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Cadre de Développement de la Stratégie Nationale de Protection Sociale en Côte d’Ivoire Tome 1 Etat des lieux, Défis et Perspectives de Renforcement de la Protection Sociale .................... Janvier 2012 CADRE DE DEVELOPPEMENT DE LA STRATEGIE NATIONALE DE PROTECTION SOCIALE EN COTE D’IVOIRE Tome 1 Etat des Lieux, Défis et Perspectives de Renforcement de la Protection Sociale Janvier 2012 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Avant-propos / Avis aux lecteurs Cette étude a été conduite entre juin et décembre 2011 par une équipe d’Oxford Policy Management (OPM) composée de Anthony Hoges, Cécile Cherrier, Auguste Blibolo et Francois Aka Bedia, sous la direction d’un Comité de Pilotage interministériel, avec l’appui financier du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF). Les auteurs sont très reconnaissants de l’appui apporté par les divers ministères concernés, qui leur ont accordé des entretiens et qui ont mis à leur disposition la documentation et les données statistiques utilisées dans cette étude. Les auteurs remercient aussi tous les participants aux deux ateliers nationaux qui ont eu lieu en août et décembre 2011 dans le cadre de cette étape prélinaire de réflexion et d’analyse si importante pour assurer le bien-fondé des orientations stratégiques du dispositif futur de protection sociale dans le pays. I Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Table des matières Sigles et acronymes V Préface IX Résumé exécutif XI 1 1.1 1.2 2 2.1 2.2 Introduction Contexte et objectif Méthodologie et structure du rapport 1 1 2 Cadre analytique : conceptualisation de la protection sociale Fondements conceptuels Les instruments de la protection sociale 3 3 5 3 3.1 3.2 Profil de la vulnérabilité et des risques en Côte d’Ivoire L es risques et chocs Les sources de vulnérabilité 9 9 15 4 4.1 4.2 4.3 4.4 4.5 4.6 4.7 Programmes existants et défis de renforcement de la protection sociale La protection sociale informelle L’assurance sociale Les transferts sociaux Les programmes à haute intensité de main d’oeuvre (HIMO) et la promotion de l’emploi Les services d’action sociale La protection sociale dans le secteur de l’éducation L a protection sociale et l’accès aux services de santé 28 28 30 35 40 43 51 57 5 5.1 5.2 5.3 Contexte politique, institutionnel et financier pour le renforcement de la protection sociale Le cadre politique L’architecture institutionnel et la capacité administrative Le financement de la protection sociale 66 66 68 74 6 6.1 6.2 6.3 6.4 6.5 6.6 6.7 Perspectives de renforcement de la protection sociale La future Stratégie Nationale de Protection Sociale Un rôle plus large pour la protection sociale non contributive Le rôle potentiel des transferts sociaux monétaires et des programmes de travaux publics à HIMO Le renforcement des services d’action sociale Les mesures de promotion de l’accès de tous à l’enseignement Mesures pour assurer un accès abordable et équitable aux services de santé Le renforcement du cadre institutionnel, des capacités administratives et du financement de la protection sociale Bibliographie et annexes Annexe A Liste des personnes rencontrées Annexe B Dépenses publiques de protection sociale Tableau b.1 Dépenses publiques courantes de protection sociale (hors personnel) : exécution, 2008-2010 (FCFA) III 78 78 80 80 82 83 84 85 89 96 99 99 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire LISTE DES ENCADRÉS, FIGURES ET TABLEAUX Liste des encadrés Encadré 3.1 Encadré 4.1 Encadré 4.2 Encadré 4.3 Encadré 4.4 Encadré 4.5 Encadré 4.6 Encadré 5.1 Encadré 5.2 La vulnérabilité accentuée de l’enfant sans cadre familial protecteur Le droit coutumier et la protection de l’enfant Les subventions croisées dans le secteur de l’eau potable : protègent-elles les plus pauvres en pratique ? Les projets pilotes de transferts en espèces Quelques expériences prometteuses dans la lutte contre les VBG L’expérience prometteuse des Comités de Veille et de Protection des Enfants Le dossier technique de l’AMU était-il bien conçu ? Les services spécialisés dans le développement du jeune enfant Les Centres Sociaux du MEMEASS 24 28 36 37 47 48 63 70 71 Liste des figures Figure 3.1 Figure 3.2 Figure 3.3 Figure 4.1 Figure 4.2 Figure 4.3 Figure 4.4 Chocs économiques et politiques, croissance du PIB et incidence de pauvreté, 1985-2011 Dépenses moyennes par tête et par an selon les déciles de consommation (FCFA), 2002 et 2008 Risques selon le cycle de la vie Disparités des taux d’accès et d’achèvement scolaire selon le genre, le milieu de résidence et le niveau de richesse, 2006 Dépenses de santé par sources de financement (%), 2008 Dépenses catastrophiques par quintile de richesse, 2008 Utilisation des services sanitaires publics, mai 2010 et mai 2011 10 11 22 52 59 61 65 Liste des tableaux Tableau 3.1 Tableau 3.2 Tableau 3.3 Tableau 3.4 Tableau 3.5 Tableau 3.6 Tableau 3.7 Tableau 4.1 Tableau 4.2 Tableau 4.3 Tableau 4.4 Tableau 5.1 Tableau 5.2 Tableau 5.3 Taux de pauvreté (%) selon les sources d’eau, les types d’assainissement et les types de consultations médicales, 2008 Risques sociaux par quintile de bien-être économique, 2006 Pauvreté monétaire et risques sociaux par milieu de résidence (%) Indicateurs de pauvreté monétaire par régions (%), 2008 Risques sociaux par région (%), 2006 Distribution de la population par groupe d’âge et décile de consommation, 2008 Disparités filles/garçons dans le système d’enseignement (%), 2009 Répartition des dépenses selon les catégories d’assurés de la CNPS, 2010 Les mutuelles professionnelles Activités du CNLVFE, 2000-2011 Couverture des cantines scolaires, 2009 Dépenses courantes de protection sociale (hors personnel), 2009-2010 Cadre macro économique et budgétaire Programmation des investissements de protection sociale, 2010-2012 IV 17 18 19 21 21 23 25 32 35 46 54 75 76 77 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire SIGLES ET ACRONYMES ACF Action Contre la Faim ACTED Agence d’Aide à la Coopération Technique et au Développement AFJCI Association des Femmes Juristes de Côte d’Ivoire AGEFOP Agence Nationale de la Formation Professionnelle AGEPE Agence d’Etudes et de Promotion de l’Emploi du MEMEASS AGEROUTE Agence de Gestion Routière AGR Activités génératrices de revenus AMU Assurance Maladie Universelle ARV Antirétroviral BIT Bureau International du Travail BNI Banque Nationale d’Investissement CDMT Cadre des Dépenses à Moyen Terme CEDEAO Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest CEPE Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires CES Centre d’Education Spécialisée CFC Contribution financière communautaire CGRAE Caisse Générale de Retraite des Agents de l’Etat CNAM Caisse Nationale d’Assurance-Maladie CNLTEE Comité National de Lutte contre l’Exploitation et la Traite des Enfants CNLVFE Comité National de Lutte contre les Violences faites aux Femmes et aux Enfants CNPS Caisse Nationale de Prévoyance Sociale CNO Centre, Nord et Ouest CNS Comptes nationaux de la santé COFOGClassification des Fonctions des Administrations Publiques (« Classification of the Functions of Government ») COGES Comité de Gestion CPPE Centre de Protection de la Petite Enfance CS Centre Social CSA Caisse Sociale Agricole CSB+ mélange maïs-soja enrichi (« Corn Soya Blend Plus ») CSE Complexe Socio Educatif DANIDAAgence Danoise pour le Développement International (« Danish International Development Agency ») DEPG Direction de l’Egalité et de la Promotion du Genre du MFFE DGT Direction Générale du Travail du MEMEASS DIJE Développement intégré du jeune enfant DMOSS Direction de la Mutualité et des Œuvres Sociales en Milieu Scolaire du MEN DPS Direction de la Protection Sociale du MEMEASS DREN Direction Régionale de l’Education Nationale DSRP Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté DTS Dépenses totales de santé EDSCI Enquête Démographique et de Santé de Côte d’Ivoire EIS Enquête sur les Indicateurs du SIDA ENV Enquête sur le Niveau de Vie des ménages ESCOM Etablissement sanitaire communautaire ESPC Etablissement sanitaire de premier contact FCFA Franc de la Communauté Financière Africaine FMI Fonds Monétaire International FNAMU Fonds National de l’AMU V Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire FNUAP Fonds des Nations Unies pour la Population FPM Fonds de Prévoyance Militaire FPPN Fonds de Prévoyance de la Police Nationale FSE-THIMOFonds de Soutien à l’Emploi par les Travaux d’Utilité Publique à Haute Intensité de Main d’œuvre GAVIAlliance Globale pour les Vaccins et l’Immunisation (« Global Alliance for Vaccines and Immunization ») GIZCoopération allemande (« Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit ») HCR Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies HIMO Haute intensité de main d’œuvre ICI Initiative Internationale sur le Cacao (« International Cocoa Initiative ») IFEF Institution de Formation et d’Education Féminine IM2S Institut de Formation aux Métiers de la Sécurité Sociale INFS Institut National de Formation Sociale IPECProgramme International pour l’Abolition du Travail des Enfants (« International Programme on the Elimination of Child Labour ») IRA Infection respiratoire aiguë IRC Comité International de Secours (« International Rescue Committee ») IST Infection sexuellement transmissible LEAPProgramme de renforcement des moyens de subsistance contre la pauvreté au Ghana (« Livelihood Empowerment Against Poverty ») LTTE Lutte contre la Traite et les Pires Formes de Travail des Enfants LUTRENAProjet Sous Régional de Lutte contre la Traite des Enfants en Afrique de l’Ouest et du Centre MAG Malnutrition aiguë globale MEMEASSMinistère d’Etat, Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité MEN Ministère de l’Education Nationale MFFE Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant MGF Mutilation génitale féminine MICSEnquête par Grappes à Indicateurs Multiples (« Multiple Indicator Cluster Survey ») MUGEFCI Mutuelle Générale des Fonctionnaires de Côte d’Ivoire NHISSystème national d’assurance maladie du Ghana (« National Health Insurance System ») OEV Orphelins et autres Enfants Vulnérables OIM Organisation Internationale pour la Migration OMD Objectifs du Millénaire pour le Développement OMS Organisation Mondiale de la Santé ONG Organisation Non Gouvernementale OPM Oxford Policy Management PAE Programme d’Aide à l’Embauche PAM Programme Alimentaire Mondial PAPC Projet d’Assistance Post-Conflit PAPCS Programme d’Appui à la Pérennisation des Cantines Scolaires PDI Personnes déplacées internes PDM Questionnaire de suivi Post-Distribution PEPFARPlan d’urgence du président américain pour la lutte contre le SIDA (« U.S. President’s Emergency Plan for AIDS Relief ») PEV Programme Elargi de Vaccination PIB Produit intérieur brut PIP Programme d’Investissements Publics PIPCS Programme Intégré de Pérennisation des Cantines Scolaires PME Petites et moyennes entreprises VI Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire PNDS Plan National de Développement Sanitaire PN-OEVProgramme National de Prise en Charge des Orphelins et autres Enfants rendus Vulnérables du fait du VIH/SIDA PVVIH Personnes vivant avec le VIH/SIDA PRODIGE Programme de Développement des Initiatives Génératrices de Revenus PSNPProgramme de filets de sécurité productifs en Ethiopie (« Productive Safety Net Programme ») PSP Pharmacie de Santé Publique PTF Partenaires techniques et financiers RESEN Rapport du Système Educatif National SALTE Service Autonome de la Lutte contre le Travail des Enfants SICGD Système intégré de collecte et de gestion de données SMART Standardized Monitoring and Assessment of Relief and Transitions SMIG Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti SODECI Société de Distribution d’Eau de la Côte d’Ivoire SSTE Système de Suivi du Travail des Enfants TTC Toutes taxes comprises UA Union Africaine UEMOA Union Economique et Monétique de l’Afrique de l’Ouest UNICEF Fonds des Nations Unies pour l’Enfance UNIFEM Fonds de Développement des Nations Unies pour la Femme USDOS Département Américain des Affaires Etrangères (« U.S. Department of State ») USDOL Département américain du travail (« U.S. Department of Labour ») VBG Violences basées sur le genre VIH/SIDA Virus d’immunodéficience humaine / syndrome d’immunodéficience acquise WACAPProjet de lutte contre le travail des enfants dans le secteur du cacao et de l’agriculture commercial en Afrique de l’Ouest (« West Africa Cocoa/Commercial Agriculture Project ») VII Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire PRÉFACE Les chocs économiques, sociaux et politiques qui ont touché la Côte d’Ivoire ces trente dernières années ont eu un impact majeur sur le bien-être de la population ivoirienne. Le taux de ménages pauvres a quadruplé entre 1985 et 2008, et les ménages déjà pauvres se sont encore appauvris. Les déficits en matière d’accès aux services essentiels tels que la santé et l’éducation se sont accrus, le phénomène de malnutrition s’est aggravé, et la participation à la vie économique des individus s’est affaiblie. Les inégalités se sont amplifiées, risquant de porter atteinte à une cohésion sociale déjà fragile. Pour surmonter ces défis multiples, la Côte d’Ivoire reconnait le potentiel que la protection sociale représente : permettre à l’ensemble de la population de mieux faire face aux risques et aux chocs, faire en sorte que les personnes pauvres et vulnérables surmontent les obstacles qui les empêchent d’accéder aux services essentiels et contribuer à améliorer leurs conditions de vie et à accroître leur productivité. Les enfants qui n’ont pas été éduqués, qui ont été exposés à la malnutrition, ou qui ont un accès très limité aux soins de santé ne pourront pas bénéficier du développement physique, mental et émotionnel normal dont aura besoin la Côte d’Ivoire pour atteindre son objectif de pays émergent. Investir dans la protection sociale, c’est contribuer à améliorer la productivité globale de la Nation et le bien-être général de la population en favorisant l’éducation des populations, en améliorant durablement leur santé et en élargissant leurs opportunités d’investir dans leur capital humain. Par ses effets positifs sur la réduction de la pauvreté et des inégalités, une politique efficace de protection sociale contribue également à réduire les sources de tension sociale et de conflit. Ce faisant, elle stimule l’environnement requis pour une accélération des investissements nécessaires à la relance rapide de l’économie, et assure une croissance plus favorable aux personnes pauvres et vulnérables. Fort de ce constat, la Côte d’Ivoire souhaite s’engager dans le développement progressif d’un système de protection sociale intégré répondant aux besoins, priorités et ressources du pays. Pour ce faire, le Gouvernement envisage la formulation d’une stratégie de protection sociale pour doter le pays d’un cadre global pour l’orientation des programmes, la formulation de mesures idoines et une mise en œuvre efficiente. Ce processus s’appuiera sur le travail d’analyse présenté dans ce rapport en deux volets, sous l’intitulé Cadre de développement de la stratégie nationale de protection sociale en Côte d’Ivoire, ainsi que sur d’autres analyses en cours de réalisation, notamment en ce qui concerne les mesures envisagées pour améliorer l’accès des populations aux soins de santé. La présente étude propose aux acteurs engagés dans ce processus un état des lieux de la situation actuelle en protection sociale, un examen des déficits, des perspectives de renforcement ainsi qu’une analyse comparée de différentes options de transferts sociaux monétaires pouvant contribuer à ériger un dispositif de protection sociale plus adéquat aux besoins des couches les plus pauvres de la population ivoirienne. Elle vise à aider au processus de prise de décision, notamment par la priorisation des choix stratégiques et opérationnels qui seraient les plus pertinents et efficaces. En s’engageant dans cette initiative, le Gouvernement et l’UNICEF ont l’intime conviction - qu’en dépit d’un espace sociétal fragilisé par des années de crise et d’un contexte économique et financier difficile - l’environnement en Côte d’Ivoire ouvre de réelles opportunités pour progressivement mettre en place un socle de protection sociale et assurer la solidarité nationale indispensable pour corriger les inégalités sociales, réduire la haute vulnérabilité des populations, consolider la paix sociale et garantir le succès de la relance économique. Gilbert Koné KAFANA Ministre d’Etat, Ministre de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité IX Hervé Ludovic De Lys Représentant Résident UNICEF Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Résumé exécutif Contexte et objectif de l’étude A la suite de presque trois décennies de chocs économiques et plus d’une décennie de crises politiques, la Côte d’Ivoire se trouve dans une situation sociale extrêmement précaire. Dès son investiture, le nouveau gouvernement a donné une forte priorité à la réduction de la vulnérabilité des populations. Depuis juin 2011, le Gouvernement de Côte d’Ivoire coordonne, à travers un Comité de Pilotage intersectoriel, un processus devant conduire à l’élaboration de la Stratégie Nationale de Protection Sociale. Cette étude prétend fournir des éléments de base pour l’élaboration de la Stratégie Nationale de Protection Sociale. Le présent rapport dresse le profil de la vulnérabilité en Côte d’Ivoire, évalue les mécanismes existants de protection sociale ainsi que leurs paramètres politiques, institutionnels et financiers, et analyse les perspectives de renforcement de la protection sociale. Cadre conceptuel L’étude est basée sur la notion que la protection sociale vise à réduire la vulnérabilité des populations aux risques et l’impact des chocs, à éviter l’emploi de stratégies d’adaptation néfastes et à garantir des niveaux minimums de dignité humaine. La protection sociale va ainsi au-delà d’une simple « protection » dans le sens passif du terme pour englober également la « prévention » des risques et la « promotion » des capacités des ménages et des individus les plus vulnérables à travers le renforcement de leur capital humain et productif. Profil de la vulnérabilité et des risques Les populations ont été frappées par une série de chocs, surtout économiques (depuis 30 ans) et politiques (depuis plus de 10 ans), et leur vulnérabilité économique a été fortement amplifiée, réduisant la capacité des ménages à gérer les risques. Non seulement l’incidence de pauvreté a presque quadruplé entre 1985 et 2008, passant de 10% en 1985 à 49% en 2008, mais la profondeur et la sévérité de pauvreté se sont aussi aggravées. Ce drame humain s’est accentué davantage suite à la crise postélectorale, qui a conduit à la paralysie de l’économie et au déplacement de centaines de milliers de personnes. Les pauvres sont beaucoup plus nombreux en milieu rural, dans les zones du nord et de l’ouest et dans le secteur agricole informel. Les ménages de plus grande taille et dont les chefs sont handicapés ou analphabètes ont aussi des probabilités plus élevées d’être pauvres. La plupart des risques sociaux affectent davantage les plus pauvres. Par exemple, le risque de mortalité infanto-juvénile est 1,5 fois plus élevé dans les deux premiers quintiles que dans le cinquième quintile (le plus riche). Les risques de malnutrition restent à des niveaux élevés dans les trois premiers quintiles, diminuant plus abruptement à partir du quatrième quintile. Les enfants les plus pauvres sont plus souvent malades que les enfants les plus riches et ont une probabilité beaucoup plus faible de recevoir un traitement approprié. Dans le cas du paludisme, qui constitue la première cause de mortalité infanto-juvénile, seulement 20% des enfants du premier quintile reçoivent des médicaments antipaludéens, environ la moitié de la proportion dans le cinquième quintile (41%). Moins de 30% des femmes du premier quintile accouchent dans des établissements sanitaires ou avec assistance qualifiée, tandis que ces taux dépassent 90% dans le cinquième quintile. Vu sous l’angle du cycle de la vie, les enfants sont particulièrement vulnérables. Leur fragilité physique, surtout pendant la petite enfance, menace la survie dans un contexte de pauvreté, de conditions de vie insalubres et de faible accès aux services sanitaires. Un enfant sur huit meurt avant l’âge de 5 ans et ce risque est plus élevé pour les enfants des ménages les plus pauvres, ainsi que pour ceux qui vivent en milieu rural et dans quelques régions du nord et de l’ouest. XI Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Pour les enfants d’âge scolaire, le risque de ne pas fréquenter l’école est majeur : environ 30% pour l’inscription à la première classe du primaire (CP1) et encore plus élevé pour les enfants du premier quintile. La vulnérabilité est accentuée chez les enfants qui vivent sans cadre familial protecteur. Il s’agit non seulement des enfants de la rue, des enfants dans les prisons et d’autres enfants vivant complètement hors d’un cadre familial, mais aussi des enfants (beaucoup plus nombreux) qui vivent dans un cadre familial mais qui sont exposés à de forts risques de maltraitance. Pour les jeunes, notamment en milieu urbain, le chômage est un des risques les plus importants, en plus de ceux du VIH/SIDA et d es infections sexuellement transmissibles. Les personnes âgées, bien que peu nombreuses, sont sujettes à des risques accrus de réduction de revenu, de maladies et de handicaps, et se trouvent souvent avec peu de soutien familial, voire même exposées à des abus et à la perte de leurs biens, notamment dans le cas des veuves dans les ethnies matrilinéaires. Les personnes qui vivent avec un handicap représentent un autre groupe parmi les plus vulnérables, souffrant de toute une série de discriminations, allant des barrières d’accès à l’enseignement et à l’emploi jusqu’aux contraintes à leur pleine participation dans la vie sociale et culturelle. Les maladies chroniques, telles que le SIDA et la tuberculose, rendent les ménages plus vulnérables, diminuant leur capacité productive et augmentant leurs besoins médicaux, mais la prévalence du VIH est paradoxalement plus élevée dans les quintiles plus aisés de la population, rendant la relation entre cette maladie et la vulnérabilité plus nuancée. Les relations de genre sont un autre facteur de vulnérabilité à ne pas ignorer. La subordination de la femme, la division traditionnelle du travail, les discriminations et le lourd fardeau du rôle reproductif de la femme mettent les femmes dans une situation globalement désavantageuse par rapport aux hommes et les rendent plus vulnérables à toute une série de risques : la non-scolarisation ou l’abandon scolaire, les discriminations dans l’emploi, l’excision, les violences conjugales, les abus sexuels et l’exploitation sexuelle. Les mariages et grossesses précoces amplifient les risques plus larges associés à la santé reproductive, y compris ceux de mortalité maternelle, qui restent élevés. Situation existante, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale Protection sociale informelle Les mécanismes informels apparaissent prédominants dans le système de protection, mais ne sont pas bien adaptés aux chocs à large échelle et semblent de plus en plus affaiblis par les migrations, les déplacements, l’urbanisation et la modernisation. Assurance sociale La protection sociale est largement limitée à sa branche contributive, c’est-à-dire à l’assurance sociale, mais celle-ci a une couverture très faible et un impact minime en matière de protection de la population générale contre les risques sociaux. A peine 6% de la population vit dans un ménage ayant au moins une personne bénéficiaire de pensions de retraite ou d’autres régimes d’assurance. Les deux caisses de sécurité sociale, la CGRAE et la CNPS, ne couvrent qu’une minorité de la population liée au secteur formel de l’économie. Qui plus est, elles sont en situation de déséquilibre financier, ce qui met en péril leur pérennité et requiert des réformes pour assurer leur survie. La CGRAE nécessite notamment des subventions coûteuses de la part du gouvernement. L’assurance maladie est limitée au secteur public (à travers la MUGEFCI et d’autres « mutuelles » paraétatiques) et aux plus grandes entreprises du secteur privé (à travers l’assurance privée ou leurs propres centres de santé). XII Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire L’expansion de l’assurance sociale sans système de subventionnement semble ne pas être une piste viable de renforcement de la protection sociale des plus vulnérables, compte tenu des contraintes de la faible capacité contributive des ménages pauvres et des difficultés administratives énormes de gestion de cotisations dans le secteur informel, où le prélèvement à la source est quasi impossible. Transferts sociaux Un rôle beaucoup plus important devrait être accordé à la protection sociale non contributive, qui est actuellement très peu développée. Les aides sociales aux indigents n’existent pratiquement plus et la Côte d’Ivoire n’a pas encore développé de programmes de transferts sociaux réguliers et à large échelle comme les allocations familiales, les pensions sociales de vieillesse ou les transferts en espèces pour ménages très pauvres. D’autres types de transferts (en nature) existent, tels que l’aide humanitaire (principalement alimentaire), des appuis aux OEV et, dans le secteur de l’éducation, les cantines scolaires, les bourses et les kits scolaires. Un programme de transferts en espèces à large échelle aurait des impacts importants sur la réduction de la pauvreté. Une analyse conduite en parallèle à cette étude (Tome 2, une première analyse du rôle, de l’impact, des coûts et de la faisabilité de diverses options de programmes de transferts sociaux monétaires) a montré que la mise en œuvre d’un programme de transferts ciblés au premier quintile de consommation de la population pourrait réduire l’écart de pauvreté de 22% pour les ménages bénéficiaires et de 16% au niveau de l’ensemble de la population, tout en stimulant des augmentations de la scolarisation et de l’utilisation des services de santé par les enfants dans les ménages les plus pauvres. L’analyse a souligné néanmoins quelques défis majeurs pour une éventuelle mise en œuvre : les difficultés de ciblage, le besoin de mobiliser des ressources importantes (1,8% du PIB), et la nécessité de renforcer les capacités du système de l’action sociale. Les travaux publics à haute intensité de main d’œuvre (HIMO) sont un autre type de transfert, conditionné sur le travail. La Côte d’Ivoire a des expériences à petite échelle de travaux publics à haute intensité de main d’œuvre. Deux institutions nationales sont impliquées dans des programmes de ce type, en partenariat avec les collectivités locales. Il s’agit de l’Agence d’Etudes et de Promotion de l’Emploi et de l’Agence de Gestion Routière, mais le nombre d’emplois créés reste très réduit par rapport à l’ampleur du chômage. L’analyse a mis en relief les impacts potentiellement importants d’un programme HIMO mis en œuvre à grande échelle, qui embaucherait près de 700 000 chômeurs âgés de 18 à 39 ans pendant cinq mois de l’année au niveau du SMIG. Sous les hypothèses retenues, ce programme aurait un impact fort sur l’écart de pauvreté au niveau des ménages bénéficiaires (‑23%) et un impact moyen sur l’écart de pauvreté au niveau de l’ensemble de la population (‑15%), en plus des impacts à long terme des travaux réalisés. Pour réduire les coûts d’un tel programme (2,7% du PIB) et les besoins en capacité administrative (de gestion d’un grand nombre de projets de travaux publics), l’étude a suggéré un programme moins ambitieux dans le court à moyen terme. Services d’action sociale Dans l’ensemble, ces services bénéficient à une frange limitée des nombreuses familles et individus vivant dans une situation à haut risque. Ces services sont très faibles pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles : la diversité des types de risques ; le grand nombre d’acteurs étatiques et non étatiques engagés (centres sociaux du ministère chargé des affaires sociales, services sociaux d’autres ministères et des collectivités locales, ONG et confessions religieuses) ; l’absence de cadre politique cohérent pour orienter et prioriser les actions ; le faible niveau de coordination inter et intra sectorielle ; l’insuffisance des ressources financières ; la dépendance à l’aide extérieure ; et les difficultés à assurer la pérennisation des programmes et projets. On trouve donc un grand nombre de petits projets éparpillés, mal coordonnés et limités dans le temps et dans l’espace. XIII Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Les services existants semblent largement orientés vers un nombre réduit de problèmes spécifiques en raison des incitations du financement extérieur. L’aide des partenaires techniques et financiers (PTF) est concentrée de manière déséquilibrée sur des programmes cloisonnés en faveur des OEV (dans le cadre d’un programme conçu de manière étroite et restrictive pour prendre en compte uniquement les enfants rendus vulnérables en raison du VIH/SIDA), sur le travail des enfants dans les plantations de cacao et de café, et sur les violences basées sur le genre (VBG). Il convient de repenser le système de l’action sociale, de le doter d’un cadre politique clair et de renforcer les capacités à la base afin qu’il puisse s’acquitter au mieux de son important mandat. Il est primordial de développer un cadre politique clair, au sein de la Stratégie Nationale de Protection Sociale, qui établisse sur la base des évidences du terrain (et des enquêtes nationales) des priorités nationales, tout en laissant une marge de manœuvre importante (appuyé par l’octroi de ressources) au niveau des directions régionales des affaires sociales et surtout aux Centres Sociaux pour répondre de manière flexible aux besoins locaux. Les Centres Sociaux devraient bénéficier de travailleurs sociaux mieux formés, d’une meilleure autonomie budgétaire ainsi que d’un plus grand pouvoir décisionnel. Leur répartition sur le territoire national devrait également être améliorée pour couvrir mieux le milieu rural et les régions (notamment dans le Nord) où les risques et les vulnérabilités sont les plus graves. Dès à présent, un important travail de renforcement du système d’accréditation, d’inspection et de référencement doit être entrepris, compte tenu du fait que nombre de structures d’action sociale (des orphelinats et des centres d’hébergement temporaire par exemple) ne répond pas aux normes nationales (et internationales) en vigueur. De nouvelles approches doivent être envisagées pour relever le défi de l’animation sociale et renouer le lien entre travailleurs sociaux et communautés. Afin de remplir leur mission d’animation communautaire, de détection et d’assistance aux plus vulnérables, les services sociaux doivent également s’engager dans des stratégies visant au changement des normes sociales (par exemple, pour la lutte contre l’excision, le travail des enfants, la dépossession des veuves dans les ethnies matrilinéaires, etc.), en utilisant des méthodes de communication et sensibilisation au niveau communautaire. Protection sociale dans le secteur de l’éducation L’accès à l’école est marqué par de fortes inégalités, surtout selon le niveau de richesse familiale. Le système éducatif ivoirien est l’un des moins équitables d’Afrique. Les disparités selon le niveau de richesse sont plus importantes que celles selon le lieu de résidence, ou le genre, bien que celles-ci soient aussi importantes. Le taux d’accès au primaire des enfants du premier quintile n’est que de 51%, par rapport à 89% pour les enfants du cinquième quintile et ces disparités augmentent selon la classe, malgré l’abolition des frais d’inscription depuis 2001 et d’autres initiatives comme les cantines scolaires et la distribution de kits scolaires. Les mesures de réduction des barrières financières à l’accès devraient jouer un rôle critique en complément des mesures d’amélioration de l’offre et de la qualité de l’enseignement. Des mesures de cette nature sont envisagées dans le Plan d’Actions à Moyen Terme du Secteur de l’Education 2012-2014, basées sur un ciblage géographique qui favorise les enfants dans les zones où les taux de pauvreté, de malnutrition et de non scolarisation sont les plus importants. Le ciblage géographique peut se justifier à court terme par un manque de ressources, mais à long terme une approche universelle semble plus cohérente avec le principe de l’accès gratuit et universel à l’enseignement et le fait que le facteur économique est plus déterminant que la région de résidence (on trouve des enfants vulnérables sur toute l’étendue du territoire même s’ils sont plus concentrés dans certaines zones). XIV Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire En premier lieu, il est nécessaire de rendre l’enseignement primaire effectivement gratuit. Ceci requiert des réformes dans les procédures d’exécution budgétaire pour mettre fin à la situation actuelle de décaissement tardif et incomplet des subventions aux COGES des écoles primaires, qui laisse les écoles privées de fonds de fonctionnement et les incite à continuer à imposer des cotisations informelles aux familles. Deuxièmement, les évidences de l’impact des cantines scolaires sur la scolarisation et la rétention des élèves justifient l’expansion de celles-ci. Il s’agit d’élargir éventuellement la couverture à toutes les écoles (la moitié des écoles primaires publiques sont actuellement impliquées), d’augmenter la prestation des repas pour couvrir tous les jours de l’année scolaire, et de supprimer le prélèvement de 25 FCFA par repas. Troisièmement, d’autres mesures, telle que la suppression des obstacles à la scolarisation liés à l’état civil, devraient jouer un rôle complémentaire. Il faut assurer que les directeurs des écoles appliquent la directive du Ministère de l’Education Nationale de ne plus faire obstacle à l’inscription des enfants au CP1 pour défaut d’extraits d’acte de naissance, tout en faisant les investissements nécessaires pour renforcer et rendre plus accessible le système d’état civil. Finalement, la restauration du port obligatoire de la tenue scolaire en septembre 2011 semble un pas rétrograde qui risque de renforcer les barrières d’accès pour les enfants les plus pauvres. Protection sociale et l’accès aux services de santé L’abandon de la gratuité des services sanitaires à la suite de la crise économique des années 80 a eu de graves retombées sur l’accès des populations aux soins. Le recouvrement des coûts s’est généralisé en 1994 dans tous les établissements publics de santé et est resté en vigueur jusqu’à la déclaration de la gratuité exceptionnelle des services sanitaires publics d’avril 2011 à la fin du conflit postélectoral. Quelques rares cas de gratuité, financés essentiellement par l’aide extérieure, avaient fait exception à la règle : les vaccinations lors des campagnes PEV, le traitement de la tuberculose, le traitement antirétroviral des malades du SIDA (depuis 2008) et la prise en charge médicale des OEV du fait du VIH/SIDA et de leurs familles. Il y a eu aussi un système d’exemptions des frais médicaux en faveur des indigents, mais limité dans la pratique à un nombre très réduit de patients dans les hôpitaux d’Abidjan. Le facteur coût, ainsi que la distance (en milieu rural) et la faible qualité des services font que les taux d’utilisation des services sanitaires publics sont parmi les plus faibles d’Afrique de l’Ouest. Les taux de traitement des maladies chez les enfants, notamment pour le paludisme, et les taux d’accouchement en établissements sanitaires sont particulièrement faibles dans le premier quintile. Le financement de la santé s’est reposé principalement sur les dépenses des ménages. Les Comptes Nationaux de la Santé montrent une répartition très régressive des dépenses de santé, où les ménages dépensent quatre fois plus que ne le fait l’Etat. Les dépenses publiques de santé sont parmi les plus faibles dans la région ouest africaine (0,9% du PIB en 2008) et sont affectées principalement au niveau tertiaire du système. La faiblesse du financement public, surtout au niveau primaire, limite énormément le potentiel rôle de l’Etat dans la redistribution des dépenses de santé des plus riches vers les plus pauvres. Le faible niveau de mutualisation des risques maladie fait que la quasi-totalité des dépenses de santé des ménages est effectuée directement au moment de la prestation de services. Moins de 4% de ces dépenses sont prépayées (à travers l’assurance maladie). Selon l’ENV 2008, 18% des ménages subissent des dépenses « catastrophiques » supérieures à 40% des dépenses non-alimentaires. La mise en place d’un système d’assurance maladie universelle (AMU), promulguée en 2001, n’a pas pu aboutir dans la pratique. La gratuité de tous les services sanitaires, décidée en avril 2011, a conduit à une forte augmentation de la demande que le système de santé a eu du mal à gérer en raison du manque de préparation préalable. Introduite à titre exceptionnel pour faire face à la situation XV Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire de précarité générale qui prévalait à la fin de la crise postélectorale, la gratuité généralisée était censée durer 45 jours mais a été prorogée jusqu’au mois de janvier 2012. Le personnel a été surchargé et les ruptures de médicaments se sont aggravées. La gratuité généralisée remet en cause ses propres gains en matière d’amélioration de l’accès des populations aux soins si des mesures d’accompagnement ne sont pas rapidement mises en place : le renforcement du financement du système, la résolution des problèmes d’approvisionnement des médicaments, et le renforcement des ressources humaines. Il est urgent d’adopter une politique cohérente et réaliste pour assurer l’accessibilité financière aux soins, surtout aux plus vulnérables : les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes. La première version du texte de la nouvelle Politique Nationale de Santé énonce comme une de ses priorités celle d’ « améliorer l’accessibilité financière et l’utilisation des services de santé » mais ne clarifie pas comment le faire. Le passage d’une exemption généralisée à une approche d’exemption ciblée du paiement des soins visant les parturientes et les enfants de moins de cinq ans devrait constituer une porte d’entrée à la reforme plus globale du système de santé pour progressivement tendre vers un système universel. La gratuité devrait s’intégrer à terme dans une stratégie de Couverture Maladie Universelle (CMU) plus large, qui inclue des modalités d’exemption ciblée, un paquet subventionné pour les pauvres, et un mécanisme d’assurance maladie contributif qui prend en compte les caractéristiques du pays, y compris le large secteur informel et la faible capacité contributive des personnes pauvres et vulnerables. Un tel contexte nécessite ainsi de fortes subventions étatiques, comme au Ghana, pour réduire les inégalités d’accès à l’assurance. Même si l’assurance est retenue comme une des composantes d’une stratégie de financement de la santé, elle devrait être accompagnée par la gratuité des services les plus critiques, notamment pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes en vue de réduire les taux élevés de mortalité infanto-juvénile et maternelle. Ces mesures de gratuité ciblée devraient être accompagnées par des mesures de renforcement du financement, de l’approvisionnement en médicaments et des ressources humaines pour assurer le bon fonctionnement du système. Il est de plus crucial de mener une réflexion technique conjointe entre les différents acteurs engagés et de s’accorder sur une feuille de route adaptée pour la formulation et la mise en œuvre de la stratégie de CMU intégrée, qui inclue les leçons initiales du premier modèle d’exemption ciblée. Cadre politique, institutionnel et financier pour le renforcement de la protection sociale La Stratégie de Relance du Développement et de Réduction de la Pauvreté (SRDRP), adoptée en 2009, a donné une place importante à la protection sociale, mais ses engagements sont restés vagues et sans financement adéquat. La stratégie a pris position pour « étendre la protection sociale à l’ensemble de la population, et singulièrement aux couches les plus vulnérables » (RCI, 2009a). Mais la nature vague de la plupart des engagements traduit le fait qu’il n’y avait pas de cadre politique cohérent de la protection sociale avec des priorités claires, liées à l’octroi des ressources à travers la planification budgétaire à moyen terme. C’est le besoin de relever ce défi qui justifie le processus actuellement en cours d’élaboration de la Stratégie Nationale de Protection Sociale. Le système de protection sociale est caractérisé par une faible coordination intersectorielle et interinstitutionnelle, une forte centralisation et la nature verticale des principaux programmes. Différents ministères, ainsi que les collectivités locales et de nombreuses ONG, interviennent dans le domaine de la protection sociale mais leur coordination demeure limitée, conduisant ainsi à des approches sectorielles et cloisonnées et engendrant des chevauchements dans les mandats et les activités des diverses structures de base. En outre, le processus de prise de décision dans le domaine de la protection sociale reste encore très centralisé, laissant peu d’autonomie aux structures de base. Toutes les décisions, que ce soit par rapport aux stratégies, plans d’actions, personnel, budget, ou même pour l’approbation de demandes de secours social, sont prises au niveau central. Faute de cadre politique et de moyens, les activités XVI Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire des structures de base sont en pratique largement influencées par les PTF à travers des programmes verticaux qui ne répondent pas toujours aux problèmes les plus prioritaires des populations. Il conviendra d’adopter une approche de programmation plus systémique et d’améliorer la coordination intersectorielle et interinstitutionnelle. L’adoption de la Stratégie Nationale de Protection Sociale devrait fournir le cadre nécessaire pour orienter les actions des divers intervenants de manière plus cohérente, harmonisée et efficace au niveau national. On devrait envisager l’établissement d’un cadre de concertation et de coordination, pour le suivi de la mise en œuvre de la Stratégie Nationale de Protection Sociale. Il est de plus souhaitable qu’une certaine stabilité institutionnelle soit assurée à l’avenir et que les mandats des différentes structures de base soient revisités en fonction des avantages comparatifs de chacune, pour éviter les chevauchements actuels. L’absence de système de gestion de l’information et de suivi-évaluation constitue actuellement un handicap dans l’élaboration et la gestion des politiques publiques et dans la gestion des bénéficiaires de l’action sociale. Le défi est celui de développer le système intégré de collecte et de gestion de données (SICGD) actuellement envisagé par le MEMEASS. Tout en commençant par les programmes directement sous l’égide du Ministère chargé des Affaires Sociales, ce système devrait s’élargir progressivement pour devenir un système de gestion multisectoriel. Ce système de gestion d’information devrait permettre la saisie et le suivi de données sur les bénéficiaires individuels des programmes et interventions, incluant par exemple les informations obtenues par les travailleurs sociaux lors d’enquêtes sociales, les informations sur leur inscription dans des programmes spécifiques (par exemple de transferts sociaux) et les informations sur les mesures complémentaires d’accompagnement. Il faudra renforcer la formation et améliorer la répartition géographique des ressources humaines. L’existence d’un grand nombre de travailleurs sociaux qualifiés constitue un atout du système de protection sociale, mais ceux-ci sont fortement concentrés à Abidjan et les programmes de formation souffrent de quelques faiblesses. L’INFS devrait renforcer ses formations initiales, former des cadres supérieurs et offrir des formations courtes de recyclage. Mise à part les subventions à la CGRAE et les bourses d’études, la protection sociale reçoit actuellement une part faible des dépenses publiques. Ces dépenses sont gonflées par les subventions effectuées par l’Etat à la CGRAE pour combler ses déficits. Ces subventions, qui peuvent difficilement être considérées comme de « véritables » dépenses de protection sociale (au profit des couches vulnérables de la population) représentent la moitié des dépenses courantes de protection sociale (hors personnel). En excluant ces subventions, ainsi que les bourses d’études, qui sont principalement au niveau de l’enseignement supérieur, l’ensemble des autres volets de la protection sociale n’ont reçu que 3,7% des dépenses courantes hors personnel en 2010. Par ailleurs, seulement 3,9% des dépenses programmées dans le cadre du Programme d’Investissements Publics 2010-2012 ont été attribuées aux projets de protection sociale. Bien que limité à court terme, l’ « espace budgétaire » potentiel pour une expansion des dépenses publiques de protection sociale devrait augmenter à partir de 2012. La relance de l’activité économique est déjà en cours et le FMI prévoit un rebond économique important en 2012. A long terme, l’espace budgétaire pour une expansion durable du financement de la protection sociale devrait venir de la croissance des recettes fiscales et de l’amélioration de l’efficacité des dépenses par rapport aux priorités politiques. Un fort accent sur la réduction de la vulnérabilité des populations devrait favoriser une augmentation de la part des dépenses de protection sociale en vue d’accroître le niveau de consommation des ménages, améliorer l’accès aux services sociaux et stimuler une croissance inclusive afin de réduire la pauvreté et accélérer le progrès vers les OMD. Même au sein des dépenses dites de protection sociale, il y a des opportunités pour atteindre une meilleure efficacité, notamment à travers la réaffectation des ressources actuellement consacrées au subventionnement de la CGRAE. XVII Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 1Introduction 1.1Contexte et objectif A la suite de presque trois décennies de chocs économiques et d’une décennie de crises politiques, la Côte d’Ivoire se trouve dans une situation sociale extrêmement précaire. Même avant la crise postélectorale de 2010-2011, l’incidence de la pauvreté avait augmenté, passant de 10% en 1985 à 49% en 2008 (MEMPD/INS, 2008). Ce drame humain s’est aggravé davantage en conséquence directe des évènements qui ont suivi les élections de 2010 et qui ont conduit à la paralysie de l’économie et au déplacement de centaines de milliers de personnes. Bien que la situation se soit stabilisée depuis l’investiture du nouveau gouvernement en mai 2011, permettant le retour progressif des populations déplacées à leurs lieux d’origine et une reprise graduelle des activités économiques, la Côte d’Ivoire doit faire face aux défis du retour à la croissance et du combat à long terme contre la pauvreté. Entretemps, une large partie de la population risque de se trouver piégée dans une situation de haute vulnérabilité chronique sans moyens à court terme de s’en sortir, compte tenu de l’affaiblissement des mécanismes traditionnels d’entraide informelle (et de leur insuffisance pour faire face à l’ampleur des chocs subis) et de l’absence de mécanismes efficaces de protection sociale. Au niveau international, la protection sociale est devenue de plus en plus en vue dans les politiques de développement, notamment dans les documents de stratégies de réduction de la pauvreté (DSRP) et dans la réponse à la triple crise alimentaire, énergétique et financière qui a frappé l’économie mondiale de 2008 à 2009. En avril 2009, le Système des Nations Unies a proposé un « socle de protection sociale » comme une des composantes de la réponse à la crise mondiale et a demandé à chaque pays de définir son propre socle pour sauvegarder les revenus des couches les plus vulnérables et pour assurer l’accès des populations aux services essentiels (ONU, 2009). L’Union Africaine a également pris position en adoptant le « Cadre de Politique Sociale Africaine » (UA, 2008) lors de sa conférence des Ministres chargés du développement social, tenue à Windhoek, Namibie, en octobre 2008. Cette politique, qui a été ratifiée par le Comité Exécutif des Chefs d’État réuni à Addis-Abeba en janvier 2009, note l’émergence d’un consensus sur l’idée d’un « ensemble minimum de protection sociale essentielle » et affirme que « la protection sociale doit constituer une obligation de l’État » avec des dispositions y afférentes dans la législation nationale, les plans de développement national et les DSRP. Plusieurs pays africains se sont dotés de stratégies ou politiques nationales de protection sociale. C’est le cas, par exemple, du Cap-Vert, du Ghana, du Mali, du Niger et du Sénégal en Afrique de l’Ouest. En outre, presque tous les DSRP en Afrique accordent une place importante à la protection sociale, parfois en y consacrant un de leurs « axes ». La Côte d’Ivoire n’est pas restée en marge de ce mouvement d’engagement en faveur du renforcement de la protection sociale, bien que les dispositifs actuels de protection sociale soient de portée très réduite. Dès son investiture, le nouveau gouvernement a donné une forte priorité à la réduction de la vulnérabilité des populations. Même avant la crise postélectorale, le Ministère du Plan et du Développement avait proposé, mi-2010, l’élaboration d’une stratégie nationale de protection sociale. Devant se baser sur une analyse approfondie des vulnérabilités et des risques, et d’une réflexion conjointe de tous les acteurs concernés sur les options de renforcement et d’expansion du système de protection sociale, la stratégie viserait le renforcement des capacités des couches les plus démunies de la population afin de leur permettre de sortir de leur situation fragilisée. A cette fin, le bureau de l’UNICEF en Côte d’Ivoire, dans le cadre de son programme de coopération avec le gouvernement de la Côte d’Ivoire, a contracté une équipe d’experts d’Oxford Policy Management (OPM) pour entreprendre les analyses préalables. 1 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 1.2Méthodologie et structure du rapport Prévus initialement en 2010, mais reportés en raison de la crise postélectorale, les travaux ont été reprogrammés pour se dérouler de juin à décembre 2011. L’équipe de consultants a entamé les premiers échanges avec les ministères du Gouvernement, l’UNICEF et d’autres acteurs en juin 2011, donnant lieu à un rapport de démarrage (OPM, 2011a). Le Ministère d’Etat, Ministère du Plan et du Développement a ensuite établi un Comité de Pilotage, comprenant des représentants de tous les ministères les plus concernés par la protection sociale, en août 2011, en vue d’orienter les travaux de la présente étude et les préparatifs de l’élaboration de la Stratégie Nationale de Protection Sociale. Un atelier de renforcement des connaissances a eu lieu à Abidjan les 24 et 25 août 2011 (MEMPD, 2011). Concernant la méthodologie retenue, les analyses ont porté sur le dispositif existant de protection sociale, les paramètres politiques, institutionnels et de financement de la protection sociale et les perspectives de renforcement de la protection sociale. Ces analyses constituent une étape préliminaire à l’étude de la faisabilité d’expansion de la protection sociale et des options de politique présentées dans la tome 2 de cette publication (Une première analyse du rôle et de l’impact, des coûts et de la faisabilité de diverses options de programmes de transferts sociaux monétaires). En effet, l’etude de la faisabilite d’expansion suppose une bonne connaissance des besoins prioritaires d’expansion, ce qui exige tout d’abord qu’un profil de la vulnérabilité et des risques en Côte d’Ivoire soit dressé. C’est à ce profil que le système de protection sociale est censé donner une réponse et il est donc crucial de commencer par l’analyse de ces besoins et ensuite d’évaluer le degré d’adéquation des mécanismes de protection sociale existants. Les conclusions de ces analyses de base permettent de cerner les faiblesses du système existant et ainsi d’identifier les options de politique les plus pertinentes pour son élargissement et son renforcement. L’analyse de la faisabilité d’expansion de la protection sociale requiert aussi l’analyse de l’existant, tout en évaluant les opportunités de renforcement des capacités. Cette analyse s’est penchée surtout sur le cadre politique, le niveau et la composition du financement de la protection sociale, l’architecture institutionnelle, les capacités administratives et les ressources humaines. L’équipe d’experts a employé des méthodes mixtes de recherche. L’étude a requis à la fois la revue documentaire, des entretiens avec les principaux acteurs concernés par la protection sociale et des analyses quantitatives et qualitatives. Les documents consultés se trouvent dans la bibliographie à la fin du rapport. Des entretiens ont eu lieu avec un grand nombre d’officiels des ministères et d’autres institutions étatiques, organisations de la société civile et partenaires techniques et financiers. La liste des personnes rencontrées se trouve dans l’Annexe A. Les analyses quantitatives sont basées principalement sur les rapports et les bases de données des enquêtes nationales auprès des ménages, notamment l’Enquête sur le Niveau de Vie des ménages (ENV) de 2008 et l’Enquête par Grappes à Indicateurs Multiples (MICS) de 2006, ainsi que les données administratives des ministères et les statistiques démographiques, économiques et de finances publiques. La structure du rapport. Après cette introduction, le Chapitre 2 présente un cadre conceptuel pour l’analyse de la protection sociale. Le Chapitre 3 analyse la nature et le degré de vulnérabilité de différentes couches de la population et les types de risques auxquels elles sont exposées. Le Chapitre 4 analyse le système actuel de protection sociale, afin d’évaluer son adéquation au profil de la vulnérabilité et des risques décrit dans le chapitre précédent. Le Chapitre 5 analyse les paramètres politiques, institutionnels et financiers de l’expansion de la protection sociale, mettant en exergue les contraintes actuelles et les besoins et opportunités de renforcement des capacités institutionnelles et des ressources financières. Le Chapitre 6 évalue les perspectives de renforcement de la protection sociale, sur la base des analyses des chapitres précédents, en vue d’orienter l’analyse des options de politique dans la deuxième phase des travaux. 2 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 2Cadre analytique : conceptualisation de la protection sociale Avant de passer en revue les enjeux de la protection sociale en Côte d’Ivoire dans les Chapitres suivants, il convient d’exposer tout d’abord ce que nous entendons par « protection sociale ». La première partie de ce chapitre présente les fondements conceptuels de la protection sociale, tandis que la deuxième partie anlyse de plus près les différentes composantes contributives et non contributives de la protection sociale. 2.1 Fondements conceptuels 2.1.1 Risque, vulnérabilité et capacité Les notions de risque, vulnérabilité et capacité sous-tendent l’idée de protection sociale. La protection sociale est généralement vue comme l’ensemble des mesures publiques ou à but non lucratif qui visent à réduire la vulnérabilité des populations aux risques et l’impact des chocs, éviter l’emploi de stratégies d’adaptation néfastes et garantir des niveaux minimums de dignité humaine. La notion de risque est de plus en plus comprise d’une manière ample, englobant toutes sortes de risques de nature économique, politique, sanitaire, socioculturelle ou environnementale qui est nuisible au bien-être et aux droits des individus (ODI et UNICEF, 2009a). Il est utile de distinguer deux grandes classes de risques : les risques idiosyncratiques, qui touchent des ménages ou des personnes individuellement (par exemple une maladie ou le chômage) ; et les risques covariants, tels que les chocs économiques, climatiques ou politiques qui affectent l’ensemble d’une communauté, d’une région ou d’un pays. La nature des risques détermine la pertinence des divers outils de la protection sociale (voir ci-dessous), appliqués individuellement ou en combinaison. Il est important également de prendre conscience que ces outils ne peuvent pas faire face seuls à certains types de risques, surtout ceux de nature covariante, qui requièrent aussi des actions à d’autres niveaux, par exemple une bonne gestion de l’économie, des mesures de protection environnementale ou des actions de prévention, gestion et résolution de conflits. Deux concepts connexes sont ceux de la vulnérabilité aux risques et de la capacité de gérer les risques. La notion de « groupes vulnérables », très répandue dans les conceptualisations de la protection sociale, tient son importance du fait que la vulnérabilité aux risques est accentuée chez certaines catégories de la population. En effet, les degrés de vulnérabilité varient selon la situation économique des ménages (niveau de revenus, épargne, biens, propriété foncière, bétail, etc.), la résidence (zones géographiques et milieux rural et urbain), le cycle de la vie (petite enfance, âge scolaire, adolescence, âge adulte et troisième âge), le genre, les handicaps et l’état de santé, les niveaux de connaissances ou d’instruction des individus et les relations sociales, notamment dans les sociétés marquées par des problèmes d’exclusion ou de discrimination sociales. Souvent ces facteurs de vulnérabilité se renforcent mutuellement, créant des handicaps doubles ou multiples. Il y a une relation inverse entre la vulnérabilité et la capacité à gérer les risques. Selon Rousseau (2003), cette relation peut se traduire par la formule suivante : vulnérabilité = risque capacité Un individu ou un ménage aura un niveau de vulnérabilité plus faible si, face aux mêmes risques, son stock de capacités lui permet de mieux résister aux chocs. En revanche, son niveau de vulnérabilité sera plus élevé si son stock de capacités est trop faible pour lui permettre de réaliser les ajustements nécessaires pour protéger son bien-être. 3 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 2.1.2 Pauvreté, vulnérabilité et capacités La relation entre pauvreté, vulnérabilité et capacités mérite une attention particulière. Le manque de ressources fait de sorte que le ménage pauvre est mal placé pour gérer les risques. Par exemple, il peut ne pas réussir à envoyer ses enfants au centre de santé en cas de maladie dû au fait qu’il n’a pas les moyens nécessaires pour payer les frais de consultation (ou de transport) ou d’acheter les médicaments, ou il peut être contraint à diminuer son capital productif afin de trouver les moyens de payer les soins. En cas de catastrophe naturelle ou choc économique, le ménage peut se trouver sans moyens suffisants (épargne, assurance, accès au crédit) pour gérer les conséquences du choc et se voir obligé de recourir à des stratégies d’adaptation qui lui sont néfastes à long terme, telles que la vente de biens productifs et le retrait des enfants de l’école, ce qui implique le désinvestissement en capital productif et capital humain. Le ménage devient ainsi encore moins productif et peut passer en dessous ou s’écarter davantage du seuil de pauvreté. Une autre caractéristique importante de la vulnérabilité économique est un état d’aversion au risque, qui peut bloquer les petits investissements nécessaires pour améliorer la productivité et le bien-être à long terme. 2.1.3La protection sociale vue sous l’angle de la « promotion » des capacités L’importance donnée aux capacités est à la base de la conceptualisation moderne de la protection sociale qui va au-delà d’une simple « protection » des groupes défavorisés, dans le sens passif ou réactif du terme, pour mettre un accent fort sur la « prévention » des risques (ou de la vulnérabilité aux risques) et surtout sur la notion de « promotion » des ménages ou des individus en situation de haute vulnérabilité à travers le renforcement de leurs capacités en capital humain et en capital productif, afin qu’ils puissent se prendre en charge et sortir de leur situation de pauvreté et de vulnérabilité sur une base durable. Quelques auteurs (par exemple, Devereux et Sabates-Wheeler, 2004) vont plus loin pour mettre en relief le potentiel « transformatif » de certaines mesures de protection sociale qui renforcent les capacités des pauvres et s’adressent aux contraintes structurelles de la discrimination et de l’exclusion sociale. Cette vision signifie que le renforcement de la protection sociale n’est pas seulement un impératif pour la protection des couches pauvres et vulnérables contre l’impact des chocs exogènes et pour éviter le passage des non pauvres en dessous du seuil de pauvreté. En permettant aux ménages défavorisés de cumuler des biens productifs, d’améliorer leur productivité, d’accéder aux services sociaux de base et d’investir dans leurs enfants, les politiques et programmes de protection sociale sont aussi des composantes essentielles de stratégies à long terme pour lutter contre la pauvreté chronique, stimuler la croissance économique et assurer l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). C’est dans cette perspective que l’Union Africaine a reconnu que « la protection sociale a des impacts positifs multiples sur les économies nationales et est essentielle pour créer le capital humain, rompre le cycle de pauvreté intergénérationnelle et réduire les inégalités croissantes qui handicapent le développement économique et social de l’Afrique » (UA, 2008). 2.1.4 La vision « promotionnelle » de la protection sociale des enfants Les enfants sont plus vulnérables que les adultes, et des actions de protection sociale qui ciblent les enfants ont des impacts à long terme sur le développement humain et la réduction de la pauvreté. La vulnérabilité accentuée chez l’enfant est une conséquence directe de son immaturité physique et psychosociale, surtout pendant la petite enfance, étape du cycle de la vie pendant laquelle les risques de non-survie sont particulièrement élevés dans les pays les moins développés. Les enjeux de la protection de l’enfant deviennent encore plus sérieux dans le cas des enfants qui vivent en dehors d’un cadre familial sain, exposés à des risques élevés de maltraitance, négligence et abus. Dans ces cas, des mesures de protection spécialisée sont souvent requises. De manière plus large, des mesures de protection sociale qui renforcent la capacité des ménages à assurer une nutrition adéquate, l’accès à l’eau potable, des conditions de logement et d’assainissement adéquates et l’accès aux services de santé et d’enseignement sont primordiales pour assurer la survie et le développement de l’enfant. 4 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire En outre, ces mesures peuvent être vues non seulement comme moyen de protéger les droits de l’enfant à court terme, mais aussi comme moyen d’assurer l’investissement des ménages dans les capacités de leurs enfants. Le développement du capital humain qui en résulte joue un rôle clé dans la rupture du cycle de la pauvreté chronique, contribuant ainsi à rompre la transmission intergénérationnelle de la pauvreté. A terme, c’est le capital humain et productif de toute la nation qui s’en trouve amélioré. 2.2Les instruments de la protection sociale Transversale par sa nature, la protection sociale moderne inclut une large gamme de mesures ou instruments (politiques, lois, programmes, transferts, services, etc.). Ces outils sont censés compléter les mécanismes traditionnels ou informels de protection sociale, basés sur les notions de solidarité et d’entraide, qui sont ancrés dans les cultures africaines mais qui s’affaiblissent dans l’évolution actuelle des sociétés africaines (urbanisation, économie capitaliste et mutations du mode de vie et des obligations familiales), ils sont jugés inadéquats pour faire face aux risques courants dans les sociétés modernes. Les frontières de la protection sociale sont floues, mais il convient d’inclure au moins les volets suivants, qui sont tous pertinents à la finalité de la protection sociale : l’assurance sociale, les transferts sociaux et les services sociaux d’appui aux groupes vulnérables, ces deux derniers constituant ce qu’on appelle souvent l’assistance sociale. 2.2.1 Assurance sociale L’assurance sociale, qui est de nature contributive, ne couvre qu’une petite minorité de la population dans le secteur formel dans la plupart des pays africains. Basée sur la notion de partage et de réduction de risques (de maladie, chômage, vieillesse, décès, accidents, etc.), elle est souvent liée à l’emploi dans le secteur formel, à travers le paiement de cotisations par les employés (sous forme de prélèvement à la source) et/ou par leurs employeurs, bien qu’elle puisse aussi (avec quelques difficultés pratiques) être élargie au secteur informel, notamment dans le cas de quelques systèmes nationaux d’assurance maladie. Dans la plupart des pays africains, l’assurance sociale se limite essentiellement aux régimes de sécurité sociale destinés aux employés de la fonction publique et aux entreprises privées et parapubliques du secteur formel de l’économie, qui, avec les personnes à leur charge, constituent rarement plus de 10 à 15% de la population (ODI et UNICEF, 2009a) - environ 10% dans le cas de la Côte d’Ivoire. L’écrasante majorité de la population et notamment ceux qui sont parmi les plus pauvres et vulnérables s’en trouvent exclus. Comme moyen alternatif d’étendre l’assurance, en particulier l’assurance maladie, à la population exerçant ses activités dans le secteur informel, des mutuelles sociales qui bénéficient d’un cadre règlementaire au niveau de l’UEMOA ont été établies sur une base communautaire ou professionnelle dans beaucoup de pays africains, mais elles ont rarement atteint une couverture de plus de 2 à 4% de la population, comme au Mali et au Sénégal (ODI et UNICEF, 2009b). Quelques gouvernements ont tenté d’établir des systèmes nationaux d’assurance maladie (étendue au secteur informel) en vue de faciliter l’accès de leurs populations aux soins de santé et de réduire les taux élevés de mortalité infanto-juvénile et maternelle (OMD 4 et 5). Toutefois, seuls deux pays en Afrique subsaharienne, le Rwanda et le Ghana, ont réussi à couvrir une grande partie de la population à travers de tels systèmes. D’autres pays africains, dont la Côte d’Ivoire (voir la section 4.7), ont tenté d’établir des systèmes d’assurance maladie universelle, mais avec moins de succès. 5 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 2.2.2 Transferts sociaux Cette branche non contributive de la protection sociale est constituée des transferts en espèces ou en nature en faveur de ménages, d’individus pauvres ou de groupes vulnérables spécifiques, comme dans le cas des pensions sociales de vieillesse et des allocations familiales pour enfants. Dans la plupart des pays d’Afrique francophone, ce volet de la protection sociale se limite à de petits programmes publics de secours ponctuels en espèces ou en nature en direction de personnes indigentes, ainsi que des programmes d’aide humanitaire, d’appui nutritionnel et de cantines scolaires, financés et/ou mis en œuvre principalement par des organisations internationales, des organisations non gouvernementales (ONG) ou des confessions religieuses. Ces programmes sont rarement conçus pour renforcer les capacités des populations vulnérables et pour réduire la pauvreté sur une base durable. Cependant, des programmes de transferts en espèces, sous forme d’allocations payées sur une base régulière, sont devenus un instrument important de lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité dans quelques pays africains. C’est le cas notamment des régimes non contributifs de pensions sociales de vieillesse établis dans des pays d’Afrique australe tels que l’Afrique du Sud, le Botswana, le Lesotho, l’Ile Maurice, la Namibie et le Swaziland (Devereux, 2007) ainsi que des programmes d’allocations familiales pour enfants, mis en place en Afrique du Sud (avec 8 millions d’enfants bénéficiaires) et en Namibie. Des programmes plus restreints de transferts ciblés aux ménages ultra-pauvres sont actuellement en phase d’expansion dans des pays comme le Ghana, le Kenya, le Malawi, le Mozambique et la Zambie. Par exemple, le programme LEAP (« Livelihood Empowerment Against Poverty ») au Ghana, lancé en 2008, bénéficie actuellement à 42 000 ménages ultra-pauvres et a pour objectif de couvrir à terme un ménage vivant au dessous du seuil de pauvreté extrême sur six.1 Dans beaucoup de pays d’Amérique Latine et d’Asie, de vastes programmes de « transferts sociaux conditionnels » ont été mis sur pied dans le but de renforcer le revenu des ménages pauvres, d’améliorer la nutrition et de promouvoir l’accès aux services sociaux de base (enseignement, services sanitaires, etc.) comme stratégie de renforcement du capital humain et de rupture du cycle de pauvreté (Samson et al., 2006 ; Grosh et al., 2008). Des transferts indirects aux ménages sont quelquefois mis sur pied sous forme de subventions au consommateur pour soutenir le pouvoir d’achat des populations, notamment en situations de chocs inflationnistes comme les hausses des prix internationaux des produits alimentaires et énergétiques de 2008 et 2009. Les subventions sont souvent critiquées pour leur coût budgétaire élevé et pour leur mauvais ciblage, dû au fait que souvent les subventions sont appliquées aux produits importés qui sont principalement consommés par les ménages les plus aisés. Les mesures de gratuité dans les secteurs sociaux peuvent aussi être vues comme des transferts indirects en faveur de ceux qui utilisent ces services. La gratuité dans les secteurs de la santé et de l’enseignement traduit un objectif de protection sociale dans le sens où elle vise à relever le défi des barrières financières d’accès aux services sociaux de base, surtout pour les plus pauvres. De nombreux gouvernements africains, y compris le gouvernement de la Côte d’Ivoire, ont aboli les frais scolaires au niveau de l’enseignement primaire, au moins partiellement, en vue de promouvoir les objectifs de l’éducation pour tous. Plusieurs pays ont introduit la gratuité pour les soins de santé, soit de manière générale comme en Ouganda et en Zambie, soit pour des services spécifiques (traitement du paludisme, traitement du VIH/SIDA, césariennes, etc.) ou pour des groupes spécifiques (par exemple, les enfants de moins de 5 ans ou les femmes enceintes). 1 Entretien avec le Directeur des Affaires Sociales au Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi et des Affaires Sociales, Accra, le 22 juin 2011. 6 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire En Côte d’Ivoire, les frais aux usagers dans les services publics de santé ont été abolis dès l’investiture du nouveau gouvernement en avril 2011, comme mesure de protection du droit d’accès des populations aux soins de santé. Cependant, le manque de planification de cette mesure radicale, introduite subitement comme mesure d’urgence post-crise, a créé quelques difficultés au niveau de l’offre des services, et a compromis son efficacité dans la pratique. Cette expérience souligne l’importance des mesures d’accompagnement (renforcement du financement, des ressources humaines et de l’approvisionnement en médicaments) pour faire face à la hausse de la demande déclenchée par n’importe quelle mesure d’allègement des barrières financières d’accès aux soins de santé (voir la section 4.7). Les travaux publics à haute intensité de main d’œuvre (HIMO) sont un autre type de transfert, conditionné sur le travail. Les programmes HIMO visent à permettre aux ménages pauvres ayant une capacité de travail de se prendre en charge, tout en contribuant à la formation des bénéficiaires et à la construction ou à l’entretien d’infrastructures. Dans les pays à faible revenu, ces programmes sont conçus principalement pour améliorer la sécurité alimentaire en milieu rural à travers la création d’emplois temporaires à large échelle pendant la période de soudure, bien que des variantes de ces types de programmes existent aussi en milieu urbain et donc moins liés au calendrier agricole. L’exemple le plus large d’un programme HIMO en Afrique est celui du Programme de Filets de Sécurité Productifs en Ethiopie (PSNP), qui effectue des transferts en espèces et en vivres à environ 8 millions de bénéficiaires pendant la période de soudure en contrepartie de leur participation à des projets locaux de construction ou d’entretien d’infrastructures ou de protection environnementale (Ellis et al, 2009). 2.2.3 Services d’action sociale Les services d’action sociale constituent la branche « non monétaire » de la protection sociale et englobent une large gamme de programmes de prévention et de réponse à des risques qui affectent des groupes vulnérables spécifiques. Incluant des campagnes de conscientisation, des actions d’appui psychosocial, des programmes de soutien aux familles et d’autres types d’intervention, ces programmes font face aux risques essentiellement de caractère social ou culturel (violence domestique, mariages précoces, enfants vivant dans la rue, etc.) et quelquefois économique (dans le cas de la traite et du travail des enfants, par exemple). En Afrique, ces programmes sont généralement de petite envergure, éparpillés, peu coordonnés et difficiles à pérenniser dû au fait qu’ils sont souvent financés sous forme de « projets » par les partenaires au développement et mis en œuvre par des ONG. 2.2.4 Cadre juridique Ces différents types de programmes, mécanismes et mesures de politique sont complémentés par le cadre juridique de protection, qui inclut souvent, à titre d’exemple, des lois et décrets protégeant les droits des enfants, des femmes, des personnes handicapées, des travailleurs et d’autres groupes sociaux. Dans la plupart des pays africains, ce cadre juridique existe déjà en grande partie (et est souvent renforcé par la ratification de conventions internationales dans les mêmes domaines). Cependant, la capacité administrative d’assurer la mise en œuvre de ces dispositions juridiques est souvent très faible. 2.2.5 Comment la protection sociale se distingue de l’action humanitaire Dans le contexte post-crise de la Côte d’Ivoire, où les secours d’urgence aux populations restent importants, la question de la relation de l’action humanitaire à la protection sociale requiert de brèves remarques. La distribution de vivres et d’autres biens aux populations déplacées, de retour ou autrement sinistrées peut être vue comme un type de « transferts » (en nature) et en fait être classifiée comme protection sociale dans le système international de « classification des fonctions des administrations publiques » (COFOG) utilisé dans les comptes des finances publiques et la comptabilité nationale. 7 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Cependant, en fonction de définitions plus strictes de la protection sociale qui mettent en exergue la nature soutenue des mesures de protection sociale dans l’optique de renforcement des capacités à long terme, l’action humanitaire est de nature très différente en raison de son caractère ponctuel et uniquement réactif. Il est néanmoins évident que quelques types d’assistance sociale, tels que la prestation d’appuis ponctuels aux indigents, dont s’occupent presque tous les ministères des affaires sociales en Afrique, et même les programmes HIMO, qui fournissent souvent des emplois sur une base très irrégulière, n’arrivent pas toujours à assurer à leurs bénéficiaires des appuis soutenus et réguliers dans une optique de « promotion » des capacités. Il existe clairement dans la pratique une zone grise de transition entre les secours de court terme et les approches plus promotionnelles et à long terme qui caractérisent l’idéal de la protection sociale moderne. 8 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 3Profil de la vulnérabilité et des risques en Côte d’Ivoire En accord avec le cadre analytique, ce chapitre commence (dans la section 3.1) par passer en revue les différents types de risques auxquels les populations ivoiriennes sont exposées, en distinguant entre les chocs de nature collective ou covariante (et notamment les crises économiques et politiques successives des dernières années qui ont fortement affecté l’ensemble de la population de la Côte d’Ivoire) et les multiples risques économiques, sanitaires et socioculturels aux niveaux des individus et des ménages. La section 3.2 dresse le profil de la vulnérabilité sous ses différentes dimensions (économique, spatiale, cycle de la vie, genre et capital humain) pour mieux comprendre le degré auquel les individus et les ménages sont exposés aux risques et sont capables de les gérer et d’atténuer leurs impacts. 3.1Les risques et chocs 3.1.1 Les grands chocs covariants Les populations de la Côte d’Ivoire ont été frappées par une série de chocs surtout économiques (depuis 30 ans) et politiques (depuis plus de 10 ans). En effet, après une phase de croissance rapide à la suite de l’indépendance (1960-1979), l’économie a connu une longue période de revers et de difficultés à partir des années 1980. Le taux moyen de croissance réelle du PIB, qui avait atteint 7,2% par an entre 1961 et 1980, a chuté à seulement 0,8% par an de 1981 à 1990, 2,7% par an de 1991 à 2000 et 1,1% par an de 2000 à 2010. Pendant les 30 dernières années, la croissance économique a été nettement moindre que la croissance de la population (environ 2,8% par an pendant cette période), conduisant ainsi à une baisse importante du PIB par tête. L’incidence de pauvreté monétaire a fortement augmenté, de 10,0% en 1985 à 36,8% en 1995 et 48,9% en 2008.2 La Figure 3.1 montre ces tendances négatives, ainsi que la chronologie des principaux chocs économiques et politiques du dernier quart de siècle. La réduction de la croissance et l’augmentation de la pauvreté ont été fortement liées à une série de chocs économiques et politiques : la flambée des prix pétroliers vers la fin des années 70 ; la baisse des prix des principales exportations du pays, le cacao et le café (notamment entre 1984 et 1992) ; la surévaluation du franc CFA qui a détérioré la compétitivité de l’économie et la situation financière de l’Etat (avant sa dévaluation en 1994) ; la crise de la dette ; et enfin les retombées économiques des crises politiques et des conflits. 2 Les chiffres sur la pauvreté cités ici sont ceux de l’Institut National de la Statistique (MEMPD/INS, 2008). Une analyse de la Banque Mondiale (2010b), qui a introduit des ajustements pour rendre les données des différentes enquêtes sur le niveau de vie des ménages plus comparables, est arrivée à des taux de pauvreté (incidence, écart et sévérité) différents de ceux de l’INS. Le rapport de la Banque Mondiale a néanmoins confirmé une forte augmentation de l’incidence de pauvreté, de 14% en 1985 à 40% en 2008. 9 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Figure 3.1Chocs économiques et politiques, croissance du PIB et incidence de pauvreté, 1985-2011 Sources :auteurs, sur base de données de la Banque Mondiale (World Development Indicators), du MEMPD/INS (2008) et du FMI (2011a). La Figure 3.1 suggère qu’il y a eu une première période de forte augmentation de la pauvreté entre 1985 et 1993, liée à la faible compétitivité de l’économie et à la détérioration des termes de l’échange. Pendant cette période, selon la Banque Mondiale (2010a), une augmentation de l’inégalité a renforcé l’impact sur la pauvreté de la réduction de la croissance, devenue négative en termes réels par tête. L’impact a été particulièrement sérieux chez les cultivateurs de cacao et de café, qui constituaient presque 40% des agriculteurs au milieu des années 80, et qui ont subi un accroissement de l’incidence de pauvreté d’environ 400% entre 1985 et 1993. Une seconde période, relativement courte, de redressement de l’économie a suivi la dévaluation de 1994, restaurant des taux élevés de croissance et réduisant légèrement la pauvreté. Cependant, le coup d’Etat de 1999 a plongé la Côte d’Ivoire dans une troisième période marquée par l’instabilité politique et les conflits, des taux de croissance faibles et un accroissement de la pauvreté. Le coup a ainsi conduit à une chute subite de la croissance en 2000 (-3,7%). Des taux négatifs de croissance réelle ont également suivi l’éclatement de la guerre civile en 2002 (-1.4 % en 2002 et -1.6 % en 2003). A partir de 2002, le pays est devenu coupé en deux, avec des effets particulièrement sérieux sur l’activité économique dans les zones Nord, Ouest et Centre, et le déplacement de centaines de milliers de personnes, principalement vers le Sud. Ce déplacement a concerné globalement 7% de la population, selon les donnés de l’ENV 2008. L’incidence de pauvreté a encore augmenté pour atteindre 48,9% en 2008. L’impact a été particulièrement grave dans le Nord, où l’incidence de pauvreté a presque doublé, passant de 40,3% à 77,3% entre 2002 et 2008. Malgré les accords de Ouagadougou, signés par les belligérants en 2005, la paix est restée fragile. Le retour au conflit armé à la suite des élections de 2010 a plongé le pays dans une crise sans précédent qui a duré jusqu’à la fin des combats en avril 2011. Cette nouvelle période de conflit a été accompagnée par des sanctions internationales, qui ont bloqué les exportations de cacao et de café, et provoqué encore une fois des déplacements massifs de population, cette fois-ci principalement d’Abidjan et de certaines régions de l’ouest du pays. Environ 500 000 personnes ont quitté leurs maisons pour trouver refuge dans des zones plus sûres (RCI et al, 2011). Le PIB 10 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire aurait chuté de 5,8% en 2011 selon les prévisions les plus récentes du FMI (2011a), malgré un certain redressement de la situation économique dans la deuxième moitié de l’année. Bien que des données sur le niveau de vie des ménages manquent depuis 2008, il est fort probable que les taux de pauvreté aient encore empirés suite à la crise de 2010-2011. Les populations ayant fui les combats ont subi des dommages énormes en raison des destructions, des pillages de biens et de moyens d’existence, notamment de facteurs de production, particulièrement dans l’ouest. En plus de ces grands chocs économiques et politiques, il y a d’autres types de chocs covariants de nature climatique. Les catastrophes naturelles (sécheresse, inondations, etc.) ont des impacts dévastateurs sur les conditions de vie des populations affectées. Ainsi la Côte d’Ivoire (et Abidjan en particulier) a subi des inondations suite à des pluies diluviennes en juin 2011 qui ont détruit plusieurs quartiers précaires et menacé plus de 27 646 personnes3, avec des risques sanitaires graves (choléra). 3.1.2 Les risques idiosyncratiques Au niveau de l’individu les risques sont multiples et souvent de grande étendue, amplifiés par les chocs globaux. Ces risques incluent la perte de revenu et des biens, les mauvaises récoltes, le chômage et le sous-emploi, la malnutrition, les maladies et la mortalité, la non scolarisation ou l’abandon scolaire, et les violences et abus. Les risques de baisse du niveau de vie et d’insécurité alimentaire Les dépenses moyennes annuelles par tête ont diminué de 25,7% entre 2002 et 2008, de 461 243 à 342 730 FCFA. Cette baisse a affecté tous les déciles (Figure 3.2). Signe éloquent de l’appauvrissement grandissant de la population, la part des dépenses de consommation consacrées à l’alimentation a augmenté en moyenne de 40,1% en 2002 à 47,8% en 2008, selon l’ENV. Par contre, les proportions des dépenses consacrées à la santé et à l’éducation ont diminué (de 6,0% à 3,7% pour l’éducation et de 6,8% à 5,8% pour la santé). Figure 3.2Dépenses moyennes par tête et par an selon les déciles de consommation (FCFA), 2002 et 2008 Source : ENV 2008 (MEMPD/INS, 2008). 3 Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, juin 2011. 11 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Ainsi la faible capacité d’achat est l’un des principaux déterminants de l’insécurité alimentaire des ménages. Pendant les périodes de crise, le comportement des marchés vivriers a influencé la capacité des ménages ivoiriens les plus vulnérables à assurer leur approvisionnement en produits alimentaires. Dans les zones arides de la savane, l’insécurité alimentaire est aussi saisonnière, s’aggravant pendant la période de soudure avant les récoltes et contribuant ainsi aux niveaux plus élevés de malnutrition dans ces zones (voir ci-dessous). En milieu rural, la réduction des revenus reflète la baisse des prix des produits de rente et les faibles niveaux de productivité, ainsi que les conséquences des conflits. A la suite de la crise postélectorale, une analyse de la sécurité alimentaire (RCI et al, 2011) a noté que la principale saison pluvieuse (avril à juin) a enregistré globalement une réduction des superficies vivrières emblavées dues aux déplacements des populations, aux problèmes d’insécurité et aux difficultés d’accès aux semences et autres intrants agricoles. Cette analyse a estimé à 387 744 le nombre de personnes en insécurité alimentaire modérée (265 975) ou en crise alimentaire aiguë (121 770). Les personnes en insécurité alimentaire aiguë sont largement concentrées dans les zones de l’ouest, zones sévèrement touchées par le conflit.4 Le conflit de 2010-2011 a également provoqué de sérieuses perturbations économiques en milieu urbain, aggravant le chômage et la pauvreté. Même avant ces évènements, le taux de chômage au niveau national était passé de 3%, selon le recensement de 1998, à 17,5%, selon l’ENV 2008, soit un taux d’accroissement exponentiel de 480%. Le taux de chômage en milieu urbain était cinq fois plus élevé qu’en milieu rural, et particulièrement élevé parmi les jeunes (voir la section 3.2). Cependant, il est intéressant de constater que globalement le taux de chômage est plus élevé parmi les non-pauvres (21,6%) que parmi les pauvres (12,7%). Ceci suggère que beaucoup de chômeurs vivent dans des ménages ayant d’autres membres employés ou autoemployés et que la pauvreté s’explique principalement par les hauts niveaux de sous-emploi et par le faible niveau de revenus de ceux qui sont effectivement au travail. Le risque de mortalité Les taux de mortalité restent élevés, notamment pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes en âge de procréer, malgré des tendances à la baisse qui restent loin d’être suffisantes pour atteindre les OMD 4 et 5. Le taux de mortalité infantile, c’est-à-dire la probabilité de mourir entre la naissance et le premier anniversaire, est passé de 112 à 84 décès par mille naissances vivantes entre 1998 et 2005, selon l’EIS de 2005, et la mortalité infanto-juvénile c’est-à-dire la probabilité de mourir avant l’âge de cinq ans a diminué pendant la même période de 174 à 125 (MLS et al, 2006). Cependant, l’UNICEF (2010) indique que sur une période plus longue, la mortalité infanto-juvénile a évolué assez lentement, passant de 152 à 119 décès par mille naissances vivantes entre 1990 et 2009. Bien que le taux de mortalité infanto-juvénile se situe légèrement en dessous de la moyenne d’Afrique subsaharienne (129 en 2009), la Côte d’Ivoire est loin des progrès accomplis par un pays voisin comme le Ghana (69 en 2009). La mortalité maternelle est également élevée. La Banque Mondiale a signalé que toutes les trois heures, on déplore deux décès maternels (Banque Mondiale, 2010b). Le taux de mortalité maternelle a été estimé par l’EIS de 2005 à 543 décès pour 100 000 naissances vivantes dans la période 1998-2005, soit un taux peu différent de celui estimé par l’EDSCI de 1994 qui se situait à 597 pour la période 1988-1994. Les risques sanitaires et de malnutrition Les risques sanitaires, intensifiés par la malnutrition et les mauvaises conditions de vie, soustendent les taux élevés de mortalité infanto-juvénile. Les décès chez les petits enfants sont dus essentiellement aux causes néonatales (prématurité, infections sévères, détresse respiratoire, 4 La phase d’insécurité alimentaire aiguë correspond à une insuffisance aiguë et critique de l’accès à l’alimentation assortie d’une malnutrition grave et inhabituelle et un épuisement accéléré des avoirs relatifs aux moyens d’existence (RCI et al, 2011). 12 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire tétanos), au paludisme, aux infections respiratoires aiguës (IRA), à la malnutrition et aux diarrhées. Chez les enfants de moins de cinq ans, le paludisme est de loin la première cause de consultations, d’hospitalisation et de mortalité (Banque Mondiale, 2010b). Malgré les risques élevés du paludisme, à peine 17% des enfants de moins de 5 ans dormaient sous des moustiquaires et seulement 3% sous des moustiquaires imprégnées, selon l’enquête MICS de 2006 (MEMPD/INS et UNICEF, 2007). Au cours des deux semaines ayant précédé cette enquête, 26% des enfants de moins de 5 ans avaient eu de la fièvre, 17% des cas de diarrhée et 5% des cas d’IRA. Encore plus inquiétant, les taux de traitement approprié étaient faibles : 26% pour le paludisme, 35% pour les IRA (19% ayant reçu des antibiotiques) et 33% pour les diarrhées (réhydratation par voie orale). Les risques de morbidité et de mortalité sont intensifiés par la malnutrition. En 2006, l’enquête MICS a estimé que 34% des enfants de moins de 5 ans souffraient de malnutrition chronique (retard de croissance), sous une forme sévère pour 15,7%. La malnutrition chronique est particulièrement importante dans certaines régions du Nord, de l’Ouest et du Centre, où des taux allant de 32% à 44% selon les régions ont été calculés lors de l’enquête SMART de 2010.5 L’enquête MICS de 2006 a également rapporté un taux national d’insuffisance pondérale de 20,2 % et un taux de malnutrition aiguë globale (MAG ou émaciation) de 6,7%. Les taux de MAG sont généralement plus élevés en période de sécheresse ou de soudure dans les zones de savane, bien que, dans les mots de la Banque Mondiale (2010b, p. 32), « le véritable problème de nutrition de cette zone reste toutefois la forte prévalence de la malnutrition chronique ». Les carences en micronutriments s’ajoutent aux problèmes de malnutrition protéino-énergétique, avec une forte proportion d’enfants anémiés (67,4% en 2007) ou souffrant de carences en vitamine A (26,9% en 2007) ou en iode. Une autre source importante de risque pour une large part de la population est la mauvaise qualité de l’eau et les conditions insalubres d’assainissement. Selon l’enquête MICS de 2006, environ 24% de la population n’utilise pas de sources d’eau améliorées6 et seulement 6% des ménages utilisent des méthodes de traitement de l’eau pour la rendre plus sure à boire. Et environ 43% de la population ne disposent pas d’installations sanitaires améliorées.7 Les risques de santé reproductive sont amplifiés par la fécondité précoce et à intervalles courts, la malnutrition maternelle et le faible accès aux services de santé maternelle. Les grossesses précoces, qui sont un facteur de risque pour la mère et l’enfant, sont fréquentes : selon l’EIS de 2005, 29% des femmes avaient eu un enfant avant l’âge de 18 ans. En outre, bien que la durée médiane de l’intervalle inter-génésique soit proche de 3 ans, 9% des naissances sont intervenues moins de 18 mois après la naissance précédente, et 21% moins de 24 mois après. Moins de 8% des femmes utilisent des méthodes modernes de contraception (MEMPD/ INS et UNICEF, 2007). En ce qui concerne l’utilisation des services de santé maternelle, l’enquête MICS de 2006 a trouvé que seulement 57% des accouchements sont assistés par personnel de santé qualifié. La Banque Mondiale (2010b) a montré que la mortalité maternelle est essentiellement due à des causes médicales directes (80% des cas) dont les hémorragies, les obstructions au cours du travail et les éclampsies. Cette situation traduit une insuffisance de la couverture en soins obstétricaux et une insuffisance dans la prévention et la prise en charge des cas de complications survenant au cours de la grossesse, de l’accouchement et du post-partum. L’état nutritionnel des femmes est un déterminant additionnel de la mortalité maternelle et néonatal. En 2007, 58% des femmes en âge de procréer étaient anémiées. La Côte d’Ivoire est le pays le plus touché par le VIH/SIDA en Afrique de l’Ouest, malgré le fait que le taux de séroprévalence n’est plus à son pic atteint en 2001. La maladie est une des principales causes de mortalité chez les adultes. L’ONUSIDA a estimé à 34 000 le nombre de décès 5 6 7 Cette enquête a été réalisée en juillet 2010 dans 8 régions du Nord, de l’Ouest et du Centre, ainsi que dans cinq communes d’Abidjan. Les taux de malnutrition chronique les plus élevés ont été trouvés dans les régions de Worodougou (41%) et Montagnes (44%) (MSHP et al, 2010). L’enquête MICS de 2006 a défini comme sources d’approvisionnement en eau potable améliorées les sources suivantes : l’eau courante (dans les habitations, les cours ou les parcelles) ; les fontaines publiques ou bornes fontaines ; les puits à pompe ou forages ; les puits protégés ; l’eau de source protégée ; et l’eau de pluie recueillie. L’enquête MICS de 2006 a défini comme installations sanitaires améliorées : les WC à chasse d’eau reliés au réseau d’assainissement ; les fosses septiques ou les latrines ; les latrines améliorées aérées et les latrines à dalles ; et les WC à compostage. 13 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire liés au SIDA en 2008 (CNLS, 2011). La tuberculose constitue la principale infection opportuniste (36%) et la première cause de décès (32%) chez les personnes vivant avec le VIH/SIDA (PVVIH). Les femmes se révèlent plus vulnérables que les hommes, et une transmission du VIH des mères aux enfants peut avoir lieu au cours de la grossesse. En 2008, l’ONUSIDA estimait à 50 000 le nombre d’enfants de 0 à 14 ans séropositifs. Toutefois, la prévalence du VIH chez les femmes enceintes en milieu urbain a diminué de 10,6% en 2001 à 5,6% en 2008. Cette même année, la prévalence était de 3,0% chez les femmes enceintes en milieu rural et de 4,5% au niveau national. L’EIS de 2005 a révélé des taux élevés de rapports sexuels à haut risque (33% chez les femmes et 58% chez les hommes) et des niveaux faibles de dépistage. Seules 14% des femmes enceintes avaient effectué un test du VIH dans le cadre des visites prénatales. Les travailleuses du sexe sont parmi les plus vulnérables avec un taux de prévalence estimé à 27% en 2007-2009 (CNLS, 2011). La pauvreté croissante a contribué au développement de l’épidémie, qui à son tour a des impacts négatifs sur l’économie. Les risques scolaires La non-scolarisation ou l’abandon scolaire sont des risques sérieux pour les enfants, avec des conséquences néfastes à long terme. Le faible niveau d’accès au CP1 (70% de la classe d’âge y a effectivement accès), montré par l’enquête MICS de 2006, signifie que 30% des enfants ne vont jamais à l’école. En outre, il y a une forte déperdition tout au long de l’enseignement primaire, qui aboutit à un taux d’accès en dernière année (CM2) qui se situe à seulement 46%. Autrement dit, parmi les enfants qui ont accès au primaire, un sur trois n’atteint pas la fin du cycle. Au total, plus d’un enfant sur deux n’est donc pas en mesure de bénéficier d’un enseignement primaire complet et sera probablement analphabète à l’âge adulte. Entre la dernière classe du primaire (CM2) et la classe de sixième, une nouvelle sélection s’opère puisque seulement 34% ont accès au secondaire. Au niveau de l’ensemble du secondaire, on observe un phénomène assez intense de déperdition à l’intérieur de chacun des deux cycles (entre 2 et 3 points de pourcentage chaque année), indiquant une faiblesse de l’efficacité interne. La probabilité d’accès en terminale n’est que de 14%. Les risques de violences, d’abus et d’exploitation Ces risques, amplifiés dans quelques cas par les conflits et les chocs économiques, sont très répandus dans la société ivoirienne. Il s’agit notamment des risques de violence (violences liés aux conflits, violences sexuelles et conjugales, viols, etc.), de maltraitance et d’abus des enfants (punitions physiques, négligence, excision, mariage précoce, traite), d’abus des personnes âgées et des veuves, et de travail des enfants. Les violences liées à la crise ont affecté 11% de la population selon l’ENV de 2008, chiffre qui aurait augmenté lors des conflits déclenchés par la crise postélectorale. Ces victimes de violences, selon l’ENV, ont subi des troubles psychologiques (45,5%), des vols (41,9%), des viols (21,9%) et des coups et blessures (13,7%), parmi d’autres agressions. Concernant les risques de violences faites aux femmes, la MICS de 2006 a trouvé que près de deux femmes sur trois pensent qu’un mari a le droit de frapper ou de battre son épouse ou partenaire pour diverses raisons, telles que la négligence des enfants (50%), le fait de sortir sans prévenir le mari/partenaire (42%), le fait de tenir tête dans une discussion (42%), le fait de brûler la nourriture (36%) ou le refus des rapports sexuels (30%). La proportion de femmes exprimant ces opinions est plus élevée en milieu rural (72%) qu’en milieu urbain (57% en général et 44% à Abidjan) et dans quelques régions, notamment le Nord-Ouest (94%) et le Nord-Est (86%). Le mariage précoce, qui affecte surtout les jeunes filles, conduisant souvent à l’abandon scolaire et à une fécondité précoce et à haut risque, reste toujours important en Côte d’Ivoire, même si l’âge de première union semble avoir graduellement augmenté. Selon l’EIS de 2005, 8,2 % des femmes âgées de 20 à 24 ans étaient déjà en union avant l’âge de 15 ans, par rapport à 14,9% des femmes âgées de 25 à 29 ans et 17,5% de celles âgées de 40 à 49 ans. 14 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Les abus à l’encontre des personnes âgées, allant des accusations de sorcellerie aux violences et aux expulsions du foyer, semblent en voie de s’aggraver en raison des pressions économiques sur les ménages et l’affaiblissement des valeurs traditionnelles de solidarité intergénérationnelle au sein de la famille. Dans le cas des veuves, celles-ci sont exposées au risque additionnel de spoliation de leurs biens après la mort de leur mari, notamment dans les ethnies de caractère matrilinéaire, où les biens du défunt sont confisqués par la belle-famille (Soko, 2010). Selon l’EIS de 2005, 74% des veuves se déclarent avoir été dépossédées de leurs biens (MLS et al, 2006). S’agissant des risques de maltraitance ou abus des enfants, l’enquête MICS de 2006 a révélé que 90% des enfants âgés de 2 à 14 ans ont subi au moins une forme de punition psychologique ou physique, et 21% ont fait l’objet de corrections physiques sévères. Selon la même source, la pratique de l’excision, qui expose les filles et les femmes à des risques graves pour leur santé et leur bien-être, est très répandue, tout en étant en voie de réduction graduelle et montrant des variations assez importantes selon les régions (et leurs respectives traditions culturelles). Dans l’ensemble, 36,4% des femmes âgées de 15 à 49 ans ont subi une forme d’excision, et pour 5,4% sous une forme extrême, l’infibulation, qui est pratiquée essentiellement dans le Nord-Est (41,9%). C’est dans les régions du Nord, du Nord-Ouest, de l’Ouest, du CentreNord et du Nord-Est que l’excision, sous une de ces formes, est la plus répandue avec des taux de prévalence allant jusqu’à 73% dans l’Ouest et 88% dans le Nord et le Nord-Ouest. L’excision est plus fréquente parmi les femmes sans instruction et les ménages pauvres. La désagrégation des taux d’excision par groupes d’âges (allant de 28% pour les femmes de 15 à 19 ans jusqu’à 44% pour celles de 35 à 39 ans) laisse à croire que la pratique est en cours de réduction à long terme, même si elle est toujours approuvée par une proportion importante de femmes, surtout dans les régions où elle est la plus profondément ancrée. La pauvreté grandissante pousse les ménages à recourir au travail des enfants, au détriment de leur développement (la scolarisation et la réussite en classe) et dans les pires cas au risque de leur santé. La MICS de 2006 a trouvé que, dans l’ensemble, 35,3% des enfants âgées de 5 à 14 ans travaillent.8 Il s’agit principalement d’enfants qui travaillent dans des « entreprises familiales » (30,5%), c’est-à-dire dans l’agriculture familiale, de petits commerces et d’autres activités productives au sein de la famille. Même si l’enrôlement des enfants dans les groupes armés est en diminution depuis la fin de la crise, le risque demeure, tant qu’il n’y a pas de stabilité durable dans certaines parties du territoire, notamment dans l’Ouest. 3.2Les sources de vulnérabilité Un individu sera vulnérable s’il est exposé à des risques et ne dispose pas de capacités suffisantes pour les amortir et atténuer leurs impacts néfastes. La nature et le degré de vulnérabilité peuvent varier selon plusieurs dimensions, parmi lesquels la situation économique des ménages, le lieu de résidence, l’âge, le genre (sur base de certaines croyances et pratiques culturelles) et le capital humain. 3.2.1 Vulnérabilité économique Comme il a déjà été noté, le niveau de vie a fortement baissé (dans tous les déciles de dépenses) et les taux de pauvreté ont énormément augmenté au cours du dernier quart de siècle, réduisant la capacité des ménages à gérer les risques. Non seulement l’incidence de pauvreté (P0) a presque quadruplé entre 1985 et 2008, mais la profondeur et la sévérité de pauvreté se sont également aggravées.9 L’écart de pauvreté (P1) est ainsi passé de 12,9% en 2002 à 18,2% 8 9 La MICS a utilisé la définition suivante d’enfant travailleur, selon l’âge : l’enfant âgé de 5 à 11 ans qui a effectué au moins une heure de travail rémunéré ou 28 heures de corvées ménagères par semaine ; et l’enfant âgé de 12 à 14 ans qui a effectué au moins 14 heures de travail rémunéré ou 28 heures de travail domestique par semaine. Il faut indiquer que le seuil de pauvreté utilisé en Côte d’Ivoire est constant en termes réels et est égal au seuil de 75 000 FCFA par an et par tête établi lors de la première enquête auprès des ménages (EPAM 85) pour la période de février 1985 à janvier 1986. Ce seuil était relatif et correspondait au revenu maximum des 10% les plus pauvres de la population de l’époque. Il a été actualisé chaque année d’enquête en fonction du taux d’inflation. Ainsi, le seuil de pauvreté à la date de l’ENV de 2008 était de 241 145 FCFA par an et par tête, ce qui correspondait à une dépense journalière de 661 FCFA par personne. La Banque Mondiale a apporté quelques critiques par rapport à la comparabilité des indices de pauvreté et a introduit des ajustements qui ont légèrement changé les taux de pauvreté (Banque Mondiale, 2010a). 15 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire en 2008, ce qui signifie que les pauvres se sont davantage éloignés du seuil de pauvreté et qu’une augmentation plus importante de leur niveau moyen de consommation est aujourd’hui requise pour leur permettre de sortir de la pauvreté. Malgré une réduction de l’inégalité entre 2002 et 2008, le coefficient de Gini passant de 0,50 à 0,44, la structure des dépenses de consommation reste très inégalitaire. La part des 10% les plus pauvres (premier décile) dans la consommation totale ne constituait que 2,2% en 2008, alors celle des 10% les plus riches représentait 32,8%. Cependant, cette inégalité est essentiellement au « sommet » de la courbe de distribution des dépenses de consommation, comme il apparaît clairement dans la Figure 3.2 (p. 11). Sur les premiers six ou sept déciles de consommation, la courbe est relativement plate. La différence inter-décile du niveau moyen de dépenses de consommation par décile est seulement 3 540 FCFA par mois et par tête entre les premier et septième déciles. Il y a peu de différence entre le niveau de vie des ménages des quatrième et cinquième déciles, qui sont pauvres, et celui des ménages des 6ème et 7ème déciles, qui sont non-pauvres. Ces derniers demeurent proches du seuil de pauvreté et restent ainsi à haut risque de tomber en-dessous de ce seuil en cas de chocs. (MEMPD/INS, 2008) Qui sont les pauvres ? La faible différence de niveau de vie entre pauvres et non-pauvres modérés rend assez difficile l’identification des caractéristiques qui discriminent clairement les pauvres, ce qui risque de rendre très inexact n’importe quel moyen de ciblage économique des ménages. Cependant, quelques caractéristiques augmentent la probabilité qu’un ménage soit pauvre : la résidence en milieu rural et dans certaines régions, notamment dans les zones Nord et Ouest ; l’occupation dans le secteur agricole informel ; la grande taille des ménages et les rapports de dépendance élevées ; et le fait que le chef de ménage soit femme, handicapé ou analphabète. Selon l’ENV de 2008, la taille moyenne des ménages pauvres (6,0 personnes) est largement supérieure à celles de l’ensemble des ménages (4,7 personnes). Le ratio de dépendance démographique (nombre d’enfants de moins de 15 ans et de personnes âgées de 60 ans et plus pour 100 personnes en âge de travailler) est de 105 chez les ménages pauvres, par rapport à 61 chez les ménages non pauvres. La plupart de la population pauvre d’âge actif exerce dans le secteur agricole. Selon l’ENV de 2008, 46% des personnes pauvres âgées de 15 ans et plus sont occupées dans le secteur agricole, comme agriculteurs à l’exportation (12,2%), agriculteurs vivriers et éleveurs (15,1%) ou ouvriers et manœuvres agricoles (18,8%). Environ 15% travaillent dans le secteur informel, tandis que 9% sont chômeurs et 18% sont inactifs (ménagères, élèves, étudiants, retraités, etc.). Près de 65% des personnes exerçant dans l’agriculture informelle sont pauvres, par rapport à 49% pour l’ensemble de la population. Compte tenu du fait que plus de la moitié de la population active exerce dans l’agriculture, les faiblesses des revenus dans ce secteur de l’économie expliquent en bonne partie l’importance de la pauvreté en Côte d’Ivoire. Selon la Banque Mondiale (2010b), la pauvreté a augmenté de 10 points de pourcentage parmi les agriculteurs entre 2002 et 2008 en raison d’une confluence de facteurs, parmi lesquels la chute des prix du cacao et du café et les impacts du conflit. De plus, la productivité agricole est faible (avec un taux moyen d’efficience de seulement 50% en 2008), en raison de niveaux faibles d’utilisation d’intrants agricoles (engrais et pesticides), de difficultés d’accès aux marchés et de contraintes de liquidité (difficultés d’accès au crédit).10 Cette analyse de la Banque Mondiale donne peu d’importance à la question foncière, mais pour d’autres auteurs (par exemple, Aka, 2007) la propriété foncière est essentielle dans la perception de revenus en milieu rural et constitue l’une des principales sources des conflits sociopolitiques des dernières années.11 10 En ce qui concerne l’accès au crédit, non seulement le niveau global de sollicitation de crédit est extrêmement faible (seulement 11% de la population totale et 9% des pauvres en 2008), mais encore l’écrasante majorité des crédits sont accordés par des individus (73% des crédits en 2008,et 81% dans le cas des pauvres), selon l’ENV 2008. En effet, le secteur du crédit formel est très peu développé, les banques fournissant à peine 7% des crédits et les institutions de micro-finance seulement 3% (et encore moins en milieu rural : 1,5% contre 3,4% en milieu urbain). 11 L’accès à la propriété foncière est régi par la loi, mais cette loi coexiste avec des règles socioculturelles et coutumières très variées selon les régions, biaisant l’accès à la terre entre hommes et femmes dans plusieurs régions (MEMPD/INS, 2008). 16 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Les risques sociaux sont fortement corrélés au niveau de vie économique des ménages. Le faible accès aux services sanitaires, aux sources d’eau améliorées et aux installations d’assainissement sont parmi les facteurs clef des taux élevés de mortalité, notamment chez les enfants. Or les disparités dans ces domaines sont frappantes entre les pauvres et les non pauvres (Tableau 3.1). D’après l’ENV de 2008, le taux de pauvreté était de 51% parmi ceux qui n’avaient pas consulté pendant les quatre semaines précédant l’enquête, par rapport à 37% pour ceux qui avaient eu au moins une consultation médicale. Tandis que ceux qui avaient consulté un médecin ou un pharmacien avaient des taux de pauvreté de 25% et 16% respectivement et ce taux était de 52% pour ceux ayant consulté un guérisseur traditionnel (MEMPD/INS, 2008). Bien que les pauvres soient plus exposés aux maladies, ils consacrent une proportion moindre de leurs dépenses à la santé (5,1%) par rapport aux non pauvres (6,4%). De plus, les dépenses de santé ont globalement diminué de 6,8% en 2002 à 5,8% en 2008. Des tendances similaires sont à signaler pour les dépenses d’éducation, qui ont diminué de 6,0% à 3,7% des dépenses totales des ménages pendant cette période, avec des taux plus faibles pour les ménages pauvres (3,6 % par rapport à 6,4% pour les non pauvres en 2008). Par rapport à l’assainissement, le taux de pauvreté est seulement de 10,8% chez les personnes disposant d’un WC avec chasse d’eau, mais monte à 44,8% chez celles ayant des latrines à fosse et à 67,9% chez celles ne disposant pas de toilette. En ce qui concerne l’eau, le taux de pauvreté augmente de 23,4% pour les personnes disposant d’un robinet privé à 67,6% pour celles s’approvisionnant de l’eau de surface. Tableau 3.1Taux de pauvreté (%) selon les sources d’eau, les types d’assainissement et les types de consultations médicales, 2008 Mode d’approvisionnement en eau Type de toilette Robinet privé 23,4 Chasse d’eau 10,8 Robinet commun 25,0 Latrine à fosse 44,8 Pas de toilette 67,9 Hydraulique Villageoise Améliorée (HVA) 64,7 Pompe publique 66,5 Puits 59,0 Types de consultations médicales Eau de surface 67,6 Médecin 25,1 Revendeur d’eau 30,3 Pharmacien 16,4 Autres 65,6 Guérisseur 52,0 Source : ENV 2008 (MEMPD/INS, 2008). Une analyse plus approfondie de l’importance du facteur économique par rapport aux risques sociaux peut se faire à partir des données de la MICS de 2006. Cependant, compte tenu du fait que cette enquête n’a pas de données sur les dépenses de consommation (et ainsi sur les indices de pauvreté monétaire), l’analyse doit se faire par rapport aux quintiles de bien-être économique des ménages12. On remarque de grandes différences entre les quintiles par rapport à presque tous les domaines des risques sociaux (Tableau 3.2). Par exemple : • Le risque de mortalité infanto-juvénile est 1,5 fois plus élevé dans les deux premiers quintiles (les plus pauvres) que dans le cinquième quintile. • Les risques de malnutrition restent à des niveaux élevés dans les trois premiers quintiles, diminuant plus abruptement à partir du quatrième quintile. La malnutrition chronique est 2 fois plus élevée dans le premier quintile que dans le cinquième quintile, et l’insuffisance pondérale 2,7 fois plus élevée (et 4,6 fois plus élevée dans sa forme sévère). 12 Ces quintiles sont établis à partir de scores de richesse selon un indice constitué de plusieurs composantes pondérées relatives aux biens et aux conditions d’habitation des ménages (MEMPD/INS et UNICEF, 2007, p. 29). 17 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire • Les enfants du premier quintile ont un risque 10 fois plus élevé que ceux du cinquième quintile de ne recevoir aucune vaccination. • L es enfants les plus pauvres sont plus souvent malades que les enfants les plus riches et ont une probabilité beaucoup plus faible de recevoir un traitement approprié. Dans le cas du paludisme, la première cause de mortalité infanto-juvénile, seulement 20% des enfants du premier quintile reçoivent des médicaments antipaludéens dans les 24 heures suivant les symptômes, environ la moitié de la proportion du cinquième quintile (41%). Tableau 3.2Risques sociaux par quintile de bien-être économique, 2006 Q1 Q2 Q3 Risque de mortalité (décès pour 1000 naissances vivantes) Taux de mortalité infanto-juvénile Q4 Q5 Rapport Q1/Q5 150 146 121 111 100 1,50 93 101 89 58 79 1,18 41,9 39,6 34,6 26,3 21,1 1,99 8,0 7,3 8,4 5,3 4,8 1,67 26,0 23,6 22,9 14,2 9,5 2,74 Enfants de 12 à 23 mois sans aucune vaccination 9,6 9,9 4,2 2,6 0,9 10,67 Enfants < 5 ans avec symptômes d’IRA 7,5 5,4 4,4 3,8 2,9 2,59 Traitement d’enfants < 5 ans avec symptômes IRA 20,5 31,5 40,6 49,3 71,4 0,29 Enfants < 5 ans ayant de la fièvre 30,0 29,7 25,5 21,3 20,7 1,45 Traitement antipaludéen (enfants < 5 ans fiévreux) 19,8 20,7 31,3 27,1 41,1 0,48 Taux de mortalité infantile Risque de malnutrition (enfants < 5 ans,% en dessous de –2 ET) Retard de croissance (taille pour âge) Emaciation (poids pour taille) Insuffisance pondérale (poids pour âge) Risques sanitaires (%) Utilisation des moyens modernes de contraception 3,0 5,2 5,7 9,6 18,3 0,16 Accouchement dans une formation sanitaire 25,6 37,5 53,8 76,1 92,9 0,28 Accouchement assisté par personnel qualifié 28,5 40,3 58,7 78,9 94,6 0,30 2,7 3,6 5,5 5,2 5,9 4,7 Accès à des sources d’eau améliorées 51,0 64,4 74,9 91,3 98,2 0,52 Utilisation d’installations sanitaires appropriées 18,0 32,1 61,7 83,0 90,5 0,20 Taux net de scolarisation primaire 35,4 49,8 54,9 64,4 80,5 0,44 Taux d’alphabétisation des femmes de 15 à 24 ans 0,48 0,44 0,76 0,67 0,67 0,72 Femmes de 15 à 49 ans ayant subi l’excision 55,2 34,4 37,0 37,5 23,4 2,36 Enfants de 5 à 14 ans qui travaillent 52,1 43,9 38,7 21,7 13,7 3,80 Enfants < 5 ans enregistrés à l’Etat civil 28,7 40,7 56,1 77,4 88,5 0,32 Prévalence du VIH (population de 15 à 49 ans) Risques scolaires (%) Autres risques (%) Sources : MICS 2006 (MEMPD/INS et UNICEF, 2007) ; EIS 2005 (MLS et al, 2006). • Les risques de santé reproductive sont également beaucoup plus importants parmi les femmes pauvres. Moins de 30% des femmes du premier quintile bénéficient d’une assistance qualifiée à l’accouchement, contre plus de 90% dans le cinquième quintile. • Il y a d’énormes disparités dans l’assainissement, la population utilisant des installations saines d’évacuation des excréta étant cinq fois moindre dans le premier quintile que dans le cinquième. 18 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire • Le taux net de scolarisation primaire dans le premier quintile est plus de moitié moindre que celui dans le cinquième (35,4% par rapport à 80,5%) et la déperdition scolaire est plus élevée parmi les enfants les plus pauvres tout au long des cycles d’enseignement. • L es autres risques sociaux sont également plus importants parmi les plus pauvres : des taux beaucoup plus élevés de travail des enfants et d’excision parmi les femmes, ainsi que des taux beaucoup plus faibles d’enregistrement des enfants à l’état civil, ce qui conduit à d’autres désavantages tels que le refus d’inscription scolaire (voir le Chapitre 4). L’exception à la règle générale est la prévalence du VIH, qui est corrélée positivement avec le niveau de bien-être économique. 3.2.2 La dimension spatiale de la vulnérabilité Milieux urbain et rural Les populations vivant en milieu rural sont en général plus vulnérables que celles vivant en milieu urbain en raison de la plus faible couverture en infrastructures physiques et services publics, et des contraintes de communication. Les voies routières sont très détériorées à travers le pays, limitant l’accès aux denrées alimentaires produites et aux services publics (établissements sanitaires, scolaires et administratifs) dans les zones les plus reculées. Les taux de pauvreté sont nettement plus élevés en milieu rural et les risques sociaux plus graves que dans les villes. Ces contrastes apparaissent de façon évidente dans le Tableau 3.3. Tableau 3.3Pauvreté monétaire et risques sociaux par milieu de résidence (%) Rural Urbain Abidjan National Incidence de pauvreté (P0) 62,5 29,5 21,0 48,9 Contribution à la pauvreté 75,4 24,6 8,9 100,0 27,6 20,4 40,9 27,3 Incidence de pauvreté extrême (1 décile) 14,3 3,8 1,5 10,0 Ecart de pauvreté (P1) 24,5 9,1 5,6 18,2 7,0 35,7 13,0 17,5 Taux de mortalité infanto-juvénile (*) (‰) 142 105 103 125 Prévalence du VIH (15-19 ans) 4,1 5,4 6,1 4,7 Malnutrition chronique (enfants < 5 ans) 39,3 24,8 21,7 34,0 Enfants de 12 à 23 mois entièrement vaccinés 68,3 86,4 89,8 75,1 Traitement antipaludéen (enfants < 5 ans fiévreux) 23,1 32,2 32,0 25,9 Assistance à l’accouchement par personnel qualifié 40,0 84,1 97,4 56,8 Utilisation de sources d’eau à boire améliorées 65,2 90,3 98,7 76,0 Utilisation d’installations sanitaires appropriées 36,9 83,8 94,1 57,0 Taux net de scolarisation primaire 48,2 66,6 73,1 55,1 Enfants travailleurs (5-14 ans) 45,1 19,7 14,9 35,3 Enregistrement des naissances (enfants < 5 ans) 40,5 79,2 87,2 54,9 Données de l’ENV 2008 Variation de P0 de 2002 à 2008 er Taux de chômage Données de l’EIS 2005 Données de la MICS 2006 Note : (*) Période de 10 ans avant l’enquête, sauf pour chiffre national (5 ans avant l’enquête). Sources : ENV 2008 (MEMPD/INS, 2008) ; EIS 2005 (MLS et al, 2006) ; MICS 2006 (MEMPD/INS et UNICEF, 2007). 19 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Les données de l’ENV de 2008 montrent non seulement que l’incidence de pauvreté monétaire est deux fois plus élevée en milieu rural qu’en milieu urbain, mais également que les trois quarts des pauvres habitent en milieu rural. L’incidence de pauvreté rurale a augmenté de plus d’un quart entre 2002 et 2008. Il est aussi à noter que la proportion de pauvres extrêmes (définis comme ceux appartenant au premier décile de consommation) est 3,8 fois plus élevée en milieu rural (14,3%) qu’en milieu urbain (3,8%) et que l’écart de pauvreté (la distance moyenne au seuil de pauvreté) est 2,7 fois plus important (24,5%) que dans les villes (9.1%). Cependant, il ne faut pas perdre de vue l’importance croissante de la pauvreté urbaine, notamment à Abidjan, où l’incidence de la pauvreté a augmenté de 40,9% entre 2002 et 2008. Le chômage est essentiellement un phénomène urbain, avec un taux cinq fois plus élevé que celui enregistré en milieu rural, où le sousemploi et la baisse de revenus en période de soudure sont plus importants. Dans presque tous les domaines, les risques sociaux sont plus importants en milieu rural. Un enfant rural court un risque un tiers plus élevé qu’un enfant urbain de décéder avant d’atteindre l’âge de 5 ans. Son risque de malnutrition chronique est aussi presqu’un tiers plus élevé et il a moins de chance de recevoir un traitement antipaludéen en cas de fièvre. Seulement 40% des femmes accouchent avec l’assistance de personnel qualifié en milieu rural, moins de la moitié du taux en milieu urbain. Les conditions de vie sont également plus mauvaises en milieu rural, avec un taux très faible d’utilisation d’installations sanitaires appropriées (37% par rapport à 84% en milieu urbain) et un taux d’utilisation de sources d’eau améliorées (65%) qui est nettement plus faible qu’en ville (90%). Les enfants ruraux ont également une probabilité deux fois plus élevée de travailler et de ne pas être enregistrés à l’Etat civil. L’exception la plus saillante est la prévalence du VIH, qui est plus élevé en milieu urbain, notamment à Abidjan (6,1% selon l’EIS de 2005). Les disparités régionales Les disparités régionales sont particulièrement frappantes (Tableau 3.4). Les régions du Nord sont en situation généralement plus désavantageuse, ayant des conditions moins favorables que les zones plus pluvieuses du Sud, un réseau de routes moins dense, des difficultés d’accès aux marchés et des déficits importants dans l’offre des services sociaux de base. Par ailleurs, la crise de 2002 et la séparation en deux du pays a particulièrement accru la vulnérabilité des populations du Nord. Quelques zones dans l’Ouest du pays ont aussi été sévèrement affectées par les conflits, aggravés par des rivalités ethniques et foncières locales et montrent des niveaux élevés de vulnérabilité. Selon les données de l’ENV de 2008, c’est la région Nord (actuellement Savanes) qui présente les indicateurs de pauvreté les plus mauvais. L’incidence de pauvreté y a presque doublé (+92%) entre 2002 et 2008 pour atteindre 77% de la population. L’écart de pauvreté est aussi le plus élevé dans cette région (36%) et presque 30% de la population se trouve dans le premier décile. Cependant, ce n’est pas la région avec le plus grand nombre de pauvres en termes absolus. Elle arrive en troisième position derrière le Centre-Ouest (17,0%) et l’Ouest (10,6%). Ces deux régions ont aussi des taux très élevés d’incidence de pauvreté (63%) et d’écart de pauvreté (24-25%). Parmi les autres régions en situation particulièrement préoccupante, le NordOuest a le deuxième plus grand écart de pauvreté (26%) et 18% de sa population en extrême pauvreté, et le Centre-Nord a connu une forte augmentation de l’incidence de pauvreté (+78% entre 2002 et 2008) pour atteindre 57%, et également 18% de sa population en extrême pauvreté. 20 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Tableau 3.4Indicateurs de pauvreté monétaire par région (%), 2008 Région Centre Centre Est Centre Nord Centre Ouest Nord Nord Est Nord Ouest Ouest Sud Sud Ouest Abidjan National Incidence (P0) Ecart (P1) Variation P0 depuis 2002 56,0 53,7 57,0 63,0 77,3 54,7 57,9 63,2 44,6 45,5 21,0 48,9 20,3 20,4 24,2 24,3 36,1 20,9 25,6 25,1 14,7 13,3 5,6 18,2 35,3 19,6 78,1 25,0 91,8 -3,4 11,6 -2,0 47,2 10,2 40,9 27,3 Contribution à la pauvreté Incidence pauvreté extrême (1er décile) 9,6 2,4 7,5 17,0 10,1 5,4 5,8 10,6 14,0 8,8 8,9 100,0 9,6 9,6 17,8 13,6 29,6 10,3 18,4 14,1 6,4 3,2 1,6 10,0 Sources : ENV 2008 (MEMPD/INS, 2008). Mortalité infanto-juvénile, 2005 (pour 1000 naissances vivantes) Malnutrition chronique, 2006 (enfants < 5 ans) Enfants de 12 à 23 mois entièrement vaccinés, 2006 Traitement antipaludéen, 2006 (enfants < 5 ans fiévreux) Assistance à l’accouchement par personnel qualifié, 2006 Utilisation de sources d’eau améliorées, 2006 Utilisation d’installations sanitaires appropriées, 2006 Taux net de scolarisation primaire, 2006 Enfants travailleurs, 2006 (5-14 ans) Enregistrement des naissances, 2006 (enfants < 5 ans) Taux net d’alphabétisation, 2008 (population > 15 ans) Taux de prévalence du VIH, 2005 Tableau 3.5Risques sociaux par région (%), 2006 Centre 130 32,9 87,6 34,6 42,8 78,9 42,8 58,1 44,2 59,0 37,8 4,8 Centre Est 130 30,3 83,1 30.6 75,4 71,9 80,9 56,1 31,3 75,9 44,9 5,8 83 28,9 88,0 38,5 42,5 70,9 35,0 47,7 44,0 41,4 33,3 3,6 169 33,0 69,1 17.2 53,9 80,5 64,7 68,6 23,6 56,3 44,3 3,7 Nord 130 38,2 68,8 27.1 63,2 84,0 40,6 26,5 53,4 40,7 19,3 3,2 Nord Est Région Centre Nord Centre Ouest 160 46,6 56,7 10,7 30,5 69,7 31,1 40,0 51,0 41,3 24,5 3,3 Nord Ouest 96 34,5 60,7 26.4 23,4 57,6 59,2 31,6 51,6 23,5 14,8 1,7 Ouest 111 33,6 49,6 21.4 28,9 62,7 53,9 47,6 46,7 23,3 38,5 3,5 Sud 129 35,6 86,3 29.2 65,8 71,4 51,1 66,4 26,6 66,8 52,3 5,5 Sud Ouest 156 41,1 66,4 24,2 55,4 63,7 47,0 50,5 35,9 52,3 44,9 4,2 Abidjan 103 21,7 89,8 32,0 97,4 98,7 94,1 73,1 14,9 87,2 71,6 6,1 National 125 34,0 75,1 25,9 56,8 76,0 57,0 55,1 35,3 54,9 46,5 4,7 Sources : EIS 2005 (MLS et al, 2006) ; MICS 2006 (MEMPD/INS et UNICEF, 2007) ; ENV 2008 (MEMPD/INS, 2008). 21 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire En ce qui concerne les risques sociaux (Tableau 3.5), l’EIS de 2005 a trouvé les taux de mortalité infanto-juvénile les plus élevés dans le Centre-Ouest (169 décès pour 1000 naissances vivantes), le Nord-Est (160) et le Sud-Ouest (156). Deux de ces régions avaient aussi les niveaux les plus élevés de malnutrition chronique (46,6% dans le Nord-Est et 41,1% dans le Sud-Ouest), selon la MICS de 2006. Les régions du Nord sont clairement les plus arriérées sur le plan éducatif, avec de loin les plus bas taux net de scolarisation primaire (26,5% dans le Nord, 31,6 % dans le Nord-Ouest et 40,0% dans le Nord-Est) et d’alphabétisation des adultes (respectivement 19,3%, 14,8% et 24,5%). Il n’est pas surprenant de trouver que les taux de travail des enfants sont également les plus élevés dans ces régions, avec plus de 50% des enfants concernés. Par contre, les risques relatifs au VIH/SIDA sont plus élevés dans le quadrant Sud-Est du pays, notamment à Abidjan. 3.2.3 La vulnérabilité selon le cycle de la vie Les individus ont des degrés de vulnérabilité différents aux étapes successives du cycle de la vie, pendant lesquelles les risques changent également de nature ou d’intensité (Figure 3.3). Figure 3.3Risques selon le cycle de la vie Source : auteurs. Pour les enfants de moins de cinq ans (et encore plus pour les enfants de moins d’un an), la fragilité physique met en péril la survie de l’enfant dans un contexte de pauvreté, de conditions de vie insalubres et de faible accès aux services sanitaires. C’est aussi une période critique de risques nutritionnels, puisque les déficiences protéino-énergétiques ou en micronutriments risquent d’augmenter la vulnérabilité de l’enfant et de retarder sa croissance (notamment du cerveau) avec des conséquences néfastes pour son développement et son bien-être à long terme. En Côte d’Ivoire, on a déjà vu que ces risques sont très sérieux (un enfant sur huit meurt avant l’âge de 5 ans), surtout pour les enfants des ménages les plus 22 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire pauvres et pour ceux qui vivent en milieu rural et dans quelques régions du Nord et de l’Ouest. En plus, le taux élevé de non-enregistrement à l’Etat civil (45% des enfants de moins de 5 ans) expose un nombre important d’enfants au risque ultérieur de ne pas accéder à la scolarité. Pour les enfants de plus de 5 ans, le risque de ne pas fréquenter l’école est majeur. Environ 30% des enfants, selon la MICS de 2006, ne sont jamais inscrits au CP1, et 24% des enfants abandonnent l’école avant de compléter le cycle primaire. Ainsi, plus de la moitié des enfants sont à fort risque d’être analphabètes à l’âge adulte. Les enfants déscolarisés ont aussi une probabilité plus élevée de travailler, bien que 32% des enfants scolarisés de 5 à 14 ans travaillent eux aussi, mettant en péril leur performance scolaire. Seulement 24% des enfants en âge de fréquenter le secondaire sont scolarisés et les faiblesses du secteur de formation technique et professionnelle compromettent davantage l’éventuelle insertion dans le marché du travail (MEMPD/INS et UNICEF, 2007). Il faut souligner deux autres points importants concernant les enfants. Ils sont, tout d’abord, dépendants des adultes et donc vulnérables à la maltraitance, notamment s’ils vivent hors d’un cadre familial sain et protecteur (Encadré 3.1). Ils ont ensuite, en moyenne, une probabilité plus grande que les adultes de vivre dans un ménage pauvre, la fécondité y étant plus élevée, les ménages sont plus grands et les taux de dépendance sont plus élevés dans les premiers déciles de la population. Le Tableau 3.6, sur la distribution des enfants, des jeunes, des adultes et des personnes âgées par déciles, montre ce fait clairement. La distribution des enfants de moins de 15 ans augmente de 5,5% dans le décile le plus riche à 12,5% dans le décile le plus pauvre. Tableau 3.6Distribution de la population par groupe d’âge et décile de consommation, 2008 D1 D2 D3 D4 D5 D6 D7 D8 D9 D10 Total Enfants < 5 ans 12,2 12,0 11,7 11,1 10,6 10,6 9,5 9,0 7,8 5,5 100 Enfants 5-14 ans 12,5 12,3 11,5 11,5 10,7 10,0 9,4 9,1 7,8 5,2 100 Jeunes 15-29 ans 7,9 8,4 8,8 9,2 9,7 10,1 10,6 11,0 11,8 12,5 100 Adultes 30-64 ans 8,7 8,4 8,9 9,1 9,2 9,5 10,2 10,4 11,3 14,2 100 Adultes > 65 ans 11,5 11,7 11,0 8,7 10,8 11,2 8,5 9,5 8,7 8,4 100 Ensemble de la population 10,0 10,0 10,0 10,0 10,0 10,0 10,0 10,0 10,0 10,0 100 Source : Calculs des auteurs à partir des données de l’ENV 2008. 23 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Encadré 3.1La vulnérabilité accentuée de l’enfant sans cadre familial protecteur Compte tenu du rôle critique de la famille comme cadre de développement et d’épanouissement de l’enfant, la vulnérabilité est énormément accentuée chez l’enfant lorsqu’il vit hors d’un cadre familial ou dans un cadre familial non protecteur. Les enfants vivant hors d’un cadre familial sont peu nombreux mais sont exposés à de très hauts risques. Il s’agit des enfants de la rue, des enfants placés dans des institutions d’accueil (orphelinats etc.), des enfants séparés ou non accompagnés lors des déplacements de populations, des enfants dans les groupes armés (actuellement de nombre diminué) et des enfants détenus dans les institutions policières et pénales. Une étude en 2007 a dénombré 15 330 enfants de la rue dans les villes d’Abidjan, Bouaké, Korhogo, Daloa, Yamoussoukro, Man et Abengourou (MEMPD et UNICEF, 2008). La majorité de ces enfants étaient analphabètes (trois sur cinq) et se consacraient à des activités de petit commerce. Environ 200 enfants sont détenus dans les prisons, selon des données datant de 2007 (MJDH et al, 2007). En plus du fait que quelques-uns de ces enfants ne sont pas séparés des prisonniers adultes, ils sont à risque de sévices et abus sexuels, d’une faible prise en charge éducative et de difficultés éventuelles de réinsertion sociale et économique (MEMPD et UNICEF, 2008). En ce qui concerne les orphelinats, ces institutions fonctionnent souvent sans avoir l’agrément requis par la loi et font rarement l’objet d’un suivi et de contrôles. Malgré les déficiences d’information relative à ces institutions, la qualité du service est réputée être loin des normes en la matière (MFFAS, 2010g). Un nombre beaucoup plus large d’enfants sont à risque élevé malgré le fait qu’ils vivent dans un cadre familial. Ce sont les enfants maltraités à la maison. La situation globale de ces enfants est très peu connue. Cependant, on peut s’inquiéter en particulier de la vulnérabilité des enfants vivant dans des familles en situation de haute précarité économique ou en rupture, ainsi que des enfants qui sont confiés à d’autres familles ou à des parents distants, soit parce qu’ils sont orphelins, soit à cause de la situation économique de la famille. Sur 9 millions d’enfants de moins de 18 ans, on compte environ 729 000 orphelins (8,1%) toutes causes confondues et 324 000 orphelins (3,6%) du fait du SIDA, d’après l’EIV de 2005. La MICS de 2006 a trouvé que 8,5% des enfants sont orphelins, mais seulement 1,1% sont orphelins des deux parents. Par contre, 20,7% des enfants ne vivent avec aucun parent biologique, ce qui montre que le phénomène de placement (ou confiage) est très répandu. Bien que le système traditionnel de confiage des enfants soit censé améliorer les opportunités, notamment de scolarité, il peut aussi conduire à des abus, mettant l’enfant à haut risque de maltraitance, d’exploitation (comme travailleur domestique ou dans le petit commerce) et de non scolarisation. Dans les pires des cas, il y a une zone grise avec le fléau de la traite. L’Enquête Nationale sur le Travail des Enfants, réalisée en 2005, a estimé qu’il y avait environ 33 450 enfants de 5-17 ans victimes de traite sur le territoire ivoirien (cité dans MEMPD et UNICEF, 2008). Source : MJDH et al, 2007 ; MEMPD et UNICEF, 2008 ; MFFAS, 2010g. Le chômage est un des plus importants risques pour les jeunes, en plus des risques du VIH/SIDA et des IST et, pour les jeunes femmes, des risques de mariage et de grossesse précoce, qui amplifient les risques plus larges de santé reproductive. Pour les jeunes, les difficultés d’insertion professionnelle deviennent une grande préoccupation, notamment en milieu urbain, bien que la distribution des jeunes par décile soit l’inverse de celle des enfants de moins de 15 ans (Tableau 3.6). Environ 66,3% des chômeurs sont dans la tranche d’âge de 15 à 29 ans selon l’ENV de 2008. Le début de la vie sexuelle expose les jeunes à des risques d’infections sexuellement transmises, parmi lesquelles le VIH/SIDA, qui sont exacerbés par le manque de connaissances des risques et des moyens de les réduire, par le faible accès aux méthodes modernes de contraception, et par la pauvreté et les relations inégales dans la négociation des relations sexuelles entre hommes et femmes. En plus, selon l’EIS de 2005, 29,4% des femmes âgées de 20 à 24 ans ont déjà eu une première naissance avant l’âge de 20 ans, dont 5,7% avant l’âge de 15 ans, et la moitié des femmes sont déjà en union à l’âge de 19 ans. Les risques de chômage (et de sous-emploi), de VIH/SIDA et de mortalité maternelle restent élevés à l’âge adulte. Environ 32% des chômeurs en 2008 étaient dans la tranche d’âge de 30 à 59 ans. Cependant, comme pour les jeunes, la distribution des adultes par décile est l’inverse de celles des enfants. Le taux de prévalence du VIH atteint ses niveaux les plus élevés pour cette 24 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire même tranche d’âge (10,4% pour les personnes âgées de 30 à 34 ans en 2005). Les femmes en âge de procréation sont sujettes aux risques de la mortalité maternelle (543 décès pour 100 000 naissances vivantes). Les personnes âgées n’ont souvent pas de support familial et sont sujettes aux risques croissants de maladies et de handicaps, avec des besoins importants en médicaments et consultations médicales. Comme les enfants, les personnes âgées de plus de 65 ans, qui constituent 2,7% de la population, sont plus fortement concentrées dans les premiers déciles de consommation. L’absence de pensions sociales de vieillesse et la nature payante de presque tous les services sanitaires les rendent particulièrement vulnérables. 3.2.4 La vulnérabilité liée au genre Le statut de subordination de la femme dans la culture prédominante, la division traditionnelle du travail, les discriminations de genre (notamment par rapport à la scolarité) et le lourd fardeau du rôle reproductif de la femme mettent les filles et les femmes dans une situation globalement désavantageuse par rapport aux garçons et aux hommes et les rendent plus vulnérables à toute une série de risques. Les risques de non scolarisation ou d’abandon scolaire sont plus élevés pour les filles que pour les garçons. Selon le Rapport d’Etat du Système Educatif Ivoirien (RESEN), en 2009, une fille a 66% de chances d’avoir accès à la première année de l’école primaire (CP1) contre 76% pour un garçon. Ces inégalités s’accentuent tout au long du système d’enseignement. Dans le second cycle du secondaire, les garçons sont deux fois plus nombreux que les filles (Tableau 3.7). A l’âge adulte, beaucoup moins de femmes que d’hommes savent lire ou écrire. En 2008, selon l’ENV, le taux net d’alphabétisation (pour la population âgée de 15 ans et plus) était 56,1% chez les hommes et seulement 36,8% chez les femmes. Tableau 3.7Disparités filles/garçons dans le système d’enseignement (%), 2009 Accès Primaire Achèvement primaire Accès Secondaire I Achèvement Secondaire I Accès Secondaire II Achèvement Secondaire II Garçons 76 52 44 30 28 21 Filles 66 39 31 16 14 9 1,15 1,33 1,42 1,88 2,00 2,33 Rapport garçons/filles Source : RESEN 2009. Les femmes ont également moins d’opportunités professionnelles et économiques que les hommes. Il y a une prédominance des hommes travaillant dans l’agriculture d’exportation (cacao, café, coton, anacarde, palmier), où ils sont sept fois plus nombreux que les femmes, selon l’ENV de 2008. Les femmes se consacrent davantage à l’agriculture vivrière (17% contre 13% pour les hommes). Le chômage touche plus les femmes de condition pauvre que les hommes pauvres (10% contre 8%), et la part des inactifs est presque deux fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes (23% contre 13%). Il y a une différence fondamentale dans l’accès à la terre et au crédit selon le genre. Dans l’ensemble, les ménages ayant un homme comme chef ont globalement plus de chance d’avoir accès à la terre que leurs homologues femmes chefs de ménage, bien que l’écart soit plus accentué dans le Centre Ouest, le Nord et le Sud. La propriété foncière étant souvent une condition d’accès au crédit, les femmes ont également moins d’accès au crédit. Bien que les taux de pauvreté soient similaires que les ménages ayant un homme ou une femme comme chef, les chefs de ménages qui sont veuves ont connu un accroissement plus rapide de la pauvreté que les autres femmes chefs de ménages (Banque Mondiale, 2010a). Il est 25 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire à noter que 43% des chefs de ménages de sexe féminin sont veuves et que, comme il a déjà été signalé dans la section 3.1.2, les veuves sont très souvent dépossédées de leurs biens, notamment dans les sociétés matrilinéaires. Les autres risques encourus par les femmes, tels que l’excision, les violences conjugales, les abus sexuels et l’exploitation sexuelle, ont aussi été mis en relief dans la section 3.1.2 et ne seront pas répétés ici. 3.2.5 La vulnérabilité et le capital humain Le capital humain est l’ensemble des capacités qu’un individu acquiert par l’accumulation des connaissances et de savoir-faire. Le capital humain exprime ainsi l’idée d’un stock de capacités imputé à une personne et pouvant être accumulé, par l’instruction ou par d’autres moyens moins formels. Le manque d’instruction ou un faible niveau d’instruction est ainsi une source de vulnérabilité des individus car il les rend moins capables d’éviter, d’atténuer ou de s’adapter aux différents risques, qu’ils soient de nature économique, sanitaire ou socioculturelle. L’investissement dans l’éducation, y compris par des mesures de protection sociale qui facilitent l’accès des plus pauvres à l’école, est ainsi une stratégie de choix pour réduire la vulnérabilité à long terme. La sensibilisation, par exemple sur la nutrition ou la protection contre le VIH/SIDA, joue aussi un rôle important dans la réduction de certains risques. L’augmentation de la pauvreté a frappé surtout les ménages ayant les chefs les moins instruits. L’analyse de la pauvreté réalisée par la Banque Mondiale (2010a) a montré que l’incidence de pauvreté a augmenté le plus pour les ménages ayant des chefs avec moins de sept ans d’instruction (+300% de 1985 à 2008). Pour les ménages dont les chefs ont 15 ans d’instruction, l’incidence de pauvreté n’a guère changé. Le niveau d’instruction a aussi des impacts sur d’autres risques sociaux, tout en étant généralement moins déterminant que le niveau de richesse. Par exemple, plus la mère est instruite, plus son enfant a de chances de fréquenter l’école. Le taux net de scolarisation primaire est deux fois plus élevé pour les enfants de mères ayant atteint le secondaire ou plus (92,2%) que pour les enfants de mères non instruites (48,6%). Ce taux est 75,8% pour les enfants de mère ayant fréquenté le primaire. Selon des analyses de régression logistique (Banque Mondiale, 2010b), une femme ayant fréquenté l’enseignement secondaire ou supérieur aurait un ratio de probabilité (odds ratio) deux fois supérieur d’accoucher avec l’assistance de personnel qualifié qu’une femme sans aucune instruction (1,3 fois plus dans le cas d’une femme ayant l’enseignement primaire). C’est donc un facteur important même si le facteur économique est de loin le plus important, le ratio de probabilité Q5/Q1 étant de 15,2. 3.2.6 Maladies chroniques, dont le SIDA, et handicaps Les maladies chroniques, telles que le SIDA, la tuberculose et la lèpre, rendent les ménages plus vulnérables, diminuant leur capacité productive et augmentant leurs besoins médicaux. En 2009, l’ONUSIDA a estimé à 164 000 le nombre de personnes qui ont besoin d’ARV, dont 14 000 enfants de moins de 15 ans (CNLS, 2011). Ces personnes, déjà malades du SIDA, constituent 34% des personnes vivant avec le VIH et environ 0,01% de la population. Même si ce dernier chiffre paraît très faible, il sera en hausse dans les prochaines années, compte tenu du taux de prévalence du VIH, avec des conséquences graves pour la capacité productive et le bien-être des personnes concernées et des autres membres de leurs ménages. Une étude en 2000 a montré que, parmi un échantillon de PVVIH connaissant leur statut et consultant pour des soins, 30% avaient perdu leurs emplois (Juillet et al, 2001, cité dans Banque Mondiale, 2010b). Une enquête ménage réalisée en 2007, avant l’introduction des ARV, auprès de 1 451 adultes séropositifs a trouvé que 68% des ménages ayant des PVVIH faisaient face à des dépenses catastrophiques13. 13 Selon la définition de l’OMS : plus de 40% des dépenses non alimentaires. 26 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire L’introduction de la gratuité des ARV aurait réduit ces dépenses. Cependant, le fait que la majorité des PVVIH ayant besoin d’ARV et d’autres médicaments pour les infections opportunistes ne soient pas encore bénéficiaires de ces services suggère que les impacts, surtout en termes de perte de productivité et de revenus, restent importants. Le nombre de personnes sous ARV a été estimé à environ 52 000 en 2007-2008 (CNLS, 2011). En outre, les estimations de l’ONUSIDA portent à 430 000 le nombre d’orphelins et enfants rendus vulnérables du fait du SIDA. Les personnes qui vivent avec un handicap14 semblent représenter l’un des groupes les plus vulnérables, souffrant de toute une série de désavantages, allant des barrières d’accès à l’enseignement et aux emplois jusqu’aux contraintes à leur pleine participation dans la vie sociale et culturelle. Cependant il est difficile de quantifier ces désavantages, compte tenu du manque de données statistiques fiables sur les personnes handicapées. Selon le recensement général de la population et de l’habitat de 1998, il y avait cette année-là 85 517 personnes handicapées, soit 0,6% de la population, dont 29,4% d’enfants âgées de moins de 15 ans et 22,9% d’enfants en âge de scolarisation. Ces chiffres semblent avoir sous-estimé l’importance réelle de cette catégorie de la population, qui a généralement un poids plus élevé dans les pays en voie de développement. La répartition par types de handicap est la suivante : 36% de handicaps physiques, 30% de surdimutité, 19% de cécité et 16% d’autres handicaps (MFFAS, 2010j). Selon l’ENV de 2008, l’incidence de pauvreté est légèrement plus élevée chez les personnes handicapées (51,4%) par rapport aux non-handicapées (48,9%). Selon le Ministère chargé des affaires sociales, la plupart des enfants handicapés ne jouissent pas du droit à la scolarité, en raison de la très faible capacité des institutions d’enseignement spécialisé, ainsi que de la faible mise en œuvre de la politique intégratrice qui doit favoriser l’intégration des enfants handicapés à l’enseignement ordinaire. 14L’OMS définit la personne handicapée comme étant « un sujet dont l’intégrité physique ou mentale est passagèrement ou définitivement diminuée, soit congénitalement, soit sous l’effet de l’âge, d’une maladie ou d’un accident, en sorte que son autonomie, son aptitude à fréquenter l’école ou à occuper un emploi s’en trouvent compromises ». 27 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 4 Programmes existants et défis de renforcement de la protection sociale 4.1La protection sociale informelle Les mécanismes informels apparaissent prédominants dans le système de protection tel qu’il fonctionne actuellement en Côte d’Ivoire. Lors des études de cas menées dans le cadre d’une récente cartographie du système de protection de l’enfant, les groupes de discussions (enfants, adolescents, femmes ou hommes) organisés au niveau communautaire n’ont fait référence qu’à l’aide communautaire disponible auprès de leurs familles, de leurs voisins et des notables de la communauté. Aucun groupe de discussion n’a fait mention de l’existence d’offre de services fournis par les structures publiques ou les ONG (MFFAS, 2010g). Les modèles traditionnels de protection sociale regroupent une diversité de mécanismes endogènes de nature familiale, communautaire et associative fondés essentiellement sur le capital social des membres (la solidarité) et sur la réciprocité dans la jouissance des prestations. Par ailleurs, le droit coutumier et les chefferies continuent de jouer un rôle fondamental dans la vie des communautés, constituant des mécanismes de protection plus présents sur le terrain et plus sollicités que les instances de l’Etat (Encadré 4.1). Encadré 4.1Le droit coutumier et la protection de l’enfant Tant en zones urbaines que rurales, les autorités traditionnelles continuent de jouer un rôle fondamental dans la vie des communautés. La reconnaissance officielle, par les autorités administratives, du rôle auxiliaire que les autorités traditionnelles jouent, formalise de facto ce rôle. En cas de problème ne pouvant se résoudre au niveau de la famille nucléaire, la famille élargie ou le voisinage, les familles se tournent en premier lieu vers les autorités traditionnelles, considérées comme légitimes et en général puissantes avec un bon contrôle de leur territoire. Il est ainsi ressorti des études de cas menées dans le cadre de la cartographie du système de protection de l’enfant, réalisée en 2009-10, que nombre de personnes perçoivent les systèmes communautaires comme suffisants pour résoudre les problèmes de protection de l’enfant. En cas d’abus au sein de la famille, l’assistance se fait en plusieurs étapes. Dès le signalement d’un cas de protection, c’est la cellule familiale qui est sollicitée. Si aucune solution n’est trouvée dans le cadre familial, il est pris en charge par la famille élargie et/ou les voisins puis par les autorités coutumières. Elle ne passe à l’étape des structures étatiques que si elle ne peut se régler par les autorités coutumières. La logique des communautés donne priorité à la cohésion sociale et à une résolution à l’amiable des problèmes. Ces mécanismes traditionnels peuvent montrer des limites. Par exemple, dans le cas de la protection de l’enfant, les enfants victimes d’abus ne sont en général pas impliqués dans le processus de résolution familiale ou communautaire, et certaines pratiques peuvent se révéler opposées aux droits de l’enfant et nuisibles à son développement harmonieux. Il n’en reste pas moins que l’existence de mécanismes traditionnels de résolution des problèmes bien établis et reconnus par les populations constitue une opportunité importante à prendre en considération dans le développement d’un système national de protection sociale, notamment pour son volet de prévention et protection contre les violences. Source : MFFAS, 2010g. Les familles étendues sont les premiers soutiens lorsqu’il s’agit de la prise en charge des ménages et individus en difficulté, y compris les appuis aux handicapés, aux personnes âgées, aux orphelins et veuves, et aux personnes déplacées. Tout en commençant par les parents proches (père, mère, frères et sœurs, oncles et tantes), la solidarité aux personnes vulnérables implique également de façon significative le lignage et les beaux-parents. Les grands-parents en particulier sont très impliqués dans la prise en charge des orphelins et autres enfants vulnérables (OEV). Néanmoins, la nature des obligations familiales diffère de façon significative selon que le système 28 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire de filiation est patrilinéaire ou matrilinéaire, notamment en ce qui concerne les obligations envers les veufs, les veuves et les orphelins (Soko, 2010)15. En outre, le sentiment d’appartenance familiale et les obligations qui en découlent sont à la base des importants transferts intra et interfamiliaux. Ces transferts constituent environ 7% des revenus des ménages selon les données de l’ENV 2008 (Banque Mondiale, 2010a). Les parents et les amis sont aussi les principales sources de crédit, loin devant les structures financières formelles (banques et institutions de microfinance). Au-delà de la famille étendue, les structures associatives remplissent une fonction d’entraide. Soko (2010) a décrit les mécanismes de protection, sous forme d’entraide ou de mutualisation informelle des risques, établies par toute une gamme de structures : les « associations ethniques en ville », qui ont été les premiers soutiens des populations déplacées internes dans les villes, notamment pour l’hébergement et les premiers secours en vivres et en non vivres ; les « associations au village », souvent des groupes homogènes de femmes ou de jeunes qui épaulent les parents dans la prise en charge des personnes vulnérables ; les églises, les mosquées et les associations religieuses, qui par leurs œuvres sociales apportent des aides aux populations déplacées, appuient les OEV (notamment en recherchant des « familles d’accueil ») et viennent également en aide aux handicapés et aux personnes âgées ; les associations de retraités de la fonction publique ou du secteur privé ; les associations de personnes handicapées ; les associations de populations déplacées ; les sociétés funéraires, qui mutualisent les dépenses liés aux décès16 ; et les « greniers semenciers » ou « banques de céréales », qui gèrent des stocks en nature au niveau villageois ou inter-villageois qui peuvent être vendus ou prêtés au moment de la période de soudure. Le système de protection sociale informelle est donc largement dominé par : (1) les obligations d’entraide intra et interfamiliale, caractérisée par des transferts entre parents, amis, enfants, voisins et familles à l’étranger et la prise en charge d’individus vulnérables (orphelins, personnes handicapées et personnes âgées) au sein de la famille (étendue) ; et (2) par l’assurance mutuelle informelle, c’est-à-dire la réciprocité de prestations au sein de structures communautaires telles que les associations, les sociétés funéraires, les banques de céréales et les tontines. Ces dernières offrent des prestations sociales diverses aux membres affiliés en termes d’assistance financière, matérielle et morale en cas d’événements malheureux ou heureux : décès, maladies, cérémonies rituelles (naissance, initiation, etc.), dot, mariage, scolarisation, soudure, etc. Les associations de personnes déplacées se sont constituées afin de faire face aux problèmes spécifiques découlant des déplacements, y compris pour le retour et la réinsertion dans les zones d’origine. Ces systèmes d’assurance mutuelle informelle, qui sont bien ancrés dans les cultures de l’Afrique de l’Ouest, ont l’avantage d’être des initiatives avant tout endogènes, c’est-à-dire initiées par les réseaux sociaux bénéficiaires et proposant des paquets de prestations ancrées dans les logiques et réalités sociales de leurs communautés respectives. Mongbo (dans Hodges et al, 2010) note que leur mode d’organisation, de fonctionnement et de gestion est généralement moins 15Selon Soko (2010, pp. 13-14) : « Dans les sociétés où le système de filiation patrilinéaire prévaut (Korogho, Daloa, San Pédro et Bondoukou), la règle veut que l’enfant appartienne au groupe du père. Au moment du mariage, la dot de la femme est offerte à la famille de son époux, et les enfants qui naîtront de cette union s’inscriront dans la lignée paternelle dont ils porteront le nom. Au décès de l’époux, et afin que les enfants puissent rester près de leur mère tout en continuant d’appartenir à la lignée paternelle, un frère du mort est désigné pour épouser la veuve. C’est la logique du lévirat. Si pour une raison ou pour une autre, la veuve retourne vivre chez ses parents, les enfants sont alors confiés à une tante paternelle qui s’en occupe […] Dans ce système, les enfants héritent de leur père, et c’est l’oncle paternel qui est chargé d’administrer leur patrimoine jusqu’à ce qu’ils deviennent adultes. Lorsque le père se retrouve veuf, les enfants devenus orphelins de mère sont élevés par une autre épouse du père ou par une sœur de ce dernier ». Par contre, « dans les sociétés matrilinéaires (Aboisso, Yamoussoukro), les enfants sont affiliés à la famille de leur mère. Ils sont placés sous la responsabilité directe du frère aîné de leur mère : l’oncle maternel qui est le père social des enfants […] Lorsqu’un père meurt, ses héritiers sont ses neveux, ce qui a pour effet de soustraire la veuve et les enfants au droit d’hériter. Ces derniers héritent de leur oncle et ne peuvent pas s’opposer à la restitution des biens du défunt à sa famille. Ses sœurs et leurs enfants sont les bénéficiaires traditionnels de l’héritage […] Le rôle parental de l’oncle maternel, caractéristique majeure de l’organisation familiale matrilinéaire, reste à l’heure actuelle un aspect fonctionnel dans certaines sociétés et il est observable à travers les stratégies de survie des parents vivant avec le VIH. [… Cependant] dans le système matrilinéaire, surtout à Aboisso, lorsque qu’un père meurt, la famille de celui-ci peut estimer qu’elle n’a plus rien à voir avec la veuve et ses enfants, et les chasser. Dans ce cas, par exemple, la femme doit donner tous ses biens à sa belle-famille, pour en sortir libérée et pouvoir se remarier. Théoriquement, la veuve doit retourner dans sa famille et garder avec elle ses enfants. Après le décès du père, et davantage encore dans le cas du SIDA, les biens sont confisqués par la belle-famille, les enfants et elles sont chassés de la parcelle, accusés d’avoir ‘mangé’ l’époux père en sorcellerie. » 16Soko (2010) affirment que les zones de Daloa, de San Pédro, d’Aboisso et d’Abidjan sont les zones de prédilection des sociétés funérairesChaque membre cotise au niveau d’au moins 500 FCFA par mois. Avec cette somme, la société funéraire garantie que si un membre de la famille du participant meurt dans l’année (à l’exclusion des nourrissons et des jeunes enfants), la famille reçoit 100 000 FCFA du fonds. 29 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire contraignant que la mutualisation formelle, étant fondé sur des contrats implicites et des compromis et règles flexibles qui sont généralement admises et respectées par tous en raison de leur ancrage socioculturel et des utilités que leur procurent les prestations offertes. Soko (2010) met en relief les mêmes atouts : l’obligation morale tacite (« chacun se sentant redevable à l’autre »), la confiance dans les relations, la sûreté et la rapidité des prestations. Toutefois, les mécanismes traditionnels d’entraide sont peu adaptés aux chocs à large échelle qui affectent des communautés et régions entières et requièrent des réponses bien au-delà des ressources disponibles au niveau des familles et des structures communautaires et associatives. Les communautés ayant des risques plus élevés (et souvent des ressources plus limitées) doivent supporter une charge plus importante. Par ailleurs, la multiplicité, la gravité et la durée des chocs en Côte d’Ivoire, surtout des chocs économiques et politiques de nature collective ou covariante, ont exacerbé l’insécurité à laquelle font face les ménages. L’appauvrissement des familles les rend de moins en moins capables d’assumer leurs obligations familiales traditionnelles, par exemple pour la prise en charge des orphelins et des veuves, et la crise sociopolitique a entrainé l’effondrement de quelques filets de sécurité familiaux et communautaires dans les zones les plus touchées par l’insécurité et les déplacements de populations. En outre, les migrations et déplacements, l’urbanisation et la modernisation compromettent le maintien des traditions de solidarité. Soko (2010, p. 22) constate l’émergence d’un « processus d’individualisation au sein des familles » et affirme que la crise économique et sociopolitique et ses conséquences ont fragilisé les solidarités familiales, « en favorisant des comportements plus individualistes chez les chefs des ménages les moins pauvres. […] Outre un recentrage sur la famille proche, un arbitrage s’oppose souvent au profit des parents plus créanciers : On aide qui aide, on aide qui a aidé ou on aide qui pourra aider. L’individu ne rompt donc pas totalement des logiques et devoirs de la solidarité familiale, mais il les renégocie sur la base d’un donnant-donnant et d’un arbitrage en fonction des nouvelles exigences propres au couple et de sa progéniture. » Les personnes socialement exclues auront encore plus de difficultés à accéder à ces mécanismes fondés sur la réciprocité. La nature horizontale de la réciprocité se reflète, semble-t-il, dans le manque de progressivité des transferts privés et le fait que seulement 20% des destinataires se trouvent dans la moitié la plus pauvre de la population, selon l’ENV 2008 (Banque Mondiale, 2010a). On voit ainsi clairement la nécessité de construire un système plus formel de protection sociale des ménages ivoiriens dans un contexte de vulnérabilité profonde et de risques multiples. 4.2L’assurance sociale Les régimes d’assurance sociale ont un impact minime en matière de protection de la population générale contre les risques sociaux. A peine 6% de la population vit dans un ménage ayant au moins une personne qui bénéficie de pensions de retraite ou d’autres assurances. La proportion de ménages ayant au moins une personne qui bénéficie de pensions de retraite ou d’autres assurances est légèrement plus élevée en milieu urbain (8%) qu’en milieu rural (3%) (Banque Mondiale, 2010a). L’assurance sociale se limite essentiellement aux travailleurs du secteur formel, c’est-à-dire aux employés de l’administration publique et des grandes entreprises privées et paraétatiques, ainsi qu’à leurs ayants droit. L’écrasante majorité de la population qui dépend de l’agriculture familiale et d’autres branches du secteur informel se trouve exclue. En fait, à peine 2% des personnes de 15 ans et plus vivant dans les ménages pauvres en 2008 exerçaient dans les secteurs formels public ou privé (MEMPD/INS, 2008a). Le système d’assurance sociale est constitué essentiellement des deux caisses de sécurité sociale et des mutuelles professionnelles. Les caisses fournissent des pensions de retraite et quelques autres prestations sociales, et les mutuelles professionnelles s’occupent principalement de l’assurance maladie. Les deux caisses sont la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) pour le secteur privé et la Caisse Générale de Retraite des Agents de l’Etat (CGRAE) pour le secteur public. Les principales mutuelles sont la Mutuelle Générale des Fonctionnaires de Côte d’Ivoire (MUGEFCI), le Fonds de Prévoyance Militaire (FPM) et le Fonds de Prévoyance de la Police Nationale (FPPN). 30 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Ces mécanismes de sécurité sociale ne couvrent qu’une petite minorité de la population, et de plus, la CNPS et la CGRAE sont toutes deux en situation de déséquilibre financier, ce qui nécessite des subventions coûteuses de la part du gouvernement, met en péril leur pérennité et exige des réformes profondes pour assurer leur survie. 4.2.1 La Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) La CNPS, qui a été créée en 196817 et à laquelle a été conféré son statut actuel d’institution de prévoyance sociale (IPS) en 200018, gère le régime obligatoire de la prévoyance sociale des travailleurs salariés du secteur privé. Les prestations servies par la CNPS sont regroupées en trois branches : • les pensions (assurance vieillesse, invalidité et survivants) qui vise à assurer un revenu de remplacement adéquat ; • les prestations familiales19, qui visent à aider les travailleurs à faire face à leurs charges de famille et à promouvoir la protection maternelle et infantile ainsi que l’éducation des enfants ; • les prestations en cas d’accidents du travail ou de maladies professionnelles. Les pensions de retraite sont financées par les cotisations des employeurs et des salariés : les salariés paient par mois 3,2% de leur salaire et leurs employeurs 4,8%, soit 8% au total. Les deux autres cotisations sont exclusivement à la charge de l’employeur, à raison de 5,75%, pour les prestations familiales et d’un taux variable de 2 à 5% pour les accidents du travail et maladie professionnelle (en fonction du risque que présente l’activité exercée). Au 31 décembre 2010, la CNPS comptait 21 872 employeurs immatriculés et les salariés affiliés étaient au nombre de 515 156 personnes. La pension de retraite bénéficiait à 95 752 retraités à cette date. Dans l’ensemble, la CNPS a dépensé 91 milliards de FCFA pour les prestations payées en 2010, dont 81 milliards de FCFA au titre de la retraite (Traoré, 2011). Ces données indiquent que 89% du montant des prestations dépensées a été consacré aux pensions de retraite et 11% aux non retraités, ce qui correspond à des dépenses annuelles de 19 415 FCFA par non retraité et 845 935 FCFA par retraité (Tableau 4.1). Il y a lieu de noter ici qu’à la retraite (actuellement à l’âge de 55 ans) l’assuré perçoit l’équivalent de 30 à 40% de son salaire. Le système de sécurité sociale géré par la CNPS est confronté à toute une série de faiblesses de fonds (Traoré, 2008 et 2011) : • son faible niveau de couverture de la population ; • le nombre limité de prestations et surtout l’absence de couverture du risque maladie, mis à part la prise en charge des victimes d’accidents du travail ou maladies professionnelles et des femmes en couche20 ; • l’ignorance des droits aux prestations (de la part des assurés) et la mauvaise foi de certains employeurs qui ont tendance à se soustraire de la règlementation sociale ; 17 Loi n° 68-595 du 20 décembre 1968. 18 Décret n° 2000-487 du 12 juillet 2000. 19 Celles-ci incluent des allocations pour enfants (1 500 FCFA par mois et par enfant de 1 à 13 ans), des allocations prénatales (13 5000 FCFA payés en 3 tranches pendant les 9 mois de la grossesse), des allocations de maternité (18 000 FCFA payés en 3 tranches pendant 1 an après l’accouchement), les allocations aux foyers (18 000 FCFA versés à la naissance de chacun des trois premiers enfants), les indemnités journalières de maternité (l’intégralité du salaire pendant 14 semaines) et le remboursement des frais d’accouchement et des soins médicaux liés à la grossesse. 20 Pour ceux qui bénéficient de la couverture médicale en entreprise (voir la section 4.2.3), leur usufruit ne vaut que lorsqu’ils sont en activité. 31 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire • la déclaration du mariage civil comme préalable aux prestations familiales, qui fait en sorte que la vaste majorité des épouses et des enfants ne jouissent pas de ces prestations, compte tenu du taux très élevé de concubinage et de la non déclaration (ou la déclaration tardive) des mariages civils à la CNPS (seuls 3% des salariés inscrits à la CNPS en 2006 avaient déclarés des mariages à la Caisse) ; • le faible montant des allocations familiales (1 500 FCFA par enfant) qui n’a pas augmenté depuis 1980 et qui représente à peine 4% du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) ; • le déficit structurel du régime de retraite de base, géré en répartition, qui pour des raisons économiques et démographiques n’est plus viable en termes financiers, même si le régime paraît relativement peu généreux pour les retraités ; • le non-paiement de cotisations de la part de quelques employeurs, notamment de l’Etat (dans le cas de ses agents employés dans les établissements publics à caractère industriel et commercial, qui sont inscrits à la CNPS) et un niveau élevé d’arriérés de paiements de dettes de l’Etat. Tableau 4.1Répartition des dépenses selon les catégories d’assurés de la CNPS, 2010 Catégories d’assurés Salariés affiliés Retraités Total Nombre d’assurés (au 31 écembre) Montant des dépenses en milliards FCFA Poids financiers de chaque catégorie en% Dépenses moyennes par assuré en FCFA 515 156 10 11 19 415 95 752 81 89 845 935 610 908 91 100 Source : Traoré (2011) et calculs des auteurs . En effet, un audit actuariel du régime de retraite de base a proposé des réformes profondes pour garantir la survie de la Caisse. Selon le responsable de la Cellule Etudes et Développement de la CNPS, « face au déséquilibre structurel du régime de retraite arrivé à maturité, et dans l’expectative de la mise en vigueur de la réforme de l’assurance vieillesse, la maîtrise des dépenses et l’optimisation des ressources sont le souci permanent de la CNPS pour la préservation de ses acquis » (Traoré, 2011). Pour ce faire, les mesures suivantes ont été adoptées pour viabiliser le régime de retraite de base: l’augmentation du taux de cotisation de 8 % à 12 %, puis à 14% quatre ans après, et l’augmentation de l’âge de la retraite de 55 ans à 60 ans. En complément du régime de base fonctionnant par répartition, la CNPS envisage aussi de créer un régime de retraite géré par capitalisation qui permettrait aux travailleurs de disposer à la retraite d’un revenu de remplacement représentant 70% de leur revenu moyen au terme d’une carrière complète. Compte tenu du fait que la grande majorité de la population reste en dehors du champ d’application des régimes d’assurance sociale, la CNPS propose aussi de mettre en place une couverture sociale à l’endroit des travailleurs indépendants, c’est-à-dire des personnes exerçant à titre personnel une activité artisanale, commerciale, agricole, industrielle ou libérale, ainsi que certains dirigeants ou associés de société (Traoré, 2011). Outre ces mesures relatives à la retraite, il serait souhaitable d’introduire d’autres réformes en vue de mieux protéger les femmes et les enfants. Il s’agit de l’amélioration des montants des prestations familiales, ainsi que l’allègement de la condition du mariage civil comme préalable à ces prestations. 32 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 4.2.2 La Caisse Générale de Retraite des Agents de l’Etat (CGRAE) La CGRAE a été créée en 199721 pour prendre en charge la gestion des pensions de retraite des agents de l’administration publique, gérés auparavant (de 1964 à 1977) par le Ministère des Affaires Economiques et du Plan. Elle est sous la double tutelle du Ministère d’Etat, Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité (tutelle technique) et du Ministère de l’Economie et des Finances (tutelle financière). Comme dans le cas de la CNPS, la CGRAE gère un régime de retraite de base qui est obligatoire et par répartition. La population cible de la CGRAE comprend les fonctionnaires de l’Etat actifs et pensionnés. Les cotisations de retraite sont constituées de 12% du salaire de l’agent versés par l’employeur et de 6% prélevés sur le salaire de l’agent, soit un niveau de cotisation de 18%. Au 31 décembre 2010, on dénombrait 123 structures affiliées au régime de retraite de la CGRAE, environ 170 000 cotisants et environ 70 000 bénéficiaires de prestations (Niankan, 2011). Les différentes prestations offertes aux assurés de la CGRAE sont de deux types : les prestations viagères échelonnées dans le temps et les prestations à paiement unique. Les prestations viagères découlent du régime obligatoire des pensions et sont payées mensuellement aux bénéficiaires. On distingue la pension d’ancienneté, la pension proportionnelle, les allocations viagères et les pensions de réversion (du conjoint survivant, des orphelins mineurs et des ascendants). A l’exception de la pension temporaire d’orphelin qui s’éteint avec la majorité de l’enfant bénéficiaire, toutes les autres prestations sont viagères. Les prestations à paiement unique sont des prestations réglées en une seule fois. Il s’agit du capital décès (allocations accordées aux ayants cause de fonctionnaires décédés en activité), des indemnités de départ volontaire, du remboursement des cotisations à 6% versées par les employés (dans le cas où les agents cessent leurs fonctions avant d’obtenir une pension) et des invalidités temporaires. Le régime du CGRAE inclut aussi des prestations aux familles sous forme d’allocations familiales (fixées au niveau très faible de 2 500 FCFA par enfant et par mois) et de majorations familiales. A l’instar de la CNPS, la CGRAE est devenue structurellement déficitaire en raison de nombreux facteurs, parmi lesquels : les tendances démographiques (notamment la croissance rapide du nombre de retraités et l’augmentation de l’espérance de vie) ; l’augmentation du montant de la rente moyenne ; les prestations non contributives ; les arriérés de paiements de cotisations par certaines entreprises et institutions publiques ; le gel des effets financiers des avancements dans la fonction publique (en vigueur depuis les années 80), qui gèle aussi automatiquement le niveau de cotisation ; et le paramétrage incohérent du régime. Selon l’étude actuarielle de la CGRAE, le ratio de dépendance démographique (prise en charge d’un pensionnaire par 2,44 actifs) est largement inférieur à la norme de 4 à 5 actifs par bénéficiaire pour assurer l’équilibre du régime, et le délai de récupération des cotisations versées au régime de retraite ressort à seulement 3,8 années, comparé à l’espérance de vie au départ en retraite, qui est de 16 ans pour les hommes et 19 ans pour les femmes (cité par Gueu Yra, 2008). Au cours de l’exercice 2010, les différentes prestations exécutées se chiffraient à 121,5 milliards de FCFA mais le niveau de cotisations n’était que de 75 milliards de FCFA (Niankan, 2011). Il se dégage de ces données un déficit d’environ 46,5 milliards de FCFA. Selon la même source, en l’absence de réforme, ce déficit atteindra le niveau de 266 milliards de FCFA, soit 1% du produit intérieur brut (PIB), en 2050. La CGRAE propose donc une réforme en profondeur du régime par répartition. Cette réforme, qui n’est pas encore validée par l’Etat, consisterait à corriger les paramètres suivants du régime de retraite de base : augmentation de l’âge de la retraite ; augmentation du taux des cotisations ; réduction des pensions de réversion ; révision du salaire de référence pour le calcul des pensions ; changement du mode de revalorisation des pensions ; suppression des majorations pour famille nombreuse ; et réduction du montant des prestations ou rentes à servir. La CGRAE propose aussi des réformes institutionnelles en vue de se doter d’un statut d’institution de prévoyance sociale, jouissant d’une réelle autonomie administrative et financière. 21 Ordonnance n° 77-206 du 5 avril 1977. 33 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Malgré la cohérence des raisons économiques et financières justifiant ces mesures de redressement, elles impliquent une détérioration du niveau de vie de la majorité des retraités. C’est pour faire face à cette réalité que la CGRAE envisage aussi de mettre en place un régime de retraite complémentaire par capitalisation, pour compenser la baisse des prestations ou rentes occasionnée par une réforme paramétrique du régime par répartition (Niankan, 2011). Toutefois, le plan de réforme inclut aussi certaines mesures qui prennent le contre pied de la vision humaniste de la protection sociale et devraient être l’objet d’une réflexion plus approfondie. Il s’agit notamment de la réduction des pensions de réversion, de la réduction du taux d’annuité et de la suppression des majorations pour famille nombreuse. Certaines autres dispositions règlementaires existantes ont besoin de modification pour mieux protéger les droits des femmes et des enfants, notamment en ce qui concerne la levée de la condition de mariage civil pour permettre un plus large accès aux allocations familiales et aux pensions de réversion aux veuves et aux orphelins (Gueu Yra, 2008). 4.2.3 Les « mutuelles » professionnelles Les mutuelles professionnelles sont relativement nombreuses en Côte d’Ivoire, mais elles ne couvrent également qu’une infime minorité de la population exerçant dans le secteur formel, principalement le secteur public, où elles sont responsables de l’assurance maladie. Les plus anciennes, actives et connues sont : la Mutuelle Générale des Fonctionnaires de Côte d’Ivoire (MUGEFCI), le Fonds de Prévoyance Militaire (FPM) et le Fonds de Prévoyance de la Police Nationale (FPPN). Ces structures ont en commun la couverture des risques sanitaires et sociaux des membres et de leurs ayants droits. Ce ne sont pas de vraies « mutuelles », l’adhésion étant obligatoire pour les employés dans les institutions concernées. Avant la création de la MUGEFCI, les fonctionnaires des administrations et établissements publics administratifs de l’Etat en activité ou à la retraite ainsi que les membres de leurs familles (épouses et enfants à charge) avaient droit à la gratuité des consultations, des soins médicaux et dentaires, et des médicaments dans les formations sanitaires publiques.22 Lorsque cette gratuité des soins de santé accordée aux fonctionnaires et agents de l’Etat a été supprimée, la Mutuelle Générale des Fonctionnaires et Agents de l’Etat (MGFAE) a été mise en place pour compenser la perte de cet avantage. Créée par le Président de la République en 1973, la Mutuelle était gérée par une Direction du Ministère de la Fonction Publique.23 Mais 16 ans plus tard, en 1989, l’Etat se désengage de la MGFAE et confie sa gestion aux organisations syndicales des fonctionnaires. Ainsi est né la MUGEFCI comme institution de droit privé. La MUGEFCI se distingue des deux autres mutuelles professionnelles par le fait qu’elle a plus d’adhérents, offre une gamme variée de prestations et est la plus ancienne. Elle gère trois régimes, tous selon le système de tiers payant : un régime de base (avec environ 240 000 cotisants et 600 000 bénéficiaires) et deux régimes complémentaires, Ivoir’Santé et Ivoir’Prévoyance, qui, en raison de leurs niveaux de cotisation relativement élevés, ont peu d’adhérents. A son assemblée générale d’août 2011, la MUGEFCI a présenté un bilan financier excédentaire. Les difficultés de la MUGEFCI sont essentiellement liées à la fraude. En effet, de nombreux cas de fraudes sont constatés au niveau de l’utilisation des cartes de la mutuelle : certains assurés font bénéficier frauduleusement leurs proches non assurés des prestations offertes par la MUGEFCI (Gueu Yra, 2008). Le FPM a été créé pour toutes les catégories d’agents des Forces Armées Nationales ayant le statut de militaire. L’adhésion à ce fonds est obligatoire, par conséquent systématique pour tout militaire. Malgré l’existence de l’Hôpital Militaire d’Abidjan, ce fonds offre des prises en charge pour la couverture gratuite des frais de soins médicaux dans les autres hôpitaux publics et dans le secteur privé. Le fonds prend en charge la totalité du coût des soins des militaires (hospitalisation, médicament, examens) et de leurs épouses et enfants. 22 Article 32 du Décret n° 65-195 du 12 juin 1965 portant règlementation sur la rémunération et les avantages matériels divers alloués aux fonctionnaires. 23 Sur rapport conjoint des Ministres de la Fonction Publique, de la Santé Publique et de la Population, de l’Economie et des Finances, et du Travail et des Affaires Sociales, le Président Félix Houphouët-Boigny prit le Décret n° 73-176 du 27 avril 1973, portant création de la Mutuelle Générale des Fonctionnaires et Agents de l’Etat (MGFAE). 34 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire A l’image du FPM, le FPPN a été créé pour fournir des prestations de couverture sanitaire et de prévoyance sociale aux agents de la Police Nationale, pour lesquels l’adhésion est obligatoire et donc systématique pour tout policier. Le FPPN dispose d’un hôpital offrant des prestations sanitaires gratuitement à tous les policiers (hospitalisation, médicament, examens), à leurs épouses (à condition qu’elles soient légalement mariées) et à leurs enfants. Cependant, les soins ambulatoires restent à la charge du policier. Tableau 4.2Les mutuelles professionnelles MUGEFCI FPM FPPN Année de création 1973 1985 1994 Cotisants 240 000 10 000 12 000 Bénéficiaires 600 000 n.d. 96 000 Taux de cotisation 3% du salaire de base (pour le régime de base) ; 15 000 FCFA pour Ivoir’Santé Prise en charge des frais de soins médicaux (hospitalisation, médicaments, examens), remboursement du capital épargné Prise en charge des frais de soins médicaux (hospitalisation, médicaments, examens), remboursement du capital épargné 100% 100% 1 Prestations Régime de base : Remboursement des frais de produits pharmaceutiques, soins et prothèses dentaires, verres correcteurs. Ivoir’Santé : soins médicaux ambulatoires et hospitalisation Ivoir’Prévoyance : capital décès, capital invalidité et frais funéraires Niveau de couverture sanitaire 70% pour les produits pharmaceutiques ; 80% au privé et 100% au public pour les soins médicaux Source : Gueu Yra, 2008 ; Bamba et al, 2004. Dans le secteur privé formel, la couverture médicale des employés est prise en charge par les employeurs selon le système de « médecine d’entreprise ». Le Code du travail24 fait obligation à tout employeur ayant plus de 100 salariés de disposer d’un service médical. Une étude en 2004 a dénombré 82 entreprises possédant un service médical avec un médecin à plein temps et a constaté que de nombreux employeurs ne respectaient pas les prescriptions légales en la matière (Bamba et al, 2004). Une enquête menée auprès des entreprises dans le cadre de l’exercice 2007-2008 des comptes nationaux de santé (MSHP, 2010) a constaté que 52% des 298 entreprises enquêtées avaient leurs propres centres de santé. 4.3Les transferts sociaux Les programmes de transferts sociaux restent extrêmement limités à l’exception de l’aide humanitaire. Mis à part les programmes d’urgence, les programmes de plus long terme visent à soutenir l’accès à l’éducation (cantines scolaires, kits scolaires, bourses, etc.), à assister les personnes handicapées et les indigents, à prendre en charge les chômeurs (prestations de chômage et travaux à HIMO) et à appuyer les agriculteurs (distribution d’intrants par l’Office Nationale de Développement du Riz). Cette section se focalise sur les divers transferts sociaux qui existent actuellement en Côte d’Ivoire, à l’exception des transferts liés au travail (les programmes HIMO), qui sont discutées dans la section 4.4, et des transferts spécifiques aux secteurs de l’éducation et de la santé, qui sont discutés dans les sections 4.6 et 4.7 respectivement. 24 Loi no 95-15 du 12 janvier 1995. 35 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire De plus, des transferts implicites ou indirects existent sous forme de subventions ou exonérations fiscales pour certains biens et services comme l’eau, l’électricité et les produits pétroliers (voir l’encadre 4.2 ci-dessous). Encadré 4.2 Les subventions croisées dans le secteur de l’eau potable : protègent-elles les plus pauvres en pratique ? Les subventions à la consommation ou les exonérations fiscales pour alléger les prix sont une forme indirecte de transfert qui bénéficie aux consommateurs des biens et services concernés. En Côte d’Ivoire, il existe des exonérations fiscales sur l’essence et le gasoil, introduits à la suite d’émeutes à Abidjan, qui ne sont pas du tout progressives, malgré leur objectif déclaré de protéger le niveau de vie des populations, puisque ces produits sont consommés principalement par les ménages les plus aisés. Par contre, la tarification de l’eau potable est censée spécifiquement protéger les ménages les plus pauvres par le biais d’un système de subventionnement croisé appliqué à ceux qui sont connectés au réseau de la Société de Distribution d’Eau de la Côte d’Ivoire (SODECI). Cependant, même dans ce cas, ce système de subventionnement croisé a peu d’impact sur les ménages les plus pauvres, qui dans leur écrasante majorité ne sont pas connectés au réseau. Pour ceux qui sont branchés au réseau de la SODECI, la tarification est progressive selon le volume de consommation (ONEP, 2010). La tranche dite « sociale », qui consomme jusqu’à 18 m3 par mois, ne paie que 235 FCFA par m3, comparé a une moyenne de 425 FCFA pour l’ensemble des quatre tranches. L’état subventionne aussi le branchement initial aux ménages qui ont moins de 4 robinets, à un prix de 19 000 FCFA au lieu du prix normal de 169 000 FCFA. Environ 10 000 ménages sont branchés au réseau chaque année à ce prix subventionné. D’ailleurs, les zones urbaines subventionnent les zones rurales à travers les taxes prélevées en faveur du Fonds National de l’Eau (environ 10 % du prix de vente TTC), utilisé pour rembourser les prêts concessionnels accordés par les bailleurs de fonds pour les investissements dans l’approvisionnement de l’eau potable en milieu rural. En milieu urbain, les résidents d’Abidjan subventionnent implicitement les consommateurs d’eau dans les autres villes, puisque les coûts de production sont plus faibles à Abidjan et la tarification est égale dans toutes les villes. Néanmoins, la plupart des ménages pauvres en milieu urbain paient plus que les ménages aisés, pour la simple raison qu’ils ne sont pas branchés au réseau de la SODECI. Selon le MICS de 2006, bien que dans l’ensemble 38,6 % de la population ait accès à l’eau de robinet, cette proportion est à peine 3,2 % dans le premier quintile de bien-être économique et 8,3 % dans le second quintile (MEMPD/INS et UNICEF, 2007). En milieu urbain, les pauvres obtiennent l’eau des bornes fontaines, des vendeurs privés et des propriétaires de leurs logements à des prix beaucoup plus élevés. Le tarif appliqué aux bornes fontaines est de 500 FCFA par m3, dont 250 FCFA sont pour la rémunération du gestionnaire, soit un tarif deux fois plus élevé que celui appliqué aux ménages de la première tranche de consommation branché au réseau. Le prix de vente pratiqué par les vendeurs privés (25 FCFA par cuvette de 30 litres) est trois fois et demie plus élevé. Il est à noter que la Côte d’Ivoire n’a pas encore établi de larges programmes de transferts sociaux en espèces tels que les pensions de vieillesse non contributives, les allocations familiales (hors des régimes de sécurité sociale du secteur formel) ou les transferts ciblés aux ménages pauvres ou ultra-pauvres (voir Chapitre 2). Quelques projets pilotes de transferts sociaux en espèces ont été récemment lancés et, bien que très ponctuels, ces projets pourraient amener des enseignements intéressants quant à l’opportunité et la faisabilité de la mise en place d’un programme large de transferts en espèces comme instrument de lutte contre la pauvreté à long terme (Encadré 4.3). 36 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Encadré 4.3Les projets pilotes de transferts en espèces La Côte d’Ivoire n’a pas encore établi de larges programmes de transferts en espèces visant à renforcer la capacité des pauvres et à leur permettre de sortir de leur situation de vulnérabilité de manière durable. Ces types de programmes, très répandus en Amérique Latine et de plus en plus mis en place en Afrique, notamment dans le Ghana voisin, requièrent des transferts réguliers et prévisibles sur le moyen ou long terme afin de permettre aux bénéficiaires non seulement d’augmenter leur consommation courante mais aussi d’épargner, d’acheter des intrants agricoles ou de lancer des AGR, d’augmenter leur productivité et d’investir dans leurs enfants (améliorations nutritionnelles, accès aux services sanitaires et meilleure fréquentation et performance scolaire). En Côte d’Ivoire, plusieurs ONG ont lancé à titre expérimental de petits projets de transferts en espèces au lieu des transferts en nature plus habituels dans le contexte humanitaire. Cependant, ce sont des projets de très courte durée et très localisés, plutôt que des programmes qui peuvent réellement transformer à terme la situation des bénéficiaires. Ce sont en effet des projets humanitaires conçus dans un contexte d’urgence. Suite à une étude de faisabilité en mai 2011, le PAM a lancé un projet pilote de transferts en espèces dans deux quartiers d’Abidjan parmi les plus affectés par la crise postélectorale, Abobo et Yopougon. Justifié par la situation précaire des populations de ces quartiers, ainsi que par le bon fonctionnement des marchés, qui rend la modalité de transfert en espèces faisable et plus flexible pour les bénéficiaires que les rations alimentaires, ce projet est aussi de nature ponctuelle. Le projet a fourni des transferts (de 33 000 FCFA par ménage et par mois) à 10 444 ménages soit 52 220 bénéficiaires pendant deux mois, à la suite d’un processus de ciblage à la fois géographique (au niveau commune puis au niveau quartier) et catégoriel, donnant la priorité aux ménages dirigés par des femmes sans autres membres actifs et avec des enfants de moins de 5 ans, ainsi qu’aux ménages dépendants de la solidarité communautaire, identifiés sur base d’une enquête de ménage (PAM, 2011a, 2011b). Selon le Questionnaire de suivi post distribution (PDM) réalisé auprès des bénéficiaires, 64 pour cent de la somme perçue par les ménages a été utilisée dans l’achat de nourriture. Selon la même source, cette assistance financière a amélioré la situation alimentaire des ménages bénéficiaires. En effet, la part des dépenses alimentaires dans le revenu des ménages a connu une baisse significative, passant de 41 à 35 pour cent. Une intervention ponctuelle de ce type ne peut que donner des résultats mitigés et à un coût très élevé, étant donné l’importance des investissements requis pour le mettre sur pied (étude préliminaire, recherche de partenaires opérationnels, enquête auprès des ménages, sélection et enregistrement des bénéficiaires, création de systèmes de gestion, paiements via la téléphonie mobile, suivi et évaluation). Le projet se justifie principalement par l’opportunité d’apprentissage en matière de transferts en espèces, notamment en ce qui concerne les mécanismes et critères de ciblage et l’expérience de la modalité de paiement des transferts en partenariat avec la compagnie de téléphonie mobile MTN. Les leçons tirées de cette expérience pourraient contribuer à la réflexion en Côte d’Ivoire sur l’opportunité et la faisabilité de mettre en place un programme large de transferts en espèces comme instrument de lutte contre la pauvreté à long terme. 4.3.1 L’aide humanitaire Les programmes humanitaires, financés essentiellement par l’aide extérieure, ont été de large échelle en 2011 compte tenu de la gravité de la situation humanitaire déclenchée par la crise postélectorale. Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a augmenté la distribution alimentaire générale dans l’ouest et le nord du pays, ainsi que dans quelques quartiers d’Abidjan, pour répondre aux besoins alimentaires des centaines de milliers de personnes déplacées du fait de la crise postélectorale. Cette aide a bénéficié à plus de 250 000 personnes (272 000 en août 2011). Chaque ménage de cette population devait recevoir des rations complètes (riz, haricots, CSB, huile et sel) pour 5 personnes. Cependant, la mise en œuvre a été perturbée par des ruptures de stocks dans la chaine d’approvisionnement du PAM, de sorte que le PAM se trouve parfois obligé de réduire les rations d’une partie des bénéficiaires. Ce programme devrait en principe prendre fin lorsque les déplacés auront réussi à se rétablir dans leurs zones d’origine et à relancer leurs activités productives. Bien que ce processus soit déjà en cours, il ne sera pas entièrement achevé avant au moins quelques mois encore compte tenu des pertes de biens subies par les déplacés, y compris en intrants et équipements agricoles, et du climat d’insécurité qui prévaut toujours dans certaines zones, notamment dans l’Ouest. 37 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 4.3.2 Transferts alimentaires dans le cadre de programmes nutritionnels Des transferts alimentaires ciblés à des groupes vulnérables sont effectués dans le cadre de programmes nutritionnels. Comme dans le cas de l’aide alimentaire générale, la plupart des programmes nutritionnels sont limités dans l’espace (ciblage géographique sur les zones de déplacement ou de forts taux de malnutrition) et limités dans le temps. Ces programmes sont également dépendants du niveau de ressources mobilisées par les pays donateurs. Les principaux programmes de ce type visent à prévenir ou à répondre à la malnutrition chez les groupes particulièrement vulnérables comme les enfants de moins de cinq ans, les femmes enceintes ou allaitantes, les personnes âgées et les patients atteints du VIH/SIDA. • Cantines pour groupes déplacés à risques (enfants, femmes et personnes âgées). Dans le cadre de l’action humanitaire, le PAM et l’ONG française Action Contre la Faim (ACF) organisent, depuis avril 2011, à titre préventif, des cantines dans les sites de déplacement dans l’ouest accessibles aux femmes enceintes et allaitantes, aux enfants de 0 à 59 mois et aux personnes âgées. Un repas chaud (CSB+, huile) a été fourni une fois par jour à environ 17 000 personnes par mois. L’activité était prévue jusqu’au 24 septembre 2011, mais a été renouvelée. Selon l’enquête SMART réalisée mi-2011, le taux de malnutrition aiguë globale dans la zone d’intervention est de 4%, alors que ce taux atteint 7% dans certaines autres zones. Le PAM est ainsi en discussion avec les autorités pour éventuellement rediriger le programme vers les zones où les taux de malnutrition sont les plus élevés. • Prise en charge des enfants malnutris. Un protocole national existe pour la prise en charge de la malnutrition infanto-juvénile. Alors que l’UNICEF et ses partenaires assurent la prise en charge de la malnutrition aiguë sévère, le PAM et ses partenaires (plus de 60 ONG) assurent la prise en charge de la malnutrition aiguë modérée, dont le nombre d’enfants atteints est estimé à 159 000. Toutefois les activités ne couvrent pas encore l’ensemble du pays, faute de centres nutritionnels. La mise en place ou le renforcement de ces centres, rattachés aux centres de santé, nécessite des formations, de l’équipement et des intrants. L’OMS et l’UNICEF ont proposé d’appuyer un plan de formation (dans le cadre du Cluster humanitaire sur la nutrition). Actuellement le PAM et ses partenaires fournissent du Plumpy’Sup à un total de 8 000 à 9 000 enfants de 6 à 59 mois en malnutrition aiguë modérée dans quelques sites dans le nord et l’ouest. Ce programme est en place depuis avril 2011 et a été assuré jusqu’en décembre 2011. • Transferts alimentaires aux personnes accompagnant les enfants hospitalisés en malnutrition aiguë sévère. Le PAM fournit une ration d’appui à ces personnes pour réduire le risque de départ précoce des enfants sous traitement. • Transferts alimentaires aux femmes enceintes malnutries. Les femmes bénéficiaires sont identifiées au niveau des centres de santé sur base du périmètre brachial (selon le protocole national). Le PAM et ses partenaires leur fournissent une ration individuelle de CSB+ et d’huile chaque semaine ou quinzaine jusqu’à l’accouchement. Plus de 10 000 femmes bénéficient de cette assistance (dans les mêmes centres nutritionnels que pour le traitement de la malnutrition aiguë modérée). • T ransferts alimentaires aux patients sous ARV malnutris. Le PAM et ses partenaires fournissent une ration individuelle (CSB+, huile) aux patients atteints du VIH/SIDA sous traitement antirétroviral (ARV) malnutris pendant 3 ou 6 mois afin d’assurer la réussite du traitement. 4.3.3 Les secours aux indigents Les secours aux personnes démunies existent depuis des années mais sont devenus quasi inexistants. L’aide aux personnes démunies, qui est régie par le décret n° 67-524 du 28 novembre 1967 portant réglementation de l’octroi des secours, est de très petite envergure, voire presque dérisoire par rapport à l’ampleur de la pauvreté dans le pays. Il s’agit de l’octroi de 38 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire quelques aides ponctuelles chaque année par le ministère chargé des Affaires Sociales à une poignée de bénéficiaires (au maximum quelques centaines par an) selon des procédures fortement centralisées, lourdes et sans critères d’éligibilité clairs. Une commission nationale se réunit une fois par an à l’initiative de la Direction de la Protection Sociale (DPS) afin de sélectionner les bénéficiaires parmi les demandes reçues des centres sociaux via les directions régionales. La sélection se fait sur base des informations d’une enquête sociale menée par le Centre Social du lieu de résidence du demandeur. Les demandes appuyées ont souvent trait à la promotion économique notamment pour les femmes, et parfois à des aides médicales. Pour l’année 2011, à la date du 19 août, la DPS n’avait reçu que 101 demandes d’aide (78 pour des activités génératrices de revenus et 23 pour des aides médicales) pour un montant total de 81 millions de FCFA (MEMEASS, 2011a).25 Lors des visites aux centres sociaux, l’équipe de recherche a eu l’impression que les secours aux indigents étaient vus par les assistants sociaux sur le terrain comme un mécanisme d’aide qui avec le temps est devenu quasi inexistant, faute de moyens. 4.3.4 Les allocations chômage Le traitement social du chômage bénéficie à une petite minorité des chômeurs. L’Agence d’Etudes et de Promotion de l’Emploi (AGEPE), établissement public sous la tutelle technique du Ministère chargé de l’Emploi, gère un programme d’indemnisation du chômage, qui bénéficie à quelques licenciés des entreprises privées. Seule une petite minorité de chômeurs inscrits à l’AGEPE sont concernés. Selon les données disponibles pour l’année 2007, l’AGEPE a examiné 1825 dossiers, dont 1547 ont été agréés. Au cours de cette même année, le nombre de paiements d’allocations chômage effectués (150 000 FCFA par trimestre) a oscillé entre 471 et 1454 (Gueu Yra, 2008). Compte tenu de l’ampleur du chômage en Côte d’Ivoire (17,5% au niveau national, 35,7% en milieu urbain et 50% à Abidjan selon les données de l’ENV 2008), on est très loin d’une couverture significative des millions d’ivoiriens en quête de travail. Un nouveau programme d’appui au traitement économique du chômage (PATEC) a été adopté en 2010. 4.3.5 Les transferts aux OEV Quelques transferts bénéficient aux OEV du fait du VIH/SIDA. En plus des services, quelques transferts sont effectués dans le cadre du programme national de prise en charge des orphelins et autres enfants rendus vulnérables du fait du VIH/SIDA (PN-OEV), appuyé par le PEPFAR, la Banque Mondiale, le Fonds Mondial et d’autres partenaires techniques et financiers. Les modalités de prise en charge des OEV du fait du VIH/SIDA sont établies dans les documents du PN-OEV, développés avec l’appui du PEPFAR. Le concept d’OEV désigne généralement les orphelins et autres enfants qui sont plus exposés aux risques que leurs pairs. Mais en Côte d’Ivoire le concept d’OEV a été interprété de manière plus étroite (« du fait du VIH/SIDA »).26 Cette approche exclut donc de fait d’autres groupes d’OEV tels que les enfants de la rue, les enfants victimes de la traite, les enfants affectés par les conflits armés ou les enfants qui tout simplement vivent dans des ménages très pauvres. On estime à 430 000 le nombre d’OEV du fait du VIH/SIDA. Le plan stratégique national de prise en charge des OEV 2007-2010 prévoyait la prise en charge de 162 000 d’entre eux (MFFAS, 2007a). Un paquet minimum a été défini, comprenant sept grands domaines : soutien psychosocial ; soutien à l’éducation et à la mise en apprentissage ; soutien pour l’abri et les soins ; soutien à la protection ; soutien pour la sécurité alimentaire et la nutrition ; soutien pour le renforcement économique ; et soutien aux soins de santé. Il inclut ainsi des services, des transferts et des microcrédits. Cependant, il semble que les transferts ne constituent qu’une petite composante de cette panoplie d’appuis. 25 Selon les informations reçues de la DPS, la subvention maximale est de 200 000 FCFA par demande. Le décret n° 67-524 stipule que le montant des secours immédiats, éventuels ou temporaires ne peut en aucun cas dépasser 100 000 FCFA pour un même bénéficiaire au cours d’une même année. Les secours de maladie sont cumulables avec les secours éventuels ou temporaires, et, sauf exception, ne peuvent dépasser un montant de 90 000 FCFA par trimestre. 26 L’assistance est ainsi restreinte aux enfants ayant perdu au moins un parent du fait du VIH/SIDA (orphelins du fait du VIH/SIDA), les enfants infectés par le VIH, les enfants dont au moins un parent vit avec le VIH/SIDA, les enfants vivant dans un ménage affecté économiquement par le VIH/SIDA (où vit déjà une personne infectée), les enfants vivant dans un ménage qui accueille un orphelin ou enfant affecté du fait du SIDA et les enfants vivant dans une situation qui les rend vulnérables au VIH (MFFAS, 2009b) 39 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Par exemple, il n’y a eu que 27 bénéficiaires de bourses d’études secondaires ou supérieures en 2009-10, selon les informations reçues du Ministère d’Etat, Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité. En 2009, environ 500 femmes bénéficiaient de microcrédits pour le financement d’activités génératrices de revenu (AGR) dans le cadre du Fonds National « Femmes et Développement », qui fait partie du volet économique du PN-OEV (MFFAS, 2008a). 4.4Les programmes à haute intensité de main d’œuvre (HIMO) et la promotion de l’emploi Les programmes de travaux publics à haute intensité de main d’œuvre (HIMO) sont un des principaux instruments à la disposition des autorités publiques pour faire face aux taux élevés de chômage et ainsi accroître les revenus des plus pauvres. La Côte d’Ivoire a déjà une expérience en la matière, bien que les programmes existants restent à petite échelle par rapport à l’ampleur du chômage. Deux institutions nationales sont actuellement impliquées dans des programmes de ce type, en partenariat avec les collectivités locales. Il s’agit de l’AGEPE, au Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité, et de l’Agence de Gestion Routière (AGEROUTE). 4.4.1 Le programme HIMO de l’AGEPE L’AGEPE a mis en œuvre des projets à caractère HIMO à petite échelle depuis 2006. Ses projets ont été financés par le Fonds de Soutien à l’Emploi par les Travaux d’Utilité Publique à Haute Intensité de Main d’œuvre (FSE-THIMO), crée en 199427. Le Fonds s’adresse aux collectivités locales (communes, départements et districts) pour occuper les jeunes désœuvrés et les femmes démunies à la réalisation des travaux d’utilité publique, essentiellement des travaux de salubrité publique et des travaux de construction, réhabilitation et entretien d’infrastructures publiques (MFPE et MEMEF, n.d.). Le Fonds est doté d’une cellule technique logé au sein du Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité, qui reçoit les demandes de financement (provenant des collectivités locales), instruit les demandes conformément au manuel d’exécution, transmet les dossiers après instruction à la Banque Nationale d’Investissement (BNI), qui gère le compte du Fonds et coordonne et supervise les interventions sur le terrain. Les travailleurs sont recrutés dans le cadre de « groupements » sur la base de conventions annuelles passées avec des superviseurs proposés par les communes pour les travaux de salubrité. Dans le cas des travaux d’infrastructure, ils sont recrutés par des entreprises conventionnées, qui reçoivent des transferts du Fonds pour le paiement des salaires. Les travailleurs sont payés au niveau du SMIG, qui est de 36 607 FCFA pour 40 heures de travail hebdomadaire (niveau 2011) et les groupements sont encouragés à ouvrir des comptes d’épargne dans les banques ou institutionsde microfinance afin de constituer un petit capital pour le lancement d’activités génératrices de revenus. Le Fonds n’est devenu opérationnel qu’en 2006, suite à l’octroi de sa première (et jusqu’à présent sa seule) allocation budgétaire de 4,95 milliards de FCFA par l’Etat. Compte tenu de ses ressources très limitées, le Fonds a établi un plafond de 20 à 30 bénéficiaires par commune, selon la taille de sa population, ce qui montre l’échelle très réduite de ce programme. En fait, entre 2006 et 2009, le Fonds n’a embauché que 2 564 travailleurs dans 93 communes. En plus de la création de ces emplois temporaires, le projet a eu un impact environnemental positif en matière de salubrité dans les communes bénéficiaires. Depuis 2009, les activités du Fonds sont suspendues, en raison des perturbations au niveau des mairies pendant la crise politique de 2010-2011, ainsi que de l’épuisement des ressources octroyées en 2006 : à peine 600 millions de FCFA restent dans le compte du Fonds à la BNI. 27 Décret no 94-217 du 20 avril 1994. 40 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 4.4.2 Les projets HIMO de l’AGEROUTE L’Agence de Gestion des Routes (AGEROUTE) a également acquis de l’expérience dans la gestion de projets HIMO. Société d’Etat sous la tutelle du Ministère chargé des infrastructures publiques, l’AGEROUTE a obtenu sa première expérience de l’approche HIMO en 2002-04 dans le cadre du programme d’ajustement sectoriel des transports (CI-PAST), financé par la Banque Mondiale. Une composante de « transport rural » du CI-PAST a mis sur pied un projet pilote qui envisageait de réhabiliter 400 km de routes rurales à partir des approches à HIMO dans les départements de Soubré, Ferké, Dabakala et Abengourou, tout en renforçant les capacités de petites et moyennes entreprises (PME) du secteur à la maîtrise des techniques HIMO et en organisant des comités villageois d’entretien routier (CVER) dans le but d’impliquer les populations dans le choix des routes à réhabiliter et dans l’entretien après les travaux. Le projet était vu comme particulièrement prometteur vu les besoins énormes de réhabilitation de routes rurales et le nombre énorme de jeunes désœuvrés. La mise en œuvre du projet a été fortement handicapée par les évènements politiques de septembre 2002 et la division du pays en deux, qui a fait de sorte que le projet n’a pu être exécuté que dans les départements de Soubré et Abengourou. Les travaux se sont finalement poursuivis sur seulement 70 km, employant environ 250 jeunes pendant sept mois (AGEROUTE, 2005). L’AGEROUTE a mené un deuxième projet pilote de type HIMO en 2007-08 dans le but d’expérimenter un cadre de réinsertion économique des ex-combattants et jeunes à risques. Ces jeunes ont été organisés en brigades d’entretien et de réhabilitation de 206 km de routes bitumées dans les départements de Bouaké, Korhogo, Daloa, Guiglo et Aboisso. Ces expériences ont conduit la Banque Mondiale à inclure un volet HIMO dans son Projet d’Assistance Post-Conflit (PAPC), approuvé à la suite des accords de Ouagadougou en mars 2007. L’objectif de ce projet de 120 millions de dollars est de renforcer la réinsertion économique et l’accès aux services sociaux des populations affectées par le conflit déclenché en 2002, d’appuyer le redressement économique du pays et de construire une paix durable. La composante de réinsertion économique, qui cible des jeunes ex-combattants et d’autres « jeunes à risques », comprend des projets HIMO de réhabilitation de routes rurales et d’entretien de routes bitumées et de travaux de salubrité, gérés par l’AGEROUTE et des collectivités locales, ainsi que des « plateformes » d’appui à l’emploi (formation, conseil, services techniques, etc.), notamment pour le lancement d’AGR et de micro-entreprises. Le projet avait prévu d’embaucher 9 000 jeunes dans les projets HIMO et de créer 1,2 millions de jours de travail (Banque Mondiale, 2007). Jusqu’en décembre 2010, 16 741 jeunes avaient déjà bénéficié des activités de réinsertion économique et plus de 2 300 km de routes nationales, urbaines et rurales avaient été réhabilitées. Le volet HIMO a été élargi et il a été décidé mi-2011 d’embaucher 5 000 jeunes pour des travaux de voirie dans la ville d’Abidjan et le district voisin d’Anyama. 4.4.3 Forces et faiblesses de l’expérience HIMO L’approche HIMO s’est avérée efficiente et a contribué à améliorer le niveau de vie des bénéficiaires. En termes économiques, les projets ont été efficients pour les types de travaux concernés (la réhabilitation et l’entretien de routes et les travaux de salubrité), qui n’ont pas besoin de travaux mécanisés. Dans le projet pilote de l’AGEROUTE en 2002-04, le coût moyen de réhabilitation d’un kilomètre de route rurale a été estimé à 8 millions de FCFA en comparaison à environ 10 millions de FCFA pour des travaux mécanisés (AGEROUTE, 2005). En termes d’impact social, les projets ont accru les revenus de jeunes désœuvrés, qui ont été embauchés pendant une période assez longue (environ 6 mois dans les projets d’AGEROUTE et 1 an dans le cas de l’AGEPE) et payés au niveau du SMIG, qui est bien plus élevé que le salaire du marché pour la main d’œuvre non qualifiée. Quelques participants dans ces projets ont aussi pu épargner une partie de leurs revenus et créer des AGR à la suite des projets (AGEROUTE, 2008). En outre, les travaux de salubrité ont eu des effets environnementaux positifs. 41 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Néanmoins, ces projets démontrent quelques faiblesses : • Le nombre de bénéficiaires est très réduit par rapport à l’ampleur du problème du chômage, qui est de nature structurelle. Les projets HIMO n’ont pas encore été mis à l’échelle, bien que les besoins de travaux adaptés à l’approche HIMO soient immenses (des dizaines de milliers de routes à réhabiliter et entretenir, d’énormes défis d’assainissement urbain, des besoins de reboisement et d’autres travaux de protection environnemental, surtout dans le Nord). Les programmes HIMO n’ont pas encore été utilisés pour accroître les revenus des populations rurales pauvres pendant la période de soudure et d’insécurité alimentaire dans les zones de savane aride, à l’instar des programmes HIMO dans des pays comme l’Ethiopie et Madagascar. De plus, la participation des femmes a été relativement faible (25% dans les projets AGEROUTE et 38% dans le cas du FSE-THIMO) par rapport aux autres pays. • La part des salaires (transferts) dans les coûts totaux est faible. Dans le cas du projet pilote de l’AGEROUTE en 2007-08, ce ratio était de 23% (AGEROUTE, 2008), ce qui est très faible par rapport à la moyenne en Afrique subsaharienne, estimée à 46% (McCord et Slater, 2009), et à 78% dans le cas du PSNP en Ethiopie, qui montre les avantages d’un programme jouissant de larges économies d’échelle (Banque Mondiale, 2009). Le ratio est probablement plus élevé dans les travaux de salubrité. Cependant, il serait possible d’augmenter considérablement la part des salaires dans un programme à large échelle. • Les méthodes de ciblage semblent peu développées. L’utilisation du salaire au niveau du SMIG comme moyen d’auto-sélection semble insuffisant, compte tenu de l’ampleur du chômage et du fait que le salaire du marché pour la main d’œuvre non qualifiée est bien en dessous du SMIG. Dans tous les projets, la demande d’emploi s’est avérée très forte (souvent 3 à 4 fois plus élevée que le nombre de places disponibles) et la sélection a soit été faite sur la base du principe « premier venu premier servi » ou d’une sorte de tirage au sort (AGEROUTE), soit laissée à la discrétion des maires (FSE-THIMO). • Les activités de formation et conseil pour des emplois durables ont été reléguées au second plan, aussi bien dans le FSE-THIMO que dans le cadre du PAPC. Cet aspect sera au centre d’un nouveau projet en cours de préparation par la Banque Mondiale, le programme d’emploi des jeunes. • L es mécanismes de suivi et évaluation sont faibles, notamment dans le cas du FSE-THIMO, ce qui rend difficile l’analyse de l’efficience et de l’efficacité des programmes. Le développement futur de l’approche HIMO en Côte d’Ivoire pourrait envisager la mise en place de stratégies différentes en milieu urbain et rural. Le volet rural pourrait être conçu essentiellement pour faire face aux risques saisonniers de baisse de revenus et d’insécurité alimentaire en période de soudure par des emplois de courte durée (de 3 à 5 mois selon les zones), tout en s’adressant aux besoins d’amélioration des infrastructures et de protection environnemental en milieu rural, surtout dans les zones de savane au Nord. Par contre, le volet urbain donnerait une réponse à large échelle au défi du chômage urbain, surtout parmi les jeunes, par des emplois à plus long terme dans le cadre de projets à HIMO et avec un accent renforcé sur la formation des bénéficiaires, la promotion de l’épargne et la facilitation de l’accès des bénéficiaires aux opportunités de microcrédit auprès des établissements de micro-finance en vue de leur insertion économique à plus long terme. 4.4.4 Autres programmes de promotion de l’emploi Plusieurs autres programmes de promotion de l’emploi existent mais sont tous de petite envergure. Les principaux programmes actuellement en place, sous l’égide de l’AGEPE, sont le Programme d’Aide à l’Embauche (PAE) et le Programme de Développement des Initiatives Génératrices de Revenus (PRODIGE). D’autres programmes de l’AGEPE comme le Programme Spécial d’Insertion des Femmes et des Jeunes Ruraux, le Programme de Maintien de l’Emploi et 42 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire de Reconversion Professionnelle et le Programme de Création de Micro Entreprise ne sont plus en activité. • Le PAE, établi en 1991 et financé par le Fonds de Promotion d’Aide à l’Emploi, vise à améliorer l’employabilité des jeunes diplômés primo demandeurs d’emploi par le biais du financement de stages d’apprentissage de 12 mois et d’activités de formation. Selon l’AGEPE, le taux d’insertion post-stage est assez élevé, oscillant entre 30 et 60% (Bosso et Bassa, 2011). Le nombre de stagiaires est cependant très faible : à peine 658 de 1995 à 2002 (Gueu Yra, 2008). • Le PRODIGE a été mis en place dans sept localités de l’ouest du pays très affectées par la crise militaro-politique pour appuyer le retour des populations locales déplacées, la réinsertion des jeunes et le relèvement du tissu économique local. Le projet a appuyé la mise en œuvre de 98 projets et a créé environ 2000 emplois, selon le Ministère chargé de l’Emploi (Bosso et Bassa, 2011). D’autres programmes, notamment ceux appuyés par l’Agence Nationale de Formation Professionnelle (AGEFOP), promeuvent l’accès à l’emploi par la formation, y compris pour les groupes les plus vulnérables. Il est important à noter également le rôle des Instituts de Formation et d’Education Féminine (IFEF), du Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, qui donnent accès à une formation qualifiante à moindre coût pour les filles déscolarisées, non scolarisées ou analphabètes). Ces structures sont en forte représentation sur le territoire national (100 dont 75 fonctionnelles en 2011) et accueillent 50 filles en moyenne par année. 4.5Les services d’action sociale Cette branche de la protection sociale inclut une large gamme de services qui visent à prévenir et répondre aux risques d’abus, de violences, de maltraitance, d’exploitation, de discrimination ou d’exclusion auxquels de nombreux ivoiriens sont exposés, notamment les enfants (surtout ceux vivant en dehors de la protection d’un cadre familial sain), les femmes, les personnes âgées, les personnes handicapées et les déplacés. Il s’agit, d’une part, de mesures de renforcement des capacités des groupes ou individus les plus vulnérables à ces risques, ainsi que des familles et des communautés notamment au travers de programmes de communication, d’éducation et de conseil, et, d’autre part, de mesures d’intervention, allant du secours aux victimes à l’appui psychosocial et à la réinsertion sociale ou économique. Dans l’ensemble, ces services semblent bénéficier à une frange limitée des nombreuses familles et individus vivant dans une situation à haut risque. Lors de l’étude de cartographie du système de protection de l’enfant en 2009-10, aucun des répondants consultés au niveau communautaire n’a fait référence aux services offerts par les travailleurs sociaux, tant étatiques que non gouvernementaux (MFFAS, 2010g). Comme indiqué précédemment (section 4.1), les communautés ne se réfèrent que rarement aux structures formelles en cas de violences envers des enfants par exemple. En Côte d’Ivoire ces services sont très faibles pour de nombreux raisons, parmi lesquelles : la diversité des types de risques ; le grand nombre d’acteurs étatiques et non étatiques (Centres Sociaux du Ministère chargé des Affaires Sociales, services sociaux d’autres ministères et des collectivités locales, ONG et confessions religieuses) ; l’absence de cadre politique complet et cohérent pour orienter et prioriser les actions ; le faible niveau de coordination inter et intra sectorielle ; l’insuffisance des ressources financières ; la dépendance à l’aide extérieure ; et les difficultés d’assurer la pérennisation des programmes et projets. On trouve donc un grand nombre de petits projets éparpillés, mal coordonnés et limités dans le temps et dans l’espace, qui ensemble ne constituent pas véritablement un « système » de services d’action sociale. Les facteurs institutionnels et financiers qui sous-tendent ces faiblesses sont abordés dans le Chapitre 5. 43 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire La plupart des ONG, qui sont les principales destinataires du financement extérieur, ne fournissent pas de services directs aux familles, selon l’étude de cartographie du système de protection de l’enfant.28 Elles se consacrent plutôt à la formation, au plaidoyer et à la coordination (MFFAS, 2010g). Dans le cas des Centres Sociaux du Ministère chargé des Affaires Sociales, on note également une dispersion de leurs ressources limitées. Ceci est dû notamment au fait que leur responsabilité s’étend à la prestation de certains services socio-sanitaires (vaccinations, surveillance pondérale, éducation nutritionnelle) qui recouvrent des fonctions des structures de santé et détournent le personnel des Centres Sociaux de leurs responsabilités principales. Les services existants semblent largement orientés vers un nombre réduit de problèmes spécifiques en raison des incitations du financement extérieur. L’aide des partenaires techniques et financiers (PTF) est concentrée de manière déséquilibrée sur des programmes cloisonnés en faveur des OEV (dans le cadre d’un programme conçu de manière étroite et restrictive pour prendre en compte uniquement les enfants rendus vulnérables en raison du VIH/SIDA), sur le travail des enfants dans les plantations de cacao et café, et sur les violences basées sur le genre (VBG). Dans l’absence d’un cadre politique de protection sociale, qui établit des priorités nationales, et sans financements internes significatifs pour répondre aux besoins plus larges, ces flux de fonds externes incitent les structures étatiques, notamment les Centres Sociaux, et les ONG à orienter la plupart de leurs propres ressources (cadres et travailleurs sociaux) à ces programmes au lieu de construire des systèmes plus intégrés et équilibrés. Comme il a été constaté par un Directeur Régional du Ministère chargé des affaires sociales, cité dans le rapport de la cartographie (MFFAS, 2010g, p. 73) : « Le travail des OEV prend pas mal de temps. En principe on devrait traiter toutes les vulnérabilités, mais les OEV sont une cible spécifique au VIH. On n’arrive pas à s’occuper des autres aspects. » L’étude de cartographie a tiré la conclusion que la prédominance des approches ciblées sur des problématiques précises réduit le temps d’intervention des travailleurs de première ligne (étatiques comme non gouvernementaux) et limite leur capacité à conformer leurs prestations aux réalités des communautés dans lesquelles ils interviennent. La cartographie a constaté, d’ailleurs, que « les problématiques de protection abordées par les acteurs formels ne correspondent pas forcément aux besoins ressentis par les communautés », parmi lesquels le problème le plus souvent cité dans les groupes de discussion a été celui de la maltraitance d’enfants (MFFAS, 2010g, p. 101). 4.5.1 La prise en charge des OEV du fait du VIH/SIDA Le Programme National de prise en charge des Orphelins et autres Enfants rendus Vulnérables du fait du VIH/SIDA (PN-OEV) est le programme le mieux financé, impliquant un grand nombre d’acteurs et mobilisant une large partie du temps des travailleurs sociaux. Rattaché au Ministère d’Etat, Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité (MEMEASS), il est largement appuyé techniquement et financièrement par les Etats-Unis à travers le programme PEPFAR. D’autres appuis aux OEV sont financés par la Banque Mondiale, l’UNICEF et le Gouvernement ivoirien. Les Centres Sociaux sont responsables de la coordination des 32 plateformes de coordination locale des acteurs impliqués dans le PN-OEV et, dans le cas des « Centres Sociaux Restructurés » (voir la section 5.2), ils sont particulièrement impliqués dans le suivi et l’évaluation des activités. Comme indiqué dans la section 2.2.2, le « paquet minimum » des services qu’un OEV devrait recevoir, selon les « standards » établis par le PN-OEV, a été défini selon sept catégories : la nutrition (les vivres, les formations nutritionnelles) ; la santé ; l’éducation (les kits scolaires, les kits d’apprentissage, la formation technique et professionnelle) ; le renforcement économique (le microcrédit, les dons, les activités récréatives) ; le logement (le loyer, les familles d’accueil, les kits hygiéniques, les vêtements) ; l’appui psychosocial (le conseil, l’appui spirituel, les consultations psychologiques) ; et la protection (les documents légaux, l’identification des risques, la promotion de la Convention des Droits de l’Enfant, l’éducation sur la maltraitance) (MFFAS, 2009b). 28 Seules 6 des 27 ONG interrogées lors de la récente cartographie du système de protection de l’enfant offraient des services directs (MFFAS, 2010g). 44 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Cette gamme de services est fournie par des ONG, qui sont financées directement par les partenaires extérieurs. Ceci pose, d’une part, la question de la dépendance des prestations à la présence ou non des ONG dans la zone, et d’autre part, la question de la pérennisation des activités. Cette approche « projet » et sa forte dépendance aux compétences spécifiques de chaque ONG partenaire entrainent une fragmentation de la prestation des aides sociales. Par ailleurs, l’accent mis sur la fourniture de kits laisse passer au second plan le soutien social aux familles et enfants (travail de médiation, détection et réponse aux situations de maltraitance, etc.). 4.5.2La prévention et la prise en charge des violences basées sur le genre La lutte contre les violences basées sur le genre (VBG) a conduit à une forte mobilisation institutionnelle à la fois des structures publiques, des agences des Nations Unies et des ONG nationales et internationales. Dès le déclenchement de la crise politico-militaire en Côte d’Ivoire en 2002, le Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique a mis en œuvre (avec l’appui du FNUAP) la première action dans le domaine de la prévention des violences sexuelles et de la prise en charge des victimes. Au niveau interministériel, le Comité National de Lutte contre les Violences faites aux Femmes et aux Enfants (CNLVFE) est chargé de la prévention et de la prise en charge des victimes des violences basées sur le genre et à l’égard des enfants. Au niveau du Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, ce rôle incombe à la Direction de l’Égalité et la Promotion du Genre (DEPG) créée en 2006. De nombreuses ONG nationales sont impliquées dans la prévention et la prise en charge des violences basées sur le genre.29 Plusieurs agences des Nations Unies (notamment le FNUAP, le PNUD, l’UNIFEM, l’UNICEF et le HCR) et des ONG internationales30 sont également très actives dans le domaine (MFFAS, 2008c). Sur le terrain, les activités de lutte contre les VBG consistent en la prévention et l’assistance aux survivant(e)s. Les séances de sensibilisation de masse, de proximité ou interpersonnelle mobilisent selon les cas des animateurs communautaires, des pairs éducateurs, des responsables communautaires, des psychologues, des médecins et autres personnes ressources. Elles s’accompagnent souvent par la mise en place de mécanismes communautaires visant notamment à la détection et à la prise en charge des victimes de violences et de maltraitance, ainsi qu’à la prévention des pratiques traditionnelles néfastes (mutilations génitales féminines, mariages précoces et/ou forcés). La prise en charge intégrée prévoit un volet psycho-social (écoute, visites à domiciles, enquêtes sociales, orientations assistées, réintégration et réhabilitation familiales, référence et contre référence), un volet médical (assistance médicale), un volet juridique (assistance juridique et judiciaire), et un volet socio-économique (appui aux AGR, placement chez les maîtres artisans et dans les IFEF). En matière d’assistance psycho-sociale, les premiers bureaux d’écoutes ouverts en 2000 au sein des mairies ont montrés de très bons résultats. Toutefois, certains ne disposent d’aucun local ou d’outil pour la prise en charge des victimes des VBG, et l’accueil des victimes se fait parfois sans confidentialité. À Abidjan, plusieurs ONG nationales31 disposent de salles d’écoute, de psychologues et/ou d’assistants sociaux et autres personnes ressources, pour mettre en œuvre les différentes actions de prise en charge psychologique (écoute, conseil et visites à domicile). Des salles d’écoute ont également pu être construites dans plusieurs Centres Sociaux (à Yamoussoukro, Daloa et Duékoué avec l’appui de l’IRC). Les Centres Sociaux offrent de réelles opportunités pour la prévention et la prise en charge des violences basées sur le genre du fait d’une part, de la tenue de plusieurs activités connexes qui ne favorisent pas la stigmatisation des victimes, et d’autre part, des capacités techniques des agents qui sont en 29Dans les neuf villes couvertes par une étude sur les VBG menée en 2007 (MFFAS, 2008c), 58 ONG nationales œuvrant dans le domaine de la lutte contre les VBG ont été recensées (basées à Abidjan pour 40% d’entre elles). 30 Parmi elles, on compte notamment CARE International, IRC (Comité International de Secours), Amnesty International, Enfance Meurtrie Sans Frontière, BICE (Bureau International Catholique de l’Enfance), Save the Children UK et Save the Children Suède (MFFAS, 2008c). 31 Parmi elles, on compte notamment Monde Sain, AIECA, ODAFEM, FIFEM-OFEF, ONEF, SOS Violences Sexuelles et Manne du Jour (MFFAS, 2008c). 45 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire général formés à l’Institut National de Formation Sociale (MFFAS, 2008c). Le CNLVFE coordonne quant à lui un réseau de 14 bureaux d’écoute (8 à l’intérieur du pays et 6 à Abidjan) appuyés par les Centres Sociaux. En 2009-2011, ces bureaux ont accueilli plus de 6500 femmes et enfants victimes de violences (Tableau 4.3). Tableau 4.3 Activités du CNLVFE, 2000-2011 2000-2004 2005-2008 2009-2011 1 127 2 035 6 558 Visites à domicile, enquêtes sociales 123 139 86 Orientations assistées 115 122 191 10 7 13 Ecoute, entretien conseil, soutien psychologique Appui à la prise en charge scolaire Source : Cellule de Coordination du CNLVFE. En ce qui concerne l’assistance médicale, une étude menée en 2007 a montré que, sur 58 ONG concertées, seules 14 disposaient de structures capables d’apporter une réelle assistance médicale aux victimes de VBG (MFFAS, 2008c). Au regard de l’assistance juridique et sécuritaire, des dispositions légales existent mais les victimes de violences ont très peu recours aux structures juridico-administratives, par méconnaissance mais aussi et surtout par craindre des implications sur leur vie future. Peu d’ONG nationales proposent une assistance juridique aux victimes (12 sur 58 concertées en 2008). Les conseillers juridiques peuvent appuyer les victimes qui le désirent pour l’obtention de certificats médicaux et le cas échéant, la saisie des structures juridiques. Certaines structures32 proposent également une assistance sécuritaire lorsque l’intensité et la fréquence de la violence subie nécessite d’isoler la victime. Cette dernière est soit hébergée par l’ONG elle-même, soit référée à une famille ou centre d’accueil, ou à une structure spécialisée comme une pouponnière. Enfin, l’assistance socio-économique s’impose du fait que le dénuement socio-économique peut s’avérer à la fois comme la cause et la conséquence du mauvais traitement subi. La majorité des ONG offrent aux victimes qui s’adressent à elles une aide matérielle ponctuelle. Plusieurs structures s’investissent également dans l’autonomisation des victimes par le soutien à la mise en œuvre par celles-ci d’AGR. D’une manière générale, les actions dans le domaine des VBG sont, dans une large mesure, menées par les ONG. Elles reposent ainsi plus sur de simples structures associatives (dont les actions sont souvent circonstancielles) que sur un réel dispositif institutionnel. Cette multiplicité d’expériences en matière d’approche et de stratégie de lutte contre les VBG est de nature à entraîner une dispersion des ressources. Dans le contexte de crise, la lutte contre les VBG s’est principalement développée comme une réponse humanitaire mettant l’accent sur la prise en charge des victimes. Des circuits locaux de référence ont été mis en place sous l’impulsion des acteurs humanitaires avec parfois des ONG dans le rôle central. Du fait du manque d’implication des Centres Sociaux, ces circuits locaux échappent au contrôle direct de la DEPG, qui a pourtant, entre autres missions, de coordonner l’action de lutte contre les VBG. La faiblesse des capacités techniques et matérielles des intervenants constitue une autre limite à l’efficacité des actions. Malgré ces diverses contraintes, quelques expériences prometteuses existent. L’Encadré 4.4 présente quelques-unes d’entre elles qui mériteraient d’être approfondies. 32 Renaissance Santé de Yamoussoukro, OIS Afrique de Bouaké, ANAED de Korhogo, SILOE de Danané, ODAFEM et IDE-Afrique de Man. 46 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Encadré 4.4Quelques expériences prometteuses dans la lutte contre les VBG Bien que les VBG ne constituent pas les activités primordiales des Centres Sociaux, ces derniers offrent de réelles opportunités pour la prévention et la prise en charge des VBG. Là où ces actions sont vulgarisées, on observe un véritable engouement. D’une part, la tenue de plusieurs activités connexes ne favorise pas la stigmatisation des victimes. D’autre part, les agents de ces centres, tous formés à l’Institut National de Formation Sociale, possèdent de réelles compétences techniques. Les résultats obtenus dans les bureaux d’écoute (bureaux, centres ou salles d’écoute) sont très positifs, d’autant plus lorsque le bureau d’écoute est intégré au sein d’une mairie ou, mieux, d’un Centre Social. En 2000, l’Association des Femmes Juristes de Côte d’Ivoire (AFJCI) a mis en place le projet de clinique juridique dans le but de promouvoir les droits humains, principalement ceux de la femme et de l’enfant. Le nombre de demandeurs a augmenté au fil des années, notamment avec le déclenchement de la crise. En 2006, 323 demandes ont été reçues pour bénéficier des services dans le domaine du contentieux matrimonial, du divorce et de la séparation de corps, de la garde d’enfants, du droit du travail, et des violences conjugales. Bien que le rôle joué par la clinique juridique soit indéniable, elle dispose malheureusement de peu de moyens humains, matériels et financiers pour un fonctionnement efficient. Et, même si cela était inscrit dans les objectifs du projet initial, l’AFJCI n’est pas encore parvenu à créer d’autres structures à l’intérieur du pays et surtout à mieux vulgariser l’existant. Le Comité de Coordination Locale de prévention et de prise en charge des violences sexistes et sexuelles de Duékoué mis en place en juillet 2005 a contribué à améliorer la détection et la prise en charge des cas de VBG. Ses performances, largement dues à son caractère pluri-institutionnel, pourraient encore être accrues en intégrant la société civile. Le Centre d’Excellence des Femmes de Man (CEFM) a été créé en 2006 à l’initiative de l’ONG IFS (International Friendship Service). Le centre, situé sur la voie principale de la ville, vise à promouvoir les droits de la femme et de la jeune fille, appuyer et soutenir les femmes démunies du fait de la guerre et appuyer au plan organisationnel les groupements de femmes par un soutien matériel et financier et la formation aux AGR. Depuis 2008, la DEPG met en place une expérience pilote avec la création d’une structure de prise en charge holistique dénommée Centre de Prévention et d’Assistance aux Victimes des Violences Sexuelles (Centre PAVVIOS) avec l’implication d’autorités locales (mairie) et d’autres structures étatiques (services de santé, police, etc.) dans la commune d’Attécoubé dans le district d’Abidjan. Au titre du programme de sortie de crise, la DEPG, avec l’appui du FNUAP, initie un projet pilote de mise en place d’un Centre d’Excellence à Bouaké dont l’objectif est de favoriser une prise en charge holistique des survivant(e)s de VBG au sein d’une même structure. Par ailleurs, des plateformes de lutte contre les VBG sont également mises en place impliquant les Centres Sociaux qui en assurent la coordination technique, des ONG et d’autres professionnels (services de santé, police, etc.) intervenant dans la protection et la prise en charge. Ces plateformes ont pour objectif de développer un mécanisme de prise en charge intégrée de la victime à travers un système de référence et de contre-référence. Le CNLVFE prévoit en 2011-2012 la redynamisation des plateformes ainsi que des relais communautaires. Source : MFFAS, 2008c ; MFFAS, 2010g. 4.5.3 Les actions de lutte contre la traite et le travail des enfants Le troisième domaine dans lequel les services sont mieux financés et plus développés est la lutte contre la traite et le travail des enfants, notamment dans les plantations de cacao et de café. En septembre 2001, la Côte d’Ivoire a signé le protocole Harkin-Engel visant à lutter de manière transparente contre les pires formes du travail des enfants dans les plantations de cacao et de café. Le 25 août 2003, le pays a signé un mémorandum d’accord avec le Bureau International du Travail (BIT) dans le cadre du Programme International pour l’Abolition du Travail des Enfants (IPEC), étendant ainsi le champ du programme d’élimination des pires formes 47 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire du travail des enfants à l’ensemble du territoire national et à tous les secteurs d’activités. Aujourd’hui, les actions dans le domaine sont guidées par le Plan national de lutte contre la traite et les pires formes de travail des enfants adopté en Conseil des Ministres le 20 septembre 2007. Elles bénéficient entre autres de l’appui technique et financier du BIT (initiatives IPEC-LUTRENA et IPEC-WACAP), de l’UNICEF, de l’Organisation Internationale de Migration (OIM), de la coopération allemande (projet LTTE de la GIZ), de la Fondation de l’Initiative Internationale sur le Cacao (ICI), de l’Agence Danoise pour le Développement International (DANIDA) et des Ministères américains des Affaires Etrangères (USDOS) et du Travail (USDOL). Outre des activités d’étude de la situation, de renforcement du cadre juridique, institutionnel et réglementaire et de renforcement des capacités des acteurs nationaux de différents niveaux, diverses actions sont menées auprès des communautés : actions de sensibilisation communautaire contre la traite et le travail des enfants ; mise en place d’alternatives au travail des enfants dans certaines zones du pays (alphabétisation, renforcement de l’accès à l’école, formation professionnelle) ; et identification, prise en charge transitoire et réinsertion des enfants victimes de traite et d’exploitation. Les actions de prévention consistent d’une part en des activités de sensibilisation, et d’autre part, en des activités plus vastes de lutte contre la pauvreté dans les zones les plus sujettes au travail dangereux des enfants (programmes d’alphabétisation et de formation professionnelle, réhabilitation de pistes rurales, construction de centres de santé, etc.). Au niveau des structures étatiques, des actions de sensibilisation communautaire sont menées par le Comité National de Lutte contre l’Exploitation et la Traite des Enfants (CNLTEE), la Direction Générale du Travail (DGT) et le Service Autonome de la Lutte contre le Travail des Enfants (SALTE). Le BIT, la coopération allemande (GIZ), l’Initiative Internationale sur le Cacao, l’UNICEF et leurs ONG partenaires sont également directement impliqués dans les efforts de sensibilisation. Au total, entre 2002 et 2009, les actions de sensibilisation sont estimées avoir touché plus de 528 000 personnes vivant dans les zones de production de cacao (RCI, 2011). Chaque acteur intervient avec son modèle d’intervention propre. Le modèle développé par le CNLTEE semble positif et gagnerait sans doute à être mieux analysé (Encadré 4.5). Les services de sécurité ainsi que les ONG et les comités de vigilance et de protection jouent un rôle primordial dans l’identification des cas d’enfants victimes de traite et de pires formes de travail. Il est estimé qu’entre 2002 et 2009, les actions menées dans le domaine ont permis de retirer 3668 enfants des plantations. Parmi eux, 974 ont pu intégrer l’école, 1625 ont bénéficié d’une formation professionnelle et 1069 ont été réintégrés en famille. De juin 2006 à juin 2009, les services de la police nationale ont identifié et intercepté 321 enfants victimes de traite (dont 124 cas de traite transfrontalière) dans la zone de production de cacao, et ont procédé à l’arrestation de 48 auteurs présumés de traite et d’exploitation d’enfants. Les comités de vigilance et de protection mis en place par les ONG contribuent également à l’identification et à la référence des enfants victimes. (RCI 2011) Encadré 4.5L’expérience prometteuse des comités de veille et de protection des enfants Le CNLTEE a mis en place 38 comités communautaires appelés « Comités de Veille et de Protection des Enfants » dans deux régions productrices de cacao (le Haut Sassandra et la Marahoué) et une région fournisseuse de main d’œuvre domestique aux grandes villes (région du Zanzan). Ces comités mènent des actions de sensibilisation de proximité sur les conséquences de la traite et du travail dangereux des enfants ainsi que sur la protection de l’enfant afin d’acquérir l’engagement des communautés et prévenir le phénomène. Deux niveaux d’organisations communautaires (villageois et régionaux) impliquent les communautés (y compris la notabilité), les préfets, les policiers, les gendarmes et les services sociaux pour la mise en œuvre des programmes de lutte contre la traite et le travail dangereux des enfants. Ce modèle qui parvient à impliquer les communautés, les autorités et les services sociaux a produit des résultats intéressants. Qui plus est, certains des comités mis en place continuent de fonctionner malgré la fin des projets qui les finançaient. Source : MFFAS, 2010g. 48 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire La prise en charge des victimes relève de la responsabilité du CNLTEE, avec l’appui des ONG et des PTF. Le rôle du CNLTEE est : i) d’apporter l’assistance médicale, psychosociale et alimentaire aux enfants victimes ; ii) de pourvoir, le cas échéant, à l’hébergement temporaire des enfants ; iii) de procéder à la recherche des familles et à la médiation familiale pour la réintégration des enfants ; iv) de procéder à la réintégration familiale effective des enfants ; et v) d’assurer le suivi post réintégration des enfants. Un manuel de prise en charge a été élaboré afin de fixer les normes nationales en la matière. Entre 2002 et 2009, le CNLTEE a apporté une assistance et procédé à la réintégration de 319 enfants victimes. Plusieurs ONG33 sont sollicitées par les services de police et le CNLTEE pour l’assistance aux enfants victimes. Elles ont participé à la prise en charge transitoire d’au moins 400 enfants victimes de traite ou de travail dangereux. Le CNLTEE a également pu mettre en place 38 familles d’accueil volontaires (avec l’appui du BIT). L’UNICEF, l’OIM et leurs partenaires appuient également des actions de réintégration. L’appui de l’UNICEF au programme de prévention, démobilisation et réintégration des enfants associés aux groupes armés a permis de prendre en charge 2813 enfants associés aux mouvements armés. Parmi eux, 1300 ont pu retourner à l’école formelle et les autres ont suivi une formation dans l’agropastoral ou le secteur informel urbain. (RCI 2011) En matière de réinsertion, l’appui des PTF aux structures publiques est également primordial. Les ONG jouent un rôle important en matière de recherche de familles et de médiation familiale pour le retour des enfants, de formation alternative et d’insertion professionnelle. A titre d’exemple, l’action du BIT a permis, entre 2002 et 2009, d’apporter des services d’éducation scolaire et de formation professionnelle à 24 961 enfants vulnérables, travailleurs ou victimes de traite, dont 38% de filles. (RCI 2011) 4.5.4 La prise en charge des enfants privés de protection parentale Quelques services étatiques et non gouvernementaux s’adressent aux besoins de protection des enfants privés de protection parentale, mais les capacités d’intervention sont très limitées. A part les orphelins, ces enfants à haut risque incluent les enfants « confiés », les enfants de la rue et les enfants dans les prisons. La Direction de la Protection Sociale (DPS) du Ministère chargé des Affaires Sociales supervise directement huit pouponnières (dont quatre publiques), cinq orphelinats (dont deux publics) et deux villages d’enfants SOS (conventionnés). Les pouponnières offrent une prise en charge institutionnalisée pour enfants de 0 à 5 ans. Les cibles sont les orphelins, les enfants abandonnés et les cas sociaux. Les orphelinats offrent une prise en charge institutionnelle pour les enfants orphelins de 6 à 15 ans avec la possibilité de prendre en charge les enfants et jeunes handicapés. Les deux orphelinats publics que compte le pays captent à eux seuls près de 15% du budget du Ministère chargé des Affaires Sociales (MFFAS, 2010g). En 2010, on comptait environ 400 enfants en pouponnières et orphelinats publics (Lida, 2010). Les enfants issus de ces institutions peuvent être proposés en adoption lors des sessions du Comité de Placement Familial. Outre les enfants placés dans les institutions d’accueil et d’hébergement d’enfants, d’autres catégories d’enfants sont privés de protection parentale. C’est le cas notamment des enfants de la rue, et des enfants en situation de placement ou de « confiage ». Au niveau des structures publiques, ce sont les Centres d’Education Spécialisée (CES) qui sont à même, du moins dans leur mandat, de venir en aide à ces catégories d’enfants. Une vingtaine d’ONG sont aussi impliquées dans l’appui aux enfants de la rue à Abidjan et sont organisées en réseau. Dans la réalité, si l’intention est là, les moyens demeurent extrêmement limités, que ce soit pour venir en aide aux enfants de la rue ou pour identifier et prendre en charge des enfants « confiés » victimes de maltraitance au sein des familles. Qui plus est, l’offre d’hébergement transitoire est très limitée et souffre d’un manque de cadre et de supervision. 33Parmi lesquelles on compte notamment le Bureau International Catholique pour l’Enfance (BICE), le Village Marie-Dominique, ASA, la Délégation Fondation Akwaba, la Fondation Amigo Doumé, Enfance Meurtrie Sans Frontière, ANAED et CIP. 49 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Il existe également de nombreuses institutions privées (orphelinats, centres d’accueil pour les enfants de la rue, etc.). Toutefois celles-ci n’ont pas encore fait l’objet d’un recensement exhaustif. Bien que l’ouverture de ces institutions soit en principe réglementée par une inspection de la DPS et un agrément du Ministère chargé des affaires sociales, en pratique ces institutions fonctionnent sans avoir nécessairement l’agrément. Agréées ou non, elles font rarement l’objet d’un suivi et d’un contrôle. Il n’y a ainsi pas d’information centralisée relative aux enfants placés en institutions privées, alors qu’il faut déplorer une offre de service loin d’être conforme aux normes en la matière (MFFAS, 2010g). En ce qui concerne la protection des enfants dans les prisons, autre catégorie d’enfants à très haut risque, un programme financé par l’Union Européenne depuis quelques années a contribué à améliorer leur situation, notamment par la création de sections de mineurs dans les prisons et la formation des gardes pénitentiaires, policiers et magistrats. Il est à noter que les structures judiciaires et pénitentiaires ont recruté un nombre important d’assistants sociaux. 4.5.5 Les services spécialisés pour enfants et adultes handicapés Une toute petite minorité de personnes handicapées reçoivent les appuis requis pour surmonter les obstacles à leur inclusion sociale et assurer leur accès à l’éducation, à la formation et à l’insertion économique. Selon le recensement de 1998, environ 0,6% de la population nationale, dont environ 29% sont des enfants de moins de 15 ans, souffrent d’un handicap physique ou mental. Toutefois, comme il a déjà été noté dans la section 3.2.5, le recensement a probablement sous-estimé l’importance de cette catégorie de la population, qui a généralement un poids plus élevé dans la population des pays en voie de développement. Il existe des structures spécialisées publiques (Institut National Ivoirien pour la Promotion des Aveugles, Ecole Ivoirienne pour les Sourds) et privées (Centre d’Eveil et de Stimulation de l’Enfant Handicapé, école intégratrice Grain de Soleil, etc.) d’encadrement des enfants et adultes handicapés. Des ressources humaines qualifiées pour l’encadrement des personnes handicapées sont en place, mais la couverture des institutions spécialisées demeure largement insuffisante. En milieu ouvert, c’est aux Centres d’Education Spécialisée (CES) qu’il incombe en principe d’apporter une éducation spécialisée aux jeunes handicapés. Malheureusement, ces structures sont peu nombreuses et ont des ressources humaines, financières et matérielles extrêmement limitées. On ne compte actuellement que 20 CES dans tout le pays. Par ailleurs, les CES ont une mission vaste qui inclut non seulement la protection des enfants porteurs de handicap, mais également l’encadrement, la protection et la réinsertion des enfants et jeunes en situation difficile (enfants de la rue, toxicomanes, etc.) ainsi que la protection des personnes âgées. L’AGEFOP, quant à elle, a mis en place un Projet d’Accès et d’Appui des Personnes Handicapées à la Formation Professionnelle (PAAPHF), qui a formé 618 personnes handicapées de 1999 à 2007 (Gueu Yra, 2008). Comme ces chiffres l’indiquent, les services spécialisés sont comme une goutte d’eau dans la mer. Au niveau de la société civile, plusieurs organisations de ou pour personnes handicapées sont également en place34, et un réseau d’institutions pour enfants handicapés a été créé. Mais elles aussi n’ont que des moyens limités.35 Comme alternative aux institutions spécialisées, une politique d’école intégratrice a été adoptée au niveau du Ministère de l’Education Nationale mais sa mise en œuvre effective pose problème (voir section 4.6). Il faut rappeler qu’à la différence de certains pays où l’éducation de tous les enfants relève du Ministère de l’Education Nationale, en Côte d’Ivoire, la prise en compte scolaire des enfants handicapés est déléguée au Ministère chargé des affaires sociales en collaboration avec celui de l’Education Nationale (MFFAS, 2010k). 34 Ces organisations incluent la Fédération des Associations pour Personnes Handicapées (FAHCI), l’Organisation Chrétienne d’Aide aux Personnes Handicapées (OCAPH), l’Association Nationale des Sourds de Côte d’Ivoire (ANASOCI), l’Association Ivoirienne des Sourds pour la Promotion et la Défense (AISPD), l’association Handicap Alliance Internationale (HAI) créée par des personnes sourdes et des interprètes en langage gestuel (et active dans la promotion du langage gestuel, la promotion des droits des personnes sourdes à l’information et à la communication, l’éducation des sourds et la lutte contre le SIDA dans le milieu des personnes handicapées), et l’association Society Without Barriers (SWB) qui défend les droits des personnes handicapées en Côte d’Ivoire en relation avec la Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées. 35 Les aides matérielles et financières aux personnes handicapées accordées par le Ministère chargé des affaires sociales sont limitées. En 2005 et 2006, la part du budget national affecté à la prise en compte des personnes handicapées tournait autour de 0,0135%, soit un budget d’environ 240 millions de FCFA (MFFAS, 2010j). 50 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 4.6La protection sociale dans le secteur de l’éducation Le Rapport d’Etat du Système Educatif Ivoirien (RESEN) a mis en évidence « un problème sérieux d’accès à l’école » et alerté sur les risques élevés de non scolarisation déjà mentionnés dans la section 3.1.2. Cette étude approfondie a montré, sur la base des données de l’enquête MICS de 2006, que la probabilité de la génération d’âge scolaire d’aller une fois à l’école n’a été que de l’ordre de 70%. « En effet, si 70% d’une génération a un jour accédé à l’école (certains d’entre eux pouvant d’ailleurs la quitter prématurément), cela signifie qu’il y a environ 30% des enfants qui n’y sont jamais allés » (RCI, 2009c, p. 32). Le RESEN a montré en outre que la probabilité d’accéder à chaque classe successive du système d’enseignement général diminue, en raison de forts taux de déperdition, de 70% en première année (CP1) à 46% en dernière année du cycle primaire (CM2). Ainsi, environ un enfant sur trois qui a accès au primaire n’atteint pas la fin du cycle. La majorité de ces enfants, ainsi que ceux qui n’ont jamais eu accès à l’école, seront analphabètes à l’âge adulte. La probabilité d’accès continue à diminuer au secondaire, dû à une perte de 12 points de pourcentage dans la transition primaire-secondaire et à des taux élevés de déperdition à l’intérieur de chacun des deux cycles du secondaire. Cette situation sombre a encore empirée ces dernières années du fait de la crise postélectorale. Le conflit a conduit à la fermeture et au pillage des écoles et à la migration de milliers d’enseignants des zones les plus touchées. Au plus fort de la crise, environ un million d’enfants ont été déscolarisés (MEN et al, 2011). L’accès à l’enseignement est marqué aussi par de fortes inégalités, surtout selon le niveau de richesse familiale. Le RESEN a constaté que le système éducatif ivoirien était l’un des moins équitables d’Afrique. En plus de disparités significatives selon le genre, l’analyse a montré des disparités selon le milieu de résidence et surtout selon les quintiles de richesse d’une intensité encore plus forte. La Figure 4.1 montre l’évolution de ces disparités en termes de taux d’accès et d’achèvement selon le niveau d’enseignement. Tandis que le ratio filles/garçons diminue de 0,87 (accès primaire) à 0,43 (achèvement secondaire), le ratio rural/urbain tombe beaucoup plus précipitamment, de 0,82 à 0,17. Les disparités d’offre scolaire peuvent en partie expliquer les disparités géographiques, notamment au niveau secondaire. Les disparités régionales sont aussi importantes dès l’accès au primaire, où on peut constater des taux variant de 84% à Abidjan et dans les régions du Sud et du Centre-Ouest à seulement 35% dans la région Nord et 41% dans le Nord-Ouest. 51 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Figure 4.1Disparités des taux d’accès et d’achèvement scolaire selon le genre, le milieu de résidence et le niveau de richesse, 2006 Source : RESEN 2009, à partir des données du MICS 2006 (RCI, 2009c). Cependant, ce sont les disparités selon le niveau de richesse des ménages qui sont de loin les plus frappantes. Le taux d’accès au primaire des enfants du premier quintile n’est que 51%, par rapport à 89% pour les enfants du cinquième quintile, ce qui donne le ratio de 0,57 indiqué dans la Figure 4.1. Les ratios Q1/Q5 diminuent à 0,33 pour l’achèvement du primaire, 0,29 pour l’accès au premier cycle du secondaire et 0,12 pour l’achèvement du premier cycle du secondaire. Les enfants vivant dans des ménages appartenant au quintile le plus pauvre n’ont pratiquement aucune chance d’achever le deuxième cycle du secondaire (1 sur 100). Cette analyse montre clairement l’importance du facteur économique au niveau des ménages dans l’accès des enfants à l’école et ainsi la pertinence de mesures de protection sociale qui visent à réduire les barrières financières. Les frais liés à la scolarisation restent élevés. Le RESEN a estimé que, en 2007, les dépenses supportées par les familles (inscription, frais de scolarité, fournitures, uniforme, etc.) représentaient 27% des dépenses totales (publiques plus privées) au primaire, 46% au collège et 44% au lycée. Les dépenses familiales annuelles par élève augmentent rapidement selon le niveau des études, de 28 037 FCFA au primaire à 97 914 FCFA au collège et 146 762 FCFA au lycée. Il est à noter que le préscolaire, dominé par le secteur privé, est presque trois fois plus coûteux aux familles (75 292 FCFA par enfant) que le primaire, ce qui explique en grande partie pourquoi seulement 1,3% des enfants scolarisés à ce niveau appartiennent au quintile le plus pauvre. Le niveau de dépense familiale est beaucoup plus élevé en milieu urbain et parmi les plus riches. Selon des estimations de 2002, présentées dans le RESEN, la dépense familiale moyenne par élève au primaire augmente de 14 751 FCFA dans les deux premiers quintiles, à 19 677 FCFA dans les troisième et quatrième quintiles et à 54 274 FCFA dans le cinquième quintile. En plus de ces frais directs, il faut tenir compte du fait que, pour les ménages les plus pauvres, la scolarisation implique également des coûts d’opportunité. Pour ces ménages en effet, la scolarisation entre en concurrence avec le travail des enfants. Selon l’enquête MICS de 2006,35,3% des enfants âgées de 5 à 14 ans travaillent, et 51,9% de ces enfants travailleurs ne fréquentent pas l’école.36 36 Ces données sont basées sur la définition suivante d’enfant « travailleur » utilisée dans l’enquête MICS : tout enfant âgé de 5 à 11 ans qui effectue au moins une heure de travail rémunéré ou 28 heures de corvées ménagères par semaine ; et tout enfant âgé de 12 à 14 ans qui effectue au moins 14 heures de travail rémunéré ou 28 heures de corvées ménagères par semaine (MEMPD/INS et UNICEF, 2007). 52 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Le Plan d’Actions à Moyen Terme du secteur de l’éducation prévoit de renforcer les mesures visant à réduire les charges de la scolarisation et à inciter la demande. Ce plan, révisé à la suite de la crise postélectorale pour couvrir la période de 2012 à 2014, prévoit, selon un modèle de simulation, d’atteindre un taux d’achèvement primaire de 62,6% en 2014 et de 81% d’ici à 2020, contre un taux actuel estimé à 53,2% en 2008-2010. En plus des mesures pour restaurer le système éducatif dans les zones les plus affectées par la crise de 20102011 et pour améliorer l’offre et la qualité de l’enseignement, notamment dans le primaire et le premier cycle du secondaire, ce plan « entend développer ses actions à nature de stimuler la demande de scolarité des enfants pour lesquels la fréquentation scolaire ne sera pas acquise du seul fait du développement des capacités d’accueil » (MEN et al, 2011, p. 20). Le plan inclut ainsi des mesures ciblées en faveur des populations les plus pauvres ou les plus éloignées de l’école. Il propose d’introduire des mécanismes de ciblage géographique pour identifier des zones prioritaires, fortement marquées par la pauvreté, la vulnérabilité et de faibles taux d’accès et d’achèvement, tout en évitant un ciblage individuel des enfants au sein des écoles afin de ne pas stigmatiser les bénéficiaires. Il est à noter que le plan met aussi un accent fort sur l’évaluation des actions sociales dans le secteur. Les outils principaux retenus dans ce plan en vue de stimuler la demande scolaire sont : les subventions versées aux écoles pour assurer la gratuité effective de l’enseignement primaire ; le programme de cantines scolaires ; la distribution gratuite de kits scolaires ; la distribution de rations alimentaires sèches aux jeunes filles ; et la suppression des obstacles à l’inscription à l’enseignement primaire liées au manque de possession d’extraits d’actes de naissance (MEN et al, 2011). La politique de la gratuité a conduit à l’abolition des frais d’inscription au primaire et au préscolaire depuis 2001 mais n’est pas encore totalement effective. La Loi n° 95-696 du 7 septembre 1995 relative à l’enseignement a institué le principe de la gratuité de l’enseignement dans les établissements publics, tout en faisant quelques exceptions importantes par rapport aux droits d’inscription, aux prestations sociales et aux charges relatives aux manuels et autres fournitures scolaires (telles que stipulées dans l’article 2 de la dite loi). Un pas important vers une gratuité plus large a été franchi en 2001 avec la suppression des frais d’inscription au primaire et au préscolaire. En outre, depuis 2002, des subventions de fonctionnement sont octroyées à quelques 3 000 écoles primaires publiques en compensation de la perte des frais d’inscription afin de rendre effective la gratuité de l’enseignement. Cependant, ces subventions sont limitées aux sous-préfectures présentant des taux de scolarisation faibles et ayant un comité de gestion (COGES) fonctionnel et titulaire d’un compte en banque, ce qui n’est pas toujours le cas, surtout dans les zones les plus vulnérables. Par ailleurs, selon Razafindramary et de Galbert (2010, p. 20) le décaissement partiel et tardif des crédits budgétaires aux COGES « a pour effet de priver les écoles de leurs frais de fonctionnement ». Par ailleurs, des détournements de fonds sont quelquefois dénoncés dans la presse (MEN et al, 2010). En outre, des cotisations informelles continuent, pénalisant les enfants de ménages vulnérables. En conséquence, la gratuité de l’enseignement primaire est loin d’être effective, ce qui a un impact négatif sur la demande et se traduit par les faibles taux d’accès et d’achèvement observés. Tout en reconnaissant que la résolution du problème de fonds requiert à long terme la réforme des circuits officiels de décaissement des crédits budgétaires, le Plan d’Actions à Moyen Terme du secteur de l’éducation propose de trouver une solution de court à moyen terme dans le contournement de ces circuits par l’octroi de subventions à 300 écoles prioritaires payées directement sur les financements du Fonds Catalytique de l’Initiative de Mise en Œuvre Accélérée de l’Education Pour Tous (IMOA-EPT). Les 300 écoles sélectionnées, qui bénéficieront aussi du renforcement de la capacité de gestion des COGES, seront celles localisées dans les zones les plus vulnérables, identifiées par un ciblage géographique portant sur des critères de pauvreté et les taux d’accès et d’achèvement. 53 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire La gratuité n’a pas encore été étendue au premier cycle de l’enseignement secondaire, où seulement quelques bourses sont octroyées pour faciliter l’accès. Le défi de l’extension de la gratuité reste entier au premier cycle du secondaire, où le taux de transition primaire-secondaire est faible et les taux d’abandon scolaire élevés, au détriment surtout des enfants des ménages les plus pauvres. Des cantines scolaires sont fonctionnelles dans la moitié des écoles primaires. La Côte d’Ivoire a une longue expérience dans la mise en œuvre de cantines scolaires qui visent à améliorer l’accès et la rétention scolaire ainsi que la capacité d’apprentissage des élèves. L’expérience a commencé par des « cantines spontanées » à la fin de la période coloniale avant de se transformer en programme national après l’indépendance, initialement avec l’appui de l’UNICEF de 1962 à 1969 (N’da et Tebi, 1998). Repris en main par l’Etat ivoirien, le programme a connu des difficultés de financement, surtout à partir des années 80 (période de crise économique et d’ajustement structurel), malgré l’introduction de la contribution financière des bénéficiaires. Devant une déscolarisation inquiétante à la fin des années 80, l’Etat a établi un nouveau partenariat avec le PAM en 1989 qui a permis d’étendre les cantines scolaires à une large échelle. Vers la fin des années 90, les cantines scolaires fonctionnaient dans environ 2 000 écoles (soit 25% des écoles primaires publiques) au service de plus de 200 000 élèves (N’da et Tebi, 1998). Le désengagement progressif du PAM, à partir de 1998, a conduit à l’établissement par le Ministère de l’Education Nationale du Programme Intégré de Pérennisation des Cantines Scolaires (PIPCS). Géré par la Direction Nationale des Cantines Scolaires, avec des appuis du PNUD et de l’Union Européenne, ce programme vise à aider les communautés rurales et périurbaines à s’approprier progressivement la gestion et l’approvisionnement de leurs cantines par la production vivrière, en faisant de celles-ci un vecteur de développement local. Entre-temps, les crises politiques des dernières années ont conduit le PAM à retenir et renforcer son appui aux cantines, notamment dans les zones Nord, Ouest et Centre, où la scolarisation a été particulièrement perturbée. En conséquence, le nombre d’écoles et d’élèves couverts a augmenté considérablement. En 2009-10, on dénombrait 5 278 cantines avec 863 637 rationnaires, dont 276 851 relevaient du gouvernement et 586 786 du PAM (Tableau 4.4). En 2010-2011, le nombre de cantines a augmenté à 5 615, couvrant ainsi 53% des 10 564 écoles primaires publiques du pays et les cantines étaient présentes dans toutes les 26 Directions Régionales de l’Education Nationale (DREN). L’existence des cantines a aussi incité la création de 1 209 groupements de production de vivres, surtout à Bouaké, Bondoukou et Man dans le cadre du PIPCS, et a créé 35 000 emplois, en grande partie féminins, selon le Ministère de l’Education Nationale. Cependant, l’éclatement de la crise après l’ouverture de l’année scolaire 2010-2011 a gravement affecté les cantines scolaires, dont environ 1 900 ont été fermées (MEN et al, 2011). Tableau 4.4Couverture des cantines scolaires, 2009 Zones et programmes Gouvernement Nombre de cantines Cantines régulières PIPCS Collèges PAM Nombre de rationnaires 2 109 220 754 241 49 333 23 6 764 Total Gouvernement 2 373 276 851 Zones Centre, Nord et Ouest 1 028 288 406 Zone Sud 1 877 298 380 Total PAM 2 905 586 786 5 278 863 637 Ensemble Source : MEN. 54 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire En termes d’impact, une étude comparative des écoles avec cantines et des écoles sans cantines sur la période de 1999 à 2002 suggère des effets positifs des cantines sur la scolarisation et la réussite scolaire. Il y a eu un taux d’accroissement moyen des enfants scolarisés de 12,5% dans les écoles avec cantines contre -1,4% dans les écoles sans cantines, un taux d’abandon moyen annuel de 3% contre 5,9% et un taux moyen de réussite au Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires (CEPE) de 66,6% contre 61,2% (PNUD, 2003, cité dans MEN, n.d. b). Cependant, le Ministère de l’Education Nationale est conscient de quelques faiblesses des cantines. Les rations envoyées aux cantines par le Ministère fournissent actuellement en moyenne 40 repas sur 100 jours scolaires par année (celles du PAM fournissent entre 60 et 100 repas selon la disponibilité des vivres) en raison des perturbations déclenchées par le conflit. En outre, la pratique actuelle de prélèvement de 25 FCFA par repas, appelée contribution financière communautaire (CFC), qui s’applique dans toutes les cantines quelles que soient leur source d’appui, pourrait aller à l’encontre de l’objectif d’alléger la pression du coût de l’éducation sur les ménages pauvres. Comme il a été observé par N’da et Tebi dans leur étude approfondie sur les cantines en Côte d’Ivoire : « Si l’on n’y prend garde, la sélection se fait en fonction de l’argent et donc de ceux qui peuvent payer quotidiennement et qui ne sont peut-être pas parmi les enfants qui avaient besoin de la cantine pour se présenter comme égaux devant l’école » (1998, p. 86). Dans quelques zones, des élèves identifiés comme étant issues de familles très démunies bénéficient d’exemptions du paiement de la CFC. Le Plan d’Actions à Moyen Terme du secteur de l’éducation prévoit le renforcement du programme de cantines scolaires comme une des mesures clées pour inciter la demande scolaire. Il s’agit surtout de l’extension des cantines de 40 à 100 jours scolaires par année, surtout dans les zones ayant les niveaux les plus élevés de pauvreté et les taux d’accès et d’achèvement les plus faibles. En ce qui concerne le prélèvement de 25 FCFA par repas, une étude est prévue par le Service National des Cantines Scolaires du MEN en vue de comprendre mieux si celui-ci constitue une barrière pour les plus pauvres et ainsi de déterminer l’opportunité de maintenir cette contribution financière. La distribution de manuels et kits scolaires est mise en œuvre à l’échelle nationale, mais son efficacité est quelquefois compromise par les retards de livraison aux écoles. En réduisant le coût de la scolarisation, ce programme d’envergure nationale et universelle (donc non ciblée) vise à améliorer l’accès, la rétention et l’apprentissage des élèves. La distribution des kits (cahiers, stylos, crayons, gomme blanche, etc.), qui sont légèrement différents selon les cycles du primaire (CP, CE et CM), bénéficient à environ 2 millions d’enfants dans plus de 9 000 écoles primaires publiques. En 2010, 2,2 millions de kits ont été achetés, à un coût de 3,4 milliards de FCFA. Les manuels sont prêtés aux enfants à raison de 250 FCFA par manuel pour l’année scolaire. Des études ont démontré le coût-efficacité de ces interventions (Razafindramary et de Galbert, 2010). Cependant, l’arrivée tardive des ouvrages dans les écoles, qui a été constatée par exemple en 2010, combinée aux taux élevés de déperdition, contribuent à réduire l’impact sur les résultats scolaires. Des mesures de petite envergure ont été prises en faveur de la scolarisation des OEV. Des actions ciblées à cette catégorie d’enfants sont menées par les structures de proximité établies par la Direction de la Mutualité et des Œuvres Sociales en Milieu Scolaire (DMOSS) du Ministère de l’Education Nationale (voir ci-dessous), en liaison avec le Ministère de la Santé et de la Lutte contre le VIH/SIDA et en partenariat avec le PN-OEV. De 2008 à 2011, les structures locales de la DMOSS ont distribué 1833 kits scolaires en faveur des OEV. Le Plan d’Actions à Moyen Terme du secteur de l’éducation propose d’élargir la distribution de kits à 10 000 OEV par an. Le PN-OEV a mis en place en 2008 un programme d’octroi de bourses aux OEV du fait du VIH/SIDA, les candidatures étant soumises par les « plateformes » de coordination locale du PN-OEV. Cependant, le nombre de bénéficiaires est extrêmement réduit. Selon la Sous Direction des Actions Sociales en Milieu Scolaire du DMOSS, seules 70 bourses ont été octroyées aux élèves du secondaire et de l’enseignement technique avec l’appui des ONG entre 2008 et 2011. 55 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire L’éducation intégratrice est encore à l’état embryonnaire et nombre d’enfants handicapés restent exclus. Quelques initiatives sont en place pour assurer l’accueil et l’encadrement des enfants handicapés dans les écoles ordinaires, mais elles restent très isolées.37 Un programme plus ambitieux d’éducation intégratrice devait être lancé en 2011 (MFFAS, 2010k) mais reste en attente, faute de financement notamment. L’insuffisance de personnel qualifié demeure également l’une des difficultés majeures pour assurer convenablement l’intégration des enfants et adolescents handicapés dans le système éducatif. Des actions spécifiques promeuvent la scolarisation des filles, mais ne sont pas bien intégrées dans la planification sectorielle. La plupart des mesures et initiatives susmentionnées contribuent indirectement à promouvoir l’égalité des chances entre filles et garçons, notamment au primaire. Il existe aussi un Plan stratégique de l’éducation des filles (UNGEI et al, 2007), mais ce plan semble peu pris en compte dans la planification sectorielle plus large, malgré la prise de quelques décisions visant en particulier les filles : le maintien d’internats pour des filles au secondaire et une proposition récente (incluse dans le nouveau Plan d’actions à moyen terme et pour financement du Fonds Catalytique) de distribution de rations sèches à 5 000 filles inscrites au niveau CM du primaire dans les zones rurales ayant des taux de scolarisation féminine très faibles. Des mesures sont proposées pour lever les obstacles à l’accès liés à l’état civil. Environ 15 000 enfants par an voient leur inscription à l’école refusée par manque d’acte de naissance (acte requis pour l’inscription au CP1). Les 15 212 refus d’inscription pour ce motif à la rentrée 2008 ont représenté environ 17% des 89 809 enfants de 6 ans n’ayant pas eu accès au CP1 cette année-là, selon les données de l’Observatoire du CP1 (un outil de collecte d’informations relatives aux difficultés d’accès à la première année du primaire, appuyé par le PNUD) (MEN et al, 2010). Pour lever cet obstacle, le Ministère de l’Education Nationale a demandé aux directeurs des écoles de ne plus faire obstacle à l’inscription des enfants au CP1 pour défaut d’acte de naissance, tout en établissant des relations avec le projet de modernisation de l’état civil en Côte d’Ivoire (MECCI) de façon à explorer des solutions pratiques à long terme. Cependant, la mise en application dépend de la bonne volonté des directeurs des écoles, ainsi que du nombre de places disponibles à la rentrée scolaire. Le problème se pose avec acuité lors des examens du CEPE, pour lequel l’acte de naissance est requis, conduisant à l’exclusion de milliers d’enfants chaque année et contribuant ainsi aux taux élevés de déperdition scolaire. La libéralisation de la tenue scolaire a été renversée en septembre 2011. Le port de l’uniforme a été libéralisé en septembre 2002 dans le but d’alléger les charges financières des parents d’élève. Cependant, cette mesure n’a pas été respectée partout, au détriment des ménages pauvres, et le 7 septembre 2011, le Ministère de l’Education Nationale a pris le pas de restaurer le port obligatoire de l’uniforme. L’arrêté n’a pas expliqué la raison de ce changement de politique. Selon des cadres du Ministère, cette mesure a été adoptée dans un souci de réduction des écarts sociaux. Cependant, aucune mesure d’accompagnement, comme la mise sur pied d’un programme de distribution gratuite d’uniformes aux enfants de ménages pauvres (à l’instar de ce qui existe au Ghana, par exemple) a été adoptée. D’autres mesures protectrices ont été prises, notamment l’interdiction des punitions physiques et la mise en place d’un réseau de travailleurs sociaux en milieu scolaire. L’interdiction des punitions physiques et humiliantes à l’endroit des élèves des établissements scolaires « sous quelque forme que ce soit » a été établie par l’Arrêté n° 0075/MEN/DELC du 28 septembre 2009. Il est à noter que cet arrêté apporte aussi d’autres protections aux élèves, en interdisant de renvoyer un élève de l’école, du collège ou du lycée pour non paiement des cotisations du COGES ou « de toutes autres formes de cotisation », ou pour manque de matériel, et en insistant que « le recouvrement des cotisations doit être fait avec la collaboration des parents d’élèves tout en préservant l’intérêt supérieur de l’enfant d’aller à l’école ». 37 On peut noter par exemple l’initiative du Centre d’Education de Formation et d’Insertion des Aveugles de Toumodi, le cas de Sikensi (deux initiatives soutenus par le Gouvernement), ainsi que l’aménagement de certains établissements scolaires dans neuf Directions Régionales de l’Education Nationale (en collaboration avec l’Alliance Save the Children). 56 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Par ailleurs, la DMOSS, à travers sa Sous-Direction des Actions Sociales en Milieu Scolaire, a créé des structures de proximité animées par des travailleurs sociaux et d’autres agents spécialisés pour mener des actions de politique sociale et sanitaire en milieu scolaire. Des Centres d’Ecoute ont été établis dans les 26 DREN, et des cellules sociales créées dans 75 écoles secondaires publiques. Des correspondants ont été désignés au sein de chaque Inspection de l’Enseignement Primaire (IEP) pour promouvoir l’action sociale au niveau des établissements primaires. Par contre, les enseignants eux-mêmes, qui sont le premier point de contact des élèves, ne reçoivent aucune formation en matière d’action sociale. Mis à part des actions en faveur du corps enseignant, ce travail social se focalise sur la gestion de cas, notamment l’appui aux élèves présentant des difficultés d’ordre psychologique, médical ou social et la recherche d’appuis pour la prise en charge scolaire d’OEV et d’élèves issus de milieux défavorisés, ainsi que la sensibilisation des élèves sur la santé de la reproduction et le VIH/SIDA, et d’autres activités de promotion et de surveillance sanitaires. Les structures déconcentrées entreprennent aussi des démarches pour la facilitation des procédures de délivrance de documents administratifs pour les enfants non déclarés à l’état civil. Cependant, aucune étude n’a été faite pour évaluer l’impact de ces interventions. 4.7La protection sociale et l’accès aux services de santé L’abandon de la gratuité des services sanitaires à la suite de la crise économique des années 80 a eu des retombées graves sur l’accès des populations aux soins. La période du « miracle » économique en Côte d’Ivoire (1960-1980) avait vu la manifestation d’une volonté politique forte d’assurer l’accès de tous aux soins de santé. Dans le système public de santé, les médicaments et les soins étaient gratuits et entièrement pris en charge par le budget de l’Etat. Après ces moments de prospérité, la Côte d’Ivoire a connu la crise économique de la décennie 80. L’Etat a abandonné l’option de la gratuité et a instauré un système de recouvrement des coûts des actes de santé et des médicaments à partir des années 90, dans le cadre de la mise en œuvre de l’Initiative de Bamako. Le recouvrement des coûts s’est généralisé en 1994 dans tous les établissements publics de santé. Depuis lors se pose avec acuité le problème de l’accessibilité financière des populations aux soins, qui a été amplifié entre temps par l’appauvrissement de larges couches de la population. La revue sectorielle de la santé a ainsi noté que « cette initiative, n’ayant été accompagnée ni de mesures adéquates pour la prise en charge des indigents ni d’un système de partage du risque maladie et de financement communautaire, a souvent abouti à une baisse de l’accessibilité des démunis aux soins de santé » (Banque Mondiale, 2010b, p. 67). Le système du recouvrement des coûts est resté en vigueur jusqu’à la déclaration de la gratuité exceptionnelle des services sanitaires publics en avril 2011 à la fin du conflit postélectoral. Cette gratuité a couvert la population générale jusqu’en janvier 2012, en attendant l’adoption de nouvelles mesures à long terme pour rendre les soins de santé financièrement accessibles et en garantir la soutenabilité par l’Etat (voir ci-dessous). Quelques rares cas de gratuité, financés essentiellement par l’aide extérieure, ont fait exception à la règle. C’est notamment le cas des vaccinations lors des campagnes du PEV, financées principalement par l’UNICEF et le GAVI. Le traitement de la tuberculose est depuis longtemps partiellement gratuit. Une participation financière est toujours demandée aux patients tuberculeux. Cette participation se fait par l’achat de timbres antituberculeux émis par le Comité National de Lutte contre la Tuberculose pour un montant de 5 000 FCFA pour la durée du traitement. Cette somme d’argent, qui ne représente qu’une proportion très faible du coût réel des médicaments, est demandée avant la mise sous traitement. Le malade a la possibilité de payer cette contribution en plusieurs fois, et les malades indigents sont quelquefois exonérés de paiement sous recommandation du service social dans les hôpitaux (Msellati et Blibolo, 1996). A partir de 2008, les traitements en ARV des malades du SIDA, qui sont entièrement financés par les bailleurs de fonds, sont devenus gratuits malgré des problèmes épisodiques de ruptures de stock de ces médicaments. Le Ministère de la Santé et de la Lutte contre le SIDA appuie la prise en charge médicale des OEV du fait du VIH/SIDA et de leurs familles. Le PN-OEV a signé une convention avec les services de santé scolaire et universitaire (54 centres en milieu urbain) 57 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire pour fournir des consultations gratuites aux OEV du fait du VIH/SIDA et pour leur fournir des médicaments essentiels à coût préférentiel. Un système d’exemptions des frais médicaux en faveur des indigents existe mais reste de portée très limitée. Certaines structures sanitaires, surtout les hôpitaux, disposent de travailleurs sociaux qui servent d’interface avec les Centres Sociaux pour les usagers des structures sanitaires nécessitant une assistance sociale. Ces services sociaux de santé sont chargés principalement de poser le diagnostic de l’indigence et d’accorder l’exemption de paiement aux malades indigents qui en font la demande dans les établissements sanitaires publics (Blibolo, 2010). Les forces de ces services se situent à plusieurs niveaux : ils sont reconnus dans les établissements de santé comme les mieux indiqués pour reconnaître les vrais indigents et leur apporter assistance, ils sont animés par des fonctionnaires spécialement formés pour assister les indigents, et ils disposent dorénavant de critères simples pour le ciblage des indigents. En effet, depuis 2010, il existe un guide d’utilisation des critères d’exemption aux malades indigents dans les établissements de santé. Ces critères d’exemption ont été implantés dans les différents services sociaux de santé du district autonome d’Abidjan et y sont en principe utilisés (MSHP et MFFAS, 2010). Cependant, ce dispositif présente également de nombreuses faiblesses : les services sociaux de santé sont très peu connus du public ; ils disposent souvent de peu de moyens (voire aucun) pour aider les malades indigents ; et seuls les services sociaux de santé d’Abidjan ont commencé à appliquer les critères de ciblage. Selon une étude récente, « dans la pratique, la portée de ce dispositif est quasi nulle, faute d’un budget d’aide sociale disponible pour les malades indigents » (MFFAS, 2010g, p. 65). Compte tenu de la politique de recouvrement des coûts et de la faible offre de services publics, le financement de la santé s’est reposé principalement sur les dépenses des ménages. Les Comptes Nationaux de la Santé (CNS), élaborés en Côte d’Ivoire pour la première fois pour les années 2007 et 2008 (MHP, 2010), fournissent des données essentielles pour l’analyse du financement du système de santé. Cette source indique que les dépenses totales de santé (DTS) en 2008 étaient de 613,4 milliards de FCFA, soit 5,7% du PIB ou encore 29 827 FCFA (66 dollars américain) par habitant. Bien que ce niveau de dépenses par tête soit le troisième plus élevé en Afrique de l’Ouest, après le Cap Vert (152 dollars en 2008) et le Nigéria (73 dollars)38, la répartition des dépenses est très régressive. En effet, selon les données des CNS pour 2008, les ménages effectuent 68,9% des DTS, par rapport à seulement 16,6% pour le secteur public, 12,9% pour les PTF et 1,6% pour le secteur privé (hors ménages). Ainsi, les ménages dépensent sept fois plus pour la santé que ne le font les PTF et quatre fois plus que ne le fait l’Etat (Figure 4.2). Les dépenses publiques de santé sont parmi les plus faibles dans la région ouest africaine en pourcentage du PIB (0,9%) et en pourcentage des dépenses publiques totales (4,7%)39, et sont affectées principalement au niveau tertiaire du système de santé (69% entre 2000 et 2009) et dans une moindre mesure au niveau secondaire (24%), au détriment du niveau primaire (7%). La faiblesse de la contribution du financement public aux DTS, surtout au niveau primaire, limite énormément le rôle potentiel de l’Etat dans la redistribution des dépenses de santé des plus riches vers les plus pauvres. En outre, le faible niveau de mutualisation des risques maladie implique que la quasitotalité des dépenses des ménages sont effectuées directement au moment de la prestation de service. Moins de 4% des dépenses des ménages, soit 2,6% des DTS, sont prépayées, c’est-à-dire effectuées au travers de cotisations aux établissements d’assurance. Comme il a déjà été discuté dans la section 4.2, l’assurance maladie est limitée dans les faits à une infime minorité d’ivoiriens employés dans le secteur public et dans quelques grandes entreprises, et à leurs ayant-droits. Selon les CNS de 2008, 1,8% des dépenses des ménages affectés à la santé passent par la MUGEFCI, 1,2% par d’autres mutuelles du secteur public, 0,5 % par la 38 Ces données proviennent de la base de données (World Development Indicators) de la Banque Mondiale. En ce qui concerne la part de la santé dans le PIB, la Côte d’Ivoire est dépassée en 2008 par le Burkina Faso (5,9%), le Ghana (7,8%), la Guinée Bissau (6,0%), le Libéria (11,9%), la Sierra Leone (13,3%) et le Togo (5,9%). 39 En effet, selon les World Development Indicators de la Banque Mondiale, seules la Guinée et la Sierra Leone présentent des dépenses encore plus faibles : respectivement 0,7% et 0,9% du PIB. 58 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire CNPS et 0,3% par les compagnies d’assurance privée. Il est à noter que, dans le cas de la CNPS, l’assurance maladie se limite à la prise en charge des frais de soins médicaux liés à l’accouchement (sous la branche des prestations familiales) et des frais relatifs aux accidents de travail et aux maladies professionnelles. Les mutuelles communautaires sont très peu développées en Côte d’Ivoire, en comparaison des pays comme le Bénin, le Mali et le Sénégal. La Côte d’Ivoire est ainsi un des pays de la sous-région où la contribution des paiements directs des ménages (ou « out of pocket payments ») aux DTS est la plus élevée. Parmi les pays de la CEDEAO, seules la Guinée et la Sierra Leone présentaient une contribution des ménages plus importante selon les données de la Banque Mondiale de 2008 (Figure 4.2). Selon l’ENV de 2008, à peine 8% des ménages ont bénéficié d’une prise en charge partielle ou intégrale de leurs frais de santé, que ce soit par une assurance, des parents, l’Etat, une ONG ou autre. Par ailleurs, cette prise en charge est très inégalitaire : elle ne bénéficie qu’à 5,2% des ménages appartenant au quintile le plus pauvre contre 13,5% des ménages du quintile le plus riche (Banque Mondiale, 2010b). Figure 4.2Dépenses de santé par sources de financement (%), 2008 Sources : CNS 2007-2008 (MSHP, 2010); Banque Mondiale, World Development Indicators, pour les autres pays. Les taux d’utilisation des services de santé sont faibles. La revue sectorielle de la santé a montré que le taux de fréquentation des services sanitaires publics reste un des plus faibles d’Afrique de l’Ouest. Pour les consultations curatives dans les établissements publics, tous âges confondus, la moyenne de fréquentation a varié de 0,16 à 0,21 entre 2001 et 2008, alors que l’OMS recommande un taux de 1, c’est-à-dire en moyenne un contact par an par habitant. Ce taux de fréquentation varie énormément d’une région à l’autre, de 0,006 dans la Région des Montagnes (2001) à 0,58 dans la Région du N’Zi Comoé (2003), en raison probablement des inégalités dans la répartition géographique des établissements sanitaires et du personnel de santé, ainsi que des disparités dans les taux de pauvreté par régions (Tableau 3.4). Le Chapitre 3 a déjà mis en relief les faibles taux de traitement des maladies chez les enfants, notamment pour le paludisme, qui est la première cause de mortalité infanto-juvénile, ainsi que les faibles taux d’accouchement en établissements sanitaires. Environ 66% des dépenses de santé des ménages s’effectuent dans les officines (pharmacies privées, vendeurs informels, etc.). Cela confirme que les ménages dépensent leur argent plutôt dans les pharmacies, et moins dans les structures de santé publiques, qui restent peu utilisées. La faible qualité des services publics se caractérise notamment par les ruptures de stocks de médicaments qui obligent les patients à recourir aux pharmacies privées beaucoup plus chères. Tout le système public d’acquisition et de distribution de médicaments a connu des perturbations du fait des dettes des établissements sanitaires à l’égard de la Pharmacie de Santé Publique (PSP) 59 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire et des dettes de celle-ci auprès de ses fournisseurs. Selon la revue sectorielle, seulement 20% des médicaments proviennent de la PSP et donc du secteur public, et en janvier 2009, le taux de rupture de médicaments était de 35% (Banque Mondiale, 2010b). Les coûts constituent une importante barrière à l’accès, surtout pour les plus pauvres. L’importance du facteur coût est mise en évidence par des données de l’ENV de 2008 qui montrent que la part des ménages du premier quintile ayant eu des dépenses sanitaires dans les trois mois précédant l’enquête (56,5%) était moindre que celle du cinquième quintile (69,3%). Notons que globalement, environ 70% des dépenses de santé des ménages sont consacrées à l’achat de médicaments, quelque soit le quintile. Compte tenu des ruptures de stocks dans les structures sanitaires publiques, les patients, y compris les plus pauvres, sont obligés de recourir aux pharmacies privées (en moyenne 42% plus chères), aux vendeurs de la rue ou aux guérisseurs traditionnels (les médicaments traditionnels constituant 13% des dépenses de santé des ménages). En ce qui concerne les consultations médicales, l’ENV a trouvé que les plus riches (du cinquième quintile) consultaient plus que les plus défavorisés du premier quintile (16% contre 11%). Parmi ceux qui ne consultent pas, 58% attribuent ceci au coût estimé trop élevé, 9% à l’éloignement, et 14% au fait que la consultation n’est pas jugée nécessaire. Par ailleurs, les plus pauvres ont davantage recours aux guérisseurs traditionnels que les plus riches (18% contre 6%) et se rendent beaucoup moins chez le médecin (27% contre 52%). Les données de la MICS de 2006 confirment que les pauvres ont une fréquentation des services de santé généralement plus faible comparée au quintile le plus riche. Par exemple, pour les infections respiratoires aiguës, les enfants des ménages les plus pauvres ont trois fois moins de chance de recourir à une consultation par rapport aux enfants du quintile le plus riche. De plus, la distribution géographique des ressources, concentrées dans les villes, aboutit à un système de soins particulièrement défavorable aux pauvres, qui sont concentrés dans leur écrasante majorité en milieu rural. Le personnel de santé est fortement concentré dans les grandes villes, avec 60% du personnel dans la seule région des Lagunes (Abidjan), région qui abrite également 13% des structures sanitaires publiques, dont 11 des 13 établissements publics nationaux. Tandis qu’il y a un médecin pour 5695 habitants au niveau national, cette ratio est d’un médecin pour 20 000 habitants en excluant Abidjan. Seulement 44% de la population vit à moins de 5 km d’un établissement sanitaire, tandis que 27% vit à une distance de 5 à 15 km, et 29% à plus de 15 km (Banque Mondiale, 2010b). Selon l’ENV de 2008, environ 18% des ménages ont subi des dépenses dites « catastrophiques », définies par l’OMS comme des dépenses en santé supérieures à 40% des dépenses non-alimentaires (ou de subsistance). La proportion des ménages confrontés à des dépenses de santé catastrophiques est beaucoup plus élevée parmi les ménages les plus pauvres (Figure 4.3). De même, le pourcentage des ménages ayant eu des dépenses catastrophiques en santé varie en fonction de la provenance géographique (par exemple, les dépenses catastrophiques concernent presque 40% des ménages en Moyen Cavally et autour de 8% dans la Région des Lacs), de la présence d’une personne âgée (28,75% des ménages avec personne âgée ont eu des dépenses catastrophiques), et du sexe du chef de ménage (35 % des ménages gérés par une femme ont été affectés par des dépenses catastrophiques contre 14% des ménages dont le chef est un homme). Tous ces constats démontrent le manque de protection sociale contre le risque maladie. Lorsque les ménages doivent soudainement faire face à un besoin de financement qui excède leur capacité financière (de part leurs propres ressources, avec des appuis de parents ou amis, ou via des emprunts supportables), ils atteignent alors un niveau de dépenses catastrophique, qui risquent de les appauvrir. La fréquence des dépenses catastrophiques et l’importance des dépenses directes des ménages au point de prestation des services (96% de toutes les dépenses de santé des ménages) indiquent le faible niveau de protection sociale contre le risque maladie. En effet, les mécanismes d’assurance et de prépaiement bénéficient à une partie infime de la population, limités essentiellement aux fonctionnaires, aux employés du secteur privé formel et en 60 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire général, à la partie la plus riche de la population, laissant la masse de la population et les plus pauvres notamment sans protection. Figure 4.3Dépenses catastrophiques par quintile de richesse, 2008 Sources : ENV 2008 et analyse BM La mise en place d’un système d’assurance maladie universelle, envisagée en 2001, visait à offrir une protection contre les risques maladie basée sur la solidarité. Conscient du fait que le système de recouvrement des coûts avait conduit à une situation de fortes inégalités dans l’accès aux soins de santé (en l’absence d’un système étendu de solidarité), le Ministère de la Santé, en collaboration avec des PTF, avait lancé plusieurs études au milieu des années 90 pour tenter d’élaborer une stratégie de financement de la santé qui soit davantage basée sur les solidarités. Cette problématique était déjà présente dans le Plan National de Développement Sanitaire (PNDS) 1996-2005. Plusieurs expériences pilotes ont été tentées, mais elles n’ont pas abouti à une mise en œuvre concrète et à l’échelle. Toujours est-il qu’un régime d’Assurance Maladie Universelle (AMU) a été créé juridiquement en octobre 2001 par la promulgation de la Loi n° 2001-636 du 9 octobre 2001 portant institution, organisation et fonctionnement de l’AMU. • ans ses objectifs, l’AMU visait à « améliorer l’état de santé des populations en assurant sans D exclusion l’accessibilité financière de tous aux soins de santé », réduire les disparités régionales et économiques, « réaliser une meilleure solidarité nationale » et instituer à terme un système de sécurité sociale couvrant l’ensemble des risques sociaux étendus à l’ensemble de la population. • L ’AMU reposait sur quelques principes de base, parmi lesquels la solidarité nationale (cotisation par tous et pour tous, et gestion collective des risques liés à la maladie et à la maternité), l’affiliation obligatoire, et la couverture de tous les réSIDAnts (ivoiriens comme étrangers), ainsi que, dans certaines conditions, des ivoiriens résidents à l’extérieur. Une couverture obligatoire de base serait assurée par des caisses nationales, ayant le statut d’institutions de prévoyance sociale et dotés de l’autonomie financière, tandis que les mutuelles de santé et les compagnies d’assurance privée seraient responsables de mécanismes d’assurance complémentaire. Tous les individus seraient assurés sociaux à part entière (pas de notion d’ayant droit) et à ce titre seraient assujettis au versement d’une contribution (à l’exception des enfants de moins de 5 ans). L’AMU serait basée sur le principe du tiers-payant avec tickets modérateurs. • L a couverture obligatoire de base assurerait la prise en charge des consultations, des examens de laboratoire, des actes chirurgicaux, des hospitalisations, des médicaments et des soins dentaires. Les grandes endémies et certaines maladies chroniques et coûteuses seraient prises en charge plutôt dans le cadre des politiques et programmes nationaux de lutte contre ces maladies. 61 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire • En termes d’architecture institutionnelle, la loi a prévu deux régimes distincts (le régime AMU du secteur agricole et le régime AMU des autres secteurs) et deux caisses correspondantes : la Caisse Sociale Agricole (CSA), à laquelle seraient affiliés les exploitants agricoles, les pêcheurs et les éleveurs ; et la Caisse Nationale d’Assurance-Maladie (CNAM), qui ciblerait les salariés du secteur privé, les fonctionnaires et agents de l’Etat, les travailleurs du secteur informel, les élèves et étudiants, et toutes les autres catégories de la population, incluant les « demandeurs sociaux » (les enfants en circonstances extrêmement difficiles, les handicapés, les personnes âgées, etc.). Chaque caisse devrait effectuer l’identification et l’immatriculation des bénéficiaires, assurer la gestion collective des risques liés à la maladie et à la maternité, veiller au maintien de l’équilibre financier de son régime, assurer le contrôle médical en matière de soins et l’application de la tarification établie, et contribuer aux actions de prévention, d’éducation et d’information de nature à améliorer l’état de santé des affiliés. Une troisième structure, le Fonds National de l’AMU (FNAMU), serait en charge du recouvrement, de la gestion et du placement des ressources financières de chacun des deux régimes obligatoires, ainsi que du paiement des prestations. Autrement dit, il assurerait la gestion de trésorerie des deux régimes, tout en conservant l’individualisation des comptabilités de chacune des deux caisses. L’Etat devrait conclure des conventions d’objectifs et de gestion avec les caisses et le FNAMU pour des périodes minimales de trois ans. • L a loi a répertorié diverses sources de financement du système, parmi lesquelles : les cotisations ; les revenus des placements ; les dons et legs ; les emprunts ou obligations ; et « éventuellement des contributions exceptionnelles au titre du budget général de l’Etat », mais en fournissant peu d’informations plus détaillées (taux, modalités, etc.), renvoyées à des arrêtés ultérieurs. L’AMU n’a pas pu aboutir dans la pratique. Les principaux textes fondateurs ont été adoptés, à savoir, la Loi n° 2001-636 du 9 octobre 2001, ainsi que des décrets établissant les trois institutions prévues : le Décret n° 2002-193 du 2 avril 2002 portant création de la CSA ; le Décret n° 2002-194 du 2 avril 2002 portant création de la CNAM ; et le Décret n° 2002-195 du 2 avril 2002 portant création du FNAMU. Les modalités de fixation et de recouvrement des cotisations du secteur agricole ont été définies (Décret n° 2002-357 du 24 juillet 2002) et un comité de pilotage de l’AMU a été établi (Décret n° 2004-95 du 29 janvier 2004). Des projets pilotes de mise en œuvre avaient été envisagés. Mais l’AMU n’a jamais vu le jour dans les faits, sauf à titre pilote dans quatre zones agricoles. La Loi n° 2001-636 du 9 octobre 2001 est toujours en vigueur, mais n’a pas été mise en pleine application. Le PNDS 2009-2013 a donné peu d’attention aux défis de l’accessibilité financière aux soins. Toute en reconnaissant que « la baisse de l’utilisation des services de santé s’explique en partie par la faible accessibilité financière des populations aux services de santé due, entre autres, aux coûts élevés des prestations des services et au faible pouvoir d’achat de la majorité de la population », le Plan National de Développement Sanitaire 2009-2013 (MSHP, 2008) a proposé peu d’actions concrètes ou nouvelles pour s’adresser à ce défi. Ce plan a simplement répété l’engagement du secteur de la santé « d’appuyer la mise en œuvre de l’assurance maladie universelle », dont la mise en œuvre « relève du Ministère en charge des Affaires Sociales », sans donner plus de détails. En fait, c’est le Ministère en charge des Affaires Sociales plutôt que le Ministère en charge de la Santé qui dirige les préparatifs du système d’assurance maladie : d’abord AMU et ensuite, depuis 2011, le projet de « couverture maladie universelle » (CMU). Le PNDS a aussi proposé de garantir des coûts de prestations sanitaires économiquement abordables pour les populations, par une révision de la tarification des actes des professionnels de la santé et des hospitalisations, de promouvoir le développement d’un secteur sanitaire privé plus accessible, de « développer des mécanismes de solidarité » et de « prendre en charge les indigents ». 62 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Encadré 4.6Le dossier technique de l’AMU était-il bien conçu ? La force indiscutable du projet de l’AMU a été son caractère opportun : tout le monde reconnaissait que pour améliorer le problème de l’accès pour tous aux soins il fallait une couverture maladie universelle. Le fait que l’AMU n’ait pas pu aboutir est généralement attribué à la situation politique. Cependant, on peut se demander pourquoi, à la suite de la création du Comité de Pilotage en 2004 et malgré les accords de Ouagadougou en 2005, les préparatifs se sont effectivement ralentis. Mis à part les questions de nature politique ou de gestion du projet, il faut reconnaître la nature ambitieuse de l’initiative et l’existence de quelques défis majeurs, notamment en ce qui concerne le financement du système et la mise en œuvre administrative dans un pays où le secteur informel est largement prépondérant. Jusqu’ici, malgré des tentatives similaires dans plusieurs pays, seuls deux pays d’Afrique subsaharienne, à savoir le Ghana et le Rwanda, ont réellement réussi à mettre en place des systèmes nationaux d’assurance maladie, avec des taux de couverture de la population d’environ 76 % au Rwanda en 2007 (OPM, 2011b) et 62% au Ghana en 2010 (Andoh-Adjei, 2011). Dans le cas du Rwanda, ce succès est souvent attribué à un fort élément de dirigisme politique, qui est difficile à répliquer ailleurs, tandis que dans le cas du Ghana des facteurs clef ont été le fort niveau d’engagement politique, dans un contexte de concurrence électorale (Agyepong et Adjei, 2008) et une capacité technique relativement bien développée. Un autre facteur déterminant dans le cas ghanéen a été le niveau très élevé de subventionnement de l’Etat, à travers une taxe spéciale, le « National Health Insurance Levy » (ajoutée à la TVA au taux de 2,5%), qui en 2010 a contribué 65% des ressources du système national d’assurance maladie (NHIS) ghanéen. Les cotisations dans le secteur informel ont contribué à à peine 4,4% des ressources, le reste venant essentiellement des fonds transférés par le système de sécurité sociale du secteur formel, ainsi que des intérêts sur les fonds placés (Andoh-Adjei, 2011). Cette forte contribution de la fiscalité a permis l’introduction d’exemptions de cotisations à large échelle. Sont exonérés de paiements de cotisations les femmes enceintes, les enfants de moins de 18 ans, les personnes âgées de 70 ans et plus, les indigents et les pensionnaires du système de sécurité sociale. Les affiliés dans ces catégories, donc exemptés des paiements de cotisations, constituaient 64,4% des 18 millions adhérents au NHIS en 2010. Ces exemptions ont probablement contribué à réduire les inégalités constatées au cours des premières années dans les adhésions au NHIS, qui selon une enquête nationale de 2008 (NDPC, 2009), étaient plus de deux fois plus élevées dans le cinquième quintile (64%) que dans le premier quintile (29%). Dans le cas de l’AMU, les mécanismes de financement n’ont jamais été clairement définis. Cependant, le principe de « cotisation par tous et pour tous », retenu comme un des principes de base de l’AMU, et le faible accent mis sur les financements de l’Etat, vu comme des « contributions exceptionnelles », laissent à croire que l’AMU, comme elle a été conçue, aurait eu d’énormes difficultés à faire adhérer et cotiser les millions d’ivoiriens pauvres, compte tenu de leur faible capacité contributive. En outre, l’importance du secteur informel, où le prélèvement à la source est impossible, aurait rendu très lourd le fardeau administratif d’un modèle basé sur le paiement régulier de cotisations. En fait, la petite expérience pilote de l’AMU dans quatre zones agricoles pilotes a mis en évidence les difficultés liées au recouvrement des cotisations. Une approche basée sur le développement de mutuelles de santé communautaires semble encore moins prometteuse que celle d’un système d’assurance maladie nationale. En ce qui concerne le développement de mécanismes de solidarité, le PNDS 2009-2013 s’est axé en partie sur l’appui au « développement des mutuelles communautaires de santé », vu comme axe complémentaire au développement de l’AMU de sorte à maximiser la proportion de population couverte. Comme il a déjà été mentionné, les mutuelles de santé communautaires sont très peu développées en Côte d’Ivoire. Elles se heurtent aux mêmes problèmes de faible capacité financière des populations pauvres et de barrières socioculturelles à la pratique de l’assurance contre les risques maladies (Bamba et al, 2004). Les micro-assurances ne permettent qu’une mise en commun des risques limitée du fait de leur petite taille et des faibles cotisations. De plus, elles peuvent engendrer une charge proportionnellement plus difficile à supporter pour les personnes les plus pauvres lorsque les cotisations sont uniformes, c’est-à-dire non progressives (non liées au niveau du revenu), ce qui est généralement le cas dans les mutuelles. Ces structures souffrent également du 63 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire problème de la sélection adverse, qui découle de la nature non obligatoire de la mutualisation, ainsi que des faibles capacités administratives au niveau communautaire. Même dans les pays ouest-africains où le mouvement mutualiste est le plus développé, comme le Mali et le Sénégal qui bénéficient d’une plus forte tradition associative, les taux de couverture de la population dépassent rarement les 2 ou 3% (ODI et UNICEF, 2009b). La gratuité exceptionnelle de tous les services sanitaires a été introduite à la suite de la crise postélectorale. Pour faire face aux conséquences sanitaires de la crise, ainsi qu’à la situation de précarité générale qui prévalait (notamment l’absence de liquidités chez les ménages en raison de la fermeture des banques et du non-paiement des salaires pendant la crise), l’exemption de paiement des frais dans l’ensemble des établissements sanitaires publics, parapublics et communautaires conventionnés a été promulguée par le Président de la République en avril 2011 (Arrêté interministériel n° 001 du 16 avril 2011). Censée durer 45 jours, la mesure a été prorogée une première fois jusqu’au 5 juin 2011, et une seconde fois par l’Arrêté interministériel n° 0036 MSLS/MEF/CAB du 1 août 2011 (jusqu’à nouvel ordre et dans les mêmes conditions). Au cours de la période d’exemption des frais, il a été prévu que chaque établissement sanitaire établisse mensuellement une facture globale de ses prestations et autres frais de fonctionnement à adresser au ministère chargé de la santé pour paiement. Ceci inclurait également le paiement du personnel contractuel. Un dispositif national de suivi et d’évaluation a été mis en place pour suivre le déroulement des opérations liées à l’exécution de cette mesure et leurs impacts sur la prestation des soins et sur le système de santé lui-même. La mesure a conduit à une forte augmentation de la demande. La mesure a été bien accueillie par la population, qui a démontré une forte demande de services de santé par une fréquentation massive des établissements sanitaires. Un premier bilan, couvrant la période allant du 16 avril au 31 mai 2011 et présenté au Conseil des Ministres le 22 juin 2011, a constaté des niveaux d’utilisation des services très supérieurs aux données de routines observées avant la crise (MSLS, 2011a). En effet, l’opération a amélioré sensiblement l’accessibilité aux soins des populations, avec en particulier une énorme hausse de la fréquentation des établissements sanitaires et ce pour presque tous types de soins (Figure 4.4), bien que celle-ci ait probablement été renforcée par les effets de rebond après la fin de la période de conflit postélectoral. Par exemple, entre mai 2010 et mai 2011, les consultations ont augmenté de 78% et les hospitalisations de 70%. Sur la même période, le nombre d’actes chirurgicaux a augmenté de 47%, le nombre d’accouchements normaux de 31%, le nombre d’examens de laboratoire de 168% et le nombre d’examens de radiographie de 274%. Dans l’absence de mécanismes de filtrage des patients, il y a eu probablement un fort élément de risque moral (« moral hazard »), amplifié par la nature temporaire de la gratuité. Cependant, le système de santé a eu du mal à gérer une telle expansion sans aucune préparation préalable. Introduite subitement dans un contexte d’urgence et sans réorganisation des services (pour le tri des patients), la mesure a déclenché une telle expansion de la demande que la capacité d’accueil des établissements sanitaires a vite été dépassée. Le personnel a été surchargé et les ruptures de médicaments se sont aggravées, réduisant ainsi la qualité des prestations aux patients. La consommation de médicaments a connu une hausse de 100% entre mai 2010 et mai 2011 (de 183 millions de FCFA à 359 millions de FCFA). Cette consommation a été trois fois et demie plus élevée que le montant de médicaments livrés aux établissements sanitaires (103 millions de FCFA), selon l’évaluation initiale (MSLS, 2011a). Au 31 août (soit après 4,5 mois) le coût de l’exemption, c’est-à-dire le manque à gagner des établissements sanitaires qui devrait leur être reversé par le MSLS, a été estimé à 7 milliards de FCFA sans compter les dettes auprès de la PSP (5 milliards de FCFA).40 En d’autres termes, la gratuité généralisée risque de remettre en cause ses propres gains en matière d’amélioration de l’accès des populations aux soins si des mesures d’accompagnement ne sont pas rapidement mises en place : le renforcement du financement du système (par rapport au niveau historiquement faible des dépenses publiques de santé en 40 Cette estimation est basée sur les états comptables de tous les établissements publics nationaux, de 8 centres hospitaliers régionaux (sur un total de 14), de 40 hôpitaux généraux (sur un total de 91) et de 200 ESPC (sur un total de 2089), extrapolés à l’ensemble des structures à chaque niveau (Réveillon et Diabagate, 2011). 64 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire pourcentage du PIB et en pourcentage des dépenses publiques totales) ; la résolution des problèmes du système d’approvisionnement et de distribution des médicaments (de la PSP) ; et le renforcement des ressources humaines. Figure 4.4Utilisation des services sanitaires publics, mai 2010 et mai 2011 Source : MSLS (2011). 65 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 5Contexte politique, institutionnel et financier POUR le renforcement de la protection sociale 5.1Le cadre politique La Stratégie de Relance du Développement et de Réduction de la Pauvreté (SRDRP), adoptée en 2009 pour orienter les actions du Gouvernement sur la période 2009-2015, a donné une place importante à la protection sociale. Cette stratégie a comme objectif ambitieux la réduction de l’incidence de pauvreté de 48,9% en 2008 à 33,6% en 2013 et 16% en 2015, afin d’atteindre l’OMD 1 relatif à l’élimination de la pauvreté extrême et de la faim. Parmi les trois « impacts » attendus de la Stratégie, l’impact 3 a porté sur « un bien-être social pour tous », dans le but d’inverser les tendances de dégradation de la plupart des indicateurs sociaux et de permettre à la Côte d’Ivoire d’atteindre les OMD. La protection sociale a été retenue comme une des composantes de cet axe de la Stratégie (RCI, 2009a). Depuis l’adoption de la SRDRP en 2009, la situation économique et sociale s’est encore gravement détériorée en raison de la crise postélectorale et la Stratégie est actuellement en cours d’actualisation. La réduction de la vulnérabilité des populations est encore plus urgente et prioritaire et les mesures de renforcement de la protection sociale devraient par conséquent trouver une place de choix dans la nouvelle version de la Stratégie. La SRDRP a pris position pour « étendre la protection sociale à l’ensemble de la population et singulièrement aux couches les plus vulnérables » (RCI, 2009a, paragraphe 800). Cette prise de position implique un renforcement radical du dispositif de protection sociale, par rapport à la situation actuelle de très faible couverture décrite dans le Chapitre 4. Plus spécifiquement, cette partie de la SRDRP a prévu « la mise en place d’un dispositif de sécurité sociale efficace en vue d’assurer la prise en charge des personnes vulnérables ayant un faible pouvoir d’achat ». Bien que les mesures spécifiques envisagées ne soient pas précisées, on peut supposer qu’il s’agit de l’extension de la sécurité sociale au secteur informel, secteur dans lequel exercent la plupart des ivoiriens les plus vulnérables. D’autres mesures prévues, très générales, s’appliquent à des groupes vulnérables spécifiques, notamment les personnes handicapées41, les personnes âgées42, les enfants vulnérables (enfants de la rue, enfants victimes de traite, enfants victimes d’exploitation et/ou astreints à des travaux dangereux, enfants vivant avec un handicap) et les personnes déplacées. Les autres mesures concerne le renforcement institutionnel, la ratification des instruments juridiques internationaux (et l’harmonisation des textes nationaux avec ceux-ci) et la prise en compte du genre dans tous les programmes et projets de développement. Mais ces engagements n’ont pas été reflétés dans l’octroi des ressources. Le but d’étendre la protection sociale « à l’ensemble de la population » ne s’est malheureusement pas traduit en financement conséquent dans les estimations des coûts de la mise en œuvre de la SRDRP, ce qui a rendu cette composante de la Stratégie effectivement caduque dans les faits. Il est étonnant de voir que, malgré la nature assez ambitieuse des engagements exprimés, les coûts relatifs à la protection sociale prévus sur la période 2009-2015 se sont élevés à seulement 6,86 milliards de FCFA, soit 980 millions par an en moyenne ou 0,04% des coûts totaux de la Stratégie qui se sont élevés à 17 645 milliards de FCFA (RCI, 2009a). 41 A cet égard il est à noter que la Côte d’Ivoire a adopté une loi d’orientation en faveur des personnes handicapées (loi no 98-594 du 10 novembre 1998), qui incluent des dispositions relatives à l’éducation et à la formation, à l’emploi et à la vie sociale des personnes handicapées. La Déclaration de Politique Nationale en Faveur des Personnes Handicapées reconnait toutefois que cette loi « ne connait pas de manifestation réelle dans les faits » (MFFAS, 2010j, p. 12) (voir également la section 4.5.5 de ce rapport). Le but de cette Déclaration de Politique est celui d’« œuvrer pour la prise en compte du handicap dans tous les secteurs de la vie publique et privée en vue de susciter la pleine participation de tous les ivoiriens à la construction du pays ». Elle a cinq axes d’intervention : (1) la protection sociale et les droits des personnes handicapées (notamment par l’élimination de la discrimination et de l’exclusion à l’égard des personnes handicapées) ; (2) l’éducation et la formation (surtout par l’approche de l’éducation « intégratrice ») ; (3) la santé (y compris la prévention des handicaps et la facilitation de l’accès des personnes handicapée aux services sanitaires) ; (4) l’emploi (notamment des mesures d’incitation et de quotas, appuyées par des fonds de soutien) ; et (5) l’environnement et le cadre de vie (y compris des mesures de facilitation de l’accès physique aux services publics, aux logements, aux transports et aux sports, loisirs, activités culturelles et médias). La politique dans ce domaine est davantage développée dans le Plan Stratégique du Programme National de Réadaptation à Base Communautaire (PN-RBC), qui s’inscrit dans un cadre de développement communautaire pour la réadaptation, l’égalisation des chances et l’intégration socioéconomique des personnes handicapées (MEMEASS, 2011d). 42 Un processus d’élaboration d’une Politique Nationale en Faveur des Personnes Agées est en cours depuis quelques années (voir MFFAS, 2007d). La SRDRP prévoit des mesures (non identifiées) « dans le cadre de la redistribution des richesses nationales », allusion possible à l’adoption éventuelle d’un régime de pensions sociales de vieillesse. 66 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire La nature vague de la plupart des engagements traduit le fait qu’il n’y a pas de cadre politique cohérent de la protection sociale fixant des priorités claires qui seraient liées à la planification budgétaire par une approche programmatique et à moyen terme. Le document de cartographie et analyse du système de protection de l’enfant a remarqué que l’Etat ivoirien ne dispose actuellement d’aucune politique cadre pour orienter l’aide sociale en direction des enfants et de leurs familles. Les politiques ne clarifient pas quelle aide doit être fournie ni dans quelles circonstances. Selon cette analyse, « ce manque de politique cadre crée un vide qui est investi par des projets et des initiatives disjointes, opérant de façon indépendante » (MFFAS, 2010g, p. 56). Il s’agit notamment des projets qui drainent la plupart des financements externes, tels que : le PN-OEV, conçu de manière étroite pour se focaliser uniquement sur les enfants rendus vulnérables du fait du VIH/SIDA en excluant la majorité des enfants vulnérables en raison d’autres facteurs ; les projets VBG ; et les initiatives dans le cadre de la lutte contre la traite et les pires formes de travail des enfants. Le document de cartographie et analyse mentionne le commentaire juste que « l’ensemble de ces interventions destinées aux enfants vulnérables devient la politique nationale de facto, mais elle ne constitue en aucune manière une politique concertée, cohérente et stratégique. » (MFFAS, 2010g, p. 56) Le processus d’élaboration d’un document cadre national en matière de protection de l’enfant, dont le démarrage est prévu en novembre 2011, devrait répondre à ce défi. Cependant, le problème soulevé par cette analyse s’applique à l’ensemble de la protection sociale et pas uniquement à la protection de l’enfant. A l’exception de quelques secteurs spécifiques (notamment celui de l’éducation), il n’existe actuellement aucun cadre politique holistique et cohérent qui définisse les priorités de la protection sociale, établisse les lignes directrices des actions à entreprendre et oriente l’octroi des ressources à travers le Cadre des Dépenses à Moyen Terme (CDMT) et le budget de l’Etat. C’est la nécessité même de relever ce défi qui justifie le processus d’élaboration de la Stratégie Nationale de Protection Sociale actuellement en cours. La politique éducative a mis en relief les actions de type « protection sociale » pour promouvoir l’accès à l’école et la rétention des enfants pauvres. La SRDRP prévoit le renforcement de la gratuité des manuels scolaires, la promotion de la sensibilisation des parents à la scolarisation de la petite fille, l’extension de la mise en œuvre du Programme Intégré de Pérennisation des Cantines Scolaires afin de couvrir tous les élèves, la mise en œuvre de la politique d’éducation intégratrice, et le renforcement du système d’état civil. Ces mesures, qui visent à réduire les charges de la scolarisation et à inciter la demande, complémentant ainsi les mesures envisagées du côté de l’amélioration de l’offre et de la qualité de l’enseignement, ont été reconduites et davantage développées dans la Lettre de Politique Educative adoptée le 3 juin 2010, ainsi que dans le Plan d’Actions à Moyen Terme du secteur de l’éducation, révisé à la suite de la crise postélectorale pour couvrir la période 2012-2014. Comme il a déjà été discuté dans la section 4.6 de ce rapport, le Plan propose de renforcer les mécanismes de subventionnement des écoles pour assurer la gratuité effective de l’enseignement primaire, de renforcer le programme de cantines scolaires, de poursuivre la distribution gratuite de kits scolaires, d’introduire la distribution de rations alimentaires sèches aux jeunes filles (comme moyen d’incitation au maintien des filles à l’école), et de supprimer les obstacles à l’inscription à l’enseignement primaire liés au manque de possession d’extraits d’acte de naissance. Le plan propose d’introduire des mécanismes de ciblage géographique pour identifier des zones prioritaires, fortement marquées par la pauvreté, la vulnérabilité et de faibles taux d’accès et d’achèvement, tout en évitant un ciblage individuel des enfants au sein des écoles afin de ne pas stigmatiser les enfants bénéficiaires (MEN et al, 2011). La SRDRP a proposé de doubler la part des dépenses publiques allouées à la santé et a inclus quelques mesures de renforcement de l’accessibilité aux soins et de protection sociale, notamment en ce qui concerne le VIH/SIDA. Dans sa section sur le renforcement du système de santé et de la lutte contre les maladies, la SRDRP a inclus principalement des mesures de renforcement de l’offre des services sanitaires, ainsi que des systèmes d’approvisionnement en eau et d’assainissement. La Stratégie prévoit également d’augmenter la part des dépenses publiques de santé de 5% en 2008 à 10% en 2013. Ce taux, s’il était effectivement atteint, aiderait à rééquilibrer les contributions publiques et privées au financement de la santé, qui reste jusqu’ici 67 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire fortement à la charge des ménages. La SRDRP intègre aussi quelques mesures du côté de l’accès financier et de la protection. C’est notamment le cas de la sous-section concernant le passage à échelle des services de prise en charge des personnes infectées et/ou affectés par le VIH/SIDA, comprenant notamment le traitementpar les ARV, rendus gratuits depuis 2008 et le soutien nutritionnel et socioéconomique. Ces mesures sont davantage développées dans le Plan Stratégique National de Lutte contre l’Infection à VIH, le SIDA et les IST 2011-2015 (CNLS, 2011), dans le Plan Stratégique National de Prise en Charge des OEV 2007-2010 (MFFAS, 2007a) et dans le Document de Politique Nationale pour les Soins et Soutien aux Orphelins et Autres Enfants Rendus Vulnérables du Fait du VIH/SIDA et leurs Familles en Côte d’Ivoire (MFFAS, 2010b). Dans la SRDRP, l’Etat s’engage aussi à « poursuivre sa politique sociale de l’eau potable en maintenant la péréquation du prix de l’eau afin de permettre aux populations les plus démunies de s’abonner au réseau SODECI » (paragraphe 796). Cet engagement est traduit dans le projet de Politique Nationale de l’Eau Potable (ONEP, 2010 dans lequel l’Office National de l’Eau Potable affirme qu’il « doit notamment veiller à ce que les tarifs de l’eau potable demeure adaptés au niveau de vie des populations et que la tranche sociale de la structure tarifaire soit maintenue », ainsi que des mesures du côte de l’offre (voir l’encadré 4.2 sur cette question dans le Chapitre 4). Cependant, des incertitudes persistent en ce qui concerne les approches à retenir pour assurer une protection sociale efficace dans le secteur de la santé. Dans le seul court paragraphe concernant l’amélioration de l’accessibilité financière aux soins de santé, la SRDRP ne fait que répéter l’engagement de mise en œuvre de l’AMU, restée lettre morte depuis la législation de 2001-2002, à travers « une proposition de recadrage et de redéfinition des mécanismes de soutien et de financement de l’AMU », qui permettrait « d’assurer un minimum de couverture sociale aux couches les plus vulnérables et surtout de mettre en place des systèmes de prévoyances des risques » (RCI, 2009a, paragraphe 801). Le Plan National de Développement Sanitaire 2009-2013, déjà discuté dans la section 4.7, a été encore plus vague, en répétant l’engagement du secteur de la santé « d’appuyer la mise en œuvre de l’assurance maladie universelle », ainsi que des mesures (peu détaillées) visant à garantir des coûts de prestations sanitaires économiquement abordables pour les populations, promouvoir le développement d’un secteur sanitaire privé plus accessible, « développer des mécanismes de solidarité » au niveau communautaire et « prendre en charge les indigents » (MSHP, 2008). Comme vu précédemment dans la section 4.6, la politique à l’égard de l’accessibilité financière des soins et du financement du système sanitaire a pris un tournant radical à la suite de la crise postélectorale avec l’annonce de la gratuité universelle des soins de santé dans les établissements publics. Introduite en avril 2011 comme mesure exceptionnelle et de courte durée, la gratuité a été prorogée jusqu’en janvier 2012. Mais, dans l’absence de fortes mesures d’accompagnement pour assurer le financement adéquat du système, les ressources humaines requises et la résolution des problèmes systémiques de l’acquisition et de la distribution des médicaments par la PSP, le système de santé s’est révélé peu capable de répondre à l’énorme hausse de la demande déclenchée par la gratuité généralisée. Le pays attend la prise de décisions politiques définitives dans ce domaine crucial pour le bien-être des populations. La première ébauche de la nouvelle Politique Nationale de Santé énonce comme une de ces priorités celle d’« améliorer l’accessibilité financière et l’utilisation des services de santé » mais ne clarifie pas comment le faire. Elle se limite à dire qu’il s’agit de développer et de mettre en place, à l’échelle, la couverture du risque maladie, qui « doit faire l’objet d’une étude » mais « pourrait être un dispositif national d’assurance ou un appui aux mutuelles de santé ou encore la création d’un filet de sécurité pour les plus pauvres (Fonds d’Equité Sanitaire ou gratuité de certains soins) » (MSLS, 2011b, p. 29). 5.2L’architecture institutionnel et la capacité administrative Différents ministères interviennent dans le domaine de la protection sociale et leur coordination demeure limitée, comme en attestent les approches sectorielles et cloisonnées décrites dans la section précédente. La protection sociale est de nature multisectorielle et sa mise en œuvre 68 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire implique nécessairement plusieurs ministères du gouvernement. La protection sociale est au cœur du mandat du Ministère chargé des Affaires Sociales43, qui prend appui sur un total de 283 structures de base.44 Celles-ci sont sous la supervision de 16 Directions Régionales et sont inégalement réparties sur l’ensemble du territoire national avec une forte concentration dans la région des Lagunes, notamment à Abidjan. Mais plusieurs autres ministères coordonnent des initiatives sociales d’importance. C’est le cas, par exemple, du Ministère de l’Education Nationale qui gère le programme de cantines scolaires, ou encore du Ministère de la Santé et de la Lutte contre le SIDA qui assure la gratuité de certains services sanitaires (et la gratuité généralisée en vigueur depuis avril 2011). Le Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant s’occupe de certains programmes de promotion féminine.45 Malheureusement, les mécanismes de coordination intersectorielle au niveau central restent très limités. Il y a des chevauchements dans les mandats des diverses structures de base, résultant des remaniements ministériels successifs et des faiblesses de coordination. Les affaires sociales, par exemple, ont été caractérisées par une grande instabilité institutionnelle qui s’est répercutée sur le mandat actuel des Centres Sociaux notamment. Tantôt rattachées au Ministère de la Santé, tantôt ministère à part entière, les affaires sociales sont, depuis juin 2011, réparties entre d’une part, le Ministère d’Etat, Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité, et d’autre part, le Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant.46 Les Centres Sociaux continuent ainsi de fournir des prestations à caractère socio-sanitaire, perpétuation de services organisés du temps où les affaires sociales étaient sous la responsabilité du Ministère de la Santé. Il s’agit notamment de la pesée des nourrissons, de la démonstration diététique et de la vaccination des enfants qui en théorie devraient être des moyens d’identification des problèmes sociaux et familiaux. Dans le domaine de la petite enfance également, plusieurs structures visant au développement du jeune enfant ont été développées, sous l’impulsion de différents ministères ou d’initiatives privées (Encadré 5.1). Les structures du MEMEASS offrent ainsi, en parallèle des initiatives du MEN, des services d’éveil et de développement pour la petite enfance. Outre des chevauchements de mandats entre diverses initiatives publiques, le manque de politique cadre et de directives sur les services à fournir aux différents groupes cibles engendre également des systèmes de détection et de référence souvent défaillants (MFFAS, 2010g). Le processus de prise de décision dans le domaine de la protection sociale reste encore très centralisé, laissant peu d’autonomie aux structures de base. Toutes les décisions, que ce soit par rapport aux stratégies, plans d’actions, personnel, budget, ou même pour l’approbation de demande de secours social, sont prises au niveau central. Les structures de base, tout comme les Directions Régionales, ont une autonomie décisionnelle réduite. Ainsi, même si l’analyse du milieu relève du mandat des centres sociaux par exemple, cela bien souvent n’influence pas l’élaboration d’un plan d’action local (MFFAS, 2010g). Faute de cadre politique et de moyens, les activités des structures de base sont en pratique largement influencées par les PTF. Les services d’action sociale tels qu’initialement imaginés par les autorités nationales devraient offrir un large éventail de services d’action sociale visant une vaste population cible. Toutefois, dans la pratique, la réalité de l’offre de services est éparse et de portée très réduite. A titre d’exemple, plus d’un département sur deux n’a pas de centre social (MFFAS, 2010g). 43 Au sein du MEMEASS, on compte, outre la Direction de la Planification, des Etudes et de la Documentation (DPED) et la Direction des Affaires Administratives et Financières (DAAF), les directions suivantes : la Direction Générale de l’Emploi (DGE) ; la Direction de la Sécurité Sociale et de la Mutualité (DSSM) ; la Direction de la Santé et de la Sécurité au Travail ; la Direction de la Protection Sociale (DPS) ; la Direction de la Promotion des Personnes Handicapées (DPPH) ; la Direction de la Solidarité ; et la Direction de la Lutte contre le Travail des Enfants. Par ailleurs, deux programmes y sont rattachés, à savoir, le PN-OEV et le Programme de Protection des Enfants et Adolescents Vulnérables (PPEAV). 44 Ces structures incluent 85 Centres d’Action Communautaire pour l’Enfance (CACE), 79 Centres Sociaux (CS), 70 Centres de Protection de la Petite Enfance (CPPE) dont 43 publics, 17 Centres d’Education Spécialisée (CES), 20 Complexes Socio-Educatifs (CSE), 11 Garderies et Crèches dont 2 publiques, 10 Institutions Spécialisées dont 3 publiques, 5 Orphelinats dont 2 publics, 7 pouponnières dont 4 publiques, et 2 Villages d’enfants SOS (MFFAS, 2010g). 45 Le MFFE, bien qu’ayant le mandat de protection de l’enfant, a rétrocédé la gestion de toutes les structures ayant trait à l’enfant (orphelinats, pouponnières, CACE, etc.) au MEMEASS, et seules les 110 Institutions de Formation et d’Education Féminine (IFEF), dont 95 sont publiques, restent de sa responsabilité. 46 Décret n° 2011-101 du 1er juin 2011 portant nomination des membres du 13ème gouvernement de la 2ème République. 69 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire En contraste, les projets soutenus par les PTF bénéficient de plus grands moyens et incitent l’appui des Centres Sociaux et des ONG. Ainsi, la plupart de ces derniers travaillent à la mise en œuvre de programmes nationaux financés par les PTF, tels que le PN-OEV, la lutte contre les VBG ou la lutte contre la traite et le travail des enfants (voir la section 4.5). Encadré 5.1Les services spécialisés dans le développement du jeune enfant Plusieurs types d’institutions proposent des activités d’éveil et de stimulation des jeunes enfants. En 2007/2008, pour les enfants de 3 à 5 ans, on comptait : • 913 écoles maternelles publiques et 411 écoles maternelles privées sous tutelle du MEN, accueillant 76 441 enfants, dont 24 169 au privé ; • 71 Centres de Protection de la Petite Enfance (CPPE) et 62 structures privées sous tutelle du MEMEASS, accueillant un effectif total de 32 115 enfants. Grâce à leur contact avec la petite enfance, les CPPE, structures encadrées par des éducateurs préscolaires formés à l’Institut National de Formation Sociale (INFS), possèdent un grand potentiel de prévention et de dépistage dans le cadre de la protection de l’enfant. Mais leur présence très limitée sur le territoire ne permet pas un impact notoire. Dans la situation actuelle, les activités de préscolarisation (écoles maternelles, jardins d’enfants et CPPE) ne concernent qu’une proportion assez limitée de la population. Des structures communautaires viennent compléter l’offre de services. En 2007/2008, on comptait ainsi : • 72 Centres d’Accueil et d’Encadrement du Jeune Enfant (CAEJE) sous tutelle du MEN, dont 53 fonctionnels, accueillant 3 259 enfants ; • 85 Centres d’Action Communautaire pour l’Enfance (CACE) sous tutelle de MEMEASS, accueillant 12 950 enfants, qui sont très similaires au CPPE mais créés et gérés par les communautés pour palier la faiblesse de couverture géographique des CPPE sur le territoire national ; • 82 écoles communautaires, accueillant 7 875 élèves ; • 11 garderies et crèches, que le MFFE se propose de développer. Les CAEJE, CACE et les écoles communautaires sont des structures légères, implantées au sein des communautés qui les gèrent. Elles ont pour mission d’assurer, par des activités de développement physique, sanitaire, moteur, intellectuel et socio-affectif, l’épanouissement et l’éveil des enfants de 0 à 6 ans. Malgré cela, le taux national d’accès à l’éveil ou éducation préscolaire n’est que de 6% (MEMPD/INS et UNICEF 2007). De plus, les bénéficiaires de ces services restent principalement des enfants issus de milieux socialement et économiquement favorisés. Ceci s’explique par le fait que, d’une part, l’implantation des écoles est presque exclusivement urbaine (les deux DREN d’Abidjan accueillent plus de 60% du nombre total d’enfants inscrits dans le pays, et on estime qu’un enfant urbain, bien que ses chances de bénéficier de préscolarisation soient seulement d’environ 12%, a 10 fois plus de chances d’en bénéficier que son homologue réSIDAnt en milieu rural), et d’autre part, les frais de scolarité demandés (même dans les structures publiques) sont trop élevés pour les familles modestes. Source : auteurs sur base de MEMPD/INS et UNICEF (2007) et d’informations fournies par le MEMEASS. Ainsi, les Centres Sociaux du MEMEASS, bien que chargés d’une mission très vaste, sont surinvestis par des projets dispersées (Encadré 5.2). Qui plus est, la coordination au niveau local entre toutes ces initiatives sectorielles reste elle aussi limitée. Le PN-OEV et le programme de lutte contre les VBG appuient la mise en place de plateformes impliquant les Centres Sociaux (qui en assurent la coordination technique), des ONG et d’autres professionnels (services de santé, police, etc.) intervenant dans la protection et la prise en charge. Par contre, en ce qui concerne la traite et le travail des enfants, la coordination au niveau local est des plus faibles. Les initiatives impulsées par les structures gouvernementales sont coordonnées par les préfets, tandis que celles mises en œuvre par les ONG et les communautés échappent à toutes formes de coordinations (MFFAS, 2010g). 70 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Encadré 5.2Les centres sociaux du MEMEASS Créés dans les années 50, les Centres Sociaux du Ministère chargé des Affaires Sociales ont aujourd’hui pour missions : la surveillance socio-sanitaire et psychomotrice de la mère et de l’enfant de moins de 5 ans ; l’éducation familiale en faveur des femmes et des jeunes ; la prise en charge des problèmes spécifiques des jeunes et des personnes handicapées ; et l’amélioration des conditions de vie des groupes et des communautés. Sa population cible est donc vaste et diverse, incluant toutes les personnes présentant des problèmes sociaux (MFFAS, 2007c). Les Centres Sociaux fonctionnent soit de manière indépendante, soit au sein d’un Complexe Socio Educatif (CSE). Les CSE sont des structures regroupant trois services : le Centre Social (CS) ; le Centre de Protection de la Petite Enfance (CPPE) et le Centre d’Education Spécialisée (CES). La mise en place des CSE a été proposée dans le but de rationaliser les dépenses publiques et de renforcer l’identification des enfants. On compte aujourd’hui 79 CS (dont 19 dans la seule région des Lagunes) et 17 CES (dont 6 dans la région des Lagunes). Depuis 2007, un modèle de « Centre Social Restructuré » est en expérimentation (MFFAS, 2008). Ce modèle, développé sous l’impulsion du PN-OEV (et du PEPFAR), met un accent particulier sur le VIH/SIDA et son impact sur les enfants et la société, et prévoit notamment l’intégration d’un quatrième pôle d’activités autour du suivi-évaluation et l’augmentation du personnel du centre. Il envisage ainsi le renforcement de l’action sociale basée sur les ressources communautaires, de la documentation, de l’archivage et du suivi-évaluation des interventions. Si le nombre de Centres Sociaux Restructurés a augmenté ces dernières années, ce modèle demeure toutefois dans une phase pilote à l’étude par le MEMEASS. Malgré un mandat très vaste, les activités des centres sociaux demeurent limitées du fait de leur faible présence, de l’insuffisance des moyens et des capacités, et de l’état de dégradation de certains d’entre eux. Faute de moyens financiers (et d’autonomie budgétaire), l’action des Centres Sociaux en dehors des interventions programmatiques soutenues par les PTF est très limitée. Faute de pouvoir décisionnel, les centres sociaux se retrouvent à mener des activités de routine et à accomplir les tâches relatives aux initiatives nationales, parmi lesquelles, la mise en place et l’animation de plateforme de collaboration entre ONG et structures déconcentrées. Par conséquent, les activités des centres sociaux dépendent bien plus des incitations des PTF que des besoins spécifiques des groupes à risque dans leurs localités. Source : auteurs sur base de MFFAS (2007c, 2008, 2010g). Outre les centres sociaux placés sous la tutelle du Ministère chargé des Affaires Sociales, d’autres structures publiques ont développé leurs propres services sociaux avec plus ou moins de succès. Dans le cadre du processus de décentralisation, les autorités locales (communes, départements, districts) ont commencé à promouvoir et parfois gérer des services sociaux. Les initiatives d’action sociale des autorités décentralisées (notamment les communes) se situent principalement dans le secteur de l’éducation, et dans une moindre mesure pour venir en aide aux indigents (santé, etc.) ou appuyer des activités génératrices de revenus. Soko (2010) rapporte que les communes consacrent de 1 à 6% de leur budget à l’assistance sociale (coûts administratifs non compris). Certains centres de santé, écoles et services de police et de justice ont également des services sociaux. Ces services ne répondent d’aucune façon formelle aux directives du Ministère chargé des Affaires Sociales. Ainsi, plutôt qu’un renforcement de l’offre au niveau national, on observe la mise en place de structures parallèles, ne répondant pas toujours aux normes nationales en vigueur au niveau du Ministère chargé des affaires sociales. Créée en 2000, la Direction de la Mutualité et des Œuvres Sociales en milieu Scolaire (DMOSS) du MEN a impulsé l’installation de cellules sociales dans les lycées et collèges et de centres d’écoute dans les directions régionales et départementales Toutefois, bien que la DMOSS soit censée s’occuper des problèmes de protection de l’enfant en milieu scolaire (problèmes de traitement au long cours, de difficultés scolaires, de violences sexuelles, de maltraitance, etc.), 71 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire son action est majoritairement centrée sur les questions de santé pour lesquelles un partenariat dynamique existe avec le PNSSU. La DMOSS ne semble pas participer à l’identification et à la référence des cas de violation des droits de l’enfant au sein des établissements. Ainsi la punition physique et humiliante continue d’être pratiquée, bien qu’un arrêté ministériel l’interdise et la question de l’exploitation sexuelle en milieu scolaire se pose également, même au niveau des écoles primaires (MEN/DMOSS 2010 cité dans Lida 2010, MFFAS 2010g). Au niveau de la société civile, de nombreuses ONG interviennent, mais de façon éparse. Les ONG ont une forte concentration à Abidjan, à l’ouest et dans le sud-ouest. Les ONG internationales ont ainsi tendance à se concentrer dans des zones précises pour des critères programmatiques de réponse à l’urgence et qui ne correspondent plus forcément à une vue d’ensemble des réalités sur le plan national. Par ailleurs, les résultats de la cartographie du système de protection de l’enfant menée en 2009 posent la question de l’offre directe de services par les ONG. Seules 6 des 27 organisations interrogées offraient des services directs aux enfants et aux familles, et les actions principales menées par les ONG étaient la formation, le plaidoyer et la coordination. Face à ce constat, deux hypothèses ont été émises : soit l’essentiel du travail d’assistance directe est assurée par les ONG locales de petite taille qui n’ont pas été prises en compte dans la recherche opérationnelle, soit l’offre directe des services aux enfants est très faible sur le terrain (MFFAS, 2010g). Le défi actuel des services sociaux reste celui de la décentralisation et de l’animation communautaire. Comme déjà souligné dans la section 4.1, bien que la communauté soit reconnue comme étant au cœur de l’action sociale, les travailleurs sociaux ne parviennent pas à toucher les communautés et jouer leur rôle d’animation communautaire, sauf parfois lorsqu’ils interviennent dans le cas de projets soutenus par des PTF. Les activités des Centres Sociaux du MEMEASS par exemple devraient être organisées autour de trois pôles : la protection familiale (protection du couple mère-enfant et de la famille) ; l’animation sociale (identification des problèmes auxquels font face les communautés et amélioration du cadre de vie des populations) ; et la réinsertion sociale des personnes défavorisées. Mais faute de moyens et de pouvoir décisionnel, les services se limitent souvent à des activités routinières au détriment de véritables stratégies de prise en charge matérielle ou psychologique, d’écoute, de référence et de développement (MFFAS, 2010g). Afin de remédier à cela, la formation de relais communautaires a été envisagée, notamment au sein du PN-OEV et du programme de lutte contre les VBG. L’absence de système de gestion de l’information et de suivi-évaluation constitue actuellement un handicap dans l’élaboration et la gestion des politiques publiques, ainsi que dans la gestion des cas sociaux. La planification de l’action sociale exige l’élaboration d’objectifs et la récolte d’information qui permettent l’évaluation des résultats. Or la collecte des données constitue un point faible de l’administration sociale. En l’absence d’un système approprié de collecte et de gestion de données, il est très difficile de savoir si les actions sociales ont réellement un impact, et dès lors de tirer des leçons apprises, de construire sur les expériences réalisées pour se doter de cadres d’orientations stratégiques. L’absence d’un système informatisé de gestion des cas sociaux est aussi à regretter, constituant une contrainte importante pour le suivi de la situation des ménages et individus concernés, la prestation de services et la recherche de services complémentaires dans des secteurs et institutions divers (état civil, écoles, établissements sanitaires, etc.). Dans le cadre de la gestion des données, plusieurs initiatives sectorielles sont entreprises. Le PN-OEV, par exemple, qui dispose déjà d’une base de données opérationnelle, travaille à la mise en place d’un système de suivi-évaluation soutenus par les Centres Sociaux Restructurés (Encadré 5.2). Des indicateurs et outils de collecte des données ont déjà été développés. Des efforts sont également en cours pour doter le MEMEASS d’un Système intégré de collecte et de gestion de données (SICGD) afin de mieux éclairer l’élaboration de politiques, l’exécution de programmes et la recherche. Actuellement, les rapports des services déconcentrés du MEMEASS ne sont pas harmonisés et ne permettent pas un bon suivi de la gestion des services 72 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire offerts ou des problèmes sociaux au niveau national (MFFAS, 2010g). Enfin, des systèmes de gestion de l’information ont également été développés par les agences humanitaires. L’existence d’un grand nombre de travailleurs sociaux qualifiés, sortis de l’INFS, constitue un atout du système de protection sociale. L’Institut National de Formation Sociale (INFS), qui est sous tutelle du Ministère chargé des Affaires Sociales, forme environ 500 travailleurs sociaux spécialisés. Ces formations durent de deux à trois ans, selon les programmes et recrutent leurs étudiants au niveau du baccalauréat pour les assistants sociaux, éducateurs préscolaires et maîtres d’éducation spécialisés, et au niveau du BEPC (brevet d’études du premier cycle du secondaire) pour les « adjoints ».47 Jusqu’en 2008, presque tous les diplômés de l’INFS entraient quasi automatiquement à la fonction publique, notamment aux Ministère chargé des Affaires Sociales, au Ministère de la Justice, au Ministère de l’Education Nationale, au Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique et aux collectivités locales. Mais, selon les informations reçues de l’INFS, à partir de 2009, le recrutement est devenu plus sélectif pour les assistants sociaux et assistants sociaux adjoints, et seulement 50 des 154 diplômés ont réussi le concours pour être recrutés par la fonction publique. Les travailleurs sociaux sont fortement concentrés à Abidjan. En 2009, le Ministère chargé des affaires sociales disposait d’un effectif total de 3065 agents au nombre desquels figuraient 2447 travailleurs sociaux. Cependant, ces ressources humaines sont inégalement réparties sur l’ensemble du territoire avec une très forte concentration dans la région des Lagunes (Abidjan). Cette région comptait en moyenne 14,5 personnels spécialisés par structure, tandis que pour le reste du pays en comptait 4,4 en moyenne, portant la moyenne nationale à 6,9 personnels spécialisés par structure sociale de base (MFFAS, 2010g). Par ailleurs, on assiste à une fuite des techniciens qualifiés et expérimentés du Ministère chargé des affaires sociales, où les salaires sont moins élevés, vers d’autres ministères où leurs nouvelles attributions n’ont pas nécessairement trait au travail social, ou vers des ONG ou structures privées. La Côte d’Ivoire est dotée du seul institut de formation en sécurité sociale en Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, il existe un institut de formation des cadres de la sécurité sociale, dénommé Institut de Formation aux Métiers de la Sécurité Sociale (IM2S), qui appartient à la CNPS et dont les cycles de formation sont assurés en partenariat avec l’Ecole Nationale de Sécurité Sociale à Saint-Etienne en France. Ces cycles incluent la formation de cadres supérieurs (programme de troisième cycle conduisant au diplôme d’études supérieurs ou DES), ainsi que la formation de cadres moyens et techniciens de sécurité sociale. Etabli en 2009, l’IM2S a intégré le Centre Ivoirien de Formation des Cadres de Sécurité Sociale (CIFOCSS), qui date de 1984. Jusqu’en 2010, 841 personnes avaient été formées, principalement pour recrutement par la CNPS. Les programmes de formation souffrent de quelques faiblesses. Alors que le personnel des autres services sociaux publics et des ONG ne sont pas toujours des travailleurs spécialisés, le personnel du Ministère chargé des Affaires Sociales reste largement issu de l’INFS. Toutefois, selon la cartographie du système de protection de l’enfant (MFFAS, 2010g), le curricula de cet institut créé en 1960 ne comporte pas de modules prenant en compte de façon globale la problématique de la protection de l’enfant. La plupart des travailleurs sociaux manquent ainsi de connaissances en protection de l’enfant (cas de maltraitance, etc.), et ont également une faible connaissance directe des communautés et un manque de maitrise des techniques de l’animation communautaire (Galeano Germain, 2010b). Il faut aussi reconnaître que les formations dispensées à l’INFS sont 47 Dans l’année académique 2010/2011, 1500 étudiants étaient inscrits à l’INFS, dont 669 à son Ecole des Assistants Sociaux (formant des agents de service social pour la prise en charge polyvalente des individus, groupes et communautés), 493 à son Ecole des Educateurs Préscolaires (formant des agents aptes à assurer la protection et l’éducation des enfants âgées de 0 à 6 ans) et 337 à son Ecole des Educateurs Spécialisés (formant des agents qualifiés pour la prise en charge des personnes handicapées et des inadaptés sociaux). Pour la formation des assistants sociaux, des éducateurs préscolaires et des maîtres d’éducation spécialisée, le recrutement se fait au niveau du baccalauréat et la formation dure trois ans. Pour la formation des assistants sociaux adjoints et des éducateurs préscolaires adjoints, le diplôme exigé est le BEPC et la formation est de deux ans. Le programme de formation d’éducateurs spécialisés, qui dure deux ans, exige un niveau Bac+2 (baccalauréat et deux années d’études supérieures). 73 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire uniquement pour les « intervenants » sur le terrain. Sauf dans le cas de la formation des cadres supérieurs de la sécurité sociale au niveau de troisième cycle à l’IM2S, aucun établissement d’enseignement supérieur en Côte d’Ivoire forme des spécialistes en protection sociale ou en politiques sociales, nécessaires pour la conception des politiques, la planification et la recherche. Ce vide explique pourquoi les études sur les questions sociales n’existent guère en Côte d’Ivoire. Par ailleurs, le lancement de nouveaux types de programmes, comme les transferts sociaux, requerrait de nouvelles formations (recyclage des agents existants et adaptation des modules d’enseignement initial à l’INFS) pour équiper les travailleurs sociaux avec les connaissances requises pour la mise en œuvre de tels programmes. 5.3Le financement de la protection sociale L’analyse des dépenses de protection sociale est rendue difficile par le fait qu’il n’existe pas une fonction « protection sociale » spécifique dans la nomenclature budgétaire. Une partie importante de ces dépenses est classifiée sous les sous-fonctions relatives à l’action sociale dans la fonction 6 (santé et action sociale), mais d’autres dépenses pertinentes se trouvent dans d’autres fonctions, notamment la fonction 4 (enseignement, formation et recherche) dans le cas, par exemple, des cantines scolaires, des kits scolaires pour OEV et des bourses. Malgré ces difficultés, une analyse des dépenses exécutées de protection sociale en 2008-2010 a été effectuée à partir de données mises à la disposition de l’équipe de recherche par la Direction Générale du Budget, du Ministère de l’Economie et des Finances. Il est à noter que ces données se limitent aux dépenses de fonctionnement hors personnel puisqu’il est particulièrement difficile d’attribuer les parts de la protection sociale dans les dépenses de personnel des différents ministères et agences concernés. Néanmoins, cette analyse donne une idée générale de l’importance relative des dépenses de protection sociale dans les dépenses publiques, ainsi que de la composition de ces dépenses. Les données sont résumées dans le Tableau 5.1 et se trouvent sous forme désagrégée dans le Tableau B.1 de l’Annexe B. Mise à part les subventions aux caisses de sécurité sociale et les bourses d’études, la protection sociale reçoit actuellement une part relativement faible des dépenses publiques. A première vue, la part de la protection sociale dans les dépenses publiques courantes (hors personnel) peut paraître assez élevée : environ 12% dans les années 2009 et 2010. Cependant, ces dépenses sont gonflées par l’inclusion des subventions effectuées par l’Etat à la CGRAE, pour combler ses déficits (voir la section 4.2 ci-dessus). Ces subventions, qui seraient difficilement vues comme de « véritables » dépenses de protection sociale (au profit des couches vulnérables de la population) constituent la moitié des dépenses. En excluant celles-ci, les dépenses de protection sociale se réduisent à la fourchette de 5 à 6% des dépenses courantes totales hors personnel. Il est intéressant aussi de constater l’importance des dépenses octroyées aux bourses d’études, principalement au niveau de l’enseignement supérieur, ce qui laisse à peine 3,8% des dépenses courantes hors personnel en 2010 pour l’ensemble des autres volets de la protection sociale. 74 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Tableau 5.1Dépenses courantes de protection sociale (hors personnel), 2009-2010 Milliards de FCFA % des dépenses courantes totales (hors personnel) 2009 2010 2009 2010 Subventionnement de la CGRAE 52,6 61,4 5,9 6,4 Bourses 13,9 14,9 1,6 1,5 Protection des jeunes 17,1 14,7 1,9 1,5 Autre action sociale 8,9 8,9 1,0 0,9 Cantines scolaires 9,8 9,2 1,1 1,0 Autres 3,7 3,6 0,4 0,4 106,1 112,6 12,0 11,7 Sans CGRAE 53,4 51,2 6,0 5,3 Sans CGRAE et bourses 39,5 36,4 4,5 3,8 887,1 963,2 100,0 100,0 Total, dépenses courantes de protection sociale (hors personnel) Total, dépenses courantes totales (hors personnel) Source : Calculs des auteurs à partir des données du Ministère de l’Economie et des Finances. Environ 4% du Programme d’Investissements Publics (PIP) est consacré à la protection sociale. Une analyse a été conduite sur le financement des projets de protection sociale dans le PIP pour 2010-2012 (Tableau 5.1). Il s’agit ici des dépenses programmées au lieu des dépenses réellement exécutées comme dans l’analyse précédente. Une partie importante des projets financés entièrement ou partiellement par les PTF sont répertoriés dans le PIP, bien qu’il soit reconnu que des flux importants de fonds externes restent hors du système de gestion des finances publiques, notamment en ce qui concerne l’exécution (hors Trésor) mais aussi au niveau de la budgétisation, surtout dans le cas de fonds externes gérés par les ONG. Tout en reconnaissant ces limites, l’analyse montre que seulement 3,9% des dépenses programmées dans le cadre du PIP 2010-2012 sont attribuées aux projets de protection sociale. Les composantes les plus importantes sont le Programme Intégré de Pérennisation des Cantines Scolaires, financés conjointement par le gouvernement et le PAM, et le Projet d’Assistance Post-Conflit (PAPC), financé principalement par la Banque Mondiale, qui inclut un volet important de création d’emplois par l’approche HIMO. La relance de la croissance économique devrait augmenter l’ « espace budgétaire » pour les dépenses de protection sociale. Bien que la situation économique s’est fortement détériorée par suite de la crise postélectorale, le retour à la croissance à partir de la deuxième moitié de 2011 devrait se renforcer en 2012 : un taux de croissance de 8,5% est prévu par le FMI, conduisant à une réduction du déficit global des finances gouvernementales à 3,8% du PIB (FMI, 2011b) (voir le tableau 5.2). La croissance du PIB et des recettes fiscales de l’Etat devraient conduire dans les prochaines années à une expansion progressive de l’espace budgétaire potentiel pour le financement soutenable de dépenses publiques additionnelles. La question de l’espace budgétaire est aussi politique que financière. La dimension politique concerne la priorisation des dépenses selon les objectifs du développement économique et sociale du pays, et ainsi la place à être accordée à la protection sociale dans les dépenses. Compte tenu de l’importance accordée par le nouveau gouvernement à la réduction de la vulnérabilité des populations, ainsi que du rôle important de la protection sociale dans le développement d’une société plus équitable, la promotion d’une croissance inclusive, l’accès aux services sociaux de base et l’atteinte des OMD, il est tout à fait raisonnable de proposer une réorientation des ressources publiques pour hausser le poids relatif des programmes de protection sociale dans les dépenses publiques, tout en amélioration la composition des dépenses de protection sociale elles-mêmes, notamment à travers la réaffectation des ressources actuellement consacrées au subventionnement de la CGRAE et de la CNPS. 75 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Tableau 5.2Cadre macroéconomique et budgétaire Prévisions 2004-08 2008 2009 2010 2011 2012 1,6 2,3 3,8 2,4 -5,8 8,5 Recettes publiques (sans dons) en% du PIB 18,2 18,9 18,9 19,2 13,2 18,7 Dépenses publiques en% du PIB 20,5 21,1 21,1 22,0 19,7 22,7 Solde global des finances publiques en% du PIB -1,3 -0,6 -1,6 -2,3 -6,4 -3,8 Croissance réelle du PIB (%) Source : FMI, 2011b. 76 77 450,1 AGEFOP/programme de formation, d’apprentissage et d’insertion Source : Calculs des auteurs à partir des données du PIP 2010-2012 (MEMPD, 2010). Protection sociale en % du PIP 5,7 458 914,5 25 983,1 1 017,7 145,0 Appui à l’accès des personnes handicapées à l’enseignement technique et à la formation professionnelle Total, Programme d’Investissements Publics (PIP) Total, protection sociale Autres programmes / projets Enseignement Technique et Formation Professionnelle 117,8 Programme National de Lutte contre la Cécité 637,0 418,6 Fonction Publique et Emploi 125,0 15 054,0 Programme National de Nutrition Plan National d’Action contre le Traite et le Travail des Enfants Economie et Finances Santé et Hygiène Publique Projet d’Assistance Post-Conflit (PAPC) Fonds National de Solidarité pour la Promotion de l’Emploi des Jeunes Primature 3 030,5 Programme Intégré de Pérennisation des Cantines Scolaires Education Nationale 875,0 Programme National de Prise en Charge des OEV du fait du VIH/SIDA 1 991,4 740,0 Lutte contre les violences basées sur le genre 1 381,0 2010 Protection des enfants et adolescents (programme de coopération UNICEF) Famille, Femme et Affaires Sociales Programmes/projets Ministère Construction, réhabilitation et équipement d’infrastructures sociales 3,3 651 894,9 21 657,8 1 824,8 890,0 605,0 907,2 1 810,0 869,0 1 500,0 0,0 9 541,3 1 686,4 975,0 775,0 274,1 2011 Millions de FCFA 3,2 587 163,0 19 075,3 782,7 900,0 605,0 693,6 190,0 0,0 1 750,0 0,0 11 342,0 1 152,0 945,0 715,0 0,0 2012 3,9 1 697 972,4 66 716,2 3 625,2 2 240,1 1 355,0 1 718,6 2 418,6 1 506,0 3 375,0 15 054,0 23 913,8 4 829,8 2 795,0 2 230,0 1 655,1 Total 3,1 1 199 327,4 36 897,3 1 999,9 2 240,1 1 355,0 1 718,6 2 418,6 1 506,0 3 375,0 54,0 19 290,0 155,0 470,0 660,0 1 655,1 Trésor 2010-2012 5,9 498 645,0 29 289,1 1 095,5 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 15 000,0 4 623,8 4 674,8 2 325,0 1 570,0 0,0 PTF Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Tableau 5.3Programmation des investissements de protection sociale, 2010-2012 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 6Perspectives de renforcement de la protection sociale 6.1La future Stratégie Nationale de Protection Sociale La réduction de la vulnérabilité de larges couches de la population est un des principaux défis dans le nouveau contexte post-crise. Les crises économiques et politiques successives ont laissé une partie importante de la population ivoirienne dans un état de vulnérabilité élevée. Cette population vulnérable a aujourd’hui une capacité très réduite à faire face aux risques futurs sans recourir à des stratégies d’adaptation qui réduiraient davantage leur capital et rendraient encore plus difficile leur sortie du cycle vicieux de la pauvreté et des privations. La moitié de la population était déjà au-dessous du seuil de pauvreté en 2008 et cette proportion a sans doute encore augmenté en conséquence des violences, des déplacements de population et des perturbations de la vie économique qui ont suivi les élections de 2010. De plus, une partie importante des non-pauvres se trouvent proches du seuil de pauvreté et sont à risque de basculer dans la pauvreté en cas de nouveaux chocs, chocs qui sont malheureusement à prévoir dans le contexte actuel de graves incertitudes au niveau de l’économie mondiale. Le nouveau gouvernement s’est fortement engagé à réduire la vulnérabilité des populations, ce qui devrait donner un rôle de choix à la protection sociale dans la politique de développement. La fragilité de la situation sociale est devenue une forte préoccupation du nouveau gouvernement, qui a répondu par la prise rapide de décisions pour atténuer les difficultés des populations, notamment par rapport à l’accès aux soins de santé. L’annonce de la gratuité exceptionnelle des services sanitaires publics a confirmé la forte volonté politique de rendre plus facile l’accès aux soins et donc de renforcer la protection des populations contre les risques, mais la decision ait entraîné de sérieuxs problèmes opérationnels sérieux à court terme (voir la section 4.7). Cet engagement est aussi fortement exprimé par l’inclusion de mesures pour alléger les coûts, réduire les barrières d’accès et inciter la demande de scolarisation dans le nouveau Plan d’Actions de Moyen Terme du Secteur de l’Education. Il est encore confirmé par le lancement du processus de développement de la Stratégie Nationale de Protection Sociale, en juin 2011 et la mise sur pied d’un Comité de Pilotage intersectoriel pour diriger ce processus. La stratégie devrait partir du constat que la pauvreté monétaire est la source principale de vulnérabilité à toute une gamme de risques. L’analyse dans ce rapport a montré la nature multidimensionnelle de la vulnérabilité et des risques auxquels les ivoiriens sont confrontés. Cependant, c’est le facteur économique (la pauvreté monétaire) qui est prédominant comme source de vulnérabilité à la plupart des risques, même si celui-ci est accompagné ou renforcé par d’autres facteurs, tels que le lieu de résidence, le genre et le niveau de capital humain. Les pauvres sont principalement en milieu rural (même si les taux de chômage et de pauvreté ont augmenté rapidement en milieu urbain ces dernières années) et dans quelques régions du Nord et de l’Ouest du pays. Ils exercent principalement dans le secteur agricole informel et ont été fortement affectés par la chute des prix des cultures depuis les années 80 et, dans certaines zones, par les évènements politiques. La pauvreté est fortement corrélée aux risques sociaux, les plus pauvres ayant des probabilités beaucoup plus élevées que les plus riches de malnutrition, de maladies et de non-utilisation des services sanitaires, de mortalité infanto-juvénile, de manque d’accès à des sources d’eau et des installations d’assainissement adéquates, de non-scolarisation ou d’abandon scolaire, et de fléaux sociaux comme le travail des enfants. Les analyses disponibles montrent que, dans la plupart des cas, le niveau de bien-être (ou de richesse) économique des ménages est plus important que la région de résidence ou le genre comme facteur déterminant de la vulnérabilité à ces risques. Cependant, la Stratégie devrait aussi prendre en compte que la vulnérabilité n’est pas un phénomène purement économique. Il est aussi social et même physique. Il faut aussi prendre en compte l’importante dimension du cycle de la vie qui rend les enfants physiquement plus vulnérables 78 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire aux risques de maladie, de malnutrition et de mortalité pendant les premières années de vie. Compte tenu de l’importance de la famille comme cadre de développement, de protection et d’épanouissement de la famille, l’analyse a aussi mis en relief la vulnérabilité accentuée chez les enfants qui vivent hors d’un cadre familial ou qui, même au sein de la famille, sont exposés à de hauts risques de maltraitance, notamment dans le cas des nombreux enfants qui ne vivent pas avec leurs parents biologiques. D’autres groupes, tels que les personnes âgées sont vulnérables en termes de réduction de leurs revenus, risques accrus de maladies, handicaps et mortalité, et risques de perte du soutien de leurs familles ou, dans le cas de nombreuses veuves, de maltraitance et de spoliation de leurs biens. Les personnes handicapées ou affectées par des maladies chroniques sont aussi particulièrement vulnérables, en raison des barrières et discriminations multiples qui affectent leur scolarisation, leurs chances d’emploi et leur participation dans la vie sociale. La vulnérabilité accentuée chez la femme est en partie due aux risques liés à son rôle procréatif (taux élevé de mortalité maternelle), en plus des risques découlant du statut subordonné de la femme (risques d’excision, de mariage précoce, de non-scolarisation ou d’abandon scolaire, de violences conjugales et d’exploitation sexuelle, parmi d’autres). La Stratégie devrait être holistique et transversale, tout en faisant des choix et établissant des priorités claires pour un « socle » minimum de protection sociale. La stratégie devant être élaborée devrait prendre en compte la nature multidimensionnelle de la vulnérabilité et la multiplicité des types de risques auxquels les ivoiriens font face. Tout en répondant au problème primordial de la précarité économique des populations, qui est le facteur principal à la base de la plupart des risques les plus sérieux (nutritionnels, sanitaires, scolaire, de mortalité, etc.), les mécanismes et mesures de protection sociale doivent aussi répondre aux sources de vulnérabilité et aux types de risques qui sont plutôt socioculturels, telles que la désarticulation familiale, les discriminations et les pratiques culturelles néfastes (excision, mauvais traitement des veuves, etc.). Il sera donc essentiel de concevoir une stratégie qui est holistique et équilibrée afin de prendre en compte toutes ces dimensions importantes de la vulnérabilité et les multiples types de risques, mais tout en reconnaissant qu’il ne sera pas possible de tout faire, au moins dans un premier temps. Il sera par conséquent nécessaire de faire des choix en fonction de l’importance relative des différents problèmes, de l’efficacité potentielle des différents types d’intervention possible, et des contraintes de capacité financière et administrative. La stratégie devrait faire ces choix dans le but d’établir un socle minimum de protection sociale et de planifier une mise en œuvre progressive et faisable, accompagnée de mesures de renforcement des capacités et de mobilisation des ressources financières requises. Il est évident que le processus de développement de la Stratégie doit être participatif, impliquant tous les acteurs concernés : les ministères « macro », à savoir le Ministère d’Etat Ministère du Plan et du Développement et le Ministère de l’Economie et des Finances (en raison de la nature transversale de la protection sociale, de son rôle dans la lutte contre la pauvreté et l’atteinte des OMD, et des questions de financement) ; le Ministère d’Etat Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité, comme institution gouvernementale ayant un mandat direct et explicite de gestion du système de protection sociale ; les autres ministères sociaux qui ont aussi des responsabilités importantes de protection sociale dans leurs propres domaines (Education Nationale, Santé et Lutte contre le SIDA, parmi d’autres) ; les caisses de sécurité sociale et les mutuelles ; d’autres agences et structures spécialisées (CNLS, ONEP, AGEPE, AGEROUTE, etc.) ; les acteurs engagés dans la mise en œuvre des programmes de protection sociale au niveau décentralisé; les organisations de la société civile (ONG, confessions religieuses, associations) ; et les partenaires techniques et financiers intéressés à appuyer le renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire. Le Comité de Gestion et son Comité Technique sont les organes propices pour assurer la pleine participation des divers acteurs concernés. 79 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire 6.2Un rôle plus large pour la protection sociale non contributive Une des conclusions les plus saillantes de cette analyse est que la protection sociale est largement limitée à sa branche contributive, c’est-à-dire à l’assurance sociale, mais que celleci a une couverture très faible. L’assurance sociale bénéficie uniquement aux travailleurs du secteur formel et à leurs ayant-droits, et donc à une minorité infime de la population. Selon l’ENV de 2008, seulement 6% de la population est concernée. La majorité écrasante des ménages, qui gagnent leur vie dans l’agriculture familiale et d’autres branches du secteur informel, en sont exclus. Un rôle beaucoup plus important devrait être accordé à la protection sociale non contributive, qui est jusqu’ici très peu développée. Les aides sociales aux indigents n’existent pratiquement plus et la Côte d’Ivoire n’a pas encore développé de programmes de transferts sociaux réguliers et à large échelle tels que des allocations familiales, des pensions sociales de vieillesse ou des transferts en espèces aux ménages très pauvres. Les programmes de promotion de l’emploi, tels que les programmes de type HIMO, sont d’une échelle encore très réduite. Des services d’action sociale existent sous l’égide des Centres Sociaux, des collectivités locales, des ONG et des confessions religieuses, mais ils sont éparpillés et de couverture limitée sauf dans le cas de quelques programmes fortement financés par des partenaires extérieurs et focalisés sur des problèmes spécifiques, tels que l’appui aux OEV, la lutte contre les violences basées sur le genre et la lutte contre la traite et le travail des enfants. Pour assurer une couverture plus importante des couches les plus vulnérables et renforcer leur capacité à mieux gérer les risques, la future Stratégie Nationale de Protection Sociale devrait mettre l’accent principalement sur le renforcement de la protection sociale non contributive sans mécanisme de subventionnement L’expansion de l’assurance sociale semble ne pas être une piste prometteuse de renforcement de la protection sociale des plus vulnérables. Les difficultés administratives d’élargir la couverture de l’assurance sociale au secteur informel, la faible reconnaissance culturelle de la notion d’assurance parmi les couches les plus pauvres et leur faible capacité contributive font de sorte qu’une stratégie centrée sur l’expansion de l’assurance sociale serait probablement vouée à l’échec. Ces approches n’ont pas abouti à une couverture significative de la population exerçant dans le secteur informel ailleurs en Afrique, sauf dans les cas spécifiques (et sous des conditions particulières) de l’assurance maladie au Ghana et au Rwanda (voir la section 4.7). Néanmoins, des réformes profondes sont requises pour sauvegarder les acquis des caisses de sécurité sociale et libérer les ressources qui sont actuellement consacrées au subventionnement de leurs déficits structurels et pourraient être mieux employées en faveur des plus vulnérables. Bien que la priorité doive être accordée à la protection sociale non contributive, il est important d’assurer la pérennisation des caisses de sécurité sociale à travers les réformes déjà préconisées. Ceci est nécessaire pour trois raison principales, pour ne pas mettre à risque les acquis de protection (notamment les pensions de vieillesse) des travailleurs du secteur formel, ensuite pour permettre à l’Etat de réorienter les ressources importantes actuellement consacrées à subventionner les déficits structurels des Caisses vers des programmes de protection sociale plus pertinents aux ménages et individus les plus vulnérables et enfin pour développer un système plus performant qui pourra complémenter les programmes non contributifs. Les droits des femmes et des enfants devraient être mieux protégés dans le cadre des réformes, notamment en ce qui concerne la levée de la condition de mariage civil pour permettre un plus large accès aux allocations familiales et aux pensions de réversion aux veuves et aux orphelins. 6.3Le rôle potentiel des transferts sociaux monétaires et des programmes de travaux publics à HIMO Les transferts sociaux monétaires ont joué un rôle important dans un grand nombre de pays en voie de développement dans la réduction de la pauvreté et de la faim, l’amélioration de l’accès aux services sociaux de base, le renforcement du capital humain, le renforcement de la cohésion sociale et la promotion d’une croissance inclusive et favorable aux pauvres. Introduits plus tardivement en 80 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Afrique subsaharienne que dans d’autres régions (l’Amérique Latine et l’Asie), ces types de programmes sont devenus de plus en plus présents ces dernières années. Les formes les plus répandues en Afrique subsaharienne sont, d’une part, les pensions sociales de vieillesse (c’est-à-dire de pensions non contributives et financées par l’Etat) dans plusieurs pays d’Afrique Australe (Devereux, 2008), et d’autre part, les transferts aux ménages ultra-pauvres (du premier décile ou premier quintile) dans des pays comme le Ghana, le Kenya, le Libéria, le Malawi, le Mozambique, l’Ouganda, le Sénégal, la Sierra Leone, la Zambie et le Zimbabwe (Banque Mondiale, 2011). Un programme de transferts monétaires à large échelle aurait des impacts importants sur la réduction de la pauvreté. Dans le cadre des préparatifs de la Stratégie Nationale de Protection Sociale, une analyse de diverses options de programme de transferts sociaux monétaires a été réalisée (Tome 2, Une première analyse du rôle, de l’ impact, des coûts et de la faisabilité de diverses options de programmes de transferts sociaux monétaires). Cette analyse, qui comprend des simulations basées sur les données de l’ENV 2008 et des données démographiques et économiques, a comparé la pertinence, les impacts, les coûts et la faisabilité de sept options : des allocations familiales universelles pour enfants de moins de 15 ans ou pour enfants de moins de 5 ans ; des pensions sociales universelles pour personnes âgées de 65 ans et plus ; des allocations de maternité ; des transferts ciblés aux ménages du premier quintile ; des allocations familiales ciblées aux enfants de moins de 15 ans du premier quintile ; et un programmes de travaux publics à HIMO ciblant les jeunes chômeurs du premier quintile. Cette analyse a montré que les transferts ciblés aux ménages du premier quintile, sous leurs deux variantes (transferts à tous les ménages du premier quintile et transferts aux ménages du premier quintile ayant des enfants de moins de 15 ans), seraient les options les plus efficaces à coût égal en raison du ciblage des ménages les plus pauvres, et ce malgré des erreurs de ciblage (erreurs d’inclusion et d’exclusion). Leur impact sur la pauvreté serait fort pour les ménages bénéficiaires (réduction d’environ un cinquième de l’écart de pauvreté) et moyen par rapport à l’ensemble de la population pauvre (les plus pauvres bénéficiant plus que les « pauvres modérés »). Ces options auraient aussi des impacts positifs mais modestes sur l’accès des enfants à l’école (accroissement d’environ 3,5% pour les enfants de 6 à 11 ans) et aux services de santé (+4% pour les enfants de moins de 5 ans). Compte tenu du coût d’un tel programme (1,5% à 1,8% du PIB), l’étude a suggéré de commencer par un programme ciblant le premier décile (les plus pauvres des pauvres). Mais les défis opérationnels ne devraient pas être sous-estimés. L’analyse a souligné l’importance des défis opérationnels, notamment ceux de la mise en application efficiente de méthodes de ciblage des ménages les plus pauvres (au moyen d’un test de revenu par approximation (PMT) et/ou de mécanismes communautaires), de la mobilisation des ressources budgétaires nécessaires et du développement des capacités administratives requises. Pour la mise en œuvre de n’importe quelle option de transferts sociaux, l’étude a mis en relief la nécessité d’investir dans le développement de capacités en ressources humaines et systèmes administratifs, tout en reconnaissant que quelques fonctions opérationnelles, telles que le paiement des transferts aux bénéficiaires, pourraient être déléguées sous contrat à des opérateurs spécialisés. L’expansion de l’approche HIMO serait un moyen de réduire le chômage et le sous-emploi, notamment parmi les jeunes. Les programmes de travaux publics à HIMO sont un des principaux instruments potentiels pour faire face aux taux élevés de chômage et ainsi accroître les revenus des ménages pauvres. Selon les données de l’ENV de 2008, 17,5% de la population économiquement active est au chômage. Le phénomène est particulièrement concentré en milieu urbain (35,7%) et parmi les jeunes (MEMPD et INS, 2008). En milieu rural, il y a un phénomène de sous-emploi à large échelle, notamment pendant la période de soudure dans les zones de savane du nord, où les défis en termes de sécurité alimentaire et d’amélioration de la nutrition sont particulièrement sérieux. Dans ce contexte, la revue et l’expansion des petits programmes existants de travaux publics de type HIMO devraient en principe jouer un rôle important dans la réduction du chômage, notamment parmi les jeunes en milieu urbain et pendant la période de soudure en milieu rural. Ce type de programme se justifie aussi par les opportunités que les programmes HIMO fournissent pour la formation des jeunes et surtout par l’impact 81 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire économique, social et quelquefois environnemental des travaux réalisés, qui vont de la réhabilitation et de l’entretien de routes à la construction d’infrastructures sociales, en passant par des travaux de protection environnementale comme le reboisement à large échelle. L’étude citée ci-dessus a simulé les impacts potentiels et les coûts d’un programme de type HIMO à large échelle qui embaucherait près de 700 000 chômeurs âgés de 18 à 39 ans pendant cinq mois de l’année au niveau du SMIG. Etant également ciblé au premier quintile et supposant que les non-pauvres ne seraient pas attirés par ce type de programme (diminuant ainsi les erreurs d’inclusion), cette option (sous les hypothèses retenues) aurait un impact fort sur l’écart de pauvreté au niveau des ménages bénéficiaires (-23%) et un impact moyen sur l’écart de pauvreté au niveau de l’ensemble de la population (-15%), sans prendre en compte les impacts à long terme des infrastructures créées et des autres travaux réalisés. Un tel programme aurait aussi des impacts positifs sur l’accès des enfants aux services de santé et sur la fréquentation scolaire. Sous les hypothèses employées, les coûts du programme (2,7% du PIB) et les besoins en capacité administrative (de gestion d’un grand nombre de projets de travaux publics) seraient assez élevés, et l’étude a ainsi suggéré un programme moins ambitieux dans le court à moyen terme. Pour qu’il joue pleinement sa fonction de protection sociale, il serait en effet crucial de concevoir le programme de telle sorte qu’il assure le versement régulier et prévisible du revenu. 6.4Le renforcement des services d’action sociale Il convient de repenser le système de l’action sociale et de le doter d’un cadre politique clair afin qu’il puisse s’acquitter au mieux de son important mandat. Les services d’action sociale ont un rôle primordial à jouer dans la prévention des risques et le renforcement des capacités des ménages et individus les plus vulnérables. Mais l’approche projet actuelle, largement supportée par les PTF et focalisée sur l’atteinte d’objectifs thématiques ou sous-sectoriels à court terme, contribue à une fragilisation du système national d’action sociale et de son efficacité. Les principaux projets dans lesquels les Centres Sociaux sont actuellement impliqués ne correspondent pas nécessairement aux préoccupations et besoins premiers des populations de leurs zones d’intervention et ne sont parfois que le reflet de problématiques appuyées par des PTF, souvent plus globales même que nationales. Il est donc primordial de développer un cadre politique clair (au sein de la Stratégie Nationale de Protection Sociale) qui établisse sur la base des évidences du terrain (et des enquêtes nationales) des priorités nationales, tout en laissant un marge de manœuvre important (appuyé par l’octroi de ressources) au niveau des directions régionales des affaires sociales et surtout aux Centres Sociaux pour répondre de manière flexible aux besoins locaux. Les Centres Sociaux devraient pouvoir bénéficier de travailleurs sociaux mieux formés, d’une meilleure autonomie budgétaire ainsi que d’un plus grand pouvoir décisionnel. Leur répartition sur le territoire national devrait également être améliorée pour couvrir mieux le milieu rural et les régions (notamment dans le Nord) où les risques et les vulnérabilités sont les plus graves. Ceci pourra permettre de mieux répondre aux problématiques spécifiques des populations, et autant que faire se peut, prévenir les risques et promouvoir les capacités plutôt qu’assister. Dès à présent, un important travail de renforcement du système d’accréditation, d’inspection et de référencement doit être entrepris. Actuellement, nombre de structures d’action sociale (des orphelinats et des centres d’hébergement temporaire par exemple) ne répondent pas aux normes nationales (et internationales) en vigueur. Par ailleurs, de nombreuses structures d’action sociale coexistent sans travailler ensemble (Centres Sociaux du MEMEASS, services sociaux des communes et ONG locales par exemple). Dresser une cartographie des acteurs de l’action sociale (leur domaine d’intervention, leur capacité, leur respect des normes, etc.) dans chacune des zones du pays permettrait d’une part, d’établir un système de référencement pour une meilleure efficacité de l’action sociale, et d’autre part, de prendre les mesures nécessaires en cas de non-respect des normes en vigueur pour une meilleure protection des populations. Il faudra aussi renforcer les mécanismes d’inspection des établissements privés d’accueil 82 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire (d’orphelins, enfants abandonnés, personnes âgées, femmes victimes de violence, etc.) afin d’assurer le respect des normes en vigueur, en plus de créer des capacités d’accueil provisoire, par exemple au niveau des centres sociaux, des enfants victimes de la traite et des pire formes de travail des enfants. De nouvelles approches doivent être envisagées pour relever le défi de l’animation sociale et renouer le lien entre travailleurs sociaux et communautés. Il s’agit de réactiver les activités d’animation communautaire dans les centres sociaux et de valider et vulgariser le manuel de procédure de l’animation communautaire, actuellement en voie de finalisation, en vue d’une meilleure application sur le terrain. Le protocole de diagnostic communautaire récemment développé dans le cadre du renforcement du système de protection de l’enfant dans le Bas Sassandra (MFFE, 2011a) constitue une expérimentation intéressante sur laquelle construire. Afin de remplir leur mission d’animation communautaire, de détection et d’assistance aux plus vulnérables, les services sociaux doivent également s’engager dans des stratégies visant au changement des normes sociales (par exemple, pour la lutte contre l’excision, le travail des enfants, la dépossession des veuves dans les sociétés ayant un mode de transmission des biens selon le système matrilinéaire, etc.). Les contacts avec les communautés pourraient par exemple être multipliés par le biais de programmes radio, avec l’appui de relais communautaires, ou avec la collaboration d’ONG dans une approche globale, plutôt que de manière dispersée et cloisonnée dans le cadre de programmes thématiques ou sous-sectoriels. 6.5Les mesures de promotion de l’accès de tous à l’enseignement Les mesures de stimulation de la demande et de réduction des barrières financières à l’accès devraient jouer un rôle critique en complément des mesures d’amélioration de l’offre et de la qualité de l’enseignement. Une série de mesures de cette nature sont déjà envisagées dans le Plan d’Actions à Moyen Terme du Secteur de l’Education pour la période de 2012 à 2014. En premier lieu, il est nécessaire de rendre l’enseignement primaire effectivement gratuit. Ceci requiert des réformes dans les procédures d’exécution budgétaire pour mettre fin à la situation actuelle de décaissement tardif et incomplet des subventions aux COGES des écoles primaires, qui laisse les écoles privées de fonds de fonctionnement et les incite à continuer à imposer des cotisations informelles aux familles. La proposition du Plan d’Actions à Moyen Terme d’utiliser des aides extérieures (du Fonds Catalytique) pour effectuer des subventions directes à 300 écoles prioritaires (sur plus de 10 500 écoles primaires publiques) en contournant les mécanismes officiels d’exécution budgétaire ne peut être qu’une solution provisoire et partielle au problème. Toutes les écoles primaires publiques devraient recevoir ces subventions, sans exception et dès le début de l’année scolaire, afin de permettre la suppression définitive de toutes les cotisations informelles imposées aux familles. Elles devraient aussi recevoir les manuels et kits scolaires à temps pour diminuer les autres frais à la charge des familles (et aussi assurer la qualité de l’enseignement). Deuxièmement, les évidences de l’impact des cantines scolaires sur la scolarisation et la rétention des élèves justifient l’expansion de celles-ci. Le Plan d’Actions à Moyen Terme prévoit d’augmenter la prestation des repas afin de couvrir tous les jours de l’année scolaire et de supprimer le prélèvement de 25 FCFA par repas dans des zones géographiques prioritaires, ciblées sur la base d’indicateurs de pauvreté et de scolarisation. Mais il faut reconnaître que l’on trouve des enfants de ménages vulnérables partout, même dans les régions où ces indicateurs sont les meilleurs. En fait, le RESEN a clairement montré que la situation économique (ou de richesse) du ménage est un facteur beaucoup plus important que la région de résidence comme déterminant de l’accès, de la rétention et de l’achèvement dans les différents cycles de l’enseignement. Ceci suggère fortement que le ciblage géographique devrait jouer un rôle provisoire, en raison des contraintes budgétaires à court ou moyen terme, au lieu d’être érigé comme principe. L’objectif à long terme devrait ainsi être d’élargir la couverture pour atteindre à terme toutes les écoles puisque seulement la moitié des écoles sont couvertes actuellement. 83 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Une étude d’évaluation des cantines (RCI et al, 2010) a estimé les coûts des cantines (12,8 milliards de FCFA en 2005), lorsqu’il y avait un niveau de couverture équivalente à seulement 50%, comme des charges « que ni l’Etat, ni les partenaires financiers, ni à fortiori les seuls parents d’élèves, ne peuvent s’engager à supporter de façon pérenne ». Il est à noter, néanmoins, que ces dépenses constituaient moins de 0,2% du PIB, ce qui suggère que la faisabilité budgétaire est plutôt une question de priorité politique. En outre, la stratégie entreprise par le PIPCS, qui promeut l’autonomisation des cantines par la production vivrière communautaire, pourrait contribuer à soulager les charges de l’Etat à long terme. Troisièmement, d’autres mesures de nature transversale (l’introduction de transferts monétaires et la suppression des obstacles à la scolarisation liés à l’état civil) devraient jouer un rôle complémentaire. Les simulations (Hodges et al, 2011) ont montré que des transferts sociaux monétaires ciblées aux ménages les plus pauvres auraient des retombées positives sur la fréquentation scolaire. En ce qui concerne l’état civil, il faut assurer que les directeurs des écoles appliquent la directive du Ministère de l’Education Nationale de ne plus faire obstacle à l’inscription des enfants au CP1 pour défaut d’extraits d’acte de naissance. A plus long terme, il faut renforcer et rendre plus accessible le système d’état civil. Quatrièmement, il est difficile de comprendre la raison de la décision prise en septembre 2011 de réinstaurer le port obligatoire de la tenue scolaire. Cette mesure semble aller à l’encontre de l’objectif de réduire les frais laissés à la charge des familles, notamment dans l’absence de mesures d’accompagnement telles que la distribution ciblée d’uniformes gratuits (mesure mise en œuvre à large échelle dans le Ghana voisin) ou la détaxation des prix des tissus d’uniformes. Compte tenu des difficultés de ciblage déjà évoquées, il semble beaucoup plus simple d’annuler le port obligatoire de la tenue scolaire en vue de promouvoir la scolarisation primaire universelle. Cinquièmement, les mesures de promotion de l’accès à l’enseignement devraient inclure des actions spécifiques à l’endroit de la jeune fille. Cette attention accordée à la jeune fille inclut le maintien des internats pour filles, la multiplication des établissements scolaires spécialement pour filles et la distribution gratuite de rations sèches aux filles ayant atteint un certain niveau scolaire. La gratuité du certificat médical de grossesse exigé par les écoles après un accouchement, qui couteactuellement 30 000 FCFA, pourrait aussi contribuer à faciliter la reprise des cours par de nombreuses jeunes filles mères. Sixièmement, il serait logique d’étendre les mesures de protection sociale au volet alphabétisation, compte tenu des taux élevés d’analphabètes, surtout parmi les femmes, et la relation importante entre niveau d’instruction, niveau de vie et risques sociaux (voir la section 3.2.5). En plus des contraintes au niveau de l’offre (manque d’enseignants compétents, de matériel didactique, etc.), l’alphabétisation n’est pas actuellement gratuite. La mise en place d’un programme national d’alphabétisation ambitieux, gratuit et qui reprend à son compte les expérimentations les plus réussies serait un moyen complémentaire pour atteindre l’éducation pour tous. 6.6Mesures pour assurer un accès abordable et équitable aux services de santé Il est urgent d’adopter une politique cohérente et réaliste pour assurer l’accessibilité financière aux soins, surtout aux plus vulnérables : La première version du texte de la nouvelle Politique Nationale de Santé énonce comme une de ses priorités celle d’ « améliorer l’accessibilité financière et l’utilisation des services de santé » mais ne clarifie pas comment le faire, se limitant à indiquer qu’il s’agit de développer et de mettre en place à échelle la couverture du risque maladie, qui « doit faire l’objet d’une étude » mais « pourrait être un dispositif national d’assurance ou un appui aux mutuelles de santé ou encore la création d’un filet de sécurité pour les plus pauvres (Fonds d’Equité Sanitaire ou gratuité de certains soins) » (MSLS, 2011b, p. 29). En fait, il semble qu’on ait peu avancé depuis les réflexions menées vers la fin des années 90 qui avaient conduit à la création (juridique) de l’AMU en 2001. 84 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Il est crucial de tirer les lecons des experiences passées du pays. Le passage d’une exemption généralisée à une approche d’exemption ciblée du paiement des soins visant les parturientes et les enfants de moins de cinq ans devrait constituer une porte d’entrée à la reforme plus globale du système de santé pour progressivement tendre vers un système universel. La gratuité devrait s’intégrer à terme dans une stratégie de Couverture Maladie Universelle (CMU) plus large, qui inclue des modalités d’exemption ciblée, un paquet subventionné pour les pauvres et un mécanisme d’assurance maladie contributif qui prend en compte les caractéristiques du pays, y compris l’étendue du secteur informel et la faible capacité contributive des personnes pauvres et vulnérables. Une leçon clef du Ghana voisin est l’importance d’une forte contribution financière de l’Etat, dans ce cas au moyen d’une taxe spéciale, dans les pays ayant une proportion importante de ménages pauvres avec une faible capacité contributive, afin de rendre les cotisations abordables et aussi de financer des exemptions à large échelle. De telles mesures peuvent rendre un système d’assurance plus équitable, mais l’expérience ghanéenne suggère qu’il y aura toujours des taux d’adhésion plus élevés parmi les plus aisés que parmi les plus pauvres, même s’il y a des exemptions à large échelle (au Ghana 64% des affiliés ne paient pas de cotisations). Par ailleurs, il est critique d’accompagner des mesures de gratuité, même si elles sont ciblées de cette manière, par des mesures de renforcement du financement, des ressources humaines et de l’approvisionnement en médicaments. Sans quoi, l’accroissement de la demande impulsé par la gratuité déborde la capacité d’accueil des établissements sanitaires, conduisant aux problèmes de surcharge du personnel et de ruptures de stocks de médicaments observés à la suite de l’introduction de la gratuité exceptionnelle en avril 2011. Parmi les mesures les plus importantes seraient : (1) l’accroissement de la part de la santé dans les dépenses publiques totales (actuellement parmi les plus faibles d’Afrique de l’Ouest) ; (2) le rééquilibrage des dépenses en faveur des soins de santé primaire et des urgences obstétricales, principalement dans les établissements sanitaires de premier contact (ESPC) et les hôpitaux de première référence ; (3) l’octroi de ressources budgétaires adéquates aux ESPC, incluant les établissements sanitaires communautaires (ESCOM) qui jusqu’ici dépendent entièrement du recouvrement des coûts auprès des usagers ; (4) une meilleure répartition géographique des ressources humaines, qui sont actuellement fortement concentrées en milieu urbain et surtout à Abidjan ; et (5) la réforme de la PSP afin d’assurer l’acquisition et la distribution des médicaments en quantité suffisante pour répondre à la demande. Il est enfin crucial de mener une réflexion technique conjointe entre les différents acteurs engagés et de s’accorder sur une feuille de route adaptée pour la formulation et la mise en œuvre de la stratégie de CMU intégrée, qui inclue les leçons initiales du premier modèle d’exemption ciblée. 6.7Le renforcement du cadre institutionnel, des capacités administratives et du financement de la protection sociale Il convient d’adopter une approche à la programmation plus systémique et d’améliorer la coordination intersectorielle et interinstitutionnelle. L’adoption de la Stratégie Nationale de Protection Sociale devrait fournir le cadre nécessaire pour orienter les actions des divers intervenants de manière plus cohérente, harmonisée et efficace. Mais en plus il faut une meilleure coordination entre les divers acteurs étatiques et non étatiques concernés. Actuellement, les quelques plateformes de coordination qui existent sont restreintes à certains secteurs spécifiques (notamment l’assistance aux OEV du fait du VIH/SIDA et la lutte contre les VBG). Même pour ces secteurs, il y a finalement peu de coordination entre les différents types d’intervenants (structures gouvernementales, bailleurs de fonds, ONG internationales et ONG nationales), chacun gardant ses mécanismes propres. Par ailleurs, la forte centralisation du processus de prise de décision ne permet pas aux acteurs de terrain, plus proches des préoccupations des populations de leurs zones d’intervention respectives, d’influencer la conception des politiques et programmes. Le Comité de Gestion et son Comité Technique mis en place pour superviser la préparation de la Stratégie Nationale de Protection Sociale constituent des organes propices pour assurer la pleine participation des divers acteurs concernés et promouvoir le nécessaire dialogue intersectoriel pendant ce processus de développement de stratégie globale. Il conviendra d’assurer la participation d’acteurs décentralisés afin de mieux prendre en compte les réalités du terrain. 85 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire On devrait envisager l’établissement d’un cadre de concertation et de coordination, probablement sous le leadership du Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité pour le suivi de la mise en œuvre de la Stratégie Nationale de Protection Sociale. Une telle structure pourrait prendre la forme d’un conseil mise en place par le Président de la République ou d’un groupe thématique plus léger mais représentatif de tous les acteurs concernés (Ministères, caisses de sécurité sociale, agences spécialisées, société civile, PTF). Les décisions sur la nature de cette structure de concertation et coordination devraient être prises dans le cadre de la Stratégie Nationale de Protection Sociale. Il est souhaitable qu’une certaine stabilité institutionnelle soit assurée à l’avenir et que les mandats des différentes structures de base soient revisités en fonction des avantages comparatifs de chacune. Les chevauchements, l’éparpillement et la diversité dans les mandats des diverses structures de base, engendrés par le manque de coordination et les remaniements ministériels successifs, sont sources d’une déperdition de ressources. Comme indiqué dans la section 5.2, des chevauchements existent par exemple entre les mandats de structures relevant du Ministère chargé des Affaires Sociales d’une part, et celui chargé de la Santé (pour la pesée des nourrissons, la démonstration diététique et la vaccination des enfants) ou celui chargé de l’Enseignement d’autre part (pour le développement du jeune enfant). Une meilleure répartition des tâches et le développement de meilleures synergies sont à promouvoir entre les Centres Sociaux du MEMEASS, les services sociaux des autres ministères sociaux et les services sociaux des autorités décentralisées. Tout ceci pourrait permettre une meilleure utilisation des ressources de l’Etat pour des systèmes de détection, de référencement et d’assistance plus efficaces, pour la coordination de nouveaux programmes ayant des implications intersectorielles (comme les transferts sociaux), et pour le développement de mécanismes en commun, notamment pour le ciblage, où il serait souhaitable d’éviter des mécanismes parallèles, coûteux et potentiellement contradictoires.48 L’Institut National de Formation Sociale devrait renforcer ses formations initiales et offrir aussi des formations courtes de recyclage. A l’avenir, les formations proposées sur deux ou trois ans devraient permettre aux diplômés de maîtriser les questions de protection des personnes (droits des enfants, cas de maltraitance, etc.), les techniques de l’animation communautaire et les méthodes de mise en œuvre de programmes de transferts sociaux. L’INFS devrait également envisager l’intégration de modules d’initiation et de perfectionnement portant sur la conception, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation de politiques de protection sociale. L’institut pourraient évaluer l’opportunité de mettre sur pied une formation de plus haut niveau (par exemple de troisième cycle) pour répondre aux besoins de formation de cadres impliqués dans le développement de politiques, la planification stratégique, le financement et l’évaluation de programmes dans le domaine de la protection sociale. Des formations courtes sur ces thèmes devraient être proposées aux décideurs et autres agents actuellement en poste qui ont besoin de recyclage et de renforcement des connaissances. Par ailleurs, une stratégie devrait être élaborée pour assurer à terme une meilleure répartition des structures sociales et des travailleurs sociaux qualifiés sur l’ensemble du territoire. Une telle stratégie pourrait notamment se reposer sur la création de nouveaux centres sociaux dans les zones non couvertes et des mesures incitatives à la délocalisation (et à la rétention) des diplômés de l’INFS, et sur des mécanismes de certification et de collaboration/contractualisation d’autres types de travailleurs/services sociaux (privés ou de la société civile). La mise en place d’un système de gestion de l’information et de suivi-évaluation est primordiale. Son absence constitue actuellement un handicap dans l’élaboration de cadres d’orientations stratégiques. Plusieurs initiatives ont récemment été lancées dans ce sens, y compris par le PN-OEV et les acteurs humanitaires. Il convient d’assurer leur intégration au sein du système intégré de collecte et de gestion de données (SICGD) actuellement envisagé par le MEMEASS. 48Au Ghana un processus de développement d’un mécanisme conjoint de ciblage est actuellement en cours afin d’harmoniser le ciblage des bénéficiaires du programme de transferts en espèces LEAP, de l’exemption des indigents de paiement des cotisations de l’assurance maladie nationale (NHIS) et plusieurs autres programmes (voir MESW et al, 2011). 86 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Tout en commençant par les programmes directement sous l’égide du Ministère chargé des Affaires Sociales, ce système devrait s’élargir progressivement pour devenir un système de gestion multisectoriel, incluant par exemple les programmes gérés par le Ministère de l’Education Nationale, le Ministère de la Santé et de la Lutte contre le SIDA et le Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, parmi d’autres. Ce système de gestion d’information devrait permettre la saisie et le suivi de données sur les bénéficiaires individuels de programmes, incluant par exemple les informations obtenues par les travailleurs sociaux lors d’enquêtes sociaux, les informations sur leur inscription dans des programmes spécifiques (par exemple de transferts sociaux) et les informations sur les mesures complémentaires prises (par exemple, obtention de documents de l’état civil, aides dans le cadre du PN-OEV, exemptions de frais dans les établissements sanitaires, etc.). Bien que limité à court terme, l’ « espace budgétaire » potentiel pour une expansion des dépenses publiques de protection sociale devrait augmenter à partir de 2012. L’espace budgétaire disponible pour une expansion de la protection sociale semble limitée à court terme en raison de la crise économique profonde déclenchée par le conflit postélectoral, qui a conduit à une baisse du PIB de 5,8% et l’aggravation du déficit global des finances gouvernementales à 6,4% du PIB en 2011, selon les estimations du FMI (2011b). Cependant, l’activité économique est déjà en train de se relancer et le FMI prévoit un rebond économique important en 2012 (taux de croissance de 8,5% et réduction du déficit des finances gouvernementales à 3,8% du PIB). Deux sources potentielles d’espace budgétaire devraient permettre une expansion durable du financement de la protection sociale à long terme. Il s’agit tout d’abord de la croissance des recettes fiscales, principalement en fonction de la croissance du PIB (le ratio recettes/PIB étant déjà relativement élevé avant la crise postélectorale, tournant autour d’une moyenne de 18,3% entre 2004 et 2008) et ensuite de l’amélioration de l’efficacité des dépenses par rapport aux priorités politiques. Un fort accent sur la réduction de la vulnérabilité des populations devrait favoriser une augmentation de la part des dépenses de protection sociale en vue d’accroître le niveau de consommation des ménages, améliorer l’accès aux services sociaux de base et stimuler une croissance inclusive et en faveur des pauvres dans le but de réduire la pauvreté monétaire et d’accélérer le progrès vers les OMD. Même au sein des dépenses dites de protection sociale, il y a des opportunités d’atteindre une meilleure efficacité, notamment à travers les réformes prévues à la CGRAE et à la CNPS, qui devraient mettre fin au besoin de subventionnement de leurs déficits structurels et ainsi libérer des ressources publiques qui pourraient être consacrées à des programmes de protection sociale au profit des couches les plus vulnérables de la population. 87 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Bibliographie et annexes 89 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Abbas, S. (2008) La pauvreté des enfants en Côte d’Ivoire : une analyse selon l’approche non monétaire, UNICEF, Abidjan, juillet. 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Conseiller Spécial Mme HACCANDY Thérèse Conseiller Technique Santé Primature Cabinet Ministère d’Etat, Ministère du Plan et du Développement (MEMPD) Cabinet Mr SEKA Pierre-Roche Directeur Mr KOUAME Kouatou Lacina Directeur Adjoint Direction Général du Plan Mr NIAMIEN Kadjo Directeur de la Planification Direction de la Programmation des Investissements Publics Mr GONNE Louh Jeannot Directeur Ministère de l’Economie et des Finances (MEF) DCPE Mr Abou TOURE Directeur Direction du Budget Mr DIABA Roger Directeur Ministère d’Etat, Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité (MEMEASS) Cabinet Mr KONE Kipéya Brahima Directeur de Cabinet Adjoint Mme TANAH Ebah Monique Sous-directeur des Etudes Direction des Affaires Administratives et Financières (DAAF) Mr Adama TOURE Directeur Direction de la Protection Sociale (DPS) Mr OBA Boussou Ernest Sous-directeur Direction de la Promotion des Personnes Handicapées (DPPH) Mr N’DRI Koffi Eugène Sous-directeur Service Autonome de la Lutte contre le Travail des Enfants (SALTE) Mr SIGUI Mokié Hyacinthe Directeur Programme de Protection des Enfants et des Adolescents Vulnérables (PPEAV) Mr AGOH Ake Eben-Ezer Coordonnateur Programme National de Prise en charge des Orphelins et autres Enfants rendus Vulnérables du fait du VIH/SIDA (PN-OEV) Mr ANGAMAN KASSY Roger Responsable Suivi, Evaluation et Recherche Direction de la Solidarité Mr TRAORE Mamadou Directeur Mr BAMBA Karim Directeur Direction de la Sécurité Sociale et de la Mutualité (DSSM) Mr YANGNI Joël Sous-directeur Réglementation Mme KONE Karidja épouse BAMBA Sous-directeur Mutualité Direction Générale de l’Emploi (DGE) Mr BOSSO Tayoro Paul Directeur des Stratégies et des Programmes d’Emploi Agence d’Etudes et de Promotion de l’Emploi (AGEPE) Mme BASSA Catherine Sous-directrice des Programmes d’Emploi Direction de la Santé et de la Sécurité au Travail (DSST) Mr KAMARA Mamadou Sous-directeur Direction Régionale des Affaires Sociales Mme OULE Katiama Mariame Chef du Service Planification Direction Régionale des Affaires Sociales Mme KOUE Pauline Chef du Service des Projets Sociaux et du Suivi des Complexes Mme DIABLE Directrice Mme CHIDJO Yolande Responsable du Centre d’Education Spécialisée Mr YAO Amani Thierry Assistant social responsable du service suivi évaluation Complexe Socioéducatif de Port Bouët Centre Social Treichville / Habitat Mme AKPA Anne Agathe épouse AGNIMEL 96 Assistante Sociale / Directrice Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Organisation Nom Position Cellule de Coordination du Comité National de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants Mme COULIBALY Fanta Institut National de Formation Sociale (INFS) Mr N’Guettia Kouakou Kra Martin Directeur Mr KONAN Kouakou Seraphin Chef Service Scolarité Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant (MFFE) Cabinet Direction de Protection de l’Enfance (DPE) Mme COFFIE Goudou Raymond Ministre Mme Edith Clariss KOUASSY Directeur de Cabinet Adjoint Mme Chantal KONE Inspectrice Mme KRAIDY Sandrine Mr KOUADIO Kra Hervé Ministère de l’Education Nationale (MEN) Cabinet Comité de Suivi de la Préparation du Plan Sectoriel de l’Education/Formation Mr KABRAN Assoumou Directeur Mr KONE Raoul Directeur Adjoint Mr BINEY John Francis Coordonnateur Ministère de la Santé et de la Lutte contre le SIDA Cabinet Pr EHILE Directeur Cellule de Prospective et de Stratégie Pr SAMBA Mamadou Chef Agence de Gestion des Routes (AGEROUTE) Cellule de Coordination du Projet HIMO-PAPC Mr KOUADIO POKOU Marius Coordonnateur Mr DAGNOGO Sidi Braima Directeur Mr KOUADIO Roland SPE Office National de l’Eau Potable (ONEP) DDET DHRP Mr IDO Adama Mr BINI Koussounou DRE Mme KONE Saramatou Partenaires Techniques et Financiers (PTF) UNICEF Mr Hervé DE LYS Représentant Mme Christina DE BRUIN Représentant Adjoint Mr Stefano VISANI Chef, Politiques Sociales Mme Laetitia BAZZI Chef, Protection de l’Enfant Mme Joyce Patricia BHEEKA Chef, Education Mr RAMAMONJISOA Eli Chef, Survie de l’Enfant Mr KONAN Kouamé Jean Spécialiste VIH/SIDA Mr Thomas MUNYUNZANGABO Chef VIH/SIDA Mr KOTY Raoul Chef d’Opérations Mme Fiorella POLO Spécialiste eau et assainissement Mr ROSSI Massimiliano Spécialiste eau et assainissement 97 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Organisation Programme Alimentaire Mondial (PAM) Nom Position Mr KOUKOUI Basile Janvier Spécialiste Nutrition Mme Ellen KRAMER Mr KODJO Niamke Etoua Chef de Programme Chargé de programme, cantines scolaire Chargé de nutrition et VIH Mme Nora HOBBS Chargé de nutrition et VIH Mr SOUBEIGA Jonas Chargé de programme TDY Mr SADIO Jospeh Chargé de programme TDY Mr TOURE Moustapha National VAM Officer Mr N’ZUE Mueh Assistant de programme Mr TSASSA Célestin Conseiller Economique/ Economiste Principal Mme PIERRE Rachel Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) Ms DAYMON Caroline Mr BAGUIA Allassane Fonds Monétaire International Banque Mondiale Mr Wayne W. CAMARD Représentant Mr Agou GOMEZ Economiste résident Mr Yannick GORANI (par téléphone) Organisations Non Gouvernementales (ONG) Bureau International Catholique de l’Enfance (BICE) Mr KOUKOUI Désiré Gilbert Directeur des actions et projets Terre des Hommes Italia (TdH) Mr Alessandro RABBIOSI Délégué Côte d’Ivoire 98 Etat des lieux, défis et perspectives de renforcement de la protection sociale en Côte d’Ivoire Annexe BDépenses publiques de protection sociale Tableau B.1Dépenses publiques courantes de protection sociale (hors personnel) : exécution, 2008-2010 (FCFA) 2008 Assistance médicale aux indigents 2009 279 627 901 280 000 000 2010 320 000 000 Aide alimentaire hôpitaux 162 602 988 182 638 154 180 068 920 Autres aides alimentaires 447 283 269 1 019 327 235 753 541 637 Administration de la protection sociale 43 797 941 121 021 588 52 446 067 Orphelinats 77 103 232 90 451 151 292 182 500 Pouponnières 78 695 816 173 482 048 237 723 629 Centres handicapés, aveugles, sourds muets 53 295 183 133 296 649 91 778 890 202 890 728 467 198 751 779 614 507 1 263 242 539 1 733 378 311 1 930 580 175 Prévoyance maladie 0 6 383 800 4 369 225 Pensions et retraites 186 183 984 194 938 939 582 944 091 Prévoyance chômage 675 000 000 682 400 000 682 400 000 Protection des jeunes 22 575 163 015 17 125 854 130 14 698 217 815 555 569 243 990 392 381 1 178 630 177 5 190 457 722 2 725 243 662 1 834 528 519 81 250 000 50 000 000 75 000 000 488 963 937 505 085 824 412 198 861 51 344 807 773 52 638 131 699 61 403 544 177 324 281 183 290 929 894 272 659 374 5 300 228 293 9 801 924 113 9 160 886 459 7 500 000 11 500 000 15 500 000 1 723 659 000 800 000 800 000 800 000 2 731 783 000 3 618 316 000 1 807 100 758 2 039 880 788 1 762 494 480 11 232 672 521 11 212 199 021 11 233 359 521 664 604 215 729 197 677 752 808 948 86 899 542 137 182 294 300 214 245 104 853 680 783 106 074 621 109 112 626 808 217 Centres sociaux Formations personnel social Famille et protection de la femme Administration générale de la solidarité Aides aux victimes de catastrophes Autres affaires assistance et solidarité Caisse Générale de Retraite des Agents de l’Etat (CGRAE) Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) Cantines scolaires (MEN) Kits scolaires pour OEV (MEN) Bourses MEN Bourses Min Enseignement Technique et Formation Professionnelle (METFP) AGEFOP (METFP) Bourses enseignement supérieur AGEPE (Ministère d’Etat, Ministère de l’Emploi) IFEF Total Source : Ministère de l’Economie et des Finances 99 La protection sociale, longtemps considérée comme un coût que les pays en développement ne pouvaient se permettre d’engager, est de manière croissante reconnue comme un investissement dans le capital humain, nécessaire à toute étape de développement, et sans lequel un pays ne peut croître de manière soutenable. Plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest, comme par exemple le Ghana, le Burkina Faso, et le Sénégal, se sont déjà engagés dans le développement de politiques nationales de protection sociale et dans l’extension de leur système. Le Gouvernement de la République de Côte d’Ivoire envisage à son tour l’élaboration d’une Politique Nationale de Protection Sociale. L’objectif est de se doter d’un cadre global pour l’orientation, l’encadrement, le renforcement et la coordination de programmes de protection sociale sur la base d’objectifs clairement définis et de priorités objectivement établies. Ce document de stratégie constituera un élément essentiel du processus d’extension qui participera à la mise en œuvre d’un système cohérent et coordonné, qui assure la complémentarité et la synergie entre les différents programmes. Il contribuera ainsi à opérationnaliser l’engagement de la Côte d’Ivoire à « étendre la protection sociale à l’ensemble de la population, et singulièrement aux couches les plus vulnérables » (Stratégie de Relance du Développement et de Réduction de la Pauvreté (SRDRP) 2009-2015). Cette publication est le premier volet d’une analyse menée au courant de l’année 2011 par un groupe d’experts nationaux (gouvernementaux et non-gouvernementaux) et internationaux (Oxford Policy Management), avec le soutien de l’UNICEF, suite à la demande du Gouvernement de Côte d’Ivoire. Le présent volume (Tome 1) fournit des données et analyses préliminaires de la situation en protection sociale dans le pays. Le deuxième volet de l’étude, présenté dans un autre volume, présente une analyse comparative de sept options de transferts sociaux monétaires identifiées sur base de l’étude diagnostique et de la réflexion conjointe des acteurs engagés dans les différentes étapes de l’étude. Cette analyse constitue un outil d’aide à la prise de décision et permet d’engager un dialogue éclairé sur les priorités à donner à la Stratégie de Protection Sociale. Contacts : Kipeya Kone Directeur de Cabinet Adjoint Ministère d’Etat Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité BP 93 Abidjan Tel : (225) 20 32 25 36 Fax : (225) 20 32 26 43 UNICEF Section Politiques Sociales 04 BP 443 Abidjan 04 18 Rue Pierre et Marie Curie, Zone 4C Abidjan, Côte d’Ivoire Email : [email protected] Tel/Fax : (225) 21 21 18 50/52 www.unicef.org/cotedivoire