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Etude sur l’action des défenseurs des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes, et sur son rôle dans les développements importants à l’ONU entre 2003 et 2014 Rédigé par : Dodo Karsay Equipe de recherche : Jack Byrne, Dodo Karsay, Lucas Paoli Itaborahy 1 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Etude sur l’action des défenseurs des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes, et sur son rôle dans les développements importants à l’ONU entre 2003 et 2014 Un rapport commandé par ARC International Rédigé par : Dodo Karsay Equipe de recherche : Jack Byrne, Dodo Karsay, Lucas Paoli Itaborahy www.arc-international.net Septembre 2014 Copyright © 2014 ARC International Tous droits réservés. Image de couverture : Istock Remerciements L’équipe de recherche souhaite exprimer sa profonde reconnaissance à toutes celles et à tous ceux qui ont investi du temps et de l’énergie dans ce projet : les personnes qui ont participé à l’enquête et celles qui ont été interviewées, les militant(e)s, les expert(e)s en droits humains et les représentant(e)s d’agences de l’ONU et de missions diplomatiques qui ont partagé leurs connaissances, leurs expériences et leurs expertises. Ce rapport n’aurait jamais pu voir le jour sans votre soutien. Résumé 2 Introduction 5 Profils des participants 8 Acquis majeurs sur les questions OSIGI à l’ONU 10 L’utilité des mécanismes de l’ONU et des outils à disposition de la société civile 14 Les thématiques OSIGI à l’ONU 24 Plaidoyer à l’ONU : les obstacles principaux rencontrés à ce jour et les défis futurs 27 Les principales opportunités pour le futur, et quelques remarques en guise de conclusion 33 Annexe I: Questionnaire de l’enquête 38 Annexe II: Chronologie du plaidoyer OSIG et des principaux développements à l’ONU 40 Ce rapport a été commandé par ARC International. Il étudie la perception des progrès acquis à l’ONU depuis 2003 par les militants et les militantes travaillant à la promotion des questions d’orientation sexuelle (OS), d’identité de genre (IG) et intersexes, ainsi que les défis qui restent à relever et les opportunités d’actions futures dans ces domaines. Le rapport utilise l’acronyme OSIG qui couvre à la fois l’orientation sexuelle et l’identité de genre. C’est la terminologie utilisée dans les Principes de Jogjakarta ainsi que par la plupart des mécanismes de l’ONU. L’expression « OSIG et intersexe » est utilisée lorsque les questions intersexes sont également incluses dans la discussion.1 Le travail de recherche, effectué entre mars et mai 2014, a bénéficié de la participation de plus de 100 personnes au total à un questionnaire par Internet et à des entretiens avec des militants et militantes OSIG et intersexes, ainsi que des personnels de l’ONU et de Missions diplomatiques. Le présent rapport fait le tour des principaux thèmes qui ont émergé des 98 réponses au questionnaire et qui ont pu être explorés plus en profondeur grâce à 29 entretiens conduits avec des personnes en position d’apporter des informations pertinentes. Le rapport montre qu’il existe un large consensus autour d’un constat de base : des progrès gigantesques ont été accomplis au cours des dix dernières années, permettant à l’ONU de mieux traiter des violations des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes (LGBTI) à travers le monde. Le travail persévérant des militants et des militantes OSIG et intersexes auprès des mécanismes de l’ONU et des Etats a débouché sur plusieurs résultats : une visibilité accrue de ces questions à l’ONU, et notamment dans le travail des organes de traités,2 des procédures spéciales et dans le cadre de l’Examen Périodique Universel (EPU).3 Leurs activités de couloir et leurs conseils souvent discrets ont incité les Etats à s’exprimer davantage sur ces questions. Les Etats bénéficient maintenant d’un ensemble d’éléments tangibles sur lesquelles ils peuvent s’appuyer. Ils ont aussi des alliés avec qui travailler. Le leadership puissant de hautes personnalités de l’ONU comme le SecrétaireGénéral Ban Ki-Moon et l’ex Haut-Commissaire Navi Pillay4 a été très important pour inciter les acteurs onusiens et les gouvernements à reconnaître les violations basées sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou la condition intersexe comme des violations des droits de l’homme à part entière et pour mettre fin à l’impunité. En terme de résultat concret de ces efforts de rendre légitime les revendications de mettre fin à ces violations contre les personnes LGBTI, la résolution de 2011 et par la suite le rapport du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme (HCDH) sont vus comme les principaux progrès accomplis jusqu’à présents. Il convient de noter que le questionnaire par Internet et les entretiens ont été conduits avant l’adoption, à la 27ème session du Conseil des droits de l’homme, en septembre 2014, d’une résolution de suivi portant sur les droits humains, l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Présentée par le Brésil, le Chili, la Colombie et l’Uruguay, cette résolution a été adoptée à la majorité absolue (25 pour, 14 contre, et 7 abstentions), marquant ainsi un pas en avant considérable dans le traitement de ces questions par l’ONU. Il a été généralement reconnu que les questions d’orientation sexuelle et, dans une moindre mesure, celles d’identité de genre ont été de plus en plus traitées par les mécanismes de l’ONU. Cependant, seule une minorité de personnes pense que cela a été le cas pour les questions intersexes. En ce qui concerne les thématiques plus spécifiques, le VIH/Sida et la criminalisation des défenseurs des droits humains sont perçus comme les thèmes les mieux traités par l’ONU jusqu’à présent. 1 Les auteur(e)s se sont efforcé(e)s d’opter pour l’une ou l’autre de ces expressions en fonction du contexte spécifique. Par exemple, « OSIG» est utilisée pour des rapports de l’ONU ou des initiatives qui ne portent pas sur les questions intersexes. En revanche, on trouvera des références spécifiques aux développements relatifs aux questions intersexes, qui ont commencé à recevoir une attention accrue ces dernières années dans les forums onusiens. 2 Les organes de traités sont les gardiens des conventions internationales de droits de l’homme. Chaque organe de traité est composé d’experts indépendants qui examinent le respect de ces traités par les Etats. 3 L’Examen Périodique Universel est un mécanisme du Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies qui permet d’examiner la situation des droits de l’homme dans tous les Etats membres de l’ONU. Les ONG peuvent soumettre des rapports et des recommandations sur comment améliorer la situation des droits de l’homme dans chaque Etat examiné, y compris concernant la mise en œuvre des recommandations du cycle précédent de l’EPU, les développements concernant la situation des droits dans ce pays et d’autres questions de droits de l’homme. 4 L’actuel Haut-Commissaire Al Hussein a aussi souligné dans sa déclaration inaugurale au Conseil des droits de l’homme : « Il n’y a aucune justification pour la dégradation, le rabaissement ou l’exploitation d’autres êtres humains, sur quelque base que ce soit : sa nationalité, sa race, son ethnie, sa religion, son genre, son orientation sexuelle, son handicap, son âge ou sa caste ». 2 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Il reste de grands déficits dans le traitement d’autres thématiques, comme les droits sexuels et reproductifs et la reconnaissance juridique du genre. bureaux locaux du HCDH et d’autres agences onusiennes, qui souvent ne se feraient pas le relais des standards progressistes en matière de questions OSIG. Les conclusions de cette étude montrent également que les capacités d’action des militants et militantes OSIG et intersexes (OSIGI) se sont substantiellement améliorées à travers les années. Ils et elles ont commencé à interagir avec un plus grand nombre de mécanismes et ont utilisé une plus grande variété d’outils à leur disposition. Pour beaucoup, le mécanisme de l’EPU a été le forum onusien le plus utile. Ce mécanisme est vu comme ouvrant bien plus d’espace pour traiter des questions OSIG que les autres mécanismes et comme ouvrant des opportunités à la société civile pour qu’elle puisse se mettre en relation avec les gouvernements et influencer les recommandations. Cependant, il est possible que cela reflète aussi une plus grande connaissance de ce mécanisme par les participants, puisque ceux qui ont travaillé avec d’autres mécanismes, comme les procédures spéciales,5 les ont trouvé au moins aussi utiles. Les procédures spéciales sont vues comme des mécanismes qui ont historiquement joué un rôle essentiel dans la promotion des questions OSIG à l’ONU, et qui sont restées approchables quand aucun autre mécanisme n’était prêt à traiter de ces questions au début des années 2000. Les personnes participantes reconnaissent et apprécient également le rôle des procédures spéciales lorsqu’il s’agit d’attirer l’attention sur des thématiques spécifiques. Cela a été le cas par exemple avec le rapport du Rapporteur Spécial sur la Torture, qui a identifié les obligations de stérilisation des personnes trans et les opérations d’assignation de genre non-consenties par les personnes intersexes comme une forme de torture ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Le Conseil des droits de l’homme6 (CDH ou « le Conseil ») est perçu comme important pour le travail de plaidoyer à haut niveau, mais aussi comme inaccessible pour beaucoup de militants et de militantes OSIG et intersexes Les organes de traités, quant à eux, sont reconnus comme des institutions clés pour établir normes et standards, dont le travail est moins visible mais pas moins important. Parmi les agences de l’ONU, le rôle du HCDH7 a été vu comme extrêmement important par une majorité, bien qu’il existe des inquiétude concernant les Les principaux obstacles identifiés au cours des 11 dernières années sont les suivants : le manque de ressources financières est l’inquiétude principale. Elle a été la plus communément mentionnée par ceux et celles qui travaillent en Asie, en Afrique, en Europe de l’Est et en Amérique latine et Caraïbes, ainsi que par les femmes, les personnes trans et intersexes. Ces barrières ont une conséquence : la difficulté d’assurer une bonne représentation de la diversité géographique et communautaire des militants et des militantes actifs à l’ONU. Pour surmonter cette difficulté dans le futur, un changement dans les politiques des bailleurs est vu comme essentiel. Un renforcement des efforts pour rendre plus accessible le plaidoyer OSIG et intersexe et pour former à cela les militants et les militantes a également été identifié comme crucial. Il y avait également un sentiment de frustration largement partagé parmi les militants et les militantes LGBTI, au moment des entretiens, de constater que la résolution de juin 2011 n’avait toujours pas débouché sur des résultats, et que la progression sur ces questions semblait au point mort à l’ONU. Depuis cette résolution, les questions OSIG ont été davantage politisées à l’ONU : les positions se sont durcies et il semble extrêmement difficile d’avancer. Beaucoup ont souligné que cette impasse apparente ne devrait pas dissuader les Etats favorables et les mécanismes de maintenir l’attention qu’ils portent aux questions OSIG et intersexes, et de continuer à les traiter. Cependant, beaucoup considèrent également qu’il est essentiel que plus d’Etat non-occidentaux apportent ouvertement leur soutien sur ces questions, pour contrer l’idée fausse que l’orientation sexuelle et l’identité de genre seraient des concepts occidentaux qui n’ont pas de pertinence dans les autres pays. La récente résolution de suivi, portée par des Etats latino-américains et adoptée avec le soutien de pays provenant des cinq régions géographiques à l’ONU, vient confirmer l’efficacité de cette approche. La discrimination et la violence en raison de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou de la condition 5 « Procédures spéciale » est un terme générique faisant référence à des expert(e)s indépendant(e)s le plus souvent nommé(e)s par des organes politiques de l’ONU pour étudier et faire des rapports sur des thématiques spécifiques ou des situations de pays. Le terme couvre en réalité les Rapporteurs Spéciaux, les Experts Indépendants et des Groupes de Travail. On utilisera dans le texte l’expression « Rapporteur spécial » pour les désigner ; puisque c’est celle utilisée le plus fréquemment par les personnes interviewées. 6 Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU est le principal forum intergouvernemental s’occupant des questions de droits humains. Le CDH est chargé de travailler sur une grande variété de questions de droits humains, et en particulier de traiter des situations qui requièrent son attention, de coordonner le travail du système onusien de protection des droits humains et d’élaborer de nouveaux standards en matière de droits humains. 7 Le HCDH travaille à faire fonctionner les différents mécanismes de l’ONU, notamment le Conseil des droits de l’homme, l’EPU et les organes de traités. Il est piloté par le ou la Haut-Commissaire aux droits de l’homme. 3 intersexe persistent sur le terrain et se sont accrues dans certains pays ces dernières années. Certains voient cette augmentation de la violence d’une part comme une réaction à une plus grande visibilité et aux acquis gagnés par les militants et les militantes OSIG, à l’ONU comme sur le terrain, et d’autre part comme la conséquence d’efforts plus concertés de forces qui sont hostiles à ces changements. Pour combattre cette violence, l’engagement continu des acteurs onusiens est perçu comme vital, notamment pour renforcer les mesures de prévention. Ces dernières années, le nombre de militants et de militantes LGBTI travaillant avec les mécanismes de l’ONU a connu une augmentation constante. Bien que cela ait été largement salué comme un progrès, cela mène aussi à des difficultés pour parvenir à s’unir et pour s’accorder sur des objectifs de plaidoyer communs. Certains pensent qu’il y a là une opportunité pour que les mouvements LGBTI repensent la façon dont ils prennent des décisions et dont il fixent leurs priorités stratégiques. En ce qui concerne les objectifs pour le futur, il y a consensus autour de l’idée que l’ONU doit faire des rapports réguliers sur les questions OSIG et intersexes. Cependant, il existe une variété de points de vue lorsqu’il s’agit de savoir quel mécanisme précisément devrait faire ce travail. Certains pensent qu’un mécanisme spécifique mandaté pour traiter de ces questions serait idéal, d’autres pensent qu’une approche intersectionnelle pour discuter des questions OSIG et intersexes serait suffisante, alors que d’autres pensent que ces deux approches se complèteraient mutuellement. En résumé, il est indéniable que le plaidoyer LGBT a fait bouger beaucoup de lignes depuis 2003. Ces succès doivent être célébrés et servirent de base aux activités futures. Cependant, le chemin à parcourir reste long et difficile. La société civile doit non seulement continuer ses efforts, mais elle doit aussi les amplifier sur tous les fronts. 4 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Contexte Cela fait maintenant 11 ans que le projet brésilien de résolution sur l’orientation sexuelle et les droits humains s’est heurté à un mur à la Commission des droits de l’homme de l’ONU, en 2003,8 et ce malgré les efforts considérables déployés par la société civile et l’engagement de nombreux Etats progressistes à l’ONU. Pour beaucoup, ce moment de militantisme OSIG a été une douche froide. Cependant, de très nombreux acteurs de la société civile à travers le monde ont persévéré dans leurs engagements, et les Etats progressistes ont continué à pousser l’ONU à garantir les droits des personnes LGBTI dans le monde. En 2005, 2006 , 2008 et 2011,9 les pays favorables ont réaffirmé la nécessité de protéger les droits des personnes LGBTI en délivrant des déclarations communes remerciant les organes de traités de l’ONU et les rapporteurs spéciaux qui avaient traité des questions OSIG, et appelant le Conseil des droits de l’homme à prêter à ces sujets l’attention qu’ils méritent. Se basant sur les leçons tirées de l’échec de la résolution brésilienne et prenant acte de la nécessité pour les droits LGBTI de trouver leur place dans les cadres du droit international des droits de l’homme existants, un groupe d’experts en droits humains éminents a développé puis adopté les Principes de Jogjakarta en novembre 2006. Toutes ces pierres posées l’une après l’autre, ainsi que l’engagement continu des acteurs de la société civile, des Etats et de l’ONU, ont débouché sur ce qui aurait été encore impensable en 2003 : l’adoption de la première résolution OSIG à l’ONU. En 2011, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution sur les droits humains, l’orientation sexuelle et l’identité de genre (« l’identité de genre » était cette fois clairement incluse dans le titre). Dans cette résolution, le Conseil demandait à la Haut-Commissaire aux droits de l’homme de préparer un rapport documentant les législations et les pratiques discriminatoires, ainsi que les phénomènes de violences basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans toutes les régions du monde. Le Conseil s’est également engagé à organiser le tout premier panel sur la thématique OSIG en 2012. Ce faisant, le Conseil prenait finalement un engagement fort en faveur des droits des personnes LGBTI à travers le monde. Les progrès accomplis par les militants et les militantes OSIG et leurs allié(e)s au sein des Etats et à l’ONU sont indéniables. Pourtant, on voit encore aujourd’hui sur le terrain des accès de violences verbales et des attaques physiques contre les activistes, et les dynamiques politiques à l’ONU sur les questions OSIG sont difficiles à appréhender. Alors même que les questions OSIG sont devenues plus visibles, des lignes de fractures se sont fait jour et les Etats s’opposant à l’institutionnalisation de ces droits ont uni leurs forces pour mobiliser davantage. En 2009, le Conseil a adopté sa première résolution sur les valeurs traditionnelles et les droits humains. Cinq années plus tard, en 2014, le Conseil a adopté une résolution sur la protection de la famille qui exclue toute référence à la diversité existante des formes de famille. Ces résolutions illustrent les résistances qui existent à la reconnaissance des droits OSIG à l’ONU et posent un certain nombre de questions. Les divers mécanismes et agences de l’ONU ont-ils été efficaces à faire progresser la considération des droits des personnes LGBTI ? Que sont parvenus à réaliser les mouvements LGBTI jusqu’à présent et pour quels objectifs devraient-ils se mobiliser pour la suite ? Le 24 juin 2014, une déclaration cosignée par un nombre sans précédent d’acteurs de la société civile, co-signée par plus de 500 ONG provenant de plus de 100 pays, a été présentée à la 26ème session du Conseil des droits de l’homme. Celle-ci appelait le Conseil à adopter une seconde résolution. La déclaration a appelé à la soumission de rapports réguliers, à un dialogue continu, et à prêter une attention durable aux violations systémiques des droits de l’homme auxquelles font face les personnes LGBTI à ce jour en raison de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur statut intersexe. Le texte de cette déclaration a détaillé les diverses violations 8 Le projet de résolution a initialement été présenté en 2003, puis repoussé à 2004, et enfin retiré en 2005, sans même avoir été soumis au vote. Alors que le projet se concentrait sur l’orientation sexuelle et les droits de l’homme, des organisations de la société civile ont tenté sans succès d’y inclure l’identité de genre. 9 Pour une liste détaillée des étapes importantes de ce combat présentées dans ce chapitre, voir l’annexe II. 5 auxquelles font face les communautés LGBTI à travers le monde : Dans de trop nombreux pays, nous sommes victimes de graves violations des droits humains. Nous sommes criminalisé(e)s, notamment par des lois datant de l’époque coloniale, nous risquons la peine de mort, nous sommes tué(e)s, les lesbiennes font l’objet de viol et de mariage forcés, les personnes intersexes sont victimes d’eugénisme négatif, d’infanticides, de stérilisation forcée et de mutilations génitales, les personnes transgenres sont moquées et font l’objet de violences, sont réduites à l’état de malades, sont stérilisées, leurs identités ne sont souvent pas reconnues par les Etats. On nous refuse des soins de santé et les traitements dont nous avons besoin. Nous faisons quotidiennement face à des discriminations au travail, à l’école et dans l’accès au logement. Dans beaucoup de pays, notre travail comme défenseurs des droits de l’homme est critiqué, empêché et interdit. Notre droit de se rassembler pacifiquement est souvent violé, et on tente de faire taire nos voix.10 Le but de ce rapport est de contribuer au succès du travail de plaidoyer LGBTI dans le futur, par la mise en partage d’un peu des très riches connaissances, expériences et expertises acquises par ceux qui utilisent les mécanismes de l’ONU pour traiter des droits des personnes LGBTI, qu’ils soient de la société civile, qu’ils travaillent pour l’ONU ou pour des missions diplomatiques. 98 réponses ont été reçues (81 en anglais, 12 en espagnol et 5 en français).14 Dans un second temps, des entretiens plus détaillés ont été conduits avec 29 personnes (notamment des représentant(e)s d’organisations de la société civile, des personnes militant à titre individuel, du personnel d’agences de l’ONU et de missions diplomatiques, ainsi que des universitaires). Le but premier des entretiens était de clarifier et d’approfondir les informations réunies dans les réponses aux questionnaires.15 Les entretiens ont duré une heure en moyenne et ont été conduits sur une période de six semaines (du 28 mars au 9 mai) en anglais et en espagnol. Limites Les méthodes de recherche utilisées induisent quelques limites, liées à la variété des participants et au contenu du questionnaire et des entretiens. En ce qui concerne la participation : • le principal moyen par lequel l’enquête en ligne a été diffusée est la liste de diffusion « SOGI-list » • le questionnaire n’était disponible qu’en anglais, en français et en espagnol • une enquête à petite échelle comme celle-ci ne peut produire des données quantitatives généralisables à l’ensemble des militants et des militantes OSIG et intersexes actifs à l’ONU. Cependant, il s’en dégage des thèmes récurrents qui ont été étudiés plus en profondeur par la suite grâce aux 29 entretiens réalisés avec des participants à l’expérience particulièrement pertinente • L’équipe en charge du projet a essayé d’assurer un équilibre au sein des personnes interviewées entre les différentes origines, expériences et identités, mais cet équilibre est inévitablement imparfait. Champ d’étude et méthodologie A la fin de l’année 2013, dans le cadre de son processus d’évaluation,11 ARC International a commandé un rapport externe pour étudier comment sont perçus les progrès réalisés par les militants et militantes LGBTI aux Nations unies depuis 2003, les défis qui restent à relever et les possibles opportunités d’actions pour le futur.12 Le travail de recherche a été mené en deux phases.13 Tout d’abord, un questionnaire en ligne en trois langues a été élaboré. Celui-ci s’intéressait aux contributions de la société civile aux développements onusiens. Au total, Le second type de limites est lié au contenu de l’enquête et des entretiens : • les questions fermées et les listes préétablies de réponses possibles peuvent avoir limité la liberté 10 Déclaration commune de plus de 500 ONG provenant de plus de 100 pays, lue par Lame Charmaine Olebile, Conseil des droits de l’homme, 24 juin 2014, www.arc-international.net/hrc26-joint-statement-fr. 11 L’évaluation du travail d’ARC fait l’objet d’un rapport séparé : ARC International dans ses 10 premières années : étude de la contribution d’ARC au militantisme LGBTI et aux succès obtenus à l’ONU depuis 2003. Rédigé par Lucas Paoli Itaborahy, paru en septembre 2014. Equipe de recherche : Jack Byrne, Dodo Karsay, Lucas Paoli Itaborahy. 12 Bien que le personnel d’ARC ait fourni des informations et une aide au début de ce travail de recherche, ils n’ont participé ni à l’élaboration des questionnaires ni aux entretiens. 13 Des détails supplémentaires sur la méthodologie ont été fournis à ARC. Dans un but de concision, ils n’ont pas été ajoutés à ce rapport, mais ils restent disponibles auprès d’ARC sur demande. 14 Voir Annexe I pour la liste des questions contenues dans cette enquête. 15 La liste des personnes interviewées reste confidentielle et l’équipe de recherche a fait en sorte que les citations ne permettent pas d’identifier la personne interviewée. Quand un élément d’information important ne pouvait pas être retranscrit sans dévoiler l’identité d’un individu, la personne en question a été approchée par l’équipe pour obtenir sa permission explicite avant de l’utiliser. 6 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? de réponse des personnes participantes. Plusieurs questions ouvertes ont cependant permis aux participants et participantes de développer leurs réponses • les questions de l’enquête faisaient référence au plaidoyer sur les questions « OSIG» (conformément à la terminologie consacrée par les Principes de Jogjakarta). A celles-ci s’ajoutaient des questions spécifiques sur l’attention portée aux questions intersexes et à la participation des militants et militantes intersexes. Dans la présente analyse des réponses à l’enquête, OSIG est utilisé tout au long du rapport, et quand des participants et personnes interviewées parlent explicitement de questions OSIG et intersexes, cela est reflété dans le texte. Structure Le rapport se structure en 7 chapitres. Après cette introduction, le Chapitre 2 offre une vision générale du profil des participants et des personnes interviewées. Le Chapitre 3 traite des succès majeurs obtenus sur les questions LGBTI à l’ONU depuis 2003 et des leçons tirées durant cette période. Il examine également l’évolution de la façon dont les mécanismes de l’ONU ont traité des questions OSIG et intersexes, de la composition et des capacités de plaidoyer de la société civile, et de l’équilibre entre le traitement des questions d’orientation sexuelle, d’identité de genre et intersexes. Le Chapitre 4 traite de la façon dont sont perçus les mécanismes onusiens et leurs utilités, notamment celle du Conseil des droits de l’homme, de l’Examen Périodique Universel, des Rapporteurs Spéciaux et des organes de traité. Il fait également le point sur un ensemble d’outils et de techniques communément utilisés par les militants et les militantes LGBTI, et sur l’utilité qu’ils ont démontrée jusqu’à présent. Le Chapitre 5 identifie les questions OSIG et intersexes considérées par les participants comme ayant été convenablement traitées depuis 2003, ainsi que les points qui à leurs avis mériteraient une attention accrue. Le Chapitre 6 se concentre sur les obstacles auxquels ont fait face les acteurs de la société civile dans leurs interactions avec les mécanismes onusiens sur cette période, ainsi que sur les nouveaux problèmes entrain d’émerger. Le Chapitre 7 se penche plus en profondeur sur l’avenir du plaidoyer OSIG et intersexe, en examinant non seulement les stratégies possibles pour surmonter ces défis majeurs mais aussi les opportunités et les espoirs pour l’avenir. Le rapport s’achève sur quelques remarques en guise de conclusion. 7 Au total, 98 personnes ont répondu au questionnaire en ligne et 29 personnes ont été interviewées. Il leur a été demandé de préciser les domaines et les régions sur lesquels ils et elles travaillent, leur nombre d’années d’expérience dans le militantisme LGBTI en général (et auprès de l’ONU en particulier), ainsi que leurs identités.16 Dans ce rapport, le terme « participant » renvoie aux personnes qui ont répondu au questionnaire en ligne. Tous les diagrammes sont basés sur les réponses à ce questionnaire. Figure 2 : Expertise régionale Monde Afrique (total) Europe (total) Afrique sub-saharienne Asie Amérique latine et Caraïbes (total) Europe de l’Est et Balkans Amérique latine Europe occidentale et centrale Caraïbes Pacifique Afrique du Nord Amérique du Nord Domaines d’expertise thématique Moyen Orient Les participants travaillaient sur les questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre dans les mêmes proportions (autour de 90% pour chaque). Moins de la moitié avait travaillé sur les questions intersexes ou sur les droits sexuels et reproductifs. Une personne sur deux travaillait également sur d’autres questions de droits humains. Ces proportions sont restées similaires chez les personnes interviewées par la suite. 51% 33% 33% 31% 31% 29% 28% 27% 19% 18% 15% 12% 11% 11% Expertise régionale La moitié des participants travaillaient à l’échelle mondiale et beaucoup travaillaient sur plusieurs régions à la fois (figure 2).17 La proportion de personnes interviewées travaillant en Europe était inférieure à celle des participants de cette région. Cela était le résultat d’un choix délibéré destiné à assurer une représentation suffisante des personnes travaillant en Asie, en Amérique latine et aux Caraïbes dans les 29 entretiens. La plupart des participants avaient participé à des activités de plaidoyer OSIG pendant au moins 10 ans, mais ils et elles avaient moins d’expérience en ce qui concerne le travail avec l’ONU (figure 1). Il y avait une proportion plus élevée de personnes interviewées avec plus de 10 ans d’expérience de plaidoyer auprès de l’ONU. Figure 1 : Années d’expérience dans le militantisme OSIG 53% 18% 10 ans ou plus 26% 22.4% De 5 à 10 ans 18% 26.5% De 2 à 5 ans 3% 11% Moins de 2 ans militantisme / plaidoyer OSIG plaidoyer OSIG à l’ONU 16 Toutes les questions, à l’exception de celles relatives au nombre d’années d’expérience de militantisme OSIG et/ou à l’ONU, étaient ouvertes à des réponses multiples. Cela explique que certains pourcentages puissent aboutir à un total supérieur à 100. Cela est particulièrement le cas pour ce qui concerne la réponse concernant la question de l’identité de genre. 17 La question portait sur les régions sur lesquelles les personnes travaillaient, plutôt que sur les régions où elles étaient basées, ou d’où elles venaient. Le nombre total de personnes travaillant sur l’ensemble « Amérique latine et Caraïbes » est plus bas que l’addition des personnes travaillant dans chacune de ces régions, puisque certaines personnes ont travaillé sur ces deux régions à la fois. La même remarque s’applique à ceux et celles travaillant en Afrique (Afrique du Nord et Afrique Sub-Saharienne) et en Europe (Europe centrale et occidentale, Europe de l’Est et Balkans). 8 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Figure 3 : Identité des participant(e)s 36% 24% e y Ga ienn b s Le 23% 33% 10% ) eer el(le exu Bis Qu 30% 11% o tér Hé me m Ho me Fem 44% 28% 43% 5% 15% ns re en Tra g s Ci me m Ho me Fem exe ers Int Sexe, orientation sexuelle et identité de genre Le questionnaire a été rempli par une proportion très similaire de femmes (43%) et d’hommes (44%), auxquelles s’ajoutent 5 personnes (5%) qui s’identifient comme intersexes. Environ un tiers des participant(e)s s’est identifié comme gay, un quart a utilisé le terme lesbienne ou queer. Les proportions étaient très similaires chez les personnes interviewées.18 Un tiers des participant(e)s a décrit son identité de genre comme homme, un autre tiers comme femme. Au total, vingt-sept personnes (28%) se sont identifiées comme trans, gender variant, queer ou comme travesti(e). Dans le présent rapport, toute personne s’identifiant par au moins l’un de ces termes est inclue dans l’ensemble « trans ». Si l’on compare ces proportions au sein des participants à celles des personnes interviewées, on retrouve la même proportion pour celles identifiant leur genre comme féminin (10 personnes ou 34%), une proportion plus large d’hommes (13 personnes ou 45%) et une proportion plus faible de personnes trans, gender variant ou queer (7 personnes ou 24%).19 18 Une personne qui a répondu au questionnaire en langue anglaise a déclaré : « Je n’approuve pas la dichotomie anglophone sexe/genre » et a précisé qu’elle ne la considérait pas appropriée dans le cadre d’une enquête à l’échelle mondiale. 19 Aucune des personnes interviewées ne s’est identifiée comme travestie. 9 Ce chapitre s’intéresse aux progrès considérés comme majeurs par les participants, obtenus grâce au plaidoyer OSIG à l’ONU au cours des 10 années passées, ainsi qu’aux leçons tirées de cette période.20 La quasi-totalité des personnes ayant participé au questionnaire ou aux entretiens s’accorde sur les avancées immenses accomplies sur les questions OSIG à l’ONU dans les 10 dernières années, et sur le fait que ce progrès aurait été impensable dix ans en arrière. Il était alors difficile d’aborder les questions OSIG dans l’enceinte de l’ONU et les participants ont considéré que les militants et militantes étaient trop prudents pour systématiquement formuler les questions OSIG en terme de droits humains. Très peu d’Etats s’affirmaient comme des soutiens forts aux droits LGBTI et peu de mécanismes de l’ONU traitaient des violations des droits basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Aujourd’hui, les questions OSIG et intersexes sont abordées comme des questions de droits humains, ce qui est vu par beaucoup comme une large victoire : d’invisibles et marginales, ces questions sont devenues bien visibles et pleinement légitimes. Les questions OSIG sont de plus en plus largement traitées dans des textes, des discussions, des déclarations, des rapports et des recommandations de l’ONU. Elles sont devenues partie intégrante du travail quotidien de l’ONU. En réfléchissant aux 10 dernières années, certain(e)s ont identifié la résolution brésilienne (2003) comme la première pierre de l’édifice, malgré la retrait final du texte. En terme de progrès réalisé, la résolution a créé une mobilisation massive autour des questions OSIG qui a aidé à identifier des alliés, ce qui selon les participants a été utile pour les activités de plaidoyer qui allaient suivre. Une personne latino-américaine a cependant fait remarquer que ce processus avait révélé le fossé énorme séparant les acteurs OSIG locaux de ceux qui dirigent le plaidoyer OSIG à l’ONU. Elle pensait qu’une leçon essentielle de la résolution brésilienne était que le plaidoyer international ne devrait pas être concentré dans les mains d’un petit nombre de personnes ou d’organisations. Plusieurs personnes ont mis en avant une autre leçon : la nécessité d’établir un lien explicite entre les questions OSIG et le cadre des droits humains existant. Allant dans le même sens, certaines personnes interviewées ont souligné l’importance des Principes de Jogjakarta, 3 ans plus tard, pour établir ce lien. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une initiative de l’ONU, de nombreux participants et personnes interviewées ont vu dans l’élaboration des Principes de Jogjakarta le plus grand acquis de ces dix dernières années sur les questions OSIG, à cause du rôle crucial qu’ils ont joué pour développer un langage commun sur les questions OSIG qui est maintenant utilisé par un grand nombre d’Etats et d’acteurs onusiens. Un militant gay qui a été actif à l’ONU pendant plus de dix ans a déclaré : Il est devenu illégitime de dire que le PIDCP,21 le PIDESC22 et le CAT23 (…) ne s’appliquent pas aux personnes lesbiennes, gay, bisexuelles, transgenres ou intersexes, parce que d’éminents experts, spécialistes des droits humains, ont déclaré haut et fort que le droit existant s’applique de façon universelle.24 Selon plusieurs personnes interviewées, les Principes ont constitué pour les militants et les militantes un outil précieux pour renforcer leurs communications, pour apprendre à identifier rapidement les questions OSIG et pour argumenter en s’appuyant sur des principes et obligations existants en droit international des droits humains. Tout en reconnaissant leur caractère significatif, 20 Ce chapitre s’appuie sur une question ouverte de l’enquête demandant aux gens d’indiquer ce qu’ils/elles pensaient être le progrès le plus significatif obtenu à l’ONU sur les questions OSIG dans les 10 dernières années et pourquoi ils/elles pensaient cela. Durant les entretiens, nous avons demandé aux gens de développer leurs réponses. Les personnes qui ont contribué à ces succès à l’ONU ont été particulièrement sollicitées pour partager les leçons qu’ils en ont tirées. 21 Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 22 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. 23 Convention contre la torture. 24 Sauf mention contraire, toutes les citations proviennent d’entretiens originaux spécialement conduits pour ce projet entre mars et mai 2014. 10 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? certains et certaines ont fait remarquer que ce document avait aussi des limites qui se sont maintenant traduites dans les institutions. Certaines personnes considèrent que les Principes impliquent une distinction entre orientation sexuelle et identité de genre qui n’est pas si clairement définie en dehors de l’Amérique du Nord et de l’Europe occidentale. Quelques personnes interviewées ont exprimé leur inquiétude quant au nombre limité de références à l’expression de genre, ou aux questions de droits des personnes intersexes. D’autres ont pour leur part insisté sur le fait que les Principes reflétaient l’état de la jurisprudence internationale en matière de droits humains au moment où ils ont été rédigés. Certains et certaines ont souligné que les déclarations communes (2005, 2006, 2008, 2011) ont été absolument nécessaires dans le contexte post-2003 pour poser les fondations d’une résolution qui serait adoptée plus tard. Nombre de personnes interviewées qui avaient contribué à ces déclarations ont fait remarquer que les pays occidentaux ont dû prendre beaucoup de précautions puisque le rôle moteur qu’ils pouvaient jouer sur ces questions risquait d’aliéner d’autres Etats ou de donner à des acteurs de ces régions une excuse pour ne pas jouer un rôle plus visible. Cependant, quand les discussions touchant aux questions OSIG ont commencé à l’ONU, il y avait un accord général sur l’idée qu’il était parfois nécessaire que des pays occidentaux comme la Nouvelle-Zélande (2005) et la Norvège (2006) jouent un rôle moteur. L’immense majorité des personnes participant au questionnaire et des personnes interviewées a identifié la Résolution du Conseil de 2011 et le Rapport du HCDH ainsi que le Panel (2012) comme les plus grands acquis à ce jour.25 La résolution a été vue par la plupart comme constituant un précédent et un véritable tournant pour le plaidoyer OSIG. Beaucoup pensent que cela a apporté de la légitimité aux revendications des organisations OSIG et a rendu plus difficile leur ignorance par les Etats. Un militant gay faisait remarquer : Un des buts est de faire des questions OSIG des questions faisant partie du quotidien du Conseil des droits de l’homme. D’en faire une composante ordinaire et pas exceptionnelle et inhabituelle de son travail… C’est pour ça que j’ai vu la résolution comme un moment important : à la fois parce que c’était la première résolution du genre, donc elle crée un précédent, mais aussi parce que – et c’est encore plus important – cette résolution fait partie du processus de normalisation de ces questions. De nombreuses personnes interrogées ont déclaré que, au contraire de ce qui s’était passé pour les déclarations communes qui l’ont précédées, il existait un large consensus au sein de la société civile et des Etats sur la nécessité pour la résolution d’être portée par un Etat non-occidental, de façon à contrer l’idée que les questions OSIG était un problème qui ne concernait que les Occidentaux. Cependant, comme l’a fait remarquer un militant travaillant sur l’Amérique latine et les Caraïbes, la réussite de la résolution doit être vue dans son contexte. Il l’a décrite comme le fruit des efforts stratégiques continus d’un nombre sans cesse plus grand d’Etats qui ont parlé de plus en plus ouvertement des questions OSIG au cours des années précédentes. Une autre leçon importante qu’ont mise en avant les participant(e)s est le rôle central joué par les coalitions de la société civile pour obtenir la résolution. Beaucoup ont considéré que les efforts de la société civile ont pu être efficaces parce que l’objectif faisait l’objet d’un large consensus et qu’il a donc été plus facile de contribuer à des activités de plaidoyer communes que ce n’est le cas aujourd’hui. Une personne a souligné le rôle crucial joué par les ONG internationales, pour aider à conceptualiser la façon dont les questions relatives à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre ont pu être décrites et comprises en termes de droits humains : La stratégie la plus utile jusqu’à présent a à voir avec le langage utilisé pour parler des questions OSIG. Quand l’Afrique du Sud a présenté la résolution de 2011 (…) [les ONG internationales] les ont approchée pour éviter qu’ils ne présentent les droits OSIG comme de nouveaux droits. A la place, ils sont allés parler à la Mission [Sud-]Africaine et ils les ont convaincu d’approcher les questions OSIG comme faisant partie des droits humains existants. Cependant, un certain nombre de militants, notamment d’Afrique du Sud, ont pensé que les militants et les militantes OSIG locaux ont souvent été oublié(e)s dans le processus de consultation puisqu’ils n’avaient pas un bureau à Genève ni un accès facile aux événements et aux discussions. Ces remarques viennent en écho aux inquiétudes exprimées autour de la résolution brésilienne. Elles mettent en évidence le défi constant de la réduction du fossé séparant les militant(e)s OSIG faisant du plaidoyer à l’ONU des militant(e)s locaux. 25 Au moins la moitié des personnes ayant répondu à notre questionnaire ont participé à ces développements majeurs : 64% ont travaillé pour obtenir la résolution de 2011, 55% pour les déclarations communes et 54% pour le rapport du HCDH. 11 Bien que la résolution ait été considérée comme un moment fort de l’histoire du plaidoyer OSIG, le manque de progrès immédiat à l’ONU suite à l’adoption de cette résolution a frustré beaucoup de gens. Comme une personne travaillant à l’ONU l’a fait remarqué : Au niveau intergouvernemental, cela a été un processus frustrant parce que l’adoption de la résolution a créé beaucoup d’espoirs, et nous avons eu le rapport du HCDH. Inévitablement, cela a fait apparaître combien les Etats membres sont divisés sur la question, ce qui n’avait rien de nouveau en soi, mais le niveau de polarisation : plus de 50 Etats sont sortis de la salle durant le premier débat (…) Ce niveau de polarisation rend toujours plus difficile les avancées à l’ONU et le processus est resté au point mort depuis lors. étant donné qu’aucun d’eux n’a eu de prise de position ou d’expérience par le passé sur ces questions. Parlant du rôle de Navi Pillay, un expert de l’ONU a ajouté : Je pense que son plaidoyer a été à la fois inattendu et extraordinaire (…) Remarquable en cela qu’elle a fait preuve de beaucoup de courage. Elle a été bien plus loin que les diplomates prudents auraient jamais pu lui conseiller d’aller, et en faisant cela, elle a encouragé de façon incroyable et donné de la force à de nombreuses personnes. Une militante lesbienne qui a travaillé sur le plaidoyer à l’ONU pendant presque 10 ans a ajouté que le rôle bien visible des dirigeants de l’ONU a donné de la légitimité aux militants et aux militantes de terrain, ainsi que de la confiance : Obtenir de hautes personnalités qu’elles prononcent des discours promouvant le respect des droits LGBT a été très efficace parce que cela valide les identités LGBT, ainsi que nos luttes. C’est très important d’avoir des personnes d’autorités qui disent que votre vie est importante, que votre orientation sexuelle et que votre identité de genre sont importantes. Cela donne de la légitimité à nos combats. Parlant de l’importance du rapport du HCDH, une militante lesbienne a affirmé : Appeler à prêter plus d’attention aux questions LGBT dans un tel cadre, où par le passé la question a été tellement sensible, est un succès énorme en soi. Et le fait qu’on ait vu tant d’Etats soutenir les questions OSIG au Conseil des droits de l’homme est une chose très positive. Je pense qu’on peut faire le lien entre tout cela et le rapport lui-même. Le leadership de hautes personnalités de l’ONU sur les questions OSIG a également été identifié par beaucoup comme l’un des succès les plus importants : le Secrétaire Général Ban Ki-Moon et la Haut-Commissaire de l’époque, Navi Pillay, ont été tous les deux vus comme des porteétendards sur les questions OSIG. Leur travail exceptionnel à la fois dans les forums formels et dans le cadre de réunions moins formelles avec les Etats où ils ont pris soin de soulever ces questions a certainement influencé les acteurs onusiens et les gouvernements, les poussant à parler davantage ouvertement de ces questions. Je pense que les discussions qu’ont les dirigeants de l’ONU avec des pays, qui sont peut-être plus dures à suivre, ont un réel impact pratique. Cela a un impact quand Ban Ki-Moon visite un pays et soulève ces questions (…) Non seulement à un niveau général, mais aussi à un niveau très pratique : le fait d’exprimer une inquiétude concernant des législations spécifiques ou même concernant le sort d’individus qui sont emprisonnés pour homosexualité. Cela a mené à des libérations de personnes détenues. Globalement, l’opinion générale était que ces acquis sur les questions LGBTI à l’ONU étaient interconnectés et se renforçaient mutuellement : • l’évolution des discussions au Conseil des droits de l’homme et à l’Assemblée Générale dans les 10 dernières années, notamment l’adoptions de résolutions majeures et les déclarations communes • le rôle visible que de hautes personnalités de l’ONU comme le Secrétaire Général et la Haut Commissaire ont joué en donnant de la voix en soutien aux droits LGBT, et • le travail de divers mécanismes onusiens, comme les organes de traité, les rapporteurs spéciaux et l’EPU. L’étendue de la visibilité et de la participation de la société civile sur les questions OSIG et intersexes à l’ONU a aussi été vu par beaucoup comme un grand succès. Certains pensent que pouvoir revendiquer un espace de parole à l’ONU est une victoire cruciale en soi, et que c’est plus important que tout document ou standard formel adopté. Comme un(e) militant(e) queer a fait remarquer : Quelques militants ont souligné que l’engagement fort de ces deux personnalités en faveur des droits LGBTI étaient non seulement courageux, mais aussi surprenant, 12 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Même si on part de la session sans avoir rien gagné, on n’a pas l’impression que c’est un espace inutile (…) on voit cela à travers la façon dont les personnes de pouvoir discutent, le fait de faire réfléchir les gens sur les questions même s’ils refusent notre point de vue. Plusieurs personnes interviewées ont souligné qu’aucun des développements positifs à l’ONU n’aurait été possible sans les efforts continus de la société civile, au niveau local, régional et international. Ces questions n’auraient tout simplement pas pu être portées sur le devant de la scène de la façon dont elles l’ont été et avec un tel succès s’il n’y avait pas eu de coalitions de la société civile. Les discussions autour des questions OSIG dans les forums onusiens n’ont pas eu lieu grâce à la bienveillance des Etats membres de l’ONU. Ca a été le réseau d’ONG et les militants et militantes qui ont poussé pour ces évolutions, et bien plus rapidement que je n’aurais pu l’imaginer. Quelques personnes ont mentionné des événements particuliers, qu’ils ont vu comme les plus importants pour leurs communautés. Un(e) militant(e) intersexe a parlé du tout premier événement parallèle sur les questions intersexes à l’ONU en 2014.26 Un(e) militant(e) africain(e) a mentionné le discours de Bev Ditsi en 1995, lorsqu’elle a été la première lesbienne noire visible à parler dans une enceinte de l’ONU, durant la 4ème Conférence mondiale sur les femmes.27 26 Intersex People and Human Rights: Violations, Voices and Visions. Organisé en marge de la 25ème session du Conseil des droits de l’homme, le 11 mars 2014, www.arc-international.net/wp-content/uploads/2014/02/Flier-for-Intersex-Side-Event-11-March-2014.pdf (en anglais). 27 4ème Conférence Mondiale sur les Femmes : Lutte pour l’Egalité, le Développement et la Paix, Pékin, Chine, 1995. 13 Après avoir considéré les principaux succès obtenus à l’ONU sur les questions OSIG depuis 2003, ce chapitre se concentre sur la perception des acteurs quant à l’utilité des différents mécanismes de l’ONU et des outils qu’ils offrent à la société civile. Ce chapitre offre également quelques pistes de réflexions sur des améliorations possibles.28 La grande majorité des participants a jugé que les mécanismes de l’ONU portent une plus grande attention aux questions OSIG aujourd’hui que cela n’était le cas il y a dix ans (figure 4). La plupart des participants ont également souligné le nombre grandissant d’Etats soutenant ouvertement le traitement des questions OSIG à l’ONU. Des personnes interviewées ont ajouté que les Etats sont beaucoup plus à l’aise pour aborder ouvertement les questions LGBTI à l’ONU qu’il y a dix ans. Ces Etats ont maintenant un ensemble de textes et de standards sur lesquels ils peuvent s’appuyer, et des alliés avec lesquels travailler. Certain(e)s militant(e)s ont estimé qu’il était positif que même les Etats moins favorables soient obligés de traiter des questions LGBTI. La majorité des participant(e)s s’accordent sur le fait que les militants OSIG travaillent avec un plus grand nombre de mécanismes, et utilisent une plus grande variété d’outils à leur disposition qu’il y a dix ans. La majorité pense également que les capacités professionnelles des organisations OSIG pour faire ce travail s’est améliorée au fil des années. Les réponses ont été analysées plus finement pour voir si ces perceptions étaient partagées par les militant(e)s de régions différentes et provenant de différentes composantes des communautés OSIG et intersexes. Plus de la moitié des participant(e)s de chaque région a considéré que les capacités professionnelles des Figure 4 : Je suis d’accord pour dire … Les mécanismes onusiens accordent plus d’attention aux questions OSIG Un plus grand nombre d’états soutiennent les questions OSIG à l’ONU Les militantes et militants OSIG interagissent avec une plus large palette de mécanismes onusiens Les organisations OSIG sont plus en capacité de faire ce travail à l’ONU Les militantes et militants OSIG utilisent une plus grande variété d’outils et de stratégies pour leur travail à l’ONU Les organisations généralistes travaillant sur les droits humains sont plus en capacité de travailler sur les questions OSIG Les militantes et militants OSIG ont bâti de solides coalitions 85% 75% 74% 70% 70% 67% 60% 28 Le contenu de ce chapitre repose sur trois questions de l’enquête. La première demandait aux participants dans quelle mesure les mécanismes onusiens avaient été utiles pour soutenir leurs activités de plaidoyer en faveur des droits OSIG aux niveaux local, national et international. Les participants avaient le choix entre plusieurs mécanismes. Si une personne trouvait les organes de traité, les rapporteurs spéciaux ou des agences de l’ONU utiles, il lui était demandé lequel ou laquelle plus spécifiquement avait été d’une utilité particulière pour son travail. La seconde question portait sur les actions de la société civile qui avaient été les plus utiles aux militant(e)s dans le cadre de leur travail à l’ONU. Les participant(e)s avaient le choix entre plusieurs outils et ils pouvaient donner trois à cinq réponses. La troisième question listait 12 affirmations portant sur les succès obtenus à l’ONU sur les questions OSIG et sur le rôle des campagnes des ONG. Les participants devaient indiquer dans quelle mesure ils étaient d’accord ou non avec chaque affirmation. Pour une meilleure analyse des réponses, les options « entièrement d’accord » et « plutôt d’accord » ont été comptabilisées ensemble. Les figures 8 et 12 fournissent plus de détails sur les réponses données à cette troisième question. 14 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? La présence de représentant(e)s des ONG généralistes de droits humains a donné encore plus d’importance à ces réunions, en en faisant des opportunités pour elles et eux d’apprendre des militant(e)s LGBTI de terrain. Les organisations généralistes qui ne représentent pas directement les personnes LGBT ont apprécié le fait de pouvoir s’entretenir avec elles et de pouvoir reprendre leurs témoignages, de façon à donner plus de crédibilité à leur travail de plaidoyer. organisations OSIG s’étaient développées, à l’exception de l’Afrique, où la proportion a été légèrement plus basse (47%). Les militant(e)s les plus en phase avec cette affirmation étaient ceux d’Amérique latine et des Caraïbes (72%). 2 des 5 personnes intersexes qui ont participé à l’enquête et la moitié des personnes trans se sont également dites d’accord sur le fait que les capacités professionnelles des organisations OSIG avaient progressé.29 Quand je parle avec des militantes et des militants, je sens une plus grande conscience, un plus grand intérêt et une plus grande connaissance des moyens pour interagir avec l’ONU, et c’est vraiment quelque chose qui a beaucoup changé ces derniers temps (…) Les gens ont une idée beaucoup plus aboutie, globalement, de comment l’ONU peut promouvoir les droits LGBT à travers le monde, et les gens savent mieux comment on peut travailler à cela. La plupart des participants ont jugé que les militant(e)s OSIG avaient su construire des coalitions fortes. Cet avis n’était cependant partagé que minoritairement par les militant(e)s travaillant sur le Moyen Orient (3 sur 11) et sur l’Amérique du Nord (4 sur 11). De même, seule 1 personne intersexe sur 5 s’est dite en accord avec l’affirmation que des coalitions fortes avaient été établies.30 Les personnes queers et celles s’identifiant comme des femmes étaient proportionnellement légèrement moins d’accord que la moyenne avec cette affirmation.31 Les deux tiers des participants s’accordent aussi à dire que les ONG généralistes de droits humains sont mieux dotées qu’avant pour promouvoir les questions OSIG. Les réunions de militant(e)s OSIG à l’échelle régionale ou internationale ont été vues comme essentielles pour développer leurs capacités, et importantes pour pouvoir échanger sur des questions de stratégie. Selon les personnes interviewées, les coalitions d’ONG ont rendu un grand service en amplifiant la portée du message, puisque des alliances sont généralement plus écoutées que des militant(e)s ou des groupes individuels. Une personne a souligné que les coalitions comprenant des organisations de droits humains connues et reconnues permettaient de renforcer considérablement la crédibilité et la légitimité des questions OSIG à l’ONU. On s’est réunis régulièrement, on s’est soutenus, on s’est montrés solidaires, on s’est inspirés et motivés les uns les autres. Cette nouvelle proximité entre militants et militantes du monde entier nous a aidé à ancrer l’idée que les revendications OSIG sont des revendications transnationales et transversales, qui nous touchent tous et toutes et qui ont un impact sur tous et toutes. La formation de coalitions a été vue comme indispensable en particulier dans les régions où les organisations OSIG et intersexes étaient marginalisées ou ne pouvaient Figure 5 : Utilité des mécanismes de l’ONU 5% 14% 81% 5% 14% 81% 18% 8% 74% 21% 23% 19% 19% 22% 30% 55% 51% 60% rs its de de ro me rteu aux d es ités ces NU i o s c n m de ho app spé ga tra gen l’O R Or eil e l’ A s on d U EP C F CC 30% 35% 35% e èm 3 n et ssio G A mi m Co 36% Pas utilisé le mécanisme Pas utile 38% Utile 26% OC OS EC 29 Les participants queer ont été moins d’accord sur ce point que les autres (39% contre 54% pour les autres). 30 Contre plus de la moitié de ceux et celles qui se sont défini comme des hommes ou des femmes. 31 Environ un tiers des personnes queers se sont dites d’accord avec cette affirmation, contre à peu près la moitié pour l’ensemble des autres. 41% des personnes s’identifiant comme femmes se sont dites d’accord, contre la moitié pour les hommes, les personnes trans et celles s’identifiant comme cisgenres. 15 Figure 6 : Utilité des mécanismes de l’ONU (pour ceux et celles qui les ont utilisés) 90% s ur x rte iau o c pp é Ra sp 86% 86% 76% 71% s de de oit dr me nes raité ces ONU s n a e om rg t e l’ O Ag il d l’h se de n o U EP C 63% 50% F CC e blé me m 3è on e s – i As ale iss ér mm n gé Co 40% OC OS EC intervenir publiquement sans se mettre en danger (comme en Afrique, en Europe de l’Est et dans certaines parties de l’Asie). Les soumissions de rapports conjoints, les campagnes communes et les platformes partagées ont été des outils précieux pour surmonter ces obstacles. Certain(e) s militant(e)s d’Europe de l’Est32 ont cependant fait part de leur inquiétude quant à la place accordée aux questions OSIG au sein des coalitions plus larges, dès lors que leurs organisations restaient dans une position marginale au milieu des organisations de droits humains généralistes. De nombreuses personnes interviewées étaient d’accord pour dire que les coalitions sont plus efficaces quand elles intègrent les personnes actives sur les questions OSIG au niveau local, régional et international, et que ces coalitions leur permettent de se soutenir et de créer de l’émulation. Un(e) militant(e) local qui s’identifie comme queer a fait remarquer la chose suivante : Je pense que la valeur de notre travail réside dans le fait que nous sommes en première ligne pour observer ces violations, les documenter, et que notre situation locale nous permet de nous entretenir avec les gens, de faire du lobby auprès des institutions étatiques etc. C’est de cette façon qu’on contribue à ce qui se passe au niveau mondial. Une très grande proportion de participant(e)s a considéré que l’EPU et le Conseil des droit de l’homme avaient été les mécanismes les plus utiles pour promouvoir les questions OSIG (figure 5).33 Au moins la moitié des participants de chacune des régions a jugé ces deux mécanismes utiles. L’EPU a également été considéré par beaucoup comme le mécanisme qui a été le plus utile pour la société civile à ce jour (figure 6). Les personnes intersexes qui ont répondu à cette enquête ont été les seules à ne pas considérer l’EPU comme ayant été utile. Seule 1 personne intersexe sur 5 a jugé l’EPU utile sur cette question, contre 70% des hommes et des femmes.34 A l’inverse, 4 des 5 personnes intersexes ont répondu que le Conseil était un mécanisme utile à leur travail.35 Les rapporteurs spéciaux ont été jugés d’une utilité presqu’aussi grande, avec près des trois quarts des participants déclarant les trouver utiles dans leur travail, y compris 4 personnes intersexes sur 5. Les groupes qui ont trouvé les rapporteurs spéciaux le moins utiles pour leur travail a été ceux qui s’identifient comme trans ou queer (environ la moitié de chaque groupe).36 Les organes de traités, les agences de l’ONU et la Commission de la condition de la femme (CCF)37 ont aussi été considérés utiles ou très utiles par une majorité de participant(e)s. Les participantes lesbiennes ont été deux fois plus nombreuses (58%) à juger favorablement la CCF, comparées aux femmes qui se sont identifiées comme hétérosexuelles (27%) ou bisexuelles (30%).38 Une proportion similaire d’hommes et de femmes ont jugé la CCF utile pour leur travail (environ 40% pour chaque). Le Conseil économique et social (ECOSOC) a été le seul organe qui a reçu plus de réponses négatives 32 Dans ce rapport, et conformément à la division géographique des régions en vigueur à l’ONU, « l’Europe de l’Est » couvre l’ancienne Union Soviétique ainsi que les Balkans. 33 Pour une meilleure analyse des réponses à cette question, les options « très utile » et « utile» ont été comptabilisées ensemble pour arriver à un nombre total de personne considérant qu’un mécanisme spécifique est utile. 34 L’EPU a été jugé utile par au moins la moitié des participants travaillant dans chacune des régions et par plus de 70% de ceux qui travaillent au niveau mondial (70%), sur l’Asie (sur l’Amérique du Nord (73%) et la région Pacifique (80%). Les personnes travaillant sur l’Afrique (59%) et en Amérique latine et Caraïbes (55%) ont légèrement moins fréquemment jugé ce mécanisme utile, quoiqu’une majorité ait quand même été en ce sens. Les 10 personnes bisexuelles participant à cette enquête ont unanimement trouvé le mécanisme utile, contre à peu près la moitié des personnes queer et hétérosexuelles. 35 Le Conseil des droits de l’homme a été vu comme utile par un grande proportion de ceux travaillant dans la région Pacifique (87%) et en Amérique du Nord (9 personnes sur 11), et a été identifié comme utile par au moins 60% de tous les autres. 36 Les rapporteurs spéciaux ont été jugés utiles par les personnes travaillant sur l’Amérique du Nord (9 fois sur 11), un peu moins par celles travaillant sur l’Amérique latine et les Caraïbes (55%) et l’Asie (57%). Ils sont vus comme utiles par au moins la moitié des participants, à l’exception de ceux qui s’identifient comme queer (48%). 37 Les organes de traités ont été jugés utiles par environ la moitié des participants travaillant sur les différentes régions, mais par une plus grande proportion de ceux travaillant sur l’Amérique du Nord. Seules 3 des 11 personnes hétérosexuelles ayant participé à l’enquête les ont jugé utile, contre au moins la moitié de celles identifiées comme lesbiennes, gays, bisexuelles ou queers. Environ le tiers des personnes trans ont répondu trouver les organes de traités utiles. 38 La proportion de personnes trouvant la CCF utile est plus faible parmi ceux et celles travaillant sur l’Europe (31%), le Moyen-Orient (36%) et l’Afrique (38%) et plus forte parmi les personnes travaillant sur la région Pacifique (53%) ainsi que sur l’Amérique latine et les Caraïbes (52%). 16 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? que de réponses positives.39 L’EPU et le Conseil ont été les mécanismes les plus utilisés par les participants : seulement 5% ne les avaient pas utilisés dans leur travail, contre 36% qui n’avaient jamais interagi avec l’ECOSOC.40 Si on se concentre exclusivement sur les réponses de celles et ceux qui ont utilisé un mécanisme spécifique,41 les rapporteurs spéciaux sont portés à la première place des mécanismes de l’ONU jugés les plus utiles. Ils sont suivis de près par l’EPU et le CDH (figure 6).42 U n certain nombre de personnes interviewées considérait que l’un des instruments les plus efficaces à l’ONU était les histoires personnelles, y compris rapportées par vidéo. Celles-ci avaient l’avantage de faire passer des messages nuancés en quelques minutes seulement. En sortant de ce qui pouvait parfois devenir un discours abstrait sur les droits humains, ces histoires montraient l’impact réel des lois et des attitudes homophobes et transphobes. Une militante lesbienne faisait ainsi remarquer : Les histoires vécues de détentions illégales, de harcèlement, de torture, d’assassinats de personnes LGBTI ont été les instruments les plus puissants pour mettre en lumière la discrimination et l’oppression dont souffrent les personnes LGBTI. Et les éléments factuels que contenaient ces histoires ont été les moyens les plus puissants pour faire changer, et convaincre divers gouvernements et acteurs que les crimes contre les personnes LGBTI, en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre, étaient horribles, inacceptables, et contraires au droit international. De même, environ la moitié des personnes participantes au questionnaire ont jugé que l’outil le plus utile aux mains de la société civile est l’EPU (figure 7).43 Les réunions de briefing et les rapports alternatifs auprès des organes de traité ont aussi été vus comme utiles par au moins un tiers des participant(e)s. Les entretiens ont permis de discuter plus en profondeur des raisons pour lesquelles les participant(e)s avaient désigné ces mécanismes et ces outils de plaidoyer. Alors que certains outils (les plaintes individuelles déposées auprès des organes de traités, les demandes d’actions urgentes adressées aux rapporteurs spéciaux) sont fortement liés à un mécanisme, d’autres (réunion de briefing, rapports alternatifs) peuvent être utilisés auprès de différents organes. D’autres outils comme la formation de coalition ou les témoignages personnels peuvent même avoir un intérêt pour les ONG au delà de la simple question du plaidoyer auprès de l’ONU. Dans la partie suivante, des détails portant sur comment des outils particuliers ont été utiles au travail de militant(e)s LGBTI font l’objet d’encadrés. Figure 7 : Les activités les plus utiles pour la société civile (3 principales) EPU Réunions : Comités / RS Rapports alternatifs Coalitions Réunions avec diplomates Témoignages personnels Réunions internationales ou régionales pour les militant(e)s OSIG Principes de Jogjakarta Evénements parallèles Formations sur les mécanismes onusiens Campagnes sur Internet Plaintes individuelles Demandes d’action urgente Autres Pétitions Réunions régionales pour militant(e)s OSIG ET autorités Campagnes d’actions 49% 37% 35% 30% 27% 27% 27% 20% 15% 13% 7% 6% 4% 2% 2% 1% 1% 39 Parmi ceux qui ont travaillé avec ce mécanisme, il y a eu plus de participants à déclarer trouver ce mécanisme « peu utile » ou « pas utile du tout » que de personnes ayant indiqué le trouver « utile » ou « très utile ». Cela peut aussi être le reflet de l’utilisation relativement plus faible de ce mécanisme. 40 Parmi ceux qui ont choisi de répondre à cette question. Il peut y avoir d’autres personnes qui n’ont pas interagi avec ces mécanismes et ont simplement choisi de passer à la question suivante. 41 Les personnes qui ont coché « Je n’ai utilisé aucun de ces mécanismes » n’ont pas été incluses dans le calcul des pourcentages. 42 Pour le reste, le classement de la Figure 5 reste inchangé. 43 La Figure 7 détaille la proportion de participants à l’enquête qui ont classé ces outils utilisables par la société civile parmi les trois outils les plus utiles selon eux. 17 Les organes politiques Le Conseil des droits de l’homme, bien qu’il ait été classé second mécanisme le plus utile par les participants à l’enquête en ligne, a fait l’objet de commentaires plus mitigés de la part des personnes interviewées. Cellesci reconnaissent que le Conseil a été le théâtre de certains des développements les plus importants sur les questions OSIG, et notamment de la résolution de 2011, et qu’il constitue un espace privilégié utilisé par les Etats progressistes pour évoquer de manière récurrente les questions OSIG. Cependant, certain(e)s ont fait remarquer que pour interagir avec le Conseil, il faut s’engager dans un travail de long terme, que très peu de militant(e)s et d’organisations peuvent se permettre. Le Conseil a donc été considéré par beaucoup comme inaccessible. Certain(e)s se sont également inquiété(e)s du fait que pour travailler avec le Conseil, il faut passer par les quelques militants et de militantes qui ont le droit de prendre la parole durant les sessions. Par conséquent la représentation des différentes régions et des différentes composantes des communautés LGBTI n’est pas toujours assurée. Quelques personnes interviewées ont ajouté que leurs pays n’étaient même pas présents dans la salle quand les questions LGBTI étaient traitées, et que par conséquent les discussions au Conseil étaient d’un intérêt limité pour leur travail au niveau national. D’un autre côté, une autre personne a avancé que l’impact réel du Conseil n’est pas immédiatement palpable, et qu’il se mesure avec le temps : Il n’y a pas eu de suivi [de la résolution], donc ça n’a mené nul part pour l’instant. On espérait que – peut-être – ça allait être un tremplin pour permettre d’inscrire durablement ces questions à l’agenda du Conseil, mais ça n’est pas encore arrivé… C’est trop tôt pour en tirer des conclusions. P our beaucoup de personnes interviewées, les rapports alternatifs soumis dans le cadre de l’EPU ou des examens d’états par les organes de traités sont particulièrement utiles lorsque la situation des questions OSIG ou intersexes n’avait pas encore été documentée pour un pays particulier. Une compilation détaillée des violations des droits humains aide la société civile dans ses efforts de plaidoyer, et permet aussi à l’ONU d’aborder ces problèmes avec les Etats. Un représentant de l’ONU a ainsi déclaré : Des militants et militantes veulent venir à l’ONU pour faire un discours chargé d’émotion et appeler à l’aide et à plus de protection, pensant que c’est cela qui aurait un impact. Mais ce qui fait vraiment avancer les choses sur le temps long, c’est de commencer à vraiment documenter ces violations et de transmettre cette information aux organes de traités, à l’EPU, et finalement dans les débats qui ont lieu à l’ONU. On peut avoir plus d’impact comme cela. Parmi les mécanismes de l’ONU les plus mentionnés, la Commission sur la Condition de la Femme est également perçue comme un espace difficile d’accès, qui oblige les ONG à déployer beaucoup d’effort pour pouvoir y participer. Cette difficulté a été attribuée par certain(e)s à la présence importante de pays conservateurs et d’ONG conservatrices. Elle a cependant amené quelques résultats, en particulier grâce à l’action de groupes travaillant en Asie, en Amérique latine et aux Caraïbes. Des personnes interviewées considéraient que de plus en plus de pays étaient entrain de devenir favorables aux questions lesbiennes, bi et trans au sein de la CFF : L es événements parallèles, en marge des sessions du Conseil, de l’Assemblée générale, de la CFF ou des organes de traités, ont été perçus par les personnes interviewées comme particulièrement utiles lorsqu’il n’y avait pas de discussion en cours sur les questions OSIG ou intersexes et qu’il s’agissait d’essayer d’inscrire ces questions à l’agenda. Beaucoup ont déclaré que pour maximiser l’impact des événements parallèles, il était important qu’ils aient lieu au bon moment, et avec les bons acteurs. La participation de hautes personnalités de l’ONU peut aider à donner une plus grande visibilité aux questions OSIG et intersexes, et notamment à assurer une meilleure couverture par les médias nationaux. Une personne a fait remarquer cependant que s’ils étaient mal organisés, ils pouvaient s’avérer une perte de temps et d’argent. Depuis deux ans, les pays d’Amérique latine, des Caraïbes et d’Asie abordent de plus en plus les questions OSIG à la Commission (…) Clairement, chaque année, on compte plus de pays soutenant les questions OSIG. Ce soutien grandissant est le fruit des campagnes de plaidoyer de la société civile et des efforts au niveau de l’ONU, articulant les niveaux locaux, régionaux et internationaux. L’Assemblée générale et sa Troisième Commission (arrivant à la 7ème place dans le classement) ont aussi été perçues comme parfois utiles. Quelques personnes ont ainsi mis en avant la résolution sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, qui a été l’une des pierres fondatrices historiques du traitement 18 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? des questions OSIG à l’Assemblée générale.44 Globalement cependant, le Conseil a été vu comme un forum plus efficace pour obtenir des déclarations importantes sur les droits LGBTI. L’Examen périodique universel Comme cela a déjà été souligné, l’EPU est généralement perçu comme un mécanisme très utile. Certains participants à l’enquête et des personnes interviewées ont dit apprécier le fait que le processus de l’EPU débouchait sur des réponses immédiates de l’Etat, à chaque cycle. D’autres ont comparé les avantages relatifs du processus d’EPU avec d’autres mécanismes de l’ONU. Par exemple, les organes de traités ont été jugés utiles pour expliciter les conséquences concrètes des obligations juridiques et leur donner chair, et les rapporteurs spéciaux répondent efficacement aux appels urgents. Parce que l’EPU couvre tous les domaines des droits de l’homme dans un pays et n’est pas restreint par les dispositions d’un traité particulier, il est vu comme donnant aux militant(e)s l’opportunité de soulever une plus grande variété de questions OSIG et intersexes dans l’enceinte de l’ONU. De nombreuses personnes interviewées l’ont également décrit comme l’opportunité d’action la plus utile. L’EPU est perçu comme fournissant plus d’espace pour pouvoir directement influencer des recommandations liées aux problématiques OSIG, pour qu’elles soient spécifiques et de portée pratique. Pour plusieurs personnes interviewées, le fait que les questions d’orientation sexuelles soient devenues couramment traitées dans ce cadre est un grand succès.45 Certains ont fait remarquer que l’EPU avait ouvert un espace beaucoup plus grand aux militants et aux militantes OSIG, notamment ceux et celles provenant des pays asiatiques. Pour certain(e)s, les militants et militantes, jusqu’alors, ne s’étaient pas investis dans le travail auprès de l’ONU car les autres mécanismes étaient considérés comme trop distants. Une personne travaillant sur l’Amérique latine et les Caraïbes a expliqué pourquoi selon elle l’EPU avait été un outil formidable pour impliquer davantage les militants et militantes locaux et développer leurs compétences professionnelles : Les organisation internationales (…) contactent des organisations membres quand leur pays est sur le point d’être examiné par l’EPU pour voir si elles sont intéressées à participer à ce processus (…) [Elles] ont ainsi permis aux militants locaux d’aller à Genève pour faire du lobby auprès de leurs gouvernements, d’améliorer leurs capacités à faire du plaidoyer international ainsi que leurs connaissances de l’ONU, de parler au Conseil et de faire des déclarations. Des militantes et des militants venant de pays africains et du Pacifique ont estimé que l’EPU avait été particulièrement utile pour les pays où il est difficile, voire impossible, de coopérer avec le gouvernement. Dans de tels cas, l’EPU a créer un espace qui permettait aux militant(e)s locaux d’interagir directement avec les représentants de leurs Etats. Cependant, cette efficacité est limitée quand les autorités prêtent peu d’importance à la façon dont elles sont jugées par des Etats tiers ou par le CDH. Un grand nombre de personnes interviewées et de participants au questionnaire ont fait part d’une double inquiétude : premièrement, relativement peu d’Etats acceptent les recommandations de l’EPU liées aux questions OSIG ; deuxièmement, même quand ils les D es militant(e)s de longue date et des représentant(e) s de missions diplomatiques ont considéré que les réunions de briefing avec les rapporteurs spéciaux, les membres de Comité et les représentants d’Etats étaient particulièrement utiles il y a une décennie, quand les questions OSIG étaient discutées pour la première fois. Un(e) militant(e) a commenté: Le résultat [de ces réunions de briefing] a été de faire prendre conscience de la nécessité de traiter des questions LGBT en général, et des dynamiques globales complexes qui entourent ces questions (…) On ne peut pas désigner telle ou telle réunion et dire que c’est elle qui a fait la différence. C’est plutôt un long processus de discussions, d’interactions, et une reconnaissance par les Etats de l’importance des perspectives apportées par la société civile. Les réunions de briefing fournissent un cadre relativement neutre, qui permet aux acteurs majeurs de l’ONU d’entendre – de façon discrète - les conseils et les analyses de la société civile dont ils ont besoin pour savoir d’une part ce qui serait utile sur le terrain et d’autre part les jeux politiques à l’œuvre à l’ONU. Comme un expert de l’ONU l’a souligné : Je pourrais vous donner de nombreux exemples où des Comités (…) ont soulevé des questions OSIG durant l’examen d’un Etat suite au lobby des organisations de plaidoyer sur ces questions. 44 Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 20 décembre 2012, Exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, A/RES/67/168. 45 Les recommandations ayant trait à l’identité de genre ont été moins fréquemment reprises par les Etats, et les questions intersexes n’ont reçues que peu d’attention dans le cadre de l’EPU. 19 acceptent, les recommandations ne sont pas pour autant mises en œuvre en pratique. Une personne travaillant sur l’Asie a affirmé que cela décourageait énormément les militants et les militantes sur le terrain : Cela fait perdre espoir aux militants, ils en perdent la foi (…) Par exemple, quand la Malaisie répond aux recommandations de l’EPU sans dire quoique ce soit [sur les recommandations OSIG] et que le Conseil ne pose aucune question là dessus, du type « qu’en est il de cette recommandation X ou Y ? ». Même si nous savons bien que le Conseil ne peut rien faire de contraignant pour les obliger à quoique ce soit. D’autres ont constaté avec inquiétude que l’espace de l’EPU était devenu récemment de plus en plus politisé, et que l’on voit les recommandations devenir de moins en moins fortes. Une minorité non négligeable de personnes interviewées a fait remarqué que bien que l’EPU ait permis de traiter assez bien des questions d’orientation sexuelle, il n’en avait pas été de même avec les questions d’identité de genre et les questions intersexes, qui ont été moins fréquemment abordées. Un(e) militant(e) d’Amérique latine a déclaré voir dans ce mécanismes des opportunités de plaidoyer futures pour les personnes trans et intersexes : Je pense vraiment que les personnes trans et intersexes devraient s’investir davantage dans les processus d’EPU. Ils fournissent de très bonnes opportunités pour mettre en lumière la façon dont les Etats traitent des questions trans et intersexes. Et faire un rapport ou faire du lobby dans le cadre de l’EPU n’est ni difficile, ni cher. Les rapporteurs spéciaux Des personnes interviewées ont avancé que, historiquement, les rapporteurs spéciaux avaient joué un rôle essentiel pour amener les questions OSIG à l’ONU. Au début des années 2000, alors que le plaidoyer OSIG à l’ONU était à son tout début, à une époque où aucun autre organe de l’ONU n’était prêt à traiter de ces questions, les rapporteurs spéciaux ont été des interlocuteurs très utiles pour les militants et militantes. Une personne a par exemple cité comme un moment fondateur le premier rapport abordant l’orientation sexuelle : celui d’Asma Jahangir,46 alors Rapporteure spéciale sur les exécutions extrajudiciaires. Selon cette personne, ce rapport a donné aux Etats la possibilité de se saisir de l’orientation sexuelle parmi les questions abordées dans le rapport, d’y faire référence et de pousser pour son inclusion dans la résolution. Quelques personnes ont aussi fait remarquer que les rapporteurs spéciaux étaient relativement faciles à approcher et que l’interaction avec eux n’exigeait pas d’investissement financier conséquent, puisqu’il n’y avait pas besoin de voyager à New York ou à Genève. D’autres ont souligné que le fait que les rapporteurs spéciaux conduisent des visites dans différents pays les rend plus accessible pour les militants et militantes locaux. Alors que le Conseil est perçu comme le forum où seul un petit nombre de militants et de militantes peuvent interagir avec l’ONU, certaines personnes interviewées considèrent que les rapporteurs spéciaux et les organes de traités pourraient et devraient être plus accessibles. Pour pouvoir en tirer le maximum, les militants et militantes auraient besoin de davantage d’information sur la façon d’approcher les rapporteurs spéciaux et les organes de traités. Parmi les participants qui avaient trouvé les rapporteurs spéciaux utiles, les rapporteurs qui sont revenus le plus souvent sont la rapporteure spéciale sur les défenseurs des droits de l’homme (61%), suivie du rapporteur spécial sur la torture (41%), du rapporteur spécial sur la santé (32%) et de la rapporteure spéciale sur la violence contre les femmes (31%).47 Les entretiens ont permis de réunir plus d’information sur les raisons qui ont poussé à considérer le travail de tel ou telle rapporteur(e) comme utile. La rapporteure spéciale sur les défenseurs des droits de l’homme,48 par exemple, a beaucoup travaillé – et depuis longtemps – sur les questions OSIG, et s’est faite l’écho de préoccupations en rapport avec ces thématiques à travers les plaintes individuelles et ses rapports thématiques réguliers. Son bureau a joué un rôle essentiel pour l’identification des défenseurs des droits humains LGBTI et la reconnaissance de leur travail, ainsi que pour la protection des individus militant pour ces droits. Le rapporteur spécial sur la torture49 a fait l’objet d’éloge, en premier lieu de la part de nombreuses 46 Asma Jahangir, Rapporteure spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, 1998 – 2004. 47 L’enquête proposait une liste de 15 procédures spéciales. Certains participants ont coché la case « autre » pour désigner d’autres procédures spéciales. L’équipe en charge du projet a estimé que la soumission d’une liste de choix avait plus de chance de recueillir une réponse de la part des personnes participantes. 48 Rapporteure spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme. 49 Rapporteure spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. 20 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Etude de cas En 2010, des militantes et des militants d’Ukraine ont envoyé une demande d’action urgente à la Rapporteure spécial sur les défenseurs des droits de l’homme au sujet de l’attaque violente dont avaient été victimes des militants participant à la Journée Internationale de la Mémoire des Transgenres. Les autorités locales avaient classés l’enquête judiciaire et aucun des agresseurs n’avait été poursuivi. Un mois après qu’ils aient informé la Rapporteure spécial, les militants concernés ont été contacté par des représentants de l’Etat qui avaient finalement rouvert la procédure judiciaire. Celle-ci est encore en cours, mais au moins elle a été rouverte. personnes trans et intersexes, en particulier pour son dernier rapport thématique portant sur les formes de torture dans les établissements de soins de santé. Dans ce rapport, le rapporteur a appelé à abolir la stérilisation forcée des personnes trans en tant que condition au changement légal de genre, ainsi que les « corrections » chirurgicales de l’appareil génital pratiquées sur les enfants intersexes. C’est une illustration parfaite du potentiel qu’ont les rapporteurs spéciaux d’appliquer les normes fondamentales des droits humains (comme le principe de non-discrimination et l’interdiction de la torture) aux expériences spécifiques vécues par les personnes en raison de leurs orientations sexuelles, de leurs identités de genre, ou de leur condition intersexe. De nombreuses personnes interviewées ont également souligné le rôle particulièrement utile joué par le rapporteur spécial sur la santé.50 Depuis le début, son D e manière significative, les participants à l’enquête ont classé les demandes d’actions urgentes assez bas parmi tous les outils proposés. Un grand nombre de personnes interviewées ont cependant souligné l’intérêt particulier que présentent ces appels urgents, puisqu’ils permettent d’obtenir une réponse rapide dans des situations d’urgence. Plusieurs personnes interviewées provenant d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes en particulier ont avancé qu’ils avaient permis de répondre rapidement à des violations locales des droits humains comme des violences, des détentions ou des tortures. bureau a été perçu comme à l’écoute et sensible à ces questions. La grande qualité du travail de Paul Hunt51 comme d’Anand Grover52 sur les questions OSIG et intersexes a été soulignée. Leurs travaux ont servi de sources d’inspiration pour d’autres rapporteurs spéciaux par la suite. Les personnes trans et intersexes en particulier ont souligné combien le travail de ce bureau avait été utiles pour aborder les problèmes spécifiques de droits humains auxquels font face leurs communautés. Plusieurs participants et personnes interviewées ont dit apprécier le fait que la Rapporteure spéciale sur la violence contre les femmes53 ait parfois adoptée une approche intersectionnelle dans son travail. Une participante a cité son rapport sur la Namibie qui a abordé les questions de discriminations dont sont victimes les travailleuses du sexe lesbiennes, bisexuelles et trans. Cependant, d’autres ont mentionné des exemples moins positifs, où le manque de connaissance des questions propres aux femmes lesbiennes et trans était apparent dans le rapport, et était la conséquence d’un manque de consultation sur ces questions. Une personne a également souligné le rôle positif joué par le Rapporteur spécial sur la liberté de réunion et d’association,54 détaillé dans l’étude de cas suivante : Etude de cas Alors que les ONG LGBTI du Botswana se voyaient systématiquement refuser l’enregistrement légal, des militants et des militantes locaux ont saisi le Rapporteur spécial sur la liberté de réunion et d’association. Peu après, le Rapporteur spécial a fait part publiquement de son inquiétude sur cette question, devant le Conseil des droits de l’homme, et a envoyé des informations aux délégués diplomatiques. Les militants et les militantes ont été satisfaits de ces mesures puisqu’elles ont forcé le gouvernement à répondre publiquement à ces allégations devant le Conseil. Quelques personnes interviewées ont souligné le rôle important joué par les rapporteurs spéciaux dans l’intégration d’une perspective OSIG au sein de questions qui ne sont pas en général associées aux communautés OSIG. Un exemple de cela a été le travail de la Rapporteure spéciale sur l’eau et l’assainissement55 qui a montré dans un rapport comment les personnes trans 50 Rapporteur spécial sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible. 51 Paul Hunt, rapporteur spécial sur la santé de 2002 à 2008. 52 Anand Grover, rapporteur spécial sur la santé de 2008 à maintenant. 53 Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences. 54 Rapporteur spécial sur le droit de réunion et d’association pacifiques. 55 Rapporteuse spéciale sur le droit à l’eau potable et à l’assainissement. 21 étaient privées d’accès aux toilettes en raison de l’identité de genre par laquelle elles se définissaient. Le Rapporteur spécial sur l’anti-terrorisme56 a aussi traité de la vulnérabilité des personnes trans lorsqu’elles franchissaient une frontière avec des documents d’identité ne semblant pas correspondre à leur identité de genre. Les déclarations de ce rapporteur spécial ont ainsi pu être utilisées par les militants et militantes trans dans leur travail de plaidoyer. Une personne trans a ainsi souligné que le mouvement trans devait avoir une vision stratégique de son travail auprès des mécanismes de l’ONU, étant donné le manque de connaissance et de familiarité avec les questions trans à l’ONU : La principale leçon que j’ai tirée, c’est qu’il est très important pour les militantes et les militants trans de bien réfléchir à ce sur quoi on décide d’investir notre temps. On doit se demander si on a le temps et l’énergie nécessaires pour s’efforcer de sensibiliser les gens, ou si on doit se concentrer sur des problèmes spécifiques sur lesquelles on espère avoir des résultats. Pour nous, l’important est vraiment de trouver ce sur quoi on peut réellement agir et ce qu’on peut en retirer, et identifier qui est intéressé et prêt à nous écouter et à prendre en compte les questions trans. Si l’utilité des rapporteurs spéciaux a été largement soulignée, certaines personnes ont regretté leurs pouvoirs limités et souhaiteraient qu’ils aient des mandats plus larges et la possibilité de se prononcer sur la responsabilité des Etats. Les organes de traités Les organes de traités sont généralement perçus comme les principaux mécanismes pour établir des standards. Ils ont ainsi, à travers leurs jurisprudences, confirmé que les questions d’orientations sexuelles57 (ainsi que, plus récemment, celles d’identité de genre) sont couvertes par les normes de droits humains existantes, qui s’imposent aux Etats. Les observations finales des organes de traités et les décisions sur les affaires individuelles sont perçues comme du travail d’expert qui, quoiqu’il soit moins visible que les actions du Conseil, a une importance aussi grande. Les observations finales sont des instruments pratiques qui permettent de mettre à jour les écarts entre les obligations internationales des Etats et les situations nationales réelles, et de définir les mesures que devraient prendre les Etats pour se mettre en conformité avec leurs obligations conventionnelles. Une personne d’Europe de l’Est a ainsi déclaré : Les recommandations [des Comités] montrent l’écart entre le droit national et le droit international et montre comment la situation peut être améliorée. Ce sont donc des outils pour promouvoir les droits OSIG dans notre Etat. Cependant, comme beaucoup l’ont fait remarquer, les conclusions des Comités ne sont que des points de départ : B ien que peu de participants aient désigné les plaintes individuelles parmi les trois outils qu’ils voyaient comme les plus utiles dans le travail de la société civile, plusieurs personnes interviewées ont donné des exemples pratiques pour illustrer le rôle important que ces plaintes ont pu jouer. Ils et elles ont notamment cité la décision marquante du Comité des droits de l’homme dans l’affaire Fedotova contre la Fédération de Russie : Cette affaire a été, pour moi, la plus importante qui ait été portée devant l’ONU sur ces questions dans les 20 dernières années. Les conclusions du Comité sortent du cadre strict des considérations sur le droit à la vie privée et le principe de non-discrimination, et ouvrent la porte vers la reconnaissance de ce que nous avons tous des identités individuelles qui doivent être respectées et célébrées, et que ces identités comprennent l’orientation sexuelle comme une de leurs composantes. c’est par la suite aux militants et militantes locaux de leur assurer de la publicité et de s’en servir pour leur travail de plaidoyer à l’échelle nationale. De nombreuses personnes interviewées ont souligné qu’il était essentiel de coopérer avec les organes de traité, de pouvoir briefer leurs membres et de s’assurer qu’au moins un de ces membres était familier avec les questions OSIG et était prêt à les soulever dans son travail. Parmi ceux et celles qui ont trouvé les organes de traités utiles, l’organe qui a été, de loin, le plus cité est le Comité des droits de l’homme (62%). Il est suivi par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et le Comité sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (36% chacun), puis par le Comité des droits de l’enfant et le Comité contre la torture (23% chacun). Le Comité des droits de l’homme est perçu comme un organe dynamique et réactif qui a au cours des 20 dernière années adopté des décisions marquantes dans le cadre d’affaires individuelles, et des conclusions importantes dans le cadre de ses examens périodiques des rapports des Etats. Etude de cas En 2013, l’Ukraine a été examiné par le Comité des droits de l’homme. Dans ses Observations finales, le Comité a appelé le gouvernement à mettre un terme aux mesures excessives qui empêchaient les personnes trans d’accéder à la reconnaissance juridique de leur genre, dont le placement dans un établissement psychiatrique pendant 45 jours et la stérilisation forcée. A la satisfaction des militants et militantes locaux, le gouvernement a par la suite créé un Groupe de travail et adopté un nouveau règlement en conformité avec les recommandations du Comité. 56 Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste. 57 Depuis la décision historique rendue par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire Toonen contre Australie en 1994. 22 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Les prises de position progressistes des membres du Comité des droits économiques, sociaux et culturels ont également été appréciées. Une personne a ainsi mentionné l’Observation générale sur la non-discrimination et l’égalité,58 qui a intégré une dimension OSIG. Cela a constitué, pour certain(e)s, un moment important qui a permis de développer la réflexion juridique sur les droits socio-économiques. Le Comité des droits de l’enfant a lui aussi pris des positions sur le harcèlement à l’école et sur les violences contre les enfants LGBT qui ont été considérées comme très positives.59 Certaines personnes interviewées ont cependant relevé des limites au travail des organes de traité : par exemple, le fait que les Etats ne soient en général examinés que tous les quatre ans au maximum, que certains pays ne soumettent pas leurs rapports, et que ceux-ci puissent ne pas traiter des questions OSIG ou intersexes. En plus, le suivi régulier des situations peut être compliqué si des membres d’un Comité sont contre l’idée d’aborder les questions LGBTI. Les agences de l’ONU Pour les participants qui ont souligné l’utilité des agences onusiennes, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) arrive largement en première position (44%), suivi par l’ONUSIDA (31%) et le PNUD (27%). Beaucoup ont souligné que le HCDH avait porté haut et fort les causes OSIG ces dernières années, notamment grâce au rapport historique de 2011, au travail remarquable de la Haut Commissaire, et à la campagne mondiale Free & Equal (libres et égaux), lancée en 2013. Une militante active dans le plaidoyer OSIG à l’ONU depuis plus de 10 ans a cependant exprimé une inquiétude, qui est partagée par d’autres : elle considère que certaines agences de l’ONU sont à la traine, et ne se sont pas mises à niveau sur les questions qui ont été traitées par le Conseil et par le Haut-Commissariat. Les discussions autour de l’agenda pour le développement après 2015 en fournissent une bonne illustration, selon elle : Par exemple, le langage utilisé sur l’orientation sexuelle à l’Assemblée générale : on a vu du langage beaucoup plus fort et beaucoup plus adapté au sein du Conseil. On voudrait voir les mêmes mots utilisés dans les travaux de l’ONU Femmes, du PNUD, de l’Assemblée générale, du Comité ECOSOC et d’autres organes de l’ONU (…) Ca m’inquiète vraiment de voir que les standards qui sont fixés ne sont pas suivis uniformément par les autres organes de l’ONU (…) Parce que quand on parle de développement, par exemple, si on a pas un langage fort et claire qui est repris, alors on court un risque : celui d’avoir des programmes d’aide au développement et de financement qui n’atteignent pas tout le monde sur un même pied d’égalité, conformément à ces standards. Certain(e)s considèrent également qu’il existe parfois un fossé entre les positions du HCDH et celles de ses bureaux régionaux. Des personnes interviewées travaillant en Europe de l’Est ont ainsi avancé que certains bureaux ne souhaitaient ouvertement pas coopérer avec les organisations LGBTI, au motif que ces questions ne faisaient pas partie de leurs priorités. Beaucoup ont soulevé le même problème s’agissant de l’ONU Femmes, dont certains bureaux sont considérés lents à comprendre et à intégrer les problèmes des femmes lesbiennes, bisexuelles et trans ou des personnes intersexes. Une personne travaillant à l’ONU considère que la raison principale de cela est que les bureaux sont réticents à parler de questions qui divisent : Le vrai défi à l’ONU, c’est que les gens sont encore mal à l’aise lorsqu’il s’agit de parler de questions OSIG, parce que ces questions ont encore le pouvoir de diviser, de polariser et de créer des controverses. Or l’ONU déteste par dessus tout la controverse, la polarisation et la division. Il y a encore un aspect très conservateur dans les institutions, y compris dans le personnel. Et ce conservatisme fait qu’il est parfois difficile d’être aussi direct, aussi audacieux, aussi rapide et aussi réactif qu’on le souhaiterait. A l’heure actuelle, il y a encore de la résistance. Il y en a même au sein du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme, et il y en a certainement dans d’autres bureaux de l’ONU. Ca explique pourquoi pendant longtemps l’ONU a fait profil bas sur ces questions. Un grand nombre de personnes interviewées et de participants ont fait part de leurs satisfactions vis-à-vis du travail effectué par l’ONUSIDA depuis des années. Beaucoup ont fait valoir que l’ONUSIDA avait été consciente d’enjeux OSIG majeurs depuis le début, qu’elle a été facile d’approche et qu’il était relativement aisé de travailler avec elle. Un(e) participant(e) africain(e) a souligné que le travail des bureaux locaux de l’ONUSIDA a été indispensable parce qu’ONUSIDA a servi sans discontinuer de canal de communication entre les organisations LGBTI et les agences gouvernementales. Quelques participants et personnes interviewées ont également fait part de leur satisfaction de voir l’ONUSIDA adopter de plus en plus une approche droits humains dans son travail. 58 Observation générale n°20, La non-discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels (art.2, par.2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), E/C.12/GC/20, 2 juillet 2009. 59 Observation générale n°13, le droit de l’enfant d’être protégé contre toutes les formes de violence. CRC/C/CG/13, 18 avril 2011. 23 Ce chapitre fait le point sur les thématiques qui, selon les militants et militantes consultés, ont été traitées de façon satisfaisante à l’ONU, et sur celles qui pourraient être davantage développées à l’avenir.60 De manière générale, selon la grande majorité des participants, les divers mécanismes de l’ONU prêtent une plus grande attention aux questions OSIG aujourd’hui que ce n’était le cas il y a dix ans (figure 8).61 La quasi-totalité des participants pense qu’il y eu des progrès positifs en matière d’orientation sexuelle (1% seulement pense le contraire). Cependant, le sentiment de progrès était moins partagé pour ce qui concerne les questions d’identité de genre. Les personnes travaillant en Amérique du Nord ont été plus nombreuses à soutenir qu’il y avait eu du progrès sur ces questions (10 personnes sur 11),62 alors que cette opinion était moins partagée par celles travaillant en Afrique (56%). Seulement une des cinq personnes intersexes participantes et la moitié des personnes trans ont trouvé qu’il y avait eu progrès sur les questions d’identité de genre. Quand on rentre dans le détail des thématiques, on voit que la reconnaissance juridique du genre apparaît comme l’une des thématiques les moins bien traitées par l’ONU selon les participants.63 En écho à cela, des personnes interviewées ont exprimé leurs inquiétudes de voir les questions d’identité de genre tantôt absentes, tantôt simplement regroupées avec celles d’orientation sexuelle. Par exemple, alors que les questions de violence et de discriminations sont des questions d’importance pour les personnes trans, leurs relations avec d’autres problématiques spécifique aux trans comme le problème de la reconnaissance juridique du genre ou celui de la pathologisation n’ont reçues que peu d’attention. Pour beaucoup, il existe encore une grande confusion au sein des acteurs onusiens autour de la question de la reconnaissance juridique du genre. C’est pourtant un problème majeur, qui se pose dans la majorité des pays à travers le monde, et qui crée des difficultés immenses pour les personnes trans, dans leurs vies quotidiennes. Selon une personne interrogée, qui ne s’identifie pas comme trans, il est essentiel non seulement de travailler sur ces questions avec les gouvernements et les acteurs onusiens, mais aussi que les organisations OSIG soient plus actives sur ces questions, aux côtés des militants et militantes trans. Des militant(e)s du Sud ont souligné en outre que les principaux progrès sur les questions d’identité de genre ne sont pas le fait des pays d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest, mais de pays comme l’Argentine, et qu’il y aurait lieu de mieux prendre en compte et intégrer les leçons à tirer de ces exemples pour les autres pays. De façon significative, seuls 16% des personnes interrogées ont jugé qu’il y avait eu du progrès sur les questions intersexes (figure 8),64 dont 2 des 5 personnes Figure 8 : Je suis d’accord pour dire… Changements positifs sur les questions d’orientation sexuelle Changements positifs sur les questions d’identité de genre Changements positifs sur les questions intersexes 91% 79% 16% 60 Ce chapitre se base sur les réponses aux questions de l’enquête qui demandaient aux participants de choisir trois thématiques sur lesquelles, selon eux, l’ONU avait le mieux travaillé ces 10 dernières années. Les participants avaient le choix entre 14 thématiques, et ils pouvaient en sélectionner trois en les classant de 1 à 3. Ils avaient aussi la possibilité de préciser si ils pensaient à d’autres thématiques, non comprises dans la liste, qu’ils auraient souhaité mentionner. Dans une question ouverte, il leur était par ailleurs demandé quel(s) domaine(s) prioritaire(s) pour eux ou pour leurs organisations n’avai(en)t pas été assez traité(s). Durant les entretiens, il a été demandé aux personnes interviewées de développer leurs réponses, et de fournir si possible des exemples pratiques. 61 La figure 8 est basée sur la question de l’enquête qui listait 12 affirmations sur les progrès des questions OSIG à l’ONU et le rôle des activités de la société civile dans ce progrès. Les figures 4 et 12 fournissent davantage de détails. 62 Au moins deux tiers des personnes travaillant en Asie-Pacifique, en Amérique latine et à l’échelle globalle partageaient ce sentiment. 63 La figure 9 montre, pour chaque thématique, la proportion de participants à l’enquête qui l’a désignée comme l’une des trois mieux traitées par les mécanismes de l’ONU jusqu’à présent. 64 Bien que le niveau de désaccord était relativement faible sur les douze affirmations, il était plus important sur les questions intersexes (26%). 24 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Figure 9 : Thématiques les mieux traitées (trois principales) 41% 39% 37% 35% 34% 28% 27% 15% a s n de s tio rs ain ina u e m ns u scrim fe s h Di Dé roit d VI o ati lis ina im Cr té oet tra s er n ls fs ex e ex aire ue ucti e s ifiqu Lib ssio s x c i t e d a ic n c re s s ro sin ud xp ole pé oit rep as j Vi s r d’e s D As ce n sid H/ V en iol 7% 12% intersexes participantes.65 Selon les participants, les questions intersexes, au premier rang desquelles celles de l’indisponibilité du corps humain et les mutilation génitales dont sont victimes les enfants intersexes, n’ont été abordées que récemment à l’ONU. De manière générale, les questions qui touchent à l’identité de genre ont été moins abordées et l’ont été moins bien. Ce n’est que depuis ces quelques dernières années que l’ONU a abordé ces questions avec la même énergie et la même détermination qu’elle l’avait fait avec les questions d’orientation sexuelle. Il y a encore plus de retard sur les questions intersexes. Elles n’ont toujours pas été vraiment traitées. Ni par les organes d’experts, ni par les organes politiques. Des personnes interviewées ont également fait remarquer qu’au sein même de la société civile, le niveau de connaissance et de familiarité avec les questions trans, bisexuelles et intersexes restait faible. On utilise le terme « LGBTI » mais sans penser à ce que ça veut dire, sans se représenter ce que ça recouvre. En réalité on parle plutôt de G, ou à la rigueur de L (…) Le travail à l’ONU est ainsi fait que tu passes ton temps à réfléchir à ta stratégie, à voir comment tu peux pousser pour tel ou tel objectif (…) mais comment pourrais-tu faire avancer certains sujets, si ce sont des questions auxquelles tu ne penses pas toi-même ? En réalité, les questions trans, intersexes et bisexuelles sont laissées pour compte. Beaucoup ont souligné que ces questions mériteraient plus d’attention de la part des organisations OSIG. Des militants intersexes ont suggéré que ces organisations devraient 11% 6% 2% 1% es ée ce à riv iale an nre iqu iaux p s its té l s m i o i e c e r i o a g d san n so V fam n u co et es la t on e d r é e c t s Re iqu Au oit rid Dr ju re tu r To porter avec plus de vigueur les questions intersexes, et devraient travailler avec des militants et militantes intersexes et les aider à accéder à l’ONU. En ce qui concerne les thématiques OSIG considérées comme les mieux traitées par l’ONU, les 5 thèmes qui sont apparus en tête, parmi les 14 proposés, ont été : le VIH/ sida, la criminalisation, la violence, la discrimination et la situation des défenseurs des droits humains (figure 9). Chacun de ces thèmes a été sélectionné comme l’un des 3 thèmes les mieux traités par plus de 30% des participants. Les autres thématiques n’ont pas été mentionnées par plus de 10% des personnes interrogées. Selon plusieurs personnes interviewées, le thème du VIH/sida a été traité de façon très satisfaisante par le Rapporteur spécial sur la santé comme par l’ONUSIDA. La déclaration du Saint-Siège contre la criminalisation a été mentionnée par plusieurs personnes interviewées comme une étape importante dans le débat sur la décriminalisation à l’ONU, et un signe d’évolution vers un soutien plus large en faveur de cet objectif.66 D’un autre côté, plusieurs personnes ont fait part de leurs préoccupations quant à la criminalisation qui perdure et reste un problème grave dans de nombreux pays, et sur laquelle il faudrait davantage travailler. Il a été suggéré que les Etats occidentaux devraient cesser de s’autocensurer et porter haut et fort la cause de la décriminalisation. Une personne a également suggéré que les recommandations de l’EPU sur ce sujet gagneraient à être plus stratégiques, par exemple en adoptant plutôt une stratégie des petits pas pour commencer. D’autres ont suggéré qu’il serait utile d’exploiter davantage le soutien sur ce point de certains Etats plus conservateurs pour pouvoir former une coalition plus large autour de cet objectif. 65 Seulement une personne travaillant sur l’Amérique du Nord sur 11 voyait du progrès dans ce domaine, de même que 3 personnes sur les 29 travaillant sur l’Amérique latine et les Caraïbes. Les participants queer et bisexuels ont été deux fois plus nombreux que les lesbiennes et les gays à considérer qu’il y avait eu du progrès à l’ONU sur les questions intersexes. 66 Dans une déclaration lue à l’Assemblée Générale en décembre 2009, le Saint-Siège s’est dit opposé aux lois pénales ciblant « les personnes homosexuelles ». 25 De nombreux Etats pourtant peu progressistes sur les questions OSIG ne justifient pas pour autant la violence contre les personnes LGBTI. En conséquence, comme l’ont fait remarquer des personnes interviewées, on pourrait travailler sur les questions LGBTI avec une assise plus large si on se concentrait sur la question de la violence : Personne ne dit qu’on devrait tuer quelqu’un parce qu’il est gay. Personne ne soutient ça officiellement. Donc on devrait pouvoir s’attaquer à ces graves violations des droits de l’homme les plus fondamentaux d’un commun accord. Plusieurs personnes interviewées se sont félicitées du fait que de nombreux Etats aient adopté des lois antidiscrimination qui couvrent explicitement l’orientation sexuelle et, quoique plus rarement, l’identité de genre. Un(e) militant(e) d’Asie a insisté sur le rôle de la campagne du HCDH Free & Equal à ce sujet : Tout ce qu’a fait le Haut-Commissariat, avec ces vidéos et ces posts dans les médias sociaux, tout cela parle de la nécessité de mettre fin aux discriminations (…) Ils produisent des documents qui peuvent être utilisés par les militants et militantes (…) Est-ce que c’est un progrès ? Oui, parce que c’est tourné vers l’anticipation plutôt que vers la réaction. Beaucoup ont souligné que la vulnérabilité particulière des défenseurs des droits LGBT a été fréquemment abordée dans différents forums. Par exemple, on a vu des affaires individuelles attirer l’attention internationale, ce qui a eu pour résultat de faire libérer des personnes détenues ou de soutenir des familles affectées. Selon les mots d’une militante lesbienne : Je pense au nombre et à la diversité des militants et militantes LGBTI qui se sont trouvé(e)s menacé(e)s (…) Le fait d’attirer l’attention internationale a permis d’obtenir leurs libérations, ou au moins de soutenir leurs familles, et de donner une reconnaissance à leurs communautés LGBT (…) C’est un des domaines pour lequel je me dis qu’on a vraiment fait du bon boulot. familiale, notamment en ce qui concerne les partenariats civils et le mariage. Quelqu’un a considéré que cela n’était pas dû à un manque d’intérêt du public, mais plutôt à l’absence de consensus autour de la question de savoir si ces questions sont couvertes par des obligations de droit international des droits humains existantes. La liberté d’association et de réunion a également été abordée, dans un contexte de violence grandissante sur le terrain dans certains pays africains, où les organisations OSIG ont du mal à s’enregistrer, à tenir un bureau ou à obtenir des financements. Des bureaux ont été attaqués, du personnel a été mis en prison et la situation est critique. Selon ceux et celles qui ont abordé ces questions, l’ONU devrait immédiatement traiter de ces questions et les bailleurs devraient en tenir compte lorsqu’ils fixent leurs priorités. D’autres thèmes méritant plus d’attention à l’ONU ont été mentionnés : • la situation particulière des femmes lesbiennes, bisexuelles et trans, y compris les violences sexospécifiques • les intersections entre l’orientation sexuelle, l’identité de genre et la situation socio-économique, le handicap ou l’âge • les droits liés à la santé mentale ou physique • les incitations à la haine • les droits des enfants et les impacts du harcèlement à l’école sur leur droit à l’éducation • la discrimination dans les droits civils et politiques, mais aussi économiques, sociaux et culturels • la liberté d’expression • les droits humains et Internet. Une poignée de militants et militantes, notamment d’Amérique latine et des Caraïbes, a souligné que selon eux, les droits sexuels et reproductifs ont fait l’objet de trop peu d’attention à l’ONU, et qu’il était difficile de travailler sur ces droits, surtout dans un contexte OSIG. Plusieurs pensent que les mécanismes de l’ONU n’ont pas donné assez d’attention aux droits des travailleurs et travailleuses du sexe, notamment des personnes trans. Selon certaines personnes, il y a un déficit de standards et de documentation relatifs au droit à la vie privée et 26 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Ce chapitre examine les obstacles qui se sont présentés lors du plaidoyer à l’ONU depuis 2003, ainsi que les défis qui seront à relever dans le futur. Parmi ceux-ci : un manque de ressources et de représentation équilibrée, la violence contre les personnes LGBTI sur le terrain, la polarisation à l’ONU et le manque de consensus au sein de la société civile.67 Les obstacles rencontrés dans le travail à l’ONU ces dix dernières années Une seule personne, parmi les 29 personnes interviewées, a déclarée qu’elle (ou son organisation) n’avait affronté aucun obstacle dans son travail auprès de l’ONU depuis 10 ans. La majorité des participants au questionnaire a déclaré que le manque de ressources financières avait été une limite à leur capacité d’interaction avec les mécanismes onusiens (figure 10). Deux tiers des militants et militantes queer, 4 des 5 personnes intersexes participantes68 et 73% des personnes trans69 ont déclaré que ces difficultés financières avaient été un obstacle. C’est la difficulté la plus communément identifiée par les militants et les militantes travaillant sur la région Pacifique (60%) et sur l’Amérique latine et les Caraïbes (55%). Parmi toutes les régions, les personnes travaillant en Amérique du Nord ont été les moins nombreuses à identifier l’argent comme un obstacle. Le deuxième principal obstacle invoqué est le manque de personnel pour faire ce travail, cité principalement par ceux et celles travaillant sur la région Pacifique (53%) et Europe (56%).70 Parmi les cinq personnes intersexes interrogées, 3 ont mis en avant le manque de ressources humaines comme un problème, ainsi que 41% des hommes et 36% des femmes. Pour 50% des personnes bisexuelles et 46% des gays, ce problème s’est aussi posé (contre un tiers pour les personnes identifiant autrement leurs orientations sexuelles). A l’exception des personnes travaillant en Europe, tous ont identifié le manque de ressources financières comme un problème davantage que le manque de personnel. Figure 10 : Obstacles limitant le travail à l’ONU depuis 2003 Manque de ressources financières 55% Manque de ressources humaines adéquates Mécanismes peu accessibles 41% 22% Manque d’information sur comment les utiliser Autres Le plaidoyer à l’ONU n’est pas ma/notre priorité 22% 13% 12% Les questions sur lesquelles je/on travaille ne sont pas à l’agenda D’autres ONG font déjà ce travail 11% 10% 67 Les données de ce chapitre s’appuient sur les réponses données à trois questions du questionnaire. La première demandait aux participants quelles avaient été les obstacles qui avaient limité leurs capacités à travailler à l’ONU. Il était permis de cocher autant de cases que désiré. La deuxième question demandait aux participants d’identifier les trois principaux défis qui allaient selon eux se poser pour le plaidoyer OSIG à l’ONU dans les 2 ans à venir. Ils et elles avaient le choix entre 11 différentes options, qu’ils pouvaient numéroté de 1 à 3. La troisième question faisait la liste de 12 affirmations qui portaient sur les progrès acquis en matière OSIG à l’ONU et le rôle du travail de la société civile dans ces progrès. Chaque participant devait indiquer dans quelle mesure il ou elle était en accord ou en désaccord avec chacune des affirmations. Il a été demandé aux personnes interviewées de développer leurs réponses et de donner des exemples pratiques si possibles. 68 Contre la moitié des personnes s’identifiant comme homme ou comme femme. 69 Contre environ 30% des personnes s’identifiant comme des femmes et 60% de celles s’identifiant comme des hommes. 70 Un peu moins de la moitié de celles et ceux qui travaillent en Amérique latine et aux Caraïbes (45%), en Asie (43%) et en Afrique (31%) ont vu cela comme un obstacle. 27 En troisième position, le manque d’information sur la façon dont on peut travailler avec les mécanismes et un manque d’accès (du fait, notamment, de l’absence de statut ECOSOC pour son organisation) ont aussi été identifiés fréquemment comme obstacles. Peu de personnes ont déclaré que le travail à l’ONU n’était pas une priorité de leurs organisations, ce qui laisse à penser que les facteurs limitant étaient généralement des facteurs externes. Lorsqu’on leur a demandé de lister les obstacles principaux, 13% des participants ont coché la case « autre » et ont avancé des obstacles supplémentaires. Parmi ceux-ci, ceux qui sont revenus le plus souvent sont le manque de consensus au sein de la société civile sur les objectifs du plaidoyer et les questions de langue. Ces éléments sont également revenus de façon récurrente durant les entretiens. Défis pour le futur Manque de ressources et d’équilibre dans la représentation Le manque de ressources financières et le manque de ressources humaines à même de faire un travail de plaidoyer ont largement été vus comme les deux faces d’une même médaille. Pour la plupart des personnes, travailler à l’ONU requiert de forts investissements en temps et en argent, puisque cela exige l’accès au téléphone et à Internet, des voyages, l’écriture et la soumission de rapports. Certaines personnes ont fait remarquer que, dans l’idéal, les organisations devaient avoir un représentant à Genève pour pouvoir interagir en permanence avec les interlocuteurs de l’ONU. Le travail de plaidoyer exige aussi des organisations qu’elles aient du personnel connaissant le système, parlant les langues utilisées dans ce système et ayant l’expérience requise. Un(e) militant(e) de la région Pacifique a évoqué en ces termes les difficultés rencontrées par les activistes locaux : C’est difficile de réussir à faire un plaidoyer efficace pour faire adopter quelque chose et de travailler sur tes questions si tu n’as pas les ressources financières et les bonnes personnes pour mettre en forme et défendre tes propositions. On a pas les moyens de payer un coordinateur qui aurait déjà de l’expérience là-dedans. Pour défendre une proposition de réforme du droit, on a besoin de quelqu’un qui ait des compétences techniques, une expérience et des qualifications. Et bien entendu cela a un prix. Nous, ça fait 21 ans qu’on travaille sans salaire. En ce qui concerne les défis à relever pour le futur, les participants à l’enquête ont cité les obstacles financiers comme l’un des trois principaux défis à relever pour les deux prochaines années (figure 11).71 Cependant, la haine encouragée par l’Etat domine largement parmi les défis identifiés (59%). Les violences contre les militants et militantes OSIG se trouve aussi en bonne place (23%). Au final, les quatre principales barrières rencontrées par le passé et principaux défis pour le futur qui ont émergé de l’enquête et des entretiens sont les suivants : • le manque de ressources et d’équilibre dans la représentation • la violence sur le terrain • la polarisation à l’ONU • l’absence de consensus au sein de la société civile. Ces difficultés sont développées ci-dessous. Bien que le manque de ressources financières et humaines ont été présentés comme un motif d’inquiétude pour la plupart des personnes, plusieurs personnes interviewées ont fait valoir que ce problème affectait de façon disproportionnée certaines régions du monde, et certains sous-groupes parmi les LGBTI. Par conséquent, faire du travail de plaidoyer à l’ONU est largement vu comme un Figure 11 : Les principaux défis des 2 prochaines années (les 3 principaux) Homophobie et transphobie d’Etat Manque de ressources financières Manque d’instruments juridiques contraignants Violence contre les militant(e)s OSIG Manque de représentation équitable au sein des LGBTI Trop peu d’organisations LGBTI puissantes Manque de cohérence dans les standards Manque de représentativité géographique Manque de ressources humaines Nombre grandissant d’acteurs OSIG 59% 41% 35% 23% 18% 17% 16% 15% 12% 10% 71 La figure 11 montre la proportion de participants à l’enquête qui ont désigné ces éléments comme l’un des trois principaux défis à relever pour les deux prochaines années. 28 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Figure 12 : Je suis d’accord pour dire … La diversité régionale est mieux reflétée parmi les militants OSIG 66% La diversité des communautés au sein de LGBTI est mieux respectée 43% privilège, qui ne peut être entrepris que par un très petit nombre d’organisations. Plusieurs personnes interviewées ont fait remarquer que, historiquement, les mouvements à l’ONU ont toujours été dirigés par des hommes gays, et particulièrement venant de pays occidentaux. Un(e) militant(e) queer a rappelé la chose suivante : Je me rappelle être allé à une réunion (…) et en franchissant la porte, j’ai été saisie en voyant qu’il n’y avait que des hommes occidentaux blancs. Il y avait toute sorte de groupes différents, on voyait bien qui était en charge de cette forme d’activisme. Il me semble que c’est entrain de changer. Ce n’est plus aussi masculin que ça l’a été . Mais il y a toujours bien plus d’occidentaux, ou de personnes éduquées dans les pays occidentaux. Il existe une inquiétude, chez certaines personnes, selon lesquels les militant(e)s OSIG actifs à l’ONU seraient devenu(e)s soucieux de défendre leurs pré carrés, leurs territoires et de conserver leurs positions et le pouvoir de décision qu’ils ont entre leurs mains. Cela peut déboucher sur l’exclusion de ceux et celles qui n’ont qu’une position marginale dans le plaidoyer OSIG à l’ONU. Bien que les deux tiers des participants à l’enquête s’accordent à dire que la représentation régionale au sein des militants OSIG s’est améliorée depuis 2003 (figure 12), nombreux sont ceux qui pensent qu’il y a encore une marge de progrès dans ce domaine.72 devant les mécanismes de l’ONU. Ce choix n’est pas nécessairement le reflet d’une absence de volonté de travailler avec l’ONU, mais il est bien au contraire le reflet des limites auxquelles se heurtent les militants et militantes, faute de ressources financières supplémentaires. Un(e) militant(e) d’Europe de l’Est a décri ces défis en ces termes : Je ne peux pas imaginer une ONG travaillant sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre en Ukraine, au Kirghizstan ou en Russie mettre de côté 5000 dollars américains juste pour aller à Genève pour 3 ou 4 jours. Ca ne serait pas leurs priorités. Je ne sais pas à qui incombe la responsabilité de faire cela, mais je ne pense pas qu’il soit juste d’aller demander à ces organisations de faire ça. On peut faire beaucoup de chose avec 5000 dollars, au lieu d’aller à Genève. Des personnes interviewées travaillant en Europe, en Asie et en Amérique latine ont souligné que leurs organisations avaient tendance à prioriser les mécanismes nationaux et régionaux, et pas l’ONU, surtout lorsque leurs situations financières étaient délicates et que la situation sur le terrain appelait une réponse plus urgente et locale. Selon de nombreuses personnes interviewées, les bailleurs de fond finançant les activités de plaidoyer à l’ONU auraient tendance à investir davantage dans les organisations occidentales, sans comprendre ni apprécier l’importance d’avoir des organisations d’autres régions actives à l’ONU. Cela est d’autant plus préoccupant que dans beaucoup de pays, les gens ont besoin de se saisir des instruments offerts par les mécanismes de l’ONU parce que leurs gouvernements ne sont pas ouverts à discuter des questions LGBTI. Ainsi que le soulignait la représentante d’une mission diplomatique auprès de l’ONU : Les participants d’Amérique du Nord et d’Afrique sont ceux qui ont le plus massivement trouvé que l’équilibre régional s’était amélioré. Plus des deux tiers ont dit être d’accord avec cette affirmation, contre environ la moitié des participants travaillant en Asie. Aucune des cinq personne intersexes n’a estimé que la représentation régionale était meilleure.73 Je crois profondément qu’il est important que les personnes comprennent mieux le système onusien de façon à ce qu’il ne soit pas utilisé que par les ONG occidentales, sur des questions sur lesquelles, pour parler franchement, ils n’ont pas besoin de la médiation de l’ONU, puisqu’ils ont des mécanismes au niveau national qui peut les aider à avancer. L’ONU doit être accessible aux pays qui n’ont pas ces mécanismes nationaux. Plusieurs personnes interviewées travaillant en Afrique, en Asie, en Europe de l’Est, en Amérique latine et aux Caraïbes ont avancé qu’il leur manquait déjà des ressources pour leur travail sur le terrain. Si les organisations priorisent le travail à l’intérieur du pays, il leur reste souvent trop peu de ressources pour pouvoir porter leurs causes Certaines personnes travaillant en Asie, dans la région Pacifique, en Afrique, en Europe de l’Est, en Amérique latine et aux Caraïbes ont l’impression d’être trop dépendantes des ONG basées dans les pays occidentaux, puisqu’elles doivent compter sur elles pour les faire venir à Genève ou à New York. 72 La figure 12 se base sur la question de l’enquête qui demandait aux participants s’ils étaient en accord avec 12 affirmations relatives aux progrès à l’ONU sur les questions OSIG, et le rôle de la société civile. Les figures 4 et 8 fournissent plus de détails. 73 Ce qui peut simplement être lié à la région d’où ces personnes viennent. 29 D’autres avancent que le manque d’équilibre dans la représentation des différentes régions peut aussi être un problème pour le plaidoyer. Pour un(e) militant(e) africain(e) : leurs conditions et pour fournir des témoignages sur les violations des droits humains dont ils et elles font l’objet. Ce dont je me suis rendu compte en travaillant sur les questions trans, c’est qu’il y a un vrai manque de connaissance. Du coup, quand on parle avec l’équipe d’un Rapporteur Spécial, ça prend déjà du temps de leur faire comprendre où sont les problèmes. Même si je connais beaucoup de choses sur les questions trans (…) je ne suis pas trans moi-même, et je pense que les choses seraient beaucoup plus faciles si des défenseurs des droits des trans qui seraient trans eux-mêmes pouvaient expliquer ces questions : ce que ça veut dire d’avoir un passeport qui ne reflète pas qui on est, ni son nom, ni son genre. Quelles sont les conséquences quand on se fait contrôler. Comment tu t’inquiètes à chaque fois que tu cherches à trouver un nouveau boulot. Il devrait y avoir beaucoup plus de militants et de militantes trans et intersexes à faire du travail de plaidoyer à l’ONU, à parler de leurs expériences et – tout simplement – à être visibles. C’est vraiment important d’avoir quelqu’un pour faire une déclaration devant le Conseil des droits de l’homme. Ce n’est pas assez de juste soumettre un rapport alternatif si on ne met pas de visage sur le problème, ça limite considérablement l’impact qu’on peut avoir. C’est spécialement vrai quand on voit les dynamiques qu’on a dans les pays du Sud et dans les pays du Nord, et toute la politique là-derrière. Voir quelqu’un d’une organisation internationale faire une déclaration au nom d’autres personnes [d’un pays africain] n’a pas le même impact qu’avoir quelqu’un [de ce pays] présent pour faire la déclaration lui même. Ca n’a pas le même impact. Le déséquilibre dans la représentation des différents sous-groupes des LGBTI a aussi été identifié comme un problème. Seulement 43% des participants à l’enquête estiment que la proportion des différentes composantes des LGBTI est plus équilibrée aujourd’hui qu’il y a dix ans (figure 12). Les personnes travaillant en Amérique du Nord sont les plus nombreuses à estimer que l’équilibre s’est amélioré, à une majorité de 55%, contre environ un tiers parmi les personnes travaillant dans d’autres régions. Environ la moitié des gays et des personnes hétérosexuelles estime qu’il y a eu amélioration, contre seulement un quart des lesbiennes et des queers. Seules 6 des 27 personnes trans et une des 5 personnes intersexes interrogées se disent également en accord avec cette affirmation. Des personnes interviewées se sont également inquiétées de la proportion relativement basse de personnes trans et intersexes et de femmes lesbiennes ou bisexuelles parmi les militantes et les militants. Il a été souligné que les organisations trans et intersexes devaient souvent avoir l’appui de plus grandes organisations internationales pour pouvoir participer aux travaux de l’ONU, ou pour qu’ils et elles puissent être représenté(e)s. Certains perçoivent là un risque, puisque les capacités des organisations OSIG à traiter des questions intersexes et trans ne sont pas toujours optimales. En d’autres termes, ces inquiétudes autour de la question de la représentation signifient pour certaines personnes interviewées que le problème principal n’était pas l’identification de priorités parmi les questions OSIG et intersexes, mais plutôt l’absence de processus de décision qui permette d’établir ces priorités. Cela amène à poser la question de qui a les ressources et le pouvoir nécessaires pour inscrire des questions à l’agenda global. Beaucoup ont souligné que le manque de ressources financières et humaines affecte certaines régions et certains sousgroupes de manière disproportionnée, et il en résulte un déséquilibre criant dans la représentation des militants et militantes LGBTI à l’ONU. La violence sur le terrain De nombreuses personnes interviewées ont fait remarquer que la visibilité accrue des questions OSIG et intersexes à l’ONU et dans différents pays s’est accompagnée d’une violence plus présente sur le terrain, notamment dans des pays comme la Russie ou l’Ouganda. Certaines personnes ont vu un lien entre la montée de la violence et les avancées obtenues sur les questions OSIG. L’idée que la présence et la participation active des militants et militantes trans et intersexes sont cruciales pour l’efficacité du travail de plaidoyer est par ailleurs partagée par d’autres militants et militantes OSIG ainsi que par les personnes travaillant dans des ONG généralistes de droits humains. Selon elles et eux, la présence de personnes trans et intersexes est nécessaire pour pouvoir clarifier les questions spécifiques propres à 30 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? On a vu des propositions de lois très répressives être présentées dans un certain nombre de pays, et c’est peutêtre en partie une réaction aux avancées obtenues en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et dans certains pays d’Asie. C’est aussi en réaction au fait que, dans les pays qui proposent ces lois répressives, les communautés et les militants LGBT ont maintenant plus de visibilité (…) Ca peut déclencher une réaction et c’est à cela qu’on assiste à présent. Un(e) militant(e) africain(e) a insisté sur l’impact du départ des militants et militantes locaux, causé par la violence et les persécutions dont ils font l’objet : Les extrémistes et les gouvernements anti-LGBT ont vraiment réussi à mettre en pièce le mouvement LGBT et à se débarrasser de son élite, qui réside désormais dans des pays européens. Ceux et celles qui ont été les fers de lance du mouvement en Afrique sont entrain de partir, et les personnes qui restent derrière ont peur, et même encore plus peur maintenant que les gouvernements prennent des mesures plus répressives contre eux, contre elles et contre leur travail. De nombreux activistes se sont également inquiétés de ce que les mesures destinées à réduire au silence les personnes LGBTI puissent s’étendre, notamment en Europe de l’Est, dans les pays où la Russie a une influence considérable. Il existe également des menaces et des attaques visant les militantes et les militants dans la sphère virtuelle, via le harcèlement sur Internet, les incitations à la haine, ou la censure et le filtrage des contenus. Un militant a insisté sur le fait que ces attaques ont un effet traumatisant pour beaucoup de militants et de militantes. Selon lui, les mouvements communautaires devraient se mettre en capacité de pouvoir leur assurer un soutien adéquat. Je m’inquiète pour ceux et celles qui se trouvent victimes de cela, et dont – au sein du mouvement - on ne prend pas soin comme il le faudrait. Je ne sais pas comment il faudrait répondre à ce problème, mais c’est quelque chose qui me dérange. Je pense qu’il faudrait qu’on ait des stratégies là-dessus. Des personnes interviewées ont également exprimé une crainte de voir ces attaques finalement parvenir à réduire les militantes et les militants locaux au silence, et aussi les rendre réticents à prendre la parole publiquement à l’ONU, ce qui pourrait considérablement saper la légitimité de travail de plaidoyer OSIG et intersexe à long terme. Une personne travaillant pour une ONG généraliste fait ainsi remarquer : Pour moi, il est très important d’avoir ces voix directement représentées à l’ONU, et pas seulement à travers ceux et celles d’entre nous qui sommes basés à Genève. Donc tout ce qui peut empêcher les militants et les militantes de parler ouvertement au niveau national comme international fait du mal à la cause. Je pense qu’en particulier sur ces questions, pour lesquelles se posent sans cesse la question de la légitimité, nous [les organisations généralistes de droits humains] ne pourrions tout simplement pas être pris[es] au sérieux si on essayait de représenter les voix des personnes LGBTI. La polarisation à l’ONU Un grand nombre de personnes interviewées s’est inquiété de la polarisation grandissante sur les questions OSIG depuis la résolution de 2011, et en a conclu qu’il sera difficile, pour ne pas dire impossible d’avancer sur ce sujet. Ca va être très dur de franchir de nouvelles étapes (..) il semble qu’il y ait un durcissement des attitudes dans les pays où il y a déjà une grande hostilité envers les personnes LGBT (…) Donc la vraie question, c’est comment on dépasse cette polarisation pour arriver à quelque chose ? Certains craignent que l’absence de suivi par le Conseil mette en péril les acquis obtenus jusqu’à présent, et fasse apparaître finalement les succès obtenus comme un échec. Selon des personnes interviewées, la société civile attend une action du Conseil. En même temps, des Etats attendent de la société civile qu’elle donne des indications sur ce que les prochaines étapes devraient être. Un expert de l’ONU a résumé cette tension de la façon suivante : On vit un moment crucial. Va-t-on voir une résolution de suivi ? Ou était-ce juste un feu de paille ? (…) La conséquence principale de tout ceci jusqu’à présent a été de déclencher une réaction négative et (…) de créer des attentes pour la suite. Les organisations de la société civile demandent « quand est-ce que ça va arriver ? » et commencent à être frustrées par ce qui se passe à Genève. Bien qu’il reste des défis à relever, on peut espérer que la résolution récemment adoptée au Conseil des droits de l’homme puisse en partie répondre à ces attentes. De plus, des personnes interviewées ont fait part de leurs inquiétudes vis-à-vis des discussions à l’ONU sur les valeurs traditionnelles et sur la protection de la famille, y voyant des menaces à l’avancée des droits LGBTI. Les Etats voient qu’il y a cette résolution sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre et que s’ils ne peuvent pas la défaire, ils vont essayer de faire adopter ces autres initiatives qui vont désamorcer tous les succès qu’on pourrait avoir sur les questions OSIG. Une autre inquiétude a été exprimée : les standards progressifs et les normes adoptés par certains mécanismes de l’ONU ne sont pas généralisés ni repris par toutes les autres composantes du système. Selon certain(e)s, ce problème est encore plus grand lorsque le personnel de l’ONU est peu informé, ou qu’il n’est pas favorable aux questions OSIG et intersexes : C’est important de s’assurer que le travail ne se concentre pas que sur les sièges de l’ONU, mais qu’il se passe aussi au niveau national, dans les bureaux 31 locaux : que partout où l’ONU est présente sur le terrain, son personnel voit la protection des personnes LGBT comme faisant partie de leur travail et de leur mission. Et que leur mandat soit aussi de travailler avec la société civile, de réunir et de consigner des informations, de soulever des questions lors de leurs échanges avec les autorités. Ca ne devrait pas juste être quelque chose qui se passe de temps en temps (…) Je pense qu’on a probablement fait la moitié du chemin sur ces deux questions : convaincre les collègues travaillant aux sièges que ce travail n’est pas risqué, et convaincre les collègues sur le terrain d’intégrer ces questions à leur travail. Le manque de consensus au sein de la société civile Quelques personnes, lors des entretiens, ont souligné le décalage existant entre les activistes travaillant sur les questions OSIG à l’ONU et les militantes et militants locaux. Selon elles, si ce décalage persiste, il y a un risque de voir les problèmes les plus pressants localement ne plus être visibles au niveau international. Cela peut aussi se traduire par des occasions manquées pour des militantes et militants locaux qui pourraient rappeler à leurs gouvernements les propos qu’ils ont tenu à l’ONU . déboucher sur un consensus autour des objectifs de plaidoyer. Lors d’un entretien, une personne a avancé que le problème de fond était que les gens partaient parfois avec de points de départ tellement variés, avec des organisations et des mouvements conceptualisant les choses de façon tellement différentes, que l’augmentation du nombre d’acteurs de la société civile a eu pour effet d’exposer davantage les lignes de fracture, plutôt que d’aider à la construction de coalitions plus fortes. Certains s’interrogent également sur la façon – selon eux, pas toujours claire – avec laquelle les militants et militantes provenant de régions et de sous-groupes marginalisés étaient choisis, lorsqu’il était question de les consulter. Selon certaines personnes interviewées, il y a des « visages familiers » auxquels on demande régulièrement l’avis, sans nécessairement que ces experts ou que ces leaders aient été sélectionnés suivant un processus transparent. Des personnes représentant leurs régions ou un sous-groupe particulier au sein de la communauté LGBTI peuvent avoir été sélectionnés de façon ad hoc, et ne représentent pas forcément leurs mouvements respectifs. Quelques personnes ont également critiqué le fait que certains militants et certaines militantes pouvaient être régulièrement actifs à l’ONU, de leurs propres initiatives, sans pour autant être redevable devant leurs collègues de la région : L’absence de message commun de la société civile depuis la résolution du Conseil de 2011 a été un thème récurrent dans les entretiens. La résolution passée, il était devenu plus difficile de s’accorder sur les étapes à suivre pour le travail de plaidoyer OSIG et intersexe à l’ONU. Quelques personnes interviewées considèrent que l’augmentation du nombre de militants et de militantes LGBTI présents à l’ONU faisait que la coordination devenait un défi plus grand et plus important. Ainsi que l’exprimait un militant gay : Cette question montre tout simplement que le mouvement a été victime de son propre succès. La première des priorité, pendant longtemps, a été d’amener les militants et les militantes à l’ONU, en travaillant à l’octroi du statut ECOSOC à des organisations, et en faisant accréditer des personnes par d’autres organisations, si elles ne bénéficiaient pas du statut ECOSOC. Maintenant, il y a tellement de monde que la question de la coordination, de l’élaboration de stratégies conjointes, de la prise de décisions collectives soutenue par tous et toutes devient de plus en plus complexe année après année. Ce n’est pas toujours claire, dans différentes parties du monde, comment (…) certaines personnes en viennent à représenter une région à l’ONU. Ce n’est pas comme s’il y avait eu un consensus dans cette région autour du fait qu’ « OK, cette personne va nous représenter à l’ONU ». Le processus est un peu plus aléatoire que ça. Et je pense que ça parle d’où en est le mouvement en ce moment. Dans l’idéal, les personnes qui sont à l’ONU devraient être plus représentatives de leurs groupes d’origine. Une personne a ajouté qu’en l’absence de consensus autour des objectifs, les messages du plaidoyer finissent par être affaiblis et la société civile en vient à réagir à ce qui se passe à l’ONU alors qu’elle devrait être à l’initiative, poursuivant des objectifs consolidés : Bien que les personnes interviewées s’accordaient généralement sur l’importance d’avoir plus de voix présentes à l’ONU, nombreux sont ceux qui s’inquiètent de savoir comment les différentes perspectives pourraient 32 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? C’est un défi pour la communauté mondiale LGBTI. Certains Etats demandent des positions claires sur la façon dont on devrait avancer sur les questions LGBT à l’ONU, et il n’y a pas de position commune au sein de la société civile sur ce qu’on devrait faire et sur quelles sont nos priorités. Ca crée une situation très dangereuse. On doit bien garder à l’esprit que les Etats ne vont pas patienter indéfiniment. Ce dernier chapitre reprend les principaux défis identifiés dans le chapitre 6 pour explorer des pistes de solutions possibles, les opportunités qui émergent, et faire le point sur ce que l’on peut espérer des années à venir.74 Surmonter les obstacles Manque de ressources et d’équilibre dans la représentation Pour surmonter le défi posé par le manque de ressources et l’absence d’équilibre dans la représentation auxquels font fasse les militants et militantes OSIG et intersexes, certaines personnes interviewées ont souligné la nécessité de financer davantage les régions et les sous-groupes parmi les LGBTI qui ont été historiquement marginalisés. Pour beaucoup, cela serait de la responsabilité de ceux qui reçoivent déjà les fonds, ainsi que des bailleurs. Plusieurs personnes interviewées ont avancé que les bailleurs devraient revoir leurs priorités. D’autres ont suggéré que les organisations occidentales devraient aider les bailleurs à comprendre qu’il est crucial de financer des organisations provenant d’autres régions pour qu’ellespuissent travailler à l’ONU. travail : en terme de formation adéquate, de partage de l’information, de définition de relations claires avec des partenaires sur les questions d’intersections, de connaissance des différentes organisations et de qui fait du lobby sur quoi, étant donné les divisions au sein des questions OSIG. Pour plusieurs militants et militantes d’Europe de l’Est, d’Asie et d’Afrique, il faudrait que les organisations locales soient encouragées à créer leurs propres espaces de dialogue interne, de façon à renforcer la coopération au niveau national et régional. La participation des ONG internationales à ces processus peut être utile, mais, comme l’ont souligné certains, elle n’est pas toujours nécessaire. Les groupes locaux et régionaux ont besoin de leurs autonomies et doivent développer leurs propres priorités stratégiques, en fonction des besoins locaux. Les militant(e)s trans et intersexes ont aussi souvent insisté sur la nécessité pour eux d’avoir une autonomie financière et organisationnelle de façon à ce qu’ils et elles puissent investir dans le travail de plaidoyer onusien. Un(e) militant(e) intersexe a résumé cela de la façon suivante : Plusieurs personnes interviewées travaillant en Afrique et en Asie ont considéré que les organisations locales doivent faire des choix stratégiques pour décider s’il est utile pour elles ou non de s’engager dans un travail de plaidoyer à l’ONU dans le long terme. Si c’est le cas, elles devraient alors chercher des façons de financer ce travail, et d’y allouer les ressources humaines nécessaires. Selon un(e) militant(e) africain(e) : Je crois à la formation, à la levée de fonds, à l’autonomie et aux alliances. L’autonomie est une pré-condition aux alliances. Ce dont les militants trans et intersexes ont besoin, je pense, [c’est] de la sorte d’autonomie que vous avez lorsque vous êtes capables d’obtenir vos propres financements. Et de former des alliances parce que vous avez identifié des buts et des intérêts communs, et pas forcément parce que vous dépendez de vos alliés. La question en Afrique pour les organisations est de savoir si le travail de plaidoyer à l’ONU est une priorité pour elles, (…) si ça a un impact positif sur leur travail au niveau national. Si on pense que faire du travail à l’ONU est opportun, alors il faut mieux investir dans ce Les militants et militantes trans et intersexes ont aussi souvent souligné que « l’infrastructure » de leurs organisations devait partir de la base. Cela implique que les groupes travaillant sur le terrain soient capables d’entreprendre de temps en temps du travail de plaidoyer 74 Une question ouverte demandait également aux participants d’indiquer quelles étaient les principales opportunités qui se présenteraient dans les deux prochaines années. Durant les entretiens, il a été demandé aux personnes interviewées de développer leurs réponses plus en détail, et de fournir des exemples pratiques lorsque c’était possible. 33 à l’ONU, de participer aux forums internationaux, de prendre le temps de faire leurs retours à leurs organisations au niveau local et de tisser des liens pratiques entre le travail entrepris au niveau local, régional et international. Les militants d’Europe de l’Est, d’Amérique latine et des Caraïbes partagent largement l’idée que les mouvements devraient s’efforcer davantage de rendre leurs espaces de dialogue et de participation plus accessibles à tous. Cela passerait, par exemple, par le soutien aux personnes non-anglophones, pour qu’elles puissent participer sur un pied d’égalité avec les autres. La plupart des personnes interviewées s’accordent à dire qu’il est nécessaire de continuer les programmes de formations dispensés par des ONG internationales comme le Service International pour les Droits Humains (ISHR) ou ARC international. Quelques personnes ont aussi souligné que les supports éducatifs devraient être plus simples et accessibles aux personnes qui ont peu de connaissances de base sur le sujet et peu d’éducation formelle. Un(e) militant(e) africain(e) a suggéré que les formations devraient davantage prendre en compte les contextes régionaux, notamment en ce qui concerne la sécurité des militants et militantes, et devraient se concentrer sur les mécanismes pertinents et accessibles pour chacune des régions. La violence sur le terrain Les relations entre visibilité et sécurité font qu’il est essentiel que les victoires obtenues à l’ONU se traduisent par des progrès sur le terrain, et que la violence, les intimidations et l’impunité cessent. Parmi ceux et celles qui travaillent sur la question des défenseurs des droits humains, beaucoup ont souligné qu’il était essentiel d’avoir des protections efficaces, notamment pour ceux prenant la parole à l’ONU. Les mesures de prévention sont aussi vues comme essentielles pour maintenir la présence de mouvements OSIG dans des pays où la situation des droits de ces communautés est particulièrement critique. Une personne a ajouté qu’il y a également un grand besoin de garanties pour les militantes et militants LGBTI qui ont fui leur pays et sont demandeurs d’asile. Selon un(e) militant(e) asiatique, dans le contexte critique actuel, les Etats n’ont pas le droit de garder le silence sur les questions OSIG : Même si un Etat ne promeut pas l’homophobie ou la transphobie, le simple fait de garder le silence et de ne rien faire encourage la discrimination et la stigmatisation. pousser les Etats à prendre position en faveur des droits des personnes LGBTI : Je crois que les terribles mouvements réactionnaires qu’on a vus à l’œuvre dans des pays comme l’Ouganda vont obliger les personnes de bonne volonté à prendre position sur ces questions, et ça va nous permettre de nous compter. Pour moi, les actions engagées au parlement ougandais sont tellement abjectes pour toute personne de bonne volonté qu’elles vont mettre de notre côté des soutiens plus massifs que ceux que les mouvements réactionnaires revendiquent. Plusieurs militant(e)s et représentant(e)s de Missions diplomatiques ont avancé que dans un tel contexte d’augmentation de la violence, la société civile et les Etats favorables aux droits LGBTI devraient s’efforcer de parler plus haut et plus fort. Certains ont suggéré que les organisations OSIG devraient approcher davantage les organisations généralistes et s’allier avec elles pour dénoncer conjointement les violences. De manière générale, la plupart des participants et participantes s’accordent sur le besoin d’un leadership fort et constant de la part des principaux acteurs de l’ONU, du Secrétaire Général de l’ONU au nouveau Haut-Commissaire, en passant par les dirigeants des différentes agences. En parallèle, ils et elles insistent sur la nécessité pour les différents mécanismes de l’ONU de porter les thématiques OSIG et de les intégrer à leurs travaux quotidiens, chaque fois que cela est possible. Un(e) militant(e) a également suggéré qu’il serait important de voir davantage de délégués étatiques et de fonctionnaires de l’ONU faire leurs coming-out : Je pense que ce serait très bien de voir plus de personnes LGBTQI travaillant au Conseil et au sein des différents bureaux de l’ONU affirmer ouvertement leurs identités. Ca serait fantastique. La polarisation à l’ONU De nombreuses personnes ont souligné que face à une situation d’opposition grandissante aux questions OSIG et intersexes à l’ONU, face à une augmentation de la violence dans plusieurs pays, il est plus important que jamais que la société civile travaille à donner de la visibilité à ces violations, à en informer les mécanismes onusiens, et fasse du lobby auprès des Etats. Une personne travaillant à l’ONU a fait remarquer la chose suivante : Un(e) militant(e) a également dit espérer que l’augmentation de la violence sur le terrain finisse par 34 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Quand on travaille dans le cadre de l’ONU, on doit travailler à faire avancer les choses sur tous les fronts et ne pas se laisser intimider par les résistances fortes qui existent dans certains pays. On doit continuer à pousser malgré cela et à en parler dès qu’on le peut, dès que l’opportunité se présente (…), apporter la preuve des souffrances endurées et des violations subies. Parce que, finalement, les pays n’auront pas d’autre choix que de faire face à ces questions, ils ne peuvent pas rester la tête sous le sable éternellement. Quelques personnes interviewées ont soutenu que les militants et militantes LGBTI devraient travailler davantage à essayer de comprendre et disséquer les arguments de leurs opposants pour développer leurs propres réponses à ces arguments. Cela permettrait aussi de soutenir et renforcer l’argumentaire des Etats progressistes lors des débats et des votes à l’ONU : Ce que je suggère pour combattre ces campagnes, c’est de fournir aux Etats les arguments dont ils ont besoin pour mettre en défaite les initiatives [comme sur les valeurs traditionnelles]. Ca peut aussi les aider à accepter l’idée que si ces Etats insistent, alors il leur faudrait voter contre ces initiatives. Mais ils devraient le faire en étant assurés qu’ils pourront s’en justifier devant celles et ceux qui pourraient le leur reprocher dans leurs pays. Selon certaines personnes interviewées, une plus grande diversité parmi les Etats leaders sur les questions LGBTI pourrait potentiellement aider à diminuer la polarisation. En fait, le vrai défi c’est de savoir comment on arrivera à surmonter cette polarisation (…) Comment on peut reformuler ces questions pour que ça n’apparaisse pas comme une tentative des pays occidentaux pour imposer quelque chose à des pays non-occidentaux. Pour ça, on a vraiment besoin de la voix des acteurs de la société civile du Sud. C’est un problème universel. Ce n’est pas comme si ces violations ne concernaient que les pays non-occidentaux et que les pays occidentaux leur demandaient de régler ce problème. Allant dans le même sens, un(e) militant(e) latinoaméricain(e) a suggéré que les militantes et les militants d’Amérique latine et des Caraïbes pouvaient jouer un rôle de premier plan pour montrer que le respect des valeurs traditionnelles n’exclue pas nécessairement les personnes LGBTI. Un militant africain a recommandé de parler plus du lien entre religion et questions LGBTI. Il a insisté sur le fait que les personnes LGBTI viennent d’horizons divers et peuvent avoir des religions variées, et sur la nécessité de démanteler le mythe qui voudrait que religion et identité LGBTI soient inconciliables. Beaucoup craignent qu’il soit très difficile dans le contexte actuel de trouver un autre Etat non-occidental prêt à prendre le leadership sur les questions OSIG après l’Afrique du Sud. Certain(e)s militant(e)s africain(e)s ont avancé qu’il faudrait approcher d’autres Etats africains susceptibles d’être plus ouverts sur les questions OSIG. Plusieurs personnes ont fait remarquer que même si un petit nombre d’Etats africains apportaient un soutien visible sur ces questions, cela changerait grandement la dynamique à l’ONU. Un représentant d’une Mission diplomatique a déclaré : Si un ou deux Etats africains pouvaient se sentir assez à l’aise pour montrer leur soutien sur ces questions, au sein d’un plus grand groupe transrégional, cela changerait beaucoup de choses. (…) La dynamique s’en trouverait complètement changée. Et je ne pense pas que c’est irréaliste de penser cela. Pour régler le problème des différents standards utilisés au sein de l’ONU, certaines personnes ont suggéré qu’il serait utile d’avoir une politique ou un protocole écrit obligeant les bureaux locaux à se conformer, dans leurs travaux, aux normes supérieures établies par le HCDH. D’autres ont avancé que les acteurs de l’ONU et de la société civile les plus en pointe sur le sujet devraient s’engager pour travailler avec les mécanismes qui ne sont pas aussi au point et actifs qu’ils pourraient l’être sur les questions OSIG et intersexes. Le manque de consensus au sein de la société civile Pour beaucoup, le nombre grandissant d’acteurs de la société civile travaillant sur les questions OSIG et intersexes constitue à la fois une opportunité et un défi. D’un côté, il y a un plus grand nombre d’acteurs OSIG et intersexes actifs à l’ONU. D’un autre côté cependant, il subsiste un fossé entre les militants et militantes LGBTI présents à l’ONU et les communautés locales, qu’il faut s’employer à réduire, notamment en facilitant un dialogue entre eux. Certain(e)s ont affirmé qu’on peut faire de cette période critique pour le militantisme OSIG et intersexe à l’ONU une opportunité, si elle est utilisée intelligemment par les organisations LGBTI. Cela pourrait devenir un nouveau départ pour la façon dont les mouvements établissent leurs priorités et agissent. Une militante lesbienne a résumé les choses ainsi : C’est enthousiasmant de voir cette diversification du mouvement (…) parce qu’on va pouvoir apprendre les uns des autres et que le mouvement va grossir et évoluer. Mais je pense aussi que cela va nous poser des défis, notamment en terme d’organisation et de coordination des activités. 35 Des personnes interviewées et des participants au questionnaire ont souligné que toute consultation pour trouver des objectifs de plaidoyer communs devrait être pleinement représentative des différentes régions et des différentes voix LGBTI. Une militante européenne a ainsi fait remarqué : être une solution à la polarisation, puisque les Etats seraient obligés de traiter de ces questions. Pour le moment, on a aucun mécanisme de droits humains dans le système des Nations unies qui soit spécifiquement consacré au suivi et au traitement des violations des droits humains dont sont victimes les personnes LGBT (…) Tant que nous n’avons pas de rapporteur spécial dans le système qui se consacre à ces questions et qui fasse des rapports réguliers aux membres de l’ONU, il y aura toujours un manque d’information, qu’on devra nécessairement combler. Si on peut établir un flot d’information régulier d’une manière systématique et présenter cette information aux Etats membres, à l’Assemblée générale et au Conseil encore et encore, ça deviendra de plus en plus dur pour les pays de se tenir en retrait et de continuer à refuser de faire face à ces questions. Les efforts qui sont actuellement déployés pour essayer de rendre les processus de décision pour le travail à l’ONU plus collaboratifs et plus représentatifs des différentes voix sont un point important, et ça arrive au bon moment. Il faut investir des ressources dans ce processus, même si le travail de plaidoyer habituel à l’ONU continue. Si on a pas des objectifs et une stratégie véritablement globale à l’échelle mondiale, l’absence de représentativité réelle du mouvement finira par détruire nos capacités à mener ce travail de plaidoyer à l’ONU. Plusieurs personnes interviewées ont appelé à mettre en place des procédures de consultation formelles, pour palier au manque de clarté sur qui participe à la prise de décision et sur quelle base. Parmi les autres suggestions, on trouve : • s’assurer qu’il y ait davantage de communications entre les acteurs locaux et internationaux • établir un échéancier clair pour parvenir à un consensus autour des stratégies • ouvrir la participation à ces discussions à toutes les parties intéressées • mettre en place des procédures garantissant que les processus de consultation sont bien représentatifs • établir des processus de dialogue entre militantes et militants (à la fois en ligne et en face-à-face) sur le long terme, plutôt que des discussions sporadiques liées à un contexte précis. Aller de l’avant Au sujet des objectifs de plaidoyer pour le futur, un consensus s’est dégagé parmi les personnes interviewées pour dire qu’il est nécessaire d’avoir des rapports présentés régulièrement à l’ONU sur les questions LGBTI. Cependant, les opinions divergent sur la façon d’arriver à ce but. Certaines personnes pensent qu’un mécanisme spécifique devrait être créé par une possible résolution de suivi. Ce mécanisme pourrait être un organe de traité via une convention spécifique, ou un rapporteur spécial qui aurait pour mandat de faire régulièrement un rapport sur les violations au Conseil et d’émettre régulièrement des recommandations. Pour certains, un mécanisme spécifique chargé de traiter des questions OSIG pourrait Cependant, d’autres personnes interviewées se sont inquiétées de ce que la création d’un rapporteur spécial sur les questions OSIG puisse donner la fausse impression que ces questions peuvent être traitées par un mécanisme tout seul. D’autres personnes interviewées, qui ne partageaient pas l’idée qu’un mécanisme spécifique serait la solution, ont mis en avant que les différents mécanismes de l’ONU existant ont déjà fait un travail formidable en traitant des questions OSIG dans le cadre de leurs mandats. Pour elles, ce travail devrait être salué, on devrait s’en servir de base pour l’approfondir et le continuer. Plusieurs personnes interviewées ont soutenu cette opinion en disant que les questions OSIG et intersexes ne peuvent pas être isolées du reste. Au contraire, il existe des intersections entre elles et les origines raciales, le statut socio-économique, le handicap, les droits au logement, les droits des femmes et des enfants, ainsi qu’avec une grande variété de sujets qui sont déjà à l’agenda de l’ONU. Ces personnes interviewées pensent que les mandats thématiques devraient renforcer leurs efforts pour diffuser les aspects des questions LGBTI pertinents pour chacun de leurs domaines de travail particuliers, et privilégier une approche de mainstreaming. Un(e) militant(e) asiatique a ainsi déclaré : 36 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Il pourrait aussi y avoir un côté faussement rassurant qui consisterait à dire « bon voilà, ils ont une résolution, ils vont avoir un point focal sur les questions OSIG. C’est bon, leurs problèmes sont pris en compte à partir de maintenant » (…) Pourquoi est-ce que tous les rapporteurs ne pourraient pas traiter des questions OSIG? (…) S’ils s’intéressent tous aux questions OSIG, alors elles seront intégrées dans toutes les autres questions, plutôt que de dire « c’est le point focal OSIG ». Il faut remarquer, cependant, que mainstreaming et mécanisme spécifique ne sont pas nécessairement des objectifs mutuellement exclusifs. Ils peuvent être complémentaires, et même se renforcer l’un l’autre. De plus, un très grand nombre de personnes interviewées, particulièrement celles venant d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes pensent qu’appliquer une approche intersectionnelle reste un outil extrêmement utile pour s’assurer de la présence des questions OSIG et intersexes à travers toutes les composantes de l’agenda des Nations unies. La coopération avec d’autres mouvements a été identifiée comme une modalité d’action très utile pour mobiliser et contrer plus efficacement les oppositions. Il ne faut jamais penser que ce qu’on a fait est suffisant et être auto-satisfait, mais il faut bien avoir à l’esprit qu’un travail immense a été accompli. On a obtenu bien plus que beaucoup ne le pensaient possible. Il reste encore beaucoup à faire, mais cela ne doit pas nous priver d’apprécier les succès extraordinaires que nous avons obtenus, et, je crois, beaucoup plus vite que nous ne l’avions jamais attendu. Je pense que c’est une note positive, en conclusion. J’aimerais entendre les militants et les militantes OSIG parler de corruption, de pauvreté, et d’autres problèmes que rencontre une société donnée. Pas seulement des questions OSIG. Parce que tout cela affecte aussi les droits et les libertés des militants et des militantes OSIG. Si tu deviens un militant plus complet, qui s’intéresse aux droits et aux libertés en général dans une société, tes droits vont aussi être défendus par d’autres membres de la coalition et ensemble, vous pouvez former un mouvement et marcher dans la même direction, pour promouvoir tous ces droits. En somme, il existe une grande diversité d’opinions sur la question de savoir comment on devrait défendre les droits OSIG et intersexes à l’ONU dans les années à venir. Il est probable qu’un consensus sera d’autant plus difficile à trouver qu’il y a maintenant un plus grand nombre d’ONG travaillant sur ces questions à l’ONU. Cependant, ce plus grand nombre d’acteurs LGBTI travaillant avec les mécanismes onusiens a été largement perçu comme un développement positif. Beaucoup espèrent que ces acteurs seront capables de se rassembler et de mettre en commun leurs efforts. A l’évidence, même si les objectifs de plaidoyer ne sont pas complétement arrêtés, la société civile peut déjà former des coalitions. La déclaration commune de 2014 a été la plus large initiative conjointe jusqu’à présent, réunissant 500 organisations venant de plus de 100 pays. C’est un bel exemple qui peut servir d’inspiration pour la suite. Le chemin est encore long et la société civile doit persévérer dans son travail et dans ses efforts pour régler les problèmes existant et faire face aux défis pour le futur. Les militantes et les militants OSIG et intersexes doivent cependant garder à l’esprit les progrès gigantesques qu’ils ont réussi à réaliser à l’ONU depuis 2003. Ainsi que l’a exprimé un expert de l’ONU : 37 Dans la section suivante, vous serez interrogé(e.s) sur vos perceptions concernant les efforts déployés par la société civile pour apporter des changements positifs sur les questions OSIG à travers l’ONU. 1. D’après votre expérience, quelles ont été les activités les plus utiles pour votre travail à l’ONU ? o La plus utile o La deuxième plus utile o La troisième plus utile o La quatrième plus utile o La cinquième plus utile • Réunion avec des membres des Comités de l’ONU et des Rapporteurs spéciaux • Réunions avec des délégations diplomatiques / des officiels gouvernementaux • Participer au processus d’Examen Périodique Universel (EPU) • Les plaintes individuelles auprès d’organes de traités • Les réunions régionales et internationales de militants et militantes OSIG • Campagnes d’actions (manifestations, événements locaux et intra-communautaires etc.) • Campagnes sur Internet • Témoignages et histoires personnels de personnes LGBTI • Campagnes de pétitions • Rapports alternatifs • Evénements parallèles lors de sessions à l’ONU • Formations sur les mécanismes onusiens • Fortes coalitions de la société civile • Demande d’action urgente auprès de procédures spéciales • Utilisation des Principes de Jogjakarta • Plaidoyer vidéo • Rien de tout cela n’a été utile • Autre 2. A quel niveau avez-vous / votre organisation a-t-elle contribué aux initiatives suivantes sur les questions OSIG à l’ONU ? (Ex : en rédigeant un document, en faisant du lobbying, en discutant…) o Contribution importante o Contribution relative o PSas de contribution du toutl o Je ne connais pas cette / ces initiative(s) • Résolution brésilienne sur les droits de l’homme et l’orientation sexuelle (2003-2005) • Déclaration conjointe d’Etats sur les questions d’orientation sexuelle et sur les questions OSIG (2005, 2006, 2008, 2011) • Principes de Jogjakarta (2006) • Résolution du Conseil des droits de l’homme (CDH) sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et les droits de l’homme (2011) • Rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) sur les questions OSIG (2011) • Panel du Conseil des droits de l’homme sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et les droits de l’homme (2012) • Campagne du HCDH « Nés libres et égaux » (2013) • Plaidoyer et événements parallèles OSIG à la Commission de la condition de la femme des Nations unies (CSW) et aux examens quinquennaux Pékin +5, +10, +15 • Résolution sur les exécutions extra-judiciaires, contenant des références à l’orientation sexuelle, puis à l’orientation sexuelle et l’identité de genre • Les campagnes pour l’obtention du statut ECOSOC • Autre 3. Selon vous, quel a été le progrès le plus significatif obtenu sur les questions OSIG à l’ONU au cours des 10 dernières années ? Merci d’expliquer brièvement pourquoi. 4. Lequel/Lesquels de ces obstacles a/ont limité votre capacité à utiliser les mécanismes de l’ONU dans vos activités militantes sur les questions OSIG ? Cochez autant de case que nécessaire : • • • • • • • • 5. o o o o o • • • • • 38 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on? Manque d’accès à des informations permettant de savoir comment les utiliser Manque de ressources humaines pour faire ce travail Manque de ressources financières Manque d’accès aux mécanismes de l’ONU (ex : pas de statut ECOSOC) D’autres ONG étaient déjà actives sur ce terrain et faisaient le même travail que j’aurais/nous aurions fait Le plaidoyer à travers ces mécanismes n’est pas une priorité pour moi / pour mon organisation Les questions sur lesquelles je travaille / nous travaillons n’ont pas été à l’agenda de ces mécanismes Autre Globalement, ces mécanismes de l’ONU ont-ils été utiles pour alimenter votre travail de plaidoyer sur les questions OSIG à l’échelle locale, régionale et internationale ? (Par exemple, à travers des recommandations de l’EPU, les observations générales ou les observations finales des organes de traités, les rapports, les déclarations publique, la jurisprudence, les investigations etc.) Très utile Utile Peu utile Pas utile du tout Pas applicable à ma/notre situation : je n’ai / nous n’avons pas utilisé ce mécanisme onusien L’Examen périodique universel (EPU) Le Conseil des droits de l’homme (autre que l’EPU) La Commission de la condition de la femme (CSW) Les organes de traité Les procédures spéciales (notamment les rapporteurs spéciaux) • • • Les programmes, fonds, agences et bureaux de l’ONU Le Conseil économique et social de l’ONU (ECOSOC) L’Assemblée générale des Nations unies et/ou la Troisième Commission • Autre, merci de préciser 6. Les affirmations suivantes portent sur les 10 dernières années. Indiquez si vous êtes en accord ou en désaccord avec elles. En vous basant sur votre expérience, en comparaison avec la situation d’il y a 10 ans, diriez-vous que : o En fort désaccord o Plutôt en désaccord oNeutre o Plutôt d’accord o Entièrement d’accord o Je ne sais pas • Il y a eu des changements positifs sur les questions d’orientation sexuelle à l’ONU • Il y a eu des changements positifs sur les questions d’identité de genre à l’ONU • Il y a eu des changements positifs sur les questions intersexes à l’ONU • Un plus grand nombre d’états / de pays soutiennent les questions OSIG à l’ONU • Les mécanismes onusiens accordent plus d’attention aux questions OSIG • La diversité régionale des personnes militant en faveur des questions OSIG à l’ONU est plus forte • Il y a une représentation plus égale des différentes sous-catégories comprises dans l’ensemble LGBTI parmi celles et ceux qui militent sur les questions OSIG à l’ONU • Les militantes et militants OSIG interagissent avec une plus large palette de mécanismes onusiens • Les militantes et militants OSIG utilisent une plus grande variété d’outils et de stratégies pour leur travail à l’ONU • Les militantes et militants OSIG travaillant à l’ONU ont bâti de solides coalitions • Les organisations OSIG sont plus en capacité de faire ce travail à l’ONU • Les organisations généralistes travaillant sur les droits humains sont plus en capacité de travailler sur les questions OSIG 7. Avez-vous des commentaires additionnels à faire sur le militantisme et/ou les développements sur les questions OSIG à l’ONU dans les dix dernières années ? Si c’est le cas, merci de les partager dans l’espace ci-dessous. 8. Parmi les thématiques liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre ci-dessous, merci d’indiquer les 3 qui, selon vous, ont été les mieux traitées par les mécanismes onusiens au course des 10 dernières années. o La mieux traitée o La deuxième mieux traitée o La troisième mieux traitée • La criminalisation • Les discriminations • Les libertés d’expression, de réunion et d’association • • • • • Les violences sexo-spécifiques Le VIH/Sida Les défenseurs des droits humains La reconnaissance juridique du genre Le droit à la vie privée et familiale (notamment la reconnaissance légale des relations) • Les droits sexuels et reproductifs • La pauvreté / l’exclusion économique et sociale • La torture • Les assassinats extra-judiciaires • La violence (notamment les incitations à la haine, les crimes haineux etc.) • Les autres droits à la santé • Autre 9. Quelle question prioritaire pour vous et votre organisation n’a, selon vous, pas été traitée de façon satisfaisante par les mécanismes onusiens au cours des 10 années passées ? Merci d’expliquer pourquoi. 10. Ayant à l’esprit vos domaines prioritaires de travail, quels sont les trois principales opportunités de faire avancer les questions OSIG à l’ONU dans les deux prochaines années ? Merci d’expliquer pourquoi. 11. Selon vous, quels seront les 3 plus grands défis à relever dans les deux prochaines années en ce qui concerne la plaidoyer en faveur des questions OSIG à l’ONU? o Le plus grand défi o 2ème plus grand défi o 3ème plus grand défi • • • • • • • • • • • • Un nombre plus grand d’acteurs de la société civile travaillant sur les questions OSIG à l’ONU Un manque de cohérence dans les approches et standards utilisés au sein de l’ONU Manque d’équilibre dans la représentation des différentes régions Manque de représentation équitable des sous-groupes au sein de l’ensemble LGBTI Déficit de ressources financières pour les ONG / groupes Manque de ressources humaines pur les ONG / groupes Absence de documents juridiquement contraignant sur les questions OSIG Trop peu d’organisations LGBTI puissantes travaillant à l’ONU L’homophobie et la transphobie d’Etat Les violences contre les militantes et militants OSIG sur le terrain A mon avis, aucun de ces éléments ne constituera un défi majeur Autre 39 2003–2004 Résolution brésilienne sur l’orientation sexuelle et les droits de l’homme, Commission des droits de l’homme, retirée. 2005 Déclaration commune sur l’orientation sexuelle et les droits de l’homme, Commission des droits de l’homme, lue par la Nouvelle-Zélande au nom de 32 Etats. 2006 Déclaration commune sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et les droits de l’homme, Conseil des droits de l’homme, lue par la Norvège au nom de 54 Etats. 2006 Principes de Jogjakarta : Principes sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre. 2008 Déclaration commune sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et les droits de l’homme, Assemblée générale de l’ONU, lue par l’Argentine au nom de 67 Etats. 2008–2013 Résolution sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et les droits de l’homme, Organisation des Etats Américains (OEA), adoptée par consensus. 2000–2012 Inclusion du terme « orientation sexuelle » dans la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires. Décembre 2010 Amendement américain sur l’orientation sexuelle adopté par vote (93 pour et 55 contre, 27 abstentions). L’« identité de genre » est ajoutée dans une résolution pour la première fois en 2012. 2009–2012 Adoption par le Conseil des droits de l’homme des résolutions russes sur les valeurs traditionnelles (2009, 2011 et 2012). Mars 2011 Déclaration commune au Conseil des droits de l’homme sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et les droits de l’homme, lue par la Colombie au nom de 85 Etats. Juin 2011 Résolution sud-africaine (résolution 17/19) sur les droits de l’homme, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, adoptée au Conseil des droits de l’homme par 23 voix contre 19 et 3 abstentions. Décembre 2011 Premier rapport de l’ONU sur les lois et pratiques discriminatoires et les actes de violence contre les individus en raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. Mars 2012 Premier panel de discussion à l’ONU portant sur le thème « mettre fin aux violations des droits de l’homme basées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ». Jan–Avr 2013 Séminaires régionaux autour du thème « combattre la violence et la discrimination basée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre » organisés à Katmandou (22-23 mars), à Paris (26 mars) et à Brasilia (4-5 avril). Conférence finale tenue à Oslo (15-16 avril), organisée conjointement par la Norvège et l’Afrique du Sud. Juin 2013 L’Afrique du Sud annonce son intention d’organiser un séminaire régional africain, et de faire une réunion de suivi de haut-niveau à Genève. Juin 2014 Le Conseil des droits de l’homme adopte une résolution non-inclusive sur la protection de la famille. Juin 2014 Déclaration commune de plus de 500 ONG provenant de plus de 100 pays présentée au Conseil des droits de l’homme. Sep 2014 Le Conseil des droits de l’homme adopte une résolution sur les droits humains, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, demandant la présentation d’un nouveau rapport par le HautCommissariat. Présentée par le Brésil, le Chili, la Colombie et l’Uruguay, et adoptée par une majorité de 25 contre 14 contre et 7 abstentions, cette résolution marque, pour la premières fois, l’adoption d’une initiative OSIG par une majorité absolue d’Etats. 40 Promouvoir les droits OSIG à l’ONU: où en est-on? et où va-t-on?