Fusillés pour l`exemple 1915
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Fusillés pour l`exemple 1915
Réhabilitation collective des 650 fusillés pour l’exemple ! Maudite soit la guerre ! Le bilan humain de la Grande guerre 19141918 est estimé à 9,5 millions de morts (France : 1,37 million). Auxquels il faut ajouter 8 millions d’invalides... Et un énorme déficit de naissances. Proportionnellement, La Creuse, dont sont originaires deux des quatre « fusillés pour l’exemple » de Flirey, est l’un des départements de France les plus sévèrement touchés avec 10 941 morts, soit 20 % des mobilisés. La Creuse perd 4,7% de sa population totale. Les cantons jeunes du plateau de Millevaches sont sinistrés. quasi-totalité de la compagnie refuse d’obéir à l’ordre de monter à l’assaut. Le général Delétoille veut faire fusiller les 250 hommes à la mitrailleuse. Il en est dissuadé. Finalement un caporal et quatre soldats sont désignés et comparaissent devant le conseil de guerre réuni le jour-même. Deux d’entre eux ont été tirés au sort : les soldats François FONTANAUD, né en 1883 à Montbron en Charente, cultivateur dans le civil, et Pierre COULON. Ce dernier est acquitté. Le caporal Antoine MORANGE, né à Champagnac (Hte-Vienne) en 1882 était conducteur de tramway à Lyon. Félix BAUDY né en 1881 à Royère de Vassivière (Creuse) et Jean-Henri PREBOST, né en 1884 à SaintMartin-Château (Creuse), étaient respectivement maçon et plombier à Lyon. Ces trois-là sont originaires du Limousin. Avantguerre, ils vivaient et travaillaient à Lyon ou Villeurbanne. Ils étaient adhérents de la CGT. C’est ce qui a attiré l’attention sur eux. Haine de classe ? Flirey (Meurthe-et-Moselle), avril 1915... Le 63e régiment d’infanterie de Limoges a perdu 600 hommes les 4 – 5 et 6 avril 1915 près de Régnieville pour un résultat médiocre. Quelques jours plus tard, il reçoit l’ordre d’attaquer une position allemande au bois de Mortmare au nord de Flirey. La 5e compagnie est une fois de plus tirée au sort pour former la première ligne d’assaut. Les hommes sont exténués et indignés. Après d’aussi durs combats, ils s’attendaient à être relevés. Ils protestent. Ils se résignent pourtant à remonter en première ligne le 18 avril. Là, ils découvrent le spectacle insoutenable de plus de 300 cadavres en décomposition. Ils subissent le pilonnage de l’artillerie allemande et celui de l’artillerie française qui tire trop court. Les barbelés allemands sont intacts. L’assaut est voué à l’échec. Dans ces conditions, sortir de la tranchée sous le feu nourri des mitrailleuses, c’est un sacrifice absurde. On exige d’eux qu’ils meurent pour rien. Ce n’est pas notre tour ! Les hommes ne cessent de répéter : « Ce n’est pas notre tour » ! Le 19 avril à 6 heures, la Félix BAUDY et Jean-Henri PREBOST sont des syndicalistes de la jeune CGT, née à Limoges en 1895. Ils sont adhérents du syndicat des maçons de Lyon et banlieue, devenu très puissant après la grève générale victorieuse des ouvriers du bâtiment de Lyon et environs en 1910. Son principal dirigeant, Antoine Charial, originaire de Gourdon-Murat en Corrèze, a 25 ans. En 1914, il regroupe environ 3000 syndiqués sur un effectif total de 4800 ouvriers du bâtiment. Antoine Charial devient secrétaire général de l’Union départementale du Rhône de la CGT en 1914. Mais comme Antoine Charial, Félix BAUDY et Jean-Henri PREBOST sont aussi les héritiers d’une très ancienne tradition ouvrière, bien antérieure à l’ère industrielle. Celle des maçons migrants de la Marche et du Limousin. Elle est attestée dès le XIIIe siècle (1). Mais depuis la fin du XVe, chaque année, de mars à décembre, un quart des hommes en âge de travailler vont se faire embaucher comme maçons dans les grandes villes : Paris, Lyon, Bordeaux... En 1627, c’est à eux qu’est confiée l’édification de la digue de Richelieu à La Rochelle. Un tiers des maçons qui ont construit le château de Versailles étaient Marchois... Au XIXe siècle les maçons de la Creuse bâtissent le Paris du préfet Rambuteau et du baron Haussmann... Dès 1854, Lyon devient un chantier limousin (2). 1 Et bien sûr, les maçons de la Creuse sont de toutes les luttes sociales et politiques. Douze d’entre eux sont tués sur les barricades des Trois Glorieuses de juillet 1830. Leurs noms sont gravés sur la colonne de Juillet, place de la Bastille. En décembre 1831, au lendemain de la révolte des canuts, le préfet du Rhône note : « un certain nombre de maçons de la Creuse avaient été remarqués parmi les insurgés de Lyon » (3) L’expression « faire grève » qui passe dans le langage courant autour de 1840 est vraisemblablement issue de l’argot des maçons de la Creuse (4). En 1848, après les journées de juin qui ont suivi la fermeture des ateliers nationaux, 711 Creusois sont condamnés à l’exil en Algérie. Le maçon, Martin NADAUD, élu député de la Creuse en 1849, est arrêté dans la nuit du 2 décembre 1851, lors du coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte, et contraint à l’exil. En 1871, sur 34 500 personnes arrêtées après La Commune de Paris, 953 condamnés par les conseils de guerre sont Creusois. 1334 maçons de la Creuse ne sont jamais revenus dans leur village ; soit qu’ils aient été tués, soit qu’ils aient été déportés vers des bagnes lointains. La Creuse est le troisième département le plus touché par la répression après la Seine (8938 arrestations), et La Seine et Oise (1267 arrestations)... Une carte de visite que ne pouvait ignorer la hiérarchie militaire. « Fusillés pour l’exemple » Le 20 avril 1915, le caporal Antoine MORANGE, les soldats Félix BAUDY, François FONTANAUD et Jean-Henri PREBOST, sont « fusillés pour l’exemple » dans une carrière à la lisière d’un bois de Manonville. Des rangs des soldats du 63eRI contraints d’assister à l’exécution, des rumeurs s’élèvent, des cris fusent : « Assassins !». De crainte d’une mutinerie les officiers renoncent à faire défiler la troupe devant les cadavres des suppliciés. Les corps ne sont pas immédiatement rendus à leurs familles. Ceux de Jean-Henry PREBOST et de François FONTANAUD le sont le 17 novembre 1922. Ceux de Félix BAUDY et d’Antoine MORANGE, le 19 mars 1923. Réhabilités Après des années d’une lutte incessante, où se sont notamment illustrés le syndicat des maçons et aides de Lyon, déjà cité, et Monsieur Sabinus VALIERE, député SFIO de la HauteVienne, les quatre « fusillés pour l’exemple » de Flirey ont été « rétablis dans leur honneur » par jugement de la cour spéciale de justice militaire, réunie le 29 juin 1934. Félix BAUDY est enterré au cimetière de Royère de Vassivière. Le corps de Jean-Henri PREBOST a d’abord été enterré le 7 janvier 1923 au cimetière de la Croix-Rousse à Lyon (carré 27, allée 5, case 11). Mais la concession n’a pas été renouvelée par la famille. Le corps a été transféré à la nécropole nationale de La Doua à Villeurbanne. Villeurbanne a également donné le nom du caporal Morange à une rue. Selon le général BASH, ancien chef du service historique de l’armée de terre (SHAT), sur environ 650 fusillés pour l’exemple, moins d’une cinquantaine ont été réhabilités. En 2014, un siècle après le début de l’une des plus effroyables catastrophes de l’Histoire, il est plus que temps de prononcer la réhabilitation collective et sans condition des 650 fusillés pour l’exemple de la Grande guerre. Dominique SENAC (1) Un Certificat délivré en 1287 par la prévôté de Paris à un tailleur de pierre, Etienne de Bonnueil, probablement de La Souterraine (actuel département de la Creuse), mentionne le départ de celui-ci et de quelques compagnons pour travailler à la construction de l’église d’Upsal en Suède. (2) (3) (4) Jean-Luc de Ochiandiano, Lyon un chantier limousin Idem A Paris, au XIXe siècle, la place de grève (actuelle place de l’hôtel de Viille) est depuis longtemps le rendez-vous quotidien des ouvriers en l’attente d’un travail. Mais au début des années 1830, il n’y a plus guère que les ouvriers du bâtiment qui vont « à la grève ». La police compte tous les jours combien de maçons, de couvreurs, de peintres, de terrassiers ou de manœuvres s’y sont présentés et combien ont été embauchés car les autorités redoutent les effets du chômage. La négociation entre l’employeur et l’ouvrier est publique. Celui qui accepte des conditions ou un salaire au rabais est aussitôt rappelé à l’ordre... voire davantage ! Il vaut donc mieux continuer à « faire grève » que d’accepter un travail mal payé. Le mot « grève » dans son acception actuelle, passe définitivement dans le langage courant vers 1840. Ouvrages consultés, bibliographies et sources : Divers sites internet Jean-Luc de Ochiandiano, Lyon un chantier limousin Nicolas Offenstadt Les fusillés de la Grande guerre et la mémoire collective 1914-2009 Régis Parayre, Histoire de Félix Baudy, maçon creusois, syndicaliste... Martin Nadaud, Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon Stéphane Trayaud Oubliés de l’Histoire, les Limousins de la Commune de Paris Pierre Urien, Quand Martin Nadaud maniait la truelle... La vie quotidienne des maçons limousins, 1830-1849 2 Copie des minutes du conseil de guerre du 19 avril 1915, publiée par l’association Eclats de Rives dans le cadre de son exposition sur Jean-Henri Prébost, maçon creusois, fusillé pour l’exemple, à Saint-Martin-Château (Creuse) du 29 juillet au 16 août 2013. 3 Nicolas OFFENSTADT Fusillés de la Grande guerre page 88 A Lyon en janvier 1923, les obsèques d’Henri Prébost, un des fusillés de Flirey, en partie organisé par la gauche locale, donnent lieu à un cortège de plusieurs milliers de manifestants ainsi qu’à des discours de leaders syndicaux et politiques. L’Humanité note que le corbillard était drapé de rouge et met l’accent sur la lutte des classes et l’aspect prolétarien de la cérémonie : interprétation facilitée par l’enterrement du fusillé à la Croix-Rousse, un des lieux mythiques de la classe ouvrière du XIX e siècle. ........ 4