Aimé par sa mère, embrigadé et battu par son père
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Aimé par sa mère, embrigadé et battu par son père
L’été VSD L’enfance des dictateurs Mussolini Aimé par sa mère, embrigadé et battu par son père L e forgeron du petit village de Dovia di Predappio, en Émilie-Romagne, est connu pour être un homme rustre et emporté. Mais en ce dimanche 29 juillet 1883, il ne peut s’empêcher d’essuyer discrètement une larme naissante : il a un fils ! Son épaisse moustache noire lissée en crocs remontants frémit sous tant d’émotion contenue. Sa lignée va se poursuivre, son nom se perpétuer ! (…) Alessandro Mussolini, 29 ans, est fier de ses racines mais nostalgique des réussites familiales passées… Râblé et le torse très musclé par l’exercice de son métier, il saisit dans ses bras puissants son premier-né. Il a déjà choisi les prénoms qui présideront à son destin : Benito, en hommage au Mexicain Benito Juarez, ancien ouvrier agricole devenu héros républicain et président du Mexique ; Amilcare, en l’honneur d’Amilcare Cipriani, patriote italien, soldat de Garibaldi et communard avec les Parisiens en 1871 ; Andrea, pour Andrea Costa, militant anarchiste et qui vient de fonder en 1881 le Partito socialista rivoluzionario italiano (…). Placé sous de tels auspices, le petit Benito Mussolini a de qui tenir ! Son grand-père paternel, Luigi Mussolini, approuve avec joie ces choix pour son petit-fils. À 49 ans, il est lieutenant retraité de la garde nationale, mais il nourrit lui-même un anarchisme et un anticléricalisme qui lui ont valu plusieurs séjours en prison. D’une génération à l’autre, le même schéma se reproduit et s’amplifie. (…) Secrets de famille, mâles et mots Photos : roger viollet - rue des archives L’apogée En 1940, Mussolini tient l’Italie sous la coupe fasciste depuis dix-huit ans. Emboîtant le pas à l’Allemagne nazie, il déclare la guerre à la France et à l’Angleterre. A Alessandro collectionne (…) les maîtresses, mais de retour au bercail, il tient à vivre dans l’ordre et la rigueur. Sa femme Rosa veille à le contenter ; après avoir assuré la classe à l’école élémentaire de Dovia, elle tient sa maison sans ménager sa peine. Leur fils Benito se rappellera toujours l’odeur musquée de transpiration dégagée par la peau laiteuse de sa mamma – devenu adulte, il détestera les femmes qui cachent leurs effluves naturels en se parfumant. Ce premier émoi sensuel est associé à la maternité. Le 11 janvier 1885 naît un second fils, Arnaldo, et le 10 novembre Un livre* retrace les premiers pas des grands despotes du XXe siècle. Extraits. Débuts muets Né en 1883, Benito pose avec sa mère, Rosa, institutrice en Émilie-Romagne. Il ne parlera pas avant ses 3 ans. 1888, une fille prénommée Edvige voit le jour. La famille occupe d’abord le premier étage d’une fermette délabrée un peu à l’écart du village ; au rez-de-chaussée se trouvent la forge du père, et une batteuse qu’Alessandro loue aux paysans pour les moissons. En décembre 1883, les Mussolini déménagent pour vivre juste à côté de l’école, au centre de Dovia. Sur le coteau qui grimpe derrière la maison, le couple cultive un petit vignoble et vend le vin aux auberges des alentours, ou aux villageois, dans ce qui devient un débit de boissons improvisé. Les deux frères dorment dans la pièce qui fait office de resserre et de cuisine, tandis que leur petite sœur et les parents couchent dans la pièce à vivre. P A R V É R ONI Q U E C H A L M E T Pendant les trois premières années de sa vie, bébé Benito reste bouche bée. Il ne dit pas un mot, articulant à peine quelques sons mal formés, ne faisant que grogner et pleurer pour attirer l’attention sur lui. Alessandro et Rosa sont déconcertés et décident de consulter leur médecin de famille, à Forli. Le verdict tombe : Benito Mussolini est un retardé. Le père à la faconde exubérante se détourne de cet enfant décevant, dont le silence lui semble un affront. Mais Rosa ne désarme pas ; elle exploite toutes ses ressources de mère et d’enseignante pour tirer quelques syllabes de son bambin, qui passe de longues heures à fixer droit devant lui son immense regard noir. Courant 1886, pourtant, sa langue se délie. Peut-être y est-il poussé en constatant que sa mère doit également s’occuper de son frère cadet, alors dans sa première année. Benito n’étant plus le centre exclusif de l’attention maternelle, il doit changer sa stratégie pour conserver son avantage d’aîné. Plus question de gosse « arriéré » : Benito se met soudain à parler, parler, parler… Sa logorrhée ne cessera plus, atteignant son point culminant lorsque le Duce haranguera les foules ! Ayant enfin maîtrisé la parole, le jeune Benito passe presque simultanément à l’écrit. Entre la faucille et le marteau G râce à sa mère Rosa, Benito se prend de passion pour les opéras de Verdi, apprend à lire et écrire l’italien, ainsi que quelques rudiments de latin. Il entreprend de jouer du violon avec enthousiasme – et continuera régulièrement une fois adulte. L’enfant mémorise bien et rattrape vite son retard de langage. Mais avec la capacité de s’exprimer dans ces divers domaines se manifeste également un tempérament très difficile et sujet à de brusques changements. Son père, Alessandro, n’est pas étranger à ce développement : partisan des châtiments corporels, il n’hésite pas à frapper Benito pour lui forger le caractère. En même temps, il devient proche de son fils en lui martelant dès que possible ses convictions idéologiques. Ce mélange toxique de violence et d’embrigadement, indissociable de l’affection paternelle, est forcément difficile à vivre pour l’enfant. E n 1889 et 1890, il est scolarisé à Dovia dans la classe de sa mère. L’année suivante, il passe en classe supérieure et se heurte si vivement à l’autorité de l’instituteur qu’il se souviendra encore du nom de « Silvio Marani, maître supérieur ! » en 1911 – le Duce relatant alors son autobiographie. À 8 ans, Benito termine son cursus élémentaire à Predappio : bien que bon élève, il est considéré comme un élément perturbateur, enclin aux brutalités et constamment opposé à toute discipline. La même année, en 1891, il est banni de l’église du village pour avoir jeté des pierres sur les fidèles à la sortie de la messe… Vingt ans plus tard, il avouera, en banalisant les faits : « J’étais un galopin agité et brutal. Plusieurs fois, je suis rentré à la maison avec la tête cabossée ! Mais je savais me venger… J’étais un gars de la campagne chapardeur et hyper-audacieux. » Pendant les vacances, Benito et son frère Arnaldo courent les bois, dénichent des oiseaux, attrapent des grenouilles… se bagarrent avec d’autres petits villageois jusqu’à revenir en sang chez leur mère. Rosa panse et tance son aîné, qui entraîne le plus jeune dans de mauvais coups. En réalité, la brutalité de Benito dépasse largement les limites des rixes enfantines habituelles. Il frappe sans savoir s’arrêter, se fait salement amocher parce qu’un seul adversaire suffit rarement à le contenir : il faut plusieurs gosses pour lui faire entendre raison. Lorsque la rage le submerge, ses yeux noirs deviennent fixes, ses traits durs se crispent, sa mâchoire serrée se fait carnassière. Il n’est soulagé que lorsqu’il est fatigué de cogner. Le répit est généralement de courte durée. La colère ne le quitte pas. Il grandit avec. Benito travaille parfois avec son père : « Je fréquentais la forge de mon père qui me faisait tirer le soufflet. » Alessandro en profite pour lui balancer quelques coups bien ajustés lorsqu’il attise trop le feu et qu’il fait jaillir cendres ou escarbilles. Côté maternel, Benito est incité – sans succès – à la piété et à la modestie devant le divin. La liturgie le fascine mais provoque surtout chez lui un étrange malaise, une angoisse presque insupportable dont la manifestation est somatique : nausées et vertige. Un mysticisme en négatif ? « Je suivais aussi les pratiques religieuses avec ma mère croyante et ma grand-mère mais je ne pouvais pas rester longtemps à l’église, surtout lors des grandes cérémonies. La lumière rougeoyante des cierges allumés, l’odeur pénétrante de l’encens, les couleurs des vêtements sacerdotaux, le chant languide des fidèles et le son de l’orgue me troublaient profondément. » (…) L’ombre du Duce se profile déjà : l’esquisse d’une personnalité morbide, dominatrice, ambivalente et excessive. Un personnage rusé qui distingue difficilement le bien du mal et que la violence compulsive mène aux frontières de la psychopathologie. Ses mauvais penchants sont vivement encouragés par Alessandro, qui en tire de l’orgueil : son fils est un battant, un meneur qui n’a pas froid aux yeux ! Cette dureté lui paraît indissociable des convictions idéologiques qu’il lui inculque sans relâche. Le père et le fils Mussolini suivront une trajectoire presque identique entre l’adolescence et l’âge adulte. (…) Le père de Mussolini se place du côté des opprimés, adhère à l’internationalisme de Bakou- ‘‘J’étais un galopin agité et brutal. Plusieurs fois, je suis rentré à la maison avec la tête cabossée ! Mais je savais me venger...’’ nine, exalte l’influence de Karl Marx, mais exprime également un sentiment nationaliste très puissant. Il invoque Carlo Cafiero, un fils de grands bourgeois devenu communiste libertaire, qui prône l’abolition de l’État. (…) Alessandro Mussolini prend également pour exemple Giuseppe Garibaldi, le père de l’Italie unifiée, proclamée le 17 mars 1861. Suivant les convictions de son père, Benito Mussolini s’ingéniera, une fois au pouvoir, à récupérer à son profit l’héroïsme garibaldien, faisant même exhumer sa dépouille pour la transporter à Rome. (…) Il en sera de même avec l’autre grand personnage honoré par Alessandro Mussolini, Giuseppe Mazzini ; en politique italienne, Mazzini est une figure incontournable, sans cesse cité… mais également revendiqué par toutes les tendances, aussi bien fascistes que républicaines. (…) Bakounine, Cafiero, Garibaldi, Mazzini, tels sont les héros des Mussolini père et fils : des théoriciens mais surtout des hommes d’action, n’hésitant pas à prendre les armes pour défendre leurs idées et à faire sécession avec leurs mentors (…). L e socialisme des Mussolini (…) vire rapidement à l’extrémisme : en 1893, Benito a 10 ans lorsqu’il suit, par l’intermédiaire de son père et de 60 N° 1871 ses camarades, les interventions du Congrès socialiste d’Émilie-Romagne. Le docteur Cesare Lombroso, célèbre médecin légiste et criminologue, y fait sensation ; ses recherches portent sur la « théorie de la dégénérescence » et sur le racialisme : il considère ainsi que l’humanité a évolué des « Noirs » aux « Jaunes » puis aux « Blancs » ; en Italie, il affirme que la race du Sud est inférieure à celle du Nord. (…) L’esprit du jeune Mussolini ne manquera pas de s’en imprégner. (…) Rosa aimerait que son fils poursuive des études classiques et œuvre pour qu’Alessandro accepte… car les seuls établissements susceptibles d’offrir pareille éducation sont tenus par des religieux. (…) Lorsqu’on lui annonce qu’il est inscrit au pensionnat, Benito ne bronche pas. Il n’a aucune peine à quitter ses parents, ou Arnaldo (7 ans) et Edvige (4 ans), pour la rentrée de septembre 1892. Une de ses mains est emmaillotée dans un bandage ; en voulant donner un coup de poing à un autre garçon, il a frappé un mur et s’est écrasé les phalanges. Il part accompagné d’Alessandro dans une charrette tirée par une mule. (…) Ils se rendent au collège des frères salésiens de Faenza, une congrégation de la Société de saint François de Sales – l’apôtre de la douceur ! – dont la vocation consiste à éduquer la jeunesse. Il faudra bien toute la patience des religieux pour circonscrire l’agressivité de leur nouveau pensionnaire… du moins pendant une courte période. L Passage à l’acte e Duce racontera que son père et lui étaient émus de se quitter devant la lourde porte du pensionnat, et qu’il eut une crise de larmes lorsqu’elle se referma. Que cette émotion soit inventée ou pas, le comportement adopté ensuite par Benito est d’une rigoureuse constance : il n’exprime que haine et rancœur. En 1932, Mussolini affirmera au biographe Emil Ludwig que les deux années passées à Faenza ont été particulièrement éprouvantes car jalonnées d’« humiliations insupportables et injustes ». Mais Benito possède un sens pour le moins particulier de la justice. Il déteste les frères parce qu’ils lui imposent leur discipline, et les autres enfants parce qu’ils s’y plient. Il n’a qu’un seul ami, un cancre solidement bâti, avec lequel il s’amuse à des défis stupides, comme celui de savoir ce qu’on peut briser de plus dur sur son crâne… Benito jubile lorsqu’il perturbe la routine du collège. Il n’a aucun respect pour ses éducateurs et le démontre quotidiennement. Les heures d’études et les punitions ne font qu’exacerber sa révolte et son désir de représailles. La vengeance l’obsède. Un jour, il se bat avec un de ses professeurs et manque le blesser grièvement en lui jetant un encrier au visage. Les frères salésiens tentent de comprendre et d’apprivoiser leur furieux élève par tous les moyens possibles, des plus sévères aux plus conciliants. Ils rédigent de longs rapports à ce sujet dans leurs registres, qui témoignent de leurs efforts aussi répétés… que « peu avec l’âme mais assez avec la chair », selon sa propre version des faits. Pour Mussolini, la notion de viol est inepte : une fille ne lui résiste que parce qu’elle ne le connaît pas encore. (…) La même année 1901, à 18 ans, il harangue le public lors d’un hommage à Verdi au théâtre municipal, commençant par faire l’éloge du grand compositeur avant de profiter de cette tribune inespérée pour appeler à l’insurrection. (…) Q akg images Sentiments confus et contradictoires, anxiété et radicalisme forment de perturbants amalgames. Si l’on ajoute à cela les infidélités chroniques du père et son alcoolisme de plus en plus ravageur, on obtient un tableau familial instable et inquiétant. De réunions politiques en conquêtes féminines, Alessandro boit les bénéfices du ménage et travaille de manière erratique. C’est incontestablement Rosa qui fait bouillir la marmite grâce à son maigre salaire d’enseignante ; il ne reste jamais grandchose une fois les factures payées : « Le repas le plus ordinaire chez nous, c’était la soupe », dira Mussolini, « nous avions du pain, des légumes et c’était à peu près tout ! La viande n’était pas au menu des dimanches, c’était réservé aux jours de fête. » Tous ceux qui se souviennent du jeune Benito évoquent un enfant qui ne pleure ni ne rit jamais ; il discute et joue rarement avec les autres garçons de son âge, dont il ne recherche pas la compagnie. Il préfère lire, lové pendant des heures dans le grand coffre de bois où il dort avec son frère Arnaldo. La fin du Duce Le 28 avril 1945, Mussolini, sa maîtresse et seize autres fascistes sont fusillés puis transportés à Milan où leurs corps sont lynchés et exposés. voués à l’échec. Les frères ont au moins découvert que Benito tient rancune à ses parents de l’avoir envoyé en pension ; à défaut de pouvoir leur faire payer cette trahison, il se défoule sur ses camarades. Le 23 décembre 1892, il fait sa première communion. Peu lui en chaut ! Quelques semaines plus tard, il poignarde un élève avec un coupe-papier ; la blessure est heureusement superficielle. Il est renvoyé. Il a gagné. Passé de la théorie à la pratique, le jeune Mussolini est désormais entièrement convaincu que la violence est la vraie clef du changement. (…) Benito poursuivra sa scolarité en étudiant avec sa mère, entre 1893 et 1894. En octobre 1894, il intègre un établissement laïque, la Scuola normale di Forlimpopoli, l’École normale d’une petite ville située à une quinzaine de kilomètres de chez lui. Toujours bagarreur et tête brûlée, il parvient malgré tout à travailler correctement. (…) Le diplôme final devra lui permettre de devenir instituteur – comme sa mère. (…) Pendant les trois premières années, il est externe et loge dans une famille de Forlimpopoli. Cette relative autonomie lui convient et l’apaise quelque peu. L’adolescent glisse vers l’âge adulte. De 1898 à 1901, il sera interne, mais libre de sortir à sa guise. Cette nouvelle vie citadine lui permet de s’ouvrir à de nouveaux plaisirs. (…) Le 27 juin 1901, il monte sur les planches avec les autres élèves de l’école pour tenir le rôle d’un inspecteur dans une pièce intitulée Le Triomphe de la justice, donnée au théâtre de la ville. C’est une véritable épiphanie ! Benito est grisé par l’importance et l’intérêt qu’on accorde à son personnage, il se trouve subjugué par les applaudissements, enfiévré par son propre potentiel de séduction, émerveillé de se découvrir un vrai charisme… Sur scène, il se redresse de toute sa taille (1,69 mètre, à compenser avec des bottes) pour déclamer son rôle, exploite sa gestuelle naturellement grandiloquente, roule ses yeux immenses, s’enflamme en même temps que les spectateurs, communie avec eux ! Mussolini est bouleversé. Les feux de la rampe l’inspirent et lui donnent le goût du public. La foi le submerge : il croit, amen ! en lui-même. D epuis l’âge de 13 ou 14 ans, Benito teste ses capacités de séduction sur les jeunes filles. Ses premières explorations en la matière ont été prometteuses mais, de son point de vue, insuffisantes. Mussolini ne supporte pas la frustration. Quelques mois avant sa prestation théâtrale, il décide donc de se faire dépuceler dans un lupanar. Il veut bénéficier des talents d’une professionnelle pour découvrir sans restriction les voluptés les plus inédites. Pour quelques sous, il fait son choix. À la sortie du bordel, l’expérience a été si excitante qu’il dira s’être senti « vacillant comme un homme ivre. Il me semblait avoir commis un crime », ce qui ne paraît pas le gêner le moins du monde. Bien au contraire, puisqu’une nouvelle dimension de l’existence, riche de plaisirs insoupçonnés, semble du même coup s’ouvrir à lui : « La révélation brutale de la jouissance sexuelle me troublait. La femme nue entra dans ma vie, dans mes rêves […]. Je déshabillais des yeux les jeunes filles que je croisais, je les désirais avec violence par la pensée. » (…) Enhardi par cet état d’esprit, il force une jeune fille à son domicile, la prenant à la hussarde dans les escaliers. Rétrospectivement, il n’en éprouvera aucun remords et confirmera ce fait sans se faire prier, avec une pointe de fierté. Il affirmera même que cette violence a été le point de départ d’une courte idylle, durant laquelle sa victime et lui s’aimèrent N° 1871 6 1 uelques mois plus tard, en mai, il est le meneur d’une grève à l’École normale, qui dure quatre jours. En juillet, il obtient son diplôme d’instituteur, bien décidé à profiter de sa nouvelle fonction pour faire valoir ses idées. Le métier d’enseignant l’indiffère mais lui confère de l’influence. Pour poser son personnage, il adopte un accoutrement intégralement noir, avec feutre, costume et nœud lavallière de la même teinte. Plus tard, il n’en conservera que la chemise. Son visage aux yeux noirs, toujours trop grands ouverts et hypnotiques, est mangé par une grosse moustache. Au bout d’un an, il est parvenu à se faire élire président du groupe socialiste local et membre du comité de la coopérative des travailleurs. Opportuniste et gonflé d’orgueil, il développe un mépris grandissant pour les réformistes désireux d’arriver à leurs fins par les voies légales et parlementaires. Mussolini veut, selon ses propres termes, faire « sauter la société ». En juillet 1912, après avoir été secrétaire de la fédération socialiste de Forli, il accède à la direction nationale du parti, mais en est expulsé en 1914 : il milite pour une politique militariste et expansionniste. En 1915, il est envoyé au front, où il se distingue par son extrême combativité. En 1917, il est blessé pendant un exercice et réformé. Retour au pays… Pendant au moins un an, Mussolini est payé par les services secrets britanniques pour faire de la propagande militariste et pour réprimer par les moyens les plus violents les manifestations des pacifistes, qui pourraient entraver la production industrielle nécessaire à la guerre. Le vétéran remplit son contrat avec un enthousiasme manifeste. Il sait désormais quelle direction prendre. Passé du rang de meneur à celui de leader charismatique, Mussolini se constitue une garde personnelle. Il veut incarner la force, le renouveau, l’idéal patriotique. Le 23 août, il se rend au congrès socialiste de Milan et s’exprime avec véhémence contre le suffrage universel. La rupture avec la démocratie est consommée. Le 23 mars 1919 sont créés les « faisceaux de combat » (noyau du futur Parti national fasciste). Le leitmotiv de Mussolini tiendra en une formule : « Tout dans l’État, rien contre l’État, rien hors de l’État. » Le 9 novembre 1921 est fondé le Parti national fasciste. Le 28 octobre 1922, c’est la marche sur Rome. J (*) « L’Enfance des dictateurs », de Véronique Chalmet, éd. Prisma, 168 p., 17,95 euros. La semaine prochaine : Pol Pot.