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Cadre de Développement
de la Stratégie Nationale de Protection
Sociale en Côte d’Ivoire
Tome 1
Etat des lieux, Défis et Perspectives de
Renforcement de la Protection Sociale
....................
Janvier 2012
CADRE DE DEVELOPPEMENT
DE LA STRATEGIE NATIONALE
DE PROTECTION SOCIALE
EN COTE D’IVOIRE
Tome 1
Etat des Lieux, Défis et Perspectives de
Renforcement de la Protection Sociale
Janvier 2012
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Avant-propos / Avis aux lecteurs
Cette étude a été conduite entre juin et décembre 2011 par une équipe d’Oxford Policy
Management (OPM) composée de Anthony Hoges, Cécile Cherrier, Auguste Blibolo et Francois
Aka Bedia, sous la direction d’un Comité de Pilotage interministériel, avec l’appui financier
du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF). Les auteurs sont très reconnaissants de
l’appui apporté par les divers ministères concernés, qui leur ont accordé des entretiens et qui
ont mis à leur disposition la documentation et les données statistiques utilisées dans cette étude.
Les auteurs remercient aussi tous les participants aux deux ateliers nationaux qui ont eu lieu en
août et décembre 2011 dans le cadre de cette étape prélinaire de réflexion et d’analyse si
importante pour assurer le bien-fondé des orientations stratégiques du dispositif futur de
protection sociale dans le pays.
I
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Table des matières
Sigles et acronymes
V
Préface
IX
Résumé exécutif
XI
1
1.1 1.2 2
2.1 2.2 Introduction
Contexte et objectif
Méthodologie et structure du rapport
1
1
2
Cadre analytique : conceptualisation de la protection sociale
Fondements conceptuels
Les instruments de la protection sociale
3
3
5
3
3.1
3.2 Profil de la vulnérabilité et des risques en Côte d’Ivoire
L es risques et chocs
Les sources de vulnérabilité
9
9
15
4
4.1 4.2 4.3
4.4 4.5 4.6 4.7 Programmes existants et défis de renforcement de la protection sociale
La protection sociale informelle
L’assurance sociale
Les transferts sociaux
Les programmes à haute intensité de main d’oeuvre (HIMO) et la promotion de l’emploi
Les services d’action sociale La protection sociale dans le secteur de l’éducation L a protection sociale et l’accès aux services de santé 28
28
30
35
40
43
51
57
5
5.1 5.2 5.3 Contexte politique, institutionnel et financier pour le renforcement
de la protection sociale
Le cadre politique
L’architecture institutionnel et la capacité administrative
Le financement de la protection sociale
66
66
68
74
6
6.1 6.2 6.3 6.4 6.5 6.6 6.7 Perspectives de renforcement de la protection sociale
La future Stratégie Nationale de Protection Sociale
Un rôle plus large pour la protection sociale non contributive
Le rôle potentiel des transferts sociaux monétaires et
des programmes de travaux publics à HIMO
Le renforcement des services d’action sociale
Les mesures de promotion de l’accès de tous à l’enseignement
Mesures pour assurer un accès abordable et équitable aux services de santé
Le renforcement du cadre institutionnel, des capacités
administratives et du financement de la protection sociale
Bibliographie et annexes
Annexe A Liste des personnes rencontrées
Annexe B Dépenses publiques de protection sociale
Tableau b.1 Dépenses publiques courantes de protection sociale (hors personnel) :
exécution, 2008-2010 (FCFA)
III
78
78
80
80
82
83
84
85
89
96
99
99
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
LISTE DES ENCADRÉS, FIGURES ET TABLEAUX
Liste des encadrés
Encadré 3.1
Encadré 4.1
Encadré 4.2
Encadré 4.3
Encadré 4.4
Encadré 4.5
Encadré 4.6
Encadré 5.1
Encadré 5.2
La vulnérabilité accentuée de l’enfant sans cadre familial protecteur Le droit coutumier et la protection de l’enfant
Les subventions croisées dans le secteur de l’eau potable : protègent-elles
les plus pauvres en pratique ?
Les projets pilotes de transferts en espèces
Quelques expériences prometteuses dans la lutte contre les VBG
L’expérience prometteuse des Comités de Veille et de Protection des Enfants
Le dossier technique de l’AMU était-il bien conçu ?
Les services spécialisés dans le développement du jeune enfant
Les Centres Sociaux du MEMEASS
24
28
36
37
47
48
63
70
71
Liste des figures
Figure 3.1
Figure 3.2
Figure 3.3
Figure 4.1
Figure 4.2
Figure 4.3
Figure 4.4
Chocs économiques et politiques, croissance du PIB et incidence de pauvreté,
1985-2011
Dépenses moyennes par tête et par an selon les déciles de consommation
(FCFA), 2002 et 2008
Risques selon le cycle de la vie
Disparités des taux d’accès et d’achèvement scolaire selon le genre,
le milieu de résidence et le niveau de richesse, 2006
Dépenses de santé par sources de financement (%), 2008
Dépenses catastrophiques par quintile de richesse, 2008
Utilisation des services sanitaires publics, mai 2010 et mai 2011
10
11
22
52
59
61
65
Liste des tableaux
Tableau 3.1
Tableau 3.2
Tableau 3.3
Tableau 3.4
Tableau 3.5
Tableau 3.6
Tableau 3.7
Tableau 4.1
Tableau 4.2
Tableau 4.3
Tableau 4.4
Tableau 5.1
Tableau 5.2 Tableau 5.3
Taux de pauvreté (%) selon les sources d’eau, les types d’assainissement et
les types de consultations médicales, 2008
Risques sociaux par quintile de bien-être économique, 2006
Pauvreté monétaire et risques sociaux par milieu de résidence (%)
Indicateurs de pauvreté monétaire par régions (%), 2008
Risques sociaux par région (%), 2006
Distribution de la population par groupe d’âge et décile de consommation, 2008
Disparités filles/garçons dans le système d’enseignement (%), 2009
Répartition des dépenses selon les catégories d’assurés de la CNPS, 2010
Les mutuelles professionnelles
Activités du CNLVFE, 2000-2011
Couverture des cantines scolaires, 2009
Dépenses courantes de protection sociale (hors personnel), 2009-2010
Cadre macro économique et budgétaire
Programmation des investissements de protection sociale, 2010-2012
IV
17
18
19
21
21
23
25
32
35
46
54
75
76
77
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
SIGLES ET ACRONYMES
ACF
Action Contre la Faim
ACTED
Agence d’Aide à la Coopération Technique et au Développement
AFJCI
Association des Femmes Juristes de Côte d’Ivoire
AGEFOP
Agence Nationale de la Formation Professionnelle
AGEPE
Agence d’Etudes et de Promotion de l’Emploi du MEMEASS
AGEROUTE
Agence de Gestion Routière
AGR
Activités génératrices de revenus
AMU
Assurance Maladie Universelle
ARV
Antirétroviral
BIT
Bureau International du Travail
BNI
Banque Nationale d’Investissement
CDMT
Cadre des Dépenses à Moyen Terme
CEDEAO
Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest
CEPE
Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires
CES
Centre d’Education Spécialisée
CFC
Contribution financière communautaire
CGRAE
Caisse Générale de Retraite des Agents de l’Etat CNAM
Caisse Nationale d’Assurance-Maladie
CNLTEE
Comité National de Lutte contre l’Exploitation et la Traite des Enfants
CNLVFE
Comité National de Lutte contre les Violences faites aux Femmes et aux Enfants
CNPS
Caisse Nationale de Prévoyance Sociale CNO
Centre, Nord et Ouest
CNS
Comptes nationaux de la santé
COFOGClassification des Fonctions des Administrations Publiques (« Classification of the
Functions of Government »)
COGES
Comité de Gestion
CPPE
Centre de Protection de la Petite Enfance
CS
Centre Social
CSA
Caisse Sociale Agricole
CSB+
mélange maïs-soja enrichi (« Corn Soya Blend Plus »)
CSE
Complexe Socio Educatif
DANIDAAgence Danoise pour le Développement International (« Danish International
Development Agency »)
DEPG
Direction de l’Egalité et de la Promotion du Genre du MFFE
DGT
Direction Générale du Travail du MEMEASS
DIJE
Développement intégré du jeune enfant
DMOSS
Direction de la Mutualité et des Œuvres Sociales en Milieu Scolaire du MEN
DPS
Direction de la Protection Sociale du MEMEASS
DREN
Direction Régionale de l’Education Nationale
DSRP
Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté
DTS
Dépenses totales de santé
EDSCI
Enquête Démographique et de Santé de Côte d’Ivoire
EIS
Enquête sur les Indicateurs du SIDA
ENV
Enquête sur le Niveau de Vie des ménages
ESCOM
Etablissement sanitaire communautaire
ESPC
Etablissement sanitaire de premier contact
FCFA
Franc de la Communauté Financière Africaine
FMI
Fonds Monétaire International
FNAMU
Fonds National de l’AMU
V
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
FNUAP
Fonds des Nations Unies pour la Population
FPM
Fonds de Prévoyance Militaire
FPPN
Fonds de Prévoyance de la Police Nationale
FSE-THIMOFonds de Soutien à l’Emploi par les Travaux d’Utilité Publique à Haute Intensité de Main
d’œuvre
GAVIAlliance Globale pour les Vaccins et l’Immunisation (« Global Alliance for Vaccines and
Immunization »)
GIZCoopération allemande (« Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit »)
HCR
Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies
HIMO
Haute intensité de main d’œuvre
ICI
Initiative Internationale sur le Cacao (« International Cocoa Initiative »)
IFEF
Institution de Formation et d’Education Féminine
IM2S
Institut de Formation aux Métiers de la Sécurité Sociale
INFS
Institut National de Formation Sociale
IPECProgramme International pour l’Abolition du Travail des Enfants (« International
Programme on the Elimination of Child Labour »)
IRA
Infection respiratoire aiguë
IRC
Comité International de Secours (« International Rescue Committee »)
IST
Infection sexuellement transmissible
LEAPProgramme de renforcement des moyens de subsistance contre la pauvreté au Ghana
(« Livelihood Empowerment Against Poverty »)
LTTE
Lutte contre la Traite et les Pires Formes de Travail des Enfants
LUTRENAProjet Sous Régional de Lutte contre la Traite des Enfants en Afrique de l’Ouest et du Centre
MAG
Malnutrition aiguë globale
MEMEASSMinistère d’Etat, Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la
Solidarité
MEN
Ministère de l’Education Nationale
MFFE
Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant
MGF
Mutilation génitale féminine
MICSEnquête par Grappes à Indicateurs Multiples (« Multiple Indicator Cluster Survey »)
MUGEFCI
Mutuelle Générale des Fonctionnaires de Côte d’Ivoire
NHISSystème national d’assurance maladie du Ghana (« National Health Insurance System »)
OEV
Orphelins et autres Enfants Vulnérables
OIM
Organisation Internationale pour la Migration
OMD
Objectifs du Millénaire pour le Développement
OMS
Organisation Mondiale de la Santé
ONG
Organisation Non Gouvernementale
OPM
Oxford Policy Management
PAE
Programme d’Aide à l’Embauche
PAM
Programme Alimentaire Mondial
PAPC
Projet d’Assistance Post-Conflit
PAPCS
Programme d’Appui à la Pérennisation des Cantines Scolaires
PDI
Personnes déplacées internes
PDM
Questionnaire de suivi Post-Distribution
PEPFARPlan d’urgence du président américain pour la lutte contre le SIDA (« U.S. President’s
Emergency Plan for AIDS Relief »)
PEV
Programme Elargi de Vaccination
PIB
Produit intérieur brut
PIP
Programme d’Investissements Publics
PIPCS
Programme Intégré de Pérennisation des Cantines Scolaires
PME
Petites et moyennes entreprises
VI
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
PNDS
Plan National de Développement Sanitaire
PN-OEVProgramme National de Prise en Charge des Orphelins et autres Enfants rendus
Vulnérables du fait du VIH/SIDA
PVVIH
Personnes vivant avec le VIH/SIDA
PRODIGE
Programme de Développement des Initiatives Génératrices de Revenus
PSNPProgramme de filets de sécurité productifs en Ethiopie (« Productive Safety Net
Programme »)
PSP
Pharmacie de Santé Publique
PTF
Partenaires techniques et financiers
RESEN
Rapport du Système Educatif National
SALTE
Service Autonome de la Lutte contre le Travail des Enfants
SICGD
Système intégré de collecte et de gestion de données
SMART
Standardized Monitoring and Assessment of Relief and Transitions
SMIG
Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti
SODECI
Société de Distribution d’Eau de la Côte d’Ivoire
SSTE
Système de Suivi du Travail des Enfants
TTC
Toutes taxes comprises
UA
Union Africaine
UEMOA
Union Economique et Monétique de l’Afrique de l’Ouest
UNICEF
Fonds des Nations Unies pour l’Enfance
UNIFEM
Fonds de Développement des Nations Unies pour la Femme
USDOS
Département Américain des Affaires Etrangères (« U.S. Department of State »)
USDOL
Département américain du travail (« U.S. Department of Labour »)
VBG
Violences basées sur le genre
VIH/SIDA
Virus d’immunodéficience humaine / syndrome d’immunodéficience acquise
WACAPProjet de lutte contre le travail des enfants dans le secteur du cacao et de l’agriculture
commercial en Afrique de l’Ouest (« West Africa Cocoa/Commercial Agriculture Project »)
VII
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
PRÉFACE
Les chocs économiques, sociaux et politiques qui ont touché la Côte d’Ivoire ces trente dernières
années ont eu un impact majeur sur le bien-être de la population ivoirienne. Le taux de ménages pauvres
a quadruplé entre 1985 et 2008, et les ménages déjà pauvres se sont encore appauvris. Les déficits
en matière d’accès aux services essentiels tels que la santé et l’éducation se sont accrus, le
phénomène de malnutrition s’est aggravé, et la participation à la vie économique des individus s’est
affaiblie. Les inégalités se sont amplifiées, risquant de porter atteinte à une cohésion sociale déjà fragile.
Pour surmonter ces défis multiples, la Côte d’Ivoire reconnait le potentiel que la protection sociale
représente : permettre à l’ensemble de la population de mieux faire face aux risques et aux chocs, faire en
sorte que les personnes pauvres et vulnérables surmontent les obstacles qui les empêchent d’accéder
aux services essentiels et contribuer à améliorer leurs conditions de vie et à accroître leur productivité.
Les enfants qui n’ont pas été éduqués, qui ont été exposés à la malnutrition, ou qui ont un accès
très limité aux soins de santé ne pourront pas bénéficier du développement physique, mental et
émotionnel normal dont aura besoin la Côte d’Ivoire pour atteindre son objectif de pays émergent.
Investir dans la protection sociale, c’est contribuer à améliorer la productivité globale de la Nation
et le bien-être général de la population en favorisant l’éducation des populations, en améliorant
durablement leur santé et en élargissant leurs opportunités d’investir dans leur capital humain.
Par ses effets positifs sur la réduction de la pauvreté et des inégalités, une politique efficace de
protection sociale contribue également à réduire les sources de tension sociale et de conflit.
Ce faisant, elle stimule l’environnement requis pour une accélération des investissements nécessaires
à la relance rapide de l’économie, et assure une croissance plus favorable aux personnes pauvres
et vulnérables.
Fort de ce constat, la Côte d’Ivoire souhaite s’engager dans le développement progressif d’un
système de protection sociale intégré répondant aux besoins, priorités et ressources du pays.
Pour ce faire, le Gouvernement envisage la formulation d’une stratégie de protection sociale pour
doter le pays d’un cadre global pour l’orientation des programmes, la formulation de mesures idoines
et une mise en œuvre efficiente.
Ce processus s’appuiera sur le travail d’analyse présenté dans ce rapport en deux volets, sous l’intitulé
Cadre de développement de la stratégie nationale de protection sociale en Côte d’Ivoire, ainsi que
sur d’autres analyses en cours de réalisation, notamment en ce qui concerne les mesures envisagées
pour améliorer l’accès des populations aux soins de santé.
La présente étude propose aux acteurs engagés dans ce processus un état des lieux de la situation
actuelle en protection sociale, un examen des déficits, des perspectives de renforcement ainsi
qu’une analyse comparée de différentes options de transferts sociaux monétaires pouvant contribuer
à ériger un dispositif de protection sociale plus adéquat aux besoins des couches les plus pauvres
de la population ivoirienne. Elle vise à aider au processus de prise de décision, notamment par
la priorisation des choix stratégiques et opérationnels qui seraient les plus pertinents et efficaces.
En s’engageant dans cette initiative, le Gouvernement et l’UNICEF ont l’intime conviction - qu’en dépit
d’un espace sociétal fragilisé par des années de crise et d’un contexte économique et financier
difficile - l’environnement en Côte d’Ivoire ouvre de réelles opportunités pour progressivement mettre
en place un socle de protection sociale et assurer la solidarité nationale indispensable pour corriger
les inégalités sociales, réduire la haute vulnérabilité des populations, consolider la paix sociale et
garantir le succès de la relance économique.
Gilbert Koné KAFANA
Ministre d’Etat, Ministre de l’Emploi,
des Affaires Sociales et de la Solidarité
IX
Hervé Ludovic De Lys
Représentant Résident UNICEF
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Résumé exécutif
Contexte et objectif de l’étude
A la suite de presque trois décennies de chocs économiques et plus d’une décennie de
crises politiques, la Côte d’Ivoire se trouve dans une situation sociale extrêmement précaire.
Dès son investiture, le nouveau gouvernement a donné une forte priorité à la réduction de la
vulnérabilité des populations. Depuis juin 2011, le Gouvernement de Côte d’Ivoire coordonne,
à travers un Comité de Pilotage intersectoriel, un processus devant conduire à l’élaboration de la
Stratégie Nationale de Protection Sociale. Cette étude prétend fournir des éléments de base
pour l’élaboration de la Stratégie Nationale de Protection Sociale. Le présent rapport dresse
le profil de la vulnérabilité en Côte d’Ivoire, évalue les mécanismes existants de protection sociale
ainsi que leurs paramètres politiques, institutionnels et financiers, et analyse les perspectives de
renforcement de la protection sociale.
Cadre conceptuel
L’étude est basée sur la notion que la protection sociale vise à réduire la vulnérabilité des
populations aux risques et l’impact des chocs, à éviter l’emploi de stratégies d’adaptation
néfastes et à garantir des niveaux minimums de dignité humaine. La protection sociale va ainsi
au-delà d’une simple « protection » dans le sens passif du terme pour englober également la
« prévention » des risques et la « promotion » des capacités des ménages et des individus les plus
vulnérables à travers le renforcement de leur capital humain et productif.
Profil de la vulnérabilité et des risques
Les populations ont été frappées par une série de chocs, surtout économiques (depuis 30
ans) et politiques (depuis plus de 10 ans), et leur vulnérabilité économique a été fortement
amplifiée, réduisant la capacité des ménages à gérer les risques. Non seulement l’incidence de
pauvreté a presque quadruplé entre 1985 et 2008, passant de 10% en 1985 à 49% en 2008, mais
la profondeur et la sévérité de pauvreté se sont aussi aggravées. Ce drame humain s’est accentué
davantage suite à la crise postélectorale, qui a conduit à la paralysie de l’économie et au déplacement
de centaines de milliers de personnes.
Les pauvres sont beaucoup plus nombreux en milieu rural, dans les zones du nord et de
l’ouest et dans le secteur agricole informel. Les ménages de plus grande taille et dont les chefs
sont handicapés ou analphabètes ont aussi des probabilités plus élevées d’être pauvres.
La plupart des risques sociaux affectent davantage les plus pauvres. Par exemple, le risque
de mortalité infanto-juvénile est 1,5 fois plus élevé dans les deux premiers quintiles que dans le
cinquième quintile (le plus riche). Les risques de malnutrition restent à des niveaux élevés dans les
trois premiers quintiles, diminuant plus abruptement à partir du quatrième quintile. Les enfants les
plus pauvres sont plus souvent malades que les enfants les plus riches et ont une probabilité
beaucoup plus faible de recevoir un traitement approprié. Dans le cas du paludisme, qui constitue
la première cause de mortalité infanto-juvénile, seulement 20% des enfants du premier quintile
reçoivent des médicaments antipaludéens, environ la moitié de la proportion dans le cinquième
quintile (41%). Moins de 30% des femmes du premier quintile accouchent dans des établissements
sanitaires ou avec assistance qualifiée, tandis que ces taux dépassent 90% dans le cinquième
quintile.
Vu sous l’angle du cycle de la vie, les enfants sont particulièrement vulnérables. Leur fragilité
physique, surtout pendant la petite enfance, menace la survie dans un contexte de pauvreté,
de conditions de vie insalubres et de faible accès aux services sanitaires. Un enfant sur huit meurt
avant l’âge de 5 ans et ce risque est plus élevé pour les enfants des ménages les plus pauvres,
ainsi que pour ceux qui vivent en milieu rural et dans quelques régions du nord et de l’ouest.
XI
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Pour les enfants d’âge scolaire, le risque de ne pas fréquenter l’école est majeur : environ 30% pour
l’inscription à la première classe du primaire (CP1) et encore plus élevé pour les enfants du premier
quintile.
La vulnérabilité est accentuée chez les enfants qui vivent sans cadre familial protecteur.
Il s’agit non seulement des enfants de la rue, des enfants dans les prisons et d’autres enfants vivant
complètement hors d’un cadre familial, mais aussi des enfants (beaucoup plus nombreux) qui vivent
dans un cadre familial mais qui sont exposés à de forts risques de maltraitance.
Pour les jeunes, notamment en milieu urbain, le chômage est un des risques les plus importants, en plus de ceux du VIH/SIDA et d es infections sexuellement transmissibles.
Les personnes âgées, bien que peu nombreuses, sont sujettes à des risques accrus de
réduction de revenu, de maladies et de handicaps, et se trouvent souvent avec peu de soutien
familial, voire même exposées à des abus et à la perte de leurs biens, notamment dans le cas
des veuves dans les ethnies matrilinéaires.
Les personnes qui vivent avec un handicap représentent un autre groupe parmi les plus
vulnérables, souffrant de toute une série de discriminations, allant des barrières d’accès à
l’enseignement et à l’emploi jusqu’aux contraintes à leur pleine participation dans la vie sociale et
culturelle. Les maladies chroniques, telles que le SIDA et la tuberculose, rendent les ménages plus
vulnérables, diminuant leur capacité productive et augmentant leurs besoins médicaux, mais la
prévalence du VIH est paradoxalement plus élevée dans les quintiles plus aisés de la population,
rendant la relation entre cette maladie et la vulnérabilité plus nuancée.
Les relations de genre sont un autre facteur de vulnérabilité à ne pas ignorer. La subordination
de la femme, la division traditionnelle du travail, les discriminations et le lourd fardeau du rôle
reproductif de la femme mettent les femmes dans une situation globalement désavantageuse par
rapport aux hommes et les rendent plus vulnérables à toute une série de risques : la non-scolarisation ou l’abandon scolaire, les discriminations dans l’emploi, l’excision, les violences conjugales, les
abus sexuels et l’exploitation sexuelle. Les mariages et grossesses précoces amplifient les risques
plus larges associés à la santé reproductive, y compris ceux de mortalité maternelle, qui restent
élevés.
Situation existante, défis et perspectives de renforcement de la
protection sociale
Protection sociale informelle
Les mécanismes informels apparaissent prédominants dans le système de protection, mais
ne sont pas bien adaptés aux chocs à large échelle et semblent de plus en plus affaiblis par
les migrations, les déplacements, l’urbanisation et la modernisation.
Assurance sociale
La protection sociale est largement limitée à sa branche contributive, c’est-à-dire à l’assurance
sociale, mais celle-ci a une couverture très faible et un impact minime en matière de protection
de la population générale contre les risques sociaux. A peine 6% de la population vit dans un
ménage ayant au moins une personne bénéficiaire de pensions de retraite ou d’autres régimes
d’assurance. Les deux caisses de sécurité sociale, la CGRAE et la CNPS, ne couvrent qu’une
minorité de la population liée au secteur formel de l’économie. Qui plus est, elles sont en situation de
déséquilibre financier, ce qui met en péril leur pérennité et requiert des réformes pour assurer leur
survie. La CGRAE nécessite notamment des subventions coûteuses de la part du gouvernement.
L’assurance maladie est limitée au secteur public (à travers la MUGEFCI et d’autres « mutuelles »
paraétatiques) et aux plus grandes entreprises du secteur privé (à travers l’assurance privée ou leurs
propres centres de santé).
XII
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
L’expansion de l’assurance sociale sans système de subventionnement semble ne pas être
une piste viable de renforcement de la protection sociale des plus vulnérables, compte tenu
des contraintes de la faible capacité contributive des ménages pauvres et des difficultés
administratives énormes de gestion de cotisations dans le secteur informel, où le prélèvement à la
source est quasi impossible.
Transferts sociaux
Un rôle beaucoup plus important devrait être accordé à la protection sociale non contributive,
qui est actuellement très peu développée. Les aides sociales aux indigents n’existent pratiquement
plus et la Côte d’Ivoire n’a pas encore développé de programmes de transferts sociaux réguliers et à
large échelle comme les allocations familiales, les pensions sociales de vieillesse ou les transferts en
espèces pour ménages très pauvres. D’autres types de transferts (en nature) existent, tels que l’aide
humanitaire (principalement alimentaire), des appuis aux OEV et, dans le secteur de l’éducation,
les cantines scolaires, les bourses et les kits scolaires.
Un programme de transferts en espèces à large échelle aurait des impacts importants sur la
réduction de la pauvreté. Une analyse conduite en parallèle à cette étude (Tome 2, une première
analyse du rôle, de l’impact, des coûts et de la faisabilité de diverses options de programmes
de transferts sociaux monétaires) a montré que la mise en œuvre d’un programme de transferts
ciblés au premier quintile de consommation de la population pourrait réduire l’écart de pauvreté
de 22% pour les ménages bénéficiaires et de 16% au niveau de l’ensemble de la population, tout
en stimulant des augmentations de la scolarisation et de l’utilisation des services de santé par les
enfants dans les ménages les plus pauvres. L’analyse a souligné néanmoins quelques défis majeurs
pour une éventuelle mise en œuvre : les difficultés de ciblage, le besoin de mobiliser des ressources
importantes (1,8% du PIB), et la nécessité de renforcer les capacités du système de l’action sociale.
Les travaux publics à haute intensité de main d’œuvre (HIMO) sont un autre type de
transfert, conditionné sur le travail. La Côte d’Ivoire a des expériences à petite échelle de travaux
publics à haute intensité de main d’œuvre. Deux institutions nationales sont impliquées dans des
programmes de ce type, en partenariat avec les collectivités locales. Il s’agit de l’Agence d’Etudes et
de Promotion de l’Emploi et de l’Agence de Gestion Routière, mais le nombre d’emplois créés
reste très réduit par rapport à l’ampleur du chômage. L’analyse a mis en relief les impacts potentiellement importants d’un programme HIMO mis en œuvre à grande échelle, qui embaucherait près
de 700 000 chômeurs âgés de 18 à 39 ans pendant cinq mois de l’année au niveau du SMIG.
Sous les hypothèses retenues, ce programme aurait un impact fort sur l’écart de pauvreté au niveau
des ménages bénéficiaires (‑23%) et un impact moyen sur l’écart de pauvreté au niveau de l’ensemble
de la population (‑15%), en plus des impacts à long terme des travaux réalisés. Pour réduire les coûts
d’un tel programme (2,7% du PIB) et les besoins en capacité administrative (de gestion d’un grand
nombre de projets de travaux publics), l’étude a suggéré un programme moins ambitieux dans
le court à moyen terme.
Services d’action sociale
Dans l’ensemble, ces services bénéficient à une frange limitée des nombreuses familles
et individus vivant dans une situation à haut risque. Ces services sont très faibles pour de
nombreuses raisons, parmi lesquelles : la diversité des types de risques ; le grand nombre d’acteurs
étatiques et non étatiques engagés (centres sociaux du ministère chargé des affaires sociales,
services sociaux d’autres ministères et des collectivités locales, ONG et confessions religieuses) ;
l’absence de cadre politique cohérent pour orienter et prioriser les actions ; le faible niveau de
coordination inter et intra sectorielle ; l’insuffisance des ressources financières ; la dépendance
à l’aide extérieure ; et les difficultés à assurer la pérennisation des programmes et projets.
On trouve donc un grand nombre de petits projets éparpillés, mal coordonnés et limités dans le
temps et dans l’espace.
XIII
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Les services existants semblent largement orientés vers un nombre réduit de problèmes
spécifiques en raison des incitations du financement extérieur. L’aide des partenaires
techniques et financiers (PTF) est concentrée de manière déséquilibrée sur des programmes
cloisonnés en faveur des OEV (dans le cadre d’un programme conçu de manière étroite et
restrictive pour prendre en compte uniquement les enfants rendus vulnérables en raison du
VIH/SIDA), sur le travail des enfants dans les plantations de cacao et de café, et sur les violences
basées sur le genre (VBG).
Il convient de repenser le système de l’action sociale, de le doter d’un cadre politique
clair et de renforcer les capacités à la base afin qu’il puisse s’acquitter au mieux de
son important mandat. Il est primordial de développer un cadre politique clair, au sein de
la Stratégie Nationale de Protection Sociale, qui établisse sur la base des évidences du terrain
(et des enquêtes nationales) des priorités nationales, tout en laissant une marge de manœuvre
importante (appuyé par l’octroi de ressources) au niveau des directions régionales des affaires
sociales et surtout aux Centres Sociaux pour répondre de manière flexible aux besoins locaux.
Les Centres Sociaux devraient bénéficier de travailleurs sociaux mieux formés, d’une meilleure
autonomie budgétaire ainsi que d’un plus grand pouvoir décisionnel. Leur répartition sur le territoire
national devrait également être améliorée pour couvrir mieux le milieu rural et les régions
(notamment dans le Nord) où les risques et les vulnérabilités sont les plus graves.
Dès à présent, un important travail de renforcement du système d’accréditation, d’inspection
et de référencement doit être entrepris, compte tenu du fait que nombre de structures d’action
sociale (des orphelinats et des centres d’hébergement temporaire par exemple) ne répond pas aux
normes nationales (et internationales) en vigueur.
De nouvelles approches doivent être envisagées pour relever le défi de l’animation sociale et
renouer le lien entre travailleurs sociaux et communautés. Afin de remplir leur mission d’animation
communautaire, de détection et d’assistance aux plus vulnérables, les services sociaux doivent
également s’engager dans des stratégies visant au changement des normes sociales (par exemple,
pour la lutte contre l’excision, le travail des enfants, la dépossession des veuves dans les ethnies
matrilinéaires, etc.), en utilisant des méthodes de communication et sensibilisation au niveau
communautaire.
Protection sociale dans le secteur de l’éducation
L’accès à l’école est marqué par de fortes inégalités, surtout selon le niveau de richesse
familiale. Le système éducatif ivoirien est l’un des moins équitables d’Afrique. Les disparités selon
le niveau de richesse sont plus importantes que celles selon le lieu de résidence, ou le genre,
bien que celles-ci soient aussi importantes. Le taux d’accès au primaire des enfants du premier
quintile n’est que de 51%, par rapport à 89% pour les enfants du cinquième quintile et ces disparités
augmentent selon la classe, malgré l’abolition des frais d’inscription depuis 2001 et d’autres
initiatives comme les cantines scolaires et la distribution de kits scolaires.
Les mesures de réduction des barrières financières à l’accès devraient jouer un rôle critique
en complément des mesures d’amélioration de l’offre et de la qualité de l’enseignement.
Des mesures de cette nature sont envisagées dans le Plan d’Actions à Moyen Terme
du Secteur de l’Education 2012-2014, basées sur un ciblage géographique qui favorise les enfants
dans les zones où les taux de pauvreté, de malnutrition et de non scolarisation sont les plus
importants. Le ciblage géographique peut se justifier à court terme par un manque de ressources,
mais à long terme une approche universelle semble plus cohérente avec le principe de l’accès
gratuit et universel à l’enseignement et le fait que le facteur économique est plus déterminant
que la région de résidence (on trouve des enfants vulnérables sur toute l’étendue du territoire
même s’ils sont plus concentrés dans certaines zones).
XIV
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
En premier lieu, il est nécessaire de rendre l’enseignement primaire effectivement gratuit.
Ceci requiert des réformes dans les procédures d’exécution budgétaire pour mettre fin à la situation
actuelle de décaissement tardif et incomplet des subventions aux COGES des écoles primaires,
qui laisse les écoles privées de fonds de fonctionnement et les incite à continuer à imposer des
cotisations informelles aux familles.
Deuxièmement, les évidences de l’impact des cantines scolaires sur la scolarisation et la
rétention des élèves justifient l’expansion de celles-ci. Il s’agit d’élargir éventuellement la
couverture à toutes les écoles (la moitié des écoles primaires publiques sont actuellement
impliquées), d’augmenter la prestation des repas pour couvrir tous les jours de l’année scolaire,
et de supprimer le prélèvement de 25 FCFA par repas.
Troisièmement, d’autres mesures, telle que la suppression des obstacles à la scolarisation
liés à l’état civil, devraient jouer un rôle complémentaire. Il faut assurer que les directeurs des
écoles appliquent la directive du Ministère de l’Education Nationale de ne plus faire obstacle
à l’inscription des enfants au CP1 pour défaut d’extraits d’acte de naissance, tout en faisant
les investissements nécessaires pour renforcer et rendre plus accessible le système d’état civil.
Finalement, la restauration du port obligatoire de la tenue scolaire en septembre 2011 semble
un pas rétrograde qui risque de renforcer les barrières d’accès pour les enfants les plus pauvres.
Protection sociale et l’accès aux services de santé
L’abandon de la gratuité des services sanitaires à la suite de la crise économique des
années 80 a eu de graves retombées sur l’accès des populations aux soins. Le recouvrement
des coûts s’est généralisé en 1994 dans tous les établissements publics de santé et est resté en
vigueur jusqu’à la déclaration de la gratuité exceptionnelle des services sanitaires publics d’avril
2011 à la fin du conflit postélectoral. Quelques rares cas de gratuité, financés essentiellement
par l’aide extérieure, avaient fait exception à la règle : les vaccinations lors des campagnes PEV,
le traitement de la tuberculose, le traitement antirétroviral des malades du SIDA (depuis 2008)
et la prise en charge médicale des OEV du fait du VIH/SIDA et de leurs familles. Il y a eu aussi
un système d’exemptions des frais médicaux en faveur des indigents, mais limité dans la pratique
à un nombre très réduit de patients dans les hôpitaux d’Abidjan. Le facteur coût, ainsi que
la distance (en milieu rural) et la faible qualité des services font que les taux d’utilisation des
services sanitaires publics sont parmi les plus faibles d’Afrique de l’Ouest. Les taux de
traitement des maladies chez les enfants, notamment pour le paludisme, et les taux
d’accouchement en établissements sanitaires sont particulièrement faibles dans le premier quintile.
Le financement de la santé s’est reposé principalement sur les dépenses des ménages.
Les Comptes Nationaux de la Santé montrent une répartition très régressive des dépenses
de santé, où les ménages dépensent quatre fois plus que ne le fait l’Etat. Les dépenses publiques
de santé sont parmi les plus faibles dans la région ouest africaine (0,9% du PIB en 2008) et
sont affectées principalement au niveau tertiaire du système. La faiblesse du financement public,
surtout au niveau primaire, limite énormément le potentiel rôle de l’Etat dans la redistribution des
dépenses de santé des plus riches vers les plus pauvres.
Le faible niveau de mutualisation des risques maladie fait que la quasi-totalité des dépenses
de santé des ménages est effectuée directement au moment de la prestation de services.
Moins de 4% de ces dépenses sont prépayées (à travers l’assurance maladie). Selon l’ENV 2008,
18% des ménages subissent des dépenses « catastrophiques » supérieures à 40% des dépenses
non-alimentaires. La mise en place d’un système d’assurance maladie universelle (AMU), promulguée
en 2001, n’a pas pu aboutir dans la pratique.
La gratuité de tous les services sanitaires, décidée en avril 2011, a conduit à une forte
augmentation de la demande que le système de santé a eu du mal à gérer en raison du
manque de préparation préalable. Introduite à titre exceptionnel pour faire face à la situation
XV
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
de précarité générale qui prévalait à la fin de la crise postélectorale, la gratuité généralisée était
censée durer 45 jours mais a été prorogée jusqu’au mois de janvier 2012. Le personnel a été
surchargé et les ruptures de médicaments se sont aggravées. La gratuité généralisée remet en
cause ses propres gains en matière d’amélioration de l’accès des populations aux soins
si des mesures d’accompagnement ne sont pas rapidement mises en place : le renforcement
du financement du système, la résolution des problèmes d’approvisionnement des médicaments,
et le renforcement des ressources humaines.
Il est urgent d’adopter une politique cohérente et réaliste pour assurer l’accessibilité
financière aux soins, surtout aux plus vulnérables : les enfants de moins de 5 ans et
les femmes enceintes. La première version du texte de la nouvelle Politique Nationale de Santé
énonce comme une de ses priorités celle d’ « améliorer l’accessibilité financière et l’utilisation des
services de santé » mais ne clarifie pas comment le faire. Le passage d’une exemption généralisée
à une approche d’exemption ciblée du paiement des soins visant les parturientes et les enfants
de moins de cinq ans devrait constituer une porte d’entrée à la reforme plus globale du système
de santé pour progressivement tendre vers un système universel. La gratuité devrait s’intégrer à
terme dans une stratégie de Couverture Maladie Universelle (CMU) plus large, qui inclue des
modalités d’exemption ciblée, un paquet subventionné pour les pauvres, et un mécanisme
d’assurance maladie contributif qui prend en compte les caractéristiques du pays, y compris le large
secteur informel et la faible capacité contributive des personnes pauvres et vulnerables. Un tel
contexte nécessite ainsi de fortes subventions étatiques, comme au Ghana, pour réduire les
inégalités d’accès à l’assurance. Même si l’assurance est retenue comme une des composantes
d’une stratégie de financement de la santé, elle devrait être accompagnée par la gratuité des
services les plus critiques, notamment pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes
enceintes en vue de réduire les taux élevés de mortalité infanto-juvénile et maternelle. Ces mesures
de gratuité ciblée devraient être accompagnées par des mesures de renforcement du financement,
de l’approvisionnement en médicaments et des ressources humaines pour assurer le bon fonctionnement du système. Il est de plus crucial de mener une réflexion technique conjointe entre les
différents acteurs engagés et de s’accorder sur une feuille de route adaptée pour la formulation
et la mise en œuvre de la stratégie de CMU intégrée, qui inclue les leçons initiales du premier
modèle d’exemption ciblée.
Cadre politique, institutionnel et financier pour le renforcement de la
protection sociale
La Stratégie de Relance du Développement et de Réduction de la Pauvreté (SRDRP),
adoptée en 2009, a donné une place importante à la protection sociale, mais ses
engagements sont restés vagues et sans financement adéquat. La stratégie a pris position
pour « étendre la protection sociale à l’ensemble de la population, et singulièrement aux couches
les plus vulnérables » (RCI, 2009a). Mais la nature vague de la plupart des engagements
traduit le fait qu’il n’y avait pas de cadre politique cohérent de la protection sociale avec des
priorités claires, liées à l’octroi des ressources à travers la planification budgétaire à moyen terme.
C’est le besoin de relever ce défi qui justifie le processus actuellement en cours d’élaboration
de la Stratégie Nationale de Protection Sociale.
Le système de protection sociale est caractérisé par une faible coordination intersectorielle
et interinstitutionnelle, une forte centralisation et la nature verticale des principaux
programmes. Différents ministères, ainsi que les collectivités locales et de nombreuses ONG,
interviennent dans le domaine de la protection sociale mais leur coordination demeure limitée,
conduisant ainsi à des approches sectorielles et cloisonnées et engendrant des chevauchements
dans les mandats et les activités des diverses structures de base. En outre, le processus de
prise de décision dans le domaine de la protection sociale reste encore très centralisé, laissant
peu d’autonomie aux structures de base. Toutes les décisions, que ce soit par rapport aux
stratégies, plans d’actions, personnel, budget, ou même pour l’approbation de demandes de
secours social, sont prises au niveau central. Faute de cadre politique et de moyens, les activités
XVI
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
des structures de base sont en pratique largement influencées par les PTF à travers des
programmes verticaux qui ne répondent pas toujours aux problèmes les plus prioritaires des
populations.
Il conviendra d’adopter une approche de programmation plus systémique et d’améliorer
la coordination intersectorielle et interinstitutionnelle. L’adoption de la Stratégie Nationale de
Protection Sociale devrait fournir le cadre nécessaire pour orienter les actions des divers
intervenants de manière plus cohérente, harmonisée et efficace au niveau national. On devrait
envisager l’établissement d’un cadre de concertation et de coordination, pour le suivi de
la mise en œuvre de la Stratégie Nationale de Protection Sociale. Il est de plus souhaitable
qu’une certaine stabilité institutionnelle soit assurée à l’avenir et que les mandats des différentes
structures de base soient revisités en fonction des avantages comparatifs de chacune, pour
éviter les chevauchements actuels.
L’absence de système de gestion de l’information et de suivi-évaluation constitue
actuellement un handicap dans l’élaboration et la gestion des politiques publiques et dans
la gestion des bénéficiaires de l’action sociale. Le défi est celui de développer le système
intégré de collecte et de gestion de données (SICGD) actuellement envisagé par le
MEMEASS. Tout en commençant par les programmes directement sous l’égide du Ministère
chargé des Affaires Sociales, ce système devrait s’élargir progressivement pour devenir un
système de gestion multisectoriel. Ce système de gestion d’information devrait permettre la
saisie et le suivi de données sur les bénéficiaires individuels des programmes et interventions,
incluant par exemple les informations obtenues par les travailleurs sociaux lors d’enquêtes
sociales, les informations sur leur inscription dans des programmes spécifiques (par exemple
de transferts sociaux) et les informations sur les mesures complémentaires d’accompagnement.
Il faudra renforcer la formation et améliorer la répartition géographique des ressources
humaines. L’existence d’un grand nombre de travailleurs sociaux qualifiés constitue un atout
du système de protection sociale, mais ceux-ci sont fortement concentrés à Abidjan et les
programmes de formation souffrent de quelques faiblesses. L’INFS devrait renforcer ses formations
initiales, former des cadres supérieurs et offrir des formations courtes de recyclage.
Mise à part les subventions à la CGRAE et les bourses d’études, la protection sociale reçoit
actuellement une part faible des dépenses publiques. Ces dépenses sont gonflées par les
subventions effectuées par l’Etat à la CGRAE pour combler ses déficits. Ces subventions, qui
peuvent difficilement être considérées comme de « véritables » dépenses de protection sociale
(au profit des couches vulnérables de la population) représentent la moitié des dépenses courantes
de protection sociale (hors personnel). En excluant ces subventions, ainsi que les bourses
d’études, qui sont principalement au niveau de l’enseignement supérieur, l’ensemble des autres
volets de la protection sociale n’ont reçu que 3,7% des dépenses courantes hors personnel en
2010. Par ailleurs, seulement 3,9% des dépenses programmées dans le cadre du Programme
d’Investissements Publics 2010-2012 ont été attribuées aux projets de protection sociale.
Bien que limité à court terme, l’ « espace budgétaire » potentiel pour une expansion des dépenses
publiques de protection sociale devrait augmenter à partir de 2012. La relance de l’activité
économique est déjà en cours et le FMI prévoit un rebond économique important en 2012.
A long terme, l’espace budgétaire pour une expansion durable du financement de la protection
sociale devrait venir de la croissance des recettes fiscales et de l’amélioration de l’efficacité des
dépenses par rapport aux priorités politiques. Un fort accent sur la réduction de la vulnérabilité
des populations devrait favoriser une augmentation de la part des dépenses de protection
sociale en vue d’accroître le niveau de consommation des ménages, améliorer l’accès aux
services sociaux et stimuler une croissance inclusive afin de réduire la pauvreté et accélérer
le progrès vers les OMD. Même au sein des dépenses dites de protection sociale, il y a des
opportunités pour atteindre une meilleure efficacité, notamment à travers la réaffectation des
ressources actuellement consacrées au subventionnement de la CGRAE.
XVII
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
1Introduction
1.1Contexte et objectif
A la suite de presque trois décennies de chocs économiques et d’une décennie de crises
politiques, la Côte d’Ivoire se trouve dans une situation sociale extrêmement précaire. Même
avant la crise postélectorale de 2010-2011, l’incidence de la pauvreté avait augmenté, passant de
10% en 1985 à 49% en 2008 (MEMPD/INS, 2008). Ce drame humain s’est aggravé davantage en
conséquence directe des évènements qui ont suivi les élections de 2010 et qui ont conduit à la
paralysie de l’économie et au déplacement de centaines de milliers de personnes.
Bien que la situation se soit stabilisée depuis l’investiture du nouveau gouvernement en mai 2011,
permettant le retour progressif des populations déplacées à leurs lieux d’origine et une reprise
graduelle des activités économiques, la Côte d’Ivoire doit faire face aux défis du retour à la croissance
et du combat à long terme contre la pauvreté. Entretemps, une large partie de la population risque
de se trouver piégée dans une situation de haute vulnérabilité chronique sans moyens à court terme
de s’en sortir, compte tenu de l’affaiblissement des mécanismes traditionnels d’entraide informelle (et
de leur insuffisance pour faire face à l’ampleur des chocs subis) et de l’absence de mécanismes
efficaces de protection sociale.
Au niveau international, la protection sociale est devenue de plus en plus en vue dans les
politiques de développement, notamment dans les documents de stratégies de réduction de la
pauvreté (DSRP) et dans la réponse à la triple crise alimentaire, énergétique et financière qui a frappé
l’économie mondiale de 2008 à 2009. En avril 2009, le Système des Nations Unies a proposé un
« socle de protection sociale » comme une des composantes de la réponse à la crise mondiale et
a demandé à chaque pays de définir son propre socle pour sauvegarder les revenus des couches
les plus vulnérables et pour assurer l’accès des populations aux services essentiels (ONU, 2009).
L’Union Africaine a également pris position en adoptant le « Cadre de Politique Sociale Africaine »
(UA, 2008) lors de sa conférence des Ministres chargés du développement social, tenue à
Windhoek, Namibie, en octobre 2008. Cette politique, qui a été ratifiée par le Comité Exécutif des
Chefs d’État réuni à Addis-Abeba en janvier 2009, note l’émergence d’un consensus sur l’idée d’un
« ensemble minimum de protection sociale essentielle » et affirme que « la protection sociale doit
constituer une obligation de l’État » avec des dispositions y afférentes dans la législation nationale,
les plans de développement national et les DSRP.
Plusieurs pays africains se sont dotés de stratégies ou politiques nationales de protection
sociale. C’est le cas, par exemple, du Cap-Vert, du Ghana, du Mali, du Niger et du Sénégal en
Afrique de l’Ouest. En outre, presque tous les DSRP en Afrique accordent une place importante à
la protection sociale, parfois en y consacrant un de leurs « axes ». La Côte d’Ivoire n’est pas restée
en marge de ce mouvement d’engagement en faveur du renforcement de la protection sociale, bien
que les dispositifs actuels de protection sociale soient de portée très réduite.
Dès son investiture, le nouveau gouvernement a donné une forte priorité à la réduction de
la vulnérabilité des populations. Même avant la crise postélectorale, le Ministère du Plan et
du Développement avait proposé, mi-2010, l’élaboration d’une stratégie nationale de protection
sociale. Devant se baser sur une analyse approfondie des vulnérabilités et des risques, et d’une
réflexion conjointe de tous les acteurs concernés sur les options de renforcement et d’expansion
du système de protection sociale, la stratégie viserait le renforcement des capacités des couches
les plus démunies de la population afin de leur permettre de sortir de leur situation fragilisée. A cette
fin, le bureau de l’UNICEF en Côte d’Ivoire, dans le cadre de son programme de coopération avec
le gouvernement de la Côte d’Ivoire, a contracté une équipe d’experts d’Oxford Policy Management
(OPM) pour entreprendre les analyses préalables.
1
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
1.2Méthodologie et structure du rapport
Prévus initialement en 2010, mais reportés en raison de la crise postélectorale, les travaux ont
été reprogrammés pour se dérouler de juin à décembre 2011. L’équipe de consultants a entamé
les premiers échanges avec les ministères du Gouvernement, l’UNICEF et d’autres acteurs en juin
2011, donnant lieu à un rapport de démarrage (OPM, 2011a). Le Ministère d’Etat, Ministère du Plan
et du Développement a ensuite établi un Comité de Pilotage, comprenant des représentants
de tous les ministères les plus concernés par la protection sociale, en août 2011, en vue
d’orienter les travaux de la présente étude et les préparatifs de l’élaboration de la Stratégie
Nationale de Protection Sociale. Un atelier de renforcement des connaissances a eu lieu à
Abidjan les 24 et 25 août 2011 (MEMPD, 2011).
Concernant la méthodologie retenue, les analyses ont porté sur le dispositif existant de
protection sociale, les paramètres politiques, institutionnels et de financement de la protection
sociale et les perspectives de renforcement de la protection sociale. Ces analyses constituent
une étape préliminaire à l’étude de la faisabilité d’expansion de la protection sociale et des options
de politique présentées dans la tome 2 de cette publication (Une première analyse du rôle et de
l’impact, des coûts et de la faisabilité de diverses options de programmes de transferts sociaux
monétaires). En effet, l’etude de la faisabilite d’expansion suppose une bonne connaissance des
besoins prioritaires d’expansion, ce qui exige tout d’abord qu’un profil de la vulnérabilité et des
risques en Côte d’Ivoire soit dressé. C’est à ce profil que le système de protection sociale est censé
donner une réponse et il est donc crucial de commencer par l’analyse de ces besoins et ensuite
d’évaluer le degré d’adéquation des mécanismes de protection sociale existants. Les conclusions
de ces analyses de base permettent de cerner les faiblesses du système existant et ainsi
d’identifier les options de politique les plus pertinentes pour son élargissement et son renforcement.
L’analyse de la faisabilité d’expansion de la protection sociale requiert aussi l’analyse de l’existant,
tout en évaluant les opportunités de renforcement des capacités. Cette analyse s’est penchée
surtout sur le cadre politique, le niveau et la composition du financement de la protection sociale,
l’architecture institutionnelle, les capacités administratives et les ressources humaines.
L’équipe d’experts a employé des méthodes mixtes de recherche. L’étude a requis à la fois
la revue documentaire, des entretiens avec les principaux acteurs concernés par la protection
sociale et des analyses quantitatives et qualitatives. Les documents consultés se trouvent dans
la bibliographie à la fin du rapport. Des entretiens ont eu lieu avec un grand nombre d’officiels des
ministères et d’autres institutions étatiques, organisations de la société civile et partenaires
techniques et financiers. La liste des personnes rencontrées se trouve dans l’Annexe A.
Les analyses quantitatives sont basées principalement sur les rapports et les bases de
données des enquêtes nationales auprès des ménages, notamment l’Enquête sur le Niveau
de Vie des ménages (ENV) de 2008 et l’Enquête par Grappes à Indicateurs Multiples (MICS) de
2006, ainsi que les données administratives des ministères et les statistiques démographiques,
économiques et de finances publiques.
La structure du rapport. Après cette introduction, le Chapitre 2 présente un cadre conceptuel
pour l’analyse de la protection sociale. Le Chapitre 3 analyse la nature et le degré de vulnérabilité
de différentes couches de la population et les types de risques auxquels elles sont exposées.
Le Chapitre 4 analyse le système actuel de protection sociale, afin d’évaluer son adéquation au
profil de la vulnérabilité et des risques décrit dans le chapitre précédent. Le Chapitre 5 analyse
les paramètres politiques, institutionnels et financiers de l’expansion de la protection sociale,
mettant en exergue les contraintes actuelles et les besoins et opportunités de renforcement
des capacités institutionnelles et des ressources financières. Le Chapitre 6 évalue les perspectives
de renforcement de la protection sociale, sur la base des analyses des chapitres précédents,
en vue d’orienter l’analyse des options de politique dans la deuxième phase des travaux.
2
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
2Cadre analytique :
conceptualisation de la protection sociale
Avant de passer en revue les enjeux de la protection sociale en Côte d’Ivoire dans les Chapitres
suivants, il convient d’exposer tout d’abord ce que nous entendons par « protection sociale ».
La première partie de ce chapitre présente les fondements conceptuels de la protection sociale,
tandis que la deuxième partie anlyse de plus près les différentes composantes contributives et non
contributives de la protection sociale.
2.1 Fondements conceptuels
2.1.1 Risque, vulnérabilité et capacité
Les notions de risque, vulnérabilité et capacité sous-tendent l’idée de protection sociale.
La protection sociale est généralement vue comme l’ensemble des mesures publiques ou à but
non lucratif qui visent à réduire la vulnérabilité des populations aux risques et l’impact des chocs,
éviter l’emploi de stratégies d’adaptation néfastes et garantir des niveaux minimums de dignité
humaine.
La notion de risque est de plus en plus comprise d’une manière ample, englobant toutes sortes
de risques de nature économique, politique, sanitaire, socioculturelle ou environnementale qui est
nuisible au bien-être et aux droits des individus (ODI et UNICEF, 2009a). Il est utile de distinguer
deux grandes classes de risques : les risques idiosyncratiques, qui touchent des ménages ou des
personnes individuellement (par exemple une maladie ou le chômage) ; et les risques covariants, tels
que les chocs économiques, climatiques ou politiques qui affectent l’ensemble d’une communauté,
d’une région ou d’un pays. La nature des risques détermine la pertinence des divers outils de la
protection sociale (voir ci-dessous), appliqués individuellement ou en combinaison. Il est important
également de prendre conscience que ces outils ne peuvent pas faire face seuls à certains types
de risques, surtout ceux de nature covariante, qui requièrent aussi des actions à d’autres niveaux,
par exemple une bonne gestion de l’économie, des mesures de protection environnementale ou
des actions de prévention, gestion et résolution de conflits.
Deux concepts connexes sont ceux de la vulnérabilité aux risques et de la capacité de gérer
les risques. La notion de « groupes vulnérables », très répandue dans les conceptualisations de la
protection sociale, tient son importance du fait que la vulnérabilité aux risques est accentuée chez
certaines catégories de la population. En effet, les degrés de vulnérabilité varient selon la situation
économique des ménages (niveau de revenus, épargne, biens, propriété foncière, bétail, etc.), la
résidence (zones géographiques et milieux rural et urbain), le cycle de la vie (petite enfance, âge
scolaire, adolescence, âge adulte et troisième âge), le genre, les handicaps et l’état de santé, les
niveaux de connaissances ou d’instruction des individus et les relations sociales, notamment dans
les sociétés marquées par des problèmes d’exclusion ou de discrimination sociales. Souvent ces
facteurs de vulnérabilité se renforcent mutuellement, créant des handicaps doubles ou multiples.
Il y a une relation inverse entre la vulnérabilité et la capacité à gérer les risques. Selon Rousseau
(2003), cette relation peut se traduire par la formule suivante :
vulnérabilité =
risque
capacité
Un individu ou un ménage aura un niveau de vulnérabilité plus faible si, face aux mêmes risques,
son stock de capacités lui permet de mieux résister aux chocs. En revanche, son niveau de
vulnérabilité sera plus élevé si son stock de capacités est trop faible pour lui permettre de réaliser
les ajustements nécessaires pour protéger son bien-être.
3
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
2.1.2 Pauvreté, vulnérabilité et capacités
La relation entre pauvreté, vulnérabilité et capacités mérite une attention particulière. Le
manque de ressources fait de sorte que le ménage pauvre est mal placé pour gérer les risques.
Par exemple, il peut ne pas réussir à envoyer ses enfants au centre de santé en cas de maladie dû
au fait qu’il n’a pas les moyens nécessaires pour payer les frais de consultation (ou de transport)
ou d’acheter les médicaments, ou il peut être contraint à diminuer son capital productif afin de
trouver les moyens de payer les soins. En cas de catastrophe naturelle ou choc économique, le
ménage peut se trouver sans moyens suffisants (épargne, assurance, accès au crédit) pour gérer
les conséquences du choc et se voir obligé de recourir à des stratégies d’adaptation qui lui sont
néfastes à long terme, telles que la vente de biens productifs et le retrait des enfants de l’école, ce
qui implique le désinvestissement en capital productif et capital humain. Le ménage devient ainsi
encore moins productif et peut passer en dessous ou s’écarter davantage du seuil de pauvreté.
Une autre caractéristique importante de la vulnérabilité économique est un état d’aversion au risque,
qui peut bloquer les petits investissements nécessaires pour améliorer la productivité et le bien-être
à long terme.
2.1.3La protection sociale vue sous l’angle de la « promotion » des capacités
L’importance donnée aux capacités est à la base de la conceptualisation moderne de la
protection sociale qui va au-delà d’une simple « protection » des groupes défavorisés, dans le
sens passif ou réactif du terme, pour mettre un accent fort sur la « prévention » des risques (ou de
la vulnérabilité aux risques) et surtout sur la notion de « promotion » des ménages ou des individus
en situation de haute vulnérabilité à travers le renforcement de leurs capacités en capital humain
et en capital productif, afin qu’ils puissent se prendre en charge et sortir de leur situation de
pauvreté et de vulnérabilité sur une base durable. Quelques auteurs (par exemple, Devereux et
Sabates-Wheeler, 2004) vont plus loin pour mettre en relief le potentiel « transformatif » de certaines
mesures de protection sociale qui renforcent les capacités des pauvres et s’adressent aux
contraintes structurelles de la discrimination et de l’exclusion sociale.
Cette vision signifie que le renforcement de la protection sociale n’est pas seulement un impératif
pour la protection des couches pauvres et vulnérables contre l’impact des chocs exogènes et
pour éviter le passage des non pauvres en dessous du seuil de pauvreté. En permettant aux
ménages défavorisés de cumuler des biens productifs, d’améliorer leur productivité, d’accéder aux
services sociaux de base et d’investir dans leurs enfants, les politiques et programmes de protection
sociale sont aussi des composantes essentielles de stratégies à long terme pour lutter contre la
pauvreté chronique, stimuler la croissance économique et assurer l’atteinte des Objectifs du Millénaire
pour le Développement (OMD). C’est dans cette perspective que l’Union Africaine a reconnu que
« la protection sociale a des impacts positifs multiples sur les économies nationales et est essentielle
pour créer le capital humain, rompre le cycle de pauvreté intergénérationnelle et réduire les inégalités
croissantes qui handicapent le développement économique et social de l’Afrique » (UA, 2008).
2.1.4 La vision « promotionnelle » de la protection sociale des enfants
Les enfants sont plus vulnérables que les adultes, et des actions de protection sociale
qui ciblent les enfants ont des impacts à long terme sur le développement humain et la
réduction de la pauvreté. La vulnérabilité accentuée chez l’enfant est une conséquence directe
de son immaturité physique et psychosociale, surtout pendant la petite enfance, étape du cycle
de la vie pendant laquelle les risques de non-survie sont particulièrement élevés dans les pays
les moins développés. Les enjeux de la protection de l’enfant deviennent encore plus sérieux
dans le cas des enfants qui vivent en dehors d’un cadre familial sain, exposés à des risques
élevés de maltraitance, négligence et abus. Dans ces cas, des mesures de protection spécialisée
sont souvent requises. De manière plus large, des mesures de protection sociale qui renforcent la
capacité des ménages à assurer une nutrition adéquate, l’accès à l’eau potable, des conditions
de logement et d’assainissement adéquates et l’accès aux services de santé et d’enseignement
sont primordiales pour assurer la survie et le développement de l’enfant.
4
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
En outre, ces mesures peuvent être vues non seulement comme moyen de protéger les droits de
l’enfant à court terme, mais aussi comme moyen d’assurer l’investissement des ménages dans
les capacités de leurs enfants. Le développement du capital humain qui en résulte joue un rôle
clé dans la rupture du cycle de la pauvreté chronique, contribuant ainsi à rompre la transmission
intergénérationnelle de la pauvreté. A terme, c’est le capital humain et productif de toute la nation
qui s’en trouve amélioré.
2.2Les instruments de la protection sociale
Transversale par sa nature, la protection sociale moderne inclut une large gamme de mesures
ou instruments (politiques, lois, programmes, transferts, services, etc.). Ces outils sont censés
compléter les mécanismes traditionnels ou informels de protection sociale, basés sur les notions
de solidarité et d’entraide, qui sont ancrés dans les cultures africaines mais qui s’affaiblissent dans
l’évolution actuelle des sociétés africaines (urbanisation, économie capitaliste et mutations du mode
de vie et des obligations familiales), ils sont jugés inadéquats pour faire face aux risques courants
dans les sociétés modernes. Les frontières de la protection sociale sont floues, mais il convient
d’inclure au moins les volets suivants, qui sont tous pertinents à la finalité de la protection sociale :
l’assurance sociale, les transferts sociaux et les services sociaux d’appui aux groupes vulnérables,
ces deux derniers constituant ce qu’on appelle souvent l’assistance sociale.
2.2.1 Assurance sociale
L’assurance sociale, qui est de nature contributive, ne couvre qu’une petite minorité de la
population dans le secteur formel dans la plupart des pays africains. Basée sur la notion
de partage et de réduction de risques (de maladie, chômage, vieillesse, décès, accidents, etc.),
elle est souvent liée à l’emploi dans le secteur formel, à travers le paiement de cotisations par
les employés (sous forme de prélèvement à la source) et/ou par leurs employeurs, bien qu’elle
puisse aussi (avec quelques difficultés pratiques) être élargie au secteur informel, notamment
dans le cas de quelques systèmes nationaux d’assurance maladie. Dans la plupart des pays
africains, l’assurance sociale se limite essentiellement aux régimes de sécurité sociale destinés
aux employés de la fonction publique et aux entreprises privées et parapubliques du secteur
formel de l’économie, qui, avec les personnes à leur charge, constituent rarement plus de
10 à 15% de la population (ODI et UNICEF, 2009a) - environ 10% dans le cas de la Côte d’Ivoire.
L’écrasante majorité de la population et notamment ceux qui sont parmi les plus pauvres et
vulnérables s’en trouvent exclus.
Comme moyen alternatif d’étendre l’assurance, en particulier l’assurance maladie, à la population
exerçant ses activités dans le secteur informel, des mutuelles sociales qui bénéficient d’un
cadre règlementaire au niveau de l’UEMOA ont été établies sur une base communautaire ou
professionnelle dans beaucoup de pays africains, mais elles ont rarement atteint une couverture
de plus de 2 à 4% de la population, comme au Mali et au Sénégal (ODI et UNICEF, 2009b).
Quelques gouvernements ont tenté d’établir des systèmes nationaux d’assurance maladie
(étendue au secteur informel) en vue de faciliter l’accès de leurs populations aux soins de
santé et de réduire les taux élevés de mortalité infanto-juvénile et maternelle (OMD 4 et 5).
Toutefois, seuls deux pays en Afrique subsaharienne, le Rwanda et le Ghana, ont réussi à
couvrir une grande partie de la population à travers de tels systèmes. D’autres pays africains,
dont la Côte d’Ivoire (voir la section 4.7), ont tenté d’établir des systèmes d’assurance maladie
universelle, mais avec moins de succès.
5
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
2.2.2 Transferts sociaux
Cette branche non contributive de la protection sociale est constituée des transferts en
espèces ou en nature en faveur de ménages, d’individus pauvres ou de groupes vulnérables
spécifiques, comme dans le cas des pensions sociales de vieillesse et des allocations familiales
pour enfants. Dans la plupart des pays d’Afrique francophone, ce volet de la protection sociale
se limite à de petits programmes publics de secours ponctuels en espèces ou en nature en
direction de personnes indigentes, ainsi que des programmes d’aide humanitaire, d’appui nutritionnel
et de cantines scolaires, financés et/ou mis en œuvre principalement par des organisations
internationales, des organisations non gouvernementales (ONG) ou des confessions religieuses.
Ces programmes sont rarement conçus pour renforcer les capacités des populations vulnérables
et pour réduire la pauvreté sur une base durable.
Cependant, des programmes de transferts en espèces, sous forme d’allocations payées sur une
base régulière, sont devenus un instrument important de lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité
dans quelques pays africains. C’est le cas notamment des régimes non contributifs de pensions
sociales de vieillesse établis dans des pays d’Afrique australe tels que l’Afrique du Sud,
le Botswana, le Lesotho, l’Ile Maurice, la Namibie et le Swaziland (Devereux, 2007) ainsi que des
programmes d’allocations familiales pour enfants, mis en place en Afrique du Sud (avec 8 millions
d’enfants bénéficiaires) et en Namibie.
Des programmes plus restreints de transferts ciblés aux ménages ultra-pauvres sont actuellement
en phase d’expansion dans des pays comme le Ghana, le Kenya, le Malawi, le Mozambique
et la Zambie. Par exemple, le programme LEAP (« Livelihood Empowerment Against Poverty »)
au Ghana, lancé en 2008, bénéficie actuellement à 42 000 ménages ultra-pauvres et a pour objectif
de couvrir à terme un ménage vivant au dessous du seuil de pauvreté extrême sur six.1
Dans beaucoup de pays d’Amérique Latine et d’Asie, de vastes programmes de « transferts sociaux
conditionnels » ont été mis sur pied dans le but de renforcer le revenu des ménages pauvres,
d’améliorer la nutrition et de promouvoir l’accès aux services sociaux de base (enseignement,
services sanitaires, etc.) comme stratégie de renforcement du capital humain et de rupture du cycle
de pauvreté (Samson et al., 2006 ; Grosh et al., 2008).
Des transferts indirects aux ménages sont quelquefois mis sur pied sous forme de subventions au consommateur pour soutenir le pouvoir d’achat des populations, notamment en
situations de chocs inflationnistes comme les hausses des prix internationaux des produits
alimentaires et énergétiques de 2008 et 2009. Les subventions sont souvent critiquées pour
leur coût budgétaire élevé et pour leur mauvais ciblage, dû au fait que souvent les subventions
sont appliquées aux produits importés qui sont principalement consommés par les ménages les
plus aisés.
Les mesures de gratuité dans les secteurs sociaux peuvent aussi être vues comme des
transferts indirects en faveur de ceux qui utilisent ces services. La gratuité dans les secteurs
de la santé et de l’enseignement traduit un objectif de protection sociale dans le sens où elle vise
à relever le défi des barrières financières d’accès aux services sociaux de base, surtout pour les
plus pauvres. De nombreux gouvernements africains, y compris le gouvernement de la Côte d’Ivoire,
ont aboli les frais scolaires au niveau de l’enseignement primaire, au moins partiellement, en
vue de promouvoir les objectifs de l’éducation pour tous. Plusieurs pays ont introduit la gratuité
pour les soins de santé, soit de manière générale comme en Ouganda et en Zambie, soit pour
des services spécifiques (traitement du paludisme, traitement du VIH/SIDA, césariennes, etc.) ou
pour des groupes spécifiques (par exemple, les enfants de moins de 5 ans ou les femmes enceintes).
1
Entretien avec le Directeur des Affaires Sociales au Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi et des Affaires Sociales, Accra, le 22 juin 2011.
6
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
En Côte d’Ivoire, les frais aux usagers dans les services publics de santé ont été abolis dès
l’investiture du nouveau gouvernement en avril 2011, comme mesure de protection du droit d’accès
des populations aux soins de santé. Cependant, le manque de planification de cette mesure
radicale, introduite subitement comme mesure d’urgence post-crise, a créé quelques difficultés
au niveau de l’offre des services, et a compromis son efficacité dans la pratique. Cette expérience
souligne l’importance des mesures d’accompagnement (renforcement du financement, des
ressources humaines et de l’approvisionnement en médicaments) pour faire face à la hausse de la
demande déclenchée par n’importe quelle mesure d’allègement des barrières financières d’accès
aux soins de santé (voir la section 4.7).
Les travaux publics à haute intensité de main d’œuvre (HIMO) sont un autre type de
transfert, conditionné sur le travail. Les programmes HIMO visent à permettre aux ménages
pauvres ayant une capacité de travail de se prendre en charge, tout en contribuant à la
formation des bénéficiaires et à la construction ou à l’entretien d’infrastructures. Dans les pays
à faible revenu, ces programmes sont conçus principalement pour améliorer la sécurité alimentaire
en milieu rural à travers la création d’emplois temporaires à large échelle pendant la période
de soudure, bien que des variantes de ces types de programmes existent aussi en milieu urbain
et donc moins liés au calendrier agricole. L’exemple le plus large d’un programme HIMO en
Afrique est celui du Programme de Filets de Sécurité Productifs en Ethiopie (PSNP), qui effectue
des transferts en espèces et en vivres à environ 8 millions de bénéficiaires pendant la période de
soudure en contrepartie de leur participation à des projets locaux de construction ou d’entretien
d’infrastructures ou de protection environnementale (Ellis et al, 2009).
2.2.3 Services d’action sociale
Les services d’action sociale constituent la branche « non monétaire » de la protection sociale
et englobent une large gamme de programmes de prévention et de réponse à des risques
qui affectent des groupes vulnérables spécifiques. Incluant des campagnes de conscientisation,
des actions d’appui psychosocial, des programmes de soutien aux familles et d’autres types
d’intervention, ces programmes font face aux risques essentiellement de caractère social ou
culturel (violence domestique, mariages précoces, enfants vivant dans la rue, etc.) et quelquefois
économique (dans le cas de la traite et du travail des enfants, par exemple). En Afrique, ces
programmes sont généralement de petite envergure, éparpillés, peu coordonnés et difficiles
à pérenniser dû au fait qu’ils sont souvent financés sous forme de « projets » par les partenaires
au développement et mis en œuvre par des ONG.
2.2.4 Cadre juridique
Ces différents types de programmes, mécanismes et mesures de politique sont complémentés
par le cadre juridique de protection, qui inclut souvent, à titre d’exemple, des lois et décrets
protégeant les droits des enfants, des femmes, des personnes handicapées, des travailleurs
et d’autres groupes sociaux. Dans la plupart des pays africains, ce cadre juridique existe
déjà en grande partie (et est souvent renforcé par la ratification de conventions internationales
dans les mêmes domaines). Cependant, la capacité administrative d’assurer la mise en œuvre
de ces dispositions juridiques est souvent très faible.
2.2.5 Comment la protection sociale se distingue de l’action humanitaire
Dans le contexte post-crise de la Côte d’Ivoire, où les secours d’urgence aux populations restent
importants, la question de la relation de l’action humanitaire à la protection sociale requiert de brèves
remarques. La distribution de vivres et d’autres biens aux populations déplacées, de retour ou autrement sinistrées peut être vue comme un type de « transferts » (en nature) et en fait être classifiée comme
protection sociale dans le système international de « classification des fonctions des administrations
publiques » (COFOG) utilisé dans les comptes des finances publiques et la comptabilité nationale.
7
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Cependant, en fonction de définitions plus strictes de la protection sociale qui mettent en exergue
la nature soutenue des mesures de protection sociale dans l’optique de renforcement des
capacités à long terme, l’action humanitaire est de nature très différente en raison de son
caractère ponctuel et uniquement réactif. Il est néanmoins évident que quelques types d’assistance
sociale, tels que la prestation d’appuis ponctuels aux indigents, dont s’occupent presque tous
les ministères des affaires sociales en Afrique, et même les programmes HIMO, qui fournissent
souvent des emplois sur une base très irrégulière, n’arrivent pas toujours à assurer à leurs
bénéficiaires des appuis soutenus et réguliers dans une optique de « promotion » des capacités.
Il existe clairement dans la pratique une zone grise de transition entre les secours de court
terme et les approches plus promotionnelles et à long terme qui caractérisent l’idéal de
la protection sociale moderne.
8
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
3Profil de la vulnérabilité et des risques
en Côte d’Ivoire
En accord avec le cadre analytique, ce chapitre commence (dans la section 3.1) par passer en revue
les différents types de risques auxquels les populations ivoiriennes sont exposées, en distinguant
entre les chocs de nature collective ou covariante (et notamment les crises économiques et politiques
successives des dernières années qui ont fortement affecté l’ensemble de la population de la Côte
d’Ivoire) et les multiples risques économiques, sanitaires et socioculturels aux niveaux des individus
et des ménages. La section 3.2 dresse le profil de la vulnérabilité sous ses différentes dimensions
(économique, spatiale, cycle de la vie, genre et capital humain) pour mieux comprendre le degré auquel
les individus et les ménages sont exposés aux risques et sont capables de les gérer et d’atténuer
leurs impacts.
3.1Les risques et chocs
3.1.1 Les grands chocs covariants
Les populations de la Côte d’Ivoire ont été frappées par une série de chocs surtout économiques
(depuis 30 ans) et politiques (depuis plus de 10 ans). En effet, après une phase de croissance rapide
à la suite de l’indépendance (1960-1979), l’économie a connu une longue période de revers et de
difficultés à partir des années 1980. Le taux moyen de croissance réelle du PIB, qui avait atteint 7,2%
par an entre 1961 et 1980, a chuté à seulement 0,8% par an de 1981 à 1990, 2,7% par an de 1991
à 2000 et 1,1% par an de 2000 à 2010. Pendant les 30 dernières années, la croissance économique
a été nettement moindre que la croissance de la population (environ 2,8% par an pendant cette
période), conduisant ainsi à une baisse importante du PIB par tête. L’incidence de pauvreté monétaire
a fortement augmenté, de 10,0% en 1985 à 36,8% en 1995 et 48,9% en 2008.2 La Figure 3.1 montre
ces tendances négatives, ainsi que la chronologie des principaux chocs économiques et politiques
du dernier quart de siècle.
La réduction de la croissance et l’augmentation de la pauvreté ont été fortement liées à une série de
chocs économiques et politiques : la flambée des prix pétroliers vers la fin des années 70 ; la baisse
des prix des principales exportations du pays, le cacao et le café (notamment entre 1984 et 1992) ;
la surévaluation du franc CFA qui a détérioré la compétitivité de l’économie et la situation financière
de l’Etat (avant sa dévaluation en 1994) ; la crise de la dette ; et enfin les retombées économiques
des crises politiques et des conflits.
2
Les chiffres sur la pauvreté cités ici sont ceux de l’Institut National de la Statistique (MEMPD/INS, 2008). Une analyse de la Banque Mondiale
(2010b), qui a introduit des ajustements pour rendre les données des différentes enquêtes sur le niveau de vie des ménages plus comparables,
est arrivée à des taux de pauvreté (incidence, écart et sévérité) différents de ceux de l’INS. Le rapport de la Banque Mondiale a néanmoins
confirmé une forte augmentation de l’incidence de pauvreté, de 14% en 1985 à 40% en 2008.
9
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Figure 3.1Chocs économiques et politiques, croissance du PIB et incidence
de pauvreté, 1985-2011
Sources :auteurs, sur base de données de la Banque Mondiale (World Development Indicators), du MEMPD/INS (2008) et du FMI (2011a).
La Figure 3.1 suggère qu’il y a eu une première période de forte augmentation de la pauvreté
entre 1985 et 1993, liée à la faible compétitivité de l’économie et à la détérioration des termes
de l’échange. Pendant cette période, selon la Banque Mondiale (2010a), une augmentation de
l’inégalité a renforcé l’impact sur la pauvreté de la réduction de la croissance, devenue négative en
termes réels par tête. L’impact a été particulièrement sérieux chez les cultivateurs de cacao et de
café, qui constituaient presque 40% des agriculteurs au milieu des années 80, et qui ont subi un
accroissement de l’incidence de pauvreté d’environ 400% entre 1985 et 1993.
Une seconde période, relativement courte, de redressement de l’économie a suivi la dévaluation
de 1994, restaurant des taux élevés de croissance et réduisant légèrement la pauvreté. Cependant,
le coup d’Etat de 1999 a plongé la Côte d’Ivoire dans une troisième période marquée par l’instabilité
politique et les conflits, des taux de croissance faibles et un accroissement de la pauvreté. Le coup a
ainsi conduit à une chute subite de la croissance en 2000 (-3,7%). Des taux négatifs de croissance
réelle ont également suivi l’éclatement de la guerre civile en 2002 (-1.4 % en 2002 et -1.6 % en 2003).
A partir de 2002, le pays est devenu coupé en deux, avec des effets particulièrement sérieux
sur l’activité économique dans les zones Nord, Ouest et Centre, et le déplacement de centaines
de milliers de personnes, principalement vers le Sud. Ce déplacement a concerné globalement
7% de la population, selon les donnés de l’ENV 2008. L’incidence de pauvreté a encore augmenté
pour atteindre 48,9% en 2008. L’impact a été particulièrement grave dans le Nord, où l’incidence
de pauvreté a presque doublé, passant de 40,3% à 77,3% entre 2002 et 2008. Malgré les accords
de Ouagadougou, signés par les belligérants en 2005, la paix est restée fragile.
Le retour au conflit armé à la suite des élections de 2010 a plongé le pays dans une crise sans
précédent qui a duré jusqu’à la fin des combats en avril 2011. Cette nouvelle période de conflit
a été accompagnée par des sanctions internationales, qui ont bloqué les exportations de cacao
et de café, et provoqué encore une fois des déplacements massifs de population, cette fois-ci
principalement d’Abidjan et de certaines régions de l’ouest du pays. Environ 500 000 personnes
ont quitté leurs maisons pour trouver refuge dans des zones plus sûres (RCI et al, 2011). Le PIB
10
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
aurait chuté de 5,8% en 2011 selon les prévisions les plus récentes du FMI (2011a), malgré un
certain redressement de la situation économique dans la deuxième moitié de l’année. Bien que
des données sur le niveau de vie des ménages manquent depuis 2008, il est fort probable que les
taux de pauvreté aient encore empirés suite à la crise de 2010-2011. Les populations ayant fui les
combats ont subi des dommages énormes en raison des destructions, des pillages de biens et de
moyens d’existence, notamment de facteurs de production, particulièrement dans l’ouest.
En plus de ces grands chocs économiques et politiques, il y a d’autres types de chocs
covariants de nature climatique. Les catastrophes naturelles (sécheresse, inondations, etc.) ont
des impacts dévastateurs sur les conditions de vie des populations affectées. Ainsi la Côte d’Ivoire
(et Abidjan en particulier) a subi des inondations suite à des pluies diluviennes en juin 2011 qui
ont détruit plusieurs quartiers précaires et menacé plus de 27 646 personnes3, avec des risques
sanitaires graves (choléra).
3.1.2 Les risques idiosyncratiques
Au niveau de l’individu les risques sont multiples et souvent de grande étendue, amplifiés
par les chocs globaux. Ces risques incluent la perte de revenu et des biens, les mauvaises
récoltes, le chômage et le sous-emploi, la malnutrition, les maladies et la mortalité, la non
scolarisation ou l’abandon scolaire, et les violences et abus.
Les risques de baisse du niveau de vie et d’insécurité alimentaire
Les dépenses moyennes annuelles par tête ont diminué de 25,7% entre 2002 et 2008,
de 461 243 à 342 730 FCFA. Cette baisse a affecté tous les déciles (Figure 3.2). Signe éloquent
de l’appauvrissement grandissant de la population, la part des dépenses de consommation
consacrées à l’alimentation a augmenté en moyenne de 40,1% en 2002 à 47,8% en 2008,
selon l’ENV. Par contre, les proportions des dépenses consacrées à la santé et à l’éducation
ont diminué (de 6,0% à 3,7% pour l’éducation et de 6,8% à 5,8% pour la santé).
Figure 3.2Dépenses moyennes par tête et par an selon les déciles de
consommation (FCFA), 2002 et 2008
Source : ENV 2008 (MEMPD/INS, 2008).
3
Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, juin 2011.
11
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Ainsi la faible capacité d’achat est l’un des principaux déterminants de l’insécurité alimentaire
des ménages. Pendant les périodes de crise, le comportement des marchés vivriers a influencé la
capacité des ménages ivoiriens les plus vulnérables à assurer leur approvisionnement en produits
alimentaires. Dans les zones arides de la savane, l’insécurité alimentaire est aussi saisonnière,
s’aggravant pendant la période de soudure avant les récoltes et contribuant ainsi aux niveaux plus
élevés de malnutrition dans ces zones (voir ci-dessous).
En milieu rural, la réduction des revenus reflète la baisse des prix des produits de rente et les
faibles niveaux de productivité, ainsi que les conséquences des conflits. A la suite de la crise
postélectorale, une analyse de la sécurité alimentaire (RCI et al, 2011) a noté que la principale
saison pluvieuse (avril à juin) a enregistré globalement une réduction des superficies vivrières
emblavées dues aux déplacements des populations, aux problèmes d’insécurité et aux
difficultés d’accès aux semences et autres intrants agricoles. Cette analyse a estimé à 387 744
le nombre de personnes en insécurité alimentaire modérée (265 975) ou en crise alimentaire
aiguë (121 770). Les personnes en insécurité alimentaire aiguë sont largement concentrées dans
les zones de l’ouest, zones sévèrement touchées par le conflit.4
Le conflit de 2010-2011 a également provoqué de sérieuses perturbations économiques
en milieu urbain, aggravant le chômage et la pauvreté. Même avant ces évènements,
le taux de chômage au niveau national était passé de 3%, selon le recensement de 1998, à 17,5%,
selon l’ENV 2008, soit un taux d’accroissement exponentiel de 480%. Le taux de chômage
en milieu urbain était cinq fois plus élevé qu’en milieu rural, et particulièrement élevé parmi les jeunes
(voir la section 3.2). Cependant, il est intéressant de constater que globalement le taux de chômage
est plus élevé parmi les non-pauvres (21,6%) que parmi les pauvres (12,7%). Ceci suggère que
beaucoup de chômeurs vivent dans des ménages ayant d’autres membres employés ou autoemployés et que la pauvreté s’explique principalement par les hauts niveaux de sous-emploi et
par le faible niveau de revenus de ceux qui sont effectivement au travail.
Le risque de mortalité
Les taux de mortalité restent élevés, notamment pour les enfants de moins de 5 ans et les
femmes en âge de procréer, malgré des tendances à la baisse qui restent loin d’être suffisantes
pour atteindre les OMD 4 et 5. Le taux de mortalité infantile, c’est-à-dire la probabilité de mourir entre
la naissance et le premier anniversaire, est passé de 112 à 84 décès par mille naissances vivantes
entre 1998 et 2005, selon l’EIS de 2005, et la mortalité infanto-juvénile c’est-à-dire la probabilité de
mourir avant l’âge de cinq ans a diminué pendant la même période de 174 à 125 (MLS et al, 2006).
Cependant, l’UNICEF (2010) indique que sur une période plus longue, la mortalité infanto-juvénile a
évolué assez lentement, passant de 152 à 119 décès par mille naissances vivantes entre 1990 et
2009. Bien que le taux de mortalité infanto-juvénile se situe légèrement en dessous de la moyenne
d’Afrique subsaharienne (129 en 2009), la Côte d’Ivoire est loin des progrès accomplis par un pays
voisin comme le Ghana (69 en 2009).
La mortalité maternelle est également élevée. La Banque Mondiale a signalé que toutes les
trois heures, on déplore deux décès maternels (Banque Mondiale, 2010b). Le taux de mortalité
maternelle a été estimé par l’EIS de 2005 à 543 décès pour 100 000 naissances vivantes dans la
période 1998-2005, soit un taux peu différent de celui estimé par l’EDSCI de 1994 qui se situait à
597 pour la période 1988-1994.
Les risques sanitaires et de malnutrition
Les risques sanitaires, intensifiés par la malnutrition et les mauvaises conditions de vie, soustendent les taux élevés de mortalité infanto-juvénile. Les décès chez les petits enfants sont
dus essentiellement aux causes néonatales (prématurité, infections sévères, détresse respiratoire,
4
La phase d’insécurité alimentaire aiguë correspond à une insuffisance aiguë et critique de l’accès à l’alimentation assortie d’une malnutrition
grave et inhabituelle et un épuisement accéléré des avoirs relatifs aux moyens d’existence (RCI et al, 2011).
12
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
tétanos), au paludisme, aux infections respiratoires aiguës (IRA), à la malnutrition et aux diarrhées.
Chez les enfants de moins de cinq ans, le paludisme est de loin la première cause de consultations,
d’hospitalisation et de mortalité (Banque Mondiale, 2010b). Malgré les risques élevés du paludisme,
à peine 17% des enfants de moins de 5 ans dormaient sous des moustiquaires et seulement
3% sous des moustiquaires imprégnées, selon l’enquête MICS de 2006 (MEMPD/INS et UNICEF,
2007). Au cours des deux semaines ayant précédé cette enquête, 26% des enfants de moins de
5 ans avaient eu de la fièvre, 17% des cas de diarrhée et 5% des cas d’IRA. Encore plus inquiétant,
les taux de traitement approprié étaient faibles : 26% pour le paludisme, 35% pour les IRA
(19% ayant reçu des antibiotiques) et 33% pour les diarrhées (réhydratation par voie orale).
Les risques de morbidité et de mortalité sont intensifiés par la malnutrition. En 2006, l’enquête MICS
a estimé que 34% des enfants de moins de 5 ans souffraient de malnutrition chronique (retard de
croissance), sous une forme sévère pour 15,7%. La malnutrition chronique est particulièrement
importante dans certaines régions du Nord, de l’Ouest et du Centre, où des taux allant de 32% à
44% selon les régions ont été calculés lors de l’enquête SMART de 2010.5 L’enquête MICS de 2006
a également rapporté un taux national d’insuffisance pondérale de 20,2 % et un taux de malnutrition
aiguë globale (MAG ou émaciation) de 6,7%. Les taux de MAG sont généralement plus élevés en
période de sécheresse ou de soudure dans les zones de savane, bien que, dans les mots de la
Banque Mondiale (2010b, p. 32), « le véritable problème de nutrition de cette zone reste toutefois
la forte prévalence de la malnutrition chronique ». Les carences en micronutriments s’ajoutent aux
problèmes de malnutrition protéino-énergétique, avec une forte proportion d’enfants anémiés
(67,4% en 2007) ou souffrant de carences en vitamine A (26,9% en 2007) ou en iode.
Une autre source importante de risque pour une large part de la population est la mauvaise qualité
de l’eau et les conditions insalubres d’assainissement. Selon l’enquête MICS de 2006, environ
24% de la population n’utilise pas de sources d’eau améliorées6 et seulement 6% des ménages
utilisent des méthodes de traitement de l’eau pour la rendre plus sure à boire. Et environ 43% de la
population ne disposent pas d’installations sanitaires améliorées.7
Les risques de santé reproductive sont amplifiés par la fécondité précoce et à intervalles
courts, la malnutrition maternelle et le faible accès aux services de santé maternelle. Les
grossesses précoces, qui sont un facteur de risque pour la mère et l’enfant, sont fréquentes :
selon l’EIS de 2005, 29% des femmes avaient eu un enfant avant l’âge de 18 ans. En outre, bien
que la durée médiane de l’intervalle inter-génésique soit proche de 3 ans, 9% des naissances
sont intervenues moins de 18 mois après la naissance précédente, et 21% moins de 24 mois
après. Moins de 8% des femmes utilisent des méthodes modernes de contraception (MEMPD/
INS et UNICEF, 2007). En ce qui concerne l’utilisation des services de santé maternelle, l’enquête
MICS de 2006 a trouvé que seulement 57% des accouchements sont assistés par personnel de
santé qualifié. La Banque Mondiale (2010b) a montré que la mortalité maternelle est essentiellement
due à des causes médicales directes (80% des cas) dont les hémorragies, les obstructions au
cours du travail et les éclampsies. Cette situation traduit une insuffisance de la couverture en soins
obstétricaux et une insuffisance dans la prévention et la prise en charge des cas de complications
survenant au cours de la grossesse, de l’accouchement et du post-partum. L’état nutritionnel des
femmes est un déterminant additionnel de la mortalité maternelle et néonatal. En 2007, 58% des
femmes en âge de procréer étaient anémiées.
La Côte d’Ivoire est le pays le plus touché par le VIH/SIDA en Afrique de l’Ouest, malgré le
fait que le taux de séroprévalence n’est plus à son pic atteint en 2001. La maladie est une des
principales causes de mortalité chez les adultes. L’ONUSIDA a estimé à 34 000 le nombre de décès
5
6
7
Cette enquête a été réalisée en juillet 2010 dans 8 régions du Nord, de l’Ouest et du Centre, ainsi que dans cinq communes d’Abidjan. Les taux
de malnutrition chronique les plus élevés ont été trouvés dans les régions de Worodougou (41%) et Montagnes (44%) (MSHP et al, 2010).
L’enquête MICS de 2006 a défini comme sources d’approvisionnement en eau potable améliorées les sources suivantes : l’eau courante
(dans les habitations, les cours ou les parcelles) ; les fontaines publiques ou bornes fontaines ; les puits à pompe ou forages ; les puits
protégés ; l’eau de source protégée ; et l’eau de pluie recueillie.
L’enquête MICS de 2006 a défini comme installations sanitaires améliorées : les WC à chasse d’eau reliés au réseau d’assainissement ; les
fosses septiques ou les latrines ; les latrines améliorées aérées et les latrines à dalles ; et les WC à compostage.
13
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
liés au SIDA en 2008 (CNLS, 2011). La tuberculose constitue la principale infection opportuniste
(36%) et la première cause de décès (32%) chez les personnes vivant avec le VIH/SIDA (PVVIH). Les
femmes se révèlent plus vulnérables que les hommes, et une transmission du VIH des mères aux
enfants peut avoir lieu au cours de la grossesse. En 2008, l’ONUSIDA estimait à 50 000 le nombre
d’enfants de 0 à 14 ans séropositifs. Toutefois, la prévalence du VIH chez les femmes enceintes en
milieu urbain a diminué de 10,6% en 2001 à 5,6% en 2008. Cette même année, la prévalence était
de 3,0% chez les femmes enceintes en milieu rural et de 4,5% au niveau national. L’EIS de 2005
a révélé des taux élevés de rapports sexuels à haut risque (33% chez les femmes et 58% chez les
hommes) et des niveaux faibles de dépistage. Seules 14% des femmes enceintes avaient effectué
un test du VIH dans le cadre des visites prénatales. Les travailleuses du sexe sont parmi les plus
vulnérables avec un taux de prévalence estimé à 27% en 2007-2009 (CNLS, 2011). La pauvreté
croissante a contribué au développement de l’épidémie, qui à son tour a des impacts négatifs sur
l’économie.
Les risques scolaires
La non-scolarisation ou l’abandon scolaire sont des risques sérieux pour les enfants, avec des
conséquences néfastes à long terme. Le faible niveau d’accès au CP1 (70% de la classe d’âge y
a effectivement accès), montré par l’enquête MICS de 2006, signifie que 30% des enfants ne vont
jamais à l’école. En outre, il y a une forte déperdition tout au long de l’enseignement primaire, qui
aboutit à un taux d’accès en dernière année (CM2) qui se situe à seulement 46%. Autrement dit,
parmi les enfants qui ont accès au primaire, un sur trois n’atteint pas la fin du cycle. Au total, plus
d’un enfant sur deux n’est donc pas en mesure de bénéficier d’un enseignement primaire complet
et sera probablement analphabète à l’âge adulte. Entre la dernière classe du primaire (CM2) et la
classe de sixième, une nouvelle sélection s’opère puisque seulement 34% ont accès au secondaire.
Au niveau de l’ensemble du secondaire, on observe un phénomène assez intense de déperdition à
l’intérieur de chacun des deux cycles (entre 2 et 3 points de pourcentage chaque année), indiquant
une faiblesse de l’efficacité interne. La probabilité d’accès en terminale n’est que de 14%.
Les risques de violences, d’abus et d’exploitation
Ces risques, amplifiés dans quelques cas par les conflits et les chocs économiques, sont
très répandus dans la société ivoirienne. Il s’agit notamment des risques de violence (violences
liés aux conflits, violences sexuelles et conjugales, viols, etc.), de maltraitance et d’abus des enfants
(punitions physiques, négligence, excision, mariage précoce, traite), d’abus des personnes âgées
et des veuves, et de travail des enfants.
Les violences liées à la crise ont affecté 11% de la population selon l’ENV de 2008, chiffre qui
aurait augmenté lors des conflits déclenchés par la crise postélectorale. Ces victimes de violences,
selon l’ENV, ont subi des troubles psychologiques (45,5%), des vols (41,9%), des viols (21,9%)
et des coups et blessures (13,7%), parmi d’autres agressions.
Concernant les risques de violences faites aux femmes, la MICS de 2006 a trouvé que près
de deux femmes sur trois pensent qu’un mari a le droit de frapper ou de battre son épouse ou
partenaire pour diverses raisons, telles que la négligence des enfants (50%), le fait de sortir sans
prévenir le mari/partenaire (42%), le fait de tenir tête dans une discussion (42%), le fait de brûler la
nourriture (36%) ou le refus des rapports sexuels (30%). La proportion de femmes exprimant ces
opinions est plus élevée en milieu rural (72%) qu’en milieu urbain (57% en général et 44% à Abidjan)
et dans quelques régions, notamment le Nord-Ouest (94%) et le Nord-Est (86%).
Le mariage précoce, qui affecte surtout les jeunes filles, conduisant souvent à l’abandon scolaire
et à une fécondité précoce et à haut risque, reste toujours important en Côte d’Ivoire, même si l’âge
de première union semble avoir graduellement augmenté. Selon l’EIS de 2005, 8,2 % des femmes
âgées de 20 à 24 ans étaient déjà en union avant l’âge de 15 ans, par rapport à 14,9% des femmes
âgées de 25 à 29 ans et 17,5% de celles âgées de 40 à 49 ans.
14
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Les abus à l’encontre des personnes âgées, allant des accusations de sorcellerie aux violences et
aux expulsions du foyer, semblent en voie de s’aggraver en raison des pressions économiques sur
les ménages et l’affaiblissement des valeurs traditionnelles de solidarité intergénérationnelle au sein
de la famille. Dans le cas des veuves, celles-ci sont exposées au risque additionnel de spoliation
de leurs biens après la mort de leur mari, notamment dans les ethnies de caractère matrilinéaire,
où les biens du défunt sont confisqués par la belle-famille (Soko, 2010). Selon l’EIS de 2005, 74%
des veuves se déclarent avoir été dépossédées de leurs biens (MLS et al, 2006).
S’agissant des risques de maltraitance ou abus des enfants, l’enquête MICS de 2006 a révélé
que 90% des enfants âgés de 2 à 14 ans ont subi au moins une forme de punition psychologique
ou physique, et 21% ont fait l’objet de corrections physiques sévères.
Selon la même source, la pratique de l’excision, qui expose les filles et les femmes à des risques
graves pour leur santé et leur bien-être, est très répandue, tout en étant en voie de réduction graduelle
et montrant des variations assez importantes selon les régions (et leurs respectives traditions
culturelles). Dans l’ensemble, 36,4% des femmes âgées de 15 à 49 ans ont subi une forme
d’excision, et pour 5,4% sous une forme extrême, l’infibulation, qui est pratiquée essentiellement
dans le Nord-Est (41,9%). C’est dans les régions du Nord, du Nord-Ouest, de l’Ouest, du CentreNord et du Nord-Est que l’excision, sous une de ces formes, est la plus répandue avec des taux
de prévalence allant jusqu’à 73% dans l’Ouest et 88% dans le Nord et le Nord-Ouest. L’excision est
plus fréquente parmi les femmes sans instruction et les ménages pauvres. La désagrégation des
taux d’excision par groupes d’âges (allant de 28% pour les femmes de 15 à 19 ans jusqu’à 44%
pour celles de 35 à 39 ans) laisse à croire que la pratique est en cours de réduction à long terme,
même si elle est toujours approuvée par une proportion importante de femmes, surtout dans les
régions où elle est la plus profondément ancrée.
La pauvreté grandissante pousse les ménages à recourir au travail des enfants, au détriment de
leur développement (la scolarisation et la réussite en classe) et dans les pires cas au risque de leur
santé. La MICS de 2006 a trouvé que, dans l’ensemble, 35,3% des enfants âgées de 5 à 14 ans
travaillent.8 Il s’agit principalement d’enfants qui travaillent dans des « entreprises familiales » (30,5%),
c’est-à-dire dans l’agriculture familiale, de petits commerces et d’autres activités productives au sein
de la famille. Même si l’enrôlement des enfants dans les groupes armés est en diminution depuis la
fin de la crise, le risque demeure, tant qu’il n’y a pas de stabilité durable dans certaines parties du
territoire, notamment dans l’Ouest.
3.2Les sources de vulnérabilité
Un individu sera vulnérable s’il est exposé à des risques et ne dispose pas de capacités
suffisantes pour les amortir et atténuer leurs impacts néfastes. La nature et le degré de
vulnérabilité peuvent varier selon plusieurs dimensions, parmi lesquels la situation économique
des ménages, le lieu de résidence, l’âge, le genre (sur base de certaines croyances et pratiques
culturelles) et le capital humain.
3.2.1 Vulnérabilité économique
Comme il a déjà été noté, le niveau de vie a fortement baissé (dans tous les déciles de
dépenses) et les taux de pauvreté ont énormément augmenté au cours du dernier quart de
siècle, réduisant la capacité des ménages à gérer les risques. Non seulement l’incidence de
pauvreté (P0) a presque quadruplé entre 1985 et 2008, mais la profondeur et la sévérité de pauvreté
se sont également aggravées.9 L’écart de pauvreté (P1) est ainsi passé de 12,9% en 2002 à 18,2%
8
9
La MICS a utilisé la définition suivante d’enfant travailleur, selon l’âge : l’enfant âgé de 5 à 11 ans qui a effectué au moins une heure de travail
rémunéré ou 28 heures de corvées ménagères par semaine ; et l’enfant âgé de 12 à 14 ans qui a effectué au moins 14 heures de travail
rémunéré ou 28 heures de travail domestique par semaine.
Il faut indiquer que le seuil de pauvreté utilisé en Côte d’Ivoire est constant en termes réels et est égal au seuil de 75 000 FCFA par an et par
tête établi lors de la première enquête auprès des ménages (EPAM 85) pour la période de février 1985 à janvier 1986. Ce seuil était relatif
et correspondait au revenu maximum des 10% les plus pauvres de la population de l’époque. Il a été actualisé chaque année d’enquête en
fonction du taux d’inflation. Ainsi, le seuil de pauvreté à la date de l’ENV de 2008 était de 241 145 FCFA par an et par tête, ce qui correspondait
à une dépense journalière de 661 FCFA par personne. La Banque Mondiale a apporté quelques critiques par rapport à la comparabilité des
indices de pauvreté et a introduit des ajustements qui ont légèrement changé les taux de pauvreté (Banque Mondiale, 2010a).
15
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
en 2008, ce qui signifie que les pauvres se sont davantage éloignés du seuil de pauvreté et qu’une
augmentation plus importante de leur niveau moyen de consommation est aujourd’hui requise pour
leur permettre de sortir de la pauvreté.
Malgré une réduction de l’inégalité entre 2002 et 2008, le coefficient de Gini passant de 0,50
à 0,44, la structure des dépenses de consommation reste très inégalitaire. La part des 10% les
plus pauvres (premier décile) dans la consommation totale ne constituait que 2,2% en 2008, alors
celle des 10% les plus riches représentait 32,8%. Cependant, cette inégalité est essentiellement
au « sommet » de la courbe de distribution des dépenses de consommation, comme il apparaît
clairement dans la Figure 3.2 (p. 11). Sur les premiers six ou sept déciles de consommation, la courbe
est relativement plate. La différence inter-décile du niveau moyen de dépenses de consommation
par décile est seulement 3 540 FCFA par mois et par tête entre les premier et septième déciles. Il
y a peu de différence entre le niveau de vie des ménages des quatrième et cinquième déciles, qui
sont pauvres, et celui des ménages des 6ème et 7ème déciles, qui sont non-pauvres. Ces derniers
demeurent proches du seuil de pauvreté et restent ainsi à haut risque de tomber en-dessous de ce
seuil en cas de chocs. (MEMPD/INS, 2008)
Qui sont les pauvres ? La faible différence de niveau de vie entre pauvres et non-pauvres modérés
rend assez difficile l’identification des caractéristiques qui discriminent clairement les pauvres, ce
qui risque de rendre très inexact n’importe quel moyen de ciblage économique des ménages.
Cependant, quelques caractéristiques augmentent la probabilité qu’un ménage soit pauvre :
la résidence en milieu rural et dans certaines régions, notamment dans les zones Nord et Ouest ;
l’occupation dans le secteur agricole informel ; la grande taille des ménages et les rapports
de dépendance élevées ; et le fait que le chef de ménage soit femme, handicapé ou analphabète.
Selon l’ENV de 2008, la taille moyenne des ménages pauvres (6,0 personnes) est largement
supérieure à celles de l’ensemble des ménages (4,7 personnes). Le ratio de dépendance démographique (nombre d’enfants de moins de 15 ans et de personnes âgées de 60 ans et plus pour
100 personnes en âge de travailler) est de 105 chez les ménages pauvres, par rapport à 61 chez
les ménages non pauvres.
La plupart de la population pauvre d’âge actif exerce dans le secteur agricole. Selon l’ENV de
2008, 46% des personnes pauvres âgées de 15 ans et plus sont occupées dans le secteur agricole,
comme agriculteurs à l’exportation (12,2%), agriculteurs vivriers et éleveurs (15,1%) ou ouvriers et
manœuvres agricoles (18,8%). Environ 15% travaillent dans le secteur informel, tandis que 9% sont
chômeurs et 18% sont inactifs (ménagères, élèves, étudiants, retraités, etc.). Près de 65% des
personnes exerçant dans l’agriculture informelle sont pauvres, par rapport à 49% pour l’ensemble de la
population. Compte tenu du fait que plus de la moitié de la population active exerce dans l’agriculture,
les faiblesses des revenus dans ce secteur de l’économie expliquent en bonne partie l’importance de
la pauvreté en Côte d’Ivoire. Selon la Banque Mondiale (2010b), la pauvreté a augmenté de 10 points
de pourcentage parmi les agriculteurs entre 2002 et 2008 en raison d’une confluence de facteurs,
parmi lesquels la chute des prix du cacao et du café et les impacts du conflit. De plus, la productivité
agricole est faible (avec un taux moyen d’efficience de seulement 50% en 2008), en raison de niveaux
faibles d’utilisation d’intrants agricoles (engrais et pesticides), de difficultés d’accès aux marchés et de
contraintes de liquidité (difficultés d’accès au crédit).10 Cette analyse de la Banque Mondiale donne
peu d’importance à la question foncière, mais pour d’autres auteurs (par exemple, Aka, 2007) la
propriété foncière est essentielle dans la perception de revenus en milieu rural et constitue l’une des
principales sources des conflits sociopolitiques des dernières années.11
10 En ce qui concerne l’accès au crédit, non seulement le niveau global de sollicitation de crédit est extrêmement faible (seulement 11% de la
population totale et 9% des pauvres en 2008), mais encore l’écrasante majorité des crédits sont accordés par des individus (73% des crédits en
2008,et 81% dans le cas des pauvres), selon l’ENV 2008. En effet, le secteur du crédit formel est très peu développé, les banques fournissant
à peine 7% des crédits et les institutions de micro-finance seulement 3% (et encore moins en milieu rural : 1,5% contre 3,4% en milieu urbain).
11 L’accès à la propriété foncière est régi par la loi, mais cette loi coexiste avec des règles socioculturelles et coutumières très variées selon les
régions, biaisant l’accès à la terre entre hommes et femmes dans plusieurs régions (MEMPD/INS, 2008).
16
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Les risques sociaux sont fortement corrélés au niveau de vie économique des ménages. Le
faible accès aux services sanitaires, aux sources d’eau améliorées et aux installations d’assainissement sont parmi les facteurs clef des taux élevés de mortalité, notamment chez les enfants. Or
les disparités dans ces domaines sont frappantes entre les pauvres et les non pauvres (Tableau
3.1). D’après l’ENV de 2008, le taux de pauvreté était de 51% parmi ceux qui n’avaient pas consulté
pendant les quatre semaines précédant l’enquête, par rapport à 37% pour ceux qui avaient eu au
moins une consultation médicale. Tandis que ceux qui avaient consulté un médecin ou un pharmacien
avaient des taux de pauvreté de 25% et 16% respectivement et ce taux était de 52% pour ceux
ayant consulté un guérisseur traditionnel (MEMPD/INS, 2008).
Bien que les pauvres soient plus exposés aux maladies, ils consacrent une proportion moindre de
leurs dépenses à la santé (5,1%) par rapport aux non pauvres (6,4%). De plus, les dépenses de
santé ont globalement diminué de 6,8% en 2002 à 5,8% en 2008. Des tendances similaires sont à
signaler pour les dépenses d’éducation, qui ont diminué de 6,0% à 3,7% des dépenses totales des
ménages pendant cette période, avec des taux plus faibles pour les ménages pauvres (3,6 % par
rapport à 6,4% pour les non pauvres en 2008).
Par rapport à l’assainissement, le taux de pauvreté est seulement de 10,8% chez les personnes
disposant d’un WC avec chasse d’eau, mais monte à 44,8% chez celles ayant des latrines à
fosse et à 67,9% chez celles ne disposant pas de toilette. En ce qui concerne l’eau, le taux de
pauvreté augmente de 23,4% pour les personnes disposant d’un robinet privé à 67,6% pour
celles s’approvisionnant de l’eau de surface.
Tableau 3.1Taux de pauvreté (%) selon les sources d’eau, les types
d’assainissement et les types de consultations médicales, 2008
Mode d’approvisionnement en eau
Type de toilette
Robinet privé
23,4
Chasse d’eau
10,8
Robinet commun
25,0
Latrine à fosse
44,8
Pas de toilette
67,9
Hydraulique Villageoise Améliorée (HVA)
64,7
Pompe publique
66,5
Puits
59,0
Types de consultations médicales
Eau de surface
67,6
Médecin
25,1
Revendeur d’eau
30,3
Pharmacien
16,4
Autres
65,6
Guérisseur
52,0
Source : ENV 2008 (MEMPD/INS, 2008).
Une analyse plus approfondie de l’importance du facteur économique par rapport aux risques
sociaux peut se faire à partir des données de la MICS de 2006. Cependant, compte tenu du fait
que cette enquête n’a pas de données sur les dépenses de consommation (et ainsi sur les indices
de pauvreté monétaire), l’analyse doit se faire par rapport aux quintiles de bien-être économique des
ménages12. On remarque de grandes différences entre les quintiles par rapport à presque tous les
domaines des risques sociaux (Tableau 3.2). Par exemple :
•
Le risque de mortalité infanto-juvénile est 1,5 fois plus élevé dans les deux premiers quintiles
(les plus pauvres) que dans le cinquième quintile.
•
Les risques de malnutrition restent à des niveaux élevés dans les trois premiers quintiles,
diminuant plus abruptement à partir du quatrième quintile. La malnutrition chronique est 2
fois plus élevée dans le premier quintile que dans le cinquième quintile, et l’insuffisance
pondérale 2,7 fois plus élevée (et 4,6 fois plus élevée dans sa forme sévère).
12 Ces quintiles sont établis à partir de scores de richesse selon un indice constitué de plusieurs composantes pondérées relatives aux biens et
aux conditions d’habitation des ménages (MEMPD/INS et UNICEF, 2007, p. 29).
17
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
•
Les enfants du premier quintile ont un risque 10 fois plus élevé que ceux du cinquième
quintile de ne recevoir aucune vaccination.
•
L es enfants les plus pauvres sont plus souvent malades que les enfants les plus riches et
ont une probabilité beaucoup plus faible de recevoir un traitement approprié. Dans le cas du
paludisme, la première cause de mortalité infanto-juvénile, seulement 20% des enfants du
premier quintile reçoivent des médicaments antipaludéens dans les 24 heures suivant les
symptômes, environ la moitié de la proportion du cinquième quintile (41%).
Tableau 3.2Risques sociaux par quintile de bien-être économique, 2006
Q1
Q2
Q3
Risque de mortalité (décès pour 1000 naissances vivantes) Taux de mortalité infanto-juvénile
Q4
Q5
Rapport
Q1/Q5
150
146
121
111
100
1,50
93
101
89
58
79
1,18
41,9
39,6
34,6
26,3
21,1
1,99
8,0
7,3
8,4
5,3
4,8
1,67
26,0
23,6
22,9
14,2
9,5
2,74
Enfants de 12 à 23 mois sans aucune vaccination
9,6
9,9
4,2
2,6
0,9
10,67
Enfants < 5 ans avec symptômes d’IRA
7,5
5,4
4,4
3,8
2,9
2,59
Traitement d’enfants < 5 ans avec symptômes IRA
20,5
31,5
40,6
49,3
71,4
0,29
Enfants < 5 ans ayant de la fièvre
30,0
29,7
25,5
21,3
20,7
1,45
Traitement antipaludéen (enfants < 5 ans fiévreux)
19,8
20,7
31,3
27,1
41,1
0,48
Taux de mortalité infantile
Risque de malnutrition (enfants < 5 ans,% en dessous de –2 ET)
Retard de croissance (taille pour âge)
Emaciation (poids pour taille)
Insuffisance pondérale (poids pour âge)
Risques sanitaires (%)
Utilisation des moyens modernes de contraception
3,0
5,2
5,7
9,6
18,3
0,16
Accouchement dans une formation sanitaire
25,6
37,5
53,8
76,1
92,9
0,28
Accouchement assisté par personnel qualifié
28,5
40,3
58,7
78,9
94,6
0,30
2,7
3,6
5,5
5,2
5,9
4,7
Accès à des sources d’eau améliorées
51,0
64,4
74,9
91,3
98,2
0,52
Utilisation d’installations sanitaires appropriées
18,0
32,1
61,7
83,0
90,5
0,20
Taux net de scolarisation primaire
35,4
49,8
54,9
64,4
80,5
0,44
Taux d’alphabétisation des femmes de 15 à 24 ans
0,48
0,44
0,76
0,67
0,67
0,72 Femmes de 15 à 49 ans ayant subi l’excision
55,2
34,4
37,0
37,5
23,4
2,36
Enfants de 5 à 14 ans qui travaillent
52,1
43,9
38,7
21,7
13,7
3,80
Enfants < 5 ans enregistrés à l’Etat civil
28,7
40,7
56,1
77,4
88,5
0,32
Prévalence du VIH (population de 15 à 49 ans)
Risques scolaires (%)
Autres risques (%)
Sources : MICS 2006 (MEMPD/INS et UNICEF, 2007) ; EIS 2005 (MLS et al, 2006).
•
Les risques de santé reproductive sont également beaucoup plus importants parmi
les femmes pauvres. Moins de 30% des femmes du premier quintile bénéficient d’une
assistance qualifiée à l’accouchement, contre plus de 90% dans le cinquième quintile.
•
Il y a d’énormes disparités dans l’assainissement, la population utilisant des installations saines
d’évacuation des excréta étant cinq fois moindre dans le premier quintile que dans le cinquième.
18
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
•
Le taux net de scolarisation primaire dans le premier quintile est plus de moitié moindre
que celui dans le cinquième (35,4% par rapport à 80,5%) et la déperdition scolaire est plus
élevée parmi les enfants les plus pauvres tout au long des cycles d’enseignement.
•
L es autres risques sociaux sont également plus importants parmi les plus pauvres : des
taux beaucoup plus élevés de travail des enfants et d’excision parmi les femmes, ainsi que
des taux beaucoup plus faibles d’enregistrement des enfants à l’état civil, ce qui conduit à
d’autres désavantages tels que le refus d’inscription scolaire (voir le Chapitre 4).
L’exception à la règle générale est la prévalence du VIH, qui est corrélée positivement avec le niveau
de bien-être économique.
3.2.2 La dimension spatiale de la vulnérabilité
Milieux urbain et rural
Les populations vivant en milieu rural sont en général plus vulnérables que celles vivant en
milieu urbain en raison de la plus faible couverture en infrastructures physiques et services
publics, et des contraintes de communication. Les voies routières sont très détériorées à travers
le pays, limitant l’accès aux denrées alimentaires produites et aux services publics (établissements
sanitaires, scolaires et administratifs) dans les zones les plus reculées. Les taux de pauvreté sont
nettement plus élevés en milieu rural et les risques sociaux plus graves que dans les villes. Ces
contrastes apparaissent de façon évidente dans le Tableau 3.3.
Tableau 3.3Pauvreté monétaire et risques sociaux par milieu de résidence (%)
Rural
Urbain
Abidjan
National
Incidence de pauvreté (P0)
62,5
29,5
21,0
48,9
Contribution à la pauvreté
75,4
24,6
8,9
100,0
27,6
20,4
40,9
27,3
Incidence de pauvreté extrême (1 décile)
14,3
3,8
1,5
10,0
Ecart de pauvreté (P1)
24,5
9,1
5,6
18,2
7,0
35,7
13,0
17,5
Taux de mortalité infanto-juvénile (*) (‰)
142
105
103
125
Prévalence du VIH (15-19 ans)
4,1
5,4
6,1
4,7
Malnutrition chronique (enfants < 5 ans)
39,3
24,8
21,7
34,0
Enfants de 12 à 23 mois entièrement vaccinés
68,3
86,4
89,8
75,1
Traitement antipaludéen (enfants < 5 ans fiévreux)
23,1
32,2
32,0
25,9
Assistance à l’accouchement par personnel qualifié
40,0
84,1
97,4
56,8
Utilisation de sources d’eau à boire améliorées
65,2
90,3
98,7
76,0
Utilisation d’installations sanitaires appropriées
36,9
83,8
94,1
57,0
Taux net de scolarisation primaire
48,2
66,6
73,1
55,1
Enfants travailleurs (5-14 ans)
45,1
19,7
14,9
35,3
Enregistrement des naissances (enfants < 5 ans)
40,5
79,2
87,2
54,9
Données de l’ENV 2008
Variation de P0 de 2002 à 2008
er
Taux de chômage
Données de l’EIS 2005
Données de la MICS 2006
Note : (*) Période de 10 ans avant l’enquête, sauf pour chiffre national (5 ans avant l’enquête).
Sources : ENV 2008 (MEMPD/INS, 2008) ; EIS 2005 (MLS et al, 2006) ; MICS 2006 (MEMPD/INS et UNICEF, 2007).
19
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Les données de l’ENV de 2008 montrent non seulement que l’incidence de pauvreté monétaire
est deux fois plus élevée en milieu rural qu’en milieu urbain, mais également que les trois
quarts des pauvres habitent en milieu rural. L’incidence de pauvreté rurale a augmenté de plus
d’un quart entre 2002 et 2008. Il est aussi à noter que la proportion de pauvres extrêmes (définis
comme ceux appartenant au premier décile de consommation) est 3,8 fois plus élevée en milieu
rural (14,3%) qu’en milieu urbain (3,8%) et que l’écart de pauvreté (la distance moyenne au seuil de
pauvreté) est 2,7 fois plus important (24,5%) que dans les villes (9.1%). Cependant, il ne faut pas
perdre de vue l’importance croissante de la pauvreté urbaine, notamment à Abidjan, où l’incidence
de la pauvreté a augmenté de 40,9% entre 2002 et 2008. Le chômage est essentiellement un
phénomène urbain, avec un taux cinq fois plus élevé que celui enregistré en milieu rural, où le sousemploi et la baisse de revenus en période de soudure sont plus importants.
Dans presque tous les domaines, les risques sociaux sont plus importants en milieu
rural. Un enfant rural court un risque un tiers plus élevé qu’un enfant urbain de décéder avant
d’atteindre l’âge de 5 ans. Son risque de malnutrition chronique est aussi presqu’un tiers
plus élevé et il a moins de chance de recevoir un traitement antipaludéen en cas de fièvre.
Seulement 40% des femmes accouchent avec l’assistance de personnel qualifié en milieu
rural, moins de la moitié du taux en milieu urbain. Les conditions de vie sont également plus
mauvaises en milieu rural, avec un taux très faible d’utilisation d’installations sanitaires
appropriées (37% par rapport à 84% en milieu urbain) et un taux d’utilisation de sources d’eau
améliorées (65%) qui est nettement plus faible qu’en ville (90%). Les enfants ruraux ont
également une probabilité deux fois plus élevée de travailler et de ne pas être enregistrés à
l’Etat civil. L’exception la plus saillante est la prévalence du VIH, qui est plus élevé en milieu
urbain, notamment à Abidjan (6,1% selon l’EIS de 2005).
Les disparités régionales
Les disparités régionales sont particulièrement frappantes (Tableau 3.4). Les régions du Nord sont
en situation généralement plus désavantageuse, ayant des conditions moins favorables que
les zones plus pluvieuses du Sud, un réseau de routes moins dense, des difficultés d’accès aux
marchés et des déficits importants dans l’offre des services sociaux de base. Par ailleurs,
la crise de 2002 et la séparation en deux du pays a particulièrement accru la vulnérabilité
des populations du Nord. Quelques zones dans l’Ouest du pays ont aussi été sévèrement
affectées par les conflits, aggravés par des rivalités ethniques et foncières locales et montrent
des niveaux élevés de vulnérabilité.
Selon les données de l’ENV de 2008, c’est la région Nord (actuellement Savanes) qui présente
les indicateurs de pauvreté les plus mauvais. L’incidence de pauvreté y a presque doublé
(+92%) entre 2002 et 2008 pour atteindre 77% de la population. L’écart de pauvreté est aussi
le plus élevé dans cette région (36%) et presque 30% de la population se trouve dans le
premier décile. Cependant, ce n’est pas la région avec le plus grand nombre de pauvres en termes
absolus. Elle arrive en troisième position derrière le Centre-Ouest (17,0%) et l’Ouest (10,6%).
Ces deux régions ont aussi des taux très élevés d’incidence de pauvreté (63%) et d’écart de
pauvreté (24-25%). Parmi les autres régions en situation particulièrement préoccupante, le NordOuest a le deuxième plus grand écart de pauvreté (26%) et 18% de sa population en extrême
pauvreté, et le Centre-Nord a connu une forte augmentation de l’incidence de pauvreté (+78% entre
2002 et 2008) pour atteindre 57%, et également 18% de sa population en extrême pauvreté.
20
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Tableau 3.4Indicateurs de pauvreté monétaire par région (%), 2008
Région
Centre
Centre Est
Centre Nord
Centre Ouest
Nord
Nord Est
Nord Ouest
Ouest
Sud
Sud Ouest
Abidjan
National
Incidence
(P0)
Ecart
(P1)
Variation P0
depuis 2002
56,0
53,7
57,0
63,0
77,3
54,7
57,9
63,2
44,6
45,5
21,0
48,9
20,3
20,4
24,2
24,3
36,1
20,9
25,6
25,1
14,7
13,3
5,6
18,2
35,3
19,6
78,1
25,0
91,8
-3,4
11,6
-2,0
47,2
10,2
40,9
27,3
Contribution
à la pauvreté
Incidence
pauvreté extrême
(1er décile)
9,6
2,4
7,5
17,0
10,1
5,4
5,8
10,6
14,0
8,8
8,9
100,0
9,6
9,6
17,8
13,6
29,6
10,3
18,4
14,1
6,4
3,2
1,6
10,0
Sources : ENV 2008 (MEMPD/INS, 2008).
Mortalité infanto-juvénile, 2005
(pour 1000 naissances vivantes)
Malnutrition chronique, 2006
(enfants < 5 ans)
Enfants de 12 à 23 mois
entièrement vaccinés, 2006
Traitement antipaludéen, 2006
(enfants < 5 ans fiévreux)
Assistance à l’accouchement par
personnel qualifié, 2006
Utilisation de sources d’eau
améliorées, 2006
Utilisation d’installations sanitaires
appropriées, 2006
Taux net de scolarisation
primaire, 2006
Enfants travailleurs,
2006 (5-14 ans)
Enregistrement des naissances,
2006 (enfants < 5 ans)
Taux net d’alphabétisation, 2008
(population > 15 ans)
Taux de prévalence du VIH, 2005
Tableau 3.5Risques sociaux par région (%), 2006
Centre
130
32,9
87,6
34,6
42,8
78,9
42,8
58,1
44,2
59,0
37,8
4,8
Centre Est
130
30,3
83,1
30.6
75,4
71,9
80,9
56,1
31,3
75,9
44,9
5,8
83
28,9
88,0
38,5
42,5
70,9
35,0
47,7
44,0
41,4
33,3
3,6
169
33,0
69,1
17.2
53,9
80,5
64,7
68,6
23,6
56,3
44,3
3,7
Nord
130
38,2
68,8
27.1
63,2
84,0
40,6
26,5
53,4
40,7
19,3
3,2
Nord Est
Région
Centre
Nord
Centre
Ouest
160
46,6
56,7
10,7
30,5
69,7
31,1
40,0
51,0
41,3
24,5
3,3
Nord
Ouest
96
34,5
60,7
26.4
23,4
57,6
59,2
31,6
51,6
23,5
14,8
1,7
Ouest
111
33,6
49,6
21.4
28,9
62,7
53,9
47,6
46,7
23,3
38,5
3,5
Sud
129
35,6
86,3
29.2
65,8
71,4
51,1
66,4
26,6
66,8
52,3
5,5
Sud Ouest
156
41,1
66,4
24,2
55,4
63,7
47,0
50,5
35,9
52,3
44,9
4,2
Abidjan
103
21,7
89,8
32,0
97,4
98,7
94,1
73,1
14,9
87,2
71,6
6,1
National
125
34,0
75,1
25,9
56,8
76,0
57,0
55,1
35,3
54,9
46,5
4,7
Sources : EIS 2005 (MLS et al, 2006) ; MICS 2006 (MEMPD/INS et UNICEF, 2007) ; ENV 2008 (MEMPD/INS, 2008).
21
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
En ce qui concerne les risques sociaux (Tableau 3.5), l’EIS de 2005 a trouvé les taux de mortalité
infanto-juvénile les plus élevés dans le Centre-Ouest (169 décès pour 1000 naissances vivantes),
le Nord-Est (160) et le Sud-Ouest (156). Deux de ces régions avaient aussi les niveaux les
plus élevés de malnutrition chronique (46,6% dans le Nord-Est et 41,1% dans le Sud-Ouest),
selon la MICS de 2006. Les régions du Nord sont clairement les plus arriérées sur le plan éducatif,
avec de loin les plus bas taux net de scolarisation primaire (26,5% dans le Nord, 31,6 % dans
le Nord-Ouest et 40,0% dans le Nord-Est) et d’alphabétisation des adultes (respectivement
19,3%, 14,8% et 24,5%). Il n’est pas surprenant de trouver que les taux de travail des
enfants sont également les plus élevés dans ces régions, avec plus de 50% des enfants
concernés. Par contre, les risques relatifs au VIH/SIDA sont plus élevés dans le quadrant
Sud-Est du pays, notamment à Abidjan.
3.2.3 La vulnérabilité selon le cycle de la vie
Les individus ont des degrés de vulnérabilité différents aux étapes successives du cycle de
la vie, pendant lesquelles les risques changent également de nature ou d’intensité (Figure 3.3).
Figure 3.3Risques selon le cycle de la vie
Source : auteurs.
Pour les enfants de moins de cinq ans (et encore plus pour les enfants de moins d’un an),
la fragilité physique met en péril la survie de l’enfant dans un contexte de pauvreté, de
conditions de vie insalubres et de faible accès aux services sanitaires. C’est aussi une période
critique de risques nutritionnels, puisque les déficiences protéino-énergétiques ou en micronutriments risquent d’augmenter la vulnérabilité de l’enfant et de retarder sa croissance
(notamment du cerveau) avec des conséquences néfastes pour son développement et
son bien-être à long terme. En Côte d’Ivoire, on a déjà vu que ces risques sont très sérieux
(un enfant sur huit meurt avant l’âge de 5 ans), surtout pour les enfants des ménages les plus
22
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
pauvres et pour ceux qui vivent en milieu rural et dans quelques régions du Nord et de l’Ouest.
En plus, le taux élevé de non-enregistrement à l’Etat civil (45% des enfants de moins de 5 ans)
expose un nombre important d’enfants au risque ultérieur de ne pas accéder à la scolarité.
Pour les enfants de plus de 5 ans, le risque de ne pas fréquenter l’école est majeur.
Environ 30% des enfants, selon la MICS de 2006, ne sont jamais inscrits au CP1, et 24%
des enfants abandonnent l’école avant de compléter le cycle primaire. Ainsi, plus de la moitié
des enfants sont à fort risque d’être analphabètes à l’âge adulte. Les enfants déscolarisés ont
aussi une probabilité plus élevée de travailler, bien que 32% des enfants scolarisés de 5 à 14
ans travaillent eux aussi, mettant en péril leur performance scolaire. Seulement 24% des enfants
en âge de fréquenter le secondaire sont scolarisés et les faiblesses du secteur de formation technique et professionnelle compromettent davantage l’éventuelle insertion dans le marché du travail
(MEMPD/INS et UNICEF, 2007).
Il faut souligner deux autres points importants concernant les enfants. Ils sont, tout
d’abord, dépendants des adultes et donc vulnérables à la maltraitance, notamment s’ils
vivent hors d’un cadre familial sain et protecteur (Encadré 3.1). Ils ont ensuite, en moyenne,
une probabilité plus grande que les adultes de vivre dans un ménage pauvre, la fécondité
y étant plus élevée, les ménages sont plus grands et les taux de dépendance sont plus élevés
dans les premiers déciles de la population. Le Tableau 3.6, sur la distribution des enfants, des
jeunes, des adultes et des personnes âgées par déciles, montre ce fait clairement. La distribution
des enfants de moins de 15 ans augmente de 5,5% dans le décile le plus riche à 12,5% dans
le décile le plus pauvre.
Tableau 3.6Distribution de la population par groupe d’âge et décile
de consommation, 2008
D1
D2
D3
D4
D5
D6
D7
D8
D9
D10
Total
Enfants < 5 ans
12,2
12,0
11,7
11,1
10,6
10,6
9,5
9,0
7,8
5,5
100
Enfants 5-14 ans
12,5
12,3
11,5
11,5
10,7
10,0
9,4
9,1
7,8
5,2
100
Jeunes 15-29 ans
7,9
8,4
8,8
9,2
9,7
10,1
10,6
11,0
11,8
12,5
100
Adultes 30-64 ans
8,7
8,4
8,9
9,1
9,2
9,5
10,2
10,4
11,3
14,2
100
Adultes > 65 ans
11,5
11,7
11,0
8,7
10,8
11,2
8,5
9,5
8,7
8,4
100
Ensemble de la
population
10,0
10,0
10,0
10,0
10,0
10,0
10,0
10,0
10,0
10,0
100
Source : Calculs des auteurs à partir des données de l’ENV 2008.
23
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Encadré 3.1La vulnérabilité accentuée de l’enfant sans cadre familial protecteur
Compte tenu du rôle critique de la famille comme cadre de développement et d’épanouissement de l’enfant,
la vulnérabilité est énormément accentuée chez l’enfant lorsqu’il vit hors d’un cadre familial ou dans un cadre
familial non protecteur. Les enfants vivant hors d’un cadre familial sont peu nombreux mais sont exposés
à de très hauts risques. Il s’agit des enfants de la rue, des enfants placés dans des institutions d’accueil
(orphelinats etc.), des enfants séparés ou non accompagnés lors des déplacements de populations,
des enfants dans les groupes armés (actuellement de nombre diminué) et des enfants détenus dans les
institutions policières et pénales.
Une étude en 2007 a dénombré 15 330 enfants de la rue dans les villes d’Abidjan, Bouaké, Korhogo,
Daloa, Yamoussoukro, Man et Abengourou (MEMPD et UNICEF, 2008). La majorité de ces enfants étaient
analphabètes (trois sur cinq) et se consacraient à des activités de petit commerce. Environ 200 enfants
sont détenus dans les prisons, selon des données datant de 2007 (MJDH et al, 2007). En plus du fait que
quelques-uns de ces enfants ne sont pas séparés des prisonniers adultes, ils sont à risque de sévices et
abus sexuels, d’une faible prise en charge éducative et de difficultés éventuelles de réinsertion sociale et
économique (MEMPD et UNICEF, 2008). En ce qui concerne les orphelinats, ces institutions fonctionnent
souvent sans avoir l’agrément requis par la loi et font rarement l’objet d’un suivi et de contrôles. Malgré les
déficiences d’information relative à ces institutions, la qualité du service est réputée être loin des normes en
la matière (MFFAS, 2010g).
Un nombre beaucoup plus large d’enfants sont à risque élevé malgré le fait qu’ils vivent dans un cadre
familial. Ce sont les enfants maltraités à la maison. La situation globale de ces enfants est très peu connue.
Cependant, on peut s’inquiéter en particulier de la vulnérabilité des enfants vivant dans des familles en
situation de haute précarité économique ou en rupture, ainsi que des enfants qui sont confiés à d’autres
familles ou à des parents distants, soit parce qu’ils sont orphelins, soit à cause de la situation économique
de la famille. Sur 9 millions d’enfants de moins de 18 ans, on compte environ 729 000 orphelins (8,1%)
toutes causes confondues et 324 000 orphelins (3,6%) du fait du SIDA, d’après l’EIV de 2005. La MICS de
2006 a trouvé que 8,5% des enfants sont orphelins, mais seulement 1,1% sont orphelins des deux parents.
Par contre, 20,7% des enfants ne vivent avec aucun parent biologique, ce qui montre que le phénomène
de placement (ou confiage) est très répandu. Bien que le système traditionnel de confiage des enfants soit
censé améliorer les opportunités, notamment de scolarité, il peut aussi conduire à des abus, mettant l’enfant
à haut risque de maltraitance, d’exploitation (comme travailleur domestique ou dans le petit commerce) et de
non scolarisation. Dans les pires des cas, il y a une zone grise avec le fléau de la traite. L’Enquête Nationale
sur le Travail des Enfants, réalisée en 2005, a estimé qu’il y avait environ 33 450 enfants de 5-17 ans victimes
de traite sur le territoire ivoirien (cité dans MEMPD et UNICEF, 2008).
Source : MJDH et al, 2007 ; MEMPD et UNICEF, 2008 ; MFFAS, 2010g.
Le chômage est un des plus importants risques pour les jeunes, en plus des risques du
VIH/SIDA et des IST et, pour les jeunes femmes, des risques de mariage et de grossesse
précoce, qui amplifient les risques plus larges de santé reproductive. Pour les jeunes, les
difficultés d’insertion professionnelle deviennent une grande préoccupation, notamment en milieu
urbain, bien que la distribution des jeunes par décile soit l’inverse de celle des enfants de moins
de 15 ans (Tableau 3.6). Environ 66,3% des chômeurs sont dans la tranche d’âge de 15 à 29
ans selon l’ENV de 2008. Le début de la vie sexuelle expose les jeunes à des risques d’infections
sexuellement transmises, parmi lesquelles le VIH/SIDA, qui sont exacerbés par le manque de
connaissances des risques et des moyens de les réduire, par le faible accès aux méthodes
modernes de contraception, et par la pauvreté et les relations inégales dans la négociation des
relations sexuelles entre hommes et femmes. En plus, selon l’EIS de 2005, 29,4% des femmes
âgées de 20 à 24 ans ont déjà eu une première naissance avant l’âge de 20 ans, dont 5,7%
avant l’âge de 15 ans, et la moitié des femmes sont déjà en union à l’âge de 19 ans.
Les risques de chômage (et de sous-emploi), de VIH/SIDA et de mortalité maternelle restent
élevés à l’âge adulte. Environ 32% des chômeurs en 2008 étaient dans la tranche d’âge de 30
à 59 ans. Cependant, comme pour les jeunes, la distribution des adultes par décile est l’inverse
de celles des enfants. Le taux de prévalence du VIH atteint ses niveaux les plus élevés pour cette
24
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
même tranche d’âge (10,4% pour les personnes âgées de 30 à 34 ans en 2005). Les femmes en
âge de procréation sont sujettes aux risques de la mortalité maternelle (543 décès pour 100 000
naissances vivantes).
Les personnes âgées n’ont souvent pas de support familial et sont sujettes aux risques
croissants de maladies et de handicaps, avec des besoins importants en médicaments
et consultations médicales. Comme les enfants, les personnes âgées de plus de 65 ans, qui
constituent 2,7% de la population, sont plus fortement concentrées dans les premiers déciles de
consommation. L’absence de pensions sociales de vieillesse et la nature payante de presque tous
les services sanitaires les rendent particulièrement vulnérables.
3.2.4 La vulnérabilité liée au genre
Le statut de subordination de la femme dans la culture prédominante, la division traditionnelle
du travail, les discriminations de genre (notamment par rapport à la scolarité) et le lourd fardeau
du rôle reproductif de la femme mettent les filles et les femmes dans une situation globalement
désavantageuse par rapport aux garçons et aux hommes et les rendent plus vulnérables à toute
une série de risques.
Les risques de non scolarisation ou d’abandon scolaire sont plus élevés pour les filles que
pour les garçons. Selon le Rapport d’Etat du Système Educatif Ivoirien (RESEN), en 2009, une fille
a 66% de chances d’avoir accès à la première année de l’école primaire (CP1) contre 76% pour
un garçon. Ces inégalités s’accentuent tout au long du système d’enseignement. Dans le second
cycle du secondaire, les garçons sont deux fois plus nombreux que les filles (Tableau 3.7).
A l’âge adulte, beaucoup moins de femmes que d’hommes savent lire ou écrire. En 2008, selon
l’ENV, le taux net d’alphabétisation (pour la population âgée de 15 ans et plus) était 56,1% chez les
hommes et seulement 36,8% chez les femmes.
Tableau 3.7Disparités filles/garçons dans le système d’enseignement (%), 2009
Accès
Primaire
Achèvement
primaire
Accès
Secondaire I
Achèvement
Secondaire I
Accès
Secondaire II
Achèvement
Secondaire II
Garçons
76
52
44
30
28
21
Filles
66
39
31
16
14
9
1,15
1,33
1,42
1,88
2,00
2,33
Rapport
garçons/filles
Source : RESEN 2009.
Les femmes ont également moins d’opportunités professionnelles et économiques que les
hommes. Il y a une prédominance des hommes travaillant dans l’agriculture d’exportation (cacao,
café, coton, anacarde, palmier), où ils sont sept fois plus nombreux que les femmes, selon l’ENV
de 2008. Les femmes se consacrent davantage à l’agriculture vivrière (17% contre 13% pour les
hommes). Le chômage touche plus les femmes de condition pauvre que les hommes pauvres (10%
contre 8%), et la part des inactifs est presque deux fois plus élevée chez les femmes que chez les
hommes (23% contre 13%). Il y a une différence fondamentale dans l’accès à la terre et au crédit
selon le genre. Dans l’ensemble, les ménages ayant un homme comme chef ont globalement plus
de chance d’avoir accès à la terre que leurs homologues femmes chefs de ménage, bien que l’écart
soit plus accentué dans le Centre Ouest, le Nord et le Sud. La propriété foncière étant souvent une
condition d’accès au crédit, les femmes ont également moins d’accès au crédit.
Bien que les taux de pauvreté soient similaires que les ménages ayant un homme ou une
femme comme chef, les chefs de ménages qui sont veuves ont connu un accroissement plus
rapide de la pauvreté que les autres femmes chefs de ménages (Banque Mondiale, 2010a). Il est
25
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
à noter que 43% des chefs de ménages de sexe féminin sont veuves et que, comme il a déjà été
signalé dans la section 3.1.2, les veuves sont très souvent dépossédées de leurs biens, notamment
dans les sociétés matrilinéaires.
Les autres risques encourus par les femmes, tels que l’excision, les violences conjugales, les abus
sexuels et l’exploitation sexuelle, ont aussi été mis en relief dans la section 3.1.2 et ne seront pas
répétés ici.
3.2.5 La vulnérabilité et le capital humain
Le capital humain est l’ensemble des capacités qu’un individu acquiert par l’accumulation
des connaissances et de savoir-faire. Le capital humain exprime ainsi l’idée d’un stock de
capacités imputé à une personne et pouvant être accumulé, par l’instruction ou par d’autres moyens
moins formels. Le manque d’instruction ou un faible niveau d’instruction est ainsi une source de
vulnérabilité des individus car il les rend moins capables d’éviter, d’atténuer ou de s’adapter aux
différents risques, qu’ils soient de nature économique, sanitaire ou socioculturelle. L’investissement
dans l’éducation, y compris par des mesures de protection sociale qui facilitent l’accès des plus
pauvres à l’école, est ainsi une stratégie de choix pour réduire la vulnérabilité à long terme. La
sensibilisation, par exemple sur la nutrition ou la protection contre le VIH/SIDA, joue aussi un rôle
important dans la réduction de certains risques.
L’augmentation de la pauvreté a frappé surtout les ménages ayant les chefs les moins
instruits. L’analyse de la pauvreté réalisée par la Banque Mondiale (2010a) a montré que l’incidence
de pauvreté a augmenté le plus pour les ménages ayant des chefs avec moins de sept ans
d’instruction (+300% de 1985 à 2008). Pour les ménages dont les chefs ont 15 ans d’instruction,
l’incidence de pauvreté n’a guère changé.
Le niveau d’instruction a aussi des impacts sur d’autres risques sociaux, tout en étant
généralement moins déterminant que le niveau de richesse. Par exemple, plus la mère est
instruite, plus son enfant a de chances de fréquenter l’école. Le taux net de scolarisation primaire
est deux fois plus élevé pour les enfants de mères ayant atteint le secondaire ou plus (92,2%) que
pour les enfants de mères non instruites (48,6%). Ce taux est 75,8% pour les enfants de mère ayant
fréquenté le primaire. Selon des analyses de régression logistique (Banque Mondiale, 2010b), une
femme ayant fréquenté l’enseignement secondaire ou supérieur aurait un ratio de probabilité (odds
ratio) deux fois supérieur d’accoucher avec l’assistance de personnel qualifié qu’une femme sans
aucune instruction (1,3 fois plus dans le cas d’une femme ayant l’enseignement primaire). C’est
donc un facteur important même si le facteur économique est de loin le plus important, le ratio de
probabilité Q5/Q1 étant de 15,2.
3.2.6 Maladies chroniques, dont le SIDA, et handicaps
Les maladies chroniques, telles que le SIDA, la tuberculose et la lèpre, rendent les ménages
plus vulnérables, diminuant leur capacité productive et augmentant leurs besoins médicaux. En
2009, l’ONUSIDA a estimé à 164 000 le nombre de personnes qui ont besoin d’ARV, dont 14 000
enfants de moins de 15 ans (CNLS, 2011). Ces personnes, déjà malades du SIDA, constituent
34% des personnes vivant avec le VIH et environ 0,01% de la population. Même si ce dernier chiffre
paraît très faible, il sera en hausse dans les prochaines années, compte tenu du taux de prévalence
du VIH, avec des conséquences graves pour la capacité productive et le bien-être des personnes
concernées et des autres membres de leurs ménages. Une étude en 2000 a montré que, parmi un
échantillon de PVVIH connaissant leur statut et consultant pour des soins, 30% avaient perdu leurs
emplois (Juillet et al, 2001, cité dans Banque Mondiale, 2010b). Une enquête ménage réalisée en
2007, avant l’introduction des ARV, auprès de 1 451 adultes séropositifs a trouvé que 68% des
ménages ayant des PVVIH faisaient face à des dépenses catastrophiques13.
13 Selon la définition de l’OMS : plus de 40% des dépenses non alimentaires.
26
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
L’introduction de la gratuité des ARV aurait réduit ces dépenses. Cependant, le fait que la majorité
des PVVIH ayant besoin d’ARV et d’autres médicaments pour les infections opportunistes ne soient
pas encore bénéficiaires de ces services suggère que les impacts, surtout en termes de perte de
productivité et de revenus, restent importants. Le nombre de personnes sous ARV a été estimé à
environ 52 000 en 2007-2008 (CNLS, 2011). En outre, les estimations de l’ONUSIDA portent à 430
000 le nombre d’orphelins et enfants rendus vulnérables du fait du SIDA.
Les personnes qui vivent avec un handicap14 semblent représenter l’un des groupes les
plus vulnérables, souffrant de toute une série de désavantages, allant des barrières d’accès à
l’enseignement et aux emplois jusqu’aux contraintes à leur pleine participation dans la vie sociale
et culturelle. Cependant il est difficile de quantifier ces désavantages, compte tenu du manque de
données statistiques fiables sur les personnes handicapées. Selon le recensement général de la
population et de l’habitat de 1998, il y avait cette année-là 85 517 personnes handicapées, soit
0,6% de la population, dont 29,4% d’enfants âgées de moins de 15 ans et 22,9% d’enfants en âge
de scolarisation. Ces chiffres semblent avoir sous-estimé l’importance réelle de cette catégorie de
la population, qui a généralement un poids plus élevé dans les pays en voie de développement.
La répartition par types de handicap est la suivante : 36% de handicaps physiques, 30% de surdimutité, 19% de cécité et 16% d’autres handicaps (MFFAS, 2010j). Selon l’ENV de 2008, l’incidence
de pauvreté est légèrement plus élevée chez les personnes handicapées (51,4%) par rapport aux
non-handicapées (48,9%). Selon le Ministère chargé des affaires sociales, la plupart des enfants
handicapés ne jouissent pas du droit à la scolarité, en raison de la très faible capacité des institutions
d’enseignement spécialisé, ainsi que de la faible mise en œuvre de la politique intégratrice qui doit
favoriser l’intégration des enfants handicapés à l’enseignement ordinaire.
14L’OMS définit la personne handicapée comme étant « un sujet dont l’intégrité physique ou mentale est passagèrement ou définitivement
diminuée, soit congénitalement, soit sous l’effet de l’âge, d’une maladie ou d’un accident, en sorte que son autonomie, son aptitude à
fréquenter l’école ou à occuper un emploi s’en trouvent compromises ».
27
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
4 Programmes existants et défis de renforcement
de la protection sociale
4.1La protection sociale informelle
Les mécanismes informels apparaissent prédominants dans le système de protection tel qu’il
fonctionne actuellement en Côte d’Ivoire. Lors des études de cas menées dans le cadre d’une
récente cartographie du système de protection de l’enfant, les groupes de discussions (enfants,
adolescents, femmes ou hommes) organisés au niveau communautaire n’ont fait référence qu’à
l’aide communautaire disponible auprès de leurs familles, de leurs voisins et des notables de la
communauté. Aucun groupe de discussion n’a fait mention de l’existence d’offre de services fournis
par les structures publiques ou les ONG (MFFAS, 2010g).
Les modèles traditionnels de protection sociale regroupent une diversité de mécanismes endogènes
de nature familiale, communautaire et associative fondés essentiellement sur le capital social des
membres (la solidarité) et sur la réciprocité dans la jouissance des prestations. Par ailleurs, le droit
coutumier et les chefferies continuent de jouer un rôle fondamental dans la vie des communautés,
constituant des mécanismes de protection plus présents sur le terrain et plus sollicités que les
instances de l’Etat (Encadré 4.1).
Encadré 4.1Le droit coutumier et la protection de l’enfant
Tant en zones urbaines que rurales, les autorités traditionnelles continuent de jouer un rôle fondamental dans
la vie des communautés. La reconnaissance officielle, par les autorités administratives, du rôle auxiliaire que
les autorités traditionnelles jouent, formalise de facto ce rôle. En cas de problème ne pouvant se résoudre
au niveau de la famille nucléaire, la famille élargie ou le voisinage, les familles se tournent en premier lieu vers
les autorités traditionnelles, considérées comme légitimes et en général puissantes avec un bon contrôle de
leur territoire.
Il est ainsi ressorti des études de cas menées dans le cadre de la cartographie du système de protection
de l’enfant, réalisée en 2009-10, que nombre de personnes perçoivent les systèmes communautaires
comme suffisants pour résoudre les problèmes de protection de l’enfant. En cas d’abus au sein de la famille,
l’assistance se fait en plusieurs étapes. Dès le signalement d’un cas de protection, c’est la cellule familiale qui
est sollicitée. Si aucune solution n’est trouvée dans le cadre familial, il est pris en charge par la famille élargie
et/ou les voisins puis par les autorités coutumières. Elle ne passe à l’étape des structures étatiques que si
elle ne peut se régler par les autorités coutumières.
La logique des communautés donne priorité à la cohésion sociale et à une résolution à l’amiable des
problèmes. Ces mécanismes traditionnels peuvent montrer des limites. Par exemple, dans le cas de la
protection de l’enfant, les enfants victimes d’abus ne sont en général pas impliqués dans le processus
de résolution familiale ou communautaire, et certaines pratiques peuvent se révéler opposées aux droits
de l’enfant et nuisibles à son développement harmonieux. Il n’en reste pas moins que l’existence de
mécanismes traditionnels de résolution des problèmes bien établis et reconnus par les populations constitue
une opportunité importante à prendre en considération dans le développement d’un système national de
protection sociale, notamment pour son volet de prévention et protection contre les violences.
Source : MFFAS, 2010g.
Les familles étendues sont les premiers soutiens lorsqu’il s’agit de la prise en charge des
ménages et individus en difficulté, y compris les appuis aux handicapés, aux personnes âgées,
aux orphelins et veuves, et aux personnes déplacées. Tout en commençant par les parents proches
(père, mère, frères et sœurs, oncles et tantes), la solidarité aux personnes vulnérables implique
également de façon significative le lignage et les beaux-parents. Les grands-parents en particulier
sont très impliqués dans la prise en charge des orphelins et autres enfants vulnérables (OEV).
Néanmoins, la nature des obligations familiales diffère de façon significative selon que le système
28
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
de filiation est patrilinéaire ou matrilinéaire, notamment en ce qui concerne les obligations envers les
veufs, les veuves et les orphelins (Soko, 2010)15. En outre, le sentiment d’appartenance familiale
et les obligations qui en découlent sont à la base des importants transferts intra et interfamiliaux.
Ces transferts constituent environ 7% des revenus des ménages selon les données de l’ENV 2008
(Banque Mondiale, 2010a). Les parents et les amis sont aussi les principales sources de crédit, loin
devant les structures financières formelles (banques et institutions de microfinance).
Au-delà de la famille étendue, les structures associatives remplissent une fonction d’entraide.
Soko (2010) a décrit les mécanismes de protection, sous forme d’entraide ou de mutualisation
informelle des risques, établies par toute une gamme de structures : les « associations ethniques
en ville », qui ont été les premiers soutiens des populations déplacées internes dans les villes,
notamment pour l’hébergement et les premiers secours en vivres et en non vivres ; les « associations
au village », souvent des groupes homogènes de femmes ou de jeunes qui épaulent les parents
dans la prise en charge des personnes vulnérables ; les églises, les mosquées et les associations
religieuses, qui par leurs œuvres sociales apportent des aides aux populations déplacées, appuient
les OEV (notamment en recherchant des « familles d’accueil ») et viennent également en aide aux
handicapés et aux personnes âgées ; les associations de retraités de la fonction publique ou
du secteur privé ; les associations de personnes handicapées ; les associations de populations
déplacées ; les sociétés funéraires, qui mutualisent les dépenses liés aux décès16 ; et les « greniers
semenciers » ou « banques de céréales », qui gèrent des stocks en nature au niveau villageois ou
inter-villageois qui peuvent être vendus ou prêtés au moment de la période de soudure.
Le système de protection sociale informelle est donc largement dominé par : (1) les obligations
d’entraide intra et interfamiliale, caractérisée par des transferts entre parents, amis, enfants,
voisins et familles à l’étranger et la prise en charge d’individus vulnérables (orphelins, personnes
handicapées et personnes âgées) au sein de la famille (étendue) ; et (2) par l’assurance mutuelle
informelle, c’est-à-dire la réciprocité de prestations au sein de structures communautaires telles que
les associations, les sociétés funéraires, les banques de céréales et les tontines. Ces dernières
offrent des prestations sociales diverses aux membres affiliés en termes d’assistance financière,
matérielle et morale en cas d’événements malheureux ou heureux : décès, maladies, cérémonies
rituelles (naissance, initiation, etc.), dot, mariage, scolarisation, soudure, etc. Les associations de
personnes déplacées se sont constituées afin de faire face aux problèmes spécifiques découlant
des déplacements, y compris pour le retour et la réinsertion dans les zones d’origine.
Ces systèmes d’assurance mutuelle informelle, qui sont bien ancrés dans les cultures de
l’Afrique de l’Ouest, ont l’avantage d’être des initiatives avant tout endogènes, c’est-à-dire
initiées par les réseaux sociaux bénéficiaires et proposant des paquets de prestations ancrées dans
les logiques et réalités sociales de leurs communautés respectives. Mongbo (dans Hodges et al,
2010) note que leur mode d’organisation, de fonctionnement et de gestion est généralement moins
15Selon Soko (2010, pp. 13-14) : « Dans les sociétés où le système de filiation patrilinéaire prévaut (Korogho, Daloa, San Pédro et Bondoukou),
la règle veut que l’enfant appartienne au groupe du père. Au moment du mariage, la dot de la femme est offerte à la famille de son époux, et les
enfants qui naîtront de cette union s’inscriront dans la lignée paternelle dont ils porteront le nom. Au décès de l’époux, et afin que les enfants
puissent rester près de leur mère tout en continuant d’appartenir à la lignée paternelle, un frère du mort est désigné pour épouser la veuve.
C’est la logique du lévirat. Si pour une raison ou pour une autre, la veuve retourne vivre chez ses parents, les enfants sont alors confiés à une
tante paternelle qui s’en occupe […] Dans ce système, les enfants héritent de leur père, et c’est l’oncle paternel qui est chargé d’administrer leur
patrimoine jusqu’à ce qu’ils deviennent adultes. Lorsque le père se retrouve veuf, les enfants devenus orphelins de mère sont élevés par une
autre épouse du père ou par une sœur de ce dernier ». Par contre, « dans les sociétés matrilinéaires (Aboisso, Yamoussoukro), les enfants sont
affiliés à la famille de leur mère. Ils sont placés sous la responsabilité directe du frère aîné de leur mère : l’oncle maternel qui est le père social
des enfants […] Lorsqu’un père meurt, ses héritiers sont ses neveux, ce qui a pour effet de soustraire la veuve et les enfants au droit d’hériter.
Ces derniers héritent de leur oncle et ne peuvent pas s’opposer à la restitution des biens du défunt à sa famille. Ses sœurs et leurs enfants sont
les bénéficiaires traditionnels de l’héritage […] Le rôle parental de l’oncle maternel, caractéristique majeure de l’organisation familiale matrilinéaire,
reste à l’heure actuelle un aspect fonctionnel dans certaines sociétés et il est observable à travers les stratégies de survie des parents vivant avec
le VIH. [… Cependant] dans le système matrilinéaire, surtout à Aboisso, lorsque qu’un père meurt, la famille de celui-ci peut estimer qu’elle n’a
plus rien à voir avec la veuve et ses enfants, et les chasser. Dans ce cas, par exemple, la femme doit donner tous ses biens à sa belle-famille,
pour en sortir libérée et pouvoir se remarier. Théoriquement, la veuve doit retourner dans sa famille et garder avec elle ses enfants. Après le décès
du père, et davantage encore dans le cas du SIDA, les biens sont confisqués par la belle-famille, les enfants et elles sont chassés de la parcelle,
accusés d’avoir ‘mangé’ l’époux père en sorcellerie. »
16Soko (2010) affirment que les zones de Daloa, de San Pédro, d’Aboisso et d’Abidjan sont les zones de prédilection des sociétés funérairesChaque
membre cotise au niveau d’au moins 500 FCFA par mois. Avec cette somme, la société funéraire garantie que si un membre de la famille du
participant meurt dans l’année (à l’exclusion des nourrissons et des jeunes enfants), la famille reçoit 100 000 FCFA du fonds.
29
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
contraignant que la mutualisation formelle, étant fondé sur des contrats implicites et des compromis
et règles flexibles qui sont généralement admises et respectées par tous en raison de leur ancrage
socioculturel et des utilités que leur procurent les prestations offertes. Soko (2010) met en relief les
mêmes atouts : l’obligation morale tacite (« chacun se sentant redevable à l’autre »), la confiance
dans les relations, la sûreté et la rapidité des prestations.
Toutefois, les mécanismes traditionnels d’entraide sont peu adaptés aux chocs à large
échelle qui affectent des communautés et régions entières et requièrent des réponses bien
au-delà des ressources disponibles au niveau des familles et des structures communautaires
et associatives. Les communautés ayant des risques plus élevés (et souvent des ressources plus
limitées) doivent supporter une charge plus importante. Par ailleurs, la multiplicité, la gravité et la
durée des chocs en Côte d’Ivoire, surtout des chocs économiques et politiques de nature collective
ou covariante, ont exacerbé l’insécurité à laquelle font face les ménages. L’appauvrissement des
familles les rend de moins en moins capables d’assumer leurs obligations familiales traditionnelles,
par exemple pour la prise en charge des orphelins et des veuves, et la crise sociopolitique a entrainé
l’effondrement de quelques filets de sécurité familiaux et communautaires dans les zones les plus
touchées par l’insécurité et les déplacements de populations.
En outre, les migrations et déplacements, l’urbanisation et la modernisation compromettent le
maintien des traditions de solidarité. Soko (2010, p. 22) constate l’émergence d’un « processus
d’individualisation au sein des familles » et affirme que la crise économique et sociopolitique et
ses conséquences ont fragilisé les solidarités familiales, « en favorisant des comportements plus
individualistes chez les chefs des ménages les moins pauvres. […] Outre un recentrage sur la
famille proche, un arbitrage s’oppose souvent au profit des parents plus créanciers : On aide qui
aide, on aide qui a aidé ou on aide qui pourra aider. L’individu ne rompt donc pas totalement des
logiques et devoirs de la solidarité familiale, mais il les renégocie sur la base d’un donnant-donnant
et d’un arbitrage en fonction des nouvelles exigences propres au couple et de sa progéniture. »
Les personnes socialement exclues auront encore plus de difficultés à accéder à ces mécanismes
fondés sur la réciprocité. La nature horizontale de la réciprocité se reflète, semble-t-il, dans le
manque de progressivité des transferts privés et le fait que seulement 20% des destinataires se
trouvent dans la moitié la plus pauvre de la population, selon l’ENV 2008 (Banque Mondiale, 2010a).
On voit ainsi clairement la nécessité de construire un système plus formel de protection sociale des
ménages ivoiriens dans un contexte de vulnérabilité profonde et de risques multiples.
4.2L’assurance sociale
Les régimes d’assurance sociale ont un impact minime en matière de protection de la
population générale contre les risques sociaux. A peine 6% de la population vit dans un ménage
ayant au moins une personne qui bénéficie de pensions de retraite ou d’autres assurances. La
proportion de ménages ayant au moins une personne qui bénéficie de pensions de retraite ou
d’autres assurances est légèrement plus élevée en milieu urbain (8%) qu’en milieu rural (3%)
(Banque Mondiale, 2010a). L’assurance sociale se limite essentiellement aux travailleurs du secteur
formel, c’est-à-dire aux employés de l’administration publique et des grandes entreprises privées
et paraétatiques, ainsi qu’à leurs ayants droit. L’écrasante majorité de la population qui dépend de
l’agriculture familiale et d’autres branches du secteur informel se trouve exclue. En fait, à peine 2%
des personnes de 15 ans et plus vivant dans les ménages pauvres en 2008 exerçaient dans les
secteurs formels public ou privé (MEMPD/INS, 2008a).
Le système d’assurance sociale est constitué essentiellement des deux caisses de sécurité sociale et
des mutuelles professionnelles. Les caisses fournissent des pensions de retraite et quelques autres
prestations sociales, et les mutuelles professionnelles s’occupent principalement de l’assurance
maladie. Les deux caisses sont la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) pour le secteur
privé et la Caisse Générale de Retraite des Agents de l’Etat (CGRAE) pour le secteur public. Les
principales mutuelles sont la Mutuelle Générale des Fonctionnaires de Côte d’Ivoire (MUGEFCI),
le Fonds de Prévoyance Militaire (FPM) et le Fonds de Prévoyance de la Police Nationale (FPPN).
30
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Ces mécanismes de sécurité sociale ne couvrent qu’une petite minorité de la population,
et de plus, la CNPS et la CGRAE sont toutes deux en situation de déséquilibre financier,
ce qui nécessite des subventions coûteuses de la part du gouvernement, met en péril leur pérennité
et exige des réformes profondes pour assurer leur survie.
4.2.1 La Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS)
La CNPS, qui a été créée en 196817 et à laquelle a été conféré son statut actuel d’institution
de prévoyance sociale (IPS) en 200018, gère le régime obligatoire de la prévoyance sociale
des travailleurs salariés du secteur privé. Les prestations servies par la CNPS sont regroupées
en trois branches :
•
les pensions (assurance vieillesse, invalidité et survivants) qui vise à assurer un revenu de
remplacement adéquat ;
•
les prestations familiales19, qui visent à aider les travailleurs à faire face à leurs charges de
famille et à promouvoir la protection maternelle et infantile ainsi que l’éducation des enfants ;
•
les prestations en cas d’accidents du travail ou de maladies professionnelles.
Les pensions de retraite sont financées par les cotisations des employeurs et des salariés : les
salariés paient par mois 3,2% de leur salaire et leurs employeurs 4,8%, soit 8% au total. Les
deux autres cotisations sont exclusivement à la charge de l’employeur, à raison de 5,75%, pour
les prestations familiales et d’un taux variable de 2 à 5% pour les accidents du travail et maladie
professionnelle (en fonction du risque que présente l’activité exercée).
Au 31 décembre 2010, la CNPS comptait 21 872 employeurs immatriculés et les salariés affiliés
étaient au nombre de 515 156 personnes. La pension de retraite bénéficiait à 95 752 retraités à
cette date. Dans l’ensemble, la CNPS a dépensé 91 milliards de FCFA pour les prestations payées
en 2010, dont 81 milliards de FCFA au titre de la retraite (Traoré, 2011). Ces données indiquent
que 89% du montant des prestations dépensées a été consacré aux pensions de retraite et 11%
aux non retraités, ce qui correspond à des dépenses annuelles de 19 415 FCFA par non retraité et
845 935 FCFA par retraité (Tableau 4.1). Il y a lieu de noter ici qu’à la retraite (actuellement à l’âge de
55 ans) l’assuré perçoit l’équivalent de 30 à 40% de son salaire.
Le système de sécurité sociale géré par la CNPS est confronté à toute une série de faiblesses
de fonds (Traoré, 2008 et 2011) :
•
son faible niveau de couverture de la population ;
•
le nombre limité de prestations et surtout l’absence de couverture du risque maladie, mis à
part la prise en charge des victimes d’accidents du travail ou maladies professionnelles et
des femmes en couche20 ;
•
l’ignorance des droits aux prestations (de la part des assurés) et la mauvaise foi de certains
employeurs qui ont tendance à se soustraire de la règlementation sociale ;
17 Loi n° 68-595 du 20 décembre 1968.
18 Décret n° 2000-487 du 12 juillet 2000.
19 Celles-ci incluent des allocations pour enfants (1 500 FCFA par mois et par enfant de 1 à 13 ans), des allocations prénatales (13 5000 FCFA
payés en 3 tranches pendant les 9 mois de la grossesse), des allocations de maternité (18 000 FCFA payés en 3 tranches pendant 1 an
après l’accouchement), les allocations aux foyers (18 000 FCFA versés à la naissance de chacun des trois premiers enfants), les indemnités
journalières de maternité (l’intégralité du salaire pendant 14 semaines) et le remboursement des frais d’accouchement et des soins médicaux
liés à la grossesse.
20 Pour ceux qui bénéficient de la couverture médicale en entreprise (voir la section 4.2.3), leur usufruit ne vaut que lorsqu’ils sont en activité.
31
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
•
la déclaration du mariage civil comme préalable aux prestations familiales, qui fait en sorte
que la vaste majorité des épouses et des enfants ne jouissent pas de ces prestations,
compte tenu du taux très élevé de concubinage et de la non déclaration (ou la déclaration
tardive) des mariages civils à la CNPS (seuls 3% des salariés inscrits à la CNPS en 2006
avaient déclarés des mariages à la Caisse) ;
•
le faible montant des allocations familiales (1 500 FCFA par enfant) qui n’a pas augmenté
depuis 1980 et qui représente à peine 4% du salaire minimum interprofessionnel garanti
(SMIG) ;
•
le déficit structurel du régime de retraite de base, géré en répartition, qui pour des raisons
économiques et démographiques n’est plus viable en termes financiers, même si le régime
paraît relativement peu généreux pour les retraités ;
•
le non-paiement de cotisations de la part de quelques employeurs, notamment de l’Etat
(dans le cas de ses agents employés dans les établissements publics à caractère industriel
et commercial, qui sont inscrits à la CNPS) et un niveau élevé d’arriérés de paiements de
dettes de l’Etat.
Tableau 4.1Répartition des dépenses selon les catégories d’assurés de la CNPS,
2010
Catégories
d’assurés
Salariés affiliés
Retraités
Total
Nombre d’assurés
(au 31 écembre)
Montant des
dépenses en
milliards FCFA
Poids financiers
de chaque
catégorie en%
Dépenses
moyennes par
assuré en FCFA
515 156
10
11
19 415
95 752
81
89
845 935
610 908
91
100
Source : Traoré (2011) et calculs des auteurs
.
En effet, un audit actuariel du régime de retraite de base a proposé des réformes profondes
pour garantir la survie de la Caisse. Selon le responsable de la Cellule Etudes et Développement
de la CNPS, « face au déséquilibre structurel du régime de retraite arrivé à maturité, et dans
l’expectative de la mise en vigueur de la réforme de l’assurance vieillesse, la maîtrise des dépenses
et l’optimisation des ressources sont le souci permanent de la CNPS pour la préservation de ses
acquis » (Traoré, 2011). Pour ce faire, les mesures suivantes ont été adoptées pour viabiliser le
régime de retraite de base: l’augmentation du taux de cotisation de 8 % à 12 %, puis à 14% quatre
ans après, et l’augmentation de l’âge de la retraite de 55 ans à 60 ans.
En complément du régime de base fonctionnant par répartition, la CNPS envisage aussi de
créer un régime de retraite géré par capitalisation qui permettrait aux travailleurs de disposer à
la retraite d’un revenu de remplacement représentant 70% de leur revenu moyen au terme d’une
carrière complète. Compte tenu du fait que la grande majorité de la population reste en dehors
du champ d’application des régimes d’assurance sociale, la CNPS propose aussi de mettre en
place une couverture sociale à l’endroit des travailleurs indépendants, c’est-à-dire des personnes
exerçant à titre personnel une activité artisanale, commerciale, agricole, industrielle ou libérale, ainsi
que certains dirigeants ou associés de société (Traoré, 2011).
Outre ces mesures relatives à la retraite, il serait souhaitable d’introduire d’autres réformes
en vue de mieux protéger les femmes et les enfants. Il s’agit de l’amélioration des montants des
prestations familiales, ainsi que l’allègement de la condition du mariage civil comme préalable à ces
prestations.
32
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
4.2.2 La Caisse Générale de Retraite des Agents de l’Etat (CGRAE)
La CGRAE a été créée en 199721 pour prendre en charge la gestion des pensions de retraite
des agents de l’administration publique, gérés auparavant (de 1964 à 1977) par le Ministère des
Affaires Economiques et du Plan. Elle est sous la double tutelle du Ministère d’Etat, Ministère d’Etat,
Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité (tutelle technique) et du Ministère de
l’Economie et des Finances (tutelle financière). Comme dans le cas de la CNPS, la CGRAE gère un
régime de retraite de base qui est obligatoire et par répartition.
La population cible de la CGRAE comprend les fonctionnaires de l’Etat actifs et pensionnés. Les
cotisations de retraite sont constituées de 12% du salaire de l’agent versés par l’employeur et de 6%
prélevés sur le salaire de l’agent, soit un niveau de cotisation de 18%. Au 31 décembre 2010, on
dénombrait 123 structures affiliées au régime de retraite de la CGRAE, environ 170 000 cotisants et
environ 70 000 bénéficiaires de prestations (Niankan, 2011).
Les différentes prestations offertes aux assurés de la CGRAE sont de deux types : les prestations
viagères échelonnées dans le temps et les prestations à paiement unique. Les prestations viagères
découlent du régime obligatoire des pensions et sont payées mensuellement aux bénéficiaires. On
distingue la pension d’ancienneté, la pension proportionnelle, les allocations viagères et les pensions
de réversion (du conjoint survivant, des orphelins mineurs et des ascendants). A l’exception de la
pension temporaire d’orphelin qui s’éteint avec la majorité de l’enfant bénéficiaire, toutes les autres
prestations sont viagères. Les prestations à paiement unique sont des prestations réglées en une
seule fois. Il s’agit du capital décès (allocations accordées aux ayants cause de fonctionnaires
décédés en activité), des indemnités de départ volontaire, du remboursement des cotisations à
6% versées par les employés (dans le cas où les agents cessent leurs fonctions avant d’obtenir
une pension) et des invalidités temporaires. Le régime du CGRAE inclut aussi des prestations aux
familles sous forme d’allocations familiales (fixées au niveau très faible de 2 500 FCFA par enfant et
par mois) et de majorations familiales.
A l’instar de la CNPS, la CGRAE est devenue structurellement déficitaire en raison de
nombreux facteurs, parmi lesquels : les tendances démographiques (notamment la croissance
rapide du nombre de retraités et l’augmentation de l’espérance de vie) ; l’augmentation du montant
de la rente moyenne ; les prestations non contributives ; les arriérés de paiements de cotisations par
certaines entreprises et institutions publiques ; le gel des effets financiers des avancements dans la
fonction publique (en vigueur depuis les années 80), qui gèle aussi automatiquement le niveau de
cotisation ; et le paramétrage incohérent du régime. Selon l’étude actuarielle de la CGRAE, le ratio
de dépendance démographique (prise en charge d’un pensionnaire par 2,44 actifs) est largement
inférieur à la norme de 4 à 5 actifs par bénéficiaire pour assurer l’équilibre du régime, et le délai
de récupération des cotisations versées au régime de retraite ressort à seulement 3,8 années,
comparé à l’espérance de vie au départ en retraite, qui est de 16 ans pour les hommes et 19 ans
pour les femmes (cité par Gueu Yra, 2008). Au cours de l’exercice 2010, les différentes prestations
exécutées se chiffraient à 121,5 milliards de FCFA mais le niveau de cotisations n’était que de 75
milliards de FCFA (Niankan, 2011). Il se dégage de ces données un déficit d’environ 46,5 milliards
de FCFA. Selon la même source, en l’absence de réforme, ce déficit atteindra le niveau de 266
milliards de FCFA, soit 1% du produit intérieur brut (PIB), en 2050.
La CGRAE propose donc une réforme en profondeur du régime par répartition. Cette réforme,
qui n’est pas encore validée par l’Etat, consisterait à corriger les paramètres suivants du régime
de retraite de base : augmentation de l’âge de la retraite ; augmentation du taux des cotisations ;
réduction des pensions de réversion ; révision du salaire de référence pour le calcul des pensions ;
changement du mode de revalorisation des pensions ; suppression des majorations pour famille
nombreuse ; et réduction du montant des prestations ou rentes à servir. La CGRAE propose aussi
des réformes institutionnelles en vue de se doter d’un statut d’institution de prévoyance sociale,
jouissant d’une réelle autonomie administrative et financière.
21 Ordonnance n° 77-206 du 5 avril 1977.
33
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Malgré la cohérence des raisons économiques et financières justifiant ces mesures de
redressement, elles impliquent une détérioration du niveau de vie de la majorité des retraités.
C’est pour faire face à cette réalité que la CGRAE envisage aussi de mettre en place un régime
de retraite complémentaire par capitalisation, pour compenser la baisse des prestations ou rentes
occasionnée par une réforme paramétrique du régime par répartition (Niankan, 2011). Toutefois, le
plan de réforme inclut aussi certaines mesures qui prennent le contre pied de la vision humaniste de
la protection sociale et devraient être l’objet d’une réflexion plus approfondie. Il s’agit notamment de
la réduction des pensions de réversion, de la réduction du taux d’annuité et de la suppression des
majorations pour famille nombreuse.
Certaines autres dispositions règlementaires existantes ont besoin de modification pour
mieux protéger les droits des femmes et des enfants, notamment en ce qui concerne la levée
de la condition de mariage civil pour permettre un plus large accès aux allocations familiales et aux
pensions de réversion aux veuves et aux orphelins (Gueu Yra, 2008).
4.2.3 Les « mutuelles » professionnelles
Les mutuelles professionnelles sont relativement nombreuses en Côte d’Ivoire, mais elles
ne couvrent également qu’une infime minorité de la population exerçant dans le secteur
formel, principalement le secteur public, où elles sont responsables de l’assurance maladie. Les
plus anciennes, actives et connues sont : la Mutuelle Générale des Fonctionnaires de Côte d’Ivoire
(MUGEFCI), le Fonds de Prévoyance Militaire (FPM) et le Fonds de Prévoyance de la Police Nationale
(FPPN). Ces structures ont en commun la couverture des risques sanitaires et sociaux des membres
et de leurs ayants droits. Ce ne sont pas de vraies « mutuelles », l’adhésion étant obligatoire pour
les employés dans les institutions concernées. Avant la création de la MUGEFCI, les fonctionnaires
des administrations et établissements publics administratifs de l’Etat en activité ou à la retraite ainsi
que les membres de leurs familles (épouses et enfants à charge) avaient droit à la gratuité des
consultations, des soins médicaux et dentaires, et des médicaments dans les formations sanitaires
publiques.22 Lorsque cette gratuité des soins de santé accordée aux fonctionnaires et agents de
l’Etat a été supprimée, la Mutuelle Générale des Fonctionnaires et Agents de l’Etat (MGFAE) a été
mise en place pour compenser la perte de cet avantage. Créée par le Président de la République
en 1973, la Mutuelle était gérée par une Direction du Ministère de la Fonction Publique.23 Mais 16
ans plus tard, en 1989, l’Etat se désengage de la MGFAE et confie sa gestion aux organisations
syndicales des fonctionnaires. Ainsi est né la MUGEFCI comme institution de droit privé.
La MUGEFCI se distingue des deux autres mutuelles professionnelles par le fait qu’elle a
plus d’adhérents, offre une gamme variée de prestations et est la plus ancienne. Elle gère trois
régimes, tous selon le système de tiers payant : un régime de base (avec environ 240 000 cotisants
et 600 000 bénéficiaires) et deux régimes complémentaires, Ivoir’Santé et Ivoir’Prévoyance, qui,
en raison de leurs niveaux de cotisation relativement élevés, ont peu d’adhérents. A son assemblée
générale d’août 2011, la MUGEFCI a présenté un bilan financier excédentaire. Les difficultés de la
MUGEFCI sont essentiellement liées à la fraude. En effet, de nombreux cas de fraudes sont constatés
au niveau de l’utilisation des cartes de la mutuelle : certains assurés font bénéficier frauduleusement
leurs proches non assurés des prestations offertes par la MUGEFCI (Gueu Yra, 2008).
Le FPM a été créé pour toutes les catégories d’agents des Forces Armées Nationales ayant
le statut de militaire. L’adhésion à ce fonds est obligatoire, par conséquent systématique pour
tout militaire. Malgré l’existence de l’Hôpital Militaire d’Abidjan, ce fonds offre des prises en charge
pour la couverture gratuite des frais de soins médicaux dans les autres hôpitaux publics et dans le
secteur privé. Le fonds prend en charge la totalité du coût des soins des militaires (hospitalisation,
médicament, examens) et de leurs épouses et enfants.
22 Article 32 du Décret n° 65-195 du 12 juin 1965 portant règlementation sur la rémunération et les avantages matériels divers alloués aux
fonctionnaires.
23 Sur rapport conjoint des Ministres de la Fonction Publique, de la Santé Publique et de la Population, de l’Economie et des Finances, et du Travail
et des Affaires Sociales, le Président Félix Houphouët-Boigny prit le Décret n° 73-176 du 27 avril 1973, portant création de la Mutuelle Générale
des Fonctionnaires et Agents de l’Etat (MGFAE).
34
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
A l’image du FPM, le FPPN a été créé pour fournir des prestations de couverture sanitaire et de prévoyance
sociale aux agents de la Police Nationale, pour lesquels l’adhésion est obligatoire et donc systématique
pour tout policier. Le FPPN dispose d’un hôpital offrant des prestations sanitaires gratuitement à tous les
policiers (hospitalisation, médicament, examens), à leurs épouses (à condition qu’elles soient légalement
mariées) et à leurs enfants. Cependant, les soins ambulatoires restent à la charge du policier.
Tableau 4.2Les mutuelles professionnelles
MUGEFCI
FPM
FPPN
Année de création
1973
1985
1994
Cotisants
240 000
10 000
12 000
Bénéficiaires
600 000
n.d.
96 000
Taux de
cotisation
3% du salaire de base (pour le
régime de base) ; 15 000 FCFA
pour Ivoir’Santé
Prise en charge des frais
de soins médicaux
(hospitalisation,
médicaments, examens),
remboursement du capital
épargné
Prise en charge des
frais de soins médicaux
(hospitalisation,
médicaments,
examens),
remboursement du
capital épargné
100%
100%
1
Prestations
Régime de base : Remboursement
des frais de produits
pharmaceutiques,
soins et prothèses dentaires,
verres correcteurs.
Ivoir’Santé : soins médicaux
ambulatoires et hospitalisation
Ivoir’Prévoyance : capital décès,
capital invalidité et frais funéraires
Niveau de
couverture
sanitaire
70% pour les produits
pharmaceutiques ; 80% au
privé et 100% au public pour
les soins médicaux
Source : Gueu Yra, 2008 ; Bamba et al, 2004.
Dans le secteur privé formel, la couverture médicale des employés est prise en charge
par les employeurs selon le système de « médecine d’entreprise ». Le Code du travail24 fait
obligation à tout employeur ayant plus de 100 salariés de disposer d’un service médical.
Une étude en 2004 a dénombré 82 entreprises possédant un service médical avec un médecin
à plein temps et a constaté que de nombreux employeurs ne respectaient pas les prescriptions
légales en la matière (Bamba et al, 2004). Une enquête menée auprès des entreprises dans
le cadre de l’exercice 2007-2008 des comptes nationaux de santé (MSHP, 2010) a constaté que
52% des 298 entreprises enquêtées avaient leurs propres centres de santé.
4.3Les transferts sociaux
Les programmes de transferts sociaux restent extrêmement limités à l’exception de l’aide
humanitaire. Mis à part les programmes d’urgence, les programmes de plus long terme visent à
soutenir l’accès à l’éducation (cantines scolaires, kits scolaires, bourses, etc.), à assister les personnes
handicapées et les indigents, à prendre en charge les chômeurs (prestations de chômage et
travaux à HIMO) et à appuyer les agriculteurs (distribution d’intrants par l’Office Nationale de
Développement du Riz). Cette section se focalise sur les divers transferts sociaux qui existent
actuellement en Côte d’Ivoire, à l’exception des transferts liés au travail (les programmes HIMO),
qui sont discutées dans la section 4.4, et des transferts spécifiques aux secteurs de l’éducation
et de la santé, qui sont discutés dans les sections 4.6 et 4.7 respectivement.
24 Loi no 95-15 du 12 janvier 1995.
35
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
De plus, des transferts implicites ou indirects existent sous forme de subventions ou
exonérations fiscales pour certains biens et services comme l’eau, l’électricité et les produits
pétroliers (voir l’encadre 4.2 ci-dessous).
Encadré 4.2 Les subventions croisées dans le secteur de l’eau potable :
protègent-elles les plus pauvres en pratique ?
Les subventions à la consommation ou les exonérations fiscales pour alléger les prix sont une forme indirecte
de transfert qui bénéficie aux consommateurs des biens et services concernés. En Côte d’Ivoire, il existe
des exonérations fiscales sur l’essence et le gasoil, introduits à la suite d’émeutes à Abidjan, qui ne sont pas
du tout progressives, malgré leur objectif déclaré de protéger le niveau de vie des populations, puisque ces
produits sont consommés principalement par les ménages les plus aisés.
Par contre, la tarification de l’eau potable est censée spécifiquement protéger les ménages les plus pauvres
par le biais d’un système de subventionnement croisé appliqué à ceux qui sont connectés au réseau de la
Société de Distribution d’Eau de la Côte d’Ivoire (SODECI). Cependant, même dans ce cas, ce système de
subventionnement croisé a peu d’impact sur les ménages les plus pauvres, qui dans leur écrasante majorité
ne sont pas connectés au réseau.
Pour ceux qui sont branchés au réseau de la SODECI, la tarification est progressive selon le volume de
consommation (ONEP, 2010). La tranche dite « sociale », qui consomme jusqu’à 18 m3 par mois, ne paie
que 235 FCFA par m3, comparé a une moyenne de 425 FCFA pour l’ensemble des quatre tranches. L’état
subventionne aussi le branchement initial aux ménages qui ont moins de 4 robinets, à un prix de 19 000
FCFA au lieu du prix normal de 169 000 FCFA. Environ 10 000 ménages sont branchés au réseau chaque
année à ce prix subventionné.
D’ailleurs, les zones urbaines subventionnent les zones rurales à travers les taxes prélevées en faveur du
Fonds National de l’Eau (environ 10 % du prix de vente TTC), utilisé pour rembourser les prêts concessionnels
accordés par les bailleurs de fonds pour les investissements dans l’approvisionnement de l’eau potable en
milieu rural. En milieu urbain, les résidents d’Abidjan subventionnent implicitement les consommateurs d’eau
dans les autres villes, puisque les coûts de production sont plus faibles à Abidjan et la tarification est égale
dans toutes les villes.
Néanmoins, la plupart des ménages pauvres en milieu urbain paient plus que les ménages aisés, pour la
simple raison qu’ils ne sont pas branchés au réseau de la SODECI. Selon le MICS de 2006, bien que dans
l’ensemble 38,6 % de la population ait accès à l’eau de robinet, cette proportion est à peine 3,2 % dans le
premier quintile de bien-être économique et 8,3 % dans le second quintile (MEMPD/INS et UNICEF, 2007).
En milieu urbain, les pauvres obtiennent l’eau des bornes fontaines, des vendeurs privés et des propriétaires
de leurs logements à des prix beaucoup plus élevés. Le tarif appliqué aux bornes fontaines est de 500 FCFA
par m3, dont 250 FCFA sont pour la rémunération du gestionnaire, soit un tarif deux fois plus élevé que
celui appliqué aux ménages de la première tranche de consommation branché au réseau. Le prix de vente
pratiqué par les vendeurs privés (25 FCFA par cuvette de 30 litres) est trois fois et demie plus élevé.
Il est à noter que la Côte d’Ivoire n’a pas encore établi de larges programmes de transferts
sociaux en espèces tels que les pensions de vieillesse non contributives, les allocations familiales
(hors des régimes de sécurité sociale du secteur formel) ou les transferts ciblés aux ménages
pauvres ou ultra-pauvres (voir Chapitre 2). Quelques projets pilotes de transferts sociaux en espèces
ont été récemment lancés et, bien que très ponctuels, ces projets pourraient amener des
enseignements intéressants quant à l’opportunité et la faisabilité de la mise en place d’un
programme large de transferts en espèces comme instrument de lutte contre la pauvreté à long
terme (Encadré 4.3).
36
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Encadré 4.3Les projets pilotes de transferts en espèces
La Côte d’Ivoire n’a pas encore établi de larges programmes de transferts en espèces visant à renforcer
la capacité des pauvres et à leur permettre de sortir de leur situation de vulnérabilité de manière durable.
Ces types de programmes, très répandus en Amérique Latine et de plus en plus mis en place en Afrique,
notamment dans le Ghana voisin, requièrent des transferts réguliers et prévisibles sur le moyen ou long terme
afin de permettre aux bénéficiaires non seulement d’augmenter leur consommation courante mais aussi
d’épargner, d’acheter des intrants agricoles ou de lancer des AGR, d’augmenter leur productivité et d’investir
dans leurs enfants (améliorations nutritionnelles, accès aux services sanitaires et meilleure fréquentation et
performance scolaire).
En Côte d’Ivoire, plusieurs ONG ont lancé à titre expérimental de petits projets de transferts en espèces au
lieu des transferts en nature plus habituels dans le contexte humanitaire. Cependant, ce sont des projets de
très courte durée et très localisés, plutôt que des programmes qui peuvent réellement transformer à terme
la situation des bénéficiaires. Ce sont en effet des projets humanitaires conçus dans un contexte d’urgence.
Suite à une étude de faisabilité en mai 2011, le PAM a lancé un projet pilote de transferts en espèces dans
deux quartiers d’Abidjan parmi les plus affectés par la crise postélectorale, Abobo et Yopougon. Justifié par
la situation précaire des populations de ces quartiers, ainsi que par le bon fonctionnement des marchés,
qui rend la modalité de transfert en espèces faisable et plus flexible pour les bénéficiaires que les rations
alimentaires, ce projet est aussi de nature ponctuelle. Le projet a fourni des transferts (de 33 000 FCFA
par ménage et par mois) à 10 444 ménages soit 52 220 bénéficiaires pendant deux mois, à la suite d’un
processus de ciblage à la fois géographique (au niveau commune puis au niveau quartier) et catégoriel,
donnant la priorité aux ménages dirigés par des femmes sans autres membres actifs et avec des enfants de
moins de 5 ans, ainsi qu’aux ménages dépendants de la solidarité communautaire, identifiés sur base d’une
enquête de ménage (PAM, 2011a, 2011b). Selon le Questionnaire de suivi post distribution (PDM) réalisé
auprès des bénéficiaires, 64 pour cent de la somme perçue par les ménages a été utilisée dans l’achat de
nourriture. Selon la même source, cette assistance financière a amélioré la situation alimentaire des ménages
bénéficiaires. En effet, la part des dépenses alimentaires dans le revenu des ménages a connu une baisse
significative, passant de 41 à 35 pour cent.
Une intervention ponctuelle de ce type ne peut que donner des résultats mitigés et à un coût très élevé,
étant donné l’importance des investissements requis pour le mettre sur pied (étude préliminaire, recherche
de partenaires opérationnels, enquête auprès des ménages, sélection et enregistrement des bénéficiaires,
création de systèmes de gestion, paiements via la téléphonie mobile, suivi et évaluation). Le projet se justifie
principalement par l’opportunité d’apprentissage en matière de transferts en espèces, notamment en ce qui
concerne les mécanismes et critères de ciblage et l’expérience de la modalité de paiement des transferts en
partenariat avec la compagnie de téléphonie mobile MTN. Les leçons tirées de cette expérience pourraient
contribuer à la réflexion en Côte d’Ivoire sur l’opportunité et la faisabilité de mettre en place un programme
large de transferts en espèces comme instrument de lutte contre la pauvreté à long terme.
4.3.1 L’aide humanitaire
Les programmes humanitaires, financés essentiellement par l’aide extérieure, ont été de large
échelle en 2011 compte tenu de la gravité de la situation humanitaire déclenchée par la crise
postélectorale. Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a augmenté la distribution alimentaire
générale dans l’ouest et le nord du pays, ainsi que dans quelques quartiers d’Abidjan, pour
répondre aux besoins alimentaires des centaines de milliers de personnes déplacées du fait de la
crise postélectorale. Cette aide a bénéficié à plus de 250 000 personnes (272 000 en août 2011).
Chaque ménage de cette population devait recevoir des rations complètes (riz, haricots, CSB,
huile et sel) pour 5 personnes. Cependant, la mise en œuvre a été perturbée par des ruptures
de stocks dans la chaine d’approvisionnement du PAM, de sorte que le PAM se trouve parfois
obligé de réduire les rations d’une partie des bénéficiaires. Ce programme devrait en principe
prendre fin lorsque les déplacés auront réussi à se rétablir dans leurs zones d’origine et à
relancer leurs activités productives. Bien que ce processus soit déjà en cours, il ne sera pas
entièrement achevé avant au moins quelques mois encore compte tenu des pertes de biens subies
par les déplacés, y compris en intrants et équipements agricoles, et du climat d’insécurité qui
prévaut toujours dans certaines zones, notamment dans l’Ouest.
37
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
4.3.2 Transferts alimentaires dans le cadre de programmes nutritionnels
Des transferts alimentaires ciblés à des groupes vulnérables sont effectués dans le cadre
de programmes nutritionnels. Comme dans le cas de l’aide alimentaire générale, la plupart des
programmes nutritionnels sont limités dans l’espace (ciblage géographique sur les zones de
déplacement ou de forts taux de malnutrition) et limités dans le temps. Ces programmes sont
également dépendants du niveau de ressources mobilisées par les pays donateurs. Les principaux
programmes de ce type visent à prévenir ou à répondre à la malnutrition chez les groupes
particulièrement vulnérables comme les enfants de moins de cinq ans, les femmes enceintes ou
allaitantes, les personnes âgées et les patients atteints du VIH/SIDA.
•
Cantines pour groupes déplacés à risques (enfants, femmes et personnes âgées).
Dans le cadre de l’action humanitaire, le PAM et l’ONG française Action Contre la Faim (ACF)
organisent, depuis avril 2011, à titre préventif, des cantines dans les sites de déplacement
dans l’ouest accessibles aux femmes enceintes et allaitantes, aux enfants de 0 à 59 mois
et aux personnes âgées. Un repas chaud (CSB+, huile) a été fourni une fois par jour à environ
17 000 personnes par mois. L’activité était prévue jusqu’au 24 septembre 2011, mais a été
renouvelée. Selon l’enquête SMART réalisée mi-2011, le taux de malnutrition aiguë globale
dans la zone d’intervention est de 4%, alors que ce taux atteint 7% dans certaines autres
zones. Le PAM est ainsi en discussion avec les autorités pour éventuellement rediriger le
programme vers les zones où les taux de malnutrition sont les plus élevés.
•
Prise en charge des enfants malnutris. Un protocole national existe pour la prise en
charge de la malnutrition infanto-juvénile. Alors que l’UNICEF et ses partenaires assurent
la prise en charge de la malnutrition aiguë sévère, le PAM et ses partenaires (plus de
60 ONG) assurent la prise en charge de la malnutrition aiguë modérée, dont le nombre
d’enfants atteints est estimé à 159 000. Toutefois les activités ne couvrent pas encore
l’ensemble du pays, faute de centres nutritionnels. La mise en place ou le renforcement de
ces centres, rattachés aux centres de santé, nécessite des formations, de l’équipement et
des intrants. L’OMS et l’UNICEF ont proposé d’appuyer un plan de formation (dans le cadre
du Cluster humanitaire sur la nutrition). Actuellement le PAM et ses partenaires fournissent
du Plumpy’Sup à un total de 8 000 à 9 000 enfants de 6 à 59 mois en malnutrition aiguë
modérée dans quelques sites dans le nord et l’ouest. Ce programme est en place depuis
avril 2011 et a été assuré jusqu’en décembre 2011.
•
Transferts alimentaires aux personnes accompagnant les enfants hospitalisés en
malnutrition aiguë sévère. Le PAM fournit une ration d’appui à ces personnes pour réduire le
risque de départ précoce des enfants sous traitement.
•
Transferts alimentaires aux femmes enceintes malnutries. Les femmes bénéficiaires
sont identifiées au niveau des centres de santé sur base du périmètre brachial (selon
le protocole national). Le PAM et ses partenaires leur fournissent une ration individuelle
de CSB+ et d’huile chaque semaine ou quinzaine jusqu’à l’accouchement. Plus de 10 000
femmes bénéficient de cette assistance (dans les mêmes centres nutritionnels que pour
le traitement de la malnutrition aiguë modérée).
•
T
ransferts alimentaires aux patients sous ARV malnutris. Le PAM et ses partenaires
fournissent une ration individuelle (CSB+, huile) aux patients atteints du VIH/SIDA sous
traitement antirétroviral (ARV) malnutris pendant 3 ou 6 mois afin d’assurer la réussite
du traitement.
4.3.3 Les secours aux indigents
Les secours aux personnes démunies existent depuis des années mais sont devenus
quasi inexistants. L’aide aux personnes démunies, qui est régie par le décret n° 67-524 du
28 novembre 1967 portant réglementation de l’octroi des secours, est de très petite envergure,
voire presque dérisoire par rapport à l’ampleur de la pauvreté dans le pays. Il s’agit de l’octroi de
38
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
quelques aides ponctuelles chaque année par le ministère chargé des Affaires Sociales à une
poignée de bénéficiaires (au maximum quelques centaines par an) selon des procédures fortement
centralisées, lourdes et sans critères d’éligibilité clairs. Une commission nationale se réunit une fois
par an à l’initiative de la Direction de la Protection Sociale (DPS) afin de sélectionner les bénéficiaires
parmi les demandes reçues des centres sociaux via les directions régionales. La sélection se fait
sur base des informations d’une enquête sociale menée par le Centre Social du lieu de résidence
du demandeur. Les demandes appuyées ont souvent trait à la promotion économique notamment
pour les femmes, et parfois à des aides médicales. Pour l’année 2011, à la date du 19 août, la DPS
n’avait reçu que 101 demandes d’aide (78 pour des activités génératrices de revenus et 23 pour
des aides médicales) pour un montant total de 81 millions de FCFA (MEMEASS, 2011a).25 Lors des
visites aux centres sociaux, l’équipe de recherche a eu l’impression que les secours aux indigents
étaient vus par les assistants sociaux sur le terrain comme un mécanisme d’aide qui avec le temps
est devenu quasi inexistant, faute de moyens.
4.3.4 Les allocations chômage
Le traitement social du chômage bénéficie à une petite minorité des chômeurs. L’Agence
d’Etudes et de Promotion de l’Emploi (AGEPE), établissement public sous la tutelle technique du
Ministère chargé de l’Emploi, gère un programme d’indemnisation du chômage, qui bénéficie
à quelques licenciés des entreprises privées. Seule une petite minorité de chômeurs inscrits à
l’AGEPE sont concernés. Selon les données disponibles pour l’année 2007, l’AGEPE a examiné
1825 dossiers, dont 1547 ont été agréés. Au cours de cette même année, le nombre de paiements
d’allocations chômage effectués (150 000 FCFA par trimestre) a oscillé entre 471 et 1454 (Gueu
Yra, 2008). Compte tenu de l’ampleur du chômage en Côte d’Ivoire (17,5% au niveau national,
35,7% en milieu urbain et 50% à Abidjan selon les données de l’ENV 2008), on est très loin d’une
couverture significative des millions d’ivoiriens en quête de travail. Un nouveau programme d’appui
au traitement économique du chômage (PATEC) a été adopté en 2010.
4.3.5 Les transferts aux OEV
Quelques transferts bénéficient aux OEV du fait du VIH/SIDA. En plus des services, quelques
transferts sont effectués dans le cadre du programme national de prise en charge des orphelins
et autres enfants rendus vulnérables du fait du VIH/SIDA (PN-OEV), appuyé par le PEPFAR, la
Banque Mondiale, le Fonds Mondial et d’autres partenaires techniques et financiers. Les modalités
de prise en charge des OEV du fait du VIH/SIDA sont établies dans les documents du PN-OEV,
développés avec l’appui du PEPFAR. Le concept d’OEV désigne généralement les orphelins et
autres enfants qui sont plus exposés aux risques que leurs pairs. Mais en Côte d’Ivoire le concept
d’OEV a été interprété de manière plus étroite (« du fait du VIH/SIDA »).26 Cette approche exclut
donc de fait d’autres groupes d’OEV tels que les enfants de la rue, les enfants victimes de la traite,
les enfants affectés par les conflits armés ou les enfants qui tout simplement vivent dans des
ménages très pauvres. On estime à 430 000 le nombre d’OEV du fait du VIH/SIDA. Le plan
stratégique national de prise en charge des OEV 2007-2010 prévoyait la prise en charge de
162 000 d’entre eux (MFFAS, 2007a).
Un paquet minimum a été défini, comprenant sept grands domaines : soutien psychosocial ; soutien
à l’éducation et à la mise en apprentissage ; soutien pour l’abri et les soins ; soutien à la protection ;
soutien pour la sécurité alimentaire et la nutrition ; soutien pour le renforcement économique ; et
soutien aux soins de santé. Il inclut ainsi des services, des transferts et des microcrédits. Cependant,
il semble que les transferts ne constituent qu’une petite composante de cette panoplie d’appuis.
25 Selon les informations reçues de la DPS, la subvention maximale est de 200 000 FCFA par demande. Le décret n° 67-524 stipule que le
montant des secours immédiats, éventuels ou temporaires ne peut en aucun cas dépasser 100 000 FCFA pour un même bénéficiaire au
cours d’une même année. Les secours de maladie sont cumulables avec les secours éventuels ou temporaires, et, sauf exception, ne peuvent
dépasser un montant de 90 000 FCFA par trimestre.
26 L’assistance est ainsi restreinte aux enfants ayant perdu au moins un parent du fait du VIH/SIDA (orphelins du fait du VIH/SIDA), les enfants
infectés par le VIH, les enfants dont au moins un parent vit avec le VIH/SIDA, les enfants vivant dans un ménage affecté économiquement par
le VIH/SIDA (où vit déjà une personne infectée), les enfants vivant dans un ménage qui accueille un orphelin ou enfant affecté du fait du SIDA et
les enfants vivant dans une situation qui les rend vulnérables au VIH (MFFAS, 2009b)
39
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Par exemple, il n’y a eu que 27 bénéficiaires de bourses d’études secondaires ou supérieures en
2009-10, selon les informations reçues du Ministère d’Etat, Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi,
des Affaires Sociales et de la Solidarité. En 2009, environ 500 femmes bénéficiaient de microcrédits
pour le financement d’activités génératrices de revenu (AGR) dans le cadre du Fonds National
« Femmes et Développement », qui fait partie du volet économique du PN-OEV (MFFAS, 2008a).
4.4Les programmes à haute intensité de main d’œuvre (HIMO)
et la promotion de l’emploi
Les programmes de travaux publics à haute intensité de main d’œuvre (HIMO) sont un des
principaux instruments à la disposition des autorités publiques pour faire face aux taux élevés
de chômage et ainsi accroître les revenus des plus pauvres. La Côte d’Ivoire a déjà une expérience
en la matière, bien que les programmes existants restent à petite échelle par rapport à l’ampleur
du chômage. Deux institutions nationales sont actuellement impliquées dans des programmes de
ce type, en partenariat avec les collectivités locales. Il s’agit de l’AGEPE, au Ministère d’Etat, Ministère
de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité, et de l’Agence de Gestion Routière (AGEROUTE).
4.4.1 Le programme HIMO de l’AGEPE
L’AGEPE a mis en œuvre des projets à caractère HIMO à petite échelle depuis 2006. Ses
projets ont été financés par le Fonds de Soutien à l’Emploi par les Travaux d’Utilité Publique à
Haute Intensité de Main d’œuvre (FSE-THIMO), crée en 199427. Le Fonds s’adresse aux collectivités
locales (communes, départements et districts) pour occuper les jeunes désœuvrés et les femmes
démunies à la réalisation des travaux d’utilité publique, essentiellement des travaux de salubrité
publique et des travaux de construction, réhabilitation et entretien d’infrastructures publiques
(MFPE et MEMEF, n.d.). Le Fonds est doté d’une cellule technique logé au sein du Ministère
d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité, qui reçoit les demandes de
financement (provenant des collectivités locales), instruit les demandes conformément au manuel
d’exécution, transmet les dossiers après instruction à la Banque Nationale d’Investissement (BNI),
qui gère le compte du Fonds et coordonne et supervise les interventions sur le terrain.
Les travailleurs sont recrutés dans le cadre de « groupements » sur la base de conventions annuelles
passées avec des superviseurs proposés par les communes pour les travaux de salubrité. Dans le
cas des travaux d’infrastructure, ils sont recrutés par des entreprises conventionnées, qui reçoivent
des transferts du Fonds pour le paiement des salaires. Les travailleurs sont payés au niveau du SMIG,
qui est de 36 607 FCFA pour 40 heures de travail hebdomadaire (niveau 2011) et les groupements
sont encouragés à ouvrir des comptes d’épargne dans les banques ou institutionsde microfinance
afin de constituer un petit capital pour le lancement d’activités génératrices de revenus.
Le Fonds n’est devenu opérationnel qu’en 2006, suite à l’octroi de sa première (et jusqu’à présent
sa seule) allocation budgétaire de 4,95 milliards de FCFA par l’Etat. Compte tenu de ses ressources
très limitées, le Fonds a établi un plafond de 20 à 30 bénéficiaires par commune, selon la taille
de sa population, ce qui montre l’échelle très réduite de ce programme. En fait, entre 2006 et 2009,
le Fonds n’a embauché que 2 564 travailleurs dans 93 communes. En plus de la création de ces
emplois temporaires, le projet a eu un impact environnemental positif en matière de salubrité dans
les communes bénéficiaires. Depuis 2009, les activités du Fonds sont suspendues, en raison des
perturbations au niveau des mairies pendant la crise politique de 2010-2011, ainsi que de
l’épuisement des ressources octroyées en 2006 : à peine 600 millions de FCFA restent dans le
compte du Fonds à la BNI.
27 Décret no 94-217 du 20 avril 1994.
40
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
4.4.2 Les projets HIMO de l’AGEROUTE
L’Agence de Gestion des Routes (AGEROUTE) a également acquis de l’expérience dans
la gestion de projets HIMO. Société d’Etat sous la tutelle du Ministère chargé des infrastructures
publiques, l’AGEROUTE a obtenu sa première expérience de l’approche HIMO en 2002-04
dans le cadre du programme d’ajustement sectoriel des transports (CI-PAST), financé par
la Banque Mondiale. Une composante de « transport rural » du CI-PAST a mis sur pied un projet
pilote qui envisageait de réhabiliter 400 km de routes rurales à partir des approches à HIMO
dans les départements de Soubré, Ferké, Dabakala et Abengourou, tout en renforçant les capacités
de petites et moyennes entreprises (PME) du secteur à la maîtrise des techniques HIMO et en
organisant des comités villageois d’entretien routier (CVER) dans le but d’impliquer les populations
dans le choix des routes à réhabiliter et dans l’entretien après les travaux. Le projet était vu
comme particulièrement prometteur vu les besoins énormes de réhabilitation de routes rurales
et le nombre énorme de jeunes désœuvrés. La mise en œuvre du projet a été fortement
handicapée par les évènements politiques de septembre 2002 et la division du pays en deux,
qui a fait de sorte que le projet n’a pu être exécuté que dans les départements de Soubré et
Abengourou. Les travaux se sont finalement poursuivis sur seulement 70 km, employant environ
250 jeunes pendant sept mois (AGEROUTE, 2005).
L’AGEROUTE a mené un deuxième projet pilote de type HIMO en 2007-08 dans le but
d’expérimenter un cadre de réinsertion économique des ex-combattants et jeunes à risques.
Ces jeunes ont été organisés en brigades d’entretien et de réhabilitation de 206 km de routes
bitumées dans les départements de Bouaké, Korhogo, Daloa, Guiglo et Aboisso.
Ces expériences ont conduit la Banque Mondiale à inclure un volet HIMO dans son Projet
d’Assistance Post-Conflit (PAPC), approuvé à la suite des accords de Ouagadougou en mars
2007. L’objectif de ce projet de 120 millions de dollars est de renforcer la réinsertion économique
et l’accès aux services sociaux des populations affectées par le conflit déclenché en 2002,
d’appuyer le redressement économique du pays et de construire une paix durable. La composante
de réinsertion économique, qui cible des jeunes ex-combattants et d’autres « jeunes à risques »,
comprend des projets HIMO de réhabilitation de routes rurales et d’entretien de routes bitumées
et de travaux de salubrité, gérés par l’AGEROUTE et des collectivités locales, ainsi que des
« plateformes » d’appui à l’emploi (formation, conseil, services techniques, etc.), notamment pour
le lancement d’AGR et de micro-entreprises. Le projet avait prévu d’embaucher 9 000 jeunes
dans les projets HIMO et de créer 1,2 millions de jours de travail (Banque Mondiale, 2007).
Jusqu’en décembre 2010, 16 741 jeunes avaient déjà bénéficié des activités de réinsertion
économique et plus de 2 300 km de routes nationales, urbaines et rurales avaient été réhabilitées.
Le volet HIMO a été élargi et il a été décidé mi-2011 d’embaucher 5 000 jeunes pour des travaux de
voirie dans la ville d’Abidjan et le district voisin d’Anyama.
4.4.3 Forces et faiblesses de l’expérience HIMO
L’approche HIMO s’est avérée efficiente et a contribué à améliorer le niveau de vie des
bénéficiaires. En termes économiques, les projets ont été efficients pour les types de travaux
concernés (la réhabilitation et l’entretien de routes et les travaux de salubrité), qui n’ont pas besoin
de travaux mécanisés. Dans le projet pilote de l’AGEROUTE en 2002-04, le coût moyen de
réhabilitation d’un kilomètre de route rurale a été estimé à 8 millions de FCFA en comparaison à
environ 10 millions de FCFA pour des travaux mécanisés (AGEROUTE, 2005). En termes d’impact
social, les projets ont accru les revenus de jeunes désœuvrés, qui ont été embauchés pendant
une période assez longue (environ 6 mois dans les projets d’AGEROUTE et 1 an dans le cas
de l’AGEPE) et payés au niveau du SMIG, qui est bien plus élevé que le salaire du marché pour
la main d’œuvre non qualifiée. Quelques participants dans ces projets ont aussi pu épargner
une partie de leurs revenus et créer des AGR à la suite des projets (AGEROUTE, 2008). En outre,
les travaux de salubrité ont eu des effets environnementaux positifs.
41
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Néanmoins, ces projets démontrent quelques faiblesses :
•
Le nombre de bénéficiaires est très réduit par rapport à l’ampleur du problème du
chômage, qui est de nature structurelle. Les projets HIMO n’ont pas encore été mis
à l’échelle, bien que les besoins de travaux adaptés à l’approche HIMO soient immenses
(des dizaines de milliers de routes à réhabiliter et entretenir, d’énormes défis d’assainissement urbain, des besoins de reboisement et d’autres travaux de protection environnemental, surtout dans le Nord). Les programmes HIMO n’ont pas encore été utilisés pour
accroître les revenus des populations rurales pauvres pendant la période de soudure
et d’insécurité alimentaire dans les zones de savane aride, à l’instar des programmes HIMO
dans des pays comme l’Ethiopie et Madagascar. De plus, la participation des femmes
a été relativement faible (25% dans les projets AGEROUTE et 38% dans le cas du
FSE-THIMO) par rapport aux autres pays.
•
La part des salaires (transferts) dans les coûts totaux est faible. Dans le cas du projet
pilote de l’AGEROUTE en 2007-08, ce ratio était de 23% (AGEROUTE, 2008), ce qui est
très faible par rapport à la moyenne en Afrique subsaharienne, estimée à 46% (McCord
et Slater, 2009), et à 78% dans le cas du PSNP en Ethiopie, qui montre les avantages
d’un programme jouissant de larges économies d’échelle (Banque Mondiale, 2009).
Le ratio est probablement plus élevé dans les travaux de salubrité. Cependant, il serait possible
d’augmenter considérablement la part des salaires dans un programme à large échelle.
•
Les méthodes de ciblage semblent peu développées. L’utilisation du salaire au niveau
du SMIG comme moyen d’auto-sélection semble insuffisant, compte tenu de l’ampleur du
chômage et du fait que le salaire du marché pour la main d’œuvre non qualifiée est
bien en dessous du SMIG. Dans tous les projets, la demande d’emploi s’est avérée très
forte (souvent 3 à 4 fois plus élevée que le nombre de places disponibles) et la sélection
a soit été faite sur la base du principe « premier venu premier servi » ou d’une sorte de
tirage au sort (AGEROUTE), soit laissée à la discrétion des maires (FSE-THIMO).
•
Les activités de formation et conseil pour des emplois durables ont été reléguées
au second plan, aussi bien dans le FSE-THIMO que dans le cadre du PAPC. Cet aspect
sera au centre d’un nouveau projet en cours de préparation par la Banque Mondiale,
le programme d’emploi des jeunes.
•
L es mécanismes de suivi et évaluation sont faibles, notamment dans le cas du
FSE-THIMO, ce qui rend difficile l’analyse de l’efficience et de l’efficacité des programmes.
Le développement futur de l’approche HIMO en Côte d’Ivoire pourrait envisager la mise en place
de stratégies différentes en milieu urbain et rural. Le volet rural pourrait être conçu essentiellement pour faire face aux risques saisonniers de baisse de revenus et d’insécurité alimentaire
en période de soudure par des emplois de courte durée (de 3 à 5 mois selon les zones), tout
en s’adressant aux besoins d’amélioration des infrastructures et de protection environnemental en
milieu rural, surtout dans les zones de savane au Nord. Par contre, le volet urbain donnerait
une réponse à large échelle au défi du chômage urbain, surtout parmi les jeunes, par des emplois
à plus long terme dans le cadre de projets à HIMO et avec un accent renforcé sur la formation
des bénéficiaires, la promotion de l’épargne et la facilitation de l’accès des bénéficiaires aux
opportunités de microcrédit auprès des établissements de micro-finance en vue de leur insertion
économique à plus long terme.
4.4.4 Autres programmes de promotion de l’emploi
Plusieurs autres programmes de promotion de l’emploi existent mais sont tous de petite
envergure. Les principaux programmes actuellement en place, sous l’égide de l’AGEPE, sont
le Programme d’Aide à l’Embauche (PAE) et le Programme de Développement des Initiatives
Génératrices de Revenus (PRODIGE). D’autres programmes de l’AGEPE comme le Programme
Spécial d’Insertion des Femmes et des Jeunes Ruraux, le Programme de Maintien de l’Emploi et
42
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
de Reconversion Professionnelle et le Programme de Création de Micro Entreprise ne sont plus
en activité.
•
Le PAE, établi en 1991 et financé par le Fonds de Promotion d’Aide à l’Emploi, vise à
améliorer l’employabilité des jeunes diplômés primo demandeurs d’emploi par le biais du
financement de stages d’apprentissage de 12 mois et d’activités de formation. Selon
l’AGEPE, le taux d’insertion post-stage est assez élevé, oscillant entre 30 et 60% (Bosso
et Bassa, 2011). Le nombre de stagiaires est cependant très faible : à peine 658 de 1995
à 2002 (Gueu Yra, 2008).
•
Le PRODIGE a été mis en place dans sept localités de l’ouest du pays très affectées
par la crise militaro-politique pour appuyer le retour des populations locales déplacées,
la réinsertion des jeunes et le relèvement du tissu économique local. Le projet a appuyé
la mise en œuvre de 98 projets et a créé environ 2000 emplois, selon le Ministère chargé
de l’Emploi (Bosso et Bassa, 2011).
D’autres programmes, notamment ceux appuyés par l’Agence Nationale de Formation Professionnelle (AGEFOP), promeuvent l’accès à l’emploi par la formation, y compris pour les groupes
les plus vulnérables. Il est important à noter également le rôle des Instituts de Formation et
d’Education Féminine (IFEF), du Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, qui donnent
accès à une formation qualifiante à moindre coût pour les filles déscolarisées, non scolarisées
ou analphabètes). Ces structures sont en forte représentation sur le territoire national (100 dont
75 fonctionnelles en 2011) et accueillent 50 filles en moyenne par année.
4.5Les services d’action sociale
Cette branche de la protection sociale inclut une large gamme de services qui visent à
prévenir et répondre aux risques d’abus, de violences, de maltraitance, d’exploitation, de
discrimination ou d’exclusion auxquels de nombreux ivoiriens sont exposés, notamment les enfants
(surtout ceux vivant en dehors de la protection d’un cadre familial sain), les femmes, les personnes
âgées, les personnes handicapées et les déplacés. Il s’agit, d’une part, de mesures de
renforcement des capacités des groupes ou individus les plus vulnérables à ces risques, ainsi que
des familles et des communautés notamment au travers de programmes de communication,
d’éducation et de conseil, et, d’autre part, de mesures d’intervention, allant du secours aux victimes
à l’appui psychosocial et à la réinsertion sociale ou économique.
Dans l’ensemble, ces services semblent bénéficier à une frange limitée des nombreuses
familles et individus vivant dans une situation à haut risque. Lors de l’étude de cartographie
du système de protection de l’enfant en 2009-10, aucun des répondants consultés au niveau
communautaire n’a fait référence aux services offerts par les travailleurs sociaux, tant étatiques
que non gouvernementaux (MFFAS, 2010g). Comme indiqué précédemment (section 4.1),
les communautés ne se réfèrent que rarement aux structures formelles en cas de violences envers
des enfants par exemple.
En Côte d’Ivoire ces services sont très faibles pour de nombreux raisons, parmi lesquelles :
la diversité des types de risques ; le grand nombre d’acteurs étatiques et non étatiques (Centres
Sociaux du Ministère chargé des Affaires Sociales, services sociaux d’autres ministères et des
collectivités locales, ONG et confessions religieuses) ; l’absence de cadre politique complet et
cohérent pour orienter et prioriser les actions ; le faible niveau de coordination inter et intra
sectorielle ; l’insuffisance des ressources financières ; la dépendance à l’aide extérieure ; et les
difficultés d’assurer la pérennisation des programmes et projets. On trouve donc un grand nombre
de petits projets éparpillés, mal coordonnés et limités dans le temps et dans l’espace, qui
ensemble ne constituent pas véritablement un « système » de services d’action sociale. Les facteurs
institutionnels et financiers qui sous-tendent ces faiblesses sont abordés dans le Chapitre 5.
43
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
La plupart des ONG, qui sont les principales destinataires du financement extérieur, ne fournissent
pas de services directs aux familles, selon l’étude de cartographie du système de protection de
l’enfant.28 Elles se consacrent plutôt à la formation, au plaidoyer et à la coordination (MFFAS,
2010g). Dans le cas des Centres Sociaux du Ministère chargé des Affaires Sociales, on note
également une dispersion de leurs ressources limitées. Ceci est dû notamment au fait que leur
responsabilité s’étend à la prestation de certains services socio-sanitaires (vaccinations, surveillance pondérale, éducation nutritionnelle) qui recouvrent des fonctions des structures de santé
et détournent le personnel des Centres Sociaux de leurs responsabilités principales.
Les services existants semblent largement orientés vers un nombre réduit de problèmes
spécifiques en raison des incitations du financement extérieur. L’aide des partenaires
techniques et financiers (PTF) est concentrée de manière déséquilibrée sur des programmes
cloisonnés en faveur des OEV (dans le cadre d’un programme conçu de manière étroite et
restrictive pour prendre en compte uniquement les enfants rendus vulnérables en raison du
VIH/SIDA), sur le travail des enfants dans les plantations de cacao et café, et sur les violences
basées sur le genre (VBG). Dans l’absence d’un cadre politique de protection sociale, qui établit
des priorités nationales, et sans financements internes significatifs pour répondre aux besoins
plus larges, ces flux de fonds externes incitent les structures étatiques, notamment les Centres
Sociaux, et les ONG à orienter la plupart de leurs propres ressources (cadres et travailleurs
sociaux) à ces programmes au lieu de construire des systèmes plus intégrés et équilibrés. Comme
il a été constaté par un Directeur Régional du Ministère chargé des affaires sociales, cité dans le
rapport de la cartographie (MFFAS, 2010g, p. 73) : « Le travail des OEV prend pas mal de temps.
En principe on devrait traiter toutes les vulnérabilités, mais les OEV sont une cible spécifique au VIH.
On n’arrive pas à s’occuper des autres aspects. » L’étude de cartographie a tiré la conclusion que la prédominance des approches ciblées sur des problématiques précises réduit le temps d’intervention des travailleurs de première ligne (étatiques comme non gouvernementaux) et limite leur
capacité à conformer leurs prestations aux réalités des communautés dans lesquelles ils
interviennent. La cartographie a constaté, d’ailleurs, que « les problématiques de protection
abordées par les acteurs formels ne correspondent pas forcément aux besoins ressentis par
les communautés », parmi lesquels le problème le plus souvent cité dans les groupes de
discussion a été celui de la maltraitance d’enfants (MFFAS, 2010g, p. 101).
4.5.1 La prise en charge des OEV du fait du VIH/SIDA
Le Programme National de prise en charge des Orphelins et autres Enfants rendus
Vulnérables du fait du VIH/SIDA (PN-OEV) est le programme le mieux financé, impliquant
un grand nombre d’acteurs et mobilisant une large partie du temps des travailleurs sociaux.
Rattaché au Ministère d’Etat, Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité
(MEMEASS), il est largement appuyé techniquement et financièrement par les Etats-Unis à travers
le programme PEPFAR. D’autres appuis aux OEV sont financés par la Banque Mondiale, l’UNICEF
et le Gouvernement ivoirien.
Les Centres Sociaux sont responsables de la coordination des 32 plateformes de coordination
locale des acteurs impliqués dans le PN-OEV et, dans le cas des « Centres Sociaux Restructurés »
(voir la section 5.2), ils sont particulièrement impliqués dans le suivi et l’évaluation des activités.
Comme indiqué dans la section 2.2.2, le « paquet minimum » des services qu’un OEV devrait recevoir,
selon les « standards » établis par le PN-OEV, a été défini selon sept catégories : la nutrition
(les vivres, les formations nutritionnelles) ; la santé ; l’éducation (les kits scolaires, les kits d’apprentissage, la formation technique et professionnelle) ; le renforcement économique (le microcrédit,
les dons, les activités récréatives) ; le logement (le loyer, les familles d’accueil, les kits hygiéniques,
les vêtements) ; l’appui psychosocial (le conseil, l’appui spirituel, les consultations psychologiques) ;
et la protection (les documents légaux, l’identification des risques, la promotion de la Convention
des Droits de l’Enfant, l’éducation sur la maltraitance) (MFFAS, 2009b).
28 Seules 6 des 27 ONG interrogées lors de la récente cartographie du système de protection de l’enfant offraient des services directs (MFFAS,
2010g).
44
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Cette gamme de services est fournie par des ONG, qui sont financées directement par les
partenaires extérieurs. Ceci pose, d’une part, la question de la dépendance des prestations à
la présence ou non des ONG dans la zone, et d’autre part, la question de la pérennisation
des activités. Cette approche « projet » et sa forte dépendance aux compétences spécifiques
de chaque ONG partenaire entrainent une fragmentation de la prestation des aides sociales.
Par ailleurs, l’accent mis sur la fourniture de kits laisse passer au second plan le soutien social
aux familles et enfants (travail de médiation, détection et réponse aux situations de maltraitance,
etc.).
4.5.2La prévention et la prise en charge des violences basées
sur le genre
La lutte contre les violences basées sur le genre (VBG) a conduit à une forte mobilisation
institutionnelle à la fois des structures publiques, des agences des Nations Unies et des ONG
nationales et internationales. Dès le déclenchement de la crise politico-militaire en Côte d’Ivoire
en 2002, le Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique a mis en œuvre (avec l’appui du FNUAP)
la première action dans le domaine de la prévention des violences sexuelles et de la prise en
charge des victimes. Au niveau interministériel, le Comité National de Lutte contre les Violences
faites aux Femmes et aux Enfants (CNLVFE) est chargé de la prévention et de la prise en charge
des victimes des violences basées sur le genre et à l’égard des enfants. Au niveau du Ministère
de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, ce rôle incombe à la Direction de l’Égalité et la
Promotion du Genre (DEPG) créée en 2006. De nombreuses ONG nationales sont impliquées
dans la prévention et la prise en charge des violences basées sur le genre.29 Plusieurs agences
des Nations Unies (notamment le FNUAP, le PNUD, l’UNIFEM, l’UNICEF et le HCR) et des ONG
internationales30 sont également très actives dans le domaine (MFFAS, 2008c).
Sur le terrain, les activités de lutte contre les VBG consistent en la prévention et l’assistance
aux survivant(e)s. Les séances de sensibilisation de masse, de proximité ou interpersonnelle
mobilisent selon les cas des animateurs communautaires, des pairs éducateurs, des responsables
communautaires, des psychologues, des médecins et autres personnes ressources. Elles
s’accompagnent souvent par la mise en place de mécanismes communautaires visant notamment
à la détection et à la prise en charge des victimes de violences et de maltraitance, ainsi qu’à
la prévention des pratiques traditionnelles néfastes (mutilations génitales féminines, mariages
précoces et/ou forcés). La prise en charge intégrée prévoit un volet psycho-social (écoute,
visites à domiciles, enquêtes sociales, orientations assistées, réintégration et réhabilitation
familiales, référence et contre référence), un volet médical (assistance médicale), un volet juridique
(assistance juridique et judiciaire), et un volet socio-économique (appui aux AGR, placement
chez les maîtres artisans et dans les IFEF).
En matière d’assistance psycho-sociale, les premiers bureaux d’écoutes ouverts en 2000 au sein
des mairies ont montrés de très bons résultats. Toutefois, certains ne disposent d’aucun local
ou d’outil pour la prise en charge des victimes des VBG, et l’accueil des victimes se fait
parfois sans confidentialité. À Abidjan, plusieurs ONG nationales31 disposent de salles d’écoute,
de psychologues et/ou d’assistants sociaux et autres personnes ressources, pour mettre en
œuvre les différentes actions de prise en charge psychologique (écoute, conseil et visites
à domicile). Des salles d’écoute ont également pu être construites dans plusieurs Centres Sociaux
(à Yamoussoukro, Daloa et Duékoué avec l’appui de l’IRC). Les Centres Sociaux offrent de réelles
opportunités pour la prévention et la prise en charge des violences basées sur le genre
du fait d’une part, de la tenue de plusieurs activités connexes qui ne favorisent pas la
stigmatisation des victimes, et d’autre part, des capacités techniques des agents qui sont en
29Dans les neuf villes couvertes par une étude sur les VBG menée en 2007 (MFFAS, 2008c), 58 ONG nationales œuvrant dans le domaine de la
lutte contre les VBG ont été recensées (basées à Abidjan pour 40% d’entre elles).
30 Parmi elles, on compte notamment CARE International, IRC (Comité International de Secours), Amnesty International, Enfance Meurtrie
Sans Frontière, BICE (Bureau International Catholique de l’Enfance), Save the Children UK et Save the Children Suède (MFFAS, 2008c).
31 Parmi elles, on compte notamment Monde Sain, AIECA, ODAFEM, FIFEM-OFEF, ONEF, SOS Violences Sexuelles et Manne du Jour (MFFAS,
2008c).
45
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
général formés à l’Institut National de Formation Sociale (MFFAS, 2008c). Le CNLVFE coordonne
quant à lui un réseau de 14 bureaux d’écoute (8 à l’intérieur du pays et 6 à Abidjan) appuyés par
les Centres Sociaux. En 2009-2011, ces bureaux ont accueilli plus de 6500 femmes et enfants
victimes de violences (Tableau 4.3).
Tableau 4.3
Activités du CNLVFE, 2000-2011
2000-2004
2005-2008
2009-2011
1 127
2 035
6 558
Visites à domicile, enquêtes sociales
123
139
86
Orientations assistées
115
122
191
10
7
13
Ecoute, entretien conseil, soutien psychologique
Appui à la prise en charge scolaire
Source : Cellule de Coordination du CNLVFE.
En ce qui concerne l’assistance médicale, une étude menée en 2007 a montré que, sur 58 ONG
concertées, seules 14 disposaient de structures capables d’apporter une réelle assistance médicale
aux victimes de VBG (MFFAS, 2008c).
Au regard de l’assistance juridique et sécuritaire, des dispositions légales existent mais les
victimes de violences ont très peu recours aux structures juridico-administratives, par méconnaissance mais aussi et surtout par craindre des implications sur leur vie future. Peu d’ONG nationales
proposent une assistance juridique aux victimes (12 sur 58 concertées en 2008). Les conseillers
juridiques peuvent appuyer les victimes qui le désirent pour l’obtention de certificats médicaux et
le cas échéant, la saisie des structures juridiques. Certaines structures32 proposent également
une assistance sécuritaire lorsque l’intensité et la fréquence de la violence subie nécessite d’isoler
la victime. Cette dernière est soit hébergée par l’ONG elle-même, soit référée à une famille ou
centre d’accueil, ou à une structure spécialisée comme une pouponnière.
Enfin, l’assistance socio-économique s’impose du fait que le dénuement socio-économique peut
s’avérer à la fois comme la cause et la conséquence du mauvais traitement subi. La majorité
des ONG offrent aux victimes qui s’adressent à elles une aide matérielle ponctuelle. Plusieurs
structures s’investissent également dans l’autonomisation des victimes par le soutien à la mise en
œuvre par celles-ci d’AGR.
D’une manière générale, les actions dans le domaine des VBG sont, dans une large mesure,
menées par les ONG. Elles reposent ainsi plus sur de simples structures associatives (dont les
actions sont souvent circonstancielles) que sur un réel dispositif institutionnel. Cette multiplicité
d’expériences en matière d’approche et de stratégie de lutte contre les VBG est de nature
à entraîner une dispersion des ressources. Dans le contexte de crise, la lutte contre les VBG
s’est principalement développée comme une réponse humanitaire mettant l’accent sur la prise
en charge des victimes. Des circuits locaux de référence ont été mis en place sous l’impulsion
des acteurs humanitaires avec parfois des ONG dans le rôle central. Du fait du manque
d’implication des Centres Sociaux, ces circuits locaux échappent au contrôle direct de la DEPG,
qui a pourtant, entre autres missions, de coordonner l’action de lutte contre les VBG. La faiblesse
des capacités techniques et matérielles des intervenants constitue une autre limite à l’efficacité
des actions. Malgré ces diverses contraintes, quelques expériences prometteuses existent.
L’Encadré 4.4 présente quelques-unes d’entre elles qui mériteraient d’être approfondies.
32
Renaissance Santé de Yamoussoukro, OIS Afrique de Bouaké, ANAED de Korhogo, SILOE de Danané, ODAFEM et IDE-Afrique de Man.
46
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Encadré 4.4Quelques expériences prometteuses dans la lutte contre les VBG
Bien que les VBG ne constituent pas les activités primordiales des Centres Sociaux, ces derniers offrent de
réelles opportunités pour la prévention et la prise en charge des VBG. Là où ces actions sont vulgarisées,
on observe un véritable engouement. D’une part, la tenue de plusieurs activités connexes ne favorise pas
la stigmatisation des victimes. D’autre part, les agents de ces centres, tous formés à l’Institut National de
Formation Sociale, possèdent de réelles compétences techniques.
Les résultats obtenus dans les bureaux d’écoute (bureaux, centres ou salles d’écoute) sont très positifs,
d’autant plus lorsque le bureau d’écoute est intégré au sein d’une mairie ou, mieux, d’un Centre Social.
En 2000, l’Association des Femmes Juristes de Côte d’Ivoire (AFJCI) a mis en place le projet de clinique
juridique dans le but de promouvoir les droits humains, principalement ceux de la femme et de l’enfant.
Le nombre de demandeurs a augmenté au fil des années, notamment avec le déclenchement de la crise.
En 2006, 323 demandes ont été reçues pour bénéficier des services dans le domaine du contentieux
matrimonial, du divorce et de la séparation de corps, de la garde d’enfants, du droit du travail, et des violences
conjugales. Bien que le rôle joué par la clinique juridique soit indéniable, elle dispose malheureusement de
peu de moyens humains, matériels et financiers pour un fonctionnement efficient. Et, même si cela était inscrit
dans les objectifs du projet initial, l’AFJCI n’est pas encore parvenu à créer d’autres structures à l’intérieur du
pays et surtout à mieux vulgariser l’existant.
Le Comité de Coordination Locale de prévention et de prise en charge des violences sexistes et sexuelles
de Duékoué mis en place en juillet 2005 a contribué à améliorer la détection et la prise en charge des cas de
VBG. Ses performances, largement dues à son caractère pluri-institutionnel, pourraient encore être accrues
en intégrant la société civile.
Le Centre d’Excellence des Femmes de Man (CEFM) a été créé en 2006 à l’initiative de l’ONG IFS
(International Friendship Service). Le centre, situé sur la voie principale de la ville, vise à promouvoir les droits
de la femme et de la jeune fille, appuyer et soutenir les femmes démunies du fait de la guerre et appuyer au
plan organisationnel les groupements de femmes par un soutien matériel et financier et la formation aux AGR.
Depuis 2008, la DEPG met en place une expérience pilote avec la création d’une structure de prise en
charge holistique dénommée Centre de Prévention et d’Assistance aux Victimes des Violences Sexuelles
(Centre PAVVIOS) avec l’implication d’autorités locales (mairie) et d’autres structures étatiques (services de
santé, police, etc.) dans la commune d’Attécoubé dans le district d’Abidjan.
Au titre du programme de sortie de crise, la DEPG, avec l’appui du FNUAP, initie un projet pilote de mise en
place d’un Centre d’Excellence à Bouaké dont l’objectif est de favoriser une prise en charge holistique des
survivant(e)s de VBG au sein d’une même structure.
Par ailleurs, des plateformes de lutte contre les VBG sont également mises en place impliquant les Centres
Sociaux qui en assurent la coordination technique, des ONG et d’autres professionnels (services de santé,
police, etc.) intervenant dans la protection et la prise en charge. Ces plateformes ont pour objectif de
développer un mécanisme de prise en charge intégrée de la victime à travers un système de référence et de
contre-référence. Le CNLVFE prévoit en 2011-2012 la redynamisation des plateformes ainsi que des relais
communautaires.
Source : MFFAS, 2008c ; MFFAS, 2010g.
4.5.3 Les actions de lutte contre la traite et le travail des enfants
Le troisième domaine dans lequel les services sont mieux financés et plus développés est
la lutte contre la traite et le travail des enfants, notamment dans les plantations de cacao
et de café. En septembre 2001, la Côte d’Ivoire a signé le protocole Harkin-Engel visant à lutter
de manière transparente contre les pires formes du travail des enfants dans les plantations de
cacao et de café. Le 25 août 2003, le pays a signé un mémorandum d’accord avec le Bureau
International du Travail (BIT) dans le cadre du Programme International pour l’Abolition du Travail
des Enfants (IPEC), étendant ainsi le champ du programme d’élimination des pires formes
47
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
du travail des enfants à l’ensemble du territoire national et à tous les secteurs d’activités.
Aujourd’hui, les actions dans le domaine sont guidées par le Plan national de lutte contre la traite
et les pires formes de travail des enfants adopté en Conseil des Ministres le 20 septembre 2007.
Elles bénéficient entre autres de l’appui technique et financier du BIT (initiatives IPEC-LUTRENA
et IPEC-WACAP), de l’UNICEF, de l’Organisation Internationale de Migration (OIM), de la coopération
allemande (projet LTTE de la GIZ), de la Fondation de l’Initiative Internationale sur le Cacao (ICI),
de l’Agence Danoise pour le Développement International (DANIDA) et des Ministères américains
des Affaires Etrangères (USDOS) et du Travail (USDOL). Outre des activités d’étude de la situation,
de renforcement du cadre juridique, institutionnel et réglementaire et de renforcement des capacités
des acteurs nationaux de différents niveaux, diverses actions sont menées auprès des communautés : actions de sensibilisation communautaire contre la traite et le travail des enfants ; mise en
place d’alternatives au travail des enfants dans certaines zones du pays (alphabétisation,
renforcement de l’accès à l’école, formation professionnelle) ; et identification, prise en charge
transitoire et réinsertion des enfants victimes de traite et d’exploitation.
Les actions de prévention consistent d’une part en des activités de sensibilisation, et d’autre
part, en des activités plus vastes de lutte contre la pauvreté dans les zones les plus sujettes
au travail dangereux des enfants (programmes d’alphabétisation et de formation professionnelle,
réhabilitation de pistes rurales, construction de centres de santé, etc.). Au niveau des structures
étatiques, des actions de sensibilisation communautaire sont menées par le Comité National
de Lutte contre l’Exploitation et la Traite des Enfants (CNLTEE), la Direction Générale du Travail
(DGT) et le Service Autonome de la Lutte contre le Travail des Enfants (SALTE). Le BIT, la
coopération allemande (GIZ), l’Initiative Internationale sur le Cacao, l’UNICEF et leurs ONG
partenaires sont également directement impliqués dans les efforts de sensibilisation. Au total,
entre 2002 et 2009, les actions de sensibilisation sont estimées avoir touché plus de 528 000
personnes vivant dans les zones de production de cacao (RCI, 2011). Chaque acteur intervient
avec son modèle d’intervention propre. Le modèle développé par le CNLTEE semble positif et
gagnerait sans doute à être mieux analysé (Encadré 4.5).
Les services de sécurité ainsi que les ONG et les comités de vigilance et de protection
jouent un rôle primordial dans l’identification des cas d’enfants victimes de traite et de
pires formes de travail. Il est estimé qu’entre 2002 et 2009, les actions menées dans le
domaine ont permis de retirer 3668 enfants des plantations. Parmi eux, 974 ont pu intégrer
l’école, 1625 ont bénéficié d’une formation professionnelle et 1069 ont été réintégrés en famille.
De juin 2006 à juin 2009, les services de la police nationale ont identifié et intercepté 321 enfants
victimes de traite (dont 124 cas de traite transfrontalière) dans la zone de production de cacao,
et ont procédé à l’arrestation de 48 auteurs présumés de traite et d’exploitation d’enfants.
Les comités de vigilance et de protection mis en place par les ONG contribuent également
à l’identification et à la référence des enfants victimes. (RCI 2011)
Encadré 4.5L’expérience prometteuse des comités de veille et de protection des
enfants
Le CNLTEE a mis en place 38 comités communautaires appelés « Comités de Veille et de Protection des
Enfants » dans deux régions productrices de cacao (le Haut Sassandra et la Marahoué) et une région
fournisseuse de main d’œuvre domestique aux grandes villes (région du Zanzan). Ces comités mènent des
actions de sensibilisation de proximité sur les conséquences de la traite et du travail dangereux des enfants
ainsi que sur la protection de l’enfant afin d’acquérir l’engagement des communautés et prévenir le phénomène.
Deux niveaux d’organisations communautaires (villageois et régionaux) impliquent les communautés (y compris
la notabilité), les préfets, les policiers, les gendarmes et les services sociaux pour la mise en œuvre des
programmes de lutte contre la traite et le travail dangereux des enfants. Ce modèle qui parvient à impliquer les
communautés, les autorités et les services sociaux a produit des résultats intéressants. Qui plus est, certains
des comités mis en place continuent de fonctionner malgré la fin des projets qui les finançaient.
Source : MFFAS, 2010g.
48
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
La prise en charge des victimes relève de la responsabilité du CNLTEE, avec l’appui des ONG
et des PTF. Le rôle du CNLTEE est : i) d’apporter l’assistance médicale, psychosociale et alimentaire
aux enfants victimes ; ii) de pourvoir, le cas échéant, à l’hébergement temporaire des enfants ;
iii) de procéder à la recherche des familles et à la médiation familiale pour la réintégration des
enfants ; iv) de procéder à la réintégration familiale effective des enfants ; et v) d’assurer le suivi
post réintégration des enfants. Un manuel de prise en charge a été élaboré afin de fixer les
normes nationales en la matière. Entre 2002 et 2009, le CNLTEE a apporté une assistance
et procédé à la réintégration de 319 enfants victimes. Plusieurs ONG33 sont sollicitées par
les services de police et le CNLTEE pour l’assistance aux enfants victimes. Elles ont participé à
la prise en charge transitoire d’au moins 400 enfants victimes de traite ou de travail dangereux.
Le CNLTEE a également pu mettre en place 38 familles d’accueil volontaires (avec l’appui du BIT).
L’UNICEF, l’OIM et leurs partenaires appuient également des actions de réintégration. L’appui
de l’UNICEF au programme de prévention, démobilisation et réintégration des enfants associés
aux groupes armés a permis de prendre en charge 2813 enfants associés aux mouvements
armés. Parmi eux, 1300 ont pu retourner à l’école formelle et les autres ont suivi une formation
dans l’agropastoral ou le secteur informel urbain. (RCI 2011)
En matière de réinsertion, l’appui des PTF aux structures publiques est également primordial.
Les ONG jouent un rôle important en matière de recherche de familles et de médiation familiale
pour le retour des enfants, de formation alternative et d’insertion professionnelle. A titre d’exemple,
l’action du BIT a permis, entre 2002 et 2009, d’apporter des services d’éducation scolaire et de
formation professionnelle à 24 961 enfants vulnérables, travailleurs ou victimes de traite, dont 38%
de filles. (RCI 2011)
4.5.4 La prise en charge des enfants privés de protection parentale
Quelques services étatiques et non gouvernementaux s’adressent aux besoins de protection
des enfants privés de protection parentale, mais les capacités d’intervention sont très limitées.
A part les orphelins, ces enfants à haut risque incluent les enfants « confiés », les enfants de la
rue et les enfants dans les prisons. La Direction de la Protection Sociale (DPS) du Ministère
chargé des Affaires Sociales supervise directement huit pouponnières (dont quatre publiques),
cinq orphelinats (dont deux publics) et deux villages d’enfants SOS (conventionnés). Les pouponnières offrent une prise en charge institutionnalisée pour enfants de 0 à 5 ans. Les cibles sont les
orphelins, les enfants abandonnés et les cas sociaux. Les orphelinats offrent une prise en charge
institutionnelle pour les enfants orphelins de 6 à 15 ans avec la possibilité de prendre en charge les
enfants et jeunes handicapés. Les deux orphelinats publics que compte le pays captent à eux
seuls près de 15% du budget du Ministère chargé des Affaires Sociales (MFFAS, 2010g). En 2010,
on comptait environ 400 enfants en pouponnières et orphelinats publics (Lida, 2010). Les enfants
issus de ces institutions peuvent être proposés en adoption lors des sessions du Comité de
Placement Familial. Outre les enfants placés dans les institutions d’accueil et d’hébergement
d’enfants, d’autres catégories d’enfants sont privés de protection parentale. C’est le cas
notamment des enfants de la rue, et des enfants en situation de placement ou de « confiage ».
Au niveau des structures publiques, ce sont les Centres d’Education Spécialisée (CES) qui sont à
même, du moins dans leur mandat, de venir en aide à ces catégories d’enfants. Une vingtaine
d’ONG sont aussi impliquées dans l’appui aux enfants de la rue à Abidjan et sont organisées en
réseau. Dans la réalité, si l’intention est là, les moyens demeurent extrêmement limités, que ce soit
pour venir en aide aux enfants de la rue ou pour identifier et prendre en charge des enfants
« confiés » victimes de maltraitance au sein des familles. Qui plus est, l’offre d’hébergement
transitoire est très limitée et souffre d’un manque de cadre et de supervision.
33Parmi lesquelles on compte notamment le Bureau International Catholique pour l’Enfance (BICE), le Village Marie-Dominique, ASA, la Délégation
Fondation Akwaba, la Fondation Amigo Doumé, Enfance Meurtrie Sans Frontière, ANAED et CIP.
49
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Il existe également de nombreuses institutions privées (orphelinats, centres d’accueil pour les enfants
de la rue, etc.). Toutefois celles-ci n’ont pas encore fait l’objet d’un recensement exhaustif.
Bien que l’ouverture de ces institutions soit en principe réglementée par une inspection de la DPS
et un agrément du Ministère chargé des affaires sociales, en pratique ces institutions
fonctionnent sans avoir nécessairement l’agrément. Agréées ou non, elles font rarement l’objet d’un
suivi et d’un contrôle. Il n’y a ainsi pas d’information centralisée relative aux enfants placés en
institutions privées, alors qu’il faut déplorer une offre de service loin d’être conforme aux normes
en la matière (MFFAS, 2010g).
En ce qui concerne la protection des enfants dans les prisons, autre catégorie d’enfants à très
haut risque, un programme financé par l’Union Européenne depuis quelques années a contribué
à améliorer leur situation, notamment par la création de sections de mineurs dans les prisons
et la formation des gardes pénitentiaires, policiers et magistrats. Il est à noter que les structures
judiciaires et pénitentiaires ont recruté un nombre important d’assistants sociaux.
4.5.5 Les services spécialisés pour enfants et adultes handicapés
Une toute petite minorité de personnes handicapées reçoivent les appuis requis pour
surmonter les obstacles à leur inclusion sociale et assurer leur accès à l’éducation, à la
formation et à l’insertion économique. Selon le recensement de 1998, environ 0,6% de
la population nationale, dont environ 29% sont des enfants de moins de 15 ans, souffrent d’un
handicap physique ou mental. Toutefois, comme il a déjà été noté dans la section 3.2.5,
le recensement a probablement sous-estimé l’importance de cette catégorie de la population,
qui a généralement un poids plus élevé dans la population des pays en voie de développement.
Il existe des structures spécialisées publiques (Institut National Ivoirien pour la Promotion des
Aveugles, Ecole Ivoirienne pour les Sourds) et privées (Centre d’Eveil et de Stimulation de
l’Enfant Handicapé, école intégratrice Grain de Soleil, etc.) d’encadrement des enfants et adultes
handicapés. Des ressources humaines qualifiées pour l’encadrement des personnes handicapées
sont en place, mais la couverture des institutions spécialisées demeure largement insuffisante.
En milieu ouvert, c’est aux Centres d’Education Spécialisée (CES) qu’il incombe en principe
d’apporter une éducation spécialisée aux jeunes handicapés. Malheureusement, ces structures
sont peu nombreuses et ont des ressources humaines, financières et matérielles extrêmement
limitées. On ne compte actuellement que 20 CES dans tout le pays. Par ailleurs, les CES ont une
mission vaste qui inclut non seulement la protection des enfants porteurs de handicap, mais
également l’encadrement, la protection et la réinsertion des enfants et jeunes en situation difficile
(enfants de la rue, toxicomanes, etc.) ainsi que la protection des personnes âgées. L’AGEFOP,
quant à elle, a mis en place un Projet d’Accès et d’Appui des Personnes Handicapées à
la Formation Professionnelle (PAAPHF), qui a formé 618 personnes handicapées de 1999 à 2007
(Gueu Yra, 2008). Comme ces chiffres l’indiquent, les services spécialisés sont comme une goutte
d’eau dans la mer. Au niveau de la société civile, plusieurs organisations de ou pour personnes
handicapées sont également en place34, et un réseau d’institutions pour enfants handicapés a été
créé. Mais elles aussi n’ont que des moyens limités.35 Comme alternative aux institutions spécialisées,
une politique d’école intégratrice a été adoptée au niveau du Ministère de l’Education Nationale
mais sa mise en œuvre effective pose problème (voir section 4.6). Il faut rappeler qu’à la différence
de certains pays où l’éducation de tous les enfants relève du Ministère de l’Education Nationale,
en Côte d’Ivoire, la prise en compte scolaire des enfants handicapés est déléguée au Ministère
chargé des affaires sociales en collaboration avec celui de l’Education Nationale (MFFAS, 2010k).
34 Ces organisations incluent la Fédération des Associations pour Personnes Handicapées (FAHCI), l’Organisation Chrétienne d’Aide aux Personnes
Handicapées (OCAPH), l’Association Nationale des Sourds de Côte d’Ivoire (ANASOCI), l’Association Ivoirienne des Sourds pour la Promotion
et la Défense (AISPD), l’association Handicap Alliance Internationale (HAI) créée par des personnes sourdes et des interprètes en langage
gestuel (et active dans la promotion du langage gestuel, la promotion des droits des personnes sourdes à l’information et à la communication,
l’éducation des sourds et la lutte contre le SIDA dans le milieu des personnes handicapées), et l’association Society Without Barriers (SWB) qui
défend les droits des personnes handicapées en Côte d’Ivoire en relation avec la Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées.
35 Les aides matérielles et financières aux personnes handicapées accordées par le Ministère chargé des affaires sociales sont limitées. En
2005 et 2006, la part du budget national affecté à la prise en compte des personnes handicapées tournait autour de 0,0135%, soit un budget
d’environ 240 millions de FCFA (MFFAS, 2010j).
50
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
4.6La protection sociale dans le secteur de l’éducation
Le Rapport d’Etat du Système Educatif Ivoirien (RESEN) a mis en évidence « un problème
sérieux d’accès à l’école » et alerté sur les risques élevés de non scolarisation déjà mentionnés
dans la section 3.1.2. Cette étude approfondie a montré, sur la base des données de l’enquête
MICS de 2006, que la probabilité de la génération d’âge scolaire d’aller une fois à l’école n’a été
que de l’ordre de 70%. « En effet, si 70% d’une génération a un jour accédé à l’école (certains d’entre
eux pouvant d’ailleurs la quitter prématurément), cela signifie qu’il y a environ 30% des
enfants qui n’y sont jamais allés » (RCI, 2009c, p. 32). Le RESEN a montré en outre que la probabilité
d’accéder à chaque classe successive du système d’enseignement général diminue, en raison de
forts taux de déperdition, de 70% en première année (CP1) à 46% en dernière année du cycle
primaire (CM2). Ainsi, environ un enfant sur trois qui a accès au primaire n’atteint pas la fin du cycle.
La majorité de ces enfants, ainsi que ceux qui n’ont jamais eu accès à l’école, seront
analphabètes à l’âge adulte. La probabilité d’accès continue à diminuer au secondaire, dû à une
perte de 12 points de pourcentage dans la transition primaire-secondaire et à des taux élevés
de déperdition à l’intérieur de chacun des deux cycles du secondaire.
Cette situation sombre a encore empirée ces dernières années du fait de la crise postélectorale. Le conflit a conduit à la fermeture et au pillage des écoles et à la migration de milliers
d’enseignants des zones les plus touchées. Au plus fort de la crise, environ un million d’enfants ont
été déscolarisés (MEN et al, 2011).
L’accès à l’enseignement est marqué aussi par de fortes inégalités, surtout selon le niveau
de richesse familiale. Le RESEN a constaté que le système éducatif ivoirien était l’un des moins
équitables d’Afrique. En plus de disparités significatives selon le genre, l’analyse a montré des
disparités selon le milieu de résidence et surtout selon les quintiles de richesse d’une intensité
encore plus forte. La Figure 4.1 montre l’évolution de ces disparités en termes de taux d’accès
et d’achèvement selon le niveau d’enseignement. Tandis que le ratio filles/garçons diminue de
0,87 (accès primaire) à 0,43 (achèvement secondaire), le ratio rural/urbain tombe beaucoup plus
précipitamment, de 0,82 à 0,17. Les disparités d’offre scolaire peuvent en partie expliquer les
disparités géographiques, notamment au niveau secondaire. Les disparités régionales sont aussi
importantes dès l’accès au primaire, où on peut constater des taux variant de 84% à Abidjan et
dans les régions du Sud et du Centre-Ouest à seulement 35% dans la région Nord et 41% dans
le Nord-Ouest.
51
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Figure 4.1Disparités des taux d’accès et d’achèvement scolaire selon le genre,
le milieu de résidence et le niveau de richesse, 2006
Source : RESEN 2009, à partir des données du MICS 2006 (RCI, 2009c).
Cependant, ce sont les disparités selon le niveau de richesse des ménages qui sont de loin les plus
frappantes. Le taux d’accès au primaire des enfants du premier quintile n’est que 51%, par rapport
à 89% pour les enfants du cinquième quintile, ce qui donne le ratio de 0,57 indiqué dans la
Figure 4.1. Les ratios Q1/Q5 diminuent à 0,33 pour l’achèvement du primaire, 0,29 pour l’accès au
premier cycle du secondaire et 0,12 pour l’achèvement du premier cycle du secondaire. Les
enfants vivant dans des ménages appartenant au quintile le plus pauvre n’ont pratiquement aucune
chance d’achever le deuxième cycle du secondaire (1 sur 100). Cette analyse montre clairement
l’importance du facteur économique au niveau des ménages dans l’accès des enfants à l’école
et ainsi la pertinence de mesures de protection sociale qui visent à réduire les barrières financières.
Les frais liés à la scolarisation restent élevés. Le RESEN a estimé que, en 2007, les dépenses
supportées par les familles (inscription, frais de scolarité, fournitures, uniforme, etc.) représentaient
27% des dépenses totales (publiques plus privées) au primaire, 46% au collège et 44% au lycée.
Les dépenses familiales annuelles par élève augmentent rapidement selon le niveau des études, de
28 037 FCFA au primaire à 97 914 FCFA au collège et 146 762 FCFA au lycée. Il est à noter que
le préscolaire, dominé par le secteur privé, est presque trois fois plus coûteux aux familles
(75 292 FCFA par enfant) que le primaire, ce qui explique en grande partie pourquoi seulement
1,3% des enfants scolarisés à ce niveau appartiennent au quintile le plus pauvre. Le niveau de
dépense familiale est beaucoup plus élevé en milieu urbain et parmi les plus riches. Selon des
estimations de 2002, présentées dans le RESEN, la dépense familiale moyenne par élève au
primaire augmente de 14 751 FCFA dans les deux premiers quintiles, à 19 677 FCFA dans les
troisième et quatrième quintiles et à 54 274 FCFA dans le cinquième quintile.
En plus de ces frais directs, il faut tenir compte du fait que, pour les ménages les plus pauvres,
la scolarisation implique également des coûts d’opportunité. Pour ces ménages en effet, la
scolarisation entre en concurrence avec le travail des enfants. Selon l’enquête MICS de 2006,35,3%
des enfants âgées de 5 à 14 ans travaillent, et 51,9% de ces enfants travailleurs ne fréquentent pas
l’école.36
36 Ces données sont basées sur la définition suivante d’enfant « travailleur » utilisée dans l’enquête MICS : tout enfant âgé de 5 à 11 ans qui
effectue au moins une heure de travail rémunéré ou 28 heures de corvées ménagères par semaine ; et tout enfant âgé de 12 à 14 ans qui
effectue au moins 14 heures de travail rémunéré ou 28 heures de corvées ménagères par semaine (MEMPD/INS et UNICEF, 2007).
52
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Le Plan d’Actions à Moyen Terme du secteur de l’éducation prévoit de renforcer les mesures
visant à réduire les charges de la scolarisation et à inciter la demande. Ce plan, révisé
à la suite de la crise postélectorale pour couvrir la période de 2012 à 2014, prévoit, selon un
modèle de simulation, d’atteindre un taux d’achèvement primaire de 62,6% en 2014 et de
81% d’ici à 2020, contre un taux actuel estimé à 53,2% en 2008-2010. En plus des mesures
pour restaurer le système éducatif dans les zones les plus affectées par la crise de 20102011 et pour améliorer l’offre et la qualité de l’enseignement, notamment dans le primaire et
le premier cycle du secondaire, ce plan « entend développer ses actions à nature de stimuler
la demande de scolarité des enfants pour lesquels la fréquentation scolaire ne sera pas acquise
du seul fait du développement des capacités d’accueil » (MEN et al, 2011, p. 20). Le plan inclut
ainsi des mesures ciblées en faveur des populations les plus pauvres ou les plus éloignées de
l’école. Il propose d’introduire des mécanismes de ciblage géographique pour identifier des zones
prioritaires, fortement marquées par la pauvreté, la vulnérabilité et de faibles taux d’accès et
d’achèvement, tout en évitant un ciblage individuel des enfants au sein des écoles afin de ne pas
stigmatiser les bénéficiaires. Il est à noter que le plan met aussi un accent fort sur l’évaluation des
actions sociales dans le secteur. Les outils principaux retenus dans ce plan en vue de stimuler la
demande scolaire sont : les subventions versées aux écoles pour assurer la gratuité effective de
l’enseignement primaire ; le programme de cantines scolaires ; la distribution gratuite de kits scolaires ;
la distribution de rations alimentaires sèches aux jeunes filles ; et la suppression des obstacles
à l’inscription à l’enseignement primaire liées au manque de possession d’extraits d’actes de
naissance (MEN et al, 2011).
La politique de la gratuité a conduit à l’abolition des frais d’inscription au primaire et au
préscolaire depuis 2001 mais n’est pas encore totalement effective. La Loi n° 95-696 du 7
septembre 1995 relative à l’enseignement a institué le principe de la gratuité de l’enseignement
dans les établissements publics, tout en faisant quelques exceptions importantes par rapport aux
droits d’inscription, aux prestations sociales et aux charges relatives aux manuels et autres
fournitures scolaires (telles que stipulées dans l’article 2 de la dite loi). Un pas important vers
une gratuité plus large a été franchi en 2001 avec la suppression des frais d’inscription au
primaire et au préscolaire. En outre, depuis 2002, des subventions de fonctionnement sont
octroyées à quelques 3 000 écoles primaires publiques en compensation de la perte des frais
d’inscription afin de rendre effective la gratuité de l’enseignement.
Cependant, ces subventions sont limitées aux sous-préfectures présentant des taux de
scolarisation faibles et ayant un comité de gestion (COGES) fonctionnel et titulaire d’un compte
en banque, ce qui n’est pas toujours le cas, surtout dans les zones les plus vulnérables.
Par ailleurs, selon Razafindramary et de Galbert (2010, p. 20) le décaissement partiel et tardif
des crédits budgétaires aux COGES « a pour effet de priver les écoles de leurs frais de fonctionnement ». Par ailleurs, des détournements de fonds sont quelquefois dénoncés dans la presse
(MEN et al, 2010). En outre, des cotisations informelles continuent, pénalisant les enfants de ménages
vulnérables. En conséquence, la gratuité de l’enseignement primaire est loin d’être effective, ce
qui a un impact négatif sur la demande et se traduit par les faibles taux d’accès et d’achèvement
observés.
Tout en reconnaissant que la résolution du problème de fonds requiert à long terme la réforme
des circuits officiels de décaissement des crédits budgétaires, le Plan d’Actions à Moyen Terme
du secteur de l’éducation propose de trouver une solution de court à moyen terme dans le
contournement de ces circuits par l’octroi de subventions à 300 écoles prioritaires payées
directement sur les financements du Fonds Catalytique de l’Initiative de Mise en Œuvre
Accélérée de l’Education Pour Tous (IMOA-EPT). Les 300 écoles sélectionnées, qui bénéficieront
aussi du renforcement de la capacité de gestion des COGES, seront celles localisées dans
les zones les plus vulnérables, identifiées par un ciblage géographique portant sur des critères
de pauvreté et les taux d’accès et d’achèvement.
53
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
La gratuité n’a pas encore été étendue au premier cycle de l’enseignement secondaire,
où seulement quelques bourses sont octroyées pour faciliter l’accès. Le défi de l’extension de
la gratuité reste entier au premier cycle du secondaire, où le taux de transition primaire-secondaire
est faible et les taux d’abandon scolaire élevés, au détriment surtout des enfants des ménages les
plus pauvres.
Des cantines scolaires sont fonctionnelles dans la moitié des écoles primaires. La Côte
d’Ivoire a une longue expérience dans la mise en œuvre de cantines scolaires qui visent à améliorer
l’accès et la rétention scolaire ainsi que la capacité d’apprentissage des élèves. L’expérience a
commencé par des « cantines spontanées » à la fin de la période coloniale avant de se transformer
en programme national après l’indépendance, initialement avec l’appui de l’UNICEF de 1962
à 1969 (N’da et Tebi, 1998). Repris en main par l’Etat ivoirien, le programme a connu des
difficultés de financement, surtout à partir des années 80 (période de crise économique et
d’ajustement structurel), malgré l’introduction de la contribution financière des bénéficiaires.
Devant une déscolarisation inquiétante à la fin des années 80, l’Etat a établi un nouveau
partenariat avec le PAM en 1989 qui a permis d’étendre les cantines scolaires à une large
échelle. Vers la fin des années 90, les cantines scolaires fonctionnaient dans environ 2 000
écoles (soit 25% des écoles primaires publiques) au service de plus de 200 000 élèves
(N’da et Tebi, 1998). Le désengagement progressif du PAM, à partir de 1998, a conduit à
l’établissement par le Ministère de l’Education Nationale du Programme Intégré de Pérennisation
des Cantines Scolaires (PIPCS). Géré par la Direction Nationale des Cantines Scolaires, avec
des appuis du PNUD et de l’Union Européenne, ce programme vise à aider les communautés
rurales et périurbaines à s’approprier progressivement la gestion et l’approvisionnement de leurs
cantines par la production vivrière, en faisant de celles-ci un vecteur de développement local.
Entre-temps, les crises politiques des dernières années ont conduit le PAM à retenir et renforcer
son appui aux cantines, notamment dans les zones Nord, Ouest et Centre, où la scolarisation a été
particulièrement perturbée.
En conséquence, le nombre d’écoles et d’élèves couverts a augmenté considérablement.
En 2009-10, on dénombrait 5 278 cantines avec 863 637 rationnaires, dont 276 851 relevaient du
gouvernement et 586 786 du PAM (Tableau 4.4). En 2010-2011, le nombre de cantines a
augmenté à 5 615, couvrant ainsi 53% des 10 564 écoles primaires publiques du pays et les
cantines étaient présentes dans toutes les 26 Directions Régionales de l’Education Nationale
(DREN). L’existence des cantines a aussi incité la création de 1 209 groupements de production
de vivres, surtout à Bouaké, Bondoukou et Man dans le cadre du PIPCS, et a créé 35 000
emplois, en grande partie féminins, selon le Ministère de l’Education Nationale. Cependant,
l’éclatement de la crise après l’ouverture de l’année scolaire 2010-2011 a gravement affecté les
cantines scolaires, dont environ 1 900 ont été fermées (MEN et al, 2011).
Tableau 4.4Couverture des cantines scolaires, 2009
Zones et programmes
Gouvernement
Nombre de cantines
Cantines régulières
PIPCS
Collèges
PAM
Nombre de rationnaires
2 109
220 754
241
49 333
23
6 764
Total Gouvernement
2 373
276 851
Zones Centre, Nord et Ouest
1 028
288 406
Zone Sud
1 877
298 380
Total PAM
2 905
586 786
5 278
863 637
Ensemble
Source : MEN.
54
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
En termes d’impact, une étude comparative des écoles avec cantines et des écoles sans cantines
sur la période de 1999 à 2002 suggère des effets positifs des cantines sur la scolarisation et la
réussite scolaire. Il y a eu un taux d’accroissement moyen des enfants scolarisés de 12,5% dans
les écoles avec cantines contre -1,4% dans les écoles sans cantines, un taux d’abandon moyen
annuel de 3% contre 5,9% et un taux moyen de réussite au Certificat d’Etudes Primaires
Elémentaires (CEPE) de 66,6% contre 61,2% (PNUD, 2003, cité dans MEN, n.d. b).
Cependant, le Ministère de l’Education Nationale est conscient de quelques faiblesses des
cantines. Les rations envoyées aux cantines par le Ministère fournissent actuellement en moyenne
40 repas sur 100 jours scolaires par année (celles du PAM fournissent entre 60 et 100 repas
selon la disponibilité des vivres) en raison des perturbations déclenchées par le conflit.
En outre, la pratique actuelle de prélèvement de 25 FCFA par repas, appelée contribution financière
communautaire (CFC), qui s’applique dans toutes les cantines quelles que soient leur source
d’appui, pourrait aller à l’encontre de l’objectif d’alléger la pression du coût de l’éducation sur les
ménages pauvres. Comme il a été observé par N’da et Tebi dans leur étude approfondie sur les
cantines en Côte d’Ivoire : « Si l’on n’y prend garde, la sélection se fait en fonction de l’argent
et donc de ceux qui peuvent payer quotidiennement et qui ne sont peut-être pas parmi les enfants
qui avaient besoin de la cantine pour se présenter comme égaux devant l’école » (1998, p. 86).
Dans quelques zones, des élèves identifiés comme étant issues de familles très démunies
bénéficient d’exemptions du paiement de la CFC. Le Plan d’Actions à Moyen Terme du
secteur de l’éducation prévoit le renforcement du programme de cantines scolaires comme une
des mesures clées pour inciter la demande scolaire. Il s’agit surtout de l’extension des cantines
de 40 à 100 jours scolaires par année, surtout dans les zones ayant les niveaux les plus élevés
de pauvreté et les taux d’accès et d’achèvement les plus faibles. En ce qui concerne le prélèvement de 25 FCFA par repas, une étude est prévue par le Service National des Cantines Scolaires
du MEN en vue de comprendre mieux si celui-ci constitue une barrière pour les plus pauvres
et ainsi de déterminer l’opportunité de maintenir cette contribution financière.
La distribution de manuels et kits scolaires est mise en œuvre à l’échelle nationale, mais son
efficacité est quelquefois compromise par les retards de livraison aux écoles. En réduisant
le coût de la scolarisation, ce programme d’envergure nationale et universelle (donc non ciblée)
vise à améliorer l’accès, la rétention et l’apprentissage des élèves. La distribution des kits (cahiers,
stylos, crayons, gomme blanche, etc.), qui sont légèrement différents selon les cycles du primaire
(CP, CE et CM), bénéficient à environ 2 millions d’enfants dans plus de 9 000 écoles primaires
publiques. En 2010, 2,2 millions de kits ont été achetés, à un coût de 3,4 milliards de FCFA.
Les manuels sont prêtés aux enfants à raison de 250 FCFA par manuel pour l’année scolaire.
Des études ont démontré le coût-efficacité de ces interventions (Razafindramary et de Galbert, 2010).
Cependant, l’arrivée tardive des ouvrages dans les écoles, qui a été constatée par exemple
en 2010, combinée aux taux élevés de déperdition, contribuent à réduire l’impact sur les résultats
scolaires.
Des mesures de petite envergure ont été prises en faveur de la scolarisation des OEV.
Des actions ciblées à cette catégorie d’enfants sont menées par les structures de proximité
établies par la Direction de la Mutualité et des Œuvres Sociales en Milieu Scolaire (DMOSS) du
Ministère de l’Education Nationale (voir ci-dessous), en liaison avec le Ministère de la Santé et
de la Lutte contre le VIH/SIDA et en partenariat avec le PN-OEV. De 2008 à 2011, les structures
locales de la DMOSS ont distribué 1833 kits scolaires en faveur des OEV. Le Plan d’Actions
à Moyen Terme du secteur de l’éducation propose d’élargir la distribution de kits à 10 000 OEV
par an. Le PN-OEV a mis en place en 2008 un programme d’octroi de bourses aux OEV du
fait du VIH/SIDA, les candidatures étant soumises par les « plateformes » de coordination locale
du PN-OEV. Cependant, le nombre de bénéficiaires est extrêmement réduit. Selon la Sous Direction
des Actions Sociales en Milieu Scolaire du DMOSS, seules 70 bourses ont été octroyées aux
élèves du secondaire et de l’enseignement technique avec l’appui des ONG entre 2008 et 2011.
55
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
L’éducation intégratrice est encore à l’état embryonnaire et nombre d’enfants handicapés
restent exclus. Quelques initiatives sont en place pour assurer l’accueil et l’encadrement des
enfants handicapés dans les écoles ordinaires, mais elles restent très isolées.37 Un programme
plus ambitieux d’éducation intégratrice devait être lancé en 2011 (MFFAS, 2010k) mais reste en
attente, faute de financement notamment. L’insuffisance de personnel qualifié demeure également
l’une des difficultés majeures pour assurer convenablement l’intégration des enfants et adolescents
handicapés dans le système éducatif.
Des actions spécifiques promeuvent la scolarisation des filles, mais ne sont pas bien
intégrées dans la planification sectorielle. La plupart des mesures et initiatives susmentionnées
contribuent indirectement à promouvoir l’égalité des chances entre filles et garçons, notamment
au primaire. Il existe aussi un Plan stratégique de l’éducation des filles (UNGEI et al, 2007), mais
ce plan semble peu pris en compte dans la planification sectorielle plus large, malgré la prise
de quelques décisions visant en particulier les filles : le maintien d’internats pour des filles au
secondaire et une proposition récente (incluse dans le nouveau Plan d’actions à moyen terme
et pour financement du Fonds Catalytique) de distribution de rations sèches à 5 000 filles inscrites
au niveau CM du primaire dans les zones rurales ayant des taux de scolarisation féminine
très faibles.
Des mesures sont proposées pour lever les obstacles à l’accès liés à l’état civil. Environ
15 000 enfants par an voient leur inscription à l’école refusée par manque d’acte de naissance
(acte requis pour l’inscription au CP1). Les 15 212 refus d’inscription pour ce motif à la rentrée
2008 ont représenté environ 17% des 89 809 enfants de 6 ans n’ayant pas eu accès au CP1
cette année-là, selon les données de l’Observatoire du CP1 (un outil de collecte d’informations
relatives aux difficultés d’accès à la première année du primaire, appuyé par le PNUD) (MEN et al,
2010). Pour lever cet obstacle, le Ministère de l’Education Nationale a demandé aux directeurs
des écoles de ne plus faire obstacle à l’inscription des enfants au CP1 pour défaut d’acte
de naissance, tout en établissant des relations avec le projet de modernisation de l’état civil
en Côte d’Ivoire (MECCI) de façon à explorer des solutions pratiques à long terme. Cependant,
la mise en application dépend de la bonne volonté des directeurs des écoles, ainsi que du
nombre de places disponibles à la rentrée scolaire. Le problème se pose avec acuité lors des
examens du CEPE, pour lequel l’acte de naissance est requis, conduisant à l’exclusion de milliers
d’enfants chaque année et contribuant ainsi aux taux élevés de déperdition scolaire.
La libéralisation de la tenue scolaire a été renversée en septembre 2011. Le port de l’uniforme
a été libéralisé en septembre 2002 dans le but d’alléger les charges financières des parents
d’élève. Cependant, cette mesure n’a pas été respectée partout, au détriment des ménages
pauvres, et le 7 septembre 2011, le Ministère de l’Education Nationale a pris le pas de restaurer
le port obligatoire de l’uniforme. L’arrêté n’a pas expliqué la raison de ce changement de politique.
Selon des cadres du Ministère, cette mesure a été adoptée dans un souci de réduction des
écarts sociaux. Cependant, aucune mesure d’accompagnement, comme la mise sur pied d’un
programme de distribution gratuite d’uniformes aux enfants de ménages pauvres (à l’instar de ce
qui existe au Ghana, par exemple) a été adoptée.
D’autres mesures protectrices ont été prises, notamment l’interdiction des punitions physiques
et la mise en place d’un réseau de travailleurs sociaux en milieu scolaire. L’interdiction des
punitions physiques et humiliantes à l’endroit des élèves des établissements scolaires « sous
quelque forme que ce soit » a été établie par l’Arrêté n° 0075/MEN/DELC du 28 septembre 2009.
Il est à noter que cet arrêté apporte aussi d’autres protections aux élèves, en interdisant de
renvoyer un élève de l’école, du collège ou du lycée pour non paiement des cotisations du COGES
ou « de toutes autres formes de cotisation », ou pour manque de matériel, et en insistant que
« le recouvrement des cotisations doit être fait avec la collaboration des parents d’élèves tout
en préservant l’intérêt supérieur de l’enfant d’aller à l’école ».
37 On peut noter par exemple l’initiative du Centre d’Education de Formation et d’Insertion des Aveugles de Toumodi, le cas de Sikensi (deux
initiatives soutenus par le Gouvernement), ainsi que l’aménagement de certains établissements scolaires dans neuf Directions Régionales de
l’Education Nationale (en collaboration avec l’Alliance Save the Children).
56
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Par ailleurs, la DMOSS, à travers sa Sous-Direction des Actions Sociales en Milieu Scolaire, a créé
des structures de proximité animées par des travailleurs sociaux et d’autres agents spécialisés
pour mener des actions de politique sociale et sanitaire en milieu scolaire. Des Centres
d’Ecoute ont été établis dans les 26 DREN, et des cellules sociales créées dans 75 écoles
secondaires publiques. Des correspondants ont été désignés au sein de chaque Inspection
de l’Enseignement Primaire (IEP) pour promouvoir l’action sociale au niveau des établissements
primaires. Par contre, les enseignants eux-mêmes, qui sont le premier point de contact des
élèves, ne reçoivent aucune formation en matière d’action sociale. Mis à part des actions en
faveur du corps enseignant, ce travail social se focalise sur la gestion de cas, notamment l’appui
aux élèves présentant des difficultés d’ordre psychologique, médical ou social et la recherche
d’appuis pour la prise en charge scolaire d’OEV et d’élèves issus de milieux défavorisés, ainsi que
la sensibilisation des élèves sur la santé de la reproduction et le VIH/SIDA, et d’autres activités
de promotion et de surveillance sanitaires. Les structures déconcentrées entreprennent aussi des
démarches pour la facilitation des procédures de délivrance de documents administratifs pour
les enfants non déclarés à l’état civil. Cependant, aucune étude n’a été faite pour évaluer l’impact
de ces interventions.
4.7La protection sociale et l’accès aux services de santé
L’abandon de la gratuité des services sanitaires à la suite de la crise économique des
années 80 a eu des retombées graves sur l’accès des populations aux soins. La période
du « miracle » économique en Côte d’Ivoire (1960-1980) avait vu la manifestation d’une
volonté politique forte d’assurer l’accès de tous aux soins de santé. Dans le système public de
santé, les médicaments et les soins étaient gratuits et entièrement pris en charge par le budget
de l’Etat. Après ces moments de prospérité, la Côte d’Ivoire a connu la crise économique de
la décennie 80. L’Etat a abandonné l’option de la gratuité et a instauré un système de
recouvrement des coûts des actes de santé et des médicaments à partir des années 90,
dans le cadre de la mise en œuvre de l’Initiative de Bamako. Le recouvrement des coûts s’est
généralisé en 1994 dans tous les établissements publics de santé. Depuis lors se pose avec
acuité le problème de l’accessibilité financière des populations aux soins, qui a été amplifié
entre temps par l’appauvrissement de larges couches de la population. La revue sectorielle de la
santé a ainsi noté que « cette initiative, n’ayant été accompagnée ni de mesures adéquates pour
la prise en charge des indigents ni d’un système de partage du risque maladie et de financement
communautaire, a souvent abouti à une baisse de l’accessibilité des démunis aux soins de
santé » (Banque Mondiale, 2010b, p. 67). Le système du recouvrement des coûts est resté en
vigueur jusqu’à la déclaration de la gratuité exceptionnelle des services sanitaires publics en avril
2011 à la fin du conflit postélectoral. Cette gratuité a couvert la population générale jusqu’en janvier
2012, en attendant l’adoption de nouvelles mesures à long terme pour rendre les soins de santé
financièrement accessibles et en garantir la soutenabilité par l’Etat (voir ci-dessous).
Quelques rares cas de gratuité, financés essentiellement par l’aide extérieure, ont fait
exception à la règle. C’est notamment le cas des vaccinations lors des campagnes du PEV,
financées principalement par l’UNICEF et le GAVI. Le traitement de la tuberculose est depuis
longtemps partiellement gratuit. Une participation financière est toujours demandée aux patients
tuberculeux. Cette participation se fait par l’achat de timbres antituberculeux émis par le Comité
National de Lutte contre la Tuberculose pour un montant de 5 000 FCFA pour la durée du
traitement. Cette somme d’argent, qui ne représente qu’une proportion très faible du coût réel
des médicaments, est demandée avant la mise sous traitement. Le malade a la possibilité de payer
cette contribution en plusieurs fois, et les malades indigents sont quelquefois exonérés de
paiement sous recommandation du service social dans les hôpitaux (Msellati et Blibolo, 1996).
A partir de 2008, les traitements en ARV des malades du SIDA, qui sont entièrement financés
par les bailleurs de fonds, sont devenus gratuits malgré des problèmes épisodiques de ruptures
de stock de ces médicaments. Le Ministère de la Santé et de la Lutte contre le SIDA appuie
la prise en charge médicale des OEV du fait du VIH/SIDA et de leurs familles. Le PN-OEV a signé
une convention avec les services de santé scolaire et universitaire (54 centres en milieu urbain)
57
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
pour fournir des consultations gratuites aux OEV du fait du VIH/SIDA et pour leur fournir des
médicaments essentiels à coût préférentiel.
Un système d’exemptions des frais médicaux en faveur des indigents existe mais reste de
portée très limitée. Certaines structures sanitaires, surtout les hôpitaux, disposent de travailleurs
sociaux qui servent d’interface avec les Centres Sociaux pour les usagers des structures sanitaires
nécessitant une assistance sociale. Ces services sociaux de santé sont chargés principalement
de poser le diagnostic de l’indigence et d’accorder l’exemption de paiement aux malades indigents
qui en font la demande dans les établissements sanitaires publics (Blibolo, 2010). Les forces de
ces services se situent à plusieurs niveaux : ils sont reconnus dans les établissements de santé
comme les mieux indiqués pour reconnaître les vrais indigents et leur apporter assistance, ils sont
animés par des fonctionnaires spécialement formés pour assister les indigents, et ils disposent
dorénavant de critères simples pour le ciblage des indigents. En effet, depuis 2010, il existe
un guide d’utilisation des critères d’exemption aux malades indigents dans les établissements
de santé. Ces critères d’exemption ont été implantés dans les différents services sociaux de santé
du district autonome d’Abidjan et y sont en principe utilisés (MSHP et MFFAS, 2010). Cependant,
ce dispositif présente également de nombreuses faiblesses : les services sociaux de santé sont
très peu connus du public ; ils disposent souvent de peu de moyens (voire aucun) pour aider
les malades indigents ; et seuls les services sociaux de santé d’Abidjan ont commencé à appliquer
les critères de ciblage. Selon une étude récente, « dans la pratique, la portée de ce dispositif est
quasi nulle, faute d’un budget d’aide sociale disponible pour les malades indigents » (MFFAS,
2010g, p. 65).
Compte tenu de la politique de recouvrement des coûts et de la faible offre de services
publics, le financement de la santé s’est reposé principalement sur les dépenses des
ménages. Les Comptes Nationaux de la Santé (CNS), élaborés en Côte d’Ivoire pour la
première fois pour les années 2007 et 2008 (MHP, 2010), fournissent des données essentielles
pour l’analyse du financement du système de santé. Cette source indique que les dépenses
totales de santé (DTS) en 2008 étaient de 613,4 milliards de FCFA, soit 5,7% du PIB ou
encore 29 827 FCFA (66 dollars américain) par habitant. Bien que ce niveau de dépenses
par tête soit le troisième plus élevé en Afrique de l’Ouest, après le Cap Vert (152 dollars en
2008) et le Nigéria (73 dollars)38, la répartition des dépenses est très régressive. En effet, selon
les données des CNS pour 2008, les ménages effectuent 68,9% des DTS, par rapport
à seulement 16,6% pour le secteur public, 12,9% pour les PTF et 1,6% pour le secteur privé
(hors ménages). Ainsi, les ménages dépensent sept fois plus pour la santé que ne le font les
PTF et quatre fois plus que ne le fait l’Etat (Figure 4.2). Les dépenses publiques de santé sont
parmi les plus faibles dans la région ouest africaine en pourcentage du PIB (0,9%) et en
pourcentage des dépenses publiques totales (4,7%)39, et sont affectées principalement au
niveau tertiaire du système de santé (69% entre 2000 et 2009) et dans une moindre mesure au
niveau secondaire (24%), au détriment du niveau primaire (7%). La faiblesse de la contribution
du financement public aux DTS, surtout au niveau primaire, limite énormément le rôle potentiel
de l’Etat dans la redistribution des dépenses de santé des plus riches vers les plus pauvres.
En outre, le faible niveau de mutualisation des risques maladie implique que la quasitotalité des dépenses des ménages sont effectuées directement au moment de la prestation
de service. Moins de 4% des dépenses des ménages, soit 2,6% des DTS, sont prépayées,
c’est-à-dire effectuées au travers de cotisations aux établissements d’assurance. Comme
il a déjà été discuté dans la section 4.2, l’assurance maladie est limitée dans les faits à une infime
minorité d’ivoiriens employés dans le secteur public et dans quelques grandes entreprises, et à
leurs ayant-droits. Selon les CNS de 2008, 1,8% des dépenses des ménages affectés à
la santé passent par la MUGEFCI, 1,2% par d’autres mutuelles du secteur public, 0,5 % par la
38 Ces données proviennent de la base de données (World Development Indicators) de la Banque Mondiale. En ce qui concerne la part de la santé
dans le PIB, la Côte d’Ivoire est dépassée en 2008 par le Burkina Faso (5,9%), le Ghana (7,8%), la Guinée Bissau (6,0%), le Libéria (11,9%), la
Sierra Leone (13,3%) et le Togo (5,9%).
39 En effet, selon les World Development Indicators de la Banque Mondiale, seules la Guinée et la Sierra Leone présentent des dépenses encore
plus faibles : respectivement 0,7% et 0,9% du PIB.
58
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
CNPS et 0,3% par les compagnies d’assurance privée. Il est à noter que, dans le cas de la CNPS,
l’assurance maladie se limite à la prise en charge des frais de soins médicaux liés à l’accouchement
(sous la branche des prestations familiales) et des frais relatifs aux accidents de travail et aux
maladies professionnelles. Les mutuelles communautaires sont très peu développées en Côte
d’Ivoire, en comparaison des pays comme le Bénin, le Mali et le Sénégal. La Côte d’Ivoire est ainsi
un des pays de la sous-région où la contribution des paiements directs des ménages (ou « out of
pocket payments ») aux DTS est la plus élevée. Parmi les pays de la CEDEAO, seules la Guinée
et la Sierra Leone présentaient une contribution des ménages plus importante selon les données
de la Banque Mondiale de 2008 (Figure 4.2). Selon l’ENV de 2008, à peine 8% des ménages
ont bénéficié d’une prise en charge partielle ou intégrale de leurs frais de santé, que ce soit par
une assurance, des parents, l’Etat, une ONG ou autre. Par ailleurs, cette prise en charge est très
inégalitaire : elle ne bénéficie qu’à 5,2% des ménages appartenant au quintile le plus pauvre contre
13,5% des ménages du quintile le plus riche (Banque Mondiale, 2010b).
Figure 4.2Dépenses de santé par sources de financement (%), 2008
Sources : CNS 2007-2008 (MSHP, 2010); Banque Mondiale, World Development Indicators, pour les autres pays.
Les taux d’utilisation des services de santé sont faibles. La revue sectorielle de la santé a montré
que le taux de fréquentation des services sanitaires publics reste un des plus faibles d’Afrique
de l’Ouest. Pour les consultations curatives dans les établissements publics, tous âges confondus, la
moyenne de fréquentation a varié de 0,16 à 0,21 entre 2001 et 2008, alors que l’OMS recommande
un taux de 1, c’est-à-dire en moyenne un contact par an par habitant. Ce taux de fréquentation
varie énormément d’une région à l’autre, de 0,006 dans la Région des Montagnes (2001) à 0,58
dans la Région du N’Zi Comoé (2003), en raison probablement des inégalités dans la répartition
géographique des établissements sanitaires et du personnel de santé, ainsi que des disparités dans
les taux de pauvreté par régions (Tableau 3.4). Le Chapitre 3 a déjà mis en relief les faibles taux de
traitement des maladies chez les enfants, notamment pour le paludisme, qui est la première cause
de mortalité infanto-juvénile, ainsi que les faibles taux d’accouchement en établissements sanitaires.
Environ 66% des dépenses de santé des ménages s’effectuent dans les officines (pharmacies
privées, vendeurs informels, etc.). Cela confirme que les ménages dépensent leur argent plutôt
dans les pharmacies, et moins dans les structures de santé publiques, qui restent peu utilisées.
La faible qualité des services publics se caractérise notamment par les ruptures de stocks
de médicaments qui obligent les patients à recourir aux pharmacies privées beaucoup plus chères.
Tout le système public d’acquisition et de distribution de médicaments a connu des perturbations
du fait des dettes des établissements sanitaires à l’égard de la Pharmacie de Santé Publique (PSP)
59
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
et des dettes de celle-ci auprès de ses fournisseurs. Selon la revue sectorielle, seulement 20% des
médicaments proviennent de la PSP et donc du secteur public, et en janvier 2009, le taux de
rupture de médicaments était de 35% (Banque Mondiale, 2010b).
Les coûts constituent une importante barrière à l’accès, surtout pour les plus pauvres.
L’importance du facteur coût est mise en évidence par des données de l’ENV de 2008 qui
montrent que la part des ménages du premier quintile ayant eu des dépenses sanitaires dans les
trois mois précédant l’enquête (56,5%) était moindre que celle du cinquième quintile (69,3%).
Notons que globalement, environ 70% des dépenses de santé des ménages sont consacrées à
l’achat de médicaments, quelque soit le quintile. Compte tenu des ruptures de stocks dans les
structures sanitaires publiques, les patients, y compris les plus pauvres, sont obligés de recourir
aux pharmacies privées (en moyenne 42% plus chères), aux vendeurs de la rue ou aux guérisseurs
traditionnels (les médicaments traditionnels constituant 13% des dépenses de santé des ménages).
En ce qui concerne les consultations médicales, l’ENV a trouvé que les plus riches (du cinquième
quintile) consultaient plus que les plus défavorisés du premier quintile (16% contre 11%). Parmi ceux
qui ne consultent pas, 58% attribuent ceci au coût estimé trop élevé, 9% à l’éloignement, et 14%
au fait que la consultation n’est pas jugée nécessaire. Par ailleurs, les plus pauvres ont davantage
recours aux guérisseurs traditionnels que les plus riches (18% contre 6%) et se rendent beaucoup
moins chez le médecin (27% contre 52%). Les données de la MICS de 2006 confirment que les
pauvres ont une fréquentation des services de santé généralement plus faible comparée au quintile
le plus riche. Par exemple, pour les infections respiratoires aiguës, les enfants des ménages les
plus pauvres ont trois fois moins de chance de recourir à une consultation par rapport aux enfants
du quintile le plus riche.
De plus, la distribution géographique des ressources, concentrées dans les villes, aboutit à
un système de soins particulièrement défavorable aux pauvres, qui sont concentrés dans leur
écrasante majorité en milieu rural. Le personnel de santé est fortement concentré dans les
grandes villes, avec 60% du personnel dans la seule région des Lagunes (Abidjan), région
qui abrite également 13% des structures sanitaires publiques, dont 11 des 13 établissements
publics nationaux. Tandis qu’il y a un médecin pour 5695 habitants au niveau national, cette ratio
est d’un médecin pour 20 000 habitants en excluant Abidjan. Seulement 44% de la population
vit à moins de 5 km d’un établissement sanitaire, tandis que 27% vit à une distance de 5 à 15 km,
et 29% à plus de 15 km (Banque Mondiale, 2010b).
Selon l’ENV de 2008, environ 18% des ménages ont subi des dépenses dites « catastrophiques »,
définies par l’OMS comme des dépenses en santé supérieures à 40% des dépenses
non-alimentaires (ou de subsistance). La proportion des ménages confrontés à des dépenses
de santé catastrophiques est beaucoup plus élevée parmi les ménages les plus pauvres
(Figure 4.3). De même, le pourcentage des ménages ayant eu des dépenses catastrophiques
en santé varie en fonction de la provenance géographique (par exemple, les dépenses catastrophiques concernent presque 40% des ménages en Moyen Cavally et autour de 8% dans
la Région des Lacs), de la présence d’une personne âgée (28,75% des ménages avec personne
âgée ont eu des dépenses catastrophiques), et du sexe du chef de ménage (35 % des ménages
gérés par une femme ont été affectés par des dépenses catastrophiques contre 14% des ménages
dont le chef est un homme).
Tous ces constats démontrent le manque de protection sociale contre le risque maladie.
Lorsque les ménages doivent soudainement faire face à un besoin de financement qui excède
leur capacité financière (de part leurs propres ressources, avec des appuis de parents ou amis,
ou via des emprunts supportables), ils atteignent alors un niveau de dépenses catastrophique,
qui risquent de les appauvrir. La fréquence des dépenses catastrophiques et l’importance des
dépenses directes des ménages au point de prestation des services (96% de toutes les dépenses
de santé des ménages) indiquent le faible niveau de protection sociale contre le risque maladie.
En effet, les mécanismes d’assurance et de prépaiement bénéficient à une partie infime de la
population, limités essentiellement aux fonctionnaires, aux employés du secteur privé formel et en
60
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
général, à la partie la plus riche de la population, laissant la masse de la population et les plus
pauvres notamment sans protection.
Figure 4.3Dépenses catastrophiques par quintile de richesse, 2008
Sources : ENV 2008 et analyse BM
La mise en place d’un système d’assurance maladie universelle, envisagée en 2001, visait à
offrir une protection contre les risques maladie basée sur la solidarité. Conscient du fait que
le système de recouvrement des coûts avait conduit à une situation de fortes inégalités dans
l’accès aux soins de santé (en l’absence d’un système étendu de solidarité), le Ministère de
la Santé, en collaboration avec des PTF, avait lancé plusieurs études au milieu des années 90
pour tenter d’élaborer une stratégie de financement de la santé qui soit davantage basée sur
les solidarités. Cette problématique était déjà présente dans le Plan National de Développement
Sanitaire (PNDS) 1996-2005. Plusieurs expériences pilotes ont été tentées, mais elles n’ont pas
abouti à une mise en œuvre concrète et à l’échelle. Toujours est-il qu’un régime d’Assurance
Maladie Universelle (AMU) a été créé juridiquement en octobre 2001 par la promulgation de
la Loi n° 2001-636 du 9 octobre 2001 portant institution, organisation et fonctionnement de l’AMU.
•
ans ses objectifs, l’AMU visait à « améliorer l’état de santé des populations en assurant sans
D
exclusion l’accessibilité financière de tous aux soins de santé », réduire les disparités
régionales et économiques, « réaliser une meilleure solidarité nationale » et instituer à terme
un système de sécurité sociale couvrant l’ensemble des risques sociaux étendus à l’ensemble
de la population.
•
L ’AMU reposait sur quelques principes de base, parmi lesquels la solidarité nationale
(cotisation par tous et pour tous, et gestion collective des risques liés à la maladie et à la
maternité), l’affiliation obligatoire, et la couverture de tous les réSIDAnts (ivoiriens comme
étrangers), ainsi que, dans certaines conditions, des ivoiriens résidents à l’extérieur. Une
couverture obligatoire de base serait assurée par des caisses nationales, ayant le statut
d’institutions de prévoyance sociale et dotés de l’autonomie financière, tandis que les
mutuelles de santé et les compagnies d’assurance privée seraient responsables de
mécanismes d’assurance complémentaire. Tous les individus seraient assurés sociaux
à part entière (pas de notion d’ayant droit) et à ce titre seraient assujettis au versement
d’une contribution (à l’exception des enfants de moins de 5 ans). L’AMU serait basée
sur le principe du tiers-payant avec tickets modérateurs.
•
L a couverture obligatoire de base assurerait la prise en charge des consultations, des
examens de laboratoire, des actes chirurgicaux, des hospitalisations, des médicaments
et des soins dentaires. Les grandes endémies et certaines maladies chroniques et coûteuses
seraient prises en charge plutôt dans le cadre des politiques et programmes nationaux de
lutte contre ces maladies.
61
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
•
En termes d’architecture institutionnelle, la loi a prévu deux régimes distincts (le régime
AMU du secteur agricole et le régime AMU des autres secteurs) et deux caisses correspondantes : la Caisse Sociale Agricole (CSA), à laquelle seraient affiliés les exploitants agricoles,
les pêcheurs et les éleveurs ; et la Caisse Nationale d’Assurance-Maladie (CNAM), qui
ciblerait les salariés du secteur privé, les fonctionnaires et agents de l’Etat, les travailleurs du
secteur informel, les élèves et étudiants, et toutes les autres catégories de la population,
incluant les « demandeurs sociaux » (les enfants en circonstances extrêmement difficiles,
les handicapés, les personnes âgées, etc.). Chaque caisse devrait effectuer l’identification
et l’immatriculation des bénéficiaires, assurer la gestion collective des risques liés à la
maladie et à la maternité, veiller au maintien de l’équilibre financier de son régime, assurer le
contrôle médical en matière de soins et l’application de la tarification établie, et contribuer aux
actions de prévention, d’éducation et d’information de nature à améliorer l’état de santé des
affiliés. Une troisième structure, le Fonds National de l’AMU (FNAMU), serait en charge du
recouvrement, de la gestion et du placement des ressources financières de chacun des
deux régimes obligatoires, ainsi que du paiement des prestations. Autrement dit, il assurerait
la gestion de trésorerie des deux régimes, tout en conservant l’individualisation des comptabilités de chacune des deux caisses. L’Etat devrait conclure des conventions d’objectifs et
de gestion avec les caisses et le FNAMU pour des périodes minimales de trois ans. •
L a loi a répertorié diverses sources de financement du système, parmi lesquelles : les
cotisations ; les revenus des placements ; les dons et legs ; les emprunts ou obligations ; et
« éventuellement des contributions exceptionnelles au titre du budget général de l’Etat »,
mais en fournissant peu d’informations plus détaillées (taux, modalités, etc.), renvoyées à
des arrêtés ultérieurs.
L’AMU n’a pas pu aboutir dans la pratique. Les principaux textes fondateurs ont été adoptés,
à savoir, la Loi n° 2001-636 du 9 octobre 2001, ainsi que des décrets établissant les trois
institutions prévues : le Décret n° 2002-193 du 2 avril 2002 portant création de la CSA ; le
Décret n° 2002-194 du 2 avril 2002 portant création de la CNAM ; et le Décret n° 2002-195 du
2 avril 2002 portant création du FNAMU. Les modalités de fixation et de recouvrement des
cotisations du secteur agricole ont été définies (Décret n° 2002-357 du 24 juillet 2002) et un
comité de pilotage de l’AMU a été établi (Décret n° 2004-95 du 29 janvier 2004). Des projets
pilotes de mise en œuvre avaient été envisagés. Mais l’AMU n’a jamais vu le jour dans les faits,
sauf à titre pilote dans quatre zones agricoles. La Loi n° 2001-636 du 9 octobre 2001 est toujours
en vigueur, mais n’a pas été mise en pleine application.
Le PNDS 2009-2013 a donné peu d’attention aux défis de l’accessibilité financière aux
soins. Toute en reconnaissant que « la baisse de l’utilisation des services de santé s’explique
en partie par la faible accessibilité financière des populations aux services de santé due,
entre autres, aux coûts élevés des prestations des services et au faible pouvoir d’achat de
la majorité de la population », le Plan National de Développement Sanitaire 2009-2013 (MSHP,
2008) a proposé peu d’actions concrètes ou nouvelles pour s’adresser à ce défi. Ce plan a
simplement répété l’engagement du secteur de la santé « d’appuyer la mise en œuvre de l’assurance
maladie universelle », dont la mise en œuvre « relève du Ministère en charge des Affaires Sociales »,
sans donner plus de détails. En fait, c’est le Ministère en charge des Affaires Sociales plutôt
que le Ministère en charge de la Santé qui dirige les préparatifs du système d’assurance maladie :
d’abord AMU et ensuite, depuis 2011, le projet de « couverture maladie universelle » (CMU).
Le PNDS a aussi proposé de garantir des coûts de prestations sanitaires économiquement
abordables pour les populations, par une révision de la tarification des actes des professionnels de
la santé et des hospitalisations, de promouvoir le développement d’un secteur sanitaire privé plus
accessible, de « développer des mécanismes de solidarité » et de « prendre en charge les indigents ».
62
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Encadré 4.6Le dossier technique de l’AMU était-il bien conçu ?
La force indiscutable du projet de l’AMU a été son caractère opportun : tout le monde reconnaissait que pour
améliorer le problème de l’accès pour tous aux soins il fallait une couverture maladie universelle. Le fait que
l’AMU n’ait pas pu aboutir est généralement attribué à la situation politique. Cependant, on peut se demander
pourquoi, à la suite de la création du Comité de Pilotage en 2004 et malgré les accords de Ouagadougou
en 2005, les préparatifs se sont effectivement ralentis.
Mis à part les questions de nature politique ou de gestion du projet, il faut reconnaître la nature ambitieuse
de l’initiative et l’existence de quelques défis majeurs, notamment en ce qui concerne le financement du
système et la mise en œuvre administrative dans un pays où le secteur informel est largement prépondérant.
Jusqu’ici, malgré des tentatives similaires dans plusieurs pays, seuls deux pays d’Afrique subsaharienne, à
savoir le Ghana et le Rwanda, ont réellement réussi à mettre en place des systèmes nationaux d’assurance
maladie, avec des taux de couverture de la population d’environ 76 % au Rwanda en 2007 (OPM, 2011b)
et 62% au Ghana en 2010 (Andoh-Adjei, 2011). Dans le cas du Rwanda, ce succès est souvent attribué à
un fort élément de dirigisme politique, qui est difficile à répliquer ailleurs, tandis que dans le cas du Ghana
des facteurs clef ont été le fort niveau d’engagement politique, dans un contexte de concurrence électorale
(Agyepong et Adjei, 2008) et une capacité technique relativement bien développée.
Un autre facteur déterminant dans le cas ghanéen a été le niveau très élevé de subventionnement de l’Etat, à
travers une taxe spéciale, le « National Health Insurance Levy » (ajoutée à la TVA au taux de 2,5%), qui en 2010
a contribué 65% des ressources du système national d’assurance maladie (NHIS) ghanéen. Les cotisations
dans le secteur informel ont contribué à à peine 4,4% des ressources, le reste venant essentiellement des
fonds transférés par le système de sécurité sociale du secteur formel, ainsi que des intérêts sur les fonds
placés (Andoh-Adjei, 2011).
Cette forte contribution de la fiscalité a permis l’introduction d’exemptions de cotisations à large échelle. Sont
exonérés de paiements de cotisations les femmes enceintes, les enfants de moins de 18 ans, les personnes
âgées de 70 ans et plus, les indigents et les pensionnaires du système de sécurité sociale. Les affiliés dans
ces catégories, donc exemptés des paiements de cotisations, constituaient 64,4% des 18 millions adhérents
au NHIS en 2010. Ces exemptions ont probablement contribué à réduire les inégalités constatées au cours
des premières années dans les adhésions au NHIS, qui selon une enquête nationale de 2008 (NDPC, 2009),
étaient plus de deux fois plus élevées dans le cinquième quintile (64%) que dans le premier quintile (29%).
Dans le cas de l’AMU, les mécanismes de financement n’ont jamais été clairement définis. Cependant, le
principe de « cotisation par tous et pour tous », retenu comme un des principes de base de l’AMU, et le
faible accent mis sur les financements de l’Etat, vu comme des « contributions exceptionnelles », laissent
à croire que l’AMU, comme elle a été conçue, aurait eu d’énormes difficultés à faire adhérer et cotiser
les millions d’ivoiriens pauvres, compte tenu de leur faible capacité contributive. En outre, l’importance du
secteur informel, où le prélèvement à la source est impossible, aurait rendu très lourd le fardeau administratif
d’un modèle basé sur le paiement régulier de cotisations. En fait, la petite expérience pilote de l’AMU dans
quatre zones agricoles pilotes a mis en évidence les difficultés liées au recouvrement des cotisations.
Une approche basée sur le développement de mutuelles de santé communautaires semble
encore moins prometteuse que celle d’un système d’assurance maladie nationale. En ce qui
concerne le développement de mécanismes de solidarité, le PNDS 2009-2013 s’est axé en partie
sur l’appui au « développement des mutuelles communautaires de santé », vu comme axe complémentaire au développement de l’AMU de sorte à maximiser la proportion de population couverte.
Comme il a déjà été mentionné, les mutuelles de santé communautaires sont très peu développées
en Côte d’Ivoire. Elles se heurtent aux mêmes problèmes de faible capacité financière des
populations pauvres et de barrières socioculturelles à la pratique de l’assurance contre les risques
maladies (Bamba et al, 2004). Les micro-assurances ne permettent qu’une mise en commun des
risques limitée du fait de leur petite taille et des faibles cotisations. De plus, elles peuvent engendrer
une charge proportionnellement plus difficile à supporter pour les personnes les plus pauvres
lorsque les cotisations sont uniformes, c’est-à-dire non progressives (non liées au niveau du
revenu), ce qui est généralement le cas dans les mutuelles. Ces structures souffrent également du
63
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
problème de la sélection adverse, qui découle de la nature non obligatoire de la mutualisation,
ainsi que des faibles capacités administratives au niveau communautaire. Même dans les pays
ouest-africains où le mouvement mutualiste est le plus développé, comme le Mali et le Sénégal
qui bénéficient d’une plus forte tradition associative, les taux de couverture de la population
dépassent rarement les 2 ou 3% (ODI et UNICEF, 2009b).
La gratuité exceptionnelle de tous les services sanitaires a été introduite à la suite de la crise
postélectorale. Pour faire face aux conséquences sanitaires de la crise, ainsi qu’à la situation
de précarité générale qui prévalait (notamment l’absence de liquidités chez les ménages en raison
de la fermeture des banques et du non-paiement des salaires pendant la crise), l’exemption de
paiement des frais dans l’ensemble des établissements sanitaires publics, parapublics et communautaires conventionnés a été promulguée par le Président de la République en avril 2011
(Arrêté interministériel n° 001 du 16 avril 2011). Censée durer 45 jours, la mesure a été prorogée
une première fois jusqu’au 5 juin 2011, et une seconde fois par l’Arrêté interministériel
n° 0036 MSLS/MEF/CAB du 1 août 2011 (jusqu’à nouvel ordre et dans les mêmes conditions).
Au cours de la période d’exemption des frais, il a été prévu que chaque établissement sanitaire
établisse mensuellement une facture globale de ses prestations et autres frais de fonctionnement
à adresser au ministère chargé de la santé pour paiement. Ceci inclurait également le paiement
du personnel contractuel. Un dispositif national de suivi et d’évaluation a été mis en place pour
suivre le déroulement des opérations liées à l’exécution de cette mesure et leurs impacts sur
la prestation des soins et sur le système de santé lui-même.
La mesure a conduit à une forte augmentation de la demande. La mesure a été bien accueillie
par la population, qui a démontré une forte demande de services de santé par une fréquentation
massive des établissements sanitaires. Un premier bilan, couvrant la période allant du 16 avril au
31 mai 2011 et présenté au Conseil des Ministres le 22 juin 2011, a constaté des niveaux d’utilisation
des services très supérieurs aux données de routines observées avant la crise (MSLS, 2011a).
En effet, l’opération a amélioré sensiblement l’accessibilité aux soins des populations, avec en
particulier une énorme hausse de la fréquentation des établissements sanitaires et ce pour presque
tous types de soins (Figure 4.4), bien que celle-ci ait probablement été renforcée par les effets
de rebond après la fin de la période de conflit postélectoral. Par exemple, entre mai 2010
et mai 2011, les consultations ont augmenté de 78% et les hospitalisations de 70%. Sur la même
période, le nombre d’actes chirurgicaux a augmenté de 47%, le nombre d’accouchements normaux
de 31%, le nombre d’examens de laboratoire de 168% et le nombre d’examens de radiographie
de 274%. Dans l’absence de mécanismes de filtrage des patients, il y a eu probablement un fort
élément de risque moral (« moral hazard »), amplifié par la nature temporaire de la gratuité.
Cependant, le système de santé a eu du mal à gérer une telle expansion sans aucune
préparation préalable. Introduite subitement dans un contexte d’urgence et sans réorganisation
des services (pour le tri des patients), la mesure a déclenché une telle expansion de la demande
que la capacité d’accueil des établissements sanitaires a vite été dépassée. Le personnel a été surchargé et les ruptures de médicaments se sont aggravées, réduisant ainsi la qualité des prestations
aux patients. La consommation de médicaments a connu une hausse de 100% entre mai 2010 et
mai 2011 (de 183 millions de FCFA à 359 millions de FCFA). Cette consommation a été trois fois et
demie plus élevée que le montant de médicaments livrés aux établissements sanitaires (103 millions
de FCFA), selon l’évaluation initiale (MSLS, 2011a). Au 31 août (soit après 4,5 mois) le coût de
l’exemption, c’est-à-dire le manque à gagner des établissements sanitaires qui devrait leur être
reversé par le MSLS, a été estimé à 7 milliards de FCFA sans compter les dettes auprès de la PSP
(5 milliards de FCFA).40 En d’autres termes, la gratuité généralisée risque de remettre en cause
ses propres gains en matière d’amélioration de l’accès des populations aux soins si des mesures
d’accompagnement ne sont pas rapidement mises en place : le renforcement du financement du
système (par rapport au niveau historiquement faible des dépenses publiques de santé en
40 Cette estimation est basée sur les états comptables de tous les établissements publics nationaux, de 8 centres hospitaliers régionaux (sur un
total de 14), de 40 hôpitaux généraux (sur un total de 91) et de 200 ESPC (sur un total de 2089), extrapolés à l’ensemble des structures à
chaque niveau (Réveillon et Diabagate, 2011).
64
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
pourcentage du PIB et en pourcentage des dépenses publiques totales) ; la résolution des
problèmes du système d’approvisionnement et de distribution des médicaments (de la PSP) ; et le
renforcement des ressources humaines.
Figure 4.4Utilisation des services sanitaires publics, mai 2010 et mai 2011
Source : MSLS (2011).
65
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
5Contexte politique, institutionnel et financier
POUR le renforcement de la protection sociale
5.1Le cadre politique
La Stratégie de Relance du Développement et de Réduction de la Pauvreté (SRDRP), adoptée
en 2009 pour orienter les actions du Gouvernement sur la période 2009-2015, a donné une
place importante à la protection sociale. Cette stratégie a comme objectif ambitieux la réduction
de l’incidence de pauvreté de 48,9% en 2008 à 33,6% en 2013 et 16% en 2015, afin d’atteindre
l’OMD 1 relatif à l’élimination de la pauvreté extrême et de la faim. Parmi les trois « impacts » attendus
de la Stratégie, l’impact 3 a porté sur « un bien-être social pour tous », dans le but d’inverser
les tendances de dégradation de la plupart des indicateurs sociaux et de permettre à la Côte d’Ivoire
d’atteindre les OMD. La protection sociale a été retenue comme une des composantes de cet axe
de la Stratégie (RCI, 2009a). Depuis l’adoption de la SRDRP en 2009, la situation économique et
sociale s’est encore gravement détériorée en raison de la crise postélectorale et la Stratégie
est actuellement en cours d’actualisation. La réduction de la vulnérabilité des populations est
encore plus urgente et prioritaire et les mesures de renforcement de la protection sociale devraient
par conséquent trouver une place de choix dans la nouvelle version de la Stratégie.
La SRDRP a pris position pour « étendre la protection sociale à l’ensemble de la population
et singulièrement aux couches les plus vulnérables » (RCI, 2009a, paragraphe 800). Cette prise
de position implique un renforcement radical du dispositif de protection sociale, par rapport
à la situation actuelle de très faible couverture décrite dans le Chapitre 4. Plus spécifiquement,
cette partie de la SRDRP a prévu « la mise en place d’un dispositif de sécurité sociale efficace
en vue d’assurer la prise en charge des personnes vulnérables ayant un faible pouvoir d’achat ».
Bien que les mesures spécifiques envisagées ne soient pas précisées, on peut supposer qu’il
s’agit de l’extension de la sécurité sociale au secteur informel, secteur dans lequel exercent
la plupart des ivoiriens les plus vulnérables. D’autres mesures prévues, très générales,
s’appliquent à des groupes vulnérables spécifiques, notamment les personnes handicapées41,
les personnes âgées42, les enfants vulnérables (enfants de la rue, enfants victimes de traite,
enfants victimes d’exploitation et/ou astreints à des travaux dangereux, enfants vivant avec un
handicap) et les personnes déplacées. Les autres mesures concerne le renforcement institutionnel,
la ratification des instruments juridiques internationaux (et l’harmonisation des textes nationaux
avec ceux-ci) et la prise en compte du genre dans tous les programmes et projets de développement.
Mais ces engagements n’ont pas été reflétés dans l’octroi des ressources. Le but d’étendre
la protection sociale « à l’ensemble de la population » ne s’est malheureusement pas traduit en
financement conséquent dans les estimations des coûts de la mise en œuvre de la SRDRP, ce qui
a rendu cette composante de la Stratégie effectivement caduque dans les faits. Il est étonnant de voir
que, malgré la nature assez ambitieuse des engagements exprimés, les coûts relatifs à la protection
sociale prévus sur la période 2009-2015 se sont élevés à seulement 6,86 milliards de FCFA,
soit 980 millions par an en moyenne ou 0,04% des coûts totaux de la Stratégie qui se sont
élevés à 17 645 milliards de FCFA (RCI, 2009a).
41 A cet égard il est à noter que la Côte d’Ivoire a adopté une loi d’orientation en faveur des personnes handicapées (loi no 98-594 du 10 novembre
1998), qui incluent des dispositions relatives à l’éducation et à la formation, à l’emploi et à la vie sociale des personnes handicapées. La
Déclaration de Politique Nationale en Faveur des Personnes Handicapées reconnait toutefois que cette loi « ne connait pas de manifestation
réelle dans les faits » (MFFAS, 2010j, p. 12) (voir également la section 4.5.5 de ce rapport). Le but de cette Déclaration de Politique est celui
d’« œuvrer pour la prise en compte du handicap dans tous les secteurs de la vie publique et privée en vue de susciter la pleine participation de
tous les ivoiriens à la construction du pays ». Elle a cinq axes d’intervention : (1) la protection sociale et les droits des personnes handicapées
(notamment par l’élimination de la discrimination et de l’exclusion à l’égard des personnes handicapées) ; (2) l’éducation et la formation (surtout
par l’approche de l’éducation « intégratrice ») ; (3) la santé (y compris la prévention des handicaps et la facilitation de l’accès des personnes
handicapée aux services sanitaires) ; (4) l’emploi (notamment des mesures d’incitation et de quotas, appuyées par des fonds de soutien) ;
et (5) l’environnement et le cadre de vie (y compris des mesures de facilitation de l’accès physique aux services publics, aux logements, aux
transports et aux sports, loisirs, activités culturelles et médias). La politique dans ce domaine est davantage développée dans le Plan Stratégique
du Programme National de Réadaptation à Base Communautaire (PN-RBC), qui s’inscrit dans un cadre de développement communautaire pour
la réadaptation, l’égalisation des chances et l’intégration socioéconomique des personnes handicapées (MEMEASS, 2011d).
42 Un processus d’élaboration d’une Politique Nationale en Faveur des Personnes Agées est en cours depuis quelques années (voir MFFAS,
2007d). La SRDRP prévoit des mesures (non identifiées) « dans le cadre de la redistribution des richesses nationales », allusion possible à
l’adoption éventuelle d’un régime de pensions sociales de vieillesse.
66
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
La nature vague de la plupart des engagements traduit le fait qu’il n’y a pas de cadre politique
cohérent de la protection sociale fixant des priorités claires qui seraient liées à la planification
budgétaire par une approche programmatique et à moyen terme. Le document de cartographie et analyse du système de protection de l’enfant a remarqué que l’Etat ivoirien ne dispose
actuellement d’aucune politique cadre pour orienter l’aide sociale en direction des enfants et
de leurs familles. Les politiques ne clarifient pas quelle aide doit être fournie ni dans quelles
circonstances. Selon cette analyse, « ce manque de politique cadre crée un vide qui est investi
par des projets et des initiatives disjointes, opérant de façon indépendante » (MFFAS, 2010g, p. 56).
Il s’agit notamment des projets qui drainent la plupart des financements externes, tels que :
le PN-OEV, conçu de manière étroite pour se focaliser uniquement sur les enfants rendus
vulnérables du fait du VIH/SIDA en excluant la majorité des enfants vulnérables en raison d’autres
facteurs ; les projets VBG ; et les initiatives dans le cadre de la lutte contre la traite et les pires
formes de travail des enfants. Le document de cartographie et analyse mentionne le commentaire
juste que « l’ensemble de ces interventions destinées aux enfants vulnérables devient la politique
nationale de facto, mais elle ne constitue en aucune manière une politique concertée, cohérente
et stratégique. » (MFFAS, 2010g, p. 56) Le processus d’élaboration d’un document cadre national
en matière de protection de l’enfant, dont le démarrage est prévu en novembre 2011, devrait
répondre à ce défi. Cependant, le problème soulevé par cette analyse s’applique à l’ensemble
de la protection sociale et pas uniquement à la protection de l’enfant. A l’exception de quelques
secteurs spécifiques (notamment celui de l’éducation), il n’existe actuellement aucun cadre
politique holistique et cohérent qui définisse les priorités de la protection sociale, établisse
les lignes directrices des actions à entreprendre et oriente l’octroi des ressources à travers
le Cadre des Dépenses à Moyen Terme (CDMT) et le budget de l’Etat. C’est la nécessité même
de relever ce défi qui justifie le processus d’élaboration de la Stratégie Nationale de Protection
Sociale actuellement en cours.
La politique éducative a mis en relief les actions de type « protection sociale » pour promouvoir
l’accès à l’école et la rétention des enfants pauvres. La SRDRP prévoit le renforcement de
la gratuité des manuels scolaires, la promotion de la sensibilisation des parents à la scolarisation
de la petite fille, l’extension de la mise en œuvre du Programme Intégré de Pérennisation des Cantines
Scolaires afin de couvrir tous les élèves, la mise en œuvre de la politique d’éducation intégratrice,
et le renforcement du système d’état civil. Ces mesures, qui visent à réduire les charges de la
scolarisation et à inciter la demande, complémentant ainsi les mesures envisagées du côté de
l’amélioration de l’offre et de la qualité de l’enseignement, ont été reconduites et davantage
développées dans la Lettre de Politique Educative adoptée le 3 juin 2010, ainsi que dans
le Plan d’Actions à Moyen Terme du secteur de l’éducation, révisé à la suite de la crise
postélectorale pour couvrir la période 2012-2014. Comme il a déjà été discuté dans la section
4.6 de ce rapport, le Plan propose de renforcer les mécanismes de subventionnement des
écoles pour assurer la gratuité effective de l’enseignement primaire, de renforcer le programme de
cantines scolaires, de poursuivre la distribution gratuite de kits scolaires, d’introduire la distribution
de rations alimentaires sèches aux jeunes filles (comme moyen d’incitation au maintien des filles
à l’école), et de supprimer les obstacles à l’inscription à l’enseignement primaire liés au manque de
possession d’extraits d’acte de naissance. Le plan propose d’introduire des mécanismes de ciblage
géographique pour identifier des zones prioritaires, fortement marquées par la pauvreté, la
vulnérabilité et de faibles taux d’accès et d’achèvement, tout en évitant un ciblage individuel
des enfants au sein des écoles afin de ne pas stigmatiser les enfants bénéficiaires (MEN et al, 2011).
La SRDRP a proposé de doubler la part des dépenses publiques allouées à la santé et a
inclus quelques mesures de renforcement de l’accessibilité aux soins et de protection sociale,
notamment en ce qui concerne le VIH/SIDA. Dans sa section sur le renforcement du système
de santé et de la lutte contre les maladies, la SRDRP a inclus principalement des mesures de
renforcement de l’offre des services sanitaires, ainsi que des systèmes d’approvisionnement
en eau et d’assainissement. La Stratégie prévoit également d’augmenter la part des dépenses
publiques de santé de 5% en 2008 à 10% en 2013. Ce taux, s’il était effectivement atteint, aiderait
à rééquilibrer les contributions publiques et privées au financement de la santé, qui reste jusqu’ici
67
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
fortement à la charge des ménages. La SRDRP intègre aussi quelques mesures du côté de
l’accès financier et de la protection. C’est notamment le cas de la sous-section concernant le
passage à échelle des services de prise en charge des personnes infectées et/ou affectés
par le VIH/SIDA, comprenant notamment le traitementpar les ARV, rendus gratuits depuis 2008
et le soutien nutritionnel et socioéconomique. Ces mesures sont davantage développées dans
le Plan Stratégique National de Lutte contre l’Infection à VIH, le SIDA et les IST 2011-2015
(CNLS, 2011), dans le Plan Stratégique National de Prise en Charge des OEV 2007-2010 (MFFAS,
2007a) et dans le Document de Politique Nationale pour les Soins et Soutien aux Orphelins
et Autres Enfants Rendus Vulnérables du Fait du VIH/SIDA et leurs Familles en Côte d’Ivoire
(MFFAS, 2010b). Dans la SRDRP, l’Etat s’engage aussi à « poursuivre sa politique sociale de l’eau
potable en maintenant la péréquation du prix de l’eau afin de permettre aux populations les plus
démunies de s’abonner au réseau SODECI » (paragraphe 796). Cet engagement est traduit dans
le projet de Politique Nationale de l’Eau Potable (ONEP, 2010 dans lequel l’Office National de
l’Eau Potable affirme qu’il « doit notamment veiller à ce que les tarifs de l’eau potable demeure
adaptés au niveau de vie des populations et que la tranche sociale de la structure tarifaire
soit maintenue », ainsi que des mesures du côte de l’offre (voir l’encadré 4.2 sur cette question dans
le Chapitre 4).
Cependant, des incertitudes persistent en ce qui concerne les approches à retenir pour
assurer une protection sociale efficace dans le secteur de la santé. Dans le seul court
paragraphe concernant l’amélioration de l’accessibilité financière aux soins de santé, la SRDRP
ne fait que répéter l’engagement de mise en œuvre de l’AMU, restée lettre morte depuis
la législation de 2001-2002, à travers « une proposition de recadrage et de redéfinition des
mécanismes de soutien et de financement de l’AMU », qui permettrait « d’assurer un minimum
de couverture sociale aux couches les plus vulnérables et surtout de mettre en place des
systèmes de prévoyances des risques » (RCI, 2009a, paragraphe 801). Le Plan National de
Développement Sanitaire 2009-2013, déjà discuté dans la section 4.7, a été encore plus
vague, en répétant l’engagement du secteur de la santé « d’appuyer la mise en œuvre de
l’assurance maladie universelle », ainsi que des mesures (peu détaillées) visant à garantir des coûts
de prestations sanitaires économiquement abordables pour les populations, promouvoir le
développement d’un secteur sanitaire privé plus accessible, « développer des mécanismes de
solidarité » au niveau communautaire et « prendre en charge les indigents » (MSHP, 2008).
Comme vu précédemment dans la section 4.6, la politique à l’égard de l’accessibilité financière des
soins et du financement du système sanitaire a pris un tournant radical à la suite de la crise postélectorale avec l’annonce de la gratuité universelle des soins de santé dans les établissements
publics. Introduite en avril 2011 comme mesure exceptionnelle et de courte durée, la gratuité a été
prorogée jusqu’en janvier 2012. Mais, dans l’absence de fortes mesures d’accompagnement pour
assurer le financement adéquat du système, les ressources humaines requises et la résolution des
problèmes systémiques de l’acquisition et de la distribution des médicaments par la PSP, le système
de santé s’est révélé peu capable de répondre à l’énorme hausse de la demande déclenchée par
la gratuité généralisée. Le pays attend la prise de décisions politiques définitives dans ce domaine
crucial pour le bien-être des populations. La première ébauche de la nouvelle Politique Nationale de
Santé énonce comme une de ces priorités celle d’« améliorer l’accessibilité financière et l’utilisation
des services de santé » mais ne clarifie pas comment le faire. Elle se limite à dire qu’il s’agit de
développer et de mettre en place, à l’échelle, la couverture du risque maladie, qui « doit faire l’objet
d’une étude » mais « pourrait être un dispositif national d’assurance ou un appui aux mutuelles de
santé ou encore la création d’un filet de sécurité pour les plus pauvres (Fonds d’Equité Sanitaire ou
gratuité de certains soins) » (MSLS, 2011b, p. 29).
5.2L’architecture institutionnel et la capacité administrative
Différents ministères interviennent dans le domaine de la protection sociale et leur coordination
demeure limitée, comme en attestent les approches sectorielles et cloisonnées décrites dans
la section précédente. La protection sociale est de nature multisectorielle et sa mise en œuvre
68
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
implique nécessairement plusieurs ministères du gouvernement. La protection sociale est au
cœur du mandat du Ministère chargé des Affaires Sociales43, qui prend appui sur un total
de 283 structures de base.44 Celles-ci sont sous la supervision de 16 Directions Régionales
et sont inégalement réparties sur l’ensemble du territoire national avec une forte concentration
dans la région des Lagunes, notamment à Abidjan. Mais plusieurs autres ministères coordonnent
des initiatives sociales d’importance. C’est le cas, par exemple, du Ministère de l’Education Nationale
qui gère le programme de cantines scolaires, ou encore du Ministère de la Santé et de la Lutte
contre le SIDA qui assure la gratuité de certains services sanitaires (et la gratuité généralisée
en vigueur depuis avril 2011). Le Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant s’occupe de
certains programmes de promotion féminine.45 Malheureusement, les mécanismes de coordination
intersectorielle au niveau central restent très limités.
Il y a des chevauchements dans les mandats des diverses structures de base, résultant des
remaniements ministériels successifs et des faiblesses de coordination. Les affaires sociales,
par exemple, ont été caractérisées par une grande instabilité institutionnelle qui s’est répercutée
sur le mandat actuel des Centres Sociaux notamment. Tantôt rattachées au Ministère de la Santé,
tantôt ministère à part entière, les affaires sociales sont, depuis juin 2011, réparties entre d’une
part, le Ministère d’Etat, Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de
la Solidarité, et d’autre part, le Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant.46
Les Centres Sociaux continuent ainsi de fournir des prestations à caractère socio-sanitaire,
perpétuation de services organisés du temps où les affaires sociales étaient sous
la responsabilité du Ministère de la Santé. Il s’agit notamment de la pesée des nourrissons,
de la démonstration diététique et de la vaccination des enfants qui en théorie devraient être des
moyens d’identification des problèmes sociaux et familiaux. Dans le domaine de la petite enfance
également, plusieurs structures visant au développement du jeune enfant ont été développées,
sous l’impulsion de différents ministères ou d’initiatives privées (Encadré 5.1). Les structures du
MEMEASS offrent ainsi, en parallèle des initiatives du MEN, des services d’éveil et de
développement pour la petite enfance. Outre des chevauchements de mandats entre diverses
initiatives publiques, le manque de politique cadre et de directives sur les services à fournir
aux différents groupes cibles engendre également des systèmes de détection et de référence
souvent défaillants (MFFAS, 2010g).
Le processus de prise de décision dans le domaine de la protection sociale reste encore
très centralisé, laissant peu d’autonomie aux structures de base. Toutes les décisions, que
ce soit par rapport aux stratégies, plans d’actions, personnel, budget, ou même pour l’approbation
de demande de secours social, sont prises au niveau central. Les structures de base, tout
comme les Directions Régionales, ont une autonomie décisionnelle réduite. Ainsi, même si l’analyse
du milieu relève du mandat des centres sociaux par exemple, cela bien souvent n’influence pas
l’élaboration d’un plan d’action local (MFFAS, 2010g).
Faute de cadre politique et de moyens, les activités des structures de base sont en pratique
largement influencées par les PTF. Les services d’action sociale tels qu’initialement imaginés par
les autorités nationales devraient offrir un large éventail de services d’action sociale visant
une vaste population cible. Toutefois, dans la pratique, la réalité de l’offre de services est éparse
et de portée très réduite. A titre d’exemple, plus d’un département sur deux n’a pas de centre social
(MFFAS, 2010g).
43 Au sein du MEMEASS, on compte, outre la Direction de la Planification, des Etudes et de la Documentation (DPED) et la Direction des Affaires
Administratives et Financières (DAAF), les directions suivantes : la Direction Générale de l’Emploi (DGE) ; la Direction de la Sécurité Sociale et de
la Mutualité (DSSM) ; la Direction de la Santé et de la Sécurité au Travail ; la Direction de la Protection Sociale (DPS) ; la Direction de la Promotion
des Personnes Handicapées (DPPH) ; la Direction de la Solidarité ; et la Direction de la Lutte contre le Travail des Enfants. Par ailleurs, deux
programmes y sont rattachés, à savoir, le PN-OEV et le Programme de Protection des Enfants et Adolescents Vulnérables (PPEAV).
44 Ces structures incluent 85 Centres d’Action Communautaire pour l’Enfance (CACE), 79 Centres Sociaux (CS), 70 Centres de Protection de
la Petite Enfance (CPPE) dont 43 publics, 17 Centres d’Education Spécialisée (CES), 20 Complexes Socio-Educatifs (CSE), 11 Garderies et
Crèches dont 2 publiques, 10 Institutions Spécialisées dont 3 publiques, 5 Orphelinats dont 2 publics, 7 pouponnières dont 4 publiques, et 2
Villages d’enfants SOS (MFFAS, 2010g).
45 Le MFFE, bien qu’ayant le mandat de protection de l’enfant, a rétrocédé la gestion de toutes les structures ayant trait à l’enfant (orphelinats,
pouponnières, CACE, etc.) au MEMEASS, et seules les 110 Institutions de Formation et d’Education Féminine (IFEF), dont 95 sont publiques,
restent de sa responsabilité.
46 Décret n° 2011-101 du 1er juin 2011 portant nomination des membres du 13ème gouvernement de la 2ème République.
69
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
En contraste, les projets soutenus par les PTF bénéficient de plus grands moyens et incitent l’appui
des Centres Sociaux et des ONG. Ainsi, la plupart de ces derniers travaillent à la mise en œuvre
de programmes nationaux financés par les PTF, tels que le PN-OEV, la lutte contre les VBG ou
la lutte contre la traite et le travail des enfants (voir la section 4.5).
Encadré 5.1Les services spécialisés dans le développement du jeune enfant
Plusieurs types d’institutions proposent des activités d’éveil et de stimulation des jeunes enfants. En
2007/2008, pour les enfants de 3 à 5 ans, on comptait :
•
913 écoles maternelles publiques et 411 écoles maternelles privées sous tutelle du MEN, accueillant
76 441 enfants, dont 24 169 au privé ;
•
71 Centres de Protection de la Petite Enfance (CPPE) et 62 structures privées sous tutelle du
MEMEASS, accueillant un effectif total de 32 115 enfants.
Grâce à leur contact avec la petite enfance, les CPPE, structures encadrées par des éducateurs préscolaires
formés à l’Institut National de Formation Sociale (INFS), possèdent un grand potentiel de prévention et de
dépistage dans le cadre de la protection de l’enfant. Mais leur présence très limitée sur le territoire ne permet
pas un impact notoire. Dans la situation actuelle, les activités de préscolarisation (écoles maternelles, jardins
d’enfants et CPPE) ne concernent qu’une proportion assez limitée de la population.
Des structures communautaires viennent compléter l’offre de services. En 2007/2008, on comptait ainsi :
•
72 Centres d’Accueil et d’Encadrement du Jeune Enfant (CAEJE) sous tutelle du MEN, dont 53
fonctionnels, accueillant 3 259 enfants ;
•
85 Centres d’Action Communautaire pour l’Enfance (CACE) sous tutelle de MEMEASS, accueillant
12 950 enfants, qui sont très similaires au CPPE mais créés et gérés par les communautés pour
palier la faiblesse de couverture géographique des CPPE sur le territoire national ;
•
82 écoles communautaires, accueillant 7 875 élèves ;
•
11 garderies et crèches, que le MFFE se propose de développer.
Les CAEJE, CACE et les écoles communautaires sont des structures légères, implantées au sein des
communautés qui les gèrent. Elles ont pour mission d’assurer, par des activités de développement physique,
sanitaire, moteur, intellectuel et socio-affectif, l’épanouissement et l’éveil des enfants de 0 à 6 ans. Malgré cela,
le taux national d’accès à l’éveil ou éducation préscolaire n’est que de 6% (MEMPD/INS et UNICEF 2007).
De plus, les bénéficiaires de ces services restent principalement des enfants issus de milieux socialement et
économiquement favorisés. Ceci s’explique par le fait que, d’une part, l’implantation des écoles est presque
exclusivement urbaine (les deux DREN d’Abidjan accueillent plus de 60% du nombre total d’enfants inscrits
dans le pays, et on estime qu’un enfant urbain, bien que ses chances de bénéficier de préscolarisation soient
seulement d’environ 12%, a 10 fois plus de chances d’en bénéficier que son homologue réSIDAnt en milieu
rural), et d’autre part, les frais de scolarité demandés (même dans les structures publiques) sont trop élevés
pour les familles modestes.
Source : auteurs sur base de MEMPD/INS et UNICEF (2007) et d’informations fournies par le MEMEASS.
Ainsi, les Centres Sociaux du MEMEASS, bien que chargés d’une mission très vaste, sont surinvestis
par des projets dispersées (Encadré 5.2). Qui plus est, la coordination au niveau local entre toutes
ces initiatives sectorielles reste elle aussi limitée. Le PN-OEV et le programme de lutte contre les
VBG appuient la mise en place de plateformes impliquant les Centres Sociaux (qui en assurent la
coordination technique), des ONG et d’autres professionnels (services de santé, police, etc.) intervenant
dans la protection et la prise en charge. Par contre, en ce qui concerne la traite et le travail des enfants,
la coordination au niveau local est des plus faibles. Les initiatives impulsées par les structures
gouvernementales sont coordonnées par les préfets, tandis que celles mises en œuvre par les
ONG et les communautés échappent à toutes formes de coordinations (MFFAS, 2010g).
70
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Encadré 5.2Les centres sociaux du MEMEASS
Créés dans les années 50, les Centres Sociaux du Ministère chargé des Affaires Sociales ont aujourd’hui
pour missions : la surveillance socio-sanitaire et psychomotrice de la mère et de l’enfant de moins de 5 ans ;
l’éducation familiale en faveur des femmes et des jeunes ; la prise en charge des problèmes spécifiques
des jeunes et des personnes handicapées ; et l’amélioration des conditions de vie des groupes et des
communautés. Sa population cible est donc vaste et diverse, incluant toutes les personnes présentant des
problèmes sociaux (MFFAS, 2007c).
Les Centres Sociaux fonctionnent soit de manière indépendante, soit au sein d’un Complexe Socio
Educatif (CSE). Les CSE sont des structures regroupant trois services : le Centre Social (CS) ; le Centre
de Protection de la Petite Enfance (CPPE) et le Centre d’Education Spécialisée (CES). La mise en place des
CSE a été proposée dans le but de rationaliser les dépenses publiques et de renforcer l’identification des
enfants. On compte aujourd’hui 79 CS (dont 19 dans la seule région des Lagunes) et 17 CES (dont 6 dans
la région des Lagunes).
Depuis 2007, un modèle de « Centre Social Restructuré » est en expérimentation (MFFAS, 2008). Ce modèle,
développé sous l’impulsion du PN-OEV (et du PEPFAR), met un accent particulier sur le VIH/SIDA et son
impact sur les enfants et la société, et prévoit notamment l’intégration d’un quatrième pôle d’activités autour
du suivi-évaluation et l’augmentation du personnel du centre. Il envisage ainsi le renforcement de l’action
sociale basée sur les ressources communautaires, de la documentation, de l’archivage et du suivi-évaluation
des interventions. Si le nombre de Centres Sociaux Restructurés a augmenté ces dernières années, ce
modèle demeure toutefois dans une phase pilote à l’étude par le MEMEASS.
Malgré un mandat très vaste, les activités des centres sociaux demeurent limitées du fait de leur faible
présence, de l’insuffisance des moyens et des capacités, et de l’état de dégradation de certains d’entre
eux. Faute de moyens financiers (et d’autonomie budgétaire), l’action des Centres Sociaux en dehors
des interventions programmatiques soutenues par les PTF est très limitée. Faute de pouvoir décisionnel,
les centres sociaux se retrouvent à mener des activités de routine et à accomplir les tâches relatives aux
initiatives nationales, parmi lesquelles, la mise en place et l’animation de plateforme de collaboration entre
ONG et structures déconcentrées. Par conséquent, les activités des centres sociaux dépendent bien plus
des incitations des PTF que des besoins spécifiques des groupes à risque dans leurs localités.
Source : auteurs sur base de MFFAS (2007c, 2008, 2010g).
Outre les centres sociaux placés sous la tutelle du Ministère chargé des Affaires Sociales,
d’autres structures publiques ont développé leurs propres services sociaux avec plus ou
moins de succès. Dans le cadre du processus de décentralisation, les autorités locales (communes,
départements, districts) ont commencé à promouvoir et parfois gérer des services sociaux.
Les initiatives d’action sociale des autorités décentralisées (notamment les communes) se situent
principalement dans le secteur de l’éducation, et dans une moindre mesure pour venir en aide
aux indigents (santé, etc.) ou appuyer des activités génératrices de revenus. Soko (2010) rapporte
que les communes consacrent de 1 à 6% de leur budget à l’assistance sociale (coûts administratifs
non compris).
Certains centres de santé, écoles et services de police et de justice ont également des services
sociaux. Ces services ne répondent d’aucune façon formelle aux directives du Ministère chargé
des Affaires Sociales. Ainsi, plutôt qu’un renforcement de l’offre au niveau national, on observe
la mise en place de structures parallèles, ne répondant pas toujours aux normes nationales en
vigueur au niveau du Ministère chargé des affaires sociales.
Créée en 2000, la Direction de la Mutualité et des Œuvres Sociales en milieu Scolaire (DMOSS)
du MEN a impulsé l’installation de cellules sociales dans les lycées et collèges et de centres
d’écoute dans les directions régionales et départementales Toutefois, bien que la DMOSS soit
censée s’occuper des problèmes de protection de l’enfant en milieu scolaire (problèmes de
traitement au long cours, de difficultés scolaires, de violences sexuelles, de maltraitance, etc.),
71
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
son action est majoritairement centrée sur les questions de santé pour lesquelles un partenariat
dynamique existe avec le PNSSU. La DMOSS ne semble pas participer à l’identification et
à la référence des cas de violation des droits de l’enfant au sein des établissements. Ainsi la
punition physique et humiliante continue d’être pratiquée, bien qu’un arrêté ministériel l’interdise et
la question de l’exploitation sexuelle en milieu scolaire se pose également, même au niveau des
écoles primaires (MEN/DMOSS 2010 cité dans Lida 2010, MFFAS 2010g).
Au niveau de la société civile, de nombreuses ONG interviennent, mais de façon éparse. Les
ONG ont une forte concentration à Abidjan, à l’ouest et dans le sud-ouest. Les ONG internationales ont ainsi tendance à se concentrer dans des zones précises pour des critères
programmatiques de réponse à l’urgence et qui ne correspondent plus forcément à une vue
d’ensemble des réalités sur le plan national. Par ailleurs, les résultats de la cartographie du système
de protection de l’enfant menée en 2009 posent la question de l’offre directe de services
par les ONG. Seules 6 des 27 organisations interrogées offraient des services directs aux enfants
et aux familles, et les actions principales menées par les ONG étaient la formation, le plaidoyer
et la coordination. Face à ce constat, deux hypothèses ont été émises : soit l’essentiel du travail
d’assistance directe est assurée par les ONG locales de petite taille qui n’ont pas été prises
en compte dans la recherche opérationnelle, soit l’offre directe des services aux enfants est très
faible sur le terrain (MFFAS, 2010g).
Le défi actuel des services sociaux reste celui de la décentralisation et de l’animation
communautaire. Comme déjà souligné dans la section 4.1, bien que la communauté soit
reconnue comme étant au cœur de l’action sociale, les travailleurs sociaux ne parviennent pas
à toucher les communautés et jouer leur rôle d’animation communautaire, sauf parfois lorsqu’ils
interviennent dans le cas de projets soutenus par des PTF. Les activités des Centres Sociaux
du MEMEASS par exemple devraient être organisées autour de trois pôles : la protection familiale
(protection du couple mère-enfant et de la famille) ; l’animation sociale (identification des problèmes
auxquels font face les communautés et amélioration du cadre de vie des populations) ;
et la réinsertion sociale des personnes défavorisées. Mais faute de moyens et de pouvoir
décisionnel, les services se limitent souvent à des activités routinières au détriment de véritables
stratégies de prise en charge matérielle ou psychologique, d’écoute, de référence et de
développement (MFFAS, 2010g). Afin de remédier à cela, la formation de relais communautaires
a été envisagée, notamment au sein du PN-OEV et du programme de lutte contre les VBG.
L’absence de système de gestion de l’information et de suivi-évaluation constitue actuellement
un handicap dans l’élaboration et la gestion des politiques publiques, ainsi que dans la
gestion des cas sociaux. La planification de l’action sociale exige l’élaboration d’objectifs et la
récolte d’information qui permettent l’évaluation des résultats. Or la collecte des données constitue
un point faible de l’administration sociale. En l’absence d’un système approprié de collecte
et de gestion de données, il est très difficile de savoir si les actions sociales ont réellement
un impact, et dès lors de tirer des leçons apprises, de construire sur les expériences réalisées pour
se doter de cadres d’orientations stratégiques. L’absence d’un système informatisé de gestion
des cas sociaux est aussi à regretter, constituant une contrainte importante pour le suivi
de la situation des ménages et individus concernés, la prestation de services et la recherche
de services complémentaires dans des secteurs et institutions divers (état civil, écoles,
établissements sanitaires, etc.).
Dans le cadre de la gestion des données, plusieurs initiatives sectorielles sont entreprises.
Le PN-OEV, par exemple, qui dispose déjà d’une base de données opérationnelle, travaille à
la mise en place d’un système de suivi-évaluation soutenus par les Centres Sociaux Restructurés
(Encadré 5.2). Des indicateurs et outils de collecte des données ont déjà été développés.
Des efforts sont également en cours pour doter le MEMEASS d’un Système intégré de collecte
et de gestion de données (SICGD) afin de mieux éclairer l’élaboration de politiques, l’exécution
de programmes et la recherche. Actuellement, les rapports des services déconcentrés du
MEMEASS ne sont pas harmonisés et ne permettent pas un bon suivi de la gestion des services
72
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
offerts ou des problèmes sociaux au niveau national (MFFAS, 2010g). Enfin, des systèmes de
gestion de l’information ont également été développés par les agences humanitaires.
L’existence d’un grand nombre de travailleurs sociaux qualifiés, sortis de l’INFS, constitue
un atout du système de protection sociale. L’Institut National de Formation Sociale (INFS), qui
est sous tutelle du Ministère chargé des Affaires Sociales, forme environ 500 travailleurs sociaux
spécialisés. Ces formations durent de deux à trois ans, selon les programmes et recrutent leurs
étudiants au niveau du baccalauréat pour les assistants sociaux, éducateurs préscolaires et maîtres
d’éducation spécialisés, et au niveau du BEPC (brevet d’études du premier cycle du secondaire)
pour les « adjoints ».47 Jusqu’en 2008, presque tous les diplômés de l’INFS entraient quasi automatiquement à la fonction publique, notamment aux Ministère chargé des Affaires Sociales, au
Ministère de la Justice, au Ministère de l’Education Nationale, au Ministère de la Santé et
de l’Hygiène Publique et aux collectivités locales. Mais, selon les informations reçues de l’INFS,
à partir de 2009, le recrutement est devenu plus sélectif pour les assistants sociaux et
assistants sociaux adjoints, et seulement 50 des 154 diplômés ont réussi le concours pour être
recrutés par la fonction publique.
Les travailleurs sociaux sont fortement concentrés à Abidjan. En 2009, le Ministère chargé
des affaires sociales disposait d’un effectif total de 3065 agents au nombre desquels figuraient
2447 travailleurs sociaux. Cependant, ces ressources humaines sont inégalement réparties sur
l’ensemble du territoire avec une très forte concentration dans la région des Lagunes (Abidjan).
Cette région comptait en moyenne 14,5 personnels spécialisés par structure, tandis que pour
le reste du pays en comptait 4,4 en moyenne, portant la moyenne nationale à 6,9 personnels
spécialisés par structure sociale de base (MFFAS, 2010g).
Par ailleurs, on assiste à une fuite des techniciens qualifiés et expérimentés du Ministère
chargé des affaires sociales, où les salaires sont moins élevés, vers d’autres ministères où leurs
nouvelles attributions n’ont pas nécessairement trait au travail social, ou vers des ONG ou structures
privées.
La Côte d’Ivoire est dotée du seul institut de formation en sécurité sociale en Afrique de l’Ouest.
Par ailleurs, il existe un institut de formation des cadres de la sécurité sociale, dénommé Institut
de Formation aux Métiers de la Sécurité Sociale (IM2S), qui appartient à la CNPS et dont les
cycles de formation sont assurés en partenariat avec l’Ecole Nationale de Sécurité Sociale à
Saint-Etienne en France. Ces cycles incluent la formation de cadres supérieurs (programme
de troisième cycle conduisant au diplôme d’études supérieurs ou DES), ainsi que la formation
de cadres moyens et techniciens de sécurité sociale. Etabli en 2009, l’IM2S a intégré le Centre
Ivoirien de Formation des Cadres de Sécurité Sociale (CIFOCSS), qui date de 1984. Jusqu’en
2010, 841 personnes avaient été formées, principalement pour recrutement par la CNPS.
Les programmes de formation souffrent de quelques faiblesses. Alors que le personnel des autres
services sociaux publics et des ONG ne sont pas toujours des travailleurs spécialisés, le personnel
du Ministère chargé des Affaires Sociales reste largement issu de l’INFS. Toutefois, selon la
cartographie du système de protection de l’enfant (MFFAS, 2010g), le curricula de cet institut créé
en 1960 ne comporte pas de modules prenant en compte de façon globale la problématique
de la protection de l’enfant. La plupart des travailleurs sociaux manquent ainsi de connaissances en
protection de l’enfant (cas de maltraitance, etc.), et ont également une faible connaissance directe
des communautés et un manque de maitrise des techniques de l’animation communautaire
(Galeano Germain, 2010b). Il faut aussi reconnaître que les formations dispensées à l’INFS sont
47 Dans l’année académique 2010/2011, 1500 étudiants étaient inscrits à l’INFS, dont 669 à son Ecole des Assistants Sociaux (formant des
agents de service social pour la prise en charge polyvalente des individus, groupes et communautés), 493 à son Ecole des Educateurs
Préscolaires (formant des agents aptes à assurer la protection et l’éducation des enfants âgées de 0 à 6 ans) et 337 à son Ecole des Educateurs
Spécialisés (formant des agents qualifiés pour la prise en charge des personnes handicapées et des inadaptés sociaux). Pour la formation des
assistants sociaux, des éducateurs préscolaires et des maîtres d’éducation spécialisée, le recrutement se fait au niveau du baccalauréat et la
formation dure trois ans. Pour la formation des assistants sociaux adjoints et des éducateurs préscolaires adjoints, le diplôme exigé est le BEPC
et la formation est de deux ans. Le programme de formation d’éducateurs spécialisés, qui dure deux ans, exige un niveau Bac+2 (baccalauréat
et deux années d’études supérieures).
73
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
uniquement pour les « intervenants » sur le terrain. Sauf dans le cas de la formation des cadres
supérieurs de la sécurité sociale au niveau de troisième cycle à l’IM2S, aucun établissement
d’enseignement supérieur en Côte d’Ivoire forme des spécialistes en protection sociale ou en
politiques sociales, nécessaires pour la conception des politiques, la planification et la recherche.
Ce vide explique pourquoi les études sur les questions sociales n’existent guère en Côte d’Ivoire.
Par ailleurs, le lancement de nouveaux types de programmes, comme les transferts sociaux,
requerrait de nouvelles formations (recyclage des agents existants et adaptation des modules
d’enseignement initial à l’INFS) pour équiper les travailleurs sociaux avec les connaissances
requises pour la mise en œuvre de tels programmes.
5.3Le financement de la protection sociale
L’analyse des dépenses de protection sociale est rendue difficile par le fait qu’il n’existe pas
une fonction « protection sociale » spécifique dans la nomenclature budgétaire. Une partie
importante de ces dépenses est classifiée sous les sous-fonctions relatives à l’action sociale
dans la fonction 6 (santé et action sociale), mais d’autres dépenses pertinentes se trouvent
dans d’autres fonctions, notamment la fonction 4 (enseignement, formation et recherche) dans
le cas, par exemple, des cantines scolaires, des kits scolaires pour OEV et des bourses.
Malgré ces difficultés, une analyse des dépenses exécutées de protection sociale en 2008-2010
a été effectuée à partir de données mises à la disposition de l’équipe de recherche par
la Direction Générale du Budget, du Ministère de l’Economie et des Finances. Il est à noter que
ces données se limitent aux dépenses de fonctionnement hors personnel puisqu’il est particulièrement difficile d’attribuer les parts de la protection sociale dans les dépenses de personnel des différents
ministères et agences concernés. Néanmoins, cette analyse donne une idée générale de l’importance
relative des dépenses de protection sociale dans les dépenses publiques, ainsi que de la
composition de ces dépenses. Les données sont résumées dans le Tableau 5.1 et se trouvent
sous forme désagrégée dans le Tableau B.1 de l’Annexe B.
Mise à part les subventions aux caisses de sécurité sociale et les bourses d’études, la
protection sociale reçoit actuellement une part relativement faible des dépenses publiques.
A première vue, la part de la protection sociale dans les dépenses publiques courantes (hors
personnel) peut paraître assez élevée : environ 12% dans les années 2009 et 2010. Cependant,
ces dépenses sont gonflées par l’inclusion des subventions effectuées par l’Etat à la CGRAE,
pour combler ses déficits (voir la section 4.2 ci-dessus). Ces subventions, qui seraient difficilement
vues comme de « véritables » dépenses de protection sociale (au profit des couches vulnérables
de la population) constituent la moitié des dépenses. En excluant celles-ci, les dépenses
de protection sociale se réduisent à la fourchette de 5 à 6% des dépenses courantes totales hors
personnel. Il est intéressant aussi de constater l’importance des dépenses octroyées aux bourses
d’études, principalement au niveau de l’enseignement supérieur, ce qui laisse à peine 3,8% des
dépenses courantes hors personnel en 2010 pour l’ensemble des autres volets de la protection
sociale.
74
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Tableau 5.1Dépenses courantes de protection sociale (hors personnel), 2009-2010
Milliards de FCFA
% des dépenses courantes
totales (hors personnel)
2009
2010
2009
2010
Subventionnement de la CGRAE
52,6
61,4
5,9
6,4
Bourses
13,9
14,9
1,6
1,5
Protection des jeunes
17,1
14,7
1,9
1,5
Autre action sociale
8,9
8,9
1,0
0,9
Cantines scolaires
9,8
9,2
1,1
1,0
Autres
3,7
3,6
0,4
0,4
106,1
112,6
12,0
11,7
Sans CGRAE
53,4
51,2
6,0
5,3
Sans CGRAE et bourses
39,5
36,4
4,5
3,8
887,1
963,2
100,0
100,0
Total, dépenses courantes de
protection sociale (hors personnel)
Total, dépenses courantes totales (hors personnel)
Source : Calculs des auteurs à partir des données du Ministère de l’Economie et des Finances.
Environ 4% du Programme d’Investissements Publics (PIP) est consacré à la protection sociale.
Une analyse a été conduite sur le financement des projets de protection sociale dans le PIP
pour 2010-2012 (Tableau 5.1). Il s’agit ici des dépenses programmées au lieu des dépenses réellement exécutées comme dans l’analyse précédente. Une partie importante des projets financés
entièrement ou partiellement par les PTF sont répertoriés dans le PIP, bien qu’il soit reconnu
que des flux importants de fonds externes restent hors du système de gestion des finances
publiques, notamment en ce qui concerne l’exécution (hors Trésor) mais aussi au niveau de
la budgétisation, surtout dans le cas de fonds externes gérés par les ONG. Tout en reconnaissant
ces limites, l’analyse montre que seulement 3,9% des dépenses programmées dans le cadre du
PIP 2010-2012 sont attribuées aux projets de protection sociale. Les composantes les plus
importantes sont le Programme Intégré de Pérennisation des Cantines Scolaires, financés conjointement par le gouvernement et le PAM, et le Projet d’Assistance Post-Conflit (PAPC), financé
principalement par la Banque Mondiale, qui inclut un volet important de création d’emplois par
l’approche HIMO.
La relance de la croissance économique devrait augmenter l’ « espace budgétaire » pour les
dépenses de protection sociale. Bien que la situation économique s’est fortement détériorée par
suite de la crise postélectorale, le retour à la croissance à partir de la deuxième moitié de 2011
devrait se renforcer en 2012 : un taux de croissance de 8,5% est prévu par le FMI, conduisant
à une réduction du déficit global des finances gouvernementales à 3,8% du PIB (FMI, 2011b)
(voir le tableau 5.2). La croissance du PIB et des recettes fiscales de l’Etat devraient conduire
dans les prochaines années à une expansion progressive de l’espace budgétaire potentiel pour
le financement soutenable de dépenses publiques additionnelles.
La question de l’espace budgétaire est aussi politique que financière. La dimension politique
concerne la priorisation des dépenses selon les objectifs du développement économique et
sociale du pays, et ainsi la place à être accordée à la protection sociale dans les dépenses.
Compte tenu de l’importance accordée par le nouveau gouvernement à la réduction de la
vulnérabilité des populations, ainsi que du rôle important de la protection sociale dans le
développement d’une société plus équitable, la promotion d’une croissance inclusive, l’accès
aux services sociaux de base et l’atteinte des OMD, il est tout à fait raisonnable de proposer
une réorientation des ressources publiques pour hausser le poids relatif des programmes de
protection sociale dans les dépenses publiques, tout en amélioration la composition des dépenses
de protection sociale elles-mêmes, notamment à travers la réaffectation des ressources actuellement consacrées au subventionnement de la CGRAE et de la CNPS.
75
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Tableau 5.2Cadre macroéconomique et budgétaire
Prévisions
2004-08
2008
2009
2010
2011
2012
1,6
2,3
3,8
2,4
-5,8
8,5
Recettes publiques (sans dons)
en% du PIB
18,2
18,9
18,9
19,2
13,2
18,7
Dépenses publiques en% du PIB
20,5
21,1
21,1
22,0
19,7
22,7
Solde global des finances publiques
en% du PIB
-1,3
-0,6
-1,6
-2,3
-6,4
-3,8
Croissance réelle du PIB (%)
Source : FMI, 2011b.
76
77
450,1
AGEFOP/programme de formation,
d’apprentissage et d’insertion
Source : Calculs des auteurs à partir des données du PIP 2010-2012 (MEMPD, 2010).
Protection sociale en % du PIP
5,7
458 914,5
25 983,1
1 017,7
145,0
Appui à l’accès des personnes handicapées
à l’enseignement technique et à la formation
professionnelle
Total, Programme d’Investissements Publics (PIP)
Total, protection sociale
Autres programmes / projets
Enseignement
Technique et Formation
Professionnelle
117,8
Programme National de Lutte contre la Cécité
637,0
418,6
Fonction Publique
et Emploi
125,0
15 054,0
Programme National de Nutrition
Plan National d’Action contre le Traite
et le Travail des Enfants
Economie et Finances
Santé et Hygiène
Publique
Projet d’Assistance Post-Conflit (PAPC)
Fonds National de Solidarité pour
la Promotion de l’Emploi des Jeunes
Primature
3 030,5
Programme Intégré de Pérennisation
des Cantines Scolaires
Education Nationale
875,0
Programme National de Prise en Charge
des OEV du fait du VIH/SIDA
1 991,4
740,0
Lutte contre les violences basées sur le genre
1 381,0
2010
Protection des enfants et adolescents
(programme de coopération UNICEF)
Famille, Femme et
Affaires Sociales
Programmes/projets
Ministère
Construction, réhabilitation et équipement
d’infrastructures sociales
3,3
651 894,9
21 657,8
1 824,8
890,0
605,0
907,2
1 810,0
869,0
1 500,0
0,0
9 541,3
1 686,4
975,0
775,0
274,1
2011
Millions de FCFA
3,2
587 163,0
19 075,3
782,7
900,0
605,0
693,6
190,0
0,0
1 750,0
0,0
11 342,0
1 152,0
945,0
715,0
0,0
2012
3,9
1 697 972,4
66 716,2
3 625,2
2 240,1
1 355,0
1 718,6
2 418,6
1 506,0
3 375,0
15 054,0
23 913,8
4 829,8
2 795,0
2 230,0
1 655,1
Total
3,1
1 199 327,4
36 897,3
1 999,9
2 240,1
1 355,0
1 718,6
2 418,6
1 506,0
3 375,0
54,0
19 290,0
155,0
470,0
660,0
1 655,1
Trésor
2010-2012
5,9
498 645,0
29 289,1
1 095,5
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
15 000,0
4 623,8
4 674,8
2 325,0
1 570,0
0,0
PTF
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Tableau 5.3Programmation des investissements de protection sociale, 2010-2012
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
6Perspectives de renforcement
de la protection sociale
6.1La future Stratégie Nationale de Protection Sociale
La réduction de la vulnérabilité de larges couches de la population est un des principaux défis
dans le nouveau contexte post-crise. Les crises économiques et politiques successives ont laissé
une partie importante de la population ivoirienne dans un état de vulnérabilité élevée. Cette population
vulnérable a aujourd’hui une capacité très réduite à faire face aux risques futurs sans recourir à
des stratégies d’adaptation qui réduiraient davantage leur capital et rendraient encore plus difficile
leur sortie du cycle vicieux de la pauvreté et des privations. La moitié de la population était déjà
au-dessous du seuil de pauvreté en 2008 et cette proportion a sans doute encore augmenté
en conséquence des violences, des déplacements de population et des perturbations de la vie
économique qui ont suivi les élections de 2010. De plus, une partie importante des non-pauvres
se trouvent proches du seuil de pauvreté et sont à risque de basculer dans la pauvreté en
cas de nouveaux chocs, chocs qui sont malheureusement à prévoir dans le contexte actuel de
graves incertitudes au niveau de l’économie mondiale.
Le nouveau gouvernement s’est fortement engagé à réduire la vulnérabilité des populations,
ce qui devrait donner un rôle de choix à la protection sociale dans la politique de
développement. La fragilité de la situation sociale est devenue une forte préoccupation du nouveau
gouvernement, qui a répondu par la prise rapide de décisions pour atténuer les difficultés des
populations, notamment par rapport à l’accès aux soins de santé. L’annonce de la gratuité
exceptionnelle des services sanitaires publics a confirmé la forte volonté politique de rendre
plus facile l’accès aux soins et donc de renforcer la protection des populations contre les risques,
mais la decision ait entraîné de sérieuxs problèmes opérationnels sérieux à court terme (voir la
section 4.7). Cet engagement est aussi fortement exprimé par l’inclusion de mesures pour alléger les
coûts, réduire les barrières d’accès et inciter la demande de scolarisation dans le nouveau Plan
d’Actions de Moyen Terme du Secteur de l’Education. Il est encore confirmé par le lancement du
processus de développement de la Stratégie Nationale de Protection Sociale, en juin 2011 et
la mise sur pied d’un Comité de Pilotage intersectoriel pour diriger ce processus.
La stratégie devrait partir du constat que la pauvreté monétaire est la source principale
de vulnérabilité à toute une gamme de risques. L’analyse dans ce rapport a montré la nature
multidimensionnelle de la vulnérabilité et des risques auxquels les ivoiriens sont confrontés.
Cependant, c’est le facteur économique (la pauvreté monétaire) qui est prédominant comme
source de vulnérabilité à la plupart des risques, même si celui-ci est accompagné ou renforcé par
d’autres facteurs, tels que le lieu de résidence, le genre et le niveau de capital humain.
Les pauvres sont principalement en milieu rural (même si les taux de chômage et de pauvreté
ont augmenté rapidement en milieu urbain ces dernières années) et dans quelques régions
du Nord et de l’Ouest du pays. Ils exercent principalement dans le secteur agricole informel et
ont été fortement affectés par la chute des prix des cultures depuis les années 80 et, dans certaines
zones, par les évènements politiques. La pauvreté est fortement corrélée aux risques sociaux, les
plus pauvres ayant des probabilités beaucoup plus élevées que les plus riches de malnutrition,
de maladies et de non-utilisation des services sanitaires, de mortalité infanto-juvénile, de manque
d’accès à des sources d’eau et des installations d’assainissement adéquates, de non-scolarisation
ou d’abandon scolaire, et de fléaux sociaux comme le travail des enfants. Les analyses disponibles
montrent que, dans la plupart des cas, le niveau de bien-être (ou de richesse) économique des
ménages est plus important que la région de résidence ou le genre comme facteur déterminant de
la vulnérabilité à ces risques.
Cependant, la Stratégie devrait aussi prendre en compte que la vulnérabilité n’est pas un
phénomène purement économique. Il est aussi social et même physique. Il faut aussi prendre en
compte l’importante dimension du cycle de la vie qui rend les enfants physiquement plus vulnérables
78
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
aux risques de maladie, de malnutrition et de mortalité pendant les premières années de vie.
Compte tenu de l’importance de la famille comme cadre de développement, de protection et
d’épanouissement de la famille, l’analyse a aussi mis en relief la vulnérabilité accentuée chez les
enfants qui vivent hors d’un cadre familial ou qui, même au sein de la famille, sont exposés
à de hauts risques de maltraitance, notamment dans le cas des nombreux enfants qui ne vivent
pas avec leurs parents biologiques. D’autres groupes, tels que les personnes âgées sont vulnérables
en termes de réduction de leurs revenus, risques accrus de maladies, handicaps et mortalité, et
risques de perte du soutien de leurs familles ou, dans le cas de nombreuses veuves, de maltraitance
et de spoliation de leurs biens. Les personnes handicapées ou affectées par des maladies chroniques
sont aussi particulièrement vulnérables, en raison des barrières et discriminations multiples qui
affectent leur scolarisation, leurs chances d’emploi et leur participation dans la vie sociale.
La vulnérabilité accentuée chez la femme est en partie due aux risques liés à son rôle procréatif
(taux élevé de mortalité maternelle), en plus des risques découlant du statut subordonné de
la femme (risques d’excision, de mariage précoce, de non-scolarisation ou d’abandon scolaire,
de violences conjugales et d’exploitation sexuelle, parmi d’autres).
La Stratégie devrait être holistique et transversale, tout en faisant des choix et établissant
des priorités claires pour un « socle » minimum de protection sociale. La stratégie devant
être élaborée devrait prendre en compte la nature multidimensionnelle de la vulnérabilité et
la multiplicité des types de risques auxquels les ivoiriens font face. Tout en répondant au problème
primordial de la précarité économique des populations, qui est le facteur principal à la base de
la plupart des risques les plus sérieux (nutritionnels, sanitaires, scolaire, de mortalité, etc.), les
mécanismes et mesures de protection sociale doivent aussi répondre aux sources de vulnérabilité
et aux types de risques qui sont plutôt socioculturels, telles que la désarticulation familiale,
les discriminations et les pratiques culturelles néfastes (excision, mauvais traitement des veuves,
etc.). Il sera donc essentiel de concevoir une stratégie qui est holistique et équilibrée afin de
prendre en compte toutes ces dimensions importantes de la vulnérabilité et les multiples types de
risques, mais tout en reconnaissant qu’il ne sera pas possible de tout faire, au moins dans un
premier temps. Il sera par conséquent nécessaire de faire des choix en fonction de l’importance
relative des différents problèmes, de l’efficacité potentielle des différents types d’intervention
possible, et des contraintes de capacité financière et administrative. La stratégie devrait faire ces
choix dans le but d’établir un socle minimum de protection sociale et de planifier une mise
en œuvre progressive et faisable, accompagnée de mesures de renforcement des capacités et de
mobilisation des ressources financières requises.
Il est évident que le processus de développement de la Stratégie doit être participatif,
impliquant tous les acteurs concernés : les ministères « macro », à savoir le Ministère d’Etat
Ministère du Plan et du Développement et le Ministère de l’Economie et des Finances (en raison de
la nature transversale de la protection sociale, de son rôle dans la lutte contre la pauvreté et
l’atteinte des OMD, et des questions de financement) ; le Ministère d’Etat Ministère d’Etat, Ministère
de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité, comme institution gouvernementale
ayant un mandat direct et explicite de gestion du système de protection sociale ; les autres
ministères sociaux qui ont aussi des responsabilités importantes de protection sociale dans leurs
propres domaines (Education Nationale, Santé et Lutte contre le SIDA, parmi d’autres) ; les
caisses de sécurité sociale et les mutuelles ; d’autres agences et structures spécialisées (CNLS,
ONEP, AGEPE, AGEROUTE, etc.) ; les acteurs engagés dans la mise en œuvre des programmes de
protection sociale au niveau décentralisé; les organisations de la société civile (ONG, confessions
religieuses, associations) ; et les partenaires techniques et financiers intéressés à appuyer le
renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire. Le Comité de Gestion et son Comité Technique
sont les organes propices pour assurer la pleine participation des divers acteurs concernés.
79
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
6.2Un rôle plus large pour la protection sociale non contributive
Une des conclusions les plus saillantes de cette analyse est que la protection sociale est
largement limitée à sa branche contributive, c’est-à-dire à l’assurance sociale, mais que celleci a une couverture très faible. L’assurance sociale bénéficie uniquement aux travailleurs du secteur
formel et à leurs ayant-droits, et donc à une minorité infime de la population. Selon l’ENV de 2008,
seulement 6% de la population est concernée. La majorité écrasante des ménages, qui gagnent leur
vie dans l’agriculture familiale et d’autres branches du secteur informel, en sont exclus.
Un rôle beaucoup plus important devrait être accordé à la protection sociale non contributive,
qui est jusqu’ici très peu développée. Les aides sociales aux indigents n’existent pratiquement
plus et la Côte d’Ivoire n’a pas encore développé de programmes de transferts sociaux réguliers
et à large échelle tels que des allocations familiales, des pensions sociales de vieillesse ou des
transferts en espèces aux ménages très pauvres. Les programmes de promotion de l’emploi,
tels que les programmes de type HIMO, sont d’une échelle encore très réduite. Des services
d’action sociale existent sous l’égide des Centres Sociaux, des collectivités locales, des ONG
et des confessions religieuses, mais ils sont éparpillés et de couverture limitée sauf dans le cas
de quelques programmes fortement financés par des partenaires extérieurs et focalisés sur
des problèmes spécifiques, tels que l’appui aux OEV, la lutte contre les violences basées
sur le genre et la lutte contre la traite et le travail des enfants. Pour assurer une couverture plus
importante des couches les plus vulnérables et renforcer leur capacité à mieux gérer les risques,
la future Stratégie Nationale de Protection Sociale devrait mettre l’accent principalement sur le
renforcement de la protection sociale non contributive sans mécanisme de subventionnement
L’expansion de l’assurance sociale semble ne pas être une piste prometteuse de renforcement
de la protection sociale des plus vulnérables. Les difficultés administratives d’élargir la
couverture de l’assurance sociale au secteur informel, la faible reconnaissance culturelle de la
notion d’assurance parmi les couches les plus pauvres et leur faible capacité contributive font de
sorte qu’une stratégie centrée sur l’expansion de l’assurance sociale serait probablement vouée à
l’échec. Ces approches n’ont pas abouti à une couverture significative de la population exerçant
dans le secteur informel ailleurs en Afrique, sauf dans les cas spécifiques (et sous des conditions
particulières) de l’assurance maladie au Ghana et au Rwanda (voir la section 4.7).
Néanmoins, des réformes profondes sont requises pour sauvegarder les acquis des caisses
de sécurité sociale et libérer les ressources qui sont actuellement consacrées au subventionnement de leurs déficits structurels et pourraient être mieux employées en faveur des plus
vulnérables. Bien que la priorité doive être accordée à la protection sociale non contributive, il est
important d’assurer la pérennisation des caisses de sécurité sociale à travers les réformes déjà
préconisées. Ceci est nécessaire pour trois raison principales, pour ne pas mettre à risque les
acquis de protection (notamment les pensions de vieillesse) des travailleurs du secteur formel,
ensuite pour permettre à l’Etat de réorienter les ressources importantes actuellement consacrées
à subventionner les déficits structurels des Caisses vers des programmes de protection sociale
plus pertinents aux ménages et individus les plus vulnérables et enfin pour développer un système
plus performant qui pourra complémenter les programmes non contributifs. Les droits des femmes
et des enfants devraient être mieux protégés dans le cadre des réformes, notamment en ce qui
concerne la levée de la condition de mariage civil pour permettre un plus large accès aux allocations
familiales et aux pensions de réversion aux veuves et aux orphelins.
6.3Le rôle potentiel des transferts sociaux monétaires
et des programmes de travaux publics à HIMO
Les transferts sociaux monétaires ont joué un rôle important dans un grand nombre de pays
en voie de développement dans la réduction de la pauvreté et de la faim, l’amélioration de l’accès aux
services sociaux de base, le renforcement du capital humain, le renforcement de la cohésion sociale et
la promotion d’une croissance inclusive et favorable aux pauvres. Introduits plus tardivement en
80
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Afrique subsaharienne que dans d’autres régions (l’Amérique Latine et l’Asie), ces types de programmes sont devenus de plus en plus présents ces dernières années. Les formes les plus répandues en
Afrique subsaharienne sont, d’une part, les pensions sociales de vieillesse (c’est-à-dire de pensions
non contributives et financées par l’Etat) dans plusieurs pays d’Afrique Australe (Devereux, 2008),
et d’autre part, les transferts aux ménages ultra-pauvres (du premier décile ou premier quintile) dans
des pays comme le Ghana, le Kenya, le Libéria, le Malawi, le Mozambique, l’Ouganda, le Sénégal,
la Sierra Leone, la Zambie et le Zimbabwe (Banque Mondiale, 2011).
Un programme de transferts monétaires à large échelle aurait des impacts importants sur
la réduction de la pauvreté. Dans le cadre des préparatifs de la Stratégie Nationale de Protection
Sociale, une analyse de diverses options de programme de transferts sociaux monétaires a été
réalisée (Tome 2, Une première analyse du rôle, de l’ impact, des coûts et de la faisabilité de
diverses options de programmes de transferts sociaux monétaires). Cette analyse, qui comprend
des simulations basées sur les données de l’ENV 2008 et des données démographiques et
économiques, a comparé la pertinence, les impacts, les coûts et la faisabilité de sept options : des
allocations familiales universelles pour enfants de moins de 15 ans ou pour enfants de moins de 5
ans ; des pensions sociales universelles pour personnes âgées de 65 ans et plus ; des allocations
de maternité ; des transferts ciblés aux ménages du premier quintile ; des allocations familiales
ciblées aux enfants de moins de 15 ans du premier quintile ; et un programmes de travaux publics
à HIMO ciblant les jeunes chômeurs du premier quintile. Cette analyse a montré que les transferts
ciblés aux ménages du premier quintile, sous leurs deux variantes (transferts à tous les ménages
du premier quintile et transferts aux ménages du premier quintile ayant des enfants de moins de
15 ans), seraient les options les plus efficaces à coût égal en raison du ciblage des ménages
les plus pauvres, et ce malgré des erreurs de ciblage (erreurs d’inclusion et d’exclusion).
Leur impact sur la pauvreté serait fort pour les ménages bénéficiaires (réduction d’environ un
cinquième de l’écart de pauvreté) et moyen par rapport à l’ensemble de la population pauvre (les
plus pauvres bénéficiant plus que les « pauvres modérés »). Ces options auraient aussi des impacts
positifs mais modestes sur l’accès des enfants à l’école (accroissement d’environ 3,5% pour
les enfants de 6 à 11 ans) et aux services de santé (+4% pour les enfants de moins de 5 ans).
Compte tenu du coût d’un tel programme (1,5% à 1,8% du PIB), l’étude a suggéré de commencer
par un programme ciblant le premier décile (les plus pauvres des pauvres).
Mais les défis opérationnels ne devraient pas être sous-estimés. L’analyse a souligné l’importance
des défis opérationnels, notamment ceux de la mise en application efficiente de méthodes de ciblage
des ménages les plus pauvres (au moyen d’un test de revenu par approximation (PMT) et/ou de
mécanismes communautaires), de la mobilisation des ressources budgétaires nécessaires et du
développement des capacités administratives requises. Pour la mise en œuvre de n’importe quelle
option de transferts sociaux, l’étude a mis en relief la nécessité d’investir dans le développement
de capacités en ressources humaines et systèmes administratifs, tout en reconnaissant que
quelques fonctions opérationnelles, telles que le paiement des transferts aux bénéficiaires, pourraient
être déléguées sous contrat à des opérateurs spécialisés.
L’expansion de l’approche HIMO serait un moyen de réduire le chômage et le sous-emploi,
notamment parmi les jeunes. Les programmes de travaux publics à HIMO sont un des principaux
instruments potentiels pour faire face aux taux élevés de chômage et ainsi accroître les
revenus des ménages pauvres. Selon les données de l’ENV de 2008, 17,5% de la population
économiquement active est au chômage. Le phénomène est particulièrement concentré en
milieu urbain (35,7%) et parmi les jeunes (MEMPD et INS, 2008). En milieu rural, il y a un
phénomène de sous-emploi à large échelle, notamment pendant la période de soudure dans
les zones de savane du nord, où les défis en termes de sécurité alimentaire et d’amélioration
de la nutrition sont particulièrement sérieux. Dans ce contexte, la revue et l’expansion des petits
programmes existants de travaux publics de type HIMO devraient en principe jouer un rôle
important dans la réduction du chômage, notamment parmi les jeunes en milieu urbain et pendant
la période de soudure en milieu rural. Ce type de programme se justifie aussi par les opportunités
que les programmes HIMO fournissent pour la formation des jeunes et surtout par l’impact
81
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
économique, social et quelquefois environnemental des travaux réalisés, qui vont de la réhabilitation
et de l’entretien de routes à la construction d’infrastructures sociales, en passant par des travaux
de protection environnementale comme le reboisement à large échelle.
L’étude citée ci-dessus a simulé les impacts potentiels et les coûts d’un programme de type
HIMO à large échelle qui embaucherait près de 700 000 chômeurs âgés de 18 à 39 ans
pendant cinq mois de l’année au niveau du SMIG. Etant également ciblé au premier quintile et
supposant que les non-pauvres ne seraient pas attirés par ce type de programme (diminuant
ainsi les erreurs d’inclusion), cette option (sous les hypothèses retenues) aurait un impact fort
sur l’écart de pauvreté au niveau des ménages bénéficiaires (-23%) et un impact moyen sur
l’écart de pauvreté au niveau de l’ensemble de la population (-15%), sans prendre en compte
les impacts à long terme des infrastructures créées et des autres travaux réalisés. Un tel programme
aurait aussi des impacts positifs sur l’accès des enfants aux services de santé et sur
la fréquentation scolaire. Sous les hypothèses employées, les coûts du programme (2,7% du PIB)
et les besoins en capacité administrative (de gestion d’un grand nombre de projets de travaux
publics) seraient assez élevés, et l’étude a ainsi suggéré un programme moins ambitieux dans
le court à moyen terme. Pour qu’il joue pleinement sa fonction de protection sociale, il serait en effet
crucial de concevoir le programme de telle sorte qu’il assure le versement régulier et prévisible du
revenu.
6.4Le renforcement des services d’action sociale
Il convient de repenser le système de l’action sociale et de le doter d’un cadre politique clair
afin qu’il puisse s’acquitter au mieux de son important mandat. Les services d’action sociale
ont un rôle primordial à jouer dans la prévention des risques et le renforcement des capacités des
ménages et individus les plus vulnérables. Mais l’approche projet actuelle, largement supportée par
les PTF et focalisée sur l’atteinte d’objectifs thématiques ou sous-sectoriels à court terme, contribue
à une fragilisation du système national d’action sociale et de son efficacité. Les principaux projets
dans lesquels les Centres Sociaux sont actuellement impliqués ne correspondent pas nécessairement aux préoccupations et besoins premiers des populations de leurs zones d’intervention
et ne sont parfois que le reflet de problématiques appuyées par des PTF, souvent plus globales
même que nationales. Il est donc primordial de développer un cadre politique clair (au sein de la
Stratégie Nationale de Protection Sociale) qui établisse sur la base des évidences du terrain (et
des enquêtes nationales) des priorités nationales, tout en laissant un marge de manœuvre important
(appuyé par l’octroi de ressources) au niveau des directions régionales des affaires sociales et
surtout aux Centres Sociaux pour répondre de manière flexible aux besoins locaux.
Les Centres Sociaux devraient pouvoir bénéficier de travailleurs sociaux mieux formés, d’une
meilleure autonomie budgétaire ainsi que d’un plus grand pouvoir décisionnel. Leur répartition
sur le territoire national devrait également être améliorée pour couvrir mieux le milieu rural et les régions
(notamment dans le Nord) où les risques et les vulnérabilités sont les plus graves. Ceci pourra
permettre de mieux répondre aux problématiques spécifiques des populations, et autant que faire
se peut, prévenir les risques et promouvoir les capacités plutôt qu’assister.
Dès à présent, un important travail de renforcement du système d’accréditation, d’inspection
et de référencement doit être entrepris. Actuellement, nombre de structures d’action sociale
(des orphelinats et des centres d’hébergement temporaire par exemple) ne répondent pas aux
normes nationales (et internationales) en vigueur. Par ailleurs, de nombreuses structures d’action
sociale coexistent sans travailler ensemble (Centres Sociaux du MEMEASS, services sociaux des
communes et ONG locales par exemple). Dresser une cartographie des acteurs de l’action
sociale (leur domaine d’intervention, leur capacité, leur respect des normes, etc.) dans chacune
des zones du pays permettrait d’une part, d’établir un système de référencement pour une
meilleure efficacité de l’action sociale, et d’autre part, de prendre les mesures nécessaires
en cas de non-respect des normes en vigueur pour une meilleure protection des populations.
Il faudra aussi renforcer les mécanismes d’inspection des établissements privés d’accueil
82
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
(d’orphelins, enfants abandonnés, personnes âgées, femmes victimes de violence, etc.)
afin d’assurer le respect des normes en vigueur, en plus de créer des capacités d’accueil
provisoire, par exemple au niveau des centres sociaux, des enfants victimes de la traite
et des pire formes de travail des enfants.
De nouvelles approches doivent être envisagées pour relever le défi de l’animation sociale
et renouer le lien entre travailleurs sociaux et communautés. Il s’agit de réactiver les activités
d’animation communautaire dans les centres sociaux et de valider et vulgariser le manuel de
procédure de l’animation communautaire, actuellement en voie de finalisation, en vue d’une
meilleure application sur le terrain. Le protocole de diagnostic communautaire récemment
développé dans le cadre du renforcement du système de protection de l’enfant dans le Bas
Sassandra (MFFE, 2011a) constitue une expérimentation intéressante sur laquelle construire.
Afin de remplir leur mission d’animation communautaire, de détection et d’assistance aux plus
vulnérables, les services sociaux doivent également s’engager dans des stratégies visant au
changement des normes sociales (par exemple, pour la lutte contre l’excision, le travail des enfants,
la dépossession des veuves dans les sociétés ayant un mode de transmission des biens selon
le système matrilinéaire, etc.). Les contacts avec les communautés pourraient par exemple être
multipliés par le biais de programmes radio, avec l’appui de relais communautaires, ou avec
la collaboration d’ONG dans une approche globale, plutôt que de manière dispersée et cloisonnée
dans le cadre de programmes thématiques ou sous-sectoriels.
6.5Les mesures de promotion de l’accès de tous à l’enseignement
Les mesures de stimulation de la demande et de réduction des barrières financières à l’accès
devraient jouer un rôle critique en complément des mesures d’amélioration de l’offre et de la
qualité de l’enseignement. Une série de mesures de cette nature sont déjà envisagées dans le
Plan d’Actions à Moyen Terme du Secteur de l’Education pour la période de 2012 à 2014.
En premier lieu, il est nécessaire de rendre l’enseignement primaire effectivement gratuit.
Ceci requiert des réformes dans les procédures d’exécution budgétaire pour mettre fin à la situation
actuelle de décaissement tardif et incomplet des subventions aux COGES des écoles primaires,
qui laisse les écoles privées de fonds de fonctionnement et les incite à continuer à imposer des
cotisations informelles aux familles. La proposition du Plan d’Actions à Moyen Terme d’utiliser des
aides extérieures (du Fonds Catalytique) pour effectuer des subventions directes à 300 écoles
prioritaires (sur plus de 10 500 écoles primaires publiques) en contournant les mécanismes officiels
d’exécution budgétaire ne peut être qu’une solution provisoire et partielle au problème. Toutes les
écoles primaires publiques devraient recevoir ces subventions, sans exception et dès le début de
l’année scolaire, afin de permettre la suppression définitive de toutes les cotisations informelles
imposées aux familles. Elles devraient aussi recevoir les manuels et kits scolaires à temps pour
diminuer les autres frais à la charge des familles (et aussi assurer la qualité de l’enseignement).
Deuxièmement, les évidences de l’impact des cantines scolaires sur la scolarisation et la
rétention des élèves justifient l’expansion de celles-ci. Le Plan d’Actions à Moyen Terme prévoit
d’augmenter la prestation des repas afin de couvrir tous les jours de l’année scolaire et de
supprimer le prélèvement de 25 FCFA par repas dans des zones géographiques prioritaires, ciblées
sur la base d’indicateurs de pauvreté et de scolarisation. Mais il faut reconnaître que l’on trouve
des enfants de ménages vulnérables partout, même dans les régions où ces indicateurs sont
les meilleurs. En fait, le RESEN a clairement montré que la situation économique (ou de richesse)
du ménage est un facteur beaucoup plus important que la région de résidence comme déterminant
de l’accès, de la rétention et de l’achèvement dans les différents cycles de l’enseignement.
Ceci suggère fortement que le ciblage géographique devrait jouer un rôle provisoire, en raison
des contraintes budgétaires à court ou moyen terme, au lieu d’être érigé comme principe.
L’objectif à long terme devrait ainsi être d’élargir la couverture pour atteindre à terme toutes
les écoles puisque seulement la moitié des écoles sont couvertes actuellement.
83
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Une étude d’évaluation des cantines (RCI et al, 2010) a estimé les coûts des cantines (12,8 milliards
de FCFA en 2005), lorsqu’il y avait un niveau de couverture équivalente à seulement 50%, comme
des charges « que ni l’Etat, ni les partenaires financiers, ni à fortiori les seuls parents d’élèves, ne
peuvent s’engager à supporter de façon pérenne ». Il est à noter, néanmoins, que ces dépenses
constituaient moins de 0,2% du PIB, ce qui suggère que la faisabilité budgétaire est plutôt une
question de priorité politique. En outre, la stratégie entreprise par le PIPCS, qui promeut l’autonomisation des cantines par la production vivrière communautaire, pourrait contribuer à soulager
les charges de l’Etat à long terme.
Troisièmement, d’autres mesures de nature transversale (l’introduction de transferts monétaires
et la suppression des obstacles à la scolarisation liés à l’état civil) devraient jouer un rôle
complémentaire. Les simulations (Hodges et al, 2011) ont montré que des transferts sociaux
monétaires ciblées aux ménages les plus pauvres auraient des retombées positives sur la
fréquentation scolaire. En ce qui concerne l’état civil, il faut assurer que les directeurs des écoles
appliquent la directive du Ministère de l’Education Nationale de ne plus faire obstacle à l’inscription
des enfants au CP1 pour défaut d’extraits d’acte de naissance. A plus long terme, il faut renforcer
et rendre plus accessible le système d’état civil.
Quatrièmement, il est difficile de comprendre la raison de la décision prise en septembre
2011 de réinstaurer le port obligatoire de la tenue scolaire. Cette mesure semble aller à l’encontre
de l’objectif de réduire les frais laissés à la charge des familles, notamment dans l’absence de
mesures d’accompagnement telles que la distribution ciblée d’uniformes gratuits (mesure mise
en œuvre à large échelle dans le Ghana voisin) ou la détaxation des prix des tissus d’uniformes.
Compte tenu des difficultés de ciblage déjà évoquées, il semble beaucoup plus simple d’annuler
le port obligatoire de la tenue scolaire en vue de promouvoir la scolarisation primaire universelle.
Cinquièmement, les mesures de promotion de l’accès à l’enseignement devraient inclure des
actions spécifiques à l’endroit de la jeune fille. Cette attention accordée à la jeune fille inclut
le maintien des internats pour filles, la multiplication des établissements scolaires spécialement pour
filles et la distribution gratuite de rations sèches aux filles ayant atteint un certain niveau scolaire.
La gratuité du certificat médical de grossesse exigé par les écoles après un accouchement, qui
couteactuellement 30 000 FCFA, pourrait aussi contribuer à faciliter la reprise des cours par
de nombreuses jeunes filles mères.
Sixièmement, il serait logique d’étendre les mesures de protection sociale au volet alphabétisation, compte tenu des taux élevés d’analphabètes, surtout parmi les femmes, et la relation
importante entre niveau d’instruction, niveau de vie et risques sociaux (voir la section 3.2.5).
En plus des contraintes au niveau de l’offre (manque d’enseignants compétents, de matériel didactique, etc.), l’alphabétisation n’est pas actuellement gratuite. La mise en place d’un programme
national d’alphabétisation ambitieux, gratuit et qui reprend à son compte les expérimentations
les plus réussies serait un moyen complémentaire pour atteindre l’éducation pour tous.
6.6Mesures pour assurer un accès abordable et équitable
aux services de santé
Il est urgent d’adopter une politique cohérente et réaliste pour assurer l’accessibilité financière
aux soins, surtout aux plus vulnérables : La première version du texte de la nouvelle Politique
Nationale de Santé énonce comme une de ses priorités celle d’ « améliorer l’accessibilité financière
et l’utilisation des services de santé » mais ne clarifie pas comment le faire, se limitant à indiquer qu’il
s’agit de développer et de mettre en place à échelle la couverture du risque maladie, qui
« doit faire l’objet d’une étude » mais « pourrait être un dispositif national d’assurance ou un appui
aux mutuelles de santé ou encore la création d’un filet de sécurité pour les plus pauvres (Fonds
d’Equité Sanitaire ou gratuité de certains soins) » (MSLS, 2011b, p. 29). En fait, il semble qu’on
ait peu avancé depuis les réflexions menées vers la fin des années 90 qui avaient conduit
à la création (juridique) de l’AMU en 2001.
84
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Il est crucial de tirer les lecons des experiences passées du pays. Le passage d’une exemption
généralisée à une approche d’exemption ciblée du paiement des soins visant les parturientes
et les enfants de moins de cinq ans devrait constituer une porte d’entrée à la reforme plus globale
du système de santé pour progressivement tendre vers un système universel. La gratuité devrait
s’intégrer à terme dans une stratégie de Couverture Maladie Universelle (CMU) plus large,
qui inclue des modalités d’exemption ciblée, un paquet subventionné pour les pauvres et un
mécanisme d’assurance maladie contributif qui prend en compte les caractéristiques du pays,
y compris l’étendue du secteur informel et la faible capacité contributive des personnes pauvres
et vulnérables. Une leçon clef du Ghana voisin est l’importance d’une forte contribution financière
de l’Etat, dans ce cas au moyen d’une taxe spéciale, dans les pays ayant une proportion
importante de ménages pauvres avec une faible capacité contributive, afin de rendre les cotisations
abordables et aussi de financer des exemptions à large échelle. De telles mesures peuvent
rendre un système d’assurance plus équitable, mais l’expérience ghanéenne suggère qu’il y aura
toujours des taux d’adhésion plus élevés parmi les plus aisés que parmi les plus pauvres, même
s’il y a des exemptions à large échelle (au Ghana 64% des affiliés ne paient pas de cotisations).
Par ailleurs, il est critique d’accompagner des mesures de gratuité, même si elles sont ciblées
de cette manière, par des mesures de renforcement du financement, des ressources humaines et
de l’approvisionnement en médicaments. Sans quoi, l’accroissement de la demande impulsé par
la gratuité déborde la capacité d’accueil des établissements sanitaires, conduisant aux problèmes
de surcharge du personnel et de ruptures de stocks de médicaments observés à la suite de
l’introduction de la gratuité exceptionnelle en avril 2011. Parmi les mesures les plus importantes
seraient : (1) l’accroissement de la part de la santé dans les dépenses publiques totales (actuellement parmi les plus faibles d’Afrique de l’Ouest) ; (2) le rééquilibrage des dépenses en faveur
des soins de santé primaire et des urgences obstétricales, principalement dans les établissements
sanitaires de premier contact (ESPC) et les hôpitaux de première référence ; (3) l’octroi de ressources
budgétaires adéquates aux ESPC, incluant les établissements sanitaires communautaires (ESCOM)
qui jusqu’ici dépendent entièrement du recouvrement des coûts auprès des usagers ; (4) une
meilleure répartition géographique des ressources humaines, qui sont actuellement fortement
concentrées en milieu urbain et surtout à Abidjan ; et (5) la réforme de la PSP afin d’assurer
l’acquisition et la distribution des médicaments en quantité suffisante pour répondre à la demande.
Il est enfin crucial de mener une réflexion technique conjointe entre les différents acteurs engagés
et de s’accorder sur une feuille de route adaptée pour la formulation et la mise en œuvre de la
stratégie de CMU intégrée, qui inclue les leçons initiales du premier modèle d’exemption ciblée.
6.7Le renforcement du cadre institutionnel, des capacités
administratives et du financement de la protection sociale
Il convient d’adopter une approche à la programmation plus systémique et d’améliorer la
coordination intersectorielle et interinstitutionnelle. L’adoption de la Stratégie Nationale de
Protection Sociale devrait fournir le cadre nécessaire pour orienter les actions des divers
intervenants de manière plus cohérente, harmonisée et efficace. Mais en plus il faut une meilleure
coordination entre les divers acteurs étatiques et non étatiques concernés. Actuellement, les
quelques plateformes de coordination qui existent sont restreintes à certains secteurs spécifiques
(notamment l’assistance aux OEV du fait du VIH/SIDA et la lutte contre les VBG). Même pour
ces secteurs, il y a finalement peu de coordination entre les différents types d’intervenants
(structures gouvernementales, bailleurs de fonds, ONG internationales et ONG nationales), chacun
gardant ses mécanismes propres. Par ailleurs, la forte centralisation du processus de prise de
décision ne permet pas aux acteurs de terrain, plus proches des préoccupations des populations
de leurs zones d’intervention respectives, d’influencer la conception des politiques et programmes.
Le Comité de Gestion et son Comité Technique mis en place pour superviser la préparation de
la Stratégie Nationale de Protection Sociale constituent des organes propices pour assurer la
pleine participation des divers acteurs concernés et promouvoir le nécessaire dialogue intersectoriel
pendant ce processus de développement de stratégie globale. Il conviendra d’assurer la participation d’acteurs décentralisés afin de mieux prendre en compte les réalités du terrain.
85
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
On devrait envisager l’établissement d’un cadre de concertation et de coordination, probablement sous le leadership du Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales
et de la Solidarité pour le suivi de la mise en œuvre de la Stratégie Nationale de
Protection Sociale. Une telle structure pourrait prendre la forme d’un conseil mise en place
par le Président de la République ou d’un groupe thématique plus léger mais représentatif
de tous les acteurs concernés (Ministères, caisses de sécurité sociale, agences spécialisées,
société civile, PTF). Les décisions sur la nature de cette structure de concertation et coordination
devraient être prises dans le cadre de la Stratégie Nationale de Protection Sociale.
Il est souhaitable qu’une certaine stabilité institutionnelle soit assurée à l’avenir et que les
mandats des différentes structures de base soient revisités en fonction des avantages
comparatifs de chacune. Les chevauchements, l’éparpillement et la diversité dans les mandats
des diverses structures de base, engendrés par le manque de coordination et les remaniements
ministériels successifs, sont sources d’une déperdition de ressources. Comme indiqué dans la
section 5.2, des chevauchements existent par exemple entre les mandats de structures relevant
du Ministère chargé des Affaires Sociales d’une part, et celui chargé de la Santé (pour la pesée
des nourrissons, la démonstration diététique et la vaccination des enfants) ou celui chargé de
l’Enseignement d’autre part (pour le développement du jeune enfant). Une meilleure répartition des
tâches et le développement de meilleures synergies sont à promouvoir entre les Centres Sociaux
du MEMEASS, les services sociaux des autres ministères sociaux et les services sociaux des
autorités décentralisées. Tout ceci pourrait permettre une meilleure utilisation des ressources de
l’Etat pour des systèmes de détection, de référencement et d’assistance plus efficaces, pour
la coordination de nouveaux programmes ayant des implications intersectorielles (comme les
transferts sociaux), et pour le développement de mécanismes en commun, notamment pour
le ciblage, où il serait souhaitable d’éviter des mécanismes parallèles, coûteux et potentiellement
contradictoires.48
L’Institut National de Formation Sociale devrait renforcer ses formations initiales et offrir aussi
des formations courtes de recyclage. A l’avenir, les formations proposées sur deux ou trois ans
devraient permettre aux diplômés de maîtriser les questions de protection des personnes (droits des
enfants, cas de maltraitance, etc.), les techniques de l’animation communautaire et les méthodes
de mise en œuvre de programmes de transferts sociaux. L’INFS devrait également envisager
l’intégration de modules d’initiation et de perfectionnement portant sur la conception, la mise en
œuvre, le suivi et l’évaluation de politiques de protection sociale. L’institut pourraient évaluer
l’opportunité de mettre sur pied une formation de plus haut niveau (par exemple de troisième
cycle) pour répondre aux besoins de formation de cadres impliqués dans le développement de
politiques, la planification stratégique, le financement et l’évaluation de programmes dans le domaine
de la protection sociale. Des formations courtes sur ces thèmes devraient être proposées aux
décideurs et autres agents actuellement en poste qui ont besoin de recyclage et de renforcement
des connaissances.
Par ailleurs, une stratégie devrait être élaborée pour assurer à terme une meilleure répartition
des structures sociales et des travailleurs sociaux qualifiés sur l’ensemble du territoire.
Une telle stratégie pourrait notamment se reposer sur la création de nouveaux centres sociaux dans
les zones non couvertes et des mesures incitatives à la délocalisation (et à la rétention) des diplômés
de l’INFS, et sur des mécanismes de certification et de collaboration/contractualisation d’autres
types de travailleurs/services sociaux (privés ou de la société civile).
La mise en place d’un système de gestion de l’information et de suivi-évaluation est
primordiale. Son absence constitue actuellement un handicap dans l’élaboration de cadres d’orientations stratégiques. Plusieurs initiatives ont récemment été lancées dans ce sens, y compris par
le PN-OEV et les acteurs humanitaires. Il convient d’assurer leur intégration au sein du système
intégré de collecte et de gestion de données (SICGD) actuellement envisagé par le MEMEASS.
48Au Ghana un processus de développement d’un mécanisme conjoint de ciblage est actuellement en cours afin d’harmoniser le ciblage des
bénéficiaires du programme de transferts en espèces LEAP, de l’exemption des indigents de paiement des cotisations de l’assurance maladie
nationale (NHIS) et plusieurs autres programmes (voir MESW et al, 2011).
86
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Tout en commençant par les programmes directement sous l’égide du Ministère chargé des
Affaires Sociales, ce système devrait s’élargir progressivement pour devenir un système de gestion
multisectoriel, incluant par exemple les programmes gérés par le Ministère de l’Education
Nationale, le Ministère de la Santé et de la Lutte contre le SIDA et le Ministère de la Famille, de
la Femme et de l’Enfant, parmi d’autres. Ce système de gestion d’information devrait permettre
la saisie et le suivi de données sur les bénéficiaires individuels de programmes, incluant par
exemple les informations obtenues par les travailleurs sociaux lors d’enquêtes sociaux, les
informations sur leur inscription dans des programmes spécifiques (par exemple de transferts
sociaux) et les informations sur les mesures complémentaires prises (par exemple, obtention de
documents de l’état civil, aides dans le cadre du PN-OEV, exemptions de frais dans les
établissements sanitaires, etc.).
Bien que limité à court terme, l’ « espace budgétaire » potentiel pour une expansion des
dépenses publiques de protection sociale devrait augmenter à partir de 2012. L’espace
budgétaire disponible pour une expansion de la protection sociale semble limitée à court
terme en raison de la crise économique profonde déclenchée par le conflit postélectoral,
qui a conduit à une baisse du PIB de 5,8% et l’aggravation du déficit global des finances
gouvernementales à 6,4% du PIB en 2011, selon les estimations du FMI (2011b). Cependant,
l’activité économique est déjà en train de se relancer et le FMI prévoit un rebond
économique important en 2012 (taux de croissance de 8,5% et réduction du déficit des finances
gouvernementales à 3,8% du PIB). Deux sources potentielles d’espace budgétaire devraient
permettre une expansion durable du financement de la protection sociale à long terme. Il s’agit
tout d’abord de la croissance des recettes fiscales, principalement en fonction de la croissance
du PIB (le ratio recettes/PIB étant déjà relativement élevé avant la crise postélectorale, tournant
autour d’une moyenne de 18,3% entre 2004 et 2008) et ensuite de l’amélioration de l’efficacité
des dépenses par rapport aux priorités politiques.
Un fort accent sur la réduction de la vulnérabilité des populations devrait favoriser une
augmentation de la part des dépenses de protection sociale en vue d’accroître le niveau
de consommation des ménages, améliorer l’accès aux services sociaux de base et stimuler
une croissance inclusive et en faveur des pauvres dans le but de réduire la pauvreté monétaire
et d’accélérer le progrès vers les OMD. Même au sein des dépenses dites de protection
sociale, il y a des opportunités d’atteindre une meilleure efficacité, notamment à travers les réformes
prévues à la CGRAE et à la CNPS, qui devraient mettre fin au besoin de subventionnement de
leurs déficits structurels et ainsi libérer des ressources publiques qui pourraient être consacrées à
des programmes de protection sociale au profit des couches les plus vulnérables de la population.
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Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Bibliographie et annexes
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93
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
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Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
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95
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Annexe AListe des personnes rencontrées
Organisation
Nom
Position
Mr AHOUANZI Latte N.L.
Conseiller Spécial
Mme HACCANDY Thérèse
Conseiller Technique Santé
Primature
Cabinet
Ministère d’Etat, Ministère du Plan et du Développement (MEMPD)
Cabinet
Mr SEKA Pierre-Roche
Directeur
Mr KOUAME Kouatou Lacina
Directeur Adjoint
Direction Général du Plan
Mr NIAMIEN Kadjo
Directeur de la Planification
Direction de la Programmation
des Investissements Publics
Mr GONNE Louh Jeannot
Directeur
Ministère de l’Economie et des Finances (MEF)
DCPE
Mr Abou TOURE
Directeur
Direction du Budget
Mr DIABA Roger
Directeur
Ministère d’Etat, Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité
(MEMEASS)
Cabinet
Mr KONE Kipéya Brahima
Directeur de Cabinet Adjoint
Mme TANAH Ebah Monique
Sous-directeur des Etudes
Direction des Affaires Administratives
et Financières (DAAF)
Mr Adama TOURE
Directeur
Direction de la Protection Sociale (DPS)
Mr OBA Boussou Ernest
Sous-directeur
Direction de la Promotion des Personnes
Handicapées (DPPH)
Mr N’DRI Koffi Eugène
Sous-directeur
Service Autonome de la Lutte contre
le Travail des Enfants (SALTE)
Mr SIGUI Mokié Hyacinthe
Directeur
Programme de Protection des Enfants
et des Adolescents Vulnérables (PPEAV)
Mr AGOH Ake Eben-Ezer
Coordonnateur
Programme National de Prise en charge
des Orphelins et autres Enfants rendus
Vulnérables du fait du VIH/SIDA (PN-OEV)
Mr ANGAMAN KASSY Roger
Responsable Suivi,
Evaluation et Recherche
Direction de la Solidarité
Mr TRAORE Mamadou
Directeur
Mr BAMBA Karim
Directeur
Direction de la Sécurité Sociale
et de la Mutualité (DSSM)
Mr YANGNI Joël
Sous-directeur Réglementation
Mme KONE Karidja épouse
BAMBA
Sous-directeur Mutualité
Direction Générale de l’Emploi (DGE)
Mr BOSSO Tayoro Paul
Directeur des Stratégies
et des Programmes d’Emploi
Agence d’Etudes et de Promotion
de l’Emploi (AGEPE)
Mme BASSA Catherine
Sous-directrice des
Programmes d’Emploi
Direction de la Santé et de
la Sécurité au Travail (DSST)
Mr KAMARA Mamadou
Sous-directeur
Direction Régionale des Affaires Sociales
Mme OULE Katiama Mariame
Chef du Service Planification
Direction Régionale des Affaires Sociales
Mme KOUE Pauline
Chef du Service des Projets
Sociaux et du Suivi des
Complexes
Mme DIABLE
Directrice
Mme CHIDJO Yolande
Responsable du Centre
d’Education Spécialisée
Mr YAO Amani Thierry
Assistant social responsable
du service suivi évaluation
Complexe Socioéducatif de Port Bouët
Centre Social Treichville / Habitat
Mme AKPA Anne Agathe
épouse AGNIMEL
96
Assistante Sociale / Directrice
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Organisation
Nom
Position
Cellule de Coordination du Comité
National de lutte contre les violences
faites aux femmes et aux enfants
Mme COULIBALY Fanta
Institut National de Formation Sociale (INFS)
Mr N’Guettia Kouakou Kra
Martin
Directeur
Mr KONAN Kouakou Seraphin
Chef Service Scolarité
Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant (MFFE)
Cabinet
Direction de Protection de l’Enfance (DPE)
Mme COFFIE Goudou Raymond
Ministre
Mme Edith Clariss KOUASSY
Directeur de Cabinet Adjoint
Mme Chantal KONE
Inspectrice
Mme KRAIDY Sandrine
Mr KOUADIO Kra Hervé
Ministère de l’Education Nationale (MEN)
Cabinet
Comité de Suivi de la Préparation du Plan
Sectoriel de l’Education/Formation
Mr KABRAN Assoumou
Directeur
Mr KONE Raoul
Directeur Adjoint
Mr BINEY John Francis
Coordonnateur
Ministère de la Santé et de la Lutte contre le SIDA
Cabinet
Pr EHILE
Directeur
Cellule de Prospective et de Stratégie
Pr SAMBA Mamadou
Chef
Agence de Gestion des Routes (AGEROUTE)
Cellule de Coordination du Projet
HIMO-PAPC
Mr KOUADIO POKOU Marius
Coordonnateur
Mr DAGNOGO Sidi Braima
Directeur
Mr KOUADIO Roland
SPE
Office National de l’Eau Potable (ONEP)
DDET
DHRP
Mr IDO Adama
Mr BINI Koussounou
DRE
Mme KONE Saramatou
Partenaires Techniques et Financiers (PTF)
UNICEF
Mr Hervé DE LYS
Représentant
Mme Christina DE BRUIN
Représentant Adjoint
Mr Stefano VISANI
Chef, Politiques Sociales
Mme Laetitia BAZZI
Chef, Protection de l’Enfant
Mme Joyce Patricia BHEEKA
Chef, Education
Mr RAMAMONJISOA Eli
Chef, Survie de l’Enfant
Mr KONAN Kouamé Jean
Spécialiste VIH/SIDA
Mr Thomas MUNYUNZANGABO
Chef VIH/SIDA
Mr KOTY Raoul
Chef d’Opérations
Mme Fiorella POLO
Spécialiste eau et
assainissement
Mr ROSSI Massimiliano
Spécialiste eau et
assainissement
97
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Organisation
Programme Alimentaire Mondial (PAM)
Nom
Position
Mr KOUKOUI Basile Janvier
Spécialiste Nutrition
Mme Ellen KRAMER
Mr KODJO Niamke Etoua
Chef de Programme
Chargé de programme,
cantines scolaire
Chargé de nutrition et VIH
Mme Nora HOBBS
Chargé de nutrition et VIH
Mr SOUBEIGA Jonas
Chargé de programme TDY
Mr SADIO Jospeh
Chargé de programme TDY
Mr TOURE Moustapha
National VAM Officer
Mr N’ZUE Mueh
Assistant de programme
Mr TSASSA Célestin
Conseiller Economique/
Economiste Principal
Mme PIERRE Rachel
Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD)
Ms DAYMON Caroline
Mr BAGUIA Allassane
Fonds Monétaire International
Banque Mondiale
Mr Wayne W. CAMARD
Représentant
Mr Agou GOMEZ
Economiste résident
Mr Yannick GORANI (par
téléphone)
Organisations Non Gouvernementales (ONG)
Bureau International Catholique de
l’Enfance (BICE)
Mr KOUKOUI Désiré Gilbert
Directeur des actions et
projets
Terre des Hommes Italia (TdH)
Mr Alessandro RABBIOSI
Délégué Côte d’Ivoire
98
Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire
Annexe BDépenses publiques de protection sociale
Tableau B.1Dépenses publiques courantes de protection sociale (hors personnel) :
exécution, 2008-2010 (FCFA)
2008
Assistance médicale aux indigents
2009
279 627 901
280 000 000
2010
320 000 000
Aide alimentaire hôpitaux
162 602 988
182 638 154
180 068 920
Autres aides alimentaires
447 283 269
1 019 327 235
753 541 637
Administration de la protection sociale
43 797 941
121 021 588
52 446 067
Orphelinats
77 103 232
90 451 151
292 182 500
Pouponnières
78 695 816
173 482 048
237 723 629
Centres handicapés, aveugles,
sourds muets
53 295 183
133 296 649
91 778 890
202 890 728
467 198 751
779 614 507
1 263 242 539
1 733 378 311
1 930 580 175
Prévoyance maladie
0
6 383 800
4 369 225
Pensions et retraites
186 183 984
194 938 939
582 944 091
Prévoyance chômage
675 000 000
682 400 000
682 400 000
Protection des jeunes
22 575 163 015
17 125 854 130
14 698 217 815
555 569 243
990 392 381
1 178 630 177
5 190 457 722
2 725 243 662
1 834 528 519
81 250 000
50 000 000
75 000 000
488 963 937
505 085 824
412 198 861
51 344 807 773
52 638 131 699
61 403 544 177
324 281 183
290 929 894
272 659 374
5 300 228 293
9 801 924 113
9 160 886 459
7 500 000
11 500 000
15 500 000
1 723 659 000
800 000
800 000
800 000
2 731 783 000
3 618 316 000
1 807 100 758
2 039 880 788
1 762 494 480
11 232 672 521
11 212 199 021
11 233 359 521
664 604 215
729 197 677
752 808 948
86 899 542
137 182 294
300 214 245
104 853 680 783
106 074 621 109
112 626 808 217
Centres sociaux
Formations personnel social
Famille et protection de la femme
Administration générale de la solidarité
Aides aux victimes de catastrophes
Autres affaires assistance et solidarité
Caisse Générale de Retraite des Agents
de l’Etat (CGRAE)
Caisse Nationale de Prévoyance
Sociale (CNPS)
Cantines scolaires (MEN)
Kits scolaires pour OEV (MEN)
Bourses MEN
Bourses Min Enseignement Technique
et Formation Professionnelle (METFP)
AGEFOP (METFP)
Bourses enseignement supérieur
AGEPE (Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi)
IFEF
Total
Source : Ministère de l’Economie et des Finances
99
La protection sociale, longtemps considérée comme un coût que les pays en développement ne
pouvaient se permettre d’engager, est de manière croissante reconnue comme un investissement
dans le capital humain, nécessaire à toute étape de développement, et sans lequel un pays ne peut
croître de manière soutenable.
Plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest, comme par exemple le Ghana, le Burkina Faso, et le Sénégal,
se sont déjà engagés dans le développement de politiques nationales de protection sociale et dans
l’extension de leur système.
Le Gouvernement de la République de Côte d’Ivoire envisage à son tour l’élaboration d’une Politique
Nationale de Protection Sociale. L’objectif est de se doter d’un cadre global pour l’orientation,
l’encadrement, le renforcement et la coordination de programmes de protection sociale sur la base
d’objectifs clairement définis et de priorités objectivement établies.
Ce document de stratégie constituera un élément essentiel du processus d’extension qui participera
à la mise en œuvre d’un système cohérent et coordonné, qui assure la complémentarité et la synergie
entre les différents programmes. Il contribuera ainsi à opérationnaliser l’engagement de la Côte
d’Ivoire à « étendre la protection sociale à l’ensemble de la population, et singulièrement aux couches
les plus vulnérables » (Stratégie de Relance du Développement et de Réduction de la Pauvreté
(SRDRP) 2009-2015).
Cette publication est le premier volet d’une analyse menée au courant de l’année 2011 par un groupe
d’experts nationaux (gouvernementaux et non-gouvernementaux) et internationaux (Oxford Policy
Management), avec le soutien de l’UNICEF, suite à la demande du Gouvernement de Côte d’Ivoire.
Le présent volume (Tome 1) fournit des données et analyses préliminaires de la situation en protection
sociale dans le pays. Le deuxième volet de l’étude, présenté dans un autre volume, présente une
analyse comparative de sept options de transferts sociaux monétaires identifiées sur base de l’étude
diagnostique et de la réflexion conjointe des acteurs engagés dans les différentes étapes de l’étude.
Cette analyse constitue un outil d’aide à la prise de décision et permet d’engager un dialogue éclairé sur
les priorités à donner à la Stratégie de Protection Sociale.
Contacts :
Kipeya Kone
Directeur de Cabinet Adjoint
Ministère d’Etat Ministère de l’Emploi,
des Affaires Sociales et de la Solidarité
BP 93 Abidjan
Tel : (225) 20 32 25 36
Fax : (225) 20 32 26 43
UNICEF Section Politiques Sociales
04 BP 443 Abidjan 04
18 Rue Pierre et Marie Curie, Zone 4C
Abidjan, Côte d’Ivoire
Email : [email protected]
Tel/Fax : (225) 21 21 18 50/52
www.unicef.org/cotedivoire