4 Au sujet de l`opération « Frankton » Au sujet - Avions

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4 Au sujet de l`opération « Frankton » Au sujet - Avions
Merci d’adresser vos courriers à la rédaction :
Frédéric STAHL, Marijolet, 12 560 ST LAURENT D’OLT et vos mails à [email protected]
Au sujet de l’opération
« Frankton »
Fidèle lecteur de votre revue, et parfois participant
au « courrier des lecteurs », je connais, et apprécie,
votre souci du détail. Aussi, j’aimerais en toute
humilité vous faire part de deux petites remarques
futiles et sans importance aucune ;
- L’insigne présenté en bas de page 45 dont la
légende est : « L’écusson des Royal Marines,
cousu sur l’épaule des commandos » est en fait
l’insigne des Opérations Combinées (Combined
Operations badge) adopté en septembre 1942. Sa
forme avec sommet arrondi et base horizontale,
rappelle effectivement les insignes de manche de
la Royal Navy. Mais il n’est pas l’insigne des RM,
ni même celui des RM Commandos, même si il est
effectivement porté par les RM commandos, en
particulier lors de l’opération dont nous parlons. Il
est porté par tous les membres des « Opérations
Combinées », qu’ils soient de l’Army, de la RAF ou
de la Navy. La symbolique de l’insigne le rappelle.
L’autre variante a la forme ronde (on trouve même
une forme carrée). On peut noter que les Français
du 1er Bataillon de Fusiliers Marins Commando ont
porté les deux modèles. Il y a des types brodés
et des types imprimés. On trouve également des
insignes brodés cerclés rouge. En général, les
insignes se portent par paire, sur chaque manche,
le dessin étant inversé, l’arme (Tompson) étant
toujours pointée vers l’avant (Réf. Laurent Jego
in Militaria magazine n°105 et n°107, et site
Internet). On trouve également pour les US Army
Amphibious forces un insigne reprenant le même
dessin mais brodé en jaune sur fond bleu ou rouge
(Réf. Commandos and Rangers of WWII by James
Ladd 1978)… Pas de quoi en faire un plat.
- Autre remarque tout aussi inintéressante, la
traduction de Davis Submarine Escape Apparatus
me gêne un peu. C’est le mot « fuite », même si
l’appareil en question est utilisé dans les sousmarins où les fuites ne sont pas rares. Je pense
que le mot « évacuation » aurait été approprié.
Voilà. Encore merci et bravo pour vos travaux.
J’attends avec impatience le prochain numéro…
M. François Pelissier
Merci pour vos renseignements sur les insignes.
Pour votre traduction de Davis Submarine Escape
Apparatus nous sommes d’accord avec vous.
La rédaction
Au sujet des bateaux d’Algérie
Lecteur très fidèle de votre revue, qui me comble, et
que j’achète à chaque parution (car l’abonnement
pour un TOM est bien trop aléatoire ; beaucoup
de vols à la poste, ici). Je me permets de vous
adresser ce courrier, afin de vous demander si
vous avez fait paraître dans le passé (avant que je
commence à vous lire) ou comptez faire paraître,
des articles sur les sujets suivants :
- les paquebots, cargos et « pinardiers » (bateaux
spéciaux pour le transport du vin en vrac) desservant
l’Algérie dans les années 1950-1960. Etant natif de
Mostaganem, port oranais très actif, dont pour le
vin, je garde un souvenir très émerveillé de ces
navires, dont ceux, entre autres, de la Compagnie
Le Borgne et Schiaffino, d’Alger, je crois.
- les chalutiers algériens de cette même
période, tous en bois, au « lamparo » de formes
merveilleuses. Hélas, je n’ai aucune photo, aucun
souvenir de tout
ceci !
… Existe-t-il, à
défaut, des revues
spécialisées sur
ces flottes, et des
ouvrages traitant
de ces sujets ?
D’avance,
je
vous
remercie
infiniment
de
votre réponse, et
vous dis « bon,
bon courage ! »
M. Serge Torres
Le Bacchus à Oran. (Collection
Jean-Yves Brouard)
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Le pinardier Bacchus de 1949 ; (collection Jean-Yves Brouard)
Navires et Histoire à travers les brèves
Frédéric Stahl
Depuis plusieurs années, nous répétons régulièrement que le but que s’est fixé la Chine, est de devenir la première puissance
économique mondiale d’ici 2020. Cela a parfois fait sourire, comme lorsque nous avons parlé du missile ASBM (Anti Ship Ballistic
Missile) DF-21D Mod.4 (1) ou de la remise en service programmée du porte-avions Varyag par la marine chinoise. Le vendredi
9 novembre, trois jours après la réélection sans grande surprise du président Obama aux Etats-Unis, un rapport de l’OCDE
(Organisation de Coopération et de Développement Economique) va indiquer que, même avec un taux de croissance ralenti (2), la
Chine devrait devenir la première puissance économique mondiale devant les Etats-Unis en 2016, c’est-à-dire dans quatre ans (3).
Bien sûr, un rapport de l’OCDE n’est pas parole d’évangile, mais à côté de Navires et Histoire, il pèse son poids.
En 1992, il y a vingt ans, tirant avec pragmatisme les enseignements des événements de la place Tienanmen (Tien-an-Men) et
de l’effondrement du système soviétique, Deng Xiaoping, le « petit timonier », qui avait déjà entrouvert la porte en 1979, va lancer
la Chine sur la voie de l’économie de marché. Pendant dix ans, entre 1992 et 2001, malgré la crise asiatique de 1997-1998 (4),
le pays va devenir l’usine du monde en matière de gadgets et autres produits bon marché. Cette politique va permettre aux états
occidentaux de compenser le blocage des salaires dans de nombreux domaines, par une baisse des prix sur des produits de grande
consommation et ouvrir la porte à un néo-libéralisme ravageur. A partir de 2002, la Chine va changer de vitesse et commencer peu
à peu à produire des matériels de haute qualité tout en continuant à fournir la chaîne des magasins américains Wal-Mart et les
supermarchés occidentaux jusqu’à l’écœurement au moment où les pays occidentaux s’engageaient dans des guerres à répétition
de plus en plus coûteuses. La Chine connaît alors un taux de croissance frisant, voire dépassant, les 13%. Fin 2005 elle devient la
quatrième économie mondiale derrière les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne. Deux ans plus tard elle dépasse l’Allemagne puis
en 2009, le Japon. En à peine vingt ans, la Chine s’est donc hissée au niveau de deuxième puissance économique mondiale. La
phase suivante, débutée en fait il y deux ans, est d’assurer l’économie intérieure en doublant le PIB du pays et de doter la Chine
d’outils, en particulier militaires, permettant d’assurer son avenir. Aujourd’hui, les dirigeants chinois veulent restaurer l’Empire du
Milieu dans l’expression de sa pleine puissance et laver ainsi la souillure ouverte par la guerre de l’Opium, puis par le saccage du
Palais d’été. La Chine fait maintenant face à une stratégie de containment de la part des Etats-Unis qui lui ont littéralement déclaré
une nouvelle forme de guerre larvée « from Behind » en octobre 2011. Elle sait bien que l’ère du grand jeu de la concurrence (Agôn)
est terminée et qu’elle a fait place à celle d’une rivalité stratégique qui est en train de glisser vers une rivalité mimétique généralisée
(Eris) avec les USA. Les événements en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, en Libye, en Syrie, en Iran, au Soudan, en mer de Chine
et ailleurs, la question des approvisionnements pétroliers (5), celle de l’énergie nucléaire, de la guerre des monnaies … doivent être
lus à l’aune de cette rivalité. Pour éviter un affrontement direct (Polemos) qui mènerait à la destruction mutuelle et mettrait en péril
le monde, les deux grandes puissances gagnent du temps et ouvrent une véritable grande loterie (pour ne pas dire braderie) sur
l’avenir. Bien malin celui qui peut dire aujourd’hui comment vont évoluer tous les dossiers en suspens et d’où partira l’événement
(Iran, Syrie, Mali, Palestine, espace Pacifique, pétrole, matières premières, bourses… ?) qui permettra à la Chine et aux Etats-Unis
d’engager un combat indirect mais coûteux pour les tiers… Dans un tel contexte, pour éviter de devenir les pions d’une partie qui
leur échapperait complètement, les pays de la communauté européenne seraient bien inspirés de jouer du balancier et de ne pas
se laisser instrumentaliser.
1 - Dans l’article « ASBM le premier Shashoujian chinois » du N&H n°54 de
juin 2009.
2 - Il est actuellement de 7,7%.
3 - En 2005, Goldmans Sachs prévoyait que les courbes des PIB de la Chine et
des Etats-Unis se croiseraient en 2040.
4 - Cette crise économique va être déterminante dans l’élaboration de la
stratégie économique de la Chine comme l’une des armes de la « guerre hors
limites ».
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5 - La demande mondiale devrait augmenter de 14% d’ici 2035, soit une
demande portée à 99,7 millions de barils/jour dont la moitié pour couvrir les
besoins en matière de transport. Jusqu’en 2015 la hausse peut être couverte
par une augmentation de la production des pays de l’OPEP portée à 53
millions de barils/jour… Après, c’est l’inconnu, même si en 2020, grâce au
pétrole non-conventionnel (pétrole de schiste, sables bitumeux, tightoil…) et
aux agro-carburants, les Etats-Unis devraient devenir autosuffisants pour une
courte période prenant fin en 2025.
Le porte-avions CVN-69 USS Dwight D. Eisenhower croisant en mer d’Oman le 14 septembre, jour où un commando va détruire au moins six
avions AV-8B de l’USMC en Afghanistan. (Photo Ryan D. McLearnon – US Navy)
Les brèves au jour le jour du 14 septembre au 13 novembre 2012
Le vendredi 14 septembre, en Irak, l’aviation
turque effectue toute une série de raids sur le
Kurdistan. Cette action fait 76 victimes dans les
rangs du PKK… En Afghanistan, un commando
de 15 « rebelles » détruit six avions de combat
américains AV-8B Harrier II de l’USMC sur la
base aérienne du camp Bastion. Deux autres
appareils sont sévèrement endommagés, 3 postes
de ravitaillement en carburant pour avions sont
détruits et 6 hangars légers endommagés (1)… Au
Yémen, une petite unité de Marines arrive à Sanaa
pour protéger l’ambassade des Etats-Unis…
Le Samedi 15 septembre, au Yémen, l’effectif des
Marines à Sanaa est porté à 250 hommes…
Le dimanche 16 septembre, dans le golfe
Persique, des navires américains et britanniques
- la frégate D 34 HMS Diamond, les chasseurs
de mines MCM-3 USS Sentry, MCM-13 USS
Dextrous, MCM-6USS Devastator, M 112 HMS
Shoreham, M 38 HMS Atherston, les bâtimentsbases AFSB(I)-1 USS Ponce et L 3009 RFA
Cardigan Bay - emportant des observateurs de 20
nations, débutent l’exercice « INCMEX 12 » qui se
prolongera jusqu’au 27 septembre…
Le porte-hélicoptères USS Peleliu appareille pour un nouveau déploiement dans la zone
opérationnelle du CENTCOM (5e Flotte). (US Navy)
Photo prémonitoire prise au début des essais du porte-avions indien Vikramaditiya qui va
rencontrer de gros problèmes de propulsion le 17 septembre. (DR)
Le lundi 17 septembre, aux USA, le portehélicoptères LHA-5 USS Peleliu, les transports de
chalands de débarquement LPD-20 USS Green
Bay et LSD-47 USS Rushmore quittent San Diego
pour rejoindre la zone opérationnelle du CENTCOM
(5e Flotte)… En Syrie, un hélicoptère Mil Mi-8
est abattu au cours de combats qui vont faire 35
morts à Damas… Au Pakistan, les forces armées
effectuent avec succès un tir-test de missile de
croisière Babur (Hatf 7) d’une portée de 700 km…
Dans le golfe d’Aden (GOA), la marine chinoise et
la marine américaine effectuent pour la première
fois une patrouille anti-piraterie commune avec le
destroyer DDG-81USS Winston S. Churchill et la
frégate n°548Yiyang… En Russie, le porte-avions
indien INS Vikramaditiya (ex-Admiral Gorchkov)
qui procède à des essais de vitesse en mer de
Barents, connaît une sévère avarie de machines, à
cause d’un problème d’isolation des chaudières (il
devra rejoindra Severodvinsk le 25). Cet accident
va repousser vers octobre 2013, la mise en service
du navire qui devait intervenir en décembre
2012…
1 - Au cours de la période du 14 septembre au 13
novembre 2012, les combats et les attentats dans
la zone Afghanistan/Pakistan vont faire 1 282
morts dont 51 soldats US, 12 soldats britanniques,
1 soldat australien, 130 soldats afghans, 66
policiers afghans, 4 agents de renseignement
afghans, 6 policiers pakistanais et au moins 13
« contractors »…
13
Dix reproductions de ce tableau, du peintre anglais Bearman, ont été signées par le commandant du HMS Tuna, Richard Prendergast Raikes. Un
exemplaire a été remis à François Boisnier (1) par le peintre. (Collection F. Boisnier)
(2e Partie - L’Exécution)
René Alloin
Nous avons vu, lors du précédent numéro de Navires & Histoire, la préparation minutieuse
et rigoureuse des douze hommes qui vont prendre part à la plus extraordinaire opération de
commandos de toute la seconde guerre mondiale. Le moment de l’action, tant attendu, va enfin
débuter pour le Major Hasler et ses Royal Marines. Avant de s’embarquer à bord du sous-marin
HMS Tuna, les hommes ont écrit à leurs familles. L’un d’eux, Robert Ewart est très amoureux de
Heather Powell, la fille de ses hôtes, alors âgée de seize ans. Il lui écrit une lettre très tendre qu’elle
ne recevra que s’il ne revient pas.
Départ d’Écosse
Le lundi 30 novembre 1942, avant le lever du
jour, l’embarquement des kayaks, du matériel et
des commandos est effectué. A 10 h30, le HMS
Tuna appareille pour d’ultimes manœuvres de
mises à l’eau devant l’île d’Inchmarnok. A 20
heures, les exercices sont terminés et le sousmarin fait route vers le golfe de Gascogne, escorté
jusqu’au 2 décembre à 17 h 30 par le HMS White
Bear, l’ex-yacht américain Iolanda réarmé. Hasler
informe alors ses hommes de leur destination
finale et de l’opération programmée. Les heures
à bord ne se passent pas dans l’oisiveté. Toute
la journée, des instructions sont fournies avec
L’opération d’extraction des kayaks est
particulièrement délicate. Il n’y a que trois
centimètres de marge pour passer les esquifs
et la moindre erreur peut être fatale.
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l’étude des photos des parages de l’attaque, les
dispositions en cas de mauvaises rencontres, le
résumé des ordres complets, l’apprentissage de
quelques phrases de Français (2), les détails pour
l’évasion à travers la campagne française, etc...
Les objectifs sont également définis. Le Catfish de
la Divison « A » (Major Hasler et Marine Sparks)
et le Cutllefish, de la Division « B » (Lieutenant
Mackinnon et Marine Conway) doivent s’occuper
de Bordeaux rive ouest. Le Crayfish (Corporal
Laver et Marine Mills) et le Coalfish (Sergeant
Wallace et Marine Ewart) prendront en charge
les navires de Bordeaux rive est. Enfin, le Conger
(Corporal Sheard et Marine Moffatt) et le Cachalot
1 - Il faudrait pratiquement écrire un livre sur François Boisnier, pour raconter sa vie riche de multiples
expériences. Cet ancien de Sciences Po à Bordeaux et de l’Institut Universitaire des Hautes Études
Internationales à Genève a passé de nombreuses années en Suisse, au Cameroun, au Venezuela, aux ÉtatsUnis, etc. Officier parachutiste de réserve pendant la guerre d’Algérie, au sein du IIe Bataillon de Choc, il
sera blessé et cité. Trilingue, il va fonder, en 2000, l’association Frankton et en est aujourd’hui, à 79 ans,
le Président d’Honneur. Il vit désormais à Barbezieux, en Charente, berceau de son enfance.
2 - La plupart des hommes trouvant cela trop difficile, estiment qu’ils pourront se débrouiller avec des
gestes.
Le
Major
Herbert
(Blondie)
Hasler,
instigateur de l’opération
Frankton et le Marine Bill
(Ned) Sparks composent
l’équipage du Catfish
(poisson-chat). (DR)
Le Lieutenant Richard Prendergast Raikes est un
commandant expérimenté de sous-marins. Il a dirigé
successivement le HMS Tribune, le HMS Seawolf et le
HMS Tuna avec lequel il va débarquer les commandos de
Hasler. (Collection R. P. Raikes)
(Marine Ellery et Marine Fisher) devront poser
leurs mines sur les bâtiments amarrés à Bassens,
quais Nord et Sud. Ainsi chaque cible est couverte
par un kayak des deux divisions « A » et « B » qui
doivent opérer indépendamment. Cette séparation
des forces comporte également la nécessité de ne
pas se préoccuper des kayaks de l’autre division,
quelles qu’en soient les raisons. Pour tout incident
éventuel, seuls les deux bateaux d’un même
groupe peuvent porter assistance au troisième,
laissant ainsi à l’autre section, la possibilité de
mener à bien la totalité de la mission. Le vendredi
4 décembre, le sous-marin atteint les côtes des
Landes mais une tempête empêche le moindre
relèvement. Le bâtiment se rend alors au large
pour éviter tout contact avec la flottille de pêche.
Le lendemain, le temps ne s’améliore pas et le
dimanche 6 décembre, le brouillard remplace la
tempête. A 13 heures seulement, le Commanding
Officer Dick Raikes repère enfin un phare. Il estime
se situer au nord d’Hourtin mais il demeure difficile
d’obtenir une confirmation. Le HMS Tuna, en
immersion périscopique, entreprend la remontée
de la côte landaise.
Débarquement des commandos
Une rare photo du Marine Bill Ellery et du
Marine Eric Fisher prise lors d’une pause au
cours d’un entraînement en Angleterre. Ils
ne pourront participer au raid, leur kayak, le
Cachalot, ayant été endommagé au cours de
sa sortie du HMS Tuna. (DR)
Le lundi 7 décembre à 13 h 45, l’officier navigateur
repère le phare de Cordouan, le château d’eau du
village de Montalivet et la bouée de Saint-Nicolas
ce qui lui permet d’effectuer un point précis. Afin
d’éviter une trop longue exposition du sous-marin
dans la zone de mise à l’eau des kayaks, leur
assemblage s’effectuera au large. A 15 heures, les
esquifs sont sortis du compartiment des torpilles
puis déployés et raidis. Les hommes effectuent le
gonflement des sacs de flottaison et le chargement
des kayaks avec les pagaies, les boussoles, les
sacs 4, contenant des vêtements de rechange et
5, celui du trousseau d’évasion. A 18 h 10, le HMS
Tuna se trouve en position mais un patrouilleur
allemand est repéré à 4 500 mètres, entre Soulac
et Cordouan. A regret, le Lieutenant Raikes met le
cap au sud et, à 19 h 17, il donne l’ordre de faire
surface par 45°22’ N et 001°14’ W, à 3 milles au
large de Montalivet et à 10 milles seulement du
radar allemand Vogel de Soulac-sur-Mer, au beau
milieu d’un champ de mines britannique dont les
coordonnées, supposées précises, ont été fournies
par la RAF. Les hommes achèvent de passer leurs
tenues versicolores et de peindre leur visage avec
une crème de camouflage. La mise à l’eau débute
avec l’aide du canon et de l’ingénieux système mis
au point (voir N&H n° 74). Malgré les nombreuses
répétitions, le flanc en toile du Cachalot se déchire
sur un crochet de fermeture du panneau de
l’écoutille. Le Catfish, avec Hasler et Sparks est
déjà posé sur la mer. Raikes a donc la responsabilité
des Cockles pendant le débarquement et ne peut
que décider l’interdiction à Bill Ellery et Eric Fisher
de prendre part à l’opération, de rentrer le canot
et de demeurer à bord. Malgré les supplications
des deux hommes auprès d’Hasler, affirmant qu’ils
peuvent réparer et rejoindre le groupe, le major
confirme la sage décision du commandant du
sous-marin. A 20 h 22, mettant le cap au 035, les
cinq kayaks s’enfoncent dans la nuit.
Carte du premier jour de l’opération Frankton :
débarqués le 7 décembre 1942 en face du
village de Montalivet, les commandos vont
affronter trois «Tidal Race» avant de parvenir
à la Pointe aux Oiseaux.
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Navigation vers l’embouchure
de la Gironde
Malgré l’absence de lune, la nuit est claire. La
mer calme permet une navigation aisée même si
l’effort à fournir pour propulser les kayaks, demeure
intense. Pour cette raison, Hasler a institué
une pause de cinq minutes à chaque heure. En
repartant après le premier arrêt, les kayakistes
ressentent déjà l’effet du courant de marée qui
les entraîne vers l’embouchure de l’estuaire,
facilitant leur progression. A 23 h 50, ils passent
le Banc des Olives dont on perçoit les déferlantes
au-dessus des hauts-fonds. Peu après, Sparks
constate une entrée d’eau dans le Catfish et il lui
faut écoper toutes les heures. Vers minuit, Hasler
L’estuaire de la Gironde vu par satellite. A
droite, la Pointe de Grave avec, en face, les
villes de Royan et de Saint-Georges-deDidonne. En bas, la presqu’île d’Arvert et l’île
d’Oléron. A gauche de la photo, la Charente
se jette dans l’océan Atlantique. En remontant
la Gironde on aperçoit l’île Patiras, avec à
sa droite le Vasard de Beychevelle, puis l’île
Bouchaud prolongée par l’île Nouvelle, la
petite île de Fort Paté et l’île Verte, précédent
l’île du Nord et l’île Cazeau. On peut
distinguer, à sa droite, au bord de la photo, la
petite île de la Tour de Mons, appelée aussi île
Margaux. (CNES)
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Le « Tidal Race », comme le nomment les Britanniques est provoqué par la rencontre de la
marée montante avec les hauts-fonds. Comme vous pouvez le constater sur cette photo, les
vagues ne restent pas parallèles comme dans un mascaret mais désordonnées avec des creux de
plus d’un mètre. Il ne faut pas oublier non plus que cela se passe de nuit avec un kayak pesant
218 kilos, équipage compris, donc très difficile à manœuvrer. (Photo Adam Clutterbuck)
Le Corporal George (Jan) Sheard et le Marine
David Moffatt composent l’équipage du
Conger (congre). (DR)
entend soudain un bruit inquiétant, inconnu, qui ne
correspond pas aux bruits des vagues se brisant
sur une plage. Le major stoppe son kayak et se
rend compte que le bruit s’amplifie mais se situe
face à eux et non à droite vers la côte. Il devine
instantanément ce dont il s’agit. Là où la marée
montante rencontre les hauts-fonds se forme ce
que les Anglais appellent un « Tidal Race ». Ce
n’est pas exactement un mascaret, formé par la
rencontre de la marée et du courant d’un fleuve,
mais une série de vagues désordonnées pouvant
atteindre un mètre-vingt, de remous et même de
tourbillons potentiellement dangereux. A aucun
moment, il n’a été fait mention de ce phénomène
et aucun des hommes n’est préparé à affronter un
tel danger. Couvrant le rugissement qui s’accroît,
Hasler crie aux commandos de s’efforcer de
prendre les vagues les plus violentes de face et
de pagayer de toutes leurs forces pour maintenir
leurs frêles esquifs en équilibre. Le Catfish subit le
phénomène le premier et il est rapidement malmené
par les courants désordonnés. Enfin, au bout de
quelques interminables minutes, Hasler ressort
du maelström aussi brusquement qu’il y est entré.
Avec satisfaction, il se rend compte que le petit
bateau qu’il a conçu peut affronter des conditions
extrêmes. Peu après, apparaissent le Conger, le
Cuttelfish et le Crayfish. Manque le Coalfish de
Wallace et Ewart. Après une attente de plusieurs
minutes et des appels répétés avec le sifflet imitant
le cri de la mouette, il faut se rendre à l’évidence et
Hasler ordonne de continuer l’opération.
Les quatre kayaks rescapés poursuivent leur
navigation et aperçoivent bientôt le phare de la
Pointe de Grave, éteint, qui détermine l’entrée
de l’estuaire de la Gironde. A ce moment-là, un
Cette photo prise en juin 2009 montre ce qu’il reste de l’ancien môle d’escale de Verdon-sur-Mer. C’est entre ce môle et trois patrouilleurs ancrés
à un demi-mille de son extrémité que doivent passer Hasler, Laver et Mackinnon. (Photo Philippe Dufour, avec son aimable autorisation)
La Pointe aux Oiseaux, où les Royal Marines vont trouver refuge après leur première nuit de navigation. Comme on peut le voir sur cette photo
de juin 2009, la végétation y est plutôt rare. (Photo Philippe Dufour)
33
grondement menaçant dépassant le précédent
en intensité, annonce un nouveau phénomène
de «Tidal Race». Cette fois, les vagues sont plus
serrées et mesurent plus d’un mètre cinquante. Elles
se croisent et se brisent les une contre les autres.
Les kayaks subissent de violents soubresauts mais,
grâce à un « pagayage » forcené et l’étanchéité de
leur jupe de cockpit, Hasler et Sparks parviennent à
sortir de cet enfer. Deux autres esquifs viennent se
ranger près du Catfish mais le Conger est malmené
et chavire. Sheard et Moffatt s’accrochent à leur
bateau plein d’eau. Impossible de l’écoper dans
ces conditions, sauf de le ramener sur la rive, mais
la furieuse marée les entraîne. A ce moment, le
phare de la Pointe de Grave s’allume et Hasler n’a
d’autre choix que d’ordonner à Sparks de crever
les sacs de flottaison du Conger. Il demande à
Sheard de s’accrocher à l’arrière du Catfish et à
Moffatt d’en faire de même derrière le Cuttelfish.
Les deux hommes frigorifiés se cramponnent du
mieux qu’ils peuvent, engourdis par le froid. Hasler
veut les conduire en sécurité mais une troisième
zone de turbulence, moins violente cependant,
en décide autrement. Les kayaks, devenus
moins manœuvrables à cause des naufragés,
sont entraînés irrémédiablement vers le port du
Verdon. Hasler prend conscience que s’il insiste
dans son entreprise, la mission est définitivement
compromise. A regret, il doit abandonner Sheard
et Moffatt en leur conseillant de nager jusqu’à la
côte, de se cacher pour la journée puis de tenter
de gagner l’Espagne.
lueurs commencent à poindre à l’est et la renverse
de la marée va bientôt débuter. Il leur faut découvrir
rapidement un abri. L’aube du 8 décembre se
profile à l’horizon lorsqu’ils aperçoivent une
vasière située, sur leur carte, à la Pointe aux
Oiseaux . Le lieu offrant peu de buissons, les filets
de camouflage sont déployés sur les kayaks et les
hommes prennent leur premier repas depuis douze
heures. Ils ont parcouru vingt-trois milles, dans des
conditions extrêmes, dépassant celles envisagées
au cours des pires périodes d’entraînement. Il ne
reste qu’un tiers de l’effectif et il y a encore trois
nuits de navigation à effectuer avant de parvenir
à destination. Hasler se demande s’il parviendra à
mener à bien sa mission mais sa volonté farouche
lui enjoint d’aller jusqu’à Bordeaux, même s’il doit y
parvenir seul. A proximité, un petit chenal disparaît
dans les terres, menant au hameau du Port de
Saint-Vivien d’où proviennent, peu après leur
installation, plusieurs petits calups (1) entrevus
par les rescapés. A huit heures trente, quelques
embarcations se dirigent directement vers leur
refuge. La malchance a voulu qu’ils se cachent à
l’endroit où, ce matin, les pêcheurs et leurs familles
ont rendez-vous pour prendre le petit déjeuner,
dans l’attente de la montée des eaux. Tandis que
les bateaux approchent de la crique, des femmes
et des enfants arrivent par un étroit sentier, les
bras chargés de paniers de victuailles. Positionnés
au milieu, leur camouflage devient totalement
inopérant et Hasler comprend qu’il faut faire le
premier pas. Dans son français approximatif, il
les salue, leur explique qu’ils sont des soldats
britanniques et leur demande de ne pas révéler
leur présence. Malgré leurs doutes, les Français
vont se taire. Mieux, Yves Ardouin, ostréiculteur,
conseille aux commandos de se déplacer de deux
cents mètres en amont et de prendre l’embouchure
d’un petit ruisseau, expliquant qu’ici, c’est le canal
du Gua, empruntés régulièrement par d’autres
pêcheurs et qu’il existe un chantier tout proche
avec des Allemands. En plein jour, les quatre
hommes suivent ce précieux conseil. A son retour
de la pêche, à Saint-Vivien, M. Ardouin confie à
M. Baudray, qui tient le Café des Sports dans la
commune, le récit de sa brève rencontre du matin.
Il sait pertinemment que la famille Baudray ravitaille
clandestinement quelques patriotes français en
ces temps de disette où la résistance est encore
embryonnaire. C’est à ce moment-là que Jeanne
Baudray (2), la fille, se voit chargée d’emporter à
pied, quelques provisions aux commandos.
Premier accostage
Toutes ces péripéties ont considérablement
ralenti les Royal Marines et le major pressent
l’impossibilité d’aborder la rive Est, près de
Saint-Seurin d’Uzet comme le prévoit le plan
si minutieusement élaboré. Il va falloir trouver
rapidement une cachette sur la rive ouest, plus
désertique et exposée, d’autant qu’il ne reste que
trois ou quatre heures d’obscurité. Devant eux
s’élève le môle du Verdon et, comble de malchance,
trois patrouilleurs allemands sont ancrés à quelques
encablures de son extrémité. Le moindre détour
s’avère impossible et les trois kayaks rescapés
doivent impérativement passer entre le môle et
les bâtiments. Cette option présente d’autant
plus de risques que l’alerte a été donnée depuis
la détection du HMS Tuna par le radar allemand
de Soulac. C’est la raison de l’éclairage du phare
de la Pointe de Grave. Hasler décide l’emploi des
pagaies simples, moins bruyantes et préconise
un passage séparé des trois bateaux, avec une
distance de sécurité de deux cents mètres entre
eux. Comme à son habitude, le Catfish passe le
premier, sans incident, bientôt rejoint par Laver
et Mills. Cependant le Cuttlefish n’apparaît pas.
Soudain, ils entendent un cri mais aucun autre bruit
n’est perceptible. Le temps presse, les premières
L’ostréiculteur Yves Ardouin photographié après la guerre en compagnie de sa femme et de sa
fille. Il va conseiller aux deux équipages des kayaks de se déplacer de 200 mètres en amont afin
de quitter le lieu trop fréquenté du canal du Gua et trop proche d’un chantier allemand, où ils
se sont réfugiés. (DR)
1 - Calup : Nom local d’un petit bateau de pêche
à fond plat, utilisé jadis par les ostréiculteurs des
bords de l’estuaire de la Gironde, leur permettant
de se rendre sur les parcs à huitres à marée basse.
2 - Madame Baudray a été Maire de Saint-Viviende-Médoc de 1994 à 2008 et a participé, à ce titre, à
l’inauguration de la plaque commémorative élevée
à la Pointe aux Oiseaux, le 12 juillet 2003.
34
(Collection François Boisnier)
Navires et Histoire de la Guerre du Pacifique
Des TBM Avenger sur le pont du porte-avions USS Enterprise, fin mai 1944, Peu de temps avant le lancement de l’opération « Forager ».
(USNA)
Le tir aux pigeons des Mariannes
juin 1944 : Saipan et la bataille de la mer des Philippines
Frédéric Stahl
Les navires de la TF 58 de Mitscher au mouillage dans l’atoll de Majuro peu de temps avant le déclenchement de l’opération « Forager ». Ce
rassemblement de navires est d’autant plus impressionnant qu’au même moment, de l’autre côté de la planète, un autre regroupement massif de
navires s’apprête à effectuer un débarquement en Normandie.
48
Navires et Histoire de la Mar-Mar
Le Santa Maria arrive enfin dans les eaux brésiliennes, fin janvier 1961, où il est rejoint par le Estacio Coimbra, un remorqueur du port de Recife.
Le paquebot portugais a suivi jusque-là un trajet erratique, surveillé par des avions américains de patrouille maritime, poursuivi par des navires
de guerre américains, anglais, hollandais, portugais… Mais aussi mis en échec par le commandant Maria qui donnait de mauvais conseils au
commando d’opposants portugais qui avaient pris le contrôle du navire. (Photo Joseph Scherschel/US Navy)
Opération « Dulcinée »
« Nous ne sommes pas des pirates ! »
(2e partie)
Jean-Yves Brouard
Le paquebot portugais Santa Maria a été détourné en pleine nuit par des opposants au régime du gouvernement portugais. A l’époque (janvier
1961), le dictateur Salazar règne avec une poigne de fer sur le Portugal. Le paquebot, qui devait rallier Miami à partir de Curaçao, prend un tout autre
cap. Mais la prise de contrôle du navire par le commando dirigé par un certain Henrique Galvao a entraîné des tirs d’armes à feu : un mort et deux
blessés parmi les membres de l’équipage… (voir N&H 74).
Malheureusement pour le chef du commando,
son plan doit être modifié. Plus question de rallier
directement l’Afrique noire, pour y soulever les
populations opprimées (vaste et utopique projet,
soit dit en passant). Par « souci humanitaire »,
Galvao doit stopper le navire près d’une île des
Antilles pour débarquer et y faire soigner au moins
de Souza, le blessé par balles. Par précaution, le
Santa Liberdade – ainsi les opposants portugais
ont-ils rebaptisé le paquebot - reste à bonne
distance de la côte de l’île britannique de SainteLucie, puis disparaît rapidement derrière l’horizon
après avoir laissé un canot de sauvetage,
transportant des marins et de Souza, le déborder
pour rejoindre à l’aviron Port-Castries, la capitale
de l’île britannique. Dans le port où est péniblement
86
entré le canot, une petite foule entoure les nouveaux
arrivants et aperçoit des blessés. Un des officiers
s’adresse aux indigènes en portugais. Personne
ne comprend. Pire, les Antillais pensent qu’ils
assistent à une mise en scène pour amuser les
passagers du paquebot. Jusqu’à ce que certains
membres portugais crient en anglais : « Des
pirates ! Nous avons été abandonnés par des
pirates ! » De ce fait, la nouvelle du détournement
du Santa Maria, et sa dernière position connue,
sont aussitôt révélées au monde stupéfait, alors
qu’on commençait à s’inquiéter de son silence. Un
message urgent, codé TTT, est envoyé depuis la
Barbade à tous les navires en mer pour chercher
et signaler le navire en fuite. Le Gouvernement
portugais dénonce un acte de pure piraterie (en
attendant d’en savoir plus, les autorités américaines
et anglaises ne reprennent pas cette version de
l’incident). Le gouverneur de Sainte-Lucie lance,
à la poursuite du paquebot, la frégate Rothesay,
un navire de sa Gracieuse majesté britannique
qui, pour l’occasion, embarque, en tant que guide
et interprète, un des marins portugais venus à
bord du canot de sauvetage. Mais la frégate doit
rapidement abandonner la chasse, pour ravitailler.
En quittant Sainte-Lucie, le Santa Maria disposait
de 1568 tonnes de mazout (assez pour parcourir
5000 milles dans toutes les directions) et de la
nourriture pour 20 jours. Avions et bateaux de
toutes nationalités sillonnent la zone, à la recherche
du paquebot. Même des ballons dirigeables
prennent part à la chasse. En vain. Ce n’est que le