PHRASÉOLOGIE ET CORPS HUMAIN. Étude comparative de la
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PHRASÉOLOGIE ET CORPS HUMAIN. Étude comparative de la
PHRASÉOLOGIE ET CORPS HUMAIN. Étude comparative de la représentation du corps humain dans les expressions phraséologiques en français et en allemand Colette CORTÈS Université Paris 7, Denis Diderot C.I.E.L. (1) Qu'est-ce qu'il y a comme têtes qui se perdent! Dernièrement, je rencontre un Monsieur qui se tenait la tête dans les mains : - J'ai perdu la tête ! J'ai perdu la tête ! Je lui dis : -Et celle que vous avez entre les mains? (Raymond Devos 1976, 87) (2) Je connais un monsieur, c'est un auto-stoppeur professionnel. Un auto-stoppeur professionnel ! Il lui est arrivé un accident de travail... Il a perdu le pouce. Il ne peut plus travailler (...) Heureusement qu'il est à deux doigts de la retraite. (Raymond Devos 1976, 209) (3) On a beau ne pas être des machines, on s'use ! On s'use! De temps en temps, il faut faire une petite révision générale. Moi j'en viens! Je suis allé voir un spécialiste des organes...(...) j'ai dit : - Je voudrais simplement que vous me remplaciez les organes usagés. - Ç a ne vaut pas le coup! Et puis quand je vous aurai greffé un rein ou transplanté le coeur d'un autre, ce n'est pas cela qui vous fera une belle jambe. Cahier du CIEL 1998-1999 - Vous n'avez qu'à me greffer une autre jambe. - Hé ! c'est que je n'en ai pas sous la main! ... C'est qu'une jambe, ça ne court pas les rues ! (...) une jambe, ça va vous coûter les yeux de la tête! - Tiens, je croyais que la greffe c'était à l'oeil! - Heureusement que ce n'est pas à l'oeil! Ici tout ce qui est à l'oeil est hors de prix! (...) - Si vous avez une peau de rechange... - Vous n'avez pas de chance, en ce moment, je manque de peau! (...) A votre place, je continuerais de marcher comme cela en essayant de ne rien perdre en route! Et .... puis je me laisserais pousser la moustache. - Vous croyez que cela sauverait la face? - Non, mais ça en cacherait une partie. (Raymond Devos 1976, 69-70) I NTRODUCTION Les exemples (1), (2) et (3) montrent à quel type de déconstruction il est possible de soumettre les phrasèmes, ces "unités polylexicales, figées et figurées" selon la définition de Harald Burger (1987) et Gertrud Gréciano (1997). En élaborant un contexte approprié, où les dénominations des parties du corps apparaissent dans un schéma isotopique propre à activer leur sens premier, Raymond Devos fait naître chez le spectateur un sentiment étrange de perte des repères ; il construit un sens qui semble artificiel, décalé et qui oblige le spectateur à une connivence particulière avec l'auteur. Les jeux de mots les plus réussis sont ceux où le sens figé et défigé de l'expression sont mobilisés tous les deux à la fois. Les sketchs de R. Devos prennent le spectateur à contrepied, l'obligeant à focaliser sur un objet linguistique avec deux angles de vue différents, un peu comme dans une image à trois dimensions. Mais ce qu'on admet dans une perspective ludique de distanciation peut-il correspondre à une attitude scientifique de description du langage? A priori non. Et pourtant, si l'on observe les modes de classement proposés par les ouvrages lexicographiques spécialistes de phraséologie, tout porte à croire que leur but est d'apporter du matériau aux déconstructivistes comme Raymond Devos plutôt que de soutenir l'effort de l'utilisateur "normal", notamment dans une perspective d'apprentissage des phrasèmes, que ce soit dans sa langue maternelle ou dans une langue seconde. En effet, pour les besoins du classement alphabétique (le seul facilement utilisable dans un relevé publié en version papier, convenonsen), le lexicographe choisit artificiellement un mot porteur d'image pour articuler son classement, alors que, lorsque les phrasèmes sont employés 86 C. CORTÈS - Phraséologie et corps humain dans le langage ordinaire, ils sont choisis par le locuteur comme des unités lexicales inanalysables en fonction de leur sens figé et figuré. Le lexicographe propose généralement un classement sémasiologique, alors que le locuteur cherche un outil pour une pratique onomasiologique. Ainsi, comme dans les sketchs de R. Devos, l'utilisateur des phrasèmes est pris à contre-pied, car il ne peut trouver de tels phrasèmes figés dans les relevés lexicographiques qu'à condition de les défiger. Comme avec R. Devos, on touche à l'absurde, puisque cela revient à dire que l'utilisateur de dictionnaire ne peut trouver que ce qu'il connaît déjà. Le problème de l'entreprise lexicographique est précisément que, à cause du figement, aucun des signifiants constitutifs du phrasème pris isolément ne peut donner un accès direct au signifié global du phrasème. La valeur des phrasèmes repose sur les mécanismes cognitifs complexes qui ne sauraient être pris en compte qu' à partir du signifié global, des images, voire des clichés qu'ils véhiculent. Les classements de phrasèmes retenus ou proposés dans ce travail seront de nature sémantique, même s'ils ont tous en commun un élément qui désigne le corps humain ou une de ses parties. Ils chercheront à découvrir des traits sémantiques communs à certains ensembles de phrasèmes ou à mettre en évidence, comme le font Regina Hessky et Stefan Ettinger (1997) dans une perspective onomasiologique, des domaines d'emploi communs à des phrasèmes d'origines diverses. Le travail proposé ici utilisera les relevés lexicographiques reposant sur l'ordre alphabétique des signifiants uniquement comme des sources de corpus. En outre, pour que soient respectées les contraintes de l'étude synchronique, les données recueillies dans l'ouvrage de Wolf Friederich (1966) pour l'allemand et de Bruno Lafleur (1991) pour le français ne seront retenues que si elles sont attestées dans le Spiegel ou le Monde de 1998. Dans un premier chapitre, nous partirons de la classification sémantique des phrasèmes proposée par Regina Hessky et Stefan Ettinger (1997) dans le cadre de l'apprentissage de la langue seconde. L'étude des phrasèmes comportant un élément qui désigne le corps humain ou une de ses parties en fonction de l'étude sémantique holistique du phrasème nous permettra de repérer (au moins pour l'allemand) leurs domaines d'emploi et de préciser si les transferts de domaines opérés par le passage au préconstruit relèvent plutôt de la métaphore ou de la métonymie. Cette première série d'observations nous autorisera à pousser plus loin nos investigations sur le plan cognitif et à tenter, pour le français et pour l'allemand, une classification des phrasèmes selon que la partie du corps nommée appartient au sujet de l'énoncé, à un autre humain que le sujet ou aux deux. Et nous verrons se dégager des phénomènes 87 Cahier du CIEL 1998-1999 d'interaction corporelle significatifs, auxquels la perspective comparatiste allemand-français nous autorisera à attribuer une valeur de stéréotype. 1. E MPLOI SÉMANTIQUE DES PHRASÈMES A L L E M A N D S . ÉTUDE DES TRANSFERTS MÉTONYMIQUES ET MÉTAPHORIQUES Dans cette première partie, on essaiera de répondre aux deux questions suivantes : - Dans quels domaines sémantiques les phrasèmes comportant un élément qui désigne le corps humain ou une de ses parties sont-ils utilisés? - Que peut-on en déduire sur le plan cognitif? Nous commencerons par une étude statistique en fonction du sens de l'expression dans son domaine d'emploi. Pour cela les travaux de référence de Bruno Lafleur (1991) pour le français et de Wolf Friederich (1966) pour l'allemand (que nous qualifierons de sémasiologiques puisqu'ils cheminent du signifiant vers le signifié) nous permettent seulement d'affirmer que, en français comme en allemand, environ un tiers des "expressions idiomatiques" font référence au corps humain. C'est de loin le domaine le plus représenté dans l'ensemble des phrasèmes. Mais ces travaux ne sont pas d'un grand secours pour une étude sur les domaines d'emploi, et ce pour les raisons déjà évoquées plus haut. J'ai donc cherché des classements sémantiques plus onomasiologiques (partant du signifié holistique du phrasème). Pour le français, l'ouvrage de M Martins-Baltar et G. Calbris (1997), qui porte comme sous-titre : «Esquisse d'un dictionnaire onomasiologique. Notions et expressions dans le champ de la "dent" et de "manger"» fournit un cadre théorique très intéressant; mais il est trop spécialisé dans sa réalisation (domaine de la nutrition) pour permettre une étude statistique générale (Pour une présentation du cadre théorique, voir l'article de M Martins-Baltar dans ce numéro des Cahiers de C.I.E.L. 1998-1999). En revanche, pour l'allemand j'ai découvert un classement de type onomasiologique portant sur la langue générale dans l'ouvrage de Regina Hessky et Stefan Ettinger (1997). C'est sur la base de ce dictionnaire assez général et relativement homogène, car destiné à l'apprentissage de l'allemand langue étrangère, que s'effectue l'étude qui suit. Les phrasèmes retenus sont fréquents aujourd'hui, utilisables dans des types de textes 88 C. CORTÈS - Phraséologie et corps humain écrits ou oraux relativement non marqués, c'est-à-dire présentant un niveau de langue homogène et non marqué. Bien sûr, l'étude statistique est relative puisqu'elle porte sur un nombre de phrasèmes beaucoup plus limité que celui dont il était question dans les ouvrages précédents qui comportaient environ 8000 entrées, mais elle semble néanmoins significative avec ses 1567 occurrences répertoriées. Pour présenter les résultats, j'ai traduit en français le sommaire du dictionnaire qui indique l'ensemble des domaines d'emploi retenus par Regina Hessky et Stefan Ettinger (1997). Les pourcentages indiqués entre crochets à la suite des titres principaux donnent la proportion des phrasèmes qui comportent la dénomination d'une partie du corps pour chaque grande partie. Les nombres entre parenthèses indiquent le nombre de phrasèmes qui comportent la dénomination d'une partie du corps, suivi du nombre total de phrasèmes relevés dans la sous-partie du dictionnaire. A. Apparence de l'homme. [18 %] (5 / 27) A.1 Vêtements A.2. Apparence corporelle (4/12) (gut bei Leibe sein, nichts auf den Rippen haben) A.3 Age, expérience ou inexpérience en fonction de l'âge (1/ 10) B. État de l'homme [37 % également répartis] (75/ 205) B.1 État physique (17/ 44) B.1.1 Santé, maladie (5/11) (wieder auf die Beine kommen) B.1.2. Fatigue (3/4) (auf dem Zahnfleisch kriechen) B.1.3 Sommeil, somnolence, insomnie (1/ 7) (sich aufs Ohr legen) B.1 4 Faim, repas (4 / 8) (sich den Bauch vollschlagen) B.1.5 Soif, boisson (3/6) (sich die Kehle anfeuchten) B.1.6 Ivresse B.1.7 Meurtre, assassinat, suicide, trépas, mort (1/8) B.2 Etat sentimental (46 / 117) B.2.1 Peur, crainte (3/6) (kalte Füße bekommen) B.2.2 Bonne humeur, rire, joie, bien-être, bonne ambiance (2/9) (von einem Ohr zum anderen strahlen) B.2.3 Tristesse, pleurs (3/6) (jm ist das Herz schwer) B.2.4 Surprise (7/15) (fast auf den Rücken fallen) B.2.5 Mauvaise humeur, colère, fureur (6/22) (jm stehen die Haare zu Berge) 89 Cahier du CIEL 1998-1999 B.2.6. Impatience, curiosité (4/11) (seine Nase in alle Töpfe stecken) B.2.7 Déception (2/5) (ein Gesicht machen wie drei Tage Regenwetter) B.2.8 Désir, concupiscence, exigence, convoitise (3/5) (jm läuft das Wasser im Mund zusammen) B.2.9 Sérénité , indifférence, indolence (2/11) (einen breiten Rücken haben) B.2.10 Indignation (3/9) (seinem Herzen Luft machen) B.2.11 Souci, chagrin, souffrance (7/8) (etw auf dem Herzen haben) B.2.12 Ingratitude, satisfaction malsaine éprouvée devant le malheur d'autrui (2/3) (sich die Hände reiben) B.2.13 Joie exubérante, insouciance (2 /8) B.3 Perception (5 / 12) B.3.1 Voir ou ne pas voir qqch (3 /7) (jm nicht unter die Augen treten dürfen) B.3. 2. Entendre et comprendre (ou ne pas comprendre ) ce qu'on entend (2 /5) (jm kommt etw zu Ohren) B.4 Situation matérielle (4 / 19) B.4.1. Aisance, richesse, luxe (1/5) B.4.2. Paupérisation, endettement, pauvreté (3 /14) (bis an den Hals in Schulden stecken) B.5 État moral, considération sociale (3 / 13) B.5.1. Réputation, considération, influence (3/6) (einen langen Arm haben) B.5.2. Malhonnêteté (= ce qui déshonore) (0 / 3) B.5.3. Séduction, subornation, déchéance (0 / 4) C. Qualités humaines [30 % inégalement répartis du maximum au minimum] (70/ 234) C.1 Fermeté / persévérance, esprit de suite (1/3) (nicht aus seiner Haut können) C.2 Honnêteté (2/5) (das Gesicht wahren) C.3 Malhonnêteté, déloyauté (0/4) C.4 Franchise, loyauté (8/13) (kein Blatt vor den Mund nehmen) C.5 Maîtrise de soi, manque de contrôle (11/12) (kaltes Blut bewahren) C.6 Connaissances, subtilité, intelligence, actions intelligentes (3/9) (etw aus dem Handgelenk schütteln) 90 C. CORTÈS - Phraséologie et corps humain C.7 Bêtise (1 / 11) (Stroh im Kopf haben) C.8 Manque d'intelligence, étroitesse d'esprit (1 / 5) (ein Brett vor dem Kopf haben) C.9 Extravagance, folie (1/11) C.10 Vaillance, courage, ténacité (4/5) (das Herz auf dem rechten Fleck haben) C.11 Optimisme, confiance, illusion C.12 Pessimisme, tristesse (qui fait triste mine), insuccès C.13 Bonté, caractère inoffensif, innocence, ingénuité (1/11) C.14 Pitié, indulgence, irrésolution (4/5) (ein Auge zudrücken) C.15 Opiniâtreté, entêtement, obstination (3/9) (mit dem Kopf durch die Wand rennen) C.16 Paresse, confort, inertie, négligence (6/11) (keinen Finger krumm machen) C.17 Zèle, application au travail et à l'étude (4/5) (mit offenen Augen durch die Welt gehen) C.18 Subtilité, rouerie (2/21) C.19 Insouciance, irresponsabilité (2/16) C.20 Égoïsme, économie (7 /11) (jn/ etw nicht aus den Fingern lassen) C.21 Impertinence, effronterie/ insolence (5/6) (nicht auf den Mund gefallen sein) C.22 Conscience (de ses devoirs), scrupules (3/11) (etw liegt jm am Herzen) C.23 Modestie, sens des réalités C.24 Esprit de décision, énergie (1/8) C.25 Manque de droiture (qui complique les choses, mesquin) D. Disposition, rapport à son prochain, rapport à l'environnement [13% inégalement répartis] (20 / 147) D.1 Inclination, amour sympathie (3/9) (sein Herz an jn verlieren) D.2 Reconnaissance, attention D.3 Mépris, dédain (2/7) D.4 Assistance, soutien, intercession (4/18) (jm etw in die Hände spielen) D.5 Aide et refus d'assistance (3/9 aide) (jm unter die Arme greifen) D.6 Aversion, répugnance, haine (2/16) (jm ein Dorn im Auge sein) D.7 Indulgence, tolérance D.8 Solidarité, attachement, complicité (1/8) D.9 Précaution, méfiance 91 Cahier du CIEL 1998-1999 D.10 Supériorité, arrogance, pédanterie/ outrecuidance (1/20) D.11 Accord : partager une opinion D.12 Jalousie D.13 Responsabilité, culpabilité (1/7) D.14 Confiance (3/3) (seine Hand für jn/ etw ins Feuer legen) E. Activités humaines [20% inégalement répartis du maximum au minimum] (95 / 480) E.1 Chercher, trouver (2/5) (sich die Beine nach etw ablaufen) E.2 Parler, discourir (9/33) (jm über den Mund fahren) E.3 Ne pas parler (7/10) (jn mundtot machen, etw auf der Zunge haben) E.4 Examiner, contrôler, maîtriser (2/7) E.5 Juger, estimer, accord généralisation (1/18) E.6 Acquiescer, donner son accord (1/4) E.7 Convaincre, persuader (1/2) E.8 Protester, contredire E.9 Refus, dénégation (4/20) (jm den Rücken kehren) E.10 Argumenter E.11 Promettre (1/7) E.12 Communiquer (2/7) (von Mund zu Mund gehen) E.13 Expliquer, informer (1/20) E.14 Reprocher, contester , critiquer (5/15) (kein gutes Haar an jm lassen) E.15 Tromper, abuser, induire en erreur (1/14) E.16 Importuner (6/13) (jm auf die Nerven gehen) E.17 Retarder, empêcher, contrecarrer (1/6) E.18 Intimider, faire peur E.19 Menacer, mettre en danger (1/9) E.20 Mettre en doute, en question. E.21 Exagérer, mettre en relief (1/7) E.22 Excuser, réconcilier E.23 Se vanter, fanfaronner, faire l'outrecuidant (1/5) E.24 Être attentif, observer (5/8) (Augen und Ohren aufhalten) E.25 Séparation : congédier, renvoyer (1/7) E.26 Calomnier, diffamer E.27 Combattre, intervenir énergiquement E.28 Dire des platitudes, s'ingérer dans qqch E.29 Prise de contact 92 C. CORTÈS - Phraséologie et corps humain E.30 Participation, activité, initiative (3/12) (bei etw die Finger im Spiel haben) E.31 Voler, dérober (2/4) E.32 Attaquer (2/4) E.33 Tenir en laisse, protéger (1/4) E.34 Restructuration, modification positive ou négative E.35 Vexer, offenser, comportement maladroit (5/13) (jm auf die Zehen treten) E.36 Louer, flatter (1/5) E.37 Blâmer (2/25) E.38 Punir (2/15) E.39 Encouragement, exhortation, consolation (3/5) E.40 Taquinerie, agacerie, mystification (1/8) E.41 Renoncer, abandonner (1/19) E.42 Perte, échec E.43 Décision (4/12) E.44 Effort, engagement (1/19) E.45 Attention, soin (5/11) (etw wie seinen Augapfel hüten) E.46 Urgence, précipitation (4/11) (Hals über Kopf) E.47 Estimer, évaluer (4/6) (sich den Kopf zerbrechen) E.48 Achèvement E.49 Décevoir (1/1) F. Évaluation d'une situation, d'un fait [11 %] (32 / 282) F.1 Certitude, habitude, familiarité, routine (6/29) (festen Fuß fassen) F.2 Incertitude, manque d'assurance (1/23) F.3 Exigences F.4 Secret, énigme F.5 Possible/ impossible (réalisable, non réalisable) (1/8) F.6 Bonheur : satisfaction ou soulagement à la suite du succès d'une affaire (1/11) F.7 Danger, risque (3/26) (für etw seine Haut zu Markte tragen) F.8 Succès (2/25) (die Oberhand haben) F.9 Insuccès, échec, en être pour ses frais (1/22) F.10 Gain F.11 Perte, échec, déception (1/9) F.12 Défaite, gagner de l'expérience à partir de ses erreurs (3/12) (sich die Finger verbrennen) 93 Cahier du CIEL 1998-1999 F.13 Erreur, faute F.14 Soupçon F.15 Difficultés (4/29) (sich die Zähne an etw ausbeißen) F.16 Désavantage, dommage (2/10) F.17 Provoquer de l'énervement, une tension (2/15) F.18 Provoquer une sensation, réactions exagérées F.19 Condition, être prêt à prendre des risques F.20 Modification, transformation, perte de l'ordre établi F.21 Excès jusqu'au dégoût (2/4) F.22 Surprise G. Environnement, Monde extérieur [7 %] (10 / 151) G.1 Apprendre et travailler (avec ou sans succès) (0/12) G.2 Le temps qu'il fait (0/14) G.3 Relation temporelles (1/23) G.4 Vitesse (1/9) G.5 Relations spatiales (1/6) (Schulter an Schulter) G.6 Mouvement (2/21) G.7 relations quantitatives, ensembles (2/16) (über den Daumen peilen / schätzen) G.8 Mesure (0 / 22) G.9 Valeur positive (1/9) G.10 Valeur négative (0/12) G.11 Valeur matérielle, prix (0/6) G.12 Possession (0/1) H. Phraséologismes liés à la situation de communication [2 %] (1 / 41) H.1 Consolation - Apaisement- Rassérénement H.2 Formules de souhait (1/1) H.3 Impatience, colère, indignation, protestation H.4 Refus, indifférence, résignation H.5 Vantardise (de celui qui veut se faire bien voir) H.6 Commentaire H.7 Recherche du contact H.8 Mise en doute ou assurance solennelle H.9 Surprise Un constat s'impose : la répartition des emplois des phrasèmes comportant la désignation d'une partie du corps humain n'est pas vraiment 94 C. CORTÈS - Phraséologie et corps humain arbitraire. La plupart des phrasèmes sont verbaux et désignent une attitude corporelle, un mouvement du corps. La plupart d'entre eux servent à désigner un état, une qualité ou une activité relevant de la sphère de l'humain. On observe un pic d'emploi en B (État de l'homme) [37 % également répartis] et une répartition qui fait la part belle à des attitudes corporelles à partir desquelles on peut inférer des propriétés humaines : C (Qualités humaines) [30 % inégalement répartis] et E (activités humaines) [20 % inégalement répartis], A (apparence de l'homme) [18 % inégalement répartis], D (Disposition, rapport à son prochain, rapport à l'environnement) [13 % inégalement répartis]. Parmi ces exemples, on trouve majoritairement un rapport de contiguïté entre l'allusion à une attitude corporelle, un mouvement du corps et ce que l'expérience permet d'en inférer sur un autre plan que le plan physique. Dans ce cas, la lexicalisation de ces expressions peut s'interpréter comme un transfert métonymique : le signifié holistique du phrasème et l'allusion au corps humain se situent dans un même domaine, en relation "cotopique", selon la définition de M. Bonhomme (1987). Il faut ajouter que, en C, D et E, il y a de grosses différences de répartition : il semble que l'allemand évite de relier une attitude du corps humain à des qualités trop négatives (folie, bêtise, manque de droiture, méfiance, aversion, jalousie) ou à des activité dégradantes (mettre en danger, échouer, renoncer, calomnier), comme si cette langue cherchait à donner le plus possible une image valorisante du corps humain (assistance, confiance, attention). Plus on s'éloigne de la sphère de l'humain et moins la représentation du corps est utilisée : F (Évaluation d'une situation, d'un fait) [11 % inégalement répartis], G (Environnement, monde extérieur) [7 % inégalement répartis] et H (Situation de communication) [2 % inégalement répartis]. Dans ces domaines d'ailleurs, ce n'est plus le mécanisme de la contiguïté qui est à l'oeuvre, mais c'est plutôt la similarité avec changement de domaine d'expérience et les expressions en question sont majoritairement des métaphores : le signifié holistique du phrasème et l'allusion au corps humain se situent dans des domaines différents, en relation "allotopique", selon la définition de M. Bonhomme (1987). Observons que les domaines de l'argumentation et de la communication ne font pratiquement jamais appel à la représentation du corps humain. On peut conclure de ces quelques remarques que, en allemand, les phrasèmes comportant la désignation d'une partie du corps humain s'emploient de préférence dans la sphère de l'humain, mais qu'ils donnent accès, grâce au figement, à des domaines connexes abstraits (propriétés, 95 Cahier du CIEL 1998-1999 qualités, dispositions humaines), dont l'homme n'a qu'indirectement l'expérience par un travail introspectif d'inférences et de déductions. En outre, l'emploi des phrasèmes allemands comportant la désignation d'une partie du corps humain permet de projeter une image valorisante du corps, en rejetant, dans un mouvement conventionnel socialisé les images dégradantes. Au vu de ces résultats, on peut considérer que l'allemand met en oeuvre au niveau des structures préconceptuelles ce que Lakoff et Johnson (1980 / 1985) appellent une "gestalt expérencielle" . Rappelons ici quelques unes de leurs positions : - "Les gestalts expériencielles représentent des organisations cohérentes de nos expériences en termes de dimensions naturelles (parties, étapes, causes etc.). Les domaines d'expérience qui sont organisés comme des gestalts nous semblent être des espèces naturelles d'expérience".(Lakoff et Johnson (1980 / 1985) p 127) La notion de gestalt est utilisée par Lakoff à deux niveaux de la structure du modèle linguistique : au niveau fondamental de la gestalt expériencielle qui permet de rendre compte des structures préconceptuelles, mais aussi au niveau de la catégorisation des unités linguistiques qui sont le reflet de ces "espèces naturelles d'expérience" et dont les propriétés se structurent également sous forme de gestalts. - les relations à l'intérieur d'une gestalt ne se limitent pas à des conditions nécessaires et suffisantes ; elles se fondent sur l'expérience et sur la pertinence pour l'homme. Cela n'efface nullement la diversité des langues, puisque l'expérience peut être conventionnalisée différemment d'une culture à une autre. Mais dans tous les cas, "nous concevons un objet en fonction d'une gestalt multidimensionnelle constituée de propriétés perceptives, motrices, intentionnelles, fonctionnelles". (Lakoff et Johnson (1980 / 1985) p 131). - "Les propriétés interactionnelles sont au tout premier rang des propriétés qui entrent dans la détermination des ressemblances de famille. (...) Ainsi les propriétés interactionnelles pertinentes pour notre compréhension des fauteuils comprendront des propriétés perceptives (la façon dont ils se présentent, comme nous sommes assis dedans, etc.), fonctionnelles (ils nous permettent de nous asseoir), motrices ( ce que nous faisons de nos corps lorsque nous nous asseyons, lorsque nous nous levons et pendant que nous sommes assis) et intentionnelles (ils nous servent à nous reposer, à manger, à écrire, etc.)" (Ibidem p 132-133.) - Dans une gestalt structurée à l'aide de propriétés interactionnelles, 96 C. CORTÈS - Phraséologie et corps humain aucune propriété n'est nécessaire en soi, mais elle peut l'être par rapport à des prototypes ou à des ressemblances de famille. En fonction des propriétés interactantielles mises en oeuvre, on peut observer des distances plus ou moins grandes entre les unités linguistiques à l'intérieur d'un champ prototypique ou d'une famille. (cf. Colette Cortès (1995) et (1996)) Avec les phrasèmes qui comportent la dénomination d'une partie du corps, nous sommes au coeur de l'expérience humaine à la fois médiatisée par le corps et donnant à voir le comportement humain comme signe, comme symbole. Si près de la moitié des expressions idiomatiques font intervenir le corps ou une partie du corps, leur signification n'a pas pour but de décrire le corps, mais de décrire de l'invisible, quelque chose que l'expérience permet de déduire d'un attitude ou d'un comportement perçus habituellement comme associés à un état, une action ou un activité humain(e)s, au point d'en devenir des évocations prototypiques. Toutefois, même si la valeur prototypique de ces expressions corporelles joue, en tout état de cause, un rôle essentiel en ce qui concerne leur interprétation par les locuteurs, il ne faut pas occulter le fait que, lorsqu'elle sont adoptées par une communauté de locuteurs, elle prennent une valeur sociale de stéréotype. R. Amossy (1991) définit le stéréotype comme "le prêt à porter de l'esprit. (...) En effet notre esprit est meublé de représentations collectives à travers lesquelles nous appréhendons la réalité quotidienne et faisons signifier le monde". (R. Amossy 1991 / 9) "Le stéréotype présente une constante autour de laquelle gravitent toutes les définitions. En effet, il est toujours présenté comme relevant du préconçu et du préconstruit, lui-même enraciné dans le collectif (le groupe, la société, la culture)".(R. Amossy 1991/ 30) "En tant que représentation collective accréditée, le stéréotype relève du fonds commun à partir duquel un groupe donné façonne sa vision des choses et des événements. Il offre des schèmes grâce auxquels la communauté peut appréhender le réel de façon uniforme et fonder en vérité ses croyances. Le processus n'est pas en soi irrationnel. Toute société a besoin de structures cognitives homogénéisantes. Elle les élabore à la fois en fonction de ses besoins immédiats et en vue de faire communier les esprits." (R. Amossy 1991/ 48). C'est sans nul doute de ce besoin que relève la représentation valorisée du corps que nous avons observée dans les relevés de Regina Hessky et Stefan Ettinger (1997) : cela semble bien relever de l'image stéréotypée qu'une société souhaite donner du corps de l'homme. Les phrasèmes comportant une dénomination d'une partie du corps 97 Cahier du CIEL 1998-1999 humain contribuent certes à la conservation d'images communes à tous les locuteurs. Mais dans la mesure où certaines images remontent à un fonds très ancien, on peut se demander si ces phrasèmes ne font que perpétuer des images ou s'ils permettent d'avoir accès à l'image instantanée d'une société donnée. La réponse réside, me semble-t-il, dans le foisonnement même de ces expressions préfabriquées qui offrent dans chaque langue un répertoire très large dans lequel chaque locuteur puise selon ses besoins. Et on voit, au fil du temps, certaines expressions passées de mode, relayées par d'autres reprises ou nouvellement créées. On peut donc penser qu'une étude strictement synchronique des expressions employées par une communauté de locuteurs en un temps relativement restreint peut nous donner un éclairage particulier sur leur sociolecte. D'où l'importance de l'étude non pas de tous les phrasèmes attestés, mais de ceux qui sont effectivement employés et du type de texte qui les porte. Autrement dit, une étude synchronique des phrasèmes d'une langue dans un type de textes donné peut servir de fondement à une étude des stéréotypes de la société qui les utilise. C'est cette méthode qui va être utilisée dans ce qui suit, à savoir l'analyse synchronique de phrasèmes français et allemands utilisés dans des textes relativement homogènes : l'étude suivante sera contrôlée à l'aide d'un corpus de phrasèmes relevés sur les CD-ROM de journaux français (Le Monde) et allemand (Der Spiegel) de 1998 à 2000. Nous proposerons un classement de phrasèmes français et allemands comportant la dénomination d'une partie du corps humain en fonction d'une propriété sémantique à laquelle ils sont tous sensibles : pour l'ensemble des phrasèmes relevés chez Lafleur (1991) et Friederich (1966), nous nous demanderons si la partie du corps dénommée renvoie au corps du sujet de l'énoncé dont le phrasème constitue le prédicat, au corps d'un autre individu interagissant avec le sujet ou aux deux. Les expressions qui présentent les deux corps comme en interaction retiendront toute notre attention dans la perspective comparative allemand-français que nous avons choisie. Le rapport au corps peut donc bien servir de point de départ à la classification. Il convient toutefois de ne pas en rester à une liste alphabétique des parties du corps, comme cela est fait chez Lafleur (1991) et Friederich (1966), mais de partir à la recherche de traits pertinents sémantiques communs qui nous conduisent au coeur de la fonction stéréotypique des phrasèmes. 2. 98 ÉT U D E COMPARATIVE DE LA C. CORTÈS - Phraséologie et corps humain REPRÉSENTATION DE L ' INTERACTION CORPORELLE DANS LES PHRASÈMES FRANÇAIS ET ALLEMANDS L'étude comparative de la représentation de l'interaction corporelle dans les phrasèmes français et allemands sera faite dans une perspective onomasiologique telle qu'elle est préconisée par M. Martins-Baltar et G. Calbris (1997), mais dans un but un peu différent puisque nous nous mettons en quête de stéréotypes. La méthode utilisée s'apparente à une méthode actancielle, mais elle est "impure" dans la mesure où elle relève à la fois de l'expression figée et de son analyse défigée: elle joue à la fois sur la syntaxe des phrasèmes verbaux et sur les rôles sémantiques au niveau de la représentation du corps. C'est en effet ce croisement même, cette "impureté" de la classification qui garantit le fait que notre analyse porte bien sur le phrasème en tant qu'objet linguistique et non sur une description "objective" de la partie du corps elle même. Nous classerons les exemples en fonction de l'attribution par le phrasème de la partie du corps au sujet syntaxique (colonne 2), au corps d'un autre coagissant (qui peut être objet direct ou indirect du phrasème verbal ou objet du nom prédicatif désignant la partie du corps) (colonne 3) ou aux deux dans l'interaction des deux corps (colonne 4). Prenons un exemple pour montrer que les expressions se répartissent très facilement selon ce classement : - la partie du corps dénommée dans le phrasème appartient au corps du sujet syntaxique du phrasème verbal [+ humain] : avoir perdu la tête, en faire à sa tête, se mettre en tête de faire qqch - la partie du corps dénommée dans le phrasème n'appartient pas au corps du sujet syntaxique du phrasème verbal mais au corps du coagissant qui peut être objet direct, indirect ou complément de nom [+ humain]: avoir la tête de qqn, monter la tête à qqn, tourner la tête à qqn - deux corps sont vus dans leur interaction, corps du sujet et corps du co-agissant, tous deux [+ humain]: être en tête à tête. Dans le dernier cas, le phrasème a toujours une valeur réciproque qui peut être verbalisée par : l'un avec l'autre, les uns avec les autres... Le sujet se caractérise par sa pluralité intrinsèque. La pluralité du sujet se réalise de deux façons : - [Sujet [+ humain]] + lexie verbale + avec + [co-agissant [+ humain]] : Pierre est en tête à tête avec Marie. - [Sujet Pluriel [+ humain]] qui se compose sémantiquement d'un 99 Cahier du CIEL 1998-1999 agissant et d'un co-agissant : Pierre et Marie sont en tête à tête. Les deux jeunes gens sont en tête à tête (l'un avec l'autre). L'indication [Pluriel Réciproque] dans la colonne 4 doit être lue comme la structure sous-jacente à ces deux réalisations. Le tableau 1 présente l'ensemble des exemples relevés pour le français, mais il ne prétend nullement à l'exhaustivité. partie corps du sujet du corps [Sujet [+ humain]] tête coeur main face oeil nez oreille 100 corps du co-agissant interaction des corps du [Sujet [+ humain]] sujet et du co-agissant [Objet [+ humain]] [Sujet [+ humain]] [Objet [+ humain]] OU [Sujet Pluriel [+ humain]] avoir perdu la tête avoir la tête de qqn [Sujet Pluriel (être)] en en faire à sa tête monter la tête à qqn tête à tête se mettre en tête de tourner la tête à qqn (voir corps à corps) faire qqch avoir du coeur à si le coeur vous en coeur à coeur : non cité l'ouvrage dit dans Lafleur, mais voir parler à coeur LM (4) ouvert avoir à portée de la être entre bonnes de la main à la main main mains [Pluriel Réciproque] en avoir sous la main forcer la main à qqn venir aux mains donner un coup de [Pluriel Réciproque] main marcher la main dans la reprendre qqn/ch en main mains faire face jeter à la face de [Pluriel Réciproque] sauver la face qqn être face à face n'avoir d'yeux que pour les beaux yeux [Pluriel Réciproque] pour qqn de qqn (se) dire qqch entre ne pas en croire ses jeter de la poudre quatre-z-yeux yeux aux yeux à qqn avoir du nez faire qqch au nez nez à nez avoir qqn dans le (et à la barbe) de [Pluriel Réciproque] se nez qqn bouffer le nez à vue de nez passer sous le nez à qqn rire au nez à qqn dresser / prêter avoir l'oreille de de bouche à oreille l'oreille qqn faire la sourde corner aux oreilles oreille de qqn se faire tirer l'oreille C. CORTÈS - Phraséologie et corps humain pied au pied levé perdre pied ne pas mettre les pieds qqpart dos avoir bon dos en avoir plein le dos tourner le dos à qqn bras avoir qqn/ch sur les bras les bras m'en tombent rire dans sa barbe barbe/ cheveux doigt mettre le doigt sur qqch s'en mordre les doigts peau risquer sa peau, sauver sa peau, avoir qqn dans la peau, y laisser la peau langue avoir la langue bien pendue ne pas avoir sa langue dans la poche donner sa langue au chat jambe ça me fait une belle jambe avoir les jambes coupées dent bouche avoir les dents longues se casser les dents sur être sur le dents faire la fine bouche coude jouer des coudes lécher les pieds à qqn marcher sur les pieds de qqn être sur le dos de qqn faire qqch dans le dos de qqn se mettre qqn à dos manquer de bras être le bras droit de qqn faire qqch à la barbe de qqn obéir au doigt et à l'oeil [Pluriel Réciproque] se faire un appel du pied non cité dans Lafleur mais voir LM (5) [Pluriel Réciproque] être sur un pied d'intimité avec [Sujet Pluriel (être)] dos à dos [Sujet Pluriel (être)] bras dessus, bras dessous [Pluriel Réciproque] se crêper le chignon [Pluriel Réciproque] être comme les deux doigts de la main je ne voudrais pas être dans sa peau, se mettre dans la peau de qqn les mauvaises langues [Pluriel Réciproque] prendre langue non cité dans Lafleur mais voir LM (6) tenir la jambe à qqn tirer dans les jambes à qqn faire un croc en jambe à qqn faire grincer des dents [Pluriel Réciproque] se tenir la jambe se tirer dans les jambes se faire un croc en jambe dent pour dent [Pluriel Réciproque] être à bouche que veux-tu de bouche à oreille [Pluriel Réciproque] être au coude à coude [Pluriel Réciproque] se serrer les coudes 101 Cahier du CIEL 1998-1999 talons avoir l'estomac dans les talons avoir toujours qqn sur ses talons avoir les nerfs en boule avoir les reins solides avoir cela dans le sang se faire du mauvais sang se ronger les sangs nerf reins sang être sur les talons de qqn pas de symétrie possible taper sur les nerfs à qqn casser les reins à qqn [Pluriel Réciproque] se taper sur les nerfs pas de symétrie possible pas de symétrie possible Les exemples suivants tirés du Journal Le Monde attestent de l'utilisation en français moderne de certaines expressions citées dans le tableau 1. Il ne s'agit que d'un court échantillon d'un travail fait à beaucoup plus grande échelle. (4) C'est un tombeau, bien sûr, ce recueil qui rassemble poèmes en prose et en vers, trois élégies et une magnifique " Litanie de toi ". C'est un livre de neige, mais jamais de grisaille, un souvenir d' " altitude, poésie, insouciance, goût du risque, étreinte à se briser les os, coeur à coeur ". Le Monde 4 décembre 1998, page 30. (5) Le président de la SNCF et le ministre des transports, Jean-Claude Gayssot, se sont fait un appel du pied concernant les aides publiques dont l'entreprise pourrait bénéficier afin de mettre en place la réduction du temps de travail. Le Monde 26 novembre 1998, page 20. (6) L'arrivée de Rupert Murdoch dans l'audiovisuel italien ressemble à un feuilleton de l'été. Après avoir négocié un temps, mais sans succès, avec Silvio Berlusconi pour prendre la majorité de Mediaset, le magnat australo-américain aurait désormais pris langue avec Telecom Italia, opérateur transalpin du téléphone. Le Monde 22 septembre 1998, page 27. La tableau 2 présente l'ensemble des exemples relevés pour l'allemand, mais il ne prétend pas davantage que le tableau 1 à l'exhaustivité. partie du corps 102 corps du sujet corps du co-agissant les deux : corps du sujet et celui de l'interactant/ communication C. CORTÈS - Phraséologie et corps humain Kopf Herz Hand Angesicht Auge Nase Ohr seinen Kopf aufs Spiel setzen Hals über Kopf sich kopfüber in etw stürzen den Kopf verlieren den Kopf über Wasser halten das liegt mir am Herzen jn an sein Herz drücken das Herz auf der Zunge haben er hat das Herz auf dem rechten Fleck mir fällt ein Stein vom Herzen die Hand im Spiele haben die Hände nach etw ausstrecken sich für jn die Hand abhacken lassen mit leeren Händen dastehen im Schweiße meines Angesichtes ganz Auge und Ohr sein aus den Augen aus dem Sinn vorn und hinten Augen haben etw im Auge behalten jm schöne Augen machen Die Nase hoch tragen die Nase rümpfen die Nase voll haben seine Nase in die Angelegenheiten eines andern stecken nicht weiter als seine Nasenspitze sehen die Ohren spitzen ein offenes, williges Ohr leihen taube Ohren haben auf diesem Ohr nicht hören wollen was ist ihm in den Kopf gefahren? jm den Kopf vedrehen [Pluriel Réciproque] Kopf an Kopf (rennen (coude à coude)) (7) alle Herzen gewinnen alle(r) Herzen für sich einnehmen das ist ihm ein Stich ins Herz jn ins Herz treffen jm ins Herz blicken [Pluriel Réciproque] ein Herz und eine Seele sein zwei Herzen und ein Schlag jm freie Hand lassen an js Hand jm etw an die Hand geben jm etw aus der Hand nehmen in fester Hand sein der Gefahr, dem Tode ins Angesicht sehen jm die Augen öffnen unter js Augen aufwachsen jeden Wunsch von den Augen ablesen [Pluriel Réciproque] Hand in Hand arbeiten Hand in Hand gehen von Angesicht zu Angesicht (8) [Pluriel Réciproque] unter vier Augen (en tête à tête) (9) sich Auge in Auge gegenüberstehen jn an der Nase herumführen jm auf der Nase herumtanzen jm eins auf die Nase geben jm die Ohren vollschreien jm etw zu Ohren bringen jm klingen die Ohren js Ohr haben 103 Cahier du CIEL 1998-1999 Fuß keinen Fuß über js Schwelle setzen das Recht mit Füßen treten auf dem Fuße folgen jm über die Füße laufen jm etw zu Füßen legen Rücken sich den Rücken decken einen breiten Rücken haben Arm jn in die Arme schließen jn mit offenen Armen empfangen jm den Rücken stärken jm in den Rücken fallen jn am Arm packen jn dem Gegner in die Arme treiben jm in den Arm fallen jn unter die Arme greifen auf js Schultern liegen, lasten Schulter Haar Finger Haut Zunge Bein 104 jm die kalte Schulter zeigen etw auf seine Schultern nehmen etw auf die leichte Schulter nehmen sich die Haare raufen keinen Finger krumm machen etw an den (fünf) Fingern abzählen mit Haut und Haar sich auf die faule Haut legen seine Haut zu Markte tragen jm mit Haut und Haar verfallen sein eine scharfe/ spitze Zunge haben sich auf die Zunge beißen seine Zunge im Zaum halten den ganzen Tag auf den Beinen sein sich kein Bein ausreißen mit beiden Beinen im Leben stehen [Pluriel Réciproque] (mit jm) auf gespanntem Fuß / freundschaftliche m Fuß stehen [Pluriel Réciproque] Rücken an Rücken [Pluriel Réciproque] Arm in Arm Schulter an Schulter auf js Schultern stehen kein gutes Haar an jm lassen jm stehen die Haare zu Berge laß die Finger davon jm auf die Finger sehen ich möchte nicht in seiner Haut stecken jm die Haut gerben Böse Zungen behaupten daß jm die Zunge lösen etw auf die Beine bringen jn wieder auf die Beine bringen jm wieder auf die Beine helfen [Pluriel Réciproque] sich in die Haare geraten sich in den Haaren liegen C. CORTÈS - Phraséologie et corps humain Zahn sich die Zähne an etw ausbeißen Haare auf den Zähnen haben das reicht für einen hohlen Zahn die Zähne nicht auseinanderkriegen nicht auf den Mund gefallen sein von der Hand in den Mund leben Mund Ellbogen sich mit den Ellbogen einen Weg bahnen Ellbogenfreiheit haben Nerv(en) den Nerv haben schwache, überempfindliche, starke Nerven haben mit den Nerven am Ende sein. das geht mir an die Nieren das steckt mir im blut Musik im Blut haben das Blut stockte ihm in den Adern jn (dicht) auf den Fersen haben Niere(n) Blut Ferse(n) jm den Zahn ziehen jm auf den Zahn fühlen jm den Mund verbieten jm den Mund stopfen jm die Bissen im Munde zählen in aller Munde sein wie aus einem Munde reden (10) [Pluriel Réciproque] sich mit dem Ellbogen anstoßen der hat Nerven einem auf die Nerven gehen jm die Nerven zerfetzen auf Herz und Nieren prüfen jn bis aufs Blut peinigen das Blut erstarren lassen jm (dicht) auf den Fersen sein sich an js Fersen heften Les exemples suivants tirés du journal Der Spiegel attestent de l'utilisation en allemand moderne de certaines expressions citées dans le tableau 2. Il ne s'agit que d'un court échantillon d'un travail fait à beaucoup plus grande échelle. (7) Ein Stimmungswandel ausgerechnet zur Bundestagswahl könnte angesichts des zu erwartenden Kopf-an-Kopf-Rennens zwischen Koalition und Opposition für Kohl verheerend sein: Weit über eine Million Rußlanddeutsche sind wahlberechtigt, 500 000 geben erstmals ihre Stimme ab. Spiegel 98 8 66-67 (8) „Mein Gott, wir haben die ,Titanic‘ gefunden“, hatte derselbe Ballard kurz nach Mitternacht des 1. September 1985 ausgerufen. Auf den Bildschirmen in der Beobachtungszentrale an Bord des Forschungsschiffes „Knorr“ erschien, 560 Kilometer vor Neufundland, 105 Cahier du CIEL 1998-1999 der Hauptkessel mit den Feuertüren. Es war, schrieb Ballard später, wie „das Wiedersehen mit einer alten Geliebten“, mit der er viele Jahre korrespondiert hatte und der er schließlich „ von Angesicht zu Angesicht “ begegnete. Spiegel 1998 4 / 176 (9) Thyssen-Aufsichtsratschef Heinz Kriwet wollte kein Risiko mehr eingehen. Die beiden Personalien schienen ihm so heikel, daß er darüber mit einigen einflußreichen Ratskollegen nur unter vier Augen sprach. Spiegel 98 3 / 82 (10) Die erste große Leistung der drei Schauspielerinnen: wie h i n g e b u n g s v o l l s i e d i e „ Ä h n l i c h e n “ g e b e n u n d auf Individualität verzichten, von nahezu identischem Outfit. Sie reden und quasseln wie aus einem Munde durcheinander, gegeneinander und miteinander. Spiegel 98 24 / 226 La comparaison des tableaux 1 pour le français et 2 pour l'allemand est tout à fait éclairante : si les colonnes 2 et 3 sont à peu près également remplies dans les deux langues, la colonne 4 en revanche est presque vide pour l'allemand alors qu'elle est fort honorablement remplie pour le français. Les deux langues semblent donc différer nettement en ce qui concerne la représentation de l'interaction corporelle, très présente dans les phrasèmes français et quasiment absente dans les phrasèmes allemands. Dans une perspective strictement synchronique, contrôlée par les relevés dans des journaux récents, on peut admettre que ce résultat nous renseigne sur des images stéréotypées contrastées en français et en allemand. Ce premier sentiment est confirmé par d'autres observations tant sociologiques que phraséologiques. Sur la plan sociologique, il suffit de vivre quelques temps en Allemagne lorsqu'on est français ou en France lorsqu'on est allemand pour se rendre compte que les salutations sont très différentes dans les deux pays et que l'Allemagne n'est pas le pays des effusions et des embrassades dans la vie quotidienne. Certains termes comme "Tête-à-tête" sont des emprunts en allemand. Il n'y a pas non plus d'équivalent direct pour "corps-à-corps", qui se traduit par "Nahkampf (Mann gegen Mann)". En revanche l'allemand a plus d'expressions que le français pour marquer la distanciation vis à vis du corps de l'autre : jn vom Leibe halten, sich auf Armeslänge fernhalten. A côté de cela, l'allemand présente plus d'expressions que le français pour la fusion intellectuelle et sentimentale : "ein Herz und eine Seele sein, zwei Herzen und ein Schlag, wie aus einem Munde reden". 106 C. CORTÈS - Phraséologie et corps humain C ONCLUSION GÉNÉRALE Le corps humain impliqué dans un échange linguistique est transparent à la communication, sauf lorsqu'il sert de repère dans la relation autodeictique ou lorsqu'il se met en scène dans les phrasèmes. Le corps se présente alors comme opaque en tant que vecteur de la communication, en vue d'une construction directe de repères déictiques (dans son emploi verbalisé ou dans le geste co-verbal par exemple) ou en vue de la construction d'un sens dérivé selon des procédures cotopiques ou allotopiques dans les phrasèmes. Notre courte étude a donné au moins deux résultats : - dans les phrasèmes allemands, l'image du corps humain est un vecteur d'abstraction, mais à propos de domaines relativement connexes au corps humain : abstraction des sentiments, des qualités humaines, des activités humaines. En outre, le corps est montré bien davantage dans des conditions qui le valorisent que dans des conditions dévalorisantes (moins de 5 exemples). - dans une perspective comparatiste s'appuyant sur une analyse actancielle hybride, on a pu montrer que l'interaction corporelle est beaucoup moins représentée en allemand qu'en français. Ces observations auraient besoin d'être étayées par des études sociologiques et psychologiques précises. Mais faites avec les précautions que nous avons indiquées : homogénéité dans le temps et dans le type de texte étudié, elles peuvent être une indication sur les expressions préfabriquées qu'une société privilégie à un moment donné. Le grand nombre des phrasèmes disponibles dans un langue est en soi un élément pertinent car il garantit l'adaptabilité du matériau phraséologique aux exigences d'une société toujours en mouvement. Seule une étude homogène dans le temps et dans le type de discours analysés permet d'accéder à un inventaire homogène des phrasèmes effectivement employés en un temps t. De nombreuses études allant dans ce sens sont consacrées aux phrasèmes dans le domaine économique (C. Delplanque 1996), dans le domaine juridique , et même dans le domaine littéraire (Christine Palm (1996), Alain Christophe (1997)). On peut considérer qu'un inventaire de phrasèmes qui suspend momentanément le temps et la variété des idiolectes donne accès à une image instantanée de la représentation stéréotypée qu'une société véhicule en un temps t de son histoire à travers ses expressions préfabriquées, et ce faisant, il permet de préciser dans quel sens se fait l'effort d'homogénéisation généré par la société dont il est le reflet. 107 Cahier du CIEL 1998-1999 ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE. Amossy, Ruth (1991) : Les idées reçues. Sémiologie du stéréotype. Nathan, Paris. Bonhomme, Marc (1987) : Linguistique de la métonymie. Lang, Bern. Brenot, Philippe (1990) : Les mots du corps. Dictionnaire des clins d'oeil populaires. Editions Gréco. Le Hameau, Paris. Burger , Harald (1987) : Zur Funktion von Phraseologismen in den Massenmedien. in Burger H. / Zett R (Hrsg) Aktuelle Probleme der Phraseologie. Bern, Lang (11-28). 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