Histoire de la silhouette
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Histoire de la silhouette
Section Année : : MART 1 2008/2009 Intervenante : Catherine Örmen Histoire de la silhouette Introduction La vie quotidienne sculpte des apparences qui évoluent au fil des temps. Les normes vestimentaires, la bienséance qui régit le maintien, l’exercice physique (ou son absence) autant que les habitudes alimentaires, façonnent, selon les époques, des silhouettes différentes. De nouveaux canons esthétiques se définissent périodiquement, qui reflètent les mœurs d’une société. Pour s’y conformer, la nature peut se corriger en recourant à l’artifice. C’est ce qui explique, par exemple, la longue histoire des corsets et des paniers dont la vocation était de pallier la mollesse du corps féminin, de dominer les passions, d’assurer la rectitude de la posture, d’entraver le geste pour le magnifier… De tout temps, le corps, pour se socialiser, s’est déformé. 1855 : Le triomphe de la crinoline Sous le Second Empire, la révolution industrielle bat son plein et la bourgeoisie est en pleine expansion. Partout, elle entend imposer ses règles. Elle fixe les normes, dicte les modes et ne cesse de les raffiner, pour maintenir à distance tous ceux qui prétendent les imiter. La bourgeoise est oisive, c’est ce qui la distingue de la femme du peuple. Dès l’enfance, elle est confinée dans un univers domestique, assujettie à la bienséance, étranglée dans un corset, entravée par une crinoline, brimée physiquement et psychologiquement, réduite aux fonctions de génitrice et de vitrine sociale. L’homme, dès le début du siècle, a renoncé à la parure pour endosser l’uniforme de la modernité. L’épouse, par son opulence et celle de son train de vie, se fait l’enseigne vivante de la prospérité et la réussite sociale du couple. Le corset, réalisé sur mesure ou en confection, est muni d’œillets métalliques et de liens élastiques. Il affine la taille et maintient le buste. La crinoline est supposée couvrir des hanches fertiles et une croupe généreuse. C’est une cage articulée en osier, puis en métal, qui tient l’homme à distance et permet aux robes d’atteindre leur ampleur maximale après 1860. 3 mètres de diamètre, 30 mètres de tissu, des garnitures à foison… Avec de telles robes, s’asseoir était un réel problème ! C’est pourquoi de nouveaux sièges firent leur apparition : poufs, canapés circulaires, vis-à-vis et fauteuils tête-bêche. 1870 : Etre une dondon, voilà le repoussoir ! L’expansion économique favorise le développement de la consommation. Les grands magasins, fleuron du commerce sous le Second Empire, demeurent la vitrine de la nouveauté et celle de la confection. Ils attirent au centre des villes une clientèle de plus en plus large. Les organes de presse se multiplient. Ils intensifient la circulation de l’information et, grâce aux progrès de la photographie, les modes de Paris sont mieux connues et plus faciles à reproduire. Le renouvellement des modes s’accélère, tandis que se modifient, peu à peu, les canons de la beauté : l’opulence de la chair fait place à une silhouette plus nerveuse, bien que toujours surchargée d’une multitude d’ornements encombrants. Cette période marque l’apogée du style « tapissier ». En 1870, le buste est court. L’ampleur se dispose sur les hanches pour former une robe « à la polonaise » inspirée du style Louis XV, ou vers l’arrière pour constituer un « pouf » au niveau des reins. Ce « cul de Paris » se constitue grâce à la tournure (demi-cage baleinée) qui facilite l’agencement de ces échafaudages textiles, mais ne simplifie pas la vie des femmes ! « L’inexpressible » ou « tuyaux de modestie » était un pantalon de lingerie. Apparu avec la crinoline, cet ancêtre de nos slips et culottes, était vite devenu « l’indispensable ». Dans les années 1870, seul le peuple en ignorait encore l’usage. 1880 : Le faux-cul de Paris Les formes et les proportions du costume féminin sont en évolution permanente, mais seules changent les apparences car, dans sa conception, l’habillement de la bourgeoisie est toujours aussi contraignant. Non seulement, les mouvements sont limités (par le corset, les jaquettes ajustées, les faux-culs et les traînes), mais encore, les conventions exigent plus que jamais une tenue adaptée à chaque circonstance, ce qui oblige la femme à changer de toilette plusieurs fois par jour (corsages fermés pour la journée, profonds décolletés pour le soir). Par l’éclat de sa parure, la femme signifie sa position dans la société, mais par le discernement avec lequel elle suit les modes, elle affirme aussi sa modernité et son bon goût. La Parisienne dicte les modes au monde entier : la taille est marquée à son emplacement naturel. La silhouette est mince, nerveuse, bizarrement cassée à angle droit au niveau des reins. La tournure, qui s’attache sous les vêtements, peut être rétractable pour permettre de s’asseoir. C’est le « strapontin ». « La taille fine de ma divine tiendrait, je crois, entre mes dix doigts ». C’est ce qu’on disait, en 1890, du tour de taille de la fameuse actrice Polaire… 1900 : Les femmes-fleurs de l’Art nouveau La Belle Epoque voit la clientèle des maisons de couture se diversifier : aux clientes fortunées s’ajoutent des femmes célèbres issues de la nébuleuse artistique (comédiennes, cantatrices et demi-mondaines), qui donnent le ton par leurs extravagances. La sinuosité de l’Art Nouveau gagne l’architecture et les arts appliqués, animant la silhouette féminine d’ondulations végétales. La minceur s’impose comme un signe d’élégance, laissant aux plus démunis l’illusion que l’embonpoint est synonyme de bonne santé et de prospérité. Faisant écho à cette tendance de fond, la Chambre Syndicale de la Confection Française pour dames et fillettes cherche, dès sa création en 1911, à établir un mannequin aux dimensions standardisées. Un long corset tord le corps en « S » , projetant en avant la poitrine rassemblée en un seul sein, enserrant sa taille, amincissant les hanches pour mieux faire saillir la croupe. De plus en plus critiqué par des mouvements hygiénistes, mal adapté pour la pratique de la bicyclette, du tennis ou des bains de mer, le corset brille de ses derniers feux. Lors de l’Exposition Universelle de 1889, Herminie Cadolle montre son premier « corselet-gorge » qui suspend la poitrine par des bretelles sur les épaules. Sa maison ouvre à Paris en 1910. C’est à cette époque qu’apparaît un nouvel accessoire de lingerie, le porte-jaretelles. 1925 : La garçonne des Années folles Le traumatisme du Premier conflit mondial s’oublie dans un tourbillon de modernité. Les femmes qui, durant la guerre, furent forcées de devenir productives avaient opté pour le confort et la simplicité. Elles se sont affranchies des critères de séduction que les hommes leur avaient toujours imposés. La silhouette, au sortir de la guerre, s’en trouve profondément modifiée : le corset est supprimé, l’habillement et les usages sont simplifiés. Flottant et non plus ajusté, le vêtement dissimule le corps, mais révèle les jambes même pour le soir. Les cheveux sont coupés et le visage se maquille quels que soient l’âge et les circonstances. Cette « garçonne » vantée par le roman de Victor Margueritte, connaît un succès mondial immédiat. Le corps de la femme est parallélépipédique. Les sous-vêtements se réduisent à presque rien et s’emploient à masquer toute féminité. La culotte-gaine aplatit les hanches, le ventre et les fesses, tandis qu’une brassière fait office de soutiengorge. Plus personne ne se soucie d’avoir la taille fine (elle est cachée). En revanche, il faut être mince ! « Court, plat, géométrique, quadrangulaire, le vêtement féminin s’établit sur des gabarits qui dépendent du parallélogramme, et 1925 ne saluera pas le retour de la mode à des courbes suaves, au sein arrogant, à la savoureuse hanche. » Colette. Le Voyage Égoïste,1925. 1935 : Le retour à une élégance raffinée La facilité avec laquelle la mode pouvait être imitée dans des années 1920 conduit les couturiers à élaborer une silhouette radicalement différente : la garçonne fait place à un idéal de beauté plus conservateur, inspiré de l’antiquité classique. Après la crise de 1929, la femme, telle une statue, se dessine en trois dimensions. La mode rallonge, épouse de nouveau les formes du corps. L’élégance se fait discrète, aristocratique. Elle se re-codifie selon les circonstances et s’exprime dans la sophistication de la coupe, dans le raffinement des détails et des finitions. Cette silhouette se retrouvera pendant la Seconde guerre mondiale, mais les épaules s’élargiront, la taille s’affinera tandis que les jupes raccourciront. La gaine, qui bénéficie des progrès techniques accomplis dans le traitement du caoutchouc, sépare nettement les seins, elle les dessine dans le respect des proportions naturelles. Destinée à amenuiser les rondeurs féminines, elle façonne une silhouette idéale qui se pare de tailleurs ajustés et épaulés ou, pour le soir, de fourreaux taillés dans le biais. 1930 : le « code Hays » définit pour le cinéma américain les limites du bon goût et de la décence : la grossièreté verbale est prohibée, les baisers sont chronométrés, les déshabillés et sous-vêtements interdits et les décolletés sont mesurés au millimètre… 1947 : Bourgeoise jusqu’au bout des ongles Le New Look de Christian Dior, avec son emblématique tailleur Bar, fait subitement oublier des années de privations et de Système D. Une frénésie de luxe et d’opulence se manifeste qui renoue avec une image conventionnelle et très codifiée de l’élégance. Apothéose de la haute couture, ces années 1950 sont également marquées par l’ascension du prêt-à-porter. Mais quel que soit le mode de fabrication, la silhouette féminine répond à des canons esthétiques précis : les épaules s’arrondissent, la poitrine est proéminente, les hanches délicatement arrondies et les jambes, perchées sur de fins talons, sont couvertes par une ampleur virevoltante ou une jupe entravée. Facile d’entretien, le Nylon (inventé en 1935) est roi durant toutes les années 1950. Son faible coût, comparé à la soie, permet de populariser une lingerie qui façonne le corps : idéal pour les bas, il se retrouve sur les soutien-gorges à balconnets qui font pigeonner la poitrine, les gaines, les serre-tailles baleinés, les guêpières, les jupons et les combinaisons. 1948 : le maillot deux-pièces qui laisse le corps presque nu sur les plages fait scandale, au point de se voir nommer « Bikini », du nom de l’atoll du Pacifique sur lequel les Américains firent, en 1946, leurs premières expériences atomiques. 1965 : La jeunesse impose ses lois L’accélération des moyens de communication et d’information accompagne au cours des années 1960, une internationalisation des phénomènes de mode. La jeunesse, nombreuse, dotée d’un fort pouvoir d’achat, impose des canons à son image : une silhouette adolescente, déliée et plate, presque androgyne. Dans une société de consommation parvenue à maturité, elle exige que le marché s’adapte à sa demande, modifiant ainsi profondément le paysage de la mode. Les enquêtes de mensurations le constatent : la période est en pleine mutation, les prescripteurs de mode changent. Les mères et leurs filles ont engagé une coursepoursuite à la nouveauté, dont le prêt-à-porter, la mini-jupe, les collants, le pantalon et les matières synthétiques sortent vainqueurs. La lingerie est en crise : les féministes combattent cet emblème de l’asservissement féminin, quant aux jeunes filles aux petits seins hauts perchés, elles se dispensent de soutien-gorge. Les collants, apparus pour la fillette en 1958, deviennent dès 1965, le complément des mini-jupes. Le panty, enfin, comprime le haut des cuisses et favorise l’essor du pantalon. 1963 marque le début de la vogue du panty dont la production culminera en 1969 avec 3 681 855 pièces. Deux ans plus tard, il se fabriquera en France, plus de pantalons pour femmes que de jupes. 1980 : La mode est à la mode L’évolution du mode de vie, celle des pratiques alimentaires alliés au développement sans précédent de l’exercice physique, ont modifié la conformation féminine. La Française a grandi, elle s’est étoffée. Sa lutte émancipatrice l’a conduite à être l’égale de l’homme, à pouvoir enfin disposer librement de son corps, à maîtriser sa procréation. La nudité n’est plus tabou. Le muscle a remplacé le corset, et contrairement aux époques précédentes, c’est le corps qui, désormais, donne sa forme au vêtement. Ce triomphe du corps se remarque dans la mode, qui se fait agressive, omnipotente, tyrannique. C’est le règne du « look », des panoplies intégrales qui dessinent pour la femme active, une silhouette aux épaules élargies, aux hanches fines et aux jambes longues. La lingerie a perdu sa vocation utilitaire et constrictrice pour devenir l’instrument ludique de la séduction. Collants, porte-jarretelles, bas, guêpières et soutiengorges pigeonnants, s’ornent de couleurs, d’imprimés et de dentelles. Résultat : la lingerie ne se cache plus ! L’omniprésence du Lycra la rend douce, élastique et confortable. Au cours des années 1980, le corset fait de spectaculaires apparitions sur les podiums des créateurs. Consacré par Madonna en 1990 lors de sa triomphale tournée « Blond Ambition Tour », oublieux de son passé de sous-vêtement, le corset devient un accessoire de mode. Son ambition n’est plus de contraindre le corps, mais d’en exalter sa plastique parfaite. 2000 : Etre soi, tout simplement ! Phénomène de société, la mode dépasse le cadre vestimentaire. Il n’y a plus une mode, mais une multitude de tendances qui autorisent tous les métissages et favorisent la liberté individuelle d’expression. La profession, en quelques années, s’est profondément transformée – dans la production autant que dans la distribution - mais l’image a encore affermi ses pouvoirs. Transfigurée par la magie de l’informatique, l’image de la mode offre, en permanence, la promesse d’une éternelle jeunesse… Le consommateur informé et exigeant, ne se contente plus des seuls vêtements pour construire son apparence. Il a désormais recours à des moyens de plus en plus sophistiqués (hygiène de vie, cosmétiques, pratiques médicales et chirurgicales, etc.) pour lutter contre le temps. Le corps souverain exige souplesse, douceur et confort. Les seins réclament de nouvelles profondeurs de bonnets pour mieux se mouler dans des T-shirts aux larges décolletés. Le ventre, les hanches, le nombril se découvrent. La mode s’empare de l’ultime refuge de l’individualité, la peau, qui ne peut désormais s’exhiber que « singularisée », tatouée et piercée. Bibliographie très sommaire : - François Boucher, Histoire du costume en Occident, Flammarion, - Catherine Örmen-Corpet, « Modes XIXème-XXème siècles », Hazan, 2000 A paraître en avril 2009 : - Histoire de la lingerie (avec Chantal Thomass), Perrin, - Silhouettes de mode, XIX-XXème siècles, Hazan