Histoire - memoria.dz

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Histoire - memoria.dz
El-Djazaïr.com
ISSN : 1112-8860
Supplément ELDJAZAIR.COM
www.memoria.dz
N° 11 - Mars 2013
Lettre de l'Editeur
AMMAR KHELIFA
[email protected]
Pour une vive mémoire
es nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C’est cet ensemble
d’événements qui se créent successivement aujourd’hui pour qu’un jour on ait à le
nommer : Histoire. Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement,
l’espèce humaine serait tel un atome libre dans le tourbillon temporel et cosmique.
L’homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s’amarrer à des référentiels
et de se coller sans équivoque à son histoire. Se confondre à un passé, à une ancestralité.
Cette pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre
l’amnésie et les affres de l’oubli. Se contenir dans un souvenir, c’est renaître un peu. L’intérioriser, c’est
le revivre ; d’où cette ardeur permanente de redécouvrir, des instants durant, ses gloires et ses notoriétés.
En tant que mouvement dynamique qui ne s’arrête pas à un fait, l’Histoire se perpétue bien au-delà. Elle
est également un espace pour s’affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminence et
de luttes. Transmettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable
à une éventualité faussaire ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et
impératif, peut soutenir la vivacité des lueurs d’antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur.
Elle doit assurer chez nous le maintien et la perpétuation des liens avec les valeurs nationales et le legs
éternel de la glorieuse révolution de Novembre.
Il est grand temps, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance nationale, de percevoir les
fruits de l’interaction et de la complémentarité entre les générations. Dans ce contexte particulier et délicat,
les moudjahidate et moudjahidine se doivent davantage de réaffirmer leur mobilisation et leur engagement
dans le soutien du processus national tendant à éterniser et à sacraliser l’esprit chevaleresque de Novembre.
Ceci n’est qu’un noble devoir envers les générations montantes, qui, en toute légitimité, se doivent aussi
de le réclamer. A chaque disparition d’un acteur, l’on assiste à un effacement d’un pan de notre histoire. A
chaque enterrement, l’on y ensevelit avec une source testimoniale. Le salut de la postérité passe donc par
la nécessité impérieuse d’immortaliser le témoignage, le récit et le vécu. Une telle déposition de conscience
serait, outre une initiative volontaire de conviction, un hommage à la mémoire de ceux et de celles qui
ont eu à acter le fait ou l’événement. Le témoignage devrait être mobilisé par une approche productive
d’enseignement et de fierté. Raviver la mémoire, la conserver n’est qu’une détermination citoyenne et
nationaliste. Toute structure dépouillée d’histoire est une structure sans soubassement et toute Nation
dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d’intégration
dans le processus de développement.
C’est dans cette optique de rendre accessibles l’information historique, son extraction et sa mise en valeur
que l'idée de la création de cette nouvelle tribune au titre si approprié : Memoria, a germé. Instrument
supplémentaire dédié au renforcement des capacités de collecte et d’études historiques, je l’exhorte, en
termes de mémoire objective, à plus de recherche, d’authenticité et de constance.
[email protected]
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
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Supplément
N° 11
Mars- 2013
P.13
Fondateur Président du Groupe
AMMAR KHELIFA
Président d’honneur
Abdelmalek SAHRAOUI
Coordination :
Abla BOUTEMEN
Sonia BELKADI
Direction de la rédaction
Assem MADJID
Directeur des moyens généraux :
Abdessamed KHELIFA
P.06
D.A.F :
Meriem KHELIFA
LA DÉLÉGATION
ALGÉRIENNE À EVIAN
Ils ont contribué avec nous :
Dahou Ould Kablia
Ministre de l’Intérieur et des
Collectivités locales et président de
l’Association nationale du ministère
de l’Armement et des Liaisons
générales (AN-MALG)
KRIM BELKACEM
ACCORDS D’EVIAN
P.43
P.06 Histoire
Le FLN et les négociations
Rédaction
Leila BOUKLI
Boualem TOUARIGT
Hassina AMROUNI
Abderrachid MEFTI
Imad KENZI
Djamel BELBEY
Adel FATHI
El Yazid DIB
Direction Artistique :
Halim BOUZID
Salim KASMI
Reda Hassene DAOUADJI
Contacts : Eurl COMESTA MEDIA
N° 181 Bois des Cars 3
Dely-Ibrahim - Alger - Algérie
Tél. : 00 213 (0) 661 929 726 / +213 (21) 360 915
Fax : +213 (21) 360 899
E-mail : [email protected]
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P.13
rapports de forces et manœuvres politiques
P.15
PORTRAITS DE STRATÈGES ET DE FINS NÉGOCIATEURS
P.19 Témoignage
« Le GPRA était organisé comme une véritable machine
d’état »
P.25
Les premiers contacts : un gouvernement Français indécis
P.29
de Gaulle veut une victoire militaire
P.31
L’annonce de l’autodétermination ouvre une nouvelle étape
P.43
Le soutien de la communauté internationale au GPRA
P.47
La presse internationale et le 19 mars 1962
L’OAS
P.49
UNE HISTOIRE OCCULTéE
P.53
La tuerie de la rue d’Isly : L’armée française et l’OAS dos à dos
Supplément offert, ne peut être vendu
L’annonce du cessez-le-feu
P.49
La sinistre organisation de l’OAS
P.63
Ali Hammoutène
P.73
P.69
Supplément du magazine
ELDJAZAIR.COM consacré
à l’histoire
COPYRIGHT
COMESTA MÉDIA
GROUPE PROMO INVEST
Edité par COMESTA MÉDIA
Dépôt légal : 235-2008
ISSN : 1112-8860
LES SOEURS SAÂDANE
P.89
DAHOU OULD KABLIA
BRAHIM BENBRAHIM
DIT LAYACHI BEN AHMED
FEMMES AU MAQUIS
P.65
P.65 Portrait
Oudaï Zoulikha Yamina, née Echaïb : Une moudjahida
au tempérament de feu
P.69
Fatma et Messaouda Bedj : Hommage aux sœurs martyres
P.73
Meriem et Fadéla Saâdane : Mortes sur l’autel de la liberté
P.77
« Baya El Kahla », l’ange blanc au treillis
Oudaï Zoulikha
P.95
GUERRE DE LIBERATION
P.89
Brahim Benbrahim : LE PASSEUR D’ARMES A LA BARAKA INOUIE
EMIR ABDELKADER
P.103
FONDATION EMIR ABDELKADER
P.109 Portrait : Mohamed-Lamine Boutaleb
HISTOIRE D'UNE VILLE
P.113
Les martyrs de Mars
P.109
La ville de Tizi-Ouzou : la capitale des genêts
Mohamed-Lamine Boutaleb
Tizi-Ouzou
SOMMAIRE
P.19
LES SOEURS BEDJ
Accords d’Evian
Le FLN et les
négociations
Par Boualem Touarigt
Accords d’Evian
Histoire
Les négociateurs algériens à Evian
L
e FLN fut un mouvement créé par
des militants nationalistes radicaux
qui voulaient obtenir l’indépendance
du peuple algérien par la lutte
armée. Cependant, il ne rejeta jamais
le recours à des discussions. La
déclaration du 1er novembre contenait l’idée de
négociation. Le FLN engageait une lutte pour un
objectif politique : l’indépendance. La déclaration
en elle-même constituait une base de discussions
pour une négociation en proposant un statut de la
minorité d’origine européenne. Le FLN s’est tenu
toujours prêt à tout contact venant de la partie
adverse, même quand il s’est agi au début de simples
pourparlers non officiels et secrets. Une fois la
négociation sérieusement entamée, il la poursuivit
avec persévérance et ténacité, s’adaptant aux reculs et
aux accélérations brusques, conjuguant avec efficacité
résistance militaire, lutte politique et offensive
diplomatique. Le CNRA, instance de direction de
la révolution, fut quasi unanime sur les préalables
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
de la négociation et sur les points essentiels de la
discussion. Aucune question ne fit l’objet de clivages
profonds ni d’oppositions entre les dirigeants. Le
statut de la minorité européenne, les compromis sur
les bases militaires, la coopération sur l’exploitation
du pétrole furent débattus avant la dernière
rencontre d’Evian et reçurent l’appui unanime du
CNRA. Les divergences qui apparurent très tôt au
sein de la direction de la révolution ne portèrent
pas réellement sur le contenu des négociations
et exprimèrent des rivalités dans la lutte pour le
pouvoir. Aucun dirigeant, aucun groupe ne gêna
l’évolution des discussions. On observa quelquefois
des positions extrêmement rigides de la part d’anciens
militants modérés, qui n’étaient pas, au début, des
partisans de la lutte armée. Comme il arriva que des
combattants de la première heure adoptèrent des
attitudes conciliantes. Les négociations ne créèrent
pas de clivages entre anciens modérés et radicaux, ni
entre les responsables qui s’opposaient pour diriger
la révolution.
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Accords d’Evian
Histoire
5
4
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2
1
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7
De gauche à droite : 1- Zighoud Youcef, 2- Amar Ouamrane, 3- Krim Belkacem, 4- Larbi Ben M'hidi, 5- Abane Ramdane 6-Lakhdar Bentobal, 7- Benaouda Ben Mostefa
dit Ammar, 8- Colonel Amirouche
Dès le 1er novembre, le FLN se
déclarait prêt à la négociation
Dès le déclenchement de la Révolution, le 1er
novembre 1954, le FLN se fixait un but politique.
Il considérait même toute la lutte qu’il enclenchait
comme politique. Son premier objectif était de refaire
l’union du mouvement national, et au-delà celle du
peuple algérien dans son ensemble. Le FLN reprenait
la motivation du CRUA qui l’avait précédé mais en
sortant des calculs tactiques et de l’affrontement des
tendances. L’unité nationale devait se faire autour d’un
objectif central : l’indépendance. Le déclenchement
de la lutte armée était conçu comme le moyen de
cette unité à la fois des militants de la cause nationale
et des Algériens dans leur ensemble. Pour la première
fois, une force politique algérienne ne se limitait pas à
une série de revendications, mais se fixait un objectif
central unique mobilisateur : l’indépendance. Elle
offrait, c’était aussi une nouveauté, une plateforme de
discussions si on donnait suite à sa revendication.
Instruits par des décennies de lutte dont ils
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
voulaient tirer les leçons, les militants du FLN se
plaçaient volontairement sur le terrain politique :
ni insurrections, ni révoltes paysannes, ni combats
désespérés isolés. Toute action militaire n’avait de
raison d’être que par ses objectifs politiques. Mourad
Didouche disait bien avant le déclenchement du 1er
novembre : « Le plus important, c’est allumer la mèche,
rendre l’espoir, encourager les populations à entrer
dans la lutte. » Et cette guerre qui s’annonçait devait
être populaire. Dès le début, on insista sur le travail
d’information et d’organisation des populations qui
devait précéder toute action armée. Les premiers
maquisards parcoururent les villages pour convaincre
les populations. L’union de tous les Algériens pour
l’indépendance était l’objectif principal. Les premiers
ennemis étaient les Algériens qui soutenaient la
colonisation. Pendant toute la durée de la guerre, le
FLN s’est attaché à rassembler le plus grand nombre à
cette idée d’indépendance et à se présenter comme le
seul interprète de cette volonté, étant le rassembleur
de tous les Algériens.
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Accords d’Evian
Histoire
Le FLN était donc dès le début
prêt à une négociation et même
demandeur. Arriver à négocier
l’indépendance était son objectif.
Il ne fut pas amené, contraint et
forcé, à accepter une négociation.
Il ne ferma qu’exceptionnellement
la porte à des discussions,
seulement quand il fut convaincu
que sa préoccupation principale
ne fussent pas prise en compte.
Pour lui, tout était négociable si
on tenait compte de ses exigences :
indépendance, intégrité territoriale,
unicité de la représentation des
Algériens.
Pour ce faire, le FLN avait une
stratégie appropriée. Il avait ouvert
ses rangs à tous les représentants du
mouvement national. Les radicaux
furent rejoints par ceux qu’on
considérait comme « modérés »,
aussi bien centralistes du MTLD
non partisans à l’origine de la
guerre, que les anciens de l’UDMA.
Ceux-ci étaient les représentants
de l’élite politique acquise au
début à la lutte dans le cadre légal
et à une évolution par étapes
vers l’indépendance, après avoir
envisagé une république française
égalitaire. Les représentants des
oulémas réformistes, qui plaçaient
leurs revendications hors du champ
politique, rejoignirent aussi le FLN.
Les communistes intégrèrent les
réseaux du FLN. Dès 1956, le FLN
portait une revendication nationale
d’indépendance soutenue par
toutes les couches de la population.
Le noyau dur des radicaux qui
déclenchèrent la lutte armée se
méfiait des anciens personnels
politiques
qui
privilégiaient
le combat électoral comme il
craignait une issue politique qui
viderait le combat de son sens. Il se
méfiait du gouvernement français
qui aurait pu proposer des demimesures pour arrêter le combat.
Sur la question de la minorité
européenne, ceux que le congrès
de la Soummam considéra
comme des « Algériens d’origine
européenne », le FLN eut une
attitude extrêmement réaliste.
Il refusa toute ségrégation sur
une base confessionnelle. Il
fut soutenu par des militants
progressistes non musulmans dont
beaucoup le rejoignirent. Ils furent
présents dans ses réseaux : actions
diplomatiques,
information,
organisation, logistique.
Positions communes sur
les grandes questions
Des militants du FLN furent
hésitants lorsque eurent lieu
les premiers contacts avec le
gouvernement
français.
Les
radicaux qui avaient déclenché la
guerre de libération étaient méfiants
envers tout ce qui pouvait rappeler
les luttes politiques anciennes,
maintes fois décriées. Certains
militants virent d’un mauvais
œil l’arrivée dès 1956 des anciens
militants centralistes et « udmistes
» dont certains entrèrent ans la
direction du FLN : Benkhedda,
Saad Dahlab puis Ferhat Abbas.
Ce furent aussi bien des militants
Habib Bourguiba en compagnie de Ferhat Abbas et d’autres dirigeants du FLN
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Accords d’Evian
Histoire
FLN de la première heure que des « ralliés » qui
conduisirent les première discussions où il n’était pas
encore question d’indépendance : Khider au Caire,
M’hammed Yazid et Ahmed Francis à Belgrade. A
Rome, Khider était avec Yazid et Kiouane. A Belgrade,
en septembre 1956, il était avec Lamine Debaghine
envoyé par Ramdane Abane. Les cinq dirigeants du
FLN qui furent kidnappés en septembre 1956 se
rendaient à la conférence maghrébine de Tunis où les
trois pays devaient préparer une position commune
vis-à-vis de la France. Bourguiba et Mohammed V
étaient alors partisans d’une solution modérée à la
question algérienne.
Il n’y eut jamais de scission au sein de la direction
du FLN sur l’attitude à adopter face aux négociations.
Les divergences couvrirent des luttes de pouvoir.
Ferhat Abbas fut porté à l’unanimité à la présidence
du GPRA, en raison de l’image modérée qu’il donnait
et de ses capacités de dialogue. Sa désignation par le
CNRA montre bien que cette instance se préparait
à la négociation en donnant au mouvement national
un visage raisonnable et crédible. Il devait lui-même
se montrer particulièrement exigeant et très dur,
appelant souvent au refus des concessions et au
renforcement de la lutte armée. Une fois le GPRA
constitué, il considéra qu’un contact officiel avec
la France était une avancée dans la reconnaissance
du fait national algérien. Il joua alors de la pression
internationale en se déclarant prêt à ouvrir des
négociations sans préalable. La direction du FLN
adopta une position unanime face aux premiers
contacts initiés par de Gaulle. Boussouf déclara dans
une interview à France Observateur en août 1958:
« Jusqu’à présent, les Français n’ont fait aucune
ouverture sérieuse. On veut nous pousser à tomber
dans un piège. » En septembre, Ferhat Abbas rejeta
le « document Pompidou » qui n’était qu’une offre de
cessez-le-feu.
Lorsque le 29 septembre, Ferhat Abbas répondit
à de Gaulle que le GPRA était prêt à négocier sur
la base de l’indépendance tout en affirmant que le
Sahara faisait partie de l’Algérie, il reprenait une
déclaration adoptée la veille par les membres du
GPRA réunis avec l’ensemble des chefs militaires de
l’ALN, regroupés depuis plus d’un mois à Tunis.
En janvier 1960, la troisième session du CNRA
Les délégations algérienne et française sur la table des négociations
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Accords d’Evian
Histoire
nouveau gouvernement. Ferhat Abbas, ainsi que ses
anciens amis de l’UDMA (Francis, Boumendjel)
furent contestés à la fois par les « historiques » (Krim,
Boussouf, Bentobbal) et les anciens centralistes
(Benkhedda, Dahlab, Yazid) pour des raisons
différentes. La poursuite des négociations dans le
sens voulu par la grande majorité des dirigeants allait
influer sur les choix du nouveau gouvernement. Krim
ne réunit pas l’unanimité autour de lui du fait de
l’opposition de l’Etat-major et du refus catégorique
des ministres militaires (Boussouf et Bentobbal).
Avec Benkhedda à la présidence et Saad Dahlab aux
Affaires étrangères, ce fut à des hommes issus du
nationalisme populaire du MTLD qu’on semblait
faire confiance à un moment où les négociations
entraient dans une phase cruciale.
Même si les dirigeants de l’Etat-major de l’ALN
Les conflits de direction ne concernent dénonçaient le risque d’une solution néocoloniale, à
pas la négociation
aucun moment ils ne mirent en cause les négociations.
Le CNRA se réunit du 9 au 27 août 1961à Tripoli. Les anciens de l’UDMA qui quittèrent toute fonction
Il devait évaluer le travail fait par le GPRA, se dans le GPRA (Ferhat Abbas, Ahmed Boumendjel,
prononcer sur les négociations et désigner un Ahmed Francis) ne furent pas écartés pour des
reconduisit Ferhat Abbas à la tête d’un GPRA qui
reçut la mission de mener les négociations sur des
bases claires acceptées par tous : préalable d’un accord
politique sur l’indépendance, statut de la minorité
européenne, concessions limitées sur l’exploitation
du pétrole et sur l’utilisation des bases militaires.
Les discussions reprirent du 20 au 28 juillet à
Lugrin, au château d’Allaman à quelques kilomètres
d’Evian. Le GPRA renforça ses positions à
l’intérieur. Son appel à une mobilisation populaire
pour l’indépendance le 1er juillet puis lors de la
journée nationale contre la partition du 5 juillet 1961
fut largement suivi. Des heurts violents firent de
nombreux morts. Par contre, le conflit s’aggrava avec
l’Etat-major qui présenta sa démission le 15 juillet.
Ahmed Ben Bella au centre de la photo
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Histoire
raisons de divergences politiques. Après le cessez-lefeu, ils rejoignirent le groupe dit de Tlemcen (formé
autour de Ben Bella et de l’Etat-major dirigé par
Boumediene). Ferhat Abbas fut élu à la présidence de
la première Assemblée constituante, Ahmed Francis
et Ahmed Boumendjel furent ministres dans le
gouvernement constitué par Ben Bella.
La nomination de Benkhedda à la tête du GPRA
pouvait apparaître comme un durcissement de la ligne
du FLN mais en fait n’apporta aucun changement
dans les choix sur la négociation. Le nouveau chef
du gouvernement affirma à peine élu : « Une solution
réaliste et équitable est possible. »
Les négociateurs achevèrent un texte final de dix
déclarations le 19 février 1962 à 2h30 du matin. Le
jour même, les délégués du FLN rentrèrent à Tunis.
Le 22 février s’ouvrit la session du CNRA présidée
par Benyahia. Le débat fut vif, d’une grande liberté
et toutes les questions furent abordées. Le 27 février,
au cours de la séance de nuit, le CNRA adopta
officiellement une résolution mandatant le GPRA
pour signer les accords. Seuls quatre votants s’y
opposèrent sur les 49 présents : Boumediene, Kaïd
Ahmed, Ali Mendjeli et le commandant Bouizem
de la Wilaya V. Les cinq ministres prisonniers en
France avaient été associés à toutes les phases de
la négociation. Ils avaient signifié leur accord par
écrit dès le 15 février. Les dirigeants de l’Etatmajor exprimèrent de vives critiques concernant la
force locale sous l’autorité de l’Exécutif provisoire
chargé de gérer la transition et sur certaines
dispositions du cessez-le feu qui bloquaient le retour
des combattants de l’extérieur avant les résultats
de l’autodétermination. Cependant, les opposants
s’engagèrent à appliquer loyalement les accords. En
six jours, le CNRA avait pris connaissance des textes
et les avait approuvés. Les délégués avaient montré
une grande cohésion et un esprit de responsabilité
qui permirent de déboucher rapidement.
Boualem Touarigt
De g. à dr.: Taieb Boulahrouf, Ahmed Francis, Saâd Dahlab, Krim Belkacem et Mohamed Seddik Benyahia
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Accords d’Evian
Histoire
rapports
de forces et
manœuvres
politiques
Krim Belkacem levant le bras droit avec ses compagnons négociateurs
Par Boualem Touarigt
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
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Accords d’Evian
Histoire
L
es accords d’Evian qui aboutirent au
cessez-le-feu du 19 mars marquent
une étape décisive dans l’histoire de
l’Algérie. Politiquement, le système
colonial prenait fin. L’Algérie pouvait
choisir de devenir un pays indépendant
de la France, la domination politique consacrée par la
loi d’une minorité sur la population locale était rejetée.
Les accords d’Evian furent l’aboutissement de
plusieurs décennies de luttes contre la domination
locale suivies de répressions violentes. La longue
gestation des luttes, l’apport des différentes expériences
allaient aboutir au 1er novembre 1954 où une poignée
d’éléments radicaux allait déclencher une lutte armée.
Celle-ci était une nouvelle forme de lutte, inédite. Ce
n’est pas le recours à la violence qui était inédit, mais
le fait que celui-ci était soumis à un objectif politique
: l’indépendance. Ce n’était pas une insurrection, un
soulèvement, une révolte paysanne, mais une lutte
armée dirigée par un mouvement avec une stratégie
politique d’union de toutes les forces nationales. Le
FLN pratiquait la violence armée mais se déclarait
prêt à tout moment à discuter d’une issue politique :
l’indépendance.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
La longue série de contacts qui eurent lieu dès 1955,
fut parfois hésitante, chaotique, alliant faux espoirs
et déceptions. C’est à partir de la déclaration du 16
septembre 1959 où le général de Gaulle parla pour la
première fois de l’autodétermination que l’on envisagea
sérieusement les possibilités de négociations. Les
contacts de Melun de juin 1960, qui furent un échec
formel ont été un commencement d’une grande portée
psychologique. En janvier 1961 une série de données
militaires, politiques et diplomatiques firent que des
contacts pouvaient à nouveau être envisagés. On passa
encore de longs moments où les discussions buteront sur
des points essentiels. Il faudra attendre décembre pour
voir un rapprochement des points de vue. Les grandes
questions sont pratiquement réglées aux Rousses.
De Gaulle fut amené à évoluer sur des questions
essentielles : intégrité du territoire y compris le Sahara,
statut de la minorité européenne, utilisation des bases
militaires, coopération économique. Il ne put mettre
fin aux capacités militaires du FLN, n’arriva pas à
dégager une élite locale qui lui serait acquise, affronta
la radicalisation d’une partie de la minorité européenne
d’Algérie, et l’hostilité d’une armée divisée.
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Boualem Touarigt
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Accords d’Evian
Histoire
PORTRAITS DE
STRATÈGES ET DE FINS
NÉGOCIATEURS
De g. à dr.: M’hamed Yazid, Saâd Dahlab et Krim Belkacem
Par Abderrachid Mefti
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Accords d’Evian
Histoire
Belkacem Krim (1922-1970)
occupe jusqu’en 1969, date de son départ à la retraite. Il
reprend ensuite par intermittence ses fonctions d’avocat
Belkacem Krim est né jusqu’à son décès le 19 novembre 1982, des suites d’un
le 15 décembre 1922 à Aït cancer à l’âge de 74 ans.
Yahia Moussa en Kabylie.
Au cours de la révolution Taieb Boulahrouf
algérienne, il est l’un des
chefs historiques du Front
Taieb Boulahrouf est né le
de libération nationale.
9 avril 1923 à Oued Zenati
Surnommé Le lion du djebel
(wilaya de Guelma). Très
par les soldats français, il est
jeune, il se rend compte
considéré comme l’un des
de la nécessité du combat
premiers maquisards de la
nationaliste et s’engage
révolution algérienne. Le 1er
dans la lutte politique
novembre 1954, Krim est le responsable de la zone de
en devenant responsable
Kabylie et devient membre de la direction intérieure du
dans
l’organisation
du
FLN (groupe des six chefs historiques).
PPA-MTLD.
En
août
En 1956, il crée, avec ses compagnons du CCE, la
1951, il entre au comité
Zone autonome d’Alger (ZAA). Après le coup d’Etat
central avant de devenir
du 19 juin 1965, il passe dans l’opposition. Le 8 octobre en 1952 membre du comité directeur de la délégation
1970, il est assassiné à Francfort (Allemagne).
permanente du MTLD en France. Il milite ensuite au
sein du Front de libération nationale (FLN) en France
avant d’être représentant du GPRA à Rome en 1958.
Ahmed Boumendjel (1908-1982)
Après l’indépendance, Taieb Boulahrouf est nommé
Ahmed Boumendjel est né ambassadeur d’Algérie successivement à Rome, Lima,
en 1908 à Aït Yenni (Tizi- Bucarest, Buenos Aires, La Paz et Lisbonne. Il décède
Ouzou). Après trois années le 27 juin 2005 à l’âge de 84 ans.
d’études à l’Ecole normale
de Bouzaréah, (Alger) il Rédha Malek
devient instituteur et exerce
cette profession durant
Redha Malek est né le 21
quatre ans puis, en 1936,
décembre 1931 à Batna. En
s’inscrit à la Faculté de droit
1955, il est membre fondateur
de Paris. Après l’obtention
de l’Union générale des
de sa licence, il devient
étudiants
musulmans
avocat-stagiaire à Paris. Il
algériens (Ugema) et en
regagne Alger en 1937 et, l’année suivante, y ouvre
1957, membre de son
son propre cabinet d’avocat. Après le déclenchement
comité directeur. En 1957,
de la révolution du 1er novembre 1954, il appuie
il est désigné responsable
l’action du FLN et se résout à gagner clandestinement
du journal El Moudjahid.
Tunis en juillet 1957. En 1960, il est porte-parole du
De mai 1961 à mars 1962,
Gouvernement provisoire de la République algérienne
il est désigné porte-parole
(GPRA) aux négociations de Melun, puis à Evian en de la délégation algérienne aux négociations d’Evian
mars 1962. Après l’indépendance, il est ministre de la alors qu’il a à peine 30 ans. A cette époque, il dirigeait
Reconstruction et des Travaux publics jusqu’à décembre le journal El Moudjahid, organe central du Front de
1964. A compter de cette date, il se tient à l’écart de la libération nationale (FLN), et a assisté aux discussions,
vie politique. Il obtient alors un poste à l’Unesco, qu’il sur les bords du lac Léman, qui ont conduit à la
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 16 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Accords d’Evian
Histoire
signature des accords, le 18 mars, et au cessez-le-feu
entré en application le lendemain. Il est aujourd’hui âgé
de 82 ans est reste le seul survivant des négociateurs
d’Evian.
Benmostefa Benaouda
Benmostefa
Benaouda
est né en 1925 à Annaba.
En avril 1951, il rejoint les
maquis pour participer à la
lutte armée. Il est militant
du Parti du peuple algérien
(PPA) puis du Mouvement
pour le triomphe des libertés
démocratiques
(MTLD),
membre de l’Organisation
spéciale (OS), du groupe des
22 et du Conseil national de
la révolution algérienne (CNRA). Il occupe des postes
de responsabilité durant la lutte de libération nationale,
notamment responsable de la Wilaya II, chargé de la
logistique en matière d’armement et participe en 1961
aux négociations d’Evian II en remplacement de Kaïd
Ahmed, sur décision du GPRA. Il est aujourd’hui âgé
de 88 ans et reste le seul survivant du groupe des 22.
Mohamed Seddik Benyahia
Mohamed Seddik Benyahia
est né le 30 janvier 1932 à
Jijel. Durant la révolution,
tout en étant jeune avocat, il
prend une part active dans
la lutte pour l’indépendance.
Il est secrétaire général
de la présidence du
Gouvernement provisoire
de la République algérienne
et membre de la délégation
algérienne
lors
des
négociations d’Evian. Il fait partie de la délégation
algérienne aux pourparlers de Melun en 1960. Il est
chargé de présider la réunion du CNRA à Tripoli
(Libye) en 1962. Après l’indépendance, il est nommé
ambassadeur à Londres puis à Moscou. Il est ministre
de l’Information de 1967 à 1971, de l’Enseignement
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
supérieur et de la Recherche scientifique de 1971 à 1977,
des Finances de 1977 à 1979, des Affaires étrangères de
1979 à sa mort. En 1981, il est gravement blessé dans un
crash d’avion au Mali, mais ne survivra pas à un autre
accident d’avion au mois de mai 1982 lors d’une mission
de paix entre l’Irak et l’Iran.
Saâd Dahlab (1919-2000)
Saâd Dahlab est né en
1919 à ksar Chellala dans la
région de Tiaret. Il suit des
études dans sa ville natale
avant de se rendre à Médéa
puis à Blida et obtient son
baccalauréat en 1940. Après
le déclenchement de la
révolution, il est arrêté et
emprisonné par les autorités
coloniales françaises jusqu’à
sa libération au printemps de
1955. Durant l’été 1955, il rejoint les rangs du Front de
libération nationale (FLN) puis est désigné membre du
Comité de coordination et d’exécution (CCE) chargé de
l’information et de l’orientation. Après le transfert du
commandement du CCE à l’extérieur, il part au Maroc
avec Abane Ramdane en passant par la Wilaya V. Il devient
l’adjoint de Ferhat Abbès et membre du Gouvernement
provisoire de la République algérienne au sein duquel
il occupe les postes de vice-ministre de l’information,
secrétaire général, puis ministre des Affaires étrangères.
Il participe également aux négociations d’Evian qui
se sont soldées par l’indépendance de l’Algérie. Il est
décédé le 16 décembre 2000.
Lakhdar Bentobbal (1923-2010)
( 17 )
Slimane Bentobbal, dit Si
Lakhdar, est né le 8 janvier
1923 à Mila. Il est l’un des
artisans, avec Zighoud
Youcef, de l’offensive du
Nord-Constantinois le 20
août 1955. Militant au PPA
dès 1940 dans sa ville natale,
il devient membre de l’OS
en 1947. Condamné par
www.memoria.dz
Accords d’Evian
Histoire
contumace par les autorités coloniales, il entre dans la
clandestinité. En octobre 1954, il fait partie du groupe
des 22 et devient l’un des responsables de la lutte
armée dans le Nord-Constantinois avant de prendre
la succession de Zighoud Youcef à la tête de la Wilaya
II. Après avoir rejoint Tunis en 1957, il est nommé
ministre de l’Intérieur au sein du GPRA de septembre
1958 à juillet 1959 et de janvier 1960 à août 1961. Dans
le troisième GPRA, présidé par Benyoucef Benkhedda,
il devient ministre d’Etat sans portefeuille. Si Lakhdar
a fait partie de la délégation des
négociateurs qui s’est rendue en Suisse pour les
négociations d’Evian entre le GPRA et le gouvernement
français. Il est décédé le 21 août 2010.
M’hamed Yazid (1923-2003)
M’hamed Yazid est né
à Blida le 8 avril 1923
et y effectue ses études
jusqu’à l’obtention de son
baccalauréat. En 1945, il se
rend à Paris pour s’inscrire
à l’Institut des langues
orientales, ce qui lui permet
de
maîtriser
plusieurs
langues. En 1942, il adhère
au Parti du peuple algérien
alors qu’il est encore étudiant puis est élu secrétaire
général de l’Association des étudiants musulmans
d’Afrique du Nord (AEMNA) de 1946 à 1947. En
1948, il est arrêté et condamné à deux ans de prison
sous l’accusation de détention de tracts clandestins. Il
participe de façon efficace aux 10e, 11e et 12e sessions
des Nations unies qui ont inscrit la question algérienne
à l’ordre du jour de leurs travaux. M’hamed Yazid
est l’un des négociateurs qui ont paraphé les accords
d’Evian en mars 1962. Il est décédé le 31 octobre 2003
à l’âge de 80 ans.
Ahmed Francis (1912-1968)
Ahmed Francis est né à Relizane le 12 novembre 1912.
Il effectue l’ensemble de ses
études en France et obtient
son doctorat en médecine
à l’Université de Paris. De
retour en Algérie, il exerce
sa profession à Sétif en 1942.
En 1956, il rejoint les rangs
de la Révolution et après le
Congrès de la Soummam
il est nommé membre suppléant au Conseil national de la Révolution algérienne.
Il devint ministre des Finances dans les première et
deuxième formations du
Gouvernement
provisoire de la République
algérienne présidé par
Ferhat Abbès (1958-1961).
Il participe aux premières
négociations
d’Evian.
Après l’indépendance, il
est nommé député dans
la première Assemblée
constituante, puis ministre des Finances le 27
septembre 1962. Ahmed
Francis est décédé le 1er
septembre 1968 à Genève
(Suisse).
Abderrachid Mefti
Les Algériens à Evian
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 18 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Par Dahou Ould Kablia,
Ministre de l'Intérieur et des
Collectivités locales et président de
l'Association nationale du ministère
de l'Armement et des Liaisons
générales (AN-MALG)
« Le GPRA était
organisé comme une
véritable machine
d’état »
Accords d’Evian
Temoignage
Mémoria : Monsieur Dahou Ould
Kablia, vous êtes président de
l’Association des anciens moudjahidine
du MALG, ministère de l’Armement
et des Liaisons générales. On célèbre
le
cinquantième
anniversaire
de l’indépendance de l’Algérie,
indépendance acquise au prix d’un
grand sacrifice du peuple algérien. Elle
intervient après une longue lutte et un
long processus de négociations. Alors
pour commencer cet entretien, pouvezvous, puisque vous avez participé à
ces négociations en qualité d’expert
de la délégation, revenir justement
sur ce cheminement qui a abouti à la
signature des accords d’Evian ?
Dahou Ould Kablia :
Les dernières
négociations d’Evian, celles qui ont abouti à
l’accord qui a été signé, il faut le souligner, le 18
mars 1962 pour un arrêt effectif des combats,
le lendemain 19 mars à 12h, ont été le fruit de
la longue lutte du peuple algérien qui a résisté
avec constance et détermination à la soldatesque
française et à ses suppôts, en Algérie et ailleurs,
depuis le premier coup de fusil du 1er novembre
1954. Pour ce qui est des préparatifs des
négociations, ils ont fait l’objet d’une longue
maturation de réflexions et d’idées, à la suite
des initiatives émanant principalement de la
partie française qui se trouvait confrontée, dès
le départ, à une résistance militaire et politique
qu’elle n’arrivait pas à juguler.
C’est ainsi que depuis 1956, des appels discrets,
directs ou indirects, ont été lancés à la partie
algérienne pour l’amener à cesser les combats et
à discuter de l’avenir du pays, avenir que la partie
française voyait réduit à une gestion autonome
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
sous sa tutelle propre, comme cela s’est passé,
notamment, avec les deux pays voisins. Ce qui
a été toujours rejeté.
Mémoria : Ces contacts étaient plus
importants avec l’arrivée du général
de Gaulle au pouvoir en 1958, pensezvous que de Gaulle avait pensé, avait
réfléchi à un processus qui allait
aboutir à l’indépendance de l’Algérie ?
Dahou Ould Kablia :
Sur ce point, il y
a lieu de préciser que le général de Gaulle est
arrivé après le 13 mai 1958, mais il n’a pris
ses fonctions officielles qu’à partir du mois
d’octobre 1958. Il est arrivé au pouvoir dans
une période où l’échec des opérations dites
de maintien de l’ordre était consommé, et où,
sur le plan politique en particulier, le peuple
algérien était totalement engagé et uni derrière
ses dirigeants, donc derrière le FLN, pour
mener à son terme l’objectif de recouvrement
de sa liberté et de son indépendance. Par
conséquent, le général de Gaulle ne pouvait
rien faire de plus que ses prédécesseurs. Il
faut rappeler, à ce propos, que la question
algérienne a fait tomber la IVe république. Il
y a eu plusieurs gouvernements qui se sont
succédé entre 1954 et 1956 sans qu’ils puissent
apporter une solution. Pourquoi ? Parce que
ces pouvoirs étaient faibles vis-à-vis de l’armée
d’une part, et des pieds-noirs d‘autre part. Le
général de Gaulle a essayé, alors, de s’affranchir
progressivement de ces deux contraintes : celle
d’une armée fortement traumatisée par ses
échecs antérieurs et qui voulait sa revanche
en Algérie tout en partageant les thèses de «
l’Algérie française » d’une part, et celle, d’autre
part, d’une communauté française qui a cru en
lui au départ mais qui a changé d’avis lorsqu’elle
s’est aperçue que celui-ci avait une vision
( 20 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Accords d’Evian
Temoignage
différente et qu’il pensait, en son for intérieur
qu’il n’y avait plus de place à la poursuite de
l’idée de « l’Algérie française ».
Mémoria : On revient aux négociations,
si vous le permettez. Menées par le
GPRA, ces négociations se sont soldées
par un succès indiscutable. Comment
se sont-elles déroulées ? On dit qu’elles
étaient serrées ?
Dahou Ould Kablia :
Serrées bien sûr.
Il faut dire que le GPRA, contrairement à
ce qu’on peut imaginer, ou à ce qu’on ne dit
pas assez, était organisé comme une véritable
machine d’Etat. Il avait des services structurés
et hiérarchisés. Il avait beaucoup d’experts :
certains travaillaient directement sous sa coupe
et d’autres qui n’étaient pas forcément structurés
lui apportaient leur concours à la demande.
La reconnaissance publique, le 16 septembre
1959, par le général de Gaulle du droit du
peuple algérien à l’autodétermination, a été le
déclic qui a fait qu’on changeait littéralement
de voie, et qu’il fallait par conséquent mettre
l’accent sur le volet politique sans négliger
l’action militaire qui le confortait. Quand de
Gaulle parle d’autodétermination, il est évident
que les dirigeants du FLN étaient convaincus
que le peuple algérien, lui donnerait un sens
différent et qu’au moment du vote, il allait
opter pour l’indépendance et pas pour une
autre solution, bien que le général de Gaulle
souhaitait aboutir à un accord d’association ou
de partenariat, comme il dit privilégié. A partir
de là, le GPRA s’est organisé pour se préparer
convenablement à ces négociations, et ce en se
dotant de moyens humains, notamment comme
je l’avais dit précédemment, en mobilisant à
côté des dirigeants officiels un certain nombre
d’experts nationaux ou de pays amis ; et en
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
se dotant également d’une base matérielle
indispensable à la conduite des négociations.
Des dossiers de base ont été constitués sur les
différents sujets qui avaient été abordés, plus ou
moins, au cours des contacts et des pourparlers
antérieurs. Des commissions spécialisées ont
été mises sur pied à Tunis, au niveau de la
présidence du GPRA, avec comme animateur
principal, le focteur Ahmed Francis assisté
de Mohammed Seddik Benyahia, directeur de
cabinet du président Ferhat Abbas. Ce dernier
a effectué un travail remarquable d’analyse
pour regrouper et mettre à la disposition de la
délégation un grand nombre d’argumentaires
juridiques, économiques, politiques, etc.
Mémoria : Justement, le rôle du MALG
était-il simplement de mettre à la
disposition de cette délégation toutes
informations nécessaires ou avait-il
un autre rôle ?
Dahou Ould Kablia :
Dans ce type de
négociations, l’information était capitale. La
délégation algérienne était informée par les
services du MALG sur tous les thèmes envisagés.
Le MALG avait déjà des services organisés bien
avant les négociations. Il avait une pépinière de
jeunes cadres de haut niveau parmi lesquels des
licenciés en sciences économiques, des juristes,
des économistes, des experts militaires, etc. Tous
ces cadres qui faisaient partie des services du
MALG travaillaient déjà dans une perspective
à long terme, y compris en anticipant le devenir
de l’Etat algérien.
Le MALG était chargé de réunir, de mettre
en synergie de nombreux groupes de travail
chargés d’exploiter les précieuses informations
que détenaient ses services sur des questions
politiques,
économiques,
financières
et
militaires en particulier, par les réseaux
( 21 )
www.memoria.dz
Accords d’Evian
Temoignage
d’information qu’il avait à l’extérieur, par
un certain nombre également de méthodes
spécifiques d’exploitation de l’information
(écrite ou orale). Les services du MALG avaient
une excellente connaissance des problèmes
politiques qui se posaient à l’époque et de
la manière avec laquelle il fallait affronter
éventuellement ces négociations. C’est ainsi que
des dossiers extrêmement épineux, que l’on ne
pouvait traiter autrement, comme le dossier sur
le pétrole, étaient pris en charge par le MALG.
Tout le dossier sur le pétrole a été préparé
par le secrétaire général du MALG lui-même,
Laroussi Khalifa, qui en coordonnait le travail.
Le MALG avait obtenu des informations de
source extrêmement sûre et autorisée (proche
du pouvoir français). Il avait également obtenu
le concours d’Enrico Mattei, le grand patron
de l’ENI, qui était l’ami personnel d’Abdelhafid
Boussouf, qui l’avait aidé à s’implanter en
Libye et à participer à l’exploitation de champs
pétroliers alors que son entreprise l’ENI
subissait un boycott en règle de la part des
grandes entreprises internationales, angloaméricaines, en particulier. Le concours de
Mattei a permis de pénétrer la chasse gardée des
stratèges pétroliers et la manière de mener les
négociations sur ce dossier.Les autres dossiers,
ceux relatifs au statut de la minorité qui traite
beaucoup plus des aspects juridiques, c’est-àdire des droits et des devoirs de cette minorité
et ceux relatifs à la souveraineté, à l’unité du
peuple, aux richesses nationales et à l’intégrité
du territoire, étaient des problèmes dont les
principes directeurs n’avaient pas besoin d’être
préparés à la base, car, ils étaient déjà fixés dans
la proclamation du 1er novembre 1954, la plateforme de la Soummam et autres résolutions du
CNRA, les objectifs et les préalables étaient,
donc, définis et connus. Le MALG a été
également chargé de la préparation du dossier
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
militaire. Pour celui-ci, il était suffisamment
informé sur l’ordre de bataille, déployé par
l’armée française en Algérie, sur ses difficultés
matérielles, la lassitude et les hésitations de ses
troupes, au lendemain de la tentative avortée
du putsch, enfin sur la désillusion de son
encadrement, à la suite du conflit que celuici avait avec le général de Gaulle. De ce fait,
la baisse du régime de combat qui était mené
à l’intérieur du pays par celle-ci était patente
en cette année 1960.Tous les documents
concernant ces questions ont été préparés par les
services du MALG et mis à la disposition de la
délégation officielle. Elle-même, d’ailleurs était
assistée, tout au long des diverses négociations
et ce depuis le premier jour, par des experts
du MALG. A Melun, à Evian I, à Lugrin, aux
Rousses et à Evian II, les éléments du MALG
étaient toujours présents.
Boussouf était le seul ministre qui n’a pas
fait partie des différentes délégations parce
qu’il avait ses hommes au sein même de ces
délégations. Il était en contact permanent avec
chaque délégation, et les experts du MALG qui
assistaient la délégation apportaient, chaque
fois que de besoin, les précisions nécessaires. Ils
participaient même à la rédaction des réponses
aux propositions des négociateurs français. Il y
avait également une autre participation que l’on
ne souligne pas assez qui est moins importante
certes, mais néanmoins nécessaire : il s’agit
de la sécurisation de la délégation. Le MALG
avait pris en charge tout le volet relatif à la
sécurité des membres de la délégation sur tous
les plans, et ce en relation avec la police suisse.
Il a eu connaissance qu’il y avait des tentatives
d’installer des micros dans les résidences et les
hôtels des membres de la délégation, comme il y
avait des possibilités d’écoute à distance. Toutes
les dispositions ont été alors prises par les
services du MALG en liaison avec les services
( 22 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Accords d’Evian
Temoignage
de la sécurité suisse. La question des liaisons
et communications était aussi assurée par les
services du MALG. Les techniciens et les agents
de transmission du MALG garantissaient la
diffusion, le chiffrage et le décryptage de toutes
les communications télégraphiques et de tous les
messages. Quand il s’agissait de transmettre un
message d’une grande importance, des agents
de liaison sûrs étaient désignés pour assurer
le déplacement entre la Suisse et Tunis. Les
éléments du MALG qui se trouvaient avec la
délégation étaient chargés, enfin, des questions
techniques liées à tous les travaux de secrétariat
et de duplication.
qu’elle ne céderait pas sur quatre points : en
plus du problème des ressources du sol et du
sous-sol qui sont une propriété nationale de
l’Etat souverain, il fallait absolument qu’à
partir du cessez-le- feu, les autorités françaises
cessent toute attribution de concessions ou
de permis de recherche, cessent également
toute prorogation des délais qui avaient été
accordés antérieurement, s’interdisent toute
modification du capital des sociétés, c’est-à-dire
de la répartition des actions pour que l’Etat ne
transfère pas un certain nombre d’actions qui
lui sont propres vers des sociétés qui sont sur
place et il fallait aussi que ces mêmes autorités
ne modifient ni le régime fiscal ni le régime des
dividendes, c’est-à-dire des bénéfices.
Mémoria : Peut-on avoir une idée
générale justement sur la question
Mémoria :Donc, la délégation
précise du pétrole ?
algérienne avait pratiquement toutes
Dahou Ould Kablia :La vérité essentielle, les données sur ce dossier du pétrole.
c’est que dans le domaine du pétrole, les
documents que le MALG détenait n’étaient pas
à la disposition de tout le monde. D’abord, il
avait les données réelles actualisées sur l’état de
tout ce qui se faisait au Sahara : les permis qui
avaient été accordés, les concessions, les tarifs
douaniers, les tarifs fiscaux, les dividendes et les
capitaux de l’Etat français au niveau des sociétés
exploitantes (dans beaucoup de sociétés, l’Etat
français était propriétaire du capital à 100% et
dans d’autres il avait des participations). Il fallait
absolument avoir toutes ces données pour que
les intérêts de l’Etat algérien qui devait, une fois
indépendant, se subroger à l’Etat français dans
ces entreprises, soient sauvegardés. Cela n’a
été exposé lors des négociations qu’en dernière
minute, et ce pour ne pas éveiller les soupçons
de la partie française qui aurait pu apporter
des modifications. Comme règle de conduite,
il avait été décidé, coté délégation algérienne,
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Dahou Ould Kablia :Absolument,
les
négociateurs français eux-mêmes étaient assez
surpris de voir que la réponse venait assez
rapidement. D’ailleurs, dans une lettre du
conseiller à la sécurité de Michel Debre, premier
ministre français, Monsieur Constantin Melnik
disait clairement que les négociateurs algériens
sont « d’habiles négociateurs, sont des gens qui
savent ce qu’ils veulent et qui savent où mettre
les pieds ». C’est donc une reconnaissance plus
qu’officielle de la compétence de la délégation. Je
ne veux pas manquer, à cette occasion, de mettre
en exergue la haute compétence du Président
Ferhat Abbas qui a, dans une instruction
historique, dont je détiens copie, tracé le cadre
général de la stratégie de négociation sans
esprit de confrontation, sans précipitation et
surtout sans concession pour mieux asseoir
la crédibilité de leur représentation et assurer
( 23 )
www.memoria.dz
Accords d’Evian
Temoignage
ainsi les meilleures chances de réussite sans
omettre également de souligner l’engagement
et la clairvoyance de l’ensemble des membres
des délégations successives qui étaient dirigées
comme chacun sait, par Krim Belkacem,
un homme de principes, de conviction et de
bon sens, devant des négociateurs français,
professionnellement armés pour obtenir le
maximum de résultats favorables à leurs intérêts.
Mémoria : Comment voyez-vous
ces accords d’Evian avec du recul,
aujourd’hui 50 ans après les faits ?
Dahou Ould Kablia :Le
bilan de ces
accords est conforme à l’esprit et à la lettre
des principes et des objectifs de la révolution.
Les dirigeants algériens de 1954 à 1962 ont
respecté scrupuleusement et avec constance
les principes énoncés dans la proclamation du
1er novembre qui se traçait comme objectif
l’indépendance. Ces mêmes principes ont été
redéfinis et confirmés dans la plate-forme de
la Soummam ainsi que dans les différentes
résolutions du CNRA. De plus, la délégation
avait obtenu, cela aussi il faut le souligner,
parce que les gens ne le savent pas, l’accord et le
soutien des cinq dirigeants détenus en France.
Il y a eu des échanges permanents, ils étaient,
donc, tenus régulièrement informés. Il est bon
de rappeler aussi que dès le début des différentes
négociations, la délégation algérienne a toujours
insisté sur la libération des cinq détenus, pour
que leur participation directe ou indirecte
confirme leur adhésion entière et donne plus
de sens aux garanties pour l’avenir.
Ce n’est qu’après les résultats estimés positifs,
de la rencontre des Rousses à la mi-février 1962
que les autorités françaises ont autorisé une
délégation algérienne, composée de Belkacem,
Benyahia et Bentobal, à leur rendre visite en
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
prison. Après concertation, les cinq détenus
avaient confirmé le mandat donné au GPRA
d’achever la négociation et de signer. Mandat qui
sera officiellement validé par le Conseil national
de le Révolution avant le dernier round, lors de
la réunion de la mi-mars 1962. Le cessez-le-feu
a été respecté à la lettre par les combattants de
l’intérieur confirmant et confortant l’autorité
pleine et exclusive des dirigeants du FLN.
Le 19 mars a été la fête de la victoire et c’est
comme telle que la population algérienne l’a
accueilli comme prélude à la date historique
du 3 juillet 1962 où les résultats du référendum
ont définitivement scellé la fin de la présence
coloniale française en Algérie. Pour revenir
à votre question il n’échappe à personne que
cinquante ans après l’indépendance, les acquis
de la révolution au regard des valeurs essentielles
véhiculées et défendues avec force tout au long
de la lutte de libération sont présents et visibles,
notamment une souveraineté inviolable, une
unité renforcée, une liberté de choix dans nos
relations avec les tiers nullement contestée. Sur
un autre plan pour la construction du pays,
de nombreux chantiers ont été ouverts depuis
1962 pour l’amélioration des conditions de vie
de nos concitoyens (éducation, santé, emploi,
logement), de grands travaux d’infrastructures
ont été engagés ces dix dernières années. Il
reste à souhaiter que le projet de société dans
ses aspects d’approfondissement de la culture
démocratique et des droits de l’homme, du rôle
de la représentation populaire, de la gouvernance
et de l’équilibre des pouvoirs fasse l’objet,
comme cela a été inscrit dans le programme
de réformes de Monsieur le président de la
République, d’un consensus et d’un suivi à
même d’amener à sa rapide concrétisation, pour
le développement complet de notre pays et le
bonheur de notre peuple.
( 24 )
Entretien réalisé par Imad KENZI
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Accords d’Evian
Histoire
Les premiers contacts
un gouvernement
Français indécis
Des membres de la délégation française à Evian entourant Michel Debré
Par Boualem Touarigt
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 25 )
www.memoria.dz
Accords d’Evian
Histoire
Les membres du GPRA: de g à dr: Krim Belkacem, Abdelhafidh Boussouf, Mohamed Boudiaf, Ahmed Ben Bella, Benyoucef Ben Khedda, Rabah Bitat, Mohamed Khider, Lakhdar Bentobbal,
Derrière : Mohammedi Saïd, Hocine Aït Ahmed et M’Hamed Yazid.
L
es premiers contacts entre le FLN et
des représentants du gouvernement
français furent initiés au Caire en mars
1956 par l’ambassadeur Georges Gorse,
à la demande du ministre des affaires
étrangères Christian Pineau qui aurait
sollicité une médiation égyptienne. Ils furent poursuivis
à compter du 10 avril entre Khider et Joseph Begara, un
pied-noir d’Oran, membre de la direction de la SFIO.
La position française était résumée par le triptyque
chronologique « cessez-le-feu, élections, négociations »
avec pour perspective une autonomie interne limitée et
tempérée par un statut d’exception pour les Européens
d’Algérie.
A Belgrade, fin juillet, mandatés par les dirigeants
extérieurs, Ahmed Francis et M’hamed Yazid
rencontrèrent un proche de Guy Mollet, Pierre Commin,
secrétaire général adjoint de la SFIO. Les protagonistes
tombèrent d’accord sur l’ouverture de « discussions
préliminaires secrètes, officielles et directes entre les
représentants du gouvernement français et le FLN. » Les
conversations reprirent à Rome à la mi août puis début
septembre. A ces derniers entretiens, les représentants
algériens étaient trois –Khider, Yazid, Kiouane- face
à trois Français membres de la direction de la SFIO
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
: Pierre Commin, Ernest Cazelles et Pierre Herbault.
La délégation française présente le contenu du nouveau
statut envisagé pour l’Algérie : large autonomie interne,
collège unique mais statut particulier pour la minorité
européenne garanti par des dispositions législatives.
Ces dispositions seront d’ailleurs reprises dans le projet
de loi cadre qui sera adopté en 1958. Rendez-vous est
pris pour septembre. Les membres de la délégation
extérieure du FLN restaient très méfiants. D’après
Réda Malek, Mohammed Khider aurait envoyé une
lettre le 24 août 1956 : « Si nous acceptons de rencontrer
Commin fin août à Rome c’est pur lui demander si son
gouvernement est prêt ou s’il n’est pas prêt à reconnaître
au peuple algérien son indépendance. La réponse sera
évidemment non, ce qui nous permettra de rompre sur
une question infiniment plus intéressante que nos frères
combattants comprendraient mieux ainsi d’ailleurs que
nos amis et, d’une façon générale, l’opinion qui nous
soutient. » Mohammed Khider était méfiant à juste titre.
Le 31 mai 1956, il répondait à l’ambassadeur de l’Inde
au Caire qui appuyait une démarche de son premier
ministre Nehru. Celui-ci voulait dissuader le FLN
de saisir l’ONU. Khider alla même jusqu’à accuser le
gouvernement français de manœuvres et de mener une
« politique double ».
( 26 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Accords d’Evian
Histoire
Délégation des principaux dirigeants du FLN (de gauche à droite Mohamed Khider, Mostefa Lacheraf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf et Ahmed Ben Bella) après leur arrestation à la
suite du détournement, le 22 octobre 1956, de leur avion.
Une nouvelle entrevue a lieu le 22 septembre 1956
à Belgrade où Pierre Herbault rencontre Mohammed
Khider et Lamine Debaghine qui vient d’être désigné
comme responsable de la délégation extérieure du
FLN par le congrès de la Soummam. Herbault rappelle
la position de son parti sur la base du projet de statut.
Les représentants du FLN réaffirment le préalable de
l’indépendance. Le délégué français demandent un
temps pour consulter le président Guy Mollet qui l‘avait
mandaté. Le FLN se méfiait de ses interlocuteurs qu’il
soupçonnait de gagner du temps pour éviter un débat
à l’ONU. Les 22 et 23 octobre 1956 devait s’ouvrir à
Tunis une conférence maghrébine à laquelle devaient
participer le président Bourguiba, le roi Mohammed V et
la délégation extérieure du FLN. Il s’agissait d’évaluer la
situation à la lumière des derniers entretiens de Belgrade
et Rome et d’élaborer une position commune pour une
éventuelle union maghrébine indépendante. Le 22
octobre 1956, l’avion qui transportait les membres de la
délégation extérieure (Khider, Aït Ahmed, Ben Bella et
Boudiaf) ainsi que Mostéfa Lacheraf est détourné sur
ordre du commandement militaire français en Algérie,
conforté par Max Lejeune, secrétaire d’Etat aux forces
armées, sans en référer au gouverneur général ni à Guy
Mollet chef du gouvernement français qui sera mis
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
devant le fait accompli. M’hammed Yazid dénoncera le
26 octobre 1956 la duplicité du gouvernement français
accusant le premier ministre de manquement à sa
parole.
1957 : le CCE rappelle le préalable de
l’indépendance
Les contacts sont rompus pour plusieurs mois. Le 2
juillet 1957, l’avocat Ahmed Boumendjel reçoit dans
son bureau parisien Goëau-Brissonnière, officiellement
chargé de mission à la présidence du conseil, mandaté
par le nouveau président du conseil Bourgès-Maunoury
pour prendre contact avec le FLN. Celui-ci rencontra
quelques jours plus tard deux délégués syndicaux à
Tunis : Mouloud Gaïd et Ameziane Aït Ahcène qui
demandent à ce qu’on aborde le problème de fond,
celui de l’indépendance de l’Algérie. On promet de se
retrouver en juillet. Ces contacts sont diffusés dans la
presse. Le chef du gouvernement français nie tout.
Le nouveau CCE formé au Caire en août 1957
rappela la reconnaissance préalable de l’indépendance.
Les contacts sont de nouveau coupés. En fait le FLN
ne veut pas banaliser les négociations ni montrer au
gouvernement français qu’il accepte le nouveau statut
de l’Algérie. Il tient aussi à montrer que la revendication
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Histoire
Habib Bourguiba et Mohammed V, le roi du Maroc
d’indépendance est partagée par tous
les anciens courants du mouvement
national, particulièrement ceux
considérés comme « modérés » et
partisans d’une indépendance par
étapes, à la tunisienne.
A la fin de 1957, le gouvernement
français pratique la fuite en avant. Le
contexte international a changé et il
ne montre pas qu’il en tient compte.
Dans un contexte de guerre froide,
les deux super grands dirigent le
monde et n’acceptent pas que les
relations internationales échappent
à leur contrôle. Ils n’acceptent pas
que les puissances moyennes que
sont devenues la France et la Grande
Bretagne puissent déclencher des
conflits dont les conséquences
seraient incontrôlables. Ils l’ont
montré lors de l’affaire de Suez.
Les Etats-Unis évoluent rapidement
sur la question algérienne. Ils
craignent que le raidissement de la
France et la politique de répression
menée par le gouvernement
français pousse le FLN dans le
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
camp soviétique. Ils regrettent leur
attitude envers Nasser qui a permis
l’intervention des soviétiques en
Egypte. Bourguiba manœuvre
habilement, lorsqu’il annonce son
appartenance au monde occidental
tout en réclamant l’indépendance
de l’Algérie. Il œuvra pour un
Maghreb uni indépendant et proche
de l’alliance atlantique, dans tous
les cas refusant l’alignement sur
les positions de l’Est. Kennedy, le
premier considéra que la poursuite
de la guerre en Algérie devenait un
danger pour l’alliance atlantique et
risquait de créer au Maghreb un foyer
permanent d’instabilité entraînant
même une extension du conflit au
Maroc et à la Tunisie. Il le déclara
dans son fameux discours du 2 juillet
1957. Le gouvernement français
menait en Algérie une politique
qu’il ne pouvait plus maîtriser
devant une insubordination affichée
de l’armée et l’irréductibilité des
groupes extrémistes européens
d’Algérie. L’intérêt des Etats-Unis
( 28 )
voulait une politique plus souple,
la fin des empires coloniaux et
l’émergence de pouvoirs locaux
modérés pro occidentaux et décidés
à une coopération étroite avec les
Américains. Pour eux, le maintien
de la colonisation et la poursuite des
répressions renforçaient les groupes
radicaux et faisaient le jeu du camp
soviétique. La France n’avait plus la
liberté de mener sa propre politique
mondiale sans tenir compte des
intérêts des USA. Ceux-ci allaient
évoluer rapidement dans leur
position internationale. En 1960, la
fin de la guerre d’Algérie devenait
une nécessité.
Même s’il avança le préalable de
l’indépendance, le FLN eut une
politique internationale modérée et
ne se coupa pas du soutien occidental.
Les conséquences diplomatiques
du bombardement du village
tunisien de Sakiet Sidi Youssef,
particulièrement l’intervention des
Etats-Unis à travers la mission des
« bons offices » ont bien montré
que les Américains ne voulaient pas
qu’un conflit impliquant un pays
occidental échappe à son contrôle.
Le gouvernement français n’avait
pas alors compris qu’il n’avait pas les
moyens de mener une politique qui
ne tienne pas compte des grandes
puissances qui régissaient désormais
le monde. La mission américanobritannique des bons offices évita
une internationalisation et laissa le
conflit algérien sous contrôle.
Du 27 au 29 avril 1958 se tient
à Tanger une conférence de trois
partis maghrébins : Istiqlal, Néo
Destour et FLN. Celui-ci est
poussé à créer rapidement un
gouvernement provisoire et à
accepter la négociation avec le
gouvernement français.
Boualem Touarigt
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Histoire
1958-1960
De Gaulle veut une
victoire militaire
Par Boualem Touarigt
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Accords d’Evian
E
Histoire
n 1958, après l’arrivée au pouvoir
du général de Gaulle, il y eut deux
émissaires désignés: Jean Amrouche
et Abderrahmane Farés. Les contacts
qu’ils initièrent restèrent sans suite.
Abderrahmane Farés, déjà en liaison
avec le FLN, refuse d’entrer au gouvernement du
général de Gaulle et accepte une mission de contacts.
Ce fut aussi le cas de Jean Amrouche. Les deux
sont séduits par le projet que leur dessine de Gaulle
: l’Algérie deviendrait un état autonome au sein d’une
communauté franco-africaine, qui serait associé aux
deux autres pays maghrébins et aussi à la France. Elle
pourrait plus tard demander son indépendance. A la
conférence maghrébine de Tunis (17 au 20 juin 1958),
Ferhat Abbas exprime une position dure : « Pour nous,
la position de de Gaulle signifie la guerre. Le mot
intégration signifie guerre. » Le 5 juillet, il annonce
la poursuite de la lutte armée. Devant la situation
militaire extrêmement difficile, le CCE prend une
série de mesures : il porte la guerre sur le territoire de
la métropole, adapte sa tactique militaire et redéploye
son action diplomatique (à la fois vers les Etats-Unis et
les pays communistes). De Gaulle cherche toujours le
contact. Il transmet ses messages par le biais de ses deux
émissaires. Mais il ne se déclare prêt à discuter que de la
cessation des combats. En août, Abdelhafid Boussouf
s’exprime dans France Observateur : « Jusqu’à présent,
les Français n’ont fait aucune ouverture sérieuse. On veut
nous pousser à tomber dans un piège. » En septembre,
Abderrahmane Farés rencontre Ferhat Abbas à qui de
Gaulle fait parvenir le fameux « document Pompidou »
qui n’est qu’une offre de garantie pour le déplacement
en France d’une délégation du FLN pour négocier le
cessez-le-feu. Abbas rejette le document sans couper
les ponts. Il propose une rencontre officielle de haut
niveau sur un terrain neutre. Il n’aura pas de réponse.
La constitution du GPRA et surtout la nomination à
sa tête de Ferhat Abbas, connu pour sa modération et
sa volonté de dialogue expriment la volonté du FLN
d’aller vers des négociations véritables. Mais de Gaulle
n’est pas encore prêt. Il doit trouver sa voie, mettre
au point sa stratégie. Surtout, il est conscient de la
difficulté de faire accepter ses choix par la hiérarchie
militaire presque dans une rébellion déclarée. Il veut
une solution politique qui à la fois préserve les intérêts
stratégiques et militaires de la France et aussi qui
soit acceptée par la minorité européenne d’Algérie. Il
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
veut gagner du temps, en entretenant volontairement
le flou sur ses intentions. Il joue la carte militaire à
fond, espérant profiter des difficultés de l’ALN et des
rivalités internes du mouvement de libération. Avec le
plan de Constantine, il espère améliorer les conditions
d’existence des Algériens et les détacher du FLN,
en accélérant l’émergence d’une « troisième force »
composée d’élus algériens favorables au maintien de
la présence française sous de nouvelles formes. Le 23
octobre 1958, il confirme sa stratégie en proposant
« la paix des braves », appelant à la reddition des
combattants. Dans sa réponse du 25 octobre, Ferhat
Abbas, président d’un GPRA constitué le 19 septembre,
répond avec fermeté : « Le problème du cessez-le-feu en
Algérie, n’est pas simplement un problème militaire. Il
est essentiellement politique. La négociation doit porter
sur l’ensemble du problème de l’Algérie. Notre but est
l’indépendance. » Il a compris que de Gaulle se sentait
en position de force. Pour le FLN, il fallait tenir sur le
terrain en empêchant une victoire militaire et rendant
impossible le dégagement d’une troisième force, tout en
accentuant l’isolement diplomatique de la France.
Pourtant en octobre, le GPRA à peine constitué,
avait fait des concessions sérieuses pour montrer sa
volonté de paix à ses alliés. Il décide d’arrêter la guerre
en métropole et dans un entretien avec le journaliste
autrichien Arthur Rosenberg, Ferhat Abbas informe
que le GPRA est prêt à une discussion sans aucun
préalable. Cette nouvelle position où Abbas exprimait
à coup sûr sa vérité était tactique pour le GPRA qui
cherchait à prouver sa volonté de paix et à dévoiler les
intentions du général de Gaulle.
L’année 1959 fut une année de point-mort pour les
négociations. D’une part, la France semblait miser
sur l’option militaire en lançant les offensives Challe.
Le FLN fut en proie dès la fin de l’année 1958 à de
graves dissensions internes difficilement surmontées.
Les combattants de l’intérieur subirent de nombreuses
pertes et se retrouvèrent isolés, coupés de leurs sources
d’approvisionnements en armes et munitions. Mais la
résistance armée ne s’arrêta pas.
Lamine Debaghine fut le plus perspicace : selon
lui, la position française était en train d’évoluer et elle
évoluerait encore rapidement dans le sens attendu par
les Algériens.
( 30 )
Boualem Touarigt
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Histoire
L’annonce de
l’autodétermination
ouvre une nouvelle
étape
Le général Charles de Gaulle annonce le cessez-le-feu conclu à Evian
Par Boualem Touarigt
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
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Accords d’Evian
L
e 16 septembre
1959, le général de
Gaulle parle de
Le 16 septembre
1959, le général de
Gaulle parle de
l’autodétermination de l’Algérie. Il
s’engage à consulter les Algériens
sur leur choix. Le 29 septembre,
Ferhat Abbas répond que le GPRA
est prêt à négocier sur la base de
l’indépendance. Il affirme
que le Sahara fait partie de l’Algérie.
Cette déclaration avait été adoptée
le 28 septembre par les membres
du GPRA réunis avec l’ensemble
des chefs militaires de l’ALN,
regroupés depuis plus d’un mois
à Tunis. Mais la méfiance envers
de Gaulle n’a pas disparu. On
craint la manœuvre. Le 4 octobre,
le commandement de l’ALN lance
un appel au renforcement de la
lutte. L’acceptation du principe
de l’autodétermination est un
pas en avant. Mais celui-ci reste
insuffisant. De Gaulle privilégiait
l’association et n’envisageait pas
encore l’indépendance. Il semblait
privilégier l’éclatement du pays,
excluait le Sahara et fixait des
délais extrêmement longs pour la
consultation des populations, tout
en exigeant la fin des combats. La
paix des braves était toujours à
l’ordre du jour. De Gaulle propose,
le 10 novembre, l’ouverture de
pourparlers, en vue de discuter du
cessez-le-feu. Le GPRA répond en
désignant comme interlocuteurs les
cinq dirigeants emprisonnés.
Le gouvernement français se
dérobe. Pour lui, les cinq sont « hors
de combat ». Cette volte-face a des
conséquences favorables au FLN
sur la scène internationale.
En décembre 1959, les EtatsUnis ne s’opposent pas à une
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Histoire
résolution de l’ONU qui demande
l’ouverture de négociations directes
pour l’application du droit à
l’autodétermination.
En janvier 1960, se tient à Tripoli la
troisième session du CNRA qui sort
avec un nouveau GPRA où Ferhat
Abbas est reconduit avec pour
mission de mener les négociations
sur des bases claires acceptées par
tous : préalable d’un accord politique
sur l’indépendance, statut de la
minorité européenne, concessions
limitées sur l’exploitation du
pétrole et sur l’utilisation des bases
militaires. Le FLN ne se fait pas
d’illusions. L’heure n’est pas à la
conciliation. Sur le plan strictement
militaire, il faut tenir face à l’offensive
Challe et redéployer l’activité de
l’ALN. Sur le plan diplomatique,
le GPRA noue des contacts avec
les pays communistes et avec les
mouvements de libération africains.
Le FLN traverse ses moments les
plus difficiles. Mais la résistance ne
fléchit pas.
Juin 1960 : le
commencement a lieu à
Melun
De Gaulle fait un pas de plus. Il
n’est pas sûr de tenir complètement
en mains ses troupes en Algérie.
Il arrive difficilement à réduire la
révolte des ultras d’Alger lors de la
« semaine des barricades », l’armée
ayant obéi à ses ordres. Il fait du 5
au 7 mars sa « tournée des popotes »
pour prendre le pouls de la situation
sur place. Après avoir tenté des
redditions séparées de combattants
de l’ALN avec « l’affaire Si Salah »
qui échoua, en mai 1960, il dépêche
encore une fois Jean Amrouche
auprès de Ferhat Abbas pour lui
faire part de ses intentions qu’il
( 32 )
Ferhat Abbas
Mohamed Seddik Benyahia
Ahmed Boumendjel
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Histoire
confirme officiellement par son
appel du 14 juin où il demande au
FLN de venir discuter « pour trouver
une fin honorable aux combats
qui se traînent encore, régler la
destination des armes et assurer le
sort des combattants. » Le 20 juin
1960 Ferhat Abbas répond par une
déclaration : « Le GPRA constate
que la position actuelle du président
de la République française, tout en
constituant un progrès par rapport
à ses positions antérieures, reste
cependant éloignée de la sienne.
Néanmoins, désireux de mettre fin
au conflit et de régler définitivement
le problème, le GPRA décide
d’envoyer une délégation présidée
par M. Ferhat Abbas pour
rencontrer le général de Gaulle.
» Le 25 juin arrivent en France
les envoyés du GPRA : Ahmed
Boumendjel, Mohammed Benyahia
et le technicien des transmissions
Hakiki. Ils sont transportés à Melun
où se tint, au siège de la préfecture,
la première véritable séance de
négociations entre le GPRA et le
gouvernement français représenté
par Roger Morris directeur du
secrétariat général des affaires
algériennes, le général de Casties et
le colonel Mathon.
Les délégués s’en tinrent au cadre
strict de la mission qui leur avait
été confiée : discuter des conditions
techniques d’un cessez-le-feu. Les
contacts politiques auraient lieu
plus tard. Les plénipotentiaires
algériens furent traités comme des
prisonniers : ils ne purent s’adresser
aux médias, rencontrer les cinq
dirigeants emprisonnés comme
ils l’avaient demandé. Ils firent
cependant traîner les discussions
en demandant des éclaircissements
sur les termes utilisés par le général
de Gaulle dans sa déclaration du 14
juin. Le président français exigea la
rupture des discussions. Il semble,
ce ne sont que des hypothèses, que
de Gaulle croyait ; qu’il était possible
de mener des discussions séparées
avec les chefs des combattants de
l’intérieur.
Le GPRA n’eut connaissance de
l’affaire Si Salah qu’après Melun.
Mais le gouvernement algérien
ne se faisait pas d’illusions. La
participation à Melun fut d’ordre
tactique pour mettre à nu les
intentions du général de Gaulle et
prouver la bonne volonté du GPRA.
Après l’échec de Melun, le FLN
voit son influence grandir sur la
scène internationale. A l’heure de
l’accélération de la décolonisation
dans le monde, la lutte du peuple
algérien devient un symbole. Le FLN
intensifie son action diplomatique
en installant des représentations
dans tous les continents. Les pays
arabes reconnaissent le GPRA dans
les mois qui suivent sa constitution.
Les pays de l’Europe de l’Est
accordent leur aide mais sont bridés
par les nécessités de la relation
entre les deux grands blocs, de
Gaulle ayant décidé de rompre les
relations diplomatiques avec tout
pays qui reconnaîtrait le GPRA. La
Chine populaire apportera un appui
conséquent et même inattendu. En
Europe occidentale, les délégués
du FLN obtiennent des résultats
remarquables, tissant des relations
avec tous les cercles influents de
Grande-Bretagne,
d’Allemagne,
d’Italie, dans les pays scandinaves.
Ils montrent un visage séduisant et
inattendu pour des révolutionnaires
: cultivés, modérés, raisonnables.
Ils sont introduits dans les milieux
politiques de différents bords, la
presse, les cercles économiques.
L’impact des
manifestations de
décembre 1960
Des deux parties, c’était le GPRA
qui semblait le plus à l’aise. Les
conflits qui étaient apparus entre les
dirigeants de la révolution et surtout
le différend entre le gouvernement
et l’état-major de l’ALN ne le
gênaient pas. Tout le monde avait la
même position sur les négociations.
La réunion du CNRA de janvier
Manifestation de décembre 1960 ayant fait basculer Charles de Gaulle
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
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Histoire
1960 en avait fixé les termes et avait
obtenu l’accord de tous. Par contre,
de Gaulle était dans une position
plus délicate. Il n’était pas encore
totalement sûr de son armée. Jusqu’à
Melun, il avait cherché la reddition
des combattants du FLN.
Lors de ces négociations, il avait
exigé de ne s’en tenir qu’aux aspects
militaires du conflit, reconnaissant
implicitement par là que la victoire
militaire n’avait pas été acquise sur le
terrain. Il avait espéré alors obtenir
un cessez-le-feu sans aborder les
questions politiques. Michel Debré
reconnaîtra plus tard : « Le général
considérera alors que la paix des
braves ne saurait être obtenue que
par un accord direct avec le GPRA.
» (Mémoires t3, 1988)
Les manifestations de décembre
1960 firent basculer de Gaulle. Il
constata que les Algériens suivaient
le FLN et que les élites locales
sur lesquelles il comptait pour
constituer cette 3e force étaient
acquises au FLN. Louis Terrenoire,
son ministre de l’Information de
l’époque déclara plus tard qu’ils
avaient constaté que ces modérés
algériens « étaient peut-être
francophiles mais voulaient la paix
et savaient que la paix passait par le
FLN. » Et même de Gaulle aurait
dit d’eux : « Ils cotisent tous au FLN.
» C’est à ce moment que de Gaulle
changea sa manœuvre. Il n’a pas
obtenu de victoire militaire comme
il l’espérait et ne pourra arriver à
un cessez-le feu sans aborder les
questions politiques. Il sait aussi
qu’il ne trouvera pas sa troisième
force en dehors du FLN. Bruno
de Leusse révélera bien des années
plus tard que de Gaulle soupçonnait
– à tort – le GPRA de vouloir faire
traîner les choses et de refuser la
négociation. Quoi qu’il en soit, les
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
marges de manœuvre se limitaient :
impossibilité d’une victoire militaire
malgré les moyens du plan Challe,
ralliement des élites profrançaises à
la négociation avec le FLN, soutien
populaire au GPRA, aggravation
des conflits avec une partie de
l’armée et avec l’aile dure de la
minorité européenne d’Algérie. De
Gaulle signifie au gouvernement
suisse son accord pour rechercher
de nouvelles possibilités d’accord
avec le GPRA.
1961 : de Gaulle relance les
contacts avec les Suisses
C’est Boulahrouf, représentant
du FLN à Rome, qui relance
des contacts par l’intermédiaire
du Suisse Olivier Long qui en
parle à Max Petitpierre, chef du
département politique au conseil
fédéral suisse.
Le 19 janvier 1961, Boulahrouf
reçoit une communication d’Olivier
Long qui lui confirme que le
gouvernement français était prêt.
Il part aussitôt pour Tunis où il
rend compte à Belkacem Krim,
Boussouf, Bentobbal, Saad Dahlab
qui lui confirment leur accord. Puis
il voit Ferhat Abbas au Caire qui lui
donne le feu vert pour continuer. Il
retourne à Genève où il confirme à
Olivier Long l’accord du FLN pour
la reprise des négociations. Il reçoit
le 26 janvier une proposition de
rencontre en Suisse avec Georges
Pompidou. L’Histoire retiendra
que le Premier ministre de l’époque
Michel Debré tenta une démarche
parallèle par l’intermédiaire du
journaliste suisse Charles-Henri
Favrod qui est chargé d’organiser
une rencontre secrète qui a eu lieu à
Genève entre Saad Dahlab et Claude
Chaillet, conseiller de Louis Joxe,
ministre des Affaires algériennes.
Taieb Boulahrouf esquissant un large sourire
( 34 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
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Histoire
Informé, le général de Gaulle tranche. Olivier Long
écrira plus tard : « Le général demanda que l’on cesse
les initiatives intempestives de certains services. »
Le 20 février 1961, Ahmed Boumendjel et Taieb
Boulahrouf rencontrent au Schweitzer Hôtel de Lucerne
Georges Pompidou et Bruno de Leusse directeur des
affaires politiques au ministère des Affaires algériennes.
Les deux délégations font le constat de leurs profondes
divergences.
Le 5 mars, les mêmes délégués se retrouvent à l’hôtel
Terminus de Neufchâtel. Le même jour la presse
publiait l’appel de onze députés algériens (dont sept
appartenaient au parti gaulliste) qui estimaient que
l’autodétermination devait être discutée entre, d’une
part, le gouvernement français et, d’autre part, le GPRA
alors que certains dirigeants français n’excluaient pas la
consultation d’autres tendances politiques algériennes.
Les deux délégations parlent de l’autodétermination et
du cessez-le-feu. Sur le Sahara et sur la base de Mers
El Kébir, les positions sont fort éloignées. Devant ce
constat d’échec, Olivier Long prend sur lui de se rendre
à Paris pour obtenir des éclaircissements. Le 8 mars, il
retrouve les délégués algériens en compagnie de Bruno
de Leusse qui arrive de Paris. Celui-ci fait communication
d’un texte secret du général de Gaulle. Le président
français y proposait de passer à une discussion officielle
sans préalable qui traiterait le problème au fond, dans
ses dimensions militaires et politiques. Les deux
délégués algériens retournent à Tunis où ils rendent
compte au GPRA. Celui-ci reste méfiant mais décide
de sauter le pas. Le 29 mars, Boulahrouf est de retour à
Genève et donne l’accord du GPRA pour l’ouverture de
négociations officielles directes le 7 avril. Il rencontre
Bruno de Leusse avec lequel il rédige le communiqué
suivant qui sera publié le 30 mars: « Le gouvernement
fait savoir que les pourparlers relatifs aux conditions de
l’autodétermination et aux problèmes qui s’y rattachent
s’ouvriront à Evian le 7 avril avec les représentants
du FLN. La délégation française sera conduite par le
ministre d’Etat chargé des Affaires algériennes, M.
Louis Joxe. » Avec habileté, le GPRA avait réussi à
obtenir des autorités suisses un communiqué qui reflétait
un accord entre deux partenaires égaux : « L’ambassade
de France à Berne ainsi que les représentants du GPRA
ont communiqué au Département politique fédéral que
les négociations prévues au sujet de l’Algérie auront
lieu prochainement à Evian. » Aussitôt annoncée, la
première conférence d’Evian est reportée. Le 30 mars,
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Louis Joxe fait une déclaration à Oran par laquelle il
confirme qu’il rencontrera aussi le MNA de Messali
Hadj. Le lendemain le GPRA déclare le report des
négociations.S’ouvre alors une période de grande
tension. Il n’est pas exclu que le gouvernement français
avait tenté là une manœuvre. Le MNA avait perdu toute
influence et n’avait plus d’existence réelle. Bien des
années plus tard, Claude Chaillet, conseiller de Louis
Joxe, reconnut avoir été chargé de contacter Messali
pour l’informer des préparatifs des négociations.
L’ancien leader nationaliste lui-même avoua qu’il
avait été utilisé pour faire pression sur le FLN. Bien
des années plus tard, on sut que le gouvernement
avait été tenté de lancer une nouvelle force politique
nationaliste, proche du MNA, le FAAD (Front algérien
d’action démocratique). Or cette formation politique
était une création des services secrets français qui en
manipulaient les dirigeants à leur insu, dont le cadi
Belhadi. D’ailleurs, ce FAAD servit d’appât pour
arrêter Salan. Olivier Long tente une médiation en
contactant Michel Debré et Louis Joxe. La question
du MNA pourrait être abordée lors des négociations
même. De Gaulle veut aller à la négociation. Le GPRA
est conscient des divergences entre les dirigeants de
la Révolution. L’Etat-major insiste sur le règlement
préalable des problèmes internes. Le GPRA estime être
dûment mandaté et s’arrange pour préparer au mieux
les négociations.
Le GPRA s’organise en vue des
négociations
Lorsque les négociations se précisent, le GPRA met
en place des structures de réflexion et d’élaboration
chargées de réfléchir à toutes les questions en
discussions. Il ne laissera rien au hasard et se montrera
à la hauteur de ses interlocuteurs en proposant des
textes de haute teneur, très documentés et abordant les
questions les plus ardues.
Une commission dirigée par Mohammed Benyahia,
alors directeur du cabinet de Ferhat Abbas, est
hautement politique. Elle est chargée de recueillir les
avis des dirigeants de la Révolution et d’en tenir compte.
Elle veilla ainsi à maintenir la ligne de conduite tracée
par le CNRA et à préserver la cohésion de la direction,
le cadre ayant été défini :
• Préalable de la discussion des questions politiques
• Souveraineté politique totale sur le Sahara et
( 35 )
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Accords d’Evian
Histoire
Ferhat Abbas et Ahmed Francis tous deux assis
laquelle il réaffirme le choix de
l’autodétermination : « La France n’a
aucun intérêt à maintenir sous sa loi
et sous sa dépendance une Algérie
qui choisit un autre destin… La
décolonisation est notre intérêt et
par conséquent notre politique. »
Les événements imposent
la reprise des discussions
les bases militaires, ce qui
n’exclut pas une coopération
économique privilégiée et des
concessions temporaires de
droits d’utilisation.
• Egalité totale de droits entre
tous les Algériens de confessions
différentes
• Unicité de la représentation
politique des Algériens
La commission présidée par Ahmed
Francis avait été chargée de préparer
les dossiers des négociations. Elle
traça les perspectives qui seront
développées lors des négociations,
allant parfois dans des détails
précis sur la période transitoire,
les
structures
administratives
et militaires, l’organisation du
référendum, la question du pétrole,
de l’enseignement, de la justice.
Le GPRA installa plusieurs
commissions spécialisées et des
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
groupes de travail qui étudièrent
à fond les questions les plus
complexes. Des équipes du MALG
travaillèrent sur les questions
économiques, le projet de code
pétrolier. On confia à l’état-major de
l’ALN les questions militaires.
Le 6 mars 1961, l’intermédiaire
suisse Olivier Long avait organisé
un contact secret entre, d’une
part, Boumendjel et Boulahrouf
et, d’autre part, Bruno de Leusse
qui communiqua un texte secret
rédigé par le général de Gaulle luimême. Ce document recommande
des discussions sans préalables
qui pourraient déboucher sur un
accord réglant toutes les questions
politiques et militaires. On peut
alors entrer dans une négociation
officielle et publique.
Le 11 avril, de Gaulle tient
une conférence de presse dans
( 36 )
Boulahrouf arrive le 23 avril à
Genève, apportant la réponse du
GPRA. Le putsch des généraux
du 22 avril accélère les choses :
la négociation avec le GPRA est
inévitable. L’échec des généraux
d’Alger déblaie le terrain et lève
l’hypothèque d’une opposition de
l’armée à toute négociation. Par
le bais de Olivier Long, la date de
l’ouverture des pourparlers est fixée
au 20 mai 1961. Les négociations se
dérouleront sur le territoire français
à l’Hôtel du Parc d’Evian.
La délégation algérienne établit
ses quartiers à la résidence du
Bois d’Avrault qui a été mise à leur
disposition par son propriétaire,
l’émir du Qatar. Les autorités suisses
et françaises prennent des mesures
exceptionnelles de sécurité. Cette
dernière étape de négociations
connaîtra quatre phases :
• Une phase publique (20 mai-13
juin 1961) à Evian suivie des
rencontres de Lugrin (20- 28
juillet)
• Des négociations secrètes
(décembre 1961-janvier 1962)
• De
nouvelles
discussions
secrètes aux Rousses (2-12
février 1962)
• La dernière phase publique (718 mars 1962)
La composition de la délégation
du GPRA a connu quelques
remaniements. Les négociations
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Accords d’Evian
Histoire
Krim Belkacem face à la presse internationale
avaient été évoquées à plusieurs reprises et avaient fait
l’objet d’un accord sur les grands points abordés lors de
la réunion du CNRA de janvier 1960. Des divergences
internes persistaient. L’état-major de l’ALN était
toujours réticent, exigeant au préalable le règlement
des questions internes. Ben Khedda qui n’exerçait plus
aucune fonction depuis décembre 1959 estimait que l’on
avait fait trop de concessions. La délégation du GPRA
dirigée par Belkacem Krim comprenait Ahmed Francis,
Saad Dahlab, Ahmed Boumendjel, Taieb Boulahrouf,
Mohamed Benyahia, Réda Malek. Ahmed Kaïd et
Ali Mendjeli représentaient l’Etat-major de l’ALN, le
secrétariat était assuré par Yadi du MALG, accompagné
de son épouse, dactylographe. Sadek Moussaoui assista
Réda Malek dans la couverture médiatique.
Cette première séance est très médiatisée. Les Algériens
avaient embarqué à l’aéroport de Tunis au milieu
d’une grande affluence. Beaucoup de représentants
diplomatiques sont là pour les saluer (dont les
Américains et les Britanniques). Une importante foule
manifeste bruyamment son soutien.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Lors de la première séance, Louis Joxe présente la
position française. Belkacem Krim lit ensuite une courte
déclaration dans laquelle il parle de décolonisation
totale. Louis Joxe annonce alors une série de mesures
dont l’allégement des conditions de détention des cinq
ministres algériens emprisonnés et une trêve unilatérale
d’un mois, comprenant la suspension des opérations
offensives.
L’après-midi, le GPRA tient sa première conférence de
presse dans la salle de la Maison de la Presse de Genève.
Il lit un communiqué du ministère de l’Information
du GPRA qui venait d’être publié à Tunis. Le GPRA
considère que sa position sur l’arrêt des combats est
connue et a été maintes fois rappelée. Il considère la
décision de trêve unilatérale comme « un acte de pure
propagande».
Après une interruption de deux jours, les pourparlers
reprennent le mardi 23 mai. Krim Belkacem précise
les positions. L’autodétermination s’appliquera sur
tout le territoire algérien et concernera tout le peuple
algérien pris dans son unité en tant qu’entité homogène
( 37 )
www.memoria.dz
Accords d’Evian
Histoire
Des membres de la délégation algerienne à Evian
avec ses différences confessionnelles, ce qui exclut des
droits particuliers et une partition. La cessation des
hostilités interviendra après un accord politique global.
Dans sa réponse Louis Joxe revient sur les garanties
organiques pour la minorité européenne et insiste pour
une suspension temporaire des hostilités.
Le soir, la délégation algérienne organise une nouveauté
médiatique : une vidéo conférence est organisée entre
la salle de la maison de la presse à Genève où les
journalistes posent leurs questions relayées par Réda
Malek et suivent les réponses de Belkacem Krim sur
écran géant et qui s’exprime en direct à partir de la
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
résidence de la délégation algérienne de Bois d’Avrault.
Le 27 mai, les délégués algériens abordent la question
du Sahara, les structures de la phase transitoire, les bases
militaires. Les Français campent sur leurs positions
: le Sahara n’est pas concerné, la souveraineté totale
de la France s’exercera pleinement jusqu’au transfert
des compétences, la France maintiendra des enclaves
territoriales (notamment Mers El Kébir).
La séance du 31 mai est consacrée à la présentation
par les délégués français de leur position sur le
Sahara. Ils développent leurs arguments historiques
et économiques. Le 2 juin, les Algériens répondent.
( 38 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Accords d’Evian
Histoire
Les positions sont divergentes. La séance suivante est
consacrée à la minorité européenne. Le 6 juin, le chef
de la délégation algérienne précise ses positions : « La
citoyenneté algérienne à tous ceux qui la désirent. Les
Algériens d’origine européenne auront les mêmes droits
et les mêmes devoirs que tous les autres Algériens ». Il
se dit prêt à discuter de toutes les garanties concernant
les libertés d’enseignement et de culte, les droits de
propriété, les libertés individuelles et collectives.
La première conférence d’Evian
n’aboutit pas
Les deux dernières séances du samedi 10 juin et du
mardi 13 juin sont consacrées aux conclusions que
chaque partie tire de la négociation. La délégation
française constate que la partie algérienne reste
accrochée à ses positions de principes. Les divergences
sont profondes sur l’intégrité territoriale et les droits
de la minorité européenne. Louis Joxe demande une
suspension des discussions contre l’avis des Algériens.
Le 13 juin, après avoir consulté le général de Gaulle
il confirme sa position. C’est la rupture. Le 14 juin
Belkacem Krim tient une conférence de presse où
il situe les divergences. Il ne ferme pas la porte : «Je
ne veux rien dire qui insulte l’avenir ». Les Algériens
reviennent à Tunis le 17 juin, laissant une antenne
sur place dirigée par Saad Dahlab, avec Bentami du
Croissant-Rouge algérien, Yalaoui et Yadi. Il n’y aura
qu’un seul vrai contact, le 15 juillet. Bruno de Leusse
et Vincent Labouret confirment à Saad Dahlab la
position rigide de leur gouvernement : la discussion ne
reprendra que la question du Sahara est mise de côté.
Les discussions reprennent du 20 au 28 juillet à Lugrin,
au château d’Allaman à quelques kilomètres d’Evian.
Le GPRA a renforcé ses positions à l’intérieur. Son
appel à une mobilisation populaire pour l’indépendance
le 1er juillet puis lors de la journée nationale contre la
partition du 5 juillet 1961 a été largement suivi. Des
heurts violents ont fait de nombreux morts. Le conflit
s’est aggravé avec l’Etat-major de l’ALN qui a présenté
sa démission le 15 juillet mais qui, à aucun moment, ne
tenta de gêner les négociations. Le GPRA a toutefois
été perturbé par les positions de Bourguiba qui, tout en
faisant de la surenchère en déclenchant les incidents de
Bizerte où tombèrent un millier de Tunisiens, poussait
en même temps à un compromis sur le Sahara d’où il
espérait recueillir quelques bénéfices. Par contre, les
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
actions menées vers le Maroc et le Mali avaient eu
des échos qui indisposaient le gouvernement français.
Par contre, le général de Gaulle n’était pas dans une
position confortable. Les manifestations populaires
de juillet 1961 avaient montré l’emprise du GPRA
sur les populations algériennes après que le chef de
l’Etat français eut menacé à la fin juin de regrouper les
populations européennes. Mais en même temps, il avait
montré la continuité de son objectif stratégique avec le
rapatriement d’une partie des forces militaires engagées
avec l’embarquement de la 2e division d’infanterie
légère au début du mois de juillet. En plus des cas de
conscience des militaires, les extrémistes multipliaient
les actions violentes.
Quand les pourparlers reprennent à Lugrin, le 20
juillet, les positions de chacune des deux parties sont
figées. Après six séances qui n’ont apporté aucun
progrès, la délégation algérienne décide l’ajournement
des discussions.
Le CNRA maintient la ligne
Le CNRA se réunit du 9 au 27 août 1961 à Tripoli.
Il devait évaluer le travail fait par le GPRA, se
prononcer sur les négociations et désigner un nouveau
gouvernement. Ferhat Abbas, ainsi que ses anciens amis
de l’UDMA (Francis, Boumendjel) est contesté à la fois
par les « historiques » (Krim, Boussouf, Bentobbal) et les
anciens centralistes (Ben Khedda, Dahlab, Yazid) pour
des raisons différentes. La poursuite des négociations
dans le sens voulu par la grande majorité des dirigeants
allait influer sur les choix du nouveau gouvernement.
Krim ne réunit pas l’unanimité autour de lui du fait de
l’opposition de l’Etat-major et du refus catégorique des
ministres militaires (Boussouf et Bentobbal). Avec Ben
Khedda à la présidence et Saad Dahlab aux Affaires
étrangères c’est à des hommes issus du nationalisme
populaire du MTLD qu’on semble faire confiance
à un moment où les négociations entrent dans une
phase cruciale. Le CNRA resta très méfiant vis-à-vis
de l’association, du statut particulier des Européens
d’Algérie et des concessions économiques à faire Par
un effet de balancier, les anciens de l’UDMA s’allieront
quelques mois plus tard avec l’Etat-major uni à Ben
Bella. Le changement de chef de gouvernement apparaît
comme un durcissement de la ligne du FLN. Le discours
du nouveau président du GPRA ne ferme pas la porte
à la négociation et affirme qu’« une solution réaliste
et équitable est possible. » Le 5 septembre suivant, le
( 39 )
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Accords d’Evian
Histoire
général de Gaulle adopte une position beaucoup moins
rigide sur le Sahara. Il fait l’objet, quatre jours plus tard,
d’un attentat manqué à Pont-sur-Seine. La violence de
l’OAS se déchaîne. Elle a atteint des niveaux jamais
égalés. Ben Khedda suggère même une procédure plus
directe qui supprime l’autodétermination.
Début octobre, Olivier Long relance sa
médiation
Il rencontre Louis Joxe qui lui donne son accord pour
la reprise de contacts secrets en Suisse. Le GPRA
donne son accord et désigne Mohamed Benyahia et
Réda Malek. Ceux-ci arrivent à Genève le 26 octobre
et rencontrent secrètement à Bâle les 28 et 29 Bruno
de Leusse et Claude Chaillet. Les délégués français
confirment la position de leur gouvernement sur le
principe de l’autodétermination. L’accord sur le Sahara
peut être aisément trouvé si on met au point une
politique de coopération. On avance sur la question
des droits de la minorité européenne et sur la période
transitoire. Les quatre personnes se retrouvent au même
endroit le 9 novembre 1961 avec l’entremise d’Olivier
Long. On confirme des rapprochements de vues sur
des questions importantes. Un accord de principe est
donné de part et d’autre pour une prochaine réunion
de niveau ministériel.
La grève de la faim enclenchée par les prisonniers
algériens réclamant le statut de prisonniers politiques
retarde le processus. L’intervention du Conseil
international de la Croix-Rouge permet le dénouement
de la crise après des pourparlers avec l’administration
française. L’intervention du roi Hassan II permet
d’adoucir les conditions des cinq ministres emprisonnés
qui s’étaient joints au mouvement. Transférés au
château d’Aulnoy, ceux-ci bénéficieront de meilleures
conditions et la visite fréquente d’émissaires marocains.
Le 9 décembre, Dahlab et Benyahia rencontrent Louis
Joxe et Bruno de Leusse aux Rousses. On réalise des
progrès essentiels sur les questions importantes :
Sahara, minorité européenne, période transitoire, les
bases militaires, le cessez-le feu. Les difficultés sont
cernées et font l’objet de documents finalisés par les
délégués français et remis à leurs interlocuteurs. Le 9
février, Benyahia remet à Bruno de Leusse les textes
élaborés par le GPRA.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Le GPRA étoffe ses groupes d’experts
La direction du FLN avait intensifié la préparation des
négociations. Au ministère de l’Information, Benyahia
dirigeait une commission chargée des questions
économiques et Réda Malek animait une équipe qui se
penchait sur les aspects politiques. On fit appel à un
grand nombre de compétences au sein des militants. Le
MALG monta un important service de documentation
et de recherche qui traita de toutes sortes de questions
et alimenta les négociateurs de ses documents. Il
mena un grand travail sur les questions économiques
tout particulièrement sur le pétrole. Il fit appel à des
professionnels, organisa des missions d’information et
ses spécialistes bénéficièrent de l’expertise de nombreux
partenaires étrangers de cette question, notamment
italiens, britanniques, allemands et américains. Les
époux Chaulet rédigèrent une étude complète sur la
minorité européenne. Claude Cixous, Algérien de
confession juive, apporta ses compétences dans une
des équipes du MALG, de même que Salah Bouakouir,
alors directeur au gouvernement général, qui apportera
une contribution sur les questions économiques. Seghir
Mostefaï, alors en poste dans une banque à Tunis,
participa à la délégation d’Evian. La partie française
répondit aux travaux du GPRA par de nouveaux dossiers
qu’il fallut aussi étudier et pour lesquels on présenta de
nouvelles réponses. Les négociations prirent ainsi un
aspect de haut niveau par la confrontation de dossiers
épais réalisés par des équipes de hauts spécialistes.
Ces travaux académiques permettront de préciser les
points de vue et cerner les difficultés et de préparer les
décisions dans les meilleures conditions. Les questions
juridiques prennent une importance particulière et sont
décortiquées dans le moindre détail. Le projet du GPRA
en matière de coopération pétrolière par exemple est
extrêmement fouillé et précis. Il servira encore des
années plus tard lors de la discussion des accords
officiels de coopération. Tous les aspects techniques et
juridiques des futurs accords sont étudiés, contredits,
enrichis et décortiqués dans le moindre détail. Rien
n’est laissé au hasard ou à des discussions à venir. Ce
qui fera des futurs accords de véritables chefs d’œuvre
tant techniques que juridiques.
Le 27 décembre, Bentobbal rencontre les ministres
emprisonnés pour les mettre au courant et les associer
au débat. Un mois plus tard, Belkacem Krim, Bentobbal
et Benyahia referont un nouveau déplacement.
( 40 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Accords d’Evian
Histoire
La rencontre décisive des
Rousses
Après les réunions secrètes des
28 et 29 janvier 1962 s’ouvrent les
rencontres des Rousses qui seront
décisives. Louis Joxe est accompagné
par Robert Buron ministre des
Travaux publics, Jean de Broglie
secrétaire d’Etat au Sahara ainsi que
les hauts fonctionnaires habituels
Bruno de Leusse, Claude Chaillet,
Yves Roland-Billecart et le général
de Camas. En face, le GPRA était
représenté par Belkacem Krim,
Lakhdar Bentobbal, Saad Dahlab,
M’hamed
Yazid,
Mohamed
Benyahia, Réda Malek, Seghir
Mostefaï, Kasdi Merbah. On
discutera pied à pied par le bais des
spécialistes concernés des textes
extrêmement compliqués où rien
n’est laissé au hasard. Ainsi tous
les points sont abordés presque
d’une manière simultanée. Chaque
groupe de travail soumet à la
plénière les accords trouvés et les
points de divergences. La rencontre
se déroula dans des conditions
de sécurité exceptionnelles. Les
autorités suisses s’arrangèrent pour
changer les lieux de résidence de la
délégation du FLN à chaque nuit.
Elles se chargèrent des conditions
de transport, les discussions ayant
eu lieu en territoire français. On a
retenu le nom d’un chalet discret,
lieu de repos des services français
des ponts et chaussées, le « Yéti »,
édifice austère à l’écart du village.
Le CNRA vote
confiance au GPRA
présidée par Benyahia. Le débat est
vif, d’une grande liberté et toutes
les questions sont abordées. Le 27
février au cours de la séance de
nuit le CNRA adopte la résolution
suivante : « Le CNRA demande au
GPRA de poursuivre ses efforts au
cours de la prochaine négociation
publique pour améliorer le contenu
des accords. En conséquence, et
conformément à l’article 12 des
statuts du FLN, mandate le GPRA
pour signer les conventions de
cessez-le-feu ». Le vote est acquis
par 45 voix contre 4. Les opposants
ont été Boumediene, Kaïd Ahmed,
Ali
Mendjeli,
commandant
Bouizem de la Wilaya V. Les cinq
ministres prisonniers en France,
tenus régulièrement au courant du
déroulement des négociations et
visités par les premiers responsables
des négociations, avaient signifié
leur accord par écrit dès le 15 février.
La dernière phase des pourparlers
dura plus longtemps que prévu
(douze jours au lieu de trois).
Elle s’est tenue à l’Hôtel du Parc
à Evian. Les délégués algériens
furent hébergés dans un hôtel
suisse du Bois d’Avrault, le Signalde- Bougy. La délégation du GPRA
est toujours composée de Belkacem
Krim, Lakhdar Bentobbal, Saad
Dahlab, M’hamed Yazid, Mohamed
Benyahia, Réda Malek. Il ya aussi le
colonel Benaouda et Seghir Mostefaï
expert financier. On repassa en
revue les mêmes textes, un par
un, au cours de longues et parfois
difficiles sessions de discussions.
Il y eut parfois des moments de
grande tension. Les délégués furent
extrêmement pointilleux, s’arrêtant
parfois à des détails et à des questions
d’orthographe. Le 18 mars en fin de
matinée alors qu’on avait la mouture
définitive des textes, Krim
Belkacem demanda une dernière
lecture en séance plénière. Les
délégués français, à tour de rôle,
relurent les 98 pages. On corrigea
une dernière erreur. Puis ce fut la
signature à 17 heures 30. Après les
trois ministres français, Belkacem
Krim assume une mission
historique. Aussitôt prévenu, le
général de Gaulle sera le premier
à l’annoncer au monde en parlant
à la télévision. Réda Malek tiendra
sa dernière conférence de presse
quelques heures plus tard.
Benyoucef Benkhedda, président du
GPRA prononce un discours dans
la soirée du 18 mars.
Boualem Touarigt
la
On achève un texte final de dix
déclarations le 19 février à 2h30 du
matin. Le jour même les délégués
du FLN rentrent à Tunis. Le 22
février s’ouvre la session du CNRA
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Conférence de presse de Reda Malek à la veille de l’annonce officielle du cessez-le-feu
( 41 )
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Accords d’Evian
Histoire
Evian : quelques points forts
Il n’est pas aisé de résumer en quelques points essentiels ce que
furent les négociations d’Evian. Nous tentons, pour nos lecteurs, de donner un aperçu de ce qui a été décisif.
1. La situation militaire a été déterminante. La quatrième
république n’a pas cherché à négocier. Elle a voulu réprimer la
révolte des Algériens en laissant à l’armée, munie de tous les
pouvoirs, le soin d’obtenir une victoire militaire à n’importe quel
prix. Celle-ci pratiqua une répression systématique qui toucha
toutes les catégories de la population.
La hiérarchie militaire devenait de plus en plus rebelle à l’autorité du gouvernement français qu’elle rendait responsable des
échecs de l’Indochine. Elle était sûre de remporter une victoire
en utilisant ses méthodes : déplacements des populations, recherche systématique de l’information et usage de la répression.
Ces méthodes firent son échec.
Malgré son importance (600.000 hommes) dont un grand
nombre d’appelés, elle n’arriva pas à mettre fin à la guerre populaire. A son arrivée au pouvoir, de Gaulle chercha à obtenir
une victoire militaire en déclenchant le plan Challe qui mobilisa des moyens considérables. Il se déclara prêt à accepter la
reddition des combattants. L’impossibilité d’obtenir une victoire
militaire et même l’extension de la lutte armée dans les villes
l’amenèrent à changer ses positions et à envisager de négocier les
questions politiques.
2. Une solution politique au problème algérien s’est dessinée très
tôt, hors de l’indépendance : améliorer les conditions de vie des
Algériens, faire participer un grand nombre d’entre eux à la
gestion des affaires publiques, tout en refusant l’indépendance.
Cette démarche, préconisée déjà par le gouverneur Soustelle, fut
reprise par le général de Gaulle, à travers notamment son plan
de Constantine. Elle ne se réalisa pas parce que le FLN avait
réussi à réunir en son sein les représentants de toutes les couches
de la population. Tous les gouvernements français (IVe et Ve
républiques) préconisèrent des solutions qui accordaient un statut particulier à la minorité européenne : partitions avec la
création de provinces françaises homogènes, Etat fédéral, indépendance dans le cadre de l’Union française, statut exceptionnel pour la minorité européenne. De Gaulle chercha toujours
sa solution politique dans le dégagement d’une troisième force,
une élite politique algérienne opposée au FLN et disposant
d’une assise populaire. Il y crut jusqu’en décembre 1960. Ce
qui ne l’empêcha pas de continuer ses manœuvres. La radica-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
lisation d’une partie de la hiérarchie militaire qui s’allia aux
groupes extrémistes de la minorité européenne limita ses marges
de manœuvre.
3. La question du Sahara fut très délicate : de Gaulle refusa
d’inclure les territoires du Sud (départements des Oasis et de la
Saoura) dans le champ de l’autodétermination. Patiemment, le
GPRA attendit que le gouvernement français change de position. De Gaulle exprima ce changement lors de sa conférence
de presse du 5 septembre 1961. Avec habileté et persévérance,
le GPRA parvint à dissocier la question de la souveraineté de
celle des autorisations de recherche et d’exploitation pétrolières
qu’un Etat indépendant pourrait accorder. Il eut la même démarche pour refuser les enclaves territoriales (bases militaires et
centres nucléaires). Au début, le gouvernement français exigea
de faire de Mers el Kébir un territoire français, comme le furent
par exemple Gibraltar, emprise britannique dans un territoire
espagnol, ou les territoires espagnols de Ceuta et Melilla en
terres marocaines. Le GPRA évita cette solution en proposant
des concessions de longue durée.
4. La minorité européenne. Dans sa déclaration du 1er novembre 1954, le FLN offrait la nationalité algérienne aux
résidants d’origine européenne avec égalité en droits et en devoirs
avec leurs compatriotes musulmans. Les réformes suggérées dès
1955 prévoyaient un élargissement des droits des populations
algériennes mais un statut exceptionnel pour la minorité européenne. Le gouvernement français exigeait lors de la première
conférence d’Evian que les Européens d’Algérie seraient d’office
Algériens tout en conservant leur nationalité d’origine, ce qui
exigeait un statut organique spécial. Cela ne fut pas retenu par
les accords qui apportèrent cependant des avancées en matière
de participation à la vie politique associative et judiciaire, de
respect des droits acquis, d’amnistie. Un texte de compromis est
élaboré le 4 février 1962. Il sera définitivement mis au point
le 19 février aux Rousses. La nationalité algérienne résultera
d’une option individuelle.
( 42 )
B.T
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Accords d’Evian
Histoire
Cessez-le-feu en Algérie
Le soutien de la
communauté
internationale
au GPRA
Par Abderrachid Mefti
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 43 )
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Accords d’Evian
Histoire
Les Algériens exultent
P
ar une lettre datée du 11 août 1961, trente
et un pays afro-asiatiques demandent
l’inscription de la question algérienne
à l’ordre du jour de la XVIe Assemblée
générale des Nations unies. Le mémoire
explicatif joint à cette demande
indique que les négociations entre le Gouvernement
provisoire de la République algérienne (GPRA) et les
représentants de la France, qui se sont tenues à Lugrin,
ont été interrompues le 28 juillet 1961 à la demande de la
délégation algérienne, le gouvernement français refusant
de reconnaître les principes fondamentaux de l’intégrité
territoriale de l’Algérie et de l’unité du peuple algérien ;
il rappelle en conclusion que dans la résolution adoptée
par la XVe session de l’Assemblée générale, l’ONU
s’est reconnu la responsabilité de contribuer à ce que
le droit de libre détermination soit mis en œuvre avec
succès et avec justice sur la base de l’unité et de l’intégrité
territoriale de l’Algérie. Cette session est placée sous le
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
signe de la décolonisation. Se référant à la résolution
1514 du 14 décembre 1960 sur l’octroi de l’indépendance
aux peuples coloniaux, l’Assemblée vote le 27 novembre
1961, par 97 voix pour et 4 abstentions, une nouvelle
résolution destinée à accroître l’efficacité de la résolution
1514.
A la fin de l’année 1961, 20 pays ont appuyé leur
reconnaissance au GPRA, dont la Yougoslavie, l’URSS,
le Maroc, la Tunisie, la Libye, la Jordanie, l’Arabie
saoudite, l’Egypte, le Yémen, le Soudan, la Chine, la
Corée du Nord, le Nord Vietnam, l’Indonésie, la Guinée,
la Mongolie, le Liban, le Ghana et le Libéria. Au cours de
l’année 1961, le GPRA bénéficie de la reconnaissance du
Mali, du Congo, de Cuba, du Pakistan, de l’Afghanistan,
du Cambodge et de Chypre, de la Tchécoslovaquie
et de la Bulgarie. Lors de la conférence des Pays non
alignés de Belgrade, le GPRA siège au milieu de vingttrois gouvernements de pays représentant un milliard
d’habitants. Fort de ces succès, le GPRA marque de
( 44 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Accords d’Evian
Histoire
plus en plus de points positifs quant à l’accélération du
processus de décolonisation. La France est condamnée
sur le plan international par l’ONU qui reconnaît le droit
d’autodétermination à l’Algérie. De plus, un mouvement
de décolonisation qui militait à l’échelle mondiale a
poussé la France à accepter cette option.
Le 18 mars 1962, étaient signés les accords d’Evian
entre les délégués des gouvernements français et ceux
du GPRA. Ils mettaient fin à la guerre et acceptaient
l’indépendance de l’Algérie. Les négociations, qui ont
commencé dans le secret à Lucerne (Suisse) en mars
1961, puis à Neuchâtel, les Rousses, Lugrin et Bâle,
seront officialisées, ce qui permet au FLN de multiplier
les victoires en matière de soutien à sa cause au niveau
international. C’est Évian-les-Bains, une ville thermale
située entre la France et la Suisse, qui sera choisie pour
abriter les ultimes pourparlers entre les représentants
de la France et ceux du GPRA. Durant treize jours, les
débats sont menés tambour battant. Le 18 mars, Krim
Belkacem signe, au nom du GPRA, le document qui met
fin à sept années et demie de guerre.
Le 8 janvier 1961, les Français se prononcent par
référendum à 75% pour le droit à l’autodétermination du
peuple algérien.
Les premiers entretiens algéro-français ont lieu du 20
mai au 13 juin 1961 à Evian.
Le 18 février 1962, une autre série de pourparlers a
lieu dans la station hivernale des Rousses (Jura, France).
Enfin, c’est le 6 mars 1962 à Evian-les-Bains que débutent
les négociations qui aboutiront le 18 mars à la signature
des accords. Ils comprennent un pacte immédiat de
cessez-le-feu, applicable dès le 19 mars à 12 heures et
un article qui stipule l’organisation d’un référendum le
8 avril 1962 en France et le 1er juillet 1962 en Algérie.
A la suite du référendum organisé en France, 90,7% des
votants approuvent les accords d’Evian, alors que lors de
celui organisé en Algérie, l’indépendance est approuvée
par 99,72% des votants. Le 3 juillet, le général Charles
de Gaulle reconnaît l’indépendance de l’Algérie, dont la
proclamation officielle a lieu le 5 juillet.
Spontanément après la signature du cessez-le-feu en
Algérie, les réactions politiques à travers le monde n’ont
pas tardé. Plusieurs pays ont applaudi cette victoire de
l’Algérie, qui s’est libérée de 132 ans de colonialisme.
A Washington (Etats-Unis), le Président John Fitzgerald
Kennedy, celui-là même qui, en tant que sénateur,
réclamait du haut de sa tribune du Sénat américain,
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
l’indépendance de l’Algérie, déclarait : «Les Etats-Unis
soutiennent les efforts accomplis en vue de trouver une
solution satisfaisante pour les deux parties et se félicitent
de l’accord intervenu. Cet accord constitue une base solide
pour l’établissement de relations amicales et fructueuses
entre l’Algérie et la France et permet à tous les habitants
de l’Algérie d’apporter leur contribution constructive
à l’avenir du pays. La conclusion de l’accord de cessezle-feu entre les autorités françaises et les représentants
du FLN est une décision historique qui a été rendue
possible grâce à l’imagination et aux qualités d’hommes
d’Etat et à la modération dont avaient fait preuve toutes
les parties intéressées. Il faut espérer qu’on ne laissera
pas l’occasion échapper et que la sagesse qui a permis de
réaliser l’accord prévaudra dans l’exécution de ce dernier.
Les Etats-Unis sont convaincus que c’est dans cette
direction que se trouve le chemin d’un avenir fructueux.»
A Moscou, capitale de l’ex-URSS, «(…) le Présidium du
Soviet suprême reconnaît le Gouvernement provisoire de
la République algérienne (GPRA) comme gouvernement
légal de l’Algérie jusqu’à ce que l’indépendance soit
définitivement établie», déclare M. Khrouchtchev et
le félicite «pour sa magnifique contribution à la cause
commune de liquidation du colonialisme et à l’application
de la décision de l’ONU accordant l’indépendance à tous
les peuples coloniaux». Moscou a proposé d’établir des
relations diplomatiques avec l’Algérie.
A Rome (Italie), le secrétaire général du Parti
communiste italien, Palmiro Togliatti, salue avec joie
«la fin des hostilités». «Nous nous souviendrons avec
vous de ceux qui sont tombés dans cette guerre et des
innombrables victimes de la barbarie colonialiste et
raciste... L’Algérie indépendante et souveraine aura
toujours, dans le peuple italien, un ami sincère et un allié
dans la lutte commune pour la liberté de tous les peuples
et pour la paix.»
A Belgrade (capitale de l’ex-Yougoslavie), dans les
jours qui ont précédé la signature des accords d’Evian,
le Président Tito déclare : «Les dirigeants yougoslaves
appuient sans réserve la politique de négociations
poursuivie par le GPRA. Ils considèrent que l’accord
que le GPRA s’apprête à conclure avec le gouvernement
français est un compromis révolutionnaire qui consacre
la victoire des principes fondamentaux de la Révolution
algérienne. Ils affirment que la Yougoslavie sera toujours
prête à accorder dans tous les domaines une aide
inconditionnelle au peuple algérien.»
( 45 )
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Accords d’Evian
Histoire
Le président Yougoslave Josip Broz Tito
Ferhat Abbas
La Yougoslavie du défunt Josip
Broz Tito, le premier Etat européen à
reconnaître le GPRA, a, dès le début
du déclenchement de la révolution du
1er novembre 1954, assuré un soutien
indéfectible sur le plan diplomatique
au peuple algérien et fourni une aide
matérielle, déclenchant l’ire de la
France qui avait décidé de rompre
immédiatement ses relations avec
Belgrade.
A Damas, le gouvernement syrien
salue «cette grande victoire de la
lutte du peuple arabe en Algérie,
qui a donné les meilleurs de ses fils
et le sang pur de ses martyrs durant
7 années de guerre, remplit le cœur
de chaque Arabe. Grâce à votre
effort laborieux et sincère, vous avez
montré au monde entier votre foi et
votre volonté inébranlable d’arracher
votre droit à l’indépendance. La
victoire que vous venez de remporter
en ce jour glorieux est un triomphe
pour toute la nation arabe, parce que
vous avez écrit une page historique
et éternelle», a déclaré le président de
la République arabe de Syrie, Nazem
Kudsi, dans un message envoyé au
président Benyoucef Benkhedda.
Le président égyptien Gamal
Abdenasser dira que cette décision,
longtemps attendue, «ouvrait la voie
à la possibilité d’un rapprochement
entre la Révolution arabe et la
France». Il convient également
de noter le rôle politique et
diplomatique joué par l’Egypte à
travers l’appui à la participation de
la délégation du FLN aux travaux
du congrès des pays non alignés
de Bandoeng (Indonésie) en 1955.
La position égyptienne a, en effet,
permis à la révolution algérienne de
réaliser de nombreux acquis, parmi
lesquels l’internationalisation de
la question algérienne au sein des
instances mondiales, l’engagement
des pays participants à apporter leur
aide matérielle à cette révolution et
l’affirmation de la légalité et la justesse
des revendications algériennes.
A Ryad, le roi d’Arabie saoudite,
Saoud ben Abdelaziz al-Saoud, dira
qu’«en ce jour glorieux de l’histoire de
la lutte de la vérité et de la liberté, j’ai
la joie d’exprimer au peuple algérien
libre et fier et à son gouvernement,
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 46 )
en mon nom et au nom de mon
gouvernement et de mon peuple, mes
félicitations sincères pour la grande
gloire dans la bataille, la libération
nationale grâce à la lutte de ses fils
vaillants et grâce à leurs sacrifices
inestimables et nous demandons
à Dieu que cette page soit le début
d’une ère de force et de salut et de
liberté pour le peuple algérien frère».
Le Congo s’est exprimé par la voix
de son Premier ministre, Cyrille
Adoula : «Au moment où après plus
de sept ans d’indicibles souffrances,
le peuple algérien a inscrit en lettres
de sang son droit à la dignité et à
l’indépendance, le gouvernement et
le peuple congolais vous expriment
leur fierté de voir un peuple héroïque
frère et une partie de l’Afrique
ayant un rôle déterminant dans la
construction d’une Afrique nouvelle
œuvrant pour le bien-être de ses
habitants et pour la paix dans le
monde.»
Lors de la visite de Ferhat Abbas,
président du GPRA, à Budapest,
un communiqué commun scelle
la reconnaissance de facto par
la Hongrie de l’indépendance
de l’Algérie. Après la signature
des accords d’Evian, les pays
communistes d’Europe procèdent
à la reconnaissance officielle de
l’Algérie indépendante. Les Bulgares
et les Chinois furent les premiers à
envoyer un ambassadeur en Algérie.
Le 8 octobre 1962, l’Algérie adhère
officiellement à l’Organisation des
Nations unies (ONU) et devient le
109e membre.
Abderrachid Mefti
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Accords d’Evian
Histoire
La presse
internationale
et le 19 mars 1962
Par Boualem Touarigt
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 47 )
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Accords d’Evian
L
’annonce
de
la
signature
des
accords a eu des
échos
multiples
dans
la
presse
internationale. Dans
sa quasi exclusivité, celle-ci souligna
l’importance de l’évènement.
La presse française rapporta les
positions des différents partis et
personnalités politiques. On nota
ceux qui s’en félicitèrent, et qui
furent de loin les plus nombreux.
Dans un grand éventail politique, on
se félicita de l’évènement : le MRP,
le Centre, la SFIO, le Parti Radical,
l’UNR, l’UDT (gaullistes de gauche),
les indépendants, les communistes,
les mouvements d’extrême gauche,
les syndicats. Certains mouvements
associatifs montrent leur satisfaction.
A la Sorbonne, les délégués
étudiants brandissent des drapeaux
français et algériens mêlés. On
note les positions extrémistes des
opposés à l’indépendance qui sont
connus : Jacques Soustelle et Pascal
Arrighi parlent de violation de la
Constitution. André Morice leur
emboîte le pas en utilisant de termes
très violents.
Les Etats-Unis expriment leur
grande satisfaction considérant qu’il
s’agit là d’u évènement historique.
A Londres, le gouvernement
britannique parle de grand
soulagement. Il en est de même à
Rome, Bonn, Madrid, Bruxelles. La
presse belge parla même de grande
victoire.
La presse internationale répercuta
les déclarations du président du
GPRA Benkhedda qui dans un
appel au peuple algérien annonce
officiellement
le
cessez-le-feu,
félicite les combattants et demande
la vigilance pour le chemin difficile
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Histoire
qui reste à accomplir. Il explique le
contenu des accords et la portée des
solutions trouvées. Il affirma : « La
teneur de ces accords est conforme
aux principes de la Révolution,
maintes fois affirmés :
1- L’intégrité territoriale de l’Algérie
dans ses limites actuelles
2- L’indépendance de l’Algérie
3- L’unité du peuple algérien
4- La reconnaissance du GPRA
comme interlocuteur exclusif »
Il reçoit les messages des
gouvernements étrangers. L’URSS
reconnaît le GPRA comme le
gouvernement légal de l’Algérie.
L’ambassadeur américain à Tunis
transmet le message de félicitations
du président Kennedy. A New York,
le président de l’assemblée générale
et le secrétaire général des Nations
Unies expriment leur satisfaction
devant cette grande victoire du
peuple algérien.
La presse française se fit l’écho
des principales dispositions de
l’accord, insistant sur les garanties
offertes aux Européens d’Algérie.
Deux journaux d’Alger paraissant
le dimanche publient l’intégralité de
la « déclaration des garanties » qui
( 48 )
aborde les assurances accordées aux
Algériens d’origine européenne.
La presse saisit aussi l’occasion de
faire quelques bilans de la guerre
qui s’achève. D’après le quotidien
français Le Monde, le bilan s’élèverait
à près de 50 milliards de francs de
1956 à 1961. Il revient sur les mesures
exceptionnelles prises par l’armée
française pour trouver une victoire
militaire, en rappelant le plan Challe
qui coûta beaucoup à la France et qui
eut des effets catastrophiques sur le
plan moral et sur le plan politique.
El Moudjahid, organe central du
FLN publie à cette occasion un
long bilan politique de la guerre
d’indépendance, insistant sur la
résistance des combattants de l’ALN
et l’échec des manœuvres militaires de
l’armée française, l’union des forces
patriotiques au sein du FLN, les
victoires politiques et diplomatiques
qui ont rendu l’indépendance
inéluctable. Il explique aussi les
différentes étapes de la négociation
qui a reçu à chaque fois le soutien
de l’ensemble de la direction de la
révolution.
Boualem Touarigt
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Par Adel Fathi
Guerre de libération
P
lus de cinquante ans
après les événements,
l’histoire de l’Organisation de l’armée
secrète (OAS) demeure encore, pour
l’historiographie officielle française,
comme un tabou. Pourquoi ? Peutêtre parce que ces projections foncièrement criminelles trahissaient
une volonté refoulée de cette armée
française, soutenue par les colons et
tous les adeptes de l’Algérie français,
de refuser l’idée de quitter un jour
l’Algérie. Même si les acteurs politiques de l’époque tentent toujours
d’imputer cette action séditieuse à
une « poignée d’ultras » qui, dans un
moment de désespoir ou de folie, a
choisi de verser dans le terrorisme
le plus sanguinaire pour essayer, en
vain, d’arrêter le cours de l’Histoire.
La naissance de cette organisation
est moins imputable à une évolution
Histoire
objective d’un conflit opposant les
combattants algériens à l’occupation, qu’à une réalité politique interne, induite par la politique d’autodétermination mise en place par
le général de Gaulle à partir de la
fin de l’année 1959, et qui ouvrait la
voie aux négociations avec les représentant de la Révolution algérienne.
Or, paradoxalement cette folie
meurtrière de la partie française
aura eu comme effet d’accélérer le
processus d’autodétermination qui
s’imposait et qui va aboutir à l’Indépendance de l’Algérie, en moins de
deux ans. Elle achevait, en fait, de
discréditer la politique d’occupation
française, dans son acception globale.
Les crimes de l’OAS viendront
s’ajouter à l’entreprise de destruction entamée dès le début de l’occupation française. Car les attentats
terroristes perpétrés par « les ultras
» de l’armée française contre les
cibles algériennes ne peuvent, en
aucun cas, être dissociés des massacres récurrents de la population
par cette même armée qui, dans ses
opérations de répression contre les
différentes révoltes algérienne, avait
eu recours aux méthodes les moins
conventionnelles. Ils sont plus assimilables à des crimes de guerre qu’à
des actions isolées, même si le pouvoir politique français a tôt fait d’en
condamner et de poursuivre les auteurs. La logique de putsch étant au
fondement même du pouvoir de de
Gaule, lui-même arrivé au pouvoir
en 1958 à la suite du coup d’Etat du
13 mai 1958.
Son célèbre discours radiotélévisé
du 16 septembre 1959 proposant
l’autodétermination sur l’avenir de
l’Algérie suscita la surprise dans
tous les milieux et la « stupéfaction
» chez la population européenne
Charles de Gaulle
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 50 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Histoire
Les généraux putschistes
d’Algérie. Ce discours préconisait trois voies : la francisation (un seul pays réunissant la France et l’Algérie et
dont tous les citoyens ont les mêmes droits), l’autonomie
(une fédération entre la France et l’Algérie), la sécession
(conduisant à l’indépendance). Pour la première fois, il
ouvre la possibilité de l’indépendance de l’Algérie. Le
15 octobre 1959, l’Assemblée nationale valide la politique d’autodétermination par 441 pour et 23 contre.
Mais pour ceux qui refusent cette politique, regroupant
certains membres de la classe politique (Jacques Soustelle, Georges Bidault), ainsi qu’une partie de l’armée et
des Français d’Algérie, c’est une trahison. Le pouvoir
laisse s’exprimer « la révolte » de la population française
d’Algérie contre ce discours, à travers « la semaine des
barricades » du 24 janvier au 1er février 1960, tout en
évitant un basculement de l’armée du côté des insurgés.
Après ce discours, les événements s’accélèrent à une
vitesse foudroyante : en moins d’une année, un groupe
de haut gradés récalcitrants, exilés en Espagne, se
forme autour du général Salan, de Pierre Lagaillarde et
de Jean-Jacques Susini et crée l’OAS. Le 22 avril 1961
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
L’un des attentats commis par la sinistre OAS
se déroule le putsch des généraux à Alger, suivi par
environ deux cents officiers. Néanmoins, la plupart des
officiers supérieurs adopte une attitude attentiste et la
majorité de l’armée reste loyale au pouvoir métropolitain, entraînant l’échec du putsch en quelques jours. Un
échec que les historiens ne s’expliquent pas, à ce jour, au
vu du soutien multiple et massif dont avaient bénéficié
( 51 )
www.memoria.dz
Guerre de libération
Histoire
Un soldat français anti-OAS
Le même soldat assassiné quelques instants plus tard
les putschistes, en amont. A la suite de cet échec, une
bonne partie des insurgés fait dissidence et rejoint la
lutte clandestine dans les rangs de l’OAS, ainsi que de
nombreux civils et notamment de colons. Créée pour
faire capoter le projet de de Gaule, cette organisation
n’en déversera pas moins sa haine envers la population algérienne, cible facile : à Bab El-Oued, lors du
fameux siège de ce quartier, dans la fusillade meurtrière
de la rue d’Isly, le maquis de l’Ouarsenis et l’assassinat
de cadres administratifs et d’intellectuels reconnus, à
l’image de l’écrivain Mouloud Feraoun, assassiné le 15
mars 1962.
Une vérité historique que d’aucuns tentent aujourd’hui
de minimiser : l’OAS sera largement soutenue par la
population française d’Algérie, dans ses actions nihilistes qui visent à instaurer un état de terreur permanent, et les autorités s’avéreront incapables d’assurer
la protection des populations vivant en Algérie. D’où
le recours aux vieilles méthodes machiavéliques de
contre-terrorisme (le recrutement de barbouzes, le plasticage, les interrogatoires musclés…). Une guerre où les
deux parties se neutralisaient mutuellement jusqu’après
l’annonce du cessez-le-feu.
Un autre crime odieux de l’OAS
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Adel Fathi
Un corps sans vie d’une victime de la sinistre organisation
( 52 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Histoire
La tuerie de la rue d’Isly
L’armée française
et l’OAS dos à dos
Par Adel Fathi
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 53 )
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Guerre de libération
D
Histoire
epuis l’entrée en vigueur du cessezle-feu, le 19 mars 1962, les extrémistes français, regroupés autour
de l’Organisation de l’armée secrète
(OAS), étaient devenus furieux et
n’hésitaient pas à tout détruire, à
tout brûler pour faire capoter le projet d’indépendance
qui s’annonçait imminent. Après l’échec de la série d’attentats terroristes ciblés et de « la semaine des barricades
», à travers laquelle les ultras tentèrent d’impliquer la population européenne, en voulant créer une situation de
désobéissance civile, les commandos de l’organisation
passèrent à la stratégie du pire : le massacre.
C’est à partir de Bab-el-Oued, leur bastion, qu’ils décidèrent de jouer leur dernière carte. Une semaine, après
le cessez-le-feu, le 26 mars 1962, à l’appel de l’OAS, une
foule dense composée essentiellement de pieds-noirs
chauffés à blanc se dirige vers le « monument aux morts.
» Stoppée un moment par un barrage à l’entrée de la rue
d’Isly, la foule se déchaîne et des coups de feu sont tirés,
d’on ne sait où. Les soldats répliquent. Bilan : 80 morts,
et des centaines de blessés.
Une rafale de pistolet mitrailleur est tirée par un tirailleur situé près du bar du Derby. Cela déclenche une fu-
sillade qui durera plusieurs minutes. C’est la confusion
et la panique générale. Les manifestants courent dans
tous les sens. Les tirailleurs, pris de panique, vident
leurs chargeurs, utilisant même des balles explosives,
d’après des témoignages. La rue ne sera bientôt qu’un
amas de corps sanglants. Des témoins racontent qu’au
milieu des cris et des supplications, « les assassins achevaient les blessés ».
La scène du carnage est atroce, insoutenable. Des
corps d’hommes, de femmes, d’enfants jonchent les
rues et les trottoirs, le sol est parsemé de souliers, de
vêtements, de douilles. Un documentaire de 52 minutes,
réalisé en 2008 par la télévision française (France 3),
consacre une émission à cet événement méconnu, Le
massacre de la rue d’Isly, qui se vend aujourd’hui sur CD
en Algérie même. Retraçant cette journée folle, avec
des images poignantes inédites, il montre l’ampleur du
drame, mais laisse des zones d’ombre.
C’est là que les pieds-noirs (Européens, juifs), qui
jusqu’à alors soutenaient aveuglément l’OAS réalisaient
le machiavélisme criminel d’une caste d’ultras, qui se
croyait assez forts pour pouvoir s’emparer du pouvoir,
mais dont l’unique stratégie de prise de pouvoir consistait à semer le chaos en Algérie.
L’horrible tuerie de la rue d’Isly (Larbi Ben M’hidi)
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 54 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Histoire
Comment s’est déroulé ce glissement dangereux ?
Comment les forces de sécurités françaises se seraient
laissé aller à une répression aussi brutale ? Dans un témoignage récent, un ancien officier de l’armée coloniale
révèle que des coups de feu ont été tirés par des fenêtres
de la rue d’Isly, dans le dos des soldats. Loin de signifier
par-là que des snippers enrôlés par l’OAS s’étaient embusqués pour semer la zizanie ce jour-là, ils cherchaient
surtout à dédouaner les troupes en poste de leur responsabilité. C’était la version donnée par tous les officiels de
l’époque, à commencer par le préfet de police d’Alger,
qui tenta aussi de minimiser le nombre de victimes, en
parlant de 46 mort et de 200 blessés. Aucune liste définitive des victimes n’a jamais été établie... Toutes les
victimes seraient des civils, européens, quelques juifs
séfarades. Toutefois en 2003, dans sa contre-enquêteBastien-Thiry : Jusqu’au bout de l’Algérie française, le grand re-
porter Jean-Pax Méfret avance le nombre de 80 morts et
200 blessés au cours de ce qu’il nomme « le massacre du
26 mars » (Jean-Pax Méfret, Bastien-Thiry : Jusqu’au bout
de l’Algérie française, Pygmalion, 2003). L’association des
victimes du 26 mars publie une liste de 62 morts, tous
des civils ; 7 militaires (dont 2 gendarmes) sont tués.
L’historien Benjamin Stora constate que le silence fait
sur ce massacre « est un des exemples les plus marquants
de la censure pratiquée pendant la guerre d’Algérie :
comme pour beaucoup d’événements, le gouvernement
français n’a jamais reconnu sa responsabilité ».
Dans cette affaire, le gouvernement français n’était pas,
à vrai dire, moins machiavélique que l’OAS, puisque les
autorités militaires ont mobilisé, pour la circonstance,
un bataillon de tirailleurs musulmans, pour mener, en
partie, cette sale besogne. Et il se trouve aujourd’hui
ceux qui veulent imputer les crimes atroces commis sur
Des cadavres de victimes de la folie meurtrière de l’OAS
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 55 )
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Guerre de libération
Histoire
Une autre scène montrant les atrocités de cette organisation
les manifestants à « la maladresse » de ces soldats algériens, qui, « épuisés et nerveux, et ne sachant pas à quel
drapeau obéir », seraient prêts à en découdre. Comme
s’il était plus facile d’en remettre une couche sur les
Algériens, avec tous les stéréotypes déjà usités, que de
chercher des coupables dans les rangs de l’armée française, qui a enfanté tous ces zélateurs de l’OAS et autres.
Ceux-là étaient soumis à un chantage odieux qui ne
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
leur laissait plus aucun choix : donner des gages d’allégeance ou s’exposer à la mort. Or, ils savaient bien que
l’Algérie était à quelques semaines de son indépendance.
C’est dire que les deux camps qui s’entredéchiraient
pour le pouvoir, sur le dos d’un peuple qu’ils voulaient
toujours dominer, étaient mus par les mêmes pulsions
nihilistes.
( 56 )
Adel Fathi
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Histoire
L’OAS
bilans controversés
Par Adel Fathi
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
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Guerre de libération
Histoire
Attentat oeuvre de l’OAS en plein coeur d’Alger
L
Un commando OAS en action
es historiens n’ont jamais eu de chiffres
exacts et incontestables sur le bilan macabre de cette organisation terroriste.
Car, en s’en référant aux seuls comptesrendus de la presse française de l’époque
ou à des rapports militaires, qui faisant
parfois table rase sur les victimes algériennes, tant d’auteurs se seraient fourvoyés en donnant une lecture, que
l’on peut qualifier de tronquée, de la réalité des événements. A cela s’ajouterait la confusion créée par l’implication du « contre-terrorisme » des barbouzes du général de Gaulle, qui, en voulant combattre le terrorisme
des insurgés français, en faisaient eux-mêmes.
Officiellement, donc, les actions attribuées à l’OAS
ont fait 71 morts et 394 blessés pour la branche métropolitaine, et est directement responsable de plus de
2200 morts, de 12900 plasticages, de 2546 attentats individuels et de 510 attentats collectifs. L’historien français Rémi Kauffer estime que l’OAS a assassiné entre 1
700 et 2 000 personnes. Le journaliste américain Paul
Hénissart cite, lui, une source officieuse selon laquelle
le nombre de victimes assassinées en Algérie s’élève à
2 200. L’historien français Guy Pervillé, s’appuyant sur
deux rapports des forces de l’ordre (l’un de la Sûreté
nationale, l’autre du général Fourquet, commandant
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
supérieur des troupes françaises), estime que ce chiffre
est peut-être inférieur à la réalité. Son collègue américain Rudolph J. Rummel considère lui que le nombre de
victimes s’élève à au moins 12 500 (12 000 civils et 500
membres des forces de l’ordre), estimation comparable
à celle de Charles de Gaulle dans ses Mémoires d’espoir.
D’autres historiens, comme Olivier Dard, estime ces
bilans sont très exagérés.
De par son caractère nihiliste et aveugle, l’organisation s’est attachée à semer la terreur par tous les moyens
possibles et à s’attaquer systématiquement à tout ce qui
était encore susceptible d’encourager un processus de
décolonisation, que ce soit au sein de l’administration et
de l’armée française, ou au sein de la société algérienne.
Sa première victime fut le commissaire central
d’Alger le 31 mai 1961. Un symbole fort par lequel elle
se montrait décidée à déclarer la guerre à tout l’Etat
français. Pour preuve, elle fomentera plusieurs attaques
contre le général, jusqu’après le 5 juillet 1962. Ses autres
cibles françaises : les « porteurs de valises », les anticolonialistes, les communistes et les gaullistes.
L’OAS est surtout connue pour avoir été l’une des
premières organisations terroristes à avoir organisé des
attentats à la voiture piégée : 25 morts à Oran le 22
février et 62 morts à Alger le 2 mai 1962. Ce que le
( 58 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Histoire
FLN/ALN, désigné par les autorités coloniales comme
une organisation, n’aurait jamais osé perpétrer, pour
contrebalancer le système de terreur qui s’écharnait sur
la Révolution.
Sa politique dite de la terre brûlée l’amena aussi à des
opérations de plasticage ciblant les équipements collectifs, les écoles ou les bibliothèques, dont celle de l’université d’Alger incendiée le 7 juin 1962.
Bénéficiant d’un soutien massif des pieds-noirs en
Algérie, l’OAS réussit plusieurs fois à mobiliser ses sympathisants dans des manifestations de rue, pour protester contre les négociations de paix, et à provoquer des
émeutes meurtrières, comme celle de la rue d’Isly, le 26
mars 1962 qui fit 54 morts chez les pieds-noirs pris sous
le feu des forces françaises.
Même en France, la répression policière contre une
manifestation organisée le 8 février 1962 à Paris, par
deux partis de gauches, le PCF, le PSU et six syndicats,
pour protester contre l’OAS, a provoqué un carnage
: 8 personnes furent écrasées contre les grilles d’une
station de métro. Comme quoi, sa seule présence symbolique attirait la mort.
Cela dit, l’OAS a elle aussi subi des pertes et officiellement 119 membres ont été tués. En 1962, 635 membres
de l’OAS sont arrêtés. 224 sont ensuite jugés, dont
Un membre de l’OAS l’arme en joue
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Le visage ensanglanté d’une victime des attentats de l’OAS
( 59 )
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Guerre de libération
Histoire
Des impacts de balles sur la DS de Charles de Gaulle miraculeusement sorti indemne
au Portugal et en Amérique du Sud. Plusieurs sont
condamnés à mort par contumace (les généraux Raoul
Salan et Edmond Jouhaud, Joseph Ortiz, le colonel
Chateau-Jobert, André Rossfelder, le colonel Arnaud
de Seze, le colonel Yves Godard, les capitaines Pierre
Sergent et Jean Biraud). La peine de mort pour motif
politique, abolie depuis 1848, ayant été rétablie par ordonnance du 4 juin 1960.
Arrivant à bout de ses ressources, l’OAS termine
« en apothéose », par un dernier attentat à Oran qui
mit le feu à dix millions de tonnes de carburant le 25
juin 1962, avant la série d’attentats contre le général de
Gaulle qui en réchappa.
Après la « guerre d’Algérie », l’organisation terroriste
française va tenter de s’internationaliser, en formant,
entre autres, les services chargés de l’opération Condor
dans le cône sud de l’Amérique latine, des escadrons de
la mort qui avaient comme mission de briser les mouvements révolutionnaires de gauche en lutte contre les
dictatures militaires dans cette partie du monde.
Les rancœurs nourries et véhiculées par cette organisation criminelle ne se sont pas estompées et continuent à faire des ravages trente ans après la fin de la
guerre de libération. En mars 1993, une bande d’anciens de l’OAS assassine Jacques Roseau, lui-même ancien membre de l’OAS et président de l’association de
117 acquittés, 38 à une peine de prison ferme, 3 sont rapatriés « Recours », faisant de lui la dernière victime
condamnés à mort et fusillés. Jusqu’en 1965, les arres- de l’organisation.
tations s’élèveront à dix mille personnes et le nombre
de condamnés à 3 680. Plusieurs membres de l’OAS
Adel Fathi
se sont réfugiés à l’étranger, notamment en Espagne,
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 60 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Histoire
Héritiers de l’OAS
Ennemis de la repentance
P
ourquoi le débat en France sur
l’héritage de l’Histoire et ce qui est
appelé pompeusement le « devoir
de mémoire » semble toujours dominé par les plus rigides, à gauche
comme à droite, et les plus réfractaires à la repentance exigée par les victimes, pour
tous les crimes commis par l’armée française pendant la période coloniale en Algérie ? N’y aurait-il
pas une sorte de partage de rôles, dans le système
politique français, dans le seul dessein de bloquer
toute normalisation des relations historiques avec
une ancienne colonie ?
A voir le nombre de mesures populistes prises
ces dernières temps en faveur des partisans de
l’Algérie française notamment, on est bien en
droit de se poser cette question. On a vu comment les nostalgique de l’Algérie française, amis
et héritiers de l’OAS, se sont engouffrés dans la
brèche, pour montrer toujours plus d’aversion et
toujours plus de déni à l’encontre de l’Algérie indépendante.
Par Adel Fathi
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 61 )
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Guerre de libération
Histoire
La loi scélérate dite du « 23 février 2005 », glorifiant « les aspects positifs de la colonisation », a
été la première grande concession, si l’on est, faite à
ces milieux hostiles à l’indépendance de l’Algérie et à
toute idée de réconciliation, encore moins de repentance.
Des personnalités se revendiquant, aujourd’hui,
d’une droite en mal de « gaullisme », comme ce sénateur et ancien ministre de la Défense, aujourd’hui
sénateur, Gerard Longuet, n’hésitent pas à afficher
publiquement et bassement leur haine contre l’Algérie, sans que cela soulève la moindre réaction de
l’establishment français, qui préparait, pourtant, une
visite d’Etat importante du président français en
Algérie, annoncée comme le prélude à une « normalisation » des relations entre les deux pays. Le triste
sieur fera des émules, puisqu’un autre élu, un député FN, lui emboitera le pas pour esquisser le même
geste obscène devant les caméras de la télévision.
Pareilles attitudes ne peuvent que stimuler les différentes actions menées ces dernières années par les
nostalgiques de l’Algérie française, en tête desquels
on trouve toujours les anciens membres et sympathisants de l’OAS et les associations de harkis, et
contribuer par-là même à pervertir le débat sur les
questions d’histoire.
Ces milieux, se sentant ainsi réhabilités, redoublent
de férocité et se mobilisent à chaque occasion, pour
appeler à reconnaître les exactions et crimes de
l’OAS, comme légitimes, voire comme des « actes de
bravoure » qui auraient pu sauver l’Algérie française
! Le 8 mars 2012, ils ont appelé à manifester contre
la commémoration du 19 mars, date du cessez-lefeu, arguant que cette date était pour eux le début
de la guerre contre l’armée française régulière qui
consentait ainsi, d’après leur littérature, à « l’abandon
de l’Algérie française ». C’est dire que les héritiers
de l’OAS n’admettent même pas la version française
officielle des événements, quand bien même celle-ci
continuerait à faire la part belle aux thuriféraires du
colonialisme et de ses « aspectes positifs ».
Aujourd’hui, il existe plusieurs organisations se
revendiquant de cet « héritage » sinistre : 47 associations dites « Vérité et justice pour les Français
rapatriés », qui manifestent à chaque occasion historique devant les institutions officielles à Paris et
dans maintes villes française, pour exiger la reconnaissance des « crimes commis contre les pieds-noirs
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
», à la fin de la guerre ou pour dénoncer « l’abandon
des harkis par l’Etat français »… Les défilés organisés sous la férule du « Comité de la Flamme », qui
regroupe des associations des « anciens rapatriés » de
la France, véritable repaire des ultras et partisans de
l’OAS, les 5 juillet de chaque année, pour commémorer ce qu’ils décrivent comme « le massacre des
pieds-noirs et de harkis », le 5 juillet 1962 dans la
ville d’Oran, sont l’exemple de ce pervertissement de
l’Histoire, estiment des historiens français. Ces derniers rappellent à ces ultras les 1100 victimes algériennes de cette organisation terroriste à Oran, et les
victimes militaires françaises, parmi lesquelles des
dizaines d’officiers, en plus d’une cinquantaine de
civils, tués par l’OAS entre mars et juillet 1962.
C’est l’analyse qu’en donne l’historien algérien
Fouad Soufi, qui écrit: « Le 5 juillet 1962, alors que
partout la population algérienne célèbre la fête de
l’indépendance, dans le centre de la ville d’Oran, des
hommes, des femmes et des enfants algériens et européens trouvent la mort dans des conditions atroces,
non encore élucidées, tandis que dans un quartier
périphérique des Européens sont sauvagement assassinés. » Un autre historien algérien, Saddek Benkada,
a dénombré 859 victimes civiles algériennes, entre le
1er janvier et le 30 juin 1962. « Un événement particulièrement traumatisant fut l’explosion simultanée
de deux voitures piégées, le 28 février 1962, un soir
de ramadan, au cœur du quartier algérien de Medina
J’dida – c’était le premier attentat de ce type dans
l’histoire de l’Algérie. Il y eut ce jour-là 78 morts,
sans compter les corps non identifiables... »
Autant de témoignages démontant la mystification
nourrie par les héritiers de l’OAS sur cet épisode
tumultueux de l’Histoire, mais qui est, malheureusement, toujours relayée et amplifiée, dans l’Hexagone,
par des médias et des politiques populistes qui en
font un slogan de campagne pour finir par alimenter
la xénophobie et les idées néo-fascistes de l’extrême
droite. Chose qui, outre-mer, n’aidera pas assurément à s’ouvrir sur l’Algérie et à « assumer » ce lourd
héritage commun.
( 62 )
Adel Fathi
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Histoire
Ali Hammoutène
un intellectuel,
victime de l’OAS
Par Adel Fathi
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 63 )
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Guerre de libération
L
Histoire
e 15 mars 1962, à moins de quatre
jours de l’annonce du cessez-le-feu
qui devait mettre fin à une guerre
atroce qui dura sept ans et demi, un
attentat terroriste signé par un commando Delta de l’OAS (Organisation
de l’armée secrète), décidée à torpiller le projet d’indépendance de l’Algérie, visait un groupe de cadres
des Centres sociaux éducatifs d’Algérie, à Alger,
tuant six d’entre eux : trois Français et trois Algériens. Il s’agit de Marcel Basset, directeur du Centre
de formation de l’Éducation de Base à Tixeraine
(CSE d’Algérie), Robert Eymard, ancien instituteur
et chef du bureau d’études pédagogiques aux CSE,
Max Marchand (1911-1962), inspecteur d’académie,
chef de service aux CSE et ancien instituteur, le
célèbre écrivain Mouloud Feraoun, qui occupait le
poste de directeur adjoint au chef de service des
CSE, ancien instituteur, Salah Ould Aoudia, ancien
instituteur et inspecteur des centres de la région
Alger Est, et enfin Ali Hammoutène, inspecteur de
l’Education nationale, directeur adjoint aux CSE et
ancien instituteur.
Né en 1917 à Tizi Ouzou, en Kabylie, Ali Hammoutène était reconnu pour ses qualités de pédagogique et de dirigeant, qualités qui le prédestinaient
à former des éducateurs dans une Algérie une fois
indépendante, mais la main lâche des criminels de
l’OAS en a voulu autrement. A travers ce sextuple
assassinat qui visait des Européens et des Algériens,
les partisans de la politique de la « terre brûlée »
voulaient aussi tuer l’avenir.
Parallèlement à son engagement éducatif et culturel, aux côtés notamment de l’immense Moulouds
Feraoun, son compagnon de destin, Ali Hammoutène était aussi connu pour son activisme politique
au sein du mouvement national, et ce dès 1939, alors
qu’il était instituteur dans sa région natale, près de
Tizi-Ouzou. Il adhéra d’abord au PPA, puis, à sa
création en 1954, au Front de libération nationale.
Interpellé à plusieurs reprises par les autorités militaires françaises, il en sortait avec des mesures d’interdiction prise contre lui pour atteinte à la sûreté
de l’Etat français. N’en pouvant plus, il quitta TiziOuzou, pour s’installer avec sa famille à Alger, où
il croyait pouvoir échapper aux harcèlements des
autorités coloniales.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Cet engagement et ce sentiment de révulsion
grandissant envers l’occupation ne l’empêchèrent
guère de croire à la fraternité entre communautés
humaines, aux dialogues des cultures. Ce qui lui
vaudra d’ailleurs, à lui et à Mouloud Feraoun notamment, d’être taxés par certains esprits étriqués
d’«assimilationnistes », au motif qu’ils s’abreuvaient
de la philosophie et de la littérature françaises ou
de s’être liés d’amitiés avec des écrivains comme
Albert Camus.
En été 1956, c’est-à-dire en pleine guerre de Libération, il écrivit : « Sur cette terre algérienne où
se dresse toujours sanglante l’ombre hideuse du
colonialisme, reverrons-nous un jour la paix et la
fraternité ? » Les horizons étaient encore obscurs ;
et bientôt Alger, ville jusque-là épargnée, plongera
dans cette atmosphère lugubre de la guerre. Son assassin (le lieutenant Roger Degueldre pour qui une
stèle commémorative a été inauguré par les « Amis
de l’OAS », en 2010) ne lui a pas permis d’entrevoir
le nouveau destin qui se dessinait.
Alliant pensée politique, pédagogie et militantisme, Ali Hammoutène fait certainement partie
de cette race d’hommes qui auraient pu changer le
parcours de l’école algérienne, qu’il décrivait déjà
comme étant d’émancipation, de progrès et de
développement. Il a laissé ses réflexions, réunies
dans un livre posthume intitulé : Réflexions sur la
guerre d’Algérie paru en 1983 chez Publisud (France),
réédité par la SNED (Algérie), dans lequel l’auteur
consigne son témoignage précieux et lucide sur
les événements qui ont émaillé la guerre de Libération et donne son appréciation critique en tant
qu’homme de culture et d’action sur les différentes
projections politiques émanant des dirigeants de
la Révolution. Ce livre mérite d’être encore réédité
pour être porté à la connaissance des générations
actuelles qui ignorent, pour la plupart, cet inestimable legs intellectuel.
( 64 )
Adel Fathi
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Oudaï Zoulikha Yamina, née Echaïb
Une moudjahida
au tempérament
de feu
Détermination et colère sont décelables
dans ce regard de femme, au tempérament de feu, que le destin a propulsée un
jour sur les devants de la scène et dont la
trajectoire mérite d’être connue.
Par Leila Boukli
Femmes au maquis
Portrait
S
on histoire a inspiré Assia Djebar qui en a fait un livre La femme sans sépulture où elle
mêle fiction et réalité. Des universitaires notamment aux USA ont fait le déplacement jusqu’à Cherchell pour faire de ce symbole du refus du mépris de l’homme,
de son exploitation, de son avilissement, un objet d’étude. Cette femme a été très
tôt marquée par le mode de vie des familles indigènes, sans ressources, sans maris
parce qu’enrôlées de force par l’armée coloniale pour défendre un pays qui n’était
pas le leur. Les femmes n’avaient pas d’autre alternative qu’être la « Fatma » au service de colons
usurpateurs de terres, injustes et cruels, pour la plupart, pour nourrir leurs familles. Ce ne sera
pas le cas de La Zoulikha qui devient, fait unique dans l’ALN, responsable politico-militaire
de la ville de Cherchell. Elle succède au chahid Belkacem Alioui, ex-président de l’équipe de
football du Mouloudia de Cherchell. Fonction qu’elle assumera avec bravoure, comme en témoigne, ému aux larmes, son responsable Ahmed Ghebalou, médersien, responsable politique
de la région de Cherchell, fortement marqué par les capacités d’endurance, d’organisation et de
commandement de cette femme. Jusqu’au jour fatal où elle rejoint son époux, Si Larbi, et son
fils Habib, fidaï dans la région de Blida, tous deux exécutés par l’armée française sans jugement.
Martyrs du devoir, 17 proches de cette famille se sont sacrifiés pour que vive l’Algérie libre et
indépendante, libérée d’une tutelle imposée par les armes, s le sang et les larmes.
Qui est Zoulikha Yamina, née Echaïb ?
Elle est née un 7 mai 1911 à Hadjout d’une famille
aisée, père gros propriétaire terrien, conseiller municipal, président du comité de patronage d’Ecoles
d’indigènes. Il encourageait les Algériens à s’instruire. Elle grandit dans la ville de Cherchell,
épouse à 16 ans, Larbi Oudaï, maquignon de son
état avec qui elle fonde une famille. Elle a cinq enfants qu’elle impliquera plus tard dans la
Révolution, mais n’aura pas la chance de les voir
grandir. Ce sera sa fille aînée qui fera en son absence office de maman. Parlant un français châtié,
cette femme impressionne par sa détermination à
défendre ses convictions.
En 1954, lors du tremblement de terre d’El Asnam,
où elle rendra visite à sa fille, elle prend violemment
a parti les autorités qu’elle estime trop lentes à porter secours aux victimes algériennes, tout comme
elle n’hésite pas, en 1957, après l’exécution de son
époux, intendant au sein de l’ALN, capturé avec sur
lui la somme de 300.000 francs, à faire, accompagné d’un avocat, irruption au commissariat jusqu’au
bureau du tristement célèbre commissaire Coste,
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 66 )
Son père Eschaïb Brahim
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Femmes au maquis
Portrait
sous le commandement du non
moins célèbre lieutenant-colonel
Gérard Le Cointe, mort récemment en tant que général, dans
la gloire en France, la conscience
tranquille. Elle y lance des mots
qui auraient pu lui coûter la vie : «
Non contents d’avoir tué de sangfroid mon époux, vous lui avez
aussi volé l’argent de ses enfants.
» Curieusement, elle obtient gain
de cause et récupère la somme et
ses objets personnels. Cet argent,
fruit des cotisations, sera remis à
l’organisation sous la barbe de ce
commissaire, qui ne se remettra
jamais d’avoir été bernée par une
« Fatma ».
Elle a alors 46 ans, un âge où
les mères de famille de l’époque
s’occupent de leur foyer. Mais
La Zoulikha la révoltée est une
femme obstinée, ayant de l’expérience et du caractère et vouant
une passion effrénée à son
peuple. Elle engage la lutte et la
poursuit inlassablement dans les
maquis de Haïzer et dans Cherchell enclavée dans ses murailles,
gardée par une armée en alerte.
Elle sillonne les pistes pour faire
le relais avec l’Organisation installée dans des caches ou dans
des petites maisons en ville. Dans
le combat urbain, elle organise le
réseau de femmes et d’hommes,
mettant en place les moyens pour
faire acheminer la logistique aux
maquis. Les contacts se font par
des jeunes adolescentes de 12 à
14 ans, dont sa fille, encore en
vie. Les jeunes filles insoupçonnables vont de cache en cache,
avec des ânes et des poteries dans
lesquelles sont cachés nourriture,
habillement et armes.
Elle est félicitée par Abane
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Son fils Lahbib
Ramdane en personne, notamment pour l’infirmerie montée
par ses réseaux, qu’il considère
mieux équipée que celle de Tlemcen, référence à l’époque, et par
Boualem Benhamouda, ex-ministre et alors commissaire politique du secteur.
( 67 )
Début 1957, le réseau FLN de
Cherchell est découvert et les
membres arrêtés. La Zoulikha
s’enfuit et rejoint le maquis où
elle est volontaire pour activer
dans le secteur des Oudayne.
Elle mobilise la population et
organise les relais pour les com-
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Femmes au maquis
Portrait
Larbi Oudaï époux de Zoulikha dit Si Ahmed
battants en transmettant les orientations et informations dans Cherchell malgré le danger. On rapporte qu’elle garda jusqu’à sa mort un mouchoir
trempé par elle du sang encore chaud de deux moudjahidine, Abdelrrahmane Youcef Khodja et Ali
Alliche, âgés de 26 ans, alors qu’ils passaient par un
poste relais et auxquels elle avait servi le café deux
minutes avant. Elle fuit et verra ses enfants pour
la derrière fois. Elle dira à son fils Habib, porté
disparu et revenu blessé d’Indochine en 1955, qui,
devant se marier avec sa cousine, avait acheté pour
l’occasion une chambre à coucher : « Monte au maquis, tu te marieras à l’indépendance. » Comme ci
celle-ci était pour le lendemain.
Le sort veut qu’elle soit prise lors d’un ratissage
sans précédent, un 15 octobre 1957. Allioui est
tué sur-le-coup, Brahim Oudaï, un parent, s’enfuit
blessé, il sera égorgé plus tard par les militaires ; La
Zoulikha est faite prisonnière.
Les Français jubilent, montent une véritable mise
en scène, ramènent de force les populations des
alentours afin qu’ils voient leur héroïne, attachée à
un blindé, humiliée.
Il n’en est rien. La Zoulikha la tête haute, harangue, d’une voix ferme, la foule : « Mes frères,
soyez témoins de la faiblesse de l’armée coloniale
qui lance ses soldats armés jusqu’aux dents contre
une femme. Ne vous rendez pas. Continuez votre
combat jusqu’au jour où flottera notre drapeau national, sur tous les frontons de nos villes et villages.
Montez au maquis ! Libérez le pays ! »
Le capitaine tente de la faire taire. Méprisante, elle
crache au visage de ses tortionnaires. Elle sera torturée 10 jours durant, sans jamais donner un nom
et exécutée le 25 octobre 1957. Son corps sera retrouvé en 1984 après le témoignage d’un paysan qui
dit avoir trouvé le corps d’une femme sur une route
et l’avoir enterré à Marceau. Il les guide jusqu’à une
tombe. Elle avait toujours ses menottes aux mains.
Elle est enterrée aujourd’hui au cimetière des chouhada de Menaceur.
Si les parents Oudaï et leur aîné furent un exemple
d’engagement patriotique, leur petit dernier est un
exemple de loyauté envers l’Etat algérien indépendant, libre et souverain.
Général à la retraite, cadet sorti de l’école de Koléa, puis de l’école d’officiers de Saint-Cyr Coëtqui-
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dan, il se consacrera corps et âme, au péril de sa
vie, à la lutte contre un autre danger qui menaçait
l’Algérie, les hordes terroristes. Legs probable de
cette mère à son fils, souvenir du mouchoir imbibé
du sang encore chaud des chouhada gardé jalousement par cette héroïne que fut La Zoulikha, afin
que nul n’oublie les sacrifices consentis pour que
vive l’Algérie souveraine et libre.
( 68 )
Leila Boukli
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Femmes au maquis
Portrait
Fatma et Messaouda Bedj
Hommage aux
sœurs martyres
Elles ont offert leur vie en sacrifice pour que vive l’Algérie libre et indépendante. Pourtant à Chlef, leur ville natale, elles semblent presque
méconnues. En cette veille du 8 mars, hommage aux sœurs Bedj.
Par Hassina Amrouni
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 69 )
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Femmes au maquis
Portrait
Messaouda Bedj
L
Fatma Bedj
’une s’appelait Messaouda et l’autre
Fatma. Originaires de Laghouat, elles
ont néanmoins vécu à Chlef. L’aînée,
Messaouda, dite Meriem y a vu le jour
le 7 mai 1933. Grande de taille, forte
de caractère, Messaouda a, entre autres,
étudié au Collège de jeunes filles de Blida puis à Verdun
(actuelle clinique Aïssat-Idir). A la même époque, c’està-dire en 1954, elle rejoint le mouvement des Scouts
musulmans algériens (SMA), dirigés par M. Tedjini et
présidés par M. Lachraf. Un jour, elle reçoit un blâme
et manque d’être renvoyée de la Clinique Verdun pour
s’être présentée en cours en tenue de scout. C’est sans
doute pour cela que tous ses camarades l’appelaient el
lobba (la lionne) sans doute à cause de son caractère autoritaire et bien trempé.
En 1956, alors qu’elle est étudiante à la faculté d’Alger,
Messaouda ainsi que ses camarades répondent favorablement à l’appel lancé par le FLN, lors de la grève des
étudiants. La jeune fille, qui n’a que 23 ans, n’hésite pas
abandonner ses études l’année où elle devait recevoir
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
son diplôme de sage-femme et à quitter le confort familial pour rejoindre le maquis pour prendre part à la
révolution.
Ralliant les rangs de l’Armée de libération nationale,
Messaouda ainsi que d’autres étudiants traversent les
Monts du Blida et le Zaccar pour se fixer dans le « Dahra », dans le djebel Bissa à l’automne 1956. Messaouda
trouve très vite sa place au sein du service de santé organisé dans la région par le Dr Harmouche dit Si Saïd,
aidé par le jeune Si Hassan qui deviendra colonel de
l’ALN. Messaouda, principale animatrice de ce service,
s’acquitte de sa tâche avec beaucoup d’abnégation et de
courage. Toutefois, pour des raisons de sécurité, elle
quittera son poste pour rejoindre les monts de l’Ouarsenis, traversant ainsi toute la Vallée du Chélif. C’est là
qu’elle tombe en martyre en 1958, devenant ainsi la première femme de la région à tomber au champ d’honneur. Messaouda avait été activement recherchée à la
suite d’une condamnation à mort émise par le tribunal
colonial et sa photo avait même été publiée dans un
journal français.
( 70 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Femmes au maquis
Portrait
Les sœurs Bedj au maquis
Fatima, dite Lalia, sa cadette de deux ans, est née le 6
octobre 1935. Elle est tout le contraire de sa sœur, petite, menue, elle est douce, sensible mais tout comme sa
sœur, elle est très cultivée. Fatima a une forte personnalité et une volonté à toute épreuve. Militante dès son
jeune âge, elle décide de rejoindre les rangs de l’ALN
le 8 mai 1957, à l’âge de 22 ans. Ses parents, tout aussi
acquis à la cause révolutionnaire, n’hésitent pas à donner leur bénédiction à leur fille, tout en sachant ce que
cela impliquait comme risques et sacrifices mais l’appel
de l’Algérie était plus fort et plus important.
La jeune fille est très estimée par les djounoud qu’elle
assiste au quotidien. Par ailleurs, son diplôme de secouriste lui sera d’une grande utilité puisqu’elle soignera les blessés au front ainsi que les populations des
douars dont elle sera partie intégrante.
En 1958, alors que sa sœur aînée venait de mourir en
martyre, elle n’en saura rien. Du moins pas au moment
des faits, elle apprendra la nouvelle plus tard et aura
cette réponse courageuse : « C’est le chemin que nous
avons choisi. » Fatima passera trois années au maquis,
elle tombera au champ d’honneur en 1960.
Messaouda Bedj et Youcef Khatib, futur colonel de la wilaya IV
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 71 )
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Femmes au maquis
Portrait
Exhumation du corps de Fatma qui gisait dans la même tombe que la sœur Malki Naciba dite «Chafika »
Au lendemain de l’indépendance, les dépouilles des
deux sœurs Bedj seront ramenées du djebel et enterrées
au cimetière des chouhada de Chlef.
Combattantes courageuses, martyres de la première
heure, les deux sœurs Bedj ont malheureusement été
oubliées dans leur ville natale. En effet, l’unique structure – une école primaire – baptisée à leur nom à Chlef
a été détruite lors du séisme de 1980. Depuis plus rien.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Il revient, aujourd’hui, aux autorités locales de faire
connaître le combat de ces deux sœurs, mortes pour la
patrie et, pourquoi pas, donner leur nom à une structure locale pour que tous les Chélifiens se souviennent
que l’indépendance de l’Algérie a été arrachée grâce au
sacrifice consenti par plus d’un million de martyrs, parmi lesquels les deux sœurs Bedj.
( 72 )
Hassina Amrouni
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Femmes au maquis
Portrait
Meriem et Fadéla Saâdane
Mortes sur l’autel
de la liberté
Le courage et l’abnégation dont a fait preuve la femme algérienne durant la guerre de libération nationale et son engagement au combat en
première ligne ont fait d’elle un exemple qui honore toutes les femmes
algériennes, notamment celles de la génération post- indépendance, qui
voient là, la référence à suivre.
Par Hassina Amrouni
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 73 )
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Femmes au maquis
Portrait
L
a mémoire de toutes les femmes qui
ont donné leur vie pour l’idéal patriotique est célébrée à chaque occasion, mais certaines martyres restent
moins connues, à l’image de Fadila et
Meriem Saâdane, deux sœurs mortes
sur l’autel de la liberté. Petite halte commémorative
sur le destin hors du commun de deux jeunes Algériennes au parcours emblématique et au courage hors
du commun.
Fadila, symbole de courage
Fadila Saâdane a vu le jour le 10 avril 1938 à Ksar
El Boukhari dans la wilaya de Médéa, d’un père
instituteur. A la mort de ce dernier à Saint-Arnaud
(aujourd’hui El Eulma), la famille retourne vivre provisoirement à El Harrouch, avant de s’établir définitivement à Constantine où elle vit dans le quartier
arabe, à la rue Abdallah Bey. C’est au sein de son entourage familial que Fadila est initiée au militantisme,
notamment favorisé par son lien avec son oncle, le
docteur Saâdane, leader du mouvement national.
Brillante élève, elle intègre le Collège de jeunes filles
de la ville où elle assoit ses connaissances mais aussi
ses idées partisanes au contact d’autres lycéennes, ce
qui la conduit à rejoindre, dès l’âge de 16 ans, l’Association de la Jeunesse estudiantine musulmane de
Constantine, branche du Parti du peuple algérien
(PPA). Brillante et courageuse, Fadila finit par être
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
désignée membre du bureau de cette association qui
comptait plus de 230 adhérents parmi lesquels Halima Maïza et Belaïd Abdesselam. Cette association
qui avait pour objectif de maintenir un fil conducteur
entre les étudiants musulmans de la ville de Constantine et de prolonger l’œuvre scolaire par l’organisation de loisirs culturels (création d’un journal estudiantin, une bibliothèque, organiser des cours…) a
été invitée par l’association artistique El Mezhar El
Qssentini, dirigée par l’homme de lettres et membre
de l’association des Oulémas, Ahmed-Réda Houhou
à travailler de concert pour un but commun : celui
de défendre la personnalité algérienne opprimée et
d’œuvrer à une prise de conscience effective.
Fadila Saâdane sera, dès lors, sur tous les fronts,
consciente de l’importance du rôle qu’elle est en train
de jouer pour se libérer des chaînes de l’oppression.
Son engagement sans faille pour la justice et le droit
de ses concitoyens l’amène, notamment, à lancer plusieurs mouvements de grève pour obliger les autorités coloniales à plus de respect de la confession
musulmane surtout en ce qui concerne la nourriture.
En effet, le personnel français de son collège servait volontairement de la viande de porc aux élèves
musulmanes, ce qui pousse Fadila et ses amies à se
révolter pour exiger plus de respect.
Et lorsque l’UGEMA lance son appel à la grève illimitée le 19 mai 1956, suivie par l’association des lycéens, l’AJEMA, Fadila Saâdane n’hésite pas à abandonner ses études, ratant la deuxième partie de son
( 74 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Femmes au maquis
Portrait
Des moudjahidate maniant des armes
examen du baccalauréat pour rejoindre le mouvement de contestation, en réponse à l’appel lancé aux
étudiants pour rallier les rangs du
FLN et de l’ALN. Fadila Saâdane
ainsi que Anissa Ghamri, enseignante et Zohra Gherib, lycéenne
seront les premières à rallier une
cellule du Front de libération nationale. Elles avaient pour mission
de soutenir les actions entreprises
par les fidayïnes, d’acheminer le
ravitaillement, les médicaments
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
et autres produits nécessaires aux
moudjahidine dans les maquis du
djebel Ouahch. Elles avaient aussi
pour tâche de rédiger les rapports,
tracts et autres.
Très active, Fadila finit par attirer
l’attention sur elle. Repérée, elle
est arrêtée en compagnie du docteur Amor Bendali. Elle est incarcérée à la prison du Coudiat vers
la fin novembre 1956. Une année
durant, la jeune femme subit, du
fond de sa cellule, les pires humi-
( 75 )
liations et assiste à tous les sévices
infligés à d’autres prisonnières.
A sa libération, vers la fin de l’année 1957, elle reprend ses études
et, dès l’obtention de la deuxième
partie de son baccalauréat, part
en 1958 à Clermont-Ferrand en
France.
Alors qu’elle poursuit ses études
en France, sa jeune sœur Meriem
rejoint, elle aussi, les rangs du
FLN. Arrêtée et torturée à mort,
son corps mutilé sera jeté le 22
juin 1958, avec ceux de 52 autres
militants constantinois dont Tewfik Khaznadar dans une grotte de
Djebel Boughareb. Très éprouvée
par la perte de sa jeune sœur, Fadila décide, dès son retour en Algérie, de rejoindre un commando
de fédayïne, puis finira par être
désignée membre de la logistique
de l’OPA, en compagnie de Malika
Bencheikh El Hocine, une autre
fidaïa. Avec cette dernière, elle est
affectée à la nahia 2, dirigée par
Saïd Rouag dit Si Amar.
Les deux jeunes femmes, qui sont
des agents de liaisons très actives,
sont chargées de constituer les
cellules féminines, selon les directives du colonel Salah Boubnider
et de Messaoud Boudjeriou. Et du
fait de son niveau universitaire,
Fadila sera l’une des rares femmes
à prendre part aux réunions des
chefs de zone de la Wilaya II, dirigées provisoirement par Salah
Boubnider dit « Sawt El Arab ».
Sur le chemin de ces réunions, il
lui arrivait de livrer bataille lors
d’accrochages avec l’armée française, aux côtés de ses frères moudjahidine.
Dans la nuit du 26 au 27 avril 1960
(le 17 août selon, d’autres sources),
alors qu’elle se trouvait dans une
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Femmes au maquis
Portrait
Femmes moudjahidate
maison sise rue Vieux, Fadila et ses trois compagnons
Amar Rouag, Amar Kikaya et Malika Bencheikh-ElHocine seront repérés par l’armée coloniale. Encerclés, ils se livrent à des échange de tirs. Ne voulant
pas être prise vivante, Fadila monte la première sur le
toit, continuant à affronter les soldats français. C’est
là qu’elle tombera sous leurs balles assassines. Elle
avait 22 ans. Malika sera la seule rescapée du groupe.
Au lendemain de l’indépendance, le nom de cette
vaillante martyre a été donné à plusieurs établissements scolaires et cités notamment à Constantine,
par ailleurs, un ouvrage, paru en 1976 et intitulé Souvenirs de Fadila Saâdane lui a été consacré par Anissa
Zemmouchi.
sœur Fadila, elle est initiée au militantisme au sein de
son entourage familial. Devenue infirmière en 1951,
elle rejoint, dès le déclenchement de la guerre de libération, les cellules secrètes de la ville de Constantine.
Soignant les moudjahidine blessés et se chargeant de
leur approvisionnement, elle est arrêtée en janvier
1958. Relâchée, elle est à nouveau arrêtée en mai 1958
et conduite au Centre de renseignement et d’action de
la cité Ameziane. Là-bas, elle subit les pires sévices et
est torturée jusqu’à la mort. Le 22 juin 1958, les soldats français se débarrassent de son corps atrocement
mutilé et de ceux de 52 autres militants constantinois
parmi lesquels Tewfik Khaznadar qu’ils jettent dans
la grotte de Djebel Boughareb. Mériem avait tout
juste 26 ans. L’Algérie indépendante honorera sa mémoire à travers la sortie d’une promotion de femmes
Mériem Saâdane, le même idéal que policières baptisées Mériem Saâdane de l’Ecole de
Fadila
police de Aïn Bénian ou encore en donnant son nom
Née à Mérouana (Batna) en juillet 1932, Mériem ob- à des édifices constantinois.
Hassina Amrouni
tient le brevet d’enseignement moyen. Tout comme sa
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 76 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Femmes au maquis
Portrait
Elle était infirmière au sein du célèbre commando Ali Khodja
« Baya El Kahla »,
l’ange blanc au treillis
« Baya El Kahla », de son
vrai nom Toumya Laribi, est le
symbole vivant de l’abnégation et
du sacrifice pour l’émancipation
du pays. Cette patriote est née à
Alger en 1936, dans une famille
aisée, si on la compare à celle de la
majorité des Algériens des années
1930 et 1940 : son père travaillait
au GG, elle a été à l’école et
habitait dans une petite villa.
Mais elle a abandonné le confort
matériel pour se mettre au service
de la révolution. Infirmière de
son état, elle a sillonné les maquis qu’elle a rejoints à la fleur de l’âge
et contribué à la libération de son pays, en prodiguant les soins aux
moudjahidine du célèbre commando Ali Khodja dont elle a fait partie,
et aux populations civiles, lesquelles étaient privées de tout. Arrêtée avec
un groupe d’infirmières alors qu’elle était en route pour la frontière
tunisienne, « Baya El Kahla » a subi les pires humiliations physiques et
morales, dans les locaux de la DST qui tentait de la retourner, en vain.
Par Djamel Belbey
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 77 )
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Femmes au maquis
Portrait
Des membres du commando Ali Khodja
Le sentiment de révolte
aux musulmans. Ce ressentiment à l’égard de l’autoSon père, M. Laribi, originaire de Biskra, est plan- rité lui a souvent valu de mauvais résultats scolaires.
ton au Gouvernement général (GG). Venu à Alger à Et c’est grâce à une institutrice, une progressiste qui
l’âge de 14 ans, il se marie à Alger avec une Boumé- venait de France qu’elle obtient de bons résultats.
zrag. Le couple engendre 9 enfants, dont Toumya qui
est née à la rue de la Marine et a grandi à Fontaine Le départ au maquis
Fraîche (Fort l’Empereur) où elle habite dans une peEn 1955, c’est à l’école d’infirmières qu’elle est aptite villa. Après la troisième et le niveau du brevet, et prochée par les « frères » du réseau d’Alger. Elle comavec une dérogation en raison de son jeune âge, elle mence par subtiliser des médicaments, puis passe à la
présente le concours d’accès à l’école d’infirmières de distribution des tracts et enfin au transport d’armes et
la Croix-Rouge au début des années 1950. Un beau de munitions. Il lui reste peu de souvenirs des responmétier qu’elle a voulu exercer depuis son enfance, et sables de l’organisation, hormis le jeune Dziri, un nequ’elle aime toujours. A 16 ans, Toumya est de plus veu de Ali Khodja, son voisin – puisqu’il était de Ben
en plus révulsée du comportement raciste de certaines Aknoun et elle de Fontaine Fraîche – et des réunions
enseignantes à l’égard des élèves « indigènes ». Des- qui avaient lieu du côté de Djamaâ Ketchaoua dans la
cendante de personnalités historiques, notamment à Basse Casbah. Quelques mois après l’arrestation d’un
Boumezrag par sa mère, son grand-père paternel est patriote de sa cellule, Toumya reçoit l’ordre de partir
mort en déportation au bagne en Guyane, et son oncle et de rejoindre le maquis et elle est acheminée vers le
Mohamed Khider, militant nationaliste de la première djebel, jusqu’à Tamerkenit, dans la région de Palestro
heure, a fait naître chez elle, un profond sentiment de (Lakhdaria). Depuis, elle est recherchée.
Contactée par la sœur d’Ali Khodja et son neveu,
fierté, doublé d’une aversion à l’ordre qui était imposé
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 78 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Femmes au maquis
Portrait
Une infirmière au maquis soignant les djounoud
au fait que je sois une femme. Je
garde du maquis un impérissable
souvenir empreint de camaraderie,
d’amitié, de fraternité et de patriotisme », a-t-elle témoigné.
Arrestation et tortures
son acheminement vers le djebel
se fait dans un véhicule bâché, au
milieu de cageots d’oignons, de
pommes de terre et de légumes
divers. Au fond, il y a des armes et
des munitions. L’épouse de Dziri et
elle-même sont assises sur un arsenal et ce jusqu’à Tamerkenit, dans
la région de Palestro (Lakhdaria).
Arrivée au maquis, elle reçoit son
nom de guerre : Baya El Kahla. À
moins de 20 ans, elle est affectée
au célèbre commando Ali Khodja,
en zone 1, région 1, secteur 1, de la
Wilaya IV. Baya est impressionnée
par ces combattants en battle-dress
impeccables, et bien armés. Ils sont
une soixantaine environ. Après les
formalités d’usage, elle se voit remettre un treillis neuf, un chapeau
de brousse et une arme. Avec son
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
groupe, elle s’occupe aussi des populations civiles, tout spécialement
de la vaccination des enfants et des
villageois, qui n’ont jamais vu un
médecin. Toujours avec ses sœurs
et ses frères de combat, elle se déplace avec les unités combattantes
pour porter une assistance immédiate et rapide. L’intégration est facile, totale. « Mes compagnons ont
eu un comportement exemplaire
envers moi et envers toutes celles
qui nous ont rejoints après. Je parle
de la wilaya où j’étais et de la zone 1,
où j’avais été affectée. Les relations
avec nos frères de combat étaient
pures. Nous étions respectées,
protégées. Je n’ai jamais relevé un
abus quelconque d’autorité. Aussi
loin que je puisse me rappeler, je
n’ai jamais eu le moindre conflit lié
( 79 )
Cependant, avec le plan Challe
et les opérations de grande envergure, déclenchées après l’arrivée au
pouvoir du général de Gaulle, le
maquis se durcit considérablement.
La région est sans cesse harcelée
par l’artillerie et bombardée par
l’aviation française. C’est ainsi que
Baya El Kahla et les infirmières
au nombre de deux, sur décision
du commandement de l’ALN, notamment du colonel Si M’Hamed
Bouguerra, sont envoyées vers la
frontière tunisienne avec des blessés et sans armes. Il faut dire qu’ils
avaient très peu de chance d’y parvenir.
Devant franchir un barrage électrifié, Baya est capturé avec tout
le groupe d’infirmières et de blessés au lieu dit Meskiana. Vers 16
heures, l’alerte est donnée. Toute
résistance est impossible et d’ailleurs avec quoi résister, ils n’avaient
pas d’armes. L’armée a commis un
massacre sur 13 moudjahidine qui
se sont rendus. Alignés face contre
terre, les militaires français ont
passé le half-track sur leur corps...
Ecrasés vivants sous les yeux des
survivants... Puis ils se sont occupés des femmes, à coups de poing,
de pied, de crosse. « Où sont les infirmières, elles sont sept ! Où sontelles passées ? », vocifèrent-ils. Ils
avaient trouvé un ordre de mission
qui faisait état de sept infirmières
accompagnatrices de blessés. Heureusement, elles n’étaient que trois.
Depuis Meskiana, Baya tran-
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Femmes au maquis
Portrait
L’épouse du Général Jacques Massu
site par toutes les prisons de l’Est, et dans chacune
d’elles, elle subit les mêmes interrogatoires avec les
mêmes méthodes. A Annaba, un jour, les militaires
lui donnent du linge propre et la conduisent dans une
belle villa. Dans un salon luxueux, Mmes Massu et
Bigeard l’attendent. Un magnétophone à bandes était
discrètement dissimulé sous la table, elle l’avait aperçu
(les « frères » lui avaient déjà dit de se méfier des déclarations enregistrées qui pouvaient se retourner contre
la cause).
C’est Mme Massu qui parle la première.
– Pourquoi êtes-vous montée au maquis ? Vous ne
manquiez de rien. Votre père travaillait au GG. Vous
avez été à l’école. Qu’est-ce que vous vouliez de plus ?
– Avez-vous accepté les Allemands ? Je cherche mon
identité. On me l’a enlevée. Je n’en ai plus, répond
Baya.
– Pourquoi ne prenez-vous pas exemple sur Mlle Sid
Kara ?
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
– Mlle Sid Kara a choisi son camp et moi le mien,
réplique Baya.
– Peut-être avez-vous été embobinée ?
– Pas du tout, je suis convaincue de l’indépendance
de l’Algérie. Et s’il ne reste qu’un seul Algérien sur
cette terre, il viendra le jour où il sera indépendant,
continue Baya. Voyant que le retournement de Baya
est impossible, le reste de l’entrevue devient banal.
En 1958, elle est transférée sur Alger et remise au
capitaine Sirvan de la Défense et sécurité du territoire (DST). Ils voulaient avoir des renseignements
militaires sur les endroits où se trouvaient les casemates, les types d’armement, les quantités d’armes et
de munitions, la logistique, la nourriture, l’origine des
approvisionnements, les points d’eau, les régions des
bases de repli etc. Avec flegme, Baya leur parle des
vaccinations, de sa mission d’infirmière, tout en leur
déclarant qu’elle n’a pas, en sa qualité d’infirmière,
accès aux informations militaires. Ce qui est vrai. Jour
et nuit, elle est torturée cruellement, les insultes et
obscénités telles que « «Sale arabe, sale négresse», n’en
finissaient pas.
Après avoir subi dans les locaux de la DST les
pires humiliations physiques et morales que puisse
connaître un être humain, Baya est emmenée chez
elle et assignée à résidence. Tous les jours, elle devait
passer à la gendarmerie pour signer.
Durant son assignation à résidence, elle se remet au
scoutisme qu’elle pratiquait avant la guerre. Un jour
se présente l’occasion d’un départ vers la France. Son
grand frère l’a inscrite et c’est comme ça qu’elle se
retrouve du côté de Toulouse. Elle informe Hamida,
sa cheftaine du groupe, de son intention de leur fausser compagnie. Elle se rend chez les bonnes sœurs
à Gay-Lussac à Paris. Certaines d’entre elles étaient
ses anciennes profs à l’école de la Croix-Rouge d’Alger. Elle informe la mère supérieure de ses activités
et qu’elle est recherchée. Elles l’aident à décrocher un
emploi et la Fédération de France du FLN, dont son
frère lui avait donné les contacts, lui fournit de faux
papiers. Elle est ainsi passée en Allemagne sous l’identité d’une Martiniquaise, puis à Tunis où l’Organisation l’accueille de nouveau...
Quelque temps après l’indépendance, Toumya s’installe comme sage-femme à Boufarik où, pratiquant les
accouchements, elle met au monde beaucoup d’êtres.
( 80 )
Djamel Belbey
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Femmes au maquis
Portrait
Ces moudjahidate
d’Alger
Par Boualem Touarigt
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 81 )
www.memoria.dz
Femmes au maquis
L
Portrait
es femmes algériennes ont joué un rôle
important dans la lutte pour l’indépendance nationale. Elles ont pris toute
leur place dans la Révolution. On peut
même dire que celle-ci a été très souvent un formidable accélérateur de la
transformation sociale et culturelle. La femme algérienne, dans bien des cas a fait un grand bond occupant une place nouvelle dans la société. La guerre de
libération a bousculé dans bien des cas la place traditionnelle jusque-là occupée par la femme algérienne.
C’est par la Révolution, dans ses aspects aussi bien militaires que politiques que la femme algérienne a fait
irruption dans la sphère publique, dans le monde politique. En s’engageant dans la lutte pour la libération
de leur pays, les femmes algériennes ont grandement
contribué à se libérer elles-mêmes des pesanteurs millénaires de la société et de ses archaïsmes. Elles ont
ainsi contribué à faire de grands pas, d’une manière
inégale selon les lieux et les circonstances à la société
algérienne.
Jusqu’alors confinées dans la vie familiale et exclues
de la vie publique, les femmes algériennes sont très
vite intervenues dans les espaces alors disponibles
pour elles. Dans leur grande majorité, elles ont été
moussebilate, s’occupant à la place des hommes de
tâches dont elles surent s’acquitter : héberger, cacher,
soigner, nourrir, renseigner et aussi assurer les liaisons
et transporter armes et médicaments. Rares ont été
celles qui ont combattu les armes à la main.
Celles qui furent combattantes à Alger ont marqué
leur combat. D’abord beaucoup d’entre elles, instruites, issues de familles aisées et de l’élite culturelle
et sociale ont bousculé les clivages qui marquaient la
société : elles sont allées vers leurs compatriotes des
campagnes où elles n’ont pas été toujours facilement
comprises et acceptées au début. Celles qui ont rejoint
les réseaux urbains du FLN ont créé un brassage
exceptionnel entre jeunes filles d’origine sociale différentes. Certaines ont été comprises, grâce à beaucoup d’efforts, par les familles et qui ont soutenu
leurs filles. Beaucoup de militantes ont vécu dans des
milieux d’hommes où elles ont été consultées et associées à la décision. Leur présence fut très vite acceptée
par tous et même banalisée. Tout ne fut pas toujours
très facile. Bien des combattants courageux, mis devant des situations nouvelles, réagirent différemment
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
marqués par les pesanteurs de leurs milieux. Certains
par contre purent se départir de leurs ressentiments
et accepter l’égalité entre des personnes de sexe différent, comme étant ordinaire. Le commandement des
réseaux urbains nous montre que des combattantes
participèrent pleinement, d’une manière tout à fait
ordinaire et acceptée par tous, à la direction effective
de la lutte.
Le mouvement national a très tôt pensé à organiser la participation des femmes à la lutte, mais celleci fut extrêmement réduite. Avant la Révolution, leur
participation fut extrêmement limitée. C’est la guerre
de libération nationale qui allait créer des situations
nouvelles.
Fatima Zekkal Benosmane
Elle fut la première dans bien des domaines. Elle a
été à la création de l’Association des femmes musulmanes algériennes (AFMA) organisation féminine
du PPA avec Mamia Chentouf et Néfissa Hamoud.
Elle était issue d’une famille modeste d’un quartier
populaire d’Alger qui compta plusieurs militants du
mouvement national. Très jeune, elle eut une activité
( 82 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Femmes au maquis
Portrait
débordante dans le mouvement
associatif féminin, organisant des
manifestations culturelles, des
concerts, des représentations théâtrales et des réunions nationalistes.
En 1948, elle se marie avec un militant du PPA et s’installe à Tlemcen. Elle y anime une cellule féminine de l’AFMA. Elle rencontre
des jeunes filles instruites qui se
donnent à fond dans des activités
culturelles qui attirent beaucoup
de jeunes filles.
En 1954, elle est engagée à Alger
comme speakerine à la radio télévision. Elle fut une pionnière.
Après le déclenchement de la
Révolution, elle est en contact
avec Abane Ramdane et les autres
membres du CCE. Elle s’occupe
des hébergements, des contacts.
Elle est arrêtée après la grève des
huit jours. Elle connaît la torture à
la villa Sésini. Avant d’être présentée au parquet, elle passe par la villa Mireille qui sert à rendre les prisonnières un peu plus présentables,
puis au camp de Béni Messous.
Elle est libérée après trois années.
Elle reprend aussitôt ses activités.
Fatima Zekkal Benosmane est décédée en 1990.
Messous puis celui de Tefeschoun
où elle reste jusqu’en mai 1960, au
milieu de 200 moudjahidate emprisonnées. Elle y croise notamment
Néfissa Hamoud. Elle y connaît
une expérience particulière de
solidarité et d’entraide. Les plus
instruites donnent des cours de
français et d’arabe, d’autres y apprennent à coudre et à tricoter.
Après sa libération, Fatma Baichi
cesse toute activité politique. Elle
se marie en 1961 et vit depuis retirée.
Goucem Madani
elle cache des armes et héberge
des combattants en fuite. Dénoncée, elle est arrêtée en septembre
1957. Elle est affreusement torturée, d’abord dans une villa à Saint
Raphaël à El Biar, à l’école Sarrouy
et au camp de Ben Aknoun. Elle
est emprisonnée à Barberousse
puis à El Harrach. A son procès, en
l’absence de preuves, elle écope de
cinq ans avec sursis. Elle connaît
tout de même les camps de Béni
Née en 1918, Goucem Madani est
une musicienne d’Alger. Elle est la
sœur de la grande chanteuse Fadhila Dziria. Elle était alors relativement âgée par rapport aux autres
moudjahidate. Elle s’engagea dans
la lutte en transportant des armes
en compagnie de Fatma Zohra
Achour (surnommée Aouïcha) et
qui faisait aussi partie de l’orchestre
féminin de Fadhila Dziria.
Fadhila Dziria est debout à droite. Goucem Madani est assise
à gauche, tenant le tambourin
Fatma Baïchi
D’origine modeste, elle est née
à la Casbah en 1931. Orpheline de
père, elle fait des travaux de couture
à la maison pour aider sa famille.
Enfant, elle a baigné dans l’atmosphère nationaliste de la Casbah. Au
déclenchement de la Révolution,
elle s’occupe de contacts, de distribution de tracts et de ramassage
des cotisations. Dans leur petite
pièce de Saint-Eugène qu’elle partage avec sa mère et ses trois frères,
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 83 )
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Femmes au maquis
Portrait
Fatma Zohra Achour, dite Aouïcha
Goucem Madani est arrêtée le 11 août 1957. Torturée, elle n’avoue rien. Elle joue parfaitement son rôle
et on dit d’elle le jour du procès : « C’est un personne
âgée et trop bête. » Elle s’en tire avec deux années
qu’elle passe à Serkadji puis à El Harrach. Après avoir
purgé sa peine, elle est jetée dans un camp.
Nassima Hablal
Elle est l’une des premières
militantes du mouvement national. Elle était déjà dans les
premières cellules de l’AFMA
(organisation féminine du PPA)
avec Mamia Chentouf, Sidi
Moussa et Fatima Zekkal. Elles
ramassaient des cotisations auprès des familles aisées, distribuaient la presse du PPA et organisaient des activités culturelles
patriotiques.
Au tout début de la Révolution, elle était en contact avec
des Algériens d’origine européenne dont des chrétiens de
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
gauche avec lesquels elle fait un grand travail social
en direction des populations algériennes des quartiers
défavorisés.
Elle est en contact avec Abane Ramdane quand celui-ci arrive à Alger et s’installe à proximité du Jardin
d’essai. Elle s’occupe au début de travaux de propagande. Elle saisit les tracts qu’elle tapait au début chez
elle et qu’elle tire chez les Européens qui soutiennent
le FLN, notamment dans des locaux du presbytère et
chez les pères blancs à côté de Sidi Abderrahmane.
Elle assure le secrétariat du CCE après le congrès de
la Soummam.
Elle est arrêtée une première fois en avril 1955 sans
que l’on trouve des éléments à charge, en raison de
son adresse qui a été retrouvée sur Amara Rachid
lors de son arrestation. Libérée, elle est permanente
à l’UGTA où elle assure la frappe du journal El Moudjahid qui était volumineux ainsi que celle de l’organe
syndical, L’ouvrier algérien.
Elle est arrêtée le 21 février 1957. Elle fait alors la
tournée des centres de tortures : la caserne d’Hussein Dey, El Biar, villa Sésini, Serkadji, El Harrach.
A son procès, elle est condamnée à cinq ans. Après
El Harrach, elle est transférée en France où elle fait la
Roquette, puis les prisons de Rennes et de Pau. Dans
ce dernier établissement, elle bénéficie avec Nelly
Forget de quelques mesures
d’assouplissement après interventions de Germaine Tillion.
Elle obtient l’autorisaation de
se rendre à Paris où elle arrive
à contacter Abderrahmane
Farès qui l’aide à se rendre en
Tunisie en l’accompagnant luimême dans sa voiture jusqu’en
Suisse. A Tunis, elle insiste auprès de M’hamed Yazid pour
être envoyée à Rocher Noir
(Boumerdès) où l’exécutif
provisoire venait de s’installer.
Boualem Touarigt
( 84 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Manifestations du 27 février 1962 à Ouargla
Un désaveu à la politique
colonialiste de séparation
de l’Algérie du Sahara
Par Djamel Belbey
Guerre de libération
Histoire
La manifestation de Ouargla
D
e grandioses manifestations populaires ont été organisées à l’appel du FLN, à travers les oasis de
Ouargla, le 27 février 1962, pour
exprimer le refus catégorique des
habitants du Sahara de tous les
desseins du colonisateur français visant la séparation du Sahara du territoire national, afin d’accaparer
les richesses énergétiques et les ressources fossiles
du pays, et dans le même temps l’attachement à leur
unité autour de la direction du FLN et de l’Armée
de libération. Ces manifestations resteront une page
glorieuse dans l’histoire du peuple algérien et de sa
lutte pour l’indépendance, l’unité nationale et l’intégrité de son territoire Le choix synchronisé de la
programmation de ces manifestations, le 27 février
1962 à Ouargla, à la veille de la dernière étape des
négociations des accords d’Evian, reflète la clair-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
voyance politique des responsables de l’armée de
libération nationale (ALN) et leur capacité dans la
mise en place d’une stratégie intelligente de mobilisation de l’opinion nationale et internationale, pour
déjouer les subterfuges du colonisateur visant à dissocier le Sahara algérien de l’ensemble du territoire
national, ont témoigné des citoyens et moudjahidine.
Des manifestations minutieusement
planifiées
Selon certains témoignages, le choix de la date de ces
grandes manifestations a été minutieusement planifié
et programmé par les responsables de l’ALN qui ont
transmis le 26 février 1962 des instructions strictes
verbales et écrites portant la signature du lieutenant
Mohamed Chenoufi aux notables, aux chouyoukh
et aux quatorze responsables de l’organisation de la
( 86 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Histoire
révolution dans la région. Ces instructions appelaient la population
à sortir le lendemain 27 février
1962, journée qui coïncidait avec
la visite d’une délégation du gouvernement français conduite par
Max Lejeune, ministre du Sahara,
accompagnée de représentants
onusiens, en vue de promouvoir
la politique séparatiste du Sahara
algérien du territoire national et
de leurrer l’opinion publique internationale. Ayant eu vent de cela
et afin de marquer son opposition,
le Front de libération nationale
donna l’ordre aux habitants des
Oasis d’organiser des manifestations et d’exprimer l’attachement
des populations locales à l’unité
et à l’intégrité territoriale de toute
l’Algérie, le refus de toute compromission et la mise en échec des
visées de l’autorité coloniale axées
sur la séparation du Sahara algérien du reste du territoire.
La population de la région a
répondu courageusement à l’appel
des organisateurs, en se regroupant dans la matinée au lieu dit
souk El-Had, au centre-ville de
Ouargla, pour une marche sur la
préfecture des Oasis, première
destination de la délégation gouvernementale française et des
membres onusiens, afin de faire
entendre son refus de rester sous
le joug colonial français et de la
stratégie de séparation du Sahara
algérien du territoire national.
Avant l’heure fixée pour le départ
des manifestations, une information circula selon laquelle l’arrivée
du responsable français et la délégation qui l’accompagnait était
reportée à 13 heures le même jour.
Immédiatement, des ordres furent
donnés aux militants d’en informer les citoyens, de leur demander
de garder leur calme et d’exécuter
les orientations et ordres qui leur
seront donnés par les militants
organisateurs. Les commerçants
reçurent l’ordre d’ouvrir les magasins et cafés, de reprendre provisoirement l’activité au marché afin
que le colonialisme et ses séides ne
s’aperçoivent pas de l’existence de
Manifestants désarmés
contre forces coloniales
Il fut décidé que les manifestants partiraient des villages à six
heures du matin dans le calme absolu pour se retrouver à Souk El
Had, au centre de Ouargla.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 87 )
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Guerre de libération
Histoire
mouvements populaires qui lui sont opposés ainsi
qu’à la mission de la délégation française officielle.
En effet, l’activité reprit instantanément de façon
normale au marché et dans l’ensemble de la ville
pour s’arrêter définitivement à 13 heures pour les
manifestations populaires. Ces manifestations n’ont
débuté que dans la soirée à la suite du retard enregistré par l’arrivée de la délégation du gouvernement
français accompagnée des représentants onusiens et
de nombreux journalistes.
Selon les témoignages des personnes ayant vécu cet
événement historique, les manifestants entamèrent
leur marche de protestation et de refus de la politique coloniale par des stridents youyous lancés par
les nombreuses manifestantes, suivis de slogans hostiles à la colonisation et des cris à la gloire de «Vive
l’unité nationale», «Oui à l’unité nationale», «Le Sahara est algérien» et «Non à la séparation du Sahara
du territoire algérien». Les manifestants entonnèrent
également des chants patriotiques et brandirent des
slogans tels que «Chaabou al Djazairi musulman» (le
peuple algérien est musulman) ou bien «Kassaman»
(hymne national algérien).
Ils bravèrent, pacifiquement, l’autorité coloniale qui
n’avait pas hésité à utiliser la force militaire appuyée
par des blindés et des armes lourdes pour tenter de
briser la détermination des citoyens à désapprouver
et à rejeter la politique de séparation préconisée par
la France pour s’approprier les richesses du Sahara,
et d’éviter que les manifestants arrivent à la préfecture des Oasis, lieu de résidence de la délégation.
Quelques instants plus tard, une force imposante
d’unités de l’armée française, renforcée par des
chars, des blindés, des fantassins de la légion étrangère et des gendarmes, intervient avec une extrême
violence, tentant de stopper les manifestants qui se
dirigeaient vers le siège de la préfecture.
Lorsque les gendarmes réalisèrent la détermination
des manifestants sur lesquels furent lancées des grenades lacrymogènes dont ils ne firent pas cas, vint
le tour des mercenaires et des gendarmes ensemble
qui se regroupèrent derrière les remparts des jardins
donnant sur le marché, entourant le vieux palais puis
ils se mirent à tirer à coups de mitraillettes sur la
foule et à la pourchasser à travers les rues et les places
publiques. Cet usage de la force militaire contre des
civils algériens désarmés se solda par la mort de cinq
personnes, dont Chetti Louekal, et 25 blessés, à la
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
suite des tirs nourris des soldats français sur les manifestants durant cette protestation qui dura jusqu’au
petit matin du 28 février 1962, se souviennent des
témoins encore vivants de ces événements.
L’effet de surprise, secret de réussite
des manifestations
Le succès de ces manifestations est le fruit d’une
organisation minutieuse et de la confidentialité qui
les a entourées. Le moudjahid Seid Rouhou Mabrouk, qui a pris part à cette manifestation, soutient
que « le succès de cette manifestation est le résultat
d’un travail ordonné et d’une organisation appliquée,
basée sur le secret et la confidentialité ». Ce qui a
créé, a-t-il dit, l’effet de surprise pour les autorités
coloniales qui voulaient expliquer et montrer aux
représentants onusiens et aux média l’«attachement
des populations du Sahara à la France ».
De son côté, le moudjahid Moulay Mohamed Ben
Kouider, autre acteur de ces événements, estime que
cette manifestation a permis de mettre à nu la propagande mensongère de l’autorité coloniale qui insistait
sur l’attachement de la population du sud algérien à
la France. C’est pour la première fois que l’emblème
national fut porté par les manifestants qui bravaient
les forces militaires coloniales dans la région, a-t-il
fait savoir.
Un soutien aux négociateurs des accords d’Evian
Ces manifestations du 27 février 1962 sont considérées comme l’expression claire et une étape déterminante pour la libération du pays du joug colonial.
Elles ont aussi donné des arguments forts aux négociateurs algériens lors des accords d’Evian, qui ont
abouti à la fin du colonialisme en Algérie, affirment
des moudjahidine de la région qui ont vécu l’événement. Le moudjahid Brahim Boukhetta, actuel
président de l’association du 27-Février, estime que
« cette manifestation populaire, marquée par la participation massive des différentes catégories sociales
de la région, a détruit la dernière carte détenue par le
colonisateur durant les accords avec le FLN pour se
maintenir en Algérie en tentant de séparer le Sahara
du territoire national ».
( 88 )
Djamel Belbey
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Brahim Benbrahim dit Layachi Ben Ahmed
LE PASSEUR D’ARMES
A LA BARAKA
INOUIE
Par Leila Boukli
Guerre de libération
B
rahim Benbrahim
est issu d’une famille de patriotes,
militants du Parti
du peuple algérien
et de l’OS. Originaire de la coquette ville de Dellys,
la famille Benbrahim compte une
fratrie de douze frères et sœurs.
Trois d’entre eux s’engagent très
tôt dans la lutte armée contre le
colonialisme français. En 1945, Brahim est arrêté à Alger puis emmené
d’abord au central où il est enfermé
dans une cellule souterraine puis à
la villa des oiseaux, sise au boulevard Mohammed V et de là, à la prison de Maison-Carrée. «Nous
étions, raconte-t-il, pas moins de
400 personnes, provenant des
quatre coins d’Algérie à nous partager la salle IV. Il y avait entre autres
Larbi Tebessi, un grand nombre de
oulemas, parmi eux les chouyoukh,
Kheir Eddine, Salih, Salhi …
Nous étions du PPA et eux, amis du
Manifeste. Nous divergions donc
sur la manière de mener la lutte.
Nous étions pour une action immédiate, eux souhaitaient se donner
du temps. Notre responsable qui
était à l’époque le Dr Francis, tentait
de tempérer nos discussions enflammées.» Visiblement ému par
l’évocation de ce souvenir, Brahim,
qui comme tous les Algériens de sa
génération, vouent un culte aux parents, poursuit : «Un jour, six personnes âgées sont introduites sans
ménagement dans notre cellule.
Elles étaient noires de suie, on les
avait maintenues enfermées dans la
cave à charbon de la préfecture. Je
reconnus parmi elles, mon père. Il
me cherchait. Dr Francis me cacha,
le temps de les laver, de les nourrir
et surtout de préparer mon père à
rencontrer, vivant, son fils, lui qui
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Portrait
1- Brahim Benbrahim, 2- Amar Ouamrane,
3- Mohamed Boudaoud
Ses aînés ,Nacira et Abderrazak
1
2
3
Larbi Benbrahim au milieu de la photo, 1956
( 90 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Portrait
pensait que j’étais mort.» La rencontre fut bouleversante. Les six
seront envoyés à la prison Bossuet,
du côté de Mécheria. Brahim, retient que 7 à 8 tortionnaires se relayaient pour les passer à tabac, tous
nus comme des vers, pour mieux les
humilier. Ils seront libérés par vague
mais cet internement consolidera
l’amitié des détenus qui avaient une
cause commune, l’indépendance de
la Nation. Son aîné Allal, également
membre du Parti du peuple algérien
(PPA) puis membre de l’organisation politique FLN, était responsable de la région de Dellys et de
Sidi Daoud, il avait pour adjoints,
nous dit Brahim, Mohamed Zérouali, Abdelkader Hasbalaoui, Ahmed Tadjer et Boualem Saada.
Après le soulèvement de la ville de
Dellys, le groupe meneur, dont Allal qui travaillait beaucoup avec
Benaï dit Sid Ouali, est découvert
par l’armée française ; pour ne pas
être arrêté, ils décident ses compagnons et lui de se procurer des fusils
et rejoignent les montagnes environnantes. Trois mois après ce soulèvement, Allal, affaibli par une typhoïde contracté au maquis,
tombera au champ d’honneur. Nous
sommes en 1947, l’OS est créée.
Brahim remplace son frère et prend
sous sa coupe la région de Sidi
Daoud, Touarghat prendra l’Est
jusqu’en Kabylie et Belounis se
chargera de l’Ouest. « Les réunions
se faisaient dans les cimetières ou il
y avait un marabout. On y trouvait
toujours des bougies pour nous
éclairer et de l’argent, apporté en
offrande pour le saint homme, deniers que l’on prenait pour servir la
cause.» En 1955, un indicateur,
voulant se racheter, informe l’un de
ses frères que les Français prévoyaient de venir au plus tard dans
les trois jours les arrêter. «Je
contacte aussitôt, nous dit Benbrahim, Ouamrane et Abane . « Que
fait-on ? La prison ou le maquis ?»
«Ni l’un ni l’autre, nous répondentils. Débrouillez-vous pour nous ramener des armes de Tunisie ou du
Maroc.»» C’est alors que, muni d’un
laissez-passer militaire français –
officiellement ils devaient se rendre
à Tlemcen – gagnent le Maroc. «
Nous traversons, en voiture, mon
Passeport de Layachi
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 91 )
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Guerre de libération
Portrait
frère Larbi et moi, la frontière marocaine, juste à temps. Les autorités
coloniales étaient venues la veille
nous arrêter. A Casablanca, nous
contactons les responsables du FLN
entre autres Taalbi Tayeb dit Si Allal. Accompagné de cheikh KhairEddine, nous rencontrons le roi
Mohammed V et Dlimi, à l’époque
lieutenant. Le Maroc, nouvellement
indépendant, avait des armes, nous
devions en négocier un maximum
pour équiper les maquisards de l’intérieur. Dlimi m’a accompagné partout, jusqu’à Goulimine à 500 km
d’Agadir. Nous sommes ensuite
passés en Espagne. Je fus chargé de
différentes missions par Abdelhafid Boussouf. Prendre en charge
des journalistes et speakers de La
Voix de l’Algérie libr entre autres
Améziane, Messaoudi, Cheikh Mimoune… Ils vivaient pratiquement
dans la clandestinité. Je leur faisais
prendre un bol d’air tous les trois
mois, les ramenais de Tétouan à
Nador, les promenais à Tanger, leur
achetais des vêtements de rechange,
je les accompagnais au bain maure,
au restaurant… Certains d’entre eux
sont devenus ministre, cadre et
autres et aujourd’hui, sourit Brahim,
ils nous prennent de haut. J’avais
pour mission aussi de m’occuper
des légionnaires déserteurs espagnol, que nous remettions aux autorités espagnoles à la condition
qu’aucune sanction ne soit prise à
leur encontre et même de leur trouver du travail, une fois revenus chez
eux. Et c’est ainsi qu’on gagnait leur
sympathie. L’Espagne nous donnait
des visas de six mois, voire plus,
gratuitement en compensation de la
remise des légionnaires. Je m’occupais également des enlèvements
d’Algériens installés au Maroc qui
refusaient de participer et nous ten-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Yousfi Mohamed, responsable de la logistique en Espagne
Boukadoum, responsable du FLN à Madrid
Angel et Brahim à Rabat en 1957
Entre Brahim (1er à gauche) et Bensaïd (1er à droite) des déserteurs. La photo a été prise à Tanger.
( 92 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Portrait
Brahim Benbrahim, debout 1er à partir de la droite accoudé à la Jeep
tions, toujours avec succès, de
convaincre de l’issue heureuse de
notre combat. Certains, sceptiques,
nous disaient : « Avec quoi, comptez-vous combattre la France, vous
n’avez même pas d’armes ! » Lors de
la grève de 1956, j’avais été aussi
chargé de m’occuper des étudiants
grévistes de France. Après nous être
procuré les photos, je fabriquais des
passeports marocains, leur trouvaient des noms d’emprunts et j’allais les récupérer à la frontière franco-espagnole pas loin de Pamplona.
Les autorités marocaines apposaient
sur nos passeports des tampons violets, alors que les vrais ont un tampon rouge. Personnellement, je pus
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
bénéficier de l’officiel sous le nom
d’emprunt de Layachi Ben Ahmed.
Je passai sans problème la frontière
marocaine, relate Brahim, mais la
partie n’était pas encore gagnée, il
me fallait encore berner la police
espagnole. J’avais les passeports à
faire tamponner, mais sans les titulaires, encore en France. Je me présentai avec aplomb au guichet et
pestai devant le policier contre ces
jeunes fêtards qui n’arrivaient plus à
tenir debout et qui dormaient encore. J’offris au fur et à mesure de
mon discours, des cigarettes Marlboro et miracle, le policier souriant
apposa automatiquement les tampons sur les passeports. Mon culot
( 93 )
m’étonna moi-même mais nous
étions en règle. Je vais récupérer, la
nuit les jeunes grévistes que nous
ramènent à la frontière des sympathisants français de la cause. Je leur
remets les passeports, leur demande
de mémoriser leurs nouveaux noms.
Après cela, Yousfi M’hamed dit Angel, responsable à l’époque de la logistique en Espagne, me confie la
délicate et dangereuse mission de
faire les premiers essais pour le passage dans ma voiture des armes collectées, un voyage puis deux, puis
trois … J’avais remarqué que les
douaniers espagnols contrôlaient
beaucoup plus les entrées que les
sorties de leur territoire. Larbi Men-
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Guerre de libération
Portrait
gouchi et Abbès Chawki viendront
par la suite se joindre à moi. Nous
sommes ainsi trois voitures à tenter
l’aventure. Les armes étaient dans un
premier temps emmenées à Nador en
camion depuis Tétouan, j’avais obligation d’être du convoi. Et, un jour de
l’an 1957, nos contacts marocains nous
informent que la police espagnole a
des soupçons. Larbi est arrêté, j’ai plus
de chance. Je consigne ma voiture et
son précieux contenu dans un box que
je loue et prends le bateau, raconte au
policier que j’ai raté celui de Tanger
que je devais prendre. Il inscrit au stylo
Ceuta sur mon passeport, ce qui me
sauve. A mon arrivée, je prends un
taxi pour Tétouan et j’avise immédiatement Yousfi à Madrid et Boukadoum, responsable du bureau FLN.
Tous deux rejoignent illico le Caire.
Boussouf me charge alors de la logistique et des réseaux de renseignement
jusqu’à l’indépendance. Yousfi, qui
sera directeur de la sûreté nationale,
me propose de continuer à travailler
en équipe comme auparavant avec lui.
Déçu par la tournure qu’ont pris les
évènements, je refuse et me retire dans
le civil. Il est vrai que la mort de Si
Zoubir et d’Abane Ramdane me
choque terriblement.»
« En 1957, dans un café de Tétouan,
nous avions discuté Abane et moi,
jusqu’à une heure du matin, du triste
sort des 45 étudiants grévistes qui venaient à Oujda pour faire passer des
armes en Algérie. Sur les 45, seuls 11,
déplorait-il, ont échappé à la ligne Morice. Et vous, s’enquit-il ? « C’est dur,
surtout avec Franco, mais ne sommes
nous pas des «mousablines» des volontaires qui risquons quotidiennement nos vies pour que vive un jour
l’Algérie souveraine ! Je fus l’un des
derniers à le voir encore vivant. J’en
garde le souvenir d’un patriote de génie, pourvoyeur d’idées, d’initiatives,
de volonté et de passion ! Mais je me
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
console aujourd’hui en me disant que
le défi majeur de novembre 1954, qui
avait la forte conviction, portée par la
population, de mobiliser, de programmer le déclenchement du combat avec
des moyens de fortune, pour aboutir
après plus de sept années de guerre et
( 94 )
d’énormes sacrifice à l’indépendance
de l’Algérie, aura été une formidable
épopée, je suis fier d’y avoir participé
et si c’était à refaire, nul doute que je
le referais.»
Leila Boukli
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Histoire
Mars
le mois des martyrs
Par Adel Fathi
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 95 )
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Guerre de libération
O
Histoire
n ne sait pas qui a fait le premier
ce fabuleux constat. Mais l’historiographie algérienne a tôt
fait de mettre en exergue tous
les valeureux moudjahidine, si
nombreux, tombés au champ
d’honneur, en ce mois « sacré », propice à l’éclosion
des fleurs et au bourgeonnement de la nature, où
fécondation rime aussi avec sanctification.
Hasard du calendrier, sans doute – mais pas de
l’Histoire –, le mois de mars a vu le sacrifice d’une
pléiade de dirigeants politiques ou militaires parmi
les plus illustres de la Révolution algérienne, de 1954
à 1962. L’Histoire retiendra, pêle-mêle, les noms des
martyrs Larbi Ben M’hidi, mort dans la nuit du 3 au
4 mars 1957 dans sa prison, à Alger, tué par le général tortionnaire Paul Aussaresses comme il l’a avoué
lui-même dans ses mémoires parues avant sa mort.
La disparition de Ben M’hidi, l’un des architectes
de la Révolution et animateur principal du Congrès
de la Soummam, à cette date, eut de fâcheuses incidences sur le moral des combattants et des cadres
dirigeants et mit fin à la bataille d’Alger dont il était
l’instigateur et le planificateur.
Mustapha Benboulaid, autre artisan de la Révolution, fondateur du CRUA et chef historique des
maquis auréssiens, a trouvé la mort, lui, dans la nuit
du 22 au 23 mars 1956, dans sa région des Aurès,
tué dans un mystérieux attentat, par l’explosion de
son poste radio qu’il tenait à la main. Sa disparition plongera toute la région dans une longue et
dangereuse guerre fratricide et empêcha la région
des Aurès, bastion de la Révolution, de prendre
part au Congrès de la Soummam, qui sera organisé
cinq mois plus tard. Ce qui va encore entraver les
laborieux efforts pour aboutir à une unité d’action.
Beaucoup d’historiens se sont penchés sur ce cas,
pour essayer de comprendre l’évolution de la lutte
armée.
Cela dit, l’événement le plus populaire, non pas,
faut-il souligner, parce qu’il est le plus médiatisé,
restera sans doute la mort héroïque des colonels Si
Haoues et Amirouche, tués lors de la célèbre bataille
de Djebel Thameur le 29 mars 1959, à la suite d’une
embuscade meurtrière qui leur fut tendue par l’ennemi qui mobilisa ce jour-là une armada de soldats,
et qui coûta également la vie à quelque 70 hommes
qui accompagnaient les deux dirigeants en partance
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
pour la Tunisie. Cet anniversaire est commémoré
presque chaque année, où des témoignages sur le
parcours et les hauts faits d’arme des deux prestigieux colonels de l’ALN viennent enrichir cette ambitieuse entreprise d’écriture de l’Histoire. Aussi, la
mort de Si Houès et Amirouche a-t-elle donné lieu
à des débats parfois pernicieux sur les circonstances
de leur mort et de leur enterrement et à tant de biographies et d’ouvrages consacrés à cet épisode charnière de la lutte armée.
Un autre colonel non moins prestigieux, mais
beaucoup moins médiatisé, le colonel Lotfi, est tombé, lui, au champ d’honneur le 27 mars 1960 à Djebel Béchar, lors d’une bataille rangée avec l’ennemi
qui mobilisa ce jour-là son aviation et une lourde
artillerie. Il venait de rentrer du congrès de CNRA
à Tripoli où étaient tracés les fondements politicoidéologiques du futur Etat algérien qui suscitèrent
des débats houleux. Originaire de Tlemcen, le colonel Lotfi, de son vrai nom Benali Boudghène, était le
plus jeune colonel de l’ALN. Cultivé et visionnaire,
il était aussi connu pour ses qualités d’organisateur
et de stratège. Il était mort à l’âge de 26 ans.
On citera aussi le cas plus dramatique d’Ali Boumendjel, l’un des membres les plus actifs et les plus
éminents du collectif d’avocats du FLN, qui a été arrêté puis assassiné le 23 mars 1957. Il mourut sous la
torture avant d’être jeté du 6e étage d’un immeuble à
Alger-Centre, sur ordre du même bourreau général
Aussaresses, pour faire croire à un suicide, comme
cela a été essayé avec Larbi Ben M’hidi, vingt jours
plus tôt. L’exécution de cet ancien militant de l’UDMA de Ferhat Abbas, pourtant pacifiste, apportera
la preuve que le colonialisme s’attaquait à toutes les
énergies vivantes et intelligentes de la nation algérienne, abstraction faite de leur affiliation politique
ou idéologique.
La liste des glorieux martyrs morts en ce mois de
mars ne s’arrête pas là. Il ne s’agit là que de la liste
restreinte des plus connus et des plus illustres. On
peut bien remarquer que certains d’entre eux sont
morts, si ce n’est pas le même jour, la même année.
Ne fallait-il pas décréter « une journée des martyrs »
un jour de ce mois de mars, plutôt que d’opter pour
la journée du 18 février, qui, elle, ne renvoie pas à un
imaginaire aussi riche et aussi glorieux ?
( 96 )
Adel Fathi
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Histoire
Le colonel Lotfi,
un colonel « pas
comme les autres »
Par Adel Fathi
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 97 )
www.memoria.dz
Guerre de libération
M
Histoire
ort à l’âge de 26 ans, ce plus jeune
colonel de la révolution algérienne,
aurait joué un rôle de premier rang
dans l’Algérie indépendante, estiment aujourd’hui nombre d’acteurs
historiques qui l’ont connu, et aurait
probablement marqué de son empreinte les premiers jalons
de l’édification du futur Etat algérien, qui s’étaient discutés
au congrès de Tripoli, qu’il venait juste de quitter avant
de tomber héroïquement au champ d’honneur dans une
bataille à Djebel Béchar, le 27 mars 1961, pour rejoindre
en fait la longue caravane des martyrs de l’Algérie.
De son vrai nom Benali Boudghène, le colonel Lotfi est
né le 5 mai 1934 à Tlemcen. Il effectue ses études primaires dans sa ville natale et obtient le certificat d’études
primaires en 1948. Parti au Maroc pour poursuivre ses
études secondaires, il revient au bout d’une année à Tlemcen pour rejoindre l’école franco-musulmane, où commence à se forger son esprit révolutionnaire, à travers ses
lectures mais aussi ses discussions politiques avec son entourage. Rapidement, il cherche à établir des contacts avec
les militants du mouvement national, pour mieux s’imprégner des idées et des projections nationalistes.
Tout pour lui a été d’une très grande rapidité, qui dénotait une maturité précoce et une volonté d’engagement à
tout crin chez ce jeune militant. En octobre 1955, alors
qu’il n’a que 21 ans, il s’engage dans les rangs de l’ALN
dans la Zone V (future Wilaya V, d’après le découpage du
congrès de la Soummam), alors représenté par Larbi Ben
M’hidi, et occupe le poste de secrétaire particulier de Si
Djaber. Il sera ensuite amené à s’occuper de la section de
Tlemcen et Sebdou et à installer les cellules clandestines
du FLN naissant.
Repéré pour son intelligence et son sens d’organisation,
il est désigné dès 1956 pour un travail de structuration des
réseaux de fidayine dans l’Oranais, dans une conjoncture
marquée par l’intensification de la lutte armée, décidé par
le commandement de la Révolution. Dès la fin des travaux
du congrès de la Soummam du 20 août 1956, auxquels les
représentants de l’Oranais ont eu une part active, grâce à
la présence de Larbi Ben M’hidi qui en était l’un des principaux animateurs, Si Brahim – c’était son premier nom
de guerre – se porte volontaire pour diriger les opérations
militaires dans le Sud et mène plusieurs batailles décisives
qui se solderont par de lourdes pertes dans les rangs de
l’ennemi.
Il ne sera, toutefois, promu au grade de capitaine et chef
de zone qu’en janvier 1957. Son ascension se fera de plus en
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
plus rapide, en devenant commandant de la zone d’Aflou
sous le nom de Lotfi, et membre du Conseil de direction
de la Wilaya V.
En mai 1958, Lotfi est promu au grade de colonel et est
désigné à la tête de la Wilaya V. Cette période est marquée par l’intensification des opérations française contre
les maquis, et surtout par la construction des lignes Challe
et Morice aux frontières est et ouest, visant essentiellement
à empêcher l’acheminement des armes pour les maquis à
travers les frontières tunisiennes et marocaines. Ce qui devait alourdir la responsabilité du colonel Lotfi, et l’obliger à
redoubler d’effort pour contrer ce blocus infernal, tout en
veillant à la poursuite du combat.
Au début de 1960, il assiste aux travaux du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) tenus à Tripoli. A
son retour dans sa wilaya, il est pris dans un traquenard,
où l’ennemi déploie une armada pour encercler toute la
Wilaya V, et est tué sur le coup. C’était le 27 juin 1960 à
Djebel Béchar. Il n’a pas eu la chance d’assister à l’indépendance de son pays. Il ne restait pourtant plus que deux ans
pour la signature des accords du cessez-le-feu.
Au plan politique, le colonel Lotfi est surtout connu
pour sa loyauté exemplaire, son intégrité et sa perspicacité. Il s’est très vite démarqué des querelles de chapelles
et autres « intrigues politiciennes » qui émaillaient les
conclaves auxquels il avait eu l’occasion d’assister, à Tunis,
au Caire et enfin à Tripoli. Il est même allé jusqu’à dénoncer, auprès de Ferhat Abbas, alors président du GRPA, ce
qu’il qualifiait de « tendance fascistes » chez certains chefs
militaires sans les désigner, qui, selon ses termes, «rêvent
d’être des sultans au pouvoir absolu. » Plus incisif encore,
il ajoutait : «Derrière leurs querelles, j’aperçois un grave
danger pour l’Algérie indépendante. (…) Ils conservent
du commandement qu’ils exercent le goût du pouvoir et
de l’autoritarisme. » Il prévoyait en fait la guerre fratricide
entre le GPRA et les wilayas qui lui étaient loyales, d’un
côté, et l’Etat-major de l’armée, de l’autre, qui va éclater
à l’annonce de l’Indépendance, et prédisait dans le même
temps le désarroi du peuple qui accédait enfin à la paix.
C’est Ferhat Abbas qui a noté toutes les impressions du
jeune colonel, dépité par la tournure prise par les événements : « L’atmosphère au sein de la Délégation extérieure, écritil, lui faisait peur. Les luttes sourdes des colonels ne lui avaient pas
échappé. Il en était épouvanté : j’aime mieux mourir dans le maquis
que de vivre avec ces loups. » Cette attitude chevaleresque d’un
homme dévoué pour sa cause, celle de sa patrie, fera de lui
un symbole du martyre.
( 98 )
Adel Fathi
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Histoire
Mostefa Benboulaïd
Le lion des Aurès
Dans la nuit du 23 mars
1956 mourut un homme. Au
même instant naquit une
grande histoire. Digne d’une
épopée, la légende des Aurés
commença à s’émouvoir dans
le sort héroïque d’un pays.
P
rononcer le nom de Mustapha
Benboulaïd, s’avère apparemment chose aisée. Tant que
les encyclopédies universelles
demeurent incomplètes ou
inachevées pour donner une
sémantique à ce nom-mythe, essayer de comprendre sa signification serait une tâche fort
ardue. L’Algérie reste le seul logiciel qui ouvre
dans tous les sens les propriétés de type, de
taille et de contenu de ce nomprogramme.
Même le savoir architectonique et l’humour
scientifique de son fils Khaled, n’arrivent pas
à déboucler les grilles et défaire les masques
qui entourent le fichier Benboulaid point doc.
Il aurait été prédestiné depuis le 05 février
1917, à s’intégrer comme un « compagnon
d’office » en vue de mener, gérer et sauvegarder la mémoire du logiciel national qui
venait à peine d’être installé, après la multitude d’échecs de connexion au réseau des
indépendances qu’entreprirent les différents
programmes stéréotypiques. C’est en 1937 et
Par El Yazid Dib
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 99 )
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Guerre de libération
Histoire
à Metz que s’est forgée la véritable vision de l’autre monde,
tout à fait contraire à celle de Arris. Il y connut entre autre
le haut sens de la dignité et de l’honneur, pour avoir été un
syndicaliste avéré. Il fut aux bords de ses vingt années, fort
beau et affable et n’avait pas encore goûté aux délices du
sentiment que provoque la paternité. Il convolera en justes
noces en 1942, et aura comme épouse, une fille toute aussi
belle et affable. De cette union naquirent six fils et une
fille. En fait, il sera quelques temps après, le père de tout
un peuple. Ses fils et sa fille se confondront dans la multitude nationale. Quelle fut cette motivation qui l’emmena
à laisser une jeune famille, une prospérité commerciale
et une insouciance patrimoniale, pour initier et prendre
les devants du combat qui ne sera que rédempteur et libérateur ? Quelle furent les limites qu’il pensait faire entre
l’attachement naturel à sa micro-famille et l’exaltation irrésistible qui le prit à mettre en danger sa vie et le bonheur
matériel en qui il ne voyait qu’un décor superficiel en face
de l’emprisonnement qui étouffait son pays, éclipsait ses
us et coutumes ? Cette culture de liberté aurait fait son
chemin dans les arcanes fortifiés du jeune Mostefa, déjà en
1944 où il excellait à jouxter entre le savoir et les affaires.
Au brillant négociateur, élu de la corporation des commerçants dans sa localité, se joignait l’érudit, l’intellectuel
président de l’association locale de « djamiat el oulama el
mouslimin » Mostefa, l’homme commença à être un capital de science, de lutte et de résistance. L’initiative était en
lui, intrinsèque et spontanée, comme l’idée lumineuse est
au génie, aussi banale mais originale. Perspicace et tranchant, pragmatique et mystique il réussit à faire des Aurès
un laboratoire pour l’expérience de braver les risques, de
galvaniser les coeurs et de se libérer des leurres. Il touchait
de près la réalité de son époque et caricaturait les épopées
des francs et des gaulois. Il ne voyait l’histoire que dans l’islamité, l’arabité et la berbérité de l’algérien. Le tout dans un
prisme unique, homogène et indivisible. « L’Organisation
secrète », fut démantelée à partir de 1950 à travers tout le
pays. Néanmoins grâce à la clairvoyance de l’homme dans
le choix des hommes, le bastion des Aurès ne fut jamais
découvert et demeura dans un secret éternel. Le futur
héros ne rechignait pas devant les besognes d’envergure
révolutionnaire, et organisa un front pour la défense des
libertés, auquel se joignent toutes les formations politiques
en vue de rendre publiques les atrocités criminelles françaises. Il aurait définit la Révolution tel un amour pour
les autres, le sacrifice tel un don. L’ingéniosité militaire ne
pouvait s’extraire de cet homme, dont le séjour vers la fin
de l’année 1938 à Sétif, dans une « obligation militaire »
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
ne faisait que confirmer son aptitude à la réception des
sciences de la guerre. A Sétif il s’est désaltéré plusieurs fois
à Aïn Fouara. Les massacres du 08 mai 1945 sont perçus
à cette époque comme un précurseur final de la libération
nationale. Le jeune Mostefa, en guise de souvenance à ces
glorieux évènements et à la mémoire des gens tombés au
champ d’honneur, décida d’observer, chaque année et aux
mêmes moments, un jeûne rituel plein de symboles et de
méditations. S’il fut le façonnier de la liberté et de l’indépendance, il était aussi l’artisan de bombes, l’amoureux de
l’explosif. La déflagration, la sienne, conduisait dès 1953
vers l’insurrection armée. Le pays entier y fut entraîné. Il
imaginait, je l’imagine, la guerre comme un langage affectueux pour la paix, le fusil comme une rose pour la gloire
des libertés. 38 ans est un âge pour les héros. A cet âge, il
prend le rôle de catalyseur de toutes les opérations militaires. De cénacle en cénacle, il défait les soucis logistiques,
pourvoit au poste de commandement et organise l’exploration transfrontalière. Ce qui lui valut une reconnaissance
posthume des grands symboles de la lutte internationale
des peuples. Che Guevara se prosterna, en 1963, devant «
la tombe du maître » à Nara, sur les flancs du « mont bleu »,
Djebel Lazrag, près de Batna. Les chemins de Nara étant
impraticables, le « pélerinage du Che » se fit par hélicoptère. La France ne pouvait exercer un pardon à l’égard de
celui qui fut le destructeur du mythe de son invincibilité.
L’homme qui, au nom d’un peuple, avec cran et bravoure
commença à abîmer les parois de la république française et
par qui la chute arriva. Le 11 février 1955, arrêté, battu et
torturé, il ne cessera point de sourire à l’avenir et de percevoir le clair qui, au loin s’annonce, sur une Algérie radieuse
et étincelante. Ses geôliers lui vouèrent, sous ses chaînes,
l’honneur du chef intrépide, les signes de la vaillance téméraire. Une photo le montre, prisonnier plus heureux que
ne le sont, inquiets, ses séquestres. L’air qu’il y affiche, traduit intensément le grand projet que son esprit vivace et
son cran tenace, entretiennent et soutiennent par le bruit
du silence. Comment ne pas s’interloquer, en termes de
management révolutionnaire, sur l’aptitude mobilisatrice
(pouvoir réunir plus de 350 militants la veille du 1er novembre), la capacité énergique et tactique (l’évasion fabuleuse de la prison) d’un esprit sain et saint que contenait un
corps aussi sain et saint ?. L’on ne défraye les chroniques,
l’on ne brise les siècles que par la légende, la fable et l’histoire. « …il était une fois un homme qui dans le froid de la
montagne… » …Ainsi devait commencer l’histoire d’un
lion...
( 100 )
El Yazid Dib
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Guerre de libération
Histoire
Amirouche et Si El-Houès
S
le destin commun
de deux héros
i l’héroïsme des
deux
prestigieux
colonels de l’ALN,
Amirouche et Si
El-Houès, tombés
au
combat
le
même jour dans la célèbre
bataille de Djebel Thameur,
près de Bou Saâda, le 29 mars
1959, est largement connu et
commenté, grâce notamment
aux nombreux témoignages et
autres ouvrages et biographies
qui leur sont dédiés (pour le cas
d’Amirouche particulièrement),
il reste que certains aspects du
parcours commun de ce « duo
de choc » demeurent inconnus
du grand public. A commencer
par leurs premières rencontres
en Kabylie, depuis 1956, où Si
El-Houès, alias Ahmed Ben
Abderrezak, se rendait souvent
avec ses hommes, en parcourant
une si longue distance, pour
échanger avec ses frères de la
Wilaya III les points de vue et
discuter des perspectives de la
lutte armée.
Des
historiens
et
de
nombreux acteurs de la guerre
de Libération rapportent qu’une
certaine « complicité » est vite
née entre les deux hommes, qui
seront liés par le destin, jusqu’à
la fin de leurs jours.
Par Adel Fathi
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 101 )
www.memoria.dz
Guerre de libération
Histoire
On évoque aussi une grande convergence entre
les deux dirigeants sur le principe de primauté de
l’intérieur sur l’extérieur, fraîchement approuvé par le
Congrès de la Soummam, mais sans cultiver de réelles
animosités envers qui que ce soit. Bien au contraire,
le souci majeur des deux hommes était l’unification
des rangs et l’intensification de la lutte armée, d’après
tous ceux qui ont abordé cette question (lire à ce sujet
Amirouche entre légende et histoire, de Djoudi Attoumi,
officier de l’ALN dans la Wilaya III).
Au début du mois de novembre 1958, Amirouche
et Si El Haouès assistèrent à la réunion historique
connue sous le nom de réunion des colonels, tenue
sur le territoire de la Wilaya II, et après examen de
la situation générale de la Révolution, aussi bien à
l’intérieur qu’à l’extérieur, les deux furent chargés de
prendre contact avec la direction de la Révolution à
l’extérieur, pour poser tous les problèmes qui ont été
soulevés par les chefs de maquis, notamment celui
relatif à l’acheminement des armes et des munitions,
qui manquaient cruellement à cette période marquée
par les grandes offensives de l’armée française. Les
chefs de maquis ne s’expliquaient pas, en fait, « le
laxisme » des dirigeants de l’extérieur sur ce point-là.
Même s’ils savaient toutes les difficultés « objectives
» pour traverser les lignes électrifiées de Challe et
Morice.
En exécution de cette mission, le colonel Amirouche
partit de la Wilaya III au mois de mars 1959 pour
rencontrer son camarade Si El Haouès aux environs
de Bou Sâada. Si El-Haouès et Amirouche allaient
effectuer pour la troisième fois le voyage en Tunisie.
Le trajet initial était prévu par les monts du Ziban en
zone IV, mais une information parvenue de Menaâ,
au cœur des Aurès, faisait état d’une concentration
de forces coloniales le long de la frontière planifiée
pour intercepter les émissaires. A l’effet de déjouer le
piège tendu, les deux colonels ont opté pour la zone
III, pour prendre la route du sud par El-Oued, et
c’est pour cette raison que le trajet en trois étapes n’a
été fait qu’en une seule, à marche forcée. Mais peine
perdue, puisqu’une armada des forces ennemies les
attendait dans une embuscade qui leur sera fatale.
La rencontre des escortes des deux colonels avec
les forces coloniales était-elle fortuite, comme le
soutiennent nombre d’auteurs ? Y aurait-il eu des
félons qui auraient « vendu la mèche », comme
n’hésitent pas à le clamer aujourd’hui des voix
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
plutôt polémistes qui ne se gênent pas à montrer du
doigt certains dirigeants de la Révolution installés
à Tunis ? Ce qui est sûr, c’est que la quarantaine
de combattants de l’ALN, dirigés par l’adjoint de
Si El-Houès, le vaillant commandant Amor Driss,
n’aurait pas résisté plus longtemps à un déploiement
aussi massif de l’armée française qui avait lancé
son aviation et autres forces combinées blindées et
infanterie, composées de quelque 2500 hommes, sans
compter les renforts qui arrivaient de toutes parts.
Cette inégalité des forces n’a pas empêché les
hommes de Si Houès et d’Amirouche de se battre
jusqu’au dernier souffle, ni de penser à aucun moment
à se rendre. Les deux colonels ont eux-mêmes usé de
leur arme de poing. Ils ont tous consenti au martyre.
A Alger, le général Challe lui-même annonce
la nouvelle. C’est la ruée des personnalités et des
journalistes qui sont embarqués à bord d’avions
spéciaux. Datée du 30 mars 1959, les dépêches
d’agence racontent la fin du « redoutable Amirouche
», du « grand chef rebelle », et les plus zélés
s’enthousiasmaient déjà à prédire « une fin proche de
la rébellion ». On fait venir des notables de Kabylie
pour reconnaître le cadavre. L’un d’entre eux, dont
l’histoire n’a pas retenu le nom, déclare peu après : «
Amirouche est mort. C’était un chef. Mais il n’était
pas la rébellion. La rébellion continue ! »
Seuls deux hommes, le commandant Driss et le
secrétaire d’Amirouche, Mohand-Said Aissani, ont
survécu à la bataille. Mais les deux ont été achevés
par l’ennemi. Le commandant Amor Driss, capturé
blessé, a été scandaleusement assassiné quelque
temps plus tard, après avoir été interrogé par les
officiers des renseignements français, et dont une
célèbre photographie immortalise l’instant. L’autre
survivant, Aïssani, jeune lettré originaire de SidiAïch, lui aussi capturé blessé, sera, lui, transféré vers
un hôpital à Alger ; mais un ancien collègue de faculté
à lui, partisan des ultras de l’Algérie française, s’est
introduit jusque dans son lit d’hôpital pour l’achever.
Seule l’imposante personnalité des deux illustres
colonels aurait fait de l’ombre à ces deux histoires
dignes de véritables épopées.
( 102 )
Adel Fathi
Supplément N° 11 - Mars 2013.
FONDATION
EMIR
ABDELKADER
« Redonner enfin à l’Emir sa place
dans l’histoire de l’Algérie, mais
surtout dans la mémoire des Algériens. Redonner à l’œuvre plurielle
de l’Emir ses dimensions humaines
et universelles »
Par Leila Boukli
Inauguration de la plaque commémorative de l’Emir à Paris, située entre la mosquée
de Paris et l’Institut du monde arabe
Emir Abdelkader
Histoire
Cet arbre à plus de deux siècles, situé dans la plaine de Ghriss, là où l’Emir Abdelkader a été désigné pour mener le combat contre l’occupation étrangère
L
a Fondation Emir Abdelkader a été
créée, en 1991, par un groupe d’universitaires et de figures emblématiques de
l’Algérie indépendante ; descendants,
ministres, ambassadeurs, écrivains,
cadres … Ils lui ont assigné comme
mission essentielle la réhabilitation de l’histoire. Des
conférences en ce sens ont été faites par des spécialistes de l’Emir, tant nationaux qu’étrangers, mettant
en exergue sa personnalité, son action, sa pensée, son
rayonnement… Des expositions de livres, organisation
de colloques, inauguration de stèles, de places, de rues,
à l’étranger – dernière en date celle de Caracas au Venezuela –, restauration de sites historiques ayant trait à
l’Emir…
La Fondation a eu trois présidents à ce jour : le premier,
M’Hamed Ferhat, qui est aussi descendant de Sidi Laaradj, ami de Si Mohieddine, père de l’Emir, faisait à son
époque parti du Majliss choura. Driss Djazaïri, héritier
de cette lignée prophétique (chérifa), en sera le second,
de 1995 à 1999, date de son départ pour Washington
en tant qu’ambassadeur d’Algérie. Mohamed-Lamine
Boutaleb, originaire de la tribu des Hichem, apparenté
à l’Emir, est le troisième, de 1999, à ce jour.
Chaque année, des évènements importants sont célébrés par la Fondation : l’investiture de l’Emir le 27
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
novembre, telle ou telle bataille, tel ou tel traité, l’anniversaire de sa mort le 26 mai… Peu à peu, des thèmes
précis ont été choisis : biographie de l’Emir, des écrits,
l’Etat moderne qu’il a formé, sa diplomatie… La Fondation à pour projets aussi de publier ses œuvres complètes, d’ouvrir si possible une maison d’édition, un
musée national, un centre de recherches, d’acquérir sa
demeure à Damas… En un mot d’étendre ses activités
en faisant appel aux amis de l’Emir, aux organismes
culturels, à ses sections.
Il est vrai que depuis quelques années, la Fondation
Emir Abdelkader a grandi, elle a constitué plusieurs
sections dans les grandes villes et organisé des colloques nationaux ou régionaux à Oran, Sidi Bel Abbès,
Tlemcen, Tiaret, Mascara, Alger, Constantine. Avec
l’encouragement du bureau national d’Alger et de son
actuel président, chacune active à sa manière autour de
chacune des parties de la vie de ce grand homme, tellement pleine qu’elle contente ceux qui veulent mettre en
valeur un seul des aspects du saint, du savant, du poète,
de l’humaniste, de ses qualités de stratège militaire ou
encore de l’homme d’Etat. Par exemple, les nationalistes algériens se satisferont de son action politique
tandis que les mystiques ou les musulmans pieux mettront en valeur son ésotérisme et son comportement à
la fois de croyant et d’Emir…
( 104 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Emir Abdelkader
Histoire
Il est à déplorer que la revue semestrielle, intitulée Itinéraires lancée en 1997, ne soit plus éditée faute de fonds.
Malgré le soutien du Président Abdelaziz Bouteflika,
qui a présidé pour la première fois, dans l’Algérie indépendante, en tant que chef d’Etat, la célébration de la
Moubâyaa ou serment d’allégeance à l’Emir Abdelkader, en souvenir d’un 22 novembre 1832 dans la plaine
de « Ghriss », sous l’arbre appelé « dardara » (frêne) ;
tout comme, il avait présidé en tant que ministre des
Affaires étrangères , les cérémonies du retour dans sa
patrie, des cendres de l’Emir en 1966. Elle se proposait, selon le responsable de la publication Dr. Chikh
Bouamrane, de donner une image exacte de l’Emir,
débarrassée des légendes et des malentendus que des
gens mal informés répandent parfois.
La fondation a pour siège Dar El Sadaka à la Casbah, un lieu non approprié pour une fondation de cette
envergure. Actuellement, les membres de la fondation,
sans subvention, squattent les bureaux que l’actuel président Mohamed-Lamine Boutaleb a mis au service de
la Fondation.
Pour les nombreux bénévoles qui y travaillent, il est
impératif d’avoir pour cette fondation un siège à l’image
des objectifs qu’elle défend qui ferait par la même, office de centre de recherches.
Un ouvrage sur l’Emir destiné au corps enseignant a
été réalisé par la fondation. A noter que cette dernière
parraine actuellement, à l’initiative de Zhor Boutaleb,
fille de Mohamed-Lamine, une série de conférences
sur l’œuvre et la pensée de l’Emir. Sachez enfin que le
conseil scientifique fait appel à toutes les compétences
désireuses de poursuivre l’œuvre émirienne.
On peut dire en conclusion que l’Emir Abdelkader est assez bien connu comme résistant et comme
homme d’Etat. Depuis plus d’un siècle, ses différents
biographes ont décrit largement sa vie et son action.
On peut citer notamment A.Bellemare (Paris, 1855),
Ch.-H. Churchill (Londres, 1867), l’Emir Muhammad
(Alexandrie, 1903), P.Azan (Paris, 1925) et M.-Ch.Sahli
(Alger, 1946). Par contre, il est beaucoup moins connu
comme écrivain et comme penseur. Ses écrits restent
dispersés ou inaccessibles. Quelques-uns ont été traduits en tout ou en partie : la Lettre aux Français (dhikrâ
al âqil) par G. Dugat, consul français à Damas (Paris,
1858) sous un autre titre, et par R. Khawam (Paris,
1977) sous son titre actuel ; M. Chodkievics a donné
des extraits des mawâqif (Paris, 1982) avec une remarquable introduction.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
L’Emir partage le point de vue des grands savants musulmans sur la supériorité de « l’esprit ». S’il ne cite pas
ses sources, il indique parfois les penseurs auxquels il se
réfère : les philosophes grecs (Socrate, Platon, Aristote)
familiers de la culture arabe et les auteurs musulmans
célèbres (Al-Râzi, Ibn Sînâ,Al-Ghâzâli, Ibn Rochd, Ibn
Khaldûn…). Il part évidemment des textes fondateurs,
Coran et hadiths, et y ajoute ses réflexions personnelles
et ses propres opinions qui frappent par la pertinence et
l’ouverture. « La science, dit-il, vient de l’esprit comme
le fruit vient de l’arbre » L’esprit apparait d’abord chez
l’enfant puis mûrit chez l’adulte ; il distingue l’homme
de la bête et lui confère la dignité morale par la maîtrise
du désir. Le savant surpasse l’ignorant par l’expérience,
la réflexion et les connaissances acquises. L’ignorant,
par contre, ne réfléchit guère ; il se laisse guider par
l’habitude et suit les ancêtres ou l’entourage, sans pouvoir mesurer le dommage causé par le désir. C’est ce qui
explique l’inégalité parmi les hommes, selon la force ou
la faiblesse de leur esprit.
Les connaissances acquises comportent des degrés :
le premier c’est la connaissance par les sens, le second
la connaissance par l’intelligence. La connaissance sensible est stérile et conduit souvent à l’erreur, tandis que
la connaissance intellectuelle est féconde et englobe
tout le savoir. » L’Emir est frappé par le matérialisme du
XIXe siècle, marqué par le positivisme et le scientisme,
qu’il ne peut partager. La science, pour lui, est inséparable de la foi. Il désapprouve toutefois les conservateurs
qui donnent la préférence au patrimoine aux dépens de
la culture moderne. Ils ont tort ceux qui dénient toute
valeur aux livres… aux études scientifiques… Il leur
rappelle un vers célèbre : « Cet ancien a été moderne en
son temps et ce moderne deviendra un jour ancien. »
Ou cet autre vers, soustrait d’un poème intitulé « Mon
épouse s’inquiète »
« Demande donc à la nuit, elle te dira comme j’ai
pourfendu sa peau noire en chevauchées nocturnes »
Passages tirés du n° 1 de la revue semestrielle Itinéraires éditée par la Fondation Emir Abdelkader.
Pour en savoir plus :
Fondation Emir Abdelkader
Siège social : 6, rue Yahia Belhayet-Hydra –Alger
Tel/Fax : 021 69 49 06
Mail : [email protected]
( 105 )
Leila Boukli
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Emir Abdelkader
Histoire
Bio express
1807 : naissance de l’Emir
1822 : Séjour à Oran
1832-1847 : résistance d’Abdelkader
* 22 février 1834 : traité Desmichels
* 30 mai 1837 : traité de la Tafna
* 13 mai 1843 : prise de la Smala
* 14 août 1844 : bataille d’Isly
1848 : internement jusqu’en octobre 1852, en France : Toulon, Pau puis Amboise
1853 : séjour à Brousse, en Turquie
1855 : installation à Damas
1860 : il protège les chrétiens lors des émeutes de Damas
1863-1864 : Deuxième pèlerinage à la Mecque. Il demeure un an au Hedjaz
1865 : voyage en France
1867 : voyage en France et en Angleterre
1869 : il assiste à l’inauguration du canal de Suez
1883 : le 23 mai, il meurt à Damas
1966 : le 5 juillet, transfert des cendres et inhumation au cimetière d’El Alia
Membres Fondateurs
Belkhodja Amar, Benkada Sadek, Benkhedda Youcef, Boualga Abdelkader,
Boudaa Baghdad, Boumediene Abelhamid, Bounini Youcef, Boutaleb Abdelkader, Chenini Habib, Djazairy Idriss, Ferhat M’hamed, Kandil Senoussi, Malki
Nourredine, Rahal Redouane, Safir Abdelkader, Sadek Habib, Sam Menouar, Si
Youcef Mahmoud, Soufi Fouad, Bahloul Mohamed, Bouamrane Chikh, Belhamissi Moulay.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
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Supplément N° 11 - Mars 2013.
Emir Abdelkader
Histoire
Le pays de l’Emir
Par Leila Boukli
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 107 )
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Emir Abdelkader
M
ascara a le privilège de rentrer dans l’histoire comme
étant « le pays
de l’Emir »,
une filiation dont elle n’a jamais cessé de tirer une fierté - au demeurant
légitime.
Abdelkader, fils de Mahieddine,
fils de Mustapha, est né à la Guetna
de l’oued El-Hammam, près de Mascara en 1807. Il y reçut son éducation
religieuse et littéraire, avant d’être
élu, le 27 novembre 1832, à l’âge de
24 ans, pour diriger la résistance à
l’occupation étrangère. La cérémonie
se passe sous l’arbre de la Dardara,
dans la plaine de Ghriss, en présence
des cheikhs des tribus et sazvanats de
l’Oranie.
Il y proclame et installe l’Etat algérien, en en faisant sa capitale jusqu’en
1841. Il y organisa alors son administration et son armée, reçoit les
consuls étrangers et procède à des
aménagements urbains.
Après sa reddition, le 23 décembre
1847, l’Emir restera en captivité
jusqu’au 16 septembre 1852. Il quittera la France peu de temps après à
destination de la Turquie (où il effectue un court séjour de trois ans à
Burça – Brousse), avant de rejoindre
la Syrie en 1855. Il n’est pas le premier à y poser pied puisqu’il y trouve
une forte communauté constituée
de nombreux intellectuels, des fonctionnaires, des religieux, des anciens
soldats, des agriculteurs, des artisans.
Ils ont construit une grande mosquée à Bab es- Souiqa, mais point de
qobba (comme ceux de NouvelleCalédonie) et leur imam n’est autre
que l’émir Abdelkader. Ce dernier se
fera rappeler à la mémoire des chrétiens du monde dominant en portant secours à leurs coreligionnaires
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Histoire
de Damas menacés de massacres à
partir du 9 juillet 1860. Des milliers
de chrétiens (12 à 15 000) avaient
trouvé refuge et hospitalité dans ses
demeures, protégés par les soldats
de l’Emir, une escorte armée d’un
millier parmi les plus valides des
jeunes Algériens.
On retrouvera également les Algériens du Shâm, étroitement impliqués dans les luttes de libération des
peuples du Maghreb, de Syrie et de
Palestine notamment. Dans ce dernier pays, les émigrés algériens de
1947 ont opté, sous la direction de
Ahmed Bensalem, pour la région
de Galilée en Palestine dont Akka,
Saint-Jean d’Acre. Du temps du
protectorat anglais, les combattants
d’Azzedine El Qessem comptent de
nombreux Algériens qui exécutaient
par pendaison pratiquement tous
ceux qui vendaient leurs terres aux
colonies juives.
Les Algériens au Shâm sont une
communauté structurée, porteuse de
valeurs, attachée à ses racines.
Dans son pays natal, la légende de
l’Emir reste inaltérable. Les batailles
qu’il y a menées couvent une braise
qui ne s’éteindra jamais, entretenue
par des générations indomptables de
résistants. Leurs descendants feront
preuve d’autant de bravoure et de
sacrifice tout récemment, pendant la
révolution, ainsi que l’atteste le souvenir impérissable des grandes batailles
d’El Manouer, El Kef Lassfar, Stamboul ou Boutrouss. « Soyez patients
dans l’adversité, c’est elle qui fait
connaître les hommes forts », disait
l’Emir. Cette patience ne tarda pas à
produire ses effets.
La bataille de Stamboul date de la
première semaine de février 1958.
Elle a pour héros les moudjahidines
de la katiba de 115 hommes, habituellement installée dans l’Ouarsenis et
( 108 )
Saliha Ould Kablia
dirigée par Abdelkader Zelafti. Ahmed Zabana est dans l’action la nuit
du 31 octobre au 1er novembre 1954
; il est le premier militant de la cause
nationale guillotiné à la prison de
Barberousse d’Alger le 19 juin 1956.
Toute aussi héroïque la chahida
Ould Kablia Zoubida, dite Saliha,
étudiante en chirurgie dentaire à
l’université d’Alger et militante de
l’UGEMA, tombera au champ
d’honneur les armes à la main. Son
frère, le chahid Ould Kablia Noureddine, suivit ses traces.
Comme une prémonition, la chahida Saliha, aura par son sacrifice
donné corps à une autre prédiction
de l’Emir : « Le kalam (la plume)
depuis qu’il a été taillé a pour esclave
le sabre depuis qu’il a été effilé. » Une
formule qu’on retrouvera avec bonheur inscrite dans la plate-forme de la
Soummam en termes de « primauté
du politique sur le militaire ».
Ainsi se trouvent inscrits dans le
marbre les fondements pérennes de
l’Etat de droit et de justice sociale
pour lequel tant de sacrifices auront
été consentis.
Leila Boukli
Supplément N° 11 - Mars 2013.
« Ne demandez jamais quelle est
l’origine d’un homme ; interrogez plutôt sa vie, son courage, ses
qualités et vous saurez ce qu’il est.
Si l’eau puisée dans une rivière
est saine, agréable et douce, c’est
qu’elle vient d’une source pure. »
Emir Abdelkader
Mohamed-Lamine Boutaleb
chercheur
en histoire
et en
sociologie
Hadj Mohamed-Lamine Boutaleb est le descendant par la
cinquième génération de Sidi
Ali Boutaleb, oncle et beau-père
de l’Emir, son arrière-grandmère qui est née au château
d’Amboise durant la captivité
de l’Emir, est de plus la nièce de
son épouse Lalla Kheïra .
Par Leila Boukli
Emir Abdelkader
C
Portrait
e sera le troisième et l’actuel président de la Fondation Emir Abdelkader, qu’il crée avec un groupe
d’ami(e)s en 1991. Hadj MohamedLamine Boutaleb est né le 16 juillet
1933 à Oued Chorfa, dans la wilaya
de Aïn Defla.
Après des études primaires et secondaires suivies au lycée Bugeaud d’Alger, Emir-Abdelkader
aujourd’hui, il est recruté en 1952 dans l’armée française puis admis à l’Ecole des officiers de « Saint Maixent » d’où il sort avec le grade de sous-lieutenant.
Il démissionnera en 1956, à la suite de l’arrestation
de son père, le bachagha Abdelkader, personnalité
musulmane bien connue. Lors de la bataille d’Alger,
après avoir déclaré à Lacoste que « la seule solution
au problème algérien résidait dans la négociation », il
offre ses bons offices et tente d’arranger une série de
contacts entre d’importantes personnalités du Gouvernement général tant à Alger qu’à Paris, et des interlocuteurs algériens entre autres Abane Ramdane
Le Bachagha, Abdelkader Boutaleb, père de Mohamed Boutaleb
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
et Ben M’hidi. Ces contacts auraient pu se poursuivre, mais Ben M’hidi est arrêté et assassiné par
les hommes de Massu. Son frère rejoint le maquis et
tombe au champ d’honneur. Hadj Mohamed-Lamine
Boutaleb s’inscrit à l’Institut des études politiques
de Grenoble où il obtient une licence en sciences
économiques. Il sera arrêté à son tour par la police
coloniale, pour sa participation à la Fédération du
Front de libération nationale (FLN). On le retrouve
à l’indépendance, en tant que chef de l’Etat-major de
la Force locale algérienne puis une année après, il est
nommé directeur des relations extérieures à la SN
Repal. A la nationalisation des hydrocarbures, il rejoint la Sonatrach en qualité de directeur des moyens
généraux, qu’il quittera en 1971 pour se consacrer à
l’exploitation des terres familiales à Mascara.
Hadj Mohamed-Lamine Boutaleb, trésorier général et vice-président de la Fondation, dans un premier temps, est, depuis 1999, à ce jour, son président. Il travaille sans relâche à réhabiliter l’histoire
( 110 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Emir Abdelkader
Portrait
Mohamed Lamine Boutaleb à Caracas
Mohamed Lamine Boutaleb
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
de l’Algérie. On lui doit plusieurs conférences et
communications, tant localement qu’à l’étranger, de
même que de nombreux comités nationaux pour des
conférences d’intérêt stratégique. Et bien que le nom
de l’Emir, fondateur de l’Etat moderne algérien, à
la fois homme politique, chef militaire, poète, écrivain et grand penseur soufi, soit déjà présent dans
plusieurs lieux de la planète, les membres de sa fondation œuvrent sans relâche, munis de leur volonté
seule, à faire partager des valeurs essentielles qui rapprochent les peuples du monde malgré les distances
géographiques. Après, la Syrie, les Etats Unis où au
nord-est de l’Etat de Iowa, une ville porte son nom,
et ce depuis 1846, la France, Cuba, le Mexique, la
manifestation la plus récente est celle de Caracas, capitale du Venezuela qui compte désormais une place
qui porte le nom de l’Emir Abdelkader. Acte éminemment positif d’échange culturel et d’amitié entre
les peuples, fondé sur la profondeur de l’histoire et la
nécessité de la préserver et de l’honorer pour éclairer
les chemins du devenir. Au-delà de la dimension
nationale de l’Emir – dimension fondamentale qui
a enfanté la lignée des leaders de la Révolution algérienne et sa modernité pour les peuples du Sud –, il
reste l’une des plus hautes figures de l’humanité.
( 111 )
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Emir Abdelkader
Portrait
Le Président Abdelaziz Bouteflika et le président de la fondation Emir Abdelkader, Mohamed-Lamine Boutaleb à Mascara
Et c’est aux nombreuses relectures sur la vie, actes, œuvre, de
cette figure exemplaire, de combat et de résistance, être archétypal de réconciliation entre les
peuples, figure ni mythique ni
mystique, qui a assisté à la montée
de la civilisation de la machine, du
nombre et du quantum, que Hadj
Mohamed-Lamine Boutaleb tente,
somme toute, de rapprocher de
nous, non pas par nationalisme ou
panarabisme, nous dira-t-il, mais
par l’universalisme de cette figure
exceptionnelle, héritier spirituel
d’Ibn ‘Arabi, cet Andalou dit le
cheikh El Akbar (le plus grand des
cheikhs) qui l’avait tant inspiré.
Leila Boukli
A Tlemcen avec le cheikh Belkaid de la tarika El Habria remettant à Mr Boutaleb une plaque de reconnaissance et d’honneur
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
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Supplément N° 11 - Mars 2013.
Tizi Ouzou
la capitale
des genêts
Par Hassina Amrouni
Tizi Ouzou
Histoire
d'une
ville
Ruines romaines de Tigzirt
Tizi-Ouzou signifie en kabyle « le col des genêts ». Uzzu ou azezu est, en effet, le genêt
épineux, jadis très abondant dans la région, mais qui a fini par se réduire au fil du
temps au point de disparaître. La première partie du nom, Tizi, « le col », provient
de l’existence d’un passage de près de 3 km de large par lequel on peut contourner les
gorges du Sébaou.
C
ontrairement à d’autres villes
d’Algérie qui ont vu défiler des
occupants depuis l’ère préhistorique ou, tout le moins, antique,
Tizi-Ouzou, elle, est de fondation plutôt récente. L’existence
de la capitale de la Kabylie ne remonte, en effet,
qu’à trois siècles environ car il n’y a aucune trace
d’établissement antique ni même médiéval sur le
site !
Toutefois, certaines régions alentour ont, elles,
connu une occupation plus lointaine. Cela est
d’ailleurs attesté, dès le début du XIXe siècle par
certains auteurs français, tels que Carette qui,
dans son livre Etudes sur la Kabylie proprement
dite signale des traces de voie romaine au lieudit Ihensnaouan (Hasnaoua), à Tighecht, lieu
dit Tamda et à Ain Meziab, près de Mekla. Des
traces, aujourd’hui, disparues.
De son côté, l’historien J. Mesnage soutient
qu’il existait au nord du Sébaou quatre cités romaines, en l’occurrence Taouarga, Tikobaïne,
Agouni Tamdint et Agouni Thabet, qui se
trouve au nord de la localité de Fréha. Là encore,
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 114 )
il n’existe pas d’autres informations sur ces dites
cités, ni même sur leurs appellations romaines, à
l’exception de Bida Municipum (Djamaa Saharidj), citée par des auteurs anciens.
Arrivée des Turcs à Tizi-Ouzou
Cherchant toujours à soumettre les populations autochtones à l’impôt, les Turcs –dans leur
progression en Kabylie – accèdent à la vallée du
Sébaou au début du XVIIIe siècle. Vers 1715, ils
construisent, en effet, sur la rive droite du fleuve,
au lieu dit Tazaghart, un bordj ou fort, afin d’y
abriter leurs troupes. Toutefois, ils se rendent
très vite compte que ce lieu était inapproprié car
situé au pied de la montagneet non en hauteur, il
était donc exposé aux attaques des Kabyles déjà
très hostiles à la présence turque dans la région.
C’est ce qu’ils feront d’ailleurs, détruisant l’édifice
et chassant ces conquérants aussi vite qu’ils sont
arrivés. Loin d’être découragés par ce revers et ne
renonçant guère à leurs desseins, les Turcs décident de bâtir une place forte, sur l’emplacement
de l’actuelle ville de Tizi-Ouzou. Le bordj de
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Histoire
d'une
ville
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Ces pièces avaient été amenées de Dellys sur des
traîneaux à roulettes. Le bordj, qui était solidement construit, refermait un four, un puits et un
moulin. Il y avait, près de la porte, une source
ombragée de trois trembles. »
C’est ainsi qu’à mesure que le fort grandissait,
une sorte d’agglomération civile se créait autour
avec l’installation de familles turques, mais aussi
autochtones (des Kabyles, descendus des montagnes ainsi que des Algériens venus de Dellys,
des Issers) ou encore des Koulouglis (métis de
femmes algériennes et de soldats turcs) dont les
descendants habitent toujours à Tizi-Ouzou.
Tizi Ouzou
Tizi-Ouzou ne devait pas être imposant, il devait
juste servir de poste d’observation pour surveiller les mouvements des habitants, abriter les soldats et leurs montures et, bien évidemment, les
collecteurs d’impôts.
A son arrivée, Ali Khodja décide de le renforcer, créant aussi deux autres bordjs, l’un à Boghni
et l’autre à Tadmaït. Ce dernier sera d’ailleurs, le
plus grand de toute la Kabylie.
Le bey Mohammed Ben Ali, dit Al Debbah
(l’égorgeur) entreprend, pour sa part, d’agrandir
le fort de Tizi-Ouzou, renforçant par là même le
nombre de soldats ainsi que la présence turque
dans la ville. Les habitants de la région tentent à
maintes reprises de prendre possession du fort,
multipliant les attaques mais ils n’y parviennent
pas. Il faut dire que ces sites défensifs n’étaient
pas conçus de telle sorte à être vulnérables, au
contraire, c’étaient de véritables petites forteresses, si l’on se réfère à la description de E. Carette en 1840 qui écrit :
« Les Turcs avaient construit, jadis, à Tizi-Ouzou, une forteresse entourée de murs de cinq à
six mètres d’élévation, dans laquelle ils entretenaient cinquante hommes ; elle était, en outre,
munie de plusieurs bouches à feu, pourvue d’embrasures aux angles et sur les faces. Elle pouvait
contenir seize pièces, mais n’en conserve que dix.
Arrivée des Français 14 ans après la
prise d’Alger
Les Turcs tout comme les Français essayent
d’investir le massif kabyle mais ils rencontrent
une farouche résistance, ils n’y parviennent
qu’au terme de plusieurs tentatives. En 1844,
soit 14 années après la prise d’Alger, le Français
Bugeaud conquièrt Bordj Menaïel, ensuite Dellys, Baghlia et enfin Tadmaït. Quant au bordj de
Tizi-Ouzou, lui aussi convoité depuis des années,
il ne sera pris qu’en 1851, au cours de l’expédition
sanglante du général Cuny qui a causé la mort de
centaines de personnes.
( 115 )
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Tizi Ouzou
Histoire
d'une
ville
Lala Fadhma N’Soumeur
Tizi-Ouzou durant l’époque coloniale
C’est à partir de ce bordj que les Français tentent d’investir le Djurdjura. Entre 1852 et 1853, le
maréchal Randon tente de prendre le bloc montagneux mais il trouve en face de lui une Fadhma
N’Soumeur résolue à se battre jusqu’à son dernier souffle pour préserver la liberté de ses terres
ancestrales. Etonné par le courage et la bravoure
de cette jeune femme dont il ignore le nom, il la
surnomme la « Jeanne d’Arc du Djurdjura ». Le
24 mai 1857, l’armée coloniale française donne
l’assaut final sur le village d’Ath Irathen (Fort
national), la forteresse finira par être prise le
10 juillet 1857, après des semaines d’opposition
acharnée de la part de la population.
Le lendemain, Lalla Fadhma N’Soumeur est
capturée mais ce ne sera guère la fin des insurrections qui se poursuivront çà et là jusqu’au 1er
novembre 1954, date d’entrée de tout le peuple
algérien en guerre pour le recouvrement de son
indépendance.
l’administration coloniale décide de l’installation
de colons dans la région. Les autochtones sont
chassés de leurs terres.
La ville de Tizi-Ouzou naît officiellement le
27 octobre 1858 par décret impérial. A l’origine,
cette ville était distinguée du village «musulman» ou « village indigène ». Cependant, les
deux villages finissent par se fondre en un seul.
Le petit hameau devient un village puis une ville
coloniale, surtout après l’installation de plusieurs
services publics tels que la juridiction, les lieux
de culte (église Saint-Eustache, mitoyenne de
deux mosquées traditionnelles : Lalla D’Mamiya et Lalla Saida), deux écoles, l’une pour filles
et l’autre pour garçons, un hôtel, un bureau de
poste et même une voie de chemin de fer qui,
en 1888, relie Tizi-Ouzou à Alger, précipitant
ainsi le développement de la ville. Cependant, les
insurrections, les exactions, la répression, la politique de la terre brûlée appliquées par les troupes
françaises à l’encontre de la population indigène
vont finir par pousser cette dernière à déserter
les villages pour venir s’installer à Tizi-Ouzou.
Cette poussée démographique ira d’ailleurs en
évoluant puisque de 15000 habitants en 1962, la
population de Tizi-Ouzou passera à 100 000 en
1998.
Aujourd’hui, Tizi-Ouzou est l’une des villes les
plus importantes d’Algérie.
Naissance de Tizi-Ouzou
A la conquête du bordj de Tizi-Ouzou, les
Français le réaménagent. Ils l’agrandissent,
construisent des casernes et des entrepôts pour
loger les soldats. Des baraques sont bâties par des
civils européens et des commerçants travaillant
avec l’armée, c’est ce qui constituera le point
de départ de la ville qui ne cessera de s’agrandir pour donner l’actuelle Tizi-Ouzou. Dès lors,
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( 116 )
Hassina Amrouni
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Tizi-Ouzou et son patrimoine
Tizi Ouzou
Le riche héritage
du passé
Histoire
d'une
ville
A l’instar d’autres régions du pays, la partie occidentale de la Kabylie a vu se succéder plusieurs civilisations : phénicienne, grecque,
romaine, vandale, byzantine, arabe, espagnole, turque et enfin
française, cela, contrairement à la partie orientale, demeurée moins
accessible aux assauts conquérants.
Par Hassina Amrouni
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 117 )
www.memoria.dz
Tizi Ouzou
Histoire
d'une
ville
Ruines romaines dans la région de Tizi-Ouzou
C
es envahisseurs ont laissé, pour
la plupart, des traces de leur
passage, ce qui constitue un
héritage historique à préserver
de l’érosion du temps. La wilaya
de Tizi-Ouzou abrite 202 sites
culturels disséminés à travers 21 daïras. On y a
découvert des traces de fermes, d’huileries, de
vestiges de pressoirs et pierres de taille de l’industrie lithique, de pressoirs creusés dans le roc, de
peintures rupestres et d’inscriptions libyques, de
nécropoles, de villages traditionnels et de traces
de ports antiques. Ces vestiges qui remontent
à différentes époques, allant de la préhistoire
jusqu’à l’époque de la colonisation française, sont
pour beaucoup d’entre eux à l’abandon d’où l’urgence d’un classement.
Fort heureusement, certains sont protégés et
bénéficient d’un programme de préservation, tels
les ruines romaines dites Habs El Ksour, situées
à Azeffoun, le mausolée de Taksebt à Iflissen,
les ruines romaines de Tigzirt (temple de la basilique), le bordj turc de Tizi-Ouzou et celui de
Boghni, la maison de Abane Ramdane à Azouza
(Larbaâ Nath Irathen) sur laquelle ont été engagés des travaux de réhabilitation, la zaouïa de Sidi
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 118 )
Ali Moussa à Souk El Tenine qui connaît des travaux d’urgence ainsi que la maison des Ath Kaci
qui devrait être transformée en musée et celle de
Fadhma N’Soumeur. Située au village Soumeur,
dans la commune d’Iferhounene, thakhalwith
(repaire) de cette héroïne de la résistance algérienne contre l’occupant français date du début
du XIXe siècle. La maison est composée de deux
espaces : tazeqqa et taâricht, les murs sont en pierre
schisteuse liées avec du mortier d’argile. La toiture est faite en tuiles creuses reposant sur un
plancher en bois. Proposée au classement par la
direction de la culture de Tizi-Ouzou, la maison
de Fadhma n’Soumeur est classée patrimoine à
préserver.
D’autres lieux historiques tels que les maisons
de Cheikh El Hasnaoui, Mohamed Iguerbouchen, Krim Belkacem, Mohand Oulhadj ou encore les allées couvertes d’Aït Rhouna sont également proposés au classement. Cela permettra
de dégager des budgets pour leurs restauration
et préservation.
Concernant les allées d’Ath Rhouna, dans
la commune d’Azeffoun, il faut savoir qu’elles
seraient vieilles de 5000 ans. Selon G. Camps,
chercheur au CNRS et spécialiste de la civilisa-
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Des vestiges de l’époque romaine
Tigzirt l’antique Iomnium
On ne peut évoquer le patrimoine culturel
de Tizi-Ouzou, sans parler de Tigzirt, l’antique
Iomnium, une daïra qui jouit d’un ancrage historique lointain. Les vestiges de son passé millénaire sont largement visibles et témoignent d’une
existence humaine remontant à des milliers
d’années, mais rendent compte aussi du passage
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Tizi Ouzou
tion berbère, il n’y aurait que 14 allées couvertes
dans toute l’Afrique du Nord : 8 d’entres elles se
trouvent à Aït Rehouna et 6 à Ibarissen, à l’ouest
de Toudja dans la wilaya de Béjaïa.
Ces monuments mégalithiques présenteraient,
toujours selon le même chercheur, des similitudes avec certains autres sites se trouvant en
Sardaigne, en Italie et dans les îles Baléares. Ce
seraient des nécropoles ou monuments funéraires.
Autre site remarquable dans la wilaya, l’abri
sous roche d’Ifigha, dans la daïra d’Azazga. Appelé par la population locale « Ifri N’Dellal », cet
abri a été découvert par Si Amar Saïd Boulifa en
1909. Situé à mi-pente entre les villages d’Aourir
et d’Ifigha, cet abri comprend près de 550 signes
disposés en lignes verticales, étalé sur 9 mètres
de large et 4 mètres de hauteur. Il est protégé
par un surplomb de rocher de 2,50 mètres. Les
parois sont ornées de peintures, à l’exception de
la partie exposée au soleil qui, elle, est moins
conservée.
de plusieurs civilisations
: phénicienne, byzantine,
vandale, romaine et française.
La ville romaine a été
érigée entre 145-47 avant
J.-C. Elle était, au départ,
constituée d’un casernement ceint d’une muraille
défensive, mais le site
connaîtra une extension,
à partir du IIIe siècle,
devenant ainsi une ville
civile. On y construit
alors un temple, attribué à un certain Julius
Felix, ce temple dédié
au dieu protecteur de la
ville se trouve du côté
est, à proximité du Cardo, route dallée. Le site
est également composé d’une basilique datant de
l’époque byzantine (VIe après J.-C.).
Il faut savoir que ce site qui s’étendait à l’époque
romaine sur une superficie de 10 ha est réduit
aujourd’hui, à 2,6 ha à cause de l’édification dès
1888 de la ville coloniale par les Français sur le
site lui-même.
Parmi les autres richesses de cette daïra figure
le rocher de Tala Bouzrou, un rocher de forme
étrange baptisé Azrou Imedyazen ou rocher des
sages. Témoignant d’une civilisation préhistorique remontant à plus de 5000 ans, ce rocher
comporte plusieurs inscriptions libyques et des
dessins rupestres représentant des scènes de
chasse et des animaux.
A Taksebt (antique Rusupisir), village dans
la localité de Tigzirt, d’autres sites éveillent les
curiosités, car remontant aux environs du IIe
siècle avant J.-C. Le mausolée de Taksebt se
trouvant sur le sommet du cap Tadlès a été découvert aux alentours de 1848-1850. Datant du
IIe siècle avant J.-C., ce mausolée a malheureusement beaucoup été endommagé à la suite du
tremblement de terre de 2003.
Tizi-Ouzou, c’est 3568 km2, 21 daïras et 202
sites culturels, archéologiques et historiques. Il
est donc peu évident de pouvoir tous les évoquer
dans un article.
Histoire
d'une
ville
Hassina Amrouni
( 119 )
www.memoria.dz
Tizi Ouzou
Histoire
d'une
ville
Tizi-Ouzou,
vivier de prodiges
Abane Ramdane
Krim Belkacem
Matoub Lounes
Mouloud Feraoun
Par Hassina Amrouni
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 120 )
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Mohamed Issiakhem
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
gement sur leur abnégation, leur bravoure et leur
nationaliste.
Amar U Saïd Boulifa, Mouloud Mammeri,
Mohamed Ben Hanafi et d’autres encore se sont,
pour leur part, consacrés à la culture berbère
et à son expression académique, tandis que des
artistes à l’image d’Idir, Aït Menguellet, Matoub
Lounès, Brahim Izri, Taleb Rabah, Slimane
Azem, Cheikh El Hasnaoui ou Cherif Kheddam
se sont attelés à faire sortir la chanson et le texte
poétique amazighs des monts du Djurdjura pour
le faire voyager à travers le monde.
Eux aussi natifs ou originaires de Tizi-Ouzou,
M’Hamed Issiakhem, Mohamed Fellag, El Hadj
M’Hamed El Anka, Youcef Boukella, Mustapha
Ayad, Kamel Messaoudi et on en oublie encore,
ont, à travers des expressions artistiques différentes, contribué à l’apogée de leur terre natale, la
faisant connaître aux quatre coins du monde et ils
ne sont, sans doute, pas les seuls car demeurent
encore de nombreux autres enfants prodiges que
nous n’avons pas pu évoquer dans cet article
Hassina Amrouni
Tizi Ouzou
L
a Kabylie a, depuis l’aube des
temps, été un véritable vivier
de personnalités. Résistants,
hommes politiques, penseurs,
hommes de culture, écrivains, artistes ou sportifs, ils ont, chacun
dans son domaine, contribué à l’essor de cette
région.
Terre des Amazighs – hommes libres –, la
Kabylie a donné à l’Algérie des femmes et des
hommes valeureux. Ils sont nombreux ceux qui,
comme Abane Ramdane, Krim Belkacem, colonel Amirouche, Ali Zammoum, Hocine Aït Ahmed, Ali Laïmèche ou Fadhma N’Soumer, pour
ne citer que ces quelques noms, ont combattu
pour une Algérie libre et indépendante.
A leurs côtés, d’autres ont combattu par leurs
idées et leurs écrits.
Mouloud Feraoun, Mohamed Arab Bessaoud,
Jean El Mouhouv Amrouche, Ali Hammoutène
se sont, pour certains d’entre eux, sacrifiés pour
leurs idéaux de liberté, léguant à la postérité une
œuvre courageuse et engagée qui renseigne lar-
Histoire
d'une
ville
Kamel Messaoudi
( 121 )
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Tizi Ouzou
Histoire
d'une
ville
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Cheikh Si Mohand u M’Hand
Le poète errant
Poète et philosophe appartenant à la confédération tribale des Aït-Irathen, Si
Mohand u M’hand a vu le jour en 1845 à Icheraïouen, l’un des villages de la commune de Tizi Rached, dans la wilaya de Tizi-Ouzou.
Si Mohand u M’hand a connu l’exil dès son jeune âge. En effet, après la pacification de la Kabylie en 1857, le général Randon fait exproprier les habitants de
leurs demeures et de leurs terres, fait raser le village d’Icheraïouen et fait bâtir à
la place Fort-Napoléon qui deviendra Fort-National (Aïn El Hammam). A la
suite de ce malheureux événement, les parents du jeune Mohand partent s’installer
à Sidi Khelifa, petit hameau près d’Akbou. Le jeune homme se destine à des études
de droit mais l’insurrection kabyle de 1871 met fin à ses projets. Son père est tué,
son oncle déporté en Nouvelle-Calédonie et son autre oncle s’enfuit en Tunisie. Sa
mère retourne au village natal, accompagnée du plus jeune de ses fils, quant à Akli
l’aîné, il prend ce qui reste de la fortune paternelle et s’en va vivre d’un commerce en
Tunisie. Mohand qui ne reçoit que des miettes dilapide très vite son héritage. Mouloud Mammeri écrira à ce sujet : « Ainsi libéré de tout et de tous, sauf de lui-même,
il va désormais poursuivre une vie errante, que vont se disputer toutes les misères et
tous les vices, aussi quelques rares joies vite closes. »
Si Mohand u M’hand erre alors de ville en ville, au gré de ses humeurs, toujours
guidé par la voie du verbe et du vers. Vivant dans le désarroi et le dénuement et
témoin d’une société qui vit des affres terribles, il déclame des isefra, face à un auditoire qui se reconnaît dans chacune des situations et chacun des thèmes abordés par
le poète. Et même s’il ne répète jamais ses poèmes, la mémoire populaire s’est chargée
de les conserver, voire de les préserver. Alors qu’il trouve la mort à Michelet le 28
décembre 1905, ses poèmes sont publiés sous forme de recueil en 1904 par Amar
Boulifa, en 1960 par Mouloud Feraoun, en 1969 par Mouloud Mammeri et en
1997 par Larab Mohand Ouramdane, d’autres poèmes seront réunis par Younes
Adli qui les publie en 2000. Mohand u M’hand repose à Asqif N Tmana dans
la daïra de Aïn El Hammam.
Hassina Amrouni
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Supplément N° 11 - Mars 2013.
Lalla Fadhma N’Soumer
La vaillante
résistante du Djurdjura
Histoire
d'une
ville
Tizi Ouzou
Figure de proue de la résistance kabyle contre l’occupant français,
Fadhma Nath Si Hmed, plus connue sous le nom de Fadhma N’Soumer, fut une jeune femme au destin hors du commun.
Par Hassina Amrouni
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 123 )
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Histoire
d'une
ville
Tizi Ouzou
Lala Fadhma N’Soumeur
N
ative du village Werja,
proche d’Asqif N Tmana,
dans la daïra de Aïn El
Hammam, Fadhma y a vu
le jour en 1830. Son père,
cheikh Ali Ben Aissi, est le
chef d’une école coranique, liée à la zaouïa Rahmania de Sidi Mohamed Ibn Abderrahmane
Abu Qabrein.
Très jeune, elle apprend le Coran, en entendant
son père psalmodier les versets. A l’adolescence,
on raconte que Fadhma devient une belle jeune
fille, aussi, on décide de la marier. Les prétendants se succèdent, mais elle n’en accepte aucun,
aussi, décide-t-on de l’enfermer dans un réduit
car déclarée possédée. Lorsqu’on l’en ressort,
elle est comme transformée : Dieu lui a révélé
sa foi. Ses parents la marient de force à son cou-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 124 )
sin. Une fois chez son époux, elle décide de ne
pas consommer le mariage. Au bout d’un mois,
elle est renvoyée chez ses parents. Fadhma est
une nouvelle fois mise en quarantaine. On assiste alors à une seconde métamorphose de la
jeune femme. Tout le monde la prend pour une
folle, on la laisse alors tranquille. Ses journées se
passent dehors, elle vagabonde du lever jusqu’au
coucher du soleil dans les montagnes de son village. C’est d’ailleurs, lors de l’une de ses virées
qu’elle découvre la « Grotte du macchabée ». Un
jour, elle émet le souhait de partir rejoindre son
frère, cheikh au village de Soumer. Ainsi, placée
sous son aile, elle se met à apprendre le Coran et,
au lendemain de la mort de son père, elle dirige
avec son frère son école coranique. Elle se dévoue un temps aux enfants et aux pauvres.
Les villageois se font peu à peu à ses excen-
Supplément N° 11 - Mars 2013.
Portrait de Fadhma N’Soumeur
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Tizi Ouzou
tricités et finissent par l’accepter. Mieux, ils en
arrivent à lui vouer du respect et la font intervenir dans le règlement des conflits. Elle fait même
des prédictions qui laissent perplexes tant elles
s’avèrent fondées. La nuit, Fadhma rêve, hallucine, le jour, elle raconte ses cauchemars à son
frère. Un jour, elle réunit les villageois sur l’agora
et leur annonce : «Chaque nuit, je vois des hordes
farouches qui viennent nous exterminer et nous
asservir. Nous devons nous préparer à la guerre
!»
Les paroles de la jeune femme sont prises au
sérieux, aussi, des émissaires s’en vont parcourir
la Kabylie afin de mobiliser les hommes contre
cet envahisseur qui s’annonce.
En 1847, le maréchal Randon décide d’envahir la Kabylie. La population résiste. Fadhma
N’Soumer prend les
armes. Elle lutte avec
force contre l’armée
coloniale et les batailles qu’elle engage
sont sanglantes. Les
Français la surnomment « la Jeanne
d’Arc du Djurdjura
». Elle forme une
armée forte et disciplinée qui ne recule
devant rien. En 1854,
elle met en échec une
armée dirigée par
deux généraux : Mac
Mahon et Maissiat.
Randon tente alors
de trouver des appuis
en Kabylie afin qu’on
lui indique où trouver
Fadhma. Les Français se retrouvent
dans l’obligation de
se replier car ils font
face à une armée kabyle qui les tient en
échec. Ce repli dure
trois ans et Fadhma en profite pour
renforcer ses rangs
armés. Lorsqu’ils reviennent sur la scène
du combat, les Français sont plus forts.
Après avoir trouvé refuge dans la zaouïa de Sidi
Ali Boumaâli, à Tourtatine, près de Tablat, Fadhma retourne en Kabylie. Elle finit par être arrêtée
le 27 juillet 1857dans le village de Takhlijt Ath
Atsou, près de Tirourda.
Sa bibliothèque richement garnie de livres
religieux et scientifiques est détruite par l’armée
française. Son frère meurt en 1861. Très affectée
par le décès de son aîné, elle meurt, elle aussi, en
1963 à Béni Slimane, à l’âge de 33 ans, en raison
de ses dures conditions d’incarcération. Enterrée
au cimetière de Sidi Abdallah, à une centaine de
mètres de la zaouïa Boumaâli à Tourtatine, ses
ossements sont transférés vers le Carré des martyrs au cimetière d’El Alia en 1994.
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d'une
ville
Hassina Amrouni
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Tizi Ouzou
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Richesses naturelles de Tizi-Ouzou
Terre de
découvertes et de
dépaysements
Tizi-Ouzou est considérée comme un véritable pôle touristique.
Outre son riche héritage patrimonial, la région renferme quelquesuns des sites naturels les plus beaux et les plus visités d’Algérie.
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Le genêt symbole de la région de Tizi-Ouzou
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Magreb) devient la grotte du macchabée, avec
l’arrivée des Français. A noter que le macchabée
y repose toujours.
Culminant à une altitude de 1850 mètres,
Azrou N’Thour domine la région d’Iferhounène.
Lieu de villégiature, connu de toute la Kabylie
et même au-delà, ce site offre une vue panoramique sur Azazga au nord, Larbâa Nath Irathen
au sud-ouest, Akbou à l’est, jusqu’aux environs
de Bouira au sud-est. Azrou N’Thour est, aussi,
un lieu de pèlerinage annuel pour des centaines
de natifs de la région. Chaque été, au mois d’août,
ils s’y retrouvent à l’occasion d’une fête traditionnelle désignée sous le nom d’assensi (le cortège).
Tirant ses origines d’une époque très lointaine,
cette fête a su résister au temps. On raconte qu’il
y a plusieurs siècles, un saint vivait vraisemblablement en ermitage sur les lieux où dans les
parages. Il serait décédé en tombant du haut de
ce lieu après avoir accompli sa prière du « dohr
». « Il était un saint bienfaiteur », dit-on encore
de lui de nos jours, et les habitants de la région
l’ont honoré en bâtissant un mausolée (lemqam en
kabyle) également appelé el djama’ oufella sur le lieu
( 127 )
Tizi Ouzou
Le massif du Djurdjura est, à lui seul, un immense réservoir touristique. Composé de deux
chaînes montagneuses, le Djurdjura culmine
avec son mont Lalla Kedidja à 2308 mètres.
Les hydrologues qualifient le Djurdjura de «
château d’eau percé », en raison des différentes
sources d’eau potable qui la parsèment. Anou
n’Ifflis qui figure parmi les premiers gouffres
à avoir été exploré dans le monde, est également considéré comme le plus profond de toute
l’Afrique (1170m). Bien connu des spéléologues
algériens, français, espagnols et belges, qui y ont
effectué plusieurs expéditions à partir de 1980,
il est également appelé « le gouffre du léopard ».
Située près de Aïn El Hammam, à Azru n
Tijjr, la grotte du macchabée, est une autre destination du Djurdjura qui attire de très nombreux
visiteurs. Elle tire son nom d’un macchabée découvert par des spéléologues lors de sa première
exploration à la fin du XIXe siècle. Mais certains
racontent que c’est Lalla Fadhma N’Soumer qui,
lors de l’une de ses pérégrinations, découvre cette
grotte en premier. « El Ghar ntemdhint » (Grotte
de la ville) ou encore « Ifri Maareb » (Grotte du
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même où il a perdu la vie.
Depuis, les villages
Zoubga, Aït Adella et Aït
Atsou se réunissent pour
les préparatifs de cette
fête locale et des visiteurs
viennent d’un peu partout
pour une offrande (waâda).
Cette
procession
d’hommes, de femmes et
d’enfants monte jusqu’au
pic, dans une ambiance
joyeuse, puis, aux alentours
de midi, des plats de couscous, richement accompagnés de viande sont servis
aux visiteurs, moment de
communion et de baraka.
Vers 13h (à l’heure du dohr,
T’hor, en kabyle, d’où le
nom du rocher), agraw
(l’assemblée) s’installe sous
les arbres pour recevoir
l’offrande, prêcher la bonne
parole. Outre le côté mystique qui peut entourer cet
événement, les visiteurs y
trouvent là l’occasion de
grandes retrouvailles entre
familles, voisins et amis.
Tala Guilef, Lalla-Khedidja, le lac Agoulmine, le
gouffre de Boussouil (1259
m), les cols de Tirourda
(1700 m) et Tizi-N’kouilal
(1600 m) figurent parmi les
autres sites les plus connus
du Parc national du Djurdjura. Si toutes ces destinations sont favorables pour
les sports d’hiver, randonnées pédestres, l’alpinisme
ou encore la spéléologie, en revanche, d’autres
destinations comme les forêts de Yakouren et
de Mizrana s’avèrent tout indiquées pour les
randonnées sportives, les séjours écologiques et
culturels.
Outre ce patrimoine, la wilaya de Tizi-Ouzou
est aussi connue pour la diversité et la richesse de
son artisanat, notamment à travers la bijouterie
d’Ath Yenni, la poterie de Maâtkas, Bounouh, les
Ouadhias et Ath Kheir, le tapis d’Ath Hichem
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Une femma kabyle
L’artisanat traditionnelle kabyle
dans la région de Aïn El Hammam, l’ébénisterie,
le tissage, la vannerie ou encore la broderie qui
font la réputations de plusieurs autres localités
de cette wilaya. Tous ces métiers traditionnels
sont valorisés à l’occasion de fêtes annuelles qui
leur sont consacrées (poterie en juin, bijoux en
juillet, tapis en août…), une manière de les sortir
du confinement en les faisant connaître à un plus
large public.
Hassina Amrouni
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Tarihant
Tizi Ouzou
plus vieux village
de Kabylie
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La wilaya de Tizi-Ouzou compte quelque 500 villages, disséminés
à travers 67 communes. L’un de ces villages, Tarihant, en l’occurrence, est considéré comme le plus vieux de toute la Kabylie.
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Paysage de Tarihant
S
itué dans la zone du versant sud de la
région côtière et au nord du Sébaou,
Tarihant est l’un des plus grands villages de la commune de Boudjima
et compte parmi les villages les plus
anciennement habités de la Kabylie.
L’homme s’y est, en effet, installé depuis la préhistoire.
Sur place, de nombreux vestiges témoignent
de cette très lointaine occupation humaine qui,
selon les spécialistes, remonterait jusqu’à la préhistoire. En effet, la découverte d’industries lithiques mais aussi de divers outils en quartzite
tels que des grattoirs et des lames marquent la
période du Levalloisien ou Paléolithique moyen.
Le Moustérien datant du Paléolithique moyen
(40.000 à 25.000 ans av. J.C.), est également dominant. D’autre part, l’homme protohistorique
s’est aussi établi dans cette région de Tarihant,
preuves en sont ces inscriptions libyques retrouvées sur les parois des cinq abris se trouvant sur
ce site, à savoir Azru T’zizwa, au nord, Azru
Allal, Tamda u Qelwac, Azru Uzaghar et le plus
important, voire le plus riche Azru Imeyazen au
sud. A la fin de l’ère protohistorique, l’homme a
déserté ces grottes pour construire des demeures
plus confortables puis des villages avec plus
de commodités pour répondre à ses besoins.
Dans la région, les témoins de cette transition
sont légion, comme le village antique ainsi que
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deux moulins à huile creusés dans le rocher et
datant de l’antiquité qui font penser qu’il existait
à l’époque une riche industrie de l’huile d’olive,
malheureusement, aujourd’hui, disparue.
Hormis les sites préhistoriques, au nord du village, se trouvent des vestiges remontant à la période romaine d’un village nommé Takvilt (ancien nom de Tarihant).Takvilt possède une kelaâ
(forteresse) et lafayer (sentinelle) comme l’affirme
un vers ancien : « Celui qui veut habiter un palais,
la forteresse est à Garura » (un lieu de Takvilt).
On raconte qu’après de multiples invasions des
Iflissen (Phéniciens) et un glissement de terrain,
les habitants de Takvilt auraient déménagé pour
s’établir à Aït Aissa Mimoun ainsi qu’à Blida.
Takvilt s’est vidée de sa population, puis arrivent trois frères: Moussa Ouali, Kaci Ouali et
Yahia Ouali. D’après les dires, ils ont tué un sultan et pris la fuite pour se réfugier à Tarihant.
Ces trois frères s’installent à côté d’un arbrisseau, appelé la myrte ou Tarihant en kabyle et
construisent leur maison. Puis arrive Meziane
N’Ait Meziane pour renforcer les Oualis.
Aujourd’hui, Moussa Ouali, Kaci Ouali et Meziane N’Ait Meziane ont fondé le peuple du village Tarihant. Yahia Ouali a fondé les deux villages voisins de Takhamt Neldjir et Tissegouine.
Hassina Amrouni
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Abdelaziz Bouteflika, l’homme qui a donné à la diplomatie algérienne ses lettres de noblesse