Intégrer le développement durable dans les formations en GC : de la

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Intégrer le développement durable dans les formations en GC : de la
Intégrer le développement durable dans les
formations en GC : de la conception
collaborative au réemploi de matériaux
Y. Sieffert1, J.-M. Huygen2, D. Daudon1
1
M2 GCI - 3SR - Université de Grenoble, UJF, UFR PhITEM, BP 53, 38041
Grenoble Cedex 9, France.
[email protected], [email protected] .
2
École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille184 av. de Luminy - case
924 13288 Marseille cedex 09, France.
[email protected].
RÉSUMÉ. La notion de développement durable et les outils de dialogue commun doivent
faire partie de la formation des étudiants de génie civil et des écoles d’architecture. Depuis
cinq ans, une collaboration entre les écoles d’architecture de Grenoble, de Marseille et le
Master Génie civil et Infrastructure de l’université J. Fourier permet aux étudiants de vivre
une réelle expérience de conception collaborative mêlant différentes écoles et nationalités. À
travers des ateliers intensifs de construction interdisciplinaire, réunissant des contraintes
professionnelles réelles, la pédagogie s’appuie sur la construction d’un « village »
expérimental, exclusivement réalisé à partir d’objets glanés aux alentours puis réemployés.
ABSTRACT. The sustainability and the teamwork with interdisciplinary must be integrated
together for students of Civil Engineering and Architecture schools. For five years, a
collaboration between architecture schools from Grenoble and Marseille and students of the
Master Civil Engineering and Infrastructure from the J. Fourier University leads to a real
experience of collaborative design with the merge of different schools and nationalities.
Through intensive and interdisciplinary building workshops with real professional
constraints, the pedagogy activity is based on the construction of an experimental “village”,
exclusively with gleaned repurpose materials.
MOTS-CLÉS : soutenabilité – réemploi – réutilisation – ingénieur génie civil – architecture
– conception collaborative.
KEY WORDS: sustainability – repurpose – reuse - civil engineering – architecture –
collaborative design.
XXXe Rencontres AUGC-IBPSA Chambéry, Savoie, 6 au 8 juin 2012
1.
2
Introduction
1.1.
Contexte pédagogique
Contrairement aux autres pays européens, la formation ainsi que les tutelles de
rattachement des architectes et des ingénieurs Génie Civil en France sont fortement
dissociées : le ministère de la Culture pour les premiers, le ministère de l’Éducation,
de la Recherche voire de l’Industrie pour les autres. Dès lors, les enseignants, les
étudiants, mais aussi les formes et les contenus pédagogiques sont généralement très
différents. Après la formation, dans le cadre de l’activité professionnelle, il s’en suit
des schémas de fonctionnement spécifiques, bâtis sur les stéréotypes vivaces et
fantasmatiques de l’architecte artiste, toujours en retard, qui conçoit du beau qui ne
tient pas et de l’ingénieur qui construit du solide sans esthétique, focalisé sur les
techniques de réalisation. Si la réalité quotidienne est loin d’être aussi caricaturale,
les formations doivent permettre un dialogue plus apaisé et plus efficace : le souci de
qualité de l’objet final, dans une approche plus globale de l’innovation constructive
durable, est devenu prépondérant pour répondre aux enjeux de demain.
Certaines formations d’ingénieurs proposent depuis plus de trente ans des
expériences de collaboration sous forme de projets communs de fin d’année,
notamment dans la thématique du bâtiment (INSA Lyon). Depuis l’harmonisation
européenne de l’offre de formation LMD, un certain nombre de doubles cursus et
diplômes ingénieur-architecte se sont mis en place (écoles centrales, INSA, ESTP,
EIVP) moyennant deux années d’étude supplémentaires au Master 2 ou au diplôme
d’Etat d’Architecte [DAH 08]. Bâtie en premier lieu sur la motivation des auteurs de
cet article, une collaboration pédagogique est développée depuis 2007 entre
l’université Joseph Fourier et l’école nationale supérieure d’Architecture de
Grenoble (intégration des étudiants UJF dans les « studios ») puis de Marseille afin
de proposer des ateliers intensifs de construction soutenable.
1.2.
Contexte historique
Si le réemploi d’anciennes parties d’ouvrages se trouve dans toute l’histoire de la
construction et/ou dans des contextes de pauvreté, il a décliné à partir du XIXe siècle,
avec l’hygiénisme, l’industrialisation et la société de consommation1. Avec
l’émergence d’une conscience écologique et la crise pétrolière des années 1970, le
concept de soutenabilité (Rapport Brundtland, 1987) est le fondement du paradigme
du XXIe siècle : les capacités de la Terre sont limitées, elle ne peut produire à l’infini
de la matière nouvelle, ni recycler nos déchets à la vitesse où nous les produisons.
De nombreux « bricolages » architecturaux (dans le sens de Claude Lévi-Strauss) en
réemploi apparaissent donc un peu partout dans le monde.
1
1883, avec l’arrêté du préfet de Paris Eugène Poubelle, rendant obligatoire l’utilisation du bac à
ordures, marque symboliquement la transition entre deux mondes. [HUY 08, p. 70]
Intégrer le développement durable en Génie civil
3
La démarche de recherche scientifique concernant le recyclage en ingénierie
civile n’a qu’une trentaine d’année : remblais en pneu, en blocs de déchet [PAW 82,
LON 90, DAU 91], recyclage de granulat de démolition, mâchefers… Simple à
l’échelle des individus ou de petites structures, la voie du recyclage ou du réemploi2,
délaissée dans les trente glorieuses, ouvre au développement de nouveaux modes de
construction, tout en permettant d’absorber un large gisement non optimisé de
déchets et tout en inversant les coûts de production (augmentation de main d’œuvre
locale et réduction de matières premières importées).
1.3.
Contexte européen (Liège, Marseille)
Les ateliers intensifs de construction en conception collaborative se sont déroulés
dans deux contextes différents. Le premier, « Folies liégeoises », a eu lieu dans le
centre historique de la ville de Liège en octobre/novembre 2008 [COL 09]. Les
constructions réalisées participaient à un événement culturel, formant les jalons dans
l’espace public d’un parcours d’expositions artistiques, avec une durée d’un an.
Les ateliers suivants, « village de ville », ont eu lieu à Marseille, à la Friche la
Belle de Mai, en octobre 2010 (VV1) puis 2011 (VV2), avec 180 puis 120 étudiants
[COL 11 & COL 12]. Un troisième atelier, en octobre 2012, clôturera cette activité
de recherche expérimentale visant le développement d’un espace urbain soutenable,
sur une surface de 700 m², absorbant les gravats et résidus provenant des
aménagements et de la vie quotidienne de la Friche. Une butte de déchets de
démolitions a d’abord été digérée et remodelée pour laisser place à l’aménagement
d’un « village », avec circulations, bâtiments et espaces jardinés. La durée de trois
ans permet réparation, amélioration ou remplacement des constructions d’une année
sur l’autre ; certaines structures, éphémères par nature, n’ont pas vocation à durer
alors que d’autres doivent résister aux intempéries et aux actes d’incivilité.
2.
Construire en matériaux de réemploi
2.1.
Définition
Les « matériaux de réemploi » sont des objets ou parties d’ouvrages tombés en
désuétude et abandonnés par leur propriétaire. Ils sont récupérés pour un nouvel
usage, différent de celui pour lequel ils avaient été fabriqués. Le réemploi des
matériaux, réalisé avec humilité, modifie le moins possible l’objet initial : par
respect de la mémoire d’usage qu’il contient (la trace des utilisations antérieures) ;
pour conserver l’énergie et les matières premières consommées lors de sa fabrication
et éviter de nouvelles consommations ou pollutions.
2
Recyclage : simple nouveau cycle de la matière. Réemploi : avant le recyclage, réutilisation des
objets obsolètes. Le réemploi dépense moins d’énergie nouvelle que le recyclage et conserve les formes
au moins en partie, donc la mémoire de l’ancien usage de l’objet. [HUY 08, p. 17-23]
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Fréquemment utilisé dans le milieu artistique, le réemploi d’objets permet de
détourner leur sens premier et de créer une nouvelle dimension poétique. En
architecture, un chapiteau romain récupéré a pu devenir chapiteau d’église ou – plus
intéressant car cela occasionne, par glissement de sens, deux niveaux de lecture –
pied de colonne voire soubassement de mur. En situation de pauvreté, la
récupération permet de « subsister malgré tout » (fouiller dans les poubelles pour
manger ou se protéger du froid) mais, très vite, le regard des autres et le souci de
dignité conduisent à chercher « le beau ». Les objets récupérés participent alors à un
assemblage d’objets, constituant un nouvel objet signifiant : on passe là de la simple
récupération au réemploi.
2.2.
Glaner
Comme dans tout chantier, il faut s’approvisionner en matériaux. Mais la
construction en réemploi diffère de la construction classique à deux égards : il
n’existe pas de catalogue ni d’industrie capable de fournir les matériaux à la
demande et en quantité illimitée ; ce n’est qu’en connaissant les matériaux-objets
disponibles que l’on peut envisager la construction.
Figure 1. Récupération de
matériaux
Figure 2. Tri de matériaux
Figure 3. Magasin
de matériaux
La première étape est la création d’une réserve, avec un choix important d’objetsmatériaux. Pour constituer ce stock, le glanage permet de rassembler en amont – jour
après jour, objet après objet – cette matière insignifiante et éparpillée dans la ville.
Quelques mois avant chaque atelier intensif, des étudiants récupèrent des objets
(fig. 1) : au hasard dans la rue ou les jours de collectes officielles, ou développant
une nouvelle forme de troc (déménagement offert contre récupération d’objets).
Certains matériaux sont trouvés directement chez des industriels, enchantés de se
débarrasser d’objets obsolètes ou défectueux. Ou encore, des matériaux issus de
chantiers de déconstruction sont récupérés. Si, dans cet état d’esprit, le concept
même de déchet n’existe plus, le glanage s’accompagne de critères de sélection : ne
sont pas emportés les objets qui contiennent trop de polluants actifs visibles, ni ceux
qui appartiennent à des filières de recyclage (tri officiel, petits métiers de
subsistance). Sont préférés les objets évoquant une capacité de réutilisation, de
fonction structurelle ou simplement de séduction.
2.3.
Trier, classer
Une deuxième étape est la mise en ordre des objets glanés (fig. 2) : pour
constituer un « magasin » où les constructeurs puiseront lors des ateliers après
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5
étiquetage (fig. 3). Les matériaux sont triés et classés par familles, par affinités de
matière ou par taille. Ils peuvent être déjà réemployés pour construire des étagères
dans le magasin, des limites de zone. Ils sont partiellement nettoyés, ou démontésclassés (en planches et clous, en bobines…).
2.4.
Tester / Ensemble
L’assemblage (statique) et l’ensemblage (esthétique) d’objets divers pour réaliser
un tout, un nouvel objet, constituent la principale difficulté des matériaux de
réemploi : le risque est grand d’aboutir à un ouvrage chaotique, tant au niveau
statique qu’esthétique. Au début, il n’est pas évident de trouver la combinaison
d’objets la plus pertinente : le recours préalable à l’expérimentation, à la
manipulation et au prototype est nécessaire. Les mains travaillent, les yeux
observent, les lignes se dessinent et le sens apparaît, suggérant des possibilités de
mise en œuvre des intentions de « bâtiments » ou autres constructions. À cette étape,
une autre combinaison s’installe : entre les formations et les cultures disciplinaires ;
ingénieurs et architectes apportent leurs connaissances classiques pour résoudre,
ensemble, des problèmes de combinaison d’objets. C’est là que naît une
transformation des rapports conventionnels architecte/ingénieur, le second n’étant
plus un simple prestataire de services pour le premier.
3.
Réalisations / Évolution
Dans le cadre de cet article, il est impossible de détailler toutes les constructions
réalisées lors des ateliers intensifs par les groupes architectes/ingénieurs. Chaque
atelier est relaté dans la publication d’une brochure présentant les structures réalisées
et leurs processus [COL 09, COL 11 & COL 12]. Leur objectif est double :
permettre à l’atelier suivant de bénéficier des expériences précédentes ; constituer un
corpus de méthodes expérimentales, à analyser pour en déduire des règles
méthodologiques et constructives.
Délibérément, quatre constructions sont présentées ici, pour leur qualité évidente
de média communicant et leur histoire parfois malheureuse. Cependant, elles
appartiennent à un ensemble de réalisations où la plus fragile ou la moins brillante
donnent la force à l’ensemble du projet.
3.1.
Folie Bouteilles, folie Beffroi
Dans les « Folies liégeoises » (octobre 2008 à octobre 2009), la folie Bouteilles
est un château d’air, réserve d’oxygène dans un monde où l’air respirable devient
précieux et rare (fig. 4). Elle est composée d’un millier de bouteilles en plastique
assemblées en tétraèdres équilatéraux, permis par la régularité choisie des hauteurs
de bouteilles. Le pas de vis des bouchons règle le niveau de précontrainte du fil de
nylon traversant les bouteilles. La légèreté et le manque de raideur de la structure n’a
pas permis de conserver la tour initialement fabriquée (4,6 m de haut). Et, quelques
semaines après sa mise en place, par un fort coup de vent, la structure s’est penchée :
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d’un château d’air vertical au-dessus d’une bouche de ventilation, elle est devenue
un superbe bonnet phrygien (fig. 5).
Figure 4. Folie Bouteilles place SaintLambert à Liège
Figure 5. Privilégier le souple au dur
Les matériaux ont leur propre autonomie, le penchant a été assumé, privilégiant
le souple au dur ; afin de rassurer les responsables communaux, un mât a été installé
pour stabiliser la position. Finalement, à l’approche du marché de Noël qui allait
s’installer sur la place centrale de la ville de Liège, la structure fut démontée. Ce qui
peut paraître comme un échec (la durée de vie n’a pas été d’une année) fut en
définitive une bonne leçon sur les matériaux de réemploi et l’humilité qu’il faut
conserver dans leur utilisation. L’étude des causes de la rupture a été réalisée par les
« ingénieurs », permettant de mettre en lumière la rapidité du fluage de la
précontrainte dans les câbles en nylon.
Figure 6. Folie Beffroi
Figure 7. Six
construction
mois
après
sa
La folie Beffroi est un « bâtiment » en matériaux de réemploi qui a obtenu les
autorisations de construction sur une place publique au voisinage d’un musée et de
bâtiments classés (fig. 6). Pour assurer sa stabilité au vent et aux chocs latéraux, des
éléments d’électroménager ont servi de soubassement pesant et stable (machine à
laver, réfrigérateur, etc.). Pour obtenir la tour dialoguant avec l’église romane
voisine, a été réalisé un subtil empilement-emboîtement de meubles (buffets, tables,
etc.), surmonté d’un dôme en chaises. Enfin, le bardage en planches de bois a servi
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tout autant au chaînage qu’à l’affirmation d’un volume simple et lisible, avec ses
entrées permettant aux piétons d’entrer et méditer. L’aspect relativement lisse
empêche l’escalade de la tour, répondant à l’exigence de la commission de sécurité
de la Ville.
Cette structure a été l’objet de nombreuses interventions anonymes (fig. 7) :
support de communication ou d’œuvres d’art, graffiti de complicité, objets ajoutés…
Sa « régénération » en mars 2009, avec l’ajout d’un gong pouvant être actionné par
le passant, n’a pas mis frein aux multiples interventions. Quelques éléments ont été
renforcés afin d’assurer sa stabilité après l’hiver.
3.2.
« Village de ville », métastructure et Magasin
Le premier atelier « village de ville » (VV1, Marseille, octobre 2010) s’est
déroulé en deux phases. Les trois premiers jours, parallèlement à l’extractionclassement des matériaux constituant la butte de déchets sur le site, une phase de
conception a permis aux étudiants, rassemblés selon leur discipline, de démontrer
leurs compétences de métier, en testant prototypes, proposant des aménagements du
site. Puis une négociation entre les groupes et leurs propositions a conduit à des
choix d’aménagement d’ensemble, à la « métastructure » du site (fig. 8). Les cinq
jours suivants ont été consacrés à la mise en œuvre et à la construction des premières
structures, par des groupes interdisciplinaires mais librement constitués en fonction
des affinités et des intentions exprimées par la phase 1.
Figure 8. La métastructure du Village de Ville
Réalisé lors de VV1, le Magasin est un habitacle de 25 m² au sol (fig. 9),
principalement construit en palettes. Imbriquées les unes aux autres pour assurer la
continuité verticale et horizontale sur plusieurs mètres, elles sont remplies de pierre
(lestage + inertie thermique) et accrochées à des grilles posées au sol. Les poutres en
treillis (5 m de portée) sont des assemblages de petites pièces (planches de palettes),
avec les efforts de compression et de traction identifiés par un choix de couleur des
bois. La pose de la toiture a nécessité un weekend supplémentaire, à l’issue duquel le
« gros-œuvre » était terminé. L’atelier VV2 (octobre 2011) a permis l’aménagement
architectural du Magasin (tonnelle en fils torsadés, plancher, rampe d’accès pour
mobilité réduite, …) rendant la « cabane » plus habitable en intégrant des « machines
de vies », prototypes de production énergétique (éoliennes) et de convivialité
artistique (machines à musique, mobilier, gril).
En une année, entre VV1 et VV2, « village de ville » est passé du statut de
délaissé urbain au statut d’espace public au sein de la Friche la Belle de Mai et dans
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le quartier. Cette portion de territoire a commencé à vivre : la végétation s’est
développée, des usages s’y sont installés (enfants du personnel de la Friche,
habitants du quartier venant se promener dans le « village de ville »). À partir de ces
constats, et fonctionnant sur le même principe que VV1, l’atelier VV2 a poursuivi le
travail : outre divers aménagements (bancs, chemins, cendriers ; réparations…), les
créations ont abordé essentiellement la question de l’autonomie énergétique.
3.3.
Maison solaire et Belvédère
La Maison solaire (fig. 11) est le résultat de trois intentions croisées. 1°
Construire un nouveau « bâtiment » dans une des travées définies dans la
métastructure de VV1, pour un équilibre de masse avec le Magasin. 2° Établir une
limite claire avec l’esplanade de stationnement voisine. 3° Installer une serre et un
chauffe-eau solaire. Dès lors, a été construit un mur en pierres à joints secs (issues
d’un chantier de démolition de la Friche) ; ce mur a été prolongé par une arche en
pierre et un gril à l’entrée nord du « village ». Pour constituer le volume complet de
la Maison, le mur est complété d’une ossature avec colonnes (fig. 12), poutres soustendues et toiture (avec revêtement en carrés de moquette disposés en écailles). La
serre est équipée d’un chauffe-eau solaire (procédé breveté « libre » brésilien à partir
de bouteilles de boisson gazeuse [ALC 04]).
Le Belvédère (fig. 10) – construction la plus élevée du site – offre un espace de
convivialité avec une structure apportant de l’ombre en été. Simple entrecroisement
de tasseaux et planches (comme les brindilles d’un nid) conduisant à une structure
tridimensionnelle, il est construit sur l’assise en murets de pierres sèches et pneus
engazonnés réalisée lors de VV1. En raison de la sécurité contre le vandalisme,
quelques vis, ne participant pas à la stabilité d’ensemble, ont été ajoutées.
Figure 8. Le Magasin
3.4.
Figure 9. Le
Belvédère
Figure 10. La Maison
Solaire
Figure 11.
Une colonne
Les dimensions pédagogiques
L’objectif initial était de faire dialoguer des étudiants de diverses disciplines
complémentaires qui souvent, dans le système actuel, s’ignorent. La soutenablilité,
par sa complexité et par sa nécessité de changer nos modes de pensée classiques,
exige la pluridisciplinarité afin de traiter la construction dans sa globalité et non à
l’échelle de disciplines hiérarchisées. Sur ce type de projet, le travail en équipe
devient réalité et les étudiants « mélangés » sont confrontés aux stéréotypes et à la
difficulté de communiquer lorsque les signifiants représentent des concepts différents
suivant les disciplines. Parfois, ils doivent aussi apprendre à imposer, à écouter et à
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synthétiser des idées, à faire des choix argumentés. Loin des activités classiques et
plus académiques, les compétences fusionnent ici rapidement.
Mais travailler ensemble pour habiter le monde n’est pas la seule activité
pédagogique qui se développe pendant ces ateliers. La réalité du chantier est une
dimension importante : ainsi, lors des « Folies liégeoises », les projets ont été
présentés et explicités plusieurs fois devant les autorités locales, afin d’obtenir un
permis de construire dans l’espace public. La notion de délais de livraison prend
également toute sa valeur, notamment lorsque les conditions climatiques sont à
prendre en compte. Les aspects de sécurité sont analysés afin de se prémunir d’un
écroulement d’une structure ou d’accidents lorsque les utilisateurs escaladent les
constructions. Les risques d’incendie (pas de tissus à hauteur accessible par un
homme debout avec un briquet), de nuisance auditive pour les riverains (le gong
dans la folie Beffroi) ainsi que la sécurité en phase chantier sont abordés.
Évidemment, la question esthétique est aussi traitée car la diversité des matériaux
réemployés, dans leur forme, leur couleur ou leur nature, nécessite de mettre en
place une lisibilité claire afin de donner une cohérence à la construction finale.
Enfin, ce type de rencontres occasionne des travaux adjacents. Passée l’euphorie
de la construction, une analyse scientifique est mise en place au travers des projets
pluridisciplinaires en Master 1 afin d’appréhender la pérennité des structures :
résistance mécanique des bouteilles à la compression et fluage de la corde en nylon
qui devait assurer la précontrainte dans la folie Bouteilles, comportement d’une
colonne de la maison solaire afin de déterminer le rôle des différents éléments,
performance thermique du chauffe-eau et améliorations envisagées, préparation du
dernier atelier 2012 à travers la réalisation d’un dôme en skis usagés… Ces études
scientifiques permettent de mieux appréhender la matière et sont une étape
importante vers la popularisation de la réutilisation des matériaux.
4.
Conclusion et avenir
Faire dialoguer et collaborer des étudiants de différentes formations est une
expérience enrichissante pour les étudiants mais aussi pour les enseignants, qui sont
parfois confrontés aux mêmes difficultés : trouver un outil de dialogue commun. Le
cadre des ateliers intensifs permet l’émulation des compétences de chacun, dans un
contexte assez contraint : vivre ensemble pendant une semaine complète et produire
un résultat en un temps assez court.
Alors que les mots « développement durable » sont utilisés à hue et à dia et que
les réserves de matière première s’amenuisent et atteignent leurs limites ([BOU 09]),
le réemploi des matériaux est l’une des réponses permettant de construire de façon
soutenable le monde de demain. Naturellement, la complexité de construire avec ces
nouveaux matériaux est ardue et nécessite les compétences interdisciplinaires. C’est
cette dimension sociale de communication entre les sciences et les techniques qui fait
le succès des ateliers intensifs présentés dans cet article. Les étudiants ingénieurs
découvrent que la force de l’architecture est de pouvoir modifier la société et de
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véhiculer des idées. Les étudiants architectes se rendent compte que les ingénieurs
s’approprient la responsabilité de la stabilité du bâtiment. Les enseignants des deux
disciplines peuvent ouvrir la voie à de nouveaux champs de recherche.
5.
Remerciements
Ces ateliers ont été soutenus par la Région Rhône-Alpes, la Région wallonne, la
Région Provence Alpes Côte d’Azur, la Ville de Liège, les écoles nationales
supérieures d’Architecture de Grenoble et de Marseille, l’université Joseph Fourier,
l’école nationale supérieure des Arts visuels de La Cambre à Bruxelles, l’institut
supérieur d’Architecture Saint-Luc à Liège, la galerie les Drapiers à Liège, l’école
nationale supérieure du Paysage de Versailles-Marseille et la Friche la Belle de Mai.
6.
Bibliographie
[ALC 04] ALCINO ALLANO J. « Manual sobre a construcao e instalacao do aquecedor solar
com descartveis », http://josealcinoalano.vilabol.uol.com.fr/manual.htm pp48.
[BOU 09] BOURG D., WHITESIDE K., « Pour une démocratie écologique », La Vie des idées,
1er septembre 2009. http://www.laviedesidees.fr/Pour-une-democratie-ecologique.html
[COL 09] COLLECTIF, Folies liégeoises et réseau européen de réemploi, bilan 2008 et actes de
séminaire, Liège, Groupe T, 2009.
[COL 11] COLLECTIF, Village de ville, atelier VV1, plaquette de bilan 2010, Marseille,
Système Friche Théâtre, 2011.
[COL 12] COLLECTIF, Village de ville, atelier VV2, plaquette de bilan 2011, Marseille,
Système Friche Théâtre, 2012.
[DAH 08] DAHERON B., « Les doubles cursus architecte-ingénieurs ont le vent en poupe », Le
Moniteur, n° 5441, 7 mars 2008.
[DAU 91] DAUDON D., COULET C., EL GHOCHE H, Low Weight Plastic Waste Embankments.
GEO COAST 91, 3-6 sept 1991. Yokohama Japon.
[HUY 08] HUYGEN J.-M., La poubelle et l’architecte – Vers le réemploi des matériaux, Arles,
Actes Sud, coll. L’Impensé, 2008.
[PAW 82], PAWLEY M., Building for tomorrow – Putting Waste to Work, Sierra Club Books,
San Francisco, 1982, ISBN 0 87 156 324 X.
[LONG 90] LONG N.T., Le Pneusol, Laboratoire Central des Ponts et Chaussées, 1990, 76p,
Rapport des Laboratoires des Ponts et Chaussées, Série Géotechnique GT 44.