Titre 1 : La fonction de la marque pour l`entreprise - euipo

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Titre 1 : La fonction de la marque pour l`entreprise - euipo
UNIVERSITÉ DE STRASBOURG
ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT, SCIENCE POLITIQUE ET HISTOIRE
LES FONCTIONS DE LA MARQUE
ESSAI SUR LA COHÉRENCE DU RÉGIME JURIDIQUE
D’UN SIGNE DISTINCTIF
THÈSE
Pour l’obtention du grade de Docteur en droit
Discipline : Droit privé
présentée et soutenue publiquement à Strasbourg le 6 décembre 2011
par
Yann BASIRE
DIRECTEUR DE THÈSE
M. Yves REBOUL
Professeur émérite à l’Université de Strasbourg
JURY
Mme Laure MARINO, Professeur à l’Université de Strasbourg
M. Jérôme PASSA, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
M. Frédéric POLLAUD ŔDULIAN, Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
M. Jacques RAYNARD, Professeur à l’Université de Montpellier I
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier le Professeur Yves REBOUL pour la confiance qu’il m’a accordée, pour ses
encouragements, son aide dans l’élaboration de ce travail ainsi que pour son soutien constant.
Nos moments d’échanges et de débats resteront parmi mes meilleurs souvenirs de thèse.
Il m’appartient de remercier chaleureusement les universitaires pour leurs conseils avisés et
leur grande disponibilité à mon égard.
Mes remerciements vont également à l’ensemble des membres du C.E.I.P.I., enseignants,
assistants et personnels administratifs pour leur amitié et leur soutien.
C’est aussi grâce aux moments d’évasion que les cheminements avancent, aussi, je remercie
ma famille et mes fidèles amis pour leur soutien sans faille.
SOMMAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE............................................................... 15
PREMIÈRE PARTIE : LA MARQUE EXPRESSION JURIDIQUE
DE L’ENTREPRISE .................................................................................. 39
TITRE 1. LA FONCTION PATRIMONIALE DE LA MARQUE
Chapitre 1. La fonction patrimoniale du signe
......... 43
..49
Section 1. La fonction patrimoniale déterminée par la nature juridique du signe
utilisé à titre de marque .................................................................................................... 49
Section 2. La fonction patrimoniale encadrée par l’utilisation du signe à titre de
marque................................................................................................................................ 79
Chapitre 2. La fonction patrimoniale du droit sur la marque……………...... ...107
Section 1. La fonction patrimoniale déterminée par la nature juridique du droit sur
la marque ......................................................................................................................... 107
Section 2. La fonction patrimoniale encadrée par l’objet du droit de marque ......... 160
TITRE 2 : LA FONCTION EXTRAPATRIMONIALE DE LA
MARQUE. .......................................................................................................... 293
Chapitre 1. La personnalité de l’entreprise instrumentalisée par la marque
notoire ou renommée ...............................................................................................301
Section 1. La renommée ou la notoriété de la marque obstacle à l’acquisition de
droits sur le signe par les tiers ........................................................................................ 303
Section 2. La renommée ou la notoriété promoteur de l’étendue de la protection ... 320
Chapitre 2. La personnalité de l’entreprise protégée par la marque renommée
ou notoire ..................................................................................................................379
Section 1. Le phénomène juridique d’extrapatrimonialisation de la marque
renommée ou notoire ...................................................................................................... 381
Section 2. Les conséquences juridiques de l’extrapatrimonialisation ........................ 422
SECONDE PARTIE : LA MARQUE IMPRESSION JURIDIQUE
POUR LE CONSOMMATEUR.............................................................. 459
TITRE 1. LA FONCTION CONSUMÉRISTE CONTESTÉE .................... 469
Chapitre 1. La complexité de la relation entre la marque et le consommateur .473
Section 1. L’indifférence du droit de marque à la protection du consommateur ..... 473
Section 2. La prise en considération du consommateur par le droit de marque ....... 511
Chapitre 2. Les conséquences de la reconnaissance d’une fonction consumériste
à la marque ...............................................................................................................565
Section 1. La rupture de l’équilibre entre les signes distinctifs .................................. 567
Section 2. La remise en cause de la liberté d’exploitation de la marque .................... 613
TITRE 2. LA FONCTION CONSUMÉRISTE RECONNUE...................... 627
Chapitre 1. Les manifestations de la fonction consumériste par le droit de
marque.......................................................................................................................631
Section 1. La manifestation d’une reconnaissance directe .......................................... 631
Section 2. La manifestation d’une protection indirecte ............................................... 638
Chapitre 2. Les manifestations de la fonction consumériste hors le droit de
marque.......................................................................................................................659
Section 1. La fonction sociale de la marque reconnue par le droit de la
consommation .................................................................................................................. 660
Section 2. La fonction sociale du droit de marque révélée par le droit de la
concurrence ...................................................................................................................... 720
CONCLUSION GÉNÉRALE ................................................................. 765
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................... 769
INDEX ALPHABÉTIQUE ...................................................................... 862
TABLE DES MATIÈRES ....................................................................... 866
ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
aff.
AIPPI
AJDA
AJ Pénal
al.
Ann.
Ann. propr. ind.
AOC
AOP
APD
art.
Actualité jurisprudentielle
Actualité législative
Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au
commerce
Affaire
Association Internationale pour la Protection de la Propriété Intellectuelle
L’Actualité Juridique Droit Administratif
L’Actualité Juridique pénale
Alinéa
Annales
Annales de la propriété industrielle
Appellation d’Origine Contrôlée
Appellation d’Origine Protégée
Archives de Philosophie du Droit
Article
Bibl.
BOPI
Brux.
Bull. civ.
Bull. crim.
Bibliothèque
Bulletin Officiel de la Propriété Industrielle
Bruxelles
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambres civiles
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambre criminelle
CA
Cah. dr. de l’entr.
Cah. dr. eur.
Cass. Ass. plén.
Cass. civ.
Cass. com.
Cass. crim.
Cass. Req.
CE
CEDECE
CEDH
CEE
CEIPI
Cf.
ch.
ch. correct.
ch. rec.
chron.
CJCE
CJUE
coll.
comm.
Comm. com. élect.
concl.
Cons. const.
contra
Contr., conc., consom.
CPI
c/
Cour d’appel
Cahiers de droit de l'entreprise
Cahiers de droit européen
Cour de cassation, Assemblée plénière
Cour de cassation, chambre civile
Cour de cassation, chambre commerciale
Cour de cassation, chambre criminelle
Cour de cassation, chambre des requêtes
Communauté Européenne / Conseil d’État
Commission pour l'Étude des Communautés européennes
Cour Européenne des Droits de l’Homme
Communauté Economique Européenne
Centre d’Etudes Internationales de la Propriété Intellectuelle
Confère
Chambre
Chambre correctionnelle
Chambre de recours
Chronique
Cour de Justice des Communautés Européennes
Cour de Justice de l’Union Européenne
Collection
Commentaire
Revue Communication commerce électronique
Conclusions
Conseil constitutionnel
Contraire
Revue Contrats, concurrence, consommation
Code de la propriété intellectuelle
Contre
act. jurisp.
act. légis.
ADPIC
D.
D. aff.
Directive 2008/95 ou
Directive marque
doct.
Dr. pén.
Recueil Dalloz
Dalloz affaires
Directive 2008/95/CE du Parlement Européen et du Conseil du 22 octobre
2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques
Doctrine
Revue Droit pénal
e.a
éd.
EEE
Europe
Et autre(s)
Editions
Espace Economique Européen
Revue Europe
fasc.
Fascicule
Gaz. Pal.
Gazette du Palais
INC
Ing.-Cons
INPI
IR
IRPI
INSEE
Institut National de la Consommation
Revue de droit intellectuelle, L’ingénieur conseil
Institut National de la Propriété Industrielle
Informations rapides du recueil Dalloz
Institut de Recherche en Propriété Intellectuelle
Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques
J.-Cl.
JCP
JCPE
JCPG
JDI
JO
JOCE
JOUE
juris.
Juris-Classeur
Juris-Classeur Périodique
Semaine juridique édition Entreprise
Semaine juridique édition Générale
Journal du Droit International
Journal Officiel
Journal Officiel des Communautés Européennes
Journal Officiel de l’Union Européenne
Jurisprudence
La Doc. Fr.
LGDJ
Lib.
LMF
LPA
La Documentation Française
Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence
Librairie
Loi sur la protection des Marques de Fabrique (Suisse)
Les Petites Affiches
Mél.
Mélanges
n°
Numéro
obs.
OEB
OHMI
OMS
op. cit.
ord.
ord. réf.
Observation
Office Européen des Brevets
Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur
Organisation Mondiale de la Santé
Opere citato, cité précédemment
Ordonnance
Ordonnance de référé
p.
pan.
PIBD
Propr. ind.
Page
Panorama
Bulletin de la propriété industrielle
Revue Propriété Industrielle
Propr. intell.
pt.
PUAM
PUF
PUG
PUS
Propriété Intellectuelle
Point
Presses Universitaires d’Aix-Marseille
Presses Universitaires de France
Presses Universitaires de Grenoble
Presses Universitaires de Strasbourg
RCS
RDPI
Rec.
Règl.
Règlement sur la marque
communautaire ou
Règlement 207/2009
Rép.
Rép. civ. Dalloz
Rép. com. Dalloz
Rép. communautaire
Dalloz
Rép. pén. Dalloz
Rép. soc. Dalloz
Req.
Rev. crit. de législ. et de
jurisp.
Rev. dr. rural
Rev. fr. théorie
juridique
Rev. hist. droit
Rev. int. dr. comp
Rev. Lamy Dr.
immatériel
Rev. sociétés
RIDA
RIDE
RIPIA
Riv. di Dir. ind.
RJDA
RLDA
RLDI
RRJ
RTD civ.
RTD com.
RTDE
Registre du Commerce et des Sociétés
Revue du Droit de la propriété intellectuelle
Recueil
Règlement
s.
sect.
somm.
somm. comm.
sous dir.
spéc.
ss.
Sté
suppl.
supra
Suivant
Section
Sommaire
Sommaire commenté
Sous la direction de
Spécialement
Sous
Société
Supplément
Ci-dessus
Règlement (CE) 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque
communautaire
Répertoire
Répertoire de Droit Civil Dalloz
Répertoire de Droit Commercial Dalloz
Répertoire de Droit Communautaire Dalloz
Répertoire de Droit Pénal et de Procédure Pénale Dalloz
Répertoire de Droit des Sociétés Dalloz
Arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de Cassation
Revue critique de législation et de jurisprudence
Revue de Droit Rural
Revue française de théorie juridique
Revue historique de droit français et étranger
Revue internationale de droit comparé
Revue Lamy Droit de l’Immatériel
Revue des Sociétés Dalloz
Revue Internationale du Droit d’Auteur
Revue Internationale du Droit Economique
Revue Internationale de la Propriété Industrielle et Artistique
Rivista di Diritto Industriale
Revue de Jurisprudence de Droit des Affaires
Revue Lamy Droit des Affaires
Revue Lamy Droit International
Revue de Recherche Juridique et de droit prospectif
Revue trimestrielle de Droit civil
Revue trimestrielle de Droit commercial
Revue trimestrielle de Droit européen
t.
TA
TCE
TFUE
TGI
TPICE
TPIUE
Trib. civ.
Trib. corr.
Tome
Tribunal administratif
Traité instituant la Communauté Européenne
Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne
Tribunal de Grande Instance
Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes
Tribunal de Première Instance de l’Union Européenne
Tribunal civil
Tribunal correctionnel
V.
Vol.
Voir
Volume
INTRODUCTION GÉNÉRALE
En 1954, lors d’une interview, un journaliste demanda à Marylin MONROE ce qu’elle portait
pour dormir. Elle répondit « Chanel N° 5, bien entendu »1. Les marques servent à tout, même
à accompagner les nuits d’une « star ».
1. L’omniprésence de la marque. Les marques sont partout, elles accompagnent notre
quotidien, notre réalité, mais aussi nos rêves2. Qui ne connait pas « Google », « Microsoft »,
« MacDonalds », « Nike », « Louis Vuitton » ou « Dior » ? La marque qu’elle soit figurative
ou verbale transcende les différences culturelles pour dépasser les frontières. Que l’on soit
français, chinois ou australien, le signe « Apple » renvoie davantage aux produits
mondialement connus de la firme de feu Steve Jobs qu’à son sens premier3.
2. L’importance de la marque. La valeur des marques dépasse aujourd’hui l’entendement.
En 2011, la marque « Apple » aurait une valeur de 153 milliards de dollars. La marque
« Google » aurait quant à elle une valeur de 65 milliards de dollars4.
L’importance des marques aujourd’hui est telle qu’elles sont à même de constituer le « capital
de l’entreprise »5. Depuis le début des années 1990, on parle de « brand equity », c'est-à-dire
de valeur financière de la marque6. La marque semble être devenue un actif à part au sein des
entreprises. Elle serait non seulement la vitrine de l’entreprise, en étant le siège de tous les
actifs corporels et incorporels de celle-ci, mais aussi actif autonome de l’entreprise ayant sa
1
« What do I wear in bed ? Why, Chanel N° 5, of course », M. MONROE.
M. VIVANT, Marque et fonction sociale de la marque, Ou quand la réalité passe par le rêve, in Les défis du droit
des marques au XXIe siècle, Actes du Colloque en l’honneur du Professeur Y. REBOUL, sous la direction de C.
GEIGER et J. SCHMIDT-SZALEWSKI, Litec, CEIPI, t. 56, 2010, p. 145, spéc. 157. Le Professeur VIVANT relève
que « La marque devient une vraie valeur pour l’entreprise quand elle est à même de faire surgir le rêve ».
3
La pomme se définit comme le « fruit du pommier, rond, à pulpe ferme et juteuse, cinq loges cartilagineuses
contenant les pépins », Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995
4
Classement 2011 Millward Brown,
http://www.millwardbrown.com/Libraries/Optimor_BrandZ_Files/2011_BrandZ_Top100_Chart.sflb.ashx. V. E.
BEMBARON, Apple devient la marque la plus valorisée dans le monde, Le Figaro économie, 9 mai 2011, p. 44.
Afin d’apprécier la valeur des marques, ont été pris en compte les performances financières de la marque mais
aussi sa force.
5
J.-N. KAPFERER, Les marques, capital de l’entreprise, Éditions d’organisation, Eyrolles, 4 e éd., 2007. Cet auteur
relève que « depuis longtemps, les agences de publicité et les directions du marketing s’évertuaient à répéter que
les marques étaient le capital le plus précieux des entreprises. Mais leur litanie tenaient plus de l’évocation ou
de l’incantation », p. 11.
6
J.-N. KAPFERER, op. cit., p. 9.
2
15
propre valeur7. Ainsi, dans le cadre des opérations de fusion ou d’acquisition d’entreprise,
l’intérêt des opérateurs économiques se porte plus sur les marques et ce qu’elles représentent
que sur le fonds de commerce en tant que tel8.
3. La justification. L’importance de la marque s’explique sans nul doute par la place centrale
qu’elle occupe dans la société de consommation9. La marque est l’élément central de la
relation qui unit l’opérateur économique au consommateur. Dès lors, la marque serait source
de nombreux avantages tant pour l’entreprise que pour le consommateur.
Pour l’entreprise10, la marque serait un moyen d’identification des produits simplifiant la
manutention ou le traçage. Elle permettrait également « à l’entreprise de protéger
juridiquement certains aspects ou caractéristiques uniques du produit »11. Elle serait aussi le
signalement d’un niveau de qualité donné aux yeux du consommateur satisfait. Elle serait le
moyen de créer des associations spécifiques avec le produit. Elle procurerait enfin un
avantage concurrentiel.
Pour le consommateur12, la marque aurait également de multiples avantages. Elle permettrait
l’identification de la provenance d’un produit. Elle permettrait ainsi « aux consommateurs
d’invoquer la responsabilité d’un producteur ou d’un distributeur précis »13. En outre, la
7
J.-N. KAPFERER, op. cit., 11 et 12: « Désormais, la valeur de la marque est appréciée indépendamment de la
valeur nette de l’entreprise ».
8
V. J.-N. KAPFERER, op. cit., p. 11. Monsieur KAPFERER note en effet qu’avant 1980, « on cherchait à acheter
une usine de chocolats, de plats cuisinés. Après 1980, on désira acheter KitKat, ou Buitoni. Cette distinction est
de taille : dans le premier cas, il s’agit d’acheter une capacité de production, dans l’autre, une part de l’esprit et
du cœur des clients ».
9
V. cependant, P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, Éd. JNA, 1994, p. 12. Pour MATHÉLY,
l’importance de la marque s’explique pour trois raisons : l’extension des marchés à la dimension des continents
ou du monde, le développement de la société de consommation, le développement des méthodes de distribution
dites « de libre service ».
10
V. sur cette question, K. KELLER, Management stratégique de la marque Ŕ Construire, évaluer et exploiter des
marques fortes, Pearson Education, 2009, p. 26.
11
K. KELLER, op. cit., p. 26.
12
V. sur cette question, K. KELLER, Management stratégique de la marque Ŕ Construire, évaluer et exploiter des
marques fortes, Pearson Education, 2009, p. 24. V. également, J.-N. KAPFERER, Les marques, capital de
l’entreprise, op. cit., p. 19. Pour cet auteur la marque aurait neuf fonctions.
13
K. KELLER, op. cit., p. 24.
16
marque aurait l’avantage de réduire les risques et les coûts de recherche14. La marque serait
également un indice de qualité et aurait une dimension symbolique15.
Le monde de l’économie semble s’accorder à reconnaître les conséquences bénéfiques à la
marque. Les juristes semblent également abonder dans ce sens et constatent que « la marque
joue un rôle fondamental dans la vie économique »16. ROUBIER notait déjà en 1952 qu’au
milieu d’une production de biens croissante et d’une économie orientée vers le bon marché, le
droit des marques « constitue une importante garantie de qualité, et par conséquent il assure
un fonctionnement correct de la liberté économique »17. Un marché sans système de
différenciation des opérateurs économiques serait un système non concurrentiel18.
4. La contestation de la marque. Bien qu’il semble incontestable que les marques servent
les intérêts des entreprises, des consommateurs et, partant, de la société en général, la marque
est contestée19. Un auteur note qu’aux yeux des sociologues, les marques cumulent « deux
tares » : « Elles sont associées à l’univers de la consommation sujet considéré comme
particulièrement futile (…). Elles sont liées au monde de l’argent et de l’économie, que les
sciences sociales ne peuvent s’empêcher de tenir à distance et de déléguer obstinément au
seul regard des économistes »20.
La critique de la marque se veut plus véhémente lorsqu’elle est visée en tant que symbole de
l’économie de marché et de la société de consommation21 : « On prétend (…) que la marque
serait contraire aux intérêts des consommateurs et pour cela contestable en soi »22. Elle serait
14
K. KELLER, op. cit., p. 25: « Grâce à leur expérience passée avec le produit et son plan marketing, les
consommateurs identifient celles qui satisfont leurs besoins et celles qui ne le font pas. Les marques leur
permettent ainsi d’accélérer ou de simplifier leurs décisions d’achat.
Si les consommateurs identifient et connaissent une marque, ils n’ont alors plus besoin de réfléchir ou de
s’informer davantage pour acheter le produit. D’un point de vue économique, la marque réduit ainsi leurs coûts
de recherche à la fois sur le plan interne (les efforts de réflexion à fournir) et externe (en termes de
prospection) ».
15
K. KELLER, op. cit., p. 25: « Selon l’analyse de Daniel Boorstein, lauréat du prix Pullitzer, les marques
remplissent pour nombre de personnes les fonctions tenues jadis par les sociétés d’aides mutuelles, les
organisations religieuses et les organismes de services : elles les aident à définir leur identité et à la
communiquer aux autres ».
16
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 43, p. 56.
17
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 18, p. 82.
18
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 71, p.
40.
19
Voir notamment, N. KLEIN, No Logo, La tyrannie des marques, essai traduit de l’anglais par M. SAINTGERMAIN, Léméac/Actes Sud, 2001.
20
A. SEMPRINI, La marque, une puissance fragile, Vuibert, 2005, p. 18.
21
A. SEMPRINI, op. cit., p. 19: « Au sein du mouvement altermondialiste (…), nous retrouvons des instances anticonsommation et anti-marque »
22
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, op. cit., n° 45, p. 57.
17
la source de « besoins artificiels »23 et entraînerait le consommateur dans une forme de
dépendance le conduisant à se procurer des « biens inutiles ou inadaptés à ses vrais
besoins »24.
5. Les statistiques. Ces critiques ne semblent pas devoir remettre en cause l’importance de la
marque dans l’économie actuelle. Les statistiques démontrent que les opérateurs économiques
déposent de plus en plus de marques. En 2010, en dépit d’un contexte de crise économique,
91 928 marques ont été déposées à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). On
constate par rapport aux chiffres de 2009 une augmentation de 13,3%25. Les principaux
déposants en France sont la société Sanofi Aventis26, la société française du radiotéléphone
(SFR)27, L’Oréal28, Biofarma29 et Fleury Michon30.
Concernant les marques communautaires, le nombre de dépôts a également augmenté de
11,4%, en passant de 88 206 dépôts en 2009 à 98 297 dépôts en 201031.
Si ces augmentations peuvent notamment se justifier par des raisons objectives32, elles
traduisent surtout un intérêt des opérateurs économiques pour les marques qui ne faiblit pas.
6. L’intervention du droit à travers l’histoire. Le développement des marques ne s’est pas
fait sans l’intervention du droit.
S’il semble incontestable que des signes distinctifs furent apposés dès l’Antiquité sur des
produits33, il est en revanche plus délicat de savoir « comment le droit prenait en compte ces
23
J. PASSA, op. cit., n° 45, p. 57.
J. PASSA, op. cit., n° 45, p. 57.
25
Observatoire de la propriété intellectuelle, Chiffres clés 2010 Ŕ Marques, 2011, p. 3.
http://www.inpi.fr/fileadmin/mediatheque/pdf/statistiques/Marques_CC_2010.pdf.
26
123 marques déposées en 2010.
27
99 marques déposées en 2010.
28
97 marques déposées en 2010.
29
82 marques déposées en 2010.
30
80 marques déposées en 2010.
31
OHMI, SSC009 Ŕ Statistics of Community Trade Marks 2001,
http://oami.europa.eu/ows/rw/resource/documents/OHIM/statistics/ssc009statistics_of_community_trade_marks_2011.pdf.
32
En France, deux raisons pourraient expliquer l’augmentation des dépôts. La mise en place du statut d’autoentrepreneur a suscité l’apparition d’une nouvelle population de déposants. En outre, « le dépôt électronique de
marque, en simplifiant la démarche de dépôt, amplifie un comportement de consommateur de marque qui
n’effectue qu’une recherche à l’identique et abandonne sa marque en cas d’opposition », Observatoire de la
propriété intellectuelle, Chiffres clés 2010 Ŕ Marques, 2011, p. 3. Concernant le dépôt des marques
communautaires, l’augmentation pourrait s’expliquer par l’importante baisse de ses tarifs de dépôts.
33
A. BELTRAN, S. CHAUVEAU & G. GALVEZ-BEHAR, Des brevets et des marques Ŕ Une histoire de la propriété
industrielle, Fayard, 2001, p. 180 ; T. BRAUN & A. CAPITAINE, Les marques de fabrique et de commerce Ŕ Droit
belge, droit international et droit comparé, Bruylant, LGDJ, 1908, p. XI ; E. POUILLET, Traité des marques de
fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, LGDJ, Marchal & Billard, 6 éd., 1912, n° 1, p. 2 ; V. pour
d’importants développements sur les marques dans l’Antiquité, P. DUNANT, Traité des marques de fabrique et de
24
18
signes »34. L’utilité de ces signes est également discutée. Servaient-ils à « rallier la clientèle
ou seulement identifier ses produits pour se prémunir contre le vol »35 ?
La place de la marque dans l’Ancien Régime suscite moins d’interrogations. Les marques font
l’objet d’un usage courant de la part des fabricants et des commerçants36. La généralisation de
l’usage des marque semble coïncider avec le développement « des guildes, corporations et
corps de métier dans les pays d’Europe »37. Deux formes de marques coexistaient : les
marques publiques ou corporatives et les marques individuelles. Les marques des corporations
étaient obligatoires et devaient être apposées sur tous les produits des membres de la
corporation. Elles garantissaient une certaine qualité ou tout du moins le respect des règles
prescrites par la corporation38. L’importance des corporations dans l’économie à cette époque
impliquait que les marques de corporation soient apposées sur les produits des membres de
celle-ci39. Quant aux marques individuelles, celles-ci étaient introduites « dans l’intérêt du
consommateur et non dans celui du fabricant »40. Elles apparaissaient comme de véritables
garanties d’origine en permettant de déterminer la personnalité du fabricant41. Ces marques
individuelles étaient également obligatoires et celui qui en avait adopté une « ne devait avoir
commerce des indications de provenance et des mentions de récompenses industrielles en Suisse, Genève,
Eggiman, 1898, n° 1, p. 1. V. sur l’histoire de la marque, N. MARTIN, Le droit de marque appréhendé à travers sa
finalité, Thèse Montpellier I, sous la direction de M. VIVANT, 2010, n° 6, p. 15. Cet auteur note que « la plus
ancienne manifestation d’une marque, dans son sens premier d’empreinte visible laissée par l’homme sur un
objet manufacturé, remonte à 6 500 av. J.-C.. Il s’agit de poteries décorées de motifs géométriques retrouvées au
Japon. Ces empreintes ont suscité l’interrogation des ethonologues sur les raisons de leur apparition. Quel est
l’intérêt de marquer ainsi un objet ? La recherche artistique ne peut être exclue, mais l’éthnologie y voit
également une manière de répondre au besoin de transmettre un message aux autres membres du groupe sans
être physiquement présent au moment de sa délivrance ».
34
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 1310,
p. 721. V. dans le même sens, P. DUNANT, Traité des marques de fabrique et de commerce des indications de
provenance et des mentions de récompenses industrielles en Suisse, Genève, Eggiman, 1898, n° 1, p. 3 ; J.
PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles,
LGDJ, 2e éd., 2009, n° 53, p. 66.
35
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1310, p. 721.
36
P. DUNANT, Traité des marques de fabrique et de commerce des indications de provenance et des mentions de
récompenses industrielles en Suisse, op. cit., n° 3, p. 8 ; P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1,
Sirey, 1952, n° 17, p. 79.
37
P. ROUBIER, op. cit., n° 17, p. 79.
38
G. F. WAELBROECK, Cours de droit industriel, t. II, Paris, Librairie internationale, 1867, n° 215, p. 16 ; P.
ROUBIER, op. cit., n° 17, p. 79.
39
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1311, p. 721 ; G. F. WAELBROECK, op. cit.,
n° 215, p. 15 ; E. POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, LGDJ,
Marchal & Billard, 6 éd., 1912, n° 1, p. 6, note 2.
40
G. F. WAELBROECK, op. cit., n° 215, p. 15.
41
P. DUNANT, Traité des marques de fabrique et de commerce des indications de provenance et des mentions de
récompenses industrielles en Suisse, op. cit., n° 3, p. 9.
19
que celle-là »42. En sus de ces fonctions juridiquement reconnues, « le Moyen Âge et la
Renaissance connaissent la défense de la marque contre les usurpations »43.
Ce système devait disparaître avec la Révolution et l’abolition des corporations et la
proclamation de la liberté du commerce et de l’industrie opérée par la loi des 2 et 17 mars
179144. En conséquence, l’usage des marques est devenu facultatif. Néanmoins, comme le
relève un auteur, « on ne songe pas encore à les protéger d’une façon plus efficace »45.
Pourtant, « l’intérêt de l’industrie demandait que les fabricants ne puissent se faire une
concurrence déloyale en contrefaisant la marque d’autrui »46. Plusieurs lois éparses furent
ainsi adoptées afin de prendre en compte les intérêts des titulaires de marque47.
La première législation en matière de marque apparut avec la loi du 23 juin 1857 sur les
marques de fabrique et de commerce. La marque était facultative et l’usage était la source du
droit de marque. La marque était utilisée en vue d’ « indiquer la provenance d’une
marchandise ». La doctrine considérait ce signe distinctif comme bénéfique tant pour le
consommateur que pour le titulaire48. Dans le cadre de la législation de 1857, la marque est
perçue comme donnant « à la marchandise son individualité ; elle permet de la reconnaître
42
E. POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, op. cit., n° 1, p. 6,
note 2.
43
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1311, p. 721. Le Professeur POLLAUDDULIAN ajoute que « Quelques édits royaux sanctionnent la contrefaçon, de façon éparse. L’absence d’une
législation détaillée s’explique sans doute par le fait que le respect des marques et la lutte contre les usurpations
devaient être assurés efficacement par les corporations elles-mêmes ».
44
L’article 7 disposait ainsi : « À compter du 1er avril prochain, il sera libre à toute personne de faire tel négoce
ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon ; mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant
d’une patente, d’en acquitter le prix suivant les taux ci-après déterminés et de se conformer aux règlements de
police qui sont ou pourront être faits ».
45
N. MARTIN, Le droit de marque appréhendé à travers sa finalité, Thèse Montpellier I, sous la direction de M.
VIVANT, 2010, n° 29, p. 31.
46
G. F. WAELBROECK, Cours de droit industriel, t. II, Paris, Librairie internationale, 1867, n° 218, p. 17.
47
V. sur cette question, G. F. WAELBROECK, op. cit., n° 218, p. 18. Ainsi, un arrêté des consuls parut le 23
nivôse an IX : « Cet arrêté autorise les fabricants de quincaillerie et de coutellerie à frapper leurs ouvrages
d’une marque particulière et en garantit « la propriété » à ceux qui l’auront fait empreindre sur des tables
déposées au chef-lieu de sous-préfecture ». Plus tard, un arrêté du 7 germinal an X « autorisa la manufacture
nationale de bonneterie orientale à Orléans à mettre sur les envois à l’étranger, un cartouche conforme au
dessin qu’elle avait soumis au gouvernement ». La loi du 22 germinal an XI étendit la solution adoptée en
matière de coutellerie et de quincaillerie à toutes les industries : « Le titre quatrième de cette loi consacre le droit
pour tout fabricant d’avoir une marque et règle la compétence, les pénalités et la procédure en cas de
contrefaçon ». Elle assimila la contrefaçon aux faux en écriture pour la sanctionner comme un crime passible des
galères. Le décret du 11 juin 1809 consacra « une section particulière à la matière des marques. Ce décret
reconnaît au fabricant la propriété de sa marque ; il érige les conseils des prud’hommes en arbitres de la
suffisance des marques, ordonne aux tribunaux de commerce de prendre leur avis avant de décider ce genre de
question et règle les formalités concernant le dépôt de marque ». Enfin, la loi du 28 juillet 1824 punissait « les
altérations ou suppositions de noms sur les produits fabriqués ».
48
E. POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, LGDJ, Marchal &
Billard, 6 éd., 1912, n° 5, p. 14. POUILLET notait que la marque était « tout à la fois une garantie pour le
consommateur et pour le fabricant : pour le consommateur, qui est assuré qu’on lui livre le produit qu’il veut
acheter ; pour le fabricant, qui trouve ainsi moyen de se distinguer de ses concurrents et d’affirmer la valeur de
ses produits ».
20
entre mille autres analogues ou semblables »49. En vue de protéger ses intérêts, le titulaire de
la marque bénéficie de l’action en concurrence déloyale voire de l’action pénale en
contrefaçon en cas de dépôt de son signe50. La doctrine considérait enfin que la législation sur
les marques bénéficiait au consommateur au vu de la rédaction de l’article 1er du Code
d’instruction criminelle51. La qualité de cette loi se traduisit par sa longévité. Elle ne fut
abrogée qu’au milieu du vingtième siècle par l’adoption de la loi du 31 décembre 196452.
La loi du 31 décembre 1964 « a profondément transformé et modernisé la conception
française du droit des marques »53. Elle a ainsi consacré notamment le dépôt attributif de
droit. Un examen de la demande d’enregistrement a également été instauré, ayant pour
conséquence de renforcer la valeur des marques et la sécurité juridique de leurs titulaires 54. Il
est également intéressant de noter que la loi de 1964 a permis le retour des marques
collectives. Cette loi fut abrogée et remplacée par la loi du 4 janvier 199155.
7. Le droit moderne des marques. Aujourd’hui, les sources actuelles du droit des marques
sont multiples : elles sont nationales, européennes et mondiales.
Au niveau national, la dernière loi ayant envisagé globalement le droit des marques est la loi
du 4 janvier 1991 qui fut codifiée, à droit constant, en 199256. On retrouve aujourd’hui les
dispositions relatives au droit des marques dans le Livre VII du Code de la propriété
intellectuelle. La loi de 1991 n’apparaît pas comme une rupture brutale avec le système mis
en place par la loi de 1964. Elle avait pour objectif essentiel de transposer la Directive n°
89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États
membres sur les marques. Précisons que cette dernière fut abrogée et remplacée par la
Directive 2008/95/CE du 22 octobre 200857. La Directive marque avait pour objectif
d’harmoniser le droit des marques des États membres en vue notamment d’éviter qu’il
49
E. POUILLET, op. cit., n° 5, p. 14.
V. E. POUILLET, op. cit., n° 191, p. 185.
51
E. POUILLET, op. cit., n° 191, p. 185 ; A. LABORDE, Traité théorique et pratique des marques de fabrique et de
commerce, Sirey, 1914, n° 273, p. 201 ; P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 92,
p. 418. ROUBIER affirmait en effet que l’action en contrefaçon était ouverte « à la clientèle trompée, mais c’est
parce que la marque intéresse la police du commerce et le bon ordre du marché, et elle constitue une garantie
pour les consommateurs, au moins autant que pour les producteurs ».
52
Loi n° 64-1360 du 31 déc. 1964 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service.
53
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 1314,
p. 723.
54
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 53, p. 66.
55
Loi n° 91-7 du 4 janv. 1991 relative aux marques de fabrique, de commerce ou de service.
56
Loi n° 92-597 du 1er juill. 1992 relative au Code de la propriété intellectuelle.
57
Directive 2008/95/CE du Parlement Européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations
des États membres sur les marques (ci-après Directive marque ou Directive 2008/95). V. sur la relative inutilité
de cette modification, J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 61, p. 73.
50
21
constitue une entrave à la libre circulation des produits et à la libre prestation des services ou
qu’il fausse le jeu de la libre concurrence58. Elle fixa ainsi les règles relatives aux conditions
de fond permettant l’enregistrement59 de la marque ainsi que celles relatives à la portée du
droit de marque60.
Outre la Directive marque et, toujours, dans un souci de faciliter la réalisation d’un marché
commun61, les autorités communautaires ont adopté un Règlement62 instituant un titre de
propriété industrielle « dont l’assiette est constituée par le territoire communautaire et régi
par un droit communautaire uniforme produisant directement effet dans les États
membres »63. Un opérateur économique peut ainsi bénéficier d’une marque communautaire
ayant valeur sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne après un dépôt et un examen
opéré par l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI)64.
À ces textes nationaux et européens s’ajoutent des textes à dimension mondiale : la
Convention d’Union de Paris65 et l’Accord sur les Aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce66. La Convention de Paris embrasse tous les droits de
la Propriété industrielle ; elle contient à ce titre des dispositions fondamentales en matière de
marque67. Concernant l’accord sur les ADPIC, il s’agit d’un texte qui figure en annexe 1 C de
la Convention de Marrakech du 15 avril 1994 instituant l’Organisation mondiale du
commerce (OMC). Comme la Convention de Paris, il envisage tous les droits de propriété
intellectuelle : il « comporte des dispositions communes aux différents droits de propriété
58
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1315, p. 724 ; J. PASSA, op. cit., n° 61, p. 71
et 72. V. Considérant 10 de la Directive 2008/95 qui affirme : « Il est fondamental, pour faciliter la libre
circulation des produits et la libre prestation des services, de faire en sorte que les marques enregistrées
jouissent de la même protection dans la législation de tous les États membres ».
59
V. l’article 3 de la Directive 2008/95 relatif aux « Motifs de refus ou de nullité ».
60
V. l’article 5 de la Directive 2008/95 relatif aux « Droits conférés par la marque ».
61
V. sur l’intérêt d’un titre communautaire, G. BONET, Défense et illustration des droits sur les créations au
regard des règles communautaires de concurrence, RJDA 1993, n° 3, p. 173, spéc. n° 1. V. également le
considérant 3 du Règlement qui énonce : « Pour poursuivre les objectifs précités de la Communauté, il apparaît
nécessaire de prévoir un régime communautaire des marques conférant aux entreprises le droit d’acquérir selon
une procédure unique, des marques communautaires qui jouissent d’une protection uniforme et produisent leurs
effets sur tout le territoire de la Communauté ».
62
Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire abrogé et remplacé
par le Règlement (CE) 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire (Ci après,
Règlement sur la marque communautaire ou Règlement 207/2009).
63
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 61, p. 71 et 72.
64
L’OHMI est l’agence de l’Union européenne compétente pour l’enregistrement des marques et des dessins ou
modèles valables dans les vingt-sept pays de l’Union.
65
Convention d’Union de Paris du 20 mars 1883 pour la protection de la propriété industrielle.
66
Accord de Marrakech du 15 avril 1994, instituant l’Organisation mondiale du commerce ; Annexe 1 C :
Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. (Ci-après Accord sur les
ADPIC)
67
V. notamment l’article 6 bis relatif à la marque notoire.
22
intellectuelle et des dispositions consacrées à la protection des marques »68. Si l’Accord sur
les ADPIC n’est pas d’applicabilité directe, il n’en demeure pas moins source d’obligations
pour les États signataires.
Ces textes occupent une place importante dans le système actuel des marques. Ainsi, le
considérant 13 de la Directive 2008/95 précise que « Tous les États membres sont liés par la
convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle. Il est nécessaire que les
dispositions de la présente directive soient en harmonie complète avec celles de ladite
convention ». La Directive marque se doit par conséquent d’être interprétée à la lueur de la
Convention de Paris69. Enfin concernant l’accord sur les ADPIC, la Cour de justice s’est
déclarée compétente pour interpréter des dispositions de cet accord 70 et a affirmé que la
législation communautaire sur les marques devait être interprétée « dans la mesure du
possible, à la lumière du texte et de la finalité de cet accord »71. Face à cette multitude de
textes, il devient difficile pour un quidam voire pour le juriste de s’y retrouver.
La complexité du système est d’autant plus importante qu’à ces textes, il faut ajouter, comme
source du droit des marques, la jurisprudence des juridictions communautaires, ainsi que les
décisions pouvant être rendues par l’OHMI. Les arrêts rendus en matière de marque par les
juridictions communautaires sont pléthoriques72. Que cela soit dans le cadre des questions
préjudicielles ou du contentieux relatif à la marque communautaire, les juges communautaires
participent à l’élaboration d’un véritable droit des marques communautaires. Par conséquent,
eu égard à la primauté du droit communautaire, la Cour de justice et le Tribunal de première
instance ne font plus simplement office de juge mais de « législateur ».
Pour traduire cette complexité, le Professeur PASSA donne un exemple criant de vérité : « sur
une question de droit des marques régie à la fois par la directive et par l’Accord APDIC, le
juge national doit interpréter son droit national à la lumière de la directive, elle-même
68
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 69, p. 80.
CJCE, 9 déc. 2008, aff. C-442/07, Verein Radetzky-Orden, Rec. 2008, p. I-9223, pt. 15: « La connotation
économique des marques et de leur usage ressort, au demeurant, de la convention de Paris, dans laquelle les
marques sont désignées par le terme « marques de fabrique ou de commerce ». Ainsi qu’il ressort du douzième
considérant de la directive, celle-ci doit être interprétée en conformité avec ladite convention ».
70
CJCE, 14 déc. 2000, aff. C-300/98, Dior e.a., Rec. 2000, p. I-11307, RTD civ. 2001, p. 454, obs. J. RAYNARD;
Comm. com. élect. 2001, n° 10, comm. n° 96, obs. C. CARON: « la Cour est compétente pour interpréter l'article
50 du TRIPs afin de répondre aux besoins des autorités judiciaires des États membres lorsque ces dernières sont
appelées à appliquer leurs règles nationales en vue d'ordonner des mesures provisoires pour la protection des
droits découlant d'une législation communautaire relevant du champ d'application du TRIPs », pt. 34.
71
CJCE, 16 nov. 2004, aff. C-245/02, Anheuser-Busch, Rec. 2004, p. I-10989, pt. 42.
72
J. PASSA, op. cit., n° 63, p. 74 et 75. Le Professeur PASSA note que, depuis le début des années 2000, « les
arrêts sur questions préjudicielles en interprétation de la directive sur les marques sont rendus en quantité
impressionnante, parfois au rythme de plusieurs par mois ».
69
23
interprétée par référence à l’Accord ADPIC, en tenant compte naturellement des
interprétations que la Cour de justice peut le cas échéant avoir donné de ces deux textes »73.
Enfin, nous ne saurions être complet sur la place de la marque dans le droit en omettant de
préciser qu’il est fait référence à la notion de « marque » dans de nombreux autres Codes.
Ainsi, par exemple, l’article 1386-1 du Code civil permet de déterminer le producteur grâce à
la marque apposée sur la produit. Le terme « marque » apparaît également à de nombreuses
reprises dans le Code de la consommation aux articles L. 115-3374, L. 121-175, L. 121-976 et
L. 217-677.
8. Les fonctions de la marque. À travers ces développements, il est apparu que la marque
est d’une importance primordiale dans notre économie pour les entreprises, mais aussi pour
les consommateurs. Conscient de cette importance, le législateur a tenté d’encadrer
juridiquement l’utilisation qui pouvait être faite d’une marque. Néanmoins, les évolutions
récentes que le droit des marques a connues sont légitimement sources d’incertitudes pour les
juges nationaux. Il est par conséquent revenu à la Cour de justice d’apporter les
éclaircissements requis quant à l’interprétation à donner aux textes communautaires.
Pour cela, et afin d’assurer une certaine cohérence quant à la place de la marque dans notre
société, la Cour de justice envisage depuis une dizaine d’années, de manière quasi
systèmatique, la notion de « marque » à l’aune de ses fonctions.
73
J. PASSA, op. cit., n° 69, p. 82.
Art. L. 115-33 du Code de la consommation: « Les propriétaires de marques de commerce, de fabrique ou de
service peuvent s'opposer à ce que des textes publicitaires concernant nommément leur marque soient diffusés
lorsque l'utilisation de cette marque vise à tromper le consommateur ou qu'elle est faite de mauvaise foi ».
75
Art. L. 121-1 du Code de la consommation: « I- Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise
dans l'une des circonstances suivantes :
1° Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre
signe distinctif d'un concurrent ».
76
Art. L. 121-9 du Code de la consommation : « La publicité comparative ne peut :
1° Tirer indûment profit de la notoriété attachée à une marque de fabrique, de commerce ou de service, à un
nom commercial, à d'autres signes distinctifs d'un concurrent ou à l'appellation d'origine ainsi qu'à l'indication
géographique protégée d'un produit concurrent ;
2° Entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens,
services, activité ou situation d'un concurrent ;
3° Engendrer de confusion entre l'annonceur et un concurrent ou entre les marques, noms commerciaux, autres
signes distinctifs, biens ou services de l'annonceur et ceux d'un concurrent ;
4° Présenter des biens ou des services comme une imitation ou une reproduction d'un bien ou d'un service
bénéficiant d'une marque ou d'un nom commercial protégé ».
77
Art. L. 217-6 du Code de la consommation : « Quiconque, sur des produits naturels ou fabriqués, détenus ou
transportés en vue de la vente, mis en vente ou vendus en France, ou sur des emballages, caisses, ballots,
enveloppes, bandes, étiquettes, etc., aura apposé ou sciemment utilisé une marque de fabrique ou de commerce,
un nom, un signe ou une indication quelconque de nature à faire croire, s'ils sont étrangers, qu'ils ont été
fabriqués en France ou qu'ils sont d'origine française et, dans tous les cas, qu'ils ont une origine différente de
leur véritable origine française ou étrangère, sera puni des peines prévues par l'article L. 213-1, sans préjudice
des dommages-intérêts, s'il y a lieu ».
74
24
Afin de comprendre la formule, il convient à titre liminaire, d’envisager dans un premier
temps les notions de « marque » (I), de « fonction » (II), pour constater tout l’intérêt qu’il y a
envisager la marque à travers le prisme de ses fonctions (III).
I. La notion de marque
9. La marque et le droit de marque. Il est traditionnel d’envisager sous le vocable
« marque », le signe objet du droit et le droit lui-même78. Le Professeur PASSA note que dans
le langage juridique, « on dit souvent que telle personne est titulaire d’une marque ou qu’une
marque est valable ou nulle »79. Il continue ainsi : « En vérité, puisque la marque est
seulement le signe objet du droit, on devrait plutôt parler de titularité ou validité d’un droit
de marque »80. Si le vocable « marque » dans la formule « Les fonctions de la marque »
englobe l’objet du droit et le droit y afférent, nous distinguerons, autant que faire se peut, dans
le cadre de la présente étude la marque en tant que signe et le droit portant sur elle.
10. La définition de la marque. Il est traditionnel d’affirmer que la marque est un signe
distinctif81. Au terme de l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, la marque se
définit comme « un signe susceptible de réprésentation graphique servant à distinguer les
produits ou services d’une personne physique ou morale ». Cette définition ne satisfait pas
pleinement la doctrine qui préfère définir la marque comme « un signe distinctif dont l’usage
est réservé par la loi à une personne pour la désignation dans le commerce des produits ou
services visés dans l’enregistrement »82. Cette définition renvoie à la notion de « marque
enregistrée » telle qu’elle est envisagée par le Livre VII du Code de la propriété intellectuelle.
La notion de « marque » ne doit cependant pas être envisagée restrictivement : Il existe
« toutes sortes de marques »83.
78
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 34, p. 46: « Le mot marque pourra donc être utilisé dans les développements
qui suivent pour désigner tantôt le signe couvert par le droit, tantôt le droit lui-même ».
79
J. PASSA, op. cit., n° 34, p. 46.
80
J. PASSA, op. cit., n° 34, p. 46.
81
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 1315,
p. 724 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006,
n° 1353, p. 743 ; P. MATHELY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984 ; A. BERTRAND, Droit des
marques, Signes distinctifs Ŕ Noms de domaine, Dalloz Action, 2e éd., 2005/2006, n° 1.213, p. 21 ; J. SCHMIDTSZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, Litec, 4e éd., 2007, n° 456, p. 191 ; N. BINCTIN,
Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, Coll. Manuel, 2010, n° 632, p. 395.
82
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 34, p. 46.
83
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1293, p. 710.
25
11. La marque « trademark » et la marque « brand ». En vue de désigner la marque, le
vocabulaire anglo-saxon opère une distinction inconnue dans le langage français permettant
de mettre en exergue les deux dimensions de la marque : la dimension juridique et la
dimension commerciale. La marque « protégée », au sens juridique, se traduit par le vocable
« trademark ». La marque comme support d’une stratégie commerciale doit être envisagée
sous le vocable « brand ». Ces deux dimensions sont « indissociables »84 l’une de l’autre. Un
auteur relève ainsi que « la protection apportée par l’une étaye la construction de l’autre »85.
Une telle assertion est sans doute exacte mais elle mérite d’être complétée. Si la protection
apportée par la première permet d’étayer la construction de la seconde, la construction de la
seconde permet parfois de changer la portée de la protection de la première. En effet, la
construction de la marque « brand » peut donner une nouvelle dimension juridique à la
marque « trademark » lorsque celle-ci devient notoire ou renommée.
12. Les marques enregistrées et les marques d’usage. Deux types de marques coexistaient
avant la réforme du droit des marques opérée par la loi du 31 décembre 1964 : la marque
d’usage et la marque enregistrée. Bien que la loi de 1964 ait consacré l’attribution du droit par
l’enregistrement, la pratique des marques d’usage, qui consiste à exploiter un signe à titre de
marque sans l’avoir déposé, n’a pas disparu. En raison du caractère facultatif de la marque, les
opérateurs économiques sont non seulement libres d’utiliser des marques, mais également de
les déposer. L’existence de ces marques n’est pas niée par le droit. Ainsi, dans le cadre du
Livre VII du Code de la propriété intellectuelle, il est prévu que les marques d’usage peuvent
constituer des antériorités opposables si le dépôt est frauduleux86 ou si la marque jouit d’une
certaine notoriété87. La notoriété de la marque d’usage permet également à son titulaire d’agir
en responsabilité sur le fondement de l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle
contre les tiers qui porteraient atteinte à la réputation, au caractère distinctif du signe ou qui
profiteraient indûment d’un de ces deux caractères88. Hors le droit des marques, le titulaire
84
C. GIRARD, Protéger sa marque, éd. Francis Lefebvre, 2008, n° 1, p. 11.
C. GIRARD, op. cit., n° 1, p. 11.
86
Art. L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle : « Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des
droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un
droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice ».
87
V. Art. L. 711-4, a) du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit que ne peut être adopté comme marque
un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : « À une marque antérieure enregistrée ou
notoirement connue au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété
industrielle ».
88
V. Art. L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle : « La reproduction ou l'imitation d'une marque
jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement
85
26
d’un signe non déposé bénéficie également de l’action en concurrence déloyale fondée sur
l’article 1382 du Code civil contre les opérateurs économiques qui utiliseraient un signe
identique ou similaire sans l’avoir déposé à titre de marque89. Enfin, les marques d’usage
semblent devoir être prises en compte par le droit de la consommation. Deux raisons
permettent de l’affirmer : les dispositions du Code de la consommation visant la marque ne
distinguent pas nécessairement entre la marque d’usage et la marque enregistrée 90 ; l’intérêt
des consommateurs ne réside pas directement dans l’enregistrement de la marque mais dans
l’utilisation qui peut en être faite.
13. Les marques individuelles et les marques collectives. Telle que la marque est
envisagée à l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, le principe veut qu’elle
soit individuelle, en ce sens qu’elle ne connait qu’un seul titulaire. La consécration des
marques individuelles coïncidait avec la proclamation de la liberté du commerce et de
l’industrie et la suppression des corporations91. Depuis 1964, les marques collectives ont
néanmoins fait leur réapparition. On les retrouve aujourd’hui non seulement dans le Livre VII
du Code la propriété intellectuelle, mais également dans le Règlement sur la marque
communautaire92. On distingue traditionnellement deux formes de marques collectives : les
marques collectives simples et les marques collectives de certification. La marque collective
simple « est une marque comme les autres, mais qui a pour particularité de pouvoir être
utilisée par toute personne qui respecte un règlement d’usage établi par le titulaire de
l’enregistrement »93. La marque collective simple « est exploitée pour favoriser le
développement du commerce et de l’industrie des membres du groupement titulaire de
engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la
marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.
Les dispositions de l'alinéa précédent sont applicables à la reproduction ou l'imitation d'une marque
notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la Convention de Paris pour la protection de la propriété
industrielle précitée ».
89
Cf. infra n° 79.
90
V. par exemple, Art. L. 121-1 du Code de la consommation: « I- Une pratique commerciale est trompeuse si
elle est commise dans l'une des circonstances suivantes :
1° Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre
signe distinctif d'un concurrent ». À l’inverse, l’article L. 115-33 du Code de la consommation vise
expressément les marques enregistrées : « Les propriétaires de marques de commerce, de fabrique ou de service
peuvent s'opposer à ce que des textes publicitaires concernant nommément leur marque soient diffusés lorsque
l'utilisation de cette marque vise à tromper le consommateur ou qu'elle est faite de mauvaise foi ».
91
Cf. supra n° 6.
92
Art. 66 et suivants du Règlement 207/2009.
93
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 1834,
p. 1092.
27
l’enregistrement »94. Quant à la marque collective de certification, elle est définie par l’article
L. 715-1, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle comme étant celle « appliquée au
produit ou au service qui présente notamment, quant à sa nature, ses propriétés ou ses
qualités, des caractères précisés dans son règlement ». La marque collective de certification
semble ainsi avoir une finalité autre que la marque individuelle, en indiquant que la marque
présente des caractéristiques particulières.
14. Les marques jouissant d’une certaine célébrité. Le droit distingue également la
marque « célèbre » de celle qui ne l’est pas. La marque « célèbre » doit être qualifiée de
renommée ou notoire95. On considère que la marque est renommée ou notoire dès lors qu’elle
est connue d’une large fraction du public concerné par les produits ou services que celle-ci
désigne. L’intérêt pour le titulaire de voir sa marque considérée comme notoire ou renommée
est grand. La marque renommée ou notoire jouit notamment d’un régime spécifique de
protection au-delà des frontières du droit des marques96.
15. Les marques de fabrique et de commerce. Il est également possible de distinguer les
marques en fonction de « leur destination »97. On distingue ainsi traditionnellement les
marques de fabrique des marques de commerce. Si les premières intéressent « le producteur
ou le fabricant »98, les secondes concernent « le négociant qui reçoit les articles fabriqués sur
lesquels il appose un signe destiné à rallier la clientèle autour de sa propre maison »99. La
marque de fabrique est par conséquent celle qui « appartient à l’industriel qui fabrique un
produit et l’appose sur ces propres produits »100 tandis que la marque de commerce est « celle
qui est apposée par un commerçant pour désigner des produits qu’il n’a pas fabriqués, mais
dont il assure la distribution »101. Lorsque la marque est utilisée par les grandes surfaces ou
les grands magasins, les marques de commerce sont parfois qualifiées de marques de
94
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 516, p. 745.
95
V. l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle.
96
Cf. Partie 1, Titre 2, Chapitre 1.
97
Y. SAINT-GAL, Protection et défense des marques de fabrique et concurrence déloyale (droit français et droits
étrangers), Delmas, 5e, 1982, C, 5.
98
Y. SAINT-GAL, op. cit., C, 5.
99
Y. SAINT-GAL, op. cit., C, 5.
100
A. CHAVANNE & J.-J. BURST, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, 5 ème éd., 1998, n° 865, p. 481.
101
A. CHAVANNE & J.-J. BURST, op. cit., n° 866, p. 482
28
distribution102. La distinction entre ces deux marques n’emporte cependant pas de
conséquences juridiques103.
16. Les marques de produit et les marques de service. Les marques peuvent se distinguer
en fonction de ce qu’elles désignent. La marque est de produit lorsqu’elle désigne les produits
d’une fabrique ou d’un commerce. Lorsque la marque sert à désigner la prestation d’un
service, il s’agit d’une marque de service104.
17. Les marques verbales, les marques figuratives, les marques sonores105. Afin de
pouvoir constituer une marque valide, l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle
exige que la marque soit susceptible d’une représentation graphique. Dès lors, la marque peut
être verbale ; le signe est dans ce cadre composé « d’un ou plusieurs caractères »106, lettres ou
chiffres. La marque peut également être figurative ou emblèmatique en étant composée
« d’une forme à deux ou trois dimensions »107. La marque peut enfin être sonore, en étant
composée de sons ou de phrases musicales108.
18. La conception retenue de la « marque ». On constate à la lueur de ce rapide panorama
que la définition donnée par l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle ne permet
pas d’appréhender le « phénomène » marque dans sa globalité. Dans le cadre de la présente
étude, nous nous attacherons à envisager la marque le plus largement possible. En vue
d’embrasser les fonctions de la marque, il est naturel que la marque enregistrée nous
accompagne tout au long de nos développements. Néanmoins, il ne pourra pas être fait
abstraction des réalités que représentent la marque d’usage, les marques jouissant d’une
certaine célébrité, la marque collective ou même la marque au sens commercial du terme.
102
A. CHAVANNE & J.-J. BURST, op. cit., n° 866, p. 482 ; Y. SAINT-GAL, Protection et défense des marques de
fabrique et concurrence déloyale (droit français et droits étrangers), op. cit., C, 5.
103
N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, Coll. Manuel, 2010, n° 632, p. 395 ; Y. SAINT-GAL,
op. cit., C, 5.
104
Y. SAINT-GAL, op. cit., C, 6. En France, les marques de service ont été reconnues expressément par la loi du
31 décembre 1964.
105
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 74, p. 86. Le Professeur PASSA distingue les signes verbaux, les signes
figuratifs et les signes spéciaux.
106
J. PASSA, op. cit., n° 75, p. 86. L’article L. 711-1, a) du Code de la propriété intellectuelle précise ainsi que
peut constituer une marque « Les dénominations sous toutes les formes telles que : mots, assemblages de mots,
noms patronymiques et géographiques, pseudonymes, lettres, chiffres, sigles ».
107
J. PASSA, op. cit., n° 78, p. 89. L’article L. 711-1, a) du Code de la propriété intellectuelle précise ainsi que
peut constituer une marque « signes figuratifs tels que : dessins, étiquettes, cachets, lisières, reliefs,
hologrammes, logos, images de synthèse ; les formes notamment celles du produit ou de son conditionnement ou
celles caractérisant un service ; les dispositions, combinaisons ou nuances de couleurs ».
108
Art. L. 711-1, b) du Code de la propriété intellectuelle.
29
II. La notion de fonction
19. La définition du terme « fonction ». Le terme fonction peut se définir de diverses
manières. Lorsqu’on envisage la fonction d’une personne, ce terme se comprend comme étant
« Ce que doit accomplir une personne pour jouer son rôle dans la société, dans un groupe
social »109. Quand on envisage la fonction d’une chose, il s’agit de son « rôle caractéristique
dans l’ensemble dont elle fait partie »110. Les synonymes de fonctions seraient alors le rôle ou
l’utilité de la chose.
Le terme fonction vient du latin « functio » qui signifie « accomplissement, exécution » et
« fungi » qui signifie « s’acquitter de, accomplir »111. Envisager les fonctions de la marque
reviendrait par conséquent à étudier les utilités de la marque, le rôle caractéristique de celleci. La notion de « fonction » revêt cependant un aspect particulier dans le langage juridique.
20. L’utilisation de la notion de « fonction » en droit. Dans le langage juridique, la notion
de fonction à une connotation particulière. Lorsqu’on envisage la fonction d’un droit, c’est à
sa fonction sociale qu’il est fait référence.
Au début du vingtième siècle, de nombreux auteurs112 ont essayé de mettre en exergue la
fonction sociale des droits. Le but de ces auteurs était de démontrer que les droits poursuivent
un but d’intérêt général113. Afin d’étayer leurs démonstrations, ils tentèrent d’appréhender
autrement le droit le plus absolu qui soit : le droit de propriété.
DUGUIT envisageait ainsi les prérogatives d’un propriétaire à l’aune de l’intérêt général. Il
affirmait que « le détenteur de la richesse, par cela même qu’il détient de la richesse, peut
accomplir une certaine besogne que seul lui peut accomplir. Seul il peut augmenter la
richesse générale, assurer la satisfaction de besoins généraux en faisant valoir le capital qu’il
détient. Il est donc obligé socialement d’accomplir cette besogne et il ne sera protégé
109
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995. V. également, A. Rey (ss. dir.),
Dictionnaire historique de la langue française, éd. Dictionnaire Le Robert, Paris, 1992: « À propos des choses,
fonction a depuis le français classique le sens général (1680) de « rôle actif caractéristique, dans un ensemble et
il est employé dans divers domaines scientifiques ».
111
A. REY (ss. dir.), Dictionnaire historique de la langue française, éd. Dictionnaire Le Robert, Paris, 1992 ; E.
BAUMGARTNER & P. MENARD, Dictionnaire étymologique et histoire de la langue française, Librairie générale
française, 1996 ; O. BLOCH & W. VON WARTBURG, Dictionnaire étymologique de la langue française, PUF, 3 e
éd., 2008.
112
L. DUGUIT, Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon, Lib. Félix Alcan, 2ème éd.,
1920, p. 147 ; L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité Ŕ Théorie dite de l’abus des droits,
Dalloz, réédition 2006, n° 237
113
L’utilisation du terme social renvoie à l’idée selon laquelle prévaut « sur l’intérêt de l’individu l’intérêt du
Groupe (…) de la « Société » toute entière dont l’État redevient l’instrument ». M. VILLEY, Philosophie du droit
Ŕ Définition et fins du droit Ŕ Les moyens du droit, Dalloz, réédition 2001, n° 103, p. 129.
110
30
socialement que s’il l’accomplit et dans la mesure où il l’accomplit »114. Dès lors, la propriété
ne doit plus être appréhendée comme « le droit subjectif du propriétaire ; elle est la fonction
sociale du détenteur de la richesse »115. Le propriétaire, mais plus généralement chaque
personne se voyant reconnaître des droits, serait « un fonctionnaire public, dont les
attributions plus ou moins définies déterminent à la fois les obligations et les prétentions »116.
En d’autres termes, si les individus se voient reconnaître des droits, c’est dans un souci
d’intérêt général.
JOSSERAND dégagea également une théorie de la fonction sociale. Pour cet auteur, la propriété
individuelle « ne se justifie et ne vaut que dans la mesure où elle cadre avec les intérêts de la
communauté nationale et spécialement avec ses intérêts économiques »117. Il ajoute ainsi que
« tout droit a une fonction dont son titulaire ne peut s’évader qu’en commettant un délit qui a
un nom : l’abus de droit »118.
La fonction sociale d’un droit par le contrôle de son existence ne saurait se justifier que s’il
satisfait à un but d’intérêt général, mais également par le contrôle de sa limitation, dès lors
que le titulaire n’exercerait pas le droit dans les limites de la fonction qui lui est assignée. S’il
s’agit d’une approche reconnue par de nombreux pays119 et par la Cour de justice120, la
114
L. DUGUIT, Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon, Lib. Félix Alcan, 2ème éd.,
1920, p. 147, spéc. p. 158.
115
L. DUGUIT, op. cit., p. 158.
116
A. COMTE, Système de politique positive, t. 1, Dunod, 1851. L’illustre philosophe ajoute : « Ce principe
universel doit certainement s’étendre jusqu’à la propriété, où le positivisme voit surtout une indispensable
fonction sociale, destinée à former et à administrer les capitaux par lesquels chaque génération prépare les
travaux de la suivante. Sagement conçue, cette appréciation normale ennoblit sa possession, sans restreindre sa
juste liberté, et même en la faisant mieux respecter ».
117
L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité Ŕ Théorie dite de l’abus des droits, Dalloz, réedition
2006, n° 237, p. 321.
118
L. JOSSERAND, op. cit., n° 237, p. 321.
119
Ainsi au Brésil, l’article 1.228, paragraphe 1 du Code civil dispose : « Le droit de propriété doit être exercé
en conformité avec ses finalités économiques et sociales », Code Civil Brésilien, Edition bilingue
Brésilien/Français, traduit sous la direction de Arnoldo WALD, Société de législation comparée, 2009. En Italie,
la fonction sociale se retrouve à l’article 42 de la Constitution italienne selon lequel : « La proprietà è pubblica o
privata. I beni economici appartengono allo Stato, ad enti o a privati. La proprietà privata è riconosciuta e
garantita dalla legge, che ne determina i modi di acquisto, di godimento e i limiti allo scopo di assicurarne la
funzione sociale e di renderla accessibile a tutti ».
120
V. CJCE, 22 oct. 1991, aff. C-44/89, Georg Von Deetzen c/ Hauptzollampt Oldenburg, Rec.1991, p.I-5119.
Dans cette affaire, les juges de la CJCE n’ont pas hésité à affirmer que « il est de jurisprudence établie que les
droits fondamentaux et, plus particulièrement, le droit de propriété n' apparaissent pas comme des prérogatives
absolues mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Il s' ensuit que des
restrictions peuvent être apportées à l' usage de ce droit, notamment dans le cadre d' une organisation commune
de marché, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d' intérêt général poursuivis
par la Communauté et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable
qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti », pt. 28. V. L. MARINO, Le devenir des brevets
dans le secteur des médicaments en Europe, Propr. ind. 2011, n° 9, étude n° 15, spéc. n° 19. Comme le note le
Professeur MARINO, l’idée selon laquelle les droits ont une fonction est « mieux reçue en droit de l’Union qu’en
droit français ».
31
doctrine de la fonction sociale n’a pas reçu de véritable consécration en droit français 121. Plus
encore, elle a fait l’objet de vives critiques122.
La théorie de la fonction sociale bénéficie cependant d’une certain regain d’intérêt à l’aune
des droits de propriété intellectuelle123, à telle enseigne qu’un auteur à pu écrire qu’il était
temps de « faire sortir JOSSERAND du Purgatoire »124.
21. La conception retenue de la « fonction ». Ainsi la fonction de la marque correspondrait
à un terme générique, utile pour justifier l’existence ou l’inexistence d’un droit privatif sur un
signe, prétexte pour limiter ou réduire au gré des circonstances la sphère du droit exclusif
accordé à son titulaire, vecteur de la publicité et de la communication auprès de la clientèle,
instrument pour justifier les investissements nécessaires pour lancer de nouveaux produits,
conquérir de nouveaux marchés ou pour accéder à la notoriété, fer de lance des
consommateurs et des associations qui les représentent pour satisfaire leurs exigences de
sécurité et d’information des produits offerts à la vente.
Comprendre les mécanismes juridiques complexes qui gouvernent les marques, selon que,
dans leurs fonctions, on les envisage du point de vue de l’entreprise avec les prérogatives que
confère à celle-ci le droit privatif sur le signe ainsi réservé, ou qu’on les envisage du point de
vue du consommateur, dont la considération sur les produits ou services marqués s’effectue à
partir d’une approche purement commerciale, suppose d’opérer une distinction, dans la
mosaïque des fonctions qu’on attribue à la marque, entre les fonctions juridiques et les autres
fonctions.
Notre quête d’un ordre juridique cohérent nous conduira à nous attacher, dans notre étude,
aux fonctions juridiques : elles seules, en effet, sont source de protection avec les
conséquences juridiques qui en découlent.
Le point de départ de notre réflexion sera cependant la notion de fonction entendue au sens
large telle qu’elle peut l’être dans son acception courante. Il conviendra ainsi d’appréhender
121
V. sur ce point, A. PIROVANO, La fonction sociale des droits : Réflexions sur le destin des théories de
JOSSERAND, D. 1972, chron., p. 17. Contra, H. MOUTOUH, Le propriétaire et son double Ŕ Variations sur les
articles 51 et 52 de la loi du 29 juill. 1998, JCPG 1999, I, 146.
122
J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI, S. CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens, LGDJ, 2e éd., 2010, n°77. La
« doctrine » de la fonction sociale a fait l’objet de vives contestations au motif notamment que « tout y est
confusion car elle reposerait sur l’idée que la souveraineté de la propriété est contraire à la morale ». V.
également, J. GHESTIN, G. GOUBEAUX & M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil Ŕ Introduction générale,
LGDJ, 4e éd., 1994, n° 789, p. 772.
123
V. notamment, G. BONET, Marque nationale et règles du droit communautaire, Revue des affaires
européennes, 2005, n° 3, p. 419 ; M. VIVANT, Des droits finalisés, in Les grands arrêts de la propriété
intellectuelle, Dalloz, 2004, p. 12 ; C. GEIGER, La fonction sociale des droits de propriété intellectuelle, D. 2010,
chron., p. 510.
124
M. VIVANT, Des droits finalisés, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, préc., spéc. p. 12.
32
ainsi l’utilité, le rôle caractéristique de la marque. Cette démarche nous permettra dès lors de
distinguer les fonctions sociales de la marque de celles qui ne le sont pas.
III. Le développement des fonctions de la marque
22. L’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle. Une étude des fonctions de la
marque pourrait se résumer à la lecture de l’article L. 711-1 du Code de la propriété
intellectuelle qui prévoit que la marque est un signe « servant à distinguer les produits ou
services d’une personne physique ou morale »125. L’article L. 711-1 ne peut être plus clair : la
marque est un signe et ce signe est utilisé pour distinguer des produits et des services. Cette
fonction « distinctive » est la fonction classique de la marque. Envisagée ainsi, la marque
serait un instrument au service d’un opérateur économique qui souhaite distinguer ses
produits ou services de ceux de ses concurrents. En vue de préserver cette fonction, le titulaire
bénéficie, en cas d’enregistrement de sa marque, d’un droit privatif126.
La conception que l’on peut se faire de la fonction de la marque a cependant pris une nouvelle
dimension à l’aune de la réalisation du marché commun. L’article L. 711-1 du Code de la
propriété intellectuelle se révèle dès lors insuffisant pour appréhender la fonction de la
marque.
23. L’intérêt de la fonction sur le régime. Appréhender la fonction d’un droit permet d’en
déterminer le contenu. Appréhender la fonction de la marque et du droit de marque permet par
conséquent de déterminer le régime de ce signe distinctif et du droit le réservant. Une telle
assertion trouve à s’illustrer par l’utilisation de la marque à travers l’histoire. Si la marque est
utilisée depuis l’Antiquité, sa fonction et, partant, son régime ont évolué à travers les âges.
L’objectif des marques de corporation était l’information du consommateur quant à la qualité
et à l’origine des produits ; elles se voulaient obligatoires127. Plus récemment, les pays
communistes de l’Europe de l’Est envisageaient les marques comme des garanties pour le
consommateur128. Elles étaient obligatoires et les cessions de marques n’étaient pas libres.
125
V. également, l’article 2 de la Directive marque et l’article 4 du règlement sur la marque communautaire.
Art. 713-1 du Code de la propriété intellectuelle : « L’enregistrement de la marque confère à son titulaire un
droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu’il a désignés ».
127
Cf. infra n° 702.
128
V. Le droit des marques dans les pays socialistes d’Europe de l’Est, ouvrage collectif sous la direction de M.A. PEROT-MOREL, Université des sciences sociales de Grenoble, coll. du centre universitaire d’enseignement et
de recherche de propriété industrielle, 1984
126
33
Cette idée, selon laquelle la fonction de la marque permettrait de déterminer son régime,
occupe aujourd’hui une place fondamentale dans la jurisprudence de la Cour de justice. Les
juges communautaires ont recours à ces fonctions pour déterminer l’objet spécifique du droit
qui « réunit toutes les prérogatives énoncées par les dispositions de la loi nationale afin de
protéger le droit de propriété intellectuelle considéré, de façon qu’il réalise pleinement sa ou
ses fonctions esentielles »129.
24. Le développement de la question de la fonction de la marque dans la jurisprudence
de la Cour de justice. La Cour de justice, dans sa volonté de concilier les droits de propriété
intellectuelle nationaux avec les principes communautaires permettant la réalisation d’un
marché commun130, a donné une nouvelle dimension aux fonctions des droits de propriété
intellectuelle et plus particulièrement en matière de marque131.
La Cour de justice détermina dans un premier temps l’objet spécifique du droit de marque
dans le cadre de l’affaire Centrafarm. Elle considéra que l’objet spécifique du droit de marque
permet « d’assurer au titulaire le droit exclusif d’utiliser la marque, pour la première mise en
circulation d’un produit, et de le protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser
de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de
cette marque »132. Par cette formule, la Cour de justice consacra ce que les auteurs qualifièrent
129
G. BONET, Marque nationale et règles du droit communautaire, Revue des affaires européennes, 2005, n° 3, p.
419, spéc. p. 424.
130
B. GOLDMAN, A. LYON-CAEN & L. VOGEL, Droit commercial européen, Dalloz, Précis, 5 e éd., 1994, n° 633,
p. 503. A priori, il n’existe pas d’antagonisme entre ces deux formes de protection. Au contraire, les droits de
propriété intellectuelle rejoignent par certains aspects les intérêts protégés par le droit de la concurrence : « le
droit de brevet, dans sa conception d’origine, tend à favoriser la création des individus et la diffusion collective
de ses résultats ; il rejoint ainsi le droit de la concurrence et ses objectifs d’encouragement à l’innovation et de
développement du progrès ». Pour ce qui est du droit de marque, il « constitue grâce à l’individualisation qu’il
permet des produits, un facteur de dynamisme commercial et de protection des consommateurs ; à ces titres, il
ne contredit pas les objectifs du marché commun ». Néanmoins, ce postulat de départ n’est pas suffisant pour
cacher les profondes contradictions existant entre les principes inhérents à l’existence d’un marché commun et la
protection des titulaires de droit de propriété intellectuelle. Le droit exclusif conféré aux titulaires de ces droits :
« heurte directement les principes de libre circulation des marchandises et de libre concurrence ». En effet, la
position privilégiée, monopolistique offerte au titulaire du droit exclusif est assurée par des règles étatiques, sur
une base territoriale, tandis que le Traité a vocation à promouvoir un marché intégré. En outre, les droits de
propriété intellectuelle tels que les brevets ou les marques constituent aujourd’hui plus que de simples éléments
de l’actif du patrimoine. Ils peuvent également constituer de véritables armes de stratégie économique permettant
le cloisonnement des marchés, des abus de position dominante ou bien encore des ententes. V. également, C.
MARECHAL, Concurrence et propriété intellectuelle, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle,
2009, t. 32, n° 10, p. 11.
131
V. L. MARINO, Propriété intellectuelle, Gaz. Pal. 2011, n° 300, p. 12. Le Professeur MARINO relève que la
fonction de la marque serait notamment une « boussole moderne dans le monde de la contrefaçon ».
132
CJCE, 31 oct. 1974, aff. n° 16/74, Sté Centrafarm B.V et Adriaan de Peijper c. Sté Winthrop B.V, Rec. 1974,
p. 1183, pt. 8.
34
plus tard de fonction d’exclusivité133. Rapidement, la notion de « fonction » prit une place
toute autre dans le raisonnement des juges. Ils affirmèrent dans l’arrêt Terrapin que la
fonction essentielle de la marque consistait « à garantir aux consommateurs l’identité
d’origine du produit »134.
Si le recours aux notions d’ « objet spécifique » et de « fonction » concernait les rapports
entre les droits de propriété intellectuelle et le droit de la concurrence communautaire, la Cour
de justice fit, au début des années 2000, des fonctions de la marque la clef de voûte de son
raisonnement dans toutes les questions afférentes à la marque. Elle affirma ainsi dans l’arrêt
Arsenal que « le droit exclusif prévu à l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive a été
octroyé afin de permettre au titulaire de la marque de protéger ses intérêts spécifiques en tant
que titulaire de la marque, c'est-à-dire d'assurer que la marque puisse remplir ses fonctions
propres. L'exercice de ce droit doit dès lors être réservé aux cas dans lesquels l'usage du
signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la
marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la
provenance du produit »135. Le contenu du droit de marque et les prérogatives du titulaire sont
par conséquent limités par la fonction de la marque qui est de garantir l’identité d’origine. Il
apparaît en outre qu’après avoir expressément rejeté l’intérêt du consommateur136, la Cour de
justice fait de ce dernier un élément central du droit des marques. Cette fonction qualifiée
d’essentielle par la Cour de justice est devenue fondamentale. Rares sont les décisions
rendues en matière de marque n’y faisant pas référence. Cette dernière ne devait cependant
pas rester isolée, la formule employée par la Cour de justice laissant envisager de nouveaux
développements et l’éclosion de nouvelles fonctions.
Dans le cadre de décisions relatives à l’épuisement des droits, la Cour de justice mit en
exergue l’atteinte à la réputation de la marque comme motif légitime permettant de faire
échec à la règle de l’épuisement. Si cette démarche fut critiquée137, certains auteurs138 ne
133
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 47, p. 58.
134
CJCE, 22 juin 1976, aff. 119-75, Terrapin c/ Terranova, Rec. 1976, p. 1039, pt. 6 ; JCPG 1976, I, 2825, obs.
J.-J. BURST et R. KOVAR.
135
CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal football club, Rec. 2002, p. I-10273, pt. 51 ; RJDA 2003, n° 2, n°
204 ; Propr. intell. 2003, n° 7, p. 200, obs. G. BONET ; D. 2003, p. 755, note P. DE CANDÉ ; PIBD 2003, n° 764,
III, p. 263 ; RTDE 2004, p. 106, obs. G. BONET ; JCPE 2003, 1114, n° 17, obs. G. PARLÉANI ; RTD com. 2003,
p. 415, obs. M. LUBY.
136
CJCE, 3 juill. 1974, aff. 192/73, Van Zuylen c/ Hag AG, Rec. 1974, p. 731, pt. 14. La Cour de justice précisa
que même si l’indication de l’origine d’un produit est utile dans un marché unique, « l’information, à ce sujet,
des consommateurs peut être assurée par des moyens autres que ceux qui porteraient atteinte à la libre
circulation des marchandises ».
137
N. BOUCHE, L’objet spécifique du droit de marque, D. 2000, chron., n° 7, p. 105.
35
virent cependant là qu’une extension de la fonction de garantie d’identité d’origine 139. Une
telle démarche de la Cour de justice pourrait également s’apparenter à la consécration d’une
nouvelle fonction140.
Les avancées de la Cour de justice ne devaient pas s’arrêter aux fonctions de garantie
d’identité d’origine et de protection de la réputation. Ainsi, dans l’affaire L’Oréal contre
Bellure, la Cour de justice consacra quatre nouvelles fonctions : la fonction de garantie de
qualité, la fonction de garantie d’investissement, la fonction publicitaire et la fonction de
communication141. Si les trois dernières s’apparentent à des fonctions commerciales 142, la
première apparaît comme une fonction teintée d’un certain consumérisme, la qualité des
produits ou services devant vraisemblablement être garantie au consommateur.
Enfin, nous ne serions pas complets si nous omettions d’envisager la fonction de la marque
renommée. La protection de la marque communautaire renommée entrant dans le giron du
droit exclusif et l’atteinte au droit de marque impliquant une atteinte à une fonction de la
marque, il est parfaitement légitime que la marque renommée, au moins communautaire, se
voit reconnaître une fonction qui lui est propre, justifiant sa protection particulière. Cette
fonction devrait d’ailleurs être reconnue à toutes les marques jouissant d’une certaine
célébrité, qu’elles soient communautaires ou simplement nationales. C’est en tout cas ce que
laisse envisager la Cour de justice lorsqu’elle affirme : « le titulaire d’une marque renommée
n’est pas habilité à interdire, notamment, des publicités affichées par des concurrents à partir
de mots clés correspondant à cette marque et proposant, sans offrir une simple imitation des
produits ou des services du titulaire de ladite marque, sans causer une dilution ou un
138
G. BONET, Épuisement du droit de marque, reconditionnement du produit marqué : confirmations et
extrapolations, in Mélanges offerts à J.-J. BURST, Litec, 1997, p. 61, spéc. p. 82 ; G. BONET, Droit national de
marque et application du Traité de Rome. Ŕ Libre concurrence. Ŕ Libre circulation des marchandises, J.-Cl.
Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7600, 2005, n° 107 ; J. PASSA, Distribution et usage de marque, Litec 2002,
n° 29, p. 35 ; D. LEFRANC, La renommée en droit privé, Defrénois, Coll. Doctorat et Notariat, t. 8, 2004, n° 156,
p. 138.
139
Pour le Professeur BONET la référence à la réputation se justifie « à la fois par la fonction de garantie
reconnue à la marque et par la responsabilité de la qualité du produit ou du service que la jurisprudence de la
Cour attribue désormais, comme on l’a noté, au titulaire de la marque », RTDE 1998, p. 124.
140
G. BONET, Droit national de marque et application du Traité de Rome. Ŕ Libre concurrence. Ŕ Libre
circulation des marchandises, préc., n° 113.
141
CJCE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L’Oréal e.a., Rec. 2009, p. I-05185, pt. 58. Les juges relevèrent que parmi
les fonctions de la marque « figurent non seulement la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux
consommateurs la provenance du produit ou du service, mais également les autres fonctions de celle-ci, comme
notamment celle consistant à garantir la qualité de ce produit ou de ce service, ou celles de communication,
d’investissement ou de publicité ».
142
V. F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n°
1294, p. 710 ; Y. REBOUL, L’arrêt de la Cour de justice du 18 juin 2009 Ŕ L’Oréal-Bellure : comment résister à
la rançon de la gloire !, Legicom 2010, n° 44, p. 5.
36
ternissement et sans au demeurant porter atteinte aux fonctions de la marque renommée, une
alternative par rapport aux produits ou aux services du titulaire de celle-ci »143.
25. Les difficultés. La multiplication des fonctions de la marque, dévoilée notamment par la
Cour de justice dans son arrêt L’Oréal contre Bellure, reprise par les juridictions nationales
appelées à appliquer leur droit interne à la lumière de la jurisprudence de la Cour du
Luxembourg, l’application systématique de la fonction de garantie d’identité d’origine à
toutes les affaires afférentes au droit des marques, ainsi que l’apparition de la fonction de la
marque renommée sont venues « brouiller » le paysage juridique des signes distinctifs. Les
territoires des missions distinctives qui leur sont assignées deviennent flous voire se
superposent tandis que les frontières qui les bornent deviennent aléatoires et sont rendues
incertaines.
Aussi la marque, bien immatériel de l’entreprise dont la fonction initiale est de permettre de
distinguer les produits ou services qu’elle offre au public, par le droit exclusif reconnu à son
titulaire, laisse-t-elle la place à d’autres fonctions encore mal définies, juridiquement
contestables, des fonctions commerciales ou consuméristes destinées à informer le
consommateur et, plus généralement, le destinataire final du produit marqué.
26. Problématique. La question se pose alors, pour le juriste qui s’interroge, du rôle de la
marque aujourd’hui. La marque est-elle toujours un droit de propriété intellectuelle au service
de son titulaire pour promouvoir ses produits ou bien est-elle devenue un signe « complexe »,
aux frontières multiples au service du consommateur ?
C’est à ce paradigme, c’est à cette question, fondamentale sur le plan économique et, partant,
juridique, que nous tenterons de répondre dans cette thèse consacrée aux fonctions de la
marque.
Au-delà, il s’agira de rechercher et de discerner, à partir des modèles préexistants et du flou
juridique qui les entoure, une cohérence dans le régime juridique du plus valorisant et du plus
fascinant des signes distinctifs.
143
CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora e.a., non encore publié au Recueil, pt. 95.
37
27. Nous pourrons, alors, observer que, tel Janus, la marque a désormais un double visage,
selon qu’on l’envisage du point de vue de son titulaire ou dans l’esprit du consommateur :
-
parce qu’elle est l’objet d’un droit de propriété, la marque est l’expression juridique de
l’entreprise (Première Partie) ;
-
parce qu’elle est l’image commerciale de l’entreprise adressée à ses destinataires, la
marque reflète une impression juridique au consommateur (Seconde partie).
38
38
PREMIÈRE PARTIE : LA MARQUE EXPRESSION JURIDIQUE
DE L’ENTREPRISE
28. La fonction sociale de la marque. À l’aune de la jurisprudence communautaire, la
fonction de la marque a pris une dimension sociale. Il est constant pour la Cour de justice
d’affirmer que la marque a pour fonction essentielle « de garantir au consommateur ou à
l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui
permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou service de ceux qui ont une
autre provenance. En effet, pour que la marque puisse jouer son rôle d’élément essentiel du
système de concurrence non faussée que le traité entend établir et maintenir, elle doit
constituer la garantie que tous les produits ou services qu’elle désigne ont été fabriqués ou
fournis sous le contrôle d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la
responsabilité de leur qualité »144. On constate par cette formule que la marque serait au
service de l’intérêt général. Elle serait un outil au service du consommateur et elle permettrait
d’assurer le jeu d’une concurrence non faussée.
La marque aurait par conséquent une fonction sociale : celle « de garantir au consommateur
l’identité de l’entreprise d’où provient le produit ou le service marqué, de façon à écarter tout
risque de confusion »145. Cette fonction justifierait l’existence même du droit de marque ainsi
que son exercice. Elle serait la finalité en vue de laquelle la loi nationale fait bénéficier le
titulaire d’un statut protecteur, dérogatoire du droit commun146.
29. L’intérêt général. Il est vrai que l’utilisation qui peut être faite d’une marque et du droit
de marque peut servir l’intérêt général. Comme le relève Monsieur BOUVEL, « les signes
distinctifs contribuent (…) à la liberté de la concurrence »147. Il constate « qu’en indiquant
l’origine d’un produit ou d’un service ou d’une activité commerciale, les marques et plus
généralement les signes distinctifs, permettent au jeu de la concurrence de s’exercer dans des
144
CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal football club, Rec. 2002, p. I-10273, pt. 51 ; RJDA 2003, n° 2, n°
204 ; Propr. intell. 2003, n° 7, p. 200, obs. G. BONET ; D. 2003, p. 755, note P. DE CANDÉ ; PIBD 2003, n° 764,
III, p. 263 ; RTDE 2004, p. 106, obs. G. BONET ; JCPE 2003, 1114, n° 17, obs. G. PARLÉANI ; RTD com. 2003,
p. 415, obs. M. LUBY.
145 145
G. BONET, Marque nationale et règles du droit communautaire, Revue des affaires européennes, 2005, n°
3, p. 419, spéc. p. 421.
146
G. BONET, préc., spéc. p. 424.
147
A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété
intellectuelle, t. 24, 2004, n° 4, p. 2.
39
conditions saines et loyales »148. Pour autant, la marque et le droit de marque sont
ambivalents. Ils sont dans le même temps attentatoires à cet intérêt général : « Lorsqu’un sujet
de droit réserve un signe afin d’en faire sa marque, (…) il empêche, par la même occasion,
ses concurrents d’utiliser cet élément dans l’exercice de leur activité »149. Pour que
l’utilisation de la marque ne soit pas trop attentatoire au principe de libre concurrence, le droit
de marque souffre de nombreuses limites et exceptions prévues ab initio.
Si l’intérêt général est omniprésent dans le système actuel, il ne nous semble cependant pas
qu’il faille rechercher la justification de la protection du titulaire dans celui-ci mais, davantage
dans la volonté affichée du titulaire d’utiliser un signe déterminé à titre de marque.
30. Le caractère facultatif de la marque. En sus de sa relativité, de son indépendance et de
sa territorialité, la marque se caractérise par son caractère facultatif150. Contrairement à
certains systèmes passés151, la marque n’est pas, tant au niveau national que communautaire,
obligatoire152. Bien qu’il ne soit pas envisagé par le Code de la propriété intellectuelle, celuici n’en demeure pas moins un principe fondamental qui emporte un certain nombre de
conséquences. En dépit de l’intérêt que peut représenter une marque dans la conquête et la
fidélisation de la clientèle, les opérateurs économiques sont parfaitement libres de ne pas
désigner leurs produits ou services par une marque153. En outre, si le titulaire fait le choix
d’utiliser une marque, il n’est pas dans l’obligation de la déposer ; il peut simplement recourir
à la voie de l’usage154.
Le caractère facultatif de la marque permet de rejeter l’idée selon laquelle la marque est un
instrument de protection du consommateur155. Plus encore, ce caractère de la marque nous
permet d’affirmer, qu’avant l’intérêt général, c’est l’intérêt individuel qui conditionne et
justifie l’existence de la marque et du droit de marque. Du fait de son caractère facultatif, la
marque et, partant, le droit de marque résultent de la volonté d’un opérateur économique qui
148
A. BOUVEL, op. cit., n° 4, p. 2.
A. BOUVEL, op. cit., n° 4, p. 2.
150
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 35, p. 47. Le Professeur PASSA note que la marque « manifeste un quadruple
caractère relatif, facultatif, territorial et indépendant ».
151
Cf. infra n° 701.
152
V. cependant, l’article L. 5111-2 du Code de la santé publique qui « impose que toute spécialité
pharmaceutique mise sur le marché soit revêtue d’une dénomination spéciale, c'est-à-dire propre à son
fabricant, qui doit, selon la partie règlementaire du même Code, prendre la forme soit de la dénomination
usuelle ou scientifique de la spécialité suivie du nom ou de la marque du fabricant, soit d’une dénomination
fantaisie. Mais ces textes n’exigent nullement que cette dénomination spéciale constitue une marque au sens
juridique du terme, autrement dit soit déposée à titre de marque », J. PASSA, op. cit., n° 39, p. 50.
153
J. PASSA, op. cit., n° 39, p. 49.
154
J. PASSA, op. cit., n° 39, p. 50.
155
J. PASSA, op. cit., n° 39, p. 49.
149
40
souhaite utiliser un signe à titre de marque. C’est par conséquent un intérêt purement
individuel qui est à l’origine de la marque.
31. L’intérêt individuel mis en exergue, il convient d’envisager les fonctions, les utilités de la
marque et du droit de marque qui profitent à l’opérateur économique. Ces fonctions sont de
deux ordres : elles sont patrimoniales, d’une part, pour toutes les marques (Titre 1) et
extrapatrimoniales, d’autre part, lorsque la marque jouit d’une certaine célébrité (Titre 2).
41
42
TITRE 1. LA FONCTION PATRIMONIALE DE LA MARQUE
32.
Dire que la marque a une ou des fonctions patrimoniales peut laisser a priori dubitatif.
Il ne s’agit pas d’une formule « traditionnelle » retenue par la doctrine et la jurisprudence.
Pourtant, une analyse de la marque et du droit de marque doit permettre d’adhérer à cette
qualification. En vue de mieux comprendre ce qu’on entend par fonction patrimoniale, il
importe de revenir aux sources et d’envisager plus en détail la notion de patrimoine ainsi que
son contenu.
33.
L’acception ordinaire du patrimoine. Bien qu’elle soit une notion fondamentale, la
notion de patrimoine est floue et fait encore aujourd’hui débat156. Le mot « patrimoine » vient
du latin patrimonium qui signifiait l’héritage du père. Aujourd’hui, la définition donnée par
les différents dictionnaires s’approche de cette conception. Le patrimoine est défini comme
des « Biens de familles, biens que l’on a hérité de ses ascendants »157. Il peut également être
envisagé dans le sens d’une « richesse accumulée »158. C’est pourquoi l’on parle notamment
de patrimoine moral159.
34.
L’acception juridique de la notion de « patrimoine ». La notion de « patrimoine » a
une acception juridique différente de celle donnée par
les dictionnaires. Elle dépend
notamment du domaine dans lequel ce terme est utilisé160. En droit international public, la
notion de « patrimoine commun de l’humanité »161 est utilisée pour viser des ressources
diverses d’ordre naturel ou artistique contribuant à la richesse d’un peuple ou du genre
humain. Il est également possible de parler de patrimoine national. La loi du 2 juillet 1996
relative à la fondation du patrimoine vise à son article 2 le patrimoine entendu comme « les
monuments, édifices, ensembles mobiliers ou éléments remarquables des espaces naturels ou
paysagers »162.
En droit civil, la notion de « patrimoine » occupe une place majeure au sein du droit des
biens. Dans la théorie, dite classique, d’AUBRY et RAU, « le patrimoine est l’ensemble des
156
V. notamment, D. HIEZ, Étude critique de la notion de patrimoine en droit privé actuel, LGDJ., Bibl. de droit
privé, t. 399, 2003 ; M. MEKKI, Le patrimoine aujourd’hui, JCPG 2011, 1258.
157
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
158
A. SERIAUX, Patrimoine, Rép. civ. Dalloz, 2010, n° 1.
159
A. SERIAUX, préc., n° 1.
160
F. TERRE & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8e éd., 2010, n° 17, p. 22.
161
A. SÉRIAUX, préc., n° 3.
162
Loi n° 96-590 du 2 juillet 1996, art. 2, al. 3.
43
biens d’une personne envisagés comme formant une universalité de droit »163. Ils ajoutent :
« Pour en déterminer la consistance, il faut, de toute nécessité, déduire le passif de
l’actif »164. Le patrimoine serait donc un ensemble, une universalité de droit où l’actif
répondrait du passif. Même si cette conception a été largement critiquée 165 et remise en cause,
il s’agit encore de l’approche adoptée par la doctrine majoritaire166.
35.
Une autre approche du patrimoine. Le patrimoine peut être envisagé autrement que
comme un réceptacle prêt à accueillir un actif et un passif. Il peut être perçu au contraire
163
C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil français d’après la méthode de Z ACHARIAE, Imprimerie et librairie
générale de jurisprudence, t. 6, 4e éd., 1873, n° 573, p. 229.
164
C. AUBRY et C. RAU, op. cit., n° 573, p. 231.
165
V. F. TERRE & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8e éd., 2010, n° 20, p. 26 ; F. ZENATICASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 8, p. 34 ; G. CORNU, Droit civil. Les biens,
Montchrestien, Coll. Domat droit privé, 13 éd., 2007, n° 6, p. 12 ; P. SIMLER, Les biens, PUG, 3e éd., 2006, n°
10, p. 15 ; J. CARBONNIER, Droit civil. t. 3. Les biens, PUF, Thémis Droit privé, 19 e éd., 2000, n° 8, p. 11 ; J.-L.
BERGEL, M. BRUSCHI, S. CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens, LGDJ, 2e éd., 2010, n° 5, p. 5; D. HIEZ,
Étude critique de la notion de patrimoine en droit privé actuel, LGDJ., Bibl. de droit privé, t. 399, 2003 ; Y.
STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 133, p. 194. La théorie du patrimoine d’A UBRY et RAU a fait
l’objet de multiples critiques. Les auteurs ont ainsi mis en avant le fait que cette théorie n’était pas adaptée à la
pratique et, partant, qu’elle entravait certaines initiatives privées. La conception classique du patrimoine sousentend que toute personne a un seul patrimoine, indivisible comme la personnalité. C’est donc la personne qui
est au centre de la notion de patrimoine. Or, dans certains droits étrangers ce n’est pas la notion de personne qui
est centrale mais la notion d’activité. Dans ce cadre, le but est le moteur de l’universalité. C’est d’ailleurs ce que
traduit le terme « Zweckvermoegen » (patrimoine d’affectation) qui allie les notions de but et de pouvoir. Le lien
qui unit les éléments du patrimoine n’est plus le titulaire, mais l’affectation commune des différents éléments du
patrimoine à la poursuite d’un même but. Cette doctrine dite du patrimoine d’affectation permet ainsi de
reconnaître à une même personne des patrimoines distincts caractérisés par une affectation commune. Dans cette
théorie, l’indivisibilité du patrimoine d’AUBRY et RAU est battue en brèche. En effet, une personne peut avoir,
outre son patrimoine général, des patrimoines affectés à des destinations particulières. En sus, les patrimoines
spéciaux peuvent être transmis entre vifs à titre universel. Malgré les critiques apportées à la théorie classique du
patrimoine, cette dernière est encore aujourd’hui enseignée dans les Universités et la théorie du patrimoine
d’affectation n’est reconnue que ponctuellement par le droit positif. Comme l’expliquait les Professeurs T ERRE
et SIMLER : « A défaut d’une admission de la théorie du patrimoine d’affectation et afin de satisfaire des besoins
évidents de la pratique, deux démarches, l’une indirecte, l’autre directe, ont consisté à jouer sur la personnalité
juridique, l’autre à admettre, de manière encore timide, l’affectation caractérisée de certains biens », F. TERRE
& P. SIMLER, op. cit., n° 22, p. 28. Ainsi, la loi du 11 juillet 1985 a permis la consitution de nouvelles personnes
morales : les sociétés unipersonnelles (EURL et EARL). Ici la création d’un nouveau patrimoine passe par la
création d’une nouvelle personne morale. Les fondations permettent également la création d’un nouveau
patrimoine. En effet, la fondation est l’acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident
l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non
lucratif. Cependant, ici, une nouvelle personne morale est aussi créée. Ce n’est que très récemment que la théorie
du patrimoine d’affectation a été consacrée en droit français avec la loi du 19 février 2007 instituant la fiducie,
insérée dans le Code civil aux articles 2011 et suivants. La fiducie est un contrat ayant pour objet un transfert de
biens, accompagné d’une mission de gestion ou d’administration définie dans le contrat. Les biens transférés
forment donc un patrimoine séparé distinct du patrimoine personnel du fiduciaire. Avec la consécration dans le
Code civil de ce patrimoine fiduciaire, une personne peut être propriétaire de plusieurs patrimoines. Cependant,
la fiducie n’est pas une figure de droit commun. Elle est réservée à certaines personnes morales spécifiées.
D’autre part, la fiducie ne peut, à peine de nullité, procéder d’une intention libérale. Malgré les critiques
persistantes et l’érosion dont elle fait l’objet, le droit français ne s’est pas affranchi totalement de la conception
unitaire et personnaliste de la théorie classique.
166
V. notamment, Y. STRICKLER, Les biens, op. cit., n° 138, p. 198 ; F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les
biens, op. cit., n° 19, p. 25 ; C. ATIAS, Droit civil Ŕ Les biens, op. cit., n° 16, p. 12 ; P. MALAURIE & L. AYNÈS,
Droit civil, les biens, op. cit., n° 11, p. 8.
44
comme le contenu de ce réceptacle167. Il s’agit de la vision des économistes168 qui considèrent
le patrimoine comme « « l’avoir total » de l’individu »169. Ainsi entendu, le patrimoine
comprendrait l’ensemble des biens permettant de satisfaire les besoins d’une consommation
immédiate170. Il serait composé d’un capital qui en constituerait l’élément substantiel et de
revenus qui seraient les ressources périodiques « qui naissent et renaissent régulièrement et
font entrer dans le patrimoine d’une personne des valeurs appréciables en argent »171. Cette
conception du patrimoine n’est cependant pas le propre des économistes. Le Professeur
SERIAUX s’est ainsi engagé dans cette voie en essayant de démontrer que, finalement, le
patrimoine n’était qu’une universalité de fait composée uniquement de biens172.
36.
L’idée d’une fonction patrimoniale. Quelle que soit la conception que l’on se fait du
patrimoine, le patrimoine est une forme d’indice économique permettant de déterminer la
richesse d’une personne physique ou morale. Il se caractérise par son aspect pécuniaire173.
D’ailleurs, comme le relevait CORNU, la monnaie est « le dénominateur commun de tous les
éléments qui composent le patrimoine »174. Ainsi, dire qu’une chose ou qu’un droit a une
fonction patrimoniale implique qu’il soit doté d’une valeur permettant de l’évaluer en argent.
En sus de cet aspect pécuniaire, la notion de patrimoine, qu’il soit le réceptacle175 de l’actif et
167
Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis Droit, 2006, n° 125, p. 188.
Y. STRICKLER, op. cit., n° 145, p. 216.
169
F. TERRE & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8e éd., 2010, n° 18, p. 23.
170
Y. STRICKLER, op. cit., n° 145, p. 216.
171
G. CORNU, Droit civil. Les biens, Montchrestien, Coll. Domat droit privé, 13 éd., 2007, n°4, p. 8.
172
A. SERIAUX, La notion juridique du patrimoine. Brèves notations civilistes sur le verbe avoir, RTD civ., 1994,
p. 801 et spéc. p. 802. Pour cet auteur, il serait nécessaire d’accorder le sens ordinaire du terme patrimoine avec
le sens juridique. Il se propose donc de redéfinir la conception du patrimoine : « Le sens commun est peut être le
bon sens. A l’homme de la rue, à ce citoyen banal que nous sommes tous peu ou prou, nul n’a jamais pu faire
croire que son patrimoine fût autre chose que l’ensemble (il y a bien une idée d’universalité) de ses seuls biens.
Meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, seuls les biens sur lesquels une personne détient actuellement
des droits font dans son esprit partie de son patrimoine.(…) Mais les dettes, il n’en est point question ». « En
somme, au lieu d’établir une corrélation fictive entre un actif et un passif et d’en conclure que c’est là ce qu’il
faut entendre par patrimoine n’est-il pas à la fois plus simple et plus exact de soutenir que le patrimoine est
constitué par l’ensemble des biens qui appartiennent à une personne et que c’est avec ces biens que cette
personne règlera les dettes qu’elle a pu contracter envers autrui. Ainsi, le patrimoine n’apparaît-il ni plus ni
moins que comme l’avoir légitime d’une personne physique ou morale ». ; V. les critiques apportées à cette
conception, J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI, S. CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens, LGDJ, 2 e éd., 2010, n° 3,
p. 4 ; D. HIEZ, Étude critique de la notion de patrimoine en droit privé actuel, LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 399,
2003, n° 41, p. 34.
173
V. notamment, G. CORNU, Droit civil. Les biens, Montchrestien, Coll. Domat droit privé, 13 éd., 2007, n°4, p.
8. L’éminent Professeur affirmait ainsi : « Tout ce qui est patrimonial est d’ordre pécuniaire ».
174
G. CORNU, Droit civil. Les biens, Montchrestien, Coll. Domat droit privé, 13 éd., 2007, n°4, p. 8. V. aussi, Y.
STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis Droit, 2006, n° 138, p. 198 ; C. ATIAS, Droit civil Ŕ Les biens, Litec, 11e
éd., 2011, n° 21, p. 14.
175
V. Y. STRICKLER, op. cit., n° 125, p. 188. Comme le note le Professeur STRICKLER : « L’élément essentiel de
la théorie du patrimoine telle que proposée par AUBRY et RAU réside dans le lien qui est reconnu entre le
patrimoine et la personnalité juridique ». V. aussi, C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil français d’après la
méthode de ZACHARIAE, Imprimerie et librairie générale de jurisprudence, t. 6, 4 e éd., 1873, n° 573, p. 229 ; P.
168
45
du passif ou l’avoir d’une personne176, se caractérise par sa relation avec la personne du
titulaire. La fonction patrimoniale d’une chose ou d’un droit se caractériserait par son lien
avec le titulaire et, partant, son utilité pour ce dernier. Envisager la ou les fonctions
patrimoniales de la marque implique donc de démontrer la valeur et l’utilité de la marque pour
son titulaire. Une telle approche permettrait de s’éloigner de la vision « sociale » de la
marque, qui tend à la percevoir comme un instrument au service du consommateur.
37.
La distinction à opérer. La notion de marque est fréquemment utilisée pour désigner
non seulement la marque, signe, objet du droit, mais aussi, le droit portant sur ce signe177.
Afin d’envisager la ou les fonctions patrimoniales de la marque, il convient de procéder à
cette distinction. En effet, ils poursuivent des objectifs distincts. Le signe a une fonction qui
lui est propre (Chapitre 1) que le droit vient protéger et conforter (Chapitre 2).
MALAURIE & L. AYNÈS, op. cit., n° 11, p. 9 ; C. ATIAS, op. cit., n° 16, p. 12. V. notamment, Cass. com., 12
juillet 2004, n° 03-12672. Les juges ont rappelé dans cette affaire le principe selon lequel : « le patrimoine est
indissociablement lié à la personne ».
176
A. SÉRIAUX, La notion juridique du patrimoine. Brèves notations civilistes sur le verbe avoir, RTD civ., 1994,
p. 801 et spéc. n° 4. Cet auteur note ainsi : « Pour qu’un bien soit patrimonial il est nécessaire qu’il appartienne
légitimement à quelqu’un. Les biens sans maître ne sont patrimoniaux qu’en puissance ; ils ne le deviendront en
acte qu’à compter du jour où une personne pourra exercer sur eux des droits de propriété ».
177
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 34, p. 46. Comme le relève le Professeur P ASSA : « Dans le langage juridique,
on dit souvent que telle personne est titulaire d’une marque ou qu’une marque est valable ou nulle. En vérité,
puisque la marque est seulement le signe objet du droit, on devrait plutôt parler de titularité ou validité d’un
droit de marque. L’expression habituelle est cependant commode, couramment admise et au surplus employée
dans les textes. Le mot « marque » pourra donc être utilisé dans les développements qui suivent pour désigner
tantôt le signe couvert par le droit, tantôt le droit lui-même ».
46
47
48
Chapitre 1. La fonction patrimoniale du signe
38.
Une fonction propre à chaque chose. Une chose peut se voir reconnaître une fonction
patrimoniale dès lors qu’elle se montre capable d’intégrer un patrimoine en vue d’en
augmenter l’actif. Cette chose a nécessairement une fonction objective qui lui est propre, qui
la distingue des autres et qui surtout lui donne toute sa valeur, toute son utilité. Une maison
dont on est propriétaire se caractérise par sa fonction d’habitation. Un élément de décoration
intérieur se distingue quant à lui par sa fonction esthétique. Il est ainsi possible de trouver une
fonction à chaque chose, tant corporelle qu’incorporelle. Ce sont ces fonctions, démontrant
l’utilité de la chose et lui donnant de la valeur, qui doivent être envisagées comme des
fonctions patrimoniales. Ces fonctions font que la chose profite au titulaire et permettent
d’enrichir le patrimoine de son titulaire.
39.
En vue de s’assurer du caractère patrimonial de la marque et, partant, celui de sa
fonction, il est indispensable d’envisager la nature juridique de la marque (Section I). Il sera
dès lors nécessaire d’appréhender la fonction du signe utilisé à titre de marque (Section II).
Section 1. La fonction patrimoniale déterminée par la nature juridique du signe
utilisé à titre de marque
40.
La question relative à la nature juridique de la marque est une question peu envisagée
par la doctrine178. Le législateur a d’ailleurs créé la catégorie des propriétés intellectuelles
sans pour autant envisager la réelle nature des objets de ces droits. Or, comme le note le
Professeur BINCTIN : « Aborder la qualification d’un bien au travers de son régime
d’appropriation revient à ignorer la nature de ce bien »179. La nature juridique des objets de
droit de propriété intellectuelle relève pourtant d’une question fondamentale. En matière de
marque, sa fonction patrimoniale pourra être mise en exergue à la condition que la marque
soit un bien pouvant intégrer le patrimoine de son titulaire.
Le Code civil ne donne pas de définition du bien. L’article 516 du Code civil se borne à
préciser que tous les biens sont « meubles ou immeubles ». Il est donc revenu à la doctrine de
tenter de définir le « bien juridique », notion complexe aux contours flous et aux multiples
178
179
V. cependant, N. BINCTIN, Le capital intellectuel, Litec, Bibl. de droit de l’entreprise, t. 75, 2007.
N. BINCTIN, op. cit., n° 16, p. 25.
49
aspects. Ainsi, après avoir recherché la qualification du signe utilisé à titre de marque (§ 1), il
conviendra d’envisager la conjonction de la marque avec la qualification retenue (§ 2).
§ 1. La recherche de la qualification du signe utilisé à titre de marque
41. « L’impossible définition » du bien ?. La notion de bien est une notion particulièrement
complexe. Tenter de le définir peut s’avérer être une démarche vouée à l’échec si l’on s’arrête
au titre du fameux article du Professeur GRZEGORCZYK : « Le concept de bien juridique :
l’impossible définition ? »180. L’éminent Professeur termine son article par un constat
d’échec : « On peut également en conclure qu’aucune définition du « bien juridique » ne peut
être donnée hormis celle tout à fait formelle : « est bien juridique ce que le droit considère
comme tel » (…). La définition du « bien juridique » faisant appel à des critères extrajuridiques ne peut donc aboutir. Ce constat est peut-être décevant, mais il s’inscrit dans une
optique du droit en tant que science et technique éminemment sociale »181. Cependant, cet
échec est relatif et ne concernerait que la définition philosophique du bien juridique : « Le fait
qu’il soit impossible de construire une définition philosophique du « bien juridique » en terme
de « bien en général » ou de la « chose » au sens métaphysique n’implique pas que le droit
n’ait rien à voir avec la philosophie ou la métaphysique. Ceci implique uniquement que le
droit s’autodéfinit, qu’il a une zone d’existence propre et autonome et qu’il est vain d’essayer
de le réduire à d’autres domaines, extra-juridiques »182.
La dificulté à définir la notion de bien n’a cependant pas empêché la doctrine de proposer
plusieurs conceptions du bien juridique. Certaines de ces approches n’emportent cependant
pas l'adhésion (I) et la conception envisagée notamment par MOUSSERON devra leur être
préférée (II).
I. Les conceptions écartées
42. Certains auteurs, refusant l’avènement des choses incorporelles, envisagent les biens
comme ne pouvant être que les choses corporelles (A). D’autres considèrent au contraire que
les biens ne peuvent être que les droits et non les objets des droits (B). Enfin, certains auteurs
adoptent une position plus originale en essayant de s’éloigner des conceptions classiques (C).
180
C. GRZEGORCZYK, Le concept de bien juridique : l’impossible définition ?, APD 1979, t. 24, p. 259.
C. GRZEGORCZYK, préc., spéc. p. 270.
182
C. GRZEGORCZYK, préc., spéc. p. 272.
181
50
A. La conception corporelle du bien
43. La réunion de deux éléments. Dans la conception classique du bien, deux éléments
doivent être réunis pour entraîner sa reconnaissance : une chose corporelle, susceptible
d’appropriation183. Les biens seraient des choses qui ont accédé à la vie juridique par voie
d’appropriation. Cette conception évince par conséquent de la catégorie des biens les choses
communes qui ne connaissent pas, par définition, l’appropriation.
Il est traditionnel de considérer que les choses susceptibles d’appropriation sont corporelles.
Cette approche se fonde « à la fois sur l’origine de la propriété, sur son fondement naturel, et
sur la façon dont le droit en général, et le Code civil en particulier, prend en considération
les biens. Tous ces éléments constitueraient autant de preuves irréfutables du caractère
nécessairement corporel de la chose objet de propriété »184.
44. La possession d’une chose corporelle. La Révolution a consacré une conception
matérialiste de la propriété en faisant triompher la propriété corporelle « domination de la
matière, pouvoir exclusif de toute emprise réelle concurrente et qui absorbe la substance de
la chose au point de se confondre avec elle »185. Ce triomphe de la propriété corporelle
s’expliquait par le fait que la possession apparaissait au moment de la rédaction du Code civil
comme l’élément central de la propriété. La propriété était considérée comme une possession
continue et juridiquement assurée d’une chose186. Or, la possession, afin d’être pleinement
efficace, suppose la réunion de deux éléments : l’animus et le corpus. L’animus domini est
l’élément intentionnel. Quant au corpus, il s’agit de la maîtrise réelle de la chose possédée 187.
Dans sa conception classique, « le corpus implique un acte matériel, la mainmise du
possesseur sur la chose »188. De nombreux auteurs envisagent ainsi le corpus comme étant
l’appréhension matérielle de la chose189 ou encore comme étant la détention matérielle,
183
J. CARBONNIER, Droit civil. t. 3. Les biens, PUF, Thémis Droit privé, 19 e éd., 2000, n° 45, p. 79. CARBONNIER
résumait cela avec cette célèbre formule : « Le droit a recouvert le monde bariolé des choses d’un uniforme
capuchon gris, la notion de bien, cette abstraction »
184
P. BERLIOZ, La notion de bien, LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 489, 2006, n° 136, p. 43.
185
A.-M. PATAULT, Regard historique sur l’évolution du droit des biens, histoire de l’immeuble corporel, in
L’évolution contemporaine du droit des biens, PUF, Coll. publications de la Faculté de droit et des sciences
sociales de Poitiers, 1991, p. 3, spéc. p. 9.
186
P. BERLIOZ, La notion de bien, op. cit., n° 150, p. 46.
187
G. CORNU, Droit civil. Les biens, Montchrestien, Coll. Domat droit privé, 13 éd., 2007, n°43, p. 104:
« Posséder c’est habiter une maison, cultiver un champ, vendanger une vigne, abattre un arbre, clore un pré,
aménager un local, faire tomber une cloison, élever un mur, etc. C’est naturellement la maîtrise d’une chose
corporelle ».
188
P. MALAURIE & L. AYNÈS, Droit civil, les biens, Defrénois, 4e éd., 2010, n° 489, p. 145.
189
H. MAZEAUD, L. MAZEAUD, J. MAZEAUD & F. CHABAS, Leçons de droit civil, t. II, Biens, Droit de propriété
et ses démembrements, Montchrestien, 8e éd., 1994, n° 1421, p. 195.
51
corporelle de la chose190. La possession entendue dans ce sens implique qu’elle s’exerce
uniquement sur des choses corporelles191. Dès lors, eu égard au lien unissant la propriété à la
possession, « il ne peut y avoir de propriété véritable que des choses corporelles. C’est
d’ailleurs ainsi que le Code civil considérait les biens »192.
45. La distinction meubles et immeubles. Le Code civil ne définit pas la notion de bien. Il
propose cependant une distinction qui ne serait pas anodine193. L’article 516 du Code civil
dispose : « Tous les biens sont meubles ou immeubles ». Le critère classiquement retenu pour
distinguer un meuble d’un immeuble est sa faculté à pouvoir être déplacé194. Tandis que le
meuble peut être déplacé195, l’immeuble ne le peut pas. Le fait de retenir un tel critère
physique pourrait s’avérer significatif, la faculté de déplacement semblant être réservée à la
matière et donc aux choses corporelles. Comme a pu le relever un auteur, « La prise en
compte d’un caractère physique des biens pour leur classification constitue donc la
confirmation éclatante pour de nombreux auteurs que, pour le Code civil, la propriété est
essentiellement corporelle »196. Ainsi, initialement, dans son sens primitif et le plus étroit, le
bien est une chose corporelle197. La notion de « bien » serait « relativement nette ». Elle
s’ordonnerait « dans la pensée juridique française, à partir de celle de choses du monde
physique »198.
46. Le rejet de cette conception. Les biens seraient donc des choses corporelles appropriées
ou susceptibles d’être appropriées. Cette définition classique du bien aurait pour conséquence
d’empêcher un signe utilisé à titre de marque d’accéder au statut de bien. Cette approche
matérialiste du bien n’a pas emporté pleinement l’adhésion et a fait l’objet de vives
190
C.-E. CLAEYS, La notion de possession : Pour une approche pédagogique nouvelle, in Mélanges G. DEHOVE,
PUF, 1983, p. 111.
191
P. BERLIOZ, La notion de bien, op. cit., n° 166, p. 49
192
P. BERLIOZ, op. cit., n° 166, p. 49.
193
H. BATIFFOL, Problèmes contemporains de la notion de biens, APD 1979, t. 24, p. 9. Pour cet auteur : « « Il
[l’article 516] paraît admettre que les biens sont des choses au sens de la corporéité, caractère nécessaire à la
qualification mobilière ou immobilière »
194
V. notamment, P. MALAURIE & L. AYNES, Droit civil, les biens, Defrénois, 4e éd., 2010, n° 109, p. 27 ; C.
ATIAS, Droit civil Ŕ Les biens, Litec, 11e éd., 2011, n° 46, p. 33 ; Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis Droit,
2006, n° 23, p. 51.
195
Art. 528 du Code civil : « Sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter
d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu’ils ne puissent changer de place que par
l’effet d’une force étrangère ».
196
P. BERLIOZ, La notion de bien, op. cit., n° 196, p. 56. V. aussi, P. M ALAURIE & L. AYNES, Droit civil, les
biens, op. cit., n° 8, p. 6.
197
P. MALAURIE & L. AYNÈS, op. cit., n° 8, p. 6.
198
F. TERRE, Variation de sociologie juridique sur les biens, APD 1979, t. 24, p. 17.
52
critiques199. En effet, « Peut-on encore sérieusement soutenir que chose et corps sont
synonymes alors que ces derniers sont ravalés au rang d’une forme anecdotique de
bien »200 ?
L’argument selon lequel la possession ne peut concerner que des choses corporelles n’est plus
d’actualité aujourd’hui. Divers travaux201 ont permis de mettre en exergue le fait que les
choses incorporelles étaient susceptibles d’être possédées. La res, objet du droit de propriété,
ne doit pas être nécessairement une substance tangible202. Voir dans les biens uniquement des
choses corporelles serait une conception archaïque ne reflétant plus la réalité.
Au terme d’une analyse historique de la question, le Professeur ZENATI démontre que les res
incorporales peuvent autant être objet de propriété que les res corporales : « Le dominium
n’est pas un droit, au sens romain des choses, comme l’a prouvée VILLEY, mais une puissance
attachée à la personne s’exerçant sur toutes les formes de choses, incorporelles comme
corporelles »203.
En outre, Monsieur BERLIOZ, dans son étude relative à « La notion de bien »204 démontre avec
justesse que cette conception traditionnelle matérialiste est insuffisante. Tout d’abord, il
apparaît qu’un certain nombre de choses sont « exclues de la notion de biens, en raison d’une
appréhension déficiente de celle-ci »205. Les objets consacrés par un droit de propriété ne sont
plus les mêmes que par le passé, lorsque le Code civil a été élaboré : « L’immatériel a fait
irruption dans le domaine des corps, suite à l’apparition de nouvelles formes de
représentation de ces derniers. Pouvoir exclusif sur une chose corporelle, la propriété se
trouve ainsi mise en défaut. De telle sorte que le bien ne constitue parfois plus qu’une
représentation déformée de la chose »206. Cette conception matérialiste du bien s’avère être
trop restrictive et inadaptée aux réalités.
Ainsi, aujourd’hui, comme le note le Professeur ZENATI, il n’est plus « sérieux (…) de
soutenir que les personnes n’ont de relations juridiques, directes ou médiates, qu’avec les
choses corporelles. Des biens surgissent ou réapparaissent qui ne sont ni les choses
corporelles, ni les droits subjectifs de la taxinomie moderne »207.
199
M. VILLEY, Préface historique, APD 1979, t. 24, p. 2 ; F. ZENATI, L’immatériel et les choses, APD 1999, t.
43, p.79.
200
F. ZENATI, L’immatériel et les choses, préc., spéc. p. 84.
201
A. PELISSIER, Possession et meubles incorporels, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, 2001 ; B.
PARANCE, La possession des biens incorporels, LGDJ, Bibliothèque de l’institut André TUNC, t. 15, 2008.
202
P. CATALA, L’immatériel et la propriété, APD 1999, t. 43, p.61.
203
F. ZENATI, L’immatériel et les choses, préc., spéc. p. 84.
204
P. BERLIOZ, La notion de bien, op. cit., 2006.
205
P. BERLIOZ, op. cit., n° 248, p. 71.
206
P. BERLIOZ, op. cit., n° 251, p. 72.
207
F. ZENATI, L’immatériel et les choses, préc., spéc. p. 87.
53
B. La conception dématérialisée du bien
47. La conception dématérialisée du bien. La conception classique était une conception
matérialiste. La conception moderne est, quant à elle, une conception « dématérialisée ».
Une grande partie de la doctrine considère que le bien est, non pas la chose, objet du droit,
mais le droit qui porte sur cette chose208 : « Il n’y a de bien que les droits que nous pouvons
avoir sur les choses »209. En conséquence, tous les biens seraient incorporels210 et, comme
SAVATIER l’affirmait : « C’est par un raccourci, par une élision que, dans un patrimoine, on
compte comme des biens une maison ou un bijou, car le patrimoine ne comprend à l’analyse,
que des biens incorporels, des droits »211. D’une conception traditionnelle, fondée sur la
corporéité de la chose, nous sommes passés à une conception moderne, dématérialisée.
Aujourd’hui, la mutation semble achevée et il est admis « de manière quasi unanime que tous
les biens sont des droits et ont, par suite, une nature incorporelle »212.
48. La justification. Le droit serait qualifié de bien plutôt que son objet au motif qu’il y
aurait une confusion entre le droit et l’objet213. Cette confusion serait la conséquence du fait
que la valeur de la chose résulterait du droit. La doctrine considère que la chose, sans le droit,
est sans valeur : « ce ne sont pas les choses en elle-mêmes mais les droits sur ces choses qui
ont de la valeur »214. Autrement dit, c’est le droit qui habille la chose et « qui lui donne sa
valeur marchande »215. Il semble qu’il faille même aller encore plus loin. Un auteur énonce
que le droit se confond avec la chose : « ce n’est pas parce qu’elle en résume toutes les
utilités, mais parce que la chose donne corps aux pouvoirs que renferme la propriété »216.
L’utilité dont il est question dans le bien ne serait pas la caractéristique de la chose, mais
208
Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 2, p. 7 ; G. B AUDRY-LACANTINERIE & M. CHAUVEAU,
Traité théorique et pratique de droit civil. Des biens, Paris, Librairie de la société du recueil général des lois et
des arrêts, 2e éd.,1899, n° 2, p. 3; J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI & S. CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens,
LGDJ, 2e éd., 2010, n° 1, p. 1 ; C. CARON & H. LECUYER, Le droit des biens, Dalloz, Connaissances du droit,
2002, p. 12.
209
G. BAUDRY-LACANTINERIE & M. CHAUVEAU, op. cit., n° 9, p. 9.
210
R. SAVATIER, Vers de nouveaux aspects de la conception et de la classification juridique des biens corporels,
RTD civ. 1958, p. 1. L’illustre auteur affirmait ainsi : « Nous avons quelques scrupules à parler encore de biens
incorporels. Depuis Ihering, les juristes savent pertinemment qu’en réalité, tous les biens s’analysent, pour eux,
en des droits, donc en une notion incoporelle ».
211
R. SAVATIER, préc., p. 1.
212
F. ZENATI, L’immatériel et les choses, APD 1999, t. 43, p.79 et plus particulièrement p. 89.
213
P. BERLIOZ, La notion de bien, LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 489, 2006, n° 481, p. 153.
214
C. CARON & H. LECUYER, Le droit des biens, op. cit., p. 12.
215
Y. STRICKLER, Les biens, op. cit., n° 2, p. 6.
216
P. BERLIOZ, La notion de bien, op. cit., n° 487, p. 155.
54
résiderait dans les prérogatives conférées par le droit217. Par voie de conséquence, le droit
devrait dès lors être considéré comme étant le bien plus que la chose.
49. La critique de la conception. Tout un pan de la doctrine rejette cette approche
dématérialisée du bien. Les Professeurs ZENATI-CASTAING et REVET rejettent en bloc cette
conception. Il leur est inconcevable que la propriété soit considérée comme un bien et c’est
avec des mots très virulents qu’ils rejettent cette conception : « il serait tautologique et
absurde de s’approprier le rapport d’appropriation. Le droit de propriété ne peut être un
bien parce qu’il est ce qui permet aux choses d’être des biens. Ce sont les objets de propriété
qui sont des biens, non pas la propriété elle-même »218.
Il nous est également difficile d’adhérer à cette conception qui, comme la conception
traditionnelle du bien, apparaît comme déficiente. La conception dématérialisée du bien est
équivoque et ambiguë. Le Professeur AUBERT, tout en reconnaissant que le seul bien est le
droit, considère finalement que le bien est « l’ensemble droit-objet du droit »219, démontrant
par là qu’il est délicat de se détacher complètement de l’objet du droit.
En outre, cette conception aurait pour conséquence de reconnaître aux « biens » deux
acceptions juridiques. L’article 516 du Code civil, en prévoyant que « Tous les biens sont
meubles ou immeubles », ne semble pas envisager le bien comme un droit. L’article 543 du
Code civil est tout aussi problématique pour la conception dématérialisée du bien lorsqu’il
dispose : « On peut avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou un simple droit de
jouissance, ou seulement des services fonciers à prétendre ». Cet article distingue clairement
les biens, qui sont les objets du droit, et les droits sur ces biens : « Les biens en question ne
peuvent, sans contradiction, être eux-mêmes de tels droits ou des démembrements de ceuxci »220. Constatant cette difficulté, les auteurs partisans de la conception dématérialisée
critiquèrent l’usage que le Code civil faisait du mot bien. Le bien visé à l’article 543 ne serait
pas le bien juridique. PLANIOL considérait ainsi : « L’article 543, en énumérant les droits que
les particuliers peuvent avoir sur les biens, n’a évidemment en vue que les biens en nature ;
cela résulte des droits qu’il énumère : propriété, usufruit, servitudes. Dans ce sens étroit, le
mot « bien » exclut tout ce qui est incorporel et fait antithèse aux mots « droits, créances et
217
P. BERLIOZ, La notion de bien, LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 489, 2006, n° 488, p. 156.
F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 3, p. 21
219
J. L. AUBERT & E. SAVAUX, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Sirey, 13 e éd., 2010,
n° 202, p. 212.
220
P. BERLIOZ, La notion de bien, op. cit., n° 493, p. 157.
218
55
actions ». Pour rédiger l’article 543 en termes exacts, il eût fallu dire « sur les choses » »221.
Autrement dit, le bien du Code civil devrait être distingué du bien de la doctrine.
Face à ces difficultés, certains auteurs font le choix d’utiliser indifféremment la notion de
bien, comme pouvant être une chose, mais aussi un droit. Dans leur Traité de droit civil, les
Professeurs BERGEL, BRUSCHI et CIMAMONTI envisagent dans un premier temps le bien sous
sa forme dématérialisée : « La notion de « bien » est ainsi dominée par celle de droits relatifs
aux choses et désigne en réalité surtout les droits qui portent sur les choses, plutôt que les
choses elles-mêmes »222. Pourtant, dans un second temps, ils n’hésitent pas à envisager le bien
sous l’angle de l’objet de droit en considérant que la propriété « s’entend ainsi au sens
subjectif qui exprime le pouvoir exclusif d’une personne sur un bien »223, pour ensuite
l’envisager de nouveau sous son aspect dématérialisé : « Mais ce terme a aussi un sens
objectif. Il signifie l’appartenance d’un bien à une personne et s’identifie à la chose ellemême »224.
Cette ambivalence de la notion de « bien » démontre toute sa complexité et, semble-t-il, son
incapacité à être uniquement envisagée comme un droit. Dès lors, comme le relève le
Professeur PELISSIER, toute confusion du droit de propriété avec la chose qui en est l’objet
« est donc à proscrire. Et, plus largement, toute confusion des droits avec les biens »225.
C. Les conceptions innovantes du bien
50. Deux auteurs se sont démarqués en proposant dans leurs travaux des définitions du bien
se distinguant des définitions « classiques ». Il s’agit de Monsieur BERLIOZ, qui envisage le
bien à l’aune de sa fonction de garantie (1), et du Professeur BINCTIN qui propose de créer la
catégorie des biens intellectuels (2).
1. Une chose à fonction de garantie226
51. Le bien et la solvabilité du débiteur. Dans son étude relative à « La notion de bien »,
Monsieur BERLIOZ se proposede donner une nouvelle définition du bien. Pour celui-ci, les
conceptions classiques ou rénovées du bien sont critiquables et mal adaptées. Les biens lui
221
M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, t. 1, Pichon, 1900, n° 772, p. 305.
J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI & S. CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens, LGDJ, 2e éd., 2010, n° 1, p. 1.
223
J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI & S. CIMAMONTI, op. cit., n° 79, p. 89
224
J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI & S. CIMAMONTI, op. cit., n° 79, p. 89 et 90.
225
A. PELISSIER, Possession et meubles incorporels, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, 2001, n° 241, p.
112.
226
P. BERLIOZ, La notion de bien, LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 489, 2006, n° 625, p. 205.
222
56
apparaissent plus comme un élément de garantie ; ils représentent « la solvabilité de la
personne, détermine le crédit qu’on peut lui faire »227. Ainsi, même si le bien est évidemment
une source de richesse, il serait avant tout une source de crédit et se caractériserait
essentiellement par sa « fonction de garantie »228.
L’auteur a envisagé la notion de bien à la lueur de la notion patrimoine. Le patrimoine permet
aux créanciers d’une personne d’obtenir paiement de la créance lorsque le débiteur n’y
procède pas de manière volontaire. Pour cela, les créanciers affectent à leur désintéressement
des choses qui appartiennent au débiteur. Il s’agit des biens. Ainsi entendu, le bien a pour
mission de répondre des dettes de son propriétaire. Il y voit là l’unique fonction assignée par
le Code civil à tous les biens : « Les biens sont les substituts de la personne dans l’exécution
forcée de ses dettes »229. La qualification d’un bien serait la résultante de sa finalité. Cette
capacité à être saisie ne constitue cependant pas le seul critère de qualification du bien. La
saisissabilité est possible si les biens « sont des objets extérieurs »230 à la personne et qui « lui
sont unis par un lien qui peut être rompu »231. De ce fait, les objets deviennent des biens dès
lors que ce lien entre la personne et l’objet est établi : « La propriété apparaît dans ces
conditions comme le principe constitutif du bien »232.
52. Le rejet de la conception. Bien que séduisant, cette conception n’emporte pas
pleinement l’adhésion. L’approche fonctionnelle de Monsieur BERLIOZ apparaît quelque peu
minimaliste. Réduire la notion de bien à sa fonction de garantie, revient à nier l’utilité que
peut représenter le bien pour son titulaire. Le propriétaire d’une chose dispose des trois
prérogatives inhérentes au droit de propriété, à savoir l’usus, le fructus, et l’abusus. À travers
ces prérogatives, le propriétaire peut jouir pleinement de son bien, de toutes ses utilités, et en
disposer librement. Or, la fonction de garantie, si elle est une des fonctions de la chose,
n’apparaît pas comme déterminante.
En sus, le raccourci avec lequel on définit le bien à la lumière de sa fonction semble quelque
peu rapide. Définir, c’est pouvoir déterminer par une formule précise l’ensemble des
caractères qui appartiennent à un concept233. La qualification d’une chose ne doit pas reposer
sur la fonction de cette chose, mais sur son contenu, sur des critères. C’est en effet à partir de
227
P. BERLIOZ, La notion de bien, LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 489, 2006, n° 627, p. 206.
P. BERLIOZ, op. cit., n° 627, p. 206.
229
P. BERLIOZ, op. cit., n° 629, p. 206.
230
P. BERLIOZ, op. cit., n° 628, p. 206.
231
P. BERLIOZ, op. cit., n° 628, p. 206.
232
P. BERLIOZ, op. cit., n° 628, p. 206.
233
N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, Coll. Manuel, 2010, n° 5, p. 20.
228
57
son contenu que la « chose » est un bien et c’est en devenant un bien qu’elle peut
éventuellement exercer un certain nombre de fonctions, celles-ci étant les conséquences de la
qualification.
2. Les biens intellectuels
53. Une nouvelle catégorie de biens. De nombreux auteurs ont déjà utilisé la notion de bien
intellectuel sans pour autant en apporter une définition synthétique234. Le Professeur BINCTIN
s’est penché sur la question des biens intellectuels dans ses travaux dédiés au « Capital
intellectuel » 235. Il souhaitait démontrer qu’une chose incorporelle, telle que les objets des
droits de propriété intellectuelle, pouvait faire l’objet d’apport en société236. Pour cela, il
devait démontrer que les objets des droits de propriété intellectuelle, tels que les signes
distinctifs ou les œuvres de l’esprit, pouvaient être qualifiés de bien à part entière. Cependant,
plutôt que d’arrêter sa réflexion à la définition du bien juridique, le Professeur BINCTIN
préféra envisager une sous-catégorie de biens : celle du bien intellectuel, qu’il proprose de
qualifier comme étant « une chose issue de l’imagination humaine dans l’exercice d’une
activité créative susceptible d’appropriation indépendamment de tout support »237.
54. Les réserves. Dans le cadre de notre démarche, envisager une nouvelle catégorie de biens
pourrait se révéler particulièrement utile, la marque étant susceptible d’intégrer, pour le
Professeur BINCTIN, la catégorie des biens intellectuels238.
Deux critiques peuvent cependant être apportées. La première concerne l’hétérogénéité des
choses, objet d’un droit de propriété intellectuelle, et leur difficulté à être envisagées dans une
234
V. pour une analyse critique, J. M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse
objective, LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 23, 1961, n° 242, p. 268 citant E. P ICARD, Embryologie juridique Ŕ
Nouvelle classification des droits, JDI, 1883, p. 565 : « Les nombreuses démarches entreprises pour définir le
droit du breveté ont généralement conclu à la reconnaissance d’une catégorie spéciale de biens : les biens
intellectuels. A la distinction classique des droits réels et personnels, il faudrait, par conséquent, ajouter un
terme nouveau : celui de droits intellectuels.(…). E. PICARD fut l’initiateur de cette analyse principalement
illustrée par la théorie des biens immatériels (« Immaterialgütrechtstheorie »), ou, plus simplement, des droits
immatériels (« Immaterielrechtstheorie ») de Joseph KOHLER ».
235
N. BINCTIN, Le capital intellectuel, Litec, Bibl. de droit de l’entreprise, t. 75, 2007, n° 32, p. 40.
236
N. BINCTIN, op. cit., n° 14, p. 23: « L’apport en nature est un acte particulier d’exploitation des biens, une
forme d’échange, l’apporteur remettant son bien contre des parts sociales. Il constitue, avec l’apport en
numéraire et l’apport en industrie, l’une des trois formes d’apport en société admises par la loi. Il se réalise par
la mise à disposition effective de biens. La constitution d’un capital intellectuel suppose de définir les biens
pouvant être l’objet de ce transfert, aucune disposition du Code civil ne limite la nature de ceux-ci. Il est
nécessaire que le bien puisse faire l’objet d’une remise effective, c'est-à-dire qu’il puisse être individualisé et
que la société en ait la jouissance, au moins pour la quotité qui lui a été accordée, bénéficiant de son utilité
économique ».
237
N. BINCTIN, op. cit., n° 32, p. 40.
238
N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, Coll. Manuel, 2010, n° 632, p. 395.
58
seule et même catégorie. Ainsi, à titre d’exemple, certains auteurs contestent l’idée selon
laquelle l’utilisation d’un signe à titre de marque constitue une création. Le droit de marque
relèverait plutôt du domaine de l’occupation239. ROUBIER considérait ainsi que le terme de
droit intellectuel ne « saurait être employé, sans provoquer la raillerie, pour le droit sur une
marque ou un nom commercial »240. Cette conception de la marque a d’ailleurs été confirmée
par certaines décisions241. Dès lors, la catégorie des biens intellectuels serait peu encline à
accueillir en son sein la marque. Cette critique semble cependant devoir être écartée. Si le
droit de marque ne peut être perçu comme une récompense répondant « à un travail de
création ou de divulgation d’un élément qui ne serait pas connu »242, on peut difficilement
nier le fait que l’utilisation d’un signe à titre de marque soit le fruit d’un choix. Or, ce choix
est indéniablement le fruit d’une activité intellectuelle. Certes, cette activité intellectuelle n’a
pas de vocation technique comme l’invention, ou esthétique, comme l’œuvre de l’esprit, mais
elle a une vocation distinctive. C’est la relation établie entre le signe et les produits ou
services concernés par ce signe qui fait l’objet d’une création. Le Professeur RAYNARD le
relève en affirmant que l’exigence « d’un caractère distinctif qui impose de pouvoir identifier
un produit parmi ceux de même nature proposés par les concurrents, suppose, nous semble-til, un certain fait de créativité »243.
L’autre critique qui pourrait être adressée à la catégorie des biens intellectuels concerne son
utilité. Était-il véritablement nécessaire d’essayer de trouver une nouvelle catégorie de bien
afin de pouvoir y inclure les différentes choses objet d’un droit de propriété intellectuelle ?
N’est-il pas suffisant de considérer que ces « objets », signes, œuvres de l’esprit, inventions,
puissent être qualifiés de biens et plus précisément de biens incorporels ? Le simple fait de
démontrer que ces objets sont des biens peut emporter un certain nombre de conséquences244.
En outre, comme le constate, justement, le Professeur BINCTIN : « Des biens répondant à la
239
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 37, p. 48 ; P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, Éd. JNA,
1994, p. 166.
240
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 22, p. 99.
241
CJCE, 16 sept. 2004, aff. C-329/02 P, SAT. 1 c/ OHMI, Rec. 2004, p. I-8317, pt. 41 ; Propr. intell., 2005, n°
15, p. 194, obs. I DE MEDRANO CABALLERO. La Cour de justice a ainsi considéré que « l’enregistrement d’un
signe en tant que marque n’est pas subordonné à la constatation d’un certain niveau de créativité ou
d’imagination linguistique ou artistique de la part du titulaire de la marque. Il suffit que la marque permette au
public pertinent d’identifier l’origine des produits ou des services protégés par celle-ci et de les distinguer de
ceux d’autres entreprises ».
242
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 8, p. 8.
243
J. RAYNARD, Propriétés incorporelles : Un pluriel bien singulier, in Mélanges offerts à J.-J. BURST, Litec,
1997, p. 527. V. également M. VIVANT, Les créations immatérielles et le droit, Ellipses marketing, Le droit en
questions, 1997, p. 97 ; Pour une épure de la propriété intellectuelle, in Mélanges FRANÇON, Dalloz, 1995, p.
415.
244
Les biens peuvent ainsi constituer des apports en nature. V. N. BINCTIN, Le capital intellectuel, Litec, Bibl. de
droit de l’entreprise, t. 75, 2007.
59
même définition peuvent être soumis à des régimes juridiques différents, voire cumuler
plusieurs régimes ». Dès lors, y a-t-il un véritable intérêt à tenter de créer une nouvelle
catégorie ?
55. Nous préférons adopter une démarche différente. S’il semble que le signe utilisé à titre
de marque soit un bien intellectuel, il convient de nous assurer avant tout que ce signe puisse
constituer un bien.
II. La conception retenue
56. « Valeurs, biens, droits »245. MOUSSERON définit le bien comme « tout élément, matériel
ou non, suscitant un double souci de réservation et de commercialisation chez son maître du
moment qui appelle et obtient la sollicitude de l’organisation sociale »246.
Si le terme
n’apparaît pas explicitement dans cette définition, l’approche de MOUSSERON met en exergue
une autre notion : la valeur. Cependant, contrairement à d’autres auteurs qui considèrent que
la valeur est la notion « essentielle » et que « toute valeur doit être considérée comme un
bien »247, MOUSSERON combine la valeur avec le droit qui constituerait le deuxième facteur
permettant à une chose d’accéder au statut de bien. Le bien serait donc une « valeur
juridiquement reconnue »248.
57. L’utilité et la rareté constitutives de la valeur. En dépit de sa nature « extrajuridique »249, la notion de valeur est l’une des deux conditions permettant à une chose
245
J. M. MOUSSERON, Valeurs, biens, droits, in Mélanges en hommage à A. BRETON et F. DERRIDA, Dalloz,
1991, p. 277. V. également sur l’émergence de la valeur dans le droit des biens, F. ZENATI, Le droit des biens
dans l’œuvre du doyen SAVATIER, in L’évolution contemporaine du droit des biens, PUF, Coll. publications de la
Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, 1991, p. 13, spéc. p. 14: « Le sens visionnaire de SAVATIER
culmine avec les relations qu’il pressent entre les notions de bien et de valeur. Il n’invente pas la dette de valeur,
qui n’est pas encore née à l’époque où il livre sa vision des biens, mais il constate déjà le déclin de la monnaie
comme étalon fixe de valeur. Il fait mieux en présageant que l’érection de la valeur elle-même en un bien sera le
stade surprême du raffinement de la théorie des biens ». V. également sur cette conception du bien, F. ZENATICASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 8, p. 27 ; A. P ELISSIER, Possession et meubles
incorporels, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, 2001, n° 237, p. 109 ; N. B INCTIN, Le capital intellectuel,
Litec, Bibl. de droit de l’entreprise, t. 75, 2007 ; C. LE STANC, Observations conclusives, in La valeur des droits
de propriété industrielle, Journée d’étude en l’honneur du Professeur A. CHAVANNE, Litec, CEIPI, t. 53, 2006, p.
113 ; J.-L. VULLIERME, La chose, (le bien) et la métaphysique, APD 1979, t. 24, p. 32.
246
J. M. MOUSSERON, Valeurs, biens, droits, préc., p. 277, spéc. n° 7.
247
A. PIEDELIEVRE, Le matériel et l’immatériel. Essai d’approche de la notion de bien, in Aspects du droit privé
en fin du vingtième siècle, Études réunies en l’honneur de M. DE JUGLART, Montchrestien, LGDJ, Éd. tech.,
1986, p.55.
248
J.-L. VULLIERME, La chose, (le bien) et la métaphysique, préc., p. 32.
249
C. LE STANC, Observations conclusives, préc., p. 113.
60
d’accéder au statut de bien. La valeur est l’expression monétaire de la chose. Elle résulte de
l’utilité qu’elle procure à la personne qui la possède250.
L’utilité de la chose n’est cependant pas le seul élément à prendre en compte dans la valeur
d’une chose. Celle-ci dépendra également de sa rareté. Ainsi, la notion de bien se situe « au
carrefour de l’utilité et de la rareté, c'est-à-dire qu’elle se définit par l’idée de valeur »251.
58. L’importance de la valeur dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme. Bien qu’elle soit extra-juridique, la notion de valeur a fait son entrée dans la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans le cadre de l’application de
l’article 1, § 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales252, la Cour de Strasbourg affirme de
manière constante que « La notion de « biens » prévue par la première partie de l’article 1 a
une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et est indépendante
par rapport aux qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts
constituants des actifs peuvent aussi être considérés comme des « droits de propriété » et
donc des « biens » aux fins de cette disposition. En fait, il importe d’examiner si les
circonstances de l’affaire, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire
d’un intérêt substantiel protégé par l’article 1 du Protocole n° 1 »253. Elle ajoute en outre :
« La notion de « biens » ne se limite pas non plus aux « biens actuels » et peut également
recouvrir des valeurs patrimoniales, y compris des créances »254.
La Cour européenne des droits de l’homme retient donc une vision extrêmement large de la
notion de bien. Elle considère que toute valeur patrimoniale doit être considérée comme étant
250
F. ZENATI, L’immatériel et les choses, APD 1999, t. 43, p.79, spéc. p. 90. Le Professeur ZENATI note ainsi
qu’on « peut rechercher la valeur, plus que dans l’enfance des biens, dans leur genèse, en sorte que les biens
existeraient à l’état de valeur avant même que d’être consacrés juridiquement. C’est l’utilité qui conduit à faire
d’une chose un bien, du moins lorsque la chose n’est pas à ce point abondante qu’elle ne suscite aucune
convoitise. La rareté des choses utiles conduit à se les procurer par le commerce puis, de poche en poche, par
l’argent, lorsque l’échange devient monétaire »
251
R. LIBCHABER, Les biens, Rép. civ. Dalloz, 2009 (dernière mise à jour mars 2011), n° 5, V. également D.
GUTMANN, Du matériel à l’immatériel dans le droit des biens. Les ressources du langage juridique, APD 1999, t.
43, p. 65 : Pour cet auteur : « La notion de bien n’est pas dépendante de facteurs matériels, car elle désigne plus
largement les valeurs économiques susceptibles de figurer dans le patrimoine. Toute chose utile et rare, donc
douée de valeur, serait donc un bien ».
252
L’article 1 du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés
fondamentales est relatif à la protection de la propriété dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au
respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les
conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ».
253
CEDH, 5 janv. 2000, BEYELER c/ Italie, n° 33202/96, § 100. V. aussi, CEDH, 25 mars 1999, IATRIDIS c/
Grèce, n° 31107/96, § 54. La Cour rappelle « que la notion de « biens » de l’article 1 du Protocole n° 1 a une
portée autonome qui ne se limite certainement pas à la propriété de biens corporels : certains autres droits et
intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits de propriété » et donc pour des « biens »
aux fins de cette disposition ».
254
CEDH, 30 nov. 2004, ONERYILDIZ c/ Turquie, n° 48939/99.
61
un bien. Elle a ainsi reconnu la qualification de bien au droit à une pension de vieillesse255, à
une allocation de veuvage256, à une allocation chômage257, à une clientèle258 ou même à
l’intérêt patrimonial à jouir d’une maison259. Le simple fait de pouvoir exprimer
monétairement la valeur de la chose ou du droit semble permettre de qualifier ces derniers de
biens. La conception du bien retenue par la Cour européenne des droits de l’homme se veut
cependant trop accueillante et doit être nuancée.
59. La reconnaissance par le droit. Si la valeur est un élément fondamental permettant à
une chose de devenir un bien, elle n’est pas suffisante. La valeur ne peut accéder au statut de
bien que par le biais d’une intervention juridique. Sans cette dernière, la chose, support de la
valeur, doit demeurer une chose. Il existe des choses ayant une certaine valeur eu égard à leur
utilité et leur rareté qui ne peuvent pour autant pas accéder au statut de bien : « Une simple
idée, une proposition scientifique peuvent être des valeurs ; dès lors que le Droit n’intervient
pas pour contribuer à les réserver à tel ou tel, leur auteur ou tel autre, ni l’idée ni la
proposition scientifique ne sont des biens. Elles le seront peut-être demain »260. Autrement
dit, pour être un bien, la valeur doit être reconnue par le droit. L’intervention juridique se fait
par un phénomène de réservation. Si l’utilisation du terme réservation renvoie à l’idée
d’appropriation et plus précisément à celle de propriété, elle permet surtout d’envisager des
situations autres que l’hypothèse de la propriété. La réservation permet d’appréhender
l’appropriation de la valeur dans un sens large, ne se limitant pas à l’appropriation par le droit
de propriété. La réservation ou l’appropriabilité « d’un bien peut être définie comme son
aptitude à être soustrait à un usage collectif, au profit d’une dévolution individuelle, exclusive
de toute intervention extérieure »261.
255
CEDH, 4 juin 2002, WESSELS-BERGERVOET c/ Pays-Bas, n° 34462/97, JCPG 2002, I, n° 160, n° 9, obs. F.
SUDRE.
256
CEDH, 11 juin 2002, WILLIS c/ Royaume-Uni, n° 36042/97, JCPG 2002, I, n° 160, n° 9, obs. F. S UDRE.
257
CEDH, 16 sept. 1996, GAYGUSUZ c/ Autriche, n° 17371/90, JCPG 1997, I, 4000, n° 46, obs. F. S UDRE.
258
CEDH, 26 juin 1986, VAN MARLE et autres c/ Pays-Bas, n° 8543/79, 8674/79, 8675/79, 8685/79 , § 41. La
Cour estime « que le droit invoqué par les requérants peut être assimilé au droit de propriété consacré à
l’article 1 (P1-1) : grâce à leur travail, les intéressés avaient réussi à constituer une clientèle ; revêtant à
beaucoup d’égards le caractère d’un droit privé, elle s’analysait en une valeur patrimoniale, donc en un bien au
sens de la première phrase de l’article 1 (P1-1), lequel s’appliquait dès lors en l’espèce ».
259
CEDH, 29 mars 2010, 2 espèces, DEPALLE c/ France, n° 34044/02, BROSSET-TRIBOULET c/ France, n°
34078/02, D. 2010, p. 965, obs. A. V INCENT ; AJDA 2010, 1311, note CANEDO-PARIS, et 1515, étude F.
ALHAMA. V. également C. QUÉZEL-AMBRUNAZ, L’acception européenne du « bien » en mal de définition, D.
2010, Chron., p. 2024.
260
J. M. MOUSSERON, Valeurs, biens, droits, in Mélanges en hommage à A. BRETON et F. DERRIDA, Dalloz,
1991, p. 277, spéc. n° 7.
261
R. LIBCHABER, Les biens, Rép. civ. Dalloz, 2009 (dernière mise à jour mars 2011), n° 11.
62
60. La forme classique de réservation. La propriété apparaît comme la forme classique
d’appropriation262. Les caractères de la propriété que sont l’exclusivité et l’absoluité
permettent au propriétaire de la chose de bénéficier de toutes les utilités de la chose, mais
surtout d’écarter tout tiers des utilités de la chose, et donc de soustraire la chose à un usage
collectif.
61. Les autres formes de réservation. La propriété ou les droits réels en général ne sont pas
les seuls moyens permettant la réservation d’un bien : « Aux biens ne correspondent pas,
nécessairement, des « droits ». La constitution de droits réels – l’appropriation – n’est pas,
en effet, la seule forme de l’intervention juridique et la reconnaissance d’une valeur comme
bien n’implique pas son « appropriabilité » »263. L’idée selon laquelle, seules les choses
pouvant faire l’objet d’un droit de propriété méritent d’être érigées en bien doit être écartée.
D’autres modes de réservation peuvent être envisagés, notamment celles organisées par le
« jeu de différentes responsabilités »264 protégeant ainsi indirectement ce que MOUSSERON
appelait « les curiosités associales »265. Le berceau de la responsabilité civile Ŕ l’article 1382
du Code civil Ŕ serait donc un outil de réservation de la valeur permettant l’accession de la
chose au statut de bien. Ne serait-ce d’ailleurs pas là, l’une des raisons d’être de l’action
qualifiée d’action en concurrence déloyale266 qui permet de sanctionner des atteintes à des
valeurs économiques qui ne sont pas protégées par un droit privatif ? Cette affirmation se
vérifie à la lueur des décisions de la Cour de cassation qui envisage la concurrence déloyale
notamment comme un moyen d’assurer la protection de celui qui ne peut se prévaloir d’aucun
262
V. notamment sur les différents modes d’acquisition de la propriété, F. T ERRE & P. SIMLER, Droit civil. Les
biens, Dalloz, Précis, 8e éd., 2010, n° 379, p. 313 ; F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF,
2008, n° 172, p. 273 ; J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI & S. CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens, LGDJ, 2e
éd., 2010, n° 184, p. 220; L. JULLIOT DE LA MORANDIERE, Précis de droit civil, publié d’après le Cours
élémentaire de droit civil français de A. COLIN et H. CAPITANT, t. II, Dalloz, 1957, n° 2, p. I ; Y. STRICKLER, Les
biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 269, p. 376.
263
J. M. MOUSSERON, Valeurs, biens, droits, in Mélanges en hommage à A. BRETON et F. DERRIDA, Dalloz,
1991, p. 277, spéc. n° 7.
264
J. M. MOUSSERON, préc., spéc. n° 10.
265
J. M. MOUSSERON, préc., spéc. n° 10.
266
Certains auteurs, dont MOUSSERON, regrettent l’intitulé de cette action. V. ainsi, J. M. M OUSSERON,
Responsabilité civile et droits intellectuels, in Mélanges offerts à A. CHAVANNE : droit pénal, propriété
industrielle, Litec, 1990, p. 247 : « L’intitulé est regrettable en ce qu’il paraît occulter la banalité de la faute
requise et paraît exiger une relation de concurrence entre le fautif et la victime alors que la présence de cette
relation ne commande en rien l’accès aux très généraux arts. 1382 et 1383, C. civ. Tout au plus, peut-on voir
dans la présence de cette relation de compétition un adjuvant pour la perception et la démonstration de la faute
ou, davantage, peut-être du dommage. (…)Nous préférons évoquer les « actes de déloyauté commerciale »
générateurs de préjudice concurrentiel ».
63
droit267. Ainsi, la concurrence déloyale qui a « une fonction sanctionnatrice avec ses effets de
réservation »268 glisse parfois vers « une fonction principale de réservation avec des effets de
sanction »269.
La responsabilité civile contractuelle pourrait aussi s’avérer propice à la réservation d’une
chose ne faisant pas l’objet d’un droit privatif270.
Le droit pénal pourrait également intervenir pour réserver des valeurs ne faisant pas l’objet
d’une appropriation stricto sensu. Ainsi, si le secret d’affaires venait à être protégé
pénalement comme l’envisage la proposition de loi relative à la protection des informations
économiques271, il faudrait y voir une réservation du secret et des informations272 par le biais
du droit pénal.
La réservation de la valeur permettant à cette dernière de devenir un bien doit donc être
entendue largement. Cependant, une chose ayant une certaine valeur et étant appropriable
constituera un bien à la condition qu’un troisième critère soit rempli : il s’agit de l’exigence
de commerciabilité.
62. La commerciabilité. L’exigence de commerciabilité est parfaitement résumée par le
Professeur LIBCHABER en ces termes : « L’insertion des choses dans les relations
commerciales est nécessaire à leur acceptation comme bien, pour la double raison que le
commerce est un des moyens de satisfaire le désir juridique que l’on peut avoir d’un bien, et
267
V. notamment, Cass. com., 3 oct. 1978, D. 1980, p. 55, note J. S CHMIDT-SZALEWSKI; Cass. com., 4 juill.
1978, Ann. propr. ind. 1979, n° 366 ; Cass. com., 28 janv. 1982, Ann. propr. ind., 1982, p. 262; Cass. com., 10
févr. 2009, JurisData n° 2009-047000 ; Cass. com., 3 juin 2008, JurisData n° 2008-044240.
268
J. M. MOUSSERON, J. RAYNARD & T. REVET, De la propriété comme modèle, in Mélanges offerts à A.
COLOMER, Litec, 1993, p. 281.
269
J. M. MOUSSERON, J. RAYNARD & T. REVET, préc., p. 281.
270
La responsabilité civile contractuelle permet ainsi de sanctionner un partenaire, destinataire d’une information
« secrète », qui méconnaîtrait une obligation de discrétion à laquelle il serait engagé.
271
V. la proposition de loi relative à la protection des informations économiques du 17 juin 2009 et celle du 13
janvier 2011 de Bernard CARAYON V. à ce sujet, C. LE STANC, Une protection pénale du secret d’affaires ?,
Propr. ind., 2009, n° 10, repère 9. La dernière proposition de loi en date du 13 janvier 2011 prévoit que l’article
226-14-1 du Code pénal dispose : « Est puni d’une peine prévue par l’article 314-1 du code pénal le fait pour
toute personne non autorisée par le détenteur ou par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur,
de s’approprier, de conserver, de reproduire ou de porter à la connaissance d’un tiers non autorisé une
information à caractère économique protégée ou de tenter de s’approprier, de conserver, de reproduire ou de
porter à la connaissance d’un tiers non autorisé une information à caractère économique protégée ». Ces
informations à caractère économique protégé devront être comprises comme « les informations ne constituant
pas des connaissances générales librement accessibles par le public, ayant, directement ou indirectement, une
valeur économique pour l’entreprise, et pour la protection desquelles leur détenteur légitime a mis en œuvre des
mesures substantielles conformes aux lois et usages, en vue de les tenir secrètes ».
272
V. sur l’appropriation des informations, P. C ATALA, La « propriété » de l’information, in Mélanges offerts à
P. RAYNAUD, Dalloz, 1985, p. 97 ; J.-C. GALLOUX, Ébauche d’une définition juridique de l’information, D.
1994, chron., p. 229 ; P. CATALA, Ébauche d’une théorie juridique de l’information, D. 1984 ; chron., p. 97 ; J.
PASSA, La propriété de l’information : un malentendu, Droit et patrimoine, 2001, n° 91, p. 64 ; N. MALLETPOUJOL, Appropriation de l’information : l’éternelle chimère, D. 1997, chron., p. 330.
64
qu’inversement la possibilité de céder participe des utilités attendues d’une chose.
L’existence d’une circulation licite entre particuliers est donc, après l’appropriabilité, l’autre
condition d’existence des biens »273. Cette troisième exigence a pour conséquence d’exclure
de la catégorie des biens, les choses qui sont hors du commerce juridique, bien qu’elles
puissent être valeur et faire l’objet d’une réservation. Doivent donc être exclus de la catégorie
des biens les droits extrapatrimoniaux274, le corps humain275, ou « les choses frappées
d’inaliénabilité en raison du caractère illicite qui toucherait leur propriété ou leur
exploitation »276.
63. S’il constitue une notion centrale du droit civil, le bien juridique n’en demeure pas moins
difficile à appréhender. Tantôt envisagé comme une chose corporelle susceptible
d’appropriation, tantôt perçu comme un droit, le bien peut également être considéré comme
une valeur réservée par le droit et dans le commerce. Il s’agit d’une approche « moderne »
permettant de ne pas faire abstraction d’une réalité : les choses incorporelles. En outre, cette
conception du bien, en mettant en exergue la valeur, permet de ne pas nier l’utilité de la
chose. Il convient dès lors de confronter la marque à cette conception du bien.
§ 2. La découverte de la qualification du signe utilisé à titre de marque
64. L’existence de biens incorporels. Dire qu’un bien est « une valeur juridiquement
reconnue »277 permet d’accepter que les choses incorporelles puissent constituer des biens.
Pourtant, les meubles incorporels sont traditionnellement considérés comme des droits. On dit
que les meubles incorporels le sont par destination de la loi, les biens auxquels la loi confère
un caractère mobilier278. Par conséquent, en matière de propriété intellectuelle, devraient être
considérés comme biens incorporels, non pas les choses objet d’un droit de propriété
273
R. LIBCHABER, Les biens, Rép. civ. Dalloz, 2009 (dernière mise à jour mars 2011), n° 69.
Cependant, il existe un mouvement de patrimonialisation des droits-extrapatrimoniaux. Ainsi, un nom de
famille peut parfaitement être utilisé à titre de marque. V. notamment sur ces questions, F. DAIZÉ, Marques et
usurpation de signes de la personnalité, Litec, IRPI, Coll. Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 28,
2006 ; L. DREYFUSS-BECHMANN, La patrimonialité des droits extrapatrimoniaux, Thèse Strasbourg, sous la
direction de G. WIEDERKEHR, 2002 ; Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n°1, p. 3.
275
Art. 16-1 du Code civil : « Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit
patrimonial ». Art. 16-5 du Code civil : « Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale
au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ».
276
Y. STRICKLER, op. cit., n° 75, p. 122.
277
J.-L. VULLIERME, La chose, (le bien) et la métaphysique, APD 1979, t. 24, p. 32.
278
G. CORNU, Vocabulaire Juridique, Association Henri CAPITANT, PUF, 9e éd., 2011. V. également, R.
CABRILLAC, (ss. dir.) Dictionnaire du vocabulaire juridique 2012, LexisNexis, 2012 ; S. GUINCHARD & T.
DEBARD (ss. dir.), Lexique des termes juridiques 2012, Dalloz, 19 éd., 2012.
274
65
intellectuelle, mais les droits eux-mêmes279. Le Professeur BINCTIN note ainsi que « Les biens
intellectuels ne seraient pas des choses immatérielles, mais des droits d’appropriation, d’où
la conclusion que l’objet de la propriété incorporelle est ce droit lui-même »280. Cette
approche des biens incorporels revient à nier l’existence de véritables choses incorporelles.
Pourtant, ces choses, contrairement à la définition qui est donnée du meuble incorporel,
existent sans une quelconque intervention de la loi. Si une confusion est opérée entre le bien
incorporel et droit, c’est sans doute lié au fait que la réservation et la commercialisation
permettent la métamorphose de la valeur en bien et se prolongent « la plupart du temps, par
la mise en œuvre d’un droit »281. Néanmoins, « aux biens ne correspondent pas,
nécessairement, des « droits » »282. Les biens ne sont pas tous objet de droit et il existe
d’autres moyens de réservation de la valeur283. Ces raisons impliquent d’envisager autrement
la notion de bien incorporel et de ne pas la réduire aux droits portant sur des choses
incorporelles.
Les choses objet d’un droit de propriété intellectuelle ont une consistance certaine que l’on ne
peut nier284. Cette consistance se traduit notamment par le fait qu’elles sont perceptibles par
les sens285, mais aussi par le fait qu’on peut également avoir un véritable pouvoir sur une
invention, sur une œuvre de l’esprit ou sur un signe286. Cette consistance conduit alors « à
refuser l’idée qu’ils ne sont que des droits »287. Le meuble incorporel peut être objet de
droit288 et « la catégorie composée des biens immatériels n’accueille pas que des droits, mais
aussi des choses incorporelles qui (…) appellent une appropriation »289. Dès lors, la marque
pourrait constituer un bien. Encore est-il nécessaire de démontrer qu’elle soit une valeur (I)
répondant non seulement à l’exigence de réservation (II), mais aussi de commerciabilité (III).
279
P. MALAURIE & L. AYNÈS, Droit civil, les biens, Defrénois, 4e éd., 2010, n° 8, p. 6.
N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, Coll. Manuel, 2010, n° 6, p. 21.
281
A. PÉLISSIER, Possession et meubles incorporels, Possession et meubles incorporels, Dalloz, Nouvelle
bibliothèque des thèses, 2001, n° 241, p. 111.
282
J. M. MOUSSERON, Valeurs, biens, droits, in Mélanges en hommage à A. BRETON et F. DERRIDA, Dalloz,
1991, p. 277, spéc. n° 9.
283
Cf. supra n° 61.
284
V. N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, Coll. Manuel, 2010, n° 7, p. 22. Le Professeur
BINCTIN note ainsi que la création a « une existence certaine et est parfaitement perceptible hors toute
intervention du législateur. Une musique ou un texte s’écoute ou se lit, une invention produit un effet, un signe
retient l’attention du consommateur ».
285
N. BINCTIN, op. cit., n° 6, p. 21.
286
A. PÉLISSIER, Possession et meubles incorporels, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, 2001, n° 244, p.
112 et 113. Comme le relève le Professeur PÉLISSIER, « l’objet du pouvoir de fait sera alors l’invention et non le
droit de brevet, la création et non le droit de propriété littéraire et artistique, la créance et non le droit de
créance, le fonds de commerce et non la propriété commerciale… ».
287
N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, op. cit., n° 7, p. 22.
288
A. PÉLISSIER, Possession et meubles incorporels, op. cit., n° 243 et 244, p. 112 et 113
289
N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, op. cit., n° 7, p. 22.
280
66
I. La valeur de la marque
65. Les conditions de validité. Pour constituer une marque valide, le Livre VII du Code de
la propriété intellectuelle exige du signe qu’il soit licite, distinctif et disponible. Si la licéité290
ne semble pas être une exigence conférant toute sa valeur à la marque, il en va différemment
de la distinctivité (A) et de la disponibilité (B).
A. La distinctivité291
66. L’exigence de distinctivité. L’article 711-2 du Code de la propriété intellectuelle
requiert du signe qu’il soit distinctif par rapport aux produits ou services qu’il désigne292. Dire
que la marque est distinctive ne signifie pas qu’elle est nouvelle ou originale 293. Cela signifie
qu’elle est suffisamment arbitraire pour pouvoir désigner un produit ou un service. Un signe
banal peut donc parfaitement constituer une marque à condition que ce signe ne soit pas
utilisé dans sa fonction habituelle. Ainsi, si le signe « Apple » n’est pas distinctif pour
désigner des pommes, il l’est au contraire pour désigner des produits informatiques.
L’exigence de distinctivité implique qu'un signe nécessaire, générique, usuel, pour désigner
un produit ou un service ou constitué par des termes qui en décrivent les qualités essentielles,
ne puisse constituer une marque.
290
Cf. infra n° 589.
V. notamment sur la question de la distinctivité, J. P ASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1,
Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd., 2009, n° 87, p. 99 ; F. POLLAUD-DULIAN,
Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n°1341, p. 746 ; J. AZÉMA & J.-C.
GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006, n° 1419, p. 783 ; J.
SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, Litec, 4 e éd., 2007, n°491, p. 209; N.
BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, Coll. Manuel, 2010, n° 677, p. 425 ; A. BOUVEL,
L’appréciation de la distinctivité des marques verbales évocatrices, Legicom 2010, n° 44, p. 27 ; G. BONET & A.
BOUVEL, Distinctivité du signe, J.-Cl. Marques Ŕ dessins et modèles, Fasc. 7090, 2007 ; P. TRÉFIGNY-GOY,
Marques. Ŕ Droit français. Ŕ Conditions d’obtention du droit de marque, J.-Cl. Commercial, Fasc. 600, 2011, n°
54.
292
Art. L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle : « Le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer
une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés.
Sont dépourvus de caractère distinctif :
a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation
nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;
b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et
notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la
production du bien ou de la prestation de service ;
c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou
conférant à ce dernier sa valeur substantielle ».
293
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, op. cit., n°1343, p. 747. V. CJCE, 16
sept. 2004, aff. C-329/02 P, SAT. 1 c/ OHMI, Rec. 2004, p. I-8317, pt. 41
291
67
Plusieurs raisons peuvent justifier l’exigence de distinctivité et, partant, la prohibition des
termes descriptifs. Il est ainsi expliqué que la distinctivité permet notamment de préserver le
jeu de la libre concurrence294. Un signe considéré comme descriptif, usuel ou générique doit
pouvoir rester à la disposition de tous les opérateurs économiques exerçant dans le même
secteur d’activité : « Aucun concurrent ne peut monopoliser de tels signes et priver ainsi les
autres de leur libre usage dans leur profession »295. L’exigence de distinctivité peut
également s’expliquer en partie par l’interdiction de s’approprier des choses communes296.
Cette exigence s’explique également par la fonction que un opérateur économique souhaite
assigner à un signe lorsqu’il l’utilise à titre de marque.
67. La source de la valeur de la marque. Si l’exigence de distinctivité semble dictée par
des intérêts supérieurs tels que le principe de libre concurrence, il n’en demeure pas moins
qu’il s’agit d’une exigence apparaissant comme l’élément prépondérant dans l’accession de la
294
V. G. BONET & A. BOUVEL, Distinctivité du signe, J.-Cl. Marques Ŕ dessins et modèles, Fasc. 7090, 2007, n°
2.
295
G. BONET & A. BOUVEL, préc., 2007, n° 2. V. également sur les marques descriptives, A. FRANÇON, La
prohibition des marques descriptives en droit français, RIPIA 1973, n° 94, p. 270: « C’est qu’en effet il existe
une prohibition des marques descriptives. Quelle est la raison d’être de cette prohibiton ? Elle est la même que
celle qui justifie l’interdiction du choix comme marque d’un signe nécessaire ou générique. L’on ne veut pas
qu’un commerçant ou un industriel puisse s’approprier et retirer du domaine public un terme ou un emblème
dont l’usage serait utile à tout commerçant ou un industriel pour désigner au public des produits ou des services
identiques ou similaires ».
296
L’article 714 du Code civil dispose : « Il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est
commun à tous ». Les choses communes sont des choses qui ne sont pas susceptibles d’appropriation.V. sur les
choses communes, Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 1re éd., 2006, n° 71, p. 117 ; F. TERRÉ & P.
SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8 e éd., 2010, n° 7, p. 8 ; C. AUBRY & C. RAU, Droit civil français,
t. II, 7ème éd. par P. ESMEIN, Litec, 1961, n° 37, p. 64 ; V. aussi pour étude exhaustive de la question, M.-A.
CHARDEAUX, Les choses communes, LGDJ, Bibl. droit privé, t. 464, 2006 ; A. SÉRIAUX, La notion de choses
communes. Nouvelles considérations juridiques sur le verbe avoir, in Droit et Environnement. Propos
pluridisciplinaires sur un droit en construction, PUAM, 1995, p. 23. Pour Madame CHARDEAUX, contrairement à
ce qu’affirme une doctrine dominante, l’inappropriabilité des choses communes n’est pas organisée par une loi
de la nature mais bien par une norme juridique qui exclut les res communes de la classe des biens. Cette norme a
en effet pour objectif de garantir l’usage commun des choses communes. M.-A. CHARDEAUX, op. cit., n° 108, p.
132. Les signes utilisés pour constituer une marque sont très régulièrement des choses qui existaient déjà, telles
que des mots. Le fait d’utiliser le terme « Orange » pour un opérateur téléphonique n’est ni plus ni moins
l’utilisation d’une chose commune pour désigner les services de cet opérateur. Les exemples de choses
communes utilisées à titre de marque sont multiples. Les marques qui nous entourent sont souvent la reprise de
choses dont l’usage est en théorie commun à tous : le terme « Puma » pour désigner des articles de sport, le
terme « Apple » ou « Windows » pour désigner des produits informatiques. Cette pratique n’est cependant pas
illégale. En effet, ce n’est pas la res communes dans son intégralité qui est utilisée pour désigner un produit ou
un service. On détache un fragment de la chose commune pour un usage spécifique. Ici, il s’agira d’un usage à
titre de marque. Ainsi, le terme « Orange » continuera d’exister dans son sens premier qui renvoie à la couleur
orange. Le mot « orange » restera une chose commune et l’usage de ce mot dans son sens courant demeurera
commun à tous. En réservant le terme orange à titre de marque, le titulaire de la marque opère une appropriation
partielle de la chose commune pour un usage privé. Madame CHARDEAUX résume très bien cette possibilité :
« S’il est possible d’occuper un fragment de chose commune, il est impossible d’occuper une chose commune
dans sa globalité », M.-A. CHARDEAUX, op. cit., n° 80, p. 91. L’appropriation par occupation d’une chose
commune est possible dans la mesure où elle demeure fragmentaire et qu’elle ne prive pas les autres de l’usage
de la chose commune.
68
marque au statut de bien. C’est la distinctivité, qui va faire de la marque un objet de valeur
susceptible de réservation et de commerciabilité. La logique permet d’abonder dans ce sens.
Qu’elle soit fortement ou faiblement distinctive, une marque tirera toute sa valeur de sa
faculté à distinguer des produits et des services. Le meilleur moyen de se persuader du fait
que la distinctivité est source de valeur est la contrefaçon. Qu’il s’agisse d’une reproduction
ou d’une imitation, c’est le caractère distinctif de la marque antérieure que le contrefacteur
essaye de s’approprier. Si la distinctivité est importante pour les concurrents, en vue d’assurer
le jeu de la libre concurrence, elle l’est d’autant plus pour le titulaire de la marque. C’est la
distinctivité qui lui permet de se différencier sur le marché et de s’attacher une clientèle. En
cela, l’exigence de distinctivité conditionne la valeur de la marque. Cette importance de la
distinctivité a poussé certains auteurs à y voir la seule condition permettant qu’un signe soit
utilisé à titre de marque297. Il ne faut pas pour autant nier l’importance de la disponibilité.
B. La disponibilité298
68. L’exigence de disponibilité. La disponibilité signifie que le signe ne doit pas déjà faire
l’objet d’un droit exclusif299. L’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoit
ainsi un certain nombre d’antériorités empêchant qu’un signe soit utilisé à titre de marque 300.
La condition de disponibilité se distingue des conditions de distinctivité et de licéité en le sens
où elle ne constitue qu’un motif relatif de refus. Autrement dit, l’examinateur en charge de
l’examen de la marque ne peut soulever d’office l’indisponibilité du signe. La question de la
disponibilité du signe ne peut être envisagée qu’en cas de contestation de la part d’un titulaire
de droit antérieur, soit par voie d’opposition301, soit par voie d’annulation302.
297
P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 90.
V. notamment, J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs,
Dessins et modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 145, p. 166 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle,
Economica, Corpus Droit privé, 2e éd., 2011, n° 1392, p. 793 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété
industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006, n° 1433, p. 790 ; J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE,
Droit de la propriété industrielle, Litec, 4e éd., 2007, n°505, p. 218 ; N. BINCTIN, Droit de la propriété
intellectuelle, LGDJ, Coll. Manuel, 2010, n° 656, p. 409, P. T RÉFIGNY-GOY, Marques. Ŕ Droit français. Ŕ
Conditions d’obtention du droit de marque, J.-Cl. Commercial, Fasc. 600, 2011, n° 77 ; S. DURRANDE,
Disponibilité des signe, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7110, 2011 ; A. BOUVEL, Principe de
spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 24, 2004, n° 302, p.
157.
299
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1392, p. 793
300
L’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoit ainsi que ne peut être adopté comme marque,
un signe portant atteinte à une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue, à une dénomination sociale,
un nom commercial ou une enseigne, à une appellation d’origine, à un droit d’auteur, à un droit de la
personnalité, ou bien encore au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale.
301
Cf. infra n° 547.
302
Cf. infra n° 550.
298
69
69. La valeur conférée par la disponibilité. Si l’exigence de disponibilité du signe concourt
moins à que celle de distinctivité à faire de la marque un bien, elle contribue néanmoins à lui
conférer une certaine valeur.
Sans respect de celle-ci, la marque devrait coexister avec d’autres signes, avec pour
conséquence d’annihiler l’intérêt de sa distinctivité. Cette coexistence pourrait aboutir à une
confusion dans l’esprit de la clientèle, préjudiciable pour le titulaire. Le titulaire se trouverait
dans une situation délicate et éprouverait plus de difficultés pour s’attacher et fidéliser une
clientèle. Par conséquent, si l’exigence de disponibilité s’explique par le fait qu’il ne faut pas
porter atteinte à des droits antérieurs, elle contribue également à l’intérêt du titulaire en
donnant Ŕ certes, à un niveau moindre que la distinctivité Ŕ une partie de sa valeur à la
marque.
70. Eu égard aux conditions de validité d’une marque, il apparaît que cette dernière constitue
indéniablement une valeur au profit de son titulaire. Qu’il s’agisse de la disponibilité ou de la
distinctivité, ces exigences contribuent pour le titulaire à s’attacher une clientèle. Afin que la
marque Ŕ valeur Ŕ puisse constituer un bien, il est impératif d’envisager la question de sa
réservation.
II. La réservation de la valeur « marque »
71. La réservation de la marque se fait classiquement par le biais d’un enregistrement (A).
Elle peut néanmoins, plus exceptionnellement, être la résultante d’un usage (B).
A. La réservation par l’enregistrement
72. La marque enregistrée303. La marque est définie par le législateur comme un signe
susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une
personne physique ou morale. Cette définition ne satisfait pas pleinement la doctrine qui en
303
V. notamment sur la procédure d’enregistrement, J. A ZÉMA, Marques, brevets, dessins et modèles, in Lamy
Commercial, 2011, n° 2181 et s. ; A. THRIERR & O. THRIERR, Enregistrement de la marque, J.-Cl. Marques Ŕ
Dessins et modèles, Fasc. 7210, 2006 ; J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et
autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd., 2009, n° 165, p. 191 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX,
Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006, n° 1460, p. 805 ; J. SCHMIDTSZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, Litec, 4 e éd., 2007, n° 522, p. 227 ; F. POLLAUDDULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus Droit privé, 2e éd., 2011, n° 1438, p. 827.
70
relève les insuffisances304 ; celle-ci ne mentionne pas l’exigence de l’enregistrement du signe.
Or, pour certains auteurs, il n’y a de marque que lorsque le signe est enregistré : « On ne peut
donc que regretter que le législateur ne fasse aucune référence au droit privatif à l’article L.
711-1, ni d’ailleurs dans le premier chapitre du livre VII consacré aux éléments constitutifs
de la marque »305. Il est vrai que depuis la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964306, le
mécanisme de l’acquisition de la marque par dépôt prévaut. Le Professeur PASSA se propose
ainsi de définir la marque comme « un signe distinctif dont l’usage est réservé par la loi à une
personne pour la désignation dans le commerce des produits ou services visés dans
l’enregistrement »307.
73. La réservation par l’enregistrement. L’enregistrement opère une réservation du signe à
titre de marque en ce sens qu’il permet à son titulaire la reconnaissance d’un droit de marque.
S’il n’est pas question d’envisager à ce stade de nos développements la nature juridique du
droit de marque308, il n’est pas contestable d’affirmer que ce droit opère une réservation du
signe utilisé à titre de marque309. Partant, le droit de marque issu de l’enregistrement permet
donc indéniablement de réserver la valeur marque310.
Si la question de la réservation ne pose guère de difficultés lorsqu’il y a un enregistrement, il
en va différemment des marques qui ne font l’objet que d’un usage.
304
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 33, p. 45. La définition de la marque donnée par l’article L. 711-1 : « apparaît
à la fois trop précise et incomplète ».
305
J. PASSA, op. cit., n° 33, p. 45.
306
Loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service.
307
J. PASSA, op. cit., n° 34, p. 46.
308
Cf. infra n° 144.
309
Cf. infra n° 194.
310
Il est possible de s’interroger sur le moment exact de cette réservation. La CEDH a eu l’occasion de se
prononcer sur une telle question dans différentes décisions Anheuser-Busch Inc.. Dans une première décision, la
CEDH considérait qu’une marque ne pouvait constituer un bien au sens de l’article 1 er qu’après enregistrement
définitif selon le droit de l’Etat concerné. Avant un tel enregistrement, l’intéressé dispose d’un espoir d’obtenir
un tel bien mais non une espérance légitime juridiquement protégée. CEDH, 11 oct. 2005, Anheuser-Busch Inc.
c/ Portugal, n° 73049/01, Rev. dr. rural 2006, n° 3, p. 22, note D. S ZYMCSAK; JCP 2006, I, 109, n° 15, obs. F.
SUDRE. Dans un second temps, la CEDH a nuancé sa position en considérant que la simple demande
d’enregistrement suffisait dans la mesure où celle-ci est porteuse d’intérêts patrimoniaux susceptibles d’être
protégés au titre de l’article 1er. CEDH, 11 janv. 2007, Anheuser-Busch Inc. c/ Portugal, n° 73049/01, JCPE
2007, 1409, note A. ZOLLINGER.
71
B. La réservation par l’usage
74. L’usage et l’enregistrement. Pour certains auteurs, l’enregistrement est consubstantiel à
la notion de marque311. Il serait par conséquent impossible de parler de marque hors
hypothèse d’enregistrement. A fortiori, l’enregistrement serait la seule voie permettant la
réservation de la marque et, partant, d’accéder au statut de bien. Pourtant, il peut arriver par
négligence, ignorance ou même de manière délibérée que le dépôt soit omis. Si le signe utilisé
à titre de marque n’a pas fait l’objet d’un enregistrement, on parle alors de marque d’usage312.
75. L’abandon de la marque d’usage. Peu de place est laissé aux marques d’usage, tant au
sein du système français que du système communautaire. Consacré par la loi de 1964313, puis
repris dans la loi de 1991314, le système du dépôt se substitua à la règle, connue sous l’empire
de la loi du 23 juin 1857315, selon laquelle le droit de marque résultait du premier usage.
Le droit sur le signe était attribué à celui qui établissait les premiers actes d’usage public et
non équivoque du signe qu’il entendait s’approprier316. Cette conception répondait finalement
à la logique du droit des biens, qui prévoit qu’en matière de meuble, la possession317 suffit
pour emporter la propriété de celui-ci. À l’instar, du nom commercial, de la dénomination
sociale ou de l’enseigne, le titulaire du signe utilisé à titre de marque se voyait reconnaître un
droit privatif. Le titulaire de la marque d’usage ne bénéficiait cependant pas de l’action en
311
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 34, p. 46.
312
J. PASSA, Contrefaçon et concurrence déloyale, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t.
15, 1997, n° 214, p. 138. V. également sur ce sujet, J.-J. BURST, La protection de la marque d’usage en droit
français des marques, in Festschrift für Mario M. PEDRAZZINI, Verläg Stämpfli, A.G. Bern, 1990, p. 559 ; La
reconstitution des « monopoles » de propriété industrielle par l’action en concurrence déloyale ou en
responsabilité civile : mythe ou réalité ?, in Mélanges dédiés à P. MATHÉLY, Litec, 1990, p. 93.
313
Loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service.
314
Loi n° 91-7 du 4 janvier 1991 relative aux marques de fabrique, de commerce ou de service.
315
Loi du 23 juin 1857 sur les marques de fabrique et de commerce.
316
E. POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, LGDJ, Marchal &
Billard, 6 éd., 1912, n° 140, p. 133. POUILLET affirmait ainsi que « Celui qui, le premier, s’en empare, se
l’approprie légitimement et peut interdire l’usage aux autres (...) ; pour être retenue et conservée elle n’exige
aucun acte, aucune déclaration, aucun titre ; son existence est un fait, et ce fait précisément parce qu’il est
apparent, s’impose de lui-même à tous »
317
Voir sur la possession, F. T ERRE & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8e éd., 2010, n° 151, p.
153 ; F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n°441, p. 647 ; J. CARBONNIER, Droit
civil. t. 3. Les biens, PUF, Thémis Droit privé, 19e éd., 2000, n° 118, p. 201 ; P. S IMLER, Les biens, PUG, 3e éd.
2006, n° 38, p. 43 ; J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI & S. CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens, LGDJ, 2e éd.,
2010, n° 121, p. 147 ; L. J ULLIOT DE LA MORANDIERE, Précis de droit civil, publié d’après le Cours élémentaire
de droit civil français de A. COLIN & H. CAPITANT, t. II, Dalloz, 1957, n° 172, p. 78 ; Y. STRICKLER, Les biens,
PUF, Thémis droit, 2006, n° 188, p. 269 ; C.-E. CLAEYS, La notion de possession : Pour une approche
pédagogique nouvelle, in Mélanges G. DEHOVE, PUF, 1983, p. 111 ; P. ORTSHEIDT, La possession en droit civil
français et allemand, Grenoble, SRT, 1977 ; P. TAFFOREAU, Possession et propriété intellectuelle, in Propriété
intellectuelle et droit commun, PUAM, Institut du droit des affaires, 2007, p. 111.
72
contrefaçon, mais de l’action en concurrence déloyale. L’action en contrefaçon était réservée
aux seuls titulaires qui avaient procédé au dépôt de leur marque318. Le dépôt apparaissait ainsi
comme le garant d’une plus grande sécurité juridique. C’est d’ailleurs vraisemblablement au
nom de la sécurité juridique que le système du premier usage fut abandonné. En effet, si le
système de l’acquisition du droit par l’usage semblait « rationnel »319, il n’était cependant pas
dénué d’inconvénients pratiques. L’usage étant plus difficile à prouver, il n’existait pas de
moyens sûrs de le porter à la connaissance du public. Le droit de marque apparaissait de ce
fait « aléatoire »320 et « incertain »321. Le système fut donc tout naturellement abandonné.
76. La marque d’usage notoire. L’abandon du système fondé sur le premier usage doit-il
être cependant compris comme une disparation des marques d’usage ? Autrement dit, un
signe utilisé à titre de marque, non enregistré, peut-il être considéré comme une marque ?
Pour certains auteurs, la notion de marque implique un enregistrement. Le Professeur PASSA
considère qu’une marque d’usage « qui est un signe exploité pour désigner des produits ou
services mais qui n’est pas couvert par un droit privatif faute d’avoir fait l’objet d’une
demande d’enregistrement, ne peut à proprement parler être qualifié de marque, alors qu’il
répond à la définition de l’article L. 711-1, alinéa 1er »322. À ce titre, la marque d’usage ne
serait pas une marque.
Certes, la marque d’usage ne peut bénéficier des dispositions du Livre VII du Code de la
propriété intellectuelle. Pour autant, elle n’en constitue pas moins une marque : une marque
au sens large du terme. L’existence de la marque d’usage est consacrée dans divers textes
internationaux ou nationaux. L’article 6 bis de la Convention de Paris de 1883323 « impose la
protection de la marque notoire, même si elle n’est pas déposée »324. Celui-ci prévoit que le
titulaire d’une marque notoire non enregistrée peut demander l’annulation du dépôt d’une
318
E. POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, LGDJ, Marchal &
Billard, 6 éd., 1912, n° 191, p. 185, Comme le note cet auteur, le dépôt offrait « la garantie des peines
correctionnelles qui frappent le contrefacteur. La marque non déposée constitue bien une propriété au profit du
négociant qui l’a adoptée, mais pour la faire respecter, il ne peut faire appel qu’à la loi civile ; au contraire, la
loi pénale protège la marque déposée, et celui qui l’usurpe, assimilé à un voleur, se rend passible de l’amende et
de l’emprisonnement ».
319
P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 212.
320
P. MATHÉLY, op. cit., p. 212.
321
P. MATHÉLY, op. cit., p. 212.
322
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 33, p. 45.
323
Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883.
324
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 1301,
p. 716.
73
marque postérieure, si la marque seconde est susceptible de créer une confusion avec la
sienne325.
Les marques notoires sont également envisagées dans le cadre du Code de la propriété
intellectuelle, à l’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, à propos de
l’indisponibilité, ou encore à l’article L. 713-5 du même Code, relatif à la protection
spécifique des marques renommées ou notoires.
Il apparaît ainsi que non seulement les marques d’usage ne sont pas interdites, mais aussi
qu’elles n’ont pas complètement disparu de notre paysage juridique. Cependant, pour ce qui
est de la marque d’usage notoire, l’enregistrement s’est trouvé un substitut. La notoriété
supplée à l’enregistrement en conférant à son titulaire un droit privatif326. La notoriété permet
en conséquence à la marque d’usage Ŕ la valeur Ŕ d’être reconnue par le droit. La marque
d’usage notoire pourrait constituer un bien.
77. La marque d’usage non notoire. L’affirmation peut également valoir pour les marques
d’usage qui ne sont pas notoires. Aucune règle ne semble proscrire l’usage d’un signe à titre
de marque. Ou plutôt, rien n’impose d’enregistrer un signe que l’on souhaite utiliser à titre de
marque. Dès lors qu’un signe est utilisé à titre de marque, il semble logique de le qualifier de
marque. Comment pourrait-on les qualifier autrement ? Comment pourrait-on qualifier un
signe utilisé à titre de marque avant qu’il n’accède à la notoriété ? Préalablement à la
célébrité, il ne serait pas une marque alors que postérieurement, il le serait. Un signe utilisé à
titre de marque doit être qualifié de marque, qu’il soit enregistré ou non.
S’il est vrai que la marque d’usage ne peut « être le siège d’un droit privatif »327, elle n’en
demeure pas moins une marque dès lors qu’elle est utilisée à cet effet. Il ne pourrait en être
325
TPICE, 11 juill. 2007, aff. T-150/04, Mülhens c/ OHMI, Rec. 2007, p. II-2353. Les marques notoires au sens
de l’article 6 bis de la Convention de Paris « sont des marques qui bénéficient d’une protection contre le risque
de confusion, et ce sur le fondement de la notoriété dans le ressort territorial en cause et indépendamment de la
production, ou non, d’une preuve d’enregistrement ».
326
L’article L. 714-4 du Code de la propriété intellectuelle qualifie même le titulaire d’une marque notoire de
propriétaire. Il dispose en effet : « L’action en nullité ouverte au propriétaire d’une marque notoirement connue
au sens de l’article 6 bis de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle se prescrit par
cinq ans à compter de la date d’enregistrement, à moins que ce dernier n’ait été demandé de mauvaise foi ». V.
aussi l’article L. 712-4 du Code de la propriété intellectuelle. Cf. infra n° 414.
327
J.-J. BURST, La protection de la marque d’usage en droit français des marques, in Festschrift für Mario M.
PEDRAZZINI, Verläg Stämpfli, A.G. Bern, 1990, p. 559. Il ne pourrait en être autrement. En effet, l’article 4
alinéa 3 de la loi du 31 décembre 1964 disposait ainsi: « Le seul usage à titre de marque de l’un des signes
prévus à l’article 1er ne confère aucun droit à l’usager ». Cette formule n’a pas été reprise lors de la réforme du
4 janvier 1991. Néanmoins, « l’état de droit n’a pas changé sur ce point », J. PASSA, Contrefaçon et concurrence
déloyale, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 15, 1997, n° 215, p. 139.
74
autrement. D’ailleurs, lorsque le droit de la consommation fait référence à la marque, il vise
tant les marques enregistrées que les marques d’usage328.
Le fait que la marque d’usage soit une marque n’impliquerait cependant pas, hors hypothèse
de notoriété, qu’elle fasse l’objet d’une réservation. En vertu du principe de la liberté de
commerce et de l’industrie, la reprise d’un signe qui n’est pas couvert par un droit privatif ne
devrait pas être considérée comme fautive329. En conséquence, la marque d’usage ne ferait pas
l’objet d’une quelconque réservation.
Pourtant, une réservation est envisageable.
78. Les conditions de la protection. En vue de bénéficier d’une protection, la marque
d’usage doit répondre, à l’instar de la marque enregistrée, aux conditions habituelles de
validité330. Le signe utilisé à titre de marque doit être distinctif331, disponible et licite.
À défaut, le signe ne pourrait constituer une marque susceptible d’une quelconque
réservation. L’absence de distinctivité empêcherait la clientèle de voir dans le signe une
marque. L’illicéité du signe pourrait se voir sanctionnée sur le terrain de la tromperie ou des
pratiques commerciales trompeuses332. Enfin, l’indisponibilité du signe peut avoir pour
conséquence que son usage soit interdit par l’action d’un titulaire d’un droit antérieur.
Une fois ces conditions remplies, la marque d’usage constitue une valeur La réservation ne
pouvant résulter d’un droit privatif, convient-il de se tourner vers le droit commun de la
responsabilité délictuelle tel qu’envisagé par les articles 1382 et 1383 du Code civil. La
protection de la marque d’usage est ainsi assurée par les mécanismes classiques de la
328
V. par exemple l’article L. 121-1 du Code de la consommation. Cf. sur la marque dans le droit de la
consommation infra n° 733.
329
J. PASSA, Contrefaçon et concurrence déloyale, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t.
15, 1997, n° 90, p. 56. Le Professeur PASSA dans sa thèse intitulée « Contrefaçon et concurrence déloyale »
explique parfaitement que les droits de propriété intellectuelle sont des exceptions « au principe cardinal de la
liberté de commerce et de l’industrie ». C’est pourquoi, en l’absence de droit privatif, la liberté de commerce ne
peut donc pas être limitée « et la prestation non appropriée doit, par application du principe de liberté, pouvoir
être exploitée sans interdit par toute personne y trouvant intérêt ». De ce fait, la concurrence déloyale ne peut
être une solution de repli automatique pour celui qui ne peut se prévaloir d’un droit privatif.
330
J.-J. BURST, La protection de la marque d’usage en droit français des marques, in Festschrift für Mario M.
PEDRAZZINI, Verläg Stämpfli, A.G. Bern, 1990, p. 559, et plus spécialement p. 561.
331
J.-J. BURST, préc., spécialement p. 562. BURST considérait que l’absence de distinctivité empêche une
protection fondée sur l’article 1382 du Code civil. Il explique ainsi : « C’est dans le domaine de la décoration
des emballages que la jurisprudence est le plus souvent invitée à trancher. Il s’agit alors de couleurs qui sont
reproduites par le concurrent. Elles auraient pu être déposées comme marques, mais elles ne l’ont pas été. Les
tribunaux condamment pour concurrence déloyale après avoir constaté l’existence d’un risque de confusion.
Toutefois, la protection est refusée lorsque les couleurs reproduites sont banales, ce qui montre bien que la
marque d’usage qui n’est pas distinctive ne peut pas être protégée par la concurrence déloyale ». Voir ainsi à ce
sujet, Paris, 28 avr. 1982, Ann. prop. Ind., 1982, p. 152 ; TGI Paris, 19 mai 1987, PIBD 1987, n° 424, III, p.
506 ; TGI Paris, 1er mars 1989, PIBD 1989, n° 462, III, p. 478.
332
Cf. infra n° 754.
75
responsabilité civile et, en particulier, par les règles de la concurrence déloyale. L’atteinte à la
marque d’usage implique donc une faute, un dommage et un lien de causalité333. La
réservation est cependant précaire et concerne essentiellement, sauf exception, les conflits
avec d’autres marques d’usage. Comme en matière de concurrence déloyale, l’usurpation de
la marque d’usage est fautive et dommageable si un risque de confusion est démontré334. Pour
cela, le signe objet du conflit doit être exploité publiquement, faire l’objet d’une reproduction
ou d’une imitation dans la même spécialité, c'est-à-dire pour désigner des produits ou services
identiques ou similaires. En sus du risque de confusion, le titulaire de la marque d’usage doit,
pour obtenir gain de cause, démontrer sa priorité d’usage.
79. La précarité de la réservation. Par le jeu de l’article 1382 du Code civil et de l’action
en concurrence déloyale, le titulaire de la marque voit son signe en quelque sorte réservé,
comme pourrait l’être un nom commercial ou une enseigne. Cependant, si réservation il y a,
celle-ci s’avère précaire, n’offrant pas un véritable droit privatif.
Cette précarité se traduit notamment dans la faiblesse de la marque d’usage face à la marque
déposée postérieurement. La marque d’usage ne peut être « opposée victorieusement à une
marque postérieure qui est enregistrée »335. L’article L. 711-4 du Code de la propriété
intellectuelle prévoit que seule une marque enregistrée ou notoirement connue peut constituer
une antériorité pertinente. Dès lors, « entre une marque déposée et une marque non déposée,
plus ancienne, c’est la marque déposée qui l’emporte et le titulaire de la marque non déposée
333
J.-J. BURST, La protection de la marque d’usage en droit français des marques, in Festschrift für Mario M.
PEDRAZZINI, Verläg Stämpfli, A.G. Bern, 1990, p. 559, et plus spécialement p. 562.
334
J. PASSA, Contrefaçon et concurrence déloyale, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t.
15, 1997, n° 216, p. 140. Le Professeur PASSA relève ainsi que « celui qui, en raison des circonstances de la
reproduction ou de l’imitation d’une marque d’usage, crée un risque de confusion avec les produits ou services
ou avec l’entreprise du premier usager commet incontestablement un acte de concurrence déloyale ». V.
également, J.-J BURST, La reconstitution des « monopoles » de propriété industrielle par l’action en concurrence
déloyale ou en responsabilité civile : mythe ou réalité ?, in Mélanges dédiés à P. MATHÉLY, Litec, 1990, p. 93,
spéc. p. 96. L’éminent Professeur expliquait que le bien-fondé « de l’action en concurrence déloyale implique
une confusion ou à tout le moins un risque de confusion. Ne pas exiger cette condition fondamentale reviendrait
à reconnaître un droit là où la loi a refusé de reconnaître son existence ». Cependant, certaines décisions ne font
pas état du risque de confusion dans la motivation en affirmant ainsi que la reproduction d’un signe est un acte
de concurrence déloyale. V. par ex., Paris, 8 nov. 1984, Ann. propr. ind. 1985, p. 64. De même certains
tribunaux préfèrent se référer à la théorie de la concurrence parasitaire plutôt qu’à la concurrence déloyale. Le
Professeur PASSA note à ce sujet : « les tribunaux considèrent alors que la reproduction ou l’imitation d’une
marque d’usage est fautive au motif qu’elle conduit à une exploitation déloyale de la position acquise par un
concurrent auprès des consommateurs, ou permet d’installer dans le sillage d’un compétiteur économique pour
profiter de ses efforts sans bourse délier ». J. PASSA, op. cit., n° 217, p. 140. V. ainsi Cass. com., 16 juil. 1968,
Ann. prop. ind. 1968, p. 90 ; PIBD 1969, III, p. 113.
335
J.-J. BURST, La protection de la marque d’usage en droit français des marques, préc., spéc. p. 564.
76
est contrefacteur »336. Il s’agit là d’une solution pleine de bon sens337. Faut-il rappeler que le
système actuel est celui de l’acquisition du droit par l’enregistrement ? Quel serait l’intérêt du
dépôt si les titulaires des marques d’usage pouvaient jouir de droits similaires à ceux des
titulaires des marques enregistrées ?
Ce principe souffre néanmoins d’exceptions. Nous l’avons déjà énoncé, si la marque d’usage
est notoire, elle peut constituer une antériorité pertinente et elle l’emporte en cas de conflit sur
une marque enregistrée postérieure.
L’autre exception concerne l’application de l’adage Fraus omnia corrumpit. Comme tout acte
juridique, l’enregistrement d’une marque peut être annulé en cas de fraude338. S’il est établi
que le déposant avait connaissance d’une marque antérieure identique ou similaire dans la
même spécialité, ou s’il ne pouvait en ignorer l’existence, l’enregistrement devra être
annulé339. Cette solution doit trouver à s’appliquer pour les marques d’usage : « Une chose est
de ne conférer aucun droit pouvant résulter de l’usage, autre chose est de permettre qu’un
dépôt effectué par quelqu’un qui veut profiter en toute connaissance de cause de la
négligence d’autrui lui confère des droits »340. Le dépôt est en conséquence considéré comme
frauduleux lorsque le déposant connaissait l’usage antérieur fait par un tiers du même signe.
La preuve de la mauvaise foi du déposant peut s’avérer difficile à rapporter. Les tribunaux se
contentent « de constater que le déposant ne pouvait ignorer l’activité de son concurrent et
l’utilisation qu’il faisait de la marque non déposée »341. Cette preuve est facilitée lorsque les
336
Pau, 25 août 1988, Ann. prop. ind., 1989, p. 30. V. également, TGI Strasbourg, 20 déc. 1989 et 22 oct. 1990,
D. 1993, somm. 112, obs. J.-J. BURST; Paris, 24 janv. 1973, D. 1973, p. 357, note R. P LAISANT ; Lyon, 14 déc.
1978, PIBD 1979, n ° 234, III, p. 165 ; JCPG 1979, II, 12256, note J.-J. BURST et P. NUSS ; TGI Paris, 18 févr.
1994, PIBD 1994, n° 567, III, p. 304.
337
A. CHAVANNE, Fraude et dépôt attributif de droit en matière de marques, in Mélanges en l’honneur de D.
BASTIAN, t. 2, Droit de la propriété industrielle, Litec, 1974, p. 3: « Le résultat peut sembler dur dans certain
cas : une marque reposant sur le seul usage, même ancienne et connue (à condition qu’elle ne soit pas notoire)
sera évincée par une marque identique ou voisine régulièrement déposée, bien qu’elle lui soit postérieure et très
peu connue. Tant pis pour le titulaire de la première qui n’a pas été vigilant : il n’avait qu’à profiter du délai de
3 ans qui lui était offert par l’article 35 de la loi de 1964 pour effectuer un dépôt et régulariser sa situation et
confirmer ses droits, jura Vigilitantibus ».
338
Ce motif de nullité est conforme à la Directive marque. Ainsi, l’article 3, § 2 d) laisse la possibilité aux États
membres de prévoir que la marque est nulle lorsque « la demande d’enregistrement de la marque a été faite de
mauvaise foi par le demandeur ».
339
A. CHAVANNE, Fraude et dépôt attributif de droit en matière de marques, préc., p. 3.
340
A. CHAVANNE, préc., spéc. p. 4.
341
J.-J. BURST, La protection de la marque d’usage en droit français des marques, in Festschrift für Mario M.
PEDRAZZINI, Verläg Stämpfli, A.G. Bern, 1990, p. 559, spéc. p. 565. V. pour illustration : TGI Bobigny, 22 févr.
1985, JCPE 1987, 16055, n 48, obs. J.-J. BURST & J. M. MOUSSERON ; Paris, 31 mars 1987, RDPI 1987, n°11, p.
149 ; TGI Paris, 26 juin 1986, RDPI 1986, n° 7, p. 84.
77
parties sont en relation d’affaires et « qu’à cette occasion le déposant a eu connaissance de
l’utilisation faite par l’auteur de la marque non déposée »342.
Tous ces éléments démontrent que la marque d’usage fait l’objet d’une réservation. À défaut
d’un droit privatif, il n’en demeure pas moins que le bénéficiaire jouit « d’une protection
juridique »343. Il n’en faut pas plus pour que la marque d’usage puisse être considérée comme
un bien.
80. Qu’elle soit d’usage ou enregistrée, la marque est une valeur reconnue par le droit. Elle
fait l’objet d’une réservation. Afin de se convaincre définitivement qu’elle constitue un bien,
il est nécessaire d’envisager rapidement la question de la commerciabilité.
III. La commerciabilité de la marque
81. Une valeur dans le commerce. La question de sa commerciabilité du signe utilisé à titre
de marque ne pose guère de difficultés. L’exploitation de la marque peut prendre différentes
formes. Outre, les contrats classiques de cession344 et de concession345, la marque peut faire
l’objet d’apports en société346, d’accord de coexistence de marque347 ou de mises en gage348.
Cette liberté d’exploitation de la marque démontre qu’il s’agit d’une chose dans le commerce
et permet de s’assurer que la marque constitue un bien.
342
J.-J. BURST, La protection de la marque d’usage en droit français des marques, in Festschrift für Mario M.
PEDRAZZINI, Verläg Stämpfli, A.G. Bern, 1990, p. 559, spéc. p. 565. V. les jurisprudences citées par l’auteur :
TGI Paris, 11 janv. 1989, PIBD 1989, n° 457, III, p. 331 ; TGI Paris, 13 févr. 1989, PIBD 1989, n° 459, III, p.
392 ; TGI Paris, 16 févr. 1983, PIBD 1983, n° 328, III, p. 184.
343
CJCE, 11 juin 2009, aff. C-529/07, Chocoladenfabriken Lindt & Sprüngli, Rec. 2009, p. I-04893, pt. 52.
344
Art. L. 714-1, alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle : « Les droits attachés à une marque sont
transmissibles en totalité ou en partie, indépendamment de l’entreprise qui les exploite ou les fait exploiter. La
cession, même partielle, ne peut comporter de limitation territoriale ». V. notamment sur cette question, J.
PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles,
LGDJ, 2e éd., 2009, n° 393, p. 558 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus
Droit privé, 2e éd., 2011, n° 1594, p. 928 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz,
Précis, Droit privé, 6e éd., 2006, n° 1490, p. 820 ; J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété
industrielle, Litec, 4e éd., 2007, n° 642, p. 280 ; N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, Coll.
Manuel, 2010, n° 831, p. 522 ; É. TARDIEU-GUIGUES, Transmission du droit sur la marque, J.-Cl. Marques Ŕ
Dessins et modèles, Fasc. 7400, 1994, n° 3.
345
Art. L. 714-1, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle : « Les droits attachés à une marque peuvent
faire l’objet en tout ou partie d’une concession de licence d’exploitation exclusive ou non exclusive ainsi que
d’une mise en gage ». V. notamment sur cette question, J. P ASSA, op. cit., n° 400, p. 565 ; F. POLLAUD-DULIAN,
op. cit., n° 1609, p. 934 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, op. cit., n° 1498, p. 823 ; J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L.
PIERRE, op. cit., n° 659, p. 284 ; N. BINCTIN, op. cit., n° 877, p. 549 ; É. TARDIEU-GUIGUES, préc., n° 45.
346
N. BINCTIN, Le capital intellectuel, Litec, Bibl. de droit de l’entreprise, t. 75, 2007 ; Y. R EINHARD, L’apport
en société des droits de propriété industrielle, in Mélanges offerts à A. CHAVANNE : droit pénal, propriété
industrielle, Litec, 1990, p. 297.
347
Paris, 4e ch., 4 juill. 2008, D., 2009, p. 1189, note J. H UET.
348
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 392, p. 557.
78
82. La marque est une valeur susceptible de réservation. Qui plus est, elle est dans le
commerce. Il ne semble plus faire aucun doute que la marque est un bien qui a vocation à
intégrer le patrimoine de son titulaire. La marque, à l’instar, des autres biens constituant le
patrimoine de son titulaire, se voit attribuer une fonction qui lui est propre, sans quoi elle
n’aurait aucune utilité pour son titulaire. C’est cette fonction qu’il convient d’envisager
maintenant.
Section 2. La fonction patrimoniale encadrée par l’utilisation du signe à titre de
marque
83. Le signe utilisé à titre de marque est un bien, un objet susceptible d’une appropriation ou
d’une réservation. Comme chaque bien, il a une fonction qui lui est propre, une fonction que
nous pourrions qualifier de patrimoniale, le bien étant au service de son titulaire pour
l’accomplissement d’une activité économique déterminée. Il conviendra donc de déterminer
pourquoi la marque a une fonction d’identification (§ 1) afin d’envisager l’intérêt d’une telle
fonction pour son titulaire (§ 2).
§ 1. La fonction d’identification de la marque
84. La marque étant un signe et en vue de mieux appréhender la fonction de la marque, il est
impératif d’envisager la fonction d’un signe, de manière générale (I). La recherche de la
fonction du signe n’est cependant pas suffisante pour découvrir la fonction de la marque. La
marque fait partie d’une catégorie plus réduite de signes : les signes distinctifs. C’est la
détermination de la fonction des signes distinctifs qui permettra d’envisager la fonction du
signe utilisé à titre de marque (II).
I. La fonction des signes
85. La définition et l’étymologie de la notion de signe. Comme l’énonce Monsieur GRIDEL,
le signe « appartient à la langue vulgaire, mais figure aussi dans la terminologie médicale,
théologique, astrologique, héraldique, linguistique, sémiologique »349. Le terme « signe » est
un mot aux emplois multiples. Ainsi, le signe peut être « la chose perçue qui permet de
349
J.-P. GRIDEL, Le signe et le droit. Les bornes - les uniformes Ŕ la signalisation routière et autres, LGDJ, Bibl.
de droit privé, t. 164, 1979, n° 4, p. 6.
79
conclure à l’existence ou la vérité (d’une autre chose absente à laquelle elle est liée) »350. Il
peut aussi être envisagé comme un « élément ou caractère (d’une personne, d’une chose) qui
permet de distinguer, de reconnaître »351. Cette définition du signe correspond notamment à
la marque. En tant que signe, elle permet de reconnaître les objets mis sur le marché et de ne
pas les confondre avec ceux des concurrents.
Étymologiquement, le sens du mot signe peut sembler plus restreint. Traditionnellement,
l’équivalent grec du mot signe désignait le caractère distinctif tout ce qui fait reconnaître ou
distinguer quelque chose352. L’autre équivalent grec renvoie à la même idée : marque
distinctive, ce à quoi l’on reconnaît quelque chose ou quelqu’un353. Le signe permet
concrètement de désigner « la matérialité visuelle qui permet l’identification et se traduit
alors par le cachet, le sceau, l’inscription ; la borne, la trace, l’indice, la preuve ; l’enseigne
militaire, le drapeau, le pavillon »354. Un signe est donc quelque chose qui permet de
distinguer et, partant, d’identifier.
86. Le signe linguistique. Le phénomène linguistique est composé de deux aspects : un
signifiant et un signifié355. La langue peut en effet se définir comme « un système de signes
distincts correspondant à des idées distinctes »356. Le signe linguistique unit non pas une
chose et un nom, mais plus un concept et une image acoustique. Le signifiant est ainsi « la
traduction phonique d’un concept »357 et le signifié est quant à lui « le concept en tant qu’il
est susceptible d’une concrétisation mentale »358. Le signe linguistique a fait les frais d’une
vulgarisation et apparaît finalement comme étant une relation entre une forme matérielle et un
contenu sémantique, entre une chose et un nom.
On entraperçoit à la lumière de la linguistique, la fonction qui pourrait être reconnue à la
marque. Elle exploite utilement une forme, le signifiant, afin d’avoir une signification, le
signifié. Le signe utilisé à titre de marque nécessite tout d’abord une base formelle. Sans
350
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
352
J.-P. GRIDEL, Le signe et le droit. Les bornes - les uniformes Ŕ la signalisation routière et autres, LGDJ, Bibl.
de droit privé, t. 164, 1979, n° 7, p. 7.
353
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 7, p. 8.
354
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 7, p. 8
355
A. MARTINET, Le langage, Encyclopédie la Pléiade, t. 25, p. 20, Gallimard, 1968, cité par J.-P. GRIDEL, op.
cit., n° 10, p. 12: « On dit d’un objet qu’il est un signe, au sens le plus large, lorsqu’il manifeste autre chose que
lui. Une chose est ce qu’elle est ; dire qu’elle est un signe, c’est dire qu’on peut distinguer en elle son aspect
signifiant et son aspect signifié. C’est ce qu’il y a de commun à la relation de la fumée au feu, du feu rouge à
l’ordre de s’arrêter, de l’expression un éléphant à l’éléphant »
356
F. DE SAUSSURE, Cours de linguistique générale, édition critiquée T. DE MAURO, Payot, 1967 pour les notes
et commentaires, réedition 1995, p. 26.
357
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 17, p. 20.
358
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 17, p. 20.
351
80
signifiant, il ne peut y avoir de signification. C'est pourquoi la marque est « faite d’éléments
pouvant être perçus par les sens »359. En outre, la marque a une signification. Il s’agit du
signifié. Comme le relevait MATHELY, la marque « est d’abord une chose sensible, par
exemple un mot ou une image destiné à la vue et à l’ouïe de l’homme. Et cette chose sensible
va donner une information : une information relative à l’objet auquel elle est appliquée »360.
L’information donnée par la marque est que le produit estampillé provient d’une entreprise
qui, en théorie, utilise ce signe pour identifier ces produits. La marque, au sens linguistique du
terme, est un signe.
Cette approche linguistique permet de percevoir la fonction d’un signe en général.
Néanmoins, cette approche n’est pas parfaite. Le signe linguistique englobe essentiellement
les marques verbales et ne peut pas, à titre d’exemple, s’appliquer aux signes emblématiques.
Il est nécessaire d’envisager plus largement la notion de signe par le biais d’une approche
sémiologique.
87. Le signe sémiologique. La linguistique et la sémiologie sont deux sciences qui sont
étroitement liées : « Bien que la seconde soit historiquement née de la première, la première
n’est aujourd’hui qu’une partie de la seconde »361. La sémiologie est la science des signes362.
Le signe sémiologique peut se définir comme « l’union d’une manifestation sensible et d’une
intention de communication »363. Le signe sémiologique se veut plus large que le signe
linguistique364. En sémiologie, sont considérés comme signes, non seulement les langues,
« mais aussi les symboles graphiques des sciences exactes, de la logique ou des cartes
359
P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, Éd. JNA, 1994, p. 10
P. MATHÉLY, op. cit., p. 10.
361
J.-P. GRIDEL, Le signe et le droit. Les bornes - les uniformes Ŕ la signalisation routière et autres, LGDJ, Bibl.
de droit privé, t. 164, 1979, n° 15, p. 19.
362
V. F. DE SAUSSURE, Cours de linguistique générale, édition critiquée T. DE MAURO, Payot, 1967 pour les
notes et commentaires, réedition 1995, p. 33: « La langue est un système de signes exprimant des idées, et par
là, comparable à l’écriture, à l’alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux
signaux militaires, etc. Elle est seulement le plus important de ces systèmes.
On peut donc concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale, et par conséquent de
la psychologie générale ; nous la nommerons sémiologie (…). Elle nous apprendrait en quoi consiste les signes,
quelles lois les régissent. (…) La linguistique n’est qu’une partie de cette science générale, les lois que
découvrira la sémiologie seront applicables à la linguistique et celle-ci se trouvera ainsi rattachée à un domaine
bien défini dans l’ensemble des faits humains ».
363
J.-P. GRIDEL, Le signe et le droit. Les bornes - les uniformes Ŕ la signalisation routière et autres, op. cit., n°
20, p. 23.
364
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 21, p. 25 : « Les langues humaines sont les premiers phénomènes à répondre à la
définition du signe sémiologique et, à ce titre, la linguistique n’est qu’une partie de la sémiologie. Néanmoins,
un écart se creuse entre les deux disciplines et isole signe linguistique et signe sémiologique. L’on tend à
reconnaitre au langage ordinaire une place à part et à réserver à la sémiologie l’étude des signes non
linguistiques ; il possède en effet ce que l’on appelle, à la suite des travaux de M. MARTINET, une double
articulation, qui le rend irréductible aux autres systèmes de communication ».
360
81
routières… »365. Le signe sémiologique se distingue également du signe linguistique de par
« l’intention de communication »366. L’existence du signe n’est pas naturelle et résulte d’une
volonté de communication. C’est le « véhicule d’un message »367. Le signe démontre une
volonté de faire savoir. Il se caractérise par « cette volonté qui l’anime : volonté de la relation
à autrui, volonté de faire connaître telle vérité déterminée, volonté de charger de sens telle
réalité ou de reprendre à son compte le sens dont elle est socialement chargée. Le signe est le
« rapport volontaire dérivant de la nature de communication » »368. Le signe est en ce sens un
moyen d’action sur autrui. La marque semble répondre à la définition du signe sémiologique.
Elle résulte de la volonté du titulaire qui a décidé d’utiliser une marque pour désigner des
produits ou des services, afin de se distinguer de ses concurrents, et d’informer les utilisateurs
de la marque qu’il est le titulaire légitime de cette marque. Néanmoins, envisager la marque
comme un signe sémiologique ne correspond pas encore pleinement à la réalité. Tout
phénomène sensible produit par une volonté agissante dans un but de communication est un
signe. Dès lors, tout phénomène pourrait constituer une marque : un mot, un emblème, une
odeur, une sensation tactile. Or, la marque ne peut être constituée par tout type de signe. Elle
doit répondre à certains critères. La marque n’est donc pas simplement un signe
sémiologique ; elle appartient à une sous-catégorie : le signe juridique.
88. La marque comme signe juridique369.
Partant du constat que le signe avait une
multitude de définitions et qu’il s’agissait d’un terme qui se retrouvait dans de nombreuses
sciences, le Professeur GRIDEL s’est proposé de regrouper « certains phénomènes qui,
nécessaires à la connaissance du droit et identiques par les traits essentiels de leur
fonctionnement, n’ont jamais été regroupés au sein d’un même vocable »370, au sein d’une
catégorie particulière : les signes juridiques.
Les signes juridiques ont pour vocation de faire connaître la situation juridique propre à une
personne ou à une chose. Ils se caractérisent « par une appréhension immédiate de la part
d’autrui et par l’aspect essentiellement juridique et intentionnel de leur contenu »371.
Le signe juridique se caractérise également par la réunion de deux éléments qui le
constituent : le corpus et l'animus. Dans un sens concret, le signe est une chose, une res. On a
365
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 20, p. 23.
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 20, p. 24.
367
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 20, p. 25.
368
J.-P. GRIDEL, op. cit., p. 25.
369
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 23, p. 27.
370
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 23, p. 28.
371
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 24, p. 28.
366
82
d’ailleurs tendance à confondre le signe avec son signifiant, le corpus du signe, qui est le
support de la signification. Le signe juridique doit pouvoir se comprendre spontanément et
instantanément par autrui. L’autre versant du signe est celui mis en exergue dans la définition
sémiologique du signe : l’intention de communication. Il s’agit de l’animus. Le signe
juridique est le fruit exprès d’une volonté d’informer, de communiquer, de faire passer un
message : « S’il est matériellement un objet instantanément perçu, le signe se caractérisera
donc abstraitement par l’intention de communication qui l’a fait naître et par la juridicité de
son message »372.
Le signe juridique, outre son corpus et son animus se distingue par le message qu’il souhaite
faire passer. Il doit se caractériser par son intention de communication juridique373. Afin
d’illustrer ses propos, le Professeur GRIDEL prend l’exemple de l’enseigne qui constitue pour
lui un signe juridique, non pas à raison de la protection légale que lui apporte l’action en
concurrence déloyale ou la réglementation professionnelle, mais parce qu’elle est porteuse
d’une information juridique. L’enseigne « traduit l’existence hic et nunc de tel commerce, et
fait savoir que l’occupant du local désigné est dans la situation juridique d’artisan ou de
vendeur disposé à effectuer la prestation propre à son état »374.
Le signe juridique peut donc être simplement défini comme un signifiant volontaire : il « est
un objet dont la raison d’être est d’extérioriser la situation juridique propre à telle personne
ou chose : ce qui donne au signe un caractère juridique, c’est son contenu »375.
89. La marque comme signe juridique. À l’instar de l’enseigne, le signe utilisé à titre de
marque constitue indéniablement un signe juridique. Il s’agit d’une chose, qui doit être
comprise en un trait de temps, justifiant notamment l’exigence de disponibilité et de
distinctivité, fruit d’une volonté, résultant d’un dépôt ou d’un usage, ayant un message
juridique. Or, c’est dans ce message juridique qu’il convient de rechercher la fonction de la
marque.
372
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 30, p. 31.
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 32, p. 36.
374
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 33, p. 38.
375
J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 33, p. 39.
373
83
II. La fonction d’identification
90.
La marque, en tant que signe juridique, appartient à la catégorie des signes distinctifs,
dans laquelle on retrouve notamment le nom commercial, l’enseigne ou bien encore la
dénomination sociale376.
La catégorie des signes distinctifs est une notion vague qui n’a pas fait l’objet d’une définition
légale. Ils sont habituellement définis comme étant des « moyens phonétiques ou visuels
particulièrement des mots ou des images, qui sont appliqués, dans la vie économique et
sociale, à la désignation des personnes ou des entreprises, ainsi que des produits ou services
qu’elles fournissent, afin de les distinguer et de permettre au public de les reconnaître »377.
Cette définition permet de mettre en avant le dénominateur commun des signes distinctifs :
l’identification. La fonction d’identification est le propre de tous les signes distinctifs (A). La
marque a cependant une fonction qui lui est propre en ce sens qu’elle qu’elle identifie
uniquement des produits et des services (B).
A. La fonction commune des signes distinctifs
91. Une fonction identique pour des signifiés différents. Derrière le pléonasme signe
distinctif se cache des signes juridiques qui se caractérisent par leur fonction. Ils permettent
d’identifier, de désigner quelque chose ou le cas échéant quelqu’un afin que ce quelque chose
ou ce quelqu’un puisse être distingué. Doivent notamment être rangés dans cette catégorie
particulière de signe juridique, le nom commercial, la dénomination sociale, l’enseigne ou
bien encore le nom de domaine. Si ces différents signes sont réunis sous la même bannière de
par leur fonction, ils ne doivent cependant pas être confondus dès lors qu’ils n’ont pas pour
fonction d’identifier la même chose.
92. La fonction d’identification du nom commercial. Le nom commercial378 se définit
comme la « dénomination sous laquelle est connu et exploité un établissement
376
A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété
intellectuelle, t. 24, 2004 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit
privé, 2e éd., 2011, n° 1207, p. 651 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz,
Précis, Droit privé, 6e éd., 2006, n° 1350, p. 737 ; P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA,
1984.
377
P. MATHÉLY, op. cit., p. 3.
378
V. pour plus de précisions sur le nom commercial, J. P ASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1,
Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd., 2009, n° 469, p. 683 ; F. POLLAUDDULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 1209, p. 655 ; P.
ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 2, Sirey, 1954, n° 285, p. 659 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX,
84
commercial »379ou, autrement dit, comme « la dénomination, sous laquelle une personne
physique ou morale désigne l’entreprise ou le fonds de commerce qu’elle exploite, pour
l’identifier dans ses rapports avec la clientèle »380. Comme le relève le Professeur LOISEAU,
il permet « de singulariser le fonds de commerce dès sa constitution, en lui permettant d’être
désigné dans l’intérêt des tiers comme de son titulaire, et de le distinguer ensuite, durant
l’exploitation, des autres entités économiques auxquelles s’adressent la clientèle »381.
93. La fonction d’identification de la dénomination sociale. La dénomination sociale382
permet l’identification de la personne morale en tant que telle. Elle désigne en quelque sorte
la personne morale dans son identité et sa personnalité. Elle pourrait s’apparenter au nom
patronymique de l’entreprise, de la personne morale. La dénomination sociale procure à
l’entreprise une identité administrative et économique. Pour la jurisprudence, il s’agit du
« nom qui individualise la personne morale considérée dans l’ensemble de son existence et de
ses activités »383.
Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006, n° 1626, p. 897 ; E. POUILLET, Traité
des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, LGDJ, Marchal & Billard, 6 éd., 1912, n°
705, p. 575 ; P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 813 ; G. LOISEAU, Nom
commercial, Rép. com. Dalloz, 2002 (dernière mise à jour mars 2009) ; M.-B. SALGADO, Biens de l’exploitation.
Ŕ Eléments incorporels. Ŕ Clientèle. Nom commercial et enseigne. Propriétés incorporelles, J.-Cl. Commercial,
Fasc. 207, 2009 ; Y. REBOUL, Le nom commercial et la marque, in Mélanges offerts à A. CHAVANNE : droit
pénal, propriété industrielle, Litec, 1990, p. 283 ; J. PASSA, La protection de la dénomination sociale et du nom
commercial par l’action en concurrence déloyale, in Études sur le droit de la concurrence et quelques thèmes
fondamentaux, Mélanges en l’honneur d’Y. SERRA, Dalloz, 2006, p. 289 ; X. DESJEUX, Le nom commercial, de
quelques problèmes juridiques, Gaz. Pal. 1979, 2, doctr., p. 614 ; J. AZÉMA, Marques et signes distinctifs
traditionnels : Enseigne, nom commercial, dénomination sociale, in Les défis du droit des marques au XXIe
siècle, Actes du Colloque en l’honneur du Professeur Y. REBOUL, sous la direction de C. GEIGER et J. SCHMIDTSZALEWSKI, Litec, CEIPI, 2010, p. 19.
379
P. ROUBIER, op. cit., n° 245, p. 659.
380
P. MATHÉLY, op. cit., p. 3. V. ainsi, Paris, 13 oct. 1962, Ann. propr. ind. 1963, p. 228. Les juges ont précisé
que « le nom commercial est la dénomination sous laquelle est connu et exploité un fonds de commerce et qui
constitue le signe de ralliement de la clientèle » ; Paris, 27 mars 1968, Ann. propr. ind. 1968, p. 141. Les juges
ont ainsi affirmé que « Le nom commercial sert à désigner l’entreprise exploitée » ; Paris, 21 janv. 1974, Ann.
propr. ind. 1974, p. 213 et Paris, 5 juill. 1907, Ann. propr. ind. 1908, p. 41: « Le nom commercial est la
dénomination sous laquelle est connu et exploité un établissement commercial ». V. aussi, Paris, 24 févr. 1999,
PIBD 1999, n° 678, III, p. 258 ; Orléans, 25 avr. 1978, Ann. propr. ind.1980, p. 370, Paris, 15 janv. 1987, Ann.
propr. ind. 1988, p. 248 ; Paris, 21 oct. 1998, RJDA 1999, n° 1, n° 110.
381
G. LOISEAU, Nom commercial, Rép. com. Dalloz, 2002 (dernière mise à jour mars 2009), n° 1.
382
V. J. PASSA, op. cit., n° 469, p. 683 ; F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 1269, p. 693 ; J. AZÉMA & J.-C.
GALLOUX, op. cit., 6e éd., 2006, n° 1648, p. 911 ; P. MATHÉLY, op. cit., p. 801 ; B. FRANÇOIS, Dénomination
sociale, Rép. sociétés Dalloz, 2005 (dernière mise à jour mars 2009) ; F. VINCKEL, Dénomination sociale, J.-Cl.
Société Traité, Fasc. 28-20, 2007 ; J. CALVO, La dénomination sociale en droit français, LPA 1995, 26 juill., n°
89, p. 29 ; J. PASSA, Nature et modalités de la protection de la dénomination sociale, Rev. sociétés 2004, p. 904 ;
La protection de la dénomination sociale et du nom commercial par l’action en concurrence déloyale, préc., p.
289 ; E. LE BIHAN & L. JULIEN-RAES, Étude sur un objet de propriété incorporelle mal-aimé : La dénomination
sociale, Propr. intell. 2004, n° 12, p. 749 ; J. AZÉMA, préc., p. 19.
383
Paris, 24 février 1999, PIBD 1999, n° 678, III, p. 257.
85
94. La fonction d’identification de l’enseigne384. Outre le nom commercial et la
dénomination sociale, une entreprise peut également utiliser l’enseigne à titre de signe
distinctif. Au terme de la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979385, l’enseigne se définit comme
« toute inscription, forme ou image apposée sur un immeuble et relative à une activité qui s’y
exerce ». L’enseigne permet de localiser le fonds de commerce aux yeux de la clientèle. Elle a
identifie dans l’espace le fonds de commerce. L’enseigne est directement apposée sur les
locaux, sur les établissements que son titulaire souhaite exploiter.
95. La fonction d’identification du nom de domaine386. Plus récemment, avec le nouveau
moyen de communication que représente l’internet, un nouveau signe distinctif a fait son
apparition : le nom de domaine. Comme les autres signes distinctifs, le nom domaine a une
fonction d’identification. Il permet ainsi d’identifier « un « lieu » sur le réseau, c'est-à-dire,
de fait, une machine à laquelle un site, une prestation…peuvent être rattachées »387. En
jouant le rôle d’une enseigne sur le réseau internet, le nom de domaine est aujourd’hui un
important instrument pour les acteurs du commerce électronique. Il permet d’accéder à un
site, de l’identifier et, le cas échéant, de le référencer.
96. Classiquement rangée dans la catégorie des signes distinctifs388, la marque ne déroge pas
à la règle. Elle a une fonction d’identification. Plus précisément, elle a pour rôle d’identifier
des produits et des services.
B. La fonction propre de la marque
97. Une identification particulière. En tant que signe juridique, la marque est la
combinaison d’un signifiant et d’un signifié. Le signifiant serait le corpus qui constitue la
marque et le signifié serait le message juridique transmis. En tant que signe distinctif, le
384
V. pour plus de précisions sur cette question, J. P ASSA, op. cit., n° 469, p. 683 ; F. POLLAUD-DULIAN, op. cit.,
2011, n° 1248, p. 679 ; P. ROUBIER, op. cit., n° 297, p. 702 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, op. cit., n° 1644, p.
909 ; P. MATHÉLY, op. cit., p. 850 ; N. OLSZAK, Enseigne, Rép. com. Dalloz, 2005 (dernière mise à jour
décembre 2010) ; M.-B. SALGADO, Biens de l’exploitation. Ŕ Eléments incorporels. Ŕ Clientèle. Nom
commercial et enseigne. Propriétés incorporelles, J.-Cl. Commercial, Fasc. 207, 2009 ; J. AZÉMA, préc., p. 19.
385
Loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes. Cette loi a été
abrogée et l’on retrouve la définition de l’enseigne à l’article L. 581-3 du Code de l’environnement.
386
V. notamment sur le nom de domaine, J. PASSA, op. cit., n° 469, p. 683 ; F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n°
1292, p. 707 ; A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété
intellectuelle, t. 24, 2004, n° 160, p. 77 ; Marques et noms de domaine, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles,
Fasc. 7519, 2011 ; F. Sardain, Noms de domaine, J.-Cl. Communication, Fasc. 4660, 2009.
387
M. VIVANT (ss. la direction de), Lamy droit de l’informatique et des réseaux, 2011, n° 2087.
388
A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, op. cit., n° 12, p. 5.
86
signifié est un message juridique relatif à la désignation, à l’identification de quelque chose.
L’identification opérée par la marque doit être distinguée de celle opérée par les autres signes
distinctifs. Sa fonction d’identification est envisagée à l’article L. 711-1 du Code de la
propriété intellectuelle, lequel précise que la marque est un signe distinctif permettant de
distinguer des produits ou des services. En d’autres termes, la marque serait un instrument au
service de son titulaire ayant pour fonction d’identifier des produits et des services. Les
choses ne pourraient être plus claires.
Pourtant, lorsqu’il s’agit d’envisager la fonction de la marque, la terminologie maladroite et
ambiguë utilisée par la Cour de justice pour qualifier la fonction de la marque contribue à
semer le trouble.
98. La fonction d’identification comme fonction de garantie d’identité d’origine. Dire
que la marque a une fonction d’identification n’est pas une nouveauté. Cette fonction est
connue tant de la doctrine389 que de la jurisprudence390. Certains auteurs ont même affirmé
que la première fonction de la marque « qui apparaît à quiconque l’observe sur le marché, est
de rendre possible l’identification des biens et des services soit par celui qui les procure : le
producteur, le commerçant, le prestataire de service, soit par celui qui en bénéficie : le
consommateur »391.
La fonction d’identification n’apparaît cependant pas comme la formule la plus couramment
usitée. Elle est régulièrement envisagée sous une autre formule : la fonction de garantie
d’identité d’origine. Si cette formule existait, peu ou prou, avant sa reconnaissance par la
Cour de justice392, elle fut consacrée par la jurisprudence communautaire dans le cadre de
l’affaire Terrapin393.
389
V. par exemple, A. BRAUN & E. CORNU, Précis des marques, Larcier, 5e éd., 2009, n° 13, p. 11 ; P.
TRÉFIGNY-GOY, L’incidence de la fonction sur la portée de la protection de la marque, Propr. ind. 2010, n° 10,
dossier n° 5 ; J. PASSA, L’incidence de la fonction de la marque sur l’obtention ou la validité et le maintien en
vigueur du droit, Propr. ind. 2010, n° 10, dossier n° 4.
390
Cass. com., 13 juill. 2010, JurisData n° 2010-011702 ; Paris, 21 nov. 2008, JurisData 2008-007171;
Versailles, 12 janv. 2006, JurisData n° 2006-307746.
391
A. BRAUN & E. CORNU, Précis des marques, op. cit., n° 13, p. 11.
392
V. par exemple, E. POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres,
LGDJ, Marchal & Billard, 6 éd., 1912, n° 5, p. 14. Pour cet auteur, la marque « sert avant tout à indiquer la
provenance d’une marchandise ». V. aussi, F.-K. BEIER, Nature et fonctions juridiques de la marque, in Marque
et droit économique Ŕ Les fonctions de la marque, Colloque du 6 et 7 novembre 1975, Union des fabricants,
1976, p. 96, spéc. p. 103. BEIER utilisait une formule similaire : « la fonction d’indication de provenance ». V.
également, Paris, 16 janv. 1868, Ann. propr. ind. 1869, p. 336. Les juges ont affirmé que « la marque est le signe
distinctif du produit dont elle sert à garantir la qualité, assurer la réputation et faire connaître l’origine ». V.
également, L. VAN BUNNEN, Aspect actuels du droit des marques dans le Marché commun, Bruxelles, CIDC,
1967, n° 4, p. 4. Pour cet auteur la marque avait notamment une « fonction d’indication de provenance ».
393
CJCE, 22 juin 1976, aff. 119-75, Terrapin c/ Terranova, Rec. 1976, p. 1039 ; JCPG 1976, I, 2825, obs. J.-J.
BURST et R. KOVAR. Les juges avaient ainsi affirmé que « la fonction essentielle de la marque, consistant à
87
La Cour de justice affirme de manière constante que la fonction « essentielle de la marque est
de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du
service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce
produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance »394. D’autres expressions sont
également utilisées afin d’envisager cette fonction : fonction de garantie de provenance395,
fonction de garantie d’origine396. Si ces formules semblent satisfaire la doctrine397, elles n’en
demeurent pas moins extrêmement maladroites et ambiguës quant aux termes utilisés, qu’il
s’agisse de la garantie, de l’identité ou de l’origine.
99. L’utilisation du terme garantie. Au regard de la jurisprudence de la Cour de justice, la
marque serait une garantie pour le consommateur398.
Le substantif « garantie » a une connotation juridique très forte. Au sens large, la garantie se
définit comme « tout mécanisme qui prémunit une personne contre une perte pécuniaire »399
ou plus généralement comme l’obligation « d’assurer à quelqu’un la jouissance d’une chose,
d’un droit, ou de le protéger contre un dommage éventuel »400. On retrouve notamment cette
notion en droit des contrats avec des obligations légales telles que la garantie d’éviction401 ou
la garantie des vices cachés402. Dans un sens courant, garantir quelque chose signifie
« Assurer sous sa responsabilité quelque chose à quelqu’un »403.
garantir aux consommateurs l’identité d’origine du produit, se trouve déjà mise en cause par le fractionnement
même du droit originaire », pt. 6.
394
CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal football club, Rec. 2002, p. I-10273, pt. 48.
395
V. par exemple, CJCE, 26 avr. 2007, aff. C-348/04, Boehringer Ingelheim e.a., Rec. 2007, p. I-3391 ; CJCE,
16 nov. 2004, aff. C-245/02, Anheuser-Bush, Rec. 2004, p. I-10989.
396
V. par exemple, CJCE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L’Oréal e.a., Rec. 2009, p. I-05185 ; Paris, 31 oct. 2008,
JurisData n° 2008-372349 ; Cass. com., 20 févr. 2007, JurisData n° 2007-037750. V. également le onzième
considérant de la Directive 2008/95 qui envisage également la fonction d’origine.
397
V. cependant, J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs,
Dessins et modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 48, p. 60. À propos de l’expression garantie de provenance, le
Professeur PASSA note qu’il s’agit d’une formule moins précise « car la marque n’a pas pour fonction de
garantir ou d’indiquer qu’un produit provient d’une entreprise identifiée ».
398
CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal football club, Rec. 2002, p. I-10273, pt. 48.
399
G. CORNU, Vocabulaire Juridique, Association Henri CAPITANT, PUF, 9e éd., 2011. V. également, R.
CABRILLAC, (ss. dir.) Dictionnaire du vocabulaire juridique 2012, LexisNexis, 2012 ; S. GUINCHARD & T.
DEBARD (ss. dir.), Lexique des termes juridiques 2012, Dalloz, 19 éd., 2012.
400
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
401
« Obligation pour le vendeur de défendre l’acquéreur contre le trouble apporté par autrui à sa possession et
de l’indemniser au cas où la propriété de la chose vendue serait reconnue appartenir à un tiers ou grevée de
droits réels », G. CORNU, Vocabulaire Juridique, op. cit.. V. également, R. CABRILLAC, (ss. dir.) Dictionnaire du
vocabulaire juridique 2012, op. cit..
402
« Obligation mise par la loi à la charge notamment du vendeur ou du bailleur de fournir à son cocontractant
une chose qui ne soit pas atteinte de vices « qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine ou qui en
empêchent l’usage », G. CORNU, Vocabulaire Juridique, op. cit.. V. également, R. CABRILLAC, (ss. dir.)
Dictionnaire du vocabulaire juridique 2012, op. cit..
403
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
88
À la lueur de ces définitions, le titulaire du signe se trouverait dans la situation d’un débiteur
qui, par sa marque, doit assurer quelque chose au consommateur. En l’occurrence, il s’agit
pour la marque d’assurer, de rendre sûre, l’identité d’origine, l’origine, la provenance des
produits ou services désignés. L’utilisation du terme garantie éloigne la marque du rôle
qu’elle devrait jouer, à savoir simplement identifier des produits ou des services. En effet,
d’une fonction patrimoniale, la marque s’engagerait sur la voie d’une fonction sociale. Elle
serait simplement un instrument au service du consommateur404.
100. La notion d’identité. L’autre maladresse de la formule concerne l’utilisation du terme
identité. Il s’agit d’une notion ambiguë pouvant être mal interprétée. L’identité dont il est
question dans la formule fonction de garantie d’identité d’origine peut renvoyer à la personne
titulaire du signe. Envisagée ainsi, la marque apparaitraît comme un moyen permettant
d’identifier le prestataire de service, le producteur, le commerçant. La marque aurait alors une
fonction proche du nom de famille ou, pour les personnes morales, de la dénomination
sociale. Une telle approche ne peut emporter l’assentiment. Quel serait l’intérêt d’avoir deux
signes distinctifs, la marque et la dénomination sociale, avec une fonction d’identification
identique ?
Le terme identité doit être compris autrement. Étymologiquement, le terme identité vient du
terme identitas signifiant « qualité de ce qui est le même »405. Le terme identité est donc luimême un dérivé du latin idem, « le même »406. Dès lors, l’identité visée par la formule
« garantie d’identité d’origine » ne doit pas être entendue comme permettant d’identifier une
personne déterminée, mais comme le fait qu’une chose, une personne est la même qu’une
autre. Autrement dit, la marque permettrait de garantir que les produits ou services marqués
par un même signe ont la même origine407.
101. L’ambiguïté du terme origine. L’utilisation de la notion d’origine s’avère également
maladroite. Que faut-il entendre par origine ? La marque permet-elle d’informer précisément
le consommateur sur l’origine exacte du produit, sur l’identité de la personne qui a mis le
produit sur le marché ? Encore une fois, il ne faut pas faire fausse route et faire jouer à la
marque le rôle d’un nom de famille ou d’une dénomination sociale. L’origine dont il est
404
Cf. infra Partie 2.
A. REY (ss. dir.), Dictionnaire historique de la langue française, éd. Dictionnaire Le Robert, Paris, 1992.
406
A. REY (ss. dir.), Dictionnaire historique de la langue française, éd. Dictionnaire Le Robert, Paris, 1992 .
407
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 48, p. 60. Comme le note parfaitement le
Professeur PASSA, « le mot « identité » dans la formule « garantie d’identité d’origine » ne concerne pas
l’identité du titulaire, mais signifie seulement que l’origine indiquée par la marque est la même ou identique ».
405
89
question doit être perçue comme l’origine commerciale légitime du produit ou service.
Autrement dit, la marque permet d’indiquer que le produit est marqué par le titulaire légitime
de la marque. La jurisprudence communautaire a eu l’occasion de préciser que la marque
permet « de conclure que tous les produits ou services qu’elle désigne ont été fabriqués,
commercialisés ou fournis sous le contrôle du titulaire de cette marque »408. La marque
permet de garantir « que les produits ou services diffusés sous la marque émanent toujours de
l’entreprise titulaire ou d’entreprises liées à lui et opérant sous son contrôle »409.
102. Les conséquences de la formule. Identifier la fonction de la marque ne devrait pas être
une source de difficulté. Un signe est utilisée à titre de marque aux fins de désigner des
produits ou des services. Ce constat implacable ne devrait pas être discuté. Pourtant, il
apparaît que la jurisprudence de la Cour de justice n’est pas sans conséquence sur la
perception que l’on peut se faire de la fonction de la marque. Certains auteurs, s’interrogeant
sur la fonction d’identification410, considèrent ainsi que la marque n’a pas pour fonction
d’identifier des produits ou des services, mais au contraire d’identifier l’entrepreneur411.
Cette conception de la fonction d’identification rejoint une jurisprudence particulièrement
ancienne qui considérait que la fonction de la marque consistait à « garantir l’origine de la
marchandise aux tiers qui l’achètent en quelque lieu et en quelques mains qu’elle se
trouve »412. Ces mêmes auteurs justifient leur position par le fait qu’envisager la marque
comme un identifiant des produits et des services aurait pour conséquence de faire courir un
danger au titulaire de la marque, avec le risque qu’il se fasse dépouiller de ses droits
subjectifs413. La jurisprudence communautaire viendrait étayer leur conception414.
408
TPIUE, 8 févr. 2011, aff. T-157/08, Paroc c/ OHMI, pt. 44 ; TPICE, 20 mai 2009, aff. T-405/07, CFCMCEE
c/ OHMI, Rec. 2009, p. II-1441, pt. 32 ; CJCE, 29 avr. 2004, C-473/01, Procter & Gamble c/ OHMI, Rec. 2004,
p. I-5173, pt. 48.
409
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 49, p. 61.
410
A. BRAUN & E. CORNU, Précis des marques, Larcier, 5e éd., 2009, n° 14, p. 12: « Est-ce l’identification de
l’entrepreneur (…) ? Est-ce au contraire la désignation du produit dont on ignore l’entreprise d’où il est issu,
tels les nombreux détergents ou lessives parfaitement connus de la ménagère, qui serait cependant bien en peine
d’en nommer le producteur ? »
411
A. BRAUN & E. CORNU, op. cit., n° 14, p. 12.
412
Paris, 16 janv. 1868, Ann. propr. ind. 1969, p. 336. La Cour énonce ainsi que la marque : « deviendrait un
mensonge si elle semblait indiquer qu’un produit sort de la fabrique ou des magasins d’une maison lorsque cette
maison à cesser d’exister ». V. F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit
privé, 2e éd., 2011, n° 1295, p. 711. Le Professeur P OLLAUD-DULIAN fait expressément référence à cet arrêt et
précise que « la marque garantit à la clientèle l’origine du produit ou service, c'est-à-dire qu’elle permet au
client de relier le produit ou service marqué à la personne qui est à son origine ».
413
A. BRAUN & E. CORNU, op. cit., n° 14, p. 12.
414
A. BRAUN & E. CORNU, op. cit., n° 14, p. 12 citant CJCE, 17 oct. 1990, aff. C-10/89, CNL-SUCAL c/ HAG,
Rec. 1990, p. I-3711; RTDE 1991, p. 639, obs. G. B ONET et CJCE, 18 juin 2002, aff. C-299/99, Philips, Rec.
2002, p. I-5475; PIBD 2003, n° 756, p. 37 ; V. également, CJCE, 29 sept. 1998, aff. C-39/97, Canon Kabushiki
Kaisha c/ Metro-Goldwyn-Mayer, Rec. 1998, p. I-5507 ; CJCE, 4 oct. 2001, aff. C-517/99, Merz & Krell, Rec.
90
Il est vrai que certaines décisions permettent d’abonder en ce sens. Dans l’arrêt Libertel, la
Cour de justice affirme que la marque est « apte à identifier le produit ou le service pour
lequel l'enregistrement est demandé comme provenant d'une entreprise déterminée et à
distinguer ce produit ou ce service de ceux d'autres entreprises »415. La Cour de justice se
veut encore plus ambiguë et tend à faire de la marque un véritable instrument au service du
consommateur permettant d’identifier l’opérateur titulaire du signe. Il s’agit d’une vision
déformée de la marque ne correspondant pas à sa réelle fonction. Une telle approche ne peut
emporter l’adhésion et renvoie à une vision archaïque de la marque416.
En outre, envisager la marque autrement que comme un signe permettant d’identifier des
produits ou des services pourrait s’avérer lourd de conséquences pour le système actuel des
marques, si le législateur devait tirer toutes les conséquences d’une telle conception de la
fonction de la marque417.
La marque doit être perçue comme un bien au service de son titulaire dont la fonction
patrimoniale est d’identifier des produits et des services. Il s’agit d’une solution cohérente et
pleine de bon sens. La solution est cohérente en ce sens qu’elle ne fait que confirmer l’article
L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit que la marque sert à désigner des
produits et des services. La solution est pleine de bon sens, car il est illusoire de croire que
dans un système mondialisé comme le nôtre, une marque soit à même de permettre
l’identification de son titulaire418.
103. La marque est un signe et plus précisément un signe juridique appartenant à la catégorie
des signes distinctifs. À la manière des autres signes distinctifs, la marque a une fonction
d’identification. Cette fonction est précisée par l’article L. 711-1 du Code de la propriété
intellectuelle. La marque aurait pour fonction d’identifier les produits et services de son
titulaire. La solution ne serait pas contestable si la Cour de justice n’était pas intervenue pour
2001, p. I-6959 ; CJCE, 12 déc. 2002, aff. C-273/00, Sieckmann, Rec. 2002, p. I-11737 ; PIBD 2003, n° 759, III,
p. 125 ; CJCE, 12 févr. 2004, aff. C-218/01, Henkel, Rec. 2004, p. I-1725, PIBD 2004, n° 787, III, p. 327 ; D.
2005, pan. 501, obs. S. Durrande.
415
CJCE, 6 mai 2003, aff. C-104/01, Libertel, Rec. 2003, p. I-3793 ; PIBD 2003, n° 776, III, p. 594 ; Propr.
Intell. 2003, n° 9, P. 424, obs. I. DE MEDRANO CABALLERO ; D. 2003, p. 1501 et 2005, pan. 501, obs. S.
DURRANDE.
416
Cf. infra n° 702.
417
Cf. infra Partie 2, Titre 1, Chapitre 2.
418
J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006, n°
1370, p. 753. Comme le notent les Professeurs AZÉMA et GALLOUX, les marques « sont très souvent entre les
mains de sociétés holdings qui en concèdent l’usage à leurs filiales de sorte que le consommateur ne peut guère
identifier l’origine du produit. L’évolution est encore plus nette en ce qui concerne les marques de distribution,
qui se bornent à traduire la caution du commerçant qui vend les produits, sans fournir aucune identification de
leur origine ».
91
consacrer ce qu’elle qualifie tantôt de fonction de garantie d’identité d’origine, tantôt de
fonction de garantie d’origine, voire même de fonction de garantie de provenance. Ces
formules nous apparaissent maladroites, ambigües et ne reflètent pas de manière explicite la
fonction originelle de la marque, à tel point que la fonction de la marque fut qualifiée de
sociale419. La fonction d’identification de la marque ne peut en aucun cas apparaître comme
une fonction sociale. La fonction d’identification est une fonction patrimoniale, la marque
étant au service de son titulaire : si le titulaire choisit d’utiliser une marque pour identifier des
produits ou des services, c’est dans le but de se distinguer de ses concurrents et, partant, de
s’attacher une clientèle.
§ 2. L’intérêt de la fonction d’identification de la marque pour le titulaire
104. Afin d’envisager l’intérêt de la fonction d’identification de la marque pour son titulaire,
il convient de distinguer l’intérêt juridique (I) de l’intérêt commercial (II).
I. L’intérêt juridique de la fonction d’identification420
105. Depuis l’arrêt Terrapin421, la fonction de garantie d’identité, que nous préférons qualifier
de fonction d’identification, occupe une place primordiale dans le droit des marques. Sous
l’impulsion de la jurisprudence communautaire422, la fonction d’identification apparaît
comme la clef de voûte du système, indispensable à l’existence du droit, mais aussi à son
exercice. Concernant son exercice, la fonction d’identification est ainsi envisagée
régulièrement, voire de manière constante, dans les hypothèses de contrefaçon423. Cependant,
si la fonction d’identification doit jouer un rôle dans le cadre de l’exercice du droit, c’est
419
M. VIVANT, Des droits finalisés, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz, Coll. Grands arrêts,
2004, p. 3 et plus particulièrement p. 12. L’auteur conclut en ces termes : « De la finalité sociale des droits ?
Peut-être serait-il temps de faire sortir JOSSERAND du Purgatoire…ou de relire les Pères de l’Eglise qui ne
disaient pas vraiment autre chose ». V. également G. BONET, obs. sous CJCE, 11 juill. 1996, aff. jointes C427/93, Bristol-Myers Squibb c/ Paranova, C-429/93, Boehringer, C-436/93, Bayer, Rec. 1996, p. I-3457, RTDE
1998, p. 117. L’éminent Professeur souligne que « cette garantie apportée au consommateur correspond à une
sorte de finalité sociale de la marque » ; C. GEIGER, La fonction sociale des droits de propriété intellectuelle, D.
2010, chron., p. 510.
420
V. pour une approche similaire quant au plan adopté sur cette question, J. PASSA, L’incidence de la fonction
de la marque sur l’obtention ou la validité et le maintien en vigueur du droit, Propr. ind. 2010, n° 10, dossier n°
4.
421
CJCE, 22 juin 1976, aff. 119-75, Terrapin c/ Terranova, Rec. 1976, p. 1039; JCPG 1976, I, 2825, obs. J.-J.
BURST et R. KOVAR.
422
V. par exemple, CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal football club, Rec. 2002, p. I-10273, pt. 48. La
fonction d’identification, également qualifiée de fonction de garantie d’identité d’origine, serait la fonction
essentielle de la marque.
423
V. par exemple, CJCE, 12 nov. 2002, préc. ; CJCE, 25 janv. 2007, aff. C-48/05, Adam Opel AG, Rec. 2007,
p. I-1017 ; CJCE, 11 sept. 2007, aff. C-17/06, Céline, Rec. 2007, p. I-7041.
92
nécessairement en combinaison avec le droit de marque qui permet de mettre en valeur et de
protéger cette fonction424. Concernant l’existence du droit, la fonction d’identification aura un
rôle autrement plus important et central : « Point de délivrance du droit, dès lors point de
validité ou de maintien en vigueur non plus, si le signe ne remplit pas, ou n’est pas
susceptible de remplir, cette fameuse fonction de garantie d’identité d’origine »425. C’est en
effet, cette fonction qui permet de conditionner non seulement la naissance du droit de marque
ou, d’une manière plus générale, sa réservation (A), mais aussi d’envisager la question de la
perte du droit (B).
A. L’intérêt de la fonction d’identification dans la naissance du droit
106. Un signe, pour qu’il puisse être utilisé à titre de marque, doit être licite, distinctif,
disponible et susceptible de représentation graphique. Si les exigences de disponibilité (2) et
de distinctivité (1) semblent justifiées par la fonction d’identification de la marque, il en va
différemment des conditions de licéité et de représentation graphique du signe.
1. L’exigence de distinctivité du signe426
107. Le principe. Que l’exigence de distinctivité soit justifiée par la fonction d’identification
relève du bon sens. L’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « La
marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation
graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou
morale »427. Afin de pouvoir identifier ses produits ou services, le titulaire du signe doit
utiliser un signe lui permettant de distinguer ses produits ou services de ceux de ses
concurrents. À défaut de quoi, la marque ne peut remplir la fonction que veut lui attribuer son
424
Cf. infra n° 211.
J. PASSA, L’incidence de la fonction de la marque sur l’obtention ou la validité et le maintien en vigueur du
droit, Propr. ind. 2010, n° 10, dossier n° 4.
426
V. notamment sur la question de la distinctivité, J. P ASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1,
Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd., 2009, n° 87, p. 99 ; F. POLLAUD-DULIAN,
Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 1341, p. 746 ; J. AZÉMA & J.C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006, n° 1419, p. 782 ; J.
SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, Litec, 4 e éd., 2007, n°491, p. 209 ; N.
BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, Coll. Manuel, 2010, n° 677, p. 425 ; A. BOUVEL,
L’appréciation de la distinctivité des marques verbales évocatrices, Legicom 2010, n° 44, p. 27 ; G. BONET & A.
BOUVEL, Distinctivité du signe, J.-Cl. Marques Ŕ dessins et modèles, Fasc. 7090, 2007 ; P. TRÉFIGNY-GOY,
Marques. Ŕ Droit français. Ŕ Conditions d’obtention du droit de marque, J.-Cl. Commercial, Fasc. 600, 2011, n°
54.
427
L’article 2 de la Directive 2008/95 prévoit qu’une marque est un signe propre à distinguer les produits ou les
services d’une entreprise de ceux d’une autre entreprise. V. pour une formulation identique, l’article 4 du
Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire.
425
93
titulaire. La marque doit par conséquent être distinctive428 et ne doit pas être constituée d’un
signe ou d’une dénomination pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du
service429, d’un signe ou dénomination qui, dans le langage courant ou professionnel, est
exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service430, ou
d’un signe constitué exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du
produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle431.
108. La question de la distinctivité autonome. L’article 3, paragraphe 1, sous b) de la
Directive 2008/95 précise que la marque, afin de ne pas être refusée à l’enregistrement, doit
être distinctive432. Cette précision n’est pas reprise dans le texte français. Elle n’est sans doute
pas apparue comme une condition autonome pour le législateur, ce dernier considérant
vraisemblablement que le signe qui n’est ni générique, nécessaire ou usuel, ni descriptif est
nécessairement distinctif433.
La jurisprudence communautaire a pourtant interprété l’article 3, paragraphe 1, sous b)
comme une condition autonome de distinctivité. La Cour de justice a précisé qu’ « il ressort
clairement de l’article 3, paragraphe 1 de la directive que chacun des motifs de refus
d’enregistrement mentionnés dans cette disposition est indépendant des autres et exige un
examen séparé »434. Il est ainsi parfaitement possible qu’un signe ne soit pas descriptif ou
générique, tout étant considéré par les juges comme non distinctif. C’est dans ces hypothèses
que la fonction d’identification est sensée jouer pleinement son rôle.
Un signe est considéré comme étant dépourvu de caractère distinctif s’il ne peut être perçu
d’emblée comme une indication de l’origine commerciale des produits ou services visés afin
de permettre au public pertinent de distinguer sans confusion possible les produits ou services
du titulaire de la marque de ceux qui ont une autre provenance commerciale435. Comme le
relève le Professeur PASSA, les juges communautaires formulent « une condition générale de
428
Art. 3, paragraphe 1, sous b) de la Directive 2008/95.
Art. L. 711-4, b) du Code de la propriété intellectuelle ; Art. 3, paragraphe 1, sous c) de la Directive 2008/95.
430
Art. L. 711-4, a) ; Art. 3, paragraphe 1, sous d) de la Directive 2008/95.
431
Art. L. 711-4, c) ; Art. 3, paragraphe 1, sous e) de la Directive 2008/95.
432
On retrouve la même précision à l’article 7, paragraphe 1, sous b) du Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil
du 26 février 2009 sur la marque communautaire.
433
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 112, p. 126.
434
CJCE, 12 févr. 2004, aff. C-265/00, Campina Melkunie, Rec. 2004, p. I-1699, pt. 18 ; CJCE, 8 avr. 2003, aff.
C-53/01, Linde e.a., Rec. 2003, p. I-3161, pt. 67 ; CJCE, 12 févr. 2004, aff. C-363/99, Koninklijke KPN
Nederland, Rec. 2004, p. I-1619, pt. 67. V. également à propos de l’article 7, paragraphe 1, b), TPICE, 26 oct.
2000, aff. T-345/99, Harbinger c/ OHMI, Rec. 2000, p. II-3525, pt. 31.
435
TPICE, 3 juill. 2003, aff. T-122/01, Best Buy Concepts c/ OHMI, Rec. 2003, p. II-2235 ; TPICE, 15 sept.
2009, aff. T-471/07, Wella c/ OHMI ; CJUE, 21 janv. 2010, aff. C-398/08, Audi c/ OHMI, Recueil 2010, p.
00000.
429
94
validité des marques qui repose sur la fonction essentielle reconnue à la marque »436.
L’exigence de distinctivité s’explique par le fait que la marque doit être en mesure d’exercer
sa fonction d’identification. Il est ainsi moins tenu compte du fait que le signe doit rester
disponible afin d’éviter que son utilisation à titre de marque soit un frein au principe de libre
concurrence. La Cour de justice a d’ailleurs pu affirmer que « la notion d’intérêt général
sous-jacente à l’article 7, paragraphe 1, sous b) (…) se confond, à l’évidence, avec la
fonction essentielle de la marque qui est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final
l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de
distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre
provenance »437.
S’il n’est pas utile de revenir sur l’ambiguïté des termes employés par la Cour de justice, il
apparaît clairement que la fonction d’identification de la marque justifie l’exigence de
distinctivité autonome du signe. Il est logique que les signes inaptes à remplir la fonction
essentielle de la marque, à savoir être en mesure d’identifier un produit ou un service, ne
peuvent donc faire l’objet d’un enregistrement.
Les juges communautaires ont fait pour la première fois application de l’exigence de
distinctivité autonome dans des décisions rendues à propos de slogans438. L’exigence de
distinctivité autonome a néanmoins pu trouver à s’appliquer à tout type de signes 439. Quant à
436
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 113, p. 126.
CJCE, 15 sept. 2005, aff. C-37/03 P, BioID c/ OHMI, Rec. 2005, p. I-7975, pt. 60.
438
V. notamment, TPICE, 11 déc. 2001, aff. T-138/00, Erpo Möbelwerk c/ OHMI, Rec. 2001, p. II-3739 ;
TPICE, 5 déc. 2002, aff. T-130/01, Sykes Enterprises c/ OHMI, Rec. 2002, p. II-5179. Cette décision fut rendue
à propos du slogan « Real People, Real Solutions » utilisé pour désigner des produits informatiques. Les juges
ont considéré que le slogan « ne possède pas d'éléments qui pourraient, au-delà de sa signification
promotionnelle évidente, permettre au public pertinent de mémoriser facilement et immédiatement le syntagme
en tant que marque distinctive pour les services désignés. Même dans l'hypothèse où le syntagme serait utilisé
seul, sans autre signe ou marque, le public pertinent ne pourrait, sans en avoir été averti préalablement, le
percevoir autrement que dans son sens promotionnel.
En effet, dans la mesure où le public pertinent est peu attentif à l'égard d'un signe qui ne lui donne pas d'emblée
une indication sur la provenance et/ou la destination de ce qu'il souhaite acheter, mais plutôt une information
exclusivement promotionnelle et abstraite, il ne s'attardera ni à rechercher les différentes fonctions éventuelles
du syntagme ni à le mémoriser en tant que marque.
Dès lors, il y a lieu de conclure que le syntagme sera perçu en premier lieu par le public pertinent comme un
slogan promotionnel, en raison de son sens intrinsèque, plutôt que comme une marque », pt. 28 à 30. V. aussi,
TPICE, 31 mars 2004, aff. T-216/02, Fieldturf c/ OHMI, Rec. 2004, p. II-1023 rendu à propos du slogan « Looks
like grass…Feels like grass…Plays like grass » utilisé pour désigner des gazons synthétiques ; TPICE, 30 juin
2004, aff. T-281/02, Norma Lebensmittelfilialbetrieb c/ OHMI, Rec. 2004, p. II-1915 rendu à propos du slogan
« Mehr für ihr Geld » utilisé pour désigner des produits de consommation courante ; TPICE, 15 sept. 2005, aff.
T-320/03, Citicorp c/ OHMI, Rec. 2005, p. II-3411 rendu à propos du slogan « Live richly » utilisé pour désigner
des services financiers ; TPICE, 24 janv. 2008, aff. T-88/06, Dorel Juvenile Group c/ OHMI, Rec. 2008, p. II-10
rendu à propros du slogan « Savety 1st » utilisé pour désigner des jouets.
439
V. pour un signe verbal, TPICE, 13 juill. 2005, aff. T-242/02, Sunrider c/ OHMI, Rec. 2005, p. II-2793 ;
TPICE, 17 avr. 2008, aff. T-294/06, Nordmilch c/ OHMI, Rec. 2008, p. II-59. V. pour une marque constituée par
une couleur, TPICE, 9 oct. 2002, aff. T-173/00, KWS Saat c/ OHMI, Rec. 2002, p. II-3843. V. également pour
les marques de position, TPICE, 14 sept. 2009, aff. T-152/07, Lange Uhren c/ OHMI, Rec. 2009, p. II-00144 ;
437
95
la France, l’absence de la condition de distinctivité autonome dans le Code de la propriété
intellectuelle n’a pas été sans conséquence, les juges ayant beaucoup tardé à faire application
de cette condition.
La première440 décision importante rendue sur le fondement de la condition de distinctivité
autonome est celle de la Cour d’appel de Paris rendue à propos d’une photo de Che
GUEVARA441. Retenant les préceptes de la jurisprudence communautaire, les juges de la Cour
d’appel précisent dans un premier temps que « l’exigence de distinctivité intrinsèque du signe
déposé est (…) autonome par rapport à l’exigence de son absence de caractère descriptif »,
pour ensuite analyser la distinctivité de la photo de Che GUEVARA. Ainsi, si cette photo
constitue un signe arbitraire au regard des produits et services pour la désignation desquels la
marque a été enregistrée, elle apparaît néanmoins comme une photo emblématique ayant un
fort pouvoir d’évocation. De ce fait, les juges de la Cour d’appel ont considéré que « le
consommateur concerné par les produits et services visés à l’enregistrement, notamment les
vêtements, les produits de l’édition, les activités culturelles, percevra la marque
communautaire litigieuse non pas comme un signe lui désignant l’origine des produits ou
services auxquels il s’intéresse, mais comme une référence faite, à des fins politiques ou
artistiques à l’œuvre de KORDA qui magnifie Che GUEVARA ». N’étant pas distinctive, la photo
de Che GUEVARA ne pouvait valablement constituer une marque.
Ainsi, avec un certain retard, il est vrai, la condition de distinctivité autonome semble devoir
désormais être prise en compte par les juges français442.
109. Les hypothèses visées à l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle. En
sus de l’exigence de distinctivité autonome, le signe utilisé à titre de marque ne doit pas être
un signe générique, nécessaire, usuel ou descriptif. Certains auteurs lient cette exigence au
Propr. ind. 2009, n° 11, comm. n° 64, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL. Les juges ont considéré dans cette affaire
que le « positionnement de formes géométriques usuelles sur un cadran de montre n’apparaît en effet pas
reconnaissable de prime abord comme une indication de l’origine commerciale du produit concerné, mais, au
contraire, est perçu comme un élément fonctionnel de celui-ci », pt. 106.
440
V. également, Paris, 27 juin 2008, JurisData n° 2008-369802 ; Propr. ind. 2008, n° 12, comm. n° 95, obs. P.
TRÉFIGNY-GOY.
441
Paris, 21 nov. 2008, Propr. ind. 2009, n° 5, comm. n° 33, obs. P. TRÉFIGNY-GOY ; PIBD 2009, n° 889, III, p.
792.
442
V. Paris, 30 janv. 2009, PIBD 2009, n° 896, III, p. 1053 ; Cass. com., 26 oct. 2010, JurisData n° 2010019807; Propr. ind. 2011, n° 4, comm. n° 30, obs. P. TRÉFIGNY-GOY. V. également Cass. civ., 1re ch., 12 juill.
2011, PIBD 2011, n° 947, III, p. 574. Cet arrêt confirme l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Che
GUEVARA.
96
principe de la libre concurrence443. Elle peut également s’expliquer par l’interdiction
d’appropriation de choses communes444. Néanmoins, « la justification la plus fondamentale,
et la plus exacte juridiquement, de cette exclusion tient dans ce qu’un signe ne peut exercer la
fonction d’une marque (…) que s’il est perçu par la clientèle comme l’indicateur
d’origine »445. Autrement dit, si le signe n’est pas arbitraire dans sa relation avec les produits
ou services, il ne peut constituer un signe identifiant des produits ou services. La Cour de
justice a ainsi pu affirmer que l’exclusion des signes qui ne sont pas arbitraires « a pour
finalité d’empêcher l’enregistrement de signes ou d’indications qui sont impropres à
distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises et ne
remplissent donc pas la condition édictée par l’article 2 de la directive »446.
110. La distinctivité par l’usage447. L’impact de la fonction d’identification sur la
distinctivité se traduit également lorsqu’il s’agit d’envisager la question de la distinctivité
acquise par l’usage, hypothèse prévue au dernier alinéa de l’article L. 711-2 du Code de la
propriété intellectuelle448.
La jurisprudence communautaire considère qu’un signe a acquis, par l’usage, un caractère
distinctif dès lors qu’il est en mesure de pouvoir exercer la fonction d’une marque 449. On
constate, une fois de plus, que l’appréciation de la distinctivité passe par une approche
fonctionnelle du signe utilisé à titre de marque.
111. La fonction d’identification revêt un aspect primordial dès lors qu’il s’agit d’envisager la
naissance du droit. L’exigence de distinctivité semble essentiellement justifiée par la fonction
443
G. BONET & A. BOUVEL, Distinctivité du signe, J.-Cl. Marques Ŕ dessins et modèles, Fasc. 7090, 2007, n° 2.
Comme le relèvent ces auteurs, les signes « nécessaires, génériques, usuels, descriptifs doivent rester à la
disposition de toutes les personnes qui exercent leur activité dans un même secteur ».
444
Cf. supra n° 66.
445
J. PASSA, L’incidence de la fonction de la marque sur l’obtention ou la validité et le maintien en vigueur du
droit, Propr. ind. 2010, n° 10, dossier n° 4, n° 7. V. dans un sens similaire, G. B ONET & A. BOUVEL, Distinctivité
du signe, préc., n° 1.
446
CJCE, 4 oct. 2001, aff. C-517/99, Merz & Krell, Rec. 2001, p. I-6959, pt. 28. V. dans un sens similaire,
CJCE, 23 oct. 2003, aff. C-191/01 P, OHMI c/ Wrigley, Rec. 2003, p. I-12447, pt. 30.
447
V. sur cette question, A. FOLLIARD-MONGUIRAL, Le caractère distinctif acquis par l’usage, Propr. ind. 2004,
n° 9, étude n° 14 ; J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs,
Dessins et modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 132, p. 151 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle,
Economica, Corpus droit privé, 2e éd., 2011, n° 1378, p. 779 ; G. BONET & A. BOUVEL, Distinctivité du signe,
préc., n° 92.
448
V. également, l’article 3, paragraphe 3 de la Directive 2008/95 et l’article 7, paragraphe 3 du Règlement n°
207/2009.
449
V. par exemple, TPICE, 15 oct. 2008, aff. T-405/05, Powerserv Personalservice c/ OHMI, Rec. 2008, p. II2883, pt. 130.
97
de la marque. Si son importance est moindre, la fonction d’identification n’est pas étrangère à
l’exigence de disponibilité.
2. L’exigence de disponibilité450
112. La justification de la disponibilité. Afin de pouvoir constituer une marque, l’utilisation
du signe ne doit pas être de nature à porter atteinte à des droits antérieurs, tels qu’une marque
enregistrée ou notoire, une enseigne, un nom commercial, un droit d’auteur ou bien encore
des droits de la personnalité.
La fonction d’identification n’apparaît pas a priori comme étant la justification de l’exigence
de disponibilité. La condition de disponibilité permet avant tout d’éviter qu’il y ait
« simultanément deux droits exclusifs de même nature sur un même objet »451. En outre, il est
logique qu’une marque ne porte pas atteinte « à un droit absolu de nature différente »452.
L’exigence de disponibilité peut cependant aussi s’expliquer par la fonction d’identification
du signe. Il est difficilement contestable que « la coexistence de signes identiques entre des
mains différentes dans les mêmes secteurs affecte leur distinctivité »453. En engendrant un
risque de confusion avec un signe distinctif antérieur, la marque n’est plus en mesure
d’exercer sa fonction : « elle compromet elle-même la réalisation de sa fonction tout en
portant atteinte à celle de la marque antérieure »454.
113. La fonction qui est attribuée au signe utilisé à titre de marque permet d’expliquer
pourquoi la marque se doit d’être distinctive et, dans une moindre mesure, disponible. La
faculté pour la marque d’exercer sa fonction lui permet d’être réservée par le droit. La
fonction d’identification conditionne en quelque sorte la naissance du droit de marque. Par
voie de conséquence, elle en conditionne également sa perte.
450
V. sur cette question, J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 145, p. 166 ; F.
POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1392, p. 793 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX,
Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006, n° 1433, p. 790 ; J. SCHMIDTSZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, Litec, 4 e éd., 2007, n° 505, p. 218 ; B INCTIN N.,
Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, Coll. Manuel, 2010, n° 656, p. 409, P. T RÉFIGNY-GOY, Marques. Ŕ
Droit français. Ŕ Conditions d’obtention du droit de marque, J.-Cl. Commercial, Fasc. 600, 2011, n° 77 ; S.
DURRANDE, Disponibilité des signe, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7110, 2011 ; A. BOUVEL,
Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Coll. Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 24,
2004, n° 302, p. 157.
451
F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 1392, p. 794.
452
F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 1392, p. 794.
453
F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 1392, p. 793.
454
J. PASSA, L’incidence de la fonction de la marque sur l’obtention ou la validité et le maintien en vigueur du
droit, Propr. ind. 2010, n° 10, dossier n° 4, spéc. n° 6.
98
B. Le rôle de la fonction d’identification dans la perte du droit
114. Si le droit de marque peut se perdre par le biais d’une renonciation de son titulaire455, ce
dernier peut perdre le bénéfice de son droit sur la marque par voie d’annulation ou par voie de
déchéance. Afin de ne pas nous répéter, nous n’envisagerons pas les hypothèses d’annulation
qui renvoient aux conditions de validité de la marque. Quant aux hypothèses de déchéances,
deux d’entre retiennent particulièrement l’attention : la déchéance pour défaut d’exploitation
(1) et la déchéance pour dégénérescence (2).
1. Le rôle de la fonction d’identification dans le cadre la déchéance pour défaut
d’exploitation
115. La justification de la déchéance pour défaut d’exploitation 456. Le droit de marque est
un droit qui peut se perdre par le non-usage457. En vertu de l’article L. 714-5 du Code de la
propriété intellectuelle, le titulaire d’une marque qui, sans justes motifs, n’en fait pas un usage
sérieux pour les produits ou services visés dans l’enregistrement, pendant une période
ininterrompue de cinq ans encourt la déchéance.
Si cette sanction peut notamment s’expliquer par le principe de la libre concurrence, la
marque non exploitée pouvant constituer un barrage pour la concurrence458, elle s’explique
également par la raison d’être de la marque, à savoir sa fonction d’identification459. L’usage
est consubstantiel à la notion même de marque. La marque qui n’est pas utilisée dans le cadre
455
Art. L. 714-2 du Code de la propriété intellectuelle : « L’auteur d’une demande d’enregistrement ou le
propriétaire d’une marque enregistrée peut renoncer aux effets de cette demande ou de cet enregistrement pour
tout ou partie des produits ou services auxquels s’applique la marque ».
456
V. sur cette question, J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 204, p. 238 ; F.
POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1491, p. 853 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX,
Droit de la propriété industrielle, op. cit., 2006, n° 1510, p. 829 ; J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit
de la propriété industrielle, op. cit., n° 549, p. 236 ; N. B INCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, op. cit., n°
752, p. 469 ; E. LE BIHAN, Perte du droit sur la marque : renonciation, forclusion, déchéance, nullité, J.-Cl.
Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7405, 2009, n° 70 ; C. CARON, L’usage sérieux des marques en droit
communautaire confronté à la gratuité, Comm. com. éléct. 2009, comm. 23 ; C. DE HAAS, La déchéance du
nouveau droit français des marques en question, RDPI, 2001, n° 121, p. 40 ; F. POLLAUD-DULIAN, La déchéance
pour défaut d’exploitation des marques et le droit transitoire, JCPE 1995, n° 25, 470 ; J. MONTEIRO, L’usage
sérieux de la marque communautaire, Propr. ind. 2008, n°7-8, étude n° 15.
457
V. pour le droit communautaire, l’article 51, § 1, sous a) du Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26
février 2009 sur la marque communautaire et l’article 12, paragraphe 1 de la Directive n° 2008/95.
458
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 1491,
p. 854.
459
J. PASSA, L’incidence de la fonction de la marque sur l’obtention ou la validité et le maintien en vigueur du
droit, Propr. ind. 2010, n° 10, dossier n° 4, spéc. n° 6 ; E. LE BIHAN, Perte du droit sur la marque : renonciation,
forclusion, déchéance, nullité, préc., 2009, n° 70 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op.
cit., n° 1491, p. 854. ; P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, Éd. JNA, 1994, p. 243 ; C. DE
HAAS, Le non-sens d’une marque sans usage ou le vice fondamental du droit des marques français et européen,
préc., n° 14.
99
de sa fonction n’a pas de raison d’être. Par conséquent, le droit opérant la réservation de la
marque ne se justifie plus.
La Cour de justice a indiqué dans l’arrêt Ansul que « La protection de la marque et les effets
que son enregistrement rend opposable aux tiers ne sauraient perdurer si la marque perdait
sa raison d’être commerciale, consistant à créer ou à conserver un débouché pour les
produits ou les services portant le signe qui la constitue, par rapport aux produits ou aux
services provenant d’autres entreprises »460. Non seulement l’usage sérieux doit être un usage
conforme « à la fonction essentielle de la marque »461 supposant « une utilisation de celle-ci
sur le marché des produits ou des services protégés par la marque et pas seulement au sein
de l’entreprise concernée »462, mais il doit également permettre de créer ou conserver des
débouchés commerciaux463. Cette approche de la déchéance pour défaut d’exploitation est
reprise dans la jurisprudence française. La Cour de cassation considère avec constance qu’une
marque « fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée conformément à sa fonction
essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels
elle a été enregistrée »464.
116. La fonction d’identification semble justifier, en partie, la déchéance pour défaut
d’exploitation. La fonction de la marque étant d’identifier des produits et des services, dès
lors, que le signe enregistré à titre de marque n’est pas utilisé pour désigner des produits ou
des services, le signe ne peut plus être perçu comme une marque. Son titulaire doit par
conséquent encourir la déchéance de son droit. La déchéance pour dégénérescence peut
également être envisagée par le biais de la fonction d’identification de la marque.
2. Le rôle de la fonction d’identification dans le cadre de la déchéance pour
dégénérescence
117. La distinction. L’article L. 714-6 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que le
propriétaire d’une marque encourt la déchéance de ses droits si la marque devient de son fait
460
CJCE, 11 mars 2003, aff. C-40/01, Ansul, Rec. 2003, p. I-2439, pt. 37 ; Propr. intell. 2003, n° 9, p. 429, obs.
G. BONET ; Comm. com. élect. 2003, n° 5, comm. n° 48, obs. C. CARON ; Propr. ind. 2003, n° 5, comm. n° 43,
obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL.
461
CJCE, 11 mars 2003, préc., pt. 36.
462
CJCE, 11 mars 2003, préc., pt. 37.
463
J. PASSA, L’incidence de la fonction de la marque sur l’obtention ou la validité et le maintien en vigueur du
droit, Propr. ind. 2010, n° 10, dossier n° 4, spéc. n° 16. V. également, CJCE, 15 janv. 2009, C-495/07,
Siberquelle, Rec. 2009, p. I-137.
464
Cass. com., 30 nov. 2004, JurisData n° 2004-025925; Cass. com., 21 oct. 2008, JurisData n° 2008-045483 ;
Cass. com., 9 mars 2010, JurisData n° 2010-001565.
100
la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service ou devient propre à induire
en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou
service465. Dans ces deux hypothèses, la marque est frappée par « ce qu’il est convenu
d’appeler une « dégénérescence » »466. Seule l’hypothèse de la marque devenue usuelle doit
retenir notre attention à ce stade de nos développements. La déchéance, pouvant être
prononcée lorsque la marque est devenue déceptive, ne semble pas être justifiée par la
fonction d’identification, mais plus par le principe de la libre concurrence. Il serait, en effet,
particulièrement déloyal et anticoncurrentiel pour un opérateur économique de bénéficier d’un
droit privatif sur un signe déceptif de nature à tromper le public.
118. La justification de la déchéance du droit lorsque la marque est devenue usuelle467.
La déchéance du droit portant sur une marque devenue usuelle468 vient paradoxalement
sanctionner le trop grand succès d’une marque. Le titulaire de la marque doit être déchu de ses
droits lorsque le public cesse de percevoir le signe utilisé à titre de marque comme une
marque pour le percevoir comme le nom commun d’un produit ou d’un service469. Les
exemples de marques devenues la désignation usuelle d’un produit ou service sont
nombreux : « Bikini », « Fermeture éclair », « Photomaton », « Pédalo », « Esquimau »…
Cette sanction apparaît particulièrement logique lorsqu’on sait que la fonction de la marque
est d’identifier des produits ou des services. En devenant usuelle, générique, la marque n’est
plus en mesure d’identifier les produits ou services de son titulaire. Elle désigne, à l’instar
d’un nom commun, les produits ou services qui répondront à la définition de la marque. Ainsi,
la marque « Pina Colada » désignait initialement un cocktail mis sur le marché par le titulaire
465
V. pour le droit communautaire, art. 51, § 1, sous b) et c) du Règlement n° 207/2009 et l’article 12,
paragraphe 2, la Directive n° 2008/95.
466
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 221, p. 262.
467
V. sur la marque devenue générique, J. P ASSA, op. cit., 2009, n° 222, p. 262 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de
la propriété industrielle, op. cit., n° 1528, p. 878 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle,
op. cit., n° 1426, p. 786 ; J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n°
556, p. 239 ; N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, op. cit., n° 756, p. 472 ; E. LE BIHAN, Perte du droit
sur la marque : renonciation, forclusion, déchéance, nullité, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7405,
2009 ; J.-J. BURST, Une nouvelle cause de déchéance du droit de marque : la dégénérescence de la marque, in
Écrits en hommage à J. FOYER, auteur et législateur, leges tulit, jura docuit, PUF, 1997, p. 207 ; M.-A. PÉROTMOREL, La dégénérescence des marques par excès de notoriété, in Mélanges en l’honneur de D. BASTIAN, t. 2,
Droit de la propriété industrielle, Litec, 1974, p. 49 ; T. LANCRENON, Les marques mortes d’avoir trop plu,
Propr. ind. 2008, n° 6, étude n° 13.
468
Le terme usuel doit être entendu largement. En effet, eu égard à l’esprit du texte, il est parfaitement
envisageable qu’une marque devenue, du fait de son titulaire, descriptive fasse également encourir la déchéance.
C’est ce que semble avoir consacré la Cour de cassation dans un arrêt du 10 juillet 2007 relatif à une marque
constituée d’une nuance de rose afin de désigner des produits laitiers. Cass. com., 10 juill. 2007, JurisData n°
2007-040261 ; Propr. ind. 2007, n° 12, comm. n° 101, obs. P. TRÉFIGNY.
469
N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, op. cit., n° 756, p. 472.
101
légitime de la marque. Aujourd’hui, une Pina Colada désigne tous les cocktails, quel que soit
l’opérateur économique l’ayant mis sur le marché, à base de rhum, d’ananas et de lait de
coco470. Comme le note le Professeur PASSA : « Désormais usuel, le signe n’est plus à même
d’exercer la fonction de la marque de telle façon que le droit exclusif doit disparaître »471.
La déchéance ne peut cependant pas être prononcée sur la simple constatation d’un usage
généralisé de la part du public. L’article L. 714-6 du Code de la propriété intellectuelle précise
que la marque doit être devenue usuelle du fait du titulaire. Cette conception subjective472 de
la dégénérescence s’explique par des raisons d’équité : « La déchéance serait en effet une
sanction injuste pour le titulaire si elle pouvait être prononcée lorsque cette dégénérescence
résulte exclusivement de l’attitude du public »473.
119. L’ « incidence » de la fonction d’identification sur l’existence du droit de marque est
fondamentale. C’est la fonction d’identification qui justifie en partie la naissance et la perte du
droit. Dès lors qu’un signe utilisé à titre de marque n’est pas ou n’est plus en mesure de
remplir le rôle que le titulaire lui a attribué, le signe ne peut constituer une marque.
L’ « incidence » de la fonction d’identification tend à démontrer qu’il s’agit bien là d’une
fonction patrimoniale : La marque est au service de son titulaire en contribuant à la
reconnaissance du droit de marque. À cet intérêt juridique flagrant, la fonction d’identification
revêt également un intérêt patrimonial, économique, incontestable.
II. L’intérêt patrimonial de la fonction d’identification
120. L’utilité économique de la marque. Faisant partie des « biens de l’entreprise »474, la
marque est d’une utilité économique décisive pour son titulaire. Il est vrai que la mise sur le
marché d’un produit marqué emporte plus facilement l’adhésion de la clientèle que le produit
non marqué. Pour offrir le produit ou le service, l’opérateur « a besoin de le désigner »475. En
470
V. Cass. com., 28 avr. 2004, Comm. com. élect. 2004, n° 7, comm. n° 88, obs. C. CARON.
J. PASSA, L’incidence de la fonction de la marque sur l’obtention ou la validité et le maintien en vigueur du
droit, Propr. ind. 2010, n° 10, dossier n° 4, n° 17. V. également, F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété
industrielle, op. cit., n° 1529, p. 880. Le Professeur POLLAUD-DULIAN note également que la déchéance
« sanctionne la perte de la fonction essentielle de garantie d’identité d’origine, que la marque a cessé de remplir
puisque le public n’y voit plus que le nom commun d’un type de produit et plus le moyen de distinguer les
produits du titulaire de cette marque ».
472
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1529, p. 880.
473
J. PASSA, L’incidence de la fonction de la marque sur l’obtention ou la validité et le maintien en vigueur du
droit, préc., n° 17. V. aussi du même auteur, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres
signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 225, p. 266.
474
J. CALAIS-AULOY & J. M. MOUSSERON, Les biens de l’entreprise, Litec, 1972.
475
P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, Éd. JNA, 1994, n° 13.
471
102
individualisant sa production ou ses services, le titulaire du signe utilisé à titre de marque
permet de se distinguer de la « masse anonyme des produits ou services concurrents »476.
Comme le notait déjà POUILLET, c’est la marque « qui donne à la marchandise son
individualité ; elle permet de la reconnaître entre mille autres analogues ou semblables, on
conçoit toute l’importance de la marque »477.
La marque permet de rallier et de fidéliser une clientèle. C’est grâce à la marque que la
clientèle peut faire son choix et s’attacher de manière durable à tel ou tel producteur ou
prestataire de service. Cette fonction économique de captation de clientèle ne doit pas être
simplement perçue comme une conséquence de la fonction d’identification. Elle devrait
même être envisagée comme la première fonction de la marque, comme le seul et unique but
du titulaire qui souhaite se singulariser et individualiser ses produits ou services. L’objectif de
tout opérateur économique est la recherche de profit. Or, la marque est un élément essentiel de
cette recherche de profit478. Elle constitue un « facteur de promotion des ventes »479
déterminant, ayant un impact direct sur la psychologie de la clientèle : « Le consommateur lie,
par une sorte de réflexe un produit et la marque qui le désigne. La marque fait partie de notre
environnement et même de notre subconscient »480. Le rôle de la marque dans la captation de
la clientèle est donc de premier ordre. Or, la clientèle étant l’élément sans lequel le fonds de
commerce ne pourrait exister481, la marque participe en conséquence activement au
développement du fonds de commerce. En ce sens, la fonction de la marque doit être
476
J. CALAIS-AULOY & J. M. MOUSSERON, Les biens de l’entreprise, Litec, 1972, n° 85.
E. POUILLET, Traités des marques de fabrique, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale
en tous genres, LGDJ, Marchal & Billard, 6 éd., 1912, n° 5, p. 14.
478
V. J.-N. KAPFERER, Les marques, capital de l’entreprise, Éditions d’organisation, Eyrolles, 4 e éd., 2007.
479
A. CHAVANNE & J.-J. BURST, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, 5 ème éd., 1998, n° 882, p. 490.
480
A. CHAVANNE & J.-J. BURST, op. cit., n° 882, p. 490.
481
V. aussi, Cass. com, 27 févr. 1973, Jouenne c/ Compagnie française de Distribution Total, , JCPG 1973, II,
17403 ; Cass. com, 20 oct. 1998, D. 1999, Somm. comm., p. 299 ; RTD com. 1999, p. 67. V. A. J AUFFRET, Les
éléments nouveaux du fonds de commerce, in Le droit privé français au milieu du Xxe siècle : études offertes à
G. RIPERT, t. 2, La propriété, contrats et obligations, la vie économique, Paris, LGDJ, 1950, p. 33 ; P. COLLOMB,
La clientèle du fonds de commerce, RTD com. 1979, p. 1 ; R. SAVATIER, L’introduction et l’évolution du bienclientèle dans la construction du droit positif français, in Mélanges offerts à J. MAURY : théorie générale du droit
et droit privé, t. 2 Paris, Dalloz, 1960, p. 559 ; J. DERRUPPE, Fonds de commerce et clientèle, in Études offertes à
A. JAUFFRET, Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille, 1974, p. 231 : « L’opinion dominante voit
dans la clientèle un élément essentiel du fonds de commerce. Parmi les divers éléments qui peuvent se
rencontrer dans un fonds de commerce, elle occupe une place privilégiée car elle est le seul qui soit commun à
tous les fonds (…) On perçoit aussi combien il est important de préciser le rôle de la clientèle dans la notion de
fonds de commerce et de savoir si la clientèle peut servir de critère à l’existence du fonds de commerce. (…) On
est forcé de constater une certaine convergence de pensée : la clientèle est une notion inhérente au fonds de
commerce : qu’elle soit présentée comme sa raison d’être ou comme sa source de vie, il demeure que le fonds de
commerce ne se conçoit et ne peut exister qu’en fonction d’une clientèle ».
477
103
envisagée comme une fonction patrimoniale. Par conséquent, il devient difficile d’envisager
la marque comme un élément de protection du consommateur482.
121. Conclusion du Chapitre 1. Nous avons constaté que le signe utilisé à titre de marque
constitue un bien, un meuble incorporel. Pour cela, la marque doit être une valeur, reconnue
par le droit et être dans le commerce. La démonstration de sa capacité à intégrer le patrimoine
de son titulaire permet d’appréhender la marque autrement que comme un instrument qui
serait au service de la société et, plus précisément, des consommateurs.
Cette approche est confirmée à l’aune de l’étude de la fonction de la marque. La marque fait
partie de la grande famille des signes sémiologiques. Elle est de ce fait composée d’un
signifiant et d’un signifié. La marque se distingue de nombreux autres signes de par son
caractère juridique. La marque permet de transmettre un message juridique. C’est dans le
message transmis que se trouve la fonction juridique de la marque.
De par son appartenance à la catégorie des signes distinctifs, la marque, comme ses pairs, a
une fonction d’identification qui lui est propre. Elle permet d’identifier les produits ou
services de son titulaire, comme le prévoit d’ailleurs sans ambiguïté l’article L. 711-1 du
Code de la propriété intellectuelle.
Cette fonction d’identification joue un rôle fondamental pour son titulaire, tant au plan
juridique, en permettant la naissance et la conservation du droit de marque, qu’au plan
patrimonial, en étant un élément prépondérant du fonds de commerce.
Envisagée ainsi, la fonction attachée à la marque est une fonction patrimoniale. Non
seulement elle est totalement orientée vers le titulaire, mais elle contribue à l’ « avoir » de
celui-ci. La fonction du signe n’est cependant qu’un aspect de la patrimonialité de la marque,
entendue au sens large. Le signe utilisé à titre de marque peut faire l’objet d’une réservation
par le biais d’un droit de propriété intellectuelle. Or, ce droit se voit également reconnaître
une fonction qui lui est propre.
482
J. AZÉMA, Le droit français de la concurrence, PUF, Thémis, 2 e éd., 1989, n° 291. L’éminent Professeur
relève ainsi que le marque est un instrument de concurrence et n’a pas vocation à protéger le consommateur.
104
105
106
Chapitre 2. La fonction patrimoniale du droit sur la marque
122. Si la marque est un bien, c’est notamment en raison de la réservation dont elle peut faire
l’objet. Cette réservation peut éventuellement s’opérer par l’usage483 ; la protection demeure
précaire dans une telle hypothèse, exception faite de la protection conférée au titulaire de la
marque notoire484. La réservation peut surtout résulter d’un enregistrement ayant pour
conséquence la reconnaissance au profit du titulaire de ce qu’il est commun de qualifier de
droit de marque ; or, comme chaque droit, celui-ci se voit reconnaître une fonction qui lui est
propre. Celle-ci sera déterminée par la nature juridique du droit sur la marque (Section 1), et
sera encadrée par l’objet du droit de marque (Section 2).
Section 1. La fonction patrimoniale déterminée par la nature juridique du droit sur
la marque
123. Le droit de marque à l’instar du droit d’auteur, du brevet ou du droit portant sur les
dessins et modèles appartient à la catégorie des droits de propriété intellectuelle485. Il est
envisagé au Livre VII du Code de la propriété intellectuelle. La formule employée pour
qualifier les droits portant sur des objets incorporels devrait permettre d’envisager
sereinement la nature du droit de marque : il s’agirait tout simplement d’un droit de propriété,
le terme intellectuel renvoyant à l’idée qu’il concerne des choses incorporelles issues d’un
effort intellectuel. Pourtant, évoquer la nature juridique des droits portant sur une marque ou
une œuvre de l’esprit n’est pas sans susciter de nombreuses difficultés. La nature juridique des
droits de propriété intellectuelle fait débat et divise la doctrine. Si certains refusent d’y voir
des droits de propriété486, d’autres n’hésitent pas à affirmer le contraire487. En dépit de l’attrait
483
Cf. supra n° 74.
Cf. supra n° 76 et infra n° 369.
485
Nous n’envisagerons pas dans le cadre de ces développements la question des droits voisins également visés
par le Code de la propriété intellectuelle. V. sur les qualifications exclues et retenues en matière de droits voisins,
T. AZZI, Recherche sur la loi applicable aux droits voisins du droit d’auteur en droit international privé, LGDJ,
Bibl. de droit privé, t. 425, 2005.
486
F. TERRE & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8 e éd., 2010, n° 63, p. 75; P. SIMLER, Les biens,
PUG, 3e éd., 2006, n° 7, p. 12 ; P. ROUBIER, Droits intellectuels ou droits de clientèle, RTD civ., 1935, p. 251 ;
Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 23, p. 104 ; Unité et synthèse des droits de propriété
intellectuelle, in Études sur la propriété industrielle, littéraire, artistique, Mélanges M. PLAISANT, éd. Sirey, 1960,
p. 161 ; R. FRANCESCHELLI, Nature juridique des droits de l’auteur et de l’inventeur, in Mélanges en l’honneur
de P. ROUBIER, t. 2, Dalloz-Sirey, 1961, p. 453 ; A. LUCAS & H.-J. LUCAS, Traité de la propriété littéraire et
artistique, Litec, 3ème éd., 2006, n° 17, p. 17 ; J. DABIN, Le droit subjectif, Dalloz, Bibl. Dalloz, réédition, 2007,
p. 189 ; P. MALAURIE & L. AYNES, Droit civil, les biens, Defrénois, 4e éd., 2010, n° 209, p. 64.
487
J. M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse objective, LGDJ, Bibl. de
droit privé, t. 23, 1961, p. 272, n° 247, p. 272; Y. S TRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 63, p. 101 ;
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles,
LGDJ, 2e éd., 2009, n° 11, p. 12 ; J.-L. PIOTRAUT, Droit de la propriété intellectuelle, Ellipses, Référence Droit,
484
107
que peut représenter le raisonnement des premiers (§ 1), c’est bien la qualification en droit de
propriété qui doit emporter l’assentiment (§ 2).
§ 1. Le rejet du droit de propriété
124. D’illustres auteurs488 contestèrent au dix-neuvième siècle le rattachement des droits de
propriété intellectuelle à la catégorie classique des droits de propriété. Ce débat a traversé les
siècles et est toujours d’actualité aujourd’hui. Cependant, ne pas envisager le droit de marque,
ou plus généralement les droits de propriété intellectuelle comme des droits de propriété
implique deux choses : présenter des arguments permettant de démontrer qu’il ne s’agit pas
d’un droit de propriété (I) et proposer d’autres qualifications (II).
I. La justification du rejet
125. L’absence d’emprise véritable. Traditionnellement, le droit de propriété est compris
comme un droit réel portant sur des choses corporelles489. Le principal obstacle à la
reconnaissance des droits de propriété intellectuelle comme de véritables droits de propriété
serait par conséquent le caractère incorporel de leur objet490. Il est indéniable qu’à l’origine la
2e, 2010, p. 12 et 13 ; J. AZEMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé,
6e éd., 2006, n° 2, p. 1; E. POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous
genres, LGDJ, Marchal & Billard, 6 éd., 191, n° 135 p. 131 ; J. RAYNARD, Droit d’auteur et conflits de lois.
Essai sur la nature juridique du droit d’auteur, Litec, Bibl. du droit de l’entreprise, t. 26, 1990 ; J. M.
MOUSSERON, J. RAYNARD & T. REVET, De la propriété comme modèle, in Mélanges offerts à A. COLOMER,
Litec, 1993, p. 281 ; C. CARON & H. LECUYER, Le droit des biens, Dalloz, Connaissances du droit, 2002, p. 44 ;
F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 53, p. 99 ; C. AUBRY & C. RAU, Droit
civil français, t. II, 7ème éd. par P. ESMEIN, Litec, 1961, n° 5, p. 13 ; P. JOURDAIN, Les biens, Dalloz, Droit civil,
1995, n° 434, p. 518 ; C. COLOMBET, Propriété littéraire et artistique et droits voisins, Dalloz, Précis, 9 e éd.,
1999, n° 20, p. 15 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e
éd., 2011, n° 25. p. 12 ; C. SIMLER, Droit d’auteur et droit commun des biens, Litec, CEIPI, t. 55, 2010.
488
P.-J. PROUDHON, Les majorats littéraires, Examen d’un projet de loi ayant pour but de créer, au profit des
auteurs, inventeurs et artistes, un monopole perpétuel, Paris, Dentu, 1863, notamment p. 254. Pour cet auteur :
« Il n’y a pas, il ne peut y avoir de propriété littéraire analogue à la propriété foncière. Une semblable propriété
est contraire à tous les principes de l’économie politique ; elle n’est donnée ni par la notion de produit, ni par
celles d’échange, de crédit, de capital ou d’intérêt, et ne saurait résulter de leur application ». ; A.-C.
RENOUARD, Traité des droits d’auteurs, dans la littérature, les sciences et les beaux-arts, Lib. de J. RENOUARD et
Cie, 1838, p. 455. Pour cet auteur, « L’expression de propriété littéraire doit être rejetée de la langue
juridique ».
489
Cf. supra n° 42.
490
P. MALAURIE & L. AYNÈS, Droit civil, op. cit., n° 207, p. 63 ; F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens,
op. cit., n° 63, p. 76 et 77 ; R. FRANCESCHELLI, Nature juridique des droits de l’auteur et de l’inventeur, préc.,
spéc. p. 460. Cet auteur insiste sur le fait « que nos droits ne sont pas exactement qualifiés en les appelant des
droits réels ; il n’y a pas de propriété ou de droit réel s’il n’y a pas de res sur laquelle le droit s’appuie » ; F.
ZENATI. Pour une rénovation de la théorie de propriété, RTD civ. 1993, p. 305, spéc. p. 307 : « La propriété est
traditionnellement caractérisée par la nature de son objet. Il n’est de véritable propriété, enseigne-t-on, que
celle qui porte sur les objets corporels ». Pour le Professeur ZENATI, cette conception serait le fruit d’une
déformation du dominium romain ravalé au rang d’un droit sur une chose. C’est donc une « manipulation
108
propriété impliquait une emprise matérielle et qu’elle « a surtout été conçue et réglementée
comme portant sur les choses, objets matériels»491. La classification opérée par DABIN dans
son étude relative aux « Droits subjectifs » est parfaitement claire : les droits réels, et donc le
droit de propriété, ne portent que sur les choses matérielles492.
À l’inverse, le monde de l’immatériel, échappant à l’emprise matérielle, pourrait difficilement
être objet d’un droit de propriété. Comme le relève un auteur, « la pensée et les idées sont
intangibles, donc insaisissables ; elles sont aussi douées d’une force de propagation et
d’ubiquité, ce qui fait dire à WOLOWSKI, en s’inspirant de la formule de VOLTAIRE, que la
pensée, « loin de s’individualiser, de se circonscrire (…) se répand comme la flamme et
gagne en puissance à mesure qu’elle s’empare d’un grand nombre d’intelligences ». Tous les
hommes peuvent en jouir pleinement, librement et simultanément si bien qu’aucun d’eux ne
peut s’en emparer et en exclure autrui »493.
L’un des arguments majeurs de cette conception repose sur l’impossible possession des
choses incorporelles494. En l’absence de corpus, il est indéniable que les choses incorporelles
ne sont pas en mesure de faire l’objet d’une emprise véritable et, partant, l’objet d’une
« possession véritable »495. Or, la possession occupant une place centrale dans la propriété496,
il résulte du refus pour la doctrine traditionnelle de reconnaître la possession de meubles
incorporels497 que la propriété ne peut porter sur autre chose que des choses matérielles.
Ainsi, les objets des droits de propriété intellectuelle n’ayant pas vocation à être saisis par la
scolastique des textes romains » qui est à la base de la théorie classique des biens et aucun texte du Code civil ne
permettrait d’affirmer que les choses corporelles soient les seules choses pouvant faire l’objet d’un droit de
propriété.
491
F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, op. cit., n° 63, p. 76 ; V. également, L. PFISTER, La propriété
littéraire est-elle une propriété ? Controverses sur la nature du droit d’auteur au XIXe siècle, Rev. hist. droit
2004, t. LXXII, p. 103, spéc. p. 108 : « L’appropriation des œuvres de l’esprit est tenue pour impossible au nom
d’un postulat doctrinal hérité de la définition du dominium qu’avait formulée Bartole, et que l’hostilité à la
propriété intellectuelle a en grande partie contribué à cristalliser : le postulat selon lequel la propriété ne peut
porter que sur des choses corporelles ».
492
J. DABIN, Le droit subjectif, Dalloz, Bibl. Dalloz, réédition, 2007. Dans son chapitre IV relatif au classement
des droits subjectifs, DABIN envisage dans un § 2 les droits réels (sur les choses matérielles). Un tel titre ne peut
laisser subsister un quelconque doute. Seules les choses matérielles peuvent être objet d’un droit de propriété.
493
L. PFISTER, La propriété littéraire est-elle une propriété ? Controverses sur la nature du droit d’auteur au XIXe
siècle, op. cit., spéc. p. 108-109.
494
P. ROUBIER, Droits intellectuels ou droits de clientèle, RTD civ., 1935, p. 251, spéc. n° 5 : « l’appropriation
des biens immatériels n’a pas de réalité, faute de possession exclusive. Le caractère exclusif des droits
intellectuels, dans la mesure où il est admis par la loi, correspond à quelque chose d’artificiel, et non point à la
nature des choses ».
495
P. MALAURIE & L. AYNÈS, Droit civil, les biens, op. cit., n° 207, p. 63.
496
La possession est parfois présentée comme « le fait pour une personne d’exercer sur une chose les actes
matériels qui manifestent habituellement l’exercice d’un droit réel », Y. STRICKLER, Les biens, op. cit., n° 188,
p. 269. En outre, le langage courant opère la confusion entre possession et propriété puisque le possesseur est
généralement assimilé au propriétaire. P. MALAURIE & L. AYNÈS, Droit civil, les biens, op. cit., n° 482, p. 141.
497
P. MALAURIE & L. AYNÈS, op. cit., n° 488, p. 145 : « Traditionnellement, le corpus impliquait une maîtrise
matérielle de la chose : aussi, la possession ne paraissait-elle concevable que pour les choses corporelles ».
109
possession « pose nécessairement problème, car la propriété intellectuelle ne disposerait pas
de l’un des éléments principaux du régime de la propriété »498.
126. L’absence de perpétuité. En sus du caractère incorporel de leur objet empêchant une
emprise véritable, les droits de propriété intellectuelle se distinguent de la propriété
« classique » par leur caractère temporaire. Le droit de l’auteur s’éteint soixante-dix ans après
la mort de l’auteur499. Le brevet délivré disparaît vingt ans après le dépôt de la demande500.
Quant à la marque, elle doit être renouvelée tous les dix ans501. S’agissant de la propriété
classique, il n’est pas contesté qu’elle a un caractère perpétuel502. Plus encore, la perpétuité
serait de l’essence même de la propriété.
S’ajoute à cela, le fait que les droits de propriété intellectuelle peuvent s’éteindre par le nonusage. Ils ne sont pas des droits « oisifs »503. Le breveté a l’obligation d’exploiter son brevet.
À défaut, il pourrait être sanctionné par le jeu des licences obligatoires504. En droit des
marques, l’absence d’usage sérieux est encore plus sévèrement sanctionnée, le titulaire
risquant la déchéance de son droit505. À l’inverse, le droit de propriété est imprescriptible et ne
s’éteint pas par le non-usage506. Ces différences seraient donc suffisamment significatives
pour refuser d’appréhender les droits de propriété intellectuelle comme de véritables droits de
propriété507.
498
A. ABELLO, La propriété intellectuelle, une « propriété de marché », in Droit et économie de la propriété
intellectuelle, sous la direction de M.-A. FRISON-ROCHE et A. ABELLO, LGDJ, coll. Droit et Economie, 2005, p.
341.
499
Art. L. 123-1, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle : « Au décès de l’auteur, ce droit persiste au
bénéfice de ses ayants droit pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent ».
500
Art. L. 611-2 du Code de la propriété intellectuelle : « 1° Les brevets d’invention, délivrés pour une durée de
vingt ans à compter du jour du dépôt de la demande ».
501
Art. L. 712-1, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle : « L’enregistrement produit ses effets à compter
de la date de dépôt de la demande pour une période de dix ans indéfiniment renouvelable ».
502
J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI & S. CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens, LGDJ, 2 e éd., 2010, n°97, p.
111.
503
Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 63, p. 101.
504
Art. L. 613-11 du Code de la propriété intellectuelle : « Toute personne de droit public ou privé peut, à
l’expiration d’un délai de trois ans après la délivrance d’un brevet, ou de quatre ans à compter de la date du
dépôt de la demande, obtenir une licence obligatoire de ce brevet ». V. à ce sujet, M. SABATIER, L’exploitation
des brevets d’invention et l’intérêt général d’ordre économique, Litec, CEIPI, t. 12, 1976 ; J. M. MOUSSERON,
Licence obligatoire pour non exploitation dans les États de la CEE, Dossiers brevets 1992, I ; P. ROUBIER, La
sanction de l’obligation d’exploiter les brevets : déchéance ou licence obligatoire, JCPG 1954, I, 1143 ; J. M.
MOUSSERON & Y. BASIRE, Les charges du breveté, Fasc. 4520, Juris.-Cl. Brevets, 2007, n° 125 et s.
505
Cf. supra n° 115 et infra n° 618 et n° 727.
506
Le propriétaire ne sera privé de son droit qu’à la condition qu’une autre personne se soit mise en possession
de la chose et que cette dernière l’ai possédée pendant assez longtemps pour en réaliser la prescription. Il ne
s’agit pas ici d’une prescription extinctive du droit de propriété mais d’une prescription acquisitive au profit d’un
tiers devenu possesseur de la chose. V. P. JOURDAIN, Les biens, Dalloz, Droit civil, 1995, n° 49, p. 60.
507
P. MALAURIE et L. AYNÈS, Les biens, op. cit., n° 207, p. 62 ; R. FRANCESCHELLI, Nature juridique des droits
de l’auteur et de l’inventeur, in Mélanges en l’honneur de P. ROUBIER, t. 2, Dalloz-Sirey, 1961, p. 453, spéc. n°
110
127. L’importance des tiers. Il est également possible d’avancer l’argument selon lequel les
droits de propriété intellectuelle « n’ont de consistance que par la participation de tiers »508.
Cet argument rejoint celui relatif au non-usage. Les choses incorporelles n’auraient
d’importance qu’à la condition qu’une clientèle s’y rattache. De ce fait, l’exploitation serait
consubstantielle aux droits de propriété intellectuelle en vue permettre à une clientèle de s’y
rattacher509. À l’inverse dans le cadre de la propriété classique, user ou non d’un bien
corporel, « c’est toujours faire acte de propriétaire »510.
128. Des droits limités. Les droits de propriété intellectuelle ne seraient pas des droits de
propriété en raison des rapports qu’ils entretiennent avec d’autres « droits » tels que les
libertés fondamentales comme la liberté d’expression ou le droit d’information. Il y aurait
même une dépendance511. Le droit de l’auteur est ainsi limité par des exceptions telles que la
courte citation, la copie privée, la parodie, etc512. Le titulaire du brevet doit supporter le droit
à l’usage privé à des fins expérimentales. Quant au droit de marque, il semble être dans
l’ensemble conditionné et limité par le principe de la libre concurrence. Les droits de
propriété intellectuelle apparaissent comme des droits au « contenu déterminé »513 et, partant,
au contenu limité. Or, le droit de propriété est défini par certains comme « une liberté du
propriétaire sur sa chose, c'est-à-dire un droit au contenu indéterminé »514.
129. Afin de contester au mieux la qualification de droit de propriété, les contradicteurs de la
formule « droit de propriété intellectuelle » ont tenté de démontrer qu’il n’y avait pas identité
de régime entre la propriété classique et la propriété intellectuelle. La démarche de ces auteurs
ne pouvait être complète qu’en proposant des alternatives au droit de propriété.
7 ; V. également sur ce sujet, L. PFISTER, La propriété littéraire est-elle une propriété ? Controverses sur la nature
du droit d’auteur au XIXe siècle, Rev. hist. droit 2004, t. LXXII, p. 103, spéc. p. 108.
508
P. MALAURIE et L. AYNÈS, Les biens, op. cit., n° 207, p. 63.
509
P. MALAURIE et L. AYNÈS, op. cit., n° 207, p. 63.
510
P. MALAURIE et L. AYNÈS, op. cit., n° 207, p. 63.
511
P. MALAURIE et L. AYNÈS, op. cit., 2010, n° 207, p. 63.
512
V. l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle.
513
P. BERLIOZ, La notion de bien, LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 489, 2006, n° 1488, p. 461.
514
P. BERLIOZ, op. cit., n° 1489, p. 462.
111
II. Les propositions de qualification
130. Une « Terminologie flottante »515. « Ne serait-il pas plus juste au contraire
d’abandonner cette référence, en admettant que l’appellation de propriété ne convient pas à
ces droits ? »516. De nombreux auteurs ont été amenés à se poser cette question.
Malheureusement, les formules utilisées pour qualifier les droits ayant pour objet des choses
incorporelles sont « flottantes »517. C’est ainsi que les termes monopole d’exploitation518,
droit de monopole519, privilège520, droit intellectuel521 ou droit de clientèle522 furent et sont
toujours utilisés pour désigner les droits portant sur les choses incorporelles. La
jurisprudence523 et le législateur524 ont également contribué à ces flottements terminologiques.
Deux propositions innovantes doivent cependant retenir notre attention.
131. ROUBIER et DABIN tentèrent de dépasser la summa divisio classique des droits réels et
des droits personnels. Pour ces auteurs, les droits portant sur des choses incorporelles devaient
être rangés dans une nouvelle catégorie.
515
P. MALAURIE et L. AYNÈS, Les biens, op. cit., n° 208, p. 64.
P. BERLIOZ, La notion de bien, op. cit., n° 1504, p. 469.
517
P. MALAURIE et L. AYNÈS, Les biens, op. cit., n° 208, p. 64.
518
P. MALAURIE et L. AYNÈS, Les biens, op. cit., n° 209, p. 64.
519
R. FRANCESCHELLI, Nature juridique des droits de l’auteur et de l’inventeur, in Mélanges en l’honneur de P.
ROUBIER, t. 2, Dalloz-Sirey, 1961, p. 453, et plus particulièrement n° 11 et 12 : « Les droits de monopole, que
l’on vient ainsi à alimenter d’une nouvelle lymphe vitale, constituent une catégorie historiquement bien connue.
Ils se rattachent idéalement à ces privilèges, à ces banalités, à ces droits exclusifs qui, dans d’autres époques de
l’histoire, caractérisaient la possibilité d’exercer une activité industrielle donnée dans un certain lieu ou dans
un certain rayon territorial (qui pouvait même comprendre tout le pays) avec comme conséquence la faculté
d’empêcher que d’autres puissent exercer une industrie semblable en faisant concurrence au titulaire de la
banalité, du droit exclusif, du privilège. Il arrivait que les tiers devaient se servir, à l’époque féodale, d’un
certain moulin, d’un certain four, etc. Et l’on définissait ces droits de monopole comme « des droits à caractère
patrimonial sur la base desquels il est assuré à leur titulaire une certaine activité de gain, de préférence et avec
l’exclusion de tous les autres » ».
520
Le terme privilège est une autre manière de parler du monopole : « Et l’on insiste sur le fait qu’à la différence
du droit réel le monopole est un privilège, « puisqu’il exclut tous de l’exercice d’une activité à laquelle on aurait
autrement par principe droit » », R. FRANCESCHELLI, préc., spéc. n° 12.
521
J. DABIN, Le droit subjectif, Dalloz, Bibl. Dalloz, réédition, 2007.
522
P. ROUBIER, Droits intellectuels ou droits de clientèle, RTD civ., 1935, p. 251 ; Le droit de la propriété
industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 23, p. 104 ; Unité et synthèse des droits de propriété intellectuelle, in Études sur
la propriété industrielle, littéraire, artistique, Mélanges M. PLAISANT, éd. Sirey, 1960, p. 161.
523
R. FRANCESCHELLI, Nature juridique des droits de l’auteur et de l’inventeur, in Mélanges en l’honneur de P.
ROUBIER, t. 2, Dalloz-Sirey, 1961, p. 453, n° 12 : « et que la jurisprudence, qui avait parlé, dans le célèbre arrêt
Masson de la Cour de Cassation de 1880, « de droits de propriété » ait modifié en 1887 son orientation, disant
que « les droits d’auteur et le monopole qu’ils confèrent sont désignés à tort…sous le nom de propriété ; loin de
constituer une propriété…ils donnent seulement à ceux qui en sont investis le privilège d’une exploitation
temporaire ». V. sur la qualification de propriété, Cass., ch. req., 16 août 1880, B. GAUDICHOT, dit Michel
MASSON, c. GAUDICHOT fils, D. 1881, I , p. 25 . V et sur la qualification de monopole, Cass. civ., 25 juillet 1887,
aff. de Lucia di Lammermmoor et de Lucrezia Borgia, DP, 1888, I, 5.
524
Le terme « propriété » fut abandonné par la loi de 1844 sur les brevets d’invention et par celle de 1866 sur le
droit d’auteur.
516
112
Pour DABIN, il s’agissait de droits intellectuels à ranger aux côtés des droits réels et
personnels dans la catégorie plus large des droits subjectifs (A). Quant à ROUBIER, après avoir
démontré que toutes les qualifications existantes étaient erronées, il mit en exergue la finalité
de ces droits afin de les qualifier de droits de clientèles (B) 525.
A. Les droits intellectuels
132. L’origine de la dénomination. C’est dans les travaux de PICARD que l’on trouve trace
pour la première fois de la théorie des droits intellectuels526. Il était impossible pour lui
d’assimiler une chose corporelle et une chose incorporelle, leurs natures étant aux
antipodes527. Dès lors, il s’est proposé de ranger aux côtés des catégories traditionnellement
reconnues la catégorie des droits intellectuels528 : « à côté des droits REELS que l’homme peut
avoir sur des choses matérielles en dehors de lui, il y a tous les droits qu’il peut revendiquer
sur les productions de son esprit à quelque domaine qu’elles appartiennent, qu’il s’agisse de
productions artistiques, littéraires, industrielles, commerciales ou sociales, et nous avons
proposé de les grouper en une catégorie spéciale qui prendrait la dénomination des droits
INTELLECTUELS
»529. Il insistait ainsi sur la nécessaire adaptation du droit à l’existence de cette
catégorie particulière et sur l’adoption d’un livre nouveau au Code civil de chaque nation,
« comprenant l’organisation spéciale des droits qui ont pour objet ces productions de
l’intelligence »530.
La proposition de PICARD rencontra un certain succès et la doctrine française se fit l’écho de
cette qualification531. Celle-ci reposait essentiellement sur deux fondements : le caractère
incorporel de l’objet des droits intellectuels et le refus d’utiliser le terme de « propriété ». La
525
En Allemagne, J. KOHLER proposa une autre qualification : les « droits sur les biens immatériels »
(Immaterialgüterrechte). Pour KOHLER, le droit de l’artiste ou de l’inventeur repose sur l’utilité sociale. La
justification du droit réside dans l’intérêt que représente le monde des idées pour le développement de la
civilisation. Les droits sont donc perçus comme des récompenses qui stimulent en quelque sorte la création. Les
droits sur les biens immatériels ont donc pour vocation de permettre une utilisation économique de la création.
V. à ce sujet et sur une critique de cette théorie, P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey,
1952, n° 22, p. 102.
526
E. PICARD, Embryologie juridique Ŕ Nouvelle classification des droits, JDI, 1883, p. 565.
527
E. PICARD, préc., particulièrement p. 580. L’auteur faisait preuve d’une certaine virulence pour critiquer
l’éventualité d’une telle assimilation : « Il n’y a pas de rapport, et il n’y a pas d’assimilation possible entre une
chose matérielle, une res, et une chose intellectuelle. Leurs natures sont aux antipodes. Est-il croyable qu’il
faille insister pour faire saisir une vérité aussi simple ? ».
528
E. PICARD, préc., p. 565.
529
E. PICARD, préc., p. 565.
530
E. PICARD, préc., p. 565.
531
A. COLIN et H. CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français, t. 1, Dalloz, 6 e éd.,1930, p. 106 ; J.
DABIN, Les droits intellectuels comme catégorie juridique, Rev. crit. de législ. et de juris., 1939, p. 413 ; Le droit
subjectif, Dalloz, Bibl. Dalloz, réédition, 2007, p. 189.
113
conception étant à la source du droit intellectuel, elle s’oppose donc « à la chose (objet d’un
droit réel) à la qualité juridique (objet d’un droit personnel), à l’action humaine (objet d’un
droit obligationnel) »532.
133. Une dénomination fondée sur l’objet. La théorie de PICARD fut reprise et développée
en France sous l’impulsion de DABIN. Dans son étude relative aux droits subjectifs, DABIN
précisait que « les droits subjectifs se classent par les éléments du rapport juridique, en
premier lieu par leur objet »533. Pour DABIN, il y aurait donc quatre catégories de droits
subjectifs se distinguant les uns des autres par leurs objets : les droits réels, les droits de la
personnalité, les droits de créance et les droits intellectuels. Les droits réels ont pour objet
« une chose matérielle autre que la personnalité humaine »534. Les droits de la personnalité
sont les « droits qui ont pour objet les éléments constitutifs de la personnalité du sujet prise
sous ses multiples aspects, physique et moral, individuel et social »535. Les droits de créance
ou d’obligation sont ceux qui frappent les personnes, « en ce sens qu’une personne, le
débiteur, est tenue vis-à-vis d’une autre, le créancier, titulaire du droit, de l’accomplissement
de certaines prestations formant le contenu de l’obligation »536. Enfin, les droits intellectuels
sont ceux qui ont pour objet « des choses qui ne sont plus corporelles, qui sont
« intellectuelles » (formes, idées) »537.
C’est en premier lieu la nature incorporelle de l’objet qui permettrait d’envisager la catégorie
des droits intellectuels. DABIN range, sous le vocable de « droit intellectuel », les droits se
rapportant notamment aux « œuvres littéraires et artistiques ; inventions industrielles, dessins
et modèles ; marques de fabrique et de commerce ; appellations d’origine ; nom civil et
commercial ; enseigne ; clientèle ; offices ; cabinets ; portefeuilles (commerçants, notaires,
avocats, médecins, assureurs, représentants de commerce) ; secrets de fabrique, etc. »538. Ces
différents objets de droit se caractérisent par leur nature incorporelle. Il s’agit de choses qui ne
sont pas fixées « à un lieu déterminé, ni même un objet matériel unique qui ne peut se trouver
en deux lieux à la fois »539.
532
P. RECHT, Le droit d’auteur, une nouvelle forme de propriété Ŕ Histoire et théorie, LGDJ., éd. J. DUCULOT,
1969, p. 72.
533
J. DABIN, Les droits intellectuels comme catégorie juridique, Rev. crit. de législ. et de juris., 1939, p. 413,
spéc. p. 418
534
E. PICARD, Embryologie juridique Ŕ Nouvelle classification des droits, préc., spéc. p. 574.
535
J. DABIN, Le Droit subjectif, Dalloz, op. cit., p. 168.
536
J. DABIN, op. cit., p. 181.
537
J. DABIN, op. cit., p. 189.
538
J. DABIN, Les droits intellectuels comme catégorie juridique, préc., particulièrement n° 2.
539
E. PICARD, Embryologie juridique Ŕ Nouvelle classification des droits, préc., p. 565.
114
DABIN démontre que l’existence de prérogatives extrapatrimoniales dans le cadre du droit
d’auteur et, dans une moindre mesure, du brevet n’a pas pour conséquence d’empêcher les
droits sur ces choses incorporelles d’intégrer la catégorie des droits intellectuels. Pour DABIN,
la séparation entre le monde du patrimonial et le monde de l’extrapatrimonial ne serait pas
étanche et il existerait « des valeurs et des droits de caractère mixte, patrimoniaux par leur
valeur vénale, extrapatrimoniaux par leur liaison plus ou moins étroite à des intérêts de
l’ordre moral »540. Dès lors, « La division déduite du caractère patrimonial ou non des droits
subjectifs peut bien se cumuler, se croiser, avec la division déduite de l’objet de ces droits ;
elle ne saurait la dominer ou l’évincer. Il y aura droit réel ou le droit de créance patrimonial,
le droit réel ou le droit de créance extrapatrimonial, selon le caractère patrimonial ou non de
l’objet particulier de chacun de ces droits ; mais il n’y aura pas de droit réel ou droit de
créance subordonné à la condition que le service à tirer de la chose ou du débiteur ait une
valeur pécuniaire, cette condition étant extrinsèque, située sur un autre plan, le plan
économique »541. Le même raisonnement devrait donc être appliqué aux droits intellectuels.
La catégorie des droits intellectuels ferait abstraction « de la division des droits patrimoniaux
et extrapatrimoniaux, qui ne touche pas à la nature des droits envisagés en eux-mêmes »542 et
ne s’attacherait qu’à l’immatérialité de l’objet de ces droits543. ROUBIER résuma parfaitement
le fondement de cette catégorie en ces termes : « le droit a pour siège un bien immatériel
(œuvre d’art, invention, marque, etc.) et comporte une série de prérogatives, morales ou
pécuniaires, sur ce bien »544. Les droits intellectuels seraient donc des « jus in re
incorporali »545.
134. L’emprise d’une chose incorporelle. Ce jus in re incorporali se caractérise non
seulement par son objet, mais également par le fait qu’il permet l’emprise d’une chose
incorporelle546. Concernant les prérogatives patrimoniales conférées par les droits
intellectuels, DABIN n’hésite pas à faire le rapprochement avec le droit réel. Il n’y aurait
540
J. DABIN, Les droits intellectuels comme catégorie juridique, Rev. crit. de législ. et de juris., 1939, p. 413 et
plus particulièrement n° 6. Cela serait le cas des souvenirs de famille « de valeur nulle sur le marché, d’un prix
inestimable pour la famille et, à ce titre, soustraits au régime normal de la propriété purement patrimoniale ».
541
J. DABIN, préc., particulièrement n° 6.
542
J. DABIN, préc., particulièrement n° 7.
543
Pour DABIN, l’existence de prérogatives extrapatrimoniales contribue notamment au fait que la qualification
de droit de propriété ne peut être retenue. V. J. DABIN, préc., particulièrement n° 32.
544
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 22, p. 100.
545
J. DABIN, op. cit., particulièrement n° 7. V. pour une justification de l’utilisation de cette formule, n° 24 p.
438. DABIN explique cette formule de jus in re incorporali au regard du fait que le droit réel signifie jus in re et
que le droit personnel signifie jus in personae. Dès lors, « par antithèse au droit réel qui est jus in re corporali »,
il serait normal d’utiliser la formule jus in re incorporali pour désigner le droit sur la chose intellectuelle.
546
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, op. cit.,, n° 22, p. 99.
115
aucune différence entre le titulaire de droit intellectuel et celui d’un propriétaire d’une chose
corporelle. Qu’il porte sur une chose corporelle ou intellectuelle, DABIN considère que le
monopole d’exploitation est identique et relatif547.
En conséquence, les prérogatives patrimoniales des droits intellectuels devraient être
envisagées comme de véritables droits réels incorporels548. DABIN refuse néanmoins d’utiliser
le terme propriété. L’article 544 du Code civil, « le droit commun de la propriété » 549, est
impropre à envisager les problématiques tenant aux droits intellectuels. Bien qu’elles fassent
l’objet d’une certaine emprise, DABIN relève que la maîtrise sur les choses intellectuelles « ne
se comporte pas de la même manière que la maîtrise sur les choses corporelles »550. En étant
saisies par l’esprit, les choses incorporelles « se dérobent à tout cantonnement au profit d’un
seul »551. Dès lors, même s’il existe une certaine similarité entre les prérogatives conférées par
les droits intellectuels et le droit de propriété, cette dernière qualification semble devoir être
réservée « à l’emprise sur les choses douées d’un minimum de solidité et d’assise, se prêtant
à une occupation physique »552.
135. L’impact de la théorie des droits intellectuels. La doctrine française fut très critique à
l’égard de la théorie dite des droits intellectuels553. Ni les juges, ni le législateur ne retinrent
cette conception. Certains pays furent néanmoins séduits par cette approche. En Belgique, « la
majorité de la doctrine s’est ralliée à la théorie des droits intellectuels »554. La jurisprudence
belge s’est également implicitement rattachée à cette conception en refusant d’envisager le
droit de marque comme un droit de propriété555.
547
J. DABIN, Les droits intellectuels comme catégorie juridique, préc., particulièrement n° 20. Il affirmait ainsi
qu’« il n’y a aucune différence entre le cas du titulaire de droit intellectuel et celui du propriétaire d’une chose
corporelle. Le propriétaire a, lui aussi, une exclusivité, un monopole d’exploitation, non pas en ce sens qu’il
aurait le droit d’interdire à d’autres propriétaires de vendre les fruits de leur chose, mais en ce sens qu’il a le
seul droit de vendre les fruits de sa chose, exactement de la même manière que le titulaire du droit intellectuel a
le monopole d’exploitation de sa chose, sans être soustrait à la concurrence des titulaires de droits intellectuels
sur d’autres choses, œuvres ou inventions concurrentes. Dans tous les cas le monopole d’exploitation est
identique et relatif, relatif à la chose, corporelle ou intellectuelle, frugifère ».
548
J. DABIN, préc., spéc. n° 25.
549
J. DABIN, préc., spéc. n° 30.
550
J. DABIN, préc., spéc. n° 31.
551
J. DABIN, préc., spéc. n° 31.
552
J. DABIN, préc., spéc. n° 31.
553
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 22, p. 102 ; Droits intellectuels ou droits
de clientèle, RTD civ., 1935, p. 251.
554
A. BRAUN & E. CORNU, Précis des marques, Larcier, 5e éd., 2009, n° 10, p. 7 et n° 283, p. 306.
555
Brux., 25 juin 1958, Ing.-Cons. 1959, p. 321 et plus particulièrement p. 323 : « on doit et on peut constater
qu’en aucun cas on ne peut admettre que ces droits puissent être entièrement mis sur le même pied qu’un droit
de propriété ordinaire, ce qui, entre autres, suppose un droit exlusif à l’usage (usus) d’un bien ».
116
136. La critique de la théorie des droits intellectuels. La conception des droits intellectuels
est séduisante. Le postulat de départ semble implacable : Quoi de plus logique que de réunir
au sein d’une même catégorie les objets de même nature ? La faiblesse de cette théorie
transparaît néanmoins dans les écrits de certains de ses partisans qui « reconnaissent le
caractère approximatif de leur définition, puisqu’ils font du contenu des droits qu’ils
énumèrent des droits sui generis, ce qui est toujours un alibi commode »556.
En dépit des critiques et des volontés de remettre en cause la summa divisio classique, il
apparaît que les catégories existantes font preuve d’une cohérence que la catégorie des droits
intellectuels ne connaît pas. Hormis leur aspect incorporel, quel est le lien entre une marque et
un nom de famille ? L’un engendre des prérogatives d’ordre pécuniaire, l’autre est
traditionnellement envisagé dans la catégorie des droits de la personnalité. Si la démarche
tendant à considérer les choses incorporelles au sein d’une même catégorie semble a priori
logique, il existe une trop grande disparité entre les régimes des différents droits composant la
catégorie des droits intellectuels557. Face à cette hétérogénéité de régime, il est légitime de
s’interroger sur l’opportunité de créer une nouvelle catégorie et sur les conséquences de celleci. Si les droits réels et les droits personnels se caractérisent par leur aspect patrimonial et les
droits de la personnalité par leur aspect extrapatrimonial, les droits intellectuels n’ont rien en
commun hormis la nature incorporelle de leurs objets. Or, ce point commun ne semble pas
entraîner de quelconques conséquences juridiques. Ainsi, s’il est possible et cohérent de parler
de droits intellectuels eu égard à l’objet du droit concerné, il ne s’agit pas pour autant d’une
catégorie au sens juridique du terme. Elle serait en conséquence une catégorie résiduelle.
En sus, la théorie de DABIN repose sur une vision archaïque du bien et du droit de propriété.
En effet, il conçoit que les choses incorporelles peuvent faire l’objet d’une emprise, mais il
conteste la qualification de propriété au motif que la propriété ne concerne que les choses
corporelles. La théorie de DABIN était tiraillée entre l’idée d’un certain progrès, l’emprise des
choses incorporelles, et celle d’un certain classicisme, seules les choses corporelles peuvent
faire l’objet d’un droit de propriété. La principale erreur de la démarche de DABIN résidait
vraisemblablement dans le fait de croire que le droit de propriété était réservé aux choses
corporelles.
556
P. RECHT, Le droit d’auteur, une nouvelle forme de propriété, Paris, LGDJ, 1969, p. 73 citant A. C OLIN & H.
CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français, t. 1, Dalloz, 6e éd., 1930, p. 106. Ces illustres auteurs
relèvent que les droits intellectuels ne sont « ni des droits réels, ni des droits de créance, mais autant de droits
spéciaux, sui generis, objet chacun d’un régime légal particulier ».
557
V. A. COLIN & H. CAPITANT, op. cit., p. 106.
117
137. La catégorie des droits intellectuels existe sans nul doute. Il est logique de pouvoir réunir
dans une seule et même catégorie des droits portant sur des objets incorporels. Il s’agit
cependant d’une catégorie résiduelle. Au contraire de la Belgique558, la théorie des droits
intellectuels n’a pas triomphé en France. Une autre approche fut envisagée par ROUBIER qui
proposa de qualifier les droits de propriété intellectuelle de droits de clientèle.
B. Les droits de clientèle
138. Le rejet des autres conceptions. C’est par le biais d’une démarche analytique que
ROUBIER tenta de trouver la « qualification » qui convenait le mieux aux droit portant sur des
choses incorporelles. Il tenta de démontrer que les diverses théories proposées jusqu’alors
n’étaient pas satisfaisantes. Il rejeta en bloc les conceptions personnalistes559, la théorie de la
propriété incorporelle560, la conception des biens immatériels de KOHLER561 ainsi que la
conception de PICARD et DABIN sur les droits intellectuels562.
558
A. BRAUN & E. CORNU, Précis des marques, Larcier, 5e éd., 2009, n° 10, p. 7: « Nous pouvons dire qu’en
Belgique, la majorité de la doctrine s’est ralliée à la théorie des droits intellectuels ». V. notamment, Brux., 25
juin 1958, Ing.-Cons. 1959, p. 321 et plus particulièrement p. 323.
559
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 20, p. 88 ; Droits intellectuels ou droits
de clientèle, RTD civ., 1935, p. 251. Certains auteurs soutenaient en effet qu’en matière de droit d’auteur, le
droit moral et le droit privatif d’exploitation n’étaient en fait que deux aspects différents du même droit. Le seul
droit qui naissait de la création était donc un droit personnel. Or, comme le soulignait ROUBIER, « La distinction
des droits du patrimoine et des droits de la personnalité ou droits extra-patrimoniaux a toujours été considérée
comme la « summa divisio ». Pour y faire échec, il faudrait que le caractère personnel d’un droit entrainât
nécessairement les conséquences envisagées dans le domaine des intérêts patrimoniaux : nous ne voyons rien de
pareil dans notre matière ».
560
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 21, p. 92 ; Droits intellectuels ou droits de
clientèle préc., p. 251. ROUBIER reprit les arguments classiques d’une partie de la doctrine qui refuse aux droits
portant sur des choses incorporelles d’être qualifiées de droit de propriété. Il s’agit de droits temporaires. Les
choses incorporelles ne sont pas susceptibles d’une emprise véritable. En outre, l’exclusivité de l’usus du droit
de propriété classique n’existe pas dans ces droits : « tandis que le propriétaire d’une chose cherche à se la
réserver tout entière et à exclure le public de sa jouissance, l’inventeur ou l’auteur ne trouvent l’objet de leur
droit de monopole qu’en mettant leur création ou leur œuvre à la disposition de tous. Le propriétaire referme la
main sur la chose qu’il possède, alors que l’inventeur ou l’auteur l’ouvre toute grande pour livrer au public leur
trésor ».
561
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle op. cit., n° 22, p. 102 ; Droits intellectuels ou droits de
clientèle préc., p. 251. ROUBIER considère que KOHLER a fait une grave erreur de terminologie lourde de
conséquences : « Car cette terminologie a l’inconvénient grave de rompre l’unité de la classification bien
connue des droits patrimoniaux ; cette classification est fondée, en effet, sur le contenu du droit : le droit réel est
celui qui donne la mainmise sur une res ; le droit de créance est celui qui correspond à un certain crédit sur le
débiteur ; mais l’expression « droit sur les biens immatériels » ne nous fait pas comprendre quel est le contenu
du droit ; elle nous dit simplement à quels biens ces droits s’appliquent, mais c’est là quelque chose qui ne suffit
pas de définir ».
562
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 22, p. 98 ; Droits intellectuels ou droits de
clientèle, préc., p. 251. ROUBIER reconnaissait l’intérêt de la démarche ( « L’idée de créer une troisième classe
de droits patrimoniaux est amplement justifiée, du fait qu’on ne peut classer de tels droits dans les autres
groupes, et cette idée n’est donc point aussi audacieuse que le pensait E. PICARD »), mais il réfutait la
démonstration de DABIN et refusait de voir une troisième catégorie appelée « droits intellectuels ».
118
139. L’émergence des « valeurs ». En vue de proposer sa propre qualification, ROUBIER s’est
penché sur les travaux de LEVY relatif à la transition du droit à la valeur563. C’est au début du
vingtième siècle que fut mise en exergue la place importante que prenaient les valeurs au sein
de notre droit564. Ce qui « importe (…) au capitaliste ce n’est pas un droit sur un certain bien,
mais un droit sur certaine valeur »565. À la notion de valeur se substituerait alors la notion de
possession566. Ces valeurs s’opposent, par les fluctuations dont elles peuvent faire l’objet567,
aux droits classiques tels que la propriété et la créance, qui sont des éléments stables et fixes
du patrimoine. Les valeurs ne sont pas des droits acquis : « une crise et le dividende est nul ;
la cause devient l’activité des hommes qui travaillent, qui mangent, le milieu »568. Or, la
valeur est dépendante de l’exploitation et, donc, en dernier ressort de la clientèle. C’est à
partir de ce constat que ROUBIER étaya sa théorie.
140. L’importance de la clientèle. La situation juridique des valeurs serait subordonnée à la
réalisation de bénéfice, qui est elle-même fonction de la clientèle569. ROUBIER relevait que
« les « valeurs » dans la vie économique se définissent par la somme de clientèle qu’elles
représentent »570. Le dénominateur commun des valeurs économiques serait donc la
clientèle571. Par voie de conséquence, elle serait elle-même une valeur, « un bien au sens
juridique du mot »572, méritant d’être objet de droit. Bien qu’il la considère comme un bien,
ROUBIER admet que la clientèle est une valeur qui ne peut être appropriée. Il n’existe aucun
droit permettant d’assurer un « certain quantum de clientèle » 573. Il est néanmoins possible
d’envisager des droits « qui correspondent à une position juridique déterminée par rapport à
la clientèle »574. C’est dans ces droits, permettant d’assurer une certaine assise à l’égard de la
563
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle op. cit., n° 23, p. 105. ROUBIER notait : « Il y a déjà bien
longtemps qu’un esprit novateur, E. LÉVY, attirait l’attention des juristes et des philosophes sur la transition du
droit à la valeur, qui constituait à ses yeux l’un des traits dominants du droit contemporain »
564
E. LÉVY, La transition du droit à la valeur (Essai de définitions), Revue de métaphysique et de morale, 1911,
p. 412. V. sur une explication des théories de E. LÉVY, G. RIPERT, Le socialisme juridique d’Emmanuel LÉVY,
Rev. crit. de légis. et de juris., 1928, p. 21 et plus particulièrement p. 29 et s.
565
G. RIPERT, préc., spéc. p. 29.
566
G. RIPERT, préc., spéc. p. 29.
567
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 23, p. 105.
568
E. LÉVY, La transition du droit à la valeur (Essai de définitions), préc., p. 413.
569
P. ROUBIER, op. cit., n° 23, p. 105.
570
P. ROUBIER, op. cit., n° 23, p. 105.
571
P. ROUBIER, op. cit., n° 23, p. 106: « Lorsqu’un fonds de commerce est vendu, (…) la valeur du fonds est
déterminée en fonction de la clientèle, et des bénéfices qu’elle procure ».
572
P. ROUBIER, op. cit., n° 23, p. 105.
573
P. ROUBIER, op. cit., n° 23, p. 106.
574
P. ROUBIER, op. cit., n° 23, p. 106.
119
clientèle, que ROUBIER voit une troisième catégorie de droits patrimoniaux575 qu’il dénomme
« les droits de clientèle ».
Ces droits permettraient de jouir d’une exclusivité sur des choses incorporelles servant à
rallier la clientèle576. En d’autres termes, la clientèle deviendrait objet de droit et les choses
incorporelles seraient de simples instruments permettant la captation de la clientèle. C’est par
sa finalité, plus que sur son objet ou les caractères de son régime, que ROUBIER qualifierait
ces droits de droits de clientèle577. Les droits de clientèle seraient des instruments de lutte
commerciale permettant de conquérir la clientèle et de fixer certaines positions au profit de
leurs titulaires, que les concurrents devront respecter578.
141. Le succès de la théorie. Même si la jurisprudence et le législateur restèrent de marbre
face à la théorie des droits de clientèle, une partie de la doctrine française se fit l’écho de la
qualification proposée par ROUBIER.
DESBOIS considérait que tous les droits de propriété littéraire et artistique ou industrielle
constituent des droits de clientèles se caractérisant « par la présence d’une exclusivité, d’un
monopole dans l’exercice d’une activité professionnelle »579. FRANÇON rejoignit également
cette conception en assimilant les propriétés incorporelles à des droits de clientèles prenant la
forme de monopoles, « c'est-à-dire d’une exclusivité par rapport à la clientèle »580. Pour ces
auteurs, les droits de clientèle constitueraient une troisième catégorie de droit patrimonial,
devant être distingués des droits réels et des droits personnels. Le droit de clientèle se
575
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 20, p.
10.
576
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 23, p. 106.
577
Cette approche fonctionnelle peut également être rapprochée de celle proposée par FRANCESCHELLI en Italie
qui dénonçait pourtant la théorie des droits de clientèle. Pour FRANCESCHELLI, les droits portant sur les choses
incorporelles sont essentiellement des droits de monopole en raison de leur rôle fonctionnel au sein de la
concurrence. V. R. FRANCESCHELLI, Nature juridique des droits de l’auteur et de l’inventeur, in Mélanges en
l’honneur de P. ROUBIER, t. 2, Dalloz-Sirey, 1961, p. 453. V. également sur la théorie des droits de monopole, F.
POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 21, p. 10 ; A. BRAUN & E. CORNU, Précis des
marques, Larcier, 5e éd., 2009, n° 11, p. 9.
578
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 23, p. 106.
579
H. DESBOIS, Cours de Propriété littéraire, artistique et industrielle, Les cours de droit, 1969-1970, p. 5. Pour
DESBOIS, la dénomination du cours « Propriété littéraire, artistique et industrielle » était approximative. Le terme
propriété était « employé au sens métaphorique, pour illuster le caractère exclusif, le pouvoir discrétionnaire qui
appartient au titulaire des droits correspondants, mais la structure de ceux-ci est profondément différente de
celle de la propriété », p. 6 et 7.
580
A. FRANÇON, Cours de propriété littéraire, artistique et industrielle, Litec, Les cours de droit, 1999, p. 5 à 8.
Au sein de cette catégorie des droits de clientèle, FRANÇON opérait une distinction entre les droits intellectuels,
les droits sur les signes distinctifs et les autres droits de clientèle. La catégorie des droits intellectuels, autrement
appelée droits sur les créations nouvelles, regroupait en son sein les droits d’auteur, les brevets et les dessins et
modèles : « Dans ces trois cas, il y a, à la base de l’octroi du droit, un acte de création intellectuelle ». Il n’y
pas acte de création pour les marques ou les appellations d’origine. Il s’agit des droits sur les signes distinctifs.
Enfin, il existe d’autres droits de clientèle, tels que les offices ministériels. V. également, H. DESBOIS, Cours de
Propriété littéraire, artistique et industrielle, Les cours de droit, 1969-1970, p. 14.
120
différencierait des droits personnels de par son opposabilité erga omnes581. Il ne devrait
cependant pas être considéré comme étant un droit réel « amélioré » et ne devrait pas non plus
être confondu avec les droits réels en raison de son caractère temporaire et de l’objet sur
lequel il porte. Autre différence, le propriétaire d’un bien corporel est également propriétaire,
automatiquement, des produits provenant de cette exploitation. Cet automatisme ne se
retrouve pas nécessairement pour les choses incorporelles582. FRANÇON notait également que
le droit de clientèle serait plus fort que le droit de propriété sur une chose corporelle, son
titulaire
bénéficiant
d’une
exclusivité
totale,
qui
lui
permettrait
d’éliminer
la
concurrence583. Le titulaire d’un droit dit de clientèle serait mieux armé pour asseoir une
certaine position à l’égard de la clientèle qu’une personne ne disposant finalement que d’un
droit réel sur une chose corporelle.
142. Le rejet de la théorie. En dépit de la démarche analytique de ROUBIER et l’attrait que
pouvait susciter une autre approche des droits de propriété intellectuelle, la théorie des droits
de clientèle ne convainc pas et « pêche par la méthode » 584.
S’il est incontestable que les droits portant sur les choses incorporelles, telles que les marques,
les brevets voire les œuvres de l’esprit permettent d’obtenir une position privilégiée sur la
clientèle585, l’assise conférée par le droit demeure relative. ROUBIER avait anticipé cette
critique en prenant le soin de préciser qu’il était impossible de s’approprier effectivement une
clientèle586, la clientèle étant une valeur fuyante ne connaissant pas l’appropriation au sens
classique du terme587. De ce fait, il est difficile de voir la clientèle comme l’objet du droit. Au
581
A. FRANÇON, Cours de propriété littéraire, artistique et industrielle, op. cit., p. 6 ; H. DESBOIS, Cours de
Propriété littéraire, artistique et industrielle, op. cit., p. 12.
582
H. DESBOIS, op. cit., p. 13: « L’ingénieur, qui a obtenu un brevet de produit, n’a pas la propriété de tous les
produits qui sont issus de l’exploitation du brevet ; il est seulement investi du monopole afférent à la fabrication
de ce produit ». V. également, A. FRANÇON, op. cit., p. 6.
583
A. FRANÇON, op. cit., p. 6: « L’inventeur d’une invention a une exclusivité totale sur celle-ci. En d’autres
termes, aucune autre personne que lui ne peut l’exploiter sans qu’il y ait donné son accord. Le monopole qu’il a
élimine la concurrence. Au contraire, le propriétaire d’un champ, par exemple, se trouve en concurrence, quant
aux céréales qu’il produit, avec d’autres exploitants de biens ruraux. Le monopole afférent à la création
littéraire, artistique ou industrielle est donc plus fort, quoique limité dans le temps, que la propriété des biens
corporels ». V. également, H. DESBOIS, op. cit., p. 13.
584
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2e éd., 2011, n° 22, p.
10.
585
F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 22, p. 10. Comme le note le Professeur POLLAUD-DULIAN, « Caractériser
les droits intellectuels par la conquête de la clientèle n’est pas faux, encore que le droit d’auteur se prête mal à
cette analyse ».
586
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 23, p. 106: « Il n’existe jamais de droit à
un certain quantum de clientèle ; mais, en revanche, il peut naître certains droits qui correspondent à une
position juridique déterminée par rapport à la clientèle ».
587
V. notamment, J. M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse objective,
LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 23, 1961, n° 245, p. 270 citant H. ABERKANE, Contribution à l’étude de la
121
contraire, c’est bien la chose « intellectuelle »588 qui, par le biais du droit, fait l’objet d’une
exploitation, d’une réservation, d’une exclusivité. C’est cette chose qu’il convient d’envisager
comme l’objet du droit.
En outre, les droits de clientèle semblent réservés aux droits portant sur des choses
incorporelles589. Pourtant, comme MOUSSERON le relevait, s’il est « certain que le monopole
d’exploitation d’une invention donne à son titulaire une position privilégiée dans la
concurrence industrielle, la situation ne serait pas différente s’il s’agissait de la propriété
d’un local bien situé »590.
ROUBIER inverse également le processus de qualification juridique classique. Il explique et
décrit plus qu’il n’envisage le réel contenu de ces droits. Or, la nature juridique s’apprécie non
pas à la lumière de sa fonction, mais au regard de son contenu. La fonction est la conséquence
de la nature du droit. ROUBIER, en déterminant la nature juridique du droit par l’utilisation
d’une notion relevant plus de l’ordre économique591, réduit la nature de ce droit « à l’une de
ses manifestations »592. D’ailleurs, DESBOIS, malgré son attrait pour cette théorie, notait
également que c’est plus sur le plan économique que « les droits de propriété littéraire,
artistique et industrielle (…) sont des droits de clientèle, car, tous créent une situation
préférentielle dans la lutte pour la vie »593.
Ainsi, si la qualification de droit de clientèle peut convenir aux droits portant sur des choses
incorporelles594, en ce sens qu’il est vrai que le titulaire d’une marque ou d’un brevet souhaite
asseoir une position privilégiée auprès de la clientèle, elle n’en constitue pas pour autant une
qualification juridique à classer aux côtés des autres droits subjectifs : « La formule de « droit
de clientèle » (…) n’épuise pas le problème de sa nature et appelle une définition qui, après
distinction des droits de créance et des droits réels Ŕ Essai d’une théorie générale de l’obligation propter rem en
droit positif français, Th. Dr. Paris 1955, LGDJ 1957, p. 243 : « Il va de soi que la clientèle n’appartient pas
comme l’objet d’un droit réel à ce titulaire. Elle reste constamment libre de s’adresser là ou elle veut ».
588
J. DABIN, Les droits intellectuels comme catégorie juridique, Rev. crit. de législ. et de juris., 1939, p. 413 et
plus particulièrement n° 20.
589
V. A. FRANÇON, Cours de propriété littéraire, artistique et industrielle, op. cit., p. 8 ; H. DESBOIS, Cours de
Propriété littéraire, artistique et industrielle, op. cit., p. 14.
590
J. M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse objective, op. cit., n° 245, p.
271. V. également, J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs,
Dessins et modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 10, p. 11: « Selon ce raisonnement, la propriété de certains biens
corporels à l’exploitation desquels est attachée une clientèle, comme un manège pour enfants par exemple
devrait être qualifiée aussi de droit de clientèle ».
591
C. COLOMBET, Propriété littéraire et artistique et droits voisins, Dalloz, Précis, 9 e éd., 1999, n° 19, p. 14 ; J.
M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse objective, op. cit., n° 245, p. 271.
592
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 22, p.
11.
593
H. DESBOIS, Cours de propriété littéraire, artistique et industrielle, op. cit., p. 22.
594
Contra F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011,
n° 22, p. 11. Pour le Professeur POLLAUD-DULIAN, le droit d’auteur se prête mal à l’analyse des droits de
clientèle.
122
l’échec des démarches entreprises à partir de l’objet et de la fonction de ce droit, doit
s’établir à partir de son contenu, c'est-à-dire de l’ensemble de ses prérogatives »595.
143. La qualification des droits portant sur des marques, des œuvres de l’esprit ou des
inventions a donné lieu à des polémiques et fait, malheureusement, encore aujourd’hui débat.
Non seulement le droit de propriété se prête mal aux choses incorporelles, mais en outre le
régime des droits portant sur des choses « intellectuelles » n’est pas identique dans ses
caractères et prérogatives au droit de propriété classique. En dépit des efforts de certains
auteurs, notamment DABIN et ROUBIER, il semble délicat d’envisager les droits de propriété
intellectuelle autrement que comme des droits de propriété.
§ 2. L’admission du droit de propriété
144. En dépit de la persistance de débats doctrinaux, la notion de « propriété intellectuelle »
est aujourd’hui consacrée. Le législateur a abandonné ses doutes et n’hésite pas à qualifier de
droit de propriété intellectuelle, les droits portant sur les marques, les inventions ou les
œuvres de l’esprit596. Cette opinion est rejointe par la majeure partie de la doctrine qui
envisage le droit de marque, le brevet ou le droit d’auteur comme de véritables droits de
propriété597. Il ne s’agit ni d’un abus, ni d’une facilité de langage, mais d’une solution logique
et parfaitement cohérente au regard de l’analyse des prérogatives et caractères des droits de
propriété intellectuelle (I). Cette qualification ne doit pas être remise en cause par les
595
J. M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse objective, LGDJ, Bibl. de
droit privé, t. 23, 1961, n° 245, p. 271.
596
V. Loi n° 92-597 du 1 juillet 1992 relative au Code de la propriété intellectuelle.
597
J. M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse objective, op. cit., n° 247, p.
272 ; Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 63, p. 101 ; J. PASSA, Traité de droit de la propriété
industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd., 2009, n° 11, p. 12 ; J.-L.
PIOTRAUT, Droit de la propriété intellectuelle, Ellipses, Référence Droit, 2 e, 2010, p. 12 et 13 ; J. AZÉMA & J.-C.
GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6e éd., 2006, n° 2, p. 1; E. POUILLET,
Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, LGDJ, Marchal & Billard, 6 éd.,
191, n° 135 p. 131 ; J. RAYNARD, Droit d’auteur et conflits de lois. Essai sur la nature juridique du droit d’auteur,
Litec, Bibl. du droit de l’entreprise, t. 26, 1990 ; J. M. M OUSSERON, J. RAYNARD & T. REVET, De la propriété
comme modèle, in Mélanges offerts à A. COLOMER, Litec, 1993, p. 281 ; C. CARON & H. LÉCUYER, Le droit des
biens, Dalloz, Connaissances du droit, 2002, p. 44 ; F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF,
2008, n° 53, p. 99 ; C. AUBRY & C. RAU, Droit civil français, t. II, 7ème éd. par P. ESMEIN, Litec, 1961, p. 13, n°
5, p. 13 ; P. JOURDAIN, Les biens, Dalloz, Droit civil, 1995, n° 434, p. 518 ; C. COLOMBET, Propriété littéraire et
artistique et droits voisins, Dalloz, Précis, 9 e éd., 1999, n° 20, p. 15 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété
industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 25. p. 12 ; C. SIMLER, Droit d’auteur et droit
commun des biens, Litec, CEIPI, t. 55, 2010
123
spécificités de ces droits. Ils devront simplement être envisagés comme des propriétés
spéciales598 (II).
I. La conjonction des droits de propriété intellectuelle avec le droit de
propriété
145. Une approche difficilement contestable. L’argument selon lequel le droit de propriété
ne concernerait que les choses corporelles souffre de trop nombreuses critiques599 pour
emporter l’assentiment. Il ne correspond pas à la vision moderne que l’on doit se faire des
biens et, partant, de la propriété. Le Professeur ZENATI-CASTAING relève que « la nature
corporelle de l’objet de la propriété constitue un dogme purement doctrinal qui résulte de
l’interprétation de la loi, voire de sa dénaturation »600. Il poursuit en dénonçant ce débat et
affirme que « contester que la propriété puisse porter sur des biens immatériels devient de
plus en plus un combat d’arrière-garde »601. Les choses incorporelles peuvent faire l’objet
d’une appréhension602 et d’un rapport d’appropriation.
Envisager les droits de propriété intellectuelle comme des droits de propriété a fait l’objet de
plusieurs consécrations. Ces droits se trouvent dans un Code dont le titre est suffisamment
explicite : Code de la propriété intellectuelle. Certains articles de ce Code se veulent explicites
en utilisant le terme propriété ou propriétaire603. Le Conseil constitutionnel abonde également
598
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, op. cit., n° 11, p. 12.
599
V. notamment, F. ZENATI, Pour une rénovation de la théorie de propriété, RTD civ. 1993, p. 305 ;
L’immatériel et les choses, APD 1999, t. 43, p.79 ; A. PELISSIER, Possession et meubles incorporels, Dalloz,
Nouvelle bibliothèque des thèses, 2001 ; S. ALMA-DELETTRE, La nature juridique des droits de propriété
intellectuelle, in Propriété intellectuelle et droit commun, PUAM, Institut du droit des affaires, 2007, p. 25 ; J.
M. MOUSSERON, J. RAYNARD & T. REVET, De la propriété comme modèle, préc., spéc. n° 14 : « La nature
corporelle ou incorporelle de la res importe peu, pourvu qu’il y ait res ». V. également L. JOSSERAND,
Configuration du droit de propriété dans l’ordre juridique nouveau, in Mélanges juridiques dédiés à M. le
Professeur SUGIYAMA, Sirey, 1940, p. 95, spéc. p. 98: « Immatériel et ainsi idéalisé, le droit de propriété va
pouvoir porter sur des biens incorporels et non pas seulement sur des choses » ; R. LIBCHABER, La
recodification du droit des biens, in Le code civil. Livre du bicentenaire. 1804 - 2004, Dalloz, 2004, p. 297 et
plus particulièrement n° 14 : « En tant que relation de principe entre les personnes et les biens, la propriété est
apte à saisir les obligations comme les œuvres de l’esprit ».
600
F. ZENATI, Pour une rénovation de la théorie de propriété, préc., spéc. p. 309 et 310.
601
F. ZENATI, Pour une rénovation de la théorie de propriété, préc., spéc. p. 312.
602
A. PÉLISSIER, Possession et meubles incorporels, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, 2001, p. 233, p.
107.
603
V. par exemple l’article L. 513-2 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose : « Sans préjudice des
droits résultant de l’application d’autres dispositions législatives, notamment des livre Ier et III du présent code,
l’enregistrement d’un dessin ou modèle confère à son titulaire un droit de propriété qu’il peut céder ou
concéder » ; L’article L. 713-1 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose : « L’enregistrement de la
marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu’il a
désignés » ; L’article L. 613-14 qui dispose : « Si le titulaire d’une licence obligatoire ne satisfait pas aux
conditions auxquelles cette licence a été accordée, le propriétaire du brevet et, le cas échéant, les autres
licenciés peuvent obtenir du tribunal le retrait de cette licence ».
124
dans ce sens en affirmant que « les finalités et les conditions d’exercice du droit de propriété
ont subi depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ
d’application à des domaines nouveaux ; que parmi ces derniers, figurent les droits de
propriété intellectuelle »604. La Cour européenne des droits de l’homme s’inscrit dans le
même mouvement et a eu l’occasion à diverses reprises de consacrer l’idée selon laquelle les
propriétés intellectuelles ne sont rien d’autres que des propriétés605. Au niveau
communautaire, l’idée est également reprise. En matière de marque, le Règlement sur la
marque communautaire reconnaît à plusieurs reprises la marque comme « objet de
propriété »606. L’article 17 de la Charte européenne des droits fondamentaux relatif au droit
de propriété dispose : « la propriété intellectuelle est protégée »607. Face à ces différents
éléments, il est difficile d’affirmer que les droits de propriété intellectuelle ne sont pas des
droits de propriété. Cependant, afin de s’assurer qu’il ne s’agit pas là d’abus ou de facilités de
langage, il convient d’analyser plus en détail le contenu et les caractères du droit de propriété.
146. La définition de la propriété. Classiquement, le droit de propriété est présenté comme
le plus absolu et le plus important des droits réels car « il permet à son titulaire d’exercer sur
la chose la plénitude des prérogatives d’une personne sur une chose, la plena in re
potestas »608. Compte tenu des prérogatives qu’il confère (A), l’usus, le fructus et l’abusus, et
de ses caractères (B), l’exclusivité, l’absoluité et la perpétuité, le droit de propriété permet à
604
Cons. const., Déc. 2006-540 DC, 27 juill. 2005, § 15, Loi relative aux droits d’auteurs et aux droits voisins
dans la société de l’information, JO, 3 août 2006, p. 11541 ; D. 2006, 2157, C. CASTETS-RENARD ; Légipresse,
2006, 129, L. THOUMYURE ; Comm. com. élect. 2006, comm. n° 140, obs. C. CARON. V. sur cette décision, M.
VIVANT, Et donc la propriété littéraire et artistique est une propriété…, Propr. intell. 2007, n° 23, p. 193. V. en
matière de marque, Cons. const., Déc. n° 90-283 DC, 8 janv. 1991, § 7, Loi relative à la lutte contre le tabagisme
et l’alcoolisme, JO, 10 janv. 1991, p. 524.
605
V. notamment pour les marques, CEDH, 11 janv. 2007, Anheuser-Busch Inc. c/ Portugal, n° 73049/01, § 78,
Comm. com. élect., n° 5, 2007, comm. n° 67, obs. C. CARON ; JCPE 2007, 1409, note A. ZOLLINGER ; RTDE
2008, p. 405, obs. J. SCHMIDT-SALEWSKI. V. pour les brevets, CEDH, 4 oct. 1990, Smith Kline c/ Pays-Bas n°
12633/87. V. pour le droit d’auteur, CEDH, 29 janv. 2008, Balan c/ Moldavie, n° 19247/03, Propr. intell. 2008,
n° 28, p. 338, obs. J.-M. BRUIGIÈRE.
606
V. notamment les articles 16 et 24. du règlement sur la marque communautaire.
607
Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, 2000/C 364/01, JOCE, 18 déc. 2000, C 364/1. Il faut
souligner que le Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 dispose en son article 6 (1) que « L’Union reconnaît
les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du
7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle à la même valeur juridique que
les traités ». De ce fait, à l’avenir, la Charte pourra être invoquée devant les juridictions nationales ou la Cour de
justice pour faire établir qu’une mesure législative ou administrative est incompatible avec la protection d’un
droit fondamental visé par la Charte. V. notamment sur cette question, M. VIVANT & C. GEIGER, Europe bis : la
force évocatrice des mots Ŕ Vous dites propriété ? (ou la « propriété » intellectuelle dans le nouvel ordre
juridique de l’Union Européenne), Propr. intell., 2010, n° 35, p. 753 ; J. PASSA, Traité de droit de la propriété
industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd., 2009, n° 11, p. 15 ; V.
SCORDAMAGLIA, Le traité de Lisbonne, Prop. ind. 2008, n° 2, alertes n° 15.
608
F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8e éd., 2010, n° 120, p. 126.
125
son titulaire de bénéficier pleinement des utilités de sa chose609. L’étude de ces différents
éléments permettra de démontrer que les droits de propriété intellectuelle se distinguent peu
du droit de propriété envisagé à l’article 544 du Code civil.
A. La conjonction des prérogatives
147. Il est traditionnellement reconnu que le droit de propriété confère trois formes de
prérogatives à son titulaire : l’usus (1), le fructus (2) et l’abusus (3).
1. L’usus
148. La définition classique de l’usus. L’usus est la faculté pour le propriétaire d’utiliser
comme il le souhaite le bien. CARBONNIER définissait l’usus comme « cette sorte de
jouissance qui consiste à retirer personnellement –individuellement ou par sa famille- l’utilité
(ou le plaisir) que peut procurer par elle-même une chose non productive ou non
exploitée »610.
Le jus utendi est également entendu comme l’usage direct611 de la chose ou « le droit de se
servir personnellement de sa chose suivant la destination de celle-ci »612. Cet usage peut
prendre différentes formes et dépend directement de la nature du bien. C’est ainsi qu’en
matière de chose consomptible, l’usage se confond avec la disposition de la chose.613.
149. La définition large de l’usus. L’usus pourrait également être entendu de manière plus
large et englober les deux autres prérogatives offertes au propriétaire. Le fructus et l’abusus
pourraient effectivement être envisagés comme « des manières particulières d’utiliser la
chose »614.
609
Pour les Professeurs ZENATI-CASTAING et REVET, la propriété ne se distingue pas par les prérogatives que
sont l’usus, le fructus, et l’abusus : « Il est inexact de définir ce que le propriétaire peut faire de sa chose par
une addition de prérogatives », F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 192, p.
313. Dans le raisonnement des Professeurs ZENATI-CASTAING et REVET, la propriété apparaît comme un droit
absolu, dans la mesure où « il établit un rapport général et non pas un rapport avec un sujet déterminé.
L’ensemble de la société est partie à ce rapport », F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, op. cit., n° 192, p. 314.
Elle se distinguerait des autres droits réels par son exclusivité et par le pouvoir de disposer de la chose.
610
J. CARBONNIER, Droit civil. t. 3. Les biens, PUF, Thémis Droit privé, 19 e éd., 2000, n°68, p. 129.
611
P. MALAURIE & L. AYNÈS, Droit civil, les biens, Defrénois, 4e éd., 2010, n° 434, 122. V. également, Y.
STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 256, p. 364.
612
G. CORNU, Droit civil. Les biens, Montchrestien, Coll. Domat droit privé, 13 éd., 2007, n° 28, p. 69.
613
Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 256, p. 364. Comme le note le Professeur STRICKLER,
« dans cette occurrence, cette dernière disparaît ou sort du patrimoine de son titulaire lorsqu’elle est utilisée »
614
F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, op. cit., n° 209, p. 333.
126
150. L’usus conféré par les droits de propriété intellectuelle. Pour certains auteurs, les
droits de propriété intellectuelle ne confèrent pas à leurs titulaires de jus utendi, permettant
ainsi de ne pas les qualifier de propriété615. ROUBIER affirmait que « l’idée qui est à la base de
l’invention, l’expression de forme qui est à la base de la création artistique ou littéraire, ne
peuvent par la force des choses, rester le bénéfice d’une seule personne (…). Le caractère
exclusif de l’usus ne peut exister, par hypothèse, dans de tels droits »616 . La divulgation de
l’objet de création au public équivaudrait à une renonciation de s’en réserver l’usage.
Il est vrai que les choses couvertes par les droits de propriété intellectuelle ont vocation à être
diffusées, puis utilisées par le public. Néanmoins, le titulaire conserve l’usage exclusif de sa
chose et l’usage que pourrait faire le public de la chose est limité. MOUSSERON réfuta
l’argument de ROUBIER dans sa thèse relative au droit du breveté d’invention617 en
démontrant que le breveté disposait d’une certaine manière de l’usus caractéristique du droit
de propriété.
En matière de brevet, le droit naît au jour de la demande, et cela avant toute publication618.
Durant cette période, il n’est pas contesté que le breveté détient « l’usage exclusif tant
économique qu’intellectuel de son invention »619. Le même raisonnement pourrait être
appliqué en matière de marque. Le droit de marque résulte de l’enregistrement et n’implique
pas nécessairement une exploitation publique, tout du moins pendant pendant cinq ans620.
En outre, contrairement à ce que semble affirmer ROUBIER, la propriété d’une chose
corporelle ne permet pas de réserver l’usage intellectuel de la chose : « Il est des
circonstances dans lesquelles le propriétaire d’un immeuble, ou d’un meuble corporel, ne
615
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 21, 95.
P. ROUBIER, op. cit., n° 21, p. 95
617
J. M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse objective, LGDJ, Bibl. de
droit privé, t. 23, 1961, n° 249, p. 273.
618
V. notamment à ce sujet, J. SCHMIDT, Le droit du breveté entre la demande et la délivrance, in Mélanges en
l’honneur de D. BASTIAN, t. 2, Droit de la propriété industrielle, Litec, 1974, p. 389. C’est en effet à partir de la
date du dépôt de la demande, et non de la délivrance, que commence à courir la durée de protection. L’article L.
611-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « Les brevets d’invention, délivrés pour une durée de vingt
ans à compter du jour du dépôt de la demande ». L’article L. 613-1 dispose également : « Le droit exclusif
d’exploitation mentionné à l’article L. 611-1 prend effet à compter du dépôt de la demande ».
619
J. M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse objective, op. cit., n° 249, p.
273. Il faut noter que la publication d’une demande de brevet peut intervenir à tout moment à la requête du
déposant dès que le secret prévu dans l’intérêt de la défense nationale a été levé. V. Y. B ASIRE, Traitement de la
demande française de brevet, J.-Cl. Brevets, Fasc. 4420, 2008. V. également J. M. M OUSSERON, J. RAYNARD &
T. REVET, De la propriété comme modèle, in Mélanges offerts à A. COLOMER, Litec, 1993, p. 281, n° 19. Outre
l’argument relatif au brevet d’invention que l’on retrouve ici, est ajouté l’exemple du droit d’auteur qui naîtrait
du simple fait de la création indépendamment de toute divulgation. V. J. R AYNARD, Droit d’auteur et conflits de
lois. Essai sur la nature juridique du droit d’auteur, Litec, Bibl. du droit de l’entreprise, t. 26, 1990, n° 280, p.
245 et n° 372, p. 335.
620
V. l’article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle. Au-delà de cinq d’inexploitation, le titulaire risque
d’être déchu de ses droits pour défaut d’exploitation.
616
127
peut matériellement se réserver l’exclusivité de l’usage intellectuel dans l’exercice de son
droit »621. Le titulaire d’une maison donnant sur la rue ne peut empêcher les passants de la
regarder. Néanmoins, au même titre qu’un titulaire de droit de propriété intellectuelle, il
pourrait limiter l’usage des tiers en installant, par exemple, une clôture.
De même, s’il est vrai qu’en matière de propriété intellectuelle, les choses peuvent être mises
à l’usage de tous, l’usage du public n’en demeure pas moins limité. Seul le titulaire reste libre
de jouir de sa marque comme il le souhaite.
En sus, si l’absence de l’usus devait être constatée dès la divulgation au public opérée, il ne
s’agirait pas nécessairement d’un argument permettant d’envisager autrement les droits de
propriété intellectuelle. L’usus appartient avec le fructus à une catégorie plus large envisagée
par l’article 544 du Code civil : le droit de jouissance. L’usus et le fructus seraient les deux
versants de la jouissance de la chose. Utiliser une chose directement apparaît au même titre
que le fait d’en retirer les fruits comme une forme de jouissance. Or, comme le constatent les
Professeurs MALAURIE et AYNES, l’usus et le fructus s’excluent mutuellement « tout au
moins dans une certaine mesure »622. C’est ainsi qu’ « un propriétaire ne peut à la fois
habiter sa maison (usus) et la louer (fructus). En outre, certains biens ne sont susceptibles
que d’usage, et ne produisent pas de fruits. À l’inverse, il existe des biens insusceptibles
d’usage qui produisent des revenus (ex : les valeurs mobilières, les capitaux) »623. Un tel
raisonnement pourrait être envisagé pour les droits de propriété intellectuelle. L’usus serait
exclu dans une certaine mesure par le fructus.
Enfin entendu au sens large, il est indéniable que l’usus existe en matière de droit de propriété
intellectuelle : « L’usus ou jus utendi consiste en le droit, pour le propriétaire, d’utiliser la
chose, cette utilisation correspondant à ce qu’il entend qu’elle soit »624. De ce fait, la
divulgation, l’exploitation publique, si elle entraîne une forme de perte d’exclusivité de
l’usage intellectuel, correspond à ce que le titulaire souhaite faire de sa chose.
151. L’analyse de l’usus des droits de propriété intellectuelle démontre qu'il ne doit pas être
considéré comme un écueil empêchant la reconnaissance d’un droit de propriété.
Contrairement à ce que ROUBIER énonçait625, si son absence devait être constatée, elle ne
devrait pas être considérée comme disqualifiante. Nous doutons cependant d’une telle
621
J. RAYNARD, op. cit., n° 372, p. 335 et 336 ; V. également J. M. M OUSSERON, Le droit du breveté d’invention
Ŕ Contribution à une analyse objective, op. cit., n° 249, p. 273.
622
P. MALAURIE & L. AYNÈS, Droit civil, les biens, Defrénois, 4e éd., 2010, n° 434, p.122.
623
P. MALAURIE & L. AYNÈS, op. cit., n° 434, p.122.
624
C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, t. II, Economica, 5 e éd., 2006, n° 221, p. 119.
625
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 21, p. 95.
128
constatation, le titulaire du droit de propriété intellectuelle étant en mesure de bénéficier
personnellement des utilités de la chose avant et après la divulgation de l’invention, de la
marque ou de l’œuvre de l’esprit. L’analyse de l’autre versant de la jouissance Ŕ le fructus Ŕ
devrait poser moins de difficultés.
2. Le fructus
152. La définition du fructus. Dans le cadre de la jouissance de sa chose, le propriétaire est
en mesure de percevoir les fruits626 de son bien627. Le jus fruendi est par conséquent le droit
de recueillir les fruits de la chose.
Si le jus fruendi implique le droit de percevoir les fruits de la chose628, il implique également
le droit de ne pas les percevoir629, voire de ne pas exploiter la chose630 et, partant, de la laisser
à l’abandon.
La jouissance de la chose peut s’opérer de deux manières distinctes : « l’une matérielle,
l’autre juridique »631. Le propriétaire peut lui-même percevoir les fruits de sa chose, mais il
peut également jouir de la chose en ayant recours à des actes juridiques comme la location.
153. Le fructus dans les droits de propriété intellectuelle. Appliquée aux droits de propriété
intellectuelle, la question du fructus est moins délicate que celle relative au jus utendi. Nul ne
conteste que les titulaires des droits de propriété intellectuelle bénéficient, au même titre que
le propriétaire d’une chose corporelle, du droit d’en retirer les fruits, les revenus. Cette
prérogative peut même être perçue comme « la fonction la plus élémentaire du monopole
d’exploitation qui lui est conféré »632. Le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle peut en
626
Le fruit se définit comme « tout ce que fournit la chose régulièrement et sans que sa substance en soit altérée.
Il peut s’agir, d’abord, de fruits naturels, c’est-à-dire tout ce qui est fourni par la chose en raison de la nature
des choses et sans le travail de l’homme.(…). On oppose les fruits naturels aux fruits industriels qui sont
constitués par tout ce qui est fourni par la chose en raison du travail de l’homme (…). Les fruits naturels et
industriels doivent être distingués des fruits civils qui sont constitués par les revenus procurés par l’utilisation
juridique de la chose », C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, t. II, Economica, 5 e éd.,
2006, n° 225, p. 120. V. également sur les fruits, F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8e
éd., 2010, n° 123, p. 129 ; P. MALAURIE & L. AYNÈS, Droit civil, les biens, Defrénois, 4e éd., 2010, n° 160, p.
51 ; Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 89, p. 140.
627
P. MALAURIE & L. AYNÈS, op. cit., n° 434, p. 122.
628
V. notamment, P. MALAURIE & L. AYNÈS, op. cit., n° 434, p. 122 ; Y. STRICKLER, op. cit., n° 257, p. 365. V.
également, G. CORNU, Droit civil. Les biens, Montchrestien, Coll. Domat droit privé, 13 e éd., 2007, n° 27, p. 67.
Le droit de jouissance permet également de « conserver ou de consommer les fruits perçus ».
629
P. MALAURIE & L. AYNÈS, op. cit., n° 434, p. 122 ; F. TERRÉ & P. SIMLER, op. cit., n° 122, p. 129.
630
J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI & S. CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens, LGDJ, 2e éd., 2010, n° 82, p. 93.
631
F. TERRÉ & P. SIMLER, op. cit., n° 122, p. 129.
632
J. M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse objective, LGDJ, Bibl. de
droit privé, t. 23, 1961, n° 249, p. 274.
129
effet faire le choix de l’exploiter personnellement afin d’en tirer des bénéfices ou préférer la
voie contractuelle, notamment en concédant des licences.
Cependant, à l’inverse du propriétaire qui est libre de jouir ou de ne pas jouir de son bien, les
propriétés intellectuelles ne doivent pas être oisives633. Le titulaire d’une marque peut
notamment voir son droit sur la marque disparaître si celui-ci n’en fait pas un usage sérieux
pendant cinq ans634. Il ne s’agit cependant pas d’une amputation du fructus, mais d’une
situation où l’intérêt général prend le dessus, comme il en existe dans le cadre de la propriété
classique635. L’oisiveté du titulaire de la marque peut s’apparenter à une entrave au principe
de la libre concurrence qui doit être sanctionnée.
154. Contrairement au jus utendi, la question de l’existence du jus fruendi dans les droits de
propriété intellectuelle ne pose guère de difficultés. Quid du troisième attribut du droit de
propriété ?
3. L’abusus
155. La définition de l’abusus. La troisième prérogative du propriétaire est l’abusus. Il s’agit
du droit de disposer permettant au propriétaire de régir la vie juridique de la chose. Il s’agit du
droit « pour le propriétaire d’une chose, de conserver la chose telle quelle ou en la modifiant,
aussi bien que le droit de la détruire matériellement, de l’abandonner ou de l’aliéner »636.
Reconnu par le Conseil Constitutionnel comme l’attribut essentiel du droit de propriété637,
certains auteurs voient dans l’abusus la prérogative fondamentale du droit de propriété, celle
qui « lui donne toute son envergure »638, l’attribut qui lui serait « indissociable »639. Grâce à
633
A. FRANÇON, Cours de propriété littéraire, artistique et industrielle, Litec, Les cours de droit, 1999, p. 4.
Cf. supra n° 115 et infra n° 618 et 727.
635
V. par exemple l’hypothèse d’expropriation pour cause d’utilité publique envisagée à l’article 545 du Code
civil : « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant
une juste et préalable indemnité ». L’expropriation se définit dans un sens générique comme « toute opération
tendant à priver contre son gré de sa propriété un propriétaire foncier, plus généralement à dépouiller le
titulaire d’un droit réel immobilier de son droit », G. CORNU, Vocabulaire Juridique, Association Henri
CAPITANT, PUF, 9e éd., 2011. V. également, R. CABRILLAC, (ss. dir.) Dictionnaire du vocabulaire juridique
2012, LexisNexis, 2012 ; S. GUINCHARD & T. DEBARD (ss. dir.), Lexique des termes juridiques 2012, Dalloz, 19
éd., 2012.
636
C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, t. II, Economica, 5 e éd., 2006, n° 244, p. 129.
637
Cons. const., 29 juill. 1998, JCPG 1998, I, 171, chron. H. PÉRINET-MARQUET. Le Conseil constitutionnel,
dans une décision relative à la validité de certaines dispositions de la loi sur les exclusions, a déclaré
inconstitutionnelle l’obligation faite à un créancier d’acquérir un immeuble à un prix qu’il n’aurait pas lui-même
fixé. Ainsi, « un tel transfert de propriété étant contraire au principe de libre consentement qui doit présider à
l’acquisition de la propriété, indissociable du droit de disposer librement de son patrimoine ; que ce dernier est,
lui-même, un attribut essentiel du droit de propriété ».
638
Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 258, p. 365.
634
130
cette prérogative, le propriétaire se voit offrir une liberté de choix : il peut disposer de la
chose soit en la consommant, soit en la détruisant soit en s’en séparant par voie d’actes
juridique, tels que l’aliénation640. Il peut même aller jusqu’à abandonner son bien.
156. L’abusus dans les droits de propriété intellectuelle. À l’instar du fructus, la question
de l’abusus dans les droits de propriété intellectuelle ne pose guère de difficultés. Le titulaire
d’un droit de propriété intellectuelle est parfaitement en mesure d’abandonner sa chose.
Diverses méthodes sont envisageables pour les titulaires641. En sus de l’abandon, le titulaire
639
Y. STRICKLER, Les biens, op. cit., n° 258, p. 365. Le Professeur STRICKLER cite MIRABEAU qui affirmait :
« La propriété ne s’entend que de celui qui peut aliéner le fond », Discours sur la suppression ou le rachat des
dîmes, 10 août 1789 ; Le Professeur LARROUMET y voit quant à lui « la prérogative la plus complète du
propriétaire », C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, op. cit., n° 244, p. 129. V.
également F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 192, p. 314. Une nuance doit
toutefois être apportée. Les Professeurs ZENATI-CASTAING et REVET considèrent que l’abusus et le pouvoir de
disposer ne doivent pas se confondre et qu’il s’agit de deux notions distinctes l’une de l’autre. Ils voient dans
l’abusus l’accomplissement d’actes purement matériels tandis que le pouvoir de disposer se traduit
exclusivement par des actes juridiques : « c’est en cela que disposer n’est pas une simple utilité résultant de
l’appropriation, mais un véritable attribut de la propriété ». À l’inverse, certains auteurs ont une vision plus
large de l’abusus pouvant englober non seulement les actes matériels, tels que les actes matériels de destruction,
mais également les actes juridiques de disposition. V. notamment G. CORNU, Droit civil. Les biens,
Montchrestien, Coll. Domat droit privé, 13 éd., 2007, n° 28.
640
Certains auteurs considèrent que l’aliénation ne concerne pas la chose en tant que telle mais le droit et que de
ce fait il ne s’agirait pas d’un abusus « original. En effet, c’est le propre de tout droit patrimonial d’être
transmissible par son titulaire, d’être affecté en garantie à un créancier ou de faire l’objet d’un démembrement
(…) La libre transmissibilité n’est pas, contrairement à une idée répandue mais fausse, l’apanage de la
propriété ». C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, op. cit., n° 246, p. 130. Contra. Les
Professeurs ZENATI-CASTAING et REVET considèrent que l’aliénation ne porte pas sur le droit mais bien sur la
chose : « C’est la chose en tant que propriété qui passe de l’auteur à l’ayant cause, non pas le droit de
propriété, lequel naît chez l’ayant cause après s’être éteint chez l’auteur », F. ZENATI-CASTAING & T. REVET,
Les biens, op. cit., n° 176, p. 279 et 280. CARBONNIER voyait dans la transmissibilité et l’aliénabilité du bien
« un attribut capital de la propriété ». J. CARBONNIER, Droit civil. t. 3. Les biens, PUF, Thémis Droit privé, 19 e
éd., 2000, n° 68, p. 129. V. également, E. MACKAAY & S. ROUSSEAU, Analyse économique du droit, Dalloz,
Méthodes du droit, 2e éd., 2008, n° 773, p. 210 : L’abusus « permet au propriétaire de transférer son droit à une
autre personne. Elle donne lieu à la création des marques, à la concurrence et à la formation des prix ».
641
En matière de brevet, l’article L. 613-24 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « Le propriétaire du
brevet peut à tout moment soit renoncer à la totalité du brevet ou à une ou plusieurs revendications, soit limiter
la portée du brevet en modifiant une ou plusieurs revendications ». L’abandon par le titulaire du brevet peut
également résulter de l’absence de paiement des annuités. L’article L. 613-22 du Code de la propriété
intellectuelle dispose en effet : « 1. Est déchu de ses droits le propriétaire d’une demande de brevet ou d’un
brevet qui n’a pas acquitté la redevance annuelle prévue à l’article L. 612-19 dans le délai prescrit par ledit
article ». V. sur cette question, V. notamment sur cette question, J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la
propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006, n° 441, p. 274 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la
propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 507, p. 284 ; J. M. MOUSSERON & Y.
BASIRE, Les charges du breveté, Fasc. 4520, J.-Cl. Brevet, 2007. En matière de droit d’auteur, l’auteur peut
notamment faire le choix de détruire l’œuvre qui ne le satisfait pas. V. J. RAYNARD, Droit d’auteur et conflits de
lois. Essai sur la nature juridique du droit d’auteur, Litec, Bibl. du droit de l’entreprise, t. 26, 1990, n° 368, p.
334. En matière de marque, à l’instar du titulaire d’un brevet, le titulaire d’une marque enregistrée peut à tout
moment y renoncer expressément pour tout ou partie des produits ou services qu’elle couvre. Art. L. 714-2 du
Code de la propriété intellectuelle : « L’auteur d’une demande d’enregistrement ou le propriétaire d’une marque
enregistrée peut renoncer aux effets de cette demande ou de cet enregistrement pour tout ou partie des produits
ou services auxquels s’applique la marque ». V. E. LE BIHAN, Perte du droit sur la marque : renonciation,
déchéance, nullité, J.-Cl. Marques, fasc. 7405, 2009, n° 63 et s : « La renonciation explicite résulte rarement du
désintérêt du propriétaire de la marque (…). Une renonciation explicite traduit au contraire une intervention
131
du droit de propriété intellectuelle peut disposer de sa chose par voie d’actes juridiques. Les
objets des droits de propriété intellectuelle peuvent ainsi être aliénés642, faire l’objet de
sûretés643 ou d’un apport en société644.
157. Qu’il s’agisse de l’usus, du fructus ou de l’abusus, il apparaît que les droits de propriété
intellectuelle confèrent les mêmes prérogatives que le droit de propriété de l’article 544 du
Code civil. Si des difficultés peuvent apparaître, elles ne doivent pas être considérées comme
dirimantes. Comme le relève le Professeur POLLAUD-DULIAN, les trois attributs du droit de
propriété « n’existent pas toujours simultanément à tous les stades de la vie du droit, mais si
l’on prend en compte le caractère particulier de l’objet incorporel, on peut discerner, selon
les partisans de cette qualification du moins, les trois attributs sous des formes adaptées »645.
externe, le plus souvent d’un tiers prétendant que la demande de marque ou l’enregistrement contrefait un droit
antérieur. D’un point de vue pratique, la majorité des renonciations fait suite à une procédure d’opposition ».
L’abandon peut également être tacite si le titulaire décide de ne pas procéder au renouvellement de la marque au
terme des dix ans de protection. V. E. LE BIHAN, op. cit., n° 63 et s: « Le plus souvent, quand la renonciation
intervient par non renouvellement, cette dernière ne traduit que le désintérêt du titulaire pour sa marque ».
L’abandon peut également prendre la forme du non usage sanctionné à terme par la déchéance. Cf. supra n° 115
et infra n° 618 et 727.
642
La marque est ainsi librement cessible indépendamment du fond de commerce. L’article L. 714-1 du Code de
la propriété intellectuelle dispose : « les droits attachés à une marque sont transmissibles en totalité ou en partie,
indépendamment de l’entreprise qui les exploite ou les fait exploiter ». V. J. PASSA, Traité de droit de la
propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd., 2009, n° 393,
p. 558 ; E. TARDIEU-GUIGES, Transmission du droit de marque et du fonds de commerce, in Propriété
intellectuelle et droit commun, PUAM, Institut du droit des affaires, 2007, p. 293 ; Transmission du droit sur la
marque, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, 1994. Le brevet est également librement cessible. L’article L. 6138 du Code de la propriété intellectuelle dispose à cet effet : « Les droits attachés à une demande de brevet ou à
un brevet sont transmissibles en totalité ou en partie ». V. J. NICOL, Étude relative aux cessions de brevets, Gaz.
Pal. 1978, 2, doctr. p. 385 ; O. LESTRADE, Cession de brevet, J.-Cl. Brevets, Fasc. 4730, 1996 V. pour le droit
d’auteur, A. MAFFRE-BAUGÉ, Droit d’auteur. Exploitation des droits. Ŕ Dispositions générales, J.-Cl. Propriété
littéraire et artistique,Fasc. 1310, 2007 ; A. LUCAS, Droit d’auteur. Exploitation des droits. Ŕ Dispositions
spécifiques à certains contrats. Contrat d’édition, J.-Cl. Propriété littéraire et artistique,Fasc. 1320, 2004. Pour les
dessins et modèles, l’art. L. 513-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « Sans préjudice des droits
résultant de l’application d’autres dispositions législatives, notamment des livres Ier et III du présent code,
l’enregistrement d’un dessin ou modèle confère à son titulaire un droit de propriété qu’il peut céder ou
concéder ». V. J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs,
Dessins et modèles, op. cit., n° 759, p. 1014.
643
N. MARTIAL, Droit des sûretés réelles sur propriétés intellectuelles, PUAM, 2007; M. VIVANT, L’immatériel
en sûreté, in Mélanges M. CABRILLAC, Dalloz-Litec, 1999, p. 405.
644
N. BINCTIN, Le capital intellectuel, Litec, Bibl. de droit de l’entreprise, t. 75, 2007; Y. R EINHARD, L’apport en
société des droits de propriété industrielle, Mélanges CHAVANNE, Litec 1990, p. 297.
645
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 28, p.
14 et 15. V. également J. FOYER & M. VIVANT, Le droit des brevets, PUF, Coll. Thémis droit, 1991, p. 265 et
266 ; J. M. MOUSSERON, J. RAYNARD & T. REVET, De la propriété comme modèle, in Mélanges offerts à A.
COLOMER, Litec, 1993, p. 281 ; J. RAYNARD, Droit d’auteur et conflits de lois. Essai sur la nature juridique du
droit d’auteur, Litec, Bibl. du droit de l’entreprise, t. 26, 1990, n° 368, p. 334, J. P ASSA, Traité de droit de la
propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, op. cit., n° 11, p. 12. Le
professeur PASSA retient également que les droits de propriété intellectuelle permettent à leur titulaire de
bénéficier de l’usus, fructus et abusus du droit de propriété de l’article 544 du Code civil: « L’usus lui permet
d’exploiter la chose en exclusivité ou de la mettre à la disposition d’un tiers, le fructus de tirer profit de
l’exploitation de la chose, soit directement, soit en accordant moyennant rémunération des autorisations
132
L’usage du terme propriété pour qualifier les droits de propriété intellectuelle ne semble pas
résulter d’une facilité de langage, mais au contraire être le reflet d’une certaine réalité. En vue
de conforter cette idée, il est impératif d’envisager les caractères du droit de propriété
classique en vue de les confronter aux droits de propriété intellectuelle.
B. La conjonction des caractères
158.
Le droit de propriété se caractérise par son absoluité (1), son exclusivité (2) et
sa perpétuité (3).
1. L’absoluité du droit de propriété
159. Nous envisagerons dans un premier temps la signification du caractère absolu du droit
de propriété (a) pour ensuite considérer celui des droits de propriété intellectuelle (b).
a. La signification du caractère absolu du droit de propriété
160. La signification historique de l’absoluité. L’article 544 du Code civil prévoit que la
propriété est « le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue ». Bien
que la notion d’absoluité apparaisse expressément dans l’article 544, elle demeure une notion
difficile à appréhender.
Historiquement, l’utilisation de l’adjectif absolu s’expliquait pas l’abolition du système féodal
qui envisageait la décomposition du domaine en un domaine éminent et un domaine utile646.
L’existence du domaine éminent entravait l’exercice des prérogatives du titulaire du domaine
utile. La consécration du terme absolu venait en conséquence confirmer l’abolition de ce
système et l’existence d’une propriété utile « déliée du domaine éminent »647. Le droit de
propriété se caractériserait par son indépendance en ce sens qu’il n’est pas « un élément d’un
autre droit »648. Il ne se définit pas « relativement à un autre droit qui lui servirait de
référence »649. L’absoluité de la propriété ferait de celle-ci, une propriété individuelle et
d’exploitation, appelées licences, et l’abusus de disposer de son droit soit par sa transmission à un tiers, à titre
onéreux ou gratuit, soit par une renonciation, expresse ou tacite, qui le fait disparaître. » ; V. également J.
SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, Litec, 4e éd., 2007, n° 160, p. 68.
646
A.-M. PATAULT, Introduction historique au droit des biens, PUF, 1989, n° 136, p. 162.
647
J. CARBONNIER, Droit civil. t. 3. Les biens, PUF, Thémis Droit privé, 19e éd., 2000, n° 68, p. 131.
648
C. ATIAS, Droit civil Ŕ Les biens, Litec, 11e éd., 2011, n° 123, p. 110.
649
C. ATIAS, op. cit., n° 123, p. 110.
133
exclusive650. Cette explication historique n’est cependant pas suffisante pour comprendre la
notion d’absoluité du droit de propriété.
161. Les significations possibles. Dans la langue française, l’adjectif absolu est
polysémique. Il signifie dans sa première acception : « Qui ne comporte aucune restriction ni
réserve »651. Dans sa seconde acception, absolu est entendu comme « Parfait, aussi parfait
qu’on peut l’imaginer »652. En fonction de l’acception retenue, le droit de propriété pourrait
être envisagé tantôt comme un droit ne comportant aucune restriction tantôt comme un droit
parfait.
162. Un droit illimité ?. Si le droit de propriété devait être envisagé comme un droit ne
connaissant pas de restriction, il serait « antisocial et antijuridique »653. C’est pourtant dans ce
sens que la doctrine du dix-neuvième siècle comprenait le droit de propriété. Il était considéré
comme un droit illimité : « toute obligation pesant sur le propriétaire était ressentie comme
contraire à la nature de son droit »654.
La lecture de l’article 544 du Code civil aurait dû permettre de ne pas envisager ainsi le droit
de propriété. La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus
absolue « pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements ». Le
droit de propriété ne peut pas être compris comme un droit ne connaissant pas de limite. Bien
au contraire, la « propriété privée souffre d’innombrables restrictions »655 et le droit de
650
H. MAZEAUD, L. MAZEAUD, J. MAZEAUD, F. CHABAS, Leçons de droit civil, t. II, Biens, Droit de propriété et
ses démembrements, Montchrestien, 8e éd., 1994, n° 1306 et 1307, p. 32 et 33.
651
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
652
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
653
A. COLIN & H. CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français, t. 1, Dalloz, 11e éd. par L. JULLIOT DE LA
MORANDIÈRE, Dalloz, 1947, n° 959, p. 770.
654
C. ATIAS, Droit civil Ŕ Les biens, op. cit., n° 119, p. 103.
655
G. CORNU, Droit civil. Les biens, Montchrestien, Coll. Domat droit privé, 13e éd., 2007, n° 29, p. 71. Les
restrictions au droit de propriété peuvent prendre différentes formes. C’est ainsi qu’il existe des restrictions
notamment à la liberté d’inaction du propriétaire. Le propriétaire d’un immeuble est en effet tenu de ravaler la
façade de celui-ci. Sa liberté d’action est également restreinte. Le propriétaire d’une maison peut ainsi se voir
interdire de surélever sa maison. Ces restrictions peuvent aller plus loin, jusqu’à entraver le droit d’usage du
propriétaire. C’est notamment le cas du retrait de la circulation d’un véhicule « gravement » accidenté. V.
également C. CARON & H. LECUYER, Le droit des biens, Dalloz, Connaissances du droit, 2002, p. 46. Les
Professeurs CARON et LECUYER voient également dans le droit de propriété un pouvoir limité notamment par les
théories de l’abus de droit et des troubles anormaux du voisinage. Le droit de propriété ne serait donc qu’un droit
relatif et son caractère absolu ne serait : « qu’un fantasme ». Ils voient pourtant certaines hypothèses dans
lesquelles le droit de propriété serait véritablement absolu. Il s’agit notamment de l’empiètement sur le terrain
d’autrui : « le propriétaire, victime d’un empiètement, même marginal, peut défendre de façon absolue son droit
de propriété. En effet, la jurisprudence décide avec constance qu’un tel exercice du droit de propriété ne saurait
dégénérer en abus, consacrant ainsi cette dimension de la propriété comme étant le dernier droit discrétionnaire
du droit français ». V. aussi C. ATIAS, Droit civil Ŕ Les biens, op. cit., n° 120, p. 103: « La propriété illimitée
n’est pas viable, à moins qu’il n’y ait qu’un seul propriétaire. Toute propriété vit au dépens de la propriété
voisine ; même en matière mobilière, les propriétés se bornent et s’entrechoquent. Leur coexistence suscite
134
propriété n’a jamais pu être « exercé d’une façon telle qu’il permettrait à son titulaire
d’échapper à la contrainte sociale, c'est-à-dire de gêner impunément autrui »656. Le droit de
propriété souffre de restrictions qui « sont inhérentes à sa nature »657. Envisager le droit de
propriété comme un droit « illimité » relève « de l’idéal philosophique ; elle n’a jamais été de
droit positif »658.
Si le droit de propriété est absolu, il ne doit pas être perçu comme un droit « illimité » ne
souffrant d’aucune restriction. L’absoluité du droit de propriété signifie qu’il n’est pas limité
initialement. Autrement dit, le titulaire d’un droit de propriété « peut tout faire, sauf ce qui lui
est interdit »659. Il se distingue ainsi des autres droits réels pour lesquels leurs titulaires ne
peuvent faire que ce qui leur est spécialement accordé par la loi660. En matière de droit de
propriété, « la liberté est la règle ; c’est la limitation qui doit être précisée »661. Le droit de
propriété doit par conséquent être considéré comme absolu du fait qu’il ne fait pas
initialement l’objet de limite. L’absoluité du droit peut également s’expliquer par sa
« perfection ».
163. Un droit parfait ?. Sans pour autant affirmer que le droit de propriété est un droit
« parfait », il est régulièrement énoncé que le droit de propriété est le droit réel le plus
complet662. À la lueur de la plénitude des prérogatives reconnues au propriétaire, ROUBIER
voyait dans le droit de propriété « la forme la plus complète des droits subjectifs »663.
D’autres auteurs préfèrent voir le droit de propriété comme un « droit total »664, son titulaire
conflits, jugements et règles ; la propriété est limitée par nature » ; V. aussi, CJCE, 14 mai 1974, aff. 4-73, Nold
KG / Commission, Rec. 1974, p. 491, pt. 14. La jurisprudence communautaire a également eu à se prononcer
sur l’absoluité du droit de propriété dans la décision Nold : « Attendu que si une protection est assurée au droit
de propriété par l’ordre constitutionnel de tous les États membres et si des garanties similaires sont accordées
au libre exercice du commerce, du travail et d’autres activités professionnelles, les droits ainsi garantis, loin
d’apparaître comme des prérogatives absolues, doivent être considérés en vue de la fonction sociale des biens et
activités protégés ».
656
C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, t. II, Economica, 5 e éd., 2006, n° 212, p. 113.
657
J.-Y. CHÉROT, La protection de la propriété dans la jurisprudence du conseil constitutionnel, in Mélanges C.
MOULY, Litec, 1998, t. 1, p. 405, spéc. n° 4.
658
C. ATIAS, Droit civil Ŕ Les biens, Litec, 11e, 2011, n° 119, p. 103.
659
J. CARBONNIER, Droit civil. t. 3. Les biens, PUF, Thémis Droit privé, 19 e éd., 2000, n° 68, p. 130 ; V.
également L. BACH, Droit civil, t. 1, 13e éd., 1999, p. 399 ; A. COLIN & H. CAPITANT, Cours élémentaire de droit
civil français, t. 1, Dalloz, 11e éd. par L. JULLIOT DE LA MORANDIÈRE, Dalloz, 1947, n° 959, p. 769
660
Ainsi, l’article 578 du Code civil définit l’usufruit comme étant : « le droit de jouir des choses dont un autre a
la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ».
661
G. RIPERT & J. BOULANGER, Traité de droit civil, d’après le traité de PLANIOL, t. II, LGDJ, 1957, n° 2247, p.
787.
662
V. notamment, F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8e éd., 2010, n° 120, p. 126 ; Y.
STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 255, p. 363.
663
P. ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz, Bibl. Dalloz, 2005, p. 29.
664
H. MAZEAUD, L. MAZEAUD, J. MAZEAUD, F. CHABAS, Leçons de droit civil, t. II, Biens, Droit de propriété et
ses démembrements, Montchrestien, 8e éd., 1994, n° 1332, p. 84. Ces auteurs voient dans l’absoluité le caractère
135
pouvant bénéficier de toutes les utilités de la chose. Il est vrai que seul le droit de propriété
permet à son titulaire de bénéficier du jus utendi, jus fruendi et du jus abutendi sur une chose.
La plénitude du droit de propriété se traduit également dans son opposabilité.
164. L’opposabilité erga omnes. Si le droit de propriété est le plus complet des droits réels,
il apparaît également comme la forme la plus complète des droits subjectifs. De par son
absoluité, le droit de propriété se distingue des droits personnels qui sont considérés comme
des droits relatifs. Ces derniers sont relatifs en ce sens qu’ils procurent à leur titulaire des
prérogatives ne pouvant s’exercer qu’à l’égard d’une personne. À l’inverse, le droit de
propriété établit une relation entre « un sujet et le reste de la société »665. Par voie de
conséquence, toute personne est tenue de respecter ce droit et « c’est en cela que ce droit
s’exerce de manière absolue »666.
Cette opposabilité se traduit dans le régime de la propriété par l’action en revendication qui
permet de constater « le droit de propriété que l’on a sur la chose afin de la reprendre entre
les mains d’un tiers »667. Le caractère opposable erga omnes du droit de propriété contribue
donc également à en faire un droit absolu668.
L’absoluité de la propriété est, à l’instar de l’adjectif absolu, polysémique. Il convient, alors,
d’envisager cette notion dans le cadre des droits de propriété intellectuelle.
b. Le caractère absolu des droits de propriété intellectuelle
165. La relativité des droits de propriété intellectuelle justifiée par l’intervention de la
puissance publique. L’absoluité des droits de propriété intellectuelle est contestée. Pour un
auteur, ils seraient des droits relatifs au motif qu’ils ne pourraient pas être « entendus en
essentiel du droit de propriété. Cette absoluité s’affirmerait ainsi à l’égard des tiers par son opposabilité. Elle
s’affirmerait également à l’égard du titulaire en ce sens que le droit de propriété est un droit exclusif et
individuel. Cette absoluité s’affirmerait enfin à l’égard des pouvoirs qu’elle confère au titulaire en le sens où il
s’agit d’un droit total et perpétuel.
665
F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 214, p. 343. Pour le Professeur
CATALA, l’opposabilité erga omnes est le point fondamental permettant de qualifier le droit de propriété
d’absolu. Il relève ainsi que « le droit de propriété vaut surtout par l’opposabilité absolue de la protection dont
jouit son titulaire. Un droit réel inopposable (…) n’est qu’une ombre. En revanche un droit « sans corpus » mais
opposable à tous emprunte à la propriété son caractère essentiel et possède une valeur propre », P. CATALA, La
transformation du patrimoine dans le droit civil moderne, RTD civ., 1966, p. 185, spéc. p. 201.
666
F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, op. cit., n° 214, p. 343.
667
C. CARON & H. LECUYER, Le droit des biens, Dalloz, Connaissances du droit, 2002, p. 50.
668
F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, op. cit., n° 214, p. 343: « Parce qu’elle est absolue, la propriété est source
d’opposabilité ; elle rend opposable les situations juridiques dont elle est le cadre ou qu’elle crée. Ainsi que le
prévoit l’article 544 du Code civil c’est à la fois la jouissance – que nous interprétons comme exclusivité- et la
disposition qui s’exercent de manière absolue ».
136
dehors de la puissance publique »669. Ils s’opposeraient par là aux droits de propriété
« classique » qui existeraient sans la « médiation de l’État »670. Nous ne rejoignons pas cette
approche. Cette conception fait fi de l’approche de l’absoluité retenue par la doctrine
classique et moderne. En outre, il semble que l’intervention de la puissance publique soit
indifférente dans l’appréciation du caractère absolu du droit de propriété.
166. Une intervention de la puissance publique indifférente. En matière de droit d’auteur,
le droit de l’auteur est spontané et issu de la création671. En matière de brevet, l’argument,
selon lequel les droits de propriété intellectuelle sont relatifs en raison de l’intervention de la
puissance publique, ne semble également pas tenir. La demande de brevet est un acte
juridique unilatéral d’appropriation d’un bien sans maître672. De ce fait, c’est la demande qui
apparaît comme le « mode originaire de constitution et d’acquisition de droit »673. Il convient
de rappeler qu’en droit français, l’invention ne fait pas l’objet d’un véritable examen au
669
A. ABELLO, La propriété intellectuelle, une « propriété de marché », in Droit et économie de la propriété
intellectuelle, sous la direction de M.-A. FRISON-ROCHE et A. ABELLO, LGDJ, coll. Droit et Economie, 2005, p.
341, spéc. p. 351. A l’inverse, le caractère absolu du droit de propriété résulterait pour cet auteur de l’absence
présumée « de toute relation entre la propriété ordinaire et l’État. Classiquement, le droit de propriété n’a pas
besoin de l’État pour exister ».
670
A. ABELLO, préc., spéc. p. 350. L’auteur fait ici référence au Doyen CARBONNIER qui observait que
l’existence des biens incorporels venait du droit. La remarque n’est pas parfaitement justifiée et ne reflète pas
véritablement le point de vue de cet illustre auteur. Ce dernier distinguait dans la catégorie des biens incorporels
entre les droits portant sur des biens corporels et les biens incorporels absolus. L’intervention du droit dégagée
par le Doyen CARBONNIER ne concernait pas l’existence même de ces biens ou encore l’existence du droit de
propriété mais plutôt le classement entre les immeubles et les meubles. Il constatait ainsi que le classement des
biens incorporels absolus « ne peut-il résulter, comme dans l’hypothèse précédente, d’une considération de
l’objet auquel ils s’appliquent, mais seulement d’une décision arbitraire du droit. C’est à eux que convient
proprement la formule de l’article 527 : meubles par la détermination de la loi ». Il constatait ainsi que c’est une
détermination de la loi « qui a classé parmi les meubles tous les droits que l’on qualifie de propriétés
incorporelles ou de droits intellectuels », J. CARBONNIER, Droit civil. t. 3. Les biens, PUF, Thémis Droit privé,
19e éd., 2000, n° 51, p. 94 et 95.
671
J. RAYNARD, Droit d’auteur et conflits de lois. Essai sur la nature juridique du droit d’auteur, Litec, Bibl. du
droit de l’entreprise, t. 26, 1990, n° 152, p. 136: « Le régime du droit d’auteur dans les pays européens se
caractérise, en effet, fondamentalement, par l’absence de toute procédure formelle conditionnant la naissance
du droit d’auteur ou, a fortiori, son efficacité ». L’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose
ainsi : « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété
incorporelle exclusif et opposable à tous ». Ainsi, comme le précise également le Professeur POLLAUD-DULIAN :
« la reconnaissance d’un droit d’auteur sur une œuvre n’est subordonnée à aucune forme de dépôt, ni à un
examen administratif, ni même à un quelconque système de publicité. La protection de l’œuvre naît sans autre
condition du seul fait de la création, même si cette création est encore inachevée » ; F. POLLAUD-DULIAN, Le
droit d’auteur, Economica, coll. Corpus droit privé, 2005, n° 137, p. 106.
672
J. M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse objective, LGDJ, Bibl. de
droit privé, t. 23, 1961, n° 157, p. 184. MOUSSERON définit ainsi la demande de brevet comme « l’acte juridique
unilatéral par lequel le possesseur d’une invention libre de tout droit absolu érigée en valeur économique par
ses caractères d’utilité et de rareté manifeste, dans certaines conditions de forme et de publicité destinées à
assurer la sécurité des tiers, sa volonté de constituer sur ce bien un droit absolu et de se l’approprier ».
673
J. M. MOUSSERON, op. cit., n° 157, p. 184.
137
fond674 ; de ce fait, la décision vient non pas créer un droit de propriété, mais simplement
constater l’existence de celui-ci. La nuance a toute son importance. En matière de marque, il
est vrai que la situation est davantage sujette à discussion, le droit de marque résultant de
l’enregistrement675. Cependant, il ne nous semble pas que l’intervention de la puissance
publique suffise à en faire un droit relatif. Une telle intervention dans la reconnaissance de la
propriété existe également en matière de chose corporelle. Le possesseur souhaitant bénéficier
de la prescription acquisitive doit la faire valoir devant le juge, tantôt comme moyen de
défense, tantôt par voie d’action676. Le juge vient dans ce cadre constater le droit de propriété
acquis par le jeu de la prescription. L’intervention de la puissance publique ne doit pas par
conséquent pas remettre en cause le caractère absolu du droit.
167. La justification de l’intervention de la puissance publique. S’il est vrai que la
puissance publique occupe une place importante dans la reconnaissance des droits de
propriété intellectuelle, elle ne peut avoir pour conséquence de qualifier ces droits de relatifs.
Quel que soit le droit de propriété en question, la puissance publique est omniprésente.
L’article 544 du Code civil dispose in fine qu’il ne doit pas être fait un usage prohibé par les
lois ou par les règlements du droit de propriété677. De ce fait, en matière de propriété
classique, la puissance publique peut intervenir a posteriori pour limiter, voir annihiler le
droit de propriété678. Cette limitation résulte théoriquement d’intérêts supérieurs qui peuvent
674
Art. L. 611-10, 1° du Code de la propriété intellectuelle : « Sont brevetables, dans tous les domaines
technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application
industrielle ». V. sur « L’instruction par les services de la Propriété industrielles », J. M. MOUSSERON, Traité
des brevets, t. 1, Litec, 1984, n° 754, p. 760. Le principe, en droit français, est donc celui de la délivance
automatique. L’INPI n’a pas en effet à contrôler le respect des différentes exigences de brevetabilité : « Le
propre du système de délivrance automatique est précisément de ne pas reconnaître aux offices de brevets qui
ont la charge de son instruction le pouvoir de rejeter une demande au motif que l’invention appropriée
méconnaît une exigence de brevetabilité, de nouveauté et/ou d’activité inventive tout particulièrement. La loi de
1968 a réservé la faculté de rejet de l’administration pour infraction aux canons de la brevetabilité à plusieurs
séries d’hypothèses de portée limitée », Y. BASIRE, Traitement de la demande française de brevet, J.-Cl. Brevets,
Fasc. 4420, 2008, n° 15.
675
Art. L. 712-1 du Code de la propriété intellectuelle: « La propriété de la marque s’acquiert par
l’enregistrement ».
676
Cass. Civ., 3e ch., 22 janv. 1992, D. 1993, somm. com., 2e espèce, p. 302, J. H. ROBERT.
677
V. sur les restrictions au droit de propriété, J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI & S. CIMAMONTI, Traité de droit civil,
Les biens, LGDJ, 2e éd., 2010, n° 104, p. 121. Les restrictions peuvent révêtir différents aspects. Il y a tout
d’abord les limitations générales d’origine prétoriennes, à savoir l’abus de droit et les troubles anormaux du
voisinage. Les limitations peuvent également être spéciales, d’origine législative ou réglementaire. JOSSERAND
voyait quatre formes de limitation : les limitations dérivant de la fonction sociale du droit de propriété, les
restrictions établies dan l’intérêt de la collectivité, les restrictions commandées par l’intérêt des propriétés
voisines et enfin les restrictions imposées par la volonté de l’homme. V. pour plus de détails, L. JOSSERAND,
Cours de droit civil positif français, t. 1, Théorie générale du droit et des droits Ŕ les personnes Ŕ la famille Ŕ La
propriété et les autres droits réels principaux, Sirey, 2 e éd., 1932, n° 1473, p. 761.
678
V. par exemple l’hypothèse de l’expropriation pour cause d’utilité publique envisagée à l’article 545 du Code
civil.
138
notamment être d’ordre économique, social, public ou privé679. Comme le droit de propriété
envisagé par l’article 544 du Code civil, les droits de propriété intellectuelle peuvent se voir
limités par l’intérêt général. Au contraire du droit de propriété sur les choses corporelles, les
droits de propriété intellectuelle prennent en compte l’intérêt général à tout moment et
notamment lors de la naissance du droit. Ainsi, les canons de la brevetabilité sont dictés par
des intérêts supérieurs680 tels que la liberté du commerce et de l’industrie681, les bonnes
mœurs682, l’ordre public ou encore la santé publique683. La même réflexion s’applique au droit
de marque dont l’existence ne doit pas être un frein à la libre concurrence. À l’instar des
propriétés classiques, la puissance publique intervient pour limiter le champ des propriétés
intellectuelles. Cette intervention se fait cependant au moment de la naissance du droit.
L’intervention de la puissance publique ne nous semble pas caractériser les droits de propriété
intellectuelle et ne doit pas avoir pour conséquence la remise en cause de leur caractère
absolu.
168. L’approche « classique » du caractère absolu des droits de propriété intellectuelle.
Tout d’abord, les droits de propriété intellectuelle doivent être considérés comme absolus en
ce qu’ils ne se définissent pas par référence à un autre droit684.
Concernant, sa plénitude, nous avons vu auparavant que le titulaire du droit de propriété
intellectuelle bénéficie de toutes les prérogatives reconnues au propriétaire que sont l’usus, le
fructus et l’abusus. Les droits de propriété intellectuelle, au même titre que le droit de
679
Cons. const., Décision n° 81-132 DC, 16 janv. 1982, Loi de nationalisation. Le Conseil constitutionnel a ainsi
affirmé que « les conditions d’exercice du droit de propriété ont également subi une évolution caractérisée (…)
par des limitations exigées par l’intérêt général ».
680
L’article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle définit les inventions brevetables comme étant « les
inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptible d’application industrielle ». Ainsi, « un état
soucieux des intérêts de son industrie ne peut délivrer de brevet à une personne quelconque, pour une invention
quelconque ; une telle politique législative conduirait à un encombrement du secteur par des monopoles sans
valeur économique réelle et limiterait excessivement la liberté des concurrents », J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, Droit de la propriété industrielle, Litec, 4e éd., 2007, n° 49, p. 24.
681
G. BONET & A. BOUVEL, Distinctivité du signe, J.-Cl. Marques Ŕ dessins et modèles, Fasc. 7090, 2007, n° 2 ;
A. FRANÇON, La prohibition des marques descriptives en droit français, RIPIA 1973, n° 94, p. 270. Cf. supra n°
66.
682
L’article L. 611-17 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « Ne sont pas brevetables les inventions
dont l’exploitation commerciale serait contraire à la dignité de la personne humaine, à l’ordre public ou aux
bonnes mœurs, cette contrariété ne pouvant résulter du seul fait que cette exploitation est interdite par une
disposition législative ou réglementaire ».
683
L’exclusion prévue à l’article L. 611-16 du Code de la propriété intellectuelle semble en effet dictée par des
intérêts de santé publique : « Ne sont pas brevetables les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du
corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal ».
684
V. pour le droit d’auteur, J. R AYNARD, Droit d’auteur et conflits de lois. Essai sur la nature juridique du droit
d’auteur, Litec, Bibl. du droit de l’entreprise, t. 26, 1990, n° 371, p. 335.
139
propriété classique, doivent être considérés comme des droits complets. En ce sens, ils sont
des droits absolus.
En outre, le droit est absolu dès lors que les prérogatives ne souffrent pas de limitation685. Le
titulaire du droit bénéficie d’un réel droit de propriété : « seul il choisit de jouir de lui-même
de sa création, d’en concéder des licences d’exploitation, de la céder et même de
l’abandonner au domaine public »686. De ce fait, il peut tout faire, sauf ce qui lui est interdit.
Enfin, s’agissant de l’opposabilité erga omnes du droit de propriété intellectuelle, la question
ne pose guère de difficultés. Les droits de propriété intellectuelle sont opposables à tous :
« chacun doit respecter le droit de propriété intellectuelle, sauf à s’attirer les terribles
foudres de la contrefaçon »687.
169. Les droits de propriété intellectuelle sont absolus688. On retrouve tous les aspects de
l’absoluité du droit de propriété dans les droits de propriété intellectuelle. Il convient
d’envisager maintenant la question de l’exclusivité.
2. L’exclusivité du droit de propriété
170. Avant d’envisager la question de l’exclusivité des droits de propriété intellectuelle (b), il
est nécessaire d’appréhender la signification de ce caractère (a).
a. La signification de l’exclusivité du droit de propriété
171. L’importance de l’exclusivité. Le droit de propriété est un droit exclusif. Ce caractère
résulterait « implicitement, de l’attribution au propriétaire de l’ensemble des prérogatives que
conjoint la pleine propriété »689. L’exclusivité du droit de propriété est quasi unanimement
reconnue par la doctrine, POTHIER y voyant même là l’essence du droit de propriété690.
685
J. M. MOUSSERON, J. RAYNARD & T. REVET, De la propriété comme modèle, in Mélanges offerts à A.
COLOMER, Litec, 1993, p. 281, n° 18.
686
S. ALMA-DELETTRE, La nature juridique des droits de propriété intellectuelle, in Propriété intellectuelle et
droit commun, PUAM, Coll. Institut du droit des affaires, 2007, p.25, spéc. n° 9.
687
C. CARON, Du droit des biens en tant que droit commun de la propriété intellectuelle, JCPG 2004, I, 162. V.
également l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose : « L’auteur d’une œuvre de
l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et
opposable à tous ».
688
S. ALMA-DELETTRE, La nature juridique des droits de propriété intellectuelle, préc., p.25, spéc. n° 9.
689
G. CORNU, Droit civil. Les biens, Montchrestien, Coll. Domat droit privé, 13 e éd., 2007, n° 30, p. 71.
690
Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 259, p. 366. Le professeur ZENATI reprend également
cette formule dans sa thèse « La nature juridique de la propriété : Essai sur la nature juridique de la propriété –
Contribution à la théorie du droit subjectif », Thèse Université Jean MOULIN, 1981, p. 541.
140
Il n’est pourtant pas fait mention de ce caractère à l’article 544 du Code civil691 et certains
auteurs relèvent au contraire que l’exclusivisme n’est pas propre au droit de propriété, mais
qu’il constitue une caractéristique inhérente aux droits subjectifs692.
S’il est vrai que ce caractère, contrairement à l’absoluité, n’apparaît pas dans l’article 544 du
Code civil, il est néanmoins « impliqué dans le mot même de propriété »693. Le terme
« propriété » renvoie à l’adjectif « propre » qui se définit comme étant ce qui « appartient
d’une manière exclusive ou particulière à une personne, une chose ou un groupe »694. Pour
certains auteurs, le droit de propriété est exclusif « en ce sens que le propriétaire bénéficie
seul de la totalité des prérogatives qui y sont attachées »695. L’exclusivité permet de
considérer « que le propriétaire ou les propriétaires, s’il y en a plusieurs, comme dans le cas
d’une indivision, sont seuls à pouvoir accomplir sur la chose les actes qui constituent les
attributs du droit de propriété »696. En d’autres termes, le propriétaire bénéficie d’un
monopole697, c'est-à-dire qu’il est le seul à pouvoir jouir et disposer ou non de la chose.
Le fait d’associer l’idée d’exclusivité à celle de monopole est contesté698. Ainsi, pour d’autres
auteurs, l’exclusivisme est « la faculté d’exclure les tiers de toute participation à l’usage, à la
jouissance, ou à la disposition de sa chose, et de prendre, à cet effet, toutes les mesures qu’il
691
Certains auteurs vont jusqu’à dire que l’article 544 du Code civil est incomplet pour cette raison. V. J.
CARBONNIER, Droit civil. t. 3. Les biens, PUF, Thémis Droit privé, 19 e éd., 2000, n° 68, p. 129.
692
C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, t. II, Economica, 5 e éd., 2006, n° 197, p. 104.
Cet auteur énonce que « ce n’est pas une marque originale du droit de propriété. En effet, tout droit subjectif a
un caractère exclusif, en ce sens que seul le titulaire du droit peut faire valoir les prérogatives qui sont attachées
à son droit. Dans cette mesure, on doit considérer que le droit de propriété n’est pas plus exclusif que tout autre
droit subjectif ». V. également, M. FABRE-MAGNAN, Propriété, patrimoine et lien social, RTD civ. 1997, p. 583
et plus particulièrement n° 7 : « si la propriété permet bien de conférer à une personne une exclusivité sur une
chose, cette exclusivité se retrouve également dans tous les autres droits subjectifs ».
693
J. CARBONNIER, op. cit., n° 68, p. 129.
694
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995 ; V. également J. CARBONNIER, op. cit., n°
68, p. 129 : « propre est l’antithèse de commun ».
695
G. RIPERT & J. BOULANGER, Traité de droit civil, d’après le traité de PLANIOL, t. II, LGDJ, 1957, n° 2252, p.
789.
696
C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux op. cit., n° 197, p. 104.
697
Le terme monopole vient du latin monopolium, et il signifie dans sa seconde acception : « privilège exclusif ».
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995. Le terme monopole est parfois utilisé par la
doctrine. Ainsi, JULLIOT DE LA MORANDIÈRE n’hésitait pas à écrire que le droit de propriété conférait : « à son
titulaire un monopole d’usage, de jouissance et de disposition sur la chose qui en est l’objet », L. JULLIOT DE
LA MORANDIÈRE, Précis de droit civil, publié d’après le Cours élémentaire de droit civil français de A. COLIN et
H. CAPITANT, t. II, Dalloz, 1957, n° 82, p. 36.
698
F. TERRE & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8e éd., 2010, n° 144, p. 145 : « Le propriétaire –
personne physique ou personne morale – serait investi d’un monopole. En d’autres termes, lorsqu’une chose est
appopriée, elle n’appartient qu’à une seule personne. (…). L’on donne à penser qu’il n’y pas de propriété privée
sans propriétaire unique et que, s’il y a plusieurs propriétaires d’une même chose, le groupe que forment ces
propriétaires n’est pas autant protégé que le propriétaire unique face aux tiers ».
141
juge convenables »699. Comme le souligne le Professeur STRICKLER, le terme exclusivité
caractérise son effet : « l’exclusion »700.
Ces deux conceptions de l’exclusivité ne doivent faire qu’une701. L’exclusivisme doit être
entendu comme la faculté pour le titulaire du droit de propriété de bénéficier seul, de manière
exclusive, des prérogatives attachées à son bien avec pour conséquence, inhérente à cette
exclusivité, la faculté d’interdire, d’exclure les tiers en cas d’empiètement702, et cela même si
cet empiètement ne cause au propriétaire aucun préjudice703.
L’exclusivité peut par exemple se traduire pour le propriétaire d’un immeuble par la faculté
de se clore704 ou de couper les racines et les ronces qui empiètent sur son fond705.
L’exclusivité trouve également à être mise en œuvre dans le cadre des actions permettant de
protéger le propriétaire lorsque ce dernier se voit dépossédé de son bien706. C’est sur ce point
que l’exclusivisme du propriétaire, qui n’est pas l’apanage de la propriété, se distingue
quelque peu des autres droits subjectifs : « la façon dont il est sanctionné est originale par
rapport à celle d’autres droits patrimoniaux. En effet, si tous les droits par hypothèse
exclusifs, sont protégés en justice d’une façon telle que leur titulaire puisse faire reconnaître
qu’il est le seul à pouvoir se prévaloir du droit, cette protection n’est pas originale en ce que
le plus souvent sinon presque toujours, elle est assurée au moyen d’une action en
699
C. AUBRY & C. RAU, Droit civil français, t. II, 7ème éd. par P. ESMEIN, Litec, 1961, n° 143, p. 240 ; V.
également, G. BAUDRY-LACANTINERIE & M. CHAUVEAU, Traité théorique et pratique de droit civil. Des biens,
Paris, Librairie de la société du recueil général des lois et des arrêts, 2 e éd.,1899, n° 200, p. 151 ; F. ZENATICASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 192, p. 315. Les Professeurs ZENATI-CASTAING et
REVET voient avant tout dans l’exclusivité du titulaire du droit de propriété le pouvoir d’exclure : « Le rapport
privatif qu’elle établit confère à la personne à laquelle le bien appartient un pouvoir d’exclure » ; F. TERRE & P.
SIMLER, Droit civil. Les biens, op. cit., n° 143, p. 144.
700
Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 259, p. 367 ; V. également F. ZENATI, Essai sur la
nature juridique de la propriété Ŕ Contribution à la théorie du droit subjectif, Thèse Université Jean MOULIN,
1981, n° 400, p. 542. Comme le relève le Professeur ZENATI, « certains auteurs ont-ils été conduits, sans se
départir de cette logique qui veut que la propriété se définisse par une accumulation de droits, à ajouter un
troisième ou quatrième droit dans le « puzzle » de la propriété, le droit d’ « exclusion » ».
701
Le Professeur STRICKLER résume ainsi parfaitement la situation du caractère exclusif du droit de propriété.
Cela signifie dans un premier temps « que le propriétaire est le seul titulaire des prérogatives que le droit lui
reconnaît sur la chose ». Mais, l’exclusivité renvoie également « à l’image d’une seule personne qui peut
écarter toutes les autres du bien considéré. (…) Le propriétaire a la faculté de s’opposer à toute ingérence
d’autrui ». Y. STRICKLER, Les biens, op. cit., n° 259, p. 366 et 367.
702
V. P. JOURDAIN, Les biens, Dalloz, Droit civil, 1995, n° 41-1, p. 50.
703
P. MALAURIE & L. AYNÈS, Droit civil, les biens, Defrénois, 4e éd., 2010, n° 456, p. 134.
704
Art. 647 du Code civil : « Tout propriétaire peut clore son héritage ».
705
Art. 673 du Code civil : « Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et
arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper ».
706
V. pour des développement à ce sujet, F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, op. cit., n° 196, p. 317 ;
F. ZENATI, Essai sur la nature juridique de la propriété Ŕ Contribution à la théorie du droit subjectif, op. cit., n°
401, p. 544 : « Il faut approuver les quelques auteurs qui trouvent le fondement de l’action en revendication
dans le caractère exclusif de la propriété. Ce caractère n’est pas une notion philosophique, mais bien une
catégorie ayant un contenu technique puisqu’il fonde la plupart des actions qu’est susceptible d’exercer un
propriétaire », n° 402, p. 545.
142
responsabilité civile intentée contre ceux qui s’attribuent un droit qui appartient à autrui »707.
Ainsi, en matière mobilière, le propriétaire bénéficie de l’action en revendication 708 qui
permet au propriétaire d’agir en justice afin de récupérer la chose dont il aurait pu être
dépouillé contre sa volonté709. Il convient désormais d’envisager le caractère exclusif des
droits de propriété intellectuelle.
b. Le caractère exclusif des droits de propriété intellectuelle
172. Le monopole conféré par le droit de propriété intellectuelle. La propriété se
caractérise par l’exclusivité qu’elle confère à une personne sur une valeur économique 710.
Qu’en est-il des droits de propriété intellectuelle ? Il peut être objecté que les droits de
propriété intellectuelle ne sont pas des droits exclusifs en ce sens qu’ils ne réservent pas
l’usage de la chose objet du droit à son titulaire711. Une fois divulguée, l’œuvre de l’esprit est
laissée au libre accès intellectuel du public712. Il en est de même pour une invention couverte
par un brevet ou un produit marqué. Peut-on encore parler d’exclusivité quand les choses
incorporelles sont laissées à l’usage de tous ? La réponse est bien évidemment positive.
L’usage intellectuel du public n’est pas pour remettre en cause le caractère exclusif du droit.
Les Professeurs MOUSSERON, REVET et RAYNARD ont parfaitement résumé cela en ces
termes : « l’absence d’exclusivité en dehors du faisceau de prérogatives légales, c'est-à-dire
quand il ne s’agit plus d’avantage ou de privilège économique, n’est, donc, pas pour
surprendre : il n’y a plus, alors, droit d’auteur ou de brevet, c'est-à-dire droit de propriété,
707
C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, t. II, Economica, 5 e éd., 2006, n° 197, p. 104.
L’action en revendication se définit comme l’« Action en justice par laquelle on fait établir le droit de
propriété qu’on a sur un bien, en général, pour le reprendre d’entre les mains d’un tiers détenteur », G. CORNU,
Vocabulaire Juridique, Association Henri CAPITANT, PUF, 9e éd., 2011. V. également, R. CABRILLAC, (ss. dir.)
Dictionnaire du vocabulaire juridique 2012, LexisNexis, 2012 ; S. GUINCHARD & T. DEBARD (ss. dir.), Lexique
des termes juridiques 2012, Dalloz, 19 éd., 2012. V. F. ZENATI, Essai sur la nature juridique de la propriété Ŕ
Contribution à la théorie du droit subjectif, Thèse Université Jean MOULIN, 1981, n° 401, p. 544.
709
C. LARROUMET, op. cit., n° 197, p. 104 ; V. sur l’action en revendication F. ZENATI-CASTAING & T. REVET,
Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 199, p. 320.
710
J. M. MOUSSERON, J. RAYNARD & T. REVET, De la propriété comme modèle, in Mélanges offerts à A.
COLOMER, Litec, 1993, p. 281, n° 17.
711
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 21, p. 95. Cf. supra n° 150.
712
J. RAYNARD, Droit d’auteur et conflits de lois. Essai sur la nature juridique du droit d’auteur, Litec, Bibl. du
droit de l’entreprise, t. 26, 1990, n° 372, p. 335. V. I.-R.-G. LE CHAPELIER, Rapport au nom du comité de
constitution, sur la pétition des auteurs dramatiques, dans la séance du jeudi 13 janvier 1791, p. 16: « Quand un
auteur a livré son ouvrage au public, quand cet ouvrage est dans les mains de tout le monde, que tous les
hommes instruits le connaissent, qu’ils se sont emparés des beautés qu’il contient, qu’ils ont confié à leur
mémoire les traits les plus heureux ; il semble que dès ce moment, l’écrivain a associé le public à la propriété,
ou plutôt lui a transmise toute entière ».
708
143
parce qu’il n’y a plus d’objet de droit, de bien, de valeur économique, par conséquent »713.
De ce fait, dès qu’il s’agit de mettre en œuvre son droit, le titulaire reste maître de sa chose,
de ses utilités économiques714 et conserve l’exclusivité de l’exploitation économique de son
bien. Ce n’est donc pas l’exclusivité du propriétaire sur son bien qui est mis à mal ici, mais
bien l’ « accès intellectuel »
715
que le droit de propriété intellectuelle ne permet pas de
réserver. Il conserve néanmoins l’exclusivité de « l’ « accès juridique », en d’autres termes le
pouvoir qui est accordé au titulaire d’exploiter seul l’objet de son droit »716. Le titulaire doit
rester le seul à pouvoir tirer profit de « ces connaissances, de ces informations »717. Comme le
note un auteur : « la liberté de l’usage intellectuel ne suffit pas à disqualifier les droits en
question : la famille des droits réels étant en effet toute entière tournée vers les seules
« utilités économiques » de la chose »718. Il est dès lors difficile de ne pas considérer que le
titulaire du droit de propriété intellectuelle bénéficie d’un réel monopole d’exploitation719.
173. L’exclusion des tiers. L’exclusivité ne se résumant pas au monopole, il est important
d’envisager la faculté conférée au titulaire d’un droit de propriété intellectuelle d’exclure les
tiers. En matière de propriété intellectuelle, la protection du titulaire du droit à l’égard des
tiers peut prendre deux formes distinctes : l’action en revendication et l’action en contrefaçon.
174. L’action en revendication. Reprenant la formule connue du Code civil, l’action en
revendication existe en matière de brevets720, de marques721 et de dessins et modèles722.
L’action en revendication se caractérise par une certaine ambivalence. Si l’action aboutit, « le
revendiquant est subrogé rétroactivement dans les droits de l’usurpateur ; il est réputé être
713
J. M. MOUSSERON, J. RAYNARD & T. REVET, De la propriété comme modèle, in Mélanges offerts à A.
COLOMER, Litec, 1993, p. 281, n° 19.
714
S. ALMA-DELETTRE, La nature juridique des droits de propriété intellectuelle, in Propriété intellectuelle et
droit commun, PUAM, Institut du droit des affaires, 2007, p.25, spéc.n° 8.
715
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 11, p. 12.
716
J. PASSA, op. cit., n° 11, p. 12.
717
S. ALMA-DELETTRE, préc., spéc. n° 8.
718
S. ALMA-DELETTRE, préc., spéc.n° 8.
719
V. J. M. MOUSSERON & M. VIVANT, Les mécanismes de réservation et leur dialectique : Le « terrain »
occupé par le droit, Cahier droit de l’entreprise 1988, n° 1, p. 2.
720
Art. L. 611-8 du Code de la propriété intellectuelle : « Si un titre de propriété industrielle a été demandé soit
pour une invention soustraite à l’inventeur ou à ses ayants cause, soit en violation d’une obligation légale ou
conventionnelle, la personne lésée peut revendiquer la propriété de la demande ou du titre délivré ».
721
Art. L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle : « Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des
droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un
droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice ».
722
Art. L. 511-10 du Code de la propriété intellectuelle : « Si un desin ou modèle a été déposé en fraude des
droits d’un tiers ou en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un
droit sur le dessin ou modèle peut en revendiquer en justice la propriété ».
144
propriétaire depuis la date à laquelle la demande de brevet a été déposée »723. Dans ce cadre
l’action prend une teinte indéniablement revendicatoire. Pourtant, comme certains auteurs le
relèvent, l’action en revendication, en matière de brevet, « a été fondée sur les règles de la
responsabilité civile »724. Elle tend ainsi également à sanctionner la fraude et peut entraîner la
réparation du préjudice qui résulte pour la victime de la fraude725. Ainsi, « Comme Janus, elle
a deux visages. Tantôt celui d’une action en responsabilité civile, tantôt d’une action en
revendication »726.
Si l’action en revendication est tant une action revendicatoire, fondée sur le droit de propriété
qu’une action tendant à sanctionner la fraude727, elle n’en demeure pas moins un moyen
d’exclure les tiers, confortant ainsi l’idée que les droits de propriété intellectuelle ont un
caractère exclusif.
175. L’action en contrefaçon. Les titulaires des droits de propriété intellectuelle bénéficient
également d’une action spéciale tendant à sanctionner les atteintes à leurs droits : l’action en
contrefaçon728. Classiquement, la contrefaçon est présentée comme une atteinte à un droit de
propriété intellectuelle729. Elle recouvre toutes les atteintes illégitimes au droit exclusif d’une
marque.
La contrefaçon peut être envisagée comme une dépossession partielle730, le titulaire n’étant
pas complètement exclu de l’usage qu’il peut faire de son bien. Pour autant, elle prive le
723
A. BORIES, Quelques observations sur l’action en revendication de propriété des brevets d’invention, Propr.
ind. 2009, n° 3, étude n° 5, n° 7. V. également, J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n°
191, p. 218. Comme le note cet auteur, « le demandeur est rétroactivement subrogé dans les droits de son
adversaire, c'est-à-dire considéré comme titulaire depuis le dépôt frauduleux, et inscrit au registre national des
marques comme nouveau titulaire ».
724
J. FOYER & M. VIVANT, Le droit des brevets, PUF, Coll. Thémis droit, 1991, p. 84. V. aussi, note R.
PLAISANT, sous Paris, 20 déc. 1955, JCP 1956, II, 9485.
725
P. COUSIN & M. MOATTY, Fraude et revendication, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7220, 2010,
n° 154.
726
A. BORIES, Quelques observations sur l’action en revendication de propriété des brevets d’invention, préc., n°
11.
727
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 1419,
p. 914.
728
« L’action en contefaçon qui, à travers des mesures d’interdiction d’exploitation et d’indemnisation de son
préjudice, permet au titulaire de faire rétablir l’assiette de son droit dans l’état antérieur à l’atteinte », J.
PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 11, p. 12.
729
G. CORNU, Vocabulaire Juridique, Association Henri CAPITANT, PUF, 9e éd., 2011. V. également, R.
CABRILLAC, (ss. dir.) Dictionnaire du vocabulaire juridique 2012, LexisNexis, 2012 ; S. GUINCHARD & T.
DEBARD (ss. dir.), Lexique des termes juridiques 2012, Dalloz, 19 éd., 2012.
730
C. SIMLER, Droit d’auteur et droit commun des biens, Litec, CEIPI, t. 55, 2010, n° 153, p. 122.
145
titulaire du droit « d’une exploitation exclusive »731 de son bien et apparaît comme une
contestation de l’exclusivité dont jouit le titulaire du droit.
L’action en contrefaçon doit de ce fait être envisagée comme venant sanctionner l’atteinte à
un droit privatif : « Elle tend à rétablir le titulaire du droit dans l’intégralité de son
monopole, à faire cesser l’usurpation et à la sanctionner »732. En d’autres termes, l’action en
contrefaçon intervient pour faire cesser le trouble, l’empiètement.
Une partie de la doctrine s’accorde pour voir dans l’action en contrefaçon, une action en
revendication733. D’ailleurs, comme le note le Professeur PASSA, la doctrine du droit des biens
donne à l’action en revendication classique une définition correspondant à l’action en
contrefaçon : l’action en revendication « est la mise en œuvre de cet attribut essentiel de la
propriété qu’est le pouvoir d’exclusivité. Par elle, le propriétaire interdit à un tiers de jouir
de la chose et en exige la restitution »734.
Croire que l’action en contrefaçon serait l’action en revendication des droits de propriété
intellectuelle n’est pas parfaitement exacte, l’identité entre les deux actions n’étant pas
complète. L’action en contrefaçon se caractérise par sa « nature hybride »735 qui « participe à
la fois de l’action en responsabilité civile et de l’action en revendication »736. Cet aspect
réparateur ne doit cependant pas remettre en cause le caractère exclusif des droits de propriété
intellectuelle. L’intérêt de l’action réside effectivement dans son aspect revendicatoire dont la
vocation est de faire cesser l’empiètement indu, dont l’objet est la défense de la propriété. Dès
lors, la teinte « évidente et véritable, d’action en responsabilité et donc réparatoire qui est la
731
C. SIMLER, op. cit., n° 153, p. 122. Cet auteur relève que cette dépossession partielle « évoque l’empiètement
du droit commun des biens ». D’autres auteurs ont également expressément fait référence à l’empiètement. V.
ainsi, J. FOYER & M. VIVANT, Le droit des brevets, op. cit., p. 288 : « En réalité, l’acte de contrefaçon constitue
un acte d’empiètement sur le monopole du breveté, un acte d’ « emprise » sur la propriété d’un tiers, au même
titre que peut l’être une construction faite sur le terrain d’autrui ».
732
F. POLLAUD-DULIAN, Le droit d’auteur, Economica, Corpus droit privé, 2005, n° 83, p. 47.
733
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 406, p. 572: « L’action en contrefaçon
s’apparente à une action en revendication » ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n°
29, p. 15 ; J. FOYER & M. VIVANT, Le droit des brevets, op. cit., p. 330. V. également pour un exemple
jurisprudentiel, Cass. civ., 2 juill. 1931, Ann. propr. ind. 1932, p. 31. Les juges ont ainsi affirmé « que la
propriété d’une marque régulièrement déposée est absolue, qu’elle s’étend à l’ensemble du territoire français, et
confère à celui qui en est investi un droit de revendication contre tous ceux qui l’usurpent, sous quelque mode et
de quelque manière que ce soit ».
734
F. ZENATI, Les biens, PUF, 1988, n° 166, p. 184.
735
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 29, p. 15.
736
F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 29, p. 15. V. également, C. SIMLER, op. cit., n° 152, p. 121. Cet auteur
distingue entre l’action en contrefaçon à l’encontre de l’initiateur de la contrefaçon et l’action en contrefaçon à
l’encontre d’un contrefacteur simple intervenant dans la chaîne de diffusion. Dans cette dernière hypothèse,
« l’action en contrefaçon devrait, effectivement, être qualifiée d’action en responsabilité délictuelle » dans la
mesure où il ne conteste pas la propriété. Dans la première hypothèse, l’action pourrait en revanche « à certaines
conditions présenter les caractères d’une action en revendication ».
146
sienne ne change rien à cela »737. Le droit de propriété intellectuelle est également exclusif de
par sa faculté d’exclure les tiers.
176. Le droit de propriété intellectuelle apparaît comme un droit exclusif. Exclusif, en ce sens
que le titulaire bénéficie d’un véritable monopole d’exploitation et d’une exclusivité
économique sur son bien. Exclusif, également en ce sens que le titulaire dispose d’actions
permettant d’exclure les tiers738. Il faut enfin envisager le troisième caractère du droit de
propriété : la perpétuité.
737
J. FOYER & M. VIVANT, Le droit des brevets, op. cit., 1991, p. 330. L’aspect réparateur de l’action en
contrefaçon participerait également de l’aspect revendicatoire. L’aspect réparateur de l’action en contrefaçon
s’expliquerait notamment par le fait que la « restitution » du monopole ne peut se faire comme en matière de
meuble corporel par une simple remise de la chose ou une cessation de l’empiètement. L’aspect incorporel du
droit et de son atteinte justifierait de ce fait de prévoir un palliatif par le biais de mesures réparatoires. En matière
de brevet, certains auteurs ont ainsi pu voir ces mesures réparatoires « comme le moyen, à la fois très
pragmatique et symbolique, pour le breveté de « remettre la main » sur la propriété dont il fut partiellement
privé par le contrefacteur », J. FOYER & M. VIVANT, op. cit., p. 349. Le même raisonnement pourrait être adopté
en matière de marque. La restitution étant concrètement impossible, il convenait d’appliquer « une mesure
restitutive par équivalent », J. PASSA, Contrefaçon et concurrence déloyale, Litec, IRPI, Le droit des affaires,
Propriété intellectuelle, t. 15, 1997, n° 85, p. 53. Quant à la rédaction de l’article L. 716-1 du Code de la
propriété intellectuelle, le Professeur PASSA l’explique en ces termes : « c’est seulement pour soumettre la
liquidation de cette indemnité au principe de la réparation intégrale du préjudice en vigueur en matière de
responsabilité civile, et mesure la somme due, non aux profits retirés par le contrefacteur, mais uniquement au
dommage subi par le titulaire du droit », J. PASSA, op. cit., n° 85, p. 54. Ce raisonnement pourrait partiellement
être remis en cause par la nouvelle rédaction de l’article L. 716-14 du Code de la propriété intellectuelle qui
dispose : « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences
économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le
contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l’atteinte ». V. J. RAYNARD, La
réparation de la contrefaçon : nouveaux principes pour nouveau juge ?, Propr. ind. 2010, n° 6, alerte n° 65 ; C.
RODÀ, Les conséquences civiles de la contrefaçon des droits de propriété industrielle (Droit français, belge,
luxembourgeois, allemand, anglais), Thèse Strasbourg, sous la direction de J. SCHMIDT-SZALEWSKI, 2010.
738
V. cependant, A. ABELLO, La propriété intellectuelle, une « propriété de marché », in Droit et économie de la
propriété intellectuelle, sous la direction de M.-A. FRISON-ROCHE et A. ABELLO, LGDJ, coll. Droit et Economie,
2005, p. 341, spéc. p. 360 et 363. Madame ABELLO considère néanmoins que l’exclusivité inhérente à la
propriété classique n’a pas la même fonction. Ainsi, pour cet auteur, l’exclusivité est pour la propriété ordinaire
« le fondement de la possibilité d’exclure le tiers lorsqu’il n’a aucun droit sur l’objet de propriété. Pour la
propriété intellectuelle, elle est ceci, mais elle est plus que cela, car elle est aussi le préalable nécessaire à
l’existence d’une propriété qui permet sa propre circulation ». Elle continue en essayant de démontrer que
l’exclusivité de la propriété n’est pas d’exclusion mais au contraire de partage avec les tiers : « En matière de
propriété industrielle, il n’y a aucune exclusion semblable à celle qui prévaut en matière de propriété classique.
(…). L’exclusivité signifie aujourd’hui essentiellement la possibilité de faire respecter son droit, ce qui est
commun à la propriété intellectuelle et à la propriété ordinaire », A. ABELLO, La propriété intellectuelle, une
« propriété de marché », in Droit et économie de la propriété intellectuelle, sous la direction de M.-A. FRISONROCHE et A. ABELLO, LGDJ, coll. Droit et Economie, 2005, p. 341, spéc. p. 360 et 363. Cette conception
intéressante doit cependant être nuancée. En effet, considérer que la propriété intellectuelle n’est pas d’exclusion
est un postulat de départ erroné. En effet, le propre de l’action en contrefaçon est justement d’exclure les tiers
des utilités économiques du bien. D’ailleurs, Madame ABELLO fait en quelque sorte « machine arrière » en
rappelant un principe fondamental : « La propriété intellectuelle est donc davantage tournée vers les tiers, mais
il ne faut pas se méprendre ; elle n’est pas faite pour les tiers, elle est faite, comme la propriété ordinaire, pour
celui qui en est titulaire », p. 363. De plus, pour prendre l’exemple du droit d’auteur, il ne semble pas exact que
l’œuvre de l’esprit couverte par ce droit ait vocation à être partagée avec le public. Ainsi, un architecte peut
décider de faire en sorte que son œuvre reste cachée par une clôture imposante. Pour autant, pourrait-on
considérer que l’œuvre de l’esprit n’est pas couverte par le droit d’auteur ?
147
3. La perpétuité du droit de propriété
177. Après avoir étudié le caractère perpétuel du droit de propriété (a), il conviendra de
l’envisager dans le cadre des droits de propriété intellectuelle (b).
a. Le caractère perpétuel du droit de propriété
178. Les significations. Dans son sens courant, le terme perpétuité exprime l’idée de « durée
infinie ou indéfinie »739. En matière de propriété, ce n’est pas dans ce sens que le terme
perpétuité doit être entendu, mais dans son sens juridique740. Deux acceptions de la perpétuité
doivent retenir l’attention.
La perpétuité du droit de propriété peut s’entendre du fait qu’il n’est pas limité dans le temps
et dure tant qu’existe la chose : « il n’est pas enfermé dans une durée plus courte, à la
différence de certains droits réels, comme l’usufruit, ou des droits personnels, souvent
affectés d’un terme »741. Le droit de propriété n’est pas un droit viager. En conséquence, la
perpétuité du droit de propriété implique qu’il ne s’éteint pas avec le décès de son propriétaire
et qu’il passe « de main en main et spécialement dans celle du ou des héritiers »742.
739
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995. Le terme perpétuel a plusieurs acceptions.
Il est entendu dans un premier temps comme : « destiné à durer autant que la vie de la personne concernée ». Le
terme perpétuel peut avoir un sens plus large : « Etabli à jamais au-delà du terme de la vie humaine : qui ne
s’éteint pas à la mort de son titulaire ». Il signifie également : « Qui ne s’éteint pas par le non-usage », G.
CORNU, Vocabulaire Juridique, Association Henri CAPITANT, PUF, 9e éd., 2011.
740
J. CARBONNIER, Droit civil. t. 3. Les biens, PUF, Thémis Droit privé, 19e éd., 2000, n° 68, p. 130. Pour
l’illustre auteur, le terme perpétuité pour la propriété ne doit pas être entendu dans un « sens vulgaire : les
propriétés, comme les civilisations, sont mortelles, constamment menacées du dedans (dégradation des sols,
destruction lente des immeubles bâtis, fragilité des meubles, etc.) et du dehors, par les forces sociales ».
741
P. MALAURIE et L. AYNÈS, Droit civil, les biens, Defrénois, 4e éd., 2010, n° 463, p. 138 ; G. RIPERT & J.
BOULANGER, Traité de droit civil, d’après le traité de Planiol, t. II, LGDJ, 1957, n° 2254, p. 790 ; C.
LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, t. II, Economica, 5 e éd., 2006, n° 250, p. 132 ; J.-L.
BERGEL, M. BRUSCHI & S. CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens, LGDJ, 2e éd., 2010, n° 98, p. 113 ; F.
ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 233, p. 379 ; C. CARON & H. LÉCUYER, Le
droit des biens, Dalloz, Connaissances du droit, 2002, p. 53 ; L. JOSSERAND, Cours de droit civil positif français,
t. 1, Théorie générale du droit et des droits Ŕ les personnes Ŕ la famille Ŕ La propriété et les autres droits réels
principaux, Sirey, 2e éd., 1932, n° 1507, p. 780. JOSSERAND voyait dans la perpétuité de la propriété une marque
de son absoluité : « Le droit de propriété est absolu dans sa durée ». V. également V. BONNET, La durée de la
propriété, R.R.J. 2002, n° 1, p. 273. Cet auteur parle de perpétuité objective.
742
Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 259, p. 367 ; J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI & S.
CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens, op. cit., n° 98, p. 113 ; L. JULLIOT DE LA MORANDIÈRE, Précis de
droit civil, publié d’après le Cours élémentaire de droit civil français de A. C OLIN et H. CAPITANT, t. II, Dalloz,
1957, n° 8, p. 3 ; G. CORNU, Droit civil. Les biens, Montchrestien, Coll. Domat droit privé, 13 éd., 2007, n° 32,
p. 76. Cette conception de la perpétuité a cependant été contestée. V. P. JOURDAIN, Les biens, Dalloz, Droit civil,
1995, n° 48, p. 59. Le Professeur JOURDAIN relève : « Il n’y aurait pas transmission du droit et la transmission
s’analyserait en l’abdication du cédant et une appréhension par l’acquéreur ou une investiture publique à son
profit qui créeraient un droit nouveau, ce qui amènerait à mettre en question le bien-fondé de la classification
des modes originaires et dérivés ». V. également, M. DE VAREILLES-SOMMIÈRES, La définition et la notion
juridique de la propriété, RTD civ. 1905, p. 443. V. également V. BONNET, La durée de la propriété, R.R.J. 2002,
n° 1, p. 273, spéc. p. 283. Cet auteur part du postulat que la propriété n’est pas un bien. Dès lors, « Chaque
148
La perpétuité peut signifier également que « le droit de propriété ne s’éteint pas avec le nonusage de la chose ; il n’y a pas à son endroit, de prescription extinctive »743. Le droit de
propriété serait perpétuel, car imprescriptible744.
C’est la réunion de ces deux significations qui fait que le droit de propriété doit être envisagé
comme perpétuel. Il n’a pas vocation à disparaître et peut exister éternellement tant que
l’objet existe. Si la perpétuité semble plus aisée à définir que le caractère absolu ou exclusif
du droit de propriété, elle fait pourtant l’objet de contestations quant à sa place dans le droit
de propriété.
179. La critique de la perpétuité. La perpétuité du droit de propriété est toujours présentée
comme étant l’un des caractères de la propriété au même titre que l’exclusivité et
l’absoluité745. Certaines voix se sont élevées néanmoins pour contester la place de la
perpétuité dans le droit de propriété. MOUSSERON relève ainsi que « plusieurs études
reconnaissent que la perpétuité n’est pas essentielle au droit de propriété »746. La conception
moderne de la propriété ne serait plus inséparable de l’idée de perpétuité. La perpétuité ne
serait pas de l’essence du droit de propriété.
Si l’idée de perpétuité de la propriété semble conforme au droit naturel, elle trouve cependant
sa justification dans l’utilité sociale et l’économie politique747. De ce fait, la durée du droit
serait fonction des buts poursuivis, impliquant que le droit de propriété n’ait pas un statut
transfert opère une extinction du rapport préexistant et naissance d’un rapport nouveau – même s’il est vrai que
cette succession d’extinctions et de naissances peut n’avoir pas de fin. Ce sont les biens qui sont transmis d’un
patrimoine à un autre ».
743
F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 7 e éd., 2006, n° 149, p. 143 ; P. JOURDAIN, Les
biens, op. cit., n° 49, p. 60 ; C. CARON & H. LÉCUYER, Le droit des biens, op. cit., p. 53 ; G. CORNU, Droit civil.
Les biens, op. cit., n° 32, p. 76. CORNU précise d’ailleurs que « si, en effet le droit de propriété échappe à la
prescription extinctive, il faut compter avec le jeu contraire de la prescription acquisitive qui a pu s’opérer en
faveur d’un tiers ». V. également V. BONNET, La durée de la propriété, R.R.J. 2002, n° 1, p. 273. Cet auteur
parle dans cette hypothèse de perpétuité subjective.
744
La caractère imprescriptible de la propriété n’est affirmé que depuis la réforme de la prescription opérée par
la loi du n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Ainsi, le nouvel article
2227 du Code civil dispose que : « Le droit de propriété est imprescriptible ».
745
P. MALAURIE et L. AYNÈS, Droit civil, les biens, op. cit., n° 461, p. 137 ; G. RIPERT & J. BOULANGER, Traité
de droit civil, op. cit., n° 2254, p. 790 ; C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, op. cit., n°
250, p. 132 ; J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI & S. CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens, op. cit., n° 97, p. 111 ;
C. CARON & H. LÉCUYER, Le droit des biens, op. cit., p. 53 ; F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, op.
cit., n° 148, p. 149 ; G. CORNU, Droit civil. Les biens, op. cit., 2007, n° 32, p. 76 ; Y. STRICKLER, Les biens, op.
cit., n° 259, p. 367 ; L. JULLIOT DE LA MORANDIÈRE, Précis de droit civil, op. cit., 1957, n° 8, p. 3.
746
J. M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse objective, LGDJ, Bibl. de
droit privé, t. 23, 1961, n° 250, p. 275. V. notamment, J. D ABIN, Les droits intellectuels comme catégorie
juridique, Rev. crit. de législ. et de juris., 1939, p. 413 et plus particulièrement n° 26 ; L. JOSSERAND, Cours de
droit civil positif français, t. 1, Théorie générale du droit et des droits Ŕ les personnes Ŕ la famille Ŕ La propriété
et les autres droits réels principaux, Sirey, 2e éd., 1932, n° 1512, p. 783.
747
M. CHAUFFARDET, Le problème de la perpétuité de la propriété, Étude de sociologie juridique et de droit
positif, Sirey, 1933, p. 303.
149
uniforme : « Le législateur se reconnaît donc le droit d’abolir la propriété lorsqu’elle lui
semble contraire au droit naturel ; il se permet aussi de la transformer pour l’adapter au bien
commun et même d’en faire naître de nouvelles formes qui ne sont perpétuelles ni en droit, ni
en fait »748.
En outre, il est affirmé que la propriété est perpétuelle contrairement aux autres droits réels,
tels que l’usufruit, qui n’ont pas vocation à l’être. Il s’agirait là d’un caractère original, propre
au droit de propriété749. Le droit de propriété n’est pourtant pas le seul droit réel à ne pas être
affecté par un terme : « la servitude est aussi perpétuelle que la propriété »750. Par
conséquent, « la propriété comme la servitude peuvent se concevoir aussi de manière
temporaire »751.
Les interrogations suscitées par le caractère perpétuel du droit de propriété ont toute leur
importance. Contrairement au caractère exclusif et absolu, il n’est pas question d’affirmer que
les droits de propriété intellectuelle sont perpétuels, mais de savoir si un droit temporaire et
prescriptible peut constituer un droit de propriété.
b. Le caractère temporaire des droits de propriété intellectuelle
180. Le caractère perpétuel du droit de propriété signifie qu’il n’est pas assorti d’un terme (i)
et qu’il est imprescriptible (ii). Il convient d’envisager ces deux aspects dans le cadre des
droits de propriété intellectuelle.
i. Le terme des droits de propriété intellectuelle
181. L’idée d’une propriété temporaire. Les droits de propriété intellectuelle sont des droits
qualifiés de temporaires752, limités dans le temps. Considérer que les droits de propriété
748
M. CHAUFFARDET, op. cit., p. 248.
C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, op. cit., n° 250, p. 132.
750
F. ZENATI, Essai sur la nature juridique de la propriété Ŕ Contribution à la théorie du droit subjectif, Thèse
Université Jean MOULIN, 1981, n° 60, p. 94.
751
F. ZENATI, op. cit., n° 60, p. 95.
752
Art. L. 611-2, 1° du Code de la propriété intellectuelle : « Les brevets d’invention, délivrés pour une durée de
vingt ans à compter du jour du dépôt de la demande » ; Art. L. 513-1 du Code de la propriété intellectuelle :
« L’enregistrement produit ses effets, à compter de la date de dépôt de la demande, pour une période de cinq
ans, qui peut être prorogée par période de cinq ans jusqu’à un maximum de vingt-cinq ans ». ; Art. L. 123-1 du
Code de la propriété intellectuelle : « L’auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d’exploiter son œuvre sous
quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire. Au décès de l’auteur, ce droit persiste au
bénéficiaire de ses ayants droit pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent ». ; Art. L.
712-1 du Code de la propriété intellectuelle : « La propriété de la marque s’acquiert par l’enregistrement. La
marque peut être acquise en copropriété. L’enregistrement produit ses effets à compter de la date de dépôt de la
demande pour une période de dix ans indéfiniment renouvelable ».
749
150
intellectuelle sont des droits de propriété, c’est admettre le concept des propriétés temporaires.
Plusieurs arguments ont été avancés dans le sens d’une telle admission.
182. Une durée en fonction de l’utilité de la chose. Afin d’accueillir l’idée de propriétés
temporaires, certains auteurs ont été amenés à considérer que la durée du droit devait être
fonction de l’utilité de la chose, objet du droit. Pour les propriétés intellectuelles, « la durée
légale du monopole serait liée à la persistance des utilités économiques du bien, lesquelles
seraient en général assez vite frappées d’obsolescence »753. La précarité du droit de propriété
intellectuelle s’expliquerait donc par la précarité de son objet754 : « Un objet temporaire ne
peut appeler de droit perpétuel »755. La disparition progressive de la valeur économique d’une
invention permettrait de justifier la durée limitée du droit. Cet argument ne semble cependant
pas satisfaire la doctrine756. S’il est vrai que de nombreuses inventions ou œuvres ont une
utilité limitée dans le temps « le phénomène est loin d’être général et les plus importantes
d’entre elles pourraient être exploitées avec profit bien au-delà du monopole légal »757.
183. L’indépendance du droit vis-à-vis de son objet. D’autres auteurs ont préféré invoquer
l’indépendance du droit vis-à-vis de son objet. Le droit de propriété tendrait « à se dégager de
la chose sur laquelle elle porte »758. L’objet du droit serait doué d’une existence propre
permettant d’admettre l’idée de la propriété temporaire759. Lorsque le droit de propriété porte
sur une chose corporelle, il lui est intimement lié. La disparition de la chose corporelle
entraîne nécessairement la disparition du droit. Pour les choses incorporelles, l’incorporation
du droit à la chose est moindre. La relation entre le droit et la chose incorporelle est beaucoup
plus complexe. Ceci peut expliquer que le droit de propriété « vive sa vie », « laquelle sera
753
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2e éd., 2011, n° 27, p.
13.
754
J. M. MOUSSERON, J. RAYNARD & T. REVET, De la propriété comme modèle, in Mélanges offerts à A.
COLOMER, Litec, 1993, p. 281, n° 29.
755
J. M. MOUSSERON, Le droit du breveté d’invention Ŕ Contribution à une analyse objective, LGDJ, Bibl. de
droit privé, t. 23, 1961, n° 167, p. 196. V. également, P. R OUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey,
1952, n° 21, p. 97. Comme le note l’illustre auteur, « il est seulement le fruit d’un travail personnel, et ne peut
fonder qu’un droit temporaire au profit du créateur. Parce que l’objet auquel il s’applique naît à un moment de
la durée, le droit est limité dans la durée, car, dans un délai assez bref, la création cessera d’être originale, et
perdra ainsi, ce qui faisait toute sa valeur ».
756
V. notamment, F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 27, p. 13.
757
F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 27, p. 13. V. également, V. BONNET, La durée de la propriété, R.R.J. 2002,
n° 1, p. 273, spéc. n° 45.
758
L. JOSSERAND, Configuration du droit de propriété dans l’ordre juridique nouveau, in Mélanges juridiques
dédiés à M. le Professeur SUGIYAMA, Sirey, 1940, p. 95, spéc. p. 100.
759
L. JOSSERAND, préc., spéc. p. 100.
151
parfois plus courte que celle de son objet »760. L’idée même de la propriété temporaire
pourrait donc germer761.
184. Le caractère temporaire justifié par l’intérêt général. Il est également possible de
trouver une justification au caractère temporaire dans l’intérêt général. Le Professeur
POLLAUD-DULIAN relève que « le législateur qui est fondé à exproprier pour cause d’utilité
publique n’importe quel propriétaire est « a fortiori » fondé à réduire dans le temps, pour
tenir compte de tels intérêts, le droit de propriété qu’il organise au profit des auteurs et des
inventeurs »762. La limitation du caractère perpétuel du droit de propriété serait proche de la
limitation du caractère absolu763. La limitation de la perpétuité se trouverait par conséquent
également justifiée par l’article 544 du Code civil qui dispose que l’on peut jouir de son droit
de propriété de la manière la plus absolue qui soit, « pourvu qu’on n’en fasse pas un usage
prohibé par les lois ou par les règlements ». La perpétuité, pouvant être envisagée comme
contribuant à l’absoluité du droit de propriété764, peut dès lors faire l’objet de limitations
justifiées par des intérêts supérieurs.
Si dans le cadre de la propriété classique, cette limitation peut se faire a posteriori765, elle est
prévue ab initio pour les droits de propriété intellectuelle. Par conséquent, « la prise en
compte de ces intérêts collectifs peut s’opérer avec plus ou moins d’intensité, ce qui explique
760
L. JOSSERAND, op. cit., spéc. p. 100.
En sus des propriétés intellectuelles, est également souvent cité au titre des propriétés temporaires le droit de
superficie « qui est naturellement perpétuel, mais le plus souvent établi à titre temporaire ». L. JOSSERAND,
Cours de droit civil positif français, t. 1, Théorie générale du droit et des droits Ŕ les personnes Ŕ la famille Ŕ La
propriété et les autres droits réels principaux, Sirey, 2 e éd., 1932, n° 1512, p. 783. Une doctrine importante
considère le droit de superficie comme étant une propriété temporaire. V. ainsi, M. PLANIOL, Traité élémentaire
de droit civil, t. 1, LGDJ, 11e éd., 1928, n° 2330, p. 753 ; C. AUBRY & C. RAU, Droit civil français, t. II, 7ème éd.
par P. ESMEIN, Litec, 1961, n° 144, p. 244 ; P. JOURDAIN, Les biens, Dalloz, Droit civil, 1995, n° 50, p. 62 ; F.
ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 233, p. 379 ; P. MALAURIE & L. AYNÈS,
Droit civil, les biens, Defrénois, 4e éd., 2010, n° 207, p. 62. La jurisprudence semble également considérer le
droit de superficie comme un droit de propriété : Cass. req., 16 déc. 1873, D.P. 1874, I, 457, note Labbe ; Cass.
req., 26 avril 1906, S., 1906, I, 256 ; Cass. civ. 1ère, 1er déc. 1963, Bull. civ. III, n°564 ; Cass. civ. 3ème, 6 mars
1991, Bull. civ., III, n° 84, p. 50. Néanmoins, la nature juridique fait l’objet de vifs débats. V. E. SENNÉ, « La
propriété temporaire » : un révélateur des caractères de la propriété, R.R.J. 2005, n° 4, I, p. 1821 et plus
particulièrement p. 1832 et s. : « la nature juridique du droit de superficie fait l’objet de diverses analyses
doctrinales : certains y voient un droit réel sur la chose d’autrui, d’autres un droit dualiste composé d’un droit
de construire sur le sol d’autrui et d’un droit de propriété sur les constructions, d’autres encore un droit
personnel qui se transformerait en droit réel avec les constructions ». V. notamment sur une contestation du
droit de superficie comme étant un droit de propriété, G. R IPERT & J. BOULANGER, Traité de droit civil, d’après
le traité de PLANIOL, t. II, LGDJ, 1957, n° 2256, p. 791. Pour ces auteurs, il s’agit d’un droit réel particulier.
762
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 27, p.
14.
763
Cf. supra n° 167.
764
L. JOSSERAND, Cours de droit civil positif français, op. cit., n° 1507, p. 780. Comme le note l’illustre auteur,
« le droit de propriété est absolu dans sa durée ».
765
V. sur cette question, M. CHAUFFARDET, Le problème de la perpétuité de la propriété, Étude de sociologie
juridique et de droit positif, Sirey, 1933, p. 187.
761
152
que le choix de la durée est quelque peu arbitraire et peut varier avec les époques, sans qu’il
puisse cependant spolier entièrement le propriétaire des fruits de son travail »766. Le
caractère temporaire du brevet s’expliquerait notamment par la mise en balance de la
propriété intellectuelle avec le principe de la liberté du commerce et de l’industrie. À
l’inverse, en matière de marque, il semble qu’ « aucun intérêt collectif ne justifie une
limitation temporelle du droit et il est donc laissé à l’appréciation de ses titulaires successifs
de la conserver perpétuellement ou d’en faire un abandon »767.
Deux explications satisfaisantes permettraient donc de justifier le caractère des droits de
propriété intellectuelle. L’une concerne la flexibilité du droit de propriété permettant
notamment son adaptation aux choses incorporelles. L’autre concerne la prise en
considération de l’intérêt général par le législateur. Quid de la prescriptibilité ?
ii. La prescriptibilité des droits de propriété intellectuelle
185. L’idée d’une imprescriptibilité des droits de propriété intellectuelle. Un auteur768 a
tenté de démontrer que les propriétés intellectuelles étaient imprescriptibles au même titre que
la propriété ordinaire. Il relève que « le droit d’exploitation d’une œuvre littéraire et artistique
est, selon la Cour de cassation, imprescriptible. Il en va de même des dessins et modèles »769.
En outre, concernant les brevets, en application de l’article L. 613-11770 du Code de la
propriété intellectuelle, la sanction de la non-exploitation du brevet n’étant pas la perte du
droit, mais l’octroi d’une licence obligatoire, il serait possible d’affirmer que les brevets ne se
prescrivent pas par le non-usage771. S’agissant des marques, la question est plus délicate.
766
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 27, p. 14.
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 27, p. 14.
768
E. SENNÉ, « La propriété temporaire » : un révélateur des caractères de la propriété, R.R.J. 2005, n°4, I, p.
1821.
769
E. SENNÉ, « La propriété temporaire » : un révélateur des caractères de la propriété, R.R.J. 2005, n° 4, I, p.
1821 et plus particulièrement p. 1838. V. pour le droit d’auteur, Cass. civ. 1 ère, 13 nov. 1973, D. 1974, juris., p.
533, note C. COLOMBET, V. pour les dessins et modèles F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle,
op. cit., n° 1103, p. 598.
770
Art. L. 613-11 du Code de la propriété intellectuelle : « Toute personne de droit public ou privé peut, à
l'expiration d'un délai de trois ans après la délivrance d'un brevet, ou de quatre ans à compter de la date du
dépôt de la demande, obtenir une licence obligatoire de ce brevet, dans les conditions prévues aux articles
suivants, si, au moment de la requête, et sauf excuses légitimes, le propriétaire du brevet ou son ayant cause : a)
N'a pas commencé à exploiter ou fait des préparatifs effectifs et sérieux pour exploiter l'invention objet du brevet
sur le territoire d'un État membre de la Communauté économique européenne ou d'un autre État partie à
l'accord sur l'Espace économique européen. b) N'a pas commercialisé le produit objet du brevet en quantité
suffisante pour satisfaire aux besoins du marché français. Il en est de même lorsque l'exploitation prévue au a)
ci-dessus ou la commercialisation prévue au b) ci-dessus a été abandonnée depuis plus de trois ans ».
771
E. SENNÉ, « La propriété temporaire » : un révélateur des caractères de la propriété, préc., spéc. p. 1838.
767
153
L’article L. 714-5772 du Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’un défaut d’usage
sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans est sanctionné par la déchéance.
Cependant, cette déchéance doit être sollicitée par tout tiers intéressé. Cet absence
d’automatisme de la déchéance permettrait d’affirmer que le droit de marque ne se perd pas
par le non-usage : « le simple non-usage de la chose pendant un certain temps n’entraîne pas
la perte du droit si bien qu’il ne peut s’agir d’une réelle prescription »773. L’action étant à
l’initiative des tiers, le temps ne serait donc pas seul suffisant pour faire perdre le droit774.
Les propriétés intellectuelles seraient donc à l’instar des propriétés ordinaires des droits
imprescriptibles.
186. La prescriptibilité des droits de propriété intellectuelle. Bien que l’admission de
l’imprescriptibilité des droits de propriété intellectuelle puisse faciliter notre démarche, il
semble difficile d’abonder dans ce sens. En effet, l’article 2227 du Code civil dispose
clairement que la propriété est un droit imprescriptible, signifiant par là que l’inaction du
titulaire du droit ne peut être directement sanctionnée. Or, en matière de propriété
intellectuelle, l’inaction du titulaire est sanctionnée que cela soit en matière de brevet par le
jeu des licences obligatoires ou en matière de marque par la déchéance.
En outre, l’action en contrefaçon, qui traduit le caractère exclusif des droits de propriété
intellectuelle775, n’est pas une action imprescriptible ; elle se prescrit par trois ans à compter
de la commission des faits776.
En conséquence, les droits de propriété intellectuelle ne peuvent être envisagés comme des
droits imprescriptibles. Il convient dès lors de s’interroger sur la place de l’imprescriptibilité
dans le droit de propriété. Son absence doit-elle entraîner une disqualification du droit de
propriété ?
772
Art. L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle : « Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de
la marque qui, sans juste motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour des produits et services visés dans
l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».
773
E. SENNÉ, « La propriété temporaire » : un révélateur des caractères de la propriété, préc., p. 1821 et plus
particulièrement p. 1838.
774
E. SENNÉ, préc., spéc. p. 1838.
775
Cf. supra n° 175.
776
V. en matière de dessins et modèles, l’article L. 521-3 du Code la propriété intellectuelle dispose : « L’action
civile en contrefaçon se prescrit par trois ans à compter des faits qui en sont la cause ». V. en matière de
bevrets, l’article L. 615-8 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « Les actions en contrefaçon prévues
par le présent chapitre sont prescrites par trois à compter des faits qui en sont la cause ». V. en matière de
marque, l’article L. 716-5, alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « L’action en contrefaçon se
prescrit par trois ans ». Il convient de noter qu’en matière de droit d’auteur, le Code de la propriété intellectuelle
est resté muet sur la question de la prescription de l’action en contrefaçon. Mais la Cour de cassation s’est
prononcée en faveur de l’imprescriptibilité. V. Cass. Civ., 1 re ch., 6 mai 1997, RIDA, octobre 1997, p. 231 et
obs. A. KÉREVER, p. 189. V. sur cette question F. P OLLAUD-DULIAN, Le droit d’auteur, Economica, coll. Corpus
droit privé, 2005, n° 1305, p. 769.
154
187. La relativité de l’imprescriptibilité. L’assertion selon laquelle le droit de propriété est
imprescriptible doit être relativisée. S’il est vrai que le droit de propriété ne peut se perdre par
le non-usage, il peut cependant se perdre par l’usage que fait un tiers du bien qui aurait été
délaissé par son véritable propriétaire. La prescription acquisitive au profit du possesseur peut
paralyser l’action en revendication intentée par le véritable propriétaire777. L’imprescriptibilité
de la propriété est limitée par la prescription acquisitive d’un tiers qui a pour conséquence de
faire disparaître les droits du titulaire antérieur778.
Le principe de l’imprescriptibilité est également tempéré par la rédaction de l’alinéa second
de l’article 2276 du Code civil relatif à la possession en matière mobilière. Il prévoit que
« celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans, à
compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ». Il
s’agit d’une exception à la règle de l’imprescriptibilité de l’action en revendication en matière
de meuble corporel dans l’hypothèse où le possesseur est de bonne foi et à la condition
exclusive que les meubles revendiqués aient été volés ou perdus779. Si cette exception n’a pas
vocation à être transposée aux droits de propriété intellectuelle, elle démontre néanmoins le
caractère tangible du principe d’imprescriptibilité.
188. L’imprescriptibilité contribuant à l’absoluité du droit de propriété. Nous avons
observé qu’une large partie de la doctrine associe perpétuité et imprescriptibilité780, ou plutôt,
que
l’imprescriptibilité
contribue
au
caractère
perpétuel
du
droit
de
propriété.
L’imprescriptibilité aurait fini par devenir une illustration de la perpétuité du fait qu’elles
« expriment toutes les deux une certaine durabilité du droit dans le temps »781. Pourtant,
777
C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, t. II, Economica, 5 e éd., 2006, n° 257, p. 135.
Les Professeurs ZENATI-CASTAING et REVET considèrent que seule l’action en revendication est éteinte à
compter de l’entrée en possession. Le propriétaire ne serait pas dépossédé du fait de la prescription acquisitive
opérée par le possesseur : « le propriétaire dépossédé conserve théoriquement son droit 5 (...) : celui qui a laissé
autrui posséder sa chose a, en agissant de la sorte, exercé son droit de propriété, dont il ne saurait, par la suite,
être dépossédé », F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 234, p. 381
779
V. T. LAMARCHE, L’imprescriptibilité et le droit des biens, RTD civ., 2004, p. 403 et plus particulièrement n°
10. Le caractère prescriptible de l’action en revendication mobilière a fait l’objet de controverses. Mais la Cour
de cassation a reconnu le caractère imprescriptible de l’action en revendication mobilière, sous réserve de
l’exception prévue à l’article 2276, alinéa du Code civil. .V Cass. Civ., 1 ère ch., 2 juin 1993, D. 1994, 582, note
FAUVARQUE-COSSON ; RTD civ. 1994, p. 389, obs. F. ZENATI.
780
V. notamment, F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8e éd., 2010, n° 148, p. 149 ; P.
JOURDAIN, Les biens, Dalloz, Droit civil, 1995, n° 49, p. 60 ; C. CARON & H. LÉCUYER, Le droit des biens,
Dalloz, Connaissances du droit, 2002, p. 53 ; G. CORNU, Droit civil. Les biens, Montchrestien, Coll. Domat droit
privé, 13 éd., 2007, n° 32, p. 76.
781
T. LAMARCHE, L’imprescriptibilité et le droit des biens, préc., spéc. n° 4.
778
155
l’imprescriptibilité et la perpétuité pourraient être envisagées séparément et ne devraient pas
« être confondues »782.
Un droit subjectif, comme l’usufruit, peut être limité dans le temps, sans souffrir d’une
quelconque absence d’exercice pendant plus de trente ans. À l’inverse, il est des droits, tels
que les servitudes, qui peuvent s’éteindre par le non-usage, mais qui sont perpétuels en ne
s’éteignant pas à la mort du titulaire. La perpétuité stricto sensu « appréhende la longévité du
droit lui-même, de façon proprement objective, transcendant les rapports avec son titulaire,
notamment au regard de sa capacité à perdurer en se transmettant de sujet de droit à sujet de
droit, tout en conservant son identité »783, tandis que l’imprescriptibilité « pose le problème
de savoir comment les droits subjectifs sont affectés par leur utilisation ou leur absence
d’utilisation »784. Envisagée ainsi, l’imprescriptibilité ne renverrait pas à l’idée de perpétuité,
mais résulterait du caractère absolu du droit de propriété, ce caractère justifiant « que son
titulaire ait la liberté de ne rien faire de son bien »785. Le droit de propriété serait un droit
imprescriptible du fait de son absoluité, permettant à son titulaire d’user de son bien, mais
aussi de ne pas s’en servir786. La jurisprudence semble également abonder dans ce sens787. En
d’autres termes, l’imprescriptibilité « n’est donc pas un aspect de la perpétuité de la
propriété, mais une conséquence du caractère absolu de la propriété »788.
Dès lors, si le droit de propriété est un droit absolu et, partant, imprescriptible, il n’en est pas
moins susceptible d’être limité par la prise en compte d’intérêts supérieurs. L’exception
prévue à l’article 2276 du Code civil serait justifiée par le souci de garantir la sécurité
juridique. Dans le même sens, la prescriptibilité des droits de propriété intellectuelle serait
justifiée par l’intérêt général. En matière de marque, il s’agit par exemple du principe de libre
concurrence, la déchéance pour absence d’usage sérieux de la marque visant à sanctionner
une réservation injustifiée pouvant fausser le jeu de la concurrence.
782
T. LAMARCHE, préc., spéc. n° 4.
T. LAMARCHE, préc., spéc. n° 3.
784
T. LAMARCHE, préc., spéc. n° 3.
785
F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 7e éd., 2006, n° 149, p. 143 ; E. SENNÉ, « La
propriété temporaire » : un révélateur des caractères de la propriété, R.R.J. 2005, n° 4, I, p. 1822, n° 5 ; V.
BONNET, La durée de la propriété, R.R.J. 2002, n° 1, p. 273, spéc., n°20.
786
V. BONNET, préc., spéc. n°20. V. également, C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, t.
II, Economica, 5e éd., 2006, n° 254, p. 134.
787
V. notamment Cass. civ., 3ème ch., 22 juin 1983, JCPG 1986, II, 20565 note J.-F BARBIERI.
788
E. SENNÉ, op. cit., n° 3, p. 1822.
783
156
189. L’absence de disqualification. Au regard des précédents développements, il semble que
la perpétuité soit un élément « contingent »789 de la propriété et ne constitue pas un élément
essentiel de la propriété790. Il serait plus opportun de parler « de vocation à la perpétuité du
droit de propriété plutôt que de son caractère perpétuel »791.
En conséquence, le caractère temporaire des droits de propriété intellectuelle n’est pas un
élément décisif pouvant disqualifier ces droits en de simples monopoles d’exploitation.
190. Outre le fait que les titulaires des droits de propriété intellectuelle bénéficient de toutes
les prérogatives attachées à la propriété ordinaire, que sont l’usus, le fructus et l’abusus, il
apparaît également que les droits de propriété intellectuelle sont des droits absolus et
exclusifs, permettant de considérer qu’ils sont des droits de propriété. Quant au caractère
perpétuel, il importe peu quant à la qualification du droit. PORTALIS soulignait ainsi que le
droit de propriété « peut-être plus ou moins limité dans ses effets sans changer de nature. La
nécessité d’apporter des conditions dans la jouissance n’entraîne point celle de dénaturer le
titre qui donne droit à cette jouissance. On peut être propriétaire à temps, propriétaire grevé
d’un usufruit, d’un droit d’usage…On n’en est pas moins propriétaire. Rien n’empêche donc
que l’auteur qui possède un droit exclusif sur ses ouvrages pendant toute la durée de sa vie,
que son héritier ou son représentant qui en jouira pendant trente ans après la mort de celui
qu’il représente, ne possèdent ce droit à titre de propriété. Pourquoi donc, contre la vérité
des choses, les réduire à la condition de concessionnaire et les placer hors du droit commun.
C’est une erreur et une faute »792.
Les droits de propriété intellectuelle doivent être appréhendés comme des droits de propriété
« mettant leurs titulaires en contact direct avec l’objet de leurs prérogatives et qui sont
opposables à tous »793. Pour autant, ils n’en demeurent pas moins des propriétés spéciales794.
789
J. M. MOUSSERON, J. RAYNARD & T. REVET, De la propriété comme modèle, in Mélanges offerts à A.
COLOMER, Litec, 1993, p. 281, n° 28 et 29. Ces auteurs soulignent la contingence de la durée perpétuelle
associée au modèle que constitue le droit de propriété, mais vont plus loin en dénonçant son caractère inexact. V.
également sur ce sujet, S. GUTIERREZ-LACOUR, Le temps dans les propriétés intellectuelles. Contribution à
l’étude du droit des créations, Litec, Bibl. du droit de l’entreprise, t. 65, 2004, n° 367, p. 218 ; E. SENNÉ, « La
propriété temporaire » : un révélateur des caractères de la propriété, op. cit., spéc. n° 33 et 34.
790
S. ALMA-DELETTRE, La nature juridique des droits de propriété intellectuelle, in Propriété intellectuelle et
droit commun, PUAM, Institut du droit des affaires, 2007, p. 25, spéc. n° 9.
791
C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, t. II, Economica, 5 e éd., 2006, n° 258, p. 136.
792
Discussion générale sur le projet de loi relatif à la propriété littéraire, par MM. le Comte PORTALIS, Felix
FAURE, le Baron PELET (de la Lozère), le Ministre de l’instruction publique, GIROD (de l’Ain), le Baron
MOUNIER, le rapporteur COUSIN et le Président BOYER, Séance de la chambre des Pairs du 25 mai 1839.
793
L. JOSSERAND, Configuration du droit de propriété dans l’ordre juridique nouveau, in Mélanges juridiques
dédiés à M. le Professeur SUGIYAMA, Sirey, 1940, p. 95, spéc. p. 100.
794
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 11, p. 12.
157
II. La spécificité des droits de propriété intellectuelle
191. Les degrés de propriété. Aujourd’hui, une grande partie de la doctrine tend à
reconnaître que « la propriété se révèle une qualification assurément apte à traduire la nature
de la relation unissant le titulaire du droit de propriété intellectuelle à sa création »795. Déjà
au début du vingtième siècle, VAREILLE-SOMMIERES soulignait l’indifférence de telles
limitations : « la propriété n’est pas un droit d’étendue immuable. C’est un droit d’étendue
variable, susceptible d’atteindre un maximum (…), susceptible d’être réduit à quelques
chances lointaines. Quand il atteint son maximum, on dit que la propriété est complète ou
parfaite. Quand il ne l’atteint pas, on dit qu’elle est incomplète ou imparfaite (…). Mais
chose remarquable, la propriété incomplète, tout autant que la propriété complète, est la
propriété et la propriété entière »796. Il y aurait des degrés de propriété et la propriété
intellectuelle ne devrait pas être perçue comme une propriété complète ou parfaite. La
doctrine n’hésite d’ailleurs pas à envisager le droit de propriété intellectuelle comme une
propriété spéciale797.
192. Une propriété spéciale. La propriété intellectuelle est spéciale à plus d’un titre : « elle
est soumise à un grand nombre de règles spéciales développées (…) qui déterminent en détail
pour chaque type de droit, les conditions d’attribution, de validité et de maintien en vigueur
795
S. ALMA-DELETTRE, La nature juridique des droits de propriété intellectuelle, in Propriété intellectuelle et
droit commun, PUAM, Institut du droit des affaires, 2007, p. 25, spéc. n° 9. V. notamment, J. M. MOUSSERON, J.
RAYNARD & T. REVET, De la propriété comme modèle, in Mélanges offerts à A. COLOMER, Litec, 1993, p. 281 ;
A. CHAVANNE & J.-J. BURST, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, 5ème éd., 1998, n° 2, p. 1 ; F.
ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 85, p. 137 ; J. PASSA, Traité de droit de la
propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 11, p.
12 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 31,
p. 16 ; J. RAYNARD, Droit d’auteur et conflits de lois. Essai sur la nature juridique du droit d’auteur, Litec, Bibl.
du droit de l’entreprise, t. 26, 1990 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz,
Précis, Droit privé, 6e éd., 2006, n° 2, p. 1 ; J. FOYER & M. VIVANT, Le droit des brevets, PUF, Coll. Thémis
droit, 1991, p. 265 ; Y. STRICKLER, Les biens, PUF, Thémis droit, 2006, n° 63, p. 101. V. également une doctrine
plus ancienne, J. LUCIEN-BRUN, Marques de fabrique et de commerce, Droit français, droit comparé, droit
international, Paris, Librairie de la société du recueil général des lois et des arrêts, 2ème éd., 1897, n° 9, p. 12 ; E.
POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, LGDJ, Marchal &
Billard, 6 éd., 191, n° 135, p. 131 ; E. POUILLET, Traité théorique et pratique des brevets d’invention et des
secrets de fabrique, LGDJ, Marchal & Billard, 6 ème éd., 1915, Introduction ; A. LABORDE, Traité théorique et
pratique des marques de fabrique et de commerce, Sirey, 1914, n° 96, p. 79.
796
M. DE VAREILLES-SOMMIERES, La définition et la notion juridique de la propriété, RTD civ. 1905, IV, p. 443,
spéc. n° 6 et 7. V. également R. LIBCHABER, La recodification du droit des biens, in Le code civil. Livre du
bicentenaire. 1804 - 2004, Dalloz, 2004, p. 297. Le Professeur LIBCHABER arrive également à la même
conclusion : « En tant que relation de principe entre les personnes et les biens, la propriété est apte à saisir les
obligations comme les œuvres de l’esprit. À condition de ne pas tomber dans l’erreur fréquente qui consiste à
assigner un régime fixe, prédéterminé, aux effets de cette propriété (…). Parce que la propriété est avant tout un
cadre de référence, elle peut gouverner les relations aux biens les plus divers ; parce que ses objets diffèrent
entre eux, le régime juridique de la propriété variera pour s’adapter spécifiquement à chacun d’eux », n° 14.
797
V. J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 11, p. 12.
158
du droit, l’étendue et les modalités de la protection qui lui est attachée ou encore le statut des
contrats dont il peut être l’objet »798.
Le recours au Code civil est rare799 et les droits de propriété intellectuelle sont soumis aux
règles spéciales du Code portant le même nom
qui envisagent les diverses modalités
permettant aux titulaires de choses incorporelles de se voir reconnaître un droit de
propriété800. Un inventeur peut bénéficier d’un brevet sur son invention à la condition qu’elle
soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application
industrielle801. Une marque quant à elle peut être enregistrée et bénéficier d’une protection au
titre du droit de marque à la condition qu’elle soit licite802, distinctive803 et disponible804. La
spécificité des droits de propriété intellectuelle concerne également les limitations dont ils
peuvent faire l’objet.
En sus, si le droit de propriété est limité a posteriori, tel n’est pas nécessairement le cas des
droits de propriété intellectuelle qui voient leur caractère absolu et perpétuel limité ab initio.
Le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle bénéficie en outre d’une action spécifique
permettant de protéger son droit : l’action en contrefaçon. Présentée par certains comme une
véritable action en revendication805, elle apparaît cependant comme une « forme particulière
d’action en revendication »806, justifiée notamment par le caractère incorporel de l’objet du
droit. Elle constitue également un moyen de réparer le préjudice sur la base d’éléments qui ne
sont pas pris en compte dans la propriété classique807.
798
J. PASSA, op. cit., n° 11, p. 14.
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 38, p. 20.
800
J. PASSA, op. cit., n° 11, p. 14.
801
Art. L. 611-10, alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle.
802
Art. L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle.
803
Art. L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle.
804
Art. L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle.
805
J. FOYER & M. VIVANT, Le droit des brevets, PUF, Coll. Thémis droit, 1991, p. 330.
806
J. RAYNARD, Droit d’auteur et conflits de lois. Essai sur la nature juridique du droit d’auteur, Litec, Bibl. du
droit de l’entreprise, t. 26, 1990, p. 333, n° 174, p. 161.
807
La Directive 2004/48/CE du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits
de propriété intellectuelle permit l’introduction d’un système d’indemnisation propre aux droits de propriété
intellectuelle. L’article 13 prévoit ainsi que les dommages et intérêts peuvent être fixés en tenant compte
notamment des bénéfices injustement réalisés par le contrevenant. Il prévoit également qu’à titre d’alternative,
les juges peuvent décider, dans des cas appropriés, de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la
base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant
avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question. V. sur cette question, C.
RODÀ, Les conséquences civiles de la contrefaçon des droits de propriété industrielle (Droit français, belge,
luxembourgeois, allemand, anglais), Thèse Strasbourg, sous la direction de J. SCHMIDT-SZALEWSKI, 2010, n°
288, p. 255.
799
159
193. Si les droits de propriété intellectuelle ne peuvent être assimilés à des droits de propriété
« ordinaires », ils n’en constituent pas moins des droits de propriété « spéciaux et
autonomes ».
Section 2. La fonction patrimoniale encadrée par l’objet du droit de marque
194. Dans sa quête de l’objet spécifique et de la fonction de la marque, la Cour de justice a eu
l’occasion très tôt de souligner que le droit de marque permet « d’assurer au titulaire le droit
exclusif d’utiliser la marque, pour la première mise en circulation d’un produit, et de le
protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation
de la marque en vendant des produits indûment pourvus de cette marque »808. Par cette
formule, la Cour de justice consacra la fonction d’exclusivité du droit de marque.
En tant que droit de propriété, le droit de marque devait se voir reconnaître une telle fonction
(§ 1). Il s’agit d’une fonction consubstantielle au droit de propriété qui apparaît comme
primordiale pour le droit de marque. L’aspect spécial de ce droit de propriété impliquait que
sa fonction soit particulière. Il s’agit d’une fonction d’exclusivité limitée (§ 2).
§ 1. Une fonction d’exclusivité
195. Si la fonction d’exclusivité est consubstantielle au droit de propriété (I), elle apparaît
surtout comme la clef de voûte du droit des marques, l’ensemble du système s’articulant
autour d’elle (II).
I. Une fonction consubstantielle au droit de propriété
196. La polyvalence du droit de propriété. Contrairement à la fonction du droit de marque,
il apparaît qu’en matière de propriété ordinaire, cette question ne soulève que peu de
développements. Pourtant, « dans une perspective fonctionnelle, le droit de propriété est
polyvalent, voire polysémique »809. Le droit de propriété peut ainsi apparaître comme « un
stimulant économique »810. Il permettrait d’accroître la production. Il constituerait également
« un facteur d’éducation morale et civique »811 dans la mesure où il serait « une garantie de
808
CJCE, 31 oct. 1974, aff. n° 16/74, Sté Centrafarm B.V et Adriaan de Peijper c. Sté Winthrop B.V, Rec. 1974,
p. 1183, pt. 8.
809
E. OOSTERLYNCK, Propriété. Ŕ Eléments. Caractères. Limitations, J.- Cl. Civil Code, art 544, Fasc. n° 10,
2008, n° 5.
810
E. OOSTERLYNCK, préc., n° 5.
811
E. OOSTERLYNCK, préc., n° 5.
160
liberté et un élément indispensable à l’instauration d’un ordre social authentique »812. Le
droit de propriété pourrait aussi être perçu comme « une garantie de la liberté
individuelle »813 qui par sa réalisation assurerait « l’épanouissement de la personnalité et
l’autonomie de la personne »814. Il aurait en outre pour certains une fonction sociale815. Enfin,
il pourrait jouer le rôle de sûreté « lorsqu’il est affecté au remboursement d’une dette »816.
Toutes ces fonctions occultent sans aucun doute, la fonction principale de la propriété, celle
pour laquelle on la recherche : la fonction d’exclusivité. Cette fonction appelle deux
conséquences817. La première est que le titulaire du droit de propriété se voit réserver toutes
les utilités du bien (A). La seconde est que le titulaire se voit offrir la faculté d’exclure les
tiers qui souhaiteraient bénéficier des utilités du bien (B).
A. La réservation de toutes les utilités du bien
197. Le bénéfice exclusif de toutes les utilités de la chose. Si la doctrine s’est faite discrète
sur la fonction du droit de propriété, c’est sans doute qu’il s’agissait d’une évidence : le droit
de propriété permet au titulaire de réserver toutes les utilités de la chose818. En d’autres
termes, le propriétaire bénéficie de manière exclusive des différentes utilités du bien lui
appartenant. Plus encore, le titulaire bénéficie d’une exclusivité dans l’exercice absolu de son
droit. C’est là que réside la première fonction du droit de propriété « ordinaire » que l’on
retrouve en filigrane dans la doctrine819. Le droit de propriété a une fonction
« individuelle »820. Se voyant réserver toutes les possibilités d’agir sur la chose, le propriétaire
peut choisir « de les cumuler, pour laisser son bénéficiaire sans concurrent direct »821.
Cette réservation « totale » des utilités concerne non seulement « l’utilité naturelle de la
chose »,822 mais également « l’utilité civile de la chose »823. Le propriétaire peut utiliser son
812
E. OOSTERLYNCK, préc., n° 5.
E. OOSTERLYNCK, préc., n° 5.
814
E. OOSTERLYNCK, préc., n° 5.
815
V. notamment sur cette question, F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8e éd., 2010,
n° 117, p. 123.
816
E. OOSTERLYNCK, préc., n° 5.
817
R. LIBCHABER, La recodification du droit des biens, in Le code civil. Livre du bicentenaire. 1804 - 2004,
Dalloz, 2004, p. 297, spéc. p. 309.
818
C. ATIAS, Droit civil Ŕ Les biens, Litec, 11e éd., 2011, n° 102, p. 88.
819
V. notamment, F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8e éd., 2010, n° 117, p. 123 ; F.
ZENATI-CASTAING, La propriété, mécanisme fondamental du droit, RTD civ. 2006, p. 445 ; C. ATIAS, Droit civil
Ŕ Les biens, Litec, 11e éd., 2011, n° 95, p. 81 ; F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF,
2008, n° 208, p. 332 ; R. LIBCHABER, La recodification du droit des biens, préc., p. 297, spéc. p. 308 et 309 ; M.
DE VAREILLES-SOMMIÈRES, La définition et la notion juridique de la propriété, RTD civ. 1905, p. 443.
820
F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. op. cit., n° 117, p. 123
821
C. ATIAS, Droit civil Ŕ Les biens, op. cit., n° 102, p. 88.
822
C. ATIAS, Droit civil Ŕ Les biens, op. cit., n° 106, p. 90.
813
161
bien de manière naturelle, c'est-à-dire qu’il « s’en tient aux utilisations que lui dicte la nature
de la chose »824. Il peut monter son cheval, cultiver son champ ou bien encore habiter sa
maison825. Il peut au contraire faire le choix de négliger la chose et de ne pas l’utiliser.
L’utilité réservée par le droit de propriété est également l’utilité civile de la chose, en ce sens
que « le propriétaire a la faculté d’accomplir des actes juridiques sur son bien pour profiter
de sa valeur pécuniaire »826. Il peut vendre son cheval, louer ou hypothéquer sa maison827. Du
fait de la fonction d’exclusivité, le propriétaire d’un bien « a le monopole de son droit »828.
La jurisprudence a relayé cette idée selon laquelle le droit de propriété avait une fonction de
réservation exclusive de toutes les utilités de la chose. La Cour de cassation a souligné que le
droit de propriété « confère à son titulaire un monopole d’usage, de jouissance et de
disposition sur la chose qui en est l’objet. Le propriétaire peut empêcher ou faire cesser tout
acte sur la chose émanant d’un tiers non autorisé, alors même que cet acte ne lui causerait
aucun préjudice »829. La situation est celle d’une liberté absolue, le propriétaire peut « donner
libre cours à sa liberté d’action dans son espace privatif sans avoir à requérir aucune
licence, contrairement à celui qui jouit d’un droit sur la chose d’autrui, dont les prérogatives
sont dépendantes et étroitement délimitées »830.
198. Cette « liberté exclusive »831 a pour conséquence de retirer la chose à l’usage des tiers,
mais également d’empêcher ceux-ci de faire obstacle à l’exercice du droit ou de faire des
actes semblables. Il s’agit là du second aspect de la fonction d’exclusivité.
823
C. ATIAS, op. cit., n° 107, p. 93.
C. ATIAS, op. cit., n° 106, p. 90.
825
A. COLIN & H. CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français, t. 1, Dalloz, 11 e éd. par L. JULLIOT DE LA
MORANDIÈRE, 1947, n° 958, p. 769. COLIN et CAPITANT utilisaient des formules différentes. Ils distinguaient
ainsi les actes matériels, permettant donc de bénéficier des utilités naturelles de la chose, des actes juridiques,
permettant de profiter des utilités civiles de la chose.
826
C. ATIAS, op. cit., n° 106, p. 90.
827
A. COLIN & H. CAPITANT, op. cit., n° 958, p. 769.
828
R. CAPITANT, Sur la nature des droits réels, in Mélanges juridiques dédiés à M. le Professeur SUGIYAMA,
Sirey, 1940, p. 29, spéc. p. 31.
829
Cass. civ., 7 mars 1934, S. 1935, I, p. 100.
830
F. ZENATI, Pour une rénovation de la théorie de propriété, RTD civ. 1993, p. 305, spéc. p. 315.
831
R. CAPITANT, Sur la nature des droits réels, préc., spéc. p. 31. Il convient de souligner que CAPITANT
n’envisageait pas sous le terme liberté exclusive uniquement le droit de propriété mais également les autres
droits réels. Il définit les droits réels comme consistant « en la liberté privée – c'est-à-dire exclusive – d’user,
sous les formes variées correspondant aux divers droits réels, d’une chose corporelle déterminée », p. 34.
824
162
B. La faculté d’exclure les tiers
199. La faculté d’exclure. La fonction d’exclusivité ne saurait être complète si elle se
résumait uniquement à la réservation de toutes les utilités.
La fonction d’exclusivité du droit implique une protection efficace permettant d’empêcher les
tiers de tenter de bénéficier des utilités de la chose. Comme le souligne le Professeur ZENATI,
« la conquête de l’exclusivité est permanente. Elle se poursuit par l’usage des armes que la
loi fournit au propriétaire pour assurer la protection de son droit »832. La défense de
l’exclusivité peut prendre différents visages : elle peut tendre à la restitution du bien (1) ou à
la réparation du préjudice (2), voire à ces deux résultats.
1. L’action en revendication833
200. La notion. Dès lors que la propriété est contestée834, le titulaire du droit dispose d’une
action qui lui est propre : l’action en revendication. L’action en revendication est l’« action
pétitoire par excellence »835 et peut être définie comme étant « l’action en justice par laquelle
on fait établir un droit de propriété qu’on a sur un bien, en général, pour le reprendre d’entre
les mains d’un tiers détenteur »836. L’action est celle qu’exerce le propriétaire, en vertu de son
droit, contre le tiers qui détient indûment son bien et qui refuse de le restituer en contestant
ledit droit de propriété. En théorie, tous les biens peuvent faire l’objet d’une action en
revendication837.
832
F. ZENATI, Pour une rénovation de la théorie de propriété, RTD civ. 1993, p. 305, spéc. p. 317.
V. notamment sur l’action en revendication, J. DJOUDI, Revendication, Rép. civ. Dalloz, 2008.
834
V. notamment, F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 196, p. 317. Les
Professeurs ZENATI-CASTAING et REVET distinguent entre l’action où la propriété du demandeur est contestée et
celle où elle ne l’est pas. Dans la première hypothèse, le titulaire du droit de propriété se tournera naturellement
vers l’action en revendication. Dans la seconde hypothèse, « l’usurpation est un trouble manifestement illicite
qui justifie sans détour que soit ordonnée la restitution. On est alors en présence d’une action en pure
restitution, le juge n’ayant pas à statuer que sur la remise en possession du propriétaire », n° 196, p. 317. Il
apparaît que cette hypothèse de restitution stricto sensu est expressément prévue par la loi en matière de
sauvegarde de redressement et de liquidation judiciaire (art. L. 624-10 du Code du commerce). Les auteurs
soulignent également que « les restitutions immobilères sont privilégées par la protection juridictionnelle de la
possession des immeubles. Sur la seule foi de sa possession, l’occupant d’un immeuble évincé peut, sans avoir à
justifier d’un droit de propriété, être remis en possession ».
835
F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, Dalloz, Précis, 8e éd., 2010, n° 520, p. 408.
836
G. CORNU, Vocabulaire Juridique, Association Henri CAPITANT, PUF, 9e éd., 2011. V. également, R.
CABRILLAC, (ss. dir.) Dictionnaire du vocabulaire juridique 2012, LexisNexis, 2012 ; S. GUINCHARD & T.
DEBARD (ss. dir.), Lexique des termes juridiques 2012, Dalloz, 19 éd., 2012.
837
Il est courant de croire que l’action en revendication ne concerne que les biens immobiliers. Il est vrai qu’elle
joue un rôle privilégié pour les biens corporels et surtout pour les immeubles: « L’action en revendication d’un
meuble est plus rare que celle d’un immeuble, en raison de la solidarité entre possession et propriété, consacrée
par l’article 2279, alinéa 1er (aujourd’hui art. 2276, al. 1er)», F. TERRÉ & P. SIMLER, Droit civil. Les biens, op.
cit., n° 530, p. 414. Ainsi, il est des hypothèses où l’action en revendication mobilière n’est pas recevable. Tel est
le cas, « lorsque tel est l’intérêt de la sécurité du commerce juridique. (…) C’est ce principe qu’écarte la règle
833
163
201. Les effets. Si le juge fait droit à la demande, « il ordonne la restitution de la chose. Le
défendeur devra lui rendre non seulement la chose, mais aussi ses accessoires ainsi que ses
accroissements et produits »838. Le revendiquant reprend son bien, libre des charges ou
servitudes que le défendeur aurait pu consentir839.
Dans l’hypothèse où le bien ne pourrait être restitué suite à la perte de la chose, le défendeur
sera tenu d’indemniser le propriétaire, si la perte de la chose est due à sa faute ou s’il est de
mauvaise foi alors même que la chose a péri par cas fortuit840.
2. L’action en vue d’obtenir réparation du préjudice subi
202. La réparation de l’atteinte au droit de propriété. Outre l’action en revendication, le
propriétaire bénéficie également de l’action en réparation classique : « Contrairement à une
idée reçue, la protection du droit de propriété ne prend pas exclusivement la forme d’actions
réelles ; elle est également assurée par l’action en responsabilité civile »841. Cette action en
responsabilité prend cependant une forme particulière quand il s’agit de venir sanctionner une
atteinte à un droit de propriété. Le demandeur est ainsi dispensé de démontrer l’existence
d’une faute « dès lors qu’est établie l’atteinte au droit de propriété »842.
Concernant le préjudice, il peut prendre diverses formes telles que le manque à gagner, la
perte subie ou le préjudice résultant de la seule atteinte portée au droit de propriété843.
203. Le droit de propriété a pour fonction de réserver toutes les utilités de la chose et offre
aussi la faculté d’exclure et de sanctionner les tiers qui tenteraient de porter atteinte au droit
du propriétaire.
de l’article 2279 du Code civil en donnant à l’acquéreur de bonne foi, tout autant qu’à son auteur, le droit de se
prévaloir de sa possession pour justifier de manière irréfragable de sa propriété », F. ZENATI-CASTAING & T.
REVET, Les biens, op. cit., n° 200, p. 321. La revendication des meubles sera cependant possible dans
l’hypothèse où les meubles en question ont été perdus ou volés : « le propriétaire peut agir contre le voleur ou
l’inventeur en exerçant l’action en revendication dans les conditions de droit commun », op. cit., n° 201. Si la
chose volée ou perdue à été aliénée à un acquéreur de bonne foi, ce dernier ne pourra s’opposer à l’action en
revendication. Néanmoins, dans une telle hypothèse, l’action en revendication est enfermée dans un délai de trois
ans à compter de la perte ou du vol. L’article 2277 du Code civil impose au revendicateur d’indemniser
l’acquéreur du bien du prix auquel il l’a achété dans l’hypothèse où la chose a été achetée dans une foire ou dans
un marché, ou dans une vente publique, ou auprès d’un marchand vendant des choses pareilles.
838
F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, op. cit., n° 203, p. 326.
839
Nîmes, 25 juill. 1887, DP 1889, 2, 79.
840
F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, op. cit., n° 203, p. 326.
841
F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, op. cit., n° 207, p. 331.
842
F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, op. cit., n° 207, p. 331.
843
F. ZENATI-CASTAING & T. REVET, op. cit., n° 207, p. 331.
164
Le droit de marque devant être envisagé comme un droit de propriété, il est parfaitement
logique de retrouver cette fonction dans la jurisprudence de la Cour de justice.
II. La fonction substantielle du droit de marque
204. La consécration de la fonction d’exclusivité. Dans le cadre de sa recherche de
conciliation entre les intérêts du titulaire d’une marque et le principe de la libre circulation des
marchandises, la Cour de justice a consacré la fonction du droit de marque. C’est dans l’arrêt
Centrafarm Winthrop que le juge communautaire s’est véritablement prononcé pour la
première fois sur l’objet spécifique du droit de marque en affirmant que celui-ci est
notamment « d’assurer au titulaire le droit exclusif d’utiliser la marque, pour la première
mise en circulation d’un produit et de se protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient
abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment
pourvus de cette marque »844.
À partir de cette formule, reprise dans les décisions ultérieures de la Cour de justice845, la
doctrine qualifia la fonction du droit de marque de fonction de réservation de l’usage du signe
au titulaire ou de fonction d’exclusivité846. Le droit de marque aurait « pour fonction
d’assurer au titulaire le droit exclusif d’utiliser la marque pour la désignation dans le
commerce de produits ou de services et de le protéger ainsi contre les concurrents qui
voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque pour la commercialisation
ou la promotion de produits ou services identiques ou similaires »847.
À l’instar de n’importe quelle propriété, le droit de marque permet à son titulaire de réserver
de manière exclusive toutes les utilités du signe distinctif. En d’autres termes, le droit de
844
CJCE, 31 oct. 1974, aff. n° 16/74, Sté Centrafarm B.V et Adriaan de Peijper c. Sté Winthrop B.V, Rec. 1974,
p. 1183 ; RTDE 1975, p. 610 et la chron. de M. ULLRICH, p. 393, JDI, 1976, p. 208, obs. R. KOVAR ; JCPE 1975,
II, 11728, chron. J.-J. BURST & R. KOVAR.
845
CJCE, 23 mai 1978, aff. 102/77, Hoffman-La Roche c/ Centrafarm, Rec. 1978, p. 1139, RTDE 1981, p. 139,
obs. G. BONET ; CJCE, 11 nov. 1997, aff. C-349/95, Loendersloot c/ Ballantine & Son e.a., Rec. 1997, p. I-6227
; CJCE, 23 oct. 2003, aff. 115/02, Rioglass et Transremar, Rec. 2003, p. I-12705, Rec. p. I-12705 ; PIBD 2004,
n° 783, III, p. 192. V. également CJCE, ord., 19 févr. 2009, aff. C-62/08, UDV North America, Rec. 2009, p. I1279. Dans cette ordonnance, la CJCE rappelle que la prérogative essentielle que confère une marque à son
titulaire est « le pouvoir exclusif d’utiliser le signe en cause afin de distinguer des produits ».
846
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 47, p. 58 ; Distribution et usage de marque, Litec, 2002, n° 15, p. 16.
847
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 233, p. 278. V. également pour une définition
de l’objet spécifique, G. BONET, Droit national de marque et application du Traité de Rome. Ŕ Libre
concurrence. Ŕ Libre circulation des marchandises, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. n° 7600, 2005, n°
94. Pour cet auteur l’objet spécifique « couvre en tout et pour tout les dispositions du droit national qui
confèrent au titulaire de la marque le monopole de l’usage de ce signe afin de commercialiser un produit ou
service déterminé, étant précisé que le monopole se limite à la première mise en circulation du produit,
conformément à la règle d’épuisement des droits ».
165
marque confère à son titulaire « un monopole d’exploitation de ce signe pour la désignation
dans le commerce de certains produits ou services »848. En sus de permettre la réservation des
utilités, la fonction d’exclusivité permet de se protéger contre les usurpations dont pourrait
faire l’objet la marque849, le titulaire bénéficiant de l’action en contrefaçon. Certains ont vu
dans cette exclusion des tiers la « fonction propre »850 du droit de marque. Il s’agit cependant
là d’une vision trop restrictive du droit de marque. À la manière du droit de propriété, le droit
de marque permet l’exclusion des tiers (B) mais aussi l’exploitation exclusive de sa marque
(A)851.
A. L’exploitation de la marque
205. Le droit de marque permet non seulement à son titulaire de bénéficier d’un usage
exclusif de son signe (1) mais aussi de confier par voie contractuelle à des tiers l’exploitation
de la marque (2).
1. L’usage exclusif du signe utilisé à titre de marque
206. La réservation de la fonction d’identification. La première utilité réservée par le droit
de marque est bien évidemment la fonction d’identification de la marque. Le droit de marque
donne à son titulaire « le droit exclusif de procéder à une identification de ses produits par
l’apposition du signe »852. Autrement dit, le droit de marque permet de bénéficier
exclusivement de la fonction du signe utilisé à titre de marque. Le titulaire de la marque est le
seul à pouvoir utiliser le signe à titre de marque pour les produits ou services visés au moment
du dépôt.
207. Les formes d’usage. L’exploitation exclusive de la marque peut prendre la forme d’une
apposition du signe sur les produits et services. Cette faculté d’apposer la marque sur le
848
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 47, p. 58. V. également, A. BRAUN & E.
CORNU, Précis des marques, Larcier, 5e éd., 2009, n° 283, p. 306.
849
Y. SAINT-GAL, Protection et défense des marques de fabrique et concurrence déloyale (droit français et droits
étrangers), Delmas, 5e, 1982, A, 11 ; P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 2, Sirey, 1954, n° 252,
p. 512.
850
H. ULLRICH, Libre circulation des marchandises et droit des marques, RTDE 1975, p. 393, spéc. p. 425.
851
V. P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, Éd. JNA, 1994, p. 174 : « Le titulaire de
l’enregistrement, propriétaire de la marque, excerce son droit :
- en utilisant la marque : c’est l’exploitation ;
- en la défendant contre les usurpations : c’est le pouvoir d’interdire ».
852
H. ULLRICH, Libre circulation des marchandises et droit des marques, préc., spéc. p. 424 et 425.
166
produit ou service peut être envisagée comme l’attribut essentiel du droit de marque853. Il est
vrai que c’est ainsi que la marque peut pleinement remplir son rôle d’identification aux yeux
du public.
La marque peut être considérée comme utilisée sans pour autant qu’elle soit matériellement
apposée sur le produit qu’elle désigne854. L’usage à titre de marque peut être « réalisé pour
tout emploi du signe, présentant ou accompagnant l’offre ou la fourniture de l’objet
désigné »855. Le signe est considéré comme utilisé à titre de marque dès lors qu’il est employé
dans « une publicité, sur des catalogues ou des tarifs, sur des factures, et d’une façon
générale sur des papiers commerciaux, dès l’instant qu’il désigne, non pas l’entreprise, mais
les produits ou services qui en proviennent »856.
208. Si l’usage de la marque peut être exclusif, le droit de marque permet également au
titulaire de choisir les tiers qui pourraient faire usage de la marque.
2. L’exploitation contractuelle
209. L’exploitation exclusive sous forme contractuelle857. Le droit de marque permet
également à son titulaire d’exploiter contractuellement sa marque en confiant à des tiers
l’exploitation de son signe. À l’instar des autres droits de propriété intellectuelle, le droit de
marque peut faire l’objet de contrats, qu’il s’agisse de cession ou de licence858.
853
A. BRAUN & E. CORNU, Précis des marques, Larcier, 5e éd., 2009, n° 284, p. 306.
Cass. req., 16 mai 1922, Ann. prop. ind. 1922, p. 253.
855
P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 319. V. pour exemple, Cass. req., 16
mai 1922, Ann. prop. ind. 1922, p. 253 ; Paris, 21 juill. 1931, Ann. prop. ind. 1932, p. 319.
856
P. MATHÉLY, op. cit., p. 319.
857
V. sur cette question, J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes
distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n°391, p. 557; J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE,
Droit de la propriété industrielle, Litec, 4e éd., 2007, n° 641, p. 280 ; J. A ZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la
propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006, n° 1479, p. 816 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la
propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2e éd., 2011, n° 1593, p. 927.
858
L’article L. 714-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose en effet : « Les droits attachés à une marque
sont transmissibles en totalité ou en partie, indépendamment de l’entreprise qui les exploite ou les fait
exploiter ». Comme le souligne le Professeur PASSA, la marque « peut être l’objet d’autres contrats encore, et
notamment d’un apport en société, d’un accord de coexistence de marques ou d’une mise en gage, expressément
prévue par des textes qui imposent la rédaction d’un écrit (art. L. 714-1) et une formalité d’inscription au
Registre national des marques à des fins d’opposabilité de la sûreté aux tiers (art. L. 714-7) et renvoient pour le
reste au droit commun du Code civil », J. PASSA, op. cit., n° 392, p. 557. V. sur ces questions, N. BINCTIN, Le
capital intellectuel, Litec, Bibl. de droit de l’entreprise, t. 75, 2007 ; Y. REINHARD, L’apport en société des droits
de propriété industrielle, in Mélanges offerts à A. CHAVANNE : droit pénal, propriété industrielle, Litec, 1990, p.
297 ; M. VIVANT, L’immatériel en sûreté, in Mélanges M. CABRILLAC, Dalloz-Litec, 1999, p. 405 ; N. MARTIAL,
Droit des sûretés réelles sur propriétés intellectuelles, PUAM, 2007.
854
167
Concernant la cession, elle est libre « à un double point de vue »859. En raison du principe
d’indépendance prévu à l’article 6, § 3 de la Convention de Paris860, la cession de la marque
est libre à l’égard des autres marques nationales du cédant détenues dans d’autres pays. Le
titulaire peut parfaitement céder une marque, mais conserver une marque identique dans un
autre pays.
L’autre aspect de la liberté du cédant concerne le fonds de commerce861 : le cédant est libre de
céder sa marque indépendamment du fonds de commerce dont elle constitue un élément,
parfois prépondérant. S’il est loisible au cédant de transmettre la marque à l’occasion de la
cession du fonds de commerce, ce qui est le cas en l’absence de stipulation contraire, la
marque peut également être cédée sans le fonds. Cette indépendance vis-à-vis du fonds de
commerce est consacrée à l’article L. 714-1, alinéa 1er le Code de la propriété intellectuelle
qui dispose : « Les droits attachés à une marque sont transmissibles en totalité ou en partie,
indépendamment de l’entreprise qui les exploite ou les fait exploiter »862. Comme pour les
choses corporelles, la cession de la marque permet d’opérer un transfert du droit de propriété
et de ses accessoires863. Elle a pour conséquence de « substituer un titulaire à un autre »864.
L’exploitation contractuelle peut également prendre la forme d’une concession de licence. Au
contraire de la cession, le contrat de licence de marque, n’opère pas un transfert de propriété.
Il doit être appréhendé plutôt comme « un contrat de louage de chose »865. Le titulaire d’une
859
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 395, p. 559.
L’ article 6, paragraphe 3 de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars
1883 prévoit qu’« Une marque régulièrement enregistrée dans un pays de l’Union sera considérée comme
indépendante des marques enregistrées dans les autres pays de l’Union, y compris le pays d’origine ».
Concernant ce principe d’indépendance, le Professeur PASSA précise que dans l’hypothèse d’une cession d’une
marque nationale détenue dans l’Espace économique européen, il sera possible au cédant de s’opposer à
l’introduction et à la commercialisation des produits marqués du cessionnaire dans les États membres pour
lesquels le cédant aura conservé ses marques. Cette faculté lui sera permise sur le fondement de la fonction dite
de garantie d’identité d’origine. J. PASSA, op. cit., n° 395, p. 559. La Cour de justice a eu l’occasion de se
prononcer dans pareille hypothèse dans l’arrêt Ideal Standard. CJCE, 22 juin 1994, C-9/93, IHT Internationale
Heiztechnik c/ Ideal-Standard, Rec. 1994, p. I-2789 ; RTDE 1995, p. 848, obs. G. BONET.
861
E. TARDIEU-GUIGUES, Transmission du droit de marque et du fonds de commerce, in Propriété intellectuelle
et droit commun, PUAM, Institut du droit des affaires, 2007, p. 293.
862862
Cette indépendance de la cession est également consacré à l’article 17 du règlement sur la marque
communautaire qui dispose : « La marque communautaire peut, indépendamment du transfert de l’entreprise,
être transférée pour tout ou pour partie des produits ou des services pour lesquels elle est enregistrée » et
l’article 21 des accords sur les ADPIC in fine qui dispose : « le titulaire d’une marque de fabrique ou de
commerce enregistrée aura le droit de la céder sans qu’il y ait nécessairement transfert de l’entreprise à
laquelle la marque appartient ». Cette question a cependant fait l’objet d’un vif débat doctrinal et certains pays
n’admettent pas la libre cessibilité de la marque. V. sur cette question, F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la
propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2e éd., 2011, n° 1595, p. 928 ; P. ROUBIER, Le droit de la
propriété industrielle, t. 2, Sirey, 1954, n° 257, p. 532.
863
F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 1603, p. 932.
864
J. PASSA, op. cit., n° 394, p. 559.
865
J. PASSA, op. cit., n° 400, p. 565. V. F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 1609, p. 934. Comme le relève le
Professeur POLLAUD-DULIAN, il n’y a pas « transfert de droit mais simple concession d’un droit de jouissance,
comme un contrat de location ou de prêt ».
860
168
marque, voire même d’une simple demande d’enregistrement consent à un tiers « une
autorisation d’exploitation du signe pour tout ou partie des produits ou services désignés au
dépôt ou à l’enregistrement »866. La licence ne peut cependant pas porter sur des produits ou
des services qui ne sont pas désignés dans le dépôt867.
210. En vertu du droit de marque, le titulaire de la marque est en mesure de bénéficier de ses
utilités. Afin de bénéficier de ces utilités, le titulaire peut choisir d’exploiter personnellement
le signe ou la voie du contrat pour confier l’exploitation à un tiers. La fonction d’exclusivité
permet également de défendre la marque.
B. La défense de la marque
211. L’exclusion des tiers par l’action en contrefaçon. La fonction d’exclusivité peut
également se traduire par la faculté d’exclure les tiers qui porteraient atteinte au droit de
marque, en l’utilisant « sans autorisation du titulaire et sans que son auteur bénéficie d’une
exception légale »868. Cette exclusion est permise par le jeu de l’action en contrefaçon
constituant le prolongement du droit de marque « sur le terrain contentieux pour en assurer la
défense contre toute atteinte »869.
212. Les conditions d’ouverture de l’action en contrefaçon. Si le titulaire du droit de
marque est en mesure d’exclure les tiers par le biais de l’action en contrefaçon, la mise en
œuvre de cette dernière est strictement encadrée. Quatre conditions semblent devoir être
réunies. L’usage du signe litigieux « doit avoir lieu dans la vie des affaires ; il doit être fait
sans le consentement du titulaire de la marque ; il doit être fait pour des produits ou des
services identiques à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée, et il doit porter atteinte
ou être susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, et notamment à sa fonction
essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des
services »870. Afin de pouvoir exclure les tiers, l’usage qu’ils font de la marque doit
866
J. PASSA, op. cit., n° 400, p. 565.
V. Cass. com., 24 oct. 1984, Bull. civ., IV, n° 284.
868
J. PASSA, op. cit., n° 405, p. 572.
869
J. PASSA, op. cit., n° 405, p. 572.
870
CJCE, 11 sept. 2007, aff. C-17/06, Céline, Rec. 2007, p. I-7041, pt. 16 ; RTD com. 2007, p. 712, obs. J.
AZÉMA ; RTDE 2007, p. 685, obs. J. SCHMIDT-SZALEWSKI ; Propr. ind. 2007, n° 11, comm. n° 86, obs. A.
FOLLIARD-MONGUIRAL ; Propr. intell. 2008, n° 26, p. 142, obs. G. BONET V. J. PASSA, Les conditions générales
d’une atteinte au droit sur une marque, Propr. ind. 2005, n° 2, étude n° 2.
867
169
notamment porter ou être susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, au sens
large871.
La référence faite aux fonctions de la marque est parfaitement logique 872 : « En raison de la
finalité précise et limitée du signe constituant la marque, la protection du droit est
nécessairement cantonnée dans les limites de la fonction de la marque »873. Au-delà des
fonctions assignées au signe et au droit, le titulaire de la marque n’est plus protégé. Il s’agit là
d’une conception qui existe également pour la propriété « classique » qui « ne peut être
protégée que dans les limites des fonctions auxquelles elle est censée répondre »874.
En faisant référence aux fonctions de la marque, la Cour de justice prend le soin d’utiliser
l’adverbe « notamment ». On constate par conséquent que la liste des fonctions de la marque
servant à la mise en oeuvre de l’action en contrefaçon est ouverte. Nous le verrons, cependant,
c’est la fonction d’identification qui occupe la place centrale du raisonnement au détriment de
la fonction d’exclusivité, qui tend à se faire absorber voire à disparaître. La Cour a même
assigné de nouvelles fonctions à la marque875 dont on éprouve quelques difficultés à percevoir
les liens avec la fonction du droit.
213. Le double intérêt de la fonction d’exclusivité dans la défense de la marque. L’intérêt
de la fonction d’exclusivité est pourtant double dans le cadre de la défense de la marque.
En tant que droit de propriété, la constatation d’une atteinte à ce droit doit permettre ipso facto
la mise en œuvre de l’action en contrefaçon. Une telle constatation est aisée lorsque
l’usurpation du signe consiste en une reproduction à l’identique du signe afin de désigner des
produits ou services identiques à ceux désignés par la marque usurpée. Cette situation est
envisagée par l’article 5, paragraphe 1, sous a) de la Directive marque. Il prévoit que le
titulaire de la marque est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de
faire usage dans la vie des affaires « d’un signe identique à la marque pour des produits ou
des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ». Dans ce cadre, la seule
constatation de l’atteinte à la fonction d’exclusivité du droit de marque permet de faire
871
V. notamment, CJCE, 14 mai 2002, aff. C-2/00, Hölterhoff, Rec. 2002, p. I-4187 ; D. 2002, p. 3137, note J.
PASSA ; Propr. intell. 2002, n° 5, p. 93, obs. G. BONET ; RTDE 2004, p. 104, obs. G. BONET ; PIBD 2002, n°
752, III, p. 505; CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal football club, Rec. 2002, p. I-10273 ; Propr. intell.
2003, n° 7, p. 200, obs. G. BONET ; D. 2003, p. 755, note P. DE CANDÉ ; PIBD 2003, n° 764, III, p. 263.
872
P. TRÉFIGNY-GOY, L’incidence de la fonction sur la portée de la protection de la marque, Propr. ind. 2010, n°
10, Dossier, Fonction(s) des droits de propriété intellectuelle, n° 5.
873
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 278, p. 368. V. également, J. SCHMIDTSZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, Litec, 4 e éd., 2007, n° 464, p. 195.
874
J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI & S. CIMAMONTI, Traité de droit civil, Les biens, LGDJ, 2e éd., 2010, n° 78, p. 88.
875
CJCE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L’Oréal e.a., Rec. 2009, p. I-05185.
170
sanctionner le tiers contrefacteur. On considérera qu’il y a atteinte directe à la fonction
d’exclusivité (1).
La situation envisagée par l’article 5, paragraphe 1, sous b) de la Directive 2008/95 est
quelque peu différente. Le titulaire peut interdire à tout tiers, en l’absence de son
consentement, de faire usage dans la vie des affaires « d’un signe pour lequel, en raison de
son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude
des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du
public un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la
marque ». Dans ce cadre c’est la fonction d’identification qui est visée et qui est directement
atteinte. Cependant, c’est la faculté du droit de propriété à réserver toutes les utilités de la
chose qui justifie de sanctionner l’atteinte à la fonction d’identification. Par conséquent,
l’atteinte à la fonction d’exclusivité ne serait qu’indirecte (2).
1. L’atteinte directe à la fonction d’exclusivité
214. Avant d’envisager la typologie des actes susceptibles de porter atteinte à la fonction
d’exclusivité du droit de marque (b), il convient d’envisager plus en détail la situation dans
laquelle l’atteinte au droit de marque ne devrait pas nécessiter la démonstration d’un risque de
confusion : l’hypothèse de la double identité (a).
a. L’hypothèse de la double identité
215. L’article 5, paragraphe 1, sous a) de la Directive 2008/95 prévoit que le titulaire du signe
peut faire interdire un usage dans la vie des affaires de son signe dès lors qu’il est reproduit à
l’identique et qu’il sert à désigner des produits ou services identiques. Il s’agit de l’ hypothèse
de double identité : identité de signes et identité de produits ou services. Dans une telle
situation, la protection du titulaire est en théorie absolue (i). Ce principe d’absoluité de la
protection est cependant mis à mal par la jurisprudence communautaire (ii).
i. La protection absolue
216. La signification de la double identité. Le onzième considérant de la Directive marque
précise que la protection conférée par la marque enregistrée devrait « être absolue en cas
d’identité entre la marque et le signe et entre les produits ou services ». A priori simple, la
question de la double identité permettant une protection absolue ne devrait soulever guère de
171
difficultés dans la pratique. C’était sans compter sur la jurisprudence française qui interprétait
largement l’identité des signes. Elle assimilait la reproduction partielle876, la reproduction
avec adjonction877, ainsi que la reproduction partielle avec adjonction878 à la reproduction à
l’identique879.
Les juges français durent renoncer à ces solutions suite à la décision « LTJ Diffusion » de la
Cour de justice en date du 20 mars 2003880, dans laquelle les juges ont considéré qu’ « un
signe est identique à la marque lorsqu’il reproduit, sans modification ni ajout, tous les
éléments constituant la marque ou lorsque, considéré dans son ensemble, il recèle des
différences si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux du consommateur
moyen »881. Cette solution se comprend sans difficulté à la lumière de l’article 5, paragraphe
1, les hypothèses de reproductions partielles pouvant parfaitement rentrer dans le champ
d’application du b). Admettre le contraire aurait pour conséquence de rendre obsolète la
876
V. par exemple, Cass. com., 4 oct. 1976, Bull. civ., n° IV, n° 244, p. 209 ; Ann. propr. ind. 1978, p. 8; Paris,
13 févr. 1989, RTD com. 1989, p. 665, n° 5, obs. A. CHAVANNE & J. AZÉMA ; Paris, 17 sept. 1990, Ann. propr.
ind. 1990, p. 286.
877
V. par exemple, Paris, 18 nov. 1998, PIBD 1999, n° 673, III, p. 137. Contra, Paris, 18 oct. 2000, PIBD 2001,
n° 713, III, p. 55.
878
V. par exemple, Paris, 13 sept. 2000, Juris-Data n° 126944 ; Paris, 18 oct. 2000, PIBD 2001, n° 714, III, p.
81 ; Cass. com., 6 mai 2002, PIBD 2002, n° 750, III, p. 432 ; Cass. com., 2 juill. 2002, PIBD 2002, n° 754, III, p.
570 ; Cass. com. 14 janv. 2003, PIBD 2003, n° 760, III, p. 155.
879
V. pour des développements conséquents sur la contrefaçon partielle, P. M ATHÉLY, Le droit français des
signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 524. Comme le souligne cet auteur, « La contrefaçon n’est pas
nécessairement totale ». Il continue en précisant que « le droit porte sur le signe pris dans son ensemble. Il en est
ainsi, lorsque sont réunies les trois conditions suivantes : il faut que le signe isolé soit séparable de l’ensemble
de la marque ; il faut que le signe isolé ou séparé soit protégeable en lui-même ; il faut enfin que le signe séparé
soit propre à exercer isolément au moins une partie de la fonction distinctive de la marque ». Il donne en outre
un certain nombre d’exemples. Ainsi, « la reproduction des mots TOUT BRILLE, figurant dans une étiquette
déposée à titre de marque pour des produits de nettoyage, constitue une contrefaçon, ces mots formant la
mention essentielle de l’étiquette déposée comme marque », Paris, 20 avr. 1921, Ann. propr. ind. 1921, p. 206.
V. également, A. CHAVANNE & J.-J. BURST, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, 5 ème éd., 1998, n°
1194, p. 707 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd.,
2011, n° 1643, p. 953 ; J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes
distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 248, p. 320 ; J. CANLORBE, L’usage de la marque
d’autrui, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 31, 2007, n° 62, p. 84.
880
CJCE, 20 mars 2003, aff. C-291/00, LTJ Diffusion, Rec. I-2799 ; PIBD 2003, n° 771, III, p. 441 ; Propr.
intell. 2003, n° 7, p. 203, obs. G. BONET ; RTDE 2004, p. 115, obs. G. BONET ; Comm. com. élect. 2003, n° 5,
comm. n° 47, obs. C. CARON ; D. 2003, p. 2685, obs. S. DURRANDE ; RTD com. 2003, p. 501, obs. J. AZÉMA et
J.-C. GALLOUX ; T. LANCRENON, De l’art sémantique en matière de contrefaçon de marque, Propr. ind. 2003, n°
7-8, chron. n° 14 ; C. VILMART, L’imitation partielle à l’identique d’une marque est-elle sanctionnable au regard
de l’article L. 713-2 ou de l’article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ?, Propr. ind. 2003, n° 5,
chron. n° 8.
881
CJCE, 20 mars 2003, préc., pt. 54. Le Tribunal de grande instance de Paris posa à la Cour de justice la
question préjudicielle suivante : « L’interdiction édictée par l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la première
directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les
marques, concerne-t-elle la seule reproduction à l’identique sans retrait ni ajout du ou des signes composant
une marque, ou peut-elle s’étendre à la reproduction de l’élément distinctif d’une marque composée de plusieurs
signes ; la reproduction intégrale des signes constituant la marque lorsque leur sont adjoints d’autres
signes ? », TGI Paris, 23 juin 2000, PIBD 2000, n° 707, III, p. 522.
172
différence posée par le législateur communautaire entre les hypothèses strictes de double
identité et les hypothèses où le risque de confusion doit être démontré882.
La jurisprudence française semble avoir abandonné le système de la contrefaçon partielle.
Cependant, les juges ne semblent pas encore totalement fixés sur les conséquences pratiques
de la formule « différences si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux du
consommateur moyen » 883.
En sus de l’identité de signe, la protection absolue implique une identité entre les produits et
services désignés. Cette question souleva moins de difficultés. Les produits et services sont
identiques « en raison de leur nature même s’ils sont de qualité très différente »884. La Cour
de cassation a précisé que « l’examen de l’identité des produits ou services respectivement
mis sur le marché par les parties au litige de contrefaçon doit être mené au regard de ceux
qui sont désignés dans l’enregistrement de la marque dont la protection est demandée »885.
217. La signification de la protection absolue. Il est traditionnel de considérer qu’en cas de
double identité, la contrefaçon est sanctionnée sans une quelconque référence au concept de
confusion ou de risque de confusion. En d’autres termes, l’action en contrefaçon est mise en
œuvre sans qu’il soit fait référence à la fonction d’identification. La seule atteinte à la
fonction d’exclusivité du droit de marque suffit pour sanctionner le tiers usurpateur886.
L’usage, au sens large, d’un signe identique pour des produits ou services identiques apparaît
simplement comme une atteinte à un droit de propriété. On considère en effet que la marque
882
La doctrine s’accorde à dire que la jurisprudence de la Cour de justice ne semble pas remettre en cause la
rédaction de l’article L. 713-2, a) du Code de la propriété intellectulle qui prévoit que sont interdits sauf
autorisation du propriétaire : « La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction
de mots tels que : « formule, façon, système, imitation, genre, méthode » ». Le défendeur a une action en
contrefaçon ne pourra vraisemblablement pas échapper à la condamnation au motif que l’utilisation d’un tel
terme est un ajout susceptible de remettre en cause l’identité des signes. Comme le souligne un auteur, ces
hypothèses sont le fruit de la volonté du législateur qui souhaitait « sanctionner les usurpateurs qui, tout en
prenant soin d’éviter la création d’un risque direct de confusion par l’emploi d’un tel terme, insinuent dans
l’esprit du public l’idée d’un rattachement à la marque authentique », J. CANLORBE, L’usage de la marque
d’autrui, op. cit., n° 67, p. 91. V. également, J. P ASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 247,
p. 318.
883
La Cour d’appel de Paris a ainsi jugé comme étant identique les signes Kora et Cora. Paris, 23 mai 2003,
Propr. ind. 2003, n° 11, comm. n° 88, obs. P. TRÉFIGNY. L’appréciation est parfois encore plus stricte. C’est
ainsi que le signe Nutri-Riche n’est pas considéré comme étant la reproduction à l’identique de la marque NutriRich. Paris, 1er juin 2005, PIBD 2005, n° 816, III, p. 587 ; D. 2005, p. 2467, note J. PASSA ; RTD com. 2005, p.
716, obs. J. AZÉMA.
884
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 247, p. 319 V. Cass. com., 19 nov. 2002,
PIBD 2003, n° 758, III, p. 100. La Cour de Cassation casse une décision de Cour d’appel qui avait retenu que les
produits n’étaient pas de même nature : « si les articles vendus par ces sociétés concernent la même classe de
produits, ceux proposés par les sociétés Casa Belgie et Casa France sont des produits grand public vendus à des
prix bas, alors que la société La Casa internationale propose des marchandises de haut de gamme ».
885
Cass. com., 3 avr. 2007, PIBD 2007, n° 853, III, p. 371.
886
Il s’agit d’une approche conforme à la logique du droit de propriété. V. F. Z ENATI-CASTAING & T. REVET,
Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 207, p. 331.
173
« est usurpée, dès qu’elle est reproduite : car la seule matérialité de cette reproduction porte
atteinte au droit privatif qui la protège »887. MATHELY affirmait ainsi : pour que « la
reproduction servile ou quasi-servile de la marque soit constitutive de contrefaçon, il n’est
nul besoin qu’il existe une possibilité de confusion entre la marque authentique et la marque
contrefaite »888.
Cette idée est reprise par le onzième considérant et l’article 5, paragraphe 1, sous a) de la
Directive 2008/95. Elle est explicitée par l’avocat général JACOBS dans ses conclusions
rendues dans l’affaire « LTJ Diffusion » : « La protection que les dispositions pertinentes
accordent aux titulaires de marques est principalement fondée sur l’existence d’un risque de
confusion qu’il est superflu de prouver lorsque les deux marques (ou la marque et le signe) et
les produits couverts ne sont pas simplement similaires, mais identiques »889.
La jurisprudence française était également parfaitement claire dans ses décisions antérieures à
la loi de 1991. Elle considérait que le risque de confusion relevait « du critère distinct de
l’imitation illicite ou frauduleuse de marque »890 et non du critère de contrefaçon.
La protection absolue signifie par voie de conséquence qu’en cas de double identité, il n’est
pas être utile de recourir à la fonction d’identification en vue de constater l’atteinte au droit de
marque.
218. La justification de la protection absolue. Cette protection absolue se justifierait par le
fait que le risque de confusion serait dans de telles hypothèses incontestables891. Une telle
approche semble confirmée par l’article 16 de l’accord sur les ADPIC qui précise qu’« en cas
d’usage d’un signe identique pour des produits ou services identiques, un risque de confusion
sera présumé exister ».
Il nous semble cependant devoir chercher ailleurs la justification de la protection absolue. Il
est effectivement des hypothèses où l’utilisation de la marque par un tiers n’entraîne pas
nécessairement un risque de confusion et mérite pourtant d’être sanctionnée au titre de la
887
P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 521.
P. MATHÉLY, op. cit., p. 522.
889
F. G. JACOBS, Concl., 17 janv. 2002, aff. C-291/00, LTJ Diffusion, pt. 39.
890
Cass. com., 2 déc. 1974, Ann. propr. ind. 1975, p. 88 ; V. également, Cass. com, 22 déc. 1964, Ann. propr.
ind. 1965, p. 71 ; Cass. com., 27 oct. 1970, Ann. propr. ind. 1971, p. 276 ; Rouen, 13 juill. 1932, Ann. propr. ind.
1934, p. 237 ; Orléans, 23 nov. 1972, Ann. propr. ind. 1973, p. 253 ; Paris, 26 oct. 1959, Ann. propr. ind. 1960,
p. 125 ; Lyon, 11 févr. 1965, Ann. propr. ind.1965, p. 192.
891
A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété
intellectuelle, t. 24, 2004, n° 550, p. 277.
888
174
contrefaçon. Nous pensons notamment aux situations dans lesquelles une marque est utilisée
dans un tableau de concordance892.
Ce n’est donc pas dans le risque de confusion et, partant, dans un risque de confusion présumé
qu’il convient de rechercher la protection absolue. Cette dernière s’expliquerait plus par la
force du droit de propriété et de sa fonction d’exclusivité. L’usage d’un signe identique à la
marque pour désigner les mêmes produits et services apparaît indéniablement comme une
contestation de l’exclusivité dont jouit le titulaire sur sa marque. Elle prive nécessairement le
titulaire du droit de marque de l' exploitation exclusive de son bien. Dès lors, l’atteinte à
l’exclusivité devrait suffire à mettre en œuvre l’action en contrefaçon afin de faire cesser le
trouble, l’empiètement893. C’est là l’essence même de l’article 5, paragraphe 1, sous a) de la
Directive 2008/95 qui « interdit tout usage non autorisé de la marque dans la vie des affaires
et dans la spécialité, en particulier lorsque le but est finalement de vendre d’autres produits
ou de dispenser d’autres services que ceux du titulaire, même si la marque n’est pas utilisée
pour identifier directement ces produits ou services »894.
219. La fonction d’exclusivité du droit de marque apparaît indispensable pour son titulaire.
Elle devrait faciliter sa protection dans la mise en œuvre de l’action en contrefaçon en évitant
d’avoir recours notamment au risque de confusion et, partant, pemettrait de sanctionner les
hypothèses où le risque de confusion n’existerait pas.
Remettre en cause cette fonction reviendrait non seulement à remettre en cause la nature du
droit de marque, mais aussi à légitimer des comportements préjudiciables pour le titulaire de
la marque. Admettre que l’atteinte à la marque résulte nécessairement de la démonstration
d’un risque de confusion serait une méconnaissance de la nature du droit de marque et de la
fonction qui lui est attachée. MATHELY soulignait déjà en 1984 qu’une telle erreur risquait de
conduire « à la dégradation du droit des marques, et à la perte de son utilité économique »895.
892
Il s’agit d’une pratique qui consiste « à vendre des produits sous un numéro, un code ou même une marque et
à soumettre aux distributeurs ou aux clients potentiels des tableaux indiquant que tel produit ainsi identifié
présente les mêmes caractéristiques (…) que les produits d’une marque, connue par hypothèse », J. PASSA,
Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ,
2e éd., 2009, n° 270-1, p. 358. Comme le souligne le Professeur PASSA, les tableaux de concordance sont utilisés
essentiellement « dans le domaine des parfums ou des pièces détachées de produits complexes ». V. notamment,
Cass. com., 27 janv. 1981, Bull. civ. IV, n° 53 ; Cass. Com., 16 oct. 1985, Bull. civ. IV, n° 243, p. 204 ; Cass.
Com., 2 févr. 1988, Ann. propr. ind. 1989, p. 43.
893
P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 521. Dès qu’elle est reproduite, la
marque est usurpée « car la seule matérialité de cette reproduction porte atteinte au droit privatif qui la
protège ».
894
J. PASSA, L’usage de la marque d’un tiers pour décrire les caractéristiques de produits concurrents, D. 2002,
p. 3137, spéc. p. 3140.
895
P. MATHÉLY, op. cit., p. 523.
175
Il est donc inquiétant de constater que l’article 16, paragraphe 1 de l’accord sur les ADPIC
précise qu’ « en cas d’usage d’un signe identique pour des produits ou services identiques, un
risque de confusion sera présumé exister ». Cette inquiétude est d’autant plus grande lorsque
l’on constate à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice que la présomption semble
être une présomption simple et non irréfragable896. La Cour de justice a eu tendance à réduire
la fonction d’exclusivité à sa plus simple expression, au profit de la fonction d’identification,
avec pour conséquence de rendre la protection absolue toute « relative ».
ii. La protection absolue « relative »
220. Les atteintes portées par la Cour de justice à la fonction d’exclusivité. La fonction
d’exclusivité joue un rôle fondamental dans la protection du titulaire. Elle permet, en théorie,
de faire face à des situations subtiles où la fonction d’identification n’est pas nécessairement
mise en cause par le tiers usurpateur, le concurrent ne cherchant pas « à créer à proprement
parler une confusion »897. Ces usages n’en constituent pas moins des atteintes au droit de
marque, la fonction d’exclusivité du droit étant atteinte. La fonction d’exclusivité devrait donc
constituer une référence nécessaire « pour la détermination de l’étendue de la protection
conférée par la marque et produire ses conséquences juridiques de façon autonome, c'est-àdire indépendamment de la fonction de garantie d’origine »898.
Pourtant, la situation n’est pas aussi simple qu’elle n’y paraît. Bien que la fonction
d’exclusivité fut la première reconnue par la Cour de justice899, cette dernière s’est montrée de
plus en plus réticente à y faire référence depuis la consécration de la fonction de garantie
d'identité d’origine dans l’arrêt Terrapin/Terranova900. La fonction d’exclusivité s’est éclipsée
au profit de cette fonction essentielle. Elle tend même à être absorbée par cette dernière901. La
jurisprudence a fait de la fonction d’identification le critère principal permettant de justifier la
mise en œuvre de la contrefaçon (α). Ainsi, quelle que soit l’hypothèse, la Cour de justice ne
cesse de faire référence à la fonction de garantie d’identité d’origine. Dans sa négation de la
896
V. cependant, J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 246, p. 318.
L. VAN BUNNEN, Aspect actuels du droit des marques dans le Marché commun, Bruxelles, CIDC, 1967, n°
407, p. 438.
898
J. PASSA, op. cit., n° 242, p. 301.
899
CJCE, 31 oct. 1974, aff. n° 16/74, Sté Centrafarm B.V et Adriaan de Peijper c. Sté Winthrop B.V, Rec. 1974,
p. 1183, pt. 8
900
CJCE, 22 juin 1976, aff. 119-75, Terrapin c/ Terranova, Rec. 1976, p. 1039 ; JCPG 1976, I, 2825, obs. J.-J.
BURST et R. KOVAR.
901
J. PASSA, op. cit., n° 48, p. 59.
897
176
fonction d’exclusivité, la Cour de justice est allée plus loin encore en consacrant de nouvelles
fonctions (β).
α. La prépondérance de la fonction d’identification au détriment de la fonction
d’exclusivité
221. Afin d’appréhender au mieux la situation, il convient de revenir sur les décisions
fondamentales ayant eu pour conséquence de relativiser l’importance de la fonction
d’exclusivité du droit de marque, à savoir les arrêts « Hölterhoff » (a-), « Arsenal »(b-),
« Opel » (c-), et « O2 Holdings » (d-).
a- La décision Hölterhoff902
222. Les faits. L’affaire opposait le titulaire de deux marques, « Spirit Sun » et « Context
Cut », enregistrées en Allemagne pour désigner des diamants ou autres pierres précieuses,
ayant vocation à être transformés en bijoux, à un tiers qui commercialisait des pierres
précieuses qu’il faisait tailler lui-même ou acquiert auprès des tiers. À l’occasion de
négociations avec un joaillier, le tiers commercialisant des pierres précieuses utilisa les
marques du titulaire afin de décrire les caractéristiques des pierres qu’il proposait. Il faisait «
savoir à son partenaire qu’elles étaient taillées de la même façon particulière que les pierres
commercialisées sous les marques en cause par leur titulaire »903. L’usage de la marque en
question était un usage oral.
La juridiction allemande d’appel saisie de l’affaire interrogea la Cour de justice sur la
question de l’atteinte à la marque au sens de l’article 5, paragraphe 1er , sous a) et b), de la
Directive marque. La question préjudicielle était la suivante : « Y a-t-il également atteinte à la
marque au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive sur les marques
dans le cas où le défendeur révèle que le produit provient de sa propre fabrication et n'utilise
la marque dont le demandeur est titulaire qu'à la seule fin de décrire les propriétés
spécifiques du produit qu'il propose, si bien qu'il est tout à fait exclu que la marque utilisée
soit interprétée comme se référant à l'entreprise de provenance des produits ? »904.
902
CJCE, 14 mai 2002, aff. C-2/00, Hölterhoff, Rec. 2002, p. I-4187 ; D. 2002, p. 3137, note J. PASSA ; Propr.
intell. 2002, n° 5, p. 93, obs. G. BONET ; RTDE 2004, p. 104, obs. G. BONET ; PIBD 2002, n° 752, III, p. 505.
903
J. PASSA, L’usage de la marque d’un tiers pour décrire les caractéristiques de produits concurrents, D. 2002,
p. 3137, spéc. p. 3138.
904
CJCE, 14 mai 2002, préc., pt. 11.
177
223. La solution de la Cour de justice. Afin de répondre à la question qui lui était posée, la
Cour de justice occulta la fonction du droit de marque en se contentant uniquement de faire
référence à la fonction d’identification.
Elle affirma que « dans une situation telle que celle décrite par la juridiction de renvoi,
l’usage de la marque ne porte atteinte à aucun des intérêts que vise à protéger ledit article 5,
§ 1. En effet, ces intérêts ne sont pas affectés par une situation dans laquelle (…) la référence
à la marque ne peut pas être interprétée par le client potentiel comme indiquant la
provenance du produit »905. Elle ajoute en conséquence que « la directive doit être interprétée
en ce sens que le titulaire d’une marque ne peut pas invoquer son droit exclusif lorsqu’un
tiers, dans le cadre de tractations commerciales, révèle que le produit provient de sa propre
fabrication et n’utilise la marque en cause qu’à la seule fin de décrire des propriétés
spécifiques du produit qu’il propose, si bien qu’il est exclu que la marque utilisée soit
interprétée comme se référant à l’entreprise de provenance dudit produit »906. En d’autres
termes, l’utilisation de la marque à des fins descriptives n’ayant pas pour conséquence de
porter atteinte à la fonction d’identification, elle ne doit pas être sanctionnée au titre du droit
de marque.
224. Une décision critiquable au regard de la fonction d’exclusivité. Cet arrêt fut vivement
critiqué par la doctrine907. Il apparaît comme une véritable négation de la fonction
d’exclusivité. Bien que l’hypothèse concernait une situation de double identité, il n’est pas
apparu opportun à la Cour de justice de raisonner sur le terrain de la fonction d’exclusivité.
Les éléments de l’espèce auraient pourtant dû être suffisants pour constater l’atteinte à la
fonction d’exclusivité et, partant, la contrefaçon.
La marque a été utilisée par le tiers afin de désigner des produits ou services identiques, sans
le consentement du titulaire et dans la vie des affaires. Le tiers se servait de la marque
litigieuse afin de promouvoir des produits concurrents à ceux du titulaire légitime du signe.
905
CJCE, 14 mai 2002, préc., pt. 16. V. également les conclusions de l’avocat général JACOBS, pt. 38. Les
marques litigieuses « ont été utilisées exclusivement au cours de discussions verbales entre deux opérateurs, qui
étaient l’un et l’autre parfaitement au courant du fait que ces termes ne visaient pas à indiquer l’origine des
produits proposés à la vente, et que ces termes n’ont jamais figuré par écrit sur ces produits, ce qui excluait tout
risque qu’un acheteur subséquent puisse être trompé ».
906
CJCE, 14 mai 2002, préc., pt. 17.
907
V. G. BONET, commentaires de la décision, Propr. intell. 2002, n° 5, p. 93 ; RTDE 2004, p. 104,; J. PASSA,
L’usage de la marque d’un tiers pour décrire les caractéristiques de produits concurrents, D. 2002, p. 3137.
178
Le comportement du tiers pouvait difficilement se justifier par le fait que l’usage « soit
intervenu dans une relation individuelle avec un seul client potentiel »908. Même si la marque
n’était pas utilisée directement avec le public, il s’agissait d’un usage de marque dans la vie
des affaires. En sus, l’argument selon lequel l’usage en question était oral, ne devrait pas être
pris en compte. Les textes ne précisent pas qu’un usage oral de la marque est licite909. Enfin,
un tel usage consiste à utiliser la marque dans le cadre de sa fonction910.
L’usage aurait par conséquent dû être considéré comme un usage non autorisé de la marque.
225. Les risques d’une telle solution. En ne faisant pas référence à la fonction d’exclusivité,
le risque est grand qu’une telle solution, eu égard aux caractères généraux des termes
employés911, soit étendue « aux hypothèses où un commerçant, dans sa boutique ou lors de
démarchage, utiliserait – oralement – la marque d’un tiers pour faire savoir que ses produits
ont les mêmes caractéristiques que ceux du titulaire »912. La solution pourrait permettre de
légitimer la pratique des tableaux de concordance913, pourtant classiquement sanctionnés au
titre de la contrefaçon914.
908
J. PASSA, L’usage de la marque d’un tiers pour décrire les caractéristiques de produits concurrents, préc.,
spéc. p. 3139.
909
L’article 5, paragraphe 3 de la Directive 2008/95 ne précise rien à ce sujet en disposant simplement : « Si les
conditions aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit : (…) d’offrir les produits, de
les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe ».
910
J. PASSA, L’usage de la marque d’un tiers pour décrire les caractéristiques de produits concurrents, D. 2002,
p. 3137, spéc. p. 3139. Pour le Professeur PASSA, que l’usage soit oral ou non « ne change rien à la donne, car la
marque peut remplir sa fonction sans être apposée sur un support matériel ».
911
CJCE, 14 mai 2002, préc., pt. 17. Les juges ont en effet visé « les tractations commerciales ».
912
J. PASSA, préc., spéc. p. 3139.
913
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 241, p. 298. V. par exemple, Trib. corr. Paris, 31 e ch., 15 févr. 2008. Cette
décision a admis la licéité des tableaux de concordance en se référant expressément à la décision Hölterhoff. V.
cependant, P. BEAUDONNET. La jurisprudence récente de la chambre criminelle en matière de contrefaçon, in
Rapport Annuel de la Cour de cassation, 2003. Le rapport fait expressément référence aux problèmes relatifs aux
tableaux de concordance et à l’éventuelle incompatibilité qu’il pourrait exister sur ce point entre la jurisprudence
française et la jurisprudence communautaire. Le rapport précise ainsi : « La chambre criminelle est souvent
saisie de faits de contrefaçon résultant de l’utilisation par un fabricant de parfums, d’équivalences entre les
parfums qu’il commercialise et ceux de marques connues, sans l’autorisation des titulaires de ces marques, à
seule fin de tirer profit du prestige de celles-ci pour promouvoir ses propres produits. Par arrêt du 4 novembre
2003 (pourvoi n° 03-80.560), la Chambre, en retenant la contrefaçon, confirme sa jurisprudence, qu’elle estime
compatible avec un arrêt de la Cour de justice admettant l’usage non autorisé de la marque d’autrui, mais dans
des circonstances particulières et à des conditions très restrictives (CJCE, 14 mai 2002, Hölterhoff, aff. C2/00) ». V. également les décisions françaises postérieures à l’arrêt Hölterhoff, Paris, ch. 12, 17 nov. 2009,
JurisData n° 2009 Ŕ 016660 ; Cass. crim., 30 juin 2009, JurisData n° 2009 Ŕ 049272 ; Pau, ch. correct., 19 juin
2008, Gaz. Pal 2008, n° 311, 5-6 nov., p. 33, obs. E. BONNET. confirmé par Cass. crim., 30 juin 2009, JurisData
n° 2009-049272. Dans cette dernière espèce, la Cour d’appel rejetta expressément l’argument fondé sur l’arrêt
Hölterhoff. Les juges affirmèrent qu’étendre « davantage la signification de cette décision de la CJCE,
notamment pour justifier la légalité prétendue du système de vente pratiqué par Camille et Lucie, serait non
seulement contraire au texte de l'article 5 de la directive européenne du 21 décembre 1988, mais encore au droit
des marques défini en France par le Code de la propriété intellectuelle, mis en conformité avec la législation
européenne, dont ni l'esprit, ni les termes ne tendent à faire échec aux règles traditionnelles du droit des
179
En outre, cette décision a pour conséquence de laisse planer au-dessus des droits du titulaire
l’ombre de la déchéance pour dégénérescence. Le titulaire peut être déchu de ses droits
lorsque la marque devient du fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation
usuelle dans le commerce d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée915.
Comme le souligne parfaitement le Professeur BONET, cela signifie que « la marque peut être
frappée de déchéance si son titulaire permet ou n’empêche pas qu’elle devienne, en raison de
son succès, le symbole d’un genre de produit ou de service, c'est-à-dire une marque
générique dont les exemples abondent »916. En conséquence, envisager une interdiction
générale d’action en justice pour le titulaire afin d’éviter et d’empêcher que les tiers utilisent
une marque pour désigner le genre d’un produit condamnerait « inéluctablement »917 le
titulaire à perdre son droit sur la marque.
226. La décision de la Cour justice est discutable et peut s’avérer « dangereuse ». Elle est
discutable, car elle apparaît véritablement comme une négation de la fonction du droit de
marque. Elle remet en cause l’intérêt de l’article 5, paragraphe 1, sous a) de la Directive
marque qui permet justement de sanctionner des usages ne portant pas atteinte à la fonction
d’identification918. Sanctionner le comportement visé dans l’arrêt Hölterhoff relèverait
pourtant du bon sens919.
La solution de la Cour de justice pourrait également s’avérer lourde de conséquences dans la
pratique en permettant de justifier des comportements jusqu’à présent sanctionnés et en
mettant en danger le droit de marque du titulaire.
marques, et notamment au-delà de la première fonction de la marque, la garantie d'origine, à la seconde dite de
réservation : l'exclusivité des droits sur le produit constitue la contrepartie des efforts de recherche, création ou
commercialisation, qualité enfin, dont le contrefacteur tente de manière indue, sinon gratuite, de détourner à son
profit le bénéfice ».
914
Cass. com., 27 janv. 1981, Bull. civ. IV, n° 53 ; Cass. Com., 16 oct. 1985, Bull. civ. IV, n° 243; Cass. Com., 2
févr. 1988, Ann. propr. ind. 1989, p. 43
915
V. l’article L. 714-6 du Code de la propriété intellectuelle. V. pour les textes communautaires, l’article 12,
paragraphe 2 de la Directive 2008/95 et l’article 51, paragraphe 1, sous b).
916
G. BONET, commentaires de la décision, Propr. intell. 2002, n° 5, p. 93, spéc. p. 95.
917
G. BONET, préc., spéc. p. 95. V. dans un sens similaire, J. PASSA, L’usage de marque dans la jurisprudence
récente de la CJCE, RJDA 2003, n° 3, chron. p. 195, spéc. p. 197.
918
J. PASSA, L’usage de la marque d’un tiers pour décrire les caractéristiques de produits concurrents, D. 2002,
p. 3137, spéc. p. 3140.
919
L’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle précise ainsi que l’usage non autorisé de la marque
peut être un usage du signe auquel on ajoute des mots tels que « formule, façon, système, imitation, genre,
méthode ». V. par exemple, Cass. com., 27 janv. 1981, Ann. propr. ind. 1981, p. 91 (sur des tableaux de
concordance) ; Paris, 9 déc. 1980, Ann. propr. ind. 1981, p. 133 (sur le style Chanel)
180
Si la Cour souhaitait légitimer le comportement du tiers, il aurait été plus opportun de
raisonner autrement que par le biais d’un abandon de la fonction d’exclusivité920.
Malheureusement, cet arrêt de la Cour de justice ne fut pas isolé et l’approche de la Cour de
justice tendant à abandonner la fonction d’exclusivité se trouva confirmée dans l’arrêt
Arsenal.
b- La décision Arsenal921
227. Les faits. Cette affaire opposait le célèbre club de football anglais d’Arsenal, titulaire de
différentes marques telles qu’« Arsenal » ou « Arsenal Gunner » enregistrées aux fins de
désigner notamment des vêtements de sport, à un commerçant, Monsieur REED, qui proposait
à la vente dans différentes boutiques aux abords du stade des écharpes « revêtues de signes
évoquant Arsenal FC inscrits en grands caractères »922, tout en prenant soin d’indiquer qu’il
s’agissait de produits non officiels923.
Là encore, la fonction d’identification n’était pas atteinte, les précisions apportées par
Monsieur REED évitaient tout risque de confusion. S’interrogeant sur la portée du droit de
marque, la High Court of Justice posa notamment les questions suivantes à la Cour de justice :
un tiers peut-il « invoquer des limitations aux effets de la marque au motif que l’usage de
celle-ci qui lui est reproché ne comprend aucune indication d’origine (à savoir un lien dans
la vie des affaires entre le produit et le titulaire de la marque) ?
920
Le gouvernement du Royaume-Uni a invoqué dans ses observations écrites l’article 6, paragraphe 1, b) de la
Directive marque. L’avocat général a consacré dans ses conclusions de longs développements sur l’application
de cet article. La réponse de la Cour de Justice a coupé court aux discussions en refusant d’appliquer l’article 5,
paragraphe1 à l’usage litigieux. Pourtant, l’article 6, paragraphe 1 aurait pu constituer le fondement nécessaire à
la justification du comportement du tiers. Cet article dispose en effet que « le droit conféré par la marque ne
permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires : (…) d’indications relatives à
l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la
production du produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci ». Ce texte
autorise les tiers à faire usage d’une marque à des fins descriptives. Mais, comme le souligne le Professeur
PASSA dans ses observations relatives à l’arrêt Hölterhoff, cet usage permet aux tiers « non pas d’indiquer que
leurs produits ont les mêmes caractéristiques spécifiques que ceux couverts par la marque, mais d’utiliser un ou
plusieurs termes descriptifs compris dans la marque afin d’indiquer certaines caractéristiques de leurs
produits », J. PASSA, L’usage de la marque d’un tiers pour décrire les caractéristiques de produits concurrents, D.
2002, p. 3137, spéc. p. 3140.
921
CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal football club, Rec. 2002, p. I-10273 ; RJDA 2003, n° 2, n° 204 ;
Propr. intell. 2003, n° 7, p. 200, obs. G. BONET ; D. 2003, p. 755, note P. DE CANDÉ ; PIBD 2003, n° 764, III, p.
263 ; RTDE 2004, p. 106, obs. G. BONET ; JCPE 2003, 1114, n° 17, obs. G. PARLÉANI ; RTD com. 2003, p. 415,
obs. M. LUBY V. également, J. PASSA, L’usage de marque dans la jurisprudence récente de la CJCE, RJDA
2003, n° 3, chron. p. 195.
922
CJCE, 12 nov. 2002, préc., pt. 16.
923
Monsieur REED avait placé dans ses boutiques une pancarte informant le public que « Le mot ou le(s) logo(s)
reproduits sur les objets vendus n’impliquent pas ni n’indiquent une relation quelconque avec les fabricants ou
distributeurs de tout autre objet. Seuls les produits revêtus d’étiquettes attestant qu’il s’agit de produits officiels
d’Arsenal sont des produits officiels d’Arsenal ».
181
Dans l’affirmative, le fait qu’une telle utilisation soit perçue comme un signe de soutien, de
loyauté ou d’attachement au titulaire de la marque est-il susceptible de constituer un lien
suffisant ? »924. Il était ainsi demandé à la Cour de justice de se prononcer sur l’éventuelle
illicéité d’un usage non autorisé d’un signe identique pour désigner des produits ou services
identiques et insusceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle925.
228. La réponse de la Cour de justice. La Cour procéda à un examen conjoint des deux
questions.
Dans un premier temps, la Cour fit référence, sans la nommer, à la fonction d’exclusivité en
reprenant la formule employée dans l’arrêt Centrafarm, en vue d’expliquer que la fonction
d’identification n’a de raison d’être qu’en combinaison avec la fonction d’exclusivité926. Le
raisonnement de la Cour de justice porta néanmoins uniquement sur le terrain de la « fonction
de garantie d’identité d’origine ». Elle affirma que l’exercice du droit de marque doit « être
réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de
porter atteinte aux fonctions de la marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de
garantir aux consommateurs la provenance du produit »927. Autrement dit, quelle que soit
l’hypothèse, la mise en œuvre de l’action en contrefaçon implique la démonstration d’une
atteinte aux fonctions de la marque. Or, plutôt que d’envisager l’atteinte à la fonction
d’exclusivité en raison de la double identité, la Cour de justice préféra souligner que l’usage
du signe litigieux était « de nature à accréditer l’existence d’un lien matériel dans la vie des
affaires entre les produits concernés et le titulaire de la marque »928 et donc que « l’usage
d’un signe identique à la marque en cause au principal est susceptible de mettre en péril la
garantie de provenance qui constitue la fonction essentielle de la marque (…). Partant, il
s’agit d’un usage auquel le titulaire de la marque peut s’opposer conformément à l’article 5,
paragraphe 1, de la directive »929. L’usage du signe fait par Monsieur REED devait donc être
considéré comme constituant une contrefaçon au motif qu’il portait atteinte à la fonction
d’identification et qu’il était susceptible d’engendrer un risque de confusion.
924
CJCE, 12 nov. 2002, préc., pt. 27.
V. J. PASSA, L’usage de marque dans la jurisprudence récente de la CJCE, RJDA 2003, n° 3, chron., p. 195.
926
CJCE, 12 nov. 2002, préc., pt. 50: « Pour que cette garantie de provenance, qui constitue la fonction
essentielle de la marque, puisse être assurée, le titulaire de la marque doit être protégé contre les concurrents
qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus
de celle-ci ».
927
CJCE, 12 nov. 2002, préc., pt. 51.
928
CJCE, 12 nov. 2002, préc., pt. 56.
929
CJCE, 12 nov. 2002, préc., pt. 60.
925
182
229. L’appréciation critique de la décision. S’il était éventuellement possible de relever que
le comportement de Monsieur REED puisse avoir pour conséquence d’engendrer un risque de
confusion dans l’esprit de la clientèle930, il est regrettable de constater l’indifférence de la
Cour de justice à l’égard de la fonction d’exclusivité du droit de marque.
Il aurait été plus opportun et surtout plus simple de « dissocier les deux fonctions de la
marque »931 en vue, justement, de faire application de la fonction de réservation. Il s’agissait
d’une hypothèse méritant une protection absolue, n’impliquant pas la démonstration d’un
quelconque risque de confusion ou d’une quelconque atteinte à la fonction d’identification.
Les signes étaient les mêmes. Les produits étaient les mêmes. Le comportement de Monsieur
REED aurait dû en conséquence être sanctionné au titre d’une atteinte à la fonction
d’exclusivité. La Cour de justice aurait évité de raisonner sur le terrain du risque de confusion.
En outre, en continuant dans ce sens, la jurisprudence de la Cour de justice pourrait avoir pour
conséquence de « priver le titulaire de tout monopole, notamment pour la commercialisation
de produits dérivés ou de merchandising »932.
230. Le raisonnement adopté par la Cour de justice dans l’arrêt Arsenal démontre la prise de
pouvoir de la fonction d’identification au détriment de la fonction d’exclusivité. D’une
protection absolue, nous sommes passés à une protection relative dépendant de la
démonstration d’une atteinte à une fonction de la marque, autre que celle d’exclusivité. Cette
dernière est pourtant d’un intérêt primordial et permet de sanctionner les pratiques qui ne font
pas croire à un lien entre les produits litigieux et le titulaire de la marque.
Envisager la protection du titulaire du droit de marque à travers le prisme de la fonction
d’identification affaiblit considérablement ses droits. En vue d’échapper aux sanctions de la
contrefaçon, il suffit pour le défendeur de démontrer que la fonction d’identification n’a pas
été atteinte. Cet affaiblissement des droits du titulaire fut confirmé dans l’arrêt Adam Opel.
930
CJCE, 12 nov. 2002, préc., pt. 57. Pour la Cour de justice, les consommateurs pouvaient, hors de l’échoppe,
interpréter « le signe comme désignant Arsenal FC en tant qu’entreprise de provenance des produits ».
931
J. PASSA, L’usage de marque dans la jurisprudence récente de la CJCE, RJDA 2003, n° 3, chron., p. 195,
spéc. p. 197.
932
J. PASSA, préc., spéc. p. 197.
183
c- La décision Adam Opel933
231. Les faits. L’affaire Adam Opel concernait l’utilisation de la marque figurative de la
société Opel934, enregistrée afin de désigner des voitures, mais aussi des jouets. Un fabricant
de jouets indépendant apposait sur des modèles réduits téléguidés de voiture cette marque
figurative. Le logo utilisé était en outre accompagné de la marque du fabricant de jouets en
question.
La question qui était ici posée à la Cour de Justice était de savoir si l’usage fait de la marque
pouvait constituer un usage de marque au sens de l’article 5, paragraphe 1 de la Directive
2008/95 que le titulaire serait en mesure de faire interdire935.
232. La réponse de la Cour de justice. En l’espèce, il s’agissait encore une fois d’une
hypothèse de double identité ; il était en conséquence légitime de croire que la Cour de justice
raisonnerait par référence à la fonction d’exclusivité ou, tout du moins, à la protection absolue
résultant de la double identité.
Il n’en fut rien et la réponse de la Cour de justice à la question qui lui était posée fut pour le
moins surprenante : « C’est à la juridiction de renvoi de déterminer, par référence au
consommateur moyen de jouets en Allemagne, si l’usage en cause au principal porte atteinte
aux fonctions du logo Opel en tant que marque enregistrée pour des jouets. Au demeurant,
Adam Opel ne paraît pas avoir allégué que cet usage porte atteinte à d’autres fonctions de
cette marque que sa fonction essentielle »936.
Encore une fois, la Cour de justice se montre déroutante. Plutôt que de constater la double
identité et, partant, l’atteinte à la fonction d’exclusivité, la Cour de justice préfère envisager
l’appréciation de la contrefaçon à l’aune d’autres fonctions. La reproduction à l’identique de
la marque pour désigner des produits identiques aurait pourtant dû entraîner une constatation
immédiate de la contrefaçon. Comme le relève un auteur, la Cour semble ainsi exclure que
« l’usage d’un signe identique pour des produits identiques soit présumé causer un préjudice
933
CJCE, 25 janv. 2007, aff. C-48/05, Adam Opel AG, Rec. 2007, p. I-1017; D. 2007, p. 2835, obs. S.
DURRANDE ; RTD com. 2007, p. 712, obs. J. AZÉMA ; RTDE 2007, p. 685, obs. J. SCHMIDT-SZALEWSKI ; Propr.
intell. 2007, n° 23, p. 237, obs. G. BONET ; Propr. ind. 2007, n° 3, comm. n° 18, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL.
934
La marque figurative d’Opel est constituée d’un éclair entouré d’un cercle.
935
CJCE, 25 janv. 2007, préc., pt. 13: « L’usage d’une marque protégée, y compris à titre de ‘jouet’, constitue-til un usage en tant que marque au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive […] lorsque le
fabricant d’un modèle réduit d’automobile jouet reproduit à échelle réduite un modèle de véhicule réellement
existant, y compris la marque apposée sur le modèle du titulaire de la marque, et met dans le commerce ce
modèle réduit ? ».
936
CJCE, 25 janv. 2007, préc., pt. 25.
184
à la fonction de garantie d’origine attachée à la marque antérieure »937. Pour reprendre les
termes de cet auteur, tout serait relatif, même la protection absolue.
L’approche de la Cour de justice a pour conséquence d’affaiblir considérablement la
protection résultant du droit de marque. Même en cas de double identité, le titulaire de la
marque n’est pas assuré d’obtenir gain de cause : « Tout dépendra si l’usage qui est fait de la
marque l’est dans un usage de marque, dans la vie des affaires, pour informer le
consommateur d’une origine »938. En outre, en procédant de la sorte, la Cour de justice vide
de son sens939 la distinction opérée par l’article 5, paragraphe 1 de la Directive marque.
Une fois de plus, si la Cour de justice avait souhaité légitimer le comportement du tiers
fabricant de jouets, il aurait sans doute été opportun d’envisager une autre solution que celle
remettant en cause l’existence même de la fonction d’exclusivité940.
233. On ne peut que regretter le chemin emprunté par la jurisprudence communautaire, le
titulaire pouvant se trouver démuni face au défendeur qui est en mesure de démontrer
l’absence d’un risque de confusion. Cette tendance n’a fait qu’être confirmée dans l’arrêt O2
Holdings.
d- La décision O2 Holdings941
234. Les faits. Dans une affaire relative à un cas de publicité comparative opposant deux
sociétés prestataires de services de téléphonie mobile, la Cour de justice est allée encore plus
loin dans sa négation de la fonction d’exclusivité.
937
A. FOLLIARD-MONGUIRAL, CJCE, arrêt Opel : tout est relatif, même la protection absolue, Propr. ind. 2007,
n° 3, comm. n° 18, n° 2.
938
P. TRÉFIGNY-GOY, Réception par le juge français de la jurisprudence communautaire en matière de marques,
in Propriété industrielle : vers une harmonisation des jurisprudences européennes et françaises, Colloque, Lille,
RLDA, 2009, 41.
939
V. dans le même sens, A. FOLLIARD-MONGUIRAL, CJCE, arrêt Opel : tout est relatif, même la protection
absolue, préc..
940
Bien que la marque Opel soit enregistrée pour désigner des jouets, il n’est pas certain qu’Opel exploite sa
marque à ce titre. Il aurait donc été plus opportun de faire référence à la fonction d’exclusivité du droit et
d’envisager par la suite une exception à ce droit exclusif, à savoir la déchéance pour défaut d’exploitation. C’est
ce que souligne parfaitement le Professeur BONET dans ses observations relatives à l’arrêt : « on s’étonne qu’elle
(la Cour) n’ait pas relevé qu’Autec serait en droit de demander reconventionnellement la déchéance de la
marque Adam Opel pour désigner des jouets si cette dernière société ne l’a pas exploitée pour ces produits dans
le délai de cinq ans à compter de l’enregistrement, conformément aux dispositions de l’article 10 de la directive
89/104 », G. BONET, obs. sous CJCE, 25 janv. 2007, Propr. intell., 2007, n° 23, p. 241.
941
CJCE, 12 juin 2008, C-533/06, O2 Holdings et O2, Rec. 2008, p. I-4231, Propr. ind., 2008, n° 9, comm. n°
61, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL, p. 40. ; Comm. com. élect. 2008, n° 12, comm. n° 132, obs. C. CARON, p. 28
V. également G. BONET, Articulation entre publicité comparative et protection de la marque, spécialement contre
le risque de confusion, Prop. intell. 2008, n° 29, p. 393 ; PASSA J., Les rapports entre droit des marques et droit
de la publicité comparative : un risque d’affaiblissement de la protection de la marque, Prop. ind. 2008, n° 10,
étude n° 20.
185
Les sociétés O2 Holdings Limited et O2 sont titulaires de marques figuratives représentant
des bulles sur un fond bleu. Un nouveau concurrent sur le marché de la téléphonie mobile, la
société Hutchison 3G UK Limited a eu recours à la publicité comparative pour assurer la
promotion de ses nouveaux services. Il s’agissait d’un spot publicitaire débutant par
l’utilisation du nom O2 et montrant un fond de bulle en mouvement. La publicité se
poursuivait notamment avec un message indiquant que les produits Hutchison 3G étaient
moins chers.
La juridiction de renvoi interrogea la Cour de justice sur l’application de l’article 5,
paragraphe 1 de la Directive marque : « Lorsqu’un commerçant, dans une publicité pour ses
propres produits ou services, fait usage d’une marque enregistrée détenue par un concurrent
afin de comparer les caractéristiques (et en particulier le prix) de produits ou de services
qu’il commercialise avec les caractéristiques (et en particulier le prix) des produits ou des
services commercialisés sous cette marque par ledit concurrent, et de manière telle que
l’usage concerné ne provoque pas de confusion ou ne porte pas atteinte à la fonction
essentielle de la marque consistant à indiquer la provenance, l’usage concerné relève-t-il soit
de l’article 5, [paragraphe 1], sous a), soit de l’article 5, [paragraphe 1], sous b), de la
directive 89/104 ? »942.
235. Les éléments de réponse donnés par la Cour de justice. Face à cette question, la Cour
de justice pouvait opérer une « véritable analyse de la confrontation entre le droit des
marques et le droit de la publicité comparative »943. Il n’est cependant pas question
d’envisager ici la solution dégagée par le Cour de justice sur la question des rapports entre le
droit des marques et la publicité comparative. Un élément du raisonnement de la Cour de
justice attire néanmoins l’attention.
Elle affirme que « l’usage du signe identique ou similaire à la marque qui fait naître un
risque de confusion dans l’esprit du public porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte
à la fonction essentielle de la marque »944 qui est de « garantir aux consommateurs la
provenance des produits ou des services, en raison d’un risque de confusion dans l’esprit du
public »945. La Cour, qui prenait le soin jusqu’à présent d’utiliser l’adverbe « notamment »,
semble faire uniquement référence à la fonction d’identification. La référence aux autres
fonctions de la marque et, partant, à la fonction d’exclusivité a totalement disparu. Qu’il
942
CJCE, 12 juin 2008, C-533/06, O2 Holdings et O2, Rec. 2008, p. I-4231, pt. 28.
C. CARON, obs. sous CJCE, 12 juin 2008, Comm. com. élect. 2008, n° 12, comm. n° 132.
944
CJCE, 12 juin 2008, préc., pt. 59.
945
CJCE, 12 juin 2008, préc., pt. 57.
943
186
s’agisse d’une erreur de plume ou d’une volonté946 d’interpréter ainsi l’article 5, paragraphe 1
de la Directive 2008/95 dans ce sens, l’affirmation de la Cour de justice démontre une fois de
plus l’importance prise par la fonction d’identification.
236. Bien qu’il s’agisse d’une fonction primordiale, la fonction d’exclusivité semble avoir
totalement disparu du raisonnement de la Cour de justice.
Cette assertion doit être nuancée. En effet, dans l’ordonnance rendue dans l’affaire UDV
North America947, la Cour de justice est venue préciser que la fonction d’identification n’était
pas unique948 et a même permis à la fonction d’exclusivité de faire subrepticement une
réapparition. La Cour de justice affirma que la prérogative essentielle qu’une marque confère
à son titulaire est « le pouvoir exclusif d’utiliser le signe en cause afin de distinguer des
produits »949.
Pour autant, la Cour de justice ne semble cependant pas prête à donner à la fonction
d’exclusivité la place qu’elle mérite. Au contraire, elle préfère consacrer de nouvelles
fonctions dans une hypothèse qui aurait parfaitement pu se prêter à la fonction
d’exclusivité950.
β. La reconnaissance de nouvelles fonctions au détriment de la fonction
d’exclusivité
237. C’est une nouvelle fois en ayant à se prononcer sur les rapports entre le droit des
marques et la publicité comparative que la Cour de justice a apporté une nouvelle pierre à
l’édifice des fonctions de la marque951. La Cour de justice fit preuve d’une certaine audace en
946
A. FOLLIARD-MONGUIRAL, obs. sous CJCE, 12 juin 2008, Propr. ind. 2008, n° 9, comm. n° 61, n° 2: « Erreur
de plume ou volonté délibérée de limiter le champ d’application de l’article 5 (1) de la directive, la CJCE
indique désormais que cette disposition ne s’applique que s’il est porté atteinte à la « fonction essentielle de la
marque » qui est la fonction de garantie d’identité d’origine ». Il nous semble que la seconde hypothèse doit être
privilégiée. En effet, la Cour de justice considéra que l’article 5, paragraphe 1, sous a) n’était pas applicable à
l’espèce en raison de la similitude des signes. Or, lorsqu’il s’agit d’envisager l’hypothèse prévue à l’article 5,
paragraphe 1, sous b), il apparaît que seule la fonction d’identification doit être prise en compte. V. J. PASSA,
Caractérisation de la contrefaçon par référence aux fonctions de la marque : la Cour de justice sur une fausse
piste, Propr. ind. 2011, n° 1, étude n° 1.
947
CJCE, ord., 19 févr. 2009, aff. C-62/08, UDV North America, Rec. 2009, p. I-1279.
948
CJCE, ord., 19 févr. 2009, préc., pt. 42.
949
CJCE, ord., 19 févr. 2009, préc., pt. 50.
950
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 47, p. 59.
951
CJCE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L’Oréal e.a., Rec. 2009, p. I-05185. V. Y. REBOUL, L’arrêt de la Cour de
justice du 18 juin 2009 Ŕ L’Oréal-Bellure : comment résister à la rançon de la gloire !, Legicom 2010, n° 44, p.
5. Le Professeur Reboul souligne le retentissement de la décision par la formule suivante : « L’encre était à
peine sèche, que l’arrêt de la Cour de Justice du 18 juin 2009 qui opposait des sociétés du groupe français
L’Oréal à des sociétés au Royaume-Uni faisait l’objet de nombreux commentaires, en raison de l’attente que
187
consacrant quatre nouvelles fonctions : les fonctions de communication, d’investissement, de
publicité et celle de garantie de qualité (a-). Peut-être cette audace cache-t-elle une certaine
frilosité, la Cour n’ayant pas fait le choix de réhabiliter l’idée d’une protection absolue dans
une affaire qui aurait pu s’y prêter (b-).
a- Les nouvelles fonctions de la marque
238. Le contexte de la reconnaissance. C’est dans le cadre de l’affaire opposant L’Oréal à
Bellure que le Cour de justice innova plus qu’à l'accoutumée pour envisager le droit de
marque par le biais d’autres fonctions que celle d’identification. L’Oréal e.a., titulaire d’un
certain nombre de marques renommées telles que « Trésor », « Miracle » ou bien encore
« Noa », contestait l’utilisation qui était faite de ces marques dans des tableaux de
concordance952. Ces marques verbales étaient reproduites dans des listes comparatives, afin
d’indiquer que les parfums commercialisés étaient des imitations des parfums « Trésor »,
« Miracle » et « Noa ». L’Oréal e.a. considérait que l’utilisation des listes comparatives
constituait une violation des droits qu’elle tient de leurs marques verbales.
Saisie par la High Court of Justice, la Cour de justice se voyait posée la question suivante :
« Lorsqu’un commerçant, dans une publicité pour ses propres produits ou services, fait usage
d’une marque enregistrée détenue par un concurrent afin de comparer les caractéristiques (et
en particulier l’odeur) de produits ou de services qu’il commercialise avec les
caractéristiques (et en particulier l’odeur) des produits ou des services commercialisés sous
cette marque par ledit concurrent, et de manière telle que l’usage concerné ne provoque pas
de confusion ou ne porte pas atteinte à la fonction essentielle de la marque consistant à
suscitait auprès des spécialistes du droit des marques la réponse des juges amenés à se prononcer sur
l’interprétation de deux directives appelées à se croiser dans la vie des affaires : la directive « marques » et la
directive « publicité trompeuse et publicité comparative » », p. 6. V également, C. CARON, Les tableaux de
concordance dans l’œil du cyclone, Comm. com. élect. 2009, n° 12, comm. n°111 ; A. FOLLIARD-MONGUIRAL,
CJCE, arrêt Béllure, publicité comparative et tableaux de concordance, Prop. ind. 2009, n° 9, comm. n° 51 ; B.
HUMBLOT, Droit des marques : apports essentiels de la CJCE autour de la fonction essentielle de la marque Ŕ
Regard sur les enseignements de l’arrêt « l’Oréal » du 18 juin 2009, RLDI 2009, n° 53, p. 8 ; J. PASSA, Les
rapports entre droits des marques et droit de la publicité comparative : un risque d’affaiblissement de la
protection de la marque, Propr. ind. 2008, n° 10, étude n° 20 ; G. BONET, Droit des marques et autres signes
distinctifs, Commentaire de la décision de la CJCE du 18 juin 2009, Propr. intell. 2010, n° 34, p. 655 ; L.
MARINO, L’affaire L’Oréal : le droit des marques et la publicité comparative sous le sceau du parasitisme, JCPG
2009, n° 31, 180.
952
La pratique des tableaux de concordance est courante dans le domaine des parfums ou des pièces détachées de
produits complexes. Cette pratique peut être définie comme consistant « à vendre des produits sous un numéro,
un code ou même une marque et soumettre aux distributeurs ou aux clients potentiels des tableaux indiquant que
tel produit ainsi identifié présente les mêmes caractéristiques –olfactives pour les parfums, de forme ou
techniques, pour les pièces détachées – que les produits d’une marque, connue par hypothèse », J. PASSA, Traité
de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd.,
2009, n° 270-1, p. 358.
188
indiquer la provenance, l’usage concerné relève-t-il soit de l’article 5, paragraphe 1, sous a),
soit de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104 »953. Il était ainsi demandé à
la Cour de justice de se prononcer sur la faculté pour le titulaire de protéger sa marque sans
que soit porté atteinte à la fonction essentielle de la marque.
239. La réponse de la Cour de justice. Afin de répondre à cette question, la Cour rappelle
que l’exercice du droit de marque est « réservé aux cas dans lesquels l’usage d’un signe par
un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque »954. La
Cour de justice va, pour la première fois, plus loin dans son raisonnement, en précisant que
parmi ces fonctions « figurent non seulement la fonction essentielle de la marque qui est de
garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service, mais également les
autres fonctions de celle-ci, comme notamment celle consistant à garantir la qualité de ce
produit ou de ce service, ou celles de communication, d’investissement ou de publicité »955.
On constate une nouvelle fois le désintérêt de la Cour de justice pour la fonction d’exclusivité.
On découvre également que la fonction d’identification n’est plus la seule permettant de
constater la contrefaçon. La Cour de justice note elle-même que « L’article 5, paragraphe 1,
sous a), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque
enregistrée est habilité à faire interdire l’usage par un tiers (…) d’un signe identique à cette
marque pour des produits où des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque a été
enregistrée, même lorsque cet usage n’est pas susceptible de porter atteinte à la fonction
essentielle de la marque, qui est d’indiquer la provenance des produits ou des services,
condition que ledit usage porte atteinte ou soit susceptible de porter atteinte à l’une des
autres fonctions de la marque »956. Il est regrettable que les juges n’aient pas cru bon de se
référer à la fonction d’exclusivité « qui était pourtant au cœur du problème en cause »957.
La décision de la Cour de justice a pourtant eu, dans un premier temps, le mérite de rassurer
les titulaires de marque en leur précisant que l’atteinte à la marque ne résultait pas
nécessairement d’un comportement ayant pour conséquence d’engendrer un risque de
confusion. En effet, les autres fonctions de la marque doivent être envisagées de manière
953
CJCE, 18 juin 2009, préc., pt. 30.
CJCE, 18 juin 2009, préc., pt. 58.
955
CJCE, 18 juin 2009, préc., pt. 58.
956
CJCE, 18 juin 2009, préc., pt. 65.
957
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 241, p. 298.
954
189
autonome958 comme pouvant permettre la constation de la contrefaçon. Sur ce point, la
solution de la Cour de justice ne peut qu’emporter l’assentiment. Nous l’avons constaté,
certains opérateurs économiques agissent de manière à n’engendrer « aucune confusion sur
l’origine ou, tout au moins, de la dissiper, comme c’est le cas en l’espèce »959.
L’intérêt que peut susciter cette décision pour les titulaires de la marque doit cependant être
relativisé. La Cour de justice n’a pas pris soin de définir ces fonctions et laissa la doctrine
perplexe960 . Il était difficile de savoir ce que la Cour de justice visait par ces nouvelles
fonctions et, partant, quelles pouvaient en être les conséquences961. Cette perplexité est
d’autant plus accrue que ces fonctions renvoient plus à l’aspect commercial de la marque qu’à
son aspect juridique962.
Il est par conséquent important d’essayer de décrypter et de
comprendre ces fonctions.
240. La fonction publicitaire de la marque. La fonction publicitaire de la marque ne doit
pas être perçue comme une véritable nouveauté de la part de la Cour de justice. Elle y fit
référence plus discrètement dans l’arrêt Dior de 1997963. La doctrine, quant à elle, reconnut
très tôt cet aspect de la marque964. La fonction publicitaire apparaît d’ailleurs pour certains
comme étant la fonction économique « la plus importante de la marque »965.
958
B. HUMBLOT, Droit des marques, apports essentiels de la CJCE autour de la fonction essentielle de la marque
Ŕ Regard sur les enseignements de l’arrêt « l’Oréal » du 18 juin 2009, RLDI 2009, n° 53, p. 8. Pour cet auteur,
« ce qui est nouveau et fondamental, c’est que l’atteinte à ces autres fonctions est « autonomisée » ». C'est-à-dire
que « l’activation du droit privatif » se fait en dehors d’atteinte à la fonction essentielle de la marque.
959
J. PASSA, L’usage de marque dans la jurisprudence récente de la CJCE, RJDA 2003, n° 3, chron., p. 195.
960
Nous reprenons ici la formule du Professeur MARINO qui n’hésite pas à qualifier ces trois nouvelles fonctions
de « mystérieuses ». L. MARINO, L’affaire L’Oréal : le droit des marques et la publicité comparative sous le
sceau du parasitisme, JCPG 2009, n° 31, 180.
961
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 51-1, p. 64.
962
V. ce sens, Y. REBOUL, L’arrêt de la Cour de justice du 18 juin 2009 Ŕ L’Oréal-Bellure : comment résister à
la rançon de la gloire !, Legicom 2010, n° 44, p. 5 et plus particulièrement p. 13: « Il nous semble, en effet, que
ces nouvelles fonctions assignées à la marque, qui conduisent à assimiler les fonctions commerciales de celle-ci
à sa fonction juridique, introduisent un élément d’incertitude, voire de flou juridique ». V. également, F.
POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2e éd., 2011, n° 1294 et
1296, p. 710 et 712.
963
CJCE, 04 nov. 1997, aff. C-337/95, Parfums Christian Dior c/ Evora, Rec. 1997, p. I-6013, pt. 39. C’est la
juridiction de renvoi qui utilisait la formule « fonction publicitaire », celle-ci ne fut pas reprise par la Cour de
justice dans sa réponse.
964
V. Marque et droit économique Ŕ Les fonctions de la marque, Colloque du 6 et 7 novembre 1975, Union des
fabricants, 1976 et notamment l’allocution de Monsieur le Professeur BEIER. V. également, P. ROUBIER, , Le
droit de la propriété industrielle, t. 2, Sirey, 1954, n° 252, p. 515.
965
F.-K. BEIER, Nature et fonctions juridiques de la marque, in Marque et droit économique Ŕ Les fonctions de la
marque, Colloque du 6 et 7 novembre 1975, Union des fabricants, 1976, p. 96, spéc. p. 103. Contra P.
MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 15 : « Il ne s’agit pas à proprement parler
d’une fonction, mais simplement d’une utilité, d’ailleurs décisive ».
190
Par cette fonction publicitaire, il faut comprendre que la marque a « pour tâche de diriger
l’attention du public sur le produit et de le recommander aux clients »966. Dans ses
conclusions dans l’affaire Sieckmann, l’avocat général COLOMER mit en exergue cette
fonction en soulignant que la marque « permettait d’établir un dialogue entre le producteur et
le consommateur. Pour que ce dernier connaisse les produits, le fabricant l’informe et,
quelquefois, le convainc. En réalité la marque est une forme de communication »967.
Certains auteurs sont allés plus loin en assimilant la fonction publicitaire de la marque au
concept d’image de marque968. La fonction publicitaire se définirait alors comme « l’ensemble
des représentations tendant à singulariser aux yeux du public, la notoriété d’une marque, ou
tout autre élément pouvant avoir une valeur économique – et qui résulte de nombreux
investissements (notamment publicitaires et marketing) »969.
S’il est vrai que la publicité est un excellent vecteur de communication, permettant
notamment de créer ce qu’il est courant de qualifier d’image de marque, il nous semble
cependant impossible d’assimiler la fonction publicitaire à la notion d’image de marque. Une
telle assimilation reviendrait à confondre les moyens avec le but qui pourrait être atteint. En
outre, il est parfaitement envisageable que certaines publicités n’aient pas pour vocation de
créer l’image de marque, mais au contraire de simplement communiquer sur les produits et
services.
Afin d’appréhender la fonction publicitaire de la marque, il convient de se référer à la
définition même de la publicité. Il s’agit de « toute communication quelle qu’en soit la forme
destinée à promouvoir la fourniture de biens ou de services »970. Elle est également définie
comme une « communication de masse partisane faite pour le compte d’un émetteur
clairement identifié qui paie des médias pour insérer ses messages promotionnels dans des
espaces distincts du contenu rédactionnel et les diffuser ainsi aux audiences des médias
retenus »971.
Juridiquement, la notion de publicité n’a pas fait l’objet d’une définition très précise. En
France, le seul texte qui semble en avoir définit les contours est l’article L. 581-3 du Code de
l’environnement qui dispose : « Constitue une publicité, à l’exclusion des enseignes et des
966
F.-K. BEIER, Nature et fonctions juridiques de la marque, préc., spéc. p. 103.
V. D. R-J. COLOMER, Concl., 6 nov. 2001, aff. C-273/00, Sieckmann, pt. 19.
968
J. MONTEIRO & V. RUZEK, L’usage du signe à des fins autres que celle de distinguer les produits ou services
d’un opérateur économique, Propr. ind. 2007, n°4, étude n° 9.
969
J. MONTEIRO & V. RUZEK, préc., citant H. MACCIONNI, L’image de marque. Emergence d’un concept
juridique ?, JCPG 1996, I, 3934.
970
G. CORNU, Vocabulaire Juridique, Association Henri CAPITANT, PUF, 9e éd., 2011. V. également, R.
CABRILLAC, (ss. dir.) Dictionnaire du vocabulaire juridique 2012, LexisNexis, 2012.
971
B. BROCHAND & J. LENDREVIE, Publicitor, Dunod, 7e éd., 2008, p. 98.
967
191
préenseignes, toute inscription, forme ou image, destinée à informer le public ou à attirer son
attention, les dispositifs dont le principal objet est de recevoir lesdites inscriptions, formes ou
images étant assimilées à des publicités ». Au niveau européen, c’est la Directive européenne
n° 84/450972 qui envisage la notion de publicité. La publicité serait « toute forme de
communication faite dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou
libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services, y compris les biens
immeubles, les droits et les obligations ». Enfin, pour la Cour de cassation, la publicité
est « au sens de la loi du 27 décembre 1973, tout moyen d’information destiné à permettre à
un client potentiel de se faire une opinion sur les résultats qui peuvent être attendus du bien
ou du service proposé »973. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence est venue préciser que « la
notion de publicité suppose la fourniture à un support d’un texte établi par un commerçant et
destiné à être représenté tel quel à sa clientèle ; qu’elle s’oppose à la notion d’information
libre, publiée par la presse écrite ou audiovisuelle, à l’occasion d’un fait ou d’un
événement »974.
L’idée de promotion serait consubstantielle à la notion de publicité. La fonction publicitaire
traduirait simplement le fait pour la marque d’être un instrument assurant la promotion des
produits et services désignés par le signe. La marque, en exerçant sa fonction publicitaire,
apparaît comme un moyen permettant d’attirer l’attention des consommateurs.
Une telle approche de la fonction publicitaire semble confirmée par le Cour de justice
lorsqu’elle affirme que « le titulaire d’une marque peut avoir non seulement l’objectif
d’indiquer, par ladite marque, l’origine de ses produits ou de ses services, mais également
celui d’employer sa marque à des fins publicitaires visant à informer et à persuader le
consommateur »975.
972
Directive 84/450/CEE du Conseil du 10 septembre 1984 relative au rapprochement des dispositions
législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité trompeuse.
973
Cass. crim., 12 nov. 1986, Bull. crim., n° 335 p. 861. V. également dans le même sens, Cass. crim., 14 oct.
1998, Contr., conc., consom. 1999, comm. n° 32 ; CA Paris, 13e ch. B., 26 sept. 1996, Juris-Data n° 1996022827.
974
Aix-en-Provence, 13 févr. 1980, D. 1980, juris. p. 618, note V. ENDRÉO. V. pour une analyse plus détaillée de
la publicité commerciale, G. RAYMOND, Publicité : règles générales, J.-Cl. Commercial, Fasc. 930, 2002.
L’auteur opère une distinction entre les différents messages publicitaires en fonction de leurs contenus. Ainsi,
certains messages publicitaires doivent être qualifiés de simples sollicitations. Il s’agit de messages publicitaires
qui « ont pour but seulement de porter à la connaissance des consommateurs l’existence d’un produit, d’un
service ou d’une entreprise », n° 11. D’autres messages peuvent être qualifiés de véritables invitations à
pourparlers. C’est le cas quand le message s’adresse « directement à un consommateur pour l’inviter à
contracter » mais que toutes les caractéristiques du contrat à conclure ne sont pas indiquées. C’est le cas non
seulement du démarchage téléphonique mais également du publipostage. Enfin, le message publicitaire peut
même être qualifié d’offre de contracter quand il s’agit d’ « une invitation à se procurer un produit ou un service
dans des conditions bien déterminées ».
975
CJUE, 23 mars 2010, aff. jointes C-236/08, C-237/08 et C-238/08, Google France et Google, Rec. 2010, p. I02417, pt. 91.
192
L’atteinte à la fonction publicitaire devrait se traduire par une usurpation de cette utilité par
les tiers. Par conséquent, il serait possible de considérer que la fonction publicitaire de la
marque est atteinte lorsqu’un tiers utilise la marque du titulaire légitime afin d’assurer la
promotion de ses propres produits. L’exemple parfait d’une telle atteinte serait ainsi
l’utilisation d’une marque dans un tableau de concordance, telle que dans l’affaire L’Oréal
contre Bellure. La marque fut utilisée par l’annonceur afin de procéder à la promotion de ses
propres produits.
En d’autres termes, la fonction publicitaire serait atteinte lorsque la marque n’est pas utilisée
pour la promotion des produits ou services du titulaire, mais lorsqu’elle assure la promotion
de ceux d’un tiers qui n’aurait pas été autorisé à le faire. L’atteinte à la fonction publicitaire
serait constituée par l’atteinte à l’exclusivité de l’usage publicitaire de la marque,
théoriquement réservé au titulaire de la marque.
241. La fonction de communication. La Cour de justice consacra également une fonction
difficile à distinguer976 de la fonction publicitaire : la fonction de communication. Les notions
de communication et de publicité sont intimement liées, au point de pouvoir affirmer que sans
communication, il n’y aurait pas de publicité.
Le champ sémantique du terme « communication » est cependant plus vaste que celui de la
publicité. La communication s’entend de l’« ensemble des techniques médiatiques utilisées
(dans la publicité, les médias, la politique) pour informer, influencer l’opinion du public en
vue de promouvoir ou d’entretenir une image »977. Le terme « communication » peut
également signifier la « relation dynamique qui intervient dans un fonctionnement. Passage
ou échange de messages entre un sujet émetteur et un sujet récepteur au moyen de signes, de
signaux »978. L’idée qui ressort de ces deux acceptions est celle d’information. Communiquer,
c’est informer au sens large du terme. Il s’agit de la différence, minime, qui existe entre la
fonction publicitaire et la fonction de communication.
Par conséquent, envisager la marque sous l’angle de la fonction publicitaire, c’est
l’appréhender comme un instrument promotionnel. Envisager la marque sous l’angle de la
fonction de communication, c’est l’appréhender comme un instrument d’informations, tant
objectives que subjectives. La fonction de communication doit être entendue plus largement
que la fonction publicitaire, la marque pouvant être utilisée dans le cadre de sa fonction
976
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 51-1, p. 64.
977
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
978
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
193
d’identification non seulement à des fins promotionnelles du produit ou service, mais
également à des fins descriptives979.
Appréhender la fonction de communication de la sorte impliquerait qu’un tiers ne soit pas en
mesure d’utiliser la marque sans y être autorisé afin de communiquer sur les caractéristiques
de ces produits. Constituerait une atteinte à la fonction de communication, le fait pour un tiers
non autorisé d’utiliser le marque d’autrui en vue de décrire les caractéristiques des produits
qu’il commercialise. Cette conception de la fonction de communication ne semble cependant
pas devoir être retenue par la Cour de justice qui rappelle dans l’arrêt L’Oréal contre Bellure
que « certains usages à des fins purement descriptives sont exclus du champ d’application de
l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104 puisqu’ils ne portent atteinte à aucun des
intérêts que cette disposition vise à protéger et ne relève donc pas de la notion d’usage au
sens de cette disposition »980.
Une telle approche de la fonction de communication permettrait pourtant d’assurer la
cohérence et l’existence de cette fonction. Au regard de la jurisprudence de la Cour de justice,
nous sommes en droit de nous interroger sur le devenir de la fonction de communication. Les
juges communautaires ne sont jamais venus préciser le sens de celle-ci, au contraire de la
fonction d’investissement.
242. La fonction d’investissement. En sus de la fonction publicitaire et de la fonction de
communication, la Cour a également consacré la fonction d’investissement, qui apparaît
comme la fonction la plus floue. En effet, l’idée d’investissement, à laquelle est liée l’idée de
récompense, est absente de la protection conférée par le droit de marque981. Difficile dès lors
979
V. dans un sens similaire, P. MENGOZZI, Concl., 10 févr. 2009, aff. C-487/07, L’Oréal e.a., pt. 54: « Quant
aux fonctions de communication remplies par la marque, et auxquelles se réfère L’Oréal, il apparaît certain que
la marque peut véhiculer auprès des consommateurs des informations de nature variée concernant le produit qui
en est revêtu. Il peut s’agir d’informations directement transmises par le signe qui compose la marque (par
exemple, des informations relatives à des caractéristiques matérielles du produit transmises par les éléments
descriptifs éventuellement contenus dans une marque complexe) ou, plus fréquemment, d’informations
«accumulées» sur la marque par le biais des actions promotionnelles et publicitaires menées par le titulaire –
par exemple, des messages relatifs à des caractéristiques immatérielles donnant une image du produit ou de
l’entreprise en termes généraux (par exemple, la qualité, la fiabilité, le sérieux, etc.) ou particuliers (par
exemple, un certain style, le luxe, la force). Cette aptitude de la marque en termes d’information mérite
protection, y compris lorsque l’usage de la marque par un tiers n’est pas de nature à provoquer de confusion
quant à la provenance des produits ou des services ».
980
CJCE, 18 juin 2009, préc., pt. 61.
981
Les concepts d’investissement et de récompense sont au contraire omniprésents en matière de brevet, de
dessin et modèle et de base de données. Ainsi, En matière de brevet, c’est l’objet spécifique du droit exclusif qui
est gouverné par l’idée de récompense : L’objet spécifique du brevet « est notamment d’assurer au titulaire, afin
de récompenser l’effort créateur de l’inventeur, le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication
et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement, soit par l’octroi de licences à des
tiers, ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon » (CJCE, 31 oct. 1974, aff. 15/74, Centrafarm B.V. e.a.
c/ Sterling Drug, Rec. 1974, p. 1147). Concernant les bases de données, le droit sui generis conféré au
194
d’appréhender avec précision cette fonction. Pour le Professeur PASSA, cette fonction
d’investissement permettrait d’éviter au titulaire par l’usage d’un signe identique ou similaire
qu’ « un tiers ne profite des investissements engagés pour faire connaître et apprécier sa
marque »982. L’atteinte à la fonction d’investissement prendrait alors la forme d’une
concurrence parasitaire, le concurrent souhaitant tirer profit des investissements du titulaire de
la marque. Le Professeur PASSA ajoute cependant qu’il est difficile de déduire que la marque
exerce une fonction d’investissement du fait que « les actes interdits à ce titre le sont en
raison soit d’une atteinte à la fonction de garantie d’identité d’origine, soit d’une atteinte à la
marque renommée »983.
La Cour de justice est préciser le sens de cette fonction d’investissement dans l’arrêt
Interflora984. Par fonction d’investissement, il faudrait comprendre que le titulaire utilise la
marque afin « d’acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des
consommateurs »985. La Cour de justice ajoute que la fonction d’investissement doit être
distinguée de la fonction publicitaire en ce sens que « l’emploi de la marque pour acquérir ou
conserver une réputation s’effectue non seulement au moyen de la publicité, mais également
au moyen de diverses techniques commerciales »986. La fonction d’investissement se voudrait
plus large que la fonction publicitaire et serait atteinte « lorsque l’usage par le tiers d’un
signe identique à cette marque pour des produits ou des services identiques affecte cette
réputation et met ainsi en péril le maintien de celle-ci »987. Dans l’hypothèse où le titulaire de
la marque ne bénéficierait pas d’une telle réputation, il y aurait atteinte à la fonction
d’identification lorsque « l’usage par un tiers, tel qu’un concurrent du titulaire de la marque,
d’un signe identique à cette marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour
producteur d’une base de données apparaît également conditionné par l’idée de récompense eu égard à la place
primordiale qu’occupe l’idée d’investissement dans la protection du producteur de base de données. L’article L.
341-1 du Code la propriété intellectuelle dispose en effet : « Le producteur d’une base de données, entendu
comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une
protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste
d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel ». V. sur la protection juridique des bases de
données, F. POLLAUD-DULIAN, Brèves remarques sur la Directive du 11 mars 1996 concernant la protection
juridique des bases de données, D. aff. 1996, p. 539. L’idée d’investissement renvoie également à la notion de
parasitisme, le parasitisme étant le fait pour un opérateur économique de se placer dans le sillage de la renommée
d’autrui en vue de bénéficier des retombées de celle-ci. Le parasitisme qu’il soit concurrentiel ou non consiste à
tirer profit des investissements d’autrui. V. sur la notion de parasitisme, P. LE TOURNEAU, Parasitisme. Ŕ Notion,
J.-Cl. Concurrence Ŕ Consommation, Fasc. 227, 2010
982
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 51-1, p. 64
983
J. PASSA, op. cit., n° 51-1, p. 64.
984
CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora e.a., non encore publié au Recueil.
985
CJUE, 22 sept. 2011, préc., pt. 60.
986
CJUE, 22 sept. 2011, préc., pt. 61.
987
CJUE, 22 sept. 2011, préc., pt. 62.
195
lesquels celle-ci est enregistrée gêne de manière substantielle l’emploi, par ledit titulaire, de
sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des
consommateurs »988.
Difficile, au regard de ces éléments, de comprendre la démarche de la Cour de justice. En
rattachant la notion d’investissement à la notion de réputation, la Cour de justice renvoie à
l’idée de parasitisme et au fait pour un opérateur économique de se placer dans le sillage d’un
autre opérateur économique afin de bénéficier de la notoriété de ce dernier et, partant, de ses
investissements. Pour autant, l’approche de la Cour de justice ne semble pas aller dans le sens
d’une consécration du parasitisme comme atteinte au droit de marque. La Cour de justice vise
deux hypothèses distinctes : l’acquisition et la conservation de la réputation. Dans l’un ou
l’autre cas, la Cour de justice ne semble pas vouloir sanctionner le fait de se mettre dans le
sillage d’autrui mais plus l’impact que pourrait engendrer un tel comportement sur la
réputation du titulaire de la marque.
L’hypothèse de la conservation de la réputation fait indéniablement écho à la prise en compte
de la réputation comme motif légitime permettant de faire échec à la règle de l’épuisement 989.
Le raisonnement de la Cour de justice est cependant quelque peu différent qu’en matière
d’épuisement dans la mesure où dans l’arrêt Interflora, l’atteinte à la réputation n’est pas
envisagée directement, mais à travers le prisme de la fonction d’investissement. En outre, il
convient de relever que la combinaison de la réputation avec l’investissement permet de
légitimement croire que la fonction d’investissement soit reservée aux marques renommées.
Seuls les titulaires de marques renommées seraient vraisemblablement en mesure de
démontrer l’atteinte à la réputation.
L’atteinte à la réputation en devenir semble, au contraire, plus délicate à cerner : comment
apprécier l’atteinte à une réputation qui n’existe pas encore ? Comment les juges peuvent-ils
déterminer qu’un usage de la marque non autorisé empêche la marque d’acquérir une
réputation ? Encore une fois, un recours à la fonction d’exclusivité semblerait opportun. En
effet, la création de la réputation est liée à l’exploitation de la marque990. Or, le fait pour le
tiers d’utiliser la marque du titulaire sans y avoir été autorisé constitue une contestation
d’exclusivité et, partant, un obstacle empêchant la marque d’acquérir une réputation.
Envisager la fonction d’investissement de la marque autrement qu’à l’aune de la fonction
988
CJUE, 22 sept. 2011, préc., pt. 63.
CJUE, 22 sept. 2011, préc., pt. 63. La Cour de justice renvoie expressément à une décision rendue en matière
de déconditionnement (CJUE, 12 juill. 2011, aff. C-324/09, L’Oréal e.a., Rec. 2011, p. 00000), faisant ainsi le
lien avec la jurisprudence rendue en matière d’épuisement du droit. Cf. infra n° 402.
990
Cf. infra n° 452.
989
196
d’exclusivité serait particulièrement préjudiciable. Le juge serait libre d’apprécier la gravité
de l’usage et de le considérer comme non contrefaisant au motif qu’il n’empêcherait pas le
titulaire de la marque authentique d’acquérir une réputation. Tel semble pourtant être le
chemin suivi par la Cour de justice991.
243. La fonction de garantie de qualité. La Cour de justice a enfin consacré une quatrième
et dernière fonction : la fonction de garantie de qualité. Une fonction de garantie de qualité
avait déjà été reconnue par la jurisprudence française au dix-neuvième siècle992. Au niveau
communautaire, tout un pan de la doctrine considère que l’arrêt L’Oréal contre Bellure993
n’est pas une consécration, mais plus une simple confirmation de sa jurisprudence
antérieure994. Pourtant, si la formule semble bien ancrée, on constate qu’elle n’a pas fait
l’objet d’une définition.
Il est une nouvelle fois délicat de comprendre la démarche de la Cour de justice. Cette
fonction de garantie de qualité donne indéniablement une teinte consumériste à la marque et
semble renvoyer à l’idée selon laquelle la marque serait l’indicateur d’une certaine qualité,
impliquant également qu’elle serait l’indicateur d’une constance de qualité. Une telle fonction
apparaîtrait alors en contradiction avec l’approche libérale995 qui gouverne le droit des
marques tant en France qu’au niveau communautaire. Il est particulièrement difficile de croire
en l’existence d’une telle fonction et encore plus en son intérêt. Il s’agit d’ailleurs d’une
991
CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora e.a., non encore publié au Recueil, pt. 65.
Paris, 16 janv. 1868, Ann. propr. ind. 1869, p. 336. Dans cet arrêt, les juges n’ont pas hésité à affirmer que :
« la marque est le signe distinctif du produit dont elle sert à garantir la qualité, assurer la réputation et faire
connaître l’origine ».
993
CJCE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L’Oréal e.a., Rec. 2009, p. I-05185.
994
C. GAVALDA & G. PARLÉANI, Droit communautaire des affaires, JCPE 1997, I, n° 18-19, 653, n° 16. Pour ces
auteurs, « la fonction de la marque est clairement, outre l’identité d’origine, de garantir la qualité, ou bien
l’image voulue ou obtenue par le fabricant, avec la responsabilité qui en découle ». Pour d’autres auteurs, la
fonction de garantie de qualité est connue depuis l’arrêt Arsenal de 2002. V. A. FOLLIARD-MONGUIRAL, note
sous CJCE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L’Oréal e.a., Rec. 2009, p. I-05185, Propr. ind. 2009, n° 9, comm. n°
51, n° 3 ; C. DE HAAS, Le non-sens d’une marque sans usage ou le vice fondamental du droit des marques
français et européen, Propr. ind. 2010, n°1, étude n° 1, spéc. n° 9. V. également, J. LARRIEU, Glissements
progressifs vers une nouvelle image de la marque, Propr. ind. 2010, n° 9, alerte n° 87.
995
V. A. CHAVANNE & J.-J. BURST, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, 5ème éd., 1998, n° 881, p.
489.
992
197
fonction qui est996 et a toujours été997 contestée, dont la reconnaissance serait un non-sens et
dangereux au regard de notre système998.
244. La consécration de ces nouvelles fonctions fit couler beaucoup d’encre
et laissa
perplexe. La Cour de justice continue dans la voie qu’elle a tracée et envisage désormais
régulièrement la protection de la marque à l’aune de ces nouvelles fonctions999. La perplexité
a laissé place à la critique1000.
b- La critique des nouvelles fonctions de la marque
245.Une réhabilitation de la fonction d’exclusivité. Pour étrange qu’il soit, l’arrêt L’Oréal
contre Bellure permettait néanmoins d’espérer.
Il permettait d’espérer à une réhabilitation de la fonction d’exclusivité. En envisageant
d’autres fonctions de la marque, la Cour de justice renvoyait aux autres utilités de la marque.
Or, le droit de marque étant un droit de propriété, il permet de réserver de manière exclusive
toutes les utilités de la marque, dont font partie la fonction publicitaire, la fonction de
communication voire la fonction d’investissement. La Cour de justice en reconnaissant que la
marque n’avait pas pour seule fonction l’identification des produits ou des services consacrait,
en quelque sorte, à mots couverts, la résurgence de la fonction d’exclusivité et laissait croire
au retour à une protection absolue. Encore fallait-il que son approche de ces nouvelles le
permette.
246. L’utilisation critiquable des nouvelles fonctions de la marque dans le cadre du
contentieux relatif aux AdWords. C’est dans le cadre du contentieux relatif aux AdWords
que la Cour de justice a pu mettre en application les fonctions consacrées dans l’arrêt L’Oréal
contre Bellure.
996
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 51, p. 62 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica,
Corpus droit privé, 2e éd., 2011, n° 1295, p. 711.
997
Y. SAINT-GAL, Marque et qualité, in Marque et droit économique Ŕ Les fonctions de la marque, Colloque du
6 et 7 novembre 1975, Union des fabricants, 1976, p. 36, spéc. p. 42 ; F.-K. BEIER, Nature et fonctions juridiques
de la marque, in Marque et droit économique Ŕ Les fonctions de la marque, Union des fabricants, 1975, p. 102.
998
Cf. infra Partie 2, Titre 1.
999
CJUE, 23 mars 2010, aff. jointes C-236/08, C-237/08 et C-238/08, Google France et Google, Rec. 2010, p. I02417 ; CJUE, 25 mars 2010, aff. C-278/08, BergSpechte, Rec. 2010, p. I-02517 ; CJUE, 8 juill. 2010, aff. C558/08, Portakabin, Rec. 2010, p. 00000 ; CJUE, ord., 26 mars 2010, aff. C-91/09, Eis.de, Rec. 2010, p. 00000 ;
CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora e.a., non encore publié au Recueil.
1000
J. PASSA, Caractérisation de la contrefaçon par référence aux fonctions de la marque : la Cour de justice sur
une fausse piste, Propr. ind. 2011, n° 1, étude n° 1.
198
Le premier arrêt en date est celui du 23 mars 2010 : l’arrêt « Google AdWords » 1001. Il était
demandé à la Cour de justice de se prononcer sur les services de référencement de mots-clés
proposé par la société Google à des annonceurs. Google propose un service de référencement
payant, dénommé « AdWords », permettant à tout opérateur économique, moyennant la
sélection d’un ou plusieurs mots clés, de faire apparaître, en cas de concordance entre ce ou
ces mots-clés et ceux contenus dans la recherche d’un internaute adressée au moteur de
recherche, un lien promotionnel vers le site de l’opérateur économique. Plusieurs titulaires1002
de marque assignèrent les annonceurs1003.
Saisie par la Cour de cassation, la Cour de justice devait notamment répondre à la question
suivante : « La réservation par un opérateur économique, par voie de contrat de
référencement payant sur Internet, d’un mot clé déclenchant en cas de requête utilisant ce
mot l’affichage d’un lien proposant de se connecter à un site exploité par cet opérateur afin
d’offrir à la vente des produits ou des services, d’un signe reproduisant ou imitant une
marque enregistrée par un tiers afin de désigner des produits identiques ou similaires, sans
l’autorisation du titulaire de cette marque, caractérise-t-elle en elle-même une atteinte au
droit exclusif garanti à ce dernier par l’article 5 de la [directive 89/104]? »1004.
Il était par conséquent demandé à la Cour de justice de se prononcer sur l’usage d’une marque
reproduite à l’identique pour désigner des produits ou services identiques. Cette hypothèse de
double identité n’empêcha pas la Cour de justice de faire référence à la fonction
d’identification. Elle précisa ainsi que « la question de savoir s’il y a atteinte à cette fonction
de la marque lorsqu’est montrée aux internautes, à partir d’un mot clé identique à une
1001
CJUE, 23 mars 2010, aff. jointes C-236/08, C-237/08 et C-238/08, Google France et Google, Rec. 2010, p. I02417, Propr. ind. 2010, n°5, comm. n° 31, obs. P. TRÉFIGNY ŔGOY ; Propr. ind. 2010, n° 6, comm. n° 38, note
A. FOLLIARD-MONGUIRAL ; Comm. com. élect. 2010, n° 7, comm. n° 70, note C. CARON ; Legipresse 2010,
n°274, p. 166, note C. MARÉCHAL ; RLDA 2010, n° 50, p. 23 ; JCPG 2010, n° 23, 642, note L. MARINO ; G.
BONET, Publicité sur internet et référencement selon la Cour de justice : contrefaçon de marque ou directive n°
2000/31/CE, Comm. com. élect. 2010, n° 6, étude n° 12 ; F. GLAIZE & B. PAUTROT, Marques et liens
publicitaires : le premier arrêt de la CJUE, RLDI 2010, n° 60, p. 63 ; C. ROQUILLY, « Google it » ou la
confrontation d’une stratégie d’innovation et d’un business model avec le droit de la propriété intellectuelle, Gaz.
pal. 2010, 19 juin, n° 170, p. 7 ; C. CASTETS-RENARD, Système Adwords : Google n’est ni un contrefacteur ni
complice d’actes de contrefaçon, RLDI 2010, n° 61, p. 9 ; M. SCHAFFNER & L. SAUTTER, AdWords : La Cour de
justice se prononce en faveur de Google, JCPE 2010, n° 13, act . 186 . V. aussi, CJUE, 25 mars 2010, aff. C278/08, BergSpechte, Rec. 2010, p. I-02517, Propr. ind. 2010, n° 6, comm. n° 39, note A. FOLLIARDMONGUIRAL ; Comm. com. élect. 2010, n° 7, comm. n° 70, note C. CARON. ; G. BONET, Publicité sur internet et
référencement selon la Cour de justice : contrefaçon de marque ou directive n° 2000/31/CE, Comm. com. élect.
2010, n° 6, étude n° 12 ; F. POLLAUD-DULIAN, L’emploi des marques d’autrui dans un système de référencement
commercial sur internet, Propr. intell. 2010, n° 36, p. 823
1002
Vuitton, Viaticum, Luteciel, Monsieur THONET, CNRRH.
1003
Google fut également assigné. Néanmoins, seul l’usage fait par les annonceurs de la marque devra retenir
notre attention ici, la Cour de justice n’ayant pas recours aux nouvelles fonctions de la marque pour envisager la
situation de Google.
1004
CJUE, 23 mars 2010, préc., pt. 41.
199
marque, une annonce d’un tiers, tel qu’un concurrent du titulaire de cette marque, dépend de
la façon dont cette annonce est présentée »1005. L’atteinte doit être constatée dès lors que
« l’annonce ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement
informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par
l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à
celui-ci ou, au contraire, d’un tiers »1006. Il appartiendra au juge national d’apprécier la
question du risque de confusion. On constate une fois de plus l’importance prise par la
fonction d’identification dans l’appréciation de la contrefaçon.
La Cour de justice propose également d’appréhender la problématique des « AdWords » à
travers le prisme de la fonction publicitaire. La Cour de justice affirme à ce titre que « le
titulaire d’une marque est habilité à interdire l’usage, sans son consentement, d’un signe
identique à sa marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels cette
marque est enregistrée, lorsque cet usage porte atteinte à l’emploi de la marque, par son
titulaire, en tant qu’élément de promotion des ventes ou en tant qu’instrument de stratégie
commerciale »1007. Cependant, la Cour de justice ajoute que « ces répercussions de l’usage du
signe identique à la marque par des tiers ne constituent pas en soi une atteinte à la fonction
de publicité de la marque »1008 dans la mesure où le site d’accueil et promotionnel du titulaire
de la marque apparaîtra dans les listes des résultats. La Cour en conclut donc que « la
visibilité pour l’internaute des produits ou services du titulaire de la marque est garantie,
indépendamment de la question de savoir si ce titulaire réussit ou non à faire également
afficher, sur l’un des premiers rangs, une annonce dans la rubrique « liens
commerciaux » »1009.
Il est regrettable que la Cour de justice n’ait pas retenu la conception qu’il aurait été possible
de se faire de la fonction publicitaire et de son atteinte1010. La Cour de justice considère que
l’atteinte à la fonction publicitaire ne résulte pas du fait de profiter de cette fonction pour
assurer la promotion de ses produits ou services, mais du fait que l’usage effectué par le tiers
1005
CJUE, 23 mars 2010, préc., pt. 83.
CJUE, 23 mars 2010, préc., pt. 84.
1007
CJUE, 23 mars 2010, préc., pt. 92.
1008
CJUE, 23 mars 2010, préc., pt. 95.
1009
CJUE, 23 mars 2010, préc., pt. 97. V. également, CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora e.a., non
encore publié au Recueil, pt. 57 : « le seul fait que l’usage, par un tiers, d’un signe identique à une marque pour
des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée contraigne le titulaire
de cette marque à intensifier ses efforts publicitaires pour maintenir ou augmenter sa visibilité auprès des
consommateurs, ne suffit pas, dans tous les cas, pour conclure qu’il y a atteinte à la fonction de publicité de
ladite marque ».
1010
Cf. supra n° 240.
1006
200
devient un frein à la promotion des produits ou services du titulaire légitime1011. En d’autres
termes, seule la constatation d’un préjudice permet déterminer l’atteinte à la fonction
publicitaire. De ce fait, les juges doivent apprécier la gravité de l’usage et de son impact sur la
fonction publicitaire. Si l’usage en question a pour conséquence de freiner la promotion que le
titulaire peut faire de ses produits et services marqués, alors, l’atteinte à la fonction
publicitaire et, partant, la contrefaçon devra être constatée. À l’inverse, si le juge considère
que l’usage de marque n’empêche pas les tiers d’assurer la promotion de ses produits et
services, la contrefaçon ne pourra être constatée. Par cette interprétation la Cour tend à
légitimer et à étendre les hypothèses d’usage de la marque d’autrui, le juges devant tenir
compte du préjudice, de la gravité et des conséquences de l’usage1012. La contrefaçon doit
nécessairement entraîner une « souffrance » pour le titulaire.
En interprétant de la sorte les nouvelles fonctions de la marque, la Cour de justice va à
l’encontre de la logique de la fonction d’exclusivité.
247. Une solution contraire à la logique de la fonction d’exclusivité. Si la Cour de justice
avait envisagé la problématique des « AdWords » par le biais de la fonction d’exclusivité, la
solution aurait été nécessairement différente.
Pour retenir que la fonction publicitaire n’a pas été atteinte, la Cour de justice a constaté que
l’usage du tiers n’avait pas pour conséquence de priver le titulaire de son outil promotionnel.
Pourtant, le terme « atteinte » ne signifie pas nécessairement qu’il y a eu une privation du bien
en question. L’atteinte peut également résulter de l’usage, non consenti par le titulaire du
droit, qu’un tiers peut faire d’une des prérogatives du bien ou du droit1013. Il s’agit du concept
du « vol d’usage »1014 reconnu par la jurisprudence en droit pénal1015. En droit civil, en
matière d’immeuble, on parle d’empiètement1016. L’atteinte peut donc être perçue comme une
contestation d’exclusivité.
1011
A. FOLLIARD-MONGUIRAL, obs. sous CJUE, 25 mars 2010, aff. C-278/08, Propr. ind. 2010, n° 6, comm. 39,
n° 6.
1012
Au regard de la décision Interflora, il semble que l’atteinte à la fonction d’investissement doive être
appréciée dans le même sens. V. CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora e.a., non encore publié au
Recueil, pt. 65.
1013
V. G. CORNU, Vocabulaire Juridique, Association Henri CAPITANT, PUF, 9e éd., 2011. L’atteinte peut se
définir d’une manière assez générale comme l’« action dirigée contre quelque chose ou quelqu’un par des
moyens divers : dégradations (atteinte matérielle), injure (atteinte morale), blessure (atteinte corporelle),
spoliation (atteinte juridique) etc. ».
1014
V. D. AUGER, Droit de propriété et droit pénal, PUAM, 2005, n° 35, p. 45. Pour qu’il y ait vol d’usage, « il
suffit d’usurper indûment une prérogative attachée au droit de propriété », n° 36.
1015
Cass. crim., 19 févr. 1959, D. 1959, juris, p. 331, note G. ROUJOU DE BOUBÉE ; JCPG 1959, II, 11178, note
P. CHAMBON ; Cass. crim., 21 mai 1963, D. 1963, juris., p. 568.
1016
V. C. SIMLER, Droit d’auteur et droit commun des biens, Litec, CEIPI, t. 55, 2010, n° 153, p. 122.
201
Dès lors, la fonction publicitaire pourrait être atteinte du simple fait que le tiers utilise la
marque à des fins promotionnelles pour ses produits et services. La gravité de l’usage et les
conséquences de cet usage sont des éléments contingents ne devant pas être pris en compte.
L’atteinte a un droit de propriété n’implique pas de rapporter la preuve d’un préjudice pour se
voir sanctionnée. Pourtant, comme ce fut le cas avec la fonction d’identification, la Cour de
justice a fait de la fonction publicitaire, mais aussi de la fonction d’investissement, une limite
supplémentaire à la mise en œuvre du droit de marque. La protection absolue envisagée par le
onzième considérant de la Directive 2008/95 s’amenuise de plus en plus pour faire place à une
protection relative.
Il est regrettable pour les titulaires de marque que la Cour de justice ne tire pas toutes les
conséquences de la nature du droit de marque. La fonction d’exclusivité afférente au droit de
marque et sa faculté à réserver toutes les utilités de la marque devrait permettre « le contrôle
de tout emploi à l’occasion duquel sa marque est présente dans l’esprit du public pertinent,
sur le mode distinctif strict ou d’une autre manière »1017, sauf, bien évidemment exception
légale. Comme le souligne Madame TREFIGNY-GOY, « il serait temps que la cour rappelle la
fonction d’exclusivité, au lieu de l’occulter, afin de restituer au droit de marque tout son
intérêt »1018.
248. D’une protection absolue de principe, le titulaire d’une marque est passé dans les
hypothèses de double identité à une protection relative dépendant de la démonstration d’une
atteinte aux fonctions de la marque, autre que celle d’exclusivité. La consécration de
nouvelles fonctions n’a pas permis à la fonction d’exclusivité de reprendre la place qui aurait
dû rester la sienne. Au contraire, ces nouvelles fonctions apparaissent comme de nouvelles
limites à la fonction d’exclusivité. Il convient à présent d’envisager les actes susceptibles
d’être sanctionnés au titre de la contrefaçon, comme portant atteinte aux fonctions de la
marque.
1017
B. HUMBLOT, Droit des marques, apports essentiels de la CJCE autour de la fonction essentielle de la marque
Ŕ Regard sur les enseignements de l’arrêt « l’Oréal » du 18 juin 2009, RLDI 2009, n° 53, p. 8.
1018
P. TRÉFIGNY-GOY, L’incidence de la fonction sur la portée de la protection de la marque, Propr. ind. 2010,
n° 10, Dossier, Fonction(s) des droits de propriété intellectuelle, n° 5.
202
b. Les actes susceptibles de constituer des contrefaçons1019
249. Avant d’envisager successivement les différents actes pouvant constituer des
contrefaçons sans qu’il soit nécessaire de démontrer un risque de confusion (ii), il est
important d’envisager la compatibilité des textes français au regard des principes
communautaires (i).
i. La compatibilité des textes français avec les principes communautaires
250. Les textes français permettant de sanctionner la contrefaçon sans démonstration
d’un risque de confusion. En droit français, la contrefaçon de marque peut non seulement
être sanctionnée devant les juridictions civiles, mais également pénales.
L’article L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « L’atteinte portée au droit
du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de
son auteur. Constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions
prévues aux articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 ».
Concernant le volet civil de la
contrefaçon, c’est l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle qui envisage
spécifiquement les hypothèses de double identité. Il prévoit ainsi que la reproduction, l’usage,
l’apposition, même avec adjonction, la suppression ou la modification d’une marque peut
constituer une contrefaçon. En sus de ces hypothèses, les articles L. 716-9 et L. 716-10 du
Code de la propriété intellectuelle relatifs au volet pénal visent également expressément les
hypothèses de substitution de produit, de détention, d’importation, d’exportation ou de
production industrielle de marchandises présentées sous une marque contrefaisante.
Ce décalage entre le volet pénal et le volet civil de la contrefaçon de marque invite à
s’interroger sur la possibilité d’agir devant les juridictions civiles pour sanctionner des actes
uniquement envisagés par le droit pénal de la contrefaçon1020. Sur ce point, la Cour d’appel de
Paris a eu l’occasion de préciser que l’article L. 716-1 « n’exclut pas, en raison des termes
particulièrement généraux de la phrase qui précède, que tout autre fait portant atteinte au
droit du propriétaire de la marque puisse constituer une « contrefaçon » qui engage la
responsabilité de son auteur selon les principes applicables en matière de responsabilité
1019
Afin d’envisager les différents actes pouvant être sanctionnés sans la démonstration d’un risque de
confusion, nous reprendrons dans les grandes lignes les divisions opérées par le Professeur PASSA dans son
Traité de droit de la propriété industrielle. V. J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques
et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd., 2009, n° 251, p. 323.
1020
En vertu du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, prévu à l’article 111-4 du Code pénal et
corrolaire du principe de légalité des délits et des peines, la question ne peut se poser dans l’autre sens. En effet,
le juge ne pourrait sanctionner au pénal des comportements qui sont uniquement envisagés au civil.
203
civile »1021. Cette interprétation large de l’article L. 716-1 semble également confirmée par la
doctrine1022. Dès lors, la détention1023 et la substitution de produit1024 peuvent également être
sanctionnées par les juges civils. Ce constat doit cependant nous amener à envisager la
question de la compatibilité des textes français avec les prescriptions communautaires en
matière de contrefaçon de marque.
251. L’objectif de la Directive 2008/95. L’approche que le droit français doit se faire des
actes contrefaisants se fait théoriquement à l’aune du droit communautaire. L’objectif de la
Directive 2008/95 est de « faire en sorte que les marques enregistrées jouissent de la même
protection dans la législation de tous les États membres »1025. La Cour de justice a relayé
cette volonté en rappelant à plusieurs reprises que la délimitation des prérogatives accordées
au titulaire de la marque relevait d’une « harmonisation complète ». Le législateur national ne
doit pas conférer au titulaire du droit de marque des prérogatives autres que celles définies par
la Directive marque. Cette idée est reprise par Monsieur CANLORBE qui souligne qu’ « il ne
fait aucun doute que les prérogatives du titulaire d’un droit national de marque doivent être
calquées sur celles fixées par la directive »1026.
Le volet civil de la contrefaçon doit en conséquence respecter les principes édictés par la
Directive 2008/95. Ainsi, la contrefaçon doit correspondra à un « usage » du signe au sens de
l’article 5, paragraphe 11027. Il apparaît cependant que certains comportements visés par le
droit pénal de la contrefaçon pourraient ne pas avoir à être sanctionnés au titre de la
contrefaçon. La détention et la substitution de produits pourraient ne pas être considérées
comme des usages du signe au sens de la Directive marque.
252. La compétence communautaire en droit pénal. Afin d’envisager la compatibilité du
volet pénal de la contrefaçon avec les prescriptions communautaires, il est impératif de
s’interroger sur l’impact du droit communautaire sur le droit pénal des États membres.
1021
Paris, 27 sept. 1996, PIBD 1997, n° 623, III, p. 9.
V. J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 252, p. 324. Pour le Professeur PASSA, « il
ne faut pas s’arrêter à la lettre de cette disposition, car on voit mal comment un comportement condamnable au
pénal ne pourrait pas l’être au civil sur le même fondement ».
1023
V. l’affaire Nutri-Rich, Paris, 4e ch., sect. A, 1er juin 2005, D. 2005, p. 2467, note J. PASSA ; RTD com. 2005,
p. 714, n° 3, obs. J. AZÉMA ; Cass. com., 10 juill. 2007, JCPE 2007, 2269, note J. PASSA ; PIBD 2007, n° 859,
III, p. 562.
1024
Paris, 27 sept. 1996, PIBD 1997, n° 623, III, p. 9.
1025
Considérant 10, Directive 2008/95.
1026
J. CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 31,
2007, n° 19, p. 28.
1027
L’usage doit être entendu au sens large comme synonyme d’exploitation. V. J. P ASSA, op. cit., n° 253, p.
323.
1022
204
Il n’existe aucune disposition donnant compétence à l’Union Européenne en matière pénale,
celle-ci restant l’un des domaines réservés des
États membres. Le législateur national
demeure libre de définir les infractions, la nature, le quantum des peines ainsi que les
procédures de détermination des infractions1028. La Cour de justice a ainsi considéré qu’une
« directive ne peut avoir pour effet par elle-même, et indépendamment d’une loi interne d’un
État membre prise pour son application, de déterminer ou d’aggraver la responsabilité
pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions »1029.
Le principe d’interprétation conforme des dispositions nationales au regard du droit
communautaire se trouve paralysé en matière répressive. Dès lors, il ne devrait pas être utile
d’envisager la compatibilité des dispositions pénales du Livre VII du Code la propriété
intellectuelle avec la Directive 2008/95.
Pourtant, tant pour la doctrine1030 que pour la Cour de justice, il semble que le droit pénal
national des États membres puisse indirectement être influencé par le droit communautaire.
La Cour de justice est venue, semble-t-il, clore « le débat sur la compétence répressive de la
Communauté » 1031 dans son arrêt du 13 décembre 20051032. Elle rappelle dans un premier
temps que les articles 135 CE et 280 CE « réservent explicitement l’application du droit pénal
national et l’administration de la justice aux États membres »1033. Elle affirme cependant par
la suite que l’exclusion du droit pénal et de la procédure pénale de la compétence
communautaire « ne saurait cependant empêcher le législateur communautaire, lorsque
l’application de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives par les autorités
nationales compétentes constitue une mesure indispensable pour lutter contre les atteintes
graves à l’environnement, de prendre des mesures en relation avec le droit pénal des États
1028
G. ISAAC et M. BLANQUET, Droit général de l’Union Européenne, Sirey, Coll. Université, 9 e éd. 2006, p.
332.
1029
CJCE, 11 juin 1987, aff. 14/86, Pretore di Salò, Rec. 1987, p. 2545, pt. 20. V. également, CJCE, 26 sept.
1996, aff. C-168/95, Procédure pénale contre Arcaro, Rec. I-4705, pt. 37. La Cour de cassation a également été
amenée à faire application de ce principe. Par exemple, Cass. crim., 7 oct. 1992, Bull. crim., n° 315 ; Cass. crim.,
26 juin 1995, Bull. crim., n° 233 ; Cass. crim., 7 nov. 1973, Bull. crim., n° 404.
1030
V. B. BOULOC, L’influence du droit communautaire sur le droit pénal interne, in Mélanges offerts à G.
LEVASSEUR, Droit pénal, droit européen, Gaz. Pal., Litec, 1992, p. 103 et spéc. p. 110. L’auteur rappelle que
« très tôt la Cour de justice des communautés a affirmé que la primauté communautaire doit s’exercer dans tous
les domaines au besoin en frappant d’inefficacité la norme nationale jugée incompatible avec les buts du
traité ».V. également, F. DESPORTES & F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, Corpus droit privé, 16 e
éd., 2009, n° 264, p. 204. Ces auteurs notent que « les règlements et les directives peuvent être des sources
indirectes du droit pénal ». La Cour de justice s’est également prononcée en ce sens dans l’affaire Lemmens,
CJCE, 16 juin 1998, aff. C-226/97, Lemmens, Rec.1998, p. I-3711, pt. 19 : « S’il est exact que, en principe, la
législation pénale et les règles de la procédure pénale relèvent de la compétence des États membres, il ne peut
en être déduit que ce domaine du droit ne peut pas être affecté par le droit communautaire ».
1031
V. MICHEL, Droit pénal communautaire : le dragon aux pieds d’argile terrassé ?, LPA 2006, n° 79, p. 4.
1032
CJCE, 13 sept. 2005, aff. C-176/03, Commission c/ Conseil, Rec. 2005, p. I-7879 ; LPA 2006, n° 79, p. 4 ;
JCPG 2005, n° 48, II, 10168, note J.-C. ZARKA.
1033
CJCE, 13 sept. 2005, préc., pt. 28.
205
membres et qu’il estime nécessaire pour garantir la pleine efficacité des normes qu’il édicte
en matière de protection de l’environnement »1034.
La compétence d’attribution n’apparaîtrait ainsi plus comme un obstacle à la Communauté
pour officier en droit pénal, les États membres devant faire en sorte de respecter la politique et
les buts poursuivis par le droit communautaire1035. Dès lors, si une telle solution vaut pour la
protection de l’environnement, il est probable qu’elle vaille également en matière de propriété
intellectuelle1036.
L’objectif imposé par la Directive marque « de faire en sorte que les marques enregistrées
jouissent de la même protection dans la législation de tous les États membres »1037 devrait
avoir pour conséquence d’empêcher que les législateurs nationaux envisagent des protections
différentes en matière pénale. La disparité des législations pénales empêcherait
l’accomplissement de l’objectif de la Directive 2008/95.
Dès lors, la primauté du droit communautaire ne devrait pas être sans conséquence sur le volet
pénal de la contrefaçon des États membres, les juges nationaux devant laisser inappliquées les
dispositions répressives contraires à la Directive 2008/95 ou ne répondant pas aux objectifs
qu’elle s’est fixée.
253. Les actes de contrefaçon perpétrés hors la vie des affaires. Au terme de la Directive
2008/95, qui ne vise que les usages accomplis dans la vie des affaires, les particuliers portant
atteinte aux droits du titulaire d’une marque ne peuvent pas être sanctionnés au titre de la
contrefaçon.
L’objectif d’harmonisation de la Directive 2008/95 est justifié par « des finalités
exclusivement économiques »1038, à savoir faciliter la libre circulation des produits et la libre
prestation des services. Le législateur national est parfaitement en droit de prévoir des
atteintes au droit de marque « contraires » à la Directive 2008/95, dès lors qu’elles n’entrent
pas dans le champ des objectifs de celle-ci. En conséquence, prévoir que les actes commis par
un particulier hors la vie des affaires puissent être sanctionnés pénalement n’apparaît pas
contraire au texte communautaire1039.
1034
CJCE, 13 sept. 2005, préc., pt. 48.
Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur les conséquences de l’arrêt de la
Cour du 13.9.05 (C-176/03 Commission contre Conseil).
1036
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 252, p. 324.
1037
Considérant 10 de la Directive 2008/95.
1038
J. PASSA, Le droit pénal des marques après la loi Perben II du 9 mars 2004, D. 2005, p. 433, n° 9.
1039
J. PASSA, Le droit pénal des marques après la loi Perben II du 9 mars 2004, D. 2005, p. 433, n° 9. Ainsi, les
actes d’importation et d’exportation sont non seulement visés à l’article L. 716-9, a) mais également à l’article L.
1035
206
De manière générale, tous les actes perpétrés hors la vie des affaires portant atteinte aux droits
de marque devraient pouvoir être sanctionnés1040.
254. Les actes commis dans la vie des affaires. À l’inverse, dès lors que les comportements
visés par les articles L. 716-9 et L. 716-10 du Code de la propriété intellectuelle sont perpétrés
dans la vie des affaires, la question de la compatibilité avec la Directive 2008/95 se fait plus
pressante.
Il est classiquement reconnu que l’usage envisagé par la Directive 2008/95 à son article 5,
paragraphe 1 ne correspond pas à la notion d’usage utilisée par le droit français1041. Tandis
que l’usage connu du droit français doit s’entendre d’une exploitation publique du signe dans
les rapports avec la clientèle1042, l’usage envisagé par la Directive 2008/95 comprend non
seulement l’exploitation publique du signe dans les rapports avec la clientèle, mais également
l’apposition du signe sur les produits ou sur leur conditionnement, les actes de reproduction et
d’exportation1043. Il faut que la marque soit utilisée. En outre, le signe doit être utilisé non
seulement à titre de marque, mais également dans la vie des affaires1044.
716-10, a) du Code de la propriété intellectuelle. Le premier vise les actes commis à des fins professionnelles
tandis que le second vise ceux commis « pour un usage personnel par de simples particuliers au départ ou de
retour d’un voyage à l’étranger », J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres
signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 264, p. 340. Ainsi, la Cour d’appel de Paris n’a
pas hésité en 2006 à condamner au titre de la contrefaçon un particulier qui avait commandé des produits
contrefaisants. Paris, 18 oct. 2006, PIBD 2007, n° 843, III, p. 26. V. cependant une décision plus ambiguë, Paris,
10 avr. 2009, PIBD 2009, n° 900, III, p. 1242. La Cour d’appel Paris a cette fois fait apparaître dans son
raisonnement la question de l’usage dans la vie des affaires laissant croire que si le particulier en question avait
utilisé les produits contrefaisants à des fins non professionnelles, il n’y aurait pas eu de condamnation.
1040
Cette approche aurait pu être remise en cause par la Directive du Parlement et du Conseil relative aux
mesures pénales visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle. V. Proposition modifiée de la
Directive du Parlement et du Conseil relative aux mesures pénales visant à assurer le respect des droits de
propriété intellectuelle, 26 avr. 2006, COM(2006) 168 final Ŕ 2005/0127 (COD). V. notamment, J.-C. GALLOUX,
Proposition de directive du Parlement et du Conseil relative aux mesures pénales visant à assurer le respect des
droits de propriété intellectuelle, RTD com. 2007, p. 58 ; La proposition de directive relative aux mesures
pénales visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle, RTD com. 2006, p. 338 ; C. CARON, Vers
un droit pénal communautaire de la contrefaçon, Comm. com. élect. 2007, n° 6, repère n° 6. L’adoption de cette
directive risquait également de poser un problème de compatibilité avec le volet pénal de la contrefaçon. En
effet, il ressort de la lecture de la proposition de Directive une volonté de ne pas sanctionner pénalement les actes
des personnes privées, les sanctions pénales devant être prononcées uniquement dans l’hypothèse d’actes
commis à l’échelle commerciale et commis intentionnellement. L’article 3 de la proposition de Directive
disposait : « Les États membres veillent à qualifier d’infraction pénale toute atteinte intentionnelle à un droit de
propriété intellectuelle commise à une échelle commerciale ». Cependant, la Commission a considéré que la
proposition ne revêtait plus de caractère d’actualité et a décidé de retirer le projet le 18 septembre 2010. V.
Retrait de la Proposition modifiée de Directive du Parlement et du Conseil relative aux mesures pénales visant à
assurer le respect des droits de propriété intellectuelle, 26 avr. 2006, COM(2006) 168 final Ŕ 2005/0127 (COD),
JOUE 18 sept. 2010, C 252/09.
1041
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 251, p. 323. V. Contra, Paris, 1er juin 2005,
D. 2005, p. 2467, note J. PASSA ; RTD com. 2005, p. 715, J. AZÉMA.
1042
L’usage en droit français est envisagé à l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle.
1043
V. l’article 5, paragraphe 3 de la Directive 2008/95.
1044
Cf. infra n° 334.
207
Les hypothèses où l’usage de marque est contestable tel que la détention ou la substitution de
produit ne devraient pas pouvoir être sanctionnées, tant par le juge civil que par le juge pénal.
Les textes envisageant ces comportements devraient, soit demeurer inappliqués, soit être
abrogés.
255. L’accord sur les ADPIC comme justification. À la lumière de la jurisprudence rendue
en matière de droit de l’environnement1045, il apparaît que le droit pénal peut être influencé
par la Directive 2008//95, avec pour éventuelle conséquence d’exclure du champ de la
contrefaçon des comportements ne répondant pas aux prescriptions communautaires.
Cette approche nous semble cependant devoir être nuancée. L’accord sur les APDIC donne
une certaine liberté aux législateurs membres de l’Organisation mondiale du commerce. Selon
l’article 61 de cet accord, « Les membres pourront prévoir des procédures pénales et des
peines applicables aux autres actes portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle, en
particulier lorsqu’ils sont commis délibérément et à une échelle commerciale ». Les États
signataires de l’accord ADPIC seraient en mesure de prévoir d’autres actes que ceux prévus
par l’accord. S’il est démontré que les actes visés par les articles L. 716-9 et L. 716-10 du
Code de la propriété intellectuelle portent atteinte au droit de marque, ces articles se
trouveraient légitimés par la rédaction accueillante de l’article 61 de l’accord sur les ADPIC.
Les membres de l’Organisation mondiale du commerce seraient donc libres de prévoir des
incriminations pour des actes, et non pas des usages, portant atteinte au droit de marque, et
cela même si l’acte n’est pas commis de manière intentionnelle et à une échelle commerciale.
La rédaction de ce texte permettrait de justifier les incriminations envisagées par le volet
pénal de la contrefaçon.
256. Après avoir envisagé, les problèmes que pouvait susciter la rédaction des textes français,
il est important d’envisager plus en détail les actes susceptibles d’être sanctionnés au titre de
la contrefaçon sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours au risque de confusion.
1045
CJCE, 13 sept. 2005, aff. C-176/03, Commission c/ Conseil, Rec. 2005, p. I-7879.
208
ii. Les usages sanctionnés en droit français
257. Les actes susceptibles de constituer une contrefaçon au sens du droit français.
Comme nous l’avons observé précédemment, la Directive marque envisage de manière
générale en son article 5, paragraphe 1, les actes susceptibles de porter atteinte aux droits du
titulaire de la marque sous la formule « usage dans la vie des affaires ».
L’article 5, paragraphe 3 envisage quant à lui de manière non exhaustive des comportements
susceptibles d’être contrefaisants1046. Le droit français n’a pas repris le modèle
communautaire, l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle1047 (α) et les articles
L. 716-9 et L. 716-10 du même Code1048 (β) dressant une liste des actes pouvant être
qualifiés de contrefaçon.
α. Les usages visés par le volet civil de la contrefaçon
258. Le contenu de l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle. L’article L.
713-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que sont interdits, sauf autorisation du
propriétaire : « a) La reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec
l'adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre, méthode", ainsi que
l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés
dans l'enregistrement ;
b) La suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée ». Il convient
d’envisager successivement les différents comportements visés par ce texte.
1046
L’article 5, paragraphe 3 vise ainsi l’apposition du signe sur le produit ou sur leur conditionnement, l’offre
de produits dans le commerce, la détention à ces fins, l’importation ou l’exportation des produits marqués ou
l’utilisation du signe dans les papiers d’affaires et la publicité.
1047
Art. L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle: « Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjoncton de mots tels que : « formule,
façon, système, imitation, genre, méthode, » ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou
services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ;
b) La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée ».
1048
L’article L. 716-9 du Code de la propriété intellectuelle envisage les hypothèses de vente, fourniture, d’offre
à la vente ou de location de marchandises présentées sous une marque contrefaite. Sont également érigées en
délit, l’importation et l’exportation de marchandises contrefaisantes ainsi que la production industrielle des
marchandises présentées sous une marque contrefaisante. L’article L. 716-10 vise, outre les hypothèses de
l’article L. 713-2, l’offre à la vente et la vente de marchandises présentées sous une marque contrefaisante, la
détention sans motif légitime, l’importation, l’exportation de marchandises présentées sous une marque
contrefaisante, et la substitution de produit.
209
259. La reproduction de la marque à l’identique comme usage de marque1049. Le premier
des usages visés par l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle est la
reproduction de la marque.
Il est étrange de constater que la reproduction ne soit pas visée à l’article 5, paragraphe 3 de la
Directive 2008/95 comme étant un usage pouvant être interdit par le titulaire. Cette absence
résulte sans doute du fait que la reproduction est incontestablement un usage au sens du
paragraphe 1 de l’article 5. D’ailleurs, comme le relève Monsieur CANLORBE les juges
qualifient indifféremment « le même fait au titre de l’usage ou de la reproduction »1050
lorsque la même personne est à l’origine de la reproduction et de son usage auprès du public.
En tout état de cause, la Cour de justice, qui a déjà eu l’occasion de se prononcer sur des
hypothèses de reproduction, n’a pas contesté le fait qu’une reproduction puisse être qualifiée
d’usage1051.
260. La signification de la reproduction. Pour certains auteurs du dix-neuvième siècle, la
reproduction constituait l’essence même de la contrefaçon, la contrefaçon étant perçue comme
« en quelque sorte la fabrication même de la marque contrefaite »1052 et cela en dehors de
tout emploi. La reproduction « consiste à confectionner ou reproduire la marque à
1049
V. sur cette question, F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé,
2e éd., 2011, n° 1638, p. 951 ; J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes
distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 255, p. 327 ; P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des
marques, Éd. JNA, 1994, p. 323 ; J. AZÉMA, Marques, Brevets, dessins et modèles, in Lamy commercial, 2011,
n° 2237 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006,
n° 1548, p. 850 ; J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, Litec, 4 e éd., 2007, n°
574, p. 249 ; S. DURRANDE, Contrefaçon de marque Ŕ Reproduction et imitation de marque, J.-Cl. Marque Ŕ
Dessins et modèles, fasc. 7511, 2008, n° 23 ; E. POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence
déloyale en tous genres, LGDJ, Marchal & Billard, 6 éd., 1912, n° 256, p. 238.
1050
J. CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 31,
2007, n° 52, p. 72. V. pour des exemples dans la jurisprudence, Paris, 20 nov. 1979, Ann. propr. ind. 1980, p.
185 ; Paris, 9 oct. 1965, RIPIA 1966, n° 65, p. 99. Dans la première espèce, le dépôt d’une marque reproduite est
sanctionné au titre de la reproduction tandis que dans la seconde espèce il l’est au titre de l’usage. V. également,
Paris, 11 déc. 1986, Ann. propr. ind. 1987, p. 182 ; Paris, 24 nov. 1984, Ann. propr. ind. 1984, p. 197. Dans ces
espèces il s’agissait de l’utilisation d’une marque à titre d’enseigne, de nom commercial ou de dénomination
sociale. Dans la première espèce, c’est le fondement de la reproduction qui a été retenu tandis que dans la
seconde il s’agissait du délit d’usage.
1051
CJCE, 20 mars 2003, aff. C-291/00, LTJ Diffusion, Rec. I-2799, pt. 42 ; PIBD 2003, n° 771, III, p. 441 ;
Propr. intell. 2003, n° 7, p. 203, obs. G. BONET ; RTDE 2004, p. 115, obs. G. BONET ; Comm. com. élect. 2003,
n° 5, comm. n°47, obs. C. CARON ; D. 2003, p. 2685, obs. S. DURRANDE ; RTD com. 2003, p. 501, obs. J.
AZÉMA et J.-C. GALLOUX ; JCPE 2004, 1547, n° 18, obs. G. PARLÉANI ; RLDA 2003/6, n° 3829, obs. S.
ROUAULT ; T. LANCRENON, De l’art sémantique en matière de contrefaçon de marque, Propr. ind. 2003, n° 7-8,
chron. n° 14 ; C. VILMART, L’imitation partielle à l’identique d’une marque est-elle sanctionnable au regard de
l’article L. 713-2 ou de l’article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ?, Propr. ind. 2003, n° 5, chron.
n° 8. Les juges ont ainsi affirmé qu’ « en l’espèce au principal, l’usage de la marque de Sadas a bien eu lieu
dans la vie des affaires pour des produits identiques à ceux pour lesquels la marque de LTJ Diffusion a été
enregistrée », pt. 24.
1052
E. POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, op. cit., n° 256, p.
238.
210
l’identique»1053 pour désigner des produits et des services identiques à ceux désignés dans
l’enregistrement1054.
Pour la Cour de justice, il y a reproduction à l’identique d’un signe lorsque le tiers
« reproduit, sans modification, ni ajout, tous les éléments constituant la marque ou lorsque,
considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu’elles peuvent
passer inapercues aux yeux d’un consommateur moyen »1055. Dans le cas contraire, il ne s’agit
pas d’une reproduction servile de la marque, mais d’une imitation.
La reproduction peut prendre différentes formes : « apposition sur des produits,
naturellement, ou sur des supports promotionnels, ou commerciaux de façon plus générale
(…), ou même fabrication du matériel servant à cette apposition si elle implique déjà une
reproduction du signe »1056. Il est en outre indifférent que la reproduction ait été suivie d’un
usage effectif dans le commerce1057, le fait que cette « destination soit simplement
possible »1058 suffit à qualifier la reproduction de contrefaçon. Si cette approche semble
parfaitement conforme à la nature du droit de marque et à la fonction d’exclusivité lui
afférent, elle devrait sans doute être nuancée au regard de la jurisprudence communautaire
relative aux fonctions de la marque1059.
261. L’usage de la marque au sens de l’article L. 713-2 du Code de la propriété
intelectuelle1060. L’usage de la marque visé dans le Code de la propriété intellectuelle peut se
1053
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1640, p. 952.
V. par exemple Paris, 15 déc. 1999, PIBD 2000, n° 695, III, p. 167 ; Paris, 3 mars 1999, n° 677, III, p. 243 ;
Cass. com. 2 juill. 2002, PIBD 2003, n° 755, III, p. 18.
1055
CJCE, 20 mars 2003, aff. C-291/00, LTJ Diffusion, Rec. I-2799.
1056
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 255, p. 327.
1057
V. Cass. com., 23 nov. 1993, PIBD 1994, n° 561, III, p. 115. Pour la Cour de cassation, « la contrefaçon
résulte de la reproduction des éléments caractéristiques d’un signe protégé au titre de la marque, quelle que soit
l’utilisation qui en est faite ». V. également, Cass. com., 26 nov. 2003, PIBD 2004, n° 780, III, p. 98. Dans cette
affaire, la Cour de cassation affirme que « l’arrêt retient à bon droit que le dépôt de la marque seconde constitue
un acte d’usage non autorisé de marque première, et par là-même un acte de contrefaçon par usage non
autorisé ». Cette vision des choses n’a pas été suivie dans un jugement du 27 juin 2007 du TGI de Paris qui a
considéré au contraire au titre du dépôt d’une marque communautaire que « le simple dépôt d’une demande n’est
pas susceptible de constituer un acte de contrefaçon faute de constituer un usage dans la vie des affaires
opposable aux tiers en application de l’article 9-3° du règlement précité ». TGI Paris, 27 juin 2007, PIBD 2007,
n° 860, III, p. 616.
1058
P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, Éd. JNA, 1994, p. 324. V. également, P. ROUBIER, Le
droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 85, p. 379.
1059
Cf. supra n° 221
1060
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1654, p. 964 ; J. PASSA, Traité de droit de
la propriété industrielle, op. cit., n° 257, p. 331 ; P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, op. cit.,
1994, p. 326 ; J. AZÉMA , Marques, Brevets, dessins et modèles, in Lamy commercial, 2011, n° 2262 ; J. AZÉMA
& J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1553, p. 854 ; J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L.
PIERRE, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 578, p. 252 ; F. BONET, Contrefaçon de marque Ŕ Usage
illicite de marque, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, fasc. 7513, 1998 ; J. CANLORBE, Contrefaçon de
1054
211
définir comme l’utilisation du « signe pour désigner, directement ou indirectement, sous
quelque forme que ce soit, des produits ou services dans les rapports avec la clientèle, c'est-àdire au-delà de la sphère privée ou interne de l’entreprise »1061. Initialement, dans la loi de
18571062, l’usage était considéré comme contrefaisant uniquement dans l’hypothèse où la
marque était elle-même reproduite ou imitée. La loi de 19641063 semblait moins précise sur ce
point laissant place à un débat doctrinal1064 et à des incohérences jurisprudentielles1065.
Malgré quelques réticences1066, il semble que le débat ne soit plus d’actualité depuis
l’adoption de la loi de 1991. La rédaction de l’article L. 713-2 du Code de la propriété
intellectuelle ne laisse aucune place au doute : l’usage visé est tant celui d’une marque
authentique que celui d’une marque reproduite1067.
262. L’usage d’une marque contrefaite. L’usage qui peut être fait d’une marque illicitement
reproduite peut prendre de multiples formes. L’utilisation purement verbale, sans apposition
matérielle sur le produit ou le service, peut ainsi faire l’objet d’une contrefaçon1068. La
marque. Ŕ Usage illicite de marque, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7513, 2010 ; P. ROUBIER, Le
droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 86, p. 385.
1061
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., 2009, n° 257, p. 331. V. également P.
MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, op. cit., p. 616. Cet auteur définit l’usage comme « tout emploi
public de la marque pour désigner les objets qu’elle couvre ».
1062
Loi du 23 juin 1857 sur les marques de fabrique et de commerce.
1063
Loi n° 64-1360 du 31 déc. 1964 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service.
1064
De nombreux auteurs considèraient que l’usage prévu par l’article 422-2 du Code pénal ne pouvait viser que
l’usage d’une marque contrefaite. V. obs. A. CHAVANNE & J. AZÉMA sous Cass. crim., 25 mai 1977, RTD com.
1977, p. 316 ; A. CHAVANNE, Le délit d’usage de marque et son évolution, in Mélanges dédiés à P. MATHÉLY,
Litec, 1990, p. 101. Pour défendre l’idée selon laquelle l’usage ne peut être que celui d’une marque
contrefaisante, l’éminent Professeur renvoie aux débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi de
1964. Il note ainsi que le Président PALEWSKI s’était exprimé en ce sens : « ce qu’il importe de réprimer c’est
l’usage d’une marque contrefaite », p. 102. En outre, il affirme que le principe d’interprétation stricte du texte
pénal doit conduire à considérer l’usage de l’article 422-2 du Code pénal comme étant celui d’une marque
contrefaite. V. également A. CHAVANNE, Les conditions de la contrefaçon de marque, in Aspects actuels de la
contrefaçon, Travaux de la 3e rencontre de la propriété intellectuelle, Lyon - 1974, Litec, CEIPI, t. 16, 1975, p.
47. D’autres auteurs soutenaient au contraire que devait être faite une interprétation large du délit d’usage. P.
MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 617.
1065
Certaines décisions ont interprété largement le délit d’usage. V. Cass. crim., 25 mai 1977, RTD com. 1977,
p. 316, obs. A. CHAVANNE et J. AZÉMA Les auteurs notent que dans cette affaire, la Chambre criminelle retient
que le délit d’usage prévu par l’article 422-2 du Code pénal « n’exige pas pour être établi, une contrefaçon
préalable ». D’autres décisions, au contraire, ont préféré une interprétation stricte. V. Douai, 6 nov. 1973, PIBD
1974, n°117, III, p. 18 ; Cass. crim., 18 avr. 1988, PIBD 1988, n° 445, III, p. 559.
1066
V. ainsi, A. CHAVANNE & J.-J. BURST, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, 5 ème éd., 1998, n°
1224, p. 730. Ces auteurs affirment que « Bien que la doctrine dominante soit d’un avis contraire, nous pensons
que les délits d’usage impliquent la contrefaçon par reproduction ou l’imitation antérieure ».
1067
V. J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 271, p. 360 ; Distribution et usage de marque, Litec, 2002, n° 5, p. 4.
1068
V. ainsi l’exemple d’un usage verbal dans le cadre de tractations commerciales, CJCE, 14 mai 2002, aff. C2/00, Hölterhoff, Rec. 2002, p. I-4187 ; D. 2002, p. 3137, note J. PASSA ; Propr. intell. 2002, n° 5, p. 93, obs. G.
BONET ; RTDE 2004, p. 104, obs. G. BONET ; PIBD 2002, n° 752, III, p. 505. V. également, CJCE, ord., 19 févr.
2009, aff. C-62/08, UDV North America, Rec. 2009, p. I-1279: « il est clair que l’usage en cause au principal
est fait pour des produits dès lors que, même s’il ne s’agit pas d’un cas d’apposition d’un signe identique à une
212
contrefaçon peut également être constituée par l’utilisation de la marque sur internet, tel que
dans le cadre d’une utilisation à titre de nom de domaine1069, de meta-tag1070 ou sur un site1071.
Il peut également être interdit d’utiliser le signe dans des papiers d’affaires1072 ou dans des
publicités1073. La vente ou l’offre en vente de produits et l’offre de fourniture de services
désignés par une marque illicitement reproduite doivent également être sanctionnées au titre
de l’usage1074. Il s’agit là de comportements expressément visés par le volet pénal de la
contrefaçon1075.
marque enregistrée sur les produits du tiers, il y a usage « pour des produits ou des services » », pt. 47. V.
également, Paris, 30 avr. 1987, Ann. propr. ind. 1988, p. 246 ; Paris, 7 févr. 1996, JCPE 1996, I, 567, n° 6, obs.
J.-J. BURST ; Paris, 23 janv. 1985, Ann. propr. ind. 1986, p. 47.
1069
L’usage du signe comme nom de domaine sera contrefaisant dès lors que le site désigné par le nom de
domaine est relatif à une activité ayant pour objet des produits ou services identiques ou similaires à ceux
compris dans l’enregistrement de la marque. V. ainsi, Paris, 19 oct. 2005, D. 2006, p. 221, note C. MANARA ;
Cass. com., 7 juin 2006, PIBD 2006, n° 840, III, p. 732 ; Cass. com., 14 nov. 2006, Bull. civ. IV, n° 221 ; Cass.
com., 13 déc. 2005, Locatour, Bull. civ. IV, n° 254 ; PIBD 2006, n° 824, III, p. 149 ; JCPE 2006, 1234, note C.
CARON ; Propr. intell. 2006, n° 19, chron. A. BOUVEL, p. 128.
1070
Paris, 19 sept. 2003, PIBD 2004, n° 781, III, p. 137 ; Paris, 4e ch. A, 12 oct. 2005, Propr. ind. 2006, n° 7,
comm. n° 54, obs. P. TRÉFIGNY ; TGI Paris, 29 oct. 2002, Propr. ind. 2003, comm. 10, obs. P. TRÉFIGNY ; TGI
Paris, 30 nov. 2004, PIBD 2005, n° 803, III, p. 150. V. cependant l’usage considéré comme non contrefaisant du
titulaire d’un moteur de recherche dans le cadre d’une opération de référencement, CJUE, 23 mars 2010, aff.
jointes C-236/08, C-237/08 et C-238/08, Google France et Google, Rec. 2010, p. I-02417 ; Propr. ind. 2010, n°5,
comm. n° 31, obs. P. TRÉFIGNY ŔGOY ; Propr. ind. 2010, n° 6, comm. n° 38, note A. FOLLIARD-MONGUIRAL ;
Comm. com. élect. 2010, n° 7, comm. n° 70, note C. CARON ; Legipresse 2010, n° 274, p. 166, note C.
MARÉCHAL ; RLDA 2010, n° 50, p. 23 ; JCPG 2010, n° 23, 642, note L. MARINO ; G. BONET, Publicité sur
internet et référencement selon la Cour de justice : contrefaçon de marque ou directive n° 2000/31/CE, Comm.
com. élect. 2010, n° 6, étude n° 12 ; F. GLAIZE & B. PAUTROT, Marques et liens publicitaires : le premier arrêt
de la CJUE, RLDI 2010, n° 60, p. 63 ; C. ROQUILLY, « Google it » ou la confrontation d’une stratégie
d’innovation et d’un business model avec le droit de la propriété intellectuelle, Gaz. pal. 2010, 19 juin, n° 170, p.
7 ; C. CASTETS-RENARD, Système Adwords : Google n’est ni un contrefacteur ni complice d’actes de
contrefaçon, RLDI 2010, n° 61, p. 9 ; M. SCHAFFNER & L. SAUTTER, AdWords : La Cour de justice se prononce
en faveur de Google, JCPE 2010, n° 13, act . 186 ; CJUE, 25 mars 2010, aff. C-278/08, BergSpechte, Rec. 2010,
p. I-02517 ; Propr. ind. 2010, n° 6, comm. n° 39, note A. FOLLIARD-MONGUIRAL ; Comm. com. élect. 2010, n°
7, comm. n° 70, note C. CARON ; G. BONET, Publicité sur internet et référencement selon la Cour de justice :
contrefaçon de marque ou directive n° 2000/31/CE, Comm. com. élect. 2010, n° 6, étude n° 12 ; F. POLLAUDDULIAN, L’emploi des marques d’autrui dans un système de référencement commercial sur internet, Propr. intell.
2010, n° 36, p. 823
1071
Paris, 8 sept. 2004, PIBD 2004, n° 797, III, p. 657.
1072
CJCE, ord., 19 févr. 2009, aff. C-62/08, UDV North America, Rec. 2009, p. I-1279, pt. 34. V. J. PASSA,
Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ,
2e éd., 2009, n° 259, p. 332.
1073
En cas de publicité comparative, l’acte d’usage de marque constituera une contrefaçon s’il ne respecte pas les
conditions fixées par le Code de la consommation. V. pour des exemples de condamnations, Versailles, 15 nov.
2001, RJDA 2002, n° 5, n° 569, p. 511 ; Paris, 22 juin 2005, JurisData n° 2005-275865.
1074
V. P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, op. cit., p. 326
1075
L’article L. 716-10, b) du Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’est une contrefaçon le fait : « D’offrir
à la vente ou de vendre des marchandises présentées sous une marque « contrefaisante » ». Depuis la loi Perben
II du 9 mars 2004, aucun élément intentionnel n’est requis pour que la contrefaçon soit constituée dans cette
hypothèse. En outre, il semble que cette disposition permette de sanctionner également le particulier qui vend ou
offre à la vente à l’unité un produit contrefaisant. Se pose néanmoins la question de la compatibilité de cette
disposition, qui prévoit donc de sanctionner un usage hors de la vie des affaires, avec la Directive marque qui
envisage uniquement l’interdiction de l’usage du signe dans la vie des affaires.
213
Au titre de l’usage visé par l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, il est
également possible d’interdire des actes d’importation et d’exportation1076. La Cour de justice
a précisé le sens de l’importation dans son arrêt Class International1077. Ainsi, une
importation, au sens de la Directive marque, « à laquelle le titulaire de la marque peut
s’opposer en tant qu’elle implique un « usage de la marque dans la vie des affaires » (…)
suppose (…) une introduction des produits dans la Communauté aux fins d’une mise dans le
commerce dans celle-ci »1078.
Outre la question de l’importation, la jurisprudence a également eu l’occasion de se prononcer
sur la délicate question du transit1079. Au regard des derniers avancements de la jurisprudence
communautaire1080, il apparaît que le transit externe de marchandises non communautaires en
provenance d’un État tiers et à destination d’un autre État tiers ou d’un État membre ne peut
constituer une contrefaçon du fait que le transit ne constitue pas une importation1081. La même
1076
Comme le souligne Madame DURRANDE, la définition donnée à l’importation et à l’exportation implique que
« les marchandises franchissent physiquement la frontière quelle qu’en soit la cause, soit pour rentrer sur le
territoire douanier de la Communauté, soit pour en sortir », S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon, J.-Cl.
Marques Ŕ Dessins et modèles, fasc. 7517, 2009, n° 39. V. Règl. (CE) n° 450/2008 du Parlement Européen et du
Conseil du 23 avr. 2008 établissant le code des douanes communautaires (code des douanes modernisé). Il s’agit
là d’une solution classique dès lors que la règle de l’épuisement des droits ne trouve pas à s’appliquer. V. ainsi,
Chambery, 7 nov. 2006, JurisData n° 2006-317556 ; Grenoble, 16 oct. 2006, JurisData n° 2006-322025; TGI
Bobigny, 22 oct. 2002, JurisData n° 2002-202543; Versailles, 6 sept. 2001, JurisData n° 2001-163337. Il
convient de préciser que l’importation sera qualifiée de contrefaçon uniquement dans l’hypothèse où les produits
en cause doivent être commercialisés dans la Communauté. CJCE, 18 oct. 2005, aff. C-405/03, Class
International, Rec. 2005, p. I-8735; Propr. intell. 2006, n° 18, p. 75, obs. Bonet G.
1077
CJCE, 18 oct. 2005, aff. C-405/03, Class International, Rec. 2005, p. I-8735; Propr. intell. 2006, n° 18, p. 75,
obs. G. BONET.
1078
CJCE, 18 oct. 2005, aff. C-405/03, Class International, Rec. 2005, p. I-8735, pt. 34.
1079
Le transit « s’analyse comme un transport de marchandises », S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon,
préc., n° 45. L’importation peut se définir comme le franchissement physique d’une frontière. De ce fait, dès lors
que le transit implique un franchissement de frontière il peut être considéré comme étant une importation. V. les
importants développements du Professeur PASSA sur la question, J. PASSA, Traité de droit de la propriété
industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd., 2009, n° 267, p. 345 ; J.
CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 31, 2007,
n° 263, p. 350. V. également, V. SCORDAMAGLIA, La fonction du droit de marque : épuisement, transit, Propr.
ind. 2010, n° 10, Dossier, Fonction(s) des droits de propriété intellectuelle, n° 6.
1080
Avant l’intervention de la Cour de justice sur ce point, les tribunaux francais avaient pour habitude de retenir
que la seule introduction physique sur le territoire national de marchandises contrefaisantes constituait une
contrefaçon. V. notamment, Cass. crim., 7 oct. 1985, RIPIA 1986, p. 57 ; Cass. crim., 26 avr. 1990, Bull. crim.
1990, n° 160; D. 1990, IR p. 176; Paris, 28 nov. 2001, PIBD 2002, n° 741, III, p. 212 ; D. 2003, somm. com.
127, obs. S. DURRANDE. La doctrine française semblait cependant partagée sur ce point. En effet, certains
auteurs n’hésitaient pas à affirmer qu’ils ne voyaient pas dans le transit un acte susceptible d’être sanctionné au
titre de la contrefaçon eu égard à son caractère passager. V. à propos du brevet, A. C HAVANNE & J.-J. BURST,
Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, 5e éd., 1998, n° 432, p. 260.
1081
Le transit fait l’objet d’une fiction juridique. En effet, les marchandises provenant d’un Etat tiers peuvent
circuler d’un point à l’autre du territoire douanier de la Communauté sans pour autant être « soumises aux droits
à l’importation et aux autres impositions ni aux mesures de politique commerciale » (art. 144 Règl. (CE) n°
450/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 23 avr. 2008 établissant le code des douanes communautaires
(code des douanes modernisé). La Cour de justice s’est prononcée sur ce sujet dans l’affaire Polo/Lauren du 6
avril 2000 : « le transit externe de marchandises non communautaires n'est pas une activité étrangère au marché
intérieur. Il repose, en effet, sur une fiction juridique. Les marchandises placées sous ce régime ne sont soumises
ni aux droits à l'importation correspondants ni aux autres mesures de politique commerciale, comme si elles
214
solution semble s’appliquer dans l’hypothèse de transit interne de marchandises
communautaires1082. Cette approche de la Cour de justice s’est vue confirmée par la Cour de
cassation qui a souligné que « l’opération de transit de par sa nature, ne constitue pas une
mise sur le marché, laquelle consiste en une offre de vente suivie d’effet »1083. Néanmoins, le
titulaire de la marque conserve la faculté de faire valoir ses droits dans l’hypothèse où ces
marchandises feraient l’objet « alors qu’elles sont placées sous ce régime douanier, d’un acte
juridique tel qu’une vente ou une offre à la vente, impliquant leur mise dans le commerce
dans l’État membre de transit »1084.
Enfin, l’utilisation du signe dans le cadre d’une dénomination sociale, d’un nom commercial
ou d’une enseigne1085 est également considéré comme un usage au sens de l’article L. 713-2
du Code de la propriété intellectuelle dès lors que l’usage se fait dans la même spécialité1086.
n'avaient pas accédé au territoire communautaire. En réalité, elles sont importées d'un pays tiers et parcourent
un ou plusieurs États membres avant d'être exportées vers un autre pays tiers », CJCE, 6 avr. 2000, aff. C383/98, Polo/Lauren, Rec. 2000, p. I-2519, pt. 24. V. notamment, CJCE, 18 oct. 2005, aff. C-405/03, Class
International, Rec. 2005, p. I-8735; Propr. intell. 2006, n° 18, p. 75, obs. G. BONET ; CJCE, 9 nov. 2006, aff. C281/05, Montex Holding, Rec. p. I-10881, Propr. ind. 2007, n° 1, comm. n° 2, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL ;
PIBD 2007, n° 843, III, p. 6.
1082
CJCE, 26 sept. 2000, aff. C-23/99, Commission c/ France, RTDE 2002, p. 375, obs. G. BONET ; CJCE, 23
oct. 2003, aff. 115/02, Rioglass et Transremar, Rec. 2003, p. I-12705 ; RTDE 2004, p. 133, obs. G. BONET.
1083
Cass. com., 7 juin 2006, n° 04-12.274; PIBD 2006, n° 837, III, p. 611.
1084
S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon, préc., n° 47. L’auteur continue et souligne que le « simple »
risque que les marchandises en transit fassent l’objet d’une commercialisation dans l’État membre où la marque
est protégée n’est pas suffisant pour que le transit soit dès lors qualifié de contrefaçon. Le titulaire de la marque
doit apporter la preuve que le risque « est réel et effectif », n° 47.
1085
Cass. com., 7 juill. 2004, PIBD 2004, n° 794, III, p. 54 ; Cass. com., 13 déc. 1965, Ann. propr. ind. 1966, p.
38 ; Cass. com., 22 mars. 1971, Ann. propr. ind. 1971, p. 173 ; Cass. com., 8 déc. 1975, Ann. propr. ind. 1978, p.
44.
1086
V. cependant, CJCE, 21 nov. 2002, aff. C-23/01, Robelco, Rec. 2002, p. I-10913 ; RJDA 2003, n° 3, n° 332
et obs. J. PASSA, in L’usage de marque dans la jurisprudence récente de la CJCE, chron., p. 195 ; Propr. intell.
2003, n° 9, p. 415, obs. G. BONET ; RTDE 2004, p. 119, obs. G. BONET ; CJCE, 16 nov. 2004, aff. C-245/02,
Anheuser-Bush, Rec. 2004, p. I-10989; Propr. ind. 2005, n° 1, comm. n° 3, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL ;
Propr. intell. 2005, n° 15, p. 189, obs. G. BONET ; CJCE, 11 sept. 2007, aff. C-17/06, Céline, Rec. 2007, p. I7041; RTD com. 2007, p. 712, obs. J. AZÉMA ; RTDE 2007, p. 685, obs. J. SCHMIDT-SZALEWSKI ; Propr. ind.
2007, n° 11, comm. n° 86, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL ; Propr. intell. 2008, n° 26, p. 142, obs. G. BONET.
Dans ces différentes décisions, la Cour de justice a considéré que les signes distinctifs traditionnels ne pouvaient
être envisagés comme identifiant des produits ou des services. Dans l’arrêt Céline, la Cour de justice affirme
ainsi qu’« une dénomination sociale, un nom commercial ou une enseigne n’a pas, en soi, pour finalité de
distinguer des produits ou des services (…). Dès lors, lorsque l’usage d’une dénomination sociale, d’un nom
commercial ou d’une enseigne se limite à identifier une société ou à signaler un fonds de commerce, il ne saurait
être considéré comme étant fait « pour des produits ou des services », au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la
directive », pt. 21. Elle considère néanmoins qu’un usage à titre de marque pourrait avoir lieu « au sens de
l’article 5, paragraphe 1, de la directive lorsqu’un tiers appose le signe constituant sa dénomination sociale, son
nom commercial ou son enseigne sur les produits qu’elle commercialise », pt. 22. Elle ajoute également que «
même en l’absence d’apposition, il y a usage « pour des produits ou des services » au sens de ladite disposition
lorsque le tiers utilise ledit signe de telle façon qu’il s’établit un lien entre le signe constituant la dénomination
sociale, le nom commercial ou l’enseigne du tiers et les produits commercialisés ou les services fournis par le
tiers », pt. 23. La Cour de justice invite donc les juridictions de renvoi à vérifier si l’usage litigieux du signe
constitue un usage « pour les produits » au sens de l’article 5, paragraphe 1 de la directive et que l’usage
constitue une atteinte aux fonctions de la marque. La jurisprudence de la Cour de justice est sur ce point
surprenante. En effet, « un signe doit être considéré comme désignant des produits ou services même lorsqu’il
215
263. L’usage illicite d’une marque authentique1087. Comme le précise implicitement
l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, l’usage illicite d’une marque
authentique peut également constituer une contrefaçon. Un tel usage implique que la volonté
du titulaire quant à la commercialisation des produits et services n’ait pas été respectée ou que
la marque ait été « dissociée des produits ou services qu’elle avait pourtant vocation à
désigner »1088. Bien que l’usage concerne celui d’une marque authentique, il n’en constitue
pas moins une atteinte à la fonction d’exclusivité. Il est, notamment, fait échec « au pouvoir
du titulaire du droit de décider de la mise en circulation des produits et services pour la
désignation desquels la marque bénéficie d’une réservation exclusive »1089.
n’exerce cette fonction qu’indirectement » dans la mesure où, lorsqu’ils sont utilisés au contact de la clientèle,
« ils ont, sinon pour objet, du moins pour effet de désigner les produits ou services constituant l’objet de
l’activité exercée par leur exploitant », J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et
autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd., 2009, n° 243, p. p. 305. Envisager les signes
distinctifs traditionnels ainsi n’est guère contestable. Plusieurs indices permettent en effet d’abonder en ce sens.
Ils sont, à l’instar de la marque, soumis au principe de spécialité. V. sur cette question, A. BOUVEL, Principe de
spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, n° 24, 2004. Le fait
d’appliquer le principe de spécialité à ces signes démontre qu’ils ont une relation, certes moins directe et moins
forte que la marque, avec des produits ou des services et donc qu’il est impératif d’apprécier la spécialité à la
lueur des produits ou services. En outre reconnaître que ces signes peuvent constituer des antériorités opposables
démontre a fortiori qu’ils désignent des produits ou des services. Si une marque peut être antériorisée par un
signe distinctif traditionnel, le contraire doit également être possible. Le signe distinctif traditionnel « peut, pour
la même raison, porter atteinte au droit détenu par le titulaire d’une marque antérieure, même s’il n’est pas
apposé sur des produits », J. PASSA, op. cit., n° 243, p. 305. La jurisprudence française, très protectrice à l’égard
du titulaire de la marque, est abondante en la matière. V. Cass. com., 7 juill. 2004, PIBD 2004, n° 794, III, p.
554 ; Cass. com., 12 juill. 2005, PIBD 2005, n° 816, III, p. 585 ; Paris, 22 oct. 1999, PIBD 2000, n° 690, III, p.
44; Paris, 15 déc. 1999, PIBD 2000, n° 695, III, p. 167; à propos du nom commercial et de l’enseigne, Cass.
com., 25 avr. 2001, PIBD 2001, n° 731, III, p. 593 ; RJDA 2001, n° 11, n° 1159 ; Paris, 27 avr. 2001, PIBD
2001, n° 732, III, p. 633 ; à propos du nom de domaine, Cass. com., 13 déc. 2005, PIBD 2006, n° 824, III, p.
149 ; JCPE 2006, 1234, note C. CARON ; Propr. intell. 2006, n° 19, chron. A. BOUVEL, p. 128 ; Cass. com., 20
févr. 2007, pourvoi n° 05-11089 ; Versailles, 27 févr. 2003, PIBD 2003, n° 763, III, p. 245. Enfin, la Directive
n’apporte aucune précision à son article 5, paragraphe 1 quant au signe utilisé, d’où l’intérêt d’avoir une
interprétation du texte favorable au titulaire de la marque. Comme l’affirme Monsieur BOUVEL, les dispositions
françaises relatives à la contrefaçon ne précisent pas non plus la nature des signes postérieurs contrefaisants. Il
faut donc admettre que ces textes visent les signes qui désignent des produits ou des services de manière
indirecte : « Cela ne fait pourtant pas l’ombre d’un doute. Admettre le contraire serait absurde ; il suffirait alors
de s’abstenir de déposer le signe postérieur à titre de marque pour échapper à l’action en contrefaçon », A.
BOUVEL, op. cit., n°326, p. 170. L’auteur ajoute également un commentaire sur la rédaction de l’article 5 de la
Directive. Il considère ainsi que la rédaction de cet article est « on peut plus claire sur ce point ». L’usage du
terme « signe » dans l’article 5 n’est pas anodin et doit permettre d’envisager les situations de reproduction de la
marque par des signes distinctifs tels que la dénomination sociale, le nom commercial et l’enseigne.
1087
V. sur cette question, P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, op. cit., p. 330 ; F. POLLAUDDULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1656, p. 965 ; J. PASSA, Traité de droit de la propriété
industrielle, op. cit., n° 271, p. 360 ; J. PASSA, Distribution et usage de marque, Litec, 2002 ; J. AZÉMA & J.-C.
GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1558, p. 858 ; H. BONNARD, La contrefaçon de marque,
Litec, 2008, n° 215, p. 161 ; J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n°
580, p. 253 ; J. CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété
intellectuelle, 2007, t. 31, n° 39, p. 55 ; Contrefaçon de marque. Ŕ Usage illicite de marque, J.-Cl. Marques Ŕ
Dessins et modèles, Fasc. 7513, 2010 ; F. BONET, Contrefaçon de marque Ŕ Usage illicite de marque, J.-Cl.
Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7513, 1998 ;
1088
H. BONNARD, La contrefaçon de marque, op. cit., n° 215, p. 161.
1089
H. BONNARD, op. cit., n° 215, p. 161.
216
L’usage illicite d’une marque authentique peut revêtir différentes formes. L’importation de
produits authentiques peut constituer une contrefaçon dès lors que la commercialisation en
France des produits, licitement mis en circulation dans un pays n’appartenant pas à l’Espace
économique européen1090, n’a pas été autorisée par le titulaire1091.
L’usage illicite d’une marque authentique peut également résulter de la distribution hors
réseau du produit. La question a fait l’objet d’une abondante et fluctuante jurisprudence1092. Si
à la lueur des avancées communautaires, le distributeur parallèle doit pouvoir profiter de la
règle de l’épuisement des droits1093, du fait que les produits vendus ont été mis en circulation
dans l’Espace économique européen avec le consentement du titulaire de la marque, il peut
néanmoins être sanctionné si le titulaire de la marque justifie de motifs légitimes1094.
En outre, l’usage illicite peut également résulter de la violation du contrat de licence de la part
du licencié. Ce dernier doit être sanctionné au titre de la contrefaçon s’il n’a pas respecté la
durée du contrat, la forme couverte par l’enregistrement sous laquelle la marque peut être
utilisée, la nature des produits ou des services pour lesquels la licence est octroyée, le
territoire sur lequel la marque peut être apposée ou la qualité des produits fabriqués ou des
services fournis par le licencié1095.
En sus de ces usages commerciaux, l’usage illicite peut également résulter d’usages à
caractère promotionnel. Classiquement, l’usage promotionnel de la marque aux fins de
1090
Cf. infra n°295. En vertu de la règle de l’épuisement des droits, le titulaire ne peut empêcher la circulation
des produits qu’il aura consenti à mettre sur le marché dans l’Espace économique européen. V. l’article L. 713-4
du Code de la propriété intellectuelle qui dispose « Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire
d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté
économique européenne ou dans l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son
consentement ».
1091
Cass. com., 2 déc. 1997, D. 1998, p. 604 ; note E. AGOSTINI ; Paris, 8 oct. 1999, PIBD 2000, n° 691, III, p.
63 ; Versailles, 7 sept. 2000, PIBD 2000, n° 708, III, p. 565.
1092
V. sur cette question, J. PASSA, Distribution et usage de marque, Litec, 2002, n° 39, p. 45. V. ainsi la
jurisprudence citée, Cass. crim., 24 févr. 1987, D. 1987, juris., p. 558, note G. PARLÉANI ; JCPE 1987, II, 15015,
note E. ROSENFELD ; Ann. propr. ind. 1988, p. 125, note P. MATHÉLY ; D. 1989, somm. 198, obs. J.-J. BURST ;
Cass. crim., 5 oct. 1987, D. 1988, Juris, p. 450, note J.-C. FOURGOUX ; Ann. propr. ind. 1988, p. 125, note P.
MATHÉLY ; PIBD 1988, n° 445, III, p. 554 ; Cah. dr. entr. 1988/2, p. 39 et note Y. REBOUL, p. 35 ; D. 1989,
somm. p. 198, obs. J.-J. BURST ; Cass. com., 13 déc. 1988, PIBD 1989, n° 456, III, p. 293 ; RDPI 1989, n° 22, p.
75; Ann. propr. ind. 1989, p. 3, note P. MATHÉLY ; Cass. com., 23 févr. 1993, RIPIA 1993, p. 47 ; RDPI 1993,
n° 49, p. 81 ; D. 1994, juris., p. 318, note E. FORT-CARDON ; Ann. propr. ind. 1994, p. 44 ; Cass. crim., 16 juin
1993, RDPI 1993, n° 49, p. 81.
1093
Art. L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle : « Le droit conféré par la marque ne permet pas à son
titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté
économique européenne « ou dans l’Espace économique européen » sous cette marque par le titulaire ou avec
son consentement ».
1094
V. Art. L. 713-4 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle : « Toutefois, faculté reste alors ouverte au
propriétaire de s'opposer à tout nouvel acte de commercialisation s'il justifie de motifs légitimes, tenant
notamment à la modification ou à l'altération, ultérieurement intervenue, de l'état des produits ».
1095
V. l’article L. 714-1 du Code de la propriété intellectuelle.
217
promouvoir les produits marqués n’est pas considéré par la jurisprudence1096 comme étant une
contrefaçon, et cela, nonobstant l’absence d’autorisation du titulaire. Cet usage promotionnel
peut cependant être limité. Il doit être fait dans des conditions commerciales normales, le
distributeur ne devant pas faire croire d’une façon ou d’une autre à l’existence d’un lien avec
le titulaire1097. En outre, il paraît logique que l’utilisation de la marque soit faite uniquement
dans le but de favoriser les produits marqués1098. À ce titre, le distributeur ne peut promouvoir
les produits marqués à la condition qu’il détienne suffisamment de produits pour répondre à la
demande de la clientèle1099. L’usage promotionnel doit également être limité à ce qui est
nécessaire au distributeur pour l’exercice de son activité1100. L’usage qui peut être fait d’une
marque dans une publicité ne doit pas non plus avoir pour conséquence de porter atteinte à la
réputation de la marque1101. La pratique des marques d’appel1102 doit également être
sanctionnée. C’est classiquement le cas, tant sur le terrain de la concurrence déloyale1103 que
sur le terrain de la contrefaçon pour usage illicite de la marque1104. La pratique de la marque
1096
La jurisprudence française justifie cela par référence au principe de la liberté du commerce et de l’industrie.
Les juges retiennent ainsi une autorisation tacite d’utiliser la marque dans de telles conditions. Cass. com., 27
oct. 1992, PIBD 1993, n° 539, III, p. 166 ; Cass. com., 1er mars 1994, RDPI 1994, n° 53, p. 57 ; Paris, 15 mai
1998, RTD com. 1998, p. 846, obs. J. AZÉMA. La jurisprudence communautaire raisonne quant à elle sur le
terrain de la règle d’épuisement des droits. Les juges affirment ainsi en vertu de cette règle que le « revendeur a,
outre la faculté de revendre ces produits, également celle d’employer la marque afin d’annoncer au public la
commercialisation ultérieure des produits ». CJCE, 4 nov. 1997, aff. C-337/95, Parfums Christian Dior c/ Evora,
Rec. 1997, p. I.-6013, pt. 38 ; RTDE 1998, p. 595, obs. G. BONET ; PIBD 1998, n° 648, III, p. 105 ; D. aff. 1997,
n° 43, p. 1427 ; D. 1998, juris., p. 587, note M.-C. BERGERES ; CJCE 23 févr. 1999, aff. C-63/97, Bayerische
Motorenwerke AG (BMW) et BMW Nederland BV c/ Ronald Karel Deenik, Rec. 1999, p. I-905, pt. 48 ; PIBD
1999, n° 676, III, p. 221 ; RTDE 2000, p. 122, obs. G. BONET. La Cour de cassation semble s’être rangée
derrière l’argumentation tirée de la règle d’épuisement des droits qui semble effectivement mieux convenir à la
situation. V. Cass. com., 26 févr. 2008, PIBD 2008, n° 873, III, p. 281.
1097
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 277, p. 365.
1098
Cass. com., 9 févr. 1982, Bull. civ. IV, n° 56; Douai, 26 janv. 1998, RDPI 1998, n° 88, p. 29.
1099
TGI Paris, 19 août 1999, PIBD 2000, n° 692, III, p. 89.
1100
Paris, 8 sept. 2004, PIBD 2004, n° 797, III, p. 657 : Paris, 12 déc. 2007, PIBD 2008, n° 868, III, p. 113.
1101
CJCE, 4 nov. 1997, aff. C-337/95, Parfums Christian Dior c/ Evora, Rec. 1997, p. I.-6013, pt. 43 ; RTDE
1998, p. 595, obs. G. BONET ; PIBD 1998, n° 648, III, p. 105 ; D. aff. 1997, n° 43, p. 1427 ; D. 1998, juris., pr.
587, note M.-C. BERGERÈS. Les juges ont ainsi précisé que le revendeur devait « s’efforcer d’éviter que la
publicité n’affecte la valeur de la marque en portant préjudice à l’allure et à l’image de prestige des produits en
cause ainsi qu’à la sensation de luxe qui émane de ceux-ci », pt. 45.
1102
Cette pratique consiste « pour un distributeur, à annoncer la vente de produits d’une marque –renommée ou
prestigieuse, par hypothèse –alors qu’il ne dipose pas d’une quantité de ces produits lui permettant de répondre
à la demande normale de la clientèle, le but étant d’attirer la clientèle pour finalement lui vendre, ou essayer de
lui vendre, des produits d’autres marques », J. PASSA, Distribution et usage de marque, Litec, 2002, n° 141, p.
137.
1103
Cass. com., 19 mai 1998, PIBD 1998, n° 659, III, p. 408 ; Cass. com., 30 janv. 2001, Propr. intell. 2001, n°
1, p. 87, obs. J. PASSA.
1104
Cass. com., 9 févr. 1982, Bull. civ. IV, n° 56 ; Paris, 31 janv. 2003, Gaz. Pal. 2004, 28-29 avr., p. 32 ; CA
Paris, 10 sept. 2008, PIBD 2008, n° 884, III, p. 638 ;
218
d’appel fut également sanctionnée sur le fondement du délit de publicité trompeuse 1105 prévu
aux articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation1106.
L’usage de la marque doit aussi être considéré comme illicite dans l’hypothèse où le détenteur
du produit marqué organise un jeu afin de promouvoir son activité dans le cadre duquel il
offre des produits marqués authentiques1107. Le titulaire de la marque peut dans une telle
hypothèse s’opposer à l’usage qui peut être fait de sa marque1108.
264. La reproduction et l’usage avec adjonction de la mention « formule, façon, système
ou genre »1109. L’article L. 713-2, a) du Code la propriété intellectuelle envisage l’hypothèse
de la reproduction et de l’usage du signe avec adjonction de mots tels que « formule, façon,
système, imitation, genre, méthode ». Cet usage « grossier »1110 de la marque par le tiers non
autorisé permet d’informer les consommateurs que les produits ou services sont identiques à
ceux couverts par la marque ou bien qu’ils présentent les mêmes caractéristiques que ces
derniers, tout en précisant que la provenance n’est pas la même1111.
Bien que la fonction d’identification ne soit pas atteinte, le tiers usurpateur prenant le soin
d’éviter tout risque de confusion, cette pratique se doit d’être considérée comme illicite. Pour
certains auteurs, cette pratique est rendue illicite, car elle « tend à tirer injustement profit de la
réputation de la marque à laquelle il est fait référence »1112. Plus qu’une atteinte à la
réputation, cet usage de la marque constitue sans aucun doute une atteinte à la fonction
d’exclusivité. Il s’agit d’une reproduction ou de l’usage d’un signe identique, auquel l’on
adjoint un terme comparatif, pour désigner des signes identiques. Il s’agit par conséquent
d’une incontestable atteinte au droit de propriété. Que la marque soit réputée ou non, le tiers
utilise le bien d’autrui à son profit. Il s’agit d’un véritable vol « d’usage »1113.
1105
Aujourd’hui remplacé par le délit des pratiques commerciales trompeuses.
Cass. crim., 2 déc. 1980, Gaz. Pal. 1980, I, p. 355, obs. J.-C. FOURGOUX ; CA Lyon, 5 mai 1982, JCPG 1983,
II, 19970, note J.-J. BIOLAY.
1107
V. sur cette question les importants développements du Professeur PASSA, J. PASSA, Distribution et usage de
marque, Litec, 2002, n° 158, p. 151.
1108
Cass. com., 2 juill. 1996, PIBD 1996, n° 620, III, p. 563 ; RDPI 1996, n° 67, p. 57; D. aff. 1996, p. 1071;
Ann. propr. ind. 1997, p. 164, note P. MATHÉLY.
1109
V. sur cette question, P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, op. cit., p. 634 ; J. PASSA, Traité
de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 270, p. 357 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété
industrielle, op. cit., n° 1537, p. 842 ; H. BONNARD, La contrefaçon de marque, op. cit., n° 215, p. 161 ; J.
CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui, op. cit., n° 62, p. 84 ; F. BONET, Contrefaçon de marque Ŕ Usage
illicite de marque, préc. n° 44 et 45.
1110
F. BONET, préc., n° 44.
1111
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 270, p. 357.
1112
J. PASSA, op. cit., n° 270, p. 357. V. également, H. BONNARD, La contrefaçon de marque, op. cit., n° 207, p.
153.
1113
V. D. AUGER, Droit de propriété et droit pénal, PUAM, 2005, n° 35, p. 45. Le Droit romain sanctionnait le
vol d’usage « qui était réalisé lorsque celui qui détenait régulièrement la chose d’autrui en usait sans droit,
1106
219
Les exemples de contrefaçon par adjonction d’un terme comparatif à la marque sont
nombreux1114. Il est ainsi permis d’interdire à ce titre la pratique des tableaux de
concordance1115 qui consiste justement « à vendre des produits sous un numéro, un code ou
même une marque et à soumettre aux distributeurs ou aux clients potentiels des tableaux
indiquant que tel produit ainsi identifié présente les mêmes caractéristiques (…) que les
produits d’une marque, connue par hypothèse »1116.
265. L’apposition de la marque1117. L’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle
vise l’hypothèse de la contrefaçon par apposition. L’apposition visée par le droit français doit
être distinguée de l’apposition visée par l’article 5, paragraphe 3 de la Directive 2008/95. Au
sens du droit communautaire, l’apposition consiste à faire figurer sur le produit lui-même ou
sur son emballage une marque reproduite1118. Il s’agit donc simplement d’une reproduction.
L’hypothèse visée par le texte français est celle de la marque authentique qui est « employée à
la désignation d’objets, produits ou services, qui ne proviennent pas du titulaire de la
marque »1119. L’apposition pourrait être définie comme l’utilisation sans autorisation d’un
support « sur lequel la marque a déjà été reproduite par le titulaire lui-même ou avec son
sachant agir contre le gré du propriétaire ». Cette notion fut rejetée par les rédacteurs du Code pénal de 1810.
Le vol d’usage a néamoins fait sa réapparition dans la jurisprudence française par le biais des décisions relatives
aux emprunts momentanés de véhicule (Cass. crim., 19 févr. 1959, D. 1959, juris, p. 331, note ROUJOU DE
BOUBÉE ; JCPG 1959, II, 11178, note CHAMBON) et aux vols dits de photocopiage (Cass. crim., 24 oct. 1990,
Bull. crim., n° 335). Ainsi, pour qu’il y ait vol d’usage, « il suffit d’usurper indûment une prérogative attachée
au droit de propriété », D. AUGER, Droit de propriété et droit pénal, PUAM, 2005, n° 36, p. 46. En l’occurrence,
en matière de tableau de concordance, l’auteur du tableau s’est arrogé l’une des prérogatives du titulaire de la
marque consistant à pouvoir être le seul à promouvoir ses produits avec la marque.
1114
Paris, 1er juill. 1998, PIBD 1998, III, p. 486, contrefaçon avec adjonction des termes « Style » et « Coupe » ;
Cass. com., 19 févr. 1991, PIBD 1991, III, p. 409, contrefaçon avec adjonction du terme « type » ; Cass. civ., 14
mars 1881, Ann. propr. ind. 1882, p. 183, adjonction de l’expression « selon la recette de » ; Cass. civ., 25 oct.
1911, Ann. propr. ind. 1912, p. 41, adjonction des termes « système » et « genre », Trib. civ. Seine, 5 nov. 1949,
Ann. propr. ind. 1950, p. 42, note R. DUSOLIER, adjonction du terme « genre » ;
1115
Cass. com., 16 oct. 1985, pourvoi n° 83-17288, Bull. civ. IV, n° 243 ; Cass. com., 17 déc. 1985, pourvoi n°
84-11335, Bull. civ. IV, n° 300 ; Cass. com. 2 févr. 1988, pourvoi n° 86-15647, Bull. civ. IV, n° 59 ; Cass. crim.,
20 déc. 1988, pourvoi n° 86-19278 ; Cass. com., 10 janv. 1989, pourvoi n° 87-14122 ; Cass. com., 5 févr. 1991,
pourvoi n° 88-20121 ; Cass. com., 12 oct. 1993, pourvoi n° 91-10864, Bull. civ. IV, n° 338 ; Paris, 17 nov. 2009,
JurisData n° 2009-016660 ; Cass. crim., 30 juin 2009, JurisData n° 2009-049272. V. pour une approche
communautaire des tableaux de concordance, CJCE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L’Oréal e.a., Rec. 2009, p. I05185.
1116
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 270-1, p. 358.
1117
V. sur cette question, P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, op. cit., p. 324 ; F. POLLAUDDULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1651, p. 961 ; J. PASSA, Traité de droit de la propriété
industrielle, op. cit., n° 280, p. 369 ; J. AZÉMA, Marques, Brevets, dessins et modèles, in Lamy commercial,
2011, n° 2260 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz op. cit., n° 1552, p. 853 ; J.
SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 587, p. 255 ; P. ROUBIER, Le
droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 87, p. 392 ; E. POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la
concurrence déloyale en tous genres, op. cit., n° 342, p. 322 ; S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon, J.-Cl.
Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. n° 7517, 2009, n° 17.
1118
S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon, préc., n° 17.
1119
P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, op. cit., p. 325.
220
consentement (étiquette, conditionnement, présentoir…), pour la diffusion ou la promotion de
produits ou services (…) ne provenant pas du titulaire ou du tiers autorisé »1120. Le
remplissage de bouteille en serait l’exemple parfait.
Pour que l’apposition soit considérée comme une contrefaçon, la marque doit dans un premier
temps être physiquement appliquée sur le produit1121. L’ apposition doit être faite en vue de
proposer les produits ou les services à la clientèle, donc dans la vie des affaires. Il n’est
cependant pas nécessaire que l’apposition soit effectivement suivie d’une mise dans le
commerce ; les actes préparatoires démontrant que l’apposition devait être suivie d’une
commercialisation suffisent à constituer la contrefaçon1122. L’infraction d’apposition apparaît
cependant comme « une infraction en constante régression, les agissements qu’elle punit ne
correspondant plus à l’exercice contemporain du commerce »1123.
266. La suppression ou la modification de la marque1124. L’article L. 713-2 du Code de la
propriété intellectuelle vise enfin la contrefaçon pouvant résulter de la suppression ou de la
modification de la marque. Initialement, ces deux hypothèses d’atteinte au droit de marque ne
constituaient pas des actes susceptibles d’être qualifiés de contrefaçons, mais pouvaient
entraîner une condamnation sur le terrain de la concurrence déloyale1125. Puis, la loi du 24 juin
19281126 est venue sanctionner l’altération ou la suppression de signes identifiant une
marchandise, permettant de sanctionner d’une manière autonome la modification et la
1120
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 280, p. 369.
Paris, 6 févr. 1960, Ann. propr. ind. 1960, p. 187, note G. GAULTIER.
1122
V. pour des exemples d’apposition, Cass. civ., 8 janv. 1951, Ann. propr. ind. 1954, p. 6 ; Cass. crim., 11 avr.
1988, PIBD 1988, n° 445, III, p. 556 ; Cass. crim., 6 mai 1986, PIBD 1987, n° 408, III, p. 117.
1123
S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon, préc., n° 19. Pour cet auteur, il semble que le seul intérêt de la
contrefaçon pour apposition réside dans le fait qu’elle permet « d’appréhender le montage d’un objet avec des
pièces authentiques récupérées sur un ou plusieurs autres objets identiques ». V. Paris, 28 juin 1972, Ann.
propr. ind. 1972, p. 177 ; TGI Paris, 12 avr. 1995, PIBD 1995, III, p. 384.
1124
V. sur cettte question, P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, op. cit., p. 335 ; F. POLLAUDDULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1691, p. 992 ; J. PASSA, Traité de droit de la propriété
industrielle, op. cit., n° 281 p. 370 ; J. AZÉMA, Marques, Brevets, dessins et modèles, in Lamy commercial,
2011, n° 2271 ; A. CHAVANNE & J.-J. BURST, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1163, p. 684 ; J.
SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 588, p. 256 ; P. ROUBIER, Le
droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 121, p. 560 ; J. CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui,
op. cit., n° 54, p. 73 ; S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon, préc., 2009, n° 20.
1125
Toulouse, 15 nov. 1904, Ann. propr. ind. 1906, p. 135 ; Paris, 11 mars 1926, Ann. propr. ind. 1929, p. 186 ;
Rouen, 29 févr. 1928, Ann. propr. ind. 1928, p. 237. V. sur la question, P. ROUBIER, Le droit de la propriété
industrielle, op. cit., n° 121, p. 560.
1126
Loi du 24 juin 1928 relative à la protection des numéros et signes quelconques servant à identifier les
marchandises. On retrouve aujourd’hui ce délit à l’article L. 217-2 du Code de la consommation. Il dispose :
« Sera punie des peines prévues par l'article L. 213-1 toute personne qui aura frauduleusement supprimé,
masqué, altéré ou modifié de façon quelconque les noms, signatures, monogrammes, lettres, chiffres, numéros de
série, emblèmes, signes de toute nature apposés ou intégrés sur ou dans les marchandises et servant à les
identifier de manière physique ou électronique. Seront punis des mêmes peines les complices de l'auteur
principal ». Cf. infra n° 749
1121
221
suppression de la marque. C’est ensuite la loi sur les marques du 4 janvier 19911127 qui est
venue sanctionner la modification et la suppression d’une marque, tant en matière civile que
pénale. La présence de ces actes au rang des contrefaçons semble a priori parfaitement
logique. Seul le titulaire doit pouvoir être en mesure de modifier son signe. Quant à la
suppression, MATHELY relevait que la marque supprimée « n’est plus en mesure de remplir sa
fonction légale »1128, justifiant ainsi sa condamnation.
Il convient cependant de préciser que la contrefaçon n’est pas constituée dans l’hypothèse où
celui qui a supprimé la marque était dans l’obligation de le faire, pour ne pas se rendre
coupable d’une autre infraction1129.
267. La compatibilité avec le droit communautaire. Bien que l’atteinte aux droits du
titulaire semble logique en cas de suppression ou de modification du signe, certains
auteurs1130 se sont interrogés sur le fait de savoir si sanctionner de tels comportements au titre
de la contrefaçon était compatible avec la Directive marque. L’avocat général SHARPSTON
relaye la même idée en affirmant que « le titulaire d’une marque n’a pas le droit d’exiger que
les revendeurs successifs conservent la marque sur le produit »1131.
La modification et la suppression devraient pourtant être appréhendées comme des « usages »
au sens de la Directive marque au même titre que pourrait l’être la reproduction1132. Il s’agit
en effet d’actes « opposés » à la reproduction. Il serait difficile de comprendre comment un
acte « positif » d’apposition peut être considéré comme un usage tandis qu’un acte « négatif »
d’apposition ne puisse pas l’être.
Le fait que l’article 5, paragraphe 3 ne fasse pas référence à la suppression ou à la
modification ne semble pas être un obstacle à une telle interprétation, le texte ayant un
caractère ouvert1133. D’ailleurs, la Cour d’appel de Paris n’a pas hésité à sanctionner au titre
de l’article 9, paragraphe 1 du Règlement sur la marque communautaire la suppression de
marques1134.
1127
Loi du n° 91-7 du 4 janv. 1991 relative aux marques de fabrique, de commerce ou de service.
P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, op. cit., p. 335. V. Cass. crim., 20 juin 1967, Ann.
propr. ind. 1968, p. 203 ; Cass. com., 6 mai 1991, Ann. propr. ind. 1992, p. 277.
1129
V. par exemple, Lyon, 13 juill. 1976, D. 1977, juris., p. 17, note A. CHAVANNE ; Reims, 14 juin 1988, Ann.
propr. ind. 1988, p. 168 ; Cass. com., 25 janv. 2005, pourvoi n° 03-11770.
1130
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 282, p. 370 ; S. DURRANDE, Droit pénal de la
contrefaçon, préc., n° 21.
1131
E. SHARPSTON, Concl. du 6 avr. 2006, aff. C-348/04, Boehringer Ingelheim e.a., pt. 63.
1132
Dans ce sens, J. CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui, op. cit., n° 54, p. 73.
1133
J. CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui, op. cit., n° 54, p. 74.
1134
Paris, 20 sept. 2006, PIBD 2006, n° 841, III, p. 778.
1128
222
Enfin, il faut préciser que si l’article L. 713-2, b) devait être considéré comme incompatible
avec la Directive 2008/95, il serait toujours possible pour le titulaire d’agir sur le terrain du
droit de la consommation et de l’article L. 217-2 du Code de la consommation1135.
268. Après avoir envisagé les comportements visés à l’article L. 713-2 du Code de la
propriété intellectuelle, il convient d’envisager deux comportements uniquement visés dans le
volet pénal de la contrefaçon de marque : la détention et la substitution de produit.
β. Les usages visés uniquement par le volet pénal de la contrefaçon
269. La détention de produits contrefaisants1136. Le droit français interdit « de façon
classique et traditionnelle »1137 aux tiers de détenir sur le territoire français des produits
contrefaisants. L’article L. 716-10, a) du Code de la propriété intellectuelle prévoit que le fait
de « détenir sans motif légitime (…) des marchandises présentées sous une marque
« contrefaisante » peut être puni de trois ans d’emprisonnement et de trois cent mille euros
d’amende.
La détention s’entend
du fait d’avoir en sa possession des produits portant la marque
usurpée1138. L’auteur de la détention doit avoir en son pouvoir le produit contrefaisant1139.
Envisagée de manière indépendante1140, la détention peut donc faire l’objet d’une poursuite
autonome1141 même si elle est souvent accompagnée d’un acte d’importation1142,
d’exportation1143 ou encore d’offre à la vente1144. L’auteur de la détention peut néanmoins
s’exonérer de la contrefaçon s’il justifie d’un motif légitime1145.
1135
S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon, préc., n° 22.
V. sur cette question, P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, op. cit., p. 328 ; J. AZÉMA,
Marques, Brevets, dessins et modèles, in Lamy commercial, 2011, n° 2266 ; J. PASSA, Traité de droit de la
propriété industrielle, op. cit., n° 283, , p. 372 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle,
op. cit., n° 1560, p. 860 ; J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n°
598, p. 262 ; E. POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, op. cit.,
n° 362, p. 341 ; J. CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui, op. cit., 2007, n° 56, p. 74 ; S. DURRANDE, Droit
pénal de la contrefaçon, préc., n° 60.
1137
J. AZÉMA, Marques, Brevets, dessins et modèles, préc., n° 2268.
1138
La détention porte uniquement sur des produits et ne peut donc porter sur des services.
1139
S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon, préc., n° 61.
1140
S. DURRANDE, préc., n° 60.
1141
Cass. crim., 8 oct. 2003, Pokemon, n° 02-88.412 ; Paris, 17 janv. 2001, RG 2000/04822; TGI Paris, 3 mars
1992, PIBD 1992, III, p. 401.
1142
Paris, 16 sept. 2008, JurisData n° 2008-370538.
1143
Cass. com., 10 juill. 2007, JurisData n° 2007-040140 ; PIBD 2007, n° 859, III, p. 562 ; Bull. civ. 2007, IV,
n° 189 ; D. 2009, p. 691, obs. S. DURRANDE ; JCPE 2007, n° 42, 2269, note J. PASSA.
1144
Cass. crim., 7 sept. 2004, PIBD 2004, n° 797, III, p. 649.
1145
V. S. DURRANDE, préc., n° 63.
1136
223
La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur le sens et la portée de la notion de
motifs légitimes dans l’arrêt Nutri-Rich1146. Elle précisa que pouvait notamment constituer un
motif légitime le fait de détenir des produits pour une exportation vers un pays tiers où les
produits seront licitement commercialisés. Cette approche du motif légitime permettant de
justifier la détention ne semble pas emporter l’assentiment1147. Il serait préférable, comme le
propose Madame DURRANDE, d’envisager les motifs légitimes au sens du droit pénal, c'est-àdire comme des faits justificatifs supposant l’existence d’une
circonstance objective,
extérieure à la volonté de l’agent et qui s’impose à lui1148. Devrait ainsi constituer un motif
légitime, l’autorisation de la loi telle qu’elle peut exister pour l’huissier qui opère une saisie
réelle d’un produit contrefaisant. La détention à des fins privées et personnelles ne devrait
ainsi pas constituer pas un motif légitime et devrait logiquement encore être sanctionnée1149.
Concernant la compatibilité du droit français avec les prescriptions communautaires, la
matière civile doit être distingué de la matière pénale. Dans le cadre du volet civil de la
contefaçon, nous pensons que la détention peut être sanctionnée uniquement dans l’hypothèse
où la détention est suivie d’une commercialisation1150. La détention ne pourrait par
conséquent pas être sanctionnée de manière autonome, celle-ci ne constituant pas un usage.
Dans le cadre du volet pénal de la contrefaçon, il nous semble que la rédaction de l’accord sur
les ADPIC1151 donne une certaine liberté au législateur pour envisager des incriminations
pouvant porter atteinte au droit de marque. De ce fait, la rédaction de l’article L. 716-10, a) du
Code de la propriété intellectuelle devrait permettre de sanctionner toutes les hypothèses de
détentions.
1146
Cass. com., 10 juill. 2007, JurisData n° 2007-040140 ; PIBD 2007, n° 859, III, p. 562 ; Bull. civ. 2007, IV,
n° 189 ; D. 2009, p. 691, obs. S. DURRANDE ; JCPE 2007, n° 42, 2269, note J. PASSA.
1147
V. notamment, S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon, préc., n° 63. L’auteur considère que « cette
décision est bien difficile à justifier » ; J. AZÉMA, Marques, Brevets, dessins et modèles, préc., n° 2268, Le
Professeur AZÉMA voit quant à lui une motivation qui « manque singulièrement de rigueur ». V. aussi, J. P ASSA,
Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 285, p. 374.
1148
S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon, préc., n° 63.
1149
Cass. crim., 30 mars 1994, D. 1994, IR, p. 164.
1150
V. l’article 5, paragraphe 3 de la Directive 2008/95 qui envisage l’hypothèse de la detention en vue d’offrir
les produits ou de les mettre dans le commerce. Il est néanmoins possible de s’interroger sur le sens des
expressions « offre des produits » ou « mise dans le commerce ». En effet, est-ce qu’une mise dans le commerce
dans un pays tiers où le produit sera licitement commercialisé permet d’éviter à l’auteur de la détention de se
voir sanctionner. La Cour de cassation a répondu par la positive dans l’arrêt Nutri-Riche, Cass. com., 10 juill.
2007, JurisData n° 2007-040140 ; PIBD 2007, n° 859, III, p. 562 ; D. 2009, p. 691, obs. S. DURRANDE; JCPE
2007, n° 42, 2269, note J. PASSA. La Cour a en effet indiqué que dans une telle hypothèse la détention était
justifiée par un motif légitime. Il s’agit là d’une solution à la motivation plus que douteuse dont la portée doit
être nuancée. En effet, comme le souligne le Professeur PASSA, le caractère territorial de la protection fait que la
détention « peut être sanctionnée dès lors qu’elle est localisée sur le territoire où la marque invoquée produit
ses effets, quel que soit le lieu où la commercialisation doit intervenir », J. PASSA, Traité de droit de la propriété
industrielle, op. cit., n° 285, p. 374. Il ne faut donc pas confondre transit et détention.
1151
Cf. supra n° 255.
224
270. La substitution de produits ou de services 1152. L’article L. 716-10, d) du Code de la
propriété intellectuelle vise également ce qu’il est commun d’appeler la substitution de
produit1153. Le délit de susbstitution de produit se distingue des autres hypothèses de
contrefaçon du fait de son caractère intentionnel1154. Il y a substitution quand une personne
commande un produit ou un service en le désignant par la marque qui le couvre et que le
commerçant livre un produit ou fournit un service de même nature, mais d’une autre
marque1155. L’élément matériel de ce délit consiste « à substituer un produit par un autre au
moment de la vente ou de la livraison fournissant ainsi au client un produit qui ne provient
pas du titulaire de la marque »1156.
Plus encore que pour les autres comportements visés par le volet pénal de la contrefaçon dans
le Code de la propriété intellectuelle, la question de la compatibilité de l’article L. 716-10, d)
avec la Directive marque se pose. Il est vrai qu’il est difficile de constater dans la substitution
de produit un usage direct de la marque, l’auteur de la substitution n’utilisant pas directement
le signe en question1157. Pourtant certains auteurs n’hésitaient pas à voir dans le délit de
substitution de produit un véritable usage de la marque1158. MATHELY considérait que « la
marque qui est indiquée par le demandeur du produit ou du service, est bien la marque
authentique »1159 et « celui, qui fournit le produit ou le service provenant d’une autre origine,
1152
V. sur cette question, P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, op. cit., p. 331 ; J. AZÉMA,
Marques, Brevets, dessins et modèles, in Lamy commercial, 2011, n° 2270 ; J. PASSA, Traité de droit de la
propriété industrielle, op. cit., n° 286, p. 376 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, op.
cit., n° 1563, p. 862 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1693, p. 994 ; J.
SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 602, p. 264 ; E. POUILLET,
Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, op. cit., n° 905, p. 742 ; P.
ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, n° 119, p. 542 ; J. CANLORBE, L’usage de la
marque d’autrui, op. cit., n° 55, p. 74 ; S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon, préc., 2009, n° 66.
1153
Art. L. 716-10 du Code de la propriété intellectuelle : « Est puni de trois ans d’emprisonnement et de
300 000 euros d’amende le fait pour toute personne : (…) d) De sciemment livrer un produit ou fournir un
service autre que celui qui lui est demandé sous une marque enregistrée ». Avant, la loi du 31 décembre 1964, la
substitution de produit n’était pas sanctionnée au titre de la contrefaçon mais de la concurrence déloyale. V. E.
POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, op. cit., n° 905, p. 742 et
les jurisprudences citées, Grenoble, 31 août 1876, Ann. prop. ind. 1876, p. 225 ; Rennes, 18 juin 1906, Ann.
prop. ind. 1907, p. 69.
1154
Ainsi, le délit de substitution ne sera pas constitué dès lors que l’auteur de la substitution est en mesure de
démontrer sa bonne foi. V. Paris, 23 oct. 1974, Ann. propr. ind. 1975, p. 97 ; TGI Paris, 7 janv. 1976, Ann.
propr. ind. 1978, p. 47.
1155
P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, op. cit., p. 331.
1156
S. DURRANDE, Droit pénal de la contrefaçon, préc., 2009, n° 66.
1157
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 119, p. 543. Comme le relève l’illustre auteur,
« le débitant se borne à servir un produit autre que celui qui lui est demandé, sans même affirmer quoi que ce
soit au sujet de la marque ». V. également J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 287, p.
377.
1158
P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, op. cit., p. 331. V. également, A. CHAVANNE et J.-J.
BURST, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, 5 ème éd., 1998, n° 1232, p. 735.
1159
P. MATHÉLY, op. cit., p. 331.
225
fait une apposition idéale de la marque authentique à l’objet qui n’y a pas droit »1160. Il y
aurait par conséquent un usage indirect de la marque ou ce qu’il serait possible de qualifier
d’ « usage intellectuel » de la part de l’auteur de la substitution. Un auteur note dans ce sens
que « rien ne s’oppose donc à admettre que le fait de substituer un produit ou service à un
produit ou service de marque est bien une variété d’ « usage » de la marque »1161. La
jurisprudence semble adopter une approche similaire sur ce point1162.
271. La fonction d’exclusivité du droit de marque devrait avoir pour conséquence de
permettre au titulaire de bénéficier d’une protection absolue dans les hypothèses de double
identité. En conséquence, il ne devrait pas être nécessaire dans ce cadre de faire référence à
une quelconque autre fonction afin d’engager la responsabilité du tiers contrefacteur.
Pourtant, nous avons pu constater que la Cour de justice néglige, voire omet, la fonction
d’exclusivité. Cette dernière est aujourd’hui totalement phagocytée par la fonction
d’identification et la création de nouvelles fonctions a eu pour conséquence d’aggraver la
situation. Les juges n’envisagent plus l’atteinte à la fonction d’exclusivité pour apprécier
l’existence de la contrefaçon. Une telle approche tend à véritablement remettre en cause la
nature même du droit de marque, qui est, nous l’avons constaté, un droit de propriété.
L’approche de la Cour de justice n’assure pas la cohérence du système. Le législateur
français, mais aussi communautaire, ont distingué deux hypothèses. La première, classique,
est celle de la double identité. Il s’agit d’une atteinte au droit de propriété.
Exceptionnellement, le titulaire du droit bénéficie d’une protection allant au-delà de la stricte
spécialité et de la stricte identité. Dans ce cadre, c’est l’atteinte à la fonction d’identification,
réservée par le droit de marque, qui permettra de déterminer l’existence ou non de la
contrefaçon.
1160
P. MATHÉLY, op. cit., p. 331.
J. CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui, op. cit., n° 55, p. 76 Contra, J. PASSA, Traité de droit de la
propriété industrielle, op. cit., n° 287, p. 377 ; Le droit pénal des marques après la loi Perben II du 9 mars 2004,
D. 2005, p. 433, n° 24.
1162
Paris, 27 sept. 1996, PIBD 1997, n° 623, III, p. 9. Dans cette affaire les juges n’ont pas hésité à affirmer que
« la substitution de produit constitue de toute évidence un fait d’usage illicite ». V. également, Trib. Lyon, 19
déc. 1940 et Montpellier, 11 juill. 1944, Ann. propr. ind. 1949, p. 301, note R. VALABREGUE & A. ARMINGAUD ;
Montpellier, 5 mai 1955, RTD com. 1956, p. 268, n° 11. V. aussi Paris, 27 sept. 1996, PIBD 1997, n° 623, III, p.
9. La Cour d’appel a clairement précisé que l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle pouvait
également s’appliquer à la substitution de produit.
1161
226
2. L’atteinte indirecte à la fonction d’exclusivité
272.
Si le droit de marque doit permettre, en raison de sa fonction d’exclusivité, de
sanctionner tous les usages, au sens large, dans les hypothèses de double identité, il permet
également de sanctionner des comportements plus subtils. Il s’agit des hypothèses visées à
l’article 5, paragraphe 1, sous b) de la Directive marque qui prévoit que le titulaire peut faire
interdire un usage dans la vie des affaires « d’un signe pour lequel, en raison de son identité
ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits
ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque
de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque ».
Le titulaire du droit bénéficie en conséquence d’une protection au-delà de la stricte identité
des signes et de la spécialité. Si l’un des deux éléments n’est que similaire, le titulaire est en
mesure de mettre en œuvre son droit de marque en cas d’usurpation du signe par un tiers (b)
Encore est-il nécessaire que le comportement du tiers engendre un risque de confusion. En
faisant référence au risque de confusion, l’article 5, paragraphe 1, sous b) met en exergue
l’atteinte directe à la fonction d’identification et, partant, l’atteinte indirecte à la fonction
d’exclusivité (a)
a. L’atteinte à la fonction d’identification
273. La notion de risque de confusion. En visant le risque de confusion, l’article 5,
paragraphe 1, sous b) de la Directive marque, comme l’article L. 713-3 du Code de la
propriété intellectuelle1163, renvoient indéniablement à la fonction d’identification.
Le risque de confusion peut être défini comme « le fait, pour le consommateur d’attention
moyenne, de croire que le signe désigne des produits ou des services ayant une origine
commune avec ceux du titulaire de la marque »1164. En cas de risque de confusion, la marque
1163
L’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « Sont interdits, sauf autorisation du
propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des
produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ;
b) L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour les produits ou services identiques ou
similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ».
1164
J. CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui, op. cit., n° 69, p. 93. La Cour de justice définit quant à elle le
risque de confusion au sens de l’article 4, paragraphe 1 er, b) ou de l’article 5, paragraphe 1, b) de la Directive
marque comme « le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la
même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement », CJCE, 29 sept. 1998, aff. C-39/97,
Canon Kabushiki Kaisha c/ Metro-Goldwyn-Mayer, Rec. 1998, p. I-5507; RTDE 2000, p. 99, obs. G. BONET ;
CJCE, 22 juin 1999, aff. C-342/97, Lloyd Schuhfabrik Meyer, Rec. 1999, p. I-3819 ; RTDE 2000, p. 108, obs.
G. BONET ; CJCE, 6 oct. 2005, aff. C-120/04, Medion, Rec. 2005, p. I-8551; PIBD 2005, n° 819, III, p. 695 ;
227
n’est plus en mesure de jouer le rôle qui est le sien, à savoir identifier des produits et des
services afin de pouvoir s’attacher une clientèle. De ce fait, le risque de confusion et, partant,
la fonction d’identification de la marque apparaissent comme les conditions de la protection
du titulaire en l’absence d’identité entre les signes et les produits ou services désignés 1165.
Le risque de confusion peut revêtir deux aspects. Il peut être total, « lorsque le consommateur
croit acquérir l’objet revêtu de la marque authentique »1166, et partiel, lorsqu’il consiste «
dans le simple rapprochement des marques concernées, l’acheteur établissant un lien entre
elles »1167. Une troisième hypothèse de risque de confusion pourrait être envisagée : il y aurait
également risque de confusion « lorsque le public, tout en distinguant à la fois les signes et
leurs exploitants, peut penser que ceux-ci entretiennent des liens qui peuvent, notamment,
justifier un même souci de qualité »1168.
274. L’appréciation du risque de confusion1169. Afin d’apprécier au mieux le risque de
confusion, les juges utilisent un référent imaginaire : le consommateur d’attention
Propr. ind. 2006, n° 1, comm. n° 2, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL ; Propr. intell. 2006, n° 18, p. 72, obs. G.
BONET.
1165
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 288, p. 378.
1166
J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 593, p. 258. Un autre
auteur préfère utiliser le terme de direct. Le risque de confusion « est direct lorsque le consommateur d’attention
moyenne confond le signe litigieux avec la marque authentique », A. BOUVEL, Principe Principe de spécialité et
signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 24, 2004, n° 557, p. 280. V.
également, J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins
et modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 312, p. 404.
1167
J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 593, p. 258. Pour M.
BOUVEL, il s’agit d’un risque de confusion indirect en le sens où « le consommateur est porté à croire, en raison
de leurs ressemblances, que les produits ou services qu’ils désignent émanent de la même entreprise ou du même
groupe d’entreprises ; on parle alors de risque d’association », A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes
distinctifs, op. cit., t. 24, 2004, n° 557, p. 280. V. également, J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle,
op. cit., n° 312, p. 404.
1168
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 312, p. 404.
1169
L’objet de la présente étude n’est pas d’envisager dans le détail les questions relatives au risque de confusion
telles que la question de la similitude des signes et des produits ou services, ainsi que celle de la méthode
d’appréciation du risque de confusion donnée par la jurisprudence communautaire. Il s’agit là d’un vaste sujet
ayant fait l’objet de nombreuses études et articles et d’une jurisprudence abondante en la matière. V. J. P ASSA,
Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 288, p. 378. V. également, J. SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L.
PIERRE, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 589, p. 256 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la
propriété industrielle, op. cit., n° 1538, p. 844 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit.,
2011, n° 1672, p. 978 ; A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, op. cit., n° 554, p. 279 ; P.
TRÉFIGNY, L’imitation : contribution juridique à l’étude des comportements référentiels, PUS, CEIPI, t. 46,
2000 ; M. DHENNE, Appréciation comparée du risque de confusion entre marques en jurisprudence française et
communautaire, Propr. ind. 2007, n° 4, étude n° 10 ; C. GRYNFOGEL, Le risque de confusion, une notion à
géométrie variable en droit communautaire des marques, RJDA 2000, n° 6, p. 494 ; S. DURRANDE, Contrefaçon
de marque. Contrefaçon par imitation, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, fasc. 7515 ; M. LUBY, Le risque de
confusion, un duo dissonant entre la Cour de justice et le juge national, JDI 2001, p. 487 ; T. AZZI, Précisions sur
l’appréciation globale du risque de confusion, JCPG 2007, II, 10169 ; B. HUMBLOT, Droit des marques : risque
de confusion autour du risque de confusion ŔL’exemple de l’arrêt Ferrero, RLDI, 2008, n° 43, p. 10.
228
moyenne1170. Il peut se définir comme un « acheteur doté de capacités normales, qui fait
preuve d’une attention minimale à son acte d’achat. Ni spécialement attentif, ni acheteur
professionnel, il n’a pas simultanément sous les yeux les deux marques et ne se livre pas à
une comparaison approfondie de celles-ci »1171.
L’appréciation du risque de confusion se fait en outre à la lumière des principes dégagés par
la Cour de justice. Cette dernière a dégagé une méthode d’appréciation du risque de
confusion : la méthode d’appréciation globale. Cette méthode consiste à apprécier le risque de
confusion globalement « en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas
d’espèce »1172. L’appréciation globale « doit, en ce qui concerne la similitude (…) des
marques en cause, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par celles-ci, en tenant
compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants »1173. Cette démarche serait
« conforme à la démarche intellectuelle du consommateur d’attention moyenne »1174.
275. La seule atteinte à la fonction d’identification. La référence à la notion de risque de
confusion renvoie à la fonction d’identification du signe. En ayant recours à la démonstration
d’un risque de confusion, la protection au-delà des hypothèses de double identité implique la
1170
Cass. com., 26 nov. 2003, PIBD 2004, III, p. 100 ; Cass. com. 1er avr. 1997, PIBD 1997, n° 634, III, p. 329.
J. CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui, op. cit., n° 70, p. 95. V. aussi, P. MATHÉLY, Le droit français
des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 532. Le consommateur moyen peut se définir comme « celui qui,
compte tenu de son état, apporte à l’acquisition de l’objet marqué le soin requis par la prudence élémentaire ».
Dans son arrêt Lloyd, la Cour de justice énonce que « le consommateur moyen de la catégorie de produits
concernée est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé », CJCE, 22 juin 1999, aff. C342/97, Lloyd Schuhfabrik Meyer, Rec. 1999, p. I-3819, pt. 26 ; RTDE 2000, p. 108, obs. G. BONET. La notion
de « consommateur » sera cependant à géométrie variable et variera en fonction des produits et services désignés
par la marque. En conséquence, le public pris en considération sera tantôt un acheteur infantilisé tantôt un
acheteur spécialisé. V. pour l’acheteur infantilisé, P. TRÉFIGNY, L’imitation : contribution à l’étude juridique des
comportements référentiels, op. cit., n° 158, p. 121 citant TGI Paris, 25 janv. 1990, JCPE 1991, I, 59, n° 23 ;
PIBD 1990, III, n° 480, p. 402. Dans cette affaire, la partie défenderesse avait fait pratiquer un sondage par un
huissier auprès des consommateurs. Ce sondage avait révélé qu’aucune confusion entre les produits en question
était commise par les personnes interrogées. Le Tribunal de rande instance considéra sur ce point « que ce
sondage ne saurait contredire la similitude existant entre leurs bouteilles et celles d’Evian. Les juges invoquent
le fait que, lors d’un sondage, « les personnes interrogées réfléchissent avant de répondre et deviennent plus
attentives, tandis que le consommateur qui se servira sur les rayons d’une grande surface, agira spontanément
et pourra commettre une confusion ». V. pour l’acheteur particulièrement avisé, CJCE, 26 avr. 2007, aff. C412/05 P, Alcon c/ OHMI, Rec. 2007, p. I-3569, pt. 61; Propr. ind. 2007, n° 7, comm. 62, obs. A. FOLLIARDMONGUIRAL ; CJCE, 29 avr. 2004, aff. C-371/02, Björnekulla Fruktindustrier, Rec. 2004, p. I-5791 ; Propr. ind.
2004, n° 7, comm. n° 62, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL ; RTD com. 2004, p. 714, obs. J. AZÉMA. V. en matière
automobile dans le cadre d’une opposition, TPICE, 22 juin 2004, aff. T-185/02, Ruiz-Picasso e.a c/ OHMI, Rec.
2004, p. II-1739 ; Propr. intell. 2004, n° 13, p. 955, obs. I. MEDRANO DE CABALLERO ; Propr. ind. 2004, comm.
71, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL.
1172
CJCE, 11 nov. 1997, aff. C-251/95, Sabel c/ Puma, Rudolf Dassler Sport, Rec. 1997, p. I-6191 ; RTDE 1998,
p. 605, obs. G. BONET ; JCPE 1998, p. 987, obs. C. GAVALDA et G. PARLÉANI ; RTD com. 1998, p. 740, obs. M.
LUBY ; JCPG 1999, II, 10017, obs. S. NAUMANN ; CJCE, 29 sept. 1998, aff. C-39/97, Canon Kabushiki Kaisha
c/ Metro-Goldwyn-Mayer, Rec. 1998, p. I-5507; RTDE 2000, p. 100, obs. G. BONET ; CJCE, 22 juin 1999, préc..
1173
CJCE, 11 nov. 1997, préc. ; CJCE, 29 sept. 1998, préc.; CJCE, 22 juin 1999, préc..
1174
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 316, p. 412.
1171
229
démonstration d’une atteinte à la seule fonction d’identification. C’est ce que semble
considérer la Cour de justice lorsqu’elle précise que « la protection conférée par l’article 5,
paragraphe 1, sous a) de la directive 89/104/CEE est (…) plus étendue que celle prévue au
même article, paragraphe 1, sous b), dont la mise en œuvre exige l’existence d’un risque de
confusion et donc la possibilité d’une atteinte à la fonction essentielle de la marque ». Elle a
ainsi énoncé que seule l’atteinte à la fonction d’identification doit être envisagée dans
l’hypothèse de l’application de l’article 5, paragraphe 1, sous b) de la Directive 2008/95 1175.
276. La critique de cette approche. Une telle analyse de la part de la Cour de justice
n’emporte pas l’assentiment de la doctrine et serait « extrêmement discutable »1176.
Contrairement à ce que semble affirmer la Cour de justice, les nouvelles fonctions de la
marque devraient pouvoir s’appliquer aux hypothèses où une similitude est constatée1177. La
protection conférée par le droit de marque ne devrait pas « varier d’intensité »1178 et il
conviendrait d’envisager les fonctions de la marque dans toutes les hypothèses. L’arrêt O2
serait révélateur de cette incohérence1179.
La Cour de justice, ayant rejeté l’application de l’article 5, paragraphe 1, sous a) au motif que
le signe litigieux, utilisé dans la publicité comparative, n’était que similaire, conclut que le
signe n’était pas de nature à créer un risque de confusion1180. Pour le Professeur PASSA, il est
regrettable que cette analyse résulte d’un constat Ŕ l’absence d’identité des signes Ŕ qui soit le
fruit du pur hasard1181.
1175
CJCE, 12 juin 2008, aff. C-533/06, O2 Holdings et O2, Rec. 2008, p. I-4231, pt. 57. Contra Paris, 28 mai
2008, PIBD 2008, III, p. 504. La Cour d’appel de Paris, dans une hypothèse où les signes étaient simplement
similaires, a pourtant pris le soin de reproduire à l’identique la formule de l’arrêt Arsenal, en faisant ainsi
référence aux fonctions de la marque.
1176
J. PASSA, Caractérisation de la contrefaçon par référence aux fonctions de la marque : la Cour de justice sur
une fausse piste, Propr. ind. 2011, n° 1, étude n° 1, n° 4.
1177
J. PASSA, op. cit., n° 7 : « La marque doit être en mesure de réaliser pleinement ses fonctions dans tous les
cas, même lorsque comme dans les affaires O2 et Portakabin, des produits identiques sont identifiés sous un
signe seulement similaire à la marque ». Le Professeur PASSA ajoute également : « On voit encore moins
pourquoi la marque ne pourrait pas se voir protégée contre une atteinte à l’une quelconque de ses fonctions
lorsque le signe litigieux, alors identique, désigne des produits ou services qui, bien que proches, ne seraient pas
considérés comme strictement identiques pour des produits ou services similaires mais très proches
correspondant, en pratique pour le titulaire, à une seule et même situation », n° 8.
1178
J. PASSA, op. cit., n° 8.
1179
CJCE, 12 juin 2008, préc..
1180
CJCE, 12 juin 2008, préc., pt. 69 : « il convient de répondre à la première question que l’article 5,
paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque
enregistrée n’est pas habilité à faire interdire l’usage par un tiers, dans une publicité comparative, d’un signe
similaire à cette marque pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels ladite
marque a été enregistrée, lorsque cet usage ne fait pas naître, dans l’esprit du public, un risque de confusion, et
ce indépendamment du fait que ladite publicité comparative satisfait ou non à toutes les conditions de licéité
énoncées à l’article 3 bis de la directive 84/450 ».
1181
J. PASSA, op. cit., n° 9.
230
La marque devrait être « protégée dans les différentes fonctions qu’elle exerce dès lors que,
en amont, le signe litigieux a été considéré comme suffisamment voisin de la marque invoquée
pour qu’existe un risque de confusion, entendu alors seulement comme critère de
comparaison des signes, au sens de l’article 5, paragraphe 1, b) de la directive »1182. La
logique du droit de marque et de la Directive marque nous empêche d’abonder dans ce sens.
Le droit de marque étant un droit de propriété, le titulaire est protégé de manière absolue en
cas de double identité. Dans ce cadre, le risque de confusion ne doit pas être démontré.
Exceptionnellement, le droit de marque est étendu aux hypothèses de similitudes, de signes ou
de produits et services. Les textes exigent alors la démonstration d’un risque de confusion. Il
s’agit d’une référence directe à la fonction d’identification. Le texte est parfaitement clair sur
ce point. Au-delà de la double identité et en cas d’absence de risque de confusion, le droit de
marque n’a plus vocation à s’appliquer. Les autres utilités de la marque n’ont pas vocation à
être protégées au-delà de la stricte identité. Le titulaire de la marque doit se tourner vers
d’autres moyens de droit afin d’obtenir que les opérateurs économiques utilisant des
stratagèmes subtils soient sanctionnés. On pense notamment à la concurrence déloyale ou à la
protection spécifique des marques renommées.
277. Lorsqu’il n’y a pas double identité, le droit de marque permet néanmoins au titulaire
d’empêcher les tiers de créer un risque de confusion de par l’usage qu’ils pourraient faire de
sa marque.
En faisant référence au risque de confusion, les textes, communautaires et français, renvoient
à l’idée que le tiers ne doit pas porter atteinte à la fonction d’identification. En d’autres
termes, le tiers, de par l’usage qu’il pourrait faire de sa marque, ne doit pas empêcher, d’une
manière ou d’une autre, le titulaire légitime de la marque de profiter de la fonction
d’identification de son signe. Or, en cas de risque de confusion, la marque n’est plus à même
de jouer son rôle de marque. Il convient à présent d’envisager les hypothèses où la fonction
d’identification est atteinte.
b. Les hypothèses d’atteinte à la fonction d’identification
278. La protection au-delà de la double identité. Que cela soit l’article 5, paragraphe 1,
sous b) de la Directive marque ou l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, le
législateur envisage la protection du titulaire de la marque au-delà des hypothèses de double
1182
J. PASSA, op. cit., n° 9.
231
identité. La protection conférée par le droit de marque est ainsi étendue au-delà de l’identité
stricto-sensu des signes et de la spécialité stricto-sensu des produits et services désignés. Le
titulaire de la marque est ainsi en mesure d’interdire à tout tiers, en l’absence de son
consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe « pour lequel, en raison de
son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude
des produits ou des services couverts par la marque et le signe», il existe un risque de
confusion.
279. La protection au-delà de la spécialité stricto sensu. La protection du titulaire de la
marque au-delà de la spécialité stricto sensu, c'est-à-dire pour des produits ou services non
pas identiques, mais simplement similaires, n’est pas nouvelle et est traditionnellement
admise par la jurisprudence1183. L’extension de la protection à des produits et services
similaires est « commandée par la nature et la fonction même de la marque »1184. Il est vrai
qu’admettre le contraire remettrait en cause l’efficacité de la marque et empêcherait le signe
d’identifier efficacement les produits et services qu’il désigne.
On considère que les produits ou services sont similaires lorsque le public concerné,
d’attention moyenne, peut être amené à croire qu’ils peuvent avoir une même origine
commerciale. L’absence d’identité des produits et services relève de l’appréciation souveraine
des juges du fond1185. L’appréciation ne doit pas se faire au regard des classes dans lesquelles
sont déposées les marques1186. En vue d’apprécier la similitude, les juges peuvent notamment
tenir compte de la nature des produits ou services et de leurs « ressemblances
intrinsèques »1187. En outre, en fonction des circonstances, il peut arriver que les juges
retiennent que les produits soient similaires bien qu’étant de nature différente1188.
1183
V. notamment, Cass. com., 11 mars 1981, Ann. 1981, p. 237 ; Paris, 26 avr. 1960, Ann. propr. ind. 1960, p.
163 ; Paris, 5 mars 1966, Ann. propr. ind. 1966, p. 154.
1184
P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 528.
1185
V. à propos de l’appréciation de la similarité des produits et services dans le cadre d’une demande de
déchéance pour défaut d’exploitation, Cass. com., 23 mars. 1999, Ann. propr. ind. 1999, p. 212 ; Cass. com., 7
avr. 1992, PIBD 1992, III, p. 432.
1186
Il est classique de considérer que des produits ou services pouvant appartenir aux même classes ne sont pas
nécessairement similaires. À l’inverse, des produits ou services appartenant à des classes différentes peuvent être
considérés comme similaires. V. notamment, Colmar, 21 sept. 2004, PIBD 2004, n° 798, III, p. 674 ; TPICE, 14
déc. 2006, aff. T-392/04, Gagliardi c/ OHMI Ŕ Norma Lebensmittelfilialbetrieb, Rec. 2006, p. II-104, pt. 77. Les
produits ou services « ne doivent pas nécessairement relever de la même classe, voire d’une même catégorie au
sein d’une classe donnée, pour pouvoir faire valablement l’objet d’une comparaison et donner lieu de conclure à
l’existence ou à l’absence d’une similitude entre ces produits ou services ».
1187
A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété
intellectuelle, t. 24, 2004, p. 313 ; J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres
signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd., 2009, n° 290, p. 380. V. CJCE, 29 sept. 1998, aff. C-39/97,
Canon Kabushiki Kaisha c/ Metro-Goldwyn-Mayer, Rec. 1998, p. I-5507, pt. 23: « Pour apprécier la similitude
entre les produits ou services en cause, il y a lieu, comme l'ont rappelé les gouvernements français et du
232
280. La protection au-delà de l’identité stricto sensu du signe. Originairement, le droit de
marque permettait au titulaire de la marque d’agir par le biais d’une action en contrefaçon
uniquement dans l’hypothèse où les signes étaient identiques. La jurisprudence était
relativement souple dans l’interprétation qu’elle faisait de l’identité de signe consacrant la
contrefaçon partielle1189. Il était cependant des hypothèses où la reproduction n’était ni
servile,
ni
quasi-servile
mais
simplement
« approximative »1190.
La
reproduction
approximative n’était pas sanctionnée au titre de la contrefaçon1191. Elle faisait l’objet d’un
texte autonome : l’article 422-1 du Code pénal, qui sanctionnait ce qu’il était commun de
qualifier d’imitation illicite ou d’imitation frauduleuse1192. Cet article permettait de
sanctionner pénalement ceux qui, sans contrefaire une marque, en avaient fait une imitation
frauduleuse de nature à tromper l’acheteur ou avaient fait usage d’une marque
frauduleusement imitée. Le risque de confusion était l’élément permettant d’apprécier le
caractère illicite de l’imitation. La Cour de cassation affirmait que l’imitation illicite de
marque « n’est constituée que lorsqu’il existe entre la marque invoquée et la marque
incriminée des ressemblances susceptibles de créer une confusion »1193.
Aujourd’hui, l’imitation d’un signe constitue une contrefaçon au même titre que la
reproduction identique pour des produits et services identiques1194. La prise en compte de
l’imitation par le droit positif au titre de la contrefaçon est parfaitement logique. Dans une
telle hypothèse, la fonction d’identification du titulaire est atteinte puisque, du fait de
l’imitation, on empêche la marque de pouvoir pleinement remplir le rôle que le titulaire lui a
Royaume-Uni ainsi que la Commission, de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le
rapport entre les produits ou services. Ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur
utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire ». V. par exemple, Paris, 25 nov. 1998, PIBD
1999, n° 672, III, p. 112 (similitude entre du Champagne et de l’eau de vie) ; Paris, 13 oct. 1999, PIBD 2000, n°
691, III, p. 65 (similitude entre les services de communication et d’information audiovisuelle et les publications
et éditions littéraires) ; TGI Paris, 5 nov. 2008, PIBD 2009, n° 887, III, p. 737 (similitude entre les produits pour
parfumer le linge, extraits de fleurs et encens et des produits de parfumerie).
1188
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 291, p. 383 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de
la propriété industrielle, op. cit., n° 1688, p. 991 ; A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec,
IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 24, 2004, n° 651, p. 315. V. Paris, 31 oct. 1991, Ann. propr.
ind. 1992, p. 213 (similitude entre des pâtes et des conserves) ; Cass. com., 6 avr. 1993, PIBD 1993, n° 549, III,
p. 485 (similitude entre des services de restauration et des préparations alimentaires).
1189
V. par exemple, Cass. com., 4 oct. 1976, Ann. propr. ind. 1978, p. 8; Paris, 13 févr. 1989, RTD com. 1989, p.
665, n° 5, obs. A. CHAVANNE & J. AZÉMA ; Paris, 27 sept. 1990, Ann. propr. ind. 1990, p. 286. V. sur la
contrefaçon partielle, les importants développements de P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd.
JNA, 1984, p. 524.
1190
P. MATHÉLY, op. cit., p. 528.
1191
MATHÉLY n’hésitait cependant pas à affirmer que « L’imitation, c’est une contrefaçon qui cherche à se
déguiser », P. MATHÉLY, op. cit., p. 528.
1192
Imiter « est chercher à reproduire, copier ; reproduire ou copier plus ou moins bien, un objet de copie, dont
l’imitateur a eu préalablement connaissance », P. TRÉFIGNY, L’imitation : Contribution à l’étude juridique des
comportements référentiels, PUS, CEIPI, t. 46, 2000, n°10.
1193
Cass. com., 15 mai 1968, Ann. propr. ind. 1969, p. 42.
1194
V. l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle.
233
assigné. La fonction d’exclusivité ayant réservé les utilités de la marque, il est cohérent de
constater que l’atteinte à la fonction d’identification par voie d’imitation est sanctionnée au
titre de l’action en contrefaçon.
Le signe similaire, ou l’imitation, peut se définir comme « celui qui, sans être identique, est
tout de même suffisamment ressemblant pour qu’existe un risque de confusion dans l’esprit
du public en tenant compte de la plus ou moins grande similitude des spécialités
respectives »1195. Pour que les signes soient considérés comme similaires, il ne doivent pas
être identiques ou receler des différences si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues
aux yeux d’un consommateur moyen1196. Les similitudes pourront être visuelles1197,
auditives,1198 voire intellectuelles1199.
281. La typologie des actes engendrant un risque de confusion. À la manière de l’article L.
713-2, l’article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle dresse une liste des actes
pouvant avoir pour conséquence d’engendrer un risque de confusion. Il vise ainsi la
reproduction, l’apposition d’une marque et l’usage d’une marque reproduite pour des produits
ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement, ainsi que l’imitation d’une
marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires
à ceux désignés dans l’enregistrement1200.
Les actes pouvant provoquer un risque de confusion susceptible de porter atteinte à la
fonction d’identification, sont sensiblement les mêmes que ceux qui ne nécessitent pas de
référence à la notion de confusion. On constate cependant l’absence de référence aux actes de
suppression et de modification. Cette absence s’expliquerait par le fait qu’ « il ne saurait être
question, en ce qui les concerne, de simple similitude entre les signes ou entre les
spécialités »1201.
1195
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 296, p. 387.
CJCE, 20 mars 2003, aff. C-291/00, LTJ Diffusion, Rec. I-2799 , pt. 53.
1197
V. notamment, Paris, 7 juin 2000, PIBD 2001, n° 712, III, p. 37 (similitude entre Thermex et Thermor) ;
Versailles, 27 févr. 2003, PIBD 2003, n° 763, III, p. 245 (similitude entre Wannago et Wanadoo).
1198
V. notamment, Paris, 15 janv. 1999, PIBD 1999, n° 674, III, p. 172 (similitude entre Barfly et International
Bar Flies) ; Paris, 30 janv. 2002, PIBD 2002, n° 742, III, p. 228 (similitude entre Berkeley et Barclay).
1199
V. notamment, TGI Paris, 19 juin 1996, PIBD 1996, n° 620, III, p. 573 (similitude entre Le Réverbère et Le
Lampadaire) ; Cass. com., 4 oct. 1994, PIBD 1995, n° 580, III, p. 34 (similitude entre Pages Jaunes et Pages
Soleil).
1200
V. également, l’article 5, paragraphe 3 de la Directive 2008/95 qui prévoit que peut notamment être interdit
le fait « d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement », « d’offrir les produits, de les mettre
dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe », « d’importer
ou d’exporter les produits sous le signe » ou « d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité ».
1201
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 316, p. 412.
1196
234
Enfin, peuvent également être sanctionnés en cas de risque de confusion, les différents
comportements visés aux articles L. 716-9 et L. 716-10 du Code de la propriété intellectuelle.
282. Le droit de marque, en tant que droit de propriété, bénéficie de la fonction inhérente à
toute propriété : la fonction d’exclusivité. De ce fait, il profite d’un monopole d’exploitation
sur son signe et il est en mesure également d’exclure les tiers qui porteraient atteinte à son
droit. Cette faculté d’exclusion peut être exercée non seulement dans le cadre de la double
identité, mais aussi lorsque le signe litigieux, les produits ou services désignés, voire les deux,
sont similaires. Cette extension au-delà de la double identité s’explique par le fait que le droit
de marque permet de réserver toutes les utilités de la chose. De ce fait, l’atteinte à la seule
fonction juridique de la marque justifie l’intervention du droit de marque. C’est dans le cadre
de cette réservation que le droit de marque pourrait également se voir qualifier de fonction de
garantie d’identification. Autrement dit, ce n’est pas la marque qui permet la garantie
d’identification, c’est la réservation par le droit de marque de cette fonction qui permet de
garantir l’identification des produits ou services. C’est d’ailleurs ce que semble affirmer la
Directive 2008/95 dans son onzième considérant lorsqu’elle précise que l’un des buts de la
protection conférée par la marque enregistrée Ŕ donc le droit de marque Ŕ est « de garantir la
fonction d’origine de la marque »1202.
Malheureusement, la fonction d’exclusivité, bien qu’elle semble constituer la clef de voûte du
système, est négligée, voire oubliée par la jurisprudence communautaire. Cette démarche des
juges de la Cour de justice se traduit par l’omnipotence de la fonction d’identification et par
l’apparition de nouvelles fonctions. En appréciant les atteintes au droit de marque à l’aune de
ces fonctions, la Cour de justice dénature le droit de marque. Elle conduit également à mettre
en place une hiérarchie entre les différentes fonctions, au sein de laquelle n’apparaît pas la
fonction d’exclusivité1203. L’approche que se fait la Cour de justice des fonctions de la
marques, ainsi que les conséquences qu’elle en tire sont dépourvues de cohérence au regard
du droit de marque et au regard de la rédaction de la Directive 2008/95, qui distingue
l’hypothèse de la protection absolue et de la protection impliquant la démonstration d’un
risque de confusion. La protection du titulaire devrait être envisagée à travers le prisme de la
1202
Considérant (11) de la Directive 2008/95.
V. F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n°
1634, p. 948 ; L’emploi des marques d’autrui dans un système de référencement commercial sur internet, Propr.
intell. 2010, n° 36, p. 823. V. également, M. POIARES MADURO, Concl., 22 sept. 2008, aff. jointe C-236/08, C237/07, C-238/08, Google France, pt. 97.
1203
235
seule fonction d’exclusivité. Une réhabilitation de cette dernière est urgente et nécessaire en
vue d’une plus grande cohérence du système.
Pour autant, nous n’affirmons pas que le droit de marque est un droit absolu qui ne connait
aucune limite. En tant que droit de propriété intellectuelle, le droit de marque est une propriété
spéciale, impliquant une fonction d’exclusivité spéciale et nécessairement limitée.
§ 2. Une fonction d’exclusivité limitée
283. Le droit de propriété se définit comme « le droit de jouir et disposer des choses de la
manière la plus absolue »1204. Cette absoluité du droit de propriété ne doit cependant pas être
comprise comme étant sans limite. L’article 544 du Code civil précise in fine que le
propriétaire ne doit pas faire un usage prohibé par les lois ou par les règlements. Par essence,
le droit de propriété est un droit limité. Par voie de conséquence, sa fonction d’exclusivité
l’est également. Cependant, le caractère fondamental du droit de propriété fait que celui-ci ne
peut être limité que par des intérêts « supérieurs »1205. Les droits de propriété intellectuelle et,
partant, le droit de marque ne dérogent pas à la règle en répondant à la même logique. Ils se
distinguent cependant de la propriété classique par le nombre de dispositions envisageant ces
limitations. Le droit de marque souffre d’une limitation qui concerne tous les droits de
propriété intellectuelle (I), mais également de limitations qui lui sont propres (II).
I. La limitation commune aux droits de propriété intellectuelle
284. La primauté du droit communautaire comme limite aux droits nationaux. Seuls des
principes supérieurs à un droit peuvent avoir pour effet de limiter ce droit. Eu égard au
principe de primauté1206 sur le droit national, le droit communautaire peut être de nature à
1204
Art. 544 du Code civil.
Cons. const., Décision n° 81-132 DC, 16 janv. 1982, Loi de nationalisation. Le Conseil Constitutionnel a
ainsi affirmé que « les conditions d’exercice du droit de propriété ont également subi une évolution caractérisée
(…) par des limitations exigées par l’intérêt général ».
1206
M. ROSTANE, Ordre juridique communautaire. Ŕ Primauté du droit communautaire, J.-Cl. Europe Traité,
Fasc. 196, 2006. Le principe de primauté du droit communautaire n’est pas expressément prévu par les textes.
C’est à la Cour de justice qu’est revenue la tâche d’affirmer ce principe. V. CJCE, 15 juill. 1964, aff. 6/64, Costa
c/ E.N.E.L., Rec. 1964, p. 1194. Les juges ont ainsi souligné que « cette intégration au droit de chaque pays
membre de dispositions qui proviennent de source communautaire, et plus généralement les termes et l’esprit du
traité, ont pour corollaire l’impossibilité pour les États de faire prévaloir, contre un ordre juridique accepté par
eux sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale ultérieure qui ne saurait ainsi lui être opposable » (p.
1159) et « qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments, qu'issu d'une source autonome, le droit né du traité ne
pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel
qu'il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la
Communauté elle-même » (p. 1160). En France, les juges se fondaient traditionnellement sur l’article 55 de la
1205
236
engendrer de telles limites. Ces limites résulteraient de l’objectif de conciliation des droits
nationaux avec les principes communautaires. C’est ainsi que sur l’autel de la libre circulation
des marchandises, les titulaires de droit de propriété intellectuelle se sont vus imposer la règle
de l’épuisement des droits. En matière de marque, l’intérêt de la règle de l’épuisement est
double. Si l’objectif de la règle de l’épuisement est de limiter la fonction d’exclusivité (A), sa
mise en œuvre a permis de révéler les autres fonctions de la marque (B).
A. L’épuisement des droits : limite à la fonction d’exclusivité
285. L’ambivalence des droits de propriété intellectuelle à l’égard des principes
communautaires. Les droits de propriété intellectuelle se caractérisent par leur nature
ambivalente à l’égard des principes communautaires. Ils apparaissent ainsi parfois en totale
adéquation avec la protection de la concurrence souhaitée par le droit communautaire. Le
brevet, en favorisant « la création des individus et la diffusion collective de ses résultats »1207,
joue le jeu de la libre concurrence et de l’encouragement de l’innovation. Le droit de marque
constituerait « un facteur de dynamisme commercial de protection des consommateurs »1208.
Les marques permettraient « au jeu de la concurrence de s’exercer dans des conditions saines
et loyales en évitant que des commerçants indélicats ne cherchent à créer ou à entretenir une
confusion entre leurs produits, services ou activités et ceux d’un concurrent qui bénéficie
d’une bonne réputation »1209.
Cette adéquation avec le principe de libre concurrence, cher au droit communautaire, cache
« des germes profonds de contradiction »1210 entre les droits des titulaires de propriété
intellectuelle et les principes tendant à la réalisation d’un marché commun. Du fait du principe
de territorialité, les droits de propriété intellectuelle seraient un frein à la libre circulation des
Constitution pour justifier la primauté du droit communautaire. Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, n° 7313556,
Jacques VABRE, Cah. dr. eur. 1975, p. 631 s., note R. KOVAR. Cependant, les juges français n’ignoraient pas la
spécificité de l’ordre juridique communautaire justifiant ainsi également la primauté du droit communautaire.
Cass. crim., 16 juin 1983, Comité national défense contre alcoolisme c/ Rossi di Montalera et a : RTDE 1983,
p. 468 s., note G. ISAAC. La primauté du droit communautaire a cependant trouvé consécration par la création
dans la Constitution d’un Titre XV intitulé « De l’Union européenne ». Le Conseil Constitutionnel est ainsi venu
souligner que le constituant a « consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’orde
juridique interne et distinct de l’ordre international » (pt. 11) et a affirmé que l'inscription dans le traité du
principe de la primauté du droit de l'Union sur le droit des États membres et l'octroi d'une valeur juridique à la
Charte des droits fondamentaux n'étaient pas incompatibles avec la Constitution. Cons. const., 19 nov. 2004, déc.
n° 2004-505.
1207
B. GOLDMAN, A. LYON-CAEN & L. VOGEL, Droit commercial européen, Dalloz, Précis, 5 e éd., 1994, n° 633,
p. 503.
1208
B. GOLDMAN, A. LYON-CAEN & L. VOGEL, op. cit., n° 633, p. 503.
1209
A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété
intellectuelle, t. 24, 2004, n° 4, p. 2.
1210
B. GOLDMAN, A. LYON-CAEN & L. VOGEL, op. cit., n° 633, p. 503.
237
marchandises et compliqueraient la réalisation du marché commun. Cette contradiction a
poussé la Cour de justice, puis le législateur communautaire, à consacrer la règle de
l’épuisement des droits qui consiste à limiter les droits du titulaire à la première mise en
circulation consentie du produit. Ainsi, avant d’envisager la mise en œuvre de cette règle (2),
il convient de revenir sur les fondements de la règle de l’épuisement des droits (1).
1. La mise en place de la règle
286. La consécration de la règle de l’épuisement des droits était indispensable (b). Il était en
effet impératif de régler la difficulté liée à l’incompatibilité du principe de territorialité des
droits de propriété intellectuelle avec le principe de libre circulation des marchandises, pierre
angulaire d’un marché commun sans frontière (a).
a. La justification de la règle d’épuisement du droit
287. L’origine de la règle de l’épuisement1211. La théorie de l’épuisement des droits semble
trouver sa source dans les travaux de l’économiste anglais Adam SMITH « qui aurait été le
premier à proposer une limite au monopole du breveté »1212. Cette idée fut ensuite reprise par
la jurisprudence américaine, dès 1873, dans application de la théorie « de la première vente ».
Selon cette théorie, le produit couvert par un monopole d’exploitation pouvait circuler
librement dès lors qu’il avait été vendu licitement pour la première fois par le titulaire du
monopole1213.
L’idée de l’épuisement des droits fut par la suite réintroduite en Europe par le biais des juges
allemands. Ils cherchaient un moyen de lutter contre les titulaires de prérogatives exclusives
qui bénéficiaient d’un droit de « suite » sur les objets qu’ils commercialisaient et qui
s’assuraient par ce biais un contrôle de la distribution et de la fixation des prix. Inspirés par
les travaux de KOHLER, les juges allemands consacrèrent la règle d’épuisement des droits au
début du vingtième siècle dans une décision intitulée « Eau de Cologne ». Dans cette décision
relative aux marques, l’existence d’un épuisement national du droit de marque fut reconnue.
Puis, dans une décision « Mariani » relative à un cas d’importation parallèle, les juges
allemands consacrèrent l’existence d’un épuisement international. En application de cette
règle, le droit exclusif de commercialisation était limité à la première mise en circulation du
1211
V. sur cette question, B. CASTELL, L’épuisement du droit intellectuel en droit allemand, français et
communautaire, PUF, 1989, n° 5, p. 12.
1212
B. CASTELL, op. cit., n° 5, p. 12.
1213
B. CASTELL, op. cit., n° 5, p. 13.
238
produit. Le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle disposait d’un monopole de mise en
circulation, mais il ne disposait pas d’un contrôle sans limites sur le sort de chaque produit
mis en circulation1214.
La réalisation du marché imposait que cette règle soit consacrée au niveau communautaire.
288. L’incidence du principe de territorialité sur la libre circulation des marchandises.
Les monopoles d’exploitation conférés par les droits de propriété intellectuelle 1215 à leurs
titulaires se voient appliquer le principe de « territorialité »1216. Ce principe signifie que le
titulaire d’un droit de propriété intellectuelle est protégé dans « les limites de l’État qui
reconnaît ce droit »1217. Le corollaire de ce principe est que le titulaire du droit se voit offrir la
faculté de s’opposer à l’importation, sur le territoire de l’État dans lequel il a reçu protection,
d’exemplaires d’une œuvre protégée, de produits marqués ou de produits brevetés,
commercialisés avec le consentement du titulaire dans d’autres États1218. En d’autres termes,
le droit de propriété intellectuelle permet à son titulaire de cloisonner le territoire sur lequel il
bénéficie de son droit exclusif en interdisant les importations parallèles.
Ce cloisonnement des marchés pouvant résulter de l’exercice d’un droit de propriété
intellectuelle apparaît en totale contradiction avec l’objectif d’un marché commun, c'est-à-dire
un espace sans frontières intérieures 1219, souhaité initialement par le Traité de Rome. Ainsi,
l’article 26 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) (ex-article 14 du
TCE) dispose : « Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans
1214
V. sur ces éléments, F.-K. BEIER, La territorialité du droit des marques et les échanges internationaux, JDI
1971, p. 5, spéc. p. 13.
1215
V. notamment G. BONET, Droit national de marque et application du Traité de Rome. Ŕ Libre concurrence. Ŕ
Libre circulation des marchandises, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. n° 7600, 2005, n° 5 ; B.
GOLDMAN, A. LYON-CAEN & L. VOGEL, Droit commercial européen, Dalloz, Précis, 5 e éd., 1994, n° 633, p.
503.
1216
V. sur le principe de territorialité, N. BOUCHE, Le principe de territorialité de la propriété intellectuelle,
L’Harmattan, 2002 ; P. COMBEAU, La localisation territoriale des marques, in Études sur la propriété industrielle,
littéraire, artistique, Mélanges M. PLAISANT, Sirey, 1960, p. 55 ; F.-K. BEIER, La territorialité du droit des
marques et les échanges internationaux, préc., p. 5 ; A. HUET, L’incidence de la territorialité des marques et
brevets nationaux sur la compétence des tribunaux français en matière de contrefaçon, in Mélanges offerts à J.-J.
BURST, Litec, 1997, p. 253.
1217
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 111,
p. 71. V. F.-K. BEIER, préc., p. 5 ; N. BOUCHE, op. cit., n° 9, p. 21. Il s’agit du « principe de territorialité de
limitation » signifiant que : « tout droit subjectif de propriété intellectuelle limite son existence et son effet au
territoire de l’ordre juridique qui l’a créé »
1218
V. V.-L. BÉNABOU, Le processus d’harmonisation communautaire du droit d’auteur, J.-Cl. Europe Traité,
Fasc. n° 1770, 2003, n° 14.
1219
V. B. CASTELL, L’épuisement du droit intellectuel en droit allemand, français et communautaire, op. cit., n°
9, p. 16 V. également G. BONET, Droit national de marque et application du Traité de Rome. Ŕ Libre
concurrence. Ŕ Libre circulation des marchandises, préc., n° 18. L’éminent Professeur note que « L’exploitation
d’un droit national de marque est donc facilement susceptible de faire obstacle à l’application des règles du
Traité et à la réalisation d’un marché unique ».
239
lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est
assurée selon les dispositions des traités ». L’article 34 (ex-article 28 du TCE) précise quant
à lui : « Les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes mesures d’effet
équivalent, sont interdites entre les États membres »1220. La lecture de ces articles fait
apparaître la contradiction évidente qui existe entre les droits de propriété intellectuelle, les
intérêts des titulaires et le principe de libre circulation des marchandises, clef de voûte de la
réalisation du marché commun, mais également « condition sine qua non de la libre
concurrence »1221.
289. La nécessaire conciliation avec le droit communautaire. Le principe de libre
circulation des marchandises permet de limiter l’exercice des prérogatives que les entreprises
tirent des législations nationales1222.
La contradiction pouvant résulter de ce principe avec les droits de propriété intellectuelle avait
été anticipée. Les rédacteurs du Traité ont prévu à l’article 36 du TFUE (ex-article 30 du
TCE) que les restrictions quantitatives à l’importation ou à l’exportation pouvaient
notamment être justifiées par la protection de la propriété industrielle1223. Néanmoins, si ces
interdictions peuvent être justifiées, elles ne doivent pas constituer un moyen de
discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre les États
membres. En d’autres termes, le droit communautaire ne remet pas en cause les droits de
propriété industrielle. Pour autant, ils ne doivent pas être utilisés à des fins de cloisonnement
du marché : « la portée de la protection reconnue aux droits de propriété industrielle et
commerciale doit se conformer aux prescriptions du droit communautaire »1224.
1220
La Cour de justice a eu l’occasion de préciser le sens de « mesure d’effet équivalent ». Cela désigne toute
réglementation étatique susceptible de faire obstacle directement ou indirectement, actuellement ou
potentiellement au commerce intracommunautaire. V. CJCE, 11 juill. 1974, aff. 8/74, Procureur du Roi c/
Dassonville, Rec. 1974, p. 837.
1221
G. BONET, Défense et illustration des droits sur les créations au regard des règles communautaires de
concurrence, RJDA 1993, n° 3, p. 173, spéc. n° 6.
1222
V. B. GOLDMAN, A. LYON-CAEN & L. VOGEL, Droit commercial européen, op. cit., n° 638, p. 509. Les
auteurs rappellent qu’initialement le principe de libre circulation des marchandises s’adressait uniquement aux
États membres. Suite aux arrêts Sirena et Deutsche Grammophon, ce principe est devenu d’applicabilité directe
en le sens où une entreprise peut l’invoquer à l’encontre d’une autre.
1223
La rédaction de l’article 30 semble viser uniquement les droits de propriété industrielle. Cependant, la
jurisprudence communautaire en a fait une interprétation large en appliquant l’article 30 à la propriété
intellectuelle au sens large du terme. V. CJCE, 20 janv. 1981, aff. jointes 55/80 et 57/80, Musik-Vertrieb
Membran GmbH et Gema, Rec. 1981, p. 147, pt. 12. Les juges ont en effet précisé que « il n’y a pas de motifs de
faire, pour l’application de l’article 36 du Traité, une distinction entre le droit d’auteur et les autres droits de
propriété industrielle et commerciale ».
1224
R. KOVAR & J. LARRIEU, Marque, Rép. communautaire Dalloz, 2009, n° 206. La remarque a toute son
importance car certains plaideurs n’ont pas hésité à invoquer l’article 345 (ex-article 295 du TCE) qui prévoit
que « le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États membres » pour défendre l’idée
selon laquelle le Traité de Rome ne pouvait s’appliquer au droit de propriété intellectuelle. V. R. KOVAR & J.
240
b. La consécration de la règle de l’épuisement
290. Les options envisageables. Le droit communautaire disposait de deux options
permettant d’éviter le cloisonnement des marchés. La première option était la mise en place
de droits de propriété intellectuelle communautaires1225 étendant leurs effets à tout le territoire
communautaire. C’est ce à quoi le législateur a procédé en créant une marque
communautaire1226
ainsi
qu’un
modèle
communautaire1227.
La
création
de
titres
communautaires n’était cependant pas une solution suffisante. Outre le fait qu’il n’existe pas
d’équivalent en droit d’auteur et en brevet1228, l’adoption d’un titre communautaire n’avait pas
pour conséquence la disparition des titres nationaux ayant les mêmes objets. Les risques de
cloisonnement n’étaient donc pas effacés.
La seconde option était de trouver une règle permettant la conciliation des intérêts des
titulaires des droits de propriété intellectuelle avec ceux inhérents à la réalisation d’un marché
commun. Là encore, plusieurs voies pouvaient être empruntées1229. Il pouvait ainsi être fait
application de la théorie de l’usage normal ou raisonnable1230, de la théorie des droits
inhérents1231 ou, enfin, de la théorie de l’épuisement des droits. C’est cette dernière option qui
LARRIEU, préc., n° 200 ; G. BONET, Droit national de marque et application du Traité de Rome. Ŕ Libre
concurrence. Ŕ Libre circulation des marchandises, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. n° 7600, 2005, n°
23. Cet argument n’a cependant pas été accueilli positivement par la Cour de justice. CJCE, 13 juill. 1966, aff.
jointes 56/64 et 58/64, Consten et Grundig c/ Commission de la CEE, Rec. 1966, p. 429 ; CJCE, 29 févr. 1968,
aff. 24-67, Parke, Davis & Co. c/ Probel e.a., Rec. 1968, p. 81 ; CJCE, 17 mai 1988, aff. 158/86, Warner
Brothers e.a. c/ Christiansen, Rec. 1988, p. 2605, RTDE 1988, p. 647, obs. G. BONET; JCPG 1989, II, 21173,
note B. EDELMAN; CJCE, 18 févr. 1992, aff. C-30/90, Commission c/ Royaume-Uni, Rec. 1992, p. I-829.
1225
G. BONET, Défense et illustration des droits sur les créations au regard des règles communautaires de
concurrence, RJDA 1993, n° 3, p. 173, spéc. n°1.
1226
Règlement du Conseil (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire modifié par
Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire.
1227
Règlement (CE) nº 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires
1228
V. sur cette question l’échec de l’instauration d’un brevet communautaire malgré l’adoption le 15 décembre
1975 de la Convention du Luxembourg.
1229
V. sur la question, G. BONET, Droit national de marque et application du Traité de Rome. Ŕ Libre
concurrence. Ŕ Libre circulation des marchandises, préc., n° 33 et s. ; G. BONET, Chron. Propriétés
intellectuelles, RTDE 1981, p. 97 et plus particulièrement p. 106 et s.
1230
Pour les partisans de cette doctrine, l’exercice du droit exclusif échappait aux règles communautaires dès lors
que le droit faisait l’objet d’un usage normal, raisonnable. Au contraire, dès lors que l’usage devenait abusif, le
droit communautaire trouvait à s’appliquer.
1231
En application de cette théorie, seuls les effets « normaux inhérents au droit exclusif tel qu’il est établi par
chaque loi nationale échappent aux règles communautaires ; les restrictions à l’application de ces règles qui ont
leur source non dans la loi nationale même mais dans les stipulations d’un contrat (cession, concession de
licence) peuvent être condamnées sur le fondement du droit communautaire », G. BONET, Chron. Propriétés
intellectuelles, RTDE 1981, p. 97, spéc. p. 107. V. pour une application de cette théorie, CJCE, 30 juin 1988, aff.
35/87, Thetford, Rec. 1988, p. 3585.
241
fut finalement retenue par la jurisprudence communautaire, puis par la suite consacrée par le
législateur, tant au niveau communautaire qu’au niveau national1232.
291. La consécration jurisprudentielle de la règle. Avant le législateur communautaire,
c’est la Cour de justice qui est la première à avoir recours à la théorie de l’épuisement des
droits.
Les juges ont affirmé dans l’arrêt Deutsche Grammophon du 8 juin 19711233 que si l’exercice
d’un droit voisin du droit d’auteur « permet des interdictions ou restrictions à la libre
circulation des produits justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle et
commerciale, l’article 36 n’admet de dérogations à cette liberté que dans la mesure ou elles
sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l’objet spécifique de cette
propriété »1234. Les prérogatives exclusives des titulaires de droits de propriété intellectuelle
ne sont pas remises en cause ; mais elles s’avèrent être limitées.
La Cour ajoute : « l’exercice, par un fabricant de supports de son, du droit exclusif de mettre
en circulation les objets protégés découlant de la législation d’un État membre, pour interdire
la commercialisation dans cet État de produits qui ont été écoulés par lui-même ou avec son
consentement dans un autre État membre, au seul motif que cette mise en circulation n’aurait
pas eu lieu sur le territoire du premier État membre, serait contraire aux règles qui prévoient
la libre circulation des produits à l’intérieur du marché commun »1235. Le titulaire d’un droit
de propriété intellectuelle dans deux pays ne pouvait en conséquence pas s’opposer à
l’importation dans l’un des deux pays de produits couverts par le droit de propriété
intellectuelle mis en circulation dans l’autre pays avec son consentement. Le fait d’avoir
consenti à la mise en circulation d’un produit couvert par un droit de propriété intellectuelle
avait entraîné l’épuisement de son droit.
292. La consécration législative de la règle. Cette consécration jurisprudentielle de la règle
de l’épuisement des droits fut rapidement relayée par une consécration législative. En matière
1232
La doctrine semble unanime sur le fait que la règle de l’épuisement des droits s’est vue consacrer afin de
concilier les intérêts divergents des titulaires des droits de propriété intellectuelle et de la réalisation d’un marché
unique. Un auteur considère cependant que la règle de l’épuisement est inhérente au droit de propriété
intellectuelle. Elle relèverait de la nature même du droit qui ne confère pas à son titulaire la maîtrise du produit
marqué authentique mis en circulation par ses soins ou avec son consentement. Il est cependant difficile
d’abonder dans ce sens dans la mesure où si tel était le cas, l’épuisement international ne serait pas exclu. V. N.
BOUCHE, L’objet spécifique du droit de marque, D. 2000, chron., p. 103, n° 15.
1233
CJCE, 8 juin 1971, aff. 78/70, Deutsche-Grammophon c/ Metro SB, Rec. 1971, p. 487.
1234
CJCE, 8 juin 1971, préc., pt. 13.
1235
CJCE, 8 juin 1971, préc., pt. 13.
242
de marque, la Directive rapprochant les législations des États membres sur les marques du 21
décembre 19881236 envisageait expressément à son article 7 l’« Épuisement du droit conféré
par la marque » en disposant : « Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire
d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la
Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement »1237.
Cette formule fut également reprise à l’article 13 du Règlement du 20 décembre 1993 sur la
marque communautaire1238.
La règle de l’épuisement fut aussi consacrée par le droit français, l’article L. 713-4 du Code
de la propriété intellectuelle disposant : « Le droit conféré par la marque ne permet pas à son
titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce
dans la Communauté économique européenne ou dans l'Espace économique européen sous
cette marque par le titulaire ou avec son consentement »1239.
1236
Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur
les marques, aujourd’hui Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du conseil du 22 octobre 2008
rapprochant les législations des États membres sur les marques (version codifiée).
1237
La réception en France de cette règle est apparue comme une « petite révolution ». J. FOYER, Le projet de
réforme de la loi des marques, in Mélanges offerts à A. CHAVANNE, Droit pénal Ŕ Propriété industrielle, Litec,
1990, p. 223, spéc. n° 14.
1238
Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, aujourd’hui
Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire. L’article 13 dispose :
« Le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci
pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou
avec son consentement ». V. pour les brevets, Convention du Luxembourg, 15 déc. 1989, JOCE L. n° 401 du 30
déc. 1989. Son article 28 prévoyait que les droits « conférés par le brevet communautaire ne s’étendent pas aux
actes concernant le produit couvert par ce brevet accomplis sur le territoire des États contractants, après que ce
produit a été mis dans le commerce dans l’un de ces États par le titulaire du brevet ou avec son consentement
exprès, à moins qu’il n’existe des motifs qui justifieraient, selon les règles de droit de la Communauté, que les
droits conférés par le brevet communautaire s’étendent à de tels actes V. pour le droit d’auteur, Directive 91/250
relative à la protection juridique des programmes d’ordinateur. L’article 4, c) dispose : « La première vente
d’une copie d’un programme d’ordinateur dans la Communauté par le titulaire ou avec son consentement épuise
le droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l’exception du droit de contrôler des locations
ultérieures du programme d’ordinateur ou d’une copie de celui-ci ». V. également, Directive 2001/29 sur
l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
L’article 4, paragraphe 2 précise que « Le droit de distribution dans la Communauté relatif à l'original ou à des
copies d'une oeuvre n'est épuisé qu'en cas de première vente ou premier autre transfert de propriété dans la
Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement ». V. en matière de dessins et
modèles, Directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 oct. 1998 sur la protection juridique des
dessins ou modèles. L’article 15 dispose : « Les droits conférés par l'enregistrement d'un dessin ou modèle ne
s'étendent pas aux actes portant sur un produit dans lequel est incorporé ou auquel s'applique un dessin ou
modèle entrant dans le champ de la protection, lorsque le produit a été mis sur le marché, sur le territoire de la
Communauté, par le titulaire de l'enregistrement ou avec son consentement ». Règlement (CE) n° 6/2002 du
Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires. L’article 21 dispose : « Les droits
conférés par le dessin ou modèle communautaire ne s'étendent pas aux actes portant sur un produit dans lequel
est incorporé ou auquel s'applique un dessin ou modèle entrant dans le champ de la protection du dessin ou
modèle communautaire, lorsque le produit a été mis sur le marché, sur le territoire de la Communauté, par le
titulaire du dessin ou modèle communautaire ou avec son consentement ».
1239
V. pour le droit d’auteur, Art. L. 122-3-1 du Code de la propriété intellectuelle : « Dès lors que la première
vente d’un ou des exemplaires matériels d’une œuvre a été autorisée par l’auteur ou ses ayants droit sur le
territoire d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace
économique européen, la vente de ces exemplaires de cette œuvre ne peut plus être interdite dans les États
243
293. La définition de l’épuisement. Au regard de la jurisprudence et des textes, l’épuisement
se définit comme « la limite imposée par la loi au pouvoir d’exclusivité accordé au titulaire
d’un droit de propriété intellectuelle incorporé dans un produit d’interférer avec la
circulation commerciale de ce produit »1240.
Comme la formule le laisse penser, la règle de l’épuisement entraîne l’épuisement du droit,
c'est-à-dire la disparition du monopole conféré par le droit de propriété intellectuelle à l’égard
des exemplaires mis en circulation dans un endroit quelconque de l’Espace économique
européen, par le titulaire ou par un tiers autorisé. Comme le note le Professeur BENABOU, le
terme épuisement renvoie à l’idée selon laquelle le droit est consomptible et qu’il est
susceptible de s’éteindre par le premier usage que le titulaire en fait1241. Appliqué au droit
communautaire, l’épuisement signifie que le droit de marque, comme tout autre droit de
propriété intellectuelle, prend fin avec le premier usage qu’en fait son titulaire ou un tiers
autorisé par lui sur le territoire de l’espacé économique européen1242.
La règle de l’épuisement permet de trouver l’équilibre entre les droits du titulaire d’un
monopole d’exploitation et l’intérêt général par le biais de la libre circulation des produits1243.
294. Les droits de propriété intellectuelle étant en contradiction avec la réalisation du marché
commun, il était impératif, en vue d’assurer la libre circulation des marchandises, d’aménager
les droits de propriété intellectuelle. À cette fin, la règle de l’épuisement fut consacrée par les
juges, puis par les législateurs. Eu égard aux conséquences qu’elle implique pour les
membres de la Communauté européenne et les États parties à l’accord sur l’Espace économique européen ».
Concernant les droits voisins, l’article L. 211-6 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « Dès lors que la
première vente d’un ou des exemplaires matériels d’une fixation protégée par un droit voisin a été autorisée par
le titulaire du droit ou ses ayants droit sur le territoire d’un Etat membre de la Communauté européenne ou
d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen, la vente de ces exemplaires de cette
fixation ne peut plus être interdite dans les États membres de la Communauté européenne et les États parties à
l’accord sur l’Espace économique européen ». V. pour les dessins et modèles, Art. L. 513-8 du Code de la
propriété intellectuelle : « Les droits conférés par l’enregistrement d’un dessin ou modèle ne s’étendent pas aux
actes portant sur un produit incorporant ce dessin ou modèle, lorsque ce produit a été commercialisé dans la
Communauté européenne ou dans l’Espace économique européen par le propriétaire du dessin ou modèle ou
avec son consentement ». V. pour les brevets, Art. L. 613-6 du Code de la propriété intellectuelle : « Les droits
conférés par le brevet ne s’étendent pas aux actes concernant le produit couvert par ce brevet, accomplis sur le
territoire français, après que ce produit a été mis dans le commerce en France « ou sur le territoire d’un Etat
partie à l’accord sur l’Espace économique européen » par le propriétaire du brevet ou avec son consentement
exprès ».
1240
V. SCORDAMAGLIA, La fonction du droit de marque : épuisement, transit, Propr. ind. 2010, n° 10, Dossier,
Fonction(s) des droits de propriété intellectuelle, n° 6.
1241
V.-L. BENABOU, Épuisements des droits : une approche globale de la théorie de l’épuisement est-elle
possible ?, Legicom 2001, n° 25, p. 115.
1242
R. KOVAR & J. LARRIEU, Marque, Rép. communautaire Dalloz, 2009, n° 240.
1243
B. CASTELL, L’épuisement du droit intellectuel en droit allemand, français et communautaire, PUF, 1989, n°
221, p. 131.
244
prérogatives du titulaire de droit, la règle de l’épuisement se doit d’être strictement encadrée
dans sa mise en œuvre, tant au niveau de ses conditions que de ses effets.
2. La mise en œuvre de la règle
295. Afin d’appréhender au mieux la règle de l’épuisement, il est nécessaire d’envisager les
conditions de mise en œuvre de celle-ci (a) pour s’attacher ensuite à ses effets (b).
a. Les conditions de mise en œuvre
296. L’objet spécifique. Dans son arrêt Deutsche Grammophon du 8 juin 19711244, la Cour
de justice affirma : l’exercice d’un droit de propriété intellectuelle « permet des interdictions
ou restrictions à la libre circulation des produits justifiées par des raisons de protection de la
propriété industrielle et commerciale, l’article 36 n’admet de dérogations à cette liberté que
dans la mesure ou elles sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l’objet
spécifique de cette propriété »1245. La règle de l’épuisement ne doit pas en conséquence
trouver à être mise en œuvre dès lors que les restrictions à la libre circulation des
marchandises sont justifiées par l’objet spécifique du droit.
La Cour de justice ne prit pas le soin de définir l’objet spécifique des droits de propriété
intellectuelle. Elle affina par la suite son analyse afin d’appréhender l’objet spécifique de
chaque droit de propriété intellectuelle1246.
En matière de marque, la Cour de justice considéra que l’objet spécifique était « d’assurer au
titulaire le droit exclusif d’utiliser la marque, pour la première mise en circulation d’un
produit, et de le protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et
de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de cette
marque »1247.
L’objet spécifique doit être compris comme étant le « noyau dur »1248 des droits de propriété
intellectuelle et comme couvrant « l’ensemble des dispositions de droit national indispensable
1244
CJCE, 8 juin 1971, aff. 78/70, Deutsche-Grammophon c/ Metro SB, Rec. 1971, p. 487.
CJCE, 8 juin 1971, aff. 78/70, préc., pt. 13.
1246
V. en matière de brevet, CJCE, 31 oct. 1974, aff. 15/74, Centrafarm B.V. e.a. c/ Sterling Drug, Rec. 1974, p.
1147 ; CJCE, 14 juill. 1981, aff. 187/80, Merck c/ Stephar et Exler, Rec. 1981, p. 2063 ; en matière de marque,
CJCE, 31 oct. 1974, aff. n° 16/74, Sté Centrafarm B.V et Adriaan de Peijper c. Sté Winthrop B.V, Rec. 1974, p.
1183 ; RTDE 1975, p. 610 et la chron. de M. ULLRICH, p. 393, JDI, 1976, p. 208, obs. R. KOVAR ; JCPE 1975,
II, 11728, chron. J.-J. BURST & R. KOVAR ; en matière de dessins et modèles, CJCE, 14 sept. 1982, , aff. 144/81,
Keurkoop c/ Nancy Kean Gifts, Rec. 1982, p. 2853; RTDE 1984, p. 316, obs. G. BONET.
1247
CJCE, 31 oct. 1974, préc..
1248
A. LUCAS & H.-J. LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, 3 ème éd., 2006, n° 1455, p. 1059.
1245
245
à la survivance des propriétés intellectuelles »1249. Il couvre les dispositions du droit national
conférant au titulaire de la marque l’exclusivité de l’usage du signe à titre de marque afin de
commercialiser un produit ou un service déterminé1250.
La notion d’objet spécifique du droit de marque est intimement lié à la théorie des fonctions
de la marque, l’objet spécifique permettant de contribuer à assurer la fonction de la marque.
Au-delà de celui-ci, les prérogatives du titulaire du droit de marque doivent céder face au
principe de libre circulation des marchandises1251.
Pour que la règle de l’épuisement puisse pleinement jouer le rôle qui lui est imparti, deux
conditions doivent également être réunies.
297. Les conditions dégagées par la jurisprudence. La jurisprudence1252 a dégagé deux
conditions permettant à la règle de l’épuisement d’être mise en œuvre. Ces deux conditions se
retrouvent notamment dans les différents articles du Code de la propriété intellectuelle relatifs
à l’épuisement des droits. L’article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose :
« Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci
pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique
européenne ou dans l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec
son consentement »1253. Le produit couvert doit avoir été mis en circulation dans la
Communauté économique européenne ou dans l’Espace économique européen (i), avec le
consentement du titulaire (ii).
1249
G. BONET, L’épuisement des droits de propriété intellectuelle, in L’avenir de la propriété intellectuelle,
Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 11, 1993, p. 89 et plus particulièrement p. 92.
1250
V. G. BONET, Droit national de marque et application du Traité de Rome. Ŕ Libre concurrence. Ŕ Libre
circulation des marchandises, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. n° 7600, 2005, n° 94.
1251
F. GOTZEN, La libre circulation des produits couverts par un droit de propriété intellectuelle dans la
jurisprudence de la Cour de justice, RTD com. 1985, p. 467, spéc. n° 6. V. également, J. PASSA, Distribution et
usage de marque, Litec, 2002, n° 15, p. 16. Comme le note le Professeur PASSA, « seules les prérogatives
reconnues par la loi au titulaire et non comprises dans l’objet spécifique de son droit peuvent céder devant les
règles communautaires et notamment le principe de libre circulation des marchandises ».
1252
CJCE, 8 juin 1971, aff. 78/70, préc., pt. 13 ; CJCE, 31 oct. 1974, aff. 15/74, préc., pt. 15; CJCE, 31 oct.
1974, aff. n° 16/74, préc., pt. 12.
1253
Ces deux conditions se retrouvent également dans les articles L. 122-3-1, L. 513-8, L. 613-6 du Code de la
propriété intellectuelle.
246
i. Une mise dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou
dans l’Espace économique européen
298. Une mise dans le commerce. La première condition mise en exergue dans la
jurisprudence et les différents textes relatifs à la règle de l’épuisement des droits est celle de la
mise dans le commerce.
En vue de comprendre ce que l’on entend par « mise dans le commerce », il est nécessaire de
se tourner vers la Directive 2001/29 du 22 mai 2001 sur le droit d’auteur et les droits voisins
dans la société d’information1254. L’article 4, paragraphe 2 de cette Directive dispose : « Le
droit de distribution dans la Communauté relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre
n’est épuisé qu’en cas de première vente ou premier autre transfert de propriété dans la
Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement ». La mise en
circulation du produit doit donc s’entendre de la vente à la «clientèle finale »,1255 mais
également du transfert de propriété opéré au profit de « grossistes ou intermédiaires »1256.
Dans son arrêt Peak Holding,1257 la Cour de justice est venue préciser le sens de la notion de
« mise dans le commerce » en matière de marque. Ils ont ainsi énoncé que la mise dans le
commerce ou en circulation devait s’entendre d’une vente qui « permet au titulaire de réaliser
la valeur économique de sa marque »1258.
Cela implique que le titulaire du droit « ait
directement ou indirectement profité de cette première mise sur le marché »1259. De ce fait,
une importation ou une simple offre de produit dans l’Espace économique européen ne peut
être assimilée à une mise dans le commerce de ceux-ci1260.
299. Une mise dans le commerce intra-communautaire. Outre une mise dans le commerce
effective, celle-ci doit s’opérer dans l’Espace économique européen. Une telle solution exclut
par voie de conséquence l’idée d’un éventuel épuisement international1261.
1254
Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains
apects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, JO L 167 du 22 juin 2001.
1255
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 342, p. 455.
1256
J. PASSA, op. cit., n° 342, p. 455.
1257
CJCE, 30 nov. 2004, aff. C-16/03, Peak Holding, Rec. 2004, p. I-11313; RTD com. 2005, p. 74, obs. J.
AZÉMA.
1258
CJCE, 30 nov. 2004, préc., pt. 40.
1259
J. AZÉMA, obs. sous CJCE, 30 nov. 2004, RTD com. 2005, p. 74.
1260
CJCE, 30 nov. 2004, préc., pt. 43.
1261
V. sur la question, Quel droit de la propriété industrielle pour le 3e millénaire ?, Colloque organisé par le
centre Paul ROUBIER, Lyon 10 et 11 mai, Litec, CEIPI, t. 47, 2001, p. 277 et s. ; Y. REBOUL, Le droit de marque
à l’aube du 3e millénaire, JCPG 2000, I, 196 ; Question 156, Épuisement international des droits de propriété
industrielle, AIPPI, 2001, I, p. 311.
247
La Cour de justice est intervenue la première fois sur ce point dans l’arrêt EMI I du 15 juin
19761262. Elle est ensuite venue rappeler ce principe et l’affiner dans l’arrêt Silhouette1263, en
précisant que les États membres n’avaient pas la possibilité de prévoir dans leurs législations
un épuisement international. L’harmonisation recherchée par la Directive marque ayant
vocation à être complète, la Cour de justice en a déduit que « la directive ne saurait être
interprétée en ce sens qu’elle laisserait aux États membres la possibilité de prévoir dans leur
droit national l’épuisement des droits conférés par la marque pour des produits mis dans le
commerce dans des pays tiers »1264 . De ce fait, « l’article 7, paragraphe 1, de la directive,
telle que modifiée par l’accord EEE, s’oppose à des règles nationales prévoyant l’épuisement
du droit conféré par une marque pour des produits mis dans le commerce hors de l’EEE sous
cette marque par le titulaire ou avec son consentement »1265.
La solution est logique. La règle de l’épuisement a été consacrée afin de permettre la
conciliation entre les intérêts divergents des titulaires de droits de propriété intellectuelle et le
principe de libre circulation des marchandises permettant la réalisation d’un marché commun.
Ce principe n’étant pas un principe reconnu au niveau mondial, il n’était pas utile de
consacrer un épuisement international1266. En outre, la Convention de Paris prévoit à son
article 6 l’indépendance des titres1267. La conséquence directe de cette indépendance des titres
est l’indépendance des droits, et, partant, l’absence d’épuisement international. Si cette
absence d’épuisement international ne semble par conséquent pas devoir être remise en
cause1268, il est cependant possible pour les autorités communautaires compétentes de prévoir
1262
CJCE, 15 juin 1976, aff. 51/75, EMI Records c/ CBS United Kingdom, Rec. 1976, p. 811. V. dans le même
sens, en matière de droit d’auteur, CJCE, 9 févr. 1982, aff. 270/80, Polydor e.a. c/ Harlequin e.a., Rec. 1982, p.
329 ; RTDE 1982, p. 300, obs. G. BONET. V. l’exclusion de l’épuisement international dans la jurisprudence
française, Versailles, 7 sept. 2000, PIBD 2000, n° 708, III, p. 565 ; Paris, 28 nov. 2001, PIBD 2002, n° 741, III,
p. 212 ; Cass. Com., 2 déc. 1997, PIBD 1998, n° 648, III, p. 137.
1263
CJCE, 16 juill. 1998, aff. C-355/96, Silhouette International Schmied c/ Hartlauer Handelsgesellschaft, Rec.
1998, p. I-4799 ; RTDE 2000, p. 112, obs. G. BONET ; D. 1999, p. 128, obs. J. SCHMIDT-SZALEWSKI.
1264
CJCE, 16 juill. 1998, préc., pt. 26.
1265
CJCE, 16 juill. 1998, préc., pt. 31.
1266
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 342, p. 455. V. également, N. BOESPFLUG, La
portée territoriale de l’épuisement des droits de propriété intellectuelle, in Mélanges offerts à J.-J. BURST, Litec,
1997, p. 47 et plus particulièrement p. 59 : « la justification de la règle de l’épuisement des droits de propriété
intellectuelle réside dans l’existence « d’un marché unique réalisant des conditions aussi proches que possible
de celles d’un marché intérieur » (…). Ce n’est que si cette condition est remplie que le principe de territorialité
des droits de propriété intellectuelle peut être tenu en échec » ; A. FRANÇON, L’épuisement du droit de marque,
JCPG 1990, I, 3428 ; J. PASSA, Distribution et usage de marque, Litec, 2002, n° 21, p. 21 ; C. VILMART,
L’épuisement des droits de propriété intellectuelle Ŕ La jurisprudence française à la lumière des plus récentes
décisions communautaires, RIPIA 2000, n° 201, p. 46 et plus particulièrement p. 68.
1267
L’article 6, paragraphe 3 de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars
1883 prévoit qu’ « Une marque régulièrement enregistrée dans un pays de l’Union sera considérée comme
indépendante des marques enregsitrées dans les autres pays de l’Union, y compris le pays d’origine ».
1268
CJCE, 18 oct. 2005, aff. C-405/03, Class International, Rec. 2005, p. I-8735, pt. 33.
248
une extension de la règle d’épuisement à d’autres territoires par le biais d’accords
internationaux1269.
Enfin, il semble que le lieu de fabrication est indifférent. La Cour de justice a précisé que la
règle de l’épuisement devait trouver à s’appliquer dans l’hypothèse où les produits seraient
fabriqués dans un pays tiers à l’Espace économique européen, mais commercialisés dans cet
Espace par le titulaire ou avec son consentement1270. La jurisprudence française avait
également retenu une telle solution en considérant que le lieu devant être pris en compte pour
apprécier la mise dans le commerce était celui de la mise à disposition effective du
produit1271.
300. Si la mise dans le commerce doit être opérée sur le territoire de la Communauté ou dans
l’Espace économique européen, elle doit également être consentie.
ii. Une mise dans le commerce consentie
301. Le consentement du titulaire. La Cour s’exprimant sur le consentement de la mise dans
le commerce releva qu’il « constitue l’élément déterminant de l’épuisement de ce droit » 1272.
De ce fait, il doit « être exprimé d’une manière qui traduise de façon certaine la volonté du
titulaire de renoncer à ce droit »1273. Le consentement du titulaire doit être analysé comme
une forme de renonciation du droit1274. A priori plus simple que la question de la première
mise en circulation, la question du consentement s’avère pourtant être source de difficultés.
1269
Comme le souligne le Professeur BONET dans ses observations sur l’arrêt, la question de l’épuisement
international est une question « d’opportunité économique et politique : tout dépend de l’intérêt qu’y trouvera
l’EEE », RTDE 2000, p. 116. Une telle idée est reprise par M. SCORDAMAGLIA pour qui l’extension de la règle
de l’épuisement à l’Espace économique européen constitue déjà en soi une mesure de politique commerciale. V.
V. SCORDAMAGLIA, La fonction du droit de marque : épuisement, transit, Propr. ind. 2010, n° 10, Dossier,
Fonction(s) des droits de propriété intellectuelle, n° 6. V. également les arguments des partisans d’un épuisement
mondial, E. ARNAUD, L’épuisement international du droit à la marque sacrifié au profit de l’épuisement
européen, D. affaires 1998, p. 1592 ; C. GRYNFOGEL, Les limites à la règle communautaire de l’épuisement des
droits, RJDA 2001, n° 4, p. 363 et plus particulièrement p. 371 ; Vers un épuisement mondial des droits de
propriété intellectuelle, in Quel droit de la propriété industrielle pour le 3 ème millénaire ?, Colloque organisé par
le centre Paul ROUBIER, Lyon 10 et 11 mai, Litec, t. 47, 2001, p. 277.
1270
CJCE, 20 mars 1997, aff. C-352/95, Phytéron International c/ Bourdon, Rec. 1997, p. I-1729 ; RTDE 1998,
p. 128, obs. G. BONET V. également, Paris, 24 nov. 1993, PIBD 1994, n° 562, III, p. 147.
1271
Paris, 24 nov. 1993, PIBD 1994, n° 562, III, p. 147
1272
CJCE, 23 avr. 2009, aff. C-59/08, Copad, Rec. 2009, p. I-3421, pt. 42 ; PIBD 2009, n° 897, III, p. 1086;
JCPE 2009, n° 27, 1675, note C. CARON ; Propr. ind. 2009, n° 6, comm. n° 38, note A. FOLLIARD-MONGUIRAL.
1273
CJCE, 23 avr. 2009, préc..
1274
CJCE, 23 avr. 2009, préc..
249
302. L’auteur du consentement. L’auteur du consentement peut notamment varier. Il peut
non seulement être direct et être le fait du titulaire lui-même, mais également indirect et
résulter d’une mise sur le marché par un licencié1275 ou « par des sociétés entretenant des
liens économiques et juridiques particuliers, tels que ceux qui existent entre des sociétés
appartenant au même groupe »1276.
Dans l’affaire Copad, la Cour de justice a ainsi relevé que l’existence d’un contrat de licence
n’équivalait pas « à un consentement absolu et inconditionné du titulaire de la marque à la
mise dans le commerce, par le licencié, des produits revêtus de cette marque »1277. La Cour
considère qu’en cas de violation par le licencié d’une des cinq conditions essentielles de
l’article 8, paragraphe 2 de la Directive 2008/951278, le consentement du titulaire est révoqué
et la mise en circulation ne peut avoir pour conséquence d’emporter épuisement du droit1279.
303. Le consentement tacite. Outre la question du consentement direct ou indirect, se pose
également la question du caractère tacite du consentement. Si le consentement s’avère
généralement être exprès, il peut également « résulter d’une manière implicite des éléments et
de circonstances antérieurs, concomitants ou postérieurs à la mise dans le commerce en
dehors de l’EEE »1280. En effet, la Cour de justice a affirmé qu’en toute hypothèse « le
consentement doit être exprimé d’une manière qui traduise de façon certaine une volonté de
1275
CJCE, 22 juin 1994, C-9/93, IHT Internationale Heiztechnik c/ Ideal-Standard, Rec. 1994, p. I-2789; RTDE
1995, p. 848, obs. G. BONET; PIBD 1994, n° 575, III, p. 502.
1276
R. KOVAR & J. LARRIEU, Marque, Rép. communautaire Dalloz, 2009, n° 246. V. CJCE, 31 oct. 1974, aff.
15/74, Centrafarm B.V. e.a. c/ Sterling Drug, Rec. 1974, p. 1147; CJCE, 31 oct. 1974, aff. n° 16/74, Sté
Centrafarm B.V et Adriaan de Peijper c. Sté Winthrop B.V, Rec. 1974, p. 1183; Paris, 25 avr. 2001, PIBD 2001,
n° 729, III, p. 543.
1277
CJCE, 23 avr. 2009, aff. C-59/08, Copad, Rec. 2009, p. I-3421, pt. 47.
1278
En vertu de l’article 8, paragraphe 2 de la Directive 2008/95, le titulaire du droit de marque ne peut opposer
ses droits exclusifs au licencié et donc le poursuivre sur le terrain de la contrefaçon, si celui-ci viole une clause
du contrat relative à la durée de la licence, la forme couverte par l’enregistrement sous laquelle la marque peut
être utilisée, la nature des produits ou des services pour lesquels la licence est octroyée, le territoire sur lequel la
marque peut être apposée ou la qualité des produits fabriqués ou des services fournis par le licencié. Pour ce qui
est du droit français, il s’agit de l’article L. 714-1, alinéa du Code de la propriété intellectuelle.
1279
CJCE, 23 avr. 2009, préc., pt. 48 à 50. Pour le Professeur PASSA, il s’agit là d’un raisonnement qui peut
paraître discutable. En effet, les hypothèses de l’article 8, paragraphe 2 sont celles ayant pour conséquence
d’engager une action en contrefaçon. Or « rien n’exclut qu’une faute –contractuelle- soit reprochée au licencié
au titre de la violation d’un autre type de clause. En somme, rien n’imposait d’établir un lien entre la question
du consentement du titulaire à la mise dans le commerce et celle relative aux hypothèses dans lesquelles celui-ci
peut opposer son droit exclusif au licencié », J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, préc., n° 341,
p. 451.
1280
CJCE, 20 nov. 2001, aff. jointes C- 414/99 à C-416/99, Zino Davidoff et Levi Strauss, Rec. 2001, p. I-8691,
pt. 45 ; PIBD 2002, n° 752, III, p. 506 ; D. 2002, juris., p. 214, obs. E. CHEVRIER ; RTDE 2002, p. 387, obs.
G. BONET ; JCPE 2002, 853, note C. VILMART ; JCPE 2002, 1289, n° 16, obs. G. PARLÉANI, Comm. com. élect.
2002, n° 4, comm. n° 55, obs. C. CARON ; RTD com. 2002, p. 480, obs. J. AZÉMA et J.-C. GALLOUX ; RTD com.
2002, p. 405, obs. M. LUBY. V. également, CJCE, 15 oct. 2009, aff. C-324/08, Makro Zelfbedieningsgroothandel
e.a., Rec. 2009, p. I-10019; Propr. ind. 2010, n° 1, comm. n° 3, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL.
250
renoncer au droit »1281. Le consentement peut donc résulter d’un silence dès lors que celui-ci
ne laisse aucun doute quant à la volonté de renoncer au droit 1282. Le consentement de mise en
circulation du produit vaudra renonciation de son droit et aura pour conséquence de permettre
la mise en œuvre de la règle de l’épuisement du droit1283. À l’inverse, si le consentement n’a
pas été donné, le titulaire sera en droit de s’opposer à l’importation et à la commercialisation
des produits en questions1284.
304. Une fois les conditions du consentement et de la mise en circulation intracommunautaire réunies, la règle de l’épuisement peut être mise en œuvre afin de limiter la
fonction d’exclusivité du titulaire.
b. Les effets de la règle de l’épuisement
305. La portée de l’épuisement. Dès lors que les conditions d’applications de la règle sont
réunies, le droit de marque est « épuisé ». L’épuisement du droit ne signifie pas que le droit
est épuisé de manière générale. Il est épuisé uniquement pour les exemplaires qui ont été mis
dans le commerce avec le consentement du titulaire. Le consentement relatif à la mise en
circulation d’un produit marqué ne peut avoir pour conséquence d’entraîner l’épuisement du
droit de marque dans sa globalité. C’est ce que la Cour a eu l’occasion d’affirmer dans
1281
CJCE, 20 nov. 2001, préc., pt. 45.
La Cour de justice avait été intérrogée dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 20 novembre 2001 sur la
valeur de certaines circonstances permettant de déduire le consentement. Elle a ainsi considéré que le
consentement implicite ne pouvait pas résulter d’une absence de communication par le titulaire de la marque, à
tous les acquéreurs successifs des produits mis dans le commerce en dehors de l’Espace économique européen,
de son opposition à une commercialisation dans l’Espace économique européen. Le consentement ne peut
également pas résulter d’une absence d’indication, sur les produits, d’une interdiction de mise sur le marché dans
l’Espace économique européen. Enfin, dans cette affaire, la Cour de justice a considéré que le consentement
implicite ne pouvait pas résulter de la circonstance que le titulaire de la marque a transféré la propriété des
produits revêtus de la marque sans imposer de réserves contractuelles et que, selon la loi applicable au contrat, le
droit de propriété transféré comprend, en l’absence de telles réserves, un droit de revente illimité ou, à tout le
moins, un droit de commercialiser ultérieurement les produits dans l’Espace économique européen. V. CJCE, 20
nov. 2001, préc., pt. 48 à 60. V. pour une reconnaissance d’un consentement implicite, Cass. com., 9 avr. 2002,
PIBD 2002, n° 748, p. 369 ; JCPG 2002, IV, 1920 ; JCPE 2002, 869 ; D. 2002, juris, p. 1759, obs. J. DALEAU.
Dans cette affaire, la Cour d’appel avait déduit d’un contrat de licence exclusive, précisant qu’il ne comportait
aucune restriction quant à la fabrication, la commercialisation et l’exportation des produits couverts par la
marque, un consentement implicite de commercialisation sur le territoire de la Communauté européenne. V. pour
une application de la jurisprudence Davidoff, Cass. com., 21 oct. 2008, pourvoi n° 05-12580. ; CJUE, 3 juin
2010, aff. C-127/09, Coty Prestige Lancaster Group, Rec. 2010, p. I-00000 ; Propr. ind. 2010, n° 10, comm. n°
63, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL ; Europe 2010, n° 8, comm. n° 295, obs. L. IDOT. Dans cette affaire, il
apparaît que le droit de marque n’est pas épuisé par la simple livraison de testeurs de parfums à des distributeurs
agréés dès lors que la mention « vente interdite » figurant sur le conditionnement des testeurs traduit clairement
la volonté du titulaire de s’opposer à ce que les produits fassent l’objet d’une vente.
1283
CJCE, 20 mars 1997, aff. C-352/95, Phytéron International c/ Bourdon, Rec. 1997, p. I-1729 ; RTDE 1998,
p. 128, obs. G. BONET.
1284
Cass. com., 26 janv. 1999, D. aff. 1999, p. 343; Cass. com., 20 févr. 2007, PIBD, n° 852, III, p. 339.
1282
251
l’affaire Sebago: « Les droits conférés par la marque ne sont épuisés que pour les
exemplaires du produit qui ont été mis dans le commerce sur le territoire défini par cette
disposition avec le consentement du titulaire. Pour les exemplaires de ce produit qui n’ont
pas été mis dans le commerce sur ce territoire avec son consentement, le titulaire peut
toujours interdire l’usage de la marque conformément au droit que lui confère la
directive »1285. Admettre le contraire n’aurait pas eu de sens au regard de la justification de la
règle d’épuisement. Le Professeur BONET a précisé à ce titre que « l’épuisement du droit n’a
de sens que s’il intervient à propos de chaque exemplaire du produit marqué, au fur et à
mesure de la commercialisation du produit »1286. Si l’épuisement devait avoir une portée
générale, le droit de marque se résumerait à être un droit exclusif de mettre en circulation un
seul lot de produit1287.
306. La limitation de la fonction d’exclusivité. L’épuisement du droit apparaît comme une
véritable limite à la fonction d’exclusivité. Une fois que le produit marqué a fait l’objet d’une
mise en circulation consentie, le titulaire a épuisé son monopole sur le produit. Il ne dispose
pas d’un droit de suite1288. Comme le note un auteur, « lorsque le titulaire de la marque a
bénéficié dans un État membre de l’exclusivité de mise en circulation du produit marqué, le
droit de marque a rempli sa fonction première »1289. La fonction d’exclusivité du droit de
marque permet par conséquent d’assurer à son titulaire la primauté de la mise en circulation
du produit marqué1290. Au-delà de cette première mise en circulation, le droit de marque
n’aurait plus en théorie de raison d’être.
307. L’intérêt défensif de l’épuisement. C’est à la lueur de la pratique que la règle de
l’épuisement révèle tout son intérêt. Il constitue un moyen de défense efficace dans le cadre
1285
CJCE, 1er juill. 1999, aff. C-173/98, Sebago et Maison Dubois, Rec. 1999, p. I-4103, pt. 19 ; PIBD 1999, n°
684, III, p. 414 ; RTDE 2000, p. 112, obs. G. BONET ; Cass. com., 8 mars 2005, PIBD 2005, n° 810, III, p. 367.
Dans le même sens en matière de brevet, Cass. com., 25 avr. 2006, PIBD 2006, n° 883, III, p. 460.
1286
G. BONET, obs. sur CJCE, 1er juill. 1999, RTDE 2000, p. 119.
1287
V. G. BONET, Le point sur l’épuisement du droit de marque selon la jurisprudence communautaire, D. 2000,
chron. p. 337.
1288
V. P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 323. MATHÉLY affirmait
qu’ « aucune disposition légale, en France, ne prévoit l’épuisement du droit sur la marque (…). Le propriétaire
de la marque possède une sorte de droit de suite, lui permettant de contrôler l’usage fait de la marque, telle
qu’elle est portée sur le produit vendu ».
1289
J. PASSA, Distribution et usage de marque, Litec, 2002, n° 16, p. 17.
1290
V. notamment B. CASTELL, L’épuisement du droit intellectuel en droit allemand, français et communautaire,
PUF, 1989, n° 172, p. 105. Cet auteur note que « Dans le cas précisément du bénéficiaire du droit de marque la
relation de continuité entre le fait d’apposer la marque sur le produit et d’introduire celui-ci dans le circuit
commercial est particulièrement évidente : quelle serait en effet l’utilité de revêtir le produit d’une marque si ce
n’était pour le commercialiser ? ».
252
d’une action en contrefaçon de marque. Afin d’éviter d’être sanctionné au titre de la
contrefaçon, un tiers peut invoquer l’épuisement du droit de marque. Il revient en principe1291
au défendeur de supporter la charge de la preuve de l’épuisement en établissant la réunion des
conditions, à savoir la mise en circulation du produit marqué consentie par le titulaire du droit
dans l’espace économique européen.
308. La charge de la preuve de l’épuisement. En raison des difficultés que pourrait
rencontrer le défendeur pour rapporter une telle preuve, la Cour de justice a décidé de
tempérer ce principe dans l’arrêt Van Doren1292 en procédant à un renversement partiel de la
charge de la preuve. Tout en précisant que le principe, selon lequel le défendeur doit apporter
la preuve de l’épuisement, est compatible avec le droit communautaire1293, la Cour de justice
relève que le principe de libre circulation des marchandises peut entraîner un aménagement de
cette charge de la preuve1294. Elle souligne ainsi que la charge de la preuve doit être renversée
lorsqu’elle est « de nature à permettre au titulaire de la marque de cloisonner les marchés
nationaux »1295. Elle ajoute qu’un tel cloisonnement pourrait être envisagé lorsque « le
titulaire de la marque commercialise ses produits dans l’EEE au moyen d’un système de
distribution exclusive »1296. Dans une telle hypothèse, il appartient au titulaire de la marque
d’établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son
consentement en dehors de l’Espace économique européen. En instituant ce renversement de
la charge de la preuve, la Cour de justice a institué « une présomption d’épuisement des
droits »1297.
1291
V. Cass. com., 29 janv. 2002, PIBD 2002, n° 740, III, p. 186 ; Cass. com., 9 avr. 2002, RJDA 2002, n° 8-9,
n° 952 ; Cass. com., 26 févr. 2008, PIBD 2008, n° 873, III, p. 280.
1292
CJCE, 8 avr. 2003, aff. C-244/00, Van Doren, Rec. p. I-3051 ; Propr. intell. 2003, n° 9, p. 426, obs. G.
BONET ; RTDE 2004, p. 122, obs. G. BONET. V. sur cet arrêt, J. RAYNARD, Droit de marque et réseau de
distribution exclusive devant la CJCE : la présomption d’épuisement du droit ou le bonheur retrouvé du
distributeur parallèle, Propr. ind. 2003, n° 10, chron. n° 18.
1293
CJCE, 8 avr. 2003, préc., pt. 36.
1294
CJCE, 8 avr. 2003, préc., pt. 37.
1295
CJCE, 8 avr. 2003, préc., pt. 38.
1296
CJCE, 8 avr. 2003, préc., pt. 39. La Cour de justice précise en effet que « si le tiers devait apporter la preuve
du lieu où les produits ont été mis pour la première fois dans le commerce par le titulaire de la marque ou avec
son consentement, le titulaire de la marque pourrait faire obstacle à la commercialisation des produits acquis et,
pour l’avenir, supprimer de son fait toute nouvelle possibilité d’approvisionnement du tiers auprès d’un membre
du réseau de distribution exclusive du titulaire dans l’EEE, dans l’hypothèse où le tiers parviendrait à
démontrer qu’il s’est approvisionné auprès de ce membre », pt. 40.
1297
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 346, p. 461. V. pour application du
renversement de la charge de la preuve par les juridictions françaises, Douai, 1re ch. civ., sect. 2, 27 juin 2006,
RG n° 02/00835 ; TGI Strasbourg, 7 juill. 2006, PIBD 2006, n° 838, III, p. 653 ; Cass. com., 26 mars 2008,
PIBD 2008, n° 874, III, p. 311 ; Cass. com., 16 déc. 2008, PIBD 2009, n° 890, III, p. 819 ; Cass. com., 26 févr.
2008, PIBD 2008, n° 873, III, p. 281.
253
309. En ayant recours à la règle de l’épuisement des droits en vue de concilier les droits de
propriété intellectuelle avec le principe de libre circulation des marchandises, le droit
communautaire était dans l’obligation de limiter la fonction d’exclusivité du droit de marque.
Le monopole d’exploitation conféré par le droit de marque se trouve ainsi cantonné à la
première mise en circulation consentie par le titulaire d’un produit marqué.
Si la règle de l’épuisement a eu pour premier effet de limiter la fonction d’exclusivité, elle a
également eu pour conséquence de révéler la fonction d’identification, permettant ainsi de
restreindre la limitation de la fonction d’exclusivité.
B. La règle de l’épuisement : révélateur de fonctions
310. La règle de l’épuisement limite la fonction d’exclusivité à la première mise en
circulation dans le marché. Cette règle n’est cependant pas immuable et a été limitée à son
tour par la révélation de nouvelles fonctions. Ainsi, après quelques atermoiements, la Cour de
justice a reconnu à la marque la fonction qui est la sienne : la fonction d’identification (1).
Puis, sa quête de la détermination de l’objet spécifique a conduit la Cour de justice à
reconnaître à la marque une fonction de protection de la réputation (2).
1. La fonction d’identification comme limite à la règle de l’épuisement
311. L’origine de la limitation. La règle de l’épuisement n’est pas absolue1298. Si la règle de
l’épuisement est venue dans un premier temps limiter la fonction d’exclusivité, il apparaît que
cette même règle s’est vue ensuite restreinte par la découverte de la fonction d’identification
et du revirement opéré par la Cour de justice à propos de cette dernière.
Dans un premier temps, la Cour de justice refusa de voir la marque comme un instrument
ayant pour fonction de garantir l’identité d’origine des produits marqués1299. Sans doute
influencée par les critiques dont elle fit l’objet, elle opéra un revirement en consacrant la
fonction de garantie d’identité d’origine. Elle reconnut dans l’arrêt Terrapin/Terranova du 22
1298
A. FRANÇON, L’épuisement du droit de marque, JCPG 1990, I, 3428.
V. CJCE, 3 juill. 1974, aff. 192/73, Van Zuylen c/ Hag AG, Rec. 1974, p. 731 ; CJCE, 31 oct. 1974, aff. n°
16/74, Sté Centrafarm B.V et Adriaan de Peijper c. Sté Winthrop B.V, Rec. 1974, p. 1183. Dans l’arrêt Hag, la
Cour de justice précisa que même si l’indication de l’origine d’un produit est utile dans un marché unique,
« l’information, à ce sujet, des consommateurs peut être assurée par des moyens autres que ceux qui porteraient
atteinte à la libre circulation des marchandises » (pt. 14). Elle compléta son raisonnement en affirmant que la
fonction du droit national de marque se limitait à la protection du « détenteur légitime d’une marque contre la
contrefaçon de la part de personnes dépourvues de tout titre juridique » (pt. 10).
1299
254
juin 19761300 que la marque avait également pour rôle et plus particulièrement pour fonction
essentielle de garantir au consommateur l’identité d’origine des produits ou services désignés
sous le signe1301 : la marque aurait en conséquence pour fonction de permettre au
consommateur de distinguer sans confusion possible le produit marqué de ceux qui ont une
autre provenance1302.
312. Les conséquences de la fonction d’identification. En consacrant cette fonction, le juge
communautaire procédait à un élargissement de l’objet spécifique, légitimant ainsi « de
nouvelles limites à la liberté de circulation des marchandises »1303.
Par le biais de cette fonction, la Cour de justice décide de limiter la portée de l’épuisement
« à chaque fois que l’état de produits marqués authentiques, censés circuler librement, a été
modifié ou altéré postérieurement à leur mise dans le commerce par le titulaire ou avec son
accord »1304, ayant pour conséquence de remettre en cause la fonction d’identification. Cette
limitation de la règle de l’épuisement par la fonction d’identification se retrouve aujourd’hui
dans les textes. L’article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « Toutefois,
faculté reste alors ouverte au propriétaire de s’opposer à tout nouvel acte de
commercialisation s’il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à
l’altération, ultérieurement intervenue, de l’état des produits » 1305.
L’atteinte à la fonction d’identification permet ainsi de justifier la « renaissance » du droit de
marque.
313. La fonction sociale du droit de marque. La justification de la « renaissance » du droit
exclusif résiderait dans l’intérêt général1306 et plus précisément dans celui du
1300
CJCE, 22 juin 1976, aff. 119-75, Terrapin c/ Terranova, Rec. 1976, p. 1039 ; JCPG 1976, I, 2825, obs. J.-J.
BURST et R. KOVAR.
1301
CJCE, 22 juin 1976, préc., pt. 6. Il convient de noter que l’on trouve trace dans la jurisprudence française
d’une telle conception de la marque. Ainsi, dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 janvier 1868, les
juges n’hésitèrent pas à affirmer que la marque « sert à garantir la qualité, assurer la réputation et faire
connaître l’origine », Paris, 16 janv. 1868, Ann. propr. ind. 1869, p. 336.
1302
CJCE, 17 oct. 1990, aff. C-10/89, CNL-SUCAL c/ HAG, Rec. 1990, p. I-3711, pt. 14 ; RTDE 1991, p. 639,
obs. G. BONET.
1303
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 350, p. 475. Le Professeur PASSA note
également très justement que si « la fonction de réservation de l’usage du signe au titulaire implique la règle de
l’épuisement des droits, la fonction de garantie d’identité d’origine justifie une exception à cette règle ».
1304
J. PASSA, op. cit., n° 353, p. 477. V. notamment CJCE, 23 mai 1978, aff. 102/77, Hoffman-La Roche c/
Centrafarmn, Rec. 1978, p. 1139.
1305
V. article 7, alinéa 2 de la Directive 2008/95 et article 13 du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26
févr. 2009 sur la marque communautaire.
1306
V. G. BONET, L’épuisement des droits de propriété intellectuelle, in L’avenir de la propriété intellectuelle,
Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 11, 1993, p. 89 et plus particulièrement p. 98. Pour
255
consommateur1307. Cette teinte consumériste1308 expliquerait que certains auteurs aient vu
dans la fonction de garantie d’identité d’origine la fonction sociale de la marque1309. C’est la
marque envisagée sous l’angle du consommateur qui permettrait au titulaire de voir son droit
renaître et d’agir en contrefaçon en cas de « motifs légitimes »1310. Il est vrai que la Cour de
justice renvoie plus à l’intérêt des consommateurs qu’à l’intérêt du titulaire lorsqu’elle affirme
que « doit constituer la garantie que tous les produits qui en sont revêtus ont été fabriqués
sous le contrôle d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de
leur qualité »1311. Nous n’envisagerons pas à ce stade de nos développements l’intérêt que la
marque pourrait représenter pour le consommateur1312. Nous n’envisagerons pas non plus la
question d’éventuelles fonctions consuméristes devant être reconnues à la marque1313. Si nous
ne reviendrons pas sur la notion de fonction sociale1314, il est néanmoins important
d’envisager les conséquences d’une telle qualification sur le droit qui la constitue.
314. Les conséquences de la fonction sociale d’un droit. Il apparaît à la lecture de
JOSSERAND1315 et DUGUIT1316, que la fonction sociale se dessine comme les contours du droit,
comme les limites à ne pas dépasser. DUGUIT écrivait ainsi que les actes qui ne poursuivent
pas la fonction sociale du droit de propriété « seront contraires à la loi de la propriété et
l’éminent Professeur, « il apparaît que, en quelque sorte, la fonction de garantie de la marque est d’intérêt
général et qu’il appartient tout naturellement au titulaire de la faire respecter ».
1307
A. FRANÇON, L’épuisement du droit de marque, JCPG 1990, I, 3428.
1308
A. FRANÇON, préc..
1309
M. VIVANT, Des droits finalisés, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz, Coll. Grands
arrêts, 2004, p. 3 et plus particulièrement p. 12. L’auteur conclut en ces termes : « De la finalité sociale des
droits ? Peut-être serait-il temps de faire sortir JOSSERAND du Purgatoire…ou de relire les Pères de l’Eglise qui
ne disaient pas vraiment autre chose ». V. également G. BONET, obs. sous CJCE, 11 juill. 1996, aff. jointes C427/93, Bristol-Myers Squibb c/ Paranova, C-429/93, Boehringer, C-436/93, Bayer, Rec. 1996, p. I-3457, RTDE
1998, p. 117. Le Professeur BONET souligne que « cette garantie apportée au consommateur correspond à une
sorte de finalité sociale de la marque » ; C. GEIGER, La fonction sociale des droits de propriété intellectuelle, D.
2010, chron., p. 510.
1310
V. l’article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle.
1311
CJCE, 17 oct. 1990, aff. C-10/89, CNL-SUCAL c/ HAG, Rec. 1990, p. I-3711; RTDE 1991, p. 639, obs. G.
BONET ; CJCE, 22 juin 1994, C-9/93, IHT Internationale Heiztechnik c/ Ideal-Standard, Rec. 1994, p. I-2789 ;
RIPIA 1994, n° 178, p. 456. Il convient cependant de préciser que la doctrine ne semblait pour autant pas encline
à reconnaître une fonction de garantie de qualité à la marque. Comme le souligne le Professeur POLLAUDDULIAN, « la marque ne garantit pas la qualité des produits mais elle garantit que ces produits ont été élaborés
et marqués sous la responsabilité du titulaire de cette marque, que leur qualité peut être attribuée à une
entreprise déterminée », F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé,
2e éd., 2011, n° 1563, p. 906.
1312
Cf. infra n° 696.
1313
Cf. infra Partie 2.
1314
Cf. supra n° 20.
1315
L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité Ŕ Théorie dite de l’abus des droits, Dalloz, réedition
2006, n° 237, p. 321.
1316
L. DUGUIT, Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon, Lib. Félix Alcan, 2ème éd.,
1920, p. 147.
256
pourront donner lieu à une répression ou à une réparation »1317. La fonction sociale du droit
de propriété permettrait ainsi d’expliquer les limitations qui lui sont apportées 1318. La
reconnaissance d’une finalité sociale à un droit devrait donc avoir pour conséquence la
limitation du droit, le titulaire ne pouvant faire un usage abusif de son droit allant à l’encontre
de la fonction de ce droit1319.
La fonction sociale d’un droit permet de le limiter afin qu’il puisse répondre à son « utilité
sociale »1320. Cette idée est reprise par un auteur qui a pu affirmer que « la reconnaissance
officielle d’une finalité sociale ne peut en fait se traduire que par une restriction législative
ou réglementaire du droit lui-même »1321. En d’autres termes, la traduction juridique de la
fonction sociale semble devoir se faire par sa limitation.
La même solution devrait être envisagée en matière de marque. La fonction sociale du droit
de marque devrait avoir pour conséquence de limiter les prérogatives de son titulaire. La
fonction de garantie d’identité d’origine reconnue par la Cour de justice dans le cadre de
l’épuisement devrait au contraire permettre au consommateur de pouvoir agir, en vue de
limiter l’exercice du droit de marque. Tel n’est pas le cas1322. La fonction, qualifiée de sociale
par certains auteurs, n’a pas pour objet de limiter le droit de marque, mais au contraire de le
faire « renaître de ses cendres ».
Paradoxalement, la fonction sociale de la marque serait détournée de sa finalité. C’est hors le
droit des marques que la fonction sociale de la marque doit pouvoir s’exprimer1323. Il ne nous
semble pas que l’intérêt général ou la fonction sociale de la marque justifie que la règle de
l’épuisement soit mise en échec.
315. La survie du droit de marque. L’expression utilisée pour désigner la règle permettant
de limiter la fonction d’exclusivité est malheureuse. L’épuisement du droit tend à nous faire
1317
L. DUGUIT, op. cit., p. 166.
L. DUGUIT, op. cit., p. 166. Il démontre ainsi que la fonction sociale permet d’expliquer toutes les décisions
« qui reconnaissent et sanctionnent l’impossibilité pour le propriétaire de faire sur la chose qu’il détient aucun
acte qu’il n’a pas d’utilité à faire ». Il devient dès lors inutile de recourir à d’autres concepts tels que ceux de
l’abus de droit, de la limitation du droit de propriété ou bien l’usage normal et anormal du droit de propriété.
1319
L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité Ŕ Théorie dite de l’abus des droits, Dalloz, réedition
2006, n° 237, p. 322.
1320
H. MOUTOUH, Le propriétaire et son double Ŕ Variations sur les articles 51 et 52 de la loi du 29 juill. 1998,
JCPG 1999, I, 146, n° 32.
1321
A. PIROVANO, La fonction sociale des droits : Réflexions sur le destin des théories de JOSSERAND, D. 1972,
chron., p. 17. C’est d’ailleurs ce que semble consacrer la législation brésilienne et la Constitution Italienne.
1322
Cf. infra Partie 2, Titre 1, Chapitre 1.
1323
Cf. infra Partie 2, Titre 2, Chapitre 2.
1318
257
croire que le produit mis en circulation est « libéré du monopole »1324, qu’il ne reste plus rien
du droit, que le droit serait éteint par le premier usage1325.
Le droit français ne reprend pas expressis verbis la notion d’épuisement du droit dans son
article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle1326. La rédaction de ce texte permet
d’envisager autrement la règle de l’épuisement.
Plutôt que d’affirmer que le droit est épuisé, ne serait-il pas plus judicieux de considérer que
le droit est neutralisé, mis « entre parenthèses » ? Un auteur a ainsi proposé de voir dans
l’épuisement du droit une situation proche de la servitude1327. Le droit de marque serait
maintenu, mais serait inopérant. Il serait également parfaitement envisageable de considérer
l’épuisement comme étant une licence tacite1328, la mise en circulation consentie pouvant
apparaître comme une renonciation de faire usage de son droit par la suite. Quelle que soit
l’approche retenue, il nous semble qu’il est erroné de croire que l’épuisement du droit
équivaut à l’extinction du droit. Le droit de marque doit simplement être considéré comme
étant neutralisé1329.
En conséquence, le droit de marque n’étant pas véritablement épuisé ou éteint, il nous semble
logique d’envisager la limitation de l’épuisement non pas sous l’angle de l’intérêt général,
mais sous l’angle du droit du titulaire. Les motifs légitimes permettant de limiter la règle de
l’épuisement ne concerneraient qu’une atteinte au bien ou au droit de marque.
Cette approche semble corroborée par la rédaction de l’article L. 713-4 du Code de la
propriété intellectuelle : le propriétaire peut s’opposer à tout nouvel acte de commercialisation
1324
B. EDELMAN, Propriété Littéraire et artistique Ŕ Droit communautaire Ŕ Droit d’auteur et droits voisins dans
la liberté des échanges, J.-Cl. Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1810, 2007, n° 16.
1325
V.-L. BÉNABOU, Épuisement des droits : une approche globale de la théorie de l’épuisement est-elle possible,
Legicom 2001, n° 25, p. 115.
1326
Monsieur HUMBLOT note ainsi que sous la rubrique de l’épuisement du droit, « le législateur ne prévoit en
effet aucune forme d’extinction du droit de marque, l’effectivité du droit de marque n’est pas en cause » ; B.
HUMBLOT, Étude du droit des marques au regard de la linguistique, Thèse Montpellier, sous la direction de M.
VIVANT, 2000, n° 677.
1327
B. HUMBLOT, Étude du droit des marques au regard de la linguistique, Thèse Montpellier, sous la direction
de M. VIVANT, 2000, n° 677. La servitude se définit au regard de l’article 637 du Code civil comme une
« charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire ».
1328
Il s’agit là d’une facilité de langage dans la mesure où il est difficile d’y voir là un véritable contrat de
licence. Cependant, consentir à mettre en circulation des produits marqués, revient pour le titulaire à concéder
l’exploitation des produits marqués si l’on considère que le droit de marque ne disparaît pas au profit du titulaire.
V. sur la théorie de la licence tacite et sur les critiques de ce système, B. CASTELL, L’épuisement du droit
intellectuel en droit allemand, français et communautaire, PUF, 1989, n° 24, p. 33. Pour cet auteur, la théorie de
la licence tacite ne peut être reçue en France pour deux raisons. Tout d’abord, « le contrat de licence
d’exploitation d’un produit auquel s’applique un droit intellectuel doit en principe être constaté par écrit » et
« la prescription par tolérance du droit d’agir en contrefaçon n’existe pas », n° 41.
1329
D’ailleurs, la Cour de justice précise que la conséquence de l’épuisement est que le titulaire n’est pas habilité
à interdire à tout tiers de faire usage, dans la vie des affaires de la marque pour des produits qui ont été mis en
circulation dans la Communauté sous cette marque par lui-même ou avec son consentement. Elle ne parle pas
d’extinction du droit en tant que tel. V. notamment, CJCE, 4 nov. 1997, aff. C-337/95, Parfums Christian Dior c/
Evora, Rec. 1997, p. I.-6013.
258
à la condition qu’il justifie de motifs légitimes. Le titulaire de droit n’a donc pas à démontrer
une atteinte à l’intérêt général, mais une atteinte à son intérêt privé, à des motifs qui lui sont
légitimes. Si l’intérêt général est touché par la limitation de la règle de l’épuisement, cela ne
peut être que de manière indirecte.
316. La remise en cause du consentement du titulaire et de la fonction d’identification.
La règle de l’épuisement repose sur deux conditions : une mise dans le commerce dans
l’Espace économique européen, consentie par le titulaire de la marque. Si la mise dans le
commerce peut difficilement être contestée par le titulaire au titre des motifs légitimes, il en
va différemment du consentement donné.
En vue de pouvoir mettre en œuvre la règle de l’épuisement, le titulaire doit avoir consenti à
la mise en circulation d’un produit identifié par une marque. Dans ce cadre, le titulaire fait
jouer à la marque son rôle le plus important : celui d’identifier des produits et des services. La
marque n’a pas d’existence autonome, elle n’existe que dans le cadre de sa relation avec les
produits et services qu’elle identifie. Il s’agit là de la règle classique de sémiotique selon
laquelle un signe comprend un signifié1330 et un signifiant1331. Le signifiant serait le signe
constituant la marquen tandis que le signifié serait le produit ou le service. Le droit de marque
protège la relation qui existe entre un signifiant déterminé et un signifé déterminé. Dès lors
que l’un de ces deux éléments est modifié, l’atteinte au droit de marque devrait être
consommée. Il en va ainsi du délit de suppression ou de modification de la marque, qui porte
atteinte au signifiant, et du délit d’apposition, qui porte atteinte au signifié. Dans ces
hypothèses, c’est la relation voulue par le titulaire entre un signe et des produits ou services
qui est atteinte.
Concernant la règle de l’épuisement, le consentement donné par le titulaire concerne une
marque déterminée et un produit déterminé. La modification de l’un de ces deux éléments
devrait suffire à remettre en cause ce consentement et le considérer comme caduc1332, la
marque n’étant plus à même d’exercer la fonction que le titulaire lui a attribuée. D’ailleurs,
1330
Le signifié est « le concept en tant qu’il est susceptible d’une concrétisation mentale », J.-P. GRIDEL, Le
signe et le droit. Les bornes - les uniformes Ŕ la signalisation routière et autres, LGDJ, Bibl. de droit privé, t.
164, 1979, n° 17, p. 20. V. également U. ECO, Le signe Ŕ Histoire et analyse d’un concept, LGF/Livre de Poche,
2002, p. 36: « Le semainomenon : ce qui est exprimé, ou signifié, ou contenu, qui ne represente pas une entité
physique ».
1331
Le signifiant peut se définir comme le corpus du signe, c'est-à-dire le support de la signification. U. ECO, op.
cit., p. 36: « Le semainon, ou signifiant, ou expression perçue comme entité physique ».
1332
La caducité est le « Sort qui frappe l’acte cadu ; état de non valeur auquel se trouve réduit un acte
initialement valable du fait que la condition à laquelle était suspendue sa pleine efficacité vient à manquer ». G.
CORNU, Vocabulaire Juridique, Association Henri CAPITANT, PUF, 9e éd., 2011.
259
sans qu’il soit question d’envisager la règle de l’épuisement, un tiers qui supprime une
marque pour la remplacer par une autre doit être sanctionné au titre de la contrefaçon1333.
C’est donc tout naturellement que la règle de l’épuisement devait être mise en échec dans les
hypothèses où les produits « ne sont (…) plus exactement ceux que le titulaire a souhaité
diffuser sous la marque »1334. Dans ces hypothèses, le consentement du titulaire est remis en
cause et la fonction d’identification de la marque permettant de faire le lien entre un signe et
un produit déterminé est « faussée »1335.
Le titulaire est dans ce cadre parfaitement légitime à faire sortir le droit de marque de sa
léthargie afin de voir sanctionner celui qui aurait porté atteinte au signifié. Il s’agit là d’une
règle pleine de bon sens et conforme à la logique de la marque. La réservation doit demeurer
opérante « lorsque le contexte de commercialisation a pour effet de charger la marque d’une
signification indésirable pour son titulaire »1336. Il est par conséquent parfaitement légitime
de retrouver l’altération ou la modification comme motif permettant de faire échec à la règle
de l’épuisement.
317. L’application. À ce titre, les modifications de conditionnement d’un produit opérées
sans l’autorisation du titulaire devraient légitimement être sanctionnées.
La Cour de justice a eu l’occasion de se prononcer à de nombreuses reprises sur les
hypothèses de reconditionnement voire de déconditionnement1337. La Cour de justice a, ainsi,
1333
En application de l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle constitue une contrefaçon la
suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée. V. Paris, 4 ème ch., 20 sept. 2006, PIBD
2006, n° 841, III, p. 778 ; Propr. intell. 2007, n° 22, p. 107, obs. X. BUFFET DELMAS ; Cass. crim., 15 juin 1999,
n° 98-85.102, RLDA 1999, n° 21, p. 24, n° 1316. Dans cette affaire, l’épuisement du droit de marque avait été
soulevé comme moyen de défense. La réponse de la Cour de cassation est claire : « les contrefacteurs n’étaient
pas recevables à invoquer l’exception d’épuisement du droit du titulaire de la marque ». La Cour de cassation
confirme ainsi le fait que le principe d’épuisement n’induit pas que la marque puisse être supprimée sur le
produit commercialisé.
1334
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 353, p. 477.
1335
J. PASSA, op. cit., n° 353, p. 477. Le Professeur PASSA explique en ces termes la limitation de la règle de
l’épuisement : « La fonction de garantie d’identité d’origine, qui fait le lien entre les produits et l’entreprise
dont ils proviennent, est en effet faussée et autorise une réaction du titulaire afin que la responsabilité de la
qualité de ces produits ne puisse lui être attribuée, ce qui porterait injustement atteinte à sa réputation ainsi
qu’à celle de la marque ».
1336
B. HUMBLOT, Étude du droit des marques au regard de la linguistique, Thèse Montpellier, sous la direction
de M. VIVANT, 2000, n° 678.
1337
V. notamment, CJCE, 23 mai 1978, aff. 102/77, Hoffman-La Roche c/ Centrafarm, Rec. 1978, p. 1139. V.
sur cet arrêt, J.-J. BURST & R. KOVAR, Le reconditionnement des produits marqués et le droit communautaire,
JCPE 1978, II, 12830 ; CJCE, 3 déc. 1981, aff. 1/81, Pfizer c/ Eurim-Pharm, Rec. 1981, p. 2913 ; RTDE 1982, p.
166, obs. G. BONET ; CJCE, 11 juill. 1996, aff. jointes C-427/93, Bristol-Myers Squibb c/ Paranova, C-429/93,
Boehringer, C-436/93, Bayer, Rec. 1996, p. I-3457; RTD com. 1997, p. 251, obs. J. AZÉMA ; RTDE 1998, p.
111, obs. G. BONET. V. également sur ces arrêts, V.-L. BÉNABOU, Un nouveau visage pour la marque dans la
jurisprudence de la Cour de justice ; à propos des arrêts du 11 juillet 1996 sur le reconditionnement des produits
marqués, Europe 1996, nov., chron. n° 10 ; G. BONET, Épuisement du droit de marque, reconditionnement du
produit marqué : confirmations et extrapolations, in Mélanges offerts à J.-J. BURST, Litec, 1997, p. 61 ; R.
260
affirmé que « tout reconditionnement d’un médicament revêtu d’une marque (…) peut être
interdit par le titulaire de la marque »1338 à moins que ne soient remplies certaines
conditions1339, permettant de préserver au mieux le consentement du titulaire et la fonction
d’identification.
Cette idée d’atteinte au consentement du titulaire peut également être envisagée dans les
hypothèses de marques ayant une origine commune. Le transfert de la marque, autoritaire ou
amiable, ne peut être perçu comme une autorisation de mise sur le marché d’un produit
déterminé. La fonction d’identification s’en trouverait faussée1340.
318. La règle de l’épuisement du droit, si elle limite la fonction d’exclusivité, a eu le mérite
de révéler aux juges communautaires la fonction d’identification, permettant de limiter le jeu
de l’épuisement. Si certains auteurs ont cru voir dans la fonction d’identification une fonction
KOVAR, Le reconditionnement des produits marqués Ŕ L’importateur et le fabricant plaidant par-devant la Cour
de justice, in Mélanges offerts à J.-J. BURST, Litec, 1997, p. 273 ; CJCE, 26 avr. 2007, aff. C-348/04, Boehringer
Ingelheim e.a., Rec. 2007, p. I-3391; PIBD 2007, n° 855, III, p. 429 ; Propr. ind. 2007, n° 7-8, comm. n° 61, obs.
A. FOLLIARD-MONGUIRAL; Propr. intell. 2008, n° 26, p. 138, obs. G. BONET. V. également, CJUE, 28 juill. 2011,
aff. jointes C-400/09 et 207/10, Orifarm et Paranova c/ Merck, Rec. 2011, p. 00000 ; JCPG 2011, n° 36, 941 ;
CJUE, 12 juill. 2011, aff. C-324/09, L’Oréal e.a., Rec. 2011, p. 00000 ; JCPG 2011, n° 875, obs. F. PICOD;
Comm. com. élect. 2011, n° 11, comm. n° 99, obs. C. CARON.
1338
CJCE, 26 avr. 2007, aff. C-348/04, préc.. Déjà dans l’arrêt Hoffman-Laroche, la Cour de justice notait qu’il
était conforme à l’article 36 « de reconnaître au titulaire le droit de s’opposer à ce qu’un importateur d’un
produit de marque après reconditionnement de celui-ci, appose la marque, sans autorisation du titulaire, sur le
nouvel emballage », CJCE, 23 mai 1978, aff. 102/77, préc., pt. 8.
1339
La Cour de justice a dégagé un certain nombre de conditions cumulatives permettant au tiers procédant au
reconditionnement d’échapper à l’interdiction de commercialisation. Le titulaire de la marque peut s’opposer à la
commercialisation ultérieure d’un produit importé dans l’hypothèse d’un reconditionnement ou d’un réétiquetage
à moins qu’il ne soit établi que l’utilisation du droit de marque par le titulaire de celle-ci pour s’opposer à la
commercialisation du produit ayant fait l’objet d’un nouvel étiquetage ou conditionnement sous cette marque
contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres, qu’il soit démontré que le nouvel
étiquetage ou conditionnment ne saurait affecter l’état originaire du produit contenu dans l’emballage, qu’il soit
clairement indiqué sur l’emballage l’auteur du nouvel étiquetage du produit et le nom du fabricant de celui-ci,
que la présentation du produit ayant fait l’objet de ce nouvel étiquetage ou conditionnement ne soit pas telle
qu’elle puisse nuire à la réputation de la marque et à celle de son titulaire et que l’importateur, préalablement à la
mise en vente du produit ayant fait l’objet d’un nouvel étiquetage, avertisse le titulaire de la marque et lui
fournisse, à sa demande, spécimen de ce produit. V. notamment, CJCE, 26 avr. 2007, aff. C-348/04, préc. ;
CJCE, 22 déc. 2008, aff. C-276/05, The Wellcome Foundation, Rec. 2008 p. I-10479.
1340
CJCE, 17 oct. 1990, aff. C-10/89, CNL-SUCAL c/ Hag, Rec. 1990, p. I-3711, pt. 15 et 16: « Pour l'
appréciation d' une situation telle que celle décrite par la juridiction nationale au regard des considérations qui
précèdent, le fait déterminant est l' absence de tout élément de consentement de la part du titulaire du droit de
marque protégé par la législation nationale pour la mise en circulation, dans un autre État membre, sous une
marque identique ou prêtant à confusion, d' un produit similaire fabriqué et commercialisé par une entreprise n'
ayant aucun lien de dépendance juridique ni économique avec ledit titulaire .
En effet, dans ces conditions, la fonction essentielle de la marque serait compromise si le titulaire du droit ne
pouvait pas exercer la faculté que la législation nationale lui confère de s' opposer à l' importation du produit
similaire sous une dénomination de nature à être confondue avec sa propre marque, car, dans cette hypothèse,
les consommateurs ne seraient plus en mesure d' identifier avec certitude l' origine du produit marqué et le
titulaire du droit pourrait se voir imputer la mauvaise qualité d' un produit dont il ne serait nullement
responsable ». V. également, CJCE, 22 juin 1994, aff. C-9/93, IHT Internationale Heiztechnik c/ Ideal-Stadard,
Rec. 1994, p. I-2789.
261
sociale, il nous est apparu au contraire que la limitation de la règle de l’épuisement ne résulte
pas de la prise en compte de l’intérêt général, mais bien de l’intérêt du titulaire.
La Cour de justice semble également confirmer cette conception. Dans un arrêt en date du 28
juillet 2011, celle-ci rejeta la prétention d’un requérant qui invoquait la protection du
consommateur dans une hypothèse de reconditionnement. La Cour de justice affirma qu’il
« résulte clairement du libellé de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 89/104 que
l’exception au principe de l’épuisement du droit conféré par la marque prévu à cette
disposition est limitée à la protection des intérêts légitimes du titulaire de la marque, la
protection spécifique des intérêts légitimes des consommateurs étant, quant à elle, assurée
par d’autres instruments de droit »1341. La Cour de justice ne saurait être plus claire. C’est
sous l’angle du titulaire et non des consommateurs que doit être appréhendée la règle de
l’épuisement et, partant, la limitation dont elle peut faire l’objet. C’est également sous cet
angle que la Cour de justice a envisagé un autre motif légitime qui a permis de révéler une
autre fonction de la marque.
2. L’atteinte à la réputation comme motif légitime
319. La question d’atteinte à la réputation comme motif légitime. En visant la
modification ou l’altération du produit, l’article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle
ne se voulait pas exhaustif. Les juges étaient donc libres de découvrir d’autres motifs
légitimes permettant de faire échec à la règle de l’épuisement1342. Face à cette liberté, la Cour
de justice consacra l’atteinte à la réputation de la marque ou de son titulaire comme motif
légitime permettant de faire échec à la règle de l’épuisement.
Toujours dans le cadre d’une affaire de reconditionnement, elle affirma que le
reconditionnement ne devait pas « nuire à la réputation de la marque et à celle de son
titulaire »1343. L’atteinte à la réputation fut également utilisée dans une affaire de réetiquetage
de bouteilles de whisky. Les juges avaient ainsi décidé que la protection des intérêts légitimes
1341
CJUE, 28 juill. 2011, aff. jointes C-400/09 et 207/10, Orifarm et Paranova c/ Merck, Rec. 2011, p. 00000 ;
JCPG 2011, n° 36, 941.
1342
CJCE, 11 juill. 1996, aff. jointes C-427/93, Bristol-Myers Squibb c/ Paranova, C-429/93, Boehringer, C436/93, Bayer, Rec. 1996, p. I-3457, pt. 39. Les juges précisent en effet que « l’article 7, paragraphe 2, de la
directive prévoit que le titulaire d’un droit de marque peut s’opposer à la commercialisation ultérieure des
produits lorsqu’il existe un motif légitime, et notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après
leur mise en circulation. L’emploi du terme « notamment » démontre que l’hypothèse visée n’est donnée qu’à
titre d’exemple ».
1343
CJCE, 11 juill. 1996, préc., pt. 79.
262
du titulaire impliquait notamment que le réétiquetage ne se fasse pas de manière à ce qu’il
nuise « à la réputation de la marque et à celle de son titulaire »1344.
Plus généralement, il est apparu à la lumière de la jurisprudence communautaire que l’atteinte
à la réputation pouvait constituer un motif légitime permettant de limiter l’épuisement dans
tous les actes de commercialisation de produits revêtus d’une marque1345. Dans un arrêt relatif
à la promotion de produits de luxe, la Cour de justice a rappelé le principe selon lequel
« l’atteinte portée à la renommée de la marque peut, en principe, être un motif légitime au
sens de l’article 7, paragraphe 2, de la directive »1346 permettant de faire échec à la règle de
l’épuisement.
320. La protection du titulaire. En faisant référence à la réputation, les juges envisagent la
protection du titulaire1347. Il n’est pas question d’intérêt général, ni de fonction sociale teintée
d’un certain consumérisme1348. C’est ce que confirme la Cour de justice quand elle précise
que les intérêts mis en balance sont ceux du titulaire avec ceux des revendeurs employant la
marque1349.
321. Les justifications. Envisager la réputation comme un motif légitime n’est pas sans
susciter quelques réserves1350. La réputation n’aurait pas sa place dans l’objet spécifique1351.
1344
CJCE, 11 nov. 1997, aff. C-349/95, Loendersloot c/ Ballantine & Son e.a., Rec. 1997, p. I-6227, pt. 28.
V. CJCE, 4 nov. 1997, aff. C-337/95, Parfums Christian Dior c/ Evora, Rec. 1997, p. I.-6013; CJCE, 23 avr.
2009, aff. C-59/08, Copad, Rec. 2009, p. I-3421; PIBD 2009, n° 897, III, p. 1086 ; JCPE 2009, n° 27, 1675, obs.
C. CARON ; Comm. com. élect. 2009, n° 7, comm. n° 62, obs. C. CARON ; Propr. ind. 2009, n° 6, comm. n° 38,
obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL ; Europe 2009, n° 6, comm. n° 250, obs. L. IDOT ; JCPG 2009, act. 246, obs. F.
PICOD. V. sur cet arrêt, T. DE HAAN, L’effet de la violation du contrat de licence sur l’épuisement des droits de
marque, Propr. ind. 2009, n° 7-8, étude n° 14 ; E. TARDIEU-GUIGES, Droits de marque et contrat de licence. Un
élargissement du pouvoir des titulaires de marques de luxe à l’égard de leurs licenciés, Propr. intell. 2009, n° 32,
p. 251.
1346
CJCE, 4 nov. 1997, aff. C-337/95, Parfums Christian Dior c/ Evora, Rec. 1997, p. I.-6013, pt. 43.
1347
J. PASSA, Distribution et usage de marque, Litec 2002, n° 29, p. 36.
1348
Contra Le Professeur BONET semble pourtant voir dans cette exigence d’atteinte à la réputation ou à la
renommée « une importante garantie de qualité pour le consommateur ». La protection de l’image de la marque
dans la jurisprudence de la Cour de justice, in Les défis du droit des marques au XXIe siècle, Actes du Colloque
en l’honneur du Professeur Y. REBOUL, sous la direction de C. GEIGER et J. SCHMIDT-SZALEWSKI, Litec, CEIPI,
t. 56, 2010, p. 105, spéc. p. 122.
1349
CJCE, 4 nov. 1997, préc., pt. 44. La formule est également reprise dans l’arrêt Copad : « Il en résulte que,
lorsqu’un licencié vend à un soldeur des produits en violation d’une clause du contrat de licence, telle que celle
en cause au principal, il convient de mettre en balance, d’une part, l’intérêt légitime du titulaire de la marque
ayant fait objet du contrat de licence à être protégé contre un soldeur (…) qui emploie cette marque à des fins
commerciales d’une manière qui pourrait porter atteinte à la renommée de celle-ci et, d’autre part, l’intérêt du
soldeur à pouvoir revendre les produits en question en utilisant les modalités qui sont usuelles dans son secteur
d’activité », CJCE, 23 avr. 2009, préc., pt. 56.
1350
N. BOUCHE, L’objet spécifique du droit de marque, D. 2000, chron., p. 103.
1351
N. BOUCHE, préc., spéc. n° 7.
1345
263
D’autres au contraire1352, préfèrent y voir une extension de la fonction de garantie d’identité
d’origine1353. L’atteinte à la réputation par l’intermédiaire d’une mauvaise présentation serait
de nature à trahir la fonction d’identité d’origine. Enfin, pour certains, la Cour de justice vient
compléter la protection conférée par l’article 5, paragraphe 2 de la Directive 2008/951354.
Dans ce cadre, l’atteinte à la réputation constituerait une atteinte à une autre fonction de la
marque1355. C’est cette troisième hypothèse qui attire le plus notre attention. En effet,
envisager une autre fonction à la marque, basée sur la réputation, la notoriété ou la renommée,
semble être le sillon emprunté par la Cour de justice. L’approche adoptée par la Cour de
justice dans l’arrêt Interflora à propos de la fonction d’investissement fait indéniablement
écho à la jurisprudence rendue en matière d’épuisement1356. Dès lors, la fonction de protection
de la réputation devrait être envisagée de manière autonome indépendamment de la fonction
d’identification.
322. À l’instar des autres droits de propriété intellectuelle, la fonction d’exclusivité du droit
de marque est limitée à la première mise sur le marché consentie d’un produit marqué. Cette
limitation permet ainsi de concilier les intérêts des titulaires avec ceux du droit
communautaire. Si la jurisprudence relative à l’épuisement a permis cette conciliation, elle a
également permis d’affirmer l’importance de la fonction d’identification pour le titulaire et de
découvrir une autre fonction qui reste à déterminer1357. Il convient d’envisager à présent les
limites propres au droit des marques.
1352
G. BONET, Épuisement du droit de marque, reconditionnement du produit marqué : confirmations et
extrapolations, in Mélanges offerts à J.-J. BURST, Litec, 1997, p. 61, spéc. p. 82 ; G. BONET, Droit national de
marque et application du Traité de Rome. Ŕ Libre concurrence. Ŕ Libre circulation des marchandises, J.-Cl.
Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7600, 2005, n° 107 ; J. PASSA, Distribution et usage de marque, Litec 2002,
n° 29, p ; 35 ; D. LEFRANC, La renommée en droit privé, Defrénois, Coll. Doctorat et Notariat, t. 8, 2004, n° 156,
p. 138.
1353
Pour le Professeur BONET la référence à la réputation se justifie « à la fois par la fonction de garantie
reconnue à la marque et par la responsabilité de la qualité du produit ou du service que la jurisprudence de la
Cour attribue désormais, comme on l’a noté, au titulaire de la marque », RTDE 1998, p. 124.
1354
C. VILMART, Parfums de luxe et grands whiskies : les droit de propriété intellectuelle contre les importations
parallèles Ŕ Précisions sur la portée des exceptions à la règle d’épuisement du droit des marques et du droit
d’auteur, en droit français et communautaire, JCPE 1998, p. 1821 ; Épuisement des droits : la jurisprudence
française à la lumière des plus récentes décisions communautaires, RLDA 1999, n° 19, p. 3 et RLDA 1999, n°
20, p. 13. Contra D. LEFRANC, La renommée en droit privé, op. cit., n° 158, p. 140.
1355
G. BONET, Droit national de marque et application du Traité de Rome. Ŕ Libre concurrence. Ŕ Libre
circulation des marchandises, préc., n° 113.
1356
CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora e.a., non encore publié au Recueil, pt. 63. La Cour de justice
renvoie expressément à une décision rendue en matière de déconditionnement (CJUE, 12 juill. 2011, aff. C324/09, L’Oréal e.a., Rec. 2011, p. 00000), faisant ainsi le lien avec la jurisprudence rendue en matière
d’épuisement du droit.
1357
Cf. infra Partie 1, Titre 2.
264
II. La limitation propre au droit de marque
323. Le droit de marque est limité intrinsèquement par un certain nombre de règles. Ces
limitations peuvent prendre deux formes distinctes. Il y a celles qui concernent l’étendue du
droit de marque (A). Il y en outre les exceptions au sens strict du terme qui viennent limiter
l’exercice du droit de marque (B).
A. La limitation liée à l’étendue du droit de marque
324. Le droit de marque est limité quant à sa portée. Le titulaire du droit n’est pas en mesure
de profiter de la fonction d’exclusivité au-delà du cadre concurrentiel (1) et lorsque l’usage
qui est fait de sa marque ne l’est pas à titre de marque et dans la vie des affaires (2).
1. La fonction d’exclusivité limitée à la spécialité
325. Le droit de marque est limité par le principe de spécialité. Le titulaire ne peut bénéficier
de son droit au-delà du cadre concurrentiel. Avant d’envisager les justifications d’une telle
limitation de la fonction d’exclusivité (b), il convient d’envisager la définition et les
conséquences du principe de spécialité (a).
a. Le principe de spécialité dans le droit des marques
326. La relativité du droit de marque. Contrairement à ce qui a pu être affirmé par la
jurisprudence française1358, le droit de marque se caractérise par sa « relativité »1359. Le droit
de marque est relatif en ce sens qu’« il ne protège le signe qu’en tant qu’il désigne certains
1358
Douai, 1re ch., 28 sept. 1998, PIBD 1998, n° 665, III, p. 563 ; Paris, 14e ch., 13 oct. 1999, Comm. com. élect.
2000, n° 1, comm. n° 2, note C. CARON ; PIBD 2000, n° 704, III, p. 424 ; Cas. civ., 19 mars 1956, Ann. propr.
ind. 1958, p. 7. V. aussi, Cass. com., 23 nov. 1993, RDPI 1994, n° 51, p. 64. La Cour de cassation n’hésitait pas
ainsi à juger que « la contrefaçon résulte de la reproduction des éléments caractéristiques d’un signe protégé au
titre de la marque, quelle que soit l’utilisation qui en est faite ».
1359
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 36, p. 47. V. également P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 2,
Sirey, 1954, n° 255, p. 524. Pour ROUBIER, le droit de marque est un droit relatif en le sens où le titulaire « ne
peut l’invoquer qu’à l’encontre de ses concurrents. (…) L’intérêt de la marque est donc restreint à l’industrie
envisagée et aux industries similaires ». Il convient en outre de préciser que cette relativité s’applique non
seulement au droit de marque mais également à tous les signes distinctifs. V. sur ce point l’étude de référence en
la matière, A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété
intellectuelle, t. 24, 2004.
265
produits ou services »1360. On dit alors que la marque a un caractère spécial ou que le droit de
marque est gouverné par le principe de spécialité1361.
Ce principe peut être défini « comme le principe selon lequel la réservation d’un élément à
titre de signe distinctif est limitée à la désignation d’un ou de plusieurs produits, services ou
activités déterminés »1362. Il constitue l’un des éléments essentiels du droit de marque1363. Il
s’agit en effet d’un principe directeur permettant non seulement d’appréhender l’existence1364
du droit, mais également son exercice1365. De ce principe de spécialité découle une règle : la
règle de la spécialité. Comme le précise Monsieur BOUVEL, « en vertu de cette règle,
l’exploitant d’un signe distinctif peut être protégé contre l’usage par un tiers d’un signe
postérieur identique ou similaire à condition que ce signe désigne des produits, services ou
activités identiques ou similaires »1366.
Le principe de spécialité est aujourd’hui consacré à l’article L. 713-1 du Code de la propriété
intellectuelle qui dispose : « L’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de
propriété sur cette marque pour les produits et services qu’il a désignés »1367. Le droit de
1360
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 36, p. 47. La marque s’oppose en cela au
droit d’auteur ou au brevet qui permet au titulaire de ce droit « de s’opposer à toute exploitation de l’objet de son
droit, même à des fins ou dans un secteur d’activité différent », V. également, A. BOUVEL, Principe de spécialité
et signes distinctifs, op. cit., n° 8, p. 4 ; P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 6, p. 21.
ROUBIER souligne que « Le droit qui résulte des créations nouvelles est beaucoup plus complet que celui qui
résulte des signes distinctifs. Car le monopole qui résulte des brevets d’invention, ou des dessins et modèles, est
un droit absolu, qui fait obstacle à toute production de même nature que celle qui est protégée. Au contraire, le
droit qui résulte des signes distinctifs est un droit relatif qui n’existe que vis-à-vis des concurrents directs, pour
éviter toute confusion et toute fraude des industries similaires ». V. aussi, M. VIVANT, Des droits finalisés, in
Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz, 2001, p. 11.
1361
Monsieur BOUVEL précise dans son étude relative au principe de spécialité des signes distinctifs qu’il est
possible de parler « indifférement du principe de spécialité, du caractère spécial ou même de la spécialité de
principe des signes distinctifs ; ces locutions doivent être considérées comme synonymes », A. BOUVEL, op. cit.,
n° 8, p. 4.
1362
A. BOUVEL, op. cit., n° 8, p. 4.
1363
A. BOUVEL, op. cit., n° 8, p. 4.
1364
V. F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n°
1299, p. 714. Cet auteur note que « c’est en considération de la spécialité, c’est-à-dire des produits ou services
désignés, que l’on appréciera la disponibilité ou la nouveauté du signe, sa distinctivité et sa déceptivité ».
1365
F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 1299, p. 714: « Il n’y aura contrefaçon que si le signe est repris pour
désigner des produits ou services identiques ou similaires. On verifiera aussi le respect de l’obligation
d’exploiter en se référant à la règle de spécialité ».
1366
A. BOUVEL, op. cit., n° 9, p. 4. Comme le souligne parfaitement Monsieur BOUVEL, les deux notions doivent
être distinguées. La règle de spécialité ne concerne que l’hypothèse du règlement d’un litige relatif à l’usurpation
d’un signe distinctif. Il ne s’agit donc que d’un aspect du principe de spécialité.
1367
Cette disposition ne fait pas référence directement au principe de spécialité mais « elle admet néanmoins son
existence puisqu’elle énonce en substance que la réservation exclusive accordée au titulaire d’une marque est
limitée à la désignation d’une ou de plusieurs spécialités », A. BOUVEL, op. cit., p. 9. Il est étonnant de constater
que cet article issu de la loi du 4 janvier 1991 est le premier à consacrer, implicitement, le principe de spécialité.
En effet, même si ce principe était ancré dans la doctrine et dans la jurisprudence, on n’en retrouvait nulle trace
dans la loi du 23 juin 1857 et celle du 31 décembre 1964. V. pour la doctrine antérieure, E. P OUILLET, Traité des
marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, LGDJ, Marchal & Billard, 6 éd., 1912, n° 22,
p. 27. Cet auteur soulignait que « la marque est spéciale, en ce sens qu’elle ne s’applique qu’à la catégorie de
266
marque ne permet pas d’être protégé au-delà du cadre concurrentiel ; il n’assure pas « au
titulaire de la marque une réservation du signe « en soi ». Il ne crée d’abord de droit qu’à
propos des produits et services désignés »1368. La fonction d’exclusivité s’en trouve ainsi
fortement limitée.
327. Les conséquences du principe de spécialité. Eu égard à la règle de la spécialité, la
protection du titulaire est limitée à l’utilisation qui pourrait être faite de son signe pour des
produits identiques et similaires à ceux désignés dans l’enregistrement. C’est ce que traduisent
les différents textes du Livre VII relatifs aux atteintes au droit de marque. Bien qu’une grande
disparité existe entre les comportements envisagés, ils restent liés par un « dénominateur
commun »1369 : la règle de spécialité1370.
Les tiers non concurrents sont par conséquent théoriquement libres de pouvoir utiliser un
signe identique ou similaire à une marque enregistrée pour désigner des produits différents.
Comme le souligne le Professeur POLLAUD-DULIAN, « hors de la spécialité (…), il n’y a pas
de contrefaçon, car le droit exclusif s’arrête aux frontières de la spécialité »1371. Au-delà du
cadre concurrentiel, le droit de marque n’existe plus1372.
La fonction d’exclusivité du droit de marque est ainsi limitée par le principe de spécialité, le
titulaire ne pouvant invoquer son droit exclusif à l’encontre de tiers utilisant son signe pour
des produits différents1373. Dès lors, la fonction du droit de marque peut être envisagée
comme étant une fonction d’exclusivité dans la spécialité.
328.Après avoir envisagé la place du principe de spécialité dans le droit de marque, il semble
opportun d’envisager les justifications de cette limitation.
produits pour lesquels elle a été créée ». V. pour la jurisprudence antérieure, T. civ. Seine, 6 avr. 1866, Ann.
propr. ind. 1866, p. 170, T. civ. Seine, 21 nov. 1913, Ann. propr. ind. 1914, p. 59.
1368
M. VIVANT, Des droits finalisés, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz, 2001, p. 11.
1369
A. BOUVEL, op. cit., n° 548, p. 277.
1370
V. sur ce point, A. BOUVEL, op. cit., n° 613, p. 277.
1371
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1629, p. 946.
1372
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 36, p. 47.
1373
Le tiers pourra cependant être sanctionné par le biais de l’article L. 713-5 du Code de la propriété
intellectuelle relatif à la protection de la marque renommée. La reprise du signe hors de la spécialité n’est pas
considérée comme contrefaisante. Elle peut cependant constituer un comportement permettant d’engager une
responsabilité civile spécifique de son auteur. V. F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 1629, p. 946 ; J. PASSA, op.
cit., n° 38, p. 49. Cet auteur note que « ce n’est que dans des hypothèses bien particulières, et sans d’ailleurs
déroger à strictement parler au principe de spécialité, que le Code octroie à une marque une certaine protection
au-delà du cercle des produits ou services pour lesquels elle est enregistrée ».
267
b. Les justifications au principe de spécialité
329. Les justifications au principe de spécialité sont de deux ordres. Le droit de marque étant
par principe attentatoire au principe de liberté du commerce et de l’industrie, il était impératif
de trouver un point d’équilibre permettant aux titulaires d’exercer leurs prérogatives sans pour
autant que l’atteinte à ce principe soit trop grande (i). L’autre justification est d’ordre
sémiotique. C’est la fonction même de la marque qui permet de comprendre la règle de la
spécialité (ii).
i. La libre concurrence comme justification à la règle de la spécialité1374
330. La garantie de la liberté du commerce et de l’industrie. La reconnaissance d’un droit
de marque au profit d’un sujet de droit implique une atteinte à la liberté du commerce et de
l’industrie, la réservation du signe entraînant l’impossibilité pour ses concurrents d’utiliser
cette marque dans l’exercice de leurs activités1375. Afin de concilier le droit de marque avec ce
principe, il était nécessaire de recourir à un garde fou, en vue d’empêcher le titulaire d’exercer
son droit de manière « absolue », à l’encontre de tous les opérateurs économiques. La règle de
la spécialité permet cette conciliation et préserve le principe de la liberté du commerce et de
l’industrie1376. Elle en seraient même le « garant »1377.
Pour reprendre la formule de Monsieur BOUVEL dans son étude consacrée au principe de
spécialité, la règle de la spécialité est le point d’équilibre « en deçà de laquelle les signes
distinctifs ne constituent pas une menace pour la liberté du commerce et ne peuvent que lui
être profitables »1378.
La limitation de la fonction d’exclusivité par la règle de la spécialité trouve également sa
source dans la fonction du signe utilisé à titre de marque.
1374
Comme l’explique Monsieur BOUVEL, le principe de la liberté du commerce et de l’industrie se divise en
deux pans. Le premier implique la libre entreprise, « c'est-à-dire la faculté pour toute personne d’accéder
librement à l’exercice d’une profession commerciale ». Le second implique « la liberté pour tout commerçant de
conquérir la clientèle de ses concurrentes », A. BOUVEL, op. cit., n° 2, p. 1.
1375
Monsieur BOUVEL note également que la relation entre signes distinctifs et liberté du commerce et de
l’industrie est paradoxale. D’un côté, les signes distinctifs sont des instruments qui contribuent sans conteste à la
liberté de la concurrence. Dans le même temps, il s’agit d’une restriction apportée à cette liberté, A. B OUVEL, op.
cit., n° 4, p. 2.
1376
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1299, p. 714.
1377
A. BOUVEL, op. cit., n° 7.
1378
A. BOUVEL, op. cit., n° 6, p. 3.
268
ii. La fonction de la marque comme justification au principe de spécialité
331. Le recours à la sémiotique. La marque est un signe, c'est-à-dire la combinaison d’un
signifiant et d’un signifié. Le signe utilisé à titre de marque, le signifiant, ne peut être
envisagé indépendamment de son signifié, à savoir les produits et services désignés dans
l’enregistrement. Le droit de marque a pour unique vocation de venir réserver et protéger le
signe, entendu comme relation entre un signifiant et un signifié. Le droit de marque ne permet
pas de réserver un signifiant identique ou similaire ayant un signifié différent.
La fonction d’identification s’exerce à l’égard de produits et services déterminés. Lorsqu’on
dit que le droit de marque ne permet pas de protéger la marque en tant que telle1379, cela
signifie qu’il ne permet pas de réserver le signifiant en tant que tel de manière absolue1380,
mais uniquement dans sa relation avec un signifié déterminé. C’est tout naturellement que le
droit de marque porte « sur le signe dans son rapport au produit ou service qu’il
désigne »1381. Autrement dit, la nature même de la marque, dans sa fonction d’identification,
justifie le principe de spécialité. Comme le résume parfaitement le Professeur POLLAUDDULIAN, « la fonction d’identification a pour conséquence (…) de limiter le monopole au
secteur de spécialité du titulaire de la marque »1382.
332. En sus d’être limité à la spécialité, le droit de marque est également limité par l’usage
qui peut être fait du signe.
1379
M. VIVANT, Des droits finalisés, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz, 2001, p. 11: « Le
droit des marques n’assure pas au titulaire de la marque une réservation du signe « en soi » ».
1380
D’ailleurs, contrairement à l’usage qui en est fait et surtout contrairement au champ sémantique de ce terme,
il serait plus opportun de nommer le signe signifiant. Le signe est la combinaison des deux. Umberto ECO relève
dans son ouvrage relatif au Signe, la difficulté d’appréhender ce terme: « En théorie, nous ne devrions même pas
utiliser le terme /signe/, tant il est ambigu et trompeur. Mais la définition du dictionnaire, qui reproduit les
ambiguïtés de l’usage courant, nous suggère que, derrière cette ambiguïté, il doit bien exister une série de
constantes sémiotiques que, par commodité, nous désignerons par ce terme /signe/ ». U. ECO, Le signe Ŕ
Histoire et analyse d’un concept, LGF/Livre de Poche, 2002, p. 40.
1381
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1299, p. 714.
1382
F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 1298, p. 713. V. également dans le même sens, J. PASSA, Traité de droit de
la propriété industrielle, op. cit., n° 37, p. 48. Pour le Professeur PASSA, le principe de spécialité est justifié par le
fait que le droit de marque est octroyé dans le but de « permettre à un opérateur de désigner ses produits ou
services pour les distinguer, sans confusion possible, de ceux de ses concurrents, comme l’indique la définition
de l’article L. 711-1 ». Cet auteur continue en concluant qu’il est logique que « le signe enregistré ne soit
protégé que dans les limites de sa finalité ». Plus tard dans ses développements, il souligne « En raison de la
fonction d’identification de produits ou services déterminés assignée au signe qu’il a pour objet, le droit de
marque ne protège pas le signe en lui-même, contre toute forme d’exploitation non autorisée, mais seulement la
relation de ce signe avec ces produits ou services – précisément ceux énumérés dans l’enregistrement, qui ont
vocation à être désignés sous la marque », n°231, p. 276.
269
2. La fonction d’exclusivité limitée à l’usage à titre de marque dans la vie des
affaires
333. La relativité de la réservation opérée par le droit de marque ne se traduit pas uniquement
par le principe de spécialité. L’article 5, paragraphe 1 de la Directive 2008/95 prévoit que le
titulaire de la marque est en mesure d’interdire un usage1383 de son signe pour des produits ou
des services dans la vie des affaires. Ainsi, en vue de sanctionner le tiers utilisant le signe
déposé à titre de marque (b), l’usage qu’il en fera devra être dans la vie des affaires (a).
a. Une fonction d’exclusivité limitée à la vie des affaires1384
334. L’absence de précision dans le droit français. La Directive marque se veut
particulièrement précise : seul un usage dans la vie des affaires peut être interdit par le
titulaire de la marque. Bien que la formule n’ait pas été reprise dans le Code de la propriété
intellectuelle, il ne fait aucun doute que cette exigence doit trouver à s’appliquer en droit
français, la Directive et notamment son article 5, procédant à une harmonisation complète et
définissant le droit exclusif dont jouissent les titulaires de marques dans la Communauté1385.
335. La signification. Bien que la notion d’usage dans la vie des affaires soit une notion
primordiale, le législateur communautaire n’a pas cru bon d’en préciser le sens. Il était
nécessaire d’attendre que les juges communautaires se prononcent sur sa portée. La Cour de
justice a ainsi précisé dans l’arrêt Arsenal que l’usage dans la vie des affaires est celui qui « se
situe dans le contexte d’une activité commerciale visant à un avantage économique et non
dans le domaine privé »1386. Il s’agissait d’une précision, certes, mais d’une précision peu
précise1387.
1383
Il n’est pas utile de revenir ici sur l’acception du terme usage pour la Directive marque. Comme précisé par
ailleurs, l’usage doit être entendu non pas au sens du droit français visé par les articles L. 713-2 et L. 713-3 du
Code de la propriété intellectuelle mais plus largement comme synonyme d’exploitation ou d’utilisation d’un
signe. V. notamment, J. PASSA, Pot-pourri de questions de droit des marques sous influence communautaire,
note sous Paris, 1er juin 2005, D. 2005, juris., p. 2467.
1384
V. notamment sur la question, J. CANLORBE, L’usage dans la vie des affaires, condition nécessaire de la
contrefaçon des marques, Legicom 2010, n° 44, p. 107.
1385
CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal football club, Rec. 2002, p. I-10273, pt. 43.
1386
CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal football club, Rec. 2002, p. I-10273, pt. 40. V. également,
CJCE, 25 janv. 2007, aff. C-48/05, Adam Opel AG, Rec. 2007, p. I-1017; CJCE, 11 sept. 2007, aff. C-17/06,
Céline, Rec. 2007, p. I-7041, pt. 17 ; CJCE, 12 juin 2008, C-533/06, O2 Holdings ET O2, Rec. 2008, p. I-4231,
pt. 60 ; CJCE, ord., 19 févr. 2009, aff. C-62/08, UDV North America, Rec. 2009, p. I-1279, pt. 44.
1387
Le Professeur PASSA critique abondamment cette définition. Pour cet auteur, cette définition apparaît comme
peu précise en ce sens qu’il est délicat pour certaines activités de déterminer si elles permettent de procéder à un
usage dans la vie des affaires. Il cite ainsi, à titre d’exemple, l’activité d’une association sans but lucratif. J.
PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles,
270
L’accord sur les ADPIC apporte également des éléments permettant de mieux appréhender
cette notion. Il envisage l’usage dans la vie des affaires comme un usage « au cours
d’opérations commerciales »1388. C’est cette dernière formule qui semble devoir retenir
l’attention, plus que celle de l’arrêt Arsenal1389. L’avocat général COLOMER avait retenu une
approche similaire dans ses conclusions rendues dans l’affaire Arsenal en considérant que
l’usage dans la vie des affaires est l’utilisation faite de la marque « dans les échanges
commerciaux qui ont pour objet, précisément, de distribuer des biens ou des services sur le
marché. Il s’agit, en résumé, d’une utilisation commerciale »1390.
En conséquence, l’usage dans la vie des affaires d’une marque ne doit donc pas
nécessairement être perpétré par un commerçant, c'est-à-dire qu’il soit commercial « au sens
strict du terme en droit français »1391. Il doit s’entendre d’un usage « dans l’exercice d’une
activité professionnelle ou dans l’ « univers économique » »1392. En outre, l’exigence d’usage
dans la vie des affaires n’implique pas nécessairement une offre directe à la clientèle1393. Un
LGDJ, 2e éd., 2009, n° 237, p. 288. V. également, E. BAUD, Réflexion sur la notion d’usage du signe dans
l’acquisition et dans la conservation du droit sur la marque communautaire, Propr. ind. 2006, n° 3, étude n° 10.
1388
L’article 16, 1 de l’Accord de Marrakech du 15 avril 1994, instituant l’Organisation mondiale du
commerce ; Annexe 1 C : Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.
1389
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 237, p. 288.
1390
D. R-J COLOMER, Concl., 13 juin 2002, aff. C-206/01, Arsenal, pt. 62.
1391
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 237., p. 289. V. également J. SCHMIDTSZALEWSKI, Marques de fabrique, de commerce ou de service, Rép. com. Dalloz, 2006 (dernière mise à jour juin
2011), n° 441. Pour cet auteur, l’usage dans la vie des affaires est « un usage dans l’exercice d’une activité
professionnelle, qui n’est pas nécessairement de nature strictement commerciale ».
1392
J. PASSA, op. cit., n° 237, p. 288. V. sur l’utilisation de l’expression « univers économique », CA Paris, 1er
juin 2005, D. 2005, p. 2467, note J. PASSA. V. pour une autre définition, J. CANLORBE, L’usage de la marque
d’autrui, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 31, 2007, n° 240, p. 320. Cet auteur propose
de retenir que l’usage économique est constitué « lorsque le signe accompagne ou est destiné à accompagner ou
valoriser, directement ou non, l’offre d’un produit ou service auprès du consommateur ».
1393
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 238, p. 289. Comme le note le Professeur
PASSA, « Des actes de reproduction ou imitation du signe dans la phase de fabrication des produits litigieux
avant leur offre au public, ou de préparation de prestations de services, ou des actes de détention de produits
marqués en vue d’une future commercialisation, sont déjà accomplis dans la vie des affaires et donc susceptibles
de relever du droit exclusif ». V. cependant, Paris, 1er juin 2005, D. 2005, p. 2467, note J. PASSA. Dans cette
affaire, la Cour d’appel de Paris précisa que « l’usage dans la vie des affaires qui renvoie à l’univers
économique suppose l’existence d’un lien avec le client et ne peut s’entendre de la circulation de marchandises
entre filiales appartenant au même groupe dans un but de gestion et d’organisation interne (…). Le fait de
commercialiser des produits, jamais offerts en France à la vente sous la marque litigieuse, détenus uniquement
en vue de leur expédition ne peut être considéré comme un usage dans la vie des affaires et n’est donc pas
susceptible de porter atteinte à l’objet spécifique du droit de marque ». La Cour d’appel procéda dans cette
affaire à une interprétation restrictive de la vie des affaires en prenant en compte le lien avec un client. La
doctrine n’a pas manqué de critiquer cette vision des choses. Admettre que l’usage dans la vie des affaires est
conditionné par une offre au public reviendrait à remettre en cause la contrefaçon pour détention, pour
reproduction dès lors que celle-ci est opérée dans une usine. Comme l’explique parfaitement le Professeur
PASSA, l’erreur de la Cour d’appel de Paris est d’avoir interprété l’usage de l’article 5, paragraphe 1 comme
l’usage des articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle qui vise particulièrement les cas
d’une exploitation publique du signe. J. PASSA, op. cit., n° 238. La Cour de cassation est venue casser l’arrêt de
la Cour d’appel en précisant notamment que le motif « selon lequel l’usage d’un signe imitant une marque
enregistrée, de même que la détention de produits ainsi marqués dans le cadre d’un processus de production et
de commercialisation de marchandises, fussent-elles destinées à l’exportation, ne constitueraient pas des actes
271
usage à titre privé ne peut par conséquent s’entendre d’un usage interne à une entreprise. Les
actes préalables à la mise dans le commerce effective sont considérés comme accomplis dans
la vie des affaires.
336. La justification. L’exigence d’usage dans la vie des affaires est justifié par des intérêts
supérieurs. Ainsi, au titre de la liberté d’expression1394, la marque doit pouvoir être utilisée à
des fins d’information ou des fins humoristiques sans risquer de se faire sanctionner sur le
terrain de la contrefaçon.
337. L’application aux hypothèses d’utilisation de marque à des fins humoristiques ou
militantes1395. La marque peut s’avérer être une arme pour ceux qui la détournent à des fins
parodiques ou militantes. Les titulaires mécontents de l’usage fait de leurs marques à de telles
fins souhaitaient faire sanctionner ces usages au titre du droit de marque.
Les doutes et les incohérences de la jurisprudence à ce sujet1396 ont laissé place aujourd’hui à
une solution qui ne peut qu’être saluée. Dans l’arrêt du 17 novembre 20061397, la Cour d’appel
d’usage du signe dans la vie des affaires » était erroné. Cass. com., 10 juill. 2007, JCPE 2007, 2269, note
J. PASSA; PIBD 2007, n° 859, III, p. 562. V. également, J. PASSA, La contrefaçon de marque et l’exigence d’une
mise dans le commerce, Propr. ind. 2008, n° 5, étude n° 10.
1394
Art. 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des
opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer
librement sauf à repondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; Art. 10 de la
Convention Européenne des droits de l’homme : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit
comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans
qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ». Il est possible de
constater d’ailleurs que la question de l’usage dans la vie des affaires est souvent accompagnée de la question de
la parodie en droit des marques. V. par exemple, J. PASSA, Les conditions générales d’une atteinte au droit sur
une marque, Propr. ind. 2005, n° 2, étude n° 2 ; Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres
signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 239, p. 291 ; J. SCHMIDT-SZALEWSKI, Marques de
fabrique, de commerce ou de service, Rép. com. Dalloz, 2006 (dernière mise à jour juin 2011), n° 443.
Concernant l’utilisation de la marque à des fins d’informations, Monsieur CANLORBE note qu’il serait possible
de voir dans cette jurisprudence « une application implicite de l’adage de minimis non curat praetor ou d’une
règle de raison. Dans la très grande majorité des cas en effet, le préjudice subi par le titulaire d’une marque
citée à des fins d’informations du public est soit inexistant, soit tellement infime qu’il ne justifie pas la sanction
judiciaire de la contrefaçon », J. CANLORBE, Contrefaçon de marque. Ŕ Usage illicite de marque, J.-Cl. Marques
Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7513, 2010, n° 36.
1395
V. notamment, V. RUZEK, La parodie en droit des marques, Propr. ind. 2005, n° 4, étude n° 11 ; S.
DURRANDE, La parodie, le pastiche et la caricature, in Mélanges en l’honneur de A. FRANÇON, Dalloz, 1995, p.
133 ; E. BAUD & S. COLOMBET, La parodie de marque : vers une érosion du caractère absolu des signes
distinctifs ?, D. 1998, chron., p. 227 ; P. TRÉFIGNY, A. BERTRAND, Y. REBOUL, L’usage de la marque d’autrui Ŕ
parodie, critique, boycott, in Les clairs-obscurs de la propriété intellectuelle, Colloque, Grenoble, 6 déc. 2001,
Transactive, 2004, p. 73 ; Y. REBOUL, L’usage non contrefaisant de la marque d’autrui, in Festschrift für G.
KOLLE und D. STAUDER, Carl HEYMANNS Verlag, 2005, p. 515.
1396
La jurisprudence s’est prononcée dans le sens d’une protection absolue de la marque en considérant que le
fait de parodier ou de détourner à des fins militantes un signe enregistré à titre de marque pouvait constituer une
contrefaçon. V. Paris, 4 mars 1959, D. 1960, p. 26, obs. H. DESBOIS ; Paris, 21 nov. 1989, PIBD 1990, n° 481,
III, p. 422 ; TGI Paris, ord. réf., 23 avr. 2001, Propr. intell. 2001, n° 1, p. 89, note J. PASSA ; TGI Paris, ord. réf.,
14 mai 2001, RIPIA 2001, n° 204, p. 34 ; Comm. com. élect. 2001, n° 7-8, comm. n° 70, obs. J. HUET ; Propr.
272
de Paris s’est référée à la notion d’exigence d’usage dans la vie des affaires pour écarter le
grief de la contrefaçon. Cette solution relève du bon sens et s’avère être logique au regard des
prescriptions communautaires. L’utilisation d’un signe enregistré à titre de marque à des fins
militantes ou parodiques ne peut pas, par conséquent, entrer dans la sphère de protection
conférée par le droit de marque. Le droit de marque est limité ab initio et il devient inutile
pour le défendeur d’invoquer la liberté d’expression.
L’exigence d’usage dans la vie des affaires implique de ne pas « arbitrer un conflit entre un
droit de marque et la liberté d’expression »1398. Il devient dès lors inutile d’envisager
l’existence d’une quelconque exception de parodie au droit de marque1399.
Pour autant, le titulaire de la marque ne sera pas démuni face à l’usage à des fins
humoristiques ou militantes de sa marque. Il peut décider de recourir au droit commun de la
responsabilité ou encore agir sur le terrain de la diffamation1400.
intell. 2001, n° 1, p. 89, note J. PASSA ; TGI Paris, 4 juill. 2001, Propr. intell. 2001, n° 1, p. 89, note J. PASSA ;
RIPIA 2001, n° 206, p. 12 ; LPA 2001, 18 sept., p. 11, note CUZACQ ; Paris, 28 nov. 2001, Gaz. Pal., 2002, 13
juill., p. 40, note M.-E. HAAS & V. BRUNOT. La jurisprudence a également envisagé l’argument de l’usage dans
la vie des affaires pour rejeter le grief de contrefaçon. V. Paris, 26 févr. 2003, 2 arrêts, D. 2003, juris, p. 1831,
note B. EDELMAN et somm. comm., p. 2685, obs. S. DURRANDE ; Comm. com. élect. 2003, n° 4, comm. n° 38,
obs. C. CARON; Légipresse 2003, n° 200, III, p. 41, note E. BAUD & S. COLOMBET ; PIBD 2003, n° 766, III, p.
323 ; Propr. intell. 2003, n° 8, p. 322, obs. V.-L. BÉNABOU et n° 9, p. 458, obs. M. VIVANT ; Propr. ind. 2003,
comm. n° 40, obs. P. TRÉFIGNY. Le fondement juridique permettant d’écarter le grief de contrefaçon pour de tels
comportements n’était pourtant pas clair et l’argumentation de la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 30 avril
2003 laissait apparaître un raisonnement sur le terrain du droit de marque en faisant expressément référence au
risque de confusion. Paris, 30 avr. 2003, D. 2003, act. juris, p. 1760, obs. C. MANARA et somm. comm., p. 2685,
obs. S. DURRANDE ; Propr. intell. 2003, n° 8, p. 322, obs. V.-L. BÉNABOU.
1397
Paris, 17 nov. 2006, Propr. ind. 2007, n° 1, comm. n° 6, obs. P. TREFIGNY ; PIBD 2007, n° 845, III, p. 92.
Les juges ont ainsi précisé que « l’incidence qu’aurait l’usage des sigles modifiés sur les sites internet des
appelantes, dans la vie des affaires, est, en l’occurrence, inopérante pour apprécier l’existence d’une
contrefaçon au sens du droit des marques ».
1398
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 239, p. 291
1399
V. par exemple C. GEIGER, Marques et droit fondamentaux, in Les défis du droit des marques au XXIe
siècle, Actes du Colloque en l’honneur du Professeur Y. REBOUL, sous la direction de C. GEIGER et J. SCHMIDTSZALEWSKI, Litec, CEIPI, t. 56, 2010, p. 163 et plus particulièrement p. 175.
1400
L’absence d’atteinte au droit de marque n’implique pas non plus une totale impunitée pour l’auteur de la
parodie ou du détournement. En effet, ce dernier peut être condamné sur le terrain de la responsabilité civile
délictuelle de droit commun dans l’hypothèse d’un abus de liberté d’expression. Trop de liberté d’expression, tue
la liberté d’expression. La Cour de cassation a donné les clés de l’interprétation de l’abus de liberté d’expression
dans arrêt du 19 octobre 2006 : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’en utilisant des éléments du décor des paquets
de cigarettes de marque « Camel », à titre d’illustration, sur un mode humoristique, dans des affiches et des
timbres diffusés à l’occasion d’une campagne générale de prévention à destination des adolescents, dénonçant
les dangers de la consommation du tabac, produit nocif pour la santé, le CNMRT, agissant conformément à son
objet, dans un but de santé publique, par des moyens proportionnés à ce but, n’avait pas abusé de son droit de
libre expression », Cass. civ., 2ème ch., 19 oct. 2006, JCPG 2006, II, 10195, note F. POLLAUD-DULIAN ; Contr.
conc. consom. 2006, n° 1, comm. n° 22, obs. MALAURIE-VIGNAL ; Propr. ind. 2007, n° 1, comm. n° 5, obs.
P. TRÉFIGNY. Trois conditions doivent donc être réunies pour pouvoir engager la responsabilité de l’auteur du
détournement. Le détournement de la marque doit poursuivre un but légitime d’intérêt général et ne doit pas être
fait dans la seule intention de nuire au titulaire. Le but légitime en question doit être conforme à l’objet social du
groupement poursuivi. Enfin, les moyens employés doivent être proportionnés au but poursuivi. V. également,
Cass. civ, 8 avril 2008, PIBD 2008, n° 876, III, p. 372 ; Comm. com. élect. 2008, n° 6, comm. n° 77, obs.
C. CARON.
273
338. La citation de la marque à des fins d’information. La limitation de la fonction
d’exclusivité à la vie des affaires permet également que la marque soit citée librement à des
fins d’information. La jurisprudence française a très tôt reconnu le droit de citer librement la
marque dans un but d’information1401.
Le titulaire de la marque peut néanmoins prétendre bénéficier de son droit de marque si
l’usage qui est fait de sa marque a « en lui-même un but commercial, c'est-à-dire que la
marque est utilisée pour favoriser la commercialisation de produits ou services auprès du
consommateur »1402.
En outre, comme en matière de détournement à des fins parodiques, le titulaire de la marque
pourrait éventuellement tenter d’engager la responsabilité civile de l’auteur de la citation, si
cette dernière était considérée comme fautive1403.
339. L’utilisation de la marque dans un contexte artistique. Dans le même ordre d’idée,
l’utilisation d’une marque dans un contexte artistique ne constitue pas un usage dans la vie
des affaires. Comme le note un auteur, « l’exclusivité conférée par le droit privatif ne peut
constituer une entrave illégitime à la liberté de création. Il serait pour le moins singulier de
permettre au titulaire d’une marque d’en user pour s’opposer à l’emploi de sa marque dans
un tel contexte »1404. Ainsi, même si les titulaires des marques utilisées tentent d’agir sur le
terrain de la contrefaçon pour de tels usages, la jurisprudence semble peu encline à répondre à
leurs attentes1405.
1401
Paris, 20 déc. 1974, Ann. propr. ind. 1975, p. 103. Les juges ont ainsi affirmé que « le seul fait, par l’auteur
d’un ouvrage littéraire ou scientifique, de citer dans son livre la marque d’un produit (…) ne saurait constituer
une atteinte, au sens de la loi du 31 décembre 1964, au droit privatif que confère au propriétaire de cette
marque le dépôt qu’il a régulièrement fait ». V. aussi, Paris, 20 déc. 1978, Ann. propr. ind. 1980, p. 116.
1402
J. CANLORBE, Contrefaçon de marque. Ŕ Usage illicite de marque, préc., n° 37. V. pour un usage non
contrefaisant, TGI Paris, 22 févr. 1995, PIBD 1995, n° 587, III, p. 257. Dans cette affaire, les juges ont affirmé
que « pour être répréhensible, l’usage d’une marque doit être fait à des fins commerciales ou publicitaires ;
qu’en revanche, l’usage dans un but d’information ne constitue pas une contrefaçon ». V. pour un usage
contrefaisant, Paris, 12 déc. 2001, PIBD 2002, n° 740, III, p. 196 ; Comm. com. élect. 2002, n° 2, comm. n° 20,
obs. C. CARON; Propr. ind. 2002, n° 2, comm. n° 24, obs. P. KAMINA ; JCPE 2003, 1508, n° 11, obs. A.
ZOLLINGER.
1403
Tel sera notamment le cas dans l’hypohèse où cette citation revêt un caractère erroné. V. Paris, 14 déc. 2005,
JCPE 2006, 1809, note A. VIANDIER.
1404
J. CANLORBE, L’usage de la marque d’autrui, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 31,
2007, n° 295, p. 401.
1405
V. pour la reproduction d’une marque désignant des services de livraison de pizzas à domicile dans une
émission de télévision, TGI Paris, 15 nov. 1995, PIBD 1996, n° 605, III, p. 100. V. pour l’usage d’une marque
dans les dialogues d’une série télévisée, TGI Paris, 11 oct. 2000, RDPI 2001, n° 126, p. 13. V. pour l’usage
d’une marque dans une émission télévisée, Paris, 26 oct. 1994, PIBD 1995, n° 579, III, p. 8. V. cependant une
affaire où la représentation d’une célèbre marque figurative de luxe comme fond de jaquette de disque a été
considérée comme portant atteinte à la renommée de la marque, sur le fondement de l’article L. 713-5 du Code
de la propriété intellectuelle, Cass. com., 11 mars 2008, PIBD 2008, III, p. 345 ; D. 2008, p. 917, obs. J. DALEAU
; Propr. ind. 2008, n° 6, comm. n° 39, obs. P. TRÉFIGNY-GOY.
274
340. L’utilisation de la marque comme « AdWord ». Dans l’arrêt Google du 23 mars
20101406, la Cour de justice s’est expressément référée au critère de l’usage dans la vie des
affaires pour écarter la responsabilité sur le terrain du droit de marque du prestataire de
service de référencement. La Cour de justice affirma que même si le prestataire du service de
référencement opère dans la vie des affaires, ce dernier ne fait pas « une utilisation du signe
dans le cadre de sa propre communication commerciale ». La Cour de justice rajoute ici un
élément de complexité à la notion d’usage dans la vie des affaires. Il aurait été sans doute
préférable que la Cour de justice fasse référence au critère d’usage à titre de marque1407.
b. Une fonction d’exclusivité limitée à l’usage à titre de marque
341. L’absence de référence expresse dans les textes. En sus de devoir être fait dans la vie
des affaires, l’usage doit également l’être à titre de marque. Exiger que l’usage soit fait à titre
de marque signifie qu’il doit être utilisé pour distinguer des produits et des services.
L’exigence n’est pas aussi explicite que celle relative à la vie des affaires. Elle se déduit
néanmoins de l’article 5, paragraphe 1 de la Directive marque qui envisage l’usage pour des
produits ou services. On retrouve la même référence dans les textes français, aux articles L.
713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle.
Dans ses conclusions rendues dans l’affaire Matratzen Concord, l’avocat général JACOBS a
d’ailleurs interprété l’article 5, paragraphe 1 en ce sens : « cette disposition ne confère pas au
titulaire de la marque le droit de s’opposer à l’utilisation par des tiers d’un signe identique
ou similaire lorsque ce signe est utilisé à des fins autres que celles de distinguer l’entreprise
de provenance des produits concernés, et qu’il n’y a pas de risque que les consommateurs le
prennent pour une marque »1408. La Cour de justice a également relevé que l’application de
l’article 5, paragraphe 1 de la Directive marque est conditionnée par l’utilisation du signe
litigieux en tant que marque, à savoir pour désigner des produits ou des services comme
provenant d’une entreprise déterminée1409. Bien qu’il s’agisse encore une fois d’une notion
1406
CJUE, 23 mars 2010, aff. jointes C-236/08, C-237/08 et C-238/08, Google France et Google, Rec. 2010, p. I02417.
1407
Comme le note un auteur, « la conclusion de la CJUE doit être approuvée sur le fond, même s’il aurait été
plus logique de considérer que Google ne fait pas usage des marques « pour » des produits ou des services, au
sens de l’article 5(1) de la directive ». A. FOLLIARD-MONGUIRAL, obs. sous CJUE, 23 mars 2010, Propr. ind.
2010, n° 6, comm. n° 38.
1408
F. G. JACOBS, Concl., 24 nov. 2005, aff. C-421/04, Matratzen Concord AG c/ Hukla Germany SA, pt. 60.
1409
CJCE 23 févr. 1999, aff. C-63/97, Bayerische Motorenwerke AG (BMW) et BMW Nederland BV c/ Ronald
Karel Deenik, Rec. 1999, p. I-905, pt. 38; RTDE 2000, p. 122, obs. G. BONET ; CJCE, 21 nov. 2002, aff. C23/01, Robelco, Rec. 2002, p. I-10913 ; RJDA 2003, n° 3, n° 332 et obs. J. PASSA, in L’usage de marque dans la
jurisprudence récente de la CJCE, chron., p. 195 ; Propr. intell. 2003, n° 9, p. 415, obs. G. BONET ; RTDE 2004,
275
fondamentale, la notion d’usage à titre de marque est difficle à cerner quant à sa signification
exacte et sa portée.
342. La signification. À propos de cette notion, la Cour de justice considéra dans un premier
temps que l’utilisation du signe litigieux implique qu’il désigne des produits ou des services
en les rattachant à une origine déterminée1410. Elle modéra par la suite cette définition dans
l’arrêt Opel en affirmant qu’un usage est fait pour des produits s’il « a trait à l’apposition du
signe identique à la marque sur des produits ainsi qu’à l’offre, à la mise dans le commerce ou
à la détention à ces fins de ces produits »1411. Dès lors, comme l’a relévé un auteur, « l’usage
d’un signe « pour » un produit serait l’usage « sur » un produit, quelle que soit la finalité de
cet usage »1412.
La Cour de justice fit encore évoluer sa position sur ce point en considérant dans l’arrêt
Céline du 11 septembre 20071413 que l’usage d’une marque pour un produit doit s’entendre
d’un usage aux fins de distinguer le produit1414, excluant de ce fait la possibilité d’agir en
contrefaçon en cas de reprise d’une marque dans un nom commercial, une dénomination
sociale ou une enseigne. La Cour de justice précisa cependant que l’utilisation de tels signes
est condamnable dès lors que le signe est utilisé « de telle façon qu’il s’établit un lien entre le
signe constituant la dénomination sociale, le nom commercial ou l’enseigne du tiers et les
produits commercialisés ou les services fournis par le tiers »1415 et cela même en l’absence
d’apposition.
Au regard de tous ces éléments, il faut considérer qu’un signe est utilisé à titre de marque
lorsqu’il « individualise, directement ou indirectement, des produits ou services en les
rattachant à une origine commerciale et qu’il soit utilisé en relation avec l’offre, actuelle ou
future, de ceux-ci à la clientèle »1416.
p. 119, obs. G. BONET; CJCE, 16 nov. 2004, aff. C-245/02, Anheuser-Bush, Rec. 2004, p. I-10989, pt. 62 ;
Propr. ind. 2005, n° 1, comm. n° 3, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL ; Propr. intell. 2005, n° 15, p. 189, obs. G.
BONET.
1410
CJCE 23 févr. 1999, préc., pt. 38 ; CJCE, 21 nov. 2002, préc.; CJCE, 16 nov. 2004, préc., pt. 62.
1411
CJCE, 25 janv. 2007, aff. C-48/05, Adam Opel AG, Rec. 2007, p. I-1017, pt. 20 ; Propr. ind. 2007, n° 3,
comm. n° 18, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL.
1412
A. FOLLIARD-MONGUIRAL, obs. sous CJCE, 25 janv. 2007, aff. C-48/05.
1413
CJCE, 11 sept. 2007, aff. C-17/06, Céline, Rec. 2007, p. I-7041; Propr. ind. 2007, n° 11, comm. n° 86, obs.
A. FOLLIARD-MONGUIRAL ; RTD com. 2007, p. 712, obs. J. AZÉMA ; RTDE 2007, p. 685, obs. J. SCHMIDTSZALEWSKI ; Propr. intell. 2008, n° 26, p. 142, obs. G. BONET.
1414
CJCE, 11 sept. 2007, préc., pt. 20.
1415
CJCE, 11 sept. 2007, préc., pt. 23.
1416
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et
modèles, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 240, p. 294 citant P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd.
JNA, 1984, p. 623.
276
343. La justification. La règle selon laquelle le seul usage à titre de marque est susceptible de
constituer une contrefaçon trouve son origine dans la fonction de la marque. Le droit de
marque ne permet pas la réservation du signe en soi, mais uniquement du signe dans sa
relation avec des produits et des services. Dès lors que le signe est utilisé dans un cadre autre
que celui de la désignation de produits et services, la réservation du signe n’est plus opérante
et il devient impossible pour le titulaire d’invoquer son droit de marque.
344. L’utilisation d’une marque dans une adresse. L’article 6, paragraphe 1 de la 2008/95
précise que « le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un
tiers l’usage, dans la vie des affaires (…) de son adresse ». La référence faite à l’adresse dans
cet article relatif à la « Limitation des effets de la marque » apparaît comme inutile. L’usage
d’une marque dans une adresse ne constitue simplement pas un usage à titre de marque
susceptible d’être interdit au sens de l’article 5, paragraphe 1 de la Directive marque.
345. L’usage de la marque pour un autre signe distinctif. Si la question de l’usage à titre
de marque peut s’avérer simple en apparence, des difficultés apparaissent néanmoins lorsqu’il
s’agit d’envisager l’usage d’un signe, enregistré à titre de marque, à titre de nom commercial,
d’enseigne ou de dénomination sociale.
La doctrine française tend à considérer que l’usage d’un signe a titre de nom commercial,
enseigne ou dénomination sociale constitue un usage indirect à titre de marque1417. Le contact
de ces signes avec la clientèle implique qu’ « ils ont, sinon pour objet, du moins pour effet de
désigner les produits ou services constituant l’objet de l’activité exercée par leur
exploitant »1418.
Cette approche semble confirmée par l’article 5, paragraphe 1 de la Directive marque qui
n’apporte aucune précision quant à la notion de signe envisagé par le texte. Les dispositions
françaises restent également muettes sur ce point et visent indifféremment les signes. Il serait
donc parfaitement envisageable d’admettre que ces textes visent non seulement les marques,
mais également les signes qui désignent des produits ou des services de manière indirecte.
Pour Monsieur BOUVEL, le doute n’est pas permis : « Admettre le contraire serait absurde ; il
suffirait alors de s’abstenir de déposer le signe postérieur à titre de marque pour échapper à
1417
1418
J. PASSA, op. cit., n° 243, p. 305.
J. PASSA, op. cit., n° 243, p. 305.
277
l’action en contrefaçon »1419. En effet, pourquoi admettre d’un côté qu’un nom commercial,
une dénomination sociale ou une enseigne puisse constituer une antériorité opposable à
l’enregistrement d’une marque et de l’autre qu’un tel signe ne constituerait pas un usage à
titre de marque ? Le fait d’envisager les signes distinctifs traditionnels à l’article L. 711-4 du
Code de la propriété intellectuelle démontre qu’ils désignent a fortiori des produits et des
services1420. La jurisprudence française abonde en ce sens. Elle a toujours affirmé que
l’atteinte à la marque peut résulter de l’usage d’un signe à titre de dénomination sociale, de
nom commercial ou d’enseigne1421.
La Cour de justice semble adopter une approche différente. Elle considère que de tels signes
n’ont pas pour vocation de désigner des produits et des services 1422. Néanmoins, ils pourront
être envisagés comme tels, même en l’absence d’apposition sur les produits, « lorsque le tiers
utilise ledit signe de telle façon qu’il s’établit un lien entre le signe constituant la
dénomination sociale, le nom commercial ou l’enseigne du tiers et les produits
commercialisés ou les services fournis par le tiers »1423.
346. L’usage à titre de marque dans les « AdWords ». La question de l’usage à titre de
marque dans le contentieux relatif aux « AdWords » opposant la société Google aux titulaires
de marque aurait pu être envisagée1424. Quid de l’usage que fait Google des marques dans le
cadre des « AdWords » ? Le fait pour Google de fournir des mots-clés pour le référencement
constitue-t-il un usage à titre de marque ? La Cour de justice, de manière assez douteuse, a
1419
A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété
intellectuelle, t. 24, 2004, n°326, p. 170. L’auteur ajoute également un commentaire sur la rédaction de l’article 5
de la Directive marque. Il considère ainsi que la rédaction de cet article est « on ne peut plus claire sur ce
point ». L’usage du terme signe dans l’article 5 n’est pas anodin et doit permettre d’envisager les situations de
reproduction de la marque par des signes distinctifs tels que la dénomination sociale, le nom commercial et
l’enseigne.
1420
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 243, p. 306.
1421
Pour la dénomination sociale, Paris, 10 juill. 1986, PIBD 1986, n °401, III, p. 415 ; Paris, 22 oct. 1999, PIBD
2000, n° 690, III, p. 44 ; Paris, 15 déc. 1999, PIBD 2000, n° 695, III, p. 167. Pour le nom commercial, Cass.
com., 8 déc. 1975, Ann. propr. ind. 1978, p. 44 ; Paris, 20 mars 1980, Ann. propr. ind. 1981, p. 128 ; Paris, 23
févr. 1987, PIBD 1987, n° 419, III, p. 361 ; Paris, 29 févr. 1988, RDPI 1988, n° 16, p. 105 ; Paris, 3 mars 1993,
Juris-Data n° 20771 ; Paris, 22 sept. 1993, PIBD 1994, n° 557, III, p. 8 ; Paris, 15 déc. 1999, PIBD 2000, n° 695,
III, p. 167. Pour l’enseigne, Paris, 25 mars 1982, PIBD 1982, n° 306, III, p. 167 ; Paris, 27 avr. 1988, RDPI
1988, n° 19, p. 100 ; Paris, 22 sept. 1993, PIBD 1994, n° 557, III, p. 8.
1422
CJCE, 11 sept. 2007, aff. C-17/06, Céline, Rec. 2007, p. I-7041; Propr. ind. 2007, n° 11, comm. n° 86, obs.
A. FOLLIARD-MONGUIRAL ; RTD com. 2007, p. 712, obs. J. AZÉMA; RTDE 2007, p. 685, obs. J. SCHMIDTSZALEWSKI ; Propr. intell. 2008, n° 26, p. 142, obs. G. BONET.
1423
pt. 23.
1424
CJUE, 23 mars 2010, aff. jointes C-236/08, C-237/08 et C-238/08, Google France et Google, Rec. 2010, p. I02417.
278
préféré envisager cette problématique sous l’angle de la vie des affaires en excluant la
question de l’usage à titre de marque1425.
347. À la lueur de ces développements, on constate que la fonction d’exclusivité est limitée
quant à son étendue : limitée au cadre concurrentiel, à la vie des affaires et à la désignation de
produits et services. Les limitations peuvent également résulter d’exceptions au sens strict du
terme1426, ayant pour conséquence de limiter l’exercice du droit de marque.
B. La limitation liée à l’exercice du droit de marque
348. En droit français, exception faite de la disposition relative aux pharmaciens en matière de
substitution de produit1427, c’est l’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle qui
envisage les différentes exceptions au droit exclusif du titulaire de la marque (1). Le Code de
la propriété intellectuelle n’a cependant pas repris certaines limitations prévues dans la
Directive marque (2).
1. Les exceptions envisagées par l’article L. 713-6 du Code de la propriété
intellectuelle
349. L’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que l’enregistrement de
la marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme
« a) Dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit
antérieure à l’enregistrement, soit le fait d’un tiers de bonne foi employant son nom
patronymique ;
b) Référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment
en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans leur
origine ». Il conviendra donc d’envisager successivement la question de l’homonymie (a), de
1425
Comme le note un auteur, « la conclusion de la CJUE doit être approuvée sur le fond, même s’il aurait été
plus logique de considérer que Google ne fait pas usage des marques « pour » des produits ou des services, au
sens de l’article 5(1) de la directive ». A. FOLLIARD-MONGUIRAL, obs. sous CJUE, 23 mars 2010, Propr. ind.
2010, n° 6, comm. n° 38.
1426
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 325, p. 429.
1427
L’article L. 716-10 dispose en son alinéa 2 : « L’infraction dans les conditions prévues au d, n’est pas
constituée en cas d’exercice par un pharmacien de la faculté de substitution prévue à l’article L. 5125-23 du
code de la santé publique ». Cette exception, issue de la loi du 23 décembre 1998, a pour vocation de favoriser la
commercialisation de médicaments génériques. Le pharmacien peut substituer au médicament prescrit un
médicament générique. Cependant, dans la pratique, le pharmacien sollicite souvent l’accord du client rendant
ainsi quelque peu inutile l’exception.
279
l’usage antérieur sous certaines formes (b) et celle de l’usage nécessaire pour indiquer la
destination d’un produit ou service (c).
a. L’homonymie1428
350. L’objectif de conciliation. Une marque est toujours susceptible de correspondre à un
nom patronymique d’une, voire de plusieurs personnes physiques1429. Si l’existence de la
marque n’empêche bien évidemment pas les personnes physiques de faire usage de leur nom
de famille dans la vie de tous les jours, la situation peut s’avérer être plus complexe dès lors
que le ou les homonymes en question sont amenés à exercer une activité commerciale, qui
plus est, identique, voire similaire à celle du titulaire de la marque. En vue d’éviter les
inconvénients d’une telle coïncidence, il était impératif de prévoir un système permettant de
concilier les droits du titulaire d’une marque avec ceux des homonymes de cette marque.
L’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle tente cette conciliation en essayant de
« garantir à chacun la possibilité d’utiliser dans le commerce son nom patronymique, qui
constitue l’un des attributs de sa personnalité »1430.
351. Les conditions de l’exception. L’usage de son nom de famille par l’homonyme, d’une
marque, n’est pas totalement libre1431. L’utilisation commerciale que pourrait en faire
l’homonyme est encadrée afin de ne pas léser les intérêts du titulaire de la marque. Comme le
prévoit l’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle, l’homonyme doit ainsi être de
bonne foi, notion qui n’est pas définie par le texte1432. La doctrine l’entend comme une
1428
La question de l’homonymie est également envisagée par l’article 6 de la directive marque relatif à la
limitation des effets de la marque. Il dispose : « 1. Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire
d’interdire à un tiers l’usage dans la vie des affaires :
a) de son nom ». Comme le note le Professeur PASSA, « la formule est plus large car le nom du tiers – dont rien
ne dit qu’il doit être une personne physique – employé dans la vie des affaires peut être un nom patronymique
mais aussi un nom commercial ou une dénomination sociale, même non constitué d’un nom patronymique ». J.
PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 327, p. 431.
1429
A titre d’exemple, la marque Aston Martin reprend l’un des patronymes les plus répandus en France.
1430
J. PASSA, op. cit., n° 328, p. 432.
1431
V. sur la question des limites au droit d’usage du nom patronymique, C. ZANELLA, Les marques
nominatives, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 13, 1995, p. 197 et s.
1432
V. sur la notion de bonne foi, A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des
affaires, Propriété intellectuelle, t. 24, 2004, n°334, p. 174. Au niveau communautaire, la formule utilisée est
celle d’usage conforme « aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale » (art. 6 de la Directive et
art. 12 du règlement). La Cour de justice a précisé le sens de cette formule dans l’arrêt Anheuser-Bush en
affirmant « La condition d’ « usage honnête » constitue en substance l’expression d’une obligation de loyauté à
l’égard des intérêts légitimes du titulaire de la marque ». CJCE, 16 nov. 2004, aff. C-245/02, Anheuser-Bush,
Rec. 2004, p. I-10989, pt. 82.
280
« absence de volonté parasitaire » 1433 de l’homonyme. Autrement dit, l’homonyme ne doit
pas avoir pour volonté de créer la confusion avec la marque enregistrée ou bien de profiter de
sa notoriété1434. L’ajout d’un élément verbal, tel que le prénom1435, et celui d’un élément
figuratif permettant de changer le graphisme par rapport à celui de la marque sont autant
d’indices démontrant la bonne foi de l’homonyme et sa volonté de ne pas se placer dans le
sillage du titulaire de la marque1436. L’exigence de bonne foi implique également que la
pratique du prête-nom ne puisse bénéficier de l’exception. La jurisprudence exige que le nom
patronymique en question soit utilisé par l’homonyme, lui-même1437. Pour le Professeur
POLLAUD-DULIAN cette exigence serait rattachée à celle de bonne foi1438. Pour autant, les
personnes morales ne se voient pas empêchées d’utiliser le nom de famille d’un homonyme
appartenant à l’entreprise. Il est cependant nécessaire que l’homonyme en question exerce au
sein de la personne morale en question de « réelles fonctions de contrôle et de direction »1439.
L’exception prévue à l’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle envisage
uniquement l’utilisation du nom patronymique à titre de dénomination sociale, nom
commercial ou enseigne1440. Il est exclu pour le titulaire du nom patronymique de déposer son
nom de famille à titre de marque1441.
Enfin, conformément au principe d’ « interprétation restrictive » des exceptions, la
jurisprudence refuse d’accorder le bénéfice de l’exception prévue à l’article L. 713-6 du Code
1433
A. BOUVEL, op. cit., n° 334, p. 175.
Cass. com., 7 avr. 1998, PIBD 1998, n° 656, III, p. 322. Dans cette affaire, la Cour de cassation retient
l’argument selon lequel l’homonyme tente de « profiter parasitairement de sa notoriété ». V. Paris, 19 oct. 2005,
PIBD 2005, n° 820, III, p. 730. Il est également possible de déduire de cet arrêt que la bonne foi serait absente
dans l’hypothèse où un accord signé entre les l’homonymes et le titulaire de la marque n’aurait pas été respecté.
1435
19 oct. 2005, PIBD 2005, n° 820, III, p. 730 ; TGI Paris, 26 sept. 2006, PIBD 2006, n° 841, III, p. 781.
1436
19 oct. 2005, PIBD 2005, n° 820, III, p. 730.
1437
Pour une personne physique, la démonstration de l’usage par l’homonyme lui-même n’appelle aucun
commentaire particulier. Cependant, dans l’hypothèse d’une personne morale, cette dernière ne pourra bénéficier
de l’exception de l’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle qu’à la condition que le titulaire du nom
exerce au sein de la personne morale de réelles fonctions de contrôle et de direction. V. Paris, 4 juill. 2001, D.
2002, somm. comm., p. 1131, obs. S. DURRANDE ; RTD com. 2001, p. 885, obs. J. AZÉMA.
1438
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 1577,
p. 914. Comme le note le Professeur POLLAUD-DULIAN, « s’il ne s’agit que d’un prête-nom, on ne saurait
admettre la bonne foi et l’exception sera écartée chaque fois que c’est par fraude qu’une entreprise se fait
concéder le nom d’une personne pour profiter de l’homonymie avec une marque ».
1439
Paris, 4 juill. 2001, D. 2002, somm. 1131, obs. S. DURRANDE ; RTD com. 2001, p. 885, obs. J. AZÉMA. Les
deux conditions sont cumulatives. Ainsi, dans cette affaire, l’homonyme était associé majoritaire. Cependant, il
n’en assurait pas la gérance. De ce fait, l’exception de l’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle
devait lui être refusée.
1440
L’article n’envisage pas la question du nom de domaine. En effet, le texte fut adopté en 1991, époque où les
noms de domaine n’existaient pas. Cependant, en vertu du principe d’interprétation stricte des exceptions, il
semble peu probable que l’exception de l’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle puisse trouver à
s’appliquer à de tels signes.
1441
La loi de 1991 est donc revenue sur la jurisprudence antérieure qui avait admis sous l’empire de la loi de
1964 qu’un homonyme puisse déposer son nom à titre de marque. V. Cass. com., 13 juin 1995, RDPI 1997, n°
82, p. 58
1434
281
de la propriété intellectuelle au titulaire d’un pseudonyme1442, d’un prénom1443, à une femme
mariée souhaitant faire usage du nom de son époux1444 et au titulaire d’un nom composé
souhaitant faire usage d’une partie de son nom seulement1445.
352. L’atteinte aux droits du titulaire comme tempérament. Si l’homonyme respecte
toutes les conditions, il sera en mesure d’utiliser son nom de famille dans un cadre
commercial. Pour autant, l’utilisation n’est pas totalement libre.
L’article L. 713-6, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que l’utilisation ne
doit pas porter atteinte au droit du titulaire de la marque. Si tel devait être le cas, le titulaire de
la marque pourrait demander que l’utilisation soit limitée, voire interdite1446. L’article se veut
relativement clair. Il est cependant difficile de comprendre la portée de cette exception1447. En
effet, dès lors que les conditions permettant à l’homonyme d’utiliser son nom sont remplies, il
devient délicat de considérer que l’utilisation porte atteinte aux droits du titulaire de la
marque.
La doctrine propose d’entendre l’atteinte visée par le texte comme étant une atteinte à la
fonction d’identification de la marque1448. Le droit de l’homonyme d’utiliser son nom de
famille dans un cadre commercial n’est pas suffisamment fort pour justifier « une
méconnaissance de la fonction essentielle de la marque »1449. Le risque de confusion que
pourrait engendrer l’usage du nom de famille, malgré le respect des conditions, devrait être
considéré comme une atteinte aux droits du titulaire permettant de justifier la limitation voire
l’interdiction de l’usage1450. La limitation doit cependant être privilégiée, l’homonyme étant
en principe libre d’utiliser son nom de famille1451.
1442
Paris, 17 sept. 1984, PIBD 1984, n° 357, III, p. 279.
Paris, 22 oct. 1999, PIBD 2000, n° 690, III, p. 44.
1444
Cass. civ., 1ère ch., 6 nov. 1985, Ann. propr. ind. 1986, p. 119.
1445
Cass. com., 20 nov. 1990, JCPG 1991, IV, p. 26.
1446
Art. L. 713-6, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle.
1447
V. A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, op. cit., n° 335, p. 176. Comme le note cet auteur,
toute la difficulté réside dans le fait que le législateur n’a pas défini le critère permettant au juge d’opter en
faveur de la limitation ou de l’interdiction.
1448
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 329, p. 434.
1449
J. PASSA, op. cit., n° 329, p. 434.
1450
A. BOUVEL, op. cit., n° 335, p. 177. Cet auteur ne fait pas expressément référence à la fonction
d’identification. Cependant, il renvoie au critère de risque de confusion irréductible qui est l’hypothèse où
« aucune mesure de réglementation ne permet de dissiper le risque de confusion entre les deux signes ». Ce
risque de confusion irréductible constitue, à l’instar de tout risque de confusion, une atteinte à la fonction
d’identification.
1451
Le juge pourra demander à l’homonyme d’ajouter un élément verbal, tel que le nom, ou un élément figuratif
permettant d’éviter ainsi le risque de confusion. V. par exemple, Paris, 9 déc. 1992, PIBD 1993, n° 542, III, p.
267. Il est cependant des hypothèses où la limitation prononcée ne sera pas en mesure d’éviter le risque de
confusion. L’interdiction devra donc être prononcée. V. en matière de marque, TGI Paris, 29 janv. 1999, Ann.
propr. ind. 2000, p. 145 ; Cass. com., 9 nov. 1987, PIBD 1988, n° 428, III, p. 81.
1443
282
b. L’usage antérieur du signe sous d’autres formes
353. L’intérêt de la disposition. L’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle
permet également aux titulaires d’un nom commercial, d’une dénomination sociale et d’une
enseigne antérieurs à une marque enregistrée de pouvoir continuer à utiliser librement le signe
distinctif en question. Il prévoit que l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à
l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme « Dénomination sociale, nom
commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est (…) antérieure à l’enregistrement »1452.
Cet article renvoie d’une certaine manière à l’article L. 711-4 du Code de la propriété
intellectuelle1453 relatif à la disponibilité du signe. Cependant, plutôt que d’y voir des textes
contradictoires1454, il convient d’y voir des textes complémentaires.
L’article L. 713-6 du Code la propriété intellectuelle permet de se protéger contre le titulaire
d’une marque qui, ayant passé l’écueil de la disponibilité, souhaiterait se retourner
injustement contre les titulaires des signes distinctifs antérieurs1455. En matière de nom
commercial et d’enseigne, l’annulation de la marque peut être obtenue à la condition qu’ils
soient connus sur l’ensemble du territoire et qu’un risque de confusion soit démontré. Une
fois enregistrée, le caractère national de la marque pourrait permettre à son titulaire de
l’opposer au titulaire d’un nom commercial ou d’une enseigne identique ou similaire, qui
n’aurait pas réussi a obtenir l’annulation de la marque. L’article L. 713-6 du Code de la
propriété intellectuelle vient prévenir cette injustice en permettant au titulaire d’un signe
distinctif traditionnel de ne pas voir son droit remis en cause. Une telle interprétation de
l’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle rejoint ainsi la rédaction de l’article 6,
paragraphe 2 de la Directive marque qui prévoit que « Le droit conféré par la marque ne
permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, d’un droit
antérieur de portée locale si ce droit est reconnu par la loi de l’État membre concerné et la
limite du territoire où il est reconnu ». L’article L. 713-6 du Code de la propriété
1452
Comme le note le Professeur PASSA, il aurait été plus opportun de viser, non pas la date de l’enregistrement,
mais celle du dépôt de la demande d’enregistrement ou celle de la publication de la demande. J.PASSA, Traité de
droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 330, p. 435.
1453
L’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que ne peut être adopté comme marque un
signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : « (…) b) A une dénomination ou raison sociale, s’il
existe un risque de confusion dans l’esprit du public ;
c) A un nom commercial ou à une enseigne connus sur l’ensemble du territoire national, s’il existe un risque de
confusion dans l’esprit du public ».
1454
A. BOUVEL, op. cit., n° 413, p. 212.
1455
J. PASSA, op. cit., n° 330, p. 436.
283
intellectuelle n’a, cependant dans ce cadre, qu’une raison d’être pour le nom commercial et
l’enseigne1456.
354. Les limites. La situation pourrait, toutefois, devenir injuste pour les titulaires de signes
distinctifs traditionnels1457. S’il est démontré que l’utilisation du nom commercial, de
l’enseigne ou de la dénomination sociale porte atteinte aux droits du titulaire de la marque, ce
dernier pourrait demander la limitation ou l’interdiction de l’utilisation du signe distinctif
antérieur à la marque1458.
La doctrine considère que l’atteinte pourrait résulter d’une modification de l’exploitation du
signe antérieur1459. La modification pourrait ainsi porter sur la zone géographique
d’exploitation, dont l’extension pourrait résulter d’une volonté de profiter de la réputation de
la marque1460. La modification pourrait également porter sur le graphisme, qui permettrait de
se rapprocher de celui de la marque1461. Dans ces hypothèses, le juge a la faculté de prononcer
la limitation voire l’interdiction de l’utilisation. Cependant, comme en matière d’homonymie,
la limitation doit être préférée, l’interdiction s’avérant trop injuste pour le titulaire d’un signe
distinctif antérieur. Une telle solution serait conforme non seulement à la Directive 2008/95 et
à son article 6, paragraphe 21462 mais également à l’accord sur les ADPIC et son article 16 qui
dispose in fine que le droit de marque ne peut porter « préjudice à aucun droit antérieur
existant ». Or, la Cour de justice a précisé que cette disposition « doit être comprise en ce sens
que si le titulaire d’un nom commercial dispose d’un droit relevant du champ d’application
de l’accord ADPIC né antérieurement à celui de la marque avec lequel il est réputé entrer en
conflit et qui lui permet d’utiliser un signe identique ou similaire à cette marque, une telle
utilisation ne saurait être interdite en vertu du droit exclusif que confère la marque à son
titulaire conformément à l’article 16, paragraphe 1, première phrase, dudit accord »1463.
1456
Le titulaire de la dénomination sociale se trouve à l’abri. En effet, l’absence de risque de confusion au
moment de l’examen de la disponibilité exclut par voie de conséquence un quelconque risque de confusion
ultérieur entre la marque et la dénomination sociale.
1457
A. BOUVEL, op. cit., n° 418, p. 214. V. également, J. PASSA, op. cit., n° 331, p. 437.
1458
Art. L. 713-6, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle.
1459
J. PASSA, op. cit., n° 331, p. 437.
1460
J. PASSA, op. cit., n° 331, p. 438.
1461
Paris, 24 févr. 1999, PIBD 1999, n° 678, III, p. 257.
1462
L’article 6, paragraphe 2 de la Directive 2008/95 dispose : « Le droit conféré par la marque ne permet pas à
son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, d’un droit antérieur de portée locale si ce
droit est reconnu par la loi de l’Etat membre concerné et dans la limite du territoire où il est reconnu ».
1463
CJCE, 16 nov. 2004, aff. C-245/02, Anheuser-Bush, Rec. 2004, p. I-10989, pt. 89. Il est important de
signaler cependant que la disposition de l’accord ADPIC concerne uniquement le nom commercial.
284
c. L’usage nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou service
355. Le fondement. L’article L. 713-6, b) du Code de la propriété intellectuelle prévoit enfin
que le titulaire de la marque ne peut pas interdire l’usage d’un signe identique ou similaire dès
lors que cet usage est nécessaire « pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service,
notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu’il n’y ait pas de confusion
dans leur origine »1464. Cette exception trouve son origine dans la liberté du commerce et de
l’industrie1465 et plus précisément dans la liberté d’entreprendre1466. Elle est indispensable au
libre exercice de l’activité de fabricant d’accessoires ou de pièces détachées. Ces derniers,
dans le cadre de leur activité, sont dans l’obligation d’utiliser la marque d’autrui pour
renseigner la clientèle que leurs produits s’adaptent ou sont destinés aux produits portant la
marque d’autrui. Sans cette exception, les fabricants d’accessoires ou de pièces détachées se
verraient dans l’obligation de solliciter l’autorisation du titulaire de la marque1467. Cette idée
est reprise par la Cour de justice : celle-ci a affirmé que l’utilisation de la marque d’autrui
dans ce cadre « est nécessaire afin de préserver le système de concurrence non faussé sur le
marché de ce produit ou service »1468.
356. Les conditions de l’exception. Afin de pouvoir bénéficier de cette exception, deux
conditions doivent être remplies : la nécessité de référence et l’absence de risque de
confusion. L’exception doit uniquement concerner un usage dont le seul but est d’indiquer la
destination des produits ou services. Tel est le cas lorsque l’information, relative à la
destination, « ne peut en pratique être communiquée au public par un tiers sans qu’il soit fait
usage de la marque dont ce dernier n’est pas le titulaire »1469. La Cour de justice a ainsi
précisé qu’« afin de s’assurer si d’autres moyens de fournir une telle information peuvent être
utilisés, il est nécessaire de prendre en considération, par exemple, l’existence éventuelle des
standards techniques ou des normes généralement utilisées pour le type de produit
commercialisé par le tiers et connues du public auquel est destiné ce type de produit. Ces
normes, ou autres caractéristiques doivent être susceptibles de fournir audit public une
1464
Cette exception se retrouve également à l’article 6, paragraphe 1 de la Directive 2008/95 et à l’article 12, c)
du règlement sur la marque communautaire.
1465
J. PASSA, op. cit., n° 332, p. 439.
1466
A. BOUVEL, op. cit., n° 624, p. 304.
1467
Comme le note Monsieur BOUVEL, cette autorisation ne sera « probablement pas gracieuse ». A. BOUVEL,
op. cit., n° 624, p. 304.
1468
CJCE, 17 mars 2005, aff. C-228/03, Gillette Company et Gillette Group Finland, Rec. 2005, p. I-2337 ;
PIBD 2005, n° 814, III, p. 501 ; Propr. ind. 2005, comm. n° 37, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL ; RTD com.
2005, p. 716, obs. J. AZÉMA ; Propr. intell. 2005, n° 16, p. 277, obs. G. BONET.
1469
CJCE, 17 mars 2005, préc., pt. 35.
285
information compréhensible et complète sur la destination du produit commercialisé par ce
tiers afin de préserver le système de concurrence non faussée sur le marché de ce
produit»1470. Autrement dit, l’usage de la marque n’est pas considéré comme nécessaire dans
l’hypothèse où il y a réunion d’une information à caractère exclusivement technique et d’un
public visé particulièrement informé, en mesure de comprendre l’information en question. Le
juge doit apprécier la complétude de l’information, mais également son caractère
compréhensible1471. Il convient de préciser que, contrairement à ce qui a pu être affirmé1472, le
caractère accessoire du produit ou service ne constitue pas une condition à cette exception, les
textes français et communautaires ayant pris le soin d’utiliser l’adverbe « notamment ». De ce
fait, comme les juges de la Cour de justice l’ont précisé dans l’arrêt Gillette, il n’est fait
« aucune distinction entre les destinations possibles des produits lors de l’appréciation du
caractère licite de l’utilisation d’une marque »1473. En outre, le bénéfice de l’exception peut
être invoqué par celui qui ne propose que des services1474.
La deuxième condition visée par l’article L. 713-6, b) du Code de la propriété intellectuelle
est celle relative au risque de confusion. L’usage de la marque d’autrui ne doit pas avoir pour
conséquence de créer un risque de confusion1475 ou, pour reprendre la formule de la Directive
2008/95, que l’usage soit fait « conformément aux usages honnêtes en matière industrielle et
commerciale »1476. En d’autres termes, l’atteinte à la fonction d’identification ne permettrait
pas aux tiers de bénéficier du jeu de l’exception prévue à l’article L. 713-6, b). Comme le
précise le Professeur PASSA, « il s’agit d’éviter que, sous le couvert d’une exception à son
droit, le titulaire ne subisse un véritable préjudice »1477. Tel peut notamment être le cas si
1470
CJCE, 17 mars 2005, préc., pt. 36.
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 334, p. 441. V. pour un exemple de refus au
motif que l’usage de la marque n’était pas nécessaire, Paris, 3 mars 2006, PIBD 2006, n° 833, III, p. 473. Sur cet
arrêt, J. ARMENGAUD & E. BERTHET-MAILLOLS, Les génériques ne peuvent plus se nommer, Propr. ind. 2006,
n° 9, étude n° 25; E. LE BIHAN & L. JULIEN-RAES, Médicaments génériques : marques et usages honnêtes,
Propr. intell. 2006, n° 21, p. 396 ; Cass. com., 28 avr. 2004, PIBD 2004, n° 792, III, p. 479. V. pour un usage
nécessaire, CJCE 23 févr. 1999, aff. C-63/97, Bayerische Motorenwerke AG (BMW) et BMW Nederland BV c/
Ronald Karel Deenik, Rec. 1999, p. I-905 ; PIBD 1999, n° 876, III, p. 221 ; D. aff. 1999, p. 901 ; RTDE 2000, p.
122, obs. G. BONET.
1472
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Montchrestien, Domat droit privé, 1999, n° 1308, p.
613 ; A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, op. cit., n° 624, p. 304. V. également jurisprudence
antérieure à la transposition de la directive, Paris, 23 juin 1981, D. 1982, p. 434, note Y. REBOUL ; Paris, 16 mai
1991, PIBD 1991, n° 512, III, p. 713.
1473
CJCE, 17 mars 2005, aff. C-228/03, préc., pt. 38.
1474
CJCE 23 févr. 1999, aff. C-63/97, préc..
1475
L’article L. 713-6, b) du Code de la propriété intellectuelle dispose in fine : « qu’il n’y ait pas de confusion
dans leur origine ».
1476
Art. 6, paragraphe 1 de la Directive 2008/95.
1477
J. PASSA, op. cit., n° 334, p. 441.
1471
286
l’usage est fait d’une manière telle qu’il peut donner l’impression qu’il existe un lien
commercial entre le tiers et le titulaire de la marque utilisée1478.
357. Les limites à l’exception. Comme les autres exceptions prévues à l’article L. 713-6 du
Code de la propriété intellectuelle, il est possible au titulaire de la marque de demander que
l’usage qui est fait de sa marque soit limité voire interdit dès lors qu’il est porté atteinte à ses
droits. Le risque de confusion étant envisagé au titre des exceptions, il est indispensable
d’appréhender autrement les atteintes susceptibles d’être portées aux droits du titulaire. Pour
cela, il suffit de se tourner vers la Directive 2008/95 qui vise les usages « honnêtes en matière
industrielle et commerciale »1479. La formule est large. La Cour de justice a ainsi pu
considérer à ce titre que le discrédit ou le dénigrement pouvant résulter de l’usager justifiait
une limitation voire une interdiction1480.
358. L’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle est une transposition imparfaite
de l’article 6 de la Directive 2008/95. Si cette imperfection concerne notamment les termes
employés, elle concerne également son exhaustivité, le législateur français n’ayant pas pris le
soin d’envisager l’usage à des fins génériques ou descriptives.
2. L’usage à des fins génériques ou descriptives
359. L’intérêt de la disposition. L’article 6, paragraphe 1, b) de la Directive marque prévoit
que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage,
dans la vie des affaires « d’indications relatives à l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la
destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production du
produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci ». Le titulaire
d’une marque comportant des éléments descriptifs ou génériques n’est donc pas en mesure
d’interdire à un concurrent l’usage de ces éléments afin de décrire certaines des
caractéristiques de ses produits ou services. La Cour de justice s’est prononcée sur l’intérêt de
1478
V. par exemple, Paris, 4e ch. B, 28 sept. 2007, RG n° 05/11912 ; Paris, 15 mai 1998, RTD com. 1998, p. 846,
obs. J. AZÉMA ; RJDA 1999, n° 107 ; TGI Paris, 10 mars 1999, PIBD 1999, n° 679, III, p. 286 ; TGI Paris, 10
avr. 1978, PIBD 1979, n° 217, III, p. 16 ; Cass. com., 6 mai 1991, D. 1993, somm. com. 116, obs. J.-J. BURST.
1479
Art. 6, paragraphe 1 de la Directive 2008/95.
1480
V. CJCE, 17 mars 2005, C-228/03, Gillette Company et Gillette Group Finland, Rec. 2005, p. I-2337, pt. 49.
Les juges de la Cour de justice affirment que « L’usage de la marque n’est pas conforme aux usages honnêtes en
matière industrielle ou commerciale, notamment lorsque : (…)
- il affecte la valeur de la marque en tirant indûment profit de son caractère distinctif ou de sa renommée ;
- il entraîne le discrédit ou le dénigrement de ladite marque ».
287
cette disposition en affirmant qu’elle visait « à sauvegarder la possibilité pour l’ensemble des
opérateurs économiques d’utiliser des indications descriptives »1481.
Le législateur français a fait le choix de ne pas transposer cet article. Cette absence de
transposition reflète sans aucun doute la relative « inutilité » de la disposition. En effet,
l’usage du signe dans un cadre descriptif ou générique ne constitue vraisemblablement pas un
usage à titre de marque. Plus qu’une exception, il s’agit surtout d’un rappel quant à l’étendue
du droit de marque. Les précisions apportées par la jurisprudence communautaire relatives à
cette disposition tendent également à démontrer l’intérêt tout relatif de la disposition1482.
Quant à la jurisprudence française, elle admet classiquement que l’utilisation d’un signe dans
son acception courante1483 ou à des fins descriptives1484 ne peut constituer une contrefaçon.
360. Conclusion du Chapitre 2. Après avoir envisagé la fonction de la marque
indépendamment de toute réservation, il était nécessaire d’envisager la fonction du droit de
marque, sans lequel la marque ne serait rien ; toutefois, déterminer la fonction du droit de
marque rendait impératif d’envisager la nature du droit. C’est, en effet, la nature du droit qui
devait nous permettre d’appréhender la fonction du droit de marque. En outre, la nature
patrimoniale et individuelle de la fonction que nous recherchons découle tout naturellement
de la qualification retenue.
Il est apparu que le droit de marque, comme les autres droits de propriété intellectuelle, est un
droit de propriété. Bien qu’une telle assertion puisse relever du truisme, la qualification se
trouvant dans la formule employée pour désigner ces droits, appréhender les droits de
propriété intellectuelle comme des droits de propriété a été vivement contesté et fait encore
aujourd’hui débat. Un tel débat ne devrait pourtant pas avoir lieu. Le droit de marque permet à
son titulaire de bénéficier de toutes les prérogatives dont peut jouir un propriétaire et il a tous
les caractères essentiels du droit de propriété classique. Pour autant, s’il s’agit d’une propriété,
1481
CJCE, 10 avr. 2008, aff. C-102/07, Adidas et adidas Benelux, Rec. 2008, p. I-2439, pt. 46; PIBD 2008, n°
875, III, p. 336; Propr. ind. 2008, n° 6, comm. n° 41, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL.
1482
CJCE, 4 mai 1999, aff. C-108/97, Windsurfing Chiemsee, Rec. 1999, p. I-2779. Dans cette affaire, les juges
se bornent à souligner que l’article 6, paragraphe 1, b) « ne confère pas aux tiers l’usage d’un tel nom en tant
que marque mais se borne à assurer qu’ils peuvent l’utiliser de manière descriptive, à savoir en tant
qu’indication relative à la provenance géographique », pt. 28. V. également, CJCE, 25 janv. 2007, aff. C-48/05,
Adam Opel AG, Rec. 2007, p. I-1017; D. 2007, p. 2835, obs. S. DURRANDE ; RTD com. 2007, p. 712, obs.
J. AZÉMA ; RTDE 2007, p. 685, obs. J. SCHMIDT-SZALEWSKI ; Propr. intell. 2007, n° 23, p. 237, obs. G. BONET ;
Propr. ind. 2007, n° 3, comm. n° 18, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL. Les juges ont ici précisé que l’article 6,
paragraphe 1, b) « vise au premier chef à empêcher le titulaire d’une marque d’interdire à des concurrents de
faire usage d’un ou plusieurs termes descriptifs faisant partie de sa marque afin d’indiquer certaines
caractéristiques de leurs produits », pt. 42.
1483
Cass. com., 6 mai 1996, Ann. propr. ind. 1996, p. 25 ; Paris, 13 nov. 1996, Ann. propr. ind. 1997, p. 270 ;
Paris, 11 déc. 1996, Ann. propr. ind. 1997, p. 239.
1484
Paris, 28 sept. 2007, PIBD 2007, n° 862, III, p. 665.
288
le droit de marque est une propriété spéciale. Cette spécificité se traduit notamment dans
l’existence d’un Code permettant d’envisager le régime des droits de propriété intellectuelle
de manière autonome. Par conséquent, le droit de marque a, à l’instar du droit de propriété,
une fonction d’exclusivité, cette fonction d’exclusivité fait l’objet de limitations.
Si les limitations apportées par les textes s’expliquent parfaitement, il est en revanche plus
difficile de comprendre les limitations de fait que la Cour de justice est venue imposer en
négligeant, voire en oubliant totalement la fonction d’exclusivité.
La fonction d’exclusivité qui apparaît comme la clef de voûte du système se trouve ramenée à
un rôle secondaire. Pire, elle a disparu des raisonnements de la Cour de justice. Ainsi, dans
des hypothèses où la fonction d’exclusivité devrait pleinement jouer son rôle, la Cour de
justice préfère envisager les atteintes aux droits du titulaire à travers le prisme de la fonction
juridique de la marque Ŕ la fonction d’identification Ŕ et de nouvelles fonctions secondaires Ŕ
commerciales celles-là Ŕ dont il est difficile de comprendre l’intérêt.
En ayant recours à ces fonctions pour apprécier la contrefaçon, la Cour de justice dénature le
droit de marque. En effet, dans l’hypothèse de la double identité, il ne devrait pas être
nécessaire d’apprécier un quelconque préjudice pour constater la contrefaçon. En tant que
droit de propriété, la simple contestation d’exclusivité devrait suffire à voir sanctionner le
tiers qui ferait usage de la marque d’autrui.
En outre, en faisant de la fonction d’identification, la fonction essentielle, en haut de la
hiérarchie des fonctions, la Cour de justice oublie la distinction opérée par le législateur
communautaire qui distinguait les hypothèses de double identité et de celles où un risque de
confusion est à démontrer. En procédant de la sorte, le législateur communautaire mettait en
exergue les deux fonctions juridiques à prendre en compte. La première, dans le cadre de
l’article 5, paragraphe 1, sous a) de la Direcive marque est la fonction d’exclusivité. La
seconde, dans le cadre de l’article 5, paragraphe 1, sous b) de la Directive marque est la
fonction d’identification. Pour les intérêts des titulaires et surtout pour la cohérence du
système, il semble impératif que la Cour de justice procède à un changement de cap.
En dépit de ce constat, il apparaît que la fonction du droit de marque est une fonction d’ordre
patrimoniale. Comme le droit de propriété, le droit de marque a une fonction « individuelle ».
Il permet de réserver au profit du titulaire toutes les utilités de la chose. Les prérogatives
conférées par le droit de marque, bien que limitées, sont orientées vers le titulaire donnant
ainsi une dimension patrimoniale à la fonction d’exclusivité.
289
361. Conclusion du Titre 1. L’approche actuelle du droit des marques est déconcertante. Que
ce soit la jurisprudence ou la doctrine, l’impression ressentie est que la marque est un
instrument au service du consommateur. Cette impression résulte des formules pour le moins
ambiguës de la Cour de justice qui qualifie la fonction de la marque, de fonction de garantie
d’identité d’origine, de fonction de garantie de provenance. Cette ambiguïté résulte,
également, de la négligence dont fait preuve la Cour de justice à l’égard de la fonction
d’exclusivité. En effet, quelle que soit l’atteinte envisagée, la Cour semble devoir
l’appréhender à l’aune de la fonction de garantie d’identité d’origine, renvoyant ainsi à l’idée
que le droit de marque assurerait en quelque sorte la protection du consommateur.
La doctrine conforte également cette approche en envisageant la fonction d’identification
comme une fonction sociale. Ces conceptions ne peuvent semble-t-il être davantage retenues.
La marque et le droit de marque sont au service du titulaire.
Nous avons fait le choix de qualifier les fonctions du signe utilisé à titre de marque et du droit
de marque de fonctions patrimoniales. Une telle qualification, si elle n’est pas consacrée dans
le droit positif a, néanmoins, le mérite de mettre en exergue le véritable intérêt et la raison
d’être de la marque et du droit de marque. La marque est le signe utilisé par le titulaire afin
d’identifier des produits et des services, pour lui permettre de se distinguer de ses concurrents,
dans le but de s’attacher une clientèle. À ce titre, la marque vient faire l’objet d’une
réservation et, partant, devient un bien qui intègre le patrimoine de son titulaire. La marque
peut devenir un élément d’un fonds de commerce et peut même devenir l’élément primordial
de ce fonds. La réservation opérée par le droit est le fait d’un droit de propriété : le droit de
marque. Eu égard à sa nature, le droit de marque a une fonction d’exclusivité. Il permet
d’assurer un monopole d’exploitation. Il permet également d’exclure les tiers qui viendraient
contester le monopole d’exploitation.
Il est impératif de réhabiliter ces fonctions : ce sont ces fonctions qui permettent de
comprendre le système et qui permettent, également, d’en assurer la cohérence. Si la marque
existe, si elle fait l’objet d’une réservation, c’est pour son titulaire. Certes, l’intérêt général
peut profiter des marques, notamment en permettant le jeu de la concurrence. Néanmoins,
l’intérêt de la marque est avant tout individuel : la marque est un instrument au service de son
titulaire. Cet intérêt, s’il est de nature patrimoniale comme nous venons de le voir, peut,
également, revêtir un aspect extrapatrimonial.
290
291
292
TITRE 2 : LA FONCTION EXTRAPATRIMONIALE DE LA
MARQUE
362. Les droits moraux de l’auteur et de l’inventeur. Les droits de propriété intellectuelle,
plus particulièrement le droit d’auteur et les droits attachés au brevet d’invention, se
distinguent de leur homologue portant sur des choses corporelles par les prérogatives
extrapatrimoniales pouvant être reconnues à leurs titulaires. Dans le cadre des attributs qui
leur sont reconnus, l’inventeur et l’auteur bénéficient de véritables droits de la
personnalité1485.
L’auteur d’une œuvre de l’esprit bénéficie ainsi d’un droit moral lui permettant de « défendre
sa personnalité telle qu’elle s’exprime dans l’œuvre qu’il a créée »1486. Ce droit moral est
composé du droit de divulgation1487, du droit au respect de son œuvre1488, du droit de retrait et
de repentir1489 et enfin du droit à la paternité1490.
1485
Le droit moral de l’auteur est même considéré par certains comme l’ancêtre des droits de la personnalité. V.
J.-M. BRUGUIÈRE, Dans la famille des droits de la personnalité, je voudrais…, D. 2011, p. 28.
1486
C. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2e éd., 2009, n° 245, p. 200.
1487
Art. L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle : « L’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre. Sous
réserve des dispositions de l’article L. 132-24, il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de
celle-ci ». Ainsi, comme le précise le Professeur POLLAUD-DULIAN, le droit de divulgation consiste « dans le
droit exclusif et discrétionnaire pour l’auteur, de décider si son œuvre est en état d’être présentée au public et,
dans l’affirmative, de fixer les modalités de cette divulgation », F. POLLAUD-DULIAN, Le droit d’auteur,
Economica, Corpus droit privé, 2005, n° 611, p. 404. La divulgation s’entend du fait matériel révélant
« clairement la volonté de l’auteur de communiquer l’œuvre au public », H.-J. LUCAS A. & LUCAS, Traité de la
propriété littéraire et artistique, Litec, 3ème éd., 2006, n° 460, p. 352. V. pour plus de précisions sur cette
question, F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 611, p. 404 ; H.-J. LUCAS & A. LUCAS, op. cit., n° 456, p. 348 ; H.
DESBOIS, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 2 e éd., 1966, n° 385, p. 427 ; M. VIVANT & J.-M. BRUGUIÈRE,
Droit d’auteur, Dalloz, Précis, 2009, n° 433, p. 294 ; C. CARON, op. cit., n° 260, p. 211 ; P.-Y. GAUTIER,
Propriété littéraire et artistique, PUF, 7e éd., 2010, n° 190, p. 207 ; C. COLOMBET, Propriété littéraire et artistique
et droits voisins, Dalloz, Précis, 9e éd., 1999, n° 135, p. 130.
1488
Art. L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle : « L’auteur jouit du droit au respect (…) de son
oeuvre ». Comme le précise le Professeur CARON, le droit au respect de l’œuvre : « permet à l’auteur d’exiger
que son œuvre soit communiquée au public exactement comme il souhaite qu’elle le soit », C. CARON, op. cit., n°
270, p. 218. V. pour plus de précisions sur cette question, F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 633, p. 421 ; A.
LUCAS & H.-J. LUCAS, op. cit., n° 487, p. 372 ; H. DESBOIS, op. cit., n° 440, p. 483 ; M. VIVANT & J.-M.
BRUGUIÈRE, op. cit., n° 467, p. 314 ; C. CARON, op. cit., n° 270, p. 218 ; P.-Y. GAUTIER, op. cit., n° 194, p. 212 ;
C. COLOMBET, op. cit., n° 146, p. 137.
1489
Art. L. 121-4 du Code de la propriété intellectuelle : « Nonobstant la cession de son droit d’exploitation,
l’auteur, même postérieurement à la publication de son œuvre, jouit d’un droit de repentir ou de retrait vis-à-vis
du cessionnaire ». On distingue généralement le droit de retrait du droit de repentir. Le droit de retrait vise
l’hypothèse où l’auteur souhaite mettre fin à un contrat. Le droit de repentir vise l’hypothèse où l’auteur souhaite
simplement apporter des retouches à l’œuvre. V. pour plus de précisions sur cette question, F. POLLAUDDULIAN, op. cit., n° 656, p. 436 ; A. LUCAS & H.-J. LUCAS, op. cit., n° 465, p. 361 ; H. DESBOIS, op. cit., 1966,
n° 392, p. 435 ; M. VIVANT & J.-M. BRUGUIÈRE, op. cit., n° 447, p. 303 ; C. CARON, op. cit., n° 264, p. 214 ; P.Y. GAUTIER, op. cit., n° 195, p. 212 ; C. COLOMBET, op. cit., n° 165, p. 149.
1490
Art. L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle : « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa
qualité ». Le droit à la paternité permet à l’auteur de défendre le lien de filiation qui existe entre lui et son œuvre.
Il est ainsi fondé : « aussi bien à faire savoir à tous qu’il est le créateur (ou le co-auteur) de l’œuvre, que,
négativement, à choisir l’anonymat, à se dissimuler sous un pseudonyme ou à refuser que tout ou partie de ses
titres soient mentionnés », F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 628, p. 415. V. pour plus de précisions sur cette
question, F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 628, p. 415 ; A. LUCAS & H.-J. LUCAS, op. cit., n° 477, p. 364 ; H.
293
Dans une moindre mesure, l’inventeur profite également d’un droit moral1491. Il s’agit d’un
droit à la paternité permettant à l’inventeur de se voir attribuer cette qualité dans le brevet ou
d’y renoncer1492.
Si l’aspect extrapatrimonial de ces droits et, surtout, celui du droit d’auteur, ne sont pas
contestés dans leur existence, il firent cependant l’objet de nombreux débats : quant à leur
nature juridique exacte1493, quant à leur intérêt1494 ou bien encore quant aux conséquences
qu’ils pouvaient emporter sur la nature juridique du droit d’auteur1495.
Ce genre de considérations n’a pas touché le domaine des marques. Le titulaire de la marque
n’est jamais présenté comme bénéficiant de prérogatives patrimoniales auxquelles
s’ajouteraient des prérogatives d’ordre extrapatrimonial. Le droit de marque semble, au
contraire, se caractériser par sa « pleine » patrimonialité.
363. La théorie de KOHLER1496. Un illustre auteur n’a pourtant pas hésité à voir dans le droit
de marque un droit de la personnalité. KOHLER, jurisconsulte allemand, considérait le droit de
marque comme un droit de la personnalité similaire au droit au nom. La marque était pour lui
« signe distinctif de la personnalité qui avait fabriqué le produit, l’expression de l’activité de
ce producteur »1497. La marque n’était pas de ce fait un bien, mais un moyen pour une
personne « de fixer l’origine de ses produits »1498.
Cette théorie influença le droit germanique, qui refusait à ce titre que la cession de la marque
ne se fasse indépendamment du fonds de commerce. Pour KOHLER, « la cession de ce signe
DESBOIS, op. cit., 1966, n° 413, p. 460 ; M. VIVANT & J.-M. BRUGUIÈRE, op. cit., n° 456, p. 307 ; C. CARON, op.
cit., n° 266, p. 215 ; P.-Y. GAUTIER, op. cit., n° 192, p. 209 ; C. COLOMBET, op. cit., n° 139, p. 133.
1491
V. J. M. MOUSSERON, Traité des brevets Ŕ L’obtention des brevets, Litec, CEIPI, t. 30, 1984, n° 599, p. 594 ;
Y. BASIRE, Brevet français. Ŕ Demande de brevet, J.-Cl. Brevets, Fasc. 4400, 2010, n° 10. Contra F. POLLAUDDULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 331, p. 213. Le
Professeur POLLAUD-DULIAN conteste la qualification de droit moral car la formule est inadaptée en le sens où
« la personnalité de l’inventeur ne s’exprime nullement dans son invention ». S’il est vrai que dans ce sens, il
semble délicat de parler de véritable droit moral, l’inventeur jouit véritablement d’un droit au nom qui, pour le
Professeur POLLAUD-DULIAN, « se situerait davantage du côté du droit à l’honneur et à la réputation ».
1492
Art. L. 611-9 du Code de la propriété intellectuelle : « L’inventeur, salarié ou non, est mentionné comme tel
dans le brevet ; il peut également s’opposer à cette mention ».
1493
V. notamment, A. LUCAS-SCHLOETTER, Droit moral et droits de la personnalité Ŕ Étude de droit comparé
français et allemand, PUAM, 2002, n° 211 et s., p. 173 et s. ; C. CARON, op. cit., n° 248, p. 203 ; J. RAYNARD,
Droit d’auteur et conflits de lois. Essai sur la nature juridique du droit d’auteur, Litec, Bibl. du droit de
l’entreprise, t. 26, 1990, n° 350, p. 319 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit moral et droits de la personnalité, JCPG, I,
3780 ; F. POLLAUD-DULIAN, Le droit d’auteur, Economica, Corpus droit privé, 2005, n° 553, p. 375 ; A. LUCAS
& H.-J. LUCAS, op. cit., n° 441, p. 340.
1494
V. notamment, G. KOUMANTOS, Faut-il avoir peur du droit moral ?, RIDA, 1999, n° 180, p. 87.
1495
V. à ce sujet les développements du Professeur P OLLAUD-DULIAN, Le droit d’auteur, op. cit., n° 53, p. 41.
1496
V. pour un exposé rapide de la théorie de KOHLER, P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 2,
Sirey, 1954, n° 250, p. 505.
1497
P. ROUBIER, op. cit., n° 250, p. 506.
1498
P. ROUBIER, op. cit., n° 250, p. 506.
294
en dehors de la cession de l’entreprise aurait été une sorte de faux »1499. Cet aspect
personnaliste de la marque amena également le jurisconsulte allemand à contester la
territorialité du droit de marque au profit de son universalité, cette dernière s’expliquant par le
fait que la marque, comme signature du producteur, « a la même valeur partout »1500.
364. L’immixtion d’aspects extrapatrimoniaux dans le droit des marques. La théorie de
KOHLER, si elle influença quelques législations1501, ne fut pas consacrée par le droit français.
Aujourd’hui, tant au niveau français que communautaire, il n’est jamais question d’envisager
le droit de marque comme un droit de la personnalité ou comme étant la source d’un droit
extrapatrimonial. La marque est considérée comme pleinement patrimoniale1502. Envisager la
marque et le droit de marque autrement s’apparenterait à une remise en cause complète du
système : fin du principe de territorialité, fin du principe de libre cession et, pourquoi pas, fin
du principe de spécialité.
Pourtant, force est de constater que des éléments troublants sont venus s’immiscer dans le
droit des marques ayant pour conséquence, non pas de réhabiliter la théorie personnaliste de
KOHLER, mais de faire appréhender la marque et le droit de marque autrement que par le biais
de sa patrimonialité. Le premier élément troublant concerne la jurisprudence de la Cour de
justice relative à l’objet spécifique et à la première fonction du droit de marque, c'est-à-dire la
fonction de réservation dans la spécialité.
La Cour de justice considéra dans l’arrêt Centrafarm que l’objet spécifique de la marque
devait se définir comme « le droit exclusif d’utiliser la marque, pour la première mise en
circulation d’un produit, et de le protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser
de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de
cette marque »1503. Si la première partie de la définition ne soulève pas de difficultés majeures
en énonçant simplement que le droit de marque confère une exclusivité à son titulaire, il en va
différemment de la seconde partie de la définition lorsqu’elle fait mention de l’atteinte à la
1499
P. ROUBIER, op. cit., n° 250, p. 506.
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 2, Sirey, 1954, n° 250, p. 507.
1501
La Suisse considéra pendant longtemps la marque comme un droit de la personnalité. V. F. O STERTAG,
Territorialité ou universalité dans le domaine du droit sur les marques, Ann. propr. ind. 1937, p. 1 ; D. BRANDT,
La protection élargie de la marque de haute renommée au-delà des produits identiques et similaires Ŕ Étude de
droit comparé, Lib. Droz, 1985, p. 305.
1502
V. pour cette expression, P. MALAURIE & L. AYNÈS, Droit civil, les biens, Defrénois, 4e éd., 2010, n° 28, p.
15. Pour ces auteurs la patrimonialité comporte différents degrés. Un droit doit être considéré comme pleinement
patrimonial à la condition de remplir trois caractères : vénal, cessible et transmissible. Ainsi : « Lorsqu’un droit
est à la fois vénal, cessible et transmissible, il est complètement patrimonial ».
1503
CJCE, 31 oct. 1974, aff. 16/74, Sté Centrafarm BV e. a. et Adriaan de Peijper c. Sté Winthrop B.V, Rec.
1974, p. 1183, pt. 8.
1500
295
réputation de la marque. La réputation, synonyme de gloire ou honneur 1504, peut se définir
comme « Le fait d’être honorablement connu du point de vue moral »1505. La notion de
« réputation » renvoie plus aux droits de la personnalité1506 qu’aux droits patrimoniaux.
Le deuxième élément troublant concerne l’évolution de la jurisprudence relative aux motifs
légitimes susceptibles de mettre à mal l’épuisement du droit de marque. Dans son arrêt Dior
contre Evora, la Cour de justice précise que « le titulaire d’une marque a un intérêt légitime,
se rattachant à l’objet spécifique du droit de marque, à pouvoir s’opposer à la
commercialisation de ces produits si la présentation des produits reconditionnés est
susceptible de nuire à la réputation de la marque »1507. Elle continue en précisant qu’il ne
faut pas porter préjudice « à l’image de prestige des produits en cause ainsi qu’à la sensation
de luxe qui émane de ceux-ci »1508. S’il est vrai que l’on parle ici de réputation de la marque, il
est clair que la Cour de justice a voulu également faire référence à la réputation des produits
ou services, mais aussi et surtout à la réputation du fabricant1509. Là encore, la Cour de justice
mélange maladroitement un concept pleinement patrimonial, la marque, avec un concept aux
connotations extrapatrimoniales, la réputation1510.
Enfin, doit également être considérée comme troublante, la jurisprudence relative aux
atteintes portées à la renommée et à ce qu’il est coutumier d’appeler l’image de marque1511.
Prenant ses distances avec la fonction de garantie d’identité d’origine, le Tribunal de première
instance communautaire affirma qu’ « une marque agit également comme moyen de
transmission d’autres messages concernant, notamment, les qualités ou caractéristiques
1504
L’honneur peut se définir comme « l’estime, la gloire, et la considération qu’on obtient de ses semblables ».
B. BEIGNIER, L’honneur, Droits, Rev. fr. de théorie juridique, 1994, n° 19, p. 97, citant l’Encyclopédie de
Diderot et d’Alembert.
1505
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
1506
V. J.-P. MARGUÉNAUD, L’apothéose du droit à la réputation, RTD civ., 2008, p. 648. En tant que synonyme
d’honneur, la réputation est classiquement étudiée dans le cadre du droit à l’honneur. V. A. B ATTEUR, Droit des
personnes, des familles et des majeurs protégés, LGDJ, 5e éd., 2010, n° 149, p. 88. Le professeur BATTEUR
précise ainsi : « Toute personne a le droit d’exiger des autres le respect de sa propre dignité, de faire protéger
son honneur et sa réputation ». V. également sur l’honneur, J. CARBONNIER, Droit civil, Vol. 1, PUF, 2004, n°
274, p. 510 ; P. MALAURIE, Les personnes Ŕ Les incapacités, Défrénois, 3e éd., 2007, n° 341, p. 142 ; G. CORNU,
Droit civil Ŕ Les personnes, Montchrestien, Domat droit privé, 13e éd., 2007, n° 35, p. 75 ; F. TERRÉ & D.
FENOUILLET, Droit civil, Les personnes Ŕ La famille Ŕ Les incapacités, Dalloz, Précis, 7e éd., 2005, n° 97, p.
101 ; B. TEYSSIÉ, Droit civil Ŕ Les personnes, Litec, 12e éd., 2010, n° 60, p. 45 ; B. BEIGNIER, L’honneur et le
droit, LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 234, 1995.
1507
CJCE, 4 nov. 1997, aff. C-337/95, Parfums Christian Dior c/ Evora, Rec. 1997, p. I.-6013, pt. 43. V.
également, CJCE, 11 juill. 1996, aff. jointes C-427/93, Bristol-Myers Squibb c/ Paranova, C-429/93, Boehringer,
C-436/93, Bayer, Rec. 1996, p. I-3457.
1508
CJCE, 4 nov. 1997, préc., pt. 45.
1509
J. PASSA, Distribution et usage de marque, Litec, 2002, n° 29, p. 36.
1510
Pour le Professeur P ASSA, la protection de la réputation est un élément de la fonction de garantie d’identité
d’origine. V. J. PASSA, op. cit., n° 29, p. 36.
1511
V. sur l’image de marque, H. M ACCIONI, L’image de marque Ŕ Étude juridique de la notoriété commerciale,
Economica, 1995.
296
particulières des produits ou des services qu’elle désigne ou les images et sensations qu’elle
projette, tels que, par exemple, le luxe, le style de vie, l’exclusivité, l’aventure, la
jeunesse »1512. Comme a pu le noter Monsieur BOUVEL, il s’agirait là de la consécration d’une
nouvelle fonction à la marque : « la fonction de garantie d’intégrité de l’image attachée à la
marque »1513. Une fois de plus, la jurisprudence relayée par la doctrine utilise une notion bien
connue des droits extrapatrimoniaux : l’image. Certes, il n’est question ici que d’image de
marque, mais que doit-on entendre par ce concept ? S’agit-il de l’image du titulaire de la
marque, et plus précisemment de son image sociale1514? En tout état de cause, ces éléments
tendent à démontrer l’immixtion discrète d’une certaine extrapatrimonialité dans le domaine
des marques. Il convient en conséquence d’appréhender l’application et la portée de ce
phénomène.
365. La fonction extrapatrimoniale de la marque réservée aux marques renommées ou
notoires. Si immixtion il y a, il convient néanmoins de savoir si elle concerne toutes les
marques ou seulement une partie d’entre elles.
Il semble exclu que cette incursion concerne l’ensemble des marques. Si tel devait être le cas,
il s’agirait d’une véritable « révolution » consacrant la théorie de KOHLER et remettant en
cause le système que nous connaissons. C’est vers une catégorie particulière qu’il convient de
se tourner, à savoir les marques renommées ou notoires, marques jouissant d’une certaine
célébrité irradiant de ses bienfaits leur régime spécifique de protection, déjà inscrit dans la
Convention de Paris1515, à l’article 6 bis qui leur reconnaît une protection internationale. En
effet, même si la question de la renommée n’apparaît pas dans l’affaire Centrafarm, il en va
différemment des affaires utilisant les notions d’image de marque et de réputation1516, certains
auteurs n’hésitant pas à faire le lien entre les décisions rendues en matière d’épuisement et la
1512
TPICE, 22 mars 2007, aff. T-215/03, SIGLA c/ OHMI, Rec. 2007, p. II-711, pt. 35.
A. BOUVEL, La protection des marques renommées, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7320, 2009,
n° 78.
1514
V. sur la notion d’image sociale d’une personne morale, P. S TOFFEL-MUNCK, Le préjudice moral des
personnes morales, in Libre de droit, Mélanges en l’honneur de P. LE TOURNEAU, Dalloz, 2008, p. 959 et plus
particulièrement n° 22, p. 970.
1515
Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883.
1516
Dans l’arrêt Dior contre Evora, il est clairement affirmé que « l’atteinte portée à la renommée de la marque
peut, en principe, être un motif légitime au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la directive justifiant que le
titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits qu’il a mis dans le commerce dans la
Communauté ou qui l’ont été avec son consentement », CJCE, 4 nov. 1997, préc., pt. 43. Dans l’arrêt « Vips », il
s’agissait d’apprécier le préjudice porté à la renommée dans le cadre de l’article 8, paragraphe 5 du Règlement
sur la marque communautaire. TPICE, 22 mars 2007, aff. T-215/03, SIGLA c/ OHMI, Rec. 2007, p. II-711.
1513
297
législation relative aux marques renommées1517. En outre, bien que la Cour de justice ne nie
pas l’existence d’une fonction de la marque renommée, elle n’a pas souhaité encore se
prononcer sur cette question1518. Il est par conséquent légitime de tenter d’appréhender cette
fonction en la confrontant à cette immixtion extrapatrimoniale.
Fruit le plus souvent de lourds investissements, les marques renommées et notoires se
distinguent des marques classiques par leur régime particulier. Ces marques deviennent le
moyen pour le titulaire du signe de véhiculer un certain nombre de messages, d’images, de
valeurs. Comme l’énonce régulièrement la doctrine, les marques notoires ou renommées
n’identifient plus seulement le produit ou le service ; elles bénéficient d’un pouvoir
d’attraction propre, indépendant de la désignation de l’objet qui les porte1519. Dès lors, la
marque pourrait être perçue comme le moyen pour son titulaire de véhiculer des traits de sa
personnalité.
Pour nouvelle que soit cette approche, pour audacieuse qu’apparaisse la mise en évidence de
ce dédoublement des fonctions de la marque qui voit apparaître, par l’effet de la notoriété de
l’usage d’un signe siège d’un droit patrimonial de marque, un droit extrapatrimonial au profit
du titulaire de celle-ci, n’est pas sans précédent. Le phénomène de « scissiparité » qui conduit
à la « division » des droits a pu être observé depuis fort longtemps en matière de signes
distinctifs, chaque fois que le créateur d’une entreprise utilise son nom patronymique pour
désigner celle-ci, à titre de nom commercial ou comme dénomination sociale 1520. L’usage du
nom patronymique comme signe distinctif d’une activité ou d’une personne morale fait naître
un droit patrimonial qui se détache du droit extrapatrimonial et devient indépendant de celuici. Rien ne s’oppose alors, en vertu du parallèlisme des formes, à ce que l’usage de la marque,
médiateur de son titulaire, fasse émerger un droit extrapatrimonial au profit de ce dernier.
1517
C. VILMART, Parfums de luxe et grands whiskies : les droits de propriété intellectuelle contre les
importations parallèles Ŕ Précisions sur la portée des exceptions à la règle d’épuisement du droit des marques et
du droit d’auteur, en droit français et communautaire, JCPE 1998, p. 1821 ; Épuisement des droits : la
jurisprudence française à la lumière des plus récentes décisions communautaires, RLDA 1999, n° 19, p. 3 et
RLDA 1999, n° 20, p. 13. Contra D. LEFRANC, La renommée en droit privé, Defrénois, Coll. Doctorat et
Notariat, t. 8, 2004, n° 158, p. 140.
1518
CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora e.a., non encore publié au Recueil, pt. 95 ; D. 2011, act., p.
2332, obs. C. MANARA. Les juges notent ainsi : « le titulaire d’une marque renommée n’est pas habilité à
interdire, notamment, des publicités affichées par des concurrents à partir de mots clés correspondant à cette
marque et proposant, sans offrir une simple imitation des produits ou des services du titulaire de ladite marque,
sans causer une dilution ou un ternissement et sans au demeurant porter atteinte aux fonctions de la marque
renommée, une alternative par rapport aux produits ou aux services du titulaire de celle-ci ».
1519
P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, Éd. JNA, 1994, p. 11. V. également, F. P OLLAUDDULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2 e éd., 2011, n° 1806, p. 1067 ; J.
PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles,
LGDJ, 2e éd., 2009, n° 363, p. 503.
1520
Cass. com., 12 mai 1985, D. 1985, juris., p. 471, note J. GHESTIN ; JCPG 1985, II, 20400, note G. BONET.
298
La compréhension de ce phénomène conduit, tout d’abord, à observer comment le régime des
marques renommées ou notoires vient instrumentaliser la personnalité de l’entreprise
(Chapitre 1) afin de démontrer, ensuite, que les marques renommées ou notoires ont une
fonction extrapatrimoniale ayant vocation à protéger la personnalité de son titulaire (Chapitre
2).
299
300
Chapitre 1. La personnalité de l’entreprise instrumentalisée par la marque
notoire ou renommée
366. La définition des marques notoires et renommées. La notoriété peut se définir
classiquement comme « le fait d’être connu d’une manière certaine et générale »1521. Quant à
la renommée, elle peut se définir comme l’« opinion publique exprimée et répandue sur
quelqu’un ou quelque chose »1522. Il s’agit de notions qui ne sont pas étrangères au droit1523.
On les retrouve notamment dans l’ancien droit, mais aussi dans le Code civil1524. Dans ce
cadre, un auteur considère que la notoriété « caractérise des réalités méconnues par le droit
commun, mais avérées pour un si grand nombre de personnes que le droit, à titre
exceptionnel, ne peut plus continuer à les ignorer »1525.
Malgré cette ancienneté, ces concepts demeurent difficiles à cerner en dehors du droit des
marques1526. Il est inutile de revenir ici sur le débat relatif à la différence pouvant exister entre
la notoriété et la renommée1527 hors du droit des marques.
Quand il s’agit d’envisager ces notions à l’aune du droit des marques, il apparaît qu’elles sont
relativement récentes1528 et qu’elles semblent souffrir des mêmes flottements quant à leur
1521
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
Le Nouveau Petit Robert, éd. Dictionnaires Le Robert, Paris 1995.
1523
V. à ce sujet C.-A. MAETZ, La notoriété Ŕ Essai sur l’appropriation d’une valeur économique, PUAM, Coll.
de l’institut du droit des affaires, 2010, n° 2, p. 16 citant la première épître de Saint Paul aux Corinthiens, 1
Corinthiens V, 1-5. Le concept de notoriété semble cependant avoir fait officiellement son apparition en tant que
notion juridique à partir du XIIe siècle. V. D. LEFRANC, La renommée en droit privé, Defrénois, Coll. Doctorat
et Notariat, t. 8, 2004, n° 7, p. 4. L’auteur rappelle ainsi que : « les canonistes inventèrent un concept juridique
qui permit, non pas d’accélérer l’administration de la preuve, mais, mieux encore, de l’interdire purement et
simplement. Parce qu’elle devait être l’arme suprême contre la diffusion de péché, la notoriété était le statut des
faits dont l’évidence interdisait toute discussion. Dès lors, la décision rendue sur un fait notoire était définitive,
sans possibilité d’appel ».
1524
V. par exemple, l’ancien article 503 du Code civil disposait que : « Les actes antérieurs pourront être
annulés si la cause qui a déterminé l’ouverture de la tutelle existait notoirement à l’époque où ils ont été faits ».
1525
C. DE HAAS, La « contrefaçon » de la marque notoire en droit comparé américain, européen et français : une
leçon américaine encore mal comprise, Propr. intell. 2003, n° 7, p. 137, spéc. p. 138.
1526
V. sur la notion de notoriété, C.-A. MAETZ, op. cit. ; P. CHAUVEL, La notoriété, in Mélanges dédiés à D.
HOLLEAUX, Litec, 1990, p. 37 ; N. RAYNAUD DE LAGE, La notoriété, D. 2000, chron., p. 513. V. sur la notion
de renommée, D. LEFRANC, op. cit..
1527
V. C.-A. MAETZ, op. cit., n° 11, p. 29 et 30. Pour cet auteur, « la renommée constitue une sous-catégorie de
la notoriété (…), elle ne peut appréhender, à elle seule, le phénomène de la célébrité dans son ensemble ». La
notoriété serait donc : « intimement liée à la dimension quantitative – et donc objective – de la connaissance ».
V. dans une sens contraire, D. LEFRANC, op. cit., n° 14, p. 11. Pour cet auteur : « La renommée est le concept par
lequel le juge demande symboliquement au grand public ce qu’il pense de tel fait ou de telle personne. Le juge
ne se limite pas à se demander si l’existence du fait ou de la personne doit être objectivement tenue pour vrai. Le
juge recherche surtout le jugement de valeur porté sur le fait ou la personne. La notoriété d’un adultère établit
son existence. La renommée d’un adultère exprime la réaction du corps social à l’égard de cet écart affectif ».
1528
Le concept de notoriété fit son apparition dans le droit des marques en 1925 dans le cadre de l’adoption d’un
article 6 bis de la Convention de Paris lors de la Conférence de la Haye. Quant au concept de renommée, il fut
consacré législativement au niveau communautaire par le biais de l’article 5, paragraphe 2 de la Directive
89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques.
1522
301
définition1529. Nous éviterons par conséquent d’entrer dans des détails pouvant s’avérer
superfétatoires à ce stade de nos développements1530 et nous considérerons, eu égard à la
jurisprudence de la Cour de justice sur ce point1531, que les marques notoires et renommées
sont synonymes et qu’elles se distinguent l’une de l’autre par le fait que l’une est enregistrée
et l’autre pas. Nous appréhenderons la marque renommée ou notoire comme une marque non
seulement connue d’une fraction significative du public concerné1532 et mais aussi dans une
partie substantielle du pays dans lequel elle est protégée1533.
367. Un pouvoir d’attraction propre justifiant un régime particulier. L’acquisition de la
renommée ou de la notoriété, nous l’avons dit, est le fruit pour le titulaire du signe de lourds
investissements. Il s’agit pour lui de construire une certaine notoriété, une certaine renommée
ou réputation afin qu’une « image » soit attachée à sa marque. Le titulaire se sert de la marque
comme vecteur d’information. La marque notoire ou renommée n’est plus simplement un
identifiant des produits ou des services du titulaire : elle incorpore un certain nombre de
valeurs, propres au titulaire, qu’il souhaite communiquer au du public. En s’éloignant de sa
fonction originelle, la marque bénéficie d’un pouvoir d’attraction propre indépendant de
l’objet désigné1534.
Le Tribunal de première instance communautaire a précisé à propos du régime spécifique
attaché à la marque renommée qu’il n’avait pas pour objectif de protéger la fonction classique
d’identification, la marque possédant « une valeur économique intrinsèque autonome et
distincte par rapport à celle des produits ou des services pour lesquels elle est
du 21 décembre 1988 et au niveau français par l’article 16 de la loi du n° 91-7 du 4 janv. 1991 relative aux
marques de fabrique, de commerce ou de service.
1529
V. notamment, M.-A. PÉROT-MOREL, Notoriété et renommée : unité ou dualité de concept en droit des
marques, in Mélanges offerts à J.-J. BURST, Litec, 1997, p. 463 ; P. VIVANT, Marque notoire et marque
renommée : une distinction conforme au droit des marques, D. 2010, p. 2496 ; Marque notoire et renommée :
une distinction à opérer, JCPE 2008, 1968 ; I. MEUNIER-CŒUR, Notoriété et renommée de la marque, Propr. ind.
2006, n° 4, étude n° 12 ; T. LACHACINSKI & F. FAJGENBAUM, Quelle marque notoire ou renommée au XXIe
siècle ?, Legicom 2010, n° 44, p. 39 ; R. MERALLI, Mises à jour des notions de marques notoires et de
renommée, LPA 2006, n° 204, p. 5. V. également, A. BOUVEL, La protection des marques renommées, J.-Cl.
Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7320, 2009, n° 14 et s..
1530
Cf. infra n°623.
1531
La Cour de justice a en effet eu l’occasion de préciser que la notoriété était une notion voisine de la
renommée. V. CJCE, 22 nov. 2007, aff. C-328/06, Nieto Nuño, Rec. 2007, p. I-10093 ; Propr. intell. 2009, n° 30,
p. 91, obs. G. BONET ; Comm. com. élect. 2008, n° 2, comm. n° 19, obs. C. C ARON ; Propr. ind. 2008, n° 1,
comm. n° 2, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL; Europe 2008, n° 1, comm. n° 23, obs. L. I DOT.
1532
CJCE, 14 sept. 1999, aff. C-375/97, General Motors, Rec. 1999, p. I-5421 ; PIBD 2000, n° 690, III, p. 39.
1533
CJCE, 14 sept. 1999, préc..
1534
P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques, Éd. JNA, 1994, p. 11. V. également, F. P OLLAUDDULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1806, p. 1067 ; J. PASSA, Traité de droit de la propriété
industrielle, op. cit., n° 363, p. 503. V. Paris, 20 nov. 1996, PIBD 1997, n° 626, III, p. 95 ; Paris, 17 janv. 1996,
PIBD 1996, n° 607, III, p. 155 ; TGI Valence, 2 nov. 2004, Propr. ind. 2005, n° 5, comm. n° 40, obs. P.
TRÉFIGNY.
302
enregistrée »1535. Ce sont, dès lors, les messages véhiculés par la marque qui deviennent
dignes de protection. Cette idée est reprise par l’avocat général SHARPSTON dans ses
conclusions rendues dans l’affaire Intel : « La protection ainsi octroyée concerne moins le
lien établi entre un produit et sa source que l’utilisation de la marque comme outil de
communication porteur d’un message commercial plus large »1536.
La renommée de la marque permet alors à son titulaire de jouir de prérogatives renforcées
voire d’un régime dérogatoire au droit commun des marques. La renommée ou la notoriété
peut ainsi apparaître non seulement comme un obstacle à l’acquisition du droit sur le signe par
les tiers (Section 1), mais également comme promoteur de l’étendue de la protection (Section
2)
Section 1. La renommée ou la notoriété de la marque obstacle à l’acquisition de
droits sur le signe par les tiers
368. La marque notoire ou renommée peut constituer un obstacle dirimant à l’enregistrement
d’une marque. Ce fut d’ailleurs la fonction initialement reconnue à la marque notoire lors de
l’adoption de l’article 6 bis de la Convention de Paris1537 dans le cadre de la conférence de La
Haye en 1925. L’article 6 bis dispose aujourd’hui : « 1° Les pays de l’Union s’engagent, soit
d’office si la législation du pays le permet, soit à la requête de l’intéressé, à refuser ou à
invalider l’enregistrement et à interdire l’usage d’une marque de fabrique ou de commerce
qui constitue la reproduction, l’imitation ou la traduction, susceptibles de créer une
confusion, d’une marque que l’autorité compétente du pays de l’enregistrement ou de l’usage
estimera y être notoirement connue comme étant déjà la marque d’une personne admise à
bénéficier de la présente Convention et utilisée pour des produits identiques ou similaires. Il
en sera de même lorsque la partie essentielle de la marque constitue la reproduction d’une
telle marque notoirement connue ou une imitation susceptible de créer une confusion avec
celle-ci ». La marque notoire se distinguait des autres marques en remettant en cause le
principe de territorialité inhérent au droit des marques (§ 1).
La marque renommée aurait également pu se voir reconnaître une telle fonction au-delà de la
règle de la spécialité. L’article 4, paragraphe 4, sous a) de la Directive 89/1041538 laissait le
choix aux législations nationales de prévoir qu’une marque soit refusée à l’enregistrement ou
1535
TPICE, 22 mars 2007, aff. T-215/03, SIGLA c/ OHMI, Rec. 2007, p. II-711, pt. 35.
E. SHARPSTON, Concl., 26 juin 2008, aff. C-252/07, Intel Corporation, pt. 13.
1537
Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883.
1538
Aujourd’hui Directive 2008/95/CE du Parlement Européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les
législations des États membres sur les marques.
1536
303
annulée lorsque et dans la mesure où « la marque est identique ou analogue à une marque
nationale antérieure au sens du paragraphe 2 et si elle est destinée à être enregistrée ou a été
enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas comparables à ceux pour
lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque la marque antérieure jouit d’une
renommée dans l’État membre concerné et que l’usage de la marque postérieure sans juste
motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque
antérieure ou qu’il leur porterait préjudice ». Cette disposition ne fut pas transposée dans le
droit français1539. Pour autant, elle fut reprise dans le Règlement sur la marque
communautaire1540. Dans ce cadre, ce n’est pas le principe de territorialité qui se voit remis en
cause, mais bien le principe de spécialité (§ 2).
§ 1. L’exception à la règle de la territorialité
369. Le principe de territorialité1541. Présenté comme une « notion clé »1542 des droits de
propriété intellectuelle, le principe de territorialité a pour conséquence de limiter la protection
conférée par le droit de propriété intellectuelle au territoire du pays où le droit est reconnu.
C’est donc le droit du territoire où est demandé la protection qui détermine les conditions, le
contenu et l’étendue de cette protection1543. Il s’agit du « principe de territorialité de
limitation » signifiant que « tout droit subjectif de propriété intellectuelle limite son existence
et son effet au territoire de l’ordre juridique qui l’a créé »1544. L’ubiquité caractérisant les
biens immatériels est contrebalancée par l’aspect nécessairement territorial du droit qui vient
le réserver. La loi nationale doit le définir et ne peut le régir que « dans les limites de l’État
qui reconnaît ce droit »1545.
À l’instar des autres droits de propriété intellectuelle, le droit de marque est également frappé
par le principe de territorialité, entraînant un certain nombre de conséquences quant à la
protection conférée au titulaire du droit. Les effets que produisent le droit de marque au profit
de son titulaire sont tout d’abord cantonnés au territoire « pour lequel il a été accordé par
1539
L’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, s’il envisage l’hypothèse de la marque notoire et de
l’article 6 bis de la Convention de Paris, ne fait pas mention de la marque renommée.
1540
Article 8, paragraphe 5 et 53, paragraphe 1, sous a) du Règlement 207/2009.
1541
V. pour une étude approfondie de cette question, N. B OUCHE, Le principe de territorialité de la propriété
intellectuelle, L’Harmattan, 2002. V. également, F.-K.BEIER, La territorialité du droit des marques et les
échanges internationaux, JDI 1971, p. 5.
1542
N. BOUCHE, op. cit., n° 2, p. 16. L’auteur va même jusqu’à affirmer que le principe de territorialité
« s’impose comme un poncif, à tel point qu’il semble difficile voire impossible d’en faire l’économie dans tout
débat relatif au droit international de la propriété intellectuelle ».
1543
F.-K. BEIER, préc., p. 5.
1544
N. BOUCHE, op. cit., n° 9, p. 21.
1545
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 111, p. 71.
304
l’autorité administrative en vertu de prérogatives de puissance publique »1546. Une marque
enregistrée en France, par l’INPI, ne peut ainsi produire ses effets que sur le territoire
français. Quant à la marque communautaire, c’est sur l’ensemble du territoire communautaire
qu’elle produit ses effets. Par conséquent, tout usage de la marque hors des frontières
françaises ou communautaires, où elle ne serait pas protégée, ne peut tomber sous le coup du
droit de marque1547.
Le principe de territorialité de la marque s’oppose en cela au principe d’universalité qui
prévoit au contraire que, quelle que soit la localisation du premier usage ou dépôt, la
protection n’est pas cantonnée au pays de l’usage ou du dépôt 1548. Autre conséquence du
principe de territorialité, une marque étrangère ne peut pas constituer en théorie une
antériorité susceptible d’empêcher l’enregistrement d’une marque française. Enfin dernière
conséquence du principe de territorialité, le titulaire du droit de marque bénéficie d’une
protection sur l’ensemble du territoire et cela même si l’usage reste local.
370. L’appréciation du principe de territorialité. L’alternative que pouvait représenter le
principe de l’universalité du droit de marque au principe de territorialité présentant trop
d’inconvénients pratiques pour pouvoir être appliqués1549, le principe de territorialité du droit
de marque devait être consacré. Pour autant, il n’en constitue pas moins un principe contesté.
BEIER relevait l’antinomie qui existait entre « l’agencement strictement territorial de la
protection actuelle des marques et le caractère international des échanges pour lesquels les
frontières nationales ne constituent pas un obstacle »1550. Un autre auteur allait plus loin dans
la critique et voyait dans le principe de territorialité un principe « rétrograde qui, en fait, ne
1546
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 40, p. 50.
F.-K. BEIER, préc., p. 5. Cet auteur notait ainsi : « L’effet du droit sur la marque ainsi accordé par le pays de
protection se limite au territoire de ce pays : la marque ne peut pas être contrefaite par un usage à l’étranger et
vice-versa. Le lieu de la protection et celui de la contrefaçon doivent coïncider ».
1548
V. F. OSTERTAG, Territorialité ou universalité dans le domaine du droit sur les marques, Ann. propr. ind.
1937, p. 1 ; N. BOUCHE, op. cit., n° 18, p. 37 ; P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 2, Sirey, 1954,
n° 250, p. 507. En vertu de ce principe, quelque soit la localisation dans le monde, la première utilisation de la
marque est constitutive d’un droit de marque. Le principe de l’universalité fut pendant un certain temps en
vigueur en Allemage et en Suisse. Ce principe fut abandonné en Allemagne en 1927 suite à l’arrêt
« Hengstenberg » cité par F.-K. BEIER, préc., p. 5, spéc. p. 14. Quant à la Suisse, le principe fut abandonné en
1952.V. pour une critique du principe de l’universalité, F. O STERTAG, préc., p. 1.
1549
M.-A. PÉROT-MOREL, Les difficultés d’application de l’article 6 bis de la Convention d’union de Paris relatif
à la protection internationale des marques notoires, Riv. di Dir. ind. 1981, n°1, p. 34 et plus particulièrement p.
36. Comme le note cet auteur, le principe d’universalité : « offre des inconvénients qu’il ne faut pas se
dissimuler, notamment la difficulté des recherches internationales qui en résulterait avant tout dépôt de
marque ». V. également, G. DASSAS, L’élargissement de la protection des marques en droit français, allemand et
international, Litec, CEIPI, t. 13, 1976, p. 11. Pour cet auteur, « admettre la validité international de toutes les
marques protégées dans leur pays d’origine serait un obstacle pratiquement insurmontable au choix d’une
marque nouvelle ». V. aussi, F. OSTERTAG, préc., p. 1.
1550
F.-K. BEIER, préc., p. 5.
1547
305
sert guère de prétexte à des actes de moralité douteuse qui constituent le plus souvent des
spoliations de la marque d’autrui »1551.
Sans pour autant qualifier le principe de rétrograde, il est vrai que le principe de territorialité
n’est pas exempt de critiques et ne met pas les titulaires de marque à l’abri de fraudeurs mal
intentionnés au-delà des frontières. Le développement du commerce international a facilité la
propagation des produits et, par voie de conséquence, a permis aux marques d’acquérir une
certaine notoriété. Comme le note Madame PEROT-MOREL, les concurrents étrangers peuvent
s’empresser de reprendre à leur compte une marque connue qui n’a pas encore été utilisée ou
déposée sur leur propre territoire1552.
Il était impératif de pallier les difficultés que pouvait présenter le principe de territorialité.
C’est ce que l’article 6 bis a tenté de faire en apportant une « teinte » d’universalité au
principe de territorialité.
371. L’aménagement du principe. Afin de permettre de déjouer les inconvénients du
principe de territorialité, les pays de l’Union de Paris modifièrent la Convention dans le cadre
de la Conférence de révision de La Haye en 19251553 et adoptèrent l’article 6 bis. Cet article
prévoit que les pays de l’Union doivent empêcher ou annuler l’enregistrement, ou interdire
l’usage d’une marque qui serait une reproduction, une imitation ou une traduction, susceptible
de créer un risque de confusion, avec une marque considérée comme notoire par l’autorité
compétente du pays de l’enregistrement ou de l’usage utilisé pour des produits ou services
similaires.
L’article 6 bis précise également qu’il en est de même lorsque la partie essentielle d’une
nouvelle marque constitue la reproduction d’une telle marque notoirement connue ou une
imitation susceptible de créer une confusion avec celle-ci. La règle posée à l’article 6 bis se
retrouve non seulement dans le droit français,1554 mais également dans le droit communautaire
qui classent au rang des antériorités opposables la marque notoirement connue au sens de
l’article 6 bis de la Convention de Paris1555.
Le contenu de l’article 6 bis apparaît, au regard du droit français, exceptionnel à deux titres.
En sus de tempérer la règle selon laquelle le droit de marque s’acquiert par l’enregistrement
1551
A. CHAVANNE, La notion de premier usage de marque et le commerce international, in Mélanges en
l’honneur de P. ROUBIER, t. 2, Dalloz-Sirey, 1961, p. 377, spéc. p. 384.
1552
M.-A. PÉROT-MOREL, L’extension de la protection des marques notoires, RTD com. 1966, p. 9, spécialement
n° 8, p. 17.
1553
La Convention de Paris fut ensuite modifiée sur ce point dans le cadre des Conférences de révision de
Londres de 1934 puis par celle de Lisbonne en 1958.
1554
Art. L. 711-4, a) du Code de la propriété intellectuelle.
1555
Art. 4, paragraphe 2, sous d) de la Directive 2008/95 ; Art. 8, paragraphe 2, sous c) du Règlement 207/2009.
306
du signe1556, cet article permet surtout de réaliser « un subtil équilibre entre la rigidité du
principe de territorialité et la permissivité du principe de l’universalité »1557. La notoriété de
la marque serait un moyen de s’affranchir des frontières et, partant, du principe de
territorialité1558, pour faire vivre le principe de l’universalité, jusqu’alors réservé au système
considérant la marque comme un droit de la personnalité. Pour autant, l’article 6 bis n’était
pas exempt d’ambiguïté. Il revenait à la doctrine et à la jurisprudence d’en préciser les
contours.
372. Les critiques de l’article 6 bis de la Convention de Paris. Si l’article 6 bis était
indispensable pour les titulaires de marques notoires1559, il n’est pas sans soulever quelques
incertitudes quant à la notion même de la notoriété, son appréciation et, par voie de
conséquence, « sur la portée territoriale du droit »1560. Quid ainsi du public à prendre en
considération pour apprécier la notoriété ? Quid de son étendue géographique ?
Il est regrettable que la Convention de Paris n’ait pas apporté plus de précisions quant à la
notion de notoriété qui est « un fait plus difficile à déterminer et à localiser que celui de
l’usage »1561. Le texte n’apportant aucune précision, il incombait aux administrations
compétentes d’apprécier la notoriété. L’appréciation de la notion pouvant varier d’un pays à
l’autre, il était difficile d’avoir une application uniforme de la Convention à travers les pays
de l’Union1562.
373. La définition dégagée de la notoriété. Définir la notoriété fut une tâche ardue1563,
source de tergiversations. Si les auteurs s’accordaient sur le fait qu’une marque notoire était
1556
V. TPICE, 11 juill. 2007, aff. T-150/04, Mülhens c/ OHMI, Rec. 2007, p. II-2353, pt. 51. Les juges ont en
effet précisé que : « les marques notoirement connues au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris sont
des marques qui bénéficient d’une protection contre le risque de confusion, et ce sur le fondement de leur
notoriété dans le ressort territorial en cause et indépendamment de la production, ou non, d’une preuve
d’enregistrement ».
1557
C.-A. MAETZ, La notoriété Ŕ Essai sur l’appropriation d’une valeur économique, PUAM, Coll. de l’institut
du droit des affaires, 2010, n° 138, p. 135.
1558
A. CHAVANNE, Les marques notoirement connues ou de haute renommée, in Études de droit contemporain,
Cujas, 1966, p. 301, spéc. p. 304. L’auteur note ainsi que : « la notoriété de la marque fait éclater le cadre
strictement territorial de celle-ci. Son rayonnement dépasse les frontières du pays où elle a été déposée et
régulièrement appropriée pour conférer aussi un monopole dans les pays où sa notoriété l’a fait connaître,
même si aucun acte d’appropriation n’y avait été fait par son titulaire ».
1559
V. M.-A. PÉROT-MOREL, L’extension de la protection des marques notoires, RTD com. 1966, p. 9 et plus
spécialement n° 9, p. 18. Madame PÉROT-MOREL notait en effet que la solution dégagée par la Convention de
Paris : « vaut mieux sans doute que les combinaisons déloyales que risque d’entraîner dans le commerce
international, la stricte application du principe de territorialité ».
1560
M.-A PÉROT-MOREL, préc., spéc. n° 9, p. 18.
1561
M.-A PÉROT-MOREL, préc., spéc. n° 9, p. 18.
1562
M.-A PÉROT-MOREL, préc., spéc. n° 11, p. 19.
1563
P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. 2, Sirey, 1954, n° 263, p. 565.
307
une marque jouissant d’une certaine célébrité auprès du public, il convenait de déterminer le
public et la localisation de la célébrité1564. Concernant le public à prendre en considération,
certains auteurs avaient une conception stricte de la notoriété en considérant que la marque
était notoire si elle était connue d’une très large fraction du public1565. La jurisprudence retint
parfois cette approche1566. À l’inverse, une conception souple de la notoriété pouvait être
envisagée. Dans ce cadre, la marque est notoire dès qu’elle est connue des milieux
concernés1567. C’est cette seconde approche qui semble devoir être préférée. L’article 16,
paragraphe 2 de l’accord sur les ADPIC prévoit que « Pour déterminer si une marque de
fabrique ou de commerce est notoirement connue, les Membres tiendront compte de la
notoriété de cette marque dans la partie du public concernée ». La jurisprudence
communautaire s’est également prononcée dans ce sens1568. La marque doit être considérée
comme notoire dès lors qu’elle est connue du public concerné par les produits ou services en
cause.
Concernant la question de l’espace géographique où la marque doit être connue, il paraît une
nouvelle fois évident qu’il s’agit d’une marque dont la célébrité dépasse les frontières du pays
dans lequel elle est enregistrée ou utilisée1569. Ce sont donc celles dont « la réputation gagne
1564
Certains auteurs sont contre une définition rigide de la marque notoire. La marque notoire devrait
simplement : « pour justifier une protection exceptionnelle dérogatoire au droit commun, être telle qu’elle n’ait
pu, selon toute vraisemblance, échapper à l’usurpateur », G. DASSAS, L’élargissement de la protection des
marques en droit français, allemand et international, Litec, CEIPI, 1976, t. 13, p. 43.
1565
P. MATHÉLY, Le droit français des signes distinctifs, Éd. JNA, 1984, p. 18 ; Y. SAINT-GAL, Protection et
défense des marques de fabrique et concurrence déloyale (droit français et droits étrangers), Delmas, 5 e, 1982,
E7 ; A. CHAVANNE, Les marques notoirement connues ou de haute renommée, in Études de droit contemporain,
Cujas, 1966, p. 301, spéc. p. 303. V. dans ce sens plus récemment, A. CHAVANNE & J.-J. BURST, Droit de la
propriété industrielle, Dalloz, Précis, 5ème éd., 1998, n° 1027, p. 587 ; J. AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la
propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006, n° 1446, p. 796.
1566
V. dans ce sens, Paris, 8 décembre 1962, Ann. propr. ind. 1963, p. 147, note R. D USOLIER ; TGI Paris, 20
mai 1975, PIBD 1975, n°154 , III, p. 337 ; Paris, 13 juill. 1977, PIBD 1978, n° 210 , III, p. 94 ; Paris, 24 janv.
1997, n° 630 , III, p. 209.
1567
V. notamment, M.-A PÉROT-MOREL, Notoriété et renommée : unité ou dualité de concept en droit des
marques, in Mélanges offerts à J.-J. BURST, Litec, 1997, p. 463 et plus particulièrement p. 464 ; La protection
internationale des marques notoires, JDI 1980, p. 269 et spécialement p. 280. Cette conception de la marque
notoire fut également celle retenue par le groupe français dans le cadre des travaux de l’AIPPI. Question 100,
Protection des marques notoires non enregistrées (art. 6 bis Convention Union de Paris) et protection des
marques de haute renommée, Annuaire AIPPI 1990/IV, p. 98.
1568
La Cour de justice a en effet eu l’occasion de préciser que la notoriété était une notion voisine de la
renommée. V. CJCE, 22 nov. 2007, aff. C-328/06, Nieto Nuño, Rec. 2007, p. I-10093 ; Propr. intell. 2009, n° 30,
p. 91, obs. G. BONET ; Comm. com. élect. 2008, n° 2, comm. n° 19, obs. C. C ARON ; Propr. ind. 2008, n° 1,
comm. 2, obs. A. FOLLIARD-MONGUIRAL; Europe 2008, n° 1, comm. n° 23, obs. L. I DOT. De ce fait, dès lors que
la Cour de justice apprécie la renommée d’une marque au regard du public concerné par les produits et services
en cause, on peut déduire qu’il en sera de même pour l’appréciation de la notoriété. V. pour l’appréciation de la
renommée, CJCE, 14 sept. 1999, aff. C-375/97, General Motors, Rec. 1999, p. I-5421; PIBD 2000, n° 690, III, p.
39.
1569
Paris, 11 févr. 1966, Ann. propr. ind. 1967, p. 60, note R. D USOLIER. Dans cette affaire, les juges relèvent
qu’une marque est notoirement connue : « dans le cas où cette marque jouit d’une grande réputation nationale
ou même internationale et d’un usage de très longue durée ».
308
le marché international, ou tout au moins s’étend à plusieurs pays »1570. La marque notoire
ne doit pas nécessairement faire l’objet d’un usage effectif dans le pays où la protection est
réclamée1571. Il suffit que la marque soit connue. Il serait difficile d’admettre le contraire dans
une société où les médias occupent une place prépondérante, permettant aux marques d’être
connues indépendamment des produits ou services qu’elles désignent.
Enfin, quant à l’étendue de la notoriété dans le pays en question, la jurisprudence
communautaire est venue apporter quelques précisions intéressantes1572. La notoriété n’est pas
requise sur l’ensemble du territoire de l’État où l’enregistrement est demandé, mais
simplement sur une partie substantielle de celui-ci. Encore convient-il de savoir à quoi
renvoie la notion de partie substantielle. Là encore, les juges communautaires ont tenté de
délimiter les contours de la notion de « partie substantielle » en relevant qu’ « une notoriété
limitée à une ville et à ses environs »1573 ne serait pas suffisante.
La marque notoire est donc celle qui est connue du public concerné par les produits ou
services en cause dans une partie substantielle de l’État où la marque est demandée à
l’enregistrement ou utilisée.
374. L’appréciation de la notoriété. L’appréciation de la notoriété est une question de
fait1574 laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond1575. Il s’agit d’un fait purement
subjectif1576, « difficile à déterminer et à localiser »1577. La marque notoire « se « sent » plus
qu’elle ne se « définit » »1578. Il est délicat de fixer « un nombre de consommateurs, un
nombre de produits à partir duquel on pourra affirmer qu’une marque est notoire »1579.
Divers critères ont ainsi pu être proposés par la doctrine et retenus par la jurisprudence afin
1570
M.-A.PÉROT-MOREL, La protection internationale des marques notoires, JDI 1980, p. 269, spéc. p. 279.
M.-A.PÉROT-MOREL, Les difficultés d’application de l’article 6 bis de la Convention d’union de Paris relatif
à la protection internationale des marques notoires, Riv. di Dir. ind. 1981, n° 1, p. 34 et spécialement p. 46 et 47.
Pour cet auteur, admettre le contraire enlèverait « incontestablement toute portée pratique à la règle dans les
pays où l’usage est attributif de droit ».
1572
CJCE, 22 nov. 2007, aff. C-328/06, Nieto Nuño, Rec. 2007, p. I-10093, pt. 17.
1573
CJCE, 22 nov. 2007, préc., pt. 18.
1574
A. CHAVANNE & J.-J. BURST, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, 5ème éd., 1998, n° 1027, p.
587 ; A. CHAVANNE, Les marques notoirement connues ou de haute renommée, in Études de droit contemporain,
Cujas, 1966, p. 301, spéc. p. 303 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1472, p.
842.
1575
Cass. com., 16 janv. 1989, Ann. propr. ind. 1990, p. 5 ; Cass. com., 16 janv. 1990, PIBD 1990, n° 480, III, p.
391.
1576
M.-A. PÉROT-MOREL, La protection internationale des marques notoires, préc., spéc. p. 280.
1577
M.-A. PÉROT-MOREL, L’extension de la protection des marques notoires, RTD com. 1966, p. 9, spéc. n° 9, p.
18.
1578
M.-A. PÉROT-MOREL, La protection internationale des marques notoires, préc., spéc. p. 280.
1579
A. CHAVANNE & J.-J. BURST, préc., n° 1027, p. 587.
1571
309
d’apprécier au mieux le degré de connaissance et l’étendue géographique de la marque
notoire.
Le premier critère pouvant être évoqué est celui de l’ancienneté1580. Il était couramment admis
que seule une marque ayant fait ses peuves par un usage prolongé pouvait être promu au rang
des marques notoires1581. S’il est vrai qu’il « fut un temps où l’expérience et la continuité de
l’effort couronnaient le succès d’une entreprise commerciale »1582, il est aujourd’hui des
marques qui peuvent être considérées comme étant notoires instantanément ou très
rapidement1583, voire même avant toute mise sur le marché1584.
La notoriété peut également être appréhendée en fonction de la qualité des produits ou
services. Tel est le cas si la marque désigne des produits de luxe. Il ne s’agit cependant pas
d’une généralité et il est impossible « d’en faire un critère absolu »1585. De nombreuses
marques notoires identifient des produits de consommation courante voire de piètre qualité.
Il est possible d’apprécier la notoriété de la marque « en fonction de l’importance de son
usage ou du nombre de produits fabriqués ou vendus »1586. Le succès commercial ne peut
cependant pas non plus constituer un élément déterminant1587. L’appréciation de la notoriété
peut aussi résulter des investissements et des efforts publicitaires consentis par le titulaire du
signe. Il s’agit de prendre en compte les « dépenses promotionnelles engagées par le titulaire
ou le nombre des apparitions sur le marché de la publicité »1588. Là encore, il ne peut s’agir
d’un élément déterminant.
1580
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., 2011, n° 1471, p. 841 ; M.-A. PÉROTMOREL, La protection internationale des marques notoires, JDI 1980, p. 269 et plus particulièrement p. 279 ; A.
CHAVANNE, Les marques notoirement connues ou de haute renommée, in Études de droit contemporain, Cujas,
1966, p. 301, spéc. p. 302. V. par exemple, Paris, 7 déc. 1959, Ann. propr. ind. 1960, p. 167 ; Paris, 3 nov. 1958,
JCPG 1958, II, 10 862.
1581
M.-A. PÉROT-MOREL, préc., spéc. p. 279. ; A. CHAVANNE, préc., spéc. p. 302.
1582
M.-A. PÉROT-MOREL, préc., spéc. p. 279.
1583
G. DASSAS, L’élargissement de la protection des marques en droit français, allemand et international, Litec,
CEIPI, 1976, t. 13, p. 42. V. pour un exemple de renommée obtenue rapidement, TGI, 15 nov. 1999, RDPI 2000,
n° 115, p. 38.
1584
Comme le note le Professeur POLLAUD-DULIAN, il est concevable qu’une marque « devienne célèbre avant
même sa diffusion dans le commerce et alors qu’elle ne s’adresse qu’à un public limité, parce que les médias en
ont tellement parlé que plus personne ne peut ignorer son existence, avant le premier acte de
commercialisation ». Tel fut notamment le cas de la marque « Viagra ». F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la
propriété industrielle, op. cit., n° 1471, p. 842.
1585
M.-A. PÉROT-MOREL, préc., spéc. p. 279.
1586
M.-A. PÉROT-MOREL, préc., spéc. p. 279.
1587
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 369-1, p. 512. V. TGI Paris, 18 mars 2003,
PIBD 2003, n° 772, III, p. 481.
1588
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 369-1, p. 512. V. Versailles, 19 juin 2003,
PIBD 2003, n° 773, III, p. 517 ; Paris, 9 avr. 2004, PIBD 2004, n° 792, III, p. 485 ; Versailles, 27 avr. 2006,
PIBD 2006, n° 834, III, 505.
310
Comme le préconise très justement le Professeur PASSA, le plus sûr pour les juges « est de
s’attacher à l’ensemble de ces critères en les tenant chacun pour un simple indice »1589. C’est
ce qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice qui prescrit aux juges nationaux de
« prendre en considération tous les éléments pertinents de la cause, à savoir, notamment, la
part de marché détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de son
usage, ainsi que l'importance des investissements réalisés par l'entreprise pour la
promouvoir»1590.
Une fois la notoriété appréciée, il convient d’envisager la protection, proprement dite,
conférée par l’article 6 bis de la Convention de Paris aux marques notoires.
375. Les conditions de mise en œuvre de la règle. L’article 6 bis fait de la marque notoire
une antériorité rendant indisponible le signe pour constituer une marque dans la même
spécialité1591. Plusieurs précisions doivent être apportées quant à l’application de la règle.
Tout d’abord, l’article 6 bis vise uniquement les marques de fabrique et de commerce. Les
exceptions devant s’interpréter strictement, les marques de services étaient exclues du régime
dérogatoire dont bénéficient les marques notoires1592. L’accord sur les ADPIC est venu
apporter un correctif à cette absence en précisant à l’article 16, paragraphe 2 que « L’article 6
bis de la Convention de Paris s’appliquera, mutatis mutandis, aux services ».
En second lieu, il apparaît à la lecture de l’article 6 bis de la Convention de Paris que la
marque notoire, si elle a pour vocation de faire tomber les barrières de la territorialité, ne
remet pas en cause le principe de spécialité. Il consacre au contraire « expressément le
caractère relatif du droit à la marque en n’accordant le bénéfice de cette disposition qu’aux
marques notoirement connues « utilisées pour des produits identiques ou similaires »1593.
1589
1590
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 369-1, p. 512.
V. pour la marque renommée, CJCE, 14 sept. 1999, aff. C-375/97, General Motors, Rec. 1999, p. I-5421, pt.
27.
1591
V. Art. L. 711-4, a) du Code de la propriété intellectuelle.
Madame PÉROT-MOREL précisait à ce propos que les marques de service : « dont la nature est très spécifique
ne peuvent pas se prévaloir, quelle que soit leur notoriété, de la règle particulière de la Convention de Paris ».
M.-A. PÉROT-MOREL, Les difficultés d’application de l’article 6 bis de la Convention d’union de Paris relatif à la
protection internationale des marques notoires, Riv. di Dir. ind. 1981, p. 34, spéc. p. 42.
1593
M.-A. PÉROT-MOREL, préc., spéc. p. 37 et 38. L’auteur dénonce la frilosité des rédacteurs de l’article 6 bis
qui voient dans une telle limitation « un inconvénient, depuis longtemps dénoncé, au regard de la marque
exceptionnellement renommée ». Elle continue en expliquant qu’ « Il n’est pas douteux que la possibilité de
reprendre une marque célèbre pour des produits différents ouvre la porte à des spéculations déloyales ».
1592
311
Autre précision, l’article 6 bis envisage non seulement l’hypothèse de la reproduction, mais
également celle de l’imitation et de la traduction1594.
Enfin, pour permettre l’application de l’article 6 bis, cette reproduction ou imitation de la
marque notoire doit être susceptible de créer un risque de confusion.
376. Les possibilités offertes au titulaire d’une marque notoire. La marque notoire permet
de faire obstacle à l’enregistrement d’un signe identique ou similaire à titre de marque dans la
même spécialité. Dans le cadre du droit français, l’obstacle constitué par la marque notoire se
traduit par sa consécration en tant qu’antériorité opposable1595. Le titulaire peut dès lors faire
opposition au dépôt de ce signe comme peut le faire le titulaire d’une marque « classique »
enregistrée1596.
Il peut également demander l’annulation en cas d’enregistrement du signe comme le prévoit
l’article L. 714-4 du Code la propriété intellectuelle : « L’action en nullité ouverte au
propriétaire d’une marque notoirement connue au sens de l’article 6 bis de la convention de
Paris pour la protection de la propriété industrielle se prescrit par cinq ans à compter de la
date d’enregistrement, à moins que ce dernier n’ait été demandé de mauvaise foi ».
En outre, sur le fondement de l’article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle, le
titulaire d’une marque notoire peut aussi bénéficier de l’action en revendication1597. L’article
L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « Si un enregistrement a été demandé
soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou
conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa
propriété en justice ». Le titulaire d’une marque notoire, considéré comme un tiers doté d’un
droit sur la marque au sens de l’article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle, peut
« s’il fait la preuve de la fraude du déposant, revendiquer en justice la propriété de la
marque »1598.
Enfin, eu égard à la terminologie employée par les articles L. 712-4 et L. 714-4 du Code de la
propriété intellectuelle respectivement relatifs à l’opposition et à l’annulation, il est légitime
1594
V. sur la traduction de la marque, P. DEMARET, Traduction et translitération de la marque, RIPIA 1967, n°
70, p. 311. V. également, Paris, 3 nov. 1959, Ann. propr. ind. 1960, p. 194. Dans cette affaire, les juges ont
refusé de voir le terme « flash » comme une contrefaçon par traduction du terme « Eclair ».
1595
Art. L. 711-4, a) du Code de la propriété intellectuelle.
1596
Art. L. 712-4, alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle.
1597
F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 1477, p. 846 ; C.-A. MAETZ, La notoriété Ŕ Essai sur l’appropriation d’une
valeur économique, op. cit., n° 153, p. 147.
1598
C.-A. MAETZ, op. cit., n° 158, p. 152. V. par exemple, Paris, 4 e ch., 12 nov. 2003, PIBD 2004, III, p. 102.
Dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris rejeta l’action en revendication de la fédération française de football
au motif que cette dernière n’avait pas rapporté la preuve de l’utilisation du signe « Allez les bleus » en tant que
marque notoire antérieurement au dépôt litigieux.
312
de s’interroger sur la possibilité pour le titulaire de la marque d’agir en contrefaçon. Ces
articles n’hésitent pas à parler de propriété d’une marque notoirement connue. Si la qualité de
propriétaire devait être reconnue au titulaire d’une marque notoirement connue, il pourrait
bénéficier de l’action en contrefaçon qui permet, justement, à voir sanctionner les atteintes
portées aux droits du propriétaire1599. Il apparaît cependant que la doctrine tend à considérer
que la notoriété ne supplée au dépôt en ne permettant pas au titulaire de la marque notoire de
bénéficier de l’action en contrefaçon1600. Une telle appréciation semble répondre à la logique
de l’article 6 bis de la Convention de Paris1601.
377. La marque notoirement connue impose aux pays de l’Union de faire exception au
principe de territorialité. L’article 6 bis de la Convention de Paris permet ainsi de faire revivre
un concept jusqu’alors réservé aux systèmes considérant le droit de marque comme un droit
de la personnalité : l’universalité du droit de marque. Ici, s’il n’est pas question de parler de
principe d’universalité du droit de marque, il existe cependant une exception d’universalité
pour les marques notoirement connues. Pour autant, le bouleversement opéré par l’article 6
bis de la Convention de Paris n’était pas total, en ce sens que les artisans du concept de
marque notoirement connue n’ont pas souhaité remettre en cause le principe de spécialité, clef
de voûte du droit des marques. Le législateur communautaire fut moins frileux et n’hésita pas
à faire de la marque renommée un obstacle à l’acquisition de droit sur le signe par les tiers
hors spécialité.
1599
Cf. infra n° 412.
M.-A. PÉROT-MOREL, Les difficultés d’application de l’article 6 bis de la Convention d’union de Paris relatif
à la protection internationale des marques notoires, Riv. di Dir. ind. 1981, p. 34, spéc. p. 48. Madame PÉROTMOREL note ainsi que le titulaire d’une marque notoire « ne dispose pas d’un droit analogue à celui que lui
aurait conféré l’enregistrement de sa marque dans ce pays, notamment il ne pourra pas exercer l’action en
contrefaçon ». V. également, F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1477, p. 846
qui n’envisage pas la contrefaçon au titre des effets juridiques de la notoriété. V. aussi J. A ZÉMA & J.-C.
GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6e éd., 2006, n° 1446, p. 796 ; A.
CHAVANNE, Fraude et dépôt attributif de droit en matière de marques, in Mélanges en l’honneur de D. BASTIAN,
t. 2, Droit de la propriété industrielle, Litec, 1974, p. 3, spéc. p. 10 ; P. ARHEL, La protection des marques
notoires à l’épreuve du droit de la concurrence, JCPE 1993, I, n° 4, 214, et plus particulièrement n° 3 ; D.
LEFRANC, La renommée en droit privé, Defrénois, Coll. Doctorat et Notariat, t. 8, 2004, n° 150, p. 132. Contra,
J. PASSA, Contrefaçon et concurrence déloyale, Litec, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 15, 1997,
n° 228, p. 148.
1601
Paris, 7 déc. 1959, Ann. propr. ind. 1960, p. 167. Les juges considérèrent dans cette affaire que l’article 6 bis
« prévoit seulement une action en nullité et radiation d’une marque imitant une marque notoirement connue
utilisée pour des produits similaires, ne saurait être invoquée en matière de contrefaçon ou d’usurpation de
marque ».
1600
313
§ 2. L’exception à la règle de la spécialité
378. La renommée comme exception classique à la règle de spécialité. Il est classiquement
reconnu1602 que la marque renommée ou notoire doit pouvoir bénéficier d’un régime de
protection allant au-delà de la spécialité. La doctrine et la jurisprudence, sans pour autant
s’accorder sur les justifications d’une telle dérogation1603, abondaient déjà dans ce sens bien
avant la consécration de la marque renommée au niveau communautaire1604. Saisissant
l’opportunité qui lui était offerte, le législateur français procéda à son tour à la reconnaissance
de la marque renommée comme tempérament au principe de spécialité.
Cette consécration se retrouve aujourd’hui à l’article L. 713-5 du Code de la propriété
intellectuelle qui dispose : « La reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une
1602
En France, la première décision qui consacre une telle opinion concerne non pas une marque mais un nom
commercial notoire. T. com. Seine, 5 janv. 1940, Ann. propr. ind. 1940-1948, p. 289. Etaient opposée dans cette
affaire la société Waterman, connue pour ses stylos, à une autre société qui utilisait le même vocable afin de
désigner des lames de rasoir. Les juges rappelèrent dans un premier temps « qu’il est constant que le nom
Waterman jouit d’une grande notoriété dans le commerce » pour considérer « Que le fait pour un fabricant de
lames de rasoirs de présenter ses produits sous ce nom est de nature – bien que les produits soient différents -,
tout en étant destinés à être vendus à la même clientèle, à créer une confusion qui bénéficie à coup sûr à la
Société Bassatis et peut causer à la Société Waterman un préjudice important, si les lames sont de qualité
médiocre et les procédés de mise en vente contraires aux usages loyaux du commerce, ou tout au moins un
trouble commercial appréciable dans le cas contraire ; Qu’au surplus, aucun motif ne paraissait expliquer le
choix par la Société Bassatis d’un nom déjà utilisé et aussi différent du sien ; qu’il convient donc, en tout état de
cause, d’interdire à la Société Bassatis de se servir dans l’avenir du nom de Waterman pour la vente ou la
présentation de ses produits ». Comme le note un auteur, le fait qu’il s’agisse d’un nom commercial « n’a que
peu d’importance car, comme le confirmera la jurisprudence postérieure, le raisonnement des juges dans cette
affaire vaut, mutatis mutandis, pour les marques notoires », A. BOUVEL, La protection des marques renommées,
J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7320, 2009, n° 5.
1603
M.-A. PÉROT-MOREL, L’extension de la protection des marques notoires, RTD com. 1966, p. 9, spéc. n° 33,
p. 38. Madame PÉROT-MOREL établit une liste des différents fondements juridiques pouvant justifier une
protection au-delà de la sphère de la spécialité pour les marques renommées. Ont ainsi été proposés comme
fondements juridiques de l’élargissement de la protection : l’enrichissement sans cause, l’abus de droit, le droit
de marque comme droit de la personnalité et la concurrence déloyale. V. également sur ces flottements quant au
fondement de la protection de la marque renommée, A. B OUVEL, La protection des marques renommées, J.-Cl.
Marques Ŕ Dessins et modèles, Fasc. 7320, 2009, n° 4 et s.. Les moyens utilisés par la jurisprudence n’étaient
pas toujours exempts de critiques. Ainsi, certaines décisions interprétaient largement la notion de similitude. V.
par exemple, Paris, 17 déc. 1974, PIBD 1975, n° 147, III, p. 173. Les juges considérèrent dans cette affaire que
du chocolat et du fromage étaient des produits similaires. V. aussi, Paris, 10 janv. 1959, Ann. propr. ind. 1959, p.
126 (Les juges considérèrent que les substances chimiques pour la photographie sont comprises dans les produits
chimiques pour un usage industriel) ; Paris, 29 oct. 1987, Ann. propr. ind. 1988, p. 74, note P. MATHÉLY
(similitudes entre des bijoux et parfums et accessoires féminins) ; TGI Paris, 19 déc. 1991, RIPIA 1991, n° 165,
p. 431 (Similitude entre un parfum de luxe attribué à un joaillier et des articles d’horlogerie et de bijouterie).
D’autres décisions, plus judicieusement, se retranchèrent derrière la responsabilité délictuelle de l’article 1382 du
Code civil pour protéger les titulaires de marques notoires ou renommées. V. l’affaire Pontiac, Paris, 8 déc.
1962, D. 1963, p. 406, obs. H. DESBOIS ; Ann. propr. ind. 1963, p. 147, obs. R. DUSOLIER. Voir également, Paris,
12 juill. 1955, Ann. propr. ind. 1956, p. 128, note R. DUSOLIER. Dans ces décisions était retenue la notion de
faute. Fut également parfois retenues les notions d’abus de droit et d’agissements parasitaires. V. pour l’abus de
droit, Paris, 5 juin 1986, Ann. propr. ind. 1987, p. 188 ; Paris, 19 déc. 1991, Ann. propr. ind. 1995, p. 45, note
P. MATHÉLY; Cass. com., 18 janv. 1994, PIBD 1994, n° 565, III, p. 234. V. pour la notion d’agissements
parasitaires, Paris, 11 févr. 1989, RDPI 1989, n° 26, p. 109 ; Cass. com., 4 juill. 1995, PIBD 1995, n° 597, III, p.
497.
1604
V. pour la Directive 2008/95, les articles 4, paragraphe 4, sous a) et 5, paragraphe 2.
314
renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement
engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au
propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation
injustifiée de cette dernière.
Les dispositions de l’alinéa précédent sont applicables à l’emploi d’une marque notoirement
connue au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété
industrielle précitée ». Il apparaît à la lecture de ce texte que la marque renommée n’a pas
pour conséquence de de permettre l’annulation d’une marque enregistrée au-delà du cadre
concurrentiel (I). Le système français se distingue en cela du Règlement sur la marque
communautaire1605 qui prévoit expressément qu’une marque renommée constitue une
antériorité au-delà des limites de la spécialité (II).
I. L’annulation d’une marque française portant atteinte à une marque
renommée
379. L’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle comme obstacle à
l’acquisition de droit sur le signe par les tiers. Une partie de la doctrine1606, relayée par la
jurisprudence1607, considère que l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle peut
servir de base à l’annulation de l’enregistrement d’une marque déposée par un tiers identique
ou similaire à une marque renommée pour désigner des produits ou services différents. La
rigueur juridique nous impose de nuancer cette approche.
Le Professeur PASSA rappelle que l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle
permet uniquement de demander « l’interdiction de l’usage du signe litigieux, identique ou
similaire, et non l’annulation de l’acte juridique consistant dans son enregistrement »1608.
L’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle est la transposition dans le droit
français de l’article 5, paragraphe 2 de la Directive 2008/95 sur les marques. Il n’est en aucun
cas la transposition de l’article 4, paragraphe 4, sous a), relatif, justement, à la marque
renommée comme obstacle à l’acquisition de droit sur le signe par les tiers hors la spécialité.
Cet article précise qu’un État membre peut prévoir qu’une marque est refusée à
l’enregistrement ou susceptible d’être annulée si la marque « est identique ou analogue à une
1605
V. l’article 8, paragraphe 5 du Règlement sur la marque communautaire.
F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1396, p. 796 ; A. BOUVEL, Principe de
spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle, t. 24, 2004, n° 791, p.
387.
1607
Paris, 31 oct. 1997, PIBD 1998, n° 650, III, p. 175 ; RTD com. 1998, p. 145, obs. A. CHAVANNE ; Paris, 8
mars 2002, PIBD 2002, n° 749, III, p. 409 ; TGI Paris, 20 févr. 1998, PIBD 1998, n° 654, III, p. 280.
1608
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 151, p. 175.
1606
315
marque nationale antérieure au sens du paragraphe 2 et si elle est destinée à être enregistrée
ou a été enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas comparables à ceux
pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque la marque antérieure jouit d’une
renommée dans l’État membre concerné et que l’usage de la marque postérieure sans juste
motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque
antérieure ou qu’il leur porterait préjudice ». Comme pour l’article 5, paragraphe 2, les
législateurs nationaux étaient libres de transposer ou non cet article. Or, le législateur français,
à tort ou à raison, a fait le choix de ne pas le transposer ; la marque renommée n’apparaît par
conséquent pas à l’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle au titre des
antériorités rendant indisponible un signe. Cette absence de transposition de l’article 4,
paragraphe 4, sous a) révèle-t-il un oubli ou une volonté manifeste de la part du législateur
français de ne pas voir dans la marque renommée une antériorité rendant un signe
indisponible hors spécialité1609 ? La seconde hypothèse doit être préférée dès lors que le
législateur a pris le soin de transposer l’article 5, paragraphe 2. En conséquence, les juges ne
doivent-ils pas se conformer à la volonté du législateur français ? En outre, l’adage ne dit-il
pas « pas de nullité sans texte » ? La jurisprudence, approuvée en cela par certains auteurs1610,
a parfois refusé d’annuler une marque reproduisant une marque antérieure renommée1611 pour
désigner des produits différents. Si la solution est toujours discutée en matière d’annulation, il
semble en revanche impossible au titulaire d’une marque renommée de faire opposition hors
du cadre de la spécialité1612. Les juges ont eu l’occasion de se prononcer en ce sens1613.
380. L’ouverture de la liste de l’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle.
Malgré le rôle que le législateur a donné à l’article L. 713-5 du Code de la propriété
intellectuelle, une partie de la doctrine demeure favorable à l’annulation d’une marque portant
1609
V. dans ce sens, A. BOUVEL, op. cit., n° 791, p. 386.
M.-E. LAPORTE-LEGEAIS, Clair-obscur sur la marque renommée : dix ans d’application de la loi du 4 janvier
1991, JCPE 2001, n° 39, 1514 et plus spécialement n° 32 ; P. MATHÉLY, Le nouveau droit français des marques,
Éd. JNA, 1994, p. 231.
1611
Angers, 7 juin 1996, Ann. propr. ind. 1996, p. 31, obs. P. MATHÉLY. Les juges ont considéré que le :
« jugement ne saurait être confirmé en ce qu’il a prononcé la nullité de la marque Yquem déposée le 29 août
1986 par la société Jacques Bénédict dès lors que l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle édicte
une disposition relative à la responsabilité civile et ne prévoit pas la sanction de nullité de la marque déposée
par l’auteur de l’atteinte ».
1612
J. PASSA, op. cit., n° 151, p. 176. Le Professeur PASSA rappelle que l’article L. 712-4 du Code de la propriété
intellectuelle : « semble bien réserver cette procédure aux titulaires de droit de marque et la cantonner ainsi aux
conflits entre marques relevant d’une même spécialité ». Dans le même sens, M.-E. LAPORTE-LEGEAIS, préc.,
JCPE 2001, p. 1514 et plus spécialement n° 32.
1613
Paris, 31 oct. 2001, RTD com. 2002, p. 478, obs. J. AZÉMA.
1610
316
atteinte à une marque renommée1614 hors du cadre concurrentiel. La solution relèverait du bon
sens. Le maintien de la validité d’une marque qu’il est impossible d’exploiter n’est d’aucune
utilité pour son titulaire1615. Afin d’aboutir à l’annulation, plusieurs solutions peuvent être
envisagées.
La première est celle envisagée par le Professeur PASSA qui propose d’appliquer « l’article L.
711-4 lorsque les conditions particulières de mise en œuvre de l’article L. 713-5 sont
remplies »1616. Une telle solution serait parfaitement envisageable et ne serait pas contraire au
principe « Pas de nullité sans texte ». L’article L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle
précise : « Est déclaré nul par décision de justice l’enregistrement d’une marque qui n’est pas
conforme aux dispositions des articles L. 711-1 à L. 711-4 ». Or, la liste des antériorités
visées par l’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle est une liste ouverte laissant
au juge l’opportunité d’apprécier l’existence de nouvelles antériorités1617. Par exemple, « le
nom d’un parti politique ou d’une liste électorale peut faire partie de ces droits antérieurs s’il
existe un risque de confusion dans l’esprit du public »1618. Les juges pourraient de ce fait
parfaitement considérer qu’une marque renommée constitue un droit antérieur au sens de
l’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle.
L’antériorité ne devrait cependant pas être, selon toute vraisemblance, une antériorité
« absolue », les articles L. 711-4 et L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle trouvant à
s’appliquer uniquement « lorsque les conditions particulières de mise en œuvre de l’article L.
713-5 sont remplies »1619. La Cour de justice a eu l’occasion de préciser que l’interprétation
donnée à l’article 5, paragraphe 2 de la Directive 2008/95, transposé à l’article L. 713-5, vaut
également pour l’article 4, paragraphe 4, sous a)1620.
Une telle approche aurait le mérite d’éviter à l’article L. 713-5 du Code de la propriété
intellectuelle de servir de fondement à l’annulation d’une marque.
1614
V. par exemple, A. BOUVEL, op. cit., n° 791, p. 387 ; J. PASSA, op. cit., n° 151, p. 175 ; F. POLLAUD-DULIAN,
op. cit., n° 1396, p. 796.
1615
A. BOUVEL, op. cit., n° 791, p. 387.
1616
J. PASSA, op. cit., n° 151, p. 175.
1617
TGI Paris, 11 mars 2010, PIBD 2010, n° 920, III, p. 413. Ainsi, il « est constant que la liste des droits
antérieurs rendant un signe indisponible comme marque énumérée à l’article L. 711-4 du Code de la propriété
intellectuelle n’est pas limitative ».
1618
TGI Paris, 11 mars 2010, PIBD 2010, n° 920, III, p. 413.
1619
J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 151, p. 175.
1620
CJCE, 27 nov. 2008, aff. C-252/07, Intel Corporation, Rec. 2008, p. I-8823, pt. 25. V. également, CJCE, 9
janv. 2003, aff. C-292/00, Davidoff, Rec. 2003, p. I-389, pt. 17.
317
381. La fraude. D’autres auteurs1621 proposent de faire application de l’adage « Fraus omnia
corrumpit » qui « veut notamment que l’enregistrement d’une marque puisse, comme tout
acte juridique, être annulé comme frauduleux »1622. Le recours à la fraude constituerait un
« fondement beaucoup plus adéquat à l’annulation de la marque postérieure »1623. Pour
autant, il n’est pas sûr que l’annulation de la marque postérieure soit obtenue dans toutes les
hypothèses. Ainsi, si le caractère frauduleux de l’enregistrement ne fait pas de doute lorsque
la marque renommée est connue du grand public, il est plus difficile à démontrer lorsqu’il
s’agit d’une marque renommée connue uniquement d’un public spécialisé. Dans cette
hypothèse, le dépôt de la marque postérieure pourrait être considéré comme étant de bonne
foi. Les décisions rendues dans ce cadre sont rares. Nous pouvons néanmoins citer à titre
d’exemple une décision où une Cour d’appel retint que l’enregistrement de la marque
postérieure était frauduleux au motif que le titulaire de la marque postérieure avait eu
l’occasion de travailler précédemment avec le titulaire de la marque renommée. En ayant eu
connaissance des produits phares du titulaire de la marque renommée, le choix d’utiliser le
même signe pour désigner des produits différents ne pouvait pas être fortuit. La Cour de
cassation rejeta le pourvoi en précisant que « la cour d’appel a caractérisé la connaissance
personnelle par le déposant de la marque incriminée de la stratégie probable de son
partenaire et la mauvaise foi résultant de faire choix de ce même signe en tant que
marque »1624.
II. L’annulation d’une marque communautaire portant atteinte à une marque
renommée
382. Le décalage avec la marque communautaire. Le Règlement sur la marque
communautaire envisage sans ambiguïté l’hypothèse de la marque renommée comme obstacle
à l’enregistrement d’une marque lui étant identique ou similaire hors spécialité. Ainsi, l’article
8, paragraphe 5 du Règlement dispose: « Sur opposition du titulaire de la marque antérieure
au sens du paragraphe 2, la marque demandée est également refusée à l’enregistrement si
elle est identique ou similaire à la marque antérieure et si elle est destinée à être enregistrée
pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque
antérieure est enregistrée, lorsque, dans le cas d’une marque communautaire antérieure, elle
1621
J. PASSA, op. cit., n° 151, p. 175 ; A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, op. cit., n° 793, p.
387.
1622
J. PASSA, op. cit., n° 150, p. 174.
1623
A. BOUVEL, op. cit., n° 793, p. 387.
1624
Cass. com., 20 févr. 2007, n° 05-10.462, JuriData n° 2007-037559.
318
jouit d’une renommée dans la Communauté et, dans le cas d’une marque nationale
antérieure, elle jouit d’une renommée dans l’État membre concerné et que l’usage sans juste
motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la
renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice ».
L’article 53, paragraphe 1, sous a) prévoit également que la marque communautaire peut être
déclarée nulle si les conditions énoncées à l’article 8, paragraphe 5 sont remplies. Le droit
communautaire se distingue ainsi du droit français. Non seulement, l’atteinte à une marque
renommée peut constituer un motif d’annulation de la marque identique ou similaire
enregistrée pour désigner des produits ou services différents, mais le titulaire de la marque
renommée peut également faire opposition. L’opposition ne peut être formée que par le
titulaire d’une marque communautaire renommée.
Quant à la nullité, la nature de marque importe peu. Il peut s’agir d’une marque
communautaire, d’une marque nationale renommée enregistrée dans un État membre ou d’une
marque internationale produisant effet dans l’un au moins des États membres1625. Le Tribunal
de première instance communautaire est cependant venu préciser que la marque renommée
pouvait bénéficier de cette protection au-delà de la spécialité à la condition d’être enregistrée,
distinguant sur ce point le régime de la marque renommée à celui de la marque notoire1626.
Nous n’envisagerons pas à ce stade de nos développements les atteintes pouvant être portées à
la renommée de la marque, celles-ci étant les mêmes lorsqu’il s’agit de faire obstacle à
l’enregistrement ou d’engager la responsabilité du titulaire de la marque postérieure1627.
383.La notoriété ou la renommée donne à la marque une teinte particulière permettant aux
titulaires de ces marques de bénéficier d’un régime spécifique lorsqu’il s’agit de faire obstacle
à un enregistrement. La notoriété au sens de l’article 6 bis de la Convention de Paris fait
tomber les frontières et permet de s’affranchir du principe de territorialité. La renommée,
quant à elle, remet en cause le principe de spécialité. La célébrité de la marque n’a cependant
pas pour unique conséquence d’irradier le droit des marques au stade de l’enregistrement, elle
apparaît également comme un véritable promoteur de l’étendue de la protection.
1625
V. la liste de l’article 8, paragraphe 2 du Règlement sur la marque communautaire.
TPICE, 11 juill. 2007, aff. T-150/04, Mülhens c/ OHMI, Rec. 2007, p. II-2353.
1627
Cf. infra n° 430.
1626
319
Section 2. La renommée ou la notoriété promoteur de l’étendue de la protection
384. La renommée et la notoriété sont traditionnellement présentées comme permettant au
titulaire de bénéficier d'une protection au-delà de la spécialité, contre les usurpations de son
signe pour désigner des produits ou services différents. Il s’agit d’un raccourci. La célébrité
apparaît à toutes les étapes de la vie d’une marque et peut ainsi être amenée à conditionner
l’existence du droit sur la marque, mais également son exercice. Concernant l’existence, nous
ne reviendrons pas dessus, la notoriété d’une marque étrangère permet à son titulaire de
bénéficier d’une certaine protection au-delà des frontières sans avoir été enregistrée1628. La
notoriété ou la renommée permet également à une marque souffrant d’un vice de descriptivité
d’être considérée comme étant distinctive par l’usage1629. C’est dans l’exercice du droit de
marque que l’omniprésence de la célébrité de la marque se fait le plus ressentir et cela tant
dans les limites du principe de spécialité (§ 1) qu’au-delà de ces limites (§ 2).
§ 1. L’extension de la protection dans les limites de la règle de la spécialité
385. Dans le cadre de la spécialité, la notoriété ou la renommée peut être utilisée lorsqu’il
s’agit d’apprécier l’existence de la contrefaçon. Dans le cadre de l’appréciation du risque de
confusion, les juges peuvent faire de la renommée ou de la notoriété un critère déterminant
1628
Cf. supra n° 368.
L’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose en son dernier alinéa: « Le caractère
distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l’usage ». S’il n’est pas fait mention de la renommée
dans le texte, il n’en demeure pas moins que la célébrité permet d’effacer la non distinctivité du signe. V. Paris,
4e ch., 12 déc. 1984, Ann. propr. ind. 1984, p. 183. Les juges retinrent non seulement l’ancienneté de
l’exploitation mais également le fait que le produit désigné par le signe avait obtenu plusieurs distinctions à des
expositions pour considérer que la marque avait acquis un caratère distinctif par l’usage. V. aussi, Paris, 10 nov.
1964, Ann. propr. ind. 1965, p. 74. Les juges considérèrent que la marque litigieuse : « avait fait l’objet en
France d’un usage ancien et notoire, résultant de la large diffusion des poduits revêtus de cette marque et de
l’importante publicité dont elle bénéficie ». V. également, Paris, 22 oct. 1991, JCPE 1992, pan. n° 152, p. 50.
Les juges décidèrent d’annuler la décision du directeur de l’INPI qui rejeta comme marque la dénomination
« Annales du baccalauréat » au motif que : « La dénomination critiquée, largement utilisée depuis près d’un
siècle, a, en tout cas parmi le public concerné, acquis la notoriété, ainsi que le confirment les coupures de presse
produites aux débats ; si l’usage est impropre à conférer la validité à une marque constituée d’un signe affecté
d’un vice indélébile, il en va autrement lorsque la durée et l’importance de l’usage ont, comme en l’espèce,
apporté à la marque le surcroît de la distinctivité qui, à l’origine, lui faisait seulement défaut ». V. dans la
Convention de Paris, l’article 6 quinquies, C, (1) dispose : « Pour apprécier si la marque est susceptible de
protection, on devra tenir compte de toutes les circonstances de fait, notamment la durée de l’usage de la
marque ». Au niveau communautaire, l’article 3, paragraphe 3 de la Directive 2008/95 prévoit que : « Une
marque n’est pas refusée à l’enregsitrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle
en application du paragraphe 1, point, b), c) ou d), si, avant la date de la demande d’enregistrement et après
l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la
présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande
d’enregistrement ou après l’enregistrement ». On retrouve une disposition similaire à l’article 7, paragraphe 3 du
Règlement 207/2009.
1629
320
(I). L’atteinte à une marque notoire ou renommée peut également constituer un grief à part
entière, autonome, permettant de justifier la responsabilité de l’usurpateur (II).
I. La renommée ou la notoriété facteur d’appréciation de la contrefaçon
386. La notion de risque de confusion1630. La notion de risque de confusion est devenue ces
dernières années, une notion clef du droit des marques. L’article 5, paragraphe 1, sous b) de la
Directive 2008/95 prévoit que le titulaire de la marque enregistrée peut interdire à tout tiers
de faire usage dans la vie des affaires « d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de
sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des
services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de
confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque »1631. Le risque de
confusion est une notion à laquelle les juges ont eu initialement recours afin d’apprécier la
fonction d’identification du signe dans toutes les hypothèses où il n’y aurait pas double
identité entre les signes en conflit et les produits ou services désignés1632.
1630
V. pour plus de précisions sur cette question, V. J. PASSA, Traité de droit de la propriété industrielle,t. 1,
Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles, LGDJ, 2 e éd., 2009, n° 288, p. 378. V. également, J.
SCHMIDT-SZALEWSKI & J.-L. PIERRE, Droit de la propriété industrielle, Litec, 4e éd., 2007, n° 589, p. 256 ; J.
AZÉMA & J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, Précis, Droit privé, 6 e éd., 2006, n° 1538, p.
844 ; F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Montchrestin, Domat droit privé, 1999, n° 1387 ;
A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec, IRPI, Le droit des affaires, Propriété intellectuelle,
t. 24, 2004, n° 554, p. 279 ; P. TRÉFIGNY, L’imitation : contribution juridique à l’étude des comportements
référentiels, PUS, CEIPI, t. 46, 2000 ; M. DHENNE, Appréciation comparée du risque de confusion entre marques
en jurisprudence française et communautaire, Propr. ind. 2007, n° 4, étude n° 10 ; C. GRYNFOGEL, Le risque de
confusion, une notion à géométrie variable en droit communautaire des marques, RJDA 2000, n° 6, p. 494 ; S.
DURRANDE, Contrefaçon de marque. Contrefaçon par imitation, J.-Cl. Marques Ŕ Dessins et modèles, fasc.
7515 ; M. LUBY, Le risque de confusion, un duo dissonant entre la Cour de justice et le juge national, JDI 2001,
p. 487 ; T. AZZI, Précisions sur l’appréciation globale du risque de confusion, JCPG 2007, II, 10169 ; B.
HUMBLOT, Droit des marques : risque de confusion autour du risque de confusion Ŕ L’exemple de l’arrêt Ferrero,
RLDI, 2008, n° 43, p. 10.
1631
On retrouve cet article transposé à l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose :
« Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du
public : a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite,
pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ; b) L’imitation d’une marque et
l’usage d’une marque imitée, pour les produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans
l’enregistrement ». Il convient également de noter que la marque identique ou similaire pour désigner des
produits ou services similaires constitue une antériorité absolue. Le risque de confusion sera dès lors également
nécessaire lorsqu’il s’agira d’envisager l’opposition ou une demande de nullité ayant pour objet une marque
postérieure identique ou similaire à une marque antérieure désignant toutes deux des produits identiques ou
similaires. V. article 4, paragraphe 1, sous b) de la Directive 2008/95. Classiquement, nous avons fait le choix
d’envisager la question du risque de confusion dans le cadre de l’appréciation de la contrefaçon. V. par exemple
dans le même sens, F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 1672, p. 978 ; J. PASSA,
Traité de droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 288, p. 379 ; A. BOUVEL, Principe de spécialité et signes
distinctifs, op. cit., n° 554, p. 279.
1632
J. PASSA, op. cit., n° 288, p. 379. Le Professeur PASSA note ainsi que le risque de confusion : « constitue, lui,
la condition de la protection en l’absence d’identité à la fois entre les signes en conflit et entre les produits ou
services qu’ils désignent ». V. également, F. POLLAUD-DULIAN, op. cit., n° 1662, p. 971. Le Professeur
321
La Cour de justice définit le risque de confusion comme « le risque que le public puisse
croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas
échéant, d’entreprises liées économiquement »1633. Plus précisément, c’est « le fait, pour le
consommateur d’attention moyenne, de croire que le signe désigne des produits ou des
services ayant une origine commune avec ceux du titulaire de la marque »1634. Le risque de
confusion peut être apprécié à divers degrés. Il peut ainsi être total, « lorsque le
consommateur croit acquérir l’objet revêtu de la marque authentique »1635 ou partiel,
lorsqu’il consiste « dans le simple rapprochement des marques concernées, l’acheteur
établissant un lien entre elles »1636. Comme le précise le Professeur PASSA, le risque de
confusion peut également être constitué « lorsque le public, tout en distinguant à la fois les
signes et leurs exploitants, peut penser que ceux-ci entretiennent des liens qui peuvent,
notamment, justifier un même souci de qualité »1637.
387. L’appréciation du risque de confusion1638. En vue d’apprécier le risque de confusion,
les juges ont recours à un référent imaginaire, à savoir le consommateur moyen. Concernant,
l’appréciation proprement dite, le onzième considérant de la Directive marque donne quelques
indications à suivre en précisant que l’appréciation du risque du confusion dépend « de
nombreux facteurs et notamment de la connaissance de la marque sur le marché, de
l’association qui peut en être faite avec le signe utilisé ou enregistré, du degré de similitude
entre la marque et le signe et entre les produits ou services désignés ».
POLLAUD-DULIAN précise ainsi : « le risque de confusion constitue la condition essentielle de la protection car il
s’agit seulement de défendre la fonction essentielle, c'est-à-dire la garantie d’origine pour le client ».
1633
CJCE, 29 sept. 1998, aff. C-39/97, Canon Kabushiki Kaisha c/ Metro-Goldwyn-Mayer, Rec. 1998, p. I-5507,
pt. 29 ; RTDE 2000, p. 100, obs. G. BONET ; CJCE, 22 juin 1999, aff. C-342/97, Lloyd Schuhfabrik Meyer, Rec.
1999, p. I-3819, pt. 17 ; RTDE 2000, p. 108, o