Le GPS, sa localisation dans l`univers juridique québécois et canadien

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Le GPS, sa localisation dans l`univers juridique québécois et canadien
L’encadrement constitutionnel de la rémunération des juges
Luc Huppé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 453
Le harcèlement entre locateur et locataire en matière
de bail immobilier commercial
Laurence Burton, Nathalie Faubert et
Jacques S. Darche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 493
Le GPS, sa localisation dans l’univers juridique québécois
et canadien
Katherine Plante et Marc Gervais . . . . . . . . . . . . 531
Jugement rendu par défaut à l’étranger : le droit québécois
protège-t-il suffisamment les défendeurs résidant au
Québec ? – Commentaire sur la décision Jannesar c.
Yousuf de la Cour supérieure
Harith Al-Dabbagh et Jeffrey A. Talpis . . . . . . . . . 555
La reconnaissance juridique de la nature sensible de
l’animal : du gradualisme français à l’inertie québécoise
Martine Lachance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 579
Revue du Barreau/Tome 72/2013
I
CHRONIQUE
Droit municipal. L’affaire Terrebonne (Ville de) c.
Bibeau : l’absence de permis fait-elle obstacle à
l’existence de droits acquis ? La Cour d’appel fait
le point sur un débat vieux de plus de 30 ans
Myriam Asselin et Gabriel Chassé . . . . . . . . . . . . 601
Liste des mémoires de maîtrise et thèses de doctorat
acceptés en 2013. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 609
Index des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 621
Index analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 623
Table de la jurisprudence commentée . . . . . . . . . . . . 631
Table de la législation commentée . . . . . . . . . . . . . . 633
II
Revue du Barreau/Tome 72/2013
L’encadrement constitutionnel
de la rémunération des juges
Luc HUPPÉ
Résumé
L’encadrement de la rémunération des juges a connu d’importants développements depuis l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. Afin de protéger la sécurité financière des membres
de la magistrature, la Cour suprême du Canada s’est fondée
sur une conception renouvelée de l’indépendance judiciaire pour
imposer à tous les gouvernements du pays l’obligation constitutionnelle d’établir des commissions de rémunération indépendantes chargées d’analyser la question à intervalles réguliers. Le
traitement des juges ne peut désormais être haussé, bloqué ou
réduit sans que ce processus obligatoire n’ait été préalablement
suivi. L’application de ce mécanisme a suscité de nombreux litiges
dans l’ensemble du Canada, aucune province n’ayant échappé aux
conflits. Le présent texte relate l’évolution de cette jurisprudence
en soulignant les enjeux des principes élaborés par la Cour
suprême du Canada à ce sujet.
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453
L’encadrement constitutionnel
de la rémunération des juges
Luc HUPPÉ*
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 457
1. Imprécision des garanties . . . . . . . . . . . . . . . . . 459
2. Création d’un mécanisme commun . . . . . . . . . . . . 467
3. Mise à l’épreuve du modèle . . . . . . . . . . . . . . . . 473
4. Reformulation des principes . . . . . . . . . . . . . . . 480
5. Persistance des conflits . . . . . . . . . . . . . . . . . . 484
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 490
*
LL.D., avocat.
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455
Introduction
Ce n’est qu’en termes très généraux que la Loi constitutionnelle de 18671 aborde le sujet de la rémunération des juges.
L’article 100 de cette Loi attribue au Parlement fédéral la responsabilité de fixer et de payer les salaires, allocations et pensions des
juges des cours supérieures2, mais sans encadrer l’exercice de ce
pouvoir. Quant aux autres membres de la magistrature, les textes
constitutionnels ne traitent pas des modalités financières de leur
charge. Sans autre contrainte d’ordre constitutionnel, les assemblées législatives et les gouvernements jouissent ainsi, pendant
la plus grande partie de l’histoire du Canada, d’une discrétion
presque illimitée pour établir la rémunération des juges au
niveau et selon la méthode qui leur paraissent appropriés.
Au cours de l’entre-deux-guerres, à l’occasion d’un renvoi du
gouvernement de la Saskatchewan visant à déterminer si les
salaires des juges de nomination fédérale peuvent être soumis à
un impôt provincial sur le revenu, le Comité judiciaire du Conseil
privé énonce de façon lapidaire qu’un impôt traitant le revenu des
juges de la même manière que celui de leurs concitoyens n’affecte
ni l’indépendance judiciaire, ni aucun autre attribut de la fonction
judiciaire3. Le contexte ne semble guère favorable à des revendications à propos de mesures susceptibles de garantir la sécurité
financière des membres de la magistrature. Peu avant l’entrée en
vigueur de la Loi constitutionnelle de 19824, la Cour fédérale
relève ainsi qu’« en raison de la réticence naturelle des juges
d’aller en justice quand leur traitement ou autres droits sont
affectés, il existe très peu de jurisprudence en la matière » 5.
1. Loi constitutionnelle de 1867, (1867) 30-31 Vict., c. 3 (R.-U.), L.R.C. (1985), App. II,
no 5.
2. « The Salaries, Allowances, and Pensions of the Judges of the Superior, District, and
County Courts (except the Courts of Probate in Nova Scotia and New Brunswick),
and of the Admiralty Courts in Cases where the Judges thereof are for the Time
being paid by Salary, shall be fixed and provided by the Parliament of Canada. »
3. Judges v. Attorney-General of Saskatchewan, [1937] 2 D.L.R. 209 (C.J.C.P.), p. 213.
La Cour d’appel de la Saskatchewan en était arrivée à la même conclusion, en prenant appui sur la jurisprudence d’autres pays : Re the Constitutional Questions Act,
Re the Income Tax Act, 1932, [1936] 4 D.L.R. 134 (Sask. C.A.), p. 138-139.
4. Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982 c. 11 (R.-U.), L.R.C. (1985), App. II,
no 44.
5. Beauregard c. La Reine, [1981] 2 C.F. 543 (1re inst.), p. 580.
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457
Cette époque est désormais révolue. La Cour d’appel de
Terre-Neuve en fait explicitement le constat en l’an 2000 :
The spectacle of judges, the dispensers of justice, having to appear
in the well of the courtroom to seek what they claim as justice for
themselves, may be seen by some as unseemly. Yet, it has become a
common sight in Canada in recent years [...]6
Au cours des deux dernières décennies, la rémunération des
juges est devenue un enjeu majeur des relations entre la magistrature et les autres institutions de l’État. Des dizaines de jugements, rendus dans l’ensemble du pays, composent maintenant
une jurisprudence élaborée et complexe en cette matière. Le présent texte vise à relater les différentes étapes du développement
de cette jurisprudence.
Au plan constitutionnel, le sujet de la rémunération des
juges présente foncièrement trois facettes. Il faut d’abord déterminer le type de rapport que la Constitution établit entre la magistrature et les institutions législatives et exécutives à cet égard. Dans
la perspective fournie par un tel cadre, il y a ensuite lieu de définir
la marge d’action de chacune des parties à ce rapport : d’une part,
en fixant des limites au pouvoir des autorités gouvernementales, de
manière à préserver la capacité des institutions judiciaires de
remplir leur mission par l’intermédiaire de juges adéquatement
payés ; d’autre part, en modérant les garanties constitutionnelles
accordées aux juges, afin qu’elles demeurent socialement acceptables. Enfin, il convient d’identifier la nature des réparations disponibles pour redresser une situation non conforme au droit.
En l’absence d’indications précises fournies par la Constitution écrite, l’élaboration des principes fondamentaux encadrant la
rémunération des juges a représenté un exercice laborieux pour
les tribunaux canadiens. Après que l’imprécision des garanties
constitutionnelles eut été mise en lumière par plusieurs jugements (section 1), la Cour suprême du Canada impose l’exigence
d’un même mécanisme pour tous les juges (section 2). La mise en
œuvre de ce modèle ouvre un tout nouveau champ de débats entre
la magistrature et les autres institutions de l’État dans plusieurs
provinces (section 3). Bien que réinterprétés par la Cour suprême
6. Newfoundland Association of Provincial Court Judges v. Newfoundland, (2000) 191
D.L.R. (4th) 225 (Nfd. C.A.), p. 235 (par. 3).
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Revue du Barreau/Tome 72/2013
du Canada (section 4), les principes élaborés à propos de ce mécanisme ne parviennent pas à mettre complètement fin aux conflits
(section 5).
1. Imprécision des garanties
Au milieu des années 1980, deux dossiers fournissent à la
Cour suprême du Canada l’occasion d’analyser pour une première
fois la situation constitutionnelle des juges relativement à leur
rémunération. L’arrêt Valente7 lui permet d’identifier les conditions minimales de l’indépendance judiciaire – dont la sécurité
financière constitue l’une des composantes – aux fins de l’article
11d) de la Charte canadienne des droits et libertés8. Moins d’un an
plus tard, dans l’arrêt Beauregard9, elle doit apprécier la portée de
la compétence accordée au Parlement fédéral par l’article 100 de
la Loi constitutionnelle de 1867, dans le contexte d’une loi rétroactive imposant aux juges de nomination fédérale l’obligation de
contribuer à leur fonds de pension. L’accent est alors mis sur les
différences de statut que la Constitution établit au sein de la
magistrature canadienne.
Dans l’arrêt Valente, la Cour insiste ainsi sur le fait que
l’article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 représente « le plus
haut degré de garantie constitutionnelle » de sécurité de traitement et de pension pour les juges10. Le statut constitutionnel de
ceux qui ne bénéficient pas de cette disposition est différent. Il
comporte deux volets11 : en premier lieu, le juge doit être assuré de
recevoir une rémunération et, le cas échéant, une pension ; en
second lieu, le droit à ces bénéfices doit être prévu par la loi et ne
pas être sujet aux ingérences arbitraires de l’Exécutif d’une
manière qui pourrait affecter l’indépendance judiciaire. Pour ces
juges, il n’est pas requis que des dispositions législatives indiquent précisément le montant de leur rémunération, le gouvernement pouvant la déterminer conformément à une autorisation
législative générale.
7.
Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673 (appelé « l’arrêt Valente » dans le présent
texte).
8. Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, précitée, note 4. Cette disposition
garantit à tout inculpé le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial.
9. La Reine c. Beauregard, [1986] 2 R.C.S. 56 (appelé « l’arrêt Beauregard » dans le
présent texte).
10. Précité, note 7, p. 693.
11. Ibid., p. 704-706.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
459
La Cour laisse pourtant entendre dans cet arrêt que l’indépendance judiciaire n’est pas nécessairement mieux assurée
lorsque la loi fixe la rémunération des juges12. Dans une perspective historique, c’est une affirmation plutôt étonnante puisqu’elle
déprécie la garantie accordée aux juges des cours supérieures par
l’article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 : à l’instar du
droit britannique, l’objectif de cette garantie était précisément
de retirer à l’Exécutif le contrôle de la rémunération des juges13.
En outre, l’arrêt Valente écarte l’idée que le gouvernement soit
tenu d’obtenir les recommandations d’un organisme indépendant
avant de déterminer le traitement des juges, tout en soulignant
l’utilité de ce mécanisme14. À cette époque, il existait déjà de tels
organismes au niveau fédéral15 et dans certaines provinces16.
Les différentes étapes de l’affaire Beauregard donnent un
aperçu des multiples possibilités d’interprétation fournies par le
texte ouvert de l’article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867. En
première instance, la Cour fédérale analyse la portée de cette disposition en fonction de la situation spécifique de chaque juge.
Bien qu’elle reconnaisse l’autorité du Parlement de diminuer le
traitement des membres de la magistrature, elle se fonde sur un
« principe constitutionnel implicite »17 pour affirmer que la rémunération d’un juge ne peut être réduite pendant la durée de ses
fonctions. Au plan individuel, le juge obtiendrait ainsi la garantie
12. « De plus, il est loin d’être clair que l’obligation de soumettre au corps législatif les
projets de hausses de traitement des juges soit plus souhaitable du point de vue de
l’indépendance judiciaire et, d’ailleurs, de celui d’un traitement adéquat, que de
laisser à l’exécutif le soin de régler la question seul, conformément à une autorisation législative générale » : ibid., p. 706.
13. René PEPIN, « Droit constitutionnel – Indépendance du pouvoir judiciaire –
Salaire des juges –Jusqu’où va la souveraineté du parlement ? », (1982) 60 R. du B.
can. 699, 705-706.
14. Elle considère que le rôle attribué au comité établi à cette fin en Ontario, où
l’affaire avait pris naissance, « donne l’assurance qu’on veillera dûment à ce que
les traitements des juges soient suffisants » : supra, note 7, p. 706. La Cour d’appel
de l’Ontario avait aussi tenu compte de l’existence de ce comité avant d’en arriver
à la conclusion que l’indépendance des juges était préservée par un système laissant à l’Exécutif le soin de déterminer leur traitement par règlement : R. c.
Valente (No. 2), (1983) 145 D.L.R. (3d) 452 (Ont. C.A.), p. 477.
15. Loi modifiant la Loi sur les juges et apportant à d’autres lois des modifications
connexes, (1980-81-82-83) 29-30-31-32 Éliz. II c. 50 (Can.), art. 12, introduisant
l’article 19.3 de la Loi sur les juges.
16. À ce sujet, voir Luc HUPPÉ, Histoire des institutions judiciaires du Canada,
Montréal, Wilson & Lafleur, 2007, p. 725-726.
17. Précité, note 5, p. 586-588. Le tribunal prend appui sur les dispositions des constitutions américaine et sud-africaine, qui incorporent explicitement ce principe.
Pour un commentaire de ce jugement, voir René PEPIN, précité, note 13.
460
Revue du Barreau/Tome 72/2013
d’une rémunération minimale, établie au niveau du traitement
qui lui est versé au moment de sa nomination. Une loi qui abaisserait cette rémunération sans son consentement serait ultra vires
en ce qui le concerne 18.
Aucun des trois juges de la Cour d’appel fédérale qui se prononcent dans ce dossier n’adhère à un tel point de vue. Chacun
donne à l’article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 une portée
différente. L’un d’eux reconnaît l’autorité du Parlement fédéral de
fixer le traitement des juges au niveau qu’il souhaite, en autant
qu’il agisse « de bonne foi et non pour un motif spécieux ou inavoué ». La restriction qu’il pose au pouvoir du législateur concerne
plutôt l’usage que fait le juge de son traitement : le Parlement ne
peut lui dicter la façon de l’utiliser, notamment en l’obligeant à
contribuer à un fonds de pension19. Un autre membre de la Cour
considère que l’indépendance judiciaire n’exige pas que les juges
soient exemptés de toute participation à leur régime de pension et
affirme même que l’article 100 « ne crée aucun droit en faveur des
juges »20. Le troisième interprète cette disposition comme signifiant que le Parlement a le devoir d’assumer la totalité du coût des
pensions des juges21.
En appel de cet arrêt, la Cour suprême du Canada considère
que l’article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 contient « une
affirmation constitutionnelle que les juges des cours supérieures,
de district et de comté recevront au moins un certain salaire et des
prestations de retraite »22. C’est un constat plutôt modeste quant à
18. Ibid., p. 590-591. L’article 115 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ,
c. T-16 garantissait aussi que la rémunération des juges de la Cour du Québec ne
serait pas réduite pendant la durée de leurs fonctions. Cette disposition a été
invoquée par la Cour supérieure comme l’une des raisons interdisant au gouvernement du Québec de faire assumer par ces juges le plein montant du coût de stationnement de leur voiture dans les palais de justice de la province : Bisson c.
Procureur général du Québec, [1993] R.J.Q. 2581 (C.S.), p. 2600. Cette garantie a
été abrogée dans le cadre d’une réforme en profondeur du processus de détermination du traitement des juges : Loi concernant la rémunération des juges, L.Q. 1997,
c. 84, art. 1.
19. Beauregard c. La Reine, [1984] 1 C.F. 1010 (C.A.F.), p. 1022-1024. Un argument
semblable est repris quelques années plus tard par la Cour supérieure du Québec
à propos de l’obligation faite aux juges d’assumer le plein montant du coût de stationnement de leur voiture dans les palais de justice de la province : Bisson c. Procureur général du Québec, précité, note 18, p. 2599.
20. Ibid., p. 1030.
21. Ibid., p. 1040.
22. Précité, note 9, p. 68. Elle ajoute que cette disposition ne comporte pas clairement
« une restriction constitutionnelle applicable au genre, au régime ou même au
montant » des traitements des juges qui en bénéficient : ibid., p. 82.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
461
la portée de cette garantie, puisque les juges concernés n’y trouvent aucune assurance de recevoir une rémunération adaptée à la
nature des fonctions qu’ils exercent. La Cour s’abstient donc de
donner à cette disposition un contenu concret qui concorderait
avec l’importance symbolique qui lui était reconnue de longue
date dans la protection de l’indépendance judiciaire.
La Cour réitère plutôt le principe établi cinquante ans auparavant par le Comité judiciaire du Conseil privé, soit que les juges
n’échappent pas aux obligations imposées à l’ensemble des contribuables, comme le paiement des taxes ou une contribution obligatoire à un régime de pension23. En s’appuyant notamment sur
des déclarations de principes internationales relatives à l’indépendance judiciaire, elle affirme par ailleurs que ni le législateur,
ni l’Exécutif, ne peuvent porter atteinte à la sécurité financière
des juges24. Une loi fédérale adoptée « dans un but malhonnête ou
spécieux », ou qui traiterait les juges d’une manière discriminatoire par rapport aux autres citoyens, pourrait donc être déclarée
invalide25. Procédant à une analyse collective de la situation des
juges visés par la loi fédérale examinée dans cette affaire, plutôt
que par un examen de la situation particulière du juge qui la
contestait, la Cour conclut à sa validité.
Ce premier exercice de réflexion par la Cour suprême du
Canada consacre donc, au plan formel, une différence entre le
régime des juges des cours supérieures et celui des autres membres de la magistrature en ce qui a trait à l’encadrement constitutionnel de leur rémunération26. Pourtant, plusieurs éléments
communs émergent des arrêts Valente et Beauregard. Ils donnent
à penser que la différence de statut entre les diverses catégories
de juges n’est pas aussi accentuée qu’il n’y paraît à ce sujet. La voie
est ainsi ouverte, quoique de manière implicite, pour le rapprochement qui se produira par la suite.
23. Ibid., p. 76-77. La Cour d’appel fédérale établira ultérieurement que le report
d’impôt procuré par la contribution d’un juge à un régime enregistré d’épargneretraite n’entre pas dans la garantie accordée par l’article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 : Trussler v. Canada, (1999) 242 N.R. 176 (C.A.F.), p. 178
(par. 4) ; autorisation de pourvoi refusée : [2000] 1 R.C.S. xxi.
24. Ibid., p. 74-76.
25. Ibid., p. 77.
26. Dans un arrêt subséquent traitant des tribunaux militaires, la Cour confirme
d’ailleurs que divers régimes de rémunération des juges « peuvent satisfaire également à l’exigence de sécurité financière » : R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259,
285-286.
462
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Le modèle retenu dans ces deux arrêts est celui d’un assujettissement des membres de la magistrature au pouvoir législatif en
ce qui a trait à leur rémunération. C’est au législateur qu’il revient
d’en fixer le montant (pour les juges des cours supérieures) ou
d’établir le droit des juges à un traitement et la manière de le
déterminer (pour les juges des autres tribunaux). Favorablement
appréciée dans l’arrêt Valente, la mise en place d’un organisme
indépendant chargé de faire des recommandations à ce sujet
demeure néanmoins facultative. L’existence d’un tel organisme
au niveau fédéral n’est pas même mentionnée dans l’arrêt Beauregard, bien que la commission fédérale constituée à cette fin avait
déjà produit un premier rapport27.
En outre, la discrétion attribuée au législateur ou au gouvernement pour fixer la rémunération des juges n’est que vaguement
limitée pour l’une comme pour l’autre catégorie de juges. Les
membres de la magistrature sont simplement assurés de recevoir
un certain traitement, sans que ne soit déterminé l’ordre de grandeur ou le seuil minimal requis pour leur procurer un revenu
convenable. La protection constitutionnelle dont ils bénéficient
est exprimée par des formules ambiguës, peu susceptibles de guider les institutions concernées : alors qu’on place les juges des
cours supérieures à l’abri des lois éventuellement adoptées « dans
un but malhonnête ou spécieux », on prémunit les autres juges
contre les « ingérences arbitraires de l’exécutif susceptibles
d’affecter l’indépendance judiciaire ». Tout au plus, ces formules
servent-elles à marquer la volonté de la Cour suprême du Canada
de réserver une certaine marge d’intervention aux tribunaux en
cette matière, sans en définir plus amplement l’étendue.
Les contestations initiées dans les affaires Valente et Beauregard découlaient d’initiatives individuelles. À compter du
milieu des années 1990, les membres de la magistrature font plutôt valoir leurs intérêts au moyen de démarches collectives, par
l’intermédiaire d’associations de juges. La précarité de leur situation est particulièrement mise en évidence par la conjoncture économique qui prévaut alors au Canada et qui conduit plusieurs
gouvernements à réduire la rémunération des juges, dans le cadre
d’une compression générale des dépenses publiques. Des recours
judiciaires sont intentés par la magistrature de nomination pro27. Ce premier rapport date de 1983 : Peter H. RUSSELL, The Judiciary in Canada:
The Third Branch of Government, Toronto, McGraw-Hill Ryerson Limited, 1987,
p. 152.
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463
vinciale de l’Île-du-Prince-Édouard, de l’Alberta et du Manitoba
pour contester ces réductions. En Saskatchewan, les juges de
nomination provinciale s’en prennent au défaut du gouvernement
de respecter un accord qu’ils ont conclu avec le ministre de la
Justice, qui prévoyait la mise en place d’un processus d’arbitrage
pour déterminer leur rémunération et comportait un engagement
du ministre de prendre toutes les mesures nécessaires pour sa
mise en œuvre28.
Des jugements prononcés presque simultanément par les
tribunaux supérieurs de ces provinces montrent combien les principes développés par la Cour suprême du Canada demeurent
imprécis. Si l’on ne considère pas indispensable d’assurer aux
juges de nomination provinciale une rémunération semblable à
celle des juges des tribunaux supérieurs29, ni même de garantir
une parité entre les juges d’un même tribunal30, en revanche la
Cour du banc de la reine de l’Alberta est d’avis qu’il existe un
devoir constitutionnel, pour les autorités gouvernementales,
d’accroître la rémunération des juges afin de couvrir l’augmentation du coût de la vie31. Abordée dans l’affaire Beaure28. Ce dossier est ponctué de nombreux incidents procéduraux : demande de précisions : Saskatchewan Provincial Court Judges Association v. Saskatchewan
(Minister of Justice), [1994] 9 W.W.R. 293 (Sask. Q.B.) ; demande de rejet du volet
de la poursuite dirigé contre le ministre de la Justice en sa qualité personnelle :
Provincial Court Judges Association (Saskatchewan) v. Saskatchewan (Minister
of Justice), [1995] 6 W.W.R. 626 (Sask. Q.B.), renversé en appel : [1996] 2 W.W.R.
129 (Sask. C.A.) ; demande d’interrogatoires au préalable : Provincial Court Judges Association (Saskatchewan) v. Saskatchewan (Minister of Justice), [1996] 8
W.W.R. 16 (Sask. Q.B.). Un auteur largement favorable à la perspective des juges
explique le contexte ayant mené à ces litiges : W.H. MCCONNELL, The Sacrifice
of Judicial Independence in Saskatchewan: The Case of Mr. Mitchell and the Provincial Court, (1994) 58 Sask. L.R. 63.
29. Reference re : Provincial Court Act and Public Sector Pay Reduction Act (P.E.I.),
(1995) 124 D.L.R. (4th) 528 (P.E.I. C.A.), p. 552.
30. R. v. Campbell, [1995] 2 W.W.R. 469 (Alb. Q.B.), p. 555 (par. 143). La Cour d’appel
a considéré qu’il n’y avait pas de droit d’appel à l’encontre de ce jugement : R. v.
Campbell, [1995] 8 W.W.R. 747 (Alb. C.A.). Pour un commentaire de ce jugement,
voir Wayne RENKE, Invoking independence : Judicial Independence as a No-cut
Wage Guarantee, Centre d’études constitutionnelles, Point de vue numéro 5,
1994. Dans l’arrêt mentionné à la note précédente, la Cour d’appel de l’Île-duPrince-Édouard avait exprimé l’avis qu’il est peu souhaitable que les juges d’un
même tribunal reçoivent des traitements différents, étant donné que la collégialité du tribunal pourrait en être affectée (p. 549).
31. Ibid., p. 517 et 535-536 (par. 53 et 90). Un auteur commente ce point de vue en
affirmant que « pareille conclusion n’a guère de fondement constitutionnel » :
Martin L. FRIEDLAND, Une place à part : l’indépendance et la responsabilité de
la magistrature au Canada, Conseil canadien de la magistrature, 1995, p. 70.
La Cour d’appel du Québec considérera néanmoins, dans le même esprit, que
lorsqu’un juge est nommé durant bonne conduite, il est implicite que, sauf cir-
464
Revue du Barreau/Tome 72/2013
gard32, la possibilité d’une diminution du traitement des juges fait
aussi l’objet d’un nouvel examen, cette fois en ce qui a trait aux
juges de nomination provinciale.
La Cour d’appel de l’Île-du-Prince-Édouard est d’avis qu’une
telle réduction est permise dans le cadre d’une mesure économique globale, applicable à tous les détenteurs de charges publiques, pourvu que la sécurité financière des juges n’en soit pas
fondamentalement affectée33. En prenant notamment appui sur
la Déclaration universelle sur l’indépendance de la justice adoptée
à Montréal en 198334, les tribunaux de première instance en
Alberta35 et au Manitoba36 affirment au contraire qu’en principe,
les traitements des juges ne peuvent pas être réduits. Ils considèrent que seule une mesure comme l’impôt sur le revenu, qui est
applicable à la population en général et non seulement aux personnes payées par l’État, pourrait avoir cet effet. La Cour du banc
de la Reine du Manitoba propose un moyen terme : elle traite la
réduction de la rémunération des juges comme une suspension
temporaire du paiement du montant ainsi réduit, le gouvernement devant rétroactivement le rembourser lorsque prend fin la
situation économique qui justifie cette mesure37. La Cour d’appel
rejette toutefois une telle solution 38.
32.
33.
34.
35.
36.
37.
38.
constances très graves, son pouvoir d’achat sera protégé à la même hauteur que
celui des autres contribuables et que, le cas échéant, il sera accru lors de
l’accroissement de la richesse collective : La Conférence des juges du Québec c. Procureure générale du Québec, [2000] R.J.Q. 2803 (C.A.), p. 2812 (par. 48).
La Cour d’appel fédérale avait reconnu au législateur le pouvoir de réduire le traitement des juges des cours supérieures : Beauregard c. La Reine, [1984] 1 C.F.
1010 (C.A.F.), p. 1025, 1033 et 1046.
Reference re : Public Sector Pay Reduction Act (P.E.I.), s. 10, (1995) 120 D.L.R.
(4th) 449 (P.E.I. C.A.), p. 453-456 : Reference re : Provincial Court Act and Public
Sector Pay Reduction Act (P.E.I.), (1995) 124 D.L.R. (4th) 528 (P.E.I. C.A.), p. 549
et 551-552. À ce sujet, voir aussi Macdonald v. Her Majesty the Queen, 1995
CanLII 2083 (P.E. S.C.T.D.).
Reproduite dans Shimon SHETREET et Jules DESCHÊNES (dir.), Judicial Independence: The Contemporary Debate, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers,
1985, p. 462. L’article 2.21c) de cette Déclaration énonce que « le traitement des
juges ne peut être réduit au cours de leur mandat, sauf dans le cadre de mesures
économiques touchant l’ensemble des citoyens ».
R. v. Campbell, [1995] 2 W.W.R. 469 (Alb. Q.B.), p. 513-515, 517 et 536-537 (par.
48-50, 53 et 93-95).
Judges of the Provincial Court (Manitoba) v. Manitoba, (1995) 98 Man. R. (2d) 67
(Man. Q.B.), p. 70, 76 et 80 (par. 6, 26 et 43). La Cour d’appel exprime cependant
un avis contraire : Manitoba Provincial Judges Association v. Manitoba (Minister
of justice), (1995) 125 D.L.R. (4th) 149 (Man. C.A.), p. 161 et 166.
Ibid., p. 77 (par. 28-29).
Manitoba Provincial Judges Association v. Manitoba (Minister of justice), (1995)
125 D.L.R. (4th) 149 (Man. C.A.), p. 156.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
465
Les tribunaux se divisent aussi à propos de la possibilité que
les juges puissent négocier collectivement leur rémunération avec
le gouvernement. La Cour du banc de la Reine d’Alberta ne considère pas problématiques de telles négociations, même lorsqu’elles
se déroulent secrètement39. À l’opposé, la Cour suprême de l’Îledu-Prince-Édouard les estime incompatibles avec l’indépendance
judiciaire, puisqu’elles peuvent donner au public l’impression que
le gouvernement est ainsi susceptible d’exercer une pression sur
les tribunaux afin d’influencer leurs décisions et, inversement,
que ces derniers peuvent être tentés d’orienter leurs jugements de
façon à se procurer des avantages dans le cadre de ces négociations40. Commentant l’entente conclue entre la magistrature de
nomination provinciale et le ministre de la Justice, la Cour du
Banc de la Reine de Saskatchewan y voit un simple consensus
politique et ne lui reconnaît aucun caractère contraignant 41.
Tant dans l’Île-du-Prince-Édouard42, qu’au Manitoba43 et en
Alberta44, les tribunaux expriment unanimement l’avis qu’il n’est
pas requis, au plan constitutionnel, d’établir des organismes
externes chargés de présenter au gouvernement des recommandations concernant la rémunération des juges. La Cour du banc de
la Reine d’Alberta adopte une approche critique à l’égard du mécanisme de commissions de rémunération établi au niveau fédéral,
étant donné le caractère non contraignant de leurs recommandations45. Pourtant, les juges fondent de grands espoirs dans ce
mécanisme. Évoquant l’existence de « relations malsaines » entre
le pouvoir politique et la magistrature, l’Association canadienne
des juges des cours provinciales publie en 1996 une étude aux
39. R. v. Campbell, [1995] 2 W.W.R. 469 (Alb. Q.B.), p. 545 (par. 111-112).
40. Lowther v. Prince Edward Island, (1995) 118 D.L.R. (4th) 665 (P.E.I. S.C.),
p. 677-679 ; jugement renversé en appel, pour le motif que la Cour d’appel considère que les dispositions législatives prévoyant la possibilité d’une négociation ne
s’appliquaient pas aux juges : Lowther v. Prince Edward Island, (1995) 129 Nfld &
PEIR 267 (P.E.I. C.A.), p. 269 (par. 3). Dans un arrêt antérieur, la Cour d’appel
avait d’ailleurs noté qu’une modification législative subséquente au jugement de
première instance dans l’affaire Lowther avait rendu expressément inapplicable
aux juges le mécanisme de négociations régissant la fonction publique : Reference
re : Public Sector Pay Reduction Act (P.E.I.), s. 10, (1995) 120 D.L.R. (4th) 449
(P.E.I. C.A.), p. 452.
41. Provincial Court Judges Association (Saskatchewan) v. Saskatchewan (Minister
of Justice), [1995] 6 W.W.R. 626 (Sask. Q.B.), p. 639 (par. 43).
42. R. v. Avery (M.G.), (1996) 135 Nfld & PEIR 195 (P.E.I. S.C.), p. 199 (par. 17).
43. Judges of the Provincial Court (Manitoba) v. Manitoba, (1995) 98 Man. R. (2d) 67
(Man. Q.B.), p. 72-73 (par. 14-15) ; Manitoba Provincial Judges Association v.
Manitoba (Minister of justice), (1995) 125 D.L.R. (4th) 149 (Man. C.A.), p. 167.
44. R. v. Campbell, [1995] 2 W.W.R. 469 (Alb. Q.B.), p. 543-544 (par. 108).
45. Ibid., p. 549-554 (par. 125-137).
466
Revue du Barreau/Tome 72/2013
conclusions catégoriques. Elle souligne « avec toute la vigueur
possible que, partout au Canada, les juges des cours provinciales
ne croient plus que leur gouvernement est en mesure de traiter
avec eux de façon équitable » et réclame la mise en place de commissions de rémunération dont les recommandations seraient
exécutoires46.
2. Création d’un mécanisme commun
La situation sans précédent créée par cet ensemble de litiges
conduit la Cour suprême du Canada à revoir entièrement l’encadrement constitutionnel de la rémunération des membres de la
magistrature, dans un arrêt longuement motivé47 et abondamment commenté48, le Renvoi de 1997. Qualifiant les juges d’ « officiers de la Constitution », elle considère que leur rémunération
doit jouir d’un statut constitutionnel49. L’ensemble de son raisonnement repose sur un renouvellement des assises de l’indépendance judiciaire en droit canadien. Elle en fait un principe
constitutionnel non écrit, dont les dispositions écrites de la Constitution – comme l’article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 et
l’article 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés – ne
46. Douglas A. SCHMEISER et Howard McCONNELL, « L’indépendance des juges
des cours provinciales : un gage commun », (1996) 20(2) Journal des juges provinciaux 1, 20.
47. Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-duPrince-Édouard ; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de
la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard ; R. c. Campbell ; R. c. Ekmecic ; R.
c. Wickman ; Manitoba Provincial Judges Association c. Manitoba (Ministre de la
justice), [1997] 3 R.C.S. 3 (appelé le « Renvoi de 1997 » dans le présent texte).
48. En ce qui concerne plus particulièrement les aspects de cet arrêt concernant le
mécanisme de commissions de rémunération, voir Gerald T.G. SENIUK, « Judicial Independence and the Supreme Court of Canada », (1998) 77 R. du B. can.
381 ; Jean LECLAIR et Yves-Marie MORISSETTE, « L’indépendance judiciaire et
la Cour suprême : reconstruction historique douteuse et théorie constitutionnelle
de complaisance », (1998) 36 Osgoode Hall L.J. 485 ; Robert G. RICHARDS, « Provincial Court Judges Decision – Case Comment », (1998) 61 Sask. L.R. 575 ; Jacob
S. ZIEGEL, « The Supreme Court radicalizes judicial compensation », (1998) 9(2)
Forum constitutionnel 31 ; COMMISSION DU DROIT DU CANADA, Établir
la rémunération des juges – Perspectives multidisciplinaires, 1998 ; Graeme G.
MITCHELL, « Developments in Constitutional Law: The 1997-98 Term – Activism and Accountability », (1999) 10 Sup. Ct. L.R. (2d) 83, 92 et s. ; Tsvi KAHANA,
« The Constitution as a Collective Agreement: Remuneration of Provincial Court
Judges in Canada », (2003-2004) 29 Queen’s L.J. 445 ; Ed RATUSHNY et Daphne
GILBERT, « The Lamer Legacy for Judicial Independence », (2009) 46 Sup. Ct.
L.R. (2d) 29 ; Peter W. HOGG, « The Bad Idea of Unwritten Constitutional Principles: Protecting Judicial Salaries », dans Adam DODEK et Lorne SOSSIN, Judicial Independence in Context, Toronto, Irwin Law Inc., 2010, p. 25.
49. Précité, note 47, p. 117 (par. 196).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
467
représentent que des applications particulières50. Cette conception de l’indépendance judiciaire lui donne toute latitude pour
définir elle-même la portée concrète de la notion, sans s’arrêter à
ce que prévoient expressément ces textes. Elle en étend le bénéfice
à l’ensemble des membres de la magistrature puisque, selon elle,
l’indépendance judiciaire représente une limitation implicite aux
compétences législatives attribuées par la Constitution51.
La Cour déduit les éléments constitutifs de la sécurité financière des juges de ce qu’elle appelle un « impératif constitutionnel », soit que les rapports entre le pouvoir judiciaire et les autres
pouvoirs de l’État soient autant que possible dépolitisés52. Selon la
Cour, cet impératif exige de protéger la magistrature contre
l’ingérence politique que les autres pouvoirs pourraient exercer
par le biais de la « manipulation financière ». Quoique ce risque
soit évoqué à de nombreuses reprises dans le Renvoi de 1997, la
Cour ne fournit cependant aucune illustration d’une telle manipulation dans l’histoire récente ou passée du pays. En outre, un tel
postulat tranche avec la position exprimée dans l’arrêt Valente, où
elle affirmait plutôt qu’en pratique, « il est impossible que le corps
législatif refuse de voter l’affectation de crédit annuelle dans le
but de tenter d’exercer un contrôle ou d’influer sur une catégorie
de juges dans son ensemble »53. On ne peut donc savoir avec certitude si le modèle qu’elle impose dorénavant sur la base de ce postulat est fondé sur une hypothèse théorique ou, au contraire, sur
une appréhension découlant de faits concrets, non divulgués dans
son jugement54.
50. Ibid., p. 63-64 (par. 83), 75 (par. 104) et 77-78 (par. 109). Le juge dissident considère que cette position a pour effet de « subvertir le fondement démocratique du
contrôle judiciaire » : ibid., p. 184 (par. 319).
51. Ibid., p. 76-77 (par. 106 et 108).
52. Ibid., p. 87-88 (par. 131). Selon la Cour, ces différents éléments sont inhérents à la
séparation des pouvoirs : ibid., p. 90 (par 138).
53. Précité, note 7, p. 706. Un auteur souligne également qu’en Grande-Bretagne,
avant que l’Act of Settlement ne réserve au Parlement la responsabilité de déterminer la rémunération des juges des tribunaux supérieurs, il ne semble pas que
des pressions financières étaient exercées contre eux afin de tenter de les contrôler : W.R. LEDERMAN, « The Independence of the Judiciary », (1956) 34 R. du B.
can. 769 et 1139, à la p. 790.
54. À titre d’exemple, la Cour mentionne qu’une réduction de traitement applicable
uniquement aux juges des cours supérieures pourrait être perçue comme une
punition qui leur serait imposée par le Parlement fédéral parce qu’ils auraient
tranché des litiges d’une certaine façon (p. 99, par. 156). Une telle éventualité
paraît bien peu réaliste. Plus de mille juges occupent des postes dans les tribunaux supérieurs du pays. Ces juges prononcent de très nombreux jugements
chaque année, dans une grande variété de domaines. Est-il vraisemblable de
supposer qu’en fixant la rémunération de l’ensemble de ces juges, le Parlement
468
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Contredisant aussi la position préalablement adoptée dans
l’arrêt Valente, la Cour établit le principe que la Constitution
requiert la création d’organismes indépendants chargés de fixer
ou de recommander les niveaux de rémunération des juges55. Tous
les gouvernements au Canada sont désormais tenus de recourir à
ce processus pour déterminer la rémunération des juges qu’ils
nomment, sauf en cas de crise financière exceptionnellement
grave provoquée par des circonstances extraordinaires, telles que
le déclenchement d’une guerre ou une faillite imminente. La fonction de ces organismes – ou commissions – consiste à remettre à
l’Exécutif et à la législature, à intervalles réguliers, un rapport
portant sur les traitements et les autres avantages accordés aux
juges, à partir des propositions faites par le gouvernement à ce
sujet. Elles doivent se réunir si une période déterminée – entre
trois et cinq ans – s’est écoulée depuis leur dernier rapport 56.
Ces commissions doivent présenter trois caractéristiques
minimales57 : il faut qu’elles soient indépendantes, objectives et
efficaces. Leurs membres doivent bénéficier d’une certaine
inamovibilité, c’est-à-dire occuper leurs fonctions pendant une
période déterminée. Aucune restriction n’est posée quant à la
composition des commissions, en autant qu’elles soient constituées de membres nommés par le pouvoir judiciaire, d’une part, et
de membres nommés par les pouvoirs législatif et exécutif, d’autre
part. Leurs recommandations doivent s’appuyer sur des critères
objectifs et non sur des raisons d’opportunité politique, le but
poursuivi étant de présenter une série de recommandations objectives et équitables, dictées par l’intérêt public. La rémunération
des juges ne peut être modifiée avant que le gouvernement n’ait
reçu leur rapport qui, sans posséder de caractère contraignant,
doit avoir un « effet concret sur la détermination des traitements
des juges ». L’institution investie du pouvoir de fixer cette rémunération est tenue de répondre formellement au contenu de ce
rapport dans un délai spécifié. Elle doit justifier par un motif
pourrait chercher à punir certains d’entre eux à propos de jugements qui lui
auraient déplu ? Le Parlement ne risquerait-il pas ainsi de punir également les
juges dont il approuve les décisions ?
55. Renvoi de 1997, précité, note 47, p. 88 (par. 133). La Cour limite les développements de l’arrêt Valente consacrés à la sécurité financière des juges à la dimension
individuelle de l’indépendance judiciaire, alors que l’exercice auquel elle se livre
dans le Renvoi de 1997 concernerait plutôt sa dimension collective : ibid., p. 83
(par. 121).
56. Ibid., p. 94 (par. 147).
57. Ibid., p. 103-111 (par. 167-184).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
469
légitime et selon une norme de simple rationalité – au besoin
devant une cour de justice – sa décision de rejeter les recommandations formulées par la commission.
En ce qui concerne plus particulièrement la réduction du
traitement des juges, la Cour se fonde sur l’arrêt Beauregard pour
conclure qu’elle est possible à l’égard des membres des cours supérieures, même si elle découle d’une mesure visant seulement les
personnes rémunérées à même les fonds publics58. La situation
des autres juges est semblable, bien qu’ils ne soient pas visés par
l’article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 : leur rémunération
peut être haussée, bloquée ou réduite en suivant le processus obligatoire que la Cour impose59. Invoquant les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature adoptés par
l’ONU en 1985, la Cour précise cependant qu’il existe un seuil
minimal sous lequel la rémunération des juges ne peut être
abaissée ; elle se limite toutefois à le définir comme étant « le minimum requis par la charge de juge »60.
L’objectif de dépolitisation des rapports entre la magistrature et les autres institutions étatiques interdit aussi, selon la
Cour, toute négociation entre les juges ou leurs représentants et
ceux de l’Exécutif ou de la législature à propos des conditions
financières de leur charge61. Leur participation aux travaux de la
commission de rémunération remplace de telles négociations.
Une telle interdiction n’empêche toutefois pas les juges en chef
des tribunaux, de même que les organisations représentant les
juges, de soumettre des observations au gouvernement, entre
autres pour faire part de leurs préoccupations. Elle ne fait pas non
plus obstacle aux négociations concernant la forme que doit
prendre la commission de rémunération 62.
58. Ibid., p. 95-100 (par. 150-158).
59. Ibid., p. 101-102 (par. 162-164).
60. Ibid., p. 89-90 (par. 135) et 115-116 (par. 192-194). Les Principes fondamentaux
relatifs à l’indépendance de la magistrature ont été adoptés par la résolution 40/32
du 29 novembre 1985 et la résolution 40/146 du 13 décembre 1985. L’article 11 de
ces Principes fondamentaux n’est pas aussi explicite. Il se lit ainsi : « La durée
du mandat des juges, leur indépendance, leur sécurité, leur rémunération appropriée, leurs conditions de service, leurs pensions et l’âge de leur retraite sont
garantis par la loi ».
61. Ibid., p. 89 (par. 134) et 112-115 (par. 186-191).
62. Pour un exemple d’une telle convention existant en Ontario à l’époque du Renvoi
de 1997, voir la Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires et apportant des
modifications corrélatives à la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la
vie privée, L.O. 1994, c. 12, art. 16.
470
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Dans les mois qui suivent le Renvoi de 1997, trois arrêts
additionnels en précisent la portée immédiate. La doctrine de la
nécessité est utilisée par la Cour pour maintenir la validité des
jugements prononcés par les juges qui, selon la nouvelle définition
qu’elle en donne, ne bénéficiaient pas d’une sécurité financière
suffisante pour garantir leur indépendance au moment où ils ont
exercé leurs pouvoirs63. Afin de permettre la mise en place de commissions de rémunération dans les provinces où il n’en existait
pas encore, la Cour suspend pour une période d’un an64, puis de
deux mois supplémentaires65, tous les aspects de l’exigence constitutionnelle concernant ce mécanisme. Elle refuse aussi de décider
si le gouvernement est tenu de payer les frais engagés par les
juges pour participer aux travaux d’une commission de rémunération ou aux procédures judiciaires au cours desquelles il est appelé
à justifier sa réponse aux recommandations de la commission 66.
Le modèle développé dans le Renvoi de 1997 repose donc sur
un dialogue entre les autorités gouvernementales et la magistrature, qui s’articule en deux étapes. En premier lieu, le mécanisme
prévoit une phase d’échanges. Les mesures que les institutions
exécutives ou législatives se proposent d’adopter quant à la rémunération des juges font l’objet d’un examen dans le cadre d’un
forum où les divers intérêts en jeu peuvent être exprimés, ce qui
favorise une discussion large à ce sujet. En second lieu, le mécanisme comporte une phase de justification. La commission de
63. Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-duPrince-Édouard ; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la
Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard ; R. c. Campbell ; R. c. Ekmecic ; R. c.
Wickman ; Manitoba Provincial Judges Association c. Manitoba (Ministre de la
Justice), [1998] 1 R.C.S. 3, 11-14 (par. 4-8). À propos de cet arrêt et, de manière
générale, de la doctrine de la nécessité, voir Luc HUPPÉ, « Les conflits d’intérêts
institutionnels au sein de la magistrature », (2007-2008) 38 R.D.U.S. 127.
64. Ibid., p. 19-20 (par. 18).
65. Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-duPrince-Édouard ; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la
Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard ; R. c. Campbell ; R. c. Ekmecic ; R. c.
Wickman ; Manitoba Provincial Judges Association c. Manitoba (Ministre de la
Justice), [1998] 2 R.C.S. 443.
66. Elle affirme que la solution retenue à cet égard dans chaque dossier particulier
devrait être « juste, équitable et raisonnable » : R. c. Campbell, [1999] 2 R.C.S. 956,
960 (par. 5). Une demande de directives adressée par la Conférence des juges du
Québec à un juge unique de la Cour avait préalablement été rejetée pour défaut de
compétence : Dans l’affaire du renvoi présenté par le lieutenant-gouverneur en
conseil, en vertu de l’article 18 de la Supreme Court Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. S-10,
relativement à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-duPrince-Édouard, REJB 1998-09318 (C.S.C.).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
471
rémunération doit motiver ses recommandations. En retour, les
institutions exécutives ou législatives doivent expliquer par des
motifs rationnels leur décision de ne pas y adhérer entièrement, le
cas échéant.
Le centre de gravité de ce mécanisme se situe au sein de la
commission de rémunération. Même si la décision finale concernant le traitement des juges incombe aux représentants élus de la
population, ces derniers doivent obligatoirement tenir compte de
l’opinion que se forment, dans le cadre d’un forum extra-parlementaire, les quelques personnes qui composent la commission.
En dépit du fait que leurs recommandations doivent produire un
effet concret à propos d’une question « intrinsèquement politique »67, le rôle attribué aux commissions de rémunération par la
Cour suprême du Canada n’est cependant contrebalancé par
aucune mesure d’imputabilité de leurs membres.
Par rapport à la situation antérieure, le Renvoi de 1997
réduit donc considérablement la discrétion dont le gouvernement
ou le législateur disposent en ce qui a trait aux traitements des
juges. Le processus qui conduit aux recommandations des commissions de rémunération se substitue en partie aux délibérations qui, auparavant, précédaient l’adoption des dispositions
législatives ou des décrets gouvernementaux fixant la rémunération des juges. Le Renvoi de 1997 relègue ainsi à un rang secondaire la garantie constitutionnelle consacrée à l’article 100 de la
Loi constitutionnelle de 1867, une évolution que les arrêts Valente
et Beauregard laissaient déjà entrevoir.
Le modèle retenu dans cet arrêt ouvre aussi aux juges la possibilité de forcer les autorités gouvernementales à justifier devant
un tribunal le rejet partiel ou total des recommandations formulées par les commissions de rémunération. Un certain déséquilibre est ainsi créé en faveur des membres de la magistrature
puisque, par ailleurs, le Renvoi de 1997 n’impose aucune limitation à ceux-ci dans l’application du mécanisme de commission de
rémunération.
67. La Cour affirme dans le Renvoi de 1997 que « la rémunération des personnes
payées sur les fonds publics est une question intrinsèquement politique, en ce
sens qu’elle met en jeu des politiques générales d’intérêt public » : précité, note 47,
p. 92 (par. 142).
472
Revue du Barreau/Tome 72/2013
3. Mise à l’épreuve du modèle
Privés d’une partie de leur pouvoir sans qu’aucun texte constitutionnel ne l’exige, certains gouvernements tentent de minimiser l’effet des rapports que leur remettent les commissions de
rémunération. À l’inverse, forte de la garantie que lui procure
maintenant le processus obligatoire par lequel la rémunération
des juges est fixée, la magistrature en accentue la portée contraignante. Le conflit entre les autorités gouvernementales et la
magistrature commencé au milieu des années 1990 se poursuit
donc après le Renvoi de 1997 et donne lieu, à la première occasion,
à de nombreux recours judiciaires. Si la Cour suprême du Canada
souhaitait, au moyen des principes mis de l’avant dans cet arrêt,
atténuer les affrontements qui l’avaient convaincue d’intervenir
en cette matière, c’est de toute évidence un échec.
À l’époque du Renvoi de 1997, la Cour d’appel de la
Colombie-Britannique était déjà saisie d’un dossier concernant
le mécanisme de commission de rémunération établi dans cette
province68. Peu après l’arrêt de la Cour suprême du Canada,
d’autres litiges surgissent à l’égard des juges des cours provinciales en Alberta69, au Manitoba70, au Québec71 et à Terre68. Le jugement de première instance avait été rendu avant le Renvoi de 1997 : Re British Columbia (Judicial Compensation Committee), (1997) 139 D.L.R. (4th) 325
(B.C. S.C.). La Cour d’appel se prononce après le Renvoi de 1997 : Re British
Columbia Legislative Assembly Resolution on Judicial Compensation, (1998) 160
D.L.R. (4th) 477 (B.C. C.A.) ; demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du
Canada rejetée : [1999] 1 R.C.S. xii. Un autre jugement avait été rendu en première instance avant le Renvoi de 1997 et le tribunal s’était considéré lié par son
jugement antérieur : British Columbia (Provincial Court Judge) v. British Columbia, [1998] 3 W.W.R. 417 (B.C. S.C.), p. 483-485 (par. 234-243).
69. Provincial Judges’ Association (Alberta) v. Alberta, [1999] 10 W.W.R. 356 (Alb.
Q.B.) ; Alberta Provincial Judges’ Association v. Alberta, (1999) 177 D.L.R. (4th)
418 (Alb. C.A.), motifs additionnels quant aux dépens : Alberta v. Alberta Provincial Judges’ Association, 1999 ABCA 349 (CanLII) ; demande d’autorisation
d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée : [2000] 1 R.C.S. xviii. La Cour
d’appel a refusé de suspendre le jugement de première instance pendant l’appel :
Alberta Provincial Judges’ Association v. Alberta, 1999 ABCA 156 (CanLII). Pour
un commentaire de l’arrêt de la Cour d’appel, voir Michael PLAXTON, « Alberta
Provincial Judges’ Association v. Alberta: Trust and rationality », (2000) 38 Alb.
L.R. 903. Un autre dossier avait préalablement été suspendu pendant que la Cour
suprême du Canada était saisie du Renvoi de 1997 : Alberta Court of Queen’s
Bench Provincial Judges’ Association v. Alberta, [1996] 6 W.W.R. 738 (AB Q.B.).
70. Manitoba Provincial Judges’ Association v. Manitoba, (2001) 202 D.L.R. (4th) 698
(Man. Q.B.).
71. La Conférence des juges du Québec c. Procureure générale du Québec, [2000] R.J.Q.
744 (C.S.) ; La Conférence des juges du Québec c. Procureure générale du Québec,
[2000] R.J.Q. 2803 (C.A.). Ces contestations ont été considérées suffisamment
importantes pour accorder aux juges le droit de réclamer du gouvernement une
Revue du Barreau/Tome 72/2013
473
Neuve72. Ils mettent parfois au jour, chez les gouvernements, une
manière déplorable de traiter les membres de la magistrature, qui
peut permettre de comprendre le mouvement de revendication
amorcé quelques années auparavant ainsi que la réceptivité de la
Cour suprême du Canada à l’égard d’un processus comportant une
certaine dose de contrainte à l’endroit des autorités gouvernementales.
De manière générale, les tribunaux saisis de ces litiges appliquent largement le mécanisme de commissions de rémunération.
Son champ d’application est précisé en y incluant la rémunération
versée aux juges de paix73, ainsi que celle des juges municipaux,
même lorsqu’ils exercent leur fonction à temps partiel74. De plus,
dans les provinces où il existait déjà des commissions de rémunération, la jurisprudence apprécie à la lumière du Renvoi de 1997 la
façon dont, avant que cet arrêt ne soit rendu, les assemblées législatives avaient traité les rapports remis par ces commissions75.
Une telle perspective, qui conduit parfois les tribunaux à remonter jusqu’au début des années 1990, confère une portée rétroactive
aux principes énoncés dans le Renvoi de 1997.
Plusieurs aspects de ce mécanisme suscitent alors des interrogations ; à titre d’exemples : l’obligation du gouvernement de
72.
73.
74.
75.
474
portion substantielle des honoraires qu’ils y avaient encourus : Cain Lamarre
Casgrain Wells, avocats s.e.n.c. c. La Procureure générale du Québec, REJB
2000-19727 (C.S.) ; Langlois Gaudreau s.e.n.c. c. Le Procureur général du Québec,
REJB 2001-24787 (C.S.) ; La Conférence des juges du Québec c. Le Procureur général du Québec, REJB 2001-24471 (C.A.).
Newfoundland Association of Provincial Court Judges v. Newfoundland, (1998)
160 D.L.R. (4th) 337 (Nfd S.C.) ; Newfoundland Association of Provincial Court
Judges v. Newfoundland, (2000) 191 D.L.R. (4th) 225 (Nfd. C.A.).
En Colombie-Britannique : Re Independence of the Provincial Court of British
Columbia Justices of the Peace, (2001) 81 B.C.L.R. (3d) 164 (B.C. S.C.) p. 185 (par.
73) ; dans le même sens, voir aussi R. v. Do, 2001 BCSC 1088 (CanLII), par. 41-44 ;
R. v. Kier, 2002 BCPC 34 (CanLII). En Ontario : Ontario Federation of Justices of
the Peace Associoation v. Ontario, (1999) 171 D.L.R. (4th) 337 (Ont.C. G.D.D.C.),
p. 360 et 372.
La Conférence des juges municipaux du Québec c. La Procureure générale du
Québec, [2000] R.J.Q. 505 (C.S.), p. 518-519 (par. 51-52). Ce jugement constatait
notamment que la résolution gouvernementale écartant l’une des recommandations de la commission de rémunération n’assurait pas aux juges municipaux le
traitement minimum requis par leur fonction : p. 524 (par. 86).
Re British Columbia Legislative Assembly Resolution on Judicial Compensation,
(1998) 160 D.L.R. (4th) 477 (B.C. C.A.) ; Ontario Federation of Justices of the Peace
Association v. Ontario, (1999) 171 D.L.R. (4th) 337 (Ont.C. G.D.D.C.) ; Newfoundland Association of Provincial Court Judges v. Newfoundland, (2000) 191 D.L.R.
(4th) 225 (Nfd. C.A.). En sens contraire : La Conférence des juges du Québec c. Procureure générale du Québec, [2000] R.J.Q. 2803 (C.A.), p. 2814 (par. 65).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
soumettre des propositions à la commission de rémunération ; la
possibilité que le gouvernement prenne conseil auprès de tiers
avant de répondre aux recommandations de la commission, sans
en informer les membres de la magistrature ; les ressources mises
à la disposition de la commission ; le droit des associations de
juges d’obtenir un dédommagement à l’égard des frais encourus
pour faire leurs représentations ; l’étendue de la preuve recevable
devant le tribunal qui révise la décision gouvernementale de
rejeter des recommandations de la commission. Attentifs à l’application qui en est faite ailleurs au Canada, les tribunaux des
provinces concernées par ces litiges ne parviennent pas toujours
à une même analyse du fonctionnement du mécanisme. Le point
le plus délicat concerne la marge de discrétion laissée aux autorités gouvernementales pour justifier leur position à l’égard des
recommandations qui leur sont faites.
À l’aide d’une série détaillée de critères, la Cour d’appel
d’Alberta suggère à ce propos un parallèle avec l’obligation des tribunaux de motiver leurs jugements76. Elle refuse aussi que le gouvernement rejette une recommandation pour le motif qu’il préfère
d’autres mesures, même aussi satisfaisantes que celles proposées
par la commission, sa réponse devant plutôt être fondée sur une
option meilleure que celle qui lui est recommandée77. La Cour
d’appel du Québec aborde la question autrement. Considérant que
la commission de rémunération « fait en quelque sorte office
d’arbitre entre l’Assemblée nationale et la magistrature »78, elle
impose au gouvernement une retenue assez semblable à celle
attendue d’un tribunal d’appel : un motif légitime de refuser une
recommandation doit avoir trait à sa valeur intrinsèque – une
erreur déterminante de droit, une erreur palpable de faits ou un
abus du pouvoir d’appréciation – ou résulter d’un fait important
survenu depuis le dépôt du rapport de la commission79. Selon la
Cour d’appel de Terre-Neuve, au contraire, la commission ne
remplit pas la fonction d’arbitre d’un différend et ne rend pas de
décisions, mais fait simplement des recommandations80. Le gou76. Alberta Provincial Judges’ Association v. Alberta, (1999) 177 D.L.R. (4th) 418
(Alb. C.A.), p. 441 (par. 63).
77. Ibid., p. 435 (par. 40).
78. La Conférence des juges du Québec c. Procureure générale du Québec, [2000] R.J.Q.
2803 (C.A.), p. 2811 (par. 46).
79. Ibid., p. 2810 (par. 41).
80. Newfoundland Association of Provincial Court Judges v. Newfoundland, (2000)
191 D.L.R. (4th) 225 (Nfd. C.A.), p. 311 (par. 242).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
475
vernement n’a donc pas à démontrer que la position de la commission est erronée, irrationnelle ou déraisonnable. Il doit plutôt faire
valoir la rationalité de sa propre décision de s’écarter de ses
recommandations81.
À des degrés divers, ces jugements accordent un poids considérable à l’appréciation de la commission de rémunération quant
à ce que devrait être le traitement des juges. Il en résulte un fardeau non négligeable pour le gouvernement ou l’assemblée législative lorsqu’ils tiennent à faire prévaloir leur point de vue. De
plus, lorsque la réponse des autorités gouvernementales est considérée inadéquate, les tribunaux choisissent, sauf exception82, de
rendre contraignantes les recommandations de la commission de
rémunération, tout comme si on n’y avait pas répondu83. La Cour
de l’Ontario ordonne même une indexation de la rémunération
des juges de paix pendant la période nécessaire pour la mise en
place d’une commission de rémunération conforme aux principes
du Renvoi de 199784.
Une position encore plus coercitive est adoptée au Québec.
En 2001, la Cour supérieure ordonne au gouvernement de la province de faire adopter une loi dans un délai imparti afin de mettre
en œuvre les recommandations d’un comité de rémunération relativement aux pensions des juges. Bien que la Cour d’appel casse
cette ordonnance, qui contrevient au principe de la séparation des
pouvoirs, elle reconnaît néanmoins aux tribunaux le pouvoir
d’ordonner au gouvernement de déposer un projet de loi devant
l’Assemblée nationale afin de se conformer aux dispositions de la
81. Ibid., p. 262 (par. 94).
82. Ayant déclaré que la réponse de l’assemblée législative – qui avait rejeté l’ensemble des recommandations de la commission de rémunération – n’était pas
conforme aux standards applicables, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique
lui renvoie la question pour reconsidération : Re British Columbia Legislative
Assembly Resolution on Judicial Compensation, (1998) 160 D.L.R. (4th) 477 (B.C.
C.A.), p. 497 (par. 33).
83. Alberta Provincial Judges’ Association v. Alberta, (1999) 177 D.L.R. (4th) 418
(Alb. C.A.), p. 457 (par. 130) ; Manitoba Provincial Judges’ Association v. Manitoba, (2001) 202 D.L.R. (4th) 698 (Man. Q.B.), p. 735 (par. 90) ; La Conférence des
juges municipaux du Québec c. La Procureure générale du Québec, [2000] R.J.Q.
505 (C.S.), p. 524 (par. 87-88) ; La Conférence des juges du Québec c. Procureure
générale du Québec, [2000] R.J.Q. 2803 (C.A.), p. 2813 (par. 61) ; Newfoundland
Association of Provincial Court Judges v. Newfoundland, (2000) 191 D.L.R. (4th)
225 (Nfd. C.A.), p. 265-266 et 308 (par. 102, 104 et 232).
84. Ontario Federation of Justices of the Peace Association v. Ontario, (1999) 171
D.L.R. (4th) 337 (Ont. G.D.D.C.), p. 375-376.
476
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Loi sur les tribunaux judiciaires traitant de la rémunération des
juges85. Elle exercera d’ailleurs elle-même ce pouvoir peu après86.
Malgré l’ampleur de ces conflits, la Cour suprême du Canada
refuse deux fois de se saisir à nouveau de la question, en rejetant
les demandes de permission d’en appeler présentées à l’encontre
des arrêts rendus par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique
et la Cour d’appel d’Alberta87. Elle utilise plutôt l’occasion que lui
fournit un dossier concernant la fonction de juge surnuméraire
pour élargir le champ d’application des principes établis auparavant. Dans l’arrêt Mackin, la Cour invalide ainsi une loi éliminant
ce statut sans que le mécanisme de commission de rémunération
n’ait été préalablement appliqué88. Elle en arrive à cette conclusion en dépit du fait que la loi en cause était antérieure au Renvoi
de 1997, argumentant qu’il serait « injuste » de ne pas permettre
aux deux juges qui en contestaient la constitutionnalité de profiter des conclusions de son arrêt, rendu alors que leurs procédures
étaient pendantes devant un tribunal89.
Une nouvelle série de litiges surviennent bientôt en
Alberta90, en Ontario91, au Nouveau-Brunswick92, au Québec93 et
85. Procureur général du Québec c. Conférence des juges du Québec, [2003] R.J.Q.
2057 (C.A.), p. 2061 (par. 17).
86. Minc c. Procureur général du Québec, [2004] R.J.Q. 1475 (C.A.), p. 1482 (par. 54).
Dans le même sens, voir aussi Conférence des juges du Québec c. Procureur général
du Québec, [2007] R.J.Q. 1556 (C.S.), p. 1580 (par. 151).
87. Supra, notes 68 et 69.
88. Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances) ; Rice c. Nouveau-Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405, p. 432-434, 436 et 437-438 (par. 54-60, 67 et 69) (appelé
« l’arrêt Mackin » dans le présent texte).
89. Ibid., p. 440-441 (par. 74-76).
90. Bodner v. Alberta, [2001] 10 W.W.R. 444 (Alb. Q.B.), motifs additionnels publiés à
[2002] 8 W.W.R. 152 ; Bodner v. Alberta, (2003) 222 D.L.R. (4th) 284 (Alb. C.A.).
Un sursis d’exécution est accordé pendant l’appel auprès de la Cour d’appel : Bodner v. Alberta, (2002) 299 A.R. 150 (Alb. C.A.). La Cour d’appel refuse cependant
de se prononcer à l’égard d’une demande de sursis pendant l’appel à la Cour
suprême du Canada : Bodner v. Alberta, (2003) 327 A.R. 77 (Alb. C.A.).
91. Ontario Judges’ Association v. Ontario (Management Board), (2002) 58 O.R. (3d)
186 (Ont. S.C.J.D.C.) ; Ontario Judges’ Association v. Ontario (Management
Board), (2004) 233 D.L.R. (4th) 711 (Ont. C.A.).
92. Provincial Court Judges’ Association of New Brunswick v. New Brunswick (Minister of Justice), (2002) 213 D.L.R. (4th) 329 (N.B. Q.B.) ; Provincial Court Judges’
Association of New Brunswick v. New Brunswick (Minister of Justice), (2004) 231
D.L.R. (4th) 38 (N.B. C.A.). Une version bilingue de l’arrêt de la Cour d’appel est
publiée à (2003) 260 N.B.R. (2d) 201.
93. Conférence des juges du Québec c. Procureur général du Québec, [2003] R.J.Q.
1488 (C.S.) ; Minc c. Procureur général du Québec, [2003] R.J.Q. 1510 (C.S.) ; Procureur général du Québec c. Conférence des juges du Québec, [2004] R.J.Q. 1450
(C.A.) ; Minc c. Procureur général du Québec, [2004] R.J.Q. 1475 (C.A.). La Cour
Revue du Barreau/Tome 72/2013
477
à Terre-Neuve94. Des divergences majeures surgissent entre les
cours d’appel, particulièrement en ce qui a trait à l’appréciation –
plus ou moins sévère – des motifs donnés par les autorités gouvernementales pour écarter les recommandations des commissions
de rémunération95. Dans l’application du test de rationalité
simple énoncé dans le Renvoi de 1997, la Cour d’appel d’Alberta
utilise un standard de justification élevé et considère que le gouvernement doit démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles96. La Cour d’appel de l’Ontario considère plutôt que la
révision judiciaire de la réponse du gouvernement doit être « a
cautious and modest review »97. Atténuant la portée d’un précédent arrêt, la Cour d’appel du Québec exprime l’avis que la norme
de justification à laquelle le gouvernement est tenu « ne doit pas
avoir pour effet de transformer le processus constitutionnel en
une forme d’arbitrage obligatoire, ce qu’il n’est pas »98.
Les nombreux litiges qui se sont rapidement développés
après le Renvoi de 1997 dévoilent une conséquence vraisemblablement inattendue de cet arrêt : il crée les conditions d’un affrontement récurrent entre la magistrature et les autres institutions de
l’État. À intervalles réguliers, le dialogue souhaité par la Cour
suprême du Canada force les parties à ce mécanisme à prendre
position, à confronter leurs points de vue et à décider si son application a produit un résultat dont elles peuvent se satisfaire. De
façon cyclique, les divergences de vue et les antagonismes pouvant exister entre les parties sont ainsi mis en lumière, voire
exacerbés.
Ces litiges illustrent aussi la difficulté de définir concrètement le niveau d’autorité des commissions de rémunération par
94.
95.
96.
97.
98.
478
d’appel refuse l’exécution provisoire de l’un des jugements de première instance :
Procureur général du Québec c. Conférence des juges du Québec, 2003 CanLII
25736 (QC C.A.).
Newfoundland Association of Provincial Court Judges v. Newfoundland and
Labrador, (2003) 229 Nfld & PEIR 109 (Nfd. S.C.T.D.).
Pour un sommaire de cette jurisprudence, voir C. Michael MITCHELL et Vanessa
PAYNE, Judicial Independence and the Standard of Simple Rationality, (2004)
17 R.N.D.C. 305.
Bodner v. Alberta, (2003) 222 D.L.R. (4th) 284 (Alb. C.A.), p. 315 (par. 111) et 319
(par. 130). Ce test sera repris par la suite : Alberta Provincial Judges’ Association
v. Alberta, [2005] 11 W.W.R. 504 (Alb. Q.B.), p. 526 (par. 118).
Ontario Judges’ Association v. Ontario (Management Board), (2004) 233 D.L.R.
(4th) 711 (Ont. C.A.), p. 733 (par. 65.).
Procureur général du Québec c. Conférence des juges du Québec, [2004] R.J.Q.
1450 (C.A.), p. 1458 (par. 32). Pour la position exprimée antérieurement à ce sujet,
voir supra, note 78.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
rapport à la législature et au gouvernement. Au plan démocratique, cet enjeu est capital. Il concerne le degré de contrôle que la
société est en mesure de conserver, par l’intermédiaire de ses
représentants élus, à l’égard de la rémunération des juges. Si la
jurisprudence accorde un trop grand poids aux recommandations
des commissions de rémunération, il existe une possibilité réelle
que les institutions représentatives de la population perdent une
partie de leur souveraineté99. De plus, le recours rendu disponible
aux juges par ce mécanisme conduit leurs associations à se placer
en opposition à ces institutions afin de faire prévaloir les recommandations des commissions de rémunération, une démarche
susceptible de miner la crédibilité de la magistrature auprès des
justiciables si elle n’est pas exercée dans des conditions favorables.
Au sein même de la magistrature, les principes du Renvoi de
1997 suscitent des réserves. Le juge ayant exprimé une dissidence
dans cet arrêt considère que les commissions de rémunération
imposées par la majorité « équivalent pratiquement à un quatrième organe du gouvernement pour surveiller l’interaction
entre les organes politiques et le pouvoir judiciaire »100. De même,
les juges dissidents dans l’arrêt Mackin lancent la mise en garde
suivante : à moins que les principes relatifs à la sécurité financière
des juges « ne soient interprétés en fonction des intérêts d’ordre
public qu’ils visent à servir, il y a danger que leur application compromette la confiance du public dans les tribunaux, au lieu de
l’accroître »101. Dès l’an 2000, en s’appuyant sur le principe de la
séparation des pouvoirs et le respect des valeurs démocratiques,
un juge de la Cour d’appel de Terre-Neuve avait aussi invité la
Cour suprême du Canada à reconsidérer les principes du Renvoi
de 1997102.
99.
100.
101.
102.
C’est d’ailleurs ainsi que l’effet du mécanisme est ultérieurement présenté par
la Cour supérieure du Québec. Celle-ci mentionne que l’attitude du gouvernement du Québec à l’égard des rapports des comités de rémunération « fait ressortir une profonde difficulté de sa part à consentir à céder une partie de sa
souveraineté, dont son pouvoir de décider unilatéralement du traitement des
juges » : Conférence des juges du Québec c. Procureur général du Québec, [2007]
R.J.Q. 1556 (C.S.), p. 1575 (par. 102).
Précité, note 47, p. 196 (par. 344).
Précité, note 88, p. 453 (par. 116). Sans remettre en question la solution adoptée
dans le Renvoi de 1997, les juges dissidents portent leur attention sur « les limites de ce que l’on peut qualifier équitablement de questions touchant la garantie
de sécurité financière » : ibid., p. 455 (par. 121).
Newfoundland Association of Provincial Court Judges v. Newfoundland, (2000)
191 D.L.R. (4th) 225 (Nfd. C.A.), p. 480-482 (par. 741-747).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
479
4. Reformulation des principes
C’est dans ce contexte mouvementé que la Cour suprême du
Canada procède, en 2005, à un réexamen du mécanisme de commission de rémunération, dans l’arrêt Association des juges de la
Cour provinciale du Nouveau-Brunswick103. Déplorant que les
principes développés dans son arrêt de 1997 n’aient pas mis fin
aux conflits, elle introduit son analyse par une remarque inhabituellement sévère : « Loin de diminuer, les frictions entre les juges
et les gouvernements se sont envenimées. Il n’y a plus de négociations directes, celles-ci ayant été remplacées par des litiges. Ces
événements regrettables donnent une piètre image de ceux qui y
sont associés »104.
Pour autant, la Cour ne remet pas en cause la voie qu’elle a
choisie. Sans même faire état des nombreuses critiques formulées
par la doctrine à l’égard du Renvoi de 1997, ni mentionner les
réserves exprimées par certains membres de la magistrature, elle
confirme que les principes établis dans cet arrêt demeurent valables105 et entreprend de les reformuler. Elle se penche plus particulièrement sur trois aspects du mécanisme : la nature et le rôle
des commissions de rémunération106 ; la discrétion dont les
gouvernements disposent pour répondre à leurs recommandations107 ; l’ampleur du contrôle judiciaire pouvant être exercé à
l’égard de la réponse gouvernementale 108.
Bien que la Cour précise que les commissions de rémunération n’agissent pas à titre d’arbitre de différends, ni à titre de tri103.
105.
106.
107.
108.
Association des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick c. Nouveau-Brunswick (ministre de la Justice) ; Association des juges de l’Ontario c.
Ontario (Conseil de gestion) ; Bodner c. Alberta ; Conférence des juges du Québec
c. Québec (Procureur général) ; Minc c. Québec (Procureur général), [2005] 2
R.C.S. 286 (appelé « l’arrêt Association des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick » dans le présent texte). Aucun des membres de la Cour ayant
concouru à cet arrêt unanime n’avait participé au Renvoi de 1997. Pour un commentaire de cet arrêt, voir Lori STERLING et Sean HANLEY, Judicial Independence Revisited, (2006) 34 Sup. Ct. L.R. (2nd) 57.
Ibid., p. 303 (par. 12). Quelques années auparavant, la Cour d’appel de TerreNeuve constatait elle aussi que le Renvoi de 1997 avait pour résultat que « [...]
litigation, as a means of resolving some of the issues relating to financial
matters as they affect judicial independence, has become constitutionalized » :
Newfoundland Association of Provincial Court Judges v. Newfoundland, (2000)
191 D.L.R. (4th) 225 (Nfd. C.A.), p. 235 (par. 3).
Ibid., p. 303 (par. 13).
Ibid., p. 303 à 305 (par. 14 à 21).
Ibid., p. 306-307 (par. 22 à 27).
Ibid., p. 307 à 311 (par. 28 à 41).
480
Revue du Barreau/Tome 72/2013
104.
bunal judiciaire, elle définit néanmoins leur fonction au moyen
d’attributs semblables à ceux d’un processus judiciaire menant à
une décision. Devant la commission, le gouvernement est une
« partie », dont les « arguments » sont « examinés » et qui a droit à
une « audience équitable et objective ». Ce que la commission justifie et explique dans son rapport, c’est « sa position », qu’elle doit
adéquatement motiver. De toute évidence, le rôle attribué par la
Cour aux commissions de rémunération repose sur l’idée qu’elles
constituent, aux plans juridique, social et politique, des organismes plus adéquats que les autorités gouvernementales pour
déterminer le niveau de rémunération approprié pour les juges.
Mais, pas plus que dans le Renvoi de 1997, la validité de cette
prémisse de base ne fait-elle l’objet d’une démonstration.
La discrétion dont les autorités gouvernementales disposent
pour répondre aux recommandations d’une commission de rémunération demeure bien fermement encadrée par la Cour. Elle
affirme que le pouvoir du gouvernement de déterminer la rémunération des juges n’est pas absolu et qu’il lui faut accorder du poids
aux recommandations de la commission. Sa réponse doit porter
sur les recommandations elles-mêmes plutôt que sur les positions
exposées auprès de la commission et que celle-ci a déjà abordées :
« à cette étape, ce sont les recommandations qui importent »109.
Les motifs que le gouvernement donne pour s’en écarter doivent
révéler que les recommandations ont été prises en compte de
façon concrète. Il ne peut se contenter de les rejeter ou de les
désapprouver, sans plus. Tout comme dans le Renvoi de 1997, la
position de la Cour est fondée sur une certaine méfiance à l’endroit
du gouvernement, à qui on rappelle son obligation « d’agir honorablement » et de bonne foi, sans donner à penser qu’il cherche « à
manipuler la magistrature ».
L’arrêt Association des juges de la Cour provinciale du
Nouveau-Brunswick traite dans une nouvelle perspective le contrôle judiciaire de la réponse gouvernementale aux recommandations de la commission. Puisqu’il n’appartient pas aux tribunaux
de décider si la rémunération des juges est suffisante ou adéquate,
ces derniers exercent une « forme limitée » de contrôle judiciaire à
ce sujet. Ils doivent être guidés par un principe de retenue, qui
reconnaît « l’expertise accumulée du gouvernement et sa responsabilité constitutionnelle en matière de gestion des finances » et
109.
Ibid., p. 306 (par. 23).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
481
qui tient compte du fait que les recommandations de la commission n’ont pas de caractère obligatoire. L’analyse se concentre
alors sur trois questions : la légitimité des motifs pour lesquels le
gouvernement s’écarte des recommandations de la commission ;
le fondement factuel de ces motifs ; l’atteinte des objectifs poursuivis par le mécanisme, soit la préservation de l’indépendance
judiciaire et la dépolitisation de la rémunération des juges. Le
troisième volet exige de considérer la réponse du gouvernement
de façon globale afin de déterminer s’il « s’est engagé concrètement dans le recours à une commission » et si, dans son ensemble,
sa réponse « comporte des lacunes inacceptables ».
Au stade du contrôle judiciaire, la Cour suprême du Canada
aborde donc de manière significativement différente la position
du gouvernement. Celui-ci n’est plus considéré comme une
« partie » qui fait valoir des « arguments », mais comme une instance décisionnelle dont l’opinion doit prévaloir s’il agit rationnellement. Cependant, cette retenue est assortie d’une condition :
dans la phase préalable du processus, le gouvernement doit considérer avec toute l’attention requise les recommandations de la
commission et prendre ses décisions par rapport à la perspective
de cette dernière quant au niveau approprié de la rémunération
des juges.
La Cour termine sa reformulation des principes élaborés
dans le Renvoi de 1997 en abordant brièvement l’éventail des
réparations disponibles lorsque le tribunal conclut à l’insuffisance
de la réponse gouvernementale110. Elle invite les tribunaux à
n’empiéter ni sur le rôle de la commission de rémunération, ni sur
celui du législateur. La réparation appropriée consiste généralement à renvoyer l’affaire au gouvernement pour réexamen, ou à la
renvoyer à la commission si les difficultés éprouvées lui sont attribuables. À moins que des dispositions législatives ne le prévoient,
les tribunaux doivent s’abstenir de forcer la mise en œuvre des
recommandations de la commission. De manière incidente, la
Cour confirme implicitement – puisqu’elle n’aborde pas directement la question – que le contrôle judiciaire peut être exercé non
seulement à l’égard de la réponse gouvernementale, mais aussi à
l’égard du rapport de la commission de rémunération 111.
110.
111.
Ibid., p. 312 (par. 42 à 44).
Ibid., p. 361-363 (par. 166 à 168). L’appel concernait notamment des procédures
intentées par un groupe de juges municipaux du Québec, qui contestaient la
recommandation formulée par une commission de rémunération – et acceptée
482
Revue du Barreau/Tome 72/2013
La reformulation du mécanisme de commission de rémunération par l’arrêt Association des juges de la Cour provinciale du
Nouveau-Brunswick aboutit donc à un résultat mitigé. En dépit
du fait qu’elle maintient le caractère primordial de la fonction
exercée par la commission de rémunération, la Cour suprême du
Canada ne prévoit qu’une intervention réduite des tribunaux à
l’étape du contrôle judiciaire de la réponse gouvernementale. Est
ainsi écartée la solution largement utilisée par les tribunaux à
compter du Renvoi de 1997, qui consistait à ordonner eux-mêmes
la mise en œuvre des recommandations des commissions de rémunération. Une conséquence importante découle de cette position :
en principe, c’est uniquement par l’entremise des autorités gouvernementales que les juges peuvent obtenir une bonification de
leur rémunération. Ils ne peuvent passer outre à leur autorité à ce
sujet en s’adressant aux tribunaux. En réduisant la portée du
recours mis à la disposition des juges pour contester le rejet des
recommandations de la commission, la Cour raffermit donc leur
assujettissement envers les institutions représentatives de la
population à cet égard.
Si les réparations disponibles donnent la mesure du droit
conféré, il faut conclure que la Cour a voulu, par cet arrêt, réduire
les attentes de la magistrature et rééquilibrer le mécanisme en
faveur des autorités gouvernementales. Ainsi pourrait s’expliquer son refus, dans le cadre d’une requête ultérieure présentée
par des membres de la magistrature québécoise, de revoir certains
paragraphes de son arrêt traitant précisément des réparations
disponibles lors du contrôle judiciaire de la réponse gouvernementale112. L’objectif déclaré de la Cour est que « grâce aux indications
112.
par le gouvernement – de mettre fin à la parité de leur traitement avec celui des
juges de la Cour du Québec. Le tribunal de première instance ne s’était pas non
plus prononcé à propos de la compétence des tribunaux pour réviser les recommandations d’une commission de rémunération : Minc c. Procureur général du
Québec, [2003] R.J.Q. 1510 (C.S.). La Cour d’appel avait annulé la recommandation du comité de rémunération sans discuter de la recevabilité du recours des
juges : Minc c. Procureur général du Québec, [2004] R.J.Q. 1475 (C.A.), p. 1481
(par. 48-49). De son côté, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick avait auparavant décidé qu’une recommandation défavorable aux juges, et acceptée par le
gouvernement, ne pouvait faire l’objet de révision judiciaire, sauf en des circonstances exceptionnelles : Provincial Court Judges’ Association of New Brunswick
v. New Brunswick (Minister of Justice), (2004) 231 D.L.R. (4th) 38 (N.B. C.A.),
p. 68 (par. 73). Par ailleurs, la Cour divisionnaire de l’Ontario avait exprimé
l’avis que les recommandations de la commission (qui avaient force obligatoire
dans cette province) sont sujettes à révision judiciaire Ontario Conference of
Judges v. Ontario (Chair, Management Board), (2005) 71 O.R. (3d) 528 (Ont.
S.C.J.D.C.), p. 539 (par. 41-43).
Conférence des juges du Québec c. Québec (Procureur général), [2005] 3 R.C.S. 41.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
483
données dans les présents motifs, les tribunaux seront rarement
appelés à intervenir »113.
5. Persistance des conflits
Que ce soit en raison des admonestations de la Cour suprême
du Canada, de sa reformulation des principes relatifs à la sécurité
financière des juges, ou simplement par lassitude à l’égard des
conflits, on constate une diminution substantielle des litiges relatifs à l’application du mécanisme de commission de rémunération
après l’arrêt Association des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick114. D’autres groupes de juges ou de décideurs font
reconnaître par les tribunaux que ce mécanisme leur est applicable : des juges exerçant leurs fonctions à temps partiel à l’égard
des petites créances115, des juges de paix à temps partiel116,
des protonotaires117, des masters118. Une telle extension tend à
démontrer que, même rééquilibré en faveur des autorités gouvernementales, le mécanisme est de nature à procurer de meilleures
conditions financières à ceux qui en bénéficient. Des décideurs
administratifs échouent cependant à obtenir cet avantage119.
113.
114.
115.
116.
117.
118.
119.
484
Association des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick, précité,
note 103, p. 307-308 (par. 28). Elle avait aussi affirmé, dans le Renvoi de 1997,
que « le fait de porter une affaire en justice [...] est la solution de dernier recours
des parties qui ne peuvent s’entendre sur leurs droits et responsabilités juridiques » : précité, note 47, p. 33 (par. 7).
Pour un état de la situation à la suite de cet arrêt, voir Lori STERLING et Sean
HANLEY, The Case for Dialogue in the Judicial Remuneration Process, dans
Adam DODEK et Lorne SOSSIN, Judicial Independence in Context, Toronto,
Irwin Law Inc., 2010, p. 37 ; Lorne SOSSIN, Between the Judiciary and the Executive: The Elusive Search for a Credible and Effective Dispute Resolution
Mechanism, ibid., p. 63.
Ontario Deputy Judges Association v. Ontario, (2006) 78 O.R. (3d) 504 (Ont.
S.C.J.), p. 519-520 (par. 59) ; Ontario Deputy Judges Association v. Ontario,
(2006) 268 D.L.R. (4th) 86 (Ont. C.A.), p. 94 (par. 28) ; par la suite, ces juges
contestent sans succès le premier rapport de la commission de rémunération
établie en conséquence de cet arrêt : Ontario Deputy Judges Association v. Ontario, (2009) 251 O.A.C. 241 (Ont. S.C.J.D.C.).
Nova Scotia Presiding Justices of the Peace Association v. Nova Scotia (Attorney
General), 2013 NSSC 40 (CanLII).
Aalto c. Canada (Procureur général), [2010] 3 R.C.F. 312 (C.F.), p. 319 (par. 7) ;
Aalto v. Canada (Attorney General), (2010) 405 N.R. 225 (C.A.F.), p. 227 (par. 7),
autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada refusée : [2011] 1 R.C.S. v.
Masters’ Association of Ontario v. Ontario, (2010) 322 D.L.R. (4th) 76 (Ont.
S.C.J.) ; Masters’ Association of Ontario v. Ontario, (2011) 333 D.L.R. (4th) 160
(Ont. C.A.).
Association des juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles c. Procureur général du Québec, [2011] R.J.Q. 774 (C.S.), p. 794 (par.
224-225) ; Association des juges administratifs de la Commission des lésions
professionnelles c. Procureur général du Québec, 2013 QCCA 1690 (CanLII),
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Mais les litiges persistent néanmoins à propos de la rémunération des juges de nomination provinciale au Québec, au
Nouveau-Brunswick, au Manitoba, en Colombie-Britannique et
en Ontario. Ils donnent lieu à l’expression d’un désenchantement
de la part des tribunaux appelés à en décider, la conduite des
parties dans la mise en œuvre du mécanisme faisant l’objet de
commentaires peu flatteurs. La jurisprudence de cette période
contient aussi certaines constatations qui montrent, au plan
pratique, la fragilité des postulats sur lesquels repose le Renvoi de
1997. Après plus d’une décennie de réflexion et d’expérimentation, l’application du mécanisme de commission de rémunération
demeure problématique.
Au Québec, la Cour supérieure relève ainsi qu’« après plus de
20 ans de commissions indépendantes, jamais le gouvernement
n’a voulu appliquer les recommandations faites » et qu’il semble
« que le mécanisme indépendant mis sur pied n’atteint pas ses
objectifs »120. Elle fait aussi état que depuis le Renvoi de 1997, les
contestations judiciaires de la part de la magistrature « constituent la règle plutôt que l’exception »121. La Cour d’appel considère
même la situation comme « extrêmement préoccupante » et fait le
constat que « loin d’avoir dépolitisé la question de la rémunération
des juges, la procédure mise en place en 1997, telle qu’elle a été
utilisée par les parties, a fait le contraire »122. Elle souligne aussi
que « plutôt que de prévenir des litiges sur la rémunération des
juges, il semble que le recours à des comités les ait alimentés »123.
Il en est de même au Nouveau-Brunswick, où la Cour du banc
de la Reine en arrive à la conclusion que le processus mis en place
pour établir la rémunération des juges a favorisé les inconduites,
les commentaires regrettables ainsi que l’antagonisme entre les
120.
121.
122.
123.
par. 136 à 140. Une demande d’ordonnance de sauvegarde avait été rejetée préalablement au jugement de la Cour supérieure : Association des juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles c. Procureur général du
Québec, 2010 QCCS 3357 (CanLII) ; dans le même sens, voir Association des
régisseurs de la Régie du logement c. Procureur général du Québec, 2011 QCCS
6187 (CanLII).
Conférence des juges du Québec c. Procureur général du Québec, [2007] R.J.Q.
1556 (C.S.), p. 1574 (par. 95).
Procureur général du Québec c. Conférence des juges du Québec, [2006] R.J.Q.
2733 (C.S.), p. 2749 (par. 111) ; Procureur général du Québec c. Conférence des
juges municipaux du Québec, 2006 QCCS 5297 (CanLII), par. 117.
Procureur général du Québec c. Conférence des juges du Québec, [2007] R.J.Q.
2295 (C.A.), p. 2307 (par. 73).
Ibid., p. 2306 (par. 69).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
485
parties124. Plus grave encore est l’appréciation de la Cour du banc
de la Reine du Manitoba, qui qualifie d’abject le défaut du gouvernement de respecter le mécanisme de commission de rémunération125. En Colombie-Britannique, la Cour suprême de la province
évoque le manque de transparence du gouvernement provincial126 ; afin de tester sa bonne foi, les tribunaux lui avaient
d’ailleurs ordonné de fournir certains documents soumis au cabinet pour la préparation de sa réponse aux recommandations de la
commission de rémunération127.
Peut-être en raison de telles appréciations, les tribunaux
mettent fréquemment de côté le principe énoncé dans l’arrêt Association des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick
quant à la réparation applicable lorsque la réponse du gouvernement ne satisfait pas au critère de rationalité. Au Québec, l’affaire
est parfois renvoyée au gouvernement128, conformément aux
124.
125.
126.
127.
128.
486
New Brunswick Provincial Court Judges’ Association v. New Brunswick (Minister of Justice and Consumer Affairs), (2009) 335 N.B.R. (2d) 169 (N.B. Q.B.),
p. 181 (par. 29).
« [...] the government failed, in an abject manner, to respect the process for resolving issues pertaining to judicial salaries and benefits with the result that the
neither of the purposes of the process was achieved » : Manitoba Provincial Judges Association v. Manitoba, [2012] 8 W.W.R. 340 (Man. Q.B.), p. 379-380 (par.
155). Dans ce dossier, le tribunal a aussi ordonné au gouvernement de rembourser les honoraires judiciaires encourus par les juges : Judges of the Provincial
Court of Manitoba v. Her Majesty the Queen, 2012 MBQB 153 (CanLII). Tout en
confirmant le jugement de première instance, la Cour d’appel apprécie néanmoins la conduite du gouvernement de façon moins incisive : Judges of the Provincial Court (Man.) v. Manitoba, 2013 MBCA 74 (CanLII), par. 72, 155 et 189.
« The Cabinet briefing document, signed by the Attorney General, evidenced, at
best, a lack of good faith commitment to the constitutional process. At worst, it is
a deliberate information shell game » : Provincial Court Judges’ Association of
British Columbia v. British Columbia (Attorney General), 2012 BCSC 1022
(CanLII), par. 81. Dans ce dossier, le tribunal a tenu compte de la conduite du
gouvernement dans la détermination des dépens payables aux juges : Provincial
Court Judges’ Association of British Columbia v. British Columbia (Attorney
General), [2013] 1 W.W.R. 369 (B.C. S.C.).
Provincial Court Judges’ Association of British Columbia v. British Columbia
(Attorney General), 2012 BCCA 157 (CanLII). Le tribunal de première instance
en était arrivé à la même conclusion : Provincial Court Judges’ Association of
British Columbia v. British Columbia (Attorney General), 2012 BCSC 244
(CanLII). Un sursis d’exécution a été accordé pendant l’appel : Provincial Court
Judges’ Association of British Columbia v. British Columbia (Attorney General),
2012 BCCA 136.
Conférence des juges du Québec c. Procureur général du Québec, [2006] R.J.Q.
1072 (C.S.) ; Conférence des juges municipaux du Québec c. Procureur général du
Québec, 2006 QCCS 1358 (CanLII). Les déclarations d’inconstitutionnalité prononcées dans ces dossiers ont fait l’objet d’une suspension temporaire : Conférence des juges du Québec c. Procureur général du Québec, 2006 QCCS 1357
(CanLII) ; Conférence des juges municipaux du Québec c. Procureur général du
Québec, 2006 QCCS 4003 (CanLII).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
directives données par la Cour suprême du Canada, quitte à ce
que les recommandations de la commission de rémunération
deviennent obligatoires si le gouvernement n’y répond pas dans
un délai imparti129. Par contre, des tribunaux du Québec130, du
Nouveau-Brunswick131 et du Manitoba132 ordonnent plutôt la
mise en œuvre des recommandations sans que le gouvernement
n’ait à se prononcer à nouveau. En Colombie-Britannique133, le
renvoi du dossier au gouvernement entraîne une contestation
de la seconde réponse gouvernementale par la magistrature134,
comme cela s’était auparavant produit au Québec. Par ailleurs,
la Cour d’appel de l’Ontario précise que c’est par la voie d’une
demande de révision judiciaire, et non d’une demande de jugement déclaratoire, que la réponse du gouvernement peut être
contestée135.
Le mécanisme mis en place par le Renvoi de 1997 avait pour
but d’éviter les négociations entre la magistrature et les autorités
gouvernementales à propos de la rémunération des juges. La
jurisprudence subséquente à l’arrêt Association des juges de la
Cour provinciale du Nouveau-Brunswick révèle pourtant que la
volonté de négocier subsiste. Selon l’appréciation de la Cour
d’appel du Québec, le gouvernement de la province aurait traité
129.
130.
131.
132.
133.
134.
135.
Procureur général du Québec c. Conférence des juges du Québec, [2007] R.J.Q.
2295 (C.A.) ; Procureur général du Québec c. Conférence des juges municipaux du
Québec, 2007 QCCA 1251 (CanLII). Dans ces dossiers, le tribunal de première
instance avait plutôt ordonné la mise en œuvre des recommandations : Procureur général du Québec c. Conférence des juges du Québec, [2006] R.J.Q. 2733
(C.S.), p. 2751 (par. 129-130) ; Procureur général du Québec c. Conférence des
juges municipaux du Québec, 2006 QCCS 5297, par. 146-147.
Conférence des juges du Québec c. Procureur général du Québec, [2007] R.J.Q.
1556 (C.S.) ; ce jugement n’a pas été porté en appel et le gouvernement s’y est
conformé, tel que le relate la Cour d’appel dans un arrêt subséquent : Procureur
général du Québec c. Conférence des juges du Québec, [2007] R.J.Q. 2295 (C.A.),
p. 2305 (par. 55). Voir aussi Conférence des juges municipaux du Québec c. Procureur général du Québec, 2007 QCCS 2673 (CanLII). Les procureurs des juges
ont obtenu un honoraire spécial pour ces dossiers : Langlois Kronström Desjardins c. Procureur général du Québec, EYB 2007-126722 (C.S.).
New Brunswick Provincial Court Judges’ Association v. New Brunswick (Minister of Justice and Consumer Affairs), (2009) 347 N.B.R. (2d) 296 (N.B. C.A.),
p. 349-351 (par. 46 à 48).
Judges of the Provincial Court (Man.) v. Manitoba, 2013 MBCA 74 (CanLII),
par. 158 à 162.
Provincial Court Judges’ Association of British Columbia v. British Columbia
(Attorney General), 2012 BCSC 1022 (CanLII), par. 110 à 112.
Le gouvernement a tenté en vain de faire rejeter cette contestation à un stade
préliminaire : Provincial Court Judge’s Association of British Columbia v. British Columbia (Attorney General), 2013 BCSC 1302 (CanLII).
Association of Justices of the Peace of Ontario v. Her Majesty the Queen in Right
of the Province of Ontario, 2013 ONCA 532 (CanLII), par. 12.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
487
les rapports des comités de rémunération comme une offre de son
vis-à-vis dans le cadre d’une négociation collective, à laquelle il
pouvait répondre par une contre-offre136. Même constat par la
Cour du banc de la Reine de l’Alberta, qui en vient à la conclusion
que le gouvernement provincial négocie par l’intermédiaire de la
commission de rémunération : en présentant d’abord une offre
délibérément basse puis, dans le cadre de sa réponse au rapport de
la commission, en se servant d’une bonification de son offre initiale comme justification pour écarter ses recommandations 137.
Une préoccupation fondamentale du Renvoi de 1997 consistait à empêcher la manipulation financière de la magistrature par
les autorités gouvernementales. En dépit des litiges continuels
concernant la rémunération des juges de nomination provinciale
au Québec – et c’est ici qu’ils ont été les plus nombreux – la Cour
d’appel de la province fait néanmoins une constatation de première importance à ce sujet en 2007. Elle considère qu’il n’est pas
vraisemblable que les conflits découlant du mécanisme de commission de rémunération aient eu pour source une volonté gouvernementale d’influencer le déroulement et l’issue des litiges portés
devant les tribunaux de compétence provinciale, ou encore que le
gouvernement se soit livré à de l’ingérence politique par le biais de
la manipulation financière138. Cette constatation montre que le
refus du gouvernement d’entériner les recommandations d’une
commission de rémunération n’est pas forcément fondé sur des
motifs illégitimes du seul fait qu’il ne cadre pas avec les principes
développés par la Cour suprême du Canada et qu’il est, pour cette
raison, jugé invalide.
Le système mis en place par le Renvoi de 1997 crée, en
quelque sorte, une présomption que les recommandations de la
commission de rémunération sont appropriées, puisqu’il appar136.
137.
138.
488
Procureur général du Québec c. Conférence des juges du Québec, [2007] R.J.Q.
2295 (C.A.), p. 2307 (par. 74).
Alberta Provincial Judges’ Association v. Alberta, (2005) 11 W.W.R. 504 (Alb.
Q.B.), p. 518 (par. 61).
Procureur général du Québec c. Conférence des juges du Québec, [2007] R.J.Q.
2295 (C.A.), p. 2307 (par. 72). La Cour supérieure en est par la suite venue à la
même conclusion à l’égard des juges de paix : Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Procureur général du Québec, [2012] R.J.Q. 729 (C.S.), p. 761
(par. 168). Dans un litige concernant ses protonotaires, la Cour fédérale a aussi
considéré que la réponse du gouvernement, bien que ne satisfaisant pas au critère de rationalité, ne révélait aucun objectif politique inapproprié, ni aucune
intention de manipuler ou d’influencer les fonctionnaires judiciaires concernés :
Aalto c. Canada (Procureur général), [2010] 3 R.C.F. 312 (C.F.), p. 342 (par. 55).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
tient aux autorités gouvernementales de justifier adéquatement
leur décision de s’en écarter. Mais une telle présomption est-elle
fondée ? Dans un jugement de 2012, la Cour suprême de la
Colombie-Britannique rapporte l’avis suivant, émis par une commission de rémunération dont le gouvernement avait partiellement écarté les recommandations : « judicial compensation forms
such a small part of Government expenditure that increases in
that compensation will always be affordable »139. Un tel point de
vue ne peut que créer des attentes élevées chez les juges, susciter
la résistance du gouvernement et, par voie de conséquence, alimenter les conflits entre eux.
Il est indéniable que la perspective dans laquelle les commissions de rémunération abordent la question du traitement des
juges est différente de celle des gouvernements, qui doivent pondérer de manière cohérente un ensemble de politiques et de
dépenses publiques, en défendre le mérite et le coût auprès de la
population et identifier des sources de financement adéquates.
Centrées exclusivement sur les conditions monétaires de la
charge de juge, ces commissions opèrent nécessairement en
marge d’une vision globale des affaires de l’État. Il existe donc un
risque structurel que les mesures qu’elles recommandent à propos
de la rémunération des juges fassent abstraction des autres missions qui incombent à l’État au sein de la société.
Certes, la jurisprudence peut inviter le gouvernement à recevoir et à traiter ces recommandations « comme une première évaluation motivée, nuancée et désintéressée, de ce que devrait être,
pour une période donnée, un traitement approprié pour les membres de la magistrature », selon l’élégante formule de la Cour
d’appel du Québec140. Il n’en demeure pas moins que les commissions de rémunération ne sont jamais appelées à répondre publiquement de la rigueur et de la pertinence du travail effectué pour
réaliser leur mission, non plus qu’à défendre la valeur de leurs
recommandations ou des considérations qui les inspirent.
139.
140.
Provincial Court Judges’ Association of British Columbia v. British Columbia
(Attorney General), 2012 BCSC 1022 (CanLII), par. 81. Dans cette affaire, il est
significatif de constater qu’après que la réponse gouvernementale eut été jugée
insatisfaisante et que le dossier lui eut été retourné, le gouvernement a adopté
une seconde réponse à toutes fins utiles semblable à la première : Provincial
Court Judge’s Association of British Columbia v. British Columbia (Attorney
General), 2013 BCSC 1032 (CanLII), par. 12.
Procureur général du Québec c. Conférence des juges du Québec, [2007] R.J.Q.
2295 (C.A.), p. 2302-2303 (par. 41).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
489
Conclusion
Lors d’une conférence prononcée quelque temps avant qu’il
rédige les motifs majoritaires du Renvoi de 1997, le juge en chef du
Canada affirmait ce qui suit à propos du mécanisme de commission de rémunération établi au niveau fédéral141 :
An example of one such mechanism is the Federal Triennial Commission process established by the Judges Act. Its objective is to
keep judicial compensation and benefits out of the political arena
while preserving proper political accountability for the expenditure
of public funds. It looks good on paper, but it has one problem : it
just does not work. Why ? Because the Executive and Parliament
have never given it a fair chance.
While I favour giving a fair chance – and the process will be
repeated in 1995, so there will be an opportunity soon to make it
work – maybe over the long term there are some other models that
could be studied, and indeed this is an area where the Bar could be
of great help. We need a mechanism that would have the confidence
of the legislature, the judiciary and the public. It must be capable of
meeting the legitimate and important expectations of each. This
would be a tremendous achievement in the practical application of
judicial independence to the day-to-day work of the judiciary.
Au moyen du Renvoi de 1997, la Cour suprême du Canada
avait vraisemblablement pour objectif de donner « a fair chance »
au mécanisme de commission de rémunération. Pour l’instant,
les résultats obtenus paraissent inégaux en ce qui a trait à la
confiance qu’il devait inspirer. En ce qui a trait à la magistrature,
il est significatif de constater que les juges remettent rarement en
question devant les tribunaux les recommandations des commissions de rémunération. Au Nouveau-Brunswick, la Cour d’appel a
néanmoins lancé la mise en garde que « le puits de la confiance des
juges dans ce mécanisme d’examen est loin d’être sans fond »142.
Les décisions fréquentes des autorités gouvernementales
d’écarter les recommandations qui leur sont faites donnent la
mesure de leur confiance envers ce mécanisme, tel qu’il a été confi141.
142.
490
Rapport du juge en chef du Canada, dans Annuaire 1994 de l’Association du Barreau canadien et procès-verbal de sa soixante-seizième assemblée annuelle tenue
à Toronto (Ontario) du 21 au 24 août 1994, Association du Barreau canadien,
1994, p. 6, 10 (soulignés ajoutés).
New Brunswick Provincial Court Judges’ Association v. New Brunswick (Minister of Justice and Consumer Affairs), (2009) 347 N.B.R. (2d) 296 (N.B. C.A.),
p. 299 (par. 2).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
guré par la Cour suprême du Canada. Il faut cependant tenir
compte que la jurisprudence générée par le Renvoi de 1997
masque tous ces rapports de commissions de rémunération qui
n’ont donné lieu à aucune contestation judiciaire. Dans l’arrêt
Association des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick, la Cour suprême du Canada constatait d’ailleurs que « dans
certaines provinces et au niveau fédéral, les commissions judiciaires semblent jusqu’à maintenant fonctionner de façon satisfaisante »143.
Il est plus difficile d’évaluer si l’existence de commissions de
rémunération suscite la confiance des justiciables ou si, du moins,
elle contribue à la préservation de leur confiance dans les institutions judiciaires. Étant absents des conflits qui opposent les gouvernements et les juges à propos du traitement de ces derniers,
l’effectivité du mécanisme de commission de rémunération à leur
égard est peut-être indémontrable. À tout le moins, les justiciables ont intérêt au développement de règles de droit qui minimisent les risques de conflits entre les diverses institutions de l’État.
Au moment de l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867,
la société canadienne a considéré, sur la foi de l’exemple britannique, que la plus haute protection pouvant être accordée aux
juges quant à leur rémunération était de confier aux assemblées
législatives la responsabilité de la déterminer et de pourvoir à son
paiement. En rupture avec cette conception du bien public, le Renvoi de 1997 repose sur un refus d’accepter la pleine souveraineté
des représentants élus de la population à ce sujet : pour la Cour
suprême du Canada, « en 1997, il est devenu clair qu’il ne suffisait
plus de laisser au corps législatif le soin de fixer le salaire des
juges »144. Cette perte de confiance révèle une fracture au sein
des institutions de l’État, largement mise en évidence par une
vingtaine d’années de litiges.
La Cour suprême du Canada a fait prévaloir sa conception de
l’indépendance judiciaire pour forcer la création de commissions
143.
144.
Précité, note 103, p. 303 (par. 12). Pour une analyse des effets concrets produits
par le mécanisme de commission de rémunération, voir Graeme BOWBRICK,
Judicial Compensation in Canada: An Examination of the Judicial Compensation Experience in Selected Canadian Jurisdictions 1990-2010, Thèse pour
l’obtention du grade de maîtrise en droit, University of British Columbia, mars
2013.
Ibid., p. 300 (par. 3).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
491
de rémunération, un mécanisme comportant ses propres facteurs
de risque pour le développement de conflits. Son point de vue s’est
imposé, en raison de l’autorité qui s’attache à ses arrêts. Mais
a-t-il réussi à convaincre les gouvernements et les législatures ?
Les nombreux litiges survenus après le Renvoi de 1997, et qui persistent depuis l’arrêt Association des juges de la Cour provinciale
du Nouveau-Brunswick, donnent à penser qu’il existe un décalage
entre le poids juridique des principes établis par la Cour suprême
du Canada et leur légitimité au plan politique.
492
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Le harcèlement entre locateur
et locataire en matière de bail
immobilier commercial
Laurence BURTON, Nathalie FAUBERT
et Jacques S. DARCHE
Résumé
Le harcèlement dans le contexte d’un bail immobilier commercial existe-t-il ? Une personne morale peut-elle être victime de
harcèlement de la part de son locateur, ou vice-versa ? Le cas
échéant, quel est l’état du droit au Québec en ce domaine ?
Au cours des dernières années, le phénomène du harcèlement a progressivement été mis en relief et dénoncé sous ses
multiples manifestations. Qu’il s’agisse de discrimination, de harcèlement psychologique au travail ou encore de harcèlement criminel, ce comportement est sanctionné par diverses lois.
Au Québec, en matière de bail commercial, contrairement au
bail d’un logement résidentiel, il n’existe aucune disposition prohibant expressément le harcèlement. Par contre, la jurisprudence
récente laisse entrevoir que le harcèlement en ce domaine existe
et qu’il est préoccupant. À l’occasion, devant les conséquences
néfastes qu’il entraîne pour les victimes, les tribunaux n’hésitent
pas à sanctionner ce comportement en imposant par exemple
d’importants dommages-intérêts punitifs.
Le présent article a comme objectif de mettre en lumière ce
phénomène, encore peu exploré par la doctrine québécoise.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
493
Le harcèlement entre locateur et
locataire en matière de bail
immobilier commercial
Laurence BURTON, Nathalie FAUBERT
et Jacques S. DARCHE*
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 497
1. Le contexte législatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 498
1.1
La législation applicable au harcèlement en
matière commerciale . . . . . . . . . . . . . . . . 499
1.2
La législation en matière de bail d’un logement . . 502
2. Le harcèlement dans le cadre du bail résidentiel . . . . 503
2.1
L’objectif de l’article 1902 C.c.Q. . . . . . . . . . . 503
2.2
La définition du harcèlement et le fardeau de la
preuve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 505
3. Le harcèlement dans le cadre du bail commercial . . . . 506
3.1
La définition et les types de harcèlement . . . . . 507
3.2
La jurisprudence . . . . . . . . . . . . . . . . . . 510
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 524
Table de la législation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 528
*
Les auteurs sont respectivement stagiaire en droit, parajuriste et avocat-associé au
sein du cabinet Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L. et ils souhaitent remercier pour son travail de révision Me Christine LeBrun, avocate auprès du même
cabinet.
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495
Table de la jurisprudence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 528
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 529
496
Revue du Barreau/Tome 72/2013
INTRODUCTION
Le harcèlement dans le contexte d’un bail immobilier commercial1 existe-t-il ? Une personne morale peut-elle être victime
de harcèlement de la part de son locateur, ou vice-versa ? Le cas
échéant, quel est l’état du droit au Québec en ce domaine ?
Au cours des dernières années, le phénomène du harcèlement a progressivement été mis en relief et dénoncé sous ses
multiples manifestations2. Qu’il s’agisse de discrimination, de
harcèlement psychologique au travail ou encore de harcèlement
criminel, ce comportement est sanctionné par diverses lois.
Au Québec, en matière de bail commercial, contrairement au
bail d’un logement résidentiel3, il n’existe aucune disposition prohibant expressément le harcèlement. Par contre, la jurisprudence
récente laisse entrevoir que le harcèlement en ce domaine existe
et qu’il est préoccupant. À l’occasion, devant les conséquences
néfastes qu’il entraîne pour les victimes, les tribunaux n’hésitent
pas à sanctionner ce comportement en imposant par exemple
d’importants dommages-intérêts punitifs.
Le présent article a comme objectif de mettre en lumière ce
phénomène, encore peu exploré par la doctrine québécoise. Dans
une première partie, il y aura lieu de se familiariser avec le
contexte législatif et la notion de harcèlement, notamment en
matière de bail d’un logement. Ensuite, en nous fondant sur l’état
de la jurisprudence québécoise, nous tenterons de définir plus précisément le harcèlement dans le contexte du bail commercial, et
d’évaluer quels sont les recours disponibles pour ceux qui en sont
victimes et quels types de dommages peuvent être accordés. Finalement, à la lumière de cette analyse, nous examinerons la nécessité de légiférer sur ce genre de harcèlement.
1. Par souci de concision, les auteurs réfèreront parfois au bail immobilier commercial
en utilisant l’expression « bail commercial ».
2. Pierre GAGNON, « Chronique – La notion de préjudice moral et son application
en droit du logement », dans Repères, novembre 2009, La référence Droit civil,
EYB2009REP870, p. 12.
3. Art. 1902 C.c.Q.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
497
1. Le contexte législatif
Si aucune disposition législative québécoise ne vient encadrer le harcèlement dans le cadre du bail commercial, ce phénomène est toutefois sanctionné par le législateur dans plusieurs
domaines.
En matière criminelle par exemple, le Code criminel4 prévoit
à l’article 264 qu’il est interdit, sauf autorisation légitime, d’agir à
l’égard d’une personne sachant qu’elle se sent harcelée ou sans se
soucier de ce qu’elle se sente harcelée si l’acte en question a pour
effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou
celle d’une de ses connaissances. Constitue notamment un acte
interdit le fait de suivre cette personne de façon répétée, de communiquer avec elle de manière répétitive, même indirectement,
de cerner ou surveiller sa maison d’habitation ou le lieu où cette
personne travaille, ou encore de se comporter d’une manière
menaçante à l’égard de cette personne ou d’un membre de sa
famille.
En droit du travail, l’article 81.19 de la Loi sur les normes du
travail5 (« LNT ») prévoit que tout salarié a droit à un milieu de
travail exempt de harcèlement psychologique. L’employeur doit
prendre les moyens raisonnables pour prévenir ce harcèlement et,
lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la
faire cesser. L’article 81.18 de la LNT définit le « harcèlement psychologique » comme une conduite vexatoire se manifestant soit
par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la
dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui
entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. De plus, une
seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif
continu pour le salarié. Ajoutons que, si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été victime de harcèlement
psychologique et que l’employeur a fait défaut de respecter ses
obligations prévues à l’article 81.19 de la LNT, elle peut ordonner
à l’employeur de verser au salarié des dommages punitifs 6.
4. L.R.C. (1985), ch. C-46.
5. RLRQ, c. N-1.1.
6. Ibid., art. 123.15, par. 4.
498
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Ces quelques exemples de dispositions législatives laissent
entrevoir que pour le législateur, le harcèlement, sous quelque
forme que ce soit, est inadmissible dans notre société et qu’il peut
notamment être sanctionné par des pénalités ou des dommages
punitifs. Qu’en est-il en matière de bail ?
1.1 La législation applicable au harcèlement en matière
commerciale
En droit civil québécois, les règles concernant le contrat de
louage se divisent en deux grandes catégories : celles applicables
au louage (aussi appelé bail) en général7, et celles particulières au
bail d’un logement8. Les premières sont des dispositions générales
qui sont communes à toutes les formes de louage, qu’il soit mobilier, immobilier, commercial ou résidentiel, alors que les secondes
s’appliquent exclusivement au bail d’un logement, tel que défini à
l’article 1892 C.c.Q., et sont impératives9.
Contrairement au bail d’un logement, aucune disposition
législative n’interdit spécifiquement le harcèlement en matière de
bail commercial. Certaines dispositions générales peuvent toutefois être invoquées par les parties au bail commercial victimes de
harcèlement. Il est intéressant de noter que ce sont ces règles
générales qu’invoquaient déjà les locataires d’un bail résidentiel
se croyant victimes de harcèlement avant l’entrée en vigueur de
l’article 1902 C.c.Q.10 en 1994, article que nous verrons en détail
plus loin.
Le locataire d’un bail commercial, victime de harcèlement
de la part de son locateur, peut donc fonder son recours contre ce
dernier sur la base des principes généraux édictés par l’article
1854 C.c.Q. qui prévoit que tout locateur doit procurer à son locataire la jouissance paisible des lieux loués :
1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en
bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
7.
8.
9.
10.
Art. 1851 à 1891 C.c.Q.
Art. 1892 à 2000 C.c.Q.
Art. 1892 et 1893 C.c.Q.
Voir à cet effet : Gauthier c. Larson, [1993] J.L. 58 (R.L.) (règlement hors cour :
no 500-02-020710-898, 11 décembre 1989) ; Makariak Boyko c. Johnson (R.D.L.,
1991-02-06), SOQUIJ AZ-93061022, [1993] J.L. 77.
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499
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à
l’usage pour lequel il est loué, et de l’entretenir à cette fin pendant
toute la durée du bail.
D’autres dispositions législatives peuvent aussi être invoquées, à la fois par le locataire et le locateur victime de harcèlement. Ils peuvent, le cas échéant, fonder leur recours sur les
articles 5, 6, 10 et 10.1 de la Charte des droits et libertés de la personne11 (la « Charte ») qui prévoient :
5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.
6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.
[...]
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en
pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction,
exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la
grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la
mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la
langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
10.1. Nul ne doit harceler une personne en raison de l’un des motifs
visés dans l’article 10.
Bien entendu, certaines de ces dispositions ne s’appliqueront
pas nécessairement dans le cas où la victime est une personne
morale.
L’article 49 de la Charte prévoit que lorsqu’une atteinte illicite et intentionnelle à un droit garanti par la Charte – tel la jouissance paisible d’un bien12 ou encore le respect de sa vie privée et de
sa réputation13 – est démontrée, des dommages punitifs peuvent
être demandés :
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la
présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation
11. RLRQ, c. C-12.
12. Art. 6 de la Charte.
13. Art. 5 de la Charte.
500
Revue du Barreau/Tome 72/2013
de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui
en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre
condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
Le locataire pourrait aussi recourir aux protections plus
générales en matière de louage ou concernant la bonne foi, soit les
articles 6, 7, 1375, 1457 et 1458 C.c.Q., selon lesquels toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la
bonne foi, et ne peut exercer ses droits en vue de nuire à autrui
ou d’une manière excessive et déraisonnable.
6. Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les
exigences de la bonne foi.
7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une
manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des
exigences de la bonne foi.
[...]
1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au
moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution
ou de son extinction.
[...]
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite
qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle,
de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce
devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à
autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou
matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à
autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des
biens qu’elle a sous sa garde.
1458. Toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle
a contractés.
Elle est, lorsqu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice,
corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à son cocontractant et
Revue du Barreau/Tome 72/2013
501
tenue de réparer ce préjudice ; ni elle ni le cocontractant ne peuvent
alors se soustraire à l’application des règles du régime contractuel
de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient
plus profitables.
Toute partie (locateur ou locataire) à un bail immobilier
commercial doit ainsi, pour faire valoir ses droits en cas de harcèlement, s’en remettre aux dispositions générales précitées. Le
locataire d’un bail résidentiel jouit, toutefois, de protections législatives additionnelles, comme on le verra ci-après.
1.2 La législation en matière de bail d’un logement
La seule disposition du Code civil du Québec qui traite spécifiquement de harcèlement entre locateur et locataire est
l’article 1902 C.c.Q. qui se situe dans la section des règles particulières au bail d’un logement. Cet article permet au locataire victime de harcèlement d’obtenir des dommages-intérêts punitifs
lorsque le harcèlement porte atteinte à sa jouissance paisible des
lieux ou vise à obtenir qu’il quitte le logement :
1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la
jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement.
Le locataire, s’il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute
autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs.
En matière de louage résidentiel, le législateur énonce clairement à l’article 1968 C.c.Q., le droit du locataire à des dommages-intérêts en cas de reprise ou d’éviction de mauvaise foi :
1968. Le locataire peut recouvrer les dommages-intérêts résultant
d’une reprise ou d’une éviction obtenue de mauvaise foi, qu’il ait
consenti ou non à cette reprise ou éviction.
Il peut aussi demander que celui qui a ainsi obtenu la reprise ou
l’éviction soit condamné à des dommages-intérêts punitifs.
L’octroi de dommages punitifs pour violation de l’article 1902
C.c.Q., sera par ailleurs soumis aux critères généraux d’évaluation énumérés à l’article 1621 C.c.Q., qui se lit ainsi :
502
Revue du Barreau/Tome 72/2013
1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts
punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant
pour assurer leur fonction préventive.
Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est
déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que
la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie,
assumée par un tiers.
Il faut aussi mentionner l’article 112.1 de la Loi sur la régie
du logement14 qui s’applique dans les cas de harcèlement causant
la perte de jouissance paisible des lieux loués, en matière de
louage résidentiel. Cet article prévoit que toute personne qui use
de harcèlement à l’endroit d’un locataire commet une infraction
passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 28 975 $ et se lit
comme suit :
112.1. Quiconque, en vue de convertir un immeuble locatif en
copropriété divise ou d’évincer un locataire de son logement, use de
harcèlement envers celui-ci de manière à restreindre son droit à
la jouissance paisible du logement commet une infraction et est
passible d’une amende d’au moins 5 800 $ et d’au plus 28 975 $.
2. Le harcèlement dans le cadre du bail résidentiel
Avant de traiter du harcèlement dans le contexte du bail
commercial, il y a d’abord lieu de se familiariser avec l’article 1902
C.c.Q. puisque certaines notions relatives à cet article seront utiles pour la compréhension de notre étude.
2.1 L’objectif de l’article 1902 C.c.Q.
L’article 1902 C.c.Q. prohibe tout harcèlement envers un
locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement15. Il permet au
locataire de demander que la personne qui a usé de harcèlement
soit condamnée à des dommages punitifs16. Cette personne peut
14. RLRQ, c. R-8.1.
15. Gervais c. Chagnon, 2004 CanLII 28366 (C.Q.), par.10.
16. MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Commentaires du ministre de la Justice, t. II,
Québec, Les Publications du Québec, 1993, art. 1902.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
503
tout aussi bien être le locateur, le représentant du locateur ou
encore un autre locataire de l’immeuble17.
Cet article de droit nouveau a été adopté lors de la réforme du
Code civil du Québec de 199118 et est entré en vigueur le 1er janvier
1994. Cette réforme a permis d’éclaircir des difficultés d’interprétation ou d’application de l’ancien droit en matière de louage
immobilier19. À l’époque, le but visé par l’article 1902 C.c.Q. a été
décrit par le ministre de la Justice comme suit :
Cet article est de droit nouveau. Il vise à empêcher qu’un locataire
ne soit victime de harcèlement dans le but de restreindre son droit à
la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement.
Cet article veut, d’une part, améliorer la situation des locataires et,
d’autre part, décourager le locateur ou ses représentants de faire
indûment pression sur les locataires pour que ceux-ci quittent leur
logement. Il est complété par l’article 1968 et s’inscrit dans la ligne
de pensée de l’article 112.1 de la Loi sur la Régie du logement, qui
fut ajouté en 1987 dans le cadre de la nouvelle législation sur la
conversion des immeubles locatifs en copropriété, rend passible
d’une amende quiconque use de harcèlement envers le locataire de
manière à restreindre son droit à la jouissance paisible du logement, en vue de convertir un immeuble locatif en copropriété divise
ou d’évincer un locataire de son logement. On notera que l’article 1621 établit une règle générale sur l’attribution de dommagesintérêts punitifs.20
Selon la Cour d’appel, les débats parlementaires qui ont eu
cours lors de l’adoption de l’article 1902 C.c.Q. démontrent que le
législateur, en prévoyant expressément l’octroi de dommages
punitifs à l’article 1902 C.c.Q., a cherché, par cette mesure, à
adopter le pendant civil au recours pénal contre le locateur prévu
à l’article 112.1 de la Loi sur la Régie du logement précité. Le nouvel article 1902 C.c.Q. permettait de plus au locataire d’obtenir
des dommages punitifs sans avoir à invoquer la violation d’un
droit protégé par la Charte21.
17. Me Pierre PRATTE, « Le harcèlement envers les locataires et l’article 1902 du
Code civil du Québec », (1996) 56 R. du B. 3, EYB1996RDB31.
18. Ibid.
19. Bernard LAROCHELLE, « Le louage immobilier non résidentiel 10 ans après »,
(2003) 105 R. du N. 533, par.1.
20. Supra, note 16.
21. Investissements Historia inc. c. Gervais Harding et associés Design inc., 2006
QCCA 560, par. 19.
504
Revue du Barreau/Tome 72/2013
En somme, l’article 1902 C.c.Q. visait donc à empêcher qu’un
locataire ne soit victime de harcèlement de manière à restreindre
son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte
le logement. Le législateur voulait, d’une part, améliorer la situation des locataires et, d’autre part, décourager le locateur ou ses
représentants de faire indûment pression sur les locataires pour
que ceux-ci quittent leur logement.
2.2 La définition du harcèlement et le fardeau de la
preuve
Lorsque le législateur a introduit le nouvel article 1902
C.c.Q. il n’a fourni aucune définition des mots « harcèlement » ou
« harceler ». L’auteur Denis Lamy, dans son ouvrage sur le harcèlement entre locataires et propriétaires dans le cadre du bail résidentiel22, concluait que, selon les règles d’interprétation des lois,
l’article 1902 C.c.Q. était réputé avoir été rédigé selon les règles de
la langue d’usage de l’époque23. Au fil du temps, la doctrine et la
jurisprudence sont venues proposer diverses définitions du harcèlement dans le contexte d’un bail résidentiel24. La définition majoritairement retenue par la jurisprudence est celle de la Cour
supérieure dans l’affaire Huot c. Martineau25 :
Le harcèlement peut se définir de la façon suivante : comportement
volontaire et généralement répété et continu d’une personne se
manifestant entre autres par des paroles, des actes ou des gestes à
caractère vexatoire ou méprisant à l’égard d’une autre personne,
dirigée contre cette personne, ses proches ou ses biens.
Dans l’affaire Campeau c. Bass26, la Cour du Québec, après
avoir autorisé l’appel d’une décision de la Régie du logement, rappelait par ailleurs que le harcèlement en droit québécois peut
résulter d’un seul acte, s’il entraîne un effet nocif continu.
22. Denis LAMY, Le Harcèlement entre locataire et propriétaire, Montréal, Wilson &
Lafleur, 2004, eDoctrine, CAIJ.
23. Ibid., p. 1.
24. En doctrine, voir supra, note 22, p. 6 ; supra, note 17.
25. Huot c. Martineau, REJB 2004-80132 (C.S.), par. 71 ; voir aussi Doyon c. Goulet,
2011 QCCS 6223, par. 77 ; Poissant c. Messier, R.L. Granby, no 24-990608-005 G,
25 mai 2000, (Me D. Laflamme) ; Durocher c. Gestion immobilière Solitec, [2002]
J.J. 87 (R.L.).
26. C.Q.M., no 500-02-069285-984, 9 septembre 1998 (j. Rouleau).
Revue du Barreau/Tome 72/2013
505
En vertu de l’article 1902 C.c.Q., le locataire harcelé pourra
obtenir des dommages-intérêts punitifs27. Le fardeau de la preuve
repose alors sur les épaules du locataire28. Puisque c’est ce dernier
qui réclame des dommages punitifs et prétend que son locateur a
usé de harcèlement à son égard, il lui appartient d’en faire la
preuve et de démontrer, par prépondérance de preuve, que ce harcèlement a restreint son droit à la jouissance paisible des lieux ou
encore l’a conduit à quitter son logement29.
Comme il sera possible de le constater dans la prochaine section, certaines notions tirées de la jurisprudence en matière de
bail résidentiel ont été appliquées par nos tribunaux en matière
de harcèlement dans le contexte d’un bail commercial.
3. Le harcèlement dans le cadre du bail commercial
La jurisprudence québécoise concernant le harcèlement
dans le cadre du bail commercial est peu abondante. Une revue de
cette jurisprudence récente laisse toutefois entrevoir que les tribunaux reconnaissent que le harcèlement en ce domaine existe et
qu’il est préoccupant. À l’occasion, devant les conséquences néfastes qu’il entraîne pour les victimes, les tribunaux n’hésitent pas
à sanctionner ce comportement en imposant d’importants dommages-intérêts punitifs.
À partir de l’analyse de la jurisprudence québécoise actuelle,
nous tenterons ici de dégager certains principes concernant le
harcèlement en matière de bail commercial, et plus particulièrement : la définition du harcèlement, les différents recours invoqués de même que les types de dommages accordés.
Précisons d’emblée que la jurisprudence répertoriée ne concerne que des cas où le locataire est victime de harcèlement de la
part de son locateur. Nous sommes toutefois d’avis qu’il n’est pas
exclu qu’un locateur en matière de bail commercial puisse aussi
être victime de harcèlement de la part de son locataire.
27. Supra, note 15, par. 11 et 12.
28. Art. 2803 et 2804 C.c.Q.
29. Supra, note 22 ; voir aussi Bélisle c. Gauvreau, [1998] J.L. 136 (R.L.) (Me D.
Dumont), SOQUIJ AZ-98061057.
506
Revue du Barreau/Tome 72/2013
3.1 La définition et les types de harcèlement
C’est la Cour supérieure qui, en 2008, définit la notion de
harcèlement et les différents types de harcèlement en matière de
bail commercial dans l’affaire Productions Jean-Jacques Sheitoyan c. Brodeur30. Il est intéressant de constater que ce jugement
s’inspire grandement de la doctrine et de la jurisprudence en
matière de bail d’un logement et que les types de harcèlement
identifiés par la Cour dans cette décision sont présents dans
d’autres causes en matière de bail commercial.
Dans cette affaire, les locateurs intentent une requête en
résiliation de bail et en réclamation de loyers impayés (134 323 $),
laquelle est accueillie en partie. Le locataire présente quant à lui
une demande reconventionnelle en dommages-intérêts fondée sur
le comportement abusif des locateurs, plus particulièrement de
leur gestionnaire. Le locataire fait notamment valoir qu’il aurait
été victime de harcèlement. Il invoque de nombreuses difficultés
concernant l’interprétation du bail entre les parties, et, plus particulièrement, le comportement rustre du gestionnaire. Selon le
locataire, le harcèlement provient du comportement général de la
partie adverse, et notamment de l’envoi de procédures judiciaires
et mises en demeure qu’il a reçues31.
Dans son analyse des prétentions du locataire, la Cour définit le harcèlement et répertorie les types de harcèlement existants. À cette fin, elle reprend textuellement la définition énoncée
dans la décision de la Cour supérieure en matière de bail résidentiel dont nous avons traité précédemment, soit Huot c. Martineau32, et l’applique au contexte du bail commercial.
La Cour énumère de plus les types de harcèlement existants
dans le cadre d’une relation locateur-locataire, en faisant référence à l’ouvrage de Denis Lamy intitulé « Le Harcèlement entre
locataire et propriétaire »33. Bien que cet ouvrage soit consacré
exclusivement au harcèlement dans le cadre du bail d’un logement, la Cour reprend l’inventaire qui y est fait des types de harcèlement retenus par la jurisprudence et s’en inspire dans son
analyse en matière de bail commercial34.
30. EYB 2008-146608, 2008 QCCS 3885 (CanLII) (appel rejeté sur requête, C.A.
Montréal, nos 500-09-019069, 500-17-023927-059, 01-02-2008).
31. Productions Jean-Jacques Sheitoyan c. Brodeur, 2008 QCCS 3885, par. 46 et 47.
32. Supra, note 25.
33. Supra, note 22 à la p. 8.
34. Supra note 31, par. 224.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
507
L’auteur Denis Lamy, dans son ouvrage, divise les types de
harcèlement en deux catégories : les stratégies dirigées contre le
locataire et celles dirigées contre le logement35. Nous présentons
ci-après ces stratégies sous forme de tableau, avec référence lorsque nous avons répertorié de telles stratégies dans la jurisprudence sur le harcèlement en matière de bail commercial :
Stratégies dirigées
contre le locataire
• Harcèlement sexuel
• Bousculade et/ou voies de fait
et/ou intimidation36
• Attitude envahissante et/ou
contrôlante du locateur37
• Langage abusif et/ou vulgaire
et/ou vexatoire et/ou discriminant, notamment lorsque le
locateur menace le locataire
sans droit de le dénoncer pour
des infractions fausses et qu’il
sait fausses
Stratégies dirigées
contre le logement
• Violation de domicile et/ou
violation de la vie privée
et/ou intrusion
• Coupure de services38
• Procédures judiciaires abusives, frivoles ou non fondées39
• Plaideur abusif et vexatoire
• Reprise de possession faite
de mauvaise foi, lorsque par
exemple le locateur n’obtempère pas aux termes d’une
injonction lui ordonnant de
permettre au locataire de
réintégrer les lieux
35. Supra, note 22, p. 26 et 27.
36. Pour un exemple de harcèlement sous forme d’intimidation dans le contexte d’un
bail commercial, voir Immeubles H.T.H. c. Plaza Chevrolet Buick GMC Cadillac
inc., 2012 QCCS 6097 (requête pour permission de présenter une nouvelle preuve
rejetée, C.A., no 500-09-023197-122, 07-10-2013 ; requête en rejet d’appel rejetée,
C.A., no 500-09-023197-122, 08-04-2013, EYB 2013-220547 ; requête en sursis
d’exécution rejetée, C.A., no 500-09-023197-122, 21-12-2012).
37. Pour un exemple de ce type de harcèlement dans le contexte d’un bail commercial,
nous vous invitons à voir Gestion S.A.G.G. c. Hudon, REJB 1999-10577 (C.S.) ;
voir aussi Immeubles H.T.H., ibid.
38. Pour un exemple de ce type de harcèlement dans le contexte d’un bail commercial,
nous vous invitons à voir : Gestion S.A.G.G., ibid. Dans cette décision, le locataire
doit obtenir une injonction pour forcer la locatrice à procéder à la climatisation et
au chauffage des locaux.
39. Pour un exemple de ce type de harcèlement dans le contexte d’un bail commercial,
nous vous invitons à voir : Gestion S.A.G.G., supra, note 37. Dans cette décision, la
Cour a conclu que les procédures judiciaires auxquelles la locatrice avait eu
recours étaient abusives, et a accordé 10 674 $ au locataire pour ses honoraires
extrajudiciaires ; voir aussi Immeubles H.T.H., supra, note 36, dans laquelle la
Cour accorde 31 370 $ au locataire pour ses honoraires extrajudiciaires.
508
Revue du Barreau/Tome 72/2013
• Envoi par le locateur de nombreux courriers
• Note visible apposée par le locateur sur la porte du locataire
• Meubles ou effets mobiliers
saisis, et/ou retirés du logement sans préavis
• Négligence du locateur à réa-
• Appels téléphoniques chez le
gir aux diverses plaintes du
locataire
locataire et/ou à son lieu de
travail
• Retrait abusif et/ou refus
locataire pour réclamer le loyer
qu’il sait ne pas être en retard
du locateur de donner accès
sans motif à des accessoires
prévus au bail ou consentis
en cours de bail
• Invitation du locateur à mettre
• Hausse de loyer exagérée ou
• Présences fréquentes chez le
fin au bail sous de faux prétextes
sans fondement et/ou modification abusive des conditions
du bail
• Le locateur et/ou son préposé
prend des photos, filme le
locataire et/ou le logement
et/ou il enregistre des conversations téléphoniques ou
autres avec son ou sa locataire.
Sur la base de ces critères, la Cour conclut dans Productions
Jean-Jacques Sheitoyan40 qu’il n’y a pas eu en l’espèce de harcèlement de la part des propriétaires de l’immeuble ou encore du gestionnaire. Selon la Cour, les reproches faits par le locataire sont
plutôt la conséquence d’une mauvaise relation entre ce dernier et
le gestionnaire, laquelle ne peut toutefois donner lieu à la reconnaissance d’une faute civile41. Autrement dit, « conflit n’est pas
synonyme de harcèlement ». En conséquence, la Cour rejette la
réclamation du locataire.
Les prochaines décisions répertoriées permettront de mieux
connaître quels sont les recours et les dommages pouvant être
réclamés en cas de harcèlement en matière de bail commercial.
Puisque ces décisions reconnaissent qu’il y a eu harcèlement, sans
40. Supra, note 30.
41. Supra, note 31, par. 225.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
509
définir le terme, il sera intéressant de constater dans quelle
mesure les types de harcèlement répertoriés ci-dessus y sont présents, et ce, bien que les tribunaux ne les identifient pas toujours
expressément.
3.2 La jurisprudence
Comme nous l’avons déjà expliqué, en cas de harcèlement, il
est possible d’intenter un recours fondé sur les dispositions générales du Code civil du Québec accordant au locataire le droit à la
jouissance paisible des lieux loués (art. 1854 C.c.Q.), en dommagesintérêts compensatoires sur la base des articles 6, 7 et 1457 ou
1458 C.c.Q., et, selon les circonstances et la personnalité juridique
de la victime, pour atteinte illicite à un droit garanti par la Charte
dans le cadre des articles 5, 6, 10, 10.1 et 49, précités. Si les actes
reprochés ont porté atteinte à un droit garanti par la Charte dont
dispose la victime et que l’atteinte était illicite et intentionnelle,
la victime pourrait également posséder un recours en dommagesintérêts punitifs en vertu du deuxième alinéa de l’article 49. Par
exemple, le harcèlement pourra donner lieu à des dommages
punitifs pour atteinte illicite et intentionnelle à la jouissance paisible des lieux loués en vertu des articles 6 et 49 de la Charte42, ou
encore, pour atteinte illicite et intentionnelle à la vie privée et à la
réputation en vertu des articles 5 et 49 de la Charte, lorsque le
harcèlement prend une telle forme 43.
Il est essentiel de noter qu’autant le particulier qui exploite
une entreprise que la personne morale peuvent être victimes de
harcèlement et se voir accorder des dommages punitifs, ou encore
être eux-mêmes à l’origine du harcèlement. La jurisprudence
démontre en effet qu’une compagnie locataire peut être victime
de harcèlement de la part de sa locatrice, elle-même une compagnie44.
– L’arrêt Investissements Historia inc. c. Gervais Harding
et associés Design inc.
La décision québécoise la plus importante en matière de harcèlement dans le cadre d’un bail commercial est sans aucun doute
42.
43.
44.
45.
510
Supra, note 21.
Supra, note 36.
Historia, supra, note 21 ; Immeubles H.T.H., supra, note 36.
Supra, note 21.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
l’arrêt Historia45 de la Cour d’appel. Dans cet arrêt, la Cour
d’appel maintient le jugement rendu en 2005 par la Cour supérieure46. Ce jugement accueillait l’action en dommages-intérêts
de la locataire, une compagnie. La Cour supérieure y concluait
qu’il y avait clairement eu harcèlement de la part de la locatrice
dans le contexte d’un bail commercial, et qu’en vertu des articles 6
et 49 de la Charte, la locataire avait droit à un montant de
100 000 $ à titre de dommages exemplaires. La Cour d’appel a
confirmé cette partie du jugement, accueillant l’appel aux seules
fins d’exclure du dispositif l’indemnité additionnelle sur les frais
d’expert. Il est donc utile de présenter ici un résumé de la décision
de la Cour supérieure.
Le jugement de première instance 47
La locataire louait des locaux dans un immeuble du VieuxMontréal en vertu d’un bail commercial d’une durée de 20 ans
lorsque la locatrice48 a acquis cet immeuble en novembre 2000.
Peu de temps après, la locatrice tente de résilier le bail de la locataire en vertu de l’article 1887 C.c.Q.49. Le bail ayant été dûment
publié avant la vente de l’immeuble, la locataire fait valoir que le
bail doit être respecté, ce à quoi s’engage la locatrice. Par la suite,
comme le souligne la Cour supérieure, la locatrice tentera
d’intimider la locataire afin d’obtenir qu’elle quitte les lieux sans
indemnité. Ainsi, dès décembre 2000, elle utilisera diverses manœuvres pour arriver à ses fins, notamment :
a) la locatrice fait des travaux importants dans l’immeuble et
offre de reloger la locataire dans un autre immeuble lui appartenant moyennant une augmentation de loyer de 366 000 $
annuellement, ce que la locataire refuse ;
b) la locatrice modifie unilatéralement le contrat d’entretien
ménager pour les bureaux de la locataire afin de le réduire de
46. Gervais Harding et Associés Design inc. c. Placements St-Mathieu inc., 2005
CanLII 26251 (C.S.), EYB 2005-93203.
47. Ibid.
48. Qui devient par la suite « Investissement Historia inc. & al. ».
49. L’article 1887 C.c.Q. se lit ainsi : « L’acquéreur ou celui qui bénéficie de l’extinction
du titre peut résilier le bail à durée indéterminée en suivant les règles ordinaires
de résiliation prévues à la présente section. S’il s’agit d’un bail immobilier à durée
fixe et qu’il reste à courir plus de 12 mois à compter de l’aliénation ou de
l’extinction du titre, il peut le résilier à l’expiration de ces 12 mois en donnant par
écrit un préavis de six mois au locataire. Si le bail a été inscrit au bureau de la
publicité des droits avant que l’ait été l’acte d’aliénation ou l’acte à l’origine de
l’extinction du titre, il ne peut résilier le bail. [...] ».
Revue du Barreau/Tome 72/2013
511
cinq à deux jours par semaine, et ce, sans aviser l’intéressée et
en contravention des obligations prévues au bail ;
c) Pendant les travaux entrepris par la locatrice, qui s’échelonnent sur plusieurs mois, la locataire est victime de vandalisme et éprouve plusieurs troubles de jouissance dont elle
informe la locatrice, notamment des problèmes de climatisation et l’impossibilité d’utiliser les ascenseurs et les toilettes,
mais la locatrice ne prend aucune mesure afin de pallier ces
troubles ;
d) En avril 2002, des travaux majeurs dans les lieux loués obligent la locataire à se reloger temporairement. La locatrice en
profite alors pour demander le changement de destination des
lieux loués, d’un usage commercial à un usage résidentiel, et
obtient à cet effet un permis de la Ville de Montréal en octobre
2002 ;
e) La locataire, ne pouvant réintégrer les lieux loués qui ont
changé de destination, est finalement contrainte d’emménager pour de bon dans des locaux qui appartiennent à un tiers.
La locataire intente alors une action dans laquelle elle
réclame 2 338 514 $ à titre de dommages-intérêts pour atteinte à
sa jouissance paisible des lieux et changement illégal de destination de l’immeuble abritant ses locaux loués, l’empêchant ainsi de
réintégrer ceux-ci après les travaux. Elle réclame aussi 100 000 $
à titre de dommages exemplaires en vertu des articles 6 et 49 de la
Charte, alléguant qu’il y a eu atteinte illicite et intentionnelle à sa
jouissance paisible des lieux loués. Quant à la locatrice, elle plaide
qu’elle n’a pas eu le choix d’effectuer les travaux qu’elle jugeait
nécessaires et urgents et que les dommages réclamés par la
locataire sont grossièrement exagérés. Toutefois, elle admet et
consigne une somme de 41 869 $ pour équivaloir à la diminution
des services pendant le bail.
La Cour supérieure rappelle que la principale obligation du
locateur est de procurer la jouissance paisible du bien loué en
vertu de l’article 1854 C.c.Q. L’article 1865 C.c.Q. prévoit toutefois
une exception à cette obligation dans le cas de réparations urgentes et nécessaires pour assurer la conservation ou la jouissance du
bien loué. Le locateur peut alors exiger l’évacuation temporaire du
locataire, mais il doit, s’il ne s’agit pas de réparations urgentes,
obtenir l’autorisation préalable du tribunal, lequel fixe alors les
512
Revue du Barreau/Tome 72/2013
conditions requises pour la protection des droits du locataire. En
l’espèce, les travaux n’étaient pas urgents. La locatrice a ainsi
violé les dispositions de l’article 1865 C.c.Q. en n’obtenant pas
l’autorisation préalable du tribunal pour évacuer temporairement sa locataire et en changeant la destination des lieux loués, ce
qui empêcha la locataire de revenir dans les lieux loués une fois
que les travaux ont été terminés. Si la locatrice désirait reprendre
les lieux loués, elle aurait dû obtenir le consentement de sa
locataire ou racheter ses droits, ce qu’elle n’a pas fait.
À propos du harcèlement et de l’octroi des dommages punitifs, la Cour conclut à une atteinte illicite et intentionnelle, au
sens de l’arrêt St-Ferdinand50 de la Cour suprême du Canada, au
droit de la locataire à la jouissance paisible des lieux loués en
vertu du bail commercial. Selon cet arrêt, il y a « atteinte illicite et
intentionnelle » lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état
d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences reliées à sa conduite fautive ou encore, s’il agit en toute
connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au
moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. En
l’espèce, la Cour est d’avis qu’en raison de la mauvaise foi de la
locatrice et de l’humiliation et du harcèlement qu’elle a fait subir
à sa locataire, cette dernière a droit à des dommages exemplaires
de l’ordre de 100 000 $51 :
[219] [...] Il s’impose qu’il y ait un effet dissuasif et préventif à tout
propriétaire qui veut se débarrasser sauvagement de son locataire
dans le but de changer la destination des lieux et qui prend tous les
moyens pour harceler le bénéficiaire d’un bail à long terme.
[220] Ici, les moyens ont dépassé l’entendement et le harcèlement
injustifié exercé par Historia doit être réprimé et dénoncé vigoureusement.
[221] Historia fait partie d’un conglomérat de compagnies [...] elle
bénéfice des services d’un avocat dans son entreprise. Sa puissance
financière ne l’a cependant pas investie du pouvoir d’exproprier
sans compensation, ni de pouvoir imposer ses vues à l’égard des
plus petits sans dédommagement. Son comportement fautif doit
être dénoncé.
50. Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital StFerdinand, [1996] 3 R.C.S. 211.
51. Supra, note 46.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
513
[222] Historia doit payer des dommages exemplaires pour sa mauvaise foi évidente et pour l’humiliation et le harcèlement qu’elle a
fait subir à Gervais et à son personnel.
[223] Au surplus, la durée des gestes et la gradation des troubles de
jouissance permettent de conclure à une persistance dans l’acharnement et dans la gravité des gestes posés par l’intimée. Depuis
l’acquisition de l’immeuble, elle a tenté d’intimider le locataire au
point où il quitte les lieux, sans indemnité : but ultime de ses
actions.
[224] Il s’impose donc un effet dissuasif à Historia et à tout propriétaire qui voudrait agir de la sorte [...]. Une somme de 100 000 $ est
donc accordée à ce chapitre. Un montant inférieur ne ferait qu’encourager de tels agissements de promoteurs bénéficiant d’un
pouvoir économique important qui se croient au-dessus de tout système et qui se croient autorisés à tout acheter à peu de frais, même
leurs gestes illégaux. [nos soulignements] [références omises]
Finalement, en ce qui a trait aux dommages-intérêts compensatoires, la Cour condamne la locatrice à verser à la locataire
divers montants, notamment pour les frais de déménagement et
de relogement, pour la différence dans le coût du loyer et pour la
diminution du loyer pendant les travaux. De plus, la locatrice
devra verser une somme de 129 331 $ à la locataire pour les frais
d’expertise. La Cour ajoute qu’elle devra aussi lui verser 125 957 $
en remboursement d’honoraires extrajudiciaires. La Cour conclut
en effet que cet octroi est nécessaire pour condamner la persistance et l’entêtement de la locatrice, qui a refusé de reconnaître
ses obligations envers sa locataire et qui a usé de manœuvres
déloyales en procédant au changement de destination des lieux
loués, empêchant ainsi sa locataire de retourner dans ses locaux
par suite des travaux.
L’arrêt en Cour d’appel
La Cour d’appel du Québec n’accueille l’appel qu’aux seules
fins d’exclure du dispositif du jugement de première instance
l’indemnité additionnelle accordée sur les frais d’expert, confirmant ainsi la partie du jugement concernant le harcèlement de la
locatrice et l’obtention de dommages punitifs en vertu des articles
6 et 49 de la Charte. Selon la Cour d’appel, le premier juge a estimé
avec raison que depuis le début, la locatrice a tout fait pour inciter
la locataire à quitter les lieux. La locatrice a été malveillante et a
continuellement harcelé la locataire, rendant son occupation des
514
Revue du Barreau/Tome 72/2013
lieux invivable. Les gestes posés par la locatrice pour arriver à ses
fins étaient volontaires, délibérés et empreints de mauvaise foi.
Selon la Cour, c’est donc à bon droit que la Cour supérieure a sévèrement blâmé la locatrice et estimé que les manœuvres de celle-ci
étaient non seulement illégales et abusives, mais empreintes
d’hostilité et d’agressivité. De plus, la Cour conclut qu’en prévoyant l’attribution de dommages punitifs à l’article 1902 C.c.Q.
dans la section du Code civil du Québec qui porte sur le bail résidentiel, le législateur n’a pas pour autant voulu exclure le recours
à la Charte pour l’attribution de ce type de dommages, par la combinaison des articles 6 et 49 de la Charte en matière de bail commercial. En effet, comme l’écrit la Cour d’appel52 :
[21] En prévoyant l’octroi de dommages punitifs dans la section du
Code civil portant sur les Règles particulières au bail d’un logement, le législateur n’a pas pour autant voulu exclure le recours à la
Charte québécoise pour l’octroi de ce type de dommages par la combinaison des articles 6 et 49 de la Charte québécoise en matière de
contrat de louage, y compris pour le bail commercial. La maxime
latine Inclusio unius est exclusio alterius ne trouve pas application
ici.
En appel, l’appelante plaidait également que la Charte
s’applique uniquement aux biens dont la personne physique ou
morale est propriétaire et non aux biens qu’elle possède à d’autres
titres. À cet effet, la Cour rappelle que le droit à la jouissance paisible et à la libre disposition protégé par l’article 6 de la Charte
réfère tant aux biens dont la personne physique ou morale est propriétaire qu’à ceux dont elle peut revendiquer la possession légale
ou un droit d’usage53. Elle ajoute :
[24] La personne privée par une autre de la jouissance paisible d’un
bien sur lequel elle possède un droit, à titre de propriétaire, de locataire ou à un autre titre, par une conduite qui démontre chez
l’auteur de la faute une intention de nuire ou de la mauvaise foi est
en droit de réclamer des dommages punitifs en invoquant l’application des articles 6 et 49 de la Charte québécoise. Tel est le cas en
l’espèce.54 [référence omise]
La Cour confirme donc la décision du juge de première instance quant à l’octroi de dommages punitifs à la locataire pour le
52. Supra, note 21.
53. Supra, note 21.
54. Supra, note 21.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
515
harcèlement dont elle a été victime. Suite à l’arrêt Historia, quelques décisions ont traité du harcèlement dans le cadre de baux
commerciaux, dont la plus importante est présentée ci-après.
– La décision Immeubles H.T.H. c. Plaza Chevrolet Buick
GMC Cadillac inc.
Plus récemment, dans l’affaire Immeubles H.T.H. c. Plaza
Chevrolet Buick GMC Cadillac inc.55 (ci-après « Immeubles
H.T.H. »), la Cour supérieure condamne la compagnie locatrice à
payer 50 000 $ à la compagnie locataire pour ennuis, inconvénients et harcèlement, 75 000 $ à titre de dommages exemplaires
ainsi que 31 370 $ à titre de compensation pour les honoraires
extrajudiciaires. Dans cette affaire, la locatrice est propriétaire
d’un terrain qu’elle loue à la locataire en vertu d’un bail commercial. Cette dernière exploite une concession d’automobiles General Motors (« GM »). Par ailleurs, une personne liée à la locatrice
est Parkway Pontiac Buick inc. (« Parkway »). Parkway exploite
aussi une concession d’automobiles GM et est donc une compétitrice directe de la locataire. Lorsque la locatrice intente son action
contre la locataire, elle demande initialement au tribunal de résilier le bail qui la lie à la locataire, alléguant essentiellement que
celle-ci n’a pas respecté son bail en vendant sur son terrain des
véhicules de marque Honda et en enfreignant les lois et règlements sur l’environnement. Peu avant l’audition, la locatrice
retire toutefois ses allégations portant sur le non-respect des lois
sur l’environnement. En demande reconventionnelle, la locataire
réclame 250 000 $ à titre de dommages-intérêts, 200 000 $ à titre
de dommages punitifs et 31 370 $ représentant ses honoraires
extrajudiciaires.
Analysant la demande de la locatrice, la Cour conclut que la
requête de cette dernière fait état de ventes de plusieurs véhicules
de marque Honda, alors qu’une grande partie de la preuve n’a
porté que sur la soi-disant vente d’un seul véhicule de cette
marque sur l’emplacement de la locataire. Or, il appert qu’il
s’agissait en réalité non pas d’une vente, mais d’un contrat de location d’un véhicule de marque Honda, par un des membres de la
famille actionnaire de la locatrice. La Cour conclut « qu’il s’agit
d’un coup monté par la famille Hoy avec la complicité de leur
neveu, le tout dans le but non avoué de fabriquer un prétexte pour
55. Supra, note 36.
516
Revue du Barreau/Tome 72/2013
obtenir la résiliation du bail »56. La demande de résiliation n’a
donc aucun fondement légal et doit être rejetée.
Concernant la demande reconventionnelle de la locataire, la
Cour lui accorde 50 000 $ à titre de dommages moraux, pour
ennuis, inconvénients et harcèlement. La requête de la locatrice
est non seulement mal fondée, mais a été intentée dans le seul but
de miner la crédibilité et la réputation de la locataire aux yeux de
GM, afin que Parkway puisse l’éliminer à titre de compétitrice et
devenir par la suite le concessionnaire de tous les modèles GM
vendus par la locataire57. En effet, à l’époque, suite à de graves
ennuis financiers à compter de 2008, GM avait décidé de fermer la
concession de Parkway et de confier à Plaza la vente de tous ses
modèles58. De l’avis de la Cour, les représentants de la locatrice,
afin d’éviter d’avoir à débourser quelques millions de dollars pour
acheter l’entreprise de la locataire, ont usé de diverses manœuvres pour essayer de mettre fin au commerce de cette dernière.
Notamment, la locatrice a tenté de résilier le bail de la locataire
afin que cette dernière n’ait plus aucun emplacement pour exploiter son commerce, espérant ainsi convaincre GM de confier à
Parkway la vente de tous les produits vendus par la locataire59.
La Cour conclut que même si la locataire n’a pas prouvé que
les agissements de sa locatrice lui ont causé des dommages matériels directs sous forme de perte financière, les agissements répétés de la locatrice entre 2008 et 2012 à l’endroit de la locataire lui
ont causé, de même qu’à ses principaux dirigeants, des inconvénients et des ennuis60. La Cour évoque les divers types de harcèlement et d’intimidation dont a usé la locatrice à cette époque :
mises en demeure exigeant un paiement exagéré ou injustifié61,
installation de blocs de béton réduisant l’espace de stationnement
pour les clients de la locataire et installation d’immenses panneaux publicitaires inutiles faisant face au service technique de la
locataire, ou encore envoi d’une lettre à un représentant de GM
visant à discréditer la locataire en laissant sous-entendre que
cette dernière ne respecte pas ses obligations financières envers
la locatrice62. De l’avis de la Cour, si chacun de ces actes, pris iso56.
57.
58.
59.
60.
61.
62.
Supra, note 36, par. 12.
Supra, note 36, par. 20.
Supra, note 36, par. 21-22.
Supra, note 36, par. 24.
Supra, note 36, par. 28.
Supra, note 36, par. 30.
Supra, note 36, par. 38.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
517
lément, peut sembler peu important, lorsqu’on les analyse dans
leur ensemble, ils constituent un abus du droit de propriété du
locateur et une atteinte à la jouissance paisible à laquelle un locataire a le droit de s’attendre, le tout apprécié en fonction des articles 6, 7, 1375 et 1457 C.c.Q. La locataire a donc eu droit à 50 000 $
à titre de dommages moraux pour les ennuis, inconvénients et
harcèlement de la locatrice à son endroit depuis les quatre ou cinq
dernières années63.
En ce qui concerne les dommages punitifs, et tel que mentionné précédemment, l’arrêt clé en la matière est l’arrêt Historia64. En l’espèce et selon la Cour, la locatrice, à titre d’alter ego de
Parkway et complice de cette dernière, a intentionnellement nui à
la locataire dans le but non avoué de lui faire perdre sa concession
de GM, et ceci, au profit de Parkway. La locatrice, par l’entremise
de ses représentants, a entrepris une campagne de dénigrement
à l’endroit de la locataire, l’accusant faussement de vendre des
véhicules de marque Honda et d’enfreindre les lois sur l’environnement, et faisant de fausses insinuations relativement à d’éventuelles difficultés financières de la locataire. L’ensemble de ces
agissements constitue de l’acharnement ainsi qu’une atteinte
intentionnelle à la vie privée et à la réputation de la locataire dans
l’unique but de lui nuire. La Cour est d’avis que le montant qui
doit être accordé pour sanctionner un tel comportement doit être
beaucoup plus que symbolique. Il doit être suffisamment substantiel pour qu’il serve d’exemple et enlève aux représentants de la
locatrice toute velléité de récidiver. En tenant compte de tous les
critères retenus par la jurisprudence pour déterminer le montant
qui doit être accordé sous forme de dommages punitifs ou exemplaires, la Cour évalue ce montant à 75 000 $.
Finalement, concernant les honoraires extrajudiciaires, la
Cour accorde à la locataire 31 370 $ en vertu des articles 54.1 et
suivants C.p.c. Elle rappelle qu’à peine trois jours avant le début
de l’audience, la locatrice, par amendement autorisé par le tribunal, a retiré tous les paragraphes de sa requête introductive
d’instance traitant du prétendu non-respect des lois et des règlements sur l’environnement par la locataire. Pendant des années,
les procureurs de cette dernière ont dû préparer une défense en
vue du procès en ce qui concerne la question de l’environnement et
63. Supra, note 36, par. 40 et 41.
64. Supra, notes 21 et 46.
518
Revue du Barreau/Tome 72/2013
ont consacré à ce point beaucoup de temps et d’énergie. La Cour
conclut que dans les circonstances, la demande de la locatrice était
abusive, mal fondée et frivole.
– La décision Pitre c. Fortier
Dans cette affaire, la demanderesse (la « sous-locataire »)
sous-loue de la locataire principale un local appartenant aux
défendeurs (les « locateurs ») afin d’y exploiter un salon d’esthétique. Au début de l’année 2004, la locataire principale informe les
locateurs qu’elle entend quitter les lieux loués en août. En avril,
les locateurs rencontrent alors la sous-locataire. Ils ne souhaitent
pas qu’elle quitte les lieux loués, mais discutent de la possibilité
pour la sous-locataire d’occuper un espace plus restreint et
d’accepter de travailler avec deux autres locataires offrant des
services d’esthétique, de massothérapie et de coiffure, ce que la
sous-locataire refuse. Par la suite, la sous-locataire et la locataire
principale conviennent qu’il serait plus avantageux pour la
sous-locataire de se voir céder le bail, afin de choisir elle-même les
personnes avec qui elle travaillera et les conditions qui s’appliqueront. Ainsi, un avis de cession du bail au profit de la
sous-locataire est alors signifié aux locateurs, confirmant que la
cession prendra effet en juin 2004. Suite à cet avis, les locateurs
envoient une lettre aux parties à la cession du bail, dans laquelle
ils prennent acte de l’avis de cession de bail, en soulignant toutefois que certaines ententes conclues auparavant relativement à la
tolérance d’un certain recoupement de services (notamment massothérapie et épilation) ne tiennent plus. Dans les mois qui suivent, les sujets de mésentente entre les parties se multiplient.
Finalement, la sous-locataire, devenue locataire en vertu de la
cession de bail, quitte les lieux.
Elle intente alors une action à l’encontre des locateurs, leur
réclamant 69 999 $ à titre de dommages punitifs (art. 1621 C.c.Q.)
(objectif de dissuasion et de punition). Elle prétend que les agissements des défendeurs, notamment le fait qu’ils intervenaient et
lui faisaient des reproches quasi quotidiennement65, se traduisent
essentiellement par du harcèlement continu et délibéré66. Ces
agissements ont fait en sorte de ne pas lui procurer la jouissance
65. Pitre c. Fortier, 2007 QCCQ 320, par. 56.
66. Ibid., par. 2.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
519
paisible des lieux et l’ont empêchée d’exercer librement son
commerce et d’y maintenir l’achalandage requis. Elle réclame
aussi des dommages moraux et exemplaires pour diffamation et
atteinte à sa réputation, prétendant que les locateurs ont répandu
la fausse rumeur qu’elle faisait des massages érotiques. Les locateurs nient que la demanderesse ait quitté leur immeuble en raison d’un quelconque harcèlement. Ils prétendent que c’est plutôt
le comportement non respectueux de cette dernière qui a causé
des désagréments aux autres locataires et a même entraîné le
départ de certains. Ils conviennent qu’ils ont adressé plusieurs
reproches à la demanderesse, mais que ceux-ci étaient bien fondés. Ils lui réclament 30 597 $ à titre de dommages-intérêts.
Dans son analyse relative aux allégations de harcèlement et
d’atteinte à la jouissance paisible des lieux, la Cour énonce qu’il
est clair que l’attitude des locateurs en a été une de harcèlement
continu et que cela a rendu l’opération du commerce de la locataire
impossible :
[127] Plutôt que de lui signifier clairement leur refus de sous-location, vu la non-acceptation des conditions proposées, Mme Fortier et
M. Trottier ont joué sur deux tableaux : celui de l’acceptation tacite
de son maintien dans les lieux avec l’espoir qu’elle se conforme aux
conditions énoncées et celui de lui rendre, en fait, la pratique
commerciale impossible de telle façon qu’elle finisse par quitter
elle-même les lieux. Il est très clair que l’attitude de Mme Fortier et
M. Trottier à l’égard de Mme Pitre en a été une d’harcèlement
continu.
[...]
[129] Une conduite malveillante à l’égard de Mme Pitre et de son
commerce, leurs reproches non fondés, leurs avertissements incessants, le jeu des affiches et leur harcèlement continu rendaient
l’opération du commerce de Mme Pitre impossible.67
[nos soulignés]
La Cour conclut que les locateurs ont manqué à leur obligation de procurer la jouissance paisible des lieux à la locataire en la
harcelant et qu’ils ont délibérément contribué à faire fermer le
commerce de la locataire. Toutefois, la Cour n’accorde aucun dommage à ce titre à la locataire, estimant que cette dernière n’a pas
été de bonne foi en ne respectant pas divers engagements prévus
67. Supra, note 65.
520
Revue du Barreau/Tome 72/2013
lors de l’acceptation de la sous-location. De l’avis de la Cour, la
locataire assume une responsabilité importante dans la détérioration de la relation entre les parties. Compte tenu de la mauvaise
foi des deux parties, les articles 1699 et 1705 C.c.Q. permettent
de limiter les modalités de la restitution entre les parties afin
qu’aucune des deux n’obtienne d’avantages indus, et que chacune
soit responsable des dommages reliés aux troubles et inconvénients qu’elle a elle-même causés. Toutefois, la Cour estime que
c’est bel et bien en raison du harcèlement des locateurs que la locataire a quitté les lieux. En conséquence, la locataire était tout
de même bien fondée de déposer son recours étant donné l’inexécution de l’obligation des locateurs de lui procurer la jouissance
paisible des lieux68. Ainsi, les dommages réclamés par les locateurs pour perte de revenus de loyers correspondant à la période
pour laquelle ils n’ont pu relouer le local commercial suite au
départ de la locataire ne peuvent leur être accordés.
La Cour conclut finalement que la locataire a droit à 9 000 $ à
titre de dommages moraux pour atteinte à sa réputation et à
3 000 $ à titre de dommages exemplaires69. Selon elle, les propos
tenus par les locateurs à l’endroit de la locataire concernant des
présumés massages érotiques sont, sans l’ombre d’un doute, de
nature diffamatoire et visaient à porter atteinte à sa dignité.
Quant aux dommages exemplaires, la Cour conclut que les propos
diffamatoires constituaient une atteinte illicite et intentionnelle
à la réputation de la locataire, dans un contexte où la locatrice
souhaitait se faire justice et mettre fin à une relation d’affaires.
– La décision Gestion S.A.G.G. c. Hudon70
Enfin, nous présentons une décision qui date de 1999 et qui a
donc été rendue avant l’arrêt Historia71, et ce, pour deux raisons :
premièrement, la Cour accorde 3 000 $ à un locataire exploitant
une entreprise, à titre de dommages moraux pour harcèlement et
stress causé par la locatrice ; deuxièmement, la Cour constate que
le harcèlement de la locatrice a forcé le locataire à faire maintes
démarches et à recourir aux services de son avocat, et elle accorde
des honoraires extrajudiciaires au locataire à ce titre.
68.
69.
70.
71.
Supra, note 65, par. 131.
Supra, note 65, par. 133.
Gestion S.A.G.G., supra, note 37.
Supra, note 21.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
521
Dans cette affaire, la locatrice et le locataire conviennent
d’un projet de bail, lequel est signé par le locataire, afin qu’il
exploite une boucherie dans un local du centre commercial de la
locatrice. Dès le lendemain de cette signature, le locataire entreprend des travaux de rénovation. Or, seulement deux jours plus
tard, la locatrice l’informe que le bail ne pourra pas être signé
étant donné que le bail d’une épicerie, située dans le même centre
commercial, comporte une clause d’exclusivité quant à la boucherie. Elle refuse alors l’accès au local au locataire et à ses
ouvriers. Le locataire est forcé d’obtenir une injonction provisoire
de la Cour supérieure, ordonnant à la locatrice le respect du contrat intervenu entre les parties. La Cour ordonne alors à la locatrice de ne poser aucun geste de nature à nuire aux opérations du
locataire, soit en lui refusant l’accès au local ou en nuisant à
l’affluence de sa clientèle, soit en utilisant tout autre moyen.
À la suite de cette injonction, les relations entre les parties
deviennent tendues. La locatrice avise notamment le locataire
qu’à l’avenir, toute négociation et demande d’information devront
se faire par écrit. De plus, le locataire devra faire approuver au
préalable toute modification au local. Après que ce dernier eut
repris possession du local loué et poursuivi ses travaux, il s’ensuit
une volumineuse correspondance entre les parties et leurs procureurs, dans laquelle la locatrice exige le respect intégral de
diverses clauses du bail. Peu après, elle demande d’ailleurs une
injonction afin qu’il soit ordonné au locataire de suspendre tous
ses travaux jusqu’à ce qu’il se soit conformé à toutes les obligations prévues au bail. Constatant que le locataire s’est conformé à
ses obligations, la Cour supérieure refuse la demande d’injonction
provisoire déposée par la locatrice. Cette dernière continue tout
de même à maintenir des exigences très strictes envers le locataire. L’exploitation du commerce débute finalement après quelques mois de retard. Toutefois, un mois après l’ouverture, le
locataire est de nouveau contraint de s’adresser aux tribunaux
pour obliger la locatrice à procéder à la climatisation et au
chauffage du local.
Finalement, la locatrice intente le présent recours en résiliation du bail et en dommages-intérêts, demandant 32 784 $. Elle
reproche au locataire plusieurs contraventions au bail ainsi que
des manquements aux lois et règlements. Ce dernier se porte
demandeur reconventionnel et réclame divers dommages matériels occasionnés par la locatrice, des dommages pour troubles et
522
Revue du Barreau/Tome 72/2013
inconvénients, des dommages punitifs ainsi que ses honoraires
extrajudiciaires, pour un total de 61 384 $.
Dans son analyse, la Cour conclut que le locataire a respecté
les clauses du bail et qu’aucun des reproches adressés par la locatrice n’en justifie la résiliation. La locatrice était de mauvaise foi
et certains des reproches adressés au locataire ne font que confirmer l’attitude de cette dernière, laquelle cherche, par tout moyen,
à faire obstacle à l’exercice des droits du locataire. La locatrice a
commis une erreur en louant au locataire un local pour sa boucherie, alors que le bail d’un autre commerce comportait une
clause d’exclusivité à cet égard. Devant le refus du locataire de
partir, elle a voulu compenser cette erreur en causant maintes difficultés au locataire72, notamment en posant des exigences exagérées dans le but de le décourager de s’établir dans le local en cause.
Après que sa propre demande d’injonction eut été refusée, la locatrice a tout de même continué la guérilla et soutenu des exigences
déraisonnables, pour finalement demander la résiliation du bail.
Le locataire a même dû déposer une autre demande d’injonction
pour obtenir la climatisation et le chauffage des lieux. Ainsi, et
malgré l’ordonnance du tribunal de ne pas utiliser de moyen qui
nuirait aux opérations du locataire, la locatrice a abusé de ses
droits.
La Cour accorde donc divers montants au locataire pour des
dommages matériels relatifs à des frais d’électricien et des pertes
attribuables au manque de chauffage, ainsi que 10 000 $ pour la
perte de profits subie suite à l’ouverture tardive de son commerce.
Quant aux honoraires extrajudiciaires, elle est d’avis que c’est en
raison de l’attitude injustifiée de la locatrice que le locataire a dû
avoir recours aux interventions de son avocat à maintes reprises.
Malgré une première injonction à son égard, la locatrice a fait une
interprétation outrancière de différentes clauses du bail pour
causer toutes sortes de difficultés au locataire dans le but de
l’empêcher de s’établir dans les lieux. Ce faisant, elle a conféré un
caractère abusif à ses procédures. Le locataire a donc droit à
10 674 $ pour les honoraires extrajudiciaires payés. La Cour
accorde aussi 1 000 $ au locataire à titre de dommages punitifs,
conformément aux articles 6 et 7 C.c.Q., ce qui est toutefois
étonnant, car il est reconnu que ces articles ne peuvent fonder à
eux seuls une réclamation pour dommages punitifs. Finalement,
72. Gestion S.A.G.G., supra, note 37, par. 13.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
523
la Cour octroie au locataire 3 000 $ pour le harcèlement dont il a
été victime et le stress constant qu’il a vécu. La Cour conclut que la
locatrice, par ses représentants, a harcelé le défendeur en lui
imposant des demandes vexatoires et en l’importunant à tout propos. Il a dû, pour y répondre, faire maintes démarches et recourir à
son avocat73. La Cour accorde ainsi des dommages moraux au
locataire à ce titre.
Quoique la Cour n’en fasse pas mention expressément lorsqu’elle accorde les honoraires extrajudiciaires au locataire, il nous
semble que cette décision est un bel exemple de cas où le harcèlement du locateur prend la forme d’abus d’ester en justice, ce que
d’aucuns appellent parfois le harcèlement judiciaire. Dans cette
décision, le harcèlement du locateur s’est poursuivi sous la forme
de procédures abusives, lesquelles ont forcé le locataire à avoir
recours aux interventions de son avocat à maintes reprises.
Comme nous avons pu le constater à quelques reprises, les tribunaux n’hésitent plus dans de telles situations à accorder les
honoraires extrajudiciaires à la personne ainsi harcelée.
CONCLUSION
Bien qu’au Québec aucune disposition législative particulière n’interdise le harcèlement entre locateur et locataire dans le
cadre d’un bail immobilier commercial, l’ensemble des décisions
présentées dans cette étude démontre que les tribunaux reconnaissent maintenant que ce phénomène existe et qu’il est préoccupant.
Tant la personne physique exploitant une entreprise que la
personne morale peuvent être victimes de harcèlement, ou encore
en être elles-mêmes à l’origine. Le harcèlement est alors considéré
comme une atteinte à la jouissance paisible des lieux loués et bien
souvent comme un abus du droit de propriété du locateur.
Les principes tirés de notre analyse de la législation et de la
jurisprudence québécoises nous permettent d’établir que le harcèlement en matière de bail immobilier commercial donne lieu à un
recours en vertu de l’article 1854 C.c.Q. pour atteinte à la jouissance paisible des lieux loués, à un recours en vertu des articles 6,
73. Gestion S.A.G.G., supra, note 37, par. 68.
524
Revue du Barreau/Tome 72/2013
7 et 1375 C.c.Q. pour abus de propriété du locateur74, ou les deux à
la fois75. Quant aux dommages accordés dans de telles circonstances, outre les dommages matériels, le cas échéant, la compensation pour harcèlement sera souvent accordée sous la forme de
dommages moraux pour « troubles, inconvénients et harcèlement »76.
Dans certains cas, lorsque le locateur use de harcèlement
envers son locataire et que ce harcèlement se poursuit au point
d’intenter des procédures abusives, frivoles ou mal fondées77, le
locataire sera justifié de demander le paiement des honoraires
extrajudiciaires qu’il a dû verser pour se défendre. D’ailleurs, ce
harcèlement sous forme d’abus du droit d’ester en justice a parfois
été qualifié de « harcèlement judiciaire » par la jurisprudence78.
L’état de la jurisprudence en matière de harcèlement locatif commercial laisse entrevoir que les tribunaux accordent le paiement
d’honoraires extrajudiciaires lorsque les actes injustifiés et abusifs du harceleur étaient tels qu’ils ont forcé la personne harcelée à
avoir recours aux services d’un avocat pour protéger ses droits79.
De son côté, la Cour d’appel a maintenant reconnu qu’en prévoyant l’octroi de dommages punitifs en cas de harcèlement de la
part du locateur envers un locataire seulement en matière de bail
d’habitation, le législateur n’a pas pour autant voulu exclure le
recours à la Charte pour l’octroi de ce type de dommages en
matière de bail commercial. Ainsi, lorsque le harcèlement constitue une atteinte illicite et intentionnelle à des droits garantis
par la Charte tel que la jouissance paisible des lieux loués en vertu
d’un bail commercial, la victime de harcèlement pourra obtenir
des dommages punitifs.
En outre, il nous semble que la présence de harcèlement dans
un tel contexte devrait faciliter la preuve du caractère intentionnel de l’atteinte. En effet, le harcèlement vise généralement un
74. Gestion S.A.G.G., supra, note 37.
75. Voir Immeubles H.T.H., supra, note 36 pour un exemple où le harcèlement du
locateur a été considéré à la fois comme une atteinte à la jouissance paisible des
lieux loués et un abus du droit de propriété par le locateur. Rappelons qu’en vertu
de l’article 2803 C.c.Q., il revient au locataire de prouver les faits qui soutiennent
ses allégations.
76. Supra, note 36, par. 42.
77. Voir, par exemple, Immeubles H.T.H., supra, note 36.
78. V.D. c. G.De., 2008 QCCS 3694 (CanLII), par. 91.
79. Voir Gervais Harding, supra, note 46 ; Gestion S.A.G.G., supra, note 37.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
525
but ultime, bien souvent celui d’obtenir que le locataire quitte les
lieux. Dans le jugement de première instance rendu dans l’affaire
Historia, la Cour supérieure concluait de la sorte au sujet de la
locatrice : « Depuis l’acquisition de l’immeuble, elle a tenté d’intimider le locataire au point où il quitte les lieux, sans indemnité :
but ultime de ses actions »80. En présence de harcèlement, l’auteur
de l’atteinte veut donc généralement causer les effets néfastes
reliés à sa conduite fautive.
Dans l’affaire Historia, la Cour supérieure n’a pas hésité à
condamner la locatrice à payer des dommages punitifs, affirmant
que « le harcèlement injustifié exercé par Historia doit être
réprimé et dénoncé vigoureusement »81. La Cour d’appel a confirmé cette conclusion, jugeant que la locatrice avait continuellement harcelé la locataire et que c’était à bon droit que la Cour
supérieure l’avait sévèrement blâmée82. Est-il possible d’affirmer
que cet arrêt a créé en jurisprudence un éveil quant au phénomène du harcèlement en matière de bail commercial ? Il semble
qu’il soit encore trop tôt pour faire une telle affirmation, étant
donné le peu de jurisprudence à cet effet.
Ce qui semble toutefois certain, c’est que le harcèlement,
sous quelque forme que ce soit, est inadmissible aux yeux du législateur et des tribunaux. De même, dans un contexte de relations
contractuelles commerciales, le harcèlement s’oppose assurément
au principe fondamental selon lequel la bonne foi doit gouverner
la conduite des parties, tant au moment de la naissance de
l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction.
Comment alors prévenir le harcèlement en matière de bail
commercial ? Une nouvelle disposition législative similaire à
l’article 1902 C.c.Q. serait-elle nécessaire, afin de proposer un
recours clair et de faciliter l’obtention de dommages punitifs pour
les victimes de harcèlement ? Bien que la réponse à cette question
dépasse le cadre de notre article, nous pensons que le législateur
devrait saisir l’occasion qui lui est offerte pour se pencher sur le
sujet et nous espérons que le présent ouvrage l’encouragera à aller
dans ce sens.
80. Supra, note 46, par. 219 et s.
81. Supra, note 46, par. 219 et s.
82. Supra, note 21, par. 11.
526
Revue du Barreau/Tome 72/2013
D’ici là, la meilleure solution réside certainement dans
le développement des connaissances dans le milieu juridique,
notamment par l’entremise de nouvelles études et d’un suivi de
l’évolution de la jurisprudence dans les prochaines années. Nous
espérons que cet article aura permis de mettre en lumière le
phénomène du harcèlement dans le contexte du bail commercial.
Surtout, nous espérons qu’il aura suscité l’intérêt des auteurs de
doctrine car, comme le lecteur a été à même de le constater, l’étude
de ce phénomène n’en est qu’à ses premiers balbutiements.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
527
TABLE DE LA LÉGISLATION
Textes québécois
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64
Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1.
Loi sur la régie du logement, RLRQ, c. R-8.1.
Tarif des honoraires judiciaires des avocats, RLRQ, c. B-1, r. 22.
Textes fédéraux
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 264.
TABLE DE LA JURISPRUDENCE
Jurisprudence québécoise
Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de
l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211.
Bélisle c. Gauvreau, [1998] J.L. 136 (R.L.), Me Danielle Dumont,
SOQUIJ AZ-98061057.
Campeau c. Bass, C.Q.M., no 500-02-069285-984, 9 septembre
1998 (j. Rouleau).
Doyon c. Goulet, 2011 QCCS 6223.
Durocher c. Gestion immobilière Solitec, [2002] J.J. 87 (R.L.).
Gestion S.A.G.G. c. Hudon, REJB 1999-10577, [1999] R.D.I. 99,
J.E. 99-473 (C.S.).
Gauthier c. Larson, [1993] J.L. 58 (R.L.) (règlement hors cour :
no 500-02-020710-898, 11-12-1989).
Gervais c. Chagnon, 2004 CanLII 28366 (QC C.Q.).
Gervais Harding et Associés Design inc. c. Placements St-Mathieu
inc, 2005 CanLII 26251 (QC C.S.), EYB 2005-93203.
Huot c. Martineau, REJB 2004-80132 (C.S.).
Investissements Historia inc. c. Gervais Harding et associés
Design inc., 2006 QCCA 560, EYB 2006-104247 (C.A.).
528
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Immeubles H.T.H. inc. c. Plaza Chevrolet Buick GMC Cadillac
inc., 2012 QCCS 6097, EYB 2012-214924 (C.S.) (requête en
rejet d’appel rejetée, C.A. Montréal, no 500-09-023197-122,
8 avril 2013, EYB 2013-220547 ; requête en sursis d’exécution
rejetée, C.A. Montréal, no 500-09-023197-122, 21 décembre
2012).
Makariak Boyko c. Johnson, (R.D.L., 1991-02-06), AZ-93061022,
[1993] J.L. 77.
Pitre c. Fortier, 2007 QCCQ 320, EYB 2007-113664 (C.Q.).
Poissant c. Messier, R.L. Granby, no 24-990608-005 G, 25 mai
2000, Me Daniel Laflamme.
Productions Jean-Jacques Sheitoyan c. Brodeur, 2008 QCCS
3885, EYB 2008-146608 (C.S.) (appel rejeté sur requête, C.A.
Montréal, no 500-09-019069-087, 1er décembre 2008, EYB
2008-151592).
V.D. c. G.De., 2008 QCCS 3694 (CanLII).
Viel c. Entreprises Immobilières du Terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262
(C.A.).
BIBLIOGRAPHIE
Monographies et ouvrages collectifs
DALLAIRE, C., La mise en œuvre des dommages exemplaires sous
le régime des Chartes, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur,
2003.
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LAMY, D., Le harcèlement entre locataires et propriétaires, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004.
LAROCHELLE, B., Le louage immobilier non résidentiel, 2e éd.,
Collection Bleue, Série répertoire de droit, Montréal, Wilson
& Lafleur/Chambre des notaires du Québec, 2007.
Articles de revues et étude d’ouvrages collectifs
CHOQUETTE, P., « Les affaires A.D.M et Historia – L’obligation
de fournir la jouissance paisible de 1854 C.c.Q. : obligation de
Revue du Barreau/Tome 72/2013
529
résultat et garantie de profit du locataire ? », dans Service de la
formation continue du Barreau du Québec, vol. 253, Développements récents en droit immobilier et commercial (2006),
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, EYB2006DEV1217
(article consulté mais non cité).
DALLAIRE, C., « L’évolution des dommages exemplaires depuis
les décisions de la Cour suprême en 1996 : dix ans de cheminement », dans Service de la formation continue du Barreau du
Québec, Développements récents en droit administratif et
constitutionnel, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006.
GAGNON, P., « Chronique – La notion de préjudice moral et son
application en droit du logement », dans Repères, novembre
2009, La référence Droit civil, EYB2009REP870.
GUÉVREMONT, S., « Les règles particulières au bail d’un logement », dans Collection de droit 2012-2013, École du Barreau
du Québec, vol. 5, Obligations et Contrats, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, EYB2012CDD145.
LACROIX, M., « Chronique – Actualités en matière de dommages-intérêts punitifs », dans Repères, janvier 2013, La référence Droit civil, EYB2013REP1245.
LAROCHELLE, B., « Le louage immobilier non résidentiel 10 ans
après », (2003) 105 R. du N. 533.
PRATTE, P., « Le harcèlement envers les locataires et l’article 1902 du Code civil du Québec », (1996) 56 R. du B. 3,
EYB1996RDB31.
Documents gouvernementaux
MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Commentaires du ministre de la
Justice, t. II, Québec, Les Publications du Québec, 1993,
article 1902.
530
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Le GPS, sa localisation dans
l’univers juridique québécois
et canadien
Katherine PLANTE et Marc GERVAIS
Résumé
Le Global Positioning System (GPS) est un outil de géolocalisation bien connu et abondamment utilisé. Le récepteur GPS
capte des signaux satellites et permet de localiser un objet ou une
personne sur terre, sur mer, dans les airs et dans l’espace au voisinage proche de la terre.
Le GPS peut être un instrument précieux en certaines circonstances, mais il n’est pas sans risque pour les utilisateurs qui
lui témoignent une confiance démesurée. La localisation par GPS
n’est jamais parfaite et de multiples erreurs peuvent survenir.
D’ailleurs, de nombreux incidents dus au GPS ont été répertoriés
et ont généralement fait sensation dans les médias. La popularité
du GPS et sa pénétration croissante sur le marché n’ont pas épargné les tribunaux.
Cet article vise à dresser un état de la situation du GPS en
droit canadien et québécois. Il aborde successivement l’usage du
GPS comme élément de preuve, moyen de défense ou argument
d’exonération en droit criminel et pénal ainsi qu’en droit civil et
administratif.
En droit criminel et pénal, l’inventaire de la jurisprudence
pertinente démontre, premièrement, que les données fournies par
un GPS sont admissibles en preuve lorsqu’elles s’inscrivent dans
le cours d’une enquête. Deuxièmement, il peut difficilement à lui
seul établir une preuve contraire à d’autres éléments de preuve
comme, par exemple, un cinémomètre. Troisièmement, les
erreurs résultant d’un mauvais fonctionnement d’un GPS peu-
Revue du Barreau/Tome 72/2013
531
vent être difficilement retenues par les tribunaux comme motif
d’exonération.
En droit civil et administratif, la situation n’est guère différente. D’abord, le GPS est aussi admissible en preuve lorsqu’il est
utilisé comme moyen de surveillance, de localisation ou d’enquête,
et ce, nonobstant la protection offerte par la Charte des droits et
libertés de la personne. Ensuite, il semble plus hasardeux
d’utiliser le GPS comme motif d’exonération de responsabilité
dans le cadre d’une poursuite, particulièrement pour les personnes physiques ou morales qui l’utilisent dans le cadre de leurs
activités professionnelles.
532
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Le GPS, sa localisation dans
l’univers juridique québécois
et canadien
Katherine PLANTE* et Marc GERVAIS**
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 535
1. LE GPS COMME ÉLÉMENT DE PREUVE OU MOYEN
DE DÉFENSE EN DROIT CRIMINEL ET PÉNAL . . . 537
a) Le GPS comme élément de preuve . . . . . . . . . . 537
b) Le GPS comme moyen de défense par un citoyen
ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 540
c) Le GPS comme moyen de défense par un utilisateur
professionnel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 543
2. LE GPS COMME ÉLÉMENT DE PREUVE OU
MOYEN DE DÉFENSE EN DROIT CIVIL ET
ADMINISTRATIF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 546
a) Le GPS comme élément de preuve . . . . . . . . . . 546
b) Le GPS comme moyen de défense . . . . . . . . . . 548
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 550
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 553
*
LL.B, J.D., LL.M., avocate, Directrice du Service du Secrétariat Général des Archives et des Communications, Commission Scolaire de Val-des-Cerfs.
** Ph.D., arpenteur-géomètre, professeur titulaire au Département des sciences géomatiques de l’Université Laval.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
533
« L’homme et sa sécurité doivent constituer
la première pré-occupation de toute aventure technologique » – Albert Einstein
INTRODUCTION
Le Global Positioning System, que l’on appelle communément GPS, est un outil de géolocalisation bien connu et abondamment utilisé. Le récepteur GPS capte des signaux satellites et
permet ainsi de localiser un objet ou une personne sur terre, sur
mer, dans les airs et dans l’espace au voisinage proche de la terre,
le tout avec une précision moyenne de 5 à 15 mètres.
Au cours des deux dernières décennies, le GPS a fait son
entrée sur le marché au grand bonheur des consommateurs si on
se fie à l’accroissement constant des ventes au détail des systèmes
de navigation GPS1. Désormais, pratiquement toutes les grandes
surfaces et les boutiques spécialisées en électronique vendent de
tels systèmes.
Les plus connus sont utilisés dans les voitures comme outil
de navigation et de positionnement. Depuis quelques années, la
plupart des fabricants d’automobiles incluent dans les nouvelles
voitures un GPS intégré au tableau de bord. Mais, il est également
possible de l’acquérir séparément et de l’installer au pare-brise de
n’importe quelle voiture.
Toutefois, il n’y a pas que dans les automobiles que l’on
retrouve ces instruments. Le GPS est utilisé sur les bateaux, sur
les terrains de golf, pour le plein-air, est intégré dans des montres
de sport pour la randonnée ou le jogging, dans des appareils photo
ou caméscopes, etc.
Le GPS est un outil qui fournit des données généralement
fiables, de précision variable, mais comporte cependant un risque
d’erreur. Le nombre insuffisant de satellites disponibles, les
1. M. ETINGER, The Present and the Future of GPS Devices, en ligne : [Ref.
19-02-2013] <http://ezinearticles.com/?The-Present-and-Future-of-GPS-Devices&
id=1858530>.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
535
dérives des horloges des satellites, les erreurs d’horloge des récepteurs, la faiblesse du signal satellite, les conditions atmosphériques et les obstacles physiques sont des facteurs qui peuvent
affecter la précision de la localisation. D’autres erreurs, n’ayant
aucun lien avec le milieu de prise de mesure ni la nature atmosphérique, peuvent aussi être présentes, notamment les décalages
orbitaux des satellites ou un système de navigation mal calibré. À
tout cela, il faut ajouter l’utilisation de base de données géographiques parfois non à jour et pouvant faire resurgir des incohérences
dans les résultats présentés à l’utilisateur.
Ces risques d’erreur influent directement sur l’utilisation
qui est faite du GPS. De nombreux incidents dus au GPS sont
répertoriés et font généralement sensation dans les médias lors de
leur survenance2. Le GPS est aussi utilisé ou admis comme élément de preuve ou moyen de défense par nos tribunaux. Toutefois,
peut-être en raison du caractère récent de sa pénétration dans le
marché de consommation de masse, il y a peu de cas judiciarisés
impliquant un GPS, et ce, malgré l’abondance des systèmes de
localisation vendus et utilisés actuellement partout au Québec et
au Canada.
Dans la première partie de cet article, nous aborderons
l’usage du GPS comme élément de preuve, moyen de défense ou
2. Parmi ces incidents ou accidents se trouvent les conducteurs de camions lourds qui
suivent les indications données par leur GPS et dont le véhicule se retrouve coincé
(<http://www.radio-canada.ca/regions/Quebec/2011/12/15/003-camion-maisonbeauport.shtml> ; <http://www.wvnstv.com/story/18711458/gps-sends-truckerto-narrow-wva-road-rig-wrecks> ; <http://www.engadget.com/2007/11/12/welshvillage-under-attack-by-gps-blind-drivers> ; <http://www.ctvnews.ca/driverblames-gps-for-truck-wedged-under-n-b-bridge-1.832044>) ou, encore, des automobilistes qui suivent aveuglément les indications données par leur GPS et qui se
retrouvent dans une situation problématique (<http://www.engadget.com/2007/
03/27/faith-in-gps-sends-mercedes-downstream> ; <http://www.ladepeche.fr/
article/2008/10/24/484070-trop-confiant-dans-son-gps-un-conducteur-polo
nais-finit-au-fond-d-un-lac.html> ; <http://www.engadget.com/2007/07/21/driverfollows-gps-onto-pedestrian-walkway-into-cherry-tree> ; <http://www.dslreports.
com/forum/r19738907-Driver-cited-in-Bedford-train-car-crash-caused-by-GPSmishap> ; <http://techno.lapresse.ca/nouvelles/produits-electroniques/
201010/06/01-4330124-elle-suit-son-gps-et-tombe-dans-un-marecage.php>,
<http://www.wired.com/gadgetlab/2012/12/apple-maps-dangerous-down-under>,
<http://www.capacadie.com/canada/2010/12/1/un-canadien-trompe-par-songps-est-arrete-au-maine-avec-des-stupefiants>. Dans certains cas, même si le GPS
n’est pas la cause directe de la mort, son utilisation pourrait être considérée comme
un facteur y ayant contribué (<http://www.theglobeandmail.com/news/britishcolumbia/seven-weeks-in-wilderness-rita-chretien-recalls-her-nightmare/article
556079> ; <http://news.cnet.com/8301-17852_3-57566488-71/man-allegedly-followsgps-directions-to-wrong-house-shot-dead>).
536
Revue du Barreau/Tome 72/2013
argument d’exonération en droit criminel et pénal. Dans la
seconde partie, nous aborderons l’usage du GPS comme élément
de preuve, moyen de défense ou argument d’exonération en droit
civil et administratif.
Malgré le faible nombre de cas de jurisprudence en la
matière, le bref inventaire des incidents qui peuvent résulter de
l’utilisation du GPS ainsi que des circonstances entourant ces
incidents nous permettra d’identifier les tendances retenues par
les tribunaux et de cibler l’évolution à prévoir pour les prochaines
décennies.
1. LE GPS COMME ÉLÉMENT DE PREUVE OU MOYEN
DE DÉFENSE EN DROIT CRIMINEL ET PÉNAL
Le GPS peut être utilisé de diverses façons. Parfois, il sert à
prouver un fait, notamment un déplacement ou une localisation
précise et parfois, il sert à l’argumentaire comme moyen de
défense ou de disculpation.
a) Le GPS comme élément de preuve
Dans certaines circonstances, le GPS est utilisé comme
moyen de surveillance, de localisation ou d’enquête. Les données
recueillies seront alors admissibles en preuve devant un tribunal
pour établir l’accomplissement d’une infraction ou le bris d’une
probation.
L’article 492.1 du Code criminel3 se lit comme suit :
Le juge de paix qui est convaincu, à la suite d’une dénonciation par
écrit faite sous serment, qu’il existe des motifs raisonnables de
soupçonner qu’une infraction à la présente loi ou à toute autre loi
fédérale a été ou sera commise et que des renseignements utiles à
cet égard, notamment sur le lieu où peut se trouver une personne,
peuvent être obtenus au moyen d’un dispositif de localisation peut
décerner un mandat autorisant un agent de la paix [...] :
a) à installer un dispositif de localisation dans ou sur toute chose,
notamment une chose transportée, utilisée ou portée par une personne, à l’entretenir et à l’enlever ;
3. Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 492.1.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
537
b) à surveiller ou faire surveiller ce dispositif.
(2) Le mandat est valide pour la période, d’au plus soixante jours,
qui y est indiquée [...]
(4) Pour l’application du présent article, « dispositif de localisation »
s’entend d’un dispositif qui, lorsqu’il est placé dans ou sur une
chose, peut servir à localiser une chose ou une personne par des
moyens électroniques ou autres [...]
Cet article permet à un agent de la paix, muni d’un mandat,
d’installer un dispositif de localisation sur une chose, notamment
un GPS, dans le but d’obtenir des renseignements utiles sur les
déplacements d’un individu. Il est donc possible avec ce dispositif
de suivre les allées et venues d’un véhicule automobile ou de localiser une personne au moyen d’une chose qu’elle transporte habituellement avec elle, par exemple un téléphone cellulaire. Les
données issues de l’utilisation de cette technologie peuvent aider
grandement à l’enquête et sont susceptibles d’apporter des éléments de preuve admissibles en cour.
Toutefois, le fait d’utiliser un GPS à des fins de surveillance,
de localisation et d’enquête entraîne immanquablement une
atteinte à la liberté et à la vie privée des individus.
L’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés établit que certains éléments de preuve peuvent être exclus :
(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou
libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser
à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal
estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal
a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu
égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de
déconsidérer l’administration de la justice.4 (nos soulignés)
La Cour suprême, dans l’arrêt Therens, a établi les deux
conditions cumulatives selon lesquelles un élément de preuve
4. Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, reproduite dans L.R.C. (1985), app. II, no 44.
538
Revue du Barreau/Tome 72/2013
pouvait être exclu en vertu de l’article 24 : « la preuve doit avoir été
obtenue dans des conditions qui violent la Charte et son utilisation doit être susceptible, compte tenu des circonstances, de
déconsidérer l’administration de la justice »5.
Ce principe a ensuite été repris par le juge Lamer dans l’arrêt
Collins6. Dans cette affaire, la Cour décrit la marche à suivre afin
de déterminer si l’utilisation d’un élément de preuve est de nature
à déconsidérer l’administration de la justice. Le juge Lamer
explique :
Les rédacteurs de la Charte ont par contre décidé de s’attaquer à
l’utilisation de la preuve dans l’instance et le but du par. 24(2) est
d’empêcher que cette utilisation ne déconsidère encore plus l’administration de la justice. Cette déconsidération additionnelle découlera de l’utilisation des éléments de preuve qui priveraient l’accusé
d’un procès équitable ou de l’absolution judiciaire d’une conduite
inacceptable de la part des organismes enquêteurs ou de la poursuite.7 (nos soulignés)
L’article 24 et le principe d’exclusion de la preuve ont été
invoqués à quelques reprises dans le but de faire exclure les données de localisation.
En 2006, les données issues d’un GPS pour la localisation
d’une plantation de cannabis ont été admises comme complément
de preuve par la Cour d’appel du Québec. La Cour a statué que ces
éléments ne devaient pas être exclus sous l’article 24(1) de la
Charte canadienne.
En l’espèce, l’utilisation en preuve des données GPS recueillies [...]
n’a pu affecter l’équité du procès. En effet, ces éléments ne servaient qu’à ajouter des précisions techniques à une preuve de localisation dont la nature était nécessairement connue. Ils ne répondent
à aucun des critères d’exclusion reconnus par la jurisprudence. 8
Par ailleurs, dans la décision Griffin c. R., rendue en 2008, la
Cour d’appel a décidé que la chronologie de la localisation par les
données émanant d’un cellulaire était visée par l’article 492.2(2)
du Code criminel et qu’elle était recevable en preuve. Dans cette
5.
6.
7.
8.
R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, 648.
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265.
Ibid., par. 31.
R. c. Boissonneault, 2006 QCCA 629, par. 20.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
539
affaire, l’article 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés
avait été invoqué et l’avocat de la défense soutenait que les éléments de localisation violaient le droit à la vie privée de son client
et donc devaient être exclus.
Le juge Doyon a refusé cet argument :
The tracing of the cell phone and its user forms an integral part of
such an investigation, especially when subsection 492.2 (4) Cr.C.
provides that “number recorder” means “any device that can be
used to record or identify the telephone number or location of the
telephone from which a telephone call originates, or at which it is
received or is intended to be received”. Under these circumstances,
such a seizure cannot be characterized as abusive.9
Ainsi, jusqu’à maintenant, les données de localisation issues
au moyen d’un GPS, téléphone cellulaire ou autres sont admissibles en preuve lorsqu’elles s’inscrivent dans le cours d’une
enquête.
b) Le GPS comme moyen de défense par un citoyen
ordinaire
Le GPS a été fréquemment utilisé comme moyen de défense,
notamment pour les infractions d’excès de vitesse. Le récepteur,
qui indique la vitesse du véhicule, a parfois permis de soulever
un doute raisonnable sur la fiabilité du cinémomètre (radar) des
Services de police.
En 2008, dans l’affaire Directeur des poursuites criminelles et
pénales c. Landry, la Cour du Québec a procédé à l’acquittement
d’un individu soupçonné d’avoir circulé à 125 km/h dans une zone
de 90 km/h. Le juge en vient aux conclusions suivantes :
En l’espèce, il ressort du témoignage rendu par le défendeur qu’il
roule à une vitesse de 100 km/h, à plus ou moins 1 km/h près, lorsqu’il constate la présence du radariste, stationnaire, à sa gauche.
Précisément, ce témoignage est basé sur une lecture de l’indicateur
de vitesse, dont la valeur est confirmée par un système de positionnement par satellite (GPS) en fonction, au moment où le radariste
opère un cinémomètre ayant une portée de 150 mètres.
9. Griffin c. R., 2008 QCCA 824, par. 94 (CanLII).
540
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Dans ces circonstances, une telle affirmation est suffisante afin de
contrer la preuve de la vitesse présumée. Par conséquent, en regard
de l’ensemble de la preuve présentée, le témoignage du défendeur
soulève un doute raisonnable quant à la justesse de la lecture du
cinémomètre.10 (nos soulignés)
La lecture de l’odomètre combinée au GPS a permis d’établir
un doute suffisant, un doute raisonnable, quant à la vitesse de circulation du véhicule et a constitué une preuve contraire à la lecture qu’a faite le policier de la vitesse indiquée sur son radar.
En 2010, la Cour du Québec a réitéré ce fait. « La lecture
d’une mesure par le biais d’un indicateur de vitesse d’une voiture,
alliée à une seconde lecture d’un appareil GPS, peut constituer
une preuve contraire à la vitesse captée par un radar, qu’il faut
cependant considérer dans l’ensemble de la preuve soumise
devant le Tribunal. »11
Cependant, bien que la combinaison de la lecture du GPS et
de l’odomètre puisse constituer une preuve contraire à la lecture
du radar, il n’en demeure pas moins que cette preuve ne fonctionne pas automatiquement. Il est nécessaire que l’ensemble des
faits étaye la preuve de la vitesse. Il ne faut pas oublier que, contrairement au cinémomètre, le GPS et l’odomètre ne sont pas vérifiés et calibrés régulièrement12.
De plus, il existe une présomption de fiabilité du cinémomètre qu’il faut renverser. « La preuve contraire doit être suffisamment détaillée et reposer sur des faits exacts et non sur des
simples hypothèses ou probabilités non vérifiables. »13 Il est donc
nécessaire pour que le GPS soit reconnu comme étant fiable
d’avoir une preuve de son bon fonctionnement. La Cour supérieure a maintenu :
Il soulève également que la vitesse indiquée par l’odomètre de sa
voiture étant confirmée par le GPS Garmin, le tribunal devrait
accorder une plus grande importance à ces deux instruments qu’au
10. Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Landry, 2008 QCCQ 3981, par.
19 et 20.
11. Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Allard, 2010 QCCQ 11956, par.
17 ; Mont-Tremblant (Ville de) c. Gagnon, 2010 CanLII 47266, par. 31 (QC C.M.).
12. Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Landry, 2009 QCCQ 3570, par.
39.
13. Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Landry, 2009 QCCS 5916, par.
19.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
541
cinémomètre de la policière [...] Or, le premier juge, faisant remarquer que l’appelant n’avait aucun expert pour prouver la fiabilité de
son appareil GPS Garmin, permet un ajournement afin que celui-ci
en trouve un [...] Dans le cas sous étude, l’appelant n’a pas relevé
son fardeau en démontrant que l’appareil cinémomètre ne fonctionnait pas bien et, en ne présentant pas une preuve contraire fiable et
vérifiable, n’a donc pas soulevé un doute raisonnable. C’est donc à
bon droit que le premier juge n’a pas retenu les prétentions de
l’appelant.14 (nos soulignés)
En 2011, la Cour du Québec s’est de nouveau penchée sur la
fiabilité du GPS et son admissibilité comme contre-preuve au
cinémomètre :
[Le GPS] est d’abord et avant tout un système de géolocalisation.
Une personne munie d’un tel système peut ainsi se localiser et
s’orienter sur les routes [...] Dans les exemples donnés par la Cour
d’appel, une montre est effectivement conçue pour indiquer le
temps, une règle, pour mesurer la distance et un indicateur de
vitesse, pour mesurer la vitesse d’un véhicule. La fonction première
d’un GPS, toutefois, n’est pas d’établir la vitesse d’un véhicule.15
(nos soulignés)
L’argument invoqué par le Tribunal quant à la fonction première de l’appareil GPS demeure discutable. La mesure de la
vitesse du véhicule est issue d’une simple opération arithmétique.
Si l’appareil GPS permet une localisation précise, la vitesse calculée le sera tout autant. Le tribunal remet aussi en perspective
non seulement la fiabilité du GPS, mais également sa nature et sa
raison d’être. La Cour poursuit :
La fiabilité du GPS du défendeur, en tant que mesure de vitesse, de
même que son bon fonctionnement, n’ont pas été mis en preuve.
Dans ce contexte, on peut difficilement conclure que la seule lecture
d’une vitesse apparaissant sur un GPS peut constituer une preuve
contraire pouvant soulever un doute raisonnable. 16
Ce deuxième argument invoqué par la Cour nous apparaît
beaucoup plus approprié. En effet, compte tenu que les radars des
services de police doivent rigoureusement être calibrés et vérifiés,
14. Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Landry, 2009 QCCS 5916, par.
14, 16, 20 à 22.
15. Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Antonacci, 2011 QCCQ 12420,
par. 28 et 30.
16. Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Antonacci, 2011 QCCQ 12420,
par. 33.
542
Revue du Barreau/Tome 72/2013
il serait impensable d’octroyer une force probante élevée à un instrument, sans preuve de fiabilité et d’exactitude.
En somme, à l’heure actuelle, il semble que le GPS puisse difficilement à lui seul établir une preuve contraire au cinémomètre
en l’absence de calibration et de démonstration de sa fiabilité au
moment de la lecture. Cette tendance est tout à fait logique. Pour
constituer un moyen de défense efficace, le GPS doit être combiné
à d’autres instruments et l’ensemble des faits doit corroborer la
preuve.
c) Le GPS comme moyen de défense par un utilisateur
professionnel
Dans certains cas, le GPS est utilisé comme moyen de
défense par des professionnels ou des individus qui se spécialisent
dans une activité particulière. Contrairement aux citoyens ordinaires, ces personnes font un usage fréquent du GPS et sont
censés posséder des connaissances spécifiques eu égard à leur
domaine d’expertise. C’est le cas notamment des pêcheurs commerciaux.
En 2000, dans l’affaire R c. Truong, le prévenu est accusé
d’avoir pêché à l’extérieur des limites des eaux territoriales canadiennes. M. Truong allègue qu’il avait utilisé son GPS afin de
s’assurer qu’il ne franchissait pas la frontière maritime. Il soutient également qu’il faisait usage quotidiennement de son GPS
dans le but de localiser les cages conçues pour la pêche au crabe.
Toutefois, pour le tribunal, le type de GPS utilisé et surtout
l’usage qui en est fait sont des facteurs de grande importance. Le
juge mentionne :
I find that it was reasonable for crab fishers to use an ordinary GPS
rather than a differential one before May 1,2000. But fishers would
be required to familiarize themselves with the operation of their
units, including its margin of error [...] I am satisfied that due diligence would require a fisher using GPS to be familiar with its margin of error, and to allow for that margin when determining where
he can fish.17 (nos soulignés)
Le juge soulève que l’accusé aurait dû se référer au manuel
d’instructions qui exposait la marge d’erreur du GPS et qui recom17. R. v. Truong [2000] B.C.J. No. 2770, par. 47.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
543
mandait aux utilisateurs de comparer les données issues du GPS
avec d’autres aides à la navigation. N’ayant pas pris ces précautions, l’accusé n’a pas fait preuve de diligence raisonnable.
En 2002, dans une autre affaire, R c. Gavin18, les prévenus
sont accusés d’avoir pratiqué la pêche à l’intérieur d’une zone
interdite. Ces derniers allèguent qu’ils avaient fait preuve d’une
diligence raisonnable lors de l’utilisation du GPS et qu’ils étaient
convaincus qu’ils pêchaient à l’intérieur de la zone permise tout en
étant toutefois près de la frontière maritime.
À juste titre, le Tribunal a soulevé que la précision de la localisation de l’appareil GPS était de première importance dans la
présente cause. Il mentionne que si ce type d’instrument fournissait une localisation exacte, il serait alors facile de déterminer
de quel côté de la frontière on se situe. Mais le problème est que
ces appareils ne sont pas toujours totalement précis. Le juge
Thompson explique :
Assuming that the instrument being used is accurate then, it is not
difficult to determine if a position is on one side or the other of a
fixed line. Problems arise, however, because all of the navigational
instruments involved are less than totally accurate.19
Le juge se base sur le témoignage de l’expert qu’il résume
ainsi :
The GPS or Global Positioning System relies on a network of satellites which transmit signals to a GPS receiver which in turn computes the position of the receiver from the known position of the
satellites. Mr. Gray testified that since May of 2000, GPS instruments have had a positioning accuracy of 10 meters to 20 meters.
Because the instrument only changes its readout every one hundredth of a nautical mile there could be a further inaccuracy of up to
18.52 meters in the instrument for a maximum inaccuracy of 38.52
meters. With the advent of DGPS, GPS instruments were able,
from a known point, to calculate their range to a satellite and
thereby increase its positioning accuracy to three meters to five
meters. With all inaccuracies calculated in, the maximum inaccuracy for a DGPS is 27.5 meters.20
18. R. v. Gavin [2002] P.E.I.J. No. 35 (Q.L.).
19. Ibid., par. 13.
20. Ibid., par. 18.
544
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Il poursuit en soulignant que les prévenus n’avaient donné
aucune indication quant à leur connaissance des possibles inexactitudes pouvant affecter les positions obtenues à partir de l’appareil GPS. Pour le Tribunal, la norme de diligence d’un participant
à une activité règlementée, en l’occurrence la pêche commerciale,
n’est pas la même que l’on peut exiger d’un citoyen ordinaire. Il
conclut alors que les prévenus n’avaient pas utilisé tous les
moyens raisonnables afin d’éviter de se retrouver piégés au sein
d’une zone interdite.
Finalement, en 2003, dans la cause R. c. Bailey21, il était
reproché au prévenu d’avoir pratiqué la pêche au flétan du Groenland à l’intérieur d’une zone réservée pour la pêche au crabe. Le
prévenu a avoué posséder une connaissance limitée du fonctionnement de l’appareil GPS qu’il utilisait et ne pas savoir comment
le configurer. Encore pire, il a avoué candidement avoir de la difficulté à utiliser les systèmes de navigation disponibles à bord de
son navire. Un expert, ayant témoigné dans cette cause, a soulevé
que, même s’il n’avait jamais vu un dysfonctionnement d’un appareil GPS, ce dernier devait tout de même être vérifié avec d’autres
équipements de navigation disponibles. Il estimait que l’utilisation d’une carte de navigation demeurait absolument essentielle.
Finalement, il a déclaré que, sans carte, tout ce dont dispose le
navigateur à l’aide de son appareil GPS n’est qu’une série de
chiffres qui ne vous indiquent pas où vous êtes.
Le Tribunal, compatissant avec le prévenu qu’il considérait
comme étant un honnête homme, a mentionné que ce dernier
n’avait malheureusement pas les connaissances et les compétences requises pour pratiquer la pêche commerciale, que ses agissements étaient potentiellement dangereux pour lui-même, son
navire et son équipage et qu’il était incapable d’utiliser convenablement les systèmes de navigation mis à sa disposition en raison
d’une connaissance très rudimentaire de l’appareil GPS. Pour ces
motifs, il ne lui était pas possible d’invoquer la diligence raisonnable.
Ces décisions témoignent d’une tendance voulant que l’argument basé sur un mauvais fonctionnement d’un appareil GPS soit
difficilement retenu par les tribunaux comme un motif d’exonération d’une infraction par un utilisateur menant une activité
21. R. v. Bailey, [2003] N.J. No. 347.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
545
commerciale ou professionnelle. Il reviendrait aux individus de
maîtriser le fonctionnement de l’appareil GPS et de s’enquérir des
possibles inexactitudes pouvant affecter les positions obtenues.
Ainsi, ils devraient prendre tous les moyens raisonnables afin
d’éviter de se retrouver dans des zones interdites et de s’assurer,
par d’autres moyens, qu’ils sont bel et bien localisés au bon
endroit.
2. LE GPS COMME ÉLÉMENT DE PREUVE OU MOYEN
DE DÉFENSE EN DROIT CIVIL ET ADMINISTRATIF
a) Le GPS comme élément de preuve
Tout comme en droit criminel et pénal, il arrive que le GPS
soit utilisé comme moyen de surveillance, de localisation et
d’enquête en droit civil et professionnel.
C’est notamment le cas d’employeurs qui, dans le but
d’assurer l’efficacité de la répartition des tâches des employés
devant se déplacer dans le cadre de leurs fonctions et de vérifier si
les employés effectuent le travail qui leur a été confié, munissent
les véhicules de GPS. Ils peuvent alors localiser aisément la position de leurs employés. Le GPS est parfois utilisé également pour
établir des déplacements et évaluer la concordance des faits avec
un accident de travail22.
L’employeur peut effectuer une surveillance en cas de vol,
vandalisme, surveillance des installations et sécurité, doutes
quant au comportement des employés et à la qualité du travail
fourni, doutes quant à la véracité des allégations d’un employé
quant à l’existence d’une lésion professionnelle et protection des
intérêts commerciaux et économiques 23.
Bien entendu, la surveillance d’employés peut porter
atteinte à leur vie privée24 et contrevenir à l’article 46 de la Charte
québécoise qui stipule que tout employé a droit à des conditions de
22. Allards & Émond Inc. c. Kiriakos Karras, 2013 QCCLP 1830 (CanLII).
23. F. POIRIER et S. LALANDE, Le système GPS : le retour de Big Brother ?, Publication CCH Bulletin municipal et droit public, 17 septembre 2010, en ligne : [Ref.
05-05-2013] <http://www.cchmunicipal.com/2010/09/le-systeme-gps-le-retourde-big-brother.html>.
24. Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 35 ; Charte des droits et libertés de la
personne, RLRQ, c. C-12, art. 5.
546
Revue du Barreau/Tome 72/2013
travail justes et raisonnables25. Toutefois, « [e]n matière de surveillance durant les heures de travail, il faut concilier le droit de
gérance de l’employeur en vertu duquel il peut exercer un certain
contrôle sur ses employés, et le droit des salariés à la vie privée et
à des conditions de travail justes et raisonnables »26. Ainsi, même
s’il y a atteinte à leurs droits fondamentaux, les éléments de
preuve recueillis pourront être admissibles en cour si le tribunal
juge que leur exclusion aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice conformément à l’article 2858 C.c.Q.
La force probante du GPS a été commentée dans le jugement
Wilgosh, rendu par la Cour d’appel en 2007. Le juge conclut que
l’utilisation répandue du GPS lui apporte une force probante
accrue devant les tribunaux :
The next ground of appeal concerns the number of acres charged for
by the appellant. The agreement did not specify a means of measurement of the acres serviced by the appellant. The appellant
measured the acres by readings from meters mounted on his seeding and spraying equipment. The respondents had the acres measured using the Global Positioning System. The appellant says that
the trial judge erred in accepting the GPS report in that proof of the
accuracy of the GPS report required expert evidence, which the
respondents did not provide. Alternatively, the appellant said the
judge should have treated it as inadmissible as hearsay since the
witness through whom it was introduced did not give evidence as to
exactly how he arrived at his figures by use of the GPS. In our view,
if expert evidence was required to verify the GPS report, it was also
required to verify the measurements calculated from the readings
from the meters on the machinery. Evidence would have been necessary to show that the meters worked accurately, exactly what
they measured, and the calculations used to arrive at the number of
acres serviced. Both the meters and GPS systems are now so widely
used and accepted, that it was open to the trial judge to admit them
as cogent evidence in this case without the support of expert witnesses. It was also open to him to prefer one system over the other
for accuracy. Our conclusion is reinforced in this case by the fact
that there was no other available evidence to establish the number
of acres worked by the appellant. The judge made no error.27
(nos soulignés)
25. Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12, a. 46.
26. F. POIRIER et S. LALANDE, « Le système GPS : le retour de Big Brother ? », dans
Bulletin CCH municipal et droit public, 17 septembre 2010, en ligne : [Ref.
05-05-2013] <http://www.cchmunicipal.com/2010/09/le-systeme-gps-le-retourde-big-brother.html>.
27. Wilgosh v. Good Spirit Acres Ltd., [2007] S.J. No. 159, par. 6.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
547
Cette conclusion a été reprise dans le jugement Dorgan and
Gavin de la Cour supérieure de l’Île-du-Prince-Édouard28 rendu
en 2008.
Le GPS a donc une certaine force probante. Dans l’affaire
Syndicat des chauffeurs d’autobus de la société de transport de la
ville de Laval c. Société de transport de la ville de Laval, rendue en
2004, l’arbitre mentionne :
Compte tenu de ce qui précède, j’estime que le système de G.P.S. est
fiable et permet de collecter des informations reflétant la réalité
vécue sur le terrain et donne un portrait juste des temps de parcours.29
Il est donc possible d’utiliser le GPS en cour pour établir une
mesure, une localisation et un déplacement. L’outil technologique
devient alors un élément de preuve acceptable.
b) Le GPS comme moyen de défense
Tout comme en droit criminel et pénal, il est plus ardu
d’utiliser le GPS comme moyen de s’exonérer de sa responsabilité
dans le cadre d’une poursuite.
Dans l’affaire Neveu, l’erreur dans les coordonnées GPS n’a
pas été prise en compte pour exonérer la compagnie. En effet, la
responsabilité du défendeur a été engendrée par l’erreur du préposé dans la maîtrise et la manipulation du GPS en vertu de
l’article 1463 du Code civil du Québec. La juge Lemoine conclut :
La coupe devait être effectuée sur le lot voisin et en raison d’une
erreur sur les données (GPS), de même qu’une mauvaise information concernant la limite des lots voisins, les arbres ont été coupés
sur la propriété du demandeur. Il s’agit là d’une faute des préposés
de la défenderesse, Service Exploration Enr., ayant entraîné des
dommages à la propriété du demandeur.30
Il importe donc que le GPS soit manipulé de façon adéquate
et que son utilisation soit maîtrisée. Dans le cas contraire,
28. Dorgan and Gavin v. R., 2008 PESCTD 37, par. 23.
29. Syndicat des chauffeurs d’autobus de la société de transport de la ville de Laval c.
Société de transport de la ville de Laval, 2004 CanLII 39949 (QC SAT), par. 94.
30. Neveu c. 100924 Canada ltée (Service Exploration enr.), 2006 QCCQ 15837, par.
10.
548
Revue du Barreau/Tome 72/2013
l’individu peut être tenu responsable des dommages qui en découlent. On peut y voir là une cohérence avec les décisions impliquant
des utilisateurs professionnels accusés d’infractions en droit
criminel et pénal.
Dans l’affaire A. Hébert & Fils inc. c. Aéropro, la Commission
des lésions professionnelles se penche sur l’imputabilité d’un tiers
quant à un accident de travail et ainsi commente l’utilisation
inappropriée du GPS. Pour la Commission, le pilote est un professionnel et se doit d’agir conformément :
[...] le pilote d’Aéropro était un professionnel, la sécurité des passagers était sous sa responsabilité et ils étaient en droit de s’attendre
à ce qu’il prenne tous les moyens pour la protéger, notamment en
faisant preuve d’une grande prudence, de jugement et du respect
intégral de toutes les règles de l’art en la matière.31 (nos soulignés)
Or, « le pilote a effectué une approche aux instruments
improvisée qui suggère l’utilisation du système de positionnement mondial (GPS) alors que ni le pilote ni l’appareil n’étaient
certifiés pour une telle approche »32. Pour le professionnel, l’utilisation inadéquate ou improvisée d’un GPS n’est pas conforme
aux règles de l’art. Et il en est de même pour l’utilisateur inexpérimenté ou imprudent.
La Commission résume ainsi :
Compte tenu de l’instrumentation à bord de l’appareil, l’approche
NDB A (GPS) était la seule approche aux instruments autorisée.
Cependant, une fois rendu à la verticale de l’aérodrome, le pilote
n’effectue pas la procédure d’approche aux instruments publiée
(voir annexe A). Il suit plutôt une trajectoire improvisée en direction du point de cheminement d’approche finale [...]
Il y avait deux systèmes de positionnement mondial (GPS) à bord.
L’avion était équipé d’un GPS Garmin 155XL et le pilote possédait
un GPS Garmin 111 Pilot. Toutefois, le GPS Garmin 155XL n’était
pas certifié pour effectuer des approches aux instruments et sa base
de données n’était pas à jour. Ce modèle de GPS ne conserve pas en
mémoire l’historique des trajectoires après sa mise hors tension.
Par ailleurs, l’examen du GPS Garmin 111 appartenant au pilote et
31. A. Hébert & Fils inc. c. Aéropro, 2010 QCCLP 7203 (CanLII), par. 62.
32. Ibid., par. 15.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
549
retrouvé à bord de l’épave a permis de reconstituer la trajectoire de
l’avion à partir de 37 milles marins (nm) au sud de l’aérodrome de
Port-Menier jusqu’à l’endroit de l’impact. Toutefois, ce modèle de
GPS n’enregistre pas l’altitude de l’appareil [...]
Par conséquent, afin d’atterrir à Rocher-Percé, le pilote devait
effectuer une approche aux instruments selon la procédure NDB A.
Toutefois, le pilote a suivi une trajectoire improvisée qui suggère
l’utilisation du GPS pour guider l’appareil. En dérogeant aux
procédures d’approche approuvées dans des conditions de vol aux
instruments présentes et en se fiant à des références extérieures
minimales, le pilote a diminué la marge de sécurité requise pour le
vol.33 (nos soulignés)
Le pilote s’est servi de son GPS personnel pour atterrir plutôt
que de faire une approche aux instruments selon une procédure
préétablie. Il n’a pas agi en professionnel et n’a pas respecté les
règles de l’art. L’avion a atterri à côté de la piste, a culbuté et a
blessé sérieusement les passagers. L’accident de travail est imputable à la conduite imprudente du pilote.
Cependant, il est tout de même parfois possible d’utiliser le
GPS comme moyen de s’exonérer de sa responsabilité. On peut,
par exemple, prouver la défaillance de l’instrument. Toutefois, il
ne suffit pas de se fier aveuglément au GPS. Et pour le professionnel, le fardeau est encore plus important. Le GPS doit être manipulé de façon adéquate et son utilisation doit être maîtrisée. On
s’attend du professionnel qu’il soit apte à utiliser correctement
ses instruments, à les calibrer et à s’assurer de leur fiabilité. Il
est beaucoup plus ardu pour le professionnel d’invoquer comme
moyen de défense le GPS puisque son aptitude à l’utiliser sera
scrutée par la cour.
CONCLUSION
Le développement et l’arrivée des nouvelles technologies
dans notre vie quotidienne peuvent provoquer potentiellement
une certaine forme de dépendance chez les utilisateurs. Les faits
démontrent que ces derniers portent fréquemment une confiance
aveugle aux outils technologiques. « [...] an increasing number of
people are setting aside rational thought and putting all of their
33. Ibid.
550
Revue du Barreau/Tome 72/2013
faith and trust into sophisticated machines. »34 Le GPS ne fait pas
exception.
Les utilisateurs se fient à leur GPS et en oublient de vérifier
l’exactitude des données et du trajet proposé. « A careful navigator
never relies on only one method to obtain position information [...]
When a GPS unit is used in a vehicle, the vehicle operator is solely
responsible for operating the vehicle in a safe manner. »35 L’usage
d’un instrument technologique ne peut et ne doit pas se substituer
au bon sens et à la logique des utilisateurs.
Cependant, ces derniers obéissent parfois aveuglément aux
indications données par le GPS. Il en résulte des incidents qui
sont susceptibles d’entraîner une responsabilité civile.
[...] in today’s age of highly sophisticated and evolving technological
devices it has become commonplace for people to follow their Global
Positioning System (“GPS”) navigational device’s instructions into
dangerous situations.36
La judiciarisation des incidents dus au GPS est cependant
extrêmement rare, voire inexistante. La raison en est simple.
L’arrivée du GPS sur le marché et l’accessibilité aux consommateurs est récente.
As a recent product, the GPS navigational device has been flying off
the shelves. In fact, over 1.2 million GPS devices were purchased by
consumers in the second quarter of 2005. This number doubled in
the second quarter of 2006 as consumers purchased an incredible
2.4 million GPS units. According to a recent report, the number of
GPS handsets with navigational capabilities expanded to 20 million in 2008.37
Tout porte à croire qu’avec le temps, les litiges impliquant la responsabilité du fabricant du GPS se multiplieront.
34. M.J. SAULEN, « “The Machine Knows!”: What Legal Implications Arise for GPS
Device Manufacturers When Drivers Following Their GPS Device Instructions
Cause an Accident? », (2010) 44 New England Law Review 159.
35. Site Internet de Lowrance, iWay100m, en ligne : [Ref. 05-05-2013] <http://
www.lowrance.ca/upload/Lowrance/Documents/Manuals/iWAY100_0148-651_
121604.pdf>.
36. M.J. SAULEN, « “The Machine Knows!”: What Legal Implications Arise for GPS
Device Manufacturers When Drivers Following Their GPS Device Instructions
Cause an Accident? », (2010) 44 New England Law Review 159, 161.
37. Ibid., p. 164.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
551
Toutefois, il n’est pas aisé de déterminer la responsabilité
applicable. Le GPS ne ressemble en rien aux autres produits et
services sur le marché. Dans quelle mesure le fabricant du GPS
doit-il être responsable de l’exactitude des données et des directions indiquées ? Et dans quelle mesure l’utilisateur qui offre une
confiance sans borne à son instrument est responsable de sa
propre naïveté ou de son manque de prudence ? Si le GPS luimême, c’est-à-dire l’instrument, présente un vice de conception, la
responsabilité du fait du produit et le défaut de sécurité peuvent
s’appliquer. L’auteur John E. Woodward explique :
Although products liability law covers a broad range of different
theories, the best route for recovery for a defect in a GPS receiver is
strict products liability. Several reasons exist for this. First, strict
products liability works best for mass produced products sold to a
great number of people where a defect in the product can result in
serious injury. Second, strict products liability is used when there
is a disparity in knowledge between the manufacturer and the
end-user. GPS receivers are mass produced, sold to an ever increasing number of people, and represent a new and complicated technology. Therefore, GPS is the ideal subject matter for a products
liability lawsuit. Proving that a GPS manufacturer was negligent
might be very difficult, especially when the negligence occurred in
coding the mapping software located inside the GPS receiver. Strict
products liability removes the onus of proving manufacturer negligence and is the best cause of action for a plaintiff injured when a
GPS receiver malfunctions.38
Le fabricant du GPS pourrait être tenu responsable des incidents découlant du vice de conception en vertu notamment des
articles 1459 et 1460 du Code civil du Québec. Toutefois, si
l’appareil fonctionne bien, mais que ce sont les données qui sont
inexactes, c’est une toute autre histoire.
Pour l’instant, on constate que les tribunaux acceptent plus
aisément le GPS comme élément de preuve que comme moyen de
défense. Toutefois, on accorde une certaine fiabilité à l’instrument, fiabilité surtout due à son usage fréquent. Le GPS étant si
populaire auprès des consommateurs, il est à prévoir que les incidents relatifs à son utilisation se multiplieront et, ainsi, davantage de litiges seront portés devant les tribunaux.
38. J.E. WOODWARD, « Oops, My GPS Made Me Do It!: GPS Manufacturer Liability
Under a Strict Products Liability Paradigm When GPS Fails to Give Accurate
Directions to GPS End-Users », (2009) 34 Dayton L. Rev. 429 (Q.L.), p. 452.
552
Revue du Barreau/Tome 72/2013
BIBLIOGRAPHIE
Législation
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le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, reproduite dans L.R.C. (1985),
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Revue du Barreau/Tome 72/2013
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Doctrine
ETINGER, M., The Present and the Future of GPS Devices,
en ligne : [Ref. 19-02-2013] <http://ezinearticles.com/?ThePresent-and-Future-of-GPS-Devices&id=1858530>.
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When GPS Fails to Give Accurate Directions to GPS EndUsers », (2009) 34 Dayton L. Rev. 429 (Q.L.).
554
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Jugement rendu par défaut à
l’étranger : le droit québécois
protège-t-il suffisamment les
défendeurs résidant au Québec ?
Commentaire sur la décision Jannesar
c. Yousuf de la Cour supérieure
Harith AL-DABBAGH et Jeffrey A. TALPIS
Résumé
À travers une analyse critique de la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Jannesar c. Yousuf, les auteurs mettent
l’accent sur la nécessité pour le juge québécois d’exercer un contrôle rigoureux avant de donner effet aux jugements rendus par
défaut à l’étranger. Il est notamment question du fardeau de la
preuve incombant au demandeur en vertu du premier alinéa de
l’article 3156 C.c.Q. Contrairement à l’opinion du juge, les auteurs
sont d’avis que l’exigence de prouver la régularité de la signification de l’acte introductif d’instance effectuée à l’étranger ne peut
être satisfaite sur le fondement d’une mention tirée du jugement
même objet de l’exequatur. Affirmer le contraire serait méconnaître l’intention du législateur visant à protéger les personnes
résidant au Québec contre les actions intentées à l’étranger à leur
insu.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
555
Abstract
In their critical analysis of the Superior Court decision
Jannesar v. Yousuf, the authors insist upon the need for the judge
to exercise a rigorous control before giving effect to a foreign
default judgment, in particular with regard to the burden of proof
imposed on the plaintiff in virtue of the first paragraph of article
3156 C.C.Q. Contrary to the opinion of the judge, the authors
believe that the requirement of proving the regularity of service of
the introductory proceeding cannot be satisfied on the basis of a
mention on the decision whose recognition and enforcement is
requested. To state otherwise would be to disregard the legislator’s intent to protect defendants from foreign default judgments.
556
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Jugement rendu par défaut à
l’étranger : le droit québécois
protège-t-il suffisamment les
défendeurs résidant au Québec ?
Commentaire sur la décision Jannesar
c. Yousuf de la Cour supérieure
Harith AL-DABBAGH* et Jeffrey A. TALPIS**
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 559
I.
La preuve de la teneur de la loi étrangère en matière
de signification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 561
II.
La preuve de la régularité de la signification selon
la loi étrangère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 566
III. Le respect du principe audi alteram partem . . . . . . 572
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 577
* Professeur adjoint, Faculté de droit, Université de Montréal.
** Professeur titulaire, Faculté de droit, Université de Montréal.
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557
INTRODUCTION
Avec le développement des moyens de transport et la
mobilité croissante des personnes, il arrive fréquemment que
les tribunaux nationaux soient appelés à se prononcer sur la
reconnaissance et l’exécution des jugements rendus par défaut à
l’étranger1. Ce phénomène revêt, dans un contexte migratoire,
une importance particulière. Les nouveaux arrivants qui s’installent au Québec peuvent se retrouver confrontés à des décisions rendues par défaut à l’étranger, souvent dans leur pays
d’origine, dont on demande par la suite la reconnaissance et
l’exécution aux autorités québécoises. Un jugement récemment
rendu par la Cour supérieure du Québec nous fournit une belle
illustration des difficultés soulevées par ce cas de figure2.
Les faits à l’origine de cette affaire sont d’une grande banalité. Il s’agit d’une prétendue dette constatée par un jugement
rendu par défaut par un tribunal étranger, dont le créancier
demande l’exécution contre le débiteur résidant au Québec. Pour
les fins de l’analyse, un bref rappel des faits de l’espèce ne sera pas
toutefois dépourvu de toute utilité. Devant le tribunal koweïtien,
monsieur J. prétend être entré en partenariat en 1989 avec
madame Y., en vue d’exploiter un fonds de commerce. Ce dernier
fut endommagé et pillé suite aux évènements provoqués par
l’occupation du Koweït par l’Irak en 1991 et madame obtint, quelques années plus tard, une indemnisation de la Commission
d’indemnisation des Nations Unies pour les dommages subis.
Monsieur J. soutient que madame aurait touché la totalité des
montants alloués, sans lui verser la part qui lui revenait en tant
qu’associé, soit la moitié de l’indemnité perçue. En 2008, il saisit
le tribunal de première instance du Koweït d’une action visant
à réclamer la somme de 42 130, 645 dinars koweitiens. Les faits
de l’espèce révèlent que le procès s’est déroulé en l’absence de
1. On entend par ce terme lato sensu tout jugement rendu au terme d’une instance
dans laquelle l’une des parties n’ayant pas comparu, a fait défaut. Plus spécifiquement, le jugement sera qualifié par défaut si l’assignation n’a pas été délivrée en
main propre au défendeur. Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, 8e éd.,
Paris, P.U.F., 2007, vo Jugement.
2. Jannesar c. Yousuf, 2012 QCCS 6227. Inscription en appel le 4 janvier 2013.
Requête en rejet d’appel rejetée le 8 avril 2013 : 2013 QCCA 636, EYB 2013-220551.
La cause était toujours pendante devant la Cour d’appel au moment de la remise du
manuscrit final à l’éditeur.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
559
madame. Celle-ci n’était ni présente ni représentée, puisqu’elle
aurait quitté le Koweït pour s’installer au Québec dès 2001. Finalement, le jugement par défaut rendu par le tribunal koweïtien le
14 avril 2011 condamne madame Y. à payer à monsieur J. les montants réclamés. C’est ce jugement qui fait à présent l’objet d’une
demande de reconnaissance et d’exécution auprès des autorités
québécoises.
Il convient de préciser d’emblée que le Code civil du Québec
adopte une position relativement libérale quant aux effets des
jugements étrangers3. Toute décision rendue hors du Québec est
reconnue et, le cas échéant, déclarée exécutoire par l’autorité du
Québec, à moins que l’une des six exceptions qu’énonce l’article
3155 C.c.Q. trouve application4. Toutefois, eu égard aux effets des
jugements rendus par défaut à l’étranger, une disposition spécifique doit être mise en œuvre. Il s’agit de l’article 3156 C.c.Q. qui
subordonne la reconnaissance de ces jugements au fait que le
demandeur prouve que l’acte introductif d’instance ait été régulièrement signifié à la partie défaillante, selon la loi du lieu où le
jugement a été rendu. De plus, la reconnaissance ou l’exécution
pourra être refusée « si la partie défaillante prouve que, compte
tenu des circonstances, elle n’a pu prendre connaissance de l’acte
introductif d’instance ou n’a pu disposer d’un délai suffisant pour
présenter sa défense ». Dans une perspective plus large, l’alinéa 3
de l’article 3155 conditionne la reconnaissance du jugement
étranger au respect des principes essentiels de la procédure.
Par un jugement rendu le 13 décembre 2012, le juge Thomas
M. Davis de la Cour supérieure, reconnaît le jugement koweïtien
et ordonne son exécution au Québec. Il condamne, par conséquent, madame Y. à payer la somme de 152 526.39 dollars
canadiens, avec intérêts au taux légal5. Le juge estime que le
demandeur a satisfait à l’obligation découlant de l’article 3156
C.c.Q., soit de prouver que l’acte introductif d’instance avait été
dûment signifié à la défenderesse. Pour arriver à cette conclusion,
le juge se fonde d’une part sur une pièce au dossier portant
3. Jeffrey TALPIS, « If am from Grand-Mère, Why Am I Being Sued in Texas ? », Responding to Inappropriate Foreign Jurisdiction in Québec – United States Crossborder Litigation, Coll. « CDACI », Montréal, Thémis, 2001, p. 101-102. Voir également
QUÉBEC (Ministère de la Justice), Commentaires du ministre de la Justice, t. II,
Québec, Publications du Québec, 1993, p. 2013-2015.
4. Iraq (State of) c. Heerema Zwijndrecht, b.v., 2013 QCCA 1112.
5. Le juge convertit, conformément à l’article 3161 C.c.Q., la somme exprimée en
dinars koweïtiens en dollars canadiens au taux de change en vigueur à la date où le
jugement est devenu exécutoire au Koweït.
560
Revue du Barreau/Tome 72/2013
l’intitulé « rapport de signification », dont la nature est toutefois
contestée par la défenderesse, et d’autre part sur une mention
figurant dans la copie du jugement koweïtien aux termes de
laquelle la requête a été « régulièrement signifiée à la défenderesse selon la loi ».
Les faits de l’espèce soulèvent la délicate question de la
portée du contrôle que doivent exercer les tribunaux québécois
avant de donner effet aux jugements rendus par défaut à l’étranger. Il appartient, en effet, au tribunal saisi d’une demande de
reconnaissance d’examiner la preuve soumise pour s’assurer de la
réunion des conditions exigées par la loi. Ce contrôle comporte
trois aspects que présupposent les articles 3155(3) et 3156 C.c.Q. :
d’abord, la preuve de la teneur de la loi étrangère en matière de
signification (I.), ensuite, la preuve de la régularité de la signification effectuée selon la loi étrangère (II.) et enfin, le respect des
droits de la défense exprimés par le principe audi alteram partem
devant le tribunal étranger (III.). Il conviendra, dès lors, d’examiner successivement ces trois dimensions de contrôle, en vue
d’apprécier la solution rapportée en l’espèce.
I. La preuve de la teneur de la loi étrangère en matière
de signification
Pour qu’une décision rendue par défaut à l’étranger puisse se
voir reconnue et exécutée au Québec, l’article 3156 C.c.Q. impose
au demandeur de prouver que « l’acte introductif d’instance a été
régulièrement signifié à la partie défaillante, selon la loi du lieu où
elle a été rendue ». Ce texte établit un régime plus exigeant que
celui prévalant en matière des jugements contradictoires, inspiré
de la Convention de La Haye de 1971 sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale. Il
en découle la nécessité de prendre connaissance chaque fois des
exigences de la loi étrangère en matière de significations.
Le fardeau de la preuve pèse sur le demandeur, autrement
dit sur la partie qui présente au Québec la requête en reconnaissance et exécution du jugement étranger. Il lui incombe de démontrer la régularité de la signification de l’action à l’étranger
« conformément aux formalités prescrites par le droit de l’État
d’origine de la décision étrangère »6. Ces dispositions riment avec
celles prévues par l’alinéa 2 de l’article 786 C.p.c. qui enjoignent
6. Voir QUÉBEC (Ministère de la Justice), précité, note 3, p. 2017.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
561
au demandeur, lorsque la décision a été rendue par défaut, de
joindre à sa demande « une copie certifiée des documents permettant d’établir que l’acte introductif d’instance a été régulièrement
signifié à la partie défaillante ».
Ainsi, afin de démontrer la régularité de la signification de
l’acte introductif d’instance, le demandeur devra au préalable rapporter la preuve de la teneur de la loi étrangère en la matière. Il
s’agit ici de l’un des rares cas en droit international privé québécois où le juge est appelé à soulever d’office l’élément d’extranéité
et à exiger que la preuve de la loi étrangère soit faite. Les dispositions de l’article 3156 obligent, en effet, le tribunal à prendre
connaissance, de quelque manière que ce soit, du droit étranger en
vertu duquel la signification a été effectuée. L’obligation de prendre connaissance de la loi étrangère constitue, en l’occurrence,
une exception au principe selon lequel le juge applique la loi québécoise si les parties négligent d’alléguer la loi étrangère ou préfèrent ne pas le faire7. Il s’ensuit que la preuve de la loi étrangère
s’impose chaque fois que le juge est saisi d’une demande visant à
reconnaître un jugement étranger rendu par défaut, nonobstant
le fait qu’elle n’ait pas été alléguée. Il incombe au requérant qui
demande la reconnaissance et l’exécution de ce jugement de
prouver la teneur de la loi étrangère en la matière.
En vertu de l’article 2809 C.c.Q., la preuve de la loi étrangère
est habituellement faite par le témoignage d’un expert ou par la
production d’un certificat établi par un jurisconsulte. En l’espèce,
pour soutenir que l’acte introductif d’instance a été régulièrement
signifié à madame Y., le demandeur s’est contenté de produire une
traduction partielle du Code de procédure civile et commerciale
koweïtien8, faisant valoir que le jugement étranger lui-même
constate cette régularité. Pour empêcher que ce jugement soit
déclaré exécutoire au Québec, la défenderesse a tenté de contester la régularité de la signification en s’appuyant sur le témoi7. À ce titre, la loi étrangère est prouvée comme un fait. Celui qui l’invoque doit
l’alléguer et, lorsque le tribunal l’exige, il doit en faire la preuve. Gérald
GOLDSTEIN et Ethel GROFFIER, Droit international privé, t. I, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 232-233 ; Claude EMANUELLI, Droit international privé
québécois, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 270 et 278-279. Pour les
autres exceptions à l’obligation d’alléguer le droit étranger, notamment en matière
d’adoption, voir Sylvie SCHERRER, « La loi étrangère devant le tribunal québécois », dans JurisClasseur Québec, Coll. « droit civil », Droit international privé, fasc.
7, Montréal, LexisNexis, 2012, par. 7.
8. Exhibit R-7 : a translation of certain articles of the Kuwaiti Code of Civil and Commercial Procedure.
562
Revue du Barreau/Tome 72/2013
gnage d’un expert, professeur de droit comparé dans une
université québécoise, spécialisé en droits des pays arabes. Le
demandeur s’est opposé à cette qualification en tant qu’expert en
droit koweïtien et le juge a fini par maintenir cette objection en
rejetant la preuve testimoniale et le rapport d’expertise.
Le juge n’explique pas dans son jugement les raisons pour
lesquelles il a refusé d’entendre le témoin-expert9. Selon ce mode
de preuve, issu de la tradition orale de common law, la loi étrangère est établie grâce au témoignage d’un expert compétent qui
vient déclarer oralement devant la Cour ce en quoi consiste cette
loi. Le procédé a le mérite de permettre le contre-interrogatoire du
témoin-expert, meilleure façon de découvrir la teneur véritable du
droit applicable. Sur ce terrain, les tribunaux québécois adoptent
habituellement une position assez libérale : toute personne possédant une connaissance suffisante du droit externe peut agir
comme expert. Il n’est absolument pas nécessaire qu’il soit un
avocat ou un juriste en exercice dans le pays concerné10. Toute
personne qui, par sa profession, est amenée à connaître la loi
étrangère, devrait, à la discrétion du tribunal, être qualifiée
comme témoin-expert11. Les professeurs de droit comparé qui font
des lois étrangères un domaine de spécialisation sont particulièrement habilités à agir à ce titre :
[a] person called to give evidence on foreign law must be “suitably
qualified to do so on account of his knowledge or experience”. It is
not necessary for him to be a practising lawyer in the country concerned. He may be resident in England, perhaps practising law or
in an academic position, or he may be resident in the foreign country. Thus, for example, a professor of law from London University’s
School of Oriental and African Studies might give evidence on the
law of Ghana ...12
Quoi qu’il advienne, après avoir écarté cette preuve, le juge
décide tout de même de prendre connaissance du contenu du droit
koweïtien en s’appuyant sur les extraits communiqués par le
9. Le paragraphe 18 du jugement commenté renvoie sur ce point à l’audience orale.
10. Gold v. Reinblatt and Kert, [1929] S.C.R. 74, [1929] 1 D.L.R 959, conf. (1928),
45 B.R. 136. Voir également les jugements cités par : G. GOLDSTEIN et
E. GROFFIER, préc., note 7, p. 238.
11. Jean-Gabriel CASTEL, Droit international privé québécois, Toronto, Butterworths, 1980, p. 808.
12. Trevor C. HARTLEY, « Pleading and Proof of foreign Law: the major European
systems compared », (1996) 45 Int’l & Comp. L.Q. 271, 283-284. Voir dans le même
sens en droit canadien : Jean-Gabriel CASTEL, Canadian Conflict of Laws, 4th
ed., Toronto, Butterworths, 1997, p. 150-153.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
563
demandeur. Cette pratique est admise puisque les deux modes de
preuve cités à l’article 2809 ne sont pas énumérés de manière limitative13. Curieusement, le juge déclare se prévaloir de la faculté
que lui confère l’article 2809 C.c.Q. de prendre connaissance
d’office du droit koweïtien dans la mesure où celui-ci a été allégué14. Or, il ne s’agit guère en l’occurrence d’une connaissance
acquise d’office, puisque celle-ci repose sur une information transmise par les parties, du moins l’une d’entre elles. La connaissance
du juge se fonde plutôt sur une preuve littérale, dans la mesure où
nos tribunaux admettent que la preuve du droit étranger puisse
être faite par le simple dépôt au dossier d’une copie d’une loi de
l’État concerné15.
Cependant, l’admissibilité de ce mode de preuve connaît,
nous semble-t-il, deux limites : d’une part, il est loin d’être certain
que la seule production d’une copie de la loi étrangère suffise à
prouver le contenu exact de cette loi16. Il faut encore, comme l’a
décidé la Cour suprême dans l’affaire Lacombe c. Legault17, que
celle-ci soit identifiée comme étant la loi actuellement en vigueur
dans ce pays. Le document faisant état de la loi étrangère devrait
ainsi émaner d’un officier public étranger compétent, ou être certifié par un officier public étranger qui en est dépositaire18, ce qui
ne semble pas être le cas en l’espèce. Cette solution peut être
déduite d’un raisonnement par analogie avec l’article 2812 C.c.Q
qui subordonne la force probatoire des copies de lois des autres
provinces canadiennes au fait qu’elles soient « attestées par un
officier public compétent ou publiées par un éditeur autorisé ».
Cette exigence devrait a fortiori être remplie pour les lois canadiennes.
13. L’emploi de l’adverbe « entre autres » par l’article 2809 montre que l’énumération
légale n’est pas limitative.
14. Par. 19 du jugement commenté.
15. Droit de la famille – 2054, J.E. 95-2152 (C.S.).
16. Certains auteurs, comme Claude Emanuelli, semblent même exclure cette possibilité s’agissant des lois non canadiennes. Voir C. EMANUELLI, préc., note 7,
p. 274. Pour Léo Ducharme, la loi étrangère doit être considérée comme une
science devant par conséquent être prouvée par le recours au témoignage d’un
expert ou, exceptionnellement, le certificat d’un jurisconsulte, à l’exclusion de tout
autre mode de preuve. Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal,
Wilson & Lafleur, 2011, par. 62-66.
17. (1938), 76 C.S. 11, à la p. 12.
18. Dans le même sens : Jean-Claude ROYER et Sophie LAVALLÉE, La preuve civile,
4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, par. 115. C’est le cas également en
France où la preuve s’effectue le plus souvent grâce à des certificats de coutume
délivrés par les autorités compétentes. Pierre MAYER, « Les procédés de preuve
de la loi étrangère », dans Études offertes à Jacques Ghestin : Le contrat au début
du XXIe siècle, Paris, L.G.D.J., 2001, p. 617 et s.
564
Revue du Barreau/Tome 72/2013
D’autre part, une telle production n’en fera preuve que si la
teneur de la loi étrangère peut être établie de manière claire et
précise19, faute de quoi le recours à l’expertise devient nécessaire.
C’est notamment le cas lorsque les textes étrangers soulèvent une
difficulté d’interprétation ou lorsque ceux-ci sont fragmentaires,
comme c’est le cas en l’espèce. En effet, seuls des extraits du code
koweïtien ont été produits au dossier. Cela étant, on ne voit pas
comment le juge pourrait alors en interpréter correctement le
sens et avoir une vision globale, sans avoir recours à un expert.
Rappelons que dans l’arrêt Montana c. Développements du Saguenay20, la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Pigeon,
avait reproché au premier juge qui, estimant l’affaire assez claire,
avait déclaré suffisante la preuve de la loi étrangère faite devant
lui par la production d’une copie qui n’était pas le code entier :
« tous les articles d’une loi s’interprètent les uns par les autres en
donnant à chacun le sens qui résulte de l’ensemble, interpréter un
article isolément en y sous-entendant ce qui n’y est pas écrit est
fort discutable »21.
En l’espèce, force est d’admettre que le juge n’a pas fait
l’effort nécessaire d’examiner la loi étrangère dans sa globalité. Il
s’agit, comme nous l’avons indiqué, du Code de procédure civile et
commerciale koweïtien de 1980. Le juge se contente de consulter
une pièce libellée « [a] translation of certain articles of the Kuwaiti
Code Of Civil And Commercial Procedure » produite par le demandeur22. Or, à bien y regarder, ce code renferme en effet une disposition particulière – non versée au dossier – relative à l’assignation
des personnes résidant en dehors du Koweït (art. 11)23. D’après ce
texte, la signification doit être effectuée à l’étranger par voie diplomatique. Or, le demandeur n’a pas suivi ce procédé et a opté pour
une signification faite à une adresse au Koweït. L’existence d’un
procédé spécifique consacré à l’assignation des personnes résidant hors l’État du Koweït aurait été de nature à interpeller
le tribunal. Monsieur J. s’empresse à signifier madame Y. de
l’assignation à une adresse au Koweït, alors que, selon les consta19.
20.
21.
22.
G. GOLDSTEIN et E. GROFFIER, préc., note 7, p. 241-242.
[1977] 1 R.C.S. 32.
Ibid., p. 36.
Pièce R-7 intitulée Copie de la Loi du Koweït (Code de procédure civile) et traduction.
23. Selon lequel « [l]orsque la personne à signifier a un domicile connu à l’étranger, le
dossier doit être remis au Ministère public qui doit le transmettre au ministère
des Affaires étrangères pour être acheminé par voie diplomatique [...] ».
Revue du Barreau/Tome 72/2013
565
tations mêmes du jugement québécois24, cette dernière n’y habite
plus depuis 2001, date à laquelle elle aurait élu domicile au
Québec.
Ainsi, même en prenant pour acquis que la signification
aurait bien été faite selon le procédé utilisé, il n’est pas certain que
ce dernier respecte la distinction établie par le droit koweïtien
entre signification interne et signification internationale. Le juge
aurait dû exiger de la partie qui a produit la copie de la loi étrangère de fournir les informations requises. Le témoignage de
l’expert aurait pu également éclairer le tribunal sur ces éléments
de fond du droit étranger dans la mesure où ce point faisait vraisemblablement partie du rapport produit par celui-ci. Un rapport
que le juge a choisi d’écarter, préférant s’informer autrement sur
les dispositions matérielles de la loi étrangère régissant la question. Si rien n’interdit au juge de procéder de la sorte, il aurait
encore fallu considérer la loi étrangère dans sa globalité plutôt
que de se limiter à certains de ses articles, afin de vérifier si la
partie défaillante s’est vue régulièrement citée devant le tribunal
étranger. L’admission de la production partielle de la loi a fait
perdre au juge l’occasion d’exercer son contrôle sur ce point. Reste
à savoir si la signification telle qu’effectuée remplit les exigences
de la loi koweïtienne.
II. La preuve de la régularité de la signification selon la
loi étrangère
Une fois établie la teneur de la loi étrangère, il s’agit par la
suite pour le demandeur de prouver que les exigences dictées par
cette loi ont été respectées. Les exigences du droit koweïtien en
matière de significations sont explicitées à l’article 9 du Code de
procédure civile et commerciale no 38-1980. Cet article précise, rappelons-le, le procédé à suivre par l’huissier pour signifier les personnes domiciliées au Koweït. Il en résulte que la signification doit
être effectuée au domicile de la personne à signifier ou à son lieu de
travail. En cas d’absence du destinataire et de toute personne habilitée à recevoir l’acte25, « celui-ci sera déposé le jour même auprès du
chef du poste de police dans la circonscription où se trouve le domicile ou le lieu du travail du destinataire ». Le texte ajoute que, lorsque la signification est faite au commissariat de police,
24. Par. 4 du jugement commenté.
25. Par exemple toute personne travaillant au service du destinataire ou habitant
chez lui en tant qu’époux ou membre de la famille.
566
Revue du Barreau/Tome 72/2013
l’huissier de justice doit adresser au destinataire, dans un délai de
vingt-quatre heures, une lettre recommandée avec accusé de réception à laquelle est jointe une copie de l’acte objet de la signification,
à son domicile réel, son lieu de travail ou à son domicile élu,
l’informant du fait que l’acte de signification est livré au poste de
police [...]. Les procédures seront déclarées nulles en cas d’inobservation des dispositions du présent article.
En l’espèce, les pièces versées au dossier attestent d’une
remise faite au commissariat de police, en raison de l’absence de la
défenderesse. Ainsi, la démonstration à laquelle devait se livrer le
demandeur selon la loi koweïtienne consiste en la production des
documents permettant d’établir que l’acte introductif d’instance
a été régulièrement notifié. Il s’agit d’une part d’une copie du
procès-verbal de signification de l’acte remis au commissariat de
police, et d’autre part d’une preuve attestant de l’envoi de la lettre
recommandée, visée à l’article 9. Monsieur J. s’est contenté de
joindre une pièce (R-6) intitulée « requête introductive d’instance
et rapport de signification », dont la nature a aussitôt été contestée
par la défenderesse faisant remarquer qu’il s’agissait plutôt d’une
requête visant à mandater « un expert pour fixer l’indemnisation
payable au demandeur », que de la signification requise. Par
ailleurs, aucune preuve ne fut rapportée quant à l’expédition de la
lettre recommandée ayant pour objet d’aviser la défenderesse de
la remise de l’assignation au commissariat de police. À notre sens,
la production du récépissé de dépôt d’un envoi recommandé à
madame aurait été nécessaire pour établir la régularité de la
signification selon le procédé suivi.
En dépit de cette carence, le juge conclut que le demandeur a
satisfait à son obligation de prouver que l’acte introductif avait été
régulièrement signifié à madame conformément au droit koweïtien. Il s’appuie principalement sur les énonciations du jugement
même, objet de l’exequatur26, d’après lesquelles madame avait été
dûment citée :
[30] Therefore, the only possible conclusion for the Court when it
reads in the Foreign Judgement that the proceeding was “legally
announced to the respondent by virtue of the law” is that the service
was valid under Kuwaiti law.
26. L’exequatur désigne l’ordonnance par laquelle un tribunal confère la force exécutoire à un jugement étranger. La procédure par laquelle on demande l’exécution
d’un tel jugement peut être appelée « requête en exequatur ». L’utilisation du terme
« exemplification » est à éviter. Voir le site du ministère de la Justice, <www.justice.
gouv.qc.ca/francais/publications/generale/termes/exequatur.htm>.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
567
En effet, selon le juge, le jugement étranger est présumé
faire preuve de son contenu à l’égard de tous, en vertu de l’article
2822 C.c.Q.27. Il reprend à son compte les conclusions de la juge
Claudine Roy dans Nateus c. Canadian Forest Navigation Company Ltd.28, selon lesquelles « le jugement étranger constitue un
acte semi-authentique faisant preuve prima facie de son contenu
et ce, tant quant à la nature du jugement rendu, qu’à ses motifs et
à la cause de l’action ». Le juge poursuit en affirmant que :
[w]hile the Kuwaiti Code of Civil and Commercial procedure
requires that a registered letter be sent to a defendant where service has been made at the police station, the Court is unable to conclude that such a letter was not sent. The reason is simple. The
judgment of the Kuwaiti court states that Ms. [Y.] was validly
served, which is prima facie evidence that all requirements of service, including the registered letter, were met.29
Il en ressort que, d’après le juge, le jugement koweïtien opère
un renversement de la charge de preuve en établissant une présomption en faveur du demandeur selon laquelle la signification a
été dument effectuée. C’est à la défenderesse (madame Y.) de renverser cette présomption par une preuve appropriée, ce qu’elle n’a
pas fait30.
Une délicate question se pose alors, celle de savoir si le juge
peut se contenter de la mention relative à la signification figurant
dans le jugement étranger ou s’il doit chercher, indépendamment
du jugement, la validité de la signification conformément aux
prescriptions de la loi étrangère ? En d’autres termes, est-ce qu’on
peut tirer du jugement dont on demande la reconnaissance, une
preuve de la régularité de la signification de la requête introductive ayant conduit à ce jugement ?
À notre sens, la preuve d’une signification valide ne saurait
résulter des énonciations contenues dans le jugement, objet de
l’exequatur, mais découle nécessairement de la réunion des conditions exigées par la loi étrangère. La preuve du respect des formalités du droit étranger doit être faite par la production des
documents pertinents. Bien que l’article 3156 C.c.Q. demeure
silencieux sur le point de savoir comment se fait la preuve de la
27.
28.
29.
30.
568
Par. 26 du jugement commenté.
2009 QCCS 2867 (CanLII), par. 76.
Par. 32 du jugement commenté.
Par. 28 du jugement commenté.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
signification, cette exigence semble découler de l’article 786 C.p.c.
Ce texte, rappelons-le, impose au demandeur de produire les
documents permettant d’établir que l’acte introductif d’instance a
été régulièrement signifié à la partie défaillante. De plus, l’article
13 de la Convention de La Haye, qui a inspiré le législateur québécois en la matière, prévoit une disposition semblable ayant trait
aux jugements par défaut, celle de produire « l’original ou une
copie certifiée conforme des documents de nature à établir que
l’acte introductif d’instance a été régulièrement notifié ou signifié
à la partie défaillante ».
Ainsi, en l’absence de texte clair et devant une jurisprudence
rare et d’une interprétation controversée, il ne paraît erroné de soutenir que le jugement étranger, constatant lui-même la validité de
la signification, établit cette preuve31. Nous croyons que la preuve
d’une signification régulière ne saurait découler du jugement dont
on demande la reconnaissance, car l’administration de la preuve
est en l’occurrence règlementée par le législateur. Celui-ci a défini
un mode de preuve spécifique quant à la signification : afin qu’une
décision rendue par défaut puisse produire pleinement ses effets
au Québec, le demandeur devra prouver que l’acte introductif
d’instance a été régulièrement signifié à la partie défaillante, selon
la loi du lieu où elle a été rendue32. Cette démonstration devra dès
lors porter sur l’accomplissement des procédures exigées par loi
étrangère. Le demandeur est tenu de prouver que les formalités de
la loi étrangère relatives à la signification ont été observées et cela
par la production des documents pertinents33.
On peut en déduire que la preuve requise par l’article 3156
C.c.Q. ne peut être recherchée dans le jugement même, un jugement n’ayant pas encore reçu force exécutoire au Québec. Se fonder sur les constatations figurant dans le jugement revient à
reconnaître a priori le jugement dont on demande la reconnaissance. En utilisant ce qui doit être démontré pour effectuer la
démonstration, il y a là, manisfestement une petitio principii34.
31. En ce sens : Sylvette GUILLEMARD, « Commentaire sur la décision Jannesar v.
Yousuf – Le contrôle du respect de la règle audi alteram partem à l’étranger »,
dans Repères, avril 2013, La référence Droit civil, EYB2013REP1334.
32. Art. 3156 C.c.Q.
33. Notiplex Sécurité incendie inc. c. Honeywell International Inc., 2010 QCCA 1028.
34. Pétition de principe : expression qui désigne le processus par lequel on tente de
prouver une chose par la chose elle-même. Wallace SCHWAB et Roch PAGÉ,
Les locutions latines et le droit positif québécois, Québec, Conseil de la langue
française, Service des communications, 1986, p. 181.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
569
C’est au Code de procédure civile du Koweït qu’il fallait se référer
pour déterminer les documents attestant de la validité de l’assignation et il serait extrêmement hasardeux de chercher dans
les énonciations du juge étranger une quelconque preuve de
l’existence d’une signification valide.
En outre, l’article 2822 C.c.Q. ne saurait non plus entraîner
un renversement de la charge de preuve, comme le laisse entendre
le jugement de la Cour supérieure35. Cet argument ne paraît
guère convaincant. Si un jugement étranger peut certes être
considéré comme un acte semi-authentique, sa force probante ne
vaut néanmoins que quant à la nature du jugement, ses motifs et
la cause de l’action. Il n’en va pas de même pour la signification qui
est un élément extérieur au jugement consistant en l’exécution
d’un acte matériel. La présomption d’authenticité tirée de l’article
2822 ne couvre pas, à notre sens, cet élément. Ce raisonnement
semble avoir été retenu dans LS 1990 06 01 ApS c. Ultimate Technographics Inc.36, où le juge refuse à bon droit de tenir compte des
énonciations du jugement étranger indiquant que le défendeur a
été « “lawfully summoned” and was “absent without a legally
acceptable reason” »37, pour conclure que le demandeur a succombé à son obligation d’établir que l’acte introductif a été valablement notifié selon le droit danois38.
En réalité, dans le jugement objet de notre analyse, il incombait au demandeur de prouver que la défenderesse a été valablement citée selon les lois du Koweït39. La preuve de signification
doit être administrée selon les conditions fixées par la loi. Les dispositions du Code civil sur ce point doivent être complétées par
celle du Code de procédure civile. En effet, l’article 786, al. 2 C.p.c.
exige de joindre une copie certifiée des documents – autres que le
jugement – permettant d’établir que l’acte introductif d’instance a
été régulièrement signifié à la partie défaillante. Cette obligation
pèse à la charge de « la partie qui invoque la reconnaissance ou qui
demande l’exécution d’une décision étrangère »40. On ne voit pas
comment on pourrait renverser la charge de preuve en demandant au défendeur de prouver l’absence de signification alors que
35. Par. 28 et 29 du jugement commenté.
36. Voir LS 1990 06 01 ApS c. Ultimate Technographics Inc., 2003 CanLII 19762
(QC C.S.).
37. Ibid., par. 5.
38. Ibid., par. 7.
39. Voir Canadian Imperial Bank of Commerce c. N.P., 2007 QCCQ 4635.
40. Art. 786 al. 1er C.p.c.
570
Revue du Barreau/Tome 72/2013
celle-ci se prouve par la production des documents. Il s’agit d’une
preuve négative pratiquement impossible à établir.
Cependant, la jurisprudence récente ne semble pas toujours
faire sienne cette solution. Il est ainsi regrettable d’observer que
dans le cas où le juge étranger fait allusion à une signification
régulière, les juges québécois sont enclins à prêter foi à cette énonciation41. Par exemple, il n’était pas question en l’espèce de mettre
en doute les propos du juge du Koweït sur la validité de la signification. Le juge Davis semble convaincu que son homologue koweïtien avait, avant de procéder à l’audition de la cause par défaut,
vérifié la réunion des conditions requises pour s’assurer de la
régularité de la citation. Or, ceci n’est pas toujours le cas.
En effet, dans les systèmes juridiques imprégnés par la tradition romano-germanique, tel que celui du Koweït, l’irrégularité
de la signification, étant une exception de procédure42, ne peut
être soulevée par le juge. Ce moyen doit, sous peine d’irrecevabilité, être soulevé in limine litis par le plaideur simultanément et
avant toute défense au fond43. Ainsi, d’après la Cour de cassation
koweitienne,
La nullité qui résulte de la violation des dispositions de l’article 9
C.p.c.c., est une nullité relative et ne relève pas de l’ordre public.
Dès lors, le plaideur doit l’invoquer devant le premier juge et avant
tout examen au fond, sous peine d’irrecevabilité. L’exception ne
peut pas être soulevée pour la première fois devant la Cour de cassation.44
Il en résulte que le juge koweïtien ne procède pas d’office aux
vérifications nécessaires, à moins que l’irrégularité de la signification ne soit soulevée devant lui par le plaideur qui l’invoque. Des
vices tels que l’inexactitude de l’adresse indiquée, la présence ou
l’absence sur le territoire de la personne à signifier, ou le défaut
d’une mention obligatoire, peuvent ainsi passer inaperçus. Le
juge n’exerce pas de contrôle à moins qu’une irrégularité ne soit
41. Voir par exemple : B. (M. V. D.) c. G. (C.), REJB 2001-25484 (C.S.), par. 11 et 12.
42. On entend par exception de procédure, tout moyen de défense qui tend, avant tout
examen au fond, à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, telle que
l’exception d’incompétence. G. CORNU, préc., note 1, vo Exception.
43. Voir : art. 77 du Code de procédure civile et commerciale de 1980.
44. Cour de cassation 27 janvier 1996, pourvoi 70/1995 cité par M. TOUËJARI, Th.
MARJAN, Traité de procédure civile et commerciale en droit koweïtien, les droits
des États du Conseil de Coopération du Golfe et de la République arabe d’Égypte
[en arabe], t. I, Éditions dar al-nadha al-arabyia, Le Caire, 2010, p. 443-444.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
571
soulevée par le défendeur. Or, dans les jugements par défaut,
cette partie est, par définition, absente ou n’ayant pas comparu.
C’est la raison pour laquelle en droit koweïtien, comme dans
de nombreuses autres législations, l’autorité de la chose jugée
rattachée à ce type de jugement est, somme toute, une autorité
relative. En effet, il existe au bénéfice de la partie condamnée une
voie de recours spécifique contre les jugements par défaut appelée
la « révision ». Il s’agit d’une voie de recours ordinaire ouverte au
défaillant pour faire rétracter un jugement par défaut en remettant en question devant la même juridiction les points déjà jugés
afin qu’il soit statué à nouveau en fait et en droit45. Il serait donc
incongru de rattacher à ce genre de jugement au Québec une
valeur supérieure à celle dont il jouit dans sa juridiction d’origine.
Il conviendrait alors de permettre au défendeur de faire valoir ses
arguments devant le juge québécois. Parmi ces ceux-ci figure la
violation des principes essentiels de la procédure, notamment les
droits d’être cité devant un tribunal et de pouvoir se défendre, concrétisés par l’adage audi alteram partem.
III. Le respect du principe audi alteram partem
Même à supposer que madame aurait été dûment signifiée
de l’acte introductif conformément au droit koweïtien, la question
du respect des principes essentiels de la procédure selon le droit
québécois mériterait tout de même d’être posée.
Cette exigence générale est prescrite par le paragraphe 3 de
l’article 3155 C.c.Q., qui vise ce qu’on peut appeler l’ordre public
procédural46. Le tribunal québécois ne peut donner effet à un jugement étranger ayant violé « les principes essentiels de la procédure ». Bien que la définition de cette notion demeure vague, les
auteurs s’accordent à considérer les droits de la défense comme
une composante majeure desdits principes47. L’adage audi
alteram partem, recouvre donc essentiellement le droit d’être
entendu ou dûment cité devant un tribunal48. Aux termes de
45. Voir art. 148-151 du Code de procédure civile et commerciale de l’État du Koweït.
46. G. GOLDSTEIN et E. GROFFIER, préc., note 6, p. 400.
47. Gérald GOLDSTEIN et Jeffrey TALPIS, « Les perspectives en droit civil québécois de la réforme des règles relatives à l’effet des décisions étrangères au
Canada », (1995) 74 R. du B. can. 641 ; H.P. GLENN, « Droit international privé »,
dans La réforme du Code civil, Tome III, Barreau et Chambre des notaires du
Québec, Québec, P.U.L., 1993, p. 763.
48. G. GOLDSTEIN et E. GROFFIER, préc., note 7, p. 404.
572
Revue du Barreau/Tome 72/2013
l’article 5 C.p.c., « [i]l ne peut être prononcé sur une demande en
justice sans que la partie contre laquelle elle est formée n’ait été
entendue ou dûment appelée ». L’esprit de la règle est que le
décideur doit prendre connaissance de la position de chacune des
parties49. Ainsi, les principes essentiels de la procédure dont parle
le paragraphe 3 de l’article 3155 C.c.Q. comportent, sans doute, le
droit d’être assigné avant son procès ainsi que le droit de faire
valoir ses moyens50.
Cette possibilité de contrôler le respect des principes essentiels de la procédure par le jugement étranger constitue un tempérament à l’interdiction de la révision au fond, proclamée par
l’article 3158 C.c.Q.51. Les tribunaux québécois usent de cette
dérogation afin d’écarter la reconnaissance d’une décision étrangère en procédant à un réexamen du fond de l’affaire. Ainsi, dans
L.D. c. J.-Y.C.52, où un époux avait fait signifier à son épouse une
action en divorce, intentée en Haïti, à une ancienne adresse en
sachant qu’elle n’y habitait plus, le juge Trahan affirme que le fait
que l’épouse n’ait pas pu contester cette action constituait une
violation de la règle audi alteram partem, empêchant la reconnaissance de la décision haïtienne selon l’article 3155(3). Plus
récemment, dans S.F. c. R.J.-S.53, alors qu’il résidait habituellement au Canada, monsieur a intenté une action en divorce en
Iran. Madame a soutenu n’avoir eu aucune connaissance de ce
recours car la procédure ne lui a pas été signifiée. La juge Louise
Lemelin, après avoir constaté que le jugement a été rendu par
défaut et à l’insu de madame, conclut, à bon droit, que « [c]e défaut
de signification est fatal et le jugement étranger de divorce ne
peut être reconnu »54. Et d’ajouter que la partie a droit à une
défense pleine et entière.
Dans le cadre des jugements par défaut, cette exigence de
respecter les principes essentiels de la procédure doit dès lors être
comprise à la lumière de l’alinéa 2 de l’article 3156 prévoyant que
49. Sylvette GUILLEMARD et Séverine MENÉTREY, Comprendre la procédure
civile québécoise, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 22.
50. Droit de la famille – 3163, J.E. 98-2331 (C.S.) ; Canfield Technologies Inc. c.
Servi-Metals Canada Inc., REJB 1999-14344 (C.S.).
51. Le texte est libellé ainsi « [l]’autorité québécoise se limite à vérifier si la décision
dont la reconnaissance ou l’exécution est demandée remplit les conditions prévues
au présent titre, sans procéder à l’examen au fond de cette décision ».
52. L.D. c. J.-Y.C., C.S. Montréal, no 500-12-233780-968, 7 novembre 1997, LPJ-980959, La presse juridique 6 février 1998 aux p. 13 et 14.
53. AZ-50326883, J.E. 2005-1718 (C.S.).
54. Par. 48 du jugement susvisé.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
573
« [t]outefois, l’autorité [québécoise] pourra refuser la reconnaissance ou l’exécution si la partie défaillante prouve que, compte
tenu des circonstances, elle n’a pu prendre connaissance de l’acte
introductif d’instance ou n’a pu disposer d’un délai suffisant pour
présenter sa défense »55. Ainsi, la partie défaillante doit avoir été
régulièrement informée de la procédure dirigée contre elle. Il lui
appartiendra ensuite de décider de participer ou non au débat
judiciaire en toute connaissance de cause.
Il va sans dire que les raisons pour lesquelles un jugement
est rendu par défaut sont multiples. Il se peut que la partie défaillante ait choisi délibérément de ne pas comparaître, ou qu’elle
n’ait pas eu le temps de préparer sa défense, ou qu’elle n’ait pas été
au courant de l’action intentée contre elle56. Il convient de permettre à la partie défaillante, dans les deux derniers cas, de faire
valoir ses moyens de défense. Ce sont ces mêmes moyens qu’elle
aurait pu invoquer si elle avait eu l’occasion de comparaître
devant le tribunal étranger. D’après les professeurs Goldstein et
Groffier57, le second alinéa de l’article 3156 vise précisément à pallier à l’interdiction de la révision au fond dans certaines circonstances, révision abolie depuis 1994 avec l’entrée en vigueur du
nouveau Code civil58.
L’exception trouve, de surcroît, sa justification dans la nécessité de respecter les règles de l’équité procédurale. Ainsi, comme
l’affirme la Cour d’appel :
[l]es principes de courtoisie interjuridictionnelle, d’ordre et d’équité
sont les piliers du droit international privé ; tous, ils doivent être
pris en compte dans l’étude d’une demande de reconnaissance
d’une décision étrangère. Il ne s’agit pas d’en privilégier un au
détriment des autres. Dans une certaine mesure les principes
55. Ce texte est inspiré de l’article 6 de la Convention de La Haye, libellé ainsi : « [s]ans
préjudice des dispositions de l’article 5, une décision par défaut ne sera reconnue et
déclarée exécutoire que si l’acte introductif d’instance a été notifié ou signifié à la
partie défaillante selon le droit de l’Etat d’origine et si, compte tenu des circonstances, cette partie a disposé d’un délai suffisant pour présenter sa défense ».
56. J. TALPIS, préc., note 3, p. 174.
57. G. GOLDSTEIN et E. GROFFIER, préc. note 7, p. 406.
58. Ethel GROFFIER, « La réforme du droit international privé québécois », (1992)
R.C.D.I.P. 584. Toutefois, cette prohibition n’écarte pas le pouvoir du juge de tenir
compte de circonstances postérieures au prononcé de la décision, ni d’entendre
une nouvelle demande. Voir G. GOLDSTEIN, « Principes généraux et conditions
générales de reconnaissance et d’exécution », dans JurisClasseur Québec, coll.
« Droit civil », Droit international privé, fasc.10, Montréal, LexisNexis Canada,
2012, feuilles mobiles, par. 28.
574
Revue du Barreau/Tome 72/2013
d’ordre et d’équité font contrepoids au principe de courtoisie ; en
somme, la volonté de reconnaître les décisions étrangères ne doit
pas prévaloir sur celle de protéger les droits des parties au litige.59
Ces considérations sont explicitées par la juge Lynne Landry
dans Canadian Imperial Bank of Commerce c. N.P.60 :
[35] En vertu de l’article 3156 al. 2 C.c.Q., la capacité, par la partie
défaillante, de prendre connaissance de l’acte introductif d’instance
est considérée comme l’une des conditions d’existence du droit à la
reconnaissance d’un jugement étranger.
[36] Il serait contraire à la justice naturelle qu’une partie soit
condamnée par défaut sans avoir eu l’occasion de comparaître ou de
produire une défense et ce, même si la signification de l’action a été
valablement faite.61
[37] La règle audi alteram partem et le droit à une défense pleine et
entière sont des principes fondamentaux en droit québécois et la
procédure doit contribuer à la protection des droits des parties. Ces
notions s’étendent et s’appliquent à la reconnaissance d’un jugement rendu par un Tribunal hors Québec.
[38] Le Tribunal du Québec ne saurait donc reconnaître un jugement rendu hors Québec qui ne respecte pas ces principes.
Au demeurant, les situations couvertes par l’alinéa 2 de
l’article 3156 sont diverses. On peut penser à l’accident ou à la
maladie du défendeur pouvant l’empêcher de comparaître. On
peut également penser à l’ignorance du défendeur de l’existence
de l’action en raison d’une signification qui, bien que régulière, est
effectuée à son ancienne adresse. Par exemple, en l’espèce, il est
permis de penser que madame Y. n’a pas pu prendre connaissance
de l’acte introductif d’instance puisqu’alors qu’elle résidait Montréal, la signification fut remise à un commissariat de police à
Koweït city. Le jugement est intervenu alors qu’elle n’a point comparu et qu’aucune citation n’a été délivrée à sa personne.
À la lecture du jugement québécois, il est difficile de savoir si
la question de l’ignorance de madame de l’action intentée contre
elle avait été plaidée. Le juge conclut hâtivement que la défenderesse « made no evidence that [...] she was unaware of the pro59. Hocking c. Haziza, 2008 QCCA 800 (CanLII), 2008-04-30, par. 37.
60. 2007 QCCQ 4635.
61. Nous soulignons.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
575
ceedings that had been instituted against her »62. Toutefois, les
circonstances de l’espèce portent à croire que madame n’avait pas
connaissance de la cause intentée dans son pays d’origine. En
effet, selon les lois du Koweït, lorsque le destinataire est absent à
l’adresse indiquée, la signification est réputée dûment accomplie
par la remise de l’acte au commissariat de police et l’envoi de la
lettre recommandée dans les formes prévues à l’article 9 précité.
Le Code koweïtien se contente, en l’occurrence, d’une connaissance présumée et n’exige nullement la connaissance réelle.
Ainsi, d’après la Cour de cassation koweïtienne
[s]i le principe en matière de signification des actes judiciaires est
la connaissance réelle acquise par la remise de l’acte à la personne
à signifier en main propre, le législateur se contente parfois d’une
connaissance supposée dans le cas de la signification faite à un
proche parent résidant au domicile de l’intéressé, ou d’une connaissance présumée, dans les cas où la loi permet de signifier le ministère public. Ce sont des cas d’exception devant être interprétés de
manière restrictive.63
Il s’avère ainsi qu’à l’époque de la signification des procédures en 2008, madame, qui résidait au Québec, aurait vraisemblablement été empêchée de prendre connaissance des procédures et
d’y donner suite. Les procédures suivies devant les instances
koweïtiennes ne leur ont pas permis de faire valoir ses prétentions
et défenses. Ni la délivrance de la signification à un commissariat
de police au Koweït, ni l’expédition de la lettre recommandée – à
supposer que cela ait été fait – ne garantissent que la partie défaillante ait été informée réellement et personnellement de la procédure. En les circonstances, cette dernière n’aurait pas été en
mesure de faire valoir ses moyens de défense devant le tribunal
étranger. Cela étant, compte tenu des circonstances, un tel procédé aurait dû être considéré comme contraire à l’ordre public
procédural au Québec. Une solution semblable a été adoptée par
la Cour supérieure dans une affaire où une signification, faite par
publication dans un journal local selon la loi de la Floride, n’avait
jamais atteint le défendeur64. Il en va de même en l’espèce où
l’assignation n’a pas été délivrée en main propre à la défenderesse.
62. Par. 29 du jugement commenté.
63. Cass.com. 30 oct. 2000, pourvoi 754, cité par M. TOUËJARI, Th. MARJAN, Traité
de procédure civile et commerciale en droit koweïtien, les droits des États du Conseil de Coopération du Golfe et de la République arabe d’Égypte [en arabe], t. II,
Éditions dar al-nadha al-arabyia, Le Caire, 2010, p. 594-595.
64. Droit de la famille – 3454, J.E. 99-2297 (C.S.).
576
Revue du Barreau/Tome 72/2013
Encore, faut-il le rappeler, le juge avait écarté le rapport de
l’expert qui était de nature à l’éclairer sur ce contexte propre au
droit koweïtien. Il a accepté, en revanche, le dépôt des documents
comme preuve de la loi étrangère, preuve, à notre sens, fragmentaire puisqu’elle passe sous silence l’existence d’un procédé propre
pour signifier aux personnes domiciliées hors Koweït. L’absence
du contrôle de la part du juge sur l’ensemble de ces conditions
accroît les risques de fraude à l’occasion d’un jugement rendu par
défaut à l’étranger. Le demandeur peut signifier l’assignation à
une adresse où le défendeur n’habite plus empêchant ainsi ce dernier de prendre connaissance de l’action et d’exercer ses droits de
défense. C’est précisément ce que le législateur ciblait en édictant l’article 3156, al. 2 C.c.Q., comme application spécifique de
l’exception prévue au paragraphe 3 de l’article 3155. Ce texte n’a
pour objectif que de protéger les droits de la défense65. Un examen
minutieux des faits de l’espèce aurait dû conduire au refus de
reconnaissance du jugement, faute de pouvoir s’assurer que
toutes les conditions soient remplies. Du reste, on pourrait se
demander si ces comportements de la part du demandeur ne constitueraient pas, au surplus, une fraude à la loi au sens général du
terme66. Il y aura lieu d’appliquer alors la règle fraus omnia
corrumpit s’il est démontré qu’un tel procédé ait été suivi dans le
dessein d’obtenir un jugement par défaut servant les intérêts de
ce dernier.
CONCLUSION
En définitive, nous pensons qu’un jugement étranger rendu
par défaut, dont on demande la reconnaissance et l’exécution au
Québec, ne saurait constituer en soi un élément de preuve permettant au demandeur de se décharger de son obligation de prouver
que toutes les exigences de signification du droit local ont été respectées. Le jugement étranger ne saurait être « auto-suffisant ».
La preuve exigée par l’article 3156 C.c.Q. doit, croyons-nous, être
indépendante du jugement, objet de l’exequatur, et provenir des
éléments extérieurs, à savoir des documents délivrés dans le pays
d’origine du jugement, attestant d’une signification régulière.
Une interprétation a contrario risquerait de vider ce texte de sa
substance, car un jugement rendu par défaut à l’étranger rem65. C.S. First Boston Corp. c. Yaraghi, J.E. 97-1325, AZ-97021531 (C.S.).
66. Sur cette notion, voir Gérald GOLDSTEIN, « La fraude à la loi dans le droit international privé du nouveau Code civil du Québec », (1997) 57 R. du B. 707.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
577
plira automatiquement les conditions requises et sera déclaré
exécutoire dès l’instant qu’il constate, de manière elliptique, la
validité de la signification.
Pour conclure, le contexte québécois invite les juges à la vigilance. Il convient de protéger les immigrés qui s’installent au
Québec contre des actions civiles intentées indûment dans leur
pays d’origine. La solution adoptée par le juge Davis dans l’affaire
objet de notre commentaire est loin d’être satisfaisante, dans la
mesure où elle peut avoir pour effet d’encourager des personnes
malintentionnées à l’étranger à obtenir délibérément des jugements par défaut contre des personnes installées au Canada,
profitant de leur absence. La facilité avec laquelle le juge conclut à
la validité de la signification expose ces dernières à des réclamations injustifiées et leur fait perdre le droit à un procès équitable
et proprement contradictoire.
578
Revue du Barreau/Tome 72/2013
La reconnaissance juridique de
la nature sensible de l’animal :
du gradualisme français à
l’inertie québécoise
Martine LACHANCE
Résumé
S’il est indéniable que les autorités prêtent aujourd’hui
davantage attention aux inquiétudes soulevées par la population
quant à la douleur, la détresse et autres formes de souffrance
infligée aux animaux, la volonté d’assurer leur protection juridique demeure pour certains indécente. Pourtant, à travers
l’histoire, les philosophes et les savants ont envisagé, refusé puis
admis la notion de douleur en l’animal. Le discours scientifique –
considéré en occident comme détenteur de la vérité – a par la suite
pris la relève, en établissant les balises scientifiques de cette douleur. Malheureusement, nonobstant les oscillations sur la nature
et le statut de l’animal, notre législation demeure accablée par la
vision cartésienne qui n’admet l’animal qu’au titre de bien, sans
égard à sa sensibilité. La démonstration en sera faite à partir
du discours juridique dont l’animal est objet dans les textes canadiens et québécois. Cette analyse nous conduira ultimement à
poser un regard sur l’histoire du régime juridique de l’animal
en France, dont les phases diverses et mouvementées du droit
démontrent, sous l’influence du droit européen, une intégration
quasi totale de la nature sensible de l’animal.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
579
La reconnaissance juridique de
la nature sensible de l’animal :
du gradualisme français à
l’inertie québécoise
Martine LACHANCE*
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 583
I-
La reconnaissance de la sensibilité animale comme
élément essentiel d’un statut rénové . . . . . . . . . . 588
A. L’ouverture du Code rural français . . . . . . . . . 588
B. Les tentatives ratées du Code criminel de réparer
la symbolique de l’animal . . . . . . . . . . . . . . 588
II-
L’émergence d’un statut pénal corrigé de l’animal
domestique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 590
A. Le Code pénal français en rupture avec la tradition
cartésienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 590
B. Le durcissement des peines dans les droits français
et canadiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 594
III- Le chaînon manquant d’un statut modernisé
de l’animal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 596
A. Les propositions audacieuses de modification du
Code civil français . . . . . . . . . . . . . . . . . . 596
B. L’absence d’un dialogue sérieux au Québec . . . . . 597
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 598
*
L’auteure est professeure de droit et directrice du Groupe de recherche international en droit animal (GRIDA) de l’Université du Québec à Montréal.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
581
INTRODUCTION
De tout temps, la question du rapport de l’homme avec
l’animal a fait l’objet de réflexions philosophiques. En tant que
discipline théorique, la philosophie tente notamment d’aider les
humains, surtout au travers de l’éthique, à comprendre la place
qu’ils occupent dans le monde et leur inévitable interaction avec
les autres espèces. Les problèmes de la protection et du statut
moral des animaux1, de l’expérimentation biomédicale2 et de
l’exploitation agricole3, sont au nombre des questions régulièrement soulevées par les philosophes. De ces interrogations sont nés
des mouvements en éthique animale, notamment l’utilitarisme de
Jeremy Bentham4, l’antispécisme de Peter Singer5, le déontologisme de Tom Regan6 et l’abolitionisme de Gary Francione7.
Au sein de la doctrine juridique, quelques auteurs ont plus
discrètement discuté de la douleur des animaux8 et de la cruauté
1. David DeGRAZIA, Taking Animals Seriously: Mental Life and Moral Status, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
2. Michael Allen FOX, The Case for Animal Experimentation, Berkeley, University of
California Press, 1986 ; Margaret ROSE et David ADAMS, « Evidence for Pain and
Suffering in Other Animals », dans Gill LANGLEY (éd.), Animal Experimentation:
The Consensus Changes, New York, Chapman and Hall, 1989, p. 42 ; Jane A.
SMITH et Kenneth M. BOYD (éd.), Lives in the Balance: The Ethics of Using Animals in Biomedical Research, New York, Oxford University Press, 1991.
3. Francis ZIMMERMAN, La Jungle et le fumet des viandes, Paris, Éditions Le Seuil,
1982 ; Élisabeth BOURGINAT et Jean-Pierre RIBAUT, Des animaux pour quoi
faire ?, Paris, Éditions Charles Léopold MAYER, 2003 ; Institut national de la
recherche agronomique (INRA), Douleurs animales : les identifier, les comprendre,
les limiter chez les animaux d’élevage, Paris, Rapport d’expertise scientifique collective, 2009.
4. Théorie conséquentialiste qui tient pour juste l’action qui engendre le plus de bonheur pour l’ensemble des agents – le bonheur étant défini comme la maximisation
des plaisirs et la minimisation des peines. Voir notamment Jeremy BENTHAM,
Utilitarianism, Londres, Progressive Publishing, 1890.
5. Théorie basée sur le refus de l’exploitation et de la maltraitance des autres espèces
par les êtres humains. Voir notamment Peter SINGER, Animal Liberation, New
York, HarperCollins, 1975.
6. Théorie qui affirme que chaque action humaine doit être jugée selon sa conformité
(ou sa non-conformité) à la règle ou à la loi morale. Voir notamment Tom REGAN,
The Case for Animal Rights, Berkeley, University of the California Press, 1983 ;
Gary FRANCIONE, Rain Without Thunder – The Ideology of the Animal Rights
Movement, Philadelphie, Temple University Press, 1996.
7. Théorie qui réclame l’abolition pure et simple de l’exploitation animale basée sur
leur nature et leur sensibilité. Voir notamment Gary FRANCIONE, Introduction to
Animal Rights: Your Child or the Dog ?, Philadelphie, Temple University Press,
2000.
8. Martine LACHANCE (dir.), Études : L’animal souffre-t-il en droit ?, (2011) 24
R.Q.D.I. 193.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
583
que les hommes peuvent exercer sur eux9, et débattu de la proposition d’instituer un avocat pour les animaux maltraités. Dans leurs
tentatives respectives de protéger l’animal contre l’exploitation
abusive des humains, ils utilisent les méthodes et théories du
droit afin de construire un pont entre les humains et les animaux,
notamment dans un objectif d’extension de certains droits fondamentaux10 ou de modification de leur statut juridique11. Ce dernier discours se fait d’ailleurs plus pressant aujourd’hui, les
résultats des diverses recherches scientifiques démontrant sans
équivoque la capacité de l’animal à ressentir la douleur en tant
qu’entité psychophysique12.
Mais dire que l’animal est un être sensible parce que capable
de souffrir, mérite d’entrée de jeu quelques précisions. Il s’agit là
d’un exercice de définition qui mobilise un ensemble de notions
entremêlées – douleur, souffrance, sensibilité – lesquelles renvoient à leur tour à plusieurs questions principales ou génériques
selon la discipline qui les approche :
Il existe, dans le monde animal, trois degrés de sensibilité aux
influences négatives de l’environnement : la nociception, la douleur
et la souffrance. La nociception existe chez la plupart des animaux
et permet d’éviter, de façon réflexe, les stimulations portant
atteinte à l’intégrité de l’organisme, soit par des réponses de fuite,
soit par le retrait d’une partie du corps. La douleur apparaît chez
tous les animaux qui possèdent des réactions émotionnelles associées à la nociception, alors que la souffrance se rencontre chez les
animaux qui possèdent des fonctions cognitives associées à la douleur, donc une certaine conscience de leur environnement. 13
Même si sa nature sensible éloigne irrésistiblement l’animal
de la catégorie des biens, il n’est pas acquis que le droit porte sur
9.
10.
11.
12.
13.
584
Fondation droit animal, éthique et sciences (LFDA), Homme et animal : de la douleur à la cruauté, Paris, L’Harmattan, 2008.
Steven WISE, Rattling the Cage, Cambridge, Perseus Publishing, 2000.
Suzanne ANTOINE, « Un animal est-il une chose ? », (1994) Gazette du Palais 1o
sem.(doctrine), p. 594 ; David FAVRE, « A New Property Status for Animals in
Animal Rights », dans Cass SUNSTEIN et Martha NUSSBAUM (éd.), Current
Debates and New Directions, New York, Oxford University Press, 2004 ; Lyne
LÉTOURNEAU, « De l’animal-objet à l’animal-sujet ? : regard sur le droit de la
protection des animaux en Occident », Lex Electronica, vol. 10, no 2 (numéro spécial), Automne 2005.
Thierry AUFFRET VAN DER KEMP et Martine LACHANCE (dir.), Souffrance
animale – De la science au droit, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013.
Dalila BOVET et Georges CHAPOUTHIER, « Les degrés de sensibilité dans le
monde animal et leur identification scientifique », dans Thierry AUFFRET VAN
DER KEMP et Martine LACHANCE (dir), ibid., p. 24.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
lui un tel regard ; les paradoxes pèsent autant que les vérités dans
la conduite des hommes et des choses qui les intéressent. Associé à
la valeur fondamentale de la personne humaine, le droit – du
moins en premier lieu – est au service de l’homme. Aussi, n’est-il
pas surprenant que le droit et l’animal n’entretiennent pas de
liens naturels.
La science révèle pourtant que la souffrance et la douleur ne
sont pas inhérentes à la nature humaine. La reconnaissance de la
sensibilité de l’animal devient donc primordiale pour quiconque
tente de transformer le cadre juridique afin d’y établir un régime
plus conforme à la nature de l’animal.
Mais trop souvent le droit n’en a cure : son souci immédiat
n’est pas d’ordre philosophique ou moral. Il n’est que technique
destinée à sécuriser les intérêts que la société considère comme
vitaux. C’est le cas notamment de l’expérimentation biomédicale
et de l’élevage industriel, lesquels s’inscrivent dans un continuum
de pratiques peu contestées parce qu’apparaissant indispensables
à la survie de l’humain. Aussi, dans la mesure où un changement
de perception de l’animal implique une mutation du cadre juridique, mais aussi une adaptation des modes de vie et de production propres aux sociétés contemporaines, n’est-il pas surprenant
de constater qu’il provoque des remous dans les milieux où l’animal n’est qu’un objet d’exploitation : se font alors face les activités
de l’homme et le droit moral de l’animal de ne pas souffrir inutilement. L’objet du conflit n’est nullement ici le rapport matériel
de propriété, mais la relation de domination de l’humain sur
l’animal.
Toute perspective nouvelle déclenche nécessairement l’une
ou l’autre des forces contradictoires suivantes : l’une qui va dans le
sens du changement, l’autre qui cherche à le freiner. Certains
États, comme celui de la France, ont ainsi pris le parti du présent
contre le passé, en substituant la nature sensible de l’animal à la
théorie de l’animal machine14. D’autres, à l’instar du Québec,
refusent toute modernité, préférant se vautrer dans une quasi
indifférence de la souffrance des animaux.
14. La théorie de l’animal-machine préserve la scission entre l’homme et l’animal, en
ce que la pensée – apanage de l’homme et de Dieu – n’est pas accordée aux bêtes
puisqu’elles n’en fournissent nulle preuve.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
585
À toute époque de rénovation sociale, au sein de ce besoin
continuel de réforme qui est devenu comme la seconde nature des
peuples qui ont pris le progrès pour devis, il va de soi que ce qui
reste stationnaire, ce qui ne suit pas le mouvement et la marche
vers la modernité, est destiné tôt ou tard à être déclassé. Tel est le
cas du Québec qui, à l’opposé de la France, est resté figé, semblable à ces cadavres pétrifiés que la science ne peut faire revivre.
L’histoire du régime juridique de l’animal en France est
des plus intéressantes15. Elle fait voir les phases diverses et
mouvementées que le droit français a subies pour parvenir, sous
l’influence du droit européen16, à intégrer en grande partie la
nature sensible de l’animal. Malgré les changements qui se font
dans les mœurs et les idées, c’est l’action du pouvoir législatif qui
concrétise véritablement ces changements, en mettant le droit en
harmonie avec les idées nouvelles. C’est dire que l’intervention du
pouvoir législatif est nécessaire pour modifier le droit, à mesure
que l’état social se modifie. Or cette nécessité n’existe pas seulement en matière d’état personnel : le droit qui régit les biens est
également soumis à la loi du progrès.
La seule voie directe pour assurer la reconnaissance juridique de la nature sensible de l’animal procède par un changement radical de son statut : l’animal doit être exclu de la catégorie
des biens meubles17, dont la structure rigide du droit le tient toujours prisonnier. Pour que ce changement de culture juridique
15. Le choix de la France, pays équivalent au Canada du point de vue économique et
social, répond également à un souci méthodologique. D’abord sur un plan politique, parce que les relations entre les deux territoires se situent bien au-delà d’un
rapprochement bilatéral : les rapports étroits qu’entretiennent la France et le
Québec sont nés d’une volonté de travailler conjointement au progrès des deux
sociétés. Puis davantage, sur un plan juridique, parce que le système juridique
canadien n’est pas un droit indigène. Il participe de deux droits réunis : les droits
français et anglais. En effet, la grande majorité des règles du Code civil du
Bas-Canada – premier code civil québécois – ont trouvé leur source dans les nombreuses parties du Code Napoléon de 1804. Cette force d’attraction se répercute
donc assez naturellement dans la méthodologie comparative, les juristes québécois pratiquant souvent le droit comparé à l’intérieur du même grand système de
droit civil, spécialement avec le droit français.
16. De nombreux « textes se révèlent être des transpositions en droit français de directives communautaires et de conventions européennes (du Conseil de l’Europe) » ;
Sonia CANSELIER, « La sensibilité de l’animal en droit français : de la vigueur
des mots à l’efficacité des sanctions », dans Thierry AUFFRET VAN DER KEMP
et Martine LACHANCE (dir.), supra, note 12, p. 261.
17. On appelle « déréification » le processus qui permet à l’animal doué de sensibilité
de ne plus être considéré comme une chose inerte. Voir Olivier LEBOT, « Les grandes évolutions du régime juridique de l’animal en Europe : constitutionnalisation
et déréification », (2011) 24.1 R.Q.D.I. 249.
586
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survienne, il faudrait que tous modifient en même temps leurs
schémas de référence. Or la force des lobbies – qui émane principalement des agriculteurs, des chercheurs et des chasseurs –,
hostile à tout changement préjudiciable à leurs intérêts, joue
comme autant de freins.
Par son approche gradualiste et prudente, la France a fait le
choix de construire un régime juridique de l’animal susceptible
d’inciter les opposants à se rallier aux décisions législatives et
gouvernementales. Comme elle repose sur une logique évolutionniste, la démarche minimise le danger de connaître des échecs
majeurs. Sans risquer de rompre la structure même de la société,
elle s’avère une voie durable pour réadapter les normes juridiques
qui gouvernent le rapport de l’homme à l’animal, afin de répondre
aux besoins du plus grand nombre.
Mais lorsque la perception sociétale de l’animal change, elle
ne change pas pour tous les animaux d’égale manière. Les animaux de la faune, qu’on appelle aussi animaux sauvages donnant
« l’impression qu’ils peuvent être dangereux pour l’homme »18,
sont malheureusement ignorés par cette avancée juridique19. En
tant qu’animaux évoluant à l’état de liberté naturelle, ils sont
considérés en droit civil comme des biens sans maître (res nullius)
parce que non susceptibles d’appropriation. Or, bien que certains
prétendent que « la question de l’animal sauvage, de sa définition
ou de son statut, des valeurs qui y sont attachées et de la place
qu’il convient de lui faire, [soit] à l’ordre du jour dans la société
française »20, force est de constater qu’ils n’ont droit qu’à la préservation de leur espèce21, en raison de l’importance accordée au
droit de propriété au sein de la tradition civiliste.
Malgré sa réticence, le Code rural s’est avéré en raison de sa
technicité la voie d’entrée toute désignée pour introduire en 1976
18. André MICOUD., « Des hommes et des animaux sauvages », dans Francis
AUBERT et Jean-Pierre SYLVESTRE (dir), Écologie et société, Dijon, Educagri,
p. 97.
19. Lors des sessions ordinaires de l’Assemblée Nationale (1984-85 et 1986-87), le
député Roland Nungesser a déposé une proposition voulant que l’animal sauvage,
étant un être sensible, ne pouvait faire l’objet de sévices graves ou de cruauté. Sa
proposition ne fut jamais retenue.
20. Ibid.
21. N’ayant subi aucune modification de la part de l’homme (Décret 77-1295 du
27 novembre 1977), ces animaux sont régis par le Code de l’environnement, sous
réserve de l’article 713 du Code civil (Ordonnance du 18 septembre 2000).
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587
la notion de l’animal domestique en tant qu’être sensible. Puis,
prenant le pas de corriger le décalage ainsi créé avec le droit réglementaire, le Code pénal s’est radicalement transformé près de
20 ans plus tard, avec l’adjonction d’un chapitre spécial pour les
infractions contre les animaux qui étaient désormais distinctes de
celles des biens. Ne restait alors plus qu’à engager de manière
ferme le droit civil dans la même lancée, afin que la nature de
l’animal soit pleinement saisie par le droit français. C’est ce qui se
produit depuis tout récemment, la place de l’animal au sein de la
grande division des biens du Code civil faisant de nouveau surface,
signe du réveil de la profonde réflexion sur le statut juridique de
l’animal de compagnie lancée par le Garde des Sceaux en 2005.
I- La reconnaissance de la sensibilité animale comme
élément essentiel d’un statut rénové
A. L’ouverture du Code rural français
S’appuyant sur l’évolution de la démarche scientifique et sur
les connaissances nouvelles en éthologie, les changements apportés au Code rural traduisent au premier plan une demande sociale
pour la protection des animaux22. Par son article 9, la loi du 10 juillet 197623 relative à la protection de la nature identifie clairement
un intérêt distinct de l’intérêt humain, puisque c’est bien en raison d’une qualité inhérente à l’animal que ce dernier est désormais protégé. Aujourd’hui intégrée au Code rural, cette protection
prend naissance dans l’énoncé voulant que « tout animal, étant un
être sensible, [il] doit être placé par son propriétaire dans des
conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son
espèce »24. Comme nous le verrons plus loin dans le texte, cet
énoncé tout simple recèle en lui un fort potentiel d’évolution normative. Définir l’animal par sa sensibilité constitue un tremplin
fabuleux pour la concrétisation de ses droits.
B. Les tentatives ratées du Code criminel de réparer la
symbolique de l’animal
Les parlementaires canadiens ont réalisé à l’aube des années
2000, que la protection de l’animal à titre de biens était fortement
22. Nathalie MELIK, « La France face au droit des animaux », dans Le Bien-être animal, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 2006, p. 245.
23. Loi no 76-629 du 10 juillet 1976.
24. Art. L.214-1.
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critiquée par la population. Elle laissait entendre que le droit
se préoccupait moins de leur protection en tant qu’être vivant
capable de souffrir que de la protection des intérêts de l’humain.
Aussi, partant du principe que le Code criminel – et non pas la
législation rurale – était le véhicule de changement idéal parce
punissant tout acte de cruauté, a-t-il été proposé d’y définir
l’animal comme « un vertébré autre qu’un être humain et de tout
autre animal pouvant ressentir la douleur »25. Mais même si le
législateur avait pris bien soin de préciser qu’il ne s’agissait pas là
d’une tentative de personnification de l’animal, la revendication
d’une reconnaissance de la sensibilité animale était alors bien
réelle. Il ne s’agissait pas d’un simple exercice de définition.
Face à cette revendication, les institutions parlementaires
ont été soumises à deux types de pressions contradictoires : celle
des traditionalistes qui étaient hostiles à toute définition, et celle
des modernistes imprégnés de valeurs humanitaires militant
pour un changement, aussi étriqué soit-il, dans la perception
erronée, voire négative de l’animal. Parce que les chasseurs, trappeurs, agriculteurs et spécialistes de la recherche biomédicale
craignaient que certains actes ne leur attirent des poursuites criminelles, la définition a été restreinte aux seuls « vertébrés et
autres animaux capables de ressentir la douleur », avant d’être
finalement abandonnée. Mais l’opposition la plus forte sur cette
question est plutôt venue de la Coalition nationale pour la vie,
dont le mandat est d’étudier tout projet de loi du Parlement canadien qui pourrait influer sur la situation des enfants avant leur
naissance. Ainsi se sont-ils exprimés :
Une foule de témoignages scientifiques attestent que les êtres
humains, dès les premiers stades de la vie, ressentent la douleur.
Ils sont pourtant exclus de la protection qu’offre le projet de loi.
[...]
Les animaux sont des êtres qui ressentent la douleur et il faut
prendre les moyens pour les protéger. Que l’on soit d’accord ou non
avec ce principe, aller de l’avant avec une loi sur cette base ne tient
pas compte du fait que les êtres humains dans l’utérus ressentent la
douleur et qu’ils ne sont pas protégés. Où cela place-t-il les animaux
par rapport aux êtres humains sur l’échelle des valeurs humaines ?
25. Projet de loi C-15 (2001).
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589
Éluder les requêtes de la population et échapper à ses responsabilités, c’est ce qu’a fait le système parlementaire canadien
à l’époque. Il avait pourtant devant lui l’exemple du système
français qui, comme nous le verrons ci-dessous, n’a pas craint
d’aménager un livre spécial à son Code pénal de manière à ce que
les infractions relatives à l’homme, au corps humain et à l’embryon précèdent et côtoient le délit de cruauté.
II- L’émergence d’un statut pénal corrigé de l’animal
domestique
A. Le Code pénal français en rupture avec la tradition
cartésienne
Avant la réforme du Code pénal français, la protection des
animaux domestiques – êtres dont le droit reconnaissait désormais la sensibilité –, était assurée par des dispositions relevant de
la même catégorie que celle des biens. Devant ce constat, on ne
pouvait que mesurer à quel point la perception légale de cette sensibilité dans le droit pénal était décalée par rapport aux réalités
sociales et scientifiques. Aussi, dans le but louable de redonner
une certaine cohérence à l’ensemble du droit français, a-t-on profité de la réforme pour contribuer à l’émergence d’un statut
modernisé de l’animal domestique, en modifiant substantiellement la structure même du Code pénal. Comme le souligne
Jean-Pierre Marguenaud, la portée des modifications ainsi apportées dans la foulée de ce chantier fondamental démontre clairement que l’animal n’est plus considéré comme un bien au sein de
la législation pénale française26.
Les principaux changements qui permettent de soutenir une
telle affirmation sont le déplacement des infractions animalières
hors de la catégorie des infractions contre les biens et l’augmentation significative des peines lorsque des sévices graves ou des
actes de cruauté sont perpétrés envers un animal domestique. La
production de ces nouveaux textes est révélatrice de la façon dont
la société française pense son ordre, ses désordres et leur sanction.
26. Jean-Pierre MARGUÉNAUD, L’Animal dans le nouveau code pénal, Paris,
Recueil Dalloz Sirey, 1995, 25e cahier, chronique.
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Revue du Barreau/Tome 72/2013
Le Code pénal institue symboliquement et matériellement
les catégories à partir desquelles s’organise le pouvoir légitime de
punir. Mais à la fin du XXe siècle, la société française ne disposait
pour protéger l’animal domestique que de catégories anciennes
qui n’avaient jamais vraiment été remises en question. Les autorités ont donc eu le courage d’entreprendre un vaste travail de catégorisation, lequel s’est notamment matérialisé dans le cadre de la
réforme du Code pénal par l’ordonnancement et la hiérarchisation
des différentes infractions en fonction des intérêts juridiques à
protéger. La détermination de ces intérêts et des modalités de leur
défense constitue ici une responsabilité politique fondamentale
à laquelle le législateur français ne s’est pas dérobé. Comme l’a
rappelé Anne Lemaître dans sa thèse de doctorat :
Rattacher [le délit d’actes de cruauté] à la catégorie des infractions
contre les biens n’aurait pas été dans le sens des avancées de la protection de la sensibilité animale. Ne pouvant bien évidemment pas
inclure ce délit dans les deux autres catégories restantes [celles
visant les personnes ; la Nation, l’État et la paix publique] les
infractions contre les animaux ont été placées dans une catégorie
distincte créée alors : un Livre V intitulé « Des autres crimes et
délits ».27
Symétriquement, un Titre 5 intitulé « Des autres contraventions » fut ajouté, question d’y insérer la contravention de mauvais
traitement28 et d’y adjoindre deux nouvelles contraventions : les
atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité de l’animal29 et les
atteintes volontaires à la vie d’un animal30. Ces choix pertinents,
qui visent désormais le seul intérêt de l’animal et non plus sa
valeur patrimoniale, constituent assurément une avancée significative vers la reconnaissance juridique de sa nature sensible.
Au Canada, les dispositions criminelles en matière de cruauté
envers les animaux reposent sur deux principes qui, à première
vue, paraissent inconciliables : la création d’une infraction contre
un bien... dont on reconnaît du même coup la capacité de souffrir :
Les dispositions actuelles qui visent à éliminer la cruauté envers
les animaux reposent sur l’amalgame de deux principes distincts, à
27. Anne LEMAÎTRE, « Un élément de santé publique vétérinaire : la protection des
animaux de rente », Thèse, Alfort, 2003, p. 29.
28. Art. R. 654-1.
29. Art. R. 653-1.
30. Art. R. 655-1.
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591
savoir que les animaux doivent être protégés, d’une part, contre les
blessures ou la mort parce qu’ils appartiennent à leur propriétaire,
et, d’autre part, contre la cruauté parce qu’ils sont capables de
souffrir.31
Du point de vue intellectuel, quoique bien longtemps après la
France, le Canada a compris que tout processus de reconnaissance, en tant qu’il implique une configuration de l’objet de cette
reconnaissance, nécessite une opération de catégorisation. Aussi,
conscients des oscillations inévitables sur le statut juridique de
l’animal dans la balance politique, les parlementaires canadiens
ont-ils proposé de retirer les dispositions relatives aux animaux
de la partie du code portant sur les actes volontaires et prohibés
concernant certains biens, afin de les intégrer dans une partie
fourre-tout au contenu hétéroclite : les infractions d’ordre sexuel,
actes contraires aux bonnes mœurs, inconduite et cruauté envers
les animaux. Cette proposition, qui ne constituait pas une modification de pure forme, aurait notamment permis d’assurer une certaine protection aux animaux de la faune :
Elle [la modification] aurait pour effet que la cruauté envers les animaux ne serait plus considérée de la même façon dans le Code criminel, en ce sens que, pour la plupart, ces infractions ne seraient
plus traitées comme des infractions contre les biens. De fait, le projet de loi est fondé notamment sur le principe selon lequel « tous les
animaux peuvent ressentir la douleur et [...] ont le droit d’être protégés juridiquement contre la négligence ou la cruauté intentionnelle ». Par conséquent, les animaux ne seraient plus considérés
comme de simples biens, mais comme des êtres vivants capables de
ressentir la douleur.32
Les agriculteurs canadiens ont manifesté une réticence
élevée, face au retrait des dispositions pénales relatives aux animaux du champ des infractions contre les biens. Leur crainte
concernait moins la manière dont le changement serait introduit
que la personnification juridique des animaux qui risquait d’en
découler33. Or ce conflit apparent entre le droit de propriété de
31. Parlement du Canada, Projet de loi C-50 : Loi modifiant le Code criminel en
matière de cruauté envers les animaux (LS-509F).
32. Parlement du Canada, Projet de loi C-17 : Loi modifiant le Code criminel (cruauté
envers les animaux) (LS-358F).
33. David Borth, directeur général de l’Association des éleveurs de la ColombieBritannique a même dit dans le cadre des travaux entourant la révision du Code
criminel : « it’s moving from property rights to almost human rights » [...] and
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l’humain et le droit de l’animal de ne pas souffrir ne surprend pas.
Aux yeux de plusieurs lobbyistes, le pouvoir absolu que possède
l’homme de détruire ce qui lui appartient ne peut être entravé par
une quelconque obligation légale. Cet argument voulant que la
propriété d’un bien implique le droit d’en user, voire même d’en
abuser, n’a malheureusement pas semblé farfelu aux yeux du système judiciaire canadien, et ce, même si le bien en question est un
animal dont la science a depuis longtemps démontré la capacité de
souffrir. La prévention de la cruauté – notion pourtant fondamentale du Code criminel canadien – demeure encore à ce jour
corrompue par une interprétation trompeuse des concepts de propriété issus du droit civil.
L’enjeu de cette reconnaissance dépasse largement la
responsabilité spécifique des élus. En réalité, l’assimilation de
l’animal à un bien bouleverse le droit pénal et concerne de ce fait
les justiciables canadiens dans leur ensemble. Or, la demande
sociale recouvre encore aujourd’hui une attente marquée pour un
autre modèle de droit, un droit qui prendrait en compte la nature
sensible de l’animal. Au traitement mécanique de la règle qui est
davantage en faveur de la protection des intérêts de l’humain, une
utilisation stratégique d’un droit centré sur la souffrance de
l’animal serait nettement préférée.
La modernisation des catégories d’infractions effectuée en
France est le fruit d’une attitude réformatrice et modérée du
Sénat. Or l’approche de ses membres contraste nettement avec
celle de ses homologues canadiens, le Sénat refusant ultimement
de reconstruire dans notre pays un nouveau modèle de protection
animale.
Un des premiers signes de l’embarras du système canadien
envers la refonte des articles du Code criminel, est le temps passé
à débattre des nombreux projets de loi, auquel on peut ajouter la
faiblesse du consensus qui en a résulté. Le processus de révision
en matière de cruauté envers les animaux, a comme précurseur
direct le projet de loi C-17. Déposé en 1999, il est mort au feuilleton lors du lancement des élections fédérales. Après révision sommaire, il est réapparu sous le projet de loi C-15, avant de mourir à
« we do have some concern about what this is indicating » ; Parlement du Canada,
Projet de loi C-10 : Loi modifiant le Code criminel (cruauté envers les animaux et
armes à feu) et la Loi sur les armes à feu (LS-433F).
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593
son tour au feuilleton en 2001 au moment de la prorogation du
Parlement. Le projet de loi C-10, présenté une fois de plus à la
Chambre des communes, a subi le même sort en 2002 après avoir
franchi l’étape de la première lecture au Sénat. Les projets C-22
et C-50, respectivement présentés en 2004 et 2005, ont quant à
eux été considérablement modifiés par le Sénat avant d’être définitivement écartés. Ces longs et trop souvent acrimonieux débats
entourant la révision de la législation pénale ont temporairement
pris fin en 2008, alors que le restreint projet de loi S-203 déposé
par le sénateur John Bryden a reçu la sanction royale. Armés de
nouveaux espoirs de transformation législative, trois députés ont
tour à tour repris la lutte entre 2008 et 2011, en vue de modifier
les dispositions pénales relatives aux infractions envers les animaux34. Aucun des divers projets de loi proposés n’a alors retenu
l’attention des parlementaires canadiens au-delà de la première
lecture.
Pendant plus de dix ans, le Parlement et le Sénat ont ainsi
été saisis de différentes propositions législatives. Deux groupes se
sont alors fait face : l’un qui, par souci de protection des animaux,
demandait l’élaboration de dispositions criminelles plus strictes,
alors que l’autre s’y opposait fermement sous prétexte qu’elles
mettraient en péril leur activité économique respective. Leur
lutte désespérée n’a pas donné le résultat escompté : le dernier
groupe, politiquement plus influent, a obtenu la coopération du
Sénat dans ses efforts pour servir les besoins et intérêts communs
de ses membres. Comme nous le verrons ci-dessous, il a utilisé le
système des peines et des sanctions pénales comme une arme
pour combattre et neutraliser les demandes du premier groupe
dont la seule préoccupation était de protéger adéquatement
l’animal. La vision économique défendue par le Sénat a ainsi eu le
dessus sur la promotion de valeurs plus humanistes portée par les
parlementaires de l’époque.
B. Le durcissement des peines dans les droits français
et canadiens
Le caractère prédominant de tout droit pénal est l’intimidation qu’il exerce sur les membres de la société, notamment par
le biais de son système de peines. En matière pénale, beaucoup
34. Projets de loi C-373, C-229, C-230, C-232 et C-274.
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Revue du Barreau/Tome 72/2013
soutiennent que la sévérité des peines est non seulement nécessaire pour dissuader, mais surtout pour imprimer dans la population le sentiment de la gravité d’un crime. Notamment en matière
de sévices graves et d’actes de cruauté perpétrés à l’encontre d’un
animal, le message est dorénavant on ne peut plus clair en
France : de 50 000 francs (± 10 000 $), l’amende a été augmentée
à 30 000 euros (± 40 000 $)35. Par la sévérité de la sanction pécuniaire, il est possible de soutenir sans sourciller que la France
rejette sans équivoque toute assimilation de l’animal à un meuble.
Malheureusement, cet exercice d’autorité fait cruellement
défaut au Canada. Au moment de la révision du Code criminel, les
infractions relatives aux animaux étaient toutes punissables par
procédure sommaire, faisant présumer de la faible importance
accordée à ce type de crime. Élever les infractions de cruauté au
statut d’infractions hybrides, lançait un important signal au système judiciaire quant à la gravité des crimes commis à l’endroit
des animaux. En présence d’un acte criminel de cruauté, il a en
outre été accepté de faire passer la peine maximale d’emprisonnement de six mois à cinq ans, et les juges sont maintenant
autorisés à hausser à 10 000 $ l’amende maximale de 2 000 $ précédemment imposée.
Mais l’approche est ici trompeuse. Par ses peines d’emprisonnement, le Code criminel semble en apparence vouloir punir
sévèrement quiconque fait souffrir un animal sans nécessité.
Mais davantage que la faiblesse des amendes imposées, c’est en
fonction du faible taux de poursuites judiciaires que nous mesurons toute la dimension de l’échec et de l’inadéquation de la solution retenue par le Sénat. Les chiffres sont évocateurs : en raison
de difficultés procédurales et de l’échec du système de justice à
trouver un remède efficace à des infractions contre des biens à qui
on reconnaît la capacité de souffrir, moins de 0,33 % de toutes les
plaintes de cruauté envers les animaux conduisent au Canada
à des poursuites pénales. Comme seule la moitié de ce nombre
se termine en condamnation36, et qu’aucune d’elles n’a mené au
Québec à une peine d’emprisonnement, il ne faut pas se surprendre que le système canadien soit perçu comme étant opposé,
voire hostile, à toute reconnaissance de la sensibilité animale.
35. Ordonnance no 2006-1224 du 5 octobre 2006.
36. Parlement du Canada, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, 24 octobre 2001.
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III- Le chaînon manquant d’un statut modernisé
de l’animal
A. Les propositions audacieuses de modification du
Code civil français
Bien que le Code rural et le Code pénal aient tous deux
permis de poser les jalons d’une reconnaissance juridique de la
sensibilité animale en France, il n’en reste pas moins qu’ils n’ont
constitué que des voies de contournement. Mais c’est là tout l’art
de l’approche indirecte déployée par les Français : utiliser une
bonne dose d’opportunisme de façon à créer les conditions propices pour entamer une discussion sur le statut de l’animal au sein
de ce système dont le droit civil est le pivot. Il est vrai qu’une
approche systémique qui touche à la fois tous les acteurs politiques et législatifs est séduisante. Mais chacun doit d’abord reconnaître qu’il faut transformer l’organisation du régime juridique de
l’animal pour atteindre des résultats permanents. Favoriser le
gradualisme dans une telle démarche peut aider à modifier en
profondeur les mentalités et assurer la réussite de l’exercice de
réflexion entrepris.
C’est ainsi qu’à peine quelques années après l’entrée en
vigueur du nouveau Code pénal, la loi du 6 janvier 199937 a
apporté une nouvelle rédaction des articles 524 et 528 du Code
civil. On y a respectivement séparé les animaux des objets servant
à l’exploitation d’un fonds et on y a distingué les animaux des
corps inanimés. Puis à la demande expresse du Garde des sceaux,
Suzanne Antoine s’est vue remettre en 2004 la responsabilité de
procéder à une étude approfondie du régime juridique de l’animal
en France. Dans le document que tous appellent désormais le
Rapport Antoine, elle y fait les propositions suivantes :
La première, que l’auteur estime devoir être retenue en priorité,
consiste à opérer une complète extraction de l’animal du droit des
biens, faisant ainsi ressortir sa véritable nature d’être sensible [...].
Cette réforme consisterait à créer une catégorie animale, par
l’adjonction d’un titre [...] intitulé « des animaux ».
La seconde [...] consisterait à laisser l’animal dans les biens, mais
en créant une nouvelle catégorie de biens, réservés aux seuls animaux, et qui leur donnerait un régime particulier.38
37. Loi no 99-5 du 6 janvier 1999.
38. Suzanne ANTOINE, Le Droit de l’animal, 1re éd., Paris, Légis-France, 2007, p. 63.
596
Revue du Barreau/Tome 72/2013
S’en est suivie une série de « rencontres animal et société »
sous l’égide de l’Association Capitant39 et plusieurs propositions
de loi déposées par deux membres du Sénat : la proposition présentée le 27 septembre 200740 vise l’intégration au Code civil du
caractère sensible de l’animal. Celle présentée le 7 juin 201141
prend à son compte la plus importante des suggestions du Rapport
Antoine : il demande l’extraction pure et simple de l’animal de la
catégorie des biens. Enfin, la proposition présentée le 24 juin
201142 demande que soit reconnu un statut juridique d’être vivant
et sensible à tout animal vivant à l’état sauvage.
Aucune de ces propositions audacieuses n’a à ce jour porté
fruit. Mais il est fort à parier qu’avec une telle pression, la véritable nature de l’animal finira par s’imposer en France. Que les
autorités le veuillent ou non, la tradition civiliste ne pourra encore
longtemps se dérober aux évidences de la science et de la modernité, et la réponse qui sera alors donnée comportera inévitablement un choix sur des enjeux bien supérieurs que les seules
spécialités scientifiques.
B. L’absence d’un dialogue sérieux au Québec
Mais faire valoir de manière plausible la sensibilité de l’animal au sein de la communauté juridique nécessite d’engager un
dialogue sérieux avec les instances concernées. Or, au Québec,
pour dire les choses crûment, les autorités sont fermées à ce qu’est
l’animal par sa nature. Parler dans ce contexte d’un dialogue de
sourds serait déjà une avancée, parce qu’alors il y aurait discussions. Mais malheureusement le problème au Québec est plus profond, puisqu’il y a absence totale d’un dialogue social autonome
sur la reconnaissance de la nature sensible de l’animal.
La réforme du Code civil du Bas-Canada qui a abouti en 1994
à l’adoption du Code civil du Québec, aurait-elle pu représenter un
terreau fertile pour ce type de réflexion ? Une réponse négative
semble devoir s’imposer. Le processus qui s’est étendu sur plus de
deux décennies, n’avait pas au départ de réels objectifs ambi39. Le groupe de travail a déposé un projet de réforme ambitieux du régime juridique
de l’animal. Voir Suzanne ANTOINE, « Le projet de réforme du droit des biens –
Vers un nouveau régime juridique de l’animal ?, (2009) 1 RSDA 10.
40. Proposition no 229 présentée par Muriel Marland-Militello.
41. Proposition no 575 présentée par Roland Povinelli.
42. Proposition no 670 présentée par Roland Povinelli.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
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tieux ; il était simplement question d’éliminer les imperfections
du Code civil du Bas-Canada et de proposer quelques modifications de fond. Or même si la démarche s’est enrichie de nouveaux
défis au fil du temps, elle n’a pas marqué de rupture avec le passé
en de nombreuses matières. Les institutions du droit des biens
sont ainsi restées bien en place, sans grandes nouveautés.
Cela procédait d’une volonté de placer la personne humaine, avec
ses droits et ses devoirs, à la place d’honneur qui lui revient, en faisant d’elle la pierre d’angle de l’ensemble des relations juridiques
de droit privé.43
CONCLUSION
Le Québec ne fait pas bonne figure en matière de protection
des animaux. Dans son rapport publié en juin 2012, Animal Legal
Defense Fund (ALDF) analyse pour une cinquième année consécutive les lois qui régissent la protection des animaux dans chaque
province et territoire du Canada. Au cœur des conclusions de cet
organisme américain – dont la mission, depuis près de 25 ans, est
de promouvoir les intérêts des animaux à l’intérieur du système
juridique –, le Québec est dépeint comme un endroit idéal pour les
personnes qui maltraitent les animaux. De toutes les provinces et
territoires confondus, seul le Nunavut affiche un bilan moins
enviable que le nôtre. Avouons-le humblement, il n’y a pas là de
quoi se réjouir.
Mais alors que ALDF conclut à une amélioration marquée
des lois de plusieurs provinces et territoires canadiens – l’Ontario,
le Manitoba et le Nouveau-Brunswick étant des espaces juridiques dorénavant jugés sécuritaires pour les animaux –, le bilan du
Québec s’alourdit. Entre 2008 et 2012, la protection des animaux
s’est chez nous détériorée, la province étant passée du dixième au
douzième rang... sur une possibilité de 13.
Que reproche-t-on au juste aux lois du Québec ? Les améliorations souhaitées sont ici trop nombreuses pour être toutes
citées. Disons seulement que le refus du gouvernement canadien
d’exclure les crimes contre les animaux de la section relative aux
infractions contre les biens de même que la faiblesse des pénalités
43. Paul-André CRÉPEAU, « Une certaine conception de la recodification », dans
Serge LORTIE, Nicholas KASIRER et Jean-Guy BELLEY (dir.), Du Code civil du
Québec – Contribution à l’histoire immédiate d’une recodification réussie, Montréal, Éditions Thémis, 2005, p. 61.
598
Revue du Barreau/Tome 72/2013
encourues en cas d’infraction, sont au nombre des critiques soulevées par l’organisme.
Paradoxalement, pour plusieurs, le Canada est un État civilisé et progressif. Or aujourd’hui, ceux qui ont la meilleure opinion
du Canada sont... les Canadiens eux-mêmes44. Pourtant, le pays a
un bilan lamentable en matière de protection des animaux. La loi
pénale est le fruit d’une codification britannique, que les Anglais
ont répudiée par la suite. Les gouvernements successifs, en dépit
des efforts considérables de la défunte Commission de réforme du
droit, se sont obstinément refusés à refondre cette codification.
Alors que des États comme la France se sont dotés d’une législation plus efficace pour protéger les animaux – en reconnaissant
expressément leur nature d’être sensible – le Canada demeure
encore aujourd’hui à l’époque victorienne avec une législation criminelle instaurée en 1892. Particulièrement en ce qui a trait aux
infractions contre les droits de propriété, la structure est très fortement différenciée, notamment au regard de la nature des biens
qui en font l’objet.
La révision des dispositions criminelles relatives aux animaux est un des plus grands « flops » qu’a connus le Canada au
cours des dernières années sur le plan juridique. Pourquoi la
majorité des projets de loi déposés par les parlementaires depuis
1999 sont morts au feuilleton ou en première lecture ? Pourquoi
les élus qui composent le Parlement canadien ont-ils ultimement
accepté les normes moins exigeantes proposées par le Sénat, institution pourtant composée de membres non élus ? Bien que largement reconnue par la communauté scientifique, comment la
souffrance animale a-t-elle pu générer un tel débat au Canada ?
Sans grande fierté, nous pouvons avancer que ce résultat est
vraisemblablement le fruit d’un déficit démocratique. Les sénateurs, nommés par le gouvernement fédéral souvent à titre de
récompense politique, ne peuvent prétendre parler au nom de la
population. Quant à l’affaiblissement de la chambre des élus, on
ne sait s’il s’agit de passivité ou de totale indifférence à l’égard de
la véritable nature de l’animal. Mais quelle que soit la réponse, il
s’agit là assurément d’une déconnexion entre les mécanismes
institutionnels et les attentes de l’opinion publique. De toute
44. Sondage d’opinion mené par Ipsos-Institut Historica Dominion et diffusé dans le
quotidien La Presse en juin 2010.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
599
évidence, sur ce projet de modernisation du Code criminel, l’assemblée législative a cessé d’être le centre d’impulsion de la vie
politique.
Quant aux instances politiques provinciales, elles font la
sourde oreille aux revendications pour un statut approprié de
l’animal. En cette matière, l’inertie du Québec n’est rien d’autre
qu’une faiblesse de volonté. Mais il ne s’agit pas là d’une incapacité réelle de passer à l’acte, mais bien d’une incapacité de générer
des options. Au cours des dernières années, la population québécoise a eu droit à des discours politiques pleins de promesses
quant à la sensibilisation des élus sur la dure réalité de la vie
animale, particulièrement pour les animaux de compagnie. Or,
comme le disait Gustave le Bon, « les volontés précaires se traduisent par des discours, les volontés fortes par des actes »45. Il est
grand temps que le gouvernement du Québec emboîte le pas de la
France et passe de la parole aux actes...
45. Gustave LE BON, Hier et demain. Pensées brèves, Paris, Flammarion, 1918 (édition électronique), p. 76.
600
Revue du Barreau/Tome 72/2013
CHRONIQUE
DROIT MUNICIPAL
Myriam ASSELIN et Gabriel CHASSÉ, M.ATDR*
L’affaire Terrebonne (Ville de) c. Bibeau :
L’absence de permis fait-elle obstacle à l’existence
de droits acquis ? La Cour d’appel fait le point
sur un débat vieux de plus de 30 ans
L’auteur Jacques L’Heureux
enseignait, concernant les fondements de la théorie des droits
acquis, ce qui suit :
Un règlement ne peut [...], sauf
disposition contraire de la loi, toucher une situation juridique déjà
existante au moment de son
entrée en vigueur, le bénéficiaire
d’une telle situation étant considéré avoir un droit acquis à
celle-ci. En conséquence, un règlement ayant pour objet d’adopter
ou de modifier un règlement
d’urbanisme ne s’applique pas à
une construction, à une utilisation
ou à un lotissement déjà existant
au moment de son entrée en
vigueur, sauf disposition contraire de la loi.1
La Cour d’appel a précisé plus
tard, en 1992, les principales
conditions d’existence de droits
acquis dans l’affaire Huot c.
L’Ange-Gardien (Municipalité
de)2. La première de ces conditions, laquelle constitue le cœur
même de la théorie des droits
acquis, est formulée comme suit :
Les droits acquis n’existent que
lorsque l’usage dérogatoire antérieur à l’entrée en vigueur des dispositions prohibant un tel usage
était légal.3
Ainsi, pour bénéficier de droits
acquis, une construction ou un
usage doit, de façon générale, avoir
été conforme à la réglementation
en vigueur au moment de son
implantation ou du début de son
exercice (ou à tout autre moment
par la suite en raison d’une modification à la réglementation). Autre-
*
Les auteurs sont avocats en droit municipal au sein du cabinet Tremblay Bois
Mignault Lemay de Québec. Ils remercient Me André Lemay et Me Caroline Pelchat
pour avoir accepté de lire et commenter la version antérieure de cette chronique.
Les auteurs remercient également madame Valérie Royer, technicienne juridique,
pour son aide précieuse à toutes les étapes de la réalisation de ce texte.
1. Jacques L’HEUREUX, Droit municipal québécois, tome II, Montréal, Wilson &
Lafleur, 1984, p. 684 et s.
2. EYB 1992-64028 (C.A.), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée,
no 23213, 4 mars 1993.
3. Ibid., par. 27.
Revue du Barreau/Tome 73/2013
601
ment, les droits acquis ne peuvent
tout simplement pas avoir pris
naissance.
Or, cette première condition,
simple en apparence, a donné lieu
à une controverse où deux écoles de
pensée ont longtemps divisé les
juristes : L’obtention d’un permis
de la municipalité est-elle nécessaire à l’existence de droits acquis ?
Évidemment, le fait que la réglementation exigeait l’obtention
d’un tel permis, au moment du
début de l’exercice de l’usage ou de
l’implantation de la construction,
sous-tend cette question.
La Cour d’appel, dans l’affaire
Terrebonne (Ville de) c. Bibeau4,
s’est récemment penchée sur cette
question et semble avoir tranché le
débat.
Avant d’y revenir, révisons les
arguments qui faisaient l’objet des
deux thèses qui s’opposaient.
1. La thèse selon laquelle
l’absence de permis
constitue un motif de
refus de reconnaître
des droits acquis
Selon les tenants de cette
thèse, la légalité d’un usage ou
d’une construction est intimement
liée à la délivrance d’un permis par
la municipalité, un usage ou une
construction illégale ne pouvant
servir d’assise à des droits acquis.
L’auteur L’Heureux était l’un
de ceux qui se disaient d’avis
qu’une construction ou un usage
faits sans permis, alors qu’un tel
permis était requis, sont illégaux
et ne peuvent donc créer de droits
acquis :
1348 – Permis ou certificat : –
Lorsqu’un permis ou certificat
était requis, il doit avoir été
obtenu avant l’interdiction. Une
construction, une utilisation ou un
lotissement fait sans permis ou
certificat, lorsqu’un permis ou certificat est requis, est, en effet, illégal et ne peut donc créer un droit
acquis. Il ne peut créer aucun droit
acquis, même s’il y a eu tolérance
des autorités municipales.
[...]
Les droits acquis ne peuvent exister que si la situation sur laquelle
ils sont fondés est légale, c’est-àdire, dans notre cas, si la construction ou l’utilisation est légale. Or,
il est certain qu’une construction
ou une utilisation faite sans permis, lorsqu’un permis est requis,
n’est pas une construction ou une
utilisation légale. En conséquence, à notre avis, une telle
construction ou une telle utilisation ne peut créer un droit acquis,
même si elle est, pour le reste,
conforme à la réglementation
d’urbanisme.5
Ce même auteur, répliquant
à un argument des tenants de
l’opinion contraire à l’effet qu’« exiger la démolition d’un édifice
conforme à la réglementation ou en
4. EYB 2013-220322 (C.A.).
5. Jacques L’HEUREUX, Droit municipal québécois, tome I, Montréal, Wilson &
Lafleur, 1981, p. 690 et s.
602
Revue du Barreau/Tome 72/2013
empêcher l’usage légal pour le
seul motif du défaut d’obtenir le
permis requis serait hors de proportion avec l’infraction »6, exposait ce qui suit :
[...] Ce motif n’est pas convaincant. L’absence de droits acquis
n’est pas, en effet, une sanction à
la réglementation d’urbanisme.
Les droits acquis existent par
eux-mêmes, indépendamment de
la notion de sanction. Ils existent
d’ailleurs, dans tous les domaines
du droit, et non pas seulement en
droit de l’urbanisme. Les règles
les régissant ne peuvent donc
dépendre de la sévérité des sanctions à la réglementation d’urbanisme. [...]7
En 1991, dans l’affaire
Bourque c. Prévost (Municipalité
de)8, la Cour d’appel considère
qu’invoquer une action illégale
(telle que la construction d’un bâtiment sans permis même si cette
construction est antérieure à une
réglementation la prohibant) ne
peut servir à faire une preuve de
droits acquis puisque cela équivaudrait à invoquer sa propre turpitude9.
Dans cette affaire, l’appelant
Bourque avait débuté, mais sans
obtenir un permis de la municipalité, la construction d’une rallonge
à sa résidence et ce, quelques mois
avant l’entrée en vigueur de la
réglementation rendant dérogatoi-
res les travaux entrepris. Celui-ci
invoquait alors des droits acquis
fondés sur la réglementation précédente, applicable au moment du
début de ses travaux. La Cour
d’appel a toutefois refusé d’appliquer la réglementation antérieure,
plus permissive, et a nié l’existence
de droits acquis parce que l’appelant Bourque avait agi sans permis.
En 1998, dans l’affaire ValBélair (Ville de) c. Entreprises Raymond Denis inc.10, la Cour d’appel,
faisant siens les propos de l’auteur
L’Heureux, conclut à l’absence de
droits acquis à l’exploitation d’une
carrière en raison du défaut
d’Entreprises Raymond Denis inc.
d’avoir obtenu, en temps utile, un
certificat d’autorisation du ministère de l’Environnement, puisqu’« un usage illégal ne peut fonder
de droits acquis »11.
Il faut toutefois préciser, concernant cette affaire, que la Loi sur
la qualité de l’environnement, en
vertu de laquelle le certificat d’autorisation était requis, constitue
une loi d’ordre public. Or, la Cour
d’appel précise ce qui suit :
En effet, il serait pour le moins
inacceptable qu’une occupation ou
un usage du territoire fait en violation d’une loi d’ordre public
constitue une situation juridique
suffisante à l’acquisition d’autres
6.
Lorne GIROUX, Aspects juridiques du règlement de zonage au Québec, Québec,
Les Presses de l’Université Laval, 1979, p. 408.
7. J. L’HEUREUX, op. cit., note 5, p. 691.
8. EYB 1991-58464 (C.A.).
9. Ibid., par. 11.
10. REJB 1998-06596 (C.A.), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême
rejetée, no 26756, 18 février 1999.
11. Ibid., par. 18.
Revue du Barreau/Tome 73/2013
603
droits à l’encontre d’une loi ou d’un
règlement visant un autre aspect
de l’organisation du territoire.12
On peut se demander si la conclusion de la Cour d’appel aurait
été différente s’il avait été question
d’un permis obligatoire en vertu de
la réglementation municipale,
mais il est légitime de croire que
non, considérant que la Cour
endosse totalement les propos de
l’auteur L’Heureux.
Enfin, bien que cette thèse ait
perdu des adeptes au fil des ans,
nous avons répertorié une décision
de la Cour municipale de la MRC
de Montcalm démontrant qu’elle
était toujours suivie en 200513.
La juge Marguerite-M. Brochu y
affirme d’ailleurs que les décisions
reconnaissant la possibilité d’invoquer des droits acquis en l’absence
de permis obligatoire restent
l’exception. Elle ajoute :
[29] Toutefois, et c’est la thèse
généralement admise, si le permis
vise à connaître et mieux contrôler
l’usage du sol, comme c’est le cas
en l’espèce, en prévenant
l’utilisation anarchique du territoire et protégeant ainsi l’intérêt
collectif, tel permis d’exploitation
est intimement lié à la légalité de
l’usage. L’absence d’un tel permis
vicie la légalité de l’usage dérogatoire et empêche la formation de
droits acquis. [...]14
12.
13.
14.
15.
16.
604
2. La thèse selon laquelle
l’absence de permis ne
constitue pas un motif de
refus de reconnaître des
droits acquis
En 1979, l’auteur Lorne
Giroux15, maintenant juge à la
Cour d’appel, conclut que dans le
contexte d’une requête en démolition ou en cessation d’un usage
dérogatoire, il serait « hors de
proportion » d’exiger la démolition
d’une construction ou d’en empêcher l’usage pour la seule raison
que le permis requis n’avait pas été
obtenu préalablement :
Exiger la démolition d’un édifice
conforme à la réglementation ou
en empêcher l’usage légal pour le
seul motif du défaut d’obtenir le
permis requis serait hors de proportion avec l’infraction ainsi que
l’a décidé la Cour d’appel de
l’Ontario. Dans ce cas, la seule
pénalité possible serait une poursuite pénale et l’imposition de
l’amende.
En 1994, le même auteur16
reconsidère la problématique et
conclut qu’un usage conforme à la
réglementation municipale, mais
exercé sans permis ne devrait pas
automatiquement faire échec à la
reconnaissance de droits acquis,
l e s ci r c o n s ta n c e s e n to u r a n t
chaque affaire étant primordiales.
Selon lui, l’écoulement du temps,
Ibid., par. 21.
Saint-Roch-de-l’Achigan (Paroisse de) c. Dubé, 2005 CanLII 58937 (QC C.M.).
Ibid., par. 29.
L. GIROUX, op. cit., note 6, p. 408.
Lorne GIROUX, « Questions controversées en matière de droits acquis », dans Service de formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit
municipal, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1994, p. 167-171.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
la protection du tiers de bonne foi
et l’évolution de la norme réglementaire en cause constituent des
facteurs qui devraient être pris
en compte par les tribunaux saisis
d’une question de cette nature :
L’exigence du permis, primordiale
pour la surveillance et l’application du règlement, n’en reste pas
moins subordonnée à la conformité de l’opération avec les normes réglementaires. Sous le
régime réglementaire d e l a
L.A.U., contrairement aux régimes plus discrétionnaires de la
Loi sur la protection du territoire
agricole et de la Loi sur la qualité
de l’environnement, le permis ou
le certificat confirme la légalité
de l’opération envisagée, il ne
l’assure pas.17
[...]
Plus on s’éloigne de l’époque à
laquelle l’usage était conforme,
plus il peut être difficile de prouver l’obtention d’un permis avant
l’entrée en vigueur du règlement
restrictif. Dans un tel cas, la corporation municipale n’a souvent
qu’à alléguer que l’utilisation a
commencé sans permis pour qu’il
soit pratiquement impossible à
celui qui défend une prétention à
des droits acquis de faire la preuve
de son obtention.
Dès 1993, une des tangentes
des tribunaux était donc de considérer le permis comme une forma-
lité n’ayant pas d’impact sur le
« fond du droit » :
Pour décider de droits acquis, il
faut regarder le fond du droit. Le
permis, élément formel, crée une
présomption que le droit acquis
existe. Inversement, l’absence de
permis n’est pas irrémédiable.18
D’ailleurs, précisons que
« l’émission d’un permis par la
municipalité n’est pas discrétionnaire. Elle est obligée de l’émettre,
même postérieurement, à la condition que le tout soit conforme à la
réglementation en vigueur »19.
C’est en 2002, dans l’arrêt
Frelighsburg (Municipalité de) c.
Entreprises Sibeca inc.20, que la
Cour d’appel a statué qu’il est possible d’invoquer des droits acquis
lorsque la réglementation municipale est modifiée si l’on est « en
présence d’un permis conforme ou
d’une construction déjà débutée ou
d’un usage réellement exercé ». On
peut donc inférer de cet éventail
de scénarios pouvant donner naissance à des droits acquis, que
l’exercice d’un usage dérogatoire,
qui respecterait les normes contenues à la réglementation d’urbanisme à l’époque où il a débuté, suffirait pour faire naître des droits
acquis.
Par la suite, en 2006, dans
l’affaire Sainte-Barbe (Municipa-
17. Voir également au même effet : Saint-Liguori (Municipalité de la Paroisse de) c.
Centre de recyclage Montcalm (C.R.M.) inc., EYB 2012-205324 (C.S.), par.74 ;
St-Émile (Municipalité de) c. Fortier, C.S. Québec, no 200-05-002146-913, 8 juin
1993, j. Édouard Martin, p. 28.
18. St-Émile (Municipalité de) c. Fortier, précitée, note 17.
19. Saindon c. Ange-Gardien (Municipalité), REJB 1997-09528 (C.S.).
20. REJB 2002-35880 (C.A.), appel à la Cour suprême rejeté, no 29600, 1er octobre
2004, REJB 2004-70874 (C.S.C.).
Revue du Barreau/Tome 73/2013
605
lité de la Paroisse de) c. Henry21, la
Cour d’appel a décidé que l’absence
de permis n’empêchait pas l’intimé
de bénéficier de droits acquis à
l’implantation d’une roulotte sur
son terrain. Il convient cependant
de préciser que cette décision était
basée sur une trame factuelle particulière puisque l’intimé avait
d e ma n d é , a p r è s l ’ e n tr é e e n
vigueur du règlement qui l’exigeait, un permis et on lui avait
refusé sous prétexte que le permis
n’était pas requis « vu ses droits
acquis ». De plus, il y avait une
preuve nébuleuse selon laquelle
l’intimé aurait obtenu un permis
sept ans plus tard.
Plus récemment, en 2010,
dans l’affaire Lessard c. Boissonneault 22 , la Cour d’appel s’est
rangée à nouveau du côté de cette
thèse. Néanmoins, la preuve présentée mettait encore une fois en
relief des faits singuliers, d’où la
subsistance de la controverse jurisprudentielle à cet égard.
Dans cette cause, les parties
étaient voisines et l’appelant cherchait à faire démolir le quai que
son voisin avait installé, sans permis. Or, il a été établi que l’exigence réglementaire d’obtenir un
permis préalablement à la construction d’un quai avait été
retranchée de la réglementation
municipale en 1990, soit postérieurement à la construction du quai
par l’intimé. Au surcroît, tous les
autres résidents du lac n’avaient
pas non plus obtenu de permis
avant de construire leur quai.
Enfin, à l’époque du jugement, la
Municipalité ne cherchait pas à
appliquer son nouveau règlement
de zonage « en raison de l’ancienneté des constructions existantes
et de l’impossibilité de déterminer
dans les faits qui a un droit acquis
et qui n’en a pas ».
3. La décision Terrebonne
(Ville de) c. Bibeau23
Le 8 avril 2013, la Cour
d’appel, sous la plume de l’honorable Dominique Bélanger, a
rendu un jugement qui semble
mettre fin à cette controverse qui
perdurait depuis plusieurs années.
Dans cette affaire, la Ville
porte en appel un jugement de la
Cour supérieure qui avait accueilli
en partie sa requête en cessation
d’un usage dérogatoire en vertu de
l’article 227 L.A.U. On reprochait
entre autres à M. Bibeau et à
M me St-Hilaire de garder des
chevaux et des oies sur leur terrain
qui était maintenant situé en zone
résidentielle. Cependant, au
moment où ils ont débuté cet
usage, leur terrain était situé en
zone agricole et l’usage était autor i s é p a r l a ré gl e m e n t a t i o n
d’urbanisme alors en vigueur.
Cette réglementation prévoyait
par ailleurs qu’un permis d’occupation devait être émis préalablement à l’exercice de tout nouvel
usage.
Le juge de première instance
avait reconnu des droits acquis
aux intimés, sauf pour la garde des
21. EYB 2006-101386 (C.A.).
22. EYB 2010-175285 (C.A.).
23. Précitée, note 4.
606
Revue du Barreau/Tome 72/2013
oies blanches puisqu’il avait été
mis en preuve qu’elles n’étaient
pas présentes sur le terrain avant
l’entrée en vigueur du Règlement
de zonage l’interdisant. Néanmoins, la Ville a porté le jugement
en appel en prétendant que la Cour
n’aurait pas dû reconnaître des
droits acquis aux intimés puisqu’ils avaient exercé leur usage
sans permis d’occupation.
La Cour d’appel a conclu que le
défaut, pour les propriétaires,
d’avoir obtenu les autorisations
préalables de la Ville ne faisait pas
échec à la reconnaissance de droits
acquis au maintien d’un usage
dérogatoire, soutenant que la
jurisprudence de la Cour d’appel
est, depuis 2002, à l’effet que :
[26] [...] le défaut d’obtenir un permis d’occupation requis par un
règlement municipal n’empêchera
pas nécessairement la reconnaissance de droits acquis lorsque
l’implantation de la construction
ou de l’usage est conforme à la
réglementation au moment de son
introduction.
CONCLUSION
Comme on peut le constater, il
semble être maintenant établi que
l’absence de permis ne fait pas
échec à la naissance de droits
acquis, à condition que l’usage ou
la construction dérogatoire était
conforme à la réglementation au
moment où il a été implanté (ou à
tout autre moment par la suite en
raison d’une modification réglementaire).
Certes, l’obtention d’un permis crée une présomption de droits
acquis (ou de la conformité à la
réglementation alors en vigueur)
en faveur du propriétaire de l’immeuble qui cherche à les faire
reconnaître. Cependant, a contrario, le défaut de l’avoir obtenu n’est
pas fatal. Suite à la décision
récente de la Cour d’appel, dans
l’affaire Terrebonne (Ville de) c.
Bibeau24, nous sommes d’avis que
l’absence de permis n’affecte pas la
légalité de l’usage ou de la construction dérogatoire aux fins de la
reconnaissance de droits acquis25.
Néanmoins, lorsqu’un usage
ou une construction non-conforme
à la réglementation municipale
est constaté et qu’il y a des motifs
de croire que le début de l’exercice
de l’usage ou l’implantation de la
construction est survenue il y a
longtemps, l’existence ou non de
droits acquis doit être étudiée suivant les conditions suivantes établies par la Cour d’appel dans
l’affaire Huot26 :
a) Les droits acquis n’existent que
lorsque l’usage dérogatoire [ou la
construction] antérieur à l’entrée
en vigueur des dispositions prohibant un tel usage était légal.
b) L’usage existait en réalité puisque la seule intention du propriétaire ou de l’usager ne suffit pas.
c) Le même usage existe toujours
ayant été continué sans interrup-
24. Précitée, note 4.
25. Une décision de la Cour supérieure, faisant référence à l’affaire Bibeau, reprend
d’ailleurs ce principe : Pontiac (Municipalité de) c. Walsh, EYB 2013-220912
(C.S.), par. 93.
26. Précitée, note 2, par. 27.
Revue du Barreau/Tome 73/2013
607
tion significative [selon le contenu
du Règlement de zonage portant
sur les constructions et usages
dérogatoires protégés par droits
acquis].
d) Les droits acquis avantagent
l’immeuble qui en tire profit. De
tels droits ne sont pas personnels
mais cessibles, suivant l’immeuble dont ils sont l’accessoire.
e) Ils ne peuvent être modifiés
quant à leur nature et parfois
quant à leur étendue bien que les
activités dérogatoires peuvent
être intensifiées en certains cas
[selon le contenu du Règlement de
zonage portant sur les constructions et usages dérogatoires protégés par droits acquis].
f) La seule qualité de propriétaire
ne suffit pas quant aux droits
acquis.
Dorénavant, dans le cadre de
cette analyse, il n’y aura plus lieu
de tenir compte du défaut d’obtention d’un permis par le propriétaire actuel (ou ses auteurs), en
raison du récent jugement de la
Cour d’appel dans l’affaire Bibeau.
L’article 227 L.A.U. ne permettant pas à la Cour supérieure
d’ordonner la cessation d’une utilisation du sol ou d’une construction
faite sans permis (et qui serait par
ailleurs conforme à la réglementation), l’absence d’une autorisation
municipale requise en vertu de la
réglementation ne pourra donc,
pour l’avenir, être sanctionnée que
dans le cadre d’une poursuite
pénale par la condamnation du
contrevenant au paiement d’une
amende.
(Les mots entre crochets (« [ ] »)
sont ceux des auteurs)
608
Revue du Barreau/Tome 72/2013
LISTE DES MÉMOIRES DE MAÎTRISE
ET THÈSES DE DOCTORAT ACCEPTÉS
EN 2012-2013
UNIVERSITÉ LAVAL
(janvier à décembre 2012)
Doctorat en droit
BARIL, Jean, Droit d’accès à l’information environnementale :
pierre d’assise du développement durable.
BHOURI, Houda, Les intégrations économiques régionales à l’ère
de l’OMC. L’évolution de l’article XXIV.
HOUDE, Marie, Les logiques de la rationalité judiciaire dans
l’appréciation du témoignage. Le cas de la preuve par récits
oraux dans le contentieux relatif aux droits des peuples autochtones.
NKOUNKOU, Euloge Anicet, La stabilisation des investissements pétroliers et miniers transnationaux : des contrats aux
traités.
SAMSON, Mélanie, Les interactions de la Charte des droits et
libertés de la personne avec le Code civil du Québec : une harmonie à concrétiser.
VERVILLE, Sophie, Le respect de la propriété intellectuelle
d’autrui dans la vente internationale de marchandises : Une
approche de la convention de Vienne coordonnée avec le droit de
la propriété intellectuelle.
VÉZINA, Édith, L’évolution des systèmes de paiement : vers un
système de paiement international d’importance systémique
opérant en milieu ouvert.
Maîtrise en droit avec mémoire
CARON, Christina, Le principe constitutionnel de l’honneur de la
couronne en droit autochtone canadien.
DESMARAIS, Miriam, Le droit applicable aux chemins forestiers
du Québec dans une perspective de protection de la biodiversité.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
609
HATTON, Anne-Catherine, Le respect des normes éthiques
nationales dans le commerce transfrontière des inventions biotechnologiques : regards croisés sur l’interprétation des notions
de moralité publique dans le GATT et de bonnes mœurs dans la
convention sur le brevet européen.
PELLETIER, Simon, Étude comparative de la raisonnabilité en
droit constitutionnel et administratif canadien.
PLOUFFE-MALETTE, Kristine, La prise en compte normative
de la victime dans les instruments internationaux de lutte
contre la traite des êtres humains.
POPOVICI, Alexandra, Le patrimoine d’affectation, Nature, culture, rupture.
POULIOT, Jean-Benoît, L’évaluation qualitative des offres. Vers
une meilleure gestion des deniers publics ?
RIVET-SABOURIN, Joëlle, Le droit de communication de
l’employeur dans les rapports collectifs du travail.
SÉNÉCAL, Cimon, L’incorporation des objectifs de dissuasion et
de dénonciation en droit pénal canadien pour adolescents : compatibilité et constitutionnalité.
TURCOTTE, Marc-André, Comment faire indirectement ce qu’on
ne peut faire directement. Le pouvoir fédéral de dépenser à
l’épreuve du fédéralisme canadien.
UMUTESI, Viviane, Les juridictions GACACA au Rwanda et les
garanties du procès équitable.
Maîtrise en droit avec essai
BÉDARD-ARCAND, Audrey, L’appréciation du préjudice en droit
international de l’investissement.
BEN SEGHAIER, Rabeh, La force du concept de la « responsabilité de protéger » à l’épreuve de la crise libyenne.
DESALLIERS, Marc, Incidence de la participation des victimes à
la Cour pénale internationale sur le droit de l’accusé à un procès
équitable : vers une rupture de l’équilibre des forces ?
DESJARDINS, Alexandre, Le gaz de schiste : nouvelle filière
énergétique et nouvelles avancées dans le droit minier et dans
l’évaluation environnementale au Québec.
610
Revue du Barreau/Tome 72/2013
DEVOST, Mélissa, Le patrimoine commun de la nation québécoise au service de l’indemnisation du préjudice environnemental.
GILLES, Alix, Réflexions sur la prise en compte de l’équité intergénérationnelle dans le droit international de l’environnement.
GUEDEZ, Sofia, Le principe de complémentarité de droit international pénal en pratique : le cas de la Colombie.
GUÈYE, Oumou, La protection contre les taux d’intérêt prohibés.
Taux usuraires et taux lésionnaires.
HUBERT TA, Lynda, La mise en œuvre de la Convention sur la
diversité biologique dans les stratégies nationales.
KABORE, Vanessa, La plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques ou l’une des pièces du puzzle manquante à la communauté
internationale pour lutter plus efficacement contre l’érosion de
la vie sur terre !
MAILLOUX, Bernard, La discrimination en emploi fondée sur les
antécédents judiciaires.
NGUYEN, Minh-Xuan, L’intérêt général dans le contentieux de
l’expropriation indirecte des investissements étrangers. Un
regard sur les mesures environnementales.
PILARSKI, Cécile, La doctrine du public trust en droit international. Étude critique.
SAUVEUR, Paula, La protection de secret commerce dans les
nuages publics de l’infonuagique (cloud computing).
VIANIN, Anne, Le régime du climat en transition. Tenir compte
de l’émergence d’un monde tripolaire dans la catégorisation des
États.
WOITRIN, Pierre, L’encadrement de la navigation dans les eaux
recouvertes de glaces.
UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE
Maîtrise en droit et politiques de la santé
CLAVEAU, Martine, L’inertie médicale aux grossesses multiples
iatrogènes : une perspective légale.
COURNOYER, Isabelle, L’article 16 et ses conséquences en psychiatrie.
Revue du Barreau/Tome 72/2013
611
DE RAVINEL, Anne, Le traitement des renseignements provenant des tiers ou concernant des tiers et contenus dans les dossiers d’usagers.
FERRÉ DESLONGCHAMPS, Luan Kim, L’infirmière praticienne spécialisée et la responsabilité civile.
GAULIN, Éliane-Marie, La télé-médecine : enjeux juridiques et
éthiques.
GREF, Pauline, L’indemnisation des victimes de la vaccination :
peut-on faire mieux ? Regard sur les effets indésirables de la
vaccination et sur l’indemnisation des victimes au Québec.
PICHÉ, Geneviève, Le choix du forum en matière de garde en établissement eu égard à l’accès à la justice et aux critères de droit
administratif.
PINSONNEAULT, Brigitte, L’implantation d’une culture de
sécurité organisationnelle : un rôle significatif dans la réduction des événements indésirables liés aux médicaments ?
VERONNEAU, Louise, Avoir un médecin de famille ou avoir un
droit ? Faites votre choix !
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL
Doctorat (LL.D.)
ARABAGHIAN, Anouche, L’identité européenne : un développement progressif par la citoyenneté et la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.
BEN ADIBA, Aurore, Les sûretés mobilières sur les biens incorporels. Propositions pour une rénovation du système des sûretés
mobilières en France et au Québec.
BERGERON, Philippe, Les licenciements collectifs au Québec :
portée et efficacité de la règle de droit.
BIRON, Julie, L’activisme actionnarial : une perspective canadienne.
GRATTON, Éloïse, Redefining personal information in the
context of the internet.
KARAZIVAN, Noura, Of law and land and the scope of charter
rights.
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Revue du Barreau/Tome 72/2013
VEGA CARDENAS, Yenny, La construction sociale du statut juridique de l’eau : le cas du Québec et du Mexique.
Maîtrise (LL.M.)
ABDELKAMEL, Abdelmadjid, Facebook et les dispositifs de traçabilité vus sous l’angle du droit canadien.
BARRAULT, Mario, L’évolution de la réponse normative de l’OIT
en situation de crise économique et financière.
BÉLANGER, Marie-Hélène, La notion de contrainte excessive :
seule limite à l’obligation d’accommodement.
BÉLANGER-SIMARD, Émilie, Doit-on légaliser la publicité
directe des médicaments d’ordonnance ?
BEN FREDJ, Esther, Les affrontements idéologiques nationalistes et stratégiques au Proche-Orient vus à travers le prisme de
la Société des nations et de l’Organisation des Nations Unies.
BERNARDIN, Steve, Brevets : rédaction et interprétation des
revendications, validité et contrefaçon.
BLONDIN STEWART, Daniel, La fonction de l’intervention des
tiers en droit judiciaire privé québécois.
BOINOT, Camille, Un nouvel acteur dans la résolution des conflits : le procureur de la Cour pénale internationale.
CHIASSON, Frédérique, L’homologation des ententes issues de
processus de règlement amiable des litiges dans certains tribunaux administratifs du Québec.
DE SAINT-EXUPÉRY, Gilles, Le document technologique et la
notion d’original : de ses fondements théoriques à son application pratique.
DEHAIBI, Laura, L’évolution de la protection de la liberté
d’association des travailleurs agricoles salariés en droit international et en droit canadien.
FORTIER, Carole, Le tiers dans le contentieux arbitral des investissements internationaux : de l’intervention au recours direct.
GHOZLAN, Stéphanie, La désignation de la loi applicable en
matière de successions internationales : la professio juris en
droit international privé québécois et comparé.
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HEDARALY, Saleha, The influence of ICC arbitral decisions on
Canadian law. Comparative study between civil law and common law jurisdictions.
KALAYDZHIEVA, Varka, Right to asylum and border control:
implications of european union policies on access to EU territory of people in need of international protection.
KOROTKINA, Maïa, La reconnaissance des qualifications professionnelles comme condition à l’immigration au Québec ? Cadre
juridique et enjeux politiques d’une réforme de procédure en
amont.
LEBLANC, Évelyne, Les risques découlant de la diffusion sur les
plateformes néomédiatiques du point de vue des producteurs
audiovisuels.
LEBRUN, Christine, Le devoir de coopération durant l’exécution
du contrat.
LÉGER-RIOPEL, Nicholas, Le contrôle de l’activité du médecin
en centre hospitalier.
LEMAY, Jacques, Convergences et divergences dans les conceptions de la morale de Ronald Dworkin et Alasdair MacIntyre.
L’ESPÉRANCE, Anne-Sophie, Extradition et non-refoulement :
la justice fondamentale en péril ? Analyse du cas Nemeth c.
Canada (Justice).
MAALAOUI, Ibtissem, Les infractions portant atteinte à la sécurité du système informatique d’une entreprise.
MABILAT, Julie, La question de la sécession du Québec après
l’avis consultatif de la CIJ du 22 juillet 2012 relative au Kosovo.
MACHADO GOMES, Saulo, Les causes de déchéance du droit à
limitation de responsabilité du transporteur maritime international de marchandises sous connaissement.
MACHON, Élodie, La création d’un état palestinien, une solution
praticable au conflit israélo-arabe ?
MIZRAHI, Sarit Kimberly, The legal implication of internet marketing: exploiting the digital marketplace within the boundaries of the law.
PAIVA FARIA NETTO, Adolpho, La responsabilité internationale pour le dommage transfrontière médiat.
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Nord-Ouest : l’apport du transgouvernementalisme.
PATHMASIRI, Saminda, L’encadrement juridique des biobanques populationnelles et leurs obligations au Québec.
RAMOS-PAQUE, Emma, L’adoption d’un régime d’indemnisation sans égard à la faute en faveur des victimes d’infections
nosocomiales, et pourquoi pas ?
SANTOS, Jacqueline, Harmonisation de l’indication géographique dans la Loi de la propriété industrielle du Mexique.
SIMARD, Robert Maxime, Le droit à l’information au cœur des
impératifs commerciaux du développement durable : le précédent de l’agriculture biologique.
VINCENT, Julie, Les troubles du contrôle des impulsions en droit
pénal canadien.
YOUMBI FASSEU, Frédérique, Le cadre juridique des investissements miniers et pétroliers chinois en Afrique : instruments
pour une lex mercatoria sino-africaine.
ZAPATA, Gloria Estalla, La conciliation en Colombie.
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
Mémoires de Maîtrise en droit (LL.M.)
ACEM, Elsa, The Regulation of the Reuse of Single-Use Medical
Devices in Quebec and Canada: the Influence of Expert Discourse on Law (La régulation de la réutilisation du matériel
médical usage unique au Québec et au Canada : l’Influence du
discours expert sur le droit).
UNIVERSITÉ McGILL
Doctorat (LL.D.)
ABBAY, Futsum, Disability rights in Africa: towards citizenship
approach.
BOUVET, Isabelle, An international legal framework to govern
space natural resources exploitation.
CRAWLEY, Karen, Seeing double: ironic encounters between art
and law.
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Maîtrise (LL.M.)
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BRUNEAU, Mathieu, Straddling the fence of computer programs’
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CHATTERJEE, Joyeeta, Legal aspects of space debris remediation: active removal of debris and on-orbit satellite servicing.
CHOWDHURY, Rokeya, Land dispute resolution in the Chittagong Hill Tracts: caught between liberalism and legal pluralism.
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GILLES, Isabelle, Lessons from India’s constitutional culture:
what Canada can learn.
GONZALES, Nicole, The impact of the inclusion of aviation into
the EU ETS on the Caribbean island states.
HAYWOOD, Caroline, Filling the gap: the role of sub-national
government networks in a multi-level global climate change
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KIDDELL-MONROE, Rachel, Global governance for health: a
proposal.
KLEIN, Manuel, Le droit international comme instrument de
réconciliation entre deux solitudes: la dignité humaine et la
recherche de profit.
LAGANIÈRE, Guillaume, Droit international privé et cyberespace: fondements d’une approche renouvelée.
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LAZARE, Jodi, The use of social science evidence in constitutional
adjudication: overcoming the challenges of the adversarial
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in Brazil.
MASON-CASE, Sarah A, Though this be madness yet there be
method in’t: fostering polycentric climate change governance.
MENDOZA GOMEZ, Juan, Competition law, markets’ governance, and legal roles: ontological insights from Colombia.
MOUSAVI SAMEH, Seyedeh Mahboubeh, Suborbital flights:
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PRÉVILLE-RATELLE, Emmanuel, Le paradoxe de l’expertise
partisane.
PRÉVILLE-RATELLE, Nicolas, Le droit souffre-t-il ?
SILVA, Guilherme, Economic disparities and intensifying burden
of neglected tropical diseases.
SOTO NARANJO, Davide, International trade and energy: possible contributions from outside the WTO.
THERMITUS, Tamara, « La justice reste à venir » : la déconstruction appliquée à la décision de la Cour suprême du Canada dans
l’arrêt Bou Malhab c Diffusion Métromédia CMR Inc.
WELTS, Leslie, The failure and future of policy instruments in
managing harmful algal blooms.
ZAMBELLI, Pia, Refugee status determination in Canada and
the path to radical reform.
UNIVERSITÉ D’OTTAWA
Thèses et mémoires approuvés au 1er décembre 2013
Doctorat (LL.D.)
AKAKPO, Luc Kokouvi, Réponse juridique appropriée en matière
de responsabilité pour enfants auteurs de crimes internationaux.
BARRIGAR, Jennifer, Time to care about reputation: Re-Viewing
the Resonances and Regulation of Reputation.
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DORDELLY-ROSALES, Nelson, Constitutional Jurisprudence in
the Supreme Court of Venezuela.
PEARCE, Maryanne, An Awkward Silence: Aboriginal Women,
Violence and the Canadian Justice System.
PINERO, Veronica, The Construction of Adulthood in the Canadian Youth Criminal Justice System: The Transfer of Young
Offenders to Adult Courts.
UTECK, Anne, Reconceptualizing Spatial Privacy for the Internet of Everything.
SA, Yu, Towards a Model for the Optimum Implementation of
Trips Patentability Criteria in Developing Countries.
Maîtrise en droit (LL.M.)
ANCTIL, Laurie, Projet de légalisation du suicide assisté et de
l’euthanasie au Canada.
KRSTIK, Stanko, International Investment Agreements as Economic Intervention: Implications for Home State Responsibility and Corporate Accountability of the New Canada.
HAGIWARA, Kazuki, The Principle of Integration in Sustainable
Development Through the Process of Treaty Interpretation:
Resolving Conflicts Between Norms Addressing Frag.
O’TOOLE, Darren, Taking Métis Indigenous Title Seriously:
‘Indian’ Title in s. 31 of the Manitoba Act, 1870.
POISSON, Caroline, Enfants policiers.
Mémoires de Maîtrise
BUZA Peter, Canadian refugee law’s handling of state protection
issues for those fleeing persecution by national or transnational criminal groups.
CARTER, Mary Anne, Unmasking Rape Culture in Sexual
Assault Judgments: An Analysis of the Ewanchuk and J.A.
Decisions.
CHOI, Sun-Kyung, En quête d’un modèle de réparation pour les
femmes victimes de violences sexuelles en conflit armé et en
situation post-conflit: le mécanisme de justice transitionnelle
de la Sierra Léone devrait-il être appliqué au Mali ?
HALLÉ, Julian, Les défis dans la rédaction d’un testament comportant une fiducie au profit du conjoint survivant.
618
Revue du Barreau/Tome 72/2013
HANDL, Melisa Nuri, The Role of International Human Rights
Law in Countering Trafficking in Women for Sexual Exploitation Purposes in Northeast Argentina.
LAGUEUX, Annie, L’effectivité du concept de la responsabilité de
protéger, une décennie après son adoption.
McKENZIE, Samantha, Standards of Review in Set Aside Applications of Investment Treaty-Based Awards in Canada.
MARTIN, Lucie, La responsabilité civile du notaire et du courtier
immobilier en présence d’un manquement au devoir de conseil.
MARDKHEH, Fatememh Pourazizi, Reconnaissance d’une responsabilité juridique: La responsabilité de protéger en tant que
norme juridique du droit international.
ROBINSON, Chione, Toussaint and the Right to Health Care.
SNOW, Ann, Le régime français et la preuve du titre Aborigène au
Québec.
VINCENT, Luc-André, Far from Adequate: How Flaws in Canadian Refugee Law Principle Produce Incorrect Assessments of
State Protection in Mexico.
Maîtrise en droit avec concentration en droit et
technologie
DOWNS, Jacob, Privacy, Surveillance and the Democratic Dialogue.
LACHANCE, Colin, LawLinks are trending: Examining the
growth and impact of tweeting links to primary legal information.
SAINI, Maneesh/Sennek, The importance of privacy to targets of
honour crime.
SUWALA, Aleksandra, Content, search engines and defamation
cases: Should the developing technology of the internet affect
responsibilities and duties of search engines?
Maîtrise en droit avec concentration en droit
humanitaire et droit de la sécurité internationale
GAUTHIER, Marie-Sophie, Concept de « guerre mondiale » contre
le terrorisme – concept de souveraineté des États dépassé ?
Revue du Barreau/Tome 72/2013
619
SINGH, Prabhjot, The Responsibility to Protect – A Critical Analysis.
Maîtrise en droit avec concentration en droit et justice
sociale
MAKALIAN, Vrouyr, La consultation en vertu de la partie VII de
la Loi sur les langues officielles.
620
Revue du Barreau/Tome 72/2013
INDEX DES AUTEURS
Note : Sous chaque entrée de l’index des auteurs vous trouverez les
informations nécessaires pour repérer les articles ou les chroniques de la Revue du Barreau, soit le titre suivi, en caractères gras, des pages.
AL-DABBAGH, Harith et Jeffrey A. TALPIS, Jugement rendu
par défaut à l’étranger : le droit québécois protège-t-il suffisamment les défendeurs résidant au Québec ? – Commentaire sur la décision Jannesar c. Yousuf de la Cour
supérieure, 555-578
ASSELIN, Myriam et Gabriel CHASSÉ, L’affaire Terrebonne
(Ville de) c. Bibeau : l’absence de permis fait-elle obstacle à
l’existence de droits acquis ? La Cour d’appel fait le point sur
un débat vieux de plus de 30 ans, 601-608
BLAIS, Michel, Réflexions sur une échelle d’attribution des points
jugée « grandement déficiente » pour l’évaluation des offres
de services professionnels, 437-451
BURTON, Laurence, Nathalie FAUBERT et Jacques S.
DARCHE, Le harcèlement entre locateur et locataire en
matière de bail immobilier commercial, 493-530
DUFOUR, Marie-Hélène, La Loi sur l’intégrité en matière de
contrats publics : précipitation, confusion et imprécision,
213-285
HUPPÉ, Luc, L’encadrement constitutionnel de la rémunération
des juges, 453-492
KOURI, Robert P. et Catherine RÉGIS, La limite de l’accès aux
soins définie par l’article 13 de la Loi sur les services de santé
et les services sociaux : véritable exutoire ou simple mise en
garde ?, 177-211
LABERGE, Valérie, L’interprétation du meilleur intérêt de l’enfant dans les litiges de garde, 65-100
Revue du Barreau/Tome 72/2013
621
LACHANCE, Martine, La reconnaissance juridique de la nature
sensible de l’animal : du gradualisme français à l’inertie
québécoise, 579-600
LAVALLÉE, Carmen et Michelle GIROUX, Le droit de l’enfant
québécois à la connaissance de ses origines évalué à l’aune de
la Convention internationale relative aux droits de l’enfant,
147-175
NADEAU, Denis, L’arrêt Dunsmuir : bilan quinquennal d’un contrôle judiciaire en redéfinition, 1-64
PLANTE, Katherine et Marc GERVAIS, Le GPS, sa localisation
dans l’univers juridique québécois et canadien, 531-554
RANGER, Julie, Valérie SCOTT et Denise HELLY, Immigration
and adoption of children under Kafalah: a judicial journey,
101-146
TURGEON, Jean, La Régie du logement, l’interdiction d’un
animal de compagnie et son expulsion sans préjudice
sérieux : abus de droit ou droit d’abus ?, 287-393
VINCENT, Julie, Les troubles du contrôle des impulsions en droit
pénal canadien : la kleptomanie et la pyromanie, 395-435
622
Revue du Barreau/Tome 72/2013
INDEX ANALYTIQUE
Note : Sous chaque entrée de l’index analytique vous trouverez les
informations nécessaires pour repérer les articles ou les chroniques de la Revue du Barreau, soit le titre suivi, en caractères gras, des pages.
ADOPTION ET ADOPTION INTERNATIONALE
Le droit de l’enfant québécois à la connaissance de ses origines évalué à l’aune de la Convention internationale relative
aux droits de l’enfant, 147-175
Immigration and adoption of children under Kafalah: a judicial journey, 101-146
ANIMAL
La reconnaissance juridique de la nature sensible de l’animal : du gradualisme français à l’inertie québécoise, 579-600
La Régie du logement, l’interdiction d’un animal de compagnie et son expulsion sans préjudice sérieux : abus de droit
ou droit d’abus ?, 287-393
AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
La Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics : précipitation, confusion et imprécision, 213-285
BAIL D’HABITATION
Le harcèlement entre locateur et locataire en matière de bail
immobilier commercial, 493-530
La Régie du logement, l’interdiction d’un animal de compagnie et son expulsion sans préjudice sérieux : abus de droit
ou droit d’abus ?, 287-393
BAIL IMMOBILIER COMMERCIAL
Le harcèlement entre locateur et locataire en matière de bail
immobilier commercial, 493-530
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CLAUSE ABUSIVE
La Régie du logement, l’interdiction d’un animal de compagnie et son expulsion sans préjudice sérieux : abus de droit
ou droit d’abus ?, 287-393
CONTRAT
La Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics : précipitation, confusion et imprécision, 213-285
CONTRÔLE JUDICIAIRE – TRIBUNAL
ADMINISTRATIF
L’arrêt Dunsmuir : bilan quinquennal d’un contrôle judiciaire en redéfinition, 1-64
DÉFENSE DE NON-RESPONSABILITÉ POUR CAUSE
DE TROUBLES MENTAUX
Les troubles du contrôle des impulsions en droit pénal canadien : la kleptomanie et la pyromanie, 395-435
DOSSIER D’ADOPTION ET DOSSIER DE L’ENFANT –
CONFIDENTIALITÉ
Le droit de l’enfant québécois à la connaissance de ses origines évalué à l’aune de la Convention internationale relative
aux droits de l’enfant, 147-175
DROIT AUX SERVICES DE SANTÉ ET SERVICES
SOCIAUX
La limite de l’accès aux soins définie par l’article 13 de la Loi
sur les services de santé et les services sociaux : véritable exutoire ou simple mise en garde ?, 177-211
DROIT MUSULMAN
Immigration and adoption of children under Kafalah: a judicial journey, 101-146
624
Revue du Barreau/Tome 72/2013
DROITS ACQUIS
L’affaire Terrebonne (Ville de) c. Bibeau : l’absence de permis
fait-elle obstacle à l’existence de droits acquis ? La Cour
d’appel fait le point sur un débat vieux de plus de 30 ans,
601-608
ENFANT
Le droit de l’enfant québécois à la connaissance de ses origines évalué à l’aune de la Convention internationale relative
aux droits de l’enfant, 147-175
Immigration and adoption of children under Kafalah: a judicial journey, 101-146
ENTREPRENEUR ET ENTREPRENEUR EN
CONSTRUCTION
La Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics : précipitation, confusion et imprécision, 213-285
ENQUÊTE CRIMINELLE
Le GPS, sa localisation dans l’univers juridique québécois et
canadien, 531-554
ÉTABLISSEMENT DE SANTÉ – ALLOCATION DE
RESSOURCES
La limite de l’accès aux soins définie par l’article 13 de la Loi
sur les services de santé et les services sociaux : véritable exutoire ou simple mise en garde ?, 177-211
GARDE DE L’ENFANT – INTÉRÊT DE L’ENFANT
L’interprétation du meilleur intérêt de l’enfant dans les litiges de garde, 65-100
GÉOLOCALISATION PAR SATELLITE (GPS)
Le GPS, sa localisation dans l’univers juridique québécois et
canadien, 531-554
Revue du Barreau/Tome 72/2013
625
HARCÈLEMENT
Le harcèlement entre locateur et locataire en matière de bail
immobilier commercial, 493-530
IMMIGRATION
Immigration and adoption of children under Kafalah: a judicial journey, 101-146
INDÉPENDANCE JUDICIAIRE
L’encadrement constitutionnel de la rémunération des
juges, 453-492
INTENTION
Les troubles du contrôle des impulsions en droit pénal canadien : la kleptomanie et la pyromanie, 395-435
JUGE – RÉMUNÉRATION
L’encadrement constitutionnel de la rémunération des
juges, 453-492
JUGE – RÔLE
L’interprétation du meilleur intérêt de l’enfant dans les litiges de garde, 65-100
JUGEMENT ÉTRANGER – EXÉCUTION
Jugement rendu par défaut à l’étranger : le droit québécois
protège-t-il suffisamment les défendeurs résidant au
Québec ? – Commentaire sur la décision Jannesar c. Yousuf
de la Cour supérieure, 555-578
JUGEMENT PAR DÉFAUT
Jugement rendu par défaut à l’étranger : le droit québécois
protège-t-il suffisamment les défendeurs résidant au
Québec ? – Commentaire sur la décision Jannesar c. Yousuf
de la Cour supérieure, 555-578
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Revue du Barreau/Tome 72/2013
JUSTICE NATURELLE – RÈGLE AUDI ALTERAM
PARTEM
Jugement rendu par défaut à l’étranger : le droit québécois
protège-t-il suffisamment les défendeurs résidant au
Québec ? – Commentaire sur la décision Jannesar c. Yousuf
de la Cour supérieure, 555-578
LÉGISLATION – THÉORIE DE L’IMPRÉCISION
La Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics : précipitation, confusion et imprécision, 213-285
LOGEMENT
La Régie du logement, l’interdiction d’un animal de compagnie et son expulsion sans préjudice sérieux : abus de droit
ou droit d’abus ?, 287-393
MOYEN DE DÉFENSE
Le GPS, sa localisation dans l’univers juridique québécois et
canadien, 531-554
MUNICIPALITÉ – APPEL D’OFFRES
Réflexions sur une échelle d’attribution des points jugée
« grandement déficiente » pour l’évaluation des offres de services professionnels, 437-451
ORGANISME PUBLIC – CONTRAT
La Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics : précipitation, confusion et imprécision, 213-285
PARENT BIOLOGIQUE
Le droit de l’enfant québécois à la connaissance de ses origines évalué à l’aune de la Convention internationale relative
aux droits de l’enfant, 147-175
PATIENT
La limite de l’accès aux soins définie par l’article 13 de la Loi
sur les services de santé et les services sociaux : véritable exutoire ou simple mise en garde ?, 177-211
Revue du Barreau/Tome 72/2013
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PREUVE – ADMISSIBILITÉ ET RÈGLE D’EXCLUSION
Le GPS, sa localisation dans l’univers juridique québécois et
canadien, 531-554
PROCRÉATION ASSISTÉE
Le droit de l’enfant québécois à la connaissance de ses origines évalué à l’aune de la Convention internationale relative
aux droits de l’enfant, 147-175
RÉGIE DU LOGEMENT
La Régie du logement, l’interdiction d’un animal de compagnie et son expulsion sans préjudice sérieux : abus de droit
ou droit d’abus ?, 287-393
RESPONSABILITÉ PÉNALE
Les troubles du contrôle des impulsions en droit pénal canadien : la kleptomanie et la pyromanie, 395-435
SERVICE PROFESSIONNEL
Réflexions sur une échelle d’attribution des points jugée
« grandement déficiente » pour l’évaluation des offres de services professionnels, 437-451
SERVICES DE SANTÉ ET SERVICES SOCIAUX
La limite de l’accès aux soins définie par l’article 13 de la Loi
sur les services de santé et les services sociaux : véritable exutoire ou simple mise en garde ?, 177-211
SIGNIFICATION – PREUVE
Jugement rendu par défaut à l’étranger : le droit québécois
protège-t-il suffisamment les défendeurs résidant au
Québec ? – Commentaire sur la décision Jannesar c. Yousuf
de la Cour supérieure, 555-578
SOUMISSION
Réflexions sur une échelle d’attribution des points jugée
« grandement déficiente » pour l’évaluation des offres de services professionnels, 437-451
628
Revue du Barreau/Tome 72/2013
TRAITEMENT MÉDICAL – ACCÈS
La limite de l’accès aux soins définie par l’article 13 de la Loi
sur les services de santé et les services sociaux : véritable exutoire ou simple mise en garde ?, 177-211
ZOOTHÉRAPIE
La Régie du logement, l’interdiction d’un animal de compagnie et son expulsion sans préjudice sérieux : abus de droit
ou droit d’abus ?, 287-393
Revue du Barreau/Tome 72/2013
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TABLE DE LA JURISPRUDENCE COMMENTÉE
Note : Sous chaque entrée de la table de jurisprudence commentée,
vous trouverez, en caractères gras, les pages pour repérer les
articles ou les chroniques de la Revue du Barreau.
Assoc. des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick c.
Nouveau-Brunswick (Ministre de la Justice) ; Assoc. des
juges de l’Ontario c. Ontario (Conseil de gestion) ; Bodner c.
Alberta ; Conférence des juges du Québec c. Québec (Procureur général) ; Minc c. Québec (Procureur général), [2005] 2
R.C.S. 286 ; 2005 CSC 44, 453-492
Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, 453-492
Bibeau, Terrebonne (Ville de) c., 2013 QCCA 587, 601-608
Canada, Beauregard c., [1986] 2 R.C.S. 56, 453-492
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 ; 2008 CSC
9, 1-64
Évaluations BTF inc., L’Immobilière société d’évaluation conseil
inc. c., 2009 QCCA 1844, 437-451
Fortier, Pitre c., 2007 QCCQ 320, 493-530
Gervais Harding et associés Design inc., Investissements Historia
inc. c., 2006 QCCA 560, 493-530
Gestion S.A.G.G. c. Hudon, REJB 1999-10577 (C.S.) ; [1999] R.D.I.
99, 493-530
Hudon, Gestion S.A.G.G. c., REJB 1999-10577 (C.S.) ; [1999]
R.D.I. 99, 493-530
Immeubles H.T.H. c. Plaza Chevrolet Buick GMC Cadillac inc.,
2012 QCCS 6097, 493-530
Immobilière société d’évaluation conseil inc. (L’) c. Évaluations
BTF inc., 2009 QCCA 1844, 437-451
Revue du Barreau/Tome 72/2013
631
Investissements Historia inc. c. Gervais Harding et associés
Design inc., 2006 QCCA 560, 493-530
Jannesar c. Yousuf, 2012 QCCS 6227, 555-578
Nouveau-Brunswick, Dunsmuir c., [2008] 1 R.C.S. 190 ; 2008 CSC
9, 1-64
Nouveau-Brunswick (Ministre de la Justice), Assoc. des juges de
la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick c. ; Assoc. des
juges de l’Ontario c. Ontario (Conseil de gestion) ; Bodner c.
Alberta ; Conférence des juges du Québec c. Québec (Procureur général) ; Minc c. Québec (Procureur général), [2005] 2
R.C.S. 286 ; 2005 CSC 44, 453-492
Pitre c. Fortier, 2007 QCCQ 320, 493-530
Plaza Chevrolet Buick GMC Cadillac inc., Immeubles H.T.H. c.,
2012 QCCS 6097, 493-530
R., Valente c., [1985] 2 R.C.S. 673, 453-492
Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale
de I.P.E. ; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité
des juges de la Cour provinciale de I.P.E., [1997] 3 R.C.S. 3,
453-492
Terrebonne (Ville de) c. Bibeau, 2013 QCCA 587, 601-608
Valente c. R., [1985] 2 R.C.S. 673, 453-492
Yousuf, Jannesar c., 2012 QCCS 6227, 555-578
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TABLE DE LA LÉGISLATION COMMENTÉE
Note : Sous chaque entrée de la table de la législation commentée,
vous trouverez, en caractères gras, les pages pour repérer les
articles ou les chroniques de la Revue du Barreau.
CONSTITUTION
Constitutionnelle de 1867 (Loi), L.R.C. (1985), App. II, no 5, art.
100, 453-492
CODE CIVIL
Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 6, 7 et 1375,
287-393
Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 1902, 493-530
Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 2822, 555-578
Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 3155 et 3156,
555-578
CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25, art. 786, 555-578
CODE CRIMINEL
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 16, 395-435
LÉGISLATION PROVINCIALE
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 6 et
49, 493-530
Cités et villes (Loi sur les), RLRQ, c. C-19, art. 573.1.0.1 et
573.1.0.1.1, 437-451
Code municipal du Québec, RLRQ, c. C-27.1, art. 936.0.1 et
936.0.1.1, 437-451
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Contrats des organismes publics (Loi sur les), RLRQ, c. C-65.1,
213-285
Intégrité en matière de contrats publics (Loi sur l’), L.Q. 2012, c. 25,
213-285
Services de santé et les services sociaux (Loi sur les), RLRQ,
c. S-4.2, art. 13, 177-211
TRAITÉS ET CONVENTIONS
Convention relative aux droits de l’enfant, [1992] R.T. Can., no 3,
147-175
Convention sur la protection des enfants et la coopération en
matière d’adoption internationale, [1997] R.T. Can., no 12,
101-146
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