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SOCIÉTÉ 16 www.le13dumois.fr SOCIÉTÉ — Entretien avec Daniel Carré, délégué national de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité Notre médecine a oublié que nous étions mortels Propos recueillis par Mathilde Azerot Comment le débat sur la fin de vie a-t-il évolué ces dernières décennies ? Il y a eu une évolution considérable des conditions cliniques de la mort. Au siècle dernier, avant l’arrivée des antibiotiques, la mort arrivait brutalement, des gens en bonne santé de 50-60 ans faisaient une pleurésie ou une pneumonie, attrapaient la tuberculose et mouraient. Aujourd’hui, on assiste depuis 50 ans à une augmentation considérable de l’espérance La loi prend en charge de vie mais des vies où il y a une perte prol’agonie avec la gressive de la vitalité. Incontestablement, sédation profonde et aujourd’hui, un Alzheimer vit très vieux, les prolongée jusqu’à la cancéreux vivent avec leur cancer même mort, mais ne répond s’il peut se développer et entraîner la mort. pas du tout à un Les grands défis de la santé sont devenus les cancéreux en fin maladies chroniques. Ce qui cause le plus de parcours qui sait souci, pour l’heure, à la sécurité sociale, c’est qu’il va mourir le diabète, parce qu’il entraîne ensuite un certain nombre de conséquences désastreuses : cancer, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, etc. Les conditions de santé de la personne se délitent. La fin de vie a pris une tournure qu’elle n’avait pas il y a cent ans. À l’époque, on ne se posait pas trop de questions, d’autant plus que les guerres ont quand même pesé assez lourd dans les causes de mortalité. Cela explique qu’il y a, à l’heure actuelle, une certaine confusion dans la façon dont on prend les problèmes de fin de vie. C’est-à-dire ? On mélange ce qui a trait aux souffrances de l’agonie avec l’anticipation de sa mort quand on est atteint d’une maladie létale à court terme. La loi Claeys-Leonetti prend en charge l’agonie avec la sédation profonde et prolongée jusqu’à la mort, mais ne répond pas du tout aux demandes d’un cancéreux en fin de parcours → Elle a été présentée comme la deuxième grande réforme sociétale du quinquennat de François Hollande après le mariage pour tous. La loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 17 mars, instaure un droit à la sédation profonde et continue jusqu’à la mort pour les malades en phase terminale. L’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), qui milite depuis plus de 30 ans pour la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, compte pas moins de 670 adhérents dans le 13e. Pour Daniel Carré, l’un de ses membres et aussi délégué national de l’association, cette loi, bien insuffisante, n’est qu’une étape, le temps que la société française et le corps médical intègrent qu’on ne meurt plus comme avant en raison de l’allongement de l’espérance de vie. Selon lui, un jour viendra où, comme en Belgique ou en Suisse, la France encadrera une aide active à mourir. avril 2015 17 SOCIÉTÉ mortels. Cela conduit au déni que le médecin puisse prendre en charge la mort comme un ultime soin. Si le patient considère que la souffrance est intolérable, il faut accepter son jugement et être là pour l’aider à partir. Mais cela est considéré comme une transgression inadmissible. Les médecins sont désemparés devant le fait que leur science ne leur permette pas de faire autre chose que d’accompagner les derniers moments, mais ils le font bien souvent dans des conditions qui relèvent de l’obstination déraisonnable, c’est-à-dire de l’acharnement thérapeutique, qui n’est pas du tout un effet marginal. La proposition de loi d'Alain Claeys et Jean Leonetti, un député socialiste et un député UMP, a été présentée comme un texte de rassemblement… C’est surtout un texte de rassemblement d’une nomenklatura qui ne veut pas remettre en cause sa conception anthropologique des choses. Ce n’est pas une loi de consensus. Avez-vous tout de même noté des avancées par rapport à la précédente loi de 2005 ? Cette loi s’affiche comme une loi destinée aux médecins avec l’ouverture de nouveaux droits pour les patients. Mais prenons par exemple le cas des directives anticipées : au regard du texte, si ces directives sont considérées comme inadéquates par le médecin, ça ne marche pas. Donc ça ne sert pas à grand-chose. conscient qu’il va mourir d’une maladie de Charcot ou d’AVC grabataire et qui ne veut plus vivre ce qu’il vit. Le problème n’est pas de savoir si ça arrivera mais de savoir quand ça arrivera. C’est absolument inéluctable que la France applique un jour l’assistance médicalisée à mourir. L’ADMD a-t-elle été consultée pour la préparation de la proposition de loi ? Oui, mais nous étions très peu nombreux par rapport aux establishments religieux et médical qui s’opposaient à la mort choisie. L’opinion publique nous soutient très largement, puisqu’au dernier sondage en octobre 2014, 96% de la population française estimait qu’il faut légaliser la mort active. Et là, on pond une loi où on ne parle pas de mort active. On parle de sédation, mais la sédation, c’est un outil de médecin, décidé par les médecins et qui ne peut être conduit correctement qu’à l’hôpital. Comment expliquez-vous ce décalage entre la position de l’opinion publique et celle des décideurs ? Il vient probablement du fait qu’on met en cause un changement de paradigme dans la vie de l’homme. Nous avons une médecine qui a oublié que nous étions 18 www.le13dumois.fr Que sont ces directives anticipées ? Les directives anticipées entrent en jeu quand on ne peut plus parler. Aux États-Unis, ça s’appelle les « living wills ». Si je suis dans le coma et que j’ai refusé qu’on m’intube pour me maintenir en vie, le médecin ne peut pas s’y opposer. Dans les directives allemandes, qui sont opposables, la personne de confiance chargée de faire respecter ces directives peut demander à l’assurance de ne pas payer le médecin si elles ne sont pas respectées. Pourquoi la France est-elle moins engagée sur le sujet ? Il y a une espèce de crispation d’une nomenklatura médicale, encore une fois, sur le problème du pouvoir. Ce pouvoir doit être remis en cause : vous ne pouvez agir contre la volonté des gens. La conséquence est absurde : 50% des traitements prescrits ne sont pas suivis par les patients. Quelles sont les relations de l’ADMD avec le corps médical ? C’est un dialogue qui a été difficile. Nous avons pourtant eu deux présidents médecins. Nous avons également un réseau de médecins-conseils, c’est-à-dire que s’il y a un problème dans un hôpital, repéré par un délégué concernant un adhérent, nous pouvons faire intervenir un médecin-conseil pour discuter avec l’hôpital. Et puis, nous menons une action importante vis-à-vis du personnel soignant. SOCIÉTÉ Ces problématiques de la fin de vie devraient être davantage présentes dans la formation du personnel soignant et des médecins selon vous ? Oui. Je suis un peu inquiet de voir ces jeunes médecins qui sont formés de manière très pointue sur leur spécialité, qui passent leur temps sur leurs ordinateurs au lieu de faire de la clinique et qui ne considèrent pas la personne comme quelque chose d’important. La fin de vie ne concerne pas la maladie mais ce que la personne veut ou ne veut pas vivre. Cela concerne la personne humaine, pas le malade. La sédation profonde et continue est considérée comme une aide à mourir, pourquoi ne satisfaitelle pas l’ADMD ? La sédation profonde et continue est une anesthésie. C’est vrai que si on n’intube pas, c’est la mort. Mais on impose une technique, qui a sa place dans le combat contre les souffrances des agonies, mais qui n’est pas exclusive et qui de toute façon donne le même résultat qu’une piqûre de penthotal : la mort dans la demi-heure. Alors qu’avec une sédation profonde, la mort peut arriver dans un, deux, trois, cinq jours. C’est une forme extrêmement hypocrite de refuser des techniques plus brutales de mort assistée, qui correspondent aussi à un protocole précis, mais infiniment plus simples à mettre en œuvre qu’une sédation. Une sédation, cela implique qu’il y ait une surveillance continue. C’est médicaliser la mort. Philosophiquement, c’est pour moi inadmissible. Beaucoup d’opposants à l’assistance médicalisée à mourir affirment que si, en France, nous avions des soins palliatifs à la hauteur, les gens mourraient mieux. Il y a quatre fois plus de soins palliatifs en Belgique qui autorise pourtant l’euthanasie. Le soin palliatif peut être une voie mais ce n’est pas la voie. Vous souhaitez communiquer dans LE 13 DU MOIS ? N°49 3,90 € Comment expliquez-vous que les soins palliatifs soient si mal développés en France ? La manière dont ils sont organisés coûte très cher. Il faudrait intégrer des techniques palliatives pour calmer la douleur, pour traiter les gens correctement beaucoup plus en amont. Aujourd’hui, quand on ne sait plus quoi faire, on se débarrasse des gens et on les envoie en soins palliatifs. Mais comme les capacités des unités de soins palliatifs sont beaucoup trop faibles, ils vont mourir en EHPAD ou en SSR [Soins de suite et de réadaptation, ndlr]. Le système de santé abandonne des gens dont on sait qu’on ne peut plus les guérir. C’est un vrai abandon. Mais je ne fais pas le procès des palliativistes car ils ont effectivement une capacité technique à traiter la douleur. Le magazine indépendant du 13e arrondissement - www.le13dumois.fr 13 mars > 13 avril 2015 En vente le 13 de chaque mois Massages naturistes, lieux de rencontres cachés, ancien cinéma X, photographes de charme, écrivains libertins... SOCIÉTÉ L’arnaque aux fausses conventions de stage PORTRAIT Tai-Luc, rockeur franco-viet de La Souris Déglinguée N°49 Pensez-vous que d’une manière inéluctable, la France viendra à l’assistance médicalisée à mourir ? Je suis absolument de l’avis de Lord Falconer, ancien garde des Sceaux du gouvernement travailliste de Tony Blair, qui avait présidé une commission sur le PAS [physician-assisted suicide, ndlr] au Royaume-Uni et selon lequel le problème n’est pas de savoir si ça arrivera mais de savoir quand ça arrivera. C’est absolument inéluctable. ◄ Contactez Arrondiss' Presse David Even - 06.81.11.08.45 [email protected] avril 2015 19