent se réinventer
face à la concurrence
numérique. Parmi les pistes,
Tailor Books, axé sur la
photographie et la mode,
propose un site doublé
d’ouvertures é p h é m è r e s
dans différents lieux,
combinant livres, projections
et interventions. On les avait
découverts au festival de
Hyères, qu’ils réinvestiront, ils
devraient aussi se manifester
à Paris en mars… Plus sur
Tailorbooks.com/
Like books themselves,
bookstores must reinvent
themselves in the face of
digital competition. Tailor
books, which focuses on
photography and design, will
open for s h o r t p e r i o d s
in different locations,
combining books, projections
and performances. We
discovered them at the Hyères
festival, where they will be
returning. They should also be
in Paris in March. See more at
Tailorbooks.com/
Album se présente comme
une d é a m b u l a t i o n
parisienne en 64 pages et
autant d’images, sans âge,
en noir et blanc, et à travers
l’objectif de Benjamin Nitot.
D’autres villes suivront, mais
cet album-ci est disponible
chez Rivieras, qui inaugure
ainsi ses éditions papier.
Rivieras-shoes.com/
Publish a retrospective
or digitalize the a r c h i v e s ?
The American magazine
Rolling Stone is putting 47 years
of its archives online, via
Google Play—a sign that the
power of cloud networks
continues to grow.
Album, with 64 pages
of black and white images
shot by Benjamin Nitot, is
like a w a l k through Paris.
Other cities will follow, but this
first print album is available at
Rivieras. Rivieras-shoes.com/
Le pop-up store devient
flagship, ou comment
É t u d e s studio poursuit
son développement : l’espace
qu’ils avaient investi rue
Debelleyme (3e) devient en
effet leur première boutique
parisienne.
The pop-up store is
becoming a flagship. The
space held by the É t u d e s
studio on the rue Debelleyme
(3rd) will become their first
Parisian boutique.
Ira, ira pas ? L’industrie
du luxe s’interroge sur sa
s t r a t é g i e de vente en
ligne. Puisque les sites de
e-commerce comme Net-aPorter proposent certaines
pièces, pourquoi ne pas
le faire « in house » ? C’est
semble-t-il la stratégie de
Fendi, qui lancera son site
de e-commerce en mars vers
28 pays européens.
The luxury industry is
rethinking its online sales
s t r a t e g y : why not sell
their pieces in-house, rather
than rely on sites like Net-aPorter? That appears to be
Fendi’s strategy, which will
launch its own e-commerce
site in March in 28 European
countries.
À l’heure où la
f r o n t i è r e entre travail
de commande et travail
personnel est de plus en
plus questionnée se prépare
une exposition « Walker
Evans – the magazine
work », photographies
des années 1930 à 1960,
notamment pour Fortune.
Bon, c’est au Centre
photographique de Rouen…
mais désormais dirigé par
Raphaëlle Stopin ! Et c’est
du 13 mars au 9 mai.
The b a r r i e r between
paid work and personal work
has become increasingly
fluid. This will be highlighted
in a new exhibit at the
Photography Center of
Rouen. “Walker Evans –
the magazine work” will
display the photographer’s
works from the ‘30s to
the ‘60s, notably for Fortune
magazine. Under the aegis
of Raphaëlle Stopin. From
March 13-May 9.
Publier un livre
rétrospectif ou numériser
ses a r c h i v e s ? Le
magazine américain Rolling
Stone a tranché : il a mis en
ligne 47 ans d’archives, qu’il a
confiées à Google Play,
signe que les opérateurs
de clouds continuent à asseoir
leur pouvoir.
Si les livres consacrés
aux marques de luxe ont
largement occupé les tables
des libraires, le texte reste le
véhicule privilégié du r é c i t .
Ainsi, Tommy Hilfiger va
publier ses mémoires, à
l’occasion du 30e anniversaire
de la marque qu’il a fondée.
Sortie prévue à l’automne
(Éd. Ballantine Books).
Where luxury books are
concerned, the text remains
all-important. Happily, then,
Tommy Hilfiger will be
publishing his m e m o i r s ,
on the 30th anniversary of
the launch of his eponymous
label. Expected in autumn
(Ballantine Books Ed.).
Marie Claire UK se lance
dans le commerce, en
partenariat avec Speciality
Stores Limited, sur des
produits de beauté et soin,
pour des boutiques physiques
et en ligne, au risque de
d é c r é d i b i l i s e r le
contenu du magazine.
Bazaar a aussi tenté
l’aventure du commerce
en ligne, rencontrant un
succès mesuré.
Marie Claire UK is
partnering with Speciality
Stores Limited on a range
of beauty and health
projects (for sale in physical
boutiques and online)—
potentially harming the
c r e d i b i l i t y of its
magazine. Bazaar has
made similar moves, with
measured success.
magazine
13
que faire
avec 233 781 ?
Shopping
photographie – Natalie Weiss
Stylisme – Clémence Cahu
Coiffeur – Cyril Laforêt
utilise Catwalk by Tigi
Maquilleuse – Debora Emy
Mannequin – Estelle chez Marilyn
Bague en plaqué or et cristal de roche, G o o s s e n s , 250 €.
Bague en laiton, C h l o é , 200 €.
Body en coton et polyamide, F a l k e , 149 €. Pantalon en laine, C é l i n e , 520 €. Sac en cuir, M o r e a u P a r i s , 2 150 €.
Montre en or blanc et diamants, C h a n e l , prix secret.
Bracelet en or jaune et diamants, D i o r , 3 100 €.
De haut en bas :
Bracelet en or rose et diamants, D i o r , 17 000 €. Bracelet en or rose, D i o r , 3 000 €. Bague en or jaune, D i o r , 7 500 €.
Bague en or jaune, laques marron et noire, D i o r , 6 000 €. Bracelet en or jaune et diamants, D i o r , 3 100 €.
Bouquet printanier, L e P é l i c a n , 17 €.
Bottes en daim, S a i n t L a u r e n t , 995 €.
Chemise en cuir stretch, J i t r o i s , 1 850 €.
Boucle d’oreilles, C é l i n e , 1 800 €.
Bracelet de diamants sur or blanc, B o u c h e r o n , 20 900 €.
Bague diamants, saphirs ronds, diamants noirs sur or blanc, B o u c h e r o n , 5 250 €.
Magazines
digital
Tout a commencé par un blog, alimenté
par les étudiants de Central Saint
Martins, l’école londonienne qui fournit
le monde du luxe en designers, photographes et autres stylistes : John Galliano,
Christopher Kane, Phoebe Philo, Stella
McCartney ; Nick Knight, Alister
Mackie, Katie Grand, Simon Foxton…
Un blog, c’est fait pour prendre le pouls
d’une école, ses soubresauts créatifs, pour
montrer sa production et ses artisans.
Mais l’envie de figer ces moments sur
papier a été plus forte, encouragée par
un corps enseignant rompu à cette
pratique. 1Granary (l’adresse de l’école)
est donc réalisé par des digital natives,
mais n’en ressemble pas moins à un
magazine à part entière : focus sur le
travail d’ex-étudiants, entretiens avec des
intervenants, séries d’images mettant en
scène une collection, portfolio d’artistes…
1Granary réussit à esquisser cette transversalité propre à Saint Martin’s, où
beaux-arts, mode, image et scénographie
se combinent, s’enrichissent et ne sont
jamais cloisonnés. Le magazine réussit
aussi à restituer ce bain créatif, fait de
conseils, de travail nocturne et de deadlines, qui sont les ingrédients des professions artistiques et mode. Le mix entre
étudiants prometteurs et prédécesseurs
aujourd’hui reconnus est valorisant et
tire probablement vers le haut la nouvelle génération. Enfin, le sentiment de
regarder une promesse de futur qui fera
peut-être histoire est assez troublant.
À la Saint Martin’s, on ne s’embarrasse
pas trop de catégories : le site ressemble
à un blog, qui ressemble à un magazine.
Une série d’interviews, toujours en lien
avec l’école, se succèdent, mêlant anciens
étudiants, intervenants ou conférenciers
qui livrent leur expérience, mais aussi
leur vision du métier. On trouve aussi des
illustrations, des questionnaires photographiques, bref de quoi rythmer ce long
scroll. Des étudiants y participent, mais
une rédactrice s’y colle le plus souvent. Le
sentiment quand on ferme cette fenêtre :
il n’y a pas de raisons de se reposer, ce qui
semble une bonne maxime quand on est
étudiant.
1granary.com
Angleterre, 240 p., n° 2 - AW 2014, semestriel, 240 x 320 mm, 16 €
Editor in chief : Olya Kuryshchuk, Editor : Sara McAlpine,
Art director & designer : Esa Matinvesi,
Queen of everything : Betsy Humfrey,
Publisher : 1Granary Ltd.
magazine
24
Images : nicolas descottes
Papier
Image : nicolas descottes
1granary
Magazines
digital
On pense d’abord à un clin d’œil : Office
pour un nom de magazine sonne aussi
enthousiaste que « comme un lundi ».
Ce n’est pas non plus de l’humour, ou
alors au premier degré, puisque les trois
compères qui ont imaginé ce magazine
new-yorkais l’ont pensé comme un
reflet fidèle de leurs occupations quotidiennes : stylisme, direction artistique
et maquillage. Pudiquement présenté
comme une collection de « personnes
originales et de vies inhabituelles » (on
y rencontrera un rappeur, un DJ, deux
charpentiers et quelques inconnus),
Office fait pénétrer l’univers créatif et
d’inspiration de ces deux-là, assez doués
par ailleurs. Conçu comme une fête,
il invite des amis à discuter : designers,
performeurs ou autres acteurs transversaux entre set design, stylisme et déco.
C’est aussi l’occasion d’expérimenter
quelques séries mode, avec un miroir
déformant ou en imaginant des lunettes
magiques dans « I see naked », mettant
en scène une jeune femme partiellement
dénudée dans le quotidien de New York.
Prévu pour exister deux fois l’an, nul
doute qu’Office trouvera une manière de
donner vie à cette petite communauté
créative. De là à ce que ça nous passionne, il y aura toutefois un pas.
Côté digital, Office ne s’est pas démené,
offrant sous forme de blog quelques
pages de son contenu. Soyons positifs, ça
fera une petite archive à qui n’aura pas
eu le numéro entre les mains. Et il y a les
contacts de l’équipe, ce qui de loin est le
plus important.
officemagazine.net
Angleterre, 240 p., n° 1 - FW 2014, semestriel, 245 x 340 mm, 20 €
Editors in chief & creative directors : Simon Rasmussen & Jesper D. Lund
Editorial & beauty director : Zenia Jaeger, Publisher : Office Magazine Publishing, LLC.
magazine
26
Images : nicolas descottes
Papier
Image : nicolas descottes
office
Magazines
Papier
digital
D’accord, la couv n’est pas la plus réussie,
mais le logo au scotch, c’est pas mal,
surtout pour un titre en forme d’injonction maso… Cet ovni nous parvient de
Hong Kong, avec un principe simple :
choisir une partie du corps pour la
thématique du numéro. On navigue à
vue, entre mode, cinéma, art, histoire,
images 3D… Bite me fonctionne comme
une exposition thématique, nourrie de
contributions d’artistes et de faiseurs
d’images : photographies ou collages
de publicités. C’est léger et ils le revendiquent dans leur présentation : « An
independently published art magazine that
has a not-so-serious perspective on cultural
phenomenona », ce qui ne les empêche
pas d’inventer une interview fictive
avec le réalisateur John Waters, basée
sur différentes citations auxquelles il ne
restait plus qu’à inventer des questions.
On comprend d’ailleurs que les cheveux
puissent être une obsession, attribut de
la féminité, symbole de la force, mèche
fétiche gardée en souvenir, ersatz de
vivant… Le magazine s’amuse même
à dire que ce ne sont pas tant les souliers
que la coupe de cheveux qui termine une
silhouette. Mais Bite me a de la ressource
et avait choisi les fesses comme thème du
premier numéro. À suivre, donc…
C’est d’abord le nom du site qui donne
le ton : bite-meee.com. Peut-être parce
qu’Hong Kong n’est pas le pôle le plus
productif de presse de style, Bite Me
entreprend de se raconter de manière
très pragmatique : qui, quoi, où. Et y
ajoute quelques dessins non retenus dans
le premier numéro, ainsi que l’ensemble
des critiques ou interviews relatives au
magazine. Ils restent très discrets sur eux,
ne reliant pas le magazine à leurs activités créatives, en design ou développement
de marques.
bite-meee.com
Hong Kong, 128 p., n° 2 - AW 2014, semestriel, 210 x 295 mm, 18 €
Editor in chief : Katrina Tran, Art director : Jason Schlabach, Publisher : Bite Me
magazine
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Image : nicolas descottes
bite me
Magazines
Papier
digital
On pourrait regarder Hole & Corner
comme un magazine anti- ou postInternet, en ce sens où il se concentre
sur ce que le digital délaisse : l’artisanat,
la main, le travail du temps, la mémoire
des gestes… Le logo, qui devrait être le
premier geste d’un magazine, marque
comme un label. Hole & Corner pour
« coins et recoins » ou encore « secrets ».
Le papier est mat, les photographies sans
âge, les personnages invités ne sont pas
des célébrités, mais ont choisi de cultiver
leur passion sans se préoccuper de l’accélération du temps. Au reste, le magazine
se définit ainsi : « Hole & Corner is a
magazine about people who spend more time
doing than talking, for whom content is more
important than style; people whose work is their
life—stories of dedication. » Ce 4e numéro
est consacré aux collectionneurs, de
vinyles, de pierres ou de calligraphies,
mais est aussi consacré aux « faiseurs »
de vêtements, de bijoux, de jouets ou de
textiles. C’est en thématisant ses opus
que le magazine a précisé son champ
sinon infini : nos inspirations de toujours,
celles des six derniers mois… Ce serait
inexact de dire que Hole & Corner est
anti-Internet, il sait d’ailleurs identifier
des collections sur Instagram, les référencer et combiner les supports.
La fenêtre digitale est envisagée par
Hole & Corner comme une extension,
d’événements ponctuels, des anciens
numéros ; c’est aussi une boutique de
séries limitées, un tumblr et différentes
recommandations. L’esthétique est étudiée, le contenu justement profilé…
qui se cache derrière Hole & Corner ?
Une agence de contenu pour des
marques qui ont besoin de sujets authentiques pour leurs clients. Il y a toujours
une arrière-pensée commerciale, mais si
c’est bien fait…
holeandcornermagazine.com
Angleterre, 144 p., n° 4 - AW 2014, semestriel, 230 x 290 mm, 21 €
Editorial & creative director : Sam Walton, Editor : Mark Hooper
magazine
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Image : nicolas descottes
hole & corner
Magazines
Papier
digital
On finit par oublier que l’on vit dans
une partie du monde largement standardisée, nourrie de fast fashion, de chaînes
de boutiques pour le design, la beauté…
Il y a pourtant de nombreuses régions du
globe qui échappent à cette uniformisation, que ce soit à l’est de l’Europe ou au
Moyen-Orient. L’occasion de chroniquer
un magazine libanais étant plutôt rare,
voici Plastik. Au premier abord, beaucoup de couleurs acidulées, pas mal
d’illustrations, des collages et peu de photos de mode, au passage ultra-retouchées.
L’esthétique semble venue d’ailleurs, ni
glamour ni bling, mais toujours avec
une pointe d’humour. Un portrait de
Guy Bourdin, des références à l’art et
une collection de fétiches de nos stars du
luxe (chevelures, lunettes, chapeaux…)
dessinent une galaxie de signes qui sont
eux sans frontières. De nombreuses
publicités ouvrent ce 24e numéro, signe
que les goûts et les codes ne sont pas
universels.
Le site est la duplication du magazine,
mais aussi la vitrine de l’agence de communication qui se cache (un peu) derrière,
proposant un catalogue infini de prestations : shootings, campagnes, vitrines,
événements, défilés… bref, tout ce dont
on peut avoir besoin.
beyond-production.com/plastik
Liban, 168 p., n° 24 - Winter 2015, trimestriel, 240 x 320 mm, 11 €
Creative directors : Eli Rezkallah, Ryan Houssari, Publisher : Beyond Production
magazine
32
Image : nicolas descottes
plastik
p.36, 42, 52, 62, 72 : Collection
constellations
p.37 : Chronique mode
notes sur la mode japonaise,
1970-2000
p.43 : Website
italian chocolate
p.46 : Interview mode
robin coussement
textes
p.51 : Chronique mode
la mauvaise éducation
p.54 : Consumer
the happy reader
p.56 : Off record
agent de photographe
p.61 : Ping Pong
not that kind of girl
p.66 : Interview art
pierre bismuth
Collection Print
Radial
p.71 : Rétrovision
f magazine
constellations
Collection
Images : Priscillia Saada
notes sur
la mode japonaise,
1970 - 2000
Chronique mode
Dans le Paris des années 1980, capitale de la mode, émergent
un certain nombre de créateurs qui y mèneront carrière, dont
certains venus tout droit du Japon. Leurs noms sont nouveaux et
leurs vêtements s a n s c o m p r o m i s . Le succès est immédiat
et influencera les décennies suivantes.
Repères historiques
et esthétiques
• C’est en 1981 que la vague japonaise
déferle sur Paris, avec le premier
défilé-événement de Yohji Yamamoto
et de Rei Kawakubo pour Comme
des Garçons organisé conjointement.
Son succès immédiat fait écho à celui
d’un maître déjà établi, Issey Miyake,
qui défile dans la capitale depuis 1973.
Leur proposition de mode est avantgardiste, intellectuelle ; une mode
au-delà de la mode.
• Ces créateurs japonais se singularisent par le choix des tissus (qu’ils
soient plissés chez Miyake, reprenant
une tradition japonaise, ou déjà usagés
chez Yamamoto), par le patronage
à plat hérité du kimono, ou par une
36
certaine sobriété, reflet de la vision
nippone d’une mode strictement cloisonnée en termes de classe.
• La remise en cause du genre est
frontale, avec des vêtements unisexes,
peu ajustés. Pour ne citer que l’exemple
le plus célèbre, la collection Dress to
Body de Rei Kawakubo en 1997, avec
ses bosses et ses volumes inattendus,
illustre la rébellion contre les normes
occidentales de beauté, contre le corps
parfait et lisse érigé en diktat.
• Le projet A-POC (A Piece Of Cloth)
d’Issey Miyake combine plusieurs
éléments : innovation technologique
(il imagine un tube ne réclamant
qu’une seule couture ou aucune dans
le cas de la maille, résultant en une
pièce à usage multiple), recherche de
perfection sobre, qualifiée de visionnaire, et volonté de s’inscrire dans le
long terme à travers une préoccupation écologique en porte-à-faux avec
l’époque consumériste.
• On s’interroge parfois sur un usage
trivial du terme « avant-garde », mais
cette vague japonaise annonce indéniablement la mode des années 1990, avec
sa sombre sobriété et son ironie critique.
alice morin
37
Comme des Garçons
est toujours une marque
très active, mais elle est
underground, je parlerais
presque d’une mode
« d’art et d’essai » […]
En 1980, il y avait
réellement une presse
de mode « intello » […]
qui s’y retrouvait dans
leur vision romantique,
tourmentée de la création.
Cédric Saint André Perrin,
critique mode
Alice Morin : En 1981, Rei
Kawakubo et Yohji Yamamoto
défilent pour la première fois
à Paris. Presque instantanément, la « mode japonaise » est
née. Comment analysez-vous ce
phénomène ?
Cédric Saint André Perrin : Ce
qu’il est essentiel de comprendre,
c’est que la mode japonaise arrive en
plusieurs fois à Paris, qu’elle fonctionne en générations. Au début des
années 1960, des créateurs japonais
viennent se former à Paris : Kenzo,
qui y restera, Hannae Mori, qui
est un peu à part et qui était au
début costumière de cinéma, et
Issey Miyake. Ils y apprennent la
mode et la pratiquent, car alors, c’est
à Paris qu’on la fait. Il s’agit donc de
la métisser avec la tradition japonaise,
de retraduire cette mode française
à leur façon, dans leur propre culture.
Ils donnent un nouveau souffle à la
mode parisienne. […] Rei Kawakubo
et Yohji Yamamoto qui, eux,
38
travaillaient déjà au Japon, débarquent
à Paris au tout début des années 1980,
de manière très planifiée. Et là, c’est
un immense électrochoc : leur mode
est noire, déconstruite, très intellectuelle… En cela, ils s’inspirent du punk
nihiliste de Vivienne Westwood dans
les années 1970, et d’une particularité
de la mode à l’époque qui, pour ses
créateurs, est considérée comme une
forme d’art. Aujourd’hui, ils sont « les »
créateurs japonais. Avec eux, la mode
japonaise a atteint son apogée, son
moment le plus fort, on n’a pas fait
mieux. Ensuite, dans les années 1990,
beaucoup de jeunes créateurs japonais
essaient de s’engouffrer dans cette
porte que Comme des Garçons et
Yohji Yamamoto ont ouverte pour eux,
mais si leur mode est intéressante, elle
n’apporte pas de la nouveauté comme
celle des deux précédentes générations. En ajoutant qu’à ce moment-là
le Japon est hyper-consommateur de
mode – le marché japonais suffit à ces
créateurs, qui défilent à Paris, mais
n’y construisent pas leur business,
alors que dans les années 1980, tous
les « branchés » (un mot de l’époque !)
dans le monde entier portaient du
Comme des Garçons, par exemple.
AM : À ce sujet, la presse spécialisée semble avoir joué un grand
rôle dans cet engouement…
CSAP : Oui, à l’époque, les grands
reportages de mode dans les quotidiens étaient très importants et
influents. Il y avait réellement une
presse de mode « intello » (Le Nouvel
Obs, Libération, Le Jardin des Modes), qui
a beaucoup soutenu Rei Kawakubo
et Yohji Yamamoto. Leur mode parlait
à ces journalistes, ils s’y retrouvaient,
dans le côté « sans chichi » qu’on
n’attend pas forcément de l’industrie
du vêtement. C’était aussi le cas
pour Vogue, d’ailleurs. Ces gens qui
venaient de l’écrit se sont retrouvés
dans leur vision romantique, tourmentée de la création…
AM : … et qui était aussi très
différente de celle d’autres créateurs contemporains, comme
Gaultier ou Montana.
CSAP : Ce qu’il faut comprendre,
c’est qu’à l’époque, chaque créateur
était très différent et avait son propre
caractère. La mode dans les
années 1980 était riche et très diversifiée. Je ne dis pas que ce n’est pas le
cas aujourd’hui, mais ça l’est moins,
en tout cas j’en ai l’impression. Du
coup, il y avait aussi un immense écart
entre le travail de Gaultier et celui de
Montana. Donc la personnalité du
créateur était très importante – d’ailleurs, ils pratiquaient plus l’idée d’être
des « auteurs ». Ils avaient leur propre
boîte, leur maison, dans laquelle
ils s’exprimaient pleinement, alors
qu’aujourd’hui, les jeunes créateurs
qui travaillent pour de grands groupes
s’y investissent différemment.
AM : On a effectivement souvent commenté la personnalité
de ces créateurs japonais – qui
a presque fait corps avec leurs
innovations. Leur voyez-vous,
dans les décennies suivantes et
jusqu’à aujourd’hui, des héritiers ? ou un héritage ?
CSAP : Rei Kawakubo et Yohji
Yamamoto ont continué à mener
des recherches intéressantes dans les
années 1990-2000, notamment en
faisant beaucoup de catalogues ou de
pubs assez décalés, en inventant un
nouveau mode de communication
assez intéressant à l’époque. Et puis,
Comme des Garçons (Rei a sans doute,
commercialement parlant, mieux
mené sa barque que Yohji Yamamoto),
est toujours une marque très active,
mais elle est underground, je parlerais presque d’une mode « d’art et
d’essai ». Elle est toujours là, mais elle
n’a plus la prépondérance incroyable
qu’elle avait dans la mode mondiale.
Le « problème », mais aussi la force de
la mode japonaise c’est qu’elle est un
moment, dans les années 1980. Et lors
de ce moment, elle est la chose la plus
importante au monde, créativement.
Les jeunes créateurs japonais de la
génération suivante se sont naturellement inscrits dans une filiation, mais
ils n’ont pas proposé quelque chose
de nouveau. Ils sont héritiers des
créateurs des deux générations qui ont
connu les « moments magiques » de
la mode japonaise, mais ils ne s’imposeront pas de la même manière. […]
Les créateurs belges très conceptuels
des années 1990, Margiela en tête,
dont l’esthétique est assez proche, les
reconnaissent comme leurs idoles,
ils ont grandi avec eux. Leur travail
très intellectuel est directement né
du « japonisme », donc on peut aussi
les considérer comme des héritiers,
mais on peut en dire autant de Prada
ou de Rick Owens… Leur influence
est énorme, et on la retrouve jusque
dans les vêtements coupés à vif, bords
francs, pas finis d’Alber Elbaz chez
Lanvin ! Leur radicalité a provoqué
un système d’influence qu’on ressent
encore aujourd’hui, dans des microdétails. Finalement, leur mode a été
vraiment assimilée.
Propos recueillis par a l i c e m o r i n
39
Interview de Roy Genty, directeur artistique, Issey Miyake
Alice Morin : On parle souvent
de la « vogue japonaise » des
années 1980. Cela correspond-il
selon vous à une réalité et à une
unité dans la création ?
Roy Genty : Il y a de nombreuses différences entre les « créateurs japonais ».
Issey Miyake est un Japonais qui aime
la France, qui est imprégné de la diversité, de la complexité française. Il est le
premier à se penser à la fois international et spécifiquement japonais. On
trouve chez lui une véritable fusion de
deux cultures (ou plus, car il s’intéresse
aussi à l’Inde, à l’Amérique du Sud…),
un désir de dialogue qui procède
d’une volonté d’ouvrir le Japon au
monde qui est très particulière pour
l’époque. Ce n’est pas le cas chez
Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto,
qui appartiennent à la génération
suivante, qui s’est constituée avec Issey
comme modèle, ou plutôt comme
contre-modèle. Pour eux, l’idée de
40
« truc nouveau », d’une créativité japonaise excitante est plus vraie. Chez
eux, et en cela ils sont beaucoup plus
« japonais » (car la culture japonaise
n’est pas une culture ouverte), il ne
s’agit pas de communiquer, mais
d’une forme de radicalité qui est plus
souvent du côté des avant-gardes.
AM : Cependant, s’il y avait un
dénominateur commun à ces
trois créateurs, cela serait bien
cette volonté affirmée d’innovation propre à l’ouverture
et à l’avant-garde ?
RG : Effectivement, si Issey Miyake
n’est pas intéressé par « l’avant-garde »,
on retrouve chez lui cet amour de la
singularité, de la nouveauté, de l’exception, qui se produit pour lui dans
l’échange. Il y a dans son travail une
réelle importance accordée à la joie, ici
née de la fusion de plusieurs influences.
Il veut organiser un « vivre-ensemble ».
Pour lui, la modernité dépasse les
frontières. Dans la démarche de Rei
Kawakubo, par exemple, il y a en
revanche une recherche de pureté
radicale, ou chez Yohji Yamamoto,
une sérénité qui a un côté monacal,
religieux. Le point de vue de départ
est donc différent. Mais il y a chez tous
une discipline, une rigueur voire un
perfectionnisme qui est très japonais.
Ils ont d’ailleurs souvent travaillé avec
les mêmes équipes techniques, excellentes et fiables.
AM : Et plus précisément chez
Issey Miyake ?
RG : Dans le travail d’Issey, on distingue trois phases, la première qu’on
pourrait résumer par sa devise des premiers jours : East meets West, puis l’invention du plissé et ses expérimentations
textiles sur de nouveaux synthétiques,
enfin ses expériences via des collaborations avec des artistes (par exemple
le Reality Lab), et notamment des chorégraphes (comme William Forsythe
ou Daniel Ezralow). Il y a donc bien
une ou plusieurs phases « laboratoires »
où il veut être à l’origine de nouvelles
recherches, c’est-à-dire d’inventer des
choses nouvelles, car chez lui, il s’agit
bien de make things. Il met constamment
ses équipes au défi.
Lorsqu’il travaille avec
des artistes, Issey Miyake
ne veut pas être leur
mécène ou leur offrir
un espace d’expression,
ce qui est une approche
très différente des Prada,
Chanel ou Vuitton […]
AM : On retrouve donc dans ces
démarches intrinsèquement
différentes une dimension
collective couplée à une position d’artiste, où on veut penser
le vêtement comme support,
comme vecteur d’un discours ?
RG : Alors, oui, Issey ne se définirait sûrement pas comme un artiste,
mais peut-être comme un artiste du
vêtement. Lorsqu’il travaille avec
des artistes, il ne veut pas être leur
mécène, ou leur offrir un espace
d’expression, ce qui est une approche
très différente de celles de Prada,
Chanel ou Vuitton, par exemple. Pour
lui, le vêtement est au même niveau
que l’œuvre d’art, et, une nouvelle
fois, c’est dans le dialogue que tout
se joue. Il s’intéresse beaucoup à l’art
contemporain, au design, et à la symbiose possible avec les artistes qui les
créent. […] Après, si Rei Kawakubo
refuse l’appellation « artiste » – car elle
souligne la dimension commerciale
de son travail –, Issey Miyake lui aussi
est plutôt à l’aise avec le côté commercial de son travail – en cela il est un
digne représentant de sa génération
des années 1960 qui a porté le prêtà-porter au cœur de la mode, ce qui
est une façon de rendre les vêtements
accessibles à tous, une volonté de
les voir portés. Mais il affirme ainsi
la différence pour tous, et en cela
aussi ils divergent, car Yohji et Rei
sont plus élitistes, d’une certaine
manière. […] Finalement, là où ils se
retrouvent tous, c’est dans une position, pas nécessairement théorique
ou militante, mais institutionnelle,
d’artistes de la mode, et dans une
attention extrême portée à la manière
dont leur travail est présenté et mis en
scène, une attention aux détails qui
révèle une position très volontariste
dans une période étonnante où, en
définitive, tout restait à faire.
Propos recueillis par a l i c e m o r i n
Images © DR :
Yohji Yamamoto, FW 1985-1986.
Yohji Yamamoto, SS 2001.
Comme des Garçons, SS 2015.
Issey Miyake, 132 5, SS 2012.
Issey Miyake, APOC, SS 1999.
41
Website
italian chocolate
Image : priscillia saada
C’est bien joli d’avoir plusieurs métiers, dont celui d’être
hyper visible n’est pas le moindre. Donc une équipe et un site
qui présente la vista, les collaborations avec les marques, les
événements et les pièces indispensables – car a n n a d e l l o
r u s s o est avant tout styliste. Petit voyage dans le tourbillon
rococo de la plus excentrique des pythies de la mode.
42
Paris, Fashion Week 2015. Les garçons
défilent vite, vite, vite dans le petit
quart d’heure fébrile qui leur est
alloué. Le calendrier est chargé à bloc
et bientôt l’assistance aura mieux
à faire. Au premier rang, l’hyper
rédactrice de mode et consultante
Anna Dello Russo brandit soudain
son smartphone en mode caméra,
pour « filmer-monter » en quelques
secondes fatidiques les trois silhouettes
qui viennent de susciter son intérêt.
La définition toute volatile et tremblée
des images saccage sans aucun doute
la lumière amoureusement agencée par l’équipe scénographique, et
l’ambiance sonore ainsi prestement
remaniée devient un infernal cut-up
au bord du chaos. Peu importe : la
courte vidéo est déjà propulsée sur les
réseaux. Avec un peu de chances, les
fioritures rococo d’un hystérique cadre
digital « or » pourraient même adouber les silhouettes élues sur la page
d’accueil du site d’Anna Dello Russo :
AdR Factory.
Il y a donc la fille et le site,
soit la fabrique d’Anna à tous les
sens du terme. Son patron comme
sa propre égérie, Anna Dello Russo
a choisi, dans la petite galaxie des
gens qui racontent la mode à l’échelle
internationale, de s’exporter comme
l’incarnation outrée d’une opulence à l’italienne, de l’éclectisme de
Prada aux baroquismes de Dolce &
Gabbana. Il revient à la plateforme
AdR Factory et au team de choc qui
la conçoit sous les ordres de son
héroïne principale de faire fructifier le
tourbillon médiatique et narcissique
généré par cette dernière. Anna Dello
Russo est en effet omniprésente à
tous les endroits de son site, pourtant
profus jusqu’au vertige.
À commencer par la galerie
Instagram, qui montre les nombreuses
tenues avec lesquelles la dame fait
publicité et parade aux abords des
défilés. Les sections vidéo et presse
qui déroulent les portraits et les
interviews la consacrant dans son
statut de collectionneuse et d’excentrique. Il y a la rubrique « j’AdR »,
qui témoigne des événements festifs
et promotionnels où la même est
ambassadrice, rubrique qui déploie
également une collaboration avec
H&M et sa communication délirante
menée de main de diva – Dello Russo
y évolue sur des accessoires géants à la
Jeff Koons en chantant un tube house
strident spécialement produit pour
l’occasion : You Need A Fashion Shower.
43
Que l’on ne se trompe pas. Les petits cadres
toc et rococo qui pullulent crânement sur
le site peuvent agacer par leur ringardise et
leur fausse naïveté. Mais AdR Factory reste
bien une machine de guerre […]
La rubrique « Quotes » consolide
le mythe, qui énonce sur un mode
« camp » les règles et les aphorismes
à retenir pour être dans le ton en
toutes circonstances.
La Factory d’Andy Warhol
multipliait les icônes Marilyn et
Coca-Cola en les transfigurant, mais
tout aussi bien en les atomisant par
le biais d’implacables aplats sérigraphiques, acides à force de tons acidulés.
AdR Factory démultiplie les images
d’Anna Dello Russo sur le même fond
cosmétique, où la superstar et travestie
à force de surenchère évolue dans une
solitude tragique et merveilleuse. Elle
a son clone : poupée digitale à habiller
nommée Lula. Et l’étrange section
« Modecracy » met en scène d’irréelles
silhouettes photomontées sur des paysages de cartes postales prélevées aux
quatre coins du monde.
De l’esthétique pop, Anna
Dello Russo a ainsi tout pris sans
44
nuance. Le fétichisme des objets
clinquants et l’exploitation des clichés,
la manière de se promouvoir comme
un produit et la croyance aux seuls
pouvoirs de l’image. Une forme de
duplicité, ou de cynisme aussi, qui
consiste à pousser la consommation
et l’ostentation du luxe à un point tel
que ces dernières peuvent toujours
apparaître comme une parodie, provoquant le rire nécessaire pour susciter
l’adhésion populaire et son amour des
monstres – loin du snobisme du peu et
de la discrétion. Le succès d’une collaboration avec H&M est aussi à ce prix.
Que l’on ne se trompe pas.
Les petits cadres toc et rococo qui
pullulent crânement sur le site comme
une signature peuvent agacer par
leur ringardise et leur fausse naïveté.
Mais AdR Factory reste bien une
machine de guerre. Efficace : lorsqu’à
la rubrique « People » les interviews
ne consentant que trois mots pour
réponse aux acteurs, athlètes et autres
créateurs transforment toute parole en
slogan à la force de frappe aussi hypnotique que les gifs stroboscopiques
qui accompagnent chaque portrait.
Et esthétique : lorsque la rubrique
« On Set », qui offre une généreuse
sélection des séries style proposées
par Dello Russo pour le Vogue Japon ou
un Vogue Brésil depuis les années 1990,
développe, comme l’inverse nécessaire
de l’élégance invisible et minimaliste,
une esthétique de l’exotisme, du divers
et de l’association sonores qui reste
tout à fait en phase avec le contemporain. Quitte à sourire d’effroi, perdre
quelques heures sur AdR Factory
peut donc se révéler nécessaire pour
qui veut aller voir comment tourne la
planète mode ces temps-ci : toujours
plus vite quoiqu’il advienne.
céline mallet
Images : captures d’écran du site
annadellorusso.com ©DR
45
robin
coussement
Interview
Toutes les maisons font énormément
appel à la sous-traitance, entre 40 %
pour les plus autonomes à quasiment
100 % chez certains […] Sur le marché
du recrutement, nous voyons que les
profils d’ancien façonnier ou gérant de
sous-traitant sont très souvent demandés.
Robin Coussement est c h a s s e u r d e t ê t e s . Associé chez Sapiance
RH, il recrute des managers pour deux grandes maisons de luxe françaises
indépendantes, mais également dans l’univers de l’horlogerie ou de la
joaillerie. Au regard des profils actuellement recherchés dans le secteur du
luxe, il nous permet d’entrevoir les évolutions en cours en ce domaine.
En quoi consiste votre métier ?
Tout d’abord à accompagner
les entreprises à faire de bons recrutements. Dans le domaine du luxe,
j’opère sur deux axes : les maisons de
mode et les activités liées au marché
de l’art. Concernant la partie mode,
j’interviens souvent en amont ou au
moment de l’acquisition d’une filiale,
d’un sous-traitant ou d’un façonnier,
pour réfléchir avec mon client à la
personne pouvant l’aider à intégrer
cette nouvelle structure à ses activités.
Les rachats ne sont pas chose simple
à gérer. Il faut arriver à absorber ces
structures sans abîmer leur équilibre
social, sans perte de leur savoir-faire,
tout en cherchant à les professionnaliser et ainsi consolider leur capacité
de production, voire leur niveau de
qualité. Pour la partie culturelle, je suis
à la recherche de profils pour accompagner des maisons de ventes et des
galeries. Des profils de commerciaux
plus que d’experts en art pour être
franc – le marché tend à cela.
Comment glisse-t-on du marché
de l’art vers le recrutement ?
Mon métier actuel correspond à ce que je suis très
46
profondément : quelqu’un qui aime
les gens et qui est curieux. Je suis
plutôt dans l’écoute ; j’aime écouter
les candidats et j’aime écouter les
entreprises. J’aime aussi le business
et avoir le sentiment d’y participer me
stimule. Le marché de l’art fut une
expérience très formatrice. Mais c’est
un milieu avec un rapport à l’argent
et à la séduction très particulier ;
quand j’observais la vie personnelle
des hommes qui me fascinaient dans
ce secteur, elle était loin de répondre
à l’équilibre de celle à laquelle j’aspirais moi-même. J’avais l’impression de
me perdre un peu dans des schémas
de mondanité, dans des rapports
déréalisés à l’argent et d’être contraint
à une lecture très exclusive de l’art.
Je viens de la campagne, cela peut
faire sourire, mais je suis à l’aise dans
des relations en petit nombre, intimes.
C’est mon caractère… Aujourd’hui,
je n’ai pas l’impression de faire un
métier radicalement différent d’avant,
je n’opère simplement pas dans le
même secteur. Il me semble que
lorsqu’on a un métier de base – une
certaine expérience – et que l’on est
curieux, le plus important n’est pas
tant ce que l’on va vendre, ce que l’on
cherche à promouvoir, le service que
l’on veut mettre en place, mais davantage l’environnement dans lequel on
œuvre. Nous cherchons à mettre en
œuvre dans nos recrutements une
certaine ouverture quant au secteur
de provenance du candidat que nous
mettons en relation avec nos clients.
Et ainsi parfois éviter une certaine
consanguinité dans les profils qui défavorise, je le crois, la créativité comme
la performance.
Comment percevez-vous
ce secteur du recrutement ?
Je fais ce métier depuis huit
ans et il a beaucoup évolué. Ce ne
sont aujourd’hui plus uniquement les
CV qui permettent de pourvoir des
postes. Les choses sont beaucoup plus
axées sur de l’évaluation de compétences comportementales, les compétences techniques étant elles plus
simples à évaluer.
Qu’entendez-vous par « compétences comportementales » ?
Il s’agit d’évaluer les réalisations du candidat bien plus sous
l’angle de la logique de réflexion
l’ayant amené à un résultat que
l’analyse du résultat en lui-même.
Quel est son comportement face
à une situation complexe rencontrée ?
Et c’est ce comportement qui nous
permettra de le mettre en perspective de la culture de l’entreprise qui
cherche à recruter.
Nombre de cabinets de recrutement ont souvent tendance à pratiquer les copier-coller, à recruter
dans l’entreprise X un profil
similaire pour la société Y.
C’est une vision un peu simpliste des choses. Et puis, dans nombre
de domaines comme l’horlogerie qui
se sont beaucoup développés et qui
ont énormément cherché à recruter
dans les années 2006-2007, il y avait
pénurie de candidats. Les sociétés
de groupes comme Richemont
ou LVMH, dépendant du groupe
Swatch qui leur fournissait des pièces,
n’avaient pas la possibilité de chasser
chez eux. Il a donc fallu trouver des
candidats dans d’autres secteurs. Dans
des secteurs ayant des pratiques similaires, mais pas identiques. En l’occurrence, ce fut la micro-électronique qui
nous a offert un formidable vivier de
candidats. Ces talents ont même pu
faire monter en puissance le secteur
de l’horlogerie.
Longtemps le luxe a recruté ses
cadres dirigeants du côté de la
grande distribution pour soutenir son développement.
Les profils grande distribution, on les a toujours eus et on les
aura toujours, parce que les entreprises dans l’agro-alimentaire, les
cosmétiques ou les chaînes de sport,
façon Decathlon, sont plus matures,
plus développées que les maisons de
mode. Leurs pratiques, notamment
en termes de gestion d’un bureau
d’études, des sous-traitants et de la
production, sont souvent pertinentes.
S’ouvrir à d’autres domaines permet
de gagner en compétences.
Quels sont les métiers
aujourd’hui recherchés ?
Pendant des années, le retail
boostait la production ; des maisons
comme Louis Vuitton démultipliaient
les ouvertures de boutiques de par le
monde, il fallait donc approvisionner en marchandises ces magasins.
Les ouvertures de boutiques à tout
crin c’est désormais fini – le marché
en Asie et depuis quelques mois en
Russie étant quelque peu à la peine.
Mais il a fallu créer des usines, développer des ateliers en pagaille pour
pouvoir fournir ces points de vente.
Tout le monde repense actuellement
son schéma industriel. Les marques
recherchent des gens capables d’optimiser les capacités de production tout
en développant la qualité : donc des
directeurs de supply chains, des achats,
des retailers ou des directeurs généraux
de site et de maison d’art.
Il existe des secteurs
prometteurs ?
La sous-traitance me semble
importante. Il faut savoir que toutes
les maisons font énormément appel
à la sous-traitance, entre 40 % pour
les plus autonomes à quasiment
100 % chez certaines. La gestion des
sous-traitants est aujourd’hui le levier
qui va permettre d’augmenter la
capacité de production et de chercher
de l’innovation à l’extérieur de sa
société sans alourdir sa propre masse
salariale. Sur le marché du recrutement, nous voyons depuis douze mois
que les profils d’ancien façonnier
ou gérant de sous-traitant sont très
47
En vérité, dans beaucoup de maisons, le digital reste
tabou, car elles ne savent pas comment s’y prendre
[…] Un directeur marketing-communication d’une
maison de luxe n’est jamais à l’origine un directeur
digital, alors que dans d’autres secteurs, ce genre de
profil existe déjà.
souvent demandés. Ce sont des gens
aptes à faire coexister une réalité
très opérationnelle du quotidien et
à développer des stratégies créatives
et audacieuses.
Les vendeurs sont-ils toujours
aussi recherchés ?
Le retail, c’est très particulier, parce que toutes les marques
manquent de vendeurs et de responsables adjoints de boutique. Cela sera
toujours le cas. Mais on va entrer
dans une logique de remplacement
de profils partant chez un concurrent
ou changeant d’activité plutôt que
de création de postes… La démultiplication des boutiques relevant pour
l’heure du passé, les emplois ne seront
donc pas démultipliés non plus.
Internet vous semble-t-il un axe
de développement important
pour le secteur du luxe ?
Le digital, c’est un vrai sujet.
Peu de marques de luxe disposent
aujourd’hui d’un site Internet clair.
C’est une catastrophe ! Et très peu
effectuent de la vente en ligne. Acheter
un vêtement sur Internet sans l’essayer
ne leur semble pas envisageable ; l’expérience client en magasin demeure
pour eux incontournable. La vente
en ligne reste un sujet tabou. Il existe
pourtant des sites pertinents comme
celui de l’horloger Zenith. Dans ce
secteur, tout le monde le regarde
48
aujourd’hui avec admiration : il est
très bien pensé et qui plus est extrêmement lucratif.
Les griffes sont très en retard
en ce domaine.
En vérité, dans beaucoup de
maisons, le sujet reste tabou, car elles
ne savent pas comment s’y prendre.
C’est intéressant de regarder l’organisation des marques quant au digital.
Un directeur marketing-communication d’une maison de luxe n’est jamais
à l’origine un directeur digital, alors
que dans d’autres secteurs, ce genre
de profil existe déjà. Dans le luxe, le
Web demeure toujours traité un peu
à part, avec un chef de projet digital
ou un community manager chargé de faire
gentiment évoluer le site, sans vraie
stratégie digitale assumée et soutenue
par un investissement significatif.
Comment voyez-vous évoluer le secteur du luxe dans
sa globalité ?
Il me semble que les savoirfaire retrouvent une place prédominante. Certains ateliers, certains
sous-traitants souffrent avec la crise,
mais ils émergent d’entreprises,
souvent familiales, avec des histoires
fabuleuses qui deviennent de plus en
plus solides et rencontrent des croissances extraordinaires. Ces métiers,
que cherchaient jusque-là à sauvegarder certains grands groupes comme
Hermès ou Chanel en rachetant des
entreprises, pourraient bien devenir des nouveaux acteurs du luxe.
Ou en tous les cas s’affirmer comme
des marques à part entière. Je pense
à Causse, à Millau, qui appartient
à Chanel et qui fait des gants. C’était
un sous-traitant, il a développé ses
propres collections, les diffuse, et
a ouvert une boutique parisienne.
Pareil pour Maison Michel avec les
chapeaux… Ce genre d’entreprise se
développe et se professionnalise, c’est
une perspective sérieuse dans un scénario de renouvellement des marques.
Depuis la fin des années 1990
prédominait une logique de
relance de vieilles griffes,
dont ne restait bien souvent
vivace que le nom. Le système
semble quelque peu se
gripper aujourd’hui ; des
résurrections comme celle
de Schiaparelli ou de Vionnet
peinent au démarrage…
Cela demeure pourtant d’actualité. Je suis entouré d’entreprises de
conseil spécialisées en rachat de nom
qui fonctionnent très bien. Elles font
appel à nous pour des recrutements,
c’est donc que la croissance est bonne.
Les sociétés qui font l’acquisition de
noms prestigieux sont souvent des
groupes moyen-orientaux ou asiatiques qui cherchent ainsi à légitimer
leur savoir-faire.
Une carrière débute aujourd’hui
par un stage. Comment
construit-on sa carrière ?
Le stage demeure essentiel…
C’est difficile pour un employeur de
recruter un profil, c’est du « déclaratif », cela repose sur un entretien.
Un jeune sorti d’école, c’est encore
plus du « déclaratif » puisqu’il n’a
encore rien accompli. Il s’agit donc
d’entrevoir son potentiel. Pour un
diplômé, le stage permet de briller sur
des réalisations très concrètes, qui lui
serviront ensuite en entretien à justifier
des compétences. À sortir donc du
théorique pour aborder des réalités
concrètes. En entretien d’embauche,
on demande souvent aux candidats les
genèses de leurs carrières, c’est assez
instructif… Pour ce qui est de booster par la suite sa vie professionnelle,
on perçoit de grandes différences de
rémunération et de responsabilités
dans les groupes de mode dès lors
qu’un profil a passé quelques années
à l’international. C’est quelque chose
qui existe depuis trente ans et c’est
toujours une réalité. Un stage à l’international peut être la solution pour bien
commencer…
D’autres conseils ?
Bouger. Nos parents, nos
grands-parents étaient fidèles à leur
métier et leur employeur pendant
vingt ans ; ça, c’est fini ! Il faut désormais changer régulièrement de projet
au sein de la
même entreprise si elle
vous l’offre,
ou aller chercher ailleurs une telle
opportunité. Changer de job, c’est
se donner l’ambition de réfléchir à
nouveau, désapprendre, malmener ses
réflexes, sortir des recettes que notre
expertise nous impose et ainsi exprimer plus de créativité. Historiquement,
le rythme a été imposé par la Société
Générale, qui avait un modèle RH
où chaque profil devait évoluer tous
les trois ans. Toutes les entreprises ont
suivi ce modèle…
Qu’est-ce qui pour vous fait
la différence entre un profil
et un autre ?
Si l’on veut créer, on doit être
disruptif. Les profils qui vont accepter
de prendre des risques professionnels
avec des convictions pour booster leur
carrière m’intéressent. Une aventure
entrepreneuriale, monter un projet,
c’est être un peu dans le flou. Parfois,
cela consiste à aller dans une entreprise pour conquérir des marchés
sans trop savoir à qui l’on est rattaché.
Dans d’autres cas, intégrer une maison
qui a une histoire familiale un peu
compliquée. Tout n’est pas toujours
parfaitement cadré… Faut-il encore
que cela amuse les candidats… C’est
pourtant important de s’amuser dans
son travail ! Dans la mode, plus que
dans d’autres secteurs encore, le marché du recrutement demande de sortir
de ses zones de confort.
À quoi aspirent aujourd’hui
les candidats ?
On a de plus en plus d’entrepreneurs. Les gens décrochent avec la
culture traditionnelle du salariat, d’un
mode de vie parisien, d’une existence
toute vouée à l’entreprise… qui bien
souvent débouche sur des familles
monoparentales, des soirées accrochées au BlackBerry… Bref, un certain
mal-être. Ils cherchent de nouveaux
schémas de vie un peu plus équilibrés.
Cela passe parfois par la province, par
une petite structure, loin des intrigues
des grandes entreprises, mais avec des
responsabilités plus importantes, une
hiérarchie plus écrasée et une plus
grande réactivité. Les gens ont l’envie
de créer aussi. Ils sentent le besoin
de donner du sens à leur travail, non
plus de voir leurs efforts dilués dans les
rouages d’une grosse machine.
Propos recueillis par
cédric saint andré perrin
Photo : © DR
49
la mauvaise
éducation
Chronique mode
Mais où s’apprend vraiment la mode ? Malgré les nombreuses
écoles qui fleurissent, l’atelier et l’exemple des « a n c i e n s »
semblent la véritable initiation. En voici quelques exemples…
Image : priscillia saada
Il suffit de regarder le diagramme
par lequel Pierre Bourdieu et
Yvette Delsaut illustrent le « champ
de la haute couture »1 pour s’en
convaincre. Un couturier, à défaut de
pouvoir prétendre au titre d’artiste, en
imite le processus de formation. La
logique de l’atelier à l’œuvre depuis
les peintres renaissants ne faiblit pas
dans la mode, depuis l’apprentissage
de Givenchy chez Jacques Fath et
Elsa Schiaparelli jusqu’aux nominations récentes des parfaits seconds aux
postes de directeurs artistiques chez
Sonia Rykiel ou Hermès. La mode
n’est-elle jamais mieux servie que par
elle-même lorsqu’il s’agit de former
ses créateurs ?
50
Art mineur préoccupé par
les chiffons et les froufrous, le cancre
de l’Académie ne saurait que faire
des enseignements officiels. À l’heure
où LVMH lance son deuxième prix,
où Chanel devient grand mécène du
Festival de Hyères et de l’Andam,
passage en revue des initiatives historiques et des parcours de bons élèves
qui permettent d’éclairer la question
de l’éducation appliquée à la mode.
Filiation et transmission
Un arbre généalogique
pour famille recomposée avec ses
divorces et secondes noces, ses
enfants prodiges et rejetons non
avoués : c’est aussi à cela que ressemble le panorama de cent cinquante ans de mode. Depuis la figure
de Charles Frederick Worth, pater
familias de la haute couture jusqu’aux
dernières jeunes recrues, on pourrait
tirer les fils et retracer les lignées
ininterrompues de cette nébuleuse
créative à travers les générations.
Parmi les quelques photographies représentant le couturier
Robert Piguet, un célèbre cliché de
Willy Maywald capture une séance
de travail, sans doute prise au cours
de l’année 1938. On y retrouve tous
Chose innée et
spontanée, [la mode]
se comprend mais ne
s’apprend pas.
les éléments attendus de ce genre
de situation, si souvent mise en
scène par les couturiers pour rendre
compte par la photographie de leur
acte créatif. Deux jeunes femmes
entourent un mannequin portant
l’ébauche d’un nouveau modèle
qu’elles ajustent et corrigent. À droite,
on voit le couturier scrutant la robe
et, derrière lui, la silhouette d’un
jeune homme tiré à quatre épingles.
Le jeune Christian Dior observe
derrière l’épaule de son maître cette
leçon magistrale, comme un étudiant celle d’un grand professeur de
médecine. Quelques années plus
tard, lorsque le même Willy Maywald
capture le grand et glorieux Dior
dans l’intimité de ses salons, lisant
le journal, une tasse de café à la
main, on découvre aux murs certains
tableaux de sa collection personnelle.
51
Cristóbal Balenciaga,
fils de marin pêcheur, se
forme à la couture en
démontant et remontant
les modèles de couturiers
parisiens, depuis les
pièces qu’il admira
enfant dans l’atelier de
sa mère couturière […]
Aux côtés de son portrait par
Bernard Buffet, on discerne un dessin
de Jean Cocteau saisissant le profil de
Robert Piguet. Le maître, récemment
disparu, veille sur l’élève, qui à son
tour, quelques mois plus tard, laissera
sa place au jeune Yves MathieuSaint-Laurent. On pourrait opérer
cette démonstration autant de fois
que nécessaire, bien que la mise en
image généreuse du mythe Christian
Dior s’y prête plus facilement. Car
que ce soit dans leurs autobiographies ou à travers des interviews, les
couturiers reconnaissent généralement avec une fierté certaine l’atelier
et le maître qui les ont formés.
Mais si quelques-unes des
destinées les plus fabuleuses de la
couture débutent par ce rapport
très académique de maître à élève,
d’autres trajectoires sont encore plus
libres et affranchies de toute forme
d’enseignement. Rappelons par
exemple que lorsque Jacques Fath
ouvre sa maison juste avant la
Seconde Guerre mondiale, il est tout
à fait incapable de coudre. C’est
en forgeant que l’on devient forgeron : l’adage s’applique avec autant
de pertinence à la mode qu’au
monde de Vulcain. Celui que Dior
appelait « notre maître à tous », l’énigmatique Cristóbal Balenciaga, malgré
le titre qu’on lui confère, en fut aussi
52
un brillant exemple. Fils
de marin pêcheur, il se
forme à la couture en
démontant et remontant
les modèles de couturiers parisiens,
depuis les pièces qu’il admira enfant
dans l’atelier de sa mère couturière
jusqu’à ceux qu’il acquiert lui-même
en temps qu’acheteur au cours des
années 1920 et 1930.
La mode, ça s’apprend ?
La couture oui, avec toute
la technicité qu’elle suppose. Mais
créer une collection, composer une
silhouette ? Charles Blanc, dans un
ouvrage qu’il consacre en 1875 à
« l’art dans la parure et dans le vêtement »,
tente bien d’en ériger les règles par
des emprunts à l’harmonie des couleurs et des proportions. Cet académicien, ancien directeur de l’École
des beaux-arts, livre un essai étonnant, mais qui ne s’imposera pas
pour autant comme livre de chevet
des plus illustres couturiers. À quoi
bon s’encombrer de savoirs livresques
quand seul l’œil semble primer ?
Là réside bien une résistance fondamentale de la mode à
toute nécessité d’intellectualisation.
Vitruve s’évertue dès le ier siècle à
mettre en garde tout architecte qui
ne respecterait pas un équilibre entre
faire et penser. Mais si cette figure de
l’architecte est justement si souvent
convoquée pour appuyer le crédit
artistique du couturier, l’argument
trouve ici ses limites. Pierre Balmain
a beau vouloir exposer les « rapports
de l’architecture avec la couture »2, le rapprochement peut sembler superficiel.
On ne contestera pas les analogies
formelles que supposent le traitement
de la matière et les recherches d’harmonie, mais la conscience sociale
et la responsabilité intellectuelle
qui constituent le socle théorique
des textes d’architectes et de designers que l’éducation a pour charge
de transmettre sont bien évacuées
de tout discours sur la mode.
Le vêtement est pourtant
bien abordé comme sujet digne d’intérêt par certains grands penseurs de
la modernité : Adolf Loos rédige par
exemple une série d’articles, récemment parus en français chez Grasset
sous le titre Comment doit-on s’habiller ? Les futuristes s’en empareront
comme espace d’expression privilégié,
donnant lieu à plusieurs manifestes.
Mais voilà poindre le problème : tout
discours sur le vêtement devient un
discours contre la mode. On ne réfléchit pas à la manière de faire la mode,
à l’intégrer au projet réformateur des
avant-gardes, mais plutôt à contrer ses
puissants caprices. Perçue comme irrationnelle, inconstante et tyrannique,
elle est gentiment mise à la porte des
grands projets éducatifs modernes.
La mode ne s’explique donc
pas ? Chose innée et spontanée, elle
se comprend, mais ne s’apprend pas.
En ce sens, ce n’est plus de pédagogie alternative qu’il serait question,
mais de l’impossibilité même de lui
appliquer une pédagogie, ne seraitce celle, élémentaire, de l’observation et de l’imitation. « J’avais vu les
“Herr Professor” de Berlin et de Vienne
tarabuster les méninges de leurs élèves
pour les faire entrer dans un moule nouveau comme un corset de fer », rapporte
Paul Poiret après sa visite des ateliers
des Wiener Werkstätte. « Je trouvais
ce travail et cette discipline des intelligences
absolument criminels. Je voulais prendre
le contrepied de cela et voici comment
je procédai : je recrutai dans les milieux
ouvriers de la périphérie des fillettes d’environ
12 ans, affranchies de leurs études. Je leur
consacrai plusieurs pièces de ma maison
et je les fis travailler d’après nature, sans
aucun professeur », poursuit le couturier.
« Dès que les premières semaines furent écoulées, j’obtins des résultats merveilleux. Ces
enfants, livrées à elles-mêmes, oubliaient en
peu de temps les préceptes faux et empiriques
qu’elles avaient reçus à l’école, pour retrouver
toute la spontanéité et toute la fraîcheur de
leur nature », constate-t-il. « On avait
obtenu ce résultat parce qu’il n’y avait aucun
professeur pour les contraindre à les analyser.
Elles se sentaient libres et heureuses de
créer. »3 L’atelier Martine, que Poiret
ouvre en 1912, se consacre pendant
les quelques années de son existence
non pas à la création de modèles de
haute couture, mais à celle de textiles,
céramiques et à quelques petites
pièces de mobilier. Le couturier aura
néanmoins mis au cœur de ce projet
éducatif certaines idées bien propres
à la mode : ne se fixer aucune règle,
se nourrir de son environnement
visuel, en toute liberté et avec pour seul
guide son instinct, et surtout ne pas
chercher à analyser ses productions.
deux fréquenté les bancs de l’École
du Louvre, quand Miuccia Prada,
formée au mime et à la philosophie,
s’apprête à ouvrir les portes du nouveau complexe architectural milanais
commandé à Rem Koolhaas, qu’elle
consacre à sa fondation, et surtout
à ses collections.
Malgré son zéro pointé en
dissertation, le créateur de mode
est premier de la classe en culture
visuelle. Avare en mots, on ne lui
reniera pas son érudition, aussi peu
scolaire soit-elle, tout entière contenue dans le regard. Faire de la mode,
c’est bien apprendre à regarder.
émilie hammen
Une histoire de l’œil
Mais à regarder de plus
près l’éducation artistique des
couturiers et créateurs, qu’observet-on ? Christian Dior débute sa vie
professionnelle comme marchand
d’art, Gabrielle Chanel comme sa
rivale Elsa Schiaparelli, deux pures
autodidactes avides de création,
s’entourent d’un tourbillon mondain de peintres, de musiciens et
de poètes. Faut-il rappeler aussi la
fibre de collectionneur qui s’empare
de nombreux couturiers dans leur
folie iconophile (ou devrait-on dire
iconophage ?), de Jacques Doucet à
Marc Jacobs ? Christian Lacroix et
Hedi Slimane ont pour leur part tout
1. Y. Delsaut, P. Bourdieu, « Le couturier
et sa griffe : contribution à une théorie
de la magie », in Actes de la recherche en sciences
sociales. Vol. 1, n° 1, janvier 1975, Hiérarchie
sociale des objets, pp. 7-36.
2. Conférence donnée par Pierre Balmain
à Bruxelles en novembre 1950.
3. P. Poiret, En habillant l’époque, Paris, Grasset,
1930.
Images :
Diagramme « haute couture »,
Yvette Delsaut et Pierre Bourdieu.
Séance d’essayage chez Robert Piguet,
photo Willy Maywald, 1938.
© DR
53
the happy
reader
Consumer
Investir toutes les formes, toutes
les temporalités, des plus immédiates
comme Instagram aux plus pérennes :
livre, catalogue ou magazine semestriel
s’imposera comme la règle […]
Si les marques de luxe se sont vite emparées de ce
support supplémentaire que pouvait constituer le
magazine, d’autres secteurs comme l’édition y
viennent plus p a r c i m o n i e u s e m e n t , mais
avec une démarche et une forme réfléchies.
Livres et magazines à fort tirage
semblent subir le même destin :
personne ne se lance plus dans cette
aventure sans être épaulé. On voit
ainsi fleurir des librairies adossées
à des musées, à des concept stores et
même à des marques de luxe, comme
Kenzo. Idem pour les magazines :
à quand remonte un lancement de
magazine ex nihilo, qui ne soit pas un
supplément de quotidien et qui vise
un lectorat large ? Society annoncé pour
mars fait ainsi figure d’exception.
Une hypothèse est que les
magazines seront demain également
adossés à des marques, ce qui ne
les empêchera pas de produire du
contenu, même si le récent exemple
de LV The Book pour Louis Vuitton
montre l’étendue des possibles, et
que l’autocélébration peut faire rêver
un rédacteur en chef. On pourrait
54
poursuivre ce raisonnement en émettant l’hypothèse que, comme la mise
en ligne d’un site est devenue naturelle
pour un événement culturel type
festival de cinéma, il en ira de même
pour un magazine. Investir toutes les
formes, toutes les temporalités, des
plus immédiates comme Instagram
aux plus pérennes (livre, catalogue
ou magazine semestriel), s’imposera
comme la règle. Les opérateurs culturels comme les marques vont enfin
intégrer que le digital ne remplace pas
le papier et que les accros des réseaux
sociaux ont aussi envie d’autre chose,
même s’ils en ont moins le temps. On
objectera que le contrat de lecture est
biaisé si une marque prétend faire de
l’information, puisque tout ce qu’elle
touchera se transformera immédiatement en communication pro domo.
Oui et non. Certes, peu de chances
qu’un Acne Paper trouve la dernière
collection éponyme un peu faible.
Mais cultiver un univers de signes, surprendre et apporter du contenu neuf
au lecteur ; parler du monde plutôt
que de sa marque – ce qui renseigne
aussi sur la marque – sera sa seule possibilité s’il ne veut pas être rangé dans
la catégorie des catalogues déguisés.
Ainsi, The Happy Reader,
consumer magazine de Penguin
Books et issu d’une collaboration
avec l’équipe de Fantastic Man. Ou le
mariage d’un style hyper-reconnaissable, puisque plagié par toutes sortes
de publications depuis quelques
années, avec un contenu singulier
et toujours renouvelé : la littérature.
Comme le livre, The Happy Reader est
d’abord une matérialité et un format :
64 pages souples, en papier recyclé,
qui sont un rappel aux formats poche
un peu passés, des clins d’œil avec des
titres soulignés en rouge, plus proches
de l’écriture manuscrite que du
logiciel. Quelques images, très peu de
couleur et une discrétion riche de promesses. Le format, 17 x 24,5 cm, outre
sa maniabilité, est l’équation qui rend
l’impression offset peu gourmande en
papier comme en impositions, et donc
peu onéreuse. À propos de budget,
The Happy Reader est gratuit, sinon
le coût de son acheminement postal. Côté contenu, on s’adresse à des
lecteurs, donc rien d’effrayant si le
numéro s’ouvre sur une interview de
24 pages, du comédien Dan Stevens
en l’occurrence. Comme dans le
cours d’une conversation sans but, on
évoque une série de références, qui
en appellent d’autres… Le temps pris
est donc ici productif de sens et de
chemins peu empruntés – du moins
que les interviews « promo » d’un
film interdisent le plus souvent. La
seconde partie est thématique et s’articule autour
d’un ouvrage, The Woman
in White de Wilkie Collins.
Et ce sera l’occasion de multiplier les
entrées selon le contenu de ce thriller :
historique, stylistique, culinaire, géographique et même mode. Parce que
tous ces ingrédients sont présents en
puissance dans la littérature et qu’un
magazine qui y serait consacré disposerait de ces thèmes naturellement.
électronique, comme nous le faisons
déjà avec notre téléphone. Ce n’est pas
tant une option qu’une injonction :
trouver les formes et mouvements qui
feront épouser le livre et le futur, dès
lors que nulle machine n’éteindra le
désir de récit.
angelo cirimele
Le projet de The Happy Reader
est de continuer à traiter de littérature,
d’en renouveler le format et les occurrences. Quoi de plus enthousiasmant
que de repenser ses fondamentaux
à l’aune du digital, qui bouleverse
librairies, livres physiques, éditeurs,
mais qui affectera aussi la manière
de les écrire demain, quand (et si)
nous tiendrons tous en main un livre
The Happy Reader, bookish quarterly, n° 1,
Hiver 2014, 64 p., 17 x 24,5 cm, 7 €.
Editor in chief : Seb Emina. Editorial
directors : Jop van Bennekom, Gert Jonkers.
Publisher : Stefan McGrath.
Thehappyreader.com/
Images : Captures d’écran du site
thehappyreader.com ©DR
55
agent de
photographe
Off record
Au début des
années 2000, un agent
pouvait miser pendant
deux à trois ans sur
un photographe,
engageant des sommes
jusqu’à 100 000
ou 150 000 euros.
Aujourd’hui, les cycles
sont plus courts et ça
doit marcher assez vite
[…]
Pour un photographe, être représenté par un agent est un
a c c é l é r a t e u r de carrière. Maîtrisant les stratégies de
visibilité, la culture des marques comme celle des agences de
publicité, il est un observateur privilégié de l’évolution du métier
de photographe. Entretien à visage couvert.
Commençons par le début :
comment identifie-t-on un jeune
photographe ?
Ça a quelque peu changé…
À la fin des années 1990, on repérait
les jeunes photographes de deux
manières : en regardant les magazines
et en discutant avec les directeurs
artistiques, les agents de mannequins
et les gens de la profession qui ont
un œil. Avec certains DA, c’était un
échange de bons procédés : on pouvait
être les premiers à vouloir représenter
un photographe et ils pouvaient le
publier avant les autres. Aujourd’hui,
on regarde beaucoup Internet, mais
ce sont majoritairement les stylistes
qui découvrent les talents.
Comment les stylistes en sontelles venues à tenir ce rôle pivot
dans le système de la photo­
graphie de mode ?
Essentiellement pour des
enjeux commerciaux : il existe maintenant une réelle connivence entre les
marques et les stylistes, ces dernières
créent des univers visuels et proposent
des photographes capables de les restituer. À l’inverse, des carrières comme
celles de Newton ou de Bourdin ne
56
seraient plus possibles aujourd’hui.
On demande maintenant à un photographe, tout en ayant une écriture
propre, d’être suffisamment versatile
dans son travail pour pouvoir « matcher » avec plusieurs styles ou types de
clients. Mais les choses restent rarement figées dans la mode et les clients
sont de mieux en mieux renseignés.
Ils ne regardent plus seulement les
magazines ou ce que les agents leur
proposent, puisqu’Internet est aussi
passé par là.
Pourquoi un agent choisit
tel photographe ?
Ce qu’on recherche avant
tout, c’est une identité, c’est-à-dire
un photographe dont les images soient
reconnaissables et dotées de qualités
techniques pour parvenir à un résultat
sur un job commercial. La personnalité du photographe compte aussi
beaucoup : la facilité à créer un réseau
autour de lui, à fidéliser des gens,
à créer des équipes…
C’est tout ?
Non, il y a aussi la vision
que l’on a du métier qui est souvent
tronquée. On voit régulièrement des
photographes qui se présentent en
disant qu’ils travaillent pour Vogue Italie,
alors qu’ils sont publiés sur le site du
magazine, ce qui n’est pas la même
chose. On peut parler de maturité :
comprendre où devront porter les
efforts pour pouvoir mettre son travail
en avant. Ce qui revient à comprendre
la dimension politique du métier :
comment ça marche, qui a le pouvoir
et donc comment se comporter.
Mais dans la liste de photographes d’un agent, il n’y a pas
que des talents bruts ?
En publicité, la question
du budget entre toujours en ligne
de compte. Si on ne peut pas s’offrir
le photographe qui fait référence
pour un type d’image, on en choisit un autre, qui en fera très bien la
copie. Donc, au moment de constituer une équipe, on recherche aussi
des « copistes » : des gens qui ont
une culture mode solide, doublée
d’une facilité à « faire » des images.
Il y a aussi du postmoderne dans
la photo de mode : quand hier
on faisait référence à Avedon ou
Lindbergh, aujourd’hui on fait écho
à Mert & Marcus, qui eux-mêmes
se sont inspirés d’autres photographes.
On perd un peu l’essence des
choses, et la quête de l’original est un
vieux souvenir.
Comment les photographes
présentent-ils leur travail ?
De plus en plus sans book
physique, mais en digital, ce qui
m’ennuie. Je suis un peu suspicieux
avec les books sur iPad… Les pdf,
ça met bien en valeur les images, elles
sont rétro-éclairées, ce qui leur donne
un certain piqué et un côté lumineux
qu’on ne retrouvera pas forcément en
print. Pour toutes ces raisons, j’aime
voir les vrais portfolios. […] Faire des
images semble tellement accessible
du point de vue de l’équipement – on
peut aujourd’hui acquérir un appareil
professionnel pour 5 000 euros et obtenir des images de très bonne qualité
assez rapidement – que certains se
disent photographes avec un compte
Instagram. Mais ça ne suffit pas.
Concrètement, en quoi
consiste le travail de l’agent
avec son photographe ?
Il faut savoir mettre en
lumière ce qu’on a pu déceler lors
du premier rendez-vous et qui a
décidé à représenter cette personne.
Donc créer ou développer un réseau :
coiffeur, maquilleur, styliste, casting…
parce que, à la différence des autres
types de photographies, la photo
demode est un travail d’équipe et la
réussite d’une photo repose aussi sur
le talent des autres. Ensuite, il faut
faire connaître le photographe et donc
lui faire rencontrer des magazines,
potentiellement les meilleurs, pour
montrer son travail, donc du plus indépendant au plus commercial, selon.
Un agent a une vision plus
panoramique de la profession,
des magazines, et donc de la
dimension politique de certains
choix. Déconseillez-vous certaines collaborations ?
Oui, il nous arrive de dire
à un photographe que faire un édito
pour tel magazine n’a pas d’intérêt en
soi et peut bloquer des opportunités
sur d’autres magazines avec lesquels
nous sommes en bons termes. Bon,
je suis aujourd’hui plus circonspect
sur la question, car je crois que le
plus important pour un photographe
est de produire, c’est-à-dire pratiquer,
s’entraîner, se confronter à des situations nouvelles.
Quel est le budget moyen pour
un édito ?
Il y a de grandes disparités.
Disons de zéro à 8 000 euros – qui
est une somme confortable pour une
journée de shoot à Paris – sans faire
de folies, mais comprenant un forfait
pour les retouches. Les magazines
institutionnels, qui appartiennent
à de grands groupes, font leur maximum pour couvrir les frais d’un shooting. Les magazines indépendants, ça
va de rien à 1 000, 2 000, parfois 3 000.
Une bonne image
signifie-t-elle nécessairement
une production onéreuse ?
Aujourd’hui, si on regarde
les dix photographes les plus respectés,
leur talent n’y est pas étranger, mais
ils s’appuient sur une force logistique
énorme. Par exemple, une production
de Steven Meisel pour Vogue Italie est
conséquente : une équipe importante,
avec des mannequins qui viennent
de tous les coins du monde, avec les
meilleurs coiffeurs et maquilleurs.
Les images finales sont le résultat
57
Je visitais récemment le
musée Helmut Newton,
et j’étais surpris de ne
pas faire la différence
entre son travail d’artiste
et ses publicités, pas plus
que ses images pour
la presse, comme si le
photographe y mettait
autant de passion. […]
d’un professionnalisme, mais aussi
de budgets qui sont proches d’un set
de cinéma. Je vois d’ailleurs beaucoup
de similitudes entre le cinéma et la
photo de mode, en ce sens que c’est
un travail d’équipe et que d’importants moyens techniques (lumières,
voitures, hélico…) produisent un effet
qui fait la différence. Enfin, c’est une
question de présence du mannequin
ou de la comédienne, que le faiseur
d’image saura provoquer et saisir.
Pourquoi n’y a-t-il plus de créativité ni de bonnes photographies
en pub ?
On constate une certaine
frilosité et un milieu qui obéit à des
impératifs qui relèvent du marketing : il faut montrer des chaussures,
un sac, des bijoux et le faire dans
une même image.
Pourquoi la plupart des
marques de luxe ne font-elles
pas appel à une agence de publicité et choisissent directement
un photographe ?
Je crois qu’ils essayent de
court-circuiter tous les paliers entre
le designer de la maison et le photo­
graphe, qui est aussi un créatif. Car
on est très souvent confronté à une
architecture baroque : le client, ses
représentants (directeur marketing,
58
responsable de la communication),
puis l’agence : directeur de création, directeur artistique, achat d’art,
commerciaux, et on se retrouve vite
à quinze lors des prises de décision…
Et comme chacun se sent obligé
d’ajouter son grain de sel pour justifier son job et son salaire, le résultat
obtenu est souvent mièvre. De toute
façon, dès lors que les agences veulent
quasiment voir l’image avant qu’elle
soit réalisée, on ne peut rien espérer
de surprenant.
pas plus que ses images pour la presse,
comme si le photographe y mettait
autant de passion. […] Dans une
pub signée de Newton, ce n’était
pas le produit qui était mis en avant,
mais une esthétique, donc c’est une
démarche d’un client qui vient se coller à un univers. Je pense que ça doit
stimuler le photographe. Aujourd’hui,
on va davantage choisir un photographe parce qu’il est connu et qu’il
a tant de followers ; le nom protège
et permet de limiter les critiques.
Mais même le luxe, souvent sans
agence, n’est pas si créatif…
Il y a toujours une certaine
pression : on veut faire les choses
très vite, on parle de sommes conséquentes qui incitent les photographes
à une certaine prudence, qui est
parfois l’ennemie de la créativité.
Si on ajoute qu’une douzaine de
photographes trustent la majorité des
campagnes… Et puis les marques de
luxe n’attendent que ça : une jolie
image, avec une jolie fille, qui montre
bien le sac et qui puisse plaire à tous
les publics, en Europe et au-delà…
Comment les groupes de presse
phagocytent-ils les carrières des
jeunes photographes ?
Bon, ça a toujours été un peu
le cas… Pour parler de magazines
de groupes tels que Condé Nast ou
Hearst, les places sont rares et chères
pour les photographes. Donc assez
naturellement, quand de jeunes
talents apparaissent et dégagent une
certaine aura, ils ont envie de les
garder pour eux seuls. Il n’y a rien
de signé, mais une sorte d’exclusivité
implicite s’installe entre le photographe et le magazine.
Ça a toujours été comme ça ?
Je visitais récemment le
musée Helmut Newton, et j’étais surpris de ne pas faire la différence entre
son travail d’artiste et ses publicités,
Internet va-t-il bousculer
l’hégémonie des magazines ?
Il faut avouer que l’arrivée
de Porter fait sortir de la dualité Vogue/
Bazaar. Et c’est effectivement un acteur
du Net [le site de e-commerce Neta-Porter édite le magazine Porter,
ndlr] qui bouscule les hiérarchies.
D’ailleurs, les futurs concurrents des
magazines seront aussi à chercher du
côté de Yahoo!, dont le portail mode
est assez bien fait, ou d’Amazon, qui
en prépare un.
Qui sont les bons (nouveaux)
photographes : diplômés
ou autodidactes ?
Pas vraiment de règle là
non plus, mais ce qui rassure, c’est
quelqu’un qui ait assisté un grand photographe ; ça reste la meilleure école,
car on a été témoin de la manière de
gérer une équipe, une petite tension
avec une marque ou un magazine, ou
encore plus simple : la météo change,
comment fait-on ?
Quel est le pourcentage d’un
agent de photographe ?
25 %. Je crois que c’est
le même pour tous les agents.
Quels conseils donneriez-vous
à un jeune photographe ?
Je ne sais pas si je l’encouragerais… car on constate de grands
embouteillages ! Je crois qu’il ne faut
pas douter de soi, ni lâcher ses partis
pris esthétiques malgré les pressions.
Les gens qui réussissent dans ce
Dans l’art, on a peutêtre davantage de temps,
mais en mode, on ne
peut pas se dire « ça ne
marche pas aujourd’hui,
ça marchera demain »
parce que ça a peut-être
déjà des conséquences
sur demain […]
métier ont des convictions et une
détermination à toute épreuve. Parce
qu’il y a beaucoup de contraintes,
d’enjeux financiers. Il faut aussi
savoir être patient.
Ce qu’on peut traduire par avoir
de l’argent devant soi…
Attention, la photographie de
mode est dans l’univers du luxe ; c’est
un sport de luxe. Comme pour un
sportif de haut niveau, le photographe
de mode se lève le matin, mal à la tête
ou non, gueule de bois ou non, états
d’âme affectifs ou non, ça ne rentre
pas sur le set. Pas plus qu’un problème avec son assistant. Quoi qu’il
arrive, à 18 h ou 19 h, il faut les images
sur le disque dur. Donc oui, il faut
financer les shootings. Au début, on
se débrouille avec des bouts de ficelle,
mais plus on avance, plus on attend
d’un photographe qu’il soit professionnel et qu’il apporte une qualité de
production. Mais les agents sont prêts
à payer pour ça, et les grands magazines aussi, parfois.
Quelque chose a changé depuis
les années 1990 ?
L’accélération du temps,
qu’Internet fait ressentir plus fortement. Au début des années 2000,
un agent pouvait miser pendant deux
à trois ans sur un photographe dont il
était convaincu du talent, engageant
des sommes assez élevées, jusqu’à
100 000 ou 150 000 euros, qui seraient
certes remboursées lors des premières
campagnes de publicité. Aujourd’hui,
les cycles sont plus courts et on ne voit
plus ce type d’engagement ; ça doit
marcher assez vite. […] Dans l’art,
on a peut-être davantage de temps,
mais en mode, on ne peut pas se
dire « ça ne marche pas aujourd’hui,
ça marchera demain » parce que ça
a peut-être déjà des conséquences
sur demain. Le luxe est un monde
très attractif, en croissance, et tout le
monde veut sa part du gâteau, mais
il n’y a qu’un seul gâteau.
Propos recueillis par
angelo cirimele
59
Ping Pong
not that kind of girl
Image : priscillia saada
On les remarque comme des ovnis dans le tunnel pub à
l’entrée des magazines, sans produits, déroutants, à l’image
d’un nom énigmatique. Retour sur les campagnes de
c o m m e d e s g a r ç o n s et décryptage argumenté.
60
Le 7 nov. 14 à 22:59, Céline Mallet
a écrit :
Hello cher,
Notre intention de réfléchir aux
campagnes de la marque Comme
des Garçons t’intimiderait-elle ?
Remarque, on sait que la grande
Japonaise a la communication difficile.
Le site de Comme des Garçons est un
bon et premier exemple : un algorithme qui distribue aléatoirement des
images comme des collages d’inspiration au sens le plus plasticien du terme.
Nulle trace de vêtement, même pas
l’esquisse d’un discours de mode, ou
justement de manière foncièrement
abstraite, et bien sûr aucune forme
de catalogue en ligne.
Si l’on regarde l’ensemble des
campagnes de la marque, et ce grosso
modo depuis les années 1980, on peut
faire le même constat d’une irréductible singularité comme d’un mode
de communication paradoxal puisque
négligeant le vêtement lui-même au
profit d’une extraordinaire diversité
de visuels, diversité qui fait la part belle
aux artistes et qui s’écarte sciemment
et encore une fois du produit. Inutile
de dire que l’on est là aux antipodes
des stratégies des grands groupes de
luxe actuels, où la fille disparaît pratiquement sous le sac qu’elle brandit au
premier plan… Stratégie déroutante
encore lorsqu’elle ne cherche pas non
plus à construire une identité stable
quand bien même à la marge : chaque
saison correspond à un événement
visuel (un geste, une incitation stylistique) bien singulier. Seul le logo de
la marque fait continuité et repère,
signant les interventions d’une Cindy
Sherman ou une image empruntée
à l’auteur de la BD David Boring de
Daniel Clowes, dans le cadre du label
« Comme des Garçons Shirt ».
Le 8 nov. 14 à 14:57, Mathieu
Buard a écrit :
Hello,
Intimidé je sais pas, mais effectivement
perplexe un peu, face à l’immensité
et la profusion des gestes, collaborations, jeux et variations autour de cette
maison. Vieille maison contemporaine
d’ailleurs – je note au passage : 1967,
61
Au milieu des années 1990, une
campagne monstre, où Sherman
n’est ni homme ni femme, ni
occidentale ni orientale, pour
inventer un exotisme absolument
inédit […]
fondation, et première boutique à
Paris, 1981 –, longévité qui s’appuie
évidemment sur cette stratégie dont
tu parles, comme si une pieuvre
tentaculaire, gracieuse et vénérable
déployait ses mille appendices sur
l’histoire contemporaine de la mode,
la production des images de la mode,
des cross-over avec d’autres, des labels,
des gammes, des matières et coupes
hors convenance, tout cela pris dans
un faisceau immense et singulier d’une
stratégie totale. Il n’y a pas un statement
chez Rei Kawakubo, il y en a une
infinité. Chaque geste me semble un
événement, et du coup, une façon de
construire. Des aphorismes cinglants,
propositions sans cesse nouvelles et
fermes ; radicale, quoi, la Kawakubo.
Alors ce nom : « Comme-desGarçons ». Le statement d’une liberté
paradoxalement sur-maîtrisée, d’un
désir qui ordonne au présent, maîtresse du temps même. Caractère radical d’une femme qui, choisissant tout,
dessine la posture d’une hyper-maîtrise
de l’esprit de sa maison (à elle seule) et
qui, dans cette stratégie de l’« hyper »,
trouve les variations et ouvertures dans
le « Comme », l’adverbe de la manière,
62
façon de laisser la place à l’invention
et aux collaborations : sollicitations
sous haute pression de ne pas décevoir le dragon. J’en fais un peu beaucoup là, mais il me semble qu’il y a
une grande ouverture tyrannique,
injonction à trouver et décaler encore
et encore. Pour reprendre ce que tu
disais : Not that kind of girl, la Kawa.
Alors du coup Lindbergh, la grâce
et le décalage, le glamour et le
non-sexuel, la beauté simple et crue.
Parfait pour CDG.
Le 9 nov. 14 à 10:53, Céline Mallet
a écrit :
Oui, « comme »… des
garçons. Soit. La manière et les
possibles, le jeu ou l’invention de soi
infiniment recommencés, et la labilité
du genre aussi, comme construction
à déconstruire. Bref, la fantaisie la plus
haute et ce que la mode a de plus haut.
Not that kind of girl en effet,
comme une traduction possible de
cette appellation programmatique
« Comme des Garçons… » si forte et
mystérieuse. Et c’est vrai, en essence,
il y a une grande hystérie du non
chez Rei Kawakubo, une manière
toujours de se porter contre, de réagir
à l’encontre des codes en vigueur, des
apparats de rigueur et tous les consensus. Ce non épidermique et réactionnaire au sens le moins conservateur
du terme, cette attitude foncièrement
réactive vertèbre ainsi paradoxalement
sa mode.
Alors oui, dans les débuts
parisiens des années 1980, Kawakubo
fait appel à Peter Lindbergh pour
saisir la grâce androgyne de ses
silhouettes. Mais ce qui m’amuse chez
elle, ce qui me fait hystériquement
rire, comme les adolescentes tout en
dents hideusement baguées et hilares
de cela même en 1989, c’est qu’elle
peut tout aussi bien proposer les culs
de trois éléphants en lieu et place des
modèles, et dans le même velouté noir
et blanc suave. La diversité des visuels
au mépris relatif des produits qui
apparaît aujourd’hui si significative
de sa communication s’élabore ainsi
en parallèle de l’emballement médiatique qui aura gagné l’ensemble du
système mode.
63
Comme des
Garçons Shirt joue
ainsi et désormais
systématiquement le rôle
de galerie d’art en pays
magazine […]
Au milieu des années 1990,
on pourrait dire que Kawakubo a déjà
tout anticipé, compris et déconstruit,
en faisant appel à Cindy Sherman
– soit à l’une des plus grandes artistes
contemporaines utilisant la photographie – pour mettre en déroute
quelques pièces et tenues de sa
collection d’alors. Une campagne
monstre, où Sherman n’est ni homme
ni femme, ni occidentale ni orientale,
pour inventer un exotisme absolument inédit ; une campagne comme
un événement médiatique et artistique
qui peut narguer de très haut toutes
les autres campagnes et les volontés
auteuristes de leurs photographes.
Comme des Garçons Shirt joue ainsi
et désormais systématiquement le rôle
de galerie d’art en pays magazine.
Le 9 nov. 14 à 12:51, Mathieu
Buard a écrit :
À fond. L’introduction de ces
exercices de style artistiques, peintures
de sujets, évoquant l’art comme la
mode, indifféremment, à pile ou face.
Faire disparaître tout, et qu’il n’y ait
plus qu’un petit garçon habillé oversize
devant une colonne de Brancusi,
contexte muséal net, silhouette floue
aux coupes nettes. Costume de ville
postmoderne pour reprendre la formule de Schuhl.
64
Oui, il y a toujours un train
d’avance chez Rei Kawakubo, de la
déconstruction à la décomplexion,
je ne suis pas celle que vous croyez.
Cindy Sherman, ces portraits où
le vêtement est porté à une limite,
du visage au masque, de la peau
à la métamorphose, du brut au
flou. Le style même devient l’apanage d’une posture d’équivalence
– et d’une proximité avec les corps,
et de viser une dégaine, une attitude.
Celles-ci, les jeunes adolescentes hilares et les bagues aux
dents (image géniale, je suis d’accord),
celles-là, des femmes mûres aux
visages marqués quasi asymétriques,
aux cheveux boursouflés d’air, crêpés
jusqu’à la mort, dramatiques, encore
oui ces éléphants qui se tiennent par la
queue, un éléphant ça trompe énormément, c’est bien connu. Ce couple
asiatique dans une ville qui semble folle
et futuriste, en mode Blade Runner pop,
et leurs silhouettes toutes faites de décalages, de glissements, de bascules, et où
l’uniforme se déplace au sens propre, le
col et les boutonnages mis sur la brèche,
déjouant la symétrie du corps, une
épaule hors manche. Et ces yeux qui
nous regardent, simplement, classiques,
désarçonnants – qui semblent dire :
« And so? So what? » Le « mais » encore un
poil narquois et tout à fait assuré. Dans
une indifférence équitable.
Car c’est ce qui est fou :
éprise de liberté, qui n’est pas celle
que l’on croit et qui dirait « mais pour
qui me prenez-vous ? » trouve toujours
l’équilibre, cette équitable justesse,
cette poésie qui frôle l’indésirable,
mais qui accapare l’œil. C’est pas
beau, and so?, c’est pas si mal, c’est
pas clair et ben justement. Alors après,
Comme des Parfums, CDG Black…
une série de décisions éditoriales qui
virent aux ellipses les plus joyeuses,
creusant le sillon d’une liberté de ton
et d’esprit. L’immédiateté comme
force, le sourire carnassier et burlesque de la femme aux colliers pour
CDG Black, cette pile de chaises mal
rangées, graphiques, et alors ?, pour
CDG Furniture en 1990… J’adore
cette image, entre le nu descendant
l’escalier, la désamorce du langage
moderne et la stabilité du nom. Rei
Kawakubo serait-elle du genre de
l’anticipation ? Genre cut et prolixe ?
Sauvage mais propre ?
Le 10 nov. 14 à 00:49, Céline
Mallet a écrit :
Genre sauvage, intellectuel
et narquois. Avec l’humour évidemment. J’adore aussi cette image du
petit garçon qui toise la colonne de
Brancusi comme on se gausse d’une
silhouette à l’avant-garde, avant de la
provoquer en duel parce qu’au fond
elle nous plaît. Rei Kawakubo montre
ici toute la distance dont elle dispose
quant à l’objet mode et quant à ses
propres vêtements, à la séduction si
bizarre et dangereuse. Lorsqu’elle fait
appel à Sherman, c’est une âme sœur
qu’elle contacte et qu’elle a reconnue.
Il faut insister sur ce que Sherman a
inventé : une manière de ne jamais
pouvoir se conformer au cliché à
l’intérieur duquel on veut bien vous
disposer. Une manière d’indisposer
le cliché. Mais une manière de dire
encore que par les clichés et les images
des autres, on est toujours altéré.
Libre, Kawakubo l’est
indubitablement. Aussi ses campagnes ne peuvent-elles plus compétitionner en termes d’espace avec
les gros bras du luxe international et
leurs stratégies de vente aux esclaves.
En revanche, et de ce coin qu’elle
a fait sien, la dame peut continuer de
rêver ces campagnes qui nous parlent
de regard plutôt que de commerce.
Une campagne de communication
pour Kawakubo équivaut à montrer
au flâneur des magazines ce qu’elle
voit et comment elle le voit. Et de
Si ses campagnes ne
peuvent plus compétitionner en termes
d’espace avec les gros
bras du luxe, la dame
peut continuer de rêver
ces campagnes qui nous
parlent de regard plutôt
que de commerce […]
nous dire que faire la mode, comme
oser une dégaine envers et contre
les autres, c’est d’abord regarder les
chignons overcrêpés des mémés, le pantalon oversize d’un jeune garçon des
années 1930, et dans un coin de ville
déraisonnablement futuriste et tout
à côté d’une sculpture ou d’un dessin
moderne ou contemporain. C’est
regarder pour se laisser toucher par
le monde, et y oser quelques aventures
très bien habillé, mais un peu basculé
quand même, histoire de signifier
une posture toujours en biais. Bref,
narquois mais sensible ; sensible mais
narquois.
Le 10 nov. 14 à 18:36, Mathieu
Buard a écrit :
La force tranquille ? La
virtuose sagace ? Je repense à la
production de carrés avec et pour
Hermès, cette décontraction à jouer
voire à jouir des formats des autres.
Je vois d’ailleurs de belles similitudes
dans l’esprit de liberté de ces deux
maisons/entités. Le détachement et
la fantaisie reposant sur des exotismes
très différents, l’un soutenant la mode
comme dépassement, CDG, et l’autre
se pensant hors mode, Hermès, et
développant chacune une intensité,
une esthétique de la perfection comme
un savoir-faire.
Le biais. Exactement, cette
virtuosité de la coupe, cette science
du tissu, de la main et de leurs décalages, le biais du biais, le fin du fin.
Entre contradiction et anticipation,
Rei Kawakubo c’est la figure d’une
liberté émancipée, sans heurt ni limite,
l’absence d’une mise en conformité
marketing. Le refus du discours lourd
et pesant de l’ADN. La folie de l’industrie poussée à sa limite. L’invention
intello, et youpi, pourquoi pas ? Que la
rudesse ou l’âpreté de son système soit
avérée ou pas, le geste comme la campagne est une guerre éditoriale gagnée
par avance, un rêve analogue devançant tout sur son passage. Et les jeunes
filles baguées se marrent encore ! Not
that kind of girls.
mathieu buard & céline mallet
Images, de haut en bas :
Campagnes Comme des Garçons SS 2010,
SS 1978, FW 2010, FW 1988, SS 1988.
© DR
65
pierre
bismuth
Interview art
« Un réalisateur, Pierre Bismuth, engage un détective privé
dans une enquête impossible à résoudre pour trouver un f a u x
r o c h e r dans le désert de Mojave. Le réalisateur n’est pas
préoccupé par l’idée de trouver le rocher, mais se sert du détective
pour créer de l’action. » Tel est le point de départ de cet entretien,
où se mêlent cinéma, sculpture et enquête de détective.
Depuis 1994, tu utilises le cinéma
comme un ready-made, de façon
instrumentale. Pour ton exposition « Ce qui n’a jamais été, ce
qui pourrait être » au musée
régional d’Art contemporain de
Sérignan, tu as créé une série de
cyclos, ces fonds verts d’instruction d’images en surimpression…
… qui sont des objets n’ayant pas de
valeur propre. Ce sont des surfaces de
projection sur lesquelles autre chose
sera rendu visible, devenant ainsi un
« espace autre ». En isolant le cyclo
et en le montrant comme un objet
à part entière, cela revient à montrer
une chose qui, normalement, n’est
pas visible. C’est un objet en attente
d’une projection.
Présentés ainsi dans l’espace,
ils acquièrent une dimension
de bas-reliefs ou de sculptures.
Oui, et leur vocabulaire formel est celui de la sculpture minimale.
Après avoir collaboré avec
Michel Gondry sur Eternal
Sunshine of the Spotless Mind et
The All-Seeing Eye, tu es en train
de finaliser ton premier film,
66
Ed Ruscha a réussi à
faire, d’un point de vue
cinématographique,
un MacGuffin comme
en parle Hitchcock :
cet objet que les
protagonistes d’un film
recherchent, les mettant
en action, et qui au final
a peu d’importance […]
Where is Rocky II? Quelle est
la genèse de ce projet ?
Il y a une dizaine d’années,
on m’a confié la cassette VHS d’un
documentaire sur Ed Ruscha, produit
par la BBC à la fin des années 1970.
On le voit travailler sur une pièce
formellement inhabituelle par rapport
à l’ensemble de son travail : un faux
rocher en résine. Plus précisément,
on le voit d’abord mettre un rocher
sur son pick-up et le ramener à son
atelier de Los Angeles. Il explique
que ce rocher s’appelle Rocky, qu’il est
en pâte à papier et que les animaux
du désert l’ont rongé. C’est à partir
de ce modèle qu’il crée un second
exemplaire en résine qu’il intitule
Rocky II, qu’il va ensuite placer dans
le désert, à l’endroit même où il avait
posé Rocky. En parlant de cette œuvre
et de ce documentaire autour de moi,
je me suis rendu compte que personne
n’en avait entendu parler. Plus les
années passaient et plus le mystère
s’épaississait. J’étais d’ailleurs content
d’avoir la cassette en ma possession,
car sinon je me serais demandé
si je n’avais pas rêvé et inventé ce
documentaire !
Rocky et Rocky II font à la fois
référence au land art et au
décor de cinéma. Ce sont de
véritables trompe-l’œil – de
l’ordre de l’illusionnisme –, qui
formellement sont, comme tu le
dis, assez éloignés de la pratique
photo­graphique et picturale
d’Ed Ruscha.
C’est sa seule sculpture. En
revanche, il y a un lien logique avec
le reste de sa production, car cette
œuvre aborde les thèmes du désert et
du cinéma qui sont très présents dans
ses peintures ; c’est également une
pièce assez humoristique, comme une
grande partie de son travail.
À quel moment as-tu rencontré
Ed Ruscha pour le questionner
à propos de cette œuvre ?
C’est en 2009, lors de son
exposition à la Hayward Gallery
de Londres, que je me suis dit qu’il
était temps de démarrer mon projet.
Seulement, il fallait que j’aie une
confirmation officielle de l’existence
de cette œuvre. Je suis donc allé à la
conférence de presse de son exposition,
en me faisant passer pour un journaliste, pour lui poser publiquement la
question sur l’existence de cette œuvre.
Il a été extrêmement surpris et a
expliqué au public ce qu’était Rocky II,
tout en précisant qu’il ne dirait pas
où l’œuvre se trouvait précisément.
Sait-il exactement où l’œuvre
se trouve ?
Je lui ai demandé s’il pensait
que quelqu’un pourrait trouver cette
œuvre. Il m’a répondu : « J’en doute,
je ne suis même pas certain de pouvoir la
retrouver moi-même, mais je vous souhaite
bonne chance. » Ce fut le point de départ
de mon film.
Pourquoi ce choix de faire
un film ?
Parce qu’avec ce rocher,
Ed Ruscha a réussi à faire, d’un
point de vue cinématographique,
consciemment ou inconsciemment,
un MacGuffin comme en parle
Hitchcock : cet objet que les protagonistes d’un film recherchent, les mettant en action, et qui au final a peu
d’importance.
Oui, c’est un prétexte au développement scénaristique qui
entraîne les protagonistes dans
des péripéties qui deviennent
plus importantes que le
MacGuffin lui-même, comme
les bijoux volés dans La Main
au collet. Ici, Rocky II est un pur
objet de fantasme.
C’est l’action que cette quête
déclenche qui est importante. C’est
par cette référence au MacGuffin que
m’est venue l’idée de faire un film.
L’œuvre de Ruscha ayant été créée
à Los Angeles dans les années 1970,
j’ai souhaité faire référence aux films
d’espionnage de cette époque-là.
J’ai alors engagé un véritable détective privé, ancien officier de l’armée
américaine à la retraite. Il n’a aucun
intérêt particulier pour l’art, ni pour
le cinéma, même s’il a déjà été consultant pour le CSI et donné quelques
renseignements aux studios hollywoodiens concernant les méthodes
de la police – ce qui est le quotidien
de beaucoup de policiers à L.A. Mis
à part cela, il n’a vraiment aucun lien
avec le cinéma et il n’a jamais été
acteur. Je l’ai officiellement engagé
sur l’enquête en novembre 2014, en
même temps qu’un duo de scénaristes
hollywoodiens : D.V. DeVincentis, qui
a notamment écrit Gross Point Blank
et High Fidelity ; et Anthony Peckham,
qui est particulièrement connu pour
le dernier Sherlock Holmes et Invictus
de Clint Eastwood.
Comment résumerais-tu
le scénario de ce film ?
Un réalisateur, Pierre
Bismuth, engage un détective privé
dans une enquête impossible à
résoudre pour trouver un faux rocher
dans le désert de Mojave. Ce dont
67
le détective n’a pas conscience, c’est
que le réalisateur n’est pas préoccupé
par l’idée de trouver le rocher, mais se
sert de lui pour créer de l’action. Il se
sert de la recherche du détective pour
écrire une histoire ; il note les éléments
de l’enquête et les communique aux
deux scénaristes pour qu’ils créent un
scénario avec.
Comment le film débute-t-il ?
Par une présentation de
Joshua Tree, l’endroit où est censé
se trouver le rocher, en évoquant
toute la mythologie de ce désert et
les événements qui s’y sont déroulés, essentiellement vers Giant Rock
– encore un rocher ! – autour duquel,
depuis 1870, ont été recensés plusieurs faits étranges : l’apparition
de galions espagnols, des ovnis, un
prospecteur d’or qui s’est construit
une maison sous un rocher, la mort
de Graham Parson, immolé, un type
qui a construit une machine pour
accéder à la vie éternelle, etc. Toute
68
J’ai alors engagé un
véritable détective
privé, ancien officier de
l’armée américaine à
la retraite. Il n’a aucun
intérêt particulier pour
l’art ni pour le cinéma
[…]
une série d’événements qui ont eu lieu
jusqu’aux années 1970, date à laquelle
Ed Ruscha va poser son premier faux
rocher. Une fois cette présentation
terminée, l’enquête du détective privé
commence.
Quelle est ta présence
au sein du film ?
Je suis très peu visible,
à l’image des clients dans les films
de détective privé, de façon très
anecdotique.
As-tu fait des rencontres
étonnantes ?
Oui ! On a rencontré la
personne qui a servi de référence au
personnage du Dude dans The Big
Lebowski ! C’était tout à fait inattendu.
Le détective a retrouvé la trace de cet
ami d’Ed Ruscha, qui se trouve être
aussi l’ami du réalisateur et scénariste
John Milius, lequel est proche des
frères Coen. Jim Ganzer a influencé le
style du Dude, la manière dont il parle,
certaines de ses expressions et le fait
qu’il fume des pétards toute la journée. C’est à Jim Ganzer que Ruscha
a demandé de réaliser Rocky II en
résine parce qu’il faisait ses planches
de surf dans cette matière.
Mis à part le détective et les scénaristes, quelle fut ton équipe ?
J’ai travaillé avec David
Raedeker, qui a été notre directeur de
la photographie. Nous avons uniquement travaillé en digital, car notre
budget ne nous permettait pas de
travailler avec de la pellicule.
Comment te positionnes-tu
face aux artistes qui intègrent
l’industrie du cinéma, ses modes
de production et de diffusion,
par fascination pour l’audience
atteinte ?
Je n’ai jamais été fasciné par
le cinéma et je m’y suis intéressé un
peu par hasard. J’ai commencé à intégrer des éléments de films dans mon
travail, car j’ai eu besoin d’un élément
sonore sans m’intéresser au film luimême. Dans Post Script et The Party,
j’ai demandé à une secrétaire de
décrire la bande-son qu’elle entendait
dans un casque et de la retranscrire
le mieux possible. Je me suis intéressé
à la sélection qu’elle a ainsi faite et
à la manière dont elle a créé quelque
chose qui semblait être de la pure description, mais qui en réalité était une
construction, une création. […] C’est
en commençant à travailler sur des
films, mais sans intérêt particulier pour
le cinéma, que je me suis retrouvé
à faire plein d’expositions sur le thème
du cinéma. C’est aussi comme cela
que j’ai rencontré Douglas Gordon.
À la différence de Douglas, qui, lui,
intégrait le sens du film dans son
travail, celui-ci ne m’intéressait pas.
J’étais comme un scientifique et mon
approche ressemblait beaucoup
J’ai dû écrire des textes
pour expliquer que le
cinéma ne m’intéressait
pas en tant que tel.
Et finalement j’ai
gagné un Oscar avec
Michel Gondry. J’ai
alors compris que
c’était foutu et que je
devais creuser davantage
cette relation […]
à ce que l’on fait en neurologie :
pour voir l’activité cérébrale de
quelqu’un, on lui met des capteurs sur
la tête et on lui projette un film pour
que cela déclenche plein de stimuli.
[…] J’ai dû écrire des textes pour
expliquer que le cinéma ne m’intéressait pas en tant que tel. Et finalement,
au moment où je parvenais à sortir de
cet univers, j’ai gagné un Oscar avec
Michel Gondry. J’ai alors compris que
c’était foutu et que je devais creuser
davantage cette relation. J’ai été pris
au piège en quelque sorte.
Penses-tu ton film comme un
documentaire, avec une certaine
volonté d’élargir la visibilité de
l’art par le cinéma ?
C’est une tentative de traiter
l’art sans avoir à éduquer les gens.
Ce n’est pas un documentaire sur
l’art ou sur un artiste. Je dirais que
c’est plutôt un jeu sur l’utilisation du
cinéma, pour « faire passer » quelque
chose qui est presque incompréhensible. Le cinéma est comme le sucre
qui enrobe les médicaments pour leur
permettre d’être avalés facilement !
Dans ce film, comme dans
une grande partie de ton travail,
la question de la mémoire,
de ses adhérences et de ses
oublis, est omniprésente.
Oui, cet élément est récurrent
dans mon travail. Je n’ai pas besoin
d’y réfléchir, mais je sais qu’il est là.
C’est tout.
Propos recueillis par
timothée chaillou
Photos : © DR
69
f magazine
Rétrovision
Image : priscillia saada
Quand on parle de magazine féminin, on fait souvent référence
à des titres très visuels, légers et aux inclinaisons commerciales à
peine voilées. Si on y aborde des sujets de psychologie ou
de société, c’est pour faire bonne mesure. La donne était un
quelque peu différente à la fin des années 70, quand dans féminin
pouvait résonner f é m i n i s t e et que la société comme la
politique étaient des terrains de discussion.
70
En janvier 1978, à quelques semaines
des élections législatives qui verront,
une fois de plus, les forces de gauche
rater de peu l’alternance et sceller
la fin du programme commun de
gouvernement établi entre le Parti
Socialiste, le Parti Communiste et les
Radicaux de Gauche, sort en kiosque
un nouveau mensuel, F Magazine.
En une de couverture du numéro un,
Claire Bretécher, la bédéiste rebelle,
cofondatrice avec Gotlib et Mandryka
du périodique de bandes dessinées
L’Écho des savanes, exhibe un tatouage
sur l’épaule figurant « Cellulite »,
l’une de ses héroïnes. Avec pour titre
« L’humour change de sexe ». Le ton
est donné, F Magazine va célébrer les
femmes qui veulent faire bouger la
société.L’avocate et militante féministe,
Gisèle Halimi fait la une du numéro
deux, et le numéro trois propose la
benjamine des candidats à la députation, Annette Chepy.
Pour ses fondatrices, la
journaliste Claude Servan Schreiber
et l’écrivaine féministe Benoîte Groult,
il s’agit de concevoir une autre forme
de presse à destination des femmes
et de faire un journal sur les femmes.
L’envie de certains journalistes de
contrôler l’environnement dans lequel
sont publiés leurs articles contribue, en cette fin des années 1970, à
l’émergence de nouveaux journaux.
Bénéficiant de par le nom qu’elle
porte d’un tissu de relations dans le
monde de la presse et de ses financeurs, Claude Servan Schreiber se
lance dans l’aventure. Avec une
certaine idée de la femme et du journalisme. La décennie qui s’achève a
vu le développement du mouvement
féministe où, à l’instar de la société
en général, l’on voit se refléter les
fractures idéologiques du moment.
Fin 1977, six nouveaux titres de la
presse féminine sont inventés. Trois
revues périodiques, Questions féministes,
Les Cahiers du féminisme et La Revue d’en
face, ainsi que trois mensuels, Histoires
d’elles, Des femmes en mouvement et
F Magazine. Des journaux qui se font
les porte-voix des revendications du
mouvement féministe militant.
71
Fin 1977, six nouveaux titres de
la presse féminine sont inventés,
dont Questions féministes, les Cahiers
du féminisme et La revue d'en face […]
72
73
F Magazine souhaite parler du
changement des femmes dans
le regard qu'elles ont d'ellesmêmes, qu'elles ont sur la société
et dans leur rapport au travail
[…]
À l’exception de F Magazine,
que Claude Servan Schreiber définit comme un journal grand public
qui cherche un lectorat au sein de
cette mouvance, mais qui s’adresse
à un lectorat bien au-delà des seuls
cercles militants. F Magazine souhaite
parler du changement des femmes
dans le regard qu’elles ont d’ellesmêmes, qu’elles ont sur la société et
dans leur rapport au travail, à leur
employeur et à la famille. F Magazine
s’engage aussi dans une critique de
la presse féminine traditionnelle qu’il
considère comme peu réactive face
au bouleversement sociétal, provoqué par les femmes elles-mêmes et
qui leur a permis d’autres formes
d’émancipation. F Magazine veut
traduire ces changements dans son
sommaire, et les articles et reportages qu’il propose. Hors de tout
catéchisme ou mot d’ordre militant,
de tout parti, F Magazine exprime et
témoigne comment les femmes vivent
aujourd’hui, de ce qu’elles pensent,
de ce qu’elles espèrent, de ce qui fait
leurs victoires ou leurs échecs. La vie
professionnelle des femmes devient un
des axes rédactionnels important. Aux
cotés de Claude Servan Schreiber et
Benoîte Groult, on trouve uniquement
des femmes dans le comité de rédaction : la journaliste Nicole Chaillot,
l’animatrice et productrice radio Paula
Jacques, Françoise Rondon-Salmon,
entre autres.
74
F Magazine se compose, sur
100 pages, de sept grandes ouvertures rédactionnelles titrées : Paroles
de femmes, Dialogue, Faire face,
Magazine – redécoupée en huit sousrubriques, dont vie publique, professionnelle, moderne, personnelle et vie
culturelle –, Psychologie, Document,
pour finir par celle de Benoîte Groult,
qui clôt le magazine par son éditorial.
La direction artistique est assurée
par Claudine Maugendre, ancienne
graphiste puis directrice de la photo à
Actuel, où elle œuvrait à la conception
expérimentale du mensuel de l’underground français.
La maquette de F Magazine
opte pour l’élégance et l’impression
en noir d’un nombre important de
photographies. Ici, point des expériences psychédéliques qui ont caractérisé la presse alternative et militante
de la décennie. Pour satisfaire les
annonceurs, une partie du magazine,
dont la couverture, est imprimée
en quadrichromie sur un papier
semi-mat. Un cahier, contenant les
ouvertures Faire face et Psychologie,
est imprimé en bleu sur du papier
bouffant. Claudine Maugendre
développe le chemin de fer selon une
grille de quatre colonnes, appuyant
le texte courant vers le bas et laissant
en haut un blanc qui permet d’aérer
titres et chapôs.
La seule concession idéologique à l’humeur militante du
moment est l’utilisation de la fonte
de caractères, créée par Joel Kaden
et Tony Stan pour ITC, l’American Typewriter, dont se servent
le quotidien Libération et bon
nombre de publications alternatives.
Claudine Maugendre l’utilise pour
le « F » du titre, l’ensemble des titres
des rubriques et articles, ainsi qu’en
lettrine et point de fin des textes.
Magazine intellectuel et
engagé, il reste néanmoins à la marge
du mouvement féministe, qui rejette sa
vision trop « bourgeoise » des faits. Le
concept d’une autre presse féminine,
défendu par Claude Servan Schreiber,
n’atteint pas son objectif. Les lectrices ne suivent pas et, au début des
années 1980, les financeurs exigent
une refonte du support avec plus de
rédactionnel mode et consommation.
Jean Bayle est consulté comme directeur artistique. Le journal ayant perdu
une partie de son ADN, F Magazine
s’arrête en février 1982.
pierre ponant
Images : F Magazine, février 1978, octobre
1979, janvier 1981
mode
sasha & daisy
Photographie : Linda Brownlee, stylisme : Ruth Higginbotham
connections
Photographie : Michal Pudelka, Stylisme : Arabella Mills
arthur elgort
Proposé par Patrick Remy
sasha & daisy
Photographie : Linda Brownlee
Assistée de Ellie Smith et Suzie Howell
Stylisme : Ruth Higgainbotham
Assistée de Rose Charlesworth
Coiffure : Hiroshi Matsushita
Maquillage : Celine Bopp
utilise Murad et Inika Cosmetics Mannequins : Sasha chez Select models
Daisy chez Select models
Sasha : Top M a x M a r a
Daisy : Top M a r n i
Sasha : White knit polo B e y o n d R e t r o ,
Trousers D i o r
Daisy : White Polo U n i q l o ,
Sweater V a l e n t i n o
Sasha : Top M a r n i , skirt M a x M a r a
Daisy : Chiffon Dress M a r n i
Daisy : Dress S i m o n e R o c h a ,
Polo U n i q l o
Sasha : Pant Suit G a l l i a n o
Dress M a r n i
Vintage polo B e y o n d R e t r o
Polo B e y o n d R e t r o , skirt C e l i n e
Dais y: Vintage dress B e y o n d R e t r o
Skirt and shirt N o m i a ,
Pants R a q u e l A l l e g r a ,
Shoes T e r e t B a n t i n e
Robes L a n v i n
Top rayé S a c a i
Lunettes C h l o é
connections
Photographie : Michal Pudelka chez Katy Barker
Assisté de Marek Puc et Jergus Krizak
Stylisme : Arabella Mills
Assistée de Frederic Chane-Sy
Ainsi que de Camilla Ashworth et Caitlin Moriarty
Coiffure : Philippe Tholimet chez Streeters pour Rahua
Maquillage : Jenny Coombs
Manucure : Saffron Goddard
Mannequin : Mickala Mitchell chez NEVS
Zoey Key chez NEVS
Rebecca S chez MILK models
Sabina P chez MILK models
Robes D i o r
Robes C h l o é
Chaussettes F a l k e
Chaussettes courtes E m i l i o C a v a l l i n i
Sandales M a r c b y M a r c J a c o b s
Robes C é l i n e
Robe P r a d a
Vestes, tops, pantalons C h a n e l
Escarpins L a n v i n
Chaussettes F a l k e
Robe M a r c b y M a r c J a c o b s
Sandales C h r i s t i a n L o u b o u t i n
Chaussettes A m e r i c a n A p p a r e l
Vestes et leggings M a r c J a c o b s
Robes H o u s e o f H o l l a n d
Collants et chaussettes E m i l i o C a v a l l i n i
Sandales C h r i s t i a n L o u b o u t i n
arthur elgort
Pour durer dans la photographie de mode, faut-il ne pas se prendre au
sérieux et avoir une bonne dose d’humour ? Arthur Elgort est américain,
mais est passé par Paris, Londres, avant de revenir à New York, la ville
où il est né en 1940. Elgort est un dinosaure, l’un des derniers, il
représente un âge d’or de la photographie de mode, où toute l’équipe
(plus de dix personnes en moyenne) pouvait aller shooter sur la rivière
Li en Chine, dans la savane africaine, en Inde à dos d’éléphant, Kate
Moss au Népal ou tout simplement arpenter l’Irlande, l’Écosse ou la
campagne britannique ! De grosses productions, dont il résulte des images
cultes, souvent naturelles… On y sent la bonne humeur, l’instantané que
les pellicules argentiques permettaient. Et de la lumière naturelle ; qui
shoote encore sans flash ? Avec Arthur Elgort, la frontière entre éditorial
et photographie personnelle s’est estompée, de nombreuses images
ont été prises en marge de shootings, comme celle archi-connue d’une
femme qui marche dans une rue de New York passant sous un auvent
d’immeuble et regardée par le portier assis sur une voiture, il s’agit d’une
maquilleuse, Wendy Whitelaw, qui s’éloigne sur Park Avenue.
« L’avantage avec la photographie, c’est que lorsque personne n’est prêt, que
le maquilleur prend trop de temps, ou que le coiffeur tergiverse, vous pouvez toujours
prendre une photo de quelqu’un ou de quelque chose d’autre. J’ai pris des centaines
de mes photos les plus réussies alors qu’à proprement parler je ne travaillais pas : le
mannequin en train de se préparer, des gens dans la rue, un instant volé entre deux
shoots, c’est pendant ces moments-là que vous pouvez vraiment saisir la vérité des êtres.
Ce sont des instants pendant lesquels on ne peut pas tricher. »
Ce livre est une plongée en plus de 400 pages dans son monde,
sans nostalgie, mais un monde qui s’en va… Alternant snapshots,
reportages, portraits, on y croise des mannequins, mais aussi de
nombreux artistes. Chaleur et humanité peuvent définir ses images ;
ça existe encore ? Disons que c’est devenu plus rare.
patrick remy
Arthur Elgort, introduction de Grace Coddington, texte de Martin Harrisson,
version française. Éd. 7L – Steidl.
magazine
114
magazine
115
1. Gail, Yasmin, Christy & Linda, 1987, New York.
2. Azzedine Alaia show, 1986, Paris.
3. Aly Dunne and Marpessa, 1988, Paris.
4. Isabelle Townsend, 1987, Miami Beach.
5. Robin Mackintosh, 1988, Rome.
6. Karen Elson, 2003, New York.
7. Nadja Auermann, 1995, New York.
Toutes les images © DR.
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-- États-Unis,
40
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eurosEurope
Europe
35
euros
États-Unis,
Asie
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Ou
Ou
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l’ordre
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Ou
par
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l’adresse
suivante
Oupar
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chèque,ààààl’ordre
l’ordred’ACP
d’ACPààààl’adresse
l’adressesuivante
suivante::::
Ou
par Magazine,
chèque, à l’ordre
d’ACP àdel’adresse
suivante : Paris
ACP
ACP
32
boulevard
Strasbourg,
75010
ACP
Magazine,
32
boulevard
de
Strasbourg,
75010
Paris
ACP––––Magazine,
Magazine,32
32boulevard
boulevardde
deStrasbourg,
Strasbourg,75010
75010Paris
Paris
ACP
– Magazine,
32 boulevard
de Strasbourg,
75010
Paris
Magazine
n°
14
décembre,
janvier,
février
paraîtra
le
Magazine
17,
septembre,
octobre,
novembre
paraîtra
le 1er septembre 2014
Magazine
n°
19,
mars,
avril,
mai
paraîtra
le
2
mars
2015
Magazine n° 20, juin, juillet, août paraîtra le 6 juin 6 décembre.
Magazine n° 20, juin, juillet, août paraîtra le 6 juin 2015
PROCHAIN NUMÉRO
JANVIER / FÉVRIER 2015
É:223
Young people. Be careful. Beautiful things are disappearing
every day. Be careful… You don't need to be shopping
at fast fashion stores. You should even wear simple jeans
and a T-shirt. It's enough. Don't be too much fashionable…
The brand advertising is making you crazy. You don't need
to be too sexy. You are sexy enough.
Yamamoto
Yohji Yamamoto
« Jeunes gens. Attention. De belles choses disparaissent chaque jour. Faites attention… Vous n’avez pas besoin de consommer dans les
boutiques de fast fashion. Vous ne devriez porter qu’un simple jean et un t-shirt. Ça suffit. Ne soyez pas trop à la mode… La publicité des
marques vous rend fous. Vous n’avez pas besoin d’être aussi sexy. Vous êtes assez sexy. »
Photography will make
painting obsolete
16,80 €
SORTIE LE 7 JANVIER
Gustave Flaubert
« La photographie rendra la peinture obsolete »
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m a g amagazine
zmagazine
i n e no13
magazine
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Agenda
printemps 2015
mars
4 mars au 9 mai
Pendant cette fashion week,
la Galerie des Galeries
présente « A r l e q u i n e »,
une exposition de l’artiste
Karina Bisch combinant
peinture, motifs et textile.
Galeriedesgaleries.com
5 au 8 mars
C’est au tour de l’Armory
Show dans la ronde des
f o i r e s d’art contemporain.
Il vous manquait une excuse
pour aller à New York ?
Thearmoryshow.com/
8 mars au 7 juin
Pendant que vous êtes à
New York, profitez-en pour
aller visiter l’exposition
consacrée à B j ö r k au
MoMA reprenant tous les
aspects de sa production.
Moma.org/
8 mars au 23 août
Exposition « Jeanne
L a n v i n » à Galliera,
reprenant 100 modèles de
la créatrice de la marque
développée aujourd’hui par
Alber Elbaz.
Palaisgalliera.paris.fr/
11 mars au 14 juin
« Piero F o r n a s e t t i : la folie
pratique », expo consacrée au
peintre et décorateur dans la
nef des Arts Déco.
Lesartsdecoratifs.fr/
12 mars au 12 avril
Biennale internationale de
design de S a i n t - É t i e n n e
consacrée au sens du beau…
Biennale-design.com/
14 mars au 2 août
Pour voir l’exposition
rétrospective « S a v a g e
B e a u t y » consacrée à
Alexander McQueen, il faut
aller à Londres, au V&A.
Vam.ac.uk/
magazine
122
19 mars au 19 juillet
« Yves Saint Laurent 1 9 7 1,
la collection du scandale ».
Exposition imaginée par
Olivier Saillard, au titre
explicite, à la fondation
Pierre Bergé.
Fondation-pb-ysl.net/
25 au 29 mars
Semaine des f o i r e s avec
Art Paris au Grand Palais
et PAD Paris au Jardin des
Tuileries, Drawing Now Paris
au Carreau du Temple et
DDessin à l’Atelier Richelieu.
Artparis.fr/
Pad-fairs.com/
Drawingnowparis.com/
Ddessinparis.com/
avril
1er avril au 3 août
Exposition rétrospective
« J e a n P a u l G a u l t i e r »
au Grand Palais, après que le
créateur ait décidé de cesser
le prêt-à-porter.
Grandpalais.fr/
2 avril au 28 mai
Cycle de films sur le thème
du b l e u . De Pierrot le Fou
à La Chambre bleue d’Amalric,
de Blue Velvet à Kieslowski.
Forumdesimages.fr/
3 avril au 16 août
Exposition « Oracles du
d e s i g n » à la Gaîté
Lyrique, à partir de la
collection du Cnap organisée
autour de dix thèmes par la
commissaire Li Edelkoort.
Gaite-lyrique.net/
8 avril au 19 juillet
Exposition « a n t o n i o n i »
à la Cinémathèque : archives,
rencontres et rétrospective
intégrale.
Cinematheque.fr/
10 au 12 avril
Rendez-vous du S a u t
H e r m è s au Grand Palais :
6 épreuves, 4 000 spectateurs
et une retransmission sur le
parvis de l’Hôtel de Ville.
Sauthermes.com/
14 au 19 avril
Salon du Meuble de
M i l a n : du in, du off, des
rencontres, des questions et
des images qui s’impriment
dans la mémoire, si tout va
bien…
Salonemilano.it/
15 avril
Every Thing Will Be Fine de
Wim W e n d e r s , 2015,
118’. Retour du cinéaste
allemand avec une fiction
qui fait penser à ses débuts.
James Franco et Charlotte
Gainsbourg au générique.
En salles.
17 au 26 avril
Festival S e r i e s Mania,
6e du nom, devenu un
rendez-vous prisé, dès lors
que les bons scénaristes
y ont fait leurs preuves.
Forumdesimages.fr/
23 au 27 avril
30e anniversaire du festival
de H y è r e s , dont la
direction artistique est
en cette occasion assurée
pa Chanel. Mais où est
Jean-Pierre ?
Villanoailles-hyeres.com/
29 avril au 3 août
Exposition « Mesure de
l’homme » à Beaubourg
consacrée à L e C o r b u s i e r ,
en référence à son Modulor.
Centrepompidou.fr/
mai
1er au 3 mai
Paris Photo Los Angeles,
2e. La f o i r e se tient dans
les studios de la Paramount
et compte bien faire son trou
sur la côte ouest.
Parisphoto.com/
13 au 24 mai
C’est l’heure de C a n n e s ,
68e édition, avec les frères
Coen en MC. Soirées,
sponsors et projections.
Festival-cannes.com/
13 mai au 30 août
« Images à la charge, la
construction de la p r e u v e
par l’image », ou des photos
sans auteur : vues aériennes,
scènes de crime…
Le-bal.fr/
22 au 24 mai
Première édition du
salon MAD (M u t i p l e
A r t D a y ) organisé
par le Cneai à la Maison
Rouge et rassemblant une
série d’éditeurs d’objets
manufacturés : livres, vidéos,
meubles…
Cneai.com/
28 au 31 mai
Les Puces du Design se
consacrent au mobilier
paysager, comprendre
l’o u t d o o r ou les meubles
de jardin, piscine, etc. Bon,
c’est à Bercy Village, qui est
un faux paysage…
Pucesdudesign.com/
28 mai au 7 juin
Reprise de la Q u i n z a i n e
des réalisateurs cannoise dans
son intégralité.
Forumdesimages.fr/
Jusqu’au 19 juillet
Dries Van Noten, inspiration.
Vous avez manqué l’expo
aux Arts Déco ? Séance
de r a t t r a p a g e au musée
de la Mode d’Anvers.
Momu.be/
D A N S L’ Œ I L D U F L  N E U R
Hermes.com