Regard géographique sur le paradigme numérique
Transcription
Regard géographique sur le paradigme numérique
Centre de Recherche en Géographie et Aménagement UMR 5600 Environnement - Ville - Société Regard géographique sur le paradigme numérique Technologies de l'information et de la communication, espace, territoires Mémoire pour le diplôme d’Habilitation à Diriger des Recherches présenté le 25 janvier 2005 à l’UniversitéJean Moulin Lyon 3 par Bruno MORISET Laboratoire de Géographie 18 rue Chevreul - 69 007 LYON 04 78 78 74 19 - 06 84 54 60 35 [email protected] Devant un Jury composé de Mmes et Mrs : Denise PUMAIN, professeur, Université Paris 1 – Sorbonne, présidente du Jury Nicole COMMERCON, directrice de recherche, CNRS, UMR 5600, Lyon Gabriel DUPUY, professeur, Université Paris 1 – Sorbonne John TUPPEN, professeur, Université Joseph Fourier - Grenoble 1 Patrick LUSSON, Directeur de la Prospective et des études d’aménagement, Région Rhône-Alpes Jacques BONNET, Professeur, Université Jean Moulin – Lyon 3 Est-ce que la terre a diminué, par hasard ? − Sans doute. La terre a diminué puisqu' on la parcourt maintenant dix fois plus vite qu' il y a cent ans. Jules Verne. Le tour du monde en quatre-vingts jours. The End of Geography (O' Brien, 1992) Maybe the end of distance. But not the end of geography (Malecki, 2001) Not the death of distance! not the death of geography! (Graham, 2002) 2 Regard géographique sur le paradigme numérique Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 3 Introduction Le mythe fondateur d'une problématique : de la fin annoncée de la géographie au retour des territoires Depuis près d’une décennie, l’évolution des technologies numériques d’information et de communication, avec au premier plan le phénomène « Internet », et la vague médiatique qui en est résulté, ont proposé à la communauté géographique une problématique intellectuellement stimulante, autour du débat sur la disparition des distances, voire de la géographie elle-même, comme le titrait R. O' Brien en 1992 d' une manière provocatrice : Global Financial Integration: The End of Geography. Qu’on l’exprime ainsi abruptement, ou d’une manière plus sophistiquée, par le concept d’une « rétraction du temps et de l’espace » (Collapsing space and time, Brunn et Leinbach, 1991), on est en présence d’un mythe déjà ancien, qui date, au moins, de la fin du XIXe siècle, avec la fin des grandes explorations, l' avénement des transports rapides (chemin de fer) et des télécommunications (télégraphe). This end-of-geography theme has been with us since experts predicted that technologies from the telegraph and the telephone to the automobile and the airplane would essentially kill off the cities. R. Florida, 2004, p. 219. Le mythe de la fin de la géographie propagé par les « cybergourous » était provocateur pour les géographes, auxquels il signifiait la disparition de leur discipline. Ceci explique peut-être la vigueur avec laquelle ces derniers ont réagi à l' encontre de cette idée. R. Brunet, bien avant la vague médiatique de l’Internet, dénonçait les illusions provoquée par la « télématique », tout en soulignant l’importance des enjeux liés au traitement de l’information. Les TIC, selon R. Brunet, non seulement n’aboutissent pas à un espace isotrope, mais renforcent les polarisations, les concentrations métropolitaines. Tout ce qui est télé a l' air d' ouvrir d' autres dimensions : on va pouvoir désenclaver, créer des emplois partout, grâce au télétravail… Tout ce que l' on voit apparaître dans le développement de la télématique… montre une concentration accrue, un renforcement immédiat des nœuds les plus forts des réseaux, qui s' équipent en télécentres, téléports… aucune promesse d' espace isotropique, où tout lieu en vaudrait un autre, n' existe par la télématique autrement que dans la vision de théoriciens n' ayant aucun sens des territoires et de l' économie de l' entreprise, laquelle a un besoin vital de rentes spatiales différentielles. Le territoire est plus que jamais là. R. Brunet, 1990. Le territoire dans les turbulence, p. 87. Assertion corroborée plus tard par R. Florida, malgré le triomphe de l’Internet : Never has a myth been easier to deflate. Not only do people remain highly concentrated, but the economy itself continues to concentrate in specific places. Place and community are more critical factors than ever before. Florida, The rise of the creative class, 2004, p. 219. Il est remarquable que, loin de disparaître ou de « rétrécir », l’espace géographique, le territoire, font aujourd’hui l’objet d’un regain d’intérêt qui déborde largement le cercle des géographes. Ainsi, dans son supplément trimestriel de mars 2003 consacré aux nouvelles technologies, The Economist titrait : « La revanche de la géographie ». Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 4 Regard géographique sur le paradigme numérique In the early days of the Internet boom, there was much talk of the "death of distance”. The emergence of a global digital network, it seemed, would put an end to mundane physical or geographical constraints… Actually, geography is far from dead… The Economist, 15 mars 2003, Technology Quaterly, p. 17. Joël Kotkin explique pourquoi le développement des technologies numériques n' a pas diminué, mais au contraire augmenté l' importance de la géographie (à tous les sens du terme) : comme elles l’ont toujours fait dans l’ère pré-numérique, les technologies d’information et de communication permettent - nous verrons dans quelle mesure - une plus grande variété dans les choix de localisation des acteurs. Dès lors, les caractéristiques spécifiques des territoires prennent une part accrue dans les processus de décision. Thèse fondamentale, défendue par de nombreux auteurs. The importance of geography is not dwindling to nothing in the digital era: in fact, quite the opposite. In reality, place-geography matters more than ever before. If people, companies… can truly live anywhere, or at least choose from a multiplicity of places, the question of where to locate become increasingly contingent on the peculiar attributes of any given location. The New Geography : How the Digital Revolution Is Reshaping the American Landscape, J. Kotkin, 2000, pp. 6-7. C’est la problématique principale du présent mémoire, qui est inscrite dans une dialectique paradoxale : - D’une part, nous le tiendrons pour axiome, on assiste à l’affirmation des territoires, à la fois dans les faits et comme objet d’étude majeur de notre discipline (Di Méo, 1998 ; Vanier, 19951 ; Debarbieux et Vanier, 20022 etc.). Comme l’écrit R. Brunet (op.cit.), « le territoire est plus que jamais là ». - D’autre part, nous le développerons, c’est le triomphe dans les faits et dans les discours du paradigme numérique, dont les discours de légitimation s’appuient en grande partie sur le mythe de l’ubiquité spatiale Le chapitre un est principalement introductif et épistémologique. Il s’agissait, d’abord, de définir le paradigme numérique, de montrer comment son émergence s’est accompagnée et s’est nourrie de la production d’une idéologie à composante spatiale, dont la prise en compte est indispensable à la compréhension des rapports entre les technologies numériques (leur déploiement et leurs usages) et l’espace. C’est dans ce contexte que s’inscrit la production scientifique de tous ceux, géographes, urbanistes, aménageurs, voire sociologues ou économistes, qui ont réfléchi sur les relations TIC/espace et territoire. Au cœur du paradigme numérique se trouvent ces fameuses « TIC », trop souvent considérées comme une « boîte noire » (Dupuy, 1982). Or, pour bien comprendre le rapport que ces technologies entretiennent avec l’espace géographique, et éventuellement, l’influence que leurs usages peuvent avoir sur la production des territoires, il faut précisément entrer dans la boîte noire. Aussi le chapitre deux est-il consacré à étudier l’émergence et les caractéristiques techniques et spatiales d’un réseau numérique intégré. Plusieurs auteurs ont fait du réseau un paradigme central d' interprétation des faits économiques et sociaux, que ce soit en urbanisme et aménagement, avec la revue Flux, autour de Gabriel Dupuy 1 2 « Les nouvelles mailles du pouvoir local », Revue de Géographie de Lyon, vol. 70, n° 2. Ces territoires qui ses dessinent (éds.), DATAR - Editions de l' Aube. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 5 et Jean Marc Offner, dans les sciences cognitives, les sciences de l’information et de la communication (revue Réseaux), en sociologie des siences et des organisations, avec la « théorie de l' acteur réseau », initiée, entre autres, par Bruno Latour et Michel Callon3, ou en sociologie urbaine et économique (Manuel Castells, 1996, The Rise of the Network Society). La raison d’être des télécommunications est de produire de la « téléaccessibilité », c’est à dire une capacité, pour un agent situé en un lieu, de recevoir et expédier des données à distance. Or cette téléaccessibilité dépend d’une « équation technicospatio-économique », comme écrivent les experts, de plus en plus complexe, dans laquelle les caractéristiques spatiales intrinsèques du réseau jouent un rôle essentiel : le nombre de Gigahertz détermine une portée en kilomètres, la distance par rapport à un central téléphonique détermine le nombre de Mbit/sec. etc., avec des enjeux à la clé en termes d’aménagement du territoire. Entrer dans la boîte noire nous permet ainsi de maîtriser le paradoxe énoncé plus haut : si les TIC ne pouvaient pas effacer les distances et « éliminer la géographie », c’est, d’abord et simplement, parce que le réseau numérique possède sa propre géographie, qui nous oblige à appréhender le déploiement et les usages des technologies numériques en tant que pratiques spatiales. Car le réseau en lui même n’est rien s’il n’est pas activé, utilisé, par les agents économiques et sociaux. L’étude de la relation TIC – espace et territoire passe nécessairement par les usages, que nous avons choisi d’étudier dans le cadre de la production de biens et de services par les entreprises (chapitre trois). Au delà des querelles d’économistes sur l’existence ou non d’une « nouvelle économie », il s’agissait de montrer que la numérisation du système productif et la convergence numérique (informatique et télécommunications) entraînent des mutations importantes dans l' organisation spatiale de la production. Or, les entreprises sont de puissants agents de production territoriale (production étant compris au sens théorique, c' est à dire incluant destruction, recomposition etc.). Le meilleur exemple de ce phénomène est donné par l’émergence de ce qu’on pourrait appeler « les territoires de l’économie numérique » (chapitre quatre), dont la Silicon Valley demeure l’archétype. Le fonctionnement de ces districts ou « clusters » met en valeur le « paradoxe de l’économie numérique » , c’est à dire la persistence des économie d’agglomération comme facteur constitutif essentiel des territoires économiques les plus actifs, et ce dans un système productif dont la matière première et, fréquemment, le produit final, sont constitués en proportion croissante d’information numérisée, donc transmissible à distance. Nous verrons qu’il faut se garder de la conception simpliste de simples districts productifs : c’est bien en tant que territoire, avec leur complexité sociale, que ces espaces doivent être appréhendés. Les espaces ruraux semblent se situer aux antipodes de ces « siliconium ». Pourtant, nous verrons qu’ils sont gagnés, eux aussi, par l’économie numérique et cognitive, et que de la Silicon Valley à la Sylvicole Valley (Mimizan, département des Landes), il y a continuité plutôt que clivage. L’analyse serait très partielle, si l’entreprise privée, seule, devait endosser la responsabilité de ces dynamiques. La majorité des géographes économiques et des économistes spatiaux reconnaissent le rôle des institutions publiques dans l’émergence et la dynamique des espaces productifs. D’une manière générale, on peut dire que les technologies numériques sont devenues à toutes les échelles un outil et un enjeu dans les politiques de développement économique et d’aménagement des territoires (chapitre cinq). On entre ici dans le domaine de la mythique « fracture numérique ». Avec la création d’infrastructures de 3 B. Latour, 1997. Nous n'avons jamais été modernes. Paris, La Découverte ; M.Callon et al. (éds.), 1999. Réseau et coordination. Paris, Economica. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 6 Regard géographique sur le paradigme numérique télécommunications, dont la problématique est voisine de celle du TGV et autres « grands équipements structurants », on reste dans une démarche d’aménagement classique, toutefois non dénuée d’aspects subjectifs. L’émergence d’un urbanisme dédié à l’économie numérique reste encore dans le domaine du saisissable, même si les aspects « marketing » s’avèrent déterminants. Avec le concept de « territoire numérique », voire de « territoire intelligent », on entre tout à fait dans la composante utopique du paradigme numérique, qui doit conduire l’humanité vers un « monde parfait ». Cette présentation séquentielle, inévitable, ne reflète qu’imparfaitement la complexité des interrelations au sein d’un système idéologie-technologie-acteursespace, et l’ordre des chapitres n’indique pas une hiérarchie. Deux points de méthode Le principal écueil qui menace, voire annihile, la réflexion géographique sur les TIC est le déterminisme technologique. Ce déterminisme est illustré par le schéma d’analyse, parfois proposé, de l’interaction technologie-société, ou technologie-territoire (ou technologie-ville, etc.). Nous pensons que cette approche est à éviter, car elle fait de la technologie - en toute rigueur il faudrait écrire technique - une sorte de deus ex machina, un objet en soi, venu d’ailleurs, qui s’imposerait à la société. Or la technologie est dans la société, en est un élément constitutif, fluctuant, en permanente interaction avec ses autres éléments, composé de matériels, d’usages et de processus cognitifs. Lorsque nous utiliserons, par convention, l’expression « technologies de l’information et de la communication », ou TIC, il s’agira bien de comprendre, le plus souvent, « déploiement ou usage des TIC ». Le déterminisme technologique, c’est aussi inverser la fin et les moyens : c’est General Motors qui fait vivre Microsoft, et non l’inverse. Cette dénonciation du déterminisme technologique est au cœur d’un article retentissant de Nicholas Carr dans la Harvard Business Review, au titre provocant : « IT doesn’t matter » (réf. The Economist, 3 avril 2004). Cette tendance à l’inversion des rôles provoque par exemple « l’instrumentalisation » de la technologie par les discours et politiques qui y voient un remède à quantité de maux de la société. Nous y reviendrons. De là découle notre second point de méthode, qui est de faire un travail de géographie, et non pas de sciences de l’information et de la communication, d’histoire ou de sociologie des techniques et autres sciences sociales ou branches des sciences sociales (ce qui n’interdit pas d’emprunter idées et concepts lorsqu’ils nous semblent féconds)4. L’objet premier de notre discipline est l’espace, voire le territoire (en tant qu’espace produit, mais aussi vécu, perçu, représenté). Donc, comme l’écrit Allen Scott, les TIC et leurs usages, ne doivent pas être étudiés en tant que tels, pour eux même, mais en tant qu’objets spatialement distribués, en tant que pratiques spatiales, et si possible spatialisantes et territorialisantes. ICTs strike me as not being of any special interest in themselves to geographers, but as a phenomena that MEDIATE other more basic issues. For example, the geographic significance of ICTs in business activities is not their essential constitution, but rather 4 Les géographes n’ayant évidemment pas le monopole de la réflexion sur l’espace. A titre d’exemple, nous pensons que l’introduction de Pierre Bourdieu au chapitre « Effets de lieux », de La misère du monde, (1992, pp. 159-167) est un des textes de géographie les plus importants jamais écrits. Voir aussi : Tim Cresswell, 2002 : « Bourdieu' s geographies: in memorium”, Guest editorial, Environment and Planning D: Society and Space, vol. 20, pp. 379-382. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 7 the impacts that they have on urban, regional, locational etc. systems. Their geographic significance, then, is realized through other variables (A.J. Scott, message électronique à l’auteur, 5 avril 2002). Or, la géographie est confrontée à ce problème général, ancien et permanent : tout objet, tout phénomène, étant d’une manière ou d’une autre situé dans l’espace géographique, il y a matière à disserter sur tout. Le géographe doit-il étudier la manière dont les entreprises, les groupes ethniques, les habitants, les fonctionnaires, les élèves et enseignants du pays ou de la commune x ou y, utilisent les TIC ? Le risque de l’idiographie est qu’après avoir « planté le décor » - TIC et écoles rurales, par exemple - on renonce à toute analyse de type géographique, faute de formuler une hypothèse de recherche sur l’usage des TIC comme pratique spatiale qui conduirait à comparer, par exemple, avec l’usage des TIC dans les écoles urbaines. Faute de poser de telles lignes de recherches, la question ne relève pas de la géographie, mais plutôt des sciences de l’éducation. De même, l’utilisation des TIC par les entreprise industrielles du Haut-Doubs relève des sciences du management et de la productique, si on n’étudie pas le rapport de ces usages avec la localisation de l’entreprise par rapport à ses sous-traitants, fournisseurs et collaborateurs. Pour A. Scott, les TIC ne sont pas intrinsèquement un objet d’étude pour le géographe. Mais, s’il n’est pas sûr qu’il existe une « géographie des TIC », les TIC ont bien une géographie. Cette analyse est un passage obligé, car, comme nous le démontrerons dans le chapitre 2, la capacité de « médiation » qu’évoque Scott se forme précisément dans certaines des caractérisques spatiales des réseaux techniques de télécommunications, qu’il convient de connaître. Mais cette étude n’est pas une fin en soi, ce en quoi nous rejoignont tout à fait Scott. C’est pourquoi nous avons essayé de proposer au lecteur - pour simplifier - un cheminement <idéologie>, <technologie>, <pratiques spatiales> (dans le domaine de la production économique), <production territoriales> (par l’économique et le politique), dans lequel nous montrerons qu’au delà des TIC, le paradigme numérique est effectivement une des médiations, à la fois technique, économique et idéologique, par lesquelles les hommes pratiquent, organisent et produisent leur espace et leurs territoires. Ainsi, il conviendra de garder en permanence le souci d’un équilibre entre la recherche des faits matériels et objectivables, et celle des discours et représentations sur le numérique qui ne sont pas les derniers à produire les effets de réalité sur l’espace et le territoire que d’aucuns ont parfois nié. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 8 Regard géographique sur le paradigme numérique Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 9 Regard géographique sur le paradigme numérique Chapitre 1. La pensée paradigme numérique géographique face au La littérature scientifique en science sociale aborde souvent le sujet des TIC sans vraiment préciser de quoi il s’agit. Un de nos soucis premiers fut de trouver un terme qui devait permettre d’embrasser le sujet dans toute sa complexité, à la fois structurelle et phénoménologique. C’est pourquoi nous employons le terme de « paradigme numérique »5, qui a été proposé, notamment, par P. Breton et S. Proulx (1996). Le paradigme permet d’aller au delà de la technique, de l’économique, pour embrasser le discours, l’idéologie (au sens actuel du terme), la dimension historique des technologies numériques d’information et de communication. Le paradigme numérique est le produit social d’un développement technologique, la convergence numérique, qui met en oeuvre les très médiatisées technologies de l’information et de la communication ou TIC. L’espace géographique est omniprésent parmi les discours et les représentations constitutives de la composante idéologique du paradigme numérique. Le nouveau paradigme digital L' un des plus grands changements, peut-être le plus important depuis l' antiquité … est la poussée du paradigme digital, tel qu' il a été rendu possible par l' idéologie moderne de la communication… la réunion dans un même ensemble homogène de quatre dimensions : une technique de base, l' électronique, une méthodologie particulière de traitement de l' information, un système de représentation du monde cohérent et universel, enfin un enjeu stratégique et économique. La puissance du paradigme digital tient dans doute à la synergie qu' il opère entre des dimensions jusque là éclatées dans le monde technique, politique, économique ou philosophique. Breton et Proulx, 1996, p. 110. 1.1. Les « TIC » et le paradigme numérique 1.1.1. Une affaire de métaphores Dans une bonne partie de la littérature en sciences sociales, les « TIC » sont considérées comme une boîte noire, ce qui se traduit par un usage abondant de métaphores (tableau n° 1). La médiatisation du phénomène a engendré l' émergence d' un consensus flou, qui dispenserait d' une tentative de définition. Le lecteur ou l' auditeur doit se contenter d' une compréhension intuitive, immergée dans l' idéologie de la communication, qui fait appel à une représentation collective des TIC, TI et autres société de l'information, c' est à dire au plus petit commun dénominateur d' un ensemble de discours qui tournent autour de la même chose. Il faut reconnaître que nous n' avons pas, nous même, échappé au phénomène dans certains de nos textes. Certaines expressions désignent le processus ou son historicité (une ère nouvelle), d' autres le résultat, sous la forme d' une société, d' une économie, d' un espace ou d' un territoire. 5 Préférable à l’anglicisme « digital ». Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 10 Regard géographique sur le paradigme numérique Tableau n° 1. Les métaphores du paradigme numérique Une révolution, une ère nouvelle ? Une nouvelle société ? Digital revolution, (Kotkin, 2000) Société de l'information (Eveno, 1997) Information society (Kellerman…Ducatel Digital era (Ibid.) Digital age (Dutton, 1999) et.al., 2000) Information age, (Wilson, Corey, 2000) Société de communication Electronic age (Ibid.) Network society (Castells, 1996) Internet Age (Leamer & Storper, 2001) Society on the line (Dutton, 1999) 6 The telecommunication age (Warf et al., Digital Communities Société hypertexte (Ascher, 2000) 2000) Global Information age (Caves, 1999) Fracture numérique, digital divide Une nouvelle économie ? Un nouvel espace ? Information economy (Castells, Hall, 1995 ; Space of flows (Castells 1999) Electronic space (Wilson, Corey, 2000) Kotkin, 2000) New Economy Network spaces (Graham, 2000) Capitalisme cognitif (Ascher, 2000) Cyberspace, géocyberspace (Batty, Bakis, Multimédia, New Media Dodge, Kichin, etc.) Net économie (Muller, 2001) De nouveaux territoires ? The world in the wire (Kitchin, 1998 ; Horan, 2000) 7 The invisible continent (Ohmae, 2000) Digital places (Curry, 1998) Virtual States (Everard, 2000) Informational City (Castells, 1989) Database Nation (Garfinkel, 2000) Digital city City of bits (Mitchell, 1995 ; Horan, 2000) Wired City (Roberts, Steadman, 2000) Networked city (Roberts et.al., 1999) Ville numérique (Sandoval, 2000) Intelligent city (Komninos, 2002) Smart city Telecity E-topia (Mitchell, 2000) Teletopia (Piorinski, 1991) Televillages (Broadhurst & Ledgerwood, 1999) Silicon… (Valley, Alley, Prairie, Sentier, Alps…) De nouvelles accessibilités ? Information Highway Teleaccess (Dutton, 1999) Télétravail, telecommuting Une nouvelle… géographie ? New Geography (Kotkin, 2000) Virtual Geography (Batty, 1997) Virtual Geographies (Crang & May, 1999) Il est remarquable que ces expressions servent peu ou prou à désigner la même chose, et trois ou quatre sous-ensembles de cette chose. Ceci pose en soi un problème épistémologique : on est loin de la rigueur formelle atteinte par les sciences dites exactes. Est-il possible d' identifier un terme commode d' emploi, scientifiquement rigoureux, qui permettrait d' embrasser le champ d' investigation de la « géographie des TIC » la plus couramment partagée ? A tout seigneur tout honneur, un préambule s’impose sur l’inévitable acronyme TIC (technologies de l’information et de la communication), qui s’est définitivement imposé au détriment de NTIC. On a rapidement constaté que le « N » était de moins en moins pertinent, avec le temps qui passe. 6 Colloque Digital Communities - Cities in the Information Society, Northwestern et Michigan State University, Chicago, 4-7 Novembre 2001. 7 Traduit en français sous le titre : géographie secrète de la nouvelle économie. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 11 Une des façons d' éviter cet écueil est de commencer par le vocabulaire en préférant l' expression "techniques de l' information et de la communication" (TIC) à celle de NTIC (Musso, 1994, p. 11). Le succès planétaire de TIC (ou ICT , IT…), que nous conserverons souvent par convention, ne saurait dissimuler sa faiblesse scientifique : les gens qui l’emploient ne veulent pas parler de la presse à imprimer de Gutemberg ou du télégraphe de Chappe qui ont été des TIC en leur temps. Par ailleurs, faut-il faire supporter l’ensemble du discours à une ou des technologies, alors que ce sont les applications, les usages de ces technologies qui sont l’objet de nos analyses ? Le risque est grand de glisser dans le déterminisme technologique. On passera sur l’abus de langage qui consiste à parler de technologie en lieu et place de technique. S’il y a une techno-logie au sens étymologique du terme, c’est plutôt l’inflation de discours sur la question. Société de l'Information, société de communication, bien que très couramment utilisées, relèvent du pléonasme, en ignorant la généralité extrême des concepts d' information et de communication. C' est par essence la communication qui constitue les individus en société (et pas seulement chez l' homme). Le développement et la diffusion d' innovations telles que le feu et la roue (pour ne rien dire de l' imprimerie) ont été des processus informationnels et communicationnels, de même que le fait religieux, porté par l' oral puis par l' écrit. The use of the term the information age to describe the period that we now find ourselves living in is open to misinterpretation. Society has always been based on exchanging information. (M. Goodchild et E. Sheppard, avant propos de Janelle and Hodge, 2000,Information, Place and Cyberspace) Economie numérique, digital economy conviennent bien au champ économique, mais ignorent les aspects sociaux, politiques. Ces expressions sont floues ; elles peuvent désigner certains secteurs particuliers (électronique, informatique, télécommunications) ou l’économie tout entière, de plus en plus numérisée dans presque tous les secteurs d’activité. Société en réseau (The rise of the network society, Castells, 1996), économie des réseaux, espace des réseaux ne sous satisfont pas, même si le paradigme de réseau est fortement connexe au paradigme numérique. L’approche par les réseaux inclut les transports, concept radicalement différent des TIC, bien que d' une application complémentaire, comme nous le verrons. Par ailleurs, les réseaux existent depuis des millénaires : au delà de la métaphore, network society ne peut pas prendre en compte l' aspect événementiel qui a été un temps exprimé par l’usage de l’adjectif « nouveau ». Cybergéographie, géographie du cyber-espace, (ou du géo-cyber-espace) sont des métaphores médiatiques très utilisées par les chercheurs, mais dont le statut scientifique reste précaire. Certains y voient tout le champ de la géographie des TIC, comme Martin Dodge et Rob Kitchin dans l’Atlas du cyberspace (www.cybergeography.org), qui présentent des cartes des réseaux cablés bien réels, mais aussi des territoires électroniques dits « virtuels ». Il reste le cas des expressions, très courantes, qui sont formées avec l’adjectif numérique (ou « digital ») : société, espace, territoire, ville… numériques (city of bits…). Ces expressions prennent en compte la dimension numérique et permettent de situer le problème dans le temps (pas d' ordinateurs avant 1945). Mais leur usage relève souvent du slogan politico-médiatique, qui tendrait à faire croire au « tout Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 12 Regard géographique sur le paradigme numérique numérique », que l’informatique est devenue le principe constitutif de la société (et des territoires). On évitera donc d’écrire au premier degré que X ou Y est une ville (ou une région) numérique, sauf à se prêter au jeu médiatique. Cette avalanche de métaphore montre la difficulté de saisir dans toute sa complexité un événement récent : la convergence numérique. 1.1.2. La convergence numérique L' interrogation sur la « fin des distances » date du milieu du XIXe siècle (télégraphe) voire de la Révolution française (télégraphe optique de Chappe). Les télécommunications ont près d’un siècle et demi d’âge. L’ordinateur plus d’un demisiècle. Les géographes travaillent sur les télécommunications depuis les années soixante. Qu’est-ce alors que cette déferlante technologique et médiatique qui a balayé la société des pays développés dans les années quatre-vingt-dix ? Le simple citoyen, tout comme le chercheur, a conscience que, depuis quelques années, il se passe quelque chose, pour lequel on emploie l' adjectif nouveau, et le mot phénomène, ou révolution. Ce phénomène, c’est la convergence numérique. The convergence of computers technologies. Graham, 1998, p. 165 with digital telecommunications and media The geographic dimension of information technologies emerge from the intersection of three distinct but increasingly interrelated phenomena: computers, télécommunications, and the information economy. Wilson, Corey, 2000, pp 1-3. La société de l' information fonde son développement sur la convergence technologique entre ordinateurs, réseaux de télécommunications et protocole d' échange entre les machines. J. de Rosnay, in Parrochia 2001, p. 35. Cette convergence, pour certains, serait en train de produire l’un des plus grands bouleversements qu’ai connu l’humanité (c’est une thèse à discuter). Philippe Breton et Serge Proulx (1996) y voient, en toute simplicité, l' événement le plus important depuis l' Antiquité. Pour J.M. Billaud8, c’est l’amorce de la troisième grande révolution technique, après l’invention de l’agriculture et le machinisme. Les Homo Sapiens … ont fait deux très grandes révolutions dans l' Histoire... La première, il y a 10.000 ans avec le néolithique et sa révolution agricole, la deuxième plus proche de nous : la révolution industrielle il y a 250 ans. Nous allons donc vers notre 3ème Révolution. C' est pour le milieu de ce Siècle, et l' Internet y jouera le rôle qu' a eu l' imprimerie entre la 1ére et 2éme Révolution… www.atelier.fr/article.php?artid=26797&type=Tribune Cette convergence numérique doit être déclinée sous ses deux aspects principaux et complémentaires, technique et événementiel : le rapprochement physique et technique, par l’intermédiaire de la numérisation, de concepts et de pratiques informationnelles autrefois distincts ; la multiplication et la diffusion des technologies numériques dans les rouages de la société, la convergence créant un processus de rétroaction positive qui entraîne une accélération de cette diffusion (dont les caractères spatiaux sont importants pour le géographe). 8 Un des grands gourous français des TIC, nous y reviendrons. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 13 1.1.2.1. La convergence des techniques : numérisation et Internet La rupture est créée par le passage du mode analogique au mode numérique de transmission et de traitement de l' information. Rappelons que l' avantage essentiel du numérique est non seulement dans la vitesse de transmission (le télégraphe était une plus grande révolution de ce point de vue), mais dans la possibilité de dupliquer, acheminer, stocker, agréger l' information à l' infini (ou presque), sans aucune altération. La transformation de l' information en une série de « zéros » et de « uns » permet son acheminement instantané (en apparence), sans dégradation du message (cf. encadré n° 1). La convergence numérique, c’est la numérisation de la plupart des produits « informationnels » de notre société : fichiers et dossiers administratifs et commerciaux, plans, cartes, photos, textes (livres, presse), documents sonores, vidéo. Ces objets peuvent dorénavant être stockés, traités et acheminés suivant les même procédures, dont, notamment, l’Internet. Parmi les exemples, on peut mentionner : Convergence numérique dans la presse écrite. La composition des journaux est électronique depuis plusieurs décennies. Les correspondants pouvaient envoyer leurs articles aux rédactions par modem-fax depuis une vingtaine d’année, au moins. L’aboutissement de la convergence, c’est que le journal ou le magazine, lui même, est édité en version électronique, et intégralement consultable, depuis n’importe quel point du globe, sur un terminal numérique. Convergence numérique dans l’image et le son. Photo, vidéo, cinéma, musique, procède aujourd’hui de la même filière technique : les contenus sont saisis, stockés, transportés, sous forme numérique, et dupliqués à l’infini sans altération. Le cinéma numérique supprime le problème de la copie et du transport des bobines de film. Les conséquences économiques sont énormes pour les secteurs considérés.9 Convergence numérique dans les télécommunications. Rien ne symbolise le mieux cette convergence que l’évolution récente du téléphone cellulaire. Le « mobile » devient un terminal multi-usage, qui permet de recevoir, stocker et consulter plusieurs types de données (voix, textes, photos, vidéo). Plus encore, il devient un dispositif de production d’information numérisée, qui incorpore appareil photo et caméra. Evolution qui devrait s’accélérer avec la généralisation de l’UMTS ou téléphonie mobile 3G (cf. infra). Convergence numérique dans l’informatique. Le téléphone devient un ordinateur ou un assistant personnel. Inversement, l’ordinateur, couplé à une caméra, un micro et un modem, devient un « objet communicant », qui peut servir à écouter de la musique, « regarder la télévision », téléphoner, faire de la visio-conférence, pratiquer des jeux vidéos en ligne etc. 9 La numérisation de l’information, pose un problème économique majeur : les acteurs sociaux, et tout particulièrement les entreprises, sont confrontés au paradoxe d’une information dont la valeur marchande peut être très élevées (plusieurs dizaines, voire centaines de milions d’Euros pour un film, un jeu vidéo ou quelques pièces musicales), mais dont le transport, le stockage, la duplication et la diffusion ont des coût qui avoisinent zéro. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 14 Regard géographique sur le paradigme numérique Le rôle de l’Internet dans la convergence L’Internet incarne souvent à lui seul les TIC dans les discours courants. Cette exagération s’explique par le rôle croissant qu’il joue dans la convergence numérique, en plus d’une croissance rapide propre à marquer les imaginations. Internet est une norme de connexion entre ordinateurs, ou norme IP (Internet Protocole). C’est la norme IP qui permet aux objets mentionnés ci-dessus de communiquer les uns avec les autres. C’est l’Internet qui permettra d’accéder à une multitude de services (téléphone, presse, TV, cinéma, musique, réservations, achats…) depuis une plateforme électronique commune, que l’on pourra consulter sur un écran de téléphone, d’ordinateur ou de télévision, sur n’importe lequel d’un des terminaux disponibles à proximité (dans la maison ou au bureau), reliés les uns aux autres grâce à un réseau sans fil WiFi. Ces services seront accessibles depuis une automobile, que ce soit en back seat (multimédia pour les passagers) ou en front seat (aide à la circulation). La convergence informatique-télécommunications-Internet est parfaitement illustrée par le secteur des centres d' appel. Ce qui distingue le centre d' appel moderne de l' antique standard téléphonique, ce sont les logiciels perfectionnés qui permettent de répartir les appels entre les opérateurs, d' accéder rapidement aux dossiers informatisés des clients, et, de plus en plus, de recevoir et répondre aux courriers électroniques de ces clients (ce qu' on appelle 0l Td ( )Tj 8.16488 0 Td (l)Tj 2.40144 0 Td (e)Tj 6.12366 eole coé rgiapioende r' acomorit rumérique, euur eevillpéond d p cteon eonsuccéé e Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 15 Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 1 Le triangle de la communication (d’après Breton et Proulx, 1996, p.271). TELECOMMUNICATIONS Téléphone Telex Centraux téléphoniques Satellites Annuaire electronique Télécopie Télématique Réseaux cablés Agence de presse Publicité Livres Journaux Réseau numérique à intégration de services Modem Banques de données Réseaux informatique TV Radio Edition assistée par ordinateur Magnétoscope Image de synthèse Intelligence artificielle Ordinateur MEDIAS INFORMATIQUE ELECTRONIQUE 1.1.2.2. Une croissance et une diffusion exponentielles On assiste depuis une vingtaine d' années à un mouvement massif « d' informatisation de la société » (Nora et Minc, 1978), dont témoigne la croissance des taux d' usage et d' équipement des entreprises et des ménages. Le phénomène Internet a accéléré le mouvement depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. Le processus devient cumulatif : la multiplication des services et produits numériques incite une part croissante des ménages (sans parler des entreprises) à s' informatiser et à se connecter.10 Le phénomène fonctionne à l’échelle mondiale : les pays les plus avancés obligent les suivants à s' adapter, sous peine d' être marginalisés. 10 Les métiers de services publics n' échappent pas au phénomène : l' administration, l' enseignement, voire la médecine, ont entamé, à des rythmes divers, leur "migration" vers le numérique : en 2003, pour la première fois, les contribuables français pouvaient déclarer leurs revenus sur Internet (avec un délai supplémentaire). Il y a donc une forte incitation en retour à s’équiper. Il en ira de même avec la multiplication des portails éducatifs : un élève ne pourra plus suivre une scolarité normale sans être doté d’un matériel ad hoc. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 16 Regard géographique sur le paradigme numérique Comme nous l’avons entrevu dans le paragraphe précédent, l' alliance conjointe de l' informatique, de l' Internet et des télécommunications s' impose partout, dans l' entreprise et dans la vie quotidienne : jeux, vidéo, photo, réservations, achats, déclarations fiscales, loisirs. « L’ homo numericus », comme écrirait N. Negroponte est bardé de dispositifs électroniques qui deviennent des objets fétiches, en attendant que ces objets soient incorporés dans ses vêtements, puis dans son corps. Randonneurs, alpinistes et plaisanciers ne sortent plus sans leur téléphone mobile et leur GPS (Global Positioning System). L' automobile, objet sacré de la société occidentale, devient un ordinateur roulant, truffé de capteurs, guidé par GPS, un salon roulant doté de lecteur de CD et climatisation… électronique. Le péage est automatique, et, raffinement suprême, les radars automatiques permettent de dresser de bien mal nommés « procès-verbaux », adressés aux contrevenants avec le minimum d’intervention humaine. En dehors de leurs capacités propres, une des raisons majeures de l’engouement médiatique dont ont fait l’objet les TIC, et surtout l’Internet, est la rapidité avec laquelle ces techniques se sont diffusées à travers la société (et donc l’espace). Rappelons que l’Internet a été créé en 1968 au sein du Ministère de la Défense américain11. C’est en 1974 que Vinton Cerf définit les spécifications du protocole TCP/IP. Le World Wide Web (l’application la plus populaire fonctionnant sous IP) a été créé en 1989 par Tim Berners Lee au CERN à Genève. Les quinze premières années sont confidentielles, et l’Internet ne sort guère des laboratoires. En 1977, il y avait 111 machines connectées. En 1987, 10 000. Dans les années quatre-vingt-dix, c’est le décollage, avec un million de « hosts » en 1992, et plus de deux-cent millions en 2002 (www.isoc.org/internet/history). La croissance du Web est tout aussi impressionnante. En 1995, le premier Netcraft Survey détectait 18 957 noms de domaine. Le million de sites est dépassé en avril 1997, les dix millions en février 2000, les 35 millions en décembre 2001, record d’avant la « crise des TIC ». Ce chiffre de 35 millions est retrouvé en février 2003, puis la croissance reprend : 40 millions en avril 2003, 50 millions en mai 2004 (source : www.netcraft.com). Selon le Computer Industry Almanac, on approche en 2004 le milliard d’usagers du Net dans le monde (www.clickz.com/stats/big_picture/geographics/article.php/151151). To get a market of 50 million people, radio took 38 years, TV took 13 years. Once it was open to the general public, the Internet made to the 50 million person audience mark in just 4 years! www.ecommerce.gov/emerging.htm, 15 avril 1998. Le téléphone mobile, technologie vieille de 50 ans, a fait également preuve ces dernières années d’une croissance extrêmement rapide, ainsi que d’importantes mutations, qui l’engagent dans une convergence croissante avec les autres outils de communication. Les premières offres au public viables datent de la fin des années soixante-dix. Motorola lance sa première offre commerciale en 1981 (rappelons que le lancement commercial du téléphone filaire date de 1877). Mais c’est dans la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix que l’on assiste à « l’explosion » du mobile (1,3 milliard d’abonnés dans le monde fin 2003 selon le Journal du Net). Ainsi, en France, selon le CREDOC, quatre années (janvier 1997 à janvier 2001) ont suffi pour que le taux d’équipement individuel passe de 5% à 55%. Une des caractéristiques de la téléphonie mobile est qu’elle constitue un exemple rare de « saut technologique » (leapfrogging), puisque dans certains pays en développement, la plupart des usagers au « sans fil » n’avait jamais possédé 11 Au sein de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), qui va créer « l’ARPAnet » Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 17 d’accès individuel au téléphone filaire (en Chine, par exemple, premier marché mondial pour le nombre de téléphones cellulaire vendus en 2002, avec 18 % du total mondial des abonnés, contre 12 % aux Etats-Unis www.journaldunet.com/cc/05_mobile/mobile_marche_mde.shtml). Ce genre de saut technologique a fortement contribué à nourrir les discours et les fantasmes sur la révolution des TIC Tableau n° 1. L’explosion de la téléphonie mobile : taux de pénétration par habitant (d’après Forissier, 2002, p. 11) France Union européenne Etats-Unis Japon 1992 1% 2% 4% 2% 1996 5% 10 % 17 % 21 % 2000 50 % 62 % 41 % 53 % Ces développements technologiques et économiques doivent beaucoup à l’accroissement exponentiel de la puissance de calcul des micro-processeurs, qui, suivant la fameuse loi de Moore, double tous les dix-huit mois depuis plus de trente ans12. C’est cette course à la puissance qui a permis la miniaturisation, la baisse des prix, et la vulgarisation des terminaux électroniques mentionnés ci-dessus. Cette convergence ne serait pas concevable sans un accroissement concomittant des capacités du réseau numérique de télécommunications, sur lequel nous reviendront plus longuement. Aujourd’hui, une simple paire de fibre optique est potentiellement capable d' acheminer l' équivalent du trafic téléphonique mondial 13 instantané . Figure n° 2 La loi de Moore (Extrait de The Economist) 12 Gordon Moore fut président d' Intel. En 1965, il publie son célèbre postulat, toujours d' actualité, sur l' accroissement exponentiel des performances des circuits intégrés. Pour plus de renseignement, consulter www.volle.com/ travaux/moore.htm. 13 Le multiplexage des longueurs d' onde permet de dépasser plusieurs térabits (milliers de gigabits) par seconde. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 18 Regard géographique sur le paradigme numérique Les limites de la convergence Ces évolutions technologiques sont de nature à provoquer des réactions affectives d’enthousiasme ou de rejet. Tombant dans le piège du déterminisme technologique, les commentateurs de la sphère politico-médiatique ont souvent tendance à exagérer les effets actuels ou futurs de cette convergence numérique. On a annoncé, par exemple, la fin du livre, de la presse écrite, le mariage entre l’ordinateur et la télévision. Or, rien de tout cela ne s’est produit. Même si la télévision est devenue de bout en bout numérique, les terminaux sont restés (et resteront encore longtemps) matériellement séparés. Et surtout, la télévision, l’informatique et les télécommunications sont des métiers fondamentalement différents, entre lesquels les synergies demeurent faibles, comme l’ont appris à leurs dépens plusieurs dirigeants de société au début des années deux-mille. L’apparition des téléphones mobiles de troisième génération (3G) suscite le même genre de fantasmes. Des auteurs comme Nigel Thrift (1996)14 ont critiqué la tendance à voir dans l’émergence récente des TIC quelque chose de nouveau. Thrift montre qu’à la fin du XIXe siècle, le télégraphe et le téléphone, non seulement avaient apporté leur lot d’effets spatiaux (par exemple dans l’organisation spatiale des firmes), mais aussi avaient provoqué discours et mythes dans les mêmes circonstances qu’aujourd’hui. R. J. Gordon (2000)15 affirme, à juste titre nous semble-t-il, que l’Internet a beaucoup moins changé la vie et le territoire de nos contemportains que l’automobile ou les antibiotiques. C’est donc avec un œil très critique qu’il faut s’aventurer sur le terrain des TIC et des changements annoncés de la société, et pour ce qui nous concerne, de l’espace géographique et du territoire. L’importance des bouleversements économiques et sociaux actuels ne sauraient être niée. Les usages des technologies numérique sont au service d’un élargissement scalaire et d’une accélération de toutes les formes de mobilité, qu’il s’agisse des personnes, des biens, des capitaux ou des idées. La responsabilité du géographe, dans ce contexte, est de faire la part entre, d’une part, le réel objectivable des pratiques spatiales, et éventuellement des impacts sur les territoires, d’autre part, les discours, d’où qu’ils émanent, qui ont contribué à fabriquer des représentations spatiales, et une idéologie spatiale des TIC. 14 New urban eras and old technological fears : reconfiguring the goodwill of electronic things », Urban Studies. 15 Does the New Economy Measure up to the Great Inventions of the Past?. Journal of Economic Perspectives, vol. 14, n° 4, pp. 49-74. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 1. La nature de l'information Il existe plusieurs définitions de l' information. Joël de Rosnay (1977) propose un très général "contenu d' un message permettant de déclencher une action" (dans un corps humain, ce message peut être communiqué au cerveau par le système nerveux, dans une entreprise, par le réseau électronique de l' Intranet). Mais les technologies numériques reposent sur une définition mathématique de l' information, issue des travaux de Shannon et Weaver (The Mathematical Theory of Communication). L' information y est mesuré comme la différence entre deux incertitudes. L' informatique et les télécommunications numériques utilisent le bit comme unité de mesure de l' information. L' exemple du jeu de carte proposé par J. de Rosnay permet de comprendre facilement la nature du bit : quelle est la plus petite information (la plus petite réduction d' incertitude) que l' on peut donner sur une carte extraite au hasard dans un jeu ? rouge (= 0) ou noire (=1). Cette information est égale à un bit. De fait, la mesure de l' information numérisée est totalement indépendante de la nature de cette information, puisque elle n' est constituée que de zéros et de uns Ainsi, il convient de ne pas confondre les deux conceptions du terme information : une certaine quantité de bits n' a de valeur informative sociale que si elle permet une action ou pour le moins une compréhension (quelle information contient un livre en chinois ?). Comme l' écrit Edgar Morin, la mesure shanonienne de l' information numérique est insensée, au sens propre du terme (1977, p. 303) Dans le même ordre d' idée, il n' y a guère de proportionnalité entre les effets sociaux d' un message et la quantité mathématique d' information qu' il représente : quelques bits suffisent pour transférer en quelques centièmes de seconde plusieurs milliards de dollars d' une rive à l' autre de l' Atlantique (adresses, numéros de compte, montant), alors que le téléchargement d' un film met en oeuvre plusieurs milliards de bits, et peut durer plusieurs heures, suivant la qualité de la connexion. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 19 20 Regard géographique sur le paradigme numérique 1.2. La composante géographique d'une nouvelle idéologie ? Le phénomène technologique et économique qu’est la convergence numérique ne peut se comprendre indépendamment de sa composante sociale, culturelle et idéologique. L’analyse sociologique globale des TIC n’est pas dans notre propos. Notre intention est de montrer que le paradigme numérique est aussi une construction idéologique, forgée par des discours d’origines diverses, au sein de ce que Jean Gadrey appelle la "sphère politico-médiatique" (2001, pp. 19). Et que ces discours possèdent une forte composante spatiale, qui tend à propager les mythes géographiques de la fin des distances et de l’ubiquité. On peut identifier quatre catégories d' acteurs en forte interaction, les même personnes appartenant souvent à plusieurs de ces catégories : les entreprises, les médias, les collectivités publiques, les groupes de pression et cercles d' experts. Par souci de simplicité, nous n' avons pas retenu les individus, les ménages, en tant que producteurs de discours ou d' idéologie. Mais il ne faut pas oublier que les consommateurs de TIC, par leurs modes de consommation et d’usages, déterminent radicalement la configuration et le succès de ces technologies. Ils déterminent également certaines politiques, par l' intermédiaires des statistiques ou des enquêtes d' opinions. 1.2.1. Entreprises et publicité A travers la publicité, colportée par les médias dont elle est la principale source de revenus, les entreprises du secteur des TIC sont parmi les plus gros producteurs des représentations qui mettent en scène la vertu des technologies numériques à ignorer les contraintes de l’espace géographique. Le lien médias-entreprises de TIC est encore plus fort, c' est trivial, lorsqu’ils appartiennent à la même compagnie, ce qui est de plus en plus fréquent avec l' émergence des groupes dits « multimédia », présents tout à la fois dans les télécommunications et la presse : Bouygues-TF1, Vivendi-Cégétel-Canal+, AOL-Time Warner (CNN) etc. Pour toucher (psychologiquement) sa cible, la publicité doit se situer dans le domaine de l' idéologie (grâce à ceci, vous serez plus beau, plus fort, plus sûr de vous, plus sain, plus performant, plus branché…). Les mythes des TIC décrits par G. Claisse (ubiquité, convivialité, progrès)16 sont omniprésents. Le plus important pour nous est celui de l' ubiquité. De même que le lave-linge et Ariel ou Skip ont « libéré » la ménagère, le téléphone (mobile surtout), l' ordinateur portable, libèrent l' homme de la tyrannie des distances. Le supplément multimédia au n° 1909 du 7 juin 2003 du Nouvel Observateur est émaillé d’encarts publicitaires pour des fabricants d' ordinateurs et de téléphone mobile, avec des slogans parfaitement évocateurs de la mystique géographique des TIC. Apple vend son iBook avec le slogan « Votre vie. A emporter ». Toshiba vend son portable avec une photo d' un scooter des neiges sur une surface enneigée, avec un « complètement givré. IBM et son « solution pour une petite planète », est une allusion évidente au « village global » de Marshall Mc Luhan (figure n° 3). En octobre 2004, Darty fait campagne sur le thème d’une ruralité et d’un troisième âge idéalisés, en mettant en scène un vieux berger (avec son béret) gardant ses moutons, assis sur un rocher, un ordinateur portable sur les genoux. Avec le 16 1997, L'abbaye des télémythes. Lyon, Aléas. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 21 slogan : « bienvenue dans un monde où la technologie n’oublie personne » (sous entendu : ni les ruraux, ni les personnes âgées). Ces images de portable à dos de chameau ou sur la plage (figures n° 3, 4 et 5) correspondent à des situations matériellement irréalisables. Le message relève de la symbolique pure, voire du mythe suivant la définition de R. Barthes (Mythologies) : comme le catch à la TV, c’est du « chiqué », mais le message n’en est que plus fort, parce que naturalisé. Figure n° 3 Publicité IBM (mai 1996) : solution pour une petite planète Figure n° 4 Catalogue de La Redoute, printemps 2003 Figure n° 5 The Death of Distance (Frances Cairncross, 2002) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 22 Regard géographique sur le paradigme numérique 1.2.2. Médias et "cybergourous" Le mythe de l' ubiquité et de l' effacement des distances est présent depuis longtemps dans la presse et la littérature. Le télégraphe et les transports à vapeur avait déjà suscité leur lot de discours sur le rétrécissement du monde (voir Le tour du monde en quatre-vingt jours de Jules Verne). Le thème est particulièrement présent dans l' œuvre de certains futurologues avec le village global de Marshall McLuhan (1964, Understanding Medias: the Extension of Man, New York Macmillan), le « choc du futur » et la « troisième vague » de Alvin Toffler (1970, The Future Shock ; The Third Wave). Depuis l' avénement de l' Internet, les théoriciens du village planétaire sont appelés les « cybergourous » (Graham, 1998, p. 170). Les plus souvent cités sont Nicholas Negroponte, directeur-fondateur du Media Laboratory du MIT, co-fondateur de la revue Wired, auteur de Being Digital17 et Bill Gates, président-fondateur de Microsoft (1996, The Road Ahead. New-York, Penguin). Publiée depuis 1993, Wired est un des vecteurs les plus représentatifs de l' idéologie des TIC. Un des éditoriaux de N. Negroponte, Beyond digital, publié en 1998, exprime parfaitement l' utopie et les mythes du paradigme numérique, et notamment le mythe géographique. La société digitale sera une société sans classe, juste, locale et globale, asynchrone, sans villes, sans territoires, débarrassée de la rugosité de l' espace géographique etc. (encadré n° 2) Dans le registre de la vulgarisation médiatique, on peut mentionner Les conquérants du cybermonde (1995) de Dominique Nora, journaliste en charge des dossiers « high tech » au Nouvel Observateur, qui n’est autre que la fille de Simon Nora, coauteur avec Alain Minc du rapport sur l’Informatisation de la société (1978)18. Ce livre n' est pas un essai : il se veut avant tout la chronique d' une formidable aventure collective, une enquête de terrain sur les coulisses d' un univers en basculement. D. Nora, 1995, p. 12. Certains auteurs se situent à l' intersection de l' analyse scientifiques et du journalisme, comme Joël Kotkin (2000, The New Geography : How the Digital Revolution Is Reshaping the American Landscape) ou Frances Cairncross de la rédaction de The Economist, magazine qui peut être considéré comme un des porte-étendards de la globalisation libérale (The Death of Distance: How the Communications Revolution Will Change Our Lives, 1997 et rééd. 2000. Par l' importance de leurs tirages, ces ouvrages, qui reposent sur des analyses souvent partielles, contribuent à forger l' idéologie spatiale des TIC, bien plus que les articles dans les revues scientifiques, qui restent confidentiels. Enfin, il ne faut pas omettre la littérature et le cinéma de science fiction, notamment le genre dit « cyberpunk ». Le 1984 de Orwell (1948) apparaît comme prémonitoire à bien des égards. Depuis lors, de nombreuses productions ont mis en scène des technologies de transports ou de télécommunications qui mettent à mal le rapport traditionnel de l' homme au temps et à l' espace, avec profusion de vidéotransmission, vidéo surveillance, dans un univers carcéral où abondent les scénarii de téléchargement, téléportation, confusion entre réel et virtuel (Total Recall). Le 17 L' ouvrage est une compilation des collaborations de l' auteur avec la revue Wired, de janvier 1993 à janvier 1995 (http://web.media.mit.edu/~nicholas). 18 C’est une illustration du microcosme au sein duquel, et des filiations par lesquelles, se forge l’idéologie techno-capitaliste des TIC. Grand commis de l’Etat, Simon Nora a été directeur de l’ENA, dont A. Minc, co-auteur du rapport de 1978, est un pur produit. Ce dernier a publié récemment www.capitalisme.fr. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 23 terme aujourd' hui populaire de cyberspace apparaît en 1984 dans Neuromancer de William Gibson. Dans le genre « cyberpunk », on doit mentionner les différents épisodes de The Matrix (1999, 2003), dont les scénarii font un abondant usage de technologies de géo-référencement, associées à la téléphonie mobile, dans un contexte où les « machines » se sont emparé du pouvoir sur terre (la prise de contrôle de la planète par les ordinateurs comme « HAL »19 dans 2001 odyssée de l’espace est un thème récurrent du genre). "Cyberpunk usually depicts a dystopian near-future world dominated by corporate capital and drastically reconfigured by new technologies: body alterations, new forms of media and above all cyberspace." Kneale J., in Crang et al., 1999, p. 205. 19 H.A.L. sont les lettres qui précèdent IBM (autrefois appelé « Big Blue ») dans l’alphabet. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 24 Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 2. Nicholas Negroponte, "Beyond Digital". Wired 6.12, décembre 1998. Like air and drinking water, being digital will be noticed only by its absence, not its presence. The decades ahead will be a period of comprehending biotech, mastering nature, and realizing extraterrestrial travel, with DNA computers, microrobots, and nanotechnologies the main characters on the technological stage… Computers will be a sweeping yet invisible part of our everyday lives: We' ll live in them, wear them, even eat them. A computer a day will keep the doctor away. Yes, we are now in a digital age, to whatever degree our culture, infrastructure, and economy (in that order) allow us… Looking forward, I see five forces of change that come from the digital age and will affect the planet profoundly: 1) global imperatives, 2) size polarities, 3) redefined time, 4) egalitarian energy, and 5) meaningless territory. Being global Nations, as we know them today, will erode because they are neither big enough to be global nor small enough to be local. The evolutionary life of the nation-state will turn out to be far shorter than that of the pterodactyl. Local governance will abound. A united planet is certain, but when is not. Being big and small All things digital get bigger and smaller at the same time - most things in the middle fall out. We' ll see a rise in huge corporations, airplanes, hotels, and newspaper chains in parallel with growth in mom-and-pop companies, private planes, homespun inns, and newsletters written about interests most of us did not even know humans have. Being prime We' ll all live very asynchronous lives, in far less lockstep obedience to each other. Any store that is not open 24 hours will be noncompetitive. The idea that we collectively rush off to watch a television program at 9:00 p.m. will be nothing less than goofy. It will make sense only for sporting events and election results - and that is only because people are betting. The true luxury in life is to not set an alarm clock and to stay in pajamas as long as you like. From this follows a complete renaissance of rural living. In the distant future, the need for cities will disappear. Being equal The caste system is an artifact of the world of atoms. Even dogs seem to know that on the Net. Childhood and old age will be redefined. Children will become more active players, learning by doing and teaching, not just being seen and not heard. Retirement will disappear as a concept, and productive lives will be increased by all measures, most important those of self. Your achievements and contributions will come from their own value. Being unterritorial Sovereignty is about land. A lot of killing goes on for reasons that do not make sense in a world where landlords will be far less important than webmasters. We' ll be drawing our lines in cyberspace, not in the sand. Already today, belonging to a digital culture binds people more strongly than the territorial adhesives of geography - if all parties are truly digital. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 25 1.2.3. Les organisations et collectivités publiques Pour justifier leurs politiques en la matière, les gouvernements et collectivités locales, fortement incités par les entreprises, déploient un discours qui participe activement à la construction d' une idéologie spatiale des TIC. Toutes les échelles de pouvoir sont concernées, depuis les plus hautes instances gouvernementales et intergouvernementales, jusqu' à la plus modeste des communes rurales. On assiste à un recyclage permanent des discours produits par d' autres, dans le sens hiérarchiquement descendant ou remontant, avec une interférence permanente des médias. Dans la présente section, nous ne présenterons que les niveaux supérieurs dans la hiérarchie des gouvernances, susceptibles de produire des discours médiatiquement résonnants. Comme dans le cas des médias ou des entreprises, le discours géographique sur les TIC est en général inclus dans un discours global sur la société de l' information, qui s' appuie invariablement sur les capacités égalisatrices de ces technologies, capables d' effacer toutes sortes de distances. L' espace étant une des médiations, comme écrit Bourdieu, où s' expriment les distances sociales, la disparition des distances géographiques serait, au moins implicitement, un des processus fondamentaux par lesquels les TIC sont appelées à régler les problèmes de nos sociétés. Ce type de discours est produit par les plus hautes instances mondiales. Ainsi, les 25 et 26 février 1995 s' est déroulée à Bruxelles une conférence ministérielle du G7 sur le thème : construire la société de l' information au bénéfice des citoyens du monde (Building the information society for the benefit of the citizens of the world). L' Organisation des Nations Unie s' est également saisie du problème. En décembre 2003 à Genève s’est déroulé le Sommet mondial sur la société de l' information, qui se poursuivra à Tunis en 2005. Une des problématiques majeures affichées dans ces manifestations est la réduction de la très médiatique « fracture numérique » entre les pays. Le discours du secrétaire général reprend à son compte les thèmes des cybergourous, notamment le caractère universalisant et la supposée force de changement de la révolution numérique. A technological revolution is transforming society in a profound way. If harnessed and directed properly, Information and Communication Technologies (ICTs) have the potential to improve all aspects of our social, economic and cultural life… This global gathering will be a unique opportunity for all key players to develop a shared vision of ways to bridge the digital divide and create a truly global information society. Kofi Annan, Secrétaire général des Nations Unies, www.itu.int/wsis/annan.html A l' échelle européenne, la Commission (DG XIII) publiait en décembre 1993 un Livre Blanc intitulé Growth, competitiveness and employment: the challenges and courses for entering into the XXIst century. Ce livre blanc identifie cinq grandes priorités, dont celle de « préparer la société de l' information ». La cheville ouvrière de cette stratégie fut le groupe de réflexion Bangemann, qui publie en mai 1994 le rapport Europe and the Global Information Society, présenté au conseil Européen de Corfou en juin 1994. The digital revolution will prompt a reorganization of key industrial sectors and the emergence of new services which have the potential to transfigure the European society and the daily life of European citizens. This revolution … constitutes a resource which changes the way we work together and the way we live together. The White Paper and the Bangemann report are important responses of the Union to these technological and industrial changes. M. Carpentier, Directeur général de la DG XIII. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 26 Regard géographique sur le paradigme numérique Depuis lors, les instances européennes n' ont jamais cessé d' être au devant de la scène, avec une importante production de rapports et de nombreux appels d' offre, dans les domaines les plus divers, notamment dans le cadre du Bureau européen pour le projet de la société de l' information (ISPO : Information Society Project Office). Ainsi, la Commission a publié des rapports annuels sur le télétravail (EWork 2000 - Annual report on teleworking, www.eto.org.uk). Mais le projet le plus célèbre de tous est sans doute le National Information Infrastructure (NII) américain, vulgarisé sous l' appellation des « autoroutes de l' information ». Compte tenu de la place tenue par les Etats-Unis dans les idéologies de la nouvelle économie et de la mondialisation, ce projet ne pouvait avoir qu' un grand retentissement, en Europe en général et en France en particulier. Le projet NII, présenté par l' administration Clinton le 15 septembre 1993, dépasse largement les seules infrastructures de télécommunication. Le NII agenda for action rappelle que le projet comprend aussi « les logiciels, l' information elle-même, et les individus qui produisent l' information, créent les applications, construisent les réseaux, et assurent la formation ». En septembre 1994, le rapport The Information Infrastructure: Reaching Society's Goals (NIST Special Publication 868) énonce les objectifs du NII. A national vision for how advanced communications and computing technologies can: - enable Americans with disabilities to achieve full citizenship in our society ; - improve the production, consumption, and management of our energy resources ; - increase the safety and efficiency of our transportation system ; - allow greater flexibility and worker satisfaction through telecommuting ; - save lives and property in times of large-scale emergencies and natural disasters ; empower citizen action to maintain a clean environment etc. Le tableau n° 2 montre que les « chantiers » retenus par le G7, la Commission européenne, ou le projet américain des autoroutes de l' information, présentent de grandes similarités. La maîtrise de l' espace géographique est un objectif récurrent dans la plupart des applications envisagées, qu' il s' agisse de régulation des transports, de développement du télétravail, de l' enseignement à distance, de la gestion de l' environnement. Tableau n° 2. Trois programmes d'action pour la "société de l'information" : secteurs d'applications prioritaires G7 - Education et formation - Bibliothèques électroniques - Musées et expositions électroniques - Gestion de l' environnement et des ressources naturelles - Gestion des crises - Gouvernement électronique - Réseau pour les PME, EDI - Gestion et régulation maritime - Systèmes de transport intelligents Union Européenne - Télétravail - Enseignement à distance - Réseaux universitaires et de recherche - Services télématiques pour les PME - Gestion du trafic routier - Régulation du trafic aérien - Réseau de surveillance sanitaire et télémédecine - Autoroutes de l' information urbaines Etats-Unis - Education et formation "tout au long de la vie" - Santé - Bibliothèques - Industrie - Commerce électronique - Gestion de l' environnement - Accès à l' information administrative Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 27 Ces discours ont eu un écho important dans certains pays émergents ou en voie de développement, comme la Corée du Sud, Singapour et l’Inde, qui ont fait des TIC « l' arme absolue » de leurs politiques de développement. Information technologies has become the mantra of Indian politician and policy makers. In 1998, Prime Minister A.B. Vajpayee announced the goal of making India a ' global information technology superpower'and a ' forerunner in the age of the information revolution. Saxenian, 2000-b, p.1. En France, le discours officiel a émergé au moment du grand changement de conjoncture du début des années soixante-dix, qui voit la fin des Trente Glorieuses. Pour les experts mandatés par le gouvernement, les TIC (la « télématique ») apparurent alors comme la solution à tous les maux, à commencer par la crise de l' énergie. Un substitut à l' énergie, la communication… il est possible de remplacer des échanges marchands d' énergie en usages, marchands ou non, d' information. Jacques Attali, Le Monde du 22 février 1974. Les politiques de mise en œuvre se situaient dans la tradition colbertiste et StSimonienne de l’époque, popularisée par les grands chantiers techno-industriels dirigés par l’Etat (Lefebvre et Tremblay, 1998). Ce qui déboucha notamment sur le rapport de Simon Nora et Alain Minc (1978, L'informatisation de la société) et sur l’aventure du Minitel. A la fin des années quatre-vingt-dix, certains attribuèrent le retard français dans le développement de l’Internet (largement résorbé depuis) aux rigidités héritées du capitalisme technocratique d’Etat (France Télécom était alors, et reste encore aujourd’hui, la cible la plus fréquente de ce genre d’attaques). Le Débat national pour l'aménagement du territoire publié en 1993 par le Ministère de l' intérieur et de l' aménagement du territoire occupe une place centrale au sein du corpus des discours officiels sur l' espace et le territoire. C' est un tel cas d' école pour l' illustration de l' idéologie spatiale des TIC dans le discours politique que nous avons souhaité en citer de larges extraits (encadré n° 3). Les TIC seraient à l' origine d' une mutation majeure, d' une révolution qui affecterait profondément les territoires. On voit ressurgir le mythe de la dissolution de la ville sous la forme atténuée d' un rééquilibrage entre les espaces. Les TIC vont désenclaver les espaces les plus reculés, permettre l' installation des usines à la campagnes, où les conditions de travail et la productivité seront meilleures. L' avénement des TIC provoque une vision messianique : l' explosion des télécommunications est précisément l' une de ces grandes lignes d' espoir, fondatrice d' un avenir nouveau. Alors que certains ont annoncé la fin de l' Histoire, de la Géographie et des idéologies, la société de l' information et les NTIC semblent offrir de nouveaux horizons, de nouveaux espaces à défricher. Cette utopie spatiale va constituer la base des discours et des politiques d’aménagement du territoire fondés sur le déploiement des TIC, que nous développerons dans le chapitre 5. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 28 Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 3. Les TIC dans le Débat national pour l'aménagement du territoire (Ministère de l' intérieur et de l' aménagement du territoire, DATAR - La documentation Française, 1993) La communauté nationale en question Une révolution silencieuse La France affronte de graves problèmes d' adaptation… son espace va se transformer en profondeur au cours des dix prochaines années. Des facteurs majeurs de mutation sont déjà à l' œuvre, qui modifient la répartition dans l' espace des hommes et des activités : transports à grande vitesse, transmission en temps réel des sons, des images et des données, marché unique…p.13 De nouvelles bases pour l'action De nouveaux liens pour utiliser l'ensemble de l'espace disponible Un phénomène général… l' émergence sous nos yeux de nouveaux liens entre espaces ruraux et espaces urbains. On connaît les causes de cette révolution : c' est en tout premier lieu l' explosion des facilités de communication de toute nature (autoroutes, TGV, avion, et surtout information et télécommunications). p.31. L'explosion des télécommunications L' explosion des télécommunications est précisément l' une de ces grandes lignes d' espoir, fondatrice d' un avenir nouveau. A une époque où la principale source de valeur ajoutée est de plus en plus la matière grise, la facilité de communiquer est un facteur stratégique de création de richesses. p.31. Des politiques cohérentes pour dessiner la France La politique d' aménagement du territoire devra tirer parti de deux phénomènes qui vont, spontanément, dans le sens du rééquilibrage entre les espaces : d' une part la sensibilité à l' environnement… d' autre part les espoirs d' une nouvelle organisation géographique du travail que portent en elles les nouvelles techniques de l' information et de la communication. Ces nouvelles technologies de communication ouvrent aujourd' hui de nouveaux espaces aux Français. Elles constituent une révolution, base d' un désenclavement des espaces les plus reculés. Elles autorisent une véritable mise en réseau de la matière grise, capital qui constitue notre plus formidable richesse, notre véritable atout pour le futur. p 58. L'utilisation de nouveaux réseaux du télétravail et des téléservices Certaines entreprises deviennent de plus en plus éclatées, quasi virtuelles. Des pans entiers du très large secteur tertiaire peuvent être délocalisés dans l' ensemble du territoire, loin de leurs sièges, tout en accroissant sensiblement leur productivité, et en améliorant les conditions de travail. Nous entrons dans l' ère de la téléactivité, qui permettra de conjuguer compétitivité économique, amélioration de la qualité de vie et meilleure occupation du territoire… une nouvelle politique d' aménagement du territoire ne peut ignorer le développement du travail délocalisé. Pour relever ce défi, il faudra vaincre certaines résistances, assouplir contraintes et réglements, libérer un faisceau de fréquences, et établir des tarifs compatibles avec le caractère éminemment stratégique de cette nouvelle application. p.82. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 29 1.2.4. Les groupes de pression et cercles d'expert Une partie non négligeable des discours et de l' idéologie du numérique, notamment de l' Internet, se construit au sein d' associations, groupes de pression et cercles d' experts (lobbies et think tanks), où se mélangent les représentants des collectivités, des entreprises privées ou publiques, des associations. Ces structures rédigent des rapports, publient des revues, alimentent des sites Web, organisent des « événements », qui contribuent en retour, à la médiatisation de la soit disant révolution numérique. Ces associations à but non lucratif (ou non profit organizations) couvrent la plupart des aspects économiques, politiques, sociaux, de l' introduction des TIC dans la société. Nous ne présenterons que quelques exemples français et un exemple américain, suffisants pour comprendre que c' est au sein de ces structures que se réalisent le brassage des idées, et aussi, parfois, la collusion des intérêts, qui aboutissent au culte des TIC. En France Le Club de l'Arche, fondé en 1993, est un club de réflexion animé par les entreprises, qui a pour vocation « d' échanger des informations sur l' introduction des nouvelles technologies de l' information et de la communication dans la société » (www.club-arche.org). Les titres du chapitre 1 du Manifeste du Club : Vers une "digitalisation" de la société ? sont un bon indicateur de la prégnance du paradigme numérique dans les discours publics. Vers une société d' abondance post-numérique ? Un « new deal » électronique ? Un processus de « digitalisation » sociale inéluctable Les grands « prédateurs électroniques » sont à nos portes Non à une « Ligne Maginot » électronique L' Internet a fait l' objet d' un militantisme (aujourd' hui relativement en déclin) à travers plusieurs association comme l' ISOC - France (chapitre français de l' Internet society) et l' Association des utilisateurs de l' Internet (AUI), associations fondées en 1996 qui ont fusionné en novembre 2002 (www.aui.fr, www.isocfrance.org). La « Fondation pour l' Internet nouvelle génération » a pour ambition que « la France, dans l' Europe, soit un acteur de premier plan de l' innovation dans les usages de l’internet nouvelle génération » (www.fing.org). L' ISOC et la FING, entre autres, contribuent à l' organisation des rencontres de la société en réseau qui se tiennent chaque année à Autrans, dans le Vercors, depuis 1996, et constituent une de ces grandes messes des TIC, au même titre que la Fête de l' Internet. Certaines structures sont plus thématiques, comme l' Association Française du Télétravail et des Téléactivités, qui organisait il y quelques années, à Serre-Chevalier, le Festival du Télétravail et des Téléactivités. Les élus participent pleinement à ce militantisme, dans le cadre d' associations de collectivités auxquelles participent aussi des entreprises et personnalités20, comme « l’Association des villes Internet », « l’Association des villes numériques » (structure qui semble en sommeil). Les grandes villes possèdent leur propre structure, Multimédiaville, présidée par le maire de Metz, J.M. Rausch, qui a fait des TIC, depuis plus de vingt, un des fers de lance de sa politique municipale (www.grandesvilles.org/2002/ multimediaville). 20 Et certains géographes, comme E. Eveno, président de l’Association « Villes Internet » Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 30 Regard géographique sur le paradigme numérique L' association des villes numériques est née en 1997 de la volonté formulée par des élus, des enseignants, des chercheurs, des professionnels du monde des infotechnologies, de promouvoir et de susciter à l' échelle de l' Europe la concertation et la coordination en vue du déploiement des moyens numériques propres à affronter les défis du monde urbain et d' une nouvelle citoyenneté. www.villesnumeriques.org Dans ces manifestations, colloques, salons et autres foires aux TIC, on rencontre souvent les même personnes, qui ont fait des TIC leur cheval de bataille professionnel ou politique. Le Sénat, l' Assemblée nationale, ont leur « Monsieur TIC », voir leur « groupe TIC ». Pour mieux défendre leurs propos, ces derniers ont parfois fait de leur fief local un laboratoire d' expérimentation des TIC (J.M. Rausch à Metz, A. Santini à Issy-les-Moulineaux, Jacques Dondoux en Ardèche, R. Trégouët dans les Monts-du-Lyonnais etc.). Un élément remarquable est l' entrecroisement des réseaux qui animent ces structures. On peut ainsi identifier des personnes motrices du système, au carrefour de la politique et des affaires, que l' on rencontre dans la plupart des innombrables colloques ou manifestations organisées sur le sujet, par exemple : Jean Michel Billault, président du Club de l' Arche, fondateur et directeur de l' Atelier, cellule de veille technologique du groupe BNP-Paribas, créateur de la Fête de l' Internet, vice président de l' AFTEL (Association française de télématique)21. Nicole Turbé-Suetens, carrière à IBM, puis fonde Distance Expert, expert auprès de la Commission européenne, coordinatrice pour la France de Europe Telework Online (www.eto.org.uk/nat/fr), présidente de l' Association Française du Télétravail et des Téléactivités (www.aftt.net), membre du conseil d' administration du Club de l' Arche. Jean-Michel Yolin, auteur du rapport pour le Conseil Général des Technologies de l' Information (CGTI) : Internet et Entreprise mirage ou opportunité ? (2002), membre du Club de l' Arche, membre de l' ISOC France. Jean-Paul Basquiat, énarque passé par la DGRST, fondateur d’Admiroutes (site non officiel), rédacteur de nombreux rapports, articles et ouvrages. André Loechel, chargé de mission à la Cité des Sciences et de l’Industrie, président du Réseau européen des villes numériques. Aux Etats-Unis : le Progressive Policy Institute Le Progressive Policy Institute émane de la « Fondation pour une troisième voie » (Third Way Foundation Inc.), organisation à but non lucratif qui a pour objectif de « définir et promouvoir une nouvelle politique progressive pour les Etats-Unis dans le vingt-et-unième siècle ». Le PPI se définit lui même comme un des think tanks du « nouveau parti démocrate », qui a été un des instruments de l' accession au pouvoir de Bill Clinton (cf. New Democrats Online, www.ndol). De fait, le travail du PPI s' inscrit complètement dans la lignée de l' initiative des « autoroutes de l' information » lancée par le vice-président Al Gore. America and the world have changed dramatically in the closing decades of the 20th century. The industrial order of the 20th century is rapidly yielding to the networked "New Economy" of the 21st century…The core principles and ideas of this "Third Way" 21 Nous verrons dans le chapitre 5 son rôle dans l’émergence du projet « Pau Broadband Country ». Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 31 movement are set forth in The New Progressive Declaration: A Political Philosophy for the Information Age... Through its research, policies, and perspectives, the Institute is fashioning a new governing philosophy and an agenda for public innovation geared to the Information Age. www.ppionline.org Le PPI possède ou a possédé dans son organigramme des dirigeants d’entreprises d’informatique comme Gateway et Netscape. Sous la signature de son directeur adjoint, R.D. Atkinson22, le PPI publie de nombreux rapports et professions de foi sur la nouvelle économie des TIC et sur la géographie de la nouvelle économie. 1.2.5. La communication numérique, nouvelle religion universelle ? La bien-pensance communicationnelle, qui joue dans la France contemporaine le rôle d' idéologie attribué par Marx en son temps à la religion… Comment cette idéologie de la communication, au service de la mondialisation techno-marchande, s' y prend-elle pour assurer son hégémonie ? L'humanité, 25 juin 2001. Il n’est pas absurde de considérer la communication comme la dernière grande idéologie universelle. Dans Le culte de l'Internet : une menace pour le lien social ?, P. Breton critique cette forme de religiosité qui entoure l' Internet (d' où l' expression les « cybergourous »). Le paradigme numérique apparaît comme le dogme clé et le vecteur de cette nouvelle religion, qui doit réunifier l' humanité toute entière. La floraison des discours sur les TIC et la dite « société de l' information », le succès médiatique de la métaphore de la « fin de la géographie » lancée par R. O' Brien, ne peuvent pas être compris en dehors du contexte historique et géopolitique du début des années quatre-vingt-dix, avec la fin de l' affrontement Est-Ouest, la disparition du communisme en tant qu' ideologie porteuse d' alternative au capitalisme de avénement d' une mondialisation dont on pourrait dire marché23 et, finalement, l' qu' elle est consubstantielle aux technologies d' information et de communication. Le titre de l' ouvrage de O' Brien est une allusion évidente à la thèse, plus célèbre encore, de Francis Fukuyama sur la fin de l'Histoire qu' aurait signifié l' écroulement du communisme en URSS et en Europe de l' Est24. Pour certains, la communication généralisée et les TIC ne sont que le nouvel opium du peuple, au service du capitalisme mondialisé. 1.3. Les géographes dans le débat : Les chercheurs en science sociale sont dans la société : leur travail s' effectue en inter-relation permanente avec un objet d' étude dont ils font partie. Ceci a pour conséquences des relations parfois ambiguës avec la sphère économique et politico-médiatique. Notre propre pratique, les rapports que nous avons produits pour les collectivités locales, les organismes consulaires, quelques articles que nous avons publié dans des revues dites de vulgarisation, voire dans des 22 R.D. Atkinson est docteur en Urbanisme et Aménagement. Il a publié notamment The Technological Reshaping of Metropolitan America. 23 Ce que D. Pumain (op.cit.) appelle « la fin des grands récits ». 24 La thèse de Francis Fukuyama, publiée en 1989 dans The National Interest se rapporte à une conception Hégelienne de l' Histoire, résultant d' antagonismes entre idéologies et formes d' organisations sociales. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 32 Regard géographique sur le paradigme numérique magazines professionnels, nos interventions dans des colloques ou séminaires à caractère professionnels, sont des illustrations de cette interaction. La réponse du chercheur à la demande sociale (voire la participation à la création de cette demande) ne va pas sans risque. Or, cette demande a été très forte ces dernières années, puisque la sphère politico-médiatique a été, c' est le moins que l' on puisse dire, très active sur le sujet des TIC. De fait, on peut penser que les chercheurs en science sociale qui se sont intéressés à ce sujet ont surfé sur la vague médiatique qu' ils ont eux-même contribué à faire grandir, et qu' ils ont contribué, par leur participation, à cautionner le fonctionnement du système. Ceci a assuré une alimentation régulière en contrats et subventions de recherche. Les organismes dispensateurs de subventions de recherche fonctionnent suivant des logiques propres. Les appels d' offre proposent des problématiques qui émanent d' une dialectique entre le pouvoir politique et des cercles d' experts dont le scientifique, par une sorte de paradoxe, fait souvent partie. Il y a alors risque d' effets pervers : émergence de discours auto-réalisateurs, enclenchement d' un processus collectif d' auto-production du système à produire des études et rapports. En tout état de cause, une revue élémentaire de la littérature montre que l’intérêt des géographe pour les technologies d’information et de communication est ancien et n’a fait que croître logiquement tout au long du dernier quart de siècle, avec un souci de diversification des problématiques. 1.3.1. De la géographie des télécommunications à la géographie du cyber-espace L’intérêt des géographes pour la géographie des télécommunications est déjà ancien. Les travaux sur les aires d’influence téléphonique datent des années soixante. Une rapide analyse de la littérature scientifique montre comment les géographes ont peu à peu affiné leurs analyses, et permet d' identifier les principaux courants de recherche actuels. Jusqu' à l' aube des années quatre-vingt, on ne parlait guère que de géographie des télécommunications (ce qui n' empêchait pas d' entrevoir des enjeux territoriaux toujours très actuels). Aujourd' hui, on parle plutôt de géographie du cyber-espace, de géographie de la société de l' information, de géographie de la nouvelle économie. La bibliographie sur la relation des TIC et du paradigme numérique à l' espace et au territoire est aujourd' hui immense, et il est difficile d' être exhaustif. La bibliographie de travail que nous proposons à la fin de ce volume renvoie uniquement à des textes en français et anglais. La portée de ce biais linguistique est toutefois atténuée par le rôle de l' anglais comme linguae franca de la communauté scientifique internationale, qui nous permet de référencer des travaux originaires de la plupart des pays non anglophones présents dans la recherche en sciences sociales, non seulement d' Europe du Nord (où les chercheurs publient les travaux importants en anglais), mais aussi d' Italie, d' Espagne, du Japon, de Corée du Sud etc. Par ailleurs, l' avance prise par les pays dits « anglo-saxons » dans les usages des TIC (notamment de l' Internet) rend la production scientifique sur ces sujets plus abondante que dans les pays latins ou a fortiori en voie de développement, ce qui minore également l' impact du biais linguistique. Le tableau n° 3 montre la diversité des pays d’origine des auteurs (Les Etats-Unis et le Royaume Uni, puis la France, représentent la majorité des références). Un tableau par aire géographique d’intérêt aurait cité les mêmes pays, à peu de choses près. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 33 Tableau n° 3. Pays représentés dans la bibliographie (auteurs) Europe Allemagne Italie Belgique Pays-Bas Espagne Pologne Finlande Royaume Uni France Slovénie Grèce Suède Irlande Suisse Asie/Pacifique/Afrique Afrique du Sud Australie Chine Corée du Sud Inde Israël Japon Nouvelle Zélande Singapour Amérique Etats-Unis Canada/Québec Mexique Brésil Pérou Nous avons essayé d' être le plus complet possible pour les travaux postérieurs à 1998. De nombreux documents ont été obtenus sur le Web : versions provisoires ou finales d' articles publiés dans des revues importantes, communications dans des colloques, rapports de recherche, rapports gouvernementaux ou européens etc. Une des difficultés dans la constitution et dans l' analyse de la bibliographie commune à d' autres domaines de la géographie - est que les sources ne s' affichent pas toujours comme ouvrages ou articles de géographie, mais sont relatives à l' aménagement, l' urbanisme, les sciences régionales, l' économie, la sociologie, les sciences de l' information et de la communication etc. L’essentiel étant que l' auteur engage une réflexion sur la relation entre les TIC et l' espace ou le territoire. Toutefois, l’intérêt de la communauté scientifique des géographes, élargie à celle des urbanistes, « aménageurs », voire économistes spatiaux, se mesurera tout particulièrement aux publications dans des revues internationales de géographie, d’aménagement, de science urbaine ou régionale, qui, par le procédé de lecture anonyme, restent les meilleurs indicateurs de la reconnaissance des apports scientifiques d' une direction de recherche nouvelle. Des travaux fondateurs La réflexion sur les télécommunications est présente dans les travaux des géographes contemporains depuis plus de trente ans. En 1970, dans Aménager le territoire25, Michel Rochefort reproduisait une carte des zones d' influence des villes d' après les flux téléphoniques, dessinée par le ministère de la construction (document reproduit dans l'Espace français de Daniel Noin, 1977). De grands géographes du XXe siècle ont développé une réflexion sur les télécommunications : Jean Gottmann (1970, 1983), Peter Hall (1986, 1991, 1995), Paul Claval (1995). Parmi les pionniers spécialistes, le nom de Ron Abler est le plus souvent cité (1974, The geography of communication ; 1975, Human Geography in a shrinking world). Jean Gottmann introduit une réflexion fondamentale lorsqu' il propose le concept de « fonction quaternaire », observé dans le contexte de la Megalopolis (« Urban centrality and the interweaving of quaternary functions », Ekistics, 1970, n° 174, pp. 322-331). De fait, certains auteurs considèrent J. Gottmann comme le « père de la géographie de l' âge de l' information » (Wilson & Corey, 2000, p.3). Mais l' article pionnier est peut-être celui d' Arnold Wise, en 1971 dans Ekistics : « The impact of electronic communications on metropolitan forms ». Il reste tout à fait d' actualité. Certaines hypothèses discutées préfigurent les problématiques développées par S. Graham et d' autres trente ans plus tard. 25 Paris, Seuil. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 34 Regard géographique sur le paradigme numérique La première moitié des années quatre-vingt est riche en publications marquantes, avec Henry Bakis (1981, « Elements for a geography of telecommunications », Geographical Research Forum), Aaron Kellerman (1984, « Telecommunications and the geography of metropolitan areas », Progress in Human Geography), et surtout un numéro entier de Ekistics (1983, n° 302) consacré aux technologies de communication, avec des signatures prestigieuses, dont celles de Richard L. Meier et Jean Gottmann. En 1985, la Revue géographique de l'Est (vol. 25, n° 1) publie sur la géographie de la communication, avec notamment des articles de H. Bakis et C. Verlaque. Au delà de cette date, les publications deviennent trop nombreuses pour être mentionnées toutes. Même si elle incorpore de nombreuses publications mineures et périphériques, la bibliographie pour la période 1980-1992 de « Géographie des réseaux de communication et de télécommunications » publiée par H. Bakis dans Netcom (vol. 6, n°2, pp. 309-395) comporte 771 références. Et le flux s’est intensifié depuis cette date. La vigueur des recherches centrées sur la problématique spatiale et territoriale des technologies d’information et de communication est manifestée par l’existence de publications spécialisées, comme Netcom et surtout Journal of Urban Technology26. Mais une indication plus nette de l’importance de la prise en compte du paradigme numérique par notre communauté scientifique est fournie par les publications dans les revues généralistes de géographie, de science régionale ou urbaine de catégorie A. De 1997 à nos jours, Regional Studies a consacré six articles aux TIC stricto sensu. Urban studies et Environment and Planning A ont publié chacune une quinzaine d’articles sur le thème. Les numéros thématiques méritent une mention particulière. Depuis 1990, plusieurs revues généralistes ont livré des éditions entièrement dédiées aux TIC : Annales de Géographie (1995, éds. H. Bakis et G. Dupuy, n° 585586), Cities (1999, vol. 16, n° 1), Urban Studies (2000, vol. 37, n° 10), Environment and Planning A (2003, vol. 35, n° 7), Environment and Planning B (2001, vol. 28, n° 1), International Journal of Urban and Regional Research, (2000, vol. 24, n° 1 ; 2001, vol. 25, n° 2). Parmi les revues françaises de catégorie B27, on peut mentionner Géocarrefour (2000, vol. 75, n° 1) et Géographie et Cultures (2003, n° 46). Les articles dans Progress in Human Geography (PGH) méritent une attention particulière, dans la mesure où cette revue, comme son nom l' indique, a pour vocation de publier des articles qui présentent une avancée théorique ou une ouverture marquante de la géographie humaine. De ce point de vue, l’article de A. Kellerman en 1984 (« Telecommunications and the geography of metropolitan areas »), constitue un jalon intéressant. PGH a publié à sept reprises sur la question. 1998 est une année charnière, avec pas moins de trois articles. Si l' on voulait dater la naissance d’une « géographie des TIC » succédant à la géographie des télécommunications, ce tryptique, par l' importance et la généralité des problématiques géographiques traitées, constituerait une proposition sérieuse. Les titres évoquent la transition fondamentale, bien avant Internet, entre la désormais classique géographie des télécommunications, et une géographie des technologies d' information aux implications plus vaste, même si elle repose sur la même problématique fondamentale. En 2002 et 2003, avec Cutchin, Adams & Ghoose, puis Grimes, on passe à des problématiques plus pointues, ce qui signale, sans doute, une certaine maturité de l’état des recherches sur la question. 26 27 Réseaux et Flux sont des publications transdisciplinaires. Selon le classement publié en 2003 par le CNRS, qui peut être discuté. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 35 Tableau n° 4. Les TIC dans Progress in Human Geography 1984 1987 1998 " " 2002 2003 2003 KELLERMAN HEPWORTH GRAHAM Telecommunications and the geography of metropolitan areas Information technology as spatial system The end of geography or the explosion of place ? Conceptualizing space, place and information technologies HILLIS On the margins : the invisibility of communications in geography KITCHIN Toward geographies of cyberspace CUTCHIN Virtual medical geographies: conceptualizing telemedecine and regionalization GRIMES The digital economy challenge facing peripheral rural areas ADAMS & GHOSE India.com: the construction of a space between En annexe 1, nous proposons un tableau de synthèse de publications importantes qui témoignent, depuis 1990, d’un regard géographique sur le paradigme numérique28. Cette aperçu bibliographique permet de dégager les principaux centres d’intérêt des géographes autour du thème des technologies numériques. La catégorie la plus importante reflète bien les préoccupations contemporaines des géographes, puisqu' elle relie le paradigme numérique au phénomène urbain sous ses divers aspects. Certains chercheurs s' en sont fait une spécialité, rattachant l' étude des TIC aux sciences de l' urbain. La ville est suffisamment vaste, comme concept, pour que plusieurs sous-problématiques puissent émerger, qui croisent inévitablement les problématiques sectorielles : ville et réseaux de télécommunication, technologies numérique et gouvernance urbaine, TIC et aménagement urbain, représentations de la ville, économie urbaine etc. La confrontation du paradigme numérique à l' espace rural a suscité également une production abondante. L' éloignement et les faibles densités (relatives) qui caractérisent les territoires ruraux ont semblé faire des TIC un outil idéal pour leur désenclavement. Les technologies numériques ont été rapidement perçues comme un moyen d' aménager le territoire, qu' il soit rural ou urbain, voire de le développer. On trouve fréquemment dans le discours la thèse du saut techologique, qui aurait permis à des régions en retard de développement de bruler les étapes et de parvenir directement au stade d' une société de services, post-industrielle. Le thème de la fracture numérique (digital divide) entre territoires, individus, groupes sociaux… a fait couler beaucoup d' encre, de nombreux auteurs décrivant l' émergence d' un territoire à la fois maillé et fragmenté. L' étude du très populaire cyberspace pourrait constituer une autre branche d' une géographie des TIC, voire, chez certains auteurs, la géographie des TIC elle-même. Enfin, une importante production touche à la géographie économique des « secteurs du numérique » au sens large : télécommunications, multimédia, commerce électronique, centres d' appel… Il s' agit de comprendre la territorialisation de ces activités dont la matière première et le produit final sont intangibles. Ces questions ne sont pas dénuées d' enjeux sociaux, comme ceux qui environnent le thème du télétravail, mythe au cœur du mythe, qui devait révolutionner le rapport au territoire des entreprises et des employés. Cette présentation ne se veut pas exhaustive. Elle a simplement pour but de montrer que les géographes (et leurs voisins et amis urbanistes et aménageurs), de 28 Dans cette annexe ne figure que des articles dans des revues à comité de lecture, internationales pour la plupart, ou des ouvrages scientifiques. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 36 Regard géographique sur le paradigme numérique par le monde, ont publié très largement sur la question des TIC, sur des sujets qui intéressent de nombreuses branches de la géographie. Cela signifie-t-il pour autant qu’il existe une « géographie des TIC » ? 1.3.2. Existe-t-il une géographie des TIC ? The neglect of telecommunications in the mainstream of urban studies and policymaking is becoming so serious that it threatens to undermine the prevailing paradigms which underpin them…this book' s main goal : to help shift telecommunications from the margins to the center of urban studies and policy. Graham 1996, p. 75. Le débat a été lancé par plusieurs auteurs, qui ont adopté une attitude militante, en faveur de la reconnaissance de l’importance des « TIC » dans le débat scientifique en géographie et dans les autres sciences de l’espace. L’expression the neglect of telecommunications est omniprésente dans les deux premiers chapitres de l’ouvrage de S. Graham et S. Marvin « Telecommunications and the City » (1996). La thèse de Graham et Marvin, comme celle de K. Hillis29 est que l’invisibilité matérielle des télécommunications aurait empêché que leur importance ne soit pleinement reconnue par la communauté des géographes et autres aménageurs (les télécommunications s' inscrivent peu dans le paysage, objet traditionnellement important pour le géographe ou l’urbaniste). La lisibilité sociale et académique de la géographie des Tic n’a guère progressé, pas davantage son institutionnalisation… Dans la plupart des colloques, symposia, séminaires… consacrés aux TIC, les géographes sont très souvent conviés mais dans la méconnaissance de leur statut de géographe, et dans la confusion avec les autres disciplines des sciences de l’homme et de la société. E. Eveno, rapport d’activités de la Commission "Géographie de la Société d’Information" du Comité National Français de Géographie, 22 juin 2000 (http://cnfg.univ-paris1.fr/com/00gsoc.htm). Si nous avons souhaité souligner la place de la réflexion spatiale sur les TIC dans les grandes revues scientifique, ainsi qu’auprès des éditeurs les plus prestigieux comme Elsevier, Routledge ou autres, c’est aussi pour montrer que la recherche dans les sciences de l’espace ne semble pas avoir souffert d’un quelconque ostracisme. Les géographes, notamment, certains appartenant à des institutions universitaires prestigieuses, ont beaucoup écrit sur la question dans les revues de géographie ou interdisciplinaires les plus renommées. De nombreux auteurs appartiennent à des départements de géographie dans leurs universités respectives : Yuko Aoyama (Clark University, Worcester, Mass.), Henry Bakis (Université Paul Valéry de Montpellier) Michael Batty et Martin Dodge (University College London), Stanley Brunn (Université du Kentucky) Kenneth Corey (Université d' Etat du Michigan), Emmanuel Eveno (Université de Toulouse le Mirail), Andrew Gillespie et Ranald Richardson (Université de Newcastle), Peter Graef (Université d' Aix-laChapelle), Seamus Grimes (Université Nationale d' Irlande, Galway), Woo-Kung Huh (Université Nationale de Seoul), Aaron Kellerman (Université de Haïfa), Mei-Po Kwan et Edward J. Malecki (Université d' Etat de l' Ohio), Sten Lorentzon (Université de Göteborg), Barney Warf (Université d' Etat de Floride). Depuis plusieurs années, un travail de mise en lisibilité institutionnelle d' une « géographie des TIC » (ou d' une géographie de la société de l' information) a été entrepris, au niveau international, par la commission "Geographie de la société de l' information" de l' Union Géographique Internationale (présidents Henry Bakis puis Aaron Kellerman), au niveau national, par Emmanuel Eveno, qui préside la 29 "On the margins : the invisibility of communications in geography", Progress in Human Geography, 1998, vol. 22, n° 4, p.543-566. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 37 commission de géographie des TIC du Comité national français de Géographie. La revue Netcom, seule revue de géographie30 entièrement consacrée aux TIC, est publié conjointement par l' UGI, le CNFG et l' Université de Montpellier 3. Un autre élément institutionnel à prendre en compte est l' existence, de par le monde, d' enseignements universitaires de géographie portant spécifiquement sur la relation des TIC à l' espace. Le site Web de la commission "Geographie de la société de l' information" de l' IGU présente une liste de ces enseignements (Selected courses on the geography of information / information society / cyberspace, www.ssc.msu.edu/~igu/Courses.htm). Cette liste, sans doute incomplète, indique un enseignement de la géographie des TIC dans 10 pays et 21 universités, sous la responsabilité d' un nombre identique de professeurs ou assimilés (voir annexe 2). Il est incontestable que sous une certaine forme, on a assisté de facto à l’émergence d’un courant de recherche et d’enseignement, doté d’une certaine dose d’autonomie. Pourtant, nous restons réservé à l’égard d’une telle autonomisation. Le problème principal provient des multiples transversalités auxquelles se prêtent les TIC, du fait de leur ubiquité. Bien qu’ayant réduit nos ambitions initiales, nous même avons particulièrement souffert de la dispersion des champs disciplinaires et des concepts dans la rédaction du présent travail. La géographie économique est largement mise à contribution, pour tout ce qui touche aux entreprises, dans le secteur des télécommunications, du multimédia, des centres d' appel… Une relation forte avec la géographie des transports, autour du concept de réseau, est aussi à envisager. Mais, par l' analyse des représentations de l' espace sur le Web, de la territorialisation de nouvelles pratiques politiques et sociales liées à l' Internet ou au téléphone mobile, une géographie des TIC appartient aussi à la géographie sociale (telle que la définit Guy Di Méo31). De même, la floraison des discours politiques et médiatiques sur l' importance des TIC pour l' aménagement des territoires ne peut être étudiée uniquement sous l' angle économique. Une dernière transversalité, et non la moindre, est celle du croisement entre les problématiques sectorielles, évoquées ci-dessus, et la typologie des espaces, la diversité des échelles. Faire une géographie des TIC, c' est aussi contribuer à l' étude géographique des espaces ruraux, de la ville, des espaces en voie de développement, de la métropolisation et de la mondialisation. Faire face à ces multiples transversalités, en faisant des TIC l’objet central d’une réflexion géographique, c’est courir le risque de tomber dans le piège du déterminisme technologique, d’oublier que les technologies numériques sont un outil au service des transports, de l' industrie, du tourisme etc., et contribuent à l’organisation des territoires qui demeurent l’objet d’étude de la géographie. C’est pourquoi A. Scott réfute l' étude des TIC en elles-même (in themselves). L’institutionnalisation d’une « géographie des TIC » présente un certain intérêt en matière de synergies et de diffusion de la recherche. Mais le confinement des chercheurs dans des revues ou des colloques spécialisés entraîne le risque de tomber dans le piège du déterminisme technologique que nous avons développé précédemment. Ces derniers mois, nous avons travaillé sur l’économie numérique urbaine en lien avec les politiques de développement et d’aménagement urbain. Ce travail pourrait évidemment être présenté dans un colloque annuel de « géographie des TIC ». Mais ne serait-il pas plus fécond, finalement, de l’insérer dans une 30 31 Officiellement, Netcom est une revue inter-disciplinaire. Géographie sociale et territoires, 1998. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 38 Regard géographique sur le paradigme numérique réflexion sur la ville et sur la métropolisation, comme celle qui est prévue à Lille en juin 200532 ? Pour conclure sur une attitude neutre, nous dirons que la géographie en tant que science est telle qu’elle se fait, notamment par des publications dans des revues scientifiques de large diffusion. Comme l’écrit A. Scott, il est préférable de placer en position centrale les activités humaines, les espaces et les territoires au sein desquels les technologies numériques sont utilisées dans diverses formes de processus et de transactions. C’est ce que nous avons essayé de faire lorsque nous avons étudié, par exemple, les entreprises de service en technologies de l’information (Moriset, 2003-a ; b) ; les centres de co-location (2003-c), le télétravail (2004) ou les centres d’appels (Moriset et Bonnet, 2004). Ces travaux relèvent, d’abord, de la géographie économique. Aussi, le présent mémoire ne se revendique en aucune manière comme un manifeste en faveur de la reconnaissance d’une « géographie des TIC », mais comme la mise en perspective critique des discours et de l’idéologie spatiale du paradigme numérique avec ce qu’on pourrait appeler la « géographie réelle » de ce même paradigme. Notre analyse débute par l’étude du réseau numérique de télécommunications, dont les caractéristiques technico-spatiales déterminent la téléaccessibilité, qui elle-même conditionne les usages dont procède l’essentiel de la problématique spatiale, que nous avons évoqué en introduction. 32 Logiques métropolitaines, modèles, acteurs et processus. IFRESI-CNRS, Lille, 2-3 juin 2005. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 39 Chapitre 2. Le réseau numérique et l’espace géographique : technologie et accessibilité Then down to earth; The Internet does have a geography Castells, 2001, p. 8. Le géographe se donne traditionnellement pour mission d' explorer, de décrire, de cartographier l' espace, d’essayer de comprendre les dynamiques qui l’animent et le produisent. La mission exploratrice, et d' abord descriptive, est entretenue par les changements économiques (activités nouvelles), politiques (re-découvertes d' espaces autrefois fermés33), ainsi que par l' évolution des techniques d' investigations. C' est dans ce contexte que se situent une partie des recherches géographiques récentes sur les technologies de l’information. La convergence numérique des réseaux de télécommunication, la montée en puissance de l' Internet et de la téléphonie mobile, ont créé de nouvelles architectures de réseaux, de nouveaux flux, et donc de nouvelles spatialités à explorer, tout comme les autoroutes, le TGV, ont suscité leur lot d' interrogations et de recherches. La géographie commence de nouvelles explorations, et d' abord celle du cyber-monde. H. Bakis, 1999, « De nouveaux mondes à explorer, visiter et utiliser : l' espace des réseaux électroniques », Netcom, vol. 13, n° 1-2. Mais le paradigme numérique, par plusieurs de ses éléments - notamment l’Internet et les réseaux de télécommuncation - est un objet de recherche en rupture avec des thématiques traditionnelles. Malgré les polémiques sur le danger occasionné par les pylones de radio-téléphonie, les télécommunications sont peu visibles dans le paysage (Hilllis, 1998), ce qui fait que l' on a tendance, instinctivement, à en minimiser l' importance (au contraire, par exemple, du transport automobile, tellement envahissant). Mais surtout, les TIC forment un système technique d' une complexité qui défie les outils traditionnels de représentation géographique, tels qu' on peut les connaître dans les transports, par exemple, avec les cartes et atlas routiers. Paradoxalement, c' est la technologie elle-même qui fournit les moyens de l' exploration, comme les logiciels qui permettent de dresser des traceroutes de liaisons Internet, ou les bases de données qui permettent de cartographier des noms de domaine. Dans The Internet Galaxy, R. Castells (2002, p. 208) identifie, par exemple, trois perspectives d' approche de la dimension géographique de l' Internet (que nous généraliserons ensuite aux TIC) : « la géographie technologique, la distribution spatiale de ses utilisateurs, la géographie économique de la production de contenu (Internet production) ». Mais, comme le reconnaît l’auteur quelques pages plus loin, cartographier les producteurs de contenu (ou les noms de domaine), c' est cartographier l' économie tout court, dans la mesure où une part de plus en plus grande des entreprises possèdent un site Web. Les deux premiers termes nous semblent plus prometteurs. La cartographie des réseaux, des débits et des flux, intéresse le géographe, non seulement en elle-même, mais aussi parce qu’elle est un puissant révélateur des dynamiques régionales et mondiales, économiques notamment. S' agissant de 33 Europe orientale, ex-URSS, Chine… Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 40 Regard géographique sur le paradigme numérique l' Internet, technologie récente, la cartographie permet de mettre en évidence la géographie différentielle des capacités d' adoption d' une innovation par les territoires. Mais surtout, les TIC possèdent des caractéristiques spatiales que nous appelons « intrinsèques » parce qu’elles sont incorporées aux données techniques, et qu’elles conditionnent les usages qui peuvent en être fait par l’intermédiaire du concept de télé-accessibilité. 2.1. "The Matrix" : un réseau numérique en voie d'intégration The global telecommunications Matrix is a new artificial life form, not a mere organism, but a non linear, asymmetrical, chaotically-assembled functionality with much more potential freedom than that of an entity encased in skin or limited to beingan agglomeration of discrete organs. A new being made up of widely distributed hardware, software and pulses of electricity coursing through its nervous system. Imken, in Crang et al., 1999, p.92. Une des manifestations essentielles de la convergence numérique est la création d’un réseau numérique planétaire de télécommunications, qui relie des centaines de millions de terminaux divers, et qui a pour fonction de faire transiter une part croissante des flux informationnels de la société. 2.1.1. Vers un réseau unique, organisé en couches La tendance est à la mise en place d' un réseau unique, entièrement numérisé qui intègre les anciens réseaux séparés : téléphone fixe, mobile, télévision hertzienne, par cable, réseaux entre ordinateurs (EDI). La numérisation de l' information et du signal est l' élément essentiel : sur le réseau, ne circulent, mélangés les uns autres, que des paquet de bits. Dûment adressés et reconstitués par les routeurs, centraux et modem ad hoc, ces paquets de bits deviennent une émission de télévision, un film, un échange de données entre deux entreprises, une commande de livre adressée à Amazon.com, un coup de fil à un ami, une requête adressée à un moteur de recherche, l' activation d' un lien hypertexte, un virement de plusieurs milliards de dollars. La numérisation de l' information a entraîné une homogénéisation quasi-totale de la transmission, qui consiste désormais à transporter des bits indépendamment de la nature du signal source. Curien, in Callon et al., 1999, p. 140. Les spécialistes des réseaux comme Nicolas Curien34 décrivent une organisation en strates ou couches, qui peuvent parfois se subdiviser en sous-couches35 : la couche inférieure des infrastructures linéaires de télécommunications (cables, faisceaux hertzien), et des équipements de production, de 34 Titulaire de la chaire "d' économie et politique des télécommunications" au CNAM et maître de conférences à l' Ecole Polytechnique. 35 Les sociologues comme R. Castells identifient des couches politiques et sociales, mais c' est un autre point de vue. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 41 transmission/réception du signal numérique terminaux (satellites, cartesmodems, antennes, combinés téléphoniques) ; la couche intermédiaire des systèmes de commande du réseau ou infostructure, des équipements et logiciels de commutation (centraux, serveurs, routeurs) ; la couche supérieure des services, c' est à dire des produits commercialisés : téléphone, fax, minitel, accès à Internet. Le concept de couche réseau est adapté à celui de plateforme électronique, qui est fortement utilisé, notamment, dans les analyses organisationnelles de la « nouvelle économie ». Internet et le réseau On a tendance à accorder à l’Internet une place hégémonique dans le discours sur les TIC en général et les réseaux en particulier. La très forte croissance de l' Internet et sa capacité intégratrice expliquent en partie ce phénomène, qui tend à brouiller le concept même de réseau numérique de communication. Intrinsèquement, l' Internet n' est pas un réseau, mais un élément de la couche intermédiaire (infostructure) du réseau numérique, comme norme (protocole) de connexion entre ordinateurs. Soit une partie quelconque du réseau numérique : c' est l' infostructure qui va formater les bits et leur donner une adresse de machine pour qu' ils soient acheminés suivant le protocole IP. Mais l' échange informatisé de données n' a pas attendu l' Internet pour se développer dans les entreprises. La paire de cuivre du réseau téléphonique commuté peut transporter des données correspondant à différents services : Internet, téléphonie, fax, minitel, EDI. Le cable permet d' accéder à Internet et de recevoir la TV. Le même faisceau hertzien peut transporter de la téléphonie ou de l' Internet. Le réseau électrique, nous y reviendrons, peut transporter des données numériques36. Du fait de la convergence numérique des technologies de télécommunications, on ne peut plus guère parler de réseau téléphonique, ni de réseau internet, mais d' un réseau numérique en voie d' intégration dont les infrastructures supportent des services variés, l' Internet étant une modalité parmi d' autres, certes dominante, de conditionnement et d’adressage du signal. Il faut toutefois reconnaître que le passage progressif sous IP de certaines applications, comme la téléphonie ou la TV, pourrait finir par faire de l’Internet un réseau au sens strict du terme. 2.1.2. Etendue et complexité de la « matrice » La convergence numérique est en passe de constituer un réseau d' une grande complexité. Rappelons qu’il y a plus de 200 millions de machines « hôtes » sur Internet, et plus d’un milliard d’abonnés au téléphone mobile. Sans parler de la télévision numérique. Le concept traditionnel de réseau est impuissant pour saisir toute la complexité de la « matrice », car il ne prend en compte que les infastructures et les équipements réels, en conservant le lien avec une architecture inscrite dans l' espace géographique. A cette approche « orientée réseau », on peut ajouter une approche « orientée objets » (stocks et flux d' information), substituer une topologie à une morphologie. Ici, nous considérons uniquement les données accessibles sous IP. 36 Pas seulement dans les fibres optiques posées le long des lignes, mais bien dans le même fil de cuivre que celui du courant électrique ! Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 42 Regard géographique sur le paradigme numérique Considérée sous cet angle, la « matrice » est dotée d' un double architecture, d' une part celle du réseau de télécommunication, d' autre part celle des bases de données et autres sites Web. La navigation devient alors celle décrite par W. Gibson, au sein d' un univers virtuel, structuré, non pas par le maiilage ou l' arborescence des réseaux de télécommunication, mais par la trame des liens hypertextes qui relient les documents. Le concept de lien hypertexte fait passer de la géométrie euclidienne du réseau classique à la topologie, avec peu de regard sur l' espace géographique réel. Le passage d' un http://www.xyz à un http://www.abcd quelconque peut se faire sur un même fichier, sur un même disque dur, d' un serveur à l' autre dans la même armoire, où entre deux machines d' un bout à l' autre du monde. La prochaine version de Windows devrait comporter un moteur de recherche indifférent à la géographie des données, puisqu’il devrait explorer également le propre disque dur de l’utilisateur. Dans ces applications, c' est le couple interface graphique / lien hypertexte (écran et souris), qui donne l' illusion de la navigation. La complexité du réseau virtuel d' information ne donne pas moins le vertige que celle du réseau numérique de télécommunications. La complexité du Web se mesure en milliards de liens hypertextes et de documents. L' index de Google, le moteur de recherche le plus populaire actuellement, comporte plus de deux milliards d' adresses URL et recense, à la mi-2003, plus de 3 milliards de pages Web37 (source : www.google.com). Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg (le Web de surface). Selon Bernd Amann (CNAM-INRIA), ll y aurait 7500 térabits d’information sur le Web, dont 19 % sont accessibles aux moteurs de recherche38. La taille et la complexité du stock d' information augmente exponentiellement, compte tenu des caractéristiques de la numérisation : perfection et absence de limites de la duplication, rapidité de l' acheminement. Pour dire les choses simplement, c' est la mémoire de l' humanité qui est en passe d' être transférée sur les disques durs. Partout dans le monde, les grandes bibliothèques, les services d' archive, numérisent sans arrêt. Les mairies numérisent les cadastres, les ménages numérisent leurs albums de photos, les entreprises enregistrent et compilent les données commerciales etc. La géographie du réseau : le « cyber-espace » Comme l’écrit M. Castells (2001), l’Internet possède une géographie. Comme le montre G. Dupuy (2000), l' invisibilité qui domine les télécommunications en général et l' Internet en particulier ne doivent pas induire en erreur : le « cyberspace » n' est qu' une métaphore ; tout ce qui se passe sur l' Internet est doté d' une spatialité réelle et mesurable dans la métrique euclidienne. Le géographe est limité dans ses ambitions par la disponibilité des données. Les opérateurs sont très discrets sur la localisation de leurs réseaux, et encore davantage sur les flux qui les parcourent. Par contre, Internet étant un système relativement ouvert, dans lequel les points de départ et d' arrivée des connexions peuvent être identifiés par des numéros de machine, des chercheurs ont pu dresser des cartes, certes partielles, des flux internet et de la topologie d' Internet. La meilleure approche de la variété et de la complexité des approches géographiques et cartographiques est le site de Martin Dodge, www.cybergeography.org et son Atlas of Cyberspace (avec Rob Kitchin, plus de 37 Rappelons qu' un page Web est en réalité un fichier, qui peut représenter plusieurs dizaines, voire centaines de pages de type traditionnel. 38 http://aristote1.aristote.asso.fr/Presentations/CEA-EDF2003/Cours/BerndAmann/Cours_1/cours1.pdf Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 43 300 cartes)39. Comme l' écrivent à juste titre les auteurs, il est facile de se perdre dans le « cyberspace ». Le mérite de Dodge et Kitchin est de mettre en évidence la variété des représentations géographiques auxquelles donne lieu l' Internet au sens large, en rapportant une très large gamme de recherches (tableau n° 5). Tableau n° 5. Les rubriques de l'Atlas du Cyberspace (www.cybergeography.org) Cables & Satellites Traceroutes Census Cartes des cables sous marins et liaisons satellites Tracés des connexions Internet, d' un ordinateur à l' autre. Statistiques sur le développement de l' Internet, noms de domaines, flux Topology Graphes, cartes en 3D, sur l' architecture de l' Internet Info Maps Cartographie de la navigation et de la recherche d' information ISP Maps Cartes de réseaux "dorsaux" des opérateurs, cartes de boucles locales Weather Maps Cartographie "en temps réel" des trafics internet Wireless Cartographie de la téléphonie mobile (zones de couverture…) Web Site Maps Cartes et graphiques de sites Web Surf Maps Visualisation de la navigation sur le Web Info Landscapes Visions plus ou moins anthropologisées et métaphoriques de la topologie du Web (le Web comme l' espace réel) Info Spaces Cartes et graphiques multidimensionnels de la navigation sur le Web comme dans un espace virtuel Geographic Cartes 2D et 3D, souvent métaphoriques, sur la géographie de l' Internet. Conceptual Représentations métaphoriques diverses de l' Internet, de l' économie des TIC etc. Artistic Images et représentations du cyberspace et de l' Internet à travers toutes formes de création littéraire et artistique : romans, films, dessins, 40 MUDs & Virtual Jeux de rôle sur territoires virtuels. Simulations. Worlds Historical Cartes et graphiques retraçant la naissance et la croissance de l' Internet Mais, comme l’écrit D. Pumain dans la revue des ouvrages de Cybergéo, et comme le reconnaissent les auteurs, une bonne partie des cartes qui figurent dans l’Atlas du Cyberspace ont surtout un intérêt exploratoire ou esthétique. Leur intérêt opérationnel est faible. Il faut nous attacher à une géographie du réseau dont on peut penser qu’elle a des effets tangibles sur l’organisation et les dynamiques des territoires, ou, pour le moins, qui en soit le reflet. For several thousand years humans have created maps of the world... The maps in the Atlas of Cyberspace are important as they are powerful in framing our conception of the new virtual worlds beyond our computer screens. More and more of our time and leisure and business activities are spent in virtual space and yet it is a space that is difficult to comprehend and mentally visualise. Moreover, it is a space in which it easy to get lost and confused. Many of the cyberspace mapping projects try give it spatial structure in order to make sense of it and the transactions that take place there. Because, with the exception of the supporting infrastructure - fibre-optic cables, servers, satellites and so on - cyberspace is composed of computer code with no material existence, the research underlying these new maps is also important as it is 39 40 L’essentiel des cartes est reproduit dans Mapping Cyberspace (Londres, Routledge). MUD : Multi-User Dimensions. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 44 Regard géographique sur le paradigme numérique pushing back the boundaries of cartography and how we interact with maps, creating interactive and dynamic representations which are light-years from the heavy leather bound paper atlases you' ll find in the local library. Some of the maps now have historical significance as they chart the development of old computer networks from decades ago that no longer exist. Other maps in this collection are simply beautiful to look at, possessing powerful aesthetic qualities in their own right. R. Kitchin et M. Dodge, présentation de l' Atlas du Cyberspace, www.kitchin.org/atlas. 2.1.3. Connectivité et téléaccessibilité : principes généraux et enjeux La définition de la ville comme un territoire dédié à la connexion (ou à la mise en relation) sous toute ses formes a été proposée par plusieurs auteurs, dont P. Claval et P. Veltz (1996), sans parler des auteurs anglophones comme S. Graham et S. Marvin (2001). Cette connexion, aussi bien sociale qu’économique, est parfois considérée comme l' essence de la ville en général et de la métropolisation en particulier. La mise en relation des agents sociaux et économiques passe par des solutions techniques de connexion. En matière de transport, on utilise volontiers le concept d' accessibilité pour quantifier - tant bien que mal - cette capacité de connexion. Le concept se transpose naturellement aux télécommunications. Nous utiliserons comme maints auteurs le concept de connectivité (ou télé-accessibilité) pour définir l' aptitude d' un territoire (ou d' un lieu donné au sein de ce territoire) à offrir aux acteurs (ménages, collectivités publiques ou entreprises) des solutions multiples, techniquement et financièrement adaptées à leurs besoins. La définition et la quantification de ce concept de connectivité sont malaisées, tant sont variés les besoins et les offres. Intuitivement, on conçoit que la commune rurale du Massif Central, qui est située dans une zone d’ombre du téléphone mobile, et où le seul accès à Internet disponible passe par le réseau téléphonique commuté (RTC), peut être définie comme peu ou mal connectée. Cette notion est suffisamment bien comprise pour que la disponibilité des réseaux et services de télécommunication soit devenue un enjeu d' aménagement du territoire, (Musso et al., 2002 ; Cassette, 2002). Une des difficultés majeures de l’analyse est qu’il n’y a pas d’accessibilité géographique en soi, mais un ensemble de contingences techniques, économiques et sociales qui font qu’en un lieu donné, à un moment donné, et pour un usage donné, un individu peut, ou ne peut pas, se connecter au réseau. Un degré de complexité supplémentaire est ajouté par la structuration en couches du réseau : l’infrastructure passive seule (cable, fibre) ne suffit pas à déterminer l’acessibilité. La géographie des transports fait également cette distinction, entre l' accessibilité infrastructurelle, qui dépend de la localisation par rapport au réseau, et l' accessibilité fonctionnelle, qui dépend de la disponibilité et de la qualité d' un service (horaire de passage des trains par ex., ou embouteillage). Ainsi, de la même manière qu’une ligne TGV n’est d’aucune utilité si le train ne s’arrête pas, la fibre optique n’apporte aucune connectivité si elle n’est pas activée par un opérateur (fibre noire). Un seul et même cable optique peut supporter des services différents, offrant des débits différents, à des prix différents, proposés par des entreprises différentes. L' accessibilité fonctionnelle a aussi une composante financière (pour l’utilisateur potentiel), culturelle et cognitive, qui s’exprime dans un contexte géographique donné. Si nous disons que tel ou tel village, tel ou tel quartier est mal connecté, c’est que ses habitants, ou ses PME, en moyenne, n’ont pas les moyens de s’offrir une liaison spécialisée à plusieurs centaines d’Euros par mois. La téléaccessibilité Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 45 d’un lieu reste une donnée toute relative, et mesurable « toutes choses égales par ailleurs ». Cette notion de connectivité ou de télé-accessibilité met en conflit les conceptions aréolaires et réticulaires de l' espace. On maîtrise aisément la notion de connexion à l' échelle d' une machine, voire d' un réseau localisé de machines. Mais que signifie, pour un territoire (ville, commune) être connecté, puisque, fondamentalement, la connexion en informatique et télécommunications ne met en jeu qu' une dimension linéaire et discontinue de l' espace ? (sauf, dans une certaine mesure, dans le cas des liaisons hertziennes). Comment peut se mesurer la connectivité ? Les réponses à ces questions ne sont pas simples, malgré le caractère outrageusement médiatisé du concept de connexion ou de « branchitude ». En tout état de cause, quel que soit le sens que l' on donne à ce mot, l' accessibilité dépend étroitement de l' architecture du réseau et de sa morphologie spatiale. Au delà de la démarche descriptive et interprétative, l’autre grande problématique de l’accessibilité au réseau numérique, fortement controversée, est celle des effets, parfois dits structurants, sur le dynamisme économique et social des territoires considérés. Avec, à la clé, des enjeux d’aménagement du territoire, à mesurer avec prudence. Le réseau numérique est fortement hiérarchisé, du fait du coût élevé des infrastructures longue distance, pour lesquelles les économies d’échelle sont déterminantes. La similitude avec le réseau routier (qui justifie la métaphore des autoroutes de l’information) est assez grande. On peut distinguer grossièrement : - réseaux longue distance nationaux et internationaux ; - réseaux de collecte régionaux et métropolitains ou MAN (metropolitan area network) ; - boucles locales ou LAN (local area network), et/ou maillon final utilisateur ou dernier kilomètre (the last mile)41. 2.2. L’organisation du réseau : les dorsales ou backbones 2.2.1. Principes généraux et concepts Les réseaux à longue distance sont des dorsales ou backbones optiques (le plus souvent) ou hertziens, dont les débits dépassent couramment le Gbits/sec., et approchent aujourd’hui le Terabits/sec. Les entreprises propriétaires de ces backbones nationaux ou internationaux sont en petit nombre. MCI-World Com et Cable & Wireless possèdent à eux seuls 70 % du backbone Internet mondial. Les principaux opérateurs français de dorsale sont France Télécom, 9 Télécom (ex LD Com) et Télécom Développement. Des débits croissants, des prix en baisse. Un fait décisif a été constitué par l’augmentation exponentielle des débits disponibles sur les « autoroutes de l’information », du fait, non seulement de la pose 41 Les distinctions ne sont pas très claires. On confond parfois boucle locale et maillon final utilisateur (local loop et last mile). Ex : boucle locale radio. D’autre part, le terme de boucle locale est aussi utilisé pour désigner certaines artères optiques d’agglomération. Le terme de backbone ou dorsale est parfois utilisé pour désigner l’artère principale des réseaux locaux à haut débit. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 46 Regard géographique sur le paradigme numérique de nouveaux cables sous-marins ou terrestres, mais aussi des technologies comme le multiplexage des longueurs d’onde (WDM ou DWDM), qui permet à chaque « couleur » (longueur d’onde) du spectre lumineux de supporter son propre canal de communication. De fait, le débit des fibres existantes peut être multiplié par un facteur de 10 à 100 et plus. En 1999, France Télécom a lancé le « European Backbone Network »(EBN), à 80 Gbits/sec., dont la capacité peut être étendue à 1,2 Tbits/sec. A terme, ce réseau doit desservir 250 villes en Europe, soit directement, soit par l' intermédiaire des partenaires internationaux de FT. L’interconnexion vers les Etats-Unis est assurée par le cable TAT 14 à 640 Gbits/sec., qui relie St Valery en Caux à New York. En service depuis 2001, TAT 14 est une boucle de 15 300 km fonctionnant suivant la technologie du DWDM à 16 canaux par paire de fibre, qui relie les Etats-Unis, le Royaume Uni, la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Danemark (figure n° 6). TAT 14 est géré par un consortium d’opérateurs internationaux (www.tat14.com). A côté des réseaux commerciaux, on trouve des dorsales publiques, comme le réseau de recherche Abilene, inauguré par le Vice-président Al Gore en 1998, dont les capacités ont été portées à 10 Gbits/sec. en 2003. L’équivalent européen d’Abilène est le réseau GEANT, dont le cœur est également à 10 Gbits/sec. (cf. infra, figure n° 16) La hausse de ces capacités, qui dépasse la croissance de la demande, a entraîné un effondrement des coûts de location de la bande passante42 (figure n° 7) avec un effet sur les prix des télécommunications de longue distance, et des conséquences non négligeables en terme de localisation des activités, que nous développerons ultérieurement. Figure n° 6 La boucle optique TAT 14 (www.tat14.com) 42 Certains opérateurs de services sont propriétaires de cables (ex : MCI). Mais c’est l’exception. La plupart louent de la capacité sur des cables. Il existe des « marchés de capacité de télécommunication », comme www.band-x.com, sorte de bourse électronique où s’échangent les minutes de capacité. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 47 Figure n° 7 Croissance de la bande passante et baisse des prix : exemple des liaisons transatlantiques (source : Telegeography Inc.). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 48 Regard géographique sur le paradigme numérique Installé le long des infrastructures autoroutières, le réseau de télécommunications de SANEF permet de relier entre elles la région parisienne et les grandes agglomérations du Nord et de l’Est de la France. Ses services de télécommunications : Supervision de boucles locales ; exploitation-maintenance de boucles locales ; liaisons spécialisées haut-débit (2 - 34 - 155 Mbits/s) ; vidéo surveillance ; Internet haut débit ; visioconférence – visiotéléphonie, téléphonie sur IP. Le réseau SANEF Télécoms c’est 1700 Km de câble optique, 165 bâtiments ou abris dédiés aux télécoms, 2 centres de calcul reliés par LS haut débit, 1350 bornes d’appel d’urgence, 154 pylônes de télécommunications, 1 poste central de supervision 24 H/24. www.sanef.com. Cet isomorphisme relatif entre le tracé des voies de transport terrestres et celui des autoroutes de l’information s’explique par le souci de diminuer les coûts d’implantation, notamment le génie civil (creusement des tranchées), qui peut représenter jusqu’à 90 % du coût d’un nouveau réseau. On est donc confronté à une sorte de rétroaction positive : les villes les mieux desservies par les transport, et en position de carrefour, sont également, toutes choses égales par ailleurs, les mieux connectées aux réseaux à haut débit, et donc susceptibles de voir le plus grand nombre d’opérateurs offrir des services de télécommunication compétitifs. Au contraire, les territoires à l’écart des grands axes, s’il veulent accéder à un réseau filaire à haut débit, devront se contenter probablement du réseau des opérateurs historiques, avec des risques de surcoût. C’est dans cette logique qu’interviennent des problématiques d’aménagement du territoire, qui seront développées ultérieurement. L'effet de tunnel et la matérialité physique de l'accès au réseau : les points de présence (POP, NAP) Des millions d' entreprises et de ménages, en France comme ailleurs, ont de la fibre optique « enterrée dans leur jardin », sans pouvoir y accéder, pas plus que les habitants du Morvan ne peuvent emprunter les TGV qui passent devant chez eux. C' est la définition même de l' effet de tunnel. Le point de présence nécessite une infrastructure physique (au minimum un local) susceptible d’abriter un répartiteur, qui est aux télécommunications ce que l’échangeur est aux autoroutes, permettant l' éclatement du trafic vers les boucles locales et l' utilisateur final44. Les cartes publiées par les principaux opérateurs nationaux et internationaux comme MCI montrent que seules les grandes villes et certaines villes moyennes possèdent ces points de présence ou POP (figure n° 8). Les petites villes qui ne possèdent pas un tel point de présence ne peuvent pas disposer de boucles locales à haut débit (sauf à installer un téléport pour bénéficier d' une liaison par satellite). Ainsi, la connectivité d' une ville peut être mesurée, entre autres critères, au nombre et à l' importance des POP qui y sont situés45. 44 Le dispositif qui permet l’échange du trafic entre plusieurs boucles est appelé un « brasseur » 45 Les points de présence sur les grandes dorsales optiques sont parfois appelés « points de raccordement opérateur ». Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 8 49 Point de présence opérateur et boucle locale PARIS 10 km GENEVE Backbone POP et PRO Boucle locale et raccordements clients MARSEILLE Comme nous l’avons écrit précédemment, de la fibre optique court le long des autoroutes et des voies ferrées. Dans le cas des autoroutes, l’accès potentiel est situé tous les deux kilomètres, dans des locaux techniques sommaires où sont situées les chambres de tirage des cables. Lors des travaux de construction des autoroutes, chaque échangeur est doté d’une plateforme prête pour abriter un point de présence opérateur46. Comme l’indique le document de la SANEF cité ci-dessus, les collectivités locales, zones d’activité ou entreprises qui sont situées le long d’une autoroute où d’une voie ferrée ont toutes potentiellement accès à des réseaux à haut débit. Mais pour que cette potentialité soit réalisée, il faut qu’un opérateur de boucle locale trouve un intérêt financier à se connecter sur la dorsale. A moins qu’une collectivité publique concernée prenne le relais. Nous développerons cette question dans le chapitre 5. Le problème de l’accès aux backbones hertziens se pose dans des termes comparables. Les puissants satellites géostationnaires de télécommunication peuvent être captés en n’importe quelle lieu de leur zone de couverture. Mais l’établissement d’une liaison de télécommunication suppose la création d’un signal remontant de puissance égale (à la différence de la TV, où il n’y a pas de signal remontant, donc une simple parabole suffit). Ceci suppose donc l’existence de puissantes stations terrestres d’émission-réception. D’où le concept de téléport, très en vogue avant le triomphe sans partage de la fibre optique47 : le téléport est un ensemble d’émetteurs et de récepteurs de forte puissance, qui constitue en quelque sorte un point de présence sur backbone hertzien. A charge, ensuite, aux opérateurs de boucle locale d’acheminer le transit vers les utilisateurs finaux. Compte tenu des débits atteints par la fibre optique, le satellite, en ce qui concerne les réseaux de données, est principalement voué à la desserte locale, où à la desserte de régions isolées, à l’écart des grands cables optiques (îles). 46 47 Précisions indiquées par S. Lafaurie, sté. Technoman Ingénierie. Beaucoup plus sûre et dont les débits sont bien supérieurs. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 50 Regard géographique sur le paradigme numérique 2.2.2. L'interconnexion des réseaux. Le rôle du peering et des GIX (Global Internet eXchange Point) Un degré supplémentaire dans l' appréciation de la connectivité d' une ville est la prise en compte de l' interconnexion des réseaux. La comparaison avec les transports est facile. En matière de transport, l' accessibilité se mesure non seulement par le débit des infrastructures, mais aussi par le nombre des relations offertes vers d’autres lieux (concept de carrefour ou de hub). On est ici au cœur du concept de centralité. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le vieux schéma ferroviaire français « pour aller de Lyon à Nantes, il faut passer par Paris » est transposable au domaine de l' Internet. En effet, il ne suffit pas à un utilisateur d' être situé sur, ou raccordé à, un backbone d' un opérateur donné. Encore faut-il que ce backbone soit lui même raccordé aux réseaux de la concurrence. Sinon, un abonné de NC Numéricable ne pourrait pas échanger des emails avec son voisin de palier abonné à Wanadoo. Cette nécessaire interconnexion des réseaux se réalise en un petit nombre de lieux, les GIX (Global Internet eXchange point), où s' effectue le peering, c' est à dire l' échange de trafic entre opérateurs (figure n° 11). L' étymologie du mot vient de ce que, à l' origine, seuls les opérateurs se considérant mutuellement comme « pairs », c' est à dire égaux, s' échangeaient le trafic internet par l' intermédiaire d' accords bilatéraux. Cet échange des données se réalise dans des lieux bien particuliers, les centres de colocation (Malecki, 2002-b ; Moriset, 2003-c) où sont connectés les uns aux autres les serveurs des opérateurs. Les GIX sont des structures juridiques, sorte de consortiums d’opérateurs, qui assurent l’interconnexion de plusieurs nœuds Internet majeurs au sein d’une ville, reliés entre eux par des liaisons Ethernet à très haut débit. Du point de vue des services en télécommunications, les GIX désignent le sommet de la hiérarchie urbaine. Ainsi, dans le cas français, il en existe deux à Paris (PARIX et SFINX), et un en cours de constitution à Lyon (Lyonix). Ainsi, plus encore que le nombre de POP, la connectivité d' une ville se mesure par la capacité offerte aux opérateurs présents de réaliser du peering. Car le peering permet aux données échangées entre les clients de cette même ville d' emprunter le plus court chemin, au lieu de passer par un point d' échange éloigné de plusieurs centaines ou milliers de km. L' importance de la topologie du réseau et de la localisation des POP et GIX peut surprendre, car la croyance est communément répandue que la vitesse à laquelle circule l' information au sein de la fibre optique efface le concept de distance. En fait, la distance, et plus encore la topologie du réseau ralentissent bien le trafic et augmentent les coûts comme dans les transports terrestres. Les routeurs et répartiteurs peuvent être considérés comme des points de rupture de charge, dont la multiplication, bien plus que la distance, augmente le temps de réponse (le « ping ») entre deux machines. Ce temps de réponse (plusieurs centaines de millisecondes parfois) peut être rédhibitoire pour certaines applications qui, plus qu' un débit élevé, réclament un temps de réponse très faible : téléphonie sur Internet (voix sous IP)48, visio-conférence, télévision sous IP, jeux en ligne, téléchirurgie. Par ailleurs, le nombre de routeurs à franchir augmente exponentiellement le risque de coupures et de pannes. 48 Dans les usages habituels de l' Internet, les données circulent par paquets, séparés les uns des autres. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 51 L' exemple de Lyon est révélateur (cf. tableau n° 6) : en 2002, du fait d' un GIX en phase de démarrage seulement, 55 % des connexions entre sites lyonnais devaient passer par Paris, 34 % par l' étranger (Washington, New york, Londres, Amsterdam), et 11 % seulement étaient acheminées directement (tests réalisés par Lyonix en juillet et août 2002, www.lyonix.net) Figure n° 9 Topologie du GIX "PARIX", Paris Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 52 Regard géographique sur le paradigme numérique Tableau n° 6. Exemples de traceroutes au départ de Lyon (www.lyonix.net) Serveur départ Tiscali Telecom Completel Tiscali Telecom Completel Tiscali Telecom Completel Vers Rhône Poulenc Universités de Lyon Merial Tiscali Telecom Completel RVI Boiron Bio Mérieux Aventis EM Lyon Completel GIX SFINX AS d'arrivée PSINet Europe SFINX RENATER Parcours Lyon-ParisLondres Lyon-Paris-Lyon Ping 27 ms TiscaliATT USA Sprint-ATT WorldNet PARIX France Telecom Lyon-Paris-New 616 York Washington ms LYNX SatelNet Lyon Grand Lyon LYNX SatelNet Lyon Completel Completel Chello WebCity Infogrames Grand Lyon SFINX SFINX Level3 Imaginet Imaginet SatelNet Lyon France Telecom CNRS Rhône FT Alpes Euronews FT Boiron FT Bio Mérieux Adecco RVI Lyon-ParisLondres-ParisLyon Lyon-ParisLondres-ParisLyon Lyon-Paris-Lyon Lyon-Paris-Lyon Lyon-ParisLondresWashingtonNew YorkAmsterdamParis-Lyon Lyon-Paris-LyonGrenoble Lyon-Paris-Lyon Lyon-Lyon France Telecom France Telecom RENATER Completel FT Lyon-Paris-Lyon Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 40 ms 40 ms 92 ms 239 ms 70 ms 53 Regard géographique sur le paradigme numérique 2.2.3. Géographie des réseaux dorsaux et hiérarchies urbaines Le déchiffrement du tracé des grands axes de télécommunications, de leurs lieux d’interconnexion et points de présence, permet dans une certaine mesure de dessiner une hiérarchie des villes. Mais cette analyse est à effectuer avec précaution. Les données sont peu fiables, et la gourmandise en bande passante d’une ville ou d’une aire métropolitaine n’est que partiellement corrélée avec la puissance de son économie, quel que soit son degré de « numérisation ». 2.2.3.1. L’exemple américain E. Malecki (2000 ; et avec S.P. Gorman, 2002), A. Townsend (2001 ; et avec M. Moss, 2000) se sont attachés à analyser, non seulement la carte des dorsales optiques, mais aussi celle des débits de dorsales cumulés. Le premier intérêt est descriptif. Il permet de mettre en valeur les points nodaux de l’espace géographique, du point de vue des télécommunications. Le tableau n° 7 montre à quel point, à la fin de la décennie 1990, les Etats-Unis apparaissaient comme le pivot du trafic Internet mondial, et le point de passage presque obligé entre l' Europe et l' Asie. Ces constatations ne sont pas dénuées d’enjeux stratégiques et économiques. Tableau n° 7. Débit Internet disponible sur les axes intercontinentaux (1999, Mbits/sec.). Source : Telegeography, cité dans Townsend 2001 Etats-Unis/Canada Europe Asie/Australie Amérique Latine Figure n° 10 Europe Asie/Australie 13 258 - 5 916 152 - Amérique Latine 949 63 0 - Afrique 170 69 3 0 Les points de présence (carrés) et data centers (cercles) de MCI en Amérique du Nord (www.mci.com) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 54 Regard géographique sur le paradigme numérique Les cartes publiées par Townsend (2001) montrent que le tracé des backbones Internet privilégie les grands carrefours et les portes d’entrée traditionnelles des Etats-Unis, qu’il s’agisse des lieux d’atterrissage des cables transocéaniques (New York, San Fransisco, Seattle, etc.) ou des hubs de l’intérieur, comme Chicago, Atlanta, Dallas, Denver… (figure n° 11). Ces faits sont confirmés par Malecki (2002b), qui propose un indice de débit cumulé rapporté à la population (tableau n° 8). Parmi les villes américaines les mieux placées, figurent certes des villes technopoles (Denver, Salt Lake City), mais qui sont d’abord des villes situées à des positions de carrefour intérieur, tout comme Atlanta, Dallas, Las Vegas… On retrouve donc la même organisation en hub and spoke que celle du réseau de transport aérien (les nœuds Internet coincident avec les grands aéroports). Le tracé du réseau Abilène (figure 12), qui est une dorsale parmi d‘autres, montre bien quelles sont les villes carrefours de ces réseaux longue distance à haut débit. Figure n° 11 Les backbones Internet aux E.U. en 1999 (Townsend, 2001-1, p. 48) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 12 55 Le réseau Abilène (source : http://abilene.internet2.edu) Dans le même fil d’idée, Townsend (2001-2, p. 55) identifie des villes « branchées » (New Network Cities) qui appartiennent presque toutes à la Sun Belt, et figurent au sommet du classement de la « nouvelle économie » établi par le Progressive Policy Institute (The Metropolitan New Economy Index, Atkinson et Gottlieb, 2001). Au contraire, les villes du Vieux Sud mal développé, du Middle West et de l' Est manufacturier, à la fois peu connectées et peu présentes dans l' économie de l' Internet sont considérées par Townsend comme des Blackholes (Détroit, Philadelphie, Cleveland, Saint-Louis…). Ce que Townsend appelle les « villes globales installées » (New York, Chicago, Los Angeles) occupent une situation intermédiaire. La nature diversifiée de leur tissu économique et l' importance de la population, expliquent que les statistiques, en valeur relative, apparaissent comme moins flatteuses. Une idée intéressante, développée par Townsend (op.cit.) est d’étudier la distribution du nombre de dorsales présentes dans chaque ville, par la relation rangtaille. Le graphique (figure n° 13) montre nettement un décrochage, qui s’aggrave entre 1997 et 1999 entre les sept premiers hubs et le reste des villes. Ce qui tendrait à accréditer la thèse d’une polarisation métropolitaine de la présence des réseaux à très haut débit. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 56 Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 13 La distribution rang/taille du nombre de backbone présents dans les grandes villes américaines (Townsend, 2001-1, p. 49). Tableau n° 8. Débits disponibles cumulés rapportés à la population dans 32 aires métropolitaines américaines (Mbits/secs. pour 1000 hab.). Source : Malecki, 2002-b (moyenne : 19.83). Salt Lake City Kansas City Tulsa Denver Atlanta Dallas Seattle Portland Las Vegas Orlando San Francisco Austin Washington Cleveland St. Louis Indianapolis 68.72 50.85 44.40 40.34 38.68 37.39 31.60 31.26 30.71 29.66 29.35 28.69 28.29 27.76 26.87 25.69 Sacramento New Orleans Charlotte Chicago Houston Phoenix San Diego Tampa Boston Philadelphia New York Miami Pittsburgh Minneapolis Detroit Los Angeles 25.67 25.11 25.01 24.95 17.91 15.22 14.91 13.30 13.24 12.36 11.60 11.35 10.80 10.35 9.74 8.77 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 57 2.2.3.2. La hiérarchie européenne La géographie européenne des réseaux dorsaux, analysée par Malecki (2002-b), ainsi que la carte dressée par Telegeography Inc (www.telegeography.com, figure n° 15) fournissent, comme dans le cas des Etats-Unis, une assez bonne image du paysage métropolitain européen. La superposition des cartes établies par les opérateurs des réseaux européens montre une nette opposition centrepériphérie. Les réseaux dorsaux sont nombreux et denses au cœur de ce qu' on appelait parfois la « banane bleue ». Les grands carrefours européens historiques, qui datent du Moyen Age et au delà, sont aujourd' hui les plaques tournantes du réseau Internet. Londres et Paris, bien sûr, mais aussi Amsterdam, Francfort, Hambourg, Bruxelles, Genève, Milan, etc. La carte des POP de MCI en Europe va dans le même sens (figure n° 14). La hiérarchie présentée par Malecki (tableau n° 9) rappelle les travaux de l’équipe Brunet sur le « classement des fonctions internationales des villes européennes », ainsi que les analyses plus récentes pour la DATAR (Rozenblat et Cicille, 2003). La remarque faite à propos des Etat-Unis reste valable : les villes carrefours de transport, notamment aérien, le sont aussi pour l' Internet. Les régions traditionnellement décrites dans la littérature comme périphériques sont beaucoup moins bien desservies, notamment au sud (Portugal, midis espagnol et italien, Grèce) et à l' Est (nouveaux pays membres de l' UE). Par ailleurs, on voit apparaître des espaces oubliés par les réseaux qui se rattachent à un ensemble appelé parfois la « diagonale des vides », des solitudes scandinaves à la Meseta ibérique, en passant par les Ardennes et le Massif Central. Une autre démonstration de cette opposition centre - périphérie est fournie par le réseau pan-européen de recherche à très haut débit GEANT, qui fournit aux pays un accès dont le débit diminue en même temps que la centralité géographique. Les pays qui constituent le cœur de réseau sont reliés à 10 ou 2,5 Gbits/sec., tandis que les pays plus périphériques ne disposent "que" de 622 ou 155 Mbits/sec49 (figure n° 16). Figure n° 14 Des capitales européennes ? Les points de présence (carrés) et data centers (cercles) de MCI en Europe (www.mci.com) 49 GEANT a été mis enservice en décembre 2001 par un consortium qui regroupe 27 réseaux de recherche et d' éducation européen. 3000 institutions d' enseignement de recherche y ont accès par l' intermédiaire de leurs réseaux nationaux (comme RENATER en France). GEANT doit être connecté à ses homologues étrangers que sont Abilene aux EtatsUnis et SINET, KOREN, SingAREN en Asie. www.dante.net/geant Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 58 Regard géographique sur le paradigme numérique Tableau n° 9. La hiérarchie des villes européennes : nombre de réseaux "backbones" Internet (Source : Telegeography, cité par Malecki, 2002-b) Londres Amsterdam Francfort, Hambourg, Paris Berlin, Bruxelles, Düsseldorf, Milan, Munich, Zürich Genève, Madrid, Stockholm Marseille, Oslo Barcelone, Copenhague, Lyon, Strasbourg, Stuttgart Vienne Bordeaux, Cologne Bilbao, Dublin Rotterdam, Valence Anvers, Dresde, Goteborg, Hannovre, Leipzig, Nuremberg, Toulouse, Turin Bales, Helsinki, Prague Manchester, Rome Birmingham, Brème, Budapest, Edimbourg, Lille, Varsovie Bristol, Leeds, Malmöe, Moscou Belfast, Berne, Bonn, Bratislava, Lisbonne, Porto, Tallin Figure n° 15 20 19 18 17 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 Carte de la connectivité globale en Europe occidentale. Source : Telegeography Inc. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 16 59 L’opposition centre-périphérie en Europe : le réseau de recherche paneuropéen GEANT (source : www.dante.net) 2.2.3.3. Quelques enseignements sur le cas français Les cartes fournies par les opérateurs de télécommunications alternatifs à France Télécom ont été synthétisées en 2002 par l’Observatoire Régional des Télécommunications (ORTEL), dans l’Atlas des réseaux de Télécommunications et de l’usage des PME. (www.ortel.fr, figure n° 17). L’accès des territoires à ces réseaux apparaît comme très inégal. On retrouve la fameuse et controversée « diagonale du vide » : Pyrénées, Massif Central, Plateau de Langres, Vosges, Ardennes, à laquelle il faut ajouter le Finistère breton. Si on comptabilise le nombre d’opérateurs présents dans les agglomérations, on obtient un reflet partiel de la hiérarchie urbaine. Lyon, Marseille et Lille conservent leur rang (presque tous les opérateurs sont présents). Mais cette géographie des réseaux n’est pas seulement le reflet des densités démographiques et économiques. On peut aussi interpréter cette carte comme le résultat de facteurs Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 60 Regard géographique sur le paradigme numérique géographiques au sens propre du terme, aggravés par des facteurs techniques. Les dorsales Internet des opérateurs internationaux (Cable & Wireless, Tiscali, MCIWorld Com, Colt) ou nationaux (9 Télécom, ex-LD Com) ont tendance à former des boucles (cf le cable TAT 14 évoqué ci-dessus), qui évitent le centre (Massif Central) ou les appendices (Finistère) du territoire. De fait, Grenoble, Clermont Ferrand, Limoges ou Brest, sont moins pourvues en dorsales que des villes de taille comparable, mais situées sur de grandes voies de passage. Figure n° 17 Le réseau français des opérateurs alternatifs (Source : ORTEL,www.ortel) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 61 Une esquisse de bilan critique sur la géographie des dorsales Internet Les recherches sur la spatialité des dorsales optiques et autres « autoroutes de l’information » sont à bien des égards séduisantes. Mais la démonstration de leur caractère opérationnel, à notre avis, reste largement à entreprendre. Le premier mérite de ces analyses est de sortir de l’ombre (ou plutôt de l’eau ou de terre) la spatialité de réseaux dont personne ne peut nier le rôle vital dans le fontionnement de la société. Mais ces analyses ont-elles un intérêt autre que descriptif ? La réponse doit être nuancée. Il ne faut pas tomber dans le piège du déterminise technologique : les logiques économiques font que c’est en général la bande passante qui va vers l’activité économique, non l’inverse. Nous ne connaissont qu’une exception à ce principe, celle du secteur très particulier des services d’hébergement et de colocation (data centers, hotels de télécommunication). On verra rarement un territoire manquer un investissement pour cause première de déficit de connectivité numérique. L’offre en services de télécommunications présente sur un territoire est rarement un facteur premier de choix de localisation. Comme l’écrit E. Malecki à propose des espaces ruraux (2003, p. 212), le développement local est surtout une question de ressource humaine, bien plus que de technologie. Les établissements qui exigent des débits de connexion très élevés (p. ex. centres de recherche, sièges administratifs, centres de traitement de données) recherchent en premier lieu une main d’œuvre qualifiée, qu’elle ne peuvent trouver en quantité suffisante qu’à proximité des grands centres. Toutefois, on peut concevoir que l’éloignement par rapport aux grandes artères optiques (et donc la rareté ou l’insuffisance des boucles locales) soit un handicap pour le développement de petits établissements ruraux sous-traitants, voire pour des télétravailleurs, qui ne pourront pas se connecter efficacement avec les donneurs d’ordre. Nous verrons que ce problème relève plutôt de la boucle locale. Enfin, les effets économiques ou structurants éventuels de ces infrastructures sont aujourd’hui limités par la surcapacité générale des dorsales optiques. Ainsi, il devient de plus en plus douteux d’inférer des dynamiques économiques réelles à partir de débits potentiels. Il n’est même pas sûr que les données sur les trafics réels soit plus précieuses, car elles ne préjugent en rien de la localisation des utilisateurs (le même biais, en matière de transport, serait de déduire une activité économique locale à partir du trafic d’un hub aérien). Comme l’écrit A. Townsend, ce qui est important, c’est la qualité (et le prix) du service délivré à l’utilisateur final, pas le chemin que prend l’information. What is of interest to urban scholars is not the physical pathway, but the endpoints connectivity pack, but tt tt tt t t Td (t)Tj 2.7617 0 Td ( )Tj 4.5628 0 Td (t)(t)Tj 2.39 3.12187 0 Td (é)Tj 4.9 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 62 Regard géographique sur le paradigme numérique 2.3. Le problème de la connexion à l'échelle locale The greatest challenge of these multiplying telecommunications firms in global cities is what is termed the problem of the ‘last mile’: getting satelite installations, optic fibre ‘drops’ and whole networks through the expensive local loops, under te roads and pavements of the urban fabric, to the building and sites of target users. Graham, 1999, p. 937. Figure n° 18 Modèle de boucle métropolitaine (Source : LD Com) Comme S. Graham l’a parfaitement identifié, le problème clé du téléaccès est la connexion des utilisateurs finaux aux backbones optiques ou hertziens, dite parfois « boucle locale » ou « last mile », qui dépend du degré de capillarité du réseau. C’est la capillarité qui donne au réseau sa dimension territoriale. D' elle dépendent le nombre et la dispersion spatiale des utilisateurs. Pour prendre une comparaison dans le domaine des transports, le réseau des chemins communaux et départementaux est très capillaire, celui des autoroutes l' est moins, et celui des lignes TGV encore moins.. Dans le domaine des télécommunications hertziennes, le concept de capillarité (réticulaire) s’efface au profit de la notion de zone de couverture, à partir de l’émission de satellites, éventuellement relayée par des pylones et antennes. Il faut donc que des réseaux secondaires viennent se connecter aux autoroutes de l’information pour alimenter les millions d’utilisateurs finaux. En l’état actuel des choses, le seul réseau final doté d’une capillarité presque totale est la paire de cuivre du réseau téléphonique commuté (RTC), qui appartient aux opérateurs historiques (France Télécom, Deutsche Telecom, les Bell Companies, AT&T etc.) après plusieurs dizaines d' années et de milliards d' euros ou de dollars d' investissements continus. Ces réseaux téléphoniques historiques sont supportés par un réseau optique dense : France Télécom possède 2,3 millions de km de fibre optique, qui desservent presque toutes les petites villes. Les opérateurs historiques possèdent donc un énorme avantage sur leurs concurrents, qui ne possèdent pas d’un accès général à la boucle locale. Ceci a justifié la procédure dite du dégroupage, exigée par les autorité de Bruxelles, dont l’objectif était de mettre en concurrence les opérateurs, sur une base égale. Lancé en France en 2001, le dégroupage donne aux opérateurs alternatifs la possibilité Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 63 d’accéder aux répartiteurs des opérateurs historiques comme France Télécom (12 000 répartiteurs en France), et de proposer sur la paire de cuivre, non seulement de la téléphonie classique, mais aussi de l’accès à Internet de type ADSL, de la téléphonie sous IP, de la télévision sous IP50. 9 Telecom (groupe LD Com), par exemple, qui possède 19 000 km de réseau optique en France, peut ainsi connecter ce réseau sur la paire de cuivre des clients. En 2004 est apparu le dégroupage total, par lequel l’opérateur alternatif loue la totalité de la ligne : l’abonné qui le souhaite perd toute relation avec l’opérateur historique. Le dégroupage (qui dépend de l’initiative des opérateurs alternatifs) progresse lentement : au 1er mars 2004, selon l’ART, il y avait en France 359 000 lignes dégroupées, dont 4500 en dégroupage total. La carte publiée par l’ART (figure n° 19) montre que les opérateurs dégroupent en priorité dans les départements fortement urbanisés. Une fois de plus, on constate que le Massif Central et la Bretagne restent à l’écart du phénomène51. De fait, l’égalité spatiale d’accès au réseau a été rompue par la multiplication des offres alternatives. Dans les grandes villes, les opérateurs privés se sont empressés de profiter du dégroupage. Ces même opérateurs ont déployé des réseaux de collecte métropolitains, qui desservent des quartiers d’habitation ou des zones d’activité. Les logiques privées d’écrémage du trafic, privilégiant les zones les plus peuplées et les plus dynamiques économiquement, ont donc créé un problème d’aménagement du territoire. 50 France Télécom a résisté au dégroupage, refusant l’idée suivant laquelle son réseau appartient à la collectivité nationale, arguant du fait que le réseau n’a jamais été financé par le budget général de l’Etat, que la dette résultant de l’appel aux marchés financiers à partir de 1970 a entièrement été transférée à la société anonyme France Télécom et que FT, depuis qu’elle est indépendante de l’Etat, a investi 22 milliards d’Euros dans le développement du réseau fixe (Forissier, 2002) 51 La conséquence concrète de l’absence de dégroupage est, par exemple, que la seule offre ADSL disponible est celle de France Télécom. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 64 Figure n° 19 Regard géographique sur le paradigme numérique L’état du dégroupage de la boucle locale en France, en mars 2004 (en bleu : aucun site dégroupé). Source : ART, www.art-telecom.fr A la fin des années quatre-vingt-dix, la grande majorité des particuliers et des entreprises devaient se contenter d’un accès à Internet par RTC, ou de liaisons numériques de type Numéris, dont les débits sont limités (128 Kbits/sec.). La seule alternative était offerte par le cable TV, extrêmement répandu aux E.U. (70% des foyers équipés), alors qu’il n’équipe qu’une minorité des locaux d’habitation en Europe, et notamment en France. Aujourd’hui, on est confronté à un « foisonnement technologique et commercial », chaque technologie offrant une « équation technico-économique propre » (Observatoire des Télécommunications dans la ville, 2001, p. 3). Le développement de l’ADSL, du cable, des solutions hertziennes, ont brouillé la donne. Par ailleurs, il faut aussi considérer le rôle de la téléphonie mobile troisième génération (UMTS), qui devient une solution d’accès viable aux services numériques autres que la téléphonie, notamment l’accès à l’Internet. Avant d’étudier les différentes solutions offertes pour « l’accès final utilisateur » (last mile), il convient d’aborder les réseaux de collecte métropolitains ou Metropolitan Area Network (MAN), qui ont un statut intermédiaire au sein d’un hiérarchie qui s’accomode mal d’une classification stricte des échelles. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 65 2.3.1. Les réseaux de collectes métropolitains Dans la plupart des grandes agglomérations, les opérateurs ont implanté des réseaux de fibre optique qui desservent directement les clients les plus gourmands en bande passante : centres de recherche, sièges sociaux des grands groupes, entreprises de média, banques... Fin 1999, selon Graham, Londres ne comptait pas moins de six réseaux concurrents (BT, Colt, Worldcom…). Lorsque des opérateurs de réseaux longue distance, comme WorldCom (aujourd’hui MCI), investissent dans la boucle locale, c’est aussi un moyen d’alimenter en trafic leurs backbones intercontinentaux. Dès 1997, WorldCom déployait des réseaux locaux dans 45 villes américaines, et dans les plus grands centres d’affaire européens, comme Londres (180 km), Francfort (37 km) Paris… (Graham, 1999). En 2002, Colt Télécom possédait 32 boucles métropolitaines en Europe, connectées sur un réseau dorsal de 15 000 km (source : colt-telecom.fr). En France, 9 Télécom possède 30 boucles métropolitaines qui alimentent un réseau dorsal de 18 000 km (www.neuf.com/Societe/fr/ reseau.html). Cable and Wireless, le deuxième opérateur au monde de backbone Internet, opère à Paris une boucle optique de 2,5 Gbits/sec., qui relie ses principaux centres de données, de gros clients, et le point de peering/GIX de Telehouse (figure n° 20). Cette stratégie permet aux opérateurs d’offrir aux grandes entreprises une gamme complète de services voix et données dits « sans couture », modulables à la demande et parfaitement sécurisés. Certaines entreprises qui ne possèdent pas d’infrastructures longue distance sont dites « opérateurs de boucle locale », comme Complétel, qui a mis en œuvre en France neuf réseaux locaux, pour 2000 km de longueur totale, à Paris, Lille, Lyon, Marseille/Aix-en-Provence, Grenoble, Toulouse, Nice / Sophia-Antipolis, Nantes et Strasbourg/Colmar/Mulhouse (www.completel.fr/). Complétel offre à des entreprises, moyennes ou grandes (470 clients à Lyon par exemple), une offre complète de services, avec des débits sur mesure qui peuvent dépasser 80 Mbits/sec. Comme pour les infrastructures nationales ou internationales, ces boucles métropolitaines empruntent les infrastructures de transport existantes : égoûts, métro, lignes de tramway... Les sociétés de transport locales (ou les collectivités), comme les concessionnaires d’autoroutes, louent aux opérateurs des emplacements dans les gaines susceptibles de recevoir les cables optiques. A Lyon, par exemple, une structure particulière, la division des fourreaux urbains, est chargée de cette commercialisation. On retrouve donc une opposition centre-périphérie : les quartiers centraux, non seulement possèdent la plus grosse densité de clients gourmands en haut débits, mais sont également les plus facile à cabler, car ils possèdent la plus grosse densité d’infrastructures de transport en site propre (cf. figure n° 21). Lorsque les collectivités locales estiment que l’offre privée est insuffisante, elles financent elle-même la construction de réseaux de collecte et de boucles locales métropolitaines, comme dans le département du Rhône, en Banlieue parisienne, à Toulouse, Castres, Pau… pour ne citer que des exemples français. Cet aspect sera plus longuement développé dans le chapitre 5 consacré aux politiques publiques. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 66 Regard géographique sur le paradigme numérique 52 Figure n° 20 Le réseau MAN parisien de Cable and Wireless Figure n° 21 Les boucles optiques locales et la localisation des entreprises de télécommunication : exemple de Lyon en 2002 (source : Grand Lyon et Moriset 2003-b d’après enquète et cartographie S. Lafaurie) 52 SDH : Synchronous Digital Hierarchy. C’est avec son homologue américain SONET (Synchronous Optical NETwork) le standard dominant pour les réseaux optiques à haut débit. Une documentation détaillée est accessible sur le site de l’International Engineering Consortium, www.iec.org/online/tutorials/sdh/index.html. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 67 2.3.2. Les technologies filaires de type Cable et xDSL Aux Etats-Unis, où 70 % des foyers sont raccordés, le cable TV est devenu le principal mode d’accès Internet à haut débit. En France, 1462 communes sont cablées (sur 36 000). Aussi le cable est-il resté très minoritaire. Selon l’ART, 13% des foyers français sont abonnés à un réseau câblé et, au 30 juin 2002, le câble comptait 233 000 abonnés à Internet contre 650 000 abonnés ADSL. Depuis, l’écart s’est considérablement creusé, puisque l’ADSL comptait 3 millions d’abonnés fin 2003, et représentait 89% des connexions à l’Internet haut débit (sur un total de 10 millions de foyers connectés à Internet, www.zdnet.fr/actualites/internet/0,390207 74,39134549,00.htm)53. Les technologies de la famille dite « xDSL » (Digital Subscriber Line, cf. tableau n° 10) utilisent les potentialités de la paire de cuivre du téléphone qui alimente chaque foyer, au moyen d’un modem installé chez le client, et d’un DSLAM (Digital Subscriber Line Access Multiplexor) installé auprès du repartiteur de l’opérateur historique qui possède54 la boucle locale. Les technologies DSL offrent deux avantages majeurs : la ligne téléphonique reste disponible pendant la connexion, la durée de connexion est illimitée55. La technologie ADSL actuellement offerte en France par France Télécom et des opérateurs alternatifs comme 9 Télécom, Colt, Free… est dite asymétrique car elle offre des débits de 500 Kbits/sec. à 1 Mbit/sec. en voie descendante, contre 128 à 256 Kbits/sec en voie montante (en général, les utilisateurs ordinaires utilisent beaucoup plus la voie descendante (charger des fichiers, consulter le Web) que la voie montante (envoyer des courriers électroniques). Rappelons que la notion de haut débit est relative : l’ADSL est considéré comme du haut débit pour le service au particulier, mais les services professionnels ne sont en général considérés comme à « haut débit » qu’au delà de 2 Mbits/sec. Et cette notion est très évolutive. Toutefois, des services de très haut débit (16 Mbits/sec) pourraient être offerts par France Télécom dès 2005 (ADSL 2+) pour les utilisateurs situés à proximité d’un central. L’ADSL n’est pas disponible partout : pour des raisons de rentabilité, France Télécom, et a fortiori les opérateurs alternatifs, ne proposent le service que dans les villes de plus de 10 000 habitants, environ, soit 25% des communes et 75% de la population (figure n° 22). Les performances et la qualité des technologies DSL décroissent avec la distance à partir du répartiteur (tableau n° 10), ce qui pénalise les zones rurales et péri-urbaines (Observatoire des télécommunications, 2001 ; Forissier, 2002). Toutefois, France Télécom subit des pressions amicales de la part des élus et reponsables politiques, pour étendre sa zone de couverture ADSL, qui, en France, devrait devenir de facto un nouveau « standard » d’accès minimum au réseau numérique. Ce qui suppose un partenariat avec les collectivités locales. France Télécom accélère le déploiement de l’ADSL pour couvrir 90% de la population française en 2005 en équipant toutes les zones de desserte de plus de 1000 lignes téléphoniques et en installant d’autres accès dès que 100 clients d’une même zone de desserte en feront la demande. 53 Un des inconvénients du cable est que le débit est partagé pour tous les utilisateurs connectés simultanément à la même tête de réseau (300 à 600 abonnés), ce qui peut ralentir notablement les débit aux heures de pointe. 54 Ou qui possédait, cf. le dégroupage total. 55 Ne pas confondre durée de connexion et temps de transit effectif. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 68 Regard géographique sur le paradigme numérique Pour que chacun puisse bénéficier d' une solution Haut Débit, France Télécom complète la couverture avec des offres satellite et lance des expérimentations innovantes, dont le couplage satellite + WiFi qui sera testé à Neulise dans la Loire dès cet automne. France Télécom a annoncé, le 06 janvier 2004, l' initiative "Départements Innovants" … propose, à chaque département, la signature d' une convention de partenariat, adaptée aux besoins de son territoire. Dans le cas d' un accueil favorable par l' ensemble des départements, le taux de couverture en ADSL pourrait atteindre 90% de la population dès fin 2004 et s' approcher de 95% fin 2005. www.francetelecom.com/fr/votre_region/lyon/connaitre/entreprise-sur-laregion/amenagement-territoire/acces_hauts_debits/ Figure n° 22 Zones couvertes par les offres DSL en France fin 2002 (source : ORTEL) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 69 Regard géographique sur le paradigme numérique Tableau n° 10. Comparaison des technologies « DSL Télécommunications dans la ville, 2001, p. 3) » (Observatoire des Bande Passante Mode de transmission Distance Maximum1 1 Mbps 128 Kbps Asymétrique 5,4 Km 1,5 Mbps 512 Kbps Asymétrique 5,4 Km 6 Mbps 640 Kbps Asymétrique (DMT) 5,4 Km HDSL 2 Mbps Max. Symétrique (2B1Q/CAP) 3,6 Km SDSL 2 Mbps Max. Symétrique (2BQ1) 2 Km RADSL 2 Mbps Max. 640 Kbps Max. Montant Asymétrique Jusqu’à 6,4 Km VDSL 53 Mbps Max . Max. Asymétrique (CAP/DMT) 1,5 km (13Mbps) 1 Km (26-Mbps) 500 m (500-Mbps) Technologie Nom complet CDSL ADSL Lite ADSL Montant ADSL light Montant Montant 2,3 Mbps Montant 1 Distance maximale du central téléphonique à l’installation du client. Les limites de distance peuvent varier suivant le diamètre des paires de cuivre utilisées. 2.3.3. Les courants porteurs en ligne (CPL) ou « boucle locale électrique » Cette technologie en phase d’expérimentation consiste à séparer les signaux à basse fréquence (courant alternatif) et les ondes de haute fréquence sur lesquelles transitent les données numériques. Le fonctionnement des équipements électriques n' est pas perturbé. Les débits possibles vont de 4 à 45 Mbits/sec. Grâce à un modem (qui peut être déplacé), toute prise électrique devient un point d’accès à Internet. Un des gros avantages des CPL est qu’ils permettent de desservir un ou plusieurs immeubles (immeuble de bureau, établissement scolaire) sans aucun travail de cablage. Fin 2003, 15 000 personnes en Europe seraient connectées au « Net » via les CPL (http://vlan.org/breve254.html). Selon Schneider Electric, une des principales sociétés impliquées en France dans le développement des CPL, cette technologie pourrait s’emparer de 10 % du marché à l’horizon 2010. Des expériences sont en cours, comme dans le département de la Manche56, où le Conseil général a investi 74 millions d’Euros depuis 2003 dans la création d’une boucle locale électrique. Après de premiers essais en 2003 à la Haye-du-Puits dans le Cotentin (2 500 habitants), l’expérience a été étendue à Cherbourg et St-Lô, avec le soutien de la DATAR. Les 57 collèges du département sont déjà reliés à cette boucle départementale (www.zdnet.fr/actualites/technologie/imprimer.htm?AT=39122511-39020809t39000761c). Les CPL sont à moyen terme une alternative supplémentaire offerte aux territoires ou aux lieux (immeubles anciens impossibles à cabler p. ex.) qui ne pourront pas disposer d’infrastructures filaires puissantes. 56 Qui bénéficie notamment du passage du backbone MCI. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 70 Regard géographique sur le paradigme numérique 2.3.4. Les réseaux sans fil : boucle locale radio, WiFi, Satellite Les réseaux hertziens offrent des perspectives intéressantes pour les zones de faible densité, où les opérateurs ne peuvent espérer rentabiliser des infrastructures filaires onéreuses. Mais les solutions sans fil opposent à l' utilisateur un problème commun, celui de la bande passante remontante (ou en émission). Les technologies hertziennes apparaissent comme des solutions séduisantes pour la création de micro-réseau locaux, à l’échelle d’un immeuble, d’un quartier ou d’un village, qui permettent de mutualiser un accès à un réseau plus puissant, faisceau satellite ou réseau optique de collecte. Plusieurs technologies ont été envisagées. Aujourd' hui, les perspectives majeures sont ouvertes par les transmissions bidirectionnelles par micro-ondes (WiFi), et par les nouvelles technologies satellitales bi-directionnelles, dont les prix deviennent abordables pour les petites entreprises ou des collectivités rurales. La boucle locale radio (BLR) permet de recevoir des services Internet, mais aussi de la téléphonie, à des débits qui peuvent dépasser 150 Mbits/sec. à condition de ne pas être éloigné de plus de 4 km (26 GHz) ou 15 km (3,5 GHz) d’une station émettrice, et de disposer d’une antenne à vue de l’émetteur (en général sur le toit de l’immeuble). En 2000, en France, deux licences avaient été accordées à deux opérateurs nationaux, Firstmark, et Fortel qui s’étaient engagés à une couverture du territoire correspondant à 58 et 85 % de la population en 3,5 GHz ou 34 et 60 % en 26 Ghz (source : ART, www.art-telecom.fr/dossiers/blr/index-blr.htm). Fin 2003, il y avait trois opérateurs en métropole : 9 Telecom, Altitude Télécom et Broadnet France. Fin 2002, selon l’observatoire régional des télécommunications (ORTEL, www.ortel.com), les taux de couverture étaient de 28 % pour la population, 31 % pour les entreprises, et 1,2 % pour la superficie. La BLR reste une technologie concentrée dans les villes grandes et moyennes. Considérée il y a quelques années comme la technologie miracle, elle tarde à décoller : peut-être 2000 abonnés dans toute la France ? Le MMDS (Microwave Multipoint Distribution System) n' est présenté que pour mémoire, car c’est une technologie déjà dépassée par le WiFi. Le MMDS est en voie d' expérimentation en Ardèche, par exemple, dans le cadre du SIVU des est une « Inforoutes de l' Ardèche » (www.inforoutes-ardeche.fr/wadsl). C' technologie assymétrique qui utilise les micro-ondes en voie descendante (du FAI vers l' utilisateur) et le réseau filaire (RTC ou ADSL) en voie remontante. Des pylones sont installés sur des points hauts. Les usagers recoivent le signal par voie hertzienne, grâce à une antenne à vue de l' émetteur. Ils doivent, pour émettre, posséder une liaison et un abonnement classique à Internet via le réseau téléphonique commuté. Cette solution est intéressante pour les utilisateurs (les plus nombreux) qui ont surtout besoin de bande passante en voie descendante (consultation de sites Web, chargement de fichiers). Mais la faiblesse de la bande passante en voie montante (56 Kbits/sec/, 128 avec numéris), pour ceux qui ne peuvent pas recevoir l' ADSL (et c' est la majorité dans les zones rurales), disqualifie cette technologie pour les entreprises. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 71 Le WiFi Selon les spécialistes, 2003 a été l’année du décollage pour le WiFi. Deux éléments principaux l’expliquent : la mise sur le marché d' équipements abordables financièrement, et la décision de l' ART du 7 novembre 2002, qui permet d' obtenir, sous certaines conditions, des licences gratuites pour le déploiement extérieur de réseaux accessibles au public. Le WiFi, ou Wireless Fidelity, est le nom commercial de la norme IEEE 802.11b, qui permet d' acheminer des données par ondes ultracourtes (2,4 Gigahertz). L' installation de base se compose d' un boitier émetteur ou borne WiFi (figure n° 23), raccordé à une liaison Internet quelconque (cable, ADSl, satellite…). La borne WiFi devient ce que les anglophones appellent un hotspot, autour duquel des terminaux équipés de cartes de réception ad hoc peuvent être raccordés simultanément au réseau : ordinateurs portable ou non, téléphone mobile, console de jeux… Le débit est fonction de la distance, qui peut être notablement augmentée par l' utilisation d' antennes. En terrain découvert, il peut atteindre 11 Mbits/sec. à un kilomètre, avec une puissance légalement limitée (en France) à 100 MW. La norme 802.11g peut permettre d’atteindre 54 Mbits/sec. La norme 802.16, dite WiMax, peut offrir des débits jusqu’à 70 Mbits/sec., mais avec une portée de 50 km, au lieu de 50 mètres environ pour le WiFi standard. Les grandes utilisations du WiFi : domotique, réseau local, point d'accès public L' utilisation la plus évident est celle qui consiste à transformer une habitation, un laboratoire, les bureaux d' une entreprise, en un réseau sans fil, dans lequel les différents appareils sont débarrassés des cablages habituels et peuvent se déplacer sans problème. Le WiFi est particulièrement apprécié dans les lieux d’accueil du public comme les aéroports ou les grands hotels, où la clientèle d’affaire peut se connecter sans la nécessité d’un cablage complexe et de raccordements contraignants. Ainsi, fin 2003, le WiFI équipait presque tous les grands hôtels de la Côte d' Azur. Fin 2006, il devrait y avoir en Europe 35 000 hotspots (www.journaldunet.com/0310/031016wifi.shtml). Comme nous le verrons dans le chapitre 5, le Wifi offre des perspective prometteuses pour la constitution de mini réseaux publics, urbains ou ruraux, raccordés à une boucle locale ou à une liaison satellite. Figure n° 23 Modem-Routeur Wifi (http://guide.journaldunet.com/categorie/20/wi-fi/) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 72 Regard géographique sur le paradigme numérique Tableau n° 11. Quelques exemples de points d'accès WiFi, installés en juillet 2003 Source : Le Journal du Net, mai 2003, www.journaldunet.com/dossiers/wifi/ Nyons Chartres Nogent le Rotrou Montesquiou Grenoble Cholet Chaumont en Vexin Pau Pau Strasbourg Strasbourg Ecully Lyon Lyon 1er Lyon 1er ème Lyon 5 ème Lyon 6 Chamonix Val Thorens Rouen Place de la Libération Chambre de commerce Mairie Accès dans le village Grenoble Ecole de Management Pub du Cadran Château de Bertichères, Country Club Aéroport de Pau - Pyrénées Hôtel Roncevaux Centre de Conférences de Strasbourg Hôtel Hilton Résidences Universitaires Aéroport Lyon Saint-Exupery Restaurant-bar New Albion Restaurant Wok It Auberge de Jeunesse du Vieux Lyon Palais des congrès de Lyon Hôtel Le Labrador Espaces communs et hôtels de la station Lycée Technique Blaise Pascal Le satellite L’avantage majeur du satellite est sa versatilité. Comme pour la télévision, une simple antenne et un modem suffisent pour bénéficier d’un accès à Internet à haut débit. Mais, plus encore que pour le DSL, ce débit est dissymétrique, faute de disposer d’une antenne émettrice de forte puissance. Deux solutions co-existent : les satellites géostationnaires en orbite haute (36 000 km), dont la zone de desserte est immense (3 satellites suffisent pour couvrir la presque totalité des zones habitées), et la constellation de satellites en orbite basse. Skybridge, filiale d’Alcatel, a déployé 80 satellites à 1469 km d’altitude, relayés par 140 stations au sol, pour une couverture mondiale, qui offre des débits de 1 Mbits/sec en voie montante, et jusqu’à 70 Mbits/sec. en voie descendante (figure n° 24). L’avantage du satellite en orbite basse est qu’il autorise un temps de réponse très cours (30 ms.), qui facilite certaines applications, comme la téléphonie sous IP ou la visio-conférence. La solution du satellite en orbite haute est néanmoins la plus simple, la plus fiable et la plus répandue. Un des leaders mondiaux est Eutelsat, qui possède 24 satellites géostationnaires, dont trois sont disponibles en Europe pour de l’accès Internet : ATLANTIC BIRD (2° à 8° Ouest), W3 (7° Est), e-BIRD (33° Est). Eutelsat est connecté au réseau mondial par l’intermédaire de son centre de Rambouillet. Eutelsat permet de créer des réseaux d’entreprises totalement indépendants des réseaux d’opérateurs de télécommunication, grâce à une antenne de 1 à 4 m de diamètre sur le toit, avec des débits descendants jusqu’à 40 Mbits/sec. (www.eutelsat.com). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 24 Le système Skybridge www.skybridgesatellite.com (source : plaquette 73 skybridge, Les liaisons satellite bi-directionnelles sont particulièrement intéressantes lorsqu’elles sont couplées à des solutions de mise en réseau local de type WiFi. C’est le cas autour de l’entreprise SitePilot à St-André-de-Cruzières, en Ardèche (430 hab.), qui dispose depuis 2002 d’un accès à Internet bi-directionnel 512 Kbits128 Kbits, via le satellite ATLANTIC BIRD, grâce à une parabole de 96 cm. (figure n° 25) L’accès de l’entreprise servira de tête de réseau pour la mise en place d’un réseau à l’échelle du village. A l’occasion du Tour de France 2003, Eutelsat a mise en place une liaison expérimentale à l’office du tourisme de l’Alpe-d’Huez, couplée à une borne WiFi, qui permet de connecter des ordinateurs portables sans aucune prise filaire (figure n° 26) Les premières offres commerciales d’internet par satellite bi-directionnel sont annoncées pour le début 2003. Elles s' adressent principalement aux professionnels (TPE, PME, PMI) pour des débits jusqu’à 10 Mb/s utiles en réception et 1,2 Mb/s utiles en émission et représentent ainsi une alternative souple, évolutive et rapide à mettre en œuvre en l’absence du service ADSL. Elles s' adressent donc tout particulièrement à des sites isolés, dans des zones géographiques non-prioritaires, éloignées des POP (points d' accès opérateur) et qui n' ont aujourd' hui que la possibilité des liaisons louées. Elles nécessitent toutefois une installation plus coûteuse que pour les solutions filaires avec notamment une antenne parabolique et un ensemble d’appareillage (démodulateur, routeur) (www.sitepilot.fr/v3/pdf/Dossier-de-presse4.pdf). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 74 Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 25 Liaison bi-directionnelle par satellite (www.sitepilot.fr/v3/pdf/Dossier-de-presse4.pdf) Eutelsat Figure n° 26 Liaison Eutelsat bi-directionnelle à l’Office du tourisme de l’Alpe d’Huez (www.eutelsat.com/news/5_2.html) 2.3.5. La téléphonie mobile (ou cellulaire) Le téléphone mobile a fourni, depuis une dizaine d’années, un intéressant exemple de diffusion spatiale d’une innovation, avec l’élargissement des zones de couvertures, à partir des grandes agglomérations et du réseau autoroutier, jusqu’à la quasi-totalité du territoire et de la population. L’enjeu dépasse le simple accès aux services de téléphonie, avec l’intégration de nouveaux services numériques, qui vont de la messagerie (SMS) à l’accès internet (WAP ou Wireless Application Protocole, cf infra.). Rappelons que le réseau mobile fonctionne grâce à une réseau dense d’antennes émettrices (ou pylones), 6000 par exemple pour Orange en France. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 75 En France, la couverture « mobile » est assurée par trois opérateurs, Orange57 et SFR58 (autorisés en 1991) et Bouygues Télécom (autorisé en 1994). En 1995, le réseau mobile couvrait 70 % de la population. En 2002, d’après une étude du cabinet Sagatel pour le compte du gouvernement, les « zones d’ombres » totales (couvertes par aucun réseau) représentaient 46 000 km² en métropole, soit 8,4 % du territoire, et 1480 communes, où vivaient 390 000 personnes, environ 0,7 % de la population. Ces zones non couvertes se trouvent essentiellement en zone de moyenne et de haute montagne, comme le montrent le tableau n° 12. Mais cette évaluation est à considérer comme très restrictive. Elle a été contestée à la fois par l’ART et par les élus locaux, qui, s’appuyant sur les réalités de terrain, considèrent qu’il y a là un problème réel d’aménagement du territoire. Selon les sources les plus pessimistes, 15 000 communes connaîtraient une couverture imparfaite, inégale, de médiocre qualité etc. Tableau n° 12. Les régions française qui possèdent le plus de zones non couvertes par la téléphonie mobile (d’après Forissier, 2002, p. 15) Nombre de communes concernées Auvergne Corse Limousin Bourgogne Midi-Pyrénées France métropolitaine 1 310 360 747 2 045 3 020 36 584 Nbre. de centres de villages non couverts 166 38 75 162 257 1 484 Taux Taux géographique démographique de de nonnon-couverture couverture 20,1 % 4,57 % 20,5 % 2,98 % 12,7 % 2,90 % 11,1 % 2,58 % 14,7 % 2,34 % 8,4 % 0,66 % Le secteur de la téléphonie mobile pourrait être bouleversé prochainement par le développement de la norme UMTS (Universal Mobile Telecommunication System) dite parfois 3G (3ème génération), qui s’est signalée au grand public en 2001 par les sommes astronomiques atteintes au Royaume Uni, en Allemagne et en France lors de la mise aux enchères des fréquences par les gouvernements. En France, trois opérateurs ont acquis cette licence, Orange, SFR, puis Bouygues (lors d’un deuxième appel d’offre). Le coût élevé des investissements et des enchères d’acquisition des nouvelles licences (alors que les opérateurs étaient sortis exsangues de la crise de 2001) et les problèmes de mise au point des terminaux, ont retardé la diffusion de la technologie 3G. L’UMTS est déjà une réalité au Japon, avec la société DoCoMo. Le lancement commercial en France est prévu par Orange pour fin 2004. L’objectif de la filiale de France Télécom est de couvrir 90 % de la population vers 2009. L’UMTS devrait autoriser des débits jusqu’à 2 Mbits/sec. en réception et 384 Kbits/sec. en émission, en zone urbaine et en phase statique. Les débits seront sensiblement plus lents en « rase campagne », ou en déplacement (dans un TGV), de 64 à 144 Kbits/sec. La liste des fonctionnalités est impressionnante : téléphone (on pourrait l’oublier), courrier électronique, consultation du Web, saisie et envoi d' images, de musique, de vidéo, visiophonie, multicall, c' est-à-dire possibilité de télécharger des informations en poursuivant sa conversation. En tout état de cause, dans les cinq, voire les dix prochaines années, l’UMTS ne devrait fournir une solution de connexion alternative qu’en milieu urbain. 57 58 Filiale de France Télécom. Groupe Cégétel-Vivendi. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 76 Regard géographique sur le paradigme numérique Conclusion du chapitre : informationnelle le rêve et les enjeux de l'ubiquité Le 17 mai 2004, première mondiale pour un vol commercial, les passagers du vol Lufthansa Munich-Los Angeles ont pu bénéficier d’un accès à Internet, via un satellite Eutelsat et un réseau local WiFI embarqué de « Connexion by Boeing » (www.eutelsat.com/news/5_2.html). La technologie permet donc aujourd’hui une ubiquité presque totale de l’accès à l’information. L’équipement de « l’agent secret » des films d’espionnage de série B est en vente à la FNAC pour quelques centaines d’Euros. Avec l’UMTS, le poids de l’équipement est de quelques centaines de grammes. Cette accessibilité au réseau numérique devient standard, non seulement au bureau, au domicile ou dans une chambre d’hôtel, mais aussi en déplacement, en automobile (systèmes de navigation embarqué, GPS + mobile), en train, en avion. Elle est donc continue dans le temps et dans l’espace. C’est un fait. Mais la portée territoriale de ce fait, considéré isolément, reste faible. Il faut envisager les usages de cette technologie, et mesurer, autant que possible, les conséquences dans la production de l’espace géographique et des territoires. C’est un chantier qui, à notre avis, n’a été qu’à peine entamé. Comme nous avons essayé de le montrer, la technologie de l’accessibilité numérique confronte les acteurs à une équation « technico-spatio-économique » complexe. Car le réseau et l’accessibilité « en soi » n’existent pas, mais dépendent de la capacité financière et cognitive des acteurs à se doter des terminaux ad hoc. De fait, dire qu’un lieu donné possède des attributs d’accessibilité informationnelle ne rend comte que d’une partie du problème : ces attributs n’existent que toutes choses égales par ailleurs. Les habitants ou les entreprises du plateau de Millevaches n’ont pas d’accès possible à l’ADSL, ni au cable. Mais les habitants ou les entreprises « riches » peuvent obtenir dès qu’il le désirent une liaison satellite ou une liaison spécialisée. Si IBM décide d’implanter un data center sur le Plateau de Millevaches, France Télécom ou un autre opérateur sont en mesure de lui apporter autant de Gbits/sec. qu’il le désire. S’il ne le fait pas, c’est pour d’autres raisons, comme nous le verrons dans les chapitres 3 et 4. La télé-accessibilité est, dans une certaine mesure, un enjeu de développement et d’aménagement pour les territoires et leurs acteurs. Ces acteurs sont ils en mesure de peser sur les termes de l’équation ? Avant de proposer un début de réponse à cette question, il convient d’aborder plus avant la question des usages. Nous avons délibérément choisi de mettre en avant la question de l’économie marchande, car les entreprises détiennent la majorité des clés de la prospérité et du développement durable des territoires. Mais ce qui vaut pour une PME vaut pour un Lycée et pour les habitants des quartiers environnant, comme le rappelait récemment S. Bergamelli, directeur des nouvelles technologies à la Caisse des Dépôts et Consignations (Séminaire Prospective Info, DATAR, 3 juin 2004). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 77 Chapitre 3. Numérisation de l’économie et espace géographique Dès 1961, dans Mégalopolis, Jean Gottmann propose le terme d' activités quaternaires pour désigner les emplois principalement consacrés à traiter de l' information sous des formes diverses. Il considère notamment que c' est l' interrelation de ces fonctions quaternaires, surtout dans les quartiers centraux, qui constitue l' essence de la grande ville. Studying the concentration of white collar workers in Megalopolis, I suggested in 1961 this new quaternary sector. Ekistics, 1970, n° 174, "Urban centrality and the interweaving of quaternary functions". Si on garde en perspective les réflexions de Gottmann (qui ne doivent pas être isolées d' autres travaux contemporains ou antérieurs, comme ceux de Rochefort ou de Labasse), la convergence numérique pose une question majeure : l' application au système productif de technologies qui devaient effacer les distances risquait-elle d' avoir des conséquence majeures sur la géographie du système productif, et, au delà, sur les territoires ? Ces questions ont suscité une énorme littérature, dans un contexte de polémique sur la réalité d' une nouvelle économie et sur la nature de la mondialisation. Avec, en toile de fond, le débat sur les effets, réels ou supposés, des TIC sur la localisation des activités et le développement économique des territoires. Parmi les neuf facteurs de l' interrelation des « fonctions quaternaires » qui constitue essentiellement la centralité urbaine, Gottmann (1971, op.cit.) retient les « flux d' information », qui doivent être nombreux, diversifiés, actualisés. L' information « constitue la matière première des transactions et prises de décision ». On trouve là l' idée très actuelle du rôle assuranciel du milieu d' affaire de la grande ville contre les hasards et incertitudes générés par l' économie moderne. Mais, idée fondamentale qui a gardée toute son actualité, Gottman se montre très prudent sur le fait que les TIC pourraient mettre à mal le concept de la place centrale comme lieu d' échange d' informations, à cause de l' importance des rencontres de face à face, « fortuites ou prévisibles » comme l’écrit Bourdieu (1992). Electronic equipment to date has not succeeded in distrupting the rapidly growing need for more and more face-to-face meetings for all kinds of purpose. The study of the possibility of transacting quaternary business by wire or over the waves does not appear at present to give as satisfactory results as does physical presence… it may be satisfactory between individuals who know one another intimately and trust one another fully. Gottmann, 1971, op.cit., p.329. Ceci conduit à une interrogation majeure : est-ce que, trente années plus tard, les progrès des TIC, et notamment la généralisation de l' Internet, sont susceptibles de faire évoluer ce jugement ? En guise d' entrée en matière, nous nous ferons l' écho des débats sur la nouvelle économie, puis nous montrerons que, s' il n' est pas sûr que l' on assiste à un changement brutal de paradigme économique, il y a de facto émergence d' une économie numérique, aux deux sens du terme : la numérisation s' infiltre dans tous les rouages de la production, mais aussi, on assiste au renforcement d' un secteur économique qui fonctionne par et pour le numérique. Nous verrons à partir d' exemples concret que la numérisation a affecté les pratiques spatiales d' activités anciennes - finance, commerce, transport - et entraîné Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 78 Regard géographique sur le paradigme numérique l' apparition de nouvelles méthodes de travail qui modifient, dans une certaine mesure, le rapport à l' espace de la production et de l' emploi. Mais ne laissons point planer l’ambiguité : la thèse de la fin de la géographie et des mécanismes de la polarisation spatiale a été totalement réfutée. Ce qui ne vide pas, loin de là, la problématique géo-économique du paradigme numérique. 3.1. L’émergence d’une économie numérique On a assisté, depuis plus d’une décennie, à une avalanche de termes nouveaux et de métaphores, qui se bousculent dans une joyeuse cacophonie, chaque auteur voulant se distinguer en proposant un terme nouveau pour, finalement, décrire la même chose que ses prédécesseurs (même si les interprétations diffèrent). On parle d’économie de l’information (Hepworth, 1987), d’économie en réseaux (Castells, 1996), d’économie du savoir, de la connaissance, ou knowledge economy (Dunning, 2000 ; Grimes et Collins, 2003). François Ascher (2000) évoque un capitalisme cognitif. La question centrale est de savoir si on est en présence d’une évolution tranquille, ou bien d’une révolution, voire d’un complet changement de paradigme, qu’il serait alors possible d’associer à l’affirmation du paradigme numérique. La partie la plus significative du débat tourne autour du concept de « nouvelle économie ». 3.1.1. Le débat sur la « nouvelle économie » In one perspective, the new economy is the economy of Internet industry. In another approach, we observe the growth of a new economy from within the old economy, as a result of the use of the Internet by business, for its own purpose and in specific contexts. Castells, 2001, p. 5. Avant d’aborder le débat sur le fond (c’est à dire la polémique des économistes), nous entendons soulever avec M. Castells la dualité des expressions de « nouvelle économie », ou même « d’économie numérique » (ce qui, dans le langage courant, revient souvent au même). En effet, il y a l’économie numérique stricto sensu, qui est celle des secteurs de la « convergence numérique ». Mais il y a aussi les innombrables secteurs qui utilisent les TIC. La compréhension des termes est toute dans le contexte. Tel que nous l’avons utilisé nous même dans Urban Studies (2003), tout comme T.A. Hutton dans Cities (2004, The New Economy in the Innner City) ou D. Perrons dans Economic Geography (2004), l’expression « nouvelle économie » désigne ce qu’on pourrait appeler l’industrie des TIC au sens large. La même conception est parfois élargie à l’ensemble des activités de pointe ou « high tech » (biotechnologies, nouveaux matériaux, aérospatial). A cette nouvelle économie, on aurait tendance à opposer d’une manière manichéenne une « ancienne économie » des secteurs traditionnels : métallurgie, textile etc. Vision fausse, nous verrons pourquoi. Mais, lorsque les économistes débattent sur la « nouvelle économie » qui aurait émergé aux Etats-Unis dans les années quatre-vingt-dix, ils parlent d’un nouveau régime qui affecterait toute l’économie. La question centrale, pour nous, serait de savoir si le paradigme numérique est un facteur causal (ou central) de l’apparition de cette nouvelle économie (si tant est qu’elle existe). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 79 La discussion sur la nouvelle économie est née au milieu des années quatre-vingtdix, aux Etats-Unis, où des observateurs ont attribué aux « nouvelles technologies » une grande part de responsabilité dans le cercle vertueux dans lequel le pays semblait inscrit. Pour la première fois, des indicateurs macro-économiques qui semblaient inconciliables étaient au vert : croissance forte et chômage historiquement bas, mais inflation faible, budget équilibré, voire excédentaire (pour une analyse économique de cette période aux Etats-Unis, voir par exemple les travaux de R.J. Gordon, consultables sur http://facultyweb.at.northwestern.edu/economics/gordon). De nombreuses statistiques ont été publiées sur la part des TIC dans l' augmentation de la productivité américaine (ce qui permettait d' expliquer, chemin faisant, la moindre croissance de la productivité européenne ou japonaise, dont les économie étaient moins gourmandes en technologies numériques). Cette thèse a été vivement discutée par Jean Gadrey (2000, Nouvelle Economie, nouveaux mythes), avec d' autant plus de mérite qu' il a écrit son ouvrage avant le retournement de conjoncture, au moment où la « nouvelle croissance » battait son plein. La nouvelle économie est un ensemble de discours tenus par des acteurs divers, depuis décembre 1996 aux Etats-Unis, diffusés à partir de 1999 en France… Le discours sur la nouvelle économie n' est pas tenu principalement par les scientifiques… (mais) par une partie des acteurs de la sphère politico-médiatique. Le discours de la nouvelle économie, qui, dans ses versions les plus simplistes, peut se résumer par le "néo libéralisme high tech" n' a pas encore trouvé sa théorie économique. Gadrey, 2001, pp. 19-21 J. Gadrey est très sceptique vis-à-vis de la thèse d' une nouvelle économie perçue comme changement de paradigme, et sur le rôle moteur des TIC dans l' augmentation de la productivité. Il montre que la plus grande partie des emplois créés lors du grand cycle de croissance des années quatre-vingt-dix aux Etats-Unis ont été des emplois de services aux personnes, qui impliquent des relations de face à face et utilisent les TIC accessoirement (restauration, santé, enseignement etc.). Une des sources de critique d’un concept de « nouvelle économie » a été ce qu’on a appelé le paradoxe de Solow, ou l’introuvable hausse de la productivité par l’informatique, qui semble s’expliquer par le coût des procédures d’adaptation (ou de re-engineering) aux nouvelles technologies. Pour sa part, R.J. Gordon (2002) énumère la longue liste des métiers dans lesquels les emplois n' ont pas pu être remplacés par des machines. Une conclusion intéressante de Gordon est l' explication qu' il donne à la modestie des gains de productivité attribués à l' informatique dans la plupart des activités : la croissance exponentielle de la puissance des ordinateurs, de la complexité du réseau Internet, se heurte à la fixité du temps humain disponible. The fundamental limitation on the contribution to the productivity of computers in general and the Internet in particular occurs because of the tension between rapid exponential growth in computer speed and memory one the one hand, and the fixed endowment of human time. Gordon p.72. Le géographe doit entrer avec précaution dans ces débats d' économistes. Nous partageons le propos de Jean Gadrey, cité ci-dessous, qui affirme que la nouvelle économie est d' abord un discours, à lier aux discours généraux sur la mondialisation-globalisation. Nous avons vu comment médias et responsables politiques se sont enthousiasmés pour le concept. Les technologie numériques semblaient promettre l' avénement d' un nouvel âge d' or, qui verrait tout à la fois la fin du chômage, une forte croissance sans inflation, l' enrichissement des pays les plus Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 80 Regard géographique sur le paradigme numérique pauvres (qui réaliseraient, grâce à Internet, un saut technologique) etc. Ces idées vont de pair avec les utopies socio-géographiques selon lesquelles les TIC devaient permettre de désenclaver l' espace rural, faciliter l' éducation dans les banlieues pauvres, démocratiser l' accès au savoir, etc. Après la crise de 2001, le public et les médias se sont empressés de bruler ce qu' ils avaient adoré, niant tout changement majeur. Most striking has been the dampened enthusiasm in elite circle for the rise of the information economy. With the fall of many dot.com companies… there has been a massive and highly public reaction against the very concept of this emergent ' new economy' . There is a growing belief that the new economy and the Internet constitute nothing more than a passing fad. Kotkin, 2000, p. 11. Dès 1997, des attitudes raisonnables avaient émergé, y compris dans la presse économique anglo-américaine, pour tenter de relativiser le phénomène et en rationnaliser la lecture. Par exemple, en septembre 1997, The Economist titrait : A new economic paradigm is sweeping America. It could have dangerous consequences (encadré n° 4) pour dénoncer le risque d’une bulle spéculative boursière, ainsi que les impasses fiscales et sociales du modèle de croissance américain, dénoncées dès 1992 par Robert Reich dans The Work of Nations, et dont le renforcement dans les années 90 est bien décrit par Jean Gadrey. Encadré n° 4. Un nouveau paradigme économique The Economist, 11 septembre 1997 Assembling the new economy A new economic paradigm is sweeping America. It could have dangerous consequences A strange contagion is spreading across the land: the belief that technology and globalisation promise unbounded prosperity and render old economic rules redundant has infected American managers, investors and politicians with remarkable speed. Like any fad, the New Economy feeds off its own hyperbole. That is why an article in the July issue of Wired magazine, which painted an extraordinarily rosy picture of a technology-based and globalised future, caused such a stir on Wall Street. It is also why the supposed conversion of Alan Greenspan, the chairman of the Federal Reserve Board, is so significant. Mr Greenspan devoted almost half of his recent congressional testimony to technological change. He wondered, in his usual elliptical style, whether “current developments are part of a once-or twice-in-a-century phenomenon that will carry productivity trends to a new higher track”. Many believers in a New Economy, however, are far less wary. They have no doubt that America’s trend rate of growth has risen permanently. Many dismiss the existence of a relationship between economic growth, unemployment and inflation. The most extreme even argue that computers and a greater openness to international forces mean that inflation has been conquered and that the business cycle is dead. Most serious academic economists think that these arguments hold little water, and lately they have been saying so vigorously. In a recent article in the Harvard Business Review, Paul Krugman of the Massachusetts Institute of Technology demolishes the conceptual and empirical basis for much New Economy thinking. Alan Blinder, a former Federal Reserve vice-chairman, does the same in American Prospect, a liberal magazine. The idea of a New Economy is not entirely far-fetched. But proof that the business cycle has been put on hold is still to come. America’s eagerness to embrace the New Paradigm may well have undesired consequences: a speculative stockmarket bubble, an undue hesitation to raise Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 81 interest rates, an overeagerness to cut taxes, and a willingness to avoid such important issues as Medicare and Social Security reform in hopes that years of economic growth will cure the problems. Un nouveau cycle technologique et économique ? Plusieurs auteurs ont fait la comparaison entre les TIC et les grandes innovations du passé considérées comme vecteurs de cycles de croissance dits de Kondratieff. The Economist rapporte des travaux qui font un parallèle entre la crise récente des TIC et celle subie par l' industrie du chemin de fer en 1847 au Royaume Uni, qui s' était traduite par des faillites en cascade et une vague de concentration des entreprises. Cette crise d' assainissement passée, la croissance avait repris sur des bases plus solides, jusqu' à ce que l' innovation arrive à maturité. La crise des TIC de 2001 serait une de ces crises d' ajustement, qui font passer une technologie porteuse de la phase de décollage et de croissance « incontrolée » à la phase de maturité et de la consommation de masse (figure n° 27). La thèse du « cinquième cycle de Kondratieff » est au cœur de l’ouvrage de P. Hall et P. Preston (1988), The Carrier Wave: New Information Technology and the Geography of Innovation, 1846-2003. Chaque cycle long aurait coincidé avec l’émergence d’une nouvelle technologie, ou d’un ensemble de procédés industriels : machine à vapeur et métier à tisser (cycle 1), sidérurgie et chemin de fer (cycle 2), électricité et chimie (cycle 3), automobile (cycle 4), technologies d’information ??? (cycle 5). Figure n° 27 Les TIC à la base d'un nouveau cycle long ? Source : The Economist, 10 mai 2003, supplément technologique, p. 4.). R.J. Gordon a publié une analyse approfondie de cette comparaison entre les TIC et les grandes avancées technologiques du passé (« Does the New Economy Measure up to the Great Inventions of the Past? Journal of Economic Perspectives, vol. 14, n° 4, pp. 49-74). Gordon explique que l' ampleur du changement induit par les TIC ne doit pas être mesurée par des agrégats macro-économiques seulement. Il considère que les changements, - si possible les améliorations - apportés à la vie Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 82 Regard géographique sur le paradigme numérique quotidienne par les ordinateurs et l' Internet sont loin d' avoir la portée de ceux induits par les innovations de la seconde révolution industrielle ou des Trente Glorieuses. Internet surfing may be fun and even informational, but it represents a far smaller increment in the standard of living than achieved by the extension of night to day achieved by electric light, the revolution in factory efficiency achieved by the electric motor, the flexibility and freedom achieved by the automobile, the saving of time and shrinking of the globe achieved by the airplane, the new material achieved by the chemical industry, the first sense of live to-way communication achieved by the telephone, the arrival of live news and entertainment… achieved by radio and television, and the enormous improvements in life expectancy, health and comfort achieved by urban sanitation and indoor plumbing. Gordon p.72. 3.1.2. Economie informationnelle, économie cognitive Au delà des débats sur le role des TIC dans l’apparition d’un nouveau cycle économique, il faut affronter la thèse encore plus radicale de la rupture avec une forme ancienne du capitalisme, d’un changement complet de paradigme, qui justifierait les termes d’économie post-industrielle ou post-fordiste. Les statistiques déployées par les auteurs comme Hepworth, Castells, ou Atkinson (The New Economy Index) semblent accréditer la thèse d’un accroissement de la part des emplois de service (tertiarisation), au détriment des emplois primaires et secondaires. Mais le passage à une économie post-industrielle, comme le rappellent Hall et Preston (p. 286) est en partie un artefact statistique, créé par l’externalisation des tâches qui ne constituent pas « le cœur de métier » de la production industrielle, et par la dissociation spatiale qui s’en suit, dans le cadre de la division internationale du travail (nous reviendrons sur ce point crucial) : The transition to the service economy may be a statistical illusion, because job growth in the service sector may really derive from the demands of the manufacturing sector. L’idée du passage à une économie « post-fordiste », en lien avec certaines formes de développement économique régional, a été vivement débattue par les économistes, économistes spatiaux et « géographes économistes ». Parmi les changements impliqués par la transition vers une telle économie, on peut mentionner la désintégration des relations verticales, l’aplatissement des hiérarchies au sein des organisations, la création de centres de profit autonomes au sein des groupes, la mise en œuvre de la « spécialisation flexible » dans les districts industriels, la flexibilité du travail et de l’emploi, les techniques de production dites du « juste à temps », la généralisation de l’externalisation etc. The California school… put a heavy accent on the role of vertical disintegration, interindustrial transaction networks and local labor markets as the main factors underlying the spatial agglomeration displayed by many post-Fordist forms of economic activity… Piore and Sabel… emphasized the sharpness of the historical divide that seemed to have occurred over the 1970’s between Fordist and post-Fordist forms of industrial development. A.J. Scott, in Clark et al., 2000, p.29-30. Il est incontestable que les technologies d’information ont joué un rôle important – sinon moteur – dans ces évolutions. Ce n’est pas une chose nouvelle. En introduction à sa Geography of the information economy, Hepworth montre que le besoin de « contrôle », donc l’usage de diverses TIC dans l’activité économique, notamment le télégraphe puis le téléphone, est allé grandissant depuis le début de la révolution industrielle. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 83 Une des conséquences de l’évolution technologique en cours est que l’économie dans son ensemble devient numérique. Jean Gottmann avait remarqué un phénomène que la convergence numérique et des phénomènes généraux comme la vague de l' externalisation ont poussé à un point extrême : les activités de traitement de l’information ne concernent pas seulement le secteur des services, mais aussi les secteurs secondaires, voire primaires (« the quaternary sector permeates not only the services, but also some of the secondary sector », Gottmann, 1970, op.cit., p. 325). Or, comme nous l' avons écrit précédemment, la circulation, le stockage, le traitement de l' information sont de plus en plus numériques. L' application au système productif de la convergence numérique entraîne donc un brouillage des catégories. Il est effectivement difficile d' identifier une économie numérique stricto sensu. Peu de métiers échappent à l' informatisation. Les agriculteurs utilisent satellite et télédétection pour surveiller la croissance de la végétation et gérer dans le temps et l' espace la distribution des produits phytosanitaires (grâce à des ordinateurs et le GPS embarqués sur les véhicules), les pêcheurs utilisent massivement radar et sonar. Enfin, l' industrie est de plus en plus largement automatisée et informatisée. Les métiers dits manuels n' échappent pas à la numérisation. La réparation des véhicules modernes exige des compétences de plus en plus pointues en électronique. Les ouvriers qualifiés deviennent des opérateurs de machines à commande numérique. En bref, l' économie est informationnelle et numérique. Dans les pays développés, la production, le travail quotidien des individus, sont dépendants de l' informatique, qui fait fonctionner le système financier, les transports, les usines… Cette invasion par les technologies numériques éloigne de nous la tentation d’assimiler économie numérique et économie du savoir ou « économie de la cognition ». Comme le rappelle, entre autres, M. Storper (1997), Il faut distinguer fondamentalement information numérisée et savoir, connaissance ou knowledge. Comme nous l’avons déjà écrit, l’information qui se mesure en Mégabits est une donnée concrète, objectivement définissable, et totalement décontextualisée culturellement. Mais la frontière entre ce qui relève de l’informationnel pur et du savoir ou du savoir-faire est floue. Le travail en centre d’appel, par exemple, est souvent une tâche routinière, mais le traitement statistique des données commerciales sur les appels entrants peut déboucher sur la création d’un savoir stratégique pour l’entreprise. Jean Gadrey rappelle à juste titre que l’économie dite « post-fordiste » possède bien des traits communs avec l’économie industrielle du XIXème siècle. Par la répétitivité et la pénibilité de leur travail, de nombreux travailleurs de la « nouvelle économie » ne diffèrent guère des ouvriers et manœuvres du XIXe ou du Xxe siècle, employés des centres d' appel ou de saisie de données, ouvrières à la pièce et immigrés clandestins des ateliers de fabrication de composants électronique etc. Emploi précaire, emploi flexible, sont des concepts vieux comme le monde (ex : les journaliers agricoles), et l’emploi industriel à vie n’a concerné qu’une courte parenthèse des Trente Glorieuses dans les pays développés. Il n’est donc pas certain que les technologies numériques puissent proposer une clé d’entrée suffisamment convaincante pour proposer l’existence d’une rupture avec un état antérieur. On retombe sur le problème posé par le mot « nouveau ». S’il y a bien « nouvelles technologies » lorsqu’on parle du numérique, il n’est pas sûr que, premièrement, on soit en présence d’un nouvel ordre économique, deuxièmement, que les TIC actuelles en soit la raison d’être, où la substance. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 84 Regard géographique sur le paradigme numérique R. Reich, avec les « manipulateurs de symbole » (1992) et R. Florida, avec le concept de « classe créative » (2002), proposent un paradigme qu’il est intéressant de croiser avec le paradigme numérique. En effet, si tous les métiers de l’économie numérique ne sont pas créatifs, loin de là, on observe une convergence croissante entre les TIC et l’économie de la créativité Passons sur l’évidence que le secteur économique des TIC stricto sensu (production des matériels, infrastructures et logiciels), fortement innovant par essence, repose sur la créativité. Mais les autres secteur créatifs, ou de l’économie du savoir, font un usage de plus en plus intensif des technologies numériques. Une partie des innovations qui relèvent du numérique est tournée vers les métiers de la créativité. Les concepteurs de logiciels créent les outils qui permettent ensuite aux dessinateurs et concepteurs de jeux ou d' animation de s' exprimer. C' est la créativité qui, seule, permet de comprendre le lien entre les TIC et le design textile ou automobile. Les tissus, les vêtements, comme les automobiles ou les avions, sont dessinés et testés sur ordinateurs, puis fabriqués par des machines numériques (pour lesquelles il a fallu concevoir des logiciels spéciaux). La « création », dans l’architecture, le cinéma, les médias, la mode, passe par l’intermédiaire de l’informatique. Il faudrait enfin évoquer l’usage croissant des technologies numériques dans tous les domaines de l’éducation et de la recherche. Le cabinet de consultant IDC Research propose une vision synthétique du rapprochement entre l' économie numérique et les activités de création, à travers l' expression « TIME Technology » : Telecommunications, Information, Media, Entertainment (figure n° 28). Nous verrons que cette convergence se matérialise par des formes territoriales particulières, où se concentrent ceux que R. Florida appelle les membres de la creative class. Figure n° 28 La convergence numérique et les "TIME technologies" Economie numérique Economie de la créativité «TIME» technology Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 85 Une géographie de l’économie numérique, malgré tout ! Compte tenu des réserves faites sur le concept de nouvelle économie par des économistes éminents, faut-il « jeter le bébé avec l' eau du bain », récuser l' existence d' un phénomène quelconque liant les TIC au système productif, et, partant de là, renoncer à l' étude de problématiques géographiques connexes ? Nous ne le pensons pas, pour deux raisons. Tout d' abord, quelles que soient les polémiques sur sa définition, sa taille et sa participation à la productivité, il existe une économie des TIC, qui pèse variablement sur les territoires : informatique, télécommunications, création multimédia, centres d' appel etc. Ensuite, l' application des TIC aux activités économiques traditionnelles a entraîné des modifications dans l' organisation de la production et du travail, avec, là encore, des implications en matière de localisations, de pratiques spatiales et territoriales. Les opérateurs des centres d' appel ou certains télétravailleurs évoquent-ils les ouvriers du XIXe voire du XVIIIe siècle ? Sont-ils pré-fordistes ou post-fordistes ? Le fait demeure qu' ils existent, qu' il y a des suppressions d' emploi ici, des créations ailleurs, et donc des dynamiques territoriales induites. Lorsqu' un responsable de projet « TIC » d' une companie d' assurance nous explique que leurs centres d' appel ont été implantés en région parisienne, d’abord, puis dans des métropoles régionales, puis dans des villes moyennes, lorsque le PDG d’une société de télémarketing explique pourquoi il ferme des sites à Paris, pour en ouvrir d’autres à Calais, Boulogne ou Roanne, nous voyons là des pratiques spatiales fortes, susceptibles d' entraîner des phénomènes de production territoriale qui doivent requérir l’attention du géographe. Gadrey, tout comme Veltz (1996 et 2000) souligne les nouvelles flexibilités et segmentations du marché du travail (et de la société) qui caractérisent la soit disant nouvelle économie. Cette problématique doit requérir le géographe, car elle est susceptible d' entraîner des comportements spatiaux et territoriaux (mobilité géographique, déracinements, ségrégations socio-spatiales). Ceci nous semble un axe de lecture important de toute analyse géographie de l' économie numérique. Enfin, d' une manière plus générale, le débat sur la nouvelle économie interpelle le géographe, car l' espace géographique y occupe une place centrale, même lorsqu' il s' agit de dénoncer le mythe. Dans la plupart des cas, soit parce que l' activité est majoritairement relationnelle, cognitive, interactive, soit parce qu' elle relève d' une logique matérielle ne pouvant pas s' affranchir des contraintes de l'espace et du poids, les nouvelles technologies de l' information ont un impact faible, voire nul, sur la productivité des tâches. Gadrey, 2000, p; 74. On retouve là les problématiques fondamentales que nous avons développées dans le premier chapitre : l' utopie de la fin des distances a apporté sa pierre à l' édifice idéologique de la nouvelle économie. La tâche des géographes, dans ce contexte, a été de montrer que, loin de s' affranchir des distance et de se « déterritorialiser », la localisation de la nouvelle économie reste très liée aux aménités ou contraintes des territoires. « Il n'y a rien de nouveau » Cette expression est fréquemment utilisé par les détracteurs d' une analyse géographique de ces questions. Si le changement de paradigme fait débat, il ne faudrait pas « diaboliser l' adjectif « nouveau », utilisé par Pierre Veltz, par exemple, pour dépeindre les évolutions récentes du travail et de l' organisation des entreprises (Le nouveau monde industriel, 2000). Il est vrai que certaines activités existaient Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 86 Regard géographique sur le paradigme numérique déjà au temps des télécommunications analogiques (comme les centres d' appel). Les circu Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 87 3.2. Les modèles spatio-organisationnels de l’économie numérique Sans remettre en cause le but ultime de la firme59, il faut bien considérer que l’entreprise, du point de vue structurel, est un système informationnel dont la fonction est de coordonner et minimiser les coûts de ce qu’on appelle en général des transactions. Ces transactions peuvent être internes à la firme (intégration verticale), ou externes, si les dirigeants considèrent qu’elles seront effectuées plus efficacement ou à moindre coût par une tierce entreprise (désintégration ou externalisation). A firm becomes larger as additional transactions are organised by the entrepreneur (rather than coordinated through the price mechanism) and becomes smaller as he abandons the organization of such transactions. R. Coase, The nature the firm, cité dans Hepworth, 1987, p. 133. L’information doit être considérée comme un outil de réduction de l’incertitude qui préside à ces transactions, mais aussi comme un produit, une substance, dont la production et le marché constituent ce qu’on appelle parfois « l’économie de l’information » (A. Rallet 2000, p. 305). Comme l’écrit A. Rallet, l’organisation est une « réponse à des phénomènes d' information imparfaite en situation de conflit ». L’espace géographique joue un rôle important dans les coûts de transaction, et notamment dans le prix de l’information en tant que substance qui permet de réaliser ces transactions. On évoque souvent les « externalités de localisation » dont bénéficie l’entreprise implantée dans une grande ville. De fait, l’accès aisé aux services (juridiques, fiscaux, informatiques…), au marché de l’emploi qualifié, et aux innombrables opportunités commerciales ou technologiques, fortuites ou prévisibles, que permet le milieu d’affaire d’une grande ville, n’est autre qu’un accès plus rapide et moins coûteux à une information « de qualité », c’est à dire permettant de réduire l’incertitude des opérations et/ou minimiser les coûts de transactions, ce qui revient au même60. Et inversement : une localisation périphérique par rapport aux acteurs économiques a pour effet d’augmenter les coûts de transaction, du fait de la pénurie relative d’information. La problématique des TIC apparaît clairement : dans quelle mesure les télécommunications avancées, appuyées par l’informatique, permettent-elles de réduire ces distorsions spatiales dans l’accès à l’information, et donc dans les coûts de transaction ? Et quelles sont les réponses apportées par le firmes en termes organisationnels ? En termes très généraux, on peut dire qu’un des effets notoires de la numérisation de l’économie et de la baisse du prix des télécommunications est de faciliter l’éclatement géographique du processus de production, et notamment des fonctions informationnelles, dans le cadre d’une division spatiale du travail de plus en plus fine, dans laquelle les entreprises recherchent la localisation optimum pour chacune des tâches à accomplir. C’est le cas des sociétés qui délocalisent leur comptabilité ou leur relation-client en Inde. Cette décentralisation peut s’accompagner, le cas échéant, d’un phénomène d’externalisation. 59 Dégager des bénéfices, au profit de ses actionnaires, selon le dogme capitaliste. Les frais d’avocat et les primes d’assurance, par exemple, seront d’autant plus élevés que la transaction est plus complexe et risquée, faute d’information. 60 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 88 Regard géographique sur le paradigme numérique 3.2.1. Les TIC dans l’organisation et la gestion d’un cycle de production étendu (PLM : Product Lifecycle Management). Un élément fondamental, dans la perspective de l’étude du role des TIC dans l’organisation spatiale des processus de production, est le concept de cycle de production étendu, dans lequel : a) la distinction entre production manufacturière et services perd sa signification ; b) les tâches peuvent être variablement séparées dans le temps et dans l’espace (“production today is carried out through an extended labor process in which tasks can be separated in both time and space”, Bryson, Daniels & Warf, 2003, pp. 36-37). C’est à travers ce concept de cycle de production étendu, et de fracturation spatiotemporelle, et en relation avec le phénomène de l’externalisation, que doivent être compris les concepts un peu mythiques d’économie post-industrielle, d’économie de service, et, finalement, d’économie de l’information voire de « knowledge economy ». Les analyses actuelles du concept de « production » tendent à y englober toute une série de services, internalisés ou externalisés, qui peuvent être situés en amont, en parallèle, ou en aval, du processus de production stricto sensu (ex : la chaîne de montage des automobiles). En amont : stratégie, conception, design, achats… En parallèle : contrôle de qualité, maintenance, productique. En aval : marketing, publicité, service après-vente… A tous les niveaux : services juridiques et financiers, DRH, informatique et télécommunications etc. Mais on peut aller plus loin : ces notions d’amont et d’aval n’ont plus guère de sens, dans la mesure où les remontées d’information61 qui se font quasiment en temps réel décrivent avec le cœur de production une sorte de boucle sans fin. Le terme de « workflow » est parfois utilisé pour décrire la nature informationnelle et systémique de ce cycle de production étendu (figure n° 29). A workflow system consists of several interconnections between steps or tasks. Each step or task requires a certain input before it can start. Each step or task requires to complete a certain export before it can allow the next step to start. The above definition … can be brought to reality by just making a list of possibilities for these tasks or steps: a telesales representative making a call, a salesmen visiting a prospect, a clerk performing paperwork, a computer performing a task, production preparing a batch, the lab scheduling a test (so that it can be done in combination with other tests, maybe on different process-flows), the lab performing a test, the lab giving its approval, a contractor that completes a task and communicates the completion through the internet, an employee performing an electrical repair, an employee signing out a bill of lading, a client approving a shipment, a trucking company confirming a transport date, a truck that does a transport… www.infochain.be/framesets/orgatool.html 61 Par exemple du contrôle de qualité ou des enquêtes de consommateurs, vers la conception, pour modifications. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 29 89 Le management du cycle de production étendu (source : www.productique.org/web/web3.nsf/e71d2481dd3fb30fc1256b5e004e4c5f/5 db1abe940392848c1256ce600320ade!OpenDocument) Les TIC sont au coeur des processus d’intégration organisationnelle de ce système de production, comme l’illustre la mise au point de suites logicielles dédiées à la gestion du workflow. Oracle (voir publicité figure n° 30), IBM, ou Dassault Systems, proposent des applications qui couvrent la totalité du cycle de vie du produit. Le système CATIA (Computer Aided Three-dimentional Interactive Application) de Dassault Systems permet à des équipes dispersées de par le monde de collaborer au même projet industriel, par l’intermédiaire de plateformes de travail collaboratif comme ENOVIA et SMARTEAM. (http://plm.3ds.com). Parmi les 2000 entreprises qui l’utilisent, on peut mentionner Alstom, Renault (cf. infra), Boeing, Honeywell etc. With CATIA, users simulate the entire range of industrial design processes from marketing and initial concept to product design, analysis, assembly and maintenance. Totally integrated with CATIA, DELMIA, and SMARTEAM, ENOVIA enables users to capture, manage, and exploit the intellectual property they create through product development. It provides company-wide 3D collaborative workspaces that connect 62 suppliers, OEMs , and customers via the Internet. SMARTEAM enables manufacturers to share and exchange product information throughout the enterprise and across the supply chain. Cost effective and rapidly implemented, SMARTEAM also serves as the core of a Collaborative Product Commerce (CPC) enterprise system. http://plm.3ds.com/index.php?id=95 62 Original Equipment Manufacturer. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 90 Figure n° 30 Regard géographique sur le paradigme numérique Publicité ORACLE, The Economist, février 2003 (redessiné par l' auteur). Complete E-Business Suite Projects Marketing Financials Human Resources One Database Service Sales Order Management Procurement Supply Chain Manufacturing All your applications engineered to work together All your information in one place ORACLE La montée de l’externalisation Une partie croissante des fonctions au sein du cycle de production subit un processus d’externalisation, qui s’explique par de multiples raisons (cf Veltz, 2000, pp.180-181) : impossibilité de maîtriser en interne des compétences de plus en plus vastes et pointues ; volonté de gagner en flexibilité, dans un environnement compétitif et fluctuant, face aux rigidités du droit du travail (un contrats de sous-traitance engage moins une société qu’un CDI) ; le même motif doit être invoqué face aux immobilisations en capital fixe (machines, immobilier) ; possibilité d’exercer sur des founisseurs des contraintes que l’on ne peut pas exercer en interne, en termes de coût, de délais, etc. Selon Veltz, (2000, p. 180-181), « il faut maîtriser la chaîne de valeur, mais pas nécessairement la posséder ». Ces phénomènes de lean management63 sont en grande partie la conséquence de ce que P Veltz (2000, p. 104) appelle « les deux leitmotive du discours managérial » : « le retour du client (le client roi) et la « montée de la complexité ». La croissance des centres d’appel est une manifestation éclairante de ces deux thématiques : a) l’exacerbation de la concurrence, l’ouverture commerciale mondiale, placent les clients en position de force. Ce qui se traduit par le renforcement des fonctions marketing des firmes, et par la montée du sur-mesure de masse (mass customization), impossible à satisfaire par les lourdes structures fordistes traditionnelles ; 63 B. Harrison, 1994. Lean and Mean: The Changing Landscape of Corporate Power in the Age of Flexibility. New York: Basic Books. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 91 b) la complexification : l’inclusion de la technologie, la diversification des gammes de produit, l’imbrication avec les services, la tyrannie du temps, sont en partie une conséquence du point précédent. La complexification requiert un transfert des compétences. Le mécanisme va si loin qu’on a vu des dirigeants parler d’entreprises sans usines, lorsque que le cœur de métier, lui même, est externalisé. De fait, on a vu se développer les « outsourcers industriels », comme Solectron ou Flextronics dans l’électronique grand public, qui fabriquent à façon des appareils vendus sous les marques des grands groupes comme Phillips ou Thomson etc. On tend vers « l’entreprise creuse » (hollow organization) lorsque la société se réduit à un actionnariat, un conseil d’administration et un comité stratégique, qui ne possèdent plus rien en propre (la boîte aux lettres et le siège social étant loués). La fin de la partition entre production manufacturière et services est aussi illustrée, à rebours du cas précédent, par l’élargissement de l’activité des entreprises manufacturières à la sphère des services corrélés à leur produit phare. Par exemple, les entreprises d’automobiles vendent de l’assurance et du crédit. On assiste, en fait, à la disparition du concept de marchandise objet, au profit du produit service, surtout dans le secteur professionnel (primauté de la location sur l’achat pour l’automobile, l’informatique, l’immobilier etc.). Ce concept de production étendue est pertinent dans les services, qu’il s’agisse de la logistique ou du tourisme. Ces principes organisationnels, grandement facilités par la convergence numérique, aboutissent à la constitution d’entreprises dites « en réseau », dont il existe plusieurs variantes. Mais toutes ont le même objectif : faire participer les compétences au cycle de production, où qu’elles se trouvent, profiter des avantages comparatifs offerts par chaque territoire, dans le cadre d’un fine division spatiale du travail. 3.2.2. Entreprise en réseau, entreprise virtuelle et TIC L’entreprise en réseau est un concept clé pour la compréhension du rôle des TIC dans les modes contemporains d’organisation de la production. Certains auteurs (voir par exemple Alarçon & Righi, 2001) font la distinction entre « l’entreprise en réseau », qui associe plusieurs firmes dans diverses formes de coopération et d’alliance orientées vers un objectif 64 et « l’entreprise réseau », qui désignerait un mode d’organisation interne à la firme. Les deux expressions sont le plus souvent confondues, comme sont confondus les termes anglais de network et networked enterprise. Une part des ambiguités provient aussi de la différence de définition du mot enterprise, concept fonctionnel qui n’est pas tout à fait synonyme de company ou firm, au sens plus juridique. Cette différence se retrouve dans la citation de M. Castells ci-dessous. The future of the networked company. Recent years have seen the rise of network organizations, groups of "unbundled" companies collaborating across the value chain to deliver products and services to customers. www.mckinseyquarterly.com/article_abstract.asp?tk=286469:1091:21&ar=1091&L2=21 &L3=37 64 Pour Sieber et Griese, c’est une entreprise virtuelle. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 92 Regard géographique sur le paradigme numérique What emerges from all these trends is a new business form: the network enterprise. By such I do not mean a network of enterprises, but the actual unit of business operation, made up of different companies or segments of companies, as well as of consultants and temporary workers attached to specific projects. The agents of the business project form, for each project, an enterprise that is defined by the task, by the performance, not by its legal boundaries: this organized system of agents, focused on one particular project at a given moment, is the actual operating unit of the new, flexible economy. M. Castells, www.itcilo.it/actrav/actrav-english/telearn/global/ilo/seura/castel.htm Cette network enterprise, telle que la définit Castells, semble bien correspondre au modèle d’organisation virtuelle défini par Sieber et Griese : A virtual organization is a goal-oriented enterprise (i.e., unit or function within a company) operating under metamanagement. The switching principle lies at the heart of virtual organization. It captures the distinctive contribution of this new organizational paradigm. Division of labor and functional specialization account for the lion' s share of the technology' s contribution to effectiveness and efficiency of contemporary enterprise and electronic commerce. Add switching to the mix and out pops the virtual organization. Sieber & Griese (éds.), 1999. Organizational Virtualness and Electronic Commerce, p. 10. Pour Meissonier et al. (1999, p.8-9), l’usage des TIC est au plus haut point constitutif de l’entreprise virtuelle, dont l’objet, pour partie, est de rassembler les compétences tout en se jouant des contraintes de l’espace géographique : The specific characteristic which distinguishes virtual enterprise from “classical” network is the use of NIT [new information technologies]. Indeed, virtual enterprise tries to get round time and space constraints by having a moving geographical scope outlined by data computerized links… Without NIT there’s no virtual enterprise…NIT may be viewed as a catalyst to the setting-up of collaborations or partnerships between enterprises geographically dispersed. NIT allows firms to develop projects more easily with foreign partners in order to access markets, to take advantage of local resources, or to share competencies and knowledge. Il en va de même pour Franke, qui souligne la place centrale des TIC, tout en citant une définition dont l’intérêt est de ne pas nous enfermer dans un schéma trop général. A Virtual Corporation is a temporary network of independent companies - suppliers, customers, and even rivals - linked by information technology to share skills, costs, and access to one another’s markets. This corporate model is fluid and flexible - a group of collaborators that quickly unite to exploit a specific opportunity. Once the opportunity is met, the venture will, more often than not, disband. Technology plays a central role in the development of the virtual corporation. Teams of people in different companies work together, concurrently rather than sequentially, via computer networks in real time. Byrne J.A. 1993, The virtual corporation, Business Week, Feb. 8, 35-40. Cité in Franke, 1999, p. 7. Un exemple d’entreprise en réseau (ou entreprise virtuelle) : INI-Graphi Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 93 gather an annual volume of research of more than 41 million Euro.The center of this network of research is Darmstadt. Beside the Fraunhofer Institute for Computer Graphics (IGD) it comprises also the Computer Graphics Center (ZGDV) and the Interactive Graphics Systems Group (GRIS) as well as the INI-GraphicsNet Foundation. www.inigraphics.net/about/index.html The network consists of approximately 20 Cisco Catalyst® switches… and 10 routers… serving approximately 1300 computers. The IGD uses a single network management server loaded with the CiscoWorks LAN Management Solution (LMS) 2.0 and CiscoWorks Routed WAN (RWAN) Management Solution 1.1. www.cisco.com/en/US/netsol/ns340/ns394/ns107/networking_solutions_customer_profi le09186a0080115e52.html Toutefois, ce serait une erreur d’apprécier le rôle des technologies numériques en bornant le concept d’entreprise en réseau à la définition restrictive de l’entreprise virtuelle. Car l’entreprise « en chair et en os », si l’on peut dire, c’est à dire dans sa forme stable traditionnelle, juridiquement intégrée et pérenne, s’organise de plus en plus autour d’un réseau de sites et de compétences qui autorise à parler, quand même, d’entreprise en réseau. Ainsi, la companie Cisco Systems, leader mondial en solutions réseau pour l’entreprise propose un concept voisin de Network Virtual Organization (Cisco Systems 2003), qui place le client au centre de tout le système, mais qui n’a rien à voir avec l’entreprise virtuelle orthodoxe des chercheurs. De la même manière, P. Veltz développe un concept d’entreprise en réseau qui n’est pas synonyme de « structure coopérative temporaire et orientée objectif », même si les task forces qui peuvent se créer temporairement au sein d’un groupe en réseau peuvent, de facto, être considérées comme des organisations virtuelles. En tout état de cause, le rôle indispensable des TIC est, une fois encore, reconnu. C' est l' évidence même que l' émergence d' un puissant réseau numérique de télécommunication était une condition sine qua non pour que les entreprises profitent complètement de la division spatiale du travail, dans l' industrie comme dans les services. La tendance actuelle à la formation des grandes firmes en « business units » autonomes sur le plan de leur gestion ne se conçoit également pas sans l' existence de réseaux performants entre ces unités, qui, pour être autonome, n' en sont pas moins soumise à des exigences en matière de norme et de résultats. Par ailleurs, ces entreprises en réseau doivent maintenir un unité de pilotage et de veille, chargée, notamment, de faire circuler l' information de nature stratégique entre les unités. Veltz, 2000, p179. Un des élements clé de cette extrait est la référence à la « division spatiale du travail », sur lequel nous reviendrons plus longuement. Veltz parle de condition sine qua non, pas de facteur causal. On ne le répétera jamais assez, le paradigme numérique joue dans ces phénomènes organisationnels un rôle facilitateur, voire incitatif, tout au plus. Avec un effet en retour : plus les entreprises utilisent les nouvelles technologies, plus les entreprises fournisseuses sont incitées à développer de nouvelles applications, plus les prix baissent etc. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, nous verrons que les entreprises du secteur des TIC proprement dit sont à l’avant-garde du processus. The existing theories supporting decentralization do not necessarily promote IT as the causal factor which motivates the trend; rather, the technology is consistently highlighted as a facilitator of decentralization… Telecommunications is perceived as a powerful device that may assist industries to achieve goals that are determined independently of communications considerations. Amirahmadi, 1995, p. 1751 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 94 Figure n° 31 Regard géographique sur le paradigme numérique Les facteurs de la création de l'entreprise virtuelle (Source : Franke, 1999, p.5) 3.2.3. Economie de plateforme et convergence numérique La notion de « plateforme » est considéré par K. Ohmae (2001-a) comme un des concepts clé du système productif contemporain. Les plateformes sont des normes communes, ou des sytèmes d’interface, sur lesquels viennent se connecter des agents économiques pour réaliser une série d’opérations ou de transactions. Ces opérations peuvent être matérielles et/ou informationnelles, mais, compte tenu de ce que nous avons dit précédemment sur le concept de cycle de production étendu, l’informationnel domine. La suite logicielle CATIA-ENOVIA-SMARTEAM est, typiquement, une plateforme de PLM. Ces plateformes sont courantes dans le système financier (ex : VISA, SWIFT), les télécommunications (Internet !), l’informatique (Windows/Intel), le commerce (Amazon, E-bay). La langue anglaise peut être considérée comme une plateforme, de même qu’il peut exister des plateformes territoriales (pour l’informatique : Silicon Valley, Bangalore…). Cette vision du système productif organisé en couches successives (les plateformes) s’adapte bien à la définition des réseaux de télécommunication en couches abordée plus haut. Le concept de réseau-plateforme est défendu par N. Currien (1999). M. Volle parle de « place de marché télé-informatique », pour décrire les services à valeur ajoutée qui se sont greffés sur le réseau numérique. Nous verrons que cette façon d' envisager le rôle des réseaux de télécommunication, et au delà, les technologies numériques en général, est tout à fait adaptée à la compréhension des plateformes de commerce électronique (qu' on appelle justement « places de marché »). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 95 L’évolution des TIC réside essentiellement dans le changement du rôle des réseaux de télécommunications. De moyens de communication qu’ils étaient, ils deviennent une place de marché sur laquelle se réalisera une grande partie des transactions économiques. M. Volle, 1995, p. 65. Les fonctions organisatrices des réseaux leur confèrent un statut singulier au regard de l' analyse micro-économique. Vus en tant qu' équipements physique d' interconnexion, ils appartiennent à la catégorie des ressources productives ; vus en tant que services de mise en relation, ils appartiennent à celle des biens et services ; mais regardés en tant que supports d' une intermédiation économiques, il ressortissent plutôt à celle des institutions constituant une sorte de nouvelle place de marché indispensable à la réalisation des transactions entre les agents économiques. N. Currien, in Callon et al., 1999, pp.138-139. Des « externalités de convergence » L’enquête que nous avions effectué avec S. Lafaurie en 2001 auprès des entreprises lyonnaises du secteur des TIC avait mis en évidence un brouillage des catégories classiques de ces métiers, qui venait concrétiser le phénomène de la convergence numérique. De nombreuses entreprises s’étaient avérées incapables de se placer dans une catégorie bien définie, car elles touchaient à divers métiers de l’intelligence économique. Dans le graphique ci-dessous (figure n° 32), nous proposons de représenter l' articulation des différents métiers liés aux TIC (les quatres angles du carré), sous l' effet de 4 tendances fondamentales (encadrées en rouge). - la numérisation de l' information (au sens large) ; - la généralisation de l' externalisation (ou outsourcing) ; - l' intégration sous Internet (IP) d' un nombre croissant d' activités de production, acquisition, stockage et acheminement d' information numérisée (ex : voix sous IP, jeux en ligne) ; - l' affirmation d' une économie de l' audience, entièrement tournée vers le consommateur, qui demande de plus en plus de flexibilité et de réactivité (d' où l' explosion des centres de contacts/centres d' appels). Aux quatre angles du graphique sont situés les 4 grands secteurs économiques potentiellement intégrés : l' informatique, les télécommunications, les médias et la communication, le consulting. A l' intérieur du graphique se trouvent les entreprises plus spécialisées, qui utilisent une ou deux compétences. Certains secteurs sont entièrement nouveaux (par rapport au début des années qautre-vingt-dix) : infogérance, co-location, Internet et Multimédia (Web design, jeux vidéo). D’autres ont été fortement renouvelés par la convergence numérique et l’économie de plateforme : informatique, SS2i, télécommunications, relation client, marketing et communication d’entreprise. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 96 Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 32 Le carré magique des métiers de la nouvelle économie numérique PUB / COM INFORMATIQUE NUMERISATION Editeur de produits x-média Logiciel pour l’Internet et les télécom Presse électronique OUTSOURCING Intégrateur de services en informatique et communication (SS3i) INTERNET Intégrateur de solution e-business Agence de communication interactive Places de marché CONSEIL FAI MARCHE CRM Co-location Opérateur TELECOM RESEAUX Dans l’étude de la géographie de ces activités dans l’agglomération lyonnaise (Moriset, 2003), nous avions mis en évidence les mécanismes d’émergence et de concentration spatiale, et le développement des relations interfirmes et des opportunités de synergie apportée par la convergence et l’économie de plateforme. Dans son étude du pôle technologique de Denver (2001), G. Le Blanc propose le concept clé des « externalités de convergence », qui vont au delà des externalités marshalliennes classiques. Leblanc explique que l’éclatement des frontières entre les secteurs des TIC favorise l’émergence de liens interfirmes, et l’apparition de nouveaux produits et services, qui contribuent à faire grossir et diversifier l’économie du cluster (encadré n° 6). Ces phénomènes sont à la base de l’émergence, de par le monde, des nouveaux districts de l’économie numérique. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 97 Encadré n° 6. Economie numérique et externalités de convergence à Denver. G. Le Blanc, 2001, p. 18. Quelles sont les mécanismes de cette convergence au niveau micro-économique des marchés et des firmes ? C’est d’abord un phénomène technologique : la numérisation de l’information fait éclater les anciennes frontières entre les réseaux dédiés de chaque industrie. Désormais, la transmission de la voix, de données, d’images, de la télévision peut emprunter un même réseau qui devient multiservices. Dès lors, les opportunités d’entrée sur un autre marché que celui sur lequel la firme est présente se multiplient. Les opérateurs du câble commercialisent des services téléphoniques et d’accès Internet. Grâce à de nouveaux réseaux entièrement bâtis autour du protocole IP (Internet) des entrants dans les télécoms comme Level3 sont en mesure de proposer une offre intégrée de communications : téléphonie sur Internet, données et accès au Web. On peut multiplier les exemples en combinant différemment services télécoms, on-line, diffusion télé, traitement de données, logiciels ou services informatiques et réseaux. D’autres possibilités sont en outre offertes par le déploiement de l’accès Internet haut débit, marché sur lequel les firmes locales sont particulièrement actives et présentes dans toutes les technologies en compétition : US West, Rhythm (ADSL), ATT&TCI câble), Echostar, Primestar (satellite), American Telecasting, Nextlink (radio). Cette dynamique innovante des technologies de l’information a deux effets principaux, particulièrement visibles dans le district de Denver : d’une part, une modification profonde de la structure de l’industrie par intégrations verticales et horizontales, d’autre part, la création de nouveaux services par rapprochement de compétences, de produits ou de marchés issus de secteurs TI différents. La fusion d’AT&T avec les opérateurs du câble TCI et Media One en 1998 et celle du nouvel entrant des télécoms Qwest avec l’opérateur historique US West l’année suivante sont deux manifestations locales spectaculaires du premier phénomène. Mais il concerne également à une échelle plus réduite fournisseurs de services on-line et opérateurs télécoms de la région, ou encore éditeurs de logiciels et fournisseurs de services de traitement de données. Le second effet est particulièrement important et identifie selon nous la spécificité du district numérique dont Denver constitue une sorte d’idéal type. En effet, il pointe comment, à partir d’une base industrielle donnée, de nouvelles opportunités de croissance (et d’emplois) s’ouvrent aux firmes locales des TI par augmentation de la variété des services offerts. Dans les centres d’appels, des services on-line avec les logiciels et les moyens de communication associés s’ajoutent aux services traditionnels par téléphone…En 1999, Level3 opérateur télécoms et Lucent équipementier télécoms se sont associés localement avec plusieurs petites firmes de logiciels et de systèmes informatiques pour développer la nouvelle génération de commutateurs (softswitches) permettant d’interconnecter réseaux IP et réseau téléphoniques pour offrir aux particuliers des services téléphoniques par Internet. StorageTek, créée en 1969 (par spin-off de l' usine IBM de Boulder) et spécialisée dans le stockage de données informatiques, a de son côté développé une offre jointe avec Level3 pour proposer aux entreprises des services de stockage et de gestion à distance de leurs informations numérisées. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 98 Regard géographique sur le paradigme numérique 3.3. Le rôle des TIC dans l’organisation spatiale de la production : démonstration empirique L’outrance des discours déterministes et utopiques de la fin des années quatrevingt-dix (fin des distances, fin de la géographie…), l’explosion de la « bulle » spéculative de l’économie numérique en 2000-2001, l’abondance de la littérature sur le « cyber-espace », peuvent provoquer un phénomène de rejet qui oblige le géographe travaillant sur ces questions à un effort particulier de démonstration empirique. Dans la section précédente, nous avons essayé de montrer le rôle des TIC dans les modes contemporains d’organisation spatiale et fonctionnelle de la production marchande. A la suite de cette approche principalement théorique, il nous semblait important d’apporter des éléments de démonstration concrets dans un certain nombre de secteurs d’activité, ou autour de certaines pratiques spatiales particulières, comme le télétravail. 3.3.1. Les TIC et l’organisation spatiale des entreprises industrielles : exemple de l’industrie automobile Nous avons présenté précédemment un modèle d’entreprise virtuelle, INIGraphicsNet. Mais les TIC, et notamment l’Internet, sont utilisés de plus en plus intensivement par les entreprises traditionnelles pour diminuer les « frictions » causées par la distance géographique dans leur organisation, soit en interne, soit dans les projets collaboratifs (encadré n° 7). Le secteur automobile, pour plusieurs raisons, est particulièrement représentatif des nouveaux modes organisationnels de la « nouvelle économie » gourmands en TIC : il s’agit d’un secteur de grands groupes, hautement capitalistique et mondialisé ; le secteur est fortement concurrentiel ; mais, compte tenu de la lourdeur des investissements, la recherche des économies d’échelle oblige à des partenariats avec les concurrents ; les groupes automobiles doivent intégrer un workflow complexe, incluant des milliers de fournisseurs ; c’est un secteur orienté client ; les produits ont un fort contenu émotionnel (rôle du design, de la marque), d’où un mélange unique de savoir-faire technologique et de créativité. L’industrie automobile, comme l’aéronautique, est un des secteurs leaders dans la constitution d’entreprises étendues, et dans l’utilisation des applications informatiques les plus avancées en PLM (relation client, supply chain management, CFAO etc.). Les plateformes de travail collaboratif intègrent des applications comme la visio-conférence, mais aussi des centres d’appel sophistiqués, couplés à des systèmes de gestion de base de données, qui permettent aux concessionnaires et mécaniciens d’avoir accès aux données techniques actualisées concernant les véhicules. Ainsi, les spécifications techniques Citroen (21 000 pages) sont compilées sur « Laser Pack », un DVD réactualisé chaque mois, qui est adressé à Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 99 1100 filiales et concessionnaires dans 75 pays. Un centre d’appel65 ouvert 24 heures sur 24 vient compléter le support technique (www.techcity.fr). De la même manière, Daimler Benz possède un service d’assistance technique interne de 56 opérateurs, STAR, qui reçoit 37 000 appels par mois. The system is designed to enable the Service Technical Assistance Resource (STAR) center to take the time to educate callers, rather than just answer their immediate needs. A mechanic uses the phone' s keypad to punch in the vehicle identification number of the car he or she is working on, as well as the type of service the car needs. This information electronically flows to the call-center employee, and appears on his or her computer screen as the call is connected. 2.21.2000, www.industryweek.com/CurrentArticles/asp/articles.asp?ArticleID=752, Encadré n° 7. Les télécommunications et le travail collaboratif à distance dans l’industrie automobile. M. Emmanuel Grandserre, Sté. 4iCOM, Chargé de mission auprès du directeur de la stratégie de Citroën (Source : Caisse des Dépôts, Sénat, 2002, pp. 19-20). Le premier point important pour les grands groupes à l’heure actuelle est de pouvoir apporter un accès Internet/Intranet à très haut débit pour les collaborateurs. Le second point, qui va dans le sens du développement du haut débit dans le secteur automobile, est le travail collaboratif. En Europe, a été mis en place le réseau ENX qui regroupe un ensemble de constructeurs européens, ainsi que des fournisseurs, des équipementiers de rang 1. Aujourd’hui, une cinquantaine d’entreprises sont sur ce réseau avec protocole IP. Il est sécurisé. Il a deux fournisseurs : Deutsche Télékom et France Télécom. Une application est aujourd’hui de plus en plus importante : la visioconférence. Avec des hauts débits, il serait possible d’avoir des visioconférences de très haut niveau. Renault est en train de le mettre en place avec Nissan. Le lien devrait passer à 20,8 mégas d’ici peu, voire 45 dans le futur. Il existe de fortes disparités au niveau géographique, ce qui présente de très grosses difficultés pour les acteurs, en particulier pour les PME-PMI qui travaillent avec les constructeurs. Elles ne peuvent accéder à ce réseau ENX pour une question en particulier de coût. Il s’agit d’un problème majeur. Au niveau des concessionnaires, il est indispensable qu’ils puissent disposer d’accès haut débit, afin de recevoir toutes les nomenclatures de véhicules. Dernièrement, nous avons visité le centre de recherche et développement de Daimler-Chrysler. Nous avons été séduits de voir que vers 14 heures débutait une réunion entre les bureaux de Stuttgart et ceux de Bangalore dans lesquels travaillent les ingénieurs d’HCL, le travail collaboratif se mettant en place en testant des routines en temps réel. L’un des dirigeants de ce centre nous a dit : le choix de Daimler-Chrysler s’est porté sur l’Inde pour des raisons de compétence des ingénieurs indiens reconnus pour leurs aptitudes élevées en informatique ; pour l’environnement (infrastructures télécoms disponibles), ils ont pu avoir à disposition des lignes très haut débit pour pouvoir relier leur centre de Stuttgart et les différents centres à travers le monde, et pour des questions de coût. En termes de perspective, il est attendu une augmentation des débits. Le design ne se fait pas encore aujourd’hui en collaboratif, mais cela pourrait être envisagé. Il faudra des puissances et des tuyaux de taille importante pour échanger de l’information. 65 Opéré par Techcity, filiale de SR Teleperformance, numéro un mondial des centres d’appel externalisés. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 100 Regard géographique sur le paradigme numérique Les TIC au service de la stratégie d’un groupe en voie de mondialisation : l’exemple de Renault Renault affiche depuis quelques années des ambitions mondiales : alliance avec Nissan, rachat de Samsung Motor (Corée) et de Dacia (Roumanie). Renault à lui seul doit gérer 350 sites industriels et commerciaux, 6000 fournisseurs. Sur 132 000 employés dans le monde, 60 000 utilisent un ordinateur. Renault applique des principes généraux qui sont : le travail en mode projet, l’implication croissante des fournisseurs dans les projets, la recherche de partenariats (Nissan, PSA, Opel). Renault fournit une parfaite démonstration du paradoxe géographique de l’économie numérique et de la dialectique concentration/dispersion. La concentration, c’est le rassemblement en 1996 de toutes les fonctions de recherche, design et conception du groupe au sein du « Technocentre » de Guyancourt près de St-Quentin en Yvelines, site ultra-moderne de 350 000 m2 qui emploie 7500 personnes, principalement ingénieurs et techniciens, dont un millier appartiennent à des fournisseurs (principe de l’entreprise étendue). Le centre comporte notamment une salle de vision numérique en 3D, qui permet de visualiser les projets à l’échelle 1/1. Mais cette stratégie de concentration trouve des limites matérielles. Aussi, les TIC ont été mises au service d’une stratégie d’intégration fonctionnelle géographiquement déconcentrée, en interne comme en externe. La visioconférence permet par exemple à des ingénieurs de l’usine Renault de Curibita de travailler à la mise au point de nouvelles machines en temps réel avec les ingénieurs de Guyancourt. La mise en œuvre du logiciel de CFAO CATIA permet aux grands fournisseurs comme Valéo de participer à tous les stades du Product Lifecycle Management. Les échanges de données avec les fournisseurs ont évolué pour atteindre trois niveaux : le modèle 3D et le plan CAO natif, les échanges de métadonnées qui s' apparentent à un CAO Natif (Product Data Management), et le partage de données dans un espace collaboratif disposant d' une interface web. Un Système de Gestion de Bases de Données a été mis en place avec une première version en mars 2001 permettant la visualisation 2D et 3D. La version 2 du système permet aujourd' hui au fournisseur de télécharger directement des modèles 3D. Il peut créer de nouveaux documents, réviser, attacher des documents. Les représentations dans un autre espace sont également possibles (exemple de Covisint). www.productique.org/web/web3.nsf/0/B5ECB57AEFC4E30DC1256C75002ECF12?Op enDocument Renault a vu la nécessité de créer deux centres design relais du Technocentre de Guyancourt, à Barcelone en 2000 (où a été conçu le design de la Scenic II), et à Paris XIIe, rue du Faubourg St-Antoine (inauguré le 24 juin 2003, 15 personnes sur le site). Par ailleurs, un designer a été envoyé en 1998 à Buenos Aires comme « antenne Renault Design dans le Mercosur ». Ces implantations ont pour objectif avoué de maintenir les designers au cœur des foyers de créativité que sont certains quartiers centraux des villes considérés. En s' installant à Guyancourt, … Renault savait qu' il prenait le risque de trop éloigner ses designers de ce foyer culturel extraordinaire qu' est Paris. Design fax, n° 272, 11 décembre 2000, http://designfax.free.fr/actu/unes/renault_01.html Au cœur des tendances, le quartier de la Bastille accueille désormais le Design de Renault. Les Centres satellites ajoutent une dimension complémentaire à l' édifice. Ils permettent aux designers de s' inspirer des tendances culturelles qui bruissent dans les lieux où ils se trouvent. www.renault.com/datamedia/doc/mediarenaultcom/fr/5505_CentreDesignParisFR.pdf Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 101 On voit donc les limites de l’utilisation des nouvelles technologies pour le travail distant dans les activités de créativité où l’information essentielle provient, effectivement, d’un « bruissement » à travers de multiples canaux. Nous allons voir qu’il en va de même dans un autres secteur également très gourmand en TIC, celui de la finance. 3.3.2. La finance électronique : les limites d’un espace économique virtuel Le secteur financier, notamment la finance internationale, est l' un de ceux pour lesquels les « effets spatiaux » des TIC sont bien reconnus. Quand aux ' effets structurant'des télécommunications sur la localisation des activités, ils sont proprement insaisissables, sauf en négatif, par leur absence, et à l' exception de services hautement spécialisés liés aux marchés financiers internationaux. Veltz, 1996, p. 218. De fait, le secteur financier est très gourmand en TIC, et ce même au niveau du simple consommateur, comme l' illustre la maille très fine du réseau des distributeurs automatique de billets et des terminaux de carte VISA qui équipent, en France notamment, la presque totalité des commerces, restaurant, etc. Comme le rappelle Jean Gadrey, certains ont vu dans la suppression des activités de guichet ou front office une source de restructuration qui devait faire de la banque la « sidérurgie » des années 2000. Il n' en a rien été. Bien peu de succursales ont fermé, parce que la rationalisation des activités s' est accompagnée d' une un enrichissement des tâches de diversification des fonctions bancaires66 et d' contact-client. Le « guichetier », remplacé par un automate, une boîte vocale ou un site Web, s' est transformé en « conseiller financier ». Par ailleurs, la compétition féroce à laquelle se livrent les établissements, et la concurrence même de la banque en ligne incite les banques à se rapprocher physiquement de leurs clients, pas à s' en éloigner. Incontestablement, les TIC ont permis aux fonctions financières d' atteindre à une forme d' ubiquité géographique dans leur relation avec le client, qui n' a plus besoin de se déplacer pour réaliser des opérations courantes, et peut retirer de l' argent un peu partout. Mais les TIC n' ont pas seulement une vertu facilitatrice. Elles ont donné naissance à des activités nouvelles, conçues par et autour des TIC, tout en ayant parfois un impact sur certaines localisations. Le paradoxe est que les activités financières de haut niveau, les plus gourmandes en services de télécommunication performants, sont aussi les plus concentrées géographiquement. Jusqu’à un certain point. Le marché électronique des devises et produits dérivés Traveling at the speed of light, as nothing but assemblages of zero and ones, global money dance dances through the world' s fiber optic networks in astonishing volumes. Warf & Purcell, in Leinbach & Brunn, éds., 2001, p.227. 66 Multiplication et complexification des produits financiers destinés aux particuliers, ventes d' assurance… Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 102 Regard géographique sur le paradigme numérique Succintement, on peut dire que le gros des transactions sur ces marchés répond à deux objectifs : le profit par la spéculation sur les cours des devises, la réduction des risques de taux et de changes. La particularité de la finance électronique, comme le marché des assurances et comme certains usages en vigueur dans les centres d' appel, est de tirer pleinement parti de l' espace-temps, pour assurer un fonctionnement continu, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le système fonctionne d' est en ouest, suivant la trajectoire apparente du soleil : les transactions s' opèrent à Tokyo, puis se transportent à Londres, enfin à New York, puis de nouveau à Tokyo et ainsi de suite. Les virements électroniques permettent aux acteurs, plusieurs fois par jour, de mettre en jeu des milliards de dollars, de yen ou d' euros, pour profiter de minimes différences, ponctuelles, dans les cours des devises, ou dans les taux d' intérêts (marché des swaps et autres produits dérivés). Le système est géré par des consortiums de paiement interbancaires comme CHIPS (Clearing House Interbank Payment System) ou SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications) qui fonctionne dans 136 pays. Les sommes qui transitent ainsi sur les réseaux numériques sont sans commune mesure avec celles de « l' économie réelle ». En 2003, le marché des devises, de loin le plus important, échangeait 1800 milliards de dollars par jour, à comparer au commerce international mondial : 6424 milliards de dollars par an en 2002 (sources : www.currencymarketwatch.com et Organisation mondiale du commerce, www.wto.org). Des places boursières entièrement électroniques Un des éléments structurants du paysage financier international est la création de plateformes d' échanges entièrement électroniques, dites Electronic Communication Networks ou ECN comme Archipelago Exchange ou ArcaEx, au nom révélateur. Archipelago a été créée en 1996, pour fonctionner essentiellement sur le NASDAQ, et permet aujourd' hui d' échanger sur tous les grands marchés américains, notamment le New York Stock Exchange (NYSE) De grandes banques d' affaires et grandes sociétés de courtage comme Goldman Sachs, Merrill Lynch ou J.P. Morgan sont entrées dans le capital de Archipelago, qui a fusionné sa plateforme avec plusieurs ECN majeurs, comme Pacific Exchange (PCX) en 2000, REDIBook en 2002 (source : Pohl, 2001 ; www.archipelago.com). Le développement de Archipelago a entraîné la fermeture de la salle des marchés de San Fransisco. Bien que entièrement électronique, ArcaEx n' est pas ouvert 24 heures sur 24 comme on aurait pu l' imaginer, mais de huit heures du matin à huit heures du soir. Le siège de la société est à Chicago, et elle possède des bureaux à New York, San Francisco et Londres The Archipelago Exchange (ArcaEx) combines the best traits of current market structures with revolutionary technology. The result is a faster, more transparent, more consistent exchange. ArcaEx gives all traders access to the same information and the same opportunities, at the same time. If a displayed order steps ahead of yours, you see it the moment it happens. Everyone is free to act or react as they decide. Fully electronic matchmaking replaces the old face-to-face auctions of the trading floor. Unlike traditional exchanges, ArcaEx provides a fully automated, totally transparent opening auction for all stocks traded on ArcaEx. www.archipelago.com La géographie des places financières mondiales : le rôle essentiel du contact humain et de la concentration des compétences. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 103 L' exemple précédent ne doit pas faire illusion. La bourse en ligne, pas plus que les boîtes vocales qui permettent de consulter les comptes courants à distance, n' ont pas minimisé la dimension fondamentalement territoriale de l' activité financière. Bien au contraire : la finance de haut niveau est le parfait exemple du rôle paradoxal des télécommunications dans la concentration géographique de certains services, « loin des clients, mais proches des concurrents » comme écrit S. Sassen (2000). Le marché des produits dérivés (swaps notamment) illustre parfaitement la concentration capitalistique et géographique extrême d' une activité reposant entièrement, pourtant, sur les TIC et les transactions dites en temps réel. Le marché repose sur une quinzaine de banques, qui réalisent 80 % des transactions mondiales (Agnes, 2000, p. 35267). En 1995, cinq places financières dépassaient individuellement 10 % du marché mondial des swaps (63 000 milliards de dollars) : Londres (plus de 20 %), New York, Tokyo, Singapour, Paris. La concentration géographique la plus extrême est atteinte par le marché des crédits dérivatifs, qui a quintuplé entre 1997 et 2002, pour atteindre un encours de 1581 milliards de dollars : presque la moitié de ces crédits, soit 741 milliards de dollars, ont été négociés sur la place Londonienne (source : British Bankers' Association (BBA), www.bba.org.uk). City of London will do fine even if the UK remains outside the Euro. Success is determined not by proximity to markets, but by the trading environment - the regulatory regime, infrastructure, the advantages of size, and a critical mass of skilled and qualified staff The Financial Time, juin 2001, cité par Pohl, 2001. Cette concentration géographique marque le retour du territoire dans la localisation de l' activité. Depuis Gottmann, la plupart des auteurs qui se sont penchés sur la localisation des services de haut niveau insistent sur le rôle des économies d' agglomération ou externalités positives que procurent la concentration, en un lieu restreint, d' un grand nombre d' acteurs de la même branche. Storper, tout particulièrement, insiste sur le concept de untraded interdependency, en tant qu’élément constitutif essentiel du territoire économique (1997). Dans le secteur financier, les avantages comparatifs que peuvent obtenir les firmes proviennent souvent de sources d' information informelles, qui constituent le bruit de fond d' un milieu d' affaire : fuites, « tuyaux » et rumeurs colportés lors des « dîners en ville », vernissages ou parties de golf, qui vont permettre à un acteur de valider les informations obtenues par des moyens plus officiels, et de prendre la bonne décision, avant les concurrents, avec une probabilité de succès légèrement accrue68. Pohl (2001) évoque la notion « d' assymétrie informationnelle » pour formaliser ce genre d' avantages offerts par la concentration spatiale des acteurs. Une autre raison majeure à la forte concentration spatiale de ces activités est qu’elle requiert des personnels hautement qualifiés et des systèmes informatiques très complexes à mettre au point. La géographie des places financières mondiales illustre bien la géographie à double tranchant (double edged) comme l’écrivent Leamer et Storper (2001), qui hésite entre agglomération et dispersion. L' analyse de Pierre Agnes (2000) sur le fonctionnement du marché des swaps en Australie explique pourquoi les acteurs sont concentrés à l’échelle d’une salle de marchés, mais aussi, pourquoi les hubs 67 "The "End of Geography" in Financial Services? Local Embeddedness and Territorialization in the Interest Rate Swaps Industry". Economic Geography, vol. 76, n° 4, pp. 347-366 68 Car dans ce domaine, il n' est pas question de réussite à tous les coups : au moment des bilans, 1% de réussite en plus ou en moins font toute la différence entre pertes et profits. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 104 Regard géographique sur le paradigme numérique régionaux comme Sydney se sont maintenus, du fait de divers facteurs culturels et de la nécessité de « sentir le marché » (market feeling). En dépit de l' extrême sophistication du système interbancaire de télécommunications, qui rend possible les transactions sur les produits dérivés à distance (off shore), le travail en salle de marchés repose sur un système hybride téléphone-voix humaine, dans lequel la proximité physique (quelques mètres) permet de réaliser des transactions en quelques secondes, bien moins qu' il n' en faut pour contacter un interlocuteur à l' autre bout du monde. Ce type de marché exige une réactivité extrême, qui rend la proximité physique indispensable. There are windows of opportunity for trading a particular swap at a particular price. In Sydney, everyone has voice boxes and you press a button, and just shout. This takes three seconds. You would not get this information offshore, because you are sitting alone. It might take five minutes to get a hold of the bloke in Hong Kong or Tokyo… and by the time I get them, they have missed that window anyway. Interview d' un courtier par P. Agnes, 2000, p. 356. Une organisation en "hubs and spokes" (d' après Langdale, 2001, p. 211) Figure n° 33 LONDRES NEW YORK TOKYO / SINGAPOUR Sydney Bureaux nationaux Hubs régionaux 3.3.3. Le commerce électronique et la logistique Le commerce électronique - plus généralement toutes les formes de commerce à distance - et la logistique, sont parmi les activités qui démontrent le mieux le phénomène de convergence numérique au sein du système économique, ainsi que la complémentarité paradoxale entre les transports d' objets matériels, qui mettent en valeur la capacité de friction de l' espace géographique, et les télécommunications, quasi-instantanées, qui semblent se jouer de l' espace géographique69. 69 Les temps de latence des transmissions modernes sont presques imperceptibles pour l' usager terrestre. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 105 Définition et évaluation du commerce électronique Les définitions du commerce électronique diffèrent selon les auteurs et les pays. Ainsi, l' ouvrage de Leinbach et Brunn, Worlds of E-Commerce (2001, pp. 12-13), propose une définition très larges (toutes formes de transactions électronique) et présente des travaux sur les transactions financières (marché des devises etc). Related terms often used synonymously with e-commerce are e-business and emarkets… It includes any form of economic activity conducted via electronic connections. The use of information and communication technologies to network economic activities and processes, in order to reduce information related transaction costs to gain a strategic information advantage. En français, le sens diffère notablement, puisque le terme commerce, dans l’usage courant, exclue les transactions financières70. Certes, on parle de « commerce de l' argent », mais il ne s' agit que d' une métaphore. Il semble préférable de conserver le sens restreint du terme : commerce de détail, de gros, des biens, des services, organisation mondiale du commerce etc. et nous ferons de même. Les analystes du commerce électroniques prennent en compte le commerce des services, qui inclut une gamme très large. L' organisation mondiale du commerce énumère les rubriques suivantes : transports, voyage, télécommunications, services informatique, poste, assurances, service financiers, royalties et licences, services aux entreprises, services culturels et éducatifs (source : www.wto.org). Dans cette section, nous nous intéresserons essentiellement au commerce électronique des marchandises, qui permet d' examiner les rapport étroits et paradoxaux que les TIC entretiennent avec les transports au sein de la chaîne logistique. On distingue traditionnellement le commerce interfirmes (Business to Business ou B to B) et le commerce de détail (Business to Consumers, ou B to C). Ce dernier est le plus médiatique. Les nombreuses start-ups qui se sont lancées dans le commerce en ligne de tout et n' importe quoi, et qui ont fait faillite en masse après 2000, ont largement contribué au développement d' une vision fausse du commerce électronique, en symbolisant le gonflement de la bulle Internet. Les succès comme Amazon et E-bay (enchères en ligne) ne doivent pas masquer une réalité, à savoir que le commerce électronique relève d' abord du commerce interfirmes, dans une proportion des quatre cinquième environ. Il est pratiquement impossible d' avoir des données précises et fiables sur la question. Le rapport de l' IDATE Digiworld 2002 évalue le commerce électronique mondial dans une fourchette de 230 à 650 milliards d' euros, dont 40 à 70 milliards pour le commerce B to C (1% du commerce de détail mondial). Le tableau publié par Le Journal du Net confirme ces données, qui montrent par ailleurs la place prépondérante des Etats-Unis (tableaux n° 11 et 12). 70 La nomenclature officielle des activités distingue le commerce (code 50, 51, 52) des activités financières (65, 66, 67), Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 106 Regard géographique sur le paradigme numérique Tableau n° 13. Le commerce électronique B to B dans le monde (Le Journal du Net, 05 04 2004, www.journaldunet.com/cc/04_ecommerce/ecom_btb_mde .shtml) ! " ! #$ % Tableau n° 14. La répartition géographique du commerce électronique B to B par grandes régions (Ibid.) & * !) + + " ') - '() + +) , . ") , ) + ) / & # " ') / & "+) 1 / 0 #) 2 En ce qui concerne la modestie du commerce électronique B to C, il faut apporter une précision qui nous semble importante : la définition étroite du commerce électronique (c' est à dire via Internet, en pratique) ne permet pas de prendre en compte le phénomène essentiel pour le géographe, qui est celui de la consultation de l' offre et de la prise de commande à distance. En effet, que la commande soit passée par téléphone, ou par e-mail ne fait pas de différence pour la suite du processus. Ainsi, la vente par correspondance, qui met en jeu des sites Web, des centres d' appel et le paiement par carte bancaire, est de plus en plus proche du commerce électronique. En tout cas, elle génère des pratiques spatiales qui sont extrêmement voisines. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 107 Le rôle des plateformes dans l’intégration du commerce électronique et de la logistique Frédéric Lasserre a publié dans Cybergéo (27 octobre 2000, n° 141)71 un article sur l' intégration du commerce électronique et de la logistique dont le titre, « Internet, la fin de la géographie ? », bien qu' exagérément vague, est révélateur des ambiguités qui ont régné autour du concept de commerce électronique. En effet, la médiatisation du phénomène a initialement propagé l' idée d' un commerce immatériel, insouciant des distances et des délais, indépendant de toute contrainte géographique. En réalité, les travaux de recherches, tout comme l' expérience accumulée par les entreprises elles-même, montrent que le commerce électronique se définit par l’association d’une plateforme informatique à une chaîne logistique classique, avec entrepôts, transports, délais de livraison etc. L’association sur l’image ci-dessous de la première entreprise mondiale de commerce électronique et du premier constructeur mondial d’ordinateur, illustre parfaitement l’intégration des plateformes électronique au sein de la chaîne logistique. Figure n° 34 Publicité Amazon - Hewlett Packard The Economist, 10 mai 2003 Cette plateforme électronique est en général un site Web, connecté à l' Intranet de l' entreprise vendeuse. Ce site est d' abord un catalogue en ligne, sur lequel l' acheteur choisi son produit. C' est aussi une plateforme de paiement, et de suivi de la commande. Après réception du produit et installation, l' acheteur reste en contact pour le service après vente, le dépannage, voir le retour et le remboursement. Ces fonctions font appel le cas échéant aux services d' un centre de contact téléphonique. Le vendeur utilise cette plateforme pour présenter ses produits, facturer, recouvrer les créances. La connexion en temps réel de cette plateforme à l' Intranet de l' entreprise permet la gestion des stocks, l' organisation de la production, et donc les achats (ce qui met en jeu le fonctionnement d' une autre plateforme, dans laquelle le vendeur devient acheteur). 71 www.cybergeo.presse.fr/ptchaud/lasser.htm Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 108 Regard géographique sur le paradigme numérique Une entreprise comme Dell permet parfaitement d' illustrer ces concepts, avec ses deux plateformes, l' une de B to C pour la vente, l' autre de B to B pour ses relations avec ses fournisseurs. L'exemple de Dell Computers Dell a été fondé en 1984 par Michael Dell, et a réussi à devenir le numéro 2 mondial de la micro-informatique72 autour d' un concept alors révolutionnaire dans ce secteur : la vente par correspondance et la livraison à domicile. La fabrication de micro-ordinateurs est une activité relativement peu innovante, qui consiste à assembler des composants fabriqués par d’autres. Il est donc difficile de dégager des avantages compétitifs par rapport aux concurrents. La vente par correspondance a permis à Dell de supprimer le réseau commercial traditionnel, de limiter au maximum les stocks et les immobilisations. Dell vend ses machines avant de les fabriquer sur mesure (build to order). Le système Dell suppose donc la maîtrise de deux domaines complémentaires : le marketing et la relation client, la logistique. La production devant être subordonnée aux précédents. La vente par correspondance, traditionnelle dans le textile, l' était moins dans l' informatique parce qu' un ordinateur est bien plus compliqué à configurer et utiliser qu' un tee-shirt. Ainsi, le cœur de métier de Dell ne se situe plus dans l' usine où sont assemblées les machines, mais sur le site Web et dans les centres d' appel où les clients sont invités à découvrir les produits, configurer leur matériel, le commander, le payer, prendre rendez-vous pour la livraison, être assistés pour l' installation et le dépannage. Dell proclame « utiliser l' efficacité de l' Internet pour l' ensemble de ses activités », notamment dans les relations avec les fournisseurs et sous-traitants, toujours dans le but d' abaisser les coûts et raccourcir les délais. At www.dell.com, customers may: review, configure and price systems; order systems online; track orders from manufacturing through shipping. At htttp://valuechain.dell.com, Dell shares information with its suppliers. Dell est ainsi devenu un pionnier du commerce électronique, la première société au monde à dépasser, en 1997, le million de dollars de vente en ligne. La mondialisation de l' entreprise est révélée par la géographie des transactions sur le site Internet : 840 millions de requêtes en 2001, depuis 82 pays, dans 21 langues. La logistique de Dell est radicalement différente de celle des constructeurs traditionnels, qui livrent « en gros », suivant une logique hiérarchique. Avec la vente par correspondance, chaque commande est individualisée. Pour ce faire, Dell utilise les service de FedEx, numéro un mondial de la logistique. La maîtrise de la logistique suppose également une utilisation intensive des TIC pour le suivi des acheminements. L' extrait ci-dessous montre bien la nature de plus en pus indissociables des TIC et de la logistique moderne dans une économie dite de la « flexibilité ». Through our unsurpassed physical networks, our companies deliver nearly 5 million shipments every business day. We handle more than 100 million electronic transactions a day while we continue to invest about $1.5 billion each year in the best I.T. people and information technology. And through the FedEx people network, more than 215,000 employees and contractors deliver more than packages; they deliver integrated business solutions. www.fedex.com 72 Dell était le n° 1 mondial avant la fusion entre Compaq et Hewlett Packard. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 109 La maitrise de la chaîne logistique et l' utilisation de plus en plus exclusive du commerce électronique n' enlèvent rien au rôle de la « géograhie » dans l' organisation spatiale de l' entreprise. La production est réalisée dans six usines, à peu près également réparties dans l’espace par rapport aux marchés régionaux : Austin (siège du groupe) et Nashville (Amérique du Nord), Eldorado do Sul, Brésil (Amérique du Sud), Limerick, Irlande (Europe, Moyent-Orient-Afrique), Penang, Malaisie (Asie-Pacifique-Japon), Xiamen (Chine). Il y a là une volonté évidente de réduire les coûts et délais de transports (sinon, tous les produits seraient manufacturés en Chine). Les centres d' opérations (operating subsidiaries) sont beaucoup plus nombreux (34 dans le monde). Leur géographie obéit à des impératifs culturels et linguistiques (centres d' appel, par exemple à Montpellier et à Casablanca). Les places de marché L’utilisation des TIC dans la recherche de la diminution des coûts de transaction est illustrée par le développement des places de marché, qui sont plus que des plateformes d’achats mutualisées, mais des banques de données commerciales, à l’échelle mondiale. Worldwide Retail Exchange (WWRE), par exemple, fondée en 2000, fédère 64 entreprises du secteur de la grande distribution, dont Ahold, Auchan, C&A Europe, Casino, Coop Italia, Coop Schweiz, Cora, Dairy Farm International, Galeries Lafayette, Gap, Giant Eagle Kmart, Laurus, Marks & Spencer Schlecker, Toys’ US, Woolworths etc. Ces entreprises représentent 5 millions de salariés, 100 000 fournisseurs, et un total d’achat annuel de environ 900 milliards de dollars. WWRE est géré comme une entreprise indépendante, dont le siège social est à Alexandria, en Virginie. WWRE se targue d’avoir fait économiser à ses membres un milliard de dollars en transactions diverses depuis sa création. Covisint, créée en 2000 (www.covisint.com) est la place de marché des constructeurs automobiles. Elle possède huit membres actionnaires : DaimlerChrysler, Ford Motor, General Motors, Nissan, Renault, PSA (PeugeotCitroën), CommerceOne et Oracle, qui sont liés par la plateforme à plus de 2000 partenaires commerciaux. Covisint a son siège à Southfield (Michigan) et des bureaux à Amsterdam, Tokyo, Francfort et Sao Paulo. Les places de marché intègrent aussi la fonction logistique. En 2000, une dizaine d' entreprises américaines de l' agro-alimentaire (Nabisco, Pillsbury, General Mills…) ont mis en place un réseau de logistique partagée, en affichant leurs besoins sur le même site Internet, ce qui permet en retour aux transporteurs routiers d' optimiser leurs chargements (source : Le Monde interactif, 22 novembre 2000). Cette pratique a aussi permis aux grandes entreprises comme Nabisco d' optimiser la fonction transport entre ses différentes filiales (le même véhicule pouvant servir à transporter matières premières à l' aller et produits finis au retour). Très médiatisées au début des années 2000, les places de marché ont été fortement touchées par la crise de 2000-2001. 88% ne sont pas rentables, et seules celles qui sont adossées à des grands groupes ont de fortes chances de survie (www.journaldunet.com/itws/it_pdm.shtml). Le rôle des TIC dans la fonction transport - logistique Par le recours croissant aux technologies numériques, les entreprises de transport cherchent à réduire leurs coûts et à augmenter la fiabilité et la valeur ajoutée des services proposés. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 110 Regard géographique sur le paradigme numérique Dans les entreprises les plus performantes comme Norbert Dentressangle (France, 3800 camions), tous les véhicules sont équipés du GPS, et les conducteurs dotés du téléphone mobile. Les sources de gains sont nombreuses : - diminution des pertes de temps lors des déchargements, grâce au contact permanent avec le client (prise de rendez vous) - gain de temps de trajet, grâce à la géo-localisation du lieu de livraison et aux aides à la navigation (plus de véhicules « égarés ») - information routières - gestion technique du parc (consommation, kilométrage, entretien) - amélioration des taux de remplissage Cette dernière source de gain de productivité est capitale. La cartographie instantanée des véhicules de l' entreprise, grâce à des logiciels ad hoc, permet de diriger dans les meilleurs délais le véhicule disponible le plus proche vers le client (ou la plateforme logistique). On évite les retours à vide et les clients sont servis plus rapidement. On notera au passage que le même système est de plus en plus utilisé par les companies de taxis, qui passent progressivement de la radio (- "ici central, un client à tel endroit…-je prend !") à une gestion informatisée intégrée, qui ne laisse plus le choix aux conducteurs (géolocalisation de l' appel du client + GPS embarqué)73. Le commerce électronique a des implications de plus en plus importantes sur l' organisation des entreprises de transport et de logistique, qui doivent s' adapter à de nouveaux modes de distribution. Avec la grande distribution classique, les marchandises arrivent en grandes quantité dans les grandes surface, par palettes entière. Le commerce électronique, c' est livrer de petites unités, directement au domicile. La règle du juste à temps et du zéro stock qui préside aux relations clientsfournisseurs aboutit aux mêmes exigences de parcellisation des envois, de flexibilité et de fiabilité, qui incite les transporteurs à requérir massivement aux technologies d' information. Le commerce électronique renforce donc le rôle des plateformes logistiques, situées par exemple près des hubs de fret aérien (exemple de Amazon.com, encadré n° 8). Il contribue aussi au succès des intégrateurs globaux comme UPS ou FedEx, qui ont les capacités à dominer l' ensemble de la supply chain, de la plateforme électronique à la flotille de véhicule. Dans l’encadré n° 9, FedEx explique comment les colis peuvent être suivis, même lorsqu’ils se trouvent « au dessus de l’Atlantique », ou comment les personnels de livraison sont dotés d’un kit de communication mobile. Pour conclure, on s’aperçoit que, contrairement à ce qui a été parfois imaginé, les transports et les télécommunications sont indissociables et parfaitement complémentaires, dans leur fonction qui est d' aider les entreprises à composer avec l' espace géographique et ses rugosités. La gestion électronique des cascades de fournisseurs et sous-traitant, de l' approvisionnement par ces fournisseurs, puis de la relation avec les consommateurs est un outil indispensables pour que les entreprises minimisent les coûts de transaction imposés par la division spatiale de la production et les exigences de rapidité et de flexibilité imposées par les marchés. Nous verrons que les centres d' appels sont devenus un des outils privilégiés pour la satisfaction de ces exigences. 73 D’après une communication de Pascal Griset, colloque de conclusion de l’ACI Ville, Paris, 1-3 mars 2004. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 111 Encadré n° 8. La géographie d'un géant du commerce électronique : Amazon.com L' histoire et le fonctionnement de Amazon.com, pionnier et leader mondial de la libraire en ligne, sont très révélateurs de l' interrelation forte entre le commerce électronique et la logistique. Cette interrelation se reflète parfaitement, aussi, dans la publicité conjointe de Amazon et Hewlett Packard, qui met en scène les entrepôts de l' entreprise. Amazon, dont le siège est à Seattle, a été fondé par Jeff Bezos en 1995, et a vendu pour 15 millions de dollars de marchandises en 1996. Ce chiffre a été multiplié par cent en trois ans, les ventes ont dépassé 1,6 milliards de dollars en 1999 (Dodge, 2001). Comme l' ensemble du secteur, Amazon a essuyé de grosses difficultés en 2001, le cours de l' action étant presque divisé par 10 par rapport à son record de décembre 1999. Mais 2002 et 2003 ont marqué une nette reprise. Au premier trimestre 2003, les ventes ont dépassé le milliard de dollars, et le chiffre d' affaire envisagé pour 2003 était de 4,5 milliards de dollars (The Seattle Times, 25 avril 2003). Pour M. Dodge (2001), l' entreprise possède une double géographie : la géographie "virtuelle" de l' Internet, la géographie "réelle" des entrepôts et de la logistique. La première est fondamentalement importante, puisque c' est la seule dont le client a connaissance. C' est à juste titre que M. Dodge souligne l' importance de l' ouverture de sites nationaux, en langues nationales et en noms de domaine nationaux (Amazon.de pour l' Allemagne, Amazon.fr pour la France etc.) qui se rapprochent virtuellement du client. Mais c' est bien la distribution des marchandises qui constitue le talon d' achille d' une telle entreprise, et Amazon a du investir massivement dans la logistique, avec un réseau de six centres de distribution régulièrement répartis sur le territoire américain (dans les Etats du Delaware, Kansas, Nevada, Kentucky, Géorgie, et à Seattle), non pas en fonction de la localisation des consommateurs, mais en fonction des capacités de ces localisations à fonctionner comme des hubs de transport. On remarque que ces localisations ne correspondent pas à celle des grandes métropoles, dont les aéroports sont habituellement embouteillés (New York, Chicago, Atlanta, Dallas). En juillet 2000, la sortie du volume 4 des aventures de Harry Potter a rudement mis à l' épreuve la chaîne logistique de Amazon, avec en première ligne FedEx (le partenaire de Dell), afin de satisfaire simultanément plus de 275 000 commandes, record historique du commerce électronique (pour satisfaire cette commande, FedEx a du mettre en œuvre 100 navettes aériennes et 6000 employés). Amazon.com doit donc faire face au problèmes très concrets d' une entreprise de logistique, et notamment des problèmes sociaux qui mettent en évidence la face cachée de la "nouvelle économie". En novembre 2000, les employés des centres de distribution de Amazon aux Etats-Unis, en France et en Allemagne ont manifesté contre les salaires médiocres, les conditions de travail éprouvantes, l' absence de syndicat, les exigence de la flexibilité (travail les jours de Noël et du Thanksgiving). Source : The Industry Standard, 20 novembre 2000. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 112 Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 9. L’utilisation des TIC dans le suivi de livraison : l’exemple de FedEX (www.fedex.com/us/about/technology/wireless.html?link=4) About FedEx Wireless Solutions. FedEx technology enables customers, couriers and contract delivery personnel to wirelessly access the company' s information systems networks anytime, anywhere. In fact, FedEx was the first transportation company to embrace wireless technology more than two decades ago, and continues to be a leader in the use of innovative wireless solutions. Customers can access package tracking and drop-off location data for FedEx Express, FedEx Ground and FedEx Home Delivery via Web-enabled devices such as WAP phones, Personal Digital Assistants and pagers. FedEx also uses wireless data collection devices to scan bar codes on shipments. These "magic wands" are a key part of what makes it possible for customers to find out where packages are in transit, whether on a FedEx Express jet speeding across the Atlantic Ocean or a FedEx Ground tractor-trailer on the Pennsylvania Turnpike. On average, FedEx Express and FedEx Ground packages are scanned at least a dozen times from pickup to delivery. At pickup, each package' s shipping label bar code is immediately scanned to record the pickup time, destination and delivery commitment. The scanned information is uploaded to the FedEx mainframe. Bar codes are scanned again at every key step of the shipping process, allowing customers to follow the status of their shipments throughout the journey. FedEx' s newest data collection device for couriers incorporates a micro-radio for hands-free communication with a printer and mobile computer in the courier' s delivery vehicle. Called the PowerPad, the devices use Bluetooth wireless technology that allows FedEx couriers to communicate with each other within 30 feet of their vehicle. 3.3.4. Les centres d’appel (ou centres de contacts) et la relation client Les centres d’appel (CA) se rattachent à la famille des centres de traitement de l’information. Mais leur importance quantitative en fait un secteur d’activité à part entière, qui mérite une section particulière. Les technologies numériques ont largement renouvelé un concept déjà ancien. Butler (2001) nous rappelle que les companies aériennes possédaient déjà des centres d' appel dans les années trente. Mais c' est dans les années quatre-vingt-dix que la « relation client » est devenue un secteur économique à part entière (figure n° 35 et tableau n° 15) et un des fers de lance de l' adaptation des entreprises au contexte économique actuel. Ce secteur, qui repose entièrement sur les télécommunications, a donné lieu à plusieurs publications portant pour l’essentiel, sur l’Irlande (Breatnach 2000) et le Royaume Uni (Marshall & Richardson 1996, 1999 ; Richardson & Gillespie 2000, 2003 ; Richardson, Belt & Marshall 2000 ; Bristow et al. 2000 ; Bishop et al. 2003). Nous reprenons les éléments principaux des textes que nous avons rédigé sur la question, l’un à l’échelle nationale (avec Nicolas Bonnet, Annales de Géographie, 2004), l’autre d’une façon plus globale et plus théorique74. 74 The Rise of the Call Center Industry: Splintering and Virtualization of the Economic Space. Texte présenté au congrès du centennaire de l’AAG, Philadelphie, 14-19 Mars 2004. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 35 113 Evolution du nombre de CA en Europe (Source : Datamonitor) 25000 20000 15000 10000 5000 0 1996 1998 2000 2002 Tableau n° 15. Statistiques sur les centres d’appel (www.incoming.com/statistics/marketsize.aspx?SelectedNode=ICMIMember ship) Date Monde - Ovum Monde (projection) E.U. - Deloitte and Touche E.U. - Data Monitor E.U. - Telemanagement Search Canada - Call Center Week R.U. - Data Monitor Allemagne - Data Monitor France – CESMO - Data Monitor Australie - Asia Pacific Call Centre News Amerique Latine -Pacific Call Centre News Inde - NASSCOM Figure n° 36 2001 2006 2001 2002 2001 2001 2002 2002 2002 2001 2001 2003 Nbre. de sites 70-90 000 78 000 69 500 6500 5700 3500 2500-3000 3900 500? Positions Emploi 7.3millions 13 millions 2.5 millions 7millions 380 000 150 000 140 000 60 000 200 000 225 000 160 000 Le concept de centre d’appel, d’une extremité de la ligne à l’autre (Catalogue Automne 2003 de La Redoute, et www.407etr.com/). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 114 Regard géographique sur le paradigme numérique Pour le géographe, la problématique fondamentale de la relation-client et des centres d’appels est la suivante : comment se localise une activité dans laquelle la prestation de service est effectuée à distance, par téléphone ou Internet ? La relation client ne doit pas être confondue avec le télétravail, qui s' exerce en dehors de l' entreprise, à domicile ou dans un télécentre75. Or, dans la très grande majorité des cas, la relation client est réalisée dans les locaux de l' entreprise. Le centre d’appel (ou centre de contact) peut être localisé au sein du cadre habituel de l' entreprise - un plateau dédié à cet usage. Il peut être constitué en une structure immobilière géographiquement indépendante, tout en restant rattaché juridiquement à l' entreprise. Enfin, le centre peut être indépendant à la fois géographiquement et institutionnellement de l' entreprise. On se situe alors dans un contexte classique d' externalisation de la fonction « relation client ». L’externalisation ouvre le concept aux PME qui ne peuvent pas rentabiliser un CA en interne, et offre de la flexibilité aux entreprises dans les périodes de pointe (vacances pour un voyagiste, Noël pour un fabricant de jouet etc.). Plusieurs facteurs sont à la base du renouvellement et de la croissance de cette activité ancienne : le facteur social, le facteur marketing, le facteur technique ou « TIC ». Le téléphone est devenu un objet du quotidien. Acheter et payer par téléphone est devenu une routine : la société contemporaine est une société de l' immédiateté, de la satisfaction instantanée des envies, qui pratique l' éloge de la rapidité. Le téléphone permet de « l' avoir chez soi en 48 heures » (La Redoute) ou de se faire dépanner 24 heures sur 24. Les tendances actuelles de l' économie incitent les entreprises à mettre la satisfaction du client au premier plan de leurs préoccupations (entreprise orientée client ou customer-centric firm). Ce client est versatile et pressé. Les marchés sont de plus en plus segmentés, les cycles de vie des produits plus courts. Les consommateurs veulent du sur-mesure, des services individualisés (mass customization). Il faut répondre au téléphone, proposer des services de dépannage (hot line, help desk) et devancer les désirs du client, ce qui a provoqué le développement de toutes les formes de « télémarketing » (démarchage téléphonique, enquêtes, sondages). Ces services doivent être assurés 24 heures sur 24, 365 jours par an. La convergence numérique a révolutionné le concept de CA. L' intégration informatique-télécommunications (CTI ou Computer Telephony Integration) permet à l' opérateur d' accéder immédiatement sur son écran d' ordinateur au dossier commercial du client. La distribution automatique d’appel (ACD ou Automatic Call Distributor), couplée à des boîtes vocales (IVR ou Interactive Voice Response), permet d' acheminer automatiquement les appels vers les agents disponibles, de réguler les temps d' attente, de rappeler automatiquement le client. De plus en plus, les centres de contact se dotent de capacités Internet (Web call center) : l' interface entre l' entreprise et le client peut-être un site Web (cliquer sur l' icône « me rappeler »). Aujourd’hui, les centres d’appel sont au cœur du dispositif informationnel de l’entreprise (figure n° 37), que ce soit en B to C (service client) ou B to B (relation fournisseur, support technique interne), puisque les applications de type Data Mining permettent de trier et faire remonter l’information jusqu’au point ad hoc du cycle de production étendu (ex : analyse des réclamations de clients et modification du design du produit). 75 Notons qu' il existe de petites entreprises de télétravail à domicile qui relèvent de la relation client (exemple : secrétariat et permanence d' appel). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 115 Les centres d’appel au cœur du cycle de production étendu (B.Moriset) Figure n° 37 Design Manufacturing Advertising Customer Enquiry Tele-prospecting Supply Chain Shipping Delivery DATA MINING Ordering Subscribing Helpdesk Aftersales services Production cycle Business processes Billing Settlement Call center applications (+ Web) Information flows Des systèmes d’information intégrés à l’échelle mondiale Les innovations techniques de la convergence numérique ont permis la mise en réseau des centres d’appel et leur l’intégration en tant que maillons de systèmes d’information mondialisés constitutifs de l’entreprise en réseau. Les grands outsourcers, comme SR Teleperformance, numéro un mondial (144 sites, 22 000 positions dans 29 pays et un milliard de $ de CA en 2002), ont la capacité de mettre en réseau leurs centres, qui fonctionnent comme une entité unique, et profitent pleinement de la division spatiale du travail (figure n° 38). Les grands groupes industriels et de service font de même. Sun Microsystems met en place depuis 2001 le projet MC2, qui est une plateforme intégrée de 14 centres de support technique et de relation client, dans onze pays. Les appels sont filtrés par des applications IVR, puis adressés à la personne compétente dans le monde, qui dispose alors d’un accès immédiat aux bases de données du groupe (Aberdeen, 2001). IBM a complètement restructuré son service de support client (principalement B to B). En Amérique du Nord, des milliers de numéros de téléphone et 60 sites ont été concentrés sur sept numéros verts et quatre centres d’appels géant (7000 personnes en tout) situés à Toronto, Dallas, Phoenix and Smyrna en Géorgie (www.itworld.com/Net/2925/NWW010402118990/pfindex.html). La technologie des centres d’appel virtuels permet aux entreprises de jouer plus librement de l’espace géographique (et ainsi de se concentrer sur les aménités offertes par les territoires et la ressource humaine). Par exemple, l’agence de voyages Nouvelles Frontières utilise la solution intégrée de France Télécom « Contact Multisites » pour réaliser son support client depuis 16 agences, 5 centres de contact, et 30 télétravailleurs à domicile. Nous montrons plus loin comment la Credit Union, une banque régionale mutuelle américaine, emploie également 40 télétravailleurs à domicile pour optimiser la gestion de la ressource humaine (encadré n° 11). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 116 Figure n° 38 Regard géographique sur le paradigme numérique L’architecture du réseau de SR Teleperformance (www.srteleperformance.com) Les facteurs de localisation Les analystes (Moran, Stahl & Boyer, 2001) identifient les facteurs de localisation suivants, dans l’ordre d’importance décroissante : - facilité de recrutement : disponibilité, compétences, culture (langue). - salaires et charges (70 % des coûts opérationnels) - coûts d' infrastructure (immobilier) - infrastructures et services de télécommunication - cadre de vie - environnement économique Du fait des rigidités structurelles de la ressource humaine et de l' immobilier d' entreprise, les centres internalisés ont encore un fort tropisme pour les sièges sociaux des entreprises auxquelles ils appartiennent (voir l' étude de cas France). Les outsourcers, qui constituent la partie montante du secteur, sont a priori plus libres de leurs implantations. Les centres de contact bas de gamme (démarchage, enquêtes) sont plus sensibles au facteur coût de l' emploi. L' espace rural, les régions industrielles en crise, les pays en voie de développement, peuvent être des territoires privilégiés pour ces implantations. Les centres de contact haut de gamme Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 117 (informatique, ingénierie, finance) sont plus attirés par la présence de compétence, plus métropolitains, voire technopolitains (cf l' encadré sur AON). La création d’applications dédiées a permis l' intégration de plusieurs petits centres ruraux en « centres de contact virtuels », comme celui de VAS au Nouveau Brunswick (figure n° 39). Ceci donne des perspective aux bassins d' emploi de taille modeste. Figure n° 39 Les centres d’appels de Virtual Agent Services au Nouveau Brunswick (www.vagent.com) L' exmple américain montre que de sérieux problèmes de recrutement ont commencé à se faire sentir dans les principales métropoles à la fin des années quatre-vingt-dix, avec un augmentation du turn over et une hausse des coûts salariaux. En 2000, selon une étude de Deloitte&Touche (2001), ce sont les régions et villes du sud qui ont concentré les plus grosses créations d' emploi en centre de contact : main d' œuvre nombreuse (chômage), moins coûteuse, moins syndiquée. Plusieurs articles et études (Belt et al., 2000; Bristow et al. 2000) ont montré que le secteur est fortement féminisé, ce qui accroît également les perspectives de recrutement dans les régions rurales ou peu industrielles. Le facteur linguistique est à prendre en compte. Si l' Inde concentre de plus en plus d' investissements dans les centres de contact, c' est que le pays offre à la fois des coûts salariaux dérisoires et un réservoir de main d' œuvre anglophone et bien éduquée. Ce facteur linguistique intervient à l' échelle européenne : une entreprise française qui intervient beaucoup en Allemagne a plus intérêt à s' implanter à Strasbourg qu' à Marseille. Le centre d' appel de Dell pour l' Europe du Sud est à Montpellier, où on a plus de chance de trouver des italophones, lusophones et hispanophones qu' à Bray (Dublin), où se trouve le centre d' appel pour l' Europe du nord. Les centres d' appel sont, avec les places financières, une des rares activités ou la longitude intervient, en tant que telle, comme critère de localisation. L' exemple irlandais est bien connu (Breatnach 2000). Le consortium de développement Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 118 Regard géographique sur le paradigme numérique économique Call Center Hawaii 76 argumente du décalage horaire, qui permet de répondre aux appels nocturnes des clients en évitant le travail de nuit des opérateurs. Callcenterhawaii.com - Strategically Positioned for Global Reach Reach markets from New York, Washington D.C., and Atlanta, Tokyo, Hong Kong, Singapore, Seoul, Sydney, and Bangalore in the same business day. Extend your reach by rolling over evening calls from European and Middle Eastern-based call centers to your Hawaii call center, giving you a 24-hour business day. www.callcenterhawaii.com/strategic.html La géographie des centres d'appel en France La carte des centres d' appel (figure n° 40) a été dressée avec O. Chareire (U. Jean Moulin - Lyon 3), à partir d' un fichier de plus de 1500 centres d' appels, grâce à la collaboration avec la société TMC Consultant (Annecy)77. La moitié des positions cartographiées est située en région parisienne, surtout dans l' ouest de Paris et à la Défense. Ceci s' explique par la concentration des sièges sociaux et l' importance des surfaces de bureaux rendues disponibles par le déclin des activités de secrétariat banales. En dehors de l' écrasante domination parisienne, le fait le plus marquant est la concentration de l' activité au nord-ouest d' une diagonale Strasbourg-Bordeaux. L' importance de Lille, 2e pôle français pour les centres de contact, s' explique en partie par l' héritage de la vente par correspondance (La Redoute, Les 3 Suisses, etc) et de la grande distribution (groupe Auchan). L' activité « centre de contact » est ainsi révélatrice de la transition d' une vieille métropole industrielle (textile) vers les activités de service de l’économie de l’information. Très remarquable également, est l' importance de l' Ouest et notamment de la vallée de la Loire, qui pourrait mériter le nom de « Call center Valley ». Dans ces villes peu touchées par la révolution industrielle, l' activité centre de contact est un débouché important, encouragé comme tel par les collectivités locales, pour des populations dotées d' un bon niveau éducatif, notamment grâce à un réseau universitaire dense. La proximité et les bonnes liaisons avec Paris en font une région de localisation privilégiée pour de grands groupes parisiens. Par ailleurs, on y trouve d' importantes entreprises tertaires du secteur financier (mutuelles) comme au Mans et à Niort. Corrélativement, cette carte montre le peu d' attrait des centres de contact pour les villes technopolitaines du sud-est : l' axe Grenoble-Annecy, Montpellier, Nice, sont sous-représentés : coûts élevés de l' immobilier et de la ressource humaine, rareté des sièges sociaux (qui, inversement, sont nombreux à Lyon). La relation client, considérée comme une activité non noble, n' est pas une priorité dans les politiques de développement économique de ces villes. Ceci n' empêche pas les localisations ponctuelles comme celles de Dell à Montpellier ou Euriware à Savoie Technolac (Chambéry). 76 Société d' économie mixte pour l' accueil des entreprises qui cherchent à implanter des centres d' appel à Hawaii 77 Prestaire de solutions pour la relation client, formateur, outsourcer et éditeur de En Contact. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 40 119 Les centres d’appel en France : nombre de positions par aires urbaines (source : Moriset & Bonnet 2003, cartographie : O. Chareire, Univ. Lyon 3) Un outil de reconversion et de développement régional ? Une tendance majeure, dans les pays développés, est la déconcentration des centres d’appels vers les petites villes, les espaces ruraux, et les bassins industriels en difficulté, où l’activité devient un outil de reconversion. Depuis 2001, Paris n’a bénéficié pratiquement d’aucune ouverture de nouveaux centres, alors que des milliers d’emplois ont été créés en Province. Ainsi, la MAIF s’est implantée d’abord à Niort (siège social) et Paris, puis s’est déconcentrée à Lyon et Toulouse, et enfin à Saint Brieuc. Transcom Worldwide, implanté à Vélizy et Tours, s’est ensuite dirigé vers Raon-l’Etape, Tulle (en 2003), puis Roanne (2004). Cette démarche est liée à des logiques de coût, de recrutement, d’aides directes et indirectes, et d’environnement général du travail. La presse américaine a proposé le jeu de mot « from coal mining to data mining » pour décrire la mutation de l’économie de certains bassins d’emploi industriels vers l’économie de l’information. Scranton, dans les Appalaches, a accueilli plusieurs milliers d’emplois dans l’activité, après la fermeture des mines de charbon. A Cape Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 120 Regard géographique sur le paradigme numérique Breton – Glace Bay, en Nouvelle Ecosse (Can.), Stream, un outsourcer international, a ouvert en 2001 un centre de contact de 900 employés, alors que 1500 emplois avaient été supprimés dans les mines (l’économie de toute la région avait déjà été sinistrée par le moratoire de 1992 sur la pêche de la morue). En France, parmi les villes sinistrées par la crise industrielle, et ayant accueilli des centres d’appel de 100 positions et plus, on peut citer Boulogne-s.-Mer, Calais, Carmaux, Forbach, Le Creusot, Troyes, Valenciennes etc. Mais ces développements ne sauraient en aucun cas être regardés comme une panacée : ces emplois sont moins payés que les postes manufacturiers qu’ils remplacent, leur pérennité est loin d’être assurée, dans un secteur très compétitif et mouvant, et les perspectives de carrière sont faibles. Enfin, il est remarquable que les employés licenciés de l’industrie trouvent rarement du travail dans les centres de contact, aux dires même de leurs dirigeants. Armatis, à Calais, n’a embauché aucun employé licencié par Danone. Le PDG de la même société, interrogé par le magazine En Contact sur les perspectives de recrutement dans le nouveau centre de Boulogne, ville sinistrée par les fermeture d’Eurométal et de la Comilog, confiait qu’il était peu probable que ces salariés licenciés soit embauchés par sa société. Mais que cela était envisageable pour leurs enfants. Les métiers pratiqués en centres d’appels ne correspondent pas aux métiers pratiqués dans un univers industriel comme celui de la Comilog. Par contre, il n’est pas exclu que certains enfants de salariés Comilog soient amenés à intégrer le groupe. En Contact, février-mars 2003, n° 19, p. 7. Cet exemple montre les difficultés posées sur le terrain par le passage à l’économie de l’information. Le problème est de combler un vide « générationnel », entre les parents qui n’ont connu que l’usine, et leurs enfants, dont une grande partie auront fréquenté l’Université. On pourrait parler ici de fracture numérique intergénérationnelle, sans doute plus pertinente que les fractures numériques sociales ou territoriales. Cet exemple montre également que les activités processées à distance ne sont en rien insensibles aux facteurs de localisation traditionnel : les choix de Calais et Boulogne par Armatis sont justifiés par la modestie des coûts locaux (notamment l’immobilier, cinq fois moins cher qu’à Paris), mais aussi la proximité relative de la capitale, et la proximité des deux centres d’appel, qui facilite les interconnexions techniques (En Contact, op.cit.). Nous proposons dans l’encadré n° 11 un communiqué de presse du groupe AON sur le processus de création d’un centre de contact à Marseille, qui montre que l’on est bien loin de la fin de la géographie ! Encadré n° 10. La localisation du centre de contact AON à Marseille. Extraits du communiqué de presse d’AON France, 20 septembre 2002 Le centre national de contact et de services (CCS) permet de suivre toutes les étapes et prestations d' un contrat : souscription, modification et extension des couvertures, aide aux démarches, suivi des sinistres, indemnisation, prévention etc. Le rôle et le schéma de fonctionnement du Centre étant fixés, une décision extrêmement importante était à prendre : celle de sa localisation. Un tel choix est une décision stratégique de l' entreprise. L' option d' installer le Centre en région 2 parisienne sera écartée pour des raisons de coût du m et de volonté d' inscrire en priorité le développement de l' entreprise en régions. Les critères pour choisir le lieu d’implantation en province sont précisément définis : disposer d' un espace suffisant permettant à terme un développement significatif, être à proximité d' un bassin d' emploi facilitant le recrutement des compétences Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 121 nécessaires, et le reclassement des conjoints des personnes délocalisées, offrir pour finir un cadre de vie attractif. D' autre part, l’ancien bureau à Marseille disposait déjà d' un pôle de gestion de flottes automobiles, avec une équipe de 25 personnes. La décision de Marseille prise, il fallait choisir le lieu précis d' implantation dans la cité du Sud. C' est la zone de Saumaty-Séon qui a été retenue. C' est là que s’appuie en partie le nouveau centre d’affaires, et que viennent s' installer de nombreuses entreprises des secteurs de pointe. Aon se situe sur un terrain proche de l’Estaque. Cette implantation, à proximité de deux artères autoroutières se trouve à mi-chemin entre le centre ville, l’aéroport et la deuxième gare TGV desservant Aix-Marseille. Elle est reliée par les transports urbains et se situe à moins de 5 minutes du nouveau centre commercial. L' implantation du CCS qui impliquait la création d' emploi a nécessité un recrutement sur place. Aon a recherché les profils nécessaires avec l' aide d' un cabinet de recrutement local. La qualité du marché de l' emploi et de la formation à Marseille a permis ainsi d' assurer le recrutement de 90 personnes en l' espace de sept mois. C' est pratiquement l' ensemble des formations de BTS en assurances à Marseille qui ont été concernées par cette création d' emploi. Plus de trente collaborateurs d' Aon ont choisi de s' installer à Marseille. Une importante politique d' accompagnement a été mise en œuvre par l' entreprise pour faciliter cette mutation des salariés." Le secteur des centres d’appel est touché par un mouvement de « délocalisation » vers les pays à bas revenus, Europe de l’est (centres allemands), Maghreb et Afrique sub-saharienne (France), Amérique Latine, Phillipines et surtout Inde (EtatsUnis, Royaume Uni). Installée à Dakar (Sénégal) depuis 2002, PPCI vend des services de télémarketing à de grandes sociétés françaises. Avec 700 postes de travail, c’est le premier employeur privé du pays. En Inde, il y aurait environ (fin 2003) 160 000 personnes travaillant dans les centres de contact (soit autant qu’en France). 85% des centres sont situés dans cinq aires métropolitaines, qui sont aussi les principaux pôles technologiques du pays: Delhi (et la technopole satellite de Gurgaon), Bangalore, Hyderabad, Mumbai (Bombay) et Chennai (Madras). La plupart des grandes multinationales dans le secteur des services possèdent déjà un centre de contact en Inde : IBM Global Service (Bangalore), American Express (Gurgaon), Oracle (Chennai), J.P. Morgan et United Airlines (Mumbai), Accenture (Bengalore, Mumbai), HSBC, GTL etc. GE Capital emploie 1000 personnes à Gurgaon78, Dell possède un centre de 2000 personnes à Bengalore. Le risque de délocalisation de ce type de service a beaucoup ému les médias, les syndicats, les responsables politiques. Pourtant, un examen rationnel de la question montre que le développement des centres d’appel dans les PVD est concomitant de celui observé dans les pays les plus riches. Par ailleurs, les facteurs culturels (donc la géographie !) ne doivent pas être négligés. Dell a déjà subi des volées de bois vert de la part de consommateurs mécontents de l’accent « difficile » de leurs interlocuteurs. Paradoxalement, la délocalisation d’activités informatiques « pures » (programmation) semble plus aisée. 78 10 000 personnes au total en Inde. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 122 Regard géographique sur le paradigme numérique 3.3.5. Le télétravail Nous ne reprendrons dans cette section que l’essentiel de l’article que nous avons publié sur la question en 2003 dans Cybergéo, additionné de quelques documents nouveaux. Tout au long de la décennie quatre-vingt-dix, le télétravail a fait figure de terre promise. Il est au premier rang des applications qui ont nourri l' utopie géographique des TIC. C' est largement grâce au télétravail que les TIC devaient supprimer une grande partie des besoins de déplacement, et notamment les plus fréquents et les plus visibles de tous, les déplacements pendulaires de travail. D' où l' expression telecommuting (Handy & Moktarian, 1996) utilisée par maints commentateurs anglosaxons. En dépit (ou à cause ?) d’une médiatisation importante, le sujet a fait l’objet d’un petit nombre de travaux académiques de la part des géographes. On peut l’expliquer par l’invisibilité et la complexité. Pour le géographe, le télétravail est un non-phénomène, qui s’interprète et s’analyse par des spéculations sur ce qu’il n’est pas, ce qu’il empèche, les déplacements auxquels il se substitue. Face à la crise énergétique des années 70, et devant les augures pessimistes sur l' épuisement des ressources de la planète, le télétravail devenait un moyen idéal d' économiser l' énergie, diminuer la pollution, le stress causé par les déplacements quotidiens, une manière de concilier le travail et la vie familiale (dans le contexte de la généralisation du travail féminin). Le télétravail était aussi la solution miracle pour le développement des espaces ruraux, un moyen de réinsertion des personnes à mobilité réduite (Handy & Moktarian, 1996). Pour ces raisons, le télétravail a suscité un énorme engouement médiatique, mais aussi de fortes polémiques. La bibliographie sur le sujet est énorme (G. Blanc et De est quelque peu Beer, 2000, www.eurotechnopolis.org). Depuis lors, le mythe s' effacé, alors même que le télétravail est devenu un phénomène de masse, en augmentation constante. Définition et mesure Le phénomène est complexe, multiforme. Il n' existe pas de définition universellement admise du télétravail. La meilleure, à notre avis, est celle du Rapport Breton (1995), dont le but principal était de définir un cadre juridique au télétravail. Le télétravail est une modalité d' organisation ou d' éxécution d' un travail exercé à titre habituel par une personne physique dans les conditions cumulatives suivantes : - ce travail s' effectue en dehors de l' endroit où les résultats de ce travail sont attendus et en dehors de toute possibilité physique pour le donneur d' ordre de surveiller l' exécution de la prestation par le télétravailleur ; - ce travail s' effectue au moyen de l' outil informatique et des outils de télécommunication… (Breton, 1995, p. 15). Cette définition permet de comprendre la métaphore, usuelle outre-Atlantique, du telecommuting : l' utilisation des télécommunications doit se substituer aux déplacements pendulaires vers les bureaux de l' entreprise. Le télétravail n' est donc pas toute forme de travail distant, et ne doit pas être confondu avec les téléservices. Les cadres qui utilisent sans arrêt le téléphone ou l’Internet, les traders des salles de marché, les employés des centres d’appel, ne sont qu’exceptionnellement des télétravailleurs (voir encadré n° 11). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 123 On a tendance à idéaliser la figure du télétravailleur rural à domicile, qui pourrait ainsi concilier vie professionnelle et « qualité de vie »79. Mais la plupart des télétravailleurs sont des citadins (Richardson, 2000), et pratiquent le télétravail à temps partiel. On peut distinguer trois types de télétravail qui, souvent, se combinent : le travail en bureau satellite ou bureau virtuel (qui concerne surtout les salariés), le travail nomade, le travail à domicile (qui, lorsqu' il est permanent, concerne surtout des travailleurs indépendants). Un cadre d' entreprise peut, dans une même journée, pratiquer ces trois formes de télétravail. Aux Etats-Unis, l’enquête Telework America 2001 (J.H. Pratt Associates80) dénombrait 28 millions de télétravailleurs qui se répartiraient de la manière suivante : 23,1 % à domicile, 25,7 % en travail nomade, 7,1 % en télécentre, 3,3 % en bureau satellite, et 40 % en localisations multiples. L' enquête ATT-Telework 20022003 (figure n° 41) montre que 57 % des cadres pratiquent une forme de télétravail, dont 17 % à temps plein (soit à domicile, soit chez les clients). Les comparaisons établies par le cabinet Pratt pour 1999 indiquent que c' est la Finlande qui, proportionnellement, comptait le plus de télétravailleurs (10,8 %), suivie des PaysBas (8,3 %), de la Suède (8 %), puis des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Le télétravail et les formes nouvelles d'organisation des entreprises La croissance du télétravail trouve son origine dans un faisceau de facteurs convergents, qui résident pour la plupart dans les caractéristiques de la « nouvelle économie » ou de l' économie de l' information. L' alliance de l' ordinateur portable, du téléphone mobile, et de l' Internet permet aux collaborateurs d' être joignables en tout temps et en tout lieu, d' avoir accès aux données de l' entreprise en se connectant sur des Intranets sécurisés. Les exigences de la flexibilité, la primauté de la satisfaction du client, la recherche d' une gestion « en temps réel » impliquent une connexion permanente du collaborateur avec le réseau de l’entreprise lorsqu' il se trouve en déplacement. Enfin, l' externalisation des fonctions informationnelles de l' entreprise multiplie les opportunités de télétravail pour des petites structures ou des travailleurs indépendants. Les grandes entreprises qui encouragent le télétravail reconnaissent deux sources majeurs de bénéfices : l' augmentation de la productivité des collaborateurs et la diminution des dépenses immobilières. Les gains immobiliers sont permis par la réduction des bureaux individuels, au profit de « bureaux virtuels », espaces de travail partagés que les employés réservent à l' avance en fonction de leurs besoins. Figure n° 41 Le télétravail chez AT&T (enquête ATT-Telework, www.att.com/telework) 79 Tout au moins celle que l' on prête, dans le discours des médias, aux espaces ruraux. Dont le site web www.telecommute.org est aussi accessible par le très évocateur, pour un géographe www.workingfromanywhere.org 80 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 124 Regard géographique sur le paradigme numérique Le secteur hôtelier prend en compte ces évolutions, en proposant, de plus en plus, la possibilité pour les cadres en déplacement de se connecter à Internet lors de leurs déplacements d' affaire. Le télétravail est une pratique managériale qui contribue donc à la constitution de firmes en réseau, moins assujetties aux contraintes de la localisation du travail. Large numbers of AT&T employees are moving out of traditional offices and into virtual offices as a way of increasing productivity, work/life balance and their quality of life. They rely on a structure that is more and more ' net-centric'- organized around networks instead of buildings. www.att.com/telework) La mise en réseau des télétravailleurs indépendants L' isolement commercial, technique, social, demeure l' obstacle le plus redoutable pour les télétravailleurs, surtout lorsque ils exercent à domicile, et a fortiori s' il s' agit de travailleurs indépendants. C' est pourquoi le milieu du télétravail a tenté de se structurer, à partir de nombreuses initiatives entrepreneuriales ou associatives, parmi lesquelles il est bien difficile de faire le tri. Sites Web, forums et revues en ligne proposent des conseils juridiques et fiscaux, des solutions techniques, des centrales d' achat, mais surtout un accès à la clientèle, par la mise en réseau des télétravailleurs sur des sites portails. Cyberworkers regroupe 15 000 professionnels, dans 200 spécialités et 70 pays (www2.cyberworkers.com). Au Royaume-Uni, la Telework Association (www.tca.org.uk) rassemble 2000 personnes. La principale structure française est l' Association Française du Télétravail et des Téléactivités (AFTT). Aux Etats-Unis, la structure la plus importante est l’American Telecommuting Association, créée en 1993 (www.knowledgetree.com/ata.html). Le télétravail et la territorialité : un brouillage des spatio-temporalités Les conséquences géographiques du télétravail se font sentir à diverses échelles de distance et de temps. Dans le télétravail pendulaire quotidien, le collaborateur reste à faible distance de son entreprise, où il se rend plusieurs fois par mois ou par semaine. Mais pour les cadres des grandes entreprises, le télétravail peut être réalisé à l' échelle mondiale. On assiste à l' émergence de nouveaux nomadismes, de phénomènes de multirésidence, dont bénéficient surtout les régions favorisées sur le plan climatique (Molini, 1997 ; Alvstam & Jonsson, 2000). Par essence, le phénomène est difficile à quantifier. On peut constater l' émergence de rythmes semestriels ou bi-annuels (six mois dans une région, six mois dans une autre). Le travail nomade se manifeste aussi par la pratique du « télétravail en vacance ». Ainsi, Crete Telework Network propose une liste d' hôtels et de locations qui offrent un équipement informatique et une connexion à Internet (www.forthnet.gr/ctn, figure n° 42). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 42 125 Le site Web de Crete Telework Network Une des conséquences majeures de ces phénomènes est le bouleversement des spatio-temporalités qui structurent la vie des individus. Le travail entre au domicile dans l' espace et dans le temps (le soir, le week-end). Le travail entre aussi sur le lieu et dans le temps des vacan Td lual' ( e)Tj euspetr 4.32258 at ppepu 0 Td (e)Tj 6.12366 0 Td (s)Tj 5.5233 0-6L. 5.5233 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 126 Regard géographique sur le paradigme numérique age, disability, physical appearance or worker locale. Telework offers a powerful way for those who have typically been disenfranchised from the economic and social mainstream, such as seniors, or members of the disabled community, or those in rural areas, to become active participants in the knowledge economy. www.att.com/telework Le manifeste de ATT est la transposition au monde du travail de pratiques courantes dans le domaine des relations sociales, comme les sites Web de rencontre, MUDs81 et innombrables sites de chat qui suppriment chez certains individus les inhibitions que peuvent provoquer les relations de face à face. Il y a là une terrible ambiguité, le télétravail pouvant faire l’objet sur ce point de deux interprétations radicalement opposées : le télétravail facteur d’intégration économique, ou, au contraire, facteur d’exclusion spatiale (donc sociale) de tout ceux qui, en raison de leur apparence physique (et donc, le cas échéant, ethnique), ne sauraient être mis en contact avec des collègues ou avec la clientèle ? Des effets territoriaux qui restent à évaluer – mais est-ce possible ? L’importance du télétravail en tant que pratique spatiale ne peut pas être niée : qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en désole, des millions de personnes utilisent les TIC pour travailler à domicile, en déplacement, voire en vacance. Mais il reste très difficile d’en évaluer les impact spatiaux et territoriaux, actuels ou potentiels. On possède très peu de données fiables, et surtout spatialisées. Le télétravail peut-il faciliter la création d’une nouvelle forme d’équilibre ville-campagne ? Où facilite-t-il l’étalement urbain (qui n’a fait que croître aux Etats-Unis durant les années quatrevingt-dix, cf Atkinson & Gottlieb 2001)? Il semble que les telecommuters ont tendance à habiter plus loin de leur lieu de travail habituel (rappelons que le télétravail se pratique rarement cinq jours sur cinq). On se retrouverait devant un jeu à somme nulle (surtout qu’une résidence périphérique se traduit par un allongement des autres formes de déplacement (scolarités des enfants, loisirs, achats). En conclusion, on peut dire que ces difficultés d’évaluation sont celles d’un système spatio-temporel de relations de plus en plus complexe, qui s’accompagne d’un brouillage généralisé des catégories, comme l’écrit D. Pumain dans un éditorial de Cybergéo (septembre 2003), dont le titre est tout à fait adapté aux phénomènes économiques que nous rapportons présentement : « du local au global, une géographie sans échelles ». Cette remarque ouvre un nouveau chapitre, complémentaire du précédent, dont la clé d’entrée n’est plus constituée par les modes organisationnels induits par les technologies numériques, mais bien par le territoire lui-même. 81 Multi-users Dungeons, jeux de rôle en ligne qui sont parfois utilisés comme sites de « rencontre ». Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 127 Encadré n° 11. Du centre d’appel… au télétravail (source : www.cisco.com/en/US/ netsol/ns340/ns394/ns107/networking_solutions_customer_profile09186a00 8014d400.html). Mountain America Credit Union … [is] the credit union for state and local government employees and many of Utah' s leading corporations. Today, Mountain America members have access to a growing and impressive array of financial products and services, delivered innovatively. Members have easy access to their accounts to control their funds in a variety of ways: branch offices, ATMs, automatic deposit, Touch-Tone Teller, automatic payment, and online-branch access. Ray Carsey, Mountain America' s director of technology … uses a staff of four to support 500 employees and 170,000 members across 34 branches in Utah, New Mexico, Arizona, and Nevada. … across a variety of Cisco® networking gear. Telecommuting employees, improved administration through authenticated access, wireless roaming technicians, and even intrusion detection make Mountain America an innovative leader, Part of driving down costs is maintaining service levels while finding new, more efficient ways to work. Telecommuting is proving to be an important new tool for all types of businesses, including financial institutions. As Mountain America grew, it began to run out of office space. At the same time, management knew that the best way to serve members was to keep experienced call-center personnel available. Normally, call-center employee turnover is high across the financial services industry. At Mountain America, many of their call-center agents have a special incentive—the ability to work at home, over the network. It saves office space and operational costs for Mountain America and acts as an important incentive to retain experienced callcenter agents. Today, Mountain America has 40 telecommuters, across the state of Utah, serving members from their own homes. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 128 Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 12. Deux expériences de télétravail en Irlande : MDS Gateways, IBM MDS Gateways 82 MDS est une PME de 55 personnes, fondée en 1986, qui développe des périphériques et des logiciels de connexion bureautique. L' initiative est venue d' un ingénieur qui désirait travailler un an aux Pays-Bas, et que la société a accepté de laisser partir plutôt que de "perdre un bon ingénieur". A la suite du déménagement de l' entreprise depuis le centre de Dublin jusqu' à la zone d' activité de Clonshaugh (près de l' aéroport), plusieurs collaborateurs qui résidaient au sud de l' agglomération devaient supporter près de deux heures et demi de transport quotidien. Le processus s' inscrit dans un contexte de pénurie de personnel qualifié dans l' informatique. Plusieurs cadres supérieurs de l' entreprise ont commencé à travailler occasionnellement à domicile. Le développement du télétravail a été perçu comme un moyen de fidéliser les employés, dans une entreprise ou le turn-over est en général faible. D' autre part, les bureaux paysagers rendent difficiles les tâches qui réclament une attention soutenue. L' opération a commencé avec des "ingénieurs seniors" anciens dans l' entreprise, vis à vis desquels le niveau de confiance était déjà élevé. Trois collaborateurs peuvent être définis comme des utilisateurs intensifs : un développeur qui vient au bureau une fois par semaine, un autre qu' on appelle "l' hermite" (c' est tout dire), un vendeur. Neuf autres personnes sont des télétravailleurs médians, qui travaillent la moitié du temps à leur domicile. L' expérience fonctionne bien car il s' agit d' une petite structure à la hiérarchie très plate, où tout le monde connaît tout le monde. Le télétravail n' est pas adapté à toutes les tâches, ni à toutes les personnes. C' est un atout pour recruter et conserver du personnel hautement qualifié. Repris et traduit de MDS Gateway, www.mds.ie IBM IBM est implanté en Irlande depuis plus de quarante ans, avec 5000 collaborateurs en 2000. En 1998, IBM utilisait 3 immeubles de bureau au centre de Dublin, plus 3 autres établissements en banlieue. Les pressions pour le développement du télétravail ont été multiples : arrivée à terme du bail de deux immeubles, augmentation des prix immobiliers, congestion automobile croissante, augmentation du turnover professionnel. Après un an et demi d' étude sur les implications technologiques, financières et sociales, le programme a été présenté au personnel en février 2000. Moins de 10 % du personnel s' est révélé intéressé par le télétravail à temps plein, mais bien plus par le télétravail à temps partiel. IBM fournit à tous ses collaborateurs les moyens de "télétravailler" : conseils de méthode (technologie, sécurité, hygiène), mise à disposition d' un ordinateur portable et d' une ligne ISDN. Ce programme à permis de fermer deux sites de bureaux sur trois. Le nouveau siège social de Dun Laoghaire, dans un site attrayant, ne contient que peu de bureaux personnels, et aucun serveurs. Une des principales conclusions est que le télétravail est vital pour attirer et retenir des personnels clés. La semaine type d' un cadre de IBM : Lundi : Dun Laoghaire, Mardi : Blanchardstown/Mulhuddart, Mercredi : travail à domicile, Jeudi : Dun Laoghaire, Vendredi : Pembroke Road à Dublin. www.ework.ie/ppt/IBM.ppt 82 La fabrication est sous-traitée. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 129 Chapitre 4. Les territoires de l’économie numérique : de la Silicon Valley à la Sylvicole Valley Dans le chapitre précédent, nous avons essayé de montrer comment les technologies numériques conduisent à des pratiques spatiales complexes, multiscalaires, dont le but principal est de mettre à la disposition des organisations, dans les meilleurs délais et au meilleur coût, des ressources humaines inégalement distribuées dans l’espace. Il reste à analyser les phénomènes de construction territoriale résultant de ces dynamiques. Deux tendances complémentaires d’agglomération et de dispersion s’affrontent. Après avoir présenté les dynamiques élémentaires qui président à la constitutions de pôles productifs dédiés à l’économie numérique, nous verrons que le modèle type, celui de la Silicon Valley, tend à se diffuser géographiquement, tout en subissant un phénomène d’altération et de complexification, qui dérive des modifications du système productif évoqué dans le chapitre précédent. 4.1. Un espace économique « en archipel » ? 4.1.1. Mondialisation, métropolisation La représentation d’un espace économique en archipel (Veltz, 1996), conduit parfois les analystes à conceptualiser à diverses échelles des angles morts, des espaces en marge, qui pourraient être des régions industrielles en crise de reconversion, des banlieues paupérisées, des espaces ruraux peu dynamiques, des régions laissées pour compte dans les pays émergents à forte croissance, ou bien des pays (PMA), voire des continents entiers (Afrique subsharienne). Ces divers territoires seraient ignorés par les dynamiques économiques majeures, peu connectés aux réseau de transport et de télécommunication, victimes d’effets de tunnel. On utilise fréquemment le terme de « fracture » pour décrire ce qui serait un phénomène de divergence entre ces deux types d’espaces, les pleins et les vides. Transposé au champ des TIC, cela donne la très médiatisée « fracture numérique » Cette notion d’espaces qui seraient laissés pour compte par la « nouvelle économie » appelle un questionnement majeur, qui nous semble un préalable indispensable : la divergence a-t-elle une réalité objectivable ? Autrement dit, peuton parler d’archipels de richesse et dynamisme économique et d’innovation dans un océan de pauvreté (relative) ? Et quelle est sa portée ? Ces questions peuvent entraîner fort loin. Elles mettent en jeu les concepts de métropolisation et de globalisation/mondialisation. Et la notion d’échelle est centrale dans les interprétations. Personne ne peut nier que les pays émergents, la Chine, voire l’Inde, bénéficient depuis plusieurs années de taux de croissance économiques qui montrent une convergence avec les pays de l’OCDE, pas une divergence. Mais cette croissance bénéficie plus particulièrement à certaines régions et villes. Dans le cas français, quelques indicateurs simples montrent un phénomène de métropolisation. La croissance (relative) des emplois de cadres entre 1990 et 1999 a été plus forte dans les grandes aires urbaines que dans les petites, à l’exception Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 130 Regard géographique sur le paradigme numérique de Paris, où ce taux est déjà exceptionnellement élevé (tableau n° 16). D’autre part, la part de l' emploi métropolitain supérieur dans l' emploi total des grandes villes s' est en général accru d' autant plus rapidement que cette proportion était déjà plus élevée en 1990 (tableau n° 17). Mais il serait aisé de trouver des indicateurs contraires. L. Davezies (2003), par exemple, s’oppose en partie au schéma d’une France à deux vitesses. Il montre qu’il n’y a pas de dissociation entre les régions et métropoles les plus riches d’une part, « les territoires qui perdent », d’autre part. W. Beyers (2002) propose une réflexion voisine dans le cas américain. Il montre que lors de la décennie 85-95, les régions rurales (non metro) ont enregistré autant de créations d’emplois, sinon plus, que les aires métropolitaines (tableau n° 18). Il est important de résoudre cette contradiction, qui réside dans la différence entre activités productives et niveau de vie final, du fait de l’existence d’un système de redistribution des revenus (par le marché et l’Etat providence), depuis les métropoles les plus dynamiques, vers les régions moins productives. Finalement, dans une société extrêmement régulée et socialisée comme l' est la France, mais aussi la plupart des autres pays industriels, dans un contexte de réduction du temps de la vie consacré au travail et d' explosion de celui consacré à la consommation, il n' est pas étonnant que l' on assiste à cette dissociation entre la géographie de l' efficacité économique et celle du revenu et du développement social… La croissance française n' est pas la somme des croissances de territoires juxtaposés mais, et de plus en plus, le résultat consolidé d' un système complexe de flux physiques et financiers entre les territoires. Davezies, 2003 Le terme d’archipel reste donc une métaphore. Même si des gradients brutaux peuvent être observés, l’espace économique reste, dans la plupart des cas, un continuum. En effet, la dualité du modèle convergence/divergence rejoint celle du modèle agglomération/dispersion, qui est favorisée par les technologies numériques d’information et de communication. Même si les phénomènes de concentration dans des territoires à première vue privilégiés sont les plus spectaculaires, nous avons vu, dans les études de cas précédentes, comment certains modes récents d’organisation de la production (centres d’appel, télétravail) permettent une diffusion de l’économie numérique dans des espaces a priori périphériques. En tout état de cause, c’est avec précaution qu’il faut manier l’idée d’un décrochage entre « territoires qui perdent » et « territoires qui gagnent », pour reprendre le titre de l’ouvrage édité par G. Benko et A. Lipietz (1992 : Les régions qui gagnent. Districts et réseaux : les nouveaux paradigmes de la géographie économique). Lorsque nous parlerons de production ou d’emploi dans les secteurs caractéristiques de la nouvelle économie, c’est sans préjuger de la qualité de vie, notion hautement subjective, que ces emplois autorisent à ceux qui les exercent. Rappelons enfin que « l’économie numérique » n’est pas toute « l’économie numérisée » et ne rime pas forcément avec haute technologie. Un secteur de « l’ancienne économie » comme l’automobile est devenu une industrie de pointe, hautement capitalistique, très fortement automatisée et informatisée, qui distribue des salaires élevés, et dont les effets induits sur le territoire sont forts. Alors que les effets induits des centres d’appel sont modestes, tout comme les salaires versés et les capitaux investis. Nous revenons donc à une de nos principales positions de recherche : le paradigme numérique n’est pas seulement affaire de technologie et de systèmes de production, il est aussi un complexe discursif et idéologique. L’économie numérique a fait l’objet d’une sur-exposition politico-médiatique, tendant à faire croire que tout ce qui était créatif, innovant et source de richesse était high tech, smart, bref numérique. On a vu récemment comment des dirigeants de grands groupes internationaux ont Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 131 Regard géographique sur le paradigme numérique succombé à ces discours, abandonnant des activités « non nobles » pour se consacrer aux secteurs bien plus flatteurs pour leur ego, à l’époque, des télécommunications et du multimédia. L' objectif de ce chapitre n’était pas de rédiger une nouvelle « géographie des technopôles » (Benko, 1991). Nous avons surtout essayé de montrer comment l’affirmation du paradigme numérique, dans les faits comme dans les discours, a entraîné une altération du concept, pour le fondre, dans une certaine mesure, au sein d’un complexe spatio-productif plus vaste et plus diversifié, profitant des externalités de convergence technologique. On retrouve ici, sous jacente, la problématique du brouillage des échelles et des catégories. Ce « glissement » nous fait passer du technopôle au territoire numérique, dans lequel les organisations productives ne peuvent pas être dissociées de l’infrastructure, comme on dit parfois, qui comprend des structures et des modes de régulation sociales et politiques, qui ont parfois tendance a être masqués derrière le processus technologique et entrepreneurial. Silicon Valley est aussi un territoire, avec ses habitants et ses institutions. Si les logiques d’agglomération semblent l’emporter, les formes de dispersion doivent être prises en considération. Nous verrons comment les territoires ruraux s’inscrivent dans l’espace de l’économie numérique. Tableau n° 16. La métropolisation des cadres et supérieures (source : INSEE, RGP 1999) Emploi total dans les aires urbaines Paris > 100 000 emplois 50 000 à 100 000 20 000 à 50 000 10 000 à 20 000 < 10 000 professions intellectuelles Croissance de Cadres en % Taux de croissance l’emploi total de l’emploi cadres 1990-1999 -0,70 23,29 13,63 6,04 13,64 20,40 5,72 10,33 19,28 4,33 9,10 13,55 4,79 8,65 12,00 7,09 7,60 12,56 83 Tableau n° 17. Taux d'emplois métropolitains supérieurs par aires urbaines (INSEE, 1999) Rennes Grenoble Lille Toulouse Marseille Montpellier Paris Nantes Lyon Tx 1990 7,1 10,8 7,1 10,4 7,7 9,9 14,3 7,7 9,6 Tx Var.1 1999 8,7 1,6 12,7 1,9 8,3 1,2 12 1,6 8,6 0,9 11,4 1,5 16 1,7 8,7 1,0 10,6 1,0 % 0,225 0,176 0,176 0,154 0,154 0,152 0,119 0,119 0,104 Tx 1990 Toulon 4,1 St-Etienne 5,5 Lens-Douai 3,1 Valenciennes 3,7 Rouen 6,1 Avignon 6,1 Troyes 4,4 Besançon 6,4 Dunkerque 3,6 Tx Var.1 1999 4,8 0,7 6,3 0,8 3,4 0,3 4 0,3 6,5 0,4 6,2 0,1 4,4 0,0 6,3 -0.1 3,5 -0,1 83 % 0,171 0,145 0,097 0,081 0,066 0,016 0,000 -0.016 -0,028 Var.1 représente la différence brute entre les deux taux. % représente le taux de croissance estimé de l’emploi métropolitain supérieur (Var.1 / Tx1990 * 100) à emploi supposé égal. Ce mode de calcul est moins défavorable pour les métropoles à faible taux d’emplois métropolitain supérieur. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 132 Regard géographique sur le paradigme numérique Tableau n° 2. Evolution de l’emploi dans aires métropolitaines aux Etats-Unis (Beyers, 2002) 1985 Total Employment Metro 69.2 Nonmetro 12.0 Manufacturing Metro 15.9 Nonmetro 3.7 Producer Services Metro 12.5 Nonmetro 1.1 Other Employment Metro 40.9 Nonmetro 7.1 1995 % Change 84.9 15.3 22.7% 27.8% 14.4 4.2 -9.0% 12.4% 18.1 1.6 45.0% 44.9% 52.4 9.5 28.2% 33.1% 4.1.2. Le paradoxe géographique de l’économie numérique Paradox: The importance of location in a virtual medium. Kearney, 1999, Internet Cluster Analysis Une des problématiques essentielles de l’économie numérique, pour le géographe, s’exprime en effet en termes de paradoxe : les entreprises qui travaillent dans les secteurs de l’économie numérique et créative, au sens large, et qui délivrent des produits ou prestations intellectuelles qui peuvent être acheminées à distance à des coûts dérisoires, semblent aussi concentrées géographiquement, sinon plus, que celles des secteurs qui supportent des coûts d’acheminement élevés. En fait, nous sommes confrontés à une subtile dialectique entre agglomération et dispersion. 4.1.2.1. Agglomération, dispersion et division spatiale du travail Agglomerations are … deeply connected to more peripheral, less-densely-developed areas, especially where certain types of production units within wider commodity chains find it advantageous to locate at decentralized sites. This phenomenon is especially characteristic of branch plant operations with relatively standardized production activities and hence with low-cost procurement and distribution structures. The net result of the two tendencies noted here is the proliferation of complex trade flows, between different agglomerations and between agglomerations and peripheral areas, at national and international scales, and these flows are expanding with globalization. 84 Scott & Storper, 2003 . S. Sassen, A. Scott, E. Leamer & M. Storper, parmi d’autres, suggèrent qu’une des tendances majeures de la géographie des activités de « l’ère de l’Internet » est le renforcement d’un double processus d’agglomération et de dispersion. Dans le contexte de l’économie numérique, non seulement les TIC n’ont pas provoqué la disparition des phénomènes d’agglomération, mais c’est la dispersion même 84 Extrait de la version Word, non paginée. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 133 permise par l’usage de ces technologies qui implique, en retour, un renforcement des phénomènes d’agglomération. The widely accepted notion that density and agglomeration will become obsolete because telecommuncations advances allow for maximum population and resource dispersal is poorly conceived. It is precisely because of the territorial dispersal facilited by telecommunication that agglomeration of certain centralizing activities has sharply increased. Sassen, 2000, p. 5. A double-edged geography of the Internet age, with its tendencies toward specialization and agglomeration, on one hand, and spreading out on the other. Three principal changes are beeing stimulated by the Internet: increases in product variety; increases in the fitness of the division of labor; and the automation of intermediation/coordination 85 tasks. Leamer & Storper, 2001, p.21 . Le développement conjoint de l’externalisation et de l’usage des TIC joue en effet un rôle clé dans l’émergence ou le renforcement de certaines polarisations. L’externalisation des tâches informationnelles (au sens large) a donné naissance à un vaste secteur dit « service aux entreprises » (producer services), dont les prestations peuvent être effectuées à distance du client (services financiers, juridiques, fiscaux, informatiques, conseil etc.). Une idée essentielle est donnée, notamment, par Sassen : les services aux entreprises de haut niveau sont moins dépendants de la localisation des clients que d’un environnement lié à la production du service lui même (on retrouve à la fin de l’extrait le concept d’entreprise virtuelle) : The locational concentration of producer services is, in part, explained by the characteristics of production of these services… Such firms obtain agglomeration economies when they locate close to others that are sellers of key inputs or are necessary for joint production of certain service offerings. Sassen (2000, p. 104) Ceci explique pourquoi une ville comme Londres peut occuper dans certains services (finance, publicité) une place disproportionnée à son poids économique réel. Ou, comme l’écrit Sassen, pourquoi le poids de New York dans certains services supérieurs (notamment ceux liés à l’Internet et au multimédia) a augmenté ces vingt dernières années, alors que la ville n’a cessé de perdre des sièges sociaux. Dans le même temps, les réseaux numériques permettaient aux entreprises de profiter à plein des opportunités offertes par la division spatiale du travail, d’où un schéma de dispersion dont bénéficient à la fois centres et périphéries. Nous somme renvoyés à l’idée fondamentale exprimée par Kotkin, Veltz, Scott, Storper et quelques autres, suivant laquelle les TIC permettent aux entreprises de profiter plus librement des attributs et ressources (assets) des territoires, ressources qui peuvent ensuite être recomposées par les techniques de workflow évoquées précédemment, au sein d’organisation plus flexibles et systémiques. Mais jusqu’à quel point ? By resolving the tension between spatial separation and function integration, corporate networks have given large firms enormous flexibility in locational choices. Li, 1995, p. 86 1642 . 85 Pagination donnée par rapport à la version en ligne du NBER, working paper n° 8450, www.nber.org. 86 Corporate Networks and the Spatial and Functional Reorganization of Large Firms. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 134 Regard géographique sur le paradigme numérique Global cities are not only nodal points for the coordination of processes, they are also sites for the production of specialized services needed by complex organizations for running a spatially dispersed network of factories, offices and service outlets. Sassen, 2000, p. 5. Au vu des remarques précédentes, on pourrait penser que ce sont les activités de routine qui sont le plus concernées par les phénomènes de dispersion spatiale. On peut concevoir un schéma simpliste, dans lequel les activités de commandement et de coordination informationnelle, c’est à dire les sièges sociaux et les entreprises de services « quaternaires » (mais aussi l’enseignement supérieur et la recherche) sont concentrés dans les métropoles des pays riches, tandis que les ateliers de production, ou les services de routine (centres d’appels) sont dispersés dans les régions rurales et les pays en voie de développement (PVD), en fonction du critère du meilleurs coût, grâce au progrès des transport et des télécommunications. Or ce schéma est loin d’être parfait. D’une part, la césure entre dispersion et agglomération/concentration est une question d’échelle. Dispersion et concentration sont souvent simultanés, mais à des échelles différentes. Lorsque les centres d’appel ou l’industrie du logiciel se « délocalisent » en Inde, il y a une forme dispersion à l’échelle mondiale, mais concentration à l’échelle locale, puisque ces développements économiques récentes ne concernent qu’un petit nombre de villes (et des pôles technologiques bien identifiables). D’autre part, on constate le maintien de grappes ou clusters d’activités manufacturières peu sophistiquées dans les pays les plus riches, comme les districts industriels (appelés aujourd’hui « systèmes productifs locaux ») gouvernés par le principe de la « spécialisation flexible ». En même temps, on peut identifier des entreprises fortement innovantes ou créatrices dans des régions rurales, qui utilisent au mieux les possibilités offertes par les télécommunications modernes, et qui sont très bien connectées à l’économie globalisée, notamment par l’intermédiaire de chaînes de sous-traitance « en cascade ». Il faut donc plus que jamais renoncer à la simplicité des catégories et des schémas, au profit d’un d’enchevêtrement des échelles. 4.1.2.2. La théorie de « la poignée de main » Dans un article publié en 2002 dans Journal of International Business Studies, « The Economic Geography of the Internet Age », E.Leamer et M. Storper expliquent d' une manière très pédagogique un des faits marquants de la géographie économique du début du vingt-et-unième siècle, qu' on pourrait appeler le paradoxe économique des TIC. Ils démontrent que le gros du système productif reste extrêmement concentré géographiquement, que la valeur des proximités spatiales n' a pas baissé. Mais plus encore, à la suite d’autres chercheurs, ils affirment que les activités de haut niveau, créatrices, ou de direction, qui ne processent pourtant que de l' information, transmissible à distance, sont encore plus concentrées que le reste de l' activité. Les auteurs partent d’un constat simple, que nous avons déjà évoqué : la tendance du système productif à se concentrer géographiquement, non par firmes entières (tout au moins dans le domaine des grandes entreprises), mais par segments de la chaîne de production, du fait de l' externalisation croissante, non seulement des activités manufacturières, mais aussi des transactions informationnelles. Ces segments d' activité se retrouve concentrés en grappes (clusters) hautement spécialisées (la publicité à Londres, le design à Milan ou Barcelone). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 135 The vast and steady improvements in technology for transacting across space have not eliminated a strong role for geographical proximity. Pure intellectual activities are even more clustered… 20th century tendancy toward geographical fragmentation of the chain of production was accompanied by the spatial agglomeration of certain parts of the chain, particularly the intellectual/ immaterial activities such as accounting, strategy, marketing, finance and legal work. These activities are amenable to extremely fine and highly efficient divisions of labor… and to procurement s Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 136 Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 13. S. Sassen. The Global City Model. The Global City (2000), préface à la deuxième édition (nous soulignons) The geographic dispersal of economic activities that marks globalization, along with the simultaneous integration of such geographically dispersed activities, is a key factor feeding the growth and importance of central corporate functions. The more dispersed a firm' s operations across different countries, the more complex and strategic its central functions - that is, the work of managing, coordinating, servicing, financing a firm' s network of operations. These central functions become so complex that the headquarters of large global firms outsource them. They buy a share of their central functions from highly specialized service firms. Those specialized service firms engaged in the most complex and globalized markets are subject to agglomerations economies. The complexity of the services… the uncertainty of the markets…and the growing importance of speed in all these transactions, is a mix of conditions that constitutes a new agglomeration dynamic. The mix of firms, talents and expertise… makes a certain type of urban environment function as an information center. Being in a city becomes synonimous with being in an extremely intense and dense information loop… that cannot be replicated fully in electronic space… one of its value-added features the fact of unforeseen and unplanned mixes of information… Global cities are, in this regard, production sites for the leading information industries of our time. Economic globalization and telecommunications have contributed to produce a spatiality for the urban which pivots both on cross-border neworks and on territorial locations with massive concentrations of resources. This is not a completely new feature… What is different today is the intensity, complexity and global span of these networks, the extent to which significant portions of economies are now dematerialized and digitalized. pp.xix-xxii Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 137 4.2. Les districts de l'économie numérique Intelligent cities: Islands of Innovation become digital. N. Komninos, 2002. Intelligent Cities: Innovation, knowledge systems and digital spaces, p.181. La notion de district productif a suscité une énorme littérature, et le sujet reste d’actualité (voir leCluster Mapping Project lancé par Michael Porter, de la Harvard Business School)89. Nous avons expliqué pourquoi, paradoxalement, les réorganisations récentes du système productif permises par l’usage des TIC avaient favorisé le renforcement de polarisations déterminées par la recherche des économies d’agglomération et externalités positives. 4.2.1. Aspects théoriques Peu de sujets ont été aussi intensément étudiés que celui du phénomène technopolitain et des districts numériques et multimédias. On peut mentionner, entre autres, les travaux de Ph. Aydalot et du GREMI (1986), ceux de C. Antonelli, G. Benko, M. Castells, P. Hall, A.L. Saxenian A.J. Scott. Pour les études de cas, on se référera à Multimedia and Regional Restructuring édité par Braczyk, Fuchs & Wolf (1999), qui décrit une quinzaine de districts numériques de par le monde. Le phénomène possède ses classiques, comme Silicon Valley et Route 128 (Saxenian, 1994, 1995), Los Angeles90 (Scott, 2002), Silicon Alley/New York (Pratt, 2001 ; Indergaard, 2004), Grenoble (De Bernardy, 1997 ; De Bernardy et Lawton-Smith 2001) Oxford (Lawton-Smith, 2003), Bengalore (Saxenian, 2000-b-c). Brighton et Howe sont sortis de l’ombre grâce à D. Perrons (Economic Geography, 2004). On possède des notions sur Glasgow et le « Silicon Glen » (Collinson 2000), Lyon (Meyronin 2001-a, 2001-b ; Moriset 2001-a, 2003-b). Le Blanc (1999, 2000, 2001) propose une excellente analyse du pôle de Denver. On ne saurait passer sous silence Sophia Antipolis (26 000 emplois, dont la moitié dans les TIC, www.sophiaantipolis.net). L’activation de la recherche sur ces questions ne peut pas être isolée du contexte économique et politique global que nous avons évoqué précédemment, avec l’inflation des discours sur la globalisation, la métropolisation, et surtout la hantise de la compétitivité par l’innovation qui semble régner dans les cercles économiques et politico-médiatiques. Poussés par divers groupes de pression et financeurs, les chercheurs n’ont eu de cesse d’analyser la région, la ville, l’agglomération, comme support fondamental de la compétitivé des individus et des entreprises. Depuis quelques années, le concept technopolitain semble s' être altéré et complexifié, avec la montée en puissance des activités nouvelles liées aux TIC. Jusqu' au milieu des années quatre-vingt-dix, on parlait de « technologies de pointe » au sens large, incluant les biotechnologies, matériaux nouveaux, industrie et recherche aérospatiales etc. La convergence numérique, le phénomène de 89 Base de données en ligne d’analyse des districts productifs aux Etats-Unis (http://data.isc.hbs.edu/isc/index.jsp. Le Cluster mapping succède au Cluster Profile, consultable sur le même site : http://data.isc.hbs.edu/cp/index.jsp. 90 La Californie du Sud est le pôle le plus important du monde pour l' industrie de l' audiovisuel numérique (multimedia and digital visual effects industry), avec des structures institutionnelles comme la IICS (International Interactive Communication Society) et le SIGGRAPH (Special Interest Group on Computer Graphics). Source : Scott in Braczyk et al., 1999, pp. 30-47. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 138 Regard géographique sur le paradigme numérique l' Internet, et aussi, il faut bien le reconnaître, la bulle financière et médiatique des TIC, sont venus brouiller les cartes, en aspirant l' informatique et les télécommunications vers les activités de traitement de l' information au sens le plus large du terme, au sein d' un complexe d' activité diversement intégré qui prend des appellations diverses (comme celui de @activities dans le projet 22@poblenou de Barcelone, cf. chap. 5). Le phénomène technopolitain n' a pas perdu de sa vigueur économique et médiatique, bien au contraire, comme en témoigne la centaine de « territoires du silicium » qui ont été identifiés de part le monde (cf. infra). Mais on ne parle plus guère de technopoles, avec ou sans accent circonflexe. On préfère la « ville numérique », ou digital city, voire la ville intelligent, ou smart city. What is a technopolis ? In today' s usage, a technopolis is a region trying to build and maintain a healthy, technology-driven economy. Regions that succeed are likely to have: - a robust local value chain including strong R&D, manufacturing, marketing and distribution, and intensive international connections ; - a critical mass of companies in one or more well-defined clusters ; - a relatively compact geography, which allows a successful specialized economy, impossible in more sprawling, diverse places (which may well have a greater total hightechnology employment). www.generalinformatics.com/technopolistimes.htm Districts et clusters du secteur des TIC La question de l’identification et de l’analyse géographique des districts ou clusters de l’économie numérique a posé et pose encore des problèmes ardus. Le problème n’est pas tant dans la nature ou le fonctionnement du phénomène de district, qui fait à peu près l’unanimité, que dans son identification et sa mesure. A cluster is a geographically proximate group of interconnected companies and associated institutions in a particular field, including product producers, service providers, suppliers, universities, and trade associations. Clusters arise out of the linkages or externalities that span across industries in a particular location. Clustering Mapping Project, Harvard Business School (HBS), www.isc.hbs.edu/cmp/cmp_data_glossary.html Les grandes lignes de la théorie du cluster, et notamment du cluster de haute technologie, sont maintenant bien connues : esprit entrepreneurial, interrelations entre les entreprises et les institutions locales de recherche, publiques ou privées, rôle de l' essaimage, relations de « fertilisation croisée », importance du système de formation et du cadre de vie, rôle du capital risque, contexte réglementaire adapté, accessibilité... Il n' y a pas de règle absolue. Certains pôles technologiques semble s' acommoder de contraintes qui seraient considérées ailleurs comme handicapantes. Le contexte fiscal et réglementaire a moins d’importance quand le niveau scientifique du pôle est élevé, et que le rôle de la recherche publique est important (ce qui est le cas de Grenoble, par exemple, où accessibilité, fiscalité et flexibilité de l' emploi ne sont pas particulièrement attrayants – cf Lawton-Smith & De Bernardy 2001). Néanmoins, le concept de district de l’économie numérique (ne parlons plus de technopôle) pose au géographe une série de problèmes. Le problème de l’échelle et du découpage administratif Faut-il considérer des parcs technologiques, des quartiers ou des districts urbains, des villes, au sens restreint, ou bien des aires métropolitaines ou régions urbaines toute entières (la vieille nuance entre le technopôle et la technopole) ? Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 139 La base de donnée du Clustering Mapping Project, développé par M. Porter, de la Harvard Business School, propose d’analyser des clusters à la dimension d’une Metropolitan Area, ou bien à celle, plus large, d’une Economic Area91. Ce qui donne des résultats très différents. Ainsi, Silicon Valley appartient principalement à la Metro de San José (92 000 emplois dans les TIC en 2001 et un Location Quotient LQ92 de 11,2), qui est distincte de celle de San Francisco (26 000 emplois et un LQ de 3,17), et de la ville voisine de Oakland (19 000 emplois dans les TIC, LQ de 2,4). La définition par Economic Regions rassemble le tout, ce qui donne un ensemble plus puissant (144 000 emplois dans les TIC, soit près du triple de la seconde région, New York), mais moins spécialisé (LQ de 4,5, tout de même). Dans le même ordre d’idée, on est confronté dans les grandes villes à une « polynucléarisation » de l’économie numérique. Tokyo, New York, mais aussi Lyon, voire Grenoble, présentent plusieurs pôles d’activités spécialisés. Toute la difficulté est d’identifier ces pôles, dont les contours sont souvent flous, et dont la structuration institutionnelle est souvent d’une faible secours. A Grenoble, la ZIRST de Meylan a complètement explosé vers l’amont de la vallée du Grésivaudan. Le problème d’échelle est aussi un problème de lisibilité et de marketing territorial. L’AEPI (Agence d’Etude pour la Promotion de l’Isère) vend un pôle technologique « Grenoble Isère » de 30 000 emplois dans le secteur des TIC, ce qui le placerait entre Phoenix et Denver (Economic Regions) qui occupent les neuvième et dixième rang au Etats-Unis (26 000 et 32 000). Mais cette mesure est flatteuse, car elle inclut des secteurs géographiques de l’ouest du département, qui sont situés dans l’aire urbaine Lyonnaise. Les logique du marketing territorial pourraient donc conduire à comptabiliser deux fois les mêmes entreprises. La nature des activités : informatique et télécom vs « contenu » ou multimédia La question de l’échelle des clusters ne peut pas être dissociée de la réflexion sur les secteurs d’activité. Ce qui est spécialisé à une échelle devient diversifié à une autre. La région urbaine de San Francisco est très polyvalente, alors que la ville d’une part, la Silicon Valley de l’autre, sont relativement spécialisées, l’une dans le contenu, l’autre dans la technologie. La nature des activités, l’existence d’une masse critique, et le degré de concentration spatiale, interviennent fortement dans l’apparition des externalités d’agglomérations ou externalités de convergence. La principale ligne de clivage sectorielle des districts numériques, de par le monde, est celle qui sépare les activités liées à l’informatique et au télécommunications (matériels, logiciels et composants), et les activités créatives liées au contenu et au support multimédia : applications son et vidéo, traitement d’image, édition électronique, Web design, services Internet, plateformes de commerce électronique, etc. Ces activités sont fréquemment associées à celle des médias classiques (presse, TV, édition) et du cinéma. C’est, radicalement, l’opposition entre Silicon Valley et Silicon Alley. Content is king… Content regions have a built-in advantage as multimedia centres. Since packaged software and hardware are so cheap to reproduce and transport, and since their producers seek to maximize their sales, the natural advantage of nearby users is diminished. The content regions (those with an existing media industry) have a prior familiarity with the markets in question and have already attracted talented and 91 Les 172 Economic Areas, à la différence des 318 Metropolitan Areas, englobent tous les comtés américains, même ruraux. 92 Le LQ mesure la spécialisation relative du cluster. Son calcul est donné par le rapport entre, d’une part, la part du secteur d’activité donné dans l’emploi total de l’aire géographique considérée, d’autre part, la part de ce même secteur d’activité dans l’emploi total du pays. Si les TIC représentent 3 % de l’emploi total aux E.U., un LQ de 10 pour une aire métropolitaine signifierait que les TIC y représentent 30% de l’emploi. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 140 Regard géographique sur le paradigme numérique creative workers and the necessary supporting services and institutions. Saxenian, in Braczyk et al., 1999, p.18 La spécialisation permet de réaliser des économies d' échelles et de franchir plus facilement le seuil au delà duquel les entreprises vont bénéficier d' économies d' agglomération et d' externalités positives. La spécialisation est d’autant plus impérative que le territoire sera de taille moyenne. Une ville comme Grenoble (450 000 habitants env.) peut atteindre un niveau mondial dans un domaine bien précis (recherche en informatique pure, automatisme, nano-technologies), mais est peu présente dans le multimédia. La spécialisation provient le plus souvent d’une ou deux entreprises motrices, ou de laboratoires de recherche publique, qui entraînent concurrents et sous-traitants dans leur sillage, et provoquent par essaimage la création de firmes nouvelles. Le pôle « composants électroniques et nano technologies » d’Aix-Marseille93 est entraîné par ST Microelectronics et GemPlus. Seattle est plutôt tournée vers le logiciel (Microsoft). A Tempere94, un cluster s’est constitué autour de Nokia, numéro un mondial de la téléphonie mobile (Schienstock et.al., in Braczyk et al, 1999, pp. 320-345). A Stockholm, la « Kista Science City », dite aussi la Wireless and Mobile Valley (375 entreprises et 18 400 emplois dans les TIC en 2003) s’est spécialisée dans la téléphonie mobile et autres technologies hertziennes,à partir de la présence de Ericsson et Nokia (www.kista.com). A Lyon, le pôle jeu vidéo doit (presque) tout à Infogrames (aujourd’hui ATARI) etc. Les deux types de districts (contenu ou technologie) s’articulent diversement dans l’espace métropolitain et régional, et des synergies sont susceptibles d’apparaître entre les deux catégories de métiers. Le clivage spatial est rarement pur et parfait. Munich est presque également forte dans les activités de contenu (premier pôle de média allemand et second pôle multimédia après Berlin) et dans les activités informatiques (siège de Siemens Nixdorf Information Systems – d’après Strater in Braczyk et al., 1999, pp.155-182). La Silicon Valley abrite des entreprises de contenu, comme WebTV, @Home, C-cube… Mais le multimédia reste largement confiné dans la ville de San Francisco, dite « Multimédia Gulch » (Egan & Saxenian, in Braczyk et al., 1999 p. 22). En France, un bon exemple de division spatiale de l‘économie numérique est donné par Rhône-Alpes : le multimédia est presque inexistant à Grenoble, entièrement tournée vers le high tech, alors que Lyon, ville d’affaire, existe essentiellement dans le contenu (Meyronin, Moriset, op.cit.)95. Clusters statistiques vs clusters fonctionnels, clusters locaux vs clusters « exportateurs » La définition proposée par la Harvard Business School est purement statistique, et ne dit pas à partir de combien d’entreprises et/ou d’emplois apparaît un cluster. Les bases de données du Cluster Mapping Project réalisent des aggrégats statistiques à partir de codes APE (ou SIC) sans se préoccuper des dynamiques interfirmes internes au secteur. Or ces dynamiques n’existent pas toujours, et ne sont pas prouvées par des coefficients de spécialisation élevés. Un des enseignements de l’étude sur Lyon (Moriset, 2001-a) avait été de montrer qu’une bonne partie des entreprises de services en Informatique, Internet et 93 Qui est un des deux seuls clusters français dans le secteur des TIC identifié par la base de donnée de M. Porter, avec celui de Montauban, ce qui en dit long sur sa fiabilité ! 94 Deuxième ville de Finlande, 170 000 habitants. 95 De Bernardy (1997, p. 157) souligne « qu’aucune bourgeoisie financière, commerciale ou d’affaire ne s’est réellement épanouie » à Grenoble. Au contraire de Lyon, évidemment. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 141 multimédia (web design) travaillait pour les grandes entreprises locales de l’industrie et des services, alors même qu’on pouvait identifier un district sur le plan fonctionnel, voire même spatial. Ceci n’en fait pas des activités motrices (à la différence du pôle jeu vidéo qui exporte dans le monde entier), puisque leur dynamisme dépend, d’abord, de celui des sociétés donneuses d’ordre. C’est la définition même du « cluster local » selon Porter. Il faut rappeler que le secteur des TIC n' est que pour une fraction un secteur qui délivre un produit final, un bien de consommation (comme les jeux vidéo p.ex.). Pour tout ce qui relève, en particulier, de l' informatique ou des télécommunications pour les entreprises, les TIC (biens et services) ne sont qu' une consommation intermédiaire dans le cycle de production. En d' autre termes, à un niveau macroéconomique global, les TIC ne sont pas un secteur aussi porteur que l' on veut bien le croire : c' est Général Motors qui fait vivre Microsoft, c' est Détroit qui fait vivre la Silicon Valley, et non l' inverse. Cette évidence explique en partie le dégonflement de la « dot.com bubble ». Ceci est valable à une échelle globale, ou dans un marché fermé. Mais si on individualise le territoire, les TIC peuvent y devenir une activité motrice, non dépendante de ses clients traditionnels, si les entreprises sont capables d' exporter. C’est ce que M. Porter appelle le traded cluster, qui peut atteindre un coefficient local de spécialisation (location quotient) très élevé, car il ne dépend pas spécialement de la demande locale, mais des avantages comparatifs que propose le territoire (notamment en termes d’externalités d’agglomération). C’est évidemment le cas de Silicon Valley ou Grenoble96. Seulement dans ce cas, alors, on observera une sur-représentation locale du secteur des TIC, avec des possibilités de croissance qui ne sont limitées, théoriquement, que par la concurrence et les capacités d' absorption du marché mondial. Dans le cas de Lyon en 2001, par exemple, seul le secteur du jeu paraissait être un secteur porteur, avec Infograme qui était à l' époque le numéro deux mondial du jeu vidéo. Dans tous les autres secteurs des TIC (Internet, télécommunications, SSII), les entreprises étaient, d’abord, au service du marché régional. Nous verrons que Beyers &Lindhal (1996) font la même distinction dans leur recherche sur les micro-entreprises rurales de services aux entreprises : ils ne retiennent que celles qui « exportent » au moins 40% de leur production. Local clusters are made up of local industries. (which) provide goods and services almost exclusively for the area in which they are located, (…), regardless of the natural or competitive advantages of a particular location. Traded clusters are made up of traded industries (which) sell products and services across economic areas, so they are concentrated in the specific regions where they choose to locate production, due to the competitive advantages afforded by these locations. Clustering Mapping Project, Harvard Business School (HBS), www.isc.hbs.edu/cmp/cmp_data_glossary.html Quels sont les enjeux de l’étude des districts numériques ? L’identification et la connaissance des districts (numériques ou non) n’est pas seulement un débat d’école pour géographes ou économistes spatiaux, sauf à admettre qu’un district numérique peut apparaître et se développer spontanément, sans aucune structuration institutionnelle publique ou privée, sans organisme de régulation, de promotion. Cette thèse pourrait être défendue. Pourtant, aucun exemple connu n’est parvenu à notre connaissance. Dans une période où le schéma de la mondialisation libérale et individualiste semble s’imposer, il faut 96 Comme de tous les districts industriels stricto sensu. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 142 Regard géographique sur le paradigme numérique reconnaître que les institutions collectives, publiques ou privées continuent à jouer un rôle important dans l’émergence des territoires de la nouvelle économie, y compris aux Etats-Unis. Nous ne parlons pas, ici, du rôle déclencheur des organismes publics de recherche, ou des commandes militaires de l’Etat. Nous parlons du rôle facilitateur que les gouvernements et associations peuvent jouer, dans tous les domaines de l’aménagement du territoire, de la formation, de l’animation économique, du marketing territorial. Les entreprises, on l’a dit, sont à la recherche d’aménités territoriales, qui dépendent, pour une bonne part, de l’intervention des organismes publics ou consulaires (comme les infrastructures de transport, le système local de formation etc.). Encore faut-il que les besoins des entreprises soient identifiés, puissent s’exprimer. D’où l’importance d’organismes relais. Quand aux externalités d’agglomération, une partie de celles-ci va être forgée dans les organismes, publics, para-publics ou privés, que P. Daniels dans son étude sur Birmingham (2004) appelle les Knowledge Brokers : chambres consulaires, clubs et associations d’entrepreneurs, missions de développement économique, organismes de transfert de technologie, agences de promotion et de développement etc. Ces structures institutionnelles ont besoin de connaître le tissu économique. Les investisseurs potentiels ont besoin de connaître le marché que pourrait représenter localement tel ou tel secteur d’activité pour des activités de service, de conseil, etc. De la même manière, les organismes de formation ont besoin de cette connaissance pour cibler leur offre. Une connaissance géographique de ces clusters est également importante. Comme nous l’avons dit, les collectivités publiques jouent un rôle essentiel dans le dessin des infrastructures de transport et de télécommunication. Elle doivent connaître les besoins et les potentialités des zones à desservir. Les collectivités jouent un rôle essentiel dans la provision aux entreprises de services immobiliers adaptés. Il semble donc important de connaître les entreprises existantes ou potentiels d’un secteur, et leurs besoins en matière de localisation. C’est dans cette esprit que nous avions travaillé dans notre enquête auprès des entreprises lyonnaises de l’Internet (Moriset 2003-b). Enfin, les institutions collectives conduisent une stratégie de communication et de marketing vis à vis des investisseurs extérieurs, qui doit être soigneusement « calée » sur une présentation objective du tissu économique existant. Il apparaît que la morphologie « spatiale » propre d’un secteur économique peut être un argument de vente, tout autant qu’un facteur de synergie interne. Plusieurs de nos interlocuteurs avaient regretté l’inexistence d’un « Sophia Antipolis » lyonnais, c’est à dire qu’un pôle technologique identifiable visuellement, et reconnu nationalement et internationalement, en lieu et place d’une dispersion nuisible à toutes les formes d’expression de l’effet district. La connaissance des clusters locaux est aussi une question de stratégie : il est en général admis que la marge d’intervention réelle des collectivités publiques est mieux utilisée, et le discours plus crédible, lorsqu’elle est ciblée sur quelques secteurs forts, surtout pour les villes moyennes à l’échelle mondiale (autour de un million d’habitants). C’est le cas du jeu vidéo à Lyon, des semi-conducteurs à Aix-Marseille. Pour une compréhension plus approfondie du concept - et aussi du mythe - du district numérique, nous proposons une description des deux modèle, par ailleurs très différents, qui en sont à l’origine : Silicon Valley (Californie) et Silicon Alley (New York). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 143 4.2.2. Silicon Valley vs Silicon Alley On peut porter sur Silicon Valley, et dans une moindre mesure sur Silicon Alley, le même genre de jugement que celui qu’Ernst Gombrich dans son Histoire de l'Art porte sur La Joconde de Léonard de Vinci : l' abondance des références scientificomédiatiques utilisées parfois à tort et à travers, et la multiplication de part le monde des clones auto-proclamés, finissent par altérer nos capacités de perception et de compréhension des originaux, que tout le monde croit connaître, sans les connaître. 4.2.2.1. Le modèle original : Silicon Valley Il existe plusieurs définitions de la Silicon Valley. Selon le « Joint Venture : Silicon Valley Network » (2002), le cœur est constitué par le comté de Santa Clara et des morceaux des comtés limitrophes de San Mateo, Alameda et Santa Cruz (2,4 millions d’habitants et 1,2 million d’emplois). C’est le plus ancien, et de loin le plus important pôle mondial du secteur des TIC. C’est aussi l’un des plus spécialisés, avec un LQ de 11,2 dans l’aire métropolitaine de San José. Les données sont difficiles à analyser, car en évolution rapide, à la hausse (années 1990), comme à la baisse (2000-2003). Quelques secteurs d’emplois majeurs ou clusters97 se dégagent (emploi à la mi-2003) : - Logiciel : 95 000 - Semi-conducteurs : 62 000 - Matériel informatique et télécommunications : 57 000 - Services innovants et RD : 50 000 - Composants electroniques : 22 000 Soit près de 300 000 emplois, 25% de l’emploi total de la vallée. On voit que l’on dépasse largement les statistiques plus restrictives données par la HBS (90 000 emplois dans les TIC pour la Metro de San José, 144 000 pour toute la région urbaine de San Francisco)98. Si on compare avec les données fournies par l’AEPI (op.cit.) ou la CCI de Lyon, on peut dire que la seule Silicon Valley « pèse » plus de dix fois Grenoble ou Lyon99 (dont les populations sont respectivement 4 fois et 2 fois inférieures environ). Dans l' historique qu' elle dresse de la Vallée, A.L. Saxenian (1995) montre l' importance du phénomène de « communauté entrepreneuriale et technologique » tel qu' il a été voulu dans les années quarante par son fondateur Frederick Terman, directeur du collège d' ingénierie de Stanford100. In the 1940s, Frederick Terman envisioned a "community of technical scholars" in Northern California - a modern counterpart of the groupings of medieval scholars in famous European centers of learning like Oxford, Heidelberg, and Paris. From his base as the Dean of Engineering at Stanford University, he sought to create a technical community like those medieval communities where there was, in his words, "continuous ferment of new ideas and stimulating new challenges”. 97 Dans ce cas, le sens est purement statistique. Car les données de la HBS s’appuient sur les codes SIC, plus restrictifs. Ainsi, les matériels de télécommunications sont classés dans le cluster « transport et télécommunications. 99 30 000 emplois dans les TIC, selon www.lyon-tic.com 100 Terman était membre de l' académie américaine des sciences. La comparaison est tentante avec le rôle joué à Grenoble par Louis Néel (prix nobel de physique), et ce d' autant plus que le complexe militaro-industriel a joué un rôle initial important dans les deux cas. 98 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 144 Regard géographique sur le paradigme numérique Parmi les anecdotes les plus connues de l' histoire de la Vallée, figure la création de Hewlett-Packard dans les années trente - aujourd' hui HP Invent, numéro un mondial de la micro informatique. C' est Terman qui encouragea et aida deux de ses étudiants, William Hewlett and David Packard, à créer leur propre entreprise à Palo Alto, instituant ainsi la pratique de l' essaimage. Terman est le promoteur du Stanford Industrial Park, qui a été conçu comme une source de revenus complémentaires pour l' université, et a renforcé la coopération avec les entreprises ainsi que l' emploi des diplômés. De fait, aucune région au monde ne peut approcher le nombre et la qualité des « success stories » qui ont fait la puissance économique et la notoriété de la vallée : HP, Apple, Intel, Fairchild, Oracle, Sun Microsystems, Silicon Graphic etc. On retrouve systématiquement les mêmes mécanismes qui combinent innovation technologique, prise de risque entrepreneuriale, combinaison de compétition interfirmes et d' interrelations technologiques, humaines et financières. Ensemble de facteurs qui n' a jamais pu être égalé. A.L. Saxenian montre que la Vallée possède ses lieux et institutions de sociabilité, qui fonctionnent un peu comme ceux de la métropole d' affaire traditionnel décrite par Gottmann. Every year there was some place, the Wagon Wheel, Chez Yvonne, Rickey' s, the Roundhouse, where members of this esoteric fraternity, the young men and women of the semiconductor industry, would head after work to have a drink and gossip and brag and trade war stories… By all accounts these informal conversations were pervasive and served as important source of up-to-date information about competitors, customers, markets and technologies. Entrepreneurs came to see social relationships and even gossip as a crucial aspect of their businesses. In an industry characterized by rapid technological change and intense competition, such informal communication was often of more value than more conventional but less timely forums such as industry journals. Producers who must meet ever shorter times-to-market and accelerating product cycles benefit immensely from being part of a localized technical community that facilitates rapid communication and collective learning. This decentralized system has allowed Silicon Valley to surpass both domestic and foreign competitors during the 1990s. Saxenian 1995. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la Silicon Valley n’est pas une jungle où s’épanouierait le capitalisme sauvage. Comme on vient de le voir, ce n’est pas une création spontanée. Aujourd’hui, plus que jamais, le tissu industriel de la « Vallée » est tout à la fois irrigué et drainé par un réseau dense d’institutions ou Knowledge Brokers dont la fonction est double : constituer les réseaux et les lieux de rencontre plus ou moins formels où s’échange l’information ; constituer un relais entre la communauté entrepreneuriale et les collectivités en charge de la gestion et de l’aménagement du territoire. L’ensemble est coordonné par le « Joint Venture : Silicon Valley Network » dont le Conseil d’administration est constitué par un mélange de dirigeants d’entreprises, d’universitaires, de représentants des collectivités locales. Parmi ces knowledge brokers, on peut mentionner : Silicon Valley Chambers of Commerce The Silicon Valley Association of Startup Entrepreneurs (SVASE) NOVA (North Valley Job Training Consortium), Center for Innovation and Entrepreneurship The Bay Area Economic Forum ; The Bay Area Council The Association of Bay Area Governments (ABAG) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 145 La concentration spatiale, gage de la mobilité professionnelle Une idée essentielle dans l' analyse de Saxenian, est le rôle de l’agglomération des firmes comme élément facilitateur des mobilités professionnelles individuelles et des prises de risques entrepreneuriales. Concept qui s' applique, d' ailleurs, d' une façon très générale à tous les grands bassins d' emplois, et on pourrait en dire autant de la finance à New York ou Londres. Les mutations, les départs pour création, les recherches d' emploi après un échec, événements plus nombreux que partout ailleurs, ne s' accompagnent pas de la rupture du lien professionnel, social et territorial qu' entraînerait souvent un changement de résidence. Cette mobilité structurelle, qui s' accompagne d' une stabilité spatiale, renforce et fluidifie en retour, le système formel et informel de circulation de l' information qui favorise l' innovation, l' entrepreneuriat et la coopération inter-firmes. On comprend bien, dès lors, que la montée en puissance de l' Internet n' a guère altérée le fonctionnement de ce milieu économique, qui n' est toutefois pas à l' abri des périls engendrés par son propre succès. Là encore, les répercussions de la bulle des TIC sur le territoire de la Vallée peuvent être perçus comme un modèle, et aussi un avertissement. La Vallée victime de son succès ? les limites territoriales à la croissance Silicon Valley' s Internal Challenges are reaching a critical point : ' The cost of doing business in Silicon Valley and San Francisco is insane. For one thing, real estate is outrageous. But what I found most unbelievable was the cost of recruiting and retaining employees. You have to recruit the recruiters, and convince them to recruit on your behalf. It’s exactly the opposite in Atlanta'Jay Hall, Founder of ChemConnect, which moved from (Kearney, 2000). Silicon Valley is a vibrant region typified by creativity and vision, by growing industries and impressive wealth, but it is also the place where the painful underside of the New Economy is revealing itself, the place where the gap between the affluent and the poor is widening. A. Dean, secrétaire général du comité régional "South Bay" de l' AFL-CIO, Wired Magazine, 24 mars 2000. Le boom des années 80 et 90 a créé dans le comté de Santa Clara un effet croisé d' enrichissement et d' appauvrissement relatif, avec d' un côté les gagnants des hautes technologies, bénéficiant de la hausse des salaires et des actions, de l' autre côté les perdants: fonctionnaires publics, employés des secteurs traditionnels, travailleurs manuels de l' industrie électronique, souvent immigrés, employés au travail à la pièce dans les sweatshops de l’économie numérique. Entre 1994 et 1998, le nombre d' employés à temps partiel et d' intérimaires dans la Silicon Valley est passé de 12 340 à 34 839, soit une augmentation de 280 % (Wired Magazine, 24 mars 2000). Les effets territoriaux d' exclusion, principalement par la hausse de l' immobilier, ont abouti à une ségrégation socio-spatiale de plus en plus étendue, les familles aux revenus moyens étant obliger de se loger de plus en plus loin du cœur de la Silicon Valley. La prise de conscience que ce phénomène menaçait tout l' équilibre social du territoire à commencé à se faire lorsque il est apparu qu' il devenait impossible à des professeurs d' école ou de lycée débutants de se loger dans le comté de Santa Clara (en 2000, le loyer mensuel d' un 2 pièces était de 1000 à 1500 $, le prix moyen d' une maison de 535 000 $). De fait, les entreprises comme Hewlett Packard ont du commencer à subventionner le logement des enseignants, parfaitement conscientes du fait qu' il deviendrait impossible de continuer à attirer et conserver les personnels talentueux si ces derniers ne pouvaient scolariser leurs enfants, faute de Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 146 Regard géographique sur le paradigme numérique professeurs101. Ainsi, HP a effectué en juillet 2000 une donation de 1 million de $ au profit du Fond pour le logement du Comté de Santa Clara, qui accorde des prêts bonifiés aux enseignants. Intel a financé la construction d' un ensemble de 40 appartements, qui devait être loué aux professeurs à 50 % en dessous des prix du marché. Des problèmes de même ordre ont commencé à émerger dans le domaine de la santé (infirmiers, aide-soignants), et pas seulement dans la Silicon Valley. La crise qui est survenu de 2001 à 2003 (10% des emplois perdus de 2001 à 2002, et encore 5 % entre 2002 et 2003, tous secteurs confondus) a contribué à applanir une partie de ces difficultés : effondrement de l’immobilier d’entreprise, baisse significative des loyers résidentiels, diminution des embouteillage, augmentation des places disponibles dans les crèches etc. (voir les données dans les rapport sucessifs publiés par « Joint Venture Silicon Valley Network »). Le fossé entre les revenus extrêmes s’est légèrement comblé (les revenus du vingtile inférieur ont baissé de 1 % en 2002, contre 7 % pour ceux du vingtile supérieur). Mais, comme l’expliquent les responsables locaux, malgré la baisse, seuls 26 % des ménages de la vallée peuvent accéder à la propriété (affordability rate), alors que la moyenne nationale est de 56 %. (Joint Venture, 2004). Ceci illustre parfaitement le concept de « fracture sociale » qui est souvent accolé à l’émergence de la nouvelle économie (concept selon nous bien plus pertinent que celui de fracture numérique). La Vallée à la recherche d’une nouvelle stratégie ? Après que près de 200 000 emplois tous secteurs confondus aient été perdus dans la Vallée depuis le Krach de 2000, les autorités locales et les observateurs s’interrogent sur son avenir. Alors que certaines métropoles aimeraient mettre plus de numérique dans leur territoires (cf. infra), les acteurs de la Vallée voudraient mettre plus « de territoire dans le numérique », c’est à dire diversifier le tissu économique, le rendre plus attractif pour les individus, par seulement pour les firmes. Est-on confronté à une nième crise cyclique, ou bien est-ce que le modèle économique sur lequel le territoire a fondé sa prospérité serait dépassé ? The future of Silicon Valley has become uncertain. Some observers believe that the Valley has passed its prime, that information technology has reached an age of maturity and will experience slower growth in the future. Others see the current economic downturn as a temporary correction due to the cyclical nature of IT spending. Some claim that the seeds of the next economy are already incubating in the Valley. What is clear is that Silicon Valley’s role in the global economy is changing - and the region needs a new economic strategy. Joint Venture, 2004-2, p. 7. Les trois hypothèses citées peuvent être envisagées avec une égale attention. Nous ne somme pas armés pour envisager la dernière, faute de connaître de l’irruption d’un nouveau cycle technologique qui lui permettrait de « rebondir » La première nous semble la plus probable. Nous verrons que la diffusion de l’économie numérique se réalise, d’abord, aux Etats-Unis même. Le tableau n° 19, que nous présentons plus loin, montre que la Vallée est moins dynamique que bien d’autres clusters de formation plus récente. Enfin, dans le contexte de la mondialisation, une dispersion des pôles d’excellence de ces secteurs d’activité semble inéluctable (Europe, Japon, Asie du Sud-Est, Inde102). La Vallée avait-peut-être atteint un seuil 101 On pourrait écrire que les entreprises ne font rien d' autre, en l' espèce, que de financer, indirectement, la reproduction de leur force de travail. 102 La recherche indienne dans les technologies du numérique est au plus haut niveau mondial. A titre d’exemple, Bangalore abrite l’un des six « HP Labs » avec Palo Alto, Cambridge (Mass.), Bristol, Haïfa et Tokyo. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 147 au delà duquel les externalités négatives ne pouvait être supportables que dans le contexte d’une concurrence faible. L’histoire ne manque pas d’exemples de déclin de mono-activités ou de reconversion. Qui, il y a trente ans, aurait parié que Seattle deviendrait une capitale du logiciel et du commerce électronique (Microsoft, Amazon.com), tandis que Boeing103 déménagerait son siège social à Chicago, une ville de la Rust Belt en plein renouveau (l’emploi dans les TIC, définis restrictivement, y a doublé entre 1990 et 2001) ? 4.2.2.2. Silicon Alley ou la quintessence de l’urbain: un concept éphémère ? Au milieu des années quatre-vingt-dix, avec la Silicon Alley, est né un nouveau concept de district numérique, en rupture complet avec le mode technpolitain antérieur. Silicon Alley, noyée au cœur de la forêt de gratte-ciel de Manhattan, peut apparaître à bien des égards comme l' anti Silicon Valley. On est loin du parc scientifique façon Sophia Antipolis ou du corridor de haute technologie (Silicon Valley, Route 128, Richardson, Grenoble, M4-Oxford etc.). Par sa localisation, son fonctionnement, ses mœurs, le concept Silicon Alley semblait constituer une quintessence de l’urbanité branchée et avant-gardiste. Mais Silicon Alley est tout autant un produit médiatique qu’une réalité économique, sociologique et géographique. Contrairement à sa grande sœur californienne, elle est en partie le produit de la bulle financière et médiatique de l’Internet et fut, dès 2000, rappelée à la réalité par les règles élémentaires de l’économie de marché, avec un effondrement des capitalisations boursières des start-ups. Les événements du 11 septembre ont frappé l’Alley au cœur, au propre comme au figuré, et précipité le désastre. Un district centré sur le contenu Contrairement à sa sœur de la Côte Ouest, Silicon Alley est fille de l' Internet. On y travaille bien peu le silicium, puisqu' on y trouve peu ou pas de fabricants de puces ou d' ordinateurs, mais essentiellement des créateurs de logiciels et de services dédiés à l' Internet. Le paysage diffère également radicalement.. Mais comme la Vallée, l' Allée constitue un archétype, souvent imité, jamais égalé. La localisation de l' Allée est très floue. Au début des années quatre-vingt-dix, il s' agissait principalement des quartiers d' immeubles et d' entrepôts qui s' étendent entre le Flatiron District et Chelsea. Mais avec la croissance, les firmes se sont répandues un peu partout au sud de la 41ème rue, dans Soho, Tribeca, le district financier (55th Broad Street). Le rapport 2000 de PriceWaterhouse Coopers assimile la Silicon Valley à l' ensemble de la pointe sud de Manhattan au sud de la 41ème rue. Silicon Alley est essentiellent spécialisée dans les contenus, dans ce qu' on appelle les nouveaux médias : sites de commerce électronique, presse électronique, Web design, logiciels dédiés. Cette spécialisation est en accord avec le statut de New York (et de Manhattan en particulier), ville de la finance et de la presse, mais assez peu technopolitaine (toutes proportions gardées). The New Media industry combines elements of computing technology, telecommunications, and content to create products and services which can be used interactively by consumers and business users. PriceWaterhouse Coopers, 2000 103 Dont la branche « avions civils », aujourd’hui dépassée par Airbus, est principalement concentrée à Everett, près de Seattle. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 148 Regard géographique sur le paradigme numérique Création largement spontanée, l' Alley possèdait maints caractère d' un territoire : une organisation institutionnelle, une animation, une ambiance et un état d' esprit particulier (tout au moins jusqu' en 2001) qui ont fait bien des émules de part le monde. La New York New Media Association (NYNMA), créée en 1994, a été le principal organisme d' animation. Elle organisait les celèbres et très imités First Tuesdays, qui réunissaient les investisseurs (fonds de capital risque, business angels), et les créateurs ou dirigeants d' entreprises en quête de financement. La banque de capital risque qui a joué le rôle principal à l' origine est Flatiron Venture Partners, créé en août 1996, qui avait ses locaux dans l' immeuble du même nom, mais a cessé tout nouvel investissement depuis 2000. L' émergence de l' industrie des nouveaux médias a joué un rôle décisif dans la rénovation et la gentrification des quartiers médians de Manhattan, précipitant et élargissant le périmètre d' un mouvement qui avait été lancé par les artistes et « yuppies » de la finance dans les quartiers de Soho, Chelsea et Tribeca, avec la transformation d' entrepôts en lofts, la multiplication des ateliers et appartements d' artistes et créatifs divers (décorateurs, dessinateurs de mode, designers, publicitaires) ainsi que les galeries d' art, restaurant branchés etc. Ainsi, on s' aperçoit qu' il y avait une continuité socio-spatiale (et territoriale) entre les activités de la créativité traditionnelle et celles de la créativité sur support électronique, la première migrant vers la seconde, les professionnels des deux secteurs, jeunes pour la plupart, partageant les mêmes goûts pour un environnement urbain à haute densité de biens et services culturels. Le district multimédia est donc par essence un territoire de centre ville (downtown area). Avec une prédilection originelle pour les quartiers ancien en rénovation, plutôt que pour les grands ensembles de bureaux type La Défense. A fortiori, les acteurs du multimédia n' ont guère de tropisme pour les parcs scientifiques et les technopôles du type Silicon Valley, où la convivialité de l' environnement urbain est souvent inexistante (c’est une remarque que nous avait fait plusieurs entrepreneurs lyonnais implantés dans des parcs scientifiques excentrés où il est impossible de trouver une gargotte convenable pour se restaurer à l’heure du déjeuner). La première génération de langage HTML était très simple, et il y avait toute une réserve d' artistes et d' écrivains sous-employés à New York. Ils se sont lancés dans l' aventure et c' est cette génération qui a fait Silicon Alley. Toute une génération d' aventuriers dynamiques a transformé la capitale de la communication en centre des nouveaux médias. lls sont désormais 56 000 New-yorkais à vivre des nouveaux médias. Depuis quatre ans, l' industrie a essaimé dans tous les espaces imaginables - cuisines, loft d' artistes ou bureaux surchargés - au sud de la 41ème rue de Manhattan. Cybernaute contre "rock' n' roll attitude". Tous affirment qu' il n' y a qu' à New York qu' un tel engouement pouvait arriver. Dans les années 60, les jeunes qui avaient quelque chose à dire montaient un groupe de rock. Dans les années 90, ils se sont mis à faire un site Web. Les entrepreneurs du Web sont très jeunes - les trois-quarts ont moins de 40 ans, ne portent pas de cravate et font leur boulot avec une "attitude", c' est à dire le sentiment d' être en avance sur le commun des mortels et, pour certains, de participer à une aventure qui changera l' humanité. www.liberation.fr/alley Selon le rapport 2000 de PriceWaterhouse Coopers pour la NYNMA, entre 1997 et 1999, l' emploi total dans les nouveaux médias de l' aire métropolitaine New Yorkaise s' était accru de 40 % par an, atteignant 250 000 positions, dans 8500 entreprises, et un chiffre d' affaire de 16,5 milliards de dollars. Le nombre de compagnies à Manhattan a presque doublé en moins de deux ans, passant de 1175 à 2128. Cette croissance avait surfé sur la bulle boursière. En 1999, après une série d’introduction en bourse spectaculaires, 29 start-ups de l’Alley atteignirent une capitalisation cumulée de 29 milliards de dollars (Indergaard, 2004). Et les fondateurs des Double Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 149 Click, i Village et autres StarMedia était devenus, non seulement des milliardaires, mais aussi les personnes les plus en vue du « Tout-New York ». Cette croissance échevelée ne doit pas être isolée du contexte territorial, et notamment des projets des autorités locales de faire du secteur des nouveaux média un fer de lance d’une politique de revitalisation du centre de New York, notamment dans le cadre du Lower Manhattan Revitalization Plan, lancé par Rudolph Giuliani en décembre 1994. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre suivant. Tableau n° 18. Les principaux segments de marché couverts par le secteur New Yorkais des nouveaux médias (source : PriceWaterhouse Coopers 2000) Secteurs client % de firmes concernées Finance 34 Technologies de l' Information 29 Commerce 28 Loisirs / Spectacles 25 Publicité 20 Edition 20 Télécommunications 20 Santé 20 Nouveaux médias 18 Education 17 Presse et information 11 Culture 10 Administration 10 Mode 8 L’effondrement d’un mythe ? Les événements du 11 septembre 2001 au World Trade Center ont porté le coup de grâce, symboliquement, financièrement, et physiquement, à une industrie dont l’effondrement était déjà en cours. Entre janvier et octobre 2000, l’indice composite des 46 principales valeurs de Silicon Alley avait déjà perdu 80 % de sa valeur (Indergaard, 2004). Les pertes combinées de 37 firmes en 2000 se chiffraient à près de trois milliards de dollars, avec, à la clé, des milliers de licenciements. Flatiron Partners avait quitté l’immeuble du même nom, cessé tout nouveau investissement (www.flatironpartners.com). En mai 2000 disparaissait le magazine Silicon Alley Reporter. On comprend, dès lors, l’impact de la catastrophe du 11 septembre, dans laquelle près du tiers du parc de bureaux de Lower Manhattan a été anéanti (3 millions de m2), et certaines entreprises décimées104. Le 10 octobre 2001, le New York Times titrait « The Death of Silicon Valley ». En janvier 2002, 62 000 emplois avait déjà quitté Down Town Manhattan. Le déclin de la Silicon Valley était consacré par la faillite de la NYNMA, le 19 déc. 2003, dont les actifs ont été repris par la Software & Information Industry Association (SIIA). For the past ten years, the New York New Media Association (NYNMA) has had the 104 La société de courtage new yorkaise Cantor Fitzgerald et sa filiale de bourse en ligne, ESpeed occupaient les 101e à 105e étages de la Tour Nord. 658 personnes, soit les deux tiers du personnel de la companie ont disparu le 11 septembre 2001. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 150 Regard géographique sur le paradigme numérique pleasure of serving the New York area technology industry. Unfortunately, we must now inform you that as of Friday, December 19, 2003, NYNMA has ceased operations due to a significant financial shortfall. www.nynma.org Comme le rappelle J. Kotkin (encadré n° 14), la Silicon Valley n’est pas tout à fait morte: 3000 entreprises (sur 8500) ont survécu. Ce qui a disparu, c’est l’exception culturelle et économique, l’illusion, qui avait germé sur un délire spéculatif, que l’on pouvait promouvoir à l’infini une économie de la virtualité. Si on observe la réalité du commerce électronique, par exemple, telle que nous l’avons présentée dans le chapitre précédent, on y trouve bien davantage les entrepôts et hubs de Amazon.com ou Fedex dans le Kentucky et le Tenessee, que le strass et les paillettes des soirées New Yorkaises. Aujourd’hui, New York compte environ 200 000 entreprises de « service aux entreprises » (New York City Economic Development Corporation) dont un grand nombre travaillent dans des secteurs de l’économie numérique ou de la créativité : consultants en communication, marketing et publicité, services en informatique et télécommunication, services financiers. Par ailleurs, New York reste le premier pôle américain des médias, le deuxième pour le cinéma. Les « survivants » de la Silicon Alley sont donc irrémédiablement amenés à se fondre dans l’ensemble des activités de « l’économie créative » (Florida, op.cit.). La Silicon Alley n’existe plus guère en tant que district localisé. Les projets de réhabilitation de Downtown Manhattan veulent en faire un quartier à vivre (75 000 appartements à construire dans les dix annnées à venir, cf encadré ci-dessous)105. On s’éloigne bien de l’utopie avant-gardiste de la fin des années quatre-vingt-dix. 105 Voir aussi le discours du maire M. R. Bloomberg, le 12 décembre 2002 : Vision For 21st Century Lower Manhattan. www.lowermanhattan.info/news/read_mayor_bloomberg_s_80515.asp Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 151 Encadré n° 14. Why Saving Silicon Alley Is Essential for New York. Joël Kotkin, Wall Street Journal - Real Estate Journal – 25-04 2002 During the go-go days of the late 1990s, few technology stories were more overhyped than the rise of Lower Manhattan' s Silicon Alley. To the often-breathless New York media -- whether in national or local publications -- the Alley was widely seen as the Gothamite counterpoint to the booming technology districts of Silicon Valley, Austin, Texas; and Raleigh-Durham, N.C. These days, however, the always-trendobsessed New York media seems to have soured on the city' s software and newmedia center. "It' s now official, Silicon Alley...is dead," a reporter for the New York Times announced recently. Yet just as they over-emphasized the Alley' s rise, today' s pundits may be underestimating both the New York tech community' s persistence and its critical importance to the future of the city, most particularly the now shell-shocked realestate market of Lower Manhattan. "What is critical about Silicon Alley," notes New York historian Fred Segal, "is not all the hype, but that it saw the first new industrial sector to emerge in New York since the 1950s." Today, the New York tech industry, despite Sept. 11 and the dot-com implosion, still constitutes a strong, and potentially critical, component of New York' s recovery … including new-media firms, more than 3,000 computer-oriented companies have survived the shakeout. The survivors -- usually more serious about business and more market-oriented than many of the now-bankrupt dot-coms -- tend to be closely affiliated with industries strongly associated with New York' s overall corporate base, such as its advertising, financial services and information sectors. For one thing, software and new-media firms tend to employ precisely those kinds of people that are most likely to enjoy living in Manhattan and its immediate environs -the young, single, childless and culturally active. "The software and informationtechnology industries could prove crucial in the recovery of Lower Manhattan, because they are most likely to stay put," suggests Jonathan Bowles, research director for the Center for an Urban Future, a Manhattan-based think tank that has done considerable research on New York' s industrial structure. "We' re talking about companies that have CEOs and employees that want to live in Lower Manhattan and places like downtown Brooklyn." This means, Mr. Gilbert says, that the focus in Lower Manhattan needs to be on "livability" and maintaining basic city services -- good restaurants, shops, festivals, clean cityscapes as well as high-speed Internet connections -- critical elements to attracting new tenants and residents to the district. "You have to, first and foremost, make Lower Manhattan livable," he maintains. "Cities are not built for computers. You have to have a joie de vivre." www.joelkotkin.com/Commentary/WSJ%20Why%20Saving%20Silicon%20Alley%20I s%20Essential%20for%20New%20York.htm Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 152 Regard géographique sur le paradigme numérique 4.2.3. L’essaimage du mythe, ou la mondialisation d’un modèle d’organisation de l’espace productif L’exemple américain Une analyse simple des données du Cluster Mapping Project (tableau n° 17), et notamment des taux de croissance de l’emploi, montre un phénomène de diffusion spatiale du district numérique. Dans la période 1990-2001 (qui incorpore le début de la crise), la Silicon Valley a enregistré un taux de croissance de l’emploi négatif. Même si on englobe l’agglomération de San Francisco, la région est dépassée en taux de croissance par une quinzaine de régions économiques, les plus dynamiques étant Seattle, Boise City (Idaho), Portland, Atlanta, Burlington, Chicago etc., qui ont doublé et même triplé leur emploi dans le secteur des TIC (Seattle passe de 6000 à 33 000 emplois dans les TIC). Tableau n° 19. Les 20 premiers « clusters » du secteur des TIC aux Etats-Unis, sur la base des Economic Areas (source : Cluster Mapping Project, http://data.isc.hbs.edu/isc/index.jsp) Clusters (classés par accroissement relatif de l’emploi) Seattle-Tacoma Boise City Portland-Salem Atlanta Austin Burlington Chicago Dallas Philadelphie San Diego Denver-Boulder Washington Houston-Galveston Los Angeles Boston San Francisco – San José Raleigh-Durham Phoenix New York Minneapolis-St. Paul Emploi dans les TIC 38 900 23 200 34 500 18 400 33 200 17 900 21 700 46 700 18 500 18 300 32 700 23 600 15 600 58 700 59 600 144 000 25 400 26 000 59 700 24 800 Pour mémoire (aires métropolitaines) : Silicon Valley 92 000 San Francisco 26 000 Variation Coefficient de annuelle localisation 1990-2001 LQ en % 18,16 2,81 10,59 12,69 10,32 3,69 9,15 0,91 7,42 6,99 7,20 9,54 6,89 0,59 6,62 1,78 6,30 0,73 3,83 2,14 3,03 2,22 2,11 0,82 1,93 0,88 1,67 1,08 1,64 1,97 1,56 4,51 1,26 3,90 0,63 2,29 -0,34 0,70 -1,40 1,41 -0,64 17,4 Création nette d’emploi 33 000 15 000 23 000 11 000 18 000 9 000 11 000 24 000 9 000 6 000 9 000 4 800 9 000 9 000 23 000 11,20 3,17 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 153 La multiplication des « Siliconium » Rien n’exprime mieux la force idéologique du paradigme numérique que le succès mondial des métaphores inspirées du mythe de la Silicon Valley. Sur son site Web, www.tbtf.com/siliconia.html, Keith Dawson a recensé pas moins de 79 toponymes inspirés de la Silicon Valley, qu' il appelle des « Siliconium », et s' appliquent à 105 lieux ou territoires technopolitains ou considérés comme tels dans le monde. A partir du site de Dawson (qui présente les siliconium par ordre alphabétique), complété de quelque ajouts de notre connaissance, nous avons dressé un tableau récapitulatif qui permet d' appréhender l' expansion géographique du phénomène. Ont été ajoutés par nos soins à la liste de Dawson : Tregor Valley (Bretagne), Sylvicole Valley (Mimizan, France), Silicon Sentier (Paris), Silicon Alley (à Newcastle), Cyberport (Hong kong), Digital Media City (Séoul), Silicon Oasis (Dubaï). On pourrait ajouter le projet palois de NanoValley. Il faut souligner que le présent développement ne traite que des siliconium correspondant à une réalité technologique sur le terrain, éventuellement en projet, et non pas des innombrables « villes numériques », « cyber-territoires » et « cybercities », qui ne sont que des métaphores publicitaires du territoire ordinaire, des sites portail, des projets de « mise en réseau des territoires » etc. (cf. Cybercantal, les Inforoutes de l' Ardèche, Vercors Connect etc.). La liste des « Siliconium » apporte un double enseignement. D’une part, dans la sphère du réel objectivable, elle démontre la diffusion d’un modèle d’organisation de l’espace productif, voire, selon les cas, d’un modèle territorial. Même si, de la Silicon Valley à la Sylvicole Valley, il y a bien des différences de nature et d’échelle. C’est une des manifestations de la mondialisation, dans le contexte d’une mise en concurrence des territoires, comme peut l’illustrer la fermeture, en juin 2004, de l’usine de ST Micro Electronics de Rennes, dont les machines ont été réinstallées à Singapour. Après l’Europe et le Japon, l’Asie du Sud-Est, l’Inde, et depuis peu le Moyen Orient (Silicon Oasis, à Dubaï) entrent à leur tour dans la compétition. D' autre part, cet inventaire à la Prévert dévoile un ensemble de discours qui constitue un révélateur puissant de l' idéologie des TIC et des ses applications territoriales. Sur ce dernier point, il faut considérer un emboîtement de plusieurs mythes, dont Silicon Valley constitue le cœur : mythe de la frontière, mythe californien, mythe de la Sun Belt, et, pour l’extérieur, mythe américain. On en retrouve la parfaite transposition dans les discours sur les Silicon valleys du sud-est de la France (Grenoble, Sophia Antipolis, Montpellier), de l’Europe méditerranéenne en général (Barcelone), voir du Moyen Orient (Dubaï) : environnement agréable (mer, montagne, soleil), liberté d’opinion et de mœurs, esprit pionnier (innovation technologique), idéologie messianique du numérique (qui débouchera sur le concept du territoire intelligent ou smart community), post-modernisme. Le territoire numérique est un territoire neuf, débarrassé, non seulement des structures industrielles vieillissantes de la « Rust Belt », mais aussi des conventions, hiérarchies, préjugés et classes de l’ancien monde. Mais ce nouveau monde, il faut le rattacher à l’ancien monde. L' analyse élémentaire du discours que constituent ces appellations révèle une volonté de territorialisation, et une démarche identitaire. Les paysages, surtout, sont considérés comme un des éléments fondamentaux de l’identité territoriale : plages de Californie ou de Floride (Silicon Beach), tourbières irlandaises (Silicon Bog), clochers d' Oxford (Silicon Spires), prairies de l' East Anglia ou du Middle West, bayoux de Louisiane (Silicon Bayou), forêts de l' Oregon ou des Landes (Sylvicole Valley), désert de l' Arizona, mesas du Nouveau Mexique, vignobles de la Napa Valley, pommiers de la Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 154 Regard géographique sur le paradigme numérique Wenatchee Valley, glaciers des Rocheuses etc. La référence est parfois polysémique, comme celle du « Silicon Sentier » parisien, où se mêlent, comme le montre l’article de Wired (encadré n° 15) des références culturelles multiples, du Gavroche de Hugo au cosmopolitisme du quartier actuel. On pourrait aussi mentionner le scabreux « Siligone Plateau », supposé un temps décrire le district multimédia de la Croix Rousse à Lyon (voir Moriset 2003)106. Tout se passe comme s’il s’agissait de lutter contre une forme de dématérialiation spatio-temporelle (le collapsing of space and time) promise par les technologies numériques. On assiste à une mise en dialectique, d’une part du modèle américain d’origine (Silicon ou Valley), d’autre part des racines, des fondements identitaires du territoire de rattachement. Dans nos travaux de thèse sur Nancy et Metz (Moriset 1995, 1997), nous avions montré l’importance, pour les acteurs publics ou privés, de rattacher leurs opérations à des valeurs positives dont le discours sur le territoire se fait traditionnellement le vecteur : ancienneté, tradition, légitimité, continuité (dans le changement), et donc honnêteté, fidélité, solidarité etc. Cette utilisation du territoire et même du terroir comme support de valeurs positives est bien illustrée dans la communication d’entreprise, comme le montre l’exemple de Gateway107, concurrent direct de Dell, dont le logo qui figure sur les emballages des produits a pour fonction de rappeler les origines rurales (figure n° 43). Figure n° 43 Le logo Gateway (www.gateway.com) From the day Ted Waitt founded Gateway on an Iowa cattle farm, our business has been about people… The black-and-white cow spots are a constant reminder of our Midwestern roots and our company' s values: Hard work, honesty, friendliness, quality -and putting people first. www.gateway.com Le nom est tellement important que les autorités qui gèrent le territoire n' hésitent pas à le faire breveter, et à attaquer en justice les coupables de plagiat. On observe le même phénomène que pour les noms d' entreprises (et aussi les noms de domaine Internet) : le noms, la marque appartiennent aux actifs de l' entreprise. De fait, 79 noms pour 105 lieux ou territoires peuvent donner lieu à des conflits. Le record est atteint par « Silicon Prairie », utilisé en dix lieux différents, du Texas à la frontière canadienne : La Silicon Prairie Technology Association, établie à Kansas City (www.silicon-prairie.org) a menacé d' un procès le Silicon Prairie Interactive Network (www.siliconprairie.org), établi dans l' Oklahoma. Silicon Prairie a été, aussi, au début des années quatre-vingt, un bulletin étudiant de l' Université de l' Iowa, puis fut déposé par une entreprise des environs. La Silicon Prairie a été aussi aperçue au Texas (Richardson), dans l' Illinois (Secteur nord de Chicago) etc. Le nom de domaine www.silicon-prairie.com est la propriété du Chicago Tribune. Il est à noter que « Telecom Corridor » est une marque déposée de la Chambre de Commerce de Dallas-Richardson. Les Siliconium sont donc très recherchés comme noms de domaine. La recherche de « Cyberabad » (capitale de l' Andhra Pradesh en Inde) sur Netcraft a donné 41 noms de domaine, qui sont presque tous vides, réservés ou 106 Le « gone » est l’équivalent lyonnais du gavroche parisien. Crée en 1985, Gateway est le numéro deux de la fabrication et de la vente de PC par correspondance. Son siège est à San Diego. 107 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 155 à vendre (sur l’utilisation commerciale des noms de domaine territoriaux, voir notamment Wilson 2003-a). Encadré n° 15. La réplication de Silicon Alley : « Silicon Sentier » vu par le magazine Wired "Go to Paris". Christopher Dickey, Wired, juin 2000, p. 155 (extraits) The future' s first outpost in eastern Paris was around the Sentier Metro station, which the French press has dubbed "Silicon Sentier." There were about 30 embryonic Internet companies operating in Silicon Sentier at the end of 1999. Now, just a few months later, there are closer to 200 of them. Even those who prefer the more flexible, efficient office spaces in the nearby Paris suburbs of Levallois-Perret and Boulogne - or in La Défense, the architectural ghetto to which Paris'skyscrapers are exiled and where Microsoft and IBM have planted flags - admit that for young French entrepreneurs, the tiny maid' s rooms in the roofs of eastern Paris have a major mystique. "In Silicon Valley, it' s the garage; here, it' s the chambre de bonne," says Eric Perbos-Brinck, president of Bravonestor.com, the Levallois-based shopbot affiliated with mySimon. We are in northeast Paris, a block from the sprawling Place de la République in one direction, and the Canal St-Martin in the other. It was just a couple of hundred yards from here that the worldly, shrill, slutty, and so very Gallic actress Arletty spoke those lines every French moviegoer remembers: "AtMOSphère! AtMOSphère!" This corner of Paris is dense with the past, like the rest of the city, but it' s also dense with the future. Barges still creep through the slow-rising locks of the canal, and lovers still embrace to the sound of water cascading over iron and rivets. But down in the sewers, among cat-sized rats, technicians from Colt Telecom are laying miles of fiber-optic cable. Les Misérables meets the megabyte. This is the part of Paris where kings and emperors, prefects and presidents are used to seeing trouble - a collection of streets where workers used to dance to accordions and make revolutions with paving stones. It' s still where they march when they want to bring down a government. And it is becoming ground zero for another kind of revolution. Space is cheap where the sweatshops have shut down, and the fiberoptic backbone, built by the state to feed the needs of the nearby stock market, is strong. People who are smart and creative but who want to stay in France, in the Parisian heart of it - and who wouldn' t? - think this is a neighborhood where they can find refuge from the rest of the finger-wagging French and let themselves go wherever their intellect, initiative, and long workdays will take them. Down on the street, Sentier is still the garment district, a world of handcarts and traffic jams, sweat and shmattes. "Here, there used to be wool fiber - now it' s optical fiber," says Philippe Hardoux, in the pristine new quarters of Rosebud Technologies at 32 rue des Jeûneurs, where he recently moved from the remote corner of the city near Père-Lachaise Cemetery. It is precisely the way the new technology has blended into the city - been hidden behind nondescript doors on rue du Sentier or in the mansions of the Rive Gauche, taken up residence beneath the skylights of Republic Alley, and electrified the latenight air of ordinary cafés like the Temple d' Or - that gives wired Paris an atmosphere like no place else in the world. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 156 Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 16. Une nouvelle Silicon Valley ? Denver et le Front Range du Colorado. D’après Le Blanc, 2001 Le Colorado fait partie de ces Etats américains qui ont rejoint La Californie (Silicon Valley) et le Massachussets (Route 128) dans le club des Etats "technopolitains" (avec l' Utah, le Texas, la Virginie, la Géorgie…), qui présentent une spécialisation dans les secteurs de l' économie numérique nettement supérieure à la moyenne. Dans le Colorado, ces activités sont à 70 % concentrées sur l' axe Fort-CollinsColorado Springs-Denver-Boulder, au pied des Montagnes Rocheuses. Grâce à la croissance du secteur des TIC, le Colorado est sorti du marasme des années quatre-vingt provoqué par la crise des industries minières. Le chômage à Denver est passé de 10 % en 1987 à 2,8 % en 1999, le plus faible des Etats-Unis, avec à la clé une très forte immigration. Aujourd' hui, le Colorado détient le record du taux de population active employé dans le secteur des TIC (5,4 %), avec un total de 107 000 emplois, dont les trois quarts dans les services. L' historique du développement technologique du Front Range montre une prégnance des facteurs géographiques, notamment la situation et l' environnement naturel. La situation géographique presque au centre du pays explique l' implantation précoce 108 du complexe militaro-industriel : laboratoires de recherche, arsenaux, silos de missile, et surtout centres de commandement des forces stratégiques (Colorado et Nebraska). Ces installations ont été parmi les premiers utilisateurs de réseaux optiques à haut débit (l' Internet avait justement été conçu, à l' origine, pour relier entre-elles ces installations). Ces implantations militaires ont ensuite attiré les équipementiers d' informatique (IBM, HP) et de télécommunication (AT&T, Bell Labs). La situation géographique centrale a été également décisive pour l' implantation de l' industrie des télécommunications et des centres d' appel, qui demeure le secteur clé de l' économie numérique locale. Le décalage horaire permet de travailler simultanément, en heures ouvrables, avec les Côtes Est et Ouest. Par ailleurs, la situation de Denver est idéale pour maximiser les zones de couverture d' une émission relayée par satellite. L' événement majeur a été l' implantation en 1987, du siège et du centre d' opération de US West (21 000 emplois en 2000). Les faibles coûts immobilier et de main d' œuvre, ajouté à une politique d' incitation fiscale, ont permi d' attirer les centres d' appel de sociétés majeures dans trois secteurs clé : transport aérien (Continental, United), télécommunications (MCI, Sprint), finance (City Corp, Merrill Lynch etc.). Avec la dérégulation des télécommunications, Denver devient attractive pour les opérateurs, se dote d’un réseau local optique performant, avec cinq boucles locales dès 1996. Une dynamique technopolitaine classique s' est donc enclenchée : compétition entre les firmes, mais aussi coopération pour la mise au point de nouveaux produits, essaimages, attraction de nouvelles firmes dans les secteurs connexes (logiciel, services en ligne). Au cœur du processus figurent les "externalité de convergence", qui voient se former un district de plus en plus diversifié à partir d' un cœur d' activité initial. Le deuxième facteur qui, selon Le Blanc, a joué un rôle essentiel dans le développement du district numérique de Denver est la qualité de vie, offerte notamment par l' environnement naturel. En comparaison avec des aires métropolitaines bien plus saturées, les loisirs et activités sportives proposées par les 109 Rocheuses (ski, randonnée, escalade…) , les moindre nuisances, les coût immobiliers plus raisonnables, ont permis de faciliter le recrutement dans un marché de l' emploi qui a été de plus en plus tendu tout au long des années quatre-vingt-dix. 108 Complexe qui a joué un rôle important dans d' autres régions, que ce soit dans la Silicon Valley ou à Toulouse et Grenoble. 109 Argument en général évoqué, à côté d' autre facteurs, pour expliquer le choix de Grenoble comme implantation majeure par des entreprises américaines comme HP et Sun Microsystems, déjà présentes à Denver. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 157 Encadré n° 17. Les Siliconium à travers le monde (www.tbtf.com/ siliconia.html et ajouts de l’auteur) Asie-Pacifique BILLY-CAN VALLEY Arnhem Land, Australie du Nord (le Billy-Can est un équipement utilisé par les "bushmen" pour faire du thé sur un feu de bois) CYBERABAD Hyderabad, Andhra Pradesh, Inde INTELLIGENT ISLAND Singapour MULTIMEDIA SUPER Au sud de Kuala Lumpur, Malaisie CORRIDOR SILICON FOREST Australie de l' est -ISLAND Taïwan -OASIS Dubaï (Parc technologique de micro et opto-électronique). Lancé en 2004. -PLATEAU Bangalore -VALLEY Bangalore (Inde), Etat de Penang (Malaisie) -WADI Silicon… Israël TEKNOPOLIS Ville de Johore, Malaisie Europe CWM SILICON DSP VALLEY Newport, Gwent, Sud du Pays de Galles (Cwm signifie Vallée en Gallois) Autour de l' Université de Louvain, Belgique. DSP : digital signal processing FLANDERS LANGUAGE Entre Anvers et Bruxelles. Spécialité : la reconnaissance vocale VALLEY KISELSTA SILICON ALLEY SILICON ALPS -BOG -DITCH -FEN -GLEN -ISLE -PLAIN -POLDER -SAXONY -SENTIER -SPIRES -VALAIS SILISAÔNE VALLEY SILGONE PLATEAU SYLVICOLE VALLEY TELECOM VALLEY TREGOR VALLEY Amériques SILICON TUNDRA -VAL. NORTH -VINEYARD TELECOM VALLEY Etat-Unis AUTOMATION ALLEY BIOTECH BEACH CYBERCHELLA VALLEY CYBERDISTRICT DIGITAL COAST DIGITAL RHINE DOT BOWL Kista, banlieue de Stockholm , jeux de mot avec Kisel (Silicium en Suédois) et Stad (ville) Newcastle (R.U.) Carinthie, Autriche Le centre de l' Irlande. Bog = tourbière, marais M4 Corridor, Ouest de Londres Cambridge. The Fens : plaines marécageuses de l' est de l' angleterre Sillon Glasgow-Edimbourgh L' Irlande, l' ile des TIC Kempele, Finlande Pays Bas Environs de Dresde Quartier du "sentier" à Paris, concentration de "start-up" du multimédia Oxford. Le poète Matthew Arnold' s décrit Oxford comme "the City of Dreaming Spires" (spire : flèche d' une cathédrale) Valais, Suisse. Le jeux de mot le plus complexe de la liste. Quartier de Vaise, à Lyon, zone d’activité dédiée aux TIC Quartier de la Croix Rousse à Lyon, qui abrite plusieurs sociétés du multimédia Mimizan, dans les Landes Lannion, Côtes d' Armor, concentration d' industries des télécommunications Id. Autour d' Ottawa, Canada Id. Okanagan Valley, Colombie Britannique, Canada Minas Gerais, Brésil Oakland County, Michigan, près de Détroit Orange County, Californie Coachella Valley (Palm Springs), Californie Boston, Massachusetts Au sud de Ventura, Californie Over-the-Rhine, quartier de Cincinnati, Ohio Jeux de mot qui a couru dans la Silicon Valley lors de la crise de 2000. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 158 Regard géographique sur le paradigme numérique Allusion au Dust Bowl des années trente. Etat du Massachusetts e-COAST Portsmouth, New Hampshire E-COUNTRY Fairfax County, Virginie MEDIA DEL REY Santa Monica / Marina Del Rey, Californie San Francisco, Californie. Sorte de Silicon Alley, siège de Wired MULTIMEDIA GULCH PHILICON VALLEY Philadelphie, banlieues ouest entre Valley Forge et Wayne. SILICON ALLEY New York, du Flatiron District à TriBeCa - BAYOU Boca Raton, Florida ; Louisiane - BEACH Santa Barbara, Californie ;Floride -CITY Chicago -DESERT Phoenix, Arizona -DOMINION Etat deVirginie, appelé parfois "The Old Dominion" -FOREST Seattle, Washington ; Portland, Oregon -GLACIER Kalispel, Montana -GULCH San Jose, Californie ; Austin, Texas (siège de Dell) -HILL Hudson, Massachusetts (usine de processeurs Digital) -HILLS Collines à l' ouest du centre de Austin, Texas -HOLLOW Oak Ridge, Tennesee -HOLLER Banlieues nord de Washington D.C., en Virginie. Allusion au patois local, qui prononce "holler" au lieu de "hollow". -ISLAND Long Island, New York ; Alameda, Californie ; Whidbey Island, Washington -MESA North Albuquerque / Rio Rancho, Nouveauy Mexique -MOUNTAIN Mountaintop, Pennsylvanie ; Colorado Springs, Colorado -NECKLACE Banlieue de Boston, Massachusetts -ORCHARD Wenatchee Valley, Washington -PARKWAY Garden State Parkway, New Jersey Id. Autour the Merritt and Wilbur Cross Parkways, Connecticut -PLAINS Lincoln, Nebraska -PLANTATION Etat de Virginie -PRAIRIE Lincoln, Nebraska ; Kansas City, Missouri ; Payne County, Oklahoma Id. Minneapolis / St. Paul, Minnesota (siège de 3M), Id. Chicago, Illinois, banlieues nord et nort-ouest Id. Richardson, Texas ; Iowa City / Fairfield , Iowa, Id. Urbana/Champaign, Illinois, (siège de Cyrix) Id. Sioux Falls, South Dakota, berceau de Gateway Id. Ed Bluestein Boulevard, Austin, Texas, -RAIN FOREST Seattle, Washington -RIVER De Kansas City à St. Louis, le long du Missouri -SANDBAR Cape Cod, Massachusetts -SEABOARD Richmond, Virginie -SNOWBANK Area autour Minneapolis / St. Paul, Minnesota -SWAMP Indiantown, Perry, Floride -TRIANGLE Autour de Raleigh / Durham, Caroline du Nord -TUNDRA Autour de Minneapolis / St. Paul, Minnesota -VAL. FORGE Philadelphie, banlieues ouest entre Valley Forge et Wayne -VILLAGE North Adams, Massachusetts ; Scotts Valley, Californie -VINEYARD Petaluma / Santa Rosa / Napa Valley, Californie SILICORN VALLEY Fairfield, Iowa TELECOM BEACH San Diego, Californie TELECOM CORRIDOR Richardson, Texas TELECOM VALLEY Catawba County, North Carolina WEBPORT Portland, Maine DOT. COMMONWEALTH Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 159 4.3. L’économie numérique dans les espaces ruraux Nous avons mentionné dans le paragraphe précédent l’existence d’une « Sylvicole Valley » à Mimizan, dans les Landes. La présence de l’économie numérique dans des espaces que l’on peut considérer comme périphériques représente le stade ultime du processus de diffusion évoqué précédemment. 4.3.1. Utopie ou opportunité ? Dans plusieurs de nos publications, nous avons exposé ce que nous appelons l’utopie fondatrice de la problématique des TIC dans les territoires ruraux. Les discours sur la fin des distances trouvaient là une application naturelle, dans des régions caractérisées par l’éloignement des grands pôles économiques, et par la faiblesse des densités (et donc les distances relatives entre les agents économiques). Tout particulièrement, les territoires ruraux ont été imaginés comme la terre d’élection du télétravail. Telework has been one of the most vaunted areas of opportunities for rural areas by European policymakers arising from the new ICTs. As with many aspects of the Information Society to date, there has been a considerable gap between rethoric and reality. Grimes, 1999, p.19. Comme l' écrit E. Malecki (2003), le point commun des territoires ruraux en matière de développement économique est la « pénalité » engendrée par la dispersion spatiale et l' éloignement, tant du point de vue du marché (dispersion et éloignement des consommateurs) que du point de vue de la ressource humaine (dispersion et moindre qualification des collaborateurs éventuels). Les territoires ruraux ne peuvent donc pas, ou peu, bénéficier des économies d’agglomérations qui identifient les district numériques. Nous n’entrerons que très brièvement dans le débat complexe sur la définition de la ruralité et de la « périphéralité ». Les deux concepts sont éminemment subjectifs. Inévitablement, ils renvoient à la définition de l’urbain, voire du métropolitain, objet de débats incessants (voir les bibliographies dans Lacour & Puissant, 1999). Le concept de ruralité est lourd de contenus culturels et identitaires. Il englobe bien des villes, petites ou moyennes (voir Les campagnes et leurs villes, INRA-INSEE, 1999). Les seuils, pour autant qu’ils existent, varient considérablement d’un pays à l’autre. Aux Etats-Unis, le rural se définit principalement par le « non métropolitain » (la MSA ou Metropolitan Statistical Area doit comporter au moins une agglomération de 50 000 habitants). Mais le principe du découpage par comtés biaise l’analyse, car les metros englobent parfois de larges espaces qui relèvent, dans les faits, de la ruralité (www.census.gov/population/www/estimates/aboutmetro.html). En France, une ville de 50 000 voire 100 000 habitant peut se définir comme chef-lieu d’un département rural, ce qui correspont à une réalité socio-économique radicalement différente de celle d’une « edge city », même plus petite. Villages, bourgs et villes moyennes de la région lyonnaise renvoient à une autre réalité, à population égale, que ceux du Limousin. Pourtant, il y a quelque part de la ruralité, à 50 km du centre de Lyon. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 160 Regard géographique sur le paradigme numérique Le concept de périphéralité est encore plus relatif. Il renvoit à des notions de pouvoir, de commandement. Pour un secteur d’activité donné, une grande ville peut être un lieu périphérique, et une petite ville un lieu central. Comme nous l’avons écrit précédemment, Grenoble est un lieu central pour les nano-technologies, à l’échelle mondiale. Mais un lieu tout à fait périphérique pour une agence de publicité ou un cabinet d’avocat d’affaire, même à l’échelle régionale. Il faudrait aussi envisager l’échelle intra-urbaine. Certains quartiers ou banlieues dits « défavorisés » sont aussi périphériques, voire plus, que des territoires ruraux dits parfois « intégrés ». Pour une entreprise de haute technologie, ou du multimédia, une implantation à Lens ou à Valenciennes peut représenter un défi géographique aussi compliqué qu’une localisation sur le plateau du Larzac.110 Gardons ces réflexions à l’esprit, à titre de précaution. La réalité de l’économie numérique dans les territoires ruraux, comme le sousentend S. Grimes est bien en deçà des discours utopique de la fin des années quatre-vingt-dix. Mais elle existe, et mérite qu’on s’y arrête. La problématique de l’économie numérique en milieu rural Dans le projet de recherche que nous avions proposé en 2000 à la Chambre de Commerce de la Drôme, nous avions souligné l’intérêt présenté par les métiers de l’économie numérique pour certains territoires ruraux, dans une logique de développement durable. Toutes choses égales par ailleurs, le développement territorial est une question d’équilibre et de complémentarité entre les secteurs économiques. Dans un contexte où l’agriculture ne crée plus d’emplois, où la charge touristique arrive parfois à saturation, la création de PME exportatrices dans le secteurs des services peut offrir un complément d’activité intéressant. S’il est parfaitement utopique de vouloir installer des Silicon Valleys à la campagne, notre thèse est que des entreprises de l’économie numériques et créative, au sens large, peuvent y prendre leur place au côté des autres activités. Cette perspective de développement repose sur trois facteurs : les possibilités offertes par la technologie, largement développées dans le chapitre 2, qui autorisent un travail distant effectif ; l’émergence des métiers de la convergence numérique, et les tendances organisationnelles de la nouvelle économie (cycle de production étendu, entreprise en réseau), qui multiplient les opportunités de travail pour les PME, notamment par l’intermédiaire de la sous-traitance ; l’engouement dont bénéficie la ruralité, complémentaire de ce que J. Kotkin (2000) appelle l’anti-urban impulse. De fait, des membres de la « classe créative » (Florida) travaillent en dehors des métropoles, tout en restant en lien avec la nouvelle économie mondialisée, grâce aux réseaux de télécommunication. Une partie de nos travaux sur la question visaient à mieux apprécier et comprendre ce phénomène, dont la quantification précise demeure un défi, et une piste de recherche pour l’avenir. Grimes (1999, 2003) souligne la faiblesse des analyses empiriques sur la question. L’identification des entreprises rurales de l‘économie numérique comporte de sérieuses difficultés : absence de code NAF spécifiques, tissu mouvant de très petites entreprises, volonté de certains professionnels de rester dans l’anonymat. 110 Notamment du fait d’une adresse dévalorisante pour l’image. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 161 4.3.2. “Lone Eagles” et “High Fliers” Notre intérêt pour les entreprises rurales de services dans les métiers de l’information provient d’une rencontre en 1998 avec le gérant de la société JCBA Programme, installée à Mirabel aux Baronnies, en Drôme provençale. L’entreprise, spécialisée dans la supervision de réseau à distance, employait 8 personnes, recrutées et formées localement, avec un siège administratif à Paris, relié par liaison spécialisée Transfix (France Télécom). Cet exemple posait les principes élémentaires du genre, qui furent confirmés par maints exemples ultérieurs : l’origine urbaine de l’entreprise ; la nécessité de maintenir une antenne administrative et commerciale en milieu urbain ; le problème essentiel de la main d’œuvre ; le rôle des télécommunications ; le rôle de l’environnement et du cadre de vie ; l’insertion dans le milieu local. La disparition progressive de l’activité de l’entreprise, vers 2000, posait aussi le problème de la viabilité sur le long terme de ce modèle économique. Aujourd’hui, la société ardéchoise SITEPILOT (7 personnes), pionnière en 2002 de l’accès à Internet par liaison satellite bi-directionnelle, résume bien ces problématiques essentielles : Entreprise de communication multimédia, Sitepilot intègre une synergie de compétences en communication, design graphique, édition, animation, technologie Internet, CD-rom, outils informatiques, base de données. Fondée en 1998, la société a pris la décision de venir s’implanter dans le sud de l’Ardèche, à Saint-André-de-Cruzières, 430 habitants, en utilisant le réseau Internet pour poursuivre le développement de son activité auprès de ses clients parisiens. Cette situation géographique a permis à Sitepilot de se différencier à travers une qualité de vie bien comprise par sa clientèle. Même si elle a établi son siège social à Montpellier, l’entreprise emploie 4 personnes sur son site principal en Ardèche, une sur son site de Rennes (Sitepilot Ingénierie) et fait appel au service de deux graphistes freelance et d’un agent commercial. La démarche de SITEPILOT est assez exemplaire du modèle que voudraient voir se multiplier les territoires ruraux. En effet, le développement des activités tertiaires, des téléservices, des travailleurs nomades et plus largement des nouveaux emplois induits par le développement de la société de l’information, représentent un espoir fort de redynamisation des territoires délaissés par l’agriculture et l’industrie… à condition de pouvoir compter sur des réseaux de télécommunications performants. www.sitepilot.fr/v3/pdf/Dossier-de-presse4.pdf Parmi les travaux de recherche pionniers, on peut mentionner celui de Beyers & Lyndal (1996), qui ont réalisé une enquête auprès de 240 sociétés de services aux entreprises. Beyers & Lyndal distinguent les « Lone Eagles » ou entreprises individuelles (ex. : télétravailleurs isolés), et les « High Flyers », qui possèdent au moins un employé. Les auteurs s’intéressent surtout aux entreprises exportatrices, qui réalisent au moins 40 % de leurs ventes à l’extérieur de leur marché local (dont le périmètre n’est pas précisé dans l’article). Ce concept est voisin de celui du « traded cluster » défini par M. Porter : l’entreprise rurale a un potentiel de croissance et des effets induits plus grand si elle peut prendre des parts de marché aux entreprises localisées dans les aires métropolitaines, au lieu de se contenter de servir une clientèle locale dont les budgets sont, par définition, limités. Dans les études que nous avons réalisées sur la question (Moriset, 2000, 2003-a), nous nous sommes appuyés sur trois séries de données : un fichier de 500 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 162 Regard géographique sur le paradigme numérique entreprises rurales rhône-alpines111, dont 127 avaient répondu à une enquête téléphonique, une série de 52 entreprises de la Drôme provençale rencontrées en interview directe, et les avis de 92 dirigeants d’entreprises lyonnaises du secteur des TIC, interrogés sur l’opportunité d’une localisation rurale pour tout ou partie de leur activité (un tiers des personnes interrogées y serait favorable, cf. encadré n° 18). Les secteurs d’activités concernés Les entreprises rurales sont susceptibles de travailler dans tous les domaines de l’économie cognitive pour lesquels le produit final est insensible aux coûts de transport parce que délivrable par télécommunications. Quatre catégories de métiers dominent : l’informatique (logiciel), le télé-secrétariat, la traduction, le multimédia ou la communication d’entreprise (Web design, graphisme). Mais on peut trouver des exemples épars dans l’architecture, l’expertise comptable, le conseil juridique, l‘édition… L’étude lyonnaise a montré que les entreprises du secteur créatif (contenu multimédia) étaient plus enclines à délocaliser leurs activités à la campagne que celles qui sont dans la technologie pure. La plupart des sociétés sont de petites structures spécialisées, surtout dans le secrétariat et la traduction. Mais il existe aussi des « outsourcers » généralistes, comme KITE Ltd. (Kinawley Integrated Teleworking Enterprise). L’entreprise a été fondée en 1993 à Kilawney, un village de 300 habitants dans le Comté de Fermanagh, en Irlande du Nord. C’est la région la plus périphérique du pays, à 136 km au sud de Belfast, avec un densité de 29 hab./km2 (www.fermanagh.gov.uk ). Le tableau n° 20 présente les services offerts par KITE, avec 20 permanents sur le site, 30 télétravailleurs distants, et 50 collaborateurs occasionnels dans le monde. A son échelle, il apparaît donc que la société est un entreprise en réseau, et même une entreprise étendue, telle que nous les avons définies précédemment. Tableau n° 20. Les services offerts par un "outsourcer" rural : KITE Ltd. Services financiers Organisation d' événements Toutes formation en NTIC Saisie de données Gestion de bases de données Mise en forme de documents Web design, Gestion et maintenance de sites Web PAO / DAO Marketing électronique Secrétariat médical Gestion des salaires et comptabilité Rédaction et mise en page de rapport Recherche et sondages téléphoniques Traduction Relecture d' épreuves Veille électronique Consultant en informatique et télétravail Avantages et inconvénients : qualité de vie vs isolement technico-commercial La qualité de la vie, la modestie des coûts (personnels et professionnels), sont de loin les premiers facteurs d’attractivité du modèle. Toutes choses égales par ailleurs, le même chiffre d’affaire assure à l’entrepreneur un meilleur niveau de vie en Ardèche qu’à Paris. Mais il faut rappeler que cette notion de « qualité de vie » (calme, nature…) est largement subjective. L’aventure de l’entreprise rurale de 111 Nous avions choisi comme définition du rural un seuil arbitraire de 20 000 habitants pour l’unité urbaine, qui semblait satisfaisant pour Rhône-Alpes. On aurait pu utiliser le zonage en aires urbaines de l’INSEE (espace à dominante rurale). Ce qui aurait eu pour inconvénient d’exclure des petits pôles urbains (Annonay, Aubenas, Privas) qui relèvent à notre avis d’une problématique rurale, surtout lorsqu’on parle d’activités économiques fortement « métropolisées ». Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 163 services est réservée à des « candidats très motivés » qui sont prêts à se passer pour eux-même, et plus encore pour leurs enfants - des biens et services rares en matière de commerce, de loisirs, d’éducation ou de culture, qui caractérisent la grande ville. Certains critères sont ambigus, peuvent être des atouts ou des handicaps, en fonction des circonstances. Ainsi, comme l’affirme le manifeste de la société SitePilot, le cadre de vie rural peut véhiculer une image positive pour les métiers à dimension créative, voire artistique (graphisme, Web design), mais nous avons recueilli des témoignages qui vont dans le sens contraire : une adresse rurale, parfois, « ne fait pas sérieux ». Les difficultés sont toutefois nombreuses. Les personnes enquêtées ont plusieurs fois souligné l’incompréhension, voire l’hostilité de la société locale et des collectivités, qui ne comprenaient pas leur activité (« on nous prenait pour des extraterrestres »). Ce phénomène s’est probablement atténué depuis 1999. L’isolement technique et commercial est certainement le handicap le plus important. Ces entreprises ne peuvent pas bénéficier des synergies propres aux milieux d’affaire de la grande ville, des assymétries informationnelles qu’entraîne le « bruissement » issu des différents réseaux sources d’information, formels ou informels (les « déjeuners en ville »). Certains entrepreneurs ont convenu être victimes d’une forme d’obsolescence de leurs compétences. Les entreprises lyonnaises opposées au concept évoquent les nécessités d’un brain storming permanent pour justifier leurs réticences. Le recrutement est également problématique, et peut handicaper la croissance de l’entreprise (c’est un des problèmes majeurs de l’entreprise rurale en général : l’étroitesse des bassins d’emploi rend très aléatoire le double emploi au sein du couple). Le problème immobilier peut se poser dans les régions rurales les plus attractives, comme la Drôme, où le marché de l’immobilier est tiré vers le haut par le phénomène des résidences secondaires, alors que le marché des bureaux est pratiquement inexistant. On comprend que ces difficultés dépendent du type d’espace rural considéré, les territoires les plus attractifs et les mieux desservis étant aussi les plus convoités par les autres formes d’utilisation de l’espace bâti ou à bâtir. Le dernier écueil, enfin, est celui de l’accès aux télécommunications performantes, et surtout aux réseaux à haut débit. Le problème se posait surtout au tout début de a décennie, avant la diffusion spatiale de l’ADSL (qui couvre maintenant la plupart des bourgs ruraux). Aujourd’hui, les solutions alternatives de type satellitales s’offrent aux entreprises du rural dit « périphérique ». Les facteurs de succès : l’entreprise en réseau ! Une conclusion qui émerge de l’analyse empirique est que les règles qui s’appliquent à la micro-entreprise rurale, pour qu’elle puisse profiter du contexte créé par l’affirmation de l’économie numérique, sont les mêmes que celles qui prévalent pour les grands groupes d’échelle mondiale, à savoir l’inscription dans les réseaux informationnels qui constitue le cycle de production étendu et la division spatiale du travail. KITE Ltd., nous l’avons vu, fonctionne en réseau. La société ATEK, situé au cœur des Baronnies, dans ce que l’INSEE appelle du « rural périphérique » faisait réaliser sa permanence téléphonique par une micro-société ardéchoise, et sa comptabilité par une entreprise de Gap (Haute-Alpes). SITEPILOT (sept personnes) est présente en Ardèche, à Montpellier et à Rennes. Parmi les entreprises lyonnaises que nous avons interrogé sur les perspectives offertes par Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 164 Regard géographique sur le paradigme numérique des opérations en territoire rural, plusieurs ont répondu qu’elles utilisaient déjà les services de graphistes ou de programmeurs free lance localisés « à la campagne ». En tout état de cause, notre conclusion sur ce sujet sera très nuancée. Des possibilités existent pour un développement de ce type d’activité, surtout en soustraitance. Ces entreprises sont intéressantes par leurs effets induits : en tant qu’activités « exportatrices », leurs effets d’entraînement ne sont pas à négliger. Mais elles ne représenteront jamais qu’un appoint aux autres activités économiques. Comme l’écrit E. Malecki (2003, p. 212), le frein à ce genre de développements n’est pas technologique, mais bien plus social et humain (« rural development is wrapped up in human capital, it is far more than a relatively simple infrastructure supply issue »). Aussi la question de l’économie numérique dans les territoires ruraux est-elle à considérer globalement, en prenant en compte la question de l’éducation, les synergies avec les autres secteurs de l’économie (tourisme, industrie), la relation avec les collectivités locales. Techniquement et économiquement, les conditions sont réunies pour que la « classe créative » puisse exercer ses talents « à la campagne ». Dans certains cas, cela prend l’aspect d’un retour à la nature, une nouvelle version post-soixante-huitarde de « l’élevage de chèvres en Ardèche ». Mais le plus souvent, il s’agit du classique « vivre et travailler au pays ». Auquel il faut ajouter des expériences de télétravail saisonnier dont il est difficile de mesurer l’importance statistique. Reste le cas des centres d’appels et de saisie de données, que nous avons placés à part, car ils ne relèvent que peu d’une économie de la créativité, mais constituent des formes très tayloriennes de la nouvelle économie, ce en quoi ils rejoignent les ateliers textiles qu’ils ont, parfois, remplacé112. L’implantation de Transcom Worldwide à Raon-l’Etape et à Tulle semble un exemple tout à fait pertinent. Attirés par des coûts immobiliers et salariaux faibles, par les promesses d’un recrutement aisé, notamment féminin, les centres d’appel offrent des faibles perspectives de carrière. La leçon qu’il faut tirer de ce phénomène est la même que celle apportée par l’exemple de télétravailleurs ou de start-ups du secteur créatif : ces formes de « ruralisation » montrent les capacités de l’économie numérique et de ses acteurs à profiter pleinement des ressources offertes par les territoires, dans le cadre d’une fine division spatiale du travail. 112 Nous avons eu l‘occasion de visiter un centre de traitement des chèques à St-Laurent de Neste, dans les Hautes Pyrénées. Le rythme de travail est impresionnant. Ces tâches répétitives (saisie de données) sont de plus en plus délocalisées dans les pays en voie de développement. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 165 Encadré n° 18. Pour ou contre une implantation rurale ? Des dirigeants d’entreprises lyonnaises du secteur des TIC donnent leur avis (source : Moriset 2001 – enquête Sacha Lafaurie) Favorable On peut être placé n' importe où, pourvu que l' on ait une bonne connexion. Les créatifs préfèrent la campagne. On le pratique déjà, notre développeur est à la campagne en Ardèche. Oui pour la production avec un pilotage de 20% en ville. On pourrait ne faire que le conseil en ville et la production à la campagne. Pourquoi pas le développement, qu' il est vrai on sous-traite quelque fois. Pour le cadre de travail, et dans les Alpes il y a le haut débit. Le cadre de vie serait meilleur et influe sur la performance, du moment qu' il y a une bonne connexion. Pourquoi pas, ce serait pour la capacité à trouver des compétences ailleurs, le prix des logements et autres avantages fiscaux. Le cadre de vie, de plus on a la capacité de le faire, les infographistes que l' on sous-traitent le font aussi. Le tout, c' est qu' il faut un très très bon tuyau. Du moment que l' on a une connexion, pas de problèmes. De plus, à terme, cela risque de devenir indispensable, pour la simple et unique raison que les coûts financiers de la ville deviennent si importants qu' il sera plus intéressant de se déplacer vers la ville (où l' on aura laissé le commercial) que d' y avoir la production. Les coûts des charges fixes étant bien plus intéressants à la campagne. Le seul inconvénient est de trouver les personnes qui voudraient partir car la main d' oeuvre locale, si elle peut être compétente, n' est pas importante. Défavorable Une équipe fonctionne grace à une dynamique d' ensemble. Ce n' est pas dans les objectifs de l' équipe qui préfère les séances de Brainstorming. Car le personnel forme une équipe et ne peut pas travailler sans cette synergie que forme le personnel. Le contact humain ne se remplacera jamais. On pourrait croire que ce serait une bonne chose pour l' infographiste qui demandeun meilleur calme, or on se rend compte qu' ils ne sont pas si solitaires que celaet que l' on apprend toujours beaucoup des uns et des autres. Je n' aurais plus personne. Le personnel du secteur est très urbain. Il faudrait changer le personnel, et puis ce sont des citadins. En rase campagne il faut du personnel qualifié et du réseauce qui n' est pas chose mince. La proximité aussi fait défaut. Je pratique moi même le télétravail, je suis pour, uniquement occasionnellement, mais je pense que le point de pilotage et de travail doit être en ville. A cause des tuyaux et pour les employés On a quand même besoin des noeuds de télécommunications. On a des objectifs réels et en rural ce n' est pas terrible. Il faut la ligne à haut débit pour relier le POP. On a toujours besoin d' aller voir les clients, en revanche on a déjà essayé dans le Beaujolais et les clients potentiels fuyaient dès qu' on leur disait où l' on était. Oui pour la production, mais pas pour les commerciaux. Pour les parisiens, on est déjà des provinciaux de seconde zone, alors imaginez de quoi on avait l' air lorsqu' on était à l' Isle d' Abeau ! Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 166 Regard géographique sur le paradigme numérique Conclusion La géographie de l’économie numérique propose au géographe un phénomène majeur de diffusion spatiale, comme le développait The Economist (19 juillet 2003) sous le titre The New Geography of the IT Industry. Cette diffusion s’opère aussi bien sur le plan objectif des faits économiques que sur celui des discours de marketing territorial. La numérisation de l’économie, la division spatiale du travail au sein du cycle de production étendu, expliquent pour une part la multiplication de nouveaux pôles d’activité numériques, au sein d’un phénomène global de mondialisation. Grâce à l’utilisation des TIC elles-même, le phénomène de diffusion atteint un grand degré de finesse, puisque même les espaces ruraux périphériques sont dans une certaine mesure concernés par la démarche individuelle de tel ou tel entrepreneur. Dans un contexte technologique et financier très mouvant, à la lumière des crises qui peuvent se produire aussi bien en Californie qu’en Bretagne (déroute de la « Télécom Valley » ou « Tregor Valley »), plusieurs questions majeures peuvent être posées, qui peuvent constituer autant d’incitations à des investigations supplémentaires : le concept de district numérique « mono-industriel » est-il viable à long terme ? va-t-on vers des phénomènes de dilution de l’activité au sein d’ensembles métropolitains au tissu économique plus diversifié ? combien de ces districts atteignent la masse critique susceptible d’assurer leur survie à long terme ? Pour proposer un début de réponse à ces questions, il faut d’abord considérer l’économie numérique dans sa variété : activités sophistiquées de recherche, activités plus routinières de montage et de fabrication, services créatifs liés au contenu, services courants (support client) ou services supérieurs pour lesquels les TIC ne sont qu’un outil (finance). Une typologie « floue » des espaces de l’économie numérique en trois sous-ensemble peut être raisonnablement proposée, qui distinguerait : un petit nombre de districts de conception et de recherche en haute technologie fondés sur des pôles forts de l’enseignement supérieur et de la recherche publique ou privée, où la masse critique est suffisante pour espérer une pérennisation de l’activité (que ce soit à Palo Alto, Grenoble ou Bangalore) ; dans certains cas, les externalités positives et les effets d’agglomération sont suffisamment forts pour compenser l’insuffisance de l’entrepeneuriat et du capital local, en permettant un flux permanent d’investissement de la part des groupes extérieurs, qui y voient une sorte de point de présence obligé ; les métropoles d’affaire et de services supérieurs, où se concentrent les activités de contenu (multimédia) ainsi que l’innovation dans les applications au tertiaire supérieur (plateformes électroniques, progiciels) ; ces métropoles sont considérée comme offrant aux entreprises et aux individus une sorte de garantie « assurancielle » par l’importance d’un marché local, la présence d’un entrepreneuriat, de capitaux et d’activités directionnelles ; les espaces d’éxécution : usines de montage et de gravure, composants, centres d’appel, matériels de télécommunications. C’est dans cette dernière catégorie que se trouvent beaucoup de Siliconium extrêmement fragiles, parce qu’il ne reposent pas, à la différence des deux premières catégories, sur une forte concentration de capital intellectuel ou financier. Une des conclusions que nous avions proposé dans notre article sur l’émergence des activités liées aux TIC dans l’agglomération lyonnaise, était l’extrême inertie des Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 167 structures sociales et économique, mais aussi spatiales et donc territoriales, qui conditionnent les facultés d’adaptation d’une région ou d’une ville aux changements économiques. Sous l’apparence de phénomènes de déclin et de reclassement, les changements dans le temps long dans la hiérarchie des villes et des régions sont extrêmement faibles du fait de l’inertie de ces structures, et ce dans tous les pays. Ainsi, en Europe, on remarque que les bassins d’emplois hérités de la « première révolution industrielle », lorsqu’ils n’étaient pas structurés autour d’une vielle métropole marchande ou princière (donc disposant du capital financier et/ou culturel), n’ont jamais réussi à occuper des positions pouvant être durables dans la « nouvelle économie ». C’est toute l’opposition entre Lille d’une part, qui s’est largement reconvertie à l’économie numérique, et les villes du Bassin Houiller d’autre part, qui peinent à le faire. De fait, la numérisation de l’économie n’a que faiblement bouleversé la hiérarchie des « villes donneuses d’ordre ». D’autre part, comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, ces villes marchandes ou « gouvernantes » étaient toutes situées sur des grandes voies de passage, qui, pour avoir bénéficié de la création des grandes infrastructures de transport, ont accueilli le plus précocement les fameuses « autoroutes de l’information ». Incontestablement, la numérisation de l’économie, les phénomènes d’agglomération, tout comme le phénomène dit de la « destruction créatrice », participent à l’accroissement de certains clivages, qui sont d’abord sociaux, et parfois spatiaux. Mais lorsque clivage il y a, c’est le plus souvent un clivage flou. Il n’y a pas de gradient brutal entre, d’une part des métropoles ou des districts numériques (ou créatifs, ou high tech…), de l’autre des « déserts numériques ». Par exemple, de nombreuses entreprises ont fui la Silicon Valley pendant le gonflement de la « bulle Internet », pour aller s’installer dans de très nombreuses villes, petites ou grandes. A l’extrémité de l’échelle, les espaces ruraux, comme l’écrit E. Malecki (2003), sont à leur manière numériques. Comment les institutions publiques qui sont en charge du destin collectif des territoires réagissent-elles avec ces inerties structurelles, avec ces dynamiques dominantes ? Poser de cette manière la question des politiques publiques liées aux TIC est un peu abrupt bien sûr. Car il n’y pas un « donné » résultant des initiatives privées, auquel serait confronté, ensuite, une politique publique, mais bien une interaction systémique permanente entre les acteurs privés et publics (sans laquelle le concept de technopôle, par exemple, ne saurait se concevoir). Il n’en reste pas moins que les responsables politiques, dans une démocratie, sont confrontés à une série de « moments » privilégiés, qui coïncident par exemple avec l’émergence d’une nouvelle technologie. Avec l’irruption médiatique du paradigme numérique, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, dans tous les pays développés et au delà, il n’y a guère de responsable politique qui ne se soit pas posé la question à un moment ou à un autre : qu’est ce que l’on pourrait faire avec çà pour administrer, gérer, aménager le territoire. Ce qui les conduit à légiférer, à lancer des projets, qu’il ne vont pas conduire seuls, mais en partenariat avec une multitude d’acteurs, publics ou privés. Ceci pose donc le problème de la capacité collective des territoires à agir sur leur destin, dans le contexte d’une mondialisation qui n’est pas, comme on le croit généralement, une cause inévitable, mais un paradigme englobant un faisceau de phénomènes contingents qui trouvent aussi leurs origines dans le « local » (Yeung, 2002)113. 113 Limits to globalization theory: a geographic perspective on global economic change. Economic Geography, vol. 78, n° 3. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 168 Regard géographique sur le paradigme numérique Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 169 Chapitre 5. Les technologies numériques dans les politiques de développement et d’aménagement des territoires Ce terrain miné par tant d' illusions et de désillusions accumulées depuis une vingtaine d' années. Musso, 1994, p. 15. Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre introductif, le paradigme numérique est devenu un thème majeur des politiques d’aménagement du territoire, en actes et en discours. La question est complexe, pour plusieurs raisons : elle met en jeu toutes les échelles géographiques de réflexion et d’action ; elle touche à la plupart des aspects de la société ; elle a fait l’ojet d’une énorme littérature scientifique et politico médiatique (sans que la distinction entre les deux soit toujours claire) ; elle mélange, d’une part, les aspects discursifs et idéologiques, d’autre part, les actions concrêtes et objectivables ; elle se prète à la confusion des genres scientifiques, avec le risque d’oublier toute problématique géographique. Nous reviendrons sur ce point. Pour structurer l’analyse, nous avons choisi d’utiliser un concept clé, le projet stratégique de territoire, dit « territoire numérique » (section 1) Au sein de ces projets, nous avons privilégié deux domaines d’action, qui nous semblent d’une forte prégnance pour le géographe : la question des aménagements d’infrastructures de télécommunication (section 2), et l’émergence d’un urbanisme des TIC (section 3). 5.1. Le territoire numérique : utopie ou projet stratégique ? 5.1.1. Une littérature considérable Les TIC sont apparus depuis une demi-décennie comme l’outil de promotion et de mise en œuvre d’une démarche stratégique de développement territorial, qui est en général déclinée sous les expressions de « territoire numérique », « territoire intelligent », « smart community » ou « smart city». L’abondance de la bibliographie sur le sujet témoigne de la fascination que ces expériences ont exercé sur les ob02 ese 00 Td Td((d)Tj )Tj 3.12187 6.1236600Td Td(o)Tj (e)TjTj6.12366 6.1236600Td Td( ()Tj )Tj5.040 («)TjT2144 6.12366 06 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 170 Regard géographique sur le paradigme numérique 1999). La relation entre l’Internet et l’espace public a fait l’objet d’un numéro entier de Géographie et Cultures (2003, n° 46). L’utilisation des systèmes d’information géographique et des systèmes de visualisation 3D dans la gestion et la planification urbaine pourrait faire l’objet d’un volume entier (Roche, 1999 ; Dodge, Doyle, Smith et Fleetwood, 2000). Les espaces ruraux, que nous avons étudié d’assez près entre 1998 et 2001 (Moriset 2000-a, 2000-c), ne sont pas en reste dans ces dynamiques, et ont fait l’objet également d’une abondante littérature (Bryden et al., 1996, Grimes, 1999 ; Richardson et Gillespie, 2000 ; Richardson 2002…). Mais le thème du territoire intelligent est moins prégnant dans les espaces ruraux, qui apparaissent moins construits, moins artificialisés que les espaces urbains. Si les éléments factuels de l’aménagement dit « numérique » sont pratiquement les mêmes, toutes proportions gardées, les mythes et les discours diffèrent notablement. D’un côté, c’est le thème de la gestion et de la régulation (technique, économique, sociétale) du système urbain qui l’emporte, de l’autre, c’est celui du désenclavement du territoire. Le reproche que l’on peut faire à une partie de la littérature scientifique sur ces questions, est de manquer de distance vis-à-vis des discours politico-médiatiques, sinon sur le fond, tout au moins sur la forme, ne serait-ce que dans les titres des ouvrages, qui ne permettent pas de faire la distinction entre le territoire numérique des élus, celui de la DATAR, celui des journalistes, celui des universitaires. Lorsque N. Komninos titre « Intelligent City » un ouvrage consacré, en fait, à la géographie des pôles d’innovation, il s’inscrit dans un mythe qu’il contribue, en retour, à nourrir. En rassemblant des éléments empiriques bien réels, mais épars, les ouvrages sur la « ville numérique » procèdent à un jeu de déconstruction-reconstruction, qui aboutit à faire croire à l’existence de cette ville numérique. Le contenu de l’ouvrage de W. Mitchell City of Bits (encadré n° 19) appelle ainsi quelques commentaires. Il considère la ville comme une globalité, la signification du mot « city » étant plus proche de la « cité » antique que de la « ville » au sens français. W. Mitchell considère l’ensemble des aspects socio-spatiaux du paradigme numérique, pour aboutir à la même vision futuriste que celle décrite par N. Negroponte dans Being Digital. On pourrait croire à l’existence d’une ville de science fiction. Mais qu’en est-il de la ville réelle ? La littérature des chercheurs est le reflet d’un discours politico-médiatique dont l’ampleur peut être mesurée sur un moteur de recherche comme Google. Les entrées « territoire numérique » et « ville numérique » (4 juillet 2004) donnent respectivement 1160 et 3510 pages trouvées. Les résultats en Anglais sont beaucoup plus importants : « cybercity » fournit 340 000 pages, « digital city » en donne 409 000. L’examen des premières références montre la polysémie des termes. Dans de nombreux cas, la ville numérique, et plus encore la « digital city » ne désigne rien d’autre qu’un site portail d’information et de communication territoriale. Dans d’autre cas, l’expression désigne la branche « TIC » de politiques nationales ou locales ou de programmes d’aménagement d’ampleurs diverses, que l’on va trouver présentés sous ce label dans la presse, dans des plaquettes de communication, et, évidemment, sur le Web. Cette inflation de discours rend l’analyse complexe à mettre en œuvre, car toutes les combinaisons existent entre réalité et fiction : certains territoires où il ne se passe rien s’autoproclament « numériques », alors que d’autres sont très actifs dans les faits, mais leurs élus ne ressentent pas le besoin d’en faire un thème majeur de communication. Comment trouver une clé d’analyse dans ce fourre-tout, où se mélangent les discours les plus utopique et les actions d’aménagement les plus pragmatiques et Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 171 les plus classiques, aux échelles les plus diverses ? Comment faire la différence, derrière les termes de « territoire numérique » ou de digital city entre un simple portail municipal et un programme d’aménagement « en chair et en os » de plusieurs milliards d’Euros ? Comment faire la part du géographe, alors que le paradigme numérique a envahi tous les domaines de la société ? Quelques références « Ville numérique » et « Territoire numérique » (extraits de google.com, par ordre d’apparition, 4 juillet 2004) : Meylan ville numérique … Meylan ville Internet … Parthenay, ville numérique de référence Le Programme PARVI : Paris, Ville numérique Ville de Tourcoing … Une ville numérique pour tous Le site de la ville de Faches... ville numérique pour tous. ... Rosny-sous-bois : Rosny ville Numérique … Internet sur la prise électrique Le Site Officiel de la Ville d' Anglet …Anglet confirme son label @@@ Multimédiaville - 29 juin 2000 / La ville numérique pour tous Beauvais ville numérique Ville de Chambly - France : Ch@mbly ville numérique – L' association « Agen Territoire Numérique » Région Guyane, Territoire Numérique... France Telecom - Développer le territoire numérique La France, territoire numérique. Projet « Alsace, territoire numérique de l’image » Le territoire numérique éducatif ... 114 Avec Vikman , la Région dessine un territoire numérique Nantes … dans une logique de constitution d’un véritable territoire numérique Faire du Pays basque un territoire numérique Aménageurs du Territoire Numérique de la Drôme sud Aménagement du territoire numérique …vers l' e-citoyen attitude Entreprendre dans le Grand Lyon … territoire numérique 114 Boucle à haut débit de la région Basse Normandie. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 172 Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 19. La cité numérique (City of Bits) selon W. Mitchell (http://mitpress2.mit.edu/e-books/City_of_Bits/index.html) 1. Pulling Glass 3. Cyborg Citizens 2. Electronic Agoras Vitruvian Man / Lawnmower Man Nervous System / Bodynet Eyes / Television Ears / Telephony Muscles / Actuators Hands / Telemanipulators Brains / Artificial Intelligence Being There Spatial / Antispatial Corporeal / Incorporeal Focused / Fragmented Synchronous / Asynchronous Narrowband / Broadband Voyeurism / Engagement Contiguous / Connected Bit City 4. Recombinant Architecture 5. Soft Cities Facade / Interface Bookstores / Bitstores Stacks / Servers Galleries / Virtual Museums Theaters / Entertainment Infrastructure Schoolhouses / Virtual Campuses Hospitals / Telemedicine Prisons / Electronic Supervision Programs Banking Chambers / ATMs Trading Floors / Electronic Trading Systems Department Stores / Electronic Shopping Malls Work / Net-Work At Home / @Home Decomposition / Recombination Programmable Places Real Estate / Cyberspace Wild West / Electronic Frontier Human Laws / Coded Conditionals Face-to-Face / Interface On the Spot / On the Net Street Networks / World Wide Web Neighborhoods / MUDs Enclosure / Encryption Public Space / Public Access Being There / Getting Connected Community Customs / Network Norms Nolli and the Net 6. Bit Biz 7. Getting to the good bits Economics 101 / Economics 0 and 1 Tangible Goods / Intellectual Property Moving Material / Processing Bits Physical Transactions / Electronic Exchanges Bank Notes / Electronic Cash Helots / Agents Jurisdictions / Logical Limits Territory / Topology Electoral Politics / Electronic Polls Banishment / Sysop Blacklist Surveillance / Electronic Panopticon The Political Economy of Cyberspace 1835: Pre-Industrial Settlements 1956: The Commuter City 1994: Telepresence AD 2K: The Bitsphere Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 173 5.1.2. Le projet stratégique, un concept clé pour l’analyse géographique des politiques publiques dans le secteur des TIC L’étude des politiques liées aux TIC pose, d’abord, un problème de confusion des genres, que nous avons déjà exposé en préalable méthodologique dans le paragraphe introductif de ce mémoire. Car les TIC sont partout, et il est malaisé de dissocier les éléments de la trilogie « Infrastructures - Services – Usages ». En s’aventurant dans les innombrables aspects d’une « société de l’information » ou d’une « société numérique », on perd trop fréquemment de vue les aspects spatiaux, et donc territoriaux. Le problème se pose aussi bien pour les acteurs qui ont déployé les projets sur le terrain, que pour les chercheurs qui les ont étudiés. En quoi le cartable électronique, ou la feuille d’impôts par Internet, intéressent-ils le géographe ? Du point de vue factuel, la question est la plupart du temps sans intérêt spatial ou territorial. Sauf à démontrer empiriquement que ces pratiques se substituent à des déplacements réels, peuvent apporter un « plus » en terme de désenclavement des espaces ruraux, etc. Or cette démonstration empririque est presque toujours absente. C’est donc autour du concept de projet territorial que le chercheur va trouver « sa géographie ». L’équipement informatique ou le portail scolaire des écoles ardéchoises, par exemple, n’attirent l’attention du géographe que parce qu’ils sont « vendus » par les élus et les demandeurs de subventions au nom d’une politique de désenclavement rural et de réduction d’une fracture numérique qui aurait une base spatiale. Dans nos recherches sur le département de l’Ardèche, nous avons pu montrer que l’école était, en quelque sorte, la porte d’entrée des TIC dans les territoires ruraux (Moriset, 2000-c). Si on ignore la dimension de projet stratégique inhérente à bien des programmes de type « territoire numérique », on les vide de presque toute leur substance, et on les rend sans intérêt pour l’analyse géographique. Prenons pour exemple « Vercors Connect » ou les « Inforoutes de l’Ardèche » (Moriset, 2000-c) : ces projets ont « vivoté » pendant des années sans qu’il soit question précisément, d’Inforoutes, c’est à dire de réseau de télécommunications. Imagine-t-on un concessionnaire d’autoroute qui apprendrait aux gens à conduire, leur offrirait une automobile, sans que l’autoroute ait encore été construite ? C’est, en pratique, ce qui s’est passé dans maintes opérations, rurales ou urbaines. Ces programmes (sans préjuger de leur degré de réussite) ne peuvent être compris indépendamment de leur dimension fondamentale de « projet de territoire ». A la fin de son ouvrage sur « l' économie d' archipel » (1996, p. 244), P. Veltz affirme la responsabilité qui pèse sur les institutions publiques locales et leur capacité à « créer de véritables cadres collectifs de représentation et d' action », à faire « converger les anticipations ». On retrouve ici la notion de projet stratégique, telle qu’elle a été développée par Bouinot et Bermils (1995). Plusieurs idées, dans cette remarque, méritent d’être soulignées et commentées. Tout d’abord, le fait que les collectivités publiques, à diverses échelles, conservent une possibilité d’infléchir les faits économiques et sociaux. Ce qui engage, dans une certaine mesure, leur responsabilité. Ceci doit être rappelé, compte tenu du contexte de la « mondialisation libérale » - dont les TIC sont un vecteur -, dans lequel maints observateurs n’ont de cesse de déplorer l’incapacité croissante des institutions publiques, la réduction de leurs marges de manœuvre. Nous apporterons une modeste contribution à ce débat, sur le terrain très ciblé des télécommunications et de l’économie numérique. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 174 Regard géographique sur le paradigme numérique La deuxième idée essentielle est le rapprochement entre représentation, action et anticipation. Une politique d’aménagement ou de développement local ne se décline pas seulement en termes d’infrastructures (de télécommunications, en l’occurrence). C’est aussi et surtout créer, ou contribuer à créer, une communauté d’intérêt au sein d’un groupe hétérogène d’acteurs. Cette communauté d’intérêt passe par la production d’un projet, doté de sens. Projet de société, ou, ce qui intéressera plus particulièrement le géographe, projet de territoire. Les logiques d’acteur Dans un contexte juridique et technologique donné, ce sont les logiques d’acteurs qui vont faire émerger des projets, qu’on se trouve à Castres ou à Tacoma. Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre premier, c’est souvent la présence locale d’un « Monsieur TIC » qui constitue le facteur déclenchant. L’analyse approfondie de ces logiques d’acteurs, pour passionnante qu’elle soit, nous entraînerait hors de notre objet, car leurs mécanismes ne sont pas spécifiques aux télecommunications. Il est évident qu’un canton, ou un département, dont l’élu est ancien directeur de la Direction Général des Télécommunication (J. Dondoux en Ardèche), ou Président de la Commission TIC du Sénat (R. Trégouët dans le Rhône) a plus de probabilité que d’autres de développer des projets dans ces domaines. Il y aurait matière à disserter sur la convergence qui s’instaure, à un moment donné, entre un contexte général (technico-politico-médiatique, voire idéologique), et les intérêts de tel ou tel élu. Cette convergence est la réalité de ce que nous appelons, le plus souvent, « l’action des collectivités publiques ». Ne pas entrer trop loin dans ces considérations n’est pas les ignorer naïvement. Le problème des échelles et de l’entrecroisement des domaines d’action Le paradigme numérique, par nature, est polyvalent et multiscalaire. Ce qui rend l’échelle pratiquement inopérante comme outil d’analyse. Ceci est en cohérence avec la capacité des TIC à ignorer, voire même à brouiller les échelles. Comment utiliser les clivages traditionnels, déjà bien flous (espace rural, villes moyennes, métropoles, régions, Etats…) alors que la caisse à outils de l’aménagement numérique les ignore presque complètement ? On trouve des projets publics de réseaux WiFi dans de minuscules villages, comme à Paris. L’Ardèche a ses espaces multimédia, tout comme Lyon et Paris. De ce point de vue, les TIC s’intègrent tout à fait dans un contexte général d’incertitude sur les découpages pertinents de la réflexion et de l’action. 5.1.3. Le projet de territoire numérique : contenu et discours Essentiellement, le territoire numérique est une utopie au sens propre du terme, c’est à dire un projet futuriste de construction de la cité idéale qui touche au plus près la composante idéologique du paradigme numérique, telle que nous l’avons définie dans le chapitre 1. Le projet de territoire numérique est un projet global, dans lequel les TIC doivent être impliquées dans toutes les composantes économiques, sociales, politiques, culturelles… du territoire, afin de pouvoir faciliter le déclenchement de boucles de rétroaction positives dans le sens d’un développement équilibré, durable, plus égalitaire… Dans cette logique, les usages des TIC sont envisagés pour résoudre presque tous les problèmes contemporains, qui sont étroitement corrélés les uns aux autres : Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 175 Un territoire économiquement compétitif : par les aménités qu’il offre aux entreprises : réseaux à haut débit, zones d’activités, milieu d’affaire et d’innovation technologique ; par l’aptitude de son tissu économique à utiliser les TIC pour améliorer sa compétitivité : création d’espaces de formation et d’information aux usages des TIC et de plateformes de services, action de sensibilisation des PME par l’excellence de sa main d’œuvre : promotion des TIC à usage éducatif (TICE), cartable électronique, plateformes éducatives115 ; développement de l’outil de formation (écoles et cycles de formation spécialisés dans les métiers de l’économie numérique et de la créativité). Un cadre de vie accueillant, pour les entreprises et pour les citoyens : grâce à un système de transports performant et peu polluant : utilisation des TIC dans la régulation des transports (télé-péage urbain, transport particulier à la demande, télé-mesure de la pollution) ; par le développement du télétravail et des téléservices qui limitent les déplacements (bureaux satellites, télécentres) grâce à une bonne gestion de l’espace : utilisation des TIC dans la planification urbaine (SIG, vision 3D) ; grâce à une plus grande sécurité (c’est en tout cas l’objectif affirmé) : vidéosurveillance). Un territoire plus démocratique et plus égalitaire par la réduction de la fracture numérique : points d’accès publics à Internet, espaces multimédia, distribution d’ordinateurs, équipement gratuit des élèves, des écoles etc. ; par la mise en place d’une cyber-administration, plus performante, qui rend l’accès à l’information administrative plus simple, plus rapide, moins couteux d’un accès plus facile pour les personnes à mobilité réduite : mise en ligne des formalités administratives, centre d’appel administratif ; par la création d’une cyber-citoyenneté : scrutins en ligne, consultations publiques. Un territoire plus ouvert et plus créatif, doté d’une identité plus forte par la création de portail territoriaux : communication locale, diffusion de l’information locale, notamment sociale et culturelle (« vie des quartiers ») ; par la création de lieux virtuels de citoyenneté et de débats : forums en lignes. Les deux derniers points sont éclairés par les thèse de R. Florida (2002), sur « l’émergence d’une classe créative ». Florida montre que l’innovation, la créativité, ne se développent bien que dans un cadre démocratique, tolérant, ouvert aux influences culturelles extérieures. 115 En septembre 2003, 30 000 ordinateurs ont été distribués aux élèves de 4e de 195 collèges du département des Bouches-du-Rhône et à leurs enseignants (www.ordina13.com). Dans les Landes, en septembre 2003, 4 800 ordinateurs portables ont été distribué aux élèves de 3e et à leurs enseignants dans les 32 collèges publics. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 176 Regard géographique sur le paradigme numérique Quelques exemples Les exemples de projets stratégiques de type « digital city » ou « smart community » sont trop nombreux pour être mentionnés tous. Tous n’ont pas atteint le même degré d’intégration, de lisibilité. Mais on y trouve toujours cette idée centrale de l’auto-corrélation entre les différents axes du projet, qui ne peuvent pas se concevoir isolément. Nous proposons la lecture de plusieurs documents et expériences parmi les plus complets et significatifs, tout au moins dans la lettre la définition proposée par The Intelligent Community Forum (encadré n° 20) (www.intelligentcommunity.org) ; le programme PARVI - Paris Ville numérique (encadré n° 21, www.paris.fr/fr/economie/innovation_tic/programme_parvi.asp) ; le programme Barcelona Digital City (www.bcn.es/digitalcity/eengmenu.htm, tableau n° 19). On pourrait aussi mentionner : Singapore's IT2000 Masterplan Singapore' s IT2000 Masterplan seeks to transform the country into an Intelligent Island where information technology (IT) is exploited to the fullest to enhance the quality of life of the population at home, work and play. www.ida.gov.sg/idaweb/broadband/infopage.jsp?infopagecategory=&infopageid=I880& versionid=6 Smart Region Hampton Roads (qui pousse la vision utopique assez loin) Smart Region, is dedicated to improving the quality of life and economic competitiveness of Hampton Roads by applying information technology in new and innovative ways to how we live, work, learn, and even play. Smart Region envisions Hampton Roads as a "virtual region" in which borders and distance pose no barriers to the flow of ideas, information, and commerce, and where sharing, collaboration, and the promotion and use of best practices is common among the governmental, educational, and business organizations in Hampton Roads (www.smartregion.org). Hull Digital City (également à contenu utopique fort) What is a Digital City? Digital Technology has the potential to change the way we live, play, learn and work. Although facilitated by technology, the quality of people' s lives and the needs of businesses is our focus. A Digital City means a totally connected City. People, organisations and businesses are connected with each other and the City is connected with the outside world. It means that communications will be easy and fast and information, goods and services will be readily available via your TV, PC or your mobile phone. In broad terms, the Digital Society will be characterised by networks and joined-up services. Time and space will no longer be important… The world will be smaller… technology will play a bigger part of everyone' s lives… www.hullcc.gov.uk/digitalcity/what_is_a_digital_city.php Le discours sur le territoire intelligent reflète une des idéologies de son lieu d’origine, à savoir le « communautarisme » des milieux libéraux californiens. Le « California Institute for Smart Communities » a été créé en 1997 à San Diego State University. Parallèlement, existe une « World Foundation for Smart Communities », association à but non lucratif dont le but est de promouvoir the implementation of "smart communities" -- communities using information technology as a catalyst for transforming life and work to meet the challenge of the new millennium (www.smartcommunities.org). According to the 1997 Smart Community Guidebook, a ' smart community'can be defined as a geographical area ranging in size from a neighborhood to a multi-county Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 177 region, whose residents, organizations and governing institutions are using IT to transform their region in significant ways. Cooperation… instead of individual groups acting in isolation, is preferred. The technological enhancements undertaken as part of this effort should result in fundamental, rather than incremental, change. R.W. Caves & 116 M.G. Walshok, 1999, p. 6 . On retrouve dans cet extrait une des thèses essentielles de l’idéologie du paradigme numérique, qui est la croyance en un « saut qualitatif », une révolution globale. Le concept de mutation se retrouve par exemple dans le titre de l’article de P. Widmayer sur Chicago, publié dans Journal of Urban Technology (2000) : « Transforming A Global City for the Information Society: Metropolitan Chicago at the Crossroads »117. Tableau n° 21. Le programme "Barcelona Digital City" (d' après www.bcn.es/ digitalcity) Objectives Accessible, quality, communications infrastructure An efficient online administration Value added services for business Actions New operator and new, wide-band network in the city, Interinstitutional agreement on cable communications in Catalonia, Large capacity corporate network Strengthening the services of Barcelona Informació (BI), Reinforcing and expanding the bcn web site, Towards electronic administration Adapting and integrating information and services for small businesses, Specific electronic administration for businesses, Efficient communication between the Council and businesses New integrated and Public Administrations, Environment, Emergencies, Traffic, Car problem-solving Parks, Transport, Culture / Education, Health environments Citizen participation Virtual communities for associations, Virtual communities in the and the promotion of Districts, Electronic democracy, New municipal communication virtual communities Improving citizen' s Increasing the number of network and Internet access points access to networks Strengthening the Barcelona Informació telephone system and online services Technically strengthening access to the Internet Le projet de territoire numérique comporte évidemment bien des nuances, dans le discours et dans les faits, qui dépendent fortement des caractéristiques du territoire considéré. Dans les métropoles américaines, le thème de l’environnement et de l’étalement urbain est fortement présent. Comme, par exemple, dans le projet du Comté d’Orange, au sud de Los Angeles : « The Millennium City: Making Sprawl Smart through Network Oriented Development » (Page et al., 2001), dans lequel les technologies d’information doivent se mettre au service d’une réduction des flux. Dans le projet de Chicago, la problématique principale est d’accompagner la reconversion à l’économie numérique d’une grande métropole. Le cas de Singapour s’inscrit dans une logique commune à tous les ex-NPI et pays émergents d’Asie de l’Est (« dragons » et autres « bébés tigres »). Ces pays qui disposent de peu de matières premières ont précocement privilégié l’éducation et la formation comme outil essentiel de leur développement. Le développement d’une « société de l’information » est donc naturellement au centre de leurs préoccupations (c’est un discours également très prégnant en Inde). Par ailleurs, les 116 "Adopting innovations in information technology. The California municipal experience". Cities, vol. 16, n° 1. 117 Cet article illustre le rapprochement, voire la confusion, entre le discours scientifique et celui des élus et praticiens de l’aménagement, puisque P. Widmayer a occupé des fonctions officielles au sein du Metropolitan Planning Council de Chicago. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 178 Regard géographique sur le paradigme numérique fortes densités de population expliquent l’importance des thèmes environnementaux, au sein du concept de « smart growth » où les TIC occupent une place privilégiée (gestion des transports, développement d’une économie numérique peu polluante). Le « Pau Broadband Country » (PBC) : un laboratoire d’expérimentation grandeur nature ? Le « Pau Broadband Country » est né de la rencontre entre, d’une part, la vision futuriste de J.M. Billaud, que nous avons déjà présenté dans le chapitre 1 comme l’un des gourous français des TIC, d’autre part, l’accueil favorable des responsables politiques et économiques de l’agglomération de Pau, au premier rang desquels le maire André Labarrère. Le projet se décline en trois points : un réseau à très haut débit entré en service courant 2004 et une série de services associés dont nous présentons quelques caractéristiques dans la section suivante ; un projet de ville intelligente, nom de code Paulywood ; un projet de zone d’activité dédiée aux nanotechnologies, nom de code Nanovalley Ce projet est exemplaire, non seulement par son contenu très ambitieux, mais aussi par les logiques d’acteurs et le contenu idéologique, que l’on pourrait qualifier de démiurgique, qui ont procédé aux premières phases de sa mise en œuvre. J.M. Billaud cherchait, semble-t-il, un laboratoire d’expérimentation de ses idées, qui constituent une synthèse de l’utopie du territoire numérique. Comme l’écrit le Journal du Net, le projet doit transformer l’agglomération de Pau en un « showroom » du numérique. Je me suis donc dit qu' il fallait dénicher une ville où l' on amène du très haut débit aux gens et où l' on demande aux entreprises de faire des applications haut débit et d' observer ce qui marche. J' ai pris mon bâton de pèlerin avec l' Atelier BNP-Paribas qui avait une cellule de financement de collectivi (t)Tj 2.7617 0 Td (i)Tj 2.16133 0 TdTd (è)Tj 5.52339 0 Td (l)Tj 2.16 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 179 démontrer l' importance des NTIC dans la conception des "villes intelligentes de demain". Une approche qu' André Labarrère aime souligner. www.journaldunet.com/0303/030320pbc.shtml Pour parachever son intervention, Jean Michel Billaut annonçait, devant les caméras de TVWebMidi, l' arrivée de Bill Gates, en Novembre 2003 ! Ce qui confirmerait la rumeur selon laquelle Microsoft aurait largement contribué au développement du Pau Broadband Country. www.meleenumerique.com/mid_enews/mid02/paubroadband.htm Il va être intéressant de suivre le projet Palois. Est-il reproductible dans d’autres agglomérations ? Pour que cela soit le cas, il faudrait qu’il repose sur un modèle économique viable, ce que son caractère expérimental ne permet pas d’affirmer. Construire un réseau à haut débit est un chose, créer un pôle de recherche sur les nano technologies en est une autre. En tout état de cause, on peut considérer que l’opération est succès publicitaire pour la ville. Marketing territorial et communication, lobbying, information Le paradigme numérique est utilisé comme le vecteur d’une image de modernisme, d’une idéologie du progrès, aussi bien à destination des investisseurs et nouveaux résidents (communication externe ou marketing territorial) qu’en direction des personnes physiques et morales déjà présentes sur le territoire (et donc électeurs et contribuables). Ce n’est pas minimiser l’action réelle menée sur le terrain que d’écrire que le concept de ville numérique semble avoir été plus précocement et plus massivement utilisé par des villes qui, pour différentes raisons, n’était pas dotées d’un image forte et porteuse, qu’elle soit économique, culturelle, touristique. Comme Metz, au cœur d’une Lorraine en crise, ou Parthenay, archétype de la ville moyenne sans relief particulier, qui s’est construit une certaine notoriété avec un projet avant-gardiste, voire utopique (cf. ci-dessous). Avant de se traduire dans les faits, le projet de territoire numérique est un discours, que l’on peut qualifier de performatif, c’est à dire créant, par son énonciation même, les conditions de sa matérialisation. On pourrait parler, dans certains cas, de prophétie auto-réalisatrice. Le marketing territorial, le lobbying, se traduisent notamment par l’action des associations, leurs sites Web, leurs publications, leurs manifestations, colloques, remises de trophées et autres awards. L' Association « Villes Internet » (www.villes-internet.net), présidée par E. Eveno, réalise une compilation des actions publiques conduites par les villes françaises dans le domaine des TIC, et organise des rencontres régionales et nationales, lors desquelles sont attribués des labels et trophées (de une à cinq arobases, @@@@@) qui distinguent « les villes plus numériques ». 356 communes ont été ainsi labellisées depuis 1999. Avec ce genre de classement et labels, les TIC entrent dans le concert des classements et palmarès des villes (Moriset, 1999-a), qui comptabilisaient déjà les indices de qualité de vie, de propreté des plages, d’attractivité économique etc. Les élus ainsi primés espèrent quelques retombées médiatiques, et vont pouvoir utiliser ces bonnes notes dans leur communication. Même s’ils se sont emparés du fauteuil de leur prédécesseur en faisant campagne contre le projet de territoire numérique, comme le maire actuel de Parthenay, qui a Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 180 Regard géographique sur le paradigme numérique battu M. Hervé aux élections municipales de 2001 et capitalise aujourd’hui sur les actions de son prédécesseur (Hervé et d’Iribarne, 2002)118. Pour Xavier Argenton, Maire et Président de la Communauté de communes de Parthenay : « Il s’agit maintenant de valoriser et de faire connaître ce savoir-faire pour que Parthenay bénéficie de retombées économiques. Etre labellisée Ville Internet 5 arobases trois années de suite permet à Parthenay d’acquérir cette reconnaissance nationale et internationale. Je remercie le dynamisme des parthenaisiens en la matière : c’est grâce à eux que nous remportons ce label ». http://194.250.166.236/villenum1000/villeinternet/remise2003.htm Très vite, notre ville numérique a fait parler d’elle dans les médias. Les Japonais, et notamment de grands industriels, ont été les premiers à venir la visiter, par cars entiers. Nous avons ensuite reçu des Américains, des Canadiens, des Belges, des Suisses, et finalement des Français. En peu de temps, l’afflux a été tel que nous avons été obligés de créer des programmes de visite. M. Hervé, ex-maire de Parthenay, 2002, p. 4. (www.ecole.org/2/EV060202.pdf). Autre structure, Multimédiaville (1997), présidée par J.M. Rausch, maire de Metz,. Créée en 1985 sous l’appelation de Médiaville, c’est une composante de l' Association des Maires de Grandes Villes de France, qui organise chaque année un rassemblement, publie des rapports et des manifestes. Multimédiaville a pour vocation d' apporter aux praticiens locaux de haut niveau - élus et proches collaborateurs - l' information indispensable à la prise de décision dans le domaine des nouvelles technologies de l' information. Multimédiaville est le rendez-vous annuel des collectivités locales et de la société de l' information. Manifestation de référence, Multimédiaville est à la fois un lieu privilégié de comparaison d' expériences, une tribune politique et un lieu de contacts entre les praticiens locaux et leurs partenaires. (www.grandesvilles.org/2002/ multimediaville). Parmi les organisations étrangères, il faut mentionner The Intelligent Community Forum (ICF), qui décerne chaque année le trophée de Intelligent Community of the Year (tableau n° 22). Sous des apparences innocentes (extrait n° 1), se dissimule une association d’industriels des télécommunications, la World Teleport Association, dont les objectifs de profit sont clairement exposés (extrait n° 2) : The Intelligent Community Forum (ICF) is a special interest group within the World Teleport Association that focuses on the uses of broadband technology for economic development by communities large and small in both the developed and developing world. Because real estate is a critical part of urban development, ICF also addresses the development of intelligent buildings, Internet hosting centers and similar facilities. www.intelligentcommunity.org/html/aboutICF.html World Teleport Association has a single mission: to help its members make money. If your business is broadband, WTA is your gateway to international opportunity. www.worldteleport.org Ces références, tout comme l’exemple de Pau, nous ramènent à nos propos du chapitre 1, à savoir que les TIC et leurs applications sont développées sous l’influence d’un système d’acteurs dans lequel les intérêts économiques sont 118 Sur le projet numérique de Parthenay et l’échec électoral de son promoteur, Michel Hervé, maire depuis 1979 et battu au premier tour des élections municipales de 2001 avec 33% des voix, on dispose d’un remarquable document : Parthenay ou les infortunes de la vertu, de M. Hervé et A. d’Iribarne, 2002, séminaire « Entrepreneurs, Villes et Territoires » de l’Ecole de Management de Paris, 11 p., www.ecole.org/2/EV060202.pdf. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 181 Regard géographique sur le paradigme numérique fortement présents, et coincident parfois avec les utopies en apparence les plus vertueuses, pour reprendre l’expression de M. Hervé et A. d’Iribarne. L’échec éléctoral de M. Hervé montre, dans une certaine mesure, les limites d’une approche globale et utopisante du concept de territoire numérique. Aujourd’hui, c’est une approche plus pragmatique qui prévaut, même si l’utopie reste bien présente dans l’idéologie de certains projets d’urbanisme. Revenons donc au terrain, comme disaient parfois nos maîtres, c’est à dire à des domaines d’action où le projet de « territoire numérique » se concrétise par des pratiques spatiales dans l’espace physique, par des productions d’espaces réels, concrets et visibles (où les préoccupations de type marketing territorial ne sont certes pas absentes) : les politiques d’aménagement des infrastructures de télécommunication, les projets « d’urbanisme numérique ». Tableau n° 22. Les Intelligent Community Awards (d’après www.intelligentcommunity.org) 2004 Intelligent Communities of the Year Glasgow, Scotland, United Kingdom Intelligent Community Visionary Calgary, Canada and Seoul, South Korea New York City, New York (USA) Pedro Cerisola, Secretary of Communications and Transport, Mexico, for the “E-Mexico National System Initiative.” Rosabeth Moss Kanter Professor of Business Administration at Harvard Business School. Colin Sinclair, Chief Executive for the City of Sunderland (England) 2000 LaGrange, Georgia, USA Tadayoshi Yamada, Chairman Emeritus, World Teleport Association 1999 Singapore, IT 2000 program. John Jung, Vice President, Greater Toronto Marketing Alliance 2002 2001 Intelligent Building / World Teleport Property of the Year Cyberport, Hong Kong, China. International Tech Park, Bangalore, India. The Wharf (Holdings) (Hong Kong, SAR) Caracas Teleport, Venezuela ; HongKong Land, Ltd. 111 Eighth Avenue, New York City. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 182 Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 20. Le projet de « territoire intelligent » : une démarche stratégique (www.intelligentcommunity.org) The Intelligent Community Forum has defined five critical success factors of the Intelligent Community, whatever its size or location. They are: 1. Broadband Infrastructure. Like seaports and airports before them, broadband infrastructure will be one of the key enablers of economy growth. An Intelligent Community is not content to leave its broadband destiny in the hands of the market. Intelligent Communities express a clear vision of their broadband future, craft public policies that encourage the development of broadband services, promote equitable access to them by organizations and individuals at all rungs of the economic ladder 2. Knowledge Workforce. Intelligent Communities exhibit the determination and demonstrated ability to develop a workforce qualified to perform knowledge work. This is not simply a matter of possessing universities able to crank out post-grads with science and engineering degrees. Effective development of knowledge workers extends from the factory floor to the research lab, and from the loading dock to the call center or Web design studio. The creation of knowledge workers is one of the primary means by which Intelligent Communities ensure that the majority of citizens benefit from the Digital Age economy. 3. Risk Capital. To be competitive, a community must provide the resources needed to start and grow new businesses. Principal among those resources is capital. Intelligent Communities recognize this fact and make every effort to attract and promote the growth of venture, strategic and public-market capital. 4. Digital Democracy. Success in the Digital Age demands a social and political culture that welcomes change. The challenge facing communities is to convert change-resistant cultures into ones that welcome innovation, without losing the values and sense of identity that make them communities in the first place. Intelligent Communities confront this challenge by creating a compelling vision of the benefits that innovation can bring, managing the negative consequences of change for segments of their population, and striving to bring the benefits of innovation to citizens who might otherwise be left behind. 5. Marketing Prowess. Globalization of markets, capital flows and business operations puts a premium on the ability of communities to market their "intelligence." Intelligent Communities market themselves effectively, based on a knowledge of the competitive offerings of other cities and regions, clear understanding of what leadingedge businesses require, and a determination to deliver it. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 183 Encadré n° 21. Le programme PARVI (d’après www.paris.fr/fr/economie/innovation_tic/programme_parvi.asp) La Ville s' est dotée, avec le programme PARVI, d' un cadre d' action et d' une organisation en réseau permettant aux différents services de la Ville de travailler, en concertation et avec synergie, à l' avènement de Paris « métropole numérique ». Ce programme trace quatre axes prioritaires et complémentaires : Développer les usages d'Internet par les Parisiens : - en facilitant l' accès au haut débit pour tous, grâce à une politique volontariste en matière de dégroupage, et au soutien d' expérimentations innovantes (boucles locales, Wi-Fi, etc.), en suscitant l' arrivée de nouveaux opérateurs… ; - en multipliant les points d' accès public à Internet, tels que les Espaces Publics Numériques et les Cyber-Emplois - grâce à un équipement soutenu des écoles et collèges de la ville en matériels, en débit et en logiciels, … de façon à promouvoir les contenus et les échanges éducatifs entre établissements (centres de documentation, établissements scolaires). Faire de Paris une métropole de l'économie numérique : - par le soutien au développement du haut débit sur l' ensemble de son territoire, - par un soutien énergique à la recherche, à la création et au développement d' entreprises innovantes, grâce à l' organisation de lieux et de moments d' échanges et de rencontres (telles que les "Matinales de Paris Technopole"), par le biais d' initiatives telles que le Grand Prix de l' Innovation de la Ville de Paris ; - grâce à la création et au développement des structures immobilières d' accueil des jeunes entreprises, incubateurs, pépinières ou hôtels d' entreprises ("République Innovation", pépinière de 1 800 m² reprise par la Ville). - Les nouvelles technologies sont également mises au service de la vocation touristique de la Ville, visiteurs comme congrès… qui subit une compétition croissante de la part de nouvelles places mondiales. Le portail de l' Office de Tourisme a été refondu… Instaurer une Mairie électronique au service de la démocratie locale : - Les nouvelles technologies doivent être mises au service du soutien à de nouvelles formes de démocratie. - Les données publiques et les services administratifs doivent être accessibles à tous les citoyens et à toutes les entreprises à travers le réseau. - De nouvelles formes de consultations et d' échanges de dossiers seront mises en place, notamment avec le développement des téléprocédures. - De nombreux projets en cours doivent favoriser une administration plus proche des aspirations des citoyens, une meilleure participation des acteurs sociaux à la gestion de la Ville, une plus grande transparence en matière d' accès aux équipements sociaux et aux marchés publics. Le site de la Ville a été entièrement refondu, un site par mairie d' arrondissement verra le jour d' ici fin 2003. Favoriser l'émergence de la création numérique : La numérisation progressive des fonds culturels parisiens facilitera et élargira l' accès au patrimoine culturel de la Ville. Plusieurs initiatives doivent en outre permettre l' émergence dans la capitale d' une création artistique et numérique et de lieux destinés à la mettre en valeur, tels que la "Gaîté Lyrique". Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 184 Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 22. Pau, ville numérique du futur ? Le « Pau Broadband Country » et la vision de J.M. Billaud (www.atelier.fr/article.php?artid=26797&type=Tribune). Les Homo Sapiens … ont fait deux très grandes révolutions dans l' Histoire... La première, il y a 10.000 ans avec le néolithique et sa révolution agricole, la deuxième plus proche de nous : la révolution industrielle il y a 250 ans. Nous allons donc vers notre 3ème Révolution qui sera liée aux nanotechnologies, aux « robo sapiens » …, aux énergies renouvelables, etc. C' est pour le milieu de ce Siècle, et l' Internet y jouera le rôle qu' a eu l' imprimerie entre la 1ére et 2éme Révolution… Pourriez vous décrire votre vision pour Pau ? Quel est votre rôle dans ce projet ? Pau, en fait, devrait être le modèle pour mettre en œuvre un nouvel écosystème basé sur une infrastructure à très haut débit, et devenir, comme dit André Labarrère son maire, " la Florence du 3ème millénaire ". Depuis le Néolithique il y a eu une bonne trentaine de civilisations régionales qui se sont toutes effondrées, en donnant à chaque fois naissance aux suivantes. Et à chaque fois, le creuset s' est fait dans un lieu inconnu au départ. Après Babylone, Rome, Florence, Manchester… pourquoi pas Pau ? Mon rôle dans cette affaire a été d' apporter quelques idées et de réunir autour de Pau les grandes sociétés de technologies du monde… Et naturellement les plus petites Le réseau optique devrait ouvrir en avril 2004. Deux autres projets devraient ensuite se mettre sur les rails : une ville nouvelle (nom de code Paulywood), et une zone d' activité dédiée aux « nouvelles nouvelles technologies » (nom de code Nanovalley). La ville du 3ème millénaire. D'après vous quels sont les traits distinctifs de Paulywood ? La gestion de cette ville, ou plutôt de ce nouveau quartier, sera considérablement améliorée, et l' Internet y sera non seulement le vecteur de la maison intelligente, mais aussi de la ville intelligente. De la domotique à la " citématique " en quelque sorte. De plus, Paulywood devra être, autant que faire se peut, non polluant. Le protocole IP + le protocole de Kyoto…. Les élus de l' agglomération de Pau Pyrénées réfléchissent actuellement pour implanter ce nouveau district sur une friche industrielle de 65 hectares au sud de la ville de Pau. Un bon millier de logements " intelligents " devraient y être construits. Ne devraient y être utilisées que des énergies renouvelables comme le solaire, la géothermie, la pile à hydrogène, etc. Avec le recyclage de tous les déchets, et des concepts nouveaux comme par exemple " l' IP feedback ". L' infrastructure IP de la ville permettrait en effet à tout un chacun de savoir en temps réel combien il consomme d' énergie, d' eau, etc… Des concepts à peu prés comparables existent en Suède par exemple (Hammarby Sjostadt à Stockholm). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 185 5.2. Télécommunications et aménagement du territoire Au sein des politiques liées aux TIC, la question des télécommunications est tellement importante qu’elle se confond parfois avec le projet de territoire numérique tout entier. Comparons les propos tenus le 3 juin 2004, lors d’un séminaire de la DATAR, par le délégué général N. Jacquet, à la plaquette du projet d’infrastructures « UTOPIA », de l’Etat de l’Utah (2003). C’est exprimer simplement et avec conviction la problématique géographique essentielle des télécommunications : l’information serait la matière première et le produit fini de la « nouvelle économie », la « téléaccessibilité » devient un concept vital pour les territoires. L’aménagement numérique est à l’aménagement du territoire ce qu’ont été les routes et le chemin de fer… N. Jacquet, Paris, 3 juin 2004 Broadband networks will be as critical to this new century as roads, canals, and transcontinental railroads were to the Nineteenth Century and the Interstate Highway System and basic telecommunications networks were to the Twentieth. www.utopianet.org/news/file-11.pdf 5.2.1. La problématique et les enjeux de la « fracture numérique » Elle est très bien illustrée par l’exposé de la rationale du programme « eCorridors » de l’Etat de Virginie (voir ci-dessous), qui est un bon exemple de ces discours à la logique sans faille : les acteurs des territoires sont engagés dans une compétition mondiale ; l’accès au savoir et à l’information est un facteur clé de compétitivité ; les territoires qui n’embrassent pas la « société de l’information » au même rythme que les autres sont donc condamnés au déclin ; or l’équation technico-spatio-économique des réseaux numériques défavorise certains territoires et leurs acteurs, avec un risque de divergence socioéconomique : c’est la « fracture numérique » ; donc, en vertu du principe de solidarité qui régit toute politique d’aménagement du territoire, les collectivités doivent agir sur cette inégalité ; étant donné que les opérateurs de télécommunication et fournisseurs de services ne desserviront pas les territoires les plus difficiles d’accès, les moins denses, ou les plus pauvres, sans incitations, sur la base du libre marché ; étant donné que que l’évolution de la technologie et de la législation abaisse certaines barrières à l’entrée de nouveaux acteurs dans la desserte des territoires en services de télécommunications, notamment la rente de situation dont bénéficiaient les opérateurs historiques ; on peut conclure que c’est aux collectivités de se substituer au marché. Strategic Technology Infrastructure for Regional Competitiveness in the Network Economy. Virginia Tech, 2003., eCorridors Program, www.ecorridors.vt.edu/research/papers/stircne/vol01-rationale.pdf Underpinning the new economy is access to advanced information and network Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 186 Regard géographique sur le paradigme numérique technology infrastructure... Regions having an advantage in knowledge workers and technology infrastructure are diverging in economic vitality from those that do not at an alarming rate. Ironically, in the context of technologies (…) designed to maximize distribution of information and economies of scope in computing capabilities, patterns of infrastructure deployment leveraging these technologies have instead led to the most significant concentration of production capacity and wealth in modern history. It is possible to leverage two critical circumstances: - First, state and federal regulators, legislators, and policy makers are beginning to comprehend the price their constituents are paying for the telecommunications industry’s rational reluctance to deploy technologies that do not sustain current ways of doing business and profit margins. Promises by these traditional players to meet new economy requirements for telecommunications services and protectionist pleadings are received with increasing skepticism and with more critical assessment. Policy is rapidly tilting towards accepting and encouraging innovators, new service providers and increased competition. - Second, new emerging optical, wireless, and “next generation” Internet technologies are eliminating the barriers-to-entry … for new players in the advanced network services industry (e. g. internet service providers, community cooperatives, electric utility companies, municipalities, new startup’s). La question de l’accès (géographique et non pas social) aux télécommunications, notamment dans les territoires ruraux, est une question sensible, qui a fait couler beaucoup d' encre, et pas seulement en France. Fuentes-Bautista (2001) a constitué une bibliographie de 225 références sur la question des télécommunications rurales. Dans le contexte américain, la question a été particulièrement étudiée par S. Strover (1999, Rural Internet Connectivity) et E. Malecki (2003, Digital development in rural areas: potentials and pitfalls). Pour la situation récente en Amérique du Nord, le rapport du Virginia Tech Institute (2003) constitue un document précieux, facile à compléter par une visite des sites Web des institutions concernées. En France, on peut mentionner, entre autres, le rapport 2001 de la société Tactis pour l' Observatoire des télécommunications dans la ville (Développement des réseaux d’opérateurs et territoires ruraux. Enjeux du haut débit et de la mobilité), et le Rapport Forissier sur la desserte du territoire par la téléphonie mobile et par l’Internet à haut débit (2002). Pour illustrer le débat, parfois assez virulent, sur le thème de la « fracture numérique » dont seraient victimes les territoires, nous avons choisi un exemple extrait du Journal du Net qui évoque les vicissitudes d’un couple parisien qui a tenté le « retour à la nature » en Haute-Garonne, mais s’est heurté à l’absence de couverture ADSL dans leur village. L’article proprement dit (encadré n° 23) pose bien le problème du point de vue technique et commercial. Mais le plus intéressant, ce sont les soixante réactions de lecteurs publiées sur le site, qui se partagent en deux groupes à peu près égaux. - D’une part, on trouve les « compatissants », sur le registre de « c’est un scandale…, que fait le gouvernement ?, France Télécom a une attitude honteuse etc. » (il est inutile de citer ces réactions, puisqu’elle constituent le discours dominant sur la scène médiatique). - D’autre part, on peut identifier le groupe des « réalistes critiques » (à notre avis le plus intéressant), qui s’étonne qu’un couple « journaliste + informaticien » découvre aussi tard la réalité des télécommunications en territoire rural, et veuille bénéficier des avantages de Paris, sans les inconvénients. Soit par exemple : Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 187 Chaque medaille a son revers. On ne peut pas toujours avoir le beurre l’argent du beurre et la crémière. Vous avez choisi de vivre a la campagne, ce qui a quelques avantages. Il faut en supporter les inconvenients, qui n' etaient pas des vices caches lors de votre decision Deux victimes de la fracture numérique qui sont soit-disant informaticien et journaliste ? … Franchement, ils n' ont que ce qu' ils méritent pour conséquence de leur incurie ! Parisianisme, sociocentrisme, réduction du problème de la fracture numérique à la seule question technique... Il faudrait arrêter l' hypocrisie. S’il était aussi simple d' aller vivre a la campagne tout en profitant de la technologie urbaine, pourquoi pensez vous, madame, que des millions d' imbéciles, parisiens ou autres, habiteraient en ville ? Les parisiens qui veulent vivre à la campagne en voulant continuer à bénéficier de tous les avantages de la ville me font bien rigoler... Ils voudraient le beurre, l' argent du beurre, et une subvention en supplément. Ces remarques, et leur virulence même, détonnent dans le paysage actuel, qui semble fait d’une belle unanimité. Qui, en 2004, oserait douter de la véracité des discours assénés d’une même voix par le gouvernement, les élus, les entreprises, la presse ? Discours tellement dominateur qu’il étouffe les tentatives d’évaluation critiques des enjeux. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 188 Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 23. Les péripéties de la fracture numérique en milieu rural. Un exemple en Haute-Garonne (www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39128204,00.htm). Témoignage: «La fracture numérique existe, je l' ai rencontrée» Vendredi 24 octobre 2003 Catherine T., une journaliste de 34 ans, a quitté Paris cet été pour élire domicile dans un village de Haute-Garonne. Elle raconte les péripéties de sa découverte de la "fracture numérique" à la française. « Comme deux millions de néo-ruraux, j' ai décidé de quitter la ville, sa pollution, son stress et son béton pour la campagne, son air pur, ses paysages et ses villages préservés. Mi-juillet, nous avons donc laissé derrière nous le 18e arrondissement de Paris avec l' idée de poursuivre nos activités professionnelles (journaliste et informaticien) dans d' autres conditions et par d' autres moyens. Nous avons trouvé la maison de nos rêves dans un village de 80 habitants du Lauragais, pays agricole à l' est de Toulouse. Pas de haut débit bien sûr, mais plutôt (nous allions le découvrir) du très bas débit un peu aléatoire : cinq tentatives pour se connecter, 28.8 kbps... Les annonces de France Télécom sur "l' Internet haut débit pour tous" nous ont fait espérer. Malheureusement, les cartes de déploiement de l' ADSL à l' horizon 2005 nous laissent dans une zone blanche. Sur le bord du chemin, ou plutôt de l' autoroute, puisque nous ne sommes qu' à 6 km de l' autoroute Toulouse-Montpellier et d' une ville connectée à l' ADSL, elle ! Quelles solutions pour sortir de cette impasse? Les offres commerciales satellites Wi-Fi annoncées par l' opérateur historique ayant pris du retard, nous optons pour un couplage ADSL Wi-Fi avec la ville voisine : une antenne sur un silo à grain, ou le toit d' une usine, renvoyant le signal sur le clocher qui le redistribuerait à notre village. Les habitants (enseignants, travailleurs sociaux, artisans, retraités, lycéens et étudiants) sont intéressés. Le maire nous donne son accord de principe, tout en accrochant les guirlandes pour la fête du village. Las ! Nous n' obtiendrons jamais d' autorisation, ni pour le toit de l' usine, ni pour le silo. Ce qui soulage le maire, à qui nous avons créé «beaucoup de soucis»: «Vous comprenez, les catholiques du village ont protesté, craignant pour le clocher !» Voyant la possibilité de se connecter en haut débit s' éloigner, nous décidons de prendre une ligne Numéris, en attendant. Nouvelle déception : c' est impossible, il n' y a plus de lignes libres ! En effet, notre village d' une quarantaine de foyers ne dispose que de 28 paires de fils permettant d' acheminer le signal ! Certains abonnés partagent donc, sans le savoir, leur ligne avec d' autres, grâce à des multiplexeurs. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 189 Enjeux économique, enjeux sociaux ? Le discours courant sur la « fracture numérique » évoque en général un phénomène d’enclavement, par analogie au secteur des transports. Quels sont les scenarii de l’enclavement, pour les entreprises, pour les institutions et collectivités publiques, pour les citoyens ? Poser cette question revient à poser la question des usages et des besoins. On évoque parfois le cas d’entreprises ayant quitté un territoire, (ou ayant menacé de le faire), faute d’un accès ad hoc à l’ADSL. L’attente des acteurs économiques des zones rurales non desservies devenaient de plus en plus forte. Le succès du raccordement de SITEPILOT redonne espoir à tous les responsables politiques et aux développeurs locaux des zones rurales. L’Ardèche est particulièrement concernée par la fracture numérique avec seulement 35 % de la population qui pourra accéder à l’ADSL à l’horizon 2005. Même si ces solutions satellitaires sont 5 fois plus coûteuse que l’ADSL à niveau de service équivalent, elles constituent une réelle solution alternative qui évitera des relocalisations d’entreprises. Cela a bien failli être le cas de SITEPILOT, entreprise de 5 personnes spécialisée dans la communication multimedia, qui s’était implantée dans une commune de 430 habitants pour bénéficier d’une qualité de vie exceptionnelle (communiqué de presse du Conseil général de l' Ardèche du 8 novembre 2002 à la suite de l’inauguration de la connexion satellitale de SITEPILOT). Il faut reconnaître que les exemples cités sont en général peu nombreux. On peut voir là un bon prétexte à l’obtention de subventions. Dans les hautes sphères de l’Etat, on évoque l’exemple de grandes entreprises comme Renault, qui pourraient imposer à leurs fournisseurs de travailler sur des plateformes communes, exigeant l’accès à un réseau à haut débit. Soit, admettons, 10 Mbits/sec au moins. Ces arguments sont peu convaincants. Quels sont ils, et où sont ils, ces fournisseurs qui, prêts à s’engager dans du travail collaboratif avec de grands groupes, et localisés dans des territoires ruraux, seraient incapables de se doter de liaisons louées optiques ou hertziennes (satellite) qui, toutes choses égales par ailleurs, ne leur coûteraient qu’une fraction de ce qu’ils épargneraient sur les coûts immobiliers et salariaux d’une métropole ? Le 19 octobre 2002, lors d’un forum sur l’utilisation des TIC dans l’industrie, le PDG de la société Chomarat119 (1200 personnes, Le Cheylard, Ardèche) s’exprimait sur l’utilisation des NTIC par son groupe, soulignant l’utilisation de la vidéo-conférence avec les filiales tunisiennes et irlandaise. Sans évoquer une quelconque fracture numérique120. Ce que certains demandent à leurs élus, demandes relayées ensuite en direction du gouvernement, c’est effectivement « le beurre et l’argent du beurre », c’est à dire les agréments de la campagne, mais avec les avantages de la ville. L’autre argument très souvent entendu est celui de l’accès aux téléservices, administratifs, scolaires, ou hospitaliers. Les têtes de réseaux que sont les établissements scolaires importants, les administrations, les hôpitaux, devront, c’est vrai, disposer du haut débit (c’est à dire 10 Mbits/sec ou plus, et non pas seulement 125 à 250 Kbits/sec en voie montante, comme c’est le cas avec l’ADSL, qui n’est pas considéré comme du haut débit au standard international). Mais les élèves qui 119 1200 personnes. Plastiques et tissus industriels spéciaux. Renseignements pris auprès de la société en juin 2004, l’entreprise utilisait alors un service de type « accès groupé Numéris », ainsi que des liaisons louées inter-sites, et également, depuis octobre 2003, l’ADSL. 120 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 190 Regard géographique sur le paradigme numérique voudront consulter les intranets scolaires, les administrés qui voudront remplir leur feuille d’impôt via le « Net » seront à l’aise avec l’ADSL, par exemple, qui couvrira à terme 95 % de la population française. Reste, alors, le fameux « Triple play » (Accès à Internet + Télévision + Téléphonie sous IP), qui, effectivement, réclame 10 Mbits/sec et plus. Et aussi les téléchargements de film, les jeux vidéo en ligne. Faut-il faire de ces applications ludiques un enjeu d’aménagement des territoires ? La question mérite d’être posée. Notre opinion est que l’aménagement du territoire est, fondamentalement, une question de création de valeur : donner les moyens aux acteurs locaux de créer de l’activité économique121 sans être par trop pénalisés par leur situation géographique. L’enjeu de ces aménagements ne doit pas être nié. L’accès aux réseaux à haut débit est une nécessité économique que personne ne remet en question. S’en priver serait d’autant plus regrettable que les investissements sont modestes, comparés à ceux des infrastructures de transport. Comme se plaisent à le rappeler les partisans de la fibre optique, le cablage d’un village coûte moins cher que le rond-point routier construit à l’entrée de ce dernier. 5.2.2. Le contexte juridico-technologique L’action des gouvernements et collectivités est nécessairement limitée par les réglementations nationales et supra-nationales (Commission européenne) sur l’exercice de la libre concurrence, dans un contex (s)Tj ncollectivité 5.5233 0locale Td (a)Tj le moyen 6.12366 0 Td (n)Tj4 0 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 191 5.2.2.1. Le cas français : l’article L. 1425.1 Jusqu’à cette année, la législation française était dominée par l’article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales (CGCT), qui permettait aux collectivités de créer à leurs frais des infrastructures, sous condition de les proposer en location ou en délégation de service public à un ou plusieurs opérateurs privés, dans des conditions de transparence et d’égalité. Le seul cas dans lequel les collectivités pouvaient offrir un service d’opérateur était la constitution d’un « groupement fermé d’utilisateurs » (GFU), « groupe qui repose sur une communauté d' intérêt suffisamment stable pour être identifiée et préexistante à la fourniture du service de télécommunications » (avis de l’Autorité de Régulation des Télécommunications (ART) du 30 mai 1997). Un GFU peut être constitué, par exemple, des hôpitaux, bâtiments administratifs et établissements scolaires d’une ville ou d’une région. Ces restrictions ont été en partie levées par l’adoption par l’Assemblée nationale le 8 janvier 2004, de l’article 1425-1 modifiant le CGCT (abrogeant l’article 1511-6), qui offre aux collectivités la possibilité, sous certaines conditions, de devenir opérateurs d’opérateurs, et même, dans certains cas, opérateurs de services (encadré n° 24). Ce texte réclamé de longue date par les élus est l’aboutissement d’un long processus législatif, qui avait débuté avec la loi de réglementation des télécommunications (LRT) du 26 juillet 1996 provoquant l’ouverture à la concurrence du marché des télécommunications. La réglementation sur le service universel se limitant, comme dans la plupart des pays, aux services élémentaires (téléphone filaire), les territoires les moins peuplés se sont retrouvés confrontés à la stratégie de rentabilité financière des opérateurs. La seule solution était, pour les collectivités locales, de prendre le relais des opérateurs défaillants. Les collectivités pourront donc désormais, non seulement poser de la fibre noire, ou des pylones, comme l’y autorisait la législation antérieure, mais aussi offrir des services (accès à Internet), après que la carence effective des opérateurs ait été constatée par « appel d’offre infructueux ». Cette loi facilitera également l’application de la décision de l' ART du 31 octobre 2002 qui permettait à des collectivités ou associations d’obtenir des licences expérimentales gratuites pour exploiter des réseaux locaux de type WiFi. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 192 Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 24. Extraits du « projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique » adopté par l’Assemblée nationale en deuxième lecture le 8 janvier 2004, modifiant le code général des collectivités territoriales (article 1425-1) www.assemblee-nat.fr/12/ta/ta0235.asp L' article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales est abrogé. Art. L. 1425-1. Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent … établir et exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de télécommunications au sens du 3° et du 15° de l' article L. 32 du code des postes et télécommunications, acquérir des droits d' usage à cette fin ou acheter des infrastructures ou réseaux existants. Ils peuvent mettre de telles infrastructures ou réseaux à disposition d' opérateurs ou d' utilisateurs de réseaux indépendants. L' intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements se fait en cohérence avec les réseaux d' initiative publique, garantit l' utilisation partagée des infrastructures établies ou acquises en application du présent article et respecte le principe d' égalité et de libre concurrence sur les marchés des communications électroniques… Dans les mêmes conditions qu' à l' alinéa précédent, les collectivités territoriales et leurs groupements ne peuvent fournir des services de télécommunications aux utilisateurs finals qu' après avoir constaté une insuffisance d' initiatives privées propres à satisfaire les besoins des utilisateurs finals et en avoir informé l' Autorité de régulation des télécommunications… L' insuffisance d' initiatives privées est constatée par un appel d' offre déclaré infructueux ayant visé à satisfaire les besoins concernés des utilisateurs finals en services de télécommunications. Quand les conditions économiques ne permettent pas la rentabilité de l' établissement de réseaux de télécommunications ouverts au public ou d' une activité d' opérateur de télécommunications, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre leurs infrastructures ou réseaux de télécommunications à disposition des opérateurs à un prix inférieur au coût de revient, selon des modalités transparentes et non discriminatoires, ou compenser des obligations de service public par des subventions accordées dans le cadre d' une délégation de service public ou d' un marché public. Mais l’action des collectivités locales doit aussi tenir compte de la réglementation européenne. On peut ainsi mentionner les « Lignes directrices relatives aux critères et modalités de mise en œuvre des fonds structurels en faveur des communications électroniques », adoptées par la Commission européenne le 28 juillet 2003, qui prévoient que le concours du FEDER « doit être en principe limité aux infrastructures, c' est-à-dire aux installations (fibres noires, gaines et pylônes,...) et aux équipements ouverts à tous les opérateurs et fournisseurs de services », dans les régions « rurales et éloignées, qui ne disposent pas d' infrastructures adaptées » ou dans les régions « où les incitations commerciales sont insuffisantes pour pourvoir à l’infrastructure adéquate permettant la mise en place d' applications avancées et de services d' intérêt général ». Certaines collectivités locales ont d’ores et déjà décidé de subventionner l’accès de leurs entreprises à Internet. Ainsi, la région Aquitaine propose aux PME situées dans des zones non desservies par l’ADSL de subventionner leur accès à une technologie alternative (satellite p.ex.) à hauteur de 1000 euros en investissement et 2000 euros annuels en fonctionnement (éventuellement renouvelables). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 193 5.2.2.2. Dans les autres pays européens et aux Etats-Unis Une des raisons d’un certain « retard français » est que la plupart des pays concurrents ont instauré depuis plusieurs années un droit d’intervention des collectivités locales en matière de réseaux, lorsqu’ils n’ont pas entrepris la construction de nouvelles infrastructures nationales, comme la Suède, qui a investi 285 millions d' euros dans la pose d’un réseau de fibre optique le long des câbles à haute tension. 170 communes122 suédoises, sur 289, exploitent des réseaux locaux qui leur appartiennent, et sont concédés à des exploitants privés par l’intermédiaire de contrats de délégations de service public. L’Etat soutient le développement des réseaux municipaux et accorde des réductions d’impôts pour favoriser l' équipement des entreprises. En Espagne, aucune limite ne restreint l’action des collectivités locales. Plus de trente d’entre elles avaient en 2002 une licence d’opérateur. Gérone (75 000 habitants) a construit en 1999 une infrastructure passive qu' elle loue aux opérateurs. A Valence, au contraire, c’est la ville qui loue les infrastructures d’un opérateur pour supporter sa propre licence et développer des services, comme l’accès à Internet et une boîte aux lettres électronique gratuite pour tous les habitants. Un projet similaire devrait voir le jour en Catalogne (770 communes) En Allemagne (comme aux Etats-Unis), les collectivités offrent souvent des services d’opérateurs par l’intermédiaire des entreprises municipales d' électricité. A Cologne, « Netköln », exploite un réseau auquel sont connectés 87 000 clients (Forissier, 2002). Aux Etats-Unis, le Télécommunication Act de 1996 a supprimé la distinction entre services locaux et aux services de longue distance, aboli la distinction entre opérateurs de télécommunications et opérateurs de la TV par câble. Les compagnies locales publiques qui exploitent les réseaux d’eau, de gaz et d’électricité, ou public utilities, jouent un rôle central. Selon le rapport « UT Digest » mentionné dans Site Selection magazine (Technology Wired Cities, janvier 2001, www.siteselection.com/issues/2001/jan/p43), 97 compagnies locales d’électricité américaines avaient fin 2000 des activités dans les télécommunications, offrant directement (opérateurs de services) ou indirectement (opérateurs d’opérateurs) de l’accès à la TV par cable ou à Internet. Et ce malgré le lobbying intensif des opérateurs de télécommunication pour que les Etats interdisent cette pratique, comme trois d’entre eux l’ont fait à ce jour. Une des particularités américaines est la multiplicité des opérateurs téléphoniques locaux (filaire ou mobile), qui sont souvent impliqués dans les projets des collectivités locales. L’initiative du National Information Infrastructure (NII) lancée en septembre 1993 avait favorisé la création du Telecommunications and Information Infrastructure Assistance Program (TIIAP), qui avait versé entre 1994 et 1996 79 millions de $ de subvention, complété par 133 millions de fonds non fédéraux (www.ntia.doc.gov ). Depuis, de nombreux Etats ont légiféré pour subventionner le développement des réseaux et pallier aux défaillances du marché. Ainsi, le Michigan a voté des incitations fiscales et des prêts bonifiés pour favoriser l’implantation de réseaux dans les zones mal désservies. En 1999, le Colorado a voté la loi HB 99 1102, dite « Community Incentive Fund », pour subventionner la création de points de présence et de boucles locales dans tous les comtés parcouru par les infrastructures nationales. 122 Les communes suédoises sont de vastes territoires comprenant parfois plusieurs agglomérations, de la dimension d’un pays ou d’un arrondissement français. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 194 Regard géographique sur le paradigme numérique 5.2.3. Télécommunications et développement local : une stratégie d’offre 5.2.3.1. Aux Etats-Unis et au Canada Dès le milieu des années quatre-vingt-dix, les télécommunications sont devenues « une stratégie réaliste de revitalisation » des villes et régions américaines (Kotval, 1999). Si nous laissons de côté les métropoles, qui ne relèvent pas de la même problématique (les logiques de marché ne rendent pas l’action publique indispensable), on peut dégager trois types d’actions : celles qui dépendent des public utilities dans des villes moyennes, les programmes dirigés par des organismes à but non lucratif (non-profit organizations), les programmes conduits par les Etats. Les villes moyennes : le rôle des public utilities L’atout des collectivités locales, aux Etats-Unis, nous l’avons dit, est de pouvoir transformer les companies publiques d’eau ou d’electricité (utilities) en fournisseurs d’accès à l’Internet et à la TV. Pour de nombreuses villes moyennes, la création d’un réseau de télécommunication performant est devenu un outil de développement et de promotion économique majeur, permettant de valoriser leurs principaux atouts économiques : - des coûts immobiliers deux à trois fois plus faibles que ceux des grandes métropoles ; - des charges salariales et fiscales moindres (ceci étant lié au point précédent) - un cadre de vie plus attractif (pollution, embouteillages) Parmi les exemples les plus souvent cités figurent ceux de Tacoma (Washington) et Lagrange (Géorgie). Mais on pourrait mentionner Ashland, dans l’Oregon, Prince Rupert, au Canada, le Comté de Chelan, dans le ; www.chelanpud.org/fiber/ ; Washington…(www.ashlandfiber.net www.citytel.net/internet/brdbnd/hispeed.html#background. Tacoma, 187 000 hab., est située à 50 km au sud de Seattle (elle fait partie de la région économique de Seattle, mais est située en dehors de la Metro). La ville a une solide tradition industrielle et portuaire (papeteries, 6e port de conteneurs de la côte ouest), et souhaitait bénéficier d’un processus de déconcentration de la métropole, victime de son dynamisme (loyers deux fois plus élevés qu’à Tacoma, embouteillages monstrueux). We could live anywhere we want, but we chose to come here to Tacoma," says Davis, founder and chairman of OnFree.com and InFree.com, one of the nation' s largest providers of free Internet access. "We originally started in Seattle, but it' s both hard and expensive to get high-speed Internet access there. It' s also hard to find people and space in the Seattle area because of the high costs, and plus Seattle is now one of the worst traffic cities in the United States, along with Los Angeles and Oakland." Site Selection Magazine, janvier 2001, www.siteselection.com Tacoma a décidé de faire des réseaux numériques un des piliers de sa politique de développement économique : le portail économique de la ville a pour nom de domaine www.wiredcityusa.com123. Depuis 1998, 1250 km de cable hybride (fibre + 123 On retrouve ici la dimension « marketing » du projet de territoire numérique. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 195 coaxial) ont été posés dans l’agglomération, pour un investissement d’environ 100 millions de dollars. Le projet est réalisé par la companie locale d' électricité Tacoma Power (qui appartient à la municipalité), et sa filiale Click! Network (www.clicknetwork.com). Click! Network est un opérateur d’opérateurs, qui ne délivre pas de service final, mais travaille en partenariat avec plusieurs fournisseurs d’accès. Depuis la naissance de Click! Network, près d’une centaine d’entreprises de l’économie numérique se sont implantées à Tacoma, dont Amazon.com (centre d’appel), OnFree.com et InFree.com (fournisseurs d’accès à Internet)124. Outre les entreprises, la municipalité veut également attirer un collège de l’Université du Washington, avec un objectif de 11 000 étudiants pour la fin de la décennie. Lagrange En 2000, Lagrange a succédé à Singapour pour le trophée de « The Intelligent City of the Year » décerné par la World Teleport Association (devançant Chicago, New York, Londres et Toronto). Lagrange, est située à 90 km au sud-ouest d’Atlanta. La ville abrite plusieurs grandes entreprises : Duracell, Kimberly-Clark, Mobil Chemical, Dow Jones/Wall Street Journal, Caterpillar, International Paper, Georgia Pacific…, et un centre de distribution de Wal Mart (112 000 m2). La municipalité a mis en place une infrastructure mixte : 90 km de fibres optique (OC-12 - SONET, 32 points d’accès125) desservent quarante gros consommateurs (entreprises et institutions) et un réseau local hybride fibre et cuivre de 240 km, permet d' offrir un accès à Internet aux 27 000 résidents. Le rôle des associations à but non lucratif (non-profit organizations) dans les régions rurales Les programmes dirigés par des associations à but non lucratif (non-profit) regroupant des collectivités, notamment rurales, sont trop nombreux pour être cités tous. On peut observer une grande diversité, que ce soit dans les échelles d’opérations, ou dans les modalités. La Missouri Network Alliance regroupe 14 petites compagnies téléphoniques locales. Son objectif est de desservir en priorité les territoires ruraux, à partir d’un réseau optique de 2000 km (www.mnatele.com). Dans le New Hampshire, Monadnock Connect, une non-profit organization, a lancé avec succès un appel d’offre pour relier 40 villes par un backbone OC-48 à 2,4 Gbits/sec. (www.monadnockbroadband.org) Le réseau Columbia Mountain Open Network, doit relier 140 villes et villages de Colombie britannique, dans une région qui ne bénéficie même pas de l’ADSL. L’objectif est de connecter toutes les écoles à 10 Mbits/sec (écoles rurales) ou 100 Mbits/sec (collèges et lycées), et d’offrir 1 Gbit/sec. aux institutions publiques et hopitaux (www.cmon.ca/index.html, www.sparwood.bc.ca/speed/index.htm) Dans le Comté rural de Graham, Kansas, le programme est piloté par Rural Telephone Inc., une coopérative créée en 1950 par un groupe de fermiers. Toutes les écoles sont déjà connectées à un réseau optique de 500 miles (www.ruraltelephone.com, www.ruraltel.net/gced/fiber.htm). Le comté de Newaygo, considéré comme le plus rural et le plus pauvre du Michigan, a créé le Newaygo 124 C’est un fait, mais une fois encore, il ne faut pas voir de lien causal direct entre l’infrastructure et l’arrivée des entreprises, motivées surtout par le facteur coûts d’investissement (immobilier éventuellement) et coûts opérationnels (location, salaires, fiscalité), auquel s’ajoutent la minimisation des externalités négatives par rapport à la métropole voisine (encombrements). 125 SONET = Synchronous Optical Network. OC = Optical Carrier. OC-1 correspond à 51,85 Mbits/sec. OC-12 permet 12 fois cette capacité, soit 702 Mbits/sec. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 196 Regard géographique sur le paradigme numérique County Advanced Technology Service (NCATS), chargé de déployer un réseau optique à un Ggbits/sec. pour connecter les écoles, les hôpitaux et les administrations (www.ncats.net/challenge_grant/abstract.html) Les programmes à l’échelle des Etats L’Etat de l’Iowa, fortement rural, a créé une agence « The Iowa Communications Network » (ICN) chargée du déploiement de 3000 miles de fibre optique à travers 99 comtés, ce qui placera la totalité de la population à moins de 15 miles du réseau. Des applications de vidéo-conférence ont déjà été mises en places entre les administrations de l’Etat (www.icn.state.ia.us). Connecting Minnesota est une initiative mixte, privée et publique, qui doit investir 195 millions de dollars dans la création d’une infrastructure le long des autoroutes, qui devrait mettre 80 % de la population de l’Etat à moins de 10 miles de cette dorsale. Dans l’Utah, 18 villes sont à l’initiative du programme UTOPIA (Utah Telecommunication Open Infrastructure Agency), lancé en 2003, qui doit comporter, une infrastructure optique passive de type FTTH (Fiber To The Home), et un ensemble d’interfaces locales d’interconnexion (répartiteurs) actives de type MPLS (Multi-Protocol Label Switching), qui permettent d’intervenir à distance, soit pour des changements d’opérateurs, soit pour augmenter les capacités du réseau, qui doit permettre de supporter une gamme variée de service : téléphone, TV, Internet (www.utopianet.org). 5.2.3.2. En France Les avancées législatives et technologiques font de la période 2003-2004 un tournant. Des métropoles aux plus petites communes rurales, les collectivités sont de plus en plus attentives à ce problème, même si la plupart sont en position d’attente ou d’observation des expérimentations conduites ici ou là. On remarquera que la France possède l’équivalent, en quelque sorte, des utilities américaines, sous la forme des syndicats intercommunaux ou départementaux d’électricité et d’équipement, qui, pour deux d’entre eux au moins (Ain et Ile de France), se sont dotés de compétences en matière de télécommunications. Une source de documentation précieuse est constituée par le dossier « haut débit et collectivités » sur le site de la SAEM Susinet126 : www.saemsusinet.net/dossiersthematiques/haut-debit.htm#ancre3. Depuis 2002-2003, on assiste à l’émergence de projets à un rythme accéléré. Le déroulement des opérations est souvent le même : constat de carence, vote d’un budget, appel d’offre, création éventuelle d’une SEM, signature d’une convention de délégation de service public avec une entreprise chargée de la commercialisation du réseau auprès des opérateurs de service. Les boucles régionales et départementales Depuis 2002-2003, les projets sont trop nombreux pour être développés tous. Certains projets sont destinés à répondre aux besoins d’un groupement fermé d’utilisateurs (GFU), comme le réseau Rhône-Alpin des établissements d’enseignement et de recherche Amplivia, ou le réseau Télémus en Champagne126 Société anonyme d’économie mixte créée le 4 septembre 2000 par Amiens Métropole, le Conseil Général de la Somme et la Ville de Saint-Quentin, pour le développement et la veille en matière de TIC et de développement local. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 197 Ardennes127. Mais les plus nombreux et les plus intéressants sont ceux qui doivent permettre à la plus grande partie des habitants et des entreprises d’un territoire d’accéder au réseau, en mettant à la disposition des opérateurs une infrastructure passive de type fibre noire, sous l’égide de l’article 1511-6 du CGCT (et bientôt du 1425-1 qui le remplace). Ce qui n’a pas été le cas du projet du département du Rhône, dont la structure juridique est très différente, puisque l’exploitation du réseau est concédée à un seul opérateur. En tout état de cause, on constate que ce sont les départements qui se sont le plus vigoureusement emparés du sujet. Une étude plus approfondie permettrait de savoir pourquoi. On peut avancer des hypothèses, liées à la plus grande étendue et à l’hétérogénéité des territoires régionaux, qui rend plus difficile, non seulement le dessin d’une infrastructure cohérente et pas trop coûteuse128, mais aussi et surtout la mise en œuvre politique du projet, par la multiplication des parties prenantes et le risque des conflits locaux : comment faire travailler ensemble la Moselle (Metz) et la Meurthe-et-Moselle (Nancy) ou les Alpes Maritimes (Nice), le Var (Toulon) et les Bouches du Rhône (Marseille) ? Car déployer une infrastructure optique, c’est décider d’un tracé, qui passera, ou ne passera pas, dans telle ou telle commune, telle ou telle zone d’activité. Il y a là, sans doute, une piste de recherche pour les années à venir : observer la constitution de ces réseaux, et leur interconnexion progressive – un domaine où les régions ont de toute évidence un rôle à jouer. Un projet pionnier : les « autoroutes rhôdaniennes de l’information » (ARI) Aujourd’hui pratiquement achevé, le projet des ARI a été lancé dès 1990, à l’initiative du sénateur R. Tregouët, vice-président du Conseil Général. Le maître d’ouvrage est le Syndicat rhodanien de développement du câble (SRDC) qui regroupe toutes les communes adhérentes. Le SRDC a confié la conduite du projet à un syndicat mixte, l’Établissement public pour les Autoroutes rhodaniennes de l’information (EPARI), qui a par la suite concédé l’exploitation du réseau à la société Rhône vision câble, filiale de UPC France. De novembre 1996 à décembre 2003, un réseau hybride (fibre + coaxial) a été déployé sur 3000 km (dont 1600 km de tranchées). Début 2004, 279 communes (dont certaines de 60 habitants) sont reliées au réseau, soit la quasi totalité des communes situées en dehors de l’agglomération lyonnaise129. Le coût du réseau, 227 millions d’Euros, a été pris en charge à 70 % par UPC France qui propose à 270 000 foyers de la téléphonie, de la TV par cable, et de l’accès à Internet. En échange de la desserte des secteurs les plus ruraux du département, le Conseil général du Rhône a pris en charge 30 % du financement. Dix pour cent de la bande passante sont réservés pour la desserte gratuite des écoles et institutions publiques du département (1500 sites, dont 162 collèges et 300 écoles (www.rhone.fr/noheto/ebn.ebn?pid=12&pthm=5&prub=80&pnfo=68). Cette infrastructure ne dessert toutefois que les bourgs centres, ce qui laisse à l’écart 30 % de la population des zones rurales. Aussi le département a-t-il lancé le programme « Rhône sans fil », basé sur la technologie WiFi (www.rhonesansfil.net), pour lequel l’association du même nom a obtenu de l’ART une licence d’opérateur 127 420 km de fibres optiques déployées par 9 Télécom, investissement de 8 millions d’Euros, opérationnel fin 2003. 128 Comme on le voit sur les illustrations suivantes, un réseau de collecte qui veut irriguer toutes les zones d’activités d’une grande agglomération ou d’un département est déjà d’un tracé complexe. 129 Communes non adhérentes : communes du plan câble (Bron, Décines, Lyon, Meyzieu, Saint-Fons, Saint-Priest, Villeurbanne), communes câblées individuellement : SaintGermain-au-Mont-d’or, Tarare, Vénissieux, Villefranche. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 198 Regard géographique sur le paradigme numérique expérimental Wi-Fi. Sur soixante secteurs du département, les réseaux WiFi (2 km de portée à vue) seront connectés à des points hauts (mairie, école, éventuellement Pylone) sur le cable des ARI, puis concentrés vers deux lieux d’interconnexion au réseau Internet : le centre ERASME de St. Clément-les-Places et le GIX Lyonix situé sur le campus de la Doua (Lyon-Villeurbanne). Rhône sans fil propose une connexion à l’Internet de 1 Mbit/s symétriques pour 44 euros TTC mensuels. 150 clients sont escomptés pour la fin de l’année 2004, dont une moitié de PME dans des secteurs les plus divers, du textile à l’informatique. Le projet des ARI comporte aussi un volet éducatif (applications pédagogiques de type cartable électronique), qui s’appuie sur le centre d’expérimentation ERASME, implanté à St. Clément les Places, dans les Monts du Lyonnais. Le département du Maine-et-Loire a signé le 12 décembre 2003 la délégation de de service public de 20 ans qui lance le projet Melis@. Une infrastructure optique passive de 640 km, opérationnelle en 2005, sera construite, exploitée et commercialisée par un concessionnaire constitué en société par action, un consortium formé par Vinci-Networks, SAGEM, Cofiroutes etc. (figure n° 44). Une des particularités de ce réseau, d’un coût en investissement de 28 millions d’Euros, est de reposer en partie sur les pylones de transport d’énergie électrique de RTE (filiale de EDF), pour laquelle ce réseau constitue un projet pilote. Dans le département de l’Oise, une délégation de service public a été obtenue début 2004 par LDcable (groupe 9 Telecom), pour la couverture complète du territoire, associant trois réseaux métropolitains principaux (Beauvais, Compiègne et Creil) et des boucles secondaires, plus 18 réseaux locaux sans fil (figure n° 45). Soixante zones d’activités doivent être raccordées au réseau. L’investissement doit dépasser 50 millions d’Euros. Un groupement d’entreprise, Téloise130, sera chargé de l’administration et de la commercialisation du réseau (www.cg60.fr/cg60/Groups/espace_dircom/lactu_du_cg60/les_communiques_de_p/l dcable_va_deployer ). Dans l’Ain, c’est le Syndicat intercommunal d’électricité de l’Ain (dont les statuts ont été modifiés le 10 juillet 2003 pour qu’il puisse exercer des compétences d’opérateur) qui devient maître d’œuvre de l’équipement en infrastructure de télécommunications. Une boucle optique de 350 km qui sera loué aux opérateurs de services doit relier les « points actifs » du département (Entreprises Rhône-Alpes, juillet 2003 - n° 1464). Dans le département de la Moselle, un réseau optique de 800 km d’une capacité maximum de 40 Gbits/sec. sera construit par Sogea (groupe Vinci) et Alcatel, pour être ensuite loué aux opérateurs. Le budget est de 83 millions d’Euros (dont la moitié à la charge des collectivités), pour une mise en service prévue en 2006 (www.zdnet.fr, 7 juillet 2004). La région Limousin a mis en place en 2003 un syndicat mixte régional, dénommé « DORSAL » (Syndicat mixte pour le Développement de l' Offre Régionale de Services et de l' Aménagement des télécommunications en Limousin). L’objectif est de déployer un réseau de 625 Km desservant 25 villes de la région. La procédure de délégation de service public a été lancée en janvier 2004, et les travaux doivent débuter fin 2004 (http://dorsal.unilim.fr). Tous ces projets ont pour but de réduire ce que certains appellent une « fracture numérique » entre la plus grande partie des territoires des régions, et les 130 LDcable sera l’actionnaire de référence, avec la Caisse des Dépôts et Consignations ou encore le Crédit Agricole de l’Oise. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 199 métropoles, qui sont dotées de boucles locales de type MAN, qu’elles soient déployées par les acteurs privés ou par les collectivités locales. Dans les métropoles : exemple de Paris, Nantes et Toulouse Les communes de la Petite Couronne parisienne (4 millions d’habitants) s’étaient regroupés en syndicat pour la gestion de la fourniture d’électricité dès 1924. Depuis 1997, le SIPPEREC (Syndicat Intercommunal de la périphérie de Paris pour l' électricité et les réseaux de communication) exerce une compétence en matière de télécommunications, qui s’est traduit, notamment, par la création d’IRISE, boucle métropolitaine de 276 Km qui dessert 80 communes (un POP dans chaque commune), achevée en 2002 (figure n° 46). La délégation de service public (2000) a confié à 9 Télécom une concession de 18 ans pour l’exploitation de cette infrastructure ouverte aux opérateurs de télécommunications, qui peuvent louer de la fibre noire pour déployer des services (9 Télécom joue ici le rôle d’opérateur d’opérateurs). A Nantes, le réseau O-méga comporte 170 km de fibre optique, reliant 300 sites, pour un budget de 12 millions d’Euros (figure n° 47). Ce réseau est destiné en priorité à trois groupements fermés d’utilisateurs (GFU) : collectivités territoriales, établissements de santé, enseignement supérieur et recherche, qui bénéficient de débits allant de 10 Mbits/sec à 1 Gbits/sec. Le réseau doit être connecté avec « Mégalis », le réseau régional des Pays de la Loire et de la Bretagne. Les surcapacités du réseau sont louées à des opérateurs privés. Les établissements non desservis par la fibre optique sont raccordés par BLR, ADSL, faisceau hertzien ou liaison louée à 2 Mbits/sec. (www.01net.com/article/237365.html). La communauté d’agglomération du Grand Toulouse a financé la construction de « l' Infrastructure Métropolitaine de Télécommunications » (IMT), achevée depuis 2001. L’IMT est constituée de 5 boucles (77 km au total) de 144 fibres optiques qui peuvent acheminer 2,5 Gbits par paire. Cette infrastructure passive (fibre noire) est ensuite louée aux opérateurs (une trentaine, potentiellement). Ce réseau, qui doit être étendu à 220 km, a coûté 7,6 millions d’Euros. L’exploitation, la supervision et la commercialisation du réseau ont été confiées à une société spécialisée, Garonne Networks, filiale de Vinci131 et de la Caisse des Dépôts. - Avec l' IMT, la Communauté d' Agglomération offre aux entreprises de son territoire des conditions de compétitivité égales à celles de leurs concurrents et favorise le développement du secteur des Technologies de l' Information et de la Communication. - Ce réseau est mis à disposition de tous les opérateurs télécoms. Il offre une garantie d' accès à tous les secteurs géographiques du Grand Toulouse dans des conditions techniques et tarifaires optimales pour chaque utilisateur. - L' IMT est financé par le Grand Toulouse. Ce réseau s' inscrit dans le cadre de la politique locale d' aménagement du territoire et de développement économique. Le Grand Toulouse, la Région Midi-Pyrénées et les huit départements qui la composent, envisagent l' interconnexion de tous leurs futurs réseaux d' infrastructures en fibres optiques dans un but de continuité de service. www.grandtoulouse.org/index.php?pagecode=73 131 Leader mondial de la construction et de l’exploitation d’infrastructures concédées (autoroutes, parkings…). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 200 Figure n° 44 Regard géographique sur le paradigme numérique Le réseau Melis@, département de Maine et Loire Figure n° 45 Le réseau Téloise, département de l’Oise www.cg60.fr/cg60/Groups/espace_dircom/lactu_du_cg60/les_communiques_de_p/reseau_h aut_debit_da_10787590058280) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 46 Le réseau IRISE (www.sipperec.fr) Figure n° 47 Le réseau IMT (www.grandtoulouse.org/index.php?pagecode=73) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 201 202 Regard géographique sur le paradigme numérique Les villes moyennes, petites villes et bassins d’emploi ruraux : quelques exemples Un projet pionnier : Castres-Mazamet Une des expériences les plus précoces, les plus connues et les plus étudiées (Puel & Vidal, 2003) est celle du bassin de Castres-Mazamet, qui a eu les honneurs du quotidien Le Monde dès le 8 déc. 1998. L’argument principal du projet était la pérennisation de l’implantation locale des laboratoires Pierre Fabre, le premier employeur d’un bassin d’emploi de 85 000 hab., mal relié à Toulouse (76 km. sans autoroute ni voie rapide). La réalisation du projet a été déléguée à une société anonyme d’économie mixte, Intermédiasud, dont le tour de table était composé des villes de Castres, Mazamet et Labruguière, de la Communauté d' Agglomération Castres-Mazamet, des laboratoires Pierre Fabre, des Chambres de Commerces et d' Industries, de la Caisse d' Epargne, de l’Office public des HLM et de PME/PMI. 90 km de boucle optique à 155 Mbits/sec. ont été posés le long de la voirie et la zone économique « Causse Espace d’Entreprise » a été pourvue d’un téléport (www.villecastres.fr/html/entrep/numerique.htm). Pau, un projet d’avant-garde : Gigabit Ethernet et « Fiber to the Home » Le « Pau Broadband Country » (figure n° 48) entré en phase opérationnel en 2004, représente un saut technologique (et en termes de rapport qualité/prix pour les utilisateurs) par rapport à tout ce qui s’est fait en France jusqu’à présent : le réseau est structuré autour d’une boucle locale Gigabit Ethernet de 44 km (2,5 Gbits/sec.)132, dont la ville est le propriétaire ; surtout, le projet prévoit le raccordement complet des ménages et des entreprises en fibre optique « de bout en bout » (FTTH) avec un débit potentiel maximal de 100 Mbits/sec. Par ailleurs, le programme prévoit le déploiement, sous l’égide de l’article 1425-1 du CGCT, d’une plateforme complète de services : Accès à Internet ; Téléphonie sous IP ; TV et radio sous IP ; Location de vidéos de qualité DVD parmis un catalogue de 3500 documents et de mp3 diffusés sur le réseau (équivalent du Kiosque Canal +) ; Visio conférence (pour les entreprises). Le délégataire de service public est la Société Paloise pour le Très Haut Débit (SPTHD), qui sera chargée de la commercialisation auprès des opérateurs de service. La convention de délégation a fixé comme objectif le raccordement optique de 37 000 logements et sites. D’ici 2007, 80 % des habitants de Pau devraient bénéficier d’une connexion à 10 Mbits/sec. (descendants), pour 30 Euros par mois (c’est le prix actuel d’une connexion ADSL à 125 Kbits/sec.). Les entreprises disposeront jusqu’à 100 Mbits/sec. pour 70 à 90 Euros mensuels. Par ailleurs, le dégroupage total des centraux de France Telecom et leur connexion à la boucle locale d’agglomération permettront de proposer à tous les habitants une solution ADSL transitoire à 5 Mbits/sec. en réception et 1,5 Mbits/sec. en émission (http://eco.agglo-pau.fr/Initiatives/PBC/pbc.htm). Nous avons présenté ci-dessous des extraits légèrement expurgés (le langage des jeunes internautes n’est guère châtié) d’un forum qui montre, d’une part, le 132 Maître d’œuvre : SAGEM-Vinci. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 203 caractère révolutionnaire du projet, et d’autre part les réactions ironiques qu’il suscite de par le fait que, pour une fois, ce n’est pas Paris qui se situe à l’avantgarde du progrès technique. Figure n° 48 Schéma technique du « Pau Broadband Country » (PBC) (source : http://forum.hardware.fr/hardwarefr/WindowsSoftwareReseaux/sujet-146515-1.htm Le très haut débit à Pau : une petite révolution chez les internautes (orthographe non corrigée) oui, bientot fini pour moi ADSL en tres bas debit a 512/128 de chez wanadoo, le 13 avril 2004 j' aurais le haut debit PBC a 100 megabits Je suis etonné, avec PAU il y a que 5 villes au MONDE ! qui possedent une connexion à 100 megabits, en agglomération C’est clair que dans votre ville, c’est la fin de ADSL et de France Telecom enfin plus d' abonnement telephonique chez FT ! cette annonce pour ce departement c’est du tout bon! cela va faire boule de neige pour les autres villes c' est clair que la ville de PAU maintenant, va attirer des starts up grace a ce haut debit (hors-norme) en France en cours notre prof en Ingénierie nous a annonce que Microsoft s' installera a PAU comme centre europeen… la Marque toshiba est prevu aussi de debarquer pour vous Palois c tout bon pour les taxes professionnel et le chomage.... c' est etrange partout les internautes gueulent pour avoir du haut debit a bas prix, et quand une ville le fait la Premiere en France … Cela me dégoûte, les paysans avec leurs vaches à Pau n' ont pas le droit d' avoir un 133 débit 5 à 50 fois plus fort qu' à Paris ! PBC = Prime à la Brebis et à la Chèvre ce genre de jalousie a ete pareil lors du debut de ADSL en France Et pour finir, pour une fois que ca viens pas de PARIS (hihihi), cette initiative, mais d' une petite ville de 150 000 Habitants, a 1 heure de la mer et de la montagne. http://forum.hardware.fr/hardwarefr/WindowsSoftwareReseaux/sujet-146515-1.htm 133 Sigle officiel en vigueur dans le domaine des aides agricoles (nous précisons). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 204 Regard géographique sur le paradigme numérique Au Pays Basque La communauté d’agglomération de Bayonne-Anglet-Biarritz s’est dotée en 2003 d’une boucle locale opérée par 9 Télécom, qui a investi 20 millions d’Euros. Les pépinières d’entreprises de Mauléon, Saint-Palais et Hasparren sont reliées à ce réseau par liaisons satellite et Wi-Fi, dans le cadre d’une expérimentation soutenue par le CNES de Toulouse, l’Agence Pays Basque des NTIC, la Région Aquitaine (40%) et le FEDER (www.antic-paysbasque.com). Dans les territoires du « rural périphérique » Comme nous l’avons écrit dans le chapitre 2, 10% de la population française, vers 2006, ne pourrons pas bénéficier de l’ADSL dans des conditions commerciales normales. La technologie la plus adaptée pour ces territoires, est celle du couplage entre une liaison satellite et un réseau local de type WiFi. Ce qui suppose une action collective. Plusieurs expériences sont en cours, comme dans le département du Rhône (Monts du Lyonnais), que nous avons déjà évoqué. L’exemple de Camps-sur-l' Agly (56 habitants), choisi par le Conseil général de l’Aude comme village test, est particulièrement instructif. Une parabole installée sur le bâtiment de la mairie capte le signal satellite (2 Mbits/sec. en réception, 512 Kbits/sec. en émisssion) et le renvoie vers un routeur-emetteur WiFi qui alimente ensuite les installations des particuliers. Coût de l’équipement : 3 200 euros HT. Le coût de l' abonnement par habitant est de 26 euros par mois, avec location d' une carte Wi-Fi Le maître d’œuvre du projet est une entreprise locale de services, Nostre Pais (www.agly.fr.fm, www.01net.com/article/237364.html). A Montesquiou (290 habitants) dans le Gers, un entrepreneur de retour au pays a investi 140 000 Euros dans la création d’un réseau local WiFi, avec pour objectif de desservir cinq villages et 5000 habitants (Le Journal du Net, 22 mai 2003). Conclusion Incontestablement, une dynamique s’est enclenchée en ce qui concerne l’engagement des collectivités locales dans la mise en place d’infrastructures de télécommunications à haut débit. Si tous les territoires ne sont pas au même degré d’avancement, on peut dire qu’aujourd’hui, les télécommunications ont pris pleinement leur place dans les politiques publiques d’aménagement en infrastructures. Si on compare l’exemple américain et l’exemple français, on constate que les collectivités des deux pays sont engagées dans des projets similaires, avec des armes juridiques assez comparables. On pourrait en dire autant des autres pays d’Europe occidentale. Aujourd’hui, les technologies, la législation, sont susceptibles d’apporter des solutions viables à la presque totalité de la population et des acteurs des pays développés. A moyen terme, il est probable que le citoyen et l’entreprise européenne ou américaine pourront disposer, au minimum, et à un coût raisonnable (20 à 30 Euros mensuels), d’un accès « illimité » à 250 Kbits/sec., voire 500 ou 1000 Kbits/sec., et ce indépendamment de leur situation géographique. Mais la quête de la télé-accessibilité est sans fin, par définition. Celui qui dispose de 250 Kbits/sec voudra 1 Mbits, celui qui dispose d’un Mbits en voudra 10 pour bénéficier du triple play, etc. Dès lors, on est conduit à revenir aux enjeux évoqués dans l’introduction de cette section, et à la portée de ces aménagements. Si on prend l’exemple du réseau de Castres Mazamet, la conclusion de la note de recherche publiée par G. Puel et M. Vidal (2003) est que cet aménagement n’a pas eu d’effets moteurs sur le développement économique du territoire. Très peu de créations d’emplois peuvent Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 205 lui être imputées. Comment, dès lors, mesurer le retour sur investissement ? Les commentaires optimistes du forum Internet sur l’arrivée prochaine à Pau de startups et d’entreprises phare du secteur des TIC sont-ils fondés ? On se situe, comme dans le cas du télétravail, dans la délicate analyse d’un phénomène par défaut : la question n’est pas tant de connaître le nombre d’emplois créés, que le nombre d’emplois sauvegardés. Par ailleurs, quand bien même des emplois auraient été créés, comment mesurer la part de responsabilité du réseau de télécommunication dans les phénomènes d’attraction ? On en revient à la position la plus courante, qui est celle de P. Veltz notamment, à savoir que l’effet structurant des télécommunications opère par défaut : les réseaux à haut débit feront sentir leurs effets, négatifs, là où ils ne seront pas déployés. Ce mécanisme de l’effet par défaut n’est pas propre aux télécommunications. Comme nous l’avons déjà dit, les effets structurants des transports ont été souvent remis en question (Offner, 1993). Il n’en reste pas moins qu’une offre diversifiée et compétitive de services en télécommunications fait désormais partie des aménités que tout territoire soucieux de son développement doit offrir à ses citoyens, ses administrations et ses entreprises. Mais l’infrastructure de télécommunications, l’accès à Internet à haut débit, ne sont pas le seul et unique modus operandi par lequel se matérialise ce qu’on appelle « l’aménagement numérique des territoires ». La société dite « de l’information », et tout particulièrement l’économie numérique, semblent avoir besoin d’espaces dédiés, qui sont aussi des lieux emblématiques, ceux que S. Graham appelle des « networked premium spaces ». La production de ces lieux définit ce que nous appelons « l’urbanisme numérique ». Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 206 Regard géographique sur le paradigme numérique 5.3. Effets de lieux : numérique » l’émergence d’un « urbanisme Le déploiement de réseaux de télécommunications dans les villes est déjà, à bien des égards, de l’urbanisme. Mais ce qui nous semble encore plus révélateur de l’émergence d’un « urbanisme numérique », ce sont des politiques qui aboutissent, à la création de lieux, d’espaces, de quartiers, qui sont dédiés à l’usage des TIC. Nous verrons que l’on se situe dans un domaine où il est artificiel de distinguer le contenu idéel et le contenu réel : les usages des TIC sont la raison d’être de ces opérations, mais le paradigme numérique est au cœur de ces projets en tant que producteur de sens et support de marketing. Le concept même d’urbanisme numérique est paradoxal, en ce sens qu’il ne peut être compris sans le recours à « l’effet de lieux », qui est l’antithèse du télé-accès. Nous avons amplement développé dans le chapitre 4 le rôle des relations de face à face, et des phénomènes d’agglomération dans le « bruissement informationnel » constitutif des milieux d’affaire, d’innovation, de créativité. Ainsi, pour que les territoires puissent bénéficier des réseaux de télécommunications qu’ils déploient, il faut que des espaces bien réels soient produits, pour devenir des lieux privilégiés de production et de consommation de ces nouvelles technologies, en étant, non pas seulement des lieux d’interconnexion de réseaux numériques, mais aussi des carrefours de rencontres entre les individus. Le deuxième facteur qui justifie la création de ces lieux, est la quasi invisibilité des réseaux et des flux de télécommunication. En créant ces lieux de consommation, de production, de rencontre, l’aménageur crée des objets urbains visibles, emblématiques, qui viennent matérialiser un projet de territoire numérique au yeux des investisseurs et des usagers (qui sont électeurs et contribuables). Qu’il soit présenté sur Internet sous forme de maquette numérique 3D, ou, plus tard, sous sa forme « verre, acier et béton » définitive, le projet d’urbanisme numérique est aussi, dans tous les cas, une opération de marketing. Dans notre étude sur les politiques publiques liées aux TIC dans les territoires ruraux de la région Rhône-Alpes (Moriset, 2000-c), nous avions souligné le rôle central de la création de ces lieux et espaces, qu’il s’agisse des centres multimédia des Inforoutes de l’Ardèche, ou du centre expérimental e Titesci d (l)Tj éaite 2.40144 e n 0 6 0 Td ( )Tj 5.28316 0 Td (l)Tj Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 207 pays occidentaux, l’heure n’est plus guère aux grands projets futuristes, surtout depuis la crise de 2000/2001. Dans un contexte moins interventionniste, il s’agit surtout de consolider la numérisation des métropoles en offrant des espaces de travail aux entreprises. Les projets sont plus orientés vers le renouvellement urbain. Dans une troisième sous-section, nous évoquerons deux exemples d’utilisation des TIC pour la gestion du territoire, dans le domaine de la régulation des transports et de la vidéo-surveillance urbaine. Un aspect de l’utilisation des technologies qui présente l’intérêt de poser le problème du risque de l’envahissement de la société par le « panopticisme » numérique. On veillera à ne pas confondre urbanisme numérique et « urbanisme des systèmes d’information », qui n’est absolument pas de l’urbanisme au sens propre, c’est à dire une science de la ville, mais une science de l’organisation des entreprises, qui cherche à comprendre et améliorer les système d’information d’entreprise, en utilisant les méthodes de l’urbanisme de la ville (cf. Club Urba-SI, 2003. Pratiques de l'urbanisme des systèmes d'information en entreprises, Paris, Publibook, 174 p.). 5.3.1. Dans les pays émergents : la multiplication des projets de « district multimédia » Dans les pays émergents d’Asie, une des tendances fortes des politiques d’aménagement et de développement économique métropolitain est la création ex nihilo de territoires numériques, qui vont du parc scientifique évolué à des villes nouvelles dédiées au numérique et à ses usages. Ce phénomène a déjà attiré l’attention des chercheurs en géographie, avec notamment K. Corey (1998, 2000) et T. Bunnel (2002). Il correspond à un contexte particulier de développement : forte croissance économique, démographique et urbaine, point de départ très bas de la nouvelle économie. Cette pratique volontariste vise à sauter les étapes. Elle rappelle un peu la stratégie de « l’industrie industrialisante » des années soixantedix (qui s’est avérée un échec dans la plupart des cas). Elle pose le problème de l’insertion de ces projets dans le tissu économique et social du reste du pays, problème plus sensible dans les pays vastes, où le niveau de vie moyen est bas (Malaisie, Chine, Inde), moins grave à Singapour, Hong Kong ou en Corée. Nous présentons ci-après quatre exemples particulièrement significatifs, en Malaisie, Corée, à Hong-Kong et Dubaï. On aurait pu aussi parler de Shangai (district de Pudong), Pékin (International Media Street, district de Zhongguancun), Taïpei (Hsin-Chu Science-based Industrial Park), voire d’opération moins ambitieuses et moins intégrées, comme l’International Tech Park de Bangalore. 5.3.1.1. Le Multimédia Super Corridor de Kuala Lumpur Le Multimedia Super Corridor est la concrétisation la plus importante du projet du gouvernement malais, sous l’impulsion de l’ancien premier ministre M. Mahatir, de faire entrer le pays dans « l' ère de la société de l' information mondialisée »134. As a strategy to achieve the vision, Malaysia has embarked on an ambitious plan to leapfrog into the Information Age by providing intellectual and strategic leadership (www.msc.com.my). 134 Pour reprendre le terme consacré par la sphère politico-médiatique. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 208 Regard géographique sur le paradigme numérique Le projet s' étend sur un territoire de 50 km de long et 15 km de large, entre le CBD de Kuala Lumpur (avec les immeubles emblématiques que sont les tours Pétronas, les plus hautes du monde) et l' aéroport international de Kuala Lumpur, inauguré en 1998. Entre ces deux pôles s' étendent les deux « villes intelligentes » (smart cities) de Putra Jaya et Cyberjaya (figure n° 49). La première doit abriter notamment le siège du gouvernement fédéral et sera la tête de réseau pour un ambitieux projet d' administration électronique à l' échelle du pays. La seconde est une ville technologique entièrement dédiée aux TIC et au multimédia, dans le domaine des entreprises de pointe, des services publics et de la formation (Université du Multimédia), et du secteur résidentiel (28 000 logements pré-cablés prévus pour 120 000 habitants). Le projet sur ces deux villes a couté plus de 8 milliards de dollars entre 1995 et 2002. L' ambition économique du MSC est de fournir un environnement global favorable aux entreprises de TIC : contraintes administratives et fiscales réduites au minimum, infrastructures et services de transport et de télécommunication du meilleur niveau, cadre de vie agréable, ressource humaine de qualité. Le modèle économique et politique du MSC est ouvertement celui du libéralisme mondialisé. Le MSC abrite fin 2002 plus de 689 entreprises statutaires, 24 institutions de formation supérieure et 4 incubateurs. Ces entreprises couvrent l' ensemble du secteur des TIC, notamment le logiciel (250 entreprises), les services Internet (160 entreprises env.), le développement de contenu multimédia (84 entreprises), la fabrication, la conception et l' intégration de systèmes (101), les télécommunications (54), l' enseignement et la formation (45), la production audio-visuelle (21)... Un tiers sont des entreprises étrangères, dont plus de 50 d' échelle mondiale (figure n° 50). Pour bénéficier du statut de membre du MSC et des avantages qui y sont liés en matière d' installation et de services, les entreprises doivent satisfaire à un cahier des charges précis, qui détermine le secteur d' activité (l' industrie manufacturière, le consulting, le commerce - même de produits informatiques - sont bannis). Le MSC dispose d' un puissant réseau de télécommunications, avec une capacité d' accès au réseau mondial de 2,5 Gbits, extensible à 10 Gbits. Le MSC héberge un GIX qui permet le peering entre les opérateurs présents sur les divers sites. Tous les immeubles sont précablés, certains dotés de la capacité WiFi Critères d'éligibilité au statuts du Multimedia Super Corridor : To qualify for MSC Status and its benefits, an applicant must comply to 6 eligibility criteria: 1.Be a Provider or a Heavy User of Multimedia Products and Services. 2.Employ a substantial number of knowledge workers. 3.Provide technology transfer and/or contribute towards the development of the MSC or support Malaysia' s k-economy initiatives. 4.Establish a separate legal entity for the MSC qualifying multimedia business and activities. 5.Locate in a MSC designated cybercity; 6.Comply with environmental guidelines (www.msc.com.my) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 49 Le " Multimedia Super Corridor" (www.msc.com.my) Figure n° 50 La croissance du pôle technologique du Multimedia Super Corridor (www.msc.com.my) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 209 210 Regard géographique sur le paradigme numérique 5.3.1.2. Seoul Digital Media City (DMC) Le plan de développement du DMC a été dévoilé en avril 2000. Ses 54 ha. font partie d’un programme plus vaste, le Millennium City Development Project, qui s’étend sur 6,6 km2, et inclut notamment le World Cup Park et le Seoul World Cup Stadium135. Une autoroute permet de rejoindre en 30 minutes le nouvel aéroport international de Seoul-Incheon. La stratégie du DMC est de créer un pôle intégré concernant l’ensemble des secteurs de l’économie numérique, pour faciliter les externalités de convergence et synergies, mais aussi incluant l’usage expérimental et exemplaire de ces technologies, grâce à la Sangam Housing Zone (38 ha. et 4500 appartements) qui comprend services éducatifs et médicaux. L’infrastructure de télécommunication est prévue pour pouvoir offrir jusqu’à 52 Mbits à toutes les entreprises ou résidents, grâce à une connexion directe de l’ordre du Tbits/sec. aux backbones Internet mondiaux. De plus, l’ensemble de la zone pourra bénéficier d’une couverture mobile de type WiFi. Parmi les équipements ou projets phares du programme (encadré n° 25), on peut noter - l’hébergement d’une antenne du Media Lab du MIT ; - la création d’un Digital Culture Content Promotion Center ; d’un Internet broadcasting center ; d’une cyber-université. DMC is designed to be a hi-tech city of information that will become an international mecca of everything from the media world to the grand stage of economy, culture and environmental friendly environment. Objectives: - Construct an exclusive information metropolis for local and global high-tech digital media corporations which would serve as the high-tech hub of Northeast Asia - Create a futuristic, environment-friendly multipurpose town to help the city of Seoul meet the challenges of information technlogies and globalization. Geographic integration of key industries has become more important than ever. DMC will be a place of such integration, attracting high-end knowledge-based businesses and creating synergy in the multimédia industry. DMC Masterplan, http://dmc.seoul.go.kr 135 Les grands stades de football semblent faire partie des attributs métropolitains supérieurs qui distinguent les zones de renouvellement urbain et en facilitent la promotion, cf. le Stade de France et l’aménagement de la Plaine-St-Denis. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 211 Regard géographique sur le paradigme numérique Encadré n° 25. Utilisations de l’espace http://dmc.seoul.go.kr) dans le projet DMC Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] (source : 212 Regard géographique sur le paradigme numérique 5.3.1.3. Le Cyberport de Hong Kong Opérationnel depuis 2002 dans ses phases initiales, le Cyberport de Hong Kong s’étend sur 24 ha. sur le site au nom prédestiné de Telegraph Bay, au sud de l’Ile. C’est un projet intégré d’urbanisme de deux milliards de dollars U.S., centré sur les technologies numériques. L’ambition du projet est d’héberger à terme une centaine d’entreprises qui pourraient employer 10 000 personnes. Plusieurs sociétés majeures ont signé des déclarations d’intentions, comme Cisco Systems, HewlettPackard, IBM, Oracle, Softbank, Sybase, Yahoo, Microsoft. Le projet comporte une zone résidentielle de 2 700 logements. Plusieurs élements clés ont été livrés au printemps 2004 : ouverture de l’hotel Méridien Cyberport, du Digital Media Centre. Le Cyberport s’insert dans la stratégie du gouvernement de Hong Kong, qui veut faire de la ville un pôle incontournable de la nouvelle économie à l’échelle mondiale. Le site offre aux entreprises et aux résidents une gamme complète de services en télécommunication et multimédia, ainsi que des services aux personnes hauts de gamme (commerce, hôtellerie, loisirs). The Cyberport aims to provide an important Information Technology flagship infrastructure to attract, and thus create, a strategic cluster of local and overseas companies and professional talents specialising in Information Technology applications, information services and multi-media content creation. www.cyberport.com.hk/ Figure n° 51 Le chantier du Cyberport de Hong Kong en février 2004 (source : (www.cyberport.com.hk/) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 213 Encadré n° 26. Les services offerts par le Cyberport (www.cyberport.com.hk/) IT/Telecom Facilities & Services - Services: 1-10 Gbps Internal Private Network, Satellite Master Antenna Television System, Smart Card Services, Unified Messaging System,Webcasting Services, Wireless LAN, etc. -Facilities: Audio-Visual System, Business Centre, Customer Help Centre, Cyberportal, Digital Media Centre (DMC), Hong Kong Wireless Development Centre (HKWDC), Interactive Kiosks, iResource Centre, Network Operations Centre (NOC) and Central Data Exchange (CDX), Tenant Central Data Exchange, Training Theatres, Video Conferencing Suites, Powerphone, etc. Cyberport Institute The University of Hong Kong has established The Cyberport Institute … it would provide the opportunity for collaboration between academics and the IT industry with state-of-the-art and practical education. IT Street IT Street replicates a city environment. It provides IT/IS companies with equal access to a wide variety of shared facilities. - Digital Media Centre: Video Studio, Audio Studio, Multimedia Workstations, Audio/Video Production Centre, Storage Solutions, Networked Render Farm, Motion Capture System - Wireless Solutions Development Centre: Development Suites, Information Library, Exhibition Area, Training Sessions, Marketing Support, Networking Sessions - Business Facilities: iResource Centre, Video Conferencing Suites, Business Centre, Training Theatres - Recreational Facilities: Retail and Entertainment Center - The Arcade, 5-star hotel Le Méridien Cyberport, Cafes, Bars and Restaurants, Fitness Centre, Bauhinia Garden, Rock Climbing Wall, Cycling Track and Multi-purpose Courts The Arcade The focal point of Cyberport. Organically spread over some 27,000 square metres with breathtaking views and over sea and mountains, In this architectuarally dynamic space, you' ll find an impressive mix of retail, entertainment, lifestyle and educational facilities but this is no ordinary mall. In The Arcade, every shop, restaurant, service center, cinema or bar will be themed in line with the very latest interactive technology. Take virtual tours, go shopping, visit the interactive kiosks, check out an exhibition - this, and much more, will be possible. Figure n° 52 Plan du Cyberport de Hong Kong Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 214 Regard géographique sur le paradigme numérique 5.3.1.4. Dubaï : une plaque tournante de l’économie numérique entre l’Europe et l’Asie ? L’émirat de Dubaï, 3,1 millions d’habitants, est la place marchande de la région : le secteur non pétrolier représente 95% de son PNB. Dubaï poursuit une stratégie de développement qui a pour objectif de renforcer sa position de plaque tournante financière, commerciale et technologique de tout le Moyen-Orient. En dehors de sa position géographique, l’atout principal de Dubaï est sa stabilité politique, ainsi que son régime de liberté économique (comparé, par exemple, à l’Arabie Saoudite voisine). Le régime fiscal est particulièrement favorable : exonération fiscale complète des entreprises et des personnes physiques pour une durée de 50 ans, possibilité de contrôle à 100 % par les capitaux étrangers, pas de limite au rapatriement des bénéfices etc. La “Dubaï Technology and Media Free Zone” (DTMFZ) est le maillon clé d’une politique de développement de l’économie numérique au sens large, c’est à dire incluant les activités créatives proches du pôle média, et les métiers plus techniques. Le projet comporte trois composantes principales, concentrées dans le même périmètre : Dubaï Internet City, Dubaï Media City et le Knowledge Village (www.dubaiinternetcity.com, www.dubaimediacity.com, www.kv.ae). Dubaï Internet City, inaugurée en octobre 2000, a déjà attiré plus de 470 entreprises de l’économie numérique au sens large, dont plusieurs grands noms comme Microsoft, AMD, Oracle, HP, IBM, Compaq, Dell, Siemens, Canon, Logica, Sony, Ericsson, Cisco Systems… Le pôle héberge 5 500 emplois. Pour situer les ambition de DIC, on peut mentionner que les nouveaux locaux de Siemens ont été inaugurés le 7 octobre 2003 par le chancelier Schröder en personne (Siemens emploie 400 personnes sur le site, qui abrite notamment le siège des opérations de la division télécommunications pour le Moyen-Orient). The cluster of ICT companies in Dubai Internet City comprise of Software Development, Business Services, Web Based & e-Commerce, Consultancy, Education & Training, Sales &Marketing and Back Office Operations. DIC provides a scalable state-of-the-art technology platform which allows companies looking to provide cost effective business process outsourcing (BPO) services such as call center operations. Dubai Media City, inaugurée en janvier 2001, est le pôle dédié au contenu. Dubaï abrite déjà 550 compagnies dans le secteur des média, notamment CNN, Reuters, Sony Broadcast & Professional, McGraw Hill Publishing, Bertelsmann… auxquelles s’ajoutent de nombreuses start-ups et travailleurs indépendants. Strategically located in Dubai at the crossroads of the Middle East, Africa and South Asia, Dubai Media City is rapidly emerging as a global media hub. The City provides an advanced infrastructure and supportive environment for media-related businesses to operate globally out of Dubai. Dubai Media City is the place where every kind of media business, specifically - Broadcasting, Publishing, Advertising, Public Relations, Research, Music, New Media and Production and Post Production will thrive. www.dubaimediacity.com Dubaï Knowledge Village, a été inauguré en octobre 2003. 110 000 m2 de locaux doivent accueillir des antennes de sept universités internationales, avec 7500 étudiants et une centaine d’organisations dédiées à l’éducation et à la formation, Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 215 avec une attention particulière aux TICE et à l’enseignement à distance (e-learning), que ce soit dans la recherche ou l’application. Dubaï Silicon Oasis (www.dso.ae) est situé à 17 kilomètre du centre-ville. C’est un projet de technopôle de 6500 ha. dédié à l’ensemble de la chaîne de production en micro et opto-électronique : recherche développement design et fabrication de micro-processeurs et composants. Le maître d’oeuvre du projet est la Dubai Airport Free Zone Authority. La zone doit comprendre également un complexe résidentiel, des hôtels, banques, centres de loisirs etc. L’ambition du DSO est d’accueillir 10 à 15 milliards de dollars d’investissement dans ce secteur d’activité, d’ici 2020 (Electronic News, 2/2/2004, www.reedelectronics.com/electronicnews/article/CA379277?stt=000&industryid=22114&indust ry=Research). Figure n° 53 Dubaï Internet City - vue générale (source : www.dubaiinternetcity.com) 136 136 Au premier plan à droite, l’immeuble de Microsoft. A l’arrière plan, sur le front de mer, le chantier du Knowledge Village. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 216 Regard géographique sur le paradigme numérique 5.3.2. Dans les métropoles occidentales : nouvelle économie et renouvellement urbain La problématique de l’aménagement urbain est tout autre dans les métropoles anciennement industrialisées d’Europe et d’Amérique du Nord, qui disposent en abondance de quartiers industriels dégradés de type « faubourg », souvent situés en zone centrale. La rénovations des « lofts » new yorkais de Chelsea et Tribeca est un phénomène bien connu, dans lequel s’inscrivait l’émergence de la Silicon Alley. A des échelles moindres, le phénomène a été répertorié à Paris (Silicon Sentier), voire à Lyon (Croix Rousse, cf Moriset, 2003). Mais cette dynamique dépasse largement le cadre spatial étroit du centre, et ne se limite pas à des opérations de réhabilitation du patrimoine ancien. Par exemple, les secteurs des TIC et l’équipement en infrastructures de télécommunications (réseau IRISE, GIX PARIX à Aubervilliers) sont très présents dans les opérations immobilières en cours dans les banlieues industrielles du nord de Paris, notamment dans la Plaine SaintDenis : Parc des EMGP (Entrepôts et Magasins Généraux de Paris), Landy France (Malézieux, 2003). Qu’il s’agisse de réhabilitation ou de constructions neuves, la problématique est la même : on assiste à une reconquête par l’économie numérique d’espaces laissés pour compte par la crise des industries anciennes. 5.3.2.1. L’exemple Américain Le phénomène est particulièrement significatif aux Etats-Unis pour plusieurs raisons : l’ampleur des phénomènes de dépérissement des centres urbains, l’amplitude des cycles économiques et de leurs conséquences territoriales, l’importance de la désindustrialisation, et, corrélativement, de l’économie numérique. L’analyse peut être faite à l’échelle de l’immeuble, ou à celle d’un quartier (au sens européen du terme). On peut aussi étudier des politiques globales, à l’échelle d’une ville. Un des phénomènes les plus remarquables de ces cinq dernières années est le recyclage des vieux immeubles de bureau, usines et entrepôts, sous la forme d’hôtels de télécommunication et autres data centers (tableau n° 23). Le 111 Eight Avenue, par exemple, est un ancien entrepôt, autrefois siège administratif de la Port of New York Authority (c’est un des plus gros immeubles de New York, 240 000 m2, cf. figure n° 54). Aujourd’hui, c’est un des plus puissants noeuds de télécommunication et centre d’hébergement du pays (pour plus de développements, voir Moriset, 2003-c). Le New York City Economic Development Corporation a développé jusqu’au 30 juin 2004 le Digital New York City Program (Digital NYC), dont l' objectif était de promouvoir l' ensemble des programmes immobiliers de la ville dédiés aux TIC, situés à Brooklyn, dans le Bronx (BronxSmart), le Queens (CyberCity Long Island), à Staten Island (SI HUB : High-End Urban Bandwidth) etc. Le site Web du NYC permettait une présentation de l’ensemble des programmes, des surfaces disponibles, la liste des locataires actuels, etc. (figure n° 55, Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique www.newyorkbiz.com/digitalnycis) 217 137 . L' un des programmes les plus ambitieux est le Bush Terminal Technology Campus138, à Brooklyn, sur 44 ha. de surfaces industrialo-portuaires. A terme, il doit représenter un complexe de 450 000 m2 pour 11 immeubles interconnectés, dont le Brooklyn Information Technology Center, ancien entrepôt rénové aux facades de briques caractéristiques de l' architecture industrielle new yorkaise. L’iconographie est révélatrice du souci de rattacher les anciennes activités aux nouvelles, dans la logique de ce que nous avons évoqué à propose de la sémiologie des « siliconium » (figure n° 56 et 57). Tableau n° 23. Centres d'hébergement et de co-location et réhabilitation de l'immobilier industriel et commercial : exemples aux Etats-Unis (Moriset, 2003) Ville Adresse / Nom Propriétaire Chicago Lakeside Technology Carlyle Group, puis El Center Paso Global Network New York 60 Hudson Street Williams Real Estate Manhattan e New York 111 8 Av. Taconic Investment Manhattan Partners New York 470 Vanderbilt Av. / Carlyle Group / JP Brooklyn Atlantic Telecom Morgan Partners Center Jersey City 180 Baldwin Street Argent Venture / AboveNet Communications Jersey City 50 Dey Street MetroNexus Atlanta Houston 1033 Jefferson Street Figure n° 54 MetroNexus MetroNexus Ancienne utilisation Imprimerie Central téléphonique (1928) Entrepôt portuaire (Port of New York) Usine de pneumatiques 2 Surface (m ) 100 000 85 000 240 000 70 000 Usine de pâtes (Muller Noodle) 27 000 Usine d' emballage (American Can) Ancien entrepôt Sears Ancien entrepôt Flemming Foods 101 000 90 000 65 000 111 Eigth Avenue (les installations nouvelles de conditionnement d’air sont visibles sur le toit). Source : Digital NYC 137 Ce site a cessé d’exister depuis le 30 juin 2004. Les personnes intéressés sont invitées à s’adresser aux responsables des programmes locaux et à visiter les sites Web correspondants. 138 Du nom du fondateur d' une companie de chemin de fer. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 218 Figure n° 55 Regard géographique sur le paradigme numérique Les sites du Digital NYC (www.newyorkbiz.com/digitalnycis) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 219 5.3.2.2. Marseille et le projet Euroméditerranée Aujourd' hui, alors que Marseille accueille NET EXPO, le premier salon méditerranéen de l' Internet, de l' informatique et des télécoms, la Ville de Marseille est présente pour affirmer la place de la métropole dans la Nouvelle Economie et reconnaître sa place dans les échanges de demain. A l’aube de ce troisième millénaire, Marseille se positionne comme un carrefour euro-méditerranéen des Nouvelles Technologies. Dossier de Presse de Net-Expo 2000, 7, 8 et 9 décembre 2000, Marseille. Marseille illustre bien le rôle attribué aux activités de la « nouvelle économie » dans un projet global de rénovation et de développement urbain dont la pièce essentielle est le projet Euroméditerranée, lancé en 1995 avec la création de l' établissement public d' aménagement, EPAEM. De nombreuses opérations de réhabilitation situées dans ce périmètre ont pour objet d’héberger des activités liées aux TIC (tableau n° 24 et figure n° 58). Le projet identifie officiellement 4 secteurs porteurs cibles, dont deux se rapportent directement à l’économie numérique : - Applications des technologies de l’information : grands utilisateurs, services à valeur ajoutée, opérateurs, industries des contenus multimédia - Bases tertiaires dans une logique Sud : centres directionnels, plateformes de gestion, fonctions de back office, services partagés... - Fonctions tertiaires du maritime, de la logistique, du transport et du commerce international. - Croisières, tourisme et loisirs urbains. Parmi les éléments et atouts avancés pour étayer les ambitions de Marseille dans les deux premiers secteurs, on peut mentionner : la présence de nombreux opérateurs de télécommunications (35 selon l' EPAEM)139 ; la construction en cours ou récente de 3 net-centers (LD Com, Markley Stearns Partners140, Metro Nexus) ; l' ouverture en 2001 d' une école d' ingénieurs de l' Internet, dont les locaux provisoires sont implantés sur le technopôle de Château Gombert, en attendant l' installation définitive dans le périmètre Euroméditerranée sur la ZAC St-Charles (Gare TGV) ; la présence à Marseille de plusieurs centres d' appel majeurs, comme AOL, AON, Air France ; l’existence d' un pôle de création audio-visuel et cinématographique important (le 2e de France), avec 400 producteurs, 260 prestataires, qui emploient 13 000 personnes. L' Institut des Applications Avancées de l' Internet est la première école nationale française consacrée à une formation d’ingénieurs dans les usages professionnels de l’internet. Largement orientée vers un recrutement international et en particulier méditerranéen, l’école de l’Internet consacre le succès de Marseille dans le domaine des télécommunications et des technologies de l’information. Source : EPAEM 139 Données qui datent d' avant les restructurations récentes du secteur. Que signifient réellement ces chiffres ? Peut-on seulement se baser sur "le nombre" d' opérateurs ? Cela pourrait faire l' objet d' investigations plus poussées. 140 L' hôtel de télécommunication de Markley Stearns Partners héberge notamment le centre d' interconnexion de Global Crossing. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 220 Regard géographique sur le paradigme numérique Si l' opération Euroméditerranée attire aujourd' hui l' attention, une bonne partie des développements de la nouvelle économie marseillaise ces dernières années ont été réalisés sur la ZAC de Saumaty Séon, dans les quartiers nord (l' Estaque). Jusqu' à la livraison des premières tranches du périmétre EPAEM, les seules surfaces disponibles dans l' immobilier de bureau neuf de 1998 à 2001 l' ont été sur ce secteur. D' une superficie de 23 ha., bien relié au centre ville et à l' aéroport par autoroute, le parc d' activité héberge les activités régionales de plusieurs opérateurs de télécommunications (Matra Nortel, AB+ Télécom, E Phonie), des concepteurs de logiciel (Mediatec, Digitech), plusieurs centres de contact et de services importants (AON, AOL). Tableau n° 24. Nouvelle économie et réhabilitation urbaine à Marseille Site Superficie 2 Manufacture de la 22 000 m SEITA (pôle média) 2 Manufacture de la 45 000 m SEITA (La Friche) 2 Docks de la Joliette 80 000 m Domaine Cuoq Centre de tri postal Figure n° 58 2 26 000 m 2 20 000 m Fonction Maître d' ouvrage Studios audiovisuels, Ville de Marseille, bureaux Création artistique et Friche théatre multimédia 220 entreprises du SNC Marseille tertiaire supérieur Joliette Centre d' hébergement LD Com Centre d' hébergement et Markley Stearns 141 centre d' appel Partners Net Centers de LD Com (docks "Domaine Cuoq") et Markley Stearns Partners (Centre de tri postal). Photographies : EPAEM 141 Société américaine spécialisée dans l' acquisition et l' aménagement d' immeubles dédiés au secteur des télécommunications. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 221 5.3.2.3. Barcelone : 22@poblenou Barcelone et la Catalogne ont été depuis le début des années quatre-vingt-dix un des pôles européens de croissance et d’innovation les plus dynamiques, tout particulièrement dans les secteurs de la nouvelle économie au sens large : métiers du numérique, métiers de la créativité. Dans la décennie 90, la Catalogne a reçu 37 milliards d' euros d' investissements étrangers, dont 6,5 milliards pour la seule année 2000. 2700 entreprises étrangères sont implantées à Barcelone. La Catalogne en général, et Barcelone en particulier, sont la région d' Espagne la plus tournée vers les TIC. 51,7 % des barcelonais utilisaient un ordinateurs en 1999 (moyenne Espagne 28 %, Finlande 49 %) et 23,7 % des catalans utilisaient l' Internet (Espagne 10,5 %, Suède 44,6 %). L’économie numérique Barcelonaise a décollé entre 1993 et 1998, dans l’industrie (169 % de croissance cumulée pour l’équipement audiovisuel, 109 % pour l’informatique) et surtout dans les services : 800 % d’augmentation pour les télécommunications, 600 % pour le multimédia, 176 % pour les médias audiovisuels, contre 24 % pour les services financiers (source : www.barcelonactiva.es). Sur les 46 opérations d' investissement étrangères les plus significatives de l' année 2001, 22 concernent l’économie numérique : télécommunications, centres de services partagés, centres de recherche et de design… Barcelone est une des capitales européennes du design, notamment dans l’automobile avec Volvo, Renault, Volkswagen. Barcelone héberge le centre de facturation de General Motors pour l' Europe, les centres de RD de Sony, Nokia, Samsung, un centre de solution e-business de IBM etc. Tableau n° 25. Les investissements étrangers dans le secteur des TIC à Barcelone en 2001. D’après www.barcelonactiva.es Tech Data Sony Das Werk Aston Starlab Samsung Teleglobe IP Power House Aston Group Colt Telecom Tele Tech Holding Volkswagen TXT e-solutions Starmedia UCP Sellytel Swedia Networks Content Europe B.A. World Cargo GFT Technologies A3Software Morse Etats-Unis Japon Allemagne Danemark Belgique Corée Canada Etats-Unis Danemark Etats-Unis Etats-Unis Allemagne Italie Suisse Allemagne Royaume-Uni Pays-Bas Royaume-Uni Allemagne Etats-Unis Royaume-Uni Centre européen d' opérations Ligne de production de vidéo projecteurs Cinéma numérique Consultant informatique Centre de recherche Fabrication de téléphones WAP Télécommunications Centre de colocation Consultant informatique Télécommunications Siège européen du groupe et centre de contact Centre de design Services et applications Internet et e-commerce Id. Id. Télécommunications Réseaux de télécommunication Services et applications Internet et e-commerce Centre d' appel pour l' Espagne (fret aérien) Centre de recherche Nouveau siège social, Intégrateur en technologies d' information Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 222 Regard géographique sur le paradigme numérique La politique d’aménagement des districts numériques s’articule, d’une part, autour de la création et de la promotion de parcs scientifiques comme le Mediterranean Park of Technology, qui comporte notamment quatre centres de recherche spécialisés dans les télécommunications, l’ingénierie, l’aéronautique, la géomatique ; d’autre part et surtout avec la rénovation du quartier de Poblenou, 22@poblenou. Le 22@poblenou est un énorme programme d’urbanisme de 20 ans, qui concerne un quartier mixte (résidentiel, industriel et artisanal) de 200 ha. en partie dégradé jouxtant au nord-est le centre-ville (dit zone 22a dans le plan d’urbanisme de 1976, cf. figure n° 59). En juillet 2000, le conseil municipal a adopté le « document de modification du plan général d’urbanisme » (MPGM), qui doit permettre d’ici 2020 la construction de 2,6 millions de m2 de locaux tertiaires142, principalement consacrés aux secteurs de la nouvelle économie, de 343 000 m2 de logements (3000 à 4000 logements nouveaux), 150 000 m2 d’espaces verts, et attirer environ 60 000 emplois nouveaux. Figure n° 59 Vue générale de la zone du 22@poblenou (source : Barcelona City Council, 2000) 142 Pour situer l’importance de l’opération, le parc total de bureaux de l’aggomération 2 lyonnaise est estimé entre 4 et 5 millions de m , suivant les définitions. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 223 Le 22@poblenou représente un tiers du potentiel d’accroissement des surfaces d’activités de l’agglomération prévu d’ici 2020. L’investissement public en infrastructures est estimé à 160 millions d’Euros. Le potentiel de surface commercialisables est évalué à 7 milliards d’Euros. Comme son nom l’indique, le programme est dédié à la nouvelle économie et aux technologies d’information. La zone bénéficiera d’un cablage optique complet, alimenté par un réseau de galeries le long des axes principaux. Chaque ilôt disposera d’un local technique dans lequel pourront se raccorder les opérateurs. Le MPGM développe la liste complète des « @activities » qui seront autorisées et encouragées à s’implanter dans la zone. Tous les secteurs de « l’économie informationnelle » sont concernés (Barcelona City Council, 2000, pp. 47, 64-66) : In the regulation of the 22@ zone, a new concept of @activity is introduced Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 224 Figure n° 60 Regard géographique sur le paradigme numérique Fresques de manifestation contre (http://poblenou.org/c22/mural.jpg). le programme 22@poblenou 5.3.2.4. Créer de la territorialité autour d’un district numérique : le Silicon Sentier parisien La concentration des start-ups dans le quartier parisien du Sentier avait fait naître le concept de « Silicon Sentier ». Du modèle New Yorkais, le quartier avait plusieurs caractéristiques : présence d’anciens ateliers du textile en voie de rénovation, ambiance « jeune et créative ». L’association Silicon Sentier a été créée en 1999 et compte aujourd’hui une cinquantaine d’adhérents (on pourrait dire que, toutes proportions gardées, le Sentier a mieux survécu à la crise que la Silicon Alley). D’autre part, le quartier, situé dans le 2e arrondissement à proximité de la Bourse de Paris, bénéficie de la présence de puissantes infrastructures de télécommunication, avec la présence du GIX PARIX au 38 rue des Jeuneurs (Telehouse 1) et au 21 rue de la Banque (France Télécom). Un des objectifs majeurs de l’opération est de ré-implanter l’entreprise (et les emplois) au cœur de la ville (Les Echos n° 18914 du 27/05/2003, p. 21 ; www.silicon-sentier.com). L’association Silicon Sentier, qui a fusionné avec l’association Nouvelles Entreprises & Territoire, a reçu en de la DATAR 2003 le label de « Système Productif Local ». La mairie de Paris, constatant la présence de 2000 emplois liés aux TIC dans le 2e Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 225 arrondissement, a incorporé le concept de Silicon Sentier dans sa politique de développement (et entre au conseil d’administration de l’association), avec pour objectif la création d’un « quartier numérique » : création d’une réseau de bornes WiFi ; ouverture d’un Intranet commun ; création d’un incubateur (rue d' Uzès, près de la Bourse) qui doit relayer celui de Republic Alley ; mise en place d’une signalétique dédiée, qui doit renforcer l’image « high tech » du quartier. L’émergence d’une économie numérique s’est donc accompagné de la production d’espaces dédiés, que les collectivités locales essaient de promouvoir comme des territoires à part entière, car elles en escomptent un effet dynamisant, notamment en termes d’image. Mais les opérations d’urbanisme ou de promotion ne sont pas le seul mode d’intervention publique où interviennent les technologies numériques. De plus en plus, les TIC sont utilisées par les institutions publiques pour organiser, gérer, surveiller l’espace. Nous présenterons deux domaines d’applications qui sont actuellement en forte croissance : la vidéosurveillance, la gestion des transports 5.3.3. Surveiller et gérer l’espace 5.3.3.1. La vidéosurveillance des espaces publics et privés La vidéo surveillance est un des grands thèmes d’actualité de la « numérisation » du territoire, et un des exemples les plus pertinents de l’utilisation des TIC pour la gestion et le contrôle de l’espace. C’est aussi, cela va sans dire, un secteur économique des plus florissants dans le contexte actuel. Avec les techniques du péage urbain, que nous évoquons dans la section suivante, la vidéo surveillance s’inscrit dans une logique voisine de celle des « gated communities ». On est au cœur de la problématique de la « fracturation » du territoire urbain (et au delà, du territoire régional et national). Nous ne développerons pas ce point, mais les entreprises et les particuliers ne sont pas en reste dans un processus très général. Pour quelques centaines d’euros, on peut acheter en grande surface un kit de vidéosurveillance complet, qui permet de surveiller une propriété, de suivre les évolutions de bébé à la crèche pendant les heures de travail, de vérifier le travail de la nourrice143 etc. Une fois encore, la technologie fournit les moyens, mais pas le mobile. La vidéosurveillance pousse sur le terreau du sentiment d’insécurité, qui, rappelons le, n’est pas un risque objectif, mais la perception d’un risque, dont les médias se font l’écho, qui devient un thème de campagne électoral… En France, selon le ministère de l' Intérieur, à la mi-2003, 388 collectivités étaient munies d' installation de vidéosurveillance, dont 185 sur la voie publique (Libération, 14 juin 2003). Facteur de succès : les équipements peuvent être subventionnés jusqu’à 80 % pour les communes de moins de 3500 habitants, 50 % au delà. En juillet 2002, le conseil municipal de Strasbourg a voté un programme d’implantation d’une centaine de caméras dans le centre, pour un budget 143 Rappelons à ce sujet une règle de droit simple (qui s’applique aussi à l’entregistrement des conversations des employés des centres d’appel) : un salarié ne peut refuser d’être filmé sur son lieu de travail, mais il est illégal de le faire à son insu. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 226 Regard géographique sur le paradigme numérique prévisionnel d’environ 1,5 million d’euros H.T. (on peut consulter la carte des caméras installées en avril 2004 sur http://objectifcamera.free.fr). La ville de Lyon s’équipe activement depuis 2000. Un premier réseau de 11 caméras avait alors été créé dans le quartier sensible de la Duchère, suivi de 50 autres dans le quartier touristique et commercial de la Presqu’île. En juin 2002, le nouveau maire, Gérard Collomb, a fait voter un vaste programme d’équipement de 4,6 millions d’Euros (plus de cent caméras) dans quatre quartiers dont le Vieux Lyon (cf. carte des emplacements prévus figure n° 61). Argument déployé dans ce dernier cas : renforcement de la sécurité des touristes, protection du patrimoine classé par l’UNESCO. L’exemple de New York On peut connaître la couverture vidéo des espaces publics de Manhattan grâce au travail effectué dans le cadre du NYC Surveillance Camera Project par les bénévoles du New York Civil Liberties Union, qui ont réalisé en 1998 une cartographie exhaustive de 2397 caméras (www.mediaeater.com/cameras/). Comme le fait remarquer à juste titre l’association, on est à l’opposé du « Big Brother » de 1984, (dans lequel c’est le pouvoir d’Etat qui surveille l’espace privé). La grande majorité des caméras (2100) étant des installations privées, pour la plupart à l’entrée des immeubles, c’est en l’occurrence le privé qui surveille l’espace public. Ce qui peut apparaître, dans une certaine mesure, comme moins inquiétant pour les libertés qu’un système public centralisé. La carte (cf. extrait ci-dessous, figure n° 62) montre une densité particulièrement forte dans les quartiers d’affaire du District financier (446 caméras) et de Midtown, ainsi que dans les quartiers résidentiels de l’Upper East Side (résidences de luxe dans les rues adjacentes à 5th Av., Madison Av. et Park Av.). La généralisation de la vidéosurveillance suscite maintes critiques et interrogations. Les plus courantes évoquent la menace contre les libertés publiques. Ainsi, le « Collectif lyonnais contre la vidéosurveillance » organise les « Big Brother Awards ». Lors de l’édition 2002, présidée par Loïc Wacquant (professeur au Collège de France et à l' Université de Berkeley), Gérard Collomb et la ville de Lyon ont reçu le prix « Orwell 2002 ». De fait, la ville de Lyon a instauré en 2003 un « Collège d’éthique de la vidéosurveillance des espaces publics ». Plus concrètement, la réserve majeure qui peut être apportée à l’encontre du déploiement de la vidéo-surveillance est la création, comme disent les spécialistes, d’un « effet plumeau » : les caméras ne résolvent en rien délinquance et autres « incivilités », mais ne font que la déplacer vers d’autres lieux, d’autres quartiers qui sont moins surveillés parce que contenant moins de « biens désirables », pour reprendre la terminologie de Bourdieu. Les conséquences apparaissent clairement : renforcement des inégalités et clivages territoriaux, des phénomènes d’exclusion socio-spatiaux. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 61 227 Plan de vidéo-surveillance du Vieux Lyon (source : association « Non à Big Brother », Collectif lyonnais contre la vidéosurveillance, www.chez.com/nonabigbrother/) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 228 Figure n° 62 Regard géographique sur le paradigme numérique Localisation des caméras dans le district financier de Lower Manhattan (extrait de la carte générale de Manhattan, 1998, www.mediaeater.com/cameras) 5.3.3.2. Les TIC dans la gestion et la régulation des transports routiers L’utilisation des technologies numériques dans les transports est ancienne, et aujourd’hui banale et indispensable dans certains secteurs (transports aérien, maritime, ferroviaire). La nouveauté est l’utilisation de technologies avancées de détection, télé-transmission et géo-localisation dans le transport routier de marchandise et de passagers, mode qui était resté jusqu’à récemment peu gourmand en technologies numériques. Sans aller jusqu’à parler de révolution, on assiste aux prémices de changements considérables dans l’utilisation des véhicules et de la voirie. Or, les transport routiers ont un impact économique, social, environnemental et « sécuritaire » sans commune mesure avec celui des autres modes de transport. Avec à la clé des enjeux que l’on constate tous les jours en termes d’urbanisme et d’aménagement des territoires. Dans une période où l’on parle énormément de « développement durable », où les problèmes de sécurité routière, de pollution atmosphérique, de réchauffement de la planète, la perspective d’une pénurie de pétrole etc. sont l’objet de débats incessants, tout ce qui touche au trafic routier peut être considéré comme « sujet sensible », surtout si on considère le contenu culturel et affectif de l’automobile144. Ainsi, les transport routiers, accusés de tous les maux, sont un des domaines d’application des TIC où se retrouvent par excellence les thèmes utopique du 144 On dispose d’une abondante documentation sur les différents aspects de la régulation des transports grâce à l’encyclopédie en ligne « Transport Demand Management » du Victoria Transport Policy Institute (Canada), www.vtpi.org/tdm/. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 229 « territoire intelligent ». Ce qu’on attend des TIC, c’est qu’elle rendent le transport routier : plus rentable, en permettant l’optimisation du chargement des véhicules (cf les développements précédents sur TIC et logistique), et en favorisant la fluidité du traffic ; plus sûr, par l’assistance à la conduite (radars embarqués) ; plus confortable, plus rapide et plus fluide (et donc plus sûr et plus rentable), par le géo-guidage et la gestion du trafic ; moins polluant (parce que plus fluide). Tout ces objectifs peuvent être atteints, aussi, par les limitations plus ou moins contraintes du trafic, que permet l’instauration de systèmes de péage électronique, avec l’espoir de reporter une partie des flux sur les transports en commun, ou le développement du transport individuel à la demande et du co-voiturage145. Toutes ces applications reposent en partie sur des technologies communes, qui ont des applications dans d’autres domaines, comme le GPS, les caméras électroniques et réseaux de fibre optique, les cartes à puces, les balises ou émetteurs et récepteurs à ondes ultracourtes. Une expérience pionnière – et controversée – de péage urbain : le Congestion Charging Program, dans la City de Londres Londres en général, et la City en particulier, sont un des trois centres vitaux de l' économie mondiale, le premier nœud mondial de l' Internet, du commerce et de la finance électronique. Le résultat de cette évolution est que Londres est devenue la ville la plus chère et l' une des plus encombrées du monde. Le projet des autorités locales visait un double objectif : - limiter les encombrements du centre en diminuant le trafic - générer des revenus pour la modernisation des transports en commun et notamment du métro (dont tous les observateurs soulignent l' engorgement et le délabrement, à l' image des autres infrastructures publiques du Royaume Uni). Ressucitant la vieille pratique de l' octroi, la municipalité a donc inauguré début 2003 un système de péage automatique, qui concerne 20 km2 du centre ville soigneusement délimités par la signalétique urbaine (figure n° 63). Grâce à 700 caméras qui lisent les plaques d' immatriculation des véhicules, tous les nonrésidents qui veulent accéder au centre-ville pendant les congestion operating hours (7 h à 18h.30 du lundi au vendredi) doivent acquitter un péage quotidien de 5 livres (8 euro env.). 35 grandes villes dans le monde suivent l' expérience avec attention : elles envisagent, en cas de succès, de mettre en œuvre ce système, dont on mesure encore mal la portée territoriale. Pour l’occasion, le terme de « fragmentation urbaine » utilisé par Graham et Marvin mérite pleinement d' être utilisé. 145 Il existe un grand nombre de portails privés de co-voiturage (www.compartir.org, www.drivetoday.de, www.allostop.com, www.hitchhikers.de/). Les collectivités locales s’intéressent à cette pratique. A Fribourg (Suisse), le projet FriMobile étudie la mise en place d’une extension par les véhicule privés du réseau de transport en commun. Les véhicules privés abonnés seraient identifiés par GPS, leur disponibilité transmise à un serveur central, qui les mettrait en contact avec la demande des usagers, spécifiée par téléphone mobile. Un système de carte permettrait la comptabilisation des trajets, l’enregistrements des passagers à l’entrée et à la sortie, l’indemnisation des conducteurs (http://diuf.unifr.ch/pai/education/2002_2003/projects/mobility/). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 230 Figure n° 63 Regard géographique sur le paradigme numérique La congestion charging zone, au centre de Londres (www.cclondon.com) Une nouvelle génération de péages routiers Le télépéage est une pratique déjà courante, que les techniques récentes sont en passe de renouveler et de généraliser à d’autres types d’infrastructures. En Suisse, un système hybride, GPS plus micro-ondes, permet de prélever un péage sur tous les camions qui traversent le territoire helvétique. Un dispositif electronique embarqué (OBU : On Board Unit), couplé au GPS et à l’enregistreur kilométrique (tachographe) du véhicule, est activité au passage de la frontière par une balise émettrice à micro-ondes. Lors de la sortie du territoire, l’OBU transmet la distance parcourue au centre d’information de la douane, qui émet une facture. L’avantage du télépéage est d’être considérablement plus rapide et moins couteux pour le concessionnaire que le péage traditionnel (manuel ou par carte). Une aire de péage pour une autoroute à 2X2 voies coûterait environ 25 millions d’Euros, alors qu’une barrière électronique pouvant traiter le même débit ne coûte que 120 000 Euros, et les frais de fonctionnement sont divisés par trois (The Economist, 10 juin 2004). Par ailleurs, le péage électronique permet de moduler les tarifs en fonction de l’heure du passage. Un des exemples les plus spectaculaires est celui de l’autoroute concédée 407 ETR, construite entre 1997 et 2001, qui parcourt 108 km dans la périphérie nord de Toronto. Les utilisateurs sont incités à utiliser un transpondeur derrière leur parbrise, qui enregistre tout leurs passages. Ceux qui n’en possèdent pas (ils doivent payer un supplément) sont enregistrés par un système de caméras, installé à chaque échangeur. Les tarifs dépendent de la catégorie de véhicule et de l’heure de passage. Le service après vente (facturation, appel d’urgence, dépannage) est assuré par 170 personnes depuis un centre d’appel de 1200 m2. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 64 231 Systèmes de péage et de gestion électronique du trafic (source : The Economist, 10 juin 2004) Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 232 Regard géographique sur le paradigme numérique Conclusion du chapitre 5 : les impasses du « territoire numérique » : ubiquité ou exclusion ? Dans le chapitre 4, nous avions évoqué le double phénomène de concentration et de dispersion qui caractérise la construction de l’espace productif contemporain. Si on observe le rôle particulier dévolu aux technologies numériques dans la gestion et l’aménagement des territoires, on constate également une dialectique paradoxale entre : - d’une part, un mouvement d’expansion des réseaux, une volonté d’étendre les zones de couverture, les aires de télé-accessibilité ; - d’autre part des phénomènes de croissance différentielle, de fragmentation, d’exclusion. Lorsque les collectivités entreprennent de créer des espaces privilégiés pour l’expression d’une société et d’une économie dites numérique, comme le Multimédia Supercorridor de Malaisie, on assiste à une expulsion de facto des activités dites non cognitives et des populations qui les exercent, reléguées en périphérie. Lorsque les appartements, écoles et universités de ces cybervilles sont dotés des équipements les plus performants, les conditions sont remplies pour qu' un processus cumulatif de ségrégation socio-spatiale se déclenche, tel que nous l’avons observé pour la Silicon Valley, et tel que l’on peut aussi le constater dans la région Grenobloise, à Sophia Antipolis etc. Les réactions d’opposition au projet du 22@poblenou mettent parfaitement en valeur cette forme d’élitisme territorial inhérent au concept de ville numérique et à la volonté de planifier des « territoires qui gagnent ». Qu’elles émanent ou non de projets de type « territoire numérique », ces inégalités territoriales peuvent ensuite être renforcées, balisées, par l’usage des technologies numériques, de type péage urbain ou vidéo-surveillance. Lorsque l’on observe le développement de nouvelles zones d’affaire dans des secteurs globalement défavorisés des métropoles, comme à Paris Saint-Denis ou à Marseille (ZAC de Saumaty Séon et le périmètre EPAEM), on peut se demander si on assiste pas également à la création d’enclaves de la nouvelle économieltane Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] omi Regard géographique sur le paradigme numérique 233 lorsque certains espaces ruraux bénéficierons, enfin, d’une couverture par la téléphonie mobile et l’ADSL, d’autres seront déjà passés à l’UMTS et au « très haut débit tout optique ». Ce qui change, par rapport aux transports, c’est justement l’utopie que, grâce au numérique, cette course pourrait prendre fin, et que le concept même de centralité pourrait être remis en cause. C’est clairement le cas dans les discours entendus sur le projet de Pau (Pau Broadband Country), où l’on retrouve l’idée que par la vertu du couple réseau à haut débit + activités numériques, la périphéralité disparaîtrait, Pau se hisserait au même niveau que Paris. La réalité majeure à laquelle se heurte la matérialisation de cette utopie, c’est que, à partir du moment où l’inégalité d’accès aux télécommunications disparaît, le paradigme numérique cesse de jouer un rôle discriminant (positif ou négatif), et le territoire se retrouve face à ses atouts et handicaps traditionnels, au nombre desquels figurent ceux que procurent la centralité géographique au sens le plus classique du terme. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 234 Regard géographique sur le paradigme numérique Conclusion générale Tout au long de ce mémoire, nous avons essayé de démontrer que l’émergence du paradigme numérique est un phénomène à bien des égards géographique. Ceci est vrai dans la spatialité intrinsèque des réseaux techniques, dans celle des activités de production de l’économie numérique, tout comme dans l’usage discursif de l’idéologie spatiale des TIC qui préside à certaine politiques de développement et d’aménagement. Ceci nous conduit à discuter, en plusieurs points, la nature profonde des technologies numériques et de leurs usages, et l’interprétation que l’on peut en faire en tant que pratiques spatiales et outils d’organisation des territoires. « Simulacre et simulation » Toute réflexion théorique sur le rapport du paradigme numérique à l’espace géographique doit poser la question de la relation entre l’espace géographique physiquement objectivable - appelons le faute de mieux l’espace réel, et les espaces numériques qu’on dit « virtuels », qui, pour n’en n’être pas moins réels (ils existent bien sur les disques durs des ordinateurs, dans nos perceptions et nos imaginations), ne sont que des modèles de l’espace physique. Les réflexions sur ce sujet des géographes, mais aussi des philosophes, sociologues, économistes, spécialistes des sciences de l' information et de la communication ont abouti à une énorme littérature, dont la synthèse seule aurait pu occuper un volume entier. L’émergence du paradigme numérique est indissociable de ce que Breton et Proulx appellent « l’explosion de la communication ». Il ne nous appartient pas de disserter sur l’invasion de la société par les médias, sur le fait que le temps de travail humain épargné par les gains de productivité, le temps de vie gagné par les progrès médicaux, sont en grande partie consacrés aux médias numériques, télévision, jeux vidéos, etc. Le fait est qu’une partie de l’existence se déroule en spectateur ou acteur d’un vaste théatre électronique, où le réel et le virtuel, le proche et le lointain semble se confondre (cf. Baudrillard, Simulacre et simulation). Dire que les nouvelles technologies rendent le sujet totalement ubiquiste, lui permettent de mélanger allègrement le proche et le lointain, le local et le global… ne restera qu' un décret vide de fondements, tant que l' on aura pas mesuré comment l' individu ressent effectivement ses pratiques et en quoi des technologies nouvelles modifient les contenus et les registres des dialectiques individus / formations socio-spatiales. En tout état de cause, l' espace sera un "toujours-là", ne serait-ce justement que celui du local, dans sa diversité, sa matérialité et sa rugosité, comme une des dimensions essentielles de toute expérience individuelle et de tout ordre sociétal, il ne disparaît pas comme par enchantement, sous les coups de la communication numérique. Lussault, 1995, pp. 157-158. Faute d’avoir effectué cette « mesure », précisément, nous n’avons pas souhaité développer dans un chapitre entier cette question qui peut entraîner dans des discussions fort longues. Il est incontestable que des territorialités peuvent se créer ou se modifier par le biais des interfaces numériques, comme pour ces jeunes gens « accro » des jeux vidéo qui abandonnent leurs études et ne sortent plus de leur chambre. Même sur l’ordinateur, l’espace est plus que jamais présent, comme le Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 235 montrent les efforts croissants de réalisme graphique dans la représentation des paysages par les concepteurs de jeux vidéo. Cette volonté de recréer des paysages du réel pour mieux vendre du virtuel montre que l’espace géographique conserve une forte prégnance et reste un gros pourvoyeur de sens et de sensations. Il ne faut pas se voiler la face en s’interrogeant sur les origines métaphysiques de cette apparente quète de l’ubiquité. Quel « jeune » ne préfèrerais pas apprendre à piloter une véritable voiture de rallye, ou un vrai avion de chasse ? Qui ne préfèrerais pas voyager en Patagonie ou aux Maldives, plutôt que de se contenter de regarder Ushuaïa et Thalassa chaque semaine ?147 La promenade dans les espaces virtuels n’est-elle pas, d’abord, une volonté de s’évader intellectuellement de la « prison originelle » qu’est l’espace (Raffestin, 1980, p. 129), faute de pouvoir le faire physiquement par manque de moyens financiers ? La possession de capital assure la quasi-ubiquité qu’assure la maîtrise économique et symbolique des moyens de transport et de communication. Le manque de capital enchaîne au lieu, et intensifie l’expérience de la finitude. Bourdieu (1992, pp. 164-165), Pour qui s’intéresse, d’abord, à l’espace et au territoire réel, ces considérations aux marges de la philosophie ne doivent pas être tout à fait ignorées. Car la production, et l’intense consommation de ces espaces purement numériques, tend à nourrir le réel et les pratiques spatiales du réel. L’envie et la réalisation de voyages physiques naît la plupart du temps de voyages virtuels (qui ne sont pas forcément numériques : lecture sur support papier). La consommation d’objets réels passe souvent par leur représentation médiatique préalable. Et réciproquement. Ainsi, le paradigme numérique nourrit sa composante idéelle, voire idéologique, de toutes les formes de consommation d’espaces numériques, et c’est par cette composante qu’il s’impose dans l’espace réel, comme dans tous ces projets de ville numériques, qui sont vendus aux citoyens sous l’égide du mythe de la communication généralisée et de l’ubiquité permise par les TIC. Avec pour résultat concret, immédiat, que les citoyens de tel ou tel lieu pourront télécharger à haut débit et à bas prix des DVD, participer à des jeux vidéo en ligne, téléphoner davantage pour moins cher etc. Si l’existe bien un espace géographique physiquement objectivable (nous dirons réel pour faire simple), il faut donc reconnaître que le territoire a des sortes de ramifications dans le virtuel de l’espace numérique, qu’il est malaisé de trancher. Outrepassons cette difficulté conceptuelle, pour proposer un modèle généraliste d’interprétation du paradigme numérique, par le paradigme systémique, à partir duquel on peut définir et comprendre le rôle de l’information - donc des systèmes numériques d’information - dans la production de l’espace géographique. Le paradigme numérique et le paradigme systémique : gérer la complexité De nombreux auteurs utilisent la métaphore du cyber-espace pour décrire une sorte d’espace des réseaux électroniques, dans lequel le cybernaute est invité à naviguer, au gré des passerelles que sont les liens hypertexte : étymologiquement, le terme cyberspace inventé par W. Gibson proviendrait du grec kubernan qui signifie naviguer. 147 Dans le film Total Recall, la science a résolu le problème de la distinction entre le réel et le virtuel, puisque les vacances de A à Z sont directement implantées dans le cerveau du voyageur, souvenirs inclus. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 236 Regard géographique sur le paradigme numérique Mais il est possible de créer un autre cyber-espace à partir de la cybernétique de Norbert Wiener148 (du grec kubernetes qui signifie commander ou gouverner), ainsi qu' à partir de la théorie des systèmes et de la théorie de l' information. Pourtant les travaux des géographes sur les technologies numériques ne font pas allusion à la cybernétique, ni à la théorie des sytèmes, ni à la théorie de l' information. C' est d' autant plus curieux que les travaux de Wiener, comme ceux de Forrester, pionnier de la dynamique des systèmes, sont intimement liés aux débuts de l' informatique, et que Norbert Wiener et la cybernétique occupent une place centrale dans la théorie moderne de la communication (Breton, 1996, p. 89). Nous pensons que le paradigme systémique (Le Moigne, 1990) est un outil indispensable de compréhension du paradigme numérique, et de sa relation à l’espace géographique, surtout si on conçoit l’information de la manière la plus abstraite qui soit (cf encadré n° 1). Par ailleurs, l’interprétation par la théorie des systèmes rend justice au paradigme de réseau, tel qu’il a été développé par les tenants de la « théorie de l’acteur réseau » ou actor network theory (Castells 1996 ; Latour, 1997 ; Callon 1999). Joël de Rosnay, dans Le Macroscope, à la suite de Jay Forrester, considère l' entreprise149 et la ville comme des systèmes. Comme l’énergie, l' information fait partie de ces fluides indispensables au fonctionnement du système, à sa régulation, au maintien de sa structure. Les interactions entre les individus et les organisations, par l' intermédiaire de moyens de communication, permettent d' assurer les grandes fonctions du système urbain. De Rosnay, 1975, p. 57. De nombreux géographes ont proposé une interprétation systémique du territoire, à travers divers travaux de modélisation. On peut mentionner P. Allen, F. Auriac, D. Pumain et T. St.-Julien, Y. Guermond, M. Le Berre, J. Charre etc. (cf. Guermond, 1984). Le concept de système-monde a été largement popularisé (Durand, Lévy et Retaillé, 1993), mais c’est la ville qui demeure l’objet le plus étudié sous cet angle, avec la superposition, l’enchevètrement, de ses réseaux (Dupuy, 1991 ; Graham 2001). La ville que des auteurs que l’on ne peut pas rattacher à une école « systémique », comme Claval, Veltz, Ascher… considérent comme un lieu privilégié de connectivité. Si on considère que les nombreux réseaux interconnectés150 qui font fonctionner le système ville sont eux-même des systèmes (Offner, 1996), de plus en plus régulés par les technologies numériques ; et si on prend en compte les réseaux sociaux, qui ne peuvent plus guère se passer du téléphone et de l’Internet, on peut reconnaître le réseau numérique comme le « méta-réseau » du système urbain moderne, qui en assure la régulation, le maintien, voire la croissance et la reproduction, dans un contexte d’augmentation de la complexité. 148 1948. Cybernetics, or control and communication in the animal and the machine. New York , John Wiley. 149 On l’a vu dans le chapitre 3, l’entreprise peut être considérée comme un système transactionnel, dans lequel les technologies numériques jouent un rôle de plus en plus essentiel. 150 S. Graham et S. Marvin (2001, p. 181) utilisent l’exemple de la pompe à essence automatique pour montrer l’interdépendance et l’interconnexion des réseaux en tant que grands systèmes techniques (système routier, énergétique, financier, réseau de télécommunication (carte bancaire). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 237 Croissance de la complexité et entropie La montée en puissance des technologies numériques peut être considérée comme une tentative de la société pour maîtriser la complexité, et de lutter contre un phénomène que l’on pourrait appeler l’accroissement de l’entropie. Cette interprétation est ainsi proposée par J. Lévy dans Le tournant géographique (2000). L’évolution du système monde permet de mettre en évidence les deux variantes de l’entropie : l’entropie thermodynamique des physiciens (Clausius), et l’entropie des théoriciens de l’information (Shannon). Un système territorial est, fondamentalement, une énorme machine à dégrader irréversiblement de l’énergie, dissipée sous forme de chaleur (désordre moléculaire). Du point de vue informationnel, l’entropie est l’évolution vers l’état de plus grande probabilité, qui est celle du désordre maximum. Une ville par exemple, possède une tendance naturelle au désordre, à la désorganisation, qui doit être compensée par une quantité d’information (message permettant de réduire l’incertitude) qui croît avec la complexité du système. Ainsi, la construction territoriale est par essence un phénomène informationnel, dans lequel entrent pour une part croissante des technologies numériques de régulation, de contrôle, de planification et d’aménagement, où vont intervenir aussi bien l’utilisation des SIG que la vidéosurveillance. Dans le même ordre d’idée, les technologies numériques jouent un rôle facilitateur essentiel dans les phénomènes de type « mondialisation », qui ne sont autres que la lente constitution d' un système mondial. La croissance de la complexité est illustrée par ce qu’on appelle parfois « le désordre mondial », qui garde toujours une longueur d’avance sur les efforts d’organisation et de régulation (voir les problèmes de la cyber-criminalité, de la sécurité informatique etc.). L’information a donc des propriétés néguentropique. Le prix à payer pour l’augmentation de la quantité d’information à produire, acheminer, traiter, etc. est une accélération de l’entropie énergétique, car l’information se paie en énergie (cf. la chaleur de plus en plus considérable dégagée par les micro-processeurs). Le problème est que la mise en œuvre des technologies numériques produit sa propre complexité, en vertu du principe qui veut que le module de commande d' un système doit avoir le même degré de complexité que le système lui-même. La fameuse loi de Moore donne une idée intuitive de la croissance des besoins informationnels liés à cette complexité, qui donne parfois aux individus l’impression que « l’histoire s’accélère », que le temps « fuit », que « l’espace temps se rétracte », car l’homme, face à la technique, se trouve confronté à l’inélasticité de son temps personnel. Echelles géographiques, nouveaux liens et nouvelles fragmentations ? La fragmentation de l’espace ou du territoire, notamment urbain, est un thème récurrent chez les géographes (N. May et al., 1998, La ville éclatée) ou chez les sociologues du territoires (B. Poche, 1996, L’espace fragmenté). L’idée est aussi exprimée par le terme d’archipel chez Veltz (1996) ou Viard (1994). Le thème est bien présent dans les travaux de géographie des technologies numériques. C’est le titre principal de l’ouvrage de S. Graham et S. Marvin, Splintering Urbanism (2001) ; c’est également le sous-titre du livre édité par Wheeler, Aoyama et Warf (2000) : Cities in the Telecom Age: The Fracturing of Geographies. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 238 Regard géographique sur le paradigme numérique Ce lien entre TIC et fragmentation peut paraître paradoxal, dans la mesure où l’un des grands mythes du paradigme numérique est celui de l’ubiquité, qui suppose une continuité d’accès aux lieux. Pourtant, il est pertinent de reconnaître un lien entre l’usage des technologies numériques et diverses formes de fragmentation. La carte de la couverture ADSL, par exemple (cf. figure n° 22), constitue la parfaite illustration d’un espace fragmenté. Ce n’est pas un hasard si les spécialistes des télécommunications utilisent le terme de « plaque » pour désigner les aires de disponibilité de telle ou telle technologie ou service. Comme dans le cas des transports, la métaphore de l’archipel reste valable pour désigner des lieux, éventuellement des fragments d’espaces, qui sont reliés entre-eux par des infrastructures de télécommunications à haut débit, les espaces intersticiels qui n’ont pas accès aux services proposés sur ces infrastructures étant victimes d’un effet de tunnel. Ces fragmentations, sectorielles et contingentes, sont accompagnées de transgressions et de brouillage des échelles et des catégories spatiales et territoriales, qui sont souvent décrits dans l’analyse des phénomènes de métropolisation et de mondialisation par la dialectique entre le local et le global (Pumain, 2003). Ce mouvement est ancien, mais il est conforté et accéléré par l’usage des technologies numériques qui permettent l’accès distant à l’information.. Prenons l’exemple des entreprises. Au XVIIIe siècle, le référentiel mondial était l’apanage d’un cercle restreint de maisons de négoce et d’armateurs. Aujourd’hui, les transactions technologiques, financières, commerciales qui sont constitutives de l’entreprise se font plus fréquemment à l’échelle mondiale. Mais l’espace géographique constitue un facteur de friction, d’incertitude, générateur de coûts, qui fait qu’une part de ces transactions doit être effectuée à l’échelle locale d’un déplacement quotidien, dans le périmètre restreint d’une agglomération économique. Ce.32438 . 0 Td (r)Tj 3.72223 0 Td (e)Tj 6.12366 0 Td (n)Tj 6Tj 3.12187 0 Td (u)Td (c)Tj 5.5233 0 Td (o)Tj 6 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 239 même où un canton, qui ne dispose pas de l’ADSL, est constitué, de ce point de vue, en marge ou « angle mort », tel ou tel entrepreneur de ce même canton qui se dote d’une liaison satellitale et se lance dans le télétravail « à façon » pour des donneurs d’ordre éloignés, produit une mise en relation qui transcende les échelles. Cette dialectique paradoxale rejoint celle du couple « agglomération-dispersion » que nous avons évoqué précédemment. La diffusion spatiale d'une série d’innovations Un des intérêts majeurs offerts au géographe par l’affirmation du paradigme numérique est qu’elle constitue une sorte de laboratoire technique, économique et social du processus de diffusion spatiale d’une série d’innovations, à partir de l’extension d’un réseau (Hägerstrand, 1953 ; St-Julien, 1985). Le cas de l’Internet est tout à fait spectaculaire : on part d’un point précis, à une date précise, jusqu’à couvrir une bonne partie de la planète. La diffusion du téléphone mobile constitue un autre excellent exemple, démontré par les cartes publiées successivement depuis une dizaine d’années par les opérateurs. Il en va de même des cartes de la couverture ADSL, ou de la progression du dégroupage Cette diffusion est la plupart du temps clairement hiérarchique, car fortement orientée par les lois du marché et les impératifs techniques du réseau. L’Internet s’est diffusé, d’abord, sur les grands campus scientifiques américains, puis dans les grandes entreprises, puis dans les catégories les plus favorisées de la population, donc dans les métropoles, etc. Les lois du marché ont incité les opérateurs de téléphonie mobile à desservir les grandes villes, puis les grands axes de circulation routière… Cette logique hiérarchique n’est pas absolue, elle peut être ponctuellement bousculée par une politique publique, comme c’est le cas à Pau ou ailleurs. Nous avons vu que le processus de la diffusion du paradigme numérique fonctionne par l’entremise d’un système d’acteurs, qui se font les vecteurs, plus ou moins spécialisés, d’une des composantes de ce paradigme. Le numérique progresse irrégulièrement dans l’espace géographique par la combinaison des innovations techniques, des logique marchandes, de la couverture médiatique151, des intérêts politiques, des engouements individuels. Plus encore que dans le cas des grandes innovations du passé, diffusion spatiale rime avec réseau. Autrefois, les innovations, tout comme comme les épidémies, se diffusaient par les routes au sens large, terrestres et maritimes. Mais dans le cas du numérique, la diffusion est indissociable et quasiment synchrone de la construction du réseau (on le voit dans le cas du mobile, où la diffusion se résume à la construction de pylones). D’où la métaphore de la toile, qui s’étend inexorablement, jusqu’à recouvrir tout l’espace. Comme dans tous les processus de diffusion spatiale, les caractéristiques intrinsèques de l’espace géographique jouent un grand rôle dans la diffusion du paradigme numérique. Contrairement à ce qu’on aurait pu croire. Nous avons vu comment les réseaux à haut débit, pour des raisons purement techniques, peuvent se dupliquer facilement sur les infrastructures de transport. Osons un peu de déterminisme naturel, même relatif : le Massif Central français est mal couvert par le réseau numérique, entre autres raisons, parce qu’il est une moyenne montagne granitique au modelé en creux, où la circulation est difficile, les « zones d’ombre » fréquentes. Le paradigme numérique s’inscrit donc dans une continuité historique : les régions d’accès difficile, comme les massifs montagneux, ont toujours été des 151 Qui produit sa propre logique machande. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 240 Regard géographique sur le paradigme numérique obstacles à la diffusion des phénomènes les plus divers, épidémiologiques, économiques, technologiques ou culturels. La diffusion a une double dimension spatiale et temporelle. Comme dans d’autres cas (épidémie), on observe des temps de latence, puis des phases de décollage, de rattrapage subites. Le temps que soient réunies certaines conditions économiques, techniques, politiques ou sociales, que sautent certains verrous152. Dans le cas d’une épidémie, le facteur déclenchant peut être une disette, dans le cas de l’Internet, ce peut être le vote d’une loi qui ouvre le marché à la concurrence. La double prise en compte des dimensions temps et espace est particulièrement évidente dans les manifestations de type « saut technologique », où l' on a vu des territoires embrasser en quelques années des applications comme le téléphone mobile, alors qu' ils n' étaient pas dotés des infrastructures élémentaires (électricité, téléphone filaire) dont la mise en place a caractérisé les étapes du développement des pays les plus riches. « Surveiller et punir » : la production de l’espace panoptique Comme nous l’avons dit précédemment, les personnes physiques ou morales doivent mettre en œuvre des technologies numériques de plus en plus sophistiquées pour lutter contre la dégradation entropique des systèmes économiques, sociaux et territoriaux. Ceci confère à divers institutions et structures des moyens de repérage et de surveillance dans l’espace géographique, des objets et des personnes, qui constituent un enjeu politique et social majeur, avec le risque de l’émergence d’un panopticisme généralisé. Le thème a fait l’objet d’une littérature de science fiction abondante, depuis le 1984 de Orwell et son indémodable Big Brother. Aujourd’hui, on peut se demander si la réalité n’est pas en train de dépasser la fiction. The proliferation of surveillance systems is about much more than flows of representations; the construction of virtualities and simulacra; of mechanism of finegrained control; of cybernetics processes of automation; and of community activism. It also fuels some of the fastest growing economic sectors of the information economy, with very different trajectories emerging for different places within informational divisions of labour. Graham, in Crang et al., 1999, p. 147 Nous n’avons pas abordé dans ce mémoire l’usage militaire des technologies numériques. Les médias nous ont suffisamment éclairé sur l’utilisation des technologies les plus sophistiquées par le renseignement militaire ou étatique. Les TIC sont, depuis toujours, un moyen puissant de contrôle et de gestion politique des territoires. P. Griset (1995) explique comment, pendant la Révolution Française, l' Etat faisait servir le télégraphe de Chappe par des illettrés, pour mieux garantir la sécurisation des données transmises. Les TIC, en tant que moyen de contrôle de l’espace, ça sert d’abord à faire la guerre, comme l’écrivait Y. Lacoste, et ce n’est pas un hasard si Internet est né au sein du ministère de la défense américain. La description par M. Foucault du panoptique de Bentham (1791) dans Surveiller et punir (1975, pp. 233-243), fournit une excellente interprétation de la croissance d’une surveillance généralisée, invisible et insidieuse, qui emprunte de multiples canaux numériques. L’application la plus évidente est celle de la vidéo-surveillance 152 Comme la résistance d’une technologie devenue obsolète mais protégée par un monopole d’Etat (le Minitel). Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 241 de l’espace public, « nouvelle forme d' appropriation territoriale » (Klauser, in Vodoz, 2001, p. 87-94). Le panoptique est un modèle de prison circulaire qui permet aux gardiens de voir sans être vu à partir d’un poste d’observation central, les cellules étant pourvues de portes à barreaux. De fait, la surveillance n' a pas besoin d' être permanente : il faut que la personne surveillée sache qu' elle peut être vue. Le panopticon doit être compris comme un modèle généralisable de fonctionnement, une manière de définir les rapports du pouvoir avec la vie quotidienne des hommes… c' est le diagramme d' un mécanisme de pouvoir ramené à sa forme idéale. Foucault, 1975, p. 239. En chacune de ses applications, il permet de perfectionner l' exercice du pouvoir. Il peut réduire le nombre de ceux qui l' excercent, tout en multipliant le nombre de ceux sur qui on l' exerce. Sans autre instrument physique qu' une architecture et une géométrie, il agit directement sur les individus. Le schéma panoptique est un intensificateur pour n' importe quel appareil de pouvoir, il en assure l' économie (en matériel, en personnel, en temps), il en assure l' efficacité par son fonctionnement continu et ses mécanismes automatiques. Foucault, 1975, p. 243 La vidéo surveillance n’est que l’exemple le plus visible du panopticisme. Mais il faut aussi mentionner la multiplication exponentielle des fichiers informatiques publics ou privés, la technologie des « cookies » qui permet aux concepteurs de logiciels, aux créateurs de sites Web, de tout connaître ou presque du « comportement numérique » des individus, ce qui permet de cibler le marketing. Chacun peut être repéré dans l’espace par son téléphone mobile (par le secours en montagne ou la police). La télé-surveillance sur le lieu de travail devrait progresser : les employés des centres d’appel sont enregistrés, les employés des crèches sont parfois filmés par des systèmes de Webcam que peuvent consulter les parents depuis leur lieu de travail. Des puces électroniques pourraient bientôt remplacer les codes barre sur les produits, ce qui permettra une traçabilité totale et à distance de la barre de céréale ou du baril de lessive, depuis l’usine jusqu’au domicile du consommateur. Ceci facilitera évidemment la gestion des stocks, et préfigure une révolution complète du géomarketing153. On peut donc envisager à court terme une situation de fait : que la position absolue et relative dans l’espace géographique de tout et de chacun pourra être connue avec précision par l’Etat, la Sécurité sociale, les entreprises... Les radars routiers seront rendus obsolètes, puisque lorsque tous les véhicules seront équipés du GPS, les services de police (les ordinateurs de la police) seront alertés en temps réel du moindre dépassement154. La généralisation du bracelet électronique devrait faciliter à l’extrême le contrôle judiciaire. Enfin, si on entre un tant soit peu dans l’anticipation, le corps humain lui même sera facilement détectable, puisqu’il incorporera de plus en plus de dispositifs électroniques de surveillance ou d’assistance médicale. Comme l’écrit Foucault, ce contrôle généralisé sera d’autant plus efficace qu’il sera continu, automatique, économe en personnel, comme ces radars automatiques qui ont fleuri le long des routes ces derniers mois. 153 Il n’y aura plus besoin de demander son adresse au client lors du passage en caisse. D’ailleurs, il n’y aura plus de caisses, puisque les puces seront lues automatiquement par un portique à la sortie du magasin, et la note prélevée automatiquement sur le compte du client (suivant le même principe que le télépéage autoroutier). 154 Des expériences de contrôle de la vitesse moyenne au péage autoroutier ont déjà eu lieu. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 242 Regard géographique sur le paradigme numérique Chaque chose et chaque personne étant repérable à toute heure et en tout lieu, on pourrait voir décliner ce qui était une des caractéristiques principales de l’espace géographique, à savoir la possibiliter de générer de l’incertitude, du hasard, des rencontres, ce que A. Townsend appelle de la serendipity. Les différentes formes de transgression étant rendues plus difficile, c’est ce qu’on appelle au sens propre les « espaces de liberté » qui seront réduits. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 243 Regard géographique sur le paradigme numérique ANNEXE 1. TIC, espace géographique et territoires : sélection de publications après 1990 Articles généraux, compilations 1991 1993 1995 BRUNN & LEINBACH KELLERMAN CLAVAL 1995 KIRCH 1995 1996 BAKIS & DUPUY COUCLELIS 1996 HINCHCLIFFE 1997 1997 1998 ROCHE & BAKIS EVENO GRAHAM 1998 HILLIS 2000 OGAWA 2000 WILSON & COREY Collapsing Space and Time: Geographic Aspects of Communication and Information Telecommunications and Geography Les problématiques géographiques de la communication. The incredible shrinking world? Technology and the production of space. Réseaux de communication 2001 HALL, PRESTON MOSS, TOWNSEND TOWNSEND 2002 MALECKI 2002 DUPUY 2000 1998 2002 2002 HEPWORTH FENG CASTELLS HALL STEINER LEAMER, STORPER BEYERS The Carrier Wave: New Information Technology and the Geography of Innovation, 1846-2003 The Internet Backbone and the American Metropolis The Internet and the rise of the new network cities, 1969-1999 The Economic Geography of the Internet' s Infrastructure. Internet, Géographie d'un réseau Geography of the Information Economy The Geography of Business Information Technolopoles: Mines and Foundaries of the Information Economy. Clusters and Regional Specialisation: On Geography, Technology, and Networks The Economic Geography of the Internet Age 2000 BRACZYK al. ZOOK and Annales de géographie Unwin The Information Society Journal, Environment and Planning B Economic Geography Ellipses Guilford Press. Wiley Routledge. European research in regional science J. of International Business Studies of Economic Services and the New Economy: elements of a J. Geography research agenda Entreprises de l'Internet et multimédia 1999 Environment Planning D Environment and Planning B and Technology, power and space: the means and Environment Planning D ends of geographies of technology Developments in télécommunications: between Ashgate global and local Pour une géographie de la société de l' information Netcom in Human The end of geography or the explosion of place ? Progress Conceptualizing space, place and information Geography technologies in Human On the margins : the invisibility of communications Progress Geography in geography Spatial impact of information technology The Annals of Regional Science development. Information Tectonics: Space, Place and Chichester, U.K., John Technology in an Information Age Wiley & Sons Economie numérique, économie de l'information 1990 1995 1995 Belhaven Press Sciences de la société Editorial: "The death of distance" Télécommunications / Réseaux 1988 Harper et Multimedia and Regional Restructuring Routledge The web of production: the economic geography Environment of commercial Internet content production in the Planning A United States Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] and 244 Regard géographique sur le paradigme numérique 2001 2002 PRATT ZOOK 2003 MORISET 2004 INDERGAARD New media, the new economy and new spaces. Grounded capital: venture financing and the geography of the Internet industry, The New Economy in the City. Emergence and location factors of internet-based companies in the metropolitan area of Lyon - France Silicon Alley: The Rise and Fall of a New Media District. Geoforum Journal of Economic Geography Urban Studies Routledge Services financiers / Commerce 1992 1995 2000 2001 O' BRIEN R AMIRAHMA DI, WALLACE AGNES LEINBACH , BRUNN Global Financial Integration: The End of Geography Pinter Information Technology, the Organization of Environnment Planning A Production and Regional Development and The “End of Geography" in Financial Services? Economic Geography Local Embeddedness and Territorialization in the Interest Rate Swaps Industry. Worlds of Electronic Commerce: Economic, John Wiley Geographical and Social Dimensions Centres d'appel 2000 2000 2000 2005 BREATHNACH Globalisation, information technology and the emergence of niche transnational cities: the growth of the call centre sector in Dublin RICHARDSON Taking calls to Newcastle: the regional et al. implications of the growth in call centres. BRISTOW et Call centre growth and location: corporate al. strategy and the spatial division of labour MORISET, La géographie des centres d’appel en France BONNET Télétravail 1996 1997 HANDY, MOKHTARIAN MOLINI 2000 CLARK 2004 MORISET The Future of Telecommuting Geoforum Regional Studies Environment and Planning A Annales de Géographie Futures The migration of teleprofessionals to tourist Netcom areas: hypotheses and refutations Teleworking in the countryside. Home- Ashgate based working in the information society. Télétravail, travail distant, travail nomade : Cybergeo le territoire et les territorialités face aux nouvelles flexibilités spatio-temporelles du travail et de la production Cyberspace, espace virtuel, représentations 1993 BATTY 1997 1998 BATTY CURRY 1999 CRANG, MAY HILLIS 1999 2000 2000 2001 2003 Environment Planning B Futures Virtual Geography Digital Places. Living with Geographic Information Routledge Technologies Virtual Geographies Routledge The geography of cyberspace DODGE, KITCHIN MITCHELL KWAN ADAMS, GHOSE and Digital Sensations: Space, identity and embodiment in University of Minnesota virtual reality Press Mapping Cyberspace Routledge E-topia MIT Press Cyberspatial cognition and individual access to Environment information: the behavioral foundation of Planning B cybergeography Progress in India.com: the construction of a space between. Geography Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] and Human 245 Regard géographique sur le paradigme numérique Ville 1995 1996 City of Bits: Space, Place and the Infobahn Telecommunication and the city: electronic spaces, urban places Editorial: Cities and Telecommunications in the Global Information Age Global Grids of Glass: On Global Cities, Telecommunications and Planetary Urban Networks. Smart cities. The Singapore case. Cities in the Telecom Age 1999 MITCHELL GRAHAM, MARVIN CAVES 1999 GRAHAM 1999 2000 MAHIZHAN WHEELER, AOYAMA, WARF ARUN, YAP Singapore: The Development of an Intelligent Island and Social Dividends of Information Technology Digital Places: Building Our City of Bits HORAN 2000 2000 2000 2001 2001 2002 MIT Press Routledge Cities Urban Studies Cities Routledge Urban Studies Urban Land Institute SANDOVAL La ville numérique Hermes GRAHAM Information Technologies and Reconfigurations of International Journal of Urban and Regional Urban Space Research Splintering Urbanism: Networked Infrastructures, Routledge GRAHAM, Technological Mobilities and the Urban Condition MARVIN KOMNINOS Intelligent Cities: Innovation, knowledge systems and Spon Press digital spaces Espace rural 1992 MADON The impact of computer-based information systems on rural development: A case study in India 1996 GILLESPIE Advanced communications and employment RICHARDS creation in rural and peripheral regions: a case ON study of the Highlands and Islands of Scotland 1999 GRIMES Rural areas in the information society: diminishing distance or increasing learning capacity? 1999 HUH “The Rural Computer Schools and Informatization of Rural Areas in Korea” 2000 MORISET Editorial : La problématique des technologies de l' information en milieu rural 2003 MALECKI Digital development in rural areas: potentials and pitfalls 2003 GRIMES The digital economy challenge facing peripheral rural areas Aménagement / Développement/Fracture numérique 1995 WARF 1997 MADON 2001 WARF 2002 MUSSO, CROZET 2004 PERRONS Telecommunications and the Changing Geographies of Knowledge Transmission in the Late Twentieth Century3 Information-based global economy and socioeconomic development: The case of Bangalore Segueways into cyberspace: multiple geographies of the digital divide Le terrritoire aménagé par les réseaux Journal of Information Technology The Annals Regional Science Journal Studies of of Rural Netcom Geocarrefour Journal of Rural Studies Progress in Human Geography Urban Studies The Society Information Environment and Planning B DATAR/Editions de l' Aube Understanding Social and Spatial Divisions in the Economic Geography New Economy : New Media Clusters and the Digital Divide Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 246 Regard géographique sur le paradigme numérique Annexe 2. Cours sur la géographie de la société de l'information et du cyberspace (extrait de www.ssc.msu.edu/~igu/Courses.htm + compléments). U : Undergraduate course, G : Graduate) Pays AUSTRALIE FRANCE ALLEMAGNE Université Macquarie Univ. Montpellier Univ. Université Paris-1 Sorbonne U. de ToulouseLe Mirail Technical Univ.Aachen Id. Intitulé du cours The Information Economy (U) Communication Geography (U) Space and Information and Communication Technologies (G) Networks, Communication and Territories (U) Geography of Communications (G) John Langdale Henry Bakis Gabriel Dupuy Andreas Koch HONG-KONG U. de Hong Kong IRLANDE National Univ. d’Irlande, Galway Univ. d’Haifa Communications Services and Spatial Effects(G) Geography of Information Technology (U) Geography of the Information Society (U) Information and Geography (G) Seoul National Univ. U. de Gothenburg U. de Newcastle Geography of Information and Telecommunications (G) ICT in a Geographical Context (G) Virtual Geographies (U) University College London Ohio State Univ. U.Texas Austin Cyberspace: The Geography and Planning of Virtual Worlds (U) Mapping Cyberspace (G) Geographies of the Information Society (U) Geography of Cyberspace Mapping Cyberspace (U) ISRAEL COREE SUEDE R.U. ETATS-UNIS U. de Buffalo U.de Californie, Santa Barbara U. de Californie, Berkeley U. duWashington U. dePennsylvanie Syracuse Univ. Virginia Tech New York Univ. U. duKentucky Michigan State Univ. NorthwesternUniv . Florida State Univ. Univ. d’Utah Enseignant E. Eveno, MC. Cassé, Ph.Vidal Peter Graef Becky P.Y Loo Seamus Grimes Aharon Kellerman Woo-Kung Huh Sten Lorentzon Andrew Gillespie, JamesCornford, Vicki Belt Michael Batty & Martin Dodge Mei-Po Kwan Shanon Crum Narushige Shiode Sara Fabrikant Geography of Cyberspace (U) Susan Pomeroy Geography ofthe Information Economy and the Role of the Internet (U) Interpreting Cyberspace: Explorations in Virtual Geography Geography of and on the Internet Geography of Information Society (G) Technology, the Media, and Cities (G) Electronic Human Geography (G) Cyberspace, Technology, and Society (U) Cities in the Information Society (G) Ginter Krumme Susan Garfinkel David J.Robinson Gerard Toal Mitchell Moss Stanley D.Brunn Mark Wilson Jennifer Light Communications Geography (U) Barney Warf Geography of Cyberspace (U) Harvey J. Miller Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 247 Bibliographie 1. ABERDEEN GROUP, 2001. Sun Microsystems: A multimedia, global gall center… with ROI. www.aberdeen.com/2001/research/050318308b.asp. 2. ADAMS P.C., GHOSE R., 2003. India.com: the construction of a space between. Progress in Human Geography, vol. 27, n° 4, pp. 414-437. 3. AEPI (Agence d’Etude et de Promotion de l’Isère), 2002. Les Technologies de l’Information et de la Communication. Format PDF, 36 p., www.grenobleisere.com. 4. AGNES P., 2000. The “End of Geography" in Financial Services? Local Embeddedness and Territorialization in the Interest Rate Swaps Industry. Economic Geography, vol. 76, n° 4, pp. 347-366. 5. AGNEW J., 2001. The new global economy : time-space compression, geopolitics and global uneven development. Center for Globalization and PolicyResearch, School of Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 248 Regard géographique sur le paradigme numérique 16. ARADEL155, 2003. Des initiatives numériques en Rhône-Alpes. Les cahiers du développeur economique, n° 5. format PDF, 98 p., www.aradel.asso.fr 17. ARAI Y. 2001. Multimedia and Internet Business Clusters in Central Tokyo. Communication pour la conférence Digital Communities - Cities in the Information Society, Northwestern et Michigan State University, Chicago, 4-7 Novembre 2001. 18. ARAI Y., SUGIZAKI K., 2003. Concentration of call centres in peripheral areas: cases in Japan. Netcom, vol. 17, n° 3-4, pp. 187-202. 19. ARUN M., YAP M.T., 2000. Singapore: The Development of an Intelligent Island and Social Dividends of Information Technology. Urban Studies, vol. 37, n° 10, pp. 1749-1756. 20. ASCHER F., 1995. Métapolis, ou l’avenir des villes. Paris, Odile Jacob, 345 p. 21. ASCHER F., 2000. Ces événements nous dépassent, feignont d'en être les organisateurs. Essai sur la société contemporaine. La Tour d' Aigues, Editions de l' Aube, 300 p. 22. ASSOCIATION DES MAIRES DES GRANDES VILLES DE FRANCE, 2000. Multimédia & Télécommunications, les initiatives des villes. Format PDF, www.grandesvilles.org/2002/multimediaville/pdfs/2000_Rapport_Multiville.pdf 23. ATKINSON R.D., 1997. The Digital Technology Revolution and the Future of U.S. Cities. Journal of Urban Technology, vol. 4, n° 1, pp. 81-98. 24. ATKINSON R.D., COURT R.H., 1998. The New Economy Index. The Progressive Policy Institute (PPI). Technology, Innovation, and New Economy Project. Rapport de recherche, format PDF, www.ppionline.org. 25. ATKINSON R.D., COURT R.H., 2002. The State New Economy Index. The Progressive Policy Institute (PPI). Technology, Innovation, and New Economy Project. Rapport de recherche, format PDF, www.ppionline.org. 26. ATKINSON R.D., GOTTLIEB P.D., 2001. The Metropolitan New Economy Index. The Progressive Policy Institute (PPI). Technology, Innovation, and New Economy Project. Rapport de recherche, format PDF, www.ppionline.org. 27. AYDALOT P., 1986 (éd.). Milieux innovateurs en Europe, Paris, GREMI. 28. BAILLY A.S., 1995. Introduction au débat : perspectives en géographie de l' information et de la communication. Sciences de la société, n° 35, pp. 15-19. 29. BAKIS H., 1981. Elements for a geography of telecommunications. Geographical Research Forum, vol. 4, pp; 31-45 30. BAKIS H., 1984. Géographie des télécommunications. PUF, Que sais-je ?, 128 p. 31. BAKIS H., 1985. Télécommunication et organisation spatiale des entreprises. Revue géographique de l'Est, vol. 25, n° 1, pp. 33-46. 32. BAKIS H., 1992. Géographie des réseaux de communication et de télécommunications, bibliographie (1980, 1992). Netcom, vol. 6, n°2, pp. 309395 33. BAKIS H., 1994. Territoire et télécommunications, déplacement de l' axe problématique : de l' effet structurant aux potentialités d' interactions. Netcom, vol. 8, n° 2, pp. 367-400. 34. BAKIS H., 1995. Quartiers défavorisés et télécommunications. Annales de géographie, n° 585-586, pp. 455-474. 35. BAKIS H., 1999. Un ouvel espace à explorer, parcourir et utiliser : l’espace des réseaux électroniques. Netcom, vol. 13, n°1, p.1-8. 36. BAKIS H., BONNET N., VEYRET A., 2000. Montpellier Méditerranée Technopole : le développement des centres d' appel. Netcom, vol. 14, n° 3-4, pp. 283-302. 155 Association Rhône-Alpes des Professionnels du Développement Economique Local Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 249 37. BAKIS H., DUPUY G. (éds.), 1995. Réseaux de communication. Annales de géographie n° 585-586, pp. 451-583. 38. BAKIS H., GRASLAND L., 1997. Les réseaux et l' intégration des territoires – position de recherche. Netcom, vol. 11, n° 2, pp.421-430. 39. BAKIS Henry, EVENO Emmanuel, 2000. Les géographes et la société d’information Des effets pervers d’un champ réputé a-géographique. Geocarrefour - Revue de géographie de Lyon, vol. 75, n° 1, pp.7-10. 40. BARCELONA CITY COUNCIL, 2000. Modification of the General Municipal Plan for the Renovation of the Industrial Areas of Poblenou, 22@BCN Activity District. Format PDF, 142 p., www.bcn.es/22@bcn/engl/planesyproyectos/plan22@/bajar_pdf/[email protected] 41. BAREL Y., 1979. Le paradoxe et le système. P.U. de Grenoble, 276 p. 42. BARTHES R., 1957. Mythologies. Paris, Point-Seuil, réed. 1970, 247 p. 43. BARTOLONE C. (éd.), 2000. Internet dans les quartiers. Espaces publics numériques et politiques de la ville. Repères, Délégation interministérielle à la ville. Format PDF, 124 p., www.ville.gouv.fr. 44. BATTIAU M., 2001. Les usines à traiter l' information. Un nouvel enjeu pour le développement des territoires. Hommes et Terres du Nord, n° 1, pp. 17-22. 45. BATTY M., 1990. Intelligent Cities. Using Information Networks to Gain Competitive Advantage. Environnment and Planning B, vol. 17, n° 2, pp. 247256. 46. BATTY M., 1993. The geography of cyberspace. Environment and Planning B: Planning and Design, vol. 20, pp. 615-661 47. BATTY M., 1997. Virtual Geography. Futures, vol. 29, n° 4/5, pp. 337-352. 48. BATTY M., COLLE S., 1997. Geographic perspectives on the future. Futures, vol. 29, n° 4/5, pp. 277-289. 49. BAUDRILLARD J., 1981. Simulacre et simulations. Paris, Galilée, 233 p. 50. BEAVERSTOCK J.V., SMITH R.G., TAYLOR P.J., 1999. A Roster of World Cities. Cities, vol. 16, n° 6, p. 445 - 458. 51. BEAVERSTOCK J.V., SMITH R.G., TAYLOR P.J., 2000. World City Network: a new metageography? Annals of the Association of American Geographers, vol. 90, n° 1, pp. 123-134 52. BEGG I., 1999. Cities and Competitiveness. Urban Studies, vol. 36, n° 5-6, pp. 795-809. 53. BELT V., RICHARDSON R., WEBSTER J., 2000. Women' s work in the information economy: the case of telephone call centres. Information, Communication and Society, vol. 3, n° 3, pp. 366-385. 54. BENKO G., LIPIETZ A. (éds.), 1992. Les Régions qui gagnent. Districts et réseaux : les nouveaux paradigmes de la géographie économique. Paris, PUF, 424 p. 55. BENKO G., LIPIETZ A. (éds.), 2000. La richesse des régions. La nouvelle géographie socio-économique. Paris, PUF, 564 p. 56. BENKO, 1991. Géographie des technopôles. Paris, Masson, 224 p. 57. BENNETT R.J., 2002. The influence of location and distance on the supply of business advice. Environment and Planning A, vol. 34, n° 2, pp. 251 - 270. 58. BERRY B., 2001. Teleportation Arrives. Urban Geography, vol. 22, n° 4, pp. 302-305. 59. BERTOLINI R., 2002. Teleservices in Subsaharian Africa. Francfort, Peter Lang, 186 p. 60. BEVERIDGE, T. and PERKS, C. (2000) Blueprint for the Flexible Enterprise. Intelligent Enterprise, 3, n°4, www.intelligententerprise.com/000301/feat3.shtlm 61. BEYERS W., 2002. Services and the New Economy: elements of a research agenda. Journal of Economic Geography, vol. 2, n° 1, pp. 1-29. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 250 Regard géographique sur le paradigme numérique 62. BEYERS W.B.., LINDAHL D.P., 1996. Lone Eagles and High Fliers in Rural Producer Services. Rural Development Perspectives, vol. 11, n° 3, pp. 2-10, www.ers.usda.gov/ publications/rdp/rdp696/rdp696a.pdf. 63. BEYERS W.B.., LINDAHL D.P., 1999. The Creation of Competitive Advantage by Producer Service Establishments. Economic Geography, vol. 75, n° 1, pp. 1-20. 64. BISHOP P., GRIPAIOS P., BRISTOW G., 2003. Determinants of Call centre Location: some evidence of UK urban areas. Urban Studies, vol. 40, n° 13, pp. 2751-2768. 65. BLANC G., 1998. Panorama des télécentres dans le monde. Eurotechnopolis Institut, www.eurotechnopolis.org. 66. BLANC G., De BEER A., 2000. Bibliographie internationale sur le travail à distance et le télétravail. www.eurotechnopolis.org. 67. BOASE J., CHEN W., WELLMAN B., PRIJATELJ M., 2003. Y-a-t-il du territoire dans le cyberespace ? Usages et usagers des lieux d’accès publics à Internet. Géographie et cultures, n° 46, pp. 5-19. 68. BONNET J., 2000. Les Technologies d' Information, une opportunité pour le développement économique local ? Les Monts du Lyonnais et du Beaujolais. Geocarrefour - Revue de géographie de Lyon, vol. 75, n° 1, p.55-62. 69. BOSCH G., WEBSTER J., WEISBACH H.S., 2000. New Organizational Forms in the Information Society. In DUCATEL et al., 2000, pp. 99-117. 70. BOUINOT J., BERMILS B., 1995. La gestion stratégique des villes. Paris, Armand Colin, 207 p. 71. BOURDIER J.C., 2000. Réseaux à hauts débits : nouveaux contenus, nouveaux usages, nouveaux services. Rapport au Secrétaire d' Etat à l' Industrie. Format PDF, www.internet.gouv.fr 72. BOURDIEU P., 1993. La misère du monde. Paris, Seuil, 948 p. 73. BRACZYK H.J., FUCHS G., WOLF H.S. (éds.), 1999. Multimedia and Regional Restructuring. Londres, Routledge, 448 p. 74. BREATHNACH P., 2000. Globalisation, information technology and the emergence of niche transnational cities: the growth of the call centre sector in Dublin. Geoforum, vol. 31, n° 4, pp. 477-485. 75. BREATHNACH P., 2002. Information Technololgy, Gender Segmentation and the Relocation of Backoffice Employment: The Growth of the Teleservices Sector in Ireland. Information, Communication & Society, vol. 5, n° 3, pp. 320335. 76. BRETON P., 1997. L'utopie de la communication. Paris, La Découverte, 172 p. 77. BRETON P., PROULX S., 1996. L'explosion de la communication. Paris, La Découverte, 324 p. 78. BRETON T., 1995. Le télétravail en France. Rapport au ministre de l' intérieur et de l' aménagement du territoire. Paris, La Documentation française, 283 p. 79. BRISTOW G., GRIPAIOS P., MUNDAY M., 2000. Call centre growth and location: corporate strategy and the spatial division of labour. Environment and Planning A, vol. 32, n° 3, pp. 519-538. 80. BROADHURST A.I., LEDGERWOOD G., 1999. Creating technology-based enterprise televillages. Post-modern regional development theory. Cities, vol. 16, n° 1, pp. 43- 50. 81. BRUNET R. (éd.), 1989. Les villes européennes. Paris, La documentation Française, 80 p. 82. BRUNET R., 1990. Le territoire dans les turbulences. Montpellier, Géographiques RECLUS, 224 p. 83. BRUNN S.D., CUTTER S.L., HARRINGTON J.W. (éds.), 2004. Geography and Technology. Dordrecht, Kluiver, 613 p. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 251 84. BRUNN S.D., LEINBACH T., 1991. Collapsing Space and Time: Geographic Aspects of Communication and Information. Londres, Harper, 404 p. 85. BRYDEN, J., RENNIE, F., FULLER A.M., 1996, Implications of the Information Highway for Rural Development and Education, The Arkleton Trust, Oxford, 1996. 86. BRYSON J.R., DANIELS P.W., WARF B., 2003. Services in the New Economy. Londres, Routledge, 336 p. 87. BUNNEL T., 2002. Multimedia Utopia? A Geographical Critique of High tech Development in Malaysia' s Multimedia Supercorridor. Antipode, vol. 34, n° 2, pp.265-295. 88. BUTLER D.L., 2001. Concentration, Dispersion, Networks and IT: A Case Study of Call Centers in the United States. Communication pour la conférence Digital Communities - Cities in the Information Society, Northwestern et Michigan State University, Chicago, 4-7 Novembre 2001. 89. BUTLER D.L., 2004. U.S. Call centers: The undiscovered country. In WorldMinds Geographic perspectives on 100 problems, eds. D. Janelle, B. Warf, and K. Hansen, pp. 243-248. Kluiver, Dordrecht, Netherland, 635 p. 90. CADENE P., MOREL J.L., 2003. Le développement d’Internet en Inde. Géographie et cultures, n° 46, pp. 97-117. 91. CAIRNCROSS F., 2002. The Death of Distance: How the Communications Revolution Will Change Our Lives. Boston, Harvard Business School Press, 2ème éd., 318 p. 92. CAISSE DES DÉPÔTS, 2002. Le haut débit et les collectivités locales. Paris, La Documentation française, 144 p. 93. CAISSE DES DÉPÔTS, SÉNAT, 2002. Les enjeux du haut débit : collectivités locales et territoires à l’heure des choix. Actes du colloque organisé par le Sénat et la Caisse des dépôts et consignations, 12 novembre 2002, www.carrefourlocal.org/dossiers/colloques/hautdebit.pdf 94. CALLON M. et al. (éd.), 1999. Réseau et coordination. Paris, Economica, 194 p. 95. CAMPAGNA M., DEPLANO G., 2004. Evaluating geographic information provision within public administration websites. Environment and Planning B: Planning and Design, vol. 31, n° 1, pp. 21-37. 96. CAPALBO S., HEGGEM C., 1999. Innovations in the Delivery of Health Care Services to Rural Communities: Telemedicine and Limited-Service Hospitals. Rural Development Perspectives, vol. 14, n°3. www.ers.usda.gov/Publications/RDP / 97. CASSÉ, M.C., 1995. Réseaux de télécommunication et production de territoire. In EVENO et LEFEBVRE (éds.), pp. 61-81. 98. CASSETTE B., 2002. Le développement numérique des territoires. Paris, La documentation française, 102 p. 99. CASTELLS M., 1989. The Informational City: Information Technology, Economic Restructuring, and the Urban-Regional Process. Cambridge (Mass.), Blackwell, 402 p. 100. CASTELLS M., 1996. The Rise of the Network Society. Oxford, Blackwell, 480 p. 101. CASTELLS M., 1999. Grassrooting the space of flows. Urban Geography, vol. 20, n° 4, pp. 294-302 102. CASTELLS M., 2002. The Internet Galaxy. Oxford, Oxford University Press, 304 p. 103. CASTELLS M., HALL P., 1995. Technolopoles: Mines and Foundaries of the Information Economy. Londres, Routledge. Pages???? 104. CATTAN N., PUMAIN D., ROZENBLAT C., SAINT-JULIEN T., 1999. Le système des villes européennes. Paris, Anthropos, 197 p. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 252 Regard géographique sur le paradigme numérique 105. CAVES R. (éd.), 1999. Cities and Telecommunications in the Global Information Age. Cities, vol. 16, n° 1. 106. CAVES R.W., WALSHOK M.G., 1999. Adopting innovations in information technology. The California municipal experience. Cities, vol. 16, n° 1, pp. 3-12. 107. CENTER for ENTREPRENEURIAL STUDIES, 2001. Internet Cluster Regions in Germany. European Business School, Oestrich-Winkel, Allemagne. Format Powerpoint, www.e-startup.org. 108. CERNA - Ecole des Mines de Paris, 1999. Le telecom hub de Denver. Rapport d' étude, format PDF, 125 p. www.cerna.ensmp.fr/Enseignement/Travaux/RapportEI-2A-99.pdf 109. CESMO, 2000. Le marché des centres d'appels en France. 250 p. (www.cesmo.fr). 110. CHAMBRE DE COMMERCE ET D’INDUSTRIE DE PARIS, 2003. Améliorer la gestion de la relation client grâce à un centre de contact : application aux PME. Format PDF, 59 p., www3.ccip.fr/etudes/dossiers/centre_de_contact/ 111. CHENEAU LOQUAY A. (éd.), 2004. Mondialisation et technologies de la communication en Afrique. Paris, Karthala, 328 p. 112. CITY OF EDIMBURGH COUNCIL, 2003. Delivering the Smart City, A 21st Century Government Action Plan. Version révisée, format Word, 35 p., http://download.edinburgh.gov.uk/smartcity/FINALSmart_City_Strategy_April_ 03.doc 113. CLAISSE G., 1997. L'abbaye des télémythes. Lyon, Aléas Editeur, 358 p. 114. CLARK G.L., 1998. Network Topologies and Virtual Places. Annals of the Association of American Geographers, vol. 88, n° 1, pp. 88-106. 115. CLARK G.L., FELDMAN M., GERTLER M.S. (éds.), 2000. The Oxford Handbook of Economic Geography. Oxford, Oxford University Press, 742 p. 116. CLARK M.A., 2000. Teleworking in the countryside. Home-based working in the information society. Aldershot, Ashgate, 202 p. 117. CLAVAL P., 1995. Les problématiques géographiques de la communication. Sciences de la société, n° 35, pp. 31-46. 118. COLLINSON S., 2000. Knowlege networks for innovation in small Scottish software firms. Entrepreneurship & Regional Development, vol. 12, n° 3, pp. 217-244. 119. COMMISSION EUROPEENNE, 2000. E-Work 2000 - Annual report on teleworking. Europe Telework Online, format PDF, www.eto.org.uk. 120. COMPAINE B.M. (éds.), 2001. The Digital Divide: Facing a Crisis or Creating a Myth? Cambridge, MIT Press, 340 p. 121. CONWAY A., 1997. 55 Broad Street, the Digitalization of Physical Space Institute for Technology and Enterprise, Polytechnic University and London Business School. www.poly.edu/ite/55broad/begin.htm 122. COOPER M., 2002. Cable Mergers and Monopolies. Market power in digital media and communications networks. Washington D.C., Economic Policy Institute, 173 p. 123. COOPERS&LYBRAND, 1996. New York New Media Industry Survey. Format PDF, 57 p., www.poly.edu/ite/55broad/pdf/report.pdf 124. COREY K., 1998. Electronic Space: Creating and Controlling Cyber Communities in Southeast Asia and the United States. Communication présentée lors du colloque Electronic Space Workshop - CyberChoices: Determining Sociolotechnical Futures. Michigan State University, Sophia Antipolis, France, 25-29 mai 1998. 125. COREY K., 1998. Electronic Space: Creating Cyber Communities in Southeast Asia. In Wilson and Corey, 2000, pp. 135-164. 126. COREY K., 2000. Intelligent Corridors: Outcomes of Electronic Space Policies. Journal of Urban Technology, vol. 7, n° 2, pp. 1-22. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 253 127. CORPORATION of LONDON and Government’s Economic and Social Research Council (2001) The City of London and Research into Business Clusters. Research brief, www.lboro.ac.uk/gawc/projects/cityoflond.html 128. COUCLELIS H., 1996. Editorial: the death of distance. Environment and Planning B, Planning and Design, vol. 23, pp. 387-389. 129. COUCLELIS H., 2004. The construction of the digital city. Environment and Planning B: Planning and Design, volume 31, n° 1, pp. 5-19. 130. COWAN E., STANDING C., VASUDAVAN T., 1999. Regional Tourism Marketing via the Internet in Australia and South Africa. Conférence BIT World'99. Cape Town, Afrique du Sud, 30 juin - 2 juillet 1999, fichier PDF, 9 p. 131. COX K. (éd.), 1997. Spaces of globalization: reasserting the power of the local. New York, Londres, Guilford Press, 292 p. 132. CRANG M., 2000. Public Space, Urban Space and Electronic Space: Would the Real City Please Stand Up? Urban Studies, vol. 37, n° 2, pp. 301-317. 133. CRANG M.P., MAY J. (éds.), 1999. Virtual Geographies. Londres, Routledge, 322 p. 134. CURRY M., 1998. Digital Places. Living with Geographic Information Technologies. Londres, Routledge. Pages???? 135. CURRY M.R., 1997. The Digital Individual and the Private Realm. Annals of the Association of American Geographers, vol. 87, n° 4, pp. 681-699. 136. CUTCHIN M.P., 2002. Virtual medical geographies: conceptualizing telemedecine and regionalization. Progress in Human Geography, vol. 26, n° 1, pp. 19-39. 137. DANG NGUYEN G. (dir.), 2002. Entreprises et hauts débits : le rôle des collectivités territoriales. Rapport pour l’Observatoire des télécommunications dans la ville et le ministère de l’industrie, DGI. Format PDF, 142 p., www.telecom.gouv.fr/documents/hd/enthd.pdf 138. DANIELS P., 2004. Advanced Producer Services in a Second City: Old Roles, New Possibilities. Congrès annuel de l’Association des géographes américains, Philadelphie, 14-19 mars 2004. 139. DATAMONITOR, 2002. Call Centers in EMEA (Europe - Middle-East-Asia) to 2007. Report n° 0852, www.datamonitor.com 140. DATAR, 1998. Télétravail et téléactivités : outils de valorisation du territoire. Paris, La Documentation française, 140 p. 141. D' ATTILIO H., 1998 (1). Assurer l'égalité des territoires dans l'accès aux technologies de l'information et de la communication pour les zones fragiles. Rapport du sénateur Henri d' Attilio. Format PDF, www.internet.gouv.fr. 142. D' ATTILIO H., 1998 (2). Le développement des Nouvelles Technologies d’Information et de Communication dans les Collectivités Locales : de l’expérimentation à la généralisation. Rapport au Premier Ministre du sénateur Henri d' Attilio. Format PDF, www.internet.gouv.fr. 143. DAVEZIES L. 2003. Le développement territorial : une France à plusieurs vitesses ou le lièvre et la tortue ? Inter Régions, juillet 2003. 144. DAVIS D., POLONKO K.A., 2001. Telework in the United States: Telework America Survey 2001. International Telework Association and Council (ITAC), www.telecommute.org. 145. De BERNARDY, 1997. Efficience de l’innovation à Grenoble : fins stratèges et jardiniers méticuleux. Revue de Géographie Alpine, vol. 85, n° 4, pp. 155-173. 146. De ROSNAY J., 1977. Le macroscope. Paris, Seuil, 346 p. 147. DEBARBIEUX B., 1992. Le lieu, le territoire, et trois figures de rhétorique. L’Espace Géographique, vol. 24, n° 2, pp. 97-112. 148. DEBARBIEUX B., VANIER M. (éds.), 2002. Ces territorialités qui se dessinent. La Tour d' Aigues, DATAR - Editions de l' Aube, 267 p. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 254 Regard géographique sur le paradigme numérique 149. DELAUNAY J.C., 2000. Call centre: employment strategies in France. Communication présentée à la conférence Where in the world, Budapest, 2425 octobre 2000. 150. DELOITTE & TOUCHE, 2001. Call Center Location Survey 2000. Format PDF, 5 p. www.deloitte.com/dt/cda/doc/content/CallCenterSurvey.pdf 151. DEMATTEIS G., 1994. Global Networks, Local Cities. Flux, n° 15, pp. 17-24. 152. DESPIN L., 2000. Conditions territoriales de l' appropriation des Techniques d' Information et de Communication au sein de la Communauté de communes de St Laurent de Neste. Geocarrefour, vol. 75, n° 1, pp.63-72. 153. Di MEO G., 1991. L'Homme, la Société, l'Espace. Paris, Anthropos Economica, 319 p. 154. Di MEO G., 1998. Géographie sociale et territoires. Paris, Nathan, 320 p. 155. DICKEN P., 2003. Global shift: Transforming the World Economy. Londres, Guilford Press (4ème éd.), 633 p. 156. DICKEN P., MALMBERG A., 2001. Firms in Territories: A Relational Perspective. Economic Geography, vol. 77, n° 4, pp. 345-363. 157. DIXON T., MARSTON A., 2002. U.K. Retail Real Estate and the Effects of Online Shopping. Journal of Urban Technology, vol. 9, n° 3, pp. 19-47. 158. DODGE M. et al. Cybergeography Research. Atlas of Cyberspaces. University College London, Center for Advanced Spatial Analysis, www.cybergeography.org 159. DODGE M., 2001. Finding the source of Amazon.com. In Leinbach & Brunn (éds.), Worlds of E-Commerce, pp. 167-180. 160. DODGE M., DOYLE S., SMITH A., FLEETWOOD S., 2000. “Réalité virtuelle et SIG Internet pour la planification urbaine”. In Sandoval (éd.), pp. 59-73. 161. DODGE M., KITCHIN R., 2000. Mapping Cyberspace. Routledge, 260 p. 162. DODGE M., SHIODE N., 1997. Where on Earth is the Internet? An Empirical Investigation of the Spatial Patterns of Internet Real-Estate in Relation to Geospace in the United Kingdom. Communication pour le colloque Telecommunications and the City, Athens, Géorgie, mars 1998, www.geog.ucl.ac.uk/casa/martin/ internetspace/paper/telecom.html. 163. DREWE P. (éd.), 1998. La ville réseau. Technologie de l' information et planification territoriale. Flux, n° 31-32 164. DREWE P., FERNANDEZ-MALNONADO A.M., HULSBERGEN E., 2003. Battling Urban Deprivation: ICT Strategies in the Netherlands and Europe. Journal of Urban Technology, vol. 10, n° 1, pp. 23-37. 165. DUCATEL K., WEBSTER J., HERRMANN W. (éds.), 2000. The Information Society in Europe: Work and Life in an Age of Globalization. Lanham, Rowman & Littlefield, 320 p. 166. DUMORTIER B., MENAULT M., 2003. La société de l’information au cœur de la ville : les cybercafés à Dublin. Géographie et cultures, n° 46, pp. 83-96. 167. DUNNING J.H. (éd.), 2000. Regions, globalization, and the knowledge-based economy. Oxford, Oxford University Press, 520 p. 168. DUPUY G., 1987. Les réseaux techniques sont-ils encore des réseaux ? L'espace géographique, n° 3, pp. 175-184. 169. DUPUY G., 1991. L'urbanisme des réseaux. Théories et méthodes. Paris, Armand Colin, 198 p. 170. DUPUY G., 2002. Internet, Géographie d'un réseau. Paris, Ellipses, 160 p. 171. DUPUY G., 2003. The Icelandic Miracle : The Internet in an Emergent Metropolis. Journal of Urban Technology, vol. 10, n° 2, pp. 1-18. 172. DURAND M.F., LEVY J., RETAILLE D., 1993. Le Monde : espaces et systèmes. Dalloz, 598 p. 173. DUTTON W. H. (éd.), 1996. Information and Communication Technologies: Visions and Realities. Oxford, Oxford University Press, 390 p. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 255 174. DUTTON W.H. 1999. Society on the Line: Information Politics in the Digital Age. New York, Oxford University Press, 416 p. 175. ECATT, 2000. Consortium Benchmarking Progress on New Ways of Working and New Forms of Business across Europe. Programme des Communautés Européennes sur les technologies et la société de l' information, format PDF, 313 p., www.ecatt.com. 176. ECCLES B.A., FARHOOMAND A.F., DRURY D., 1999. Information Technology Productivity Paradox in Asia. Conférence BIT World'99. Cape Town, Afrique du Sud, 30 juin - 2 juillet 1999, fichier PDF, 11 p. 177. ENDERS A., SEEKINS T., 1999. Telecommunications Access for Rural Americans With Disabilities. Rural Development Perspectives, vol. 14, n°3. www.ers.usda.gov/Publications/RDP / 178. ETTIGHOFFER D., 2001. L'entreprise virtuelle. Nouveaux modes de travail, nouveaux modes de vie ? Paris, Editions d' Organisation, 416 p. 179. EVANS-COWLEY J., MALECKI E.J., McINTEE A., 2002. Planning Responses to Telecom Hotels: What Accounts for Increased Regulation of Co-location Facilities? Journal of Urban Technology, vol. 9, n° 3, pp. 1-18. 180. EVENO E., 1997. Pour une géographie de la société de l' information”. Netcom, vol. 11, n° 2, p.431-457. 181. EVENO E., 1997. Les Pouvoirs urbains face aux technologies de l'information et de la communication. Paris, Que Sais-je ?, n° 3156, 128 p. 182. EVENO E., 2001. La société urbaine de communication. Mémoire pour l' habilitation à diriger des recherches, vol. 1, Université de Toulouse le Mirail, 276 p. 183. EVENO E., LEFEBVRE A. (éds.), 1995. Territoire, société et communication. Sciences de la Société, n° 32. Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 230 p. 184. FEATHERSTONE M., 1998. The Flâneur, the City and Virtual Public Life. Urban Studies, vol. 35, n° 5-6, pp. 909-925. 185. FENG L., 1995. The Geography of Business Information. Londres, John Wiley, 264 p. 186. FERNANDEZ-MALDONADO A.M., 2001. The Diffusion and Use of Information and Communications Technologies in Lima, Peru. Journal of Urban Technology, vol. 8, n° 3, pp. 21-43 (publié également dans Flux, vol. 47, janvier-mars 2002, pp. 20-34). 187. FIRMINO R., 2003. Not just portals: virtual cities as complex sociotechnical phenomena. Journal of Urban Technology, vol. 10, n° 3, pp. 41-62. 188. FISHER P., UNWIN D., 2001. Virtual Reality in Geography. Londres, Taylor and Francis, 416 p. 189. FLICHY P., 1991. Une histoire de la communication moderne. Paris, La Découverte, 280 p. 190. FLICHY P., 2001. L'imaginaire d'Internet. Paris, la Découverte, 274 p. 191. FLORIDA R., 2002. The Rise of the Creative Class: And How It's Transforming Work, Leisure, Community and Everyday Life. New York, Basic Books 437 p. (paperback ed.). 192. FORISSIER N., 2002. Rapport d’information à l’Assemblée nationale sur la desserte du territoire par la téléphonie mobile et par l’Internet à haut débit. Deux vol. PDF, 105+89 p., www.assemblee-nat.fr/12/pdf/rap-info/i0443.pdf 193. FOUCAULT M., 1975. Surveiller et punir. Paris, Gallimard, 360 p. 194. FRANCE TÉLÉCOM, 1999. Lancement du European Backbone Network. Communiqué de presse du 10 octobre 1999. Format PDF, 13 p., www.francetelecom.com. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 256 Regard géographique sur le paradigme numérique 195. FRANCE TÉLÉCOM, 2000. France Télécom bâtit le réseau du 21ème siècle. Communiqué de presse du 19 décembre 2000. Format PDF, 15 p., www.francetelecom.com. 196. FRANCE TÉLÉCOM, 2001. Le Réseau de France Télécom au cœur de la stratégie du Groupe. Communiqué de presse du 4 décembre 2001, format PDF, 18 p., www.francetelecom.com. 197. FRANCE TÉLÉCOM, 2001. Les offres Solutions Centres d'Appels® et CRM de France Télécom. Communiqué de presse, mai 2001. Format PDF, 15 p., www.francetelecom.com. 198. FRANKE U., 1999. Information and Communication Technology (ICT) Enables New Forms of Organisations, e.g. The Virtual Cluster. Conférence BIT World'99. Cape Town, Afrique du Sud, 30 juin - 2 juillet 1999, fichier PDF, 23 p. 199. FRENKEL A., 2001. Why High-technology Firms Choose to Locate in or near Metropolitan Areas. Urban Studies, vol. 38, n° 7, pp. 1083 - 1102. 200. FUENTES-BAUTISTA M., 2001. The Rural Telecommunications Policy Bibliography. Report for the Rural Policy Research Institute, University of Texas at Austin, www.utexas.edu/research/tipi/RUPRI/RupriBib.htm 201. GADREY J., 2000. Nouvelle Economie, nouveaux mythe ? Paris, Flammarion, 267 p. 202. GARCIA D., 1998. “Région, héritage culturel et changement social. Les télécommunications en Auvergne”. Netcom, vol. 12, n° 3, p.227-250. 203. GAREIS K., KORDEY N., 1999. Telework – an Overview of Likely Impacts on Traffic and Settlement Patterns. Netcom, vol. 13, n° 3-4, pp. 265-286. 204. GARFINKEL S., 2000. Database Nation. The Death of Privacy in the Twentyfirst Century. New-York, O' Reilly and Associates. 205. GATES, W.H. (1996) The Road Ahead. New-York: Penguin. 206. GHORRA-GOBIN C., KIRSZBAUM T., 2001. La proximité à l' ère métropolitaine: les politiques d' accès à l' emploi en France et aux Etats-Unis. Les Annales de la recherche urbaine, n° 90, p. 138-147. 207. GHOSE R., 2001. Building digital communitites in inner-city America: examining participation, power, local policy context and the network of institutions. Conférence Digital Communities - Cities in the Information Society, Northwestern et Michigan State University, Chicago, 4-7 Novembre 2001. 208. GHOSE R., 2003. Community Participation, Spatial Knowledge Production, and GIS Use in Inner-City Revitalization. Journal of Urban Technology, vol. 10, n° 1, pp. 39-60. 209. GIBBS D., TANNER K., 1997. Information and Communication Technologies and Local Economic Development Policy: The British Case. Regional Studies, vol. 31, pp. 768-774. 210. GIBSON W., 1984. Neuromancer. Londres, Harper & Collins. 211. GILLESPIE A. and RICHARDSON R., 2000. Teleworking and the City. In Wheeler & al. (éds.), 2000, pp. 228-245. 212. GILLESPIE A.E, RICHARDSON R., 2000. Call Centre Periphery: Teleservices and economic development in rural Scotland. Geocarrefour - Revue de géographie de Lyon, vol. 75, n° 1, p.77-86 213. GILLESPIE A.E., RICHARDSON R., 1996. “Advanced communications and employment creation in rural and peripheral regions: a case study of the Highlands and Islands of Scotland”. The Annals of Regional Science, n° 30-1, pp. 91-110. 214. GLASMEIER A., 2003. Broadband Internet Service in Rural and Urban Pennsylvania: A Commonwealth or Digital Divide? Version provisoire, format PDF, 64 p., www.geog.psu.edu/people/glasmeier/broadbandreport.pdf Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 257 215. GOMEZ R., HUNT P., LAMOUREUX E., 1999. Enchanted by Telecentres: A Critical look at Universal Access to Information Technologies for International Development. Colloque "New Information Technologies and Inequality", University of Maryland, 16-17 février 1999, www.idrc.ca/pan/enchanted.html. 216. GOODCHILD M., 1990. Communicating Geographic Information in a Digital Age. Annals of the Association of American Geographers, vol. 90, n° 2, pp. 344-355. 217. GORDON I., 2000. Industrial Clusters: Complexes, Agglomeration and/or Social Networks? Urban Studies, vol. 37, n° 3, pp. 513 - 532. 218. GORDON R.J., 2000. Does the New Economy Measure up to the Great Inventions of the Past?. Journal of Economic Perspectives, vol. 14, n° 4, pp. 49-74. 219. GORMAN S.P., 2001. Where are the Web factories: The urban bias of ebusiness location. Rapport de recherche, format PDF, 32 p., www.informationcity.org/research. 220. GORMAN S.P., MALECKI E.J., 2000. The networks of the Internet: an analysis of provider networks in the USA. Telecommunications Policy, vol. 24, n° 2, pp. 113-134. 221. GORMAN S.P., McINTEE A., 2003. Tethered connectivity? The spatial distribution of wireless infrastructure. Environment and Planning A, vol. 35, n° 7, pp. 1157-1171. 222. GOTTMANN J., 1970. Urban centrality and the interweaving of quaternary functions. Ekistics, n° 174, pp. 322-331. 223. GOTTMANN J., 1983. Urban settlements and telecommunications. Ekistics, n° 302, pp. 411-416. 224. GOUSSOT S., 1998. Géographie des télécommunications. Paris, A. Colin, 95 p. 225. GRAEF P., 1998. Cyberspace and Call centers. New patterns of location, outsourcing and reengineering of services in Germany. Netcom, vol. 12, n° 4, pp. 397-402. 226. GRAHAM S., 1998. The end of geography or the explosion of place ? Conceptualizing space, place and information technologies. Progress in Human Geography, vol. 22, n°2, 165-185. 227. GRAHAM S., 1999. Global Grids of Glass: On Global Cities, Telecommunications and Planetary Urban Networks. Urban Studies, vol. 36, n° 5/6, pp. 929-949. 228. GRAHAM S., 2000-1. Cities and Infrastructure Networks. International Journal of Urban and Regional Research, vol. 24, n° 1, pp. 114-119. 229. GRAHAM S., 2000-2. Constructing Premium Network Spaces: Reflections on Infrastructure Networks and Contemporary Urban Development. International Journal of Urban and Regional Research, vol. 24, n° 1, pp. 183-200. 230. GRAHAM S., 2001. Information Technologies and Reconfigurations of Urban Space. International Journal of Urban and Regional Research, vol. 25, n° 2, pp. 405-410. 231. GRAHAM S., 2002. Bridging Urban Digital Divides? Urban Polarisation and Information and Communications Technologies (ICTs). Urban Studies, vol. 39, n° 1, pp. 33 - 56. 232. GRAHAM S. (éd.), 2003. The Cybercities Reader. Londres, Routledge, 400 p. 233. GRAHAM S., AURIGI A., 1997. Virtual Cities, Social Polarization, and the Crisis in Urban Public Space. Journal of Urban Technology, vol. 4, n° 1, pp. 19-52. 234. GRAHAM S., MARVIN S., 1996. Telecommunication and the city: electronic spaces, urban places. Londres, Routledge Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 258 Regard géographique sur le paradigme numérique 235. GRAHAM S., MARVIN S., 2001. Splintering Urbanism: Networked Infrastructures, Technological Mobilities and the Urban Condition. Londres, Routledge, 400 p. 236. GRAVI M., KULLENBERG M., 2000. ICT, an enabling Force Service Location, Work Forms and the Individual. A Case Study of Scandinavian Teleworkers in the Sun Belt. Netcom, vol. 14, n° 1-2, p.53-76. 237. GRIECO M., 2000. Intelligent Urban Development: The Emergence of ' Wired Government and Administration. Urban Studies, vol. 37, n° 10, pp. 1719-1721. 238. GRIMES S, COLLINS P., 2003. Building a Knowledge Economy in Ireland trough European research networks. European Planning Studies , vol. 11, n° 4, pp. 395-413. 239. GRIMES S, COLLINS P., 2003. The role of telematics in integrating Ireland into Europe' s information society. European Planning Studies, vol. 10, n° 8, pp. 971-986. 240. GRIMES S., 1999. Rural areas in the information society: diminishing distance or increasing learning capacity? Journal of Rural Studies, vol. 16, n° 1, pp. 1321. 241. GRIMES S., 2003. Ireland’s emerging information economy: recent trends and future prospects. Regional Studies, vol. 37, n° 1, pp. 3-14. 242. GRIMES S., 2003. The digital economy challenge facing peripheral rural areas. Progress in Human Geography, vol. 27, n° 2, pp. 174-194. 243. GRISET P., 1995. Espace et technologie. Une géopolitique des télécommunications intercontinentales au XIXe siècle. Sciences de la société, n° 35, pp. 99-110. 244. GUERMOND Y. (éd.) 1984. Analyse de Système en Géographie. Lyon, PUL, 324 p. 245. GUIGOU J.L. La fin des territoires ? Internet et Nous. Les nouveaux cahiers de l'IREPP, n° 21, 1997, p.15-21. 246. GUILLAUME M. (éd.), 1997. Où vont les autoroutes de l’information ? Commissariat général du plan, Commission européenne. Paris, Ed. Descartes et Cie., 192 p. 247. GUMUCHIAN H., 1991. Représentations et aménagement du territoire. Paris/Montpellier, Anthropos/Reclus-Economica, 143 p. 248. GUTIERREZ F., DALTABUIT E., 1999. Mexican cities in cyberspace. Cities, vol. 16, n° 1, pp. 19-31. 249. HACKLER D., 2000. Industrial Location in the Information Age. In Wheeler & al. (éds.), pp. 200-218. 250. HAGERSTRAND T., 1967. Innovation Diffusion as a Spatial Process. Chicago, University of Chicago Press, 334 p. 251. HALL P., 1997. Modelling the post-industrial city. Futures, vol. 29, n° 4/5, pp. 311-322. 252. HALL P., PRESTON P., 1988. The Carrier Wave: New Information Technology and the Geography of Innovation, 1846-2003, Londres, Unwin, 305 p. 253. HANDY S., MOKHTARIAN P.L., 1995. Planning for Telecommuting Measurement and Policy Issues. Journal of the American Planning Association, vol. 69, pp. 99-111. 254. HANDY S., MOKHTARIAN P.L., 1996. Forecasting Telecommuting: an Exploration of Methodologies and Research Needs. Transportation, vol. 23, pp. 163-190. 255. HANDY S.L., MOKHTARIAN P.L., 1996. The Future of Telecommuting. Future, n° 28, pp. 227-240. 256. HARRISON B., 1994. Lean and Mean: The Changing Landscape of Corporate Power in the Age of Flexibility. New York, Basic Books, 324 p. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 259 257. HARVEY D, 1989. The condition of postmodernity. Oxford, Blackwell, 378 p. 258. HASSAN R., 2003. The chronoscopic society: globalization, time and knowledge in the network economy. New York, Peter Lang Publishing, 187 p. 259. HEPWORTH M., 1987. Information technology as spatial system. Progress in Human Geography, vol. 11, n° 2, pp. 157-180. 260. HEPWORTH M., 1990. Geography of the Information Economy. New-York, Guilford Press, 258 p. 261. HEPWORTH M., 1990. Planning for the information city. The challenge and response. Urban Studies, vol. 27, pp. 537-558. 262. HERSCOVICI A., 1997. Economie des réseaux et structuration de l’espace. Pour une économie politique de la culture et de la communication. Sciences de la société, n° 40, p.25-37 263. HERVÉ M., d’IRIBARNE A., 2002. Parthenay ou les infortunes de la vertu. Séminaire Entrepreneurs, Villes et Territoires de l’Ecole de Management de Paris, Format PDF, 11 p., www.ecole.org/2/EV060202.pdf. 264. HILLIS K., 1998. On the margins : the invisibility of communications in geography. Progress in Human Geography, vol. 22, n° 4, p.543-566. 265. HILLIS K., 1999. Digital Sensations: Space, identity and embodiment in virtual reality. Minneapolis; University of Minnesota Press, 271 p. 266. HOLCOMB P.B., ZIZZAMIA M., 2003. The Internet in the Aftermath of the World Trade Center Attack. Journal of Urban Technology, vol. 10, n° 1, pp. 111-128. 267. HOLMES L., GRIECO M., 1999. Tele options for community business: an opportunity for economic development in Africa. Conférence BIT World'99. Cape Town, Afrique du Sud, 30 juin - 2 juillet 1999, fichier PDF, 11 p. 268. HOPKINSON P., JAMES P., MARUYAMA T., 2002. Teleworking at British Telecom. The Economic, Environmental and Social Impacts of its workabout Scheme. Rapport du programme « Sustainable Telework", Programme des Communautés européennes sur les technologies et la société de l' information, format PDF, 40 p., www.sustel.org. 269. HORAN T.A., 2000. A New Civic Architecture: Bringing Electronic Space to Public Place. Journal of Urban Technology, vol. 7, n° 2, pp. 59-83. 270. HORAN T.A., 2000. Digital Places: Building Our City of Bits. Urban Land Institute, Washington, 170 p. 271. HUET A., ZEITOUN J., 1995. Les téléports, nouvelles places de marché sur les inforoutes. Paris, L' Harmattan, 332 p. 272. HUH W-k., 1999. The Rural Computer Schools and Informatization of Rural Areas in Korea. Netcom, vol. 13, n° 1-2, pp. 123-139. 273. HUH W-k., KIM H., 2003. Information flows on the Internet of Korea. Journal of Urban Technology, vol. 10, n° 1, pp. 61-87. 274. HUTTON T. A., 2004. The New Economy of the Inner City. Cities, vol. 21, n° 2, pp. 89-108. 275. IDATE - DATAR, 1999. Télécommunication, téléservices et territoires. Rapport pour le gouvernement, format PDF, www.datar.gouv.fr (bibliothèque, études et rapports). 276. IDATE, 2000. Digiworld 2000. Format PDF, 146 p., www.idate.fr. 277. INDERGAARD M., 2004. Silicon Alley: The Rise and Fall of a New Media District. Londres, Routledge, 256 p. 278. ION J., MICOUD A., PERONI M., ROUX J., 1989. Métropoliser la ville. Etude exploratoire sur quelques façons récentes de dire l'urbain. Saint-Etienne, CRESAL-CNRS, 75 p. 279. ISERES-AFTT, 1999. Annuaire des télécentres en France. www.aftt.net 280. ISHIDA T., IBISTER K. (éds.), 2000. Digital Cities: Technologies, Experiences and Future Perspectives. New York, Springer Verlag, 444 p. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 260 Regard géographique sur le paradigme numérique 281. JACQUIN C., 2003. Les services d’hébergement Internet en France. Netcom, vol. 17, n° 1-2, 2003, pp. 23-44. 282. JANCOVICI J.M., 2001. Bénéfices environnementaux envisageables liés à l'introduction du télétravail. Rapport pour l' Observatoire des Stratégies Industrielles, Ministère de l' Industrie, www.manicore.com/ documentation/teletravail /OSI_synthese.html 283. JANELLE D., HODGE D. (éds.), 2000. Information, Place and Cyberspace: Issues in Accessibility. New-York, Springer-Verlag, 360 p. 284. JAUREGUIBERRY F., 1998. Lieux public, téléphone mobile et civilité. Réseaux, n° 90, pp. 71-84 285. JOINT VENTURE, 1995. The Joint Venture Way: Lessons for Regional Rejuvenation. Format PDF, 143 p., www.jointventure.org/resources/ publications/jvsvway.html 286. JOINT VENTURE, 2002. The 2002 Index of Silicon Valley. Rapport du Joint Venture Silicon Valley Network. Fichier PDF, 40 p., www.jointventure.org /resources/2002Index/index.html 287. JOINT VENTURE, 2003. Building the Next Silicon Valley: Strategy and Action. Rapport du Joint Venture Silicon Valley Network, Fichier PDF, 24 p., www.jointventure.org/2003index/index.html 288. JOINT VENTURE, 2004. Index of the Silicon Valley: Measuring Progress toward the Goals of Silicon Valley 2010. Rapport du Joint Venture : Silicon Valley Network, Fichier PDF, 44 p., www.jointventure.org/ 2004index/2004index.pdf 289. JONAS O. 2000. La cité interactive. Paris, L' Harmattan, 223 p. 290. JONAS O. 2001. Territoires numériques. Paris, CERTU - DGUHC, 141 p. 291. KAÏKA M., SWYNGEDOUW E., 2000. Fetishing the modern city: the fanthasmagoria of urban technological networks. International Journal of Urban and Regional Research, vol. 24, n° 1, pp. 122-148. 292. KAMEL S., HUSSEIN M., 1999. Internet in Egypt: “A Tool for Development”. Conférence BIT World'99. Cape Town, Afrique du Sud, 30 juin - 2 juillet 1999, fichier PDF, 20 p. 293. KAYSER B., 1993. Naissance de nouvelles campagnes. La Tour d’Aigues, Ed. de l’Aube, 173 p. 294. KAYSER B., MENDRAS H., 2000. Société Ruralité Culture. Géodoc, n° 50. 295. KEARNEY A.T., 1999. Internet Cluster Analysis. Joint Venture: Silicon Valley Network, format PDF, 24 p., www.jointventure.org. 296. KEARNEY A.T., 2000. Internet Cluster Analysis 2000. Joint Venture: Silicon Valley Network, format PDF, 28 p., www.jointventure.org. 297. KEEBLE L., LOADER B., 2001. Challenging the Digital Divide? A Preliminary Review of Online Community Support. CIRA, University of Teesside, www.cira.org.uk/downloads/Rowntrees%20Report.shtml#_ftn1 298. KEIVANI R., PARSA A., YOUNIS B., 2003. Development of the ICT sector and urban competitiveness: the case of Dubai. Journal of Urban Technology, vol. 10, n° 2., pp. 19-46. 299. KELLERMAN A., 1984. Telecommunications and the geography of metropolitan areas. Progress in Human Geography, vol. 8, n° 3, pp. 222-246. 300. KELLERMAN A., 1993. Telecommunications and Geography. New-York, Belhaven Press, 230 p. 301. KELLERMAN A., 2000. Where Does It Happen? The Location of the Production and Consumption of Web Information. Journal of Urban Technology, vol. 7, n° 1, pp. 45-61. 302. KELLY P.F., 1999. The geographies and politics of globalization. Progress in Human Geography vol. 23, n° 4, pp. 379-400. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 261 303. KENNEY M., CURRY J., 2000. Beyond Transaction Costs: E-commerce and the Power of the Internet Database. University of California Berkeley, Economy Project, Working paper 18. Format PDF, 41 p., http://economy.berkeley.edu/publications/ publications.html. 304. KILKENNY M., NALBARTE L., BESSER T., 1999. Reciprocated community support and small town - small business success. Entrepreneurship & Regional Development, vol. 11, n° 3, pp. 231 - 246. 305. KIRBY A., 1999. Surfing Mainstreet. Cities, vol. 16, n° 1, p. 1. 306. KIRCH S., 1995. The incredible shrinking world? Technology and the production of space. Environment and Planning D: Society and Space, vol. 13, pp.529-555. 307. KITCHIN R., 1998. The World in the Wires. Chichester, John Wiley and Sons, 228 p. 308. KITCHIN R., 1998. Toward geographies of cyberspace. Progress in Human Geography, vol. 22, n° 3, pp. 385-406. 309. KITCHIN R., BLADES M., 2002. The Cognition of Geographic Space. Londres, IB Tauris, 241 p. 310. KJELLERUP N. 2001. Myth & Reality about Contact Centres in India. Call Centre Managers Forum, www.callcentres.com.au/India_Call_Centres.htm. 311. KLOOSTERMAN R.C., LAMBREGTS B., 2001. Clustering of Economic Activities in Polycentric Urban Regions: The Case of the Randstad. Urban Studies, vol. 38, n° 4, pp. 717-732. 312. KOMNINOS Nicos, 2002. Intelligent Cities: Innovation, knowledge systems and digital spaces. Londres et New York, Spon Press, 320 p. 313. KOTKIN J., 2000. The New Geography : How the Digital Revolution Is Reshaping the American Landscape. New York, Random House Trade, 176 p. 314. KOTVAL Z., 1999. Telecommunications. A realistic strategy for the revitalization of American cities. Cities, vol. 16, n° 1, pp. 33-41. 315. LACOSTE Y., 1976. La géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre. 2e éd., 1985, 216 p. 316. LACOUR C., PUISSANT S. (éds.), 1999. La métropolisation : Croissance, Diversité, Fractures. Paris, Anthropos, 190 p. 317. LAFFITTE P., dir., 1997. Maîtriser la société de l'information : quelle stratégie pour la France ? Rapport d' information sur l' entrée dans la société de l' information. Rapport du sénat n° 436, www.senat.fr/rap/r96-436/r96436_toc.html 318. LANGDALE J.V., 2000. Telecommunications and 24-Hour Trading in the International Securities Industry. In Wilson et al. (eds.), pp. 89-99. 319. LANGDALE J.V., 2001. Global Electronic Spaces: Singapore' s Role in the Foreign Exchange Market in the Asia Pacific Region. In LEINBACH T.R., BRUNN S.D. (éds.), Worlds of Electronic Commerce: Economic, Geographical and Social Dimensions, pp. 203-219. 320. LARNER W., 2001. Governing globalisation: the New Zealand call centre attraction initiative. Environment and Planning A, vol. 33, n° 2, pp. 297-312. 321. LASSERRE F., 2000. Internet : La fin de la géographie ? CYBERGEO, n° 141. www.cybergeo.presse.fr/ptchaud/lasser.htm 322. LASSERRE F., 2000. Les hommes qui voulaient être rois. Principautés et nations sur Internet. CYBERGEO, n° 129. www.cybergeo.presse.fr/essoct/lasserre/ lasserre.htm 323. LATOUR B., 1997. Nous n'avons jamais été modernes. Paris, La Découverte, 209 p. 324. LAURIER E., 2001. Why people say where they are during mobile phone calls. Environment and Planning D, vol. 19, n° 4, pp. 485-504. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 262 Regard géographique sur le paradigme numérique 325. LAWTON-SMITH H., 2003. Knowledge Organizations and Local Economic Development: The Cases of Oxford and Grenoble. Regional Studies, vol. 37, n° 9, pp. 899-909. 326. LAWTON-SMITH H., De BERNARDY M., 2001. Comparing Oxford and Grenoble: the growth of knowledge clusters in two pioneer regions, dynamics, trends and guidelines. Conférencede la Regional Studies Association, « European Regions and the Challenges for Development, Integration and Enlargement”, 15-18 september 2001, Gdansk, Pologne. Fichier PDF. 327. LE BLANC G. (éd.), 1999. Le Telecom Hub de Denver. Etude du Centre d' économie industrielle de l' Ecole des Mines de Paris. Format PDF, 125 p., www.cerna.ensmp.fr. 328. LE BLANC G., 2000. Regional Specialization, Local Externalities and Clustering in Information Technology Industries. XIIe Villa Mondragone International Economic Seminar, “Knowledge Economy, Information Technologies and Growth”, University Tor Vergata, Roma. Format PDF, 33 p., www.cerna.ensmp.fr/Documents/GLB-Specializationi.pdf. 329. LE BLANC G., 2001. Les nouveaux districts des technologies de l' information: l' exemple de Denver aux Etats-Unis In DATAR (2001) Réseaux d'entreprises et territoires: Regards sur les systèmes productifs locaux. Paris: La Documentation française. Format PDF, 21 p., www.cerna.ensmp.fr. 330. LE MOIGNE J.L., 1990. La théorie du système général. Paris, PUF, 330 p. 331. LEADER 2, 1999. Information technologies and rural development. Comte rendu du séminaire “New technologies and changes in rural employment ”, 1721 juin 1998, Stornoway (Hebrides, Scotland). 332. LEAMER E.E., STORPER M., 2001. The Economic Geography of the Internet Age. Journal of International Business Studies, vol. 32, n° 4, pp. 641-665. 333. LECHNER C., DOWLING M., 2003. Firm networks: external relationships as sources for the growth and competitiveness of entrepreneurial firms. Entrepreneurship & Regional Development, vol. 15, n° 1, pp. 1 - 26 334. LEFEBVRE A., 1996. Logique de réseau et ressource territoriale : l' expérience UBI de téléservices dans la région du Saguenay - Lac Saint-Jean au Québec. Flux, n° 24, pp. 50-59. 335. LEFEBVRE A., TREMBLAY G., 1998. Autoroutes de l'information et dynamiques territoriales. Presses Universitaires du Québec, Presses Universitaires du Mirail. Paris, l' Harmattan, 345 p. 336. LEHMAN D., 2000. Who Will Serve Rural America? The NTCA 21st Century White Paper Series. National Telecommunications Cooperative Assciation, www.ntca.org, format PDF, 23 p. 337. LEIGH N.G., 2000. People vs Place. Telecommunications and Flexibility Requirements of the CBD. In Wheeler & al. (éds), pp. 302-332. 338. LEINBACH T.R., BRUNN S.D. (éds.), 2001. Worlds of Electronic Commerce: Economic, Geographical and Social Dimensions. New York, John Wiley, 352 p. 339. LEOCHEL A., 2000. La naissance des villes numériques. In Sandoval (éd.), pp. 15-55. 340. LEVER W.F., TUROK I. (éds.), 1999. Competitive Cities. Urban Studies, vol. 36, n° 5-6. 341. LEVY J., 2000. Le tournant géographique. Penser l’espace pour lire le monde. Paris, Belin, 400 p. 342. LEYSHON A., THRIFT N., 1997. Money/Space Geographies of monetary transformation. Londres, Routledge, 404 p. 343. LI F., 1995. Corporate Networks and the Spatial and Functional Reorganization of Large Firms. Environnment and Planning A, vol. 27, n° 10, pp. 1627-1645. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 263 344. LIPIETZ A., 1997. The post-Fordist world: labour relations, international hierarchy and global ecology. Review of International Political Economy , vol. 4, n° 1, pp. 1-41. 345. LIPOVETSKY A., 1989. L’ère du vide. Essai sur l’individualisme contemporain. Gallimard, 313 p. 346. LOISEAU G., 2000. Municipalités et Communication numérique : Les sites Internet des grandes villes de France en 2000. Format PDF, 74 p., www.grandesvilles.org/2002/multimediaville/pdfs/2000_Etude_Multiville.pdf 347. LOO B.p.-y., 2003. The Rise of a Digital Community in the People' s Republic of China. Journal of Urban Technology, vol. 10, n° 1, pp. 1-21. 348. LORENTZON S., 1998. The role of ICT as a Locational Factor in peripheral regions. Examples from “IT-active” local authority areas in Sweden. Netcom, vol. 12, n° 3, p.303-331. 349. LORENTZON S., 2003. The role of ICT as a locational factor in peripheral regions. Netcom, vol. 17, n° 3-4, pp. 159-186. 350. LORRAIN D., 2001. Gig@city: The Rise of Technological Networks in Daily Life. Journal of Urban Technology, vol. 8, n° 3, pp. 1-20. 351. LUSSAULT M., 1995. L' usage, la communication et le géographe. Sciences de la société, n° 35, pp. 149-162 352. LYONS D., 2000. Embeddedness, milieu, and innovation among hightechnology firms: a Richardson, Texas, case study. Environment and Planning A, vol. 32, n° 5, pp. 891 -908. 353. MADON S. 1992. The impact of computer-based information systems on rural development: A case study in India. Journal of Information Technology, vol. 7, pp. 20-29. 354. MADON S., 1997. Information-based global economy and socioeconomic development: The case of Bangalore. The Information Society, vol. 13, n° 3, pp. 227-243. 355. MAHIZHAN A., 1999. Smart cities. The Singapore case. Cities, vol. 16, n° 1, pp. 13-18. 356. MALECKI E. J., 1991. Technology and economic development : the dynamics of local, regional, and national change. Londres, Longman, 495 p. 357. MALECKI E. J., 2002-a. Hard and Soft Networks for Urban Competitiveness. Urban Studies , vol. 39, pp. 929–945. 358. MALECKI E. J., 2002-b. The Economic Geography of the Internet' s Infrastructure. Economic Geography, vol. 78, n° 4, pp. 399-424. 359. MALECKI E. J., 2003. Digital development in rural areas: potentials and pitfalls. Journal of Rural Studies vol. 19, n° 2, pp. 201-214. 360. MALECKI E. J., GORMAN S.P., 2001. Maybe the Death of Distance, but not the End of Geography: the Internet as a Network, in LEINBACH T.R., BRUNN S.D. (éds.) Worlds of Electronic Commerce: Economic, Geographical and Social Dimensions. New York, John Wiley, pp. 87-105. 361. MALEZIEUX J., 2003. Landy-France, un pôle d’affaire dans la plaine St-Denis. Géocarrefour, vol. 78, n° 4. pp. 313-321. 362. MANCEBO F., DURAND-TORNARE F., 2003. Entre espace tangible et espace virtuel : inscription territoriale des accès publics parisiens à Internet. Géographie et cultures, n° 46, pp. 41-64. 363. MARSHALL J.N., RICHARDSON R., 1996. The growth of telephone call centres in peripheral areas of Britain : evidence from Tyne and Wear. Area, vol. 28, pp. 308-317. 364. MARSHALL J.N., RICHARDSON R., 1999. Teleservices, Call Centres and Urban and Regional Development. The Service Industries Journal, vol. 19, n° 1, pp. 96-117. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 264 Regard géographique sur le paradigme numérique 365. MARTIN-LALANDE P., 1997. L'internet : un vrai défi pour la France. 134 propositions. Rapport au Premier ministre La documentation Française, 111 p. 366. MASTALERZ W., EPINETTE O., 1995. Délocalisation de téléservices en Pologne : quelques exemples. Annales de géographie, n° 585-586, pp. 498515. 367. MAY N., VELTZ P., LANDRIEU J., SPECTOR T. (éds.), 1998, La ville éclatée. La Tour d’Aigues, Editions de L’Aube, 354 p. 368. McLUHAN, M., 1964. Understanding Medias: the Extension of Man. Macmillan, New York, 365 p. 369. McMAHON K., SALANT P., 1999. Strategic Planning for Telecommunications in Rural Communities. Rural Development Perspectives, vol. 14, n°3, pp. 3-7. www.ers.usda.gov/publications/rdp/rdpoct99/rdpoct99a.pdf 370. MEI PO K., 2001. Cyberspatial cognition and individual access to information: the behavioral foundation of cybergeography. Environment and Planning B: Planning and Design, vol. 28, n° 1, pp. 21-37. 371. MEIER R.L., 1983. Telecommunications and urban development. Ekistics, n° 302, pp. 363-368. 372. MEISSONIER R., AMABILE S., FERAUD G., 1999. Virtual Enterprise: Proposition for a Typology. Conférence BIT World' 99. Cape Town, Afrique du Sud, 30 juin - 2 juillet 1999, fichier PDF, 16 p. 373. MEYRONIN B., 2001-a. Activités informationnelles, TIC et processus de métropolisation. 3èmes Journées de la Proximité, Nouvelles Croissances et Territoires, Paris, 13 et 14 décembre 2001. Format PDF, 24 p., www.millenaire3.com/contenus/textes/meyronin.pdf 374. MEYRONIN B., 2001-b. Dynamiques industrielles et métropoles : le paradoxe de l'Internet. Application au cas lyonnais. Thèse de doctorat en Economie, Université de Nice Sophia antipolis. 375. Ministère de l' intérieur et de l' aménagement du territoire, 1993. Débat national pour l'aménagement du territoire, document introductif. Paris, DATAR, La documentation Française, 124 p. 376. MITCHELL W.J., 1995. City of Bits: Space, Place and the Infobahn. Cambridge, MIT Press, 225 p. 377. MITCHELL W.J., 2000. E-topia. Cambridge, MIT Press, 184 p. 378. MITROPOULOS M., 1983. Communications with and without technology. Editorial. Ekistics, n° 302, pp. 320-322. 379. MOKHTARIAN P.L., 1991. Telecommuting and Travel: State of Practise, State of the Art. Transportation, vol. 18, n° 4, pp. 319-342. 380. MOLES A., ROHMER E., 1978. Psychologie de l'espace. Paris, Casterman, 2ème éd., 245 p. 381. MOLINI F., 1997. The migration of teleprofessionals to tourist areas: hypotheses and refutations. Netcom, vol. 11, n° 2., p.403-416. 382. MORAN, STAHN & BOYER, 2001. Emerging Trends and Location strategies for Call Center Operations. Format PDF, 7 p., www.msbconsulting.com. 383. MORIN E., 1977. La méthode vol.1 : La nature de la nature. Paris, Seuil, 399 p. 384. MORISET B., 1995. Nancy-Metz. De la métropole d'équilibre à la métropolisation. Thèse de doctorat, Université Joseph Fourier - Grenoble 1. 385. MORISET B., 1997. Métropolisation et changement culturel en Lorraine. Géographie et Cultures, n° 21, pp. 3-26. 386. MORISET B., 1998. Télématique et services en milieu rural. Montagnes Méditerranéennes, n° 8, pp. 71-75. 387. MORISET B., 1999-a. Palmarès et classements de villes dans la presse hebdomadaire. Géographie et Cultures, n° 29, pp. 3-24. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 265 388. MORISET B., 1999-b. Télétravail et téléactivité sur le Web. Netcom, vol. 13, n° 1-2, pp. 99-104. 389. MORISET B., 2000-a. Editorial : La problématique des technologies de l' information en milieu rural,. Geocarrefour - Revue de géographie de Lyon, vol. 75, n° 1, pp. 5-6. 390. MORISET B., 2000-b. Les sites Web de territoire en milieu rural. Représentation, enjeux et recompositions spatiales. Geocarrefour - Revue de géographie de Lyon, vol. 75, n° 1, pp. 25-38. 391. MORISET B., 2000-c. Territoires et technologies de l’information dans la région Rhône-Alpes, petites villes - espaces ruraux et montagnards. Rapport de recherche pour la région Rhône-Alpes, 244 p. 392. MORISET B., 2001-a. La nouvelle économie dans la ville. Les entreprises de l'Internet dans l'agglomération lyonnaise. Rapport d' étude pour la Communauté Urbaine de Lyon, 120 p. 393. MORISET B., 2001-b. Les Technologies de l' Information en milieu rural. Pouvoirs Locaux, n° 48/1, pp. 46-51. 394. MORISET B., 2001-c. Les technologies de l' information et de la communication dans les espaces ruraux de la région Rhône-Alpes. Bulletin de l'Association des Géographes Français, mars 2001, pp. 26-32. 395. MORISET B., 2003-a. Rural enterprises in the business intelligence sector: utopia or real development opportunity? Netcom, vol. 17, n° 1-2, pp. 3-22. 396. MORISET B., 2003-b. The New Economy in the City. Emergence and location factors of internet-based companies in the metropolitan area of Lyon - France. Urban Studies, vol. 40, n° 11, pp. 2165-2186. 397. MORISET B., 2003-c. Les forteresses de l' économie numérique. Des immeubles intelligents aux hotels de télécommunications. Géocarrefour, vol. 78, n° 4, pp. 375-388. 398. MORISET B., 2004. Télétravail, travail nomade : le territoire et les territorialités face aux nouvelles flexibilités spatio-temporelles du travail et de la production. Cybergéo, 6 février, n° 257. 399. MORISET B., BONNET N., 2005. La géographie des centres d’appel en France. Annales de Géographie (à paraître). 400. MORRIS-SUZUKI T., RIMMER J.P., 1999. The Japanese Internet: visionaries and virtual democracy Environment and Planning A, vol. 31, n° 7, pp. 11891206. 401. MOSCOVICI F., 1992. Psychologie sociale. PUF, 608 p. 402. MOSS M., 1987. Telecommunications, world cities, and urban policy. Urban Studies, vol. 24, n° 6, pp. 534-546. 403. MOSS M., WADE C., WONG J.L., Mitra S., 1999. Municipal Government Online: How NYC Can Become the Internet City. Taub Urban Research Center, New York University. Rapport de recherche, format PDF, 44 p., www.informationcity.org/research/ index.htm. 404. MOSS M.L., TOWNSEND A., 1997. Manhattan Leads the Net Nation. New York City and Information Cities Hold Lead in Internet Domain Registration. Working paper, Taub Urban Research Center, New York University. Format PDF, 12 p. www.informationcity.org. 405. MOSS M.L., TOWNSEND A., 1997. Tracking the Net: Using Domain Names to Measure the Growth of the Internet in U.S. Cities. Journal of Urban Technology, vol. 4, n° 3, pp. 47-60 406. MOSS M.L., TOWNSEND A., 1998. Spatial analysis of the Internet in US Cities and States. Communication pour le colloque Technological Futures Urban Futures, Durham, Royaume-Uni, 23-25 avril 1998. Format PDF, 29 p., www.informationcity.org. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 266 Regard géographique sur le paradigme numérique 407. MOSS M.L., TOWNSEND A., 2000. The Internet Backbone and the American Metropolis. The Information Society Journal, vol. 16, n° 1, pp. 35-47. 408. MOULAERT F., DJELLAL F., 1995. IT Consultancy Firms : Economies of Agglomeration from a Wide-area Perspective. Urban Studies, vol. 32, n° 1, pp. 105-122. 409. MUGERAUER, R., 2000. Milieu Preferences among High-technology Companies. In Wheeler & al. (éds.), 2000, pp. 219-227. 410. MULLER A., 2001. La Net économie. Paris, PUF- Que sais-je ?, 128 p. 411. MURPHY A., 2003. (Re)solving space and time : fulfiment issues in online grocery retailing. Environment and Planning A, vol. 35, n° 7, pp.1173-1200. 412. MUSSO P. (éd.), 1994. Communiquer demain. Nouvelles technologies de l’information et de la communication. La Tour d' Aigues, Editions de l’Aube, 287 p. 413. MUSSO P., CROZET Y., JOIGNAUX G. (éds.), 2002. Le territoire aménagé par les réseaux : énergie, transports et télécoms. La Tour d' Aigues, Editions de l' Aube, 278 p. 414. NARÇON J., RIGHI N. (éds.), 2001. L’entreprise en réseau : un mode d’organisation obligé ? 5èmes Journées IUP-Entreprises de l' IUP Ingénierie Economique, Université Pierre Mendès-France, format PDF, 39 p., www.upmf-grenoble.fr/iupie/ressources/dossiers/entreprisereseau/dossier%20final.pdf 415. NEGROPONTE N., 1995. Beeing Digital. Vintage Books, Londres, 256 p. 416. Nevada Telecommunity Development Corporation, 1999. Nevada, Missouri: America' s First Telecommunity. http://express.sbs.ohiostate.edu/WEBCOURSE/ACKER /C659S96/ACKDOCS/WORKSP96/WORKDOCS/GARDNER/COTTAGE.HTM 417. NORA D., 1995. Les conquérants du cybermonde. Paris, Calmann Lévy, 440 p. 418. NORA S., MINC A., 1978. L' informatisation de la société. Rapport à Monsieur le Président de la République. Paris, Point-Seuil. 419. NORTH D., SMALLBONE D., 1999. Innovation and new technology in rural small and medium- sized enterprises: some policy issues. Environment and Planning C, vol. 17, n° 5, pp. 549-566. 420. NORTON R.D., 2000. The Geography of the New Economy. Web Book of Regional Science, www.rri.wvu.edu/WebBook/Norton/contents.htm 421. NUNES M., 1995. Baudrillard in Cyberspace: Internet, Virtuality, and Postmodernity. Style, n° 29, pp. 314-327. 422. NUNN S., 2002. When Superman Used X-Ray Vision, Did He Have a Search Warrant? Emerging Law Enforcement Technologies and the Transformation of Urban Space. Journal of Urban Technology, vol. 9, n° 3, pp. 69-87. 423. NUNN S., RUBLESKE J.B., 1997. "Webbed" Cities and Development of the National Information Highway: The Creation of World Wide Web Sites by U.S. City Governments. Journal of Urban Technology, vol. 4, n° 1, pp. 53-79. 424. OAKEY R., KIPLING M., WILDGUST S., 2001. Clustering Among Firms in the Non-Broadcast Visual Communications (NBVC) Sector, Regional Studies, vol. 35, n° 5, pp. 401-414. 425. O' BRIEN R., 1992. Global Financial Integration: The End of Geography. Londres, Council on Foreign Relations Press, 120 p. 426. Observatoire des télécommunications dans la ville, 2001. Développement des réseaux d’opérateurs et territoires ruraux. Enjeux du haut débit et de la mobilité. Format PDF, 88 p., www.telecomville.org. 427. ODEN M., STROVER S., 2002. Links to the Future: The Role of Information and Telecommunications Technology in Appalachian Economic Development. Rapport pour la Appalachian Region Commission, format PDF, 177 p. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 267 428. OFFNER J.M., 1993. Les "effets structurants" du transport : mythe politique, mystification scientifique. L'espace géographique, vol. 22, n° 3, pp. 233-242 429. OFFNER J.M., 1995. Introduction au débat : logiques de l' action. Sciences de la société, n° 35, pp. 95-97. 430. OFFNER J.M., 1996. Réseaux et "Large Technical Systems" : concepts complémentaires ou concurrents ?. Flux, n° 26, pp. 17-30. 431. OFFNER J.M., 2000. Territorial Deregulation: Local Authorities at Risk from Technical Networks. International Journal of Urban and Regional Research, vol. 24, n° 1, pp. 165-182. 432. OFFNER J-M., 2000. Télécommunications et collectivités locales : des cyberterritoires en développement virtuel. Troisièmes entretiens de la Caisse des dépôts : Comment améliorer la performance économique des territoires ? Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues, pp. 149-169. 433. OGAWA I., 2000. Spatial impact of information technology development. The Annals of Regional Science, vol. 34, n° 4, pp. 537-551. 434. OHMAE K., 2001-a. Géographie secrète de la nouvelle économie. Paris, Ed. Village mondial, 320 p. 435. OHMAE K., 2001-b. Globalization, regions and the new economy. Conférence d’ouverture du Center for Globalization and Policy Research, School of Public Policy and Social Research, UCLA, 17 janvier 2001. 436. ORTEL (Observatoire Régional des Télécommunications), 2002. L’Atlas des réseaux de Télécommunications et de l’usage des PME. Format PDF, 55 p., www.ortel.fr 437. ORWELL G., 1948. 1984. Paris, Gallimard (éd. 1976), 438 p. 438. PAGE S., PHILLIPS B., SIEMBAB W., 2001. The Millennium City: Making Sprawl Smart through Network Oriented Development. Journal of Urban Technology, vol. 10, n° 3, pp. 63-84. 439. PAILLART I., 1993. Les territoires de la communication. Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 260 p. 440. PARADISO M., DAPONTE V., 2003. Virtual urban geography in Italy and traditional-digital places interlinkages. Netcom, vol. 17, n° 3-4, pp. 215-247. 441. PARROCHIA D., 2001 (éd.). Penser les réseaux. Seyssel, Ed. Champ Vallon, 267 p. 442. PELLETIER P. et VANIER M. (éds.), 1997. Les ciseaux du géographe. Coutures et coupures du territoire. Revue de Géographie de Lyon, vol. 72, n° 3. 443. PERRONS D., 2004. Understanding Social and Spatial Divisions in the New Economy : New Media Clusters and the Digital Divide. Economic Geography, vol. 80, n° 1, pp. 45-61. 444. PICKLES J. (éd.), 1995. Ground Truth: The Social Implications of Geographic Information Systems. New York, Guilford Press, 248 p. 445. POCHE B., 1996. L’espace fragmenté. Eléments pour une analyse sociologique de la territorialité. Paris, L’Harmattan, 275 p. 446. POCHE B., 1996. L' information généralisée comme procédure d' éradication du monde social. Flux, n° 24, pp. 21-33. 447. POHL N., 2001. The geography of information and international financial centers. Communication pour la conférence Digital Communities - Cities in the Information Society, Northwestern et Michigan State University, Chicago, 4-7 Novembre 2001. Format Word, 50 p. 448. POMEROY S.M., 2000. Tracking the Cyberspace Elephant. The Geographical Review, vol. 90, n° 4, pp. 636-645. 449. PRATT A., 2001. New media, the new economy and new spaces. Geoforum, vol. 32, n° 2, p. 425-436. 450. PRATT J., 1999. Telework America National Survey. www.telecommute.org Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 268 Regard géographique sur le paradigme numérique 451. PRICE WATERHOUSE COOPERS & NYNMA, 2000. New-York New Media Industry Survey. Opportunities and challenge of NY's emerging CyberIndustry. 52 p. 452. PRICE WATERHOUSE COOPERS, 2001. New York New Media Industry Survey: Climate Study, January 2001. www.nynma.org (press releases). pages ??? 453. PUEL J., VIDAL M., 2003. Le bassin de Castres-Mazamet : d’un bassin traditionnel au développement par les TIC ?. Revue d’Economie Régionale et Urbaine, n° 3, pp. 477-498. 454. PUMAIN D., 2003. Du local au global, une géographie sans échelles ? Cybergéo, éditorial, septembre 2003. 455. PURCELL D., KODRAS J.E., 2001. Information technologies and representational spaces at the outposts of the global political economy: redrawing the Balkan image of Slovenia. Information, Communication & Society, vol. 4, n° 3, pp. 341-369. 456. RALLET A., 2000. Les deux économies de l' information. Réseaux, n° 100, pp. 299-330. 457. RALLET A., LETHIAIS V., VICENTE J., 2003. TIC et réorganisation spatiale des activités économiques. Géographie, économie et société, vol. 5, pp. 275285 458. Rapport du Gouvernement au Parlement, juillet 2001. Pour l’accès de tous à la téléphonie mobile : bilan de la couverture du territoire. Format PDF, 57 p., www.telecom.gouv.fr/documents/rap_mobile/rapmobile.pdf 459. RAY C., TALBOT H., 1999. Rural Telematics: the Information Society and rural development. In CRANG M. et al. (éds), pp. 149-163. 460. REICH R., 1992. The work of nations. New York:Vintage Books pages????? 461. RICHARDSON R., 2002. Information and Communications Technologies and Rural Inclusion. Programme ASPECT (Analysis of Spatial Planning and Emerging Communications Technologies), 56 p., www.regionnumerique.org/aspect. 462. RICHARDSON R., BELT V., MARSHALL N., 2000. Taking calls to Newcastle: the regional implications of the growth in call centres. Regional Studies, vol. 34, n° 4, pp. 357-369. 463. RICHARDSON R., GILLESPIE A., 1999. The impact of remote work on employment location and work processes, In Dutton W. H. (éd.), pp. 165-167. 464. RICHARDSON R., GILLESPIE A., 2000. The Economic Development of Peripheral Rural Places in the Information Age. In WILSON M., COREY K. (éds.), 2000, pp. 199-217. 465. RICHARDSON R., GILLESPIE A., 2003. The Call of the Wild: Call Centers and Economic Development in Rural Areas. Growth and Change , vol. 34, n° 1, pp. 87-108. 466. ROBERTS G.K., STEADMAN P., 2000. American Cities and Technology. Wilderness to Wired City. New York, Routledge, 272 p. 467. ROBERTS M., LLOYD-JONES T., ERICKSON B., NICE S., 1999. Place and space in the networked city: conceptualizing the integrated metropolis. Journal of Urban Design, vol. 4, n° 1, pp. 51-67. 468. ROCHE E.M., BAKIS H., 1997. Developments in télécommunications: between global and local. Londres, Ashgate, 345 p. 469. ROCHE E.M., BLAINE M. J., 1996. Information Technology, Development and Policy. Londres, Ashgate, 330 p. 470. ROCHE S., 1998, L' appropriation sociale des technologies de l' information géographique. L'Espace Géographique, vol. 30, n°4, pp.317-327. 471. RONCAYOLO M., 1993. La ville et ses territoires. Paris, Gallimard, coll. Folio/Essais, 278 p. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 269 472. ROWE F., BEAL L., 1995. Réseaux de l’information et nouvelles formes d’organisation : le cas des banques. Annales de géographie, n° 585-586, pp. 516-539. 473. ROZENBLAT C., CICILLE P., 2003. Les villes européennes, analyse comparative. Paris, La documentation Française, 96 p. 474. RUTHERFORD J., 2004. A Tale of Two Global Cities. Comparing the Territorialities of Telecommunication Developments in Paris and London. Londres, Ashgate, 356 p. 475. SAINT-JULIEN T., 1985. La diffusion spatiale des innovations. Montpellier, RECLUS, coll. modes d' emploi, 37 p. 476. SANDOVAL V. (éd.), 2000. La ville numérique. Les cahiers du numérique, vol. 1, n° 1, Paris, Hermes, 254 p. 477. SASSEN S., 1997. Electronic Space and Power. Journal of Urban Technology, vol. 4, n° 1, pp. 1-18. 478. SASSEN S., 2001-a. The Global City: New York, London, Tokyo (2ème éd.). Princeton, Princeton University Press, 412 p. 479. SASSEN S., 2001-b. Impacts of Information Technologies on Urban Economic and Politics International Journal of Urban and Regional Research, vol. 25, n° 2, pp. 411-418. 480. SASSEN S., 2002. Global networks, linked cities. New york, Routledge, 368 p. 481. SAUTTER, U., 2000. Welcome to the Content Metropolis. Time, 27 Novembre, p. 34. 482. SAVY M., VELTZ P. (éds.), 1993. Les nouveaux espaces de l’entreprise. La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 200 p. 483. SAVY M., 1998. TIC et territoire : le paradoxe de localisation. Cahiers scientifiques du transport, n° 33, 1998, pp 129-146. 484. SAXENIAN A., 1994. Regional advantage: Culture and Competition in Silicon Valley and Route 128. Harvard University Press, Cambridge, Mass, 226 p. 485. SAXENIAN A., HSU J.Y., 2000. The Silicon Valley-Hsinchu Connection: Technical Communities and Industrial Upgrading. Department of City and Regional Planning, University of California at Berkeley. wwwdcrp.ced.berkeley.edu/Faculty/Anno /Papers.htm. 486. SAXENIAN A.L., 1995. Creating a Twentieth Century Technical Community: Frederick Terman’s Silicon Valley. Inaugural symposium on The Inventor and the Innovative Society, National Museum of American History, 10-11 Nov., www-dcrp.ced.berkeley.edu /Faculty/Anno/Writings/terman.htm. 487. SAXENIAN A.L., 2000-b. Bangalore: The Silicon Valley of Asia?. Conference Indian Economic Prospects, Center for Research on Economic Development and Policy Reform, Stanford, Mai 2000, wwwdcrp.ced.berkeley.edu/Faculty/Anno/ Papers.htm. 488. SAXENIAN A.L., 2000-c. The Bangalore Boom: From Brain Drain to Brain Circulation?. A paraître dans : K. Kenniston & D. Kumar, éds, Bridging the Digital Divide: Lessons from India, Bangalore National Institute of Advanced Study, www-dcrp.ced.berkeley.edu /Faculty/Anno/Papers.htm. 489. SCHILLER D., 1999. Digital Capitalism. Networking the Global Market System. Cambridge, MIT Press, 294 p. 490. SCOTT A.J. (éd.), 2002. Global City-Regions: Trends Theory, Prospects. Oxford, Oxford University Press, 488 p. 491. SCOTT A.J. et STORPER M., 2003. Regions, Globalization, Development. Regional Studies, vol. 37, n° 6-7, pp. 549-578. 492. SCOTT A.J., 1993. Technopolis : High-Technology Industry and Regional Development in Southern California. Berkeley, University of California Press, 322 p. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 270 Regard géographique sur le paradigme numérique 493. SCOTT A.J., 2002. A New Map of Hollywood: the Production and Distribution of American Motion Pictures. Regional Studies, vol. 36, n° 9, pp. 957-975. 494. SECA, 2001. Call Center 2001. Le guide du centre d'appel et de la relation client à distance. Suresnes, SECA, 464 p. 495. SECRÉTARIAT D’ÉTAT AU TOURISME, 2000. Tourisme et technologies de l'information et de la communication. Paris, La Documentation française. 180 p. 496. SEGUI-PONS J.M., 2003. The territorial effects of intelligent transport systems. Netcom, vol. 17, n° 1-2, pp. 39-52. 497. SERVON L.J., HORRIGAN J.B., 1997. Urban Poverty and Access to Information Technology: A Role for Local Government. Journal of Urban Technology vol. 4, n° 3, pp. 61-83. 498. SERVON L.J., NELSON M.K., 2001. Community Technology Centers and the Urban Technology Gap. International Journal of Urban and Regional Research, vol. 25, n° 2, pp. 419 - 426. 499. SHEN Q., 2000. New telecommunications and residential location flexibility. Environment and Planning A, vol. 32, n° 8, pp. 1445-1463. 500. SHEPPARD E., 2002. The Spaces and Times of Globalization: Place, Scale, Networks and Positionality. Economic Geography, vol. 78, n° 3, pp. 307-330. 501. SHIODE N., 2000. Urban Planning, Information Technology, and Cyberspace. Journal of Urban Technology, vol. 7, n° 2, pp. 105-126. 502. SIBIS, 2002. Statistical Indicators Benchmarking the Information Society. Programme européen pour la société de l' information. www.sibis-eu.org 503. SIEBER P., GRIESE J. (éds.), 1999. Organizational Virtualness and Electronic Commerce. Actes du 2ème colloque international Virtual Organization Net, Université de Berne, 23-24 Septembre. Format PDF, 258 p., www.virtualorganization.net. 504. SILVA R., 2000. The connectivity of the infrastructure networks and urban space of Sao Paulo in the 1990' s. International Journal of Urban and Regional Research, vol. 24, n° 1, pp. 145-164 505. SINGAPORE ECONOMIC REVIEW COMMITTEE, 2002. Singapore 2012. The Living Digital Hub… where IT works. ICT Working Group Report, Format PDF, 26 p, www.erc.gov.sg/frm_ERC_ErcReports.htm 506. SMITH R.G., 2003. World City Actor-Networks. Progress in Human Geography, vol. 27, n° 1, pp. 25-44. 507. SOKAL A., BRICMONT J., 1997. Impostures intellectuelles. Paris, Odile Jacob, 276 p. 508. SOUTHERN A., 1997. Re-Booting the Local Economy: Information and Communication Technologies in Local Economic Strategy. Local Economy, vol. 12, n° 1, pp. 8-25. 509. STABER U., 2001. The Structure of Networks in Industrial Districts. International Journal of Urban and Regional Research, vol. 25, n° 3, pp. 537552. 510. STEINER M. (éds), 1998. Clusters and Regional Specialisation: On Geography, Technology, and Networks. European research in regional science. 8, special issue. 511. STENBERG P.L., 2000. Telecommunication Rural Policy in the US: Issues and Economic Consequences. Colloque international European Rural Policy at the Crossroads, The Arkleton Centre for Rural Development Research, Université d' Aberdeen, Ecosse, 29 juin - 1er juillet. 512. STERNBERG R., KRYMALOWSKI M., 2002. Internet Domains and the Innovativeness of Cities/Regions - Evidence from Germany and Munich. European Planning Studies, vol. 10, n° 2, pp. 251-273. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 271 513. STORPER M., 1997. The Regional World. Territorial Developments in a Global Economy. New York, Guilford Press, 338 p. 514. STORPER M., 1999. Technologie, stratégie des firmes et ordre territorial. Sciences de la société, n° 48, pp. 9-21. 515. STRATIGEA A., GIAOUTZI M., 2000. Teleworking and Virtual Organization in the Urban and Regional Context. Netcom, vol. 14, n° 3-4, pp. 331-357. 516. STROVER S., 1999. Rural Internet Connectivity. Telecommunications Policy, vol. 25, n° 5, pp. 291-313. 517. STROVER S., 2000. The First Mile. The Information Society, vol. 16, n° 2, pp. 151-154. 518. SULER J., 2003. The Psychology of Cyberspace. Ouvrage hypertexte, www.rider.edu/~suler/psycyber 519. TAYLOR J., 1997. The Emerging Geographies of Virtual Worlds. The Geographical Review, vol. 87, pp. 172-192. 520. TAYYARAN R., KHAN A., 2003. The effects of telecommuting and intelligent transportation systems on urban development. Journal of Urban Technology, vol. 10, n° 2., pp. 87-100. 521. THERY G., 1994. Les autoroutes de l’information. Rapport au Premier ministre, Paris, La Documentation française, 127 p. 522. THRIFT N., 1996. New Urban Eras and Old Technological Fears: Reconfiguring the Goodwill of Electronic Things. Urban Studies, vol. 33, n° 8, pp. 1463-1493. 523. THRIFT N., 2000. Performing Cultures in the New Economy. Annals of the Association of American Geographers, vol. 90, n° 4, pp. 674-692. 524. TOFFLER A., 1970. The Future Shock. New-York, Random House, 505 p. 525. TOFFLER A., 1980. The Third Wave. New York, William Morrow, 544 p. 526. TOWNSEND A., 2000. Life in the Real-Time City: Mobile Telephones and Urban Metabolism. Journal of Urban Technology, vol. 7, n° 2, pp. 85-104. 527. TOWNSEND A., 2001-a. The Internet and the rise of the new network cities, 1969-1999. Environment and Planning B: Planning and Design, vol. 28, n° 1, pp. 39-58. 528. TOWNSEND A., 2001-b. Network Cities and the Global Structure of the Internet. American Behavioral Scientist, vol. 44, n° 10, p. 1698-1717. 529. TOWNSEND A., 2001-c. The Science of Location: Why the Wireless Development Community Needs Geography, Urban Planning, and Architecture. Position paper presented at CHI 2001, Seattle Washington, 31 mars - 5 avril. Format PDF, 4 p., www.informationcity.org/research. 530. TREGOUËT R., avril 1998. Des pyramides du pouvoir aux réseaux de savoirs. Rapport au Premier Ministre du sénateur R. Trégouët, www.internet.gouv.fr. 531. TURKE K., 1983. Urban and regional impacts of the new information and communication technologies. Ekistics, n° 302, pp. 370-373. 532. UTOPIA (Utah Telecommunication Open Infrastructure Agency), 2003. Utah’s Public-Private Fiber-to-the-Premises Initiative, white paper, format PDF, 22 p., www.utopianet.org/news/file-11.pdf. 533. VALENTINE G., HOLLOWAY S.L., 2001. A window on the wider world? Rural children' s use of information and communication technologies. Journal of Rural Studies, vol. 17, n° 4, pp. 383-394. 534. VAN BASTELAER B., 1998. Social Learning in Multimedia: Main insights from seven case studies of digital cities. PAI Seminar - FUNDP Namur, 25 juin 1998. www.info.fundp.ac.be/~bvb. 535. VAN BASTELAER B., HENIN L., LOBET-MARIS C., EVENO E., 2000. Villes virtuelles: entre Communauté et Cité. Paris, L' Harmattan, 255 p. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 272 Regard géographique sur le paradigme numérique 536. VAN DEN BERG L., VAN WINDEN W., 2002. Information and Communications Technology as Potential Catalyst for Sustainable Urban Development. Aldershot, Ashgate, 140 p. 537. VAN DER MEER A., VAN WINDEN W., 2003. E-governance in cities: a comparison of Urban Information and Communication Technology Policies. Regional Studies, vol. 37, n° 4, pp. 407-419. 538. VAN WINDEN W., 2001. The End of Social Exclusion? On Information Technology Policy as a Key to Social Inclusion in Large European Cities. Regional Studies , vol., 35, n° 9, pp. 861 - 877. 539. VANIER M., dir., 1995. Les nouvelles mailles du pouvoir local. Revue de Géographie de Lyon, 1995, n° 2, vol. 70 540. VELTZ P., 1996. Mondialisation, villes et territoires: l'économie d'archipel. Paris, PUF, 264 p. 541. VELTZ P., 2000. Le nouveau monde industriel. Paris, Gallimard, 240 p. 542. VENDINA O., 2003. Accès public à Internet et espace public à Moscou. Géographie et cultures, n° 46, pp. 65-81. 543. VERLAQUE C., 1985. Pour une géographie de la communication, Revue géographique de l'Est, vol. 25, n° 1, pp. 13-32. 544. VIARD J., 1994. La société d'archipel. La Tour d' Aigues, Editions de l' Aube, 128 p. 545. VIRGINIA TECH, 2003. Strategic Technology Infrastructure for Regional Competitiveness in the Network Economy. eCorridors Program, 11 volumes PDF, www.ecorridors.vt.edu/research/papers/stircne/vol01-rationale.pdf 546. VIRILIO P., 2001. Cybermonde, la politique du pire. Paris, Textuel, 112 p. 547. VODOZ L. (éd.), 2001. NTIC et territoire. Lausanne, Presse Polytechniques et Universitaires Romandes, CEAT, 434 p. 548. VOYLES B. 2001. A passage to India. Operations and Fulfillment 1er avril, http://opsandfulfillment.com/microsites/magazinearticle.asp. 549. WACKERMANN G., 1995. Actualité téléportuaire en Europe. Annales de géographie, n° 585-586, pp. 563-582. 550. WAI-CHUNG-YEUNG H., 2002. The Limits to Globalization Theory: A Geographic Perspective on Global Economic Change. Economic Geography, vol. 78, n° 3, pp. 285-305. 551. WALCOTT S.M., WHEELER J.O., 2001. Atlanta in the Telecommunications Age: The Fiber-Optic Information Network. Urban Geography, vol. 22, n° 4, pp. 316-339. 552. WARF B., 1995. Telecommunications and the Changing Geographies of Knowledge Transmission in the Late Twentieth Century. Urban Studies, vol. 32, pp. 361-378. 553. WARF B., 2001. Segueways into cyberspace: multiple geographies of the digital divide. Environment and Planning B: Planning and Design, vol. 28, n° 1, pp. 3 - 19. 554. WEAVER E., STAM E., 1999. Clusters of high technology SMEs: The Dutch case. Regional Studies, vol., n° 4, pp. 391-400. 555. WHEELER J., AOYAMA Y., WARF B. (éds.), 2000. Cities in the Telecom Age. Routledge, 350 p. 556. WHINSTON A., BARUA A., SHUTTER J., WILSON B., PINNELL J., 2001. January 2001 Measuring the Internet Economy. University of Texas, format PDF, www.internetindicators.com. 557. WIDMAYER P., 2000. Transforming A Global City for the Information Society: Metropolitan Chicago at the Crossroads. Journal of Urban Technology, vol. 7, n° 2, pp. 23-42. 558. WILLIAMS K., ALKALIMAT A., 2003. L’espace public numérique à Toledo (Ohio). Géographie et cultures, n° 46, pp. 21-40 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 273 559. WILLIAMSON T., 2003. Catalytic communities in Rio: virtual and face-to-face communities in developing countries. Journal of Urban Technology, vol. 10, n° 3, pp. 85-109. 560. WILSON M., 2000. The Fall of the Mall? The Impact of Online Travel Sales on Travel Agencies. Journal of Urban Technology, vol. 7, n° 2, pp. 43-58. 561. WILSON M., 2003. Chips, bits and the law: an economic geography of Internet gambling. Environment and Planning A, vol. 35, n° 7, pp. 1245-1260. 562. WILSON M., 2003. Real places and virtual spaces. Netcom, vol. 17, n° 3-4, pp. 139-148. 563. WILSON M., COREY K. (éds.), 2000. Information Tectonics: Space, Place and Technology in an Information Age. Chichester, U.K., John Wiley & Sons, 284 p. 564. WISE A., 1971. The impact of electronic communications on metropolitan form. Ekistics, vol. 188, pp. 22-31. 565. WOLF POWERS L., 2001. Information Technology and Urban Labor Markets in the United States. International Journal of Urban and Regional Research, vol. 25, n° 2, pp. 427-437. 566. WOLTON D., 1998. Penser la communication. Paris, Flammarion, 416 p. 567. YEOH B.S.A., CHANG T.C., 2001. Globalising Singapore: Debating Transnational Flows in the City. Urban Studies, vol. 38, n° 7, pp. 1025-1044. 568. YEUNG H. W.-c., 2002. The Limits to Globalization Theory: A Geographic Perspective on Global Economic Change. Economic Geography, vol. 78, n° 3, pp. 285-305. 569. YOLIN J.M., 2002. Internet et Entreprise mirage ou opportunité ? - Pour un plan d'action - Contribution à l'analyse de l'économie de l'Internet. Rapport pour le Conseil Général des Technologies de l' Information (CGTI), www.yolin.net. 570. ZOOK M.A., 2000. The web of production: the economic geography of commercial Internet content production in the United States. Environment and Planning A, vol. 32, n°3, pp. 411-426. 571. ZOOK M.A., 2002. Grounded capital: venture financing and the geography of the Internet industry, 1994–2000. Journal of Economic Geography, vol. 2, n° 2, pp. 151-177. 572. ZOOK M.A., 2003. Underground globalization: mapping the space of flows of the Internet adult industry.Environment and Planning A, vol. 35, n° 7, pp. 1261-1286. 573. ZOOK M.A., DODGE M., AOYAMA Y., TOWNSEND A., 2004. New Digital Geographies: Information, communication and place. In BRUNN S.D. et al. (éds.), pp. 155-176. Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 274 Regard géographique sur le paradigme numérique Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Table des sigles et abbréviations ACD : Automatic Call Distribution ADSL : Asymetric Digital Subscriber Line AEPI : Agence d’Etude pour la Promotion de l’Isère AFTEL : Association Française de Télématique AFTT : Association Française du Télétravail et des Téléactivités ARASSH : Agence Rhône-Alpes pour les Sciences Sociales et Humaines ATM : Asynchronous Transfert Mode AUI : Association des Utilisateurs d' Internet CASA : Center for Advanced Spatial Analysis (University College London) CCI : Chambre de Commerce et d’Industrie CFAO : Conception et Fabrication Assistées par Ordinateur CTI : Computer Telephony Integration DSL : Digital Subscriber Line DSLAM : Digital Subscriber Line Access Multiplexor DWDM : Dense Wavelength Division Multiplexing EDI : Electronic Data Interchange (échange de données informatisé) FING : Fondation Internet Nouvelle Génération FTP : File Transfer Protocole FTTH : Fiber To The Home GIX : Global Internet eXchange point GPS : Global Positioning System GSM : Global System for Mobile Communications HBS : Harvard Business School IP : Internet Protocole ISOC : Internet Society IVR : Interactive Voice Response LAN : Local Area Network MAN : Métropolitan Area Network MIT : Massachusetts Institute of Technology MMDS : Microwave Multipoint Distribution System MUDs : Multi Users Dungeons NAP : Network Access Point Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 275 276 Regard géographique sur le paradigme numérique NII : National Information Infrastructure NYNMA : New York New Media Association PABX Private Automatic Branch eXchange PDM : Product Data Management PME : Petites et Moyennes Entreprises PLM : Product Lifecycle Management POP : Point of Presence PRO : Point de Raccordement Opérateur RNIS : Réseau Numérique à Intégration de Service (en anglais : ISDN) SDH : Synchronous Digital Hierarchy SIC : Standard Industrial Classification SIG : Système d' Information Géographique SDH : Synchronous Digital Hierarchy SONET Synchronous Optical Network SWIFT : Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications TIC : Technologies de l' Information et de la Communication TICE : Technologies de l' Information et de la Com. pour l' Education UMTS : Universal Mobile Telecommunication System URL : Uniform Resource Locator WAN : Wide Area Network WAP : Wireless Application Protocole WDM : Wavelength Division Multiplexing DWDM : Dense Wavelength Division Multiplexing WIFI : Wireless Fidelity Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 277 Table des encadrés Encadré n° 1. La nature de l' information ........................................................................... 19 Encadré n° 2. Nicholas Negroponte, "Beyond Digital". Wired 6.12, décembre 1998. ...... 24 Encadré n° 3. Les TIC dans le Débat national pour l'aménagement du territoire............. 28 Encadré n° 4. Un nouveau paradigme économique The Economist, 11-09 1997............ 80 Encadré n° 5. Et les télécommunications ? Extrait de P. Veltz, 1996, pp. 218-221 ......... 86 Encadré n° 6. Economie numérique et externalités de convergence à Denver. .............. 97 Encadré n° 7. Les télécommunications et le travail collaboratif à distance dans l’industrie automobile……………………………………………………………………………………………99 Encadré n° 8. La géographie d' un géant du commerce électronique : Amazon.com..... 111 Encadré n° 9. L’utilisation des TIC dans le suivi de livraison : l’exemple de FedEX .. 112 Encadré n° 10. La localisation du centre de contact AON à Marseille. ........................ 120 Encadré n° 11. Du centre d’appel… au télétravail. ....................................................... 127 Encadré n° 12. Deux expériences de télétravail en Irlande : MDS Gateways, IBM ..... 128 Encadré n° 13. S. Sassen. The Global City Model. ...................................................... 136 Encadré n° 14. Why Saving Silicon Alley Is Essential for New York. Joël Kotkin......... 151 Encadré n° 15. « Silicon Sentier » vu par le magazine Wired ...................................... 155 Encadré n° 16. Une nouvelle Silicon Valley ? Denver et le Front Range du Colorado. 156 Encadré n° 17. Les Siliconium à travers le monde ....................................................... 157 Encadré n° 18. Pour ou contre une implantation rurale ? ............................................. 165 Encadré n° 19. La cité numérique (City of Bits) selon W. Mitchell................................ 172 Encadré n° 20. Le projet de « territoire intelligent » : une démarche stratégique ......... 182 Encadré n° 21. Le programme PARVI .......................................................................... 183 Encadré n° 22. Pau, ville numérique du futur ?............................................................. 184 Encadré n° 23. Les péripéties de la fracture numérique en milieu rural.. ..................... 188 Encadré n° 24. « Projet de loi pour la confiance dans l' économie numérique »........... 192 Encadré n° 25. Utilisations de l’espace dans le projet DMC......................................... 211 Encadré n° 26. Les services offerts par le Cyberport ................................................... 213 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique Figure n° 57 Figure n° 58 Figure n° 59 Figure n° 60 Figure n° 61 Figure n° 62 Figure n° 63 Figure n° 64 Figure n° 65 Figure n° 66 279 Le Brooklyn Information Technology Center (www.swbidc.org) .................. 218 Les sites du Digital NYC (www.newyorkbiz.com/digitalnycis) ...................... 218 111 Eigth Avenue ......................................................................................... 217 Net Centers de LD Com et Markley Stearns Partners à Marseille............... 220 Vue générale de la zone du 22@poblenou .................................................. 222 Fresques de manifestation contre le programme 22@poblenou. ................ 224 Plan de vidéo-surveillance du Vieux Lyon ................................................... 227 Localisation des caméras dans le district financier de Lower Manhattan.... 228 La congestion charging zone, au centre de Londres (www.cclondon.com). 230 Systèmes de péage et de gestion électronique du trafic ............................. 231 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 280 Regard géographique sur le paradigme numérique Table des tableaux Tableau n° 1. Tableau n° 2. Tableau n° 3. Tableau n° 4. Tableau n° 5. Tableau n° 6. Tableau n° 7. Tableau n° 8. Tableau n° 9. Tableau n° 10. Tableau n° 11. Tableau n° 12. Tableau n° 13. Tableau n° 14. Tableau n° 15. Tableau n° 16. Tableau n° 17. Tableau n° 18. Tableau n° 19. Tableau n° 20. Tableau n° 21. Tableau n° 22. Tableau n° 23. L’explosion de la téléphonie mobile : taux de pénétration par habitant .... 17 Trois programmes d' action pour la "société de l' information" .................... 26 Pays représentés dans la bibliographie (auteurs)...................................... 33 Les TIC dans Progress in Human Geography ........................................... 35 Les rubriques de l' Atlas du Cyberspace (www.cybergeography.org) ........ 43 Exemples de traceroutes au départ de Lyon (www.lyonix.net) .................. 52 Débit Internet disponible sur les axes intercontinentaux............................ 53 Débits disponibles cumulés rapportés à la population dans 32 aires métropolitaines américaines (Mbits/secs. pour 1000 hab.). ....................... 56 La hiérarchie des villes européennes : nombre de réseaux "backbones" 58 Quelques exemples de points d' accès WiFi, installés en juillet 2003 ........ 72 Le commerce électronique B to B dans le monde ................................... 106 La répartition géographique du commerce électronique B to B par grandes régions ........................................................................................ 106 Statistiques sur les centres d’appel ......................................................... 113 Métropolisation des cadres et professions intellectuelles supérieures . 131 Taux d' emplois métropolitains supérieurs par aires urbaines .................. 131 Les principaux segments de marché couverts par le secteur New Yorkais des nouveaux médias.................................................................. 149 Les 20 premiers « clusters » du secteur des TIC aux Etats-Unis, sur la base des Economic Areas ........................................................................ 152 Les services offerts par un "outsourcer" rural : KITE Ltd. ........................ 162 Le programme "Barcelona Digital City" .................................................... 177 Les Intelligent Community Awards ........................................................... 181 Centres d' hébergement et de co-location et réhabilitation de l' immobilier industriel et commercial......................................................... 217 Nouvelle économie et réhabilitation urbaine à Marseille .......................... 220 Investissements étrangers dans les TIC à Barcelone en 2001 ................ 221 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 281 Table des matières INTRODUCTION............................................................................................ 3 CHAPITRE 1. NUMERIQUE LA PENSEE GEOGRAPHIQUE FACE AU PARADIGME 9 1.1. LES « TIC » ET LE PARADIGME NUMERIQUE ..........................................................................9 1.1.1. Une affaire de métaphores............................................................................................9 1.1.2. La convergence numérique.........................................................................................12 1.1.2.1. 1.1.2.2. La convergence des techniques : numérisation et Internet ................................................... 13 Une croissance et une diffusion exponentielles.................................................................... 15 1.2. LA COMPOSANTE GEOGRAPHIQUE D'UNE NOUVELLE IDEOLOGIE ? .......................................20 1.2.1. Entreprises et publicité ...............................................................................................20 1.2.2. Médias et "cybergourous" ..........................................................................................22 1.2.3. Les organisations et collectivités publiques ...............................................................25 1.2.4. Les groupes de pression et cercles d'expert................................................................29 1.2.5. La communication numérique, nouvelle religion universelle ? ..................................31 1.3. LES GEOGRAPHES DANS LE DEBAT : .....................................................................................31 1.3.1. De la géographie des télécommunications à la géographie du cyber-espace ............32 1.3.2. Existe-t-il une géographie des TIC ? ..........................................................................36 CHAPITRE 2. LE RESEAU NUMERIQUE ET L’ESPACE GEOGRAPHIQUE : TECHN04475 t Tq téd él ledeaéi 0 qé Td ex i tta tu (qe qmt )Tj(.)Tj 3.5 2.52155 0 Td (.)Tj0 Tj TP8.6451 (I)Tj.240 453.68 Td (E)TjT08.04475 1 165.24 0 Td 49 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] 282 Regard géographique sur le paradigme numérique 3.3. LE ROLE DES TIC DANS L’ORGANISATION SPATIALE DE LA PRODUCTION : DEMONSTRATION EMPIRIQUE ........................................................................................................................................ 98 3.3.1. Les TIC et l’organisation spatiale des entreprises industrielles : exemple de l’industrie automobile.................................................................................................................. 98 3.3.2. La finance électronique : les limites d’un espace économique virtuel ..................... 101 3.3.3. Le commerce électronique et la logistique............................................................... 104 3.3.4. Les centres d’appel (ou centres de contacts) et la relation client ............................ 112 3.3.5. Le télétravail ............................................................................................................ 122 CHAPITRE 4. LES TERRITOIRES DE L’ECONOMIE NUMERIQUE : DE LA SILICON VALLEY A LA SYLVICOLE VALLEY .................................. 129 4.1. UN ESPACE ECONOMIQUE « EN ARCHIPEL » ? .................................................................... 129 4.1.1. Mondialisation, métropolisation .............................................................................. 129 4.1.2. Le paradoxe géographique de l’économie numérique ............................................. 132 4.1.2.1. 4.1.2.2. Agglomération, dispersion et division spatiale du travail...................................................132 La théorie de « la poignée de main »..................................................................................134 4.2.2.1. 4.2.2.2. Le modèle original : Silicon Valley....................................................................................143 Silicon Alley ou la quintessence de l’urbain: un concept éphémère ? ................................147 4.2. LES DISTRICTS DE L'ECONOMIE NUMERIQUE ...................................................................... 137 4.2.1. Aspects théoriques.................................................................................................... 137 4.2.2. Silicon Valley vs Silicon Alley .................................................................................. 143 4.2.3. L’essaimage du mythe, ou la mondialisation d’un modèle d’organisation de l’espace productif 152 4.3. L’ECONOMIE NUMERIQUE DANS LES ESPACES RURAUX...................................................... 159 4.3.1. Utopie ou opportunité ? ........................................................................................... 159 4.3.2. “Lone Eagles” et “High Fliers”.............................................................................. 161 CHAPITRE 5. LES TECHNOLOGIES NUMERIQUES DANS LES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT ET D’AMENAGEMENT DES TERRITOIRES 169 5.1. LE TERRITOIRE NUMERIQUE : UTOPIE OU PROJET STRATEGIQUE ?...................................... 169 5.1.1. Une littérature considérable .................................................................................... 169 5.1.2. Le projet stratégique, un concept clé pour l’analyse géographique des politiques publiques dans le secteur des TIC ............................................................................................. 173 5.1.3. Le projet de territoire numérique : contenu et discours........................................... 174 5.2. TELECOMMUNICATIONS ET AMENAGEMENT DU TERRITOIRE.............................................. 185 5.2.1. La problématique et les enjeux de la « fracture numérique » .................................. 185 5.2.2. Le contexte juridico-technologique .......................................................................... 190 5.2.2.1. 5.2.2.2. 5.2.3. 5.2.3.1. 5.2.3.2. Le cas français : l’article L. 1425.1 ....................................................................................191 Dans les autres pays européens et aux Etats-Unis ..............................................................193 Télécommunications et développement local : une stratégie d’offre ....................... 194 Aux Etats-Unis et au Canada..............................................................................................194 En France ...........................................................................................................................196 5.3. EFFETS DE LIEUX : L’EMERGENCE D’UN « URBANISME NUMERIQUE » ............................... 206 5.3.1. Dans les pays émergents : la multiplication des projets de « district multimédia ». 207 5.3.1.1. 5.3.1.2. 5.3.1.3. 5.3.1.4. Le Multimédia Super Corridor de Kuala Lumpur ..............................................................207 Seoul Digital Media City (DMC) .......................................................................................210 Le Cyberport de Hong Kong ..............................................................................................212 Dubaï : une plaque tournante de l’économie numérique entre l’Europe et l’Asie ? ...........214 5.3.2. Dans les métropoles occidentales : nouvelle économie et renouvellement urbain... 216 5.3.3. Surveiller et gérer l’espace ...................................................................................... 225 5.3.2.1. 5.3.2.2. 5.3.2.3. 5.3.2.4. 5.3.3.1. 5.3.3.2. L’exemple Américain.........................................................................................................216 Marseille et le projet Euroméditerranée .............................................................................219 Barcelone : 22@poblenou ..................................................................................................221 Créer de la territorialité autour d’un district numérique : le Silicon Sentier parisien .........224 La vidéosurveillance des espaces publics et privés ............................................................225 Les TIC dans la gestion et la régulation des transports routiers .........................................228 Conclusion du chapitre 5 : les impasses du « territoire numérique » : ubiquité ou exclusion ?232 CONCLUSION GENERALE ...................................................................... 234 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected] Regard géographique sur le paradigme numérique 283 « Simulacre et simulation »........................................................................................................234 Le paradigme numérique et le paradigme systémique : gérer la complexité.............................235 Echelles géographiques, nouveaux liens et nouvelles fragmentations ?....................................237 La diffusion spatiale d'une série d’innovations..........................................................................239 « Surveiller et punir » : la production de l’espace panoptique..................................................240 BIBLIOGRAPHIE....................................................................................... 247 TABLE DES SIGLES ET ABBREVIATIONS ................................. 275 TABLE DES ENCADRÉS ................................................................... 277 TABLE DES FIGURES ........................................................................ 278 TABLE DES TABLEAUX.................................................................... 280 TABLE DES MATIERES ..................................................................... 281 Bruno Moriset - Université Jean Moulin - Lyon 3 - [email protected]