Regard géographique sur le paradigme numérique

Transcription

Regard géographique sur le paradigme numérique
Centre de Recherche en Géographie et
Aménagement
UMR 5600
Environnement - Ville - Société
Regard géographique sur
le paradigme numérique
Technologies de l'information et de la communication,
espace, territoires
Mémoire pour le diplôme
d’Habilitation à Diriger des Recherches
présenté le 25 janvier 2005
à l’UniversitéJean Moulin Lyon 3 par
Bruno MORISET
Laboratoire de Géographie
18 rue Chevreul - 69 007 LYON
04 78 78 74 19 - 06 84 54 60 35
[email protected]
Devant un Jury composé de Mmes et Mrs :
Denise PUMAIN, professeur, Université Paris 1 – Sorbonne, présidente du
Jury
Nicole COMMERCON, directrice de recherche, CNRS, UMR 5600, Lyon
Gabriel DUPUY, professeur, Université Paris 1 – Sorbonne
John TUPPEN, professeur, Université Joseph Fourier - Grenoble 1
Patrick LUSSON, Directeur de la Prospective et des études d’aménagement,
Région Rhône-Alpes
Jacques BONNET, Professeur, Université Jean Moulin – Lyon 3
Est-ce que la terre a diminué, par hasard ?
− Sans doute. La terre a diminué puisqu'
on la parcourt maintenant dix fois plus vite qu'
il
y a cent ans. Jules Verne. Le tour du monde en quatre-vingts jours.
The End of Geography (O'
Brien, 1992)
Maybe the end of distance. But not the end of geography (Malecki, 2001)
Not the death of distance! not the death of geography! (Graham, 2002)
2
Regard géographique sur le paradigme numérique
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Regard géographique sur le paradigme numérique
3
Introduction
Le mythe fondateur d'une problématique : de la fin annoncée de la géographie
au retour des territoires
Depuis près d’une décennie, l’évolution des technologies numériques d’information
et de communication, avec au premier plan le phénomène « Internet », et la vague
médiatique qui en est résulté, ont proposé à la communauté géographique une
problématique intellectuellement stimulante, autour du débat sur la disparition des
distances, voire de la géographie elle-même, comme le titrait R. O'
Brien en 1992
d'
une manière provocatrice : Global Financial Integration: The End of Geography.
Qu’on l’exprime ainsi abruptement, ou d’une manière plus sophistiquée, par le
concept d’une « rétraction du temps et de l’espace » (Collapsing space and time,
Brunn et Leinbach, 1991), on est en présence d’un mythe déjà ancien, qui date, au
moins, de la fin du XIXe siècle, avec la fin des grandes explorations, l'
avénement
des transports rapides (chemin de fer) et des télécommunications (télégraphe).
This end-of-geography theme has been with us since experts predicted that
technologies from the telegraph and the telephone to the automobile and the airplane
would essentially kill off the cities. R. Florida, 2004, p. 219.
Le mythe de la fin de la géographie propagé par les « cybergourous » était
provocateur pour les géographes, auxquels il signifiait la disparition de leur
discipline. Ceci explique peut-être la vigueur avec laquelle ces derniers ont réagi à
l'
encontre de cette idée. R. Brunet, bien avant la vague médiatique de l’Internet,
dénonçait les illusions provoquée par la « télématique », tout en soulignant
l’importance des enjeux liés au traitement de l’information. Les TIC, selon R. Brunet,
non seulement n’aboutissent pas à un espace isotrope, mais renforcent les
polarisations, les concentrations métropolitaines.
Tout ce qui est télé a l'
air d'
ouvrir d'
autres dimensions : on va pouvoir désenclaver,
créer des emplois partout, grâce au télétravail…
Tout ce que l'
on voit apparaître dans le développement de la télématique… montre une
concentration accrue, un renforcement immédiat des nœuds les plus forts des réseaux,
qui s'
équipent en télécentres, téléports… aucune promesse d'
espace isotropique, où
tout lieu en vaudrait un autre, n'
existe par la télématique autrement que dans la vision
de théoriciens n'
ayant aucun sens des territoires et de l'
économie de l'
entreprise,
laquelle a un besoin vital de rentes spatiales différentielles. Le territoire est plus que
jamais là. R. Brunet, 1990. Le territoire dans les turbulence, p. 87.
Assertion corroborée plus tard par R. Florida, malgré le triomphe de l’Internet :
Never has a myth been easier to deflate. Not only do people remain highly
concentrated, but the economy itself continues to concentrate in specific places. Place
and community are more critical factors than ever before. Florida, The rise of the
creative class, 2004, p. 219.
Il est remarquable que, loin de disparaître ou de « rétrécir », l’espace géographique,
le territoire, font aujourd’hui l’objet d’un regain d’intérêt qui déborde largement le
cercle des géographes. Ainsi, dans son supplément trimestriel de mars 2003
consacré aux nouvelles technologies, The Economist titrait : « La revanche de la
géographie ».
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In the early days of the Internet boom, there was much talk of the "death of distance”.
The emergence of a global digital network, it seemed, would put an end to mundane
physical or geographical constraints… Actually, geography is far from dead… The
Economist, 15 mars 2003, Technology Quaterly, p. 17.
Joël Kotkin explique pourquoi le développement des technologies numériques n'
a
pas diminué, mais au contraire augmenté l'
importance de la géographie (à tous les
sens du terme) : comme elles l’ont toujours fait dans l’ère pré-numérique, les
technologies d’information et de communication permettent - nous verrons dans
quelle mesure - une plus grande variété dans les choix de localisation des acteurs.
Dès lors, les caractéristiques spécifiques des territoires prennent une part accrue
dans les processus de décision. Thèse fondamentale, défendue par de nombreux
auteurs.
The importance of geography is not dwindling to nothing in the digital era: in fact, quite
the opposite. In reality, place-geography matters more than ever before. If people,
companies… can truly live anywhere, or at least choose from a multiplicity of places,
the question of where to locate become increasingly contingent on the peculiar
attributes of any given location. The New Geography : How the Digital Revolution Is
Reshaping the American Landscape, J. Kotkin, 2000, pp. 6-7.
C’est la problématique principale du présent mémoire, qui est inscrite dans une
dialectique paradoxale :
-
D’une part, nous le tiendrons pour axiome, on assiste à l’affirmation des
territoires, à la fois dans les faits et comme objet d’étude majeur de notre
discipline (Di Méo, 1998 ; Vanier, 19951 ; Debarbieux et Vanier, 20022 etc.).
Comme l’écrit R. Brunet (op.cit.), « le territoire est plus que jamais là ».
-
D’autre part, nous le développerons, c’est le triomphe dans les faits et dans
les discours du paradigme numérique, dont les discours de légitimation
s’appuient en grande partie sur le mythe de l’ubiquité spatiale
Le chapitre un est principalement introductif et épistémologique. Il s’agissait,
d’abord, de définir le paradigme numérique, de montrer comment son émergence
s’est accompagnée et s’est nourrie de la production d’une idéologie à composante
spatiale, dont la prise en compte est indispensable à la compréhension des rapports
entre les technologies numériques (leur déploiement et leurs usages) et l’espace.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la production scientifique de tous ceux,
géographes, urbanistes, aménageurs, voire sociologues ou économistes, qui ont
réfléchi sur les relations TIC/espace et territoire.
Au cœur du paradigme numérique se trouvent ces fameuses « TIC », trop souvent
considérées comme une « boîte noire » (Dupuy, 1982). Or, pour bien comprendre le
rapport que ces technologies entretiennent avec l’espace géographique, et
éventuellement, l’influence que leurs usages peuvent avoir sur la production des
territoires, il faut précisément entrer dans la boîte noire.
Aussi le chapitre deux est-il consacré à étudier l’émergence et les caractéristiques
techniques et spatiales d’un réseau numérique intégré. Plusieurs auteurs ont fait du
réseau un paradigme central d'
interprétation des faits économiques et sociaux, que
ce soit en urbanisme et aménagement, avec la revue Flux, autour de Gabriel Dupuy
1
2
« Les nouvelles mailles du pouvoir local », Revue de Géographie de Lyon, vol. 70, n° 2.
Ces territoires qui ses dessinent (éds.), DATAR - Editions de l'
Aube.
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et Jean Marc Offner, dans les sciences cognitives, les sciences de l’information et
de la communication (revue Réseaux), en sociologie des siences et des
organisations, avec la « théorie de l'
acteur réseau », initiée, entre autres, par Bruno
Latour et Michel Callon3, ou en sociologie urbaine et économique (Manuel Castells,
1996, The Rise of the Network Society).
La raison d’être des télécommunications est de produire de la « téléaccessibilité »,
c’est à dire une capacité, pour un agent situé en un lieu, de recevoir et expédier des
données à distance. Or cette téléaccessibilité dépend d’une « équation technicospatio-économique », comme écrivent les experts, de plus en plus complexe, dans
laquelle les caractéristiques spatiales intrinsèques du réseau jouent un rôle
essentiel : le nombre de Gigahertz détermine une portée en kilomètres, la distance
par rapport à un central téléphonique détermine le nombre de Mbit/sec. etc., avec
des enjeux à la clé en termes d’aménagement du territoire.
Entrer dans la boîte noire nous permet ainsi de maîtriser le paradoxe énoncé plus
haut : si les TIC ne pouvaient pas effacer les distances et « éliminer la
géographie », c’est, d’abord et simplement, parce que le réseau numérique possède
sa propre géographie, qui nous oblige à appréhender le déploiement et les usages
des technologies numériques en tant que pratiques spatiales.
Car le réseau en lui même n’est rien s’il n’est pas activé, utilisé, par les agents
économiques et sociaux. L’étude de la relation TIC – espace et territoire passe
nécessairement par les usages, que nous avons choisi d’étudier dans le cadre de la
production de biens et de services par les entreprises (chapitre trois). Au delà des
querelles d’économistes sur l’existence ou non d’une « nouvelle économie », il
s’agissait de montrer que la numérisation du système productif et la convergence
numérique (informatique et télécommunications) entraînent des mutations
importantes dans l'
organisation spatiale de la production. Or, les entreprises sont de
puissants agents de production territoriale (production étant compris au sens
théorique, c'
est à dire incluant destruction, recomposition etc.).
Le meilleur exemple de ce phénomène est donné par l’émergence de ce qu’on
pourrait appeler « les territoires de l’économie numérique » (chapitre quatre), dont
la Silicon Valley demeure l’archétype. Le fonctionnement de ces districts ou
« clusters » met en valeur le « paradoxe de l’économie numérique » , c’est à dire la
persistence des économie d’agglomération comme facteur constitutif essentiel des
territoires économiques les plus actifs, et ce dans un système productif dont la
matière première et, fréquemment, le produit final, sont constitués en proportion
croissante d’information numérisée, donc transmissible à distance. Nous verrons
qu’il faut se garder de la conception simpliste de simples districts productifs : c’est
bien en tant que territoire, avec leur complexité sociale, que ces espaces doivent
être appréhendés. Les espaces ruraux semblent se situer aux antipodes de ces
« siliconium ». Pourtant, nous verrons qu’ils sont gagnés, eux aussi, par l’économie
numérique et cognitive, et que de la Silicon Valley à la Sylvicole Valley (Mimizan,
département des Landes), il y a continuité plutôt que clivage.
L’analyse serait très partielle, si l’entreprise privée, seule, devait endosser la
responsabilité de ces dynamiques. La majorité des géographes économiques et des
économistes spatiaux reconnaissent le rôle des institutions publiques dans
l’émergence et la dynamique des espaces productifs. D’une manière générale, on
peut dire que les technologies numériques sont devenues à toutes les échelles un
outil et un enjeu dans les politiques de développement économique et
d’aménagement des territoires (chapitre cinq). On entre ici dans le domaine de la
mythique « fracture numérique ». Avec la création d’infrastructures de
3
B. Latour, 1997. Nous n'avons jamais été modernes. Paris, La Découverte ; M.Callon et al.
(éds.), 1999. Réseau et coordination. Paris, Economica.
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télécommunications, dont la problématique est voisine de celle du TGV et autres
« grands équipements structurants », on reste dans une démarche d’aménagement
classique, toutefois non dénuée d’aspects subjectifs. L’émergence d’un urbanisme
dédié à l’économie numérique reste encore dans le domaine du saisissable, même
si les aspects « marketing » s’avèrent déterminants. Avec le concept de « territoire
numérique », voire de « territoire intelligent », on entre tout à fait dans la
composante utopique du paradigme numérique, qui doit conduire l’humanité vers un
« monde parfait ».
Cette présentation séquentielle, inévitable, ne reflète qu’imparfaitement la
complexité des interrelations au sein d’un système idéologie-technologie-acteursespace, et l’ordre des chapitres n’indique pas une hiérarchie.
Deux points de méthode
Le principal écueil qui menace, voire annihile, la réflexion géographique sur les TIC
est le déterminisme technologique.
Ce déterminisme est illustré par le schéma d’analyse, parfois proposé, de
l’interaction technologie-société, ou technologie-territoire (ou technologie-ville, etc.).
Nous pensons que cette approche est à éviter, car elle fait de la technologie - en
toute rigueur il faudrait écrire technique - une sorte de deus ex machina, un objet en
soi, venu d’ailleurs, qui s’imposerait à la société. Or la technologie est dans la
société, en est un élément constitutif, fluctuant, en permanente interaction avec ses
autres éléments, composé de matériels, d’usages et de processus cognitifs.
Lorsque nous utiliserons, par convention, l’expression « technologies de
l’information et de la communication », ou TIC, il s’agira bien de comprendre, le plus
souvent, « déploiement ou usage des TIC ».
Le déterminisme technologique, c’est aussi inverser la fin et les moyens : c’est
General Motors qui fait vivre Microsoft, et non l’inverse. Cette dénonciation du
déterminisme technologique est au cœur d’un article retentissant de Nicholas Carr
dans la Harvard Business Review, au titre provocant : « IT doesn’t matter » (réf. The
Economist, 3 avril 2004). Cette tendance à l’inversion des rôles provoque par
exemple « l’instrumentalisation » de la technologie par les discours et politiques qui
y voient un remède à quantité de maux de la société. Nous y reviendrons.
De là découle notre second point de méthode, qui est de faire un travail de
géographie, et non pas de sciences de l’information et de la communication,
d’histoire ou de sociologie des techniques et autres sciences sociales ou branches
des sciences sociales (ce qui n’interdit pas d’emprunter idées et concepts lorsqu’ils
nous semblent féconds)4. L’objet premier de notre discipline est l’espace, voire le
territoire (en tant qu’espace produit, mais aussi vécu, perçu, représenté). Donc,
comme l’écrit Allen Scott, les TIC et leurs usages, ne doivent pas être étudiés en
tant que tels, pour eux même, mais en tant qu’objets spatialement distribués, en tant
que pratiques spatiales, et si possible spatialisantes et territorialisantes.
ICTs strike me as not being of any special interest in themselves to geographers, but as
a phenomena that MEDIATE other more basic issues. For example, the geographic
significance of ICTs in business activities is not their essential constitution, but rather
4
Les géographes n’ayant évidemment pas le monopole de la réflexion sur l’espace. A titre
d’exemple, nous pensons que l’introduction de Pierre Bourdieu au chapitre « Effets de
lieux », de La misère du monde, (1992, pp. 159-167) est un des textes de géographie les
plus importants jamais écrits. Voir aussi : Tim Cresswell, 2002 : « Bourdieu'
s geographies: in
memorium”, Guest editorial, Environment and Planning D: Society and Space, vol. 20, pp.
379-382.
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the impacts that they have on urban, regional, locational etc. systems. Their geographic
significance, then, is realized through other variables (A.J. Scott, message électronique
à l’auteur, 5 avril 2002).
Or, la géographie est confrontée à ce problème général, ancien et permanent : tout
objet, tout phénomène, étant d’une manière ou d’une autre situé dans l’espace
géographique, il y a matière à disserter sur tout. Le géographe doit-il étudier la
manière dont les entreprises, les groupes ethniques, les habitants, les
fonctionnaires, les élèves et enseignants du pays ou de la commune x ou y, utilisent
les TIC ? Le risque de l’idiographie est qu’après avoir « planté le décor » - TIC et
écoles rurales, par exemple - on renonce à toute analyse de type géographique,
faute de formuler une hypothèse de recherche sur l’usage des TIC comme pratique
spatiale qui conduirait à comparer, par exemple, avec l’usage des TIC dans les
écoles urbaines. Faute de poser de telles lignes de recherches, la question ne
relève pas de la géographie, mais plutôt des sciences de l’éducation. De même,
l’utilisation des TIC par les entreprise industrielles du Haut-Doubs relève des
sciences du management et de la productique, si on n’étudie pas le rapport de ces
usages avec la localisation de l’entreprise par rapport à ses sous-traitants,
fournisseurs et collaborateurs.
Pour A. Scott, les TIC ne sont pas intrinsèquement un objet d’étude pour le
géographe. Mais, s’il n’est pas sûr qu’il existe une « géographie des TIC », les TIC
ont bien une géographie. Cette analyse est un passage obligé, car, comme nous le
démontrerons dans le chapitre 2, la capacité de « médiation » qu’évoque Scott se
forme précisément dans certaines des caractérisques spatiales des réseaux
techniques de télécommunications, qu’il convient de connaître.
Mais cette étude n’est pas une fin en soi, ce en quoi nous rejoignont tout à fait Scott.
C’est pourquoi nous avons essayé de proposer au lecteur - pour simplifier - un
cheminement <idéologie>, <technologie>, <pratiques spatiales> (dans le domaine
de la production économique), <production territoriales> (par l’économique et le
politique), dans lequel nous montrerons qu’au delà des TIC, le paradigme
numérique est effectivement une des médiations, à la fois technique, économique et
idéologique, par lesquelles les hommes pratiquent, organisent et produisent leur
espace et leurs territoires. Ainsi, il conviendra de garder en permanence le souci
d’un équilibre entre la recherche des faits matériels et objectivables, et celle des
discours et représentations sur le numérique qui ne sont pas les derniers à produire
les effets de réalité sur l’espace et le territoire que d’aucuns ont parfois nié.
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Chapitre 1. La pensée
paradigme numérique
géographique
face
au
La littérature scientifique en science sociale aborde souvent le sujet des TIC sans
vraiment préciser de quoi il s’agit. Un de nos soucis premiers fut de trouver un terme
qui devait permettre d’embrasser le sujet dans toute sa complexité, à la fois
structurelle et phénoménologique. C’est pourquoi nous employons le terme de
« paradigme numérique »5, qui a été proposé, notamment, par P. Breton et S.
Proulx (1996). Le paradigme permet d’aller au delà de la technique, de
l’économique, pour embrasser le discours, l’idéologie (au sens actuel du terme), la
dimension historique des technologies numériques d’information et de
communication. Le paradigme numérique est le produit social d’un développement
technologique, la convergence numérique, qui met en oeuvre les très médiatisées
technologies de l’information et de la communication ou TIC. L’espace
géographique est omniprésent parmi les discours et les représentations
constitutives de la composante idéologique du paradigme numérique.
Le nouveau paradigme digital L'
un des plus grands changements, peut-être le plus
important depuis l'
antiquité … est la poussée du paradigme digital, tel qu'
il a été rendu
possible par l'
idéologie moderne de la communication… la réunion dans un même
ensemble homogène de quatre dimensions : une technique de base, l'
électronique, une
méthodologie particulière de traitement de l'
information, un système de représentation
du monde cohérent et universel, enfin un enjeu stratégique et économique. La
puissance du paradigme digital tient dans doute à la synergie qu'
il opère entre des
dimensions jusque là éclatées dans le monde technique, politique, économique ou
philosophique. Breton et Proulx, 1996, p. 110.
1.1. Les « TIC » et le paradigme numérique
1.1.1. Une affaire de métaphores
Dans une bonne partie de la littérature en sciences sociales, les « TIC » sont
considérées comme une boîte noire, ce qui se traduit par un usage abondant de
métaphores (tableau n° 1). La médiatisation du phénomène a engendré
l'
émergence d'
un consensus flou, qui dispenserait d'
une tentative de définition. Le
lecteur ou l'
auditeur doit se contenter d'
une compréhension intuitive, immergée dans
l'
idéologie de la communication, qui fait appel à une représentation collective des
TIC, TI et autres société de l'information, c'
est à dire au plus petit commun
dénominateur d'
un ensemble de discours qui tournent autour de la même chose. Il
faut reconnaître que nous n'
avons pas, nous même, échappé au phénomène dans
certains de nos textes.
Certaines expressions désignent le processus ou son historicité (une ère nouvelle),
d'
autres le résultat, sous la forme d'
une société, d'
une économie, d'
un espace ou
d'
un territoire.
5
Préférable à l’anglicisme « digital ».
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Tableau n° 1. Les métaphores du paradigme numérique
Une révolution, une ère nouvelle ?
Une nouvelle société ?
Digital revolution, (Kotkin, 2000)
Société de l'information (Eveno, 1997)
Information society (Kellerman…Ducatel
Digital era (Ibid.)
Digital age (Dutton, 1999)
et.al., 2000)
Information age, (Wilson, Corey, 2000)
Société de communication
Electronic age (Ibid.)
Network society (Castells, 1996)
Internet Age (Leamer & Storper, 2001)
Society on the line (Dutton, 1999)
6
The telecommunication age (Warf et al., Digital Communities
Société hypertexte (Ascher, 2000)
2000)
Global Information age (Caves, 1999)
Fracture numérique, digital divide
Une nouvelle économie ?
Un nouvel espace ?
Information economy (Castells, Hall, 1995 ; Space of flows (Castells 1999)
Electronic space (Wilson, Corey, 2000)
Kotkin, 2000)
New Economy
Network spaces (Graham, 2000)
Capitalisme cognitif (Ascher, 2000)
Cyberspace, géocyberspace (Batty, Bakis,
Multimédia, New Media
Dodge, Kichin, etc.)
Net économie (Muller, 2001)
De nouveaux territoires ?
The world in the wire (Kitchin, 1998 ; Horan,
2000)
7
The invisible continent (Ohmae, 2000)
Digital places (Curry, 1998)
Virtual States (Everard, 2000)
Informational City (Castells, 1989)
Database Nation (Garfinkel, 2000)
Digital city
City of bits (Mitchell, 1995 ; Horan, 2000)
Wired City (Roberts, Steadman, 2000)
Networked city (Roberts et.al., 1999)
Ville numérique (Sandoval, 2000)
Intelligent city (Komninos, 2002)
Smart city Telecity
E-topia (Mitchell, 2000)
Teletopia (Piorinski, 1991)
Televillages (Broadhurst & Ledgerwood,
1999)
Silicon… (Valley, Alley, Prairie, Sentier,
Alps…)
De nouvelles accessibilités ?
Information Highway
Teleaccess (Dutton, 1999)
Télétravail, telecommuting
Une nouvelle… géographie ?
New Geography (Kotkin, 2000)
Virtual Geography (Batty, 1997)
Virtual Geographies (Crang & May, 1999)
Il est remarquable que ces expressions servent peu ou prou à désigner la même
chose, et trois ou quatre sous-ensembles de cette chose. Ceci pose en soi un
problème épistémologique : on est loin de la rigueur formelle atteinte par les
sciences dites exactes. Est-il possible d'
identifier un terme commode d'
emploi,
scientifiquement rigoureux, qui permettrait d'
embrasser le champ d'
investigation de
la « géographie des TIC » la plus couramment partagée ?
A tout seigneur tout honneur, un préambule s’impose sur l’inévitable acronyme TIC
(technologies de l’information et de la communication), qui s’est définitivement
imposé au détriment de NTIC. On a rapidement constaté que le « N » était de moins
en moins pertinent, avec le temps qui passe.
6
Colloque Digital Communities - Cities in the Information Society, Northwestern et Michigan
State University, Chicago, 4-7 Novembre 2001.
7
Traduit en français sous le titre : géographie secrète de la nouvelle économie.
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Une des façons d'
éviter cet écueil est de commencer par le vocabulaire en préférant
l'
expression "techniques de l'
information et de la communication" (TIC) à celle de NTIC
(Musso, 1994, p. 11).
Le succès planétaire de TIC (ou ICT , IT…), que nous conserverons souvent par
convention, ne saurait dissimuler sa faiblesse scientifique : les gens qui l’emploient
ne veulent pas parler de la presse à imprimer de Gutemberg ou du télégraphe de
Chappe qui ont été des TIC en leur temps. Par ailleurs, faut-il faire supporter
l’ensemble du discours à une ou des technologies, alors que ce sont les
applications, les usages de ces technologies qui sont l’objet de nos analyses ? Le
risque est grand de glisser dans le déterminisme technologique. On passera sur
l’abus de langage qui consiste à parler de technologie en lieu et place de technique.
S’il y a une techno-logie au sens étymologique du terme, c’est plutôt l’inflation de
discours sur la question.
Société de l'Information, société de communication, bien que très couramment
utilisées, relèvent du pléonasme, en ignorant la généralité extrême des concepts
d'
information et de communication. C'
est par essence la communication qui
constitue les individus en société (et pas seulement chez l'
homme). Le
développement et la diffusion d'
innovations telles que le feu et la roue (pour ne rien
dire de l'
imprimerie) ont été des processus informationnels et communicationnels,
de même que le fait religieux, porté par l'
oral puis par l'
écrit.
The use of the term the information age to describe the period that we now find
ourselves living in is open to misinterpretation. Society has always been based on
exchanging information. (M. Goodchild et E. Sheppard, avant propos de Janelle and
Hodge, 2000,Information, Place and Cyberspace)
Economie numérique, digital economy conviennent bien au champ économique,
mais ignorent les aspects sociaux, politiques. Ces expressions sont floues ; elles
peuvent désigner certains secteurs particuliers (électronique, informatique,
télécommunications) ou l’économie tout entière, de plus en plus numérisée dans
presque tous les secteurs d’activité.
Société en réseau (The rise of the network society, Castells, 1996), économie des
réseaux, espace des réseaux ne sous satisfont pas, même si le paradigme de
réseau est fortement connexe au paradigme numérique. L’approche par les réseaux
inclut les transports, concept radicalement différent des TIC, bien que d'
une
application complémentaire, comme nous le verrons. Par ailleurs, les réseaux
existent depuis des millénaires : au delà de la métaphore, network society ne peut
pas prendre en compte l'
aspect événementiel qui a été un temps exprimé par
l’usage de l’adjectif « nouveau ».
Cybergéographie, géographie du cyber-espace, (ou du géo-cyber-espace) sont des
métaphores médiatiques très utilisées par les chercheurs, mais dont le statut
scientifique reste précaire. Certains y voient tout le champ de la géographie des
TIC, comme Martin Dodge et Rob Kitchin dans l’Atlas du cyberspace
(www.cybergeography.org), qui présentent des cartes des réseaux cablés bien
réels, mais aussi des territoires électroniques dits « virtuels ».
Il reste le cas des expressions, très courantes, qui sont formées avec l’adjectif
numérique (ou « digital ») : société, espace, territoire, ville… numériques (city of
bits…). Ces expressions prennent en compte la dimension numérique et permettent
de situer le problème dans le temps (pas d'
ordinateurs avant 1945). Mais leur usage
relève souvent du slogan politico-médiatique, qui tendrait à faire croire au « tout
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Regard géographique sur le paradigme numérique
numérique », que l’informatique est devenue le principe constitutif de la société (et
des territoires). On évitera donc d’écrire au premier degré que X ou Y est une ville
(ou une région) numérique, sauf à se prêter au jeu médiatique.
Cette avalanche de métaphore montre la difficulté de saisir dans toute sa
complexité un événement récent : la convergence numérique.
1.1.2. La convergence numérique
L'
interrogation sur la « fin des distances » date du milieu du XIXe siècle (télégraphe)
voire de la Révolution française (télégraphe optique de Chappe). Les
télécommunications ont près d’un siècle et demi d’âge. L’ordinateur plus d’un demisiècle. Les géographes travaillent sur les télécommunications depuis les années
soixante.
Qu’est-ce alors que cette déferlante technologique et médiatique qui a balayé la
société des pays développés dans les années quatre-vingt-dix ? Le simple citoyen,
tout comme le chercheur, a conscience que, depuis quelques années, il se passe
quelque chose, pour lequel on emploie l'
adjectif nouveau, et le mot phénomène, ou
révolution. Ce phénomène, c’est la convergence numérique.
The convergence of computers
technologies. Graham, 1998, p. 165
with
digital
telecommunications
and
media
The geographic dimension of information technologies emerge from the intersection of
three distinct but increasingly interrelated phenomena: computers, télécommunications,
and the information economy. Wilson, Corey, 2000, pp 1-3.
La société de l'
information fonde son développement sur la convergence technologique
entre ordinateurs, réseaux de télécommunications et protocole d'
échange entre les
machines. J. de Rosnay, in Parrochia 2001, p. 35.
Cette convergence, pour certains, serait en train de produire l’un des plus grands
bouleversements qu’ai connu l’humanité (c’est une thèse à discuter). Philippe
Breton et Serge Proulx (1996) y voient, en toute simplicité, l'
événement le plus
important depuis l'
Antiquité. Pour J.M. Billaud8, c’est l’amorce de la troisième grande
révolution technique, après l’invention de l’agriculture et le machinisme.
Les Homo Sapiens … ont fait deux très grandes révolutions dans l'
Histoire... La
première, il y a 10.000 ans avec le néolithique et sa révolution agricole, la deuxième
plus proche de nous : la révolution industrielle il y a 250 ans.
Nous allons donc vers notre 3ème Révolution. C'
est pour le milieu de ce Siècle, et
l'
Internet y jouera le rôle qu'
a eu l'
imprimerie entre la 1ére et 2éme Révolution…
www.atelier.fr/article.php?artid=26797&type=Tribune
Cette convergence numérique doit être déclinée sous ses deux aspects principaux
et complémentaires, technique et événementiel :
le rapprochement physique et technique, par l’intermédiaire de la
numérisation, de concepts et de pratiques informationnelles autrefois
distincts ;
la multiplication et la diffusion des technologies numériques dans les rouages
de la société, la convergence créant un processus de rétroaction positive qui
entraîne une accélération de cette diffusion (dont les caractères spatiaux sont
importants pour le géographe).
8
Un des grands gourous français des TIC, nous y reviendrons.
Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected]
Regard géographique sur le paradigme numérique
13
1.1.2.1. La convergence des techniques : numérisation et Internet
La rupture est créée par le passage du mode analogique au mode numérique de
transmission et de traitement de l'
information. Rappelons que l'
avantage essentiel
du numérique est non seulement dans la vitesse de transmission (le télégraphe était
une plus grande révolution de ce point de vue), mais dans la possibilité de
dupliquer, acheminer, stocker, agréger l'
information à l'
infini (ou presque), sans
aucune altération. La transformation de l'
information en une série de « zéros » et de
« uns » permet son acheminement instantané (en apparence), sans dégradation du
message (cf. encadré n° 1).
La convergence numérique, c’est la numérisation de la plupart des produits
« informationnels » de notre société : fichiers et dossiers administratifs et
commerciaux, plans, cartes, photos, textes (livres, presse), documents sonores,
vidéo. Ces objets peuvent dorénavant être stockés, traités et acheminés suivant les
même procédures, dont, notamment, l’Internet. Parmi les exemples, on peut
mentionner :
Convergence numérique dans la presse écrite. La composition des journaux
est électronique depuis plusieurs décennies. Les correspondants pouvaient
envoyer leurs articles aux rédactions par modem-fax depuis une vingtaine
d’année, au moins. L’aboutissement de la convergence, c’est que le journal ou
le magazine, lui même, est édité en version électronique, et intégralement
consultable, depuis n’importe quel point du globe, sur un terminal numérique.
Convergence numérique dans l’image et le son. Photo, vidéo, cinéma,
musique, procède aujourd’hui de la même filière technique : les contenus sont
saisis, stockés, transportés, sous forme numérique, et dupliqués à l’infini sans
altération. Le cinéma numérique supprime le problème de la copie et du
transport des bobines de film. Les conséquences économiques sont énormes
pour les secteurs considérés.9
Convergence numérique dans les télécommunications. Rien ne symbolise le
mieux cette convergence que l’évolution récente du téléphone cellulaire. Le
« mobile » devient un terminal multi-usage, qui permet de recevoir, stocker et
consulter plusieurs types de données (voix, textes, photos, vidéo). Plus
encore, il devient un dispositif de production d’information numérisée, qui
incorpore appareil photo et caméra. Evolution qui devrait s’accélérer avec la
généralisation de l’UMTS ou téléphonie mobile 3G (cf. infra).
Convergence numérique dans l’informatique. Le téléphone devient un
ordinateur ou un assistant personnel. Inversement, l’ordinateur, couplé à une
caméra, un micro et un modem, devient un « objet communicant », qui peut
servir à écouter de la musique, « regarder la télévision », téléphoner, faire de
la visio-conférence, pratiquer des jeux vidéos en ligne etc.
9
La numérisation de l’information, pose un problème économique majeur : les acteurs
sociaux, et tout particulièrement les entreprises, sont confrontés au paradoxe d’une
information dont la valeur marchande peut être très élevées (plusieurs dizaines, voire
centaines de milions d’Euros pour un film, un jeu vidéo ou quelques pièces musicales), mais
dont le transport, le stockage, la duplication et la diffusion ont des coût qui avoisinent zéro.
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14
Regard géographique sur le paradigme numérique
Le rôle de l’Internet dans la convergence
L’Internet incarne souvent à lui seul les TIC dans les discours courants. Cette
exagération s’explique par le rôle croissant qu’il joue dans la convergence
numérique, en plus d’une croissance rapide propre à marquer les imaginations.
Internet est une norme de connexion entre ordinateurs, ou norme IP (Internet
Protocole). C’est la norme IP qui permet aux objets mentionnés ci-dessus de
communiquer les uns avec les autres. C’est l’Internet qui permettra d’accéder à une
multitude de services (téléphone, presse, TV, cinéma, musique, réservations,
achats…) depuis une plateforme électronique commune, que l’on pourra consulter
sur un écran de téléphone, d’ordinateur ou de télévision, sur n’importe lequel d’un
des terminaux disponibles à proximité (dans la maison ou au bureau), reliés les uns
aux autres grâce à un réseau sans fil WiFi. Ces services seront accessibles depuis
une automobile, que ce soit en back seat (multimédia pour les passagers) ou en
front seat (aide à la circulation).
La convergence informatique-télécommunications-Internet est parfaitement illustrée
par le secteur des centres d'
appel. Ce qui distingue le centre d'
appel moderne de
l'
antique standard téléphonique, ce sont les logiciels perfectionnés qui permettent
de répartir les appels entre les opérateurs, d'
accéder rapidement aux dossiers
informatisés des clients, et, de plus en plus, de recevoir et répondre aux courriers
électroniques de ces clients (ce qu'
on appelle 0l Td ( )Tj 8.16488 0 Td (l)Tj 2.40144 0 Td (e)Tj 6.12366
eole coé
rgiapioende r'
acomorit rumérique, euur eevillpéond d
p cteon eonsuccéé
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15
Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 1 Le triangle de la communication (d’après Breton et Proulx, 1996, p.271).
TELECOMMUNICATIONS
Téléphone
Telex
Centraux
téléphoniques
Satellites
Annuaire
electronique
Télécopie
Télématique
Réseaux
cablés
Agence
de presse
Publicité
Livres
Journaux
Réseau numérique à
intégration de services
Modem
Banques
de données
Réseaux
informatique
TV
Radio
Edition assistée
par ordinateur
Magnétoscope
Image de synthèse
Intelligence
artificielle
Ordinateur
MEDIAS
INFORMATIQUE
ELECTRONIQUE
1.1.2.2. Une croissance et une diffusion exponentielles
On assiste depuis une vingtaine d'
années à un mouvement massif
« d'
informatisation de la société » (Nora et Minc, 1978), dont témoigne la croissance
des taux d'
usage et d'
équipement des entreprises et des ménages. Le phénomène
Internet a accéléré le mouvement depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. Le
processus devient cumulatif : la multiplication des services et produits numériques
incite une part croissante des ménages (sans parler des entreprises) à
s'
informatiser et à se connecter.10 Le phénomène fonctionne à l’échelle mondiale :
les pays les plus avancés obligent les suivants à s'
adapter, sous peine d'
être
marginalisés.
10
Les métiers de services publics n'
échappent pas au phénomène : l'
administration,
l'
enseignement, voire la médecine, ont entamé, à des rythmes divers, leur "migration" vers le
numérique : en 2003, pour la première fois, les contribuables français pouvaient déclarer
leurs revenus sur Internet (avec un délai supplémentaire). Il y a donc une forte incitation en
retour à s’équiper. Il en ira de même avec la multiplication des portails éducatifs : un élève
ne pourra plus suivre une scolarité normale sans être doté d’un matériel ad hoc.
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16
Regard géographique sur le paradigme numérique
Comme nous l’avons entrevu dans le paragraphe précédent, l'
alliance conjointe de
l'
informatique, de l'
Internet et des télécommunications s'
impose partout, dans
l'
entreprise et dans la vie quotidienne : jeux, vidéo, photo, réservations, achats,
déclarations fiscales, loisirs. « L’ homo numericus », comme écrirait N. Negroponte
est bardé de dispositifs électroniques qui deviennent des objets fétiches, en
attendant que ces objets soient incorporés dans ses vêtements, puis dans son
corps. Randonneurs, alpinistes et plaisanciers ne sortent plus sans leur téléphone
mobile et leur GPS (Global Positioning System). L'
automobile, objet sacré de la
société occidentale, devient un ordinateur roulant, truffé de capteurs, guidé par
GPS, un salon roulant doté de lecteur de CD et climatisation… électronique. Le
péage est automatique, et, raffinement suprême, les radars automatiques
permettent de dresser de bien mal nommés « procès-verbaux », adressés aux
contrevenants avec le minimum d’intervention humaine.
En dehors de leurs capacités propres, une des raisons majeures de l’engouement
médiatique dont ont fait l’objet les TIC, et surtout l’Internet, est la rapidité avec
laquelle ces techniques se sont diffusées à travers la société (et donc l’espace).
Rappelons que l’Internet a été créé en 1968 au sein du Ministère de la Défense
américain11. C’est en 1974 que Vinton Cerf définit les spécifications du protocole
TCP/IP. Le World Wide Web (l’application la plus populaire fonctionnant sous IP) a
été créé en 1989 par Tim Berners Lee au CERN à Genève. Les quinze premières
années sont confidentielles, et l’Internet ne sort guère des laboratoires. En 1977, il y
avait 111 machines connectées. En 1987, 10 000. Dans les années quatre-vingt-dix,
c’est le décollage, avec un million de « hosts » en 1992, et plus de deux-cent
millions en 2002 (www.isoc.org/internet/history).
La croissance du Web est tout aussi impressionnante. En 1995, le premier Netcraft
Survey détectait 18 957 noms de domaine. Le million de sites est dépassé en avril
1997, les dix millions en février 2000, les 35 millions en décembre 2001, record
d’avant la « crise des TIC ». Ce chiffre de 35 millions est retrouvé en février 2003,
puis la croissance reprend : 40 millions en avril 2003, 50 millions en mai 2004
(source : www.netcraft.com). Selon le Computer Industry Almanac, on approche en
2004 le milliard d’usagers du Net dans le monde
(www.clickz.com/stats/big_picture/geographics/article.php/151151).
To get a market of 50 million people, radio took 38 years, TV took 13 years. Once it
was open to the general public, the Internet made to the 50 million person audience
mark in just 4 years! www.ecommerce.gov/emerging.htm, 15 avril 1998.
Le téléphone mobile, technologie vieille de 50 ans, a fait également preuve ces
dernières années d’une croissance extrêmement rapide, ainsi que d’importantes
mutations, qui l’engagent dans une convergence croissante avec les autres outils de
communication. Les premières offres au public viables datent de la fin des années
soixante-dix. Motorola lance sa première offre commerciale en 1981 (rappelons que
le lancement commercial du téléphone filaire date de 1877). Mais c’est dans la
deuxième moitié des années quatre-vingt-dix que l’on assiste à « l’explosion » du
mobile (1,3 milliard d’abonnés dans le monde fin 2003 selon le Journal du Net).
Ainsi, en France, selon le CREDOC, quatre années (janvier 1997 à janvier 2001)
ont suffi pour que le taux d’équipement individuel passe de 5% à 55%. Une des
caractéristiques de la téléphonie mobile est qu’elle constitue un exemple rare de
« saut technologique » (leapfrogging), puisque dans certains pays en
développement, la plupart des usagers au « sans fil » n’avait jamais possédé
11
Au sein de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), qui va créer
« l’ARPAnet »
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Regard géographique sur le paradigme numérique
17
d’accès individuel au téléphone filaire (en Chine, par exemple, premier marché
mondial pour le nombre de téléphones cellulaire vendus en 2002, avec 18 % du
total
mondial
des
abonnés,
contre
12
%
aux
Etats-Unis
www.journaldunet.com/cc/05_mobile/mobile_marche_mde.shtml).
Ce genre de saut technologique a fortement contribué à nourrir les discours et les
fantasmes sur la révolution des TIC
Tableau n° 1. L’explosion de la téléphonie mobile : taux de pénétration par habitant
(d’après Forissier, 2002, p. 11)
France
Union européenne
Etats-Unis
Japon
1992
1%
2%
4%
2%
1996
5%
10 %
17 %
21 %
2000
50 %
62 %
41 %
53 %
Ces développements technologiques et économiques doivent beaucoup à
l’accroissement exponentiel de la puissance de calcul des micro-processeurs, qui,
suivant la fameuse loi de Moore, double tous les dix-huit mois depuis plus de trente
ans12. C’est cette course à la puissance qui a permis la miniaturisation, la baisse
des prix, et la vulgarisation des terminaux électroniques mentionnés ci-dessus.
Cette convergence ne serait pas concevable sans un accroissement concomittant
des capacités du réseau numérique de télécommunications, sur lequel nous
reviendront plus longuement. Aujourd’hui, une simple paire de fibre optique est
potentiellement capable d'
acheminer l'
équivalent du trafic téléphonique mondial
13
instantané .
Figure n° 2 La loi de Moore (Extrait de The Economist)
12
Gordon Moore fut président d'
Intel. En 1965, il publie son célèbre postulat, toujours
d'
actualité, sur l'
accroissement exponentiel des performances des circuits intégrés. Pour
plus de renseignement, consulter www.volle.com/ travaux/moore.htm.
13
Le multiplexage des longueurs d'
onde permet de dépasser plusieurs térabits (milliers de
gigabits) par seconde.
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18
Regard géographique sur le paradigme numérique
Les limites de la convergence
Ces évolutions technologiques sont de nature à provoquer des réactions affectives
d’enthousiasme ou de rejet. Tombant dans le piège du déterminisme technologique,
les commentateurs de la sphère politico-médiatique ont souvent tendance à
exagérer les effets actuels ou futurs de cette convergence numérique. On a
annoncé, par exemple, la fin du livre, de la presse écrite, le mariage entre
l’ordinateur et la télévision. Or, rien de tout cela ne s’est produit. Même si la
télévision est devenue de bout en bout numérique, les terminaux sont restés (et
resteront encore longtemps) matériellement séparés. Et surtout, la télévision,
l’informatique et les télécommunications sont des métiers fondamentalement
différents, entre lesquels les synergies demeurent faibles, comme l’ont appris à
leurs dépens plusieurs dirigeants de société au début des années deux-mille.
L’apparition des téléphones mobiles de troisième génération (3G) suscite le même
genre de fantasmes.
Des auteurs comme Nigel Thrift (1996)14 ont critiqué la tendance à voir dans
l’émergence récente des TIC quelque chose de nouveau. Thrift montre qu’à la fin du
XIXe siècle, le télégraphe et le téléphone, non seulement avaient apporté leur lot
d’effets spatiaux (par exemple dans l’organisation spatiale des firmes), mais aussi
avaient provoqué discours et mythes dans les mêmes circonstances qu’aujourd’hui.
R. J. Gordon (2000)15 affirme, à juste titre nous semble-t-il, que l’Internet a
beaucoup moins changé la vie et le territoire de nos contemportains que
l’automobile ou les antibiotiques.
C’est donc avec un œil très critique qu’il faut s’aventurer sur le terrain des TIC et
des changements annoncés de la société, et pour ce qui nous concerne, de
l’espace géographique et du territoire. L’importance des bouleversements
économiques et sociaux actuels ne sauraient être niée. Les usages des
technologies numérique sont au service d’un élargissement scalaire et d’une
accélération de toutes les formes de mobilité, qu’il s’agisse des personnes, des
biens, des capitaux ou des idées. La responsabilité du géographe, dans ce
contexte, est de faire la part entre, d’une part, le réel objectivable des pratiques
spatiales, et éventuellement des impacts sur les territoires, d’autre part, les
discours, d’où qu’ils émanent, qui ont contribué à fabriquer des représentations
spatiales, et une idéologie spatiale des TIC.
14
New urban eras and old technological fears : reconfiguring the goodwill of electronic
things », Urban Studies.
15
Does the New Economy Measure up to the Great Inventions of the Past?. Journal of
Economic Perspectives, vol. 14, n° 4, pp. 49-74.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 1. La nature de l'information
Il existe plusieurs définitions de l'
information. Joël de Rosnay (1977) propose un très
général "contenu d'
un message permettant de déclencher une action" (dans un
corps humain, ce message peut être communiqué au cerveau par le système
nerveux, dans une entreprise, par le réseau électronique de l'
Intranet).
Mais les technologies numériques reposent sur une définition mathématique de
l'
information, issue des travaux de Shannon et Weaver (The Mathematical Theory of
Communication). L'
information y est mesuré comme la différence entre deux
incertitudes. L'
informatique et les télécommunications numériques utilisent le bit
comme unité de mesure de l'
information. L'
exemple du jeu de carte proposé par J.
de Rosnay permet de comprendre facilement la nature du bit : quelle est la plus
petite information (la plus petite réduction d'
incertitude) que l'
on peut donner sur une
carte extraite au hasard dans un jeu ? rouge (= 0) ou noire (=1). Cette information
est égale à un bit.
De fait, la mesure de l'
information numérisée est totalement indépendante de la
nature de cette information, puisque elle n'
est constituée que de zéros et de uns
Ainsi, il convient de ne pas confondre les deux conceptions du terme information :
une certaine quantité de bits n'
a de valeur informative sociale que si elle permet une
action ou pour le moins une compréhension (quelle information contient un livre en
chinois ?). Comme l'
écrit Edgar Morin, la mesure shanonienne de l'
information
numérique est insensée, au sens propre du terme (1977, p. 303)
Dans le même ordre d'
idée, il n'
y a guère de proportionnalité entre les effets sociaux
d'
un message et la quantité mathématique d'
information qu'
il représente : quelques
bits suffisent pour transférer en quelques centièmes de seconde plusieurs milliards
de dollars d'
une rive à l'
autre de l'
Atlantique (adresses, numéros de compte,
montant), alors que le téléchargement d'
un film met en oeuvre plusieurs milliards de
bits, et peut durer plusieurs heures, suivant la qualité de la connexion.
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19
20
Regard géographique sur le paradigme numérique
1.2. La composante géographique d'une nouvelle idéologie ?
Le phénomène technologique et économique qu’est la convergence numérique ne
peut se comprendre indépendamment de sa composante sociale, culturelle et
idéologique. L’analyse sociologique globale des TIC n’est pas dans notre propos.
Notre intention est de montrer que le paradigme numérique est aussi une
construction idéologique, forgée par des discours d’origines diverses, au sein de ce
que Jean Gadrey appelle la "sphère politico-médiatique" (2001, pp. 19). Et que ces
discours possèdent une forte composante spatiale, qui tend à propager les mythes
géographiques de la fin des distances et de l’ubiquité.
On peut identifier quatre catégories d'
acteurs en forte interaction, les même
personnes appartenant souvent à plusieurs de ces catégories : les entreprises, les
médias, les collectivités publiques, les groupes de pression et cercles d'
experts. Par
souci de simplicité, nous n'
avons pas retenu les individus, les ménages, en tant que
producteurs de discours ou d'
idéologie. Mais il ne faut pas oublier que les
consommateurs de TIC, par leurs modes de consommation et d’usages,
déterminent radicalement la configuration et le succès de ces technologies. Ils
déterminent également certaines politiques, par l'
intermédiaires des statistiques ou
des enquêtes d'
opinions.
1.2.1. Entreprises et publicité
A travers la publicité, colportée par les médias dont elle est la principale source de
revenus, les entreprises du secteur des TIC sont parmi les plus gros producteurs
des représentations qui mettent en scène la vertu des technologies numériques à
ignorer les contraintes de l’espace géographique. Le lien médias-entreprises de
TIC est encore plus fort, c'
est trivial, lorsqu’ils appartiennent à la même compagnie,
ce qui est de plus en plus fréquent avec l'
émergence des groupes dits
« multimédia », présents tout à la fois dans les télécommunications et la presse :
Bouygues-TF1, Vivendi-Cégétel-Canal+, AOL-Time Warner (CNN) etc.
Pour toucher (psychologiquement) sa cible, la publicité doit se situer dans le
domaine de l'
idéologie (grâce à ceci, vous serez plus beau, plus fort, plus sûr de
vous, plus sain, plus performant, plus branché…). Les mythes des TIC décrits par
G. Claisse (ubiquité, convivialité, progrès)16 sont omniprésents. Le plus important
pour nous est celui de l'
ubiquité. De même que le lave-linge et Ariel ou Skip ont
« libéré » la ménagère, le téléphone (mobile surtout), l'
ordinateur portable, libèrent
l'
homme de la tyrannie des distances.
Le supplément multimédia au n° 1909 du 7 juin 2003 du Nouvel Observateur est
émaillé d’encarts publicitaires pour des fabricants d'
ordinateurs et de téléphone
mobile, avec des slogans parfaitement évocateurs de la mystique géographique des
TIC. Apple vend son iBook avec le slogan « Votre vie. A emporter ». Toshiba vend
son portable avec une photo d'
un scooter des neiges sur une surface enneigée,
avec un « complètement givré. IBM et son « solution pour une petite planète », est
une allusion évidente au « village global » de Marshall Mc Luhan (figure n° 3). En
octobre 2004, Darty fait campagne sur le thème d’une ruralité et d’un troisième âge
idéalisés, en mettant en scène un vieux berger (avec son béret) gardant ses
moutons, assis sur un rocher, un ordinateur portable sur les genoux. Avec le
16
1997, L'abbaye des télémythes. Lyon, Aléas.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
21
slogan : « bienvenue dans un monde où la technologie n’oublie personne » (sous
entendu : ni les ruraux, ni les personnes âgées).
Ces images de portable à dos de chameau ou sur la plage (figures n° 3, 4 et 5)
correspondent à des situations matériellement irréalisables. Le message relève de
la symbolique pure, voire du mythe suivant la définition de R.
Barthes (Mythologies) : comme le catch à la TV, c’est du « chiqué », mais le
message n’en est que plus fort, parce que naturalisé.
Figure n° 3 Publicité IBM (mai 1996) : solution pour une petite planète
Figure n° 4 Catalogue de La Redoute,
printemps 2003
Figure n° 5 The Death of Distance
(Frances Cairncross, 2002)
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22
Regard géographique sur le paradigme numérique
1.2.2. Médias et "cybergourous"
Le mythe de l'
ubiquité et de l'
effacement des distances est présent depuis
longtemps dans la presse et la littérature. Le télégraphe et les transports à vapeur
avait déjà suscité leur lot de discours sur le rétrécissement du monde (voir Le tour
du monde en quatre-vingt jours de Jules Verne). Le thème est particulièrement
présent dans l'
œuvre de certains futurologues avec le village global de Marshall
McLuhan (1964, Understanding Medias: the Extension of Man, New York
Macmillan), le « choc du futur » et la « troisième vague » de Alvin Toffler (1970, The
Future Shock ; The Third Wave).
Depuis l'
avénement de l'
Internet, les théoriciens du village planétaire sont appelés
les « cybergourous » (Graham, 1998, p. 170). Les plus souvent cités sont Nicholas
Negroponte, directeur-fondateur du Media Laboratory du MIT, co-fondateur de la
revue Wired, auteur de Being Digital17 et Bill Gates, président-fondateur de
Microsoft (1996, The Road Ahead. New-York, Penguin).
Publiée depuis 1993, Wired est un des vecteurs les plus représentatifs de l'
idéologie
des TIC. Un des éditoriaux de N. Negroponte, Beyond digital, publié en 1998,
exprime parfaitement l'
utopie et les mythes du paradigme numérique, et notamment
le mythe géographique. La société digitale sera une société sans classe, juste,
locale et globale, asynchrone, sans villes, sans territoires, débarrassée de la
rugosité de l'
espace géographique etc. (encadré n° 2)
Dans le registre de la vulgarisation médiatique, on peut mentionner Les conquérants
du cybermonde (1995) de Dominique Nora, journaliste en charge des dossiers
« high tech » au Nouvel Observateur, qui n’est autre que la fille de Simon Nora, coauteur avec Alain Minc du rapport sur l’Informatisation de la société (1978)18.
Ce livre n'
est pas un essai : il se veut avant tout la chronique d'
une formidable aventure
collective, une enquête de terrain sur les coulisses d'
un univers en basculement. D.
Nora, 1995, p. 12.
Certains auteurs se situent à l'
intersection de l'
analyse scientifiques et du
journalisme, comme Joël Kotkin (2000, The New Geography : How the Digital
Revolution Is Reshaping the American Landscape) ou Frances Cairncross de la
rédaction de The Economist, magazine qui peut être considéré comme un des
porte-étendards de la globalisation libérale (The Death of Distance: How the
Communications Revolution Will Change Our Lives, 1997 et rééd. 2000. Par
l'
importance de leurs tirages, ces ouvrages, qui reposent sur des analyses souvent
partielles, contribuent à forger l'
idéologie spatiale des TIC, bien plus que les articles
dans les revues scientifiques, qui restent confidentiels.
Enfin, il ne faut pas omettre la littérature et le cinéma de science fiction, notamment
le genre dit « cyberpunk ». Le 1984 de Orwell (1948) apparaît comme prémonitoire
à bien des égards. Depuis lors, de nombreuses productions ont mis en scène des
technologies de transports ou de télécommunications qui mettent à mal le rapport
traditionnel de l'
homme au temps et à l'
espace, avec profusion de vidéotransmission, vidéo surveillance, dans un univers carcéral où abondent les scénarii
de téléchargement, téléportation, confusion entre réel et virtuel (Total Recall). Le
17
L'
ouvrage est une compilation des collaborations de l'
auteur avec la revue Wired, de
janvier 1993 à janvier 1995 (http://web.media.mit.edu/~nicholas).
18
C’est une illustration du microcosme au sein duquel, et des filiations par lesquelles, se
forge l’idéologie techno-capitaliste des TIC. Grand commis de l’Etat, Simon Nora a été
directeur de l’ENA, dont A. Minc, co-auteur du rapport de 1978, est un pur produit. Ce
dernier a publié récemment www.capitalisme.fr.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
23
terme aujourd'
hui populaire de cyberspace apparaît en 1984 dans Neuromancer de
William Gibson. Dans le genre « cyberpunk », on doit mentionner les différents
épisodes de The Matrix (1999, 2003), dont les scénarii font un abondant usage de
technologies de géo-référencement, associées à la téléphonie mobile, dans un
contexte où les « machines » se sont emparé du pouvoir sur terre (la prise de
contrôle de la planète par les ordinateurs comme « HAL »19 dans 2001 odyssée de
l’espace est un thème récurrent du genre).
"Cyberpunk usually depicts a dystopian near-future world dominated by corporate
capital and drastically reconfigured by new technologies: body alterations, new forms of
media and above all cyberspace." Kneale J., in Crang et al., 1999, p. 205.
19
H.A.L. sont les lettres qui précèdent IBM (autrefois appelé « Big Blue ») dans l’alphabet.
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24
Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 2. Nicholas Negroponte, "Beyond Digital". Wired 6.12, décembre 1998.
Like air and drinking water, being digital will be noticed only by its absence, not its
presence.
The decades ahead will be a period of comprehending biotech, mastering nature,
and realizing extraterrestrial travel, with DNA computers, microrobots, and
nanotechnologies the main characters on the technological stage… Computers will
be a sweeping yet invisible part of our everyday lives: We'
ll live in them, wear them,
even eat them. A computer a day will keep the doctor away.
Yes, we are now in a digital age, to whatever degree our culture, infrastructure, and
economy (in that order) allow us…
Looking forward, I see five forces of change that come from the digital age and will
affect the planet profoundly: 1) global imperatives, 2) size polarities, 3) redefined
time, 4) egalitarian energy, and 5) meaningless territory.
Being global
Nations, as we know them today, will erode because they are neither big enough to
be global nor small enough to be local. The evolutionary life of the nation-state will
turn out to be far shorter than that of the pterodactyl. Local governance will abound.
A united planet is certain, but when is not.
Being big and small
All things digital get bigger and smaller at the same time - most things in the middle
fall out. We'
ll see a rise in huge corporations, airplanes, hotels, and newspaper
chains in parallel with growth in mom-and-pop companies, private planes, homespun
inns, and newsletters written about interests most of us did not even know humans
have.
Being prime
We'
ll all live very asynchronous lives, in far less lockstep obedience to each other.
Any store that is not open 24 hours will be noncompetitive. The idea that we
collectively rush off to watch a television program at 9:00 p.m. will be nothing less
than goofy. It will make sense only for sporting events and election results - and that
is only because people are betting. The true luxury in life is to not set an alarm clock
and to stay in pajamas as long as you like. From this follows a complete renaissance
of rural living. In the distant future, the need for cities will disappear.
Being equal
The caste system is an artifact of the world of atoms. Even dogs seem to know that
on the Net. Childhood and old age will be redefined. Children will become more
active players, learning by doing and teaching, not just being seen and not heard.
Retirement will disappear as a concept, and productive lives will be increased by all
measures, most important those of self. Your achievements and contributions will
come from their own value.
Being unterritorial
Sovereignty is about land. A lot of killing goes on for reasons that do not make sense
in a world where landlords will be far less important than webmasters. We'
ll be
drawing our lines in cyberspace, not in the sand. Already today, belonging to a digital
culture binds people more strongly than the territorial adhesives of geography - if all
parties are truly digital.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
25
1.2.3. Les organisations et collectivités publiques
Pour justifier leurs politiques en la matière, les gouvernements et collectivités
locales, fortement incités par les entreprises, déploient un discours qui participe
activement à la construction d'
une idéologie spatiale des TIC. Toutes les échelles
de pouvoir sont concernées, depuis les plus hautes instances gouvernementales et
intergouvernementales, jusqu'
à la plus modeste des communes rurales. On assiste
à un recyclage permanent des discours produits par d'
autres, dans le sens
hiérarchiquement descendant ou remontant, avec une interférence permanente des
médias. Dans la présente section, nous ne présenterons que les niveaux supérieurs
dans la hiérarchie des gouvernances, susceptibles de produire des discours
médiatiquement résonnants.
Comme dans le cas des médias ou des entreprises, le discours géographique sur
les TIC est en général inclus dans un discours global sur la société de l'
information,
qui s'
appuie invariablement sur les capacités égalisatrices de ces technologies,
capables d'
effacer toutes sortes de distances. L'
espace étant une des médiations,
comme écrit Bourdieu, où s'
expriment les distances sociales, la disparition des
distances géographiques serait, au moins implicitement, un des processus
fondamentaux par lesquels les TIC sont appelées à régler les problèmes de nos
sociétés.
Ce type de discours est produit par les plus hautes instances mondiales. Ainsi, les
25 et 26 février 1995 s'
est déroulée à Bruxelles une conférence ministérielle du G7
sur le thème : construire la société de l'
information au bénéfice des citoyens du
monde (Building the information society for the benefit of the citizens of the world).
L'
Organisation des Nations Unie s'
est également saisie du problème. En décembre
2003 à Genève s’est déroulé le Sommet mondial sur la société de l'
information, qui
se poursuivra à Tunis en 2005. Une des problématiques majeures affichées dans
ces manifestations est la réduction de la très médiatique « fracture numérique »
entre les pays. Le discours du secrétaire général reprend à son compte les thèmes
des cybergourous, notamment le caractère universalisant et la supposée force de
changement de la révolution numérique.
A technological revolution is transforming society in a profound way. If harnessed and
directed properly, Information and Communication Technologies (ICTs) have the
potential to improve all aspects of our social, economic and cultural life… This global
gathering will be a unique opportunity for all key players to develop a shared vision of
ways to bridge the digital divide and create a truly global information society. Kofi
Annan, Secrétaire général des Nations Unies, www.itu.int/wsis/annan.html
A l'
échelle européenne, la Commission (DG XIII) publiait en décembre 1993 un
Livre Blanc intitulé Growth, competitiveness and employment: the challenges and
courses for entering into the XXIst century. Ce livre blanc identifie cinq grandes
priorités, dont celle de « préparer la société de l'
information ». La cheville ouvrière
de cette stratégie fut le groupe de réflexion Bangemann, qui publie en mai 1994 le
rapport Europe and the Global Information Society, présenté au conseil Européen
de Corfou en juin 1994.
The digital revolution will prompt a reorganization of key industrial sectors and the
emergence of new services which have the potential to transfigure the European
society and the daily life of European citizens. This revolution … constitutes a resource
which changes the way we work together and the way we live together. The White
Paper and the Bangemann report are important responses of the Union to these
technological and industrial changes. M. Carpentier, Directeur général de la DG XIII.
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26
Regard géographique sur le paradigme numérique
Depuis lors, les instances européennes n'
ont jamais cessé d'
être au devant de la
scène, avec une importante production de rapports et de nombreux appels d'
offre,
dans les domaines les plus divers, notamment dans le cadre du Bureau européen
pour le projet de la société de l'
information (ISPO : Information Society Project
Office). Ainsi, la Commission a publié des rapports annuels sur le télétravail (EWork 2000 - Annual report on teleworking, www.eto.org.uk).
Mais le projet le plus célèbre de tous est sans doute le National Information
Infrastructure (NII) américain, vulgarisé sous l'
appellation des « autoroutes de
l'
information ». Compte tenu de la place tenue par les Etats-Unis dans les idéologies
de la nouvelle économie et de la mondialisation, ce projet ne pouvait avoir qu'
un
grand retentissement, en Europe en général et en France en particulier.
Le projet NII, présenté par l'
administration Clinton le 15 septembre 1993, dépasse
largement les seules infrastructures de télécommunication. Le NII agenda for action
rappelle que le projet comprend aussi « les logiciels, l'
information elle-même, et les
individus qui produisent l'
information, créent les applications, construisent les
réseaux, et assurent la formation ».
En septembre 1994, le rapport The Information Infrastructure: Reaching Society's
Goals (NIST Special Publication 868) énonce les objectifs du NII.
A national vision for how advanced communications and computing technologies can:
- enable Americans with disabilities to achieve full citizenship in our society ;
- improve the production, consumption, and management of our energy resources ;
- increase the safety and efficiency of our transportation system ;
- allow greater flexibility and worker satisfaction through telecommuting ;
- save lives and property in times of large-scale emergencies and natural disasters ;
empower citizen action to maintain a clean environment etc.
Le tableau n° 2 montre que les « chantiers » retenus par le G7, la Commission
européenne, ou le projet américain des autoroutes de l'
information, présentent de
grandes similarités. La maîtrise de l'
espace géographique est un objectif récurrent
dans la plupart des applications envisagées, qu'
il s'
agisse de régulation des
transports, de développement du télétravail, de l'
enseignement à distance, de la
gestion de l'
environnement.
Tableau n° 2. Trois programmes d'action pour la "société de l'information" : secteurs
d'applications prioritaires
G7
- Education et formation
- Bibliothèques électroniques
- Musées et expositions
électroniques
- Gestion de l'
environnement
et des ressources naturelles
- Gestion des crises
- Gouvernement
électronique
- Réseau pour les PME, EDI
- Gestion et régulation
maritime
- Systèmes de transport
intelligents
Union Européenne
- Télétravail
- Enseignement à distance
- Réseaux universitaires et
de recherche
- Services télématiques pour
les PME
- Gestion du trafic routier
- Régulation du trafic aérien
- Réseau de surveillance
sanitaire et télémédecine
- Autoroutes de l'
information
urbaines
Etats-Unis
- Education et formation "tout
au long de la vie"
- Santé
- Bibliothèques
- Industrie
- Commerce électronique
- Gestion de l'
environnement
- Accès à l'
information
administrative
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Regard géographique sur le paradigme numérique
27
Ces discours ont eu un écho important dans certains pays émergents ou en voie de
développement, comme la Corée du Sud, Singapour et l’Inde, qui ont fait des TIC
« l'
arme absolue » de leurs politiques de développement.
Information technologies has become the mantra of Indian politician and policy makers.
In 1998, Prime Minister A.B. Vajpayee announced the goal of making India a '
global
information technology superpower'and a '
forerunner in the age of the information
revolution. Saxenian, 2000-b, p.1.
En France, le discours officiel a émergé au moment du grand changement de
conjoncture du début des années soixante-dix, qui voit la fin des Trente Glorieuses.
Pour les experts mandatés par le gouvernement, les TIC (la « télématique »)
apparurent alors comme la solution à tous les maux, à commencer par la crise de
l'
énergie.
Un substitut à l'
énergie, la communication… il est possible de remplacer des échanges
marchands d'
énergie en usages, marchands ou non, d'
information. Jacques Attali, Le
Monde du 22 février 1974.
Les politiques de mise en œuvre se situaient dans la tradition colbertiste et StSimonienne de l’époque, popularisée par les grands chantiers techno-industriels
dirigés par l’Etat (Lefebvre et Tremblay, 1998). Ce qui déboucha notamment sur le
rapport de Simon Nora et Alain Minc (1978, L'informatisation de la société) et sur
l’aventure du Minitel. A la fin des années quatre-vingt-dix, certains attribuèrent le
retard français dans le développement de l’Internet (largement résorbé depuis) aux
rigidités héritées du capitalisme technocratique d’Etat (France Télécom était alors,
et reste encore aujourd’hui, la cible la plus fréquente de ce genre d’attaques).
Le Débat national pour l'aménagement du territoire publié en 1993 par le Ministère
de l'
intérieur et de l'
aménagement du territoire occupe une place centrale au sein du
corpus des discours officiels sur l'
espace et le territoire. C'
est un tel cas d'
école pour
l'
illustration de l'
idéologie spatiale des TIC dans le discours politique que nous avons
souhaité en citer de larges extraits (encadré n° 3).
Les TIC seraient à l'
origine d'
une mutation majeure, d'
une révolution qui affecterait
profondément les territoires. On voit ressurgir le mythe de la dissolution de la ville
sous la forme atténuée d'
un rééquilibrage entre les espaces. Les TIC vont
désenclaver les espaces les plus reculés, permettre l'
installation des usines à la
campagnes, où les conditions de travail et la productivité seront meilleures.
L'
avénement des TIC provoque une vision messianique : l'
explosion des
télécommunications est précisément l'
une de ces grandes lignes d'
espoir, fondatrice
d'
un avenir nouveau. Alors que certains ont annoncé la fin de l'
Histoire, de la
Géographie et des idéologies, la société de l'
information et les NTIC semblent offrir
de nouveaux horizons, de nouveaux espaces à défricher.
Cette utopie spatiale va constituer la base des discours et des politiques
d’aménagement du territoire fondés sur le déploiement des TIC, que nous
développerons dans le chapitre 5.
Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected]
28
Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 3. Les TIC dans le Débat national pour l'aménagement du territoire
(Ministère de l'
intérieur et de l'
aménagement du territoire, DATAR - La documentation
Française, 1993)
La communauté nationale en question
Une révolution silencieuse
La France affronte de graves problèmes d'
adaptation… son espace va se
transformer en profondeur au cours des dix prochaines années.
Des facteurs majeurs de mutation sont déjà à l'
œuvre, qui modifient la répartition
dans l'
espace des hommes et des activités : transports à grande vitesse,
transmission en temps réel des sons, des images et des données, marché
unique…p.13
De nouvelles bases pour l'action
De nouveaux liens pour utiliser l'ensemble de l'espace disponible
Un phénomène général… l'
émergence sous nos yeux de nouveaux liens entre
espaces ruraux et espaces urbains. On connaît les causes de cette révolution : c'
est
en tout premier lieu l'
explosion des facilités de communication de toute nature
(autoroutes, TGV, avion, et surtout information et télécommunications). p.31.
L'explosion des télécommunications
L'
explosion des télécommunications est précisément l'
une de ces grandes lignes
d'
espoir, fondatrice d'
un avenir nouveau. A une époque où la principale source de
valeur ajoutée est de plus en plus la matière grise, la facilité de communiquer est un
facteur stratégique de création de richesses. p.31.
Des politiques cohérentes pour dessiner la France
La politique d'
aménagement du territoire devra tirer parti de deux phénomènes qui
vont, spontanément, dans le sens du rééquilibrage entre les espaces : d'
une part la
sensibilité à l'
environnement… d'
autre part les espoirs d'
une nouvelle organisation
géographique du travail que portent en elles les nouvelles techniques de
l'
information et de la communication. Ces nouvelles technologies de communication
ouvrent aujourd'
hui de nouveaux espaces aux Français. Elles constituent une
révolution, base d'
un désenclavement des espaces les plus reculés. Elles autorisent
une véritable mise en réseau de la matière grise, capital qui constitue notre plus
formidable richesse, notre véritable atout pour le futur. p 58.
L'utilisation de nouveaux réseaux du télétravail et des téléservices
Certaines entreprises deviennent de plus en plus éclatées, quasi virtuelles. Des pans
entiers du très large secteur tertiaire peuvent être délocalisés dans l'
ensemble du
territoire, loin de leurs sièges, tout en accroissant sensiblement leur productivité, et
en améliorant les conditions de travail.
Nous entrons dans l'
ère de la téléactivité, qui permettra de conjuguer compétitivité
économique, amélioration de la qualité de vie et meilleure occupation du territoire…
une nouvelle politique d'
aménagement du territoire ne peut ignorer le développement
du travail délocalisé.
Pour relever ce défi, il faudra vaincre certaines résistances, assouplir contraintes et
réglements, libérer un faisceau de fréquences, et établir des tarifs compatibles avec
le caractère éminemment stratégique de cette nouvelle application. p.82.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
29
1.2.4. Les groupes de pression et cercles d'expert
Une partie non négligeable des discours et de l'
idéologie du numérique, notamment
de l'
Internet, se construit au sein d'
associations, groupes de pression et cercles
d'
experts (lobbies et think tanks), où se mélangent les représentants des
collectivités, des entreprises privées ou publiques, des associations. Ces structures
rédigent des rapports, publient des revues, alimentent des sites Web, organisent
des « événements », qui contribuent en retour, à la médiatisation de la soit disant
révolution numérique. Ces associations à but non lucratif (ou non profit
organizations) couvrent la plupart des aspects économiques, politiques, sociaux, de
l'
introduction des TIC dans la société. Nous ne présenterons que quelques
exemples français et un exemple américain, suffisants pour comprendre que c'
est
au sein de ces structures que se réalisent le brassage des idées, et aussi, parfois, la
collusion des intérêts, qui aboutissent au culte des TIC.
En France
Le Club de l'Arche, fondé en 1993, est un club de réflexion animé par les
entreprises, qui a pour vocation « d'
échanger des informations sur l'
introduction des
nouvelles technologies de l'
information et de la communication dans la société »
(www.club-arche.org). Les titres du chapitre 1 du Manifeste du Club : Vers une
"digitalisation" de la société ? sont un bon indicateur de la prégnance du paradigme
numérique dans les discours publics.
Vers une société d'
abondance post-numérique ?
Un « new deal » électronique ?
Un processus de « digitalisation » sociale inéluctable
Les grands « prédateurs électroniques » sont à nos portes
Non à une « Ligne Maginot » électronique
L'
Internet a fait l'
objet d'
un militantisme (aujourd'
hui relativement en déclin) à travers
plusieurs association comme l'
ISOC - France (chapitre français de l'
Internet society)
et l'
Association des utilisateurs de l'
Internet (AUI), associations fondées en 1996 qui
ont fusionné en novembre 2002 (www.aui.fr, www.isocfrance.org). La « Fondation
pour l'
Internet nouvelle génération » a pour ambition que « la France, dans l'
Europe,
soit un acteur de premier plan de l'
innovation dans les usages de l’internet nouvelle
génération » (www.fing.org).
L'
ISOC et la FING, entre autres, contribuent à l'
organisation des rencontres de la
société en réseau qui se tiennent chaque année à Autrans, dans le Vercors, depuis
1996, et constituent une de ces grandes messes des TIC, au même titre que la Fête
de l'
Internet. Certaines structures sont plus thématiques, comme l'
Association
Française du Télétravail et des Téléactivités, qui organisait il y quelques années, à
Serre-Chevalier, le Festival du Télétravail et des Téléactivités.
Les élus participent pleinement à ce militantisme, dans le cadre d'
associations de
collectivités auxquelles participent aussi des entreprises et personnalités20, comme
« l’Association des villes Internet », « l’Association des villes numériques »
(structure qui semble en sommeil). Les grandes villes possèdent leur propre
structure, Multimédiaville, présidée par le maire de Metz, J.M. Rausch, qui a fait des
TIC, depuis plus de vingt, un des fers de lance de sa politique municipale
(www.grandesvilles.org/2002/ multimediaville).
20
Et certains géographes, comme E. Eveno, président de l’Association « Villes Internet »
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30
Regard géographique sur le paradigme numérique
L'
association des villes numériques est née en 1997 de la volonté formulée par des
élus, des enseignants, des chercheurs, des professionnels du monde des
infotechnologies, de promouvoir et de susciter à l'
échelle de l'
Europe la concertation et
la coordination en vue du déploiement des moyens numériques propres à affronter les
défis du monde urbain et d'
une nouvelle citoyenneté. www.villesnumeriques.org
Dans ces manifestations, colloques, salons et autres foires aux TIC, on rencontre
souvent les même personnes, qui ont fait des TIC leur cheval de bataille
professionnel ou politique. Le Sénat, l'
Assemblée nationale, ont leur « Monsieur
TIC », voir leur « groupe TIC ». Pour mieux défendre leurs propos, ces derniers ont
parfois fait de leur fief local un laboratoire d'
expérimentation des TIC (J.M. Rausch à
Metz, A. Santini à Issy-les-Moulineaux, Jacques Dondoux en Ardèche, R. Trégouët
dans les Monts-du-Lyonnais etc.).
Un élément remarquable est l'
entrecroisement des réseaux qui animent ces
structures. On peut ainsi identifier des personnes motrices du système, au carrefour
de la politique et des affaires, que l'
on rencontre dans la plupart des innombrables
colloques ou manifestations organisées sur le sujet, par exemple :
Jean Michel Billault, président du Club de l'
Arche, fondateur et directeur de
l'
Atelier, cellule de veille technologique du groupe BNP-Paribas, créateur de
la Fête de l'
Internet, vice président de l'
AFTEL (Association française de
télématique)21.
Nicole Turbé-Suetens, carrière à IBM, puis fonde Distance Expert, expert
auprès de la Commission européenne, coordinatrice pour la France de
Europe Telework Online (www.eto.org.uk/nat/fr), présidente de l'
Association
Française du Télétravail et des Téléactivités (www.aftt.net), membre du
conseil d'
administration du Club de l'
Arche.
Jean-Michel Yolin, auteur du rapport pour le Conseil Général des
Technologies de l'
Information (CGTI) : Internet et Entreprise mirage ou
opportunité ? (2002), membre du Club de l'
Arche, membre de l'
ISOC France.
Jean-Paul Basquiat, énarque passé par la DGRST, fondateur d’Admiroutes
(site non officiel), rédacteur de nombreux rapports, articles et ouvrages.
André Loechel, chargé de mission à la Cité des Sciences et de l’Industrie,
président du Réseau européen des villes numériques.
Aux Etats-Unis : le Progressive Policy Institute
Le Progressive Policy Institute émane de la « Fondation pour une troisième voie »
(Third Way Foundation Inc.), organisation à but non lucratif qui a pour objectif de
« définir et promouvoir une nouvelle politique progressive pour les Etats-Unis dans
le vingt-et-unième siècle ». Le PPI se définit lui même comme un des think tanks du
« nouveau parti démocrate », qui a été un des instruments de l'
accession au pouvoir
de Bill Clinton (cf. New Democrats Online, www.ndol). De fait, le travail du PPI
s'
inscrit complètement dans la lignée de l'
initiative des « autoroutes de
l'
information » lancée par le vice-président Al Gore.
America and the world have changed dramatically in the closing decades of the 20th
century. The industrial order of the 20th century is rapidly yielding to the networked
"New Economy" of the 21st century…The core principles and ideas of this "Third Way"
21
Nous verrons dans le chapitre 5 son rôle dans l’émergence du projet « Pau Broadband
Country ».
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Regard géographique sur le paradigme numérique
31
movement are set forth in The New Progressive Declaration: A Political Philosophy for
the Information Age... Through its research, policies, and perspectives, the Institute is
fashioning a new governing philosophy and an agenda for public innovation geared to
the Information Age. www.ppionline.org
Le PPI possède ou a possédé dans son organigramme des dirigeants d’entreprises
d’informatique comme Gateway et Netscape. Sous la signature de son directeur
adjoint, R.D. Atkinson22, le PPI publie de nombreux rapports et professions de foi
sur la nouvelle économie des TIC et sur la géographie de la nouvelle économie.
1.2.5. La communication numérique, nouvelle religion universelle ?
La bien-pensance communicationnelle, qui joue dans la France contemporaine le rôle
d'
idéologie attribué par Marx en son temps à la religion… Comment cette idéologie de
la communication, au service de la mondialisation techno-marchande, s'
y prend-elle
pour assurer son hégémonie ? L'humanité, 25 juin 2001.
Il n’est pas absurde de considérer la communication comme la dernière grande
idéologie universelle. Dans Le culte de l'Internet : une menace pour le lien social ?,
P. Breton critique cette forme de religiosité qui entoure l'
Internet (d'
où l'
expression
les « cybergourous »). Le paradigme numérique apparaît comme le dogme clé et le
vecteur de cette nouvelle religion, qui doit réunifier l'
humanité toute entière.
La floraison des discours sur les TIC et la dite « société de l'
information », le succès
médiatique de la métaphore de la « fin de la géographie » lancée par R. O'
Brien, ne
peuvent pas être compris en dehors du contexte historique et géopolitique du début
des années quatre-vingt-dix, avec la fin de l'
affrontement Est-Ouest, la disparition
du communisme en tant qu'
ideologie porteuse d'
alternative au capitalisme de
avénement d'
une mondialisation dont on pourrait dire
marché23 et, finalement, l'
qu'
elle est consubstantielle aux technologies d'
information et de communication. Le
titre de l'
ouvrage de O'
Brien est une allusion évidente à la thèse, plus célèbre
encore, de Francis Fukuyama sur la fin de l'Histoire qu'
aurait signifié l'
écroulement
du communisme en URSS et en Europe de l'
Est24. Pour certains, la communication
généralisée et les TIC ne sont que le nouvel opium du peuple, au service du
capitalisme mondialisé.
1.3. Les géographes dans le débat :
Les chercheurs en science sociale sont dans la société : leur travail s'
effectue en
inter-relation permanente avec un objet d'
étude dont ils font partie. Ceci a pour
conséquences des relations parfois ambiguës avec la sphère économique et
politico-médiatique. Notre propre pratique, les rapports que nous avons produits
pour les collectivités locales, les organismes consulaires, quelques articles que
nous avons publié dans des revues dites de vulgarisation, voire dans des
22
R.D. Atkinson est docteur en Urbanisme et Aménagement. Il a publié notamment The
Technological Reshaping of Metropolitan America.
23
Ce que D. Pumain (op.cit.) appelle « la fin des grands récits ».
24
La thèse de Francis Fukuyama, publiée en 1989 dans The National Interest se rapporte à
une conception Hégelienne de l'
Histoire, résultant d'
antagonismes entre idéologies et formes
d'
organisations sociales.
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32
Regard géographique sur le paradigme numérique
magazines professionnels, nos interventions dans des colloques ou séminaires à
caractère professionnels, sont des illustrations de cette interaction.
La réponse du chercheur à la demande sociale (voire la participation à la création
de cette demande) ne va pas sans risque. Or, cette demande a été très forte ces
dernières années, puisque la sphère politico-médiatique a été, c'
est le moins que
l'
on puisse dire, très active sur le sujet des TIC. De fait, on peut penser que les
chercheurs en science sociale qui se sont intéressés à ce sujet ont surfé sur la
vague médiatique qu'
ils ont eux-même contribué à faire grandir, et qu'
ils ont
contribué, par leur participation, à cautionner le fonctionnement du système.
Ceci a assuré une alimentation régulière en contrats et subventions de recherche.
Les organismes dispensateurs de subventions de recherche fonctionnent suivant
des logiques propres. Les appels d'
offre proposent des problématiques qui émanent
d'
une dialectique entre le pouvoir politique et des cercles d'
experts dont le
scientifique, par une sorte de paradoxe, fait souvent partie. Il y a alors risque d'
effets
pervers : émergence de discours auto-réalisateurs, enclenchement d'
un processus
collectif d'
auto-production du système à produire des études et rapports.
En tout état de cause, une revue élémentaire de la littérature montre que l’intérêt
des géographe pour les technologies d’information et de communication est ancien
et n’a fait que croître logiquement tout au long du dernier quart de siècle, avec un
souci de diversification des problématiques.
1.3.1. De la géographie des télécommunications à la géographie du
cyber-espace
L’intérêt des géographes pour la géographie des télécommunications est déjà
ancien. Les travaux sur les aires d’influence téléphonique datent des années
soixante. Une rapide analyse de la littérature scientifique montre comment les
géographes ont peu à peu affiné leurs analyses, et permet d'
identifier les principaux
courants de recherche actuels. Jusqu'
à l'
aube des années quatre-vingt, on ne parlait
guère que de géographie des télécommunications (ce qui n'
empêchait pas
d'
entrevoir des enjeux territoriaux toujours très actuels). Aujourd'
hui, on parle plutôt
de géographie du cyber-espace, de géographie de la société de l'
information, de
géographie de la nouvelle économie.
La bibliographie sur la relation des TIC et du paradigme numérique à l'
espace et au
territoire est aujourd'
hui immense, et il est difficile d'
être exhaustif. La bibliographie
de travail que nous proposons à la fin de ce volume renvoie uniquement à des
textes en français et anglais. La portée de ce biais linguistique est toutefois atténuée
par le rôle de l'
anglais comme linguae franca de la communauté scientifique
internationale, qui nous permet de référencer des travaux originaires de la plupart
des pays non anglophones présents dans la recherche en sciences sociales, non
seulement d'
Europe du Nord (où les chercheurs publient les travaux importants en
anglais), mais aussi d'
Italie, d'
Espagne, du Japon, de Corée du Sud etc. Par
ailleurs, l'
avance prise par les pays dits « anglo-saxons » dans les usages des TIC
(notamment de l'
Internet) rend la production scientifique sur ces sujets plus
abondante que dans les pays latins ou a fortiori en voie de développement, ce qui
minore également l'
impact du biais linguistique. Le tableau n° 3 montre la diversité
des pays d’origine des auteurs (Les Etats-Unis et le Royaume Uni, puis la France,
représentent la majorité des références). Un tableau par aire géographique d’intérêt
aurait cité les mêmes pays, à peu de choses près.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
33
Tableau n° 3. Pays représentés dans la bibliographie (auteurs)
Europe
Allemagne
Italie
Belgique
Pays-Bas
Espagne
Pologne
Finlande
Royaume Uni
France
Slovénie
Grèce
Suède
Irlande
Suisse
Asie/Pacifique/Afrique
Afrique du Sud
Australie
Chine
Corée du Sud
Inde
Israël
Japon
Nouvelle Zélande
Singapour
Amérique
Etats-Unis
Canada/Québec
Mexique
Brésil
Pérou
Nous avons essayé d'
être le plus complet possible pour les travaux postérieurs à
1998. De nombreux documents ont été obtenus sur le Web : versions provisoires ou
finales d'
articles publiés dans des revues importantes, communications dans des
colloques, rapports de recherche, rapports gouvernementaux ou européens etc.
Une des difficultés dans la constitution et dans l'
analyse de la bibliographie commune à d'
autres domaines de la géographie - est que les sources ne s'
affichent
pas toujours comme ouvrages ou articles de géographie, mais sont relatives à
l'
aménagement, l'
urbanisme, les sciences régionales, l'
économie, la sociologie, les
sciences de l'
information et de la communication etc. L’essentiel étant que l'
auteur
engage une réflexion sur la relation entre les TIC et l'
espace ou le territoire.
Toutefois, l’intérêt de la communauté scientifique des géographes, élargie à celle
des urbanistes, « aménageurs », voire économistes spatiaux, se mesurera tout
particulièrement aux publications dans des revues internationales de géographie,
d’aménagement, de science urbaine ou régionale, qui, par le procédé de lecture
anonyme, restent les meilleurs indicateurs de la reconnaissance des apports
scientifiques d'
une direction de recherche nouvelle.
Des travaux fondateurs
La réflexion sur les télécommunications est présente dans les travaux des
géographes contemporains depuis plus de trente ans. En 1970, dans Aménager le
territoire25, Michel Rochefort reproduisait une carte des zones d'
influence des villes
d'
après les flux téléphoniques, dessinée par le ministère de la construction
(document reproduit dans l'Espace français de Daniel Noin, 1977).
De grands géographes du XXe siècle ont développé une réflexion sur les
télécommunications : Jean Gottmann (1970, 1983), Peter Hall (1986, 1991, 1995),
Paul Claval (1995). Parmi les pionniers spécialistes, le nom de Ron Abler est le plus
souvent cité (1974, The geography of communication ; 1975, Human Geography in
a shrinking world).
Jean Gottmann introduit une réflexion fondamentale lorsqu'
il propose le concept de
« fonction quaternaire », observé dans le contexte de la Megalopolis (« Urban
centrality and the interweaving of quaternary functions », Ekistics, 1970, n° 174, pp.
322-331). De fait, certains auteurs considèrent J. Gottmann comme le « père de la
géographie de l'
âge de l'
information » (Wilson & Corey, 2000, p.3). Mais l'
article
pionnier est peut-être celui d'
Arnold Wise, en 1971 dans Ekistics : « The impact of
electronic communications on metropolitan forms ». Il reste tout à fait d'
actualité.
Certaines hypothèses discutées préfigurent les problématiques développées par S.
Graham et d'
autres trente ans plus tard.
25
Paris, Seuil.
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34
Regard géographique sur le paradigme numérique
La première moitié des années quatre-vingt est riche en publications marquantes,
avec Henry Bakis (1981, « Elements for a geography of telecommunications »,
Geographical Research Forum), Aaron Kellerman (1984, « Telecommunications and
the geography of metropolitan areas », Progress in Human Geography), et surtout
un numéro entier de Ekistics (1983, n° 302) consacré aux technologies de
communication, avec des signatures prestigieuses, dont celles de Richard L. Meier
et Jean Gottmann. En 1985, la Revue géographique de l'Est (vol. 25, n° 1) publie
sur la géographie de la communication, avec notamment des articles de H. Bakis et
C. Verlaque.
Au delà de cette date, les publications deviennent trop nombreuses pour être
mentionnées toutes. Même si elle incorpore de nombreuses publications mineures
et périphériques, la bibliographie pour la période 1980-1992 de « Géographie des
réseaux de communication et de télécommunications » publiée par H. Bakis dans
Netcom (vol. 6, n°2, pp. 309-395) comporte 771 références. Et le flux s’est intensifié
depuis cette date.
La vigueur des recherches centrées sur la problématique spatiale et territoriale des
technologies d’information et de communication est manifestée par l’existence de
publications spécialisées, comme Netcom et surtout Journal of Urban Technology26.
Mais une indication plus nette de l’importance de la prise en compte du paradigme
numérique par notre communauté scientifique est fournie par les publications dans
les revues généralistes de géographie, de science régionale ou urbaine de
catégorie A.
De 1997 à nos jours, Regional Studies a consacré six articles aux TIC stricto sensu.
Urban studies et Environment and Planning A ont publié chacune une quinzaine
d’articles sur le thème. Les numéros thématiques méritent une mention particulière.
Depuis 1990, plusieurs revues généralistes ont livré des éditions entièrement
dédiées aux TIC : Annales de Géographie (1995, éds. H. Bakis et G. Dupuy, n° 585586), Cities (1999, vol. 16, n° 1), Urban Studies (2000, vol. 37, n° 10), Environment
and Planning A (2003, vol. 35, n° 7), Environment and Planning B (2001, vol. 28, n°
1), International Journal of Urban and Regional Research, (2000, vol. 24, n° 1 ;
2001, vol. 25, n° 2). Parmi les revues françaises de catégorie B27, on peut
mentionner Géocarrefour (2000, vol. 75, n° 1) et Géographie et Cultures (2003, n°
46).
Les articles dans Progress in Human Geography (PGH) méritent une attention
particulière, dans la mesure où cette revue, comme son nom l'
indique, a pour
vocation de publier des articles qui présentent une avancée théorique ou une
ouverture marquante de la géographie humaine. De ce point de vue, l’article de A.
Kellerman en 1984 (« Telecommunications and the geography of metropolitan
areas »), constitue un jalon intéressant. PGH a publié à sept reprises sur la
question. 1998 est une année charnière, avec pas moins de trois articles. Si l'
on
voulait dater la naissance d’une « géographie des TIC » succédant à la géographie
des télécommunications, ce tryptique, par l'
importance et la généralité des
problématiques géographiques traitées, constituerait une proposition sérieuse. Les
titres évoquent la transition fondamentale, bien avant Internet, entre la désormais
classique géographie des télécommunications, et une géographie des technologies
d'
information aux implications plus vaste, même si elle repose sur la même
problématique fondamentale. En 2002 et 2003, avec Cutchin, Adams & Ghoose,
puis Grimes, on passe à des problématiques plus pointues, ce qui signale, sans
doute, une certaine maturité de l’état des recherches sur la question.
26
27
Réseaux et Flux sont des publications transdisciplinaires.
Selon le classement publié en 2003 par le CNRS, qui peut être discuté.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
35
Tableau n° 4. Les TIC dans Progress in Human Geography
1984
1987
1998
"
"
2002
2003
2003
KELLERMAN
HEPWORTH
GRAHAM
Telecommunications and the geography of metropolitan areas
Information technology as spatial system
The end of geography or the explosion of place ?
Conceptualizing space, place and information technologies
HILLIS
On the margins : the invisibility of communications in
geography
KITCHIN
Toward geographies of cyberspace
CUTCHIN
Virtual medical geographies: conceptualizing telemedecine and
regionalization
GRIMES
The digital economy challenge facing peripheral rural areas
ADAMS & GHOSE India.com: the construction of a space between
En annexe 1, nous proposons un tableau de synthèse de publications importantes
qui témoignent, depuis 1990, d’un regard géographique sur le paradigme
numérique28. Cette aperçu bibliographique permet de dégager les principaux
centres d’intérêt des géographes autour du thème des technologies numériques.
La catégorie la plus importante reflète bien les préoccupations contemporaines des
géographes, puisqu'
elle relie le paradigme numérique au phénomène urbain sous
ses divers aspects. Certains chercheurs s'
en sont fait une spécialité, rattachant
l'
étude des TIC aux sciences de l'
urbain. La ville est suffisamment vaste, comme
concept, pour que plusieurs sous-problématiques puissent émerger, qui croisent
inévitablement les problématiques sectorielles : ville et réseaux de
télécommunication, technologies numérique et gouvernance urbaine, TIC et
aménagement urbain, représentations de la ville, économie urbaine etc.
La confrontation du paradigme numérique à l'
espace rural a suscité également une
production abondante. L'
éloignement et les faibles densités (relatives) qui
caractérisent les territoires ruraux ont semblé faire des TIC un outil idéal pour leur
désenclavement.
Les technologies numériques ont été rapidement perçues comme un moyen
d'
aménager le territoire, qu'
il soit rural ou urbain, voire de le développer. On trouve
fréquemment dans le discours la thèse du saut techologique, qui aurait permis à des
régions en retard de développement de bruler les étapes et de parvenir directement
au stade d'
une société de services, post-industrielle. Le thème de la fracture
numérique (digital divide) entre territoires, individus, groupes sociaux… a fait couler
beaucoup d'
encre, de nombreux auteurs décrivant l'
émergence d'
un territoire à la
fois maillé et fragmenté.
L'
étude du très populaire cyberspace pourrait constituer une autre branche d'
une
géographie des TIC, voire, chez certains auteurs, la géographie des TIC elle-même.
Enfin, une importante production touche à la géographie économique des
« secteurs du numérique » au sens large : télécommunications, multimédia,
commerce électronique, centres d'
appel… Il s'
agit de comprendre la territorialisation
de ces activités dont la matière première et le produit final sont intangibles. Ces
questions ne sont pas dénuées d'
enjeux sociaux, comme ceux qui environnent le
thème du télétravail, mythe au cœur du mythe, qui devait révolutionner le rapport au
territoire des entreprises et des employés.
Cette présentation ne se veut pas exhaustive. Elle a simplement pour but de
montrer que les géographes (et leurs voisins et amis urbanistes et aménageurs), de
28
Dans cette annexe ne figure que des articles dans des revues à comité de lecture,
internationales pour la plupart, ou des ouvrages scientifiques.
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36
Regard géographique sur le paradigme numérique
par le monde, ont publié très largement sur la question des TIC, sur des sujets qui
intéressent de nombreuses branches de la géographie. Cela signifie-t-il pour autant
qu’il existe une « géographie des TIC » ?
1.3.2. Existe-t-il une géographie des TIC ?
The neglect of telecommunications in the mainstream of urban studies and policymaking is becoming so serious that it threatens to undermine the prevailing paradigms
which underpin them…this book'
s main goal : to help shift telecommunications from the
margins to the center of urban studies and policy. Graham 1996, p. 75.
Le débat a été lancé par plusieurs auteurs, qui ont adopté une attitude militante, en
faveur de la reconnaissance de l’importance des « TIC » dans le débat scientifique
en géographie et dans les autres sciences de l’espace.
L’expression the neglect of telecommunications est omniprésente dans les deux
premiers chapitres de l’ouvrage de S. Graham et S. Marvin « Telecommunications
and the City » (1996). La thèse de Graham et Marvin, comme celle de K. Hillis29 est
que l’invisibilité matérielle des télécommunications aurait empêché que leur
importance ne soit pleinement reconnue par la communauté des géographes et
autres aménageurs (les télécommunications s'
inscrivent peu dans le paysage, objet
traditionnellement important pour le géographe ou l’urbaniste).
La lisibilité sociale et académique de la géographie des Tic n’a guère progressé, pas
davantage son institutionnalisation… Dans la plupart des colloques, symposia,
séminaires… consacrés aux TIC, les géographes sont très souvent conviés mais dans
la méconnaissance de leur statut de géographe, et dans la confusion avec les autres
disciplines des sciences de l’homme et de la société. E. Eveno, rapport d’activités de la
Commission "Géographie de la Société d’Information" du Comité National Français de
Géographie, 22 juin 2000 (http://cnfg.univ-paris1.fr/com/00gsoc.htm).
Si nous avons souhaité souligner la place de la réflexion spatiale sur les TIC dans
les grandes revues scientifique, ainsi qu’auprès des éditeurs les plus prestigieux
comme Elsevier, Routledge ou autres, c’est aussi pour montrer que la recherche
dans les sciences de l’espace ne semble pas avoir souffert d’un quelconque
ostracisme. Les géographes, notamment, certains appartenant à des institutions
universitaires prestigieuses, ont beaucoup écrit sur la question dans les revues de
géographie ou interdisciplinaires les plus renommées. De nombreux auteurs
appartiennent à des départements de géographie dans leurs universités respectives
: Yuko Aoyama (Clark University, Worcester, Mass.), Henry Bakis (Université Paul
Valéry de Montpellier) Michael Batty et Martin Dodge (University College London),
Stanley Brunn (Université du Kentucky) Kenneth Corey (Université d'
Etat du
Michigan), Emmanuel Eveno (Université de Toulouse le Mirail), Andrew Gillespie et
Ranald Richardson (Université de Newcastle), Peter Graef (Université d'
Aix-laChapelle), Seamus Grimes (Université Nationale d'
Irlande, Galway), Woo-Kung Huh
(Université Nationale de Seoul), Aaron Kellerman (Université de Haïfa), Mei-Po
Kwan et Edward J. Malecki (Université d'
Etat de l'
Ohio), Sten Lorentzon (Université
de Göteborg), Barney Warf (Université d'
Etat de Floride).
Depuis plusieurs années, un travail de mise en lisibilité institutionnelle d'
une
« géographie des TIC » (ou d'
une géographie de la société de l'
information) a été
entrepris, au niveau international, par la commission "Geographie de la société de
l'
information" de l'
Union Géographique Internationale (présidents Henry Bakis puis
Aaron Kellerman), au niveau national, par Emmanuel Eveno, qui préside la
29
"On the margins : the invisibility of communications in geography", Progress in Human
Geography, 1998, vol. 22, n° 4, p.543-566.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
37
commission de géographie des TIC du Comité national français de Géographie. La
revue Netcom, seule revue de géographie30 entièrement consacrée aux TIC, est
publié conjointement par l'
UGI, le CNFG et l'
Université de Montpellier 3.
Un autre élément institutionnel à prendre en compte est l'
existence, de par le
monde, d'
enseignements universitaires de géographie portant spécifiquement sur la
relation des TIC à l'
espace. Le site Web de la commission "Geographie de la
société de l'
information" de l'
IGU présente une liste de ces enseignements
(Selected courses on the geography of information / information society /
cyberspace, www.ssc.msu.edu/~igu/Courses.htm). Cette liste, sans doute
incomplète, indique un enseignement de la géographie des TIC dans 10 pays et 21
universités, sous la responsabilité d'
un nombre identique de professeurs ou
assimilés (voir annexe 2). Il est incontestable que sous une certaine forme, on a
assisté de facto à l’émergence d’un courant de recherche et d’enseignement, doté
d’une certaine dose d’autonomie.
Pourtant, nous restons réservé à l’égard d’une telle autonomisation. Le problème
principal provient des multiples transversalités auxquelles se prêtent les TIC, du fait
de leur ubiquité. Bien qu’ayant réduit nos ambitions initiales, nous même avons
particulièrement souffert de la dispersion des champs disciplinaires et des concepts
dans la rédaction du présent travail. La géographie économique est largement mise
à contribution, pour tout ce qui touche aux entreprises, dans le secteur des
télécommunications, du multimédia, des centres d'
appel… Une relation forte avec la
géographie des transports, autour du concept de réseau, est aussi à envisager.
Mais, par l'
analyse des représentations de l'
espace sur le Web, de la
territorialisation de nouvelles pratiques politiques et sociales liées à l'
Internet ou au
téléphone mobile, une géographie des TIC appartient aussi à la géographie sociale
(telle que la définit Guy Di Méo31). De même, la floraison des discours politiques et
médiatiques sur l'
importance des TIC pour l'
aménagement des territoires ne peut
être étudiée uniquement sous l'
angle économique. Une dernière transversalité, et
non la moindre, est celle du croisement entre les problématiques sectorielles,
évoquées ci-dessus, et la typologie des espaces, la diversité des échelles. Faire
une géographie des TIC, c'
est aussi contribuer à l'
étude géographique des espaces
ruraux, de la ville, des espaces en voie de développement, de la métropolisation et
de la mondialisation.
Faire face à ces multiples transversalités, en faisant des TIC l’objet central d’une
réflexion géographique, c’est courir le risque de tomber dans le piège du
déterminisme technologique, d’oublier que les technologies numériques sont un
outil au service des transports, de l'
industrie, du tourisme etc., et contribuent à
l’organisation des territoires qui demeurent l’objet d’étude de la géographie. C’est
pourquoi A. Scott réfute l'
étude des TIC en elles-même (in themselves).
L’institutionnalisation d’une « géographie des TIC » présente un certain intérêt en
matière de synergies et de diffusion de la recherche. Mais le confinement des
chercheurs dans des revues ou des colloques spécialisés entraîne le risque de
tomber dans le piège du déterminisme technologique que nous avons développé
précédemment. Ces derniers mois, nous avons travaillé sur l’économie numérique
urbaine en lien avec les politiques de développement et d’aménagement urbain. Ce
travail pourrait évidemment être présenté dans un colloque annuel de « géographie
des TIC ». Mais ne serait-il pas plus fécond, finalement, de l’insérer dans une
30
31
Officiellement, Netcom est une revue inter-disciplinaire.
Géographie sociale et territoires, 1998.
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38
Regard géographique sur le paradigme numérique
réflexion sur la ville et sur la métropolisation, comme celle qui est prévue à Lille en
juin 200532 ?
Pour conclure sur une attitude neutre, nous dirons que la géographie en tant que
science est telle qu’elle se fait, notamment par des publications dans des revues
scientifiques de large diffusion. Comme l’écrit A. Scott, il est préférable de placer en
position centrale les activités humaines, les espaces et les territoires au sein
desquels les technologies numériques sont utilisées dans diverses formes de
processus et de transactions. C’est ce que nous avons essayé de faire lorsque nous
avons étudié, par exemple, les entreprises de service en technologies de
l’information (Moriset, 2003-a ; b) ; les centres de co-location (2003-c), le télétravail
(2004) ou les centres d’appels (Moriset et Bonnet, 2004). Ces travaux relèvent,
d’abord, de la géographie économique.
Aussi, le présent mémoire ne se revendique en aucune manière comme un
manifeste en faveur de la reconnaissance d’une « géographie des TIC », mais
comme la mise en perspective critique des discours et de l’idéologie spatiale du
paradigme numérique avec ce qu’on pourrait appeler la « géographie réelle » de ce
même paradigme. Notre analyse débute par l’étude du réseau numérique de
télécommunications, dont les caractéristiques technico-spatiales déterminent la téléaccessibilité, qui elle-même conditionne les usages dont procède l’essentiel de la
problématique spatiale, que nous avons évoqué en introduction.
32
Logiques métropolitaines, modèles, acteurs et processus. IFRESI-CNRS, Lille, 2-3 juin
2005.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
39
Chapitre 2. Le réseau numérique et l’espace
géographique : technologie et accessibilité
Then down to earth; The Internet does have a geography Castells, 2001, p. 8.
Le géographe se donne traditionnellement pour mission d'
explorer, de décrire, de
cartographier l'
espace, d’essayer de comprendre les dynamiques qui l’animent et le
produisent. La mission exploratrice, et d'
abord descriptive, est entretenue par les
changements économiques (activités nouvelles), politiques (re-découvertes
d'
espaces autrefois fermés33), ainsi que par l'
évolution des techniques
d'
investigations. C'
est dans ce contexte que se situent une partie des recherches
géographiques récentes sur les technologies de l’information. La convergence
numérique des réseaux de télécommunication, la montée en puissance de l'
Internet
et de la téléphonie mobile, ont créé de nouvelles architectures de réseaux, de
nouveaux flux, et donc de nouvelles spatialités à explorer, tout comme les
autoroutes, le TGV, ont suscité leur lot d'
interrogations et de recherches.
La géographie commence de nouvelles explorations, et d'
abord celle du cyber-monde.
H. Bakis, 1999, « De nouveaux mondes à explorer, visiter et utiliser : l'
espace des
réseaux électroniques », Netcom, vol. 13, n° 1-2.
Mais le paradigme numérique, par plusieurs de ses éléments - notamment l’Internet
et les réseaux de télécommuncation - est un objet de recherche en rupture avec des
thématiques traditionnelles. Malgré les polémiques sur le danger occasionné par les
pylones de radio-téléphonie, les télécommunications sont peu visibles dans le
paysage (Hilllis, 1998), ce qui fait que l'
on a tendance, instinctivement, à en
minimiser l'
importance (au contraire, par exemple, du transport automobile,
tellement envahissant). Mais surtout, les TIC forment un système technique d'
une
complexité qui défie les outils traditionnels de représentation géographique, tels
qu'
on peut les connaître dans les transports, par exemple, avec les cartes et atlas
routiers. Paradoxalement, c'
est la technologie elle-même qui fournit les moyens de
l'
exploration, comme les logiciels qui permettent de dresser des traceroutes de
liaisons Internet, ou les bases de données qui permettent de cartographier des
noms de domaine.
Dans The Internet Galaxy, R. Castells (2002, p. 208) identifie, par exemple, trois
perspectives d'
approche de la dimension géographique de l'
Internet (que nous
généraliserons ensuite aux TIC) : « la géographie technologique, la distribution
spatiale de ses utilisateurs, la géographie économique de la production de contenu
(Internet production) ».
Mais, comme le reconnaît l’auteur quelques pages plus loin, cartographier les
producteurs de contenu (ou les noms de domaine), c'
est cartographier l'
économie
tout court, dans la mesure où une part de plus en plus grande des entreprises
possèdent un site Web. Les deux premiers termes nous semblent plus prometteurs.
La cartographie des réseaux, des débits et des flux, intéresse le géographe, non
seulement en elle-même, mais aussi parce qu’elle est un puissant révélateur des
dynamiques régionales et mondiales, économiques notamment. S'
agissant de
33
Europe orientale, ex-URSS, Chine…
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40
Regard géographique sur le paradigme numérique
l'
Internet, technologie récente, la cartographie permet de mettre en évidence la
géographie différentielle des capacités d'
adoption d'
une innovation par les
territoires.
Mais surtout, les TIC possèdent des caractéristiques spatiales que nous appelons
« intrinsèques » parce qu’elles sont incorporées aux données techniques, et qu’elles
conditionnent les usages qui peuvent en être fait par l’intermédiaire du concept de
télé-accessibilité.
2.1. "The Matrix" : un réseau numérique en voie d'intégration
The global telecommunications Matrix is a new artificial life form, not a mere organism,
but a non linear, asymmetrical, chaotically-assembled functionality with much more
potential freedom than that of an entity encased in skin or limited to beingan
agglomeration of discrete organs. A new being made up of widely distributed hardware,
software and pulses of electricity coursing through its nervous system. Imken, in Crang
et al., 1999, p.92.
Une des manifestations essentielles de la convergence numérique est la création
d’un réseau numérique planétaire de télécommunications, qui relie des centaines de
millions de terminaux divers, et qui a pour fonction de faire transiter une part
croissante des flux informationnels de la société.
2.1.1. Vers un réseau unique, organisé en couches
La tendance est à la mise en place d'
un réseau unique, entièrement numérisé qui
intègre les anciens réseaux séparés : téléphone fixe, mobile, télévision hertzienne,
par cable, réseaux entre ordinateurs (EDI). La numérisation de l'
information et du
signal est l'
élément essentiel : sur le réseau, ne circulent, mélangés les uns autres,
que des paquet de bits. Dûment adressés et reconstitués par les routeurs, centraux
et modem ad hoc, ces paquets de bits deviennent une émission de télévision, un
film, un échange de données entre deux entreprises, une commande de livre
adressée à Amazon.com, un coup de fil à un ami, une requête adressée à un
moteur de recherche, l'
activation d'
un lien hypertexte, un virement de plusieurs
milliards de dollars.
La numérisation de l'
information a entraîné une homogénéisation quasi-totale de la
transmission, qui consiste désormais à transporter des bits indépendamment de la
nature du signal source. Curien, in Callon et al., 1999, p. 140.
Les spécialistes des réseaux comme Nicolas Curien34 décrivent une organisation en
strates ou couches, qui peuvent parfois se subdiviser en sous-couches35 :
la couche inférieure des infrastructures linéaires de télécommunications
(cables, faisceaux hertzien), et des équipements de production, de
34
Titulaire de la chaire "d'
économie et politique des télécommunications" au CNAM et maître
de conférences à l'
Ecole Polytechnique.
35
Les sociologues comme R. Castells identifient des couches politiques et sociales, mais
c'
est un autre point de vue.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
41
transmission/réception du signal numérique terminaux (satellites, cartesmodems, antennes, combinés téléphoniques) ;
la couche intermédiaire des systèmes de commande du réseau ou
infostructure, des équipements et logiciels de commutation (centraux,
serveurs, routeurs) ;
la couche supérieure des services, c'
est à dire des produits commercialisés :
téléphone, fax, minitel, accès à Internet.
Le concept de couche réseau est adapté à celui de plateforme électronique, qui est
fortement utilisé, notamment, dans les analyses organisationnelles de la « nouvelle
économie ».
Internet et le réseau
On a tendance à accorder à l’Internet une place hégémonique dans le discours sur
les TIC en général et les réseaux en particulier. La très forte croissance de l'
Internet
et sa capacité intégratrice expliquent en partie ce phénomène, qui tend à brouiller le
concept même de réseau numérique de communication.
Intrinsèquement, l'
Internet n'
est pas un réseau, mais un élément de la couche
intermédiaire (infostructure) du réseau numérique, comme norme (protocole) de
connexion entre ordinateurs. Soit une partie quelconque du réseau numérique :
c'
est l'
infostructure qui va formater les bits et leur donner une adresse de machine
pour qu'
ils soient acheminés suivant le protocole IP. Mais l'
échange informatisé de
données n'
a pas attendu l'
Internet pour se développer dans les entreprises. La paire
de cuivre du réseau téléphonique commuté peut transporter des données
correspondant à différents services : Internet, téléphonie, fax, minitel, EDI. Le cable
permet d'
accéder à Internet et de recevoir la TV. Le même faisceau hertzien peut
transporter de la téléphonie ou de l'
Internet. Le réseau électrique, nous y
reviendrons, peut transporter des données numériques36.
Du fait de la convergence numérique des technologies de télécommunications, on
ne peut plus guère parler de réseau téléphonique, ni de réseau internet, mais d'
un
réseau numérique en voie d'
intégration dont les infrastructures supportent des
services variés, l'
Internet étant une modalité parmi d'
autres, certes dominante, de
conditionnement et d’adressage du signal. Il faut toutefois reconnaître que le
passage progressif sous IP de certaines applications, comme la téléphonie ou la
TV, pourrait finir par faire de l’Internet un réseau au sens strict du terme.
2.1.2. Etendue et complexité de la « matrice »
La convergence numérique est en passe de constituer un réseau d'
une grande
complexité. Rappelons qu’il y a plus de 200 millions de machines « hôtes » sur
Internet, et plus d’un milliard d’abonnés au téléphone mobile. Sans parler de la
télévision numérique.
Le concept traditionnel de réseau est impuissant pour saisir toute la complexité de
la « matrice », car il ne prend en compte que les infastructures et les équipements
réels, en conservant le lien avec une architecture inscrite dans l'
espace
géographique. A cette approche « orientée réseau », on peut ajouter une approche
« orientée objets » (stocks et flux d'
information), substituer une topologie à une
morphologie. Ici, nous considérons uniquement les données accessibles sous IP.
36
Pas seulement dans les fibres optiques posées le long des lignes, mais bien dans le
même fil de cuivre que celui du courant électrique !
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42
Regard géographique sur le paradigme numérique
Considérée sous cet angle, la « matrice » est dotée d'
un double architecture, d'
une
part celle du réseau de télécommunication, d'
autre part celle des bases de données
et autres sites Web. La navigation devient alors celle décrite par W. Gibson, au sein
d'
un univers virtuel, structuré, non pas par le maiilage ou l'
arborescence des
réseaux de télécommunication, mais par la trame des liens hypertextes qui relient
les documents.
Le concept de lien hypertexte fait passer de la géométrie euclidienne du réseau
classique à la topologie, avec peu de regard sur l'
espace géographique réel. Le
passage d'
un http://www.xyz à un http://www.abcd quelconque peut se faire sur un
même fichier, sur un même disque dur, d'
un serveur à l'
autre dans la même
armoire, où entre deux machines d'
un bout à l'
autre du monde. La prochaine version
de Windows devrait comporter un moteur de recherche indifférent à la géographie
des données, puisqu’il devrait explorer également le propre disque dur de
l’utilisateur. Dans ces applications, c'
est le couple interface graphique / lien
hypertexte (écran et souris), qui donne l'
illusion de la navigation.
La complexité du réseau virtuel d'
information ne donne pas moins le vertige que
celle du réseau numérique de télécommunications. La complexité du Web se
mesure en milliards de liens hypertextes et de documents. L'
index de Google, le
moteur de recherche le plus populaire actuellement, comporte plus de deux milliards
d'
adresses URL et recense, à la mi-2003, plus de 3 milliards de pages Web37
(source : www.google.com). Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg (le
Web de surface). Selon Bernd Amann (CNAM-INRIA), ll y aurait 7500 térabits
d’information sur le Web, dont 19 % sont accessibles aux moteurs de recherche38.
La taille et la complexité du stock d'
information augmente exponentiellement,
compte tenu des caractéristiques de la numérisation : perfection et absence de
limites de la duplication, rapidité de l'
acheminement. Pour dire les choses
simplement, c'
est la mémoire de l'
humanité qui est en passe d'
être transférée sur
les disques durs. Partout dans le monde, les grandes bibliothèques, les services
d'
archive, numérisent sans arrêt. Les mairies numérisent les cadastres, les
ménages numérisent leurs albums de photos, les entreprises enregistrent et
compilent les données commerciales etc.
La géographie du réseau : le « cyber-espace »
Comme l’écrit M. Castells (2001), l’Internet possède une géographie. Comme le
montre G. Dupuy (2000), l'
invisibilité qui domine les télécommunications en général
et l'
Internet en particulier ne doivent pas induire en erreur : le « cyberspace » n'
est
qu'
une métaphore ; tout ce qui se passe sur l'
Internet est doté d'
une spatialité réelle
et mesurable dans la métrique euclidienne.
Le géographe est limité dans ses ambitions par la disponibilité des données. Les
opérateurs sont très discrets sur la localisation de leurs réseaux, et encore
davantage sur les flux qui les parcourent. Par contre, Internet étant un système
relativement ouvert, dans lequel les points de départ et d'
arrivée des connexions
peuvent être identifiés par des numéros de machine, des chercheurs ont pu dresser
des cartes, certes partielles, des flux internet et de la topologie d'
Internet.
La meilleure approche de la variété et de la complexité des approches
géographiques et cartographiques est le site de Martin Dodge,
www.cybergeography.org et son Atlas of Cyberspace (avec Rob Kitchin, plus de
37
Rappelons qu'
un page Web est en réalité un fichier, qui peut représenter plusieurs
dizaines, voire centaines de pages de type traditionnel.
38
http://aristote1.aristote.asso.fr/Presentations/CEA-EDF2003/Cours/BerndAmann/Cours_1/cours1.pdf
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Regard géographique sur le paradigme numérique
43
300 cartes)39. Comme l'
écrivent à juste titre les auteurs, il est facile de se perdre
dans le « cyberspace ». Le mérite de Dodge et Kitchin est de mettre en évidence la
variété des représentations géographiques auxquelles donne lieu l'
Internet au sens
large, en rapportant une très large gamme de recherches (tableau n° 5).
Tableau n° 5. Les rubriques de l'Atlas du Cyberspace (www.cybergeography.org)
Cables & Satellites
Traceroutes
Census
Cartes des cables sous marins et liaisons satellites
Tracés des connexions Internet, d'
un ordinateur à l'
autre.
Statistiques sur le développement de l'
Internet, noms de domaines,
flux
Topology
Graphes, cartes en 3D, sur l'
architecture de l'
Internet
Info Maps
Cartographie de la navigation et de la recherche d'
information
ISP Maps
Cartes de réseaux "dorsaux" des opérateurs, cartes de boucles
locales
Weather Maps
Cartographie "en temps réel" des trafics internet
Wireless
Cartographie de la téléphonie mobile (zones de couverture…)
Web Site Maps
Cartes et graphiques de sites Web
Surf Maps
Visualisation de la navigation sur le Web
Info Landscapes
Visions plus ou moins anthropologisées et métaphoriques de la
topologie du Web (le Web comme l'
espace réel)
Info Spaces
Cartes et graphiques multidimensionnels de la navigation sur le Web
comme dans un espace virtuel
Geographic
Cartes 2D et 3D, souvent métaphoriques, sur la géographie de
l'
Internet.
Conceptual
Représentations métaphoriques diverses de l'
Internet, de l'
économie
des TIC etc.
Artistic
Images et représentations du cyberspace et de l'
Internet à travers
toutes formes de création littéraire et artistique : romans, films,
dessins,
40
MUDs
& Virtual Jeux de rôle sur territoires virtuels. Simulations.
Worlds
Historical
Cartes et graphiques retraçant la naissance et la croissance de
l'
Internet
Mais, comme l’écrit D. Pumain dans la revue des ouvrages de Cybergéo, et comme
le reconnaissent les auteurs, une bonne partie des cartes qui figurent dans l’Atlas
du Cyberspace ont surtout un intérêt exploratoire ou esthétique. Leur intérêt
opérationnel est faible. Il faut nous attacher à une géographie du réseau dont on
peut penser qu’elle a des effets tangibles sur l’organisation et les dynamiques des
territoires, ou, pour le moins, qui en soit le reflet.
For several thousand years humans have created maps of the world... The maps in the
Atlas of Cyberspace are important as they are powerful in framing our conception of the
new virtual worlds beyond our computer screens. More and more of our time and
leisure and business activities are spent in virtual space and yet it is a space that is
difficult to comprehend and mentally visualise. Moreover, it is a space in which it easy
to get lost and confused. Many of the cyberspace mapping projects try give it spatial
structure in order to make sense of it and the transactions that take place there.
Because, with the exception of the supporting infrastructure - fibre-optic cables,
servers, satellites and so on - cyberspace is composed of computer code with no
material existence, the research underlying these new maps is also important as it is
39
40
L’essentiel des cartes est reproduit dans Mapping Cyberspace (Londres, Routledge).
MUD : Multi-User Dimensions.
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44
Regard géographique sur le paradigme numérique
pushing back the boundaries of cartography and how we interact with maps, creating
interactive and dynamic representations which are light-years from the heavy leather
bound paper atlases you'
ll find in the local library. Some of the maps now have
historical significance as they chart the development of old computer networks from
decades ago that no longer exist. Other maps in this collection are simply beautiful to
look at, possessing powerful aesthetic qualities in their own right. R. Kitchin et M.
Dodge, présentation de l'
Atlas du Cyberspace, www.kitchin.org/atlas.
2.1.3. Connectivité et téléaccessibilité : principes généraux et enjeux
La définition de la ville comme un territoire dédié à la connexion (ou à la mise en
relation) sous toute ses formes a été proposée par plusieurs auteurs, dont P. Claval
et P. Veltz (1996), sans parler des auteurs anglophones comme S. Graham et S.
Marvin (2001). Cette connexion, aussi bien sociale qu’économique, est parfois
considérée comme l'
essence de la ville en général et de la métropolisation en
particulier.
La mise en relation des agents sociaux et économiques passe par des solutions
techniques de connexion. En matière de transport, on utilise volontiers le concept
d'
accessibilité pour quantifier - tant bien que mal - cette capacité de connexion.
Le concept se transpose naturellement aux télécommunications. Nous utiliserons
comme maints auteurs le concept de connectivité (ou télé-accessibilité) pour définir
l'
aptitude d'
un territoire (ou d'
un lieu donné au sein de ce territoire) à offrir aux
acteurs (ménages, collectivités publiques ou entreprises) des solutions multiples,
techniquement et financièrement adaptées à leurs besoins.
La définition et la quantification de ce concept de connectivité sont malaisées, tant
sont variés les besoins et les offres. Intuitivement, on conçoit que la commune
rurale du Massif Central, qui est située dans une zone d’ombre du téléphone mobile,
et où le seul accès à Internet disponible passe par le réseau téléphonique commuté
(RTC), peut être définie comme peu ou mal connectée.
Cette notion est suffisamment bien comprise pour que la disponibilité des réseaux et
services de télécommunication soit devenue un enjeu d'
aménagement du territoire,
(Musso et al., 2002 ; Cassette, 2002). Une des difficultés majeures de l’analyse est
qu’il n’y a pas d’accessibilité géographique en soi, mais un ensemble de
contingences techniques, économiques et sociales qui font qu’en un lieu donné, à
un moment donné, et pour un usage donné, un individu peut, ou ne peut pas, se
connecter au réseau.
Un degré de complexité supplémentaire est ajouté par la structuration en couches
du réseau : l’infrastructure passive seule (cable, fibre) ne suffit pas à déterminer
l’acessibilité. La géographie des transports fait également cette distinction, entre
l'
accessibilité infrastructurelle, qui dépend de la localisation par rapport au réseau,
et l'
accessibilité fonctionnelle, qui dépend de la disponibilité et de la qualité d'
un
service (horaire de passage des trains par ex., ou embouteillage). Ainsi, de la même
manière qu’une ligne TGV n’est d’aucune utilité si le train ne s’arrête pas, la fibre
optique n’apporte aucune connectivité si elle n’est pas activée par un opérateur
(fibre noire). Un seul et même cable optique peut supporter des services différents,
offrant des débits différents, à des prix différents, proposés par des entreprises
différentes.
L'
accessibilité fonctionnelle a aussi une composante financière (pour l’utilisateur
potentiel), culturelle et cognitive, qui s’exprime dans un contexte géographique
donné. Si nous disons que tel ou tel village, tel ou tel quartier est mal connecté,
c’est que ses habitants, ou ses PME, en moyenne, n’ont pas les moyens de s’offrir
une liaison spécialisée à plusieurs centaines d’Euros par mois. La téléaccessibilité
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Regard géographique sur le paradigme numérique
45
d’un lieu reste une donnée toute relative, et mesurable « toutes choses égales par
ailleurs ».
Cette notion de connectivité ou de télé-accessibilité met en conflit les conceptions
aréolaires et réticulaires de l'
espace. On maîtrise aisément la notion de connexion à
l'
échelle d'
une machine, voire d'
un réseau localisé de machines. Mais que signifie,
pour un territoire (ville, commune) être connecté, puisque, fondamentalement, la
connexion en informatique et télécommunications ne met en jeu qu'
une dimension
linéaire et discontinue de l'
espace ? (sauf, dans une certaine mesure, dans le cas
des liaisons hertziennes). Comment peut se mesurer la connectivité ? Les réponses
à ces questions ne sont pas simples, malgré le caractère outrageusement médiatisé
du concept de connexion ou de « branchitude ».
En tout état de cause, quel que soit le sens que l'
on donne à ce mot, l'
accessibilité
dépend étroitement de l'
architecture du réseau et de sa morphologie spatiale.
Au delà de la démarche descriptive et interprétative, l’autre grande problématique
de l’accessibilité au réseau numérique, fortement controversée, est celle des effets,
parfois dits structurants, sur le dynamisme économique et social des territoires
considérés. Avec, à la clé, des enjeux d’aménagement du territoire, à mesurer avec
prudence.
Le réseau numérique est fortement hiérarchisé, du fait du coût élevé des
infrastructures longue distance, pour lesquelles les économies d’échelle sont
déterminantes. La similitude avec le réseau routier (qui justifie la métaphore des
autoroutes de l’information) est assez grande. On peut distinguer grossièrement :
- réseaux longue distance nationaux et internationaux ;
- réseaux de collecte régionaux et métropolitains ou MAN (metropolitan area
network) ;
- boucles locales ou LAN (local area network), et/ou maillon final utilisateur ou
dernier kilomètre (the last mile)41.
2.2. L’organisation du réseau : les dorsales ou backbones
2.2.1. Principes généraux et concepts
Les réseaux à longue distance sont des dorsales ou backbones optiques (le plus
souvent) ou hertziens, dont les débits dépassent couramment le Gbits/sec., et
approchent aujourd’hui le Terabits/sec. Les entreprises propriétaires de ces
backbones nationaux ou internationaux sont en petit nombre. MCI-World Com et
Cable & Wireless possèdent à eux seuls 70 % du backbone Internet mondial. Les
principaux opérateurs français de dorsale sont France Télécom, 9 Télécom (ex LD
Com) et Télécom Développement.
Des débits croissants, des prix en baisse.
Un fait décisif a été constitué par l’augmentation exponentielle des débits
disponibles sur les « autoroutes de l’information », du fait, non seulement de la pose
41
Les distinctions ne sont pas très claires. On confond parfois boucle locale et maillon final
utilisateur (local loop et last mile). Ex : boucle locale radio. D’autre part, le terme de boucle
locale est aussi utilisé pour désigner certaines artères optiques d’agglomération. Le terme
de backbone ou dorsale est parfois utilisé pour désigner l’artère principale des réseaux
locaux à haut débit.
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46
Regard géographique sur le paradigme numérique
de nouveaux cables sous-marins ou terrestres, mais aussi des technologies comme
le multiplexage des longueurs d’onde (WDM ou DWDM), qui permet à chaque
« couleur » (longueur d’onde) du spectre lumineux de supporter son propre canal de
communication. De fait, le débit des fibres existantes peut être multiplié par un
facteur de 10 à 100 et plus.
En 1999, France Télécom a lancé le « European Backbone Network »(EBN), à 80
Gbits/sec., dont la capacité peut être étendue à 1,2 Tbits/sec. A terme, ce réseau
doit desservir 250 villes en Europe, soit directement, soit par l'
intermédiaire des
partenaires internationaux de FT. L’interconnexion vers les Etats-Unis est assurée
par le cable TAT 14 à 640 Gbits/sec., qui relie St Valery en Caux à New York. En
service depuis 2001, TAT 14 est une boucle de 15 300 km fonctionnant suivant la
technologie du DWDM à 16 canaux par paire de fibre, qui relie les Etats-Unis, le
Royaume Uni, la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Danemark (figure n° 6).
TAT 14 est géré par un consortium d’opérateurs internationaux (www.tat14.com). A
côté des réseaux commerciaux, on trouve des dorsales publiques, comme le réseau
de recherche Abilene, inauguré par le Vice-président Al Gore en 1998, dont les
capacités ont été portées à 10 Gbits/sec. en 2003. L’équivalent européen d’Abilène
est le réseau GEANT, dont le cœur est également à 10 Gbits/sec. (cf. infra, figure n°
16)
La hausse de ces capacités, qui dépasse la croissance de la demande, a entraîné
un effondrement des coûts de location de la bande passante42 (figure n° 7) avec un
effet sur les prix des télécommunications de longue distance, et des conséquences
non négligeables en terme de localisation des activités, que nous développerons
ultérieurement.
Figure n° 6 La boucle optique TAT 14 (www.tat14.com)
42
Certains opérateurs de services sont propriétaires de cables (ex : MCI). Mais c’est
l’exception. La plupart louent de la capacité sur des cables. Il existe des « marchés de
capacité de télécommunication », comme www.band-x.com, sorte de bourse électronique où
s’échangent les minutes de capacité.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
47
Figure n° 7 Croissance de la bande passante et baisse des prix : exemple des liaisons
transatlantiques (source : Telegeography Inc.).
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48
Regard géographique sur le paradigme numérique
Installé le long des infrastructures autoroutières, le réseau de télécommunications de
SANEF permet de relier entre elles la région parisienne et les grandes agglomérations
du Nord et de l’Est de la France. Ses services de télécommunications : Supervision de
boucles locales ; exploitation-maintenance de boucles locales ; liaisons spécialisées
haut-débit (2 - 34 - 155 Mbits/s) ; vidéo surveillance ; Internet haut débit ;
visioconférence – visiotéléphonie, téléphonie sur IP. Le réseau SANEF Télécoms c’est
1700 Km de câble optique, 165 bâtiments ou abris dédiés aux télécoms, 2 centres de
calcul reliés par LS haut débit, 1350 bornes d’appel d’urgence, 154 pylônes de
télécommunications, 1 poste central de supervision 24 H/24. www.sanef.com.
Cet isomorphisme relatif entre le tracé des voies de transport terrestres et celui des
autoroutes de l’information s’explique par le souci de diminuer les coûts
d’implantation, notamment le génie civil (creusement des tranchées), qui peut
représenter jusqu’à 90 % du coût d’un nouveau réseau.
On est donc confronté à une sorte de rétroaction positive : les villes les mieux
desservies par les transport, et en position de carrefour, sont également, toutes
choses égales par ailleurs, les mieux connectées aux réseaux à haut débit, et donc
susceptibles de voir le plus grand nombre d’opérateurs offrir des services de
télécommunication compétitifs. Au contraire, les territoires à l’écart des grands axes,
s’il veulent accéder à un réseau filaire à haut débit, devront se contenter
probablement du réseau des opérateurs historiques, avec des risques de surcoût.
C’est dans cette logique qu’interviennent des problématiques d’aménagement du
territoire, qui seront développées ultérieurement.
L'effet de tunnel et la matérialité physique de l'accès au réseau : les points de
présence (POP, NAP)
Des millions d'
entreprises et de ménages, en France comme ailleurs, ont de la fibre
optique « enterrée dans leur jardin », sans pouvoir y accéder, pas plus que les
habitants du Morvan ne peuvent emprunter les TGV qui passent devant chez eux.
C'
est la définition même de l'
effet de tunnel.
Le point de présence nécessite une infrastructure physique (au minimum un local)
susceptible d’abriter un répartiteur, qui est aux télécommunications ce que
l’échangeur est aux autoroutes, permettant l'
éclatement du trafic vers les boucles
locales et l'
utilisateur final44. Les cartes publiées par les principaux opérateurs
nationaux et internationaux comme MCI montrent que seules les grandes villes et
certaines villes moyennes possèdent ces points de présence ou POP (figure n° 8).
Les petites villes qui ne possèdent pas un tel point de présence ne peuvent pas
disposer de boucles locales à haut débit (sauf à installer un téléport pour bénéficier
d'
une liaison par satellite). Ainsi, la connectivité d'
une ville peut être mesurée, entre
autres critères, au nombre et à l'
importance des POP qui y sont situés45.
44
Le dispositif qui permet l’échange du trafic entre plusieurs boucles est appelé un
« brasseur »
45
Les points de présence sur les grandes dorsales optiques sont parfois appelés « points de
raccordement opérateur ».
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 8
49
Point de présence opérateur et boucle locale
PARIS
10 km
GENEVE
Backbone
POP et PRO
Boucle locale
et raccordements
clients
MARSEILLE
Comme nous l’avons écrit précédemment, de la fibre optique court le long des
autoroutes et des voies ferrées. Dans le cas des autoroutes, l’accès potentiel est
situé tous les deux kilomètres, dans des locaux techniques sommaires où sont
situées les chambres de tirage des cables. Lors des travaux de construction des
autoroutes, chaque échangeur est doté d’une plateforme prête pour abriter un point
de présence opérateur46.
Comme l’indique le document de la SANEF cité ci-dessus, les collectivités locales,
zones d’activité ou entreprises qui sont situées le long d’une autoroute où d’une voie
ferrée ont toutes potentiellement accès à des réseaux à haut débit. Mais pour que
cette potentialité soit réalisée, il faut qu’un opérateur de boucle locale trouve un
intérêt financier à se connecter sur la dorsale. A moins qu’une collectivité publique
concernée prenne le relais. Nous développerons cette question dans le chapitre 5.
Le problème de l’accès aux backbones hertziens se pose dans des termes
comparables. Les puissants satellites géostationnaires de télécommunication
peuvent être captés en n’importe quelle lieu de leur zone de couverture. Mais
l’établissement d’une liaison de télécommunication suppose la création d’un signal
remontant de puissance égale (à la différence de la TV, où il n’y a pas de signal
remontant, donc une simple parabole suffit). Ceci suppose donc l’existence de
puissantes stations terrestres d’émission-réception. D’où le concept de téléport, très
en vogue avant le triomphe sans partage de la fibre optique47 : le téléport est un
ensemble d’émetteurs et de récepteurs de forte puissance, qui constitue en quelque
sorte un point de présence sur backbone hertzien. A charge, ensuite, aux
opérateurs de boucle locale d’acheminer le transit vers les utilisateurs finaux.
Compte tenu des débits atteints par la fibre optique, le satellite, en ce qui concerne
les réseaux de données, est principalement voué à la desserte locale, où à la
desserte de régions isolées, à l’écart des grands cables optiques (îles).
46
47
Précisions indiquées par S. Lafaurie, sté. Technoman Ingénierie.
Beaucoup plus sûre et dont les débits sont bien supérieurs.
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50
Regard géographique sur le paradigme numérique
2.2.2. L'interconnexion des réseaux. Le rôle du peering et des GIX
(Global Internet eXchange Point)
Un degré supplémentaire dans l'
appréciation de la connectivité d'
une ville est la
prise en compte de l'
interconnexion des réseaux.
La comparaison avec les transports est facile. En matière de transport,
l'
accessibilité se mesure non seulement par le débit des infrastructures, mais aussi
par le nombre des relations offertes vers d’autres lieux (concept de carrefour ou de
hub). On est ici au cœur du concept de centralité. Aussi surprenant que cela puisse
paraître, le vieux schéma ferroviaire français « pour aller de Lyon à Nantes, il faut
passer par Paris » est transposable au domaine de l'
Internet. En effet, il ne suffit
pas à un utilisateur d'
être situé sur, ou raccordé à, un backbone d'
un opérateur
donné. Encore faut-il que ce backbone soit lui même raccordé aux réseaux de la
concurrence. Sinon, un abonné de NC Numéricable ne pourrait pas échanger des emails avec son voisin de palier abonné à Wanadoo.
Cette nécessaire interconnexion des réseaux se réalise en un petit nombre de lieux,
les GIX (Global Internet eXchange point), où s'
effectue le peering, c'
est à dire
l'
échange de trafic entre opérateurs (figure n° 11). L'
étymologie du mot vient de ce
que, à l'
origine, seuls les opérateurs se considérant mutuellement comme « pairs »,
c'
est à dire égaux, s'
échangeaient le trafic internet par l'
intermédiaire d'
accords bilatéraux. Cet échange des données se réalise dans des lieux bien particuliers, les
centres de colocation (Malecki, 2002-b ; Moriset, 2003-c) où sont connectés les uns
aux autres les serveurs des opérateurs. Les GIX sont des structures juridiques,
sorte de consortiums d’opérateurs, qui assurent l’interconnexion de plusieurs
nœuds Internet majeurs au sein d’une ville, reliés entre eux par des liaisons
Ethernet à très haut débit. Du point de vue des services en télécommunications, les
GIX désignent le sommet de la hiérarchie urbaine. Ainsi, dans le cas français, il en
existe deux à Paris (PARIX et SFINX), et un en cours de constitution à Lyon
(Lyonix).
Ainsi, plus encore que le nombre de POP, la connectivité d'
une ville se mesure par
la capacité offerte aux opérateurs présents de réaliser du peering. Car le peering
permet aux données échangées entre les clients de cette même ville d'
emprunter le
plus court chemin, au lieu de passer par un point d'
échange éloigné de plusieurs
centaines ou milliers de km.
L'
importance de la topologie du réseau et de la localisation des POP et GIX peut
surprendre, car la croyance est communément répandue que la vitesse à laquelle
circule l'
information au sein de la fibre optique efface le concept de distance. En fait,
la distance, et plus encore la topologie du réseau ralentissent bien le trafic et
augmentent les coûts comme dans les transports terrestres. Les routeurs et
répartiteurs peuvent être considérés comme des points de rupture de charge, dont
la multiplication, bien plus que la distance, augmente le temps de réponse (le
« ping ») entre deux machines. Ce temps de réponse (plusieurs centaines de
millisecondes parfois) peut être rédhibitoire pour certaines applications qui, plus
qu'
un débit élevé, réclament un temps de réponse très faible : téléphonie sur
Internet (voix sous IP)48, visio-conférence, télévision sous IP, jeux en ligne, téléchirurgie. Par ailleurs, le nombre de routeurs à franchir augmente exponentiellement
le risque de coupures et de pannes.
48
Dans les usages habituels de l'
Internet, les données circulent par paquets, séparés les
uns des autres.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
51
L'
exemple de Lyon est révélateur (cf. tableau n° 6) : en 2002, du fait d'
un GIX en
phase de démarrage seulement, 55 % des connexions entre sites lyonnais devaient
passer par Paris, 34 % par l'
étranger (Washington, New york, Londres, Amsterdam),
et 11 % seulement étaient acheminées directement (tests réalisés par Lyonix en
juillet et août 2002, www.lyonix.net)
Figure n° 9 Topologie du GIX "PARIX", Paris
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52
Regard géographique sur le paradigme numérique
Tableau n° 6. Exemples de traceroutes au départ de Lyon (www.lyonix.net)
Serveur départ
Tiscali Telecom
Completel
Tiscali Telecom
Completel
Tiscali Telecom
Completel
Vers
Rhône
Poulenc
Universités
de Lyon
Merial
Tiscali Telecom
Completel
RVI
Boiron
Bio Mérieux
Aventis
EM Lyon
Completel
GIX
SFINX
AS d'arrivée
PSINet Europe
SFINX
RENATER
Parcours
Lyon-ParisLondres
Lyon-Paris-Lyon
Ping
27 ms
TiscaliATT USA
Sprint-ATT
WorldNet
PARIX
France Telecom
Lyon-Paris-New 616
York Washington ms
LYNX
SatelNet Lyon
Grand Lyon
LYNX
SatelNet Lyon
Completel
Completel
Chello
WebCity
Infogrames
Grand Lyon
SFINX
SFINX
Level3
Imaginet
Imaginet
SatelNet Lyon
France Telecom
CNRS Rhône FT
Alpes
Euronews
FT
Boiron
FT
Bio Mérieux
Adecco
RVI
Lyon-ParisLondres-ParisLyon
Lyon-ParisLondres-ParisLyon
Lyon-Paris-Lyon
Lyon-Paris-Lyon
Lyon-ParisLondresWashingtonNew
YorkAmsterdamParis-Lyon
Lyon-Paris-LyonGrenoble
Lyon-Paris-Lyon
Lyon-Lyon
France Telecom
France Telecom
RENATER
Completel
FT
Lyon-Paris-Lyon
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40 ms
40 ms
92 ms
239
ms
70 ms
53
Regard géographique sur le paradigme numérique
2.2.3. Géographie des réseaux dorsaux et hiérarchies urbaines
Le déchiffrement du tracé des grands axes de télécommunications, de leurs lieux
d’interconnexion et points de présence, permet dans une certaine mesure de
dessiner une hiérarchie des villes. Mais cette analyse est à effectuer avec
précaution. Les données sont peu fiables, et la gourmandise en bande passante
d’une ville ou d’une aire métropolitaine n’est que partiellement corrélée avec la
puissance de son économie, quel que soit son degré de « numérisation ».
2.2.3.1. L’exemple américain
E. Malecki (2000 ; et avec S.P. Gorman, 2002), A. Townsend (2001 ; et avec M.
Moss, 2000) se sont attachés à analyser, non seulement la carte des dorsales
optiques, mais aussi celle des débits de dorsales cumulés. Le premier intérêt est
descriptif. Il permet de mettre en valeur les points nodaux de l’espace
géographique, du point de vue des télécommunications. Le tableau n° 7 montre à
quel point, à la fin de la décennie 1990, les Etats-Unis apparaissaient comme le
pivot du trafic Internet mondial, et le point de passage presque obligé entre l'
Europe
et l'
Asie. Ces constatations ne sont pas dénuées d’enjeux stratégiques et
économiques.
Tableau n° 7. Débit Internet disponible sur les axes intercontinentaux (1999,
Mbits/sec.). Source : Telegeography, cité dans Townsend 2001
Etats-Unis/Canada
Europe
Asie/Australie
Amérique Latine
Figure n° 10
Europe
Asie/Australie
13 258
-
5 916
152
-
Amérique
Latine
949
63
0
-
Afrique
170
69
3
0
Les points de présence (carrés) et data centers (cercles) de MCI en
Amérique du Nord (www.mci.com)
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54
Regard géographique sur le paradigme numérique
Les cartes publiées par Townsend (2001) montrent que le tracé des backbones
Internet privilégie les grands carrefours et les portes d’entrée traditionnelles des
Etats-Unis, qu’il s’agisse des lieux d’atterrissage des cables transocéaniques (New
York, San Fransisco, Seattle, etc.) ou des hubs de l’intérieur, comme Chicago,
Atlanta, Dallas, Denver… (figure n° 11). Ces faits sont confirmés par Malecki (2002b), qui propose un indice de débit cumulé rapporté à la population (tableau n° 8).
Parmi les villes américaines les mieux placées, figurent certes des villes
technopoles (Denver, Salt Lake City), mais qui sont d’abord des villes situées à des
positions de carrefour intérieur, tout comme Atlanta, Dallas, Las Vegas… On
retrouve donc la même organisation en hub and spoke que celle du réseau de
transport aérien (les nœuds Internet coincident avec les grands aéroports). Le tracé
du réseau Abilène (figure 12), qui est une dorsale parmi d‘autres, montre bien
quelles sont les villes carrefours de ces réseaux longue distance à haut débit.
Figure n° 11
Les backbones Internet aux E.U. en 1999 (Townsend, 2001-1, p. 48)
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 12
55
Le réseau Abilène (source : http://abilene.internet2.edu)
Dans le même fil d’idée, Townsend (2001-2, p. 55) identifie des villes « branchées »
(New Network Cities) qui appartiennent presque toutes à la Sun Belt, et figurent au
sommet du classement de la « nouvelle économie » établi par le Progressive Policy
Institute (The Metropolitan New Economy Index, Atkinson et Gottlieb, 2001). Au
contraire, les villes du Vieux Sud mal développé, du Middle West et de l'
Est
manufacturier, à la fois peu connectées et peu présentes dans l'
économie de
l'
Internet sont considérées par Townsend comme des Blackholes (Détroit,
Philadelphie, Cleveland, Saint-Louis…). Ce que Townsend appelle les « villes
globales installées » (New York, Chicago, Los Angeles) occupent une situation
intermédiaire. La nature diversifiée de leur tissu économique et l'
importance de la
population, expliquent que les statistiques, en valeur relative, apparaissent comme
moins flatteuses.
Une idée intéressante, développée par Townsend (op.cit.) est d’étudier la
distribution du nombre de dorsales présentes dans chaque ville, par la relation rangtaille. Le graphique (figure n° 13) montre nettement un décrochage, qui s’aggrave
entre 1997 et 1999 entre les sept premiers hubs et le reste des villes. Ce qui
tendrait à accréditer la thèse d’une polarisation métropolitaine de la présence des
réseaux à très haut débit.
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56
Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 13
La distribution rang/taille du nombre de backbone présents dans les
grandes villes américaines (Townsend, 2001-1, p. 49).
Tableau n° 8. Débits disponibles cumulés rapportés à la population dans 32 aires
métropolitaines américaines (Mbits/secs. pour 1000 hab.). Source :
Malecki, 2002-b (moyenne : 19.83).
Salt Lake City
Kansas City
Tulsa
Denver
Atlanta
Dallas
Seattle
Portland
Las Vegas
Orlando
San Francisco
Austin
Washington
Cleveland
St. Louis
Indianapolis
68.72
50.85
44.40
40.34
38.68
37.39
31.60
31.26
30.71
29.66
29.35
28.69
28.29
27.76
26.87
25.69
Sacramento
New Orleans
Charlotte
Chicago
Houston
Phoenix
San Diego
Tampa
Boston
Philadelphia
New York
Miami
Pittsburgh
Minneapolis
Detroit
Los Angeles
25.67
25.11
25.01
24.95
17.91
15.22
14.91
13.30
13.24
12.36
11.60
11.35
10.80
10.35
9.74
8.77
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Regard géographique sur le paradigme numérique
57
2.2.3.2. La hiérarchie européenne
La géographie européenne des réseaux dorsaux, analysée par Malecki (2002-b),
ainsi que la carte dressée par Telegeography Inc (www.telegeography.com,
figure n° 15) fournissent, comme dans le cas des Etats-Unis, une assez bonne
image du paysage métropolitain européen. La superposition des cartes établies par
les opérateurs des réseaux européens montre une nette opposition centrepériphérie. Les réseaux dorsaux sont nombreux et denses au cœur de ce qu'
on
appelait parfois la « banane bleue ». Les grands carrefours européens historiques,
qui datent du Moyen Age et au delà, sont aujourd'
hui les plaques tournantes du
réseau Internet. Londres et Paris, bien sûr, mais aussi Amsterdam, Francfort,
Hambourg, Bruxelles, Genève, Milan, etc. La carte des POP de MCI en Europe va
dans le même sens (figure n° 14).
La hiérarchie présentée par Malecki (tableau n° 9) rappelle les travaux de l’équipe
Brunet sur le « classement des fonctions internationales des villes européennes »,
ainsi que les analyses plus récentes pour la DATAR (Rozenblat et Cicille, 2003). La
remarque faite à propos des Etat-Unis reste valable : les villes carrefours de
transport, notamment aérien, le sont aussi pour l'
Internet. Les régions
traditionnellement décrites dans la littérature comme périphériques sont beaucoup
moins bien desservies, notamment au sud (Portugal, midis espagnol et italien,
Grèce) et à l'
Est (nouveaux pays membres de l'
UE).
Par ailleurs, on voit apparaître des espaces oubliés par les réseaux qui se
rattachent à un ensemble appelé parfois la « diagonale des vides », des solitudes
scandinaves à la Meseta ibérique, en passant par les Ardennes et le Massif Central.
Une autre démonstration de cette opposition centre - périphérie est fournie par le
réseau pan-européen de recherche à très haut débit GEANT, qui fournit aux pays
un accès dont le débit diminue en même temps que la centralité géographique. Les
pays qui constituent le cœur de réseau sont reliés à 10 ou 2,5 Gbits/sec., tandis que
les pays plus périphériques ne disposent "que" de 622 ou 155 Mbits/sec49 (figure n°
16).
Figure n° 14
Des capitales européennes ? Les points de présence (carrés) et data
centers (cercles) de MCI en Europe (www.mci.com)
49
GEANT a été mis enservice en décembre 2001 par un consortium qui regroupe 27
réseaux de recherche et d'
éducation européen. 3000 institutions d'
enseignement de
recherche y ont accès par l'
intermédiaire de leurs réseaux nationaux (comme RENATER en
France). GEANT doit être connecté à ses homologues étrangers que sont Abilene aux EtatsUnis et SINET, KOREN, SingAREN en Asie. www.dante.net/geant
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58
Regard géographique sur le paradigme numérique
Tableau n° 9. La hiérarchie des villes européennes : nombre de réseaux
"backbones" Internet (Source : Telegeography, cité par Malecki, 2002-b)
Londres
Amsterdam
Francfort, Hambourg, Paris
Berlin, Bruxelles, Düsseldorf, Milan, Munich, Zürich
Genève, Madrid, Stockholm
Marseille, Oslo
Barcelone, Copenhague, Lyon, Strasbourg, Stuttgart
Vienne
Bordeaux, Cologne
Bilbao, Dublin
Rotterdam, Valence
Anvers, Dresde, Goteborg, Hannovre, Leipzig, Nuremberg, Toulouse, Turin
Bales, Helsinki, Prague
Manchester, Rome
Birmingham, Brème, Budapest, Edimbourg, Lille, Varsovie
Bristol, Leeds, Malmöe, Moscou
Belfast, Berne, Bonn, Bratislava, Lisbonne, Porto, Tallin
Figure n° 15
20
19
18
17
15
14
13
12
11
10
9
8
7
6
5
4
3
Carte de la connectivité globale en Europe occidentale. Source :
Telegeography Inc.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 16
59
L’opposition centre-périphérie en Europe : le réseau de recherche paneuropéen GEANT (source : www.dante.net)
2.2.3.3. Quelques enseignements sur le cas français
Les cartes fournies par les opérateurs de télécommunications alternatifs à France
Télécom ont été synthétisées en 2002 par l’Observatoire Régional des
Télécommunications (ORTEL), dans l’Atlas des réseaux de Télécommunications et
de l’usage des PME. (www.ortel.fr, figure n° 17).
L’accès des territoires à ces réseaux apparaît comme très inégal. On retrouve la
fameuse et controversée « diagonale du vide » : Pyrénées, Massif Central, Plateau
de Langres, Vosges, Ardennes, à laquelle il faut ajouter le Finistère breton.
Si on comptabilise le nombre d’opérateurs présents dans les agglomérations, on
obtient un reflet partiel de la hiérarchie urbaine. Lyon, Marseille et Lille conservent
leur rang (presque tous les opérateurs sont présents). Mais cette géographie des
réseaux n’est pas seulement le reflet des densités démographiques et
économiques. On peut aussi interpréter cette carte comme le résultat de facteurs
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60
Regard géographique sur le paradigme numérique
géographiques au sens propre du terme, aggravés par des facteurs techniques. Les
dorsales Internet des opérateurs internationaux (Cable & Wireless, Tiscali, MCIWorld Com, Colt) ou nationaux (9 Télécom, ex-LD Com) ont tendance à former des
boucles (cf le cable TAT 14 évoqué ci-dessus), qui évitent le centre (Massif Central)
ou les appendices (Finistère) du territoire. De fait, Grenoble, Clermont Ferrand,
Limoges ou Brest, sont moins pourvues en dorsales que des villes de taille
comparable, mais situées sur de grandes voies de passage.
Figure n° 17
Le réseau français des opérateurs alternatifs (Source : ORTEL,www.ortel)
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Regard géographique sur le paradigme numérique
61
Une esquisse de bilan critique sur la géographie des dorsales Internet
Les recherches sur la spatialité des dorsales optiques et autres « autoroutes de
l’information » sont à bien des égards séduisantes. Mais la démonstration de leur
caractère opérationnel, à notre avis, reste largement à entreprendre. Le premier
mérite de ces analyses est de sortir de l’ombre (ou plutôt de l’eau ou de terre) la
spatialité de réseaux dont personne ne peut nier le rôle vital dans le fontionnement
de la société. Mais ces analyses ont-elles un intérêt autre que descriptif ? La
réponse doit être nuancée.
Il ne faut pas tomber dans le piège du déterminise technologique : les logiques
économiques font que c’est en général la bande passante qui va vers l’activité
économique, non l’inverse. Nous ne connaissont qu’une exception à ce principe,
celle du secteur très particulier des services d’hébergement et de colocation (data
centers, hotels de télécommunication). On verra rarement un territoire manquer un
investissement pour cause première de déficit de connectivité numérique. L’offre en
services de télécommunications présente sur un territoire est rarement un facteur
premier de choix de localisation. Comme l’écrit E. Malecki à propose des espaces
ruraux (2003, p. 212), le développement local est surtout une question de ressource
humaine, bien plus que de technologie. Les établissements qui exigent des débits
de connexion très élevés (p. ex. centres de recherche, sièges administratifs, centres
de traitement de données) recherchent en premier lieu une main d’œuvre qualifiée,
qu’elle ne peuvent trouver en quantité suffisante qu’à proximité des grands centres.
Toutefois, on peut concevoir que l’éloignement par rapport aux grandes artères
optiques (et donc la rareté ou l’insuffisance des boucles locales) soit un handicap
pour le développement de petits établissements ruraux sous-traitants, voire pour
des télétravailleurs, qui ne pourront pas se connecter efficacement avec les
donneurs d’ordre. Nous verrons que ce problème relève plutôt de la boucle locale.
Enfin, les effets économiques ou structurants éventuels de ces infrastructures sont
aujourd’hui limités par la surcapacité générale des dorsales optiques. Ainsi, il
devient de plus en plus douteux d’inférer des dynamiques économiques réelles à
partir de débits potentiels. Il n’est même pas sûr que les données sur les trafics
réels soit plus précieuses, car elles ne préjugent en rien de la localisation des
utilisateurs (le même biais, en matière de transport, serait de déduire une activité
économique locale à partir du trafic d’un hub aérien). Comme l’écrit A. Townsend,
ce qui est important, c’est la qualité (et le prix) du service délivré à l’utilisateur final,
pas le chemin que prend l’information.
What is of interest to urban scholars is not the physical pathway, but the endpoints
connectivity pack, but tt tt tt t
t Td (t)Tj 2.7617 0 Td ( )Tj 4.5628 0 Td (t)(t)Tj 2.39 3.12187 0 Td (é)Tj 4.9
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62
Regard géographique sur le paradigme numérique
2.3. Le problème de la connexion à l'échelle locale
The greatest challenge of these multiplying telecommunications firms in global cities is
what is termed the problem of the ‘last mile’: getting satelite installations, optic fibre
‘drops’ and whole networks through the expensive local loops, under te roads and
pavements of the urban fabric, to the building and sites of target users. Graham, 1999,
p. 937.
Figure n° 18
Modèle de boucle métropolitaine (Source : LD Com)
Comme S. Graham l’a parfaitement identifié, le problème clé du téléaccès est la
connexion des utilisateurs finaux aux backbones optiques ou hertziens, dite parfois
« boucle locale » ou « last mile », qui dépend du degré de capillarité du réseau.
C’est la capillarité qui donne au réseau sa dimension territoriale. D'
elle dépendent le
nombre et la dispersion spatiale des utilisateurs. Pour prendre une comparaison
dans le domaine des transports, le réseau des chemins communaux et
départementaux est très capillaire, celui des autoroutes l'
est moins, et celui des
lignes TGV encore moins.. Dans le domaine des télécommunications hertziennes, le
concept de capillarité (réticulaire) s’efface au profit de la notion de zone de
couverture, à partir de l’émission de satellites, éventuellement relayée par des
pylones et antennes.
Il faut donc que des réseaux secondaires viennent se connecter aux autoroutes de
l’information pour alimenter les millions d’utilisateurs finaux. En l’état actuel des
choses, le seul réseau final doté d’une capillarité presque totale est la paire de
cuivre du réseau téléphonique commuté (RTC), qui appartient aux opérateurs
historiques (France Télécom, Deutsche Telecom, les Bell Companies, AT&T etc.)
après plusieurs dizaines d'
années et de milliards d'
euros ou de dollars
d'
investissements continus. Ces réseaux téléphoniques historiques sont supportés
par un réseau optique dense : France Télécom possède 2,3 millions de km de fibre
optique, qui desservent presque toutes les petites villes.
Les opérateurs historiques possèdent donc un énorme avantage sur leurs
concurrents, qui ne possèdent pas d’un accès général à la boucle locale. Ceci a
justifié la procédure dite du dégroupage, exigée par les autorité de Bruxelles, dont
l’objectif était de mettre en concurrence les opérateurs, sur une base égale. Lancé
en France en 2001, le dégroupage donne aux opérateurs alternatifs la possibilité
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Regard géographique sur le paradigme numérique
63
d’accéder aux répartiteurs des opérateurs historiques comme France Télécom (12
000 répartiteurs en France), et de proposer sur la paire de cuivre, non seulement de
la téléphonie classique, mais aussi de l’accès à Internet de type ADSL, de la
téléphonie sous IP, de la télévision sous IP50. 9 Telecom (groupe LD Com), par
exemple, qui possède 19 000 km de réseau optique en France, peut ainsi connecter
ce réseau sur la paire de cuivre des clients. En 2004 est apparu le dégroupage total,
par lequel l’opérateur alternatif loue la totalité de la ligne : l’abonné qui le souhaite
perd toute relation avec l’opérateur historique. Le dégroupage (qui dépend de
l’initiative des opérateurs alternatifs) progresse lentement : au 1er mars 2004, selon
l’ART, il y avait en France 359 000 lignes dégroupées, dont 4500 en dégroupage
total. La carte publiée par l’ART (figure n° 19) montre que les opérateurs
dégroupent en priorité dans les départements fortement urbanisés. Une fois de plus,
on constate que le Massif Central et la Bretagne restent à l’écart du phénomène51.
De fait, l’égalité spatiale d’accès au réseau a été rompue par la multiplication des
offres alternatives. Dans les grandes villes, les opérateurs privés se sont empressés
de profiter du dégroupage. Ces même opérateurs ont déployé des réseaux de
collecte métropolitains, qui desservent des quartiers d’habitation ou des zones
d’activité. Les logiques privées d’écrémage du trafic, privilégiant les zones les plus
peuplées et les plus dynamiques économiquement, ont donc créé un problème
d’aménagement du territoire.
50
France Télécom a résisté au dégroupage, refusant l’idée suivant laquelle son réseau
appartient à la collectivité nationale, arguant du fait que le réseau n’a jamais été financé par
le budget général de l’Etat, que la dette résultant de l’appel aux marchés financiers à partir
de 1970 a entièrement été transférée à la société anonyme France Télécom et que FT,
depuis qu’elle est indépendante de l’Etat, a investi 22 milliards d’Euros dans le
développement du réseau fixe (Forissier, 2002)
51
La conséquence concrète de l’absence de dégroupage est, par exemple, que la seule
offre ADSL disponible est celle de France Télécom.
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64
Figure n° 19
Regard géographique sur le paradigme numérique
L’état du dégroupage de la boucle locale en France, en mars 2004 (en
bleu : aucun site dégroupé). Source : ART, www.art-telecom.fr
A la fin des années quatre-vingt-dix, la grande majorité des particuliers et des
entreprises devaient se contenter d’un accès à Internet par RTC, ou de liaisons
numériques de type Numéris, dont les débits sont limités (128 Kbits/sec.). La seule
alternative était offerte par le cable TV, extrêmement répandu aux E.U. (70% des
foyers équipés), alors qu’il n’équipe qu’une minorité des locaux d’habitation en
Europe, et notamment en France.
Aujourd’hui, on est confronté à un « foisonnement technologique et commercial »,
chaque technologie offrant une « équation technico-économique propre »
(Observatoire des Télécommunications dans la ville, 2001, p. 3). Le développement
de l’ADSL, du cable, des solutions hertziennes, ont brouillé la donne. Par ailleurs, il
faut aussi considérer le rôle de la téléphonie mobile troisième génération (UMTS),
qui devient une solution d’accès viable aux services numériques autres que la
téléphonie, notamment l’accès à l’Internet. Avant d’étudier les différentes solutions
offertes pour « l’accès final utilisateur » (last mile), il convient d’aborder les réseaux
de collecte métropolitains ou Metropolitan Area Network (MAN), qui ont un statut
intermédiaire au sein d’un hiérarchie qui s’accomode mal d’une classification stricte
des échelles.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
65
2.3.1. Les réseaux de collectes métropolitains
Dans la plupart des grandes agglomérations, les opérateurs ont implanté des
réseaux de fibre optique qui desservent directement les clients les plus gourmands
en bande passante : centres de recherche, sièges sociaux des grands groupes,
entreprises de média, banques... Fin 1999, selon Graham, Londres ne comptait pas
moins de six réseaux concurrents (BT, Colt, Worldcom…).
Lorsque des opérateurs de réseaux longue distance, comme WorldCom
(aujourd’hui MCI), investissent dans la boucle locale, c’est aussi un moyen
d’alimenter en trafic leurs backbones intercontinentaux. Dès 1997, WorldCom
déployait des réseaux locaux dans 45 villes américaines, et dans les plus grands
centres d’affaire européens, comme Londres (180 km), Francfort (37 km) Paris…
(Graham, 1999). En 2002, Colt Télécom possédait 32 boucles métropolitaines en
Europe, connectées sur un réseau dorsal de 15 000 km (source : colt-telecom.fr).
En France, 9 Télécom possède 30 boucles métropolitaines qui alimentent un réseau
dorsal de 18 000 km (www.neuf.com/Societe/fr/ reseau.html). Cable and Wireless,
le deuxième opérateur au monde de backbone Internet, opère à Paris une boucle
optique de 2,5 Gbits/sec., qui relie ses principaux centres de données, de gros
clients, et le point de peering/GIX de Telehouse (figure n° 20).
Cette stratégie permet aux opérateurs d’offrir aux grandes entreprises une gamme
complète de services voix et données dits « sans couture », modulables à la
demande et parfaitement sécurisés.
Certaines entreprises qui ne possèdent pas d’infrastructures longue distance sont
dites « opérateurs de boucle locale », comme Complétel, qui a mis en œuvre en
France neuf réseaux locaux, pour 2000 km de longueur totale, à Paris, Lille, Lyon,
Marseille/Aix-en-Provence, Grenoble, Toulouse, Nice / Sophia-Antipolis, Nantes et
Strasbourg/Colmar/Mulhouse (www.completel.fr/). Complétel offre à des
entreprises, moyennes ou grandes (470 clients à Lyon par exemple), une offre
complète de services, avec des débits sur mesure qui peuvent dépasser 80
Mbits/sec.
Comme pour les infrastructures nationales ou internationales, ces boucles
métropolitaines empruntent les infrastructures de transport existantes : égoûts,
métro, lignes de tramway... Les sociétés de transport locales (ou les collectivités),
comme les concessionnaires d’autoroutes, louent aux opérateurs des
emplacements dans les gaines susceptibles de recevoir les cables optiques. A
Lyon, par exemple, une structure particulière, la division des fourreaux urbains, est
chargée de cette commercialisation.
On retrouve donc une opposition centre-périphérie : les quartiers centraux, non
seulement possèdent la plus grosse densité de clients gourmands en haut débits,
mais sont également les plus facile à cabler, car ils possèdent la plus grosse densité
d’infrastructures de transport en site propre (cf. figure n° 21).
Lorsque les collectivités locales estiment que l’offre privée est insuffisante, elles
financent elle-même la construction de réseaux de collecte et de boucles locales
métropolitaines, comme dans le département du Rhône, en Banlieue parisienne, à
Toulouse, Castres, Pau… pour ne citer que des exemples français. Cet aspect sera
plus longuement développé dans le chapitre 5 consacré aux politiques publiques.
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66
Regard géographique sur le paradigme numérique
52
Figure n° 20
Le réseau MAN parisien de Cable and Wireless
Figure n° 21
Les boucles optiques locales et la localisation des entreprises de
télécommunication : exemple de Lyon en 2002 (source : Grand Lyon et
Moriset 2003-b d’après enquète et cartographie S. Lafaurie)
52
SDH : Synchronous Digital Hierarchy. C’est avec son homologue américain SONET
(Synchronous Optical NETwork) le standard dominant pour les réseaux optiques à haut
débit. Une documentation détaillée est accessible sur le site de l’International Engineering
Consortium, www.iec.org/online/tutorials/sdh/index.html.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
67
2.3.2. Les technologies filaires de type Cable et xDSL
Aux Etats-Unis, où 70 % des foyers sont raccordés, le cable TV est devenu le
principal mode d’accès Internet à haut débit. En France, 1462 communes sont
cablées (sur 36 000). Aussi le cable est-il resté très minoritaire. Selon l’ART, 13%
des foyers français sont abonnés à un réseau câblé et, au 30 juin 2002, le câble
comptait 233 000 abonnés à Internet contre 650 000 abonnés ADSL. Depuis, l’écart
s’est considérablement creusé, puisque l’ADSL comptait 3 millions d’abonnés fin
2003, et représentait 89% des connexions à l’Internet haut débit (sur un total de 10
millions de foyers connectés à Internet,
www.zdnet.fr/actualites/internet/0,390207 74,39134549,00.htm)53.
Les technologies de la famille dite « xDSL » (Digital Subscriber Line, cf. tableau n°
10) utilisent les potentialités de la paire de cuivre du téléphone qui alimente chaque
foyer, au moyen d’un modem installé chez le client, et d’un DSLAM (Digital
Subscriber Line Access Multiplexor) installé auprès du repartiteur de l’opérateur
historique qui possède54 la boucle locale. Les technologies DSL offrent deux
avantages majeurs : la ligne téléphonique reste disponible pendant la connexion, la
durée de connexion est illimitée55.
La technologie ADSL actuellement offerte en France par France Télécom et des
opérateurs alternatifs comme 9 Télécom, Colt, Free… est dite asymétrique car elle
offre des débits de 500 Kbits/sec. à 1 Mbit/sec. en voie descendante, contre 128 à
256 Kbits/sec en voie montante (en général, les utilisateurs ordinaires utilisent
beaucoup plus la voie descendante (charger des fichiers, consulter le Web) que la
voie montante (envoyer des courriers électroniques). Rappelons que la notion de
haut débit est relative : l’ADSL est considéré comme du haut débit pour le service
au particulier, mais les services professionnels ne sont en général considérés
comme à « haut débit » qu’au delà de 2 Mbits/sec. Et cette notion est très évolutive.
Toutefois, des services de très haut débit (16 Mbits/sec) pourraient être offerts par
France Télécom dès 2005 (ADSL 2+) pour les utilisateurs situés à proximité d’un
central.
L’ADSL n’est pas disponible partout : pour des raisons de rentabilité, France
Télécom, et a fortiori les opérateurs alternatifs, ne proposent le service que dans les
villes de plus de 10 000 habitants, environ, soit 25% des communes et 75% de la
population (figure n° 22). Les performances et la qualité des technologies DSL
décroissent avec la distance à partir du répartiteur (tableau n° 10), ce qui pénalise
les zones rurales et péri-urbaines (Observatoire des télécommunications, 2001 ;
Forissier, 2002).
Toutefois, France Télécom subit des pressions amicales de la part des élus et
reponsables politiques, pour étendre sa zone de couverture ADSL, qui, en France,
devrait devenir de facto un nouveau « standard » d’accès minimum au réseau
numérique. Ce qui suppose un partenariat avec les collectivités locales.
France Télécom accélère le déploiement de l’ADSL pour couvrir 90% de la population
française en 2005 en équipant toutes les zones de desserte de plus de 1000 lignes
téléphoniques et en installant d’autres accès dès que 100 clients d’une même zone de
desserte en feront la demande.
53
Un des inconvénients du cable est que le débit est partagé pour tous les utilisateurs
connectés simultanément à la même tête de réseau (300 à 600 abonnés), ce qui peut
ralentir notablement les débit aux heures de pointe.
54
Ou qui possédait, cf. le dégroupage total.
55
Ne pas confondre durée de connexion et temps de transit effectif.
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68
Regard géographique sur le paradigme numérique
Pour que chacun puisse bénéficier d'
une solution Haut Débit, France Télécom
complète la couverture avec des offres satellite et lance des expérimentations
innovantes, dont le couplage satellite + WiFi qui sera testé à Neulise dans la Loire dès
cet automne.
France Télécom a annoncé, le 06 janvier 2004, l'
initiative "Départements Innovants" …
propose, à chaque département, la signature d'
une convention de partenariat, adaptée
aux besoins de son territoire. Dans le cas d'
un accueil favorable par l'
ensemble des
départements, le taux de couverture en ADSL pourrait atteindre 90% de la population
dès
fin
2004
et
s'
approcher
de
95%
fin
2005.
www.francetelecom.com/fr/votre_region/lyon/connaitre/entreprise-sur-laregion/amenagement-territoire/acces_hauts_debits/
Figure n° 22
Zones couvertes par les offres DSL en France fin 2002 (source : ORTEL)
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69
Regard géographique sur le paradigme numérique
Tableau n° 10. Comparaison des technologies « DSL
Télécommunications dans la ville, 2001, p. 3)
»
(Observatoire
des
Bande Passante
Mode de
transmission
Distance
Maximum1
1 Mbps 128 Kbps
Asymétrique
5,4 Km
1,5 Mbps 512 Kbps
Asymétrique
5,4 Km
6 Mbps 640 Kbps
Asymétrique
(DMT)
5,4 Km
HDSL
2 Mbps Max.
Symétrique
(2B1Q/CAP)
3,6 Km
SDSL
2 Mbps Max.
Symétrique
(2BQ1)
2 Km
RADSL
2 Mbps Max. 640 Kbps
Max. Montant
Asymétrique
Jusqu’à 6,4
Km
VDSL
53 Mbps Max . Max.
Asymétrique
(CAP/DMT)
1,5 km (13Mbps) 1 Km
(26-Mbps) 500
m (500-Mbps)
Technologie
Nom complet
CDSL
ADSL Lite
ADSL
Montant
ADSL light
Montant
Montant
2,3 Mbps Montant
1
Distance maximale du central téléphonique à l’installation du client. Les limites de distance peuvent
varier suivant le diamètre des paires de cuivre utilisées.
2.3.3. Les courants porteurs en ligne (CPL) ou « boucle locale
électrique »
Cette technologie en phase d’expérimentation consiste à séparer les signaux à
basse fréquence (courant alternatif) et les ondes de haute fréquence sur lesquelles
transitent les données numériques. Le fonctionnement des équipements électriques
n'
est pas perturbé. Les débits possibles vont de 4 à 45 Mbits/sec. Grâce à un
modem (qui peut être déplacé), toute prise électrique devient un point d’accès à
Internet. Un des gros avantages des CPL est qu’ils permettent de desservir un ou
plusieurs immeubles (immeuble de bureau, établissement scolaire) sans aucun
travail de cablage.
Fin 2003, 15 000 personnes en Europe seraient connectées au « Net » via les CPL
(http://vlan.org/breve254.html). Selon Schneider Electric, une des principales
sociétés impliquées en France dans le développement des CPL, cette technologie
pourrait s’emparer de 10 % du marché à l’horizon 2010.
Des expériences sont en cours, comme dans le département de la Manche56, où le
Conseil général a investi 74 millions d’Euros depuis 2003 dans la création d’une
boucle locale électrique. Après de premiers essais en 2003 à la Haye-du-Puits dans
le Cotentin (2 500 habitants), l’expérience a été étendue à Cherbourg et St-Lô, avec
le soutien de la DATAR. Les 57 collèges du département sont déjà reliés à cette
boucle
départementale
(www.zdnet.fr/actualites/technologie/imprimer.htm?AT=39122511-39020809t39000761c). Les CPL sont à moyen terme une alternative supplémentaire offerte
aux territoires ou aux lieux (immeubles anciens impossibles à cabler p. ex.) qui ne
pourront pas disposer d’infrastructures filaires puissantes.
56
Qui bénéficie notamment du passage du backbone MCI.
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70
Regard géographique sur le paradigme numérique
2.3.4. Les réseaux sans fil : boucle locale radio, WiFi, Satellite
Les réseaux hertziens offrent des perspectives intéressantes pour les zones de
faible densité, où les opérateurs ne peuvent espérer rentabiliser des infrastructures
filaires onéreuses. Mais les solutions sans fil opposent à l'
utilisateur un problème
commun, celui de la bande passante remontante (ou en émission).
Les technologies hertziennes apparaissent comme des solutions séduisantes pour
la création de micro-réseau locaux, à l’échelle d’un immeuble, d’un quartier ou d’un
village, qui permettent de mutualiser un accès à un réseau plus puissant, faisceau
satellite ou réseau optique de collecte. Plusieurs technologies ont été envisagées.
Aujourd'
hui, les perspectives majeures sont ouvertes par les transmissions bidirectionnelles par micro-ondes (WiFi), et par les nouvelles technologies satellitales
bi-directionnelles, dont les prix deviennent abordables pour les petites entreprises
ou des collectivités rurales.
La boucle locale radio (BLR) permet de recevoir des services Internet, mais aussi
de la téléphonie, à des débits qui peuvent dépasser 150 Mbits/sec. à condition de
ne pas être éloigné de plus de 4 km (26 GHz) ou 15 km (3,5 GHz) d’une station
émettrice, et de disposer d’une antenne à vue de l’émetteur (en général sur le toit
de l’immeuble). En 2000, en France, deux licences avaient été accordées à deux
opérateurs nationaux, Firstmark, et Fortel qui s’étaient engagés à une couverture du
territoire correspondant à 58 et 85 % de la population en 3,5 GHz ou 34 et 60 % en
26 Ghz (source : ART, www.art-telecom.fr/dossiers/blr/index-blr.htm). Fin 2003, il y
avait trois opérateurs en métropole : 9 Telecom, Altitude Télécom et Broadnet
France.
Fin 2002, selon l’observatoire régional des télécommunications (ORTEL,
www.ortel.com), les taux de couverture étaient de 28 % pour la population, 31 % pour
les entreprises, et 1,2 % pour la superficie. La BLR reste une technologie
concentrée dans les villes grandes et moyennes. Considérée il y a quelques années
comme la technologie miracle, elle tarde à décoller : peut-être 2000 abonnés dans
toute la France ?
Le MMDS (Microwave Multipoint Distribution System) n'
est présenté que pour
mémoire, car c’est une technologie déjà dépassée par le WiFi. Le MMDS est en
voie d'
expérimentation en Ardèche, par exemple, dans le cadre du SIVU des
est une
« Inforoutes de l'
Ardèche » (www.inforoutes-ardeche.fr/wadsl). C'
technologie assymétrique qui utilise les micro-ondes en voie descendante (du FAI
vers l'
utilisateur) et le réseau filaire (RTC ou ADSL) en voie remontante. Des
pylones sont installés sur des points hauts. Les usagers recoivent le signal par voie
hertzienne, grâce à une antenne à vue de l'
émetteur. Ils doivent, pour émettre,
posséder une liaison et un abonnement classique à Internet via le réseau
téléphonique commuté. Cette solution est intéressante pour les utilisateurs (les plus
nombreux) qui ont surtout besoin de bande passante en voie descendante
(consultation de sites Web, chargement de fichiers). Mais la faiblesse de la bande
passante en voie montante (56 Kbits/sec/, 128 avec numéris), pour ceux qui ne
peuvent pas recevoir l'
ADSL (et c'
est la majorité dans les zones rurales), disqualifie
cette technologie pour les entreprises.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
71
Le WiFi
Selon les spécialistes, 2003 a été l’année du décollage pour le WiFi. Deux éléments
principaux l’expliquent : la mise sur le marché d'
équipements abordables
financièrement, et la décision de l'
ART du 7 novembre 2002, qui permet d'
obtenir,
sous certaines conditions, des licences gratuites pour le déploiement extérieur de
réseaux accessibles au public.
Le WiFi, ou Wireless Fidelity, est le nom commercial de la norme IEEE 802.11b, qui
permet d'
acheminer des données par ondes ultracourtes (2,4 Gigahertz).
L'
installation de base se compose d'
un boitier émetteur ou borne WiFi (figure n° 23),
raccordé à une liaison Internet quelconque (cable, ADSl, satellite…). La borne WiFi
devient ce que les anglophones appellent un hotspot, autour duquel des terminaux
équipés de cartes de réception ad hoc peuvent être raccordés simultanément au
réseau : ordinateurs portable ou non, téléphone mobile, console de jeux…
Le débit est fonction de la distance, qui peut être notablement augmentée par
l'
utilisation d'
antennes. En terrain découvert, il peut atteindre 11 Mbits/sec. à un
kilomètre, avec une puissance légalement limitée (en France) à 100 MW. La norme
802.11g peut permettre d’atteindre 54 Mbits/sec. La norme 802.16, dite WiMax, peut
offrir des débits jusqu’à 70 Mbits/sec., mais avec une portée de 50 km, au lieu de 50
mètres environ pour le WiFi standard.
Les grandes utilisations du WiFi : domotique, réseau local, point d'accès
public
L'
utilisation la plus évident est celle qui consiste à transformer une habitation, un
laboratoire, les bureaux d'
une entreprise, en un réseau sans fil, dans lequel les
différents appareils sont débarrassés des cablages habituels et peuvent se déplacer
sans problème. Le WiFi est particulièrement apprécié dans les lieux d’accueil du
public comme les aéroports ou les grands hotels, où la clientèle d’affaire peut se
connecter sans la nécessité d’un cablage complexe et de raccordements
contraignants. Ainsi, fin 2003, le WiFI équipait presque tous les grands hôtels de la
Côte d'
Azur. Fin 2006, il devrait y avoir en Europe 35 000 hotspots
(www.journaldunet.com/0310/031016wifi.shtml).
Comme nous le verrons dans le chapitre 5, le Wifi offre des perspective
prometteuses pour la constitution de mini réseaux publics, urbains ou ruraux,
raccordés à une boucle locale ou à une liaison satellite.
Figure n° 23
Modem-Routeur Wifi (http://guide.journaldunet.com/categorie/20/wi-fi/)
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72
Regard géographique sur le paradigme numérique
Tableau n° 11. Quelques exemples de points d'accès WiFi, installés en juillet 2003
Source : Le Journal du Net, mai 2003, www.journaldunet.com/dossiers/wifi/
Nyons
Chartres
Nogent le Rotrou
Montesquiou
Grenoble
Cholet
Chaumont en Vexin
Pau
Pau
Strasbourg
Strasbourg
Ecully
Lyon
Lyon 1er
Lyon 1er
ème
Lyon 5
ème
Lyon 6
Chamonix
Val Thorens
Rouen
Place de la Libération
Chambre de commerce
Mairie
Accès dans le village
Grenoble Ecole de Management
Pub du Cadran
Château de Bertichères, Country Club
Aéroport de Pau - Pyrénées
Hôtel Roncevaux
Centre de Conférences de Strasbourg
Hôtel Hilton
Résidences Universitaires
Aéroport Lyon Saint-Exupery
Restaurant-bar New Albion
Restaurant Wok It
Auberge de Jeunesse du Vieux Lyon
Palais des congrès de Lyon
Hôtel Le Labrador
Espaces communs et hôtels de la station
Lycée Technique Blaise Pascal
Le satellite
L’avantage majeur du satellite est sa versatilité. Comme pour la télévision, une
simple antenne et un modem suffisent pour bénéficier d’un accès à Internet à haut
débit. Mais, plus encore que pour le DSL, ce débit est dissymétrique, faute de
disposer d’une antenne émettrice de forte puissance. Deux solutions co-existent :
les satellites géostationnaires en orbite haute (36 000 km), dont la zone de desserte
est immense (3 satellites suffisent pour couvrir la presque totalité des zones
habitées), et la constellation de satellites en orbite basse.
Skybridge, filiale d’Alcatel, a déployé 80 satellites à 1469 km d’altitude, relayés par
140 stations au sol, pour une couverture mondiale, qui offre des débits de 1
Mbits/sec en voie montante, et jusqu’à 70 Mbits/sec. en voie descendante (figure n°
24). L’avantage du satellite en orbite basse est qu’il autorise un temps de réponse
très cours (30 ms.), qui facilite certaines applications, comme la téléphonie sous IP
ou la visio-conférence.
La solution du satellite en orbite haute est néanmoins la plus simple, la plus fiable et
la plus répandue. Un des leaders mondiaux est Eutelsat, qui possède 24 satellites
géostationnaires, dont trois sont disponibles en Europe pour de l’accès Internet :
ATLANTIC BIRD (2° à 8° Ouest), W3 (7° Est), e-BIRD (33° Est). Eutelsat est
connecté au réseau mondial par l’intermédaire de son centre de Rambouillet.
Eutelsat permet de créer des réseaux d’entreprises totalement indépendants des
réseaux d’opérateurs de télécommunication, grâce à une antenne de 1 à 4 m de
diamètre sur le toit, avec des débits descendants jusqu’à 40 Mbits/sec.
(www.eutelsat.com).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 24
Le
système
Skybridge
www.skybridgesatellite.com
(source :
plaquette
73
skybridge,
Les liaisons satellite bi-directionnelles sont particulièrement intéressantes
lorsqu’elles sont couplées à des solutions de mise en réseau local de type WiFi.
C’est le cas autour de l’entreprise SitePilot à St-André-de-Cruzières, en Ardèche
(430 hab.), qui dispose depuis 2002 d’un accès à Internet bi-directionnel 512 Kbits128 Kbits, via le satellite ATLANTIC BIRD, grâce à une parabole de 96 cm. (figure
n° 25) L’accès de l’entreprise servira de tête de réseau pour la mise en place d’un
réseau à l’échelle du village. A l’occasion du Tour de France 2003, Eutelsat a mise
en place une liaison expérimentale à l’office du tourisme de l’Alpe-d’Huez, couplée à
une borne WiFi, qui permet de connecter des ordinateurs portables sans aucune
prise filaire (figure n° 26)
Les premières offres commerciales d’internet par satellite bi-directionnel sont
annoncées pour le début 2003. Elles s'
adressent principalement aux professionnels
(TPE, PME, PMI) pour des débits jusqu’à 10 Mb/s utiles en réception et 1,2 Mb/s utiles
en émission et représentent ainsi une alternative souple, évolutive et rapide à mettre en
œuvre en l’absence du service ADSL.
Elles s'
adressent donc tout particulièrement à des sites isolés, dans des zones
géographiques non-prioritaires, éloignées des POP (points d'
accès opérateur) et qui
n'
ont aujourd'
hui que la possibilité des liaisons louées. Elles nécessitent toutefois une
installation plus coûteuse que pour les solutions filaires avec notamment une antenne
parabolique
et
un
ensemble
d’appareillage
(démodulateur,
routeur)
(www.sitepilot.fr/v3/pdf/Dossier-de-presse4.pdf).
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74
Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 25
Liaison
bi-directionnelle
par
satellite
(www.sitepilot.fr/v3/pdf/Dossier-de-presse4.pdf)
Eutelsat
Figure n° 26
Liaison Eutelsat bi-directionnelle à l’Office du tourisme de l’Alpe d’Huez
(www.eutelsat.com/news/5_2.html)
2.3.5. La téléphonie mobile (ou cellulaire)
Le téléphone mobile a fourni, depuis une dizaine d’années, un intéressant exemple
de diffusion spatiale d’une innovation, avec l’élargissement des zones de
couvertures, à partir des grandes agglomérations et du réseau autoroutier, jusqu’à
la quasi-totalité du territoire et de la population. L’enjeu dépasse le simple accès aux
services de téléphonie, avec l’intégration de nouveaux services numériques, qui
vont de la messagerie (SMS) à l’accès internet (WAP ou Wireless Application
Protocole, cf infra.). Rappelons que le réseau mobile fonctionne grâce à une réseau
dense d’antennes émettrices (ou pylones), 6000 par exemple pour Orange en
France.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
75
En France, la couverture « mobile » est assurée par trois opérateurs, Orange57 et
SFR58 (autorisés en 1991) et Bouygues Télécom (autorisé en 1994). En 1995, le
réseau mobile couvrait 70 % de la population. En 2002, d’après une étude du
cabinet Sagatel pour le compte du gouvernement, les « zones d’ombres » totales
(couvertes par aucun réseau) représentaient 46 000 km² en métropole, soit 8,4 %
du territoire, et 1480 communes, où vivaient 390 000 personnes, environ 0,7 % de
la population. Ces zones non couvertes se trouvent essentiellement en zone de
moyenne et de haute montagne, comme le montrent le tableau n° 12.
Mais cette évaluation est à considérer comme très restrictive. Elle a été contestée à
la fois par l’ART et par les élus locaux, qui, s’appuyant sur les réalités de terrain,
considèrent qu’il y a là un problème réel d’aménagement du territoire. Selon les
sources les plus pessimistes, 15 000 communes connaîtraient une couverture
imparfaite, inégale, de médiocre qualité etc.
Tableau n° 12. Les régions française qui possèdent le plus de zones non couvertes
par la téléphonie mobile (d’après Forissier, 2002, p. 15)
Nombre de
communes
concernées
Auvergne
Corse
Limousin
Bourgogne
Midi-Pyrénées
France
métropolitaine
1 310
360
747
2 045
3 020
36 584
Nbre. de
centres de
villages non
couverts
166
38
75
162
257
1 484
Taux
Taux
géographique démographique de
de nonnon-couverture
couverture
20,1 %
4,57 %
20,5 %
2,98 %
12,7 %
2,90 %
11,1 %
2,58 %
14,7 %
2,34 %
8,4 %
0,66 %
Le secteur de la téléphonie mobile pourrait être bouleversé prochainement par le
développement de la norme UMTS (Universal Mobile Telecommunication System)
dite parfois 3G (3ème génération), qui s’est signalée au grand public en 2001 par les
sommes astronomiques atteintes au Royaume Uni, en Allemagne et en France lors
de la mise aux enchères des fréquences par les gouvernements. En France, trois
opérateurs ont acquis cette licence, Orange, SFR, puis Bouygues (lors d’un
deuxième appel d’offre).
Le coût élevé des investissements et des enchères d’acquisition des nouvelles
licences (alors que les opérateurs étaient sortis exsangues de la crise de 2001) et
les problèmes de mise au point des terminaux, ont retardé la diffusion de la
technologie 3G. L’UMTS est déjà une réalité au Japon, avec la société DoCoMo. Le
lancement commercial en France est prévu par Orange pour fin 2004. L’objectif de
la filiale de France Télécom est de couvrir 90 % de la population vers 2009.
L’UMTS devrait autoriser des débits jusqu’à 2 Mbits/sec. en réception et 384
Kbits/sec. en émission, en zone urbaine et en phase statique. Les débits seront
sensiblement plus lents en « rase campagne », ou en déplacement (dans un TGV),
de 64 à 144 Kbits/sec. La liste des fonctionnalités est impressionnante : téléphone
(on pourrait l’oublier), courrier électronique, consultation du Web, saisie et envoi
d'
images, de musique, de vidéo, visiophonie, multicall, c'
est-à-dire possibilité de
télécharger des informations en poursuivant sa conversation. En tout état de cause,
dans les cinq, voire les dix prochaines années, l’UMTS ne devrait fournir une
solution de connexion alternative qu’en milieu urbain.
57
58
Filiale de France Télécom.
Groupe Cégétel-Vivendi.
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76
Regard géographique sur le paradigme numérique
Conclusion du chapitre :
informationnelle
le
rêve
et
les
enjeux
de
l'ubiquité
Le 17 mai 2004, première mondiale pour un vol commercial, les passagers du vol
Lufthansa Munich-Los Angeles ont pu bénéficier d’un accès à Internet, via un
satellite Eutelsat et un réseau local WiFI embarqué de « Connexion by Boeing »
(www.eutelsat.com/news/5_2.html).
La technologie permet donc aujourd’hui une ubiquité presque totale de l’accès à
l’information. L’équipement de « l’agent secret » des films d’espionnage de série B
est en vente à la FNAC pour quelques centaines d’Euros. Avec l’UMTS, le poids de
l’équipement est de quelques centaines de grammes. Cette accessibilité au réseau
numérique devient standard, non seulement au bureau, au domicile ou dans une
chambre d’hôtel, mais aussi en déplacement, en automobile (systèmes de
navigation embarqué, GPS + mobile), en train, en avion. Elle est donc continue
dans le temps et dans l’espace.
C’est un fait. Mais la portée territoriale de ce fait, considéré isolément, reste faible. Il
faut envisager les usages de cette technologie, et mesurer, autant que possible, les
conséquences dans la production de l’espace géographique et des territoires. C’est
un chantier qui, à notre avis, n’a été qu’à peine entamé.
Comme nous avons essayé de le montrer, la technologie de l’accessibilité
numérique confronte les acteurs à une équation « technico-spatio-économique »
complexe. Car le réseau et l’accessibilité « en soi » n’existent pas, mais dépendent
de la capacité financière et cognitive des acteurs à se doter des terminaux ad hoc.
De fait, dire qu’un lieu donné possède des attributs d’accessibilité informationnelle
ne rend comte que d’une partie du problème : ces attributs n’existent que toutes
choses égales par ailleurs. Les habitants ou les entreprises du plateau de
Millevaches n’ont pas d’accès possible à l’ADSL, ni au cable. Mais les habitants ou
les entreprises « riches » peuvent obtenir dès qu’il le désirent une liaison satellite ou
une liaison spécialisée. Si IBM décide d’implanter un data center sur le Plateau de
Millevaches, France Télécom ou un autre opérateur sont en mesure de lui apporter
autant de Gbits/sec. qu’il le désire. S’il ne le fait pas, c’est pour d’autres raisons,
comme nous le verrons dans les chapitres 3 et 4.
La télé-accessibilité est, dans une certaine mesure, un enjeu de développement et
d’aménagement pour les territoires et leurs acteurs. Ces acteurs sont ils en mesure
de peser sur les termes de l’équation ? Avant de proposer un début de réponse à
cette question, il convient d’aborder plus avant la question des usages. Nous avons
délibérément choisi de mettre en avant la question de l’économie marchande, car
les entreprises détiennent la majorité des clés de la prospérité et du développement
durable des territoires. Mais ce qui vaut pour une PME vaut pour un Lycée et pour
les habitants des quartiers environnant, comme le rappelait récemment S.
Bergamelli, directeur des nouvelles technologies à la Caisse des Dépôts et
Consignations (Séminaire Prospective Info, DATAR, 3 juin 2004).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
77
Chapitre 3. Numérisation de l’économie et espace
géographique
Dès 1961, dans Mégalopolis, Jean Gottmann propose le terme d'
activités
quaternaires pour désigner les emplois principalement consacrés à traiter de
l'
information sous des formes diverses. Il considère notamment que c'
est
l'
interrelation de ces fonctions quaternaires, surtout dans les quartiers centraux, qui
constitue l'
essence de la grande ville.
Studying the concentration of white collar workers in Megalopolis, I suggested in 1961
this new quaternary sector. Ekistics, 1970, n° 174, "Urban centrality and the
interweaving of quaternary functions".
Si on garde en perspective les réflexions de Gottmann (qui ne doivent pas être
isolées d'
autres travaux contemporains ou antérieurs, comme ceux de Rochefort ou
de Labasse), la convergence numérique pose une question majeure : l'
application
au système productif de technologies qui devaient effacer les distances risquait-elle
d'
avoir des conséquence majeures sur la géographie du système productif, et, au
delà, sur les territoires ? Ces questions ont suscité une énorme littérature, dans un
contexte de polémique sur la réalité d'
une nouvelle économie et sur la nature de la
mondialisation. Avec, en toile de fond, le débat sur les effets, réels ou supposés,
des TIC sur la localisation des activités et le développement économique des
territoires.
Parmi les neuf facteurs de l'
interrelation des « fonctions quaternaires » qui constitue
essentiellement la centralité urbaine, Gottmann (1971, op.cit.) retient les « flux
d'
information », qui doivent être nombreux, diversifiés, actualisés. L'
information
« constitue la matière première des transactions et prises de décision ». On trouve
là l'
idée très actuelle du rôle assuranciel du milieu d'
affaire de la grande ville contre
les hasards et incertitudes générés par l'
économie moderne.
Mais, idée fondamentale qui a gardée toute son actualité, Gottman se montre très
prudent sur le fait que les TIC pourraient mettre à mal le concept de la place
centrale comme lieu d'
échange d'
informations, à cause de l'
importance des
rencontres de face à face, « fortuites ou prévisibles » comme l’écrit Bourdieu (1992).
Electronic equipment to date has not succeeded in distrupting the rapidly growing need
for more and more face-to-face meetings for all kinds of purpose. The study of the
possibility of transacting quaternary business by wire or over the waves does not
appear at present to give as satisfactory results as does physical presence… it may be
satisfactory between individuals who know one another intimately and trust one another
fully. Gottmann, 1971, op.cit., p.329.
Ceci conduit à une interrogation majeure : est-ce que, trente années plus tard, les
progrès des TIC, et notamment la généralisation de l'
Internet, sont susceptibles de
faire évoluer ce jugement ? En guise d'
entrée en matière, nous nous ferons l'
écho
des débats sur la nouvelle économie, puis nous montrerons que, s'
il n'
est pas sûr
que l'
on assiste à un changement brutal de paradigme économique, il y a de facto
émergence d'
une économie numérique, aux deux sens du terme : la numérisation
s'
infiltre dans tous les rouages de la production, mais aussi, on assiste au
renforcement d'
un secteur économique qui fonctionne par et pour le numérique.
Nous verrons à partir d'
exemples concret que la numérisation a affecté les pratiques
spatiales d'
activités anciennes - finance, commerce, transport - et entraîné
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78
Regard géographique sur le paradigme numérique
l'
apparition de nouvelles méthodes de travail qui modifient, dans une certaine
mesure, le rapport à l'
espace de la production et de l'
emploi.
Mais ne laissons point planer l’ambiguité : la thèse de la fin de la géographie et des
mécanismes de la polarisation spatiale a été totalement réfutée. Ce qui ne vide pas,
loin de là, la problématique géo-économique du paradigme numérique.
3.1. L’émergence d’une économie numérique
On a assisté, depuis plus d’une décennie, à une avalanche de termes nouveaux et
de métaphores, qui se bousculent dans une joyeuse cacophonie, chaque auteur
voulant se distinguer en proposant un terme nouveau pour, finalement, décrire la
même chose que ses prédécesseurs (même si les interprétations diffèrent). On
parle d’économie de l’information (Hepworth, 1987), d’économie en réseaux
(Castells, 1996), d’économie du savoir, de la connaissance, ou knowledge economy
(Dunning, 2000 ; Grimes et Collins, 2003). François Ascher (2000) évoque un
capitalisme cognitif.
La question centrale est de savoir si on est en présence d’une évolution tranquille,
ou bien d’une révolution, voire d’un complet changement de paradigme, qu’il serait
alors possible d’associer à l’affirmation du paradigme numérique. La partie la plus
significative du débat tourne autour du concept de « nouvelle économie ».
3.1.1. Le débat sur la « nouvelle économie »
In one perspective, the new economy is the economy of Internet industry. In another
approach, we observe the growth of a new economy from within the old economy, as a
result of the use of the Internet by business, for its own purpose and in specific
contexts. Castells, 2001, p. 5.
Avant d’aborder le débat sur le fond (c’est à dire la polémique des économistes),
nous entendons soulever avec M. Castells la dualité des expressions de « nouvelle
économie », ou même « d’économie numérique » (ce qui, dans le langage courant,
revient souvent au même). En effet, il y a l’économie numérique stricto sensu, qui
est celle des secteurs de la « convergence numérique ». Mais il y a aussi les
innombrables secteurs qui utilisent les TIC. La compréhension des termes est toute
dans le contexte. Tel que nous l’avons utilisé nous même dans Urban Studies
(2003), tout comme T.A. Hutton dans Cities (2004, The New Economy in the Innner
City) ou D. Perrons dans Economic Geography (2004), l’expression « nouvelle
économie » désigne ce qu’on pourrait appeler l’industrie des TIC au sens large. La
même conception est parfois élargie à l’ensemble des activités de pointe ou « high
tech » (biotechnologies, nouveaux matériaux, aérospatial). A cette nouvelle
économie, on aurait tendance à opposer d’une manière manichéenne une
« ancienne économie » des secteurs traditionnels : métallurgie, textile etc. Vision
fausse, nous verrons pourquoi.
Mais, lorsque les économistes débattent sur la « nouvelle économie » qui aurait
émergé aux Etats-Unis dans les années quatre-vingt-dix, ils parlent d’un nouveau
régime qui affecterait toute l’économie. La question centrale, pour nous, serait de
savoir si le paradigme numérique est un facteur causal (ou central) de l’apparition
de cette nouvelle économie (si tant est qu’elle existe).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
79
La discussion sur la nouvelle économie est née au milieu des années quatre-vingtdix, aux Etats-Unis, où des observateurs ont attribué aux « nouvelles technologies »
une grande part de responsabilité dans le cercle vertueux dans lequel le pays
semblait inscrit. Pour la première fois, des indicateurs macro-économiques qui
semblaient inconciliables étaient au vert : croissance forte et chômage
historiquement bas, mais inflation faible, budget équilibré, voire excédentaire (pour
une analyse économique de cette période aux Etats-Unis, voir par exemple les
travaux
de
R.J.
Gordon,
consultables
sur
http://facultyweb.at.northwestern.edu/economics/gordon). De nombreuses statistiques ont été
publiées sur la part des TIC dans l'
augmentation de la productivité américaine (ce
qui permettait d'
expliquer, chemin faisant, la moindre croissance de la productivité
européenne ou japonaise, dont les économie étaient moins gourmandes en
technologies numériques).
Cette thèse a été vivement discutée par Jean Gadrey (2000, Nouvelle Economie,
nouveaux mythes), avec d'
autant plus de mérite qu'
il a écrit son ouvrage avant le
retournement de conjoncture, au moment où la « nouvelle croissance » battait son
plein.
La nouvelle économie est un ensemble de discours tenus par des acteurs divers,
depuis décembre 1996 aux Etats-Unis, diffusés à partir de 1999 en France… Le
discours sur la nouvelle économie n'
est pas tenu principalement par les scientifiques…
(mais) par une partie des acteurs de la sphère politico-médiatique. Le discours de la
nouvelle économie, qui, dans ses versions les plus simplistes, peut se résumer par le
"néo libéralisme high tech" n'
a pas encore trouvé sa théorie économique. Gadrey,
2001, pp. 19-21
J. Gadrey est très sceptique vis-à-vis de la thèse d'
une nouvelle économie perçue
comme changement de paradigme, et sur le rôle moteur des TIC dans
l'
augmentation de la productivité. Il montre que la plus grande partie des emplois
créés lors du grand cycle de croissance des années quatre-vingt-dix aux Etats-Unis
ont été des emplois de services aux personnes, qui impliquent des relations de face
à face et utilisent les TIC accessoirement (restauration, santé, enseignement etc.).
Une des sources de critique d’un concept de « nouvelle économie » a été ce qu’on
a appelé le paradoxe de Solow, ou l’introuvable hausse de la productivité par
l’informatique, qui semble s’expliquer par le coût des procédures d’adaptation (ou de
re-engineering) aux nouvelles technologies.
Pour sa part, R.J. Gordon (2002) énumère la longue liste des métiers dans lesquels
les emplois n'
ont pas pu être remplacés par des machines. Une conclusion
intéressante de Gordon est l'
explication qu'
il donne à la modestie des gains de
productivité attribués à l'
informatique dans la plupart des activités : la croissance
exponentielle de la puissance des ordinateurs, de la complexité du réseau Internet,
se heurte à la fixité du temps humain disponible.
The fundamental limitation on the contribution to the productivity of computers in
general and the Internet in particular occurs because of the tension between rapid
exponential growth in computer speed and memory one the one hand, and the fixed
endowment of human time. Gordon p.72.
Le géographe doit entrer avec précaution dans ces débats d'
économistes. Nous
partageons le propos de Jean Gadrey, cité ci-dessous, qui affirme que la nouvelle
économie est d'
abord un discours, à lier aux discours généraux sur la
mondialisation-globalisation. Nous avons vu comment médias et responsables
politiques se sont enthousiasmés pour le concept. Les technologie numériques
semblaient promettre l'
avénement d'
un nouvel âge d'
or, qui verrait tout à la fois la fin
du chômage, une forte croissance sans inflation, l'
enrichissement des pays les plus
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80
Regard géographique sur le paradigme numérique
pauvres (qui réaliseraient, grâce à Internet, un saut technologique) etc. Ces idées
vont de pair avec les utopies socio-géographiques selon lesquelles les TIC devaient
permettre de désenclaver l'
espace rural, faciliter l'
éducation dans les banlieues
pauvres, démocratiser l'
accès au savoir, etc. Après la crise de 2001, le public et les
médias se sont empressés de bruler ce qu'
ils avaient adoré, niant tout changement
majeur.
Most striking has been the dampened enthusiasm in elite circle for the rise of the
information economy. With the fall of many dot.com companies… there has been a
massive and highly public reaction against the very concept of this emergent '
new
economy'
. There is a growing belief that the new economy and the Internet constitute
nothing more than a passing fad. Kotkin, 2000, p. 11.
Dès 1997, des attitudes raisonnables avaient émergé, y compris dans la presse
économique anglo-américaine, pour tenter de relativiser le phénomène et en
rationnaliser la lecture. Par exemple, en septembre 1997, The Economist titrait : A
new economic paradigm is sweeping America. It could have dangerous
consequences (encadré n° 4) pour dénoncer le risque d’une bulle spéculative
boursière, ainsi que les impasses fiscales et sociales du modèle de croissance
américain, dénoncées dès 1992 par Robert Reich dans The Work of Nations, et
dont le renforcement dans les années 90 est bien décrit par Jean Gadrey.
Encadré n° 4. Un nouveau paradigme économique The Economist, 11 septembre 1997
Assembling the new economy
A new economic paradigm is sweeping America. It could have dangerous
consequences
A strange contagion is spreading across the land: the belief that technology and
globalisation promise unbounded prosperity and render old economic rules
redundant has infected American managers, investors and politicians with
remarkable speed.
Like any fad, the New Economy feeds off its own hyperbole. That is why an article in
the July issue of Wired magazine, which painted an extraordinarily rosy picture of a
technology-based and globalised future, caused such a stir on Wall Street. It is also
why the supposed conversion of Alan Greenspan, the chairman of the Federal
Reserve Board, is so significant. Mr Greenspan devoted almost half of his recent
congressional testimony to technological change. He wondered, in his usual elliptical
style, whether “current developments are part of a once-or twice-in-a-century
phenomenon that will carry productivity trends to a new higher track”.
Many believers in a New Economy, however, are far less wary. They have no doubt
that America’s trend rate of growth has risen permanently. Many dismiss the
existence of a relationship between economic growth, unemployment and inflation.
The most extreme even argue that computers and a greater openness to
international forces mean that inflation has been conquered and that the business
cycle is dead.
Most serious academic economists think that these arguments hold little water, and
lately they have been saying so vigorously. In a recent article in the Harvard
Business Review, Paul Krugman of the Massachusetts Institute of Technology
demolishes the conceptual and empirical basis for much New Economy thinking.
Alan Blinder, a former Federal Reserve vice-chairman, does the same in American
Prospect, a liberal magazine. The idea of a New Economy is not entirely far-fetched.
But proof that the business cycle has been put on hold is still to come.
America’s eagerness to embrace the New Paradigm may well have undesired
consequences: a speculative stockmarket bubble, an undue hesitation to raise
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Regard géographique sur le paradigme numérique
81
interest rates, an overeagerness to cut taxes, and a willingness to avoid such
important issues as Medicare and Social Security reform in hopes that years of
economic growth will cure the problems.
Un nouveau cycle technologique et économique ?
Plusieurs auteurs ont fait la comparaison entre les TIC et les grandes innovations du
passé considérées comme vecteurs de cycles de croissance dits de Kondratieff.
The Economist rapporte des travaux qui font un parallèle entre la crise récente des
TIC et celle subie par l'
industrie du chemin de fer en 1847 au Royaume Uni, qui
s'
était traduite par des faillites en cascade et une vague de concentration des
entreprises. Cette crise d'
assainissement passée, la croissance avait repris sur des
bases plus solides, jusqu'
à ce que l'
innovation arrive à maturité. La crise des TIC de
2001 serait une de ces crises d'
ajustement, qui font passer une technologie
porteuse de la phase de décollage et de croissance « incontrolée » à la phase de
maturité et de la consommation de masse (figure n° 27).
La thèse du « cinquième cycle de Kondratieff » est au cœur de l’ouvrage de P. Hall
et P. Preston (1988), The Carrier Wave: New Information Technology and the
Geography of Innovation, 1846-2003. Chaque cycle long aurait coincidé avec
l’émergence d’une nouvelle technologie, ou d’un ensemble de procédés industriels :
machine à vapeur et métier à tisser (cycle 1), sidérurgie et chemin de fer (cycle 2),
électricité et chimie (cycle 3), automobile (cycle 4), technologies d’information ???
(cycle 5).
Figure n° 27
Les TIC à la base d'un nouveau cycle long ? Source : The Economist, 10
mai 2003, supplément technologique, p. 4.).
R.J. Gordon a publié une analyse approfondie de cette comparaison entre les TIC et
les grandes avancées technologiques du passé (« Does the New Economy
Measure up to the Great Inventions of the Past? Journal of Economic Perspectives,
vol. 14, n° 4, pp. 49-74). Gordon explique que l'
ampleur du changement induit par
les TIC ne doit pas être mesurée par des agrégats macro-économiques seulement.
Il considère que les changements, - si possible les améliorations - apportés à la vie
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82
Regard géographique sur le paradigme numérique
quotidienne par les ordinateurs et l'
Internet sont loin d'
avoir la portée de ceux induits
par les innovations de la seconde révolution industrielle ou des Trente Glorieuses.
Internet surfing may be fun and even informational, but it represents a far smaller
increment in the standard of living than achieved by the extension of night to day
achieved by electric light, the revolution in factory efficiency achieved by the electric
motor, the flexibility and freedom achieved by the automobile, the saving of time and
shrinking of the globe achieved by the airplane, the new material achieved by the
chemical industry, the first sense of live to-way communication achieved by the
telephone, the arrival of live news and entertainment… achieved by radio and
television, and the enormous improvements in life expectancy, health and comfort
achieved by urban sanitation and indoor plumbing. Gordon p.72.
3.1.2. Economie informationnelle, économie cognitive
Au delà des débats sur le role des TIC dans l’apparition d’un nouveau cycle
économique, il faut affronter la thèse encore plus radicale de la rupture avec une
forme ancienne du capitalisme, d’un changement complet de paradigme, qui
justifierait les termes d’économie post-industrielle ou post-fordiste.
Les statistiques déployées par les auteurs comme Hepworth, Castells, ou Atkinson
(The New Economy Index) semblent accréditer la thèse d’un accroissement de la
part des emplois de service (tertiarisation), au détriment des emplois primaires et
secondaires. Mais le passage à une économie post-industrielle, comme le
rappellent Hall et Preston (p. 286) est en partie un artefact statistique, créé par
l’externalisation des tâches qui ne constituent pas « le cœur de métier » de la
production industrielle, et par la dissociation spatiale qui s’en suit, dans le cadre de
la division internationale du travail (nous reviendrons sur ce point crucial) :
The transition to the service economy may be a statistical illusion, because job growth
in the service sector may really derive from the demands of the manufacturing sector.
L’idée du passage à une économie « post-fordiste », en lien avec certaines formes
de développement économique régional, a été vivement débattue par les
économistes, économistes spatiaux et « géographes économistes ». Parmi les
changements impliqués par la transition vers une telle économie, on peut
mentionner la désintégration des relations verticales, l’aplatissement des hiérarchies
au sein des organisations, la création de centres de profit autonomes au sein des
groupes, la mise en œuvre de la « spécialisation flexible » dans les districts
industriels, la flexibilité du travail et de l’emploi, les techniques de production dites
du « juste à temps », la généralisation de l’externalisation etc.
The California school… put a heavy accent on the role of vertical disintegration,
interindustrial transaction networks and local labor markets as the main factors
underlying the spatial agglomeration displayed by many post-Fordist forms of economic
activity… Piore and Sabel… emphasized the sharpness of the historical divide that
seemed to have occurred over the 1970’s between Fordist and post-Fordist forms of
industrial development. A.J. Scott, in Clark et al., 2000, p.29-30.
Il est incontestable que les technologies d’information ont joué un rôle important –
sinon moteur – dans ces évolutions. Ce n’est pas une chose nouvelle. En
introduction à sa Geography of the information economy, Hepworth montre que le
besoin de « contrôle », donc l’usage de diverses TIC dans l’activité économique,
notamment le télégraphe puis le téléphone, est allé grandissant depuis le début de
la révolution industrielle.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
83
Une des conséquences de l’évolution technologique en cours est que l’économie
dans son ensemble devient numérique. Jean Gottmann avait remarqué un
phénomène que la convergence numérique et des phénomènes généraux comme
la vague de l'
externalisation ont poussé à un point extrême : les activités de
traitement de l’information ne concernent pas seulement le secteur des services,
mais aussi les secteurs secondaires, voire primaires (« the quaternary sector
permeates not only the services, but also some of the secondary sector »,
Gottmann, 1970, op.cit., p. 325). Or, comme nous l'
avons écrit précédemment, la
circulation, le stockage, le traitement de l'
information sont de plus en plus
numériques. L'
application au système productif de la convergence numérique
entraîne donc un brouillage des catégories.
Il est effectivement difficile d'
identifier une économie numérique stricto sensu. Peu
de métiers échappent à l'
informatisation. Les agriculteurs utilisent satellite et
télédétection pour surveiller la croissance de la végétation et gérer dans le temps et
l'
espace la distribution des produits phytosanitaires (grâce à des ordinateurs et le
GPS embarqués sur les véhicules), les pêcheurs utilisent massivement radar et
sonar. Enfin, l'
industrie est de plus en plus largement automatisée et informatisée.
Les métiers dits manuels n'
échappent pas à la numérisation. La réparation des
véhicules modernes exige des compétences de plus en plus pointues en
électronique. Les ouvriers qualifiés deviennent des opérateurs de machines à
commande numérique.
En bref, l'
économie est informationnelle et numérique. Dans les pays développés, la
production, le travail quotidien des individus, sont dépendants de l'
informatique, qui
fait fonctionner le système financier, les transports, les usines…
Cette invasion par les technologies numériques éloigne de nous la tentation
d’assimiler économie numérique et économie du savoir ou « économie de la
cognition ». Comme le rappelle, entre autres, M. Storper (1997), Il faut distinguer
fondamentalement information numérisée et savoir, connaissance ou knowledge.
Comme nous l’avons déjà écrit, l’information qui se mesure en Mégabits est une
donnée concrète, objectivement définissable, et totalement décontextualisée
culturellement. Mais la frontière entre ce qui relève de l’informationnel pur et du
savoir ou du savoir-faire est floue. Le travail en centre d’appel, par exemple, est
souvent une tâche routinière, mais le traitement statistique des données
commerciales sur les appels entrants peut déboucher sur la création d’un savoir
stratégique pour l’entreprise.
Jean Gadrey rappelle à juste titre que l’économie dite « post-fordiste » possède bien
des traits communs avec l’économie industrielle du XIXème siècle. Par la répétitivité
et la pénibilité de leur travail, de nombreux travailleurs de la « nouvelle économie »
ne diffèrent guère des ouvriers et manœuvres du XIXe ou du Xxe siècle, employés
des centres d'
appel ou de saisie de données, ouvrières à la pièce et immigrés
clandestins des ateliers de fabrication de composants électronique etc. Emploi
précaire, emploi flexible, sont des concepts vieux comme le monde (ex : les
journaliers agricoles), et l’emploi industriel à vie n’a concerné qu’une courte
parenthèse des Trente Glorieuses dans les pays développés.
Il n’est donc pas certain que les technologies numériques puissent proposer une clé
d’entrée suffisamment convaincante pour proposer l’existence d’une rupture avec
un état antérieur. On retombe sur le problème posé par le mot « nouveau ». S’il y a
bien « nouvelles technologies » lorsqu’on parle du numérique, il n’est pas sûr que,
premièrement, on soit en présence d’un nouvel ordre économique, deuxièmement,
que les TIC actuelles en soit la raison d’être, où la substance.
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84
Regard géographique sur le paradigme numérique
R. Reich, avec les « manipulateurs de symbole » (1992) et R. Florida, avec le
concept de « classe créative » (2002), proposent un paradigme qu’il est intéressant
de croiser avec le paradigme numérique. En effet, si tous les métiers de l’économie
numérique ne sont pas créatifs, loin de là, on observe une convergence croissante
entre les TIC et l’économie de la créativité
Passons sur l’évidence que le secteur économique des TIC stricto sensu
(production des matériels, infrastructures et logiciels), fortement innovant par
essence, repose sur la créativité. Mais les autres secteur créatifs, ou de l’économie
du savoir, font un usage de plus en plus intensif des technologies numériques. Une
partie des innovations qui relèvent du numérique est tournée vers les métiers de la
créativité. Les concepteurs de logiciels créent les outils qui permettent ensuite aux
dessinateurs et concepteurs de jeux ou d'
animation de s'
exprimer. C'
est la créativité
qui, seule, permet de comprendre le lien entre les TIC et le design textile ou
automobile. Les tissus, les vêtements, comme les automobiles ou les avions, sont
dessinés et testés sur ordinateurs, puis fabriqués par des machines numériques
(pour lesquelles il a fallu concevoir des logiciels spéciaux). La « création », dans
l’architecture, le cinéma, les médias, la mode, passe par l’intermédiaire de
l’informatique. Il faudrait enfin évoquer l’usage croissant des technologies
numériques dans tous les domaines de l’éducation et de la recherche. Le cabinet de
consultant IDC Research propose une vision synthétique du rapprochement entre
l'
économie numérique et les activités de création, à travers l'
expression « TIME
Technology » : Telecommunications, Information, Media, Entertainment (figure n°
28). Nous verrons que cette convergence se matérialise par des formes territoriales
particulières, où se concentrent ceux que R. Florida appelle les membres de la
creative class.
Figure n° 28
La convergence numérique et les "TIME technologies"
Economie
numérique
Economie de
la créativité
«TIME»
technology
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Regard géographique sur le paradigme numérique
85
Une géographie de l’économie numérique, malgré tout !
Compte tenu des réserves faites sur le concept de nouvelle économie par des
économistes éminents, faut-il « jeter le bébé avec l'
eau du bain », récuser
l'
existence d'
un phénomène quelconque liant les TIC au système productif, et,
partant de là, renoncer à l'
étude de problématiques géographiques connexes ?
Nous ne le pensons pas, pour deux raisons.
Tout d'
abord, quelles que soient les polémiques sur sa définition, sa taille et sa
participation à la productivité, il existe une économie des TIC, qui pèse variablement
sur les territoires : informatique, télécommunications, création multimédia, centres
d'
appel etc. Ensuite, l'
application des TIC aux activités économiques traditionnelles
a entraîné des modifications dans l'
organisation de la production et du travail, avec,
là encore, des implications en matière de localisations, de pratiques spatiales et
territoriales.
Les opérateurs des centres d'
appel ou certains télétravailleurs évoquent-ils les
ouvriers du XIXe voire du XVIIIe siècle ? Sont-ils pré-fordistes ou post-fordistes ? Le
fait demeure qu'
ils existent, qu'
il y a des suppressions d'
emploi ici, des créations
ailleurs, et donc des dynamiques territoriales induites. Lorsqu'
un responsable de
projet « TIC » d'
une companie d'
assurance nous explique que leurs centres d'
appel
ont été implantés en région parisienne, d’abord, puis dans des métropoles
régionales, puis dans des villes moyennes, lorsque le PDG d’une société de
télémarketing explique pourquoi il ferme des sites à Paris, pour en ouvrir d’autres à
Calais, Boulogne ou Roanne, nous voyons là des pratiques spatiales fortes,
susceptibles d'
entraîner des phénomènes de production territoriale qui doivent
requérir l’attention du géographe.
Gadrey, tout comme Veltz (1996 et 2000) souligne les nouvelles flexibilités et
segmentations du marché du travail (et de la société) qui caractérisent la soit disant
nouvelle économie. Cette problématique doit requérir le géographe, car elle est
susceptible d'
entraîner des comportements spatiaux et territoriaux (mobilité
géographique, déracinements, ségrégations socio-spatiales). Ceci nous semble un
axe de lecture important de toute analyse géographie de l'
économie numérique.
Enfin, d'
une manière plus générale, le débat sur la nouvelle économie interpelle le
géographe, car l'
espace géographique y occupe une place centrale, même lorsqu'
il
s'
agit de dénoncer le mythe.
Dans la plupart des cas, soit parce que l'
activité est majoritairement relationnelle,
cognitive, interactive, soit parce qu'
elle relève d'
une logique matérielle ne pouvant pas
s'
affranchir des contraintes de l'espace et du poids, les nouvelles technologies de
l'
information ont un impact faible, voire nul, sur la productivité des tâches. Gadrey,
2000, p; 74.
On retouve là les problématiques fondamentales que nous avons développées dans
le premier chapitre : l'
utopie de la fin des distances a apporté sa pierre à l'
édifice
idéologique de la nouvelle économie. La tâche des géographes, dans ce contexte, a
été de montrer que, loin de s'
affranchir des distance et de se « déterritorialiser », la
localisation de la nouvelle économie reste très liée aux aménités ou contraintes des
territoires.
« Il n'y a rien de nouveau »
Cette expression est fréquemment utilisé par les détracteurs d'
une analyse
géographique de ces questions. Si le changement de paradigme fait débat, il ne
faudrait pas « diaboliser l'
adjectif « nouveau », utilisé par Pierre Veltz, par exemple,
pour dépeindre les évolutions récentes du travail et de l'
organisation des entreprises
(Le nouveau monde industriel, 2000). Il est vrai que certaines activités existaient
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86
Regard géographique sur le paradigme numérique
déjà au temps des télécommunications analogiques (comme les centres d'
appel).
Les circu
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Regard géographique sur le paradigme numérique
87
3.2. Les modèles spatio-organisationnels de l’économie
numérique
Sans remettre en cause le but ultime de la firme59, il faut bien considérer que
l’entreprise, du point de vue structurel, est un système informationnel dont la
fonction est de coordonner et minimiser les coûts de ce qu’on appelle en général
des transactions. Ces transactions peuvent être internes à la firme (intégration
verticale), ou externes, si les dirigeants considèrent qu’elles seront effectuées plus
efficacement ou à moindre coût par une tierce entreprise (désintégration ou
externalisation).
A firm becomes larger as additional transactions are organised by the entrepreneur
(rather than coordinated through the price mechanism) and becomes smaller as he
abandons the organization of such transactions. R. Coase, The nature the firm, cité
dans Hepworth, 1987, p. 133.
L’information doit être considérée comme un outil de réduction de l’incertitude qui
préside à ces transactions, mais aussi comme un produit, une substance, dont la
production et le marché constituent ce qu’on appelle parfois « l’économie de
l’information » (A. Rallet 2000, p. 305). Comme l’écrit A. Rallet, l’organisation est
une « réponse à des phénomènes d'
information imparfaite en situation de conflit ».
L’espace géographique joue un rôle important dans les coûts de transaction, et
notamment dans le prix de l’information en tant que substance qui permet de
réaliser ces transactions. On évoque souvent les « externalités de localisation »
dont bénéficie l’entreprise implantée dans une grande ville. De fait, l’accès aisé aux
services (juridiques, fiscaux, informatiques…), au marché de l’emploi qualifié, et aux
innombrables opportunités commerciales ou technologiques, fortuites ou
prévisibles, que permet le milieu d’affaire d’une grande ville, n’est autre qu’un accès
plus rapide et moins coûteux à une information « de qualité », c’est à dire
permettant de réduire l’incertitude des opérations et/ou minimiser les coûts de
transactions, ce qui revient au même60. Et inversement : une localisation
périphérique par rapport aux acteurs économiques a pour effet d’augmenter les
coûts de transaction, du fait de la pénurie relative d’information.
La problématique des TIC apparaît clairement : dans quelle mesure les
télécommunications avancées, appuyées par l’informatique, permettent-elles de
réduire ces distorsions spatiales dans l’accès à l’information, et donc dans les coûts
de transaction ? Et quelles sont les réponses apportées par le firmes en termes
organisationnels ?
En termes très généraux, on peut dire qu’un des effets notoires de la numérisation
de l’économie et de la baisse du prix des télécommunications est de faciliter
l’éclatement géographique du processus de production, et notamment des fonctions
informationnelles, dans le cadre d’une division spatiale du travail de plus en plus
fine, dans laquelle les entreprises recherchent la localisation optimum pour chacune
des tâches à accomplir. C’est le cas des sociétés qui délocalisent leur comptabilité
ou leur relation-client en Inde. Cette décentralisation peut s’accompagner, le cas
échéant, d’un phénomène d’externalisation.
59
Dégager des bénéfices, au profit de ses actionnaires, selon le dogme capitaliste.
Les frais d’avocat et les primes d’assurance, par exemple, seront d’autant plus élevés que
la transaction est plus complexe et risquée, faute d’information.
60
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88
Regard géographique sur le paradigme numérique
3.2.1. Les TIC dans l’organisation et la gestion d’un cycle de
production étendu (PLM : Product Lifecycle Management).
Un élément fondamental, dans la perspective de l’étude du role des TIC dans
l’organisation spatiale des processus de production, est le concept de cycle de
production étendu, dans lequel :
a) la distinction entre production manufacturière et services perd sa signification ;
b) les tâches peuvent être variablement séparées dans le temps et dans
l’espace (“production today is carried out through an extended labor process
in which tasks can be separated in both time and space”, Bryson, Daniels &
Warf, 2003, pp. 36-37).
C’est à travers ce concept de cycle de production étendu, et de fracturation spatiotemporelle, et en relation avec le phénomène de l’externalisation, que doivent être
compris les concepts un peu mythiques d’économie post-industrielle, d’économie de
service, et, finalement, d’économie de l’information voire de « knowledge
economy ».
Les analyses actuelles du concept de « production » tendent à y englober toute une
série de services, internalisés ou externalisés, qui peuvent être situés en amont, en
parallèle, ou en aval, du processus de production stricto sensu (ex : la chaîne de
montage des automobiles). En amont : stratégie, conception, design, achats… En
parallèle : contrôle de qualité, maintenance, productique. En aval : marketing,
publicité, service après-vente… A tous les niveaux : services juridiques et financiers,
DRH, informatique et télécommunications etc. Mais on peut aller plus loin : ces
notions d’amont et d’aval n’ont plus guère de sens, dans la mesure où les
remontées d’information61 qui se font quasiment en temps réel décrivent avec le
cœur de production une sorte de boucle sans fin. Le terme de « workflow » est
parfois utilisé pour décrire la nature informationnelle et systémique de ce cycle de
production étendu (figure n° 29).
A workflow system consists of several interconnections between steps or tasks. Each
step or task requires a certain input before it can start. Each step or task requires to
complete a certain export before it can allow the next step to start. The above definition
… can be brought to reality by just making a list of possibilities for these tasks or steps:
a telesales representative making a call,
a salesmen visiting a prospect,
a clerk performing paperwork,
a computer performing a task,
production preparing a batch,
the lab scheduling a test (so that it can be done in combination with other tests,
maybe on different process-flows),
the lab performing a test, the lab giving its approval,
a contractor that completes a task and communicates the completion through
the internet,
an employee performing an electrical repair,
an employee signing out a bill of lading,
a client approving a shipment,
a trucking company confirming a transport date,
a truck that does a transport… www.infochain.be/framesets/orgatool.html
61
Par exemple du contrôle de qualité ou des enquêtes de consommateurs, vers la
conception, pour modifications.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 29
89
Le management du cycle de production étendu (source :
www.productique.org/web/web3.nsf/e71d2481dd3fb30fc1256b5e004e4c5f/5
db1abe940392848c1256ce600320ade!OpenDocument)
Les TIC sont au coeur des processus d’intégration organisationnelle de ce système
de production, comme l’illustre la mise au point de suites logicielles dédiées à la
gestion du workflow. Oracle (voir publicité figure n° 30), IBM, ou Dassault Systems,
proposent des applications qui couvrent la totalité du cycle de vie du produit. Le
système CATIA (Computer Aided Three-dimentional Interactive Application) de
Dassault Systems permet à des équipes dispersées de par le monde de collaborer
au même projet industriel, par l’intermédiaire de plateformes de travail collaboratif
comme ENOVIA et SMARTEAM. (http://plm.3ds.com). Parmi les 2000 entreprises
qui l’utilisent, on peut mentionner Alstom, Renault (cf. infra), Boeing, Honeywell etc.
With CATIA, users simulate the entire range of industrial design processes from
marketing and initial concept to product design, analysis, assembly and maintenance.
Totally integrated with CATIA, DELMIA, and SMARTEAM, ENOVIA enables users to
capture, manage, and exploit the intellectual property they create through product
development. It provides company-wide 3D collaborative workspaces that connect
62
suppliers, OEMs , and customers via the Internet.
SMARTEAM enables manufacturers to share and exchange product information
throughout the enterprise and across the supply chain. Cost effective and rapidly
implemented, SMARTEAM also serves as the core of a Collaborative Product
Commerce (CPC) enterprise system. http://plm.3ds.com/index.php?id=95
62
Original Equipment Manufacturer.
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90
Figure n° 30
Regard géographique sur le paradigme numérique
Publicité ORACLE, The Economist, février 2003 (redessiné par l'
auteur).
Complete
E-Business Suite
Projects
Marketing
Financials
Human
Resources
One
Database
Service
Sales
Order
Management
Procurement
Supply Chain
Manufacturing
All your applications engineered to work together
All your information in one place
ORACLE
La montée de l’externalisation
Une partie croissante des fonctions au sein du cycle de production subit un
processus d’externalisation, qui s’explique par de multiples raisons (cf Veltz, 2000,
pp.180-181) :
impossibilité de maîtriser en interne des compétences de plus en plus vastes
et pointues ;
volonté de gagner en flexibilité, dans un environnement compétitif et fluctuant,
face aux rigidités du droit du travail (un contrats de sous-traitance engage
moins une société qu’un CDI) ;
le même motif doit être invoqué face aux immobilisations en capital fixe
(machines, immobilier) ;
possibilité d’exercer sur des founisseurs des contraintes que l’on ne peut pas
exercer en interne, en termes de coût, de délais, etc.
Selon Veltz, (2000, p. 180-181), « il faut maîtriser la chaîne de valeur, mais pas
nécessairement la posséder ». Ces phénomènes de lean management63 sont en
grande partie la conséquence de ce que P Veltz (2000, p. 104) appelle « les deux
leitmotive du discours managérial » : « le retour du client (le client roi) et la « montée
de la complexité ». La croissance des centres d’appel est une manifestation
éclairante de ces deux thématiques :
a) l’exacerbation de la concurrence, l’ouverture commerciale mondiale, placent
les clients en position de force. Ce qui se traduit par le renforcement des
fonctions marketing des firmes, et par la montée du sur-mesure de masse
(mass customization), impossible à satisfaire par les lourdes structures
fordistes traditionnelles ;
63
B. Harrison, 1994. Lean and Mean: The Changing Landscape of Corporate Power in the
Age of Flexibility. New York: Basic Books.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
91
b) la complexification : l’inclusion de la technologie, la diversification des
gammes de produit, l’imbrication avec les services, la tyrannie du temps,
sont en partie une conséquence du point précédent. La complexification
requiert un transfert des compétences.
Le mécanisme va si loin qu’on a vu des dirigeants parler d’entreprises sans usines,
lorsque que le cœur de métier, lui même, est externalisé. De fait, on a vu se
développer les « outsourcers industriels », comme Solectron ou Flextronics dans
l’électronique grand public, qui fabriquent à façon des appareils vendus sous les
marques des grands groupes comme Phillips ou Thomson etc. On tend vers
« l’entreprise creuse » (hollow organization) lorsque la société se réduit à un
actionnariat, un conseil d’administration et un comité stratégique, qui ne possèdent
plus rien en propre (la boîte aux lettres et le siège social étant loués).
La fin de la partition entre production manufacturière et services est aussi illustrée, à
rebours du cas précédent, par l’élargissement de l’activité des entreprises
manufacturières à la sphère des services corrélés à leur produit phare. Par
exemple, les entreprises d’automobiles vendent de l’assurance et du crédit. On
assiste, en fait, à la disparition du concept de marchandise objet, au profit du produit
service, surtout dans le secteur professionnel (primauté de la location sur l’achat
pour l’automobile, l’informatique, l’immobilier etc.). Ce concept de production
étendue est pertinent dans les services, qu’il s’agisse de la logistique ou du
tourisme.
Ces principes organisationnels, grandement facilités par la convergence numérique,
aboutissent à la constitution d’entreprises dites « en réseau », dont il existe
plusieurs variantes. Mais toutes ont le même objectif : faire participer les
compétences au cycle de production, où qu’elles se trouvent, profiter des avantages
comparatifs offerts par chaque territoire, dans le cadre d’un fine division spatiale du
travail.
3.2.2. Entreprise en réseau, entreprise virtuelle et TIC
L’entreprise en réseau est un concept clé pour la compréhension du rôle des TIC
dans les modes contemporains d’organisation de la production. Certains auteurs
(voir par exemple Alarçon & Righi, 2001) font la distinction entre « l’entreprise en
réseau », qui associe plusieurs firmes dans diverses formes de coopération et
d’alliance orientées vers un objectif 64 et « l’entreprise réseau », qui désignerait un
mode d’organisation interne à la firme. Les deux expressions sont le plus souvent
confondues, comme sont confondus les termes anglais de network et networked
enterprise. Une part des ambiguités provient aussi de la différence de définition du
mot enterprise, concept fonctionnel qui n’est pas tout à fait synonyme de company
ou firm, au sens plus juridique. Cette différence se retrouve dans la citation de M.
Castells ci-dessous.
The future of the networked company. Recent years have seen the rise of network
organizations, groups of "unbundled" companies collaborating across the value chain to
deliver
products
and
services
to
customers.
www.mckinseyquarterly.com/article_abstract.asp?tk=286469:1091:21&ar=1091&L2=21
&L3=37
64
Pour Sieber et Griese, c’est une entreprise virtuelle.
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92
Regard géographique sur le paradigme numérique
What emerges from all these trends is a new business form: the network enterprise. By
such I do not mean a network of enterprises, but the actual unit of business operation,
made up of different companies or segments of companies, as well as of consultants
and temporary workers attached to specific projects. The agents of the business project
form, for each project, an enterprise that is defined by the task, by the performance, not
by its legal boundaries: this organized system of agents, focused on one particular
project at a given moment, is the actual operating unit of the new, flexible economy. M.
Castells, www.itcilo.it/actrav/actrav-english/telearn/global/ilo/seura/castel.htm
Cette network enterprise, telle que la définit Castells, semble bien correspondre au
modèle d’organisation virtuelle défini par Sieber et Griese :
A virtual organization is a goal-oriented enterprise (i.e., unit or function within a
company) operating under metamanagement. The switching principle lies at the heart
of virtual organization. It captures the distinctive contribution of this new organizational
paradigm. Division of labor and functional specialization account for the lion'
s share of
the technology'
s contribution to effectiveness and efficiency of contemporary enterprise
and electronic commerce. Add switching to the mix and out pops the virtual
organization. Sieber & Griese (éds.), 1999. Organizational Virtualness and Electronic
Commerce, p. 10.
Pour Meissonier et al. (1999, p.8-9), l’usage des TIC est au plus haut point
constitutif de l’entreprise virtuelle, dont l’objet, pour partie, est de rassembler les
compétences tout en se jouant des contraintes de l’espace géographique :
The specific characteristic which distinguishes virtual enterprise from “classical”
network is the use of NIT [new information technologies]. Indeed, virtual enterprise tries
to get round time and space constraints by having a moving geographical scope
outlined by data computerized links… Without NIT there’s no virtual enterprise…NIT
may be viewed as a catalyst to the setting-up of collaborations or partnerships between
enterprises geographically dispersed. NIT allows firms to develop projects more easily
with foreign partners in order to access markets, to take advantage of local resources,
or to share competencies and knowledge.
Il en va de même pour Franke, qui souligne la place centrale des TIC, tout en citant
une définition dont l’intérêt est de ne pas nous enfermer dans un schéma trop
général.
A Virtual Corporation is a temporary network of independent companies - suppliers,
customers, and even rivals - linked by information technology to share skills, costs, and
access to one another’s markets. This corporate model is fluid and flexible - a group of
collaborators that quickly unite to exploit a specific opportunity. Once the opportunity is
met, the venture will, more often than not, disband. Technology plays a central role in
the development of the virtual corporation. Teams of people in different companies
work together, concurrently rather than sequentially, via computer networks in real time.
Byrne J.A. 1993, The virtual corporation, Business Week, Feb. 8, 35-40. Cité in Franke,
1999, p. 7.
Un exemple d’entreprise en réseau (ou entreprise virtuelle) : INI-Graphi
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Regard géographique sur le paradigme numérique
93
gather an annual volume of research of more than 41 million Euro.The center of this
network of research is Darmstadt. Beside the Fraunhofer Institute for Computer
Graphics (IGD) it comprises also the Computer Graphics Center (ZGDV) and the
Interactive Graphics Systems Group (GRIS) as well as the INI-GraphicsNet Foundation.
www.inigraphics.net/about/index.html
The network consists of approximately 20 Cisco Catalyst® switches… and 10 routers…
serving approximately 1300 computers. The IGD uses a single network management
server loaded with the CiscoWorks LAN Management Solution (LMS) 2.0 and
CiscoWorks
Routed
WAN
(RWAN)
Management
Solution
1.1.
www.cisco.com/en/US/netsol/ns340/ns394/ns107/networking_solutions_customer_profi
le09186a0080115e52.html
Toutefois, ce serait une erreur d’apprécier le rôle des technologies numériques en
bornant le concept d’entreprise en réseau à la définition restrictive de l’entreprise
virtuelle. Car l’entreprise « en chair et en os », si l’on peut dire, c’est à dire dans sa
forme stable traditionnelle, juridiquement intégrée et pérenne, s’organise de plus en
plus autour d’un réseau de sites et de compétences qui autorise à parler, quand
même, d’entreprise en réseau. Ainsi, la companie Cisco Systems, leader mondial en
solutions réseau pour l’entreprise propose un concept voisin de Network Virtual
Organization (Cisco Systems 2003), qui place le client au centre de tout le système,
mais qui n’a rien à voir avec l’entreprise virtuelle orthodoxe des chercheurs. De la
même manière, P. Veltz développe un concept d’entreprise en réseau qui n’est pas
synonyme de « structure coopérative temporaire et orientée objectif », même si les
task forces qui peuvent se créer temporairement au sein d’un groupe en réseau
peuvent, de facto, être considérées comme des organisations virtuelles.
En tout état de cause, le rôle indispensable des TIC est, une fois encore, reconnu.
C'
est l'
évidence même que l'
émergence d'
un puissant réseau numérique de
télécommunication était une condition sine qua non pour que les entreprises profitent
complètement de la division spatiale du travail, dans l'
industrie comme dans les
services. La tendance actuelle à la formation des grandes firmes en « business units »
autonomes sur le plan de leur gestion ne se conçoit également pas sans l'
existence de
réseaux performants entre ces unités, qui, pour être autonome, n'
en sont pas moins
soumise à des exigences en matière de norme et de résultats. Par ailleurs, ces
entreprises en réseau doivent maintenir un unité de pilotage et de veille, chargée,
notamment, de faire circuler l'
information de nature stratégique entre les unités. Veltz,
2000, p179.
Un des élements clé de cette extrait est la référence à la « division spatiale du
travail », sur lequel nous reviendrons plus longuement. Veltz parle de condition sine
qua non, pas de facteur causal. On ne le répétera jamais assez, le paradigme
numérique joue dans ces phénomènes organisationnels un rôle facilitateur, voire
incitatif, tout au plus. Avec un effet en retour : plus les entreprises utilisent les
nouvelles technologies, plus les entreprises fournisseuses sont incitées à
développer de nouvelles applications, plus les prix baissent etc. Charité bien
ordonnée commençant par soi-même, nous verrons que les entreprises du secteur
des TIC proprement dit sont à l’avant-garde du processus.
The existing theories supporting decentralization do not necessarily promote IT as the
causal factor which motivates the trend; rather, the technology is consistently
highlighted as a facilitator of decentralization… Telecommunications is perceived as a
powerful device that may assist industries to achieve goals that are determined
independently of communications considerations. Amirahmadi, 1995, p. 1751
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94
Figure n° 31
Regard géographique sur le paradigme numérique
Les facteurs de la création de l'entreprise virtuelle (Source : Franke,
1999, p.5)
3.2.3. Economie de plateforme et convergence numérique
La notion de « plateforme » est considéré par K. Ohmae (2001-a) comme un des
concepts clé du système productif contemporain. Les plateformes sont des normes
communes, ou des sytèmes d’interface, sur lesquels viennent se connecter des
agents économiques pour réaliser une série d’opérations ou de transactions. Ces
opérations peuvent être matérielles et/ou informationnelles, mais, compte tenu de
ce que nous avons dit précédemment sur le concept de cycle de production étendu,
l’informationnel domine. La suite logicielle CATIA-ENOVIA-SMARTEAM est,
typiquement, une plateforme de PLM. Ces plateformes sont courantes dans le
système financier (ex : VISA, SWIFT), les télécommunications (Internet !),
l’informatique (Windows/Intel), le commerce (Amazon, E-bay). La langue anglaise
peut être considérée comme une plateforme, de même qu’il peut exister des
plateformes territoriales (pour l’informatique : Silicon Valley, Bangalore…).
Cette vision du système productif organisé en couches successives (les
plateformes) s’adapte bien à la définition des réseaux de télécommunication en
couches abordée plus haut. Le concept de réseau-plateforme est défendu par N.
Currien (1999). M. Volle parle de « place de marché télé-informatique », pour
décrire les services à valeur ajoutée qui se sont greffés sur le réseau numérique.
Nous verrons que cette façon d'
envisager le rôle des réseaux de
télécommunication, et au delà, les technologies numériques en général, est tout à
fait adaptée à la compréhension des plateformes de commerce électronique (qu'
on
appelle justement « places de marché »).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
95
L’évolution des TIC réside essentiellement dans le changement du rôle des réseaux de
télécommunications. De moyens de communication qu’ils étaient, ils deviennent une
place de marché sur laquelle se réalisera une grande partie des transactions
économiques. M. Volle, 1995, p. 65.
Les fonctions organisatrices des réseaux leur confèrent un statut singulier au regard de
l'
analyse micro-économique. Vus en tant qu'
équipements physique d'
interconnexion, ils
appartiennent à la catégorie des ressources productives ; vus en tant que services de
mise en relation, ils appartiennent à celle des biens et services ; mais regardés en tant
que supports d'
une intermédiation économiques, il ressortissent plutôt à celle des
institutions constituant une sorte de nouvelle place de marché indispensable à la
réalisation des transactions entre les agents économiques. N. Currien, in Callon et al.,
1999, pp.138-139.
Des « externalités de convergence »
L’enquête que nous avions effectué avec S. Lafaurie en 2001 auprès des
entreprises lyonnaises du secteur des TIC avait mis en évidence un brouillage des
catégories classiques de ces métiers, qui venait concrétiser le phénomène de la
convergence numérique. De nombreuses entreprises s’étaient avérées incapables
de se placer dans une catégorie bien définie, car elles touchaient à divers métiers
de l’intelligence économique.
Dans le graphique ci-dessous (figure n° 32), nous proposons de représenter
l'
articulation des différents métiers liés aux TIC (les quatres angles du carré), sous
l'
effet de 4 tendances fondamentales (encadrées en rouge).
- la numérisation de l'
information (au sens large) ;
- la généralisation de l'
externalisation (ou outsourcing) ;
- l'
intégration sous Internet (IP) d'
un nombre croissant d'
activités de production,
acquisition, stockage et acheminement d'
information numérisée (ex : voix sous IP,
jeux en ligne) ;
- l'
affirmation d'
une économie de l'
audience, entièrement tournée vers le
consommateur, qui demande de plus en plus de flexibilité et de réactivité (d'
où
l'
explosion des centres de contacts/centres d'
appels).
Aux quatre angles du graphique sont situés les 4 grands secteurs économiques
potentiellement intégrés : l'
informatique, les télécommunications, les médias et la
communication, le consulting. A l'
intérieur du graphique se trouvent les entreprises
plus spécialisées, qui utilisent une ou deux compétences.
Certains secteurs sont entièrement nouveaux (par rapport au début des années
qautre-vingt-dix) : infogérance, co-location, Internet et Multimédia (Web design, jeux
vidéo). D’autres ont été fortement renouvelés par la convergence numérique et
l’économie de plateforme : informatique, SS2i, télécommunications, relation client,
marketing et communication d’entreprise.
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96
Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 32
Le carré magique des métiers de la nouvelle économie numérique
PUB / COM
INFORMATIQUE
NUMERISATION
Editeur de
produits x-média
Logiciel pour l’Internet
et les télécom
Presse
électronique
OUTSOURCING
Intégrateur de services
en informatique et
communication (SS3i)
INTERNET
Intégrateur de
solution e-business
Agence de
communication
interactive
Places de marché
CONSEIL
FAI
MARCHE
CRM
Co-location
Opérateur
TELECOM
RESEAUX
Dans l’étude de la géographie de ces activités dans l’agglomération lyonnaise
(Moriset, 2003), nous avions mis en évidence les mécanismes d’émergence et de
concentration spatiale, et le développement des relations interfirmes et des
opportunités de synergie apportée par la convergence et l’économie de plateforme.
Dans son étude du pôle technologique de Denver (2001), G. Le Blanc propose le
concept clé des « externalités de convergence », qui vont au delà des externalités
marshalliennes classiques. Leblanc explique que l’éclatement des frontières entre
les secteurs des TIC favorise l’émergence de liens interfirmes, et l’apparition de
nouveaux produits et services, qui contribuent à faire grossir et diversifier
l’économie du cluster (encadré n° 6). Ces phénomènes sont à la base de
l’émergence, de par le monde, des nouveaux districts de l’économie numérique.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
97
Encadré n° 6. Economie numérique et externalités de convergence à Denver. G. Le
Blanc, 2001, p. 18.
Quelles sont les mécanismes de cette convergence au niveau micro-économique
des marchés et des firmes ? C’est d’abord un phénomène technologique : la
numérisation de l’information fait éclater les anciennes frontières entre les réseaux
dédiés de chaque industrie. Désormais, la transmission de la voix, de données,
d’images, de la télévision peut emprunter un même réseau qui devient multiservices. Dès lors, les opportunités d’entrée sur un autre marché que celui sur lequel
la firme est présente se multiplient. Les opérateurs du câble commercialisent des
services téléphoniques et d’accès Internet. Grâce à de nouveaux réseaux
entièrement bâtis autour du protocole IP (Internet) des entrants dans les télécoms
comme Level3 sont en mesure de proposer une offre intégrée de communications :
téléphonie sur Internet, données et accès au Web. On peut multiplier les exemples
en combinant différemment services télécoms, on-line, diffusion télé, traitement de
données, logiciels ou services informatiques et réseaux. D’autres possibilités sont en
outre offertes par le déploiement de l’accès Internet haut débit, marché sur lequel les
firmes locales sont particulièrement actives et présentes dans toutes les
technologies en compétition : US West, Rhythm (ADSL), ATT&TCI câble), Echostar,
Primestar (satellite), American Telecasting, Nextlink (radio).
Cette dynamique innovante des technologies de l’information a deux effets
principaux, particulièrement visibles dans le district de Denver : d’une part, une
modification profonde de la structure de l’industrie par intégrations verticales et
horizontales, d’autre part, la création de nouveaux services par rapprochement de
compétences, de produits ou de marchés issus de secteurs TI différents. La fusion
d’AT&T avec les opérateurs du câble TCI et Media One en 1998 et celle du nouvel
entrant des télécoms Qwest avec l’opérateur historique US West l’année suivante
sont deux manifestations locales spectaculaires du premier phénomène. Mais il
concerne également à une échelle plus réduite fournisseurs de services on-line et
opérateurs télécoms de la région, ou encore éditeurs de logiciels et fournisseurs de
services de traitement de données.
Le second effet est particulièrement important et identifie selon nous la spécificité du
district numérique dont Denver constitue une sorte d’idéal type. En effet, il pointe
comment, à partir d’une base industrielle donnée, de nouvelles opportunités de
croissance (et d’emplois) s’ouvrent aux firmes locales des TI par augmentation de la
variété des services offerts. Dans les centres d’appels, des services on-line avec les
logiciels et les moyens de communication associés s’ajoutent aux services
traditionnels par téléphone…En 1999, Level3 opérateur télécoms et Lucent
équipementier télécoms se sont associés localement avec plusieurs petites firmes de
logiciels et de systèmes informatiques pour développer la nouvelle génération de
commutateurs (softswitches) permettant d’interconnecter réseaux IP et réseau
téléphoniques pour offrir aux particuliers des services téléphoniques par Internet.
StorageTek, créée en 1969 (par spin-off de l'
usine IBM de Boulder) et spécialisée
dans le stockage de données informatiques, a de son côté développé une offre jointe
avec Level3 pour proposer aux entreprises des services de stockage et de gestion à
distance de leurs informations numérisées.
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98
Regard géographique sur le paradigme numérique
3.3. Le rôle des TIC dans l’organisation spatiale de la
production : démonstration empirique
L’outrance des discours déterministes et utopiques de la fin des années quatrevingt-dix (fin des distances, fin de la géographie…), l’explosion de la « bulle »
spéculative de l’économie numérique en 2000-2001, l’abondance de la littérature
sur le « cyber-espace », peuvent provoquer un phénomène de rejet qui oblige le
géographe travaillant sur ces questions à un effort particulier de démonstration
empirique.
Dans la section précédente, nous avons essayé de montrer le rôle des TIC dans les
modes contemporains d’organisation spatiale et fonctionnelle de la production
marchande. A la suite de cette approche principalement théorique, il nous semblait
important d’apporter des éléments de démonstration concrets dans un certain
nombre de secteurs d’activité, ou autour de certaines pratiques spatiales
particulières, comme le télétravail.
3.3.1. Les TIC et l’organisation spatiale des entreprises industrielles :
exemple de l’industrie automobile
Nous avons présenté précédemment un modèle d’entreprise virtuelle, INIGraphicsNet. Mais les TIC, et notamment l’Internet, sont utilisés de plus en plus
intensivement par les entreprises traditionnelles pour diminuer les « frictions »
causées par la distance géographique dans leur organisation, soit en interne, soit
dans les projets collaboratifs (encadré n° 7).
Le secteur automobile, pour plusieurs raisons, est particulièrement représentatif des
nouveaux modes organisationnels de la « nouvelle économie » gourmands en TIC :
il s’agit d’un secteur de grands groupes, hautement capitalistique et mondialisé ;
le secteur est fortement concurrentiel ; mais, compte tenu de la lourdeur des
investissements, la recherche des économies d’échelle oblige à des partenariats
avec les concurrents ;
les groupes automobiles doivent intégrer un workflow complexe, incluant des
milliers de fournisseurs ;
c’est un secteur orienté client ; les produits ont un fort contenu émotionnel (rôle
du design, de la marque), d’où un mélange unique de savoir-faire technologique
et de créativité.
L’industrie automobile, comme l’aéronautique, est un des secteurs leaders dans la
constitution d’entreprises étendues, et dans l’utilisation des applications
informatiques les plus avancées en PLM (relation client, supply chain management,
CFAO etc.). Les plateformes de travail collaboratif intègrent des applications comme
la visio-conférence, mais aussi des centres d’appel sophistiqués, couplés à des
systèmes de gestion de base de données, qui permettent aux concessionnaires et
mécaniciens d’avoir accès aux données techniques actualisées concernant les
véhicules. Ainsi, les spécifications techniques Citroen (21 000 pages) sont
compilées sur « Laser Pack », un DVD réactualisé chaque mois, qui est adressé à
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Regard géographique sur le paradigme numérique
99
1100 filiales et concessionnaires dans 75 pays. Un centre d’appel65 ouvert 24
heures sur 24 vient compléter le support technique (www.techcity.fr).
De la même manière, Daimler Benz possède un service d’assistance technique
interne de 56 opérateurs, STAR, qui reçoit 37 000 appels par mois.
The system is designed to enable the Service Technical Assistance Resource (STAR)
center to take the time to educate callers, rather than just answer their immediate
needs. A mechanic uses the phone'
s keypad to punch in the vehicle identification
number of the car he or she is working on, as well as the type of service the car needs.
This information electronically flows to the call-center employee, and appears on his or
her
computer
screen
as
the
call
is
connected.
2.21.2000,
www.industryweek.com/CurrentArticles/asp/articles.asp?ArticleID=752,
Encadré n° 7. Les télécommunications et le travail collaboratif à distance dans
l’industrie automobile.
M. Emmanuel Grandserre, Sté. 4iCOM, Chargé de mission auprès du directeur de la
stratégie de Citroën (Source : Caisse des Dépôts, Sénat, 2002, pp. 19-20).
Le premier point important pour les grands groupes à l’heure actuelle est de pouvoir
apporter un accès Internet/Intranet à très haut débit pour les collaborateurs. Le
second point, qui va dans le sens du développement du haut débit dans le secteur
automobile, est le travail collaboratif. En Europe, a été mis en place le réseau ENX
qui regroupe un ensemble de constructeurs européens, ainsi que des fournisseurs,
des équipementiers de rang 1. Aujourd’hui, une cinquantaine d’entreprises sont sur
ce réseau avec protocole IP. Il est sécurisé. Il a deux fournisseurs : Deutsche
Télékom et France Télécom. Une application est aujourd’hui de plus en plus
importante : la visioconférence. Avec des hauts débits, il serait possible d’avoir des
visioconférences de très haut niveau. Renault est en train de le mettre en place avec
Nissan. Le lien devrait passer à 20,8 mégas d’ici peu, voire 45 dans le futur.
Il existe de fortes disparités au niveau géographique, ce qui présente de très grosses
difficultés pour les acteurs, en particulier pour les PME-PMI qui travaillent avec les
constructeurs. Elles ne peuvent accéder à ce réseau ENX pour une question en
particulier de coût. Il s’agit d’un problème majeur. Au niveau des concessionnaires, il
est indispensable qu’ils puissent disposer d’accès haut débit, afin de recevoir toutes
les nomenclatures de véhicules.
Dernièrement, nous avons visité le centre de recherche et développement de
Daimler-Chrysler. Nous avons été séduits de voir que vers 14 heures débutait une
réunion entre les bureaux de Stuttgart et ceux de Bangalore dans lesquels travaillent
les ingénieurs d’HCL, le travail collaboratif se mettant en place en testant des
routines en temps réel.
L’un des dirigeants de ce centre nous a dit : le choix de Daimler-Chrysler s’est porté
sur l’Inde pour des raisons de compétence des ingénieurs indiens reconnus pour
leurs aptitudes élevées en informatique ; pour l’environnement (infrastructures
télécoms disponibles), ils ont pu avoir à disposition des lignes très haut débit pour
pouvoir relier leur centre de Stuttgart et les différents centres à travers le monde, et
pour des questions de coût. En termes de perspective, il est attendu une
augmentation des débits. Le design ne se fait pas encore aujourd’hui en collaboratif,
mais cela pourrait être envisagé. Il faudra des puissances et des tuyaux de taille
importante pour échanger de l’information.
65
Opéré par Techcity, filiale de SR Teleperformance, numéro un mondial des centres
d’appel externalisés.
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100
Regard géographique sur le paradigme numérique
Les TIC au service de la stratégie d’un groupe en voie de mondialisation :
l’exemple de Renault
Renault affiche depuis quelques années des ambitions mondiales : alliance avec
Nissan, rachat de Samsung Motor (Corée) et de Dacia (Roumanie). Renault à lui
seul doit gérer 350 sites industriels et commerciaux, 6000 fournisseurs. Sur 132 000
employés dans le monde, 60 000 utilisent un ordinateur. Renault applique des
principes généraux qui sont : le travail en mode projet, l’implication croissante des
fournisseurs dans les projets, la recherche de partenariats (Nissan, PSA, Opel).
Renault fournit une parfaite démonstration du paradoxe géographique de l’économie
numérique et de la dialectique concentration/dispersion.
La concentration, c’est le rassemblement en 1996 de toutes les fonctions de
recherche, design et conception du groupe au sein du « Technocentre » de
Guyancourt près de St-Quentin en Yvelines, site ultra-moderne de 350 000 m2 qui
emploie 7500 personnes, principalement ingénieurs et techniciens, dont un millier
appartiennent à des fournisseurs (principe de l’entreprise étendue). Le centre
comporte notamment une salle de vision numérique en 3D, qui permet de visualiser
les projets à l’échelle 1/1.
Mais cette stratégie de concentration trouve des limites matérielles. Aussi, les TIC
ont été mises au service d’une stratégie d’intégration fonctionnelle
géographiquement déconcentrée, en interne comme en externe. La visioconférence permet par exemple à des ingénieurs de l’usine Renault de Curibita de
travailler à la mise au point de nouvelles machines en temps réel avec les
ingénieurs de Guyancourt. La mise en œuvre du logiciel de CFAO CATIA permet
aux grands fournisseurs comme Valéo de participer à tous les stades du Product
Lifecycle Management.
Les échanges de données avec les fournisseurs ont évolué pour atteindre trois niveaux
: le modèle 3D et le plan CAO natif, les échanges de métadonnées qui s'
apparentent à
un CAO Natif (Product Data Management), et le partage de données dans un espace
collaboratif disposant d'
une interface web. Un Système de Gestion de Bases de
Données a été mis en place avec une première version en mars 2001 permettant la
visualisation 2D et 3D. La version 2 du système permet aujourd'
hui au fournisseur de
télécharger directement des modèles 3D. Il peut créer de nouveaux documents,
réviser, attacher des documents. Les représentations dans un autre espace sont
également possibles (exemple de Covisint).
www.productique.org/web/web3.nsf/0/B5ECB57AEFC4E30DC1256C75002ECF12?Op
enDocument
Renault a vu la nécessité de créer deux centres design relais du Technocentre de
Guyancourt, à Barcelone en 2000 (où a été conçu le design de la Scenic II), et à
Paris XIIe, rue du Faubourg St-Antoine (inauguré le 24 juin 2003, 15 personnes sur
le site). Par ailleurs, un designer a été envoyé en 1998 à Buenos Aires comme
« antenne Renault Design dans le Mercosur ». Ces implantations ont pour objectif
avoué de maintenir les designers au cœur des foyers de créativité que sont certains
quartiers centraux des villes considérés.
En s'
installant à Guyancourt, … Renault savait qu'
il prenait le risque de trop éloigner
ses designers de ce foyer culturel extraordinaire qu'
est Paris. Design fax, n° 272, 11
décembre 2000, http://designfax.free.fr/actu/unes/renault_01.html
Au cœur des tendances, le quartier de la Bastille accueille désormais le Design de
Renault. Les Centres satellites ajoutent une dimension complémentaire à l'
édifice. Ils
permettent aux designers de s'
inspirer des tendances culturelles qui bruissent dans les
lieux où ils se trouvent.
www.renault.com/datamedia/doc/mediarenaultcom/fr/5505_CentreDesignParisFR.pdf
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Regard géographique sur le paradigme numérique
101
On voit donc les limites de l’utilisation des nouvelles technologies pour le travail
distant dans les activités de créativité où l’information essentielle provient,
effectivement, d’un « bruissement » à travers de multiples canaux. Nous allons voir
qu’il en va de même dans un autres secteur également très gourmand en TIC, celui
de la finance.
3.3.2. La finance électronique : les limites d’un espace économique
virtuel
Le secteur financier, notamment la finance internationale, est l'
un de ceux pour
lesquels les « effets spatiaux » des TIC sont bien reconnus.
Quand aux '
effets structurant'des télécommunications sur la localisation des activités,
ils sont proprement insaisissables, sauf en négatif, par leur absence, et à l'
exception de
services hautement spécialisés liés aux marchés financiers internationaux. Veltz, 1996,
p. 218.
De fait, le secteur financier est très gourmand en TIC, et ce même au niveau du
simple consommateur, comme l'
illustre la maille très fine du réseau des distributeurs
automatique de billets et des terminaux de carte VISA qui équipent, en France
notamment, la presque totalité des commerces, restaurant, etc.
Comme le rappelle Jean Gadrey, certains ont vu dans la suppression des activités
de guichet ou front office une source de restructuration qui devait faire de la banque
la « sidérurgie » des années 2000. Il n'
en a rien été. Bien peu de succursales ont
fermé, parce que la rationalisation des activités s'
est accompagnée d'
une
un enrichissement des tâches de
diversification des fonctions bancaires66 et d'
contact-client. Le « guichetier », remplacé par un automate, une boîte vocale ou un
site Web, s'
est transformé en « conseiller financier ». Par ailleurs, la compétition
féroce à laquelle se livrent les établissements, et la concurrence même de la
banque en ligne incite les banques à se rapprocher physiquement de leurs clients,
pas à s'
en éloigner.
Incontestablement, les TIC ont permis aux fonctions financières d'
atteindre à une
forme d'
ubiquité géographique dans leur relation avec le client, qui n'
a plus besoin
de se déplacer pour réaliser des opérations courantes, et peut retirer de l'
argent un
peu partout. Mais les TIC n'
ont pas seulement une vertu facilitatrice. Elles ont donné
naissance à des activités nouvelles, conçues par et autour des TIC, tout en ayant
parfois un impact sur certaines localisations. Le paradoxe est que les activités
financières de haut niveau, les plus gourmandes en services de télécommunication
performants, sont aussi les plus concentrées géographiquement. Jusqu’à un certain
point.
Le marché électronique des devises et produits dérivés
Traveling at the speed of light, as nothing but assemblages of zero and ones, global
money dance dances through the world'
s fiber optic networks in astonishing volumes.
Warf & Purcell, in Leinbach & Brunn, éds., 2001, p.227.
66
Multiplication et complexification des produits financiers destinés aux particuliers, ventes
d'
assurance…
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102
Regard géographique sur le paradigme numérique
Succintement, on peut dire que le gros des transactions sur ces marchés répond à
deux objectifs : le profit par la spéculation sur les cours des devises, la réduction
des risques de taux et de changes.
La particularité de la finance électronique, comme le marché des assurances et
comme certains usages en vigueur dans les centres d'
appel, est de tirer pleinement
parti de l'
espace-temps, pour assurer un fonctionnement continu, vingt-quatre
heures sur vingt-quatre. Le système fonctionne d'
est en ouest, suivant la trajectoire
apparente du soleil : les transactions s'
opèrent à Tokyo, puis se transportent à
Londres, enfin à New York, puis de nouveau à Tokyo et ainsi de suite. Les
virements électroniques permettent aux acteurs, plusieurs fois par jour, de mettre en
jeu des milliards de dollars, de yen ou d'
euros, pour profiter de minimes différences,
ponctuelles, dans les cours des devises, ou dans les taux d'
intérêts (marché des
swaps et autres produits dérivés).
Le système est géré par des consortiums de paiement interbancaires comme
CHIPS (Clearing House Interbank Payment System) ou SWIFT (Society for
Worldwide Interbank Financial Telecommunications) qui fonctionne dans 136 pays.
Les sommes qui transitent ainsi sur les réseaux numériques sont sans commune
mesure avec celles de « l'
économie réelle ». En 2003, le marché des devises, de
loin le plus important, échangeait 1800 milliards de dollars par jour, à comparer au
commerce international mondial : 6424 milliards de dollars par an en 2002 (sources
: www.currencymarketwatch.com et Organisation mondiale du commerce,
www.wto.org).
Des places boursières entièrement électroniques
Un des éléments structurants du paysage financier international est la création de
plateformes d'
échanges entièrement électroniques, dites Electronic Communication
Networks ou ECN comme Archipelago Exchange ou ArcaEx, au nom révélateur.
Archipelago a été créée en 1996, pour fonctionner essentiellement sur le NASDAQ,
et permet aujourd'
hui d'
échanger sur tous les grands marchés américains,
notamment le New York Stock Exchange (NYSE)
De grandes banques d'
affaires et grandes sociétés de courtage comme Goldman
Sachs, Merrill Lynch ou J.P. Morgan sont entrées dans le capital de Archipelago, qui
a fusionné sa plateforme avec plusieurs ECN majeurs, comme Pacific Exchange
(PCX) en 2000, REDIBook en 2002 (source : Pohl, 2001 ; www.archipelago.com).
Le développement de Archipelago a entraîné la fermeture de la salle des marchés
de San Fransisco.
Bien que entièrement électronique, ArcaEx n'
est pas ouvert 24 heures sur 24
comme on aurait pu l'
imaginer, mais de huit heures du matin à huit heures du soir.
Le siège de la société est à Chicago, et elle possède des bureaux à New York, San
Francisco et Londres
The Archipelago Exchange (ArcaEx) combines the best traits of current market
structures with revolutionary technology. The result is a faster, more transparent, more
consistent exchange. ArcaEx gives all traders access to the same information and the
same opportunities, at the same time. If a displayed order steps ahead of yours, you
see it the moment it happens. Everyone is free to act or react as they decide. Fully
electronic matchmaking replaces the old face-to-face auctions of the trading floor.
Unlike traditional exchanges, ArcaEx provides a fully automated, totally transparent
opening auction for all stocks traded on ArcaEx. www.archipelago.com
La géographie des places financières mondiales : le rôle essentiel du contact
humain et de la concentration des compétences.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
103
L'
exemple précédent ne doit pas faire illusion. La bourse en ligne, pas plus que les
boîtes vocales qui permettent de consulter les comptes courants à distance, n'
ont
pas minimisé la dimension fondamentalement territoriale de l'
activité financière.
Bien au contraire : la finance de haut niveau est le parfait exemple du rôle paradoxal
des télécommunications dans la concentration géographique de certains services,
« loin des clients, mais proches des concurrents » comme écrit S. Sassen (2000).
Le marché des produits dérivés (swaps notamment) illustre parfaitement la
concentration capitalistique et géographique extrême d'
une activité reposant
entièrement, pourtant, sur les TIC et les transactions dites en temps réel. Le marché
repose sur une quinzaine de banques, qui réalisent 80 % des transactions
mondiales (Agnes, 2000, p. 35267). En 1995, cinq places financières dépassaient
individuellement 10 % du marché mondial des swaps (63 000 milliards de dollars) :
Londres (plus de 20 %), New York, Tokyo, Singapour, Paris.
La concentration géographique la plus extrême est atteinte par le marché des
crédits dérivatifs, qui a quintuplé entre 1997 et 2002, pour atteindre un encours de
1581 milliards de dollars : presque la moitié de ces crédits, soit 741 milliards de
dollars, ont été négociés sur la place Londonienne (source : British Bankers'
Association (BBA), www.bba.org.uk).
City of London will do fine even if the UK remains outside the Euro. Success is
determined not by proximity to markets, but by the trading environment - the regulatory
regime, infrastructure, the advantages of size, and a critical mass of skilled and
qualified staff The Financial Time, juin 2001, cité par Pohl, 2001.
Cette concentration géographique marque le retour du territoire dans la localisation
de l'
activité. Depuis Gottmann, la plupart des auteurs qui se sont penchés sur la
localisation des services de haut niveau insistent sur le rôle des économies
d'
agglomération ou externalités positives que procurent la concentration, en un lieu
restreint, d'
un grand nombre d'
acteurs de la même branche. Storper, tout
particulièrement, insiste sur le concept de untraded interdependency, en tant
qu’élément constitutif essentiel du territoire économique (1997).
Dans le secteur financier, les avantages comparatifs que peuvent obtenir les firmes
proviennent souvent de sources d'
information informelles, qui constituent le bruit de
fond d'
un milieu d'
affaire : fuites, « tuyaux » et rumeurs colportés lors des « dîners
en ville », vernissages ou parties de golf, qui vont permettre à un acteur de valider
les informations obtenues par des moyens plus officiels, et de prendre la bonne
décision, avant les concurrents, avec une probabilité de succès légèrement
accrue68. Pohl (2001) évoque la notion « d'
assymétrie informationnelle » pour
formaliser ce genre d'
avantages offerts par la concentration spatiale des acteurs.
Une autre raison majeure à la forte concentration spatiale de ces activités est qu’elle
requiert des personnels hautement qualifiés et des systèmes informatiques très
complexes à mettre au point.
La géographie des places financières mondiales illustre bien la géographie à double
tranchant (double edged) comme l’écrivent Leamer et Storper (2001), qui hésite
entre agglomération et dispersion. L'
analyse de Pierre Agnes (2000) sur le
fonctionnement du marché des swaps en Australie explique pourquoi les acteurs
sont concentrés à l’échelle d’une salle de marchés, mais aussi, pourquoi les hubs
67
"The "End of Geography" in Financial Services? Local Embeddedness and
Territorialization in the Interest Rate Swaps Industry". Economic Geography, vol. 76, n° 4,
pp. 347-366
68
Car dans ce domaine, il n'
est pas question de réussite à tous les coups : au moment des
bilans, 1% de réussite en plus ou en moins font toute la différence entre pertes et profits.
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104
Regard géographique sur le paradigme numérique
régionaux comme Sydney se sont maintenus, du fait de divers facteurs culturels et
de la nécessité de « sentir le marché » (market feeling).
En dépit de l'
extrême sophistication du système interbancaire de
télécommunications, qui rend possible les transactions sur les produits dérivés à
distance (off shore), le travail en salle de marchés repose sur un système hybride
téléphone-voix humaine, dans lequel la proximité physique (quelques mètres)
permet de réaliser des transactions en quelques secondes, bien moins qu'
il n'
en
faut pour contacter un interlocuteur à l'
autre bout du monde. Ce type de marché
exige une réactivité extrême, qui rend la proximité physique indispensable.
There are windows of opportunity for trading a particular swap at a particular price. In
Sydney, everyone has voice boxes and you press a button, and just shout. This takes
three seconds. You would not get this information offshore, because you are sitting
alone. It might take five minutes to get a hold of the bloke in Hong Kong or Tokyo… and
by the time I get them, they have missed that window anyway. Interview d'
un courtier
par P. Agnes, 2000, p. 356.
Une organisation en "hubs and spokes" (d'
après Langdale, 2001, p. 211)
Figure n° 33
LONDRES
NEW YORK
TOKYO /
SINGAPOUR
Sydney
Bureaux nationaux
Hubs régionaux
3.3.3. Le commerce électronique et la logistique
Le commerce électronique - plus généralement toutes les formes de commerce à
distance - et la logistique, sont parmi les activités qui démontrent le mieux le
phénomène de convergence numérique au sein du système économique, ainsi que
la complémentarité paradoxale entre les transports d'
objets matériels, qui mettent
en valeur la capacité de friction de l'
espace géographique, et les
télécommunications, quasi-instantanées, qui semblent se jouer de l'
espace
géographique69.
69
Les temps de latence des transmissions modernes sont presques imperceptibles pour
l'
usager terrestre.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
105
Définition et évaluation du commerce électronique
Les définitions du commerce électronique diffèrent selon les auteurs et les pays.
Ainsi, l'
ouvrage de Leinbach et Brunn, Worlds of E-Commerce (2001, pp. 12-13),
propose une définition très larges (toutes formes de transactions électronique) et
présente des travaux sur les transactions financières (marché des devises etc).
Related terms often used synonymously with e-commerce are e-business and emarkets…
It includes any form of economic activity conducted via electronic connections.
The use of information and communication technologies to network economic activities
and processes, in order to reduce information related transaction costs to gain a
strategic information advantage.
En français, le sens diffère notablement, puisque le terme commerce, dans l’usage
courant, exclue les transactions financières70. Certes, on parle de « commerce de
l'
argent », mais il ne s'
agit que d'
une métaphore. Il semble préférable de conserver
le sens restreint du terme : commerce de détail, de gros, des biens, des services,
organisation mondiale du commerce etc. et nous ferons de même.
Les analystes du commerce électroniques prennent en compte le commerce des
services, qui inclut une gamme très large. L'
organisation mondiale du commerce
énumère les rubriques suivantes : transports, voyage, télécommunications, services
informatique, poste, assurances, service financiers, royalties et licences, services
aux entreprises, services culturels et éducatifs (source : www.wto.org). Dans cette
section, nous nous intéresserons essentiellement au commerce électronique des
marchandises, qui permet d'
examiner les rapport étroits et paradoxaux que les TIC
entretiennent avec les transports au sein de la chaîne logistique.
On distingue traditionnellement le commerce interfirmes (Business to Business ou B
to B) et le commerce de détail (Business to Consumers, ou B to C). Ce dernier est
le plus médiatique. Les nombreuses start-ups qui se sont lancées dans le
commerce en ligne de tout et n'
importe quoi, et qui ont fait faillite en masse après
2000, ont largement contribué au développement d'
une vision fausse du commerce
électronique, en symbolisant le gonflement de la bulle Internet. Les succès comme
Amazon et E-bay (enchères en ligne) ne doivent pas masquer une réalité, à savoir
que le commerce électronique relève d'
abord du commerce interfirmes, dans une
proportion des quatre cinquième environ.
Il est pratiquement impossible d'
avoir des données précises et fiables sur la
question. Le rapport de l'
IDATE Digiworld 2002 évalue le commerce électronique
mondial dans une fourchette de 230 à 650 milliards d'
euros, dont 40 à 70 milliards
pour le commerce B to C (1% du commerce de détail mondial). Le tableau publié
par Le Journal du Net confirme ces données, qui montrent par ailleurs la place
prépondérante des Etats-Unis (tableaux n° 11 et 12).
70
La nomenclature officielle des activités distingue le commerce (code 50, 51, 52) des
activités financières (65, 66, 67),
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106
Regard géographique sur le paradigme numérique
Tableau n° 13. Le commerce électronique B to B dans le monde (Le Journal du Net, 05
04 2004, www.journaldunet.com/cc/04_ecommerce/ecom_btb_mde .shtml)
!
"
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%
Tableau n° 14. La répartition géographique du commerce électronique B to B par
grandes régions (Ibid.)
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&
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1
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0
#)
2
En ce qui concerne la modestie du commerce électronique B to C, il faut apporter
une précision qui nous semble importante : la définition étroite du commerce
électronique (c'
est à dire via Internet, en pratique) ne permet pas de prendre en
compte le phénomène essentiel pour le géographe, qui est celui de la consultation
de l'
offre et de la prise de commande à distance. En effet, que la commande soit
passée par téléphone, ou par e-mail ne fait pas de différence pour la suite du
processus. Ainsi, la vente par correspondance, qui met en jeu des sites Web, des
centres d'
appel et le paiement par carte bancaire, est de plus en plus proche du
commerce électronique. En tout cas, elle génère des pratiques spatiales qui sont
extrêmement voisines.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
107
Le rôle des plateformes dans l’intégration du commerce électronique et de la
logistique
Frédéric Lasserre a publié dans Cybergéo (27 octobre 2000, n° 141)71 un article sur
l'
intégration du commerce électronique et de la logistique dont le titre, « Internet, la
fin de la géographie ? », bien qu'
exagérément vague, est révélateur des ambiguités
qui ont régné autour du concept de commerce électronique. En effet, la
médiatisation du phénomène a initialement propagé l'
idée d'
un commerce
immatériel, insouciant des distances et des délais, indépendant de toute contrainte
géographique. En réalité, les travaux de recherches, tout comme l'
expérience
accumulée par les entreprises elles-même, montrent que le commerce électronique
se définit par l’association d’une plateforme informatique à une chaîne logistique
classique, avec entrepôts, transports, délais de livraison etc. L’association sur
l’image ci-dessous de la première entreprise mondiale de commerce électronique et
du premier constructeur mondial d’ordinateur, illustre parfaitement l’intégration des
plateformes électronique au sein de la chaîne logistique.
Figure n° 34
Publicité Amazon - Hewlett Packard The Economist, 10 mai 2003
Cette plateforme électronique est en général un site Web, connecté à l'
Intranet de
l'
entreprise vendeuse. Ce site est d'
abord un catalogue en ligne, sur lequel
l'
acheteur choisi son produit. C'
est aussi une plateforme de paiement, et de suivi de
la commande. Après réception du produit et installation, l'
acheteur reste en contact
pour le service après vente, le dépannage, voir le retour et le remboursement. Ces
fonctions font appel le cas échéant aux services d'
un centre de contact
téléphonique. Le vendeur utilise cette plateforme pour présenter ses produits,
facturer, recouvrer les créances. La connexion en temps réel de cette plateforme à
l'
Intranet de l'
entreprise permet la gestion des stocks, l'
organisation de la
production, et donc les achats (ce qui met en jeu le fonctionnement d'
une autre
plateforme, dans laquelle le vendeur devient acheteur).
71
www.cybergeo.presse.fr/ptchaud/lasser.htm
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108
Regard géographique sur le paradigme numérique
Une entreprise comme Dell permet parfaitement d'
illustrer ces concepts, avec ses
deux plateformes, l'
une de B to C pour la vente, l'
autre de B to B pour ses relations
avec ses fournisseurs.
L'exemple de Dell Computers
Dell a été fondé en 1984 par Michael Dell, et a réussi à devenir le numéro 2 mondial
de la micro-informatique72 autour d'
un concept alors révolutionnaire dans ce secteur
: la vente par correspondance et la livraison à domicile.
La fabrication de micro-ordinateurs est une activité relativement peu innovante, qui
consiste à assembler des composants fabriqués par d’autres. Il est donc difficile de
dégager des avantages compétitifs par rapport aux concurrents. La vente par
correspondance a permis à Dell de supprimer le réseau commercial traditionnel, de
limiter au maximum les stocks et les immobilisations. Dell vend ses machines avant
de les fabriquer sur mesure (build to order). Le système Dell suppose donc la
maîtrise de deux domaines complémentaires : le marketing et la relation client, la
logistique. La production devant être subordonnée aux précédents.
La vente par correspondance, traditionnelle dans le textile, l'
était moins dans
l'
informatique parce qu'
un ordinateur est bien plus compliqué à configurer et utiliser
qu'
un tee-shirt. Ainsi, le cœur de métier de Dell ne se situe plus dans l'
usine où sont
assemblées les machines, mais sur le site Web et dans les centres d'
appel où les
clients sont invités à découvrir les produits, configurer leur matériel, le commander,
le payer, prendre rendez-vous pour la livraison, être assistés pour l'
installation et le
dépannage. Dell proclame « utiliser l'
efficacité de l'
Internet pour l'
ensemble de ses
activités », notamment dans les relations avec les fournisseurs et sous-traitants,
toujours dans le but d'
abaisser les coûts et raccourcir les délais.
At www.dell.com, customers may: review, configure and price systems; order systems
online; track orders from manufacturing through shipping. At htttp://valuechain.dell.com,
Dell shares information with its suppliers.
Dell est ainsi devenu un pionnier du commerce électronique, la première société au
monde à dépasser, en 1997, le million de dollars de vente en ligne. La
mondialisation de l'
entreprise est révélée par la géographie des transactions sur le
site Internet : 840 millions de requêtes en 2001, depuis 82 pays, dans 21 langues.
La logistique de Dell est radicalement différente de celle des constructeurs
traditionnels, qui livrent « en gros », suivant une logique hiérarchique. Avec la vente
par correspondance, chaque commande est individualisée. Pour ce faire, Dell utilise
les service de FedEx, numéro un mondial de la logistique. La maîtrise de la
logistique suppose également une utilisation intensive des TIC pour le suivi des
acheminements. L'
extrait ci-dessous montre bien la nature de plus en pus
indissociables des TIC et de la logistique moderne dans une économie dite de la
« flexibilité ».
Through our unsurpassed physical networks, our companies deliver nearly 5 million
shipments every business day. We handle more than 100 million electronic transactions
a day while we continue to invest about $1.5 billion each year in the best I.T. people
and information technology. And through the FedEx people network, more than
215,000 employees and contractors deliver more than packages; they deliver
integrated business solutions. www.fedex.com
72
Dell était le n° 1 mondial avant la fusion entre Compaq et Hewlett Packard.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
109
La maitrise de la chaîne logistique et l'
utilisation de plus en plus exclusive du
commerce électronique n'
enlèvent rien au rôle de la « géograhie » dans
l'
organisation spatiale de l'
entreprise. La production est réalisée dans six usines, à
peu près également réparties dans l’espace par rapport aux marchés régionaux :
Austin (siège du groupe) et Nashville (Amérique du Nord), Eldorado do Sul, Brésil
(Amérique du Sud), Limerick, Irlande (Europe, Moyent-Orient-Afrique), Penang,
Malaisie (Asie-Pacifique-Japon), Xiamen (Chine). Il y a là une volonté évidente de
réduire les coûts et délais de transports (sinon, tous les produits seraient
manufacturés en Chine). Les centres d'
opérations (operating subsidiaries) sont
beaucoup plus nombreux (34 dans le monde). Leur géographie obéit à des
impératifs culturels et linguistiques (centres d'
appel, par exemple à Montpellier et à
Casablanca).
Les places de marché
L’utilisation des TIC dans la recherche de la diminution des coûts de transaction est
illustrée par le développement des places de marché, qui sont plus que des
plateformes d’achats mutualisées, mais des banques de données commerciales, à
l’échelle mondiale.
Worldwide Retail Exchange (WWRE), par exemple, fondée en 2000, fédère 64
entreprises du secteur de la grande distribution, dont Ahold, Auchan, C&A Europe,
Casino, Coop Italia, Coop Schweiz, Cora, Dairy Farm International, Galeries
Lafayette, Gap, Giant Eagle Kmart, Laurus, Marks & Spencer Schlecker, Toys’ US,
Woolworths etc. Ces entreprises représentent 5 millions de salariés, 100 000
fournisseurs, et un total d’achat annuel de environ 900 milliards de dollars. WWRE
est géré comme une entreprise indépendante, dont le siège social est à Alexandria,
en Virginie. WWRE se targue d’avoir fait économiser à ses membres un milliard de
dollars en transactions diverses depuis sa création.
Covisint, créée en 2000 (www.covisint.com) est la place de marché des
constructeurs automobiles. Elle possède huit membres actionnaires :
DaimlerChrysler, Ford Motor, General Motors, Nissan, Renault, PSA (PeugeotCitroën), CommerceOne et Oracle, qui sont liés par la plateforme à plus de 2000
partenaires commerciaux. Covisint a son siège à Southfield (Michigan) et des
bureaux à Amsterdam, Tokyo, Francfort et Sao Paulo.
Les places de marché intègrent aussi la fonction logistique. En 2000, une dizaine
d'
entreprises américaines de l'
agro-alimentaire (Nabisco, Pillsbury, General Mills…)
ont mis en place un réseau de logistique partagée, en affichant leurs besoins sur le
même site Internet, ce qui permet en retour aux transporteurs routiers d'
optimiser
leurs chargements (source : Le Monde interactif, 22 novembre 2000). Cette pratique
a aussi permis aux grandes entreprises comme Nabisco d'
optimiser la fonction
transport entre ses différentes filiales (le même véhicule pouvant servir à transporter
matières premières à l'
aller et produits finis au retour). Très médiatisées au début
des années 2000, les places de marché ont été fortement touchées par la crise de
2000-2001. 88% ne sont pas rentables, et seules celles qui sont adossées à des
grands
groupes
ont
de
fortes
chances
de
survie
(www.journaldunet.com/itws/it_pdm.shtml).
Le rôle des TIC dans la fonction transport - logistique
Par le recours croissant aux technologies numériques, les entreprises de transport
cherchent à réduire leurs coûts et à augmenter la fiabilité et la valeur ajoutée des
services proposés.
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110
Regard géographique sur le paradigme numérique
Dans les entreprises les plus performantes comme Norbert Dentressangle (France,
3800 camions), tous les véhicules sont équipés du GPS, et les conducteurs dotés
du téléphone mobile. Les sources de gains sont nombreuses :
- diminution des pertes de temps lors des déchargements, grâce au contact
permanent avec le client (prise de rendez vous)
- gain de temps de trajet, grâce à la géo-localisation du lieu de livraison et aux
aides à la navigation (plus de véhicules « égarés »)
- information routières
- gestion technique du parc (consommation, kilométrage, entretien)
- amélioration des taux de remplissage
Cette dernière source de gain de productivité est capitale. La cartographie
instantanée des véhicules de l'
entreprise, grâce à des logiciels ad hoc, permet de
diriger dans les meilleurs délais le véhicule disponible le plus proche vers le client
(ou la plateforme logistique). On évite les retours à vide et les clients sont servis
plus rapidement. On notera au passage que le même système est de plus en plus
utilisé par les companies de taxis, qui passent progressivement de la radio (- "ici
central, un client à tel endroit…-je prend !") à une gestion informatisée intégrée, qui
ne laisse plus le choix aux conducteurs (géolocalisation de l'
appel du client + GPS
embarqué)73.
Le commerce électronique a des implications de plus en plus importantes sur
l'
organisation des entreprises de transport et de logistique, qui doivent s'
adapter à
de nouveaux modes de distribution. Avec la grande distribution classique, les
marchandises arrivent en grandes quantité dans les grandes surface, par palettes
entière. Le commerce électronique, c'
est livrer de petites unités, directement au
domicile. La règle du juste à temps et du zéro stock qui préside aux relations clientsfournisseurs aboutit aux mêmes exigences de parcellisation des envois, de flexibilité
et de fiabilité, qui incite les transporteurs à requérir massivement aux technologies
d'
information.
Le commerce électronique renforce donc le rôle des plateformes logistiques, situées
par exemple près des hubs de fret aérien (exemple de Amazon.com, encadré n° 8).
Il contribue aussi au succès des intégrateurs globaux comme UPS ou FedEx, qui
ont les capacités à dominer l'
ensemble de la supply chain, de la plateforme
électronique à la flotille de véhicule. Dans l’encadré n° 9, FedEx explique comment
les colis peuvent être suivis, même lorsqu’ils se trouvent « au dessus de
l’Atlantique », ou comment les personnels de livraison sont dotés d’un kit de
communication mobile.
Pour conclure, on s’aperçoit que, contrairement à ce qui a été parfois imaginé, les
transports et les télécommunications sont indissociables et parfaitement
complémentaires, dans leur fonction qui est d'
aider les entreprises à composer avec
l'
espace géographique et ses rugosités. La gestion électronique des cascades de
fournisseurs et sous-traitant, de l'
approvisionnement par ces fournisseurs, puis de la
relation avec les consommateurs est un outil indispensables pour que les
entreprises minimisent les coûts de transaction imposés par la division spatiale de la
production et les exigences de rapidité et de flexibilité imposées par les marchés.
Nous verrons que les centres d'
appels sont devenus un des outils privilégiés pour la
satisfaction de ces exigences.
73
D’après une communication de Pascal Griset, colloque de conclusion de l’ACI Ville, Paris,
1-3 mars 2004.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
111
Encadré n° 8. La géographie d'un géant du commerce électronique : Amazon.com
L'
histoire et le fonctionnement de Amazon.com, pionnier et leader mondial de la
libraire en ligne, sont très révélateurs de l'
interrelation forte entre le commerce
électronique et la logistique. Cette interrelation se reflète parfaitement, aussi, dans la
publicité conjointe de Amazon et Hewlett Packard, qui met en scène les entrepôts de
l'
entreprise.
Amazon, dont le siège est à Seattle, a été fondé par Jeff Bezos en 1995, et a vendu
pour 15 millions de dollars de marchandises en 1996. Ce chiffre a été multiplié par
cent en trois ans, les ventes ont dépassé 1,6 milliards de dollars en 1999 (Dodge,
2001). Comme l'
ensemble du secteur, Amazon a essuyé de grosses difficultés en
2001, le cours de l'
action étant presque divisé par 10 par rapport à son record de
décembre 1999. Mais 2002 et 2003 ont marqué une nette reprise. Au premier
trimestre 2003, les ventes ont dépassé le milliard de dollars, et le chiffre d'
affaire
envisagé pour 2003 était de 4,5 milliards de dollars (The Seattle Times, 25 avril
2003).
Pour M. Dodge (2001), l'
entreprise possède une double géographie : la géographie
"virtuelle" de l'
Internet, la géographie "réelle" des entrepôts et de la logistique.
La première est fondamentalement importante, puisque c'
est la seule dont le client a
connaissance. C'
est à juste titre que M. Dodge souligne l'
importance de l'
ouverture
de sites nationaux, en langues nationales et en noms de domaine nationaux
(Amazon.de pour l'
Allemagne, Amazon.fr pour la France etc.) qui se rapprochent
virtuellement du client.
Mais c'
est bien la distribution des marchandises qui constitue le talon d'
achille d'
une
telle entreprise, et Amazon a du investir massivement dans la logistique, avec un
réseau de six centres de distribution régulièrement répartis sur le territoire américain
(dans les Etats du Delaware, Kansas, Nevada, Kentucky, Géorgie, et à Seattle), non
pas en fonction de la localisation des consommateurs, mais en fonction des
capacités de ces localisations à fonctionner comme des hubs de transport. On
remarque que ces localisations ne correspondent pas à celle des grandes
métropoles, dont les aéroports sont habituellement embouteillés (New York,
Chicago, Atlanta, Dallas).
En juillet 2000, la sortie du volume 4 des aventures de Harry Potter a rudement mis à
l'
épreuve la chaîne logistique de Amazon, avec en première ligne FedEx (le
partenaire de Dell), afin de satisfaire simultanément plus de 275 000 commandes,
record historique du commerce électronique (pour satisfaire cette commande, FedEx
a du mettre en œuvre 100 navettes aériennes et 6000 employés).
Amazon.com doit donc faire face au problèmes très concrets d'
une entreprise de
logistique, et notamment des problèmes sociaux qui mettent en évidence la face
cachée de la "nouvelle économie". En novembre 2000, les employés des centres de
distribution de Amazon aux Etats-Unis, en France et en Allemagne ont manifesté
contre les salaires médiocres, les conditions de travail éprouvantes, l'
absence de
syndicat, les exigence de la flexibilité (travail les jours de Noël et du Thanksgiving).
Source : The Industry Standard, 20 novembre 2000.
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112
Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 9. L’utilisation des TIC dans le suivi de livraison : l’exemple de FedEX
(www.fedex.com/us/about/technology/wireless.html?link=4)
About FedEx Wireless Solutions. FedEx technology enables customers, couriers
and contract delivery personnel to wirelessly access the company'
s information
systems networks anytime, anywhere. In fact, FedEx was the first transportation
company to embrace wireless technology more than two decades ago, and
continues to be a leader in the use of innovative wireless solutions.
Customers can access package tracking and drop-off location data for FedEx
Express, FedEx Ground and FedEx Home Delivery via Web-enabled devices such
as WAP phones, Personal Digital Assistants and pagers.
FedEx also uses wireless data collection devices to scan bar codes on shipments.
These "magic wands" are a key part of what makes it possible for customers to find
out where packages are in transit, whether on a FedEx Express jet speeding across
the Atlantic Ocean or a FedEx Ground tractor-trailer on the Pennsylvania Turnpike.
On average, FedEx Express and FedEx Ground packages are scanned at least a
dozen times from pickup to delivery. At pickup, each package'
s shipping label bar
code is immediately scanned to record the pickup time, destination and delivery
commitment. The scanned information is uploaded to the FedEx mainframe. Bar
codes are scanned again at every key step of the shipping process, allowing
customers to follow the status of their shipments throughout the journey.
FedEx'
s newest data collection device for couriers incorporates a micro-radio for
hands-free communication with a printer and mobile computer in the courier'
s
delivery vehicle. Called the PowerPad, the devices use Bluetooth wireless
technology that allows FedEx couriers to communicate with each other within 30 feet
of their vehicle.
3.3.4. Les centres d’appel (ou centres de contacts) et la relation client
Les centres d’appel (CA) se rattachent à la famille des centres de traitement de
l’information. Mais leur importance quantitative en fait un secteur d’activité à part
entière, qui mérite une section particulière.
Les technologies numériques ont largement renouvelé un concept déjà ancien.
Butler (2001) nous rappelle que les companies aériennes possédaient déjà des
centres d'
appel dans les années trente. Mais c'
est dans les années quatre-vingt-dix
que la « relation client » est devenue un secteur économique à part entière (figure
n° 35 et tableau n° 15) et un des fers de lance de l'
adaptation des entreprises au
contexte économique actuel.
Ce secteur, qui repose entièrement sur les télécommunications, a donné lieu à
plusieurs publications portant pour l’essentiel, sur l’Irlande (Breatnach 2000) et le
Royaume Uni (Marshall & Richardson 1996, 1999 ; Richardson & Gillespie 2000,
2003 ; Richardson, Belt & Marshall 2000 ; Bristow et al. 2000 ; Bishop et al. 2003).
Nous reprenons les éléments principaux des textes que nous avons rédigé sur la
question, l’un à l’échelle nationale (avec Nicolas Bonnet, Annales de Géographie,
2004), l’autre d’une façon plus globale et plus théorique74.
74
The Rise of the Call Center Industry: Splintering and Virtualization of the Economic Space.
Texte présenté au congrès du centennaire de l’AAG, Philadelphie, 14-19 Mars 2004.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 35
113
Evolution du nombre de CA en Europe (Source : Datamonitor)
25000
20000
15000
10000
5000
0
1996
1998
2000
2002
Tableau n° 15. Statistiques sur les centres d’appel
(www.incoming.com/statistics/marketsize.aspx?SelectedNode=ICMIMember
ship)
Date
Monde - Ovum
Monde (projection)
E.U. - Deloitte and Touche
E.U. - Data Monitor
E.U. - Telemanagement Search
Canada - Call Center Week
R.U. - Data Monitor
Allemagne - Data Monitor
France – CESMO - Data Monitor
Australie - Asia Pacific Call Centre News
Amerique Latine -Pacific Call Centre News
Inde - NASSCOM
Figure n° 36
2001
2006
2001
2002
2001
2001
2002
2002
2002
2001
2001
2003
Nbre. de
sites
70-90 000
78 000
69 500
6500
5700
3500
2500-3000
3900
500?
Positions
Emploi
7.3millions
13 millions
2.5 millions
7millions
380 000
150 000
140 000
60 000
200 000
225 000
160 000
Le concept de centre d’appel, d’une extremité de la ligne à l’autre
(Catalogue Automne 2003 de La Redoute, et www.407etr.com/).
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114
Regard géographique sur le paradigme numérique
Pour le géographe, la problématique fondamentale de la relation-client et des
centres d’appels est la suivante : comment se localise une activité dans laquelle la
prestation de service est effectuée à distance, par téléphone ou Internet ?
La relation client ne doit pas être confondue avec le télétravail, qui s'
exerce en
dehors de l'
entreprise, à domicile ou dans un télécentre75. Or, dans la très grande
majorité des cas, la relation client est réalisée dans les locaux de l'
entreprise. Le
centre d’appel (ou centre de contact) peut être localisé au sein du cadre habituel de
l'
entreprise - un plateau dédié à cet usage. Il peut être constitué en une structure
immobilière géographiquement indépendante, tout en restant rattaché juridiquement
à l'
entreprise. Enfin, le centre peut être indépendant à la fois géographiquement et
institutionnellement de l'
entreprise. On se situe alors dans un contexte classique
d'
externalisation de la fonction « relation client ». L’externalisation ouvre le concept
aux PME qui ne peuvent pas rentabiliser un CA en interne, et offre de la flexibilité
aux entreprises dans les périodes de pointe (vacances pour un voyagiste, Noël pour
un fabricant de jouet etc.).
Plusieurs facteurs sont à la base du renouvellement et de la croissance de cette
activité ancienne : le facteur social, le facteur marketing, le facteur technique ou
« TIC ».
Le téléphone est devenu un objet du quotidien. Acheter et payer par
téléphone est devenu une routine : la société contemporaine est une société
de l'
immédiateté, de la satisfaction instantanée des envies, qui pratique l'
éloge
de la rapidité. Le téléphone permet de « l'
avoir chez soi en 48 heures » (La
Redoute) ou de se faire dépanner 24 heures sur 24.
Les tendances actuelles de l'
économie incitent les entreprises à mettre la
satisfaction du client au premier plan de leurs préoccupations (entreprise
orientée client ou customer-centric firm). Ce client est versatile et pressé. Les
marchés sont de plus en plus segmentés, les cycles de vie des produits plus
courts. Les consommateurs veulent du sur-mesure, des services
individualisés (mass customization). Il faut répondre au téléphone, proposer
des services de dépannage (hot line, help desk) et devancer les désirs du
client, ce qui a provoqué le développement de toutes les formes de
« télémarketing » (démarchage téléphonique, enquêtes, sondages). Ces
services doivent être assurés 24 heures sur 24, 365 jours par an.
La convergence numérique a révolutionné le concept de CA. L'
intégration
informatique-télécommunications (CTI ou Computer Telephony Integration)
permet à l'
opérateur d'
accéder immédiatement sur son écran d'
ordinateur au
dossier commercial du client. La distribution automatique d’appel (ACD ou
Automatic Call Distributor), couplée à des boîtes vocales (IVR ou Interactive
Voice Response), permet d'
acheminer automatiquement les appels vers les
agents disponibles, de réguler les temps d'
attente, de rappeler
automatiquement le client. De plus en plus, les centres de contact se dotent
de capacités Internet (Web call center) : l'
interface entre l'
entreprise et le client
peut-être un site Web (cliquer sur l'
icône « me rappeler »). Aujourd’hui, les
centres d’appel sont au cœur du dispositif informationnel de l’entreprise (figure
n° 37), que ce soit en B to C (service client) ou B to B (relation fournisseur,
support technique interne), puisque les applications de type Data Mining
permettent de trier et faire remonter l’information jusqu’au point ad hoc du
cycle de production étendu (ex : analyse des réclamations de clients et
modification du design du produit).
75
Notons qu'
il existe de petites entreprises de télétravail à domicile qui relèvent de la
relation client (exemple : secrétariat et permanence d'
appel).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
115
Les centres d’appel au cœur du cycle de production étendu (B.Moriset)
Figure n° 37
Design
Manufacturing
Advertising
Customer
Enquiry
Tele-prospecting
Supply
Chain
Shipping
Delivery
DATA MINING
Ordering
Subscribing
Helpdesk
Aftersales
services
Production cycle
Business processes
Billing
Settlement
Call center applications (+ Web)
Information flows
Des systèmes d’information intégrés à l’échelle mondiale
Les innovations techniques de la convergence numérique ont permis la mise en
réseau des centres d’appel et leur l’intégration en tant que maillons de systèmes
d’information mondialisés constitutifs de l’entreprise en réseau.
Les grands outsourcers, comme SR Teleperformance, numéro un mondial (144
sites, 22 000 positions dans 29 pays et un milliard de $ de CA en 2002), ont la
capacité de mettre en réseau leurs centres, qui fonctionnent comme une entité
unique, et profitent pleinement de la division spatiale du travail (figure n° 38). Les
grands groupes industriels et de service font de même. Sun Microsystems met en
place depuis 2001 le projet MC2, qui est une plateforme intégrée de 14 centres de
support technique et de relation client, dans onze pays. Les appels sont filtrés par
des applications IVR, puis adressés à la personne compétente dans le monde, qui
dispose alors d’un accès immédiat aux bases de données du groupe (Aberdeen,
2001). IBM a complètement restructuré son service de support client
(principalement B to B). En Amérique du Nord, des milliers de numéros de
téléphone et 60 sites ont été concentrés sur sept numéros verts et quatre centres
d’appels géant (7000 personnes en tout) situés à Toronto, Dallas, Phoenix and
Smyrna en Géorgie (www.itworld.com/Net/2925/NWW010402118990/pfindex.html).
La technologie des centres d’appel virtuels permet aux entreprises de jouer plus
librement de l’espace géographique (et ainsi de se concentrer sur les aménités
offertes par les territoires et la ressource humaine). Par exemple, l’agence de
voyages Nouvelles Frontières utilise la solution intégrée de France Télécom
« Contact Multisites » pour réaliser son support client depuis 16 agences, 5 centres
de contact, et 30 télétravailleurs à domicile. Nous montrons plus loin comment la
Credit Union, une banque régionale mutuelle américaine, emploie également 40
télétravailleurs à domicile pour optimiser la gestion de la ressource humaine
(encadré n° 11).
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116
Figure n° 38
Regard géographique sur le paradigme numérique
L’architecture du réseau de SR Teleperformance
(www.srteleperformance.com)
Les facteurs de localisation
Les analystes (Moran, Stahl & Boyer, 2001) identifient les facteurs de localisation
suivants, dans l’ordre d’importance décroissante :
- facilité de recrutement : disponibilité, compétences, culture (langue).
- salaires et charges (70 % des coûts opérationnels)
- coûts d'
infrastructure (immobilier)
- infrastructures et services de télécommunication
- cadre de vie
- environnement économique
Du fait des rigidités structurelles de la ressource humaine et de l'
immobilier
d'
entreprise, les centres internalisés ont encore un fort tropisme pour les sièges
sociaux des entreprises auxquelles ils appartiennent (voir l'
étude de cas France).
Les outsourcers, qui constituent la partie montante du secteur, sont a priori plus
libres de leurs implantations. Les centres de contact bas de gamme (démarchage,
enquêtes) sont plus sensibles au facteur coût de l'
emploi. L'
espace rural, les régions
industrielles en crise, les pays en voie de développement, peuvent être des
territoires privilégiés pour ces implantations. Les centres de contact haut de gamme
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Regard géographique sur le paradigme numérique
117
(informatique, ingénierie, finance) sont plus attirés par la présence de compétence,
plus métropolitains, voire technopolitains (cf l'
encadré sur AON).
La création d’applications dédiées a permis l'
intégration de plusieurs petits centres
ruraux en « centres de contact virtuels », comme celui de VAS au Nouveau
Brunswick (figure n° 39). Ceci donne des perspective aux bassins d'
emploi de taille
modeste.
Figure n° 39
Les centres d’appels de Virtual Agent Services au Nouveau Brunswick
(www.vagent.com)
L'
exmple américain montre que de sérieux problèmes de recrutement ont
commencé à se faire sentir dans les principales métropoles à la fin des années
quatre-vingt-dix, avec un augmentation du turn over et une hausse des coûts
salariaux. En 2000, selon une étude de Deloitte&Touche (2001), ce sont les régions
et villes du sud qui ont concentré les plus grosses créations d'
emploi en centre de
contact : main d'
œuvre nombreuse (chômage), moins coûteuse, moins syndiquée.
Plusieurs articles et études (Belt et al., 2000; Bristow et al. 2000) ont montré que le
secteur est fortement féminisé, ce qui accroît également les perspectives de
recrutement dans les régions rurales ou peu industrielles.
Le facteur linguistique est à prendre en compte. Si l'
Inde concentre de plus en plus
d'
investissements dans les centres de contact, c'
est que le pays offre à la fois des
coûts salariaux dérisoires et un réservoir de main d'
œuvre anglophone et bien
éduquée. Ce facteur linguistique intervient à l'
échelle européenne : une entreprise
française qui intervient beaucoup en Allemagne a plus intérêt à s'
implanter à
Strasbourg qu'
à Marseille. Le centre d'
appel de Dell pour l'
Europe du Sud est à
Montpellier, où on a plus de chance de trouver des italophones, lusophones et
hispanophones qu'
à Bray (Dublin), où se trouve le centre d'
appel pour l'
Europe du
nord.
Les centres d'
appel sont, avec les places financières, une des rares activités ou la
longitude intervient, en tant que telle, comme critère de localisation. L'
exemple
irlandais est bien connu (Breatnach 2000). Le consortium de développement
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118
Regard géographique sur le paradigme numérique
économique Call Center Hawaii 76 argumente du décalage horaire, qui permet de
répondre aux appels nocturnes des clients en évitant le travail de nuit des
opérateurs.
Callcenterhawaii.com - Strategically Positioned for Global Reach
Reach markets from New York, Washington D.C., and Atlanta, Tokyo, Hong Kong,
Singapore, Seoul, Sydney, and Bangalore in the same business day. Extend your
reach by rolling over evening calls from European and Middle Eastern-based call
centers to your Hawaii call center, giving you a 24-hour business day.
www.callcenterhawaii.com/strategic.html
La géographie des centres d'appel en France
La carte des centres d'
appel (figure n° 40) a été dressée avec O. Chareire (U. Jean
Moulin - Lyon 3), à partir d'
un fichier de plus de 1500 centres d'
appels, grâce à la
collaboration avec la société TMC Consultant (Annecy)77.
La moitié des positions cartographiées est située en région parisienne, surtout dans
l'
ouest de Paris et à la Défense. Ceci s'
explique par la concentration des sièges
sociaux et l'
importance des surfaces de bureaux rendues disponibles par le déclin
des activités de secrétariat banales. En dehors de l'
écrasante domination
parisienne, le fait le plus marquant est la concentration de l'
activité au nord-ouest
d'
une diagonale Strasbourg-Bordeaux. L'
importance de Lille, 2e pôle français pour
les centres de contact, s'
explique en partie par l'
héritage de la vente par
correspondance (La Redoute, Les 3 Suisses, etc) et de la grande distribution
(groupe Auchan). L'
activité « centre de contact » est ainsi révélatrice de la transition
d'
une vieille métropole industrielle (textile) vers les activités de service de
l’économie de l’information.
Très remarquable également, est l'
importance de l'
Ouest et notamment de la vallée
de la Loire, qui pourrait mériter le nom de « Call center Valley ». Dans ces villes peu
touchées par la révolution industrielle, l'
activité centre de contact est un débouché
important, encouragé comme tel par les collectivités locales, pour des populations
dotées d'
un bon niveau éducatif, notamment grâce à un réseau universitaire dense.
La proximité et les bonnes liaisons avec Paris en font une région de localisation
privilégiée pour de grands groupes parisiens. Par ailleurs, on y trouve d'
importantes
entreprises tertaires du secteur financier (mutuelles) comme au Mans et à Niort.
Corrélativement, cette carte montre le peu d'
attrait des centres de contact pour les
villes technopolitaines du sud-est : l'
axe Grenoble-Annecy, Montpellier, Nice, sont
sous-représentés : coûts élevés de l'
immobilier et de la ressource humaine, rareté
des sièges sociaux (qui, inversement, sont nombreux à Lyon). La relation client,
considérée comme une activité non noble, n'
est pas une priorité dans les politiques
de développement économique de ces villes. Ceci n'
empêche pas les localisations
ponctuelles comme celles de Dell à Montpellier ou Euriware à Savoie Technolac
(Chambéry).
76
Société d'
économie mixte pour l'
accueil des entreprises qui cherchent à implanter des
centres d'
appel à Hawaii
77
Prestaire de solutions pour la relation client, formateur, outsourcer et éditeur de En
Contact.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 40
119
Les centres d’appel en France : nombre de positions par aires urbaines
(source : Moriset & Bonnet 2003, cartographie : O. Chareire, Univ. Lyon 3)
Un outil de reconversion et de développement régional ?
Une tendance majeure, dans les pays développés, est la déconcentration des
centres d’appels vers les petites villes, les espaces ruraux, et les bassins industriels
en difficulté, où l’activité devient un outil de reconversion. Depuis 2001, Paris n’a
bénéficié pratiquement d’aucune ouverture de nouveaux centres, alors que des
milliers d’emplois ont été créés en Province. Ainsi, la MAIF s’est implantée d’abord à
Niort (siège social) et Paris, puis s’est déconcentrée à Lyon et Toulouse, et enfin à
Saint Brieuc. Transcom Worldwide, implanté à Vélizy et Tours, s’est ensuite dirigé
vers Raon-l’Etape, Tulle (en 2003), puis Roanne (2004). Cette démarche est liée à
des logiques de coût, de recrutement, d’aides directes et indirectes, et
d’environnement général du travail.
La presse américaine a proposé le jeu de mot « from coal mining to data mining »
pour décrire la mutation de l’économie de certains bassins d’emploi industriels vers
l’économie de l’information. Scranton, dans les Appalaches, a accueilli plusieurs
milliers d’emplois dans l’activité, après la fermeture des mines de charbon. A Cape
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120
Regard géographique sur le paradigme numérique
Breton – Glace Bay, en Nouvelle Ecosse (Can.), Stream, un outsourcer
international, a ouvert en 2001 un centre de contact de 900 employés, alors que
1500 emplois avaient été supprimés dans les mines (l’économie de toute la région
avait déjà été sinistrée par le moratoire de 1992 sur la pêche de la morue). En
France, parmi les villes sinistrées par la crise industrielle, et ayant accueilli des
centres d’appel de 100 positions et plus, on peut citer Boulogne-s.-Mer, Calais,
Carmaux, Forbach, Le Creusot, Troyes, Valenciennes etc.
Mais ces développements ne sauraient en aucun cas être regardés comme une
panacée : ces emplois sont moins payés que les postes manufacturiers qu’ils
remplacent, leur pérennité est loin d’être assurée, dans un secteur très compétitif et
mouvant, et les perspectives de carrière sont faibles. Enfin, il est remarquable que
les employés licenciés de l’industrie trouvent rarement du travail dans les centres de
contact, aux dires même de leurs dirigeants. Armatis, à Calais, n’a embauché aucun
employé licencié par Danone. Le PDG de la même société, interrogé par le
magazine En Contact sur les perspectives de recrutement dans le nouveau centre
de Boulogne, ville sinistrée par les fermeture d’Eurométal et de la Comilog, confiait
qu’il était peu probable que ces salariés licenciés soit embauchés par sa société.
Mais que cela était envisageable pour leurs enfants.
Les métiers pratiqués en centres d’appels ne correspondent pas aux métiers pratiqués
dans un univers industriel comme celui de la Comilog. Par contre, il n’est pas exclu que
certains enfants de salariés Comilog soient amenés à intégrer le groupe. En Contact,
février-mars 2003, n° 19, p. 7.
Cet exemple montre les difficultés posées sur le terrain par le passage à l’économie
de l’information. Le problème est de combler un vide « générationnel », entre les
parents qui n’ont connu que l’usine, et leurs enfants, dont une grande partie auront
fréquenté l’Université. On pourrait parler ici de fracture numérique intergénérationnelle, sans doute plus pertinente que les fractures numériques sociales
ou territoriales.
Cet exemple montre également que les activités processées à distance ne sont en
rien insensibles aux facteurs de localisation traditionnel : les choix de Calais et
Boulogne par Armatis sont justifiés par la modestie des coûts locaux (notamment
l’immobilier, cinq fois moins cher qu’à Paris), mais aussi la proximité relative de la
capitale, et la proximité des deux centres d’appel, qui facilite les interconnexions
techniques (En Contact, op.cit.). Nous proposons dans l’encadré n° 11 un
communiqué de presse du groupe AON sur le processus de création d’un centre de
contact à Marseille, qui montre que l’on est bien loin de la fin de la géographie !
Encadré n° 10. La localisation du centre de contact AON à Marseille.
Extraits du communiqué de presse d’AON France, 20 septembre 2002
Le centre national de contact et de services (CCS) permet de suivre toutes les
étapes et prestations d'
un contrat : souscription, modification et extension des
couvertures, aide aux démarches, suivi des sinistres, indemnisation, prévention etc.
Le rôle et le schéma de fonctionnement du Centre étant fixés, une décision
extrêmement importante était à prendre : celle de sa localisation. Un tel choix est
une décision stratégique de l'
entreprise. L'
option d'
installer le Centre en région
2
parisienne sera écartée pour des raisons de coût du m et de volonté d'
inscrire en
priorité le développement de l'
entreprise en régions.
Les critères pour choisir le lieu d’implantation en province sont précisément définis :
disposer d'
un espace suffisant permettant à terme un développement significatif, être
à proximité d'
un bassin d'
emploi facilitant le recrutement des compétences
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Regard géographique sur le paradigme numérique
121
nécessaires, et le reclassement des conjoints des personnes délocalisées, offrir pour
finir un cadre de vie attractif.
D'
autre part, l’ancien bureau à Marseille disposait déjà d'
un pôle de gestion de flottes
automobiles, avec une équipe de 25 personnes.
La décision de Marseille prise, il fallait choisir le lieu précis d'
implantation dans la cité
du Sud. C'
est la zone de Saumaty-Séon qui a été retenue. C'
est là que s’appuie en
partie le nouveau centre d’affaires, et que viennent s'
installer de nombreuses
entreprises des secteurs de pointe. Aon se situe sur un terrain proche de l’Estaque.
Cette implantation, à proximité de deux artères autoroutières se trouve à mi-chemin
entre le centre ville, l’aéroport et la deuxième gare TGV desservant Aix-Marseille.
Elle est reliée par les transports urbains et se situe à moins de 5 minutes du nouveau
centre commercial.
L'
implantation du CCS qui impliquait la création d'
emploi a nécessité un recrutement
sur place. Aon a recherché les profils nécessaires avec l'
aide d'
un cabinet de
recrutement local. La qualité du marché de l'
emploi et de la formation à Marseille a
permis ainsi d'
assurer le recrutement de 90 personnes en l'
espace de sept mois.
C'
est pratiquement l'
ensemble des formations de BTS en assurances à Marseille qui
ont été concernées par cette création d'
emploi.
Plus de trente collaborateurs d'
Aon ont choisi de s'
installer à Marseille. Une
importante politique d'
accompagnement a été mise en œuvre par l'
entreprise pour
faciliter cette mutation des salariés."
Le secteur des centres d’appel est touché par un mouvement de « délocalisation »
vers les pays à bas revenus, Europe de l’est (centres allemands), Maghreb et
Afrique sub-saharienne (France), Amérique Latine, Phillipines et surtout Inde (EtatsUnis, Royaume Uni). Installée à Dakar (Sénégal) depuis 2002, PPCI vend des
services de télémarketing à de grandes sociétés françaises. Avec 700 postes de
travail, c’est le premier employeur privé du pays. En Inde, il y aurait environ (fin
2003) 160 000 personnes travaillant dans les centres de contact (soit autant qu’en
France). 85% des centres sont situés dans cinq aires métropolitaines, qui sont aussi
les principaux pôles technologiques du pays: Delhi (et la technopole satellite de
Gurgaon), Bangalore, Hyderabad, Mumbai (Bombay) et Chennai (Madras). La
plupart des grandes multinationales dans le secteur des services possèdent déjà un
centre de contact en Inde : IBM Global Service (Bangalore), American Express
(Gurgaon), Oracle (Chennai), J.P. Morgan et United Airlines (Mumbai), Accenture
(Bengalore, Mumbai), HSBC, GTL etc. GE Capital emploie 1000 personnes à
Gurgaon78, Dell possède un centre de 2000 personnes à Bengalore.
Le risque de délocalisation de ce type de service a beaucoup ému les médias, les
syndicats, les responsables politiques. Pourtant, un examen rationnel de la question
montre que le développement des centres d’appel dans les PVD est concomitant de
celui observé dans les pays les plus riches. Par ailleurs, les facteurs culturels (donc
la géographie !) ne doivent pas être négligés. Dell a déjà subi des volées de bois
vert de la part de consommateurs mécontents de l’accent « difficile » de leurs
interlocuteurs. Paradoxalement, la délocalisation d’activités informatiques « pures »
(programmation) semble plus aisée.
78
10 000 personnes au total en Inde.
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122
Regard géographique sur le paradigme numérique
3.3.5. Le télétravail
Nous ne reprendrons dans cette section que l’essentiel de l’article que nous avons
publié sur la question en 2003 dans Cybergéo, additionné de quelques documents
nouveaux.
Tout au long de la décennie quatre-vingt-dix, le télétravail a fait figure de terre
promise. Il est au premier rang des applications qui ont nourri l'
utopie géographique
des TIC. C'
est largement grâce au télétravail que les TIC devaient supprimer une
grande partie des besoins de déplacement, et notamment les plus fréquents et les
plus visibles de tous, les déplacements pendulaires de travail. D'
où l'
expression
telecommuting (Handy & Moktarian, 1996) utilisée par maints commentateurs anglosaxons. En dépit (ou à cause ?) d’une médiatisation importante, le sujet a fait l’objet
d’un petit nombre de travaux académiques de la part des géographes. On peut
l’expliquer par l’invisibilité et la complexité. Pour le géographe, le télétravail est un
non-phénomène, qui s’interprète et s’analyse par des spéculations sur ce qu’il n’est
pas, ce qu’il empèche, les déplacements auxquels il se substitue.
Face à la crise énergétique des années 70, et devant les augures pessimistes sur
l'
épuisement des ressources de la planète, le télétravail devenait un moyen idéal
d'
économiser l'
énergie, diminuer la pollution, le stress causé par les déplacements
quotidiens, une manière de concilier le travail et la vie familiale (dans le contexte de
la généralisation du travail féminin). Le télétravail était aussi la solution miracle pour
le développement des espaces ruraux, un moyen de réinsertion des personnes à
mobilité réduite (Handy & Moktarian, 1996).
Pour ces raisons, le télétravail a suscité un énorme engouement médiatique, mais
aussi de fortes polémiques. La bibliographie sur le sujet est énorme (G. Blanc et De
est quelque peu
Beer, 2000, www.eurotechnopolis.org). Depuis lors, le mythe s'
effacé, alors même que le télétravail est devenu un phénomène de masse, en
augmentation constante.
Définition et mesure
Le phénomène est complexe, multiforme. Il n'
existe pas de définition
universellement admise du télétravail. La meilleure, à notre avis, est celle du
Rapport Breton (1995), dont le but principal était de définir un cadre juridique au
télétravail.
Le télétravail est une modalité d'
organisation ou d'
éxécution d'
un travail exercé à titre
habituel par une personne physique dans les conditions cumulatives suivantes :
- ce travail s'
effectue en dehors de l'
endroit où les résultats de ce travail sont attendus
et en dehors de toute possibilité physique pour le donneur d'
ordre de surveiller
l'
exécution de la prestation par le télétravailleur ;
- ce travail s'
effectue au moyen de l'
outil informatique et des outils de
télécommunication… (Breton, 1995, p. 15).
Cette définition permet de comprendre la métaphore, usuelle outre-Atlantique, du
telecommuting : l'
utilisation des télécommunications doit se substituer aux
déplacements pendulaires vers les bureaux de l'
entreprise. Le télétravail n'
est donc
pas toute forme de travail distant, et ne doit pas être confondu avec les téléservices.
Les cadres qui utilisent sans arrêt le téléphone ou l’Internet, les traders des salles
de marché, les employés des centres d’appel, ne sont qu’exceptionnellement des
télétravailleurs (voir encadré n° 11).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
123
On a tendance à idéaliser la figure du télétravailleur rural à domicile, qui pourrait
ainsi concilier vie professionnelle et « qualité de vie »79. Mais la plupart des
télétravailleurs sont des citadins (Richardson, 2000), et pratiquent le télétravail à
temps partiel. On peut distinguer trois types de télétravail qui, souvent, se
combinent : le travail en bureau satellite ou bureau virtuel (qui concerne surtout les
salariés), le travail nomade, le travail à domicile (qui, lorsqu'
il est permanent,
concerne surtout des travailleurs indépendants). Un cadre d'
entreprise peut, dans
une même journée, pratiquer ces trois formes de télétravail.
Aux Etats-Unis, l’enquête Telework America 2001 (J.H. Pratt Associates80)
dénombrait 28 millions de télétravailleurs qui se répartiraient de la manière suivante
: 23,1 % à domicile, 25,7 % en travail nomade, 7,1 % en télécentre, 3,3 % en
bureau satellite, et 40 % en localisations multiples. L'
enquête ATT-Telework 20022003 (figure n° 41) montre que 57 % des cadres pratiquent une forme de télétravail,
dont 17 % à temps plein (soit à domicile, soit chez les clients). Les comparaisons
établies par le cabinet Pratt pour 1999 indiquent que c'
est la Finlande qui,
proportionnellement, comptait le plus de télétravailleurs (10,8 %), suivie des PaysBas (8,3 %), de la Suède (8 %), puis des Etats-Unis et du Royaume-Uni.
Le télétravail et les formes nouvelles d'organisation des entreprises
La croissance du télétravail trouve son origine dans un faisceau de facteurs
convergents, qui résident pour la plupart dans les caractéristiques de la « nouvelle
économie » ou de l'
économie de l'
information.
L'
alliance de l'
ordinateur portable, du téléphone mobile, et de l'
Internet permet aux
collaborateurs d'
être joignables en tout temps et en tout lieu, d'
avoir accès aux
données de l'
entreprise en se connectant sur des Intranets sécurisés. Les
exigences de la flexibilité, la primauté de la satisfaction du client, la recherche d'
une
gestion « en temps réel » impliquent une connexion permanente du collaborateur
avec le réseau de l’entreprise lorsqu'
il se trouve en déplacement. Enfin,
l'
externalisation des fonctions informationnelles de l'
entreprise multiplie les
opportunités de télétravail pour des petites structures ou des travailleurs
indépendants.
Les grandes entreprises qui encouragent le télétravail reconnaissent deux sources
majeurs de bénéfices : l'
augmentation de la productivité des collaborateurs et la
diminution des dépenses immobilières. Les gains immobiliers sont permis par la
réduction des bureaux individuels, au profit de « bureaux virtuels », espaces de
travail partagés que les employés réservent à l'
avance en fonction de leurs besoins.
Figure n° 41
Le télétravail chez AT&T (enquête ATT-Telework, www.att.com/telework)
79
Tout au moins celle que l'
on prête, dans le discours des médias, aux espaces ruraux.
Dont le site web www.telecommute.org est aussi accessible par le très évocateur, pour un
géographe www.workingfromanywhere.org
80
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124
Regard géographique sur le paradigme numérique
Le secteur hôtelier prend en compte ces évolutions, en proposant, de plus en plus,
la possibilité pour les cadres en déplacement de se connecter à Internet lors de
leurs déplacements d'
affaire. Le télétravail est une pratique managériale qui
contribue donc à la constitution de firmes en réseau, moins assujetties aux
contraintes de la localisation du travail.
Large numbers of AT&T employees are moving out of traditional offices and into virtual
offices as a way of increasing productivity, work/life balance and their quality of life.
They rely on a structure that is more and more '
net-centric'- organized around networks
instead of buildings. www.att.com/telework)
La mise en réseau des télétravailleurs indépendants
L'
isolement commercial, technique, social, demeure l'
obstacle le plus redoutable
pour les télétravailleurs, surtout lorsque ils exercent à domicile, et a fortiori s'
il s'
agit
de travailleurs indépendants. C'
est pourquoi le milieu du télétravail a tenté de se
structurer, à partir de nombreuses initiatives entrepreneuriales ou associatives,
parmi lesquelles il est bien difficile de faire le tri. Sites Web, forums et revues en
ligne proposent des conseils juridiques et fiscaux, des solutions techniques, des
centrales d'
achat, mais surtout un accès à la clientèle, par la mise en réseau des
télétravailleurs sur des sites portails. Cyberworkers regroupe 15 000 professionnels,
dans 200 spécialités et 70 pays (www2.cyberworkers.com). Au Royaume-Uni, la
Telework Association (www.tca.org.uk) rassemble 2000 personnes. La principale
structure française est l'
Association Française du Télétravail et des Téléactivités
(AFTT). Aux Etats-Unis, la structure la plus importante est l’American
Telecommuting Association, créée en 1993 (www.knowledgetree.com/ata.html).
Le télétravail et la territorialité : un brouillage des spatio-temporalités
Les conséquences géographiques du télétravail se font sentir à diverses échelles de
distance et de temps. Dans le télétravail pendulaire quotidien, le collaborateur reste
à faible distance de son entreprise, où il se rend plusieurs fois par mois ou par
semaine. Mais pour les cadres des grandes entreprises, le télétravail peut être
réalisé à l'
échelle mondiale.
On assiste à l'
émergence de nouveaux nomadismes, de phénomènes de multirésidence, dont bénéficient surtout les régions favorisées sur le plan climatique
(Molini, 1997 ; Alvstam & Jonsson, 2000). Par essence, le phénomène est difficile à
quantifier. On peut constater l'
émergence de rythmes semestriels ou bi-annuels (six
mois dans une région, six mois dans une autre). Le travail nomade se manifeste
aussi par la pratique du « télétravail en vacance ». Ainsi, Crete Telework Network
propose une liste d'
hôtels et de locations qui offrent un équipement informatique et
une connexion à Internet (www.forthnet.gr/ctn, figure n° 42).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 42
125
Le site Web de Crete Telework Network
Une des conséquences majeures de ces phénomènes est le bouleversement des
spatio-temporalités qui structurent la vie des individus. Le travail entre au domicile
dans l'
espace et dans le temps (le soir, le week-end). Le travail entre aussi sur le
lieu et dans le temps des vacan
Td
lual'
( e)Tj
euspetr
4.32258
at ppepu
0 Td (e)Tj 6.12366 0 Td (s)Tj 5.5233 0-6L. 5.5233
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126
Regard géographique sur le paradigme numérique
age, disability, physical appearance or worker locale. Telework offers a powerful way
for those who have typically been disenfranchised from the economic and social
mainstream, such as seniors, or members of the disabled community, or those in rural
areas, to become active participants in the knowledge economy. www.att.com/telework
Le manifeste de ATT est la transposition au monde du travail de pratiques
courantes dans le domaine des relations sociales, comme les sites Web de
rencontre, MUDs81 et innombrables sites de chat qui suppriment chez certains
individus les inhibitions que peuvent provoquer les relations de face à face. Il y a là
une terrible ambiguité, le télétravail pouvant faire l’objet sur ce point de deux
interprétations radicalement opposées : le télétravail facteur d’intégration
économique, ou, au contraire, facteur d’exclusion spatiale (donc sociale) de tout
ceux qui, en raison de leur apparence physique (et donc, le cas échéant, ethnique),
ne sauraient être mis en contact avec des collègues ou avec la clientèle ?
Des effets territoriaux qui restent à évaluer – mais est-ce possible ?
L’importance du télétravail en tant que pratique spatiale ne peut pas être niée :
qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en désole, des millions de personnes utilisent les
TIC pour travailler à domicile, en déplacement, voire en vacance. Mais il reste très
difficile d’en évaluer les impact spatiaux et territoriaux, actuels ou potentiels. On
possède très peu de données fiables, et surtout spatialisées. Le télétravail peut-il
faciliter la création d’une nouvelle forme d’équilibre ville-campagne ? Où facilite-t-il
l’étalement urbain (qui n’a fait que croître aux Etats-Unis durant les années quatrevingt-dix, cf Atkinson & Gottlieb 2001)? Il semble que les telecommuters ont
tendance à habiter plus loin de leur lieu de travail habituel (rappelons que le
télétravail se pratique rarement cinq jours sur cinq). On se retrouverait devant un jeu
à somme nulle (surtout qu’une résidence périphérique se traduit par un allongement
des autres formes de déplacement (scolarités des enfants, loisirs, achats).
En conclusion, on peut dire que ces difficultés d’évaluation sont celles d’un système
spatio-temporel de relations de plus en plus complexe, qui s’accompagne d’un
brouillage généralisé des catégories, comme l’écrit D. Pumain dans un éditorial de
Cybergéo (septembre 2003), dont le titre est tout à fait adapté aux phénomènes
économiques que nous rapportons présentement : « du local au global, une
géographie sans échelles ». Cette remarque ouvre un nouveau chapitre,
complémentaire du précédent, dont la clé d’entrée n’est plus constituée par les
modes organisationnels induits par les technologies numériques, mais bien par le
territoire lui-même.
81
Multi-users Dungeons, jeux de rôle en ligne qui sont parfois utilisés comme sites de
« rencontre ».
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Regard géographique sur le paradigme numérique
127
Encadré n° 11. Du centre d’appel… au télétravail (source : www.cisco.com/en/US/
netsol/ns340/ns394/ns107/networking_solutions_customer_profile09186a00
8014d400.html).
Mountain America Credit Union … [is] the credit union for state and local government
employees and many of Utah'
s leading corporations. Today, Mountain America
members have access to a growing and impressive array of financial products and
services, delivered innovatively. Members have easy access to their accounts to
control their funds in a variety of ways: branch offices, ATMs, automatic deposit,
Touch-Tone Teller, automatic payment, and online-branch access.
Ray Carsey, Mountain America'
s director of technology … uses a staff of four to
support 500 employees and 170,000 members across 34 branches in Utah, New
Mexico, Arizona, and Nevada. … across a variety of Cisco® networking gear.
Telecommuting employees, improved administration through authenticated access,
wireless roaming technicians, and even intrusion detection make Mountain America
an innovative leader,
Part of driving down costs is maintaining service levels while finding new, more
efficient ways to work. Telecommuting is proving to be an important new tool for all
types of businesses, including financial institutions. As Mountain America grew, it
began to run out of office space. At the same time, management knew that the best
way to serve members was to keep experienced call-center personnel available.
Normally, call-center employee turnover is high across the financial services industry.
At Mountain America, many of their call-center agents have a special incentive—the
ability to work at home, over the network. It saves office space and operational costs
for Mountain America and acts as an important incentive to retain experienced callcenter agents. Today, Mountain America has 40 telecommuters, across the state of
Utah, serving members from their own homes.
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128
Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 12. Deux expériences de télétravail en Irlande : MDS Gateways, IBM
MDS Gateways
82
MDS est une PME de 55 personnes, fondée en 1986, qui développe des
périphériques et des logiciels de connexion bureautique. L'
initiative est venue d'
un
ingénieur qui désirait travailler un an aux Pays-Bas, et que la société a accepté de
laisser partir plutôt que de "perdre un bon ingénieur". A la suite du déménagement
de l'
entreprise depuis le centre de Dublin jusqu'
à la zone d'
activité de Clonshaugh
(près de l'
aéroport), plusieurs collaborateurs qui résidaient au sud de l'
agglomération
devaient supporter près de deux heures et demi de transport quotidien. Le processus
s'
inscrit dans un contexte de pénurie de personnel qualifié dans l'
informatique.
Plusieurs cadres supérieurs de l'
entreprise ont commencé à travailler
occasionnellement à domicile. Le développement du télétravail a été perçu comme
un moyen de fidéliser les employés, dans une entreprise ou le turn-over est en
général faible. D'
autre part, les bureaux paysagers rendent difficiles les tâches qui
réclament une attention soutenue. L'
opération a commencé avec des "ingénieurs
seniors" anciens dans l'
entreprise, vis à vis desquels le niveau de confiance était
déjà élevé.
Trois collaborateurs peuvent être définis comme des utilisateurs intensifs : un
développeur qui vient au bureau une fois par semaine, un autre qu'
on appelle
"l'
hermite" (c'
est tout dire), un vendeur. Neuf autres personnes sont des
télétravailleurs médians, qui travaillent la moitié du temps à leur domicile.
L'
expérience fonctionne bien car il s'
agit d'
une petite structure à la hiérarchie très
plate, où tout le monde connaît tout le monde. Le télétravail n'
est pas adapté à
toutes les tâches, ni à toutes les personnes. C'
est un atout pour recruter et conserver
du personnel hautement qualifié. Repris et traduit de MDS Gateway, www.mds.ie
IBM
IBM est implanté en Irlande depuis plus de quarante ans, avec 5000 collaborateurs
en 2000. En 1998, IBM utilisait 3 immeubles de bureau au centre de Dublin, plus 3
autres établissements en banlieue. Les pressions pour le développement du
télétravail ont été multiples : arrivée à terme du bail de deux immeubles,
augmentation des prix immobiliers, congestion automobile croissante, augmentation
du turnover professionnel. Après un an et demi d'
étude sur les implications
technologiques, financières et sociales, le programme a été présenté au personnel
en février 2000. Moins de 10 % du personnel s'
est révélé intéressé par le télétravail
à temps plein, mais bien plus par le télétravail à temps partiel. IBM fournit à tous ses
collaborateurs les moyens de "télétravailler" : conseils de méthode (technologie,
sécurité, hygiène), mise à disposition d'
un ordinateur portable et d'
une ligne ISDN.
Ce programme à permis de fermer deux sites de bureaux sur trois. Le nouveau siège
social de Dun Laoghaire, dans un site attrayant, ne contient que peu de bureaux
personnels, et aucun serveurs. Une des principales conclusions est que le télétravail
est vital pour attirer et retenir des personnels clés.
La semaine type d'
un cadre de IBM : Lundi : Dun Laoghaire, Mardi :
Blanchardstown/Mulhuddart, Mercredi : travail à domicile, Jeudi : Dun Laoghaire,
Vendredi : Pembroke Road à Dublin. www.ework.ie/ppt/IBM.ppt
82
La fabrication est sous-traitée.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
129
Chapitre 4. Les territoires de l’économie numérique :
de la Silicon Valley à la Sylvicole Valley
Dans le chapitre précédent, nous avons essayé de montrer comment les
technologies numériques conduisent à des pratiques spatiales complexes,
multiscalaires, dont le but principal est de mettre à la disposition des organisations,
dans les meilleurs délais et au meilleur coût, des ressources humaines inégalement
distribuées dans l’espace. Il reste à analyser les phénomènes de construction
territoriale résultant de ces dynamiques. Deux tendances complémentaires
d’agglomération et de dispersion s’affrontent. Après avoir présenté les dynamiques
élémentaires qui président à la constitutions de pôles productifs dédiés à l’économie
numérique, nous verrons que le modèle type, celui de la Silicon Valley, tend à se
diffuser géographiquement, tout en subissant un phénomène d’altération et de
complexification, qui dérive des modifications du système productif évoqué dans le
chapitre précédent.
4.1. Un espace économique « en archipel » ?
4.1.1. Mondialisation, métropolisation
La représentation d’un espace économique en archipel (Veltz, 1996), conduit parfois
les analystes à conceptualiser à diverses échelles des angles morts, des espaces
en marge, qui pourraient être des régions industrielles en crise de reconversion, des
banlieues paupérisées, des espaces ruraux peu dynamiques, des régions laissées
pour compte dans les pays émergents à forte croissance, ou bien des pays (PMA),
voire des continents entiers (Afrique subsharienne). Ces divers territoires seraient
ignorés par les dynamiques économiques majeures, peu connectés aux réseau de
transport et de télécommunication, victimes d’effets de tunnel. On utilise
fréquemment le terme de « fracture » pour décrire ce qui serait un phénomène de
divergence entre ces deux types d’espaces, les pleins et les vides. Transposé au
champ des TIC, cela donne la très médiatisée « fracture numérique »
Cette notion d’espaces qui seraient laissés pour compte par la « nouvelle
économie » appelle un questionnement majeur, qui nous semble un préalable
indispensable : la divergence a-t-elle une réalité objectivable ? Autrement dit, peuton parler d’archipels de richesse et dynamisme économique et d’innovation dans un
océan de pauvreté (relative) ? Et quelle est sa portée ?
Ces questions peuvent entraîner fort loin. Elles mettent en jeu les concepts de
métropolisation et de globalisation/mondialisation. Et la notion d’échelle est centrale
dans les interprétations. Personne ne peut nier que les pays émergents, la Chine,
voire l’Inde, bénéficient depuis plusieurs années de taux de croissance
économiques qui montrent une convergence avec les pays de l’OCDE, pas une
divergence. Mais cette croissance bénéficie plus particulièrement à certaines
régions et villes.
Dans le cas français, quelques indicateurs simples montrent un phénomène de
métropolisation. La croissance (relative) des emplois de cadres entre 1990 et 1999
a été plus forte dans les grandes aires urbaines que dans les petites, à l’exception
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130
Regard géographique sur le paradigme numérique
de Paris, où ce taux est déjà exceptionnellement élevé (tableau n° 16). D’autre part,
la part de l'
emploi métropolitain supérieur dans l'
emploi total des grandes villes s'
est
en général accru d'
autant plus rapidement que cette proportion était déjà plus
élevée en 1990 (tableau n° 17).
Mais il serait aisé de trouver des indicateurs contraires. L. Davezies (2003), par
exemple, s’oppose en partie au schéma d’une France à deux vitesses. Il montre
qu’il n’y a pas de dissociation entre les régions et métropoles les plus riches d’une
part, « les territoires qui perdent », d’autre part. W. Beyers (2002) propose une
réflexion voisine dans le cas américain. Il montre que lors de la décennie 85-95, les
régions rurales (non metro) ont enregistré autant de créations d’emplois, sinon plus,
que les aires métropolitaines (tableau n° 18).
Il est important de résoudre cette contradiction, qui réside dans la différence entre
activités productives et niveau de vie final, du fait de l’existence d’un système de
redistribution des revenus (par le marché et l’Etat providence), depuis les
métropoles les plus dynamiques, vers les régions moins productives.
Finalement, dans une société extrêmement régulée et socialisée comme l'
est la
France, mais aussi la plupart des autres pays industriels, dans un contexte de
réduction du temps de la vie consacré au travail et d'
explosion de celui consacré à la
consommation, il n'
est pas étonnant que l'
on assiste à cette dissociation entre la
géographie de l'
efficacité économique et celle du revenu et du développement social…
La croissance française n'
est pas la somme des croissances de territoires juxtaposés
mais, et de plus en plus, le résultat consolidé d'
un système complexe de flux physiques
et financiers entre les territoires. Davezies, 2003
Le terme d’archipel reste donc une métaphore. Même si des gradients brutaux
peuvent être observés, l’espace économique reste, dans la plupart des cas, un
continuum. En effet, la dualité du modèle convergence/divergence rejoint celle du
modèle agglomération/dispersion, qui est favorisée par les technologies numériques
d’information et de communication. Même si les phénomènes de concentration dans
des territoires à première vue privilégiés sont les plus spectaculaires, nous avons
vu, dans les études de cas précédentes, comment certains modes récents
d’organisation de la production (centres d’appel, télétravail) permettent une diffusion
de l’économie numérique dans des espaces a priori périphériques.
En tout état de cause, c’est avec précaution qu’il faut manier l’idée d’un décrochage
entre « territoires qui perdent » et « territoires qui gagnent », pour reprendre le titre
de l’ouvrage édité par G. Benko et A. Lipietz (1992 : Les régions qui gagnent.
Districts et réseaux : les nouveaux paradigmes de la géographie économique).
Lorsque nous parlerons de production ou d’emploi dans les secteurs
caractéristiques de la nouvelle économie, c’est sans préjuger de la qualité de vie,
notion hautement subjective, que ces emplois autorisent à ceux qui les exercent.
Rappelons enfin que « l’économie numérique » n’est pas toute « l’économie
numérisée » et ne rime pas forcément avec haute technologie. Un secteur de
« l’ancienne économie » comme l’automobile est devenu une industrie de pointe,
hautement capitalistique, très fortement automatisée et informatisée, qui distribue
des salaires élevés, et dont les effets induits sur le territoire sont forts. Alors que les
effets induits des centres d’appel sont modestes, tout comme les salaires versés et
les capitaux investis.
Nous revenons donc à une de nos principales positions de recherche : le paradigme
numérique n’est pas seulement affaire de technologie et de systèmes de production,
il est aussi un complexe discursif et idéologique. L’économie numérique a fait l’objet
d’une sur-exposition politico-médiatique, tendant à faire croire que tout ce qui était
créatif, innovant et source de richesse était high tech, smart, bref numérique. On a
vu récemment comment des dirigeants de grands groupes internationaux ont
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131
Regard géographique sur le paradigme numérique
succombé à ces discours, abandonnant des activités « non nobles » pour se
consacrer aux secteurs bien plus flatteurs pour leur ego, à l’époque, des
télécommunications et du multimédia.
L'
objectif de ce chapitre n’était pas de rédiger une nouvelle « géographie des
technopôles » (Benko, 1991). Nous avons surtout essayé de montrer comment
l’affirmation du paradigme numérique, dans les faits comme dans les discours, a
entraîné une altération du concept, pour le fondre, dans une certaine mesure, au
sein d’un complexe spatio-productif plus vaste et plus diversifié, profitant des
externalités de convergence technologique. On retrouve ici, sous jacente, la
problématique du brouillage des échelles et des catégories.
Ce « glissement » nous fait passer du technopôle au territoire numérique, dans
lequel les organisations productives ne peuvent pas être dissociées de
l’infrastructure, comme on dit parfois, qui comprend des structures et des modes de
régulation sociales et politiques, qui ont parfois tendance a être masqués derrière le
processus technologique et entrepreneurial. Silicon Valley est aussi un territoire,
avec ses habitants et ses institutions. Si les logiques d’agglomération semblent
l’emporter, les formes de dispersion doivent être prises en considération. Nous
verrons comment les territoires ruraux s’inscrivent dans l’espace de l’économie
numérique.
Tableau n° 16. La métropolisation des cadres et
supérieures (source : INSEE, RGP 1999)
Emploi total dans les
aires urbaines
Paris
> 100 000 emplois
50 000 à 100 000
20 000 à 50 000
10 000 à 20 000
< 10 000
professions
intellectuelles
Croissance de Cadres en % Taux de croissance
l’emploi total
de l’emploi cadres
1990-1999
-0,70
23,29
13,63
6,04
13,64
20,40
5,72
10,33
19,28
4,33
9,10
13,55
4,79
8,65
12,00
7,09
7,60
12,56
83
Tableau n° 17. Taux d'emplois métropolitains supérieurs par aires urbaines
(INSEE, 1999)
Rennes
Grenoble
Lille
Toulouse
Marseille
Montpellier
Paris
Nantes
Lyon
Tx
1990
7,1
10,8
7,1
10,4
7,7
9,9
14,3
7,7
9,6
Tx
Var.1
1999
8,7
1,6
12,7
1,9
8,3
1,2
12
1,6
8,6
0,9
11,4
1,5
16
1,7
8,7
1,0
10,6
1,0
%
0,225
0,176
0,176
0,154
0,154
0,152
0,119
0,119
0,104
Tx
1990
Toulon
4,1
St-Etienne
5,5
Lens-Douai
3,1
Valenciennes
3,7
Rouen
6,1
Avignon
6,1
Troyes
4,4
Besançon
6,4
Dunkerque
3,6
Tx
Var.1
1999
4,8
0,7
6,3
0,8
3,4
0,3
4
0,3
6,5
0,4
6,2
0,1
4,4
0,0
6,3
-0.1
3,5
-0,1
83
%
0,171
0,145
0,097
0,081
0,066
0,016
0,000
-0.016
-0,028
Var.1 représente la différence brute entre les deux taux. % représente le taux de
croissance estimé de l’emploi métropolitain supérieur (Var.1 / Tx1990 * 100) à emploi
supposé égal. Ce mode de calcul est moins défavorable pour les métropoles à faible taux
d’emplois métropolitain supérieur.
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132
Regard géographique sur le paradigme numérique
Tableau n° 2.
Evolution de l’emploi dans aires métropolitaines aux Etats-Unis
(Beyers, 2002)
1985
Total Employment
Metro
69.2
Nonmetro
12.0
Manufacturing
Metro
15.9
Nonmetro
3.7
Producer Services
Metro
12.5
Nonmetro
1.1
Other Employment
Metro
40.9
Nonmetro
7.1
1995
% Change
84.9
15.3
22.7%
27.8%
14.4
4.2
-9.0%
12.4%
18.1
1.6
45.0%
44.9%
52.4
9.5
28.2%
33.1%
4.1.2. Le paradoxe géographique de l’économie numérique
Paradox: The importance of location in a virtual medium. Kearney, 1999, Internet
Cluster Analysis
Une des problématiques essentielles de l’économie numérique, pour le géographe,
s’exprime en effet en termes de paradoxe : les entreprises qui travaillent dans les
secteurs de l’économie numérique et créative, au sens large, et qui délivrent des
produits ou prestations intellectuelles qui peuvent être acheminées à distance à des
coûts dérisoires, semblent aussi concentrées géographiquement, sinon plus, que
celles des secteurs qui supportent des coûts d’acheminement élevés. En fait, nous
sommes confrontés à une subtile dialectique entre agglomération et dispersion.
4.1.2.1. Agglomération, dispersion et division spatiale du travail
Agglomerations are … deeply connected to more peripheral, less-densely-developed
areas, especially where certain types of production units within wider commodity chains
find it advantageous to locate at decentralized sites. This phenomenon is especially
characteristic of branch plant operations with relatively standardized production
activities and hence with low-cost procurement and distribution structures. The net
result of the two tendencies noted here is the proliferation of complex trade flows,
between different agglomerations and between agglomerations and peripheral areas, at
national and international scales, and these flows are expanding with globalization.
84
Scott & Storper, 2003 .
S. Sassen, A. Scott, E. Leamer & M. Storper, parmi d’autres, suggèrent qu’une des
tendances majeures de la géographie des activités de « l’ère de l’Internet » est le
renforcement d’un double processus d’agglomération et de dispersion. Dans le
contexte de l’économie numérique, non seulement les TIC n’ont pas provoqué la
disparition des phénomènes d’agglomération, mais c’est la dispersion même
84
Extrait de la version Word, non paginée.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
133
permise par l’usage de ces technologies qui implique, en retour, un renforcement
des phénomènes d’agglomération.
The widely accepted notion that density and agglomeration will become obsolete
because telecommuncations advances allow for maximum population and resource
dispersal is poorly conceived. It is precisely because of the territorial dispersal facilited
by telecommunication that agglomeration of certain centralizing activities has sharply
increased. Sassen, 2000, p. 5.
A double-edged geography of the Internet age, with its tendencies toward specialization
and agglomeration, on one hand, and spreading out on the other. Three principal
changes are beeing stimulated by the Internet: increases in product variety; increases
in the fitness of the division of labor; and the automation of intermediation/coordination
85
tasks. Leamer & Storper, 2001, p.21 .
Le développement conjoint de l’externalisation et de l’usage des TIC joue en effet
un rôle clé dans l’émergence ou le renforcement de certaines polarisations.
L’externalisation des tâches informationnelles (au sens large) a donné naissance à
un vaste secteur dit « service aux entreprises » (producer services), dont les
prestations peuvent être effectuées à distance du client (services financiers,
juridiques, fiscaux, informatiques, conseil etc.). Une idée essentielle est donnée,
notamment, par Sassen : les services aux entreprises de haut niveau sont moins
dépendants de la localisation des clients que d’un environnement lié à la production
du service lui même (on retrouve à la fin de l’extrait le concept d’entreprise
virtuelle) :
The locational concentration of producer services is, in part, explained by the
characteristics of production of these services… Such firms obtain agglomeration
economies when they locate close to others that are sellers of key inputs or are
necessary for joint production of certain service offerings. Sassen (2000, p. 104)
Ceci explique pourquoi une ville comme Londres peut occuper dans certains
services (finance, publicité) une place disproportionnée à son poids économique
réel. Ou, comme l’écrit Sassen, pourquoi le poids de New York dans certains
services supérieurs (notamment ceux liés à l’Internet et au multimédia) a augmenté
ces vingt dernières années, alors que la ville n’a cessé de perdre des sièges
sociaux.
Dans le même temps, les réseaux numériques permettaient aux entreprises de
profiter à plein des opportunités offertes par la division spatiale du travail, d’où un
schéma de dispersion dont bénéficient à la fois centres et périphéries. Nous somme
renvoyés à l’idée fondamentale exprimée par Kotkin, Veltz, Scott, Storper et
quelques autres, suivant laquelle les TIC permettent aux entreprises de profiter plus
librement des attributs et ressources (assets) des territoires, ressources qui peuvent
ensuite être recomposées par les techniques de workflow évoquées précédemment,
au sein d’organisation plus flexibles et systémiques. Mais jusqu’à quel point ?
By resolving the tension between spatial separation and function integration, corporate
networks have given large firms enormous flexibility in locational choices. Li, 1995, p.
86
1642 .
85
Pagination donnée par rapport à la version en ligne du NBER, working paper n° 8450,
www.nber.org.
86
Corporate Networks and the Spatial and Functional Reorganization of Large Firms.
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134
Regard géographique sur le paradigme numérique
Global cities are not only nodal points for the coordination of processes, they are also
sites for the production of specialized services needed by complex organizations for
running a spatially dispersed network of factories, offices and service outlets. Sassen,
2000, p. 5.
Au vu des remarques précédentes, on pourrait penser que ce sont les activités de
routine qui sont le plus concernées par les phénomènes de dispersion spatiale. On
peut concevoir un schéma simpliste, dans lequel les activités de commandement et
de coordination informationnelle, c’est à dire les sièges sociaux et les entreprises de
services « quaternaires » (mais aussi l’enseignement supérieur et la recherche) sont
concentrés dans les métropoles des pays riches, tandis que les ateliers de
production, ou les services de routine (centres d’appels) sont dispersés dans les
régions rurales et les pays en voie de développement (PVD), en fonction du critère
du meilleurs coût, grâce au progrès des transport et des télécommunications.
Or ce schéma est loin d’être parfait. D’une part, la césure entre dispersion et
agglomération/concentration est une question d’échelle. Dispersion et concentration
sont souvent simultanés, mais à des échelles différentes. Lorsque les centres
d’appel ou l’industrie du logiciel se « délocalisent » en Inde, il y a une forme
dispersion à l’échelle mondiale, mais concentration à l’échelle locale, puisque ces
développements économiques récentes ne concernent qu’un petit nombre de villes
(et des pôles technologiques bien identifiables).
D’autre part, on constate le maintien de grappes ou clusters d’activités
manufacturières peu sophistiquées dans les pays les plus riches, comme les
districts industriels (appelés aujourd’hui « systèmes productifs locaux ») gouvernés
par le principe de la « spécialisation flexible ». En même temps, on peut identifier
des entreprises fortement innovantes ou créatrices dans des régions rurales, qui
utilisent au mieux les possibilités offertes par les télécommunications modernes, et
qui sont très bien connectées à l’économie globalisée, notamment par
l’intermédiaire de chaînes de sous-traitance « en cascade ».
Il faut donc plus que jamais renoncer à la simplicité des catégories et des schémas,
au profit d’un d’enchevêtrement des échelles.
4.1.2.2. La théorie de « la poignée de main »
Dans un article publié en 2002 dans Journal of International Business Studies,
« The Economic Geography of the Internet Age », E.Leamer et M. Storper
expliquent d'
une manière très pédagogique un des faits marquants de la géographie
économique du début du vingt-et-unième siècle, qu'
on pourrait appeler le paradoxe
économique des TIC. Ils démontrent que le gros du système productif reste
extrêmement concentré géographiquement, que la valeur des proximités spatiales
n'
a pas baissé. Mais plus encore, à la suite d’autres chercheurs, ils affirment que les
activités de haut niveau, créatrices, ou de direction, qui ne processent pourtant que
de l'
information, transmissible à distance, sont encore plus concentrées que le reste
de l'
activité.
Les auteurs partent d’un constat simple, que nous avons déjà évoqué : la tendance
du système productif à se concentrer géographiquement, non par firmes entières
(tout au moins dans le domaine des grandes entreprises), mais par segments de la
chaîne de production, du fait de l'
externalisation croissante, non seulement des
activités manufacturières, mais aussi des transactions informationnelles. Ces
segments d'
activité se retrouve concentrés en grappes (clusters) hautement
spécialisées (la publicité à Londres, le design à Milan ou Barcelone).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
135
The vast and steady improvements in technology for transacting across space have not
eliminated a strong role for geographical proximity. Pure intellectual activities are even
more clustered… 20th century tendancy toward geographical fragmentation of the
chain of production was accompanied by the spatial agglomeration of certain parts of
the chain, particularly the intellectual/ immaterial activities such as accounting, strategy,
marketing, finance and legal work. These activities are amenable to extremely fine and
highly efficient divisions of labor… and to procurement s
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136
Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 13. S. Sassen. The Global City Model. The Global City (2000), préface à la
deuxième édition (nous soulignons)
The geographic dispersal of economic activities that marks globalization, along with
the simultaneous integration of such geographically dispersed activities, is a key
factor feeding the growth and importance of central corporate functions. The more
dispersed a firm'
s operations across different countries, the more complex and
strategic its central functions - that is, the work of managing, coordinating, servicing,
financing a firm'
s network of operations.
These central functions become so complex that the headquarters of large global
firms outsource them. They buy a share of their central functions from highly
specialized service firms.
Those specialized service firms engaged in the most complex and globalized
markets are subject to agglomerations economies. The complexity of the services…
the uncertainty of the markets…and the growing importance of speed in all these
transactions, is a mix of conditions that constitutes a new agglomeration dynamic.
The mix of firms, talents and expertise… makes a certain type of urban environment
function as an information center. Being in a city becomes synonimous with being in
an extremely intense and dense information loop… that cannot be replicated fully in
electronic space… one of its value-added features the fact of unforeseen and
unplanned mixes of information… Global cities are, in this regard, production sites for
the leading information industries of our time.
Economic globalization and telecommunications have contributed to produce a
spatiality for the urban which pivots both on cross-border neworks and on territorial
locations with massive concentrations of resources. This is not a completely new
feature… What is different today is the intensity, complexity and global span of these
networks, the extent to which significant portions of economies are now
dematerialized and digitalized. pp.xix-xxii
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Regard géographique sur le paradigme numérique
137
4.2. Les districts de l'économie numérique
Intelligent cities: Islands of Innovation become digital. N. Komninos, 2002. Intelligent
Cities: Innovation, knowledge systems and digital spaces, p.181.
La notion de district productif a suscité une énorme littérature, et le sujet reste
d’actualité (voir leCluster Mapping Project lancé par Michael Porter, de la Harvard
Business School)89. Nous avons expliqué pourquoi, paradoxalement, les
réorganisations récentes du système productif permises par l’usage des TIC avaient
favorisé le renforcement de polarisations déterminées par la recherche des
économies d’agglomération et externalités positives.
4.2.1. Aspects théoriques
Peu de sujets ont été aussi intensément étudiés que celui du phénomène
technopolitain et des districts numériques et multimédias. On peut mentionner, entre
autres, les travaux de Ph. Aydalot et du GREMI (1986), ceux de C. Antonelli, G.
Benko, M. Castells, P. Hall, A.L. Saxenian A.J. Scott. Pour les études de cas, on se
référera à Multimedia and Regional Restructuring édité par Braczyk, Fuchs & Wolf
(1999), qui décrit une quinzaine de districts numériques de par le monde. Le
phénomène possède ses classiques, comme Silicon Valley et Route 128 (Saxenian,
1994, 1995), Los Angeles90 (Scott, 2002), Silicon Alley/New York (Pratt, 2001 ;
Indergaard, 2004), Grenoble (De Bernardy, 1997 ; De Bernardy et Lawton-Smith
2001) Oxford (Lawton-Smith, 2003), Bengalore (Saxenian, 2000-b-c). Brighton et
Howe sont sortis de l’ombre grâce à D. Perrons (Economic Geography, 2004). On
possède des notions sur Glasgow et le « Silicon Glen » (Collinson 2000), Lyon
(Meyronin 2001-a, 2001-b ; Moriset 2001-a, 2003-b). Le Blanc (1999, 2000, 2001)
propose une excellente analyse du pôle de Denver. On ne saurait passer sous
silence Sophia Antipolis (26 000 emplois, dont la moitié dans les TIC, www.sophiaantipolis.net).
L’activation de la recherche sur ces questions ne peut pas être isolée du contexte
économique et politique global que nous avons évoqué précédemment, avec
l’inflation des discours sur la globalisation, la métropolisation, et surtout la hantise
de la compétitivité par l’innovation qui semble régner dans les cercles économiques
et politico-médiatiques. Poussés par divers groupes de pression et financeurs, les
chercheurs n’ont eu de cesse d’analyser la région, la ville, l’agglomération, comme
support fondamental de la compétitivé des individus et des entreprises.
Depuis quelques années, le concept technopolitain semble s'
être altéré et
complexifié, avec la montée en puissance des activités nouvelles liées aux TIC.
Jusqu'
au milieu des années quatre-vingt-dix, on parlait de « technologies de
pointe » au sens large, incluant les biotechnologies, matériaux nouveaux, industrie
et recherche aérospatiales etc. La convergence numérique, le phénomène de
89
Base de données en ligne d’analyse des districts productifs aux Etats-Unis
(http://data.isc.hbs.edu/isc/index.jsp. Le Cluster mapping succède au Cluster Profile,
consultable sur le même site : http://data.isc.hbs.edu/cp/index.jsp.
90
La Californie du Sud est le pôle le plus important du monde pour l'
industrie de l'
audiovisuel numérique (multimedia and digital visual effects industry), avec des structures
institutionnelles comme la IICS (International Interactive Communication Society) et le
SIGGRAPH (Special Interest Group on Computer Graphics). Source : Scott in Braczyk et al.,
1999, pp. 30-47.
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138
Regard géographique sur le paradigme numérique
l'
Internet, et aussi, il faut bien le reconnaître, la bulle financière et médiatique des
TIC, sont venus brouiller les cartes, en aspirant l'
informatique et les
télécommunications vers les activités de traitement de l'
information au sens le plus
large du terme, au sein d'
un complexe d'
activité diversement intégré qui prend des
appellations diverses (comme celui de @activities dans le projet 22@poblenou de
Barcelone, cf. chap. 5). Le phénomène technopolitain n'
a pas perdu de sa vigueur
économique et médiatique, bien au contraire, comme en témoigne la centaine de
« territoires du silicium » qui ont été identifiés de part le monde (cf. infra). Mais on
ne parle plus guère de technopoles, avec ou sans accent circonflexe. On préfère la
« ville numérique », ou digital city, voire la ville intelligent, ou smart city.
What is a technopolis ? In today'
s usage, a technopolis is a region trying to build and
maintain a healthy, technology-driven economy. Regions that succeed are likely to
have:
- a robust local value chain including strong R&D, manufacturing, marketing and
distribution, and intensive international connections ;
- a critical mass of companies in one or more well-defined clusters ;
- a relatively compact geography, which allows a successful specialized economy,
impossible in more sprawling, diverse places (which may well have a greater total hightechnology employment). www.generalinformatics.com/technopolistimes.htm
Districts et clusters du secteur des TIC
La question de l’identification et de l’analyse géographique des districts ou clusters
de l’économie numérique a posé et pose encore des problèmes ardus. Le problème
n’est pas tant dans la nature ou le fonctionnement du phénomène de district, qui fait
à peu près l’unanimité, que dans son identification et sa mesure.
A cluster is a geographically proximate group of interconnected companies and
associated institutions in a particular field, including product producers, service
providers, suppliers, universities, and trade associations. Clusters arise out of the
linkages or externalities that span across industries in a particular location. Clustering
Mapping
Project,
Harvard
Business
School
(HBS),
www.isc.hbs.edu/cmp/cmp_data_glossary.html
Les grandes lignes de la théorie du cluster, et notamment du cluster de haute
technologie, sont maintenant bien connues : esprit entrepreneurial, interrelations
entre les entreprises et les institutions locales de recherche, publiques ou privées,
rôle de l'
essaimage, relations de « fertilisation croisée », importance du système de
formation et du cadre de vie, rôle du capital risque, contexte réglementaire adapté,
accessibilité... Il n'
y a pas de règle absolue. Certains pôles technologiques semble
s'
acommoder de contraintes qui seraient considérées ailleurs comme
handicapantes. Le contexte fiscal et réglementaire a moins d’importance quand le
niveau scientifique du pôle est élevé, et que le rôle de la recherche publique est
important (ce qui est le cas de Grenoble, par exemple, où accessibilité, fiscalité et
flexibilité de l'
emploi ne sont pas particulièrement attrayants – cf Lawton-Smith & De
Bernardy 2001).
Néanmoins, le concept de district de l’économie numérique (ne parlons plus de
technopôle) pose au géographe une série de problèmes.
Le problème de l’échelle et du découpage administratif
Faut-il considérer des parcs technologiques, des quartiers ou des districts urbains,
des villes, au sens restreint, ou bien des aires métropolitaines ou régions urbaines
toute entières (la vieille nuance entre le technopôle et la technopole) ?
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Regard géographique sur le paradigme numérique
139
La base de donnée du Clustering Mapping Project, développé par M. Porter, de la
Harvard Business School, propose d’analyser des clusters à la dimension d’une
Metropolitan Area, ou bien à celle, plus large, d’une Economic Area91. Ce qui donne
des résultats très différents. Ainsi, Silicon Valley appartient principalement à la
Metro de San José (92 000 emplois dans les TIC en 2001 et un Location Quotient
LQ92 de 11,2), qui est distincte de celle de San Francisco (26 000 emplois et un LQ
de 3,17), et de la ville voisine de Oakland (19 000 emplois dans les TIC, LQ de 2,4).
La définition par Economic Regions rassemble le tout, ce qui donne un ensemble
plus puissant (144 000 emplois dans les TIC, soit près du triple de la seconde
région, New York), mais moins spécialisé (LQ de 4,5, tout de même).
Dans le même ordre d’idée, on est confronté dans les grandes villes à une « polynucléarisation » de l’économie numérique. Tokyo, New York, mais aussi Lyon, voire
Grenoble, présentent plusieurs pôles d’activités spécialisés. Toute la difficulté est
d’identifier ces pôles, dont les contours sont souvent flous, et dont la structuration
institutionnelle est souvent d’une faible secours. A Grenoble, la ZIRST de Meylan a
complètement explosé vers l’amont de la vallée du Grésivaudan. Le problème
d’échelle est aussi un problème de lisibilité et de marketing territorial. L’AEPI
(Agence d’Etude pour la Promotion de l’Isère) vend un pôle technologique
« Grenoble Isère » de 30 000 emplois dans le secteur des TIC, ce qui le placerait
entre Phoenix et Denver (Economic Regions) qui occupent les neuvième et dixième
rang au Etats-Unis (26 000 et 32 000). Mais cette mesure est flatteuse, car elle
inclut des secteurs géographiques de l’ouest du département, qui sont situés dans
l’aire urbaine Lyonnaise. Les logique du marketing territorial pourraient donc
conduire à comptabiliser deux fois les mêmes entreprises.
La nature des activités : informatique et télécom vs « contenu » ou multimédia
La question de l’échelle des clusters ne peut pas être dissociée de la réflexion sur
les secteurs d’activité. Ce qui est spécialisé à une échelle devient diversifié à une
autre. La région urbaine de San Francisco est très polyvalente, alors que la ville
d’une part, la Silicon Valley de l’autre, sont relativement spécialisées, l’une dans le
contenu, l’autre dans la technologie. La nature des activités, l’existence d’une
masse critique, et le degré de concentration spatiale, interviennent fortement dans
l’apparition des externalités d’agglomérations ou externalités de convergence.
La principale ligne de clivage sectorielle des districts numériques, de par le monde,
est celle qui sépare les activités liées à l’informatique et au télécommunications
(matériels, logiciels et composants), et les activités créatives liées au contenu et au
support multimédia : applications son et vidéo, traitement d’image, édition
électronique, Web design, services Internet, plateformes de commerce électronique,
etc. Ces activités sont fréquemment associées à celle des médias classiques
(presse, TV, édition) et du cinéma. C’est, radicalement, l’opposition entre Silicon
Valley et Silicon Alley.
Content is king… Content regions have a built-in advantage as multimedia centres.
Since packaged software and hardware are so cheap to reproduce and transport, and
since their producers seek to maximize their sales, the natural advantage of nearby
users is diminished. The content regions (those with an existing media industry) have a
prior familiarity with the markets in question and have already attracted talented and
91
Les 172 Economic Areas, à la différence des 318 Metropolitan Areas, englobent tous les
comtés américains, même ruraux.
92
Le LQ mesure la spécialisation relative du cluster. Son calcul est donné par le rapport
entre, d’une part, la part du secteur d’activité donné dans l’emploi total de l’aire
géographique considérée, d’autre part, la part de ce même secteur d’activité dans l’emploi
total du pays. Si les TIC représentent 3 % de l’emploi total aux E.U., un LQ de 10 pour une
aire métropolitaine signifierait que les TIC y représentent 30% de l’emploi.
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140
Regard géographique sur le paradigme numérique
creative workers and the necessary supporting services and institutions. Saxenian, in
Braczyk et al., 1999, p.18
La spécialisation permet de réaliser des économies d'
échelles et de franchir plus
facilement le seuil au delà duquel les entreprises vont bénéficier d'
économies
d'
agglomération et d'
externalités positives. La spécialisation est d’autant plus
impérative que le territoire sera de taille moyenne. Une ville comme Grenoble (450
000 habitants env.) peut atteindre un niveau mondial dans un domaine bien précis
(recherche en informatique pure, automatisme, nano-technologies), mais est peu
présente dans le multimédia.
La spécialisation provient le plus souvent d’une ou deux entreprises motrices, ou de
laboratoires de recherche publique, qui entraînent concurrents et sous-traitants
dans leur sillage, et provoquent par essaimage la création de firmes nouvelles. Le
pôle « composants électroniques et nano technologies » d’Aix-Marseille93 est
entraîné par ST Microelectronics et GemPlus. Seattle est plutôt tournée vers le
logiciel (Microsoft). A Tempere94, un cluster s’est constitué autour de Nokia, numéro
un mondial de la téléphonie mobile (Schienstock et.al., in Braczyk et al, 1999, pp.
320-345). A Stockholm, la « Kista Science City », dite aussi la Wireless and Mobile
Valley (375 entreprises et 18 400 emplois dans les TIC en 2003) s’est spécialisée
dans la téléphonie mobile et autres technologies hertziennes,à partir de la présence
de Ericsson et Nokia (www.kista.com). A Lyon, le pôle jeu vidéo doit (presque) tout
à Infogrames (aujourd’hui ATARI) etc.
Les deux types de districts (contenu ou technologie) s’articulent diversement dans
l’espace métropolitain et régional, et des synergies sont susceptibles d’apparaître
entre les deux catégories de métiers. Le clivage spatial est rarement pur et parfait.
Munich est presque également forte dans les activités de contenu (premier pôle de
média allemand et second pôle multimédia après Berlin) et dans les activités
informatiques (siège de Siemens Nixdorf Information Systems – d’après Strater in
Braczyk et al., 1999, pp.155-182). La Silicon Valley abrite des entreprises de
contenu, comme WebTV, @Home, C-cube… Mais le multimédia reste largement
confiné dans la ville de San Francisco, dite « Multimédia Gulch » (Egan & Saxenian,
in Braczyk et al., 1999 p. 22). En France, un bon exemple de division spatiale de
l‘économie numérique est donné par Rhône-Alpes : le multimédia est presque
inexistant à Grenoble, entièrement tournée vers le high tech, alors que Lyon, ville
d’affaire, existe essentiellement dans le contenu (Meyronin, Moriset, op.cit.)95.
Clusters statistiques vs clusters fonctionnels, clusters locaux vs clusters
« exportateurs »
La définition proposée par la Harvard Business School est purement statistique, et
ne dit pas à partir de combien d’entreprises et/ou d’emplois apparaît un cluster. Les
bases de données du Cluster Mapping Project réalisent des aggrégats statistiques à
partir de codes APE (ou SIC) sans se préoccuper des dynamiques interfirmes
internes au secteur. Or ces dynamiques n’existent pas toujours, et ne sont pas
prouvées par des coefficients de spécialisation élevés.
Un des enseignements de l’étude sur Lyon (Moriset, 2001-a) avait été de montrer
qu’une bonne partie des entreprises de services en Informatique, Internet et
93
Qui est un des deux seuls clusters français dans le secteur des TIC identifié par la base
de donnée de M. Porter, avec celui de Montauban, ce qui en dit long sur sa fiabilité !
94
Deuxième ville de Finlande, 170 000 habitants.
95
De Bernardy (1997, p. 157) souligne « qu’aucune bourgeoisie financière, commerciale ou
d’affaire ne s’est réellement épanouie » à Grenoble. Au contraire de Lyon, évidemment.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
141
multimédia (web design) travaillait pour les grandes entreprises locales de l’industrie
et des services, alors même qu’on pouvait identifier un district sur le plan
fonctionnel, voire même spatial. Ceci n’en fait pas des activités motrices (à la
différence du pôle jeu vidéo qui exporte dans le monde entier), puisque leur
dynamisme dépend, d’abord, de celui des sociétés donneuses d’ordre. C’est la
définition même du « cluster local » selon Porter.
Il faut rappeler que le secteur des TIC n'
est que pour une fraction un secteur qui
délivre un produit final, un bien de consommation (comme les jeux vidéo p.ex.).
Pour tout ce qui relève, en particulier, de l'
informatique ou des télécommunications
pour les entreprises, les TIC (biens et services) ne sont qu'
une consommation
intermédiaire dans le cycle de production. En d'
autre termes, à un niveau macroéconomique global, les TIC ne sont pas un secteur aussi porteur que l'
on veut bien
le croire : c'
est Général Motors qui fait vivre Microsoft, c'
est Détroit qui fait vivre la
Silicon Valley, et non l'
inverse. Cette évidence explique en partie le dégonflement
de la « dot.com bubble ».
Ceci est valable à une échelle globale, ou dans un marché fermé. Mais si on
individualise le territoire, les TIC peuvent y devenir une activité motrice, non
dépendante de ses clients traditionnels, si les entreprises sont capables d'
exporter.
C’est ce que M. Porter appelle le traded cluster, qui peut atteindre un coefficient
local de spécialisation (location quotient) très élevé, car il ne dépend pas
spécialement de la demande locale, mais des avantages comparatifs que propose
le territoire (notamment en termes d’externalités d’agglomération). C’est
évidemment le cas de Silicon Valley ou Grenoble96. Seulement dans ce cas, alors,
on observera une sur-représentation locale du secteur des TIC, avec des
possibilités de croissance qui ne sont limitées, théoriquement, que par la
concurrence et les capacités d'
absorption du marché mondial. Dans le cas de Lyon
en 2001, par exemple, seul le secteur du jeu paraissait être un secteur porteur, avec
Infograme qui était à l'
époque le numéro deux mondial du jeu vidéo. Dans tous les
autres secteurs des TIC (Internet, télécommunications, SSII), les entreprises
étaient, d’abord, au service du marché régional. Nous verrons que Beyers &Lindhal
(1996) font la même distinction dans leur recherche sur les micro-entreprises rurales
de services aux entreprises : ils ne retiennent que celles qui « exportent » au moins
40% de leur production.
Local clusters are made up of local industries. (which) provide goods and services
almost exclusively for the area in which they are located, (…), regardless of the natural
or competitive advantages of a particular location.
Traded clusters are made up of traded industries (which) sell products and services
across economic areas, so they are concentrated in the specific regions where they
choose to locate production, due to the competitive advantages afforded by these
locations. Clustering Mapping Project, Harvard Business School (HBS),
www.isc.hbs.edu/cmp/cmp_data_glossary.html
Quels sont les enjeux de l’étude des districts numériques ?
L’identification et la connaissance des districts (numériques ou non) n’est pas
seulement un débat d’école pour géographes ou économistes spatiaux, sauf à
admettre qu’un district numérique peut apparaître et se développer spontanément,
sans aucune structuration institutionnelle publique ou privée, sans organisme de
régulation, de promotion. Cette thèse pourrait être défendue. Pourtant, aucun
exemple connu n’est parvenu à notre connaissance. Dans une période où le
schéma de la mondialisation libérale et individualiste semble s’imposer, il faut
96
Comme de tous les districts industriels stricto sensu.
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142
Regard géographique sur le paradigme numérique
reconnaître que les institutions collectives, publiques ou privées continuent à jouer
un rôle important dans l’émergence des territoires de la nouvelle économie, y
compris aux Etats-Unis. Nous ne parlons pas, ici, du rôle déclencheur des
organismes publics de recherche, ou des commandes militaires de l’Etat. Nous
parlons du rôle facilitateur que les gouvernements et associations peuvent jouer,
dans tous les domaines de l’aménagement du territoire, de la formation, de
l’animation économique, du marketing territorial. Les entreprises, on l’a dit, sont à la
recherche d’aménités territoriales, qui dépendent, pour une bonne part, de
l’intervention des organismes publics ou consulaires (comme les infrastructures de
transport, le système local de formation etc.). Encore faut-il que les besoins des
entreprises soient identifiés, puissent s’exprimer. D’où l’importance d’organismes
relais. Quand aux externalités d’agglomération, une partie de celles-ci va être forgée
dans les organismes, publics, para-publics ou privés, que P. Daniels dans son étude
sur Birmingham (2004) appelle les Knowledge Brokers : chambres consulaires,
clubs et associations d’entrepreneurs, missions de développement économique,
organismes de transfert de technologie, agences de promotion et de développement
etc.
Ces structures institutionnelles ont besoin de connaître le tissu économique. Les
investisseurs potentiels ont besoin de connaître le marché que pourrait représenter
localement tel ou tel secteur d’activité pour des activités de service, de conseil, etc.
De la même manière, les organismes de formation ont besoin de cette
connaissance pour cibler leur offre.
Une connaissance géographique de ces clusters est également importante. Comme
nous l’avons dit, les collectivités publiques jouent un rôle essentiel dans le dessin
des infrastructures de transport et de télécommunication. Elle doivent connaître les
besoins et les potentialités des zones à desservir. Les collectivités jouent un rôle
essentiel dans la provision aux entreprises de services immobiliers adaptés. Il
semble donc important de connaître les entreprises existantes ou potentiels d’un
secteur, et leurs besoins en matière de localisation. C’est dans cette esprit que nous
avions travaillé dans notre enquête auprès des entreprises lyonnaises de l’Internet
(Moriset 2003-b).
Enfin, les institutions collectives conduisent une stratégie de communication et de
marketing vis à vis des investisseurs extérieurs, qui doit être soigneusement
« calée » sur une présentation objective du tissu économique existant. Il apparaît
que la morphologie « spatiale » propre d’un secteur économique peut être un
argument de vente, tout autant qu’un facteur de synergie interne. Plusieurs de nos
interlocuteurs avaient regretté l’inexistence d’un « Sophia Antipolis » lyonnais, c’est
à dire qu’un pôle technologique identifiable visuellement, et reconnu nationalement
et internationalement, en lieu et place d’une dispersion nuisible à toutes les formes
d’expression de l’effet district. La connaissance des clusters locaux est aussi une
question de stratégie : il est en général admis que la marge d’intervention réelle des
collectivités publiques est mieux utilisée, et le discours plus crédible, lorsqu’elle est
ciblée sur quelques secteurs forts, surtout pour les villes moyennes à l’échelle
mondiale (autour de un million d’habitants). C’est le cas du jeu vidéo à Lyon, des
semi-conducteurs à Aix-Marseille.
Pour une compréhension plus approfondie du concept - et aussi du mythe - du
district numérique, nous proposons une description des deux modèle, par ailleurs
très différents, qui en sont à l’origine : Silicon Valley (Californie) et Silicon Alley
(New York).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
143
4.2.2. Silicon Valley vs Silicon Alley
On peut porter sur Silicon Valley, et dans une moindre mesure sur Silicon Alley, le
même genre de jugement que celui qu’Ernst Gombrich dans son Histoire de l'Art
porte sur La Joconde de Léonard de Vinci : l'
abondance des références scientificomédiatiques utilisées parfois à tort et à travers, et la multiplication de part le monde
des clones auto-proclamés, finissent par altérer nos capacités de perception et de
compréhension des originaux, que tout le monde croit connaître, sans les connaître.
4.2.2.1. Le modèle original : Silicon Valley
Il existe plusieurs définitions de la Silicon Valley. Selon le « Joint Venture : Silicon
Valley Network » (2002), le cœur est constitué par le comté de Santa Clara et des
morceaux des comtés limitrophes de San Mateo, Alameda et Santa Cruz (2,4
millions d’habitants et 1,2 million d’emplois). C’est le plus ancien, et de loin le plus
important pôle mondial du secteur des TIC. C’est aussi l’un des plus spécialisés,
avec un LQ de 11,2 dans l’aire métropolitaine de San José.
Les données sont difficiles à analyser, car en évolution rapide, à la hausse (années
1990), comme à la baisse (2000-2003). Quelques secteurs d’emplois majeurs ou
clusters97 se dégagent (emploi à la mi-2003) :
- Logiciel : 95 000
- Semi-conducteurs : 62 000
- Matériel informatique et télécommunications : 57 000
- Services innovants et RD : 50 000
- Composants electroniques : 22 000
Soit près de 300 000 emplois, 25% de l’emploi total de la vallée. On voit que l’on
dépasse largement les statistiques plus restrictives données par la HBS (90 000
emplois dans les TIC pour la Metro de San José, 144 000 pour toute la région
urbaine de San Francisco)98. Si on compare avec les données fournies par l’AEPI
(op.cit.) ou la CCI de Lyon, on peut dire que la seule Silicon Valley « pèse » plus de
dix fois Grenoble ou Lyon99 (dont les populations sont respectivement 4 fois et 2 fois
inférieures environ).
Dans l'
historique qu'
elle dresse de la Vallée, A.L. Saxenian (1995) montre
l'
importance du phénomène de « communauté entrepreneuriale et technologique »
tel qu'
il a été voulu dans les années quarante par son fondateur Frederick Terman,
directeur du collège d'
ingénierie de Stanford100.
In the 1940s, Frederick Terman envisioned a "community of technical scholars" in
Northern California - a modern counterpart of the groupings of medieval scholars in
famous European centers of learning like Oxford, Heidelberg, and Paris. From his base
as the Dean of Engineering at Stanford University, he sought to create a technical
community like those medieval communities where there was, in his words, "continuous
ferment of new ideas and stimulating new challenges”.
97
Dans ce cas, le sens est purement statistique.
Car les données de la HBS s’appuient sur les codes SIC, plus restrictifs. Ainsi, les
matériels de télécommunications sont classés dans le cluster « transport et
télécommunications.
99
30 000 emplois dans les TIC, selon www.lyon-tic.com
100
Terman était membre de l'
académie américaine des sciences. La comparaison est
tentante avec le rôle joué à Grenoble par Louis Néel (prix nobel de physique), et ce d'
autant
plus que le complexe militaro-industriel a joué un rôle initial important dans les deux cas.
98
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144
Regard géographique sur le paradigme numérique
Parmi les anecdotes les plus connues de l'
histoire de la Vallée, figure la création de
Hewlett-Packard dans les années trente - aujourd'
hui HP Invent, numéro un mondial
de la micro informatique. C'
est Terman qui encouragea et aida deux de ses
étudiants, William Hewlett and David Packard, à créer leur propre entreprise à Palo
Alto, instituant ainsi la pratique de l'
essaimage. Terman est le promoteur du
Stanford Industrial Park, qui a été conçu comme une source de revenus
complémentaires pour l'
université, et a renforcé la coopération avec les entreprises
ainsi que l'
emploi des diplômés.
De fait, aucune région au monde ne peut approcher le nombre et la qualité des
« success stories » qui ont fait la puissance économique et la notoriété de la vallée :
HP, Apple, Intel, Fairchild, Oracle, Sun Microsystems, Silicon Graphic etc. On
retrouve systématiquement les mêmes mécanismes qui combinent innovation
technologique, prise de risque entrepreneuriale, combinaison de compétition interfirmes et d'
interrelations technologiques, humaines et financières. Ensemble de
facteurs qui n'
a jamais pu être égalé.
A.L. Saxenian montre que la Vallée possède ses lieux et institutions de sociabilité,
qui fonctionnent un peu comme ceux de la métropole d'
affaire traditionnel décrite
par Gottmann.
Every year there was some place, the Wagon Wheel, Chez Yvonne, Rickey'
s, the
Roundhouse, where members of this esoteric fraternity, the young men and women of
the semiconductor industry, would head after work to have a drink and gossip and brag
and trade war stories… By all accounts these informal conversations were pervasive
and served as important source of up-to-date information about competitors,
customers, markets and technologies. Entrepreneurs came to see social relationships
and even gossip as a crucial aspect of their businesses. In an industry characterized by
rapid technological change and intense competition, such informal communication was
often of more value than more conventional but less timely forums such as industry
journals.
Producers who must meet ever shorter times-to-market and accelerating product cycles
benefit immensely from being part of a localized technical community that facilitates
rapid communication and collective learning. This decentralized system has allowed
Silicon Valley to surpass both domestic and foreign competitors during the 1990s.
Saxenian 1995.
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la Silicon Valley n’est pas une jungle où
s’épanouierait le capitalisme sauvage. Comme on vient de le voir, ce n’est pas une
création spontanée. Aujourd’hui, plus que jamais, le tissu industriel de la « Vallée »
est tout à la fois irrigué et drainé par un réseau dense d’institutions ou Knowledge
Brokers dont la fonction est double : constituer les réseaux et les lieux de rencontre
plus ou moins formels où s’échange l’information ; constituer un relais entre la
communauté entrepreneuriale et les collectivités en charge de la gestion et de
l’aménagement du territoire. L’ensemble est coordonné par le « Joint Venture :
Silicon Valley Network » dont le Conseil d’administration est constitué par un
mélange de dirigeants d’entreprises, d’universitaires, de représentants des
collectivités locales.
Parmi ces knowledge brokers, on peut mentionner :
Silicon Valley Chambers of Commerce
The Silicon Valley Association of Startup Entrepreneurs (SVASE)
NOVA (North Valley Job Training Consortium), Center for Innovation and
Entrepreneurship
The Bay Area Economic Forum ; The Bay Area Council
The Association of Bay Area Governments (ABAG)
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Regard géographique sur le paradigme numérique
145
La concentration spatiale, gage de la mobilité professionnelle
Une idée essentielle dans l'
analyse de Saxenian, est le rôle de l’agglomération des
firmes comme élément facilitateur des mobilités professionnelles individuelles et des
prises de risques entrepreneuriales. Concept qui s'
applique, d'
ailleurs, d'
une façon
très générale à tous les grands bassins d'
emplois, et on pourrait en dire autant de la
finance à New York ou Londres. Les mutations, les départs pour création, les
recherches d'
emploi après un échec, événements plus nombreux que partout
ailleurs, ne s'
accompagnent pas de la rupture du lien professionnel, social et
territorial qu'
entraînerait souvent un changement de résidence. Cette mobilité
structurelle, qui s'
accompagne d'
une stabilité spatiale, renforce et fluidifie en retour,
le système formel et informel de circulation de l'
information qui favorise l'
innovation,
l'
entrepreneuriat et la coopération inter-firmes.
On comprend bien, dès lors, que la montée en puissance de l'
Internet n'
a guère
altérée le fonctionnement de ce milieu économique, qui n'
est toutefois pas à l'
abri
des périls engendrés par son propre succès. Là encore, les répercussions de la
bulle des TIC sur le territoire de la Vallée peuvent être perçus comme un modèle, et
aussi un avertissement.
La Vallée victime de son succès ? les limites territoriales à la croissance
Silicon Valley'
s Internal Challenges are reaching a critical point : '
The cost of doing
business in Silicon Valley and San Francisco is insane. For one thing, real estate is
outrageous. But what I found most unbelievable was the cost of recruiting and retaining
employees. You have to recruit the recruiters, and convince them to recruit on your
behalf. It’s exactly the opposite in Atlanta'Jay Hall, Founder of ChemConnect, which
moved from (Kearney, 2000).
Silicon Valley is a vibrant region typified by creativity and vision, by growing industries
and impressive wealth, but it is also the place where the painful underside of the New
Economy is revealing itself, the place where the gap between the affluent and the poor
is widening. A. Dean, secrétaire général du comité régional "South Bay" de l'
AFL-CIO,
Wired Magazine, 24 mars 2000.
Le boom des années 80 et 90 a créé dans le comté de Santa Clara un effet croisé
d'
enrichissement et d'
appauvrissement relatif, avec d'
un côté les gagnants des
hautes technologies, bénéficiant de la hausse des salaires et des actions, de l'
autre
côté les perdants: fonctionnaires publics, employés des secteurs traditionnels,
travailleurs manuels de l'
industrie électronique, souvent immigrés, employés au
travail à la pièce dans les sweatshops de l’économie numérique. Entre 1994 et
1998, le nombre d'
employés à temps partiel et d'
intérimaires dans la Silicon Valley
est passé de 12 340 à 34 839, soit une augmentation de 280 % (Wired Magazine,
24 mars 2000). Les effets territoriaux d'
exclusion, principalement par la hausse de
l'
immobilier, ont abouti à une ségrégation socio-spatiale de plus en plus étendue, les
familles aux revenus moyens étant obliger de se loger de plus en plus loin du cœur
de la Silicon Valley.
La prise de conscience que ce phénomène menaçait tout l'
équilibre social du
territoire à commencé à se faire lorsque il est apparu qu'
il devenait impossible à des
professeurs d'
école ou de lycée débutants de se loger dans le comté de Santa
Clara (en 2000, le loyer mensuel d'
un 2 pièces était de 1000 à 1500 $, le prix moyen
d'
une maison de 535 000 $). De fait, les entreprises comme Hewlett Packard ont du
commencer à subventionner le logement des enseignants, parfaitement conscientes
du fait qu'
il deviendrait impossible de continuer à attirer et conserver les personnels
talentueux si ces derniers ne pouvaient scolariser leurs enfants, faute de
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146
Regard géographique sur le paradigme numérique
professeurs101. Ainsi, HP a effectué en juillet 2000 une donation de 1 million de $ au
profit du Fond pour le logement du Comté de Santa Clara, qui accorde des prêts
bonifiés aux enseignants. Intel a financé la construction d'
un ensemble de 40
appartements, qui devait être loué aux professeurs à 50 % en dessous des prix du
marché. Des problèmes de même ordre ont commencé à émerger dans le domaine
de la santé (infirmiers, aide-soignants), et pas seulement dans la Silicon Valley.
La crise qui est survenu de 2001 à 2003 (10% des emplois perdus de 2001 à 2002,
et encore 5 % entre 2002 et 2003, tous secteurs confondus) a contribué à applanir
une partie de ces difficultés : effondrement de l’immobilier d’entreprise, baisse
significative des loyers résidentiels, diminution des embouteillage, augmentation des
places disponibles dans les crèches etc. (voir les données dans les rapport
sucessifs publiés par « Joint Venture Silicon Valley Network »). Le fossé entre les
revenus extrêmes s’est légèrement comblé (les revenus du vingtile inférieur ont
baissé de 1 % en 2002, contre 7 % pour ceux du vingtile supérieur). Mais, comme
l’expliquent les responsables locaux, malgré la baisse, seuls 26 % des ménages de
la vallée peuvent accéder à la propriété (affordability rate), alors que la moyenne
nationale est de 56 %. (Joint Venture, 2004). Ceci illustre parfaitement le concept de
« fracture sociale » qui est souvent accolé à l’émergence de la nouvelle économie
(concept selon nous bien plus pertinent que celui de fracture numérique).
La Vallée à la recherche d’une nouvelle stratégie ?
Après que près de 200 000 emplois tous secteurs confondus aient été perdus dans
la Vallée depuis le Krach de 2000, les autorités locales et les observateurs
s’interrogent sur son avenir. Alors que certaines métropoles aimeraient mettre plus
de numérique dans leur territoires (cf. infra), les acteurs de la Vallée voudraient
mettre plus « de territoire dans le numérique », c’est à dire diversifier le tissu
économique, le rendre plus attractif pour les individus, par seulement pour les
firmes. Est-on confronté à une nième crise cyclique, ou bien est-ce que le modèle
économique sur lequel le territoire a fondé sa prospérité serait dépassé ?
The future of Silicon Valley has become uncertain. Some observers believe that the
Valley has passed its prime, that information technology has reached an age of maturity
and will experience slower growth in the future. Others see the current economic
downturn as a temporary correction due to the cyclical nature of IT spending. Some
claim that the seeds of the next economy are already incubating in the Valley. What is
clear is that Silicon Valley’s role in the global economy is changing - and the region
needs a new economic strategy. Joint Venture, 2004-2, p. 7.
Les trois hypothèses citées peuvent être envisagées avec une égale attention. Nous
ne somme pas armés pour envisager la dernière, faute de connaître de l’irruption
d’un nouveau cycle technologique qui lui permettrait de « rebondir » La première
nous semble la plus probable. Nous verrons que la diffusion de l’économie
numérique se réalise, d’abord, aux Etats-Unis même. Le tableau n° 19, que nous
présentons plus loin, montre que la Vallée est moins dynamique que bien d’autres
clusters de formation plus récente. Enfin, dans le contexte de la mondialisation, une
dispersion des pôles d’excellence de ces secteurs d’activité semble inéluctable
(Europe, Japon, Asie du Sud-Est, Inde102). La Vallée avait-peut-être atteint un seuil
101
On pourrait écrire que les entreprises ne font rien d'
autre, en l'
espèce, que de financer,
indirectement, la reproduction de leur force de travail.
102
La recherche indienne dans les technologies du numérique est au plus haut niveau
mondial. A titre d’exemple, Bangalore abrite l’un des six « HP Labs » avec Palo Alto,
Cambridge (Mass.), Bristol, Haïfa et Tokyo.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
147
au delà duquel les externalités négatives ne pouvait être supportables que dans le
contexte d’une concurrence faible. L’histoire ne manque pas d’exemples de déclin
de mono-activités ou de reconversion. Qui, il y a trente ans, aurait parié que Seattle
deviendrait une capitale du logiciel et du commerce électronique (Microsoft,
Amazon.com), tandis que Boeing103 déménagerait son siège social à Chicago, une
ville de la Rust Belt en plein renouveau (l’emploi dans les TIC, définis
restrictivement, y a doublé entre 1990 et 2001) ?
4.2.2.2. Silicon Alley ou la quintessence de l’urbain: un concept éphémère ?
Au milieu des années quatre-vingt-dix, avec la Silicon Alley, est né un nouveau
concept de district numérique, en rupture complet avec le mode technpolitain
antérieur. Silicon Alley, noyée au cœur de la forêt de gratte-ciel de Manhattan, peut
apparaître à bien des égards comme l'
anti Silicon Valley. On est loin du parc
scientifique façon Sophia Antipolis ou du corridor de haute technologie (Silicon
Valley, Route 128, Richardson, Grenoble, M4-Oxford etc.). Par sa localisation, son
fonctionnement, ses mœurs, le concept Silicon Alley semblait constituer une
quintessence de l’urbanité branchée et avant-gardiste. Mais Silicon Alley est tout
autant un produit médiatique qu’une réalité économique, sociologique et
géographique. Contrairement à sa grande sœur californienne, elle est en partie le
produit de la bulle financière et médiatique de l’Internet et fut, dès 2000, rappelée à
la réalité par les règles élémentaires de l’économie de marché, avec un
effondrement des capitalisations boursières des start-ups. Les événements du 11
septembre ont frappé l’Alley au cœur, au propre comme au figuré, et précipité le
désastre.
Un district centré sur le contenu
Contrairement à sa sœur de la Côte Ouest, Silicon Alley est fille de l'
Internet. On y
travaille bien peu le silicium, puisqu'
on y trouve peu ou pas de fabricants de puces
ou d'
ordinateurs, mais essentiellement des créateurs de logiciels et de services
dédiés à l'
Internet. Le paysage diffère également radicalement.. Mais comme la
Vallée, l'
Allée constitue un archétype, souvent imité, jamais égalé.
La localisation de l'
Allée est très floue. Au début des années quatre-vingt-dix, il
s'
agissait principalement des quartiers d'
immeubles et d'
entrepôts qui s'
étendent
entre le Flatiron District et Chelsea. Mais avec la croissance, les firmes se sont
répandues un peu partout au sud de la 41ème rue, dans Soho, Tribeca, le district
financier (55th Broad Street). Le rapport 2000 de PriceWaterhouse Coopers
assimile la Silicon Valley à l'
ensemble de la pointe sud de Manhattan au sud de la
41ème rue.
Silicon Alley est essentiellent spécialisée dans les contenus, dans ce qu'
on appelle
les nouveaux médias : sites de commerce électronique, presse électronique, Web
design, logiciels dédiés. Cette spécialisation est en accord avec le statut de New
York (et de Manhattan en particulier), ville de la finance et de la presse, mais assez
peu technopolitaine (toutes proportions gardées).
The New Media industry combines elements of computing technology,
telecommunications, and content to create products and services which can be used
interactively by consumers and business users. PriceWaterhouse Coopers, 2000
103
Dont la branche « avions civils », aujourd’hui dépassée par Airbus, est principalement
concentrée à Everett, près de Seattle.
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148
Regard géographique sur le paradigme numérique
Création largement spontanée, l'
Alley possèdait maints caractère d'
un territoire :
une organisation institutionnelle, une animation, une ambiance et un état d'
esprit
particulier (tout au moins jusqu'
en 2001) qui ont fait bien des émules de part le
monde. La New York New Media Association (NYNMA), créée en 1994, a été le
principal organisme d'
animation. Elle organisait les celèbres et très imités First
Tuesdays, qui réunissaient les investisseurs (fonds de capital risque, business
angels), et les créateurs ou dirigeants d'
entreprises en quête de financement. La
banque de capital risque qui a joué le rôle principal à l'
origine est Flatiron Venture
Partners, créé en août 1996, qui avait ses locaux dans l'
immeuble du même nom,
mais a cessé tout nouvel investissement depuis 2000.
L'
émergence de l'
industrie des nouveaux médias a joué un rôle décisif dans la
rénovation et la gentrification des quartiers médians de Manhattan, précipitant et
élargissant le périmètre d'
un mouvement qui avait été lancé par les artistes et
« yuppies » de la finance dans les quartiers de Soho, Chelsea et Tribeca, avec la
transformation d'
entrepôts en lofts, la multiplication des ateliers et appartements
d'
artistes et créatifs divers (décorateurs, dessinateurs de mode, designers,
publicitaires) ainsi que les galeries d'
art, restaurant branchés etc.
Ainsi, on s'
aperçoit qu'
il y avait une continuité socio-spatiale (et territoriale) entre les
activités de la créativité traditionnelle et celles de la créativité sur support
électronique, la première migrant vers la seconde, les professionnels des deux
secteurs, jeunes pour la plupart, partageant les mêmes goûts pour un
environnement urbain à haute densité de biens et services culturels.
Le district multimédia est donc par essence un territoire de centre ville (downtown
area). Avec une prédilection originelle pour les quartiers ancien en rénovation, plutôt
que pour les grands ensembles de bureaux type La Défense. A fortiori, les acteurs
du multimédia n'
ont guère de tropisme pour les parcs scientifiques et les
technopôles du type Silicon Valley, où la convivialité de l'
environnement urbain est
souvent inexistante (c’est une remarque que nous avait fait plusieurs entrepreneurs
lyonnais implantés dans des parcs scientifiques excentrés où il est impossible de
trouver une gargotte convenable pour se restaurer à l’heure du déjeuner).
La première génération de langage HTML était très simple, et il y avait toute une
réserve d'
artistes et d'
écrivains sous-employés à New York. Ils se sont lancés dans
l'
aventure et c'
est cette génération qui a fait Silicon Alley. Toute une génération
d'
aventuriers dynamiques a transformé la capitale de la communication en centre des
nouveaux médias.
lls sont désormais 56 000 New-yorkais à vivre des nouveaux médias. Depuis quatre
ans, l'
industrie a essaimé dans tous les espaces imaginables - cuisines, loft d'
artistes
ou bureaux surchargés - au sud de la 41ème rue de Manhattan.
Cybernaute contre "rock'
n'
roll attitude". Tous affirment qu'
il n'
y a qu'
à New York qu'
un
tel engouement pouvait arriver. Dans les années 60, les jeunes qui avaient quelque
chose à dire montaient un groupe de rock. Dans les années 90, ils se sont mis à faire
un site Web. Les entrepreneurs du Web sont très jeunes - les trois-quarts ont moins de
40 ans, ne portent pas de cravate et font leur boulot avec une "attitude", c'
est à dire le
sentiment d'
être en avance sur le commun des mortels et, pour certains, de participer à
une aventure qui changera l'
humanité. www.liberation.fr/alley
Selon le rapport 2000 de PriceWaterhouse Coopers pour la NYNMA, entre 1997 et
1999, l'
emploi total dans les nouveaux médias de l'
aire métropolitaine New Yorkaise
s'
était accru de 40 % par an, atteignant 250 000 positions, dans 8500 entreprises, et
un chiffre d'
affaire de 16,5 milliards de dollars. Le nombre de compagnies à
Manhattan a presque doublé en moins de deux ans, passant de 1175 à 2128. Cette
croissance avait surfé sur la bulle boursière. En 1999, après une série d’introduction
en bourse spectaculaires, 29 start-ups de l’Alley atteignirent une capitalisation
cumulée de 29 milliards de dollars (Indergaard, 2004). Et les fondateurs des Double
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Regard géographique sur le paradigme numérique
149
Click, i Village et autres StarMedia était devenus, non seulement des milliardaires,
mais aussi les personnes les plus en vue du « Tout-New York ».
Cette croissance échevelée ne doit pas être isolée du contexte territorial, et
notamment des projets des autorités locales de faire du secteur des nouveaux
média un fer de lance d’une politique de revitalisation du centre de New York,
notamment dans le cadre du Lower Manhattan Revitalization Plan, lancé par
Rudolph Giuliani en décembre 1994. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre
suivant.
Tableau n° 18. Les principaux segments de marché couverts par le secteur New
Yorkais des nouveaux médias (source : PriceWaterhouse Coopers 2000)
Secteurs client
% de firmes
concernées
Finance
34
Technologies de l'
Information
29
Commerce
28
Loisirs / Spectacles
25
Publicité
20
Edition
20
Télécommunications
20
Santé
20
Nouveaux médias
18
Education
17
Presse et information
11
Culture
10
Administration
10
Mode
8
L’effondrement d’un mythe ?
Les événements du 11 septembre 2001 au World Trade Center ont porté le coup de
grâce, symboliquement, financièrement, et physiquement, à une industrie dont
l’effondrement était déjà en cours. Entre janvier et octobre 2000, l’indice composite
des 46 principales valeurs de Silicon Alley avait déjà perdu 80 % de sa valeur
(Indergaard, 2004). Les pertes combinées de 37 firmes en 2000 se chiffraient à près
de trois milliards de dollars, avec, à la clé, des milliers de licenciements. Flatiron
Partners avait quitté l’immeuble du même nom, cessé tout nouveau investissement
(www.flatironpartners.com). En mai 2000 disparaissait le magazine Silicon Alley
Reporter.
On comprend, dès lors, l’impact de la catastrophe du 11 septembre, dans laquelle
près du tiers du parc de bureaux de Lower Manhattan a été anéanti (3 millions de
m2), et certaines entreprises décimées104. Le 10 octobre 2001, le New York Times
titrait « The Death of Silicon Valley ». En janvier 2002, 62 000 emplois avait déjà
quitté Down Town Manhattan. Le déclin de la Silicon Valley était consacré par la
faillite de la NYNMA, le 19 déc. 2003, dont les actifs ont été repris par la Software &
Information Industry Association (SIIA).
For the past ten years, the New York New Media Association (NYNMA) has had the
104
La société de courtage new yorkaise Cantor Fitzgerald et sa filiale de bourse en ligne, ESpeed occupaient les 101e à 105e étages de la Tour Nord. 658 personnes, soit les deux
tiers du personnel de la companie ont disparu le 11 septembre 2001.
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150
Regard géographique sur le paradigme numérique
pleasure of serving the New York area technology industry. Unfortunately, we must now
inform you that as of Friday, December 19, 2003, NYNMA has ceased operations due
to a significant financial shortfall. www.nynma.org
Comme le rappelle J. Kotkin (encadré n° 14), la Silicon Valley n’est pas tout à fait
morte: 3000 entreprises (sur 8500) ont survécu. Ce qui a disparu, c’est l’exception
culturelle et économique, l’illusion, qui avait germé sur un délire spéculatif, que l’on
pouvait promouvoir à l’infini une économie de la virtualité. Si on observe la réalité du
commerce électronique, par exemple, telle que nous l’avons présentée dans le
chapitre précédent, on y trouve bien davantage les entrepôts et hubs de
Amazon.com ou Fedex dans le Kentucky et le Tenessee, que le strass et les
paillettes des soirées New Yorkaises.
Aujourd’hui, New York compte environ 200 000 entreprises de « service aux
entreprises » (New York City Economic Development Corporation) dont un grand
nombre travaillent dans des secteurs de l’économie numérique ou de la créativité :
consultants en communication, marketing et publicité, services en informatique et
télécommunication, services financiers. Par ailleurs, New York reste le premier pôle
américain des médias, le deuxième pour le cinéma. Les « survivants » de la Silicon
Alley sont donc irrémédiablement amenés à se fondre dans l’ensemble des activités
de « l’économie créative » (Florida, op.cit.).
La Silicon Alley n’existe plus guère en tant que district localisé. Les projets de
réhabilitation de Downtown Manhattan veulent en faire un quartier à vivre (75 000
appartements à construire dans les dix annnées à venir, cf encadré ci-dessous)105.
On s’éloigne bien de l’utopie avant-gardiste de la fin des années quatre-vingt-dix.
105
Voir aussi le discours du maire M. R. Bloomberg, le 12 décembre 2002 : Vision For 21st
Century Lower Manhattan.
www.lowermanhattan.info/news/read_mayor_bloomberg_s_80515.asp
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Regard géographique sur le paradigme numérique
151
Encadré n° 14. Why Saving Silicon Alley Is Essential for New York. Joël Kotkin, Wall
Street Journal - Real Estate Journal – 25-04 2002
During the go-go days of the late 1990s, few technology stories were more overhyped than the rise of Lower Manhattan'
s Silicon Alley. To the often-breathless New
York media -- whether in national or local publications -- the Alley was widely seen as
the Gothamite counterpoint to the booming technology districts of Silicon Valley,
Austin, Texas; and Raleigh-Durham, N.C. These days, however, the always-trendobsessed New York media seems to have soured on the city'
s software and newmedia center. "It'
s now official, Silicon Alley...is dead," a reporter for the New York
Times announced recently.
Yet just as they over-emphasized the Alley'
s rise, today'
s pundits may be
underestimating both the New York tech community'
s persistence and its critical
importance to the future of the city, most particularly the now shell-shocked realestate market of Lower Manhattan. "What is critical about Silicon Alley," notes New
York historian Fred Segal, "is not all the hype, but that it saw the first new industrial
sector to emerge in New York since the 1950s."
Today, the New York tech industry, despite Sept. 11 and the dot-com implosion, still
constitutes a strong, and potentially critical, component of New York'
s recovery …
including new-media firms, more than 3,000 computer-oriented companies have
survived the shakeout. The survivors -- usually more serious about business and
more market-oriented than many of the now-bankrupt dot-coms -- tend to be closely
affiliated with industries strongly associated with New York'
s overall corporate base,
such as its advertising, financial services and information sectors.
For one thing, software and new-media firms tend to employ precisely those kinds of
people that are most likely to enjoy living in Manhattan and its immediate environs -the young, single, childless and culturally active. "The software and informationtechnology industries could prove crucial in the recovery of Lower Manhattan,
because they are most likely to stay put," suggests Jonathan Bowles, research
director for the Center for an Urban Future, a Manhattan-based think tank that has
done considerable research on New York'
s industrial structure. "We'
re talking about
companies that have CEOs and employees that want to live in Lower Manhattan and
places like downtown Brooklyn."
This means, Mr. Gilbert says, that the focus in Lower Manhattan needs to be on
"livability" and maintaining basic city services -- good restaurants, shops, festivals,
clean cityscapes as well as high-speed Internet connections -- critical elements to
attracting new tenants and residents to the district. "You have to, first and foremost,
make Lower Manhattan livable," he maintains. "Cities are not built for computers.
You have to have a joie de vivre."
www.joelkotkin.com/Commentary/WSJ%20Why%20Saving%20Silicon%20Alley%20I
s%20Essential%20for%20New%20York.htm
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152
Regard géographique sur le paradigme numérique
4.2.3. L’essaimage du mythe, ou la mondialisation d’un modèle
d’organisation de l’espace productif
L’exemple américain
Une analyse simple des données du Cluster Mapping Project (tableau n° 17), et
notamment des taux de croissance de l’emploi, montre un phénomène de diffusion
spatiale du district numérique. Dans la période 1990-2001 (qui incorpore le début de
la crise), la Silicon Valley a enregistré un taux de croissance de l’emploi négatif.
Même si on englobe l’agglomération de San Francisco, la région est dépassée en
taux de croissance par une quinzaine de régions économiques, les plus dynamiques
étant Seattle, Boise City (Idaho), Portland, Atlanta, Burlington, Chicago etc., qui ont
doublé et même triplé leur emploi dans le secteur des TIC (Seattle passe de 6000 à
33 000 emplois dans les TIC).
Tableau n° 19. Les 20 premiers « clusters » du secteur des TIC aux Etats-Unis, sur la
base des Economic Areas (source : Cluster Mapping Project,
http://data.isc.hbs.edu/isc/index.jsp)
Clusters (classés par
accroissement relatif de
l’emploi)
Seattle-Tacoma
Boise City
Portland-Salem
Atlanta
Austin
Burlington
Chicago
Dallas
Philadelphie
San Diego
Denver-Boulder
Washington
Houston-Galveston
Los Angeles
Boston
San Francisco – San José
Raleigh-Durham
Phoenix
New York
Minneapolis-St. Paul
Emploi
dans les
TIC
38 900
23 200
34 500
18 400
33 200
17 900
21 700
46 700
18 500
18 300
32 700
23 600
15 600
58 700
59 600
144 000
25 400
26 000
59 700
24 800
Pour mémoire (aires métropolitaines) :
Silicon Valley
92 000
San Francisco
26 000
Variation Coefficient de
annuelle
localisation
1990-2001
LQ
en %
18,16
2,81
10,59
12,69
10,32
3,69
9,15
0,91
7,42
6,99
7,20
9,54
6,89
0,59
6,62
1,78
6,30
0,73
3,83
2,14
3,03
2,22
2,11
0,82
1,93
0,88
1,67
1,08
1,64
1,97
1,56
4,51
1,26
3,90
0,63
2,29
-0,34
0,70
-1,40
1,41
-0,64
17,4
Création
nette
d’emploi
33 000
15 000
23 000
11 000
18 000
9 000
11 000
24 000
9 000
6 000
9 000
4 800
9 000
9 000
23 000
11,20
3,17
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Regard géographique sur le paradigme numérique
153
La multiplication des « Siliconium »
Rien n’exprime mieux la force idéologique du paradigme numérique que le succès
mondial des métaphores inspirées du mythe de la Silicon Valley. Sur son site Web,
www.tbtf.com/siliconia.html, Keith Dawson a recensé pas moins de 79 toponymes
inspirés de la Silicon Valley, qu'
il appelle des « Siliconium », et s'
appliquent à 105
lieux ou territoires technopolitains ou considérés comme tels dans le monde. A partir
du site de Dawson (qui présente les siliconium par ordre alphabétique), complété de
quelque ajouts de notre connaissance, nous avons dressé un tableau récapitulatif
qui permet d'
appréhender l'
expansion géographique du phénomène. Ont été ajoutés
par nos soins à la liste de Dawson : Tregor Valley (Bretagne), Sylvicole Valley
(Mimizan, France), Silicon Sentier (Paris), Silicon Alley (à Newcastle), Cyberport
(Hong kong), Digital Media City (Séoul), Silicon Oasis (Dubaï). On pourrait ajouter le
projet palois de NanoValley.
Il faut souligner que le présent développement ne traite que des siliconium
correspondant à une réalité technologique sur le terrain, éventuellement en projet,
et non pas des innombrables « villes numériques », « cyber-territoires » et « cybercities », qui ne sont que des métaphores publicitaires du territoire ordinaire, des
sites portail, des projets de « mise en réseau des territoires » etc. (cf. Cybercantal,
les Inforoutes de l'
Ardèche, Vercors Connect etc.).
La liste des « Siliconium » apporte un double enseignement. D’une part, dans la
sphère du réel objectivable, elle démontre la diffusion d’un modèle d’organisation de
l’espace productif, voire, selon les cas, d’un modèle territorial. Même si, de la Silicon
Valley à la Sylvicole Valley, il y a bien des différences de nature et d’échelle. C’est
une des manifestations de la mondialisation, dans le contexte d’une mise en
concurrence des territoires, comme peut l’illustrer la fermeture, en juin 2004, de
l’usine de ST Micro Electronics de Rennes, dont les machines ont été réinstallées à
Singapour. Après l’Europe et le Japon, l’Asie du Sud-Est, l’Inde, et depuis peu le
Moyen Orient (Silicon Oasis, à Dubaï) entrent à leur tour dans la compétition.
D'
autre part, cet inventaire à la Prévert dévoile un ensemble de discours qui
constitue un révélateur puissant de l'
idéologie des TIC et des ses applications
territoriales.
Sur ce dernier point, il faut considérer un emboîtement de plusieurs mythes, dont
Silicon Valley constitue le cœur : mythe de la frontière, mythe californien, mythe de
la Sun Belt, et, pour l’extérieur, mythe américain. On en retrouve la parfaite
transposition dans les discours sur les Silicon valleys du sud-est de la France
(Grenoble, Sophia Antipolis, Montpellier), de l’Europe méditerranéenne en général
(Barcelone), voir du Moyen Orient (Dubaï) : environnement agréable (mer,
montagne, soleil), liberté d’opinion et de mœurs, esprit pionnier (innovation
technologique), idéologie messianique du numérique (qui débouchera sur le
concept du territoire intelligent ou smart community), post-modernisme. Le territoire
numérique est un territoire neuf, débarrassé, non seulement des structures
industrielles vieillissantes de la « Rust Belt », mais aussi des conventions,
hiérarchies, préjugés et classes de l’ancien monde.
Mais ce nouveau monde, il faut le rattacher à l’ancien monde. L'
analyse élémentaire
du discours que constituent ces appellations révèle une volonté de territorialisation,
et une démarche identitaire. Les paysages, surtout, sont considérés comme un des
éléments fondamentaux de l’identité territoriale : plages de Californie ou de Floride
(Silicon Beach), tourbières irlandaises (Silicon Bog), clochers d'
Oxford (Silicon
Spires), prairies de l'
East Anglia ou du Middle West, bayoux de Louisiane (Silicon
Bayou), forêts de l'
Oregon ou des Landes (Sylvicole Valley), désert de l'
Arizona,
mesas du Nouveau Mexique, vignobles de la Napa Valley, pommiers de la
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154
Regard géographique sur le paradigme numérique
Wenatchee Valley, glaciers des Rocheuses etc. La référence est parfois
polysémique, comme celle du « Silicon Sentier » parisien, où se mêlent, comme le
montre l’article de Wired (encadré n° 15) des références culturelles multiples, du
Gavroche de Hugo au cosmopolitisme du quartier actuel. On pourrait aussi
mentionner le scabreux « Siligone Plateau », supposé un temps décrire le district
multimédia de la Croix Rousse à Lyon (voir Moriset 2003)106.
Tout se passe comme s’il s’agissait de lutter contre une forme de dématérialiation
spatio-temporelle (le collapsing of space and time) promise par les technologies
numériques. On assiste à une mise en dialectique, d’une part du modèle américain
d’origine (Silicon ou Valley), d’autre part des racines, des fondements identitaires du
territoire de rattachement. Dans nos travaux de thèse sur Nancy et Metz (Moriset
1995, 1997), nous avions montré l’importance, pour les acteurs publics ou privés, de
rattacher leurs opérations à des valeurs positives dont le discours sur le territoire se
fait traditionnellement le vecteur : ancienneté, tradition, légitimité, continuité (dans le
changement), et donc honnêteté, fidélité, solidarité etc.
Cette utilisation du territoire et même du terroir comme support de valeurs positives
est bien illustrée dans la communication d’entreprise, comme le montre l’exemple
de Gateway107, concurrent direct de Dell, dont le logo qui figure sur les emballages
des produits a pour fonction de rappeler les origines rurales (figure n° 43).
Figure n° 43
Le logo Gateway
(www.gateway.com)
From the day Ted Waitt founded
Gateway on an Iowa cattle farm, our
business has been about people… The
black-and-white cow spots are a
constant reminder of our Midwestern
roots and our company'
s values: Hard
work, honesty, friendliness, quality -and
putting
people
first.
www.gateway.com
Le nom est tellement important que les autorités qui gèrent le territoire n'
hésitent
pas à le faire breveter, et à attaquer en justice les coupables de plagiat. On observe
le même phénomène que pour les noms d'
entreprises (et aussi les noms de
domaine Internet) : le noms, la marque appartiennent aux actifs de l'
entreprise. De
fait, 79 noms pour 105 lieux ou territoires peuvent donner lieu à des conflits. Le
record est atteint par « Silicon Prairie », utilisé en dix lieux différents, du Texas à la
frontière canadienne : La Silicon Prairie Technology Association, établie à Kansas
City (www.silicon-prairie.org) a menacé d'
un procès le Silicon Prairie Interactive
Network (www.siliconprairie.org), établi dans l'
Oklahoma. Silicon Prairie a été, aussi,
au début des années quatre-vingt, un bulletin étudiant de l'
Université de l'
Iowa, puis
fut déposé par une entreprise des environs. La Silicon Prairie a été aussi aperçue
au Texas (Richardson), dans l'
Illinois (Secteur nord de Chicago) etc. Le nom de
domaine www.silicon-prairie.com est la propriété du Chicago Tribune. Il est à noter
que « Telecom Corridor » est une marque déposée de la Chambre de Commerce
de Dallas-Richardson. Les Siliconium sont donc très recherchés comme noms de
domaine. La recherche de « Cyberabad » (capitale de l'
Andhra Pradesh en Inde)
sur Netcraft a donné 41 noms de domaine, qui sont presque tous vides, réservés ou
106
Le « gone » est l’équivalent lyonnais du gavroche parisien.
Crée en 1985, Gateway est le numéro deux de la fabrication et de la vente de PC par
correspondance. Son siège est à San Diego.
107
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Regard géographique sur le paradigme numérique
155
à vendre (sur l’utilisation commerciale des noms de domaine territoriaux, voir
notamment Wilson 2003-a).
Encadré n° 15. La réplication de Silicon Alley : « Silicon Sentier » vu par le magazine
Wired
"Go to Paris". Christopher Dickey, Wired, juin 2000, p. 155 (extraits)
The future'
s first outpost in eastern Paris was around the Sentier Metro station, which
the French press has dubbed "Silicon Sentier." There were about 30 embryonic
Internet companies operating in Silicon Sentier at the end of 1999. Now, just a few
months later, there are closer to 200 of them. Even those who prefer the more
flexible, efficient office spaces in the nearby Paris suburbs of Levallois-Perret and
Boulogne - or in La Défense, the architectural ghetto to which Paris'skyscrapers are
exiled and where Microsoft and IBM have planted flags - admit that for young French
entrepreneurs, the tiny maid'
s rooms in the roofs of eastern Paris have a major
mystique. "In Silicon Valley, it'
s the garage; here, it'
s the chambre de bonne," says
Eric Perbos-Brinck, president of Bravonestor.com, the Levallois-based shopbot
affiliated with mySimon.
We are in northeast Paris, a block from the sprawling Place de la République in one
direction, and the Canal St-Martin in the other. It was just a couple of hundred yards
from here that the worldly, shrill, slutty, and so very Gallic actress Arletty spoke those
lines every French moviegoer remembers: "AtMOSphère! AtMOSphère!"
This corner of Paris is dense with the past, like the rest of the city, but it'
s also dense
with the future. Barges still creep through the slow-rising locks of the canal, and
lovers still embrace to the sound of water cascading over iron and rivets. But down in
the sewers, among cat-sized rats, technicians from Colt Telecom are laying miles of
fiber-optic cable. Les Misérables meets the megabyte.
This is the part of Paris where kings and emperors, prefects and presidents are used
to seeing trouble - a collection of streets where workers used to dance to accordions
and make revolutions with paving stones. It'
s still where they march when they want
to bring down a government. And it is becoming ground zero for another kind of
revolution. Space is cheap where the sweatshops have shut down, and the fiberoptic backbone, built by the state to feed the needs of the nearby stock market, is
strong. People who are smart and creative but who want to stay in France, in the
Parisian heart of it - and who wouldn'
t? - think this is a neighborhood where they can
find refuge from the rest of the finger-wagging French and let themselves go
wherever their intellect, initiative, and long workdays will take them.
Down on the street, Sentier is still the garment district, a world of handcarts and
traffic jams, sweat and shmattes. "Here, there used to be wool fiber - now it'
s optical
fiber," says Philippe Hardoux, in the pristine new quarters of Rosebud Technologies
at 32 rue des Jeûneurs, where he recently moved from the remote corner of the city
near Père-Lachaise Cemetery.
It is precisely the way the new technology has blended into the city - been hidden
behind nondescript doors on rue du Sentier or in the mansions of the Rive Gauche,
taken up residence beneath the skylights of Republic Alley, and electrified the latenight air of ordinary cafés like the Temple d'
Or - that gives wired Paris an
atmosphere like no place else in the world.
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156
Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 16. Une nouvelle Silicon Valley ? Denver et le Front Range du Colorado.
D’après Le Blanc, 2001
Le Colorado fait partie de ces Etats américains qui ont rejoint La Californie (Silicon
Valley) et le Massachussets (Route 128) dans le club des Etats "technopolitains"
(avec l'
Utah, le Texas, la Virginie, la Géorgie…), qui présentent une spécialisation
dans les secteurs de l'
économie numérique nettement supérieure à la moyenne.
Dans le Colorado, ces activités sont à 70 % concentrées sur l'
axe Fort-CollinsColorado Springs-Denver-Boulder, au pied des Montagnes Rocheuses.
Grâce à la croissance du secteur des TIC, le Colorado est sorti du marasme des
années quatre-vingt provoqué par la crise des industries minières. Le chômage à
Denver est passé de 10 % en 1987 à 2,8 % en 1999, le plus faible des Etats-Unis,
avec à la clé une très forte immigration. Aujourd'
hui, le Colorado détient le record du
taux de population active employé dans le secteur des TIC (5,4 %), avec un total de
107 000 emplois, dont les trois quarts dans les services.
L'
historique du développement technologique du Front Range montre une prégnance
des facteurs géographiques, notamment la situation et l'
environnement naturel.
La situation géographique presque au centre du pays explique l'
implantation précoce
108
du complexe militaro-industriel : laboratoires de recherche, arsenaux, silos de
missile, et surtout centres de commandement des forces stratégiques (Colorado et
Nebraska). Ces installations ont été parmi les premiers utilisateurs de réseaux
optiques à haut débit (l'
Internet avait justement été conçu, à l'
origine, pour relier
entre-elles ces installations). Ces implantations militaires ont ensuite attiré les
équipementiers d'
informatique (IBM, HP) et de télécommunication (AT&T, Bell Labs).
La situation géographique centrale a été également décisive pour l'
implantation de
l'
industrie des télécommunications et des centres d'
appel, qui demeure le secteur clé
de l'
économie numérique locale. Le décalage horaire permet de travailler
simultanément, en heures ouvrables, avec les Côtes Est et Ouest. Par ailleurs, la
situation de Denver est idéale pour maximiser les zones de couverture d'
une
émission relayée par satellite. L'
événement majeur a été l'
implantation en 1987, du
siège et du centre d'
opération de US West (21 000 emplois en 2000).
Les faibles coûts immobilier et de main d'
œuvre, ajouté à une politique d'
incitation
fiscale, ont permi d'
attirer les centres d'
appel de sociétés majeures dans trois
secteurs clé : transport aérien (Continental, United), télécommunications (MCI,
Sprint), finance (City Corp, Merrill Lynch etc.). Avec la dérégulation des
télécommunications, Denver devient attractive pour les opérateurs, se dote d’un
réseau local optique performant, avec cinq boucles locales dès 1996.
Une dynamique technopolitaine classique s'
est donc enclenchée : compétition entre
les firmes, mais aussi coopération pour la mise au point de nouveaux produits,
essaimages, attraction de nouvelles firmes dans les secteurs connexes (logiciel,
services en ligne). Au cœur du processus figurent les "externalité de convergence",
qui voient se former un district de plus en plus diversifié à partir d'
un cœur d'
activité
initial.
Le deuxième facteur qui, selon Le Blanc, a joué un rôle essentiel dans le
développement du district numérique de Denver est la qualité de vie, offerte
notamment par l'
environnement naturel. En comparaison avec des aires
métropolitaines bien plus saturées, les loisirs et activités sportives proposées par les
109
Rocheuses (ski, randonnée, escalade…) , les moindre nuisances, les coût
immobiliers plus raisonnables, ont permis de faciliter le recrutement dans un marché
de l'
emploi qui a été de plus en plus tendu tout au long des années quatre-vingt-dix.
108
Complexe qui a joué un rôle important dans d'
autres régions, que ce soit dans la Silicon
Valley ou à Toulouse et Grenoble.
109
Argument en général évoqué, à côté d'
autre facteurs, pour expliquer le choix de Grenoble
comme implantation majeure par des entreprises américaines comme HP et Sun
Microsystems, déjà présentes à Denver.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
157
Encadré n° 17. Les Siliconium à travers le monde (www.tbtf.com/ siliconia.html et ajouts
de l’auteur)
Asie-Pacifique
BILLY-CAN VALLEY
Arnhem Land, Australie du Nord (le Billy-Can est un équipement utilisé par
les "bushmen" pour faire du thé sur un feu de bois)
CYBERABAD
Hyderabad, Andhra Pradesh, Inde
INTELLIGENT ISLAND Singapour
MULTIMEDIA SUPER Au sud de Kuala Lumpur, Malaisie
CORRIDOR
SILICON FOREST
Australie de l'
est
-ISLAND
Taïwan
-OASIS
Dubaï (Parc technologique de micro et opto-électronique). Lancé en 2004.
-PLATEAU
Bangalore
-VALLEY
Bangalore (Inde), Etat de Penang (Malaisie)
-WADI
Silicon… Israël
TEKNOPOLIS
Ville de Johore, Malaisie
Europe
CWM SILICON
DSP VALLEY
Newport, Gwent, Sud du Pays de Galles (Cwm signifie Vallée en Gallois)
Autour de l'
Université de Louvain, Belgique. DSP : digital signal processing
FLANDERS LANGUAGE Entre Anvers et Bruxelles. Spécialité : la reconnaissance vocale
VALLEY
KISELSTA
SILICON ALLEY
SILICON ALPS
-BOG
-DITCH
-FEN
-GLEN
-ISLE
-PLAIN
-POLDER
-SAXONY
-SENTIER
-SPIRES
-VALAIS
SILISAÔNE VALLEY
SILGONE PLATEAU
SYLVICOLE VALLEY
TELECOM VALLEY
TREGOR VALLEY
Amériques
SILICON TUNDRA
-VAL. NORTH
-VINEYARD
TELECOM VALLEY
Etat-Unis
AUTOMATION ALLEY
BIOTECH BEACH
CYBERCHELLA VALLEY
CYBERDISTRICT
DIGITAL COAST
DIGITAL RHINE
DOT BOWL
Kista, banlieue de Stockholm , jeux de mot avec Kisel (Silicium en Suédois)
et Stad (ville)
Newcastle (R.U.)
Carinthie, Autriche
Le centre de l'
Irlande. Bog = tourbière, marais
M4 Corridor, Ouest de Londres
Cambridge. The Fens : plaines marécageuses de l'
est de l'
angleterre
Sillon Glasgow-Edimbourgh
L'
Irlande, l'
ile des TIC
Kempele, Finlande
Pays Bas
Environs de Dresde
Quartier du "sentier" à Paris, concentration de "start-up" du multimédia
Oxford. Le poète Matthew Arnold'
s décrit Oxford comme "the City of
Dreaming Spires" (spire : flèche d'
une cathédrale)
Valais, Suisse. Le jeux de mot le plus complexe de la liste.
Quartier de Vaise, à Lyon, zone d’activité dédiée aux TIC
Quartier de la Croix Rousse à Lyon, qui abrite plusieurs sociétés du
multimédia
Mimizan, dans les Landes
Lannion, Côtes d'
Armor, concentration d'
industries des télécommunications
Id.
Autour d'
Ottawa, Canada
Id.
Okanagan Valley, Colombie Britannique, Canada
Minas Gerais, Brésil
Oakland County, Michigan, près de Détroit
Orange County, Californie
Coachella Valley (Palm Springs), Californie
Boston, Massachusetts
Au sud de Ventura, Californie
Over-the-Rhine, quartier de Cincinnati, Ohio
Jeux de mot qui a couru dans la Silicon Valley lors de la crise de 2000.
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158
Regard géographique sur le paradigme numérique
Allusion au Dust Bowl des années trente.
Etat du Massachusetts
e-COAST
Portsmouth, New Hampshire
E-COUNTRY
Fairfax County, Virginie
MEDIA DEL REY
Santa Monica / Marina Del Rey, Californie
San Francisco, Californie. Sorte de Silicon Alley, siège de Wired
MULTIMEDIA GULCH
PHILICON VALLEY
Philadelphie, banlieues ouest entre Valley Forge et Wayne.
SILICON ALLEY
New York, du Flatiron District à TriBeCa
- BAYOU
Boca Raton, Florida ; Louisiane
- BEACH
Santa Barbara, Californie ;Floride
-CITY
Chicago
-DESERT
Phoenix, Arizona
-DOMINION
Etat deVirginie, appelé parfois "The Old Dominion"
-FOREST
Seattle, Washington ; Portland, Oregon
-GLACIER
Kalispel, Montana
-GULCH
San Jose, Californie ; Austin, Texas (siège de Dell)
-HILL
Hudson, Massachusetts (usine de processeurs Digital)
-HILLS
Collines à l'
ouest du centre de Austin, Texas
-HOLLOW
Oak Ridge, Tennesee
-HOLLER
Banlieues nord de Washington D.C., en Virginie. Allusion au patois local, qui
prononce "holler" au lieu de "hollow".
-ISLAND
Long Island, New York ; Alameda, Californie ; Whidbey Island, Washington
-MESA
North Albuquerque / Rio Rancho, Nouveauy Mexique
-MOUNTAIN
Mountaintop, Pennsylvanie ; Colorado Springs, Colorado
-NECKLACE
Banlieue de Boston, Massachusetts
-ORCHARD
Wenatchee Valley, Washington
-PARKWAY
Garden State Parkway, New Jersey
Id.
Autour the Merritt and Wilbur Cross Parkways, Connecticut
-PLAINS
Lincoln, Nebraska
-PLANTATION
Etat de Virginie
-PRAIRIE
Lincoln, Nebraska ; Kansas City, Missouri ; Payne County, Oklahoma
Id.
Minneapolis / St. Paul, Minnesota (siège de 3M),
Id.
Chicago, Illinois, banlieues nord et nort-ouest
Id.
Richardson, Texas ; Iowa City / Fairfield , Iowa,
Id.
Urbana/Champaign, Illinois, (siège de Cyrix)
Id.
Sioux Falls, South Dakota, berceau de Gateway
Id.
Ed Bluestein Boulevard, Austin, Texas,
-RAIN FOREST
Seattle, Washington
-RIVER
De Kansas City à St. Louis, le long du Missouri
-SANDBAR
Cape Cod, Massachusetts
-SEABOARD
Richmond, Virginie
-SNOWBANK
Area autour Minneapolis / St. Paul, Minnesota
-SWAMP
Indiantown, Perry, Floride
-TRIANGLE
Autour de Raleigh / Durham, Caroline du Nord
-TUNDRA
Autour de Minneapolis / St. Paul, Minnesota
-VAL. FORGE
Philadelphie, banlieues ouest entre Valley Forge et Wayne
-VILLAGE
North Adams, Massachusetts ; Scotts Valley, Californie
-VINEYARD
Petaluma / Santa Rosa / Napa Valley, Californie
SILICORN VALLEY
Fairfield, Iowa
TELECOM BEACH
San Diego, Californie
TELECOM CORRIDOR Richardson, Texas
TELECOM VALLEY
Catawba County, North Carolina
WEBPORT
Portland, Maine
DOT. COMMONWEALTH
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Regard géographique sur le paradigme numérique
159
4.3. L’économie numérique dans les espaces ruraux
Nous avons mentionné dans le paragraphe précédent l’existence d’une « Sylvicole
Valley » à Mimizan, dans les Landes. La présence de l’économie numérique dans
des espaces que l’on peut considérer comme périphériques représente le stade
ultime du processus de diffusion évoqué précédemment.
4.3.1. Utopie ou opportunité ?
Dans plusieurs de nos publications, nous avons exposé ce que nous appelons
l’utopie fondatrice de la problématique des TIC dans les territoires ruraux. Les
discours sur la fin des distances trouvaient là une application naturelle, dans des
régions caractérisées par l’éloignement des grands pôles économiques, et par la
faiblesse des densités (et donc les distances relatives entre les agents
économiques). Tout particulièrement, les territoires ruraux ont été imaginés comme
la terre d’élection du télétravail.
Telework has been one of the most vaunted areas of opportunities for rural areas by
European policymakers arising from the new ICTs. As with many aspects of the
Information Society to date, there has been a considerable gap between rethoric and
reality. Grimes, 1999, p.19.
Comme l'
écrit E. Malecki (2003), le point commun des territoires ruraux en matière
de développement économique est la « pénalité » engendrée par la dispersion
spatiale et l'
éloignement, tant du point de vue du marché (dispersion et éloignement
des consommateurs) que du point de vue de la ressource humaine (dispersion et
moindre qualification des collaborateurs éventuels). Les territoires ruraux ne
peuvent donc pas, ou peu, bénéficier des économies d’agglomérations qui
identifient les district numériques.
Nous n’entrerons que très brièvement dans le débat complexe sur la définition de la
ruralité et de la « périphéralité ». Les deux concepts sont éminemment subjectifs.
Inévitablement, ils renvoient à la définition de l’urbain, voire du métropolitain, objet
de débats incessants (voir les bibliographies dans Lacour & Puissant, 1999).
Le concept de ruralité est lourd de contenus culturels et identitaires. Il englobe bien
des villes, petites ou moyennes (voir Les campagnes et leurs villes, INRA-INSEE,
1999). Les seuils, pour autant qu’ils existent, varient considérablement d’un pays à
l’autre. Aux Etats-Unis, le rural se définit principalement par le « non métropolitain »
(la MSA ou Metropolitan Statistical Area doit comporter au moins une agglomération
de 50 000 habitants). Mais le principe du découpage par comtés biaise l’analyse,
car les metros englobent parfois de larges espaces qui relèvent, dans les faits, de la
ruralité (www.census.gov/population/www/estimates/aboutmetro.html). En France,
une ville de 50 000 voire 100 000 habitant peut se définir comme chef-lieu d’un
département rural, ce qui correspont à une réalité socio-économique radicalement
différente de celle d’une « edge city », même plus petite. Villages, bourgs et villes
moyennes de la région lyonnaise renvoient à une autre réalité, à population égale,
que ceux du Limousin. Pourtant, il y a quelque part de la ruralité, à 50 km du centre
de Lyon.
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160
Regard géographique sur le paradigme numérique
Le concept de périphéralité est encore plus relatif. Il renvoit à des notions de
pouvoir, de commandement. Pour un secteur d’activité donné, une grande ville peut
être un lieu périphérique, et une petite ville un lieu central. Comme nous l’avons
écrit précédemment, Grenoble est un lieu central pour les nano-technologies, à
l’échelle mondiale. Mais un lieu tout à fait périphérique pour une agence de publicité
ou un cabinet d’avocat d’affaire, même à l’échelle régionale.
Il faudrait aussi envisager l’échelle intra-urbaine. Certains quartiers ou banlieues dits
« défavorisés » sont aussi périphériques, voire plus, que des territoires ruraux dits
parfois « intégrés ». Pour une entreprise de haute technologie, ou du multimédia,
une implantation à Lens ou à Valenciennes peut représenter un défi géographique
aussi compliqué qu’une localisation sur le plateau du Larzac.110 Gardons ces
réflexions à l’esprit, à titre de précaution.
La réalité de l’économie numérique dans les territoires ruraux, comme le sousentend S. Grimes est bien en deçà des discours utopique de la fin des années
quatre-vingt-dix. Mais elle existe, et mérite qu’on s’y arrête.
La problématique de l’économie numérique en milieu rural
Dans le projet de recherche que nous avions proposé en 2000 à la Chambre de
Commerce de la Drôme, nous avions souligné l’intérêt présenté par les métiers de
l’économie numérique pour certains territoires ruraux, dans une logique de
développement durable. Toutes choses égales par ailleurs, le développement
territorial est une question d’équilibre et de complémentarité entre les secteurs
économiques. Dans un contexte où l’agriculture ne crée plus d’emplois, où la charge
touristique arrive parfois à saturation, la création de PME exportatrices dans le
secteurs des services peut offrir un complément d’activité intéressant. S’il est
parfaitement utopique de vouloir installer des Silicon Valleys à la campagne, notre
thèse est que des entreprises de l’économie numériques et créative, au sens large,
peuvent y prendre leur place au côté des autres activités.
Cette perspective de développement repose sur trois facteurs :
les possibilités offertes par la technologie, largement développées dans le
chapitre 2, qui autorisent un travail distant effectif ;
l’émergence des métiers de la convergence numérique, et les tendances
organisationnelles de la nouvelle économie (cycle de production étendu,
entreprise en réseau), qui multiplient les opportunités de travail pour les PME,
notamment par l’intermédiaire de la sous-traitance ;
l’engouement dont bénéficie la ruralité, complémentaire de ce que J. Kotkin
(2000) appelle l’anti-urban impulse.
De fait, des membres de la « classe créative » (Florida) travaillent en dehors des
métropoles, tout en restant en lien avec la nouvelle économie mondialisée, grâce
aux réseaux de télécommunication. Une partie de nos travaux sur la question
visaient à mieux apprécier et comprendre ce phénomène, dont la quantification
précise demeure un défi, et une piste de recherche pour l’avenir. Grimes (1999,
2003) souligne la faiblesse des analyses empiriques sur la question. L’identification
des entreprises rurales de l‘économie numérique comporte de sérieuses difficultés :
absence de code NAF spécifiques, tissu mouvant de très petites entreprises,
volonté de certains professionnels de rester dans l’anonymat.
110
Notamment du fait d’une adresse dévalorisante pour l’image.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
161
4.3.2. “Lone Eagles” et “High Fliers”
Notre intérêt pour les entreprises rurales de services dans les métiers de
l’information provient d’une rencontre en 1998 avec le gérant de la société JCBA
Programme, installée à Mirabel aux Baronnies, en Drôme provençale. L’entreprise,
spécialisée dans la supervision de réseau à distance, employait 8 personnes,
recrutées et formées localement, avec un siège administratif à Paris, relié par liaison
spécialisée Transfix (France Télécom). Cet exemple posait les principes
élémentaires du genre, qui furent confirmés par maints exemples ultérieurs :
l’origine urbaine de l’entreprise ;
la nécessité de maintenir une antenne administrative et commerciale en
milieu urbain ;
le problème essentiel de la main d’œuvre ;
le rôle des télécommunications ;
le rôle de l’environnement et du cadre de vie ;
l’insertion dans le milieu local.
La disparition progressive de l’activité de l’entreprise, vers 2000, posait aussi le
problème de la viabilité sur le long terme de ce modèle économique.
Aujourd’hui, la société ardéchoise SITEPILOT (7 personnes), pionnière en 2002 de
l’accès à Internet par liaison satellite bi-directionnelle, résume bien ces
problématiques essentielles :
Entreprise de communication multimédia, Sitepilot intègre une synergie de
compétences en communication, design graphique, édition, animation, technologie
Internet, CD-rom, outils informatiques, base de données.
Fondée en 1998, la société a pris la décision de venir s’implanter dans le sud de
l’Ardèche, à Saint-André-de-Cruzières, 430 habitants, en utilisant le réseau Internet
pour poursuivre le développement de son activité auprès de ses clients parisiens. Cette
situation géographique a permis à Sitepilot de se différencier à travers une qualité de
vie bien comprise par sa clientèle.
Même si elle a établi son siège social à Montpellier, l’entreprise emploie 4 personnes
sur son site principal en Ardèche, une sur son site de Rennes (Sitepilot Ingénierie) et
fait appel au service de deux graphistes freelance et d’un agent commercial.
La démarche de SITEPILOT est assez exemplaire du modèle que voudraient voir se
multiplier les territoires ruraux. En effet, le développement des activités tertiaires, des
téléservices, des travailleurs nomades et plus largement des nouveaux emplois induits
par le développement de la société de l’information, représentent un espoir fort de
redynamisation des territoires délaissés par l’agriculture et l’industrie… à condition de
pouvoir compter sur des réseaux de télécommunications performants.
www.sitepilot.fr/v3/pdf/Dossier-de-presse4.pdf
Parmi les travaux de recherche pionniers, on peut mentionner celui de Beyers &
Lyndal (1996), qui ont réalisé une enquête auprès de 240 sociétés de services aux
entreprises. Beyers & Lyndal distinguent les « Lone Eagles » ou entreprises
individuelles (ex. : télétravailleurs isolés), et les « High Flyers », qui possèdent au
moins un employé. Les auteurs s’intéressent surtout aux entreprises exportatrices,
qui réalisent au moins 40 % de leurs ventes à l’extérieur de leur marché local (dont
le périmètre n’est pas précisé dans l’article). Ce concept est voisin de celui du
« traded cluster » défini par M. Porter : l’entreprise rurale a un potentiel de
croissance et des effets induits plus grand si elle peut prendre des parts de marché
aux entreprises localisées dans les aires métropolitaines, au lieu de se contenter de
servir une clientèle locale dont les budgets sont, par définition, limités.
Dans les études que nous avons réalisées sur la question (Moriset, 2000, 2003-a),
nous nous sommes appuyés sur trois séries de données : un fichier de 500
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162
Regard géographique sur le paradigme numérique
entreprises rurales rhône-alpines111, dont 127 avaient répondu à une enquête
téléphonique, une série de 52 entreprises de la Drôme provençale rencontrées en
interview directe, et les avis de 92 dirigeants d’entreprises lyonnaises du secteur
des TIC, interrogés sur l’opportunité d’une localisation rurale pour tout ou partie de
leur activité (un tiers des personnes interrogées y serait favorable, cf. encadré n°
18).
Les secteurs d’activités concernés
Les entreprises rurales sont susceptibles de travailler dans tous les domaines de
l’économie cognitive pour lesquels le produit final est insensible aux coûts de
transport parce que délivrable par télécommunications. Quatre catégories de
métiers dominent : l’informatique (logiciel), le télé-secrétariat, la traduction, le
multimédia ou la communication d’entreprise (Web design, graphisme). Mais on
peut trouver des exemples épars dans l’architecture, l’expertise comptable, le
conseil juridique, l‘édition… L’étude lyonnaise a montré que les entreprises du
secteur créatif (contenu multimédia) étaient plus enclines à délocaliser leurs
activités à la campagne que celles qui sont dans la technologie pure.
La plupart des sociétés sont de petites structures spécialisées, surtout dans le
secrétariat et la traduction. Mais il existe aussi des « outsourcers » généralistes,
comme KITE Ltd. (Kinawley Integrated Teleworking Enterprise). L’entreprise a été
fondée en 1993 à Kilawney, un village de 300 habitants dans le Comté de
Fermanagh, en Irlande du Nord. C’est la région la plus périphérique du pays, à 136
km au sud de Belfast, avec un densité de 29 hab./km2 (www.fermanagh.gov.uk ). Le
tableau n° 20 présente les services offerts par KITE, avec 20 permanents sur le site,
30 télétravailleurs distants, et 50 collaborateurs occasionnels dans le monde. A son
échelle, il apparaît donc que la société est un entreprise en réseau, et même une
entreprise étendue, telle que nous les avons définies précédemment.
Tableau n° 20. Les services offerts par un "outsourcer" rural : KITE Ltd.
Services financiers
Organisation d'
événements
Toutes formation en NTIC
Saisie de données
Gestion de bases de données
Mise en forme de documents
Web design,
Gestion et maintenance de sites Web
PAO / DAO
Marketing électronique
Secrétariat médical
Gestion des salaires et comptabilité
Rédaction et mise en page de rapport
Recherche et sondages téléphoniques
Traduction
Relecture d'
épreuves
Veille électronique
Consultant en informatique et télétravail
Avantages et inconvénients : qualité de vie vs isolement technico-commercial
La qualité de la vie, la modestie des coûts (personnels et professionnels), sont de
loin les premiers facteurs d’attractivité du modèle. Toutes choses égales par
ailleurs, le même chiffre d’affaire assure à l’entrepreneur un meilleur niveau de vie
en Ardèche qu’à Paris. Mais il faut rappeler que cette notion de « qualité de vie »
(calme, nature…) est largement subjective. L’aventure de l’entreprise rurale de
111
Nous avions choisi comme définition du rural un seuil arbitraire de 20 000 habitants pour
l’unité urbaine, qui semblait satisfaisant pour Rhône-Alpes. On aurait pu utiliser le zonage en
aires urbaines de l’INSEE (espace à dominante rurale). Ce qui aurait eu pour inconvénient
d’exclure des petits pôles urbains (Annonay, Aubenas, Privas) qui relèvent à notre avis
d’une problématique rurale, surtout lorsqu’on parle d’activités économiques fortement
« métropolisées ».
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Regard géographique sur le paradigme numérique
163
services est réservée à des « candidats très motivés » qui sont prêts à se passer pour eux-même, et plus encore pour leurs enfants - des biens et services rares en
matière de commerce, de loisirs, d’éducation ou de culture, qui caractérisent la
grande ville.
Certains critères sont ambigus, peuvent être des atouts ou des handicaps, en
fonction des circonstances. Ainsi, comme l’affirme le manifeste de la société
SitePilot, le cadre de vie rural peut véhiculer une image positive pour les métiers à
dimension créative, voire artistique (graphisme, Web design), mais nous avons
recueilli des témoignages qui vont dans le sens contraire : une adresse rurale,
parfois, « ne fait pas sérieux ».
Les difficultés sont toutefois nombreuses. Les personnes enquêtées ont plusieurs
fois souligné l’incompréhension, voire l’hostilité de la société locale et des
collectivités, qui ne comprenaient pas leur activité (« on nous prenait pour des extraterrestres »). Ce phénomène s’est probablement atténué depuis 1999. L’isolement
technique et commercial est certainement le handicap le plus important. Ces
entreprises ne peuvent pas bénéficier des synergies propres aux milieux d’affaire de
la grande ville, des assymétries informationnelles qu’entraîne le « bruissement »
issu des différents réseaux sources d’information, formels ou informels (les
« déjeuners en ville »). Certains entrepreneurs ont convenu être victimes d’une
forme d’obsolescence de leurs compétences. Les entreprises lyonnaises opposées
au concept évoquent les nécessités d’un brain storming permanent pour justifier
leurs réticences.
Le recrutement est également problématique, et peut handicaper la croissance de
l’entreprise (c’est un des problèmes majeurs de l’entreprise rurale en général :
l’étroitesse des bassins d’emploi rend très aléatoire le double emploi au sein du
couple).
Le problème immobilier peut se poser dans les régions rurales les plus attractives,
comme la Drôme, où le marché de l’immobilier est tiré vers le haut par le
phénomène des résidences secondaires, alors que le marché des bureaux est
pratiquement inexistant.
On comprend que ces difficultés dépendent du type d’espace rural considéré, les
territoires les plus attractifs et les mieux desservis étant aussi les plus convoités par
les autres formes d’utilisation de l’espace bâti ou à bâtir.
Le dernier écueil, enfin, est celui de l’accès aux télécommunications performantes,
et surtout aux réseaux à haut débit. Le problème se posait surtout au tout début de
a décennie, avant la diffusion spatiale de l’ADSL (qui couvre maintenant la plupart
des bourgs ruraux). Aujourd’hui, les solutions alternatives de type satellitales
s’offrent aux entreprises du rural dit « périphérique ».
Les facteurs de succès : l’entreprise en réseau !
Une conclusion qui émerge de l’analyse empirique est que les règles qui
s’appliquent à la micro-entreprise rurale, pour qu’elle puisse profiter du contexte
créé par l’affirmation de l’économie numérique, sont les mêmes que celles qui
prévalent pour les grands groupes d’échelle mondiale, à savoir l’inscription dans les
réseaux informationnels qui constitue le cycle de production étendu et la division
spatiale du travail. KITE Ltd., nous l’avons vu, fonctionne en réseau. La société
ATEK, situé au cœur des Baronnies, dans ce que l’INSEE appelle du « rural
périphérique » faisait réaliser sa permanence téléphonique par une micro-société
ardéchoise, et sa comptabilité par une entreprise de Gap (Haute-Alpes). SITEPILOT
(sept personnes) est présente en Ardèche, à Montpellier et à Rennes. Parmi les
entreprises lyonnaises que nous avons interrogé sur les perspectives offertes par
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164
Regard géographique sur le paradigme numérique
des opérations en territoire rural, plusieurs ont répondu qu’elles utilisaient déjà les
services de graphistes ou de programmeurs free lance localisés « à la campagne ».
En tout état de cause, notre conclusion sur ce sujet sera très nuancée. Des
possibilités existent pour un développement de ce type d’activité, surtout en soustraitance. Ces entreprises sont intéressantes par leurs effets induits : en tant
qu’activités « exportatrices », leurs effets d’entraînement ne sont pas à négliger.
Mais elles ne représenteront jamais qu’un appoint aux autres activités
économiques. Comme l’écrit E. Malecki (2003, p. 212), le frein à ce genre de
développements n’est pas technologique, mais bien plus social et humain (« rural
development is wrapped up in human capital, it is far more than a relatively simple
infrastructure supply issue »).
Aussi la question de l’économie numérique dans les territoires ruraux est-elle à
considérer globalement, en prenant en compte la question de l’éducation, les
synergies avec les autres secteurs de l’économie (tourisme, industrie), la relation
avec les collectivités locales. Techniquement et économiquement, les conditions
sont réunies pour que la « classe créative » puisse exercer ses talents « à la
campagne ». Dans certains cas, cela prend l’aspect d’un retour à la nature, une
nouvelle version post-soixante-huitarde de « l’élevage de chèvres en Ardèche ».
Mais le plus souvent, il s’agit du classique « vivre et travailler au pays ». Auquel il
faut ajouter des expériences de télétravail saisonnier dont il est difficile de mesurer
l’importance statistique.
Reste le cas des centres d’appels et de saisie de données, que nous avons placés
à part, car ils ne relèvent que peu d’une économie de la créativité, mais constituent
des formes très tayloriennes de la nouvelle économie, ce en quoi ils rejoignent les
ateliers textiles qu’ils ont, parfois, remplacé112. L’implantation de Transcom
Worldwide à Raon-l’Etape et à Tulle semble un exemple tout à fait pertinent. Attirés
par des coûts immobiliers et salariaux faibles, par les promesses d’un recrutement
aisé, notamment féminin, les centres d’appel offrent des faibles perspectives de
carrière.
La leçon qu’il faut tirer de ce phénomène est la même que celle apportée par
l’exemple de télétravailleurs ou de start-ups du secteur créatif : ces formes de
« ruralisation » montrent les capacités de l’économie numérique et de ses acteurs à
profiter pleinement des ressources offertes par les territoires, dans le cadre d’une
fine division spatiale du travail.
112
Nous avons eu l‘occasion de visiter un centre de traitement des chèques à St-Laurent de
Neste, dans les Hautes Pyrénées. Le rythme de travail est impresionnant. Ces tâches
répétitives (saisie de données) sont de plus en plus délocalisées dans les pays en voie de
développement.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
165
Encadré n° 18. Pour ou contre une implantation rurale ? Des dirigeants d’entreprises
lyonnaises du secteur des TIC donnent leur avis (source : Moriset 2001
– enquête Sacha Lafaurie)
Favorable
On peut être placé n'
importe où, pourvu que l'
on ait une bonne connexion.
Les créatifs préfèrent la campagne.
On le pratique déjà, notre développeur est à la campagne en Ardèche.
Oui pour la production avec un pilotage de 20% en ville.
On pourrait ne faire que le conseil en ville et la production à la campagne.
Pourquoi pas le développement, qu'
il est vrai on sous-traite quelque fois.
Pour le cadre de travail, et dans les Alpes il y a le haut débit.
Le cadre de vie serait meilleur et influe sur la performance, du moment qu'
il y a
une bonne connexion.
Pourquoi pas, ce serait pour la capacité à trouver des compétences ailleurs, le
prix des logements et autres avantages fiscaux.
Le cadre de vie, de plus on a la capacité de le faire, les infographistes que l'
on
sous-traitent le font aussi. Le tout, c'
est qu'
il faut un très très bon tuyau.
Du moment que l'
on a une connexion, pas de problèmes. De plus, à terme, cela
risque de devenir indispensable, pour la simple et unique raison que les coûts
financiers de la ville deviennent si importants qu'
il sera plus intéressant de se
déplacer vers la ville (où l'
on aura laissé le commercial) que d'
y avoir la
production. Les coûts des charges fixes étant bien plus intéressants à la
campagne. Le seul inconvénient est de trouver les personnes qui voudraient
partir car la main d'
oeuvre locale, si elle peut être compétente, n'
est pas
importante.
Défavorable
Une équipe fonctionne grace à une dynamique d'
ensemble.
Ce n'
est pas dans les objectifs de l'
équipe qui préfère les séances de
Brainstorming.
Car le personnel forme une équipe et ne peut pas travailler sans cette synergie
que forme le personnel. Le contact humain ne se remplacera jamais.
On pourrait croire que ce serait une bonne chose pour l'
infographiste qui
demandeun meilleur calme, or on se rend compte qu'
ils ne sont pas si solitaires
que celaet que l'
on apprend toujours beaucoup des uns et des autres.
Je n'
aurais plus personne. Le personnel du secteur est très urbain.
Il faudrait changer le personnel, et puis ce sont des citadins.
En rase campagne il faut du personnel qualifié et du réseauce qui n'
est pas
chose mince. La proximité aussi fait défaut. Je pratique moi même le télétravail,
je suis pour, uniquement occasionnellement, mais je pense que le point de
pilotage et de travail doit être en ville.
A cause des tuyaux et pour les employés
On a quand même besoin des noeuds de télécommunications. On a des
objectifs réels et en rural ce n'
est pas terrible.
Il faut la ligne à haut débit pour relier le POP.
On a toujours besoin d'
aller voir les clients, en revanche on a déjà essayé dans
le Beaujolais et les clients potentiels fuyaient dès qu'
on leur disait où l'
on était.
Oui pour la production, mais pas pour les commerciaux.
Pour les parisiens, on est déjà des provinciaux de seconde zone, alors imaginez
de quoi on avait l'
air lorsqu'
on était à l'
Isle d'
Abeau !
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166
Regard géographique sur le paradigme numérique
Conclusion
La géographie de l’économie numérique propose au géographe un phénomène
majeur de diffusion spatiale, comme le développait The Economist (19 juillet 2003)
sous le titre The New Geography of the IT Industry. Cette diffusion s’opère aussi
bien sur le plan objectif des faits économiques que sur celui des discours de
marketing territorial.
La numérisation de l’économie, la division spatiale du travail au sein du cycle de
production étendu, expliquent pour une part la multiplication de nouveaux pôles
d’activité numériques, au sein d’un phénomène global de mondialisation. Grâce à
l’utilisation des TIC elles-même, le phénomène de diffusion atteint un grand degré
de finesse, puisque même les espaces ruraux périphériques sont dans une certaine
mesure concernés par la démarche individuelle de tel ou tel entrepreneur.
Dans un contexte technologique et financier très mouvant, à la lumière des crises
qui peuvent se produire aussi bien en Californie qu’en Bretagne (déroute de la
« Télécom Valley » ou « Tregor Valley »), plusieurs questions majeures peuvent
être posées, qui peuvent constituer autant d’incitations à des investigations
supplémentaires :
le concept de district numérique « mono-industriel » est-il viable à long terme ?
va-t-on vers des phénomènes de dilution de l’activité au sein d’ensembles
métropolitains au tissu économique plus diversifié ?
combien de ces districts atteignent la masse critique susceptible d’assurer leur
survie à long terme ?
Pour proposer un début de réponse à ces questions, il faut d’abord considérer
l’économie numérique dans sa variété : activités sophistiquées de recherche,
activités plus routinières de montage et de fabrication, services créatifs liés au
contenu, services courants (support client) ou services supérieurs pour lesquels les
TIC ne sont qu’un outil (finance). Une typologie « floue » des espaces de l’économie
numérique en trois sous-ensemble peut être raisonnablement proposée, qui
distinguerait :
un petit nombre de districts de conception et de recherche en haute technologie
fondés sur des pôles forts de l’enseignement supérieur et de la recherche
publique ou privée, où la masse critique est suffisante pour espérer une
pérennisation de l’activité (que ce soit à Palo Alto, Grenoble ou Bangalore) ;
dans certains cas, les externalités positives et les effets d’agglomération sont
suffisamment forts pour compenser l’insuffisance de l’entrepeneuriat et du
capital local, en permettant un flux permanent d’investissement de la part des
groupes extérieurs, qui y voient une sorte de point de présence obligé ;
les métropoles d’affaire et de services supérieurs, où se concentrent les activités
de contenu (multimédia) ainsi que l’innovation dans les applications au tertiaire
supérieur (plateformes électroniques, progiciels) ; ces métropoles sont
considérée comme offrant aux entreprises et aux individus une sorte de garantie
« assurancielle » par l’importance d’un marché local, la présence d’un
entrepreneuriat, de capitaux et d’activités directionnelles ;
les espaces d’éxécution : usines de montage et de gravure, composants,
centres d’appel, matériels de télécommunications.
C’est dans cette dernière catégorie que se trouvent beaucoup de Siliconium
extrêmement fragiles, parce qu’il ne reposent pas, à la différence des deux
premières catégories, sur une forte concentration de capital intellectuel ou financier.
Une des conclusions que nous avions proposé dans notre article sur l’émergence
des activités liées aux TIC dans l’agglomération lyonnaise, était l’extrême inertie des
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Regard géographique sur le paradigme numérique
167
structures sociales et économique, mais aussi spatiales et donc territoriales, qui
conditionnent les facultés d’adaptation d’une région ou d’une ville aux changements
économiques. Sous l’apparence de phénomènes de déclin et de reclassement, les
changements dans le temps long dans la hiérarchie des villes et des régions sont
extrêmement faibles du fait de l’inertie de ces structures, et ce dans tous les pays.
Ainsi, en Europe, on remarque que les bassins d’emplois hérités de la « première
révolution industrielle », lorsqu’ils n’étaient pas structurés autour d’une vielle
métropole marchande ou princière (donc disposant du capital financier et/ou
culturel), n’ont jamais réussi à occuper des positions pouvant être durables dans la
« nouvelle économie ». C’est toute l’opposition entre Lille d’une part, qui s’est
largement reconvertie à l’économie numérique, et les villes du Bassin Houiller
d’autre part, qui peinent à le faire. De fait, la numérisation de l’économie n’a que
faiblement bouleversé la hiérarchie des « villes donneuses d’ordre ». D’autre part,
comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, ces villes marchandes ou
« gouvernantes » étaient toutes situées sur des grandes voies de passage, qui,
pour avoir bénéficié de la création des grandes infrastructures de transport, ont
accueilli le plus précocement les fameuses « autoroutes de l’information ».
Incontestablement,
la
numérisation
de
l’économie,
les
phénomènes
d’agglomération, tout comme le phénomène dit de la « destruction créatrice »,
participent à l’accroissement de certains clivages, qui sont d’abord sociaux, et
parfois spatiaux. Mais lorsque clivage il y a, c’est le plus souvent un clivage flou. Il
n’y a pas de gradient brutal entre, d’une part des métropoles ou des districts
numériques (ou créatifs, ou high tech…), de l’autre des « déserts numériques ». Par
exemple, de nombreuses entreprises ont fui la Silicon Valley pendant le gonflement
de la « bulle Internet », pour aller s’installer dans de très nombreuses villes, petites
ou grandes. A l’extrémité de l’échelle, les espaces ruraux, comme l’écrit E. Malecki
(2003), sont à leur manière numériques.
Comment les institutions publiques qui sont en charge du destin collectif des
territoires réagissent-elles avec ces inerties structurelles, avec ces dynamiques
dominantes ? Poser de cette manière la question des politiques publiques liées aux
TIC est un peu abrupt bien sûr. Car il n’y pas un « donné » résultant des initiatives
privées, auquel serait confronté, ensuite, une politique publique, mais bien une
interaction systémique permanente entre les acteurs privés et publics (sans laquelle
le concept de technopôle, par exemple, ne saurait se concevoir).
Il n’en reste pas moins que les responsables politiques, dans une démocratie, sont
confrontés à une série de « moments » privilégiés, qui coïncident par exemple avec
l’émergence d’une nouvelle technologie. Avec l’irruption médiatique du paradigme
numérique, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, dans tous les pays
développés et au delà, il n’y a guère de responsable politique qui ne se soit pas
posé la question à un moment ou à un autre : qu’est ce que l’on pourrait faire avec
çà pour administrer, gérer, aménager le territoire. Ce qui les conduit à légiférer, à
lancer des projets, qu’il ne vont pas conduire seuls, mais en partenariat avec une
multitude d’acteurs, publics ou privés. Ceci pose donc le problème de la capacité
collective des territoires à agir sur leur destin, dans le contexte d’une mondialisation
qui n’est pas, comme on le croit généralement, une cause inévitable, mais un
paradigme englobant un faisceau de phénomènes contingents qui trouvent aussi
leurs origines dans le « local » (Yeung, 2002)113.
113
Limits to globalization theory: a geographic perspective on global economic change.
Economic Geography, vol. 78, n° 3.
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168
Regard géographique sur le paradigme numérique
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Regard géographique sur le paradigme numérique
169
Chapitre 5. Les technologies numériques dans les
politiques de développement et d’aménagement
des territoires
Ce terrain miné par tant d'
illusions et de désillusions accumulées depuis une vingtaine
d'
années. Musso, 1994, p. 15.
Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre introductif, le paradigme numérique
est devenu un thème majeur des politiques d’aménagement du territoire, en actes et
en discours. La question est complexe, pour plusieurs raisons :
elle met en jeu toutes les échelles géographiques de réflexion et d’action ;
elle touche à la plupart des aspects de la société ;
elle a fait l’ojet d’une énorme littérature scientifique et politico médiatique (sans
que la distinction entre les deux soit toujours claire) ;
elle mélange, d’une part, les aspects discursifs et idéologiques, d’autre part, les
actions concrêtes et objectivables ;
elle se prète à la confusion des genres scientifiques, avec le risque d’oublier
toute problématique géographique. Nous reviendrons sur ce point.
Pour structurer l’analyse, nous avons choisi d’utiliser un concept clé, le projet
stratégique de territoire, dit « territoire numérique » (section 1) Au sein de ces
projets, nous avons privilégié deux domaines d’action, qui nous semblent d’une forte
prégnance pour le géographe : la question des aménagements d’infrastructures de
télécommunication (section 2), et l’émergence d’un urbanisme des TIC (section 3).
5.1. Le territoire numérique : utopie ou projet stratégique ?
5.1.1. Une littérature considérable
Les TIC sont apparus depuis une demi-décennie comme l’outil de promotion et de
mise en œuvre d’une démarche stratégique de développement territorial, qui est en
général déclinée sous les expressions de « territoire numérique », « territoire
intelligent », « smart community » ou « smart city».
L’abondance de la bibliographie sur le sujet témoigne de la fascination que ces
expériences ont exercé sur les ob02
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06
Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected]
170
Regard géographique sur le paradigme numérique
1999). La relation entre l’Internet et l’espace public a fait l’objet d’un numéro entier
de Géographie et Cultures (2003, n° 46). L’utilisation des systèmes d’information
géographique et des systèmes de visualisation 3D dans la gestion et la planification
urbaine pourrait faire l’objet d’un volume entier (Roche, 1999 ; Dodge, Doyle, Smith
et Fleetwood, 2000).
Les espaces ruraux, que nous avons étudié d’assez près entre 1998 et 2001
(Moriset 2000-a, 2000-c), ne sont pas en reste dans ces dynamiques, et ont fait
l’objet également d’une abondante littérature (Bryden et al., 1996, Grimes, 1999 ;
Richardson et Gillespie, 2000 ; Richardson 2002…). Mais le thème du territoire
intelligent est moins prégnant dans les espaces ruraux, qui apparaissent moins
construits, moins artificialisés que les espaces urbains. Si les éléments factuels de
l’aménagement dit « numérique » sont pratiquement les mêmes, toutes proportions
gardées, les mythes et les discours diffèrent notablement. D’un côté, c’est le thème
de la gestion et de la régulation (technique, économique, sociétale) du système
urbain qui l’emporte, de l’autre, c’est celui du désenclavement du territoire.
Le reproche que l’on peut faire à une partie de la littérature scientifique sur ces
questions, est de manquer de distance vis-à-vis des discours politico-médiatiques,
sinon sur le fond, tout au moins sur la forme, ne serait-ce que dans les titres des
ouvrages, qui ne permettent pas de faire la distinction entre le territoire numérique
des élus, celui de la DATAR, celui des journalistes, celui des universitaires. Lorsque
N. Komninos titre « Intelligent City » un ouvrage consacré, en fait, à la géographie
des pôles d’innovation, il s’inscrit dans un mythe qu’il contribue, en retour, à nourrir.
En rassemblant des éléments empiriques bien réels, mais épars, les ouvrages sur la
« ville numérique » procèdent à un jeu de déconstruction-reconstruction, qui aboutit
à faire croire à l’existence de cette ville numérique. Le contenu de l’ouvrage de W.
Mitchell City of Bits (encadré n° 19) appelle ainsi quelques commentaires. Il
considère la ville comme une globalité, la signification du mot « city » étant plus
proche de la « cité » antique que de la « ville » au sens français. W. Mitchell
considère l’ensemble des aspects socio-spatiaux du paradigme numérique, pour
aboutir à la même vision futuriste que celle décrite par N. Negroponte dans Being
Digital. On pourrait croire à l’existence d’une ville de science fiction. Mais qu’en est-il
de la ville réelle ?
La littérature des chercheurs est le reflet d’un discours politico-médiatique dont
l’ampleur peut être mesurée sur un moteur de recherche comme Google. Les
entrées « territoire numérique » et « ville numérique » (4 juillet 2004) donnent
respectivement 1160 et 3510 pages trouvées. Les résultats en Anglais sont
beaucoup plus importants : « cybercity » fournit 340 000 pages, « digital city » en
donne 409 000.
L’examen des premières références montre la polysémie des termes. Dans de
nombreux cas, la ville numérique, et plus encore la « digital city » ne désigne rien
d’autre qu’un site portail d’information et de communication territoriale. Dans d’autre
cas, l’expression désigne la branche « TIC » de politiques nationales ou locales ou
de programmes d’aménagement d’ampleurs diverses, que l’on va trouver présentés
sous ce label dans la presse, dans des plaquettes de communication, et,
évidemment, sur le Web.
Cette inflation de discours rend l’analyse complexe à mettre en œuvre, car toutes
les combinaisons existent entre réalité et fiction : certains territoires où il ne se
passe rien s’autoproclament « numériques », alors que d’autres sont très actifs dans
les faits, mais leurs élus ne ressentent pas le besoin d’en faire un thème majeur de
communication.
Comment trouver une clé d’analyse dans ce fourre-tout, où se mélangent les
discours les plus utopique et les actions d’aménagement les plus pragmatiques et
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Regard géographique sur le paradigme numérique
171
les plus classiques, aux échelles les plus diverses ? Comment faire la différence,
derrière les termes de « territoire numérique » ou de digital city entre un simple
portail municipal et un programme d’aménagement « en chair et en os » de
plusieurs milliards d’Euros ? Comment faire la part du géographe, alors que le
paradigme numérique a envahi tous les domaines de la société ?
Quelques références « Ville numérique » et « Territoire numérique » (extraits de
google.com, par ordre d’apparition, 4 juillet 2004) :
Meylan ville numérique … Meylan ville Internet …
Parthenay, ville numérique de référence
Le Programme PARVI : Paris, Ville numérique
Ville de Tourcoing … Une ville numérique pour tous
Le site de la ville de Faches... ville numérique pour tous. ...
Rosny-sous-bois : Rosny ville Numérique … Internet sur la prise électrique
Le Site Officiel de la Ville d'
Anglet …Anglet confirme son label @@@
Multimédiaville - 29 juin 2000 / La ville numérique pour tous
Beauvais ville numérique
Ville de Chambly - France : Ch@mbly ville numérique –
L'
association « Agen Territoire Numérique »
Région Guyane, Territoire Numérique...
France Telecom - Développer le territoire numérique
La France, territoire numérique.
Projet « Alsace, territoire numérique de l’image »
Le territoire numérique éducatif ...
114
Avec Vikman , la Région dessine un territoire numérique
Nantes … dans une logique de constitution d’un véritable territoire numérique
Faire du Pays basque un territoire numérique
Aménageurs du Territoire Numérique de la Drôme sud
Aménagement du territoire numérique …vers l'
e-citoyen attitude
Entreprendre dans le Grand Lyon … territoire numérique
114
Boucle à haut débit de la région Basse Normandie.
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172
Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 19. La cité numérique (City of Bits) selon W. Mitchell
(http://mitpress2.mit.edu/e-books/City_of_Bits/index.html)
1. Pulling Glass
3. Cyborg Citizens
2. Electronic Agoras
Vitruvian Man / Lawnmower Man
Nervous System / Bodynet
Eyes / Television
Ears / Telephony
Muscles / Actuators
Hands / Telemanipulators
Brains / Artificial Intelligence
Being There
Spatial / Antispatial
Corporeal / Incorporeal
Focused / Fragmented
Synchronous / Asynchronous
Narrowband / Broadband
Voyeurism / Engagement
Contiguous / Connected
Bit City
4. Recombinant Architecture
5. Soft Cities
Facade / Interface
Bookstores / Bitstores
Stacks / Servers
Galleries / Virtual Museums
Theaters / Entertainment Infrastructure
Schoolhouses / Virtual Campuses
Hospitals / Telemedicine
Prisons / Electronic Supervision
Programs
Banking Chambers / ATMs
Trading Floors / Electronic Trading
Systems
Department Stores / Electronic Shopping
Malls
Work / Net-Work
At Home / @Home
Decomposition / Recombination
Programmable Places
Real Estate / Cyberspace
Wild West / Electronic Frontier
Human Laws / Coded Conditionals
Face-to-Face / Interface
On the Spot / On the Net
Street Networks / World Wide Web
Neighborhoods / MUDs
Enclosure / Encryption
Public Space / Public Access
Being There / Getting Connected
Community Customs / Network Norms
Nolli and the Net
6. Bit Biz
7. Getting to the good bits
Economics 101 / Economics 0 and 1
Tangible Goods / Intellectual Property
Moving Material / Processing Bits
Physical Transactions / Electronic
Exchanges
Bank Notes / Electronic Cash
Helots / Agents
Jurisdictions / Logical Limits
Territory / Topology
Electoral Politics / Electronic Polls
Banishment / Sysop Blacklist
Surveillance / Electronic Panopticon
The Political Economy of Cyberspace
1835: Pre-Industrial Settlements
1956: The Commuter City
1994: Telepresence
AD 2K: The Bitsphere
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Regard géographique sur le paradigme numérique
173
5.1.2. Le projet stratégique, un concept clé pour l’analyse
géographique des politiques publiques dans le secteur des TIC
L’étude des politiques liées aux TIC pose, d’abord, un problème de confusion des
genres, que nous avons déjà exposé en préalable méthodologique dans le
paragraphe introductif de ce mémoire. Car les TIC sont partout, et il est malaisé de
dissocier les éléments de la trilogie « Infrastructures - Services – Usages ». En
s’aventurant dans les innombrables aspects d’une « société de l’information » ou
d’une « société numérique », on perd trop fréquemment de vue les aspects
spatiaux, et donc territoriaux. Le problème se pose aussi bien pour les acteurs qui
ont déployé les projets sur le terrain, que pour les chercheurs qui les ont étudiés.
En quoi le cartable électronique, ou la feuille d’impôts par Internet, intéressent-ils le
géographe ? Du point de vue factuel, la question est la plupart du temps sans intérêt
spatial ou territorial. Sauf à démontrer empiriquement que ces pratiques se
substituent à des déplacements réels, peuvent apporter un « plus » en terme de
désenclavement des espaces ruraux, etc. Or cette démonstration empririque est
presque toujours absente.
C’est donc autour du concept de projet territorial que le chercheur va trouver « sa
géographie ». L’équipement informatique ou le portail scolaire des écoles
ardéchoises, par exemple, n’attirent l’attention du géographe que parce qu’ils sont
« vendus » par les élus et les demandeurs de subventions au nom d’une politique
de désenclavement rural et de réduction d’une fracture numérique qui aurait une
base spatiale. Dans nos recherches sur le département de l’Ardèche, nous avons
pu montrer que l’école était, en quelque sorte, la porte d’entrée des TIC dans les
territoires ruraux (Moriset, 2000-c).
Si on ignore la dimension de projet stratégique inhérente à bien des programmes de
type « territoire numérique », on les vide de presque toute leur substance, et on les
rend sans intérêt pour l’analyse géographique. Prenons pour exemple « Vercors
Connect » ou les « Inforoutes de l’Ardèche » (Moriset, 2000-c) : ces projets ont
« vivoté » pendant des années sans qu’il soit question précisément, d’Inforoutes,
c’est à dire de réseau de télécommunications. Imagine-t-on un concessionnaire
d’autoroute qui apprendrait aux gens à conduire, leur offrirait une automobile, sans
que l’autoroute ait encore été construite ? C’est, en pratique, ce qui s’est passé
dans maintes opérations, rurales ou urbaines. Ces programmes (sans préjuger de
leur degré de réussite) ne peuvent être compris indépendamment de leur dimension
fondamentale de « projet de territoire ».
A la fin de son ouvrage sur « l'
économie d'
archipel » (1996, p. 244), P. Veltz affirme
la responsabilité qui pèse sur les institutions publiques locales et leur capacité à
« créer de véritables cadres collectifs de représentation et d'
action », à faire
« converger les anticipations ». On retrouve ici la notion de projet stratégique, telle
qu’elle a été développée par Bouinot et Bermils (1995). Plusieurs idées, dans cette
remarque, méritent d’être soulignées et commentées.
Tout d’abord, le fait que les collectivités publiques, à diverses échelles, conservent
une possibilité d’infléchir les faits économiques et sociaux. Ce qui engage, dans une
certaine mesure, leur responsabilité. Ceci doit être rappelé, compte tenu du
contexte de la « mondialisation libérale » - dont les TIC sont un vecteur -, dans
lequel maints observateurs n’ont de cesse de déplorer l’incapacité croissante des
institutions publiques, la réduction de leurs marges de manœuvre. Nous
apporterons une modeste contribution à ce débat, sur le terrain très ciblé des
télécommunications et de l’économie numérique.
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174
Regard géographique sur le paradigme numérique
La deuxième idée essentielle est le rapprochement entre représentation, action et
anticipation. Une politique d’aménagement ou de développement local ne se décline
pas seulement en termes d’infrastructures (de télécommunications, en
l’occurrence). C’est aussi et surtout créer, ou contribuer à créer, une communauté
d’intérêt au sein d’un groupe hétérogène d’acteurs. Cette communauté d’intérêt
passe par la production d’un projet, doté de sens. Projet de société, ou, ce qui
intéressera plus particulièrement le géographe, projet de territoire.
Les logiques d’acteur
Dans un contexte juridique et technologique donné, ce sont les logiques d’acteurs
qui vont faire émerger des projets, qu’on se trouve à Castres ou à Tacoma. Comme
nous l’avons évoqué dans le chapitre premier, c’est souvent la présence locale d’un
« Monsieur TIC » qui constitue le facteur déclenchant. L’analyse approfondie de ces
logiques d’acteurs, pour passionnante qu’elle soit, nous entraînerait hors de notre
objet, car leurs mécanismes ne sont pas spécifiques aux télecommunications. Il est
évident qu’un canton, ou un département, dont l’élu est ancien directeur de la
Direction Général des Télécommunication (J. Dondoux en Ardèche), ou Président
de la Commission TIC du Sénat (R. Trégouët dans le Rhône) a plus de probabilité
que d’autres de développer des projets dans ces domaines. Il y aurait matière à
disserter sur la convergence qui s’instaure, à un moment donné, entre un contexte
général (technico-politico-médiatique, voire idéologique), et les intérêts de tel ou tel
élu. Cette convergence est la réalité de ce que nous appelons, le plus souvent,
« l’action des collectivités publiques ». Ne pas entrer trop loin dans ces
considérations n’est pas les ignorer naïvement.
Le problème des échelles et de l’entrecroisement des domaines d’action
Le paradigme numérique, par nature, est polyvalent et multiscalaire. Ce qui rend
l’échelle pratiquement inopérante comme outil d’analyse. Ceci est en cohérence
avec la capacité des TIC à ignorer, voire même à brouiller les échelles. Comment
utiliser les clivages traditionnels, déjà bien flous (espace rural, villes moyennes,
métropoles, régions, Etats…) alors que la caisse à outils de l’aménagement
numérique les ignore presque complètement ? On trouve des projets publics de
réseaux WiFi dans de minuscules villages, comme à Paris. L’Ardèche a ses
espaces multimédia, tout comme Lyon et Paris. De ce point de vue, les TIC
s’intègrent tout à fait dans un contexte général d’incertitude sur les découpages
pertinents de la réflexion et de l’action.
5.1.3. Le projet de territoire numérique : contenu et discours
Essentiellement, le territoire numérique est une utopie au sens propre du terme,
c’est à dire un projet futuriste de construction de la cité idéale qui touche au plus
près la composante idéologique du paradigme numérique, telle que nous l’avons
définie dans le chapitre 1.
Le projet de territoire numérique est un projet global, dans lequel les TIC doivent
être impliquées dans toutes les composantes économiques, sociales, politiques,
culturelles… du territoire, afin de pouvoir faciliter le déclenchement de boucles de
rétroaction positives dans le sens d’un développement équilibré, durable, plus
égalitaire… Dans cette logique, les usages des TIC sont envisagés pour résoudre
presque tous les problèmes contemporains, qui sont étroitement corrélés les uns
aux autres :
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Regard géographique sur le paradigme numérique
175
Un territoire économiquement compétitif :
par les aménités qu’il offre aux entreprises : réseaux à haut débit, zones
d’activités, milieu d’affaire et d’innovation technologique ;
par l’aptitude de son tissu économique à utiliser les TIC pour améliorer sa
compétitivité : création d’espaces de formation et d’information aux usages
des TIC et de plateformes de services, action de sensibilisation des PME
par l’excellence de sa main d’œuvre : promotion des TIC à usage éducatif
(TICE), cartable électronique, plateformes éducatives115 ;
développement de l’outil de formation (écoles et cycles de formation
spécialisés dans les métiers de l’économie numérique et de la créativité).
Un cadre de vie accueillant, pour les entreprises et pour les citoyens :
grâce à un système de transports performant et peu polluant : utilisation des
TIC dans la régulation des transports (télé-péage urbain, transport particulier à
la demande, télé-mesure de la pollution) ;
par le développement du télétravail et des téléservices qui limitent les
déplacements (bureaux satellites, télécentres)
grâce à une bonne gestion de l’espace : utilisation des TIC dans la
planification urbaine (SIG, vision 3D) ;
grâce à une plus grande sécurité (c’est en tout cas l’objectif affirmé) : vidéosurveillance).
Un territoire plus démocratique et plus égalitaire
par la réduction de la fracture numérique : points d’accès publics à Internet,
espaces multimédia, distribution d’ordinateurs, équipement gratuit des élèves,
des écoles etc. ;
par la mise en place d’une cyber-administration, plus performante, qui rend
l’accès à l’information administrative plus simple, plus rapide, moins couteux
d’un accès plus facile pour les personnes à mobilité réduite : mise en ligne
des formalités administratives, centre d’appel administratif ;
par la création d’une cyber-citoyenneté : scrutins en ligne, consultations
publiques.
Un territoire plus ouvert et plus créatif, doté d’une identité plus forte
par la création de portail territoriaux : communication locale, diffusion de
l’information locale, notamment sociale et culturelle (« vie des quartiers ») ;
par la création de lieux virtuels de citoyenneté et de débats : forums en lignes.
Les deux derniers points sont éclairés par les thèse de R. Florida (2002), sur
« l’émergence d’une classe créative ». Florida montre que l’innovation, la créativité,
ne se développent bien que dans un cadre démocratique, tolérant, ouvert aux
influences culturelles extérieures.
115
En septembre 2003, 30 000 ordinateurs ont été distribués aux élèves de 4e de 195
collèges du département des Bouches-du-Rhône et à leurs enseignants
(www.ordina13.com). Dans les Landes, en septembre 2003, 4 800 ordinateurs portables ont
été distribué aux élèves de 3e et à leurs enseignants dans les 32 collèges publics.
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176
Regard géographique sur le paradigme numérique
Quelques exemples
Les exemples de projets stratégiques de type « digital city » ou « smart
community » sont trop nombreux pour être mentionnés tous. Tous n’ont pas atteint
le même degré d’intégration, de lisibilité. Mais on y trouve toujours cette idée
centrale de l’auto-corrélation entre les différents axes du projet, qui ne peuvent pas
se concevoir isolément. Nous proposons la lecture de plusieurs documents et
expériences parmi les plus complets et significatifs, tout au moins dans la lettre
la définition proposée par The Intelligent Community Forum (encadré n° 20)
(www.intelligentcommunity.org) ;
le programme PARVI - Paris Ville numérique (encadré n° 21,
www.paris.fr/fr/economie/innovation_tic/programme_parvi.asp) ;
le programme Barcelona Digital City (www.bcn.es/digitalcity/eengmenu.htm,
tableau n° 19).
On pourrait aussi mentionner :
Singapore's IT2000 Masterplan
Singapore'
s IT2000 Masterplan seeks to transform the country into an Intelligent Island
where information technology (IT) is exploited to the fullest to enhance the quality of life
of
the
population
at
home,
work
and
play.
www.ida.gov.sg/idaweb/broadband/infopage.jsp?infopagecategory=&infopageid=I880&
versionid=6
Smart Region Hampton Roads (qui pousse la vision utopique assez loin)
Smart Region, is dedicated to improving the quality of life and economic
competitiveness of Hampton Roads by applying information technology in new and
innovative ways to how we live, work, learn, and even play. Smart Region envisions
Hampton Roads as a "virtual region" in which borders and distance pose no barriers to
the flow of ideas, information, and commerce, and where sharing, collaboration, and the
promotion and use of best practices is common among the governmental, educational,
and business organizations in Hampton Roads (www.smartregion.org).
Hull Digital City (également à contenu utopique fort)
What is a Digital City? Digital Technology has the potential to change the way we live,
play, learn and work. Although facilitated by technology, the quality of people'
s lives and
the needs of businesses is our focus.
A Digital City means a totally connected City. People, organisations and businesses are
connected with each other and the City is connected with the outside world. It means
that communications will be easy and fast and information, goods and services will be
readily available via your TV, PC or your mobile phone.
In broad terms, the Digital Society will be characterised by networks and joined-up
services. Time and space will no longer be important… The world will be smaller…
technology will play a bigger part of everyone'
s lives…
www.hullcc.gov.uk/digitalcity/what_is_a_digital_city.php
Le discours sur le territoire intelligent reflète une des idéologies de son lieu
d’origine, à savoir le « communautarisme » des milieux libéraux californiens. Le
« California Institute for Smart Communities » a été créé en 1997 à San Diego State
University. Parallèlement, existe une « World Foundation for Smart Communities »,
association à but non lucratif dont le but est de promouvoir the implementation of
"smart communities" -- communities using information technology as a catalyst for
transforming life and work to meet the challenge of the new millennium
(www.smartcommunities.org).
According to the 1997 Smart Community Guidebook, a '
smart community'can be
defined as a geographical area ranging in size from a neighborhood to a multi-county
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Regard géographique sur le paradigme numérique
177
region, whose residents, organizations and governing institutions are using IT to
transform their region in significant ways. Cooperation… instead of individual groups
acting in isolation, is preferred. The technological enhancements undertaken as part of
this effort should result in fundamental, rather than incremental, change. R.W. Caves &
116
M.G. Walshok, 1999, p. 6 .
On retrouve dans cet extrait une des thèses essentielles de l’idéologie du
paradigme numérique, qui est la croyance en un « saut qualitatif », une révolution
globale. Le concept de mutation se retrouve par exemple dans le titre de l’article de
P. Widmayer sur Chicago, publié dans Journal of Urban Technology (2000) :
« Transforming A Global City for the Information Society: Metropolitan Chicago at
the Crossroads »117.
Tableau n° 21. Le programme "Barcelona Digital City" (d'
après www.bcn.es/ digitalcity)
Objectives
Accessible, quality,
communications
infrastructure
An efficient online
administration
Value added services
for business
Actions
New operator and new, wide-band network in the city, Interinstitutional agreement on cable communications in Catalonia, Large
capacity corporate network
Strengthening the services of Barcelona Informació (BI), Reinforcing
and expanding the bcn web site, Towards electronic administration
Adapting and integrating information and services for small
businesses, Specific electronic administration for businesses,
Efficient communication between the Council and businesses
New integrated and Public Administrations, Environment, Emergencies, Traffic, Car
problem-solving
Parks, Transport, Culture / Education, Health
environments
Citizen participation Virtual communities for associations, Virtual communities in the
and the promotion of Districts, Electronic democracy, New municipal communication
virtual communities
Improving
citizen'
s Increasing the number of network and Internet access points
access to networks Strengthening the Barcelona Informació telephone system
and online services
Technically strengthening access to the Internet
Le projet de territoire numérique comporte évidemment bien des nuances, dans le
discours et dans les faits, qui dépendent fortement des caractéristiques du territoire
considéré. Dans les métropoles américaines, le thème de l’environnement et de
l’étalement urbain est fortement présent. Comme, par exemple, dans le projet du
Comté d’Orange, au sud de Los Angeles : « The Millennium City: Making Sprawl
Smart through Network Oriented Development » (Page et al., 2001), dans lequel les
technologies d’information doivent se mettre au service d’une réduction des flux.
Dans le projet de Chicago, la problématique principale est d’accompagner la
reconversion à l’économie numérique d’une grande métropole.
Le cas de Singapour s’inscrit dans une logique commune à tous les ex-NPI et pays
émergents d’Asie de l’Est (« dragons » et autres « bébés tigres »). Ces pays qui
disposent de peu de matières premières ont précocement privilégié l’éducation et la
formation comme outil essentiel de leur développement. Le développement d’une
« société de l’information » est donc naturellement au centre de leurs
préoccupations (c’est un discours également très prégnant en Inde). Par ailleurs, les
116
"Adopting innovations in information technology. The California municipal experience".
Cities, vol. 16, n° 1.
117
Cet article illustre le rapprochement, voire la confusion, entre le discours scientifique et
celui des élus et praticiens de l’aménagement, puisque P. Widmayer a occupé des fonctions
officielles au sein du Metropolitan Planning Council de Chicago.
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178
Regard géographique sur le paradigme numérique
fortes
densités
de population expliquent l’importance des thèmes
environnementaux, au sein du concept de « smart growth » où les TIC occupent
une place privilégiée (gestion des transports, développement d’une économie
numérique peu polluante).
Le « Pau Broadband Country » (PBC) : un laboratoire d’expérimentation
grandeur nature ?
Le « Pau Broadband Country » est né de la rencontre entre, d’une part, la vision
futuriste de J.M. Billaud, que nous avons déjà présenté dans le chapitre 1 comme
l’un des gourous français des TIC, d’autre part, l’accueil favorable des responsables
politiques et économiques de l’agglomération de Pau, au premier rang desquels le
maire André Labarrère. Le projet se décline en trois points :
un réseau à très haut débit entré en service courant 2004 et une série de
services associés dont nous présentons quelques caractéristiques dans la
section suivante ;
un projet de ville intelligente, nom de code Paulywood ;
un projet de zone d’activité dédiée aux nanotechnologies, nom de code
Nanovalley
Ce projet est exemplaire, non seulement par son contenu très ambitieux, mais aussi
par les logiques d’acteurs et le contenu idéologique, que l’on pourrait qualifier de
démiurgique, qui ont procédé aux premières phases de sa mise en œuvre. J.M.
Billaud cherchait, semble-t-il, un laboratoire d’expérimentation de ses idées, qui
constituent une synthèse de l’utopie du territoire numérique. Comme l’écrit le
Journal du Net, le projet doit transformer l’agglomération de Pau en un
« showroom » du numérique.
Je me suis donc dit qu'
il fallait dénicher une ville où l'
on amène du très haut débit aux
gens et où l'
on demande aux entreprises de faire des applications haut débit et
d'
observer ce qui marche. J'
ai pris mon bâton de pèlerin avec l'
Atelier BNP-Paribas qui
avait une cellule de financement de collectivi (t)Tj 2.7617 0 Td (i)Tj 2.16133 0 TdTd (è)Tj 5.52339 0 Td (l)Tj 2.16
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Regard géographique sur le paradigme numérique
179
démontrer l'
importance des NTIC dans la conception des "villes intelligentes de
demain".
Une
approche
qu'
André
Labarrère
aime
souligner.
www.journaldunet.com/0303/030320pbc.shtml
Pour parachever son intervention, Jean Michel Billaut annonçait, devant les caméras
de TVWebMidi, l'
arrivée de Bill Gates, en Novembre 2003 ! Ce qui confirmerait la
rumeur selon laquelle Microsoft aurait largement contribué au développement du Pau
Broadband Country.
www.meleenumerique.com/mid_enews/mid02/paubroadband.htm
Il va être intéressant de suivre le projet Palois. Est-il reproductible dans d’autres
agglomérations ? Pour que cela soit le cas, il faudrait qu’il repose sur un modèle
économique viable, ce que son caractère expérimental ne permet pas d’affirmer.
Construire un réseau à haut débit est un chose, créer un pôle de recherche sur les
nano technologies en est une autre. En tout état de cause, on peut considérer que
l’opération est succès publicitaire pour la ville.
Marketing territorial et communication, lobbying, information
Le paradigme numérique est utilisé comme le vecteur d’une image de modernisme,
d’une idéologie du progrès, aussi bien à destination des investisseurs et nouveaux
résidents (communication externe ou marketing territorial) qu’en direction des
personnes physiques et morales déjà présentes sur le territoire (et donc électeurs et
contribuables).
Ce n’est pas minimiser l’action réelle menée sur le terrain que d’écrire que le
concept de ville numérique semble avoir été plus précocement et plus massivement
utilisé par des villes qui, pour différentes raisons, n’était pas dotées d’un image forte
et porteuse, qu’elle soit économique, culturelle, touristique. Comme Metz, au cœur
d’une Lorraine en crise, ou Parthenay, archétype de la ville moyenne sans relief
particulier, qui s’est construit une certaine notoriété avec un projet avant-gardiste,
voire utopique (cf. ci-dessous).
Avant de se traduire dans les faits, le projet de territoire numérique est un discours,
que l’on peut qualifier de performatif, c’est à dire créant, par son énonciation même,
les conditions de sa matérialisation. On pourrait parler, dans certains cas, de
prophétie auto-réalisatrice. Le marketing territorial, le lobbying, se traduisent
notamment par l’action des associations, leurs sites Web, leurs publications, leurs
manifestations, colloques, remises de trophées et autres awards.
L'
Association « Villes Internet » (www.villes-internet.net), présidée par E. Eveno,
réalise une compilation des actions publiques conduites par les villes françaises
dans le domaine des TIC, et organise des rencontres régionales et nationales, lors
desquelles sont attribués des labels et trophées (de une à cinq arobases,
@@@@@) qui distinguent « les villes plus numériques ». 356 communes ont été
ainsi labellisées depuis 1999. Avec ce genre de classement et labels, les TIC
entrent dans le concert des classements et palmarès des villes (Moriset, 1999-a),
qui comptabilisaient déjà les indices de qualité de vie, de propreté des plages,
d’attractivité économique etc. Les élus ainsi primés espèrent quelques retombées
médiatiques, et vont pouvoir utiliser ces bonnes notes dans leur communication.
Même s’ils se sont emparés du fauteuil de leur prédécesseur en faisant campagne
contre le projet de territoire numérique, comme le maire actuel de Parthenay, qui a
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180
Regard géographique sur le paradigme numérique
battu M. Hervé aux élections municipales de 2001 et capitalise aujourd’hui sur les
actions de son prédécesseur (Hervé et d’Iribarne, 2002)118.
Pour Xavier Argenton, Maire et Président de la Communauté de communes de
Parthenay : « Il s’agit maintenant de valoriser et de faire connaître ce savoir-faire pour
que Parthenay bénéficie de retombées économiques. Etre labellisée Ville Internet 5
arobases trois années de suite permet à Parthenay d’acquérir cette reconnaissance
nationale et internationale. Je remercie le dynamisme des parthenaisiens en la matière
:
c’est
grâce
à
eux
que
nous
remportons
ce
label
».
http://194.250.166.236/villenum1000/villeinternet/remise2003.htm
Très vite, notre ville numérique a fait parler d’elle dans les médias. Les Japonais, et
notamment de grands industriels, ont été les premiers à venir la visiter, par cars entiers.
Nous avons ensuite reçu des Américains, des Canadiens, des Belges, des Suisses, et
finalement des Français. En peu de temps, l’afflux a été tel que nous avons été obligés
de créer des programmes de visite. M. Hervé, ex-maire de Parthenay, 2002, p. 4.
(www.ecole.org/2/EV060202.pdf).
Autre structure, Multimédiaville (1997), présidée par J.M. Rausch, maire de Metz,.
Créée en 1985 sous l’appelation de Médiaville, c’est une composante de
l'
Association des Maires de Grandes Villes de France, qui organise chaque année
un rassemblement, publie des rapports et des manifestes.
Multimédiaville a pour vocation d'
apporter aux praticiens locaux de haut niveau - élus et
proches collaborateurs - l'
information indispensable à la prise de décision dans le
domaine des nouvelles technologies de l'
information. Multimédiaville est le rendez-vous
annuel des collectivités locales et de la société de l'
information. Manifestation de
référence, Multimédiaville est à la fois un lieu privilégié de comparaison d'
expériences,
une tribune politique et un lieu de contacts entre les praticiens locaux et leurs
partenaires. (www.grandesvilles.org/2002/ multimediaville).
Parmi les organisations étrangères, il faut mentionner The Intelligent Community
Forum (ICF), qui décerne chaque année le trophée de Intelligent Community of the
Year (tableau n° 22). Sous des apparences innocentes (extrait n° 1), se dissimule
une association d’industriels des télécommunications, la World Teleport Association,
dont les objectifs de profit sont clairement exposés (extrait n° 2) :
The Intelligent Community Forum (ICF) is a special interest group within the World
Teleport Association that focuses on the uses of broadband technology for economic
development by communities large and small in both the developed and developing
world. Because real estate is a critical part of urban development, ICF also addresses
the development of intelligent buildings, Internet hosting centers and similar facilities.
www.intelligentcommunity.org/html/aboutICF.html
World Teleport Association has a single mission: to help its members make money. If
your business is broadband, WTA is your gateway to international opportunity.
www.worldteleport.org
Ces références, tout comme l’exemple de Pau, nous ramènent à nos propos du
chapitre 1, à savoir que les TIC et leurs applications sont développées sous
l’influence d’un système d’acteurs dans lequel les intérêts économiques sont
118
Sur le projet numérique de Parthenay et l’échec électoral de son promoteur, Michel
Hervé, maire depuis 1979 et battu au premier tour des élections municipales de 2001 avec
33% des voix, on dispose d’un remarquable document : Parthenay ou les infortunes de la
vertu, de M. Hervé et A. d’Iribarne, 2002, séminaire « Entrepreneurs, Villes et Territoires »
de l’Ecole de Management de Paris, 11 p., www.ecole.org/2/EV060202.pdf.
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181
Regard géographique sur le paradigme numérique
fortement présents, et coincident parfois avec les utopies en apparence les plus
vertueuses, pour reprendre l’expression de M. Hervé et A. d’Iribarne. L’échec
éléctoral de M. Hervé montre, dans une certaine mesure, les limites d’une approche
globale et utopisante du concept de territoire numérique. Aujourd’hui, c’est une
approche plus pragmatique qui prévaut, même si l’utopie reste bien présente dans
l’idéologie de certains projets d’urbanisme.
Revenons donc au terrain, comme disaient parfois nos maîtres, c’est à dire à des
domaines d’action où le projet de « territoire numérique » se concrétise par des
pratiques spatiales dans l’espace physique, par des productions d’espaces réels,
concrets et visibles (où les préoccupations de type marketing territorial ne sont
certes pas absentes) : les politiques d’aménagement des infrastructures de
télécommunication, les projets « d’urbanisme numérique ».
Tableau n° 22. Les Intelligent Community Awards (d’après
www.intelligentcommunity.org)
2004
Intelligent
Communities of
the Year
Glasgow, Scotland,
United Kingdom
Intelligent Community Visionary
Calgary, Canada
and Seoul, South
Korea
New York City, New
York (USA)
Pedro Cerisola, Secretary of
Communications and Transport,
Mexico, for the “E-Mexico National
System Initiative.”
Rosabeth Moss Kanter
Professor of Business Administration
at Harvard Business School.
Colin Sinclair, Chief Executive for the
City of Sunderland (England)
2000
LaGrange, Georgia,
USA
Tadayoshi Yamada, Chairman
Emeritus, World Teleport Association
1999
Singapore, IT 2000
program.
John Jung, Vice President, Greater
Toronto Marketing Alliance
2002
2001
Intelligent Building /
World Teleport
Property of the Year
Cyberport, Hong
Kong, China.
International Tech
Park, Bangalore,
India.
The Wharf (Holdings)
(Hong Kong, SAR)
Caracas Teleport,
Venezuela ;
HongKong Land, Ltd.
111 Eighth Avenue,
New York City.
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182
Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 20. Le projet de « territoire intelligent » : une démarche stratégique
(www.intelligentcommunity.org)
The Intelligent Community Forum has defined five critical success factors of the
Intelligent Community, whatever its size or location. They are:
1. Broadband Infrastructure. Like seaports and airports before them, broadband
infrastructure will be one of the key enablers of economy growth. An Intelligent
Community is not content to leave its broadband destiny in the hands of the market.
Intelligent Communities express a clear vision of their broadband future, craft public
policies that encourage the development of broadband services, promote equitable
access to them by organizations and individuals at all rungs of the economic ladder
2. Knowledge Workforce. Intelligent Communities exhibit the determination and
demonstrated ability to develop a workforce qualified to perform knowledge work.
This is not simply a matter of possessing
universities able to crank out post-grads with science and engineering degrees.
Effective development of knowledge workers extends from the factory floor to the
research lab, and from the loading dock to the call center or Web design studio. The
creation of knowledge workers is one of the primary means by which Intelligent
Communities ensure that the majority of citizens benefit from the Digital Age
economy.
3. Risk Capital. To be competitive, a community must provide the resources needed
to start and grow new businesses. Principal among those resources is capital.
Intelligent Communities recognize this fact and make every effort to attract and
promote the growth of venture, strategic and public-market capital.
4. Digital Democracy. Success in the Digital Age demands a social and political
culture that welcomes change. The challenge facing communities is to convert
change-resistant cultures into ones that welcome innovation, without losing the
values and sense of identity that make them communities in the first place. Intelligent
Communities confront this challenge by creating a compelling vision of the benefits
that innovation can bring, managing the negative consequences of change for
segments of their population, and striving to bring the benefits of innovation to
citizens who might otherwise be left behind.
5. Marketing Prowess. Globalization of markets, capital flows and business
operations puts a premium on the ability of communities to market their "intelligence."
Intelligent Communities market themselves effectively, based on a knowledge of the
competitive offerings of other cities and regions, clear understanding of what leadingedge businesses require, and a determination to deliver it.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
183
Encadré n° 21. Le programme PARVI
(d’après www.paris.fr/fr/economie/innovation_tic/programme_parvi.asp)
La Ville s'
est dotée, avec le programme PARVI, d'
un cadre d'
action et d'
une
organisation en réseau permettant aux différents services de la Ville de travailler, en
concertation et avec synergie, à l'
avènement de Paris « métropole numérique ». Ce
programme trace quatre axes prioritaires et complémentaires :
Développer les usages d'Internet par les Parisiens :
- en facilitant l'
accès au haut débit pour tous, grâce à une politique volontariste en
matière de dégroupage, et au soutien d'
expérimentations innovantes (boucles
locales, Wi-Fi, etc.), en suscitant l'
arrivée de nouveaux opérateurs… ;
- en multipliant les points d'
accès public à Internet, tels que les Espaces Publics
Numériques et les Cyber-Emplois
- grâce à un équipement soutenu des écoles et collèges de la ville en matériels, en
débit et en logiciels, … de façon à promouvoir les contenus et les échanges
éducatifs entre établissements (centres de documentation, établissements scolaires).
Faire de Paris une métropole de l'économie numérique :
- par le soutien au développement du haut débit sur l'
ensemble de son territoire,
- par un soutien énergique à la recherche, à la création et au développement
d'
entreprises innovantes, grâce à l'
organisation de lieux et de moments d'
échanges
et de rencontres (telles que les "Matinales de Paris Technopole"), par le biais
d'
initiatives telles que le Grand Prix de l'
Innovation de la Ville de Paris ;
- grâce à la création et au développement des structures immobilières d'
accueil des
jeunes entreprises, incubateurs, pépinières ou hôtels d'
entreprises ("République
Innovation", pépinière de 1 800 m² reprise par la Ville).
- Les nouvelles technologies sont également mises au service de la vocation
touristique de la Ville, visiteurs comme congrès… qui subit une compétition
croissante de la part de nouvelles places mondiales. Le portail de l'
Office de
Tourisme a été refondu…
Instaurer une Mairie électronique au service de la démocratie locale :
- Les nouvelles technologies doivent être mises au service du soutien à de nouvelles
formes de démocratie.
- Les données publiques et les services administratifs doivent être accessibles à tous
les citoyens et à toutes les entreprises à travers le réseau.
- De nouvelles formes de consultations et d'
échanges de dossiers seront mises en
place, notamment avec le développement des téléprocédures.
- De nombreux projets en cours doivent favoriser une administration plus proche des
aspirations des citoyens, une meilleure participation des acteurs sociaux à la gestion
de la Ville, une plus grande transparence en matière d'
accès aux équipements
sociaux et aux marchés publics.
Le site de la Ville a été entièrement refondu, un site par mairie d'
arrondissement
verra le jour d'
ici fin 2003.
Favoriser l'émergence de la création numérique :
La numérisation progressive des fonds culturels parisiens facilitera et élargira l'
accès
au patrimoine culturel de la Ville.
Plusieurs initiatives doivent en outre permettre l'
émergence dans la capitale d'
une
création artistique et numérique et de lieux destinés à la mettre en valeur, tels que la
"Gaîté Lyrique".
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184
Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 22. Pau, ville numérique du futur ? Le « Pau Broadband Country » et la
vision de J.M. Billaud
(www.atelier.fr/article.php?artid=26797&type=Tribune).
Les Homo Sapiens … ont fait deux très grandes révolutions dans l'
Histoire... La
première, il y a 10.000 ans avec le néolithique et sa révolution agricole, la deuxième
plus proche de nous : la révolution industrielle il y a 250 ans.
Nous allons donc vers notre 3ème Révolution qui sera liée aux nanotechnologies,
aux « robo sapiens » …, aux énergies renouvelables, etc. C'
est pour le milieu de ce
Siècle, et l'
Internet y jouera le rôle qu'
a eu l'
imprimerie entre la 1ére et 2éme
Révolution…
Pourriez vous décrire votre vision pour Pau ? Quel est votre rôle dans ce
projet ?
Pau, en fait, devrait être le modèle pour mettre en œuvre un nouvel écosystème
basé sur une infrastructure à très haut débit, et devenir, comme dit André Labarrère
son maire, " la Florence du 3ème millénaire ". Depuis le Néolithique il y a eu une
bonne trentaine de civilisations régionales qui se sont toutes effondrées, en donnant
à chaque fois naissance aux suivantes. Et à chaque fois, le creuset s'
est fait dans un
lieu inconnu au départ. Après Babylone, Rome, Florence, Manchester… pourquoi
pas Pau ? Mon rôle dans cette affaire a été d'
apporter quelques idées et de réunir
autour de Pau les grandes sociétés de technologies du monde… Et naturellement
les plus petites
Le réseau optique devrait ouvrir en avril 2004. Deux autres projets devraient ensuite
se mettre sur les rails : une ville nouvelle (nom de code Paulywood), et une zone
d'
activité dédiée aux « nouvelles nouvelles technologies » (nom de code
Nanovalley).
La ville du 3ème millénaire. D'après vous quels sont les traits distinctifs de
Paulywood ?
La gestion de cette ville, ou plutôt de ce nouveau quartier, sera considérablement
améliorée, et l'
Internet y sera non seulement le vecteur de la maison intelligente,
mais aussi de la ville intelligente. De la domotique à la " citématique " en quelque
sorte. De plus, Paulywood devra être, autant que faire se peut, non polluant. Le
protocole IP + le protocole de Kyoto….
Les élus de l'
agglomération de Pau Pyrénées réfléchissent actuellement pour
implanter ce nouveau district sur une friche industrielle de 65 hectares au sud de la
ville de Pau. Un bon millier de logements " intelligents " devraient y être construits.
Ne devraient y être utilisées que des énergies renouvelables comme le solaire, la
géothermie, la pile à hydrogène, etc. Avec le recyclage de tous les déchets, et des
concepts nouveaux comme par exemple " l'
IP feedback ". L'
infrastructure IP de la
ville permettrait en effet à tout un chacun de savoir en temps réel combien il
consomme d'
énergie, d'
eau, etc… Des concepts à peu prés comparables existent en
Suède par exemple (Hammarby Sjostadt à Stockholm).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
185
5.2. Télécommunications et aménagement du territoire
Au sein des politiques liées aux TIC, la question des télécommunications est
tellement importante qu’elle se confond parfois avec le projet de territoire numérique
tout entier. Comparons les propos tenus le 3 juin 2004, lors d’un séminaire de la
DATAR, par le délégué général N. Jacquet, à la plaquette du projet d’infrastructures
« UTOPIA », de l’Etat de l’Utah (2003). C’est exprimer simplement et avec
conviction la problématique géographique essentielle des télécommunications :
l’information serait la matière première et le produit fini de la « nouvelle économie »,
la « téléaccessibilité » devient un concept vital pour les territoires.
L’aménagement numérique est à l’aménagement du territoire ce qu’ont été les routes et
le chemin de fer… N. Jacquet, Paris, 3 juin 2004
Broadband networks will be as critical to this new century as roads, canals, and
transcontinental railroads were to the Nineteenth Century and the Interstate Highway
System and basic telecommunications networks were to the Twentieth.
www.utopianet.org/news/file-11.pdf
5.2.1. La problématique et les enjeux de la « fracture numérique »
Elle est très bien illustrée par l’exposé de la rationale du programme « eCorridors »
de l’Etat de Virginie (voir ci-dessous), qui est un bon exemple de ces discours à la
logique sans faille :
les acteurs des territoires sont engagés dans une compétition mondiale ;
l’accès au savoir et à l’information est un facteur clé de compétitivité ;
les territoires qui n’embrassent pas la « société de l’information » au même
rythme que les autres sont donc condamnés au déclin ;
or l’équation technico-spatio-économique des réseaux numériques défavorise
certains territoires et leurs acteurs, avec un risque de divergence socioéconomique : c’est la « fracture numérique » ;
donc, en vertu du principe de solidarité qui régit toute politique d’aménagement
du territoire, les collectivités doivent agir sur cette inégalité ;
étant donné que les opérateurs de télécommunication et fournisseurs de
services ne desserviront pas les territoires les plus difficiles d’accès, les moins
denses, ou les plus pauvres, sans incitations, sur la base du libre marché ;
étant donné que que l’évolution de la technologie et de la législation abaisse
certaines barrières à l’entrée de nouveaux acteurs dans la desserte des
territoires en services de télécommunications, notamment la rente de situation
dont bénéficiaient les opérateurs historiques ;
on peut conclure que c’est aux collectivités de se substituer au marché.
Strategic Technology Infrastructure for Regional Competitiveness in the Network
Economy.
Virginia
Tech,
2003.,
eCorridors
Program,
www.ecorridors.vt.edu/research/papers/stircne/vol01-rationale.pdf
Underpinning the new economy is access to advanced information and network
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186
Regard géographique sur le paradigme numérique
technology infrastructure...
Regions having an advantage in knowledge workers and technology infrastructure are
diverging in economic vitality from those that do not at an alarming rate. Ironically, in
the context of technologies (…) designed to maximize distribution of information and
economies of scope in computing capabilities, patterns of infrastructure deployment
leveraging these technologies have instead led to the most significant concentration of
production capacity and wealth in modern history.
It is possible to leverage two critical circumstances:
- First, state and federal regulators, legislators, and policy makers are beginning to
comprehend the price their constituents are paying for the telecommunications
industry’s rational reluctance to deploy technologies that do not sustain current ways of
doing business and profit margins. Promises by these traditional players to meet new
economy requirements for telecommunications services and protectionist pleadings are
received with increasing skepticism and with more critical assessment. Policy is rapidly
tilting towards accepting and encouraging innovators, new service providers and
increased competition.
- Second, new emerging optical, wireless, and “next generation” Internet technologies
are eliminating the barriers-to-entry … for new players in the advanced network
services industry (e. g. internet service providers, community cooperatives, electric
utility companies, municipalities, new startup’s).
La question de l’accès (géographique et non pas social) aux télécommunications,
notamment dans les territoires ruraux, est une question sensible, qui a fait couler
beaucoup d'
encre, et pas seulement en France. Fuentes-Bautista (2001) a constitué
une bibliographie de 225 références sur la question des télécommunications rurales.
Dans le contexte américain, la question a été particulièrement étudiée par S. Strover
(1999, Rural Internet Connectivity) et E. Malecki (2003, Digital development in rural
areas: potentials and pitfalls). Pour la situation récente en Amérique du Nord, le
rapport du Virginia Tech Institute (2003) constitue un document précieux, facile à
compléter par une visite des sites Web des institutions concernées.
En France, on peut mentionner, entre autres, le rapport 2001 de la société Tactis
pour l'
Observatoire des télécommunications dans la ville (Développement des
réseaux d’opérateurs et territoires ruraux. Enjeux du haut débit et de la mobilité), et
le Rapport Forissier sur la desserte du territoire par la téléphonie mobile et par
l’Internet à haut débit (2002).
Pour illustrer le débat, parfois assez virulent, sur le thème de la « fracture
numérique » dont seraient victimes les territoires, nous avons choisi un exemple
extrait du Journal du Net qui évoque les vicissitudes d’un couple parisien qui a tenté
le « retour à la nature » en Haute-Garonne, mais s’est heurté à l’absence de
couverture ADSL dans leur village. L’article proprement dit (encadré n° 23) pose
bien le problème du point de vue technique et commercial. Mais le plus intéressant,
ce sont les soixante réactions de lecteurs publiées sur le site, qui se partagent en
deux groupes à peu près égaux.
- D’une part, on trouve les « compatissants », sur le registre de « c’est un
scandale…, que fait le gouvernement ?, France Télécom a une attitude honteuse
etc. » (il est inutile de citer ces réactions, puisqu’elle constituent le discours
dominant sur la scène médiatique).
- D’autre part, on peut identifier le groupe des « réalistes critiques » (à notre avis le
plus intéressant), qui s’étonne qu’un couple « journaliste + informaticien » découvre
aussi tard la réalité des télécommunications en territoire rural, et veuille bénéficier
des avantages de Paris, sans les inconvénients. Soit par exemple :
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Regard géographique sur le paradigme numérique
187
Chaque medaille a son revers. On ne peut pas toujours avoir le beurre l’argent du
beurre et la crémière.
Vous avez choisi de vivre a la campagne, ce qui a quelques avantages. Il faut en
supporter les inconvenients, qui n'
etaient pas des vices caches lors de votre decision
Deux victimes de la fracture numérique qui sont soit-disant informaticien et journaliste
? … Franchement, ils n'
ont que ce qu'
ils méritent pour conséquence de leur incurie !
Parisianisme, sociocentrisme, réduction du problème de la fracture numérique à la
seule question technique...
Il faudrait arrêter l'
hypocrisie. S’il était aussi simple d'
aller vivre a la campagne tout en
profitant de la technologie urbaine, pourquoi pensez vous, madame, que des millions
d'
imbéciles, parisiens ou autres, habiteraient en ville ?
Les parisiens qui veulent vivre à la campagne en voulant continuer à bénéficier de
tous les avantages de la ville me font bien rigoler... Ils voudraient le beurre, l'
argent du
beurre, et une subvention en supplément.
Ces remarques, et leur virulence même, détonnent dans le paysage actuel, qui
semble fait d’une belle unanimité. Qui, en 2004, oserait douter de la véracité des
discours assénés d’une même voix par le gouvernement, les élus, les entreprises, la
presse ? Discours tellement dominateur qu’il étouffe les tentatives d’évaluation
critiques des enjeux.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 23. Les péripéties de la fracture numérique en milieu rural. Un exemple en
Haute-Garonne
(www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39128204,00.htm).
Témoignage: «La fracture numérique existe, je l'
ai rencontrée» Vendredi 24 octobre
2003
Catherine T., une journaliste de 34 ans, a quitté Paris cet été pour élire domicile
dans un village de Haute-Garonne. Elle raconte les péripéties de sa découverte de la
"fracture numérique" à la française.
« Comme deux millions de néo-ruraux, j'
ai décidé de quitter la ville, sa pollution, son
stress et son béton pour la campagne, son air pur, ses paysages et ses villages
préservés. Mi-juillet, nous avons donc laissé derrière nous le 18e arrondissement de
Paris avec l'
idée de poursuivre nos activités professionnelles (journaliste et
informaticien) dans d'
autres conditions et par d'
autres moyens.
Nous avons trouvé la maison de nos rêves dans un village de 80 habitants du
Lauragais, pays agricole à l'
est de Toulouse. Pas de haut débit bien sûr, mais plutôt
(nous allions le découvrir) du très bas débit un peu aléatoire : cinq tentatives pour se
connecter, 28.8 kbps...
Les annonces de France Télécom sur "l'
Internet haut débit pour tous" nous ont fait
espérer. Malheureusement, les cartes de déploiement de l'
ADSL à l'
horizon 2005
nous laissent dans une zone blanche. Sur le bord du chemin, ou plutôt de
l'
autoroute, puisque nous ne sommes qu'
à 6 km de l'
autoroute Toulouse-Montpellier
et d'
une ville connectée à l'
ADSL, elle !
Quelles solutions pour sortir de cette impasse? Les offres commerciales satellites
Wi-Fi annoncées par l'
opérateur historique ayant pris du retard, nous optons pour un
couplage ADSL Wi-Fi avec la ville voisine : une antenne sur un silo à grain, ou le toit
d'
une usine, renvoyant le signal sur le clocher qui le redistribuerait à notre village.
Les habitants (enseignants, travailleurs sociaux, artisans, retraités, lycéens et
étudiants) sont intéressés. Le maire nous donne son accord de principe, tout en
accrochant les guirlandes pour la fête du village.
Las ! Nous n'
obtiendrons jamais d'
autorisation, ni pour le toit de l'
usine, ni pour le
silo. Ce qui soulage le maire, à qui nous avons créé «beaucoup de soucis»: «Vous
comprenez, les catholiques du village ont protesté, craignant pour le clocher !»
Voyant la possibilité de se connecter en haut débit s'
éloigner, nous décidons de
prendre une ligne Numéris, en attendant. Nouvelle déception : c'
est impossible, il n'
y
a plus de lignes libres ! En effet, notre village d'
une quarantaine de foyers ne dispose
que de 28 paires de fils permettant d'
acheminer le signal ! Certains abonnés
partagent donc, sans le savoir, leur ligne avec d'
autres, grâce à des multiplexeurs.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
189
Enjeux économique, enjeux sociaux ?
Le discours courant sur la « fracture numérique » évoque en général un phénomène
d’enclavement, par analogie au secteur des transports. Quels sont les scenarii de
l’enclavement, pour les entreprises, pour les institutions et collectivités publiques,
pour les citoyens ? Poser cette question revient à poser la question des usages et
des besoins.
On évoque parfois le cas d’entreprises ayant quitté un territoire, (ou ayant menacé
de le faire), faute d’un accès ad hoc à l’ADSL.
L’attente des acteurs économiques des zones rurales non desservies devenaient de
plus en plus forte. Le succès du raccordement de SITEPILOT redonne espoir à tous les
responsables politiques et aux développeurs locaux des zones rurales. L’Ardèche est
particulièrement concernée par la fracture numérique avec seulement 35 % de la
population qui pourra accéder à l’ADSL à l’horizon 2005.
Même si ces solutions satellitaires sont 5 fois plus coûteuse que l’ADSL à niveau de
service équivalent, elles constituent une réelle solution alternative qui évitera des
relocalisations d’entreprises. Cela a bien failli être le cas de SITEPILOT, entreprise de
5 personnes spécialisée dans la communication multimedia, qui s’était implantée dans
une commune de 430 habitants pour bénéficier d’une qualité de vie exceptionnelle
(communiqué de presse du Conseil général de l'
Ardèche du 8 novembre 2002 à la
suite de l’inauguration de la connexion satellitale de SITEPILOT).
Il faut reconnaître que les exemples cités sont en général peu nombreux. On peut
voir là un bon prétexte à l’obtention de subventions. Dans les hautes sphères de
l’Etat, on évoque l’exemple de grandes entreprises comme Renault, qui pourraient
imposer à leurs fournisseurs de travailler sur des plateformes communes, exigeant
l’accès à un réseau à haut débit. Soit, admettons, 10 Mbits/sec au moins. Ces
arguments sont peu convaincants. Quels sont ils, et où sont ils, ces fournisseurs
qui, prêts à s’engager dans du travail collaboratif avec de grands groupes, et
localisés dans des territoires ruraux, seraient incapables de se doter de liaisons
louées optiques ou hertziennes (satellite) qui, toutes choses égales par ailleurs, ne
leur coûteraient qu’une fraction de ce qu’ils épargneraient sur les coûts
immobiliers et salariaux d’une métropole ?
Le 19 octobre 2002, lors d’un forum sur l’utilisation des TIC dans l’industrie, le PDG
de la société Chomarat119 (1200 personnes, Le Cheylard, Ardèche) s’exprimait sur
l’utilisation des NTIC par son groupe, soulignant l’utilisation de la vidéo-conférence
avec les filiales tunisiennes et irlandaise. Sans évoquer une quelconque fracture
numérique120. Ce que certains demandent à leurs élus, demandes relayées ensuite
en direction du gouvernement, c’est effectivement « le beurre et l’argent du
beurre », c’est à dire les agréments de la campagne, mais avec les avantages de la
ville.
L’autre argument très souvent entendu est celui de l’accès aux téléservices,
administratifs, scolaires, ou hospitaliers. Les têtes de réseaux que sont les
établissements scolaires importants, les administrations, les hôpitaux, devront, c’est
vrai, disposer du haut débit (c’est à dire 10 Mbits/sec ou plus, et non pas seulement
125 à 250 Kbits/sec en voie montante, comme c’est le cas avec l’ADSL, qui n’est
pas considéré comme du haut débit au standard international). Mais les élèves qui
119
1200 personnes. Plastiques et tissus industriels spéciaux.
Renseignements pris auprès de la société en juin 2004, l’entreprise utilisait alors un
service de type « accès groupé Numéris », ainsi que des liaisons louées inter-sites, et
également, depuis octobre 2003, l’ADSL.
120
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190
Regard géographique sur le paradigme numérique
voudront consulter les intranets scolaires, les administrés qui voudront remplir leur
feuille d’impôt via le « Net » seront à l’aise avec l’ADSL, par exemple, qui couvrira à
terme 95 % de la population française.
Reste, alors, le fameux « Triple play » (Accès à Internet + Télévision + Téléphonie
sous IP), qui, effectivement, réclame 10 Mbits/sec et plus. Et aussi les
téléchargements de film, les jeux vidéo en ligne. Faut-il faire de ces applications
ludiques un enjeu d’aménagement des territoires ? La question mérite d’être posée.
Notre opinion est que l’aménagement du territoire est, fondamentalement, une
question de création de valeur : donner les moyens aux acteurs locaux de créer de
l’activité économique121 sans être par trop pénalisés par leur situation géographique.
L’enjeu de ces aménagements ne doit pas être nié. L’accès aux réseaux à haut
débit est une nécessité économique que personne ne remet en question. S’en priver
serait d’autant plus regrettable que les investissements sont modestes, comparés à
ceux des infrastructures de transport. Comme se plaisent à le rappeler les partisans
de la fibre optique, le cablage d’un village coûte moins cher que le rond-point routier
construit à l’entrée de ce dernier.
5.2.2. Le contexte juridico-technologique
L’action des gouvernements et collectivités est nécessairement limitée par les
réglementations nationales et supra-nationales (Commission européenne) sur
l’exercice de la libre concurrence, dans un contex (s)Tj
ncollectivité
5.5233 0locale
Td (a)Tj
le moyen
6.12366 0 Td (n)Tj4 0
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Regard géographique sur le paradigme numérique
191
5.2.2.1. Le cas français : l’article L. 1425.1
Jusqu’à cette année, la législation française était dominée par l’article L. 1511-6 du
code général des collectivités territoriales (CGCT), qui permettait aux collectivités de
créer à leurs frais des infrastructures, sous condition de les proposer en location ou
en délégation de service public à un ou plusieurs opérateurs privés, dans des
conditions de transparence et d’égalité. Le seul cas dans lequel les collectivités
pouvaient offrir un service d’opérateur était la constitution d’un « groupement fermé
d’utilisateurs » (GFU), « groupe qui repose sur une communauté d'
intérêt
suffisamment stable pour être identifiée et préexistante à la fourniture du service de
télécommunications » (avis de l’Autorité de Régulation des Télécommunications
(ART) du 30 mai 1997). Un GFU peut être constitué, par exemple, des hôpitaux,
bâtiments administratifs et établissements scolaires d’une ville ou d’une région.
Ces restrictions ont été en partie levées par l’adoption par l’Assemblée nationale le
8 janvier 2004, de l’article 1425-1 modifiant le CGCT (abrogeant l’article 1511-6), qui
offre aux collectivités la possibilité, sous certaines conditions, de devenir opérateurs
d’opérateurs, et même, dans certains cas, opérateurs de services (encadré n° 24).
Ce texte réclamé de longue date par les élus est l’aboutissement d’un long
processus législatif, qui avait débuté avec la loi de réglementation des
télécommunications (LRT) du 26 juillet 1996 provoquant l’ouverture à la
concurrence du marché des télécommunications. La réglementation sur le service
universel se limitant, comme dans la plupart des pays, aux services élémentaires
(téléphone filaire), les territoires les moins peuplés se sont retrouvés confrontés à la
stratégie de rentabilité financière des opérateurs. La seule solution était, pour les
collectivités locales, de prendre le relais des opérateurs défaillants.
Les collectivités pourront donc désormais, non seulement poser de la fibre noire, ou
des pylones, comme l’y autorisait la législation antérieure, mais aussi offrir des
services (accès à Internet), après que la carence effective des opérateurs ait été
constatée par « appel d’offre infructueux ». Cette loi facilitera également l’application
de la décision de l'
ART du 31 octobre 2002 qui permettait à des collectivités ou
associations d’obtenir des licences expérimentales gratuites pour exploiter des
réseaux locaux de type WiFi.
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192
Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 24. Extraits du « projet de loi pour la confiance dans l'économie
numérique » adopté par l’Assemblée nationale en deuxième lecture le
8 janvier 2004, modifiant le code général des collectivités territoriales
(article 1425-1) www.assemblee-nat.fr/12/ta/ta0235.asp
L'
article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales est abrogé.
Art. L. 1425-1. Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent … établir
et exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de
télécommunications au sens du 3° et du 15° de l'
article L. 32 du code des postes et
télécommunications, acquérir des droits d'
usage à cette fin ou acheter des
infrastructures ou réseaux existants. Ils peuvent mettre de telles infrastructures ou
réseaux à disposition d'
opérateurs ou d'
utilisateurs de réseaux indépendants.
L'
intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements se fait en
cohérence avec les réseaux d'
initiative publique, garantit l'
utilisation partagée des
infrastructures établies ou acquises en application du présent article et respecte le
principe d'
égalité et de libre concurrence sur les marchés des communications
électroniques…
Dans les mêmes conditions qu'
à l'
alinéa précédent, les collectivités territoriales et
leurs groupements ne peuvent fournir des services de télécommunications aux
utilisateurs finals qu'
après avoir constaté une insuffisance d'
initiatives privées
propres à satisfaire les besoins des utilisateurs finals et en avoir informé l'
Autorité de
régulation des télécommunications…
L'
insuffisance d'
initiatives privées est constatée par un appel d'
offre déclaré
infructueux ayant visé à satisfaire les besoins concernés des utilisateurs finals en
services de télécommunications.
Quand les conditions économiques ne permettent pas la rentabilité de
l'
établissement de réseaux de télécommunications ouverts au public ou d'
une activité
d'
opérateur de télécommunications, les collectivités territoriales et leurs groupements
peuvent mettre leurs infrastructures ou réseaux de télécommunications à disposition
des opérateurs à un prix inférieur au coût de revient, selon des modalités
transparentes et non discriminatoires, ou compenser des obligations de service
public par des subventions accordées dans le cadre d'
une délégation de service
public ou d'
un marché public.
Mais l’action des collectivités locales doit aussi tenir compte de la réglementation
européenne. On peut ainsi mentionner les « Lignes directrices relatives aux critères
et modalités de mise en œuvre des fonds structurels en faveur des communications
électroniques », adoptées par la Commission européenne le 28 juillet 2003, qui
prévoient que le concours du FEDER « doit être en principe limité aux
infrastructures, c'
est-à-dire aux installations (fibres noires, gaines et pylônes,...) et
aux équipements ouverts à tous les opérateurs et fournisseurs de services », dans
les régions « rurales et éloignées, qui ne disposent pas d'
infrastructures adaptées »
ou dans les régions « où les incitations commerciales sont insuffisantes pour
pourvoir à l’infrastructure adéquate permettant la mise en place d'
applications
avancées et de services d'
intérêt général ».
Certaines collectivités locales ont d’ores et déjà décidé de subventionner l’accès de
leurs entreprises à Internet. Ainsi, la région Aquitaine propose aux PME situées
dans des zones non desservies par l’ADSL de subventionner leur accès à une
technologie alternative (satellite p.ex.) à hauteur de 1000 euros en investissement et
2000 euros annuels en fonctionnement (éventuellement renouvelables).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
193
5.2.2.2. Dans les autres pays européens et aux Etats-Unis
Une des raisons d’un certain « retard français » est que la plupart des pays
concurrents ont instauré depuis plusieurs années un droit d’intervention des
collectivités locales en matière de réseaux, lorsqu’ils n’ont pas entrepris la
construction de nouvelles infrastructures nationales, comme la Suède, qui a investi
285 millions d'
euros dans la pose d’un réseau de fibre optique le long des câbles à
haute tension. 170 communes122 suédoises, sur 289, exploitent des réseaux locaux
qui leur appartiennent, et sont concédés à des exploitants privés par l’intermédiaire
de contrats de délégations de service public. L’Etat soutient le développement des
réseaux municipaux et accorde des réductions d’impôts pour favoriser l'
équipement
des entreprises.
En Espagne, aucune limite ne restreint l’action des collectivités locales. Plus de
trente d’entre elles avaient en 2002 une licence d’opérateur. Gérone (75 000
habitants) a construit en 1999 une infrastructure passive qu'
elle loue aux
opérateurs. A Valence, au contraire, c’est la ville qui loue les infrastructures d’un
opérateur pour supporter sa propre licence et développer des services, comme
l’accès à Internet et une boîte aux lettres électronique gratuite pour tous les
habitants. Un projet similaire devrait voir le jour en Catalogne (770 communes)
En Allemagne (comme aux Etats-Unis), les collectivités offrent souvent des services
d’opérateurs par l’intermédiaire des entreprises municipales d'
électricité. A Cologne,
« Netköln », exploite un réseau auquel sont connectés 87 000 clients (Forissier,
2002).
Aux Etats-Unis, le Télécommunication Act de 1996 a supprimé la distinction entre
services locaux et aux services de longue distance, aboli la distinction entre
opérateurs de télécommunications et opérateurs de la TV par câble. Les
compagnies locales publiques qui exploitent les réseaux d’eau, de gaz et
d’électricité, ou public utilities, jouent un rôle central. Selon le rapport « UT Digest »
mentionné dans Site Selection magazine (Technology Wired Cities, janvier 2001,
www.siteselection.com/issues/2001/jan/p43), 97 compagnies locales d’électricité
américaines avaient fin 2000 des activités dans les télécommunications, offrant
directement (opérateurs de services) ou indirectement (opérateurs d’opérateurs) de
l’accès à la TV par cable ou à Internet. Et ce malgré le lobbying intensif des
opérateurs de télécommunication pour que les Etats interdisent cette pratique,
comme trois d’entre eux l’ont fait à ce jour.
Une des particularités américaines est la multiplicité des opérateurs téléphoniques
locaux (filaire ou mobile), qui sont souvent impliqués dans les projets des
collectivités locales.
L’initiative du National Information Infrastructure (NII) lancée en septembre 1993
avait favorisé la création du Telecommunications and Information Infrastructure
Assistance Program (TIIAP), qui avait versé entre 1994 et 1996 79 millions de $ de
subvention, complété par 133 millions de fonds non fédéraux (www.ntia.doc.gov ).
Depuis, de nombreux Etats ont légiféré pour subventionner le développement des
réseaux et pallier aux défaillances du marché. Ainsi, le Michigan a voté des
incitations fiscales et des prêts bonifiés pour favoriser l’implantation de réseaux
dans les zones mal désservies. En 1999, le Colorado a voté la loi HB 99 1102, dite
« Community Incentive Fund », pour subventionner la création de points de
présence et de boucles locales dans tous les comtés parcouru par les
infrastructures nationales.
122
Les communes suédoises sont de vastes territoires comprenant parfois plusieurs
agglomérations, de la dimension d’un pays ou d’un arrondissement français.
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194
Regard géographique sur le paradigme numérique
5.2.3. Télécommunications et développement local : une stratégie
d’offre
5.2.3.1. Aux Etats-Unis et au Canada
Dès le milieu des années quatre-vingt-dix, les télécommunications sont devenues
« une stratégie réaliste de revitalisation » des villes et régions américaines (Kotval,
1999). Si nous laissons de côté les métropoles, qui ne relèvent pas de la même
problématique (les logiques de marché ne rendent pas l’action publique
indispensable), on peut dégager trois types d’actions : celles qui dépendent des
public utilities dans des villes moyennes, les programmes dirigés par des
organismes à but non lucratif (non-profit organizations), les programmes conduits
par les Etats.
Les villes moyennes : le rôle des public utilities
L’atout des collectivités locales, aux Etats-Unis, nous l’avons dit, est de pouvoir
transformer les companies publiques d’eau ou d’electricité (utilities) en fournisseurs
d’accès à l’Internet et à la TV. Pour de nombreuses villes moyennes, la création
d’un réseau de télécommunication performant est devenu un outil de
développement et de promotion économique majeur, permettant de valoriser leurs
principaux atouts économiques :
- des coûts immobiliers deux à trois fois plus faibles que ceux des grandes
métropoles ;
- des charges salariales et fiscales moindres (ceci étant lié au point précédent)
- un cadre de vie plus attractif (pollution, embouteillages)
Parmi les exemples les plus souvent cités figurent ceux de Tacoma (Washington) et
Lagrange (Géorgie). Mais on pourrait mentionner Ashland, dans l’Oregon, Prince
Rupert,
au
Canada,
le
Comté
de
Chelan,
dans
le
;
www.chelanpud.org/fiber/
;
Washington…(www.ashlandfiber.net
www.citytel.net/internet/brdbnd/hispeed.html#background.
Tacoma, 187 000 hab., est située à 50 km au sud de Seattle (elle fait partie de la
région économique de Seattle, mais est située en dehors de la Metro). La ville a une
solide tradition industrielle et portuaire (papeteries, 6e port de conteneurs de la côte
ouest), et souhaitait bénéficier d’un processus de déconcentration de la métropole,
victime de son dynamisme (loyers deux fois plus élevés qu’à Tacoma,
embouteillages monstrueux).
We could live anywhere we want, but we chose to come here to Tacoma," says Davis,
founder and chairman of OnFree.com and InFree.com, one of the nation'
s largest
providers of free Internet access. "We originally started in Seattle, but it'
s both hard and
expensive to get high-speed Internet access there. It'
s also hard to find people and
space in the Seattle area because of the high costs, and plus Seattle is now one of the
worst traffic cities in the United States, along with Los Angeles and Oakland." Site
Selection Magazine, janvier 2001, www.siteselection.com
Tacoma a décidé de faire des réseaux numériques un des piliers de sa politique de
développement économique : le portail économique de la ville a pour nom de
domaine www.wiredcityusa.com123. Depuis 1998, 1250 km de cable hybride (fibre +
123
On retrouve ici la dimension « marketing » du projet de territoire numérique.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
195
coaxial) ont été posés dans l’agglomération, pour un investissement d’environ 100
millions de dollars. Le projet est réalisé par la companie locale d'
électricité Tacoma
Power (qui appartient à la municipalité), et sa filiale Click! Network (www.clicknetwork.com). Click! Network est un opérateur d’opérateurs, qui ne délivre pas de
service final, mais travaille en partenariat avec plusieurs fournisseurs d’accès.
Depuis la naissance de Click! Network, près d’une centaine d’entreprises de
l’économie numérique se sont implantées à Tacoma, dont Amazon.com (centre
d’appel), OnFree.com et InFree.com (fournisseurs d’accès à Internet)124. Outre les
entreprises, la municipalité veut également attirer un collège de l’Université du
Washington, avec un objectif de 11 000 étudiants pour la fin de la décennie.
Lagrange
En 2000, Lagrange a succédé à Singapour pour le trophée de « The Intelligent City
of the Year » décerné par la World Teleport Association (devançant Chicago, New
York, Londres et Toronto).
Lagrange, est située à 90 km au sud-ouest d’Atlanta. La ville abrite plusieurs
grandes entreprises : Duracell, Kimberly-Clark, Mobil Chemical, Dow Jones/Wall
Street Journal, Caterpillar, International Paper, Georgia Pacific…, et un centre de
distribution de Wal Mart (112 000 m2). La municipalité a mis en place une
infrastructure mixte : 90 km de fibres optique (OC-12 - SONET, 32 points d’accès125)
desservent quarante gros consommateurs (entreprises et institutions) et un réseau
local hybride fibre et cuivre de 240 km, permet d'
offrir un accès à Internet aux 27
000 résidents.
Le rôle des associations à but non lucratif (non-profit organizations) dans les
régions rurales
Les programmes dirigés par des associations à but non lucratif (non-profit)
regroupant des collectivités, notamment rurales, sont trop nombreux pour être cités
tous. On peut observer une grande diversité, que ce soit dans les échelles
d’opérations, ou dans les modalités.
La Missouri Network Alliance regroupe 14 petites compagnies téléphoniques
locales. Son objectif est de desservir en priorité les territoires ruraux, à partir d’un
réseau optique de 2000 km (www.mnatele.com).
Dans le New Hampshire, Monadnock Connect, une non-profit organization, a lancé
avec succès un appel d’offre pour relier 40 villes par un backbone OC-48 à 2,4
Gbits/sec. (www.monadnockbroadband.org)
Le réseau Columbia Mountain Open Network, doit relier 140 villes et villages de
Colombie britannique, dans une région qui ne bénéficie même pas de l’ADSL.
L’objectif est de connecter toutes les écoles à 10 Mbits/sec (écoles rurales) ou 100
Mbits/sec (collèges et lycées), et d’offrir 1 Gbit/sec. aux institutions publiques et
hopitaux (www.cmon.ca/index.html, www.sparwood.bc.ca/speed/index.htm)
Dans le Comté rural de Graham, Kansas, le programme est piloté par Rural
Telephone Inc., une coopérative créée en 1950 par un groupe de fermiers. Toutes
les écoles sont déjà connectées à un réseau optique de 500 miles
(www.ruraltelephone.com, www.ruraltel.net/gced/fiber.htm). Le comté de Newaygo,
considéré comme le plus rural et le plus pauvre du Michigan, a créé le Newaygo
124
C’est un fait, mais une fois encore, il ne faut pas voir de lien causal direct entre
l’infrastructure et l’arrivée des entreprises, motivées surtout par le facteur coûts
d’investissement (immobilier éventuellement) et coûts opérationnels (location, salaires,
fiscalité), auquel s’ajoutent la minimisation des externalités négatives par rapport à la
métropole voisine (encombrements).
125
SONET = Synchronous Optical Network. OC = Optical Carrier. OC-1 correspond à 51,85
Mbits/sec. OC-12 permet 12 fois cette capacité, soit 702 Mbits/sec.
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196
Regard géographique sur le paradigme numérique
County Advanced Technology Service (NCATS), chargé de déployer un réseau
optique à un Ggbits/sec. pour connecter les écoles, les hôpitaux et les
administrations (www.ncats.net/challenge_grant/abstract.html)
Les programmes à l’échelle des Etats
L’Etat de l’Iowa, fortement rural, a créé une agence « The Iowa Communications
Network » (ICN) chargée du déploiement de 3000 miles de fibre optique à travers
99 comtés, ce qui placera la totalité de la population à moins de 15 miles du réseau.
Des applications de vidéo-conférence ont déjà été mises en places entre les
administrations de l’Etat (www.icn.state.ia.us).
Connecting Minnesota est une initiative mixte, privée et publique, qui doit investir
195 millions de dollars dans la création d’une infrastructure le long des autoroutes,
qui devrait mettre 80 % de la population de l’Etat à moins de 10 miles de cette
dorsale.
Dans l’Utah, 18 villes sont à l’initiative du programme UTOPIA (Utah
Telecommunication Open Infrastructure Agency), lancé en 2003, qui doit comporter,
une infrastructure optique passive de type FTTH (Fiber To The Home), et un
ensemble d’interfaces locales d’interconnexion (répartiteurs) actives de type MPLS
(Multi-Protocol Label Switching), qui permettent d’intervenir à distance, soit pour des
changements d’opérateurs, soit pour augmenter les capacités du réseau, qui doit
permettre de supporter une gamme variée de service : téléphone, TV, Internet
(www.utopianet.org).
5.2.3.2. En France
Les avancées législatives et technologiques font de la période 2003-2004 un
tournant. Des métropoles aux plus petites communes rurales, les collectivités sont
de plus en plus attentives à ce problème, même si la plupart sont en position
d’attente ou d’observation des expérimentations conduites ici ou là.
On remarquera que la France possède l’équivalent, en quelque sorte, des utilities
américaines, sous la forme des syndicats intercommunaux ou départementaux
d’électricité et d’équipement, qui, pour deux d’entre eux au moins (Ain et Ile de
France), se sont dotés de compétences en matière de télécommunications. Une
source de documentation précieuse est constituée par le dossier « haut débit et
collectivités »
sur
le
site
de
la
SAEM
Susinet126 :
www.saemsusinet.net/dossiersthematiques/haut-debit.htm#ancre3.
Depuis 2002-2003, on assiste à l’émergence de projets à un rythme accéléré. Le
déroulement des opérations est souvent le même : constat de carence, vote d’un
budget, appel d’offre, création éventuelle d’une SEM, signature d’une convention de
délégation de service public avec une entreprise chargée de la commercialisation
du réseau auprès des opérateurs de service.
Les boucles régionales et départementales
Depuis 2002-2003, les projets sont trop nombreux pour être développés tous.
Certains projets sont destinés à répondre aux besoins d’un groupement fermé
d’utilisateurs (GFU), comme le réseau Rhône-Alpin des établissements
d’enseignement et de recherche Amplivia, ou le réseau Télémus en Champagne126
Société anonyme d’économie mixte créée le 4 septembre 2000 par Amiens Métropole, le
Conseil Général de la Somme et la Ville de Saint-Quentin, pour le développement et la veille
en matière de TIC et de développement local.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
197
Ardennes127. Mais les plus nombreux et les plus intéressants sont ceux qui doivent
permettre à la plus grande partie des habitants et des entreprises d’un territoire
d’accéder au réseau, en mettant à la disposition des opérateurs une infrastructure
passive de type fibre noire, sous l’égide de l’article 1511-6 du CGCT (et bientôt du
1425-1 qui le remplace). Ce qui n’a pas été le cas du projet du département du
Rhône, dont la structure juridique est très différente, puisque l’exploitation du réseau
est concédée à un seul opérateur.
En tout état de cause, on constate que ce sont les départements qui se sont le plus
vigoureusement emparés du sujet. Une étude plus approfondie permettrait de savoir
pourquoi. On peut avancer des hypothèses, liées à la plus grande étendue et à
l’hétérogénéité des territoires régionaux, qui rend plus difficile, non seulement le
dessin d’une infrastructure cohérente et pas trop coûteuse128, mais aussi et surtout
la mise en œuvre politique du projet, par la multiplication des parties prenantes et le
risque des conflits locaux : comment faire travailler ensemble la Moselle (Metz) et la
Meurthe-et-Moselle (Nancy) ou les Alpes Maritimes (Nice), le Var (Toulon) et les
Bouches du Rhône (Marseille) ? Car déployer une infrastructure optique, c’est
décider d’un tracé, qui passera, ou ne passera pas, dans telle ou telle commune,
telle ou telle zone d’activité.
Il y a là, sans doute, une piste de recherche pour les années à venir : observer la
constitution de ces réseaux, et leur interconnexion progressive – un domaine où les
régions ont de toute évidence un rôle à jouer.
Un projet pionnier : les « autoroutes rhôdaniennes de l’information » (ARI)
Aujourd’hui pratiquement achevé, le projet des ARI a été lancé dès 1990, à
l’initiative du sénateur R. Tregouët, vice-président du Conseil Général. Le maître
d’ouvrage est le Syndicat rhodanien de développement du câble (SRDC) qui
regroupe toutes les communes adhérentes. Le SRDC a confié la conduite du projet
à un syndicat mixte, l’Établissement public pour les Autoroutes rhodaniennes de
l’information (EPARI), qui a par la suite concédé l’exploitation du réseau à la société
Rhône vision câble, filiale de UPC France.
De novembre 1996 à décembre 2003, un réseau hybride (fibre + coaxial) a été
déployé sur 3000 km (dont 1600 km de tranchées). Début 2004, 279 communes
(dont certaines de 60 habitants) sont reliées au réseau, soit la quasi totalité des
communes situées en dehors de l’agglomération lyonnaise129. Le coût du réseau,
227 millions d’Euros, a été pris en charge à 70 % par UPC France qui propose à
270 000 foyers de la téléphonie, de la TV par cable, et de l’accès à Internet. En
échange de la desserte des secteurs les plus ruraux du département, le Conseil
général du Rhône a pris en charge 30 % du financement. Dix pour cent de la bande
passante sont réservés pour la desserte gratuite des écoles et institutions publiques
du département (1500 sites, dont 162 collèges et 300 écoles
(www.rhone.fr/noheto/ebn.ebn?pid=12&pthm=5&prub=80&pnfo=68).
Cette infrastructure ne dessert toutefois que les bourgs centres, ce qui laisse à
l’écart 30 % de la population des zones rurales. Aussi le département a-t-il lancé le
programme « Rhône sans fil », basé sur la technologie WiFi (www.rhonesansfil.net),
pour lequel l’association du même nom a obtenu de l’ART une licence d’opérateur
127
420 km de fibres optiques déployées par 9 Télécom, investissement de 8 millions
d’Euros, opérationnel fin 2003.
128
Comme on le voit sur les illustrations suivantes, un réseau de collecte qui veut irriguer
toutes les zones d’activités d’une grande agglomération ou d’un département est déjà d’un
tracé complexe.
129
Communes non adhérentes : communes du plan câble (Bron, Décines, Lyon, Meyzieu,
Saint-Fons, Saint-Priest, Villeurbanne), communes câblées individuellement : SaintGermain-au-Mont-d’or, Tarare, Vénissieux, Villefranche.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
expérimental Wi-Fi. Sur soixante secteurs du département, les réseaux WiFi (2 km
de portée à vue) seront connectés à des points hauts (mairie, école, éventuellement
Pylone) sur le cable des ARI, puis concentrés vers deux lieux d’interconnexion au
réseau Internet : le centre ERASME de St. Clément-les-Places et le GIX Lyonix
situé sur le campus de la Doua (Lyon-Villeurbanne). Rhône sans fil propose une
connexion à l’Internet de 1 Mbit/s symétriques pour 44 euros TTC mensuels. 150
clients sont escomptés pour la fin de l’année 2004, dont une moitié de PME dans
des secteurs les plus divers, du textile à l’informatique.
Le projet des ARI comporte aussi un volet éducatif (applications pédagogiques de
type cartable électronique), qui s’appuie sur le centre d’expérimentation ERASME,
implanté à St. Clément les Places, dans les Monts du Lyonnais.
Le département du Maine-et-Loire a signé le 12 décembre 2003 la délégation de
de service public de 20 ans qui lance le projet Melis@. Une infrastructure optique
passive de 640 km, opérationnelle en 2005, sera construite, exploitée et
commercialisée par un concessionnaire constitué en société par action, un
consortium formé par Vinci-Networks, SAGEM, Cofiroutes etc. (figure n° 44). Une
des particularités de ce réseau, d’un coût en investissement de 28 millions d’Euros,
est de reposer en partie sur les pylones de transport d’énergie électrique de RTE
(filiale de EDF), pour laquelle ce réseau constitue un projet pilote.
Dans le département de l’Oise, une délégation de service public a été obtenue
début 2004 par LDcable (groupe 9 Telecom), pour la couverture complète du
territoire, associant trois réseaux métropolitains principaux (Beauvais, Compiègne et
Creil) et des boucles secondaires, plus 18 réseaux locaux sans fil (figure n° 45).
Soixante zones d’activités doivent être raccordées au réseau. L’investissement doit
dépasser 50 millions d’Euros. Un groupement d’entreprise, Téloise130, sera chargé
de
l’administration
et
de
la
commercialisation
du
réseau
(www.cg60.fr/cg60/Groups/espace_dircom/lactu_du_cg60/les_communiques_de_p/l
dcable_va_deployer ).
Dans l’Ain, c’est le Syndicat intercommunal d’électricité de l’Ain (dont les statuts ont
été modifiés le 10 juillet 2003 pour qu’il puisse exercer des compétences
d’opérateur) qui devient maître d’œuvre de l’équipement en infrastructure de
télécommunications. Une boucle optique de 350 km qui sera loué aux opérateurs de
services doit relier les « points actifs » du département (Entreprises Rhône-Alpes,
juillet 2003 - n° 1464).
Dans le département de la Moselle, un réseau optique de 800 km d’une capacité
maximum de 40 Gbits/sec. sera construit par Sogea (groupe Vinci) et Alcatel, pour
être ensuite loué aux opérateurs. Le budget est de 83 millions d’Euros (dont la
moitié à la charge des collectivités), pour une mise en service prévue en 2006
(www.zdnet.fr, 7 juillet 2004).
La région Limousin a mis en place en 2003 un syndicat mixte régional, dénommé
« DORSAL » (Syndicat mixte pour le Développement de l'
Offre Régionale de
Services et de l'
Aménagement des télécommunications en Limousin). L’objectif est
de déployer un réseau de 625 Km desservant 25 villes de la région. La procédure
de délégation de service public a été lancée en janvier 2004, et les travaux doivent
débuter fin 2004 (http://dorsal.unilim.fr).
Tous ces projets ont pour but de réduire ce que certains appellent une « fracture
numérique » entre la plus grande partie des territoires des régions, et les
130
LDcable sera l’actionnaire de référence, avec la Caisse des Dépôts et Consignations ou
encore le Crédit Agricole de l’Oise.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
199
métropoles, qui sont dotées de boucles locales de type MAN, qu’elles soient
déployées par les acteurs privés ou par les collectivités locales.
Dans les métropoles : exemple de Paris, Nantes et Toulouse
Les communes de la Petite Couronne parisienne (4 millions d’habitants) s’étaient
regroupés en syndicat pour la gestion de la fourniture d’électricité dès 1924. Depuis
1997, le SIPPEREC (Syndicat Intercommunal de la périphérie de Paris pour
l'
électricité et les réseaux de communication) exerce une compétence en matière de
télécommunications, qui s’est traduit, notamment, par la création d’IRISE, boucle
métropolitaine de 276 Km qui dessert 80 communes (un POP dans chaque
commune), achevée en 2002 (figure n° 46). La délégation de service public (2000) a
confié à 9 Télécom une concession de 18 ans pour l’exploitation de cette
infrastructure ouverte aux opérateurs de télécommunications, qui peuvent louer de
la fibre noire pour déployer des services (9 Télécom joue ici le rôle d’opérateur
d’opérateurs).
A Nantes, le réseau O-méga comporte 170 km de fibre optique, reliant 300 sites,
pour un budget de 12 millions d’Euros (figure n° 47). Ce réseau est destiné en
priorité à trois groupements fermés d’utilisateurs (GFU) : collectivités territoriales,
établissements de santé, enseignement supérieur et recherche, qui bénéficient de
débits allant de 10 Mbits/sec à 1 Gbits/sec. Le réseau doit être connecté avec
« Mégalis », le réseau régional des Pays de la Loire et de la Bretagne. Les
surcapacités du réseau sont louées à des opérateurs privés. Les établissements
non desservis par la fibre optique sont raccordés par BLR, ADSL, faisceau hertzien
ou liaison louée à 2 Mbits/sec. (www.01net.com/article/237365.html).
La communauté d’agglomération du Grand Toulouse a financé la construction de
« l'
Infrastructure Métropolitaine de Télécommunications » (IMT), achevée depuis
2001. L’IMT est constituée de 5 boucles (77 km au total) de 144 fibres optiques qui
peuvent acheminer 2,5 Gbits par paire. Cette infrastructure passive (fibre noire) est
ensuite louée aux opérateurs (une trentaine, potentiellement). Ce réseau, qui doit
être étendu à 220 km, a coûté 7,6 millions d’Euros.
L’exploitation, la supervision et la commercialisation du réseau ont été confiées à
une société spécialisée, Garonne Networks, filiale de Vinci131 et de la Caisse des
Dépôts.
- Avec l'
IMT, la Communauté d'
Agglomération offre aux entreprises de son territoire
des conditions de compétitivité égales à celles de leurs concurrents et favorise le
développement du secteur des Technologies de l'
Information et de la Communication.
- Ce réseau est mis à disposition de tous les opérateurs télécoms. Il offre une garantie
d'
accès à tous les secteurs géographiques du Grand Toulouse dans des conditions
techniques et tarifaires optimales pour chaque utilisateur.
- L'
IMT est financé par le Grand Toulouse. Ce réseau s'
inscrit dans le cadre de la
politique locale d'
aménagement du territoire et de développement économique.
Le Grand Toulouse, la Région Midi-Pyrénées et les huit départements qui la
composent, envisagent l'
interconnexion de tous leurs futurs réseaux d'
infrastructures
en
fibres
optiques
dans
un
but
de
continuité
de
service.
www.grandtoulouse.org/index.php?pagecode=73
131
Leader mondial de la construction et de l’exploitation d’infrastructures concédées
(autoroutes, parkings…).
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200
Figure n° 44
Regard géographique sur le paradigme numérique
Le réseau Melis@, département de Maine et Loire
Figure n° 45 Le réseau Téloise, département de l’Oise
www.cg60.fr/cg60/Groups/espace_dircom/lactu_du_cg60/les_communiques_de_p/reseau_h
aut_debit_da_10787590058280)
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 46
Le réseau IRISE (www.sipperec.fr)
Figure n° 47
Le réseau IMT (www.grandtoulouse.org/index.php?pagecode=73)
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201
202
Regard géographique sur le paradigme numérique
Les villes moyennes, petites villes et bassins d’emploi ruraux : quelques
exemples
Un projet pionnier : Castres-Mazamet
Une des expériences les plus précoces, les plus connues et les plus étudiées (Puel
& Vidal, 2003) est celle du bassin de Castres-Mazamet, qui a eu les honneurs du
quotidien Le Monde dès le 8 déc. 1998. L’argument principal du projet était la
pérennisation de l’implantation locale des laboratoires Pierre Fabre, le premier
employeur d’un bassin d’emploi de 85 000 hab., mal relié à Toulouse (76 km. sans
autoroute ni voie rapide).
La réalisation du projet a été déléguée à une société anonyme d’économie mixte,
Intermédiasud, dont le tour de table était composé des villes de Castres, Mazamet
et Labruguière, de la Communauté d'
Agglomération Castres-Mazamet, des
laboratoires Pierre Fabre, des Chambres de Commerces et d'
Industries, de la
Caisse d'
Epargne, de l’Office public des HLM et de PME/PMI. 90 km de boucle
optique à 155 Mbits/sec. ont été posés le long de la voirie et la zone économique
« Causse Espace d’Entreprise » a été pourvue d’un téléport (www.villecastres.fr/html/entrep/numerique.htm).
Pau, un projet d’avant-garde : Gigabit Ethernet et « Fiber to the Home »
Le « Pau Broadband Country » (figure n° 48) entré en phase opérationnel en 2004,
représente un saut technologique (et en termes de rapport qualité/prix pour les
utilisateurs) par rapport à tout ce qui s’est fait en France jusqu’à présent :
le réseau est structuré autour d’une boucle locale Gigabit Ethernet de 44 km
(2,5 Gbits/sec.)132, dont la ville est le propriétaire ;
surtout, le projet prévoit le raccordement complet des ménages et des
entreprises en fibre optique « de bout en bout » (FTTH) avec un débit potentiel
maximal de 100 Mbits/sec.
Par ailleurs, le programme prévoit le déploiement, sous l’égide de l’article 1425-1 du
CGCT, d’une plateforme complète de services :
Accès à Internet ;
Téléphonie sous IP ;
TV et radio sous IP ;
Location de vidéos de qualité DVD parmis un catalogue de 3500 documents
et de mp3 diffusés sur le réseau (équivalent du Kiosque Canal +) ;
Visio conférence (pour les entreprises).
Le délégataire de service public est la Société Paloise pour le Très Haut Débit
(SPTHD), qui sera chargée de la commercialisation auprès des opérateurs de
service. La convention de délégation a fixé comme objectif le raccordement optique
de 37 000 logements et sites. D’ici 2007, 80 % des habitants de Pau devraient
bénéficier d’une connexion à 10 Mbits/sec. (descendants), pour 30 Euros par mois
(c’est le prix actuel d’une connexion ADSL à 125 Kbits/sec.). Les entreprises
disposeront jusqu’à 100 Mbits/sec. pour 70 à 90 Euros mensuels. Par ailleurs, le
dégroupage total des centraux de France Telecom et leur connexion à la boucle
locale d’agglomération permettront de proposer à tous les habitants une solution
ADSL transitoire à 5 Mbits/sec. en réception et 1,5 Mbits/sec. en émission
(http://eco.agglo-pau.fr/Initiatives/PBC/pbc.htm).
Nous avons présenté ci-dessous des extraits légèrement expurgés (le langage des
jeunes internautes n’est guère châtié) d’un forum qui montre, d’une part, le
132
Maître d’œuvre : SAGEM-Vinci.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
203
caractère révolutionnaire du projet, et d’autre part les réactions ironiques qu’il
suscite de par le fait que, pour une fois, ce n’est pas Paris qui se situe à l’avantgarde du progrès technique.
Figure n° 48 Schéma technique du « Pau Broadband Country » (PBC)
(source : http://forum.hardware.fr/hardwarefr/WindowsSoftwareReseaux/sujet-146515-1.htm
Le très haut débit à Pau : une petite révolution chez les internautes
(orthographe non corrigée)
oui, bientot fini pour moi ADSL en tres bas debit a 512/128 de chez wanadoo, le 13
avril 2004 j'
aurais le haut debit PBC a 100 megabits
Je suis etonné, avec PAU il y a que 5 villes au MONDE ! qui possedent une
connexion à 100 megabits, en agglomération
C’est clair que dans votre ville, c’est la fin de ADSL et de France Telecom
enfin plus d'
abonnement telephonique chez FT !
cette annonce pour ce departement c’est du tout bon!
cela va faire boule de neige pour les autres villes
c'
est clair que la ville de PAU maintenant, va attirer des starts up grace a ce haut debit
(hors-norme) en France
en cours notre prof en Ingénierie nous a annonce que Microsoft s'
installera a PAU
comme centre europeen… la Marque toshiba est prevu aussi de debarquer
pour vous Palois c tout bon pour les taxes professionnel et le chomage....
c'
est etrange partout les internautes gueulent pour avoir du haut debit a bas prix, et
quand une ville le fait la Premiere en France …
Cela me dégoûte, les paysans avec leurs vaches à Pau n'
ont pas le droit d'
avoir un
133
débit 5 à 50 fois plus fort qu'
à Paris ! PBC = Prime à la Brebis et à la Chèvre
ce genre de jalousie a ete pareil lors du debut de ADSL en France
Et pour finir, pour une fois que ca viens pas de PARIS (hihihi), cette initiative, mais
d'
une petite ville de 150 000 Habitants, a 1 heure de la mer et de la montagne.
http://forum.hardware.fr/hardwarefr/WindowsSoftwareReseaux/sujet-146515-1.htm
133
Sigle officiel en vigueur dans le domaine des aides agricoles (nous précisons).
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204
Regard géographique sur le paradigme numérique
Au Pays Basque
La communauté d’agglomération de Bayonne-Anglet-Biarritz s’est dotée en 2003
d’une boucle locale opérée par 9 Télécom, qui a investi 20 millions d’Euros. Les
pépinières d’entreprises de Mauléon, Saint-Palais et Hasparren sont reliées à ce
réseau par liaisons satellite et Wi-Fi, dans le cadre d’une expérimentation soutenue
par le CNES de Toulouse, l’Agence Pays Basque des NTIC, la Région Aquitaine
(40%) et le FEDER (www.antic-paysbasque.com).
Dans les territoires du « rural périphérique »
Comme nous l’avons écrit dans le chapitre 2, 10% de la population française, vers
2006, ne pourrons pas bénéficier de l’ADSL dans des conditions commerciales
normales. La technologie la plus adaptée pour ces territoires, est celle du couplage
entre une liaison satellite et un réseau local de type WiFi. Ce qui suppose une
action collective. Plusieurs expériences sont en cours, comme dans le département
du Rhône (Monts du Lyonnais), que nous avons déjà évoqué.
L’exemple de Camps-sur-l'
Agly (56 habitants), choisi par le Conseil général de
l’Aude comme village test, est particulièrement instructif. Une parabole installée sur
le bâtiment de la mairie capte le signal satellite (2 Mbits/sec. en réception, 512
Kbits/sec. en émisssion) et le renvoie vers un routeur-emetteur WiFi qui alimente
ensuite les installations des particuliers. Coût de l’équipement : 3 200 euros HT. Le
coût de l'
abonnement par habitant est de 26 euros par mois, avec location d'
une
carte Wi-Fi Le maître d’œuvre du projet est une entreprise locale de services,
Nostre Pais (www.agly.fr.fm, www.01net.com/article/237364.html). A Montesquiou
(290 habitants) dans le Gers, un entrepreneur de retour au pays a investi 140 000
Euros dans la création d’un réseau local WiFi, avec pour objectif de desservir cinq
villages et 5000 habitants (Le Journal du Net, 22 mai 2003).
Conclusion
Incontestablement, une dynamique s’est enclenchée en ce qui concerne
l’engagement des collectivités locales dans la mise en place d’infrastructures de
télécommunications à haut débit. Si tous les territoires ne sont pas au même degré
d’avancement, on peut dire qu’aujourd’hui, les télécommunications ont pris
pleinement leur place dans les politiques publiques d’aménagement en
infrastructures. Si on compare l’exemple américain et l’exemple français, on
constate que les collectivités des deux pays sont engagées dans des projets
similaires, avec des armes juridiques assez comparables. On pourrait en dire autant
des autres pays d’Europe occidentale.
Aujourd’hui, les technologies, la législation, sont susceptibles d’apporter des
solutions viables à la presque totalité de la population et des acteurs des pays
développés. A moyen terme, il est probable que le citoyen et l’entreprise
européenne ou américaine pourront disposer, au minimum, et à un coût raisonnable
(20 à 30 Euros mensuels), d’un accès « illimité » à 250 Kbits/sec., voire 500 ou
1000 Kbits/sec., et ce indépendamment de leur situation géographique. Mais la
quête de la télé-accessibilité est sans fin, par définition. Celui qui dispose de 250
Kbits/sec voudra 1 Mbits, celui qui dispose d’un Mbits en voudra 10 pour bénéficier
du triple play, etc.
Dès lors, on est conduit à revenir aux enjeux évoqués dans l’introduction de cette
section, et à la portée de ces aménagements. Si on prend l’exemple du réseau de
Castres Mazamet, la conclusion de la note de recherche publiée par G. Puel et M.
Vidal (2003) est que cet aménagement n’a pas eu d’effets moteurs sur le
développement économique du territoire. Très peu de créations d’emplois peuvent
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Regard géographique sur le paradigme numérique
205
lui être imputées. Comment, dès lors, mesurer le retour sur investissement ? Les
commentaires optimistes du forum Internet sur l’arrivée prochaine à Pau de startups et d’entreprises phare du secteur des TIC sont-ils fondés ?
On se situe, comme dans le cas du télétravail, dans la délicate analyse d’un
phénomène par défaut : la question n’est pas tant de connaître le nombre d’emplois
créés, que le nombre d’emplois sauvegardés.
Par ailleurs, quand bien même des emplois auraient été créés, comment mesurer la
part de responsabilité du réseau de télécommunication dans les phénomènes
d’attraction ? On en revient à la position la plus courante, qui est celle de P. Veltz
notamment, à savoir que l’effet structurant des télécommunications opère par
défaut : les réseaux à haut débit feront sentir leurs effets, négatifs, là où ils ne
seront pas déployés. Ce mécanisme de l’effet par défaut n’est pas propre aux
télécommunications. Comme nous l’avons déjà dit, les effets structurants des
transports ont été souvent remis en question (Offner, 1993).
Il n’en reste pas moins qu’une offre diversifiée et compétitive de services en
télécommunications fait désormais partie des aménités que tout territoire soucieux
de son développement doit offrir à ses citoyens, ses administrations et ses
entreprises.
Mais l’infrastructure de télécommunications, l’accès à Internet à haut débit, ne sont
pas le seul et unique modus operandi par lequel se matérialise ce qu’on appelle
« l’aménagement numérique des territoires ». La société dite « de l’information », et
tout particulièrement l’économie numérique, semblent avoir besoin d’espaces
dédiés, qui sont aussi des lieux emblématiques, ceux que S. Graham appelle des
« networked premium spaces ». La production de ces lieux définit ce que nous
appelons « l’urbanisme numérique ».
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206
Regard géographique sur le paradigme numérique
5.3. Effets de lieux :
numérique »
l’émergence
d’un
« urbanisme
Le déploiement de réseaux de télécommunications dans les villes est déjà, à bien
des égards, de l’urbanisme. Mais ce qui nous semble encore plus révélateur de
l’émergence d’un « urbanisme numérique », ce sont des politiques qui aboutissent,
à la création de lieux, d’espaces, de quartiers, qui sont dédiés à l’usage des TIC.
Nous verrons que l’on se situe dans un domaine où il est artificiel de distinguer le
contenu idéel et le contenu réel : les usages des TIC sont la raison d’être de ces
opérations, mais le paradigme numérique est au cœur de ces projets en tant que
producteur de sens et support de marketing.
Le concept même d’urbanisme numérique est paradoxal, en ce sens qu’il ne peut
être compris sans le recours à « l’effet de lieux », qui est l’antithèse du télé-accès.
Nous avons amplement développé dans le chapitre 4 le rôle des relations de face à
face, et des phénomènes d’agglomération dans le « bruissement informationnel »
constitutif des milieux d’affaire, d’innovation, de créativité. Ainsi, pour que les
territoires puissent bénéficier des réseaux de télécommunications qu’ils déploient, il
faut que des espaces bien réels soient produits, pour devenir des lieux privilégiés de
production et de consommation de ces nouvelles technologies, en étant, non pas
seulement des lieux d’interconnexion de réseaux numériques, mais aussi des
carrefours de rencontres entre les individus.
Le deuxième facteur qui justifie la création de ces lieux, est la quasi invisibilité des
réseaux et des flux de télécommunication. En créant ces lieux de consommation, de
production, de rencontre, l’aménageur crée des objets urbains visibles,
emblématiques, qui viennent matérialiser un projet de territoire numérique au yeux
des investisseurs et des usagers (qui sont électeurs et contribuables). Qu’il soit
présenté sur Internet sous forme de maquette numérique 3D, ou, plus tard, sous sa
forme « verre, acier et béton » définitive, le projet d’urbanisme numérique est aussi,
dans tous les cas, une opération de marketing.
Dans notre étude sur les politiques publiques liées aux TIC dans les territoires
ruraux de la région Rhône-Alpes (Moriset, 2000-c), nous avions souligné le rôle
central de la création de ces lieux et espaces, qu’il s’agisse des centres multimédia
des Inforoutes de l’Ardèche, ou du centre expérimental e
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Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected]
Regard géographique sur le paradigme numérique
207
pays occidentaux, l’heure n’est plus guère aux grands projets futuristes, surtout
depuis la crise de 2000/2001. Dans un contexte moins interventionniste, il s’agit
surtout de consolider la numérisation des métropoles en offrant des espaces de
travail aux entreprises. Les projets sont plus orientés vers le renouvellement urbain.
Dans une troisième sous-section, nous évoquerons deux exemples d’utilisation des
TIC pour la gestion du territoire, dans le domaine de la régulation des transports et
de la vidéo-surveillance urbaine. Un aspect de l’utilisation des technologies qui
présente l’intérêt de poser le problème du risque de l’envahissement de la société
par le « panopticisme » numérique.
On veillera à ne pas confondre urbanisme numérique et « urbanisme des systèmes
d’information », qui n’est absolument pas de l’urbanisme au sens propre, c’est à dire
une science de la ville, mais une science de l’organisation des entreprises, qui
cherche à comprendre et améliorer les système d’information d’entreprise, en
utilisant les méthodes de l’urbanisme de la ville (cf. Club Urba-SI, 2003. Pratiques
de l'urbanisme des systèmes d'information en entreprises, Paris, Publibook, 174 p.).
5.3.1. Dans les pays émergents : la multiplication des projets de
« district multimédia »
Dans les pays émergents d’Asie, une des tendances fortes des politiques
d’aménagement et de développement économique métropolitain est la création ex
nihilo de territoires numériques, qui vont du parc scientifique évolué à des villes
nouvelles dédiées au numérique et à ses usages. Ce phénomène a déjà attiré
l’attention des chercheurs en géographie, avec notamment K. Corey (1998, 2000) et
T. Bunnel (2002). Il correspond à un contexte particulier de développement : forte
croissance économique, démographique et urbaine, point de départ très bas de la
nouvelle économie. Cette pratique volontariste vise à sauter les étapes. Elle
rappelle un peu la stratégie de « l’industrie industrialisante » des années soixantedix (qui s’est avérée un échec dans la plupart des cas). Elle pose le problème de
l’insertion de ces projets dans le tissu économique et social du reste du pays,
problème plus sensible dans les pays vastes, où le niveau de vie moyen est bas
(Malaisie, Chine, Inde), moins grave à Singapour, Hong Kong ou en Corée.
Nous présentons ci-après quatre exemples particulièrement significatifs, en
Malaisie, Corée, à Hong-Kong et Dubaï. On aurait pu aussi parler de Shangai
(district de Pudong), Pékin (International Media Street, district de Zhongguancun),
Taïpei (Hsin-Chu Science-based Industrial Park), voire d’opération moins
ambitieuses et moins intégrées, comme l’International Tech Park de Bangalore.
5.3.1.1. Le Multimédia Super Corridor de Kuala Lumpur
Le Multimedia Super Corridor est la concrétisation la plus importante du projet du
gouvernement malais, sous l’impulsion de l’ancien premier ministre M. Mahatir, de
faire entrer le pays dans « l'
ère de la société de l'
information mondialisée »134.
As a strategy to achieve the vision, Malaysia has embarked on an ambitious plan to
leapfrog into the Information Age by providing intellectual and strategic leadership
(www.msc.com.my).
134
Pour reprendre le terme consacré par la sphère politico-médiatique.
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208
Regard géographique sur le paradigme numérique
Le projet s'
étend sur un territoire de 50 km de long et 15 km de large, entre le CBD
de Kuala Lumpur (avec les immeubles emblématiques que sont les tours Pétronas,
les plus hautes du monde) et l'
aéroport international de Kuala Lumpur, inauguré en
1998. Entre ces deux pôles s'
étendent les deux « villes intelligentes » (smart cities)
de Putra Jaya et Cyberjaya (figure n° 49). La première doit abriter notamment le
siège du gouvernement fédéral et sera la tête de réseau pour un ambitieux projet
d'
administration électronique à l'
échelle du pays. La seconde est une ville
technologique entièrement dédiée aux TIC et au multimédia, dans le domaine des
entreprises de pointe, des services publics et de la formation (Université du
Multimédia), et du secteur résidentiel (28 000 logements pré-cablés prévus pour 120
000 habitants). Le projet sur ces deux villes a couté plus de 8 milliards de dollars
entre 1995 et 2002.
L'
ambition économique du MSC est de fournir un environnement global favorable
aux entreprises de TIC : contraintes administratives et fiscales réduites au minimum,
infrastructures et services de transport et de télécommunication du meilleur niveau,
cadre de vie agréable, ressource humaine de qualité. Le modèle économique et
politique du MSC est ouvertement celui du libéralisme mondialisé.
Le MSC abrite fin 2002 plus de 689 entreprises statutaires, 24 institutions de
formation supérieure et 4 incubateurs. Ces entreprises couvrent l'
ensemble du
secteur des TIC, notamment le logiciel (250 entreprises), les services Internet (160
entreprises env.), le développement de contenu multimédia (84 entreprises), la
fabrication, la conception et l'
intégration de systèmes (101), les télécommunications
(54), l'
enseignement et la formation (45), la production audio-visuelle (21)... Un tiers
sont des entreprises étrangères, dont plus de 50 d'
échelle mondiale (figure n° 50).
Pour bénéficier du statut de membre du MSC et des avantages qui y sont liés en
matière d'
installation et de services, les entreprises doivent satisfaire à un cahier
des charges précis, qui détermine le secteur d'
activité (l'
industrie manufacturière, le
consulting, le commerce - même de produits informatiques - sont bannis).
Le MSC dispose d'
un puissant réseau de télécommunications, avec une capacité
d'
accès au réseau mondial de 2,5 Gbits, extensible à 10 Gbits. Le MSC héberge un
GIX qui permet le peering entre les opérateurs présents sur les divers sites. Tous
les immeubles sont précablés, certains dotés de la capacité WiFi
Critères d'éligibilité au statuts du Multimedia Super Corridor :
To qualify for MSC Status and its benefits, an applicant must comply to 6 eligibility
criteria:
1.Be a Provider or a Heavy User of Multimedia Products and Services.
2.Employ a substantial number of knowledge workers.
3.Provide technology transfer and/or contribute towards the development of the MSC
or support Malaysia'
s k-economy initiatives.
4.Establish a separate legal entity for the MSC qualifying multimedia business and
activities. 5.Locate in a MSC designated cybercity;
6.Comply with environmental guidelines (www.msc.com.my)
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 49
Le " Multimedia Super Corridor" (www.msc.com.my)
Figure n° 50 La croissance du pôle technologique du Multimedia Super Corridor
(www.msc.com.my)
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209
210
Regard géographique sur le paradigme numérique
5.3.1.2. Seoul Digital Media City (DMC)
Le plan de développement du DMC a été dévoilé en avril 2000. Ses 54 ha. font
partie d’un programme plus vaste, le Millennium City Development Project, qui
s’étend sur 6,6 km2, et inclut notamment le World Cup Park et le Seoul World Cup
Stadium135. Une autoroute permet de rejoindre en 30 minutes le nouvel aéroport
international de Seoul-Incheon.
La stratégie du DMC est de créer un pôle intégré concernant l’ensemble des
secteurs de l’économie numérique, pour faciliter les externalités de convergence
et synergies, mais aussi incluant l’usage expérimental et exemplaire de ces
technologies, grâce à la Sangam Housing Zone (38 ha. et 4500 appartements)
qui comprend services éducatifs et médicaux.
L’infrastructure de télécommunication est prévue pour pouvoir offrir jusqu’à 52 Mbits
à toutes les entreprises ou résidents, grâce à une connexion directe de l’ordre du
Tbits/sec. aux backbones Internet mondiaux. De plus, l’ensemble de la zone pourra
bénéficier d’une couverture mobile de type WiFi.
Parmi les équipements ou projets phares du programme (encadré n° 25), on peut
noter
- l’hébergement d’une antenne du Media Lab du MIT ;
- la création d’un Digital Culture Content Promotion Center ;
d’un Internet broadcasting center ;
d’une cyber-université.
DMC is designed to be a hi-tech city of information that will become an international
mecca of everything from the media world to the grand stage of economy, culture and
environmental friendly environment.
Objectives:
- Construct an exclusive information metropolis for local and global high-tech digital
media corporations which would serve as the high-tech hub of Northeast Asia
- Create a futuristic, environment-friendly multipurpose town to help the city of Seoul
meet the challenges of information technlogies and globalization.
Geographic integration of key industries has become more important than ever. DMC
will be a place of such integration, attracting high-end knowledge-based businesses
and
creating
synergy in
the
multimédia
industry.
DMC
Masterplan,
http://dmc.seoul.go.kr
135
Les grands stades de football semblent faire partie des attributs métropolitains supérieurs
qui distinguent les zones de renouvellement urbain et en facilitent la promotion, cf. le Stade
de France et l’aménagement de la Plaine-St-Denis.
Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected]
211
Regard géographique sur le paradigme numérique
Encadré n° 25. Utilisations de l’espace
http://dmc.seoul.go.kr)
dans
le
projet
DMC
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(source
:
212
Regard géographique sur le paradigme numérique
5.3.1.3. Le Cyberport de Hong Kong
Opérationnel depuis 2002 dans ses phases initiales, le Cyberport de Hong Kong
s’étend sur 24 ha. sur le site au nom prédestiné de Telegraph Bay, au sud de l’Ile.
C’est un projet intégré d’urbanisme de deux milliards de dollars U.S., centré sur les
technologies numériques. L’ambition du projet est d’héberger à terme une centaine
d’entreprises qui pourraient employer 10 000 personnes. Plusieurs sociétés
majeures ont signé des déclarations d’intentions, comme Cisco Systems, HewlettPackard, IBM, Oracle, Softbank, Sybase, Yahoo, Microsoft.
Le projet comporte une zone résidentielle de 2 700 logements. Plusieurs élements
clés ont été livrés au printemps 2004 : ouverture de l’hotel Méridien Cyberport, du
Digital Media Centre.
Le Cyberport s’insert dans la stratégie du gouvernement de Hong Kong, qui veut
faire de la ville un pôle incontournable de la nouvelle économie à l’échelle mondiale.
Le site offre aux entreprises et aux résidents une gamme complète de services en
télécommunication et multimédia, ainsi que des services aux personnes hauts de
gamme (commerce, hôtellerie, loisirs).
The Cyberport aims to provide an important Information Technology flagship
infrastructure to attract, and thus create, a strategic cluster of local and overseas
companies and professional talents specialising in Information Technology applications,
information services and multi-media content creation. www.cyberport.com.hk/
Figure n° 51
Le chantier du Cyberport de Hong Kong en février 2004 (source :
(www.cyberport.com.hk/)
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Regard géographique sur le paradigme numérique
213
Encadré n° 26. Les services offerts par le Cyberport (www.cyberport.com.hk/)
IT/Telecom Facilities & Services
- Services: 1-10 Gbps Internal Private Network, Satellite Master Antenna Television
System, Smart Card Services, Unified Messaging System,Webcasting Services,
Wireless LAN, etc.
-Facilities: Audio-Visual System, Business Centre, Customer Help Centre, Cyberportal,
Digital Media Centre (DMC), Hong Kong Wireless Development Centre (HKWDC),
Interactive Kiosks, iResource Centre, Network Operations Centre (NOC) and Central
Data Exchange (CDX), Tenant Central Data Exchange, Training Theatres, Video
Conferencing Suites, Powerphone, etc.
Cyberport Institute
The University of Hong Kong has established The Cyberport Institute … it would
provide the opportunity for collaboration between academics and the IT industry with
state-of-the-art and practical education.
IT Street
IT Street replicates a city environment. It provides IT/IS companies with equal access to
a wide variety of shared facilities.
- Digital Media Centre: Video Studio, Audio Studio, Multimedia Workstations,
Audio/Video Production Centre, Storage Solutions, Networked Render Farm, Motion
Capture System
- Wireless Solutions Development Centre: Development Suites, Information Library,
Exhibition Area, Training Sessions, Marketing Support, Networking Sessions
- Business Facilities: iResource Centre, Video Conferencing Suites, Business Centre,
Training Theatres
- Recreational Facilities: Retail and Entertainment Center - The Arcade, 5-star hotel Le Méridien Cyberport, Cafes, Bars and Restaurants, Fitness Centre, Bauhinia Garden,
Rock Climbing Wall, Cycling Track and Multi-purpose Courts
The Arcade
The focal point of Cyberport. Organically spread over some 27,000 square metres with
breathtaking views and over sea and mountains, In this architectuarally dynamic space,
you'
ll find an impressive mix of retail, entertainment, lifestyle and educational facilities but this is no ordinary mall. In The Arcade, every shop, restaurant, service center,
cinema or bar will be themed in line with the very latest interactive technology. Take
virtual tours, go shopping, visit the interactive kiosks, check out an exhibition - this, and
much more, will be possible.
Figure n° 52
Plan du Cyberport de Hong Kong
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214
Regard géographique sur le paradigme numérique
5.3.1.4. Dubaï : une plaque tournante de l’économie numérique entre l’Europe
et l’Asie ?
L’émirat de Dubaï, 3,1 millions d’habitants, est la place marchande de la région : le
secteur non pétrolier représente 95% de son PNB. Dubaï poursuit une stratégie de
développement qui a pour objectif de renforcer sa position de plaque tournante
financière, commerciale et technologique de tout le Moyen-Orient. En dehors de sa
position géographique, l’atout principal de Dubaï est sa stabilité politique, ainsi que
son régime de liberté économique (comparé, par exemple, à l’Arabie Saoudite
voisine). Le régime fiscal est particulièrement favorable : exonération fiscale
complète des entreprises et des personnes physiques pour une durée de 50 ans,
possibilité de contrôle à 100 % par les capitaux étrangers, pas de limite au
rapatriement des bénéfices etc.
La “Dubaï Technology and Media Free Zone” (DTMFZ) est le maillon clé d’une
politique de développement de l’économie numérique au sens large, c’est à dire
incluant les activités créatives proches du pôle média, et les métiers plus
techniques. Le projet comporte trois composantes principales, concentrées dans le
même périmètre : Dubaï Internet City, Dubaï Media City et le Knowledge Village
(www.dubaiinternetcity.com, www.dubaimediacity.com, www.kv.ae).
Dubaï Internet City, inaugurée en octobre 2000, a déjà attiré plus de 470
entreprises de l’économie numérique au sens large, dont plusieurs grands noms
comme Microsoft, AMD, Oracle, HP, IBM, Compaq, Dell, Siemens, Canon, Logica,
Sony, Ericsson, Cisco Systems… Le pôle héberge 5 500 emplois. Pour situer les
ambition de DIC, on peut mentionner que les nouveaux locaux de Siemens ont été
inaugurés le 7 octobre 2003 par le chancelier Schröder en personne (Siemens
emploie 400 personnes sur le site, qui abrite notamment le siège des opérations de
la division télécommunications pour le Moyen-Orient).
The cluster of ICT companies in Dubai Internet City comprise of Software Development,
Business Services, Web Based & e-Commerce, Consultancy, Education & Training,
Sales &Marketing and Back Office Operations. DIC provides a scalable state-of-the-art
technology platform which allows companies looking to provide cost effective business
process outsourcing (BPO) services such as call center operations.
Dubai Media City, inaugurée en janvier 2001, est le pôle dédié au contenu. Dubaï
abrite déjà 550 compagnies dans le secteur des média, notamment CNN, Reuters,
Sony Broadcast & Professional, McGraw Hill Publishing, Bertelsmann… auxquelles
s’ajoutent de nombreuses start-ups et travailleurs indépendants.
Strategically located in Dubai at the crossroads of the Middle East, Africa and South
Asia, Dubai Media City is rapidly emerging as a global media hub. The City provides an
advanced infrastructure and supportive environment for media-related businesses to
operate globally out of Dubai. Dubai Media City is the place where every kind of media
business, specifically - Broadcasting, Publishing, Advertising, Public Relations,
Research, Music, New Media and Production and Post Production will thrive.
www.dubaimediacity.com
Dubaï Knowledge Village, a été inauguré en octobre 2003. 110 000 m2 de locaux
doivent accueillir des antennes de sept universités internationales, avec 7500
étudiants et une centaine d’organisations dédiées à l’éducation et à la formation,
Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected]
Regard géographique sur le paradigme numérique
215
avec une attention particulière aux TICE et à l’enseignement à distance (e-learning),
que ce soit dans la recherche ou l’application.
Dubaï Silicon Oasis (www.dso.ae) est situé à 17 kilomètre du centre-ville. C’est un
projet de technopôle de 6500 ha. dédié à l’ensemble de la chaîne de production en
micro et opto-électronique : recherche développement design et fabrication de
micro-processeurs et composants. Le maître d’oeuvre du projet est la Dubai Airport
Free Zone Authority. La zone doit comprendre également un complexe résidentiel,
des hôtels, banques, centres de loisirs etc. L’ambition du DSO est d’accueillir 10 à
15 milliards de dollars d’investissement dans ce secteur d’activité, d’ici 2020
(Electronic
News,
2/2/2004,
www.reedelectronics.com/electronicnews/article/CA379277?stt=000&industryid=22114&indust
ry=Research).
Figure n° 53
Dubaï Internet City - vue générale (source : www.dubaiinternetcity.com)
136
136
Au premier plan à droite, l’immeuble de Microsoft. A l’arrière plan, sur le front de mer, le
chantier du Knowledge Village.
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216
Regard géographique sur le paradigme numérique
5.3.2. Dans les métropoles occidentales : nouvelle économie et
renouvellement urbain
La problématique de l’aménagement urbain est tout autre dans les métropoles
anciennement industrialisées d’Europe et d’Amérique du Nord, qui disposent en
abondance de quartiers industriels dégradés de type « faubourg », souvent situés
en zone centrale. La rénovations des « lofts » new yorkais de Chelsea et Tribeca
est un phénomène bien connu, dans lequel s’inscrivait l’émergence de la Silicon
Alley. A des échelles moindres, le phénomène a été répertorié à Paris (Silicon
Sentier), voire à Lyon (Croix Rousse, cf Moriset, 2003). Mais cette dynamique
dépasse largement le cadre spatial étroit du centre, et ne se limite pas à des
opérations de réhabilitation du patrimoine ancien. Par exemple, les secteurs des
TIC et l’équipement en infrastructures de télécommunications (réseau IRISE, GIX
PARIX à Aubervilliers) sont très présents dans les opérations immobilières en cours
dans les banlieues industrielles du nord de Paris, notamment dans la Plaine SaintDenis : Parc des EMGP (Entrepôts et Magasins Généraux de Paris), Landy France
(Malézieux, 2003). Qu’il s’agisse de réhabilitation ou de constructions neuves, la
problématique est la même : on assiste à une reconquête par l’économie numérique
d’espaces laissés pour compte par la crise des industries anciennes.
5.3.2.1. L’exemple Américain
Le phénomène est particulièrement significatif aux Etats-Unis pour plusieurs
raisons : l’ampleur des phénomènes de dépérissement des centres urbains,
l’amplitude des cycles économiques et de leurs conséquences territoriales,
l’importance de la désindustrialisation, et, corrélativement, de l’économie
numérique. L’analyse peut être faite à l’échelle de l’immeuble, ou à celle d’un
quartier (au sens européen du terme). On peut aussi étudier des politiques globales,
à l’échelle d’une ville.
Un des phénomènes les plus remarquables de ces cinq dernières années est le
recyclage des vieux immeubles de bureau, usines et entrepôts, sous la forme
d’hôtels de télécommunication et autres data centers (tableau n° 23). Le 111 Eight
Avenue, par exemple, est un ancien entrepôt, autrefois siège administratif de la Port
of New York Authority (c’est un des plus gros immeubles de New York, 240 000 m2,
cf. figure n° 54). Aujourd’hui, c’est un des plus puissants noeuds de
télécommunication et centre d’hébergement du pays (pour plus de développements,
voir Moriset, 2003-c).
Le New York City Economic Development Corporation a développé jusqu’au 30 juin
2004 le Digital New York City Program (Digital NYC), dont l'
objectif était de
promouvoir l'
ensemble des programmes immobiliers de la ville dédiés aux TIC,
situés à Brooklyn, dans le Bronx (BronxSmart), le Queens (CyberCity Long Island),
à Staten Island (SI HUB : High-End Urban Bandwidth) etc. Le site Web du NYC
permettait une présentation de l’ensemble des programmes, des surfaces
disponibles,
la
liste
des
locataires
actuels,
etc.
(figure n° 55,
Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected]
Regard géographique sur le paradigme numérique
www.newyorkbiz.com/digitalnycis)
217
137
. L'
un des programmes les plus ambitieux est le
Bush Terminal Technology Campus138, à Brooklyn, sur 44 ha. de surfaces
industrialo-portuaires. A terme, il doit représenter un complexe de 450 000 m2 pour
11 immeubles interconnectés, dont le Brooklyn Information Technology Center,
ancien entrepôt rénové aux facades de briques caractéristiques de l'
architecture
industrielle new yorkaise. L’iconographie est révélatrice du souci de rattacher les
anciennes activités aux nouvelles, dans la logique de ce que nous avons évoqué à
propose de la sémiologie des « siliconium » (figure n° 56 et 57).
Tableau n° 23. Centres d'hébergement et de co-location et réhabilitation de
l'immobilier industriel et commercial : exemples aux Etats-Unis
(Moriset, 2003)
Ville
Adresse / Nom
Propriétaire
Chicago
Lakeside Technology Carlyle Group, puis El
Center
Paso Global Network
New York 60 Hudson Street
Williams Real Estate
Manhattan
e
New York 111 8 Av.
Taconic
Investment
Manhattan
Partners
New York 470 Vanderbilt Av. / Carlyle Group / JP
Brooklyn
Atlantic
Telecom Morgan Partners
Center
Jersey City 180 Baldwin Street
Argent
Venture
/
AboveNet
Communications
Jersey City 50 Dey Street
MetroNexus
Atlanta
Houston
1033 Jefferson Street
Figure n° 54
MetroNexus
MetroNexus
Ancienne utilisation
Imprimerie
Central téléphonique
(1928)
Entrepôt
portuaire
(Port of New York)
Usine
de
pneumatiques
2
Surface (m )
100 000
85 000
240 000
70 000
Usine de pâtes (Muller
Noodle)
27 000
Usine
d'
emballage
(American Can)
Ancien entrepôt Sears
Ancien
entrepôt
Flemming Foods
101 000
90 000
65 000
111 Eigth Avenue (les installations nouvelles de conditionnement d’air
sont visibles sur le toit). Source : Digital NYC
137
Ce site a cessé d’exister depuis le 30 juin 2004. Les personnes intéressés sont invitées à
s’adresser aux responsables des programmes locaux et à visiter les sites Web
correspondants.
138
Du nom du fondateur d'
une companie de chemin de fer.
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218
Figure n° 55
Regard géographique sur le paradigme numérique
Les sites du Digital NYC (www.newyorkbiz.com/digitalnycis)
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Regard géographique sur le paradigme numérique
219
5.3.2.2. Marseille et le projet Euroméditerranée
Aujourd'
hui, alors que Marseille accueille NET EXPO, le premier salon méditerranéen
de l'
Internet, de l'
informatique et des télécoms, la Ville de Marseille est présente pour
affirmer la place de la métropole dans la Nouvelle Economie et reconnaître sa place
dans les échanges de demain. A l’aube de ce troisième millénaire, Marseille se
positionne comme un carrefour euro-méditerranéen des Nouvelles Technologies.
Dossier de Presse de Net-Expo 2000, 7, 8 et 9 décembre 2000, Marseille.
Marseille illustre bien le rôle attribué aux activités de la « nouvelle économie » dans
un projet global de rénovation et de développement urbain dont la pièce essentielle
est le projet Euroméditerranée, lancé en 1995 avec la création de l'
établissement
public d'
aménagement, EPAEM. De nombreuses opérations de réhabilitation
situées dans ce périmètre ont pour objet d’héberger des activités liées aux TIC
(tableau n° 24 et figure n° 58).
Le projet identifie officiellement 4 secteurs porteurs cibles, dont deux se rapportent
directement à l’économie numérique :
- Applications des technologies de l’information : grands utilisateurs, services à valeur
ajoutée, opérateurs, industries des contenus multimédia
- Bases tertiaires dans une logique Sud : centres directionnels, plateformes de gestion,
fonctions de back office, services partagés...
- Fonctions tertiaires du maritime, de la logistique, du transport et du commerce
international.
- Croisières, tourisme et loisirs urbains.
Parmi les éléments et atouts avancés pour étayer les ambitions de Marseille dans
les deux premiers secteurs, on peut mentionner :
la présence de nombreux opérateurs de télécommunications (35 selon
l'
EPAEM)139 ;
la construction en cours ou récente de 3 net-centers (LD Com, Markley
Stearns Partners140, Metro Nexus) ;
l'
ouverture en 2001 d'
une école d'
ingénieurs de l'
Internet, dont les locaux
provisoires sont implantés sur le technopôle de Château Gombert, en
attendant l'
installation définitive dans le périmètre Euroméditerranée sur la
ZAC St-Charles (Gare TGV) ;
la présence à Marseille de plusieurs centres d'
appel majeurs, comme AOL,
AON, Air France ;
l’existence d'
un pôle de création audio-visuel et cinématographique important
(le 2e de France), avec 400 producteurs, 260 prestataires, qui emploient 13
000 personnes.
L'
Institut des Applications Avancées de l'
Internet est la première école nationale
française consacrée à une formation d’ingénieurs dans les usages professionnels de
l’internet. Largement orientée vers un recrutement international et en particulier
méditerranéen, l’école de l’Internet consacre le succès de Marseille dans le domaine
des télécommunications et des technologies de l’information. Source : EPAEM
139
Données qui datent d'
avant les restructurations récentes du secteur. Que signifient
réellement ces chiffres ? Peut-on seulement se baser sur "le nombre" d'
opérateurs ? Cela
pourrait faire l'
objet d'
investigations plus poussées.
140
L'
hôtel de télécommunication de Markley Stearns Partners héberge notamment le centre
d'
interconnexion de Global Crossing.
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220
Regard géographique sur le paradigme numérique
Si l'
opération Euroméditerranée attire aujourd'
hui l'
attention, une bonne partie des
développements de la nouvelle économie marseillaise ces dernières années ont été
réalisés sur la ZAC de Saumaty Séon, dans les quartiers nord (l'
Estaque). Jusqu'
à
la livraison des premières tranches du périmétre EPAEM, les seules surfaces
disponibles dans l'
immobilier de bureau neuf de 1998 à 2001 l'
ont été sur ce
secteur.
D'
une superficie de 23 ha., bien relié au centre ville et à l'
aéroport par autoroute, le
parc d'
activité héberge les activités régionales de plusieurs opérateurs de
télécommunications (Matra Nortel, AB+ Télécom, E Phonie), des concepteurs de
logiciel (Mediatec, Digitech), plusieurs centres de contact et de services importants
(AON, AOL).
Tableau n° 24. Nouvelle économie et réhabilitation urbaine à Marseille
Site
Superficie
2
Manufacture de la 22 000 m
SEITA (pôle média)
2
Manufacture de la 45 000 m
SEITA (La Friche)
2
Docks de la Joliette
80 000 m
Domaine Cuoq
Centre de tri postal
Figure n° 58
2
26 000 m
2
20 000 m
Fonction
Maître d'
ouvrage
Studios audiovisuels,
Ville de Marseille,
bureaux
Création
artistique
et Friche théatre
multimédia
220
entreprises
du SNC
Marseille
tertiaire supérieur
Joliette
Centre d'
hébergement
LD Com
Centre d'
hébergement et Markley
Stearns
141
centre d'
appel
Partners
Net Centers de LD Com (docks "Domaine Cuoq") et Markley Stearns
Partners (Centre de tri postal). Photographies : EPAEM
141
Société américaine spécialisée dans l'
acquisition et l'
aménagement d'
immeubles dédiés
au secteur des télécommunications.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
221
5.3.2.3. Barcelone : 22@poblenou
Barcelone et la Catalogne ont été depuis le début des années quatre-vingt-dix un
des pôles européens de croissance et d’innovation les plus dynamiques, tout
particulièrement dans les secteurs de la nouvelle économie au sens large : métiers
du numérique, métiers de la créativité. Dans la décennie 90, la Catalogne a reçu 37
milliards d'
euros d'
investissements étrangers, dont 6,5 milliards pour la seule année
2000. 2700 entreprises étrangères sont implantées à Barcelone.
La Catalogne en général, et Barcelone en particulier, sont la région d'
Espagne la
plus tournée vers les TIC. 51,7 % des barcelonais utilisaient un ordinateurs en 1999
(moyenne Espagne 28 %, Finlande 49 %) et 23,7 % des catalans utilisaient
l'
Internet (Espagne 10,5 %, Suède 44,6 %). L’économie numérique Barcelonaise a
décollé entre 1993 et 1998, dans l’industrie (169 % de croissance cumulée pour
l’équipement audiovisuel, 109 % pour l’informatique) et surtout dans les services :
800 % d’augmentation pour les télécommunications, 600 % pour le multimédia, 176
% pour les médias audiovisuels, contre 24 % pour les services financiers (source :
www.barcelonactiva.es).
Sur les 46 opérations d'
investissement étrangères les plus significatives de l'
année
2001, 22 concernent l’économie numérique : télécommunications, centres de
services partagés, centres de recherche et de design… Barcelone est une des
capitales européennes du design, notamment dans l’automobile avec Volvo,
Renault, Volkswagen. Barcelone héberge le centre de facturation de General
Motors pour l'
Europe, les centres de RD de Sony, Nokia, Samsung, un centre de
solution e-business de IBM etc.
Tableau n° 25. Les investissements étrangers dans le secteur des TIC à Barcelone en
2001. D’après www.barcelonactiva.es
Tech Data
Sony
Das Werk
Aston
Starlab
Samsung
Teleglobe
IP Power House
Aston Group
Colt Telecom
Tele Tech Holding
Volkswagen
TXT e-solutions
Starmedia
UCP
Sellytel
Swedia Networks
Content Europe
B.A. World Cargo
GFT Technologies
A3Software
Morse
Etats-Unis
Japon
Allemagne
Danemark
Belgique
Corée
Canada
Etats-Unis
Danemark
Etats-Unis
Etats-Unis
Allemagne
Italie
Suisse
Allemagne
Royaume-Uni
Pays-Bas
Royaume-Uni
Allemagne
Etats-Unis
Royaume-Uni
Centre européen d'
opérations
Ligne de production de vidéo projecteurs
Cinéma numérique
Consultant informatique
Centre de recherche
Fabrication de téléphones WAP
Télécommunications
Centre de colocation
Consultant informatique
Télécommunications
Siège européen du groupe et centre de contact
Centre de design
Services et applications Internet et e-commerce
Id.
Id.
Télécommunications
Réseaux de télécommunication
Services et applications Internet et e-commerce
Centre d'
appel pour l'
Espagne (fret aérien)
Centre de recherche
Nouveau siège social,
Intégrateur en technologies d'
information
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222
Regard géographique sur le paradigme numérique
La politique d’aménagement des districts numériques s’articule,
d’une part, autour de la création et de la promotion de parcs scientifiques
comme le Mediterranean Park of Technology, qui comporte notamment quatre
centres de recherche spécialisés dans les télécommunications, l’ingénierie,
l’aéronautique, la géomatique ;
d’autre part et surtout avec la rénovation du quartier de Poblenou,
22@poblenou.
Le 22@poblenou est un énorme programme d’urbanisme de 20 ans, qui concerne
un quartier mixte (résidentiel, industriel et artisanal) de 200 ha. en partie dégradé
jouxtant au nord-est le centre-ville (dit zone 22a dans le plan d’urbanisme de 1976,
cf. figure n° 59). En juillet 2000, le conseil municipal a adopté le « document de
modification du plan général d’urbanisme » (MPGM), qui doit permettre d’ici 2020 la
construction de 2,6 millions de m2 de locaux tertiaires142, principalement consacrés
aux secteurs de la nouvelle économie, de 343 000 m2 de logements (3000 à 4000
logements nouveaux), 150 000 m2 d’espaces verts, et attirer environ 60 000 emplois
nouveaux.
Figure n° 59
Vue générale de la zone du 22@poblenou (source : Barcelona City
Council, 2000)
142
Pour situer l’importance de l’opération, le parc total de bureaux de l’aggomération
2
lyonnaise est estimé entre 4 et 5 millions de m , suivant les définitions.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
223
Le 22@poblenou représente un tiers du potentiel d’accroissement des surfaces
d’activités de l’agglomération prévu d’ici 2020. L’investissement public en
infrastructures est estimé à 160 millions d’Euros. Le potentiel de surface
commercialisables est évalué à 7 milliards d’Euros.
Comme son nom l’indique, le programme est dédié à la nouvelle économie et aux
technologies d’information. La zone bénéficiera d’un cablage optique complet,
alimenté par un réseau de galeries le long des axes principaux. Chaque ilôt
disposera d’un local technique dans lequel pourront se raccorder les opérateurs.
Le MPGM développe la liste complète des « @activities » qui seront autorisées et
encouragées à s’implanter dans la zone. Tous les secteurs de « l’économie
informationnelle » sont concernés (Barcelona City Council, 2000, pp. 47, 64-66) :
In the regulation of the 22@ zone, a new concept of @activity is introduced
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224
Figure n° 60
Regard géographique sur le paradigme numérique
Fresques de manifestation contre
(http://poblenou.org/c22/mural.jpg).
le
programme
22@poblenou
5.3.2.4. Créer de la territorialité autour d’un district numérique : le Silicon
Sentier parisien
La concentration des start-ups dans le quartier parisien du Sentier avait fait naître le
concept de « Silicon Sentier ». Du modèle New Yorkais, le quartier avait plusieurs
caractéristiques : présence d’anciens ateliers du textile en voie de rénovation,
ambiance « jeune et créative ». L’association Silicon Sentier a été créée en 1999 et
compte aujourd’hui une cinquantaine d’adhérents (on pourrait dire que, toutes
proportions gardées, le Sentier a mieux survécu à la crise que la Silicon Alley).
D’autre part, le quartier, situé dans le 2e arrondissement à proximité de la Bourse de
Paris, bénéficie de la présence de puissantes infrastructures de télécommunication,
avec la présence du GIX PARIX au 38 rue des Jeuneurs (Telehouse 1) et au 21 rue
de la Banque (France Télécom).
Un des objectifs majeurs de l’opération est de ré-implanter l’entreprise (et les
emplois) au cœur de la ville (Les Echos n° 18914 du 27/05/2003, p. 21 ;
www.silicon-sentier.com).
L’association Silicon Sentier, qui a fusionné avec l’association Nouvelles Entreprises
& Territoire, a reçu en de la DATAR 2003 le label de « Système Productif Local ».
La mairie de Paris, constatant la présence de 2000 emplois liés aux TIC dans le 2e
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Regard géographique sur le paradigme numérique
225
arrondissement, a incorporé le concept de Silicon Sentier dans sa politique de
développement (et entre au conseil d’administration de l’association), avec pour
objectif la création d’un « quartier numérique » :
création d’une réseau de bornes WiFi ;
ouverture d’un Intranet commun ;
création d’un incubateur (rue d'
Uzès, près de la Bourse) qui doit relayer celui de
Republic Alley ;
mise en place d’une signalétique dédiée, qui doit renforcer l’image « high tech »
du quartier.
L’émergence d’une économie numérique s’est donc accompagné de la production
d’espaces dédiés, que les collectivités locales essaient de promouvoir comme des
territoires à part entière, car elles en escomptent un effet dynamisant, notamment
en termes d’image.
Mais les opérations d’urbanisme ou de promotion ne sont pas le seul mode
d’intervention publique où interviennent les technologies numériques. De plus en
plus, les TIC sont utilisées par les institutions publiques pour organiser, gérer,
surveiller l’espace. Nous présenterons deux domaines d’applications qui sont
actuellement en forte croissance : la vidéosurveillance, la gestion des transports
5.3.3. Surveiller et gérer l’espace
5.3.3.1. La vidéosurveillance des espaces publics et privés
La vidéo surveillance est un des grands thèmes d’actualité de la « numérisation »
du territoire, et un des exemples les plus pertinents de l’utilisation des TIC pour la
gestion et le contrôle de l’espace. C’est aussi, cela va sans dire, un secteur
économique des plus florissants dans le contexte actuel. Avec les techniques du
péage urbain, que nous évoquons dans la section suivante, la vidéo surveillance
s’inscrit dans une logique voisine de celle des « gated communities ». On est au
cœur de la problématique de la « fracturation » du territoire urbain (et au delà, du
territoire régional et national).
Nous ne développerons pas ce point, mais les entreprises et les particuliers ne sont
pas en reste dans un processus très général. Pour quelques centaines d’euros, on
peut acheter en grande surface un kit de vidéosurveillance complet, qui permet de
surveiller une propriété, de suivre les évolutions de bébé à la crèche pendant les
heures de travail, de vérifier le travail de la nourrice143 etc.
Une fois encore, la technologie fournit les moyens, mais pas le mobile. La
vidéosurveillance pousse sur le terreau du sentiment d’insécurité, qui, rappelons le,
n’est pas un risque objectif, mais la perception d’un risque, dont les médias se font
l’écho, qui devient un thème de campagne électoral… En France, selon le ministère
de l'
Intérieur, à la mi-2003, 388 collectivités étaient munies d'
installation de
vidéosurveillance, dont 185 sur la voie publique (Libération, 14 juin 2003). Facteur
de succès : les équipements peuvent être subventionnés jusqu’à 80 % pour les
communes de moins de 3500 habitants, 50 % au delà.
En juillet 2002, le conseil municipal de Strasbourg a voté un programme
d’implantation d’une centaine de caméras dans le centre, pour un budget
143
Rappelons à ce sujet une règle de droit simple (qui s’applique aussi à l’entregistrement
des conversations des employés des centres d’appel) : un salarié ne peut refuser d’être
filmé sur son lieu de travail, mais il est illégal de le faire à son insu.
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226
Regard géographique sur le paradigme numérique
prévisionnel d’environ 1,5 million d’euros H.T. (on peut consulter la carte des
caméras installées en avril 2004 sur http://objectifcamera.free.fr).
La ville de Lyon s’équipe activement depuis 2000. Un premier réseau de 11
caméras avait alors été créé dans le quartier sensible de la Duchère, suivi de 50
autres dans le quartier touristique et commercial de la Presqu’île. En juin 2002, le
nouveau maire, Gérard Collomb, a fait voter un vaste programme d’équipement de
4,6 millions d’Euros (plus de cent caméras) dans quatre quartiers dont le Vieux Lyon
(cf. carte des emplacements prévus figure n° 61). Argument déployé dans ce
dernier cas : renforcement de la sécurité des touristes, protection du patrimoine
classé par l’UNESCO.
L’exemple de New York
On peut connaître la couverture vidéo des espaces publics de Manhattan grâce au
travail effectué dans le cadre du NYC Surveillance Camera Project par les
bénévoles du New York Civil Liberties Union, qui ont réalisé en 1998 une
cartographie exhaustive de 2397 caméras (www.mediaeater.com/cameras/).
Comme le fait remarquer à juste titre l’association, on est à l’opposé du « Big
Brother » de 1984, (dans lequel c’est le pouvoir d’Etat qui surveille l’espace privé).
La grande majorité des caméras (2100) étant des installations privées, pour la
plupart à l’entrée des immeubles, c’est en l’occurrence le privé qui surveille l’espace
public. Ce qui peut apparaître, dans une certaine mesure, comme moins inquiétant
pour les libertés qu’un système public centralisé.
La carte (cf. extrait ci-dessous, figure n° 62) montre une densité particulièrement
forte dans les quartiers d’affaire du District financier (446 caméras) et de Midtown,
ainsi que dans les quartiers résidentiels de l’Upper East Side (résidences de luxe
dans les rues adjacentes à 5th Av., Madison Av. et Park Av.).
La généralisation de la vidéosurveillance suscite maintes critiques et interrogations.
Les plus courantes évoquent la menace contre les libertés publiques. Ainsi, le
« Collectif lyonnais contre la vidéosurveillance » organise les « Big Brother
Awards ». Lors de l’édition 2002, présidée par Loïc Wacquant (professeur au
Collège de France et à l'
Université de Berkeley), Gérard Collomb et la ville de Lyon
ont reçu le prix « Orwell 2002 ». De fait, la ville de Lyon a instauré en 2003 un
« Collège d’éthique de la vidéosurveillance des espaces publics ».
Plus concrètement, la réserve majeure qui peut être apportée à l’encontre du
déploiement de la vidéo-surveillance est la création, comme disent les spécialistes,
d’un « effet plumeau » : les caméras ne résolvent en rien délinquance et autres
« incivilités », mais ne font que la déplacer vers d’autres lieux, d’autres quartiers qui
sont moins surveillés parce que contenant moins de « biens désirables », pour
reprendre la terminologie de Bourdieu.
Les conséquences apparaissent clairement : renforcement des inégalités et clivages
territoriaux, des phénomènes d’exclusion socio-spatiaux.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 61
227
Plan de vidéo-surveillance du Vieux Lyon (source : association « Non à
Big
Brother »,
Collectif
lyonnais
contre
la
vidéosurveillance,
www.chez.com/nonabigbrother/)
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228
Figure n° 62
Regard géographique sur le paradigme numérique
Localisation des caméras dans le district financier de Lower Manhattan
(extrait de la carte générale de Manhattan, 1998,
www.mediaeater.com/cameras)
5.3.3.2. Les TIC dans la gestion et la régulation des transports routiers
L’utilisation des technologies numériques dans les transports est ancienne, et
aujourd’hui banale et indispensable dans certains secteurs (transports aérien,
maritime, ferroviaire). La nouveauté est l’utilisation de technologies avancées de
détection, télé-transmission et géo-localisation dans le transport routier de
marchandise et de passagers, mode qui était resté jusqu’à récemment peu
gourmand en technologies numériques. Sans aller jusqu’à parler de révolution, on
assiste aux prémices de changements considérables dans l’utilisation des véhicules
et de la voirie. Or, les transport routiers ont un impact économique, social,
environnemental et « sécuritaire » sans commune mesure avec celui des autres
modes de transport. Avec à la clé des enjeux que l’on constate tous les jours en
termes d’urbanisme et d’aménagement des territoires. Dans une période où l’on
parle énormément de « développement durable », où les problèmes de sécurité
routière, de pollution atmosphérique, de réchauffement de la planète, la perspective
d’une pénurie de pétrole etc. sont l’objet de débats incessants, tout ce qui touche au
trafic routier peut être considéré comme « sujet sensible », surtout si on considère le
contenu culturel et affectif de l’automobile144.
Ainsi, les transport routiers, accusés de tous les maux, sont un des domaines
d’application des TIC où se retrouvent par excellence les thèmes utopique du
144
On dispose d’une abondante documentation sur les différents aspects de la régulation
des transports grâce à l’encyclopédie en ligne « Transport Demand Management » du
Victoria Transport Policy Institute (Canada), www.vtpi.org/tdm/.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
229
« territoire intelligent ». Ce qu’on attend des TIC, c’est qu’elle rendent le transport
routier :
plus rentable, en permettant l’optimisation du chargement des véhicules (cf les
développements précédents sur TIC et logistique), et en favorisant la fluidité du
traffic ;
plus sûr, par l’assistance à la conduite (radars embarqués) ;
plus confortable, plus rapide et plus fluide (et donc plus sûr et plus rentable), par
le géo-guidage et la gestion du trafic ;
moins polluant (parce que plus fluide).
Tout ces objectifs peuvent être atteints, aussi, par les limitations plus ou moins
contraintes du trafic, que permet l’instauration de systèmes de péage électronique,
avec l’espoir de reporter une partie des flux sur les transports en commun, ou le
développement du transport individuel à la demande et du co-voiturage145.
Toutes ces applications reposent en partie sur des technologies communes, qui ont
des applications dans d’autres domaines, comme le GPS, les caméras
électroniques et réseaux de fibre optique, les cartes à puces, les balises ou
émetteurs et récepteurs à ondes ultracourtes.
Une expérience pionnière – et controversée – de péage urbain : le Congestion
Charging Program, dans la City de Londres
Londres en général, et la City en particulier, sont un des trois centres vitaux de
l'
économie mondiale, le premier nœud mondial de l'
Internet, du commerce et de la
finance électronique. Le résultat de cette évolution est que Londres est devenue la
ville la plus chère et l'
une des plus encombrées du monde. Le projet des autorités
locales visait un double objectif :
- limiter les encombrements du centre en diminuant le trafic
- générer des revenus pour la modernisation des transports en commun et
notamment du métro (dont tous les observateurs soulignent l'
engorgement et le
délabrement, à l'
image des autres infrastructures publiques du Royaume Uni).
Ressucitant la vieille pratique de l'
octroi, la municipalité a donc inauguré début 2003
un système de péage automatique, qui concerne 20 km2 du centre ville
soigneusement délimités par la signalétique urbaine (figure n° 63). Grâce à 700
caméras qui lisent les plaques d'
immatriculation des véhicules, tous les nonrésidents qui veulent accéder au centre-ville pendant les congestion operating hours
(7 h à 18h.30 du lundi au vendredi) doivent acquitter un péage quotidien de 5 livres
(8 euro env.).
35 grandes villes dans le monde suivent l'
expérience avec attention : elles
envisagent, en cas de succès, de mettre en œuvre ce système, dont on mesure
encore mal la portée territoriale. Pour l’occasion, le terme de « fragmentation
urbaine » utilisé par Graham et Marvin mérite pleinement d'
être utilisé.
145
Il existe un grand nombre de portails privés de co-voiturage (www.compartir.org,
www.drivetoday.de, www.allostop.com, www.hitchhikers.de/). Les collectivités locales
s’intéressent à cette pratique. A Fribourg (Suisse), le projet FriMobile étudie la mise en place
d’une extension par les véhicule privés du réseau de transport en commun. Les véhicules
privés abonnés seraient identifiés par GPS, leur disponibilité transmise à un serveur central,
qui les mettrait en contact avec la demande des usagers, spécifiée par téléphone mobile. Un
système de carte permettrait la comptabilisation des trajets, l’enregistrements des passagers
à
l’entrée
et
à
la
sortie,
l’indemnisation
des
conducteurs
(http://diuf.unifr.ch/pai/education/2002_2003/projects/mobility/).
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230
Figure n° 63
Regard géographique sur le paradigme numérique
La congestion charging zone, au centre de Londres (www.cclondon.com)
Une nouvelle génération de péages routiers
Le télépéage est une pratique déjà courante, que les techniques récentes sont en
passe de renouveler et de généraliser à d’autres types d’infrastructures. En Suisse,
un système hybride, GPS plus micro-ondes, permet de prélever un péage sur tous
les camions qui traversent le territoire helvétique. Un dispositif electronique
embarqué (OBU : On Board Unit), couplé au GPS et à l’enregistreur kilométrique
(tachographe) du véhicule, est activité au passage de la frontière par une balise
émettrice à micro-ondes. Lors de la sortie du territoire, l’OBU transmet la distance
parcourue au centre d’information de la douane, qui émet une facture.
L’avantage du télépéage est d’être considérablement plus rapide et moins couteux
pour le concessionnaire que le péage traditionnel (manuel ou par carte). Une aire de
péage pour une autoroute à 2X2 voies coûterait environ 25 millions d’Euros, alors
qu’une barrière électronique pouvant traiter le même débit ne coûte que 120 000
Euros, et les frais de fonctionnement sont divisés par trois (The Economist, 10 juin
2004). Par ailleurs, le péage électronique permet de moduler les tarifs en fonction
de l’heure du passage.
Un des exemples les plus spectaculaires est celui de l’autoroute concédée 407
ETR, construite entre 1997 et 2001, qui parcourt 108 km dans la périphérie nord de
Toronto. Les utilisateurs sont incités à utiliser un transpondeur derrière leur parbrise, qui enregistre tout leurs passages. Ceux qui n’en possèdent pas (ils doivent
payer un supplément) sont enregistrés par un système de caméras, installé à
chaque échangeur. Les tarifs dépendent de la catégorie de véhicule et de l’heure de
passage. Le service après vente (facturation, appel d’urgence, dépannage) est
assuré par 170 personnes depuis un centre d’appel de 1200 m2.
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 64
231
Systèmes de péage et de gestion électronique du trafic (source : The
Economist, 10 juin 2004)
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232
Regard géographique sur le paradigme numérique
Conclusion du chapitre 5 : les impasses du « territoire numérique » :
ubiquité ou exclusion ?
Dans le chapitre 4, nous avions évoqué le double phénomène de concentration et
de dispersion qui caractérise la construction de l’espace productif contemporain. Si
on observe le rôle particulier dévolu aux technologies numériques dans la gestion et
l’aménagement des territoires, on constate également une dialectique paradoxale
entre :
- d’une part, un mouvement d’expansion des réseaux, une volonté d’étendre les
zones de couverture, les aires de télé-accessibilité ;
- d’autre part des phénomènes de croissance différentielle, de fragmentation,
d’exclusion.
Lorsque les collectivités entreprennent de créer des espaces privilégiés pour
l’expression d’une société et d’une économie dites numérique, comme le Multimédia
Supercorridor de Malaisie, on assiste à une expulsion de facto des activités dites
non cognitives et des populations qui les exercent, reléguées en périphérie. Lorsque
les appartements, écoles et universités de ces cybervilles sont dotés des
équipements les plus performants, les conditions sont remplies pour qu'
un
processus cumulatif de ségrégation socio-spatiale se déclenche, tel que nous
l’avons observé pour la Silicon Valley, et tel que l’on peut aussi le constater dans la
région Grenobloise, à Sophia Antipolis etc. Les réactions d’opposition au projet du
22@poblenou mettent parfaitement en valeur cette forme d’élitisme territorial
inhérent au concept de ville numérique et à la volonté de planifier des « territoires
qui gagnent ».
Qu’elles émanent ou non de projets de type « territoire numérique », ces inégalités
territoriales peuvent ensuite être renforcées, balisées, par l’usage des technologies
numériques, de type péage urbain ou vidéo-surveillance.
Lorsque l’on observe le développement de nouvelles zones d’affaire dans des
secteurs globalement défavorisés des métropoles, comme à Paris Saint-Denis ou à
Marseille (ZAC de Saumaty Séon et le périmètre EPAEM), on peut se demander si
on assiste pas également à la création d’enclaves de la nouvelle économieltane
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omi
Regard géographique sur le paradigme numérique
233
lorsque certains espaces ruraux bénéficierons, enfin, d’une couverture par la
téléphonie mobile et l’ADSL, d’autres seront déjà passés à l’UMTS et au « très haut
débit tout optique ». Ce qui change, par rapport aux transports, c’est justement
l’utopie que, grâce au numérique, cette course pourrait prendre fin, et que le
concept même de centralité pourrait être remis en cause. C’est clairement le cas
dans les discours entendus sur le projet de Pau (Pau Broadband Country), où l’on
retrouve l’idée que par la vertu du couple réseau à haut débit + activités
numériques, la périphéralité disparaîtrait, Pau se hisserait au même niveau que
Paris.
La réalité majeure à laquelle se heurte la matérialisation de cette utopie, c’est que, à
partir du moment où l’inégalité d’accès aux télécommunications disparaît, le
paradigme numérique cesse de jouer un rôle discriminant (positif ou négatif), et le
territoire se retrouve face à ses atouts et handicaps traditionnels, au nombre
desquels figurent ceux que procurent la centralité géographique au sens le plus
classique du terme.
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234
Regard géographique sur le paradigme numérique
Conclusion générale
Tout au long de ce mémoire, nous avons essayé de démontrer que l’émergence du
paradigme numérique est un phénomène à bien des égards géographique. Ceci est
vrai dans la spatialité intrinsèque des réseaux techniques, dans celle des activités
de production de l’économie numérique, tout comme dans l’usage discursif de
l’idéologie spatiale des TIC qui préside à certaine politiques de développement et
d’aménagement. Ceci nous conduit à discuter, en plusieurs points, la nature
profonde des technologies numériques et de leurs usages, et l’interprétation que
l’on peut en faire en tant que pratiques spatiales et outils d’organisation des
territoires.
« Simulacre et simulation »
Toute réflexion théorique sur le rapport du paradigme numérique à l’espace
géographique doit poser la question de la relation entre l’espace géographique
physiquement objectivable - appelons le faute de mieux l’espace réel, et les
espaces numériques qu’on dit « virtuels », qui, pour n’en n’être pas moins réels (ils
existent bien sur les disques durs des ordinateurs, dans nos perceptions et nos
imaginations), ne sont que des modèles de l’espace physique.
Les réflexions sur ce sujet des géographes, mais aussi des philosophes,
sociologues, économistes, spécialistes des sciences de l'
information et de la
communication ont abouti à une énorme littérature, dont la synthèse seule aurait pu
occuper un volume entier. L’émergence du paradigme numérique est indissociable
de ce que Breton et Proulx appellent « l’explosion de la communication ». Il ne nous
appartient pas de disserter sur l’invasion de la société par les médias, sur le fait que
le temps de travail humain épargné par les gains de productivité, le temps de vie
gagné par les progrès médicaux, sont en grande partie consacrés aux médias
numériques, télévision, jeux vidéos, etc. Le fait est qu’une partie de l’existence se
déroule en spectateur ou acteur d’un vaste théatre électronique, où le réel et le
virtuel, le proche et le lointain semble se confondre (cf. Baudrillard, Simulacre et
simulation).
Dire que les nouvelles technologies rendent le sujet totalement ubiquiste, lui permettent
de mélanger allègrement le proche et le lointain, le local et le global… ne restera qu'
un
décret vide de fondements, tant que l'
on aura pas mesuré comment l'
individu ressent
effectivement ses pratiques et en quoi des technologies nouvelles modifient les
contenus et les registres des dialectiques individus / formations socio-spatiales. En tout
état de cause, l'
espace sera un "toujours-là", ne serait-ce justement que celui du local,
dans sa diversité, sa matérialité et sa rugosité, comme une des dimensions essentielles
de toute expérience individuelle et de tout ordre sociétal, il ne disparaît pas comme par
enchantement, sous les coups de la communication numérique. Lussault, 1995, pp.
157-158.
Faute d’avoir effectué cette « mesure », précisément, nous n’avons pas souhaité
développer dans un chapitre entier cette question qui peut entraîner dans des
discussions fort longues. Il est incontestable que des territorialités peuvent se créer
ou se modifier par le biais des interfaces numériques, comme pour ces jeunes gens
« accro » des jeux vidéo qui abandonnent leurs études et ne sortent plus de leur
chambre. Même sur l’ordinateur, l’espace est plus que jamais présent, comme le
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Regard géographique sur le paradigme numérique
235
montrent les efforts croissants de réalisme graphique dans la représentation des
paysages par les concepteurs de jeux vidéo. Cette volonté de recréer des paysages
du réel pour mieux vendre du virtuel montre que l’espace géographique conserve
une forte prégnance et reste un gros pourvoyeur de sens et de sensations.
Il ne faut pas se voiler la face en s’interrogeant sur les origines métaphysiques de
cette apparente quète de l’ubiquité. Quel « jeune » ne préfèrerais pas apprendre à
piloter une véritable voiture de rallye, ou un vrai avion de chasse ? Qui ne
préfèrerais pas voyager en Patagonie ou aux Maldives, plutôt que de se contenter
de regarder Ushuaïa et Thalassa chaque semaine ?147
La promenade dans les espaces virtuels n’est-elle pas, d’abord, une volonté de
s’évader intellectuellement de la « prison originelle » qu’est l’espace (Raffestin,
1980, p. 129), faute de pouvoir le faire physiquement par manque de moyens
financiers ?
La possession de capital assure la quasi-ubiquité qu’assure la maîtrise économique et
symbolique des moyens de transport et de communication. Le manque de capital
enchaîne au lieu, et intensifie l’expérience de la finitude. Bourdieu (1992, pp. 164-165),
Pour qui s’intéresse, d’abord, à l’espace et au territoire réel, ces considérations aux
marges de la philosophie ne doivent pas être tout à fait ignorées. Car la production,
et l’intense consommation de ces espaces purement numériques, tend à nourrir le
réel et les pratiques spatiales du réel. L’envie et la réalisation de voyages physiques
naît la plupart du temps de voyages virtuels (qui ne sont pas forcément
numériques : lecture sur support papier). La consommation d’objets réels passe
souvent par leur représentation médiatique préalable. Et réciproquement.
Ainsi, le paradigme numérique nourrit sa composante idéelle, voire idéologique, de
toutes les formes de consommation d’espaces numériques, et c’est par cette
composante qu’il s’impose dans l’espace réel, comme dans tous ces projets de ville
numériques, qui sont vendus aux citoyens sous l’égide du mythe de la
communication généralisée et de l’ubiquité permise par les TIC. Avec pour résultat
concret, immédiat, que les citoyens de tel ou tel lieu pourront télécharger à haut
débit et à bas prix des DVD, participer à des jeux vidéo en ligne, téléphoner
davantage pour moins cher etc.
Si l’existe bien un espace géographique physiquement objectivable (nous dirons
réel pour faire simple), il faut donc reconnaître que le territoire a des sortes de
ramifications dans le virtuel de l’espace numérique, qu’il est malaisé de trancher.
Outrepassons cette difficulté conceptuelle, pour proposer un modèle généraliste
d’interprétation du paradigme numérique, par le paradigme systémique, à partir
duquel on peut définir et comprendre le rôle de l’information - donc des systèmes
numériques d’information - dans la production de l’espace géographique.
Le paradigme numérique et le paradigme systémique : gérer la
complexité
De nombreux auteurs utilisent la métaphore du cyber-espace pour décrire une sorte
d’espace des réseaux électroniques, dans lequel le cybernaute est invité à naviguer,
au gré des passerelles que sont les liens hypertexte : étymologiquement, le terme
cyberspace inventé par W. Gibson proviendrait du grec kubernan qui signifie
naviguer.
147
Dans le film Total Recall, la science a résolu le problème de la distinction entre le réel et
le virtuel, puisque les vacances de A à Z sont directement implantées dans le cerveau du
voyageur, souvenirs inclus.
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236
Regard géographique sur le paradigme numérique
Mais il est possible de créer un autre cyber-espace à partir de la cybernétique de
Norbert Wiener148 (du grec kubernetes qui signifie commander ou gouverner), ainsi
qu'
à partir de la théorie des systèmes et de la théorie de l'
information. Pourtant les
travaux des géographes sur les technologies numériques ne font pas allusion à la
cybernétique, ni à la théorie des sytèmes, ni à la théorie de l'
information. C'
est
d'
autant plus curieux que les travaux de Wiener, comme ceux de Forrester, pionnier
de la dynamique des systèmes, sont intimement liés aux débuts de l'
informatique, et
que Norbert Wiener et la cybernétique occupent une place centrale dans la théorie
moderne de la communication (Breton, 1996, p. 89).
Nous pensons que le paradigme systémique (Le Moigne, 1990) est un outil
indispensable de compréhension du paradigme numérique, et de sa relation à
l’espace géographique, surtout si on conçoit l’information de la manière la plus
abstraite qui soit (cf encadré n° 1). Par ailleurs, l’interprétation par la théorie des
systèmes rend justice au paradigme de réseau, tel qu’il a été développé par les
tenants de la « théorie de l’acteur réseau » ou actor network theory (Castells 1996 ;
Latour, 1997 ; Callon 1999).
Joël de Rosnay, dans Le Macroscope, à la suite de Jay Forrester, considère
l'
entreprise149 et la ville comme des systèmes. Comme l’énergie, l'
information fait
partie de ces fluides indispensables au fonctionnement du système, à sa régulation,
au maintien de sa structure.
Les interactions entre les individus et les organisations, par l'
intermédiaire de moyens
de communication, permettent d'
assurer les grandes fonctions du système urbain. De
Rosnay, 1975, p. 57.
De nombreux géographes ont proposé une interprétation systémique du territoire, à
travers divers travaux de modélisation. On peut mentionner P. Allen, F. Auriac, D.
Pumain et T. St.-Julien, Y. Guermond, M. Le Berre, J. Charre etc. (cf. Guermond,
1984). Le concept de système-monde a été largement popularisé (Durand, Lévy et
Retaillé, 1993), mais c’est la ville qui demeure l’objet le plus étudié sous cet angle,
avec la superposition, l’enchevètrement, de ses réseaux (Dupuy, 1991 ; Graham
2001). La ville que des auteurs que l’on ne peut pas rattacher à une école
« systémique », comme Claval, Veltz, Ascher… considérent comme un lieu
privilégié de connectivité.
Si on considère que les nombreux réseaux interconnectés150 qui font fonctionner le
système ville sont eux-même des systèmes (Offner, 1996), de plus en plus régulés
par les technologies numériques ; et si on prend en compte les réseaux sociaux, qui
ne peuvent plus guère se passer du téléphone et de l’Internet, on peut reconnaître
le réseau numérique comme le « méta-réseau » du système urbain moderne, qui en
assure la régulation, le maintien, voire la croissance et la reproduction, dans un
contexte d’augmentation de la complexité.
148
1948. Cybernetics, or control and communication in the animal and the machine. New
York , John Wiley.
149
On l’a vu dans le chapitre 3, l’entreprise peut être considérée comme un système
transactionnel, dans lequel les technologies numériques jouent un rôle de plus en plus
essentiel.
150
S. Graham et S. Marvin (2001, p. 181) utilisent l’exemple de la pompe à essence
automatique pour montrer l’interdépendance et l’interconnexion des réseaux en tant que
grands systèmes techniques (système routier, énergétique, financier, réseau de
télécommunication (carte bancaire).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
237
Croissance de la complexité et entropie
La montée en puissance des technologies numériques peut être considérée comme
une tentative de la société pour maîtriser la complexité, et de lutter contre un
phénomène que l’on pourrait appeler l’accroissement de l’entropie. Cette
interprétation est ainsi proposée par J. Lévy dans Le tournant géographique (2000).
L’évolution du système monde permet de mettre en évidence les deux variantes de
l’entropie : l’entropie thermodynamique des physiciens (Clausius), et l’entropie des
théoriciens
de l’information (Shannon). Un système territorial est,
fondamentalement, une énorme machine à dégrader irréversiblement de l’énergie,
dissipée sous forme de chaleur (désordre moléculaire).
Du point de vue informationnel, l’entropie est l’évolution vers l’état de plus grande
probabilité, qui est celle du désordre maximum. Une ville par exemple, possède une
tendance naturelle au désordre, à la désorganisation, qui doit être compensée par
une quantité d’information (message permettant de réduire l’incertitude) qui croît
avec la complexité du système. Ainsi, la construction territoriale est par essence un
phénomène informationnel, dans lequel entrent pour une part croissante des
technologies numériques de régulation, de contrôle, de planification et
d’aménagement, où vont intervenir aussi bien l’utilisation des SIG que la vidéosurveillance.
Dans le même ordre d’idée, les technologies numériques jouent un rôle facilitateur
essentiel dans les phénomènes de type « mondialisation », qui ne sont autres que
la lente constitution d'
un système mondial. La croissance de la complexité est
illustrée par ce qu’on appelle parfois « le désordre mondial », qui garde toujours une
longueur d’avance sur les efforts d’organisation et de régulation (voir les problèmes
de la cyber-criminalité, de la sécurité informatique etc.).
L’information a donc des propriétés néguentropique. Le prix à payer pour
l’augmentation de la quantité d’information à produire, acheminer, traiter, etc. est
une accélération de l’entropie énergétique, car l’information se paie en énergie (cf.
la chaleur de plus en plus considérable dégagée par les micro-processeurs).
Le problème est que la mise en œuvre des technologies numériques produit sa
propre complexité, en vertu du principe qui veut que le module de commande d'
un
système doit avoir le même degré de complexité que le système lui-même. La
fameuse loi de Moore donne une idée intuitive de la croissance des besoins
informationnels liés à cette complexité, qui donne parfois aux individus l’impression
que « l’histoire s’accélère », que le temps « fuit », que « l’espace temps se
rétracte », car l’homme, face à la technique, se trouve confronté à l’inélasticité de
son temps personnel.
Echelles géographiques, nouveaux liens et nouvelles fragmentations ?
La fragmentation de l’espace ou du territoire, notamment urbain, est un thème
récurrent chez les géographes (N. May et al., 1998, La ville éclatée) ou chez les
sociologues du territoires (B. Poche, 1996, L’espace fragmenté). L’idée est aussi
exprimée par le terme d’archipel chez Veltz (1996) ou Viard (1994). Le thème est
bien présent dans les travaux de géographie des technologies numériques. C’est le
titre principal de l’ouvrage de S. Graham et S. Marvin, Splintering Urbanism (2001) ;
c’est également le sous-titre du livre édité par Wheeler, Aoyama et Warf (2000) :
Cities in the Telecom Age: The Fracturing of Geographies.
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238
Regard géographique sur le paradigme numérique
Ce lien entre TIC et fragmentation peut paraître paradoxal, dans la mesure où l’un
des grands mythes du paradigme numérique est celui de l’ubiquité, qui suppose une
continuité d’accès aux lieux.
Pourtant, il est pertinent de reconnaître un lien entre l’usage des technologies
numériques et diverses formes de fragmentation. La carte de la couverture ADSL,
par exemple (cf. figure n° 22), constitue la parfaite illustration d’un espace
fragmenté. Ce n’est pas un hasard si les spécialistes des télécommunications
utilisent le terme de « plaque » pour désigner les aires de disponibilité de telle ou
telle technologie ou service. Comme dans le cas des transports, la métaphore de
l’archipel reste valable pour désigner des lieux, éventuellement des fragments
d’espaces, qui sont reliés entre-eux par des infrastructures de télécommunications à
haut débit, les espaces intersticiels qui n’ont pas accès aux services proposés sur
ces infrastructures étant victimes d’un effet de tunnel.
Ces fragmentations, sectorielles et contingentes, sont accompagnées de
transgressions et de brouillage des échelles et des catégories spatiales et
territoriales, qui sont souvent décrits dans l’analyse des phénomènes de
métropolisation et de mondialisation par la dialectique entre le local et le global
(Pumain, 2003). Ce mouvement est ancien, mais il est conforté et accéléré par
l’usage des technologies numériques qui permettent l’accès distant à l’information..
Prenons l’exemple des entreprises. Au XVIIIe siècle, le référentiel mondial était
l’apanage d’un cercle restreint de maisons de négoce et d’armateurs. Aujourd’hui,
les transactions technologiques, financières, commerciales qui sont constitutives de
l’entreprise se font plus fréquemment à l’échelle mondiale. Mais l’espace
géographique constitue un facteur de friction, d’incertitude, générateur de coûts, qui
fait qu’une part de ces transactions doit être effectuée à l’échelle locale d’un
déplacement quotidien, dans le périmètre restreint d’une agglomération
économique.
Ce.32438
.
0 Td (r)Tj 3.72223 0 Td (e)Tj 6.12366 0 Td (n)Tj 6Tj 3.12187 0 Td (u)Td (c)Tj 5.5233 0 Td (o)Tj 6
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Regard géographique sur le paradigme numérique
239
même où un canton, qui ne dispose pas de l’ADSL, est constitué, de ce point de
vue, en marge ou « angle mort », tel ou tel entrepreneur de ce même canton qui se
dote d’une liaison satellitale et se lance dans le télétravail « à façon » pour des
donneurs d’ordre éloignés, produit une mise en relation qui transcende les échelles.
Cette dialectique paradoxale rejoint celle du couple « agglomération-dispersion »
que nous avons évoqué précédemment.
La diffusion spatiale d'une série d’innovations
Un des intérêts majeurs offerts au géographe par l’affirmation du paradigme
numérique est qu’elle constitue une sorte de laboratoire technique, économique et
social du processus de diffusion spatiale d’une série d’innovations, à partir de
l’extension d’un réseau (Hägerstrand, 1953 ; St-Julien, 1985). Le cas de l’Internet
est tout à fait spectaculaire : on part d’un point précis, à une date précise, jusqu’à
couvrir une bonne partie de la planète. La diffusion du téléphone mobile constitue
un autre excellent exemple, démontré par les cartes publiées successivement
depuis une dizaine d’années par les opérateurs. Il en va de même des cartes de la
couverture ADSL, ou de la progression du dégroupage
Cette diffusion est la plupart du temps clairement hiérarchique, car fortement
orientée par les lois du marché et les impératifs techniques du réseau. L’Internet
s’est diffusé, d’abord, sur les grands campus scientifiques américains, puis dans les
grandes entreprises, puis dans les catégories les plus favorisées de la population,
donc dans les métropoles, etc. Les lois du marché ont incité les opérateurs de
téléphonie mobile à desservir les grandes villes, puis les grands axes de circulation
routière… Cette logique hiérarchique n’est pas absolue, elle peut être
ponctuellement bousculée par une politique publique, comme c’est le cas à Pau ou
ailleurs.
Nous avons vu que le processus de la diffusion du paradigme numérique fonctionne
par l’entremise d’un système d’acteurs, qui se font les vecteurs, plus ou moins
spécialisés, d’une des composantes de ce paradigme. Le numérique progresse
irrégulièrement dans l’espace géographique par la combinaison des innovations
techniques, des logique marchandes, de la couverture médiatique151, des intérêts
politiques, des engouements individuels.
Plus encore que dans le cas des grandes innovations du passé, diffusion spatiale
rime avec réseau. Autrefois, les innovations, tout comme comme les épidémies, se
diffusaient par les routes au sens large, terrestres et maritimes. Mais dans le cas du
numérique, la diffusion est indissociable et quasiment synchrone de la construction
du réseau (on le voit dans le cas du mobile, où la diffusion se résume à la
construction de pylones). D’où la métaphore de la toile, qui s’étend inexorablement,
jusqu’à recouvrir tout l’espace.
Comme dans tous les processus de diffusion spatiale, les caractéristiques
intrinsèques de l’espace géographique jouent un grand rôle dans la diffusion du
paradigme numérique. Contrairement à ce qu’on aurait pu croire. Nous avons vu
comment les réseaux à haut débit, pour des raisons purement techniques, peuvent
se dupliquer facilement sur les infrastructures de transport. Osons un peu de
déterminisme naturel, même relatif : le Massif Central français est mal couvert par le
réseau numérique, entre autres raisons, parce qu’il est une moyenne montagne
granitique au modelé en creux, où la circulation est difficile, les « zones d’ombre »
fréquentes. Le paradigme numérique s’inscrit donc dans une continuité historique :
les régions d’accès difficile, comme les massifs montagneux, ont toujours été des
151
Qui produit sa propre logique machande.
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240
Regard géographique sur le paradigme numérique
obstacles à la diffusion des phénomènes les plus divers, épidémiologiques,
économiques, technologiques ou culturels.
La diffusion a une double dimension spatiale et temporelle. Comme dans d’autres
cas (épidémie), on observe des temps de latence, puis des phases de décollage, de
rattrapage subites. Le temps que soient réunies certaines conditions économiques,
techniques, politiques ou sociales, que sautent certains verrous152. Dans le cas
d’une épidémie, le facteur déclenchant peut être une disette, dans le cas de
l’Internet, ce peut être le vote d’une loi qui ouvre le marché à la concurrence.
La double prise en compte des dimensions temps et espace est particulièrement
évidente dans les manifestations de type « saut technologique », où l'
on a vu des
territoires embrasser en quelques années des applications comme le téléphone
mobile, alors qu'
ils n'
étaient pas dotés des infrastructures élémentaires (électricité,
téléphone filaire) dont la mise en place a caractérisé les étapes du développement
des pays les plus riches.
« Surveiller et punir » : la production de l’espace panoptique
Comme nous l’avons dit précédemment, les personnes physiques ou morales
doivent mettre en œuvre des technologies numériques de plus en plus
sophistiquées pour lutter contre la dégradation entropique des systèmes
économiques, sociaux et territoriaux. Ceci confère à divers institutions et structures
des moyens de repérage et de surveillance dans l’espace géographique, des objets
et des personnes, qui constituent un enjeu politique et social majeur, avec le risque
de l’émergence d’un panopticisme généralisé. Le thème a fait l’objet d’une littérature
de science fiction abondante, depuis le 1984 de Orwell et son indémodable Big
Brother. Aujourd’hui, on peut se demander si la réalité n’est pas en train de
dépasser la fiction.
The proliferation of surveillance systems is about much more than flows of
representations; the construction of virtualities and simulacra; of mechanism of finegrained control; of cybernetics processes of automation; and of community activism.
It also fuels some of the fastest growing economic sectors of the information economy,
with very different trajectories emerging for different places within informational
divisions of labour. Graham, in Crang et al., 1999, p. 147
Nous n’avons pas abordé dans ce mémoire l’usage militaire des technologies
numériques. Les médias nous ont suffisamment éclairé sur l’utilisation des
technologies les plus sophistiquées par le renseignement militaire ou étatique. Les
TIC sont, depuis toujours, un moyen puissant de contrôle et de gestion politique des
territoires. P. Griset (1995) explique comment, pendant la Révolution Française,
l'
Etat faisait servir le télégraphe de Chappe par des illettrés, pour mieux garantir la
sécurisation des données transmises. Les TIC, en tant que moyen de contrôle de
l’espace, ça sert d’abord à faire la guerre, comme l’écrivait Y. Lacoste, et ce n’est
pas un hasard si Internet est né au sein du ministère de la défense américain.
La description par M. Foucault du panoptique de Bentham (1791) dans Surveiller et
punir (1975, pp. 233-243), fournit une excellente interprétation de la croissance
d’une surveillance généralisée, invisible et insidieuse, qui emprunte de multiples
canaux numériques. L’application la plus évidente est celle de la vidéo-surveillance
152
Comme la résistance d’une technologie devenue obsolète mais protégée par un
monopole d’Etat (le Minitel).
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Regard géographique sur le paradigme numérique
241
de l’espace public, « nouvelle forme d'
appropriation territoriale » (Klauser, in Vodoz,
2001, p. 87-94). Le panoptique est un modèle de prison circulaire qui permet aux
gardiens de voir sans être vu à partir d’un poste d’observation central, les cellules
étant pourvues de portes à barreaux. De fait, la surveillance n'
a pas besoin d'
être
permanente : il faut que la personne surveillée sache qu'
elle peut être vue.
Le panopticon doit être compris comme un modèle généralisable de fonctionnement,
une manière de définir les rapports du pouvoir avec la vie quotidienne des hommes…
c'
est le diagramme d'
un mécanisme de pouvoir ramené à sa forme idéale. Foucault,
1975, p. 239.
En chacune de ses applications, il permet de perfectionner l'
exercice du pouvoir. Il peut
réduire le nombre de ceux qui l'
excercent, tout en multipliant le nombre de ceux sur qui
on l'
exerce. Sans autre instrument physique qu'
une architecture et une géométrie, il
agit directement sur les individus. Le schéma panoptique est un intensificateur pour
n'
importe quel appareil de pouvoir, il en assure l'
économie (en matériel, en personnel,
en temps), il en assure l'
efficacité par son fonctionnement continu et ses mécanismes
automatiques. Foucault, 1975, p. 243
La vidéo surveillance n’est que l’exemple le plus visible du panopticisme. Mais il faut
aussi mentionner la multiplication exponentielle des fichiers informatiques publics ou
privés, la technologie des « cookies » qui permet aux concepteurs de logiciels, aux
créateurs de sites Web, de tout connaître ou presque du « comportement
numérique » des individus, ce qui permet de cibler le marketing. Chacun peut être
repéré dans l’espace par son téléphone mobile (par le secours en montagne ou la
police). La télé-surveillance sur le lieu de travail devrait progresser : les employés
des centres d’appel sont enregistrés, les employés des crèches sont parfois filmés
par des systèmes de Webcam que peuvent consulter les parents depuis leur lieu de
travail.
Des puces électroniques pourraient bientôt remplacer les codes barre sur les
produits, ce qui permettra une traçabilité totale et à distance de la barre de céréale
ou du baril de lessive, depuis l’usine jusqu’au domicile du consommateur. Ceci
facilitera évidemment la gestion des stocks, et préfigure une révolution complète du
géomarketing153.
On peut donc envisager à court terme une situation de fait : que la position absolue
et relative dans l’espace géographique de tout et de chacun pourra être connue
avec précision par l’Etat, la Sécurité sociale, les entreprises... Les radars routiers
seront rendus obsolètes, puisque lorsque tous les véhicules seront équipés du GPS,
les services de police (les ordinateurs de la police) seront alertés en temps réel du
moindre dépassement154. La généralisation du bracelet électronique devrait faciliter
à l’extrême le contrôle judiciaire. Enfin, si on entre un tant soit peu dans
l’anticipation, le corps humain lui même sera facilement détectable, puisqu’il
incorporera de plus en plus de dispositifs électroniques de surveillance ou
d’assistance médicale.
Comme l’écrit Foucault, ce contrôle généralisé sera d’autant plus efficace qu’il sera
continu, automatique, économe en personnel, comme ces radars automatiques qui
ont fleuri le long des routes ces derniers mois.
153
Il n’y aura plus besoin de demander son adresse au client lors du passage en caisse.
D’ailleurs, il n’y aura plus de caisses, puisque les puces seront lues automatiquement par un
portique à la sortie du magasin, et la note prélevée automatiquement sur le compte du client
(suivant le même principe que le télépéage autoroutier).
154
Des expériences de contrôle de la vitesse moyenne au péage autoroutier ont déjà eu
lieu.
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242
Regard géographique sur le paradigme numérique
Chaque chose et chaque personne étant repérable à toute heure et en tout lieu, on
pourrait voir décliner ce qui était une des caractéristiques principales de l’espace
géographique, à savoir la possibiliter de générer de l’incertitude, du hasard, des
rencontres, ce que A. Townsend appelle de la serendipity. Les différentes formes de
transgression étant rendues plus difficile, c’est ce qu’on appelle au sens propre les
« espaces de liberté » qui seront réduits.
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243
Regard géographique sur le paradigme numérique
ANNEXE 1. TIC, espace géographique et territoires : sélection de publications
après 1990
Articles généraux, compilations
1991
1993
1995
BRUNN &
LEINBACH
KELLERMAN
CLAVAL
1995
KIRCH
1995
1996
BAKIS &
DUPUY
COUCLELIS
1996
HINCHCLIFFE
1997
1997
1998
ROCHE &
BAKIS
EVENO
GRAHAM
1998
HILLIS
2000
OGAWA
2000
WILSON &
COREY
Collapsing Space and Time: Geographic Aspects
of Communication and Information
Telecommunications and Geography
Les problématiques géographiques de la
communication.
The incredible shrinking world? Technology and
the production of space.
Réseaux de communication
2001
HALL,
PRESTON
MOSS,
TOWNSEND
TOWNSEND
2002
MALECKI
2002
DUPUY
2000
1998
2002
2002
HEPWORTH
FENG
CASTELLS
HALL
STEINER
LEAMER,
STORPER
BEYERS
The Carrier Wave: New Information Technology
and the Geography of Innovation, 1846-2003
The Internet Backbone and the American
Metropolis
The Internet and the rise of the new network cities,
1969-1999
The Economic Geography of the Internet'
s
Infrastructure.
Internet, Géographie d'un réseau
Geography of the Information Economy
The Geography of Business Information
Technolopoles: Mines and Foundaries of the
Information Economy.
Clusters and Regional Specialisation: On
Geography, Technology, and Networks
The Economic Geography of the Internet Age
2000
BRACZYK
al.
ZOOK
and
Annales de géographie
Unwin
The Information Society
Journal,
Environment
and
Planning B
Economic Geography
Ellipses
Guilford Press.
Wiley
Routledge.
European research in
regional science
J.
of
International
Business Studies
of
Economic
Services and the New Economy: elements of a J.
Geography
research agenda
Entreprises de l'Internet et multimédia
1999
Environment
Planning D
Environment
and
Planning B
and
Technology, power and space: the means and Environment
Planning D
ends of geographies of technology
Developments in télécommunications: between Ashgate
global and local
Pour une géographie de la société de l'
information Netcom
in Human
The end of geography or the explosion of place ? Progress
Conceptualizing space, place and information Geography
technologies
in Human
On the margins : the invisibility of communications Progress
Geography
in geography
Spatial
impact
of
information
technology The Annals of Regional
Science
development.
Information Tectonics: Space, Place and Chichester, U.K., John
Technology in an Information Age
Wiley & Sons
Economie numérique, économie de l'information
1990
1995
1995
Belhaven Press
Sciences de la société
Editorial: "The death of distance"
Télécommunications / Réseaux
1988
Harper
et Multimedia and Regional Restructuring
Routledge
The web of production: the economic geography Environment
of commercial Internet content production in the Planning A
United States
Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected]
and
244
Regard géographique sur le paradigme numérique
2001
2002
PRATT
ZOOK
2003
MORISET
2004
INDERGAARD
New media, the new economy and new spaces.
Grounded capital: venture financing and the
geography of the Internet industry,
The New Economy in the City. Emergence and
location factors of internet-based companies in
the metropolitan area of Lyon - France
Silicon Alley: The Rise and Fall of a New Media
District.
Geoforum
Journal of Economic
Geography
Urban Studies
Routledge
Services financiers / Commerce
1992
1995
2000
2001
O'
BRIEN R
AMIRAHMA
DI,
WALLACE
AGNES
LEINBACH
, BRUNN
Global Financial Integration: The End of Geography Pinter
Information Technology, the Organization of Environnment
Planning A
Production and Regional Development
and
The “End of Geography" in Financial Services? Economic Geography
Local Embeddedness and Territorialization in the
Interest Rate Swaps Industry.
Worlds of Electronic Commerce: Economic, John Wiley
Geographical and Social Dimensions
Centres d'appel
2000
2000
2000
2005
BREATHNACH Globalisation, information technology and the
emergence of niche transnational cities: the
growth of the call centre sector in Dublin
RICHARDSON Taking calls to Newcastle: the regional
et al.
implications of the growth in call centres.
BRISTOW
et Call centre growth and location: corporate
al.
strategy and the spatial division of labour
MORISET,
La géographie des centres d’appel en France
BONNET
Télétravail
1996
1997
HANDY,
MOKHTARIAN
MOLINI
2000
CLARK
2004
MORISET
The Future of Telecommuting
Geoforum
Regional Studies
Environment
and
Planning A
Annales de Géographie
Futures
The migration of teleprofessionals to tourist Netcom
areas: hypotheses and refutations
Teleworking in the countryside. Home- Ashgate
based working in the information society.
Télétravail, travail distant, travail nomade : Cybergeo
le territoire et les territorialités face aux
nouvelles flexibilités spatio-temporelles du
travail et de la production
Cyberspace, espace virtuel, représentations
1993
BATTY
1997
1998
BATTY
CURRY
1999
CRANG,
MAY
HILLIS
1999
2000
2000
2001
2003
Environment
Planning B
Futures
Virtual Geography
Digital Places. Living with Geographic Information Routledge
Technologies
Virtual Geographies
Routledge
The geography of cyberspace
DODGE,
KITCHIN
MITCHELL
KWAN
ADAMS,
GHOSE
and
Digital Sensations: Space, identity and embodiment in University of Minnesota
virtual reality
Press
Mapping Cyberspace
Routledge
E-topia
MIT Press
Cyberspatial cognition and individual access to Environment
information:
the
behavioral
foundation
of Planning B
cybergeography
Progress in
India.com: the construction of a space between.
Geography
Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected]
and
Human
245
Regard géographique sur le paradigme numérique
Ville
1995
1996
City of Bits: Space, Place and the Infobahn
Telecommunication and the city: electronic spaces,
urban places
Editorial: Cities and Telecommunications in the Global
Information Age
Global Grids of Glass: On Global Cities,
Telecommunications and Planetary Urban Networks.
Smart cities. The Singapore case.
Cities in the Telecom Age
1999
MITCHELL
GRAHAM,
MARVIN
CAVES
1999
GRAHAM
1999
2000
MAHIZHAN
WHEELER,
AOYAMA,
WARF
ARUN, YAP Singapore: The Development of an Intelligent Island
and Social Dividends of Information Technology
Digital Places: Building Our City of Bits
HORAN
2000
2000
2000
2001
2001
2002
MIT Press
Routledge
Cities
Urban Studies
Cities
Routledge
Urban Studies
Urban Land Institute
SANDOVAL La ville numérique
Hermes
GRAHAM
Information Technologies and Reconfigurations of International Journal of
Urban and Regional
Urban Space
Research
Splintering Urbanism: Networked Infrastructures, Routledge
GRAHAM,
Technological Mobilities and the Urban Condition
MARVIN
KOMNINOS Intelligent Cities: Innovation, knowledge systems and Spon Press
digital spaces
Espace rural
1992 MADON
The impact of computer-based information
systems on rural development: A case study in
India
1996 GILLESPIE Advanced communications and employment
RICHARDS creation in rural and peripheral regions: a case
ON
study of the Highlands and Islands of Scotland
1999 GRIMES
Rural areas in the information society:
diminishing distance or increasing learning
capacity?
1999 HUH
“The
Rural
Computer
Schools
and
Informatization of Rural Areas in Korea”
2000 MORISET
Editorial : La problématique des technologies de
l'
information en milieu rural
2003 MALECKI
Digital development in rural areas: potentials and
pitfalls
2003 GRIMES
The digital economy challenge facing peripheral
rural areas
Aménagement / Développement/Fracture numérique
1995 WARF
1997 MADON
2001 WARF
2002 MUSSO,
CROZET
2004 PERRONS
Telecommunications
and
the
Changing
Geographies of Knowledge Transmission in the
Late Twentieth Century3
Information-based
global
economy
and
socioeconomic development: The case of
Bangalore
Segueways
into
cyberspace:
multiple
geographies of the digital divide
Le terrritoire aménagé par les réseaux
Journal of Information
Technology
The
Annals
Regional Science
Journal
Studies
of
of
Rural
Netcom
Geocarrefour
Journal
of
Rural
Studies
Progress in Human
Geography
Urban Studies
The
Society
Information
Environment
and
Planning B
DATAR/Editions de
l'
Aube
Understanding Social and Spatial Divisions in the Economic Geography
New Economy : New Media Clusters and the
Digital Divide
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246
Regard géographique sur le paradigme numérique
Annexe 2. Cours sur la géographie de la société de l'information et du
cyberspace (extrait de www.ssc.msu.edu/~igu/Courses.htm + compléments). U :
Undergraduate course, G : Graduate)
Pays
AUSTRALIE
FRANCE
ALLEMAGNE
Université
Macquarie Univ.
Montpellier Univ.
Université Paris-1
Sorbonne
U. de ToulouseLe Mirail
Technical
Univ.Aachen
Id.
Intitulé du cours
The Information Economy (U)
Communication Geography (U)
Space
and
Information
and
Communication Technologies (G)
Networks, Communication and
Territories (U)
Geography of Communications (G)
John Langdale
Henry Bakis
Gabriel Dupuy
Andreas Koch
HONG-KONG
U. de Hong Kong
IRLANDE
National Univ.
d’Irlande, Galway
Univ. d’Haifa
Communications
Services
and
Spatial Effects(G)
Geography
of
Information
Technology (U)
Geography of the Information
Society (U)
Information and Geography (G)
Seoul National
Univ.
U. de Gothenburg
U. de Newcastle
Geography of Information and
Telecommunications (G)
ICT in a Geographical Context (G)
Virtual Geographies (U)
University College
London
Ohio State Univ.
U.Texas Austin
Cyberspace: The Geography and
Planning of Virtual Worlds (U)
Mapping Cyberspace (G)
Geographies of the Information
Society (U)
Geography of Cyberspace
Mapping Cyberspace (U)
ISRAEL
COREE
SUEDE
R.U.
ETATS-UNIS
U. de Buffalo
U.de Californie,
Santa Barbara
U. de Californie,
Berkeley
U. duWashington
U.
dePennsylvanie
Syracuse Univ.
Virginia Tech
New York Univ.
U. duKentucky
Michigan State
Univ.
NorthwesternUniv
.
Florida State
Univ.
Univ. d’Utah
Enseignant
E. Eveno, MC.
Cassé, Ph.Vidal
Peter Graef
Becky P.Y Loo
Seamus Grimes
Aharon
Kellerman
Woo-Kung Huh
Sten Lorentzon
Andrew Gillespie,
JamesCornford,
Vicki Belt
Michael Batty &
Martin Dodge
Mei-Po Kwan
Shanon Crum
Narushige Shiode
Sara Fabrikant
Geography of Cyberspace (U)
Susan Pomeroy
Geography ofthe Information
Economy and the Role of the
Internet (U)
Interpreting Cyberspace:
Explorations in Virtual Geography
Geography of and on the Internet
Geography of Information Society
(G)
Technology, the Media, and Cities
(G)
Electronic Human Geography (G)
Cyberspace, Technology, and
Society (U)
Cities in the Information Society (G)
Ginter Krumme
Susan Garfinkel
David J.Robinson
Gerard Toal
Mitchell Moss
Stanley D.Brunn
Mark Wilson
Jennifer Light
Communications Geography (U)
Barney Warf
Geography of Cyberspace (U)
Harvey J. Miller
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Regard géographique sur le paradigme numérique
247
Bibliographie
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560. WILSON M., 2000. The Fall of the Mall? The Impact of Online Travel Sales on
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274
Regard géographique sur le paradigme numérique
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Table des sigles et abbréviations
ACD :
Automatic Call Distribution
ADSL :
Asymetric Digital Subscriber Line
AEPI :
Agence d’Etude pour la Promotion de l’Isère
AFTEL :
Association Française de Télématique
AFTT :
Association Française du Télétravail et des Téléactivités
ARASSH :
Agence Rhône-Alpes pour les Sciences Sociales et Humaines
ATM :
Asynchronous Transfert Mode
AUI :
Association des Utilisateurs d'
Internet
CASA :
Center for Advanced Spatial Analysis (University College London)
CCI :
Chambre de Commerce et d’Industrie
CFAO :
Conception et Fabrication Assistées par Ordinateur
CTI :
Computer Telephony Integration
DSL :
Digital Subscriber Line
DSLAM :
Digital Subscriber Line Access Multiplexor
DWDM :
Dense Wavelength Division Multiplexing
EDI :
Electronic Data Interchange (échange de données informatisé)
FING :
Fondation Internet Nouvelle Génération
FTP :
File Transfer Protocole
FTTH :
Fiber To The Home
GIX :
Global Internet eXchange point
GPS :
Global Positioning System
GSM :
Global System for Mobile Communications
HBS :
Harvard Business School
IP :
Internet Protocole
ISOC :
Internet Society
IVR :
Interactive Voice Response
LAN :
Local Area Network
MAN :
Métropolitan Area Network
MIT :
Massachusetts Institute of Technology
MMDS :
Microwave Multipoint Distribution System
MUDs :
Multi Users Dungeons
NAP :
Network Access Point
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275
276
Regard géographique sur le paradigme numérique
NII :
National Information Infrastructure
NYNMA :
New York New Media Association
PABX
Private Automatic Branch eXchange
PDM :
Product Data Management
PME :
Petites et Moyennes Entreprises
PLM :
Product Lifecycle Management
POP :
Point of Presence
PRO :
Point de Raccordement Opérateur
RNIS :
Réseau Numérique à Intégration de Service (en anglais : ISDN)
SDH :
Synchronous Digital Hierarchy
SIC :
Standard Industrial Classification
SIG :
Système d'
Information Géographique
SDH :
Synchronous Digital Hierarchy
SONET
Synchronous Optical Network
SWIFT :
Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications
TIC :
Technologies de l'
Information et de la Communication
TICE :
Technologies de l'
Information et de la Com. pour l'
Education
UMTS :
Universal Mobile Telecommunication System
URL :
Uniform Resource Locator
WAN :
Wide Area Network
WAP :
Wireless Application Protocole
WDM :
Wavelength Division Multiplexing
DWDM :
Dense Wavelength Division Multiplexing
WIFI :
Wireless Fidelity
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Regard géographique sur le paradigme numérique
277
Table des encadrés
Encadré n° 1.
La nature de l'
information ........................................................................... 19
Encadré n° 2.
Nicholas Negroponte, "Beyond Digital". Wired 6.12, décembre 1998. ...... 24
Encadré n° 3.
Les TIC dans le Débat national pour l'aménagement du territoire............. 28
Encadré n° 4.
Un nouveau paradigme économique The Economist, 11-09 1997............ 80
Encadré n° 5.
Et les télécommunications ? Extrait de P. Veltz, 1996, pp. 218-221 ......... 86
Encadré n° 6.
Economie numérique et externalités de convergence à Denver. .............. 97
Encadré n° 7.
Les télécommunications et le travail collaboratif à distance dans l’industrie
automobile……………………………………………………………………………………………99
Encadré n° 8.
La géographie d'
un géant du commerce électronique : Amazon.com..... 111
Encadré n° 9.
L’utilisation des TIC dans le suivi de livraison : l’exemple de FedEX .. 112
Encadré n° 10.
La localisation du centre de contact AON à Marseille. ........................ 120
Encadré n° 11.
Du centre d’appel… au télétravail. ....................................................... 127
Encadré n° 12.
Deux expériences de télétravail en Irlande : MDS Gateways, IBM ..... 128
Encadré n° 13.
S. Sassen. The Global City Model. ...................................................... 136
Encadré n° 14.
Why Saving Silicon Alley Is Essential for New York. Joël Kotkin......... 151
Encadré n° 15.
« Silicon Sentier » vu par le magazine Wired ...................................... 155
Encadré n° 16.
Une nouvelle Silicon Valley ? Denver et le Front Range du Colorado. 156
Encadré n° 17.
Les Siliconium à travers le monde ....................................................... 157
Encadré n° 18.
Pour ou contre une implantation rurale ? ............................................. 165
Encadré n° 19.
La cité numérique (City of Bits) selon W. Mitchell................................ 172
Encadré n° 20.
Le projet de « territoire intelligent » : une démarche stratégique ......... 182
Encadré n° 21.
Le programme PARVI .......................................................................... 183
Encadré n° 22.
Pau, ville numérique du futur ?............................................................. 184
Encadré n° 23.
Les péripéties de la fracture numérique en milieu rural.. ..................... 188
Encadré n° 24.
« Projet de loi pour la confiance dans l'
économie numérique »........... 192
Encadré n° 25.
Utilisations de l’espace dans le projet DMC......................................... 211
Encadré n° 26.
Les services offerts par le Cyberport ................................................... 213
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Regard géographique sur le paradigme numérique
Figure n° 57
Figure n° 58
Figure n° 59
Figure n° 60
Figure n° 61
Figure n° 62
Figure n° 63
Figure n° 64
Figure n° 65
Figure n° 66
279
Le Brooklyn Information Technology Center (www.swbidc.org) .................. 218
Les sites du Digital NYC (www.newyorkbiz.com/digitalnycis) ...................... 218
111 Eigth Avenue ......................................................................................... 217
Net Centers de LD Com et Markley Stearns Partners à Marseille............... 220
Vue générale de la zone du 22@poblenou .................................................. 222
Fresques de manifestation contre le programme 22@poblenou. ................ 224
Plan de vidéo-surveillance du Vieux Lyon ................................................... 227
Localisation des caméras dans le district financier de Lower Manhattan.... 228
La congestion charging zone, au centre de Londres (www.cclondon.com). 230
Systèmes de péage et de gestion électronique du trafic ............................. 231
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280
Regard géographique sur le paradigme numérique
Table des tableaux
Tableau n° 1.
Tableau n° 2.
Tableau n° 3.
Tableau n° 4.
Tableau n° 5.
Tableau n° 6.
Tableau n° 7.
Tableau n° 8.
Tableau n° 9.
Tableau n° 10.
Tableau n° 11.
Tableau n° 12.
Tableau n° 13.
Tableau n° 14.
Tableau n° 15.
Tableau n° 16.
Tableau n° 17.
Tableau n° 18.
Tableau n° 19.
Tableau n° 20.
Tableau n° 21.
Tableau n° 22.
Tableau n° 23.
L’explosion de la téléphonie mobile : taux de pénétration par habitant .... 17
Trois programmes d'
action pour la "société de l'
information" .................... 26
Pays représentés dans la bibliographie (auteurs)...................................... 33
Les TIC dans Progress in Human Geography ........................................... 35
Les rubriques de l'
Atlas du Cyberspace (www.cybergeography.org) ........ 43
Exemples de traceroutes au départ de Lyon (www.lyonix.net) .................. 52
Débit Internet disponible sur les axes intercontinentaux............................ 53
Débits disponibles cumulés rapportés à la population dans 32 aires
métropolitaines américaines (Mbits/secs. pour 1000 hab.). ....................... 56
La hiérarchie des villes européennes : nombre de réseaux "backbones" 58
Quelques exemples de points d'
accès WiFi, installés en juillet 2003 ........ 72
Le commerce électronique B to B dans le monde ................................... 106
La répartition géographique du commerce électronique B to B par
grandes régions ........................................................................................ 106
Statistiques sur les centres d’appel ......................................................... 113
Métropolisation des cadres et professions intellectuelles supérieures . 131
Taux d'
emplois métropolitains supérieurs par aires urbaines .................. 131
Les principaux segments de marché couverts par le secteur New
Yorkais des nouveaux médias.................................................................. 149
Les 20 premiers « clusters » du secteur des TIC aux Etats-Unis, sur la
base des Economic Areas ........................................................................ 152
Les services offerts par un "outsourcer" rural : KITE Ltd. ........................ 162
Le programme "Barcelona Digital City" .................................................... 177
Les Intelligent Community Awards ........................................................... 181
Centres d'
hébergement et de co-location et réhabilitation de
l'
immobilier industriel et commercial......................................................... 217
Nouvelle économie et réhabilitation urbaine à Marseille .......................... 220
Investissements étrangers dans les TIC à Barcelone en 2001 ................ 221
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Regard géographique sur le paradigme numérique
281
Table des matières
INTRODUCTION............................................................................................ 3
CHAPITRE 1.
NUMERIQUE
LA PENSEE GEOGRAPHIQUE FACE AU PARADIGME
9
1.1.
LES « TIC » ET LE PARADIGME NUMERIQUE ..........................................................................9
1.1.1.
Une affaire de métaphores............................................................................................9
1.1.2.
La convergence numérique.........................................................................................12
1.1.2.1.
1.1.2.2.
La convergence des techniques : numérisation et Internet ................................................... 13
Une croissance et une diffusion exponentielles.................................................................... 15
1.2.
LA COMPOSANTE GEOGRAPHIQUE D'UNE NOUVELLE IDEOLOGIE ? .......................................20
1.2.1.
Entreprises et publicité ...............................................................................................20
1.2.2.
Médias et "cybergourous" ..........................................................................................22
1.2.3.
Les organisations et collectivités publiques ...............................................................25
1.2.4.
Les groupes de pression et cercles d'expert................................................................29
1.2.5.
La communication numérique, nouvelle religion universelle ? ..................................31
1.3.
LES GEOGRAPHES DANS LE DEBAT : .....................................................................................31
1.3.1.
De la géographie des télécommunications à la géographie du cyber-espace ............32
1.3.2.
Existe-t-il une géographie des TIC ? ..........................................................................36
CHAPITRE 2. LE RESEAU NUMERIQUE ET L’ESPACE
GEOGRAPHIQUE : TECHN04475
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49
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282
Regard géographique sur le paradigme numérique
3.3.
LE ROLE DES TIC DANS L’ORGANISATION SPATIALE DE LA PRODUCTION : DEMONSTRATION
EMPIRIQUE ........................................................................................................................................ 98
3.3.1.
Les TIC et l’organisation spatiale des entreprises industrielles : exemple de
l’industrie automobile.................................................................................................................. 98
3.3.2.
La finance électronique : les limites d’un espace économique virtuel ..................... 101
3.3.3.
Le commerce électronique et la logistique............................................................... 104
3.3.4.
Les centres d’appel (ou centres de contacts) et la relation client ............................ 112
3.3.5.
Le télétravail ............................................................................................................ 122
CHAPITRE 4. LES TERRITOIRES DE L’ECONOMIE NUMERIQUE : DE
LA SILICON VALLEY A LA SYLVICOLE VALLEY .................................. 129
4.1.
UN ESPACE ECONOMIQUE « EN ARCHIPEL » ? .................................................................... 129
4.1.1.
Mondialisation, métropolisation .............................................................................. 129
4.1.2.
Le paradoxe géographique de l’économie numérique ............................................. 132
4.1.2.1.
4.1.2.2.
Agglomération, dispersion et division spatiale du travail...................................................132
La théorie de « la poignée de main »..................................................................................134
4.2.2.1.
4.2.2.2.
Le modèle original : Silicon Valley....................................................................................143
Silicon Alley ou la quintessence de l’urbain: un concept éphémère ? ................................147
4.2.
LES DISTRICTS DE L'ECONOMIE NUMERIQUE ...................................................................... 137
4.2.1.
Aspects théoriques.................................................................................................... 137
4.2.2.
Silicon Valley vs Silicon Alley .................................................................................. 143
4.2.3.
L’essaimage du mythe, ou la mondialisation d’un modèle d’organisation de l’espace
productif 152
4.3.
L’ECONOMIE NUMERIQUE DANS LES ESPACES RURAUX...................................................... 159
4.3.1.
Utopie ou opportunité ? ........................................................................................... 159
4.3.2.
“Lone Eagles” et “High Fliers”.............................................................................. 161
CHAPITRE 5. LES TECHNOLOGIES NUMERIQUES DANS LES
POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT ET D’AMENAGEMENT DES
TERRITOIRES 169
5.1.
LE TERRITOIRE NUMERIQUE : UTOPIE OU PROJET STRATEGIQUE ?...................................... 169
5.1.1.
Une littérature considérable .................................................................................... 169
5.1.2.
Le projet stratégique, un concept clé pour l’analyse géographique des politiques
publiques dans le secteur des TIC ............................................................................................. 173
5.1.3.
Le projet de territoire numérique : contenu et discours........................................... 174
5.2.
TELECOMMUNICATIONS ET AMENAGEMENT DU TERRITOIRE.............................................. 185
5.2.1.
La problématique et les enjeux de la « fracture numérique » .................................. 185
5.2.2.
Le contexte juridico-technologique .......................................................................... 190
5.2.2.1.
5.2.2.2.
5.2.3.
5.2.3.1.
5.2.3.2.
Le cas français : l’article L. 1425.1 ....................................................................................191
Dans les autres pays européens et aux Etats-Unis ..............................................................193
Télécommunications et développement local : une stratégie d’offre ....................... 194
Aux Etats-Unis et au Canada..............................................................................................194
En France ...........................................................................................................................196
5.3.
EFFETS DE LIEUX : L’EMERGENCE D’UN « URBANISME NUMERIQUE » ............................... 206
5.3.1.
Dans les pays émergents : la multiplication des projets de « district multimédia ». 207
5.3.1.1.
5.3.1.2.
5.3.1.3.
5.3.1.4.
Le Multimédia Super Corridor de Kuala Lumpur ..............................................................207
Seoul Digital Media City (DMC) .......................................................................................210
Le Cyberport de Hong Kong ..............................................................................................212
Dubaï : une plaque tournante de l’économie numérique entre l’Europe et l’Asie ? ...........214
5.3.2.
Dans les métropoles occidentales : nouvelle économie et renouvellement urbain... 216
5.3.3.
Surveiller et gérer l’espace ...................................................................................... 225
5.3.2.1.
5.3.2.2.
5.3.2.3.
5.3.2.4.
5.3.3.1.
5.3.3.2.
L’exemple Américain.........................................................................................................216
Marseille et le projet Euroméditerranée .............................................................................219
Barcelone : 22@poblenou ..................................................................................................221
Créer de la territorialité autour d’un district numérique : le Silicon Sentier parisien .........224
La vidéosurveillance des espaces publics et privés ............................................................225
Les TIC dans la gestion et la régulation des transports routiers .........................................228
Conclusion du chapitre 5 : les impasses du « territoire numérique » : ubiquité ou exclusion ?232
CONCLUSION GENERALE ...................................................................... 234
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Regard géographique sur le paradigme numérique
283
« Simulacre et simulation »........................................................................................................234
Le paradigme numérique et le paradigme systémique : gérer la complexité.............................235
Echelles géographiques, nouveaux liens et nouvelles fragmentations ?....................................237
La diffusion spatiale d'une série d’innovations..........................................................................239
« Surveiller et punir » : la production de l’espace panoptique..................................................240
BIBLIOGRAPHIE....................................................................................... 247
TABLE DES SIGLES ET ABBREVIATIONS ................................. 275
TABLE DES ENCADRÉS ................................................................... 277
TABLE DES FIGURES ........................................................................ 278
TABLE DES TABLEAUX.................................................................... 280
TABLE DES MATIERES ..................................................................... 281
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