Ordonnance RG n° 10/00153

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Ordonnance RG n° 10/00153
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Minute n° 14/222
Tribunal de Grande Instance
de LA ROCHE SUR YON
Le 27 octobre 2014
DECISION EN lA FORME DES REFERES
Dossier n° 14/00153
OOA
rendue le 27 octobre 2014 par Monsieur Alain VANZO,
président,
assisté de Madame Martine BERLAND, greffière,
DEMANDERESSE:
Association loi 1901
"MOUVEMENT POUR lA
LIBERTE DE LA
PROTECTION SOCIALE
(MLPS)
Association loi 1901 "MOUVEMENT POUR LA LIBERTE
DE LA PROTECTION SOCIALE (MLPS),
dont le siège social est sis 165 rue de Rennes - 75006
PARIS
CI
prise en la personne de son président, Monsieur Claude
REICHMAN
représentée par Maître Ana Cristina COIMBRA, avocat au
barreau de POITIERS, intervenant à I'audiencede plaidoirie
CAISSE NATIONALE DU
REGIME SOCIAL DES
INDEPENDANTS
DEFENDERESSE:
CAISSE
NATIONALE
DU REGIME
SOCIAL
DES
INDEPENDANTS, personne morale de droit privé ayant le
numéro SIREN 491 061 966,
dont le siège social est sis 260/264 avenue du Président
Wilson - 93457 LA PLAINE SAINT DENIS CEDEX
prise en la personne de son représentant légal
ayant pour avocat Maître Alain BENSOUSSAN, avocat au
barreau de PARIS, substitué par Maître Virginie BRULE
intervenant à l'audience de plaidoirie
correspondant: SCP CIRIER
DEBATS:
L'affaire a été évoquée à l'audience du 06 octobre 2014 et
mise en délibéré au 27 octobre 2014 par mise à disposition
au greffe.
14/00153 - 111
EXPOSE DU LITIGE
Le 17 mai 2014, à LA ROCHE-SUR-YON, s'est tenue une réunion d'information
intitulée "comment quitter la Sécurité sociale", animée par Monsieur, Claude
REICHMAN, présidentde l'association MOUVEMENT POUR LA LIBERTE DE LA
PROTECTION SOCIALE, ci-après dénommée association MLPS.
Par ordonnance du 15 mai 2014, signifiée à l'association MLPS le 17 mai suivant,
le président du tribunal de grande l'instance de LA ROCHE-SU~-YON, saisi sur
requête de la CAISSE NATIONALE DU REGIME SOCIAL DES INDEPENDANTS, ciaprès dénommée CNRSI, a autorisé celle-ci, sur le fondement de l'article 145 du
Code de procédure civile, à requérir un huissier de justice afin notamment de :
- se rendre à la réunion d'information,
- indiquer l'identité des intervenants à la réunion,
- retranscrire par tout moyen les propos tenus lors de la réunion,
- recueillir les déclarations que pourraient faire les participants ou toute personne
ayant organisé la réunion ou intervenant lors de celle-ci,
- de manière générale, constater tout élément permettant de décrire la situation, en
particulier:
· que Monsieur REICHMAN anime la réunion,
· que lors de cette réunion, les participants sont incités à se désaffilier des
régimes de protection sociale,
· que les intervenants nient le monopole de la Sécurité sociale,
· que les interventions ont pour objectif d'expliquer la marche à suivre pour ce
désaffilier de la Sécurité sociale. ;
- dresser procès-verbal des constatations effectuées.
En exécution de cette ordonnance, Maître Stéphane GRANGER, huissier de justice
associé à LA ROCHE-SUR-YON, s'est rendu à la réunion et a dressé un procèsverbal de constat.
Suivant acte d'huissier du 10 juillet 2014, l'association
MLPS a fait assigner la
CNRSI en référé-rétractation devant le président du tribunal de grande instance.
A l'audience, elle demande à ce magistrat de rétracter son ordonnance et de
condamner la CNRSI au paiement d'une indemnité de 50.000 euros pour procédure
abusive, outre 2.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure
civile.
Elle soutient essentiellement que:
-la CNRSI n'a pas, en dépit d'une demande en ce sens, communiqué ses statuts et
la preuve de son inscription au Conseil supérieur de la mutualité, alors qu'elle est
régie par le Code de la mutualité et qu'à peine de dissolution, son inscription au
registre prévu à l'article L.411-1 de ce code est obligatoire;
- elle doit donc, en application de l'article 59 du Code de procédure civile, être
déclarée irrecevable en sa défense et sa requête doit être déclarée nulle pour
irrégularité de fond en vertu de l'article 117 du même code; à défaut, la CNRSI doit
être déclarée irrecevable en ses demandes pour défaut de droit d'agir;
- la requérante a, dans sa requête, trompé la religion de la juridiction sur des points
essentiels:
14/00153 - 2/9
· elle n'a pas indiqué que la réunion du 17 mai 2014 était privée, alors que la
réservation était obligatoire et qu'une participation de 10euros par personne était
demandée pour la location de la salle; en imposant la présence d'un huissier pour
yenregistrer les propos tenus aux fins de poursuite, l'ordonnance querellée a porté
atteinte au respect de la vie privée, à la liberté de réunion et à la liberté d'expression;
· elle ne s'est pas présentée comme un organisme régi par le Code de la
mutualité, n'ayant pas qualité à agir faute d'avoir sollicité son inscription au registre
prévu à l'article L.411-1 de ce code;
· elle a prétendu à tort que le régime de sécurité sociale français serait un régime
légal et ne relèverait pas de l'application des dispositions du droit communautaire,
alors qu'il s'agit d'un régime professionnel (arrêt "Podesta" de la CJCE du 25 mai
2000) ;
· elle a soutenu l'existence d'un monopole de la Sécurité sociale, pourtant
supprimé en France par les directives européennes 92/49/CEE et 92/96/CEE,
entièrement transposées dans le droit français;
· elle a dissimulé les conséquences en France de l'arrêt de la CJUE du 3 octobre
2013, à savoir que les relations entre les caisses de Sécurité sociale et leurs affiliés
sont régies par le Code de la consommation, qui exige la conclusion d'un contrat
entre le professionnel et le consommateur et prohibe les pratiques commerciales
agressives;
-l'ordonnance sur requête a été rendue en violation des articles 493 et suivants du
Code de procédure civile : la requête n'a pas été accompagnée de pièces
essentielles à sa recevabilité (tels les documents permettant de prouver l'existence
juridique de la CNRSI), l'ordonnance n'est pas motivée et la dérogation au principe
de la contradiction n'était pas justifiée;
- la procédure engagée par la CNRSI, qui a saisi d'autres juridictions de requêtes
identiques, est abusive, son objectif étant de rendre difficile ou impossible l'exercice
de droits essentiels et d'imposer à l'association MLPS de lourdes dépenses pour
assurer sa défense, qui mettront en péril son existence.
La CNRSI conclut au rejet de la demande de rétractation et à l'allocation d'une
indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure
civile.
Elle réplique essentiellement
que:
.
-les caisses du RSI ont accompli les formalités imposées par les textes pour assurer
leur existence légale, la CNRSI n'étant pas tenue d'être inscrite sur le registre
national des mutuelles prévu à l'article L.411-11 du Code de la mutualité dans sa
rédaction ancienne, ni d'établir des "statuts" ;
- la réunion du 17 mai 2014 était publique et l'atteinte à la vie privée, à la liberté de
réunion et à la liberté d'expression n'est pas démontrée, dès lors que Monsieur
REICHMAN a autorisé l'huissier à assister à la réunion et a informé les participants
de sa présence, que ceux-ci se sont librement exprimés et que les réunions
d'information de ce type sont largement filmées et diffusées sur internet;
- le monopole de la Sécurité sociale n'est pas remis en cause, dès lors que les
directives 92/49/CEE et 92/96/CEE ne concernent pas les assurances comprises
dans les régimes nationaux de sécurité sociale, que la CJUE, dans son arrêt du 3
octobre 2013, ne s'est pas prononcée sur cette question et que l'article 153 4. du
Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne porte pas atteinte à la faculté
reconnue aux Etats membres de définir les principes fondamentaux de leur régime
de sécurité sociale;
14/00153 - 3/9
-les circonstances de l'espèce justifiaient de déroger au principe de la contradiction,
car si les organisateurs et animateurs de la réunion d'information avaient été
informés de la venue d'un huissier, ils auraient pu annuler la réunion ou en modifier
le contenu;
- la liste des pièces invoquées - des constats sur internet - a été annexée à la
requête; la CNRSI n'avait pas à produire la preuve de son inscription sur un registre,
puisque les caisses ne sont pas tenues à l'accomplissement de cette formalité;
- elle a décidé d'engager des poursuites judiciaires à l'encontre des organisateurs
et animateurs des réunions, car elle ne peut laisser se poursuivre l'annonce et
l'organisation de réunions qui ont pour objectif d'inciter les assujettis à refuser de se
conformer aux prescriptions de la Sécurité sociale, délit prévu et réprimé par l'article
L.114-18 du Code de la sécurité sociale.
Chacune des parties a produit une note en délibéré qui, faute d'avoir été autorisée
par le juge, doit être rejetée, conformément aux dispositions de l'article 445 du Code
de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il doit être rappelé que l'article 59 du Code de procédure civile
impose au défendeur, s'il s'agit d'une personne morale, de faire connaître notamment
sa forme, à peine d'être déclaré irrecevable en sa défense.
Dans ses écritures, la CNRSI a indiqué être "un organisme de sécurité socia/e de
droit privé régi par les erictes L 611-3 et L 611-4 et suivants du Code de /a sécurité
socia/e", ce qui est conforme aux dispositions de l'article L.611-3, qui qualifie la
caisse nationale et les caisses locales du régime social des indépendants
d"'organismes de sécuritésocia/e dotés de la personnalité morale et de l'autonomie
financière" et d'''organismes de droit privé chargés d'une mission de service public".
L'exigence posée par le texte précité a donc été respectée en l'espèce, de sorte que
la sanction qu'il prévoit ne saurait trouver application.
En vertu de l'article 497 du Code de procédure civile, le juge saisi d'une demande
de rétractation d'une ordonnance sur requête, qui détient les mêmes pouvoirs que
ceux dont disposait l'auteur de l'ordonnance contestée, doit, à la lumière du débat
contradictoire que permet le référé-rétractation, statuer sur les mérites de la requête.
Au cas d'espèce, il convient, eu égard aux moyens soulevés par l'association MLPS,
de déterminer successivement si la CNRSI avait la capacité d'ester en justice, si la
requête et l'ordonnance ont été suffisamment motivées, s'il devait être dérogé au
principe de la contradiction et, enfin, si les conditions énoncées à l'article 145 du
Code de procédure civile pour ordonner un constat ont été respectées.
En premier lieu, l'ordonnance n° 2005-1528 du 8 décembre 2005 a créé un régime
social des travailleurs indépendants dénommé "régime social des indépendants", qui
s'est substitué aux régimes d'assurance vieillesse, invalidité-décès des professions
artisanales, industrielles et commerciales et au régime d'assurance maladie et
maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles.
L'article 1er de cette ordonnance a créé au livre VI du Code de la sécurité sociale un
titre 1er intitulé "régime social des indépendants" (articles L.611-1 et suivants).
L'article L.611-3 du Code de la sécurité sociale confie la gestion du régime social
des indépendants à une caisse nationale et à des caisses de base.
14/00153 - 4/9
L'organisation,
le fonctionnement,
les mrsstons et le rôle de ces caisses
gestionnaires sont déterminés exclusivement par le Code de la sécurité sociale,
aucun renvoi n'étant opéré sur ces points au Code de la mutualité, qui, quant à lui,
régit les mutuelles.
De plus, alors que les caisses gestionnaires du régime social des indépendant sont
qualifiées par la loi, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, d'organismes de sécurité sociale
dotés de la personnalité morale et de l'autonomie financière et d'organismes de droit
privé chargés d'une mission de service public, l'article L.111-1 du Code de la
mutualité qualifie les mutuelles de personnes morales de droit privé à but non
lucratif.
Enfin, les rôles respectifs de la CNRSI et des mutuelles ne sont pas identiques, le
rôle de la première étant énoncé à l'article L. 611-4 du Code de la sécurité sociale,
celui de la seconde l'étant à l'article L. 111-1 du Code de la mutualité.
II en résulte que la CNRSI n'est pas une mutuelle.
Partant, elle n'avait pas à se conformer aux dispositions de l'ordonnance n° 2001350 du 19 avril 2001, qui prévoit, en son article 4, que les mutuelles, unions et
fédérations créées avant la publication de ladite ordonnance disposaient d'un délai
d'un an pour se conformer aux dispositions du code de la mutualité et, en son article
5, que ces organismes qui n'auraient pas accompli les démarches nécessaires à leur
inscription au registre prévu à l'article L.411-1 du Code de la mutualitédans ce délai
seraient dissous et devraient cesser toutes les opérations qui n'étaient pas
nécessaire à la liquidation.
La CNRSI avait dès lors la capacité d'ester en justice, étant ajouté qu'elle n'a donc
pas trompé la religion du juge des requêtes à cet égard.
En conséquence, la requête aux fins de constat ne saurait être annulée pour
irrégularité de fond en application de l'article 117 du Code de procédure civile.
L'association MLPS procédant, dans ses conclusions, à une confusion entre défaut
de capacité d'ester en justice et défaut de qualité à agir, il sera précisé que la CNRSI
a nécessairement qualité à agir pour déposer une requête destinée à assurer la
préservation de ses intérêts, de sorte que l'article 122 du Code de procédure civile
est également inapplicable.
En deuxième lieu, les articles 494 et 495 du Code de procédure civile imposent
respectivement une motivation de la requête et une motivation de l'ordonnance
rendue sur requête.
Or, d'une part, la requête de la CNRSI était accompagnée des pièces indispensables
à son examen, les documents permettant de prouver l'existence de la Caisse n'étant
pas nécessaires, dès lors que cette existence n'apparaît pas contestable.
D'autre part, l'ordonnance ayant visé la requête, elle en a adopté les motifs et a
satisfait ainsi à l'exigence de motivation.
En troisième lieu, il résulte
ordonnance sur requête ne
fondé à ne pas appeler de
lorsque les circonstances
contradictoirement.
de l'article 493 du Code de procédure civile qu'une
peut être rendue que dans les cas où le requérant est
partie adverse ou, selon l'article 812 du même code,
exigent que des mesures ne soient pas prises
Tel est le cas lorsque l'efficacité de la mesure ordonnée par le juge est conditionnée
par l'effet de surprise qué permet le recours à une procédure non contradictoire.
14/00153 - 5/9
Or, la CNRSI soutient avec raison que si les organisateurs de la réunion du 17 mai
2014 avaient été prévenus de la commission d'un huissier, ils auraient pu l'annuler
ou en modifier le contenu pour éviter que les propos tenus ne soient constatés, de
sorte qu'une dérogation au principe de la contradiction était pleinement justifiée.
En quatrième lieu, le juge qui ordonne sur requête une mesure d'instruction in
futurum doit respecter les termes de l'article 145 du Code de procédure, qui
dispose: "sil existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la
preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction
légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur
requête ou en référé".
D'une part, en soutenant que le magistrat a, en autorisant des constatations par un
huissier, violé plusieurs libertés et droits fondamentaux, l'association MLPS conteste
que la mesure ordonnée ait été légalement admissible.
Pour conclure d'abord à une atteinte à la vie privée, elle prétend que la réunion du
17 mai 2014 avait un caractère privé.
Le critère qui prévaut pour faire le départ entre réunions privées et réunions
publiques est celui du caractère nominatif de l'invitation, l'accès à une réunion privée
étant réservé à des. personnes nommément désignées.
Or, il est constant que les participants à la réunion du 17 mai 2014 n'ont pas été
invités nominativement,la
réunion ayant été annoncée sur des sites internet
librement accessibles et ayant été ouverte à tous, sur inscription par internet.
Dans ces conditions, la réunion était publique, peu important que la réservation ait
été obligatoire et qu'une participation financière pour la location de la salle ait été
réclamée.
L'association MLPS est donc mal fondée à arguer d'une atteinte à la vie privée.
" n'a pas davantage été porté atteinte à la liberté de réunion, dans la mesure où la
présence d'un huissier n'a nullement entravé la tenue de la réunion.
" en est enfin de même de la liberté d'expression, ni Monsieur REICHMAN ni le
public n'ayant été empêchés de s'exprimer librement.
En tout état de cause, si l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen et l'article iOde la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales,
dont excipe l'association
MLPS,
reconnaissent la liberté d'expression, le premier de ces textes réserve "l'abus de
cette liberté dans les cas déterminés par la lor, tandis que le second précise que son
exercice peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions
prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, notamment à la défense de l'ordre et à la prévention du crime.
Or, la CNRSI prétend que l'incitation à la désaffiliation des assujettis constitue une
infraction pénale, de sorte que, si tel est le cas, la liberté d'expression doit s'effacer
devant l'impératif du respect de l'ordre public.
D'autre part, il convient de rechercher sl la CNRSI avait un motif légitime de solliciter
une mesure d'instruction avant tout procès.
Le caractère légitime de la demande se déduit du constat qu'elle présente un certain
intérêt et que les allégations de son auteur ne sont pas imaginaires, rnais présentent
au contraire une certaine vraisemblance.
14/00153 - 6/9
S'il incombe au demandeur d'apporter les justifications de cet intérêt dans la
perspective d'un litige possible, il ne peut donc être exigé de lui, dans le cadre de
cette procédure, qu'il établisse le bien-fondé de sa prétention.
En l'espèce, il appartient à la juridiction de vérifier si la CNRSI a produit des
éléments tendant à prouver la persistance du monopole de la Sécurité sociale, que
conteste l'association MLPS :
En droit interne, l'article L.111-1 du Code de la sécurité sociale pose le principe de
l'affiliation à un (ou plusieurs) régime(s) obligatoire(s) de sécurité sociale et l'article
L. 111-2-2 prévoit que, sous réserve des traités et accords internationaux
régulièrement ratifiés ou approuvés, sont affiliées à un régime obligatoire de sécurité
sociale dans le cadre de ce code toutes les personnes exerçant sur le territoire
français une activité professionnelle salariée ou non salariée.
L'article R.111-1 3° disposant par ailleurs que l'organisation de la sécurité sociale
comprend, en ce qui concerne le régime social des indépendants, la caisse nationale
du régime social des indépendants et des caisses de base, il apparaît qu'en droit
français, le régime social des indépendants fait partie du régime obligatoire de
sécurité sociale.
En droit communautaire, l'article 153 1. c) du Traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne reconnaît aux Etats membres la faculté de définir les principes
fondamentaux de leur système de sécurité sociale.
L'association MLPS prétend que le monopole de la Sécurité sociale a néanmoins
pris fin en suite de la transposition en droit interne des directives 92/49 CEE et 92/96
CEE par une loi du 4 janvier 1994, une loi du 8 août 1994 et une ordonnance du 19
avril 2001.
Cependant, ainsi que l'indique la CNRSI, l'article 2.2 de la directive 92/49/CEE exclut
du champ d'application de celle-ci les assurances et opérations ainsi que les
entreprises et institutions auxquelles ne s'applique pas la directive 73/239/CEE,
laquelle, en son article 2 1. d), prévoyait qu'elle ne concernait pas les assurances
comprises dans un régime légal de sécurité sociale.
De même, l'article 2.3 de la directive 92/96/CEE précise qu'elle ne s'applique ni aux
assurances et opérations ni aux entreprises et institutions auxquelles la directive
79/267/CEE ne s'applique pas. Or, celle-ci excluait de son champ d'application, en
son article 2 4., les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale,
sous réserve de l'application de l'article 1er polnt 3 (relatif aux opérations dépendant
de la durée de la vie humaine, définies ou prévues par la législation des assurances
sociales, lorsqu'elles sont pratiquées ou gérées en conformité avec la législation
d'un État membre par des entreprises d'assurance et à leurs propres risques).
Dans un communiqué du 27 octobre 2004, la Commission Européenne a rappelé que
ces deux directives établissaient les conditions dans lesquelles des assureurs privés
pouvaient offrir leurs services dans un autre Etat membre que celui où elles ont leur
siège social, qu'elles avaient mis en place un marché unique de l'assurance privée
mais qu'elles ne concernaient pas les assurances comprises dans les régimes
nationaux de Sécurité sociale, ajoutantque la Cour de Justice des Communauté
Européennes avait confirmé cette interprétation par deux arrêts, respectivement en
dates des 26 mars 1996 et 28 avril 1998.
Elle en a déduit que « les informations parues récemment dans /a presse, selon
/esquelles "Bruxelles aurait mis fin au monopole de /a Sécurité socia/e" sont donc
erronées» .
14/00153 - 719
Aux termes d'un arrêt du 25 avril 2013, la Cour de cassation a jugé que les
dispositions des deux directives précitées concernant l'assurance n'étaient pas
applicables aux régimes légaux de sécurité sociale fondés sur le principe de
solidarité nationale dans le cadre d'une affiliation obligatoire des intéressés et de
leurs ayants droit énoncée à l'article L.111-1 du Code de la sécurité sociale, ces
régimes n'exerçant pas une activité économique.
Dans son arrêt du 3 octobre 2013, la Cour de Justice de l'Union Européenne a certes
dit pour droit que la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, relative aux pratiques
commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le
marché intérieur, doit être interprétée en ce sens que relève de son champ
d'application personnel un organisme de droit public en charge d'une mission
d'intérêt général, telle que la gestion d'un régime légal d'assurance maladie.
" ne s'infère toutefois pas avec évidence des termes de cet arrêt, qui n'a statué que
sur la légalité de dispositions de droit interne au regard d'une directive particulière,
que les Etats membres ne soient plus en droit de maintenir le monopole de leurs
systèmes de sécurité sociale, ni que l'obligation de régler les cotisations sociales
constitue une pratique commerciale agressive au sens des articles L. 122-11 et
suivants du Code de la consommation, insérés dans ce code par la loi du n° 2008-3
du 3 janvier 2008 transposant la directive 2005/29/CE précitée.
Au demeurant, la Direction de la Sécurité sociale du ministère des affaires sociales
et de la santé a, dès le 29 octobre 2013, publié un communiqué rappelant l'obligation
de s'affilier etde cotiser à la Sécurité sociale, "à la suite de différents articles ou
émissions de radioannonçant une nouvelle fois à tort /a fin du "monopole de /a
Sécurité Socia/e".
Elle a considéré que la décision du 3 octobre 2013 ne changeait rien à la nature des
activités poursuivies par la Sécurité sociale française ni à l'obligation de cotiser
auprès de celle-ci, ces activités n'étant pas, selon une jurisprudence constante de
laCJUE, de nature économique et n'étant donc pas soumises au droit européen de
la concurrence.
Tous ces éléments tendent à accréditer la thèse de la CNRSI selon laque"e le
monopole de la Sécurité sociale n'a pas pris fin, sans qu'il soit nécessaire de
rechercher si le régime de sécurité sociale français est un régime légal ou
professionnel.
Or, l'article L.114-18 du Code de la sécurité sociale érige en délit le fait pour toute
personne, par quelque moyen que ce soit, d'inciter les assujettis à refuser de se
conformer aux prescriptions de la législation de sécurité sociale, et notamment de
s'affilier à un organisme de sécurité sociale ou de payer lescotisations
et
contributions dues.
.
Dans ces conditions, la CNRSI justifie d'un motif légitime à faire constater la tenue,
lors d'une réunion, de propos incitant les assujettis à se désaffilier du régime dont
elle assure la gestion, afin de se ménager une preuve de tels agissements avant
d'engager d'éventuelles poursuites destinées à les faire cesser.
II résulte de tout ce qui précède que le dépôt de la requête de la caisse et le
prononcé de l'ordonnance querellée étaient justifiées.
Dès lors, la demande de rétractation de cette ordonnance doit être rejetée, ainsi que,
par voie de conséquence, la demande d'allocation de dommages et intérêts pour
procédure abusive.
14/00153
- 8/9
Pour assurer sa représentation en justice, la CNRSI a dû engager des frais
irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge. Aussi l'association MLPS
devra-t-elle lui régler une indemnité de 1.500 euros en application de l'article 700 du
Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le président
du tribunal
de grande
contradictoirement et en premier ressort,
instance,
statuant
publiquement
REJETTE les demandes de l'association MOUVEMENT POUR LA LIBERTÉ DE LA
PROTECTION SOCIALE;
CONDAMNE cette association à payer une lndemníté de 1.500 euros à la CAISSE
NATIONALE DU REGIME SOCIALE DES INDEPENDANTS;
CONDAMNE l'association MOUVEMENT POUR LA LIBERTÉ DE LA PROTECTION
SOCIALE aux dépens.
FAIT ET RENDU LE 27 octobre 2014 par mise à disposition au greffe.
14/00153 - 9/9