Etude de cas : Mumbai : modernité, inégalités

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Etude de cas : Mumbai : modernité, inégalités
Thème 3 : Dynamique des grandes aires continentales : L’Asie du Sud et de l’Est : les enjeux de la croissance Etude de cas : Mumbai : modernité, inégalités Introduction : Thème principal : L’Asie du Sud et de l’Est => la partie de l’Asie qui exclut l’Asie centrale et la partie orientale de la Russie) => elle concentre la majeure partie de la population mondiale (3,5 milliards d’habitants) • Continent qui compte le plus de personnes très pauvres (280 millions en Asie de l’Est et 570 millions en Asie du Sud avec moins de 1,25$ par jour) • Continent qui comprend la plus forte croissance économique (d’abord la Chine avec les réformes libérales des Deng Xiaoping au début des années 1980 puis l’Inde à partir de 1991) • Donc continent qui subit une tension entre croissance économique, modernisation, développement et bonne insertion dans la mondialisation avec pauvreté et inégalités (comme c’est toujours le cas avec les pays émergents !) Etude de cas : Mumbai entre modernité et inégalité : on dit que c’est la ville où il y a « deux villes distinctes existent en une » tellement elle est inégalitaire mais c’est aussi le principal centre économique et culturel de l’Inde.  Problématiques : o En quoi le cas de Mumbai est révélateur à la fois du dynamisme économique et l’Asie du Sud et de l’Est et des profondes inégalités qui affectent cet espace ? o Comment les dynamiques de la mondialisation et de la croissance économique transforment‐elles la ville, entre modernité et inégalités ? Contexte : les villes en Inde : • Phénomène urbain ancien mais pays peu urbanisé, seulement 32% de la population seulement habite en ville (2011). Mais rôle économique décisif : les villes contribuent à ¾ du PIB • Mais les villes sont très peuplées : 400 millions d’indiens vivent en ville sur (ce qui est plus que la population totale des Etats‐Unis), ce qui place le pays au second rang mondial de celui avec le plus de population urbaine… • Phénomène de métropolisation important en Inde (concentration des hommes et des fonctions de commandement dans les plus grandes villes). Le pays comprend 3 mégapoles (villes de plus de 10 millions d’habitants) : Mumbai, Dehli et Calcutta. • Mumbai est la métropole la plus peuplée du pays avec 21 millions d’habitants (dont au moins 6 millions vivent dans des bidonvilles) Plan du cours : 1. Une métropole moderne en pleine mutation 2. Une ville marquée par de très fortes inégalités 1 I.
Une métropole moderne en pleine mutation a. Les origines de la ville et de sa prospérité •
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Situation géographique de la ville favorable : « Porte de l’Inde » (tournée vers l’Afrique et l’Europe) => colonisée dès le XVIe siècle par les Portugais puis elle est cédée aux Anglais en 1661 jusqu’à l’Indépendance de l’Inde en 1947. La ville, nommée Bombay par les anglais, est renommée Mumbai en 1996 (nom marathi, un langue locale). Au début, Mumbai est un ensemble de 7 îlots mais des travaux de drainage et d’assainissement menés pendant plus de 2 siècles aboutissent à la formation de deux îles reliées entre elles : Bombay au sud et l’île de Salsette au nord. Ces deux îles permettent d’isoler entre elles et le continent, un vaste plan d’eau mieux protégé des moussons : Thane Creek ou la Baie de Mumbai. Cette situation permet également de protéger le port des tempêtes. Au XIXe siècle, les anglais favorisent l’industrialisation de Bombay et la croissance de la ville a été continue depuis : o 1853 : construction du premier chemin de fer d’Asie partant de la ville et première filature de coton de l’Inde. Par la suite, filatures et ateliers de tissages se développent, et les premières banques s’installes. o 1869 : ouverture du canal de Suez => facilitation de l’arrivée des bateaux à vapeur et donc augmentation du commerce avec l’Europe. Donc prospérité de Mumbai construite depuis 1850 sur l’industrie textile et le commerce. Dans les années 1920, la ville devient la capitale économique du pays. b. Le soft power et l’intégration à la mondialisation •
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Son activité industrielle représente 25% de celle du pays ; o Plus de 40% des actifs sont employés dans ce secteur (mais 55% dans les services). Enormément de secteurs d’activité : chimie, textile, agroalimentaire (pêcheries), métallurgie, mines… o Activité industrielle et artisanale très intense aussi dans les bidonvilles : traitement des matériaux de récupération (fabrication de pots et ustensiles en cuivre ou laiton, travail du bois…). Le bidonville de Dharavi est une zone industrielle à part entière avec un chiffre d’affaire annuel estimé à 400 millions d’euros avec environ 5000 petites entreprises privées (textile, poterie, recyclage et ferraille, cuir, broderie…), une centaine de restaurants et des milliers de boutiques. C’est également un important carrefour commercial : o Portuaire : 40% du commerce maritime indien o Ferroviaire : réseau de banlieue pour la périphérie de la ville, mais aussi réseau national desservant tout le pays. o Aéroportuaire : 1er aéroport international de l’Inde o Preuve de l’importance de cette « porte de l’entrée » de l’Inde pour le commerce : 60% des taxes douanières du pays y sont perçues ! Mais l’essentiel de l’économie concerne le secteur tertiaire (les services) 2 o Les sièges sociaux des plus grandes entreprises indiennes et de nombreuses FTN étrangères sont installés à Mumbai. o 70% des transactions de capitaux de l’économie indienne y sont réalisés et ses plates‐formes financières mondiales sont parmi celles qui reçoivent et transmettent le plus de flux. Mumbai habrite la Banque de réserve indienne, la Bourse de Mumbai, la Bourse nationale d’Inde… C’est donc le premier centre de décision du pays en matière économique. • La ville a aussi un rôle culturel croissant : o Pôle universitaire et scientifique à la renommée internationale: Université de Mumbai avec des instituts de recherche sur les technologies de l’information, écoles de commerce, architecture… Et institut Tata pour la recherche fondamentale et atomique. o Capitale indienne du divertissement : la ville abrite la plupart des studios de films et télévision indiens dans le quartier de Film City près de l’aéroport > le terme Bollywood est une adaptation d’Hollywood avec le B de Bombay. L’industrie du film de Mumbai est celle qui s’exporte le plus du pays, surtout vers les pays arabo‐
musulmans, Asie du sud‐est et l’Afrique. • La classe moyenne indienne, évaluée entre 10 et 15% de la population se caractérise par des revenus supérieurs à la moyenne et par une culture propre (méritocratie, éducation anglophone, liens avec les Etats‐Unis). Elle s’affirme depuis le tournant des années 1990 et est particulièrement concentrée à Mumbai. • La ville accueille aussi l’élite économique du pays dont les principales familles industrielles : o La famille Tata à la tête de nombreux secteurs industriels : chimie, informatique, mines, automobiles (elle vient de racheter Jaguar et Land Rover). Elle possède 2,5% du PIB indien !! o La famille Ambini à la tête de Reliance Industries (énergie, chimie, textile, distribution, téléphonie, Internet, cinéma) a construit la maison la plus chère du monde, la « Antilia House » : famille de 6 personnes, tour de 27 étages, 9 ascenseurs, un parking de 168 places, 600 domestiques… • Une ville mondiale : o Mumbai produit 4 à 5% du PIB de l’Inde et jour un rôle stratégique dans l’intégration de l’économie du pays dans l’économie mondiale. C’est la ville‐monde la plus importante à l’échelle régionale de l’Asie du Sud (comme São Paulo en Amérique Latine ou Moscou en Europe de l’Est) o Ce n’est toutefois pas une ville globale comme Paris, Londres, Tokyo et New York car elle a une économie dépendante : beaucoup de son activité est liée à la sous‐traitance et à l’accueil des FTN étrangères délocalisées.  Mumbai est donc le principal point d’ancrage de l’Inde à la mondialisation et le passage d’une économie secondaire à une économie tertiaire facilite cette insertion. 3 c. Une ville marquée par une forte croissance démographique •
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II.
Population de l’agglomération : 1 million en 1906, 6 millions en 1971, 12 millions en 1991 et 21 millions en 2013 => croissance démographique spectaculaire ! Ville attractive pour les migrants des autres régions : revenu moyen beaucoup plus élevé que la moyenne nationale. Elle abrite déjà 21 millions d’habitants et cette croissance démographique se poursuit. C’est aussi une ville avec des records mondiaux de densité : 50'000 habitants par km2 , (en comparaison, Genève en a 12'000) voire de 100'000 h/km2 dans certains quartiers du centre. La ville s’étend de plus en plus depuis le centre d’affaires situé au sud vers les banlieues éloignées du Nord, de l’Est et du Sud qui débordent sur le continent. Cette croissance démographique fait que les aménagements du territoires doivent être envisagés à l’échelle d’une vaste région métropolitaine (le croquis comprend la zone urbaine et la zone métropolitaine) => depuis 1960‐1970, le gouvernement de l’Etat du Maharastra a aménagé de l’autre coté de la Baie de Mumbai, une nouvelle ville, Navi Mumbai (déjà 2,5 millions d’hab. autant que Brasilia la capitale du Brésil construite en 1960). Une partie des industries informations et des sièges sociaux des entreprises de ce secteur s’y sont installés. Le centre‐ville originel de Mumbai connaît donc un problème de manque d’espace (presque‐île) qui fait que les loyers y sont très chers. On parle d’une pénurie de logements. Une ville marquée par de très fortes inégalités a. L’organisation socio‐spatiale : •
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Schématiquement, on peut dire que le Sud et l’Ouest sont plus riches, et plus on va vers le Nord et l’Est, plus on trouvera de quartiers pauvres. On parle d’un gradient de richesse qui diminue du sud au nord et de l’ouest à l’est. Tout au Sud on trouve le centre historique, appelé Le Fort, qui abrite les monuments de l’époque coloniale (comme la porte de l’Inde) et des institutions importantes (hôtel de ville, université). Il abrite un quartier d’affaire ou CBD (Central Business District) appelé Nariman Point, ainsi que la gare centrale qui dessert le quartier avec plusieurs lignes de chemin de fer. Autour du Fort, on trouve des quartiers résidentiels aisés. Au nord du Fort, on trouve le port qui a été agrandit de l’autre coté de la baie car il devenait trop petit, mais aussi la vieille ville indienne et de vieux quartiers industriels aujourd’hui reconvertis en bureaux et centres commerciaux. Ce sont donc des quartiers commerciaux populaires et ouvriers mais ils tendent à être délocalisés vers le nord avec les industries. Dans le nord de l’île de Bombay et dans celle de Salsette, on a affaire à une situation plus contrastée : zones industrielles (le long des voies ferrées), quartiers résidentiels de classe moyenne, quelques unités résidentielles riches, villages de pêcheurs, mais aussi bidonvilles au forc des marécages ou sur le flanc des collines : 4 •
o Juste au nord de l’île de Bombay on trouve un des plus grands bidonvilles d’Asie, Dharavi(entre 600'000 et 1 million d’habitants). Mais partout dans l’agglomération, des bidonvilles ou slums se glissent dans les interstices urbains (partout où le territoire n’est pas aménagé). En effet, la croissance démographique provoque une vive croissance urbaine qui est difficile à contrôler et donc les migrants se réunissent dans (ou construisent) des quartiers informels avec des habitations précaires qui sont en général dépourvus des services de base (eau, transports). Les slums de Mumbai abritent 6 millions d’habitants. 65% des ménages (en moyenne 5 personnes) ne disposent que d’une pièce pour vivre. o Juste après Dharavi, on trouve un nouveau centre d’affaires (Bandra‐Kurla datant des années 1980), qui abrite Film City, l’aéroport et des quartiers résidentiels et industriels. La différenciation Est‐Ouest vient du fait que les catégories aisées de la population investissent le littoral. Les loyers y sont chers et ’est là que se trouve l’« Antilia House » b. Les défis du territoire •
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La métropole dispose d’un vrai réseau de transports publics (autobus, trains de banlieue) mais il est insuffisant et surencombré. Il canalyse 90% des déplacements des habitants mais ils transportent en moyenne 2,5 fois leur capacité de voyageurs… Les routes et voies ferrées aussi sont surchargées, ce qui est aggravé par des inondations pendant la mousson. La question des transports est donc un enjeu important pour la métropole et un métro est en phase de construction (c’est la société Reliance qui s’en occupe) L’accès à l’eau est aussi un problème important. Une partie de la population n’est pas raccordée au réseau d’eau courante, tandis que 44% des toilettes ne sont pas reliées à un réseau d’égouts (90% à Dharavi où les habitants utilisent donc les ruisseaux). Les bidonvilles qui se trouvent au centre de la ville font l’objet de la convoitise des promoteurs immobiliers car leurs terrains sont idéalement situés entre la ville et les banlieues. On parle du re‐
développement des bidonvilles : o En général, des constructeurs privés sont chargés de construite des petits appartements d’environ 20m2 dans lesquels les habitants des bidonvilles sont relogés gratuitement, en général à la périphérie de la ville. En échange, les entrepreneurs immobiliers obtiennent le droit de construite sur les terres ainsi « libérées » par les bidonvilles, des appartements de luxe et centres commerciaux, ce qui leur permet de juteux bénéfices. o Au vu de sa situation géographique, Dharavi est l’objet de ce type de convoitises. En 2004 un projet de re‐développement, Dharavi Redevelopment Projet a été mis en place pour reloger 57'000 familles dans des appartements de 28 m2. Mais il y été rejeté par les habitants, surtout ceux qui ont leurs entreprises dans le bidonville et ont besoin de grands locaux et de la proximité des clients assurée par la faible distance avec le centre‐ville. 5 •
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Pour contrer la pénurie de logements et l’engorgement du centre‐ville, des politiques d’aménagement favorisant la délocalisation des activités industrielles vers la périphérie et la création de nouveaux centres d’affaires ont été lancées. o Une nouvelle législation interdit les usines polluantes dans la ville. o On cherche par ailleurs à développer le nouveau centre d’affaire moderne Bandra Kuria pour en faire un centre financier international. La bourse nationale des valeurs, celle du diamant et plusieurs sièges de FTN et Banques d’y s’ont installées récemment. Par ailleurs, un pont maritime, le Bandra Worli Sea Link relie ce nouveau centre d’affaires aux quartiers de Worli, plus proches du Fort. Ce pont permet de faciliter les transports. En tant que vitrine de l’Inde (c’est le lieu le plus connecté à la mondialisation et l’Inde cherche donc à en promouvoir une image impeccable de pôle de modernité) et donc de symbole de la puissance émergente, mais également en tant que ville parmi les plus inégalitaires du monde, Mumbai est la cible de violences. Par exemple, en 2008, des djihadistes pakistanais ont attaqué des hôtels de luxe, un café à la mode, un centre communautaire juif et la gare de la ville, qui sont autant de symbole de la modernisation… 6