Les inconnues de l`après-guerre
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Les inconnues de l`après-guerre
825-une 22/08/06 18:37 Page 1 Günter Grass Le débat en Allemagne BD Trois histoires de Marjane Satrapi UKRAINE Ianoukovitch revient CUBA Après Fidel, Raúl www.courrierinternational.com N° 825 du 24 au 30 août 2006 - 3 € Israël-Liban Les inconnues de l’après-guerre La fragilité de la trêve ● La stratégie du Hezbollah ● L’avenir du gouvernement Olmert ● AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 € AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £ GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥ LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 € SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU M 03183 - 825 - F: 3,00 E 3:HIKNLI=XUXUU[:?k@i@c@f@k; 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 04 ulysse 22/08/06 19:09 Page 1 La culture du voyage Chez votre marchand de journaux 22/08/06 20:03 Page 7 l’invité ÉDITORIAL ● Simon Jenkins, Mission impossible ? The Guardian, Londres e rouge à lèvres est une arme ; le dentifrice, un d’énormes quantités d’énergie, tout en lançant des hordes puissant explosif ; le lait pour bébé, du poison ; la migratoires dans un perpétuel transit polluant. lime à ongles, une arme de destruction massive. Le gouvernement Blair est atteint du syndrome d’hyperPour la première fois depuis l’Inquisition, le livre mobilité. Il a abaissé le coût de l’automobile, encouragé est une arme de guerre interdite. La délicatesse les voyages aériens en réduisant les taxes, accru les subinfinie de la société occidentale fait que rien, absoventions aux chemins de fer. Il a poussé les enfants à faire lument rien, n’est toléré si cela comporte le de longues distances pour se rendre dans des écoles “choimoindre risque. Les races inférieures des contrées sies” et incité les patients à choisir leur hôpital. A la denlointaines peuvent continuer à s’entre-tuer et à semer le sité urbaine il oppose des lotissements construits dans les chaos, nous ne jouerons pas avec le grand dieu de la chance. “ceintures vertes”, des parcs d’entreprises, des hyperOn nous dit que les compagnies aériennes vont exiger que marchés. Les cliniques, les bureaux de poste et les maganous nous présentions à l’enregistrement trois heures avant sins locaux font place à des infrastructures “régionales”. le départ et que nous allons voyager dans les mêmes condiLes politiques d’aménagement du territoire font en sorte tions que des parachutistes que les transports se déveen mission. Les aéroports vont loppent encore.Tant pis si les devenir des lieux de purgatoire enfants deviennent obèses avant toutes vacances à l’éparce qu’ils ne vont plus à tranger. Seules l’envie irrél’école à pied et si la moitié pressible d’exotisme et les lardes camions roulent à vide sur gesses fiscales des Etats à les autoroutes. En 1950, les l’égard des compagnies à bas Britanniques parcouraient en prix permettent de maintenir moyenne 8 kilomètres par un bon rapport horreur/prix jour. Aujourd’hui, ils en par■ Ancien de The Economist, du Sunday pour le transport aérien. La courent 50, et le gouverneTimes, où il a créé le supplément littéraire, quasi-totalité des attentats islament prévoit qu’à la proet du Times, dont il a été directeur de la mistes visent les transports, chaine génération on ne sera rédaction, Simon Jenkins a rejoint The Guarsans doute parce qu’ils sont le pas loin des 100 kilomètres. dian en 2005 en tant que chroniqueur. Il symbole de l’obsession des En cessant d’encourager la a écrit plusieurs livres politiques, ainsi Occidentaux pour la mobilité. mobilité par les aménagequ’un ouvrage sur les églises anglaises. L’hypermobilité entraîne la ments et la fiscalité, on pourpeur du risque. Dès que nous quittons la sécurité suprait inverser ces tendances pernicieuses. En freinant la posée de notre demeure et de notre voiture, nous exigeons mobilité, on promouvrait la cohésion familiale et urbaine, que notre sécurité soit “garantie”, si ridicule que cela puisse tout en protégeant des quartiers ou des localités dont le paraître. Les Britanniques ignorent tout de la théorie des dépérissement est déploré par ceux qui favorisent l’hyrisques, à tel point qu’ils persistent à croire les politiques permobilité. Par là même, on ferait beaucoup pour notre qui leur racontent que le terrorisme est “la plus grande santé – et celle de la planète. Il ne s’agit pas d’utopie. L’hymenace à laquelle le monde soit confronté aujourd’hui”. C’est permobilité commence enfin à être battue en brèche. Les parfaitement faux. guerres au Moyen-Orient et l’envolée de la demande de Le goût des voyages est aussi vieux que les pèlerinages, il carburant en Asie renchérissent le pétrole. Des “taxes répond à la curiosité des hommes, à l’attrait de la nouvertes” pourraient pourtant réduire les transports aériens veauté. On associe tout naturellement la liberté de mouet routiers. On va voir apparaître des péages sur les voies vement à la liberté de parole. Mais l’hypermobilité met à encombrées. Moi aussi, certes, il m’arrive de voyager. Autremal les liens familiaux et sociaux. Elle est l’ennemie de fois, c’était un luxe. Cela va le redevenir, et on ne peut que la fierté civique, des relations de bon voisinage et de l’air s’en réjouir. Un séjour à l’étranger par an au lieu de trois pur. L’aspiration à une maison de campagne, aux “miles” ne mettrait pas en péril notre style de vie. Les fanatiques [les points de fidélité des compagnies aériennes] et aux fordu contre-terrorisme et les autorités de contrôle allergiques mules avion + voiture prive les lieux d’habitation de leur aux risques apportent leur pierre à l’édifice. A quelque vitalité et perturbe les lieux de destination. Cela use chose malheur est bon. ■ L Quintin Wright L’Occident a la bougeotte L E D E S S I N D E L A S E M A I N E Stéphane Lavoué 825p07 Plus d’une semaine après l’entrée en application du cessez-le-feu voté par le Conseil de sécurité de l’ONU, la question de la force internationale de maintien de la paix qui devrait se déployer au Sud-Liban n’est toujours pas résolue. Et elle n’a aucune chance de l’être avant longtemps. Car la mission que devrait remplir cette formation de 15 000 hommes apparaît de plus en plus utopique. La France, qui l’avait appelée de ses vœux et qui devait tout naturellement en prendre la direction, a très vite reculé, on s’en souvient, en relevant l’imprécision du mandat donné en ce qui concerne les objectifs et les pouvoirs accordés à cette force d’interposition. Paris se contentant, en attendant une clarification, d’envoyer sur place un premier contingent de 200 soldats, Rome en a profité, au début de la semaine, pour poser sa candidature à la direction de la nouvelle FINUL. Une bonne idée, a priori, pour un gouvernement qui souhaite retrouver une certaine stature diplomatique. Mais la proposition, qui est dans les mains de Kofi Annan, soulève déjà les doutes de la presse italienne. Comment ne pas craindre une reprise des hostilités à grande échelle, déjà ouvertement envisagée par Israël comme par le Hezbollah ? Il est clair que les troupes européennes, dans ce cas, n’auraient pas d’autre choix que de battre en retraite pour limiter les pertes. Et, en admettant qu’une trêve de longue durée puisse s’installer – ce que tout le monde espère sans trop y croire –, comment ne pas se poser des questions sur la situation politico-militaire au Liban ? La seule solution légitime envisageable par la communauté internationale est que l’armée libanaise reprenne le plus vite possible le contrôle des provinces méridionales du pays, en lieu et place des milices islamistes. Fort bien. Mais comment imaginer que cette même armée, qui est officiellement neutre mais qui comprend une forte présence chiite, puisse s’imposer contre les troupes puissamment armées du Hezbollah ? Et que faire au cas où ces mêmes milices seraient intégrées dans le sein de l’armée officielle, ainsi que cela a été proposé comme solution politique dans le cadre proprement libanais ? Espérons déjà que la trêve sera assez longue pour que les diplomates aient le temps d’esquisser des réponses à ces questions de fond. Bernard Kapp Voici la bonne adresse pour suivre votre Courrier ■ La guerre contre le terrorisme. La lutte contre le sida. courrierinternational.com La conférence internationale sur le sida s’est achevée, le 18 août, à Toronto. Si quelques progrès ont été réalisés, notamment dans le domaine des trithérapies, les lacunes restent grandes. Stephen Lewis, l’envoyé spécial de l’ONU pour la lutte contre le sida en Afrique, a d’ailleurs dénoncé le manque de financements publics pour la prévention, la recherche et les traitements. Les abonnés de l’hebdo ont un accès libre aux archives, aux dossiers d’actualité, à l’opinion du jour, etc. Les autres peuvent s’abonner à la version Internet pour 5 € par mois. Dessin de Tab paru dans le NRC Handelsblad, Rotterdam. Chaque jour, retrouvez un nouveau dessin d’actualité sur www.courrierinternational.com COURRIER INTERNATIONAL N° 825 7 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 22/08/06 19:24 Page 6 l e s s o u rc e s ● CETTE SEMAINE DANS COURRIER INTERNATIONAL WWW Retrouvez nos sources sur courrierinternational.com (rubrique Planète presse) ABC 267 000 ex., Espagne, quotidien. Journal monarchiste et conservateur depuis sa création en 1903, ABC a un aspect un peu désuet unique en son genre : une centaine de pages agrafées, une grande photo à la une. AL-AKHBAR Liban, quotidien. Né au mois d’août 2006, en pleine guerre entre Israël et le Hezbollah, “Les Nouvelles” se veut l’expression du refus de la politique américaine au Moyen-Orient. Ses sources de financement sont mystérieuses et certains parlent de capitaux privés proches du Hezbollah. Son directeur, Joseph Samaha, ancien rédacteur en chef du quotidien “islamo-progressiste” libanais As-Safir, est l’un des journalistes les plus influents du Liban et défend une ligne politique proche de l’axe irano-syrien. le dernier des quotidiens de qualité à ne pas avoir abandonné le grand format. EVENIMENTUL ZILEI Plus de 229 000 ex., Roumanie, quotidien. Fondé en 1992, “L’événement du jour” se veut le journal d’opposition au plus fort tirage de tout le pays. Apprécié pour ses positions pertinentes et parfois impertinentes, il dispose aujourd’hui d’un site Internet. FINANCIAL TIMES 439 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Le journal de référence, couleur saumon, de la City et du reste du monde. Une couverture exhaustive de la politique internationale, de l’économie et du management. FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG 377 000 ex., Allemagne, quotidien. Fondée en 1949 et menée par une équipe de 5 directeurs, la FAZ, grand quotidien conservateur et libéral, est un outil de référence dans les milieux d’affaires et intellectuels allemands. FRANKFURTER RUNDSCHAU 189 000 ex., Allemagne, quotidien. Le plus ancien des quotidiens nationaux allemands a un public un peu plus jeune que ses concurrents. Engagé à gauche, dans la défense des droits de l’homme et de l’environnement. GAZETA WYBORCZA 500 000 ex. en semaine et 1 000 000 ex. le week-end, Pologne, quotidien. “La Gazette électorale”, fondée par Adam Michnik en mai 1989, est devenue un grand journal malgré de faibles moyens. Et avec une immense ambition journalistique : celle d’être laïque, informative, concise. Son supplément culturel du vendredi, Magazyn-Gazeta Wyborcza, est devenu un rendez-vous incontournable. HA’ARETZ 80 000 ex., Israël, quotidien. Premier journal publié en hébreu sous le mandat britannique, en 1919. “Le Pays” est le journal de référence chez les politiques et les intellectuels israéliens. GRANMA 400 000 ex., Cuba, quotidien. C’était le nom du bateau qui a amené les “barbudos” vers la révolution. C’est depuis 1965 le titre du journal fleuve, officiel et fidèle de La Havane… Granma a une version hebdomadaire, Granma International, publiée en français, anglais, espagnol et portugais. ASIA TIMES ONLINE <http://www.atimes.com>, Chine. Lancée fin 1995, l’édition papier de ce journal anglophone s’est arrêtée en juillet 1997 et a donné naissance, en 1999, à un véritable journal en ligne régional. Alors que la presse d’actualité régionale a perdu ses principaux représentants, ce webzine étend son champ d’action au Moyen-Orient. THE DAILY TELEGRAPH 897 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Atlantiste et anti-européen sur le fond, pugnace et engagé sur la forme, c’est le grand journal conservateur de référence. Fondé en 1855, il est AL-HAYAT 110 000 ex., Arabie Saoudite (siège à Londres), quotidien. “La Vie” est sans doute le journal de référence de la diaspora arabe et la tribune préférée des intellectuels de gauche ou des libéraux arabes qui veulent s’adresser à un large public. THE INDEPENDENT 252 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Créé en 1986, ce journal s’est fait une belle place dans le paysage médiatique. Racheté en 1998 par le patron de presse irlandais Tony O’Reilly, il reste farouchement indépendant et se démarque par son engagement proeuropéen, ses positions libertaires sur des problèmes de société et son illustration. JUTARNJI LIST, 100 000 ex., Croatie, quotidien. Un des principaux titres croates, le “Journal du matin” est un quotidien grand public avec un supplément de week-end de très bonne qualité, consacré à la culture. MILENIO SEMANAL 35 000 ex., Mexique, hebdomadaire. Ce jeune journal (“Millénaire”) a été créé en septembre 1997. Son ton irrévérencieux traduit une approche incisive de l’actualité politique mexicaine. LA MONTAGNE 1 500 ex., Bénin, quotidien. Fondé en 2002, ce titre régional est rapidement devenu incontournable dans le Nord, la région la plus défavorisée du Bénin. Privilégiant l’information locale et les faits de société, La Montagne ne néglige pas l’actualité internationale. AL-MUSTAQBAL 10 000 ex., Liban, quotidien. Fondé le 14 juin 1999 et spécialisé dans la politique, “Le Futur” appartient à l’empire médiatique du Premier ministre libanais Rafic Hariri (assassiné le 14 février 2005). AN-NAHAR 7 000 ex, Israël (Cisjordanie), quotidien. “Le Jour”, journal palestinien, né en 1986 sous forme hebdomadaire, est diffusé en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Projordanien au départ, le journal a adopté des positions favorables à l’Autorité palestinienne. THE BALTIMORE SUN 240 000 ex., EtatsUnis, quotidien. Propriété du Times Mirror Group, libéral, c’est l’un des plus grands quotidiens régionaux américains. D (LA REPUBBLICA DELLE DONNE) 540 400 ex., Italie, hebdomadaire. Le titre paraît en 1996 comme supplément hebdomadaire de La Repubblica. Son graphisme épuré à l’extrême, son papier soyeux mille fois imité depuis et la grande place faite à l’actualité et aux reportages en font le féminin le plus lu par les hommes. HANKYOREH 600 000 ex., Corée du Sud, quotidien. Cinquième quotidien sud-coréen (derrière le Chosun Ilbo, “Le Quotidien de Corée” ; le Dong-A Ilbo, “Le Quotidien d’Asie orientale”, le Chungang Ilbo, “Le Quotidien du Centre” et le Hankook Ilbo, “Le Quotidien de Corée”), “Un seul peuple” a été fondé en 1988 grâce aux fonds collectés auprès de 62 000 personnes. Le seul journal d’opposition jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Kim Dae-jung en 1997. NATURE 50 000 ex., Royaume-Uni, hebdomadaire. Depuis 1869, cette revue scientifique au prestige mérité accueille – après plusieurs mois de vérifications – les comptesrendus des innovations majeures. Son âge ne l’empêche pas de rester d’un étonnant dynamisme. THE GUARDIAN 380 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Depuis le 12 septembre 2005, il est le seul quotidien national britannique imprimé au format berlinois (celui du Monde) et tout en couleur. L’indépendance, la qualité et la gauche caractérisent depuis 1821 ce titre, qui abrite certains des chroniqueurs les plus respectés du pays. Offre spéciale d’abonnement Bulletin à retourner sans affranchir à : THE NEW REPUBLIC 85 000 ex., Etats-Unis, hebdomadaire. Jadis vitrine de la gauche intellectuelle américaine, aujourd’hui plutôt journal phare des libéraux néoconservateurs, ce magazine d’opinion aime toujours prendre à revers ses lecteurs par des points de vue iconoclastes. THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex. (1 700 000 le dimanche), Etats-Unis, quotidien. Avec 1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger et plus de 80 prix Pulitzer, le NewYork Times est de loin le premier quotidien du pays, dans lequel on peut lire “all the news that’s fit to print” (toute l’information digne d’être publiée). NIHON KEIZAI SHIMBUN 3 000 000 ex. (édition du matin) et 1 665 000 ex. (édition du soir), Japon, quotidien. Par la diffusion, le “Journal économique du Japon” est sans conteste le plus important quotidien économique du monde. Par la qualité de l’information, il fait partie, avec le Wall Street Journal et le Financial Times, du cercle fermé des grands titres internationaux. THE OBSERVER 434 000 ex., RoyaumeUni, hebdomadaire. Le plus ancien des journaux du dimanche (1791) est aussi l’un des fleurons de la “qualité britannique”. Il appartient au même groupe que le quotidien The Guardian et, comme lui, se situe résolument à gauche. OUKRAÏNSKA PRAVDA <http://www.pravda.com.ua>, Ukraine. Le journal en ligne “Vérité ukrainienne”, a été créé en 2000 par le journaliste Guéorgui Gongadzé, assassiné au cours de la même année alors qu’il enquêtait sur la corruption au sein du pouvoir. Le titre, qui traite de sujets exclusivement nationaux, a néanmoins su préserver son impartialité et son indépendance. Courrier international THE SUNDAY LEADER Sri Lanka, hebdomadaire. Fondé en juin 1994, il a bouleversé le monde de la presse sri-lankaise en s’affirmant comme un grand journal d’investigation. Connu pour son honnêteté et le courage de ses analyses, il consacre de nombreuses pages aux scandales politico-financiers. RÉDACTION 64-68, rue du Dessous-des-Berges, 75647 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected] TECHNOLOGY REVIEW 92 000 ex., Etats-Unis, paraît toutes les six semaines. Née en 1899, la revue est installée sur le campus du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT). C’est le magazine des ingénieurs, scientifiques et hommes d’affaires soucieux de s’informer des nouvelles tendances technologiques et des décisions politiques en la matière. Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98) Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54), Claude Leblanc (16 43) Rédacteur en chef Internet Marco Schütz (16 30) Chef des informations Anthony Bellanger (16 59) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) THIOF 17 000 ex., Sénégal, mensuel. Fondé en 1998, le titre entend devenir le Paris Match sénégalais. Il s’est imposé sur le marché de la presse people en accordant une large place aux sujets de société et à la culture populaire. Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59), Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Suzi Vieira (Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Rasmus Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service, Hongrie, 16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, ex-URSS, 16 79), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Sophie Chergui (Etats baltes), Andrea Culcea (Roumanie, Moldavie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets (Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Zbynek Sebor (Tchéquie), Gabriela Kukurugyova (Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord, 16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Hemal Store-Shringla (Asie du Sud), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Nur Dolay (Turquie), Alda Engoian (Asie centrale, Caucase), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri (Iran), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot (Angola, Mozambique), Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de rubrique, 16 47) Multimédia Claude Leblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Olivier Blond (chef de rubrique, 16 80) Insolites, tendance Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74) THE WALL STREET JOURNAL 2 000 000 ex., Etats-Unis, quotidien. La bible des milieux d’affaires. Mais à manier avec précaution : d’un côté, des enquêtes et reportages de grande qualité ; de l’autre, des pages éditoriales partisanes capables de la mauvaise foi la plus flagrante. EL PAÍS 457 000 ex. (831 000 ex. le dimanche), Espagne, quotidien. Né en mai 1976, six mois après la mort de Franco, “Le Pays” est une institution en Espagne. Il est le plus vendu des quotidiens d’information générale et s’est imposé comme l’un des vingt meilleurs journaux du monde. Il appartient au groupe de communication PRISA, actionnaire du groupe Le Monde dont fait partie Courrier international. POLITKOM.RU <http://www.politcom.ru>, Russie. Ce site créé en 2001 se veut une tribune ouverte aux commentaires politiques d’experts et de journalistes. Les thématiques abordées concernent essentiellement l’actualité sociale et politique en Russie et dans la CEI. AL-QUDS AL-ARABI 50 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. “La Jérusalem arabe” est l’un des trois grands quotidiens panarabes édités à Londres. Toutefois, contrairement à ses confrères Al-Hayat et Asharq Al-Awsat, il n’est pas détenu par des capitaux saoudiens. AS-SAFIR 20 000 ex., Liban, quotidien. “L’Ambassadeur” est le deuxième quotidien libanais après An-Nahar. Financé à l’origine par la Libye, ce journal de gauche défend aujourd’hui les thèses syriennes. Ses rubriques : Jeunesse, Médias, Reportages, sont souvent bien écrites et respectent un certain pluralisme. DER SPIEGEL 1 076 000 ex., Allemagne, hebdomadaire. Un grand, très grand magazine d’enquêtes, lancé en 1947, agressivement indépendant et à l’origine de plusieurs scandales politiques. Site Internet Marco Schütz (rédacteur en chef, 16 30), Eric Glover (chef de service, 16 40), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (1661) Philippe Randrianarimanana (16 68), Hoda Saliby (16 35),Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Julien Didelet (chef de projet) Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62) Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain, 16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Françoise EscandeBoggino (japonais, anglais), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Marie-Christine Perraut-Poli (anglais, espagnol), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol) THE WASHINGTON POST 812 500 ex. (1 100 000 le dimanche), Etats-Unis, quotidien. Recherche de la vérité, indépendance : la publication des rapports secrets du Pentagone sur la guerre du Vietnam ou les révélations sur l’affaire du Watergate ont démontré que le Washington Post vit selon certains principes. Un grand quotidien de centre droit. Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche YEDIOT AHARONOT 400 000 ex., Israël, quotidien. Créé en 1939, “Les Dernières Informations” appartient aux familles Moses et Fishman. Ce quotidien marie un sensationnalisme volontiers populiste à un journalisme d’investigation et de débats passionnés. Ont participé à ce numéro Iulia Badea-Guéritée, Edwige Benoit, Marc-Olivier Bherer, Marianne Bonneau, Olivier Bras, Valérie Brunissen, Valérie Defert, Natacha Haut, Douglas Herbert, Rivière Lelaurin, Françoise Lemoine-Minaudier, Julie Marcot, Hamdam Mostafavi, Josiane Petricca, Anne Proenza, Carlotta Ranieri, Jonnathan Renaud-Badet, Hélène Rousselot, Christian Tientcheu, Emmanuel Tronquart, Zaplangues, Béatrice Zaradez DIE ZEIT 464 400 ex., Allemagne, hebdomadaire. Le magazine de l’intelligentsia allemande. Tolérant et libéral, c’est un grand journal d’information et d’analyse politique. Directrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes : Sophie Jan (16 99), Agnès Mangin. Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust (16 05). Comptabilité : 01 57 28 27 30, fax : 01 57 28 21 88 Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée de Kristine Bergström (16 73) Diffusion Le Monde SA ,80,bd Auguste-Blanqui,75013 Paris,tél.: 01 57 28 20 00.Directeur commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable publications : Brigitte Billiard. Marketing : Pascale Latour (01 46 46 16 90). Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (01 57 28 33 78), fax : 01 57 28 21 40 Publicité Publicat, 17, boulevard Poissonnière, 75002 Paris, tél. : 01 40 39 13 13, courriel : <[email protected]>. Directeur général adjoint : Henri-Jacques Noton. Directeur de la publicité : Alexis Pezerat (14 01). Directrice adjointe : Lydie Spaccarotella (14 05). Directrices de clientèle : Karine Epelde (13 46) ; Stéphanie Jordan (13 47) ; Hedwige Thaler (14 07). Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97). Publicité site Internet : i-Régie, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris, tél. : 01 53 38 46 63. Directeur de la publicité : Arthur Millet, <[email protected]> Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91) Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Denis Scudeller Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation) Calligraphie Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (1684) Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi de 15 heures à 18 heures Fabrication Jean-Marc Moreau (chef de fabrication, 16 49). Impression, brochage : Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg ADMINISTRATION - COMMERCIAL ❏ Je désire profiter de l’offre spéciale d’abonnement (52 numéros + 4 hors-séries), au prix de 114 euros au lieu de 178 euros (prix de vente au numéro), soit près de 35 % d’économie. Je recevrai mes hors-séries au fur et à mesure de leur parution. Je désire profiter uniquement de l’abonnement (52 numéros), au prix de 94 euros au lieu de 150 euros (prix de vente au numéro), soit près de 37 % d’économie. Tarif étudiant (sur justificatif) : 79,50 euros. (Pour l’Union européenne : 138 euros frais de port inclus /Autres pays : nous consulter.) ❏ ABONNEMENTS ET RÉASSORTS Abonnements Tél. depuis la France : 0 825 000 778 ; de l’étranger : 33 (0)3 44 31 80 48.Fax : 03 44 57 56 93.Courriel : <[email protected]> Adresse abonnements Courrier international, Service abonnements, 60646 Chantilly Cedex Commande d’anciens numéros Boutique du Monde, 80, bd Auguste-Blanqui, 75013 Paris. 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Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication ; Chantal Fangier Conseil de surveillance : Jean-Marie Colombani, président, Fabrice Nora, vice-président Dépôt légal : août 2006 - Commission paritaire n° 0707C82101 ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France 60VZ1102 825p06 Cryptogramme Courrier international (USPS 013-465) is published weekly by Courrier international SA at 1320 route 9, Champlain N. Y. 12919. Subscription price is 199 $ US per year. Periodicals postage paid at Champlain N. Y. and at additional mailing offices. POSTMASTER: send address changes to Courrier international, c/o Express Mag., P. O. BOX 2769, Plattsburgh, N. Y., U. S. A. 12901 - 0239. For further information, call at 1 800 363-13-10. Ce numéro comporte un encart Abonnement broché sur une partie du tirage. COURRIER INTERNATIONAL N° 825 6 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 22/08/06 20:07 Page 7 l’invité ÉDITORIAL ● Simon Jenkins, Mission impossible ? The Guardian, Londres e rouge à lèvres est une arme ; le dentifrice, un d’énormes quantités d’énergie, tout en lançant des hordes puissant explosif ; le lait pour bébé, du poison ; la migratoires dans un perpétuel transit polluant. lime à ongles, une arme de destruction massive. Le gouvernement Blair est atteint du syndrome d’hyperPour la première fois depuis l’Inquisition, le livre mobilité. Il a abaissé le coût de l’automobile, encouragé est une arme de guerre interdite. La délicatesse les voyages aériens en réduisant les taxes, accru les subinfinie de la société occidentale fait que rien, absoventions aux chemins de fer. Il a poussé les enfants à faire lument rien, n’est toléré si cela comporte le de longues distances pour se rendre dans des écoles “choimoindre risque. Les races inférieures des contrées sies” et incité les patients à choisir leur hôpital. A la denlointaines peuvent continuer à s’entre-tuer et à semer le sité urbaine il oppose des lotissements construits dans les chaos, nous ne jouerons pas avec le grand dieu de la chance. “ceintures vertes”, des parcs d’entreprises, des hyperOn nous dit que les compagnies aériennes vont exiger que marchés. Les cliniques, les bureaux de poste et les maganous nous présentions à l’enregistrement trois heures avant sins locaux font place à des infrastructures “régionales”. le départ et que nous allons voyager dans les mêmes condiLes politiques d’aménagement du territoire font en sorte tions que des parachutistes que les transports se déveen mission. Les aéroports vont loppent encore.Tant pis si les devenir des lieux de purgatoire enfants deviennent obèses avant toutes vacances à l’éparce qu’ils ne vont plus à tranger. Seules l’envie irrél’école à pied et si la moitié pressible d’exotisme et les lardes camions roulent à vide sur gesses fiscales des Etats à les autoroutes. En 1950, les l’égard des compagnies à bas Britanniques parcouraient en prix permettent de maintenir moyenne 8 kilomètres par un bon rapport horreur/prix jour. Aujourd’hui, ils en par■ Ancien de The Economist, du Sunday pour le transport aérien. La courent 50, et le gouverneTimes, où il a créé le supplément littéraire, quasi-totalité des attentats islament prévoit qu’à la proet du Times, dont il a été directeur de la mistes visent les transports, chaine génération on ne sera rédaction, Simon Jenkins a rejoint The Guarsans doute parce qu’ils sont le pas loin des 100 kilomètres. dian en 2005 en tant que chroniqueur. Il symbole de l’obsession des En cessant d’encourager la a écrit plusieurs livres politiques, ainsi Occidentaux pour la mobilité. mobilité par les aménagequ’un ouvrage sur les églises anglaises. L’hypermobilité entraîne la ments et la fiscalité, on pourpeur du risque. Dès que nous quittons la sécurité suprait inverser ces tendances pernicieuses. En freinant la posée de notre demeure et de notre voiture, nous exigeons mobilité, on promouvrait la cohésion familiale et urbaine, que notre sécurité soit “garantie”, si ridicule que cela puisse tout en protégeant des quartiers ou des localités dont le paraître. Les Britanniques ignorent tout de la théorie des dépérissement est déploré par ceux qui favorisent l’hyrisques, à tel point qu’ils persistent à croire les politiques permobilité. Par là même, on ferait beaucoup pour notre qui leur racontent que le terrorisme est “la plus grande santé – et celle de la planète. Il ne s’agit pas d’utopie. L’hymenace à laquelle le monde soit confronté aujourd’hui”. C’est permobilité commence enfin à être battue en brèche. Les parfaitement faux. guerres au Moyen-Orient et l’envolée de la demande de Le goût des voyages est aussi vieux que les pèlerinages, il carburant en Asie renchérissent le pétrole. Des “taxes répond à la curiosité des hommes, à l’attrait de la nouvertes” pourraient pourtant réduire les transports aériens veauté. On associe tout naturellement la liberté de mouet routiers. On va voir apparaître des péages sur les voies vement à la liberté de parole. Mais l’hypermobilité met à encombrées. Moi aussi, certes, il m’arrive de voyager. Autremal les liens familiaux et sociaux. Elle est l’ennemie de fois, c’était un luxe. Cela va le redevenir, et on ne peut que la fierté civique, des relations de bon voisinage et de l’air s’en réjouir. Un séjour à l’étranger par an au lieu de trois pur. L’aspiration à une maison de campagne, aux “miles” ne mettrait pas en péril notre style de vie. Les fanatiques [les points de fidélité des compagnies aériennes] et aux fordu contre-terrorisme et les autorités de contrôle allergiques mules avion + voiture prive les lieux d’habitation de leur aux risques apportent leur pierre à l’édifice. A quelque vitalité et perturbe les lieux de destination. Cela use chose malheur est bon. ■ L Quintin Wright L’Occident a la bougeotte L E D E S S I N D E L A Stéphane Lavoué 825p07 Plus d’une semaine après l’entrée en application du cessez-le-feu voté par le Conseil de sécurité de l’ONU, la question de la force internationale de maintien de la paix qui devrait se déployer au Sud-Liban n’est toujours pas résolue. Et elle n’a aucune chance de l’être avant longtemps. Car la mission que devrait remplir cette formation de 15 000 hommes apparaît de plus en plus utopique. La France, qui l’avait appelée de ses vœux et qui devait tout naturellement en prendre la direction, a très vite reculé, on s’en souvient, en relevant l’imprécision du mandat donné en ce qui concerne les objectifs et les pouvoirs accordés à cette force d’interposition. Paris se contentant, en attendant une clarification, d’envoyer sur place un premier contingent de 200 soldats, Rome en a profité, au début de la semaine, pour poser sa candidature à la direction de la nouvelle FINUL. Une bonne idée, a priori, pour un gouvernement qui souhaite retrouver une certaine stature diplomatique. Mais la proposition, qui est dans les mains de Kofi Annan, soulève déjà les doutes de la presse italienne. Comment ne pas craindre une reprise des hostilités à grande échelle, déjà ouvertement envisagée par Israël comme par le Hezbollah ? Il est clair que les troupes européennes, dans ce cas, n’auraient pas d’autre choix que de battre en retraite pour limiter les pertes. Et, en admettant qu’une trêve de longue durée puisse s’installer – ce que tout le monde espère sans trop y croire –, comment ne pas se poser des questions sur la situation politico-militaire au Liban ? La seule solution légitime envisageable par la communauté internationale est que l’armée libanaise reprenne le plus vite possible le contrôle des provinces méridionales du pays, en lieu et place des milices islamistes. Fort bien. Mais comment imaginer que cette même armée, qui est officiellement neutre mais qui comprend une forte présence chiite, puisse s’imposer contre les troupes puissamment armées du Hezbollah ? Et que faire au cas où ces mêmes milices seraient intégrées dans le sein de l’armée officielle, ainsi que cela a été proposé comme solution politique dans le cadre proprement libanais ? Espérons déjà que la trêve sera assez longue pour que les diplomates aient le temps d’esquisser des réponses à ces questions de fond. Bernard Kapp S E M A I N E ■ La guerre contre le terrorisme. La lutte contre le sida. La conférence internationale sur le sida s’est achevée, le 18 août, à Toronto. Si quelques progrès ont été réalisés, notamment dans le domaine des trithérapies, les lacunes restent grandes. Stephen Lewis, l’envoyé spécial de l’ONU pour la lutte contre le sida en Afrique, a d’ailleurs dénoncé le manque de financements publics pour la prévention, la recherche et les traitements. Dessin de Tab paru dans le NRC Handelsblad, Rotterdam. Chaque jour, retrouvez un nouveau dessin d’actualité sur www.courrierinternational.com COURRIER INTERNATIONAL N° 825 7 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 Page ABO_CI_62BA1101 21/08/06 17:59 Page 1 LE MAGAZINE CHAQUE JEUDI CHEZ VOUS (52 NUMÉROS PAR AN) Bien plus qu’un hebdomadaire, ABONNEZ-VOUS ! 9,15€/mois en durée libre PAR PRÉLÈVEMENT AUTOMATIQUE + le horssérie « SPÉCIAL INSOLITES » BULLETIN D’ABONNEMENT 4 SUPPLÉMENTS PAR AN Livres, mode, technologie, sport... l’actualité c’est aussi ça ! le meilleur de la presse étrangère sur le site www.courrierinternational.com OUI, Par prélèvement automatique. Il me suffit de remplir l’autorisation ci-dessous et de la renvoyer signée avec un RIB (relevé d’identité bancaire) ou un RIP (relevé d’identité postale). CP Ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tél. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . E-mail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je choisis de régler 114 € pour un an en une seule fois par chèque à l’ordre de Courrier internationnal par carte bancaire n° Date et signature : Date de validité Veuillez noter les 3 derniers chiffres situés au dos de votre carte, près de la signature D E 1. Indiquez ici les noms, prénoms et adresse complète. 2. Précisez les coordonnées de votre compte, elles figurent sur votre relevé d'identité bancaire ou postal. 3. Inscrivez le nom et l'adresse de votre agence bancaire. 4. Datez et signez. 5. IMPORTANT : Joignez un relevé d'identité bancaire (RIB) ou postal (RIP), et renvoyez le tout avec votre bulletin d'abonnement à l’adresse suivante : Courrier International - Libre réponse 61096 – 60731 Sainte-Geneviève cedex Organisme créancier Courrier international SA 80 Boulevard Auguste Blanqui - 75707 PARIS Cedex 13 - N° National d'émetteur : 396 542 Indiquez ici les noms, prénoms et adresse correspondant exactement à l'intitulé du compte à débiter. Noms Prénoms Adresse 61BA1101 Adresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . MERCI DE COMPLÉTER VOTRE AUTORISATION DE PRÉLÈVEMENT : 62BA1101 Nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A U T O R I S AT I O N RC 344 761 861 000 48 Un pays, un thème vu sous tous ses aspects, des 4 coins du monde ! Mes coordonnées Je choisis de régler 9,15 €/mois - Durée libre P R É L È V E M E N T J'autorise l'établissement teneur de mon compte à prélever chaque mois sur ce dernier le montant des prélèvements établis à mon nom et qui seront présentés par Courrier international. Je vous demande de faire apparaître les prélèvements sur mes extraits de compte. Je m'adresserai directement à Courrier international pour tout ce qui concerne le fonctionnement de mon abonnement. 2 Compte à Débiter Code établissement Recopiez ici les indications données par votre R.I.B. ou R.I.P. Guichet N° du compte Clé RIB 3 Etablissement Teneur du Compte à Débiter Indiquez ici les nom et adresse de votre banque ou centre de CCP. Etablissement Adresse C.P. Ville 4 Date et Signature Code Postal Ville THÉMATIQUES PAR AN Tout le contenu du site vous est accessible GRATUITEMENT pendant toute la durée de votre abonnement ! A retourner sous enveloppe à l’adresse suivante : Courrier international - Libre réponse 61096 – 60731 Sainte-Geneviève cedex je souhaite m’abonner à Courrier international et recevoir toutes ses éditions sans engagement de durée pour 9,15€/mois seulement au lieu de 14,80€ (prix de vente au numéro), à régler par prélèvement automatique sur mon compte bancaire, soit près de 40% de réduction. Je recevrai EN CADEAU le hors-série «SPECIAL INSOLITES». 1 Titulaire du Compte 4 HORS-SÉRIES 20 Signature obligatoire : Offre réservée pour un premier abonnement à la France métropolitaine et valable jusqu’au 31/12/2006 dans la limite des stocks disponibles. Conformément à la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès et de rectification aux données vous concernant. EN CADEAU AU QUOTIDIEN 22/08/06 19:09 Page 9 à l ’ a ff i c h e Espagne ● La muse de Zapatero vant même la fin de la campagne législative de mars 2004, José Luis Rodríguez Zapatero avait décidé que, s’il obtenait la majorité nécessaire pour devenir président du gouvernement, il ne nommerait qu’un seul vice-président, et que ce serait une femme. Pour celui qui n’était encore que le chef du Parti socialiste espagnol (PSOE), il s’agissait de symboliser au plus haut niveau son engagement en faveur de la parité. Et, parmi toutes les candidates possibles, c’est María Teresa Fernández de la Vega qui s’est naturellement imposée : comme Zapatero l’a expliqué plus tard, elle avait parfaitement rempli sa tâche de secrétaire générale du groupe parlementaire socialiste, sans jamais réclamer quelque récompense que ce soit. Par ailleurs, son caractère méthodique et sa parfaite connaissance du fonctionnement des institutions compensaient les faiblesses du nouveau chef du gouvernement. Seules les conditions imposées plus tard par l’actuel ministre des Finances, Pedro Solbes, ont obligé Zapatero à revenir sur sa promesse et à nommer un second vice-président. Mais ce qui est certain, c’est que les faits ont donné tort à tous ceux qui prévoyaient que Mme Fernández de la Vega aurait un rôle purement symbolique. Depuis sa nomination, il y a deux ans et demi, elle est bel et bien devenue la colonne vertébrale du gouvernement que dirige Zapatero. Pour preuve, le Premier ministre fait systématiquement appel à elle pour démêler les questions les plus complexes (afflux d’immigrés, réforme de l’audiovisuel public ou encore mise en place du nouveau statut d’autonomie de Mondelo/EPA/Sipa A MARÍA TERESA FERNÁNDEZ DE LA VEGA, 57 ans, est la numéro deux du gouver- nement espagnol. En deux ans et demi, cette juriste est devenue la pièce maîtresse du pouvoir socialiste. Elle est aujourd’hui plus populaire que Zapatero lui-même. la Catalogne) et pour coordonner les projets les plus délicats (organisation des noces du prince Felipe, élaboration du projet de loi sur les victimes de la guerre civile et de la dictature, relations avec l’Eglise). Et son rôle n’a cessé de croître, pour inclure désormais la politique étrangère, domaine dans lequel Zapatero montre le moins d’enthousiasme. Quant à son rôle de porte-parole du gouvernement, la partie de ses attributions qui avait suscité le plus de critiques, elle l’assume sans le moindre sectarisme, entretenant avec les médias des relations irréprochables. A en croire ses collaborateurs, la PERSONNALITÉS DE DEMAIN RAY OZZIE vice-présidente ne commence jamais sa journée de travail après 9 heures et ne l’achève jamais avant 23 h 30. Depuis qu’elle est en poste, elle ne se serait jamais autorisé plus d’une semaine de vacances, pas même en été. Résultat : elle est aujourd’hui le membre du gouvernement le plus apprécié par l’opinion publique, devant Zapatero lui-même. Mais elle paie aussi très cher son succès : pas moins de trois campagnes injurieuses ont été orchestrées pour la discréditer. Situation qu’elle supporte, secrètement indignée mais publiquement stoïque, en attendant “la prochaine”, précise-t-elle. L’influence de María Teresa Fernández de la Vega est évidente non seulement au sein du gouvernement – elle a déjà eu une responsabilité directe dans le renvoi et la nomination de certains ministres –, mais aussi au sein du PSOE – dont elle n’est pas officiellement militante, afin de préserver son statut de magistrate. Malgré cela, c’est elle qui a été chargée de réunir les “barons” du parti à la Moncloa [le siège du gouvernement] afin de dégager un consensus sur la question du statut d’autonomie de la Catalogne ; et, fait insolite, elle a même accompagné Zapatero à quelques réunions de la commission exécutive du PSOE, dont elle n’est pourtant pas membre. Enfin, María Teresa Fernández de la Vega est aussi devenue la “muse” du PSOE : après le chef du gouvernement, c’est elle qui est le plus acclamée par les militants lors des réunions. Qui disait que Zapatero s’était débarrassé de tous les socialistes n’appartenant pas à sa génération ? Et que, en politique, les femmes ne peuvent que jouer les potiches ? Ou qu’on ne devient pas muse à 50 ans passés ? Le nouveau cerveau de Microsoft DADOULLAH AKHOUND La star montante du djihad “C’est censé être une leçon d’humilité pour moi. Laissez-moi faire mon boulot”, a-t-il demandé aux journalistes massés dans une rue de New York pendant qu’il était un train de balayer les trottoirs. Il effectuait les cinq jours de travaux d’utilité publique auxquels il avait été condamné à la suite d’un faux témoignage. (The New York Times, Etats-Unis) ABDOULAYE WADE, président du Sénégal ■ Rassembleur “Nous avons intérêt à créer les Etats-Unis d’Afrique.” (Le Soleil, Dakar) Dessin de Glez, Ouagadougou. “C’est une mise au pas radicale.” Face aux pressions exercées par les autorités polonaises sur les personnes et les institutions qui ont accepté de prêter des objets pour l’exposition qui se tient à Berlin jusqu’au 29 octobre sous l’égide de la Fédération des expulsés allemands, Nooke se dit “très inquiet” des atteintes à la liberté d’expression que connaît actuellement la Pologne. (Der Spiegel, Hambourg) VLADIMIR POUTINE, président de la Russie ■ Habile Lors de sa rencontre avec le président arménien Robert Kotcharian dans sa résidence de Sotchi, il a confondu l’Arménie et l’Azerbaïdjan. “C’est un bon lapsus ! J’espère que cela concourra au règlement de problèmes bien connus”, s’est exclamé le président russe après que son hôte lui eut fait remarquer son erreur. (lenta.ru, Moscou) WALID JOUMBLATT, leader de Druzes libanais (opposition) ■ Mécontent “Très bien. Votre nom aujourd’hui brille au firmament de la nation et du peuple arabes. Vous êtes un symbole. Mais il est très facile pour ceux qui sont loin de brandir votre portrait. Dessin de Hassan Bleibel, Beyrouth. De près, c’est mon pays qui a été détruit et qui brûle.” Il accuse Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, d’avoir provoqué la ruine du Liban. (L’Orient-Le Jour, Beyrouth) (Voir aussi pp. 26-34) COURRIER INTERNATIONAL N° 825 9 BEN BOT, chef de la diplomatie néerlandaise ■ Patient “Nous attendons des signaux de toutes les parties quant à leur sérieux dans leur volonté d’appliquer la résolution 1701 adoptée par les Nations unies, avant d’envoyer nos boys.” Justification fournie au viceprésident israélien Shimon Pérès au sujet de la lenteur des pays de l’Union européenne à envoyer leurs soldats au Liban. (La Libre Belgique, Bruxelles) GUENNADI ZIOUGANOV, leader du Parti communiste russe ■ Constant Que ferait-il si le putsch du 19 août 1991 se produisait aujourd’hui ? “Je le soutiendrais avec la même énergie. Je ferais arrêter Gorbatchev et Eltsine pour haute trahison, au motif qu’ils sont allés contre la volonté du peuple qui voulait conserver l’Union soviétique.” (Moskovskié Novosti, Moscou) DU 24 AU 30 AOÛT 2006 DR GÜNTER NOOKE (CDU), chargé des droits de l’homme dans le gouvernement allemand ■ Choqué et homme est la nouvelle vedette de la propagande des talibans. Egorgements de “traîtres” en série, destruction de cibles “impies” en direct, adoubement de cohortes de candidats à l’attentat suicide… Dans la mise en scène de ses apparitions vidéo, ce commandant unijambiste de la guérilla du sud de l’Afghanistan est en passe de “dépasser la réputation scabreuse de Zarqaoui”, écrit le magazine Newsweek. Tout comme l’ancienne bête noire des forces américaines en Irak, tué le 7 juin dernier, Dadoullah est animé d’une passion toute personnelle pour le meurtre. Il n’en demeure pas moins l’un des commandants talibans les plus influents et les plus nuisibles pour les forces de la coalition. Il est considéré comme le principal artisan de l’explosion de violences dans le pays en 2006 ; pour la première fois, sous son commandement, la guérilla a pu s’emparer d’installations gouvernementales dans le Sud. Un de ses lieutenants, Ghul Agha, le décrit comme un homme colérique et imprévisible. Sa réputation le précède : son nom est à ce point associé à des atrocités que la radio des talibans l’utilisait déjà dans les années 1990 comme une arme de dissuasion, annonçant sa présence sur le champ de bataille même lorsqu’il n’y était pas. C Gonzalo López Alba, ABC, Madrid ILS ET ELLES ONT DIT GEORGE O’DOWD, alias Boy George, chanteur britannique ■ Rééduqué lus doux et plus conciliant que son bouillant prédécesseur, le nouvel “architecte en chef” (directeur technique) de Microsoft apparaît comme l’opposé de Bill Gates. Mais ne nous trompons pas, avertit le Financial Times : sous les habits courtois et affables de ce quinquagénaire grisonnant de Chicago se cache un “féroce intellect”. En 2005, sa société de développement de logiciels, Groove Networks, s’est fait avaler par Microsoft, mais c’est surtout ses compétences personnelles que voulait alors s’adjoindre le patron du géant informatique, qui le considère comme “l’un des cinq meilleurs programmeurs au monde”. Brillant technicien, Ray Ozzie est connu du grand public pour avoir conçu Lotus Notes, le logiciel de messagerie d’IBM, précurseur du succès planétaire d’Outlook. Selon ses collaborateurs, la création de logiciels permettant de faciliter la communication serait la ligne directrice de ses recherches, et cela depuis ses débuts à l’université de l’Illinois, dans les années 1970. Désormais, Ray Ozzie devra mettre entièrement ses talents de concepteur de passerelles de communication au service d’un mastodonte quelque peu dépassé par l’inventivité de Google et de Yahoo ! dans ce domaine. P Jim Br yant/AP/Sipa 825 p9 à l'affiche 825 p10 France 22/08/06 19:10 Page 10 f ra n c e ● LOISIRS P O L I T I QU E Tristes vacances Cette union sacrée que Berlin nous envie DE PARIS En politique étrangère, les Français se serrent les coudes alors que les Allemands multiplient les polémiques. Surtout lorsqu’il s’agit d’envoyer des soldats. HANDELSBLATT Düsseldorf ur la question libanaise, l’Allemagne et la France sont apparemment d’accord : les deux pays sont favorables à une force internationale de maintien de la paix ; et tous deux hésitent maintenant à envoyer leurs soldats. Cette réserve est toutefois inspirée par des motifs bien différents de chaque côté du Rhin. Et le débat prend un tour très différent en Allemagne et en France. Côté français, on applique dans ce cas précis la même règle d’or que pour toute autre question de politique étrangère : on se serre les coudes pour affermir la position de la France à l’extérieur. La campagne électorale pour l’élection présidentielle, qui a déjà démarré, ne touche donc pas au Liban. Cette situation est très agréable pour le président Chirac, qui récolte dans tout le pays un soutien inconditionnel pour sa gestion de la crise du Proche-Orient. Il a même eu droit à des éloges sans réserve de la part de François Hollande, le chef du Parti socialiste et de l’opposition, pour son attitude “honorable”. A l’UMP, dans les propres rangs du parti du président, nul ne songerait à critiquer la politique libanaise du gouvernement, d’autant qu’elle rencontre, d’après les sondages, le soutien de la grande majorité de la population. En France, “jouer les Stoiber” [du nom d’Edmund Stoiber, président de la CSU, le Parti social-chrétien de Bavière, opposé à un engagement armé de la Bundeswehr au Proche-Orient] n’offre aucun avantage. Aucun homme politique français n’oserait mettre des S Dessin de Stavro paru dans The Daily Star, Beyrouth. bâtons dans les roues au chef du gouvernement sur une importante question de politique étrangère, comme l’a fait le ministre-président bavarois ces dernières semaines vis-à-vis de la chancelière. Une telle attitude serait très mal perçue, ne serait-ce que parce qu’elle donnerait l’impression de dissensions internes et risquerait d’affaiblir l’image du pays à l’étranger. LA PEUR DE RENOUER AVEC UN SINISTRE PASSÉ Allemands et Français ont décidément une conception fondamentalement différente du rôle que leur pays doit jouer sur la scène internationale. En Allemagne, il est toujours d’usage de considérer avec suspicion les missions de maintien de la paix de la Bundeswehr sur les autres continents. Les Allemands ne vont-ils pas se remettre à jouer les gendarmes du monde et à renouer avec un sinistre passé ? La Bundeswehr est-elle en mesure de remplir ces missions dangereuses malgré la faiblesse de son équipement ? Que valent ces interventions dans des régions lointaines, à part un coût élevé et le risque de perdre des soldats ? Ces doutes largement répandus en Allemagne sont étrangers aux Français. Pour les citoyens de l’ancienne puissance coloniale, il va de soi que les forces armées doivent afficher leur présence sur l’ensemble du globe pour assurer l’influence internationale de la France. Contrairement aux Allemands, les Français ne voient pas de problème de principe à ce que 15 000 soldats soient engagés et puissent intervenir dans des conflits armés pour maintenir la paix. Une mission dans laquelle les soldats français risquent leur vie doit, il est vrai, présenter un intérêt stratégique pour la France. Le pays attend du président qu’il soupèse les risques militaires et le profit politique à tirer d’une telle intervention. Au Liban, selon l’analyse de Chirac, la France exposerait ses soldats à des risques disproportionnés en raison de l’extrême tension des relations entre Paris et Damas. Pour la Syrie, la France n’est pas un intermédiaire neutre entre Israël et le Hezbollah. Les soldats français risqueraient donc très vite de servir de cible au Hezbollah, allié à la Syrie. Les craintes présidentielles sont partagées par tous les experts en France. Chirac n’a pas précisé s’il comptait envoyer davantage de soldats au Liban dès lors que la situation se serait améliorée. Par une présence militaire accrue, il pourrait remédier à la perte d’influence de la France au Liban, pays ami de longue date. Pour atteindre ce but, il peut compter sur un large consensus intérieur. La politique étrangère allemande en revanche n’a ni l’un ni l’autre : ni objectif ni consensus. Ruth Berschens D I P L O M AT I E Un seul ambassadeur vous manque… ■ Israël vient de prendre congé de l’ambassadeur de France Gérard Araud, l’un des diplomates les plus fascinants qui aient servi son pays ici. M. Araud a réussi à montrer l’impor tance des rappor ts humains et de la créativité dans les relations internationales. Gérard Araud est arrivé en Israël il y a trois ans, à un moment où les relations entre les deux pays étaient au plus bas. Les médias français couvraient l’Intifada de façon quasi hostile et la gauche radicale menait une lutte acharnée contre la politique israélienne. A la suite d’une série d’incidents violents, un groupe d’intellectuels juifs accusait même la société française d’un antisémitisme qui s’était transformé en haine irrationnelle à l’égard d’Israël. L’ambassadeur Araud a fait des effor ts considérables pour apprendre à connaître la société israélienne et même pour expliquer les difficultés du pays à ses supérieurs et amis en France. Rares sont les diplomates à avoir ainsi étudié avec respect et empathie la complexité sociale israélienne. Au-delà du cas de M. Araud, l’état des relations entre les deux pays offre une occasion exceptionnelle de repartir de zéro, une occasion qu’Israël ne doit pas rater. Les intérêts français au Proche-Orient ont changé. La France, sous la direction de Jacques Chirac – il se serait probablement passé la même chose avec n’importe quel autre homme politique car, à Paris, tout le monde considère le Liban comme le frère cadet de la France –, désire réduire le plus possible l’influence syrienne et voir une société civile (et aussi laïque que possible) prospérer au Liban. Même si Israël a du mal à croire Chirac lorsqu’il jure tenir à la sécurité et au bien-être du peuple israélien, l’Etat hébreu doit comprendre que la France perçoit parfaitement la menace que l’Iran fait peser sur la région et le monde. Le fait que la France soit prête à déployer une force militaire constituée d’unités d’élite en est la preuve (les Français sont persuadés d’être des COURRIER INTERNATIONAL N° 825 10 messagers de la paix et, avec une naïveté qui confine parfois à l’idiotie, ils imaginent comme les Américains que leur mission est de protéger le monde contre lui-même). Mais si cette guerre a eu un seul résultat, c’est la création d’un nouvel axe franco-américain. Contrairement à ce qui s’est passé lors de l’intervention en Irak, la France a apporté son soutien à l’initiative américaine, avec l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. L’axe européen ouvre à Israël un nouvel espace de manœuvre et annonce peut-être une sor tie de sa dépendance totale vis-à-vis des Etats-Unis en général et de l’administration Bush en particulier. Avirama Golan, Ha’Aretz (extraits), Tel-Aviv DU 24 AU 30 AOÛT 2006 et été, en France, l’humeur est à la nostalgie : on commémore le 70e anniversaire de la loi instaurant les congés payés. Les images d’hommes et de femmes pédalant en tandem dès l’été 1936 sont restées gravées dans la mémoire collective. Le dispositif mis en place par le gouvernement du Front populaire donnait en effet aux salariés le droit à deux semaines de vacances rémunérées par an, au grand dam des bourgeois – qui craignaient de voir les prolos envahir leurs stations balnéaires. Et puis, le concept des “vacances pour tous” a bien résisté à l’épreuve du temps. Le minimum légal a augmenté progressivement, jusqu’à atteindre son seuil actuel de cinq semaines en 1982. En outre, les congés annuels français sont souvent complétés par les jours de “RTT”, ces jours que ceux qui travaillent plus que les 35 heures légales récupèrent tout au long de l’année. Toutefois, même si certains parviennent ainsi à se reposer pendant huit ou dix semaines, cela ne veut pas dire pour autant que les loisirs soient entièrement démocratisés en France, loin s’en faut. Une étude commandée par le ministère du Tourisme indique par exemple que, cet été, la moitié des Français n’avaient pas l’intention de partir en vacances. Près d’un tiers de ceux qui sont restés chez eux y ont été contraints par le manque d’argent. “Il y a beaucoup d’inégalités, des gens sont complètement exclus des vacances”, assure Sandrine Chauvin, de l’association Vacances ouvertes, un organisme qui finance des vacances pour les familles pauvres et les jeunes en difficulté. “Les gamins qui brûlent des voitures ne partent pas en vacances”, rappelle Jean Viard, sociologue à Sciences Po, évoquant les émeutes de l’automne 2005. Dans les cités, le sentiment d’exclusion est d’autant plus vif, ajoute le sociologue, que les villes de France se vident littéralement en juillet et en août. De plus, la fracture des loisirs comporte aussi une dimension raciale. En France, “les vacances sont blanches”, affirme-t-il sans détour. Toutefois, le succès de Paris-Plage montre qu’avec un peu d’imagination on peut améliorer le sort de ceux qui doivent rester dans la capitale. Les petits salaires et les chômeurs des villes ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir du mal à suivre le grand exode annuel des vacanciers. Les agriculteurs sont doublement pris au piège. D’abord, par le manque d’argent. Ensuite, parce qu’il est pratiquement impossible de laisser derrière eux les cultures ou le bétail. Enfin, si certaines usines ferment plusieurs semaines d’affilée, d’autres, comme les trois gros sites dirigés par le conglomérat américain General Electric, restent ouvertes. Quant aux travailleurs qui disparaissent effectivement pendant de longues périodes en août, ils le paient en septembre, quand le travail reprend à un rythme effréné. Adam Jones, Financial Times, Londres C 825 p.11 22/08/06 19:50 Page 11 e u ro p e ● R O YAU M E - U N I Les différents visages de l’islam d’outre-Manche Le projet d’attentats contre des avions déjoué le 10 août a une nouvelle fois mis en lumière l’extrémisme d’une partie des musulmans britanniques. Entre religion et politique, les raisons de cette dérive sont complexes. THE OBSERVER (extraits) faire du recrutement.” C’est dans ce contexte que les images sanglantes d’exécutions et les vidéos de recrutement qui circulent sur Internet peuvent jouer un rôle très important. Versi raconte que, dans les heures qui suivent chaque événement au Moyen-Orient, son journal est “bombardé” d’images et de déclarations par courriel. Londres a communauté musulmane britannique est en ce moment sous le feu des critiques. Après la vague d’arrestations du 10 août dans l’est de Londres, à Birmingham et High Wycombe, la police retient toujours vingt-trois jeunes musulmans britanniques suspectés d’être impliqués dans un complot visant à faire exploser des avions remplis de passagers au-dessus de l’Atlantique [onze d’entre eux ont été inculpés le 21 août, dont huit pour complot en vue de commettre des meurtres]. Depuis 2001, on entend les mêmes arguments et analyses après chaque attentat, réel, putatif ou imaginaire. Pour certains, souvent à droite, c’est l’islam qui est le problème. Pour d’autres, souvent à gauche, le responsable est la politique, et en particulier la politique étrangère du gouvernement. Beaucoup estiment qu’on n’a pas réussi à intégrer le million et demi de musulmans de Grande-Bretagne, dont environ 750 000 d’origine pakistanaise. Cet échec, affirme-t-on beaucoup à droite et un peu à gauche, est la conséquence inévitable de l’incompatibilité fondamentale entre l’islam et les “valeurs britanniques”. D’autres commentateurs accusent le manque de tolérance plutôt que l’excès de tolérance. Si les réponses sont complexes, la question est très simple : qu’arrivet-il à la communauté musulmane de Grande-Bretagne ? L Dessin de Peter Till paru dans The Guardian, Londres. ■ John Reid Les conséquences politiques de l’alerte terroriste du 10 août “pourraient être importantes”, remarque The Economist, qui note que cette crise a propulsé le ministre de l’Intérieur John Reid au rang de successeur possible de Tony Blair. Une position qu’il utilise pour réclamer “des mesures sévères contre le terrorisme, qui lui permettraient de contourner les lois garantissant les droits de l’homme”, rapporte de son côté The Independent. WEB+ Plus d’infos sur courrierinternational.com Politique et sécurité après l’alerte terroriste DES TENDANCES RADICALES EXTERNES du Pakistan, du Pendjab ou du Cachemire ruraux, d’où sont originaires la majorité des immigrés pakistanais musulmans britanniques. “Les gens qui pensent que les jeunes tombent dans le terrorisme parce qu’ils sont mal intég rés se trompent”, explique Mark Sageman, ancien agent de la CIA et expert en terrorisme. C’est la dynamique de groupe qui est l’élément clé. “Les jeunes se réunissent. Ils par lent. Quelques-uns décident d’agir. Ces groupes-là sont des groupes de volontaires auto-organisés. Al-Qaida, c’est comme Harvard, elle n’a pas besoin de Selon le Pr Ian Reader, de l’université de Lancaster, les réseaux islamistes se comportent comme des sectes : ils se détachent de la société normale et créent des sociétés fermées au sein desquelles ils génèrent un fanatisme et un engagement intenses. Le parcours des militants – mosquées et groupes d’études de plus en plus extrémistes, puis finalement cellules autonomes – est classique. Rien ne prouve cependant qu’il y ait lavage de cerveau. Les sectes se développent souvent à partir d’une forte colère, d’un mécontentement ou d’un sentiment d’aliénation au sein de la société, ajoute Reader. C’est là que la délicate question de la politique étrangère du gouvernement britannique entre en jeu. Le gouvernement soutient qu’il n’y a aucun lien entre sa politique étrangère et l’activisme islamique. Les ministres ont brutalement rejeté une lettre signée par trente-six associations musulmanes et personnalités, dont plusieurs députés et pairs À QUELQUES CAS PRÈS, LES MUSULMANS SONT INTÉGRÉS La question de l’intégration est essentielle. Les musulmans vivent par endroits en communautés qui apparaissent comme des quasi-ghettos. Les mariages mixtes sont moins fréquents que beaucoup se plaisent à l’imaginer. Mais la réalité de la vie des communautés musulmanes de Grande-Bretagne – et beaucoup dénoncent le fait qu’on réduise la diversité de ces centaines de milliers de personnes à la simple catégorie de “musulman” – est plus complexe. “A quelques cas près, les musulmans sont très bien intégrés dans la société britannique”, affirme Ahmed Versi, le rédacteur en chef de Muslim News. “Cette idée de non-intégration fait partie du stéréotype qui veut que les musulmans soient hors de la société normale et ne respectent pas les lois. C’est ridicule.” Mais le degré d’intégration n’est peut-être qu’une faible consolation. Car il est fort possible que le militantisme s’explique en partie par les incertitudes provoquées par la perte des hiérarchies et des valeurs des sociétés traditionnelles comme celles UNION EUROPÉENNE Londres veut moins d’immigrés de l’Est L es Bulgares et les Roumains pourraient devoir attendre jusqu’à sept ans après l’adhésion de leur pays à l’Union européenne avant d’avoir les mêmes droits que les autres Européens de l’Est en matière de recherche de travail en Grande-Bretagne. Le 20 août, en déclarant que l’immigration en provenance de Bulgarie et de Roumanie serait “gérée de façon adéquate”, le ministre du Commerce et de l’Industrie Alistair Darling a laissé entendre que le gouvernement était en train de durcir sa position sur l’immigration. Sa remarque est dans la ligne de l’opinion exprimée en privé par le ministre de l’Intérieur John Reid, lequel est convaincu que l’opinion britannique, y compris les immigrés et les membres des minorités ethniques, s’inquiète de possibles tensions sur le marché du logement et dans les services publics si aucune restriction n’est imposée aux ressortissants des deux pays qui doivent adhérer à l’UE en mai 2006. La position du gouvernement, déjà renforcée par les derniers chif fres du chômage, qui indiquent le taux le plus élevé depuis six ans, a été encore un peu plus influencée par une campagne menée par les conservateurs et appuyée COURRIER INTERNATIONAL N° 825 11 par des ar ticles alarmants dans la presse de droite. Lorsque la Pologne et sept autres anciens pays communistes ont rejoint l’UE, en mai 2004, la plupar t des pays de l’Ouest ont suivi l’Allemagne et mis en place un moratoire de sept ans avant que les citoyens de ces pays puissent venir librement. Seuls le Royaume-Uni et l’Irlande ont adopté des politiques plus ouver tes. On estime aujourd’hui que 600 000 Polonais et autres sont entrés au Royaume-Uni, bien au-delà des prévisions du ministère de l’Intérieur. Andy McSmith, The Independent (extraits), Londres DU 24 AU 30 AOÛT 2006 du Parti travailliste, qui affirmait l’existence d’un tel lien. Si peu d’analystes considèrent la colère vis-à-vis de la politique étrangère britannique comme la seule cause de l’extrémisme, la plupart pensent qu’elle en constitue un facteur important. “Ces jeunes viennent de quartiers chauds, explique Sageman. La politique étrangère n’a pas créé Al-Qaida mais a accru le nombre de personnes qui veulent faire quelque chose. Les griefs locaux acquièrent une dimension internationale et les gens sont davantage prêts à se sacrifier pour une vision globale.” La religion, ou plus exactement certaines de ses tendances, joue un vrai rôle. Peu de personnes extérieures à la communauté pakistanaise de Grande-Bretagne différencient les nombreuses branches de l’islam qui est pratiqué au Royaume-Uni.Yahya Birt, appartenant à la Fondation islamique, explique que la plupart des premiers immigrés étaient d’obédience barelvie – un islam populaire, rural, tolérant et apolitique. Une tendance plus conservatrice et rigoureuse connue sous le nom d’école déobandie a commencé à gagner du terrain dans les années 1970. Bien qu’officiellement apolitique, c’est cette école qui, dans sa forme la plus extrême, a engendré les talibans. Sur les vingt-six séminaires musulmans que compte la Grande-Bretagne aujourd’hui, dix-sept sont d’obédience déobandie et la Tablighi Jamaat, actuellement soupçonnée de ser vir de “por te d’entrée vers l’extrémisme”, est une ramification déobandie. A cela s’ajoutent les tendances influencées par l’islam conservateur saoudien. Viennent enfin toute une série d’interprétations modernes, hautement politisées, de l’islam. Le discours radical, violent, l’islam altéré d’Al-Qaida, qui n’attire qu’une minorité de personnes, est l’une d’entre elles. Il en existe une autre, qui milite pour la création d’un Etat religieux moderne. Selon Birt, cette dernière a les faveurs d’un petit nombre de musulmans britanniques d’origine pakistanaise en cours d’ascension sociale, qui sont bien organisés, politiquement malins et qui jouissent d’une visibilité et d’une influence sur le gouvernement bien plus grandes que ce que leur faible nombre permettrait par ailleurs. “On peut sérieusement s’interroger sur les per sonnes qui ser vent de conseillers et d’interlocuteurs au gouvernement”, confie le Pr Anthony Glees, de l’université Brunel, qui a récemment réalisé une étude sur le radicalisme dans les campus. La Grande-Bretagne a ainsi suivi des tendances qui ont vu les branches tolérantes, apolitiques, se mettre en situation défensive. Jason Burke 825 p.12 22/08/06 19:45 Page 12 e u ro p e ALLEMAGNE La sécurité, d’accord, mais sous contrôle Saisie d’une panique toute britannique à l’idée que des attentats soient commis sur son sol, l’Allemagne envisage de renforcer son dispositif sécuritaire dès cet automne. Un mauvais souvenir pour certains. SÜDDEUTSCHE ZEITUNG (extraits) Munich eut-être s’agit-il d’une question de génération. D’un côté, il y a les 50-60 ans qui ont dévoré George Orwell et 1984, son livre sur l’Etat totalitaire, et qui se souviennent très bien de cet Etat surveillant les citoyens sur des écrans de télévision jusque dans leur vie privée. Cette génération a également connu les “années de plomb”, l’époque où l’Allemagne recherchait les membres de la Fraction Armée rouge et où tout et tout le monde était devenu suspect. Beaucoup ressentaient alors les organes de sécurité comme une menace et non comme une protection. Ils sont aujourd’hui très sensibles au débat sur la vidéosurveillance, la base de données antiterroriste, l’utilisation des données enregistrées aux péages et les téléphones portables. Et puis il y a les autres, ceux qui ont grandi avec la Toile, ceux qui ne voient aucun inconvénient à communiquer leurs données les plus privées à un nombre infini d’utilisateurs. Ces gens n’ont peur ni des caméras de vidéosurveillance ni des bases de données. Ils ne considèrent pas l’Etat comme un ennemi ou comme une menace, l’Etat leur est indifférent. Pour eux, les caméras vidéo sont une technologie qui fait partie du quotidien, comme les écrans d’information des stations de métro. Depuis les tentatives d’attentat de Coblence et de Dortmund [des bombes ont été découvertes dans des trains le 31 juillet ; un Libanais de 21 ans a été arrêté et inculpé, un second était encore recherché le 22 août], les P Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis. ■ A la une “Enfin, elle, arrive, la télé de Schäuble !” ironise Die Tageszeitung, au moment où le ministre de l’Intérieur du gouvernement Merkel, Wolfgang Schäuble (CDU), prône un durcissement de la politique sécuritaire en Allemagne, notamment par une vidéosurveillance accrue. En réalité, estime le quotidien alternatif berlinois, les mesures ne sont pas nouvelles : “Il s’agit davantage de quantité que de qualité.” adeptes du tout-sécuritaire redonnent de la voix. Certains réclament des patrouilles armées dans les trains. D’autres redemandent l’intervention de l’armée sur le territoire intérieur [comme le prônait le ministre de l’Intérieur Wolfgang Schäuble lors de la Coupe du monde de football] ou veulent remettre au goût du jour les réductions de peine ou l’impunité pour les repentis. Et il y en aura certainement bientôt quelques-uns pour exiger l’envoi de représentants de l’ordre dans les écoles maternelles musulmanes. Les antisécuritaires reculent, ayant l’impression que le danger est désormais bien réel et que les enquêteurs obtiennent des résultats. Rien de condamnable à cela. Pour d’autres, en revanche, le danger n’existe pas réellement. Le FDP [Parti libéral], le Parti de gauche et les Verts mettent en garde contre la vidéosurveillance à tous crins – que ne préconise d’ailleurs personne, pas même les services de renseignements, par crainte d’un “effet Stasi” : la police secrète de l’ex-RDA moulinait tellement d’informations inutiles qu’elle en avait perdu sa capacité d’analyse. IL FAUT COMBLER LES LACUNES EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ Il n’est pas question de “sacraliser les caméras de surveillance”, comme le dénoncent certains, mais de combler les lacunes en matière de sécurité : il y a encore des métros qui circulent sans que les quais soient surveillés par vidéo, des conducteurs de train qui ne peuvent pas savoir ce qui se passe derrière eux dans la quatrième ou la cinquième voiture. De tels risques ne peuvent être contrebalancés par le “droit de flirter sans être vu”. La critique du projet de base de données antiterroriste paraît peu convaincante. On invoque le spectre de la Gestapo – dès lors que la police et les services de renseignements pourraient mieux coopérer. Ceux qui s’expriment ainsi n’ont aucune idée de la façon dont fonctionnait la Gestapo ou n’ont jamais lu le projet de loi pour la création d’une base de données antiterroriste. Il n’est pas question que les services secrets puissent arrêter et interroger les citoyens à partir de vagues indices. Il s’agit de réunir les informations de façon que la police de Munich qui soupçonne une personne ne tâtonne pas inutilement alors que l’intéressé est fiché à Hambourg. Il suffit d’un peu d’imagination pour savoir que toutes les critiques sur le renforcement de la sécurité se tairont dès que la première bombe explosera vraiment en Allemagne. Tout le monde réclamera alors des services de sécurité plus efficaces, une police plus forte. Et dans l’agitation on oubliera une chose : ceux qui ont des droits d’investigation importants ne sont pas tout-puissants, loin de là. Les forces de sécurité commettent des erreurs et les dissimulent volontiers. Ce qu’il faut, ce sont donc des contrôles appropriés. Or nul ou presque ne s’en inquiète. Les députés ne se bousculent pas dans les commissions de contrôle parlementaires. Et ce que font ces instances ne mérite pas le nom de contrôle. Si on veut renforcer la sécurité en Allemagne, il faut pourtant que les responsables de la sécurité rendent compte de leur travail. Régulièrement et en profondeur. Annette Ramelsberger I TA L I E Des murs dans les rues et dans les têtes uarante-cinq ans jour pour jour après la construction du mur de Berlin, la ville de Padoue a érigé le 9 août dernier son propre mur, de 84 mètres de long et 3 mètres de haut, pour empêcher les dealers qui habitent dans six immeubles de la rue Anelli, dans le quartier de La Serenissima, de vendre leur drogue dans la rue voisine, la rue De Besi. La construction de cette barrière, décidée par Flavio Zanonato, maire démocrate de gauche de la ville, a suscité de nombreuses polémiques, qui s’inscrivent dans le débat plus large et très délicat de l’immigration, car, comme le note La Repubblica, “l’essentiel des 1 500 habitants du quartier de la rue Anelli est composé d’immigrés en provenance du Maroc, du Nigeria, de Tunisie, du Sénégal, de Moldavie, de Roumanie, de Macédoine, du Bénin, de Somalie, du Sri Lanka, du Togo, de Côte-d’Ivoire et de Sierra Leone”. La Q remise en question de la loi sur les quotas d’immigrés, dite Bossi-Fini, votée par le gouvernement Berlusconi [voir CI n° 822, du 3 au 23 août 2006], la régularisation de 350 000 immigrés, la promesse d’accorder la nationalité italienne après seulement cinq ans de résidence ont déjà jeté les bases d’un débat intense. “Un mur est un mur”, s’insurge le quotidien Il Riformista, proche des Démocrates de gauche. “L’histoire et le sens du droit nous disent que, derrière les barrières qui séparent les hommes, il y a toujours un arbitrage inacceptable. Un mur qui sépare une zone dégradée d’une zone résidentielle n’est pas un symbole de progrès, surtout si cette décision a été prise par une administration de gauche, qui voudrait rendre plus juste et plus humaine la politique de l’immigration.” Le Corriere della Sera se montre plus conciliant : “Le mur de Padoue n’est pas l’équivalent du mur de Berlin et ne symbolise pas la traditionnelle volonté de la gauche de séparer le bien et le mal. Il est plutôt le symbole de l’impuissance d’une municipalité qui ne sait plus comment affronter une situation latente depuis dix ans.” Et, de toute façon, remarque La Stampa, “la construction du mur n’empêchera pas les dealers de vendre de la drogue. Les trafiquants changeront simplement de quartier. Il faudrait intervenir de manière plus résolue et plus efficace, et arrêter de tolérer, dans ce climat de remises de peine constantes, l’enracinement des clandestins dans la rue Anelli.” Deux jours après la construction du mur de Padoue, le meurtre d’une Pakistanaise de 21 ans par son père et son beau-frère est venu “enrichir” le débat. Hina, qui vivait à Brescia, était amoureuse d’un Italien et refusait le mariage arrangé par sa famille. “Le COURRIER INTERNATIONAL N° 825 12 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 mur de Padoue, si nous devons lui donner une valeur symbolique, est le refus de ce qui s’est passé à Brescia entre les murs domestiques d’une famille pakistanaise qui a maltraité, exécuté et enterré dans le jardin de la maison, sous le mur du préjugé religieux, une fille de 20 ans”, estime le Corriere della Sera. “Le mur de Padoue est, en somme, une réponse à ces pères bouchers, à ces imams, à ces oulémas qui abîment ces jeunes ‘désobéissants’.” “Nous devons nous méfier des comparaisons stériles”, nuance Il Giornale, le journal du frère de Silvio Berlusconi. “Ce qui est arrivé à Hina implique des individus, pas une collectivité ou une religion. Les immigrés de Brescia ou de Padoue ne sont pas tous des musulmans à condamner. Ils doivent juste comprendre que, s’ils demandent notre hospitalité, ils doivent au moins connaître nos principes et les accepter.” 825 p.13 22/08/06 15:10 Page 13 e u ro p e SU ISSE Les Helvètes deviennent monolingues De moins en moins d’étudiants romands s’inscrivent en faculté d’allemand, tandis que les Alémaniques parlent moins le français. Une évolution qui pourrait changer le visage de la Confédération. L’HEBDO (extraits) Lausanne es professeurs d’allemand de l’université de Genève commencent à s’inquiéter. “Il y a une diminution nette des étudiants en allemand sur le long terme”, observe Kirsten Adamzik, directrice du département. Après être longtemps resté relativement stable, le nombre d’inscriptions n’a cessé de baisser depuis cinq ans. “En 2003, les étudiants nouvellement inscrits étaient 84. En 2005, ils n’étaient que 41”, indique Kirsten Adamzik. A Lausanne, la situation n’est pas rassurante non plus : une cinquantaine de nouveaux arrivants en 2005, contre une moyenne de 65 entre 2001 et 2004. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette désaffection. “Au niveau du lycée, l’allemand est de moins en moins appuyé par d’autres langues grammaticalement proches,comme le latin ou le grec, qui possèdent également des cas”, avance Peter Utz, professeur d’allemand à L Lausanne. Résultat : les étudiants ont l’impression qu’ils ne maîtriseront jamais toutes les subtilités de la langue de Goethe et ils s’en détournent une fois leur maturité [équivalent du baccalauréat français] en poche. Comme on peut s’y attendre, nombreux sont ceux qui lui préfèrent l’anglais, réputé plus facile – et surtout plus utile, à l’heure de la mondialisation. La Suisse romande n’est pas la seule région touchée par ce désamour. “C’est un phénomène que l’on constate dans toute l’Europe”, regrette Kirsten Adamzik. Il n’empêche que, en Suisse, la question de l’enseignement des langues trouve une résonance toute particulière en raison de ses implications politiques. Et, justement, on observe un phénomène symétrique de l’autre côté de la Sarine. “L’apprentissage du français en tant que première langue étrangère recule en Suisse alémanique, ce qui est peut-être plus inquiétant encore”, estime Peter Utz. Pour l’historien Hans-Ulrich Jost, parfait bilingue et à cheval entre les deux cul- ■ Chiffres Lors du recensement de l’an 2000, la Suisse comptait 7,4 millions d’habitants, dont 4,64 millions de germanophones et 1,48 million de francophones. Les deux autres langues officielles, l’italien et le romanche, étaient respectivement parlées par 471 OOO et 35 000 locuteurs. tures, cette évolution n’a rien de surprenant. “L’histoire des différentes communautés linguistiques en Suisse est pleine de mystifications, dit-il. La première est de s’imaginer que la Suisse serait plurilingue, ce qui en grande partie est faux. L’allemand n’a jamais eu de place importante en Romandie. C’est le fait d’avoir vécu aussi longtemps sur ce mythe qui crée aujourd’hui cet effritement, le décalage décevant entre fantasme et réalité.” Un danger pour la cohésion du pays ? Hans-Ulrich Jost ne croit pas que, en Suisse, la question des langues soit fermement liée à l’unité nationale. “Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le sentiment nationaliste était officiellement valorisé, et le plurilinguisme était l’un de ses arguments. Mais, aujourd’hui, l’espace référentiel des Suisses n’a plus grand-chose à voir avec l’idée de nation. Celle-ci s’exprimerait plutôt sous forme régionale, KOSOVO Accueil mitigé pour l’ultime administrateur de l’ONU l’instar de Die Welt de Berlin, la presse allemande présente le nouvel administrateur de l’ONU au Kosovo, Joachim Rücker, comme un homme “dynamique, pragmatique et proche des citoyens”. Après avoir exercé à Sarajevo, puis à Pristina, à la tête du département de reconstruction économique au sein de la mission onusienne au Kosovo (MINUK), ce social-démocrate s’attelle à sa nouvelle tâche, en rappelant volontiers un précepte de Willy Brandt : “Il faut vouloir l’impossible pour atteindre le possible.” Après Michael Steiner, il est le deuxième Allemand à administrer le Kosovo. La classe politique kosovare s’est félicitée de sa nomination, la qualifiant de “meilleur choix” pour le Kosovo. Le quotidien Zeri souligne ses efforts pour l’assainissement de l’économie kosovare, qu’il qualifie de “contribution essentielle”. Koha Ditore estime pour sa part que le processus de privatisation des entreprises d’Etat mené sous sa houlette a également été un succès. Seul bémol, la une d’Express, barrée du titre “Le chef de l’obscurité et de la privatisation”. Si Joachim Rücker a “réussi la privatisation des entreprises publiques, il a complètement échoué dans la gestion de la crise énergétique”, affirme le quotidien. Il ajoute que le diplomate allemand ne A jouera pas un rôle aussi impor tant que ses prédécesseurs, étant, comme il se plaît à le répéter luimême, le “dernier administrateur du Kosovo” avant que la province ne soit fixée sur son statut final. En revanche, à Belgrade, c’est le scepticisme qui prévaut. “J’espère que Joachim Rücker ne va pas commettre la même erreur que son prédécesseur [le Danois Soeren JessenPetersen, démissionnaire depuis juillet pour raisons personnelles] et devenir un lobbyiste albanais”, a déclaré Goran Bogdanovic, l’un des négociateurs serbes présents aux pourparlers sur le statut du Kosovo qui se tiennent à Vienne, dans les colonnes de Vecernje Novosti. Les médias serbes se font également l’écho des critiques de la minorité serbe de la province, qui estime que la privatisation assurée par Joachim Rücker s’est faite à ses dépens. Elle lui reproche aussi les coupures intempestives de courant en plein hiver. Danas rappelle que, à compter du 1er septembre, le commandement de la force de stabilisation de l’OTAN dans la province (KFOR) sera également confié à un Allemand, le général Roland Kather. Le quotidien belgradois s’alarme de cette “double gouvernance allemande, civile et militaire”. Une situation “sans précédent”, souligne le journal. COURRIER INTERNATIONAL N° 825 13 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 comme on a pu le voir récemment avec l’annonce de la création d’une métropole zurichoise.Ce décalage est donc inévitable, selon moi.En fait de collaboration, je verrais plutôt la Romandie s’ouvrir vers la France voisine,Annecy, Lyon, etc., si nous ne voulons pas devenir une banlieue de Zurich, poursuit Hans-Ulrich Jost. Une ouverture qui, à moyen ou à long terme, signifierait une dissolution de la Suisse telle que nous la connaissons.” Mais on n’en est pas encore là, et, pour l’instant, la question en appelle d’autres, notamment au niveau du secondaire. Si l’université produit de moins en moins de germanistes, le nombre de candidats aux postes de professeurs d’allemand va diminuer, et la qualité de l’enseignement de cette langue également. Comment dit-on “cercle vicieux”, en allemand ? Gaspard Turin 825_pp14-15 22/08/06 14:52 Page 14 e u ro p e UKRAINE Cahin-caha, la démocratie fait son chemin Pour l’ancien ambassadeur des Etats-Unis à Kiev, tous les espoirs sont permis, malgré les soubresauts politiques des derniers mois et le retour aux commandes de Viktor Ianoukovitch. OUKRAÏNSKA PRAVDA Kiev ’effondrement, en Ukraine, de la coalition “orange”, qui a servi d’exemple à tant d’autres, est un camouflet démoralisant pour les forces démocratiques du monde entier. Il a en outre donné du cœur à ceux qui, en Russie, haïssent et craignent les révolutions “colorées”, au premier rang desquels Vladimir Poutine. En dépit du désordre politique actuel, il y a cependant quelques raisons d’espérer. La démocratie pluripartite se porte bien en Ukraine. Certes, il lui arrive de se montrer brutale, voire repoussante et corrompue. Mais, quand il s’agit de favoriser le développement du pays en tant qu’Etat unitaire entretenant à la fois des liens de plus en plus étroits avec la communauté euroatlantique et des relations normales avec la Russie, elle fonctionne également sur le mode de la négociation et du compromis. Pour y parvenir, les principaux acteurs politiques ukrainiens doivent donc accorder davantage de poids aux intérêts nationaux et mettre moins l’accent sur leur pouvoir personnel. A première vue, l’évolution de la situation au cours des deux dernières années s’est traduite par un échec. A l’automne 2004, la “révolution orange” a rassemblé des millions de personnes, venues sur la place de l’Indépendance, à Kiev, pour contester la fraude électorale et soutenir leur candidat. Ce déferlement populaire a finalement porté Viktor Iouch- L tchenko à la présidence, en janvier 2005. Neuf mois plus tard, à la suite d’accusations de corruption mettant en cause Iouchtchenko et son Premier ministre populiste Ioulia Timochenko, le gouvernement “orange” s’écroulait. Lors des législatives de mars 2006, exaspérée par le président, l’opinion publique a offert la première place au parti de Viktor Ianoukovitch, le perdant de la présidentielle de 2004, aujourd’hui Premier ministre. La “révolution orange” a toutefois eu une conséquence moins visible mais tout aussi importante, à savoir la disparition en Ukraine de ce que l’on appelle en Russie la “démocratie dirigée”. Désormais, les élections ne peuvent plus être remportées par un parti au pouvoir qui en dicterait le résultat. Les électeurs ont appris que pouvoir et responsabilité proviennent des urnes, non du bureau du président en exercice. En se faisant l’avocat du droit du peuple à défier ses dirigeants, la “révolution orange” a garanti que l’opposition politique aurait un avenir dans le pays. Reste que le résultat mitigé de ces élections a entraîné une paralysie. Iouchtchenko, Timochenko, Ianoukovitch et d’autres ont peiné à mettre en place un gouvernement fonctionnel. Ils ont passé plus de temps à se De haut en bas : Vladimir Poutine, Viktor Ianoukovitch, Viktor Iouchtchenko. Dessin de Nico paru dans Tages Anzeiger, Zurich. ■ Cohabitation ukrainienne détruire, ou du moins à se marginaliser les uns les autres, qu’à apporter la stabilité, la prospérité économique, l’ouverture politique, la responsabilité gouvernementale et sociale que réclamaient les électeurs. Il n’est pas étonnant que beaucoup de ceux qui s’étaient ralliés à la cause orange manifestent aujourd’hui leur amertume. Ce n’est pas là la démocratie qu’ils avaient appelée de leurs vœux. Iouchtchenko s’est résolu à nommer, début août, son rival prorusse Ianoukovitch au poste de Premier ministre, mettant ainsi fin à une crise politique de quatre mois. Pour le quotidien Kievski Telegraf, ce retour du grand perdant de la “révolution orange” apparaît comme un “supercompromis” entre le président, le Parti des régions, les communistes et les socialistes. Mais “le président ne manquera pas de mettre des bâtons dans les roues du nouveau gouvernement”. La crise politique aura duré plus de quatre mois. Que faire maintenant ? Tout nouvel accord sur le gaz avec Moscou devrait faire l’objet d’une consultation populaire et être réalisé par le biais d’offres publiques. Les dirigeants doivent lutter contre l’idée selon laquelle la quête du pouvoir se résume au droit de puiser dans les caisses du secteur gazier. Et nous autres, membres de la communauté internationale, devrions admettre que c’est à l’Ukraine de régler seule ce problème. Les amis de l’Ukraine devraient bien sûr clairement affirmer que la porte de l’OTAN lui reste ouverte et que l’UE n’a pas tiré un trait définitif sur la poursuite de l’élargissement, car de telles perspectives poussent les partis politiques à la coopération. Enfin, il y a la Russie. Dans cette tragédie domestique, la Russie ne devrait pas avoir de rôle à jouer. L’Ukraine doit entretenir de bonnes relations avec tous ses voisins, lesquels doivent en retour reconnaître qu’une Ukraine souveraine, démocratique et prospère est un atout et non une menace. Carlos Pascual* * Vice-président de la Brookings Institution et ancien ambassadeur des Etats-Unis en Ukraine. W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com VU DE MOSCOU Un Premier ministre plus fréquentable Le gaz reste le principal sujet d’achoppement entre la Russie et l’Ukraine. L’arrivée au pouvoir d’un prorusse ne signifie pas que tout est réglé. Loin s’en faut. Moscou, la nomination de Viktor Ianoukovitch au poste de Premier ministre d’Ukraine a été accueillie avec espoir. Et cela n’est pas dû au fait qu’il soit censé être prorusse, car en maintes occasions, sous la pression des circonstances, on a pu voir que cela n’était pas aussi simple. La Russie a ainsi été très déçue par son comportement lorsqu’il s’est élevé, en janvier 2006, contre les accords gaziers conclus entre les deux pays. A l’époque, le président Iouchtchenko et son Premier ministre d’alors, Iouri Ekhanourov, avaient même semblé plus proches de la Russie que Ianoukovitch lui-même. Toutefois, Moscou sait A parfaitement que le chef du Parti des régions s’appuie sur l’électorat du sud-est de l’Ukraine et qu’il sera donc contraint de tenir compte de ses désirs, en particulier de sa volonté d’entretenir de bonnes relations avec la Russie. On s’attend dès lors à un réchauffement des rapports entre les deux pays. Les déclarations seront probablement moins enflammées et plus amicales. Les sujets graves ne seront pas instrumentalisés et l’Ukraine s’efforcera de manifester plus de considération pour les intérêts de la Russie. Le déplacement de Viktor Ianoukovitch à Sotchi [le 16 août, sa première visite à l’étranger depuis qu’il est en poste] et ses pourparlers avec son homologue russe, Mikhaïl Fradkov, ont montré que seule l’ambiance des discussions était devenue plus chaleureuse. Sur le fond, les divergences n’ont pas disparu. En s’alliant à Iouchtchenko, Ianoukovitch a été obligé de prendre une teinte orangée, et les deux hommes sont désormais à peu près d’accord sur l’intégration européenne de l’Ukraine, sa participation à l’Espace économique unifié [une des trois organisations supranationales avec l’Organisation du traité de sécurité collective et la Communauté économique eurasiatique, créées respectivement en 2000 et 2003], le futur statut de la langue russe en Ukraine, etc. Pour ce qui est du gaz, sa position en tant que nouveau Premier ministre est devenue plus pragmatique, mais pas plus efficace. Pour la Russie, négocier avec Ekhanourov ou Ianoukovitch ne fait finalement pas grande différence. Le gaz est cependant un sujet moins sensible à ce jour, pour des raisons conjoncturelles. Après que le Turkménistan a menacé la Rus- COURRIER INTERNATIONAL N° 825 14 sie d’augmenter ses tarifs gaziers et, au cas où celle-ci s’y opposerait, de cesser ses fournitures de gaz, il est devenu nécessaire pour Moscou d’éviter toute éventualité d’une crise gazière avec l’Ukraine. Car, en cas de problème, le gaz turkmène destiné à la Russie pourrait être vendu à Kiev, et Moscou verrait ainsi disparaître sa situation de monopole. Voilà pourquoi le prix du gaz n’augmentera pas en Ukraine jusqu’à la fin 2006, comme l’ont confirmé les discussions entre les deux Premiers ministres. Leurs grandes déclarations af firmant qu’ils avaient définitivement réglé la question des livraisons de gaz relèvent de la pure tactique diplomatique et visent à montrer que les relations entre les deux pays s’arrangent à nouveau. Il est donc facile de prévoir ce qui attend l’Ukraine une fois que la DU 24 AU 30 AOÛT 2006 Russie et le Turkménistan seront par venus à régler leur différend. Moscou rever ra ses prix à la hausse, et il est peu probable que Viktor Ianoukovitch parvienne à l’en dissuader. Après avoir assisté à la “révolution orange” et avoir été déçue par les hommes politiques censés être prorusses dans plusieurs Etats issus de l’ex-URSS (outre Ianoukovitch, le président moldave Vladimir Voronine est par exemple concerné), la Russie n’a plus l’intention de prendre ses décisions en fonction d’une loyauté supposée de ses “agents” à l’étranger. En outre, Moscou a toujours eu l’esprit pratique et, de ce point de vue, Ianoukovitch a plus de chances de parvenir à une amélioration des relations avec la Russie que des personnalités “orange” plus radicales et passionnées. Tatiana Stanovaïa, Politkom.ru (extraits), Moscou 825_pp14-15 22/08/06 14:52 Page 15 e u ro p e ROUMANIE Dracula bientôt sans domicile Après avoir appartenu pendant cinquante-huit ans à l’Etat, la mythique demeure doit être rendue à ses propriétaires qui, eux, n’aiment pas les histoires de vampires. EVENIMENTUL ZILEI (extraits) Bucarest e château transylvain de Bran, plus connu sous le nom de “château de Dracula”, représente la principale attraction touristique de la région, voire de toute la Roumanie. Il constitue une source non négligeable de revenus pour les artisans, restaurateurs et hôteliers de la région. Etape importante dans tous les circuits touristiques, la bâtisse est connue dans le monde entier grâce au romancier irlandais Bram Stoker, auteur de Dracula (1897). Les deux écrivains ont suggéré que ce château médiéval pouvait être la demeure du vampire assoiffé de sang. Il n’en fallait pas plus aux autorités de Brasov, la principale ville de la région, pour sauter à pieds joints dans le mythe et encourager la “Dracula attitude”, surtout pendant les mois d’été, lorsque les Occidentaux à la recherche d’émotions fortes font le déplacement. Les pensions n’oublient pas d’accrocher sur leur porte une guirlande d’ail pour chasser le strigoi, équivalent roumain du vampire, et surtout mieux atti- L rer le client. Mais cette manne risque de bientôt se tarir. Le château a été construit en 1378 à la suite de la promulgation d’un édit du roi Ludovic d’Anjou, qui accordait aux habitants de Brasov le droit de “construire une citadelle en pierre par leurs propres moyens”. En 1920, la ville de Brasov en fit don à la reine Marie de Habsbourg, en signe de reconnaissance pour sa contribution à l’Union des principautés roumaines du 1er décembre 1918 [le 1er décembre est désormais le jour de la fête nationale en Roumanie]. Elle le transforma en résidence d’été. C’EST JUSTE UNE FICTION, MÊME PAS PLAISANTE A sa mort, sa fille, la princesse Ileana, qui avait l’habitude d’y séjourner avec son époux et ses six enfants, en hérita avant de le transformer en hôpital pendant la Seconde Guerre mondiale. Les héritiers de la princesse sont aujourd’hui Maria-Magdalena Holzhausen et Elisabeth Sandhofer, qui résident en Autriche, et Dominic HabsbourgLothringen, qui vit aux Etats-Unis. Ce dernier, architecte à New York, se trouve quelque peu embarrassé par l’association entre sa propriété et la légende sanglante. “C’est juste une fiction, même pas plaisante. Mais que puisje faire ? Pour moi, c’est simplement ma maison et celle de ma grand-mère”, explique-t-il. Une demeure qu’il lui tarde de récupérer. En 1948, la famille royale a été expulsée. Le château, abandonné et dévasté, est entré dans le patrimoine de l’Etat roumain avant d’être aménagé, en 1956, comme musée d’Histoire et d’art du Moyen Age. Dominic avait 10 ans à l’époque. “C’était l’hiver, se souvient-il. Nous avons été chassés du pays et on ne nous a permis de revenir que pour prendre quelques affaires. J’ai toujours souhaité y revenir. Maintenant, je le peux.” Au bout de presque soixante ans, la loi sur la restitution des propriétés confisquées sous le régime communiste a effectivement donné raison aux petits-enfants de la reine Marie. Après avoir appartenu pendant cinquante-huit ans à l’Etat roumain, le château est en passe de revenir aux descendants de l’ancienne souveraine. En attendant de finaliser l’opération, ces derniers ont signé, en mai 2006, COURRIER INTERNATIONAL N° 825 15 ■ Légende et réalité La légende de Dracula nous ramène à la véritable histoire de Vlad Tepes III (1431-1476), dit Vlad l’Empaleur, souverain roumain particulièrement cruel envers ses ennemis, les Ottomans, mais toujours considéré comme un héros national en Roumanie. C’est l’écrivain Bram Stoker qui a forgé la légende, en 1897, en le confondant avec le vampire : “Le roi Dracula qui a eu sa renommée en luttant contre les Turcs.” DU 24 AU 30 AOÛT 2006 un accord avec l’Etat autorisant celuici à conserver leur domaine (comprenant le château, la maison de thé, le parc et ses deux lacs) dans les circuits touristiques pour encore trois ans. Mais après ? Cet “après” fait peur aux employés du château, tiraillés entre espoir et fatalisme. Il y a ceux qui espèrent que la bonté de feu la reine Marie – que l’histoire décrit comme étant très proche du village et de ses habitants – se soit transmise à ses héritiers. “Le château de Bran était cher au cœur de la reine. On ne va pas nous laisser tomber comme ça”, déclare l’une des employées. Et puis, il y a ceux qui cherchent déjà des alternatives, après dix ans de bons et loyaux services au château. “Je pars à l’étranger, c’est décidé, affirme une autre salariée. J’ai deux filles en Espagne, je vais y avoir un petit-fils, je m’en occuperai làbas.” Heureuse de partir ? Oui, finalement, parce qu’entre les murs du château, épais de plus de 2 mètres, on ne vit pas si bien que ça, principalement à cause “de l’humidité et du froid”… A moins que le nouveau propriétaire n’y fasse installer le chauffage central. Simona Popica 825_p15 22/08/06 14:49 Page 15 e u ro p e ROUMANIE Dracula bientôt sans domicile Après avoir appartenu pendant cinquante-huit ans à l’Etat, la mythique demeure doit être rendue à ses propriétaires, qui, eux, n’aiment pas les histoires de vampires. EVENIMENTUL ZILEI (extraits) Bucarest e château transylvain de Bran, plus connu sous le nom de “château de Dracula”, représente la principale attraction touristique de la région, voire de toute la Roumanie. Il constitue une source non négligeable de revenus pour les artisans, restaurateurs et hôteliers de la région. Etape importante dans tous les circuits touristiques, la bâtisse est connue dans le monde entier grâce au romancier irlandais Bram Stoker, l’auteur de Dracula (1897). L’écrivain a suggéré que ce château médiéval pouvait être la demeure du vampire assoiffé de sang. Il n’en fallait pas plus aux autorités de Brasov, la principale ville de la région, pour sauter à pieds joints dans le mythe et encourager la “Dracula attitude”, surtout pendant les mois d’été, lorsque les Occidentaux à la recherche d’émotions fortes font le déplacement. Les pensions n’oublient pas d’accrocher sur leur porte une guirlande d’ail pour chasser le strigoi, équivalent roumain du vampire, et surtout pour mieux atti- L rer le client. Mais cette manne risque de bientôt se tarir. Le château a été construit en 1378 à la suite de la promulgation d’un édit du roi Ludovic d’Anjou, qui accordait aux habitants de Brasov le droit de “construire une citadelle en pierre par leurs propres moyens”. En 1920, la ville de Brasov en fit don à la reine Marie de Habsbourg, en signe de reconnaissance pour sa contribution à l’Union des principautés roumaines du 1er décembre 1918 [le 1er décembre est désormais le jour de la fête nationale en Roumanie]. Cell-ci le transforma en résidence d’été. C’EST JUSTE UNE FICTION, MÊME PAS PLAISANTE A sa mort, sa fille, la princesse Ileana, qui avait l’habitude d’y séjourner avec son époux et ses six enfants, en hérita avant de le transformer en hôpital, pendant la Seconde Guerre mondiale. Les héritiers de la princesse sont aujourd’hui Maria-Magdalena Holzhausen et Elisabeth Sandhofer, qui résident en Autriche, et Dominic HabsbourgLothringen, qui vit aux Etats-Unis. Ce dernier, architecte à New York, se trouve quelque peu embarrassé par l’association entre sa propriété et la légende sanglante. “C’est juste une fiction, même pas plaisante. Mais que puisje faire ? Pour moi, c’est simplement ma maison et celle de ma grand-mère”, explique-t-il. Une demeure qu’il lui tarde de récupérer. En 1948, la famille royale a été expulsée. Le château, abandonné et dévasté, est entré dans le patrimoine de l’Etat roumain avant d’être aménagé, en 1956, comme musée d’Histoire et d’art du Moyen Age. Dominic avait 10 ans à l’époque. “C’était l’hiver, se souvient-il. Nous avons été chassés du pays et on ne nous a permis de revenir que pour prendre quelques affaires. J’ai toujours souhaité y revenir. Maintenant, je le peux.” Au bout de presque soixante ans, la loi sur la restitution des propriétés confisquées sous le régime communiste a effectivement donné raison aux petits-enfants de la reine Marie. Après avoir appartenu pendant cinquante-huit ans à l’Etat roumain, le château est en passe de revenir aux descendants de l’ancienne souveraine. En attendant de finaliser l’opération, ces derniers ont signé, en mai 2006, COURRIER INTERNATIONAL N° 825 15 ■ Légende et réalité La légende de Dracula nous ramène à la véritable histoire de Vlad Tepes III (1431-1476), dit Vlad l’Empaleur, souverain roumain particulièrement cruel envers ses ennemis, les Ottomans, mais toujours considéré comme un héros national en Roumanie. C’est l’écrivain Bram Stoker qui a forgé la légende, en 1897, en le confondant avec le vampire : “Le roi Dracula, qui a acquis sa renommée en combattant les Turcs.” DU 24 AU 30 AOÛT 2006 un accord avec l’Etat autorisant celuici à conserver leur domaine (comprenant le château, la maison de thé, le parc et ses deux lacs) dans les circuits touristiques pour encore trois ans. Mais après ? Cet “après” fait peur aux employés du château, tiraillés entre espoir et fatalisme. Il y a ceux qui espèrent que la bonté de feu la reine Marie – que l’histoire décrit comme étant très proche du village et de ses habitants – se soit transmise à ses héritiers. “Le château de Bran était cher au cœur de la reine. On ne va pas nous laisser tomber comme ça”, déclare l’une des employées. Et puis, il y a ceux qui cherchent déjà des alternatives, après dix ans de bons et loyaux services au château. “Je pars à l’étranger, c’est décidé, affirme une autre salariée. J’ai deux filles en Espagne, je vais y avoir un petit-fils, je m’en occuperai làbas.” Heureuse de partir ? Oui, finalement, parce qu’entre les murs du château, épais de plus de 2 mètres, on ne vit pas si bien que ça, principalement à cause “de l’humidité et du froid”… A moins que le nouveau propriétaire n’y fasse installer le chauffage central. Simona Popica 825 p16-17 amériques/7 22/08/06 15:12 Page 16 amériques ● É TAT S - U N I S Les républicains reprennent des couleurs La défaite du démocrate Joseph Lieberman lors de primaires et le projet d’attentat déjoué à Londres : deux événements dont pourrait bénéficier le camp de George W. Bush lors du scrutin de novembre. Dick Cheney : “Soit vous votez pour nous, soit vous êtes avec les terroristes.” Le perroquet Bush : “Ayez peur ! ayez peur ! ayez peur !” Dessin d’Ann Telnaes paru dans The New York Times, Etats-Unis. THE NEW YORK TIMES New York DE CRAWFORD (TEXAS) u début du mois d’août, George W. Bush se trouvait devant les perspectives électorales les plus sombres auxquelles il ait eu à faire face depuis son arrivée au pouvoir. Le Parti républicain était divisé sur sa réforme de l’immigration et incertain des conséquences politiques de la violence en Irak. La MaisonBlanche avait beau s’évertuer à rallier les républicains autour du programme du président, plusieurs candidats prenaient leurs distances à l’égard de Bush et insistaient sur sa faible cote de popularité. Mais deux événements sont venus éclairer ce sombre tableau de la désunion républicaine. Le premier a été la défaite du démocrate Joseph Lieberman aux primaires du Connecticut pour les élections du mois de novembre. Sénateur de longue date, ardent défenseur de la guerre en Irak, il a été battu par Ned Lamont, un démocrate relativement nouveau dans le paysage politique qui a été élu en grande partie pour sa campagne contre la guerre. A Car toonists & Writers Syndicate Sondage Le second événement a été l’annonce du complot terroriste de grande envergure déjoué par la Grande-Bretagne. La Maison-Blanche et les républicains du Congrès se sont appuyés sur ces faits pour asséner un gauchedroite, d’abord en présentant les démocrates comme des irrésolus dans le domaine de la sécurité nationale, puis en se servant du présumé complot terroriste pour insister sur la menace permanente qui pèse sur les Etats-Unis. Lorsque les principaux stratèges politiques de Bush se sont retrouvés, Le projet d’attentats déjoué à Londres a porté la cote de popularité du président Bush à son meilleur niveau depuis six mois, 42 %, selon un sondage réalisé par USA Today. Quant à sa façon de gérer le terrorisme, elle est approuvée par 55 % des sondés, le chiffre le plus élevé depuis un an. le 11 août, dans le ranch présidentiel pour une collecte de fonds, les événements leur ont offert le moyen de rassembler un Parti républicain qui était à deux doigts de la fracture au moment où il devait entamer la dernière ligne droite de la campagne. Tous pouvaient faire bloc encore une fois autour du grand cheval de bataille de Bush, la lutte contre le terrorisme. L’offensive a été promptement coordonnée par le Comité national républicain et la Maison-Blanche, utilisant les mêmes rouages politiques qui avaient mené les républicains à la victoire en 2004. LES DÉMOCRATES ACCUSÉS D’ÊTRE “DÉFAITOCRATES” Quelques jours avant la défaite attendue de Lieberman dans le Connecticut, les républicains en avaient déjà profité pour qualifier les démocrates de “défaitocrates”. Le terme est apparu pour la première fois dans un mémorandum de la Maison-Blanche rédigé par le porte-parole de Bush, Tony Snow, où il suggérait les orientations à donner au débat. L’assaut s’est poursuivi avec l’annonce du complot découvert par les services de renseignements britanniques, annonce sur laquelle les républicains É TAT S - U N I S A La Nouvelle-Orléans, on attend toujours Godot Un an après le passage de Katrina, il faut bien constater que les promesses des politiques n’ont pas été tenues. n ne voit plus, à La Nouvelle-Orléans, de corps sans vie dérivant sur les flots ni de familles cramponnées à des toits brûlants ou massées dans l’obscurité misérable du Superdome. Mais l’année qui a suivi l’ouragan Katrina a été une catastrophe en soi, plus silencieuse mais à bien des égards plus terrible encore que l’ouragan. Si Katrina avait levé le voile sur les tares de la société américaine (un gouvernement fédéral pitoyable, un sens de la solidarité défaillant, une pauvreté croissante), la suite n’a fait que les confirmer. Nous ne plaidons plus l’ignorance en ce qui concerne cette ville brisée et vulnérable qu’est La Nouvelle-Orléans. Mais nous avons été lamentables quant à l’aide dont la ville avait besoin. Si élevées qu’aient été les dépenses de reconstruction – à entendre le Congrès ou le gouvernement –, elles sont loin de suffire à la prise en charge des victimes de Katrina et à la reconstruction de la ville. Cer tes, la routine d’avant la catastrophe semble avoir repris ses droits dans de nombreux quartiers, mais des pans O entiers des infrastructures sont encore dans un état qui les fait ressembler à Bagdad. De vastes zones de la ville subissent des coupures d’électricité quotidiennes. Le système des eaux municipal perd 320 millions de litres par jour. Les soins médicaux se sont réduits comme peau de chagrin : des centaines de médecins et d’infirmiers ont fui la ville, et seule la moitié des hôpitaux accueille les malades. On a du mal à se rappeler le grand élan d’idéalisme qu’avait déclenché Katrina il y a un an. Les démocrates déclaraient que la catastrophe les avait rapprochés de l’esprit de Franklin Roosevelt et qu’ils avaient retrouvé une nouvelle fier té. A La Nouvelle-Orléans, George W. Bush avait fait son show sur Jackson Square, se présentant comme un nouveau Michael Harrington [1928-1989, démocrate socialiste, défenseur des plus pauvres]. Le Congrès avait promis qu’il n’hésiterait pas à vider les caisses pour sauver la ville. La reconstruction de La Nouvelle-Orléans, clamait le monde politique, allait redonner au pays ce bon vieux sens de l’engagement national. De l’argent est bien arrivé jusque sur les rives du bas Mississippi, mais cet “engagement national” ne s’est jamais confirmé. La reconstruction s’est faite au petit bonheur, sans grand plan directeur. Le maire, Ray Nagin, n’a toujours pas présenté son grand projet de reconstruction de la ville. Celui-ci est maintenant annoncé pour la fin de l’année. Personne ne s’attendait à ce que La Nouvelle-Orléans se relève du jour au lendemain. Mais le Congrès et les pouvoirs locaux ont lambiné, et leur lenteur aura un coût irréversible. Les propriétaires de logement déplacés viennent seulement d’obtenir des subventions fédérales leur permettant de reconstruire. Mais beaucoup d’habitants ont décidé de ne pas revenir. La réaction à Katrina n’a pas montré que les républicains étaient dépourvus de tout sentiment de compassion, mais qu’ils la réservaient aux Etats dirigés par d’anciens pontes du par ti. Les démocrates, quant à eux, se sont illustrés par un silence décevant, préférant vilipender l’incompétence des républicains en politique extérieure plutôt qu’intérieure. Rien d’étonnant à ce que la nouvelle “guerre contre la pauvreté*” tant annoncée n’ait finalement été qu’une vague escarmouche : il n’y a pas une seule nouvelle mesure de lutte contre la pauvreté, pas COURRIER INTERNATIONAL N° 825 16 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 même un renforcement des anciennes. Résultat : le nombre d’Américains vivant au-dessous du seuil de pauvreté a augmenté l’année dernière, comme d’ailleurs chaque année depuis l’arrivée de Bush à la présidence. On pourrait donner à cette inaction des explications historiques et culturelles. Le dynamisme américain a un revers : sa tendance à l’amnésie, son besoin irrépressible d’oublier la douleur et d’attendre qu’Oliver Stone fasse un film pour que la catharsis ait lieu. Chaque fois que survient un événement “qui va tout changer”, la vie américaine poursuit obstinément son bonhomme de chemin. Sauf, bien sûr, quand cela se révèle impossible, comme pour ces centaines de milliers d’habitants déplacés par l’ouragan Katrina qui attendent encore de vivre normalement dans leur ville – ce qui ne viendra peut-être jamais. Le gouvernement a manqué à ses obligations envers eux à deux reprises. La première fois, la catastrophe était difficile à prévoir. Mais, cette fois-ci, en revanche, il lui aurait été facile d’agir. The New Republic, Washington * Référence à la “war on poverty” que Lyndon Johnson avait lancée en 1964. 825 p16-17 amériques/7 22/08/06 15:12 Page 17 amériques M E X I QU E Cérémonie à haut risque pour Vicente Fox Le feuilleton politico-électoral continue. Le 1er septembre prochain, le président sortant doit remettre au Congrès son dernier rapport de mandature. L’opposition de gauche compte bien perturber cette cérémonie officielle. PLUSIEURS FAÇONS DE LUTTER CONTRE LE TERRORISME Quoi qu’il en soit, l’annonce du complot aura au moins aidé la MaisonBlanche et le Parti républicain à accomplir une tâche à laquelle ils ont travaillé pendant toute l’année : réunir le parti et le président. Au début du mois d’août, alors que la défaite de Lieberman semblait certaine, le Comité national républicain et la Maison-Blanche avaient commencé à rallier le parti autour de l’idée d’un basculement des démocrates du côté de la gauche antiguerre. Ken Mehlman, membre du Comité, avait sonné le coup d’envoi de la campagne contre les “défaitocrates” dans un discours prononcé dans l’Etat stratégiquement essentiel qu’est l’Ohio. De son côté, Tony Snow a expliqué, il y a deux semaines, aux journalistes présents à Crawford qu’il y avait plusieurs façons de lutter contre le terrorisme. “Dans le Connecticut, l’une d’entre elles consiste à ignorer délibérément les difficultés et à leur tourner le dos”, a-t-il notamment affirmé, avant d’ajouter qu’ignorer “la menace que représentait, en 1991, Oussama Ben Laden, avait conduit celui-ci à en déduire que les Américains étaient faibles et ne tiendraient pas le coup. Cela nous a menés au 11 septembre.” Cependant, les républicains reconnaissent aussi qu’il est impossible de prédire quoi que ce soit. “Lorsque des événements de cette nature se produisent, l’onde de choc balaie tout le paysage politique et bouleverse bien des choses, concède un haut fonctionnaire républicain. La balance peut pencher très vite d’un côté ou de l’autre, parce que ce sont des événements impossibles à maîtriser avec les moyens politiques habituels.” Jim Rutenberg MILENIO SEMANAL Mexico a confrontation entre le président sortant Vicente Fox et ses adversaires politiques sera bientôt à son comble : comme la Constitution l’exige, il doit comparaître le 1er septembre prochain devant le Congrès fédéral afin de remettre le dernier rapport annuel de son gouvernement et prononcer un discours. Or les protestations pourraient avoir lieu tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’hémicycle. Rien n’empêche en effet le groupe parlementaire du PRD (Parti de la révolution démocratique, gauche) d’inviter son opposant le plus radical : Andrés Manuel López Obrador [dit AMLO, candidat de gauche à la présidence, il conteste le résultat de l’élection du 2 juillet dernier et exige le recomptage des voix]. Cette éventualité n’a rien de chimérique, à en croire le discours tenu par AMLO lors de sa réunion publique du 14 août dernier sur le Zócalo [la place centrale de Mexico, où il réunit régulièrement ses troupes et les informe des actions en cours], après que ses partisans ont été chassés à coups de matraque des abords de la Chambre des députés [le président Fox a fait évacuer la place par l’armée]. “Pourquoi une telle violence ? On nous dit que c’est pour protéger la Chambre des députés, alors qu’il reste encore plus de quinze jours avant la remise du rapport. Pourquoi maintenant ? Serait-ce un message d’intimidation ? Nous aurons peutêtre peur, car nous sommes humains, mais nous ne sommes pas lâches, monsieur le président”, a déclaré le candidat déçu du PRD, avant de lancer un dernier avertissement : “Encore quinze jours à attendre,mais notre décision est prise :nous serons à la Chambre des députés le 1er septembre !” Des milliers de sympathisants du PRD sont aussi attendus ce jour-là aux abords du Parlement pour exiger un nouveau décompte “bulletin par bulletin et bureau de vote par bureau de vote” des suffrages exprimés. En attendant, dès l’évacuation des campements de “résistance civile” des partisans du PRD [qui se sont installés dans tout le centre-ville depuis la proclamation des résultats contestés de l’élection], un bon millier de policiers et de militaires ont bloqué les voies d’accès à la Chambre des députés. Et, depuis le 15 août au matin, l’édifice est entouré de barrières métalliques hautes de plus de deux mètres et des patrouilles militaires circulent en permanence autour de l’édifice. Si on ajoute à cela les véhicules antiémeutes des autorités fédérales, le bâtiment a pris des allures de forteresse. Le président mexicain aura certes à sa disposition divers moyens pour empêcher les manifestants de pénétrer à l’heure dite dans l’enceinte L La démocratie mexicaine. Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexico. Suspens On ne sait toujours pas qui sera le prochain président du Mexique. A l’issue de l’élection du 2 juillet, le candidat conservateur, Felipe Calderón, avait été donné vainqueur avec une courte avance, mais, face à l’ampleur des contestations, le Tribunal électoral a ordonné un recomptage partiel dans 9 % des bureaux de vote (soit 11 800 sur 130 000). L’institution a jusqu’au 6 septembre pour désigner le nouveau président. “La manipulation est confirmée”, rapporte l’hebdomadaire Proceso, qui affirme que le recomptage partiel a d’ores et déjà mis en évidence une multitude d’anomalies. COURRIER INTERNATIONAL N° 825 Cagle Car toons ont rebondi en disant qu’elle mettait en évidence les enjeux d’un combat que les démocrates n’étaient pas prêts à affronter. Mais les démocrates – voyant dans cette information l’occasion de faire une percée politique – se sont centrés sur la question de la sécurité nationale et ont accusé les républicains d’avoir mal géré la guerre et d’avoir rendu le pays plus vulnérable aux attentats. “Si le Parti républicain pense qu’il dispose d’un bon cheval de bataille politique, il se trompe”, a déclaré Charles Schumer, sénateur de l’Etat de New York et président du Comité démocrate pour la campagne sénatoriale. Un important stratège républicain a par ailleurs averti les candidats de son parti qu’ils pouvaient s’attendre à de grandes difficultés dans les Etats où la guerre et le président Bush sont impopulaires. du Parlement (on parle même d’hélicoptères), mais, une fois dans l’hémicycle, il n’échappera pas à l’offensive du plus important groupe parlementaire PRD de l’Histoire [160 députés sur 500 et 36 sénateurs sur 128]. Et, derrière le cordon de sécurité formé autour du palais de San Lázaro, le chef de l’exécutif connaîtra sans doute les deux heures les plus éprouvantes de son mandat. SLOGANS ET HUÉES N’ONT RIEN DE NOUVEAU POUR FOX La cérémonie du 1er septembre réunira 1 500 invités spéciaux : ambassadeurs, consuls et autres dignitaires étrangers, gouverneurs et présidents de congrès locaux et de tribunaux d’Etat, dignitaires religieux, dirigeants d’organisations patronales et leaders syndicaux, mais aussi représentants d’organismes nationaux et internationaux. Dans l’hémicycle, quatre mètres derrière le dernier rang des parlementaires, la présidence disposera d’une loge de 60 places réservée à ses invités, parmi lesquels la première dame, Marta Sahagún. Chacun des huit partis représentés dans cette soixantième législa17 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 ture du Congrès de l’Union (PRI, PAN, PRD, PVEM, PT, Convergencia, Nueva Alianza et Alternativa Socialdemócrata) se verra également attribuer plusieurs places pour ses dirigeants et autres militants exemplaires. La séance inaugurale doit s’ouvrir à 17 heures. Deux heures plus tard, quand les huit partis se seront exprimés sur cette sixième et dernière année de mandat du président sortant, ce dernier pénétrera dans l’hémicycle et les représentants du PRD dévoileront alors les surprises qu’ils disent lui réserver. “Si tout se passe bien,Vicente Fox aura droit au pire tollé de sa carrière”, a annoncé le député perredista [du PRD] Iván García Solís. Slogans, huées, cris et pancartes n’ont toutefois rien de nouveau pour Fox, chahuté par les parlementaires de l’opposition dès son investiture, en 2000, à la tête de l’Etat. Mais, si le 1er septembre, le combat politique qui fait rage au Mexique atteint l’un de ses paroxysmes, ce ne sera pas le dernier : le 1er décembre, Vicente Fox devra se rendra en effet une dernière fois au Parlement pour passer la main au nouveau président. Fernando Damián H. 825 P.18-19 22/08/06 16:10 Page 18 amériques DOSSIER CUBA DE FIDEL À RAÚL ■ Hospitalisé le 31 juillet, Fidel Castro a confié les rênes du pays à son frère Raúl. Bref, le pouvoir n’a jamais été vacant, l’ordre socialiste règne et la bataille idéologique se poursuit. “Aucun ennemi ne pourra nous vaincre” Raúl Castro a attendu le 18 août pour donner sa première interview officielle. Chef de l’Etat par intérim depuis l’hospitalisation de Fidel, il révèle l’ampleur des mesures prises pour contrer une éventuelle attaque américaine. GRANMA (extraits) La Havane Général d’armée Raúl Castro Ruz, camarade Raúl, notre peuple a reçu avec joie le message et les photos du commandant en chef publiés par la presse, puis le reportage télévisé de sa rencontre avec le président Chávez. Mais les millions de Cubains qui ont suivi attentivement les informations sur l’état de santé du camarade Fidel seraient très heureux d’entendre votre opinion. RAÚL CASTRO Vous avez raison, ce qui nous intéresse tous en ce moment est la santé du chef. Je félicite et remercie, au nom de tout le peuple, les médecins et tous les camarades qui l’ont soigné, de façon excellente, avec un professionnalisme insurpassable et surtout avec beaucoup d’amour et de dévouement. Cela a été un facteur très important dans le processus de récupération de Fidel. Sans compter son extraordinaire nature physique et mentale, essentielle elle aussi. Nous, Cubains, savons que vous êtes toujours là, présent au poste de combat, même si nous ne vous voyons pas à chaque instant à la télévision ou si nous ne vous lisons pas dans la presse écrite, mais le faire ôterait des armes aux spéculations et aux mensonges des médias étrangers. Tu fais référence à ceux qui, dans d’autres pays, s’amusent à spéculer sur le fait que j’apparaisse ou non à la télévision ou dans les journaux ? Ces commentaires ne me font ni chaud ni froid. Et je suis déjà apparu dimanche [13 août] avec Fidel et à la réception du président Chávez [venu souhaiter ses 80 ans à Fidel Castro le 14 août]. Ce qui m’intéresse en revanche, c’est ce que pense notre peuple, même si heureusement nous vivons dans une île géographiquement petite, où chacun sait ce que fait tout le monde. Je le vérifie chaque fois que je converse avec la population et avec d’autres camarades dirigeants locaux. Les ennemis de la révolution sont restés anéantis par la réaction sans appel de la population cubaine, sourde à leur gigantesque et honteuse campagne d’offenses et de mensonges. Ils parlent avec étonnement du calme régnant à Cuba, comme si c’était quelque chose d’étrange et d’anormal. Oui, il semble qu’ils [les Etats-Unis] avaient fini par croire à leurs propres mensonges. Comme tu disais, il règne dans le pays une totale tranquillité. Mais nous n’avons jamais écarté la menace de l’ennemi. Le faire serait irresponsable, face à un gouvernement comme celui des Etats-Unis, qui déclare avec la plus grande effronterie qu’il n’accepte pas ce qui est établi par la Constitution cubaine. Les Américains affirment qu’ils veulent une transition ver s un rég ime social qui leur convienne et qu’ils “[prendront] note de ceux qui s’opposent à [eux]”, comme s’ils étaient les propriétaires de la planète. Cette attitude bravache, digne d’une bande de quartier et vraiment stupide, est incroyable. Mais c’est celle du président Bush. Certains faucons de l’empire ont vu dans le 31 juillet [date de l’annonce de l’hospitalisation de Fidel Castro] le moment de détruire la révolution. Nous ne pouvions écarter le danger que quelqu’un ne devienne fou, ou plus fou encore, dans le gouvernement américain. Par conséquent, à 3 heures du matin, ce 1 er août, selon des plans approuvés et signés depuis le 13 janvier 2005 par le camarade Fidel, et après les consultations d’usage, j’ai décidé d’accroître de façon substantielle nos capacités et nos dispositifs de combat. Ces mesures comprenaient entre autres la mobilisation de plusieurs dizaines de milliers de réservistes et de miliciens, et l’assignation à nos principales unités régulières, y compris les troupes spéciales, de missions de combat qu’exigeait la situation politico-militaire. Tout le personnel mobilisé a accompli et continue Raúl Castro. Dessin de Cajas paru dans El Comercio, Equateur. ■ Espionnage Les Etats-Unis viennent d’annoncer la nomination d’un responsable spécial chargé des opérations de renseignement à l’encontre de Cuba et du Venezuela, rapporte Página 12. Ce poste qui n’existait jusque-là que pour les pays dits “de l’axe du mal” met Cuba et le Venezuela au même niveau que la Corée du Nord et l’Iran, poursuit le quotidien argentin. d’accomplir en ce moment un impor tant cycle de préparation et de cohésion combatives, dont une partie dans des conditions de conflit. Je ne cherche pas à exagérer les dangers. Jamais je ne l’ai fait. Jusqu’à maintenant, les attaques se sont contentées d’être rhétoriques et se sont limitées à un renforcement substantiel des émissions subversives radiodiffusées et télévisées contre Cuba. Je conclus en félicitant de nouveau notre peuple pour cette démonstration impressionnante de confiance en soi ; une preuve de maturité, de sérénité, d’unité monolithique, de discipline, de conscience révolutionnaire et – mets-le en majuscules – de FERMETÉ, qui m’a rappelé le comportement des Cubains durant les journées héroïques de la “crise des missiles”, en octobre 1962. C’est le fruit d’une révolution dont Fidel a résumé le concept dans son discours du 1er mai 2000, dans les vingt idées de base qui constituent la quintessence du travail politique idéologique. C’est le résultat d’un combat qui a duré de nombreuses années et que nous avons livré sous sa direction. Personne n’en doute : tant que nous resterons ainsi, aucun ennemi ne pourra nous vaincre. Propos recueillis par Lazaro Barrero Medina, directeur général de Granma VU DE W Un avenir démocratique peut- ê Les Etats-Unis semblent penser qu’une nouvelle ère s’ouvre à La Havane pour leur pays. Mais pendant plus de quarante ans ils ont trop ostracisé Cuba pour pouvoir y trouver un rôle. L’opinion d’experts américains. ’annonce que Fidel Castro avait “provisoirement” transféré le pouvoir à son frère Raúl, pour raisons de santé, a eu des répercussions d’un bout à l’autre du continent américain. Dans une région habituée depuis longtemps à la présence quelque peu excentrique de Fidel Castro, l’idée qu’il puisse ne plus être là a suscité des spéculations sur l’avenir de Cuba – un avenir sur lequel les Etats-Unis pèseront sans doute moins qu’ils ne le souhaiteraient. En raison de l’embargo commercial imposé à Cuba en 1962, les gouvernements américains successifs se sont mis dans l’impossibilité d’influer sur l’avenir de l’île, même si celle-ci ne se trouve qu’à 150 km des côtes de Floride. Ces dernières années, Fidel Castro a noué de solides relations commerciales avec des pays comme le Venezuela, la Chine, l’Espagne et le Canada, ce qui a dopé l’économie de l’île et l’a éloignée encore plus des Etats-Unis. Selon certains experts de la région, L COURRIER INTERNATIONAL N° 825 18 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 ces partenariats ont rendu un rapprochement entre Cuba et les Etats-Unis moins probable et moins nécessaire que jamais. “Nous avons tout un discours sur le changement que nous voulons appor ter à Cuba. Mais notre politique nous ôte toute possibilité d’agir sur le pays”, estime Philip Peters, vice-président du Lexington Institute, un institut de recherche qui travaille sur l’évolution de l’île et les relations cubano-américaines. La politique dont parle Philip Peters, ce n’est pas seulement l’embargo mais aussi l’obstination avec laquelle le gouvernement américain cherche à apaiser la communauté d’exilés cubains farouchement anticastristes, résidant majoritairement dans le sud de la Floride. Ses membres rejettent catégoriquement toute idée qui ne soit pas le renversement pur et simple de Fidel Castro et de ses protégés. Cette position est devenue en 1996 la loi HelmsBurton, qui a, entre autres, renforcé les sanctions, accru les restrictions aux voyages d’Américains à Cuba et permet d’intenter des actions en justice contre des entreprises, y compris étrangères, commerçant avec Cuba. Cette loi lie les mains des Etats-Unis, l’empêchant 825 P.18-19 22/08/06 16:11 Page 19 DOSSIER CUBA Eloge du Líder Máximo Fidel Castro. Dessin de Simanca, Rio de Janeiro. L’écrivain cubain Reinaldo Arenas avait rédigé peu avant son suicide, à New York, en 1990, un drôle de panégyrique de Fidel Castro. Jamais publié dans son intégralité, ce texte exhumé par le quotidien espagnol El País semble n’avoir rien perdu de sa pertinence. EL PAÍS Madrid l’heure où presque tous les pays communistes ont entamé un processus démocratique, Fidel Castro s’est mis au pilori de l’opinion publique pour son refus d’accepter tout changement et tout ce qui sent la perestroïka ou la démocratie. Quant à moi, peut-être par esprit de contradiction, au lieu de critiquer le Líder Máximo, je vais ici énumérer brièvement ses vertus. Homme politique calculateur et astucieux, quand il a pris le pouvoir, en 1959, il avait trois options : 1) la démocratie, qui lui aurait permis alors de gagner les élections, mais en jouissant d’un pouvoir éphémère et partagé avec l’opposition ; 2) la tyrannie de droite ou classique, qui n’offre jamais une sécurité absolue ni un pouvoir illimité ; 3) la tyrannie communiste, qui, à ce moment-là, outre qu’elle le couvrait de gloire, semblait lui assurer le pouvoir à vie. Habile, Castro a opté pour cette dernière solution. Philosophe profond, il a fait comprendre à ses sujets que la vie matérielle est sans importance, à tel point qu’à Cuba les choses matérielles sont quasi inexistantes et que le taux de suicide, selon de très sérieux rapports des A E Nations unies, est le plus élevé de toute l’Amérique latine. Intellectuel lucide, il a compris que la plupart des artistes sont victimes de leur ego hypertrophié. Dès 1959, il s’est mis à inviter d’éminents écrivains, s’occupant d’eux personnellement et leur montrant ce qu’il voulait qu’ils voient. Castro a créé des prix littéraires internationaux et a hissé certains intellectuels fidèles comme Gabriel García Márquez jusqu’aux sommets du prix Nobel. Economiste brillantissime, il a mis en place il y a près de trente ans le carnet de rationnement, ce qui lui permet d’éviter l’inflation dans son pays, étant donné que le peuple ne peut pratiquement rien consommer. En outre, par le biais de ses généraux les plus distingués et avec la participation de Raúl Castro, il s’adonne au trafic international de drogue, comme l’attestent certains documents publiés. Cela lui procure des devises fortes qu’il utilise pour financer son appareil de propagande à l’étranger et pour soutenir la subversion armée en Amérique latine. Expert en sexologie, il a formé de magnifiques armées juvéniles de guides-interprètes, qui accordent leurs faveurs tant aux dames qu’aux messieurs invités. Eleveur et agriculteur hors pair, il a réussi à faire produire à une vache ■ Biographie Le romancier et poète Reinaldo Arenas (1943-1990) participa adolescent à la révolution, mais fut emprisonné et persécuté par le régime castriste du fait de ses écrits et de son homosexualité. Il quitta Cuba en 1980. Une demi-douzaine de ses livres ont été publiés en français, dont ses mémoires, Avant la nuit (Actes Sud, 2000), qui ont inspiré le film de Julian Schnabel Before Night Falls. Sa biographie, écrite par Liliane Hasson, doit paraître prochainement chez Actes Sud. WA S H I N G T O N t- être, mais sans les Américains de peser sur les réformes à Cuba, ce qui, pour Philip Peters, est d’autant plus regrettable que Raúl Castro est connu pour être plus ouver t à l’économie de marché que son frère. “Du point de vue américain, le message de cette loi est le suivant : Raúl Castro est peut-être un grand réformateur qui s’en cache, mais comme il est là-bas, pas question de parler avec lui et de changer notre politique, note Philip Peters. Par conséquent, les Cubains vont rester sur leur position actuelle tant que leurs autres partenariats se montreront prometteurs. Les Cubains observent les Américains très attentivement mais, aujourd’hui, ils placent leur énergie diplomatique ailleurs.” A défaut des Etats-Unis, ce sont les pays d’Europe et d’Amérique latine, ainsi que la Chine – qui impor te du nickel cubain –, qui sont appelés à jouer un rôle important dans l’avenir de Cuba. Pour Wayne Smith, un ancien diplomate qui a dirigé la Section d’intérêts américains à La Havane de 1982 à 1986, le fait que les Etats-Unis n’aient aucun rôle dans la transition cubaine “a quelque chose de pathétique”. Selon lui, Raúl Castro “est plutôt pragmatique et pourrait souhaiter par venir à un arrangement avec les Etats-Unis, mais les Américains ne voudront pas discuter avec lui”. Quoi qu’il en soit, le régime cubain “ne va pas s’effondrer”, même si le gouvernement Bush – et ses partisans cubano-américains – ne souhaite que cela. “Je suis presque désolé pour les exilés anticastristes radicaux de Miami qui tapaient sur leurs casseroles”, confie Wayne Smith en faisant allusion aux bruyantes manifestations qui ont salué l’annonce faite par Fidel Castro le 31 juillet qu’il passait le relais à son frère. Bon nombre de ces joyeux manifestants étaient convaincus que le président cubain se trouvait sur son lit de mort ou qu’il en était proche, et voyaient son régime anéanti et le long isolement de Cuba enfin rompu. Le transfert de pouvoir à Cuba a pourtant eu lieu sans un soupçon d’agitation, note Wayne Smith. Toujours selon l’ancien diplomate, le gouvernement américain se retrouve sans moyen aucun de mettre en œuvre les réformes souhaitées par George Bush, qui avait incité, le 3 août, “toutes les démocraties à s’unir pour soutenir le droit du peuple cubain à décider d’un avenir démocratique pour le pays”. Il n’a laissé aucune ambiguïté sur le fait que la transition dont il parlait impliquait l’éviction définitive des deux frères Castro et de leurs partisans idéologiques. Nick Madigan, The Baltimore Sun, Baltimore COURRIER INTERNATIONAL N° 825 19 nommée Pis-Blanc plus de 100 litres de lait par jour. La pauvre bête n’y a pas survécu et le lait continue d’être rationné à Cuba. Mais le souvenir de Pis-Blanc est immortalisé par la presse de l’époque, et Castro a fait reproduire à de nombreux exemplaires son extraordinaire spécimen bovin. En 1970, Castro a affirmé qu’il produirait 10 millions de tonnes de sucre et “pas une livre de moins” : il ne s’est trompé que de 2 millions de tonnes. Elève appliqué, fidèle à son maître, il a suivi avec une orthodoxie irréprochable les leçons de Staline : il s’est débarrassé par tous les moyens de ses adversaires politiques ou des personnages qui auraient pu ternir sa gloire, d’Huber Matos à Carlos Franqui [deux figures de la révolution qui s’opposèrent ensuite au régime castriste], en passant par Camilo Cienfuegos et Ernesto Guevara. Il a créé en 1961 des camps d’internement pour dissidents de tout poil et les a officialisés en 1966 sous l’appellation gentillette d’UMAP (unités militaires d’aide à la production). Il a déplacé la population de villages entiers, situés là où il y avait des foyers de guérilla anticastriste, vers des villes nouvelles parfaitement surveillées. Ç’a été le cas en particulier de nombreux paysans de la province de Las Villas, qui ont dû aller vivre dans un lotissement de préfabriqués à Pinar del Río, dénommé Ciudad Sandino. En outre, depuis près de trente ans, Castro multiplie les purges politiques et les procès truqués. Au cours de ces séances, l’accusé, après avoir passé des semaines, voire des mois, dans les cellules de la sûreté de l’Etat, avoue publiquement avoir commis toutes sortes de crimes, être un misérable et un traître contre-révolutionnaire, et, bien entendu, un ennemi de Castro. Exemples : le procès de Marcos Rodríguez (fusillé en 1964), le procès du général Arnaldo Ochoa (fusillé en 1989) ou les aveux du poète Heberto DU 24 AU 30 AOÛT 2006 Padilla, qui est allé jusqu’à dénoncer ses amis les plus intimes et son épouse, en 1971. Fidèle à sa politique de “bloc monolithique”, Castro a approuvé publiquement la répression du “printemps de Prague”, l’invasion de l’Afghanistan et le massacre des étudiants chinois sur la place Tian’anmen. Homme d’Etat sagace, Castro sait parfaitement qu’un dictateur ne doit jamais organiser d’élections, car il perdrait le pouvoir. D’où ses colères noires – de son point de vue justifiées – contre tous les intellectuels (y compris six Prix Nobel) qui lui ont envoyé une lettre ouverte lui demandant de manière civilisée d’organiser des élections libres. Castro a habilement rejeté toute consultation populaire, contrairement à d’autres dictateurs moins rusés qui ont appelé à des élections en croyant pouvoir les gagner. On se souvient des défaites cuisantes du général Augusto Pinochet [au Chili] et du commandant Daniel Ortega [au Nicaragua]. Rien ne peut nous surprendre dans l’attitude actuelle de Fidel Castro.Tout au long de plus de trente et un ans de pouvoir absolu, il a toujours été fidèle à lui-même, gouvernant avec une habileté si machiavélique qu’il est aujourd’hui l’un des seuls héritiers de Staline à s’être maintenu sur le trône. Les rares personnes à être encore éblouies par l’image “revendicatrice” et même “héroïque” du Commandant en chef ne doivent pas se faire d’illusions. Castro lui-même a dit, à travers son armée, qu’il ne céderait pas “un millimètre de [son] idéologie” et déclaré qu’il préférait encore “que l’île sombre dans la mer plutôt que de renoncer à [ses] principes politiques”… Bien sûr, c’est au peuple cubain de décider s’il souhaite ce plongeon apocalyptique ou s’il préfère vivre en paix dans la liberté, comme le fait heureusement aujourd’hui une grande partie de l’humanité. Reinaldo Arenas 825 p20-21 asie sri lanka 22/08/06 14:45 Page 20 asie ● SRI LANKA Catastrophe humanitaire à l’horizon Depuis la fin du mois de juillet, les combats font rage entre le gouvernement et les Tigres tamouls. Les civils paient le plus lourd tribut de cette guerre et sont désormais jetés sur les routes par dizaines de milliers. Colombo n dit que la vérité est la première victime de la guerre. Mais, plus encore, ce sont la sécurité des civils et leur droit à ne pas devenir des pions au milieu de sanglantes luttes de pouvoir qui sont les plus compromis. Ce sont eux qui souffrent en silence d’une culture du canon tyrannique qui réduit les populations à de simples statistiques. Le Sri Lanka traverse en effet à l’heure actuelle l’une des plus sombres périodes de son histoire, comparable, selon les observateurs, aux pires heures des offensives antigouvernementales organisées par les Tigres de libération l’Eelam tamoul (LTTE) dans les années 1980. Même si les stratégies sont différentes, la violence qui sévit dans le nord-est du pays, majoritairement tamoul, ne le cède en rien à celle qui régnait à l’époque : les récents affrontements entre les insurgés et les autorités ont fait un grand nombre de morts et jeté sur les routes plus de 100 000 personnes. Après les frappes aériennes et les tirs d’artillerie [quotidiens depuis la fin du mois de juillet dans le nord-est], la psychose a gagné la population de Colombo. Devant les explosions qui se succèdent, il est en effet impossible de se voiler la face : la capitale risque de devenir prochainement une cible prioritaire pour les Tigres. Au lendemain de l’attaque [du 14 août dernier] visant l’escorte motorisée de l’ambassadeur du Pakistan, Bashir Wali Mohammed, dans laquelle sept personnes avaient trouvé la mort, les représentants de l’Union européenne ont protesté contre la détérioration rapide de la situation des droits de l’homme et ont appelé les deux parties à un retour rapide à la table des négociations. O INDE Etat du TAMIL NADU Aéroport de Palaly Jaffna Rameshwaram Golfe de Mannar 8° Nord Un Tigre tamoul s’équipe pour la guerre civile. Dessin de Stephff, Thaïlande. Bilan Environ 65 000 personnes ont trouvé la mort depuis 1976, date de création des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Le pays avait pourtant connu une période de relative accalmie après l’accord de cessez-le-feu signé le 23 février 2002. Mais, depuis l’élection à la présidence de Mahinda Rajapakse, en novembre dernier, la tension monte et les combats qui font rage depuis la fin du mois de juillet ont déjà fait près de 1 000 morts, dont plus de 200 civils. Péninsule de Jaffna Pudukkudirippu Omanthai Vavuniya Trincomalee Mutur Maavilaru SRI LANKA Kandy Colombo 0 O CÉAN I NDIEN 100 km 80° Est Population : Majoritairement tamoule Mixte Majoritairement cinghalaise Maure Les Tamouls représentent 8,5 % de la population, Les Cinghalais 73,8 % et les Maures 7,6 %. Principale zone tenue par les Tigres tamouls Récents foyers de violence Sources : <http://www.lib.utexas.edu/maps/index.html>, <http://www.globalsecurity.org>, The World Factbook 2006 THE SUNDAY LEADER De son côté, le chef du parti du Congrès des musulmans du Sri Lanka (Sri Lanka Muslim Congress, SLMC), Rauf Hakeem, a réclamé une révision urgente de l’accord de cessez-le-feu [signé en février 2002], afin que la communauté musulmane, qui a payé le plus lourd tribut aux affrontements interethniques, puisse être partie prenante d’une future initiative de paix. [Les musulmans, qui représentent 7,6 % de la population totale, sont pour la plupart installés dans l’est du pays.] Il a également insisté sur la nécessité de prévoir des clauses garantissant la sécurité des populations, une question jusqu’ici passée sous silence. “On a négligé cet aspect des choses. Celuici va prendre une très grande importance, car les deux camps semblent de plus en plus privilégier l’action militaire. Le sort des civils doit peser davantage dans les considérations des uns et des autres”, remarque-t-il. Hakeem a récemment organisé de grandes manifestations contre ce qu’il appelle un nettoyage ethnique que les LTTE commettraient dans le nord-est du pays à l’encontre des musulmans. L’image du pays n’a jamais été aussi sérieusement écornée que lors des récentes frappes aériennes du gouvernement contre le Pudukkudirippu Sencholai Children’s Home [le 14 août dernier]. Les insurgés soutiennent qu’il s’agissait d’un foyer pour enfants, ce que dément catégoriquement le pouvoir en place. L’attaque a fait 61 victimes et, selon l’UNICEF, une centaine de blessés, qui sont soignés dans divers hôpitaux. Quatre bombardiers de l’aviation sri-lankaise ont lâché 16 bombes sur les bâtiments de ce foyer pour enfants, qui, à en croire des sources de l’armée de l’air, “avaient été identifiés comme une cible militaire”.Alors qu’une polémique fait rage sur la nature exacte de l’endroit – établissement pour enfants ou camp militaire –, la méthode suscite un grand malaise parmi la communauté internationale COURRIER INTERNATIONAL N° 825 20 comme chez les défenseurs des droits de l’homme. Passant d’une guerre larvée à des engagements militaires de grande ampleur, la violence dans la partie orientale de l’île a eu deux effets immédiats. Le premier a été de déplacer 45 000 personnes, la plupart musulmanes. Le second a été de porter un nouveau coup à l’accord de cessezle-feu, les agents de la Mission de contrôle du cessez-le-feu au Sri Lanka (SLMM, Sri Lanka Monitory Mission) ayant quitté leurs bureaux de Trincomalee, avec pour résultat l’impossibilité désormais d’empêcher toute violation de la trêve dans la région. DIX-SEPT TRAVAILLEURS HUMANITAIRES MASSACRÉS Depuis la mi-août, le nord du pays connaît des combats sanglants et de nombreux soldats et insurgés y ont trouvé la mort. Les autorités ont perdu une figure clé appartenant à la communauté tamoule, Ketheshwaran Loganathan, responsable adjoint du secrétariat gouvernemental pour la Paix. Son assassinat par les Tigres est ressenti comme un message direct au pouvoir : la guerre sera totale et le point de non-retour a maintenant été atteint. Par ailleurs, trois Tamouls ont été abattus l’après-midi du 16 août dernier par des agents des forces spéciales (STF). Aux dires de la police et de la STF, les jeunes gens tentaient de lancer une grenade sur le commando. Devant cette escalade de la violence, un nombre croissant de civils fuient leurs villages. Alors que des camps sont montés à la hâte pour les accueillir, la situation humanitaire dans le Nord suscite de vives inquiétudes en raison des difficultés à approvisionner la péninsule. Le couvre-feu empêche l’évacuation des civils, ce qui aggrave encore la situation. Il n’a été levé que pendant quatre heures le 17 août, pour permettre à la ville de Jaffna de recevoir des quantités limitées de denrées DU 24 AU 30 AOÛT 2006 alimentaires. Les autorités locales ont demandé à Colombo d’envoyer immédiatement des provisions, afin de reconstituer les stocks de base dans cette région ravagée par la guerre. Tenaillés par un sentiment croissant d’insécurité, des centaines de civils tamouls pris au piège à Vavuniya sont descendus dans la rue. Ils voulaient échapper à la violence et s’insurgeaient contre l’obligation de rester dans leurs villages à cause de la fermeture par l’armée de la route reliant leur ville à Omanthai. Les derniers jours ont été marqués par des atrocités commises par les deux camps, signe terrifiant que les crimes perpétrés à l’encontre des civils ne connaissent plus aucune limite. La base aérienne de Palaly a subi une attaque violente, et on signale des combats acharnés en de nombreux points à Jaffna. Les personnes déplacées cherchent à présent à quitter la région. En tout, plus de 40 000 SriLankais aurait fui vers le sud de l’Inde depuis 2002. Et le flot n’est pas près de s’arrêter, les autorités indiennes assurant avoir accueilli récemment plus de 300 réfugiés à Rameshwaram. Etant donné la tournure des événements, la communauté internationale croit également de moins en moins que le Sri Lanka soit un endroit sûr pour l’activité des ONG. Les inquiétudes ont été aggravées par le massacre de 17 travailleurs humanitaires [appartenant à Action contre la faim et assassinés le 6 août dernier], sans doute par les forces de sécurité. Quant à la SLMM, elle a fermé ses bureaux à Trincomalee pour la simple raison qu’il lui est impossible de mener à bien sa mission dans un tel climat de violence. Sur le plan international, l’image de l’île en a évidemment pris un coup. Le pays risque de se retrouver marginalisé ou de devenir un “Etat défaillant” qui ne respecte pas les normes internationales en matière de droits de l’homme et de conduite des actions militaires. Et le Sri Lanka ne peut se le permettre, car il est absolument nécessaire pour lui d’avoir le soutien sans faille de la communauté internationale afin de remettre sur les rails un processus de paix bien mal en point. Et cela au moment où le reste du monde rappelle au gouvernement son devoir de préserver les droits individuels et d’assurer la sécurité de tous. Dilrukshi Handunnetti WEB+ Plus d’infos sur courrierinternational.com Chronologie : Trente ans de guerre civile 825 p20-21 asie sri lanka 22/08/06 14:45 Page 21 asie VIETNAM CHINE La colère gronde chez les expropriés “La plus courageuse des femmes” Le développement d’infrastructures routières et touristiques suscite de nombreuses protestations parmi la population privée de terres. Le tout sur fond de malversations. Bangkok, Hong Kong lors que le Vietnam ouvre son économie au monde extérieur, il connaît un phénomène familier à la Chine : l’appropriation abusive des terres par les puissants et la confiscation des biens des paysans et des pauvres au nom du développement. Les expropriations forcées pour faire de la place aux routes et aux projets de développement provoquent des troubles sociaux embarrassants pour un pays qui cherche à la fois à adhérer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et à attirer les investissements étrangers dans des opérations immobilières. Les manifestations de paysans qui s’estiment spoliés de leurs terres sont désormais monnaie courante dans les grandes agglomérations comme Hô Chi Minh-Ville et Hanoi. Ainsi, des centaines d’habitants de la rue Khuat Duy Tien, à Thanh Xuan, dans la banlieue de Hanoi, ont manifesté devant la mairie le 19 juillet pour presser les autorités locales de tenir leurs promesses et de les indemniser pour les terres réquisitionnées pour ouvrir une route. Défiant l’interdiction de rassemblement, les manifestants ont organisé un sit-in d’un mois à Thanh Xuan. Ils ont commencé début juin, après que les autorités ont ordonné l’évacuation des maisons afin de permettre la construction du périphérique No 3 sans pour autant définir clairement une politique d’indemnisation. “Nous vivons ici depuis 1993, et nos terres sont déjà transformées en zone résidentielle.Mais les autorités ne paient que pour 60 mètres carrés et considèrent le reste comme terres agricoles”, se lamentent-ils. Selon eux, le vice-président du Comité populaire de Hanoi, Le Quy Don, s’était engagé à ce que toutes les terres acquises pour la route soient considérées comme résidentielles et les indemnisations calculées en conséquence. Le barème officiel s’établit à 13 millions de dongs [650 euros] le mètre carré de terres résidentielles et 225 000 dongs le mètre carré agricole. A DES DROITS ACQUIS DEPUIS LONGTEMPS BAFOUÉS A en croire Pham Thanh Xuan, un responsable local, le projet de route remonte à 1981 et par conséquent les personnes qui se sont installées dans la zone après cette date ne pouvaient prétendre qu’à une indemnisation égale à la valeur de 60 mètres carrés de terres résidentielles. “Avec une politique d’aide pareille, il ne nous reste rien”, se plaint l’un des manifestants, Phan Ba Tuat. Pour les expropriés, le projet a été gardé secret jusqu’à une date récente, et ils ont depuis longtemps acquis officiellement des droits – pour l’usage résidentiel comme pour d’autres – sur leurs terres. “Nous demandons simplement que nos droits soient respectés”, assu- andis que les organisations internationales de défense des droits de l’homme ne cessent de dénoncer les atteintes aux droits des personnes contaminées par le sida en Chine, la presse chinoise fait une timide avancée sur le sujet à l’occasion de la conférence internationale qui vient d’avoir lieu à Toronto. La Chine compte quelque 650 000 séropositifs, selon une estimation datant de janvier 2006, dont près de 150 000 cas confirmés et près de 78 000 malades. Parmi les personnes présentes à la conférence, se trouvait “la plus courageuse des femmes”, écrit le quotidien Zhongguo Qingnian Bao. Il s’agit de Zhu Liya, la première étudiante chinoise à avoir révélé publiquement sa séropositivité en écrivant un livre, publié en janvier 2006. “Il n’a pas été facile de venir, il me faut utiliser au mieux chaque instant pour apprendre. J’espère m’informer sur ce que font les organisations non gouvernementales à l’étranger à propos du sida”, a déclaré Zhu Liya. En la citant, le journal omet toutefois de préciser que la difficulté à enregistrer la moindre ONG en Chine frappe aussi celles qui se spécialisent sur le sida, et que de nombreux activistes ont été la cible de harcèlement de la part des autorités. C’est à l’invitation de l’UNICEF que Zhu Liya a pu être l’une des deux délégués chinois à participer au Forum de la jeunesse sur le sida à Toronto. “A mon arrivée, j’étais encore un peu réticente à prendre la parole pour parler du problème du sida en Chine. Mais, en entendant les autres délégués parler de la situation dans leurs pays respectifs, je trouve que notre pays ne s’en sort pas si mal.” Dans un forum sur le droit des femmes à se protéger, Zhu Liya, s’est propulsée à la tribune où elle a parlé pendant vingt minutes de la politique de prévention en Chine. Prenant l’initiative de s’adresser à la presse, Zhu Liya s’est insurgée contre les préjugés qui classent les étudiants comme population à risque, en compagnie des travailleurs migrants. “Cela n’est fondé sur aucune étude, cela n’est pas exact. Il est vrai que les étudiants cohabitent de manière courante, et qu’ils ont des relations sexuelles entre eux. Mais si, avant d’entrer en faculté, ils pouvaient recevoir un peu d’information sur le sexe, cela pourrait réduire les contaminations”, dit-elle, en ajoutant que beaucoup d’universités dans laquelle elle s’est rendue pour témoigner se sont montrées “conservatrices” à son égard. Au même moment, dans une autre salle, le délégué Song Pengfei, un jeune Chinois séropositif, jadis rendu célèbre par sa rencontre avec Bill Clinton, lançait un appel que le Zhongguo Qingnian Bao rapporte en guise de conclusion : “J’espère que le monde entier entendra notre voix, que plus de gens connaîtront ainsi la situation des séropositifs en Chine, que plus de gens s’en préoccuperont et qu’ils nous aideront. ■ T ASIA TIMES ONLINE rent-ils. Le Quy Don reconnaît que le problème est en partie imputable aux autorités locales, mais il estime qu’une solution amiable reste possible. Il a d’ores et déjà demandé aux autorités locales de régler la question. Les indemnisations et la corruption liées aux transferts de propriété sont devenues un sujet particulièrement sensible au Vietnam. Certains observateurs prédisent que, à l’instar de la Chine, les évictions contestables risquent de conduire à une agitation sociale à travers le pays, et mettre à mal le développement socio-économique du Vietnam. Les manifestants se rassemblent chaque jour devant les locaux du Parti communiste et lors des “rencontres avec le peuple” [des officiels] qui se tiennent dans la rue Mai Xuan Thuong à Hanoi. L’endroit a acquis une triste notoriété, en 2005, après l’immolation par le feu d’une vieille femme du nom de Tran Thi Thu en signe de protestation contre les injustices infligées à sa famille par les autorités. En avril 2006, des milliers de personnes vivant dans les provinces méridionales de Can Tho, An Giang et Kien Giang ont envoyé au parti et au gouvernement une lettre ouverte accusant les autorités locales de s’approprier illégalement leurs terres. Les problèmes fonciers ont en outre été le principal sujet abordé, ce mois-ci, lors du premier jour de la session de l’Assemblée législative de Hô Chi Minh-Ville. Les députés ont accusé la complexité de la réglementation d’offrir un “terrain fertile” aux fonctionnaires corrompus. Selon Trinh Xuan Thu, le directeur adjoint du département de la sécurité, quelque 1 300 fonctionnaires ont été arrêtés au cours des cinq dernières années pour des affaires foncières. “Ici la terre est très pauvre : elle contient très peu de ciment et de briques.” Dessin d’El Roto paru dans El País, Madrid. L’économie d’abord En six ans, grâce aux réformes, l’économie du Vietnam a crû à un taux moyen de 7,4 %, écrit Asia Times Online. Les investisseurs étrangers ont exprimé leur confiance dans la capacité du gouvernement vietnamien à mettre en œuvre les ajustements techniques nécessaires à une adhésion prochaine à l’OMC. Mais le pays, l’un des plus autoritaires et répressifs d’Asie, ne s’est pas pour autant démocratisé ou libéralisé. COURRIER INTERNATIONAL N° 825 21 “50 % d’entre eux ont été mis en accusation à la suite d’une plainte déposée contre eux par leur victime”, assure Trinh Xuan Thu. Le journal Lao Dong rapportait, le 24 juillet, que des fonctionnaires de la province de Tay Ninh avaient fait main basse sur des centaines d’hectares pour se les partager. Le quotidien officiel accusait également Tran Hoan Kiem, un responsable de la Tay Ninh Sugarcane Co, de s’être indûment approprié 141 hectares. Le trafic de terrains est devenu tellement répandu que le marché foncier vietnamien est désormais considéré comme l’un des moins transparents du monde. La spéculation illicite sur les terrains, une bureaucratie excessive, les mauvaises infrastructures et une division en secteurs inadéquate rebutent certains investisseurs potentiels. Nguyen Huu Tho, le directeur général de Saigontourist, la principale société hôtelière et touristique du pays, confie que son entreprise a eu du mal à obtenir les terrains pour deux projets de complexes touristiques avec golf sur l’île de Phu Quoc. “Il est évident que les acquisitions illicites de terrains posent des problèmes et font rater certaines affaires à des investisseurs comme nous, ce qui freine le développement de l’île”, explique Nguyen Huu Tho. Certains tentent quand même l’aventure. Le groupe français Victoria Hotels and Resorts a récemment conclu un accord avec les autorités de Phu Quoc pour la location de 20 hectares destinés à un projet hôtelier de 12 millions de dollars [9,3 millions d’euros]. Le groupe américain Rockingham Asset Management chercherait, pour sa part, à construire un immense complexe touristique pour 1,5 milliard de dollars. Tran Dinh Thanh Lam DU 24 AU 30 AOÛT 2006 825p.23 22/08/06 12:58 Page 23 asie JAPON LE MOT DE LA SEMAINE Le thon japonais n’a plus la pêche “RYÔ” Flambée des prix du carburant, concurrence des pêcheurs taïwanais, pénurie de maind’œuvre… Autant de facteurs qui fragilisent un secteur cher aux papilles japonaises. LA PÊCHE NIHON KEIZAI SHIMBUN (extraits) Tokyo ’industrie japonaise de la pêche hauturière au thon est en crise. A Kesennuma, dans la préfecture de Miyagi, dans le nord de l’archipel, cinq grandes entreprises de pêche à la palangre ont fait faillite depuis décembre 2005. La coopérative de pêche de Miyagi Nord, spécialisée dans la bonite et le thon, a pour sa part procédé à sa dissolution lors de son assemblée annuelle, le 28 juin dernier. Cette organisation, qui comptait 90 bateaux il y a huit ans, alors qu’elle avait déjà réduit sa flotte d’un cinquième, n’en regroupe plus aujourd’hui que 39. Son chiffre d’affaires, qui était de l’ordre de 30 milliards de yens [200 millions d’euros], est tombé à 11 milliards au cours de l’exercice 2005. Avec les aides accordées à fonds perdus aux propriétaires de navires incapables de payer le carburant, son déficit a atteint quelque 270 millions de yens. En 1989, alors que le Japon était en pleine bulle économique, le thon obèse surgelé se vendait aux alentours de 1 300 yens [8,75 euros] le kilo – chaque pièce pesant plus de 40 kilos. Depuis quelques années, il ne dépasse pas les 800 yens. En outre, avec la flambée des prix du pétrole, les charges d’exploitation des thoniers se sont envolées. Pour certains d’entre eux, près de la moitié du chiffre d’affaires est consacrée au carburant. La coopérative de pêche à la bonite et au thon de Hokkaido, qui s’est ainsi retrouvée avec d’énormes impayés sur les bras, a été la première à entamer une procédure de dépôt de bilan, au mois de décembre 2005. Aujourd’hui, toutes les coopératives de pêche à la bonite et au thon du pays, y compris celles qui se portent encore bien, envisagent leur dissolution. La Fédération nationale des coopératives a tardé à prendre la mesure des impayés de ses membres et a laissé gonfler le montant de ses propres créances douteuses. A la fin de l’exercice 2005 [fin mars 2006], le montant de ses dettes se montait à 21,4 milliards de yens. Sur l’île de Hoto, dans la préfecture d’Oita, dans le sud du pays, la pêche au thon à la palangre a commencé à la fin de l’ère Meiji [18681912]. A son apogée, elle représentait une flotte de 139 bateaux et un chiffre d’affaires de 14,4 milliards de yens. C’était la seule industrie de l’île. Actuellement, elle ne compte plus que 38 navires. Qui plus est, il n’y a pas assez de personnel pour prendre la relève car, comme l’explique Asatoshi Okawa, président de la coopérative des patrons de pêche de Hoto, “de nombreuses mères ne veulent plus que leur fils devienne pêcheur”. La majorité des bateaux sont des thoniers de petit et moyen tonnage (de 19 à 59 tonnes) L Sur le baril : Prix du pétrole. Dessin de No-río, Aomori. ■ Incident La pêche au thon est loin d’être le seul secteur en difficulté. Le 16 août, trois pêcheurs de crabes ont été capturés par des gardescôtes russes et un autre a été tué. L’incident se serait déroulé à 3,7 km des côtes nippones, juste à côté de la minuscule île de Kaigara, qui fait partie des Kouriles du Sud, territoires que se disputent Tokyo et Moscou. Si, par le passé, les deux pays ont connu des incidents similaires, c’est la première fois depuis 1956 qu’un marin y trouve la mort. “Poussés par l’appât du gain, les pêcheurs japonais sont prêts à prendre des risques en se rendant dans une zone sensible qui est l’objet d’un différend territorial”, souligne le Tokyo Shimbun. Selon le quotidien, ils sont à la recherche d’une variété de tourteau (kegani ou Erimacrus isenbecki) dont le prix de gros peut atteindre 10 000 yens (145 euros) le kilo. uel est le plus risqué, par tir en haute mer sur un chalutierthonier ou pêcher des crabes à quelques milles de son por t d’attache ? Dans le premier cas, l’entreprise s’avère des plus périlleuses sur le plan économique (voir article ci-contre). Dans le second cas, on joue parfois sa vie, comme le montre l’incident sur venu le 16 août dernier au large de l’île Kaigara, contrôlée par les Russes, non loin de la ville portuaire japonaise de Nemuro, à l’extrême est de l’île septentrionale de Hokkaido. Un pêcheur de 35 ans a été abattu par une balle tirée d’un bâtiment des gardescôtes russes avant que celui-ci n’arraisonne le bateau de pêche sur lequel il se trouvait avec trois autres membres d’équipage. La zone est connue pour être par ticulièrement riche en ressources maritimes ; il devient dès lors tentant pour les pêcheurs nippons de franchir la ligne tracée à mi-distance entre le cap Nosappu, côté Japon, et l’île Kaigara, séparés d’à peine 3,7 kilomètres. La tentation est d’autant plus grande que nombre d’entre eux, originaires des “territoires du Nord” – les îles Kouriles, administrées de fait par l’Etat russe depuis l’occupation soviétique du 28 août 1945 –, jugent illégitime la ligne de démarcation qui sert de facto de frontière. Le navire de pêche aurait-il délibérément pénétré dans les eaux sous contrôle russe ? Toujours est-il que l’incident de la semaine passée, le dernier en date d’une série de quarante tirs de sommation depuis 1950, vient rappeler une évidence : le dossier des “territoires du Nord”, essentiel pour que soit signé un jour le traité de paix russo-japonais, est au point mor t. Il en résulte que le Japon demeure aujourd’hui en froid avec tous ses voisins immédiats, la Chine, les deux Corées, et donc la Russie. Une catastrophe diplomatique signée Koizumi Jun’ichirô. Q qui pêchent le long du littoral japonais et au sud de Hawaii. Ils souffrent de l’augmentation des prix du pétrole, mais, selon M. Okawa, “la pêche au thon reste un secteur rentable”, car le thon frais, conservé dans la glace au maximum un mois, le temps de rentrer au port, est aujourd’hui très prisé. Certains patrons, qui disposaient d’un capitaine et d’un chef de pêche mais ne parvenaient pas à trouver des mécaniciens, ont néanmoins dû mettre la clé sous la porte. Pour le reste de l’équipage, les bateaux ont tendance à faire appel à des intérimaires indonésiens. BÂTIR UNE INDUSTRIE À FORTE VALEUR AJOUTÉE En fait, la profession rencontre partout de sérieux problèmes de recrutement. Sur l’ensemble du personnel inscrit à l’antenne locale de Kesennuma du syndicat des marins du Japon, on ne recense que six jeunes de moins de 30 ans employés sur des bateaux de pêche hauturière au thon, soit 1% de l’ensemble des effectifs. Environ 60 % des chefs de pêche – le poste le plus élevé dans la hiérarchie – ont plus de 55 ans, ce qui ne leur laisse plus beaucoup d’années de travail. Avec les prochains départs à la retraite des baby-boomers, la pêche hauturière au thon risque bel et bien de disparaître. Le 8 juin dernier, quand l’Agence des pêches japonaise a annoncé que Taïwan avait accepté de réduire sa flotte, tout le secteur s’est réjoui. A l’issue de négociations avec Tokyo, Taipei a en effet accepté de réduire, d’ici à la fin de 2007, de 186 unités le nombre de ses gros thoniers qui opéraient en violation des accords internationaux. Depuis près de dix ans, cette question faisait l’objet d’un litige entre les deux pays. Pour sortir de l’impasse, les Japonais ont créé une association internationale – l’Organisation pour la promotion de la pêche responsable des thonidés – et ont réclamé l’interdiction des ventes de thons COURRIER INTERNATIONAL N° 825 23 pêchés par des bateaux ne respectant pas les règles internationales. Cela n’empêche pas l’industrie de la pêche au thon taïwanaise d’être déjà présente au Japon. Sur les 330 gros thoniers membres de la Fédération japonaise des coopératives de pêche à la bonite et au thon, 33 l’ont récemment quittée pour former une nouvelle organisation, dont la quasi-totalité avait été rachetée par des entreprises taïwanaises. Masayuki Komatsu, directeur de l’Agence de recherche sur la pêche, estime que, pour défendre le secteur,“il est temps d’envisager de réglementer l’accès des capitaux étrangers, comme le font les Etats-Unis, et d’introduire du sang neuf en attirant des gens issus d’autres secteurs”. Alors que la crise se prolonge, certains prennent des initiatives. La coopérative de pêche hauturière de Kesennuma, qui ne fait pas partie de la Fédération, a investi plus de 300 millions de yens dans la construction d’un thonier de moyen tonnage à faible consommation de carburant, le Kaisei Maru. Grâce notamment à un dispositif permettant d’assurer la levée des palangres avec moins de main-d’œuvre, l’équipage du bateau pourra se limiter à 14 hommes, soit 2 de moins que sur les thoniers traditionnels, et la consommation de carburant sera réduite de 10 %. Ces innovations devraient représenter plusieurs millions de yens d’économie par an. La même coopérative expérimente également de nouvelles techniques de conservation, comme l’utilisation de glace pilée ou de cuves isolantes sur le modèle des bouteilles Thermos, de manière à ce que le poisson pris dans les eaux littorales soit ramené au port dans les meilleures conditions possible. Si la profession baisse les bras, la situation ne cessera de se dégrader. Aussi la coopérative va-t-elle jusqu’à faire du marketing, en présentant son nouveau thonier comme un instrument destiné à orienter la pêche vers une “industrie à forte valeur ajoutée”. DU 24 AU 30 AOÛT 2006 Kazuhiko Yatabe Calligraphie de Yukari Fujiwara 825p24 22/08/06 12:56 Page 24 afrique ● CÔTE-D’IVOIRE Le processus de paix en péril L’élection présidentielle d’octobre 2006 est à nouveau menacée après des déclarations du chef de l’Etat, qui jettent de l’huile sur le feu. Laurent Gbagbo est-il réellement prêt à se soumettre au verdict des urnes ? LA MONTAGNE Parakou deux mois de l’élection présidentielle, le processus de paix qui doit y aboutir connaît des couacs. En effet, les déclarations du président Laurent Gbagbo le 6 août dernier, à l’occasion du 46e anniversaire de l’indépendance de la Côte-d’Ivoire, ne sont pas du goût des Forces nouvelles (ex-rébellion) et de l’opposition civile, réunie notamment au sein du Rassemblement des houphouétistes* pour la démocratie et la paix (RHDP). Le processus de réconciliation et de paix conduit sous l’égide de la communauté internationale en vue de la présidentielle aura connu plus d’un rebondissement. Dernier en date : la suspension provisoire des audiences foraines pour l’identification des électeurs, qui constitue pour les Forces nouvelles de Guillaume Soro l’un des points essentiels de sortie de crise. Ce coup de force de Gbagbo a entraîné le refus des Forces nouvelles de poursuivre le désarmement de leurs troupes. A l’origine, les déclarations du président Gbagbo, le 6 août, qui ont suscité l’ire de l’ensemble de l’opposition. Pour le chef de l’Etat, “aucun certificat de nationalité, aucune carte nationale d’identité ne seront délivrés au cours des audiences foraines. Celles-ci ne seront pas non plus l’occasion d’appeler les populations à venir demander des certificats de nationalité.” Ces déclarations et l’intention de Gbagbo de proroger son mandat, qui expire le 31 octobre, ainsi que celui des autres institutions de la République si nécessaire, en vertu de l’article 48 de la Constitution – et cela tant que les élections n’auront pas eu lieu – sont autant de sujets qui ont sus- A Le Premier ministre, Charles Konan Banny. Dessin de Glez paru dans Le Journal du jeudi, Ouagadougou. Opposition Les principaux partis d’opposition ivoiriens ont rejeté, le 21 août, le projet du président Laurent Gbagbo de prolonger son mandat après le 31 octobre, si cette date butoir retenue pour l’organisation des élections n’est pas respectée. cité une levée de boucliers de la part de l’opposition. Aussi, le Parti démocratique de Côte-d’Ivoire (PDCI) de Henri Konan Bédié, le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara et les Forces nouvelles de Guillaume Soro ont-ils tenu une réunion pour réagir face à cette situation et invité la communauté internationale à prendre ses responsabilités face à ce qu’ils considèrent comme un blocage délibéré du processus de paix. UN PREMIER MINISTRE EN GRANDE DIFFICULTÉ “Face aux souffrances du peuple ivoirien, le RHDP dénonce les tentatives de blocage du processus de paix par Laurent Gbagbo”, ont déclaré les houphouétistes à l’issue d’une conférence de presse qui s’est tenue à Abidjan le 14 août. Par ailleurs, “le RHDP condamne le décret illégal de M. Gbagbo du 5 août 2006, pris dans des conditions suspectes, qui institue une exclusion formelle de certains magistrats ivoiriens à cause de la consonance nordique de leur nom”. En attendant que l’Organisation des Nations unies se prononce derechef sur la prorogation éventuelle du mandat du président Laurent Gbagbo, à la mi-septembre, le camp présidentiel du Front populaire ivoirien (FPI) et l’ensemble de l’opposition s’engagent encore une fois dans un combat d’arrière-garde. A l’approche de l’échéance du 31 octobre 2006, le climat sociopolitique qui règne en Côte-d’Ivoire se détériore. Mais le président Laurent Gbagbo n’entend pas quitter le pouvoir avant la tenue de la présidentielle. A juste raison, si l’on s’en tient au strict respect de la Constitution. Il n’en demeure pas moins vrai que l’opposition le soupçonne de bloquer le processus qui doit conduire à l’élec- tion afin de continuer à prolonger son mandat par des mesures d’exception. Convaincue que, si élections il devait y avoir, le rassemblement que constituent les houphouétistes devrait l’emporter haut la main. Mais, du côté du FPI, on ne doute pas non plus de la victoire. A condition que les audiences foraines, qui font notamment l’objet d’une polémique, ne soient pas l’occasion d’une inscription massive d’étrangers sur les listes électorales. Rien d’étonnant à ce que le président Laurent Gbagbo estime que les listes électorales de 2002 sont encore valables et qu’il n’est pas indispensable que l’Institut national des statistiques en établisse de nouvelles. Manifestement, à y regarder de près, le nœud gordien de la crise sociopolitique ivoirienne se trouve là : il s’agit de déterminer clairement qui dans ce pays est ivoirien et qui ne l’est pas. Si les audiences foraines ne parviennent pas à répondre à cette question fondamentale et récurrente, il y a fort à parier qu’on continuera à user de faux-fuyants plutôt que de chercher une solution de sortie de crise durable. Dans le contexte de guéguerre entre le FPI et ses adversaires politiques, la mission du Premier ministre ne se trouve pas facilitée. Bien au contraire. La suspension de la participation des ministres des Forces nouvelles au gouvernement de transition n’est pas de bon augure. Si elle devait se prolonger, il va sans dire que la tâche risque de se compliquer encore pour le Premier ministre, qui doit avoir de la peine à concilier les positions extrémistes des uns et des autres. A moins que la communauté internationale ne vole à son secours pendant qu’il est encore temps. Marcus Boni Teiga * Le président Félix Houphouët-Boigny a dirigé la Côte-d’Ivoire de 1960 à 1993. PARIS 19 e COURRIER INTERNATIONAL N° 825 24 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 825p25 22/08/06 11:14 Page 25 afrique SÉNÉGAL Polygames et fiers de l’être A Dakar, la monogamie ne fait plus recette. Et ce n’est pas un simple effet de mode. Même le chanteur Youssou N’Dour a récemment cédé à la tentation en prenant une seconde épouse. THIOF (extraits) Dakar l serait temps de savoir comment on devient polygame. Les sociologues devraient se pencher sur la question car, malgré tout le bénéfice du mieux-être qu’offre le mariage monogame, la polygamie fait de la résistance. Mieux, elle conquiert de plus en plus de Sénégalais, qui, au vu de leur profil, devraient plutôt être des monogames assidus. Qu’est-ce qui pousse tous ces monogames potentiels à passer de l’autre côté ? Les réponses sont multiples. C’est un intellectuel sénégalais plutôt de gauche. Il est militant forcené de l’égalité des sexes. Il défend toutes les thèses sur le genre. Il oserait même aller jusqu’à la parité au plan politique. Après une vie universitaire où il s’est donné à cœur joie dans les conquêtes féminines (et sanctionnée par un enfant hors mariage), il a choisi d’épouser sa cousine venue de son village dans le Fouta profond [région déshéritée du nord-est du Sénégal]. Explication : “La mère de mes enfants doit être des miens.” Et l’amour dans tout cela ? “Le mariage d’amour est jubilatoire, mais le mariage de raison a un avenir plus reposant.” Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il ne souhaitait pas affronter les traditions familiales : le mariage endogamique. Cinq ans plus tard, voilà notre bonhomme qui continue à courir après ses anciennes copines délaissées pour sa broussarde. Il sort beaucoup. Cette vie de jules est coûteuse. Entretenir une maîtresse coûte trop cher. Les frais de restaurant et d’hôtel pour les amours cachées, les cadeaux, etc., bouffent le salaire. “C’était très compliqué, à la fin. Mon épouse avait du mal à répondre à mes besoins de modernité. Elle ne savait pas recevoir. Et mon plaisir me coûtait la peau de mes c…”, se désole notre amoureux de raison. Alors, il a choisi d’aller épouser sa maîtresse qui n’est pas de sa famille, ni de son ethnie. Ainsi, les parents ne diront pas non à ce second mariage hors de la famille. Il pouvait enfin économiser dans l’affaire en officialisant ses amours secrètes et s’en sortir sans dommages. I AVEC LE SIDA, LES RELATIONS EXTRACONJUGALES FONT PEUR Le “deuxième bureau” (la maîtresse) : c’est une invention verbale qui nous vient d’Afrique centrale. Là-bas, on est très créatif en matière de relations entre hommes et femmes. Les justifications débitées pour expliquer les retours tardifs au domicile conjugal étant usées, les Congolais ont trouvé la bonne formule du “deuxième bureau” fictif. Celui-ci renvoie au domicile de sa maîtresse, où l’on s’attarde après le boulot. Le sida étant désormais une réalité incontestable, le “deuxième bureau” est enfin sorti de sa clandestinité. Pourquoi prendre le risque de voir sa maîtresse recevoir dans son dos d’autres hommes avec la menace de choper, par son biais, le méchant virus ? Evidemment, beaucoup de travailleurs au double emploi fictif ont choisi la solution sécurité de l’emploi. Et c’est bien heureux pour les “deuxièmes bureaux”, car les voilà sorties de leur état de “sous-épouses” pour arborer l’alliance et le sourire d’une épouse véritable. D’autant mieux que ce sont des épouses sortables. Les maîtresses qui ont vu leur contrat d’union précaire révocable à tout moment se transformer en une union sacrée et officielle doivent remercier le virus VIH 1 ou 2, qui a foutu la trouille à tous ces accros du travail au noir au “deuxième bureau”. “Je suis dans mon lit chez ma troisième.” Rire tonitruant, le bonheur s’échappe du combiné. Il vient de se remarier et est heureux de la surprise qu’il fait à ses amis encore monogames. Inconscient, le bonhomme ? Nenni. C’est un intellectuel de haut vol, un scientifique réputé. S’il rigole, c’est qu’il est heureux. Le DSRP, le fameux Document stratégique de réduction de la pauvreté, il le connaît sur le bout des doigts. Et il ne croit pas que le bonheur de vivre sa vie se trouve dans ces sta- Dessin paru dans La Vanguardia, Barcelone. COURRIER INTERNATIONAL N° 825 25 tistiques qui font froid dans le dos. Il est heureux lorsqu’il est entouré de ses enfants et de ses épouses. On mange dans un grand bol au déjeuner, le matin, il n’y a pas assez de pain pour tout le monde. Quelquefois, le petit déjeuner, c’est de la bouillie de mil dans une grande soupière où tout le monde plonge sa cuillère à soupe. Et, le soir, la télé pour tout le monde ; on regarde les feuilletons sénégalais ou burkinabés. Et quand c’est l’heure d’aller au lit, l’épouse “de service” le rejoint dans sa chambre. Notre polygame ne se sent nullement coupable de fausser les statistiques qui préoccupent tant nos démographes. Il en sait un bout sur l’indice synthétique de natalité. Une dizaine d’enfants ne sont pas de nature à peser sur la croissance démographique du pays. Après avoir créé un ménage avec une épouse, il se dit en droit de se donner du plaisir non pas en devenant un coureur de jupons (ou de pagnes), mais en épousant et en entretenant à domicile les femmes qui l’attirent. “Après la première nuit, ma nouvelle épouse m’a appelé chéri. J’ai failli éclater de rire.” Le goujat qui nous avoue cela ne comprend pas que les hommes fassent des chichis pour épouser toutes ces femmes qui cherchent mari. Lui, quand il en trouve une sur son chemin, il est prêt, dès le lendemain, pour des épousailles en bonne et due forme. Après un mois de mariage, il se tire et va chasser sur d’autres terres. Cet homme fait partie de ce que l’on appelle les “polygames prédateurs”. Ils DU 24 AU 30 AOÛT 2006 sont toutefois de deux sortes. D’abord, il y en a qui s’adossent à la religion musulmane en se calant à quatre épouses quelles que soient les circonstances. Quand ils voient une femme qui leur convient, ils lui proposent le mariage. Et, quand celle-ci a perdu son charme, elle est répudiée. Dans ces ménages à cinq (un mari et quatre épouses), l’épouse dure tant qu’elle séduit et satisfait les caprices d’un mari volage. Le “serial époux” répudie régulièrement une épouse et la remplace. L’essentiel, c’est de ne jamais dépasser quatre épouses. Il arrive que certains “serial époux” débordent, car leur cœur balance sur celle qui doit être répudiée. La première est la mère des enfants les plus âgés. La deuxième connaît ses petits secrets d’alcôve. La troisième, toute menue, lui rappelle sa jeunesse. Enfin, la quatrième le sort du traintrain quotidien. Ensuite, il y a les autres “serial époux” qui sont des collectionneurs maniaques. On en trouve beaucoup dans les familles maraboutiques. Ils ont une ou deux [femmes] qui sont les “ventres purs” pour donner les héritiers, et le reste sert aux affaires libidineuses. Ce genre de “serial époux”, on en trouve aussi chez ceux qui se veulent les derniers descendants de l’aristocratie locale très païenne. Chez les premiers comme chez les seconds, il n’y a pas de nombre limite d’épouses. Ces prédateurs – particulièrement les seconds – ne se formalisent même pas pour répudier leurs “épouses” ou concubines. Ils les laissent tomber. Amar Ndiaye Spencer Platt/Getty Images/AFP 825p26-34 22/08/06 14:22 Page 26 e n c o u ve r t u re ● Devant les ruines de la ville libanaise de Tebnine. ISRAËL-LIBAN Les inconnues de l’après-guerre ■ Depuis le déclenchement des hostilités au Sud-Liban, les médias arabes et israéliens sont devenus le lieu de débats passionnés. Car les sujets d’exaspération ne manquent pas. ■ Le Hezbollah, qui peut se vanter de ne pas avoir été laminé par l’armée israélienne, est devenu un sujet de fierté pour les Arabes. Mais les Libanais s’inquiètent de nouveau pour l’intégrité de leur pays. ■ Quant aux Israéliens, choqués de ne pas avoir vaincu, ils demandent maintenant des comptes à leurs hommes politiques. Pourquoi donc sommes-nous entrés en guerre ? Depuis des décennies, le Liban subit des guerres menées au nom de causes qui lui sont étrangères. Une absurdité que dénonce un écrivain libanais. AN-NAHAR Beyrouth out au long de la guerre, les Libanais ont ignoré quels en étaient les objectifs. Mais, comme tout le monde, ils savent pourquoi elle a commencé. A-t-elle vraiment été imposée au Liban ? C’est le Hezbollah qui a fait le choix de lancer son opération “Promesse tenue” [en enlevant deux soldats israéliens et en en tuant huit autres à la frontière israélo-libanaise, le 12 juillet]. Certains diront que cela ne justifiait pas toutes les destructions qu’Israël a infligées au Liban. Il n’empêche que cela crée bel et bien une responsabilité libanaise, puisque le Hezbollah est un parti libanais, avec des dirigeants, des adhérents et une foule de sympathisants libanais. Et dénoncer l’agressivité, la sauvagerie et la barbarie d’Israël ne dédouane pas les Libanais de leur responsabilité dans le déclenchement de cette guerre. Car nous savions tous, et notamment le Hezbollah, que la politique de l’Etat israélien est fondée depuis ses origines sur la destruction. Pourquoi donc sommes-nous partis en guerre ? Pourquoi, alors que nous savions ne pas T ■ Petit Poucet La visite de Jack Lang à Damas n’a pas passionné les médias arabes. Le quotidien L’OrientLe Jour a toutefois écrit en bas de page : “Visiblement, la politique-pétasse tente même ceux qui ont prouvé, à de nombreuses reprises, leur talent. Jack Lang en visite spontanée chez Bachar El-Assad, c’est une gifle qu’il assène à son intelligence. Il dit : ‘Je suis un Petit Poucet venu apporter mon petit caillou blanc pour la paix.’ Petit Poucet ? Grand dadais, plutôt !” pouvoir compter sur le sens de l’honneur, l’humanisme et la morale d’Israël ? Avons-nous cru pouvoir faire confiance à la justice de la communauté internationale, de l’ONU et de son Conseil de sécurité ? Nous savions pourtant parfaitement – et le Hezbollah, qui ne cesse de le répéter, le savait mieux que quiconque – que la communauté internationale est injuste, qu’elle pratique le “deux poids, deux mesures” et affiche sa complaisance envers Israël et contre nous. On dirait que nous avons voulu vérifier ce que nous savions déjà. Mais pourquoi donc avoir voulu à nouveau faire l’expérience de quelque chose que nous avions déjà amèrement goûté des dizaines de fois ? Croyions-nous, pour nous être ainsi dit que cela valait la peine de tenter à nouveau notre chance, que quelque chose avait changé, qu’Israël nous prendrait en pitié cette fois-ci ? Est-ce cela qui nous a poussés à nous lancer dans cette expérience destructrice, dont nous ne sommes pas près de nous remettre ? Plus d’un mois de guerre. Nous ne sommes pas loin d’avoir oublié pourquoi elle a commencé et, pourtant, nous le savons. Ce que nous ne savons pas, c’est quels en étaient les objectifs et la fin qu’elle nous réservera. En tout cas, nous devons nous préparer à une catastrophe plus effrayante encore que celles du passé. La série de catastrophes a commencé en 1968 [l’installation de la résistance palestinienne au Liban après la défaite de la guerre des Six-Jours]. Nous ne nous rendions pas encore compte, alors, de la portée d’une guerre et de ses conséquences, ni du fait qu’une guerre n’est que mort et destruction. Il faut se rappeler la dérive vers l’autodestruction qui avait été la nôtre depuis 1975 [début de la guerre civile]. Nous avions affublé cette autodestruction d’innombrables qualificatifs et l’avions noyée dans des discours mensongers. Il faut se rappeler les hymnes, chants et élégies que nous avions inventés pour dire le meurtre et la destruction, pour qualifier les assassins de “héros” et les assassinés de “martyrs”. Il faut se rappeler comment nous avions parti- COURRIER INTERNATIONAL N° 825 26 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 cipé à la fête – qui en participant actif, qui en spectateur passif, qui en supporter prêt à ovationner les combattants, qui en misérable lâche s’étranglant de chants héroïques. Et tous ceux qui ne s’étaient pas laissé entraîner par ces réjouissances morbides quittaient le pays. Savez-vous encore pourquoi nous avions fait tout cela, quinze années durant ? C’était parce que nous n’étions pas d’accord sur la place du Liban dans ce qu’il est convenu d’appeler le conflit israélo-arabe autour de la Palestine. Nous n’étions pas d’accord entre nous – et, alors que l’Egypte, la Syrie et la Jordanie avaient cessé leurs guerres contre Israël en 1973, nous étions partis en guerre contre nous-mêmes. Au bout de quinze ans, nous avions fini par comprendre que nous avions mené des guerres par procuration pour des causes qui n’étaient pas les nôtres. Ce que nous y avions gagné était une occupation israélienne pour chasser de notre pays les armes palestiniennes. Et nous, à l’ombre de l’occupation, nous nous étions combattus entre nous dans la plus féroce de toutes les guerres, non plus entre communautés confessionnelles mais entre factions à l’intérieur de chaque communauté. Aujourd’hui, ne savons-nous pas d’expérience et de science sûre que nos guerres, tant dans leurs objectifs que dans leurs résultats, ne sont qu’absurdité ? Ne savons-nous pas que les guerres n’aboutissent pas à des victoires, ne sont pas source d’héroïsme, n’engendrent pas la gloire, ne sauvent pas l’honneur et ne libèrent pas le sol sacré, mais finissent seulement par sonner la fin de toute chose, de la vie, de la civilisation, de la volonté, des mots, de la lumière, du jour et de la nuit ? Mohamed Abi Samra 825p26-34 22/08/06 14:22 Page 27 DÉCEPTION David Sauveur/Vu Lettre à nos chers ennemis “Cette trêve ne tiendra pas” Pour le directeur du quotidien pro-Hezbollah Al-Akhbar, le gouvernement israélien est prêt à reprendre l’offensive au Liban. Avec les encouragements de Washington. AL-AKHBAR (extraits) Beyrouth omme il fallait s’y attendre, le langage guerrier redonne de la voix en Israël. Depuis l’annonce de la “cessation des hostilités”, le débat fait rage sur ce qui n’a pas marché dans cette guerre et sur la nécessité de mieux préparer la prochaine, déjà annoncée comme plus violente et plus étendue. Dans un premier temps, pourtant, il semblait que les va-t-en-guerre allaient perdre un peu de leur influence, mais, jour après jour, il apparaît plus clairement qu’il n’en est rien. Les ambiguïtés commencent à tomber et l’armistice semble bien fragile. A cela de nombreuses raisons. Tout d’abord, la crise politique qui a éclaté en Israël à tous les niveaux crée une ambiance de suspicion et fait planer la menace de commissions d’enquête parlementaires. Cela favo- C Sur la plage de Beyrouth, polluée après le bombardement de la station électrique de Jiyeh. WEB+ Plus d’infos sur courrierinternational.com Lisez d’autres articles des presses libanaise et israélienne sur notre site Internet. rise ceux des politiques et des militaires qui souhaitent limiter les dimensions de la crise au minimum en poussant l’étendue des combats au maximum. D’autre part, les signes envoyés par les Américains – qui laissent penser qu’ils sont prêts à adopter une approche réaliste des résultats de cette guerre – ne doivent pas faire oublier que cette administration est à tout jamais fâchée avec le réalisme en politique. Il était particulièrement amusant d’entendre les déclarations de George W. Bush et de Condoleezza Rice selon lesquelles les dommages de la guerre révéleront aux Libanais les aspects négatifs de la résistance [le Hezbollah]. Dès qu’ils se sont rendu compte qu’il n’en était rien, ils ont repris la vieille rengaine de la lutte de la liberté contre le terrorisme. Par ailleurs, les premiers jours de “cessation des hostilités” ont démontré les difficultés des forces politiques libanaises [antisyriennes et antiHezbollah] à bénéficier pleinement de la situation, puisqu’elles n’ont pas été capables de mener à bien leur putsch politique à partir du terrain préparé par Israël. Elles auraient pourtant été prêtes à récupérer une victoire israélienne. Quant aux régimes arabes, on note qu’ils sont de plus en plus nus aux yeux de leurs opinions publiques. Nous devons avoir ces éléments à l’esprit pour comprendre les difficultés qu’il y a à former une force internationale. Ces difficultés sont là pour permettre à Israël de renouveler son expérience guerrière et de faire au deuxième coup ce qu’il n’a pas réussi au premier. Dans ce contexte régional de tensions grandissantes, l’armistice est fragile et risque d’être rompu à tout instant. Joseph Samaha COURRIER INTERNATIONAL N° 825 27 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 ■ Avec cette guerre, vous [les Israéliens] nous avez guéris d’un complexe plus destructeur encore que vos armes. Franchement, nous vous croyions plus civilisés. Nous ne pouvions imaginer que vous amèneriez un jour vos enfants dans les hangars de vos forces armées pour qu’ils bénissent les missiles que vous alliez lancer sur d’autres enfants – les nôtres. Nos régimes à nous sont brutaux et capables de crimes extrêmes, mais nous ne pensions pas que vous puissiez un jour agir de la sorte. Chers ennemis, vous représentez le cas le plus extrême du totalitarisme, que nous avons subi dans nos corps et dans nos cœurs. Mais je peux vous dire que nous savons maintenant à qui vous nous faites penser : tout simplement à ceux qui nous gouvernent. Il nous est arrivé jadis de penser que vous étiez uniques. Que vous étiez sans pareils. Qu’il fallait avoir une intelligence supérieure pour vous comprendre ! Et vous, futés et retors comme vous êtes, vous vous êtes débrouillés pour que nous en restions fermement convaincus. Aujourd’hui, nous savons parfaitement qui vous êtes et ce que vous faites. Nul besoin d’une intelligence supérieure pour nous rendre compte de ce que vous nous faites subir… Juste d’une bonne mémoire. Je vous le disais, vous nous rappelez trait pour trait nos assassins locaux, qui depuis si longtemps nous traitent comme vous nous traitez. A vous comparer les uns aux autres, nous avons réalisé qu’assassins vous êtes comme assassins ils sont, et que rien ne ressemble plus à un assassin qu’un autre assassin. Fallait-il que nous souffrions autant pour comprendre enfin que peu importe à la gazelle égorgée que son prédateur soit un loup ou une hyène ? Nous continuons de publier les photos de vos chérubins écrivant des messages sur les missiles appelés à pleuvoir sur les têtes des nôtres. Mais ne vous y trompez pas. Notre but n’est pas seulement de vous dénoncer. Aussi incroyable que cela puisse vous paraître, nous avons plaisir à contempler ces photos. Et savezvous pourquoi ? Parce qu’elles détruisent enfin l’idée que nous nous faisions de vous. Cer tes, nous ne vous avons jamais aimés. Mais au moins pensionsnous que vous étiez des êtres humains respectables. Ainsi, chers et peu respectables ennemis, nous avez-vous libérés de notre complexe d’infériorité vis-à-vis de vous. Soyez-en remerciés. Du fond du cœur ! Yassin Al-Hajj Saleh*, As-Safir, Beyrouth * Intellectuel et opposant syrien. Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis. 825p26-34 22/08/06 14:23 Page 28 e n c o u ve r t u re Nasrallah super-héros A U L IBAN Prêts à sacrifier leur vie pour lui vendre : ravissant appartement avec vue sur mer !”, annonce la pancarte accrochée à un immeuble de la banlieue sud de Beyrouth. Et il est vrai que plus rien ne bouche la vue sur la Méditerranée puisque les bâtiments aux alentours ont laissé place à un vaste champ de ruines. Cette forme d’humour exprime bien l’état d’esprit ici, dans ce fief du Hezbollah [qui a été abondamment bombardé par l’aviation israélienne]. Rien n’a été épargné et les ravages de la guerre sont omniprésents, mais les gens n’ont pas perdu le sens de l’humour. Ceux qui reviennent inspecter ce qui reste de leurs demeures ont le rire jaune, plein de sarcasme. Dans les décombres de leurs maisons, ils voient le visage de l’ennemi et préfèrent lui rire au nez, avec un air de défi. Pour ceux qui n’avaient pas grandchose à perdre, ces destructions n’auront aucun résultat, sinon de les rendre plus pauvres encore, c’est-à-dire plus forts. Une femme sort d’un amas de débris qui auparavant formaient un pâté de maisons. Nous lui demandons si elle a retrouvé ses affaires, mais ses mains, noircies à force de fouiller la cendre, parlent pour elle. “Tout est parti en fumée”, ditelle, pour ajouter aussitôt : “Nous sommes prêts à sacrifier notre vie pour Sayyed [titre chiite qui veut A dire descendant du Prophète] Hassan Nasrallah”, le chef du Hezbollah. On a presque du mal à répéter cette phrase tant elle semble galvaudée. On dirait que cette femme ne fait que ressasser ce que tout le monde, du nord au sud du pays, a entendu mille fois. Mais il y a cette insistance, cet accent de sincérité dans la voix et ce regard droit dans les yeux. Ce sont surtout ceux qui sont particulièrement éprouvés par la guerre qui se montrent ainsi. Quant à Randa Hazimé, qui avait fui vers le quartier de Nabaa [à l’est de Beyrouth], elle nous explique que “les Libanais sont bons les uns avec les autres”. A la fin de notre rencontre, elle n’oublie pas d’ajouter : “Nous sommes prêts à sacrifier notre vie pour Sayyed Hassan !” Ici, tout est gris et poussiéreux.Tout a brûlé ou est enseveli sous les décombres. Seuls quelques bustes de mannequins éjectés des vitrines gisent au milieu de la chaussée. Dans ce décor inquiétant, un vieillard se met en travers de notre chemin, la chemise blanche tachetée de noir et des gouttes de sueur sur le front. Se tenant difficilement en équilibre sur les gravats, il nous lance : “Nous avons perdu huit appartements et quatre boutiques. Mais, s’il ne devait nous rester qu’une seule goutte de sang, à moi-même, à mes enfants ou à ma femme, je la donnerais à la résistance. Nous sommes prêts à sacrifier notre vie pour Sayyed Hassan !” En disant cela, il a les larmes aux yeux. Finalement, nous apercevons une vieille qui s’apprête à fuir les lieux en voiture. Elle est originaire de Maroun Al-Ras [village du SudLiban qui a été l’un des principaux théâtres de ■ L’idole des Palestiniens Jadis, le peintre Walid Ayoub, de Ramallah, gagnait difficilement sa vie en brossant les portraits d’Arafat, de Nasser et de Jésus-Christ, nous informe le site Elaph. Or, depuis le 12 juillet et le soudain engouement des Palestiniens pour Hassan Nasrallah, Ayoub est passé de la peinture à l’impression d’affiches et de tee-shirts arborant l’effigie du leader islamiste. Il lui arrive d’en vendre un millier en une seule journée, note Elaph. combats terrestres]. Nous avons le temps de lui demander si sa maison est encore debout. “Il n’en reste rien”, lance-t-elle avant de refermer la portière et de démarrer. Mais, en s’éloignant, elle baisse la vitre pour crier : “Nous sommes prêts à sacrifier notre vie pour un bout du manteau de Sayyed Hassan ! Dieu nous le rendra !” Doha Chams, As-Safir (extraits), Beyrouth E N E GYPTE Une source de fierté ne mosquée de la ville de Port-Saïd, en Egypte, a été le théâtre d’un incident fort symptomatique. En débutant son prêche, l’imam – un imam de dixième catégorie, de ceux qui reçoivent tous les vendredis leur homélie des services de sécurité – s’est mis à conseiller aux musulmans réunis pour la prière de se garder de tout soutien à Hassan Nasrallah dans son combat contre Israël. Parce que, argumenta l’imam, le Hezbollah, que dirige Nasrallah, est un parti chiite, et que les chiites sont les ennemis de… Et ce fut la fin du prêche ! Jusque-là respectueux des lieux et recueillis dans leur dévotion, les fidèles se sont soudain révoltés contre l’imam et ce fut l’émeute. L’imam n’a dû son salut qu’à la rapide intervention des forces de l’ordre. Autre phénomène tout aussi parlant : nombre de chauffeurs de taxi de la capitale (et U A N A LY S E Comment expliquer un tel succès ? Des jeunes brandissant le drapeau du Hezbollah. semblables milices se sont largement inspirées d’idéologies progressistes et laïques. C’était à la grande époque du tiers-mondisme guévariste, et cet héritage explique en grande partie pourquoi de nombreux mouvements gauchistes participent à l’engouement pro-Hezbollah. Paul Taggar t/WPN ■ La bataille qu’a menée le Hezbollah contre Israël a trouvé un tel écho à travers le monde arabe que l’on doit s’interroger sur les raisons profondes qui ont poussé aussi bien les masses que l’élite, les partis politiques et les médias à se dépasser dans l’expression de leur enthousiasme. Ni la cause palestinienne, ni l’Irak, ni la revendication de réformes démocratiques n’ont jamais suscité une telle mobilisation. Par quelle magie cela a-t-il été possible alors que les cas du Soudan, des Territoires palestiniens, de la Somalie ou encore de l’Irak montrent où cela peut mener quand le pouvoir ne s’articule pas autour de l’Etat et du gouvernement mais se trouve aux mains de milices religieuses qui violent les lois et piétinent les institutions sous prétexte de combattre l’Amérique et/ou Israël ? Cette fascination transcende les frontières et unit les pays arabes. Cela s’explique en premier lieu par le caractère islamique de ces milices. Car tout ce qui avance sous couvert de religion paraît prometteur de victoires, même si, dans le passé, de Mais le plus grand danger que représente cette fascination réside dans le refus, le rejet et le dégoût de l’Etat qu’elle exprime. Elle révèle un profond désir d’en finir avec l’Etat, cet Etat qu’on exècre et que l’on agonit des pires injures, cet Etat qui apparaît comme traître et impuissant, cet Etat qui COURRIER INTERNATIONAL N° 825 28 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 flanche devant Israël et l’Amérique. On préfère s’identifier au Hezbollah et à ses semblables, les seuls à se battre contre l’ennemi. La raison la plus évidente de cette rupture entre l’Etat et ses citoyens, c’est que l’un et l’autre n’appartiennent pas au même univers, et qu’il n’existe aucun lien entre eux puisque le pouvoir étatique manque totalement de légitimité et est synonyme de répression, d’abus et de corruption. Ainsi, le citoyen s’applique à enfreindre ses lois, lui pour qui l’interdit [légal] ne signifie rien, et l’illicite [religieux] tout. Son salut, il le voit dans les groupes qui inscrivent leur action en dehors de l’Etat pour imposer leur volonté aux autres, armés qu’ils sont de l’idéologie islamiste suicidaire. Quelque part, cette haine de l’Etat rejoint la haine d’Israël. Car la terre de Palestine a été occupée par un ensemble de milices [sionistes] qui se battaient contre un embryon d’Etat [arabe]. Le premier, victorieux, s’est mué en l’Etat d’Israël ; le second, vaincu, est retourné au stade du tribalisme et du factionnalisme qui caractérise les milices. Dalal Al-Bizri, Al-Hayat (extraits),Londres 825p26-34 22/08/06 14:24 Page 29 ISRAËL-LIBAN LES INCONNUES DE L’APRÈS-GUERRE ● de patrons de café) ont enregistré des discours de Hassan Nasrallah et les diffusent à plein volume. Un de mes collègues était dans l’un de ces véhicules. Au moment où Nasrallah prononça sa phrase désormais célèbre : “Si vous bombardez Beyrouth, nous bombarderons Tel-Aviv”, le chauffeur s’est exclamé : “Tu parles d’or, Nasrallah !” Puis, se tournant vers son passager, il lui demanda : “N’êtes-vous pas d’accord avec moi ?” A quoi mon collègue répondit : “Nous attendions tous un homme pareil !” Encore un exemple. Il ne s’agit, cette fois, ni de fidèles à la prière du vendredi, ni de chauffeurs de taxi ou de patrons de café. Plutôt d’un membre de cette catégorie d’individus qui, au mépris des réalités, refusent de considérer que l’Egypte est partie intégrante du monde arabe. Pendant la première semaine de la guerre, il exprimait toutes sortes de réserves quant au comportement du Hezbollah. Au bout de la troisième semaine, il s’est laissé aller à un “bravo, Nasrallah ! Il y est allé ! Il nous rend un peu de notre fierté !” Une quatrième illustration de la popularité de Hassan Nasrallah en Egypte concerne directement l’auteure de cet article. La dernière chose à laquelle je pouvais m’attendre est de tomber amoureuse d’un homme de religion, d’un type portant turban ! Je n’aime pas ces gens-là et, en toute logique, ils ne m’apprécient pas davantage. Je vais emprunter les mots d’une amie qui ne les porte pas non plus dans son cœur : “Qu’est-ce qui m’arrive ? ! Je me rends compte que Nasrallah m’habite… Je pense à lui tout le temps !” Dans leur grande majorité, les Egyptiens n’ont pourtant pas fait attention au turban noir de Nasrallah. D’ailleurs, ils ne manquent pas de turbans chez eux… Leurs médias sont enturbannés, tout comme leur enseignement et leur vie en général ! Ce que les Egyptiens ont bien vu, en revanche, ce sont les roquettes tirées sur Haïfa et au-delà, plus de trente ans après la guerre d’octobre [guerre du Kippour, 1973] menée par l’Egypte contre Israël. Depuis, les Egyptiens ont dû s’asseoir sur leur fierté face à cet ennemi. Ils ont été humiliés à cause de Sadate et de Moubarak, plus particulièrement à cause de ce dernier, tous deux s’étant abaissés face aux généraux israéliens et aux rois arabes soumis à Israël. Son turban a beau être noir, Nasrallah a fait aux Egyptiens un cadeau inestimable. Grâce à lui, Israël n’est plus cette puissance invincible que leur décrivent leurs dirigeants ramollis. Houayda Taha, Al-Quds Al-Arabi, Londres Dessin de Coze paru dans le Financial Times, Londres. E N S YRIE Et même dans les discothèques our après jour, le nombre de ceux qui affluent vers le quartier du mausolée [chiite] de Sayda Zaynab, dans la banlieue de Damas, ne cesse de croître – tout comme il y a de plus en plus de visiteurs au centre Al-Quds à Damas, près du mausolée de Saladin et de la mosquée des Omeyyades. Ils viennent y acheter des drapeaux du Hezbollah, des photos et des affiches de son secrétaire général, Hassan Nasrallah. Les variantes de ses photos sont nombreuses. Sur J COURRIER INTERNATIONAL N° 825 29 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 l’une d’elles, on le voit aux côtés du président syrien Bachar El-Assad. Sur une autre, les deux sont rejoints par le père de l’actuel président, Hafez El-Assad. Encore plus significatives sont celles où on le voit aux côtés du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, ou du guide de la révolution, Ali Khamenei. C’est la première fois depuis près de quarante ans qu’on affiche des photos montrant le président syrien avec une personnalité qui ne soit pas issue de la famille Assad. Jusqu’alors, on ne connaissait que les diptyques ou triptyques de feu Hafez avec un ou deux de ses fils, Bachar et Bassel, ce dernier mort dans un accident de voiture en 1994. Selon un responsable syrien interrogé par AlHayat, ces photos sont un “hommage au prestige du Hezbollah et de son secrétaire général”. “Nous sommes sur la même ligne”, explique-t-il, avant d’ajouter que ces photos “n’ont pas été décidées au niveau officiel, mais trouvent leur origine dans une demande populaire que les imprimeries ont tenu à satisfaire”. Dans une des boutiques qui propose des drapeaux, on nous affirme que les ventes atteignent les cinquante par jour, contre une petite poignée par semaine au tout début du conflit. Fatmé Al-Salim, 32 ans, une ancienne habitante d’un village du plateau du Golan annexé par Israël, affirme avoir dépensé 300 livres syriennes [5 euros] pour l’achat d’un grand drapeau du Hezbollah qu’elle compte accrocher à son balcon afin de “saluer la résistance et son chef”. A quelques mètres de là, Mounif Achmar a installé un grand bureau de “soutien à la résistance libanaise” afin de collecter des dons destinés au Hezbollah et d’accueillir les Libanais réfugiés en Syrie depuis le début des hostilités. Selon lui, son bureau a imprimé plus de 50 000 affiches figurant Assad et Nasrallah ensemble et 60 000 qui montrent Nasrallah seul. Aujourd’hui, beaucoup de Syriens comparent Nasrallah au grand chef musulman Saladin, qui chassa les croisés de Jérusalem en 1187. Pour l’honorer, ils ne se contentent pas d’accrocher photos et drapeaux à leurs voitures, dans les magasins et sur les façades des immeubles. Les jeunes se plaisent également à acheter des maillots jaunes avec le portrait d’un Nasrallah souriant, à la barbe fournie et au turban noir qui le caractérisent. Un commerçant du souk de Hamidiyé [souk central de Damas] dit qu’il en vend près de 600 par jour depuis le début de la guerre. Sous le charme du chef chiite libanais, beaucoup de Syriens ont également choisi un extrait de ses discours comme sonnerie de portable, de préférence assortie d’un portrait correspondant qui s’affiche sur l’écran. Plus significatif encore : des maisons de disques ont intégré des discours de Nasrallah à des morceaux de musique dansante. Ainsi, dans la discothèque La Laterna, vers 2 heures du matin une veille de week-end, les gens dansaient sur une musique électronique composée autour d’un “Mort à Israël” prononcé par leur idole avant qu’un chanteur ne monte sur scène pour entonner “Allah, Allah, protège Nasrallah !” Un enthousiasme qui touche toutes les classes, dans tous les lieux et à toute heure de la journée. Ibrahim Hamidi, Al-Hayat, Londres 825p26-34 22/08/06 14:24 Page 30 e n c o u ve r t u re Que signifie être chiite aujourd’hui ? Une violente charge contre le Hezbollah par une universitaire chiite libanaise. Paru le 6 août dans An-Nahar, ce texte continue de faire couler beaucoup d’encre dans toute la presse arabe. AN-NAHAR (extraits) Beyrouth a période que traverse le Liban sera décisive pour notre destin, et les catastrophes que nous vivons auront des répercussions sur notre pays et sur la région tout au long du siècle à venir. Compte tenu des enjeux, j’ai jugé bon de formuler publiquement les questions que beaucoup d’entre nous se posent en secret. Ils craignent de heurter leur communauté et de briser le consensus, d’être traités d’agents de l’étranger, de traîtres, voire d’apostats. Or dire tout haut ce que beaucoup d’entre nous pensent tout bas pourrait peut-être éviter la dérive vers l’abîme et contribuer à ce que nos dirigeants prennent les décisions qu’il faut pour mettre un terme à cette guerre infernale, quel qu’en soit le prix. Que signifie être chiite pour la majorité des membres de cette communauté, aujourd’hui, à ce moment particulier ? Cela signifie que vous vous dessaisissez de vos affaires pour les déléguer à une direction sage et infaillible. Cela signifie que vous ne vous hasardez pas à poser la moindre question. Cela signifie que vous regardez uniquement les chaînes de télévision AlManar [contrôlée par le Hezbollah], NewTV et NBN [proches des courants djihadistes] pour vous griser d’hymnes martiaux, à l’exclusion de toute autre source d’informations. Cela signifie que vous condamnez toutes les autres chaînes parce qu’elles sont soit “américaines”, soit “sionistes”, puisqu’elles disent “armée israélienne”, et non “armée de l’ennemi”. Cela signifie que vous ne doutez pas que c’est une victoire que des combattants armés jusqu’aux dents soient en vie, même si le prix a été la destruction des infrastructures du pays et la mort de ceux qui s’appliquaient à reconstruire le pays et qui constituent le véritable bouclier pour les combattants. Cela signifie que vous devez être un héros qui ne se plaint pas et qui n’a jamais d’états d’âme. Cela signifie que vous acceptez de vous sacrifier, vous et votre pays, afin de permettre à Israël de vous infliger une leçon et de s’adonner à sa folie. Cela signifie que vous croyez qu’on a gagné la guerre puisque le président syrien a déclaré sur la BBC qu’Israël a subi une défaite. Cela signifie que vous acceptez la dévastation et la dispersion des familles aux quatre coins du pays. Cela signifie que vous faites preuve d’esprit de résistance tant qu’il restera des roquettes capables d’atteindre Israël, sans broncher et sans jamais poser de questions sur le pourquoi et le comment, sur le choix du moment ou sur les objectifs qu’on espère atteindre. Cela signifie que vous acceptez de tout sacrifier tant qu’il se trouvera un honorable donateur pour vous dédommager pour ce qui vient d’être détruit.Tout cela vous pose un problème ? Nous sommes un peuple de héros qui ne savent faire rien d’autre que se sacrifier, qui sont L ■ 1701 La résolution onusienne 1701 qui a mis fin aux combats au Liban sera-t-elle un jour appliquée dans tous ses points, y compris celui relatif au désarmement du Hezbollah ? Invité sur la chaîne Al-Jazira, le représentant du Parti de Dieu a déclaré que son mouvement pourrait accepter le désarmement si Israël accepte d’appliquer toutes les résolutions de l’ONU, notamment la résolution 242, qui demande à Israël de libérer tous les territoires occupés en 1967, ainsi que le plan de partage de la Palestine adoptée en… 1947. capables d’encaisser les chocs psychologiques, la mort des proches, la fuite et la destruction de l’Etat. N’est-il pas suffisant qu’il y ait un pays fort à nos côtés [l’Iran] ? N’est-il pas suffisant de nous sacrifier sans compter afin de le renforcer ? N’est-il pas suffisant de mener la guerre [à sa place] contre les Américains et Israël ? N’est-il pas suffisant de prouver qu’Israël est faible et incapable d’infliger une défaite au Hezbollah ? Etre chiite signifie que vous observez le silence sans vous demander si le rôle de la résistance est d’anéantir ce que nous avions reconstruit [après la guerre civile] et de faciliter le retour de troupes d’occupation. Etre chiite signifie que vous remerciez le Hezbollah pour son héroïsme et ses sacrifices. Etre chiite signifie que vous prenez le seigneur de la résistance [Hassan Nasrallah] pour le héros absolu de tout le monde arabe. Etre chiite signifie que vous vous mettez en extase en écoutant les louanges collectives et populistes qui lui sont adressées et qui, par le passé, étaient destinées à cet autre héros qu’était Nasser, ou alors que vous versez des larmes sur Saddam Hussein avec ceux qui sont prêts à encenser quiconque flatte leurs rêves et leurs instincts. SE LAISSER MENER VERS UNE “VICTOIRE” QUI ÉQUIVAUT À UN SUICIDE Etre chiite signifie que vous ne posez pas de questions à ces dirigeants pour savoir si les infrastructures avaient été préparées pour supporter une guerre aussi dévastatrice, pour savoir où sont les hôpitaux, les ambulances, les abris [dont vous auriez eu besoin]. Etre chiite signifie que vous neutralisez votre intelligence et laissez M. Ali Khamenei [le guide de la révolution iranienne] vous dicter vos désirs et vos idées sur l’utilisation des armes du Hezbollah, pour vous conduire vers une “victoire” qui équivaut à un suicide. Etre chiite signifie que vous défendez le droit d’ingérence dans les affaires intérieures libanaises par les Iraniens, qui ont mis en garde les deux ministres libanais du Hezbollah contre le danger de mettre leur identité libanaise au-dessus de leur fidélité à l’Iran et de défendre des intérêts libanais et des vies libanaises plutôt que le programme nucléaire de l’Iran et ses visées afin de devenir une grande puissante chiite dans la région. Etre chiite signifie que vous écoutez les diatribes du Hezbollah contre le mouvement du 14 mars [majorité gouvernementale, antisyrienne] et contre le déploiement de forces internationales, distribuant à profusion à ceux qui ne sont pas d’accord avec vous des titres de “traître”, de “proaméricain” ou de “sioniste”. Tout cela vous éloignera profondément de toute possibilité de vous interroger sur ce que vous êtes. Etes-vous citoyen libanais ? Etes-vous obligé, parce que chiite, de donner la priorité à l’Iran et non au Liban ? N’avez-vous pas droit à la liberté d’opinion et d’expression ? N’avez-vous pas le droit de réfléchir par vous-mêmes et de vous demander où va notre pays, notre appareil d’Etat, notre pluralisme et notre vie en commun [entre différentes communautés], que nous devons désormais défendre ? Etre chiite et oser écrire ce genre de choses signifie que vous êtes un traître et un agent de l’étranger, que vous êtes pro-israélien et que vous justifiez la politique folle de cet Etat, ses assassinats et ses occupations. Pour peu, on vous accuserait d’être vous-mêmes responsable des destructions des maisons qui s’écroulent sur les têtes de leurs habitants. Mona Fayad INQUIÉTUDES Faut-il craindre un coup d’Etat à Beyrouth ? La “victoire” du Hezbollah risque de ramener au pouvoir les figures proches de Damas, s’inquiète le quotidien fondé par Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre assassiné. lors que les difficiles négociations pour obtenir un cessez-le-feu [avec Israël] étaient encore en cours, on commençait déjà à se rendre compte qu’un danger nous menaçait à l’intérieur du Liban. Car, au nom de la victoire que le Hezbollah a remportée sur Israël, les responsables libanais prosyriens envisagent de perpétrer un coup d’Etat au Liban [et de reprendre le pouvoir, alors que les troupes syriennes ont dû quitter le Liban en 2005]. Çà et là, des interrogations avaient déjà été soulevées sur l’usage que le Hezbollah comptait faire de sa “victoire”, et l’une des principales figures du mouvement antisyrien, le chef druze Walid Joumblatt, avait clairement demandé au Hezbollah de mettre cette victoire au ser- A COURRIER INTERNATIONAL N° 825 vice de l’Etat libanais. Le chef du mouvement, Hassan Nasrallah, a cer tes affirmé dans un discours à la télévision que les Libanais ne devaient pas avoir peur de son organisation, mais force est de constater que s’installe une peur de plus en plus obsédante de voir le Hezbollah dédier son succès aux prosyriens libanais ainsi qu’aux intérêts extérieurs syriens et iraniens. Les récents propos d’Emile Lahoud [président de la République libanaise, prosyrien], de Soleiman 30 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 Frangié [ex-député maronite, prosyrien] et de Michel Aoun [général chrétien qui a noué une alliance avec le Hezbollah] révèlent des projets putschistes. Ainsi, Emile Lahoud a qualifié la participation française à la FINUL de “nouveau mandat français” sur le Liban et a “réfléchi” à l’éventualité d’élections anticipées ; Soleiman Frangié a appelé les partisans du mouvement du 14 mars 2005 [coalition antisyrienne au pouvoir] à reconnaître sa “défaite” ; Michel Aoun a demandé la formation d’un gouvernement de salut national [avec une forte représentation du Hezbollah et des prosyriens] doté de pouvoirs d’exception. Tout cela confirme que l’affrontement avec Israël sert d’abord à régler des comptes à l’intérieur du Liban, à éliminer les forces démocratiques et antisyriennes et à préparer le retour au pouvoir des éléments proches de Damas. Nassir Al-Assaad, Al-Mustaqbal, Beyrouth Dessin de Mayk paru dans Sydsvenskan, Malmö. 825p26-34 22/08/06 14:25 Page 31 ISRAËL-LIBAN LES INCONNUES DE L’APRÈS-GUERRE ● à la société libanaise œuvre à l’encontre de tous les efforts menés historiquement pour “libaniser” les chiites et les intégrer à la communauté nationale avec toutes ses composantes et pour les amener à accepter les institutions démocratiques d’un Etat de droit. De là apparaissent l’importance et l’urgence d’ouvrir le débat sur la manière d’amener la communauté chiite à entendre raison. Pour parvenir à établir sa souveraineté sur ces territoires, l’Etat doit prioritairement assumer son rôle dans la reconstruction de ce qui a été détruit et ne plus laisser cette responsabilité, comme c’est le cas actuellement, aux organismes du “djihad de la construction”, dépendants du Hezbollah. Pareille décision serait un premier pas qui devrait aboutir à ce que l’Etat prenne sous son autorité tous les services sociaux et de développement jusqu’ici assurés par le Hezbollah. Pour réussir cette étape, la première mesure à entreprendre est de faire en sorte que l’Etat, via un déploiement de l’armée légitime sur tout le territoire, soit le détenteur exclusif de tout armement présent sur le sol libanais. LE CHOIX DES ISLAMISTES EST D’IGNORER L’ÉTAT ET SA SOUVERAINETÉ C’est la culture du Hezbollah qu’il faut changer ! Il faut certes désarmer le Parti de Dieu. Mais il faut avant tout combattre son idéologie djihadiste inspirée par l’Iran et incompatible avec l’Etat de droit, estiment deux chercheurs libanais. AN-NAHAR Beyrouth e concept d’un Etat hezbollahi s’est installé dans le subconscient de la majorité chiite [au Liban]. Cela paraît évident, à voir le comportement des réfugiés victimes de l’agression israélienne fuyant le Sud en direction de zones moins exposées, notamment Beyrouth ou la montagne libanaise. Comme dans toute guerre, ces réfugiés laissent derrière eux biens, souvenirs et êtres chers. Ce qu’ils ont eu à cœur d’emporter, en revanche, c’est le drapeau jaune de leur “Etat” [le drapeau du Hezbollah] et les portraits de leur chef révolutionnaire et islamiste [Hassan Nasrallah], celui que ses inconditionnels comparent à Che Guevara, le symbole le plus populaire de l’anti-impérialisme au XXe siècle. Pareils comportements illustrent on ne peut mieux les efforts consentis par le Hezbollah à partir de 1985 pour investir le tissu social des L Dessin de Côté paru dans Le Soleil, Québec. populations chiites, pauvres et laissées pour compte. Parallèlement se sont développés au sein de ces quartiers goût du secret, méfiance et espionnite. Aujourd’hui, cette société s’est dans son ensemble laissé convertir à l’idée d’un Etat islamique dont la frontière avec le reste du Liban serait cette Ligne bleue imaginaire qui a fait barrage à l’intégration des chiites dans l’Etat libanais et leur acceptation des lois de la République, malgré la signature des accords de Taëf* et la fin des accusations infamantes qui ont pesé historiquement sur la communauté chiite [jadis mal représentée dans les rouages de l’Etat libanais]. Il apparaît, compte tenu de ces réalités, que les armes détenues par le Hezbollah ne constituent pas la seule difficulté que doit résoudre le Liban dans son effort pour étendre sa souveraineté à tout son territoire et garantir son indépendance. Face à cette entreprise se dresse une organisation inspirée de la révolution islamique iranienne et dont la culture est fondamentalement liée à une doctrine religieuse qui compte parmi ses préceptes fondamentaux le djihad et l’usage des armes. Le Hezbollah a exploité la misère dont souffrent les populations [du Sud-Liban] pour convertir à ses thèses la jeunesse chiite et produire une génération de candidats au martyre. Cette culture étrangère COURRIER INTERNATIONAL N° 825 31 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 Quant à l’armement détenu par le Hezbollah, il conviendrait de considérer avec réserve une des solutions préconisées, à savoir l’intégration des forces de l’organisation au sein de l’armée et de la police nationales. Du moins tant que cette organisation reste tributaire des régimes iranien et syrien. Sans oublier que les convictions des combattants du Hezbollah ne vont certainement pas changer du jour au lendemain pour se conformer à celles de l’armée libanaise. Intégrer le Hezbollah à l’armée libanaise après la fin de l’agression israélienne comporte le risque de voir se créer des cellules iranosyriennes au sein de la plus importante institution libanaise et d’assister un jour à un putsch qui renverserait le gouvernement libanais. Parallèlement à ces différents projets, et condition importante pour qu’ils puissent être menés à bien, il est indispensable que le gouvernement œuvre à rétablir la confiance dans les institutions et mène campagne pour réconcilier l’individu avec l’Etat. Pour finir, il paraît évident, à travers les discours répétés de Hassan Nasrallah, qui considère que les raids israéliens sont dirigés contre les enfants de Mahomet, d’Ali, de Hassan et de Hussein [le Prophète et les figures religieuses du chiisme] et que la guerre durera – “que les Libanais le veuillent ou non” –, que le choix du Hezbollah est d’ignorer l’Etat et de refuser le principe que la souveraineté est celle du peuple libanais tout entier. La question est de savoir si les Libanais, et les chiites en particulier, accepteront de rester otages de telles prises de position. Et si le gouvernement libanais acceptera que les familles chiites demeurent dans la prison économique et sociale du Hezbollah. Dalia Ebeid et Michel Doueyhi * Accords signés en 1989 en Arabie Saoudite par tous les dirigeants libanais, qui ont mis fin à la guerre civile au Liban et accordé plus de pouvoirs aux communautés musulmanes, majoritaires dans le pays. 825p26-34 22/08/06 14:25 Page 32 e n c o u ve r t u re Les premières leçons de cette guerre Denis Sinyakov/AFP Pour les Israéliens, vaincre le Hezbollah est possible, mais au prix d’une longue guerre d’usure. Pour les Arabes, les tirs de roquettes sont plus efficaces contre Israël que les chars et les avions. HA’ARETZ (extraits) Tel-Aviv arfois, un pays doit recevoir une gifle pour percevoir les nouvelles réalités du monde qui l’entoure. C’est ce qui est arrivé à Israël en 1973, avec la guerre du Kippour, qui a fait plus de 2 600 morts, et l’Intifada d’Al-Aqsa [en 2000], qui en a fait plus de 1 000. Israël vient de prendre une nouvelle claque avec la guerre contre le Hezbollah. Hélas, chaque fois, la douloureuse prise de conscience israélienne se traduit par des pertes, des destructions, des souffrances. Dans les Etats arabes, aussi, bien des gens estiment que cette guerre a créé une nouvelle réalité et que Tsahal a du mal à faire plier le Hezbollah. En Syrie, certains se demandent même si le moment ne serait pas venu de libérer par la force les hauteurs du Golan. Quant à ceux qui, dans le monde arabe, souhaitent la paix avec Israël, ils sont aujourd’hui sur la défensive. Si la tendance se confirme, la guerre ne devrait pas tarder à éclater de nouveau. Pour beaucoup, dans les pays arabes, l’affrontement entre Israël et le Hezbollah s’inscrit dans un contexte plus large, où l’incapacité des Etats-Unis à écraser l’insurrection en Irak joue un rôle important. Les Arabes voient P Des soldats israéliens de retour d’une mission au Liban après l’arrêt officiel des hostilités. bien que la puissance militaire n’est pas une garantie de succès. Pour beaucoup d’entre eux, il est désormais clair que l’Iran, principal soutien du Hezbollah, a l’intention d’intervenir plus que jamais dans les affaires du monde arabe. Heureusement pour Israël, les hostilités ont éclaté avant que l’Iran ne puisse brandir la menace de l’arme nucléaire. Téhéran n’ignore pas qu’une partie de l’infrastructure qu’il a créée pour le Hezbollah vient d’être détruite, d’où la nécessité pour l’Iran d’un maintien de l’ouverture des frontières du Liban, afin de lui permettre de réarmer le Hezbollah. Dans ces conditions, la force internationale [Force intérimaire des Nations unies au Liban, FINUL] qui doit être déployée au Sud-Liban n’aurait aucune raison d’être si elle n’empêchait pas l’Iran et la Syrie de fournir au Hezbollah des armes, notamment des roquettes. Israël a toujours refusé, par principe, de faire appel à des soldats étrangers. Par le passé, les accords de déploiement des forces des Nations unies lui ont presque été arrachés sous la contrainte. Aujourd’hui, la force internationale devrait en principe confisquer ses roquettes au Hezbollah et jouer un rôle de tampon, proté- CONTREPOINT “Si, nous avons vaincu !” ■ Malgré tout, nous avons vaincu. Face à la joie manifestée dans le monde arabe et au défaitisme qui règne en Israël, il faut le clamer haut et for t. A quoi mesure-t-on une victoire ? Pas en termes de vies humaines, mais d’objectifs à long terme. Le retour des deux soldats [israéliens] enlevés est à cet égard important mais pas essentiel, tout comme les souffrances des habitants du nord d’Israël ne doivent pas nous faire céder au désespoir au regard du contexte global. Nous avons vaincu, parce que le monde a dû reconnaître que la situation au Sud- Liban était intolérable. Les jours heureux où n’importe quel milicien du Hezbollah pouvait parader devant la frontière israélienne avec sa kalachnikov sont terminés. Nous avons vaincu parce que nous n’avons pas menti sur nos pertes. Nous avons certes perdu des hommes et du matériel lourd, mais les caches d’armes et les bunkers du Hezbollah ont été éradiqués, tandis que nombre d’officiers iraniens [qui auraient combattu au Liban avec le Hezbollah] ont péri. Nous avons vaincu parce que, en dépit des extrémistes de gauche et de droite, nous sommes restés unis. Nous avons vaincu parce que, si nous sommes sor tis de cette bataille meur tris mais debout, il faudra de longues années au Liban pour se relever. Nous avons vaincu parce que l’effet de surprise que produisent des milliers de missiles frappant Israël n’existe plus et que leur menace a été éradiquée. Nous avons vaincu parce que nous avons la force d’ouvrir un débat public sur les responsabilités dans la conduite de cette guerre et d’envisager un changement de gouvernement. Voilà le secret de notre victoire écrasante sur la culture du mensonge du Hezbollah. Guy Beniowicz, Yediot Aharonot (extraits), Tel-Aviv COURRIER INTERNATIONAL N° 825 32 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 geant Israël. Car, cette fois, l’organisation chiite a creusé tout un réseau de tunnels souterrains qui rappelle celui du Vietcong au Vietnam. Ses combattants, qui se cachent sous terre et refont surface ponctuellement pour attaquer les soldats israéliens et tirer des roquettes, n’ont pu être délogés qu’à coups de bombes incendiaires et autres armes du même type. Tout ce qui existe au Sud-Liban a été conçu par des conseillers iraniens placés sous les ordres du chef de la “Force Al-Quds des gardiens de la révolution”, Qassam Sulaymani. Mais Israël ne s’est pas laissé surprendre par les capacités militaires du Hezbollah : les services de renseignements de l’armée et le Mossad savaient comment avait évolué l’organisation. Pourtant, alors que le renseignement estimait à environ 12 000 le nombre de Katioucha dans le sud du Liban, en Israël on leur répliquait : “Vous cherchez seulement à nous faire augmenter un budget militaire déjà colossal.” Les publications des instituts de recherche et autres organismes concernés n’accordaient qu’une place minime à la menace du Hezbollah. On ne vainc pas militairement de vastes organisations terroristes comme on vainc des armées régulières. Selon l’ancien chef d’état-major Moshe Ya’alon, une guérilla ne peut être vaincue que par une longue guerre d’usure. Non par K.-O. mais par étapes. Nul doute que l’on puisse infliger au Hezbollah d’importants dommages dont il ne pourrait pas se remettre avant des années. Les guérillas ne gagnent pas toujours. Dans certains cas, le prix à payer s’avère trop élevé pour qu’elles continuent à faire peser leur menace. Le problème, c’est qu’en exigeant un prix on attise encore un peu plus la haine des populations qui soutiennent la guérilla. Mais, aux yeux d’autres organisations arabes, il est très possible que le pouvoir de dissuasion d’Israël s’en trouve quelque peu entamé. Certes, elles savent désormais que l’Etat hébreu est capable de répondre par une “folie” cruelle si l’on franchit la ligne jaune. Mais elles auront peut-être aussi conclu que les meilleures armes pour blesser Israël et le faire sortir de sa réserve ne sont pas les chars ni les avions, mais des centaines de tirs de roquettes et de missiles. Ze’ev Schiff 825p26-34 22/08/06 14:26 Page 33 ISRAËL-LIBAN LES INCONNUES DE L’APRÈS-GUERRE ● Olmert, Peretz, Haloutz, démission ! Après toutes les erreurs qu’ils ont commises dans cette guerre, affirme Uzi Benziman, il est anormal que les dirigeants israéliens restent en place. Surtout si une nouvelle guerre doit être déclenchée sous peu. HA’ARETZ Tel-Aviv Q u’entend [le Premier ministre] Ehoud Olmert quand il prétend que le pays ne peut se payer le luxe d’enquêtes internes et de critiques tous azimuts ? Qu’entend [le ministre de la Défense] Amir Peretz quand il laisse entendre que le comité d’experts qu’il a été si prompt à nommer n’aura pas pour mission de sanctionner les fautes, mais plutôt d’aider l’armée à éviter de nouveaux problèmes à l’avenir ? Qu’entend [le chef d’étatmajor général] Dan Haloutz quand il affirme que c’est l’armée tout entière qui doit s’interroger, mais que la priorité aujourd’hui est de rester en ordre de bataille pour la prochaine manche, laquelle serait imminente ? Tous trois entendent empêcher la création d’une véritable commission d’enquête officielle dotée de moyens réels pour trancher dans le vif et mettre face à euxmêmes les responsables du malheur qui s’est abattu sur Israël. Ce trio infernal ne comprend même pas qu’il a perdu tout crédit, aussi bien dans sa capacité à gouverner le pays qu’à diriger l’armée. Il a en outre perdu l’autorité morale nécessaire pour enrôler nos soldats dans la guerre à venir. Le Premier ministre et son ministre de la Défense, qui ont tous deux décidé de déclencher cette guerre catastrophique après quelques heures de discussion, et le chef d’état-major qui s’est révélé incapable de mettre son armée en ordre de Dessin de Bertrams paru dans Het Parool, Amsterdam. bataille et persiste à présenter un bilan chimérique [de l’issue de cette guerre], tous trois ont perdu la capacité à exercer leurs fonctions. Si Olmert, Peretz et Haloutz décidaient aujourd’hui d’annoncer leur retrait de la vie publique, cela aurait alors du sens et permettrait d’éviter la lourdeur d’une commission d’enquête officielle et de confier à des états généraux d’experts civils et militaires le soin de proposer des réformes. Mais le trio tient plus que tout à ses emplois. Ce n’est pas l’intérêt supérieur de la nation qui les motive, mais le vain espoir de sauver l’honneur. Ce qu’ils voudraient, c’est entrer dans l’Histoire comme des dirigeants victimes d’une malheureuse panne, et non comme les responsables de l’échec politique et militaire le plus retentissant et le plus grave depuis celui de la guerre du Kippour [en 1973]. Ce qu’ils voudraient, c’est faire oublier le désastre qu’ils ont commis en le masquant par des décisions futures. Et il y a de quoi frémir. Car Olmert, Peretz et Haloutz ont multiplié des décisions dont les mobiles étaient peu reluisants et dont le prix en vies civiles et militaires s’est révélé exorbitant. Si le choix de départ de déclencher les combats relevait de l’inexpérience et du manque de vision, les décisions prises ultérieurement – en particulier à la fin de la guerre – donnent à penser qu’elles répondaient à des motivations peu avouables. Que l’on songe à la décision d’envoyer des commandos professionnels loin à l’intérieur du Liban ou à celle, bien plus tragique, d’envoyer plusieurs divisions de réservistes effectuer un baroud d’honneur de l’autre côté du Litani [fleuve au Sud-Liban] deux jours avant l’entrée en application du cessez-le-feu. On peut nourrir des soupçons tout aussi sérieux quant aux motivations qui ont poussé à l’incursion [le 18 août] d’un commando israélien à Baalbek [à l’est du Liban et qui s’est soldée par la mort d’un colonel israélien]. En quoi une telle opération respectait-elle le cessez-le-feu ? Olmert et Peretz, en ce mois d’août 2006, ont perdu tout le crédit qui leur avait permis de conquérir ce gouvernement au mois de mai dernier – et ne parlons pas de Haloutz. Il va leur devenir impossible d’engager le pays et l’armée dans la prochaine guerre qu’ils nous disent imminente. Ils ont perdu toute autorité morale et, pour leur bien comme pour celui du pays, plus vite ils quitteront leurs fonctions, mieux ce sera. Uzi Benziman DÉFENSE Amir Peretz n’a pas à porter le chapeau L’impréparation militaire israélienne qui a caractérisé cette guerre incombe aux ex-ministres de la Défense Shaul Mofaz et Ariel Sharon, estime Yediot Aharonot. lors que le conflit faisait rage, Peretz a multiplié les demandes d’éclaircissements. Mais ses questions sont le plus souvent restées sans réponse. A ce jour, Peretz ne comprend toujours pas comment il se fait que, pendant les six années qui ont suivi le retrait israélien du Sud-Liban, Tsahal a pu laisser les miliciens du Hezbollah s’enterrer dans leurs bunkers sans qu’Israël dispose de la moindre carte fiable de la situation militaire dans cette zone. Il ne comprend toujours pas ce qu’a pu faire son prédécesseur, Shaul Mofaz, pendant toutes ces années. Il ne comprend pas davantage que les services de renseignements israéliens n’aient toujours pas la moindre idée de l’endroit où se cache la tête du serpent [Hassan A Nasrallah]. Quand les armes se refroidiront, ce sera l’heure des questions embarrassantes. Comment se fait-il, par exemple, que les réser vistes aient dû appor ter leurs propres boussoles et jumelles, que les rations se soient souvent révélées avariées et que les installations de campagne soient tout simplement indignes d’une armée moderne ? “Ce sont de bonnes questions”, répondra-t-il, et il pointera du doigt ses prédécesseurs, Ariel Sharon [Premier ministre de la Défense de mars 2001 à janvier 2006] et Shaul Mofaz [ministre de la Défense, de novembre 2002 à avril 2006]. D’aucuns considèrent que, en acceptant le portefeuille de la Défense, Amir Peretz a commis l’erreur politique de sa vie. En effet, tout semble jouer contre lui. L’opinion israélienne n’a pas encore compris ce qui vient de se passer, les médias attendent de voir les premières têtes tomber, le budget 2006 est en lambeaux et le budget 2007 est déjà fortement grevé. Bref, pour l’instant, le ministre de la Défense est piégé. Il est aujourd’hui contraint de demander une augmentation du budget militaire, lui qui rêvait de le “dégraisser”. De toute façon, s’il ambitionne de remettre de l’ordre dans la Défense, le ministre aura besoin d’argent, de beaucoup d’argent. Cela fait seulement trois mois qu’il a pris ses fonctions, et il reste persuadé que la présence d’un civil à la tête de l’institution militaire est nécessaire pour soulever les questions dérangeantes et introduire des réformes fondamentales dans une armée trop longtemps accoutumée à l’occupation et la théorie militaires. Partir maintenant ? Non, il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Point n’est besoin d’être devin pour comprendre que les semaines à venir seront particulièrement houleuses. S’ils se sont abstenus d’intervenir publiquement, de nombreux hommes politiques ne s’en sont pas COURRIER INTERNATIONAL N° 825 33 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 moins exprimés off the record. Certaines accusations sont effrayantes.Tout simplement, parce que ce conflit est avant tout un conflit d’interprétations et d’interrogations. Et ces interrogations sont multiples. Citons l’état d’impréparation de Tsahal. L’attitude de la hiérarchie militaire. L’état de délabrement complet de la plupart des abris antiaériens. L’abandon de secteurs entiers de la population israélienne à leur sort. Le peu d’aptitude de la société israélienne à affronter les horreurs d’une guerre au XXIe siècle. Le fait que les institutions publiques israéliennes aient préféré confier l’accueil des réfugiés à des Gaydamak [millionnaire israélien faisant l’objet d’une instruction judiciaire en France] plutôt que mettre à contribution leurs propres agences. La responsabilité, enfin, du dernier ministre de la Défense, Shaul Mofaz et… du dernier Premier ministre, Ariel Sharon. Attila Somfalvi, Yediot Aharonot (extraits), Tel-Aviv 825p26-34 22/08/06 14:26 Page 34 e n c o u ve r t u re ● Israël ne sera jamais un Etat “normal” “Au moins, HA’ARETZ (extraits) Tel-Aviv n ce pénible été 2006 et au terme de l’année la plus dramatique jamais connue par notre défense, Israël est en état de choc. “Ils” nous ont surpris. “Ils” nous ont surpris avec leurs Katioucha, leurs missiles Al-Fajr ou Zilzal, leurs bunkers, leur professionnalisme et, surtout, leur détermination. Mais ce qui nous a en fait surpris, ce n’est pas tant la force du Hezbollah que notre propre faiblesse. “Ils” nous ont montré que notre machine de guerre n’était plus ce qu’elle a été. Alors que nous nous apprêtions à célébrer le quarantième anniversaire de la victoire de 1967 [la guerre des Six-Jours], nous avons découvert que nous nous étions rouillés. Pourtant, il semble que nous tardions encore à prendre la mesure du désastre, un désastre qui ne peut que précipiter notre soudaine acceptation d’un cessez-le-feu dans l’espoir d’éviter un bain de sang qui n’en sera que plus terrible. Que nous est-il arrivé ? Que diable nous est-il arrivé ? La réponse est simple et tient en deux mots : le politiquement correct. E Car toonist 1 Writers Syndicate Israël n’a pas uniquement sous-estimé le Hezbollah. Il a aussi oublié que son conflit avec le monde arabe était de l’ordre d’un conflit existentiel, affirme le quotidien de la gauche israélienne. nous savons qui sont les perdants.” Dessin d’Ann Telnaes, Etats-Unis. ■ Nétanyahou “Lors des législatives d’avril 2006”, rappelle Maariv, “le Likoud de Benyamin Nétanyahou avait axé sa campagne électorale sur le risque de voir le Hamas et le Hezbollah prendre Israël en otage en l’arrosant de missiles. Accusé de mener une ‘campagne d’intimidation’ destinée à empêcher tout compromis territorial, Nétanyahou avait été tourné en dérision par les médias et boudé par les électeurs.” Le politiquement correct embrassé vingt ans durant par toute une génération de dirigeants israéliens nous a déconnectés du monde réel. Nous avons perdu les moyens d’affronter la réalité d’un conflit existentiel. D’une part, en nous focalisant sur la question palestinienne, nous avons fini par croire que seule l’occupation était la source du mal. D’autre part, en nous convainquant que la puissance d’Israël était un fait acquis, nous nous sommes privés de la capacité à préserver, précisément, et à consolider cette puissance. Les budgets militaires ont été rabotés, le système des réserves abrogé et le volontariat patriotique raillé. Dans le monde idéal du politiquement correct, “force” et “armée” sont devenus des gros mots. Toute idée d’identité nationale et de destin collectif s’est vue rejetée au nom de la sacrosainte sphère privée. La puissance a été assimilée au fascisme et la virilité condamnée. La recherche d’une justice absolue est allée de pair avec la poursuite de l’hédonisme absolu. A N T I M I L I TA R I S M E L’aube d’une ère nouvelle ? Ne miser que sur la force militaire finira par porter un coup fatal à Israël. Un point de vue minoritaire dans la presse. ous serons à l’aube d’une ère nouvelle lorsque nous serons prêts à reconnaître notre aveuglement politique et à en payer le prix. Nous serons à l’aube d’une ère nouvelle lorsque nous nous rappellerons que c’est la guerre du Kippour [1973] qui nous avait déjà montré qu’il est impossible de faire reposer sur la seule institution militaire notre sécurité nationale. Jamais ne s’était écoulé un aussi court laps de temps entre la promesse d’infliger une leçon aux méchants et l’effondrement de cette promesse. L’armée n’est pas seule en cause dans cet échec. La cause réelle, c’est que Tsahal ne parviendra jamais, même avec la plus extrême cruauté, à vaincre le mouvement de libération palestinien. Pendant les combats au Liban, Tsahal a tué près de 200 Pales- N tiniens dans la bande de Gaza (dont une moitié de civils), tiré 10 000 obus, enlevé des ministres du gouvernement palestinien et affamé Gaza. Cela n’a pas empêché les tirs de Qassam. Nous serons à l’aube d’une ère nouvelle lorsque nous comprendrons que nous devons négocier un accord sans arrière-pensées et sans machisme avec les Palestiniens. Hélas, depuis Yitzhak Rabin, tous les Premiers ministres qui lui ont succédé – y compris [les travaillistes] Shimon Pérès et Ehoud Barak – ont succombé à la facilité de la force militaire. Nous serons à l’aube d’une ère nouvelle lorsque notre alliance exclusive avec les Etats-Unis appartiendra au passé. Merci, Bush, de nous avoir fourni des armes et de nous avoir tirés d’embarras à l’ONU [après le bombardement d’une caserne des casques bleus au Liban]. Merci pour cette “feuille de route” qui ne nous a menés nulle part. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une ligne claire et acceptable par les Palestiniens, voire d’un accord à l’échelle régionale élaboré avec les Européens, même si une grande bataille se prépare autour du nucléaire iranien et si un accord avec les Palestiniens n’est pas la garantie d’un arrêt immédiat des violences. Nous serons à l’aube d’une ère nouvelle si le Premier ministre Olmert ne démissionne pas et s’il n’y a pas d’élections anticipées. Le système est en train de trembler sur ses bases, mais Olmert doit rester, histoire de donner le temps à de nouvelles forces politiques d’émerger et de s’organiser, à l’instar de ce qui s’est passé après la guerre du Kippour [et l’effondrement du Par ti travailliste, en 1977]. Nous serons à l’aube d’une ère nouvelle lorsque notre société se sentira capable de vivre une vie normale en aboutissant à un accord avec les Palestiniens. Gidéon Samet, Ha’Aretz (extraits), Tel-Aviv COURRIER INTERNATIONAL N° 825 34 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 Pis, nous nous sommes laissés contaminer par l’illusion de la normalité. Or, l’Etat d’Israël est par définition un Etat anormal, un Etat juif dans un espace arabe, un pays occidental dans un espace musulman, un Etat démocratique dans un espace de fanatisme et de tyrannie. Par les tensions inhérentes à sa situation géographique, Israël ne vivra jamais la normalité européenne. Mais, par ses valeurs et ses normes culturelles et économiques, Israël ne vivra jamais à l’écart de la normalité européenne. Pour résoudre cette contradiction, Israël doit créer une anomalie positive qui puisse répondre à l’anomalie négative qui est au cœur de son identité. En clair, Israël doit se draper dans une couverture protectrice pour prémunir son environnement interne d’un environnement extérieur irréductiblement hostile. La seule réalité qui tienne, c’est que vivre au défi de notre environnement naturel est au cœur même de l’identité israélienne. Mais cela, contrairement à la société israélienne, les élites qui ont présidé à nos destinées une génération durant l’ont perdu de vue en se berçant de l’illusion que nous avions surmonté nos problèmes, atteint le seuil de la normalité et conquis le droit de vivre ici comme tout autre peuple. L’irruption de l’environnement extérieur au cœur de la bulle israélienne – au gré des campagnes terroristes de 2002, des roquettes [palestiniennes] Al-Qassam de 2005 et des Katioucha [du Hezbollah] de 2006 – nous a ramenés à la réalité. Si nous en sommes arrivés là, c’est parce que, aveuglés par l’illusion de la normalité, le capitalisme, les médias et les intellectuels israéliens ont mené un patient travail de sape, deux décennies durant, contre le nationalisme, le militarisme et le sionisme. Les élites financières, politiques et intellectuelles ont été des élites destructrices et, chacune dans sa sphère, toutes ont patiemment déconstruit l’œuvre sioniste en détricotant notre régime socioéconomique, en poussant le politiquement correct jusqu’aux limites de l’absurde et en instillant la pratique suicidaire de la critique de nos fondements existentiels. Les élites israéliennes se sont égarées en se persuadant, elles et leurs compatriotes, que Tel-Aviv était Manhattan. De toutes ses forces et de toute son âme, Israël a voulu être Athènes. Hélas, en ce lieu et en cette époque, il n’y a pas d’avenir pour une Athènes qui répugnerait à être également Sparte. Ari Shavit BD Marjane Satrapi 22/08/06 10:48 Page 35 Cet été on bulle! Jusqu’au 31 août, “Courrier international” vous invite à découvrir la bande dessinée féminine à travers des œuvres inédites de dessinatrices du monde entier. Choses vues Gino Domenico/AP-Sipa Trois planches inédites de Marjane Satrapi Quelque temps après la révolution iranienne de 1979, la jeune Marjane Satrapi déambule dans les rues de Téhéran quand elle est arrêtée par deux gardiennes de la révolution vêtues de noir. Sa tenue ne leur plaît guère. Bien que voilée, Marjane porte des baskets, un jean et une casquette de base-ball. Pire, elle arbore un badge Michael Jackson sur la poitrine. Les gardiennes la traitent de “petite pute” et lui reprochent son accoutrement “décadent”, ce à quoi, l’esprit vif, l’adolescente répond que son badge ne représente pas Michael Jackson mais Malcolm X, le “chef des musulmans noirs américains”. Les deux femmes menacent malgré tout de la dénoncer, mais Marjane éclate en sanglots et assure que, si cela se produit, sa belle-mère la brûlera au fer à repasser et l’enverra à l’orphelinat. Le visage impassible, les fondamentalistes la laissent partir. L’anecdote est retracée dans Persépolis, la bande dessinée autobiographique de Marjane Satrapi. Elle résume parfaitement ce qui fait de l’Iranienne un auteur et un personnage à part : réactivité, mordant, de l’humour à revendre. Et aucune peur de la grossièreté. On connaît bien le cinéma iranien et ses g rands réalisateur s comme Mohsen Makhmalbaf, Jafar Panahi ou Abbas Kiarostami, qui portent sur l’Iran d’aujourd’hui un regard narquois et légèrement provocateur. Mais Marjane Satrapi possède un style narratif bien à elle : impertinent, bien informé, riche en références politiques et à la culture populaire, avec un trait comique mais faussement naïf. L’humour est omniprésent, et souvent à son apogée dans les moments les plus sombres. “L’humour est très important dans la culture persane”, explique la dessinatrice. Qu’il s’agisse de sa grand-mère qui se prétend diabétique pour pouvoir rentrer à la maison en vitesse et vider toutes les bouteilles d’alcool dans les toilettes avant l’arrivée des gardiens de la révolution, ou de la petite Marjane qui assure prier douze fois par jour pour prouver son fondamentalisme, sa BD met en lumière toutes les absurdités de la vie sous le règne des ayatollahs. “Lorsqu’on traver- COURRIER INTERNATIONAL N° 825 se la guerre et la révolution, il n’y a qu’une chose à faire : rire. C’est un moyen de survie. Sans compter que l’humour est aussi la plus grande arme subversive… et que je ne suis pas quelqu’un de très sérieux.” Son propre personnage, une petite fille précoce de 9 ans qui cite Marx, pourrait être l’alter ego iranien de Lisa, la gamine intelligente et crâneuse des Simpson. “J’étais très intelligente, ma foi”, dit l’adulte de l’enfant qu’elle était. “Et j’avais des parents qui voulaient faire de nous les intellectuels de demain. J’avais tous les livres que je voulais.” Marjane Satrapi a quitté l’Iran pour Vienne à l’âge de 14 ans. C’est pour la mettre à l’abri que ses parents l’ont envoyée en Autriche, mais ses camarades de classe ne voient en elle que l’incarnation du fondamentalisme qu’elle a fui. De retour en Iran, sa situation ne s’améliore guère. Elle doit vivre sous le voile, dans une société qu’elle méprise. A 24 ans, c’est le départ pour Paris, où elle vit encore aujourd’hui. Cela fait maintenant plus de six ans qu’elle n’est pas retournée en Iran. La jeune femme met Art Spiegelman au rang de ses grands inspirateurs. C’est Maus, la bande dessinée de l’Américain sur son père survivant de l’Holocauste, qui lui a montré qu’il était possible d’aborder des sujets sérieux sous la forme du roman graphique. L’adaptation de Persépolis en film d’animation est en cours, et la dessinatrice supervise une équipe de 85 animateurs. “Toute ma vie, j’ai travaillé seule, et je trouve ça insupportable”, affirme-t-elle. Le film sera entièrement dessiné à la main. Marjane Satrapi n’aime pas l’animation par ordinateur, qui selon elle se démode rapidement. “Ce que produit la main échappe au temps qui passe”, conclut-elle simplement. Geoffrey Macnab, The Independent, Londres 35 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 ■ La question Dans Persépolis, vous vous êtes mise en scène. Dans les planches que nous publions, vous semblez vous exprimer au travers d’un personnage vert aux oreilles pointues. Comment vous est venue l’idée de ce personnage, et que représente-t-il ? MARJANE SATRAPI Je ne suis ni politicienne, ni historienne, ni sociologue, ni rien du tout d’ailleurs. En revanche, je suis née à un certain moment et à un certain endroit. Je peux douter de tout, sauf de ce que j’ai vu de mes propres yeux. La seule façon de raconter mon histoire était donc d’assumer à 100 % la subjectivité de mon point de vue. C’est pour cette raison que je me suis mise en scène. Pour le reste, j’essaie de varier à chaque fois mon style et mes personnages, pour qu’on ne me demande pas de faire du Satrapi, c’est-à-dire de la bande dessinée en noir et blanc dans laquelle je me mets en scène. Propos recueillis par Gian-Paolo Accordo BD Marjane Satrapi 21/08/06 18:27 Page 36 MARJANE SATRAPI Bonne année Planches publiées par Internazionale (Rome). Traduction de Simonetta Ciula MORT AU CAPITALISME ! Ne manifeste pas ! La révolution n’est plus à la mode. Ne ris pas ! Tu vas avoir des rides. Ne vieillis pas ! Personne n’aime les vieux. Ne te laisse pas pousser la barbe ! Tu vas ressembler à un musulman ! Suis la mode ! Tu ressembleras à un gagnant. Ne joue pas avec les enfants ! On va croire que tu es pédophile. COURRIER INTERNATIONAL N° 825 36 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 BD Marjane Satrapi 21/08/06 18:28 Page 37 Ne pleure pas ! Les déprimés sont des perdants. Ne mange pas ! Tu vas avoir du cholestérol et tu vas grossir. Ne fume pas ! Tu vas mourir d’un cancer. Et voilà. Tu te sens mieux, non ? Oui… Ne baise pas ! Tu vas attraper le sida. Pour 2005, suivez mes conseils : pour vivre mieux, cessez de vivre ! COURRIER INTERNATIONAL N° 825 37 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 BD Marjane Satrapi 21/08/06 18:29 Page 38 MARJANE SATRAPI Invasion Mais qu’est-ce que tu dis ! Il a gagné avec une marge de trois millions et demi de voix. Eh ! Tu as vu ? Bush a été réélu ! Tu as perdu ton pari ! Pour être réélu, il faut avoir été élu au moins une fois. En tout cas, il est président, et donc tu me dois un dîner ! Mais non, il n’a pas été réélu. Et à boire ? Le monde va vers l’apocalypse et toi tu ne penses qu’à manger ! Je prends une langouste. Moi, une bruschetta. De l’eau. Un Coca-Cola. Ce qui me dérange le plus avec les Américains, c’est leur invasion culturelle ! Ils veulent tout américaniser, mais avec moi ils n’y arriveront pas ! COURRIER INTERNATIONAL N° 825 38 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 Un autre Coca-Cola, s’il vous plaît ! BD Marjane Satrapi 21/08/06 18:29 Page 39 MARJANE SATRAPI Piña colada Une piña colada, s’il vous plaît ! Ah ! la vie est dure. Un copain disait : “Avant, il fallait regarder le maillot de bain pour espérer voir un peu de fesses. Maintenant, il faut regarder les fesses pour espérer voir un peu de maillot de bain.” Les personnes nues me rendent misanthrope. Je déteste les végétariens et les surfeurs. Je déteste Tony Blair. Je déteste Bush aussi, mais moins que Blair. Bush a au moins l’avantage d’être couillon. Je hais ceux qui me regardent de travers quand je fume. J’aime bien la piña colada. Une autre, s’il vous plaît ! COURRIER INTERNATIONAL N° 825 39 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 La vie est vraiment insupportable. 825 p40-41 portrait 21/08/06 17:27 Page 40 p o r t ra i t Tom Stoppard Rock et “révolution de velours” THE INDEPENDENT (extraits) Londres La musique rock joue vraiment un rôle central dans Rock’n’Roll, la nouvelle pièce de Tom Stoppard présentée cet été à Londres. L’éminent dramaturge, qui lui-même a l’air d’une grande légende du rock chiffonnée, me donne rendez-vous au café à côté du théâtre pour parler d’une œuvre qui va et vient entre Prague et Cambridge, de l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie, en 1968, à la “révolution de velours”, en 1989.Tom Stoppard a mené une brillante carrière, du succès fulgurant, en 1967, de Rosencrantz et Guildenstern sont morts, sa comédie absurde dans le sillage de Hamlet, jusqu’à l’immense trilogie The Coast of Utopia, en 2002, qui rapporte les fortunes diverses d’un groupe de penseurs russes exilés du milieu du XIXe siècle et dont les idées ont inspiré la révolution bolchevique de 1917. Mais Rock’n’Roll n’est que la deuxième œuvre écrite par Stoppard sur son pays d’origine. La première fut Professional Foul, en 1977, un brillant téléfilm dans lequel un professeur de philosophie fan de football, en visite à Prague pour une conférence, voit son horizon moral s’élargir avec l’arrestation et l’inculpation injustifiées d’un ancien élève. Deux Tchèques, un professeur de philosophie de Cambridge et son étudiant, sont également des personnages importants de Rock’n’Roll, mais cette nouvelle pièce a une dimension bien plus personnelle. Sir Tom Stoppard a commencé sa vie sous le nom de Tomas Straussler, en 1937, dans la ville de Zlín. Il avait à peine 18 mois quand sa famille a dû fuir les nazis. Les Straussler se réfugièrent à Singapour, mais furent évacués avant l’invasion japonaise. Le père, médecin, resta sur place pour aider, puis fut tué lorsque le navire qu’il avait pris pour fuir la colonie britannique fut bombardé par les Japonais. Réfugiée en Inde avec ses deux fils, la mère se remaria avec Kenneth Stoppard, commandant dans l’armée britannique, qui les emmena tous en Angleterre en 1946. “Je suis arrivé ici et je me suis drapé dans le manteau de l’anglicité, se souvient Tom Stoppard. Il m’allait bien et me convenait parfaitement.” Même après avoir visité Prague et être devenu un ami et ardent partisan de Václav Havel et du mouvement de la Charte 77, Stoppard a toujours regretté que l’on fasse trop de cas de “ce truc tchèque”, soulignant qu’il avait reçu une éducation entièrement anglaise dès son passage en Inde. Mais, plus tard, le dramaturge s’est montré moins réticent à reconnaître que, tout en étant anglais, il n’avait d’une certaine manière jamais cessé d’être tchèque. “Le processus s’est soudain accéléré lors de l’ouverture du pays et à la mort de ma mère, en 1996, révèlet-il. Celle-ci tenait énormément à mettre le passé derrière elle et je respectais sa volonté. Nous ne parlions jamais tchèque à la maison. Elle pensait que ce serait un handicap pour mon frère aîné et moi si nous étions ouvertement des étrangers dans notre nouvelle vie.” Dans l’œuvre de Stoppard, on décèle une fascination pour les doubles et les actes à double sens. L’une des scènes les plus émouvantes qu’il ait écrites se trouve dans L’Invention de l’amour (1997). Dans un rêve qui se dissipe, le grand érudit et poète classique A. E. Housman rencontre son double plus jeune, qui ne se doute de rien. Comme deux personnes solitaires et gauches qui se sont soudain découvert une âme sœur, l’étudiant nerveux, ardent, intense et le professeur coincé, passionnément pédant sont assis côte à côte sur un banc, s’enthousiasmant l’un pour l’autre. Il s’agit à l’évidence d’une seule et même personne, mais, séparés par un cataclysme émotionnel que le plus jeune n’a pas encore vécu, ils ressemblent aux pièces d’un puzzle qui ne correspondent pas tout à fait. Regardant ce superbe épisode, je me suis dit que les bouleversements dans la vie du jeune Stoppard – banni de son pays par les nazis, puis exilé par les communistes – lui auraient permis d’écrire un drame comparable, dans lequel le Stoppard qui a trouvé la sécurité, la tolérance et un énorme succès en Angleterre se serait retrouvé nez à nez avec celui qu’il aurait pu ■ Eclectisme être s’il était demeuré sur sa terre Auteur de plus natale, sous un régime communiste. de vingt-cinq pièces Evidemment, le dramaturge a de théâtre, Tom Stoppard eu la même idée avant moi. “J’ai a également écrit souvent envisagé d’écrire une autoun roman, biographie où, dans un monde paralLord Malquist and lèle, je serais effectivement rentré Mr Moon, publié en Tchécoslovaquie après la guerre. en 1967, ainsi que Mais je ne l’ai jamais commencée. Jan plusieurs créations [l’un des principaux personnages de radiophoniques pour Rock’n’Roll] est ce qui reste de cette la BBC. Il est aussi velléité.” Avec des dates qui corresl’auteur ou le coauteur de pondent presque exactement à scénarios de films, celles qui ont marqué la vie de l’audont les plus connus teur – et une enfance en temps de sont Brazil, guerre en Angleterre –, l’anglophile La Maison Russie Jan est une sorte d’alter ego imagiet Shakespeare naire. Renvoyé en Tchécoslovaquie in Love. Son en 1948, il retourne en Angleterre engagement auprès dans les années 1960 pour étudier des dissidents la philosophie à Cambridge avec tchécoslovaques Max Morrow, un marxiste pur et l’a amené à écrire des articles sur les dur qui refuse de renoncer à sa foi droits de l’homme dans l’esprit de la révolution bolet à travailler chevique malgré les terribles évéavec Amnesty nements qui ont suivi – notamment International. l’invasion soviétique de la TchéDepuis 1983, coslovaquie, et qui pousse Jan à renle prix Tom Stoppard trer de son propre gré à Prague. récompense A l’image de Stoppard, Jan adore des auteurs le rock. Le groupe psychédélique d’origine tchèque. tchèque The Plastic People of the Universe, qui a réellement existé, impose sa forte présence, même s’il reste dans les coulisses. Persécutés par le régime de Gustáv Husák, qui se durcissait, ses membres ont dû entrer dans la clandestinité. Leur arrestation, puis leur procès, en 1976, sont devenus, au grand dam du gouvernement, une cause célèbre*, le détonateur de la vague contestataire qui allait aboutir COURRIER INTERNATIONAL N° 825 40 à la publication du manifeste de la Charte 77 [signé par 242 dissidents pour faire respecter les droits fondamentaux des Tchèques]. On se souvient que Václav Havel est apparu au milieu de la farce tragique qui se jouait dans le tribunal, déclarant :“A partir de ce jour, la prudence semble très mesquine.” Ce qui fascine Stoppard, c’est le fait que les Plastic People “ne se sont jamais érigés en symboles de la résistance. A l’Ouest, les groupes adorent se poser en artistes engagés, et ça leur est complètement égal que la presse parle plus de leur attitude contestataire que de leur musique. Mais pas les Plastic People. Ils voulaient qu’on les aime pour leur travail.” Il a fallu un certain temps pour que les dramaturges surréalistes, écrivains et artistes, courageux dissidents qui devaient prendre des petits boulots pour survivre, comprennent les Plastic et réciproquement. “Pour les intellectuels, les Plastic People étaient une bande de fainéants aux cheveux longs qui ne s’étaient pas engagés dans ce qui importait, tandis que le groupe underground assimilait les intellectuels à une opposition officielle”, poursuit-il. Les autorités, elles, s’irritaient du refus du groupe de jouer le jeu selon les règles établies par le régime. “Et c’est ce qui plaisait à Havel, commente Stoppard. Grâce au groupe, les intellectuels ont fini par comprendre que ‘vivre dans la vérité’ (la célèbre devise du président Havel, à propos de la nécessité, dans une société répressive, de toujours prendre des décisions réellement personnelles), c’est aussi assister à un concert de rock.” La pièce, explique l’auteur, relate les luttes intestines et la diversité des comportements dans l’opposition (Jan a une amie, Ferda, qui s’exprime comme Havel). Où Stoppard se situe-t-il dans cet univers ? La véritable question, réplique-t-il, est de savoir ce qu’il aurait fait – non pas s’il aurait été capable de distinguer la justice de l’injustice, mais s’il aurait eu le courage de signer la Charte 77. Et cela, il ne le saura jamais. Mais il n’y a pas que la musique et la politique dans Rock’n’Roll. Le public aura droit, entre autres, à un débat sur la théorie matérialiste de la conscience, ainsi qu’à une analyse de poèmes de Sapho. On voit l’ingéniosité de Stoppard avec cette apparition de la poésie de la poétesse lesbienne grecque sous un jour complètement différent, au fil d’une discussion passionnée sur la part du marxisme dans la conscience – à savoir que c’est l’ordre social qui détermine la conscience, et non le contraire (la révolution dans la tête). Une lueur amusée dans les yeux, Stoppard me rapporte une série de coïncidences bizarres. “Le dernier théorème de Fermat s’est vérifié pendant que nous donnions l’avantpremière d’Arcadia [où l’héroïne de 13 ans, passionnée de mathématiques, est obsédée par le théorème]. Dans L’Invention de l’amour, le couple Housman discute d’une élégie du poète romain Gallus, dont un seul vers a survécu. Neuf autres ont fait leur apparition alors que se jouait la pièce.” Et maintenant, pendant qu’ont lieu les répétitions de Rock’n’Roll, un chercheur de Cologne découvre un fragment qui colle avec un morceau déjà connu d’un poème de Sapho. Qui a dit que l’art n’a pas d’effets à court terme ? Paul Taylor * En français dans le texte. DU 24 AU 30 AOÛT 2006 825 p40-41 portrait 21/08/06 17:32 Page 41 Dmitr y Chebotayev/WPN ● Nigel Norrington/Camerapress/Gamma Antonio Olmos ■ Depuis son anoblissement par Elisabeth II en 1997, le prolifique dramaturge un peu rebelle est aussi le respectable sir Tom. COURRIER INTERNATIONAL N° 825 ■ Jouée en Grande-Bretagne depuis le 3 juin, Rock’n’Roll met en scène Brian Cox dans le rôle de Max, le professeur marxiste, et Rufus Sewell dans celui de l’étudiant Jan, alter ego imaginaire de Tom Stoppard. 41 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 825 p42-43 reportage/2 21/08/06 17:43 Page 42 enquête ● RETOUR D’EXIL POUR LES SERBES DE CROATIE Les rameurs de la Zrmanja JUTARNJI LIST Zagreb tanko Ogar est maussade. “J’ai demandé à la municipalité de Knin une vache pour que mes enfants puissent boire du lait. En vain. J’ai demandé vingt brebis. Peine perdue. Quoi que je demande, ils n’en ont pas.Tu sais ce qu’ils m’ont donné ? Cinq lits en fer, cinq matelas, des couvertures, un poêle à bois, une hache et une scie, c’est tout. J’ai dû refaire ma vie avec ça. Mais ça va, j’espère que ça ira mieux. Il faut garder espoir à cause des enfants.”“On n’a pas de salle de bains”, ajoute timidement Milenka, la femme de Stanko, qui se tenait jusqu’alors à l’écart près de la cuisinière, un torchon dans les mains. “On n’a même pas de salle de bains, renchérit Stanko. Quand il fait chaud, on se débrouille, on se lave dans la Zrmanja. Mais que faire en hiver ?” Je me trouve dans la cuisine humide des parents de Stanko, dans le village d’Ogari. Grâce à une modeste subvention du gouvernement croate et au don d’une organisation humanitaire scandinave, ces Serbes rentrés d’exil ont retapé une piteuse maison de plain-pied sur le plateau karstique qui surplombe le fleuve Zrmanja. Dix personnes y habitent et gardent les chèvres dans la montagne escarpée. Ici, les loups attaquent sans vergogne les troupeaux, qu’il est de plus en plus difficile de protéger, et ils vont bientôt s’en prendre aux humains. J’essaie d’imaginer le désespoir qui a poussé la famille Ogar à quitter son exil de Sombor, en Voïvodine [province autonome du nord de la Serbie], pour revenir dans cette misère. “Tu sais quoi, dit Stanko, on ne peut pas vivre loin de son pays natal. On peut se haïr, mais un Croate de Krusevo me comprend mieux qu’un Serbe de Sombor.” On ne peut pas vivre loin de son pays natal, répètent à l’unisson tous les Serbes que nous avons rencontrés. Il m’est difficile d’imaginer comment on peut vivre ici, mais ils regardent avec adoration le massif du Velebit, qu’ils n’échangeraient contre rien au monde. S La vie reprend doucement dans les villages serbes de l’arrière-pays dalmate dévastés par la guerre. Stanko, Djuro, Milica et les autres misent sur la mode du rafting pour s’en sortir. “Rien ne peut remplacer ces rochers et le vent du nord qui descend de la montagne”, explique Rajko Peric, de Zegar. “Je vivais à Stara Pazova, en Serbie, et je ne pensais qu’au moment où je rentrerais. Là-bas, lorsque le vent d’est s’abat des Carpates depuis la Roumanie, mon Dieu comme c’est affreux.” J’observe le désert karstique tant aimé de Rajko, je pose mon regard sur les ruines des villages brûlés et je ne comprends toujours rien. Peu de gens habitent Zegar, on ne risque pas de rencontrer grand monde dans la rue.Toutefois, samedi prochain, le village fourmillera de visiteurs, les participants à la première compétition de canoë organisée sur la Zrmanja, entre Zegar et Muskovci. Quarante équipes ont confirmé leur participation. A huit membres par équipe, cela fait plus de 300 personnes. On dit que le gouvernement croate sera là au complet, même le président, Stipe Mesic. Toutes les grandes entreprises ont annoncé leur participation. Tout l’establishment politique et économique croate se retrouvera autour des Zodiac au départ de la course, près du vieux moulin, en vêtements de sport de grandes marques, alors que les habitants du village, vêtus de fripes offertes par la Croix-Rouge, seront là en badauds. Deux mondes s’y rencontreront, la civi- Jure Miskovic Zeljko Zupan, l’épicier et seul Croate du village de Zegar. COURRIER INTERNATIONAL N° 825 42 lisation des riches entreprises de Zagreb et le niveau primaire de l’aide sociale de l’Etat. Dans cette partie de la Zrmanja, le long des 14 kilomètres de l’itinéraire de la régate, les villages serbes se succèdent : Usljebrke, Mitrovici, Bogatnik, Bilisani, Muskovci, des hameaux brûlés dont bien peu d’habitants sont rentrés d’exil et ont retapé les maisons saccagées. Ceux qui vont descendre les torrents écumeux dans leurs Zodiac, casque sur la tête, se demanderont-ils qui sont les gens qui vivent dans les maisons longeant le fleuve, et de quoi ils vivent ? “Eh ben, la vie va, on se débrouille, assure Stanko Ogar. A cette époque de l’année, on peut encore vendre quelques chevreaux, 600 kunas [82 euros] par bête. Mais, dans un Contexte mois, il y en aura trop, le prix va bais- L’opération Tempête ser, on sera contraint de les vendre pour (Oluja) d’août 1995 trois fois rien.”“On a planté quelques a permis à l’armée haricots, des oignons et des pommes de croate de reprendre les territoires terre pour les vendre pendant l’été aux de Croatie tenus commerçants du marché de Vodice depuis 1991 par [une station balnéaire sur la côte dal- les séparatistes mate], ajoute Rajko Peric. J’ai aussi serbes. Cette deux vaches, elles donnent chacune un offensive a provoqué veau tous les ans, on les vend, ça nous l’exode de quelque fait gagner aussi un peu d’argent. Ça 200 000 Serbes pourrait être mieux, mais on fait aller.” vers la Bosnie et Je lis sur un avis de décès la Serbie. 120 000 délavé, collé sur un poteau élec- d’entre eux sont retournés en trique à Zegar, qu’une certaine Croatie, affirment Maria Usljebrka est décédée après les autorités une courte maladie. La famille et croates. Le général les amis sont informés que le cor- croate Ante tège funéraire partira de la morgue Gotovina, qui de Sremski Karlovci. Cet avis pour commandait des obsèques qui se tiennent à l’opération Tempête, 500 ou 600 kilomètres d’ici illustre doit être jugé pour tristement l’absurdité de l’existence crimes de guerre par le Tribunal pénal des Serbes en Croatie, qui vivent international entre les taudis de l’arrière-pays pour l’ex-Yougoslavie dalmate et des centres d’héberge- (TPIY). L’ancien ment misérables quelque part en dirigeant de Voïvodine. “Personne ne sait com- la “république serbe bien ils sont dans le village, la police de Krajina” (en non plus”, dit Zeljko Zupan, qui Croatie), Milan tient le seul magasin de Zegar. “Un Martic, est jour tu vois quelqu’un, et le lendemain actuellement jugé il est en Serbie. Il y a un va-et-vient devant le TPIY pour des crimes de constant.” Zupan est le seul Croate guerre commis dans le village. Il s’y est installé il y contre la population a quatre ans. Il a cru pouvoir faire croate. des affaires en ouvrant une épicerie pour les Serbes revenus en Croatie. Je regarde le local modestement approvisionné en denrées alimentaires, en lessive et en cosmétiques bon marché. Le peu de marchandises de cette épicerie trop grande pour ce village reculé ne trompe guère sur l’état des affaires de Zupan. “A vrai dire, cher ami, je me suis gouré”, reconnaîtil sincèrement.“Sur un coup de tête, j’ai laissé tomber tout ce que j’avais pour monter cette affaire. Si j’avais su ce qui m’attendait, je serais resté tranquille dans mon coin.” Ça ne marche pas ? “Rien ne marche, ici. Un des leurs a ouvert un magasin et il a fait la faillite. Un autre a voulu reprendre l’affaire alors qu’il y a à peine DU 24 AU 30 AOÛT 2006 21/08/06 17:44 Page 43 La Zrmanja et ses courants : l’espoir de toute une région pour s’en sortir. du boulot pour une personne. Si je ne faisais pas crédit à mes clients, j’aurais déjà mis la clé sous la porte. Les gens n’ont pas de sous. Mais ce sont de braves gens, travailleurs et honnêtes.” Est-ce qu’ils remboursent leurs dettes à temps ? “Ils ne sont pas très ponctuels, c’est vrai. Ils gagnent un peu d’argent en Serbie, ils achètent une vache, alors il faut attendre un peu avant qu’ils ne remboursent.” D’ici quelques années, il se peut que la situation s’améliore. Djuro Zupan, l’organisateur des raftings, est convaincu que cette activité pourra apporter la prospérité à la région. Il accueille des excursions toute l’année, pour la plupart des grandes entreprises qui amènent ici leurs salariés pour des stages de cohésion d’équipe. Les cadres de l’INA, la compagnie pétrolière nationale, de Siemens, de T-Com ou d’autres entreprises prospères s’amusent quelques jours dans le désert karstique, descendent la Zrmanja à la rame et tendent des embuscades à leurs camarades, cachés derrière les buissons et armés de fusils de paintball. A en croire Djuro, c’est l’entraînement idéal pour renforcer l’esprit d’équipe dans les bureaux et découvrir le vrai caractère des gens dans les situations de stress. “Les cadres dirigeants des grandes entreprises s’amusent des journées entières dans un village abandonné, une partie du groupe jouant les attaquants, l’autre les défenseurs”, explique-t-il. Que pensent les habitants de la région de ce cirque avec le paintball ? Comment ceux qui ont tout perdu dans la guerre perçoivent-ils ce jeu de la guerre auquel se livrent les adultes ? Sinisa, 16 ans, passe les outils à son père Radoje, couché sous une vieille Renault 5. La voiture est dans un tel état que la seule chose raisonnable à faire serait de la pousser dans le ravin. Mais Radoje persiste à la réparer, et d’ailleurs il n’a rien d’autre à faire. Comme son frère Stanko, que nous avons rencontré tout à l’heure, Radoje est revenu il y a quelques années, la situation étant devenue insupportable en Serbie. “Là-bas, on ne nous payait pas. Et si tu te faisais payer pour ton travail, le temps de toucher l’argent, l’inflation l’avait déjà bouffé. En arrivant ici, j’ai repris un peu pied.” Alors, comment va la vie ? “Ça va. Bien pour certains. Pour les autres…”, répond le mécanicien, un sourire aux lèvres. Il a un métier et se débrouille mieux que les autres membres de sa famille, qui sont éleveurs. Son fils nous fixe, l’air un peu boudeur. Il avait 5 ans en ce début d’août 1995, lorsque “Un Croate de Krusevo me comprend mieux qu’un Serbe de Sombor” SLOVÉNIE ITALIE HONGRIE Zagreb Sombor C R O AT I E Mer Adriatique Voïvodin e ROUM. S.P.* BOSNIE- Belgrade SERBIE 0 200 km M a s s i f Zadar * Stara Pazova d u V BOSNIEHERZ. e b i t Muskovci Krusevo Usljebrke Zrmanja Zr man ja Knin AN CIE NNE KRAJINA C R O AT I E 0 25 km Vodice COURRIER INTERNATIONAL N° 825 Vers Split 43 Courrier international Jure Miskovic 825 p42-43 reportage/2 les cinq membres de la famille ont fui en direction de la Serbie, serrés dans la vieille R5. De la guerre, qui l’a marqué pour la vie, il n’a probablement retenu que quelques images brouillées : la panique des grands, les pleurs des enfants, des explosions étouffées derrières les montagnes... Milica Gnjatovic et son fils ont une maison à Muskovci, au bord du fleuve. Ils n’ont pas vécu ici pendant la guerre, ils ne s’y sont installés qu’après, une fois le calme revenu. Un jour, ils étaient assis devant la maison en train de regarder les rafteurs débarquer lorsqu’un gars, casque sur la tête, leur a demandé de l’eau. Milica lui en a donné. Un autre lui a demandé un jus de fruit. Milica a trouvé un jus de fruit. Elle s’est débrouillée, et la fois suivante, pour le passage des rafteurs, son réfrigérateur était déjà rempli de jus de fruit qu’elle a commencé à vendre aux touristes. Et puis, certains rafteurs ont voulu se mettre quelque chose sous la dent. Milica et son fils ont allumé un feu et préparé une grillade, et ainsi de suite. En l’espace de six mois, une petite gargote a poussé sur le terrain devant la maison. Cette fois, les rafteurs y mangeront le plat de haricots local. Milica l’a cuisiné dans de grands chaudrons. L’organisateur lui a passé une commande pour 500 personnes. Milica Gnjatovic a compris que les rafteurs étaient des personnalités, et qu’il y avait parmi eux des ministres et l’élite économique du pays. Elle en a vite conclu qu’ils ne se contenteraient pas d’un simple rata. “Qu’en penses-tu, le journaliste”, me demande-t-elle d’un air pensif, “si je faisais rôtir deux agneaux à la broche ?”“Si vous voulez mon avis, madame, avec un méchoui, vous ne pouvez pas vous tromper.” C’est ainsi que la vie revient dans cette région ravagée par la guerre. S’ils sont intelligents, les Serbes et les Croates ne referont plus jamais cette stupidité. Et si, à Dieu ne plaise, ils recommencent à se battre dans quelques décennies, peut être la victoire se décidera-t-elle au paintball. Ante Tom DU 24 AU 30 AOÛT 2006 825p44>46 22/08/06 10:51 Page 44 débat LES ERREMENTS DU JEUNE GÜNTER GRASS Polémique sur un trop long silence Dans l’autobiographie qu’il vient de publier, le grand écrivain allemand révèle avoir servi dans la Waffen SS à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cet aveu suscite un vif émoi outre-Rhin et au-delà. Historiens, journalistes et écrivains prennent la plume pour défendre ou condamner celui qui incarnait la conscience de son pays. ■ Biographie Günter Grass est né le 16 octobre 1927 à Dantzig (Gdansk), d’un père allemand et d’une mère kachoube (une minorité du nord de la Pologne). A l’âge de 15 ans, il se porte volontaire pour servir dans les sous-marins. Sa demande étant rejetée, il sera auxiliaire de la Luftwaffe, avant d’être enrôlé en 1944 dans la division Frundsberg de la Waffen SS. Après la guerre, il rejoint les écrivains contestataires du Groupe 47 et se rapproche du Parti social-démocrate (SPD), dont il sera membre de 1982 à 1993. En 1959 paraît son roman Le Tambour, qui le fera connaître dans le monde entier et sera adapté au cinéma par Volker Schlöndorff en 1979. Viendront ensuite Le Turbot, La Ratte, Toute une histoire, En crabe, pour ne citer que les plus célèbres. En 1999, il reçoit le prix Nobel de littérature. Son autobiographie, Beim Häuten der Zwiebel (En épluchant les oignons), sortie le 16 août en Allemagne, est déjà quasi épuisée. Elle paraîtra en français au Seuil à l’automne 2007, à l’occasion de son 80e anniversaire. Un tapage qui n’a pas lieu d’être Beaucoup reprochent à Günter Grass d’avoir trop attendu pour révéler son passé. Mais les réactions auraient été bien plus violentes il y a vingt ans. FRANKFURTER RUNDSCHAU Francfort ans son autobiographie intitulée Beim Häuten der Zwiebel [En épluchant les oignons, voir ci-contre], Günter Grass avoue avoir été recruté à l’âge de 17 ans dans les rangs de la Panzerdivision SS Frundsberg. La nouvelle a déclenché un formidable débat public. Cela ne tient pas au fait qu’étant jeune il avait cru à la “victoire finale” sous l’influence de la propagande nationale-socialiste. Il n’en a jamais fait mystère. Ce qui suscite la polémique, en revanche, c’est que Grass ait gardé jusqu’à présent par-devers lui cet élément de sa biographie. Car l’ordre de mobilisation dans la Waffen SS, reçu dans un camp de travail par ce jeune homme qui n’avait pas encore tout à fait 17 ans, n’avait rien d’inhabituel pendant cette phase de la guerre. Le principe du volontariat, imposé par la Waffen SS jusqu’en 1942, était de plus en plus D souvent contourné, et fut en fin de compte officiellement abandonné en 1943. Un pourcentage non négligeable de mobilisables de la classe 1928 se sont donc retrouvés appelés sans autre formalité dans la Waffen SS. Cette évolution s’expliquait à la fois par la diminution croissante du nombre d’engagements volontaires et par les efforts de Himmler [Heinrich Himmler était à la tête de la SS et de la Gestapo, et mit en œuvre la “solution finale”], qui souhaitait une fusion entre l’armée et la Waffen SS. Par conséquent, l’agitation publique provoquée par l’appartenance de Günter Grass aux troupes d’élite nazies déjà en pleine désagrégation n’a pas lieu d’être. Et l’on peut encore moins exiger de la jeune tête brûlée qu’était alors Grass – dont la demande d’engagement dans les U-Boote [sous-marins], formulée quand il avait 15 ans, avait été refusée – qu’il ait été pleinement conscient dès 1944 de la nature criminelle de la SS et du régime nazi. Au cours des quelques semaines qu’a duré sa carrière militaire – laquelle s’est conclue par une blessure [le 20 avril 1945] –, il n’a jamais eu à voir avec les atrocités commises par les unités de la Waffen SS à l’encontre de civils, de prisonniers de guerre ou de déportés du travail. On ne peut donc plus lui reprocher que de n’avoir pas fait état plus tôt de ce moment de sa vie et de jeter ainsi une ombre sur sa crédibilité morale. En Allemagne, il ne manque pas de gens nés après les événements pour accuser, d’un ton faussement offusqué, le Prix Nobel d’avoir trompé l’opinion publique, voire pour V E R B AT I M “Rien ne pouvait alléger mon fardeau” La Frankfurter Allgemeine Zeitung a publié le 19 août les bonnes feuilles de l’autobiographie de Günter Grass, Beim Haüten der Zwiebel (En épluchant les oignons). En voici un passage. “La double rune au col de l’uniforme ne m’inspirait aucune répulsion. C’est surtout l’arme qui importait au jeune garçon, qui se considérait comme un homme : si je n’allais pas dans les sous-marins, dont les communiqués spéciaux ne parlaient pratiquement plus, alors ma place était dans les blindés, dans une division qui, comme on le savait au centre de Weisser Hirsch [à Dresde], allait être réorganisée sous le nom de ‘Jörg von Frundsberg’. Ce nom m’était connu comme celui du chef de la Ligue souabe du temps de la guerre des Paysans [au XVIe siècle], le ‘père des lansquenets’, quelqu’un qui incarnait la lutte pour la liberté, la libération. La Waf fen SS avait en outre une composante européenne : ses divisions engagées sur le front de l’Est regroupaient des volontaires français, wallons, flamands et hollandais, un grand nombre de Nor végiens et de Danois, et même des Suédois dont le pays était pourtant neutre, et menaient une bataille qui allait, disait-on, sauver l’Occident du raz de marée bolchevique. J’avais donc assez d’excuses. Et pourtant je me suis pendant des décennies refusé à m’avouer le mot et la double lettre. Ce que j’avais accepté avec la fierté stupide de mes jeunes années, je l’ai tu avec la honte apparue après la guerre. Le fardeau continuait cependant de peser et personne ne pouvait l’alléger.” COURRIER INTERNATIONAL N° 825 44 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 le soupçonner d’un coup publicitaire répugnant. Et au chœur de ses détracteurs se sont jointes aussitôt des voix étrangères – y compris, malheureusement, à Gdansk et à Varsovie. Tous s’en prennent à une personnalité qui a lutté dès le lendemain de la défaite allemande pour que soient révélés les crimes nazis, en particulier vis-à-vis de la Pologne [voir p. 46]. Cette critique, qui n’est dans bien des cas que de la tartuferie, revient au bout du compte à s’en prendre à l’opinion publique allemande, puisqu’elle dissimulerait derrière toute tentative d’aborder les crimes des SS une volonté d’apologie. C’est justement ce qui explique pourquoi ceux qui, à la fin de la guerre, ont appartenu à la Waffen SS, au parti nazi (NSDAP) ou à d’autres appareils du régime ont préféré le taire, afin d’éviter la honte publique. En leur temps,Walter Jens [écrivain, membre du Groupe 47* à partir de 1950], Martin Broszat [historien, spécialiste du IIIe Reich] et d’autres s’étaient vu accuser d’avoir gardé le silence sur leur appartenance au NSDAP ou à d’autres organisations nazies. Aujourd’hui, c’est la même accusation qu’on lance à Günter Grass à propos de sa mobilisation dans la Waffen SS. On lui reproche de ne pas l’avoir révélée plus tôt. C’est absurde, car la levée de boucliers n’aurait pas été moins virulente. On peut même supposer qu’elle aurait été encore plus violente, et que pouvoir rejeter la honte de l’appartenance à la SS sur une personnalité jusqu’alors considérée comme intègre aurait procuré à certains une satisfaction sans bornes. La lapidation qui se prépare ne méconnaît pas seulement le fait que l’on peut difficilement reprocher à un jeune de 17 ans d’avoir officiellement appartenu aux Waffen SS ; elle nie également le droit de chacun à surmonter par soimême l’effondrement des valeurs qu’a entraîné la chute du régime nazi, et le mutisme, voire le refoulement que cela a provoqué chez ceux qui en étaient le plus conscients. Que Grass, dans le processus de ce récit autobiographique, décide de lever le voile sans réserve sur cet épisode de sa jeunesse devrait être salué par tous les penseurs critiques. Or ce fait sert au contraire de prétexte à une opération sensationnaliste mettant en doute la crédibilité de Günter Grass, tandis que ses adversaires se préparent à réduire en miettes son testament politique. Hans Mommsen** * Groupe d’écrivains allemands fondé en 1947 et dissous en 1967, dont Heinrich Böll et Günter Grass étaient les figures emblématiques. ** Historien, né en 1930, spécialiste reconnu du nationalsocialisme et professeur émérite de l’université de Bochum. 825p44>46 22/08/06 10:51 Page 45 ● Günter Grass. Dessin de Loredano paru dans El País, Madrid. Une confession scandaleuse Grass élude toutes les vraies questions sur son passé et cautionne la thèse de l’innocence collective. La droite peut jubiler. DIE ZEIT (extraits) Hambourg e qu’il y a de scandaleux dans le scandale Grass, ce n’est pas qu’un jeune de 17 ans ait brièvement servi dans la Waffen SS, ni qu’un écrivain réputé ait été trop lâche pour l’avouer. Ce qui est scandaleux, c’est la mise en scène de ce mea culpa, dans laquelle Grass se refuse à toute réflexion de fond. Sous le prétexte pathétique d’une grande mise à nu, il a purement et simplement organisé sa défense. Qu’est-ce qui a fasciné le jeune Grass dans le nazisme pour qu’il veuille absolument partir à la guerre ? Comment s’est déroulé le débat après la guerre pour que, pendant des décennies, on n’ait pas osé révéler qu’on était membre de la Waffen SS ? Grass parle beaucoup, mais de cela il ne dit mot. Une seule fois, il se demande comment expliquer “que jusqu’au bout nous ayons cru à la victoire finale et au miracle des armes”. Oui, que diable, comment expliquer cela ? On aurait pu penser que le grand intellectuel Grass avait développé quelques idées sur la question dans les soixante années qui se sont écoulées depuis. Loin s’en faut ! “Rétrospectivement, c’est totalement incompréhensible”, nous dit-il. Et pourtant, bien sûr que cela s’explique ! Des historiens comme Götz Aly [voir CI n° 757, du 4 mai 2005] ou Joachim Fest [historien, biographe de Hitler], des écrivains [est-allemands] comme Franz Fühmann ou le jeune Hermann Kant se sont longuement penchés sur la question. Seul Grass prétend aujourd’hui n’avoir pas de réponse, ce qui tranche de façon pour le moins surpre- C nante avec son habituelle attitude de Monsieurje-sais-tout en politique. Tout l’entretien [qu’il a accordé au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) du 12 août dernier] suit une dramaturgie de la justification dont la pauvreté est encore renforcée par les questions imprécises des journalistes [Frank Schirrmacher, coéditeur de la FAZ, et Hubert Spiegel]. Grass ne dit pas une demiphrase sur son passé SS sans la relativiser en indiquant qu’il ne s’était porté volontaire que pour les sous-marins et que la Waffen SS à la fin [de la guerre] recrutait de toute façon de force “tout ce qu’elle pouvait récupérer”. Grass ne peut pas non plus prononcer le mot de “faute” sans immédiatement affirmer qu’il est incapable d’éprouver de la culpabilité. “Aurais-tu pu à ce moment-là comprendre ce qui t’arrivait ?” interroge-t-il de manière purement rhétorique. Et, pour que le lecteur comprenne que la réponse insinuée est “non”, il évoque le seul élève de sa classe, issu d’une famille sociale-démocrate, “qui en savait plus que nous tous”. Grass n’avait donc connaissance de rien, comme tout le monde. Se présenter comme un agneau parmi les agneaux, tel est donc le but à proprement parler de l’exercice. Voilà, entre autres, pourquoi la résistance antifasciste est à peine évoquée. Grass n’a vu de “vraie résistance” que dans un cas, chez un témoin de Jéhovah. Le plus terrible dans cet entretien n’est pas la lâcheté persistante de Grass face à sa propre biographie, mais le fait qu’il entérine a posteriori les mensonges de sa génération et aussi de la génération de ses parents. Si le jeune Grass, le génie en puissance, le futur lauréat du prix Nobel, a pu être “séduit”, comment tous les autres auraient-ils pu percevoir le Troisième Reich dans toute son horreur ? Voire s’y opposer ? En lieu et place de la thèse de la responsabilité collective, nous voilà revenus au vieux mensonge bien connu de l’innocence collective. Grass fournit là des arguments dont la droite va grandement se réjouir. Evelyn Finger “Je le savais depuis vingt ans” L’écrivain autrichien Robert Schindel était l’un des rares à connaître le passé nazi de Grass. DER SPIEGEL (extraits) Hambourg Il y a plus de vingt ans, Günter Grass vous a parlé – à vous et à d’autres écrivains, lors d’une réunion en petit comité – de l’époque où il était dans la Waffen SS.Vous rappelez-vous en quels termes il avait évoqué son passé ? ROBERT SCHINDEL* Il nous a expliqué qu’il avait été recruté dans la Waffen SS. Auparavant, il s’était porté volontaire pour servir dans les sous-marins, mais sa candidature avait été refusée. Or, comme il s’était porté volontaire, ils en COURRIER INTERNATIONAL N° 825 45 ont profité pour le mobiliser dans la SS, c’était courant à l’époque. C’est ce qu’il nous a raconté. Cela vous avait-il fait l’effet d’un aveu ? Non, pourquoi ? C’était absolument normal. Nous en avons parlé pendant un quart d’heure, ou une demi-heure ; il nous a également dit quelques mots de sa blessure, puis nous sommes passés à d’autres sujets. Aucun d’entre nous n’en a été étonné. Je savais déjà alors – et mes collègues aussi – que, dans la dernière année de la guerre, les gens avaient été mobilisés de façon massive dans la Waffen SS. Mon beau-père**, par exemple, devait être recruté à Dachau. En janvier 1945, on avait rassemblé des détenus et on les avait invités à se porter volontaires dans la Waffen SS. Grass a donc été recruté, mais je n’ai jamais décelé chez lui quelque sympathie que ce soit pour les SS. DU 24 AU 30 AOÛT 2006 ■ A la une “Le joueur de tambour”, titre Der Spiegel, stigmatisant en une “l’aveu tardif d’un apôtre de la morale” et représentant Günter Grass frappant de ses baguettes sur un casque de SS. L’historien Joachim Fest, qui s’apprête également à publier ses mémoires cet automne, confie au magazine de Hambourg : “Pour quelqu’un qui s’est tellement mis en scène comme instance morale du pays, cet aveu soixante ans après arrive un peu trop tard. Mes camarades de classe et moi, nous nous sommes engagés volontairement dans la Wehrmacht pour échapper à la Waffen SS.” Le magazine Stern s’inscrit dans la même ligne et titre : “Günter Grass, la chute du moraliste”, sur fond d’affiche nazie appelant les jeunes Allemands à s’enrôler dans la SS. 825p44>46 22/08/06 10:52 Page 46 débat ● Polémique sur un trop long silence ■ Réactions polonaises Quatorze auteurs polonais – dont la Nobel de littérature Wyslawa Szymborska et les écrivains de Gdansk Stefan Chwin et Pawel Huelle – dénoncent dans une lettre ouverte publiée dans le quotidien Rzeczpospolita “l’exploitation cynique” de l’aveu de Günter Grass par les dirigeants politiques polonais, tout en reconnaissant que la nouvelle est “douloureuse” pour eux. Par ailleurs, l’ex-président Lech Walesa a un peu tempéré ses propos à l’égard de Grass. Après avoir appelé l’écrivain à rendre son titre de citoyen d’honneur de la ville de Gdansk, il lui demande simplement de faire “un geste” envers ses habitants. “Alors, nous lui pardonnerons et nous le prierons de rester citoyen d’honneur”, assuret-il. Ce revirement s’explique, selon le quotidien berlinois Der Tagesspiegel, par l’animosité qui règne entre les frères Kaczynski, au pouvoir, et Lech Walesa. Ce dernier aurait tenu à se démarquer de ses ennemis. Dessin de Mayk paru dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Francfort. Qui a pris part à cette discussion ? Je ne peux vous le dire avec certitude parce que je ne sais plus où elle a eu lieu. C’était soit à Hambourg, soit à Prague, à l’occasion de la dernière rencontre du Groupe 47 [groupe d’écrivains allemands fondé en 1947 et dissous en 1967, dont Heinrich Böll et Günter Grass étaient les figures emblématiques]. A l’époque, cela a-t-il modifié le jugement que vous portiez sur Grass en tant qu’homme ? D’autant que votre père a été exécuté à Dachau en 1945. Non, cela n’a absolument rien changé. Ce qui parle en faveur de Grass, c’est que ce chapitre de sa vie est une honte pour lui-même, alors qu’il n’y peut rien. A l’époque, nous n’avions vraiment pas compris à quel point cela le préoccupait. Cela n’avait pas transparu dans notre discussion. Pensez-vous que d’autres personnes étaient au courant du passé de Grass dans les SS ? J’ai appris depuis que Peter Turrini [autre écrivain autrichien] aussi le savait depuis vingt ans. Il semble que Grass en ait souvent parlé en privé. Selon vous, pour quelle raison se livre-t-il à ces aveux publics tardifs ? Je crois que tout homme qui ploie sous le poids de la honte, à tort ou à raison, a besoin de passer par un certain processus de maturation. Il lui a fallu beaucoup de temps. C’est à chacun de décider à quel moment précis de sa biographie certaines choses doivent être révélées. Personne ne peut le prescrire à quiconque. A mes yeux, les tirs de barrage dont il fait aujourd’hui l’objet sont une maladie typiquement allemande. Plus d’infos sur courrierinternational.com Günter Grass, artiste et génie du marketing L’ancien opposant polonais Adam Michnik prend la défense de celui qui a tant œuvré à la réconciliation entre les deux pays. GAZETA WYBORCZA (extraits) Varsovie ’attitude de Günter Grass mérite respect et admiration. Quand un écrivain connu pour son honnêteté et son courage avoue publiquement, sans y être forcé par quiconque, une faute commise il y a soixante-deux ans, on ne peut dire que chapeau bas, car il s’agit d’un cas absolument unique. En revanche, lorsqu’une meute de rabatteurs profite de ce geste pour déclencher une campagne de haine contre lui, on ne peut qu’être navré de la petitesse de la condition humaine. Malheureusement, Lech Walesa s’est lui aussi joint à cette meute de rabatteurs. Il a jugé bon d’ajouter ses trois mots méprisants dans les pages du [quotidien populaire allemand] Bild, un journal de caniveau, connu par ailleurs pour ses prises de position hostiles envers Grass [l’ex-président polonais demandait à Grass de rendre sa distinction de citoyen d’honneur de la ville polonaise de Gdansk]. L Le Conseil central des Juifs d’Allemagne reproche à Grass d’utiliser cette révélation comme une opération de relations publiques pour la parution de son nouveau livre. Si je puis me permettre de me montrer aussi direct, je dois avouer que le Conseil central, ces vingt dernières années, n’a pas particulièrement brillé par son intelligence. Le reproche adressé à Grass est une calomnie. Lorsqu’on ne peut pas prouver ce que l’on avance, mieux vaut se taire. D’après vous, pourquoi un tel tollé ? Parce qu’il a joué en quelque sorte le rôle d’autorité morale. Or, en Allemagne, cette terre vertueuse, une autorité morale ne saurait avoir de défaut. Un modèle se doit d’être immaculé, un authentique parangon de vertu. Ce qu’il n’est évidemment pas – c’est un écrivain, avec toutes ses contradictions. A-t-on donc tort de demander pourquoi Grass a gardé le silence pendant si longtemps ? Si tout cela ne se déroulait pas dans un tel climat de haine, j’aurais bien voulu savoir moi aussi pourquoi il a mis tant de temps à en parler. Loin de moi l’idée de lui reprocher quoi que ce soit, cependant. Je tiens seulement à connaître ses motivations. Peut-être aurait-il alors pu dire : j’ai déjà suffisamment d’adversaires, je ne voulais pas leur tendre le bâton pour me faire battre, j’ai préféré attendre de pouvoir me le permettre. Ce qui est humain, après tout. La prochaine fois que vous rencontrerez Grass, que lui direz-vous ? WEB+ Chapeau bas, monsieur Grass ! Respect. Propos recueillis par Björn Hengst * Poète, romancier et cinéaste autrichien, né en 1944 de parents juifs communistes, déportés quatre mois après sa naissance. Sa mère a survécu à Auschwitz. Dernier livre paru en français : Le Mur de verre (Stock, 2005). ** Georg Nürnberger, ancien combattant de la guerre d’Espagne au côté des républicains, interné à Dachau, a refusé d’être enrôlé dans la Waffen SS. J’ignore si Walesa a fait sa déclaration stupide et ignoble sur la suggestion de l’un de ses conseillers. Si c’est le cas, il devrait se passer de ses services. Si toutefois c’était le résultat de son verbiage irréfléchi, Walesa devrait y réfléchir à deux fois avant de dresser ce curieux bilan de la vie du grand écrivain. Les études littéraires n’ont jamais été son fort. De quoi parle-t-on ? Il s’agit d’un acte répréhensible et condamnable, certes, mais commis par un adolescent, il y a une soixantaine d’années. Un acte auquel Grass a profondément réfléchi et qui a été effacé par tout ce qu’il a fait et écrit par la suite. Dans ses romans et ses essais, dans ses apparitions publiques et ses interviews, Grass n’a eu de cesse de critiquer et de démasquer le nazisme et les crimes nazis commis en Pologne. Pendant longtemps la Pologne n’a eu en Allemagne d’ami plus fidèle et plus désintéressé. Il en a payé le prix. Les nationalistes allemands l’ont COURRIER INTERNATIONAL N° 825 46 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 attaqué sans répit quand il répétait que les Allemands devaient reconnaître définitivement la ligne Oder-Neisse [qui marque la frontière germano-polonaise depuis 1945, mais qui n’a été reconnue officiellement par la RFA et la RDA qu’en 1990]. Les communistes, de leur côté, l’attaquaient pour son soutien obstiné à l’opposition démocratique polonaise, pour sa collaboration avec la presse clandestine polonaise et pour sa défense des prisonniers politiques en Pologne. Oublier tout cela aujourd’hui est bête et ingrat ; le gommer à cause d’une erreur de jeunesse commise en 1944 est tout simplement indécent. Les adolescents commettent des tas d’erreurs – Lech Walesa est bien placé pour le savoir puisqu’il a admis dans son livre de souvenirs qu’il avait commis des actes qu’il a ensuite considérés comme des erreurs répréhensibles. Mais tout ce qu’il a fait ensuite les a annulés. Nous, Polonais, exigeons à juste titre que l’opinion publique allemande comprenne que les agissements d’Erika Steinbach [présidente de la Fédération des expulsés des anciens territoires allemands de l’Est] et de ses collaborateurs insultent la mémoire collective et le sens moral des Polonais. Nous voyons en eux (à juste titre, une fois de plus) des obstacles semés sur le chemin de la réconciliation germano-polonaise. Or c’est Günter Grass qui a décrit, dans Le Tambour, les expulsions d’Allemands de Gdansk avec un réalisme inégalé ; c’est ce même Grass, dont la sœur a été plusieurs fois violée par les expulsants – sujet qu’il a abordé lors d’un débat à Gdansk –, qui a rappelé inlassablement que les vrais coupables de tous les malheurs allemands étaient les nazis allemands, car ce sont eux qui ont déclenché la Seconde Guerre mondiale en attaquant la Pologne. Günter Grass s’est toujours montré très sensible à la mémoire polonaise. Est-ce vraiment si difficile pour nous, Polonais, de comprendre le drame des jeunes Allemands de l’époque, abêtis par l’endoctrinement totalitaire de la propagande nazie et des Jeunesses hitlériennes, coincés dans le cauchemar de la guerre, de comprendre leur peur des bombes et la peur plus grande encore du bolchevisme qui arrivait de l’Est ? Est-ce vraiment si difficile de comprendre que de nombreux jeunes Allemands aient pu alors s’égarer ? Grass n’a pas été le seul. Un autre Allemand, du même âge, à la même époque, a lui aussi servi pendant plusieurs mois sous l’uniforme de l’armée hitlérienne. Cet Allemand s’est souvenu plus tard qu’au moment des grands triomphes de l’armée allemande, en 1940, il avait ressenti “une sorte de satisfaction patriotique”, bien qu’il fût issu d’une famille antinazie. Lech Walesa aurait-il aussi des objections à son sujet ? Je dévoile son identité, au cas où : cet Allemand s’appelle Josef Ratzinger, et il est désormais plus connu comme le pape Benoît XVI. P.-S. : Je n’ai pas écrit ces quelques réflexions pour rassurer Günter Grass en lui disant qu’il a en Pologne de nombreux amis qui le respectent et l’admirent, ou pour le défendre – ce grand écrivain et cet homme formidable n’a pas besoin de mon aide. Je les ai écrites pour défendre Lech Walesa – contre lui-même. Adam Michnik* * Directeur du plus grand quotidien de Varsovie, Gazeta Wyborcza. p47 économie ouverture 21/08/06 17:54 Page 47 économie ■ économie Quand les mineurs réclament leur part du gâteau p. 48 Carriéristes, un conseil : renoncez à la barbe p. 48 ■ sciences Des livres électroniques pour les écoles d’Afrique p. 49 Des vessies de rechange fabriquées en laboratoire i n t e l l i g e n c e s ● Déferlante de polos vietnamiens en 2007 MONDIALISATION Le Vietnam, qui a libéralisé son économie à marche forcée pour intégrer l’Organisation mondiale du commerce, semble enfin toucher au but. Au grand bonheur de son industrie textile. ■ et européens, même quand elle s’est mise à consacrer l’essentiel de sa production à l’exportation. L’Etat exigeait qu’elle s’adresse à des sociétés de négoce publiques pour commercialiser ses produits. Ce système est sur le point de disparaître. “Après l’adhésion à l’OMC, nous travaillerons étroitement avec nos acheteurs, explique Nguyen Thanh Binh. Cela sera très difficile pour les entreprises publiques, car leur personnel n’a jamais eu le droit de le faire auparavant. Nous n’avons ni les compétences ni les connaissances nécessaires.” Hanosimex compte donc for mer ses dirigeants et ses cadres chargés de l’international pour en faire des commerciaux chevronnés. Certains ont déjà été envoyés en stage au Japon ou à Hong Kong. La pauvreté recule PIB par habitant (en milliers de dollars, à parité de pouvoir d'achat) 1990 2003 Thaïlande Chine Philippines Vietnam Cambodge THE WASHINGTON POST (extraits) Washington p. 50 0 3 6 9 DE HANOI Proportion de la population vivant avec moins de 1 dollar par jour (en %) i n t e l l i ge n c e s D Cette musique qui nous trotte dans la tête p. 50 ■ multimédia Images de guerre, guerre des images p. 51 1990 LES ENTREPRISES D’ÉTAT VONT SOUFFRIR 2003 Thaïlande Chine Philippines Vietnam Cambodge 0 ■ Calendrier L’adhésion du Vietnam à l’OMC nécessite l’aval des 149 pays membres. Depuis la signature d’un accord bilatéral avec les Etats-Unis, qui faisaient traîner les choses, cette condition est enfin remplie. L’OMC espère boucler les dernières négociations à l’automne, afin d’accueillir le Vietnam en son sein avant le sommet du Forum de coopération économique Asie-Pacifique, organisé à Hanoi en novembre prochain. COURRIER INTERNATIONAL N° 825 47 10 20 30 40 50 tissant des “relations commerciales normales et permanentes”. En attendant, Hanoi a déjà restructuré la réglementation des entreprises et des investissements. Désormais, toutes les sociétés, qu’elles soient nationales ou étrangères, publiques ou privées, doivent être traitées sur un pied d’égalité. D’autres lois sont en cours d’élaboration afin de moderniser l’industrie pharmaceutique, la protection sociale et la fiscalité. “La perspective de l’adhésion à l’OMC induit visiblement des changements considérables au Vietnam”, constate Jonathan Pincus, économiste au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). “La grande majorité de ces changements sont positifs.Mais le plus gros reste à faire.” Près de vingt ans de libéralisation économique ont contribué à faire du Vietnam l’une des économies les plus dynamiques d’Asie. Malgré une corruption généralisée et une bureaucratie tatillonne, le PIB a augmenté de 50 % au cours des cinq dernières années. LES CADRES SONT ENVOYÉS EN STAGE AU JAPON Depuis qu’elle est entrée chez Hanosimex, il y a vingt-quatre ans, Nguyen Thanh Binh a grimpé les échelons jusqu’au poste d’administratrice déléguée. Entre-temps, l’entreprise d’Etat s’est considérablement développée : elle emploie désormais 6 000 personnes et réalise un chiffre d’affaires annuel de 80 millions de dollars. Aujourd’hui, Mme Binh et ses collaborateurs doivent réapprendre leur métier. La société a toujours eu peu de contacts directs avec les acheteurs américains, japonais DU 24 AU 30 AOÛT 2006 Sources : Banque mondiale, “The Economist” evant l’entrée de la Société de textile-habillement de Hanoi (Hanosimex), un panneau montre deux ouvriers enthousiastes contemplant le ciel, les bras dressés dans une ferveur toute prolétarienne, devant un paysage industriel. Des slogans exhortent les travailleurs au zèle et à la solidarité. Si ce panneau appartient à l’époque socialiste, le hall d’entrée de l’entreprise de textile est en revanche tourné vers l’avenir. La réception est pavoisée aux couleurs de quarante pays, avec le drapeau américain stratégiquement placé au centre. Dans la perspective de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Vietnam redouble d’efforts pour s’ouvrir au reste du monde. Des changements fondamentaux sont en cours, à l’Assemblée nationale comme dans les usines, où des rangées de machines à coudre produisent survêtements, pantalons et polos destinés au marché américain. L’adhésion à l’OMC ouvrira de nouveaux marchés à l’étranger mais obligera le Vietnam à réduire les protections accordées à ses entreprises. “Nous allons subir un choc puissant”, confie Doan Duy Khuong, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie vietnamienne. “Pour devenir plus forts, nous devons apprendre les règles de la concurrence.” Hanosimex a équipé cette année ses filatures et ses usines de tricots de nouvelles machines, afin d’accroître ses capacités de production et d’améliorer la qualité de ses articles. L’entreprise, qui exporte déjà un peu plus de la moitié de sa production, dont les deux tiers vers les Etats-Unis, prévoit une forte hausse de ses exportations. La signature par Hanoi et Washington, fin mai, d’un accord commercial bilatéral ouvre la voie à une adhésion rapide du Vietnam à l’OMC, peut-être dès la fin de l’année. [Les Etats-Unis étaient le seul des 149 membres de l’Organisation à ne pas avoir signé un tel accord.] Ce texte, qui énumère les mesures que le pays doit prendre pour déréglementer son économie et ouvrir progressivement son marché aux produits et aux services étrangers, doit encore être ratifié par le Congrès américain. Ce dernier doit aussi accorder au Vietnam le statut juridique lui garan- Le textile et l’habillement se classent au deuxième rang des exportations vietnamiennes, après le pétrole brut, et ce secteur pourrait connaître une croissance considérable – comme toutes les autres activités fondées sur l’utilisation d’une main-d’œuvre bon marché, comme l’industrie de la chaussure et l’électronique. Les patrons du textile sont particulièrement optimistes. Car, une fois admis à l’OMC, le pays ne sera plus soumis à des quotas d’exportations vers les Etats-Unis. Le Vietnam est en effet l’un des rares pays à devoir encore subir ce genre de restrictions depuis que l’OMC a supprimé son système de quotas [avec le démantèlement de l’accord multifibres en janvier 2005]. Selon les agents du ministère du Commerce vietnamien, le pays ne représente que 3,2 % des importations américaines d’habillement et de textile. Mais l’adhésion à l’OMC risque toutefois de coûter cher à cette filière, puisque l’Etat va devoir réduire ses subventions, comme les prêts préférentiels pour l’investissement et certaines activités de promotion commerciale. Selon Mme Binh, Hanosimex a atteint une taille qui lui permettra de se passer de ces soutiens. Sa principale préoccupation, c’est de trouver suffisamment de tissu à importer pour répondre à l’accroissement de la production prévu. Le nouveau système commercial va sans doute avoir des conséquences plus dramatiques pour les entreprises d’Etat qui devaient leurs bons résultats aux aides publiques, à l’instar des laboratoires pharmaceutiques ou des producteurs de ciment et d’engrais, et qui vont être confrontées à une forte concurrence étrangère. Le système bancaire, dominé par des établissements publics inefficaces et souscapitalisés, risque également de souffrir quand les restrictions à la participation des capitaux étrangers auront disparu. Pour Jonathan Pincus et la plupart des experts, ce secteur reste toutefois modeste et suscite encore peu d’intérêt de la par t des grandes banques internationales, ce qui lui laissera peut-être le temps de s’adapter avant de devoir faire face aux attaques de l’étranger. Alan Sipress p48 économie 22/08/06 12:53 Page 48 économie Quand les mineurs réclament leur part du gâteau du canadien INCO, ont cessé le travail fin juillet après l’échec des négociations salariales. Depuis, le dialogue est au point mort. ■ Au Chili, au Canada et en Afrique du Sud, des mines de cuivre ou de nickel sont paralysées par des grèves. Les ouvriers veulent eux aussi profiter des bénéfices générés par la flambée des cours. LES CONFLITS SOCIAUX FONT GRIMPER LES COURS THE WALL STREET JOURNAL (extraits) New York ’envolée des prix du cuivre, du nickel et autres matières premières donne des ailes aux syndicats de mineurs à travers le monde : ils organisent des grèves dans l’espoir d’obtenir des hausses de salaire et une amélioration de leurs avantages sociaux. De leur côté, les compagnies minières, affirmant que les sommets atteints ne sont qu’un phénomène passager, refusent de s’engager dans de généreux accords collectifs qui leur lieraient les mains pour plusieurs années. Dans la mine de cuivre d’Escondida, au Chili, quelque 2 000 mineurs ont débrayé depuis le 7 août, exigeant entre autres une hausse minimale de 13 % des salaires, une prime de sortie de conflit et une autre, liée à l’augmentation des prix du métal. Le groupe anglo-australien BHP Billiton, actionnaire majoritaire, propose un accord triennal comportant une augmentation des salaires de 3 % et une prime de 16 000 dollars. [BHP a L Dessin de Javier Lobato paru dans Actualidad Económica, Madrid. annoncé le 18 août la suspension des négociations et la fermeture provisoire du site, reprochant aux grévistes d’avoir bloqué les routes pour empêcher des supplétifs d’accéder à la mine.] Début août, Kumba Resources, un grand producteur sud-africain de minerai de fer, est parvenu à un accord annuel avec 7 000 salariés après une grève d’une semaine. La société a accordé une hausse de 7,75 % aux mineurs très qualifiés et de 9 % aux autres. Selon Eddie Majadibodu, du Syndicat national des mineurs, qui compte 4 000 adhérents chez Kumba Resources, le personnel s’estime globalement satisfait, même si on est loin des 15 % réclamés initialement par le syndicat. Au Canada, 117 ouvriers de Voisey’s Bay Nickel Company, filiale Selon les responsables syndicaux, le moment est particulièrement propice à l’action. Les profits des entreprises flambent en même temps que les prix [le bénéfice net d’Escondida a par exemple triplé au premier semestre, à 2,9 milliards de dollars]. Parallèlement, le nombre limité de mineurs qualifiés dans certains pays rend plus difficile le remplacement des grévistes. Alors que, par le passé, les grèves dans le secteur ont souvent fait long feu, elles pourraient cette fois durer des semaines, voire des mois, ce qui maintiendrait les cours à des niveaux élevés. Dès le début du conflit à Escondida, au Chili, les prix du cuivre ont atteint un nouveau pic, en raison des inquiétudes liées à l’approvisionnement [principale mine de cuivre de la planète, Escondida fournit 8 % de la production mondiale]. BHP Billiton a d’ores et déjà invoqué un cas de force majeure afin de se prémunir légalement contre toute pénalité pour non-respect de ses contrats de livraison avec les fondeurs. “C’est une industrie historiquement cyclique, ce qui explique la réticence des compagnies à céder aux revendications salariales”, commente David Duckworth, analyste spécialisé dans le cuivre chez CRU, un cabinet londonien d’étude des matières premières. “Les prix sont tellement élevés que nous nous trouvons actuellement en territoire inconnu.” Comme l’explique Pedro Marin, porte-parole syndical chez Escondida, lorsque les prix ont touché le fond, en 2001, les mineurs ont réduit leurs exigences lors des négociations salariales dans le but de préserver les emplois. Maintenant, ils demandent leur part du gâteau. “Nous avons accepté des sacrifices durant les sept années de vaches maigres, alors nous voulons profiter des sept années de vaches grasses”, ajoute Pedro Marin. Ce à quoi Illtud Harri, porte-parole de BHP Billiton, rétorque que les mineurs d’Escondida gagnent déjà 40 000 dollars par an en moyenne. Partout dans le monde, patrons et syndicats suivent de près ce conflit dont l’issue pourrait influencer les négociations menées dans les autres entreprises. Chez Corporación Nacional del Cobre de Chile (CODELCO), une entreprise publique chilienne, les discussions débutent à l’automne. Kris Maher, avec Carolina Pica au Chili Hausse des cours 250 Evolution du prix du cuivre et du nickel sur le marché des métaux de Londres (en %) 200 150 Cuivre 100 Nickel 50 0 – 50 2004 2005 2006 la vie en boîte Carriéristes, un conseil : renoncez à la barbe ’étais récemment en train de lire le journal dans un café quand je suis tombé sur une photo remarquable de Fernando Rodés, le nouveau directeur général du groupe de communication français Havas : il arborait la barbe la plus spectaculaire que j’aie jamais vue, mise à part celle de l’acteur Richard Harris dans le rôle du Pr Dumbledore dans Harry Potter à l’école des sorciers. Bien sûr, il y a toujours eu des hommes d’affaires prospères et barbus – le nom du propriétaire de Virgin, sir Richard Branson, vient immédiatement à l’esprit – et il y a eu une période, pendant les années 1970, où les membres des conseils d’administration ressemblaient à une bande de figurants de La Planète des singes. Mais, depuis quelques dizaines d’années, les barbes sont proscrites, comme le confirme une enquête britannique menée en 2001. Ainsi, seuls 4 % des chefs d’entreprise pensent que la pilosité est un atout. Cette photo de Fernando Rodés laisse donc entrevoir une intéressante possibilité : le retour des barbes et autres ornements pileux dans le monde des affaires. Pour vérifier si les attitudes avaient changé, j’ai récemment décidé de ne plus me raser. En attendant que ma barbe J d’un jour prenne un peu animateurs au visage d’ampleur, j’ai fait quelglabre. Le raisonnement ques recherches. Et déjustifiant cette discrimicouvert que les barbes nation est généralement avaient vraiment mauaussi convaincant qu’une vaise presse. En lisant moustache d’adolescent. cinq ar ticles pris au On prétend souvent que hasard, j’ai découver t les poils du visage ne une série d’asser tions sont “pas hygiéniques”. absurdes affirmant que Ensuite, il paraît que le “les hommes ne se laispublic n’aime pas les sent pousser la barbe barbes. Mais, lorsqu’on que pour cacher quelque regarde de près les chose” ou que “les barenquêtes à l’origine de bus n’ont pas l’air dignes ces affirmations, on déde confiance”. couvre qu’elles ont souMalheureusement, le vent été commandées par monde des affaires est des fabricants de lames Dessin de Christoph Niemann aussi atteint par la pogode rasoir. paru dans The New Yorker, Etats-Unis. nophobie [phobie des Au bout de dix jours, je barbes] que les médias. détestais ma barbe parce D’innombrables conflits opposent emqu’elle me donnait l’air d’une version indoployeurs et poilus : des supermarchés qui pakistanaise de Nietzsche (en plus joyeux) refusent d’embaucher des barbus à certains et qu’elle provoquait des commentaires sans postes aux chaînes de télévision qui demanfin de la part de mes collègues – du genre : dent à tous leurs employés apparaissant “Ça ne met pas tes traits en valeur.” à l’écran de se raser, en passant par les La seule personne qui ait aimé ma barbe camps de vacances qui ne veulent que des est ma mère, qui en a déduit que j’avais fina- COURRIER INTERNATIONAL N° 825 48 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 lement redécouvert ma foi sikhe et que j’allais enfin céder à ses supplications et épouser une villageoise pendjabie. De tous les inconvénients de ma barbe, les pires ont été les commentaires de ceux à qui je n’avais rien demandé. On dit que, dans le monde des affaires, les hommes sont moins jugés sur leur apparence que les femmes. Mais, paradoxalement, ils sont davantage l’objet de commentaires dès qu’ils modifient leur physique, étant donné qu’ils ont moins d’options esthétiquement parlant. Les barbus prétendent parfois qu’ils gagneront plus de trois mille heures de vie, en moyenne, en s’abstenant de se raser tous les matins. Mais le problème est que tout ce temps gagné servira à répondre aux commentaires relatifs à la barbe. Les entreprises ont beau chanter les louanges de la diversité, elles restent extraordinairement uniformes. La plupart préfèrent que leurs salariés soient conformistes, voient les choses de la même manière et aient une certaine présentation. Je présume que, d’ici moins d’un an, la barbe de M. Rodés aura disparu. Sathnam Sanghera, Financial Times (extraits), Londre Sources : Reuters, “The Wall Street Journal” MATIÈRES PREMIÈRES 825 p49-50 sciences 21/08/06 18:38 Page 49 sciences i n t e l l i g e n c e s ● Des livres électroniques pour les écoles d’Afrique ÉDUCATION Télécharger des ■ contenus pédagogiques par satellite revient moins cher qu’imprimer des livres. Après un premier succès au Kenya, le système pourrait concerner 20 000 élèves des écoles rwandaises. TECHNOLOGY REVIEW Cambridge (Massachusetts) e nombreuses villes et régions densément peuplées d’Afrique retirent de précieux avantages des réseaux de téléphonie mobile et de l’accès à Internet. Mais il faudra encore de nombreuses années avant que les zones rurales de l’intérieur – où vivent la majorité des Africains – n’entrent, elles aussi, dans l’ère de l’information : les enfants n’y ont même pas de manuels scolaires récents, encore moins d’ordinateurs connectés au web. Ils pourraient cependant bientôt recevoir un coup de pouce sous la forme d’une technique de transmission en bande étroite par satellite permettant le transfert de données numériques dans un seul sens. Une fondation suisse, BioVision, a réalisé l’année dernière à l’école primaire de Mbita Point, à la frontière entre le Kenya et l’Ouganda, une expérience pilote qui a donné à 60 enfants un aperçu de ce qu’ils pourraient faire avec ce système. L’école a été équipée d’un récepteur satellite, des ordinateurs de poche fonctionnant sous Linux ont été distribués aux élèves et le contenu des derniers programmes D Dessin de VK paru dans US News & World Report, Washington. d’enseignement a été téléchargé directement à partir du site du ministère de l’Education kényan. Selon BioVision, procéder ainsi revient beaucoup moins cher qu’acheter chaque année de nouveaux manuels scolaires. DES SYSTÈMES RADIO ÉQUIVALENTS DÉJÀ UTILISÉS La fondation a aujourd’hui transformé le projet, baptisé EduVision, en une société de capital-risque nommée Bridgeworks, qui espère devenir bientôt autonome. Bridgeworks a pris contact avec les administrations chargées de l’éducation dans plusieurs pays afin d’appliquer le système à grande échelle. Le Rwanda s’est montré intéressé par un projet qui bénéficierait à plus de 20 000 enfants dans 504 établissements secondaires. “Nous ne pensons pas que l’entreprise fera de gros bénéfices, mais ce sera suffisant pour lui permettre de se développer”, explique l’instigateur du projet, Matthew Herren, un Suisse qui a grandi au Kenya. D’après lui, au moins un des pays avec lesquels il est actuellement en discussion utilisera le système d’ici un an. La bande passante est fournie par WorldSpace, une entreprise de Silver Spring (Maryland) qui exploite deux satellites géostationnaires positionnés l’un au-dessus de l’Asie et l’autre au-dessus de l’Afrique.WorldSpace transmet depuis plusieurs années du contenu radio classique, par exemple des signaux pour CNN ou NPR [une radio américaine à but non lucratif]. Certains pays d’Afrique, dont le Kenya, ont utilisé ses services pour transmettre des versions audio de cours donnés en classe. Depuis deux ans, WorldSpace alloue également une partie de sa bande passante au transfert de tous les autres types de données numériques à un débit de 128 kilobits par seconde. C’est lent pour un Occidental, mais suffisant pour faire parvenir des textes ou télécharger régulièrement des supports éducatifs. Les photos et les vidéos demandent un temps plus important. “L’une des raisons pour lesquelles les systèmes éducatifs africains ont pris du retard, en particulier en sciences, est qu’il revient très cher de corriger et d’actualiser les programmes d’enseignement”, précise Calestous Juma, professeur de développement international au Belfer Center for Science and International Affairs de l’université Harvard. “L’Afrique attendait quelque chose de ce genre depuis l’époque de Jules César”, ajoute-t-il à propos de l’isolement où se trouve l’intérieur du continent. Bien que le système ne permette pas la circulation des données à double sens, il peut avoir un gros impact sur la transmission d’informations concernant l’éducation, la santé et l’agriculture. Selon le président de WorldSpace, Srinivasan Rangarajan, son entreprise est la seule à fournir dans de nombreuses régions un service permettant de télécharger des données sur des ordinateurs bon marché équipés simplement d’une antenne de petite taille, par opposition aux grandes paraboles utilisées par les gouvernements. David Talbot la santé vue d’ailleurs Des vessies de rechange fabriquées en laboratoire ne équipe de chercheurs est parvenue à fabriquer des vessies humaines en laboratoire et à les greffer sur des patients. C’est la première fois que l’on fabrique en laboratoire non plus un lambeau de peau ou de tout autre tissu, mais un organe interne complexe, et qu’on le transplante sur un être humain. Les chercheurs annoncent qu’ils ont déjà entamé de nouveaux travaux pour fabriquer des reins, des foies ou des cœurs de rechange, qui pourraient résoudre les problèmes de pénurie de dons d’organes et de rejets de greffes. Anthony Atala, urologue de la faculté de médecine Wake Forest à Winston-Salem (Caroline du Nord), et ses collègues sont partis de cellules de vessies défectueuses prélevées sur sept enfants atteints d’une malformation congénitale pour fabriquer de minces enveloppes tissulaires. Puis ils ont greffé les organes, qui ont un peu l’apparence de pamplemousses évidés, à l’intérieur de la vessie des petits patients. L’équipe a réalisé ces greffes en 1999 et a suivi l’évo- U lution des enfants assure Steve Chung, pendants plusieurs qui étudie les cellules années avant de pusouches pour la régéblier ses résultats nération de la vessie dans la revue médià l’Institut d’urologie cale britannique The avancée de l’Illinois, Lancet. Chez les paà Spring Valley. Les tients ayant bénéficié cellules de peau culde cette technique tivées artificiellement particulièrement proont déjà trouvé de metteuse, les résulnombreuses applitats ont été plus satiscations et les scienfaisants qu’ils ne le tifiques cherchent sont avec le traitedésormais à fabriment qui faisait jusquer des pièces ou qu’à présent réfédes organes de rerence et qui consiste change entiers pour à rapiécer la vessie pratiquement tous Dessin de Miguel Santamarina avec des greffons préles autres types d’orparu dans El Mundo, Madrid. levés sur l’intestin. ganes. La reconstrucLeur vessie fonctionnait mieux et présentait tion de vessie constitue un progrès spectamoins de fuites. “Cela va incontestablement culaire en ceci que “les scientifiques ont ouvrir des perspectives passionnantes à tous réussi à la réaliser sur l’homme et à démonles spécialistes d’ingénierie tissulaire”, trer qu’elle fonctionnait bien”, souligne David COURRIER INTERNATIONAL N° 825 49 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 Mooney, spécialiste d’ingénierie tissulaire à l’université Harvard de Cambridge (Massachusetts). Les spécialistes rappellent toutefois que la vessie est un organe relativement simple par rapport à d’autres comme le cœur. Anthony Atala a annoncé que son équipe souhaitait affiner la technique afin d’en faire bénéficier les patients présentant divers problèmes et maladies de la vessie. Les urologues aimeraient surtout l’adopter pour les sujets atteints d’un cancer de la vessie, précise Steve Chung. Il pourrait cependant être délicat de reconstruire une vessie à partir des cellules prélevées chez un cancéreux, car elles pourraient également être prédisposées au cancer. Une solution serait de prélever des cellules souches sur la moelle osseuse, par exemple, et de les amener à fabriquer du tissu de vessie, mais cette voie de recherche n’est pas encore aussi aboutie que la technique mise au point par Atala et son équipe. Helen Pearson, Nature, Londres 825 p49-50 sciences 21/08/06 18:39 Page 50 sciences Cette musique qui nous trotte dans la tête PSYCHOLOGIE Les petits airs de musique entêtants dont on n’arrive pas à se débarrasser se comportent comme des virus. Ils sont contagieux et parasitent le cerveau. ou la dernière que l’on entend le soir, ou encore l’état de stress)”, note James Kellaris. La plupart du temps, nous ne faisons pas attention à nos vers d’oreille dans la mesure où nous sommes bombardés à chaque instant de nouvelles informations sonores, ce qui nous empêche de nous concentrer sur eux. ■ CHACUN A SA MÉTHODE POUR S’EN DÉBARRASSER THE GUARDIAN Londres vez-vous vu Mission :Impossible III cette année ? Si oui, il se peut que la bande originale de ce film vous trotte encore dans la tête. D’après James Kellaris, professeur de marketing à l’université de Cincinnati, ce générique se classe au sixième rang de la liste des dix chansons les plus obsédantes aux Etats-Unis, après un tube de Kylie Minogue et devant le thème de la série Happy Days. Son étude, intitulée La Dissection des vers d’oreille – Nouveaux éléments sur le phénomène des chansons qui vous trottent dans la tête, montre que près de 99 % des sujets ont eu un jour ou l’autre ce qu’il appelle des “vers d’oreille”, c’est-à-dire un de ces airs entêtants dont on n’arrive pas à se débarrasser. “Ils semblent se répéter dans l’esprit de leur pauvre victime, que cela plaise ou non à celle-ci”, explique le chercheur. Les épisodes de crise peuvent durer en moyenne plusieurs heures et se produire assez fréquemment chez les “malades chroniques”. Le terme “ver d’oreille” vient de l’allemand Ohrwurm, et désigne une “démangeaison musicale” du cerveau. Cette expression peut induire en erreur, car il n’est pas du tout question de petites créatures ressemblant à des asticots, qui se glisseraient dans l’oreille de quelqu’un pour déposer leurs œufs dans son cerveau. En réalité, le comportement du ver d’oreille musical ressemble plutôt à celui d’un virus : il se fixe sur un hôte et se maintient en vie en se nourrissant de la mémoire de celui-ci. Et, comme l’ont montré des chercheurs du Dartmouth College, dans le New Hampshire, le ver d’oreille ne sévit pas dans l’oreille, mais dans le cortex auditif. Celui-ci stocke nos souvenirs auditifs et c’est là – dans l’“iPod du cerveau” – que les vers d’oreille élisent domicile. “Nous avons trouvé que le cortex auditif, qui est actif quand un sujet écoute une chanson, était réactivé au moment où celui-ci imaginait qu’il l’écoutait”, rapporte David Kraemer, étudiant de troisième cycle en sciences cognitives et responsable de l’étude réalisée à Dartmouth. A Dessin de Springs, The Daily Telegraph, Londres. L’équipe de chercheurs a alors demandé aux étudiants sur lesquels portait l’étude d’indiquer les chansons qu’ils connaissaient et celles qu’ils ne connaissaient pas, et a dressé pour chacun une liste de chansons favorites. Satisfaction des Rolling Stones et Yellow Submarine des Beatles figurent parmi les chansons les plus connues, tandis que l’Ode à la joie de Beethoven et la chanson du générique de La Panthère rose figurent parmi les airs instrumentaux les plus populaires. “Nous avons utilisé un IRM pour étudier l’activité cérébrale des sujets. Nous leur avons fait écouter des extraits de chansons, puis avons coupé le son pendant 3 à 5 secondes, explique David Kraemer. Nous ne leur avions pas dit que nous allions couper le son. Les sujets ont automatiquement retrouvé le passage manquant des chansons qu’ils connaissaient bien. Le cortex auditif, qui s’est activé pendant les silences, a continué de ‘chanter’. Mais ils n’ont plus rien entendu dès que nous avons coupé le son des chansons qu’ils ne connaissaient pas.” Pour le jeune chercheur, la réapparition des images auditives dans l’esprit pourrait donc être causée par une activation de cette zone du cortex. Un phénomène qui fait penser à une “perception à l’envers”. En effet, le processus emprunte la même voie neuronale que la vraie perception, mais en sens inverse.Toutefois, on ne connaît pas vraiment ce qui déclenche le souvenir d’une chanson particulière – qui fait qu’elle vient à l’esprit d’un sujet et qu’elle lui trotte dans la tête. Cela peut être dû à n’importe quoi : un titre, une pensée ou le souvenir d’une expérience passée liée à une mélodie. Cela pourrait être seulement quelques notes qui incitent le cerveau à se rafraîchir la mémoire et à trouver les parties manquantes de la chanson. “Les vers d’oreille semblent constituer une interaction entre les propriétés de la musique (les chansons accrocheuses sont simples et répétitives), les caractéristiques des individus (une tendance à la névrose plus ou moins prononcée) et le contexte ou la situation (la première chanson que l’on entend le matin BFM et Courrier international présentent l’émission “GOOD MORNING WEEK-END” animée par Fabrice Lundy, rédacteur en chef de BFM, et les journalistes de la rédaction de Courrier international. Tous les samedis de 9 heures à 10 heures et les dimanches de 8 heures à 9 heures Fréquence parisienne : 96.4 COURRIER INTERNATIONAL N° 825 50 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 Cependant, personne ne réagit de la même manière à ce syndrome des chansons obsédantes. James Kellaris a montré que les femmes y sont plus sensibles que les hommes. Et les musiciens que les non-musiciens. “Les musiciens sont probablement plus sujets aux vers d’oreille à cause de leur contact plus étroit avec la musique et à cause des répétitions, précise-t-il. Mais, pour ce qui est des femmes, cela reste un mystère.” Toujours selon lui, les vers d’oreille posent cependant plus de problèmes aux personnes anxieuses. Quand les vers d’oreille posent problème, que faire ? “Certains ne jurent que par les ‘airs gommants’: ceux qui ont une capacité mystérieuse à manger n’importe quel autre ver d’oreille. Si quelqu’un chante cet air gommant, il se délivre, mais ce nouvel air risque de remplacer le ver d’oreille et de trotter à son tour dans la tête”, ajoute le chercheur. Autre solution : refiler votre ver d’oreille à quelqu’un d’autre. Les partager permet apparemment de se soulager. Ou encore, si une chanson vous obsède parce que vous ne pouvez pas vous souvenir de certaines paroles ou de sa chute, écoutez-la ou chantez-la entièrement – peut-être cessera-t-elle de vous poursuivre. “Ce qui fonctionne assez bien, chez les personnes tourmentées par les vers d’oreille, c’est de leur demander d’où cela vient”, estime Diana Deutsch, professeur de psychologie à l’université de Californie à San Diego. “Les gens chantent en même temps que ce qui se passe dans leur tête, c’est pourquoi la musique reflète une pensée enfouie dans un coin du cerveau, servant en quelque sorte de pense-bête personnel. S’ils se souviennent de cette pensée-là, la musique quitte souvent leur esprit.” La chercheuse ajoute malicieusement qu’il suffit peut-être de se rappeler la règle d’or de la relation entre les hommes et les vers d’oreille : si on les soigne, les vers disparaissent en une journée ; sinon, ils partent en vingtquatre heures… Les scientifiques trouveront peutêtre un jour un vaccin contre les vers d’oreille. Il faudrait pour cela mieux comprendre les 1 % de personnes qui sont immunisées contre ce mal. Au fait, le sont-elles vraiment ? James Kellaris pense que “les personnes qui prétendent qu’elles n’ont jamais été obsédées par une chanson mentent ou ne s’en souviennent pas”. Vadim Prokhorov 825p51 bis 21/08/06 18:44 Page 51 multimédia i n t e l l i g e n c e s ● Images de guerre, guerre des images DÉONTOLOGIE Le récent conflit ■ au Liban a une nouvelle fois souligné les difficultés qu’ont les médias à assurer un traitement équilibré de l’information. Une tâche particulièrement ardue dans notre monde dominé par l’image. THE NEW YORK TIMES New York es guerres créent souvent des difficultés journalistiques. L’affaire des photographies truquées venues du Liban n’est qu’un aspect d’un problème bien plus vaste : celui du rôle des images dans la couverture d’un conflit. Beaucoup de médias américains ont énormément de mal à déterminer comment et dans quelle proportion ils doivent montrer des images de civils morts ou blessés, lorsque les pertes d’un camp sont largement supérieures à celles de l’autre. Le calcul est rendu d’autant plus difficile qu’il s’agit d’un conflit israélo-arabe, un sujet qui embarrasse les journalistes plus que tout autre, et que le Hezbollah, considéré comme une organisation terroriste par le gouvernement des Etats-Unis, y est impliqué. Un autre facteur vient compliquer leur choix, à savoir l’impact de la photographie et de l’image télévisuelle, qui ont un pouvoir d’évocation – et de provocation – que n’ont pas l’écrit ou l’oral. L L’ORIGINALITÉ ET LA PERTINENCE SONT PRIMORDIALES “Ce qui influence les gens, c’est l’image, fixe ou animée”, explique Jane Arraf, membre du Council on Foreign Relations [un think tank spécialisé dans les relations internationales] et ancienne chef du bureau de CNN à Bagdad. “Quand on n’est pas vraiment concentré ou intéressé par un sujet, ce qu’on retient, à la fin de la journée, ce sont des images très simples”, poursuitelle. Les journalistes et les directeurs des journaux, des magazines, des radios et des chaînes de télévision câblées disent n’imposer aucune règle d’équité dans la couverture du conflit. “Ce n’est pas un événement sportif, où il suffit d’additionner les points marqués par chaque équipe”, précise Jonathan Klein, président de CNN Etats-Unis. Mais ils se disent soucieux de maintenir un équilibre approximatif sur la durée. Et ils font tout particulièrement attention aux images, à cause de leur puissance. “Les photos sont plus difficiles à manier que les mots parce qu’une grande partie de leur contenu relève de l’émotion et parce qu’on ne peut pas y apporter de modifications”, estime Bill Keller, directeur de la rédaction du New York Times. Dans le traitement suivi d’un sujet comme le conflit israélo-libanais, ajoute Bill Keller, le journal fonde ses choix de photos sur un ensemble de facteurs, parmi lesquels la qualité de Dessin d’El Roto paru dans El País, Madrid. ■ “Time” Dans son édition américaine du 14 août, Time publie ces deux images qui montrent les conséquences de la guerre que se sont livrée l’armée israélienne et le Hezbollah. Accompagnées d’un texte très court, les deux photographies (à gauche, en Israël, à droite, au Liban) avaient pour but d’alerter l’opinion publique américaine sur ce conflit meurtrier. L’article commençait par une citation de l’ancien président américain Jimmy Carter selon laquelle “nous n’apprendrons jamais à vivre ensemble en paix si l’on ne cesse pas de tuer nos enfants”. l’image, son originalité et sa pertinence. “On ne se dit pas : ‘Hier, on a montré des morts libanais innocents, aujourd’hui il faut qu’on montre des morts israéliens innocents’, poursuitil. Mais on se donne pour objectif d’exposer à la longue toutes les conséquences de la guerre.” Pour David Friend, directeur artistique de Vanity Fair et ancien directeur de la photographie de Life, cet objectif est particulièrement difficile à atteindre avec des photos, parce qu’elles expriment mieux que tout autre support la force de situations dramatiques. “Dans un espace réduit, elles concentrent énormément de niveaux de sens”, explique Friend, dont le livre Watching theWorld Change :The Stories Behind the Images of 9/11 [Voir le monde changer : ce qu’il y a derrière les images du 11 septembre], vient de paraître aux EtatsUnis. “Elles sont l’équivalent artistique de la force atomique.Tant d’énergie dans un si petit espace ne peut qu’exploser.” Il y a deux semaines, le magazine Time illustrait un article intitulé “Unintended Targets” [Cibles accidentelles, voir ci-dessous] avec deux photos présentées côte à côte. A gauche, une petite fille en pleurs se cramponne à sa mère au service des urgences d’un hôpital israélien.Toutes deux ont été blessées par une roquette du Hezbollah. A droite, un paysage de sacs mortuaires après le bombardement d’un immeuble de Cana par les Israéliens. On distingue le cadavre d’un jeune garçon à travers un linceul en plastique. Bien qu’il ait toujours le souci de l’équité, nous a expliqué Richard Stengel, rédacteur en chef de Time, ce critère n’a pas été déterminant dans le choix des photos. “Si les photos sont côte à côte, c’est parce qu’il y a une sorte d’équilibre esthétique, et pas nécessairement idéologique. Ce qui est important, ici, ce n’est pas de prendre parti, mais de montrer la souffrance des gens des deux côtés”, précise-t-il. Pour Jon Banner, producteur exécutif de l’émission World News with Charles Gibson [L’actualité internationale avec Charles Gibson] sur la chaîne ABC, la complexité de la problématique et la puissance des images ont fait de ce dernier conflit l’événement le plus difficile à couvrir de l’histoire récente. La chaîne a diffusé la plupart du temps un sujet sur le Liban et un COURRIER INTERNATIONAL N° 825 51 autre sur Israël pour rendre compte des deux côtés de la guerre. D’aucuns voient cela comme un manquement au devoir journalistique. Pour certains contempteurs d’Israël, le nombre de morts et les dégâts matériels étant plus importants côté libanais, les sujets sur le Liban devraient être plus nombreux. Toute autre façon de faire trahirait un parti pris pro-israélien. Pour les partisans d’Israël, une telle approche met les deux camps sur un pied d’égalité morale pernicieux. Israël, estimentils, est un Etat démocratique qui exerce son droit à l’autodéfense, alors que le Hezbollah est une organisation terroriste qui utilise le peuple libanais comme bouclier humain. Les près de cinq semaines de combats qui ont précédé l’entrée en vigueur du cessez-le-feu négocié par les Nations unies ont fait plus de 1 000 morts au Liban, majoritairement des civils, et environ 150 en Israël, majoritairement des soldats. Avec de tels chiffres, accorder le même nombre de photos à chaque camp équivaut pour Jane Arraf à leur accorder “une équivalence morale erronée”. “La mort de centaines de civils n’égale pas vraiment la mort de dizaines de civils et de soldats”, estimet-elle. Mais, pour d’autres, cet argument occulte les véritables enjeux de cette guerre. “La règle de la proportionnalité n’a aucun sens dans un conflit de ce type”, DU 24 AU 30 AOÛT 2006 affirme Charles Johnson, qui a montré dans son blog Little Green Footballs [<littlegreenfootballs.com/web log>] qu’un photographe indépendant travaillant pour Reuters avait truqué ses clichés pour faire paraître les dégâts causés par les frappes israéliennes sur Beyrouth plus graves qu’ils ne l’étaient. Il pense que le Hezbollah n’a aucune morale et aucun scrupule à sacrifier des civils. C’est également l’avis de [l’expert militaire néoconservateur] Max Boot, membre du Council on Foreign Relations, pour qui “le Hezbollah est en train de gagner la guerre des images parce qu’on n’attire pas l’attention sur sa tactique immorale et excessive, sans parler de son objectif, qui est de rayer Israël de la carte”. DES RÉDACTEURS EN CHEF QUI NE CÈDENT PAS AUX PRESSIONS Aussi bien pour Max Boot, qui signe une chronique hebdomadaire dans le Los Angeles Times, que pour Victor Davis Hanson, chroniqueur et membre de la Hoover Institution [un think tank conservateur], les pertes civiles, si elles sont toujours regrettables, n’ont jamais été un critère pour juger si une guerre est juste ou non.Toujours selon eux, si pendant la Seconde Guerre mondiale les médias avaient publié photo sur photo de victimes allemandes et japonaises des bombardements alliés, cela n’aurait rien changé à la moralité de la cause. Davis Hanson considère que les images des souffrances des Libanais sont en supériorité numérique et voudrait un traitement plus équilibré. “Ce n’est pas ma faute si les Katioucha sont encore primitives et n’ont pas de charge nucléaire.” Les directeurs des médias, qui sont depuis longtemps blindés contre les récriminations des uns et des autres sur leur façon de traiter l’actualité du Proche-Orient, disent avoir évité de céder aux exigences des récriminateurs. “Ce qu’ils veulent, ce n’est pas que vous traitiez le sujet de façon équilibrée, affirme Bill Keller, mais que vous présentiez la guerre telle qu’ils la voient.” “Notre travail n’est pas de décider si un camp mérite plus d’attention ou moins que l’autre, ajoute Jon Banner, d’ABC. Notre travail est d’informer.” Lorne Manly 825p52-53 22/08/06 10:58 Page 52 voya ge ● ÉCOTOURISME AU GABON Gorilles et baleines au rendez-vous Bienvenue dans le parc de l’Ivindo, l’une des réserves naturelles où l’on peut observer la plus grande variété d’espèces animales. D (LA REPUBBLICA DELLE DONNE) Milan aillée dans un tronc d’okoumé, la pirogue glissait sur les eaux brunes de l’Ivindo. Les lampes à pétrole étaient allumées à l’arrière du bateau et mes chaussures de marche posées sur la proue. J’avais l’impression de voyager suspendu au-dessus de l’hyperespace vert sombre qui m’entourait. Les sons de la forêt étaient pareils à des murmures et le ciel disparaissait avec la rapidité de l’éclair. Dans cette région du monde, l’équateur, il faut avoir l’oreille fine et un œil de lynx. Ici, la nature est une tempête de détails infimes difficiles à déchiffrer. Si l’on passe son chemin, c’est tout un univers de perdu. Mais il faut du temps et de la patience et, comme toujours, nous étions pressés. Nous avons descendu le fleuve sur cinq autres milles avant de percevoir le fracas des chutes de Kongou, un ouragan de décibels aussi puissant qu’une averse sur les toits de tôle d’un bidonville. Le campement se trouvait juste de l’autre côté du dernier rapide précédant le grand saut. Nous avions quitté de bon matin le marché de Makokou, une ville sans charme du nord-est du Gabon, où nous étions arrivés de la capitale, Libreville, après une nuit de train et une journée de 4 x 4. Pour des raisons mystérieuses, il n’y avait aucun avion cette semaine-là ; nous avions donc été contraints de faire tous nos déplacements par voie terrestre. Mais nous étions enfin arrivés. Après avoir fait le plein de provisions (bières Regab, légumes, fruits frais, soupes déshydratées et une bouteille de gin pour combattre l’ennui et l’humidité de la forêt), nous avons rassemblé l’équipage à Loaloa, un petit village qui survit grâce à l’exploitation des bancs de sable du fleuve. Assis en équilibre instable sur ces coques de noix creusées à la main, nous avons ainsi franchi une douzaine de rapides. Dans les passages difficiles, les rameurs prenaient pied sur les rochers pour diriger les pirogues. Ce n’était pas vraiment dangereux, mais le fleuve était pratiquement à sec. Et il n’y avait pas d’autre moyen de parcourir les 40 kilomètres qui séparaient Makokou des chutes et du campement. Nos embarcations étaient de longues pirogues très fines, au fond presque plat, construites spécialement pour naviguer sur les eaux basses de la saison sèche. Mais il y avait tellement peu d’eau T Des éléphants sur les rives du fleuve Ogooué dans le parc de Loango. Les cascades de Kongou, un des hauts lieux du tourisme au Gabon. Reportage photo de Davide Scagliola/ANA que, par endroits, nos pirogues s’échouaient sur les galets. Toutes nos affaires étaient empilées à l’arrière ; les bateliers mettaient toute leur habileté à essayer de ne pas trop mouiller le matériel et les provisions. Nous aurions pu traverser à pied ces espaces tanniques, tout à la fois liquides et végétaux. Mais nous avions choisi de naviguer. L’entreprise n’était pas facile, mais nous avancions. La nuit nous accueillit autour d’un bon feu et d’une soupe de poisson épicée mijotant dans la marmite. Le grondement des chutes devenait soporifique – et le gin n’aidait nullement à nous tenir éveillés. D’épais nuages finissaient d’obscurcir le ciel au-dessus des frondaisons. Il ne nous restait plus qu’à nous blottir dans notre sac de couchage. Lorsqu’on se réveille en pleine forêt, on ne sait jamais quel temps il fait. La lueur du jour suffit à peine à éviter les serpents et à trouver le chemin des latrines. Le soleil ne pénètre jamais directement, il rebondit de branche en branche, diffusant une lumière gélatineuse. Encore tout ensommeillés, nous descendîmes à pied jusqu’aux chutes pour découvrir une nouvelle journée nuageuse de mousson. Nous nous baignâmes en compagnie de quelques garçons du village, tandis que Firmin, notre guide, et son jeune assistant jetaient leurs filets dans la lagune écumeuse. Ils s’occupaient du repas tandis que nous lavions le linge (qui ne sécha plus du tout jusqu’à notre arrivée à Libreville) tout en croquant des biscuits et en discutant de la façon de continuer à sauver la forêt primaire environnante des grandes compagnies forestières. Les deux principales ressources du Gabon sont le bois et le pétrole. Après la décolonisation et l’indépendance, obtenue en 1960, et avec l’arrivée des grandes compagnies pétrolières et forestières, l’économie du pays a changé très rapidement. Des flots de devises ont envahi les caisses de l’Etat, détériorant sensiblement les habitudes de travail des habitants. Ici, ce sont surtout des Camerounais, COURRIER INTERNATIONAL N° 825 52 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 des Congolais et des Guinéens qui effectuent les tâches les plus pénibles. Dans les hôtels et les restaurants, l’hospitalité et le service frôlent l’indifférence. Mais le pays possède tant de ressources et une telle diversité d’écosystèmes qu’il vaut la peine de débourser les sommes exorbitantes que demandent les compagnies aériennes – dans un régime de monopole – pour relier l’Europe au Gabon. En 2002, lors du Sommet de la Terre de Johannesburg, le président gabonais, Omar Bongo Ondimba, stupéfia ses collègues africains en déclarant que son pays avait l’intention de changer de cap en diminuant les quotas d’extraction de bois et en créant simultanément au moins treize nouveaux parcs nationaux. Les Etats-Unis, par l’intermédiaire de leur secrétaire d’Etat de l’époque, Colin Powell, promirent une aide de 50 millions de dollars. Même les compagnies forestières acceptèrent de se déplacer et quittèrent certaines zones désormais protégées pour s’installer quelques kilomètres plus loin et poursuivre l’abattage dans des zones moins sensibles. C’était mieux que rien, bien sûr. Plus de 11 % du territoire – presque 30 000 kilomètres carrés de forêt pluviale – ont été déclarés zones d’intérêt naturel mondial (seul le Costa Rica possède un pourcentage de territoire protégé aussi élevé). Sur le papier, il s’agissait d’une opération médiatique très réussie. En collaboration avec la Wildlife Conservation Society et d’autres associations de défense de l’environnement, on a pu établir les bornages et résoudre les conflits avec les sociétés forestières, qui disposaient de contrats en béton signés avant les décisions présidentielles. Cependant, si on y regarde de plus près, la situation est moins enthousiasmante. Pas un seul garde n’a encore été embauché par le parc de l’Ivindo. Les autorités n’exercent pratiquement aucun contrôle sur l’ensemble de son étendue. Et les compagnies forestières ne respectent guère les 825p52-53 22/08/06 10:59 Page 53 carnet de route Y ALLER ■ Air France dessert le Gabon au départ de Paris quatre fois par semaine (lundi, mercredi, vendredi et dimanche). Un billet d’avion aller-retour réservé dix jours à l’avance coûte environ 1 000 euros. Sur place, il est conseillé de se déplacer en taxi dans les villes ou de louer une voiture tout-terrain. Certains sites touristiques de l’intérieur du pays ne peuvent être atteints qu’en avion ou en pirogue. À SAVOIR ■ La monnaie utilisée dans le pays est le franc CFA, commun à la majorité des anciennes colonies françaises. Le taux de change est fixe (1 euro = 655 francs CFA). Les paiements par car te bancaire ne sont pas acceptés. Ne pas oublier de prévoir des produits antimoustiques ainsi que des médicaments préventifs contre le paludisme. limites des parcs. Il existe toutefois un certain nombre d’organismes, de fondations et d’associations qui font un vaste travail de sauvegarde et de recherche (WCS, Trust the Forest, WWF, Union européenne) et emploient du personnel local formé par eux. En somme, il s’agit d’un compromis qui a réussi à susciter un regain d’intérêt au niveau international, dont a également bénéficié le pays. Le voyage du naturaliste Mike Fay a participé à cette action. En 2002, il a été chargé par la revue National Geographic de traverser à pied une immense zone de l’Afrique centrale, entre Congo et Gabon. Ses articles pour la défense du patrimoine naturel de la région et ses photographies d’animaux en liberté dans ce qui ressemble à un dernier éden ont aidé les naturalistes à convaincre les politiques. Aujourd’hui, le Gabon rêve de devenir le Costa Rica de l’Afrique, la destination d’un écotourisme à très forte valeur ajoutée. Lorsqu’on voyage à travers le pays, on découvre une situation curieuse. Ainsi, grâce aux routes et aux pistes autrefois ouvertes par les bulldozers des sociétés forestières, on peut faire de l’écotourisme dans des régions très difficiles d’accès. Les routes ouvertes par les prospecteurs des compagnies pétrolières dans le sud du pays servent au même usage. Autrefois fléaux inévitables, ces routes permettent désormais de découvrir des parties de la forêt qui seraient autrement inaccessibles. Au milieu de Observatoire de la vie animale du parc de Langoué, d’où l’on peut apercevoir des éléphants, des buffles et des grands singes. 10° Est O CÉAN A T L A N T I QU E CAMEROUN PN de Minkébé GUINÉE ÉQUATORIALE Cap Estérias Makokou do Loa Loa Ivin Chutes de Kongou Libreville Equateur PortGentil Parc national de l’Ivindo Lambarené Lekoni G A B O N Ng Lagune de Rembo 200 km CONGO PN de Mayumba Franceville Plateaux Batéké ié Forêts Zones déforestées Parc nationaux (PN) Autres zones protégées oun Omboué Parc national du Petit Loango Iguéla Evengue Petit Loango Akaka 0 Bai de Langoué Sources : <http://gabonnationalparks.com/gnp-homefr>, service cartographique de l’ONU é Ogoou PN de Lopé la forêt, malgré la difficulté des déplacements et le manque de coopération des services administratifs, une poignée de voyageurs tentent de profiter des animaux et de la nature tout en donnant du travail à des communautés isolées. Après les journées humides des chutes de Kongou, j’ai voyagé avec Gustavo Gandini, cofondateur de Trust the Forest, jusqu’au bai (dans la langue des Pygmées, “clairière”) de Langoué, dans le parc de l’Ivindo. Partis sac au dos, nous avons dormi non loin du campement des chercheurs du WCS qui surveillent les mystérieuses clairières où se rendent éléphants, sitatungas (petites antilopes), buffles et gorilles de plaine. Pour la première fois de notre vie, nous avons fait l’expérience d’un safari immobile. Nous sommes restés quelques jours perchés sur une tour en bois pour regarder passer les animaux dix mètres sous nos pieds. Puis nous avons repris notre route vers le sud. Notre avion à hélice posa ses roues sur l’asphalte d’Omboué, un village entouré de savane. Opération Loango est la seule agence de voyages sérieuse qui s’occupe aujourd’hui des touristes au Gabon ; son directeur est un entrepreneur néerlandais qui a fait construire un bungalow et quelques camps fixes dans la région de Petit-Loango. Ses guides nous ont emmenés à pirogue jusqu’à Petit-Evengué, un îlot avec quelques baraques en bois, un centre d’accueil pour les gorilles et cette hospitalité agréable propre à l’Afrique australe. Loango est le seul endroit au monde où les gorilles côtoient les baleines, le seul endroit au monde où les éléphants de forêt descendent sur la plage et où les hippopotames se prélassent dans les vagues de l’océan. Le matin suivant, nous avons pris la péniche en aluminium de deux étages construite il y a quelques années par la National Geographic Society pour un reportage photographique, et avons navigué le reste de l’après-midi sur le canal d’Engowe. Les rives du fleuve étaient couvertes de papyrus d’un vert profond, entrecoupées de clairières de savane où viennent s’abreuver les animaux. Nous avons aperçu des éléphants, des buffles, des crocodiles, des potamochères (cochons sauvages de forêt), des pélicans, des grues et des martins-pêcheurs. Nous sommes arrivés au crépuscule, tandis que l’Akaka Camp étincelait de torches et de bougies au milieu de la fine brume. Les lampes à pétrole étaient posées sur la véranda au milieu des parfums d’herbe mouillée, de résines et de lis d’eau. Les arbres immenses, au bois précieux et dur comme l’acier – isombé, mékambo, wengé –, dressaient leurs ombres vers le ciel. Le camp était une oasis au milieu de la forêt stridulante. L’océan était à moins d’un tir de flèche. Nous nous sommes endormis comme des éléphants. Davide Scagliola COURRIER INTERNATIONAL N° 825 53 DU 24 AU 30 AOÛT 2006 OÙ DORMIR ■ La capitale, Libreville, ainsi que les capitales provinciales et certains sites touristiques disposent d’hôtels de qualité. Les prix varient entre 50 et 140 euros selon le standing de l’hôtel. En province, il faut prévoir environ 40 euros pour une nuit. Hôtels à Libreville : Méridien Ré Ndama (00 241 76 61 6) ; Equateur (00 241 72 55 46) ; Alizé (00 241 72 92 22). A Lambaréné : Ogooué Palace (00 241 58 18 64). Dans le parc de Loango : le Loango Lodge et le Lodge de Petit-Evengué. La majorité de ces hôtels ont un restaurant. À VOIR ■ Le parc naturel de Loango est le principal site touristique du pays. On y trouve 2 000 à 3 000 baleines à bosse, différentes espèces d’éléphants, des buffles, des hippopotames, une flore très diversifiée et plusieurs plages de sable blanc. Le projet Opération Loango propose depuis quelques années un hébergement sur place et une visite guidée du parc. Les parcs nationaux de Lopé, Mayumba et Minkébé sont également à visiter. Autres lieux à découvrir : le cap Estérias (à 23 kilomètres de Libreville), la lagune de Fernan Vaz (accessible depuis Port-Gentil, la capitale économique du pays) et le canyon Lekoni (situé sur les plateaux Batékés, dans l’est du pays). ■ Retrouvez tous nos Voyages sur courrierinternational.com 22/08/06 18:42 Page 54 insolites ● Cherche parfait inconnu pour acheter appartement en commun ate Eustace et Matt Schrimshaw, tous deux 31 ans, ont eu le coup de foudre. Pas l’un pour l’autre, mais pour un quatre-pièces à 245 000 livres [360 000 euros] à Clapham, dans le sud de Londres. “On ne s’en rend pas compte de l’extérieur, mais c’est très spacieux”, confie Kate, directrice commerciale. “La cuisine est très moderne et on envisage d’installer une terrasse sur le toit. Ça coûtera 1 500 livres de plus”, poursuit-elle. En sept mois, elle a appris à apprécier Matt, enseignant. “On n’a pas les mêmes horaires de travail et sa petite amie habite dans le quartier. C’est bien : c’est pratiquement comme si j’habitais seule. On se voit rarement, mais on s’entend bien. On est devenus bons copains. Quand j’ai dit à mes amis que j’allais acheter une maison avec quelqu’un que je ne connaissais pas, ils m’ont dit : ‘T’es folle ? C’est peut-être un dingue.’ Mais je ne l’aurais pas fait si je ne m’étais pas sentie en confiance avec lui.” Kate et Matt ne sont pas un cas isolé : de plus en plus de gens qui ne se connaissent ni d’Eve ni d’Adam achètent un appartement ensemble – ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que le coût moyen d’un logement représente huit fois le salaire annuel moyen. Kate et Matt ont beau avoir un salaire correct – respectivement 28 000 et 35 000 livres par an –, ils avaient du mal à trouver un logement à Battersea ou à Clapham. “Ça faisait dix ans que je louais ; ça me rendait malade d’enrichir mon propriétaire, se souvient Kate. Mais, à Battersea, le moindre studio coûte 140 000 livres. Et puis j’ai rencontré Matt : il était dans la même situation que moi. On s’est retrouvés un samedi pour faire le tour des agences. Geoff Crawford/Repor t Digital-Réa K Six semaines plus tard, on achetait cet appartement. Comme on ne se connaissait pas du tout, on a été très prudents. Contrairement à ce qui se passe dans un couple, où l’on pense pouvoir se faire confiance, on a fait dresser un contrat en bonne et due forme, en cas de mésentente. Je payais 550 livres de loyer par mois. Aujourd’hui, je rembourse 450 livres par mois pour l’emprunt et on met 100 livres chacun pour les charges. On est plutôt cool tous les deux, ce qui facilite les choses.” Depuis le mois de février, <sharedspaces.co.uk>, une sorte de club de rencontres en ligne, met en contact des gens cherchant un copropriétaire. Le site compte quelque 2 000 adhérents. “Veggie”, 30 ans, veut partager une maison dans l’est de Londres et a une sainte horreur des “pieds qui puent”. Shaun, un comptable de 42 ans, cherche “un beau mec bodybuildé pour partager une supermaison”. Les chiffres du Council of Mortgage Lenders sont éloquents : les primoaccédants étaient 364 300 seulement en 2005, contre 592 500 en 1999. Si leur âge moyen est de 29 ans, les membres du site <sharedspaces.co. uk> sont parfois plus âgés, comme Wendy, 63 ans, qui a passé l’annonce suivante : “Cherche à acheter à Liverpool, pratiquement dans tout quartier. Je dirige une petite agence immobilière et connais très bien le marché. Ne peux pas me permettre d’acheter seule.” Elle a peu de risques de tomber sur un tueur, souligne Richard Cohn, créateur de <sharedspaces.co.uk>. “La première chose à faire, c’est de contacter la personne par mail, puis, si le courant passe, de l’appeler et de la rencontrer.Vous pouvez vous fournir des relevés de comptes et un extrait de casier judiciaire. C’est plus sûr d’acheter avec un inconnu qu’avec l’âme sœur.Vous n’allez pas dire à votre copine :‘Et si on mettait tout ça dans un contrat ?’, c’est-à-dire un contrat stipulant quelle part de l’emprunt vous êtes chacun prêt à payer, ce qui se passe au cas où l’un voudrait vendre, etc. Avec un inconnu, on couche tout ça sur le papier.” Sarah Rollins, 26 ans, fonctionnaire, et Gemma Haplin, 22 ans, élève officier de l’armée de terre, auraient préféré ne jamais se rencontrer. Quand elles ont acheté leur duplex pour 134 000 livres à Newcastle, elles se connaissaient depuis vingt-quatre heures. On les a vues récemment se crêper le chignon sur la chaîne BBC3, dans l’émission WouldYou Buy a House With a Stranger ? [Achèteriez-vous une maison avec un inconnu ?] Gemma confiait : “C’est comme faire deux ans de prison. Mais c’est moi qui me suis mise dans ce pétrin : je ne peux m’en prendre qu’à moimême.” Nina Goswami et Ross Clark, The Daily Telegraph (extraits), Londres Défaite de la pensée L a révélation date de juillet, mais elle nous avait échappé. L’info faisait pourtant la une du quotidien camerounais Le Messager : Finkielkraut n’est pas un auteur du XVIIIe siècle, mais un contemporain – n’en déplaise aux correcteurs de l’épreuve de français du bac A4. La méprise a bouleversé les candidats camerounais, qui avaient à commenter un extrait de La Défaite de la pensée. Les correcteurs n’en démordent pas. Pour eux, le style et le ton de l’auteur n’ont rien à voir avec le XXe siècle : “Au regard des caractéristiques littéraires du texte telles que nous les enseignons, il renvoyait plutôt au siècle que nous avons indiqué.” Confiserie Du noir de noir. Avec 72 % de cacao – et de la psilocine, une substance hallucinogène considérée comme une drogue dure. La police néerlandaise a retrouvé plusieurs barres de ce type dans les poubelles de l’aéroport d’Amsterdam. Les policiers ont été alertés par un SDF, qui avait confondu leurs uniformes avec des robes de mariée après avoir ingurgité une tablette hallucinogène. Selon Rob Stenacker, porteparole de la gendarmerie, le chocolat aurait été jeté par des touristes qui n’osaient pas monter à bord avec un produit illicite. (Het Algemeen Dagblad, Rotterdam) Retour à l’envoyeur I ls venaient livrer un demandeur d’asile somalien expulsé de Belgique. Ils ont été arrêtés à leur arrivée au Somaliland, cet Etat autoproclamé qui a fait sécession de la Somalie en 1991. Motif : pas de visa, ni d’“accord pour livrer l’expulsé à cet endroit”. Les trois agents des services de l’immigration belge ont été retenus pendant trois jours à Hargeisa, la capitale. A leur arrivée à l’aéroport de Bruxelles-National, les policiers ont “utilisé une issue de service pour éviter tout commentaire à la presse”, indique Le Soir. Vue aérienne d’Hargeisa, capitale du Somaliland. La terre est moins basse pour les Polonais es agriculteurs allemands montent au créneau. Des milliers de tonnes d’asperges et de fraises ont pourri dans les champs parce que le gouvernement fédéral a réduit le recours aux ouvriers saisonniers étrangers, la plupart polonais. L’idée de les remplacer par des chômeurs allemands de longue durée a fait long feu : trop peu ont accepté ce dur labeur mal payé. Georg Schemmel, qui exploite 200 hectares près de Bad Salzuflen, envisage de porter plainte contre l’Agence fédérale pour l’emploi. “Quarante tonnes de fraises n’ont pu être récoltées à temps dans mes champs. Cela correspond à un dommage de 120 000 euros”, se plaint-il dans Bild. Sur les 47 chômeurs allemands envoyés par l’agence locale, seuls cinq auraient encore tenu le coup au-delà du quatrième jour. Pourtant, L l’agence avait promis à Schemmel des “forces capables spécialement sélectionnées”. Les chômeurs n’ont pas pu supporter la comparaison avec les saisonniers polonais aguerris : là où les Polonais récoltent en moyenne 100 kilos de fraises par jour, les Allemands sont arrivés au maximum à 40 kilos. Certains chômeurs ont même peiné à rendre un cageot de 5 kilos en fin de journée, maugrée le cultivateur. Sur les 40 000 chômeurs disposés à travailler dans les champs, combien ont effectivement participé à la récolte ? Côté Agence pour l’emploi, pas de statistiques. Certains journaux parlent de 5 000. Le Deutscher Bauernverband, la fédération des agriculteurs allemands, a de son côté interrogé 400 exploitants qui avaient fait des demandes pour 2 000 personnes au COURRIER INTERNATIONAL N° 825 54 total. Les agences en avaient promis 2 500, mais seuls 1 400 se sont présentés, dont 600 ont signé un contrat de travail. Et, parmi ceux-ci, près de 300 ont flanché au cours de la première semaine de travail. Gerd Sonnleitner, le président des cultivateurs allemands, exige que les anciens contingents de saisonniers étrangers soient rétablis, voire majorés l’an prochain. Or les autorités font la sourde oreille, elles veulent faire un nouvel essai en 2007. “Seuls un quart des paysans étaient prêts à employer des chômeurs”, dit son président. La solution est fort simple : pour s’en sortir, les agriculteurs vont réduire de 10 % les surfaces cultivées pour faire une bonne récolte… avec les Polonais disponibles. Marcel Linden, La Libre Belgique (extraits), Bruxelles DU 24 AU 30 AOÛT 2006 Brian McMorrow 825p54