Télécharger - Maroc culturel

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Mohamed Ameskane
Une mémoire commune
Mohamed Ameskane
Après des études de sociologie et d’histoire de l’art
en France, Mohamed Ameskane a embrassé une
carrière de journaliste dès 1990.
Responsable des pages culturelles du mensuel le
Libéral, dirigé par la regrettée Nadia Bradley, de
la Gazette du tourisme, du supplément du Matin
du Sahara et de la Gazette du Maroc, il co-réalise
avec Mohamed Minkhar la série documentaire
« Filbali oughniyatoun », diffusée sur Al Oula.
Une mémoire commune
G r a p h e ly
Mohamed Ameskane à publié en 2009, dans
le cadre de la 1ère édition du Festival AWTAR,
« 30 refrains de la mémoire, tubes de la variété marocain »
‫م�ؤ�س�سة الرحامنة لل ّتنمية امل�ستدامة‬
Une mémoire commune
Mohamed Ameskane
Sommaire
le Maghreb en chansons
7
Figures de la chanson marocaine
Ahmed Al Bidaoui
Zohra El Fassia
Haj Belaïd
Abdelwahab Agoumi
Mohamed Fouiteh
Abdelouahab Doukkali
Bahija Idriss
Abdelkader Rachedi
Abdessalam Amer
Hajja Hamdaouia
11
15
19
23
27
31
35
39
43
47
Figures de la chanson algérienne
Mahieddine Bachetarzi
Haj M’hamed El Anka
Warda Al Jazairia
Ahmed Wahbi
Noura
Dahman El Harrachi
Saloua
Rabah Driassa
Salim Halali
Slimane Azem
51
55
59
63
67
71
75
79
81
85
Figures de la chanson tunisienne
Khamis Tarnane
El Hadi Jouini
Saliha
Mohamed Jamoussi
Oulaya
Ali Riahi
Habiba Messika
Ahmed Hamza
Cheikh El Afrit
Naâma
91
95
99
103
107
111
115
119
123
127
Chanteuse mauritanienne
Maalouma Bint El Midah
131
Compositeur libyen
Youssef El Alem
135
Avertissement
« Chansons maghrébines, une mémoire commune » a été conçu dans le cadre
de la deuxième édition du Festival Awtar, tenue du 6 au 9 mai 2010 à
Benguerir. A mi chemin entre le livre et le catalogue, c’est avant tout
un outil pédagogique accompagnant la programmation autour des
concerts : « Le Maghreb en chansons. » A travers plus d’une trentaine de biographies, il met en lumière quelques
figures emblématiques ayant marqué la naissance et l’évolution de la
chanson maghrébine moderne. Evidemment que c’est réducteur et
mon choix, que j’assume, reste personnel et subjectif.
Dans l’attente d’une histoire, encyclopédique et pluridisciplinaire, de
la chanson maghrébine, nous sommes contraints de nous contenter
des travaux de quelques passionnés. Je nomme les Marocains Abdallah
Chakroun, Salah Cherki, Ahmed Aydoun, les Algériens Mahiéddine
Bachetarzi, Ahmed et Mohamed Lahbib Hachelaf, Achour Cheurfi, Rachid
Aous, Bouziane Daoudi et les Tunisiens Mohamed Boudina, Hamadi Abassi
et Tahar Melligi. Les portraits des artistes algériens et tunisiens, figurant
dans ce document, sont largement inspirés des travaux de ces derniers.
Le Maghreb en chansons
La chanson maghrébine moderne est le fruit d’un long processus
historique, brassage de différentes cultures, d’influences réciproques
et du métissage des traditions africaine, amazighe et arabe. La musique
andalouse, avec ses différentes variantes, Ala, Sanâa, Gharnati et Malouf,
reste l’un des dénominateurs communs des pays du Maghreb.
Les maîtres, Mohamed Fouiteh, El Hadi Jouini, Mahieddine Bachetarzi,
Abdelwahab Agoumi, Mohamed Jamoussi, Mohamed El Kamel,
Abdelkader Rachedi, Ali Riahi, Dahmane El Harrachi ..., après avoir
assimiler la renaissance égyptienne, avec Sayed Darwich et Mohamed
Abdelwahab, la musique classique occidentale, les genres méditerranéens,
notamment le flamenco, les modes en provenance des Amériques, tango
et jazz, se sont attelés à la création d’une chanson spécifique.
Artistes d’une même famille, partageant le pain et le sel, les expériences,
les frustrations et les créations, ils considéraient le Maghreb leur pays
et ses peuples leur public. Difficile de dire qu’un tel genre est originaire
d’un pays ou d’un autre. Le Chaâbi algérien, influencé par le Malhoun,
n-a t-il pas été importé du Maroc par le cheikh Mustapha Nador ? Le
renouveau du Gharnati à Oujda et à Rabat ne s’est-il pas fait grâce aux
maîtres algériens, Mohamed Bensmail et Mohamed Benghabrit ? Les
chants tunisiens de Cheikh Elafrit et de Saliha ne sont-ils pas puisés du
répertoire populaire libyen, transmis par les judéo-arabes Moshé J’Bali
et Asher Mizrahi ?
D’une mémoire musicale commune, les tubes « Alach ya ghzali »,
« Mahhani zine alamar », « Chahloula », « Ya raih », « Lalla fatima »,
« Al horma ya rassoul allah », « Alli gara », « Ya mouja ghanni », « Riht
lablad », « Lahmam li walaftou », « Lamouni elli gharou minni », « Ya
ben sidi ya khouya », « Ched Essif »…. sont fredonnés, avec plaisir,
par l’ensemble des peuples de la région. La musique transgresse la
géographie et transcende le temps. N’ayant pris la moindre ride, les
refrains maghrébins d’hier ne sont-ils pas repris aujourd’hui à travers
l’ensemble du monde arabe ?
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Figures
de la chanson marocaine
Ahmed Al Bidaoui
Ahmed Benchahboune, alias Ahmed Al Bidaoui, est né en 1918 dans
l’ancienne Médina de Casablanca, à deux pas de Jamâa Chlouh, quartier
connu alors par les boutiques spécialisées en instruments de musique.
Son père, qui travaillait à l’école de la marine, est originaire du Souss.
En entonnant, dans une opérette dédiée à Agadir, « C’est Souss qui
chante/ je lui appartiens/ et elle m’appartient/ tous les deux nous
sommes sur une main protectrice. », n’évoquait –il pas ses origines ? Le
texte n’est-il écrit pas l’ami et complice Wajih Fahmi Salah ?
A quatre ans, Ahmed Al Bidaoui intègre le « Msid », l’école coranique
tenu par le « fqih » Si Belkhir, pour apprendre et psalmodier le Coran.
Plus tard, il assiste, avec assiduité, aux cours de Haj Abderrahmane
Ntifi à « Frint Oulad Haim ». D’une mémoire prodigieuse, il mémorise
pendant les cours et les séances des différentes « Zaouïa », la grammaire,
la conjugaison, les lettres, les sciences religieuses avec une préférence
pour la poésie arabe classique. Ses maîtres lui prévoyaient un grand
avenir dans le domaine religieux. Mais c’est le chant et la musique qui
fascinaient et attiraient le jeune prodige.
Outre la musique andalouse, le Malhoun et les chants folkloriques en
provenance des différentes régions du royaume, appréciés à Casablanca,
le début du XXéme siècle a vu l’arrivée des modes orientales. Elie
Bida installa un studio d’enregistrement au boulevard de Paris. Des
vedettes égyptiennes commencèrent à débarquer au Maroc pour de
longs séjours ou une installation définitive. On peut citer les Mohamed
Al Masri, Tahar Al Masri, le violoniste Samy Chouwa, les Tunisiens
Khamis Tarnane et Louisa Tounsia, les Algériens Larbi et son fils
Rédouane Bensari, Amine Hassanine, Nadra, Badiaa M’sabani et
Abdelmoutalib dont l’un des fils vit toujours au Maroc, à Casablanca.
Grâce aux premiers gramophones et aux disques 78 tours, les Marocains
s’initièrent aux « Adwar », « Mouwachah », « Taqatiq » et autres
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« Qasidas » des Salama Higazi, Zaki Mourad, Daoud Hosni, Mounira
Al Mahdia, Abdou Hammouli, Salih Abdelhay, Sayed Darwich et Sayed
Safti. Les radios commencent à diffuser ces répertoires et l’arrivée des
films de Mohamed Abdelwahab, Farid Al Atrache et Oum Kaltoum
finirent par créer une génération de mélomanes. Dans ce contexte,
Ahmed El Bidaoui, qui assistait à l’enseignement de Mohamed Zniber,
lance avec un groupe d’amis « le club de la musique orientale », installé
dans une maison de Derb El Kebir. A partir de 1935, il s’initie au luth
pour en devenir virtuose, forme un premier « Takht », constitué d’un
violoniste et d’un cithariste (Qanoun), et entame une tournée à travers
le pays imitant les refrains classiques en provenance d’Egypte. Peu de
temps après, il lance un deuxième orchestre, formé par des musiciens
musulmans dont Abdelaziz Sefrioui et juifs à l’instar de Salim Azra
(qanoun) et d’Eliahou Bouhtout (violon). Après Lahrizi, Al Kazoui et
Bouchaib Ould El Mouden, tous spécialistes de la musique orientale et
qui, hélas, n’ont rien enregistré, Ahmed El Bidaoui occupe le devant de
la scène.
Un mélomane casablancais, Haj Abdelkader, lui conseille de rejoindre
la capitale. Le roi Mohammed V venait d’y installer, après la troupe
« Khamsa oukhamsine », l’orchestre royal sous la direction de l’Egyptien
Morsy Barakat. Ahmed Al Bidaoui le rejoint en 1938 et ne tarda pas à
entamer ses premières compositions. En 1940, la société Sonyphone lui
confie un rôle dans le film « Assab Al Alil ». Il y interprète trois poèmes
d’Ahmed Chawki. Il joue aussi dans « Demouâa al yatim » de Bachir
Laâlej chantant « Yahabibi Afik », « Hada habibi » et « Ya habiban
ahwah ». Au cours d’une visite du sultan Mohammed V à Marrakech,
les Marocains découvrent, grâce à la radio, les « Ya hayat arrouh » et
« Ya habiba arrouh », composées par Ahmed Al Bidaoui, Abbes Al
Khiati, son frère Al Ghali et Abdelkader Bensalah. A la mort de Morsy
Barakat, Ahmed Al Bidaoui le remplace et assure ,dés 1954, la direction
de l’orchestre moderne, dit orchestre Radio Maroc, qu’il a rejoint en
1939. La formation réunissait les plus grands instrumentistes dont
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Maâti Belkacem, Abderrahim Sekkat, Salah Cherki, Amr Tantaoui,
Abdenebi Jirari, Mohamed Belhachemi, Ahmed Chajaii, Maâti Bidaoui,
Mohamed et Abbes Smires, Mekki Raissi…
Outre la composition et le chant, Ahmed Al Bidaoui a produit des
émissions pour la radio dont « Alam Annagham » et signé des articles
dans le quotidien « Al Alam » sous le pseudonyme de Sadik al moussika.
D’une culture profonde à la fois religieuse, musicale et littéraire,
Ahmed Al Bidaoui a crée son propre style sinon une école, appréciée
au Maroc et dans les pays arabes où il entretenait d’étroites relations
avec les grands artistes à l’instar de Mohamed Abdelwahab et d’Oum
Kaltoum. Attaché à la langue arabe et à une composition « … classique respectant la carrure des phrases (structure binaire), les modulations
classées et conventionnelles, les rythmes anciens.. », comme le souligne
Ahmed Aydoun, il nous lègue un époustouflant répertoire qui reste
à analyser, à questionner et à promouvoir. Celui qui, dés les années
soixante, à assuré la direction du service de la musique au sein de la
radio et qui a présidé les commissions de compositions et de paroles, a
formé des générations d’artistes et d’instrumentistes. Pourquoi s’est-il
arrêté de composer et de chanter depuis cette époque ? Le secret reste
enfoui avec sa disparition le 30 août 1989 !
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Zohra Elfassia
Première femme marocaine auteur-compositeur et interprète, Zohra
Elfassia est née à Fès vers 1900. Son enfance, bercée par les appels des
Muezzins, les prières des rabbins, les chants des adeptes des confréries
et les coups, saccadés et rythmés, que les artisans portent au bois, au
cuir et au cuivre, la petite brunette aux cheveux frisés, aux yeux noirs
et aux pommettes roses, été et hiver, courait les ruelles de la sainte cité
en chantonnant. A l’école de l’Alliance, elle ne ratait aucune occasion
pour pousser la chansonnette tout en rêvant de devenir une grande
cantatrice. Invitée ou pas, Zohra se pointait à la porte de toute maison
où une fête est organisée. En s’installant à proximité de l’orchestre,
on finit toujours par l’inviter pour un tour de chant. C’est ainsi qu’elle
apprit toutes les chansons en vogue à l’époque.
Un de ces beaux matins, Zohra quitte Fès pour Rabat où elle est
accueillie par une grande famille musulmane de la capitale dont le
patriarche, mélomane notoire et fêtard invétéré, avait quatre épouses
dont trois musiciennes qui l’initièrent aux chants classiques et
populaires marocains, algériens et tunisiens. Après Rabat, elle s’installe
à Casablanca à Boutouil, puis à Derb Lingliz pour chuter à la Place
Verdun. . C’est dans la cité blanche qu’elle fait la connaissance de
grands musiciens de l’époque tels Salim Azra, Bouhbout, Soulamit et
autre Shloumou Souiri. Adoptée par les grandes familles bourgeoises
musulmanes et juives, elle était, avec sa troupe, de toutes les grandes
fêtes. Il fallait la voir animer la soirée en jouant du Tarr, instrument
par excellence du chef, en dansant et en interprétant L’Aârossa (la
mariée), devenue l’hymne des noces juives marocaines. Au moment de
laghrama, offrandes d’argent aux musiciens, elle interpellait les convives
par leurs noms de famille et leur distribuait louanges et remerciements.
On venait de loin pour assister à ses prestations, mais aussi pour sa
beauté. Première marocaine à enregistrer ses disques à partir de la fin
des années vingt chez Columbia, Gramophone, Pathé Marconi, Philips
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et autre Polyphone, sa notoriété allait bientôt dépasser les frontières
marocaines pour se faire une place de choix en Algérie et Tunisie en
compagnie des Meriem Fekai, Cheikha Tetma, Reinette l’oranaise et
autre Louisa Tounsia.
Au début des années soixante, Zohra Elfassia s’expatrie en Israël. Elle
s’installa à Ashkelon dans une maison décorée à la marocaine. Bien
coiffée, couronnée, maquillée et habillée de ses plus beaux Caftans,
elle passait ses journées à cuver ses souvenirs. Entourée de poupées
et de bibelots, à chaque fois que son regard croisait celui du roi
Mohammed V dont le portrait trône au salon, elle chantonnait l’un
des éloges qu’elle lui avait consacré.
Après une riche carrière musicale, Zohra Elfassia s’est éteinte en 1995
nous léguant de mémorables refrains, toujours fredonnés avec plaisir
par les nostalgiques.
« al ghorba », « Annar », « Hbibi diali », « Mahla ousoulkoum », « Saadi rit
lbareh », « Ya warda », « Alach klam laar », « Ktab ya taleb », « Lghorba
oulafrak », « Chalat li nar fi galbi », « Mzinou nhar lyoum », « Lamra
lakbiha », « Ayta moulay brahim », « Ayta bidaouia », « Ya najmat lahlal »,
« Al hira » , « Ya warda », « Nechki lrabbi », « Bilwajeb », « Mahla zhou
idoum alina », « Ya biadi ana » ….La discographie de Zohra Elfassia compte une
infinité de refrains d’une grande variété . Si elle est l’une des premières marocaines à
exceller dans le genre Malhoun, elle a aussi interprété le Chaâbi, le Hawzi algérien,
le Gharnati, ainsi que des chansons de la variété tunisienne. Ses morceaux sont
sauvegardés par les radios maghrébines ainsi qu’en Israel où l’édieur Zakiphone
lui sort, de temps à autre, un CD, reprises des anciens 78, 33 et 45 tours. Il y’a
quelques années, le ministère de la culture marocain a consacré une anthologie au
patrimoine national dans toutes ses facettes. Zohra Elfassia y figure avec un CD.
« Elmaâlma » est incontournable.
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Haj Belaïd
Figure emblématique et incontournable de l’ « Amarg » Amazigh,
Haj Belaïd est à la chanson berbère marocaine ce qu’est Mohamed
Abdelwahab à la chanson arabe. Ses refrains indémodables sont repris,
depuis les années trente, par des générations de Rwayes à l’instar de
Rkia Damsiria, Amentag, Amouri Mbarek, par les groupes Izenzaren,
Ousman, Oudaden, sans oublier la nouvelle scène avec, entre autres,
Amarg Fusion.
Ses enregistrements, les documents sur son fabuleux destin, ainsi que
ses photos sont très rares. Le troubadour du Souss est né au 19ème
siècle, entre 1870 et 1875, à Anou n’adou dans la région de Tiznit. Issu
d’une famille modeste, il perd son père dés son jeune âge. Très tôt, il
quitte l’école coranique, où sa mère l’a inscrit , pour gagner sa croute et
aider ses frères. Berger, il sillonne les régions d’Ida oubaâkil et d’Anzi,
accompagné de son inséparable flûte.
On raconte qu’il a fréquenté assidument le Mellah de Tahala dans la
région de Tafraout et qu’il y a appris la musique auprès de la communauté
judéo-berbère du coin. L’intervention du Cheikh R’ma de Tazeroualt,
le Cherif Sidi Mohamed Ousaleh, fut décisive dans sa vie et sa carrière.
Haj Belaïd intègre sa troupe en tant que flûtiste, s’initie à l’Outar et
au Ribab. Par la suite, il crée sa propre troupe avec Rais Mohamed
Boudrâa Tazeroualti, Moulay Ali Souiri et Mbarek Boulahcen. En leur
compagnie, il erre dans le pays à l’instar des troubadours du Moyen Age
avec des haltes chez les grandes personnalités politiques, religieuses et
d’affaires. Très apprécié, ses passages sont courus. Ses thèmes, son jeu
inégalable du Ribab et sa voix ensorceleuse ont fait pleurer les femmes
et bercer des générations de mélomanes.
Auteur, improvisant ses refrains, compositeur et interprète, Haj
Belaïd a chanté plusieurs thèmes. Dans « L’fars », « Tadouat
d’lklam », « Ribab », « Ouar laman », « Igh istara oudar », « Ika isbar
yan », il évoque sa souffrance avec la poésie, l’errance et les voyages.
Dans « L’jouhr », « Ajdig nimi n’trga », « Adbib », « Talb », « Atbir
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oumlil », c’est l’amour courtois, la beauté féminine qui est célébrée dans
des termes très pudiques et des métaphores subtiles. Avec « Ch’rab »,
« Taroudant », la critique sociale est mise en avant. Haj Belaïd a aussi joué
un indéniable rôle, tel un historien du quotidien, dans la consignation
des événements ayant secoué la région et les nouveautés introduites
alors par la civilisation occidentale, dans les chansons « L’makina
ousatiam », « Tiznit oulbacha », « Chifour outoumoubil ». Haj Belaïd
nous lègue aussi des morceaux d’anthologie concernant ses voyages
tels « Amoudou l’hij », décrivant son pèlerinage à la Mecque en 1910,
« Amoudou n’taliouine », rendant visite au pacha Haj Thami Glaoui, et
son fameux « Amoudou n’bariz ». Ce dernier morceau évoque la visite
du Roi Mohammed V à Paris. Bien que le grand Rais ne fût pas de
voyage, il entonne en hommage à la ville lumières :
Our sul illa ch’ka gh’lberr wala gh’waman
Il n’ya plus de difficultés ni sur terre ni sur mer
Wanna iran amoudou add our yakka laâdourat
Celui qui désire le voyage, n’a plus d’excuses
Mkar tid ournki, lakhbar’ns lan darnigh
Bien que nous n’ayons pas été, nous avons de ses nouvelles
Koulou matidikan our iaâwid bla ghar’lkhir
Ceux qui l’ont visité n’en parlent qu’en bien
Au crépuscule de sa vie, « Dalail al khairat » et le Ribab en bandoulière,
l’éternel errant consulta les docteurs de la foi sur la licité de faire
commerce de son art. Après une réponse positive, il déclara, « Les gens
vendent ce qu’ils possèdent, moi aussi ».
Haj Belaïd n’a commencé à enregistrer qu’â partir de 1929. En l’écoutant
chanter, à l’âge de 70 ans, « Tachirguid », « Zeroualia, Tazeroualt »,
« Ouar lman » , « Tagujist » et « Toumoubil », sortie chez Gramophone,
il nous est difficile d’imaginer les subtilités de sa voix quand il était
jeune. Quel Dommage !
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Abdelwahab Agoumi
Né à Fès le 10 octobre 1918 de parents mélomanes, amateurs de
musique andalouse et du Malhoun, avec une mère qui ne cessait de
bercer son enfance de sa belle voix et un père, le Alem Hachem Agoumi,
qui psalmodie le coran comme personne et anime les grandes veillées
du Madih et Samaa, organisées dans les Zaouia de la cité spirituelle,
Abdelwahab Agoumi s’est éprit du chant dés son jeune âge.
Tout en poursuivant son cursus scolaire (école coranique, école Agoumi,
lycée My Idriss, l’université Al Quaraouine), il s’initie au luth et au piano
et fréquente les maîtres de l’époque, les Brihi, Mtiri et autre Moulay
Ahmed Loukili. Au Maroc les premiers gramophones et les disques 78
tours firent leur apparition, les films égyptiens débarquèrent, les amateurs
fredonnaient Abdou Hammouli, Salih Abdelhai, Oum Kalthoum et Farid
Al Atrache. Agoumi lui imitait les refrains de Mohamed Abdelwahab et
s’essayait à la composition avec des textes patriotiques.
« Je l’ai vu jouer dans Kif ayuha al moutaham (debout accusé) de
Abdelouahed Chaoui en 1937. C’était la première fois que je voyais un
acteur et une pièce. Je suis redevable à Agoumi d’avoir fais du théâtre
mon métier », témoigne le dramaturge Ahmed Tayeb El Alj. Dans
un article du journal « Assaâda », on encense son jeu et les qualités
de sa voix dans « Al khalifa Harroun Arrachid maâ al amir ghanem
ben Ayub », présentée dans un cinéma de Meknès le 7 mars 1935. La
pièce faisait partie du programme, avec « man il masoul ? houwa am
hiya », de la grande et mémorable tournée organisée par Abdelwahad
Chaoui pour fêter son départ en Egypte dans les années quarante avec
la bénédiction du Sultan Mohammed V.
Au Caire, Abdelwahab Agoumi s’inscrit à l’institut Fouad 1er avec au
bout le diplôme d’études supérieures de musique, compose l’opérette
« Al Abbassia okht Arrachid », pièce poétique de Aziz Abada jouée
par la troupe « Ramsès », fondée par Youssef Wahbi en 1923, les
chansons du film « Antara al absi » avec Siraj Mounir et Kouka et joue
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dans « Al mountakim », en compagnie de Ahmed Salem et Nour Al
Houda. Figure de la scène égyptienne, il organise tournées, concerts et
enregistre à Radio le Caire, à la BBC de Londres et à Pathé Marconi à
Paris.
Le 22 septembre 1949, Hebdo-Radio de Casablanca écrit sous le titre
« Abdelwahab Agoumi : Le rossignol andalou », « …de retour d’Egypte
pour quelques mois de détente, il est arrivée la semaine dernière à Rabat,
et la première visite qu’il a faite aussitôt à S.M. le Sultan a été pour lui très
encourageante. ». L’enfant prodige avait dans ses cartons « Mawakib
arrabiaa ». Comment convaincre l’orchestre philarmonique de Radio
Maroc de jouer une symphonie arabe composée par un marocain ? La
soixantaine d’instrumentistes européens , des invités solistes avec à leur
tête un chef qui touchait à l’époque plus que le DG de la radio sont plus
habitués aux œuvres de Beethoven , Bach , Haendel, Mozart, Mahler,
Fauré et autre Béla Bartók . Finalement l’œuvre est jouée, enregistrée à
la radio et présentée au public sur les scènes de l’époque.
Après la guerre, Paris est devenue la Mecque des artistes arabes. Les
cabarets orientaux y abondent, à l’instar du Tam -Tam, Koutoubia,
le Bghdad et Al Jazair où se produisaient les Ali Riahi, Blond
Blond, Fouiteh et Salim Halali. Abdelwahab Agoumi y débarque et
s’inscrit à l’ école supérieure de musique où il décroche un diplôme
d’harmonie , d’orchestration et de la direction d’orchestre. Un autre
diplôme, de culture musicale, est obtenu en Espagne, à l’école de
musique Santiago de Compostela.
De retour au Maroc, après près de 15 ans d’apprentissage, on lui confie
la direction des affaires artistiques et musicales au sein du ministère
de l’éducation nationale. Les nostalgiques se rappellent son émission
radiophonique « Allahn al khalid » où il présentait les grands noms de la
musique classique mondiale. Il fonde le premier conservatoire national
de musique, de danse et d’art dramatique , en devient le directeur en
1961, crée en son sein un orchestre symphonique et envoie les étudiants
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continuer leur cursus en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne.
Professeur de musique dans les écoles affilées au ministère de l’éducation
nationale, responsable de l’éducation et de l’enseignement musical au
secteur de l’entraide national au ministère des affaires sociales, créateur
de plusieurs chorales et orchestres dans plusieurs villes avec les jeunes
de l’entraide nationale et des unions féminines, Abdelwahab Agoumi a
formé des générations de chanteurs et de musiciens et fut à l’origine de
l’installation de plusieurs conservatoires régionaux.
De retour de Beni Mellal où il supervisait, en tant que conseiller
du ministère de la culture Mohamed Benïssa, la mise en place du
conservatoire de la ville, qui porte son nom depuis 1994, Abdelouahab
Agoumi s’éteint le 20 septembre 1989, à la suite d’ un tragique accident
de la route.
Musiques instrumentales (Raksat al ghizlane, Raksat al abid, Dikrayat al
jazair …), « Qasaid » en langue arabe classique telle « Attaih », opérettes et
comédies musicales, chants patriotiques et chansons de variété, concoctées à l’écoute
de l’air du temps (Malek hairana, Kounti fin ya hiloua, Damaa fil ain…) ,
l’œuvre de Abdelwahab Agoumi , enregistrée dès la fin des années quarante, est
cosmopolite, éclectique et ouverte sur le monde. Dans un entretien au quotidien
l’opinion, il déclarait, « c’est ainsi que j’introduisis pour la première fois dans la
musique marocaine le Tango, le Mambo, le Boléro, la Samba, le cha-Cha-cha, la
valse, le paso-doble et autres danses en vogue dans le temps. » Les américains n’ontils pas débarqué sur les côtes marocaines en 1942 avec, dans leur bagages, le blues,
le jazz et les sons et danses d’Amérique Latine ? « Par ailleurs, j’ai employé dans
mes œuvres, l’harmonie, les arrangements musicaux, les chœurs… ». A écouter par
exemple « Barii », écrite par Hammadi Tounsi, on est séduit par sa fraîcheur et sa
modernité alors qu’elle fut enregistrée dans les années ciquante !
Novembre 2009 est sortie à Paris « H’na l’ghorba », une anthologie en trois CD
réunissant les chansons maghrébines de l’exil. Editée par l’Association Générique
et EMI Music France, Abdelwahab Agoumi y figure en bonne place avec « Bent
bariz ». C’est l’orphelin enregistrement qu’on lui trouve sur le marché ! C’est pour
quand une anthologie de l’arrangeur de l’hymne national ?
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Mohamed Fouiteh
Connu sous le sobriquet Fouiteh, inspiré du nom de son père Haj Fattah
Hallak, Mohamed Tadlaoui est né le 18 mai 1928 dans le quartier Al
Makhfia de la médina de Fès. Orphelin à l’âge de dix ans, il fut apprenti
chez un cordonnier ainsi que chez un fabricant de plateaux de thé. Il a
quatre ans quand son oncle accrocha dans sa chambre un portrait de
Mohamed Abdelwahab, tiré du film « Al Warda Al Baida ». L’image,
qui l’intriguait et qu’il ne cessa d’admirer, le hanta pendant des années.
Passionné de musique dès son jeune âge, il jouait de l’harmonica au
cours des récréations pour le plaisir de son premier public, ses camarades
de classe. Plus tard, Mohamed Bouzoubâa l’initia aux méandres
de la musique andalouse et Thami Harrouchi au Malhoun. Outre la
musique, Mohamed Fouiteh s’intéressait au dessin et au foot en jouant,
comme gardien de but, dans l’équipe de l’école Al Adwa. A quatorze
ans, il maniait le luth entonnant les classiques égyptiens de Mohamed
Abdelwahab, Oum Kaltoum, Farid Al Atrache et Ismahan. Mehdi
Elmanjra se souvient des Nzahas qu’il animait à Sefrou, Sidi Harazem
et dans les jardins de Jnan Sbil. Plus tard, il crée en compagnie d’ Ahmed
Chajaii et d’Abderrahim Sekkat l’orchestre Achouâa. Ensemble, ils
animaient les fêtes familiales et passaient, chaque semaine, en direct de
Dar Slah, antenne régionale de Radio Maroc. Sa première chanson est
un poème de Mohamed Benbrahim .
Photo : Mustapha Belouahlia
Chansons maghrébines
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Une mémoire commune
Fin des années quarante, Mohamed Fouiteh s’envole pour Paris,
devenue après la guerre, la Mecque des plus grands musiciens et
interprètes du monde arabe. Maîtrisant les classiques orientaux, il se
produisait au cabaret Al Jazair, rue de la Huchette, et au Baghdad, rue
Saint André des Arts. Ce dernier était tenu par un samaritain Soussi qui
ne picolait pas et ne s’intéressait pas au spectacle. Drôle de patron de
cabaret ! Il s’agissait en fait d’un nationaliste qui fournissait des armes à
la résistance et dont le Baghdad n’était qu’une couverture. La rencontre
avec Ahmed Hachelaf, journaliste au service arabe de la radio française
Chansons maghrébines
Une mémoire commune
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et directeur artistique chez Pathé Marconi, fut décisive dans sa carrière.
C’est grâce à lui qu’il s’est mis à composer des chansons marocaines,
sur les traces de Houcine Slaoui, dont la fameuse Awmaloulou. Premier
essai, premier coup de maître et premier tube du « …précurseur de tout
ce qui se fait aujourd’hui dans la nouvelle musique marocaine répandue
partout par Abdelouahab Doukkali, Abdelhadi Belkhiat et un grand
nombre de compositeurs qui ont réussi à faire connaître et apprécier
la musique marocaine en dehors des frontières du Maroc », note avec
justesse le même Hachelaf.
En 1974, au cours d’une tournée en France, le capitaine Gossier,
ex -directeur de Radio Maroc, invita Fouiteh et Abdelouahab Doukkali.
Entre le dessert et le fromage, il leur demanda l’explication de la
formule « Awmaloulou », refrain qu’il passait en boucle à l’antenne.
Quand Fouiteh lui annonça qu’il s’agissait d’un texte patriotique avec
un dialogue entre Mohammed V et son peuple, Gossier s’exclama : «Je
connais tous les dialectes marocains et j’ai appris toutes les blagues de
Marrakech et je me suis fait avoir ! ».
Outre ses propres créations, Mohamed Fouiteh , qui nous a quitté au
mois de septembre 1996, a composé pour Bahija Idriss, Maâti Belkacem
et Abdelhay Skalli. Il nous lègue une infinité de chef d’œuvres, inspirés
des traditions populaires marocaines les plus authentiques. « Melli mchiti
sidi », « Mabini oubinou walou », « Al bargui », « Lahbib a lahbib »,
« Hani yalli nadani », »Ahli wahbabi », « Anhabou bla khbarou »…
Refrains inoubliables, toujours fredonnés par les marocains avec plaisir
et nostalgie. Ils sont tels les grands crus, plus ils vieillissent plus ils
prennent de la valeur.
Chansons maghrébines
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Une mémoire commune
Abdelouahab Doukkali
Compositeur-interprète brillant à la créativité débordante et à la
production innovante et continue, Abdelouahab Doukkali incarne la
modernité de la chanson marocaine. Idole de la jeunesse des seventies
qui a grandi avec ses chansons et qui, plus âgée, n’en continue pas moins
de fredonner ses anciens airs et d’apprécier ses nouvelles et originales
créations. Abdelouahab Doukkali, outre son œuvre, est avant tout un
look qui défraya la chronique imposant des choix à contre courant :
La mode des cheveux défrisés, la montre portée au poignet droit, les
gourmettes et colliers ostentatoires, des vêtements personnalisés, les
voitures cabriolet…Sur scène, il se distingue par son jeu de luth, ses
mimiques, sa manière de se mouvoir et sa façon d’interpréter, fermant
ses yeux tels un derviche en plein transe.
Né à Fès le 1er janvier 1941 et issu d’une famille traditionnelle,
conservatrice et pieuse, Abdelouahab doukkali s’intéressa, dés son jeune
âge, aux arts. Revenant de l’école, le cartable sous le bras, il écoutait
derrière la porte d’une boutique du quartier Al Makhfia les discussions
et les répétitions des Mohamed Fouiteh, Abderahim Sekkat, Mohamed
Mazgaldi et Ahmed Chajaii. Il finit par lâcher le collège pour s’initier
seul au luth et s’inscrire au conservatoire de musique qui venait d’être
créer dans la ville. Mais ses premiers amours ont été la comédie. N’a-t-il
pas joué, plus tard, avec la troupe nationale, le premier rôle dans « Le
barbier de Séville », « La maisonnette » et « Le moulin » ? Au cinéma, il
fut jeune premier au côté de Faten Hamama dans « Les sables d’or » et
on le retrouve dans « Vaincre pour vivre » de Mohamed Abderrahmane
Tazi, l’un des premiers films marocains, aux côtés de Laila Chenna.
Entre 1958 et 1959, il décroche le premier prix d’un concours, organisé
par la Radio Télévision Marocaine. Abdallah Chakroun, qui animait
la manifestation, se souvient que « c’était sa première apparition en
public. Après Fès, je l’ai invité pour se produire à Rabat. Et ça continue
de plus belle. »
Chansons maghrébines
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Sa première tournée à l’étranger s’est déroulée en Algérie, au lendemain
de son indépendance. Depuis il est considéré come l’une des stars
préférées de nos frères algériens. En 1963, il s’installe au Caire, se lit
d’amitié avec Mohamed Abdelwahab, Sabah, Baligh Hamdi, Mohamed
Al Mouji, Farid Al Atrache, Faiza Ahmed, Najat Assaghira, ainsi que
son concurrent de l’époque Abdelhalim Hafid.
Producteur à la radio marocaine à partir de 1965, son répertoire est d’une
richesse inouïe. Collaborant avec les plus grands paroliers tels Ahmed
Tayeb Laâlej, Fathallah Lamghari, Ali Hadani, Mohamed Tanjaoui et
Hassan Moufti, Abdelouahab Doukali a à son actif des centaines de
refrains. Comment oublier ses mémorables « Yalghadi ftoumoubil »,
« Anti », « La tatroukini », « Wichaya », « Balghouh slami », « Aini
alach dmouâa », « Addar alli hnak », « Twist », « Habib al jamahir »,
« Ana mkhasmak », « Marsoul al hob », « Nadra fatnaha », « Habibati »,
« Hajrak kassi », « Dini maâk », « Kataajabni », « aji ntsamhou »…. ?
En 1971, Abdelouahab Doukkali déclarait dans « Al anbaa » du 21 et
22 mars que ses mémoires allaient sortir incessamment. On attend
avec impatience ce qui risque d’être croustillant étant donné son
époustouflant destin !
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Une mémoire commune
Bahija Idriss
Bahija Alami Idrissi, plus connue sous le nom de Bahija Idriss, est née
à Meknès en 1938. Issue d’un milieu conservateur, son père est un
« Alem », lauréat de l’université Al Quaraouiine de Fès. Elle intègre le
milieu artistique en 1959 au cours d’une soirée au cinéma Royal de
Rabat. Mohamed Benabdessalam, le mari de sa sœur, la propulse sur
scène, avec la complicité d’Abdallah Chakroun, pour entonner un refrain
de Najat Saghira. Le fait qu’une femme, dévoilée, chante en public
faisait partie des tabous les plus ancrés dans l’imaginaire marocain. Ce
fut une grande première à l’époque. Mais elle avait le plus illustre des
soutiens, celui du roi Mohammed V qui n’hésitait pas à défendre la
cause féminine. C’est sur ses ordres qu’elle rejoint la radio nationale.
Une dérogation étant donnée son très jeune âge. Bahija Idriss devient
ainsi la première femme chanteuse au sein de la radio.
Mohamed Benabdessalam lui confectionne succès sur succès. Le premier
était « Ala ouhida », écrit par Abdallah Chakroun et chanté, en duo, avec
Brahim Kadiri. Les enregistrements et les soirées se succédèrent. Son
refrain le plus fredonné reste « Atchana », écrit par Mohamed Gharbi et
composé par l’incontournable Mohamed Benabdessalam en 1965. Sur
ordre d’Hassan II, Abdelahay Skalli l’a repris en 1968 avec l’orchestre
royal. A la création de l’orchestre de Meknès, on s’aperçoit que toute sa
famille baigne dans le milieu artistique. Outre le maestro Benabdessalam,
il y’a son frère Mohamed Idrissi avec ses « Andi badouia » et autre
« Mahjouba », sa sœur Amina et son fameux « Tilifoun », sans oublier
son mari, le compositeur Abderrahmane Kardoudi. De leur union est
née Douaa Abderrahmane, une chanteuse à la voix suave.
Bahija Idriss voyage en Egypte et se lie d’amitié avec Abdelhalim Hafid,
Farid Al Atrache, Mohamed Abdelwahab, Riad Sonbati, Mohamed Al
Mouji…En décidant de ne pas s’installer au Caire n’a-t-elle pas raté
maintes occasions et une célébrité plus grande ? Elle devait tourner un
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film avec Farid Al Atrach, ainsi qu’avec Abdelhalim dans « Al Khansaa ».
Après sa défection, le scénario a été rectifié et le rôle confié à Samira
Ahmed. De retour au Maroc, sa carrière continue de plus belle. Hélas
elle décide de se retirer dans les années 90, concrétisant un vœu qu’elle
s’est fixée d’avance, arrêté de chanter une fois la quarantaine atteinte.
Sa dernière apparition publique remonte à 2009 à Rabat. Elle participait
au « Rendez vous des artistes », dans le cadre d’une soirée de soutien à
la Palestine. Sur incitation du public, elle fredonna un air d’ « Atchana »,
son morceau fétiche.
Depuis belle lurette, Bahija Idriss a chantée les poèmes de Nezzar Kabbani tels
« Ighdab », composée par Abdellatif Sahnouni. Le public d’aujourd’hui ne connait
que la version d’Assala Nasri. Elle a aussi chantée « Kalimat », bien longtemps
avant Majda Roumi, composée par son mari Abderrahmane Kardoudi.
Si elle a touché au Malhoun avec quasidat « l’malha » et à la chanson populaire
avec « Ma houwa jari wala krib douari », son répertoire est dominé par le classique
dont « Habibi taala », du poète libanais Ilias Farhat , et la variété. Citons, entre
autres, « Rajaa li oukan msafer », « Khaifa kalbi la ibouh bklam ennas »,
« Matfahmnach », « Arafnak jmil », « Bechar l’khir », « Ayyam zaman »,
« Achams gharbat »… Bahija Idriss a excellé aussi dans les duos dont « Andi
ouhida », avec Brahim Kadiri, « Ya saout al kadi », avec Abdelouahab Doukkali,
« Anta hani ou ana hania » , avec Mohamed Bentahar, sans oublier la fameuse
incursion dans « Al Kamar al ahmar », en compagnie Abdelhadi Belkhiat.
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Abdelkader Rachedi
Maître des rythmes, tailleur des voix, notamment les féminines, fouineur
dans le patrimoine, le compositeur Abdelkader Rachedi est né en 1929
au fin fond d’une ruelle, rue Tagine, de l’ancienne Médina de Rabat.
Dés sa tendre enfance, il fut attiré par les chants et les mélodies grâce
à une mère « Haddaria » qui organisait, en compagnie d’autres femmes
du quartier, des soirées de psalmodie et autres veillées à la gloire du
prophète. Son frère aîné, Haj Mohamed, l’initie au luth et l’inscrit à Dar
Tarab, conservatoire Moulay Rachid, l’une des premières institutions
musicales du pays. Il y fréquente les maîtres de musique andalouse et du
Gharnati de l’époque, les Hamidou Chafii, Tayeb Belkahia, Mohamed
M’birkou et Abdessalam Ben Yessef dit Zaôk, ces deux derniers faisaient
partie de la délégation marocaine qui participa au premier congrès de
la musique arabe au Caire en 1932. Après l’Andalou, le Malhoun et le
Gharnati, genre venue l’Algérie qui avait ses amateurs et ses cafés dont
celui de si Mohamed Ben El Mekki Al Awadi à l’Gza, il compléta sa
formation, en musique orientale et solfège, grâce à Mohamed El Wali,
à Alexis Chottin, auteur des premiers livres de référence sur la musique
marocaine, et à Jacques Bougar. Ce dernier l’emmena une fois assister
à un concert donné par Robert Casadesus interprétant, au piano, des
sonates de Bach. De son coté, Abdelkader Rachedi invita Bougar à des
soirées de musique andalouse.
Photo : Mustapha Belouahlia
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C’est à l’age de 13 à 14 ans qu’il forma, avec une bande d’amis, sa
première troupe. Avec Ismail Ahmed, il rejoint plus tard l’orchestre
d’ Abdennebi Jirari, « Jawk al ittihad arribati », avant de lancer « Jawk
attakaddoum arribati. » Début des années cinquante, Radio Maroc crée
l’orchestre moderne, l’orchestre de musique andalouse, du Malhoun,
ainsi qu’une troupe théâtrale, dirigée par Abdallah Chakroun. Il rejoint
l’orchestre moderne tout en faisant partie de l’émission « Ghanni ya
chabab ». Entre 1947 et 1948, il compose la fameuse « Raksat al Atlas »,
jouée en avant première à Kharzouza dans le Moyen Atlas devant un
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parterre de nationalistes dont Allal El Fassi et Mehdi Ben Barka. Sa
relation avec le parti de l’Istiqlal le rendit suspect aux yeux des autorités
coloniales qui ne cessèrent de lui créer maintes tracasseries. Avec le
retour du roi Mohammed V de son exil en 1953, il compose « Oudta
ya khaira imam », poème du complice et ami Mohamed Belhoucine.
En 1958, il reçoit un prix à un concours organisé à l’occasion de la fête
de la jeunesse. Depuis son nom fait partie des pionniers qui ont créé la
chanson marocaine dite « Asria ».
Au moment de la mise en place des orchestres régionaux,
Benabdessalam à Meknés, Chajaii à Fès, Maâti Bidaoui a Casablanca, le
roi Hassan II envoie Abdelkader Rachedi à Tanger. N’arrivant pas à s’y
intégrer, malgré la création de chefs d’œuvre dont «Machi adtek hadi »,
qu’interprétèrent Ismail Ahmed et Abdelouahed Tétouani, le revoilà de
retour à Rabat. Une fois Ahmed Al Bidaoui nommé à la commission de
musique, il le remplace à la direction de l’orchestre national.
Abdelkader Rachedi, après avoir assimilé les musiques traditionnelles
marocaines, le folklore, les formes à la fois orientale et occidentale, est
à l’origine d’une école musicale qui a son propre style. Ses créations se
distinguent par leur langue, le « Zajal » ou le dialecte riche d’images et
de subtilités, l’appel aux voix marocaines pures et des phrases musicales,
inspirées du foisonnant patrimoine national avec ses instruments dont
le « Bendir » ou tambourin. Il est l’un des rares compositeurs sinon
le seul à pouvoir utiliser différents rythmes dans la même chanson
(exemple du Btaihi andalou avec le rast oriental).
Celui qui adopta une infinité de chanteuses et chanteurs et qui avait
sa manière de leur apprendre ses compositions, nous a légué une
œuvre considérable. Ismail Ahmed lui a chanté plus de 80 refrains
dont « Marrakech ya ourida », « Habibi lamma aad », « Al Matal al ali »,
« Al madad ya rassoul allah », Abdelouahab Doukkali, « Hajrak kassi »,
Abdelouahed Tétouani « Machi Aadtek hadi », Samira Bensaid, « Faitli
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chaftak » et « Lahn J’mil » , Naima Samih, « Ghab alia lahlal », Mahmoud
Idrissi, « Mouhal wach insak al bal » et Latifa Raafat « Maghyara », « Ya
achrani » et « Khouyi ».
Celui qui a reçu un vibrant hommage de la SACEM, au cours d’une
soirée à Paris en compagnie de Charles Aznavour, a été mis à la retraite
d’une manière affligeante ! En compagnie d’autres musiciens retraités, il
créa un nouvel orchestre. Au cours d’un voyage en Egypte, sentant des
douleurs au ventre, il consulte un médecin qui lui suggéra une opération
de foie. Abdelkader Rachedi s’y refuse et décède le 23 septembre 1999.
A l’instar de plusieurs artistes, Abdelkader Rachedi s’est lancé dans la production
de disques en créant la société Rachdiphone. Désirant imprimer son premier 45
tours, qui contenait des chansons de Abdelouahab Doukkali, il contacta une société
française qui lui réclame la coquette somme de 10.000dh. L’ami Abdelkrim Jazouli,
fonctionnaire au ministère du commerce, lui dénicha une usine en Tchécoslovaquie
prête à confectionner mille 45 tours au prix de 3.000 dirhams au lieu des 10.000
réclamés par les français. La mondialisation ne date pas d’aujourd’hui ! N’ayant
pas la somme, c’est Jazouli qui avança l’argent. L’avion, qui devait ramener la
marchandise, s’écrasa pas loin de l’aéroport de Nouasser, actuel Mohammed V.
Les Tchèques réimprimèrent le disque une deuxième fois. Un certain Benkirane de
la place Verdun de Casablanca s’occupa de la distribution. L’affaire bénéficiaire,
Jazouli remboursé et Rachedi continue sur sa lancée. Rachdiphone a produit les
morceaux instrumentaux, « Raksat al Atlas et Bahjat Ghinia », les chansons
composées pour Ismail Ahmed, (Al madad ya rassoul Allah, Al matal al ali,
Habibi lamma aad), Abdelhadi Belkhiat (Ya jah lamqam l’ali), Mohamed
Lahiani (Min day bhak), Abdelouahab Doukkali (Hajrak kassi, Balghouh
slami, Aini alach dmouaa, Bla adaoua ma tkoun mhabba), Ahmed Pirou (El
kaoui, Al Maâraj), sans oublier des fragments de Noubats andalouses.
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Abdessalam Amer
Abdessalam Amer est né le 1er avril 1939 à Ksar El Kebir, ville du nord
du Maroc, imprégnée du rêve andalou. Enfant unique, il perd son père,
Omar Chouli, militaire au sein de l’armée espagnole qui a guerroyé
pendant la guerre civile, et vit seul avec sa mère Khadouj Tajni. A cause
d’une maladie mal soignée, il perd la vue et la musique devienne sa
passion, sa boussole dans la vie. Parallèlement à ses études qu’il tenait
à poursuivre comme un enfant normal malgré son handicap, il passait
son temps devant les boutiques de Si Hasnaoui, du coiffeur Abrak et
du Cheikh Chérif Roussi Houssaini, l’un des maîtres de la musique
andalouse dans la ville, à écouter la radio. C’est ainsi qu’il apprit et ne
cesse de fredonner les classiques arabes, les Abdelwahab, Oum Kaltoum
et autre Farid Al Atrache. Remarquant sa passion, le maître l’invite aux
soirées qu’il anime. A l’école, il s’initie à la poésie. Ne pouvant pas lire,
dés qu’on lui dictait une phrase, il l’apprenait en la composant, pour ne
pas l’oublier. D’une mémoire phénoménale, il réussit à décrocher son
certificat d’études primaires et son brevet au collège. Laissant de coté
une carrière d’instituteur, il décida de devenir un grand musicien.
Mohamed Driss Cherradi, l’un des premiers grands musiciens marocains
qui a enseigné au conservatoire de Rabat et qui a dirigé ceux de Larache
et de Tanger, lui conseilla d’aller tenter sa chance dans la capitale après
avoir écouter ses premières créations. Mal voyant, inconnu, on lui refuse
l’entrée au siège de la Radio Télévision Nationale. Abderrafiaa Jawhari
l’introduit et lui présente journalistes et musiciens. Mais Ahmed Al
Bidaoui, chef de service de la musique et président des commissions de
paroles et de compositions, lui refusa l’accès à l’orchestre national. Amer
n’a en effet fait aucune étude musicale et ne jouait d’aucun instrument !
Il rejoint alors l’orchestre de Fès où Ahmed Chajaii s’est montré plus
compréhensible. L’intervention d’Abdelouahab Doukkali dans sa
vie fut décisive. Il lui chante , coup sur coup, deux petites merveilles,
« Akher ah » et « Habibati ». Et c’est le retour, en triomphe, à Rabat où
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il compose, avec la complicité d’Abderrafiaa Jawhari, « Miaâd », « Al
Kamar al ahmar », chantées par Abdelhadi Belkhiat.
malgré les soins payés par Hassan II, le 3 mai 1979 à l’hôpital Ibn Sina
de Rabat. Fin…d’un calvaire.
Mis au chômage et interdit d’entrée aux locaux de la radio télévision
après avoir critiqué ses musiciens en retard parce qu’ils avaient passé
la soirée chez un haut dignitaire, Amer, en compagnie de Abdelhadi
Belkhiat, Abdelhay Skalli et Abderrahim Amin, quitte le Maroc pour
l’Egypte. Depuis son enfance, il rêvait de ce moment, lui le fan de
Nasser et le client assidu de « Sawt al arabe », la radio de propagande
du panarabisme que le Rais a lancé en 1952. Après des escales en
Algérie, Tunisie et Libye, les quatre mousquetaires débarquent au Caire
retrouvant, entre autres, le poète Hassan Moufti. Ils enregistrent une
vingtaine de chansons en dialecte marocain pour « Sawt al arabe »,
collaborent avec les poètes égyptiens Mustapha Abderrahmane, Farouk
Choucha et Rouhia Lakliti. La guerre de 1967 met fin à leurs grands
projets. Amer rêvait de composer pour Oum Kaltoum un texte de
Salah Chahine. Au retour, ils n’avaient dans leurs valises, que « Mawakib
annasr », chant patriotique dédié au roi Hassan II.
Adolescent et fou amoureux, Abdessalam Amer a commis sa première création
fin des années cinquante. Adulte, il écrit, compose et chante, « Ma ban khial
h’bibi » et « Saquia oulbir », inspirée du mythique refrain de Houcine Slaoui qu’il
admirait tant. S’apercevant qu’il n’a pas la voix et abandonnant l’écriture, il se met
à travailler sur les textes de poètes amis. « Akher Ah » et « Habibati », écrites
par Mohamed Khammar Guennouni, interprétées par Abdelouahab Doukkali et
enregistrées avec l’orchestre de Fès sous la direction du virtuose du violon Ahmed
Chajaii, constituent sa vraie rentrée dans le cercle restreint des créateurs marocains.
A Rabat, c’est l’amitié et la complicité avec Abderrafiaâ Jawhari et Abdelhadi
Belkhiat qui est à l’origine des chefs d’œuvres tels « Miaâd » et « Al kamar al
ahmar ». Il compose aussi pour la voix forte de Abdelhadi Belkhiat , « Hasebtak »,
pondue par le regretté Driss El Jay. Au Caire, il lui chante « Achatii », destinée
au départ à Karim Mahmoud, et Abdelhay Skalli « Al Ghaib », deux beaux
textes du poète égyptien Mustapha Abderrahmane. Quant à « Rahila », c’est chez
Mohamed Lahiani qu’elle atterrit révélant ainsi l’une des voix les plus authentiques
du répertoire national.
Une fois au Maroc, les quatre amis se séparent et leurs projets s’envolent.
Abdessalem Amer habite un quartier périphérique de Casablanca.
Grâce à Fatima Afifi, sa deuxième épouse qui s’acheta une voiture en
vendant son bracelet, il fait la navette entre la cité blanche et Rabat
pour les répétitions, les enregistrements et l’animation de l’émission
radiophonique « Hakibat al arbiaâ ». Le 10 juillet 1971, c’est une nouvelle
fois la malchance. Ce jour là, la voix de Amer annonce, en boucle, sur
les ondes de la radio nationale, « l’armée, je dis l’armée…elle vient de
mener la révolution pour le bien du peuple. La monarchie est finie ». Le
coup d’Etat échoue, le compositeur est emprisonné pour interrogatoire.
Il ne s’en sort que grâce à l’intervention du prince Moulay Abdellah. Ce
fut sa fin. Banni, ses œuvres sont interdites de diffusion et ses amis le
fuient. Il sombre dans la dépression. Dans l’attente des jours meilleurs,
il enchaîne les refrains à la gloire du roi. Tombé malade, il succombe,
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Hajja Hamdaouia
Née en 1930 à Derb Karloti, quartier populaire de Casablanca, Hajja
Hamdaouia grandit au sein d’une famille dont le père est un mélomane
invétéré. Chérif, originaire du Sud, de Zagora, commerçant, si Larbi
Mohamed invitait souvent à la maison les Chikhates et autres Abidat
R’ma. Très jeune, elle rejoint la troupe théâtrale de Bachir Laâlej en
compagnie des Bouchaïb Bidaoui, Ahmed Souiri, Lahbib Kadmiri,
Mfaddel Lahrizi avant d’intégrer
l ‘orchestre « Al Kawakib », présidé par le maestro Maâti El Bidaoui
qui fut le premier à découvrir les riches potentialités de sa voix. C’est
dans ce contexte que Salim Halali lui fait appel pour interpréter, au Coq
d’Or, les mythiques morceaux Mersaouis, chers aux Bidaouis.
En 1953, elle compose « Waili ya chibani », Ayta se moquant de la vieille
gueule de Ben Arafa, illégitime remplaçant du roi Mohammed V. Le morceau,
devenu un tube que fredonnaient tous les Marocains, fut à l’origine de ses
tracas avec les autorités coloniales, et lui valut un bref séjour en prison.
Photo : Graham Lamb
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Elle s’exile alors à Paris où elle décroche un contrat de travail au cabaret
Morocco, chez Maximes, à Saint -Paul grâce à un nationaliste. Dans
la ville- lumières, elle retrouve Ahmed Jabrane et Mohamed Fouiteh
à qui elle emprunte et chante « Awmaloulou » et se lie d’amitié avec
les grands chanteurs et musiciens orientaux et maghrébins tels Raoul
Journo, Ali Riahi, Maurice Mimoun, Samy Elmaghribi, Albert Souissa,
Jirari et autres El Hadi Jouini, auteur du mémorable « Lamouni elli
gharou minni ». En leur compagnie, elle se produit dans les cabarets
arabes de la capitale, Al Jazair, Le Koutoubia, rue des Ecoles, La
Kasbah, rue Saint André des Arts, Layali Loubnan (les Nuits du Liban)
et le Tam-Tam dont le propriétaire n’est autre que le père de sa copine
Warda Al Jazairia. Elle ne rentre au pays qu’avec le retour du Roi et ne
cesse depuis de régner sur la scène de la Ayta Pop. Radios, télés, fêtes
intimes, publiques ou nationales, Hamdaouia est sur tous les fronts.
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Et le fameux « Mnin ana ou mnin n ’ta », interprété avec l’orchestre
national, est sur toutes les lèvres.
Des années plus tard, elle retrouve Paris pour s’y produire à la Mutualité,
à l’Olympia, à Bercy, au Zénith et à l’Institut du Monde Arabe.
Des tournées suivirent un peu partout en France, avec un concert en
compagnie de celui qu’elle appelle « mon fils », cheb Khaled, puis en
Europe, aux Etats-Unis et au Canada.
Sa trajectoire, ses chansons avec allusions fines et coquines, ont fait
d’elle, comme le note Rabah Mezzouane, « la figure emblématique qui
permit aux femmes de retrouver la parole »…
« Mama hyiani », « Ayamna », « Al aar,al aar », « Salba, salba », « Jilali bouya »,
sont quelques uns des dizaines de refrains que retient et fredonne la mémoire collective
nationale . Dès l’âge de dix-sept ans, Hajja Hamdaouia a entamé sa carrière par
un riche et varié répertoire. Des morceaux aux sujets religieux, nationaux, de société
ou d’amour , courtois et osés. A l’instar d’un Houcine Slaoui, Bouchaïb Bidaoui ou
Jacob Botbol, elle participa à « l’urbanisation » du chant rural des terroirs, la Ayta ou
le blues des plaines atlantiques. Spécialiste du Mersaoui, dont elle a créé de nouvelles
orchestrations , notamment pour «Laghzal» et « Alhaddaouiat » elle excelle dans
le Mawal gharnati, les chansons algériennes et tunisiennes, le judéo-arabe, utilise des
formes rythmiques et des mots Amazigh et se permet même de brèves incursions dans
le flamenco avec des « Chica, chica…olé ! » Son premier album est enregistré, avant B.
Bidaoui , chez Boussiphone à Casablanca Que ce soit au Maroc, en Algérie, en Tunisie
ou en France, les sociétés de production et de distribution s’arrachent ses faveurs, les
Pathé Marconi, Casaphone et autre Tichkaphone . Aujourd’hui, ses airs sont repris
à travers le monde arabe par les nouvelles générations. « Hak a dada », l’un de ses
célèbres morceaux, a fait le bonheur de la génération clips et la fortune du khaliji Nabil
Chouail. A plus de soixante-dix ans, elle a concocté un album avec Oulad Bouazzaoui,
jeunes gardiens zélés de la tradition Mersaoui, et reçoit la proposition d’accompagner
à Paris, au Bendir et au chant, un groupe franco-allemand dans un arrangement
World Music de sa « Hadra » ! Belle et originale manière de transgresser les
frontières des genres et des pays…
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Une mémoire commune
Figures
de la chanson algérienne
Mahieddine Bachetarzi
Ténor, comédien, organisateur de spectacles, découvreur de talents,
dont celui de Salim Halali, et promoteur des jeunes espoirs. En 1926,
le sultan du Maroc, Moulay Youssef, le désigna pour lancer le premier
appel à la prière des hauteurs du minaret de la mosquée de Paris, le jour
de son inauguration. C’est l’un des personnages incontournables de
l’histoire culturelle de l’Algérie. Il est impensable d’évoquer la musique,
le théâtre, la danse, la radio et la télévision sans tomber sur le nom de
Mahieddine Bachetarzi.
Né le 15 décembre 1897 dans le quartier de la Kasbah d’Alger, Mahieddine
Bachetarzi s’initie, très jeune, à la psalmodie du texte coranique qu’il
apprit en entier. Le mufti cheikh Bougandoura, qui dirigeait la chorale
« Al Qassadine », lui apprend les secrets d’interprétation des modes.
Dés 1915, il est Bachhazzab, chef des lecteurs de coran, à la mosquée
Djemâa Djedid, puis muezzin. Ebloui par sa voix, Abderrahmane Ben
Badis l’invite à Constantine où il déclama les chants religieux dans les
mosquées de la ville.
Edmond Nathan Yafil, élève et disciple de Mohamed Ben Ali Sfingea,
auteur d’un livre incontournable sur le « Tarab Gharnati », fondateur
et directeur d’ Al « Moutribia », le détourne vers la musique profane.
Passionné de la musique andalouse, il commence à enregistrer des
disques dés 1921. En 1930, il est le troisième maghrébin membre de la
Société des Auteurs et Compositeurs de Musique de Paris (SACEM),
après Edmond Nathan Yafil et le Tunisien Mohamed Kadri. Sous
l’occupation, il emploie l’hymne national dans une chanson, « La ilaha
ila Aelah », utilisant un pseudonyme. Mais qui ne reconnait la voix forte
et inimitable du Caruso ? A la mort de Yafil, il prend la direction de
la troupe musicale d’Al Moutribia en 1923, invite des grands artistes
du monde arabe tels le Tunisien Mohamed Jamoussi , le Marocain
Samy Elmaghribi ou l’Egyptien Youssef Wahbi, et entame des grandes
tournées en Algérie, au Maroc où il est décoré en 1962, en Tunisie,
en France, en Allemagne et en Italie. Nommé directeur artistique
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de La Voix de son Maître, il fait la promotion des grands chanteurs
maghrébins, entre autres, Rachid ksentini, Cheikh El Afrit et Cheikh
Hamada.
Outre le rôle décisif qu’il joua dans la reconquête de la musique,
classique et moderne, Mahieddine Bachetarzi fut, avec la complicité de
Allalou et Ksentini , à l’origine de la naissance du théâtre algérien. Ils
jouèrent « pour la patrie » et « la conquête de l’Andalousie ». Puis, il
crée sa propre troupe, se spécialise dans le comique et sillonne le pays
pour le grand plaisir d’une population qui reconquiert son identité.
Celui qui nous lègue pas moins de 1000 œuvres dramatiques, jouées
sur scène ou à la radio, a écrit sa première pièce en 1927, « les ignorants
prétendant le savoir ».
Après l’indépendance du pays, Mahieddine Bachetarzi consacre son
temps à la formation des jeunes. Il assume la direction du conservatoire
municipal d’Alger de 1966 à 1974. Avec la société « Al Fakhardjia », il
continue de chanter le répertoire andalou. Et c’est en se préparant à
un concert pour la télévision que la mort le surprend le 6 février 1986.
Le maître, qui avait 82 ans, n’a pas oublié de consigner ses Mémoires,
sorties chez SNED en trois tomes, entre 1968 et 1986.
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Haj M’hamed El Anka
Monument de la chanson maghrébine, Haj M’Hamed El Anka, comme
l’écrivait Ahmed Hachelaf, « était convaincu que le Maghreb arabe ne
faisait qu’une seule nation malgré les frontières artificielles dressées
par la colonisation et qu’il retrouverait son unité un jour ou l’autre. ».
D’origine Amazigh, le fondateur du Châabi arabe algérien a interprété
les plus grands succès du Malhoun marocain tels « El Meknassia »,
« Lalla Zhor », « Raâd » et autre « Msabbarni Lettihan ».
Issu d’une famille modeste, originaire de Tizi Ouzou, Ait Ouarab
Mohamed Idir Halo est né le 20 mai 1907 à la Casbah d’Alger. De
1912 à 1918, il fréquente trois écoles qu’il quitte, à l’âge de onze ans,
pour se lancer dans la vie active. Un musicien de renom, Si Said Larbi
le recommande à Mustapha Nador qui lui permet d’assister aux fêtes
qu’il anime. Au mois de Ramadan 1917, le cheikh remarqua sa passion
pour la musique et lui permit de tenir le tarr (tambourin) au sein de sa
formation qui animait les soirées d’un café prés de la gare centrale.
Mustapha Nador (1874-1926), qui côtoya les plus grands musiciens
du début du XXème siècle, était spécialisé dans le « Medh » religieux.
Séjournant au Maroc pendant trois ans, il s’intéressa au Malhoun et à
la Ayta. A son retour, il apporta plusieurs « Quasidas », refrains et airs
qu’il se mit à adapter , travaillant le style et les rythmes, au goût algérien.
D’après les historiens de la musique du Maghreb, il serait le premier à
introduire en Algérie le genre Moghrabi, intitulé par la suite populaire
et Chaâbi, à partir de 1946.
A la mort de Mustapha Nador le 9 mai 1926, Haj M’Hamed El Anka
prit le relais. Il enregistre en 1928 pas moins de 27 disques 78 tours chez
Columbia et prit part à l’inauguration de la radio PTT Alger. Avec son
nouvel orchestre, il ne cessa de sillonner le pays faisant la promotion du
nouveau genre. De retour du pèlerinage en 1937, il entame une grande
tournée en France. A la création des orchestres de Radio Alger, c’est à
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lui que revient le privilège de diriger la première grande formation de
musique populaire. Professeur du Chaâbi au conservatoire municipal
d’Alger dès 1955, il forma la relève avec les Amar El Achab, Rchid
Souki, Hssan Saîd, Abdelkader Chaaou…
Achour Cheurfi note que « La grande innovation apportée par El Anka
demeure incontestablement la note de fraîcheur introduite dans une
musique réputée mono vocale qui ne répondait plus au goût du jour.
Son jeu instrumental devient plus pétillant, allégé de sa nonchalance. Sa
manière de mettre la mélodie au service du verbe était tout simplement
unique ».
Haj M’Hamed El Anka anima l’une de ses dernières soirées célébrant
le mariage du petit fils de son maître, Mustapha Nador, à Cherchell
en 1976. Après plus de cinquante ans au service de la poésie et de la
chanson populaire, la mort le surprend le 23 novembre 1978 à Alger.
Haj M’Hamed El Anka, qui interpréta pas moins de 360 textes et sortit
130 disques, reste l’une des figures les plus marquantes de l’histoire de
l’Algérie contemporaine.
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Warda al jazairia
Le 16 mai 2009 à Rabat, dans le cadre de la 8éme édition du festival
Mawazine, ils étaient plus de 30.000 fans, venus des quatre coins du
pays, à chanter en chœurs les mémorables morceaux de la rose d’Algérie.
La surprise fut grande quand le conseiller du roi Mohamed Mouatassim
lui remet le Wissam Alaouite de l’ordre de commandeur. Le geste est
plus que symbolique à plus d’un titre.
Née à Puteaux dans la région parisienne d’un père algérien et d’une
mère libanaise, Warda a entamé sa carrière à l’âge de 11 ans en
animant une émission pour enfants à la Radio Télévision Française.
Au Tam-Tam, cabaret du quartier latin que gérait son père et
centre d’activité du FLN avant sa fermeture en 1958, elle fréquente
les grands noms de la chanson orientale et maghrébine dont les
Marocains Mohamed Fouiteh et Amr Tantaoui qui l’encourageaient
à poursuivre une carrière prometteuse. De cette époque datent ses
premiers refrains dont « Ya mraouah lelblad » de Zaki Khraef et
« Bladi ya bladi » de Mohamed Jamoussi. Ces hymnes patriotiques
seront suivis par, « Ya hbibi ya moujahid », « Ana min al jazair, ana
arabia », « Al watan al kabir », « Dalila al jamila », consacré à la
Palestine, et « Al jil assaid », composé par Mohamed Abdelwahab
et interprété par Sabah, Chadia, Najat Saguira, Abdelhalim Hafiz et
Mohamed Kendil.
Warda al jazairia , arborant le Wissam Alaouite, au festival Mawazine de Rabat en 2009
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Au retour de la famille royale marocaine de son exil, Warda chanta
pour le prince Moulay Hassan. En 1956, elle enregistre « Nachid
sidi mohamed », gravé dans l’un des 78 tours de Pathé Marconi
célébrant l’indépendance du Maroc. Des amis se souviennent de
son séjour à Casablanca où elle fréquentait le Coq d’Or de Salim
Halali et entretenait des relations intimes avec les artistes marocains
dont Hajja Hamdaouia et Bouchaib Bidaoui.
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De retour en Algérie en 1962, après l’exil au Liban et des séjours en
Egypte, Warda se marie et met un terme à sa carrière. 1972 marque
son retour sur scène pour les célébrations du dixième anniversaire de
la révolution. Le succès après ce premier come back est foudroyant.
Libre, elle s’envole pour le Caire, se marie avec Baligh Hamdi, le plus
novateur des compositeurs arabes, et les tubes se succèdent. Le public
de Rabat a fredonné avec plaisir et nostalgie les « Fi yaoum wa lila »,
« Hikayati maa azzaman », « Akdeb alik », « khallik hina », « Ismaouni »,
« Laoula al malama »…
A l’aise dans tous les genres musicaux du monde arabe, à l’écoute de
l’air du temps, elle surprend avec « Harramt ahibbak » et « Bitouannas
bik » qui relèvent de la dance music, concoctés par Omar Batticha et
Salah Charnouvbi. Warda venait d’affronter, avec succès, les jeunes
stars qui l’avaient enterré trop vite.
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Ahmed Wahbi
Ahmed Wahbi, l’une des plus grandes voix arabes, admirées par
Mohamed Abdelwahab et Farid Al Atrache, a vécu au Maroc de 1969
à 1973. Celui qui a repris « Zaouia » de Benomar Ziani a été rappelé en
Algérie pour se voir confier la direction musicale du théâtre régional
d’Oran.
Drich Sidi Ahmed Tijani, du nom artistique Ahmed Wahbi, emprunté
à l’acteur égyptien Youssef Wahbi, est né le 18 novembre 1921 à la
clinique Sainte Anne de Marseille. Son père Dader, nom cité dans
« Ouahran, ouahran », possédait une grande voix du genre andalou,
sa mère, elle, est d’origine italienne. La famille quitte la France au
moment où il n’avait que trois semaines. Il grandit dans la nouvelle
ville d’Oran, fréquentant assidûment la boutique de son grand père,
féru d’instruments de musique. C’est là qu’il gratte pour la première
fois une guitare. Il ne trouve toutefois sa vocation qu’en 1937 avec les
scouts interprétant des chants patriotiques et le répertoire de Mohamed
Abdelwahab, son idole.
Pendant la deuxième guerre mondiale, il fait les campagnes de Tunisie,
d’Italie, du Rhin et du Danube. Au cours d’une permission en 1942,
il se produit avec l’orchestre de Belaoui Houari à l’Opéra d’Oran,
chantant « Nadani kalbi » de Mohamed Abdelwahab. Sa grande
prestation a lieu à la salle Atlas d’Alger en 1946. La radio lui ouvre
alors ses portes en 1949. Une grande partie de son œuvre fut créé à
Paris entre 1947 et 1957. Coqueluche des cabarets orientaux, il menait
une vie d’exilé, « celle d’un émigré, fils d’émigré et éternel émigré ainsi
que le veut le métier d’artiste », comme il disait. En 1957, il fait partie
de la troupe du FLN en Tunisie qui faisait des tournées pour défendre
la cause nationale. Après l’indépendance et jusqu’en 1965 il dirigea, en
compagnie de Belaoui Houari, l’orchestre de la RTA d’Oran.
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Outre « Ouahrane, ouahrane », les fans fredonnent « Alach
tloumouni », « Ouine h’babi », « Ya dzayer », « Lasalmia »…La
rencontre avec l’auteur cheikh Abdelkader El Khaldi a été décisive
dans sa carrière. Le duo nous lègue, entre autres, « El ghazal », « Ya
touil regba ». En s’inspirant des modes orientaux et des rythmes et
poèmes maghrébins, Ahmed Wahbi a créé son propre style, portant
son empreinte, l’oranais.
L’auteur, compositeur et interprète fut aussi un pédagogue qui enseigna
la musique arabe à plusieurs générations. Il composa aussi pour les
autres dont Oulaya, Noura et Samia Chamia . Ahmed Wahbi décède
dans la nuit du jeudi à vendredi 29 octobre 1993. La scène artistique
arabe venait de perdre un rossignol.
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Noura
« Ya ben sidi ya khouya », chanté en duo avec Ourrad Boumedienne,
« Ya rabbi sidi », « Ammi Belgasem », « Maktoub alia nwalef », « Jani
bechar », « Ya bnat al houma »…Que des tubes qui ont bercé des
générations, entonnés par Noura, l’une des grandes stars de la chanson
algérienne, sinon maghrébine.
Fatma Zohra Badji, surnommée Noura par Sid Ahmed Lakhal, est née
à Cherchell en 1942. Elle grandit au bord de la mer, menant de bonnes
études primaires bilingues. Introvertie, son compagnon de solitude est
un poste de radio. La petite passe des heures à l’écouter et à fredonner
les airs surgis de ses ondes. Après la séparation de ses parents, elle
quitte l’école et se lance dans la vie active pour aider sa mère à élever ses
frères. Attirée par le monde artistique, elle fait ses débuts dans l’émission
enfantine de Rédha Falaki en tant que comédienne. Maîtrisant autant le
kabyle que l’arabe, elle participe à des dramatiques. Ses qualités vocales
attirèrent l’attention, et à 16 ans, Said Rezzoug, directeur de la chaîne
kabyle, la présente à Maâmar Ammari qui l’auditionne avec une chanson
orientale, « Ana manich radia ». Séduit, il se met à lui composer des
refrains sur mesure tel « El warda souda ».
Noura enregistre son premier titre en 1957, « Baad ma chaft aini », paroles
de Mohamed Redha , chez Teppaz à Paris. Epaulée par les plus grands,
Mohamed Jamoussi, Mustapha Skandrani, Mahboub Bati, Missoum,
Lahbib hachelaf, ensemble ils créent une nouvelle chanson algérienne
aux rythmes authentiques et aux thèmes exposant les préoccupations
de leur génération. Les succès se succèdent à l’instar de « Yaoummi
goulili » datant de 1959. En formation permanente, Noura se met à
apprendre des airs kabyles, oranais, auressiens, andalous et sahariens,
aidé par son mari Kamal Hammadi qu’elle épouse en 1958. C’est avec
lui qu’elle chanta, en duo et en kabyle, « Rebbi ad ishal ». Après avoir
suivi des cours au conservatoire d’Alger de musique classique et d’art
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dramatique, elle s’inscrit au cours Simon à Paris. Vivant entre Alger et
Paris, au Quartier Latin où elle fréquente beaucoup d’artistes dont sa
copine Juliette Greco, elle sort en 1965 un album dans la mouvance
yé yé tout en français avec, entre autres, « Une vie », écrite par Michel
Berger, et « Paris dans mon sac », composée par Kamal Hammadi .
Ambassadrice de la chanson algérienne, elle célèbre concert sur concert
et voyage dans l’ensemble des pays maghrébins, arabes et européens. Et
en 1970, elle est la première chanteuse maghrébine à obtenir chez Pathé
Marconi un disque d’or consacrant une carrière époustouflante.
Celle qui a marqué des générations par sa voix légère et romantique a
décidé de se retirer de la scène au début des années quatre vingt. Mais
ses refrains sont toujours écoutés avec plaisir et nostalgie.
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Dahman El Harrachi
Mort dans un accident de voiture à la corniche d’Alger le 31 août 1980, le
nom de Dahmane El Harrachi, maître incontesté du genre Châabi, reste
lié aux thèmes de l’exil et de l’émigration.
Ya raih, win msafer trouh taaya outwalli
Candidat à l’éxil/tu auras beau voyager ou tu veux/ un jour tu finiras par rentrer
Revisitée par Rachid Taha, ex Carte de Séjour, la chanson « Ya raih », qui
résume la destinée de toute une génération d’émigrés, a connu un grand
succès au Maghreb et en Europe. Programmée dans les boites de nuit,
elle est entonnée de par le monde en diverse langues tout en sauvegardant
sa sublime et mélancolique mélodie. Elle fait partie des grands succès
qu’a composé Dahmane El Harrachi, en exil, dans les années cinquante.
Issu d’une famille traditionnelle et pieuse originaire de Biskara,
Abderrahmane Amrani est né le 7 juillet 1926 à El Biar. Il avait cinq ans
quand ses parents s’installèrent à El Harrach, quartier populeux d’Alger.
Son père, cheikh El Amrani, muezzin à la grande mosquée d’Alger, le
confie aux soins d’un « Fakih » à l’école coranique. Après, il poursuit
ses premières études, sanctionnées par un certificat d’études primaires.
Il collectionne les petits boulots dont celui de cordonnier avant d’être
embauché comme receveur de tramway. Il passa sept ans sur la ligne El
Harrach et Bab El Oued à observer le comportement du peuple d’Alger.
C’est de cette époque que date sa passion pour la musique. Il rejoint
par la suite une troupe d’amateurs avec laquelle il effectua des tournées
à travers l’ensemble du pays. Dahmane, diminutif de Abderrahmane,
qui se choisi El Harrachi comme nom de scène, un hommage à son
quartier chéri, rejoint les professionnels tels El Haj Menouar, Abdelkader
Ouchala et Khlifa Belkacem. Instrumentiste virtuose, il est le banjo de
toute l’œuvre d’El Hasnaoui.
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Dahmane El Harrachi, a l’instar de beaucoup de ses compatriotes,
décide d’aller tenter sa chance en France en 1949. Il passe cinq ans à
Lille, quatre à Marseille, trois à Lyon, trois à Metz, avant de s’installer
définitivement à Paris. Avec sa voix rocailleuse à l’Aznavour, modulée par
l’alcool et le tabac, il se produisait dans les cafés et cabarets de Pigalle et
de Barbes, embués par les vapeurs éthyliques de la nostalgie, chantant les
souffrances physiques et morales des émigrés. Belle gueule, toujours tiré
à quatre épingle, les chaussures qui brillent, survivances de son premier
métier de cordonnier, il charma un public fidèle grâce à ses compositions
hantées par les thèmes de l’exil, de la nostalgie et du déracinement. Alger,
qui lui manque, lui inspire « Bahja bida ma thoul » (Bahja la blanche qui
ne fane jamais) et la guerre de libération son fameux « Blad El Khir ».
Dahmane El Harrachi n’a fait depuis que deux apparitions en Algérie
et il a fallu attendre 1970 pour qu’il monte sur une scène parisienne, au
cours du Festival de la Musique Maghrébine de la Villette ! Malgré une
vie dissolue, décousue, Dahmane El Harrachi, le bluesman des hautes
solitudes, reste un éternel pessimiste gai, qui n’a jamais sombré dans le
misérabilisme.
Auteur compositeur et interprète, Dahmane El Harrachi nous lègue pas moins de 500
morceaux. Une œuvre qui résume son vécu, ainsi que celui de ses concitoyens, avec des
mélodies légères et des poésies populaires, très influencées par les textes Hawzi algérien
et Malhoun marocain. Citons quelques uns dont « ya kassi », (que de malheurs dans
l’ivresse), « elli hab slahou », « Elli yezra errih », « Khabbi sarrek », « Dak ezine
ala slamtou », « Ya al hajla » et « Jouj hmamat », images métaphoriques de femmes
désirées comparées aux perdrix et aux colombes.
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Saloua
Saloua, l’une des grandes figures de la chanson algérienne, est une
habituée du Maroc qu’elle considère son deuxième pays et où elle
compte de nombreux amis. Parmi ses dernières apparitions chez nous,
sa participation à l’une des éditions du festival de Rabat, au festival de la
chanson arabe , qu’organise le syndicat libre des musiciens, sans oublier
son passage sur 2M où elle entonna, a capella, « Ach dani », mythique
morceau d’Ismail Ahmed…
Fettouma Lemitti, connue sous le nom de Saloua, est née en 1941 à
Blida. Elle débute sa vie artistique en 1952 en tant qu’animatrice d’une
émission enfantine à Radio Alger, sous la direction de Réda Falaki. Lors
de la guerre d’Algérie, elle rejoint Paris et la radio diffusion française
pour s’occuper de la première émission féminine destinée au monde
arabe. Amraoui Missoum, en rénovateur révolutionnaire de la chanson
algérienne, lançait alors un nouveau genre de musique alliant tradition
et modernité. A la quête de nouvelles voix, Il fait la connaissance de
Saloua qui abandonna alors la radio pour se consacrer exclusivement
à la musique. Leur collaboration donna une nouvelle impulsion aux
nouvelles créations.
Produit en 1962, le tube « Lalla Amina » est classé troisième des
ventes de Pathé Marconi, après « Milor » d’Edith Piaf et « J’ai quitté
mon pays », d’Enrico Macias. Vedette au Maghreb, Saloua entame une
tournée dans le monde arabe en 1964. La mort d’Amraoui Missoum en
1961, avec qui elle était très liée, la chagrine. D’une chanteuse moderne
elle s’essaye au classique andalou et Gharnati avec les encouragements
de Merzak Boudjemia, jeune et talentueux compositeur qui devient
par la suite son mari. Sur les traces de Yamna Bent El-Haj Mehdi et
de Fadela Dziria, elle subit une véritable métamorphose qu’elle réussit
avec brio.
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Dans les années soixante dix, Saloua retourne à la Télévision pour
animer des émissions de promotion des jeunes talents. Elle forma des
générations de nouveaux interprètes, à l’instar de Nadia Benyoussef,
Narjess et Belfarouni.
A partir de 1980, Saloua se fait rare, hormis sa participation au film de
Mohamed Slim Riad, « Hassan Taxi », où elle interprète un rôle aux
côtés de Rouiched. Nommée, en 1990, membre du Conseil National de
la Culture, elle fait son come-back sur scène en 2006 pour le grand plaisir
de ses fans. Très critique sur la situation de la chanson arabe actuelle
et les refrains « sandwich qui se consomment en un laps de temps puis
s’effacent de la scène artistique », elle conseille aux jeunes chanteurs de
« respecter la noble mission de la chanson algérienne et de ne pas se
laisser entraîner par la médiocrité ». Réécouter son répertoire permet
d’étayer ce conseil : « Yalli sahrouni ainik », « Saadi ya saadi », « bent
bladi kouli li », « koulou li wach ndir », « arfa ma andi saad », « baba
salah », « yalli sahrouni ainik », « Ki rai hemmelni »…
Après plus d’une quarantaine d’années de carrière, Saloua reste l’une
des ambassadrices les plus représentatives de la chanson algérienne
moderne.
Rabah Driassa
C’est l’un des incontournables noms de la chanson algérienne des
années 60 et 70, sinon maghrébine. Né le 19 août à Blida en 1934,
Rabah Driassa perd sa mère à l’âge de 12 ans, puis son père trois années
plus tard. Orphelin, il commence à travailler dès l’adolescence pour
subvenir aux besoins de ses cinq frères. Et ces les métiers artistiques
qui le passionnent. Graveur sur verre pendant sept ans, il s’initie à la
peinture, surtout à la miniature, grâce à Omar Racim et au peintre
Bauviol. Il exposa même à Blida en 1952, ainsi qu’à Alger et à Paris.
L’Enfant prodige reçoit le prix Jules Sevret, organisé à Alger et réservé
aux miniaturistes, trois années successives.
Sa relation avec la musique commence par l’écriture des poèmes qu’il
offre à d’autres interprètes du genre bédouin tels : « kelemni oun
kelmek fitilifoun », « Ya semra men hajbek », « Ya elgasba », « Touba ya
lahbab »… Au cours de l’année 1953, il participe à l’émission publique
de Mohamed Lahbib Hachelaf « Min kolli fan chouie », suivie par
les galas de la salle Ibn khaldoun composant et chantant des textes
du même Hachelaf. Rabah Driassa venait de créer un genre nouveau
imprimant au saharien un cachet plus moderne, un style métisse entre
l’Allaoui et le saharien. A écouter ses célèbres refrains tels « Al ouwama »,
« Al moumarida », « Jouj hmamat », « Nejma kotbia », on ressent
l’innovation concernant les rythmes et des textes traitant de problèmes
de société. Pour la première fois, les femmes sont représentées par des
symboles inhabituels à la poésie populaire.
Sollicité par les fans, il entame des tournées en France, en Angleterre, en
Belgique et en Suisse. A Indépendance de l’Algérie, Rabah Driassa est
considéré comme ambassadeur de la chanson algérienne enchaînant
les galas en Irak, Koweït, Tunisie, Maroc et Libye.
Rabah Driassa commence à se faire rare dés les années 80. Au Maroc, où
il compte d’innombrables inconditionnels, ses visites sont fréquentes.
La jeune génération l’a découvert au cours de l’une des dernières
éditions du Festival de Rabat.
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Salim Halali
Salim Halali, est né le 30 juillet 1920 à Bône (Annaba), à la frontière
algéro-tunisienne. Issu d’une famille de Souk Ahras, berceau des plus
grandes tribus Chaouia, les Hilali, son père est d’origine turque et sa
mère (Chalbia), une judéo berbère d’Algérie. A quatorze ans, il quitte
le cocon familial, prend le large et débarque en 1934 à Marseille, éjecté
d’un bateau dont la seule cargaison fut un troupeau de moutons.
A l’occasion de l’exposition universelle de 1937, il monte à Paris pour y
débuter une carrière de chanteur de charme espagnol. Sa rencontre avec
Mohamed El Kamal et Mahieddine Bashetarzi fut décisive. Ils l’initient
au chant arabo-oriental, l’intègrent à la troupe «Al Moutribia», fondée
par le grand Edmond Yafil, pour une grande tournée dans les capitales
européennes. C’est à Paris qu’il rencontre Mohammed Iguerbouchen,
fondateur du Cabaret Al Jazair, rue de la Huchette, et génie de la
musique, qui lui composa des morceaux à sa mesure. Son étoile ne
cessa de briller depuis. Ses disques connaissent des ventes record et il
devient, dans l’effervescence des années quarante, la coqueluche des
radios d’Alger, Tunis, Rabat et Tanger qui passaient, en boucle, ses
chansons.
En 1940, il échappe à la déportation grâce à l’intervention de Si Kaddour
Benghabrit. Ministre plénipotentiaire au Maroc sous le protectorat et
premier recteur de la grande mosquée de Paris, inaugurée en 1926 par
Moulay Youssef, il lui délivre une attestation de conversion à l’Islam
au nom de son père et fait graver le nom de ce dernier sur une tombe
abandonnée du cimetière musulman de Bobigny ! Non seulement le
recteur le sauve des fours crématoires nazis, mais l’engage au café maure
de la mosquée où il s’est produit en compagnie de grands artistes tels
Ali Sriti et Ibrahim Salah !
En 1947, Salim Halali crée à Paris le cabaret oriental Ismaïlia Folies dans
un hôtel particulier qui appartenait à Ferdinand Lesseps (ingénieur du
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canal de Suez), situé dans la prestigieuse avenue Montaigne. Au Maroc,
où il fonda le Coq d’Or en 1949, le souvenir de son séjour reste intact
au fin fond de la mémoire des fans et amis qui l’ont fréquenté, aimé et
écouté. Salim Halali nous a quitté en juillet 2005.
Flamenco et nostalgie andalouse, chanson marocaine (l’excellente reprise de Alaach
ya ghzali de Maâti Belkacem), algérienne et tunisienne, Adwar et classique à la
mode égyptienne des fin 19ème et début 20ème siècles, Mawawil halabia, chants turcs et
variété française ! Les paroles et les musiques de Salim Halali reflètent à merveille
sa personnalité ô combien composite. On est impressionné par l’aisance avec laquelle
il passe d’un registre à l’autre. Son répertoire, d’une richesse inouïe, fait de lui
le pionnier des chanteurs de la world music, de la fièvre latina et autres modes
orientalisantes. Tout au long d’une carrière d’une quarantaine d’année, consacrée
à la musique maghrébine et arabe, il a imposé son nom et créé son propre style. Ce
n’est donc pas étonnant que ses chansons (Al ain zarga, Aili hbibi diali fin houa,
Dou biha ya chibani, mahanni Zine, Hbibti samra, Bin al barh wa al youm,
Elli kalbou safi, Mounira, Nadira, Achek tafla andaloussia..) soient reprises par
des générations d’interprètes, à l’instar de Line Monty, Lili Bouniche, Maurice
Medioni, Pinhas, Karoutchi, Abdou Cherif, Raymonde, Cheb Khaled et autres
Mano Tchao, figure emblématique de l’alter mondialisme….
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Slimane Azem
Poète et chanteur kabyle de la première génération, Slimane Azem à
influencé des générations d’interprètes Amazigh. Issu d’une famille
pauvre, il est né le 19 septembre 1918 à Tizi-Ouzou. Il quitte très
jeune l’école, où ne l’intéressaient que les fables de la Fontaine, pour
s’engager dans la vie active. Un colon de Staouél, prés d’Alger, l’engage
à tout faire. En s’occupant, il fredonne les airs des bergers de sa Kabylie
natale, ainsi que les chants de Moh ou M’Hand.
En 1937, à l’âge de 19 ans, il tente sa chance en France. En compagnie
de son frère aîné, il s’installe à Longwy. Manœuvre au départ, il
décroche un travail au métro parisien comme aide électricien.
Mobilisé pendant la deuxième guerre mondiale, réfractaire, les
allemands le déportent dans un camp de travail. Libéré par les
Américains en 1945, de retour à Paris, il prit la gérance d’un café dans
le 15ème arrondissement. En compagnie d’un orchestre amateur, il
chante pendant les week-ends pour le grand plaisir des émigrés, leur
offrant un peu d’air du pays. C’est là qu’il rencontre Mohamed El
kamel qui l’encourage à composer lui-même ses textes. Sa première
création est « Amoh-Amoh », grand succès que les fans cherchent
chez Mme Sauvitla, la disquaire spécialisée du quartier. C’est elle qui
le recommande à Pathé Marconi qui lui édite, à partir de 1950, entre
autres, « Eddounit », « Yefka lamane », « Ahafid », « Lalla mergaza »
et « Allah ghaleb ».
En 1951, il chante avec Bahia Farah « Attass ey savr » (j’ai trop attendu).
La même année, il rentre au pays pour animer la chaîne Kabyle que
dirigeait Si Saïd Rezzou. Militant du PPA, puis de MTLD, il écrit et
compose « Fegh ay ajrad tamurt-iw » en 1956 et « Idehr-ed waggur »
en 1957, deux chansons engagées qui lui causent des déboires avec
les autorités coloniales. Il regagne définitivement la France en 1959.
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Après l’indépendance, le nouveau pouvoir interdit ses chansons à la
radio. Marié avec une française, il passe sa vie de cultivateur entre sa
propriété de Moissac dans le Tarn-et- Garonne, les enregistrements à
Paris et les tournées. En 1970, Salimane Azem reçoit, en compagnie de
Noura, un disque d’or de Pathé Marconi. Son dernier récital est donné
à l’Olympia en 1981.
Celui qui nous a quitté, ravagé par l’alcool, l’amertume et l’ingratitude,
le 28 janvier 1983, avait déclaré, « je continue comme par le passé à
dire à ma façon tout ce que je pense, libre à chacun d’interpréter. Mes
chansons sont comme l’auberge espagnole, on y trouve ce qu’on y
apporte. » Slimane Azem n’a été réhabilité en Algérie qu’en 1991.
Chansons maghrébines
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Une mémoire commune
Figures
de la chanson tunisienne
Khamis Tarnane
Khamis Tarnane a baigné dans une ambiance artistique dès sa tendre
enfance. Issu d’une famille originaire d’Andalousie, il est né à Bénezet le
1er janvier 1894. Son père, Ali Tarnane, ainsi que son oncle Mohamed
sont des adeptes et chanteurs de la Tarika Issaouia. Après l’école
coranique, on l’inscrit au primaire dans une institution que dirigeait
l’écrivain Abderrahmane Kika. De 1908 à 1917, il intègre les confréries
soufies : Maoulidia, Issaouia et Soulamia en tant que « mounchid ».
Sauvé de l’engagement obligatoire grâce à un beau parent du Bey, qui
admirait sa voix, il s’installe à Tunis célébrant les soirées dans un café
à côté de Sidi Al Bachir avant d’être embauché au café Lamrabet où
il se produisait une fois par semaine. Khamis Tarnane jouait le luth
à la manière orientale et chantait le Baghdadi, imitant les classiques
de Youssef Al Manlaoui, Salim Kebir et Mohamed Abderrahim. Il
côtoie le cheikh Ahmed Touil, grande mémoire de l’époque, Cheikh
Mohamed Belhoucine, décédé en 1922, et apprend le solfège grâce à
Ali Addarouich. En 1928, il voyage à Berlin, enregistre des disques en
compagnie de Mohamed Abdelaziz Al Akrabi. En 1932, il participe
aux travaux du premier congrès de la musique arabe, qui s’est tenu
au Caire, enregistre à l’occasion des Noubas du Malouf, Istikhbarat et
autres pièces du folklore tunisien.
Membre fondateur de Rachidia en 1934, Khamis Tarnane a joué un
rôle déterminant dans le nettoyage du Malouf. Avec Salah El Mehdi, il
revoit l’ensemble de ses Noubat , qui sont au nombre de 13, et corrige
les imperfections touchant aux textes et aux structures musicales.
Khamis Tarnane a chanté Qasidat « Ya zahra », paroles de Mohamed
Said Al Kholsi, et composé pour la chorale de Rachidia, entre autres,
« Noubat al khadra », quasidat « Kif bilmanazil », ainsi qu’une série
de « Mouachah ». Saliha lui interprète, « Hajara al habib wa ma dara »,
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« Ya oum al ouyoun zarka », « Elli machaf zinek mahroum », « Ana
nhabou ouhoua mouatini », « Ya salma ya khouilti albadouia », Fathia
Khairi, « Anta yalli baïd alaya », Oulaya, « Lou kan taâraf bouâdak »,
Naâma, « Ennar elli kouatni kouatek », « Ghanni ya ousfour »…
Figure emblématique de la musique tunisienne, Khamis Tarnane, qui
a consacré sa vie au chant, à la composition et à l’enseignement, s’est
éteint le 31 octobre 1964.
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El Hadi Jouini
« Lamouni elli gharou menni /galou li ach âajbak fiha».
Plus qu’une chanson, un tube repris par des générations d’interprètes.
Ecrit par Bachir Fahmi et composé par El Hadi Jouini, il fut chanté et
enregistré, pour la première fois, par Louisa Tounsia chez Gramophone
(K 4919) en 1945. Il fait partie d’une infinité de créations d’un
monument de la chanson maghrébine sinon arabe.
El Hadi Jouini est né au quartier Bab Jdid à Tunis le 1er novembre
1909. Son père, Abdessalam Ben H’ssine, l’inscrit à l’école coranique
où il apprend la psalmodie et les hymnes religieux. Parallèlement à ses
études primaires, il s’initie au luth à partir de l’âge de 11ans auprès,
entre autres, de Moché J’bali, père de Maurice Mimoun. Passionné de
musique, il abandonne les études, intègre la fanfare locale et chante
imitant Mohamed Abdelwahab et les autres classiques égyptiens. Un
ami italien, le violoncelliste Bonora, lui apprend le solfège et l’introduit
au sein d’un cercle d’Européens qui lui permirent d’intégrer le
conservatoire français où il finit par enseigner le luth.
Avec « Chérie habitak, ouana min illi ritak, fi wast kalbi zay il foula, ana
habbitak », écrite en s’amusant, à quatre mains, avec Chafia Rochdi , alias
Zakia Al Morrakouchi, et enregistrée en 1933, El Hadi Jouini venait de
créer sa première composition en francarabe. Il rejoint le groupe « Taht
Essour », café littéraire où se retrouvaient une pléiade d’intellectuels,
poètes et paroliers dont Abderrazak Karbaka, Hadi Laâbidi, Mustapha
Kharif, Mohamed Aribi, Mohamed Marzouki, Ali Douâaji et Mahmoud
Bourguiba. Membre de l’Association Rachidia, il s’initie aux différentes
formes de la musique andalouse. En 1937, Birm Tounsi débarque en
Tunisie, expulsé d’Egypte par le roi Farouk. El Hadi Jouini lui chante
le « Dawr », « atfi aadl Kouamak », repris plus tard par Oulaya. A la
naissance de la radio en 1938, il anime une émission d’une heure par
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semaine. Il voyage à Paris, en Algérie, au Maroc et en Egypte où il
enregistre pour Sawt Al Arab.
Compositeur incontournable, ses créations, imprégnées de l’air du temps,
notamment ses inspirations du flamenco, ont fait le bonheur et la gloire
des Chafia Rochdi, Fadela Khatmi, Hassiba Rochdi et Fathia Khairi.
Outre la musique, El Hadi Jouini s’intéressa au théâtre et joua aussi
comme acteur au cinéma, entre autres, dans un film, tourné au Maroc.
El Hadi Jouini est décédé le 30 novembre 1990. Les archives de la radio
tunisienne lui conservent pas moins de 1070 chansons et 56 opérettes.
Chansons maghrébines
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Saliha
Le 10 novembre 1958, Saliha se produisait pour la dernière fois au
théâtre municipal de Tunis. En dépit de l’avis de son médecin, elle
tenait à assister à une fête maroco-tunisienne où elle interpréta, entre
autres, « M’rid oufani ». Quinze jours plus tard, elle décède à l’âge de
44 ans. La Tunisie et le Maghreb venaient de perdre l’une des voix de
terroir les plus authentiques.
Salouha Bent Abdelhafid, née à Nebeur dans le gouvernorat du Kef en
1914, a grandi au sein d’une famille modeste. Son père Ibrahim a quitté
Souk-Ahras et l’Algérie à la recherche de moyens de subsistance. La
famille finit par débarquer dans la capitale tunisienne. Salouha, ainsi que
sa sœur ainée Eljia, sont placées chez la famille de Mohamed Bey, frère de
Moncef Bey. La demeure du grand bourgeois reçoit les illustres artistes
de l’époque, des fêtes somptueuses y sont régulièrement organisées et les
princesses s’y initiaient au chant et à la pratique instrumentale. Salouha
imitait, en cachette, ce qu’elle retenait. Elle continua sur sa lancée en
débarquant en 1927 chez la chanteuse Badria, rue El Bacha. C’est là que
l’avocat Hassoun Ben Ammar la découvre. Mais la rencontre la plus
décisive dans sa carrière reste celle du luthiste Beji Sardahi qui l’intégra
à son orchestre sous le pseudonyme de Soukaina Hanem. En 1938, elle
fait sa première apparition sur scène à l’occasion de l’inauguration de
Radio Tunis. La soirée, organisée au théâtre municipal et retransmise
en direct, révèle aux auditeurs la nouvelle star de la chanson tunisienne.
Ensuite son chemin croise celui de Mustapha Sfar, fondateur de la
Rachidia. Elle rejoint l’institution comme chanteuse, épaulée par les
grands compositeurs Khamis Tarnane, Mohamed Triki et Salah Al
Mahdi qui lui composent succès sur succès sur les paroles du groupe
« Taht Essour ».
Au Maghreb et dans le monde arabe, on fredonne toujours ses
indémodables refrains, « Ya khlila », reprise récemment par El Gasmi,
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« Ayoun soud makhouline », « Elli ma chaf zinek mahboul », « Bakhnouk
bent lamhamid », « Min frak ghzali », « Ach ifid al malam »…Saliha
reste la grande dame qui a révolutionné les chants bédouins tout en
les modernisant. Elle chanta aussi les textes classiques tels « Hajar al
habib », « Adl Al awadil » et « Ya zahra ». La radio tunisienne à éditée
une anthologie comprenant ses meilleurs morceaux.
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Mohamed Jamoussi
Descendant d’une famille chérifienne dont l’aïeul est le cheikh Abdalah
Jamoussi, décédé en 1140 de l’hégire, Mohamed Jamoussi est né à Sfax
le 12 juillet 1910. Son père, artisan forgeron qui créa des instruments
d’agriculture et reçut des prix aux salons de Tunis et de Marseille, est
aussi un adepte de la Zaouia kadiria, connue par ses chants à la gloire
du prophète, entonnés sur les modes du Malouf. Le jeune Mohamed
Jamoussi grandit dans cette ambiance, fréquente l’école coranique où il
psalmodie les versets comme personne. Une fois le certificat des études
primaires en poche en 1926, il poursuit ses études secondaires à Tunis,
clôturées par un diplôme en mécanique et dessin industriel. Embauché
par la société des chemins de fer en 1933, il apprend seul le luth, chante
pour les cercles d’intimes les classiques de Sayed Darwich et côtoie le
chanteur cheikh Karray, inégalable interprète des « Mouwachahat ».
En 1939, il rencontre Bachir R’ssaissi, fondateur de la première maison
de disques en Tunisie, qui lui conseille d’aller enregistrer à Paris. Il accepte
de venir gratuitement dans la ville lumières avec un seul but : Se rendre
sur la tombe d’Alfred de Musset devant laquelle il resta une journée
entière. Mohamed Jamoussi avait en effet une admiration sans bornes
pour le poète romantique depuis le lycée. En 1938, il enregistre chez
Polyphone « Fechatt », grand succès dans tous les pays du Maghreb.
N’ayant pas la bénédiction de sa famille qui refusait son choix, il décide
de rompre déclarant, « L’artiste au temps de mon enfance ne valait
rien. On le désigne du doit, il est méprisé, humilié. Pour satisfaire mon
penchant, la seule solution était la fuite à Paris ».
Pendant une dizaine d’années, il mena une vie de bohème chantant pour
les étudiants du Quartier Latin et pour la communauté maghrébine. Il
compose et enregistre à Paris Mondial, la radio arabe, des tentatives
de musique symphonique sur les traces de Mohamed El Kamal et de
Mohamed Iguerbouchen. Il joue aussi au théâtre de l’Odéon, « Goha
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le simple », pièce de Si Kddour Benghabrit, recteur de la mosquée
de Paris. En 1938, il est la vedette de « Fou de Kairouan », l’un des
premiers films maghrébins, où il chante des œuvres de sa composition
dont « Meskine ».
De cette période date ses chansons nostalgiques dont « bladi ya bladi,
ma ahlak ya bladi/baîd alik, ourouhi fik/al ghorba kouatni , wa al wahda
hatkatni/ana alik ounadi, bladi ya bladi », ainsi que son fameux « Riht
lablad ». En 1946, il se réconcilie avec la famille et le pays, retrouve la
terre ancestrale et les senteurs du jasmin. Conciliant chant, théâtre et
cinéma, il tourne au Maroc « Sérénade à Meryem » où il interprète
sept chansons, composées par Ali Riahi. Mahieddine Bchetarzi l’engage
à l’Opéra d’Alger comme directeur artistique pendant une dizaine
d’années. C’est là qu’il rencontre Youssef Wahbi qui l’invite à se
produire dans son théâtre « Elazbakia ». En Egypte, il joue aux côtés de
Faten Hamama et Tahaya Carioca dans « Bent Echawa », avec Chadia
dans « Dalamtou rouhi », film où il a interprété « fi khater ayoun el
badouia », avec Rakia Ibrahim dans « Nahed ». Les Italiens font appel
à lui pour des rôles dans « le trésor du Bengale » et « Le chevalier de la
maison rouge ».
Vivant à Paris, la ville qu’il admire tant, il ne rentre définitivement en
Tunisie qu’en 1974, à la demande du président Bourguiba. Il s’installe à
Sfax pour continuer de composer et d’écrire. On lui doit deux recueils
de poésie, « Le jour et la nuit » et « L’aube », ainsi que ses mémoires
où il raconte un destin hors du commun. Autodidacte en musique,
Mohamed Jamoussi , qui composa pour Warda, Safia Chamia, Noura,
Touria et Mohamed Jirari, a commencé à enregistrer dés les années
trente. Décédé le 3 janvier 1982, il nous lègue un répertoire des plus
impressionnants.
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Oulaya
Au cours de l’une de ses innombrables visites au Maroc, Oulaya déclara
que ses ancêtres étaient originaires de Bouya Rahal, patelin de la région
de Kalaât Sraghna. Complice et amie de plusieurs artistes marocains,
Mohamed Benabdessalam lui concocte, unique composition d’un
poème classique du maestro, « Ana man ana », texte existentiel du poète
libanais Ilia Abou Madi. Elle interpréta aussi « Adha attanai », avec une
composition de Salah Al Mahdi, l’un des chefs d’œuvres d’Ahmed Al
Bidaoui…
Oulaya au cours de l’une de ses visites au Maroc
Chansons maghrébines
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Beya Bent Bechir Ben Hédi Rahal est née à Tunis le 4 novembre
1936. Son oncle, Abdelmajid Errahal, n’ayant pas d’enfants, l’adopte.
Tout en poursuivant ses études primaires, elle se distingua pas sa voix
suave surtout quand elle interprétait les chansons scolaires. A l’âge de
12 ans, le virtuose du violon Rédha Kalaii, époux de sa sœur ainée
Samira, remarque ses potentialités vocales et lui compose, à l’insu de la
famille, son premier refrain, « Dhalamouni habaibi ». Elle l’enregistre
sous le pseudonyme de Fatat El Manar. Une fois découverte, son
père, le grand comédien Béchir Errahal, l’encourage à poursuivre sa
voie. Ce qui n’était pas le cas de sa maman qui l’a mariée à l’âge de
14 ans pour la détourner du milieu artistique. Beya, têtue, continue de
chanter, notamment pendant les cérémonies familiales des voisins. Et
c’est au cours de l’une de ces fêtes que Salah El Mahdi la découvre. Il
la fait inscrire au conservatoire Rachidia , où elle poursuit un cursus
académique sous la houlette des grands maîtres tel Khamis Tarnane,
lui invente son nom de scène, Oulaya, inspiré du nom de la sœur de
Haroun Arrachid et lui compose ses premiers succès . Chadli Anouar,
El Hadi Jouini et Abdelhamid Sassi font de même. Oulaya rejoint la
troupe municipale, puis la chorale de la radio télévision, où elle occupa
les premières places, et ne tarda pas à dominer la scène musicale
tunisienne au point où on la surnomma « Motribat al jil » (la cantatrice
de la génération).
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Chafi Abou Awn, président de la haute commission de musique arabe
du Caire, la remarque en assistant à une soirée de Rachidia. Fasciné
par les qualités de sa voix, il l’invite à rejoindre la troupe de musique
arabe du Caire. Une fois en Egypte, accompagnée par l’orchestre
d’Abdelhamid Nouira, elle interprète l’un des plus difficiles « Daour »,
« Ya taliâa assaâd » de Daoud Hosni. L’assistance est conquise et les
plus grands compositeurs arabes ne tardèrent pas à lui proposer leur
collaboration. C’est ainsi qu’elle chanta pour Baligh Hamdi, Mohamed
Al Mouji, Azeddine Hosni. En 1981, elle épouse Hilmi Bakr qui lui
concocte « Alli gara », son morceau fétiche. Repris par Assala Nasri,
Saber Roubai, Dikra, Fadel Chaker …mais la version de la diva reste
inégalée. Outre « Alli gara », la discographie de Oulaya compte une
infinité de morceaux, écrits et composés par des Tunisiens et autres
auteurs et compositeurs de l’ensemble du monde arabe tels « Yalli
dhalimni », « Ich ya fouadi », « Assahira »….
Oulaya a aussi joué au théâtre, accompagnant son père, et au cinéma,
notamment dans « Une page de notre histoire » d’Omar Khlifi, « Oum
Abbès » de M’hamed Marzouki et Ali Abdelwahab, ainsi que dans « Al
Mazzika fi khatar » de Mahmoud Férid , aux cotés de Mohamed Nouh
et Saffa abou Assououd.
Après avoir passé douze ans en Egypte, une année au Liban, Oulaya
rentre en Tunisie. Elle décède le 19 mars 1990 à l’âge de 54 ans.
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Ali Riahi
Avec El Hadi Jouini, Ali Riahi fait partie des artistes rénovateurs de la
chanson tunisienne. Les Marocains le découvrent grâce à la tournée,
organisée par le FLN, en 1958, à l’occasion du quatrième anniversaire
de la révolution algérienne. En compagnie de Warda al Jazairia,
représentant l’Algérie, et de Mohamed Fouiteh, représentant le Maroc,
il sillonna les villes du Maroc et de Tunisie pour le grand plaisir de
ses fans. Il reviendra plusieurs fois au Maroc, notamment pour les
célébrations de la fête du trône.
Issu d’une famille bourgeoise de la Marsa, Ali Riahi est né le 30 mars
1912 à Tunis. Passionné au départ par le dessin, il dut affronter le refus
de ses parents pour se faire un nom sur la scène musicale. Il apparaît
pour la première fois en public, à l’âge de 24 ans, en 1936, accompagné
par l’orchestre de Mohamed Triki avec El Hadi Jouini, Ali Sriti, Youssef
Slama et Brahim Salah. Pour l’anecdote, ce dernier a été embauché
par Abdallah Chakroun au moment de la création de l’orchestre de
Salé sous la direction de Mohamed Benabdessalam. Encouragé par
Mustapha Bouchoucha, directeur artistique de la radio et le cheikh
Salam Doufani, il anime une émission hebdomadaire, commence par
imiter les classiques orientaux, mais son rêve est de créer un genre
typiquement tunisien ne devant rien à l’influence égyptienne. Préférant
la scène et le contact direct avec le public, il organisait lui-même ses
concerts. Citadin célébrant les chants campagnards, mélangeant
les modes orientaux et populaires, créant sa propre manière de se
mouvoir sur scène, arborant des costumes extravagants, son public
ne cessa alors de s’agrandir. En 1947, il enregistre pour Pacifique
« Ghanni ya bolbol », morceau en hommage aux charmes de son
pays. Passant chez Decca en 1950, il enregistre « Djahfa » et ce
n’est qu’en 1955 que sort, chez Pathé Marconi , « Ched esseif »,
paroles de Abdesalam Nouwali, le tube de sa carrière, toujours
repris et fredonné par des générations d’amateurs. Il entame alors
Chansons maghrébines
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des tournées au Maghreb, en Europe et en Orient chantant « Andi
warda », « Dounia al hob », « Ousfour youghanni », « Jrit ourak », « Ya
hamama », « Al hob yaktal », « Ya naima »…. Son voyage en Egypte en
1953 reste gravé dans les mémoires. Admiré par Mohamed Abdelwahab
et Farid Al Atrache, il enregistre pour la BBC et Radio Proche-Orient,
dirigée alors par Halim Roumi, père de Majda Roumi.
Le 27 mars 1970, Ali Riahi décède sur la scène du théâtre municipal de
Tunis, la mort qu’il avait souhaité lui-même au cours d’une interview à
la radio quelques jours auparavant ! Il s’apprêtait à chanter « Katalatni
min ghair silah » (elle m’a tuée sans arme) ! Nous sauvegardons de lui,
comme le note Hamadi Abbaddi, « l’image d’un dandy anticonformiste
mais sincère et authentique ».
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Habiba Messika
Comédienne, chanteuse et danseuse, Habiba Messika, la bien aimée, a
défrayé la chronique dans les années vingt au Maghreb, en France et
au Moyen Orient. En avance sur son temps, elle fait partie des dames
incontournables de l’histoire du théâtre et de la musique arabes.
Issue d’une famille modeste, Marguerite est née en 1903 à Testour,
ville connue par sa tradition du Malouf et sa communauté juive. Elle
quitte l’école à l’âge de cinq ans pour se lancer dans la vie artistique.
Sa tante, la chanteuse Leila Sfez, qui a enregistré chez Pathé Marconi
dès 1929, entre autres, « Hbibi ghab », « Jani el marsoul », « Emta narja
fik », l’initie au piano et l’introduit au sein des cercles des intellectuels
et des artistes de la capitale. En 1908, Habiba Messika intègre la troupe
théâtrale « Achahama » , encadrée par Mahmoud Bourguiba. Première
femme arabe à monter sur les planches d’un théâtre en 1911, deux
ans avant l’égyptienne Mounira Al mahdia, elle incarne, plus tard, des
rôles dans « Le fou de Laila », « Roméo et Juliette » et « Les martyrs de
la liberté », émulée dans un drapeau tunisien et scandant des slogans
patriotiques.
Concernant sa formation musicale, outre sa tante, elle fait la rencontre
de Moché J’bali , Asher Mizrahi, du ténor égyptien Hassan Banane
qui lui enseigne le chant, le solfège , l’arabe classique, les « Qasaid »,
« Adouar » dont « Mali foutinntou » et autres « Mouachah ». Khamis
Tarnane et Bachir Rssaisi l’accompagnent à Berlin en 1928 pour
ses enregistrements chez Baidaphone.Le premier concert public de
Habiba Messika a été donné au palais Assous où elle rencontre son
pygmalion et amant, le ministre de plume Aziz. Les poètes l’encensent
à l’instar de Mohamed Said Al khalsi et les dandys bourgeois de Tunis
ne ratent aucune de ses soirées. La diva entonnait « Yafarhati », « Ala
bab darek », « Ala sarir Ennoum », « Ya mamma hiloua », « Talâa ya ma
ahla nourha », « Zahr elguenuna »… En 1929, elle rencontre à Berlin
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l’artiste irakien Mohamed Koubanji, celui qui a ressuscité la Maqam
irakien. Ensemble, ils chantent « Talâa min bit abouha », le duo n’a
malheureusement pas été enregistré.
Habiba Massika , «… un tempérament de feu sous ses grâces orientales »,
comme la surnommait Coco Chanel, ne cessait de multiplier les amants
et les jaloux. Eliahou Mimoun, un riche de Testour, est l’un d’entre
eux. Fou amoureux d’elle, il lui offre des bijoux étincelants et lui
construit un palais digne des Mille et Une Nuits. La tigresse aux yeux
verts, la femme fatale, le plaque. Un soir, après l’un de ses spectacles,
il s’introduit chez elle, rue Alfred-Durand-Claye, l’asperge d’essence et
la brûle vive. Il se jette ensuite sur elle pour mourir ensemble. C’était
le vendredi 23 février 1930. Depuis, les films, inspirés de sa vie, et des
livres dont « Habiba Messika, artiste accomplie », d’Ahmed Hamraoui
et « Habiba Messika, la brûlure du péché », éd. Belfond, Paris, 1998, de
Jeanne Faive d’Acier, ne cessent de sortir. Les mythes ne naissent-ils
pas du tragique ?
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Ahmed Hamza
Né le 14 décembre 1930 à Sfax, il grandit au sein d’un milieu artistique.
Son père, luthiste et grand interprète du Malouf, a été le premier à
intégrer le piano au sein d’une troupe traditionnelle. A l’école, il
chantonnait déjà et s’essayait même à des compositions au cours des
cérémonies de fin d’année. Une fois le certificat d’études primaires en
poche à 12 ans, il rejoint l’orchestre de son père qui animait un café
chantant du centre ville.
A 16 ans, la carrière artistique de Mohamed Hamza est engagée. En
compagnie de la troupe « Ahbab Al Fan », il effectue sa première
tournée en Algérie. Charmé et séduit par le pays, il y retourne plusieurs
fois, notamment avec la troupe de Abdelhamid Laâbabsa, pour finir par
y séjourné pendant des années. De retour en Tunisie, en compagnie de
son épouse algérienne, on lui confie la composition de la musique d’un
film anglais tourné en Libye, « Les black tents ». Engagé à la radio à
partir de 1957, il réalise ses premiers enregistrements à « Sawt Al Arab »
au Caire en 1958.
Désigné en 1963 pour diriger l’orchestre de Sfax, sa ville natale où il
découvre sa véritable voie et ses sources d’inspiration, il se penche
sur les chants et les danses populaires avec la complicité du Cheikh
Boudeya qui lui fait découvrir des trésors insoupçonnables. C’est sa
période la plus fructueuse dont datent ses plus grands succès, tels
«Chahloula », « Jari ya hammouda », «Chadou alkhananba », « Ya
charda b’zine », « Wallah ma nansak », « Oum laâyoun k’hila », « Hob
al khandouda », « Hia hia », « Esselsla oulkhal »… Outre la musique,
Ahmed hamza se permet des incursions dans le 7éme art. En 1967, il
obtient le premier rôle dans le long métrage tunisien « El Fajr », mis en
scène par Omar Khlifi.
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Une mémoire commune
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Artiste confirmé, il rejoint la capitale et l’orchestre national avec qui il
effectue des tournées au Maghreb, en Europe et dans le monde arabe.
En 1958, il est le représentant de son pays à la première compétition
du festival de la chanson maghrébine, en 1969 au Festival panafricain
à Alger, en 1971 Festival de chanson arabe du Koweït, ainsi qu’au
millénaire du Caire et au dixième anniversaire de l’indépendance d’Alger.
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Cheikh Elafrit
Cheikh Elafrit, de son vrai nom Issirène Rosio, est l’une des stars
maghrébines incontournables des années 30. Difficile d’évoquer
l’évolution musicale en Tunisie sans tomber sur son nom. De père
marocain, Salam Rozio, probablement originaire d’Essaouira, et de mère
tripolitaine, le diablotin est né à Tunis en 1897. Ses parents divorcent, et
Salam retourne au Maroc, délaissant une mère avec six enfants à charge.
Pour survivre, elle enchaîne les corvées, filant de la laine, vendant des
gâteaux et accompagnant, en choriste, des troupes pendant les fêtes
familiales. Pour l’aider, Issirène, qui n’a jamais mis les pieds dans une
école, accumule les petits boulots, boulanger puis pilonneur de café.
Tout en travaillant, il chantonnait tout ce qui lui passait par la tête.
Découvert par un mélomane, il lui conseilla de faire du chant et de
la musique son métier, tellement sa voix est prenante. A 18 ans, il
embrasse une carrière de chanteur professionnel, se spécialisant dans
le répertoire populaire libyen grâce à sa mère, une vraie mémoire des
chants folkloriques de Tripoli et de ses environs. Aux cotés d’autres
grands musiciens judéo-arabes ayant fui la Libye tels Moché J’bali et
Asher Mizrahi, il apprit une infinité de morceaux qu’il adapta au goût
tunisien. Remarqué, on l’invite aux soirées des mardis chez le Bey dans
son palais de Hammamat-Lif en compagnie de son orchestre constitué
d’Albert Abitbol au violon, Messaoud Habib à l’orgue, Maurice Benais
au luth, El Malih à la derbouka et Abramino au quanoun. Devenant
l’un de ses intimes, le Bey le fait chercher en carrosse et le gratifia même
d’un « Wissam ».
Sa notoriété grandissante, les maisons de disques se le courtisèrent. Il
commence ainsi à enregistrer dès 1926 chez Pathé Marconi, en 1930 chez
Gramophone, en 1933 chez Baidaphone et en 1935 chez Polyphone.
Grâce aux disques et à la radio, sa voix se répand au Maghreb et dans le
monde arabe. On l’invite pour des tournées en Algérie et au Maroc. Les
fans reprennent ses innombrables succès. Le plus emblématique reste
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toutefois celui que lui a concocté Asher Mizrahi, « Tasfer outgharrab »
(voyages et tu connaîtras le goût de l’exil), suivent « El ayn souda », « Ana
nhab alik ya bnia », « Mahboul men gal n’sa yihabouni », « Ya samra
ya kahlat laâyoun », « Ya fatma », « Atak rabbi », « Lach tghir alia »…
Considéré parmi ceux qui ont transmit l’héritage populaire du 19éme
siècle au 20éme, ne sachant ni lire ni écrire, c’est l’une de ses filles qui
l’aidait à transcrire ses chansons et qui interprétait pour lui au piano ses
compositions. D’une mémoire prodigieuse, Cheikh Elafrit, qui joua un
rôle indéniable dans la naissance et le développement du genre Foundo,
reste l’un des personnages clef de l’histoire musicale tunisienne.
Celui qui a chanté la vie et les passions contrariées, forgeant des images
évocatrices et pleines de mélancolie, a rendu l’âme le 26 juillet 1939
à l’hôpital de l’Ariana à la suite d’une bronchite. Cheikh Elafrit nous
laisse comme héritage pas moins de 400 chansons enregistrées.
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Nâama
Après la génération des Chafia Rochdi, Habiba Messika, Fathia Khairi
et le décès de Saliha, Naâma et Oulaya occupent la place d’honneur sur
l’échiquier de la chanson tunisienne. Une grande voix maghrébine qui
berça les mélomanes d’hier et dont les refrains continuent d’être repris
pour le grand plaisir des générations d’aujourd’hui. Habituée du Maroc,
elle lui rend hommage avec la chanson « Tahiat al maghrib », composée
par Chadli Anouar.
Née le 27 février 1936 au petit village d’Azmour, dans le cap Bon, Halima
Bent Laâaroussi Ben Hassan Cheikh est issue d’une famille mélomane.
Sa mère, la plus belle femme du coin, fredonnait, en s’occupant, les
chants « Arubi » et « Sahli ». Le père est un chanteur confirmé qui
animait les soirées pour les gens du village reprenant les répertoires
tunisien et oriental. Ses parents divorcent. Elle a à peine six mois quand
sa mère s’installe dans la médina de Tunis, rue du Divan, chez des amis
de son frère. La petite Halima, passionnée de chant et de musique,
fréquente la demeure de Bechir Ressaissi où elle assiste, en catimini, aux
répétitions des artistes tunisiens et à leurs enregistrements. Le patron
de Baidaphone avait installé un studio dans l’une des chambres de sa
grande demeure.
Nâama en compagnie de Brahim Alami (coll. Azelarab Alami)
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Avec sa belle et envoutante voix, elle chante pour les voisins et aux
cours de cérémonies privées. Lors d’une fête, organisée par un généreux
au bénéfice des non voyants, où étaient présentes Oulaya et Nariman,
Naâma chante du Mohamed Abdelwahab, accompagnée par le virtuose
du Qanoun, Hassan Gharbi et de son orchestre. Dès lors, son nom
fait le tour de la ville, et sa réputation ne cessa de s’élargir. Rejoignant
Rachidia au milieu des années cinquante, elle fait la connaissance de
Salah El Mahdi qui l’écoute entonner « ya lil jit nachki lak » de Laila
Mourad, paroles de Mohamed Jamoussi. Il lui concocte le pseudonyme
artistique de Nâama et la fait produire au cours des soirées de Rachidia
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à la radio. Nâama se fait vite connaître dans le pays et au Maghreb.
Malgré les contraintes d’un mariage à 16 ans, elle trace son chemin
et décide de sa destinée enchaînant tournées, enregistrements, radios
et télévisions. Avec Oulaya, elle incarne les aspirations d’une jeunesse
en quête de nouvelles mélodies. Si Oulaya préfère partir au Caire, à la
recherche d’une renaissance au Moyen Orient, Nâama reste fidele à
son public tunisien. Ses soirées au casino de Tunis, à la salle El Fath,
à Bab Souika, avec l’orchestre Al Manar sous la direction de Redha
Kalaï , pendant les mois de Ramadan, demeurent mémorables. « Avec
sa voix mélodieuse au timbre légèrement voilé, Naâma dégage une
énergie communicative sur scène, proposant une chanson qui swingue,
chargée de belle poésie populaire. » note, avec raison, Hamadi Abassi.
Muse des grands paroliers et compositeurs tunisiens, Naâma a
enregistrée quelques 500 refrains entre chanson de variété, Quasidat
et autre Nachid. Khamis Tarnane lui compose, « Ennar elli kouatni
kouatek », « Ghanni ya ousfour », Mohamed Triki, « Zaama isafi dahr »,
« Maghiara », « Zine ala zine », El Hadi Jouini, « Ya âachki fi zine
labnat », « Ya chaghelni ouchaghel bali », Mohamed jamoussi, « Ellila
aid », Salah El Mahdi, « Ya zine assahra ou bahjatha »…
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Chanteuse
mauritanienne
Maalouma Bint El Midah
« Je crois que la musique est le seul langage universel susceptible de
rassembler l’humanité. C’est le langage de l’âme qui permet de délivrer
un message bénéfique pour chacun : La paix et la sécurité. ». Plus
qu’une déclaration, il s’agit d’une profession de foi qui résume la vision
et l’engagement de l’artiste la plus emblématique de la Mauritanie
d’aujourd’hui.
Issue d’une grande famille du sud de la Mauritanie (Trarza), Maalouma
Bint El Midah , née en 1960, a commencé à chanter à l’âge de sept
ans. Son père, Mokhtar Ould El Midah, premier musicien dans le pays
à concilier les textes classiques de la langue arabe avec les modes et
rythmes mauritaniens, lui apprend l’art vocal. Sa mère, descendante
des « Ahl Boban », famille connue par sa pratique du chant et de la
musique, l’initie, avec la complicité de sa tante Nila Mint Boban, au
l’ardin. Comme tout artiste qui se respecte, Maalouma finit par maîtriser
le répertoire traditionnel de son pays avant de se lancer le défi de la
rénovation. « J’ai appris l’art en autodidacte et le rêve de ma vie était
de réussir un jour à fonder une nouvelle vision qui sortira la chanson
mauritanienne de son caractère traditionnel pour atteindre une forme
et un contenu différents. ». Dès sa première création, elle innove. Après
un travail acharné, des luttes interminables, l’incompréhension de
l’entourage, Maalouma Bint El Midah finit par atteindre son but.
Maalouma au Maroc, au festival de Dakhla en février 2010
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« …à l’âge de six ans, j’ai chanté un texte osé, composé par des artistes
de grand renom. Ce fut le scandale, mais je sentais le besoin de liberté,
d’émancipation. Personne ne comprenait que ma révolte commençait
déjà contre toutes les restrictions, les interdits et cette vision étroite de
l’artiste confiné depuis la nuit des temps, générations après générations,
dans le chant des louanges des tribus et de leurs chefs. Ma famille en a
souffert. On nous a marginalisé… ». Les puristes s’acharnent sur elle,
les jeunes et les intellectuels la soutiennent en créant « le club des amis
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de Maalouma ». Fin des années quatre vingt, la Word music déferle sur
la planète, Maalouma s’impose et impose ses choix et son style. Outre
la musique orientale, elle empreinte au blues et au rock. Ses mélodies
riches et singulières reflètent l’histoire du folklore mauritanien et des
représentations africaines. Son nom devient synonyme du pays et ses
concerts se succèdent dans le monde entier. Vedette notamment au
Printemps de Bourges et au festival des musiques métisses d’Angoulême.
Pour passer ses messages, la musique ne lui suffit plus. Elle s’engage
en politique, décroche un siège au parlement, déclarant que « tout ce
qui a tendance à opprimer les autres m’est insupportable. De même,
je ne peux pardonner la ségrégation raciale en termes de maîtres et
d’esclaves. ». La fille du sud sait de quoi elle parle. En ambassadrice
de la chanson mauritanienne, Maaalouma Bint El Midah programme
ses présentations artistiques en dehors des sessions parlementaires et
rejette toute proposition coïncidant avec son calendrier politique. Au
parlement, elle affronte avec courage les conservateurs, notamment sur
les tabous qu’elle chante d’ailleurs, les questions religieuses, la libération
des femmes et les inégalités. Bien que n’appartenant à aucun courant
idéologique, elle cultive les valeurs du partage, de la justice sociale et
des droits de l’homme. Le thème de la liberté lui tient à cœur. Ne cesse
t-elle pas de déclarer, tel un refrain, que « la créativité a besoin de la
liberté pour s’épanouir. » ?
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Compositeur
libyen
Youssef Al Alem
« Ghanni li allaila », l’une des plus belles chansons de Abdelhadi
Belkhiat, est écrite par Ali Ghachim et composée par Ali Maher, deux
grands artistes libyens. « Zine Al Habaib » de la libanaise Ilham Younes
est composée par Ibrahim Achraf qui concocta aussi des morceaux
pour Laila Matar et Fahd Ballane, encore un talentueux compositeur
libyen…
La Libye, connue pour son riche folklore d’inspiration africaine, berbère,
arabe, turque et méditerranéenne, et son ancienne tradition de musique
andalouse et du Malouf, a mis du temps pour édifier sa propre chanson
moderne. L’occupation italienne a fait fuir la communauté juive vers
les pays voisins dont la Tunisie. Asher Mizrahi et Mosché J’bali y ont
initié des grandes figures à l’instar de Habiba Messika et Cheikh El
Afrit dont le répertoire est d’inspiration libyenne. Si en Tunisie, en
Algérie et au Maroc les prémisses des nouvelles créations ont débuté
dans les années vingt et trente, en Libye il a fallu attendre la fin des
années cinquante pour apprécier les premières œuvres modernes. La
figure incontournable de cette transition reste, sans aucun doute, celle
du compositeur Youssef Al alem.
Né à Benghazi, il se passionna pour la musique dés son jeune âge. Voisin
d’Ibrahim Achraf, il fait la connaissance d’Abdelhamid Chadi, créateur
de « Ya salam ala nasma melli tkoun maliana hob », interprétée par Adil
Abdelmajid. En compagnie de ses amis, il suit les cours d’Ali Agha sur
les « Noubas » et de Hassan Aâribi concernant les modes orientaux.
Chaque après midi, il s’installe au balcon de la maison familiale pour
gratter du luth. Un jour, un passant qui écouta ses morceaux, l’interpella
et lui conseilla de rejoindre la radio. Il s’agissait de Brahim Touiyer,
responsable à la station de Benghazi. Et c’est ainsi que commença
l’aventure de Youssef Al Alem avec la composition.
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« La base de la chanson est le texte et le mot. Si le poème est médiocre,
aucune composition, aucune voix ne peuvent l’embellir. » En artiste
complet, Youssef Al Alem choisit avec minutie ses textes qu’ils
soient classiques ou populaires. En 1957, avec la complicité du poète
Abdessalam Kaderbouh et le grand chanteur Mohamed Sedki, il crée
« Tairin fi ach al wafa ». Enregistré avec des talentueux musiciens dont
l’accordéoniste Slimane Ben Zobloh, le refrain, qui a fait le tour du
monde arabe, est considérée par les historiens de la musique dans le
Maghreb comme la première chanson libyenne moderne. Les trois
mousquetaires venaient de se libérer du joug de la tradition pour ouvrir
à la chanson libyenne de nouveaux horizons. Ils ne tarderont pas à être
suivis par une pléiade d’artistes qui n’attendaient que ce déclic à l’instar
des Ali Maher, Ibrahim Fahmi, Atia Mohamed, Mohamed Khamis,
Mohamed Hassan…
Pionnier parmi les pionniers, Youssef Al Alem , à qui on doit une
infinité de succès tels « ward al janain », chantée par Adil Abdelmajid,
« Ya ain liche damaâtek », interprétée par Mohamed Mokhtar, « Libia ya
naghma fi khatri », « N’bark lik yawm al aid », « Ana fi hobak ana »….,
continue de créer pour le grand plaisir des mélomanes libyens et arabes.
Une grande figure qui mérite d’être plus connue à l’ère de la confusion
satellitaire et des chansons kleenex.
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