Fatima- BRAHMI DOC FR - Université Abou Bekr Belkaid Tlemcen

Transcription

Fatima- BRAHMI DOC FR - Université Abou Bekr Belkaid Tlemcen
REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE
Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique
REPUBLIQUE la rech erch e scien tif iq ue
U n iversité A bou Bakr Belkaïd de Tlemce n
Faculté des L ett res e t des lan gues
Départemen t des lan gues étran gèr es. Sec tion : Fran çais.
Écol e D oct oral e de Françai s - Pôl e O uest
A nt enne de Tl emcen
Thèse en vue de l 'o bt e nt i on du D oct orat
Spécialité :
Scien ce s des textes l ittéraires
Dupin de Poe, Lecoq de Gaboriau et Holmes de Doyle:
Trois héros-détectives examinés sous la loupe comparatiste
P résen tée par :
Sous la co directio n de :
Fat i ma BRA H MI
- M. Mohammed H AD JAD J -A OU L
- M m e . Chri st i ne Q U EFFELEC
Th èse souten ue p ubl iq uemen t devan t le jury com posé de :
B oum edi ene B ENMOUSSAT
Pr of esseur
U. T l emcen
Pr ési dent
Moham m ed H ADJAD J - AO UL
M.C.A
U. T l emcen
Co -r appor t eur
Chri st i ne Q UEFF ELEC
Pr of esseur
U. L yon2
Co -r appor t eur
Rahm ouna MEH ADJ I
Pr of esseur
U. d’ Esseni a, Or an Exa mi nat r i ce
Abdel j l i l MO STEF AO UI
Pr of esseur
U. T l emcen
Exa mi nat eur
P hi li ppe GO UDEY
M.C.F ( HDR)
U. L yon2
Exa mi nat eur
ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE
Année universitaire : 2012 / 2013
À la mémoire de ma très chère sœur Souhila
À celui qui m’a transmis sa passion pour les études et la recherche,
mon très cher père
À ma très chère maman, mon adorable fille, mon frère et mes sœurs
À toi chère amie Souad
Remerciements
Mes plus sincères remerciements à :
Mr Mohammed Hadjadj -Aoul et à Mme Christine Queffelec pour avoir
accepté de diriger mon travail, pour leurs précieuses instruc tions et
remarques. Je les remercie également pour leurs critiques pertinentes et
fructueuses qui m’ont permis de donner le meilleur de moi -même.
Mr Boumediene Benmoussat pour ses encouragements qui ont pu me
pousser à en arriver au terme de mes recherches.
Tous les membres du jury qui ont accepté d’évaluer ce modeste travail.
Pour mes amies Souad et Nassima qui ont supporté mes crises et ma
mauvaise humeur de thésarde en phase terminale.
Guide de lecture
1 ) C orpu s d’ét u de
Nous f ai sons r éfér ence dans not r e t hèse à un cor pus de r omans et
nouvel l es pr ovenant de s sour ces sui vant es :
Edgar Allan Poe
Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murder in the Rue Morgue), et La Lettre volée
(The Purloined Letter) : Petits classiques. Larousse, 1999.
Le Mystère de Marie Roget (The Mystery of Marie Roget) : URL :
http://www.ebooksgratuits.com/pdf/poe_histoires_grotesques_et_serieuses.pdf
Émile Gaboriau
Le Crime d’Orcival : éd. Masque, 2005.
Le Dossier 113 : URL : http://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_dossier_113.pdf
Monsieur Lecoq : URL : http://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_monsieur_lecoq.pdf
Arthur Conan Doyle
Les Aventures de Sherlock Holmes, Volume1, Omnibus, Paris, 2005.
Les Aventures de Sherlock Holmes, Volume2, Omnibus, Paris, 2006.
Les Aventures de Sherlock Holmes, Volume3, Omnibus, Paris, 2007.
Nous nous cont ent er ons donc, t out au l ong de ce tr avai l , de ne ci t er que
l e nom de l ’ aut eur , l e t i t r e de l ’ œuvr e ai nsi que l a page. ( Les r éf ér ences
compl èt es sont données en bi bl i ogr aphi e) . Pour l es aut res publ icat i ons qui ne
r el èvent pas du cor pus d’ ét ude , nous en donner ons l a r éf érence compl èt e
dans l es not es.
2) La lettrine
La l et t ri ne est ut i li sée pour mar quer vi suel lement l es i nt r oducti ons et l es
concl usi ons qu’ el les soi ent part i ell es ou génér al es .
Le long de ces rues sordides, un homme doit se risquer,
un homme sans compromission, désintéressé, courageux. Dans
ces sortes d’histoires, voilà ce que doit être le détective. Il est
le héros, il est le pivot du roman. Il faut qu’il soit un homme
complet, un homme comme les autres ; et pourtant différent.
Il doit être, pour employer une formule bien usée, un homme
d’honneur par instinct, inévitablement, sans qu’il y pense, et
surtout sans qu’il le dise.
Raymond Chandler
Introduction
Int roduct i on
R
elevant,
dès
son
apparition,
d’une
classi fication
p eu
valorisant e, l e genre polici er est longt emps exclu du champ
de l a « vrai e » lit térature. Conan Doyl e n’a -t-il pas l ui -mêm e,
maintes fois déclaré son aversion, ou tout au m oins son agacem ent à
l’égard de cette partie de son œuvre qu’il considérait comme
secondai re et qui le détournait de ses meilleures œuvres, entendant
par l à ses romans hi storiques ?
Les premiers récits à éni gme apparai ssent pourtant dans la
littérat ure légitim e, l’intri gue poli cière i rri gue depuis son origine le
roman t raditi onnel: que l’on pense à Hugo Les misérabl es, à Balzac
Une
t énébreuse
affaire ,
ou
encore
à
Dostoï ewsk i
Crime
et
Châtiment. De toute faço n, qu’on dét ect e son ori gine dans « OedipeRoi » ou dans « Zadig », il est indéniable que le rom an pol icier n’a
pas à rougi r de s es parents ; ainsi que l a remarque J. Duboi s dans Le
Roman poli cier ou l a modernit é : la thématique poli cière se met en
place dès le rom anti sme.
La
particul arit é
qui
rend
au
rom an
policier
son
st atut
recommandabl e est due au fait m ême que ce genre est jugé , non sans
légèret é, comme une littérature de second ordre. C 'est assurém ent
cett e situation du genre en dehors (ou à côté) de la « grande »
littérat ure qui a contribué à son succès auprès des cl asses moyennes
puisque
le
dével oppem ent
du
genre
poli cier
a
c oïnci dé
historiquement avec cel ui de ces classes et avec l e tri omphe de leur
goût ; et tout ce qui a renforcé sa m auvaise réputati on aux yeux des
critiques, a, au contraire, assuré son succès auprès du public. Les
études sur la littérat ure popul aire ont mo ntré que ce sont surtout les
genres dits mi neurs qui refl ètent et écl airent, d'une façon très
critique et imm édiate, la situation hist orique, politique et social e
d'une nation et de son peupl e.
2
Int roduct i on
C’est
égal ement
un
genre
qui
a
réussi
un
m él ange
rem arquabl eme nt délicat entre l e réalisme et le romanesque. Le fait
le plus habituel de la vie de tous les jours peut prendre une
dimension extraordi naire. C ’est une quête continuell e et i ncessant e
d’ori gi nalit é, l’objet des innovati ons l es plus audacieuses et les plus
excentri ques. Chaque public détient par conséquent son propre rom an
policier.
Le genre poli cier a de quoi sédui re l e lect eur : récit à suspens e,
intri gue condensée, plaisir de l’enquête, description s précises et
claires, sensations fortes, angoisse et f risson, sans parler de l’aspect
épisodiquement divertissant li é au bi enfait de cett e salut aire évasion
du lecteur. Il faut aussi relever de grands thèm es qui appartiennent à
un imagi nai re coll ectif : la lutte entre l es forces du Bien et du Mal ,
le mani chéi sme des valeurs, l ’espoir en un héros prom éthéen capabl e
de redresser les tort s causés par les m échants ou une soci été injuste,
la persécution de l’innocence, l ’import ance que revêt la vengeance
ou la récompense, etc. Il sembl e bien qu’il s’agisse d’unités
thématiques fortes de l’i nconsci ent col lectif que l e genre polici er
réactiverait sans cesse . Encore, faut -il rappeler que le crime est
éternel et fait parti e de l’homm e , et ce depuis le premier crim e
recensé de l ’hum ani té : Caïn tuant son frère Abel 1, ce qui a rend u le
genre policier inépuisable et a apport é la possibilit é de créer des
séri es, p rocurant un climat d’att ente tout en fidélisant l e lect eur.
Le
genre
polici er
puise
sa
séducti on
égal ement
dans
le
personnage de l’enquêteur. Pour que l ’histoire p oli cière soit réussi e,
l’enquêt e se doit d’être judi cieusem ent menée, par l a seule rigueur de
la logique. Or, cett e enquête doit se faire le récept acl e de toute la
puissance intell ectuelle de l ’enquêt eur. Ceci est parti culièrement vrai
1
Motif brillamment traité par l’auteur des Misérables dans un poème de La légende des siècles.
3
Int roduct i on
dans la forme t radit ionnelle et classique du genre où le personnage
cent ral est en position d’ investi gateur . Il n’est pas un simple
personnage, il est un être puissant et une tête pensante qui fait
avancer l’enqu êt e, et par là m ême l e roman ; par la seul e force de s a
réfl exion. L’enquêt eur du roman poli cier cl assique nous paraît,
ph ysiquem ent aussi bien que m ental em ent, doté de si gnes distinctifs
qui le rendent crédible. Il est, de ce fait, presque un êt re réel.
Le personnage du détective occupe une place important e dans la
form e et l e contenu de l’histoire poli cière classique, et bénéfici e
d'une att ention part iculière de l'aut eur. C’est à partir de Double
Assassinat dans la rue Morgue , qu’il devient l 'élém ent pri ncipal et
ori ginal de l 'hi stoire du crime ; place auparavant occ upée par le
personnage du crim inel. Il est di ffi cil e de décrire exact ement le
statut littérai re du héros -détective, car il n’a pas d’équivalent ni
d’homologue d ans tout autre genre de fiction. Plus que cela , il
représent e dans l a plupart des cas l 'expressi on de la personnalité de
l'auteur lui -mêm e ai nsi que l a reproducti on de ses idées.
Le dét ective, héros du genre polici er, se démarque de celui du
« héros justici er », qui constituait une des fi gures cl efs du roman
populai re (L es Misérables de Vi ctor Hugo, Les Mystères de Paris
d’Eugène Sue). C e derni er ét ait personnellem ent impliqué dans l e
dram e et luttait cont re un adversai re présent jusqu’à ce que l ’ordre de
la justice soit rétabl i, au nom du Bien. Le détective est un e xpert de
la technique d’enquête. I l est extéri eur au dram e et porte un regard
lucide et distancié sur les événements . La police d’Ét at a certes
fourni des noms illustres, qui appartiennent à la vi e et à l’Hi stoire, et
dont la litt érature s’est parfois emparée. Le personnage étonnant de
Vidocq, ancien bagnard devenu chef de la Sûret é à P aris (mais qui
avait aussi créé sa police parall èle), a connu Balzac, qui l’a
4
Int roduct i on
immortalisé sous l e nom de Vautrin 2, et Victor Hugo s’en est souvenu
aussi bien pour Javert que pour Jean Valjean 3. Mais le détec tive
amateur qui résout toujours l es éni gm es les pl us complexes est une
création de la fiction, et Poe en est l’incontest abl e initiateur. Jusqu’à
nos jours, il est possible d ’observer son i nfluence.
Le héros -détective comme nouveau personnage surgissant au
XIX e si ècl e, est devenu la plus grande fi gure m arquant e de l a
littérat ure policière. C’est le héros infaillible celui qui voi t par le
raisonnem ent ce que les aut res ne devi nent pas, le sauveur sur qui
tous les espoi rs se fond ent. Dans l a présente étude, nous avons jet é
notre dévolu sur le chevali er August e Dupin, Monsi eur Lecoq et
Sherlock
Holmes,
trois
héros -dét ectives,
qui
seront
décrits,
interrogés, anal ysés et comparés. En un mot, ils s eront scrutés à la
loupe à travers troi s expériences de création, c ell es d’Edgar All an
Poe, d’Émile Gabori au et d’Arthur Conan Do yl e .
La motivation qui nous a conduit e au choix du sujet, rel ève tout
d’abord d’un intérêt personnel, provenant de l’att rait qu’exerce sur
nous l e roman poli cier. Le suspens qui nous t enait en h alei ne, l e j eu
intellectuel, not re goût pour l e m yst ère et la détection policière sont
autant de fact eurs qui se sont emparés de notre goût , en tant que
lectri ce admiratrice des aventures de Sherlock Holm es. C et intérêt est
égal ement li é à la présentation d’un m émoire de magist ère, a yant été
soutenu en 2007. Dans ce travail qui traitait de la morali té et de
l’immoralit é dans le roman poli cier chez Émile Gabori au, nous avons
été am enée à m ettre en évi dence, avec i llustration à l’appui , le fait
2
Balzac, lecteur de Vidocq, le rencontra à de multiples occasions et s’en inspira pour créer le
personnage de Vautrin qu’on retrouve dans Le père Goriot, dans Les illusions perdues et dans
Splendeurs et misères des courtisanes.
3
Par sa connaissance de Vidocq en 1849 au moment de la rédaction des Misérables, Hugo le
dédouble à travers les personnages antagonistes de Jean Valjean, ancien bagnard, et du policier
Javert.
5
Int roduct i on
que l e genre p oli cier jouit de droit de cité dans l es universités les
plus réputées, en égard à bon nombre d’études académiques.
Si le choix du genre polici er ét ait guidé par une motivation
personnell e,
celui
des
personnages
relève
plutôt
d’un
intérêt
scienti fique. En e ffet, C’est à Edgar Allan Poe que l ’ on doit la
création du personnage de l’enquêteur, le chevalier August e Dupin,
un pur produit du rationalisme sci enti fique et positiviste dont le
créat eur fut, en son temps, l ’un des plus fervents apologi stes. Sur l es
traces de l’écrivain américain et de son enquêt eur, Émil e Gabori au,
feuill etoniste français, parvi ent à dével opper la formul e inaugurée
vingt ans plus tôt par Poe, en transposant le récit d’éni gme au cadre
romanesque. Contrairement au personnage de Poe, Monsi eur Lecoq,
l’enquêt eur mis en scène par Gabori au est poli cier et devi ent, de ce
fait,
le
« premi er
policier
p rofessi onnel
de
l’histoi re
de
la
littérature polici ère » 4. Dans la continuité de ces deux prem iers pas,
un troisi ème s’accomplit ; sans en avoir ét é l ’insti gateur, Arthur
Conan Do yl e porte le t ype du détect ive am ateur surdoué à son
apogée. Véritabl e m ythe, son inoubliable Sherl ock Holmes devient
plus célèbre que son créat eur.
Ainsi, Poe, Gabori au et Do yl e doivent une t rès grande part ie de
leur gloi re à leurs h éros -dét ectives qui continuent à sédui re, jusqu’à
nos jours, un large l ectorat . Géni es de l a déduction, doués d’un don
d’observation exceptionnel, d’une minutie frisant la m aniaquerie,
courtoi s et ri goureux à l’extrêm e, mais extravagants et plei ns de
bizarreri es : t el est le profil de nos dét ectives.
Depuis l a création des fi gures du cheval ier Dupin, de Monsi eur
Lecoq et de Sherlock Holm es, l es personnages de dét ectives se sont
multipliés dans la littérat ure poli cière. Nos dét ectives ne cesseront
4
J. Baudou, J-J. Schléret (dir.), Le Polar, Larousse, Collection « Guide Totem », Paris, 2001, p. 214.
6
Int roduct i on
de projet er leur om bre sur leurs émules, a yant droit à une l ongue et
brillant e li gnée de disciples : Arsène Lupin(1905), le père Brown
(1910), Roul etabill e (1907), Hercule P oirot (1920),
Miss Marpl e
(1930), Jules Maigret (19 31), etc.,
pour ne citer que ceux -là.
trois
fait
détectives
adapt ations :
ont
égalem ent
lit téraires,
l’objet
théâtrales,
de
Les
nombreuses
tél évisuelles
et
ciném atographi ques.
Dupin, Lecoq et Hol mes apparti ennent à la période fondat rice du
genre poli cier, c'est -à-dire approximativeme nt l es six derni ères
décenni es du X IX e et le début du XX e si ècl e. C’est en effet l’époque
de la naissance et de l’évolution la plus signifi cative , non seulem ent
du genre mais surt out du personnage policier, qu e nous comptons
anal yser au cours de notre trav ail. De pl us, s’impose une dél imitation
d’un champ d’études qui serait devenu trop vaste : depuis le XXe
siècl e, s’est amorcée une évolution don t on n’est pas à même de
percevoir l ’aboutissement, à l ’heure où nous écrivons ces li gnes.
La probl ématique prin cipal e de notre recherche quant à elle est
de
comprendre
comment
nos
trois
héros -détectives
avaient
pu
marquer l e genre policier, tout en rest ant distincts. Nous voudrons
égal ement saisi r en quoi réside l’ori ginalité de chacun de leurs
créat eurs, et si ces derni ers entretiennent des rapports d’influence,
d’inspiration , d’emprunt voi re d’imitati on les uns avec les autres.
La résoluti on de notre probl émati que consist e à répondre en
amont aux interrogations suivantes :
Comment nos auteu rs imposent -ils l'im age de l eur héros,
quelle fonction est attribuée à ces derni ers et quelles sont l es val eurs
dont ils sont l es supports ?
7
Int roduct i on
Quelles stratégi es déploient nos auteurs pour doter leurs
personnages d’une épaisseur humaine, et leur donnant l’illusion de l a
vie ? En d’aut res termes comm ent ces héros -dét ectives ont pu
dépasser le cadre fi ctionnel, et exister en dehors des textes comme
des êtres agi ssant et vivant dans un monde réel?
L’aut eur polici er ne met j amais fin à la vi e de son héros
dans l’hist oire , il est invulnérabl e, il revient à chaque production
avec les mêm es trait s de caractère et l es mêmes qualit és et défauts, si
toutefois nous consi dérons ce héros comme une personne réell e. De
ce fait, l’i nvulnérabilité du héros -dét ective est-elle exaspéran t e
d’invraisemblance, et conditionne -t -ell e, par là, l’i denti fi cation du
lect eur au héros, ou au contraire, l e héros invulnérable rassure -t -il ce
lect eur rendu inquiet par le crim e et le criminel ?
Au-delà d’un siècl e et demi, l e plaisir procuré par la
lecture des aventures poli cières de nos héros -dét ectives , demeure
intact.
Qu’est -ce
qui
suscit e
donc
un
tel
engouement toujours
renouvel é? En quoi réside leur ori ginalité qui ne cesse de nous
interpeller et de nous sédui re ?
Le p résent travail met en pa rall èle Dupin, Lecoq et Hol mes,
trois héros -dét ectives portant chacun l a marque personnel le de son
créat eur. En exami nant les liens qui
unissent ou séparent ces
personnages , not re objecti f de recherche consist e à mett re en lumière
l’apport ori ginal de chaque aut eur à l a création du personnage du
détective dans la lit térature polici ère, voire son apport à la création
du genre polici er.
Pour
le
cor pus
signal ons
que
le
héros
récurrent
est
une
composante constant e de l ’écriture de P oe, de Gabori au et de Do yle.
Cela rel ève d’un choix éditorial qui perm et de fidéliser l e lecteur qui
8
Int roduct i on
aime ret rouver son héros familier, sui vre ses aventures et pénétrer sa
vie. Nos aut eurs ont fait évoluer leurs personnages, au cours de leurs
différents écrits poli ciers, personnages qui ne sont donc pas invent és
d’un bloc, m ais construits au fil des récit s.
Dans cett e perspective, notre étude suppose avant tout, un
corpus riche t ant quantitativement que qualit ativem ent. Il s'agi ra
pour nous, de partici per à une lisibilité plus clai re et plus poi ntue par
la comparaison des personnages dans les œuvres choisi es. À cett e fin,
nous avons examiné pendant deux années de lecture tous les écrits
policiers des t rois auteurs. La t âche a ét é d’abord, relativem ent aisée
pour August e Dupi n puisqu’il ne fi gure que dans trois nouvell es,
moins facil e, ensuit e, pour Monsi eur Lecoq qui apparaît dans cinq
romans, enfin di ffi cile voi re ardue pour Sherlock Holm es , h éros
de quatre romans et cinquante -six nouvel les .
Devant donc délimiter notre corpus, la sélec tion s’est organi sée
autour d’un
trait majeur: repérer ce qui réunit ou sépare l es trois
personnages s el on un filtre sémi ologique concernant leur être, leur
savoir, leur faire et leur hi érarchi e. Nous avons procédé par une pré anal yse, cell e de repérer le s passages spécifiques où s'élabore l e
personnage.
Nous
avons
ai nsi
distingué
deux
processus
de
composition: les processus cumulati fs par lesquels l 'aut eur transmet
de nouvell es informations qui complèt ent ou modifient le personnage
et
les processus de ré pétition ou de renvoi par lesquels l’aut eur
rappelle ce qu’est l e personnage, ce qu’il sait, ce qu’il fait. Nous
nous somm es donc i ntéressée aux premi ers processus et n’avons ainsi
sélectionné que les écrits cont enant du nouveau sur nos personnages.
Le présent travail va s’appu yer sur un corpus com posé des t rois
nouvell es d’Edgar Allan Poe, de t rois romans d’Émile Gaboriau et de
trois rom ans et qui nze nouvelles d’Art hur Conan Do yl e. Il
nous a
9
Int roduct i on
semblé excessif d'i ntégrer d’autres écrits à un corpus qui est d éjà
important; nous nous sommes néanmoi ns servie de certains extrait s
de ces écrits – extérieurs donc au corpus - pour enri chi r et combler
des zones d’ombre de notre anal yse.
Pour ce qui est de la méthodologi e de notre recherche, il faut
dire qu’anal yser le personnage du détective est une entreprise
tentant e bi en que délicate à conduire , car l’opération peut êt re
abordée de bien des manières. P our rester dans l’objectif fixé dès
l’intitulé de cett e thèse qui se veut com paratiste, il serait possible de
mieux le réaliser en confrontant les troi s personnages à des niveaux
différents de leur construction . L’identi té, les port raits, les actions,
les paroles, les rapports avec l es aut res personnages ainsi qu’avec l es
créat eurs, sont aut ant d’él éments pertinents p our notre anal yse .
Notre
étude
com parative
comport e
différentes
approches
complém ent aires, qui paraissent êt re en accord avec
l ’objectif
principal de cett e recherche.
La sémi ologie en t ant que procédé de décr ypt age des si gnes,
nous
fera
personnage.
prêt er
une
at tention
particulière
au
si gnifiant
No us nous inspirerons donc d es travaux de
du
Philippe
Hamon qui propose trois champs d'anal yse : « l’être », « l e faire » et
« l 'im port ance hiérarchique » du personnage. En revanche , nous ne
pouvons nous ranger à l ’avis de Ham on, quand il propose de n e
considérer l e personnage que comm e un être de papier, dont le seul
rôle est de remplir une fonction textuell e. Hamon s’en prend à l’ idée
de l’illusion romanesque qui prend le personnage pour un être réel , il
affi rme, en citant
Paul
Valér y,
qu’il
s’agit
de
« superstitions
littérai res ». Certes, la sémiologi e nous sera d'un apport inestimable,
mais une approche du personnage uniquement textuell e serait de
façon
absolue
difficilement
tenabl e ,
dans
la
m esure
où
tout
10
Int roduct i on
personnage se crée et évolue en référence à un monde extérieur ou à
une réalité.
Le contexte t extuel s’insère dans une di mension plus l arge, cell e
de l’époque, de l a sociét é, d e l’Histoire et de la culture. S ans oublier
que l a const ructi on d’un personnage dépend égal ement du lecteur
(auquel nous nous i de ntifions) qui l e met en rapport avec ses propres
expériences réell es. Vincent Jouve propose de poser la question
« qu’est-ce qu e le personnage pou r le lecteu r ?». Le t héori cien
réhabilite ainsi une approche qui prend en compt e le hors -t exte, qui
est à la fois l e lieu d’une expérience de lecture et l e monde auquel le
personnage réfère. Par conséquent, chaque trait, ph ysique, moral ou
ps ychologique, chaque comportem ent ou parole, qui dans le réel
rendrait une personne s ympat hique ou antipathique, aurait , dans
l’univers rom anesque, le même effet pour le lect eur . C’est dans cett e
perspective que l e rapport « personnage/ personne » aura toute s a
valeur, et rend possi ble une diversit é d’anal yses.
Le roman polici er évoque un monde particuli e r, m ais il révèle
aussi, m ême si c’est de façon indirecte,
le contexte général dans
lequel l’ œuvre a ét é conçue et écrit e, contexte transposé dans le t exte
avec plus ou moins de précision, plus ou moins d’omissions ou de
fluctuations quand ce ne sont pas des altérations . Les contextes
socio-historique et culturel se reconnaissent inévitabl ement dans
celui de l’i ntri gue policière,
aidant à saisir l a quo tidi ennet é et l es
personnages qui l a composent. C ’est surtout par l e regard spéci fique
et filtrant de l’enquêteur que le monde e s t présenté au lect eur. Il faut
donc s’int éresser de près à ce personnage qui mène l’enquêt e, qui
révèle autrement et à sa mani ère la sociét é, en en proposant un
tableau parti culier. Il conviendra donc de faire appel à une approche
multidisciplinaire, ressembl ant de très près à cell e dont on se sert
11
Int roduct i on
pour anal yser l’êt re réel. Une approche où se croisent lit térature,
sociologi e, h istoi re, psychologie et philosophie.
En
s’inscrivant
dans
le
l’intertextualité va à son tour
sillage
de
l’étude
comparat ive,
nous m ener à une comparaison plus
approfondie de nos personnages. C’est une approche qui m et à notre
disposition les out ils qui motivent tout chercheur intéressé par
l’étude des écrits policiers, not amment les invariants du genre
(personnages, éni gme, enquête, …), perm ettant entre autres, le
repérage des stéréot ypes, l ’emprunt, l es écarts ou les pasti ches. Le
personnage intertex tue l met en j eu deux concepts distincts: « le
retour du personnage » et « l ’identité t rans -universell e » 5. Le premi er
concept concerne les personnages qui reviennent dans les productions
d’un mêm e aut eur, alors que le deuxième repose sur une base
d’emprunt ex téri eure et plus large. C es deux concepts vont condui re
l’évoluti on de notre recherche puisque, d’une part, notre corpus
s’inscrit dans l e t ype sériel, mett ant en scène des héros récurrents ,
d’aut re part, apport er une réponse à la probl ématique des rapport s
que peuvent entretenir nos t rois personnages entre eux.
Les di fférentes app roches que nous proposons constitueront
donc le fondement de notre étude comparative des trois héros détectives.
Enfin, nous proposons un plan de recherche conçu de mani ère
tripartite, s’articulant comme suit :
Dans un premier chapitre de la première parti e intitulée « Au x
ori gi nes du genre et du personnage pol ici er » nous rendrons compte
des mom ents cl és de la genèse du genre policier. Nous nous sommes
5
Cité par Marie-Odile Pittin-Hédon, Alasdair Gray: marges et effets de miroirs, Ellug, Paris, 2004,
p.324.
12
Int roduct i on
fixé pour obj ecti f de mettre en évidence l’import ante place qu’occupe
le genre dans l’hist oire de la littérature. Les étapes de sa naissance
seront en fait le cadre d’un cheminem ent aboutissant à l’écl osion du
personnage du détective. En ce sens, l a création et l’évol ution du
héros poli cier se doit d e nous ent raîner à explorer l e terreau dans
lequel il a dis crèt ement germ é. Nous suivrons ensuite l ’éclosion
du héros-dét ective, t out en démont rant comment sont déjà mis en
place un cert ain nombre de conditions qui vont p erm ettre plus tard
son avance ascensionnelle .
Dans l e second chapitre de cett e mêm e partie, nous présenterons
« l es premi ers créat eurs », c'est -à-dire l es initiat eurs que sont nos
trois
auteurs,
et
leurs
« premiers
héros -dét ectives ».
Nous
apporterons tout d’abord un éclai rage sur certains aspects de la vie et
des œuvres des t rois écrivains, sur l e cont exte dans lequel
l eurs
textes polici ers ét aient produits. Nous tenterons en fait de faire
redécouvri r ces créateurs, qui ont su absorber la réalité de leur
époque pour en faire de l a fi ction, et à qui l ’on doit la création du
genre polici er et le personnage de l’enquêteur. En nous intéressant
ensuite
à
l’i ntri gue
poli cière,
nous
essa yerons
de
comprendre
comment elle est construite par chacun de nos aut eurs , afi n de voir
dans quell e m esure la st ructure narrat ive m et en avant l 'étude du
personnage. Dans un second t emps ,
et avant de passer à l’anal yse
comparati ve, nous ét ablirons un premi er contact avec les t roi s héros détectives, e n l es présent ant sommai rem ent . Nous cit erons é galem ent
les adaptati ons les plus créatives dont nos personnages ont fait objet,
dans l e but d’évaluer le degré de l eur popularit é.
La deuxième partie intitulée « Le port rai t comm e syst èm e de
si gnif icat i on» , va nous perm ettre de répondre à la question suivant e :
comment et pourquoi , à t ravers leurs traits ph ysiques, moraux,
intellectuels, et c., l es troi s héros -dét ectives peuvent nous marquer.
13
Int roduct i on
Nous anal yserons comment nos auteurs procèdent à la qualificati on
de leurs personnages. Nous t enterons de comprendre comment Poe,
Gaboriau et Do yl e ont
réussi à prêt er sentiments, réfl exion,
intelli gence ou idiot ie à des « êt res de papier ». Nous exami nerons si
le dét ail ph ysique n’est donné que comm e constituant du personnage,
ou s’il est chargé de si gnifi er autre cho se que lui -m ême, en
véhiculant des si gnes interprétabl es. Dupin, Lecoq et Holm es seront
ainsi anal ysés d’après leur identit é, biographie, portrait ph ysique ,
comportem ents et attitudes mental es, et selon ce que ces élém ents
s ymbolisent et m anifestent comm e valeurs et si gni fications.
Nous nous consacrerons, dans l a troisième et derni ère partie
intitulée « Un e nou velle typologi e d e l ’héroïsme », à l ’ét ude de l a
t ypol ogie du dét ecti ve comme personnage héros. Nous examinerons
ainsi l es élém ents qui font de nos d ét ectives des héros uniques et
distincts. Nous com mencerons dans un premi e r chapit re par anal ys er
leurs m éthodes d’i nvesti gation et leur savoir -faire professionnel.
Notre but sera de démontrer que l ’aspect principal de la t ypol ogie
héroïque de nos détectiv es réside dans leurs compétences et leur
professionnalism e à mener une enquêt e policière. Dans l e deuxième
chapit re de cett e ultim e partie, nous mettrons l ’accent sur les
différents st atuts dont bénéfi cient Dupi n, Lecoq et Holmes, tels que
leur statut prof essionnel, leur statut moral, ainsi qu e sur les rapports
qu’ils entretiennent avec d’aut res personnages, et avec leur créateur .
En définitive, l a somme des résult ats obtenus le l ong de notre
étude comparative, fera l’objet de l a conclusion.
14
Première partie
Genèse et naissance
Premi ère part i e
C
ert es, c ’est au XIX siècle que l a plu part des auteurs
qualifi és de « sérieux », firent naître l e récit poli cier. Il
faut cependant se garder de réduire la naissance d’un genre à une
innovation littéraire individuell e, alors qu’ell e es t le produit de
processus historiques multiples et compl exe s.
Puisque le t erm e « genre » t rouve son ét ymologi e dans le mot
latin « genus » qui signi fie aussi « ori gine », cette parenté nous
donnera l ’occasion de remont er aux ori gines de ce genre. Il est
parfait ement légitim e de chercher des ancêt res au genre poli cier, car
étudier la création et l’évolution du héros policier impose d’explorer
le terreau dans l equel il a secrèt em ent germé. En revanche, il
convi ent de le faire avec prudence et discernem ent, sa ns se j eter sur
tout texte comport ant un crime ou une part de m ystère.
Il en va de mêm e p our ce qui est de l’étude du personnage du
détective, il n’est évidemment pas crée sans l e moindre antécédent .
D’où une nécessit é de se demander qui sont ses ancêt res dont il
cumulera l es qualités. Cela nous permet tra par la m ême occasion de
comprendre comm ent sont déjà mis en place un cert ain nombre de
conditions qui vont perm ettre plus t ard l ’avènem ent de ce personnage
emblém atique.
L’étude de l a genèse du genre et du personnage poli cier ne sera
en
fait
que
le
cadre
d’un
cheminement
aboutissant
à
fai re
connaissance avec Edgar All an Poe, Émi le Gaboriau et Art hur Conan
Do yle comm e prem iers créateurs, ainsi qu’avec l eurs personnages
respecti fs Auguste Dupin, Monsieur Lecoq et Sherlock Holmes,
comme l es premi ers héros -détectives et vérit abl es inst aurateurs du
genre poli cier.
16
Chapitre I
Aux origines du genre
et du personnage policier
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
I- Les origines du genre : Approche synthétique et historique .
Nous parl ons de « roman polici er » pour utiliser l ’étiquett e la
plus communém ent admise. Mais cett e dénomination ne correspond
pas exactem ent à notre étude, aussi avons -nous opté po ur le term e
« récit » plut ôt que pour « roman »,
D’autant pl us que nous avons
jeté not re dévolu sur un corpus vari é composé de rom ans et de
nouvell es.
1. Les origines littéraires
1.1. La littérature d’énigme
La litt érature d’éni gme se greffe sur une longue t radition, celle
de l a littérat ure cri minelle, dont l es aspects les plus anciens relèvent
de l a m ythologie et de l’histoire. Légendes de C ronos ou des Atrides ,
meurt re d’Abel par Caïn, ……, les exemples sont multiples. Ce qui
caractérise tous les crimes ainsi cont és, c’est l’absence de m yst ère.
Nous y somm es des témoins, inst ruits de tous les faits et gestes, de
l’innocence des vi ctimes, de l a sauvagerie ou de l a ruse des
coupables. Mêm e chose quand Térée viole et mutile Philom ène, dans
les Métamorphoses d’Ovide, ou quand, dans La Légende dorée de
J acques de Voragine, Sainte Marguerit e est injustem ent accusée et
soumise à la réclusi on . Pour nous, il n’y a pas de pl ace au doute : l e
« suspense » existe à t ravers deux questions : com m ent l a véri t é
écl at era- t - el l e ? Com m ent l es m échant s seront - il s puni s ?
C’est ce
schém a, ce sont ces interrogations qui se ret rouveront , pl us tard,
dans tout e l a l ittérat ure criminelle .
18
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
1.2. La tragédie grecqu e
Dans la tragédie grecque, chez Sophocle en parti culier, on
pourrait penser que les meurtres et la recherche du ou des coupabl es,
préfi gurent le récit policier. Si nous avons évoqué l e dram e grec, on
pourrait égalem ent faire référence au t héât re élisabét hain qui n’est
pas spéci al ement avare en cadavres et en meurtres pour l a conquête
du pouvoi r. Or, une « mort violent e » ou un délit ne perm ettent pas
d’assimil er n’importe quell e œuvre à un récit poli cier. Le crime
donc, ne pouvait êt r e l’uni que critère pour la naissance du genre.
1.3.
Le Zadig de Vol taire
Le premier « vrai » récit polici er ne serait -il pas Zadi g de
Voltaire 6 ? Nombreux sont les critiques 7 qui ont affirm é que l e
chapit re III de Zadi g est la premi ère hist oire de détective connue. P ar
ailleurs, Régis Messac est convaincu que :
[ …] le suj et de cett e part ie [ chapit re III] du
rom an n’ est pas de l ’ i nventi on de Vol t ai re, et que
Zadi g a eu des dev anci ers. [ …] l ’ édi t ion Mol and
nous avert i t que l ’ Année l i tt érai re ( 1767, t om eI, p.
145- 158)
accuse
Vol t ai re
de
s’êt re
i nspi ré
du
cheval i er de Mail l y, aut eur anonym e de Le voyage et
l es avent ures des t roi s pri nces de Sarendi p, t radui ts
du persan . 8
6
L’étude de Zadig comme prototype du personnage du détective sera développé dans ce même
chapitre. Voir infra p.48
7
Par exemple Dr Locard, Policiers de roman et de laboratoire (p. 19-20) ; Léon Lemonnier, Mercure de
France (1925), Franck Blighton, Flynn’s Magazine (1924).
8
Régis Messac, Le « Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, éd. Encrage, collection
« Travaux », Paris, 2011, p. 37.
19
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
Or, dans son étude intitulée Voltaire’s Roman Zadig , Wilhelm
Seele nous fait savoir que l e ch evalier de Maill y n’avait pas plus de
droits que Volt aire à se dire l’inventeur de cett e fable. Seele nous
indique
une
source
arabe :
Les
Mil le
et
Une Nuits .
D’autres
chercheurs ont mis en reli ef plusieurs t extes juifs qui correspondent,
à quel ques variant es près, aux aventures des t rois pri nces de
Sarendip. On est donc incapabl e d’être fixé sur les véritables
ancêtres de Zadi g. S eront -ils en définiti ve arabes, persans, hébreux ?
Ou bien va -t-on leur trouver encore une autre ori gine, demeurée
jusqu’i ci inco nnue ?
1.4.
Le roman gothique
Il est impossible de nier l a contribution apportée à l a littérat ure
policière, au moins par l e climat et pour cert ains décors, par ce qu’on
appell e en France l es rom ans « noirs » - « gothiques » - du XVIII e
siècl e, un phénom ène qui remont e à 1794, avec la traduction du
Moine de Lewis 9 et ensuite des Myst ères d’Udol phe d’Ann R adcliffe 10
et du château d’Otrante d’Horace Walpole 11. Ces « romans de
terreur » qui introduisent les thèm es de la sect e, de la bande hors -l aloi bravant la socié té, mettent en scène des forfaits comm is contre
l’intérêt général et s’attirent les faveurs d’un large public. Ils
utilisent égalem ent tout un attirail d’él éments destinés à semer la
terreur, ingrédients que nous ret rouverons plus t ard dans plusieurs
séri es polici ères comme les « Rocam bole », les « Arsène Lupin », et
dans l es romans de Gaboriau.
9
Mathew Gregory Lewis (1775-1818), romancier et dramaturge anglais.
10
Ann Radcliffe, née Ward (1764-1823) romancière britannique, pionnière du roman gothique.
11
Horatio Walpole ou Horace Walpole (1717-1797), 4e comte d’Orford, fils de Robert Walpole, est
un homme politique écrivain et esthète britannique. Il a écrit Le château d’Otrante, qui a lancé la
vogue du roman noir.
20
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
1.5.
Chroniques du cri me
Plus évident encore est le poids des « chroniques du crim e et des
criminels » qu’on voit apparaître en France, comme en Angl eterre et
en Espagne, dès l a fin du XV II e si ècl e, et qui connaîtront un
dével oppem ent
et
une
audience
popul aire
parti culièrem ent
considérables au XVIII e si ècl e.
Largem ent
di ffusées
par
l es
m archands
des
rues
et
les
colport eurs, ces chroniques, publi ées sous formes de brochu res ou
d’alm anachs, avai ent le double effet d’attirer l’attention sur les
crimes et les criminels en vogue et de livrer des détails – souvent
déformés et dém esurém ent grossis – sur la façon dont les seconds
avai ent perpétré l es premi ers.
Mais
c’est
aussi
l ’époque
où
quelques
grands
écrivains
commencent à se pencher séri eusement sur l e cr ime, les cri minels et
les
faits
divers.
L’intérêt
port é
au
roman
pi caresque
y
est
évidemm ent pour quelque chose, mais la chronique criminelle pure
n’est pas non plus dédai gn ée.
1.6.
E.T.A Hoffman
Il faudrait sans dout e inclure parmi les principaux ancêtres de la
littérat ure polici ère un cont e d’E.T.A Hoffm ann (1776 – 1822):
Mademoiselle de Scudéry (1818). Paris, fut en 1680, le théât re
d'assassinats en séri e , l es cadavres que l 'o n relevait au matin dans les
rues port aient , com me une si gnature du diabl e, l e mêm e coup de
poignard au cœur dont l'infaillibl e précision stupéfiait les médecins.
Les vi ctimes, souvent fastueuses et t itrées, ét aient frappées au
moment d’accompli r leurs plu s intim es démarches. Chaque nouveau
meurt re révél ait un secret d’amour. C 'est alors que Madeleine de
21
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
Scudér y, qui explorait encore l a C art e du Tendre, à l 'âge où l 'on ne
devrait plus songer qu'à son salut, fit m erveille dans le com bat sans
merci que l a Pol ice du Roi avait engagé contre l e Pri nce des Démons
ou l 'un de ses suppôt s.
Inspiré de faits divers aut hentiques, ce récit de fi ction est , le
premi er à traiter de t hèmes purement poli ciers.
1.7.
Les Mémoi res de Vi docq
L’un des textes capi taux de ce début du XI X e siècle fut un li vre
de mémoires com posés de quatre volumes. Parues en (1828 -1829) Les
Mémoires de Vidocq , cet ancien forçat devenu poli cier a servi de
modèle à de nombreux personnages de roman, du Vaut rin de Balzac
et Jean Valjean de Hugo à M. Lecoq d’ Émil e Gabori au. Ces
Mémoires, mêm e passablem ent rom ancées par Lhériti er de l’Ain, le
« nègre » d’Eugène -François Vidocq, ont eu une certaine influence
sur l a création du genre et se révèlent rapidem ent une vérit able mine
de rensei gnem ents pour qui s’intéres se au monde criminel, au travail
de poli ce et aux méthodes de ce qu’on n’appel ait pas encore
détective.
Le livre eut, à coup sûr, une influence capital e sur de nombreux
écrivains, a ét é lu par Alexandre Dum as, par Eugène Sue comme par
Edgar Poe. S a réputat ion a t rès vite débordé l a France. Et son
influence serait considérable sur l e roman noir américain.
22
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
1.8.
Le roman -feuilleton
Nous pouvons penser que l e modèl e précurseur le plus important
du rom an poli cier est très probablem ent le rom an -feuillet on. Dès
1836, lorsqu’Émile de Gi ra rdin crée la presse à bon marché, il y
insère des rom ans découpés en feuilleton s quotidiens. Le premier de
ceux -ci , qui parut dans La Presse , fut d’ailleurs La vi ei lle fille
d’Honoré de Balzac. Alexandre Dumas père connaît ra l e succès, dans
Le Siècle , avec les Trois mousquetaires et Vingt ans après , Frédéri c
Soulié publi era Les Mémoire du diabl e dans L e Journal des Débat s ,
mais c’est Eugène Sue qui reste l e feuilletoniste le plus célèbre de
l’époque avec Les Myst ères de Paris publiés dans Le journal des
Débats. On peut encore cit er, parmi bi en d’autres, l eurs successeurs
du Second Em pire, Ponson du Terrail et sa séri e Rocambol e ainsi que
Paul Féval , aut eur d’une fresque écrit e durant quinze ans, Les Habits
noirs.
Ces rom ans -feuillet ons présent ent une séri e de caract éristi ques
très proches du roman polici er, au point qu’il sera parfois difficile de
rattacher certains récits à l ’un ou l’autre genre. Mais il manque
encore l a notion d’enquêt e et de détective, pour assi miler le
feuill eton
Lebrun
12
au poli cier, et surtout l’unité de l’int ri gue. Michel
considère que tous les thèmes du récit polici er se trouvent
dans ce gi gant esque fourre -tout (les rom ans -feuill etons), mai s sans l a
ri gueur et l a vraisemblance auxquell es s’att acheront l es découv reurs
du genre.
12
Dans son œuvre Almanach du Crime 1980. L’année du roman policier. Ed. Guénaud/polar. 1979.
23
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
2. Circonstances de la naissance
Même si nous voul ons nous limit er à une histoi re strict ement
littérai re du genre, nous devons cependant mentionner les facteurs de
t ype
socio -économ ique,
politique,
voire
ps ychologique
pour
expliquer les ci rconstances et les raisons – qui ont été énumérées par
tous ceux qui ont cherché à expliquer la naissance du récit polici er de l’écl osion et du succès du genre.
2.1
Un gen re attestant une évolu tion soci ale
La litt érature cl assi que semble s’inscri re dans un hors-espace,
hors-t emps, favorisant la narration aux dépens du cont exte. Elle est
totalem ent épurée de tout ce qui ne se déroule pas au sein de
l’univers clos où s’i nscrivent les événements de l ’histoire. La réalité
n’ y apparaît pas ; pi re, elle est suppl a nt ée par l’utopie beaucoup pl us
séduisante aux yeux du lecteur.
Par contre, l e genre poli cier trouve précisém ent son essence
dans
une
forme
d’ancrage dans l a
réalité,
le
cont exte social
n’agissant plus en tant que décor m ai s vérit ablem ent en tant que
perso nnage.
La naissance et l ’évolution du genre policier sont liées à deux
élém ents fondam ent aux : les ci rconstances socio -économiques d’une
révoluti on indust riel le au XIX e siècle et le développem ent de l’esprit
scienti fique.
Ces
derni ers
ont
dû
certainement
influencer
les
conditions d’écrit ure des écrivains d’alors comm e les besoins de
lecture du public. J. Dubois a li é cet essor au développement des
classes
mo yennes,
car
le
genre
policier
est
contemporain
du
mouvem ent romanti que, qui boul everse les règles de bi enséance
24
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
classique, héroïse les marginaux et ex alte l e sentiment de révolt e.
Cette classe du peuple trouve dans ce t ype d’écrit :
[ …] un t ype de réci t voué à une product i on consom m ati on aussi rapi de qu’ ef f i cace. […] . Dans sa
l ect ure com me dans son écr i t ure, l e réci t d’ enquêt e
se veut i m age sensi ble d’ une soci ét é du m arché et de
l a m achi ne. 13
E.
Mandel,
quant
à
lui,
lie
l’angoisse
de
la
mort,
qui
expliquerait un des attraits du genre policier, au développement du
capit alisme qui entraîne concurrence, ind ividualism e, course au
profit et stress. L’être hum ain déséquil ibré, épié par l es « maladi es
de civilisation », t ransposerai t ses peurs dans la lecture de ce genre
d’écrits puisque : « La réif i cat i on de l a m ort est au cœur m êm e du
rom an pol i ci er » 14. En eff et, il n’est pas rare que l’angoisse ou la peur
ne vienne accompagner , voire conditi onner, la l ecture d’un récit
policier.
Sous un angl e di fférent, Boil eau et Narcejac vont confirmer
certaines rem arques de Mandel en s’appu yant sur quelques notions
élém entai res de psychologi e et de psychanal yse. Pour eux, nos
impulsions les pl us primitives, dont cel le de l a peur, sont traduit es
dans le langage par la littérature. Nous somme s fascinés par le crime
qui nous atti re et nous angoisse à l a fois. E. Poe insiste pou r que tous
les efforts de l’écrivain soi ent subordonnés au désir de créer chez son
lect eur un cert ain effet. Poe s’interroge :
13
Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 26.
14
Ernest Mandel, Meurtres exquis : une histoire sociale du roman policier, Montreuil, Presse-EditionCommunication (trad. M. Acampo), 1986, p. 60.
25
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
[ …] ,
je
me
di s,
avant
t out :
parm i
l es
i nnom brabl es ef f ets ou i m pressi ons que l e cœur,
l ’ i nt el l i gence ou, pour parl er pl us génér al em ent,
l ’ âm e
est
suscepti bl e
l ’ uni que ef f et que
je
de
doi s
recevoi r,
choi si r
quel
dans
le
est
cas
présent ? 15
Boil eau et Narcej ac, maît res de l’angoisse, répondent à la
question de Poe : « L’ uni que ef f et que l e rom an pol i ci er se propose de
produi re, c’ est l a peur, l i ée au m ystère » 16.
La peur et l’angoisse sont liées au crim e qui d’une part, prend
une nouvell e dimens ion au sein de la sociét é et d’autre part, l a
sociét é en pl ein e évolution influence l es attent es de l ecture qui s e
voient égalem ent modifiées. Le crim e renvoie à une corrupti on
social e, voire politi que. Désorm ais, le récit poli cier ne peut plus
faire abst raction de l’accroissement de violence qui com mence à
caractériser la soci été de l’époque et, bien au contraire, il peut
vérit ablem ent en faire son fond de commerce, proche en ce sens
d’une approche médi atique du fait social .
En résumé, réel et réalit é avaient contri bué à l’épanouissem ent
du genre polici er qui avait progressivement glissé d’un motif
purem ent litt éraire à de vérit ables perspectives sociol ogiques.
15
E.A. Poe, Contes, essais, poèmes (Préambule au poème du Corbeau), Laffont, coll. « Bouquins »,
Paris, 1989, p. 1008.
16
Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Paris, 1994, p. 26.
26
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
2.2
Un gen re u rbain
Le crime avait déjà fait son apparition dans la vill e, dès les
nouvell es d’Edgar Poe qui mettent en scène un Paris m yst érieux, si
ce n’est véritablem ent dangereux.
L’apparition d’une civilisation urbai ne, et plus exac tement
d’une ville industri elle à la fin du XIX è m e siècle, constitue l ’une des
circonstances de la naissance du récit pol icier.
...l e rom an pol i ci er est un produi t , une scori e de
l a ci vi li sat i on urbaine. Il n’ a pas pu apparaî t re
avant
que
la
prem i ère
n’ accouche
de
la
seconde
[la
ci vi l i sation
sous
l es
r ur al e]
forceps
de
l ’ i ndust ri al i sat i on : dans l e prem i er ti ers du XIXe
si ècl e. 17
Le développement du comm erce et de l’indust rie va faire et
défaire les fortunes, suscit er les conflits d’int érêt, réduire des
hommes au désespoir -sui cidai re quand il n’est pas m eurt rier -,
donner naissance à des affrontem ent s sans fin, engendrer des
querelles dévastat rices : plus l a ville se dével oppe, plus le crime s e
répand. Or, l a vill e dispose de tout e une pal ette d’accessoires et
d’artifi ces assurant au récit du crime un renouvellem ent constant :
gratt e-ciel lugubres, ruelles sombres, entrepôts abandonnés, terrai ns
vagues soumis à l a grisaill e, l a plui e, le brouillard, l es bruits, l es
odeurs étouffant es, et livrés en pâture aux financi ers, polit iques,
désœuvrés et malfrats de tout genre ; autant d’élém ents familiers du
crime, qui lui sont propi ces et lui confèrent une quasi normalit é.
Avec l’indust rialisation des villes, l e crime a trouvé son lieu de
17
Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p. 12
27
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
prédil ection
et
le
récit
un
formidable
lieu
d’i nspiration,
parti culièrem ent vivace encore aujourd’hui dans l e genre policier.
D’une enquête sur un crime dans l a ville, le récit pol icier
converge, en effet, vers la recherche du meurtri er de la ville.
Devenue victim e, l a ville est a lors sondée, autopsiée, ses habitants
interrogés, suspectés ; le crime d’un individu se fait ainsi le prétexte
à une véritable enquête soci ale ; enquête attendue car la ville,
immense et m yst éri euse, ne cesse d’inqui éter :
La
vi l l e
i ndust ri ell e,
gi gant esqu e,
anonym e,
f rénét i que, qui f ait se côt oyer ri chesse et pauvret é,
nouveaut és et permanences, f ut ur et passé, et qui
sem bl e croît re sans qu’ à aucun m om ent une vol ont é
hum ai ne uni que et cl ai rement conscient e de ses but s
ne parai sse di ri ger et ordonner ce dév el oppem ent,
voi l à qui dem eure encore un obj et de st upéf act i on et
d’ ef f roi
pour
cont em porai ns.
un
cert ai n
nom bre
de
nos
18
Grâce au crime le genre poli cier propose alors de révél er la vi lle.
A l’obscurité du cri me il oppose la lumière bl afarde d’une enquête
menée dans l a fange, dans l es vast es dessous de la ville, décrits en
ces t erm es par Jean -Noël Bl anc :
La vi l l e m ont e des prof ondeurs : sous l a surf ace,
un m onde caché, creusé. Au - dessus, l a vi l l e pol i cée,
l es m œurs pl ei nes d’ urbani t é, l es séduct i ons, l es
i l l usi ons, pui s, au - dessous, l a vi l le réel le, l a duret é,
l es
l ut t es
i m pi t oyabl es,
le
dram e.
L’ apparent e
pl éni t ude urbai ne recouvre des vi des. Les évi dences
18
Jean-Noël Blanc, Polarville : images de la ville dans le roman policier, Lyon, Presses universitaires,
1991, p. 47.
28
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
m asquent des évi dem ent s. Le j our se change en nui t
dans cet t e vi e vert ical e qui perd ses certi t udes et sa
t ranqui l l it é parce que, dans ces f ai l les sout errai nes,
i l se révèl e que l a vill e a quel que chose à cacher 19.
De vi ctime, la ville devient rapidement coupable, com plice voire
responsabl e de l a dérive des hommes qu’elle accueille, qu’elle
étouffe :
La vi l l e écrase l es personnages. El l e l es enf once.
Jusqu’ à des prof ondeurs sans nom . Jusqu’ au pl us
prof ond d’ el l e -m ême, l à - bas
en bas : au t rent e -
si xi èm e dessous. El l e y ent raî ne l es pl us f ai bl es. El le
l es ensevel it . Al ors se révèl e t out e l ’am pl eur du
pi ège. Le t rou, l a f osse. Car el l e n’ est pas l i sse cett e
vi l l e. El l e est creusée. O n y descend, on s’ y débat , on
peut s’ y ent errer i rrém édi abl em ent 20.
L’intrusion de la vil le dans le récit opère donc un renversement
radi cal dans l’histoi re du genre. L’enquête urbai ne part du crime pour
s’enfoncer plus encore dans l a noirceur, l a viol ence, l’insécurité ;
autant de perspectives qui ont fait et font encore recette auprès du
public. Car, outre l’intérêt sociologique que présent e le genre, en se
faisant le récit de la vi lle, la perspective de l’effet de mode n’est pas
négli geabl e dans l ’explication du succès du récit polici er, notamment
dans l es sociét és occidental es.
19
Jean-Noël Blanc, op. cit., p. 85.
20
Ibid, p. 84
29
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
2.3
Polici er et cri min el
Parall èlem ent au développement de l a ville, on assiste à cel ui de
la police. Les vill es naissantes et leurs environ s industriels vont à
leur tour donner naissance à d es masses pauvres et anon ymes d ’où
émergeront voleurs et assassins. Afin de contenir cett e criminalité
naissante paraissent la police, et plus parti culièrem ent le détecti ve,
derni er avatar du héros épique en lutt e contre l es forces du Mal.
Selon Lits, nous pouvons const ater qu’ à cette époque s ’est
constitué un él ément du corps soci al amené , de par sa nat ure même , à
jouer un rôl e maj eur dans les h istoi res polici ères. Ainsi faut-il
rappeler que :
Ce n’ est en ef f et qu’ en 1829 qu’ apparai ssent l es
sergent s de l a vi l l e en uni f orm e dans l es rues de
P ari s, qu’ en 1851 que t out es l es pol i ces de F rance
sont pl acées sous l’ aut ori t é du Mi nist ère de l a P oli ce
général e 21.
La situation
m ythique
corps
n’est
de
pas différent e
Scotl and
Yard
en Grande Bret agne ; l e
qui
all ait
revenir
dans
d’innombrabl es récit s polici ers était né, peu d’années avant l ’éclosion
de not re genre.
Mais là, le polici er est encore sans génie parce que sans
méthode ; il s’appuyait sur une foule obscure d’indicateurs et
comptait plus sur la dénonciation que sur la déduction pour arrêt er les
coupables. Cependant, cette police, faite d’espions plus que de
limiers, a le mérite d’êt re l à, de faire partie du panoram a de la vil l e.
21
Marc Lits, Le Roman policier : Introduction à la théorie et à l'histoire d'un genre littéraire, Éditions du
CEFAL, Liège, 1993. P.34.
30
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
Désormais, l e policier est un t ype social. Le haut de forme, l es
favoris, la redingot e
strict ement bout onnée, le gourdin t orsadé lui
composent une silhouette famili ère.
Or, en face du poli cier, nous trouvons le criminel protéi forme.
Puisque le déguise ment lui prête une multitude d’ apparences. Le
déguisement offre au criminel , nous disent Boileau et Narcejac, t outes
les ressources du trompe -l’œil. Il di sparaît dans l’anonym at. Il
devient, par essence, insaisissabl e. La guerre de ruse com mence, l e
duel entre le Bi en et le Mal qui va passionner un vaste publi c.
2.4
La presse
Grâce à l’essor des j ournaux, se découvre à présent un publi c. Le
« fait -divers » est créé par la grande presse , et s’il ne conte en
général qu’un dram e banal (incendi e, accident, etc.) il offre souvent
le récit d’un crime m yst éri eux (assassinat ). P ar conséquent, ce genre
de récit provoque un plaisi r int ense : attrait du m yst ère, émotion
engendrée par le spect acl e du malheur, désir de justice, etc. C’est le
moment où naît l e feuilleton év oqué précédemm ent.
Produits pour une masse plus alphabétisée que par l e passé , l es
récits représent ent une dim ension mécanique de cette soci ét é urbaine
en pl eine révolution industri elle. Vit e composés, vite impri més, vit e
vendus, vite lus, ils sont marqués par l a vélocité . Ils bénéficient du
support des journaux mieux imprimés et rapidement diffusés et de
tout un réseau naissant de di stribution de littérat ure de gare, alors que
les déplacements en chemin de fer s’accroissent. Jamais l’écrit
n’avait ét é sou mis à ce point à l’exigence de la finalit é : un genre
était né ; c’est dans ce cont exte qu’il faut situer l ’œuvre poli cière .
31
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
C’est égal ement au XIX e siècle que le récit polici er manque
encore de form e littéraire légitimée et c’est pourquoi il trouve dans l a
presse (feuilletons) son terrai n d’expression. Les deux nouvelles de
Poe seront d’abord publiées dans la presse, plus tard L’Affair e
Lerouge d’Émil e Gaboriau sera égal ement publié en feuilleton.
Gaboriau dès le début de sa carri ère d’écrivain, avait sai s i le rôle
considérable qu’all ait jouait la presse de son temps. En lisant
Madame Bovary , de Gust ave Flaubert , publié en 1857, il fit l a
rem arque suivant e qui se révéla prophétique de l ’immense succès
qu’il connut quelques années plus t ard :
C’ est t rès beau , m ai s on ne s’ adresse qu’ à une
seul e cl asse de l a soci ét é. Le t em ps n’ est pas l oi n où
apparaî t ra une nouvel l e couche de l ect eurs pour
l esquel s
il
f audra
écri re
des
rom ans
spéci aux,
quel que chose com me de l ’ Al exandre D u m as ou du
F rédéri c Souli é rapet i ssés. Et savez- vous qui écri ra
ces rom ans - l à ? Ce sera m oi . Ret enez bi e n ce que j e
vous di s : l e j our où l e j ournal à un sou sera
réel l em ent f ondé, j e gagnerai 30 000 f rancs par an 22.
Le prix du livre est aussi une des explications de la diffusion de
cett e litt érature par la presse. L’union de la presse et du récit policier
est d’abord un succès économique, Alain -Michel Bo yer rappelle qu’en
1832, le prix des trois volumes du Père Goriot équi vaut à un mois de
salai re d’un ouvri er mo yen. C e sera donc l a presse qui perm ettra
l’expansion du genre poli cier en suscitant une dem ande de lecture à
laquell e vont répondre l es auteurs et les éditeurs.
22
Il s’agit de paroles rapportées par ses amis, donc sujettes à caution puisque ce sont des souvenirs
recomposés. Cité par Roger Bonniot, Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier, Paris,
Editions J. Vrin, Pais, 1985. P.31.
32
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
2.5
L’enquête poli cière
Dès l ors, le récit policier est dans l ’ai r. Ses personnages sont en
place. Il n’ y a plus qu’à rendre é vident le lien qui l es réunit , c’est -àdire l ’enquêt e.
Au début du XIX e siècl e à Paris, les bases de la police
scienti fique sont jet ées pa r le préfet de police Dubois, qui enquêt e sur
une t entative d’att entat dont l e Premier consul Bonapart e avait ét é la
cible. Plus tard se dével oppera l’idée que tout est accessible à la
science, l’homm e lui -même, et l’on verra se développer de nouvell es
disciplines :
la
physio gnomoni e,
la
phrénologi e
et,
fi nalem ent,
l’anthropom étri e ; et parallèl ement, apparaîtra l’idée qu e le policier
qui traque l e criminel est l e rempart de la soci été, celui qui réussi ra
son ent reprise grâce à des méthodes rationnelles, voire scientist es
plutôt que par la force.
La sci ence positive (positivisme), c'est -à-dire cell e qui vise à
découvri r l es lois qui régissent les phénom ènes, va s’efforcer de
combler le fossé que la philosophi e cl assique avait creusé entre la
matière et l’esprit, et tout un courant de pensée t end à réduire l’esprit
à la matière. On commençait à croire que les mouvements les plus
secrets de notre conscience se traduisent immédiatem ent en jeux de
ph ysionomi e. Il n’ y a donc que l a science objective et rationnelle qui
dit la vérit é de l’obj et.
Là encore Poe ouvrait la voie. En p arl ant du whist, il expliquait
qu’un observat eur a ttentif et rationnel est sûr de l ’emporter sur son
adversaire :
Il exam i ne l a physi onom i e de son part enai re… i l
en not e chaque m ouvem ent à m esure que l e j eu
m arche et recueil l e un capi t al de pensées dans l es
33
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
expéri ences vari ées de cert it ude, de surpri se, d e
t ri om phe ou de m auvai se hum eur. A l a m ani ère de
ram asser une l evée, il devi ne si l a m êm e personne en
peut f ai re une aut re dans l a sui t e… L’ em barras,
l ’ hési t at i on, l a vi vaci t é, l e t rem blem ent , t out est
pour sym pt ôm e, di agnost i c, t out rend com pt e, grâce
à
cet t e
percept i on,
i nt ui t i ve
en
apparence,
du
23
véri t abl e ét at des choses .
Par conséquent , la techni que polici ère, chez Dupin, Lecoq et
Holmes, l’observation et l’anal yse se fondent sur un champ de savoi rs
complexe qui embrasse la science. Les modes de rais onnem ent
reposent, dès lors, sur l’observation, l’induction et la déduction. Ce
qui va ap port er à l’enquête j udici aire une aide inestim able. La justi ce
ne consist e plus à « appréci er » des témoi gnages, à « peser » un
prévenu, à défendre d’abord les intér êt s de la soci été et l a moral e
publique. Elle ne procède plus du cœur mais de la seul e intelligence.
23
Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p. 41.
34
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
II-
Le genre policier : essai de définition
Les théori ciens de la littérature parviennent difficil em ent à
s’accorder sur une définitio n du genre policie r. D ès 1971, Tzvetan
Todorov a observé que la définition stati que d’un genre, voi re de tout
genre littérai re, se condamne à êt re cont redit e en perm anence par les
œuvres ori ginal es qui font évoluer ce genre et doivent, pour cela, se
détacher t ant soit peu des crit ères généri ques initi aux :
Une di f f i cul té supplém ent ai re vi ent s’ ajout er à
l ’ ét ude des genres, qui t i ent au caract ère spécif i que
de t out e norme esthét i que. La grande œuvre crée,
d’ une cert ai ne f açon, un nouveau genre, et en m êm e
t em ps ell e t ransgre sse l es règl es du genre, val abl es
auparavant . [ …] O n pourrai t di re que t out grand
l i vre ét abl i t l ’ exi st ence de deux genres, l a réal it é de
deux norm es : cel l e du genre qu’ i l t ransgresse, qui
dom i nai t l a l it t érat ure précédent e ; et cel l e du genre
qu’ i l crée 24.
La subdivision désormais classique,
proposée par Todorov, en
trois form es historiques qui ont coïnci dé avec une phase hist orique du
genre est assez sédui sante :
a)
Le roman à énigme est constitué de deux histoires : si la
premi ère relat e le crim e, la seconde déclenche l’enquête. Pour
élucider l’affaire, l e détective (et le l ecteur avec lui ) tente de sai sir
avec perspicacit é ce qui s’est passé. C’est une activité purem ent
intellectuell e, l e détective est intoucha ble, à aucun moment sa vi e
n’est m enacée.
24
Tzvetan Todorov, Poétique de la prose, « Typologie du roman policier », Paris, Le Seuil, 1971, chapitre
4, pp. 55-65. Nous ne pouvons suivre Todorov lorsqu’il affirme, sur la même page, que le roman
policier ne transgresse pas les règles du genre : notre partie de synthèse, sur ce sujet, s’attachera à
montrer que les auteurs choisis ont bien fait évoluer la structure même du genre, notamment en
ce qui concerne la personne du narrateur.
35
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
b)
Le roman noir qui fusionne les deux histoires : l e récit
est simultané à l ’act ion. On ne cherche plus ce qui s’est passé mais ce
qui va se passer. Le détective n’est pas sûr d’arriver vivant à la fin de
l’enquêt e et l ’intérêt vient du suspense que cel a enge ndre.
c)
Le roman à suspense qui garde les deux histoires du
roman à éni gm e mais développe la seconde. Il ne s’agit plus
seulem ent de comprendre ce qui s’est passé m ais de s’i nterroger sur
ce qu’il va advenir des personnages principaux.
Selon Marc Lits, Baude lai re, en t radui sant le titre de la nouvelle
d’Edgar Allan Poe,
Doubl e Assassinat dans la rue
Morgue
a
magnifiquem ent défini ce nouveau genre en énumérant les traits
essenti els :
a)
« Double »
Ce term e reflèt e bien l’organisation st ructurell e du récit qui
n’est pas linéaire, le crim e a déj à eu lieu et le dét ective se doit
d’ent reprendre
une
remont ée
dans
le
temps
pour
en
donner
l’explication. Com me Poe le dit lui -même, l’aut eur conçoit son
histoire de manière inversée 25. Il s’agi t donc d’une construction
double : l a rel ation du crime et le récit de l’enquêt e, les histoires
mettant en scène deux héros : le meurtrier et l ’enquêt eur qui est son
double inversé. On peut souvent aj outer un 3 e personnage, le
narrat eur, confident , faire -valoir et reflet de l’enquêteur d ont l e
comment aire double la narration et perm et une dualit é de lect ure.
b)
« Assassinat »
Il s’agit bien i ci de la thém atique m êm e, un cadavre n’est pas
toujours indispensable. L’enquête doit se baser sur un act e criminel
commis ou supposé tel. Cel a implique un criminel , une vi ctime, un
25
E.A. Poe, Histoires Grotesques et sérieuses. (1864), cité par Marc Lits., L'énigme criminelle : textes pour
la classe de français et vade-mecum du professeur de français, Didier-Hatier, 1991, p.39.
36
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
détective et, selon J . Dubois, des suspects. Le récit doit répondre à
quelques questions par rapport à cet acte criminel : Qui ? Quand ?
Où ? Comment ? et Pourquoi ? Comme il est souhaitabl e que le crim e
soit import ant et qu’i l existe des
t ent atives de brouill er l es pistes
pour que cela ne puisse ressembler à un pur jeu de raisonnement, du
t ype « Cluedo 26 ».
c)
« dans la rue »
Il s’agit là de la dimension soci ologique de l’histoi re. Le récit
policier dem ande un environnem ent urb ain, en effet - com me cel a a
été
si gnal é
dans
les
circonst ances
de
son
apparition -
l’industri alisati on at tire en vill e une faune interlope. La conséquence
est rapide : dès les années 1830, sont instituée s des polices publiques,
basées sur l’organisation d e corps const itués reconnaissabl es par l eur
uniform e et utilisant des méthodes sci entifiques que reprendront à
leur compt e les dét ectives de l a fi ction 27.
d)
« Morgue »
Ce mot correspond à la part d’im aginai re : l e choix du nom est
signi ficatif car il m et l’a ccent sur l a force de la mort et rappelle que
le récit oppose les forces du Bi en et du Mal comme l a tragédie ou la
ps ychanal yse.
26
Cluedo (Clue en Amérique du Nord) est un jeu de société dans lequel les joueurs doivent
découvrir qui parmi eux est le meurtrier d'un crime commis dans un manoir anglais.
27
On lira avec intérêt l’article du sociologue Patrick Smets paru dans le Forum du Soir, le 16 juillet
2003 et intitulé « Gangs of New York » : Scorsese et l’État boucher, dans lequel l’auteur, explique le
développement des gangs dans la ville moderne du XIXe siècle tel qu’il l’a vu dans le film de
Scorsese. Sa conclusion selon laquelle l’Etat est simplement le gang qui a le mieux réussi a
provoqué quelques réactions indignées.
37
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
L
e genre poli cier n’est pas un genre surgi du néant, nous
avons voulu mieux situer sa place et montrer son importance
dans l’histoi re de la littérature. Les ét apes de sa naissance seront en
effet l e cadre d’un cheminem ent aboutissant à l’éclosion d’un
Chevali er Dupin, d’un Monsi eur Lecoq et d’un Sherlock Hol mes.
Genre lié au cadre urbain, en prise avec la réalit é et avec
l’évoluti on social e, il peut par ailleurs se fai re l e tém oin d’une
époque, livrant des informations précieuses d’un point de vue
sociologique notam ment. Le genre poli cier est, semble -t-il , la trace
romanesque d’une quête a yant pour but de rétabli r un équili bre q ui a
été rompu après une transgression soci al e. Mais il ne suffit pas que le
récit polici er se déroule dans la soci été, il est de plus nécessaire qu’il
y ait l utte, que le détective se heurte à un adversai re qui s’efforce de
le dérout er et m ême de le cont r ecarrer.
Le plus souvent, le crime a été commis lorsque s’ouvre le récit
policier. Mais au sein de l a t ram e narrative, l a lutt e criminelle peut
venir cont aminer l e processus d’enquêt e. Fréquemment, l’enquêteur
engage le combat contre ceux qui entravent s a recherche tout en
s’efforçant aussi à contrecarrer ce qui est à même d’empêcher ou de
fausser l a progressi on de son enquête . C’est à ce mom ent -là que l e
récit recule vers les formes l es plus anci ennes t elle que le récit
d’aventures qui mult iplie les péri péties et fait s’affront er, sur le mode
épique, bons et méchants. A l’i nverse, il progresse et évol ue quand
les investi gations de son héros se dégag ent de toute dramatisation
pour s’adonner à l a spécul ation pure. D’em blée, Dupi n, Lecoq ou
Holmes visent à r estreindre au seul effort ment al des démarches
qu’ils préfèrent m ener à distance de l ’objet d’enquêt e. Populaire et
accessi ble à tous, l e genre polici er entretient un rapport privilégi é
avec son lectorat et se pose en véritabl e vect eur de communication,
38
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
jouant de surcroît sur l e pouvoir de conviction dont sembl e joui r s a
pièce maît resse, l ’enquêteur.
Le genre poli cier obéit à des lois propres, à un fonctionnement
interne du personnage principal qui n’a cessé d’évoluer depuis sa
création. Une ét ude du person nage du détective sera donc un point de
départ int éressant, pour déterminer l ’un des aspects fondam entaux de
l’évoluti on du genre policier.
39
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
III-
Les prototypes du personnage de détective
Il en est de l’étude d es ori gi nes du personnage de l ’enquêt e ur ou
du détective comme de cell e des ori gi nes du roman polici er. Ce qui
est notabl e dans ce derni er , c’est que l’enquête est sa toile de fond
apanage du personnage central : l ’enquêteur, devant venir à bout de
son enquêt e.
Autrement dit, si l e récit polic i er est fondé en grande parti e sur
l’enquêt e et la résol ution de l’éni gm e, l’élucidation de cette derni ère
ne se produira pas d’elle -mêm e, les faits ne s’éclai rcissent pas d’eux mêmes non plus. Indispensablem ent s’impose al ors la présence d’un
personnage, cel ui qui a la charge de m ener l’enquête , un personnage
disposant d’attributs et de capacités très particuli ères. C’est au
détective qu’incom bent l es t âches d’expliquer, d’éclairer, d’élucider
et de dévoil er. L’enquêteur est, par défi nition, un homme de lo gique
et de raison. Il est doté du « fl air », de la persévérance et de
l’intelli gence du « l imier ». Dès ses ori gines, l e genre poli cier met
donc en scène des enquêt eurs i nfaillibles qui se chargent de dévoil er
la vérité et de rét abl ir l’ordre.
Nous nous pr oposons ici de sui vre l’éclosion en littérat ure
du héros-dét ective t out en démontrant comment sont déj à mis en
place un cert ain nombre de conditions qui vont perm ettre plus tard
son avènem ent. Nous mettrons également en évidence quelques
caractéristique s et motifs qui favoriseront ce glissem ent. Nous aurons
l’occasion de répondre aux questions : quels él éments font -ils encore
défaut pour que naisse vraiment l e détective comm e héros du genre ?
Quell es sont l es formes de transition ? Dans ce cas qui sont l es
protot ypes les plus représentatifs annonçant l’avènement d’un Dupin,
d’un Lecoq ou d’un Holmes ?
40
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
Il reste à si gnaler que l’accord ne règne pas dans l e monde des
spéci alistes de la littérature polici ère sur les personnages à admett re
comme protot ypes de la fi gure du héros -dét ective. Dans un souci de
clarté, nous s ynthét isons les di fférent s personnages qui semblent
faire l 'unanimit é des chercheurs et praticiens.
1.
Œdipe déchiffreur de signes
Il est difficil e de ne pas retrac er Œdipe dans l e roman d’enquête
qui réunit éni gm e et enquête, car les spéci alistes du rom an polici er
s’accordent pour l e c onsidér er comm e le premier dét ective de
l’histoire.
Il n'est sans dout e pas inutile de rappel er au préal able ce qu’es t
« l ’affaire Œdipe » t elle qu’elle est habit uellem en t consi gnée :
Dès sa nai ssance, [ Œdi pe] est exposé sur l e
Ci t héron par ordre de Laï os à qui un orac l e a prédi t
qu’ i l m ourrait de l a m ai n de son propr e f il s. Son
père f ai t en out re percer et l i er ensem bl e l es deux
pi eds. L’ enf ant est recuei l li par des berg ers qui l ui
donnent l e nom d’ Œdi pe ( l i tt éral em ent pi eds enf l és ) ,
et l ’ am ènent au roi de Cori nt he, P ol ybe. Œdi pe est
él evé par un souverai n, qu’ i l prend pour son vrai
père, et at t ei nt ai nsi l ’ âge d’ hom m e. C’ est al ors que
l ’ oracl e de Del phes l ui révèl e l a t e rri bl e dest i née à
l aquel l e il est prom i s : Œdi pe t uera son père et
épousera sa m ère. Af i n de s’ y soust rai re, Œdi pe
s’ exi l e vol ont ai rem ent de Cori nt he qu’i l regarde
com m e sa véri t abl e pat ri e. Mai s, sur la rout e de
Del phes, i l se prend de querel l e avec un in connu qui
n’ est aut re que Laï os, et l e t ue, accom pli ssant ai nsi
sans l e savoi r l a prem i ère prophét i e de l ’ oracl e.
41
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
Œdi pe cont i nue son chem i n en di rect i on de Thèbes
qui vi t al ors sous l’ em pi re de l a t erreur que f ait
régner l e Sphi nx. L es Thébai ns ont publ i é que l e
t rône de Thèbes et la m ai n de l eur rei ne serai ent à
qui résoudrai t l ’ éni gm e proposée par l e m onst re et
l es dél i vrerai t ai nsi de cel ui - ci . À l a q uest i on du
sphi nx : « quel est l ’ ani m al qui , doué d’ une seul e
voi x, a successi vement quat re, deux et troi s pat t es,
et qui est d’ aut ant pl us f ai bl e qu’i l a pl us de
pat t es ? », Œdi pe répond que cet êt re n’ est aut re
que l ’ hom m e, l equel se t raî ne à quat re pa t t es quand
i l est enf ant , se ti ent debout sur ses deux j am bes
quand i l est adul t e, et s’ appui e sur un bâton dans sa
vi ei ll esses. Le Sphi nx se préci pi t e al ors du haut d’ un
rocher ; Œdi pe, reçu avec l es honneurs royaux par
l es Thébai ns, épouse Jocast e, accom pl issant ai nsi ,
t ouj ours sans l e savoi r, l a seconde prophét i e de
l ’ oracl e. Jocast e l ui donne quat re enf ants : Et éocl e,
P ol ynice, Ant i gone et Ism ène. Mai s l a véri t é f i nit
par êt re sue : c’ est du devi n Ti rési as l ui - m êm e que
l ’ apprend Œdi pe. Jocast e, i ncapabl e de la support er
m et f i n à ses j ours. Œdi pe se crève les yeux et
s’ enf ui t
de
Thèbes,
accom pagné
de
sa
f il l e
Ant i gone. 28
Même si ce résumé laisse dans l’ombre la dimension d’ « Œdipe
l’enquêt eur » qui nous intéresse le plus, il faut savoir que tout au
long de la tragédie, Œdipe va s’interroger et interroger d’ aut res
personnes pour savoir qui a tué Laïos, il va se livrer à t oute une
recherche reposant sur les informations qu’il peut recueillir et sur ses
propres déductions pour aboutir à l a vérit é ; il n’en vi endra que
lentem ent à l’horri bl e conclusi on qui fait de lui l ’assassin.
28
Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Seghers, Paris, 1962, pp. 230-231.
42
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
Régis
Messac,
aut eur
de
la
premi ère
thèse
universit aire
consacrée au genre policier 29, assure qu’Œdipe engage l’enquête dès
le début de la pi èce et se t rouve dans la position d’un ju ge
d’instruction qui instrui rait, sans l e savoir, contre lui -même. C’est
une situati on qui a été reprise pl usi eurs fois par le rom an policier
moderne, l e cas par exemple du Chéri -Bi bi de Gaston Leroux. Messac
affi rme qu’en recherchant les indi ces et les preuves, Œdi pe s’est
comporté comme tout policier qui se respect e.
Sur ce point nous ne pouvons qu'être d'ac cord avec ce grand
critique. Relisons l es vers qui on t motivé notre position et qui
illustreront mi eux les propos de Messac :
Ces gens, dans quel pays sont - i l s ? O ù t rouver
La t race m al at t est ée d’ une f aut e anci enne ?
(Vers 108-109)
En reprenant au début , j e vai s l’ [l ’af f ai re]
écl ai rci r une nouvel l e f oi s, m oi comm e vous. ( V e r s
132)
Q u’ est- ce qu’ on racont e ? Tout ce qu’ on di t , j e
l ’ exam i ne. ( V e r s 2 9 1 ) 30
Œdipe prend l e vrai ton d’un juge d’instruction qui examine
minutieusement même l es décl arations les pl us banal es pour voi r si
elles ont la val eur de témoi gnage.
29
Le « Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, parut, en 1929, à la Librairie Ancienne
Honoré Champion. Thèse pionnière consacrée au genre policier. Grandement louée par les
spécialistes, cette thèse demeure une référence d'autant plus importante qu'elle fait désormais
figure de classique.
30
Nous citons Œdipe roi de Sophocle d’après la traduction de Jean et Mayotte Bollack, éd. De
Minuit, Paris, 1985.
43
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
Jacques Dubois se demande s’il n’était pas excessi f de dire que
la tragédi e Œdipe roi est structurée comme une enquête dont les
principaux argument s sont :
a) Rappel ant
l ’ oracle,
Jocast e
i ndi que
qu’ i l
concerne non Œdi pe m ai s l e f i ls qu’ el l e a eu de
Laï os et qui a ét é écart é.
b) Mai s, comm e J ocast e a m ent i onné l e li eu où La ï os
a ét é assassi né, Œdipe s’ y reconnaî t , s’ al arm e et
exi ge de voi r cel ui qui a racon t é l e m eurtre et qui
est devenu berger ent re - t em ps. Indi ce f avorabl e :
Laï os a ét é t ué par des « bri gands », c’ est - à- di re
par t out un groupe.
c) Survi ent un m essager : i l annonce l a m ort de
P ol ybe, roi de Cori nt he et « père » d’ Œdi pe ; une
nouvel l e i ndi cati on posi t i ve : Œdi pe ne ri sque
pl us de t uer ou d’ av oi r t ué son père.
d) Le m êm e m essager dét rom pe cependant le héros :
i l n’ est pas l e f i ls nat urel de P ol ybe m ai s un
enf ant t rouvé, recuei l l i par l e m essager l ui - m êm e
des m ai ns d’ un….berger.
e) Survi ent
le
berger
qui ,
doul oureusem ent ,
conf i rm e ses di res, sans rev eni r sur l ’ af fai re des
bri gands et du m eurtre col l ect if .
f) La concl usi on s’ i mpose : Œdi pe est doubl em ent
m eurt rier et n’ a pl us qu’ à subi r l e chât iment . 31
Toujours selon Dubois,
consacre
31
Œdipe
durant
tout e
c’est bi en à cette enquête que se
la
pi èce.
Comme
un
élucideur
Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 208.
44
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
d’éni gm es, il se li vre à tout un exercice herméneutique. Par les
procédés auxquels il recourt, t el que l’examen de différent s indices,
Œdipe anti cipe sur les détectives modernes et sur leurs modes
d’investi gation.
Boil eau et Narcej ac sont à leur tour convaincus qu’Œdipe,
interrogé par le Sphinx, est bi en pl acé dans l a situation d’un polici er
qui doit, sous peine de mort, raisonner vite et juste. Ils précisent :
« Il i gnore qu’ i l j oue déj à l e rôl e d’ un pol i ci er ; i l ne se rend pas
com pt e qu’i l pre nd déj à, comm e l e f era pl us t ard Roul et abi l l e, « la
rai son par l e bon bout » » 32. Les deux écri vains sont allés plus loin en
affi rmant que Dupin ne raisonnait pas mieux qu’Œdipe, que tout ce
qu’il possédait en pl us, c’était l a maît rise consci ente des procéd és de
la sci ence. Ils continuent :
Si Œdi pe avai t ét é dot é du m êm e équ i pem ent
i nt el lect uel , non seul em ent il aurai t échappé au
Sphi nx – ce qu’ i l a f ai t , d’ ai l leurs – m ai s encore i l
aurai t découvert l es m ot if s du Sphi n x et en quel que
sort e percé à j our l e s rai sons prof ondes de ses
cri m es. Il l ’ aurai t arrêt é et cont rai nt à avouer. 33
Quant à Marc Lits, il assimile le lien S phinx/Œdipe à celui du
détective/ criminel.
En effet, le conflit qui reli e l e criminel,
détent eur d’un savoir mort el
- puisque c’est lu i qui t ue -, au
détective qui veut accéder à ce savoi r,
est le même que ce qui se
jouait entre Œdipe et le Sphi nx. Lit s cit e André Jolles qui rat tache l e
récit poli cier à une forme primitive remontant à Œdipe roi , l a cél èbre
devinette du Sphinx:
32
Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Paris, 1994, p. 12.
33
Ibid., p.p. 21-22.
45
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
O n y [ r é cit pol i ci er ] t rouve deux f i gures : cel le
du m alf ai t eur qui chif f re son i denti t é et son m éf ai t ,
m ai s ouvre dans ce chif f rem ent l a possibi l i t é mêm e
de l a découvert e – cel l e du dét ect i ve, du découvreur
qui résout l a devi nett e et f ranchit l a cl ôture. 34
Selon Lits, nous sommes ici, explicitement, face à la rel ation
Criminel/détective. Ce derni er qui doit résoudre l ’éni gm e dont le
premi er possède l a solution qu’il a m asquée et chiffrée. L’ auteur en
donne l ’exempl e si mple et proche du j uge qui « doi t savoi r » face à
l’accusé qui « sai t ».
En somme, Sous les diverses form es qu’il conti nue à prendre,
dans l a litt érature policière, le m ythe du dét ective sembl e être l 'un
des plus anci ens. C ela correspond peut -être à l’enquêt e ét ernel le que
l’homme m ène pour pouvoir ré pondre aux questions : Qui suis -je?
D’où j e viens? Où vais -j e? C'est sans doute pour cel a qu'on s'ent end
en général à reconnaître dans l e personnage d'Œdipe le protot ype du
détective, d'autant que ce personnage est au centre d'une affaire où il
s’est
condu it
com me
un
enquêteur
rem arquabl e,
s’est
montré
méthodique et préci s. Commençant par s’interroger sur l a nature du
mal, puis l’endroit du meurt re et arri vant à assembl er l es témoins et
examiner les indices, Œdipe a instauré une vraie mise en scène
policière et on voit déjà apparaît re des esquisses de raisonnement de
t ype poli cier.
34
Cité par Marc Lits, Le Roman policier : Introduction à la théorie et à l'histoire d'un genre littéraire,
Éditions du CEFAL, Liège, 1993. P. 90.
46
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
2.
Le subtil Zadig
Dans l a quêt e des premiers écrits en mat ière de recherche, c ’est
Zadi g dans l’aventure intitulé Le chien et le cheval (1747), qui fait
date pour l es spéci alist es du genre policier. Ces derni ers prêt ent
attention, précisém ent au chapit re où Zadig se sert de l ’examen des
traces que le chi en et le cheval ont laissées sur leur passage pour
s’innocent er face à l’eunuque et au grand veneur de Babyl one qui
l’accusaient de l es avoir volés. Grâce à la méthode inducti ve, Zadi g
parvi ent à donner des précisions sur ces deux animaux qu’il n’a
jamais vus :
C’ est une épagneul e t rès peti t e, aj out a Zadi g.
El l e a f ai t depui s peu des chi ens ; ell e boî t e du pi ed
gauche de devant , e t el l e a les orei l les très l ongues.
– Vous l ’ avez donc vue ? di t l e prem i er eunuque t out
essouf f l é. Non, répondi t Zadi g, j e ne l ’ ai j am a i s vue,
et j e n’ ai j am ai s su si l a rei ne avai t une chi enne.
[ …] J’ ai vu sur l e sabl e l es t races d’ un ani m al , et
j ’ ai j ug é ai sém ent que c’ ét ai ent cel l es d’ un pet i t
chi en. Des si l l ons l égers et l ongs, im prim és sur de
pet i t es ém i nences de sabl e, ent re l es t races des
pat t es, m ’ ont f ait connaî t re que c’ ét ai t une chi enne
dont l es m am el les étai ent pendant es, et qu’ ai nsi ell e
avai t f ai t des pet i t s i l y a peu de j ours. D’ aut res
t races
en
un
sens
di f f érent ,
qui
parai ssai ent
t ouj ours avoi r rasé l a surf ace du sabl e à côt é des
pat t es de devant , m ’ ont appri s qu’ elle avai t l es
orei l les t rès l ongues et , comm e j’ ai rem arqué que l e
sabl e ét ai t t ouj ours m oi ns creusé par une pat t e que
par l es t roi s aut res, j ’ ai com pri s que l a chi enne de
47
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
not re august e rei ne ét ai t un peu boit euse, si j e l ’ ose
di re 35.
Comme nous l’avons déj à no t é 36,
Voltaire a puisé l ’idée de
Zadi g dans une hist oire fort a nci enne, mais c’est lui qui lui a assuré
la cél ébrit é. Dans ce cont e, une nouveauté est souli gnée : l a tournure
scienti fique
qui
est
donnée
aux
raisonnements
i nductifs
du
personnage, ce qui réduit à néant les accusations de plagi at. Cette
méthode déductive est pres que, déjà, cell e d’un Dupin enquêt ant dans
la
rue
Morgue,
d’un
Sherlock
Holmes
avec
ses
brillant es
démonst rations logi ques, ou d’un Lecoq qui s’en est servi durant ses
enquêtes, à l ’image de ce qui suit :
Ce t errai n vague, couvert de nei ge, est com m e
une i m mense page bl anche où l es gens que nous
recherchons
ont
écri t ,
non - seul em ent
l eurs
m ouvem ent s et l eurs dém arches, m ai s encore l eurs
secrèt es pensées, l es espérances et les angoi sses qui
l es
agit ai ent .
Q ue
vous
di sent - ell es,
papa,
ces
em prei nt es f ugi ti ves ? Ri en. P our m oi , el l es vi vent
com m e ceux qui l es ont l aissées, el les pal pi t ent , el l es
parl ent , el l es accusent ! … 37
L’impressionnant
raisonnement
de
Zadi g,
n’est
pourtant
considéré par d’autres critiques que comme un exercice d’acrobati e
intellectuell e au cours d’une suit e de f ables dont le propos ne peut, à
aucun mom ent, être assimilé à une quêt e de l a vérit é, m ême si, après
que la littérature pol icière eut vu l e jour , les déductions de Zadi g ont
pu influencer de nombreux aut eurs poli ciers.
35
Voltaire, Zadig ou la destinée, Paris, Librio, n°77.1995, p. 14 – 15.
36
Voir p : 19.
37
E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 30.
48
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
3.
Beaumarchais et sa Gaieté
Dans Le Barbi er de Séville, Beaumarchais 38 met en scène son
personnage Barthol o qui manie la « déduction » avec virtuosité, pour
faire avouer à Rosi ne qu’ell e a bel et bien écrit une lettre en son
absence :
B ARTH O LO regarde l es m ai ns de Rosin e : Cel a
est . Vous avez écri t .
RO SINE, avec em barras : Il serai t assez pl ai sant
que vous eussi ez l e proj et de m ’en f ai re conveni r.
B ARTH O LO , l ui prenant l a m ai n droi te : Moi !
poi nt
du
t out ;
mai s
vot re
doi gt
encore
t aché
d’ encre ! H ei n ? rusée si gnora !
RO SINE, à part : Maudi t hom m e !
B ARTH O LO , l ui t enant t ouj ours l a mai n : Une
f em me se croit bi en en sûret é, parce qu’ ell e est seule.
RO SINE : Ah ! sans dout e… La bel l e preuve ! …
F i nissez donc, Monsi eur, vous m e t ordez l e bras. Je
m e sui s brûl ée en chif f onnan t aut our de cet t e bougi e ;
et l ’ on m ’ a t ouj ours di t qu’ i l f all ai t aussit ôt t rem per
dans l ’ encre : c’est ce que j ’ ai f ait .
B ARTH O LO :
C’ est
ce
que
vous
avez
f ai t ?
Voyons donc si un second t ém oi n conf i rm era l a
déposi t i on du prem i er. C’ est ce cahi er de papi e r où j e
sui s cert ai n qu’ il y avai t si x f euil l es ; car j e l es
com pt e t ous les m atins, auj ourd’ hui encore.
38
Pierre-Auguste Caron de Beaumarchais, (1732-1799), est un écrivain, musicien, homme d’affaires,
poète et dramaturge, il fut l’une des figures emblématiques du Siècle des Lumières.
49
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
Il n’ y a plus que cinq feuill es, et Rosine explique que l a sixième
a ét é empl o yée à faire un cornet de bonbons, envo yés à la petit e
Fi garo :
B ARTH O LO : A l a pet i t e F i garo ? Et l a pl um e qui
ét ai t t out e neuve, com m ent est - ell e devenue noi re ?
Est - ce en écri vant l ’adresse de l a pet it e Fi garo ?
RO SINE à part : Cet homm e a un i nst i nct de
j al ousi e !…
( H aut .) El l e m’ a servi à ret racer une f leur ef f acée
sur l a v est e que j e vous brode au t am bour.
B ARTH O LO : Q ue cel a est édif i ant ! P our qu’ on
vous crût , m on enf ant , i l f audrai t ne pas rougi r en
dégui sant coup sur coup l a véri t é ; m ais c’ est ce que
vous ne savez pas en core.
RO SINE : Eh ! qui ne rougi rait pas, Monsi eu r, de
voi r t i rer des conséquences aussi m al i gnes des choses
l e pl us i nnocemm ent f ai t es ?
B ARTH O LO : Cert es, j ’ ai t ort . Se brûl er l e doi gt ,
le
t rem per
dans
l’ encre,
f ai re
des
cornet s
aux
bonbons pour l a pet i t e F i garo, et dessi ner m a vest e au
t am bour ! quoi de plus i nnocent ?
Mai s que de mensonges ent assés pour cacher un
seul f ai t ! …
Je sui s seul e, on ne m e voi t poi nt ; je pourrai
m ent i r à m on ai se. Mai s l e bout du doi gt r est e noi r, l a
pl um e est t achée, l e papi er m anque ! O n ne saurai t
penser à t out . [ …] 39
39
Beaumarchais, Le Barbier de Séville, nouvelle coproduction théâtre des célestins de Lyon
compagnie, avril 6, 1998, Acte II, Scène 11.
50
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
Régis Messac se demande si Beaumarchais obéi ssait à une
impulsion, lorsqu’il faisait di aloguer ses personnages et s’i l imitait
un modèl e. Messac émet l ’h ypot hèse que Beaum archais se souvenait
bien du fam eux chapitre III de Zadi g car l’aut eur du Barbier avait
imité consciemm ent et ouvertem ent ce passage de Voltai re. Pourtant,
Messac ne nie pas la nouveaut é apportée par Beaumarchais au
raisonnem ent de son personnage et au caractère contemporai n de son
récit. Son récit est en effet plus nouveau par rapport à Volt aire que
ce dernier ne l’était par rapport à de Mai ll y.
Un an plus t ard, en 1776, alors que Beaumarchais ét ait à
Londres, il envo ya à l’éditeur du Morning Chronicle ce qu’il appell e
la Gaiet é de l’amateur français . Cett e fois -ci, l’éni gm e y st ructure le
récit dans son enti er. Elle est posée au début :
J’ ai t rouvé hi er , di t en subst ance l e na rrat eur ,
après un concert , un m ant eau de f em m e de t af f et as
noi r;
mes
recherches
ne
m' ont
pas
perm is
d' apprendre quoi que ce soi t sur sa propri ét ai re —
m ai s voi ci à quoi el le ressem bl ai t 40
L’éni gme
est
ensuite
progressivem ent
résolue ,
au
fil
des
raisonnem ents du narrat eur, qui se livre à une observati on m inutieus e
du vêt ement et à l’examen des indices (quelques cheveux at tachés à
l’étoffe, brins de pl umes échappés de l a co iffure, ruban qui attache
au
cou
le
manteau,
L’Escarboucl e bleue
41
plis
et
froissements,…..).
Quiconque
li ra
de Conan Do yle juste après la Gaieté de
40
Cité par Chantal Massol, Une poétique de l'énigme: Le Récit herméneutique balzacien, Droz, coll. «
Histoire des idées et critique littéraire », Genève, 2006, p. 26.
41
The Blue Carbuncle, où sherlock Holmes se trouve en possession d’au chapeau perdu, et par la
seule inspection du couvre chef, pour le plus grand ébahissement de Watson, il arrive à donner
une description minutieuse du possesseur.
51
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
l’amat eur français ne pourra manquer d’être frappé par la si militude
des procédés em plo yés.
Il s’agit bi en l à d’un pur récit d ’enquête. Ai nsi , Beaum archais
était en plein e possession du raisonnement emplo yé par l es grands
détectives modernes ; un siècle auparavant, il a fait aussi bien que
Sherlock Holmes. Et l’on se dem ande avec R égis Messac ce qui
pouvait m anquer à Beaum archais pour écri re de vrais romans
policiers :
Il [ Beaumar chai s] n’ avai t qu’ à écri re d’ aut res
gai et és , à vari er le genre, l e dével opper, l ’ ét of f er….
L’ ét of f e ne l ui m anquai t pas, ni l ’ habil e t é, ni l e
t al ent , et l ’ i nstrum ent ét ai t déj à dans s a m ai n 42.
Beaum archais m anquait de public, nous dit Messac, l ’esprit
scienti fique n’ y ét ait pas encore. Le raisonnement i nducti f, mêm e
sous ses form es les plus vulgai res,
présent é par l’aut eur de Gaiet é
était encore un i nstrument ét range et diffi cile à m an i er pour
beaucoup de gens.
4.
Caleb Williams
Caleb Williams, le héros de Godwi n, était le secrétai re d’un
riche propriét aire t erri en nomm é Falkl and. Plein de pitié pour les
souffrances que semble éprouver son maître, qu’il admire, Caleb finit
par découvrir l a cause : l e remords l anci nant d’avoir aut refois laiss é
condamner et exécuter des innocents pour un crime qu’il avait lui même commis et de ne s’êt re pas dénoncé, uni quem ent par un faux
sentiment de l’honneur. C aleb entreprenait une enquête en règle, et
42
Régis Messac, Le « Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, éd. Encrage, collection
« Travaux », Paris, 2011, p. 124.
52
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
finissait, par un subtil jeu de questi ons, par faire confesser l e
meurt re à son maît re .
Dans l’enquête m enée par Cal eb Will iams pour aboutir à la
vérit é, l es méthodes d ’investi gation et d’interrogatoi re sont encore
allégoriques, il est vrai, m ais Cal eb mani feste des quali tés grâce
auxquelles il est remarquabl ement proche du vrai détective. Et en
premi er li eu l a curiosité :
La curi osi té port e avec soi ses pl ai si rs aussi bi en
que ses pei nes. L’ espri t se sent ai gui ll onné sans
rel âche ; i l est com me s’ i l t ouchai t à chaque m om ent
au but qu’ i l se propose ; et , att endu que c’ est un
dési r i nsat i abl e de se sat i sf aire qui est son pri nci pe,
i l se prom et dans cet t e sat i sf act i on une j oui ssance
i nconnue, f ai t e pour com penser, sui vant l ui , t out ce
qu’ i l peut avoi r à souf f ri r dans l e cours de son
ent repri se. 43
Caleb Williams éprouve avec une int ensi té fabuleuse cet ét range
plaisir :
Cependant , que si gnif i aient ces t erreurs et ces
angoi sses
de
M. Fal kl and ?
[ …] .
Mes
pensées
f l ot t ai ent de conj ecture en conj ect ure ; m ai s c’ét ait
là
le
cent re
aut our
duquel
el les
t ournai ent
et
ret ournai ent sans cesse. Je m e dét erm i nai à observer
m on m aî t re et à m’ att acher à t ous ses m ouvem ent s.
Aussi t ôt que je m e f us donné cet em ploi , j ’ en
éprouvai une sort e de pl ai si r ét range. 44
43
William Godwin, Caleb Williams, ou les choses comme elles sont, Tome1, Traduction : Amédée
Pichot, éd. Michel Lévy frères, libraires éditeurs, 1868, Paris, p. 227.
44
Ibid., p.199.
53
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
Ce plai sir, se dem an de R égis Messac, n’est -il pas très voisi n de
celui que les modernes limiers éprouvent à rechercher l a solution
d’un m ystère, à surveiller un criminel et à guetter l es m aladresses qui
le feront se dévoiler ? En tout cas, nous sommes fondés à penser que
certaines expressions emplo yées par Cal eb Williams s’appli queraient
fort bi en à ces limi ers modernes. Le héros de Godwi n se dit :
Je vai s l’ [ mon maî t r e] observer ; j e ne l e perdrai
pas un i nst ant de vue ; j e veux sui vre pas à pas l e
dédal e de ses pensées » , « l a curi osi t é m ’eût exci t é à
com parer m es observat i ons et
à en ét udi er l es
45
conséquences .
Tout de mêm e, dans l’enquêt e de C al eb comme l e rem arque
Messac, on ne trouve pas de déductions proprem ent dites. Il prêche l e
faux pour savoir l e vrai et ne fait j am ai s connaître dans l e détail l e
cheminement de sa pensée. Voilà des raisons qui nous poussent à
penser avec Messac que le héros de Godwin ne peut être un enquêteur
au sens propre du m ot.
5.
Vidocq
Vers la fi n de l a décenni e 1820, sont apparus des si gnes qu i
laissent présager une rencontre ent re l a littérature et les procéd ures
judiciai res de l’enquête, l e cas de l’i nvention du polici er comme
fi gure littérai re. Nul n’avait jusque -là pensé à investir l a fonction du
policier d’une plus grande dimension romanes que : le personnage
était t rivial, l a fonction hont euse et tout en lui inspirait l e mépri s.
Viennent enfi n en 1828, l es Mémoires d’Eugène François Vidocq
pour i naugurer en ce sens un transfert capit al, au regard de la
littérat ure : l’intégration du personn age du policier, appel é à devenir
45
Cité par Régis Messac, op. cit., p. 173.
54
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
un puissant organisateur t extuel et engagé dès lors dans un l ent
procès de requalifi cation. Francis Lacassin écrit: « [ …] i ls [V i docq et
son « nè gr e »] i nt rodui sent dans l’ espace l it t érai re un personnage
nouveau qui f era f ort une sous ses vari at i ons : pol ici er, dét ect i ve,
j ust i cier » 46.
Vidocq possédait l’art de se déguiser et celui de la fil ature, qui
tiennent une si grande place dans les romans d’Emil e Gaboriau et de
Conan Do yl e. Il est vrai qu’en mati ère de déguisem ent , V idocq
éclipse tous les voleurs et espi ons réels ou imaginaires qui l’avaient
devancé dans cett e voie : tour à t our cui sinier, ébénist e, valet
allem and, receleur, et par -dessus tout voleur. « C’ est l e dégui sem ent
qui l ui va le mi eux, et l’ on pourrait presq ue di re qu’i l j oue le rôl e au
nat urel » 47 : nous affirme Régis Messac.
En revanche, p our Messac, l e Vi docq des Mémoires , se m ontre
très
peu
détective,
et
tout
son
m érite
consist e
à
connaître
admirablem ent l es voleurs, à savoir se mêler à eux et à passer po ur
l’un d’eux. Il abusait en effet, de la confiance gagnée dans le pass é
parmi la pègre pour aboutir à ses fins. Toujours selon Messac, tout ce
qui, dans l es Mémoires, pourrait se rattacher à de vrais souveni rs
n’offre aucun caract ère de déduction.
En
tout
cas,
si
on
ne
peut
pas
prendre
Vidocq
pour
l’ « inventeur » du roman polici er, il a sans doute cont ribué à créer le
personnage du dét ective et l es Mémoires de ce cél èbre bandit -polici er
ont sans dout e rem ué plus d’un esprit. En choisissant un détective
comme personnage principal, Edgar Poe nous rapportait donc ce qu 'il
avait emprunté ; il connaissait en effet l es Mémoires de Vi docq, qu'il
cite dans l e Double Assassinat dans la rue Morgue .
46
Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p. 15-16.
47
Régis Messac, op. cit., p. 245.
55
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
A
près avoir évoqué les lointains antécédents du héros détective qu e l’on a pu fai re remonter à l’Antiquit é
grecque, nous const atons que ce personnage plonge ses raci nes assez
profondém ent
dans
l’Histoi re ,
parce
qu’il
est
lié
au
besoin
d’élucidation d’une situation trouble. Certes, les premi ères trace s
d’investi gation que l’on dét erre chez ces protot ypes sont fort
rudiment aires, mais elles dénotent un certain souci de mise en échec
d’une situation anormale, d’éluci dation de m yst ères et l es méthodes
emplo yées alors sont assez proches de celles que l’on rencontrera
dans l e récit poli cier nai ssant du XIX e siècl e : recherches d’indices,
déductions, affirm at ion d’une culpabilité en vue du châti ment du
coupable.
Il est certain que nous sommes encore loin du détective
mondain, élégant et raffiné. Les créateurs de ces
protot ypes que
nous venons de cit er n’ont pu ni mettre clairem ent en lumière le rôl e
prépondérant que les raisonnem ents inductif et déducti f pouvaient
jouer dans leurs hi stoires, ni en réserver exclusivement l ’usage à
leurs personnages. Autrement dit, s’il est vrai que l’on pourrait
trouver chez ces aut eurs, des pages où des personnages font preuve
d’ingéniosité, reconnaissons qu’il ne s’agit là que d’infimes pages ,
qu’un élém ent d’int érêt parmi d’autres. Le charme m yst éri eux de la
forêt et d’un monde vierge, la simpl e grandeur de cert ains traits de la
vie sauvage, l e m él ange des scènes de guerre et d’amour, t out cela
attirait les l ect eurs autant et peut -êt re plus que les histoires de
chercheurs de pist es. Cependant, ils avaient m al gré cela entrevu et
esquissé le héros -dét ective de l’avenir.
56
Première partie. Chapitre I
Aux origines du genre et du personnage policier
Nous l’avons donc compris , le héros-détective n’a pas été cré é
spontanément, sans l e moindre ant écédent ou précédent. Mais pour le
voir éclore il faut attendre la première moitié du X IX e si ècle. Edgar
Allan Poe, Émile Gaboriau et A rthur Conan Do yl e ont donné au genre
policier ses loi s cl assiques, ils en ont établi l es personnages, ils l es
ont fixés t els à peu près que nous l es considér ons de nos j ours. Leur
trouvaill e est d’avoi r fait du dét ecti ve ou du polici er, l e personnage
principal et s ympat hique, tandis que chez leur s prédécesseurs, c’est
le criminel, le bri gand qui était posé en héros.
57
Chapitre II
Premiers créateurs
&
Premiers héros
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
I- Premiers créateurs
A son apparition, l e genre polici er a bénéfi cié de l ’intérêt que lui
ont porté de nom breux aut eurs, issus d’ai res géographiques et
culturelles différent es , relevant essentiellement des Ét ats -Unis, de l a
France et de l’An gl eterre. C es écrivains ont contribué à l’évolution
du genre qui a ainsi fait preuve d’une cert aine vivacit é tout au long
du XXème siècl e.
Tout comm ence
avec Edgar Poe. Il crée l’archét ype futur du
détective : le cheval ier Dupin et il établit les règles principales du
genre. Les ingrédi ents pour un bon roman poli cier sont donc l à: le
raisonnem ent, l a ps ychologi e, l e suspense et l a viol enc e.
Son premier discipl e n’est autre qu’Ém ile Gaboriau,
a yant ét é foul é, comme nous l’avons démontré,
Vidocq,
et abondamment exploité dans
le terrai n
par Balz ac, Hugo,
le roman-feuillet on. Poe et
Gaboriau vont définir de ux écol es très différentes : L’écol e anglo saxonne de POE s’i ntéressera au chemi nement de l’enquête et créera
le personnage du dét ective am ateur. L’é cole française de GABOR IAU
sera plus sensible à l’aspect rom ancé et mélodramatique du policier :
milieu, personnages pittoresques, coups de théât re (comme dans le
roman feuilleton) et créera l e personnage du polici er professi onnel.
Il
faut
commence
att endre
l ’histoi re
l ’année
du
1887
roman
et
policier
C onan
Do yle
proprem ent
pour
dit .
que
Avec
Sherlock Holmes, le m ythe est créé. il sera le « l og i ci en l e pl us
i nci sif » et le détective « l e pl us dynam i que et l e pl us f asci nant
d’ Europe ».
59
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
1. Poe ou l’image du père .
1.1.
Contextes
1.1.1. L’Amérique d’Edgar Allan Poe
a) Jeunesse d’une nation démocratique
En moins de t rois quarts de siècle, l es Ét ats-Unis se constitu ent :
ils ont une vingtai ne d’années en 1809 lorsqu’Edgar Poe naît à
Boston, au cœur de la t rès purit aine et démocratique Nouvell e
Anglet erre. En 1810, les États -Unis comptent dix -huit Ét ats, cinq
millions d’habit ants, tous fiers de leur li bert é et l eurs s ept cent mill e
escl aves… L’encouragement donné à la colonisation de l’Ouest
conduit l ’Union à conquérir sans cesse de nouveaux territoires, en
chassant s ystém atiquement la population indi gène.
De fait , l es guerres d’e xterminati on m enées cont re les I ndiens
révolt és (1811 – 1813), l’organi sation de leur transfert à l’ouest du
Mississippi en 1826, dépl acent progressivement la fronti ère. Des
vagues d’immi grant s viennent du sud par le Mississi ppi sur leurs
bateaux à fond plat, ou de l’est sur leurs chari ots tirés par l es bœufs.
Chasseurs
et
t rappeurs
d’abord,
petit s
agri culteurs
ensuite,
ils
défrichent l e sol de l a Prairie.
Dans le nord, pa ys de grandes villes, une bourgeoisi e d’affaires,
à la mentalit é souvent purit aine, acharnée au travail, domine une
classe mo yenne nom breuse et un prol étariat déj à important . Le blocus
anglais et, depuis 1812, la guerre ouvert e cont re l’Angl eterre y
favorisent l’essor de l’industri e,
t andi s qu’ils paral ysent le négoce
coloni al du Sud, li é à l a Grande -Bretagne. P ar ailleurs, les États du
Nord soutiennent une idéologi e appel ée à se développer : cell e qui
60
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
unit la cro yance au progrès, l ’affi rmation des idéaux démocratiques et
la défense des droits de l’homme.
Dans l e sud en revanche, une aristocrat ie foncière, enri chi e par
la cultur e du coton, cherche à prot éger une civilisati on fondée sur la
plantation. Ell e util ise une m ain -d’œuvre form ée d’esclaves noirs et
de « pauvres Bl ancs », contremaît res ou petits fermiers. Fragilisés par
la guerre (1812 -1815), cert ains négociants sudistes s ’installent en
Anglet erre (c’est le cas des parents adoptifs d’Edgar Poe qui, au
lendem ain de Waterloo, s’em barquent pour Londres). La famille Poe
retrouve ainsi , en 1820, le cadre t rès aristocratique de l a soci été
sudiste. Homm e des villes, Poe se montre ra indifférent au m ythe de
la frontière : les valeurs de base de l’Amérique en m arche, ses
idéologi es, ses imaginaires, lui sont radi cal ement étrangers.
b) Décrépitude d’un e société colonial e
E.A. Poe évolue dans des institutions presti gi euses, com me
l’université de Virgi nie ou l’Académie m ilitaire de West Point. Dans
les cercles littéraires qu’il fréquente, il croise égal ement les fi gures
de proue du pouvoir économique et reli gieux. Or, dans tous ces
lieux, il s’affi rme comme le représentant conscient des ri c hes Ét ats
du Sud, et se dresse cont re la suprématie intell ectuelle du Nord
démocrati que. S es idées politiques et social es sont celles des grands
colons sudistes, pl anteurs et négoci ants. Hostil e, comme eux, à la
philosophi e du progrès et aux théories démoc rati ques, il s’en prend
dans son œuvre aux « hérésies modernes » que sont la démocratie et
« l ’égalité universel le ». Curi eusement , il voit dans la science le
« mal
premi er »,
à
l’ori gine
de
l’aspiration
commune
à
la
« démocrati e uni verselle » .
61
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Dans cette perspect ive, nous pouvons aisém ent comprendre le
succès remport é en France sous le S econd Empi re par l’œuvre
d’Edgar Poe, grâce à l a traduction de Baudelaire. Quand le coup
d’État de décembre port e au pouvoi r Napoléon III, Baudel aire
s’affirm e « déci dé à rest er désorm ais ét ranger à t oute pol ém i que
hum ai ne » . Poe, dont il a déjà traduit et publié en 1848 La révélation
magnéti que,
lui
offre
l’opport unité
d’une
int ense
activité
de
traduction litt éraire.
1.1.2.
Une littérature améri caine
Si le Nord et le Sud des Ét a ts-Unis se déchirent et s’opposent, la
vie social e des col ons de Richmond comme cell e des bourgeois de
Boston reste encore imprégnée par la t radition brit annique dans l es
st yl es de vie, m ai s égal ement les productions int ellectuelles et
artistiques. La litt érature am éri caine n ’est amorcée vraiment qu’avec
la génération d’Edgar Poe.
a) Poe et la tradition littérai re améri cain e.
Le paradoxe de l’œuvre d’Edgar Poe consiste dans le fait que,
inappréciée pour ne pas di re m éconnue dans son pa ys nat al, mais
chal eureusement val orisé e en France, ell e marque pourtant l es débuts
d’une vérit abl e littérature nationale. D’un côté, le monde anglo -saxon
manifeste
à
son
égard
de
fort es
réserves,
sinon
une
franche
répulsi on : Aldous Huxley 48 fusti ge « l ’ i ncorri gi bl e m auvai s goût » de
son st yle et T.S. Eliot 49 considère sa poésie comm e « f rappée de
48
Aldous Leonard Huxley est un écrivain britannique, connu comme romancier et essayiste, il a
écrit aussi quelques nouvelles, de la poésie, des récits de voyage et des scénarios de film. Connu
du grand public pour son roman Le Meilleur des mondes.
49
Thomas Stearns Eliot est un poète, dramaturge, et critique littéraire américain naturalisé
britannique. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1948.
62
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
st agnat i on » , rejoi gnant ainsi les jugem ents de contem porains de Poe
lui-mêm e, du moins si l’o n en croit Baudelai re dans son ardeur
passionnée : « Il f aut , c' est - à- di re j e dési re, qu’ Edga r P oe, qui n’ est
pas grand - chose en Am éri que, devi enne un grand hom m e pour l a
F rance »e 50.
D’un autre côté, il est difficil e de considérer qu e l es Ét ats-Unis
aient connu une véritable littérat ure nationale , avant Edgar Poe .
Tranchant sur les chroniques, le s t raités théologiques, quel ques
poésies didactiques ou burlesques, seules les œuvres de Benjamin
Franklin (plus moral iste qu’écrivain), de Brockden Br own (romanci er
de terreur), ainsi que celles de Fenimore Cooper, Washing t on Irving
ou William Br yant disp osai ent d’un statut littéraire. Par ses arti cles
qu’il si gn e comme critique littérai re, Edgar Poe se montre souci eux
de créer les condi tions d’une littérat ure améri caine de valeur :
jugeant nécessai re de défendre les bons auteurs cont re l a production
étran gère, moins risquée pour les éditeurs en quête de val eurs sûres
(Charles
Dickens,
Walter
Scott),
mais
préjudi ciable
à
la
reconnaissance des jeunes tal ents améri cains, il rédi ge un projet de
loi sur le cop yri ght, visant à prot éger l es écrivai ns du pl agi at e n l eur
garantissant le respect du droit d’aut eur. En out re, Poe se démarque
de l a critique litt éraire qui tend à val oriser l es œuvres selon des
critères moraux, voi re moralist es, et non esthéti ques.
Ce paradoxe s’écl ai re si nous considérons que Poe écrit c ontre
une tradition littéraire romantique l argem ent inspirée d’Europe
d’une part, cont re une idéologi e et un imaginaire am éri cains qu i
s’exècre nt d’autre part. Son œuvre mani fest e une certai ne réticence
au réalism e national : on ne t rouve pas trace d’Am éri que chez Poe.
Cependant, apparaissent chez lui un bon nombre de thèmes qui
50
Lettre à Sainte-Beuve, 1852.
63
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
s’avéreront
les
pl us
const ants
de
la
littérature
américaine :
l’obsession m aladi ve d’un crim e de famille ou d’un gest e contre
nature, et l a volonté acharnée de découvrir m éthodiq uem ent une
vérit é qui se dérobe, le divorce puritain du Bien et du Mal ; l’ivresse
de la solitude et l ’affirmation exalt ée du moi.
b) Les formes li ttérai res à la mode
Dès 1830, la sci ence a vulgarisé des h yp othèses nouvell es sur les
phénom ènes déconcert ants liés au m agnétisme. Les cont emporains de
Poe
se
passionnent
pour
tous
les
phénom ènes
électri ques
et
magnétiques, et lisent Swedenborg 51 que les nouvell es découvertes
scienti fiques reme tt ent à la mode. Mais si E. A. Poe lui -mêm e n’hésit e
pas, dans La Vérité sur l e cas de M. Valdemar ou dans Révélation
magnéti que, à exploiter la fascination de ses cont emporains pour tous
les phénom ènes él ectriques et magnéti ques, il n’en revendique pas
moins un proj et esthétique ori ginal : tous les phénom ènes qui
troublent l a consc ience cl aire l ’intéressent. Il cherche à suggérer au
lect eur les déform at ions qu’un esprit tourment é fait subir au réel. En
ce sens Poe est doublement moderne : en écrivant des contes qui
s’inspirent moins des romans noi rs et en restituant l es « monologues
intéri eurs d’êtres ensevelis dans leur univers subjectif ». En m ême
temps,
il
transforme
le
m atériau
li ttérai re
de
l ’horreur
et
du
magnétism e pour le faire servir à un projet esthétique ori gi nal où le
conte, que l’essor de la presse a éri gé comme la form e littéraire à la
mode, se construit t out enti er sur la vol onté consci ent e de produire un
« effet ».
51
Emanuel Svedberg dit Emanuel Swedenborg (1688-1772) était un scientifique, théologien et
philosophe suédois du XVIIIe siècle, qui avait établi sa résidence à Londres.
64
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Le format et la form ule du journal favori sent surtout l’ém ergence
de form es littérai res parfaitem ent adaptées au proj et est hétique de
Poe. Poe formule ai nsi sa pensée dans Genèse d’un poème :
… l es homm es ont besoi n de choses brèves,
court es,
bi en
di gérées,
au
l i eu
de
choses
vol um i neuses, en un m ot de j ournal i sm e au l i eu de
di ssert ati on. Je ne sui s pas sûr que l es hom m es
d’ auj ourd’ hui ai ent des pensées pl us prof ondes qu’ i l
y
a
ci nquant e
pensent
pl us
ans ;
m ais
i ncontest abl em ent
vi t e, avec pl us
i ls
d’ adresse, pl us
de
préci si on, pl us de mét hode, et m oi ns d’ excroi ssance
qu’ aut ref oi s 52.
Ces qualités requises par l a form e journalistique sont exact ement
cell es qui gouvernent l’écriture des « brefs cont es en prose » par
lesquel s E. A. Poe veut faire « effet » sur le lecteur. C ar il a compris
que ce sont les formes brèves qui se prêt ent l e mieux à l a maîtris e
intellectuell e de la création littérai re.
1.2.
Carrière policière
1809 - 1849
Edgar Poe est un écrivain américain dont
l'œuvre est à l 'ori gine de quelques uns des
genres
modernes
qui
feront
fort ifier
la
littérat ure cont emporaine. Edgar Poe a, dans
ses récits , lancé l es bases de ce qui donnera
plus tard l es récit s de science -fiction. Une
carri ère militaire avortée et des débuts dans l a
poésie lui auront certainem ent appris l a rigueur
qui
lui
perm ettent
ensuite
d’écri re
de
nombreuses nouvelles.
52
Cité par Jacques Cabau, La prairie perdue. Histoire du roman américain, Seuil, Paris, 1966, p. 32.
65
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Livrés dans l a précipitation, les écrits de Poe ét aient souvent
revus et retravaillés pour les publi cati ons ultérieures. Le genre de
récits courts est l 'occasion pour Edgar Poe d'appliquer sa théori e
consist ant à faire concourir cha que él ém ent vers un seul effet. Car si
l'on a tendance à considérer un écrivain par ses rom ans, la nouvell e,
genre quelque peu délaissé en France, est pourtant dans les pa ys
anglo-saxons très prisée. Les nouvelles perm ettent à Edgar Poe de se
faire connaître sur la scène littérai re bien plus sûrem ent que son
premi er recueil poétique paru en 1827 - dès sa collaboration au
« Burton's Gent elem an's Magazine » où est publiée La chute de la
maison Usher, pour ne citer que l'une des ses nouvell es célèbres. Poe
fera la gloire de ce j ournal et vivra là les meilleures années de sa vi e.
Ses activités dans l a presse littérai re l’ont cert ainem ent aidé dans l a
recherche et la perfection de son st yle. La vie d'Edgar Poe fut brève
et sa biographie incertaine sur l a fin de sa vi e.
journal à New York,
Poe acqui ert un
ville qu'il avait rejointe pour fuir la misère
d'une carri ère prometteuse mais empêchée par ses supéri eurs à
Richmond.
C’est en 1841, avec Doubl e Assassinat dans la rue Morgue
d’Edgar
Allan
Poe,
qu’ apparaît
le
premier
récit
véritablement
policier de l ’histoire de la littérature. Selon Boil eau et Narcejac,
toutes les form es du roman poli cier moderne sont contenues dans La
Lettre vol ée, Le Mystère Marie Roget et surtout, bi en sûr, Double
Assassinat dans la rue Morgue :
Dans l e doubl e crim e de l a rue Morgue , c’ est
l ’ i nvesti gat i on
sci ent if i que
qui
vi ent
au
prem i er
pl an ; m ai s l es d i ssert at i ons de Dupi n sur l ’ anal yse
des
caract ères
annoncent
l es
subt i l i tés
psychol ogi ques de Poi rot ; l’ at t ente angoi ssée de la
sol ut i on ( ell e ne dure pas l ongt em ps m ais enf i n ell e
66
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
exi st e, i névi t abl em ent ) est à l a raci ne du suspense ;
l a brut al i t é avec l aquel l e l es deux cri m es ont ét é
com m is, l a m uti l ati on des corps, l e sang répandu, en
un m ot l ’ horreur de l a scène nous rappellent à tem ps
que l a vi ol ence est un él ém ent const i t utif du rom an
pol i ci er 53.
Pour composer un récit, Poe conçoit l ’histoire « à rebours » :
désireux de faire vivre au lecteur l e cheminem ent de l’enquête, il
remont e du crime au criminel. Ainsi c’est après s’êt re fait sa propre
idée – longuement exposée au narrateur – sur l e « double assassinat »
que l e dét ective Dupin élucide compl èt em ent le m ystère. Les t rois
nouvell es polici ères de Poe se présentent comm e le li eu d’une
possible maît rise du réel par l es performances extraordi nairement
logiques d’un singul ier détective. De ces mêmes nouvelles, peuvent
se dégager quelques règl es fondame nt ales du rom an polici er.
Si Poe n’i gnorait point le positivisme, s’il était égalem ent un
bon mathémati cien, il avait aussi lu, comme le souli gne Claude
Richard 54, le Comte Robert de Paris
55
(1831) de Walt er Scott qui met
en scène un orang -outang « parleur » et m eurt rier, ainsi qu’une
nouvell e de Sheridan Le Fanu 56 qui présent e une situation assez
semblabl e à celle du Doubl e Assassi nat dans la rue Morgue. La
naissance du st yl e policier n’est donc pas une création ex nihilo, mais
la conséquence cum ulée de t end ances qui commençaient à s’affirm er
53
Boileau-Narcejac, Le roman policier, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1975, p. 22-23.
54
Claude Richard, docteur ès lettres, professeur à l'université Paul-Valéry, Montpellier.
55
Count Robert of Paris, de Walter Scott, romancier anglais.
56
Joseph Sheridan Le Fanu est un de ces écrivains qui a dû subir le purgatoire avant de se voir
reconnu à sa juste valeur. Nul ne met en doute son importance dans l’évolution du récit
fantastique. Sa nouvelle Carmilla est considérée comme l’une des plus grandes réussites du récit
de vampire.
67
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
dans la litt érature et auxquell es Poe a donné forme dans cette
nouvell e.
On a dit des nouvelles d’Edgar Poe, que c’ét aient des contes
d’horreur. Mais Le Scarabée d’or et La Lettre vol ée sont plutôt
fondés sur l a ratioci nation 57 et c’est précisém ent l a puissance du
raisonnem ent qui rend le dét ecti ve de Poe inqui étant, anormal. En
fait, Les cont es d’horreur de Poe présagent la voie fantastique
d’aut eurs américains comme Lovecraft ou Stephen King 58, al ors que
les cont es de ra ti ocination annoncent les romans policiers d’ Émile
Gaboriau, Art hur
Conan Do yle et pl us tard Dashiell Hammett 59,
Ra ymond Chandler 60,
et bien d’autres. Des traces de ce que l’on
appell era plus tard, la science -fi ction, y sont décel ées. Toutes les
nouvell es polici ères de Poe dévoilent la fascination de cet écri vain
pour l’esprit et l ’effet dést abilisat eur de la connai ssance sci entifique
qui ét ait en t rain de modi fier de fond en comble les idées du XIXe
siècl e.
Les t rois cont es d’Edgar All an Poe ont donné nai ssance au genre
policier dont l e succès dure en France et en Anglet erre, ils sont les
protot ypes du genre et n’ont pas été surpassés depuis. Le roman
policier d’observati on dérive du Double Assassinat dans la rue
Morgue; le rom an policier ps ychologi que de La Lettre volée ; le
57
Il s'agit d'un terme avec lequel Edgar Allan Poe avait désigné ses contes les plus rationnels ou les
plus « cérébraux ».
58
Stephen Edwin King né 1947, écrivain américain connu pour ses romans d’horreur et
fantastiques.
59
Dashiell Hammett (1894 -1961), est un écrivain américain, considéré comme le fondateur du
roman noir.
60
Raymond Thornton Chandler (1888-1959) est un écrivain américain de romans policiers.
68
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
roman polici er scientifique du Mystère de Mari e Roget. Nous sommes
donc en droit de penser que Poe a bien fourni les m atériaux de base à
la littérature polici ère, mêm e si l es enquêtes de Dupin sont encore
maladroites et verbeuses, et t out ce qui était en germe chez Poe, va s e
dével opper dans l es années qui suivent .
En effet, Poe a donné au genre ses lois cl assiques, il en a établi
les personn ages, il l’a fixé tel que nous le verron s plus tard. Sa
découverte est d’être le premier à avoir fait du détective, l e héros de
ses récits, ta ndi s que chez les rom antiques , c’est le criminel qui était
posé en héros. Cet audaci eux renversement des rôl es dem andait des
précauti ons : afi n de ne pas heurt er l’opi nion publique, Poe a reti ré à
son dét ective tout caractère off i ciel , il en a fait un am ateur :
Dans ses cont es, Mr. P oe a choi si de dépl oyer son
t al ent surt out dans cet t e obscure cont rée qui s’ ét end
des l i m it es ext rêm es du proba bl e j usqu’ aux conf i ns
m yst éri eux de l a superst i ti on et de l ’i rréel . Il réunit
d’ une m ani ère t rès rem arquabl e deux f acul t és que
l ’ on
t rouve
d’ i nf l uencer
rarem ent
l ’ esprit
du
associées :
le
pouvoi r
l ect eur
l es
om bres
par
i m pal pabl es du m ystère, et l a m i nuti e du dét ai l qui
ne l ai sse pas échapper l a m oi ndre épingl e. Tout es
deux, en véri t é, sont l es conséquences nat urel l es de
l a qual i t é prédomi nant e de son espri t , … 61
Au XX e si ècl e, l es Histoires ext raordinaires furent largement
adapt ées un nombre considérable de fois au cinéma . Ed gar Poe se
hisse dans l e panthéon de la litt érature anglo-saxonne au ni veau des
plus grands qui restent associ és à l a littérat ure poli cière, comm e
61
James Russel Lowell, article paru dans le Graham’s Magazine, 1845, in Edgar Allan Poe, cahier
dirigé par Claude Richard, Éditions de l’Herne, 1974.
69
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Agatha Christi e avec Hercul e Poirot et Miss Marple. L’écrivain
américain aura ét é un précurseur, sans avoi r profité des retombées
financières d'un génie littérai re qui éclaire j usqu'à l a li ttérat ure
contem poraine. Cet te fi gure de l 'artiste maudit fait peut -être l e
charme de Poe si bi en que de nom breux admirateurs célèbrent encore
aujourd'hui sa mémoire en se réuni ssant autour de sa tombe à
Baltimore tous les 19 ja nvier, date anniversaire de sa naissance. Pour
lui rendre hommage, « M yst er y W riters of Am ercia » 62 décerne chaque
année un prix « Edgar All an Poe » qui récompense une créati on
visuelle ou littérai re dans l e genre du m ystère.
62
Est une association d’auteurs de romans policiers fondée à New York en 1945.
70
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
2. Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier.
2.1. Contextes
2.1.1.
La littérature « ju diciaire »
En France, le début du XIX e si ècl e est une période politiquement
agitée avec l a Rest auration et les débuts de la Monarchie de juillet. Il
semble que le p euple et, en particuli er, le prolét ari at urbain attend
une explication sur le fonctionnement de la sociét é et de l a justice.
Déjà au XVIII e si ècle, les biographi es de bandits cél èbres comm e
Cartouche, Mandrin, An thel em Collet, propres à l a littérature de
colport age, fascinent l’imaginai re popul aire et suscit ent la sym pathie
par leur caract ère cheval eresque. Les Mémoires de Vidocq mettent en
scène le monde des truands avec l es bagnes, les structures de
l’appareil r épressi f, arti culé aut our des juges, des commissaires de
police et des gendarmes. Venant du X VIII e siècle et de l a période
révoluti onnai re et i mpéri ale, Vidocq révèl e une criminali té dat ée.
Bagnard après avoi r ét é condamné pour faux en 1796, il s’évade,
devient indicateur en 1 809, puis poli cier. Chef de la Sûret é en 1811,
il s’appui e davant age grâce à son réseau d’indi cat eurs sur la
dénonciation plutôt que sur l e raisonnement déductif. Vidocq est
considéré par Michel Foucault comme l ’un des premi ers à profi ter du
« concubinage » de la police et de l a délinquance 63. Les Mémoires de
63
« L’utilisation politique des délinquants – sous la forme de mouchards, d’indicateurs, de
provocateurs – était un fait acquis bien avant le XIXe siècle. Mais après la Révolution, cette
pratique a acquis de tout autres dimensions : […] l’organisation d’une sous-police – travaillant
en relation directe avec la police légale et susceptible à la limite de devenir une sorte d’armée
parallèle –, tout un fonctionnement extra-légal du pouvoir a été pour sa part assuré par la
71
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Vidocq révèl ent l e déplacement d’int érêt, de la part du public, du
criminel vers l ’enquêteur. T ype soci al, l e poli cier est né.
Balzac l ect eur de Vi docq, le rencont ra à plusi eur s reprises et
s’en inspira pour créer le personnage de Vautrin qu’on retrouve dans
Le père Goriot , dans Les illusions perdues et dans Spl endeurs et
misères des courtisanes . Dans ce dernier ouvrage, l a troi sième partie
intitulée « Où mènent les mauvais chemins » nous permet d’assist er
à une arrest ation et aux ruses d’un int errogat oire mené par un juge
d’instruction. C’est en 1841 avec Une t énébreuse affaire que Balzac
frôl e le plus nett ement le rom an poli cier. Gaboriau, lecteur de Balzac,
connaissait bien ces rom ans.
Si le récit balzacien rest e vivem ent sensible à l’attrait de la
chasse poli cière, comporte une enquêt e, une éni gm e et m énage des
rebondissem ents, notons qu’ il ne ressemble guère à un vrai roman
policier. Tous les él éments du genre se retrouvent dan s l’ensemble de
son œuvre, m ais nul le part ils n’ont été réunis avec la concentration
suffisante et l e dosage voul u.
Le thème du criminel qui a pa yé sa det te envers la soci été pour
commencer une nouvelle existence en mettant son expérience du mal
au profit du bien se ret rouve chez Vict or Hugo. Après avoir fait l a
connaissanc e de Vidocq en 1849 au moment où il entreprit la
rédaction des Misérables, Hugo l e dédouble dans l es personnages
antagonistes de Jean Valjean, ancien bagnard, et du policier Javert. À
la générosité du personnage épique de Valjean qui renonce à s a
vengeance s’oppose la m alfaisance acharnée de l’inspecteur, espion
maniaque, enferm é dans sa concepti on étroite et instituti onnelle de la
masse de manœuvre constituée par les délinquants » : M. Foucault, Surveiller et punir,
Gallimard, 1975, p. 327 .
72
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
justice et de la loi . Sans êt re un rom an poli cier, Les Mi sérabl es
valorisent l a struct ure narrative du roman noi r, la poursuite d’un
anci en bagnard par un polici er.
2.1.2.
La thématique policière d es romans -feuilletons
En 1848, il est ai sé d’identifi er le roman popul aire dans le
roman -feuillet on, un genre récent dan s lequel vont s’illustrer Frédéri c
Soulié (Les Mémoires du diable, 1837) dans le rom an noi r, Alexandre
Dumas dans le rom an histori que et Eugène Sue dans le roman de
mœurs. C es aut eurs savent s’adapt er aux contraintes imposées par la
presse à bon m arché en découpant l eur texte en t ranches égales, en
accél érant leur cadence de t ravail afin de livrer l eur production
à
date fixe, en inventant des chutes préparant les rebondi ssements de
l’intri gue, ils réussirent à toucher un public immense.
Paul Féval (1817 -1 887), qui a concurrencé L es Mystères de
Londres (1844) et sa franc -maçonneri e du crime, se rapproche avec
Les Habits noirs qui compte , sept volum es de pl us de cinq cent pages
chacun, des intri gues criminelles cl assiques. L’im port ance de la
déduction logique avec l’étude des t races, des emprei n t es et des
indices pour dépist e r le criminel, préfigure l e rom an pol icier. Le
roman de cape et d’épée d’Al exandre Dum as comme Les Trois
Mousquetaires (1844) n’en met pas moins en scène un détective privé
dont la mission est de récupérer les ferrets de la reine Anne
d’Aut riche. Dans L e Comte de Mont e-Cristo (1844 -1845), Edmond
Dant ès, dont l a vie a été brisée par une dénonciation dél étère et finit
par subir une conda mnation injust e, s’évade d u chât eau d’ If, se rend
sur l’îl e de Mont e-C risto où, grâce aux indications de l ’abbé Faria, il
découvre un fabul eux trésor. Sous le nom de comt e Monte -Cristo,
73
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Dant ès, richissim e étranger qui fit son apparition à Paris, fait
sensati on auprès la haute sociét é parisienne par son luxe et sa
magnifi cence, et entreprend aussitôt, en justici er impl acable, de
frapper avec la gloi re de la vengeance . Dans l a littérature populaire,
la quête individuelle, la justice personnell e l’emport ent sur l es
médiocres représent ants de la soci été, qu’ils soi ent juges ou policiers.
La
littérature
cri minelle
et
polici ère
du
X IXe
si ècl e
se
caractérise donc par des t hèm es com me le crim e impuni, l’erreur
judiciai re, l a vengeance, l es fi gures anti thétiques du malfait eur et du
justicier, la poursuit e ou la chasse à l ’homme. Cependant, l a logique
et la cohérence du récit poli cier s’accordent mal aux contrai ntes de l a
parution quotidienne et d’une construct ion feuill etonesque à tiroirs .
Si la thématique du genre polici er est présent e dans les romans de
Balzac comm e dan s les rom ans -feuillet ons, l e récit souffre d’une
absence
de
concentration
et
de
dosage.
Les
personnages
sont
davantage pensés par rapport à leur destinée individuell e social e et
amoureuse que par rapport à l eur fonction dans l’éni gme cri minelle.
2.2.
Biographie et carrière.
1832 - 1873
La
double
fiction
policière
pat ernit é :
Ed gar
s’aut orise
Allan
d’une
P oe
et
Gaboriau. Toutefois comme le rem arquai t déjà
Marius Topin, « Là où le premi er [Poe] avait
construit la carcasse du système, le second
[Gabori au] a mis les chairs, l e sang, le
souffle, la vie ».
C’est l’ écrivai n qui va le mieux assimiler une nouvell e mani ère
de composer des récits . Il va lire avec i ntérêt les nouvelles de Poe,
avec autant d’att ention qu’il avait l u les Mémoires d’Eugène74
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
François Vidocq – dont le nom lui aurai t inspiré la création de son
cél èbre dét ective Lecoq -, ce qui va l ui perm ettre, sans l e savoi r
probablem ent, de devenir le premier aut eur polici er francophone et
l’invent eur universel du roman poli cie r. Parmi les sources de
Gaboriau,
les
différents
feuillet onistes
(mentionnés
dans
le
contexte ), qui situai ent souvent l’acti on de l eurs récits dans les bas fonds criminel s des grandes villes, met tant en scène une confréri e
mafieuse ; l e roman -feuilleton dut une parti e de sa popularité à l a
fascination
qu’exerçait
le
milieu
criminel.
Gabori au
apparaît
nettem ent comm e l’auteur qui marque la transition ent re l e roman feuill eton et le rom an polici er.
Contrai rem ent à P oe qui s’est limité à ses trois nouvelles,
Gaboriau a donné une séri e de romans pol iciers : L’Affaire Lerouge
(1863), et c’est l à que tout se dessine avec une int ri gue qui rappelle,
de façon lointaine, le Doubl e Assassi nat dans la rue Morgue , Un
roman qui passe presque inaperçu. Il faudra attendre sa reprise dans
Le Sol eil en 1865-66, pour que Gaboriau accède à l a not oriét é ; ce qui
va lui permett re de publier, coup sur coup, deux romans l’année
suivant e Le Dossi er n°113 et Le Crime d’Orci val (1867), puis
Monsieur Lecoq (1869) et enfin La Corde au coup (1873). Il est à
noter qu’il s’agit de l’ordre chronol ogique de leur publicati on, mais
non de celui dans l equel ils ont été écrit s. C’est ce dernier ordre que
nous compt ons respect er dans l a présentation du corpus, afin de
suivre de façon convenable l ’ascension administrative du jeune agent
de la Sûreté Lecoq.
La possibilité de voler de ses propres ail es allait pour la
premi ère fois êt re offert e au poli cier Lecoq de Gaboriau, dans le
roman Monsi eur Lecoq du nom de l ’avisé limier que l es précédents
feuill etons avaient rendu cél èbre. Le roman comporte deux parties
75
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
bien distinct es. La premières est le récit d’un crim e odieux qui a été
commis dans un infâme bouge parisi en , « La poivrière ». Le chef de
la pat rouill e croit à un règlem ent de compte entre escarpes. Lecoq
pense, lui, que l e m eurt rier e st un hom me du monde, et qu’il pourrait
être le duc de Sairmeuse. La seconde
parti e nous entraîne à
rebrousse-t emps pendant la rest auration et nous cont e des événem ents
de province liés aux bouleversements politiques. C 'est là, dans les
passions politique s et amoureuses que se noue l e dram e à l 'origine du
crime de l a premi ère parti e. Monsieur Lecoq est cert ainement le grand
chef-d’œuvre
qui dépasse en int érêt tout ce que Gaboriau, peintre
authentique de la sociét é du Second Empire, a publié. Toutes les
astuces du rom an feuilleton s’associent à la création d’un genre dont
Gaboriau reste l e pi onnier incontest able.
Si
Arsène
Lupin 64
est
le
fils
de
Monsieur
Lecoq,
c’est
certainement grâce au roman Le Crime d’Orci val qu’il fut conçu !
Roger Bonniot, l e biograph e d’Émil e
Gaboriau, nous di t dans l a
préface qu’il écri vi t à l’occasion de la réédition du rom an par l es
Éditions Encre (1985) qu’il est « sans cont est e le m ei l leur des rom ans
j udi ci ai res de Gabori au » . Il s’agit d’un m yst éri eux homicide qui a été
commis au chât eau du comte de Trém orel à Orcival. Alors que l a
police est persuadée d’avoi r trouvé les coupables de cett e sanglant e
affaire, l’agent de S ûret é Lecoq arrive de Paris brisant cett e illusion.
Il prend l’affaire en main, redém arre l ’enquête avec des m éthodes très
personnell es. Il examine soi gneusement les circonst ances du crim e,
rassemble les dét ai ls, découvre les m obiles, reli e d’improbables
protagonistes et divers élém ents et trouve enfin l a vérité à l a surpris e
général e. C ’est dans ce roman que l es méthodes de déducti on de M.
Lecoq annoncent les détectives qui vont suivre.
64
Arsène Lupin est un personnage de fiction français créé par Maurice Leblanc au début du
XXe siècle.
76
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Le succès des « romans judici aires » - qualifiés par l a suite de
« polici ers » - d’Ém ile Gabori au ne s’est jamais démenti. Publiés à l a
fin du Second Em pire, ils ont tout de suit e éveillé un intérêt
passionné et, depui s lors, ont été réédités de nombreuses fois en
France. Peu de temps après leur appariti on ils ont été tradui ts en une
dizaine de langues.
Gaboriau
passe pour l e père de l’archi -dét ective Sherlock
Holmes, Art hur C onan Do yle lui -m êm e en a souli gné l ’i mportance
pour la genèse de son œuvre qu’il présente, dans un passage de s es
mémoires, comme une espèce de s ynthèse ent re l es modèl es narratifs
de Poe et de Gaboriau :
Gabori au m ’ avai t sédui t par l’ él égante f açon
dont i l agençai t l es pi èces de ses i nt rigues, et l e
m agi st ral détect i ve de P oe, M. Dupi n, avai t ét é,
depui s m on enf ance, un de m es héros f avori s.
65
Alexandre Duma s salua à son tour l 'atmosphère et l 'habi le té
narrative de l 'aut eur, des homm es d’Ét ats illustres, co mme Bismarck
et Disraeli, se délect aient à la l ecture des romans de Gaboriau. Avec
Régis Messac, le pl us consciencieux des historiens du roman policier,
ce sont des écrivains de renom, de l a catégori e d’André Gide, de Jean
Cocteau, de Joseph Kessel et d’Arm and Leroux qui ont fait un éloge
solidement justifi é de son esprit invent if, de la construction de ses
récits et de son tal ent de narrat eur.
Le X IXe si ècl e français fut un âge d’or littéraire. Les courants
s’ y sont succédé en grand nombre, du romantisme a u s ymbolisme en
passant par le réal isme, au gré des chefs -d’œuvre d’auteurs plus
65
“Gaboriau had rather attracted me by the neat dovetailing of his plots, and Poe’s masterful
detective, M. Dupin, had from boyhood been one of my heroes. ?”, A. Conan Doyle, Memories
and Adventures, London,1924, p. 74 ; citation d’après A. E. MURCH, The Development of the
Detective Novel, London, 1968, p. 16.
77
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
grands que nature, Balzac, Hugo ou Zol a, par exemple. Si l’on signal e
Émile Gabori au mal gré la richesse de ce siècl e, c’est qu’il jouit du
mérite d’avoi r inventé le rom an poli cier.
3. Sir Arthur Conan Doyle et le mythe holmésien.
3.1. Contextes
3.1.1. Contexte social
Les aventures poli ci ères composées par Do yle nous t ransmet tent
une image de la société victorienne de la fin du siècl e. Il convient
peut-être de rappel er que la di ffusion de s es écrits est directem ent
liée au développement des revues à grand tirage inspirées de
modèles am éri cai ns. Les années qui voi ent naît re et se dével opper le
c ycl e de Sherl ock Holmes coïnci dent avec l ’émergence d’une
nouvell e génération de lecteurs, qui compte un grand nombre
d’adolescents. Pour expliquer quelle image de leur société ces
lect eurs pouvaient découvri r dans les Aventures écrites par Doyl e, l e
romancier George Orwell écrit dans un essai consacré à Sherlock
Holmes,
intitulé
« Grandeur
et
décadence
du
rom an
policier
anglais » :
Durant l es années pai si bl es de l a dernière f i n du
si ècl e, l a soci été pouvai t passer pour com posée
essent i el l em ent de bonnes gens dont l e crim i nel seul
t roubl ai t l a quiét ude 66.
Or, en réalit é, il est impossible de parler d’ « années paisibl es »
à propos de l’ Angleterre de l ’époque puisqu’elle est en plein e
effervescence. La transform ation économique rapide et brut ale
66
Cité dans Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré de Pierre
Nordon, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, Paris, 1994, p. 86.
78
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
engendre de nombreux problèmes soci aux, auxquels font all usion de
nombreuses œuvres littérai res . Les t ravailleu rs les plus défavorisés
expriment leur mécontent ement par l es grèves, des mani festations
souvent viol entes, par l ’essor spect acul aire de l ’esprit s yndicalist e,
aboutissant à la création du parti t ravaill iste.
Ainsi, on peut rel ever dans les récits policier s de Do yle une
sociét é composit e comportant des com merçants, des artisans, des
prêt res, des médeci ns, des gouvernant es, des dand ys, des renti ers,
des minist res et des inspecteurs de Scotland Yard. Mais, c’est une
sociét é qui compt e égal ement des chôm eurs e t des m arginaux dont
les récits de Do yl e ne nous parl ent pas. L’auteur brit annique ne
donne
à
aucun
susceptible
m oment
d’une
remise
le
sentiment
en
que
quest ion,
ni
l’ordre
soci al
soit
qu’il
puisse
être
profondém ent m enacé dans ses structures.
3.1.2. Contexte li ttéraire
En cette seconde m oitié du X IX e siècl e, une scène culturelle
européenne él argi e et enrichie entoure la création du héros do ylien.
De nouvell es t endances artistiques sont dessinées, les rencontres
entre int ellectuels de tous pa ys se m ultiplient, l es cerveaux sont
affectés par l ’esprit de révolution, aut ant sur le pl an spiri tuel que
politique. Ainsi, tout est en place pour que se développe ce que
Pierre Larousse appelle « l es rom ans de l a cour d’ assise et des
i nvest i gati ons pol i cières » 67. La fascinati on traditionnelle pour l e
crime y est renouvel ée par l’invention romanesque du poli ci er (celui
de Gaboriau par exemple) et égal ement par l ’imaginaire de la traque
urbaine. Une combi natoire narrative spéci fique en résult e, dont la
mise en forme progressiv e est aux sources du récit poli cier. Elle est
67
Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, vol. XIII, p. 1327.
79
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
caractérisée
par
deux
traits :
un
récit
pris
en
m ain s
par
un
investi gateur, et la su bstitution du récit de l’enquête à celui du
crime, dont l e chem inement consist e précisément à reconsti tuer, par
bribes et t âto nnements successi fs, l e méfait initial.
Si les célèbres nouvelles publi ées par P oe en 1842 et les romans
policiers écrits par Gaboriau à partir de 1863 purent const ituer un
protot ype, ils étai ent composit es et h yb r ides, mixte de fait s divers,
d’affaires judici aires réell es, de mél odram e, et c. mais l’enquêt e
judiciai re et l a recherche de la vérité assurai ent vaille que vaille la
cohérence
de
l’ensemble.
Ces
écrits
comportent
toujours
des
digressions, rebondi ssements et révél ati ons, témoi gnant de l ’emprise
des traditions. C’est juste avec l es récit s po lici ers de Con an Do yl e
qu’une formalisation du genre va s’ét ablir et c’est dans l’Anglet erre
des années 1890 que va se codifi er l e genre polici er.
3.2.
Biographie et carrière
1859 - 1930
Arthur Conan Do yl e naquit à Edimbourg en
Ecosse. Ses parents étai ent tous deux irl andais. Le
jeune Art hur ét ait l e second d’une progénitur e de
dix enfants. Il naqui t et vécut essentiell ement sous
le règne de la R eine Vi ctori a. Cett e époque
historique
appel ée
« l ’époque
vict orienne »,
a
marqué l ’histoire de l’Angl eterre : ce fut une
époque très puritai ne.
A l’âge de vingt -trois ans, il réalisa que le seul exerci ce de la
médecine ne lui permettrait pas de donner tout e sa mesure, et déci da
d’écri re. En tant que coll égien, il avait déjà rédi gé des textes pour l e
journal de son écol e. Il dispos ait d’une culture littérai re vaste e t
diverse, qui comprenait cert es des réci ts d’aventures populaires de
80
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
l’époque et des hist oires polici ères (Edgar Poe, Wilki e Coll ins, Émile
Gaboriau), m ais aussi les classi ques lati ns et français, Shakespeare, et
les deux grands auteurs écossais du siècl e : le romanci er Wal ter Scott
et l’écrivain et historien Thomas Carl yle.
Il écrit en 1887 Une étude en rouge , le choix du titre trahi t un
hommage discret à Gaboriau, et à sa très cél èbre L’Affaire Lerouge .
C’est dans ce rom an qu’il crée l e personnage de Sh erlock Holmes. Il
s’inspire du Dupin de E. A. Poe, du Le cocq de E. Gabori au,
et des
méthodes de son professeur de méde cine Bell, et là il faut bien
reconnaître que C . Do yle a ét é puissam ment aidé dans sa t âche par sa
connaissance assez approfondie de la m édecine l égale. C e premier
roman eut plus de succès aux États -Unis qu’en Grande -Bretagne, mais
il avait trouvé sa voie et son dét ective ne tarda pas à s’imposer sous
tous les ci eux . Pour le mett re en scène, il garda la forme de la
nouvell e publi ée régulièr ement en une seule fois, offrant , ai nsi, à ses
récits l’avant age de n’être pas composés d’épisodes , comm e c’est le
cas pour les ro mans débités en feui lletons. Son personnage est
parfait, il est à l a fois b rillant , surdoué, scienti fique et int ellectuel.
Mais, l e publi c ne sera conquis qu’avec la parution de ces avent ures
sous forme de nouvelle dans Strand Magazine .
Thierr y Saint -Joani s, journaliste et président fondateur de la
Sociét é Sherlock Holmes de France souligne pertinemm ent que les
méthodes de Sherl ock Holm es sont très tôt connues en France, et s e
demande si ces m êmes m éthodes ne revi ennent pas, com me un
boomerang,
à
leur
source.
Quand
Holmes
et
Watson
font
connaissance, ce dernier apprend que l e détective brit annique a lu les
avent ures de l 'i nspecte ur Lecoq de Gaboriau et celles du chevali er
Dupin d’Edgar Poe ; il ne citera j am ais plus d 'aut res détectives
81
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
«concurrent s ». Peut -on comprendre que seuls les deux Français
méritai ent son intérêt..?
Le succès de Sherlock Holmes rendit populaire le rom an po licier
et lui donna l es bases sur lesquell es i l allait se développer, ainsi,
selon Marc Lits 68, si le genre poli cier est né avec E. Poe et É.
Gaboriau, c’est uni quement Conan Doyl e qui lui a perm is de s e
distinguer des aut res form es de la l ittérat ure popula i re avec la
création du personnage de Sherlock Holm es.
Sur
les
parallèl ement
traces
au
du
succès
cél èbre
de
la
dét ective
form e
de
Baker
feuillet onesque
Street
et
dans
l es
magazines, de nombreux autres détectives de fiction émergent, à l a
fin du X IX è m e siècl e et au début du XX è m e , not amment en Grande Bretagne.
La
nouvelle,
forme
j usqu’al ors
privil égi ée,
cède
progressivement le pas au roman, qui trouve véritabl ement son point
d’ancrage au début des années 1920, avec la form e du whodunit,
contracti on de l ’expr ession « who has done it ? » ( « Qui l’a fait ? »),
archét ype de ce que l’on appell era le « roman poli cier classique » ou
encore « roman d’énigm e ».
À parti r de l ’époque de Conan Do yl e, les écrivains cherchèrent
en effet à créer des dét ectives capables de r i valiser avec son
personnage. L’écrivain angl ais Gil bert Keit h Chesterton , dans les
premi ères années du XX e siècle, donna vie au personnage du père
Brown, un prêtre détective, et, en 1920, à l’aube de l’âge d’or du
roman poli cier, la Britannique Agatha Christie fit naître miss Marpl e
et surt out Hercule Poirot, fringant détective bel ge qui emplo yait
68
M. Lits, Le Roman policier : introduction à la théorie et à l’histoire d’un genre littéraire, Liège, Editions
du CEFAL, 1993, p. 39.
82
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
activement ses « petites cellules grises » à la résolution d’affaires
criminelles. Aux Ét ats -Unis commencèrent les séries d' Ell er y Queen ,
tandis
que
S. S. Van Dine
(pseudon yme
de
Willard
Huntington
Wright, 1888 -1939) contait l es aventures du détective dilett ante Philo
Vance (l a Myst éri euse Affaire Benson, 1926). À l a même époque, u n
autre Améri cain, Earl Derr Bi ggers, i nvent ait un fameux dét ective
chinois, Charli e Chan. Parmi les aut res écri vains des années 1930,
citons l ’Am éri cain Rex Stout et son détective gourm et, Nero Wolfe,
et l’Anglai se Dorot hy S a yers, qui im agina un détective aristocrat e,
lord Pet er Wimse y. En France naquit en 1907, sous l a plume de
Gaston Leroux , le personnage Roulet abi lle, jeune report er attaché au
« bon bout de la raison ». Dans le Mystère de la chambre jaune, où il
met en scène Rouletabille, Leroux reprend avec brio le principe du
crime en li eu clos. En revanche, le com missaire Mai gret reste le plus
cél èbre poli cier français , apparu en 1931 dans Pi etr le L etton : le
héros du romanci er bel ge George Simenon aborde ses enquêtes d’un
point de vue ps ychol ogique et social.
Conan Do yl e se si gnale égalem ent par de nombreux rom ans
historiques et des romans d'avent ures comme Le Monde perdu (The
lost World ). On lui doit plus de cinquante li vres et un nombre
considérable de nouvelles. Candidat au parlem ent, Arthur Conan
Do yle est anobli en 1905. Il meurt en 1930, m ais pour l 'état -ci vil
seulem ent, puisqu'il rest e l e créat eur d’un détective m yt hique de
tous les t emps.
83
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
T
out en apport ant un éclairage, peut -êt re pas différent de
celui apport é par d’autres études, m ais nuancé sur cert ains
aspects de l a vie et des œuvres des trois écrivains ; nous avons
cherché à fai re -redécouvri r ces créateurs, qui ont su absorber la
réalité de leur époque p our en faire de la fi ction. Les écrit s de Poe,
Gaboriau et Do yl e trouvent donc précisément leur essence dans une
form e d’ancrage dans la réalit é de l eur époque. Le cont exte historico social, politique, int ellectuel ou voire m ême circonst anciel n’agit plus
en tant que décor mais vérit abl ement en t ant que personnage :
Si l e rom an est d’ abord un f ai t de l angage, un
ensem bl e de f orm es, i l n’ en reçoi t pas m oi ns l a
m arque du cont ext e dans l equel i l a vu l e j our.
L’ époque et l a personnal i t é du rom anci er ne peuvent
m anquer de se ref l éter, d’ une f açon ou d ’ une aut re,
dans l ’ œuvre dont i l est l a source. 69
Ainsi, m ême s’il ne faut pas voi r dans les écrits de ces aut eurs
le miroir de l a réal ité, i ls en recèl ent tout de mêm e d’im portant es
empreintes.
C’est en fonction de ces contextes que sont inventés égal ement
leurs personnages et les missions qui leur sont att ribuées dans le
mécanisme de l’intri gue. Leurs héros -dét ectives sont en fait les plus
attachant s et c’est grâce à eux que no s t rois auteurs arrivent encore,
69
Jouve Vincent, La poétique du roman, SEDES/HER, Coll. «Campus Lettres», Paris, 1999,
p. 89.
84
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
de nos jours, à capt er un lectorat aussi féal qu’exigeant. L ’ exemple
de Holm es a réussi à peupler nos im agi nations et nous nous référons
souvent à lui com me s’il ét ait une personne réell e. Gr âce à ces
écrivains -créat eurs, le genre poli cier est
indissolubl ement lié au
personnage de l’enquêteur, mêm e s’il est vrai que celui -ci s’est
métamorphosé au cours de l ’histoi re du genre. Rien n’a encore réussi
à le fai re tomber du piédest al où l’avait placé le X IX e siècle.
Partons donc du principe que le personnage, si ori ginal qu’il
soit, ne surgit jam ai s ex nihilo, mais est préparé et conditi onné par
certains cont extes réels dont l a connaissance ne peut que mieux
écl airer l’essence et le rendre perm éabl e. Nos illust res héros détectives sont des créatures fictives qui traversent des événements ,
incarnent
des
évidemm ent
attit udes,
beaucoup
ils
aux
vivent
des
expéri ences
dil emmes
et
aux
qui
doivent
engagements
personnels de l eurs créat eurs.
Ainsi, Dupin, Lecoq et Holmes sont, en tant que rôl e s, les
repères premi ers de l’int ri gue poli cière au sein de laquelle ils
évoluent. Nous pensons donc utile de commencer tout d’abord par
comprendre la struct ure de cett e intri gue et comment cett e derni ère
met en avant l ’étude du personnage du héros.
85
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
II. La construction de l’intrigue policière chez les trois
auteurs
Le coup de génie d’Edgar Poe est d’avoir compris que l e
raisonnem ent, possédait à l ui seul un intérêt dramatique, qui pouvait
devenir, à lui seul, l ’ess entiel d’une hist oire. C’est donc l’hi stoire de
la recherche de la véri té qui fais ait défaut avant Poe. Dans le roman
feuill eton et l e roman gothique, pères spirituels du rom an policier
70
,
le lecteur trouve une juxtaposition de l ’éni gme et de sa sol ution, or
l’ent re -deux est escamoté. Ainsi , l e cheminem ent entre l e point de
départ et l e poi nt d’arrivée est absent , et il est remplacé par la
coïnci dence fortuit e ou la révél ation inattendue. Le récit policier,
invent é par Poe puis développé par Gaboriau et Do yl e, est donc celui
où on passe de l’éni gm e à la solution par le mo yen d’une enquête qui
devient le propre de l’histoire.
De ce fait, ce t ype de récit se présente en texte double, car il
articule une à une deux histoires, celle du crime qui apparaît
lacunaire, et souvent présent ée dans le désordre et, celle de l ’enquêt e
qui reconstitue pas à pas la t emporalité du crime. L’enquêt e prend
ainsi les faits à rebours : on remont e de la découvert e du crime à
cell e du criminel. J. Dubois relie ce caract ère binaire du récit
policier à l a double ori gine du genre, car là où Poe m et tout l’accent
sur l’enquêt e, Gaboriau privil égi e encore l’obj et de cette enquêt e, à
savoir « le crim e et son pathos ». Quant à Do yl e, il m êlera les deux
démarches pour rendre une certaine st abi lité au récit poli cier.
70
Une expression inspirée de celle de Marc Lits qui écrit: « Le roman policier
[…], un fils spirituel du roman -feuilleton qui a dépassé la réussite de son
père ». Le Roman policier : Introduction à la théorie et à l’histoire d’un
genre littéraire, Éditions du CEFAL, Liège, 19 93. P. 37.
86
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Pour mi eux comprendre l e point de vue de Dubois, il convient
d’examiner l es formes narratives développées par chacun des trois
auteurs. Nous avons choisi de nous appu yer essenti ellement sur
Double Assassinat dans la rue Morgue de Poe, Le Dossi er n°113 de
Gaboriau et La Vallée de la peur de Do yl e.
1. L’intrigue poesque
La nouvelle Double Assassinat dans la rue Morgue d’Edgar Poe
est bi en une aventure int ellectuell e. Trois mouvem ents structurent le
récit : chacun d’eux est relié à l’anal yse et , par conséquent, à l a
quête de la vérité. La nouvelle s’ou vre sur un prél ude réfl exif riche
d’ensei gnements qui se liraient, entre les lignes, comm e une anal ys e
assez fine de la mét hode de raisonnement du dét ective Dupi n. A cett e
présent ation indirect e du détective par le narrateur, succède une autre
directe par l e biais
d’un di alogue réunissant l es deux personnages.
Ce dialogue s’apparente à une premi ère illustration des étonnant es
capacit és logiques et anal ytiques du détective. Dans un deuxième
mouvem ent, l’histoi re du crime début e par la l ecture d’éditions
successives de la Gazette des tribunaux qui présent e l’assassinat et
ses circonst ances. Le dernier mouvem ent est celui de l’hi stoire de
l’enquêt e qui conduit à la découvert e du criminel. Dans ce derni er
mouvem ent, quat re étapes sont identi fi ées : 1. la visit e du lieu du
crime, consacré e pri ncipal ement au constat ; 2. L’exposé partiel du
déroulem ent des événem ents et l e développement des h ypothèses
(dialogue ent re l e détective et l e narrat eur) ; 3. La vérificati on
empirique
propri étai re
des
de
h ypothèses
l’animal
à
travers
« criminel »
l’interroga toi re
(le
narrat eur
du
mari n,
fournit
la
reconstitution de ce témoi gnage). C’est égal ement l e moment où
l’histoire du crim e rejo int cell e de l’enquête; 4. L’énoncé des faits au
préfet de police et l a libération du sus pect qui se révèl e innocent.
87
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
A propos de l a structure du récit policier, Jean -Paul Colin 71 a
proposé un schéma linéai re reposant sur trois const antes. La t ram e
narrative commence avec l ’existence d’un équilibre soci al qui subit
une brusque rupture (Crim e, C), provoquée par un ou plusieurs
individus. L’équili bre perturbé est restabilisé ( R ), grâce à une
enquête intell ectuell e ( I) et/ou une enquête mat éri elle ( M), qui se
traduit par la poursuite du coupabl e. D’aut re part, la rupture créée
par le crime est préc édée d’un prél ude, d’une période d’att ente ( A)
qui engendre l ’inqui étude et l ’angoisse du lect eur.
En appliquant le schéma de Colin au réci t polici er poesque, nous
constat ons
que
l’enquêt e
intellectuell e
( I)
du
dét ective
Dupin
l’emporte sur l’enquête mat ér i elle (M), presque inexistante. Il est
égal ement important de souligner que la situation de rupture ( C)
n’est pas provoquée par un i ndividu, m ais par un animal, un orang out ang . Quant à l a période d’att ent e ( A), ell e est présente non pas
pour engendrer l’ i nquiétude et l’angoisse m ais pour exhiber les
prouesses intell ectuelles du héros -détecti ve.
Edgar Poe
A
C
I
(M ≈ 0)
R
L’art de Poe consiste à présent er un problèm e à première vue
insoluble et à piquer la curiosité intellectuelle du l ecteur, en lui
faisant attendre l a solution l e plus longtemps possible. L’auteur ne
71
Professeur honoraire de linguistique, il est l'auteur de nombreux ouvrages
de référence sur la langue française ainsi que des études sur la littérature.
Parmi ses publications : La belle époque du roman policier français : Aux
origines d'un genre romanesque.
88
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
voudrait pas pl onger le lecteur dans l’action, mais dans l a réfl exion
et, par l à mêm e, m ettre en val eur la dimension extraordinaire des
prouesses de son héros -dét ective. C’est la raison pour laquelle la
structure poli cière poesque donne plus d’importance à l’histoire de
l’enquêt e qu’à l’hi stoire du crim e, d’où un stat ut narratif du
détective plus puissant que cel ui du crimi nel.
Pour ce qui est de la position du personnage du dét ec tive dans l a
trame narrative de Double Assassinat …, elle est exprimée à travers
ce que Genett e appelle la « focalisation interne » 72 ; à savoir que le
narrat eur anon yme constitue l e point focal du récit dont l e véritable
héros est le dét ecti ve. Le narrateu r se présente comm e un ami du
détective, ses int erventions – naïves, terrifiées ou admiratives –, ses
erreurs de jugement, sa passivit é rel ative égarent le l ecteur et
maintiennent l e suspense ; le géni e de Dupin s’en t rouve survaloris é.
Ce parti -pri s narratif maintient le lecteur, tout comm e le narrat eur,
dans l ’i gnorance, i l n’a aucun accès à la conscience du héros détective, il n’a qu’à deviner vers quel but le m ène la progression de
l’enquêt e. Ainsi , les réactions du héros -dét ective aux événements
narrés lui restent i nconnues, car l e narrat eur n’a aucun moyen de
déterminer ce que Dupin déduit de sa visite sur l es lieux du crim e,
surtout que ce derni er décide d’ent rer dans « sa f ant ai si e de se ref user
à t out e conversat i on rel at i vement à l ’assassi nat ». U. Eisenzwei g
pense qu’en gardant pour lui seul l es inform ations, c’est l e lect eur
lui-mêm e, en effet, que le détective empêche de prendre connaissance
des données nécessaires à la solution de l’intri gue. Il faut donc
attendre que l e dét ective Dupin livre, vers l a fi n de l ’hi stoire, la
72
« Focalisation » : point de vue à partir duquel les événements ou la réalité
de la fiction sont éclairés. Gérard Genette ( Figure III, Le Seuil, 1972)
distingue trois modes de focalisation : « la focalisation zéro »,
« la
focalisation externe » et « la focalisation interne », cette dernière est la
relation des événements par un narrateur qui ne raconte que ce que voit et
ressent un personnage.
89
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
solution du m ystère sous forme d’écl aircissem ent concernant des
act es passés dont le narrat eur n’avait pas saisi l’import ance. Un
narrat eur moins compétent que le dét ective constitue une strat égie
narrative qui met en scène la s upéri orité de ce dernier dans un récit
où il est l e seul à pouvoir résoudre l’éni gm e.
2.
L’intrigu e ch ez Gaboriau
Le roman polici er d’ Émile Gabori au est vu par de nombreux
critiques littérai res comme une form e h ybri de qui réunit deux
esthétiques narratives co ntradi ctoires: celle de la nouvelle qu’il avait
reçue de Poe et celle du feuilleton que lui imposa le goût de
l’époque. R. Messac pense que Gabori au « eût peut - êt re préf éré, à
l ’ i nst ar de P oe, n’ écri re que de courtes nouvel l es [ …] , mai s il l ui
f al l ait vi vr e de sa pl um e » car à l’époque, « un f eui ll et oni st e qui
voul ai t vrai ment gagner sa vi e devai t produi re avant t out de l ongs, de
copi eux f euil l et ons » 73. Ceci pourrait nous expliquer l a tram e narrative
hybride adopt ée presque i nvariabl ement dans tout e l’œuvre policière
de Gaboriau.
Le Crime d’Orcival est un rom an qui, par l ’organisation de ses
séquences narratives, constitue ce tte forme mixte du « feuilletonpolicier ». Les 28 chapitres qui composent le rom an se st ruct urent en
trois grands mouvements dont le p remi er, composé de 11 chapit res ,
rel ate la découvert e du cadavre de la comtesse de Trémorel, puis
l’enquêt e proprement dite qui conduit à la découverte de l ’assassi n.
Par la force de son raisonnem ent et grâce à un examen att entif des
traces et indices, l e héros -détective, Monsieur Lecoq , démontre qu’il
y a eu mise en scène, que l’assassin était seul et, de surcroî t, n’était
autre que le comte de Trémorel. Le troisième mouvem ent, c’est -à-
73
Régis Messac, op.cit., p. 431.
90
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
dire la séri e des chapitres 21 –28, nous présent e l a poursuite du
coupable, Trém orel est retrouvé e t châtié. Jusqu’i ci , nous sommes
dans l a logique m êm e du récit poli cier, un long effort de réfl exion et
d’anal yse qui about it nécessai rem ent à l’action destinée à rét ablir,
voire corri ger et am éliorer l ’ordre soci al. La di fféren ce rési de donc
dans le deuxième mouvem ent. En effet, il s’agit d’une énorm e
analepse 74
assurant
un
rapport
de
causalité
ent re
le
premi er
mouvem ent et le troisième, un vrai rom an popul aire sentim ental qui
se déroule sur fond de passi ons orageuses et de j alou si e féroce. C ’est
au niveau de ce tte analespse que l a genèse soci ale et ps ychologi que
du crime, découvert par l e héros -détective, est retracée.
Si l’intrigue poli cière chez Poe se subdivise essentiell ement en
deux questions : qui a commis le crim e ? Comment l’a-t-il commis ?
Chez Gaboriau l a question est t riple qui ? Comment ? Et pourquoi ?
Cette dernière question trouve en effet sa réponse dans l ’ analeps e
qu’introduit l ’aut eur dans ses roman s policiers. Le tour de force de
Gaboriau est donc d’avoir réussi une concili ation ent re deux t ypes
d’écrits tot alem ent opposés : l’écrit policier (rationnel ) et l’écrit
populai re (ém otionnel) , mais sans désorganiser à aucun moment
l’arrangem ent de l ’intri gue poli cière. Mal gré la réussit e de cette
harmonisation,
cela
littérai res
juger
de
n’ a
pas
empêché
l’insertion
d’une
de
nombreux
vast e
anal epse
critiques
comme
parasitai re, déconcertante et rebutant e pour le lecteur. A ce propos R.
Messac se demande :
Q ue nous chaut l ’ hist oi re des am ours de Mart i al
de Sai rm euse et de B l anche de Court om i eu, et l a
74
G. Genette définit L’ analepse : « Toute anachronie constitue par rapport au
récit dans lesquels elle s’insère – sur lesquels elle se greffe – un récit
temporellement second, subordonné au premier […] », Figure III, Le Seuil,
Paris, 1972, p. 90.
91
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Terreur B l anche, et l’ ét at des espri t s en 1816, quand
nous venons de nous passi onner pour l es prouesses
de Lecoq l ancé sur l a pi st e du prévenu Mai ? S’ i l y a
un rapport quel conque ent re l e duc de Sai rm euse et
Mai , qu’ on nous l ’ e xpl i que, c’ est bi en, m ai s en di x
l i gnes. 75
Quant à nous, nous trouvons que cett e
structure narrative est
certes composite, mais elle est parti cul ièrement intéressant e. Chez
Gaboriau, on n’est pas séduit uni quem ent par l ’éni gme, m ais aussi
par l ’atmosphère que l’auteur crée autour d’elle, de vraies situations
dram atiques qui n’affaiblissent en ri en l’effet du m ystère et du
suspense propre au genre polici er. La st ructure de Gabori au peut êt re
schém atisée comme suit :
Roman poli cier
Roman populai re (analepse)
Roman policier
Or, pour appliquer le schém a de Col in au récit polici er de
Gaboriau, nous som me obli gée d’extirper cette anal epse enchâssée au
milieu de la trame narrative poli cière. En ne gardant donc que l es
élém ents de l ’intri gue, à s avoi r le crim e, l’enquêt e et la résolution,
nous obt enons l e schéma sui vant :
75
Régis Messac, op.cit., p. 486. Messac parle des personnages du célèbre roman
de Gaboriau Monsieur Lecoq.
92
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Emil e Gaboriau
A
C
I
Contrai rem ent
à
M
Poe,
l’enquête
R
mat éri elle
chez
Gaboriau
l’emporte légèrem ent sur l’enquêt e intellectuell e ( M>I), car le
problèm e du héros détective est, à partir de fragment s matériels (les
indices) et narrati fs (les témoi gnages) l e plus souvent éni gmati ques
et contradictoi res, de reconstituer l e récit véri dique d’un scénario
caché. Quant au prélude ( A), il représente une situation d’équilibre
où sont
présentés l’ époque, l e li eu de l 'histoire et
les deux
personnages qui ont découvert le cadavre.
Pour ce q ui est du mode de la narration, chez Gabori au la
situation est différente du cas poesque. Le récit de Gaboriau est non
focalisé ou à « focalisation zéro », le narrat eur est omnisci ent, mais
ne parti cipe pas à l ’histoire. Il nous permet d'accéder aux pensée s du
héros -détective et des autres personnages. Ainsi l e l ect eur suit à la
trace Monsi eur Lec oq a yant continuell ement accès à ses conflits
intéri eurs et ses réfl exions d'enquêt e. Un tel choix de narration crée
une d ynamique spéciale entre le l ect eur et l e texte. En qui ttant sa
position de témoi n muet chez Poe, le l ect eur chez Gabori au se voit
confi er un rôl e beaucoup plus acti f, il peut enfin s'identifier au
héros -détective ,
partager
ses
émotions
et
vivre
avec
lui
les
différentes péripéti es de l ’histoire.
En revanche, le narrat eur de Gaboriau ne nous dit pas tout, il
dissimule des parti es important es de l a réfl exion de Monsieur Lecoq,
et de l ’avancem ent de l’enquête en général. En effet, au m oment où
Lecoq est ment alement acti f, le narrateur le présente au lecteur
93
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
comme plongé dans ses pensées. Mais ces pensées ne nous sont pas
livrées. Aux moments cruciaux de l’enquêt e, le narrat eur présente
l’intériorit é du dét ective comme opaque et insondable. Il s’agit donc
d’une
stratégi e
narrati ve
qui
fait
perdre
occasionnell ement
au
narrat eur son omniscience, en devenant extérieur au personnage tout
comme le l ect eur. Cette stratégi e est tout à fait
justifi ée par la
contraint e du genre policier où l’important doit rest er dissimulé au
lect eur j usqu’à l a révélation final e par l e détective, afin d'accentuer
l'effet de m yst ère qui plane sur le récit.
3.
L’intrigu e doylienn e
Arthur Conan Do yl e a notoirement subi l’influence d’Edgar Poe
en opt ant pour l’esthétique de l a nouvelle, mais l’i nfl uence de
Gaboriau est égalem ent évide nte dans les quat re rom ans de l ’écrivain
britanni que.
Nous
avons
si gnalé
un
peu
plus
haut
que
la
forme
feuill etonesque, s’i mposant à Gaboriau , l’avait obli gé à recouri r au
récit popul aire en l’introduisant sous forme d’ anal espse qui ret race
la genèse du cr ime, afin de donner à ses récits poli ciers la longueur
voulue. Pourquoi donc Conan Do yl e conserve -t -il, sans y être forcé,
cett e longueur imposée à Gaboriau par la forme du feuill eton, que
l’écrivain britannique n’a j amais prati quée ? La question trouve s a
réponse peut êt re dans la passion de Do yl e pour les romans
historiques (il en écrivit l ui-m ême plusieurs). En effet, dans ses
quatre romans, l ’écrivain brit annique a toujours situé la seconde
parti e de l’hist oire qui représente l e récit analeptique (du cr im e),
dans un cadre spatio -temporel très él oi gné de celui du récit primai re
(de l ’enquêt e).
94
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
C’est le cas par exemple de La Vallée de la peur , quat rièm e et
derni er des quat re
romans
qui
constituent
les
écrits
les plus
dével oppées d e l’œuvre polici ère doyl i enne. La première parti e
intitulée « La tragédie de Birlst one » relat e une affai re myst éri eus e
qui se produit en 1890, dans l e paisibl e Sussex. Holmes, accompagné
de Watson, m ène une enquêt e mouvementée, plei ne d’actions et
d’interrogatoi res. Alors qu'on se rapproche du dénouem ent, voici
comment cette parti e prend fin :
Et m ai nt enant , pati ent s l ect eurs, j e [Wat son]
vai s vous dem ander de m e sui vre un m om ent l oi n du
m anoi r de B i rl st one, dans l e Sussex, et loi n de l ’ an
de grâce au cours duquel nous ent reprî m es [ce]
voyage m ouvem ent é [ …] . Je vous i nvi t e à vous
t ransport er vi ngt ans en arri ère et à des m i l li ers de
ki l om ètres vers l’ ouest af i n que j e pui sse vous
exposer une hi st oi re t erri bl e et si nguli ère. [ …]
Ne croyez pas que j ’ ent am e un réci t avant que l e
pre m i er ne soit t erm i né. Vous verrez en l i sant que
ce n’ est pas l e cas. Et l orsque j ’ aurai racont é en
dét ai l ces l oi nt ai ns événem ent s et que vous aurez
résol u ce m yst ère du passé, nous nous ret rouverons
une f oi s de pl us dans l ’ appart em ent de Baker St reet
où
t out e
cett e
hi st oi re
s’ achèvera,
com m e
t ant
d’ aut res hi st oi res mervei l leuses. 76
La seconde partie intitulée « Les nett oyeurs » début e ai nsi :
« C’ ét ai t l e 4 f évri er de l ’ année 1875. L’ hi ver avai t été rude et l a nei ge
s’ am oncel ai t dans l es gorges des m ont s G il m ert on ». 77
L’anal epse fait donc remonter à titre rétrospectif l e récit à une
générati on en arrière (1890 -1875) et transport e le lecteur à beaucoup
76
A.C. Doyle, Volume3, La Vallée de la peur (The Valley of Fear) , p. 149.
77
Ibid.
95
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
plus de cent li eues de Londres, car l’action se situe désormais aux
États-Unis. Les événements de 1875, rac ontés après, vont expliquer
l’affai re de 1890 exposée en premi er ; l ’inverse est aussi vrai, seul le
récit d’enquêt e permet d’exhumer le passé ent erré et le chapitre
censuré. Il est donc vrai que cett e analepse est en rel ation de
réversibilit é avec l e réci t premi er, mais nous rem arquons que Do yle
prend la peine de souligner explicit ement l a cohérence de son
roman : « Ne croyez pas que j ’ ent am e un réci t avant que l e prem i er ne
soi t t erm i né ». S’il prend cette peine c’est que just ement, l ’insertion
de son anal epse apparaît di gressi ve, et n’offre pas l’harmonie à
laquell e nous avaient habitués celles d’Émile Gaboriau. En effet , un
saut brusque se produit, accentué par les deux intitulés donnés à
chaque partie. P ar ailleurs, l a deuxième parti e se compose du mêm e
nombre de chapitres que la première (sept cha pitres). Elle est donc
rem arquabl ement développée et semble par conséquent former un
récit autonom e, raconté par un narrateur anon ym e (il ne s’agit plus
de Watson). Le ret our au premier récit est réduit à un tr ès bref
épilogue (deux pages).
Le roman polici er chez Conan Do yl e est donc st ruct uré ainsi :
Roman poli cier
Roman socio -historique
(anal epse)
Roman policier
(bref épilogue)
Voici R. Messac qui propose de réduire les dévelop pem ents
insérés dan s les romans polici ers do yl iens au st rict nécessaire. Le
critique souli gne que:
Les cent prem ières pages seul es, dans ce genre
de
réci t
sont
ut i l es
et
i nt éressant es.
Dès
l ors,
pourquoi ne pas l es conserver seul es, ou t out au
m oi ns, réduire le rest e du réci t [ …] . On pourrai t
m êm e pousser l’ ef f ort de com pressi on plus l oi n, car
96
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
l e chif f re d’ une centai ne de pages, dans la prem ière
part i e, est souvent obt enu par des déve l oppem ent s
d’ un
i nt érêt
m odér és
[ …] .
En
rédui sant
ces
dével oppem ent s au st ri ct nécessai re, on about i rai t à
un réci t court , concent ré, nerveux, d’ une ci nquant e
de pages, ou m êm e moi ns. 78
C’est en t out cas à ce genre de récit , dont parle Messac, qu’on
aboutit lorsque Do yl e fait apparaît r e son détecti ve dans cinquante -six
nouvell es. L’écri vai n britannique n’a pas tardé à comprendre qu’il
devait épurer son récit poli cier en le t raitant dans le cadre étroit de
la nouvelle. Ainsi, Do yle s’est trouvé ramené à l’esthétique poesque
qui représen t ait un intérêt à l a fois sur le plan st ructurel et sur l e
plan
éditorial,
pui sque
la
longueur
de
la
nouvell e
convi ent
parfait ement aux commandes que lui adressent les m agazines.
Dans ses romans et nouvell es, Do yl e reprend le mode de
narration créé par E dgar Poe, un héros -dét ective dont l es exploits
sont relat és par un compagnon moins doué que lui, mais en
accent uant le trait jusqu’à « f ai re de Wat son [ l e nar r at eur] l e t ype
m êm e du « personnage - écran » qui bl oque l ’ accès à l ’ hi st oi re » 79. Par
ailleurs, si le narrat eur de Gabori au fait de son mieux pour cacher au
lect eur des parties important es de l a réfl exion de Monsieur Lecoq,
Watson
n’a
pas
accès
à
la
conscience
de
Holmes
et
à
ses
raisonnem ents, car ce derni er refuse de révél er ses conclusions. Le
héros -détective est ici « responsabl e d’ une cert ai ne dram at i sat i on du
réci t » 80 qui provoque chez Watson un sentiment de frustration,
frust ration qui const itue un indi ce du vi f int érêt avec l equel Watson
poursuit, tout com me Holm es, la quête de l a vérit é. Le lect e ur
78
Régis Messac, op.cit., p. 486-487.
79
Christophe Gelly, Le Chien des Baskerville: Poétique du roman policier chez
Conan Doyle, Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 2005, p. 42.
80
Ibid. p.39.
97
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
comprend donc l e sentiment de Watson, d’aut ant plus qu’il se trouve
lui-mêm e dans l a même situation envers Holmes, l e seul détenteur de
la vérité finale.
Il rest e à noter que l ’appli cation du schéma proposé par Coli n au
récit poli cier do yli en nous révè l e quelques di fférences par rapport à
Poe et Gabori au. D’abord, chez Edgar Poe, l’enquête int ellectuell e
l’emporte sur l ’enquête m atériell e, (I>M), par cont re, chez Émile
Gaboriau,
l’enquêt e
matériell e
s’im pose
plus
que
l ’enquêt e
intellectuell e , (M>I ), alors que chez Doyl e, l’enquête intel lectuelle
dépasse légèrement l ’enquêt e mat éri elle, parfois elle peut l’égaler, ( I
≥M) :
Conan Doyl e
A
C
I
M
R
Ensuite, l ’équ ilibre du récit est rest abilisé chez Poe, par la
découverte de l ’ani mal responsabl e du crime,
l’ orang -out ang et l a
libération du suspect innocent. Le récit de Gabori au est réstabilisé
par l ’arrest ation et l e châtim ent de l’assassin, l e cont e de Trémorel.
En revanche, dans L a Vallée de la peur de Do yl e, la re st abilisation
(R) constitue moins un retour à l’ordre qu’une simple t ransiti on avec
d’aut res récits à
venir, car Holm es est
présent é en train de
soupçonner derri ère toute cette histoi re l a main de l ’invisible
Moriart y 81.
81
Holmes l’appelle « le napoléon du crime », il le décrit comme : « Le plus
grand manipulateur de tous les temps, l’organisateur de tous les forfaits,
le cerveau qui contrôle toute la p ègre : une intelligence qui aurait pu faire
ou défaire le destin des nations. Tel est l’homme. » ( La Vallée de la peur,
p.1).
98
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
L
a conclusion à tirer de cette ana l yse est que l’int ri gue
policière est construite di fféremment par l es trois aut eurs.
Poe met l ’accent sur une structure brève du récit par tant d’une
question (qui a tué ? ) et s’achevant sur la réponse à cett e question.
Pour arriver à cette réponse, Poe veu t que le récit de l ’enquête soit
épuré, qu’il se déroule sans encombre et arrive à son terme jusqu’à
ce que le héros -détective triomphe et apport e l a résolution de
l’éni gm e. A ce propos Fernandez -Recat ala précise qu’ « Avec ce court
réci t , P oe [ …] dresse d es l im i t es : l e hasard en sera excl u, et t out
i ndi ce, t out événement , ci rconst ance, t out di scours n’ ont qu’ un but ,
ef f i cace, cel ui de servi r l ’ économ i e de l a narrat i on » 82. Au cont raire, l a
résolution de l’éni gm e chez Gaboriau et Do yle ne voit le jour
qu’après insertion d’un récit analeptique qui suffit à l ui seul à
constituer une œuvre autonom e. En revanche, chez les troi s auteurs,
l’objectif de l a narration – qu’ell e soit assurée par un narrat eur
interne
ou
externe
–
semble
êt re
le
même ;
capter
d’embl ée
l’attention du lect eur et le tenir en h alei ne jusqu’au bout; il s’agit en
d’aut res term es, d’i mpliquer i ntell ectuellement et émoti onnellem ent
le lecteur dans l’int ri gue, dont le dénouement imprévu ne survient
qu'aux toutes derni ères pages.
Par ailleurs, q uel que soit le m ode narrati f utilisé, l a voi x qui
prime dans les récits polici ers créés par l es t rois auteurs,
e st
inévitabl em ent celle de leur héros -détect ive. Ce sont eux qui lancent
les pist es, l es éclai reurs du récit, l e point de référence du lecteu r.
Leurs jugem ents sont décisi fs et l e lecteur adhère l a plu part du temps
à leurs opi nions. Le héros -détective se présent e en effet com me :
Sosi e de l ’ écri vai n, const rui sant son réci t f i nal
par
t ouches
successi ves,
col l ect ant ,
ordonnant ,
i m agi nant , expéri m ent ant pour enf i n se l i vrer à
82
D. Fernandez Recatala, Le Polar, Paris, M. A. Editions, 1986, p. 70.
99
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
l ’ énonci ati on. C’ est f i nal ement l e rom an qui paraî t
se const rui re au f i l de l ’ enquêt e, port é à bout de
bras
par
la
pui ssance
de
l’ act e
narrat if .
P rogressi vem ent , l ’ hi st oi re du crim e est ret racée et ,
avec
el l e,
cel l e
de
la
vi ct i m e ;
une
vi ct i m e,
personnage m ort - né accouché par le t exte qui renaî t
sous l es proj ect eurs de l ’ enquêt e, qui est d’ une
cert ai ne
m ani ère
réi nvent ée par
le
biai s
de
la
reconst i t ut i on à l aquel l e procède l’ enquêteur ; car l e
véri t abl e dram e de la f i ct i on poli ci ère, c’ est que l e
cri m e a eu li eu en dehors du t ext e .
83
Le rôl e du héros-dét ective consi ste donc bien à combl er l e vide
narrati f imposé par l a découverte du cri me au début du récit polici er.
Dupin, Lecoq et Holmes ont l’art de voir mieux que le narrat eu r et
plus que le l ect eur ; ils savent associ er des indi ces, des traces et des
élém ents qui représentent les pi èces du puzzle (récit) à reconstituer.
Une fois l a dernière pièce du puzzle en place, l ’éni gm e (intrigue) es t
résolue. Ainsi nous dit J. Dubois : « l ’ aut ori t é du dét ecti ve [ …] ne
serai t
pas
seul em ent
pol i ci ère
ou
judi ci ai re,
m ai s
aussi
bi en
auct ori al e » 84. Ces héros détectives ne reçoivent donc pas seulement
la direction de l’enquête, mais égalem ent cell e du récit.
83
Estelle Maleski, Le roman policier à l'épreuve des littératures francophones des Antilles et du Maghreb.
Enjeux critiques et esthétiques. Thèse de doctorat, Discipline : Littératures française, francophones
et comparée. Université Michel de Montaigne Bordeaux III, 2003.
84
Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 100.
100
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
III. Premiers héros-détectives
1.
Autour du personn age du détective
Dans l e roman populaire dominant la première moiti é du XIX e
siècl e, l e justi cier est mû principalement par l a vengeance ou
l’expiation, il est ai nsi concerné personnellem ent par le méfait. Il en
résult e que l e ressort dram atique se résume à la loi d u t ali on : œil
pour œil, dent pour dent et dommage i nfli gé cont re domm age subi.
Prenons l’exemple L es Mystères de Paris d’Eugène Sue, Rodolphe, l e
héro -justi cier sembl e cert es se dévouer pour l es autres, m ais en vérit é
ce n’est qu’une apparence . L’altruism e de Rodolphe dissimule un
grand égoïsm e , car il s’agit pour lui de se laver de l’affront qu’il fit
jadis subi r à son père. Le héros du rom an popul aire est donc surtout
préoccupé des siens propres.
En revanche, d ans l e récit poli cier classique, le personnage de
l’enquêt eur se m et en campagne à la suite d’un méfait infligé à
autrui. Il occupe le devant de la scène. Il actualise l es mécanism es
d’observation et d’élucidation, il fi gure et narrativise la résolution
du m ystère. Il s’agi t souvent d’un dilettante, d’un am ateur éclai ré
même s’il peut tirer profit de cett e acti vité. Or, il peut, comme dans
le cas de Lecoq, êt re un enquêteur m andaté mais ses usages sont
aussi indépendants que le seront ceux d’Hercule Poirot ou de J ules
Mai gret. Il agit l e pl us souvent de son propre chef.
C’est un personnage qui se sent supérieur en raison de ses
capacit és intell ectuelles. Celles -ci sont largement plus développées
que ses compétences ph ysiques. Il observe, écout e, fai t parler,
recueill e indi ces et t émoi gnages, expose savamm ent sa méthode et est
doté d’un grand savoir, soit sur l e s hom mes, soit sur l es choses e t les
faits.
101
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Le pe rsonnage du détective classique ne s’implique dans les
affaires criminelles que professionnell ement ou int ell ectuellem ent,
rarem ent affectivem ent. Il à peu de rapport avec les criminels et ne
les estime qu’en fonction de l eur aptitude à brouiller l es pist es et de
leur int elli gence qui lui permet , métaphoriquement, de j ouer aux
échecs. Comme le fait l ’aut eur du ro man poli cier avec l e lecteur.
Enfin, il court peu de risques pendant ses enquêtes.
Les spéci alistes du roman polici er ont fourni plusieurs pi stes
fertil es m enant à une desc ription plus compl ète du person nage de
l’enquêt eur. Dans L e roman polici er ou la mo dernité , Jacques Dubois
distingue quatre grandes images du héros-dét ective: le Surhomme, le
Médiat eur, le Fl âneur et l e Dand y :
a). Le « surhomme »
Il s’agit essenti ellement du héros des romans am éri cains dits
«hard-boil ed ».
La
fi gure
du
Surhom me
provi ent
surtout
d’une
tradition épique et dési gne le champion mais qui a perdu son panache
romantique. Il est celui qui aboutit touj ours en réussissant t outes les
quêtes entreprises sans éprouver de di fficultés. C 'est l e héros d'acti on
qui révèl e toutefoi s un côt é sombre, d'où l 'associ ation avec les
protagonistes des romans noi rs américai ns.
b). Le « médiateur »
Il se rapproche énormément des héros de romans réaliste s. Le
détective « médiat eur » glorifi e autant le savoir que l es lois. Il est
attiré par l es scie nces (m édecine, physi que, et c.). Les cas de
Rouletabill e qui fréquent e le milieu des ph ysici ens de l ’at ome, de
Mai gret attiré par la médecine et la ps yc hiatri e. Le « m édiat eur » est
un
homme
de
savoir
et
de
Droit
qui
réunit
ses
capacit és
102
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
intellectuell es et m e ntal es afi n de découvrir l a vérité qui se cache
sous le m ystère.
c). L e « flâneu r »
Le fl âneur est « l ’homme des foules » qui erre et dérive
anon ym ement dans la ville. Il s’offre le loisi r d’observer, à l a
manière d’un détective, les événem ent s qui se prod uisent dans la
ville moderne.il peut s'i ntéresser à un individu insolit e ou à une
situation quelque peu étrange et deviendra, m al gré lui, un détective.
d). Le « dandy »
Dupin, Lecoq et Holmes, l es t rois détectives qui constit uent
l’objet de notre thèse son t t ous des Dand ys à quelque tit re. S elon
Dubois l e détective « dand y » cultive le goût de la pose et de l a
surprise, l a curiosité et la passi on du regard , l e soin de la mi se et la
manie
du
gest e.
S’il
opère
int ensément,
c’est
toujours
avec
détachement, un dét achement qui se tei nte aisément des couleurs de
l’ironi e. Selon Dubois toujours, le « dandy » est celui qui accomplit
son acte avec art et doigt é, souci eux de la réussite cert es mais d’une
réussit e qui a sa fin en soi. Ce personnage semble se suffi re à lui même puisqu’ il résout en solit aire l es pl us grandes intri gues.
C’est à cett e derni ère cat égori e qu’apparti ennent donc Dupin,
Lecoq et Holmes. Mais avant d’ent am er tout e anal yse comparative
entre nos personnages, il convi ent au préalabl e d’avoi r un pr emi er
contact avec eux, les trois détectives ne seront donc présentés qu’à
grands traits .
103
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
2. Les trois détectives
2.1. Le chevalier Auguste Dupin
Il s’agit d’un géni al Parisien noct ambul e et am at eur d’éni gmes
inextricables. Dupin est un nouveau t ype de personnage romanesque
qui ne se caractérise plus par son engagement dans l’action mais par
l’exhibition de ses facult és intell ectuell es et la démonstrati on de son
génie anal ytique. Il est un pur produit du rationalism e sci entifique et
positiviste dont Edgar Poe fut, e n son t emps, l ’un des plus fervents
apologist es.
Le héros -détective de Poe observe, écoute, raisonne et déjoue
les évidences afin d’expliquer les ci rconst ances d’un événem ent
devenu
m ystérieux .
Il
apporte,
par
la
seule
force
de
son
raisonnem ent, la sol utio n de l 'éni gme. La personnalité du chevalier
August e Dupi n, un jeune gentlem an désargenté issu d’une illustre
famille, est hors du commun. C e personnage excentrique, philosophe
et raisonneur, est doué de génie pour organiser et expliquer de façon
scienti fique et méthodique tous l es élém ents d’une affaire criminelle.
Cet infaillible détective qui démont e les rouages d’une machine
composée pour lui, apparaît comme un êt re supérieur.
Le chevali er Dupin n’opère que dans trois nouvell es polici ères
de Poe : Double Assassinat dans la rue Morgue , La Lettre volée et Le
Myst ère de Mari e Roget . Au regard de ces simples et petites
inhibitions, sa postérité fut immense. De l’inspect eur Lecoq à
Hercul e Poirot, en passant par Sherlock Holmes, il eut droit à une
longue et br illant e li gnée de discipl es.
104
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
2.2.
Monsieur Lecoq
Contrai rem ent au détective am ateur de Poe, l’enquêteur mi s en
scène par Gaboriau est un poli c ier et devient, de ce fait, l e « prem i er
pol i ci er prof essi onnel de l ’ hi st oi re de l a li t t érat ure pol i ci ère » 85. Il est
le personnage cent ral des enquêtes suivantes : Le Crime d'Orcival , Le
Dossier 113, Monsi eur Lecoq , et La Corde au cou .
Le héros -détective de Gaboriau est l e m aître poli cier doué d’un
extraordinai re espri t d’observation, d’une surprenant e perspicacit é
ainsi que d’un réel sens pratique. Il sait pratiquer des déductions
logiques à parti r de l'examen d'i ndices ou d'anal yses sc i entifiques
comme l 'étude d'em preint es. Il lui arri ve, cert es, de com mettre des
erreurs, mais il s’en rend vit e compt e et les corri ge. Lecoq brille
dans l 'art de la fi lature et aime se mesurer avec des criminels
endurcis. Vérit abl e as du dégui sem ent et du changem ent rapide, il
serait l’ancêtre de Fantômas comm e héros phénoménologique du
masque.
Dans sa lutt e cont re le crim e, il se heurte sou vent à la force
d’inertie et m ême à la jalousi e de ses collègues, qui n’entendent pas
être dérangés dans leurs investi gations routini ères, ainsi qu’à l a
suffisance des ses supéri eurs, qu’il doit s’efforcer de convaincre.
A travers son héros -dét ective Le coq, Gabori au fut « l e pre m i er
rom anci er à décri re les m œurs pol i cières sous l eur j our exact » 86
85
J. Baudou, J-J. Schléret (dir.), Le Polar, Larousse, Collection « Guide Totem », Paris, 2001, p. 214.
86
Roger Bonniot, Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier, Paris, Editions J. Vrin, Pais, 1985. P.
433.
105
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
2.3.
Sherlock Hol mes
Sherlock Holmes est le
di gne représentant du positivism e qui
caractérise la seconde moiti é du XIX e si ècl e. C 'est en effet de
l'apothéose de l 'esprit scientist e. Holmes a le goût de l a com pilation
et de l a classifi cation des données qui font de lui un adepte
d'August e Comt e, de Stuart Mill et de Darwin.
Apparu
en
1887
dans
Une
étude
en
rouge,
le
dét ective
britanni que est devenu une des fi gures m ythiques du genre policier.
Holmes est un céli batai re endurci, indifférent aux femmes qui n’a
réussi à acquéri r une épaisseur humaine que grâce à sa prédilection
pour l e violon et l a cocaïne .
Chez
ce
premi er
dét ective
« vraiment
scienti fique »,
l’observati on et l ’anal yse se fondent sur un cham p de savoi rs
complexe qui embrasse l a chimie, l ’anatomie, la criminologi e, l a
botanique
fondem ent
de
la
toxicologi e,
et
la
géologie
pour
comprendre l a composition de l a terre en surface. S ans om ettre l’art
musical à t r avers cet inévitabl e vi olon qui l’aide, à l ’occasion, à
mieux se concentrer ou réfl échi r.
Il habite 221 B Baker Street, dans une m aison qu’il partage avec
le doct eur Watson qui devi ent vit e son confident et son assistant .
C’est lui l e narrat eur de toutes ses avent ures.
Le géni e aut ant que l’excent ricit é d u héros- dét ective do ylien lui
ont assuré une renommée universelle et ont fait de lui, aux dires de
nombreux critiques, l’enquêt eur de fiction le plus connu au m onde.
106
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
3.
Trois héros : une notoriété durable
Afin d’éval uer le degré de popul arit é de s trois dét ectives après
la disparition de l eurs créat eurs, il convient de t enir compte des
adapt ations qu’ ils ont suscit ées t ant sur la scène littéraire et théât ral e
qu’au ciném a et à la télévision . Ainsi dans une én umération non
exhaustive, nous insisterons surtout sur les adapt ations
créatives,
pleines d’inventions et d’élém ents nouveaux par rapport à l’œuvre
ori ginal e,
et
non
pas
sur
l es
innombrables
retranscriptions ,
rééditions et traductions que nous ne pouvons cerner t ant la tâche
serait ardue.
3.1.
Le chevalier Auguste Dupin
Les aventures du chevali er August e Dupin ont ét é une source
d’inspiration
pour
de
nombreux
écrivains,
et
ont
fait
l’objet
d’abondantes adapt ations littéraires , dont The Man Who Was Poe
(L’homme qui ét ait Poe), un roman pour jeunes écrit en 1989 par
Avi 87. L’histoi re décrit un jeune garçon prénomm é Edmund qui vient
apporter un souti en amical au chevali er August e Dupin , qui est en
réalité Poe lui -mêm e. Edmund et Dupin vont résoudre de nombreux
m yst ères ensem ble.
Le roman d’Avi fut suivi en 1995 de The Lighthouse at the End
of the World , rom an écrit par Stephen Marlowe
qui s’est concent ré
sur l es derni ères semaines de la vi e d’Edgar Poe. L’aut eur s’em ploie
à racont er comment le chevali er Auguste Du pin se dém ène afin de
résoudre le m ystère de la disparition de son propre créateur.
87
De son vrai nom Edouard Irving Wortis, un auteur américain pour enfants et jeunes adultes.
107
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Le chevali er Dupi n ne l aisse pas indi fférent le rom anci er George
Egon Hatvar y qui, dans The Murder of Edgar Allan Poe (Le meurtre
d’Edgar Allan Poe) (1997), présent e le déte ctive Dupin dét erminé à
mener une enquêt e sur les circonst ances de la mort de son ami Poe ,
l'autopsi e révèle un empoisonnement à l 'arsenic.
Nous cit ons égal em ent Lenore : The Last Narrative of Edgar
Allan Poe (Lenore : Le dernier récit d'Edgar All an Poe) écrit en 2002
par Frank Lovel ock . Il s’agit d’une hist oire fi ctive présentée comme
un rêve déli rant de Poe , pend ant son hospitalisation. Le chevalier
Dupin fait son apparition pour une missi on qui consiste à ret rouver et
sauver son créateur et passer ainsi à la postérit é. Frank Lovelock a
même inséré dans son histoire les propres lettres et œuvres de Poe, il
les a citées di rectement dans son t exte, en itali que , avec en note l e
docum ent d'ori gine.
Les auteurs de bande dessinée , eux aussi, n’ ont pas hésité à
puiser dans l ’héritage littéraire poesque , les nouvelles poli cières de
Poe, en parti culier Double Assassinat dans la rue Morgue , ont
constitué leur source d’inspiration privilégiée. En 2007, Double
Assassinat dans la rue Morgue fait l’objet d’une adaptatio n en BD
par C eka (scénario) et Clod (Dessi n), l a narration proposée est t rès
intéressante, imposant l’œuvre de Poe comme actuelle . En adapt ant
des cl assiques de l a littérature française et ét rangère, l a collection
Ex-libris des éditions Del crout a présent é à son tour les bandes
dessinées Double Assassinat
dans la rue Morgue en 2009 et Le
Myst ère de Marie Roget en 2011, écrites et dessinées par Jean -David
Morvan et Fabri ce Druet .
Quant aux adaptati ons cinématographi ques et tél évisées , les
avent ures du dét ective Dupin ont suscit é égal ement de nombreuses
108
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
adapt ations au cinéma et à l a tél évision , cel a a largement contribué à
faire connaître l e détective . Depuis le fi lm
Doubl e Assassi nat dans
la rue Morgue (1932) de Robert Flore y, en passant par Le Fantôme
de la rue Morgue (1954) de Ro y del Ruth , et Murders i n the Rue
Morgue (1971) de Gordon Hessler . En 1986, dans un film intitulé Le
Tueur de la Rue Morgue , Jeannot S zwarc met en scène l’acteur
George Cam pbell S cott dans l e rôle de Dupin. La nouveauté de ce
film réside dans le fait que Dupin est le père d’une fille qui s’appelle
Claire .
3.2.
Monsieur Lecoq
Dix années après l a disparition d ’Émi le Gabori au, son héros détective était de retour en scène de par la volonté d’un confrère de
Gaboriau. Fortuné du Boisgobe y publi e en 1878 La Vi eillesse de
Monsieur L ecoq , un récit qu’il divise en deux parti es : Monsieur
Lecoq se dérobe et Monsieur Lecoq att aque . L’auteur fait de Lecoq
un anci en dét ective amateur que les hauts pers onnages de la police
viennent consult er, quand un e affaire leur paraît embrouill ée.
C’est pour prolonger les ex ploits du policier de Gaboriau que
parut, en 1886, La Fille de Lecoq , sous la pl ume de deux aut eurs :
William Busnach et Henri Chabrill at. L’histoire met en scène le
héros, M. Muret qui une fois mort, son conci erge apprend à Jeanne,
sa fill e, que derrière la personnalit é de son père, se cachait l e célèbre
agent de police M. Lecoq.
Quant au fam eux roman de Gabori au, Le Crime d’Orci val ,
l’œuvre rencont ra,
en
1878,
un
succès
am plifié
par
une adaptation au théât re en cinq actes . La pièce fut écrite par Edgar
109
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Pourcelle et Émile Mendel. Pas de Lecoq dans l a pi èce, mais c’est l e
personnage de S auvres y qui va l e r empl ace r.
L’œuvre poli cière de Gabori au a donné lieu égalem ent à de
nombreuses adaptati ons à l’écran, puisque dès 1914, eut lieu la sorti e
du film Monsi eur Lecoq , réalisé par Mauri ce Tourneur. La m ême
année, Gérard Bourgeois adapte Le Crime d’Orcival et réalise un film
intitulé
L’affaire
d’Orcival ,
Roussell et Hen ri Gouget.
int erprét é
En 1932,
par
Harr y
Baur,
Henr y
Le Dossier n°113 fut, à son
tour, porté à l ’écran aux États-Uni s, le fi lm s’intitula File n°113 avec
Gaston Le Coq comme personnage principal . Au début des années
soixante-dix, fut di ffusé un tél éfilm français intit ulé Nina Gypsy tiré
du rom an Dossi er n°113 , adapté par Jacques Vi goureux et André
Maheu. Ce tél éfilm restitue parfaitem ent la tradition rocam bolesque
de l 'époque où l es traît res sont t oujours odi eux et les victimes
désespérées. Toujours en France , le personnage Lecoq, à l’instar de
Dupin, a ét é adapté dans le t éléfil m Monsieur Lecoq , comme
quatri ème épisode de l a série Les Grands Détectives di ffusée sur
Antenne2 en 1975.
Ces adapt ations sont cert es rest ées fidèl es à
l’esprit de l’œuvre ori ginal e, m ais sans l a reproduire à l a l ett re.
3.3.
Sherlock Holmes
Devenu un personnage « culte » de la littérature, Sherlock
Holmes est découvert aussi bien sur scène qu’au ci ném a muet et
parl ant, à la radio comme à l a t élévision.
Les enquêt es du détective britannique ont suscité bi en des
exploitations d i verses à Londres et se sont diffusé es dans l e monde
entier sur des supports aussi variés que le timbre, la bande dessinée,
la cassett e vidéo ou le cédérom. Depuis sa création, Holm es continue
110
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
à fai re l’objet d’une véritabl e adorati on ; des ét udes lui ont été
consacrées, des sites internet et des associations 88 ont ét é créés par et
pour ses admirat eurs. Plus surprenant encore, l a création d’une
science
nouvell e,
nommée
hol mésologie 89
ou
« études
holmésiennes » ; des centaines d’ouvrages ont ét é r édi gés sur l e
sujet. Le but avoué de cette disci pline est de ret racer la vie et l 'œuvre
du dét ective à partir des écrits du
Doct eur Wat son 90, ami et
chroniqueur de Hol mes.
Il n’est donc pas évi dent d’échapper à l ’emprise du personnage
de Sherlock Holm es, tant dans l es ra yo ns des librai res – où fi gurent
la plus récent e réédi tion bilingue des aventures holm ési ennes 91 - que
sur les écrans de ciném a et de t élévision . Holm es ne cesse de
connaître
des
adapt ations ,
des
avatars
littérai res,
ciném atographi ques, télévisuels, voire des bandes dessinées et des
jeux vidéo.
Dès l e début du XX e siècl e, un certain nombre d’au t eurs
américains ont évoqué la silhouette de Sherlock Holm es. Le détective
a été abondamment parodié ou pastiché grâce à des noms d’emprunt :
Sherlock Ohms, Sh ylock Holm es et mêm e Raffles Homes. Il est ains i
impossible de recenser tout es l es parodies et pa sti ches du héros
88
Plus de 500 associations « holmésienne », réparties dans le monde mais plus particulièrement aux
USA, qui organisent des réunions (parfois costumés), conférences, projections, jeux de rôles,
pèlerinages, publication de revues …
89
L’holmésologie francophone se fit pastichante et parodique, avant de devenir aujourd’hui une
discipline scientifique sérieuse.
90
Derrière lequel se dissimule Doyle, l’auteur.
91
Arthur Conan Doyle, Les Aventures de Sherlock Holmes, volumes 1,2,3, Paris, Omnibus, 2005-2007.
C’est notre édition de référence.
111
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
do yli en, vu leur très grand nombre 92. Nous n’en citerons donc que les
plus mémorabl es.
Mauri ce Lebl anc est le premi er à utiliser un pasti che de Hol mes
en écrivant Sherlock Holmes arri ve trop tard (1906), pui s Arsène
Lupin contre Herlock Sh ol mès (1908). La sortie de cette derni ère
avent ure mécontent e Do yl e, furieux de voir son détective et son
compagnon Watson ridiculisés sous les noms de Herlock Sholmès et
Wilson. Aux États-Unis, l’engouement du pasti cheur am éri cain Jean
Ra y pour Sherlo ck Holmes ét ait plus i mportant que celui de Leblanc,
puisqu’il publie ent re 1933 et 1940 une série de récits m ettant en
scène l e « Sherl ock Holmes am éri cai n » (bi en qu'il fût domicilié
Baker Street à Londres) , Harr y Dickson. Tout comm e Holmes,
Dickson est un détective consultant et fum e la pipe, mais « le
Sherlock Holmes am éri cain », est un enquêteur plus ph ysique, qui de
plus n'est pas insensible aux charm es de la gent fémini ne. Pl us d’une
décenni e plus t ard, fut publi é en 1954 Les Exploits de Sherlock
Holme grâce aux efforts conjoints de l’écrivain poli ci er, John
Dickson Carr et d’Adrian Conan Do yl e, le fils du créat eur . Le point
de départ de cette œuvre était les enquêtes que Watson évoque dans
ses narrations sans l es raconter.
Nous ne pouvons parler de pas ti ches hol mésiens sans évoquer le
subtil roman intitul é La Solution à Sept pour Cent , écrit en 1974 par
l’Américain Ni cholas Me yer. L’auteur racont e les efforts du docteur
Watson, pour guérir son compagnon de sa toxicomanie en l’emmenant
consult er le Dr. F reud à Vienne. Freud guérit Holmes, et ce dernier
explique au docteur ses méthodes d’i nvesti gation, et l ’amène à
renoncer
à
l ’h ypnose
et
fonder
la
ps ychanal yse
en
traquant
l’inconsci ent comme un dét ecti ve.
92
Le recensement des parodies et pastiches de Sherlock Holmes est mis en ligne par la « Société
Sherlock Holmes de France ». URL : http://www.sshf.com/wiki/index.php/Adaptations
112
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Tout récemment ent re 2006 et 2011 , une série de r omans
policiers pour l a jeunesse, Les Enquêtes d'Enola Holmes écrits par
Nanc y Springer venaient de t émoi gner que l’engouement suscité par
le héros do yl ien est toujours d'actualit é et que la vogue des pastiches
holmésiens n'ét ait pas affaibli e chez l es rom anci ers. Enol a Holmes
est la sœur cadette de Sherl ock et de Mycroft, tous l es deux ont
respectivem ent 20 et 27 ans de plus qu’ell e. Dans les récits de
Springer, Sherlock Holmes vit de nouvelles aventures dans l esquelles
il croise très souvent la rout e de s a sœur qui fi n it par devenir son
alliée.
D’autres écrivains, très nombreux d’ail leurs, grands et pet its,
ont rendu hommage à Sherl ock Holmes de façon plus ou moins
discrète : Van Dine, Wodehouse, Scott Fitzgerald, Bernard Shaw,
T.S. Eliot, Ronald Knox, Jea n Giraudoux, Umberto Eco, Jean
Dutourd, Jean Ra y, John Dickson Carr, Boileau -Narcejac, Jacques
Baudou, P aul Ga yot , Alexis Leca ye, R ené Re ouven….
Sur le plan théât ral, Il est à rappel er que l e X IXe si ècl e m arque
la consécration d'une nouvelle tendance au th éât re : l a représentation
de pièces tirées de romans . Nous soulignons que la prat ique de
l’adaptation au théâtre avait parti cipé au développem ent d’une «
culture de l’im age » dont le cinéma s’avère le successeur plus tard.
En 1899, Conan Doyl e collabora av ec l ’acteur William Gil l ette afi n
de mettre Holm es en scène , dans une pièce théâtrale en cinq act es :
Sherlock Holmes . C ette pi èce a ét é jouée sans discontinuer entre
1899 et 1902, non sans connaît re par l a suite de nom breuses reprises,
adapt ations, et trad uctions en allem and, espagnol et français. Entre
1922 et 1935 , William Gil lett e réécrit l a pièce Sherlock Holmes en
quatre
actes .
Une
dizaine
d’année
plus
tard ,
Conan
Do yle
recommence l’expérience et mont e l a nouvell e La bande tachet ée en
une pièce de troi s actes, Pierre Nordon nous fait savoi r qu’à Londres,
113
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
la pièce a t enu l’affiche pendant près d’un an à partir de juin 1910, et
qu’ell e y ét ait reprise en 1921. Le créat eur de Holm es écrivit
égal ement en mai 1921 Le Diamant de la couronne , une pièce de
théât re en un acte .
Sherlock
Holm es
rest e
le
personnage
de
fi ction
le
plus
représent é au ci ném a ave c plus de 260 films recensés . Le détective
apparaît pour l a première fois au temps du muet, dans la production
américaine du court -métrage Sherl ock Holmes Baffle d (1900). Ce
film met en scène un personnage anon yme portant une casquette et
fumant
une pipe. Vont
suivre d’autres films courts (français,
scandinaves , entre autres) , puis un long m étrage angl ais Etude en
rouge (1914), réali sé par Francis Ford. Dans l a co ntinuité de l a
prolifération des films muets et grâce au succès fabuleux de la pi èce
Sherlock Holm es jouée et réécrite par William Gillette , ce derni er
s’en inspi ra pour une adaptation à l’écran en 1916 , dans un film
portant le m ême i nti tulé que la pièce d e théât re.
Le rôl e de Sherlock Holm es va continuer de faire l'objet
d’excell ent es adapt ations à l 'écran , il fut joué par Eill e Norwood
dans trois sérials de quinze courts films muets ret raçant plus de deux
tiers du canon hol mésien. Conan Do yle s’enthousi asma pour ces
films, et principal ement pour le jeu et le ph ysique de Norwood qui,
selon Do yl e, correspondait parfait ement à l’image qu’il se faisait de
son dét ective. Plus fort que Sherlock Holmes (1925) est égalem ent
une com édie muett e très réussi e réali sée par Harr y Sweet et Joe
Rock, le rôl e de Holmes est interprété par Stan Laurel. Mandaté par
une client e, ce derni er va se déguiser en femme fatal e pour confondre
le mari qui prépare, selon son épouse, un mauvais coup. Le derni er
film muet holmési en , avant l’avènem ent du cinéma parlant, est Le
Chien des Baskervi lle (1929) de Ri chard Oswal d ,
avec Carl yle
114
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
Blackwell dans l e rôle de Holm es. La copie de ce film -j usque l à
considérée comm e perdue - a été retrouvée en 2009 en Pologne .
Depuis l 'apparition des prem i ers films parl ants, l a plus parfaite
incarnati on du personnage de Holm es est cell e de Basil Rathbone. En
effet, c’est avec le duo Rathbone (Hol mes) et Ni gel Bruce (Watson)
que l e m ythe holmésien att eint sa notoriété, notamm ent l’excellente
version du Chien des Baskervill e (1939). R athbone i ncarna le
personnage dans une séri e de q uatorze films réalisés entre 1939 et
1946, imposant ainsi la première int erprét ation mémorable du rôl e.
L’acteur devint l’autre référence picturale de Holmes . Dans la li gnée
de R athbone, l e personnage holmési en fut merveilleusem ent servi par
l’interprétation
de
l’acteur brit annique
Pet er Cushi ng,
dans l e
premi er film en coul eur Le Chi en des Baskerville (1959). Cushing est
considéré comme l ’act eur le plus crédi ble parmi tous ceux qui ont
incarné l e personnage de Holmes. En 1975, l’acteur britannique
Douglas Wilmer va à son tour fumer l a pipe de Sherl ock Holmes d ans
un film intitulé Sherlock Hol mes’s Smart er Brother (L e frère le plus
futé
de
Sherlock
Holmes ).
Le
film
« révèl e
di scrète m ent
une
connai ssance t rès a pprof ondi e de Conan Doyl e » 93. Il va de soi que
nous citons l a production très ori gi nal e Le Secret de la pyrami de
(1985),
un film pour enfants produit par Steven Spielberg, dont le
rôle pri ncipal de S herlock Holm es revient à l’a ct eur britannique
Nichol as Rowe. Le film m et en scène un Holm es et un Watson
adolescents, ils se rencont rent au l ycée et se confront ent à une
affaire criminelle : des meurtres étranges commis par de fanatiques
adorateurs
des
dieux
de
l'anci enne
Égypt e.
Without
a
Clue
(Élémentai re, mon cher... Lock Hol mes ) est égal ement un beau film
sorti en 1988 et réal isé par l’américain Thom Eberhardt. Inversant les
93
Pierre Nordon, Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré.
Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, 1994, p. 112.
115
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
rôles, Eberhardt nous présente un Hol mes imbécil e , alcoolique et
coureur de jupon , un rôle m agni fiquement interprété par Michael
Caine, Watson à l’érudition rem arquabl e est un manipul ateur qui sait
mener le jeu, il est interprét é de façon presque inqui étant e par Ben
Kingsle y. Il a fallu cependant attendre l’année 2009 pour perm ettre
au personnage Holm ésien de donner tout e sa m esure dans un vrai film
de cinéma. Sherlock Holmes est un thriller d u réalisateur britannique
Gu y Ritchi e, qui m et en scène Robert Downe y Jr dans l e rôl e de
Holmes, pour lequel il reçoit un Golden Globe 94. Le film a remporté
un tel succès pour qu’une suit e intitulée : Sherlock Hol mes : Jeu
d’Ombres voie le jour en 2011.
Les séries tél évisuelles n’ont accaparé que progressivem ent
l'attention du public en devenant par l a suite les
form ats TV les
plus appréci és. Ai nsi, fut di ffusée, entre 1949 et 1955 , Sherlock
Holmes, une série télévisée de 262 épi sodes, diffusée sur l a BBC en
Grande -Bretagne, entre 1949 et 1955. Le rôle de Hol mes fut
interprét é par Basil Rathbone. Les Rivaux de Sherl ock Holmes (The
Rivals of Sherlock Holmes ), est également une séri e télévisée
britanni que t rès cél èbre, diffusée entre 1971 et 1973, en Grande Bretagne, sur ITV en 26 épisodes. La série fut di ffusée en France sur
la chaîne FR3. Chaque épisode m ettait en scène un dét ective différent
rivalisant Sherlock Holmes pour résoudre un crim e.
Au XX I e si ècl e, Conan Do yl e ne cesse d’êt re honoré dans
son pa ys ,
Les
Mystères
du
véritable
Sherlock
Hol mes (Murder
Rooms: Myst eries of the Real Sherlock Holmes ) (2000-2001) est une
mini-série t élévisée britanni que t rès ori ginale. Les cinq épi sodes de
90 minutes com posant la séri e, mett ent en scène Arthur Conan Do yl e
94
Une récompense cinématographique décernée annuellement depuis 1951 par la Hollywood
Foreign Press Association
116
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
et le Doct eur Joseph Bell, qui aurait inspiré l ’aut eur pour l a création
du célèbre détective . Toujours en Angl eterre, une énièm e
série
télévisée a vu le j our en 2010 : Sherlock. Les réalisat eurs Mark
Gatiss et Steven Moffat ont pris le ri sque de nous présenter un
Holmes vivant en 2010. Cette série nous présent e le cél èbre détective
incarné par Benedict Cumberbat ch , et un John Watson, incarné lui
par
Martin
Freem an .
Le
cont exte
et
l ’effet
2010
apporte
un
rafraîchissement exceptionnel au x avent ures holmési ennes. Ainsi, l es
nouvell es t echnologi es, nouvelles voi tures, tél éphones portabl es,
Internet sont parfait ement i ntégrés dans cett e séri e et dans l’attitude
des personnag es. Faisant de bons scores d’audi ence et recevant
diverses
critiques
positives,
concernant
not amment
l 'adapt ation
contem poraine de l ’œuvre polici ère doyli enne, la série Sherlock
(saison1) a rem porté le BAFTA Award 95 de l a m eilleure séri e
dram atique. Une deu xième saison est sortie en fin 2011 en gardant le
même cast e.
Riche en rebondissements, mouvementé e et découpée en romans
et nouvell es, l ’œuvre poli cière de Conan Do yl e était prédestinée à
faire une prodi gi euse carri ère égalem ent dans les dessins ani més. Les
années 80 ont été donc celles de l’adaptation du personnage de
Holmes en dessin animé. En 1983, l e « monstre sacré » du ciném a
Peter O'Toole a prêt é sa voix à quatre mini -films adaptés de l’œuvre
policière de Do yl e : Une ét ude en rouge , Le Signe des qu atre, La
Vallée de la peur et Le Chien des Baskerville . Au Japon, l e célèbre
détective brit annique devi ent un chi en dans une célèbre séri e
télévisée d’animation italo -j aponaise : Meitant ei Hol mes (1984). Les
26 épisodes de cett e séri e ont été réalisés pa r l e célèbre dessinateur
de manga, le japonais Ha yao Mi yaz aki. Un long-m étrage d’animation
95
British Academy of Film and Television Arts est un trophée remis depuis 1954, récompensant les
meilleures émissions télévisées diffusées au Royaume-Uni durant l'année précédente.
117
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
des studios Disne y, baptisé Basil, détect ive pri vé (The Great Mous e
Detective ), est sorti en 1986 . L’ aventure présentée dans ce dessin
animé est celle d’une souris vivant sous le bâtim ent du 221b Baker
Street. En 2001, l a France à son t our présent e une version animée de
Sherlock
Holm es :
Les
Nouvell es
avent ures
L’épisode Les Dalton cont re Sherl ock Holmes
de
Lucky
Luke .
oppose le détective
aux Dalton, les cél èbres bandits les plus stupides de l 'Ouest.
Après l es diverses adaptations citées, la radio a égal ement
amplifi é
considérablement
la
m édiat isation
du
personnage
de
Sherlock Holm es . D’aill eurs, nous ne pouvons com pter l e nombre
d’adapt ations radiophoniques des aven tures holmési ennes dans le
monde, s’ét al ant de 1930 à 2008.
Sur un autre plan, l’ expression légendaire « Él ém ent ai re, m on
cher Wat son ! » est classée par la « Sociét é Sherlock Holmes de
France », comme l’une des répli ques les plus marquantes de l ’histoire
du cinéma. Narcej ac trouve que cett e expression « appart i ent à l a
l angue com m une au m êm e t i t re que : « To be or not t o be » » 96. Mais ce
qui est intri gant, c’est qu’elle n’a j amais été écrit e par Conan Do yl e
dans aucun de ses t extes policiers. Dans les aven tures de Holmes, le
détective s’excl ame parfois « élémentaire ! », il appelle souvent son
compagnon « mon cher Watson », mais il ne prononce j amais l a
cél èbre réplique . De ce fait, cet apocryphe aurait été inauguré par
Clive Brook 97, le premier Holmes des f il ms parl ants . Les adaptations
ont donc cont ribué à instaurer cert ains traits du m ythe holm ésien qui
n’ont pas été créés par Do yle lui -m ême.
96
Thomas Narcejac, Une machine à lire : Le roman policier, Paris, Denoël/Gonthier, 1975
97
Dans le film américain Le Retour de Sherlock Holmes (The Return of Sherlock Holmes), sorti en 1929,
réalisé par Basil Dean.
118
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
E
n terme de quantit é comme en qualité , entre adapt ations,
hommages et pastiches , Sherlock Holm es est peut -êt re le
personnage poli cier le plus adapt é aux différents supports : écrits ,
écrans, scènes, radios, etc. , il devient l’un des m ythes les plus
constamm ent durabl es. Les écrits poli ciers d’Edgar Poe et d’ Émil e
Gaboriau, pourtant pastichés, parodiés et adaptés , n’ont pas donné au
Chevali er Dupin et à Monsi eur Lecoq la popularité durable dont
Holmes continue de jouir , m al gré l eur succès qui a aucun moment n’a
été démenti.
Nous pouvons penser que l e secret réside dès l e début dans une
strat égie éditorial e suivie par Conan Doyl e. L’auteur britannique a
bien vu les inconvénients du découpage feuill etonesque pour une
publication m ensuelle, suivi auparavant par Gabori au. En un mois,
nous explique R égis Messac, il peut se passer bi en des choses : on
tombe mal ade, on part en vo yage, on oublie les débuts de l ’histoire,
les goûts m ême peuvent changer ; il est donc inévitabl e de manquer
tel ou t el numéro. C roit -on que le l ect eur se donnera la peine d’écrire
et d’attendre l e numéro qu’il a m anqué ? Ce serait mal connaître la
mentalit é d’un lecteur qui exige avant tout un di vert issement
accompagné
d’échapper
d’un
à
t ous
minimum
ces
d’effort.
inconvéni ent s
C’est
que
précisément
Conan
Doyl e
afin
nous
révèle fièrem ent:
Évi dem m ent , l a sol ut i on i déale ét ai t de t rouver
un personnage qu i réapparaî t rait cont inuel l em ent,
et dont l es avent ures com port erai ent cependant des
di vi si ons dont chacune se suf f i rai t à elle - m êm e, de
sort e que l ’ achet eur f ût t ouj ours sûr de pouvoi r
prendre pl ai si r à t out l e cont enu du m agazi ne. Je
119
Première partie. Chapitre II
Premiers créateurs et premiers héros
croi s
que j ’ ai
ét é
le
prem i er à
apercevoi r l es
98
avant ages de cet t e com bi nai son .
Ainsi s’est assurée l a longévité de Sherl ock Holm es qui, opérant
dans quatre rom ans et cinquant e-six nouvelles , a occupé quarant e ans
de la vi e de son créat eur . C ette durée va, à son tour, garant i r la
notoriét é et la célébrité du détective brit annique
Quand Poe, Gabori au et Do yle ont cré é l eur détective , ils étaient
loin de se dout er que plus d’un si ècl e et demi plus tard, Dupi n, Lecoq
et Holmes seront l es archét ypes du personnage polici er les plu s
connus au monde. Du statut « personnage », les trois détect ives sont
passés à celui de « personnes », parce qu’ils ont su exister en dehors
d’une intri gue, d’un lieu et d’un tem ps fixés par leur créat eur . Ainsi,
avant d’être héroïques, ces personnages sont d’abord humains, et
c’est dans cett e humanité qu’il faut rechercher les secrets
qui les
hantent. Qui sont -i ls donc ? Qu’est -ce qui les caract éri se et l es
parti cularise ? Pourquoi et comment sont -ils inventés ?
rapports entretiennent -ils entre eux?
Quels
C’est ce que l’on tentera
d’élucider dans l es chapitres qui vont sui vre.
98
Régis Messac, Le « Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, éd. Encrage, collection
« Travaux », Paris, 2011, p. 481.
120
Deuxième partie
Le portrait comme système de
signification
Deuxième part ie
V
incent Jouve montre 99 que le personnage ap parti ent à
l’univers fi ctionnel ; en revanche, il « se donne à l i re
com m e un aut re vivant ». Pour le lecteur, que nous sommes, il
devient, au fil de l a lecture, une personne réell e, se caractéri sant par
des qualités ph ysiques et morales, et j ouissant d’un st atut social. Et
c'est ce qui fait tout e l’ambi guït é du personnage. Comm ent l ’écrivain
réussit -il à pr êter sentiments, réfl exion, intelli gence ou i diotie à un
« être de papier » ?
Les
héros -dét ectives
sont,
pour
le
l ect eur,
plus
que
des
personnes, ils refl èt ent son espoi r et ses certitudes, ils évoluent dans
un
monde
qu’il
ne
connaît ra
certainement
j amais.
Ainsi,
ils
appartiennent à la fois au monde de la fi ction et à l’univers du
lect eur, et voilà peut -être pourquoi l e phénomène héros dépass e
l’effet -auteur. Tout au long de notre anal yse, nous examinerons donc
comment Poe, Gaboriau et Do yl e procèdent à l a qualifi cation de l eurs
héros,
afin
de
mesurer
l’ « effet
personnage »
sur
nous,
et
comprendre comm ent Dupin, Lecoq et Holmes, à t ravers l eurs traits
ph ysiques, moraux, i ntellectuels, et c., peuvent nous marquer.
Les catégori es de la sémiologie du personnag e, particuli èrement
cell es définies par P. Hamon, vont nous servi r de points de repère
pour notre ét ude comparative. Les dét ectives seront ai nsi anal ys és
selon l eur , id entité, biographi e, portrai t ph ysique, comport ement et
attitudes m ental es, et selon ce q ue ces élém ents s ymbolisent et
manifestent comm e valeurs.
99
Dans L'effet-personnage dans le roman, Paris, Presses Universitaires de France, 1992,
122
Chapitre I
Des portraits physiques
parlants
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
I- Du détail identitaire et biographique du héros -détective
1. Détail identi taire :
Pour fai re exister l e personnage, l’écri vain comm ence par lui
attribuer une identit é ( nom, p rénom , nationalité…) qui constitue ce
que Philippe Hamon appelle « l’étiquette ». C elle -ci semble revêtir
une tell e importance qu’elle est susceptible d’ent rer en texte en
premi er, avant t out e description. L’i dentité n’est pas seul ement un
moyen comm ode de repérage et une marque d’unité qui ratt ache une
séri e d’inform ations dispersées à un ancrage unique, mais encore un
moyen
d’imiter
la
réalité.
En
effet ,
dans
son
fonctionnement
mimétique, le nom par exemple paraît vrai, il sonne juste et, par lui,
la fiction se rend crédible. La rhétorique appel ait le nom « t opique de
la personne », dans la mesure où il rel ève des t raits permanents qui
définissent le personnag e de mani ère plus spéci fique : « L’ êt re du
personnage
dépend
d’ abord
du
nom
propre
qui ,
suggérant
une
i ndi vi dual i té, est l’ un des i nst rum ent s l es pl u s ef f i caces de l’ ef f et de
réel » 100.
L’identité est une composant e él émentaire du personnage, cett e
marque st abl e est l a manière la plus simple de l ’individualiser, de lui
donner un si gnal ement, qui le sing ulari se. Chacun des trois auteurs, a
apporté beaucoup de soin au choix de l’identité de son détective.
Cela nous fait penser que ce choix :
[ …] n’ est pas l e f ai t du hasard, i l pui se sa
si gnif icat i on dans le dessei n qu’ on l ui assi gne. Il
com m uni que
ai ns i
à
l ’ i ndi vi du
qui
le
port e
la
sym bol i que et l a valeur de l a personne réf érence ; il
100
Jouve Vincent, La poétique du roman, SEDES/HER, Collection «Campus Lettres », Paris, 1999, p.
57.
124
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
l ’ i nscri t dans l ’ univers des vi vant s, et en même
t em ps qu’ i l donne pri se sur l ’ i ndi vi du qui devi ent
al ors l ocali sabl e et soci al ement i dentif i abl e. 101
Les actions des personn ages nous si gnal ent leur caractère et les
incidents les plus fortuits nous offr ent des dét ails concernant l eur
personnalit é, car leur comportem ent est i nterp rét é comm e un refl et de
leur ps ychologi e . Or, les dét ails identit aires, peuvent aussi être un
moyen efficace qui détermine et caractérise un personnage, un mo yen
souvent assez subtil et insaisissabl e pui squ’il n’est pas fondé sur un
rapport
de
causal ité,
mais
sur
un
rapport
métaphorique
ou
méton ymique. Ainsi l’étiquette en dit l ong, elle n’est pas muett e et
ce qui nous i ntéresse i c i c’est just em ent ce qu’ell e révèle et la
manière dont elle l e fait.
101
Abomo-Maurin, Marie-Rose, « La recherche de la terre : une lecture du Fils de la tribu », in
Tcheuyap, Alexie (sous la direction de), Paris, L’Harmattan, Collection « Critiques littéraires »,
2007, pp.263-277.
125
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
1.1.
Le DUPIN d e Poe : un Dupont de tous ?
Qu’est-ce qui a amené Edgar Poe à attribuer une nationalit é et
un nom français à son héros et à le fai re év oluer en France ? Nous
pouvons penser que l’attrait qu’offrait Paris pour l’Américain de
1840, ét ait suscit é en grande partie par le fait que c’était la plus
presti gi euse m étropole int ellectuell e du monde. Cett e capit ale aurait
exercé sur Poe une fascinati on tot ale. F aire naître DUP IN en France,
c’est donc lui att ribuer cert aines qualit és en vogue à l’ époque tel que
le raisonnement ; une réput ation dont jouissait les Français auprès
des Anglophones, et cela depuis Descart es. Francis Lacas si n nous dit
qu’il
était
naturel
que
DUP IN
ait
été
français,
parce
que
raisonneur 102.
Mais ne serait -ce pas injuste de limiter le choix de son héros à
cett e seule considération et dire que DUP IN n’est qu’un Dupont, nom
générique d’un français l ambda.
En t out cas, l e choix de DUP IN a
fait coul er beaucoup d’encre. Voici quel ques réfl exi ons qui ont tenté
d’éclai rer les motivations d’un tel choix :
Certains auteurs affi rment qu’Edgar Al lan Poe se serait
inspiré de Charles Dupin appelé aussi le Baron Dupin, mathématicien
franç ais connu et ministre de la Mari ne en 1833 , ét ant d onné les
penchants de Poe pour l es m athém atiques dans lesquell es il s’était
fort distingué d’ail leurs. On a égalem ent pensé au frère aîné de
Charl es, André -Marie Dupin, qui fut procureur général à la même
époque. Les deux frères se sont fait aussi une réputation littérai re.
On s’explique facil ement que Poe, qui n’ a jamais visité la France, ait
eu, en tant que journaliste, des sources d’information précises.
102
Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p.60.
126
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Pour am ener son héros à prendre corps, Edgar Poe a puisé
généreusem ent dans ses lectures d’aut eurs français t els que Voltaire
qui a nanti Zadi g des “germ es du rai sonnem ent”. En effet, Poe
témoi gne de sa connaissance de Zadi g en le citant dans sa nouvell e
Hop-Frog 103. Point de doute donc que Dupin a it trouvé chez Zadig
une part de sa personnalit é et l’élém ent primitif du raisonnement
anal ytique. Poe était égal ement un l ect eur attenti f de Vi docq dont les
Mémoires ont été traduits en angl ais, l ’année m ême de leur parution
en France. Mêm e si l’enquêt eur “dil ettante, esthèt e et raisonneur” de
Poe ne doit pas son nom au fondat eur de l a poli ce de Sûreté ; il lui
ressemble à s’ y m éprendre.
Poe aurait ét é inspi ré aussi par Campanell a, ce m oine
italien enferm é pendant la moitié de sa vie dans les cachots de
l’inquisition 104 et, qui utilisait ses loisirs en prison à des pratiques
fort instructives comme le fait de s’exercer à lire dans l a pensée de
ses visiteurs, tout comme le fait DUP IN avec ses int erlocuteurs pour
déduire la pensée d’après l ’expression du visage. C’était, nous dit
Lacassin, la pratique d’une ancienne science : l a “ph ysiognomonie”
(déduire la pensée d’après l ’expression du visage), elle a fait l’objet
au XV III e si ècl e d’un énorm e trait é du pasteur suisse Lavater 105 dont
Edgar Poe sembl e avoir connu l es écrits, du moins en traducti on.
103
« Il aurait préféré le Gargantua de Rabelais au Zadig de Voltaire » : Edgar Allan Poe, Nouvelles
Histoires Extraordinaires, Teddington : The Echo Library, 2008, P.3.
104
Il se réfugie en 1634, en France où il finit sa vie.
105
Johann Kaspar Lavater ou Gaspard (1741- 1801) fut un célèbre physiognomoniste du XVIIIème
siècle. Il fut le premier à véritablement élaborer un système de signes morphologiques qui
permettait de connaître le caractère d'un individu en étudiant et observant les traits de son visage.
Sa théorie visait à démontrer que chaque élément d'un visage (les yeux, le nez, la bouche, les
oreilles) avait en propre une signification psychologique ce qui permettait d'en déduire le
tempérament d'un sujet donné.
127
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Outre cela, Dupin fait lui -m ême all usion à l’influence de
Laplace et de son Essai philosophique sur les probabilités l orsqu’il
décl are :
En général , l es coïnci dences sont de grosses
pi erres d’ achoppem ent dans l a ro ut e de ces pauvres
penseurs m al éduqués qui ne savent pas l e prem i er
m ot de l a t héori e des probabi l i t és, t héorie à l aquel l e
l e savoi r hum ai n doi t ses pl us gl ori euses conquêt es
et ses pl us bell es découvert es. 106
Avec tant d’influences sur le personnage de Poe : Zadi g, Vidocq,
Campanella,
Lavat er,
Lapl ace…,
et
presque
tou tes
d’ori gi ne
française, fau t-il s’étonner si l’aut eur a choisi son héros français ?
1.2.
Le cocorico d e LECOQ
Pour Gabori au, la carrière du dét ect ive s’é tait ouvert e avec
Tabaret,
surnomm é
« Tirau clair »
d’une
phrase
qui
l ui
était
familière : « Il faut que cel a se ti r e au clair. ». Tabaret es t u n retrait é
tandis que Lecoq es t un agent de la Sûreté depuis environ trois ans .
Les deux personnages sont à tous point s de vue di fférents. Lorsque
Tabaret intervi ent dans L’Affaire Lerouge , c’est à l a demande de
Lecoq qui admire ce dét ective am at eur, et voi t en lui une fi gure de
grand ancêtre qu’il viendra au besoin consulter et dont il ne citera le
nom qu’avec grand respect.
Tabaret a pu voi r, dans Lecoq, un homm e qui a, tout comme lui,
la passion de la chasse aux criminels et dont les qualit és feront un
limier de tout prem ier ordre. Il l e considère comme un fi ls en l e
protégeant et le conseillant. Pour Lecoq, Tabaret occupait la position
106
Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.80.
128
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
de maît re, il s’insp irait de ses t echniques de déduction et de collect es
d’indices.
Mais n’est -il pas opportun de se dem ander d’où est venue à
Gaboriau l ’idée de nommer l e princi pal héros de ses enquêtes
policières LECOQ? Pourrait -on penser au Coq gaulois, em blème et
s ymbole identitai re de la France depuis des siècles ? Nous p arlons
donc d’un rapport crat yliste 107 qui nous ferait croire que Gabori au
avait joué du si gni fiant du mot pour établi r une relation entre la
sonorit é du nom et le caractère de son enquêteur, comm e l ’ont fa it
nombre de rom anciers réalist es et naturalistes au XIX e si ècl e.
Cependant, il serait fort douteux qu’avec tout son t alent,
Gaboriau
se soit content é de cett e facilit é qui, à notre avis, frise la mièvreri e.
Le nom de LECOQ ne sera, d’ailleurs, j amais sui vi d’un prénom.
R. Bonniot 108 s’est posé cette mêm e questi on quant à l’ori gine du
nom. Il a tenté d’ y répondre en émett ant les h ypot hèses suivantes:
Que Gabori au l’avai t peut -être emprunté à P. Féval, 109 qui avait
nommé ainsi son pol icier des Habits noirs .
Qu’il l’aurait gardé comme souveni r du temps de son séj our
breton, du fait qu’il était t rès répandu dans cette régi on.
Qu’il aurait connu ce nom au cours de ses lectures en songeant
à ses premiers ouvrages, dont les suj et s se rapport ent au XVIIe
siècl e. C ette dernière h ypothèse , avec la premi ère, pourrait suscit er
107
Le cratylisme est une théorie naturaliste du langage selon laquelle les noms ont un lien direct
avec leur signification.
108
Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J.Vrin, Paris, 1985, p. 411.
109
Gaboriau avait occupé le poste de secrétaire particulier de l’écrivain Paul Féval, feuilletoniste très
populaire de son temps.
129
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
l’adhésion. En effet, il se peut que Lecoq soit le nom d’un des agents
les plus habiles de La Re ynie, chef de l a police parisi enne sous Louis
XIV.
En tout cas, l ’euphonie avec l e nom de Vidocq est r évélatri ce, il
devait pl aire à Gaboriau par sa sonori té et comme s ymbole de la
force et du courage que possédait ce personnage. Aux yeux de ses
les dimensions du m ythe, c’était
contem porains, Vidocq présentait
une fi gure de légende à t el point qu'on pourr ait croi re à un
personnage fi ctif. C ’est pourquoi, son i nfluence sur le personnage de
Gaboriau ne s’était pas limitée qu’à une rime entre les deux noms,
plus encore, Lecoq était, tout comme Vidocq, un ancien repris de
justice réconcilié avec l es lois 110 .
1.3.
SHERLOCK ou “Cher Lecoq”
La gestation du détective d’Arthur Conan Do yl e a ét é assez
labori euse mais a fini par la naissance du nom de SHER LOCK
HOLMES :
«Je
choi si s, racont e
H ol m es, pui s Sherl ock H ol m es »
111
Conan
Doyl e,
She rri nf ord
.
D’après di fférentes recherch es, «S HER LOCK » et «HOLMES »
pourrai ent parveni r de deux sources distinctes: Do yle avait été
influencé d’abord, par le
célèbre juriste et médecin américain,
Oliver Wendell Holmes. Wendell Hol mes était aussi un écrivain,
essa yi ste et poète. Ensuite, par
M. Sherwi n et M. Shackl ock, deux
cél èbres joueurs de cricket qui avai ent
suscité l 'ém erveillement
et l 'admirati on de l 'écrivain , lui-m ême un passi onné de ce sport ;
110
Cité dans L’Affaire Lerouge.
111
Cité par Jean Bourdier, Histoire du roman policier, Paris, De Fallois, 1996, p.63.
130
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
d’où une s ynthèse des deux noms qui aurait donné naissance à
Sherlock.
Le nom pourrait être au ssi celui d’Al fred Sherlock, un violoniste
de premier pl an de l'Anglet erre cont emporaine (au cours de ses
avent ures et à ses m oments d’intense réflexion, le dét ective j ouait du
violon).
Une autre supposition , celle d’un groupe de chercheurs dont fait
parti e Christopher Morle y 112, est que le nom de SHER LOC K ferait
allusion
à
Sherlock
William
(1641 -1707)
qui
ét ait
un angl ais
diri geant de l'Église, ou à son fils, Sherlock Thom as (1678-1761),
qui avait servi l’Égl ise d’Angl eterre , évêque pendant 33 ans. Il était
égal ement not é dans l'histoi re de l'Église comme un fact eur i mportant
de l’apologétique chrétienne.
Une derni ère h ypot hèse, que nous trouvons amusant e à notre
avis mais dépourvue d’intérêt , est
que Sherlock vi endrait d'une
déformation de « cher Lecoq », une hypothèse qui n’a pu être
prouvée ni argum entée. Si cela s’avérait juste, Conan Do yle aurait
fait ce cli n d’œil à Gaboriau pour expri mer son admiration ; n’a -t-il
pas not é dans ses Mémories and Adventures :
Gabori au m ’ avai t sédui t par l ’ él égante f açon
dont i l agençai t l es pi èces de ses i nt rigues, et l e
m agi st ral dét ect i ve de P oe, M. Dupi n, avai t ét é,
depui s m on enf ance, un de m es héros f avori s.
113
112
Christopher Morley (1890-1957) : journaliste, romancier, essayiste et poète américain.
113
“Gaboriau had rather attracted me by the neat dovetailing of his plots, and Poe’s masterful
detective, M. Dupin, had from boyhood been one of my heroes.”, A. Conan Doyle, Memories
and Adventures, London,1924, p. 74 ; citation d’après A. E. MURCH, The Development of the
Detective Novel, London, 1968, p. 16.
131
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Notons enfin que Gaboriau n’est pas le seul à avoi r conquis
Do yle; Edgar P oe n’en est pas moins admiré , et pourt ant rien ne
montre qu’il s’en est inspiré pour l e nom de son héros afin de lui
rendre ainsi hommage.
Si tous les personn ages cit és ci-dessus pouvaient constit uer l a
source du nom et prénom que Do yl e avait attribué à son détective,
qui donc lui avait servi de modèle pour lui forger une personnalité
correspondant
à
l’appellation
S HER LOCK
HOLMES?
Les
spéci alistes en littérature s’accordent à dire que la principal e source
d'inspiration pour le personnage de Sherlock Holmes était son
professeur en médecine , le Dr Joseph Bell 114, professeur de chi rurgi e
clinique à l 'Universi té d'Edimbourg. Médecin distingué et éducat eur,
Bell a été chi rurgi en personnel de la reine Vi ctori a chaque fois
qu'ell e séjournait en Ecosse ainsi que chirurgi en honoraire d’Edouard
VII. Bell est l’auteur de plusi eurs ouvrages médi caux ainsi que de
nombreux articl es, et fut pendant vingt -trois années rédacteur de
l'Edinburgh Medi cal Journal . Il est l ’aut eur d'une Méthode déducti ve
qui servi ra ampl em ent le héros de Doyl e dans ses invest igati ons.
Doté d'un fabul eux sens de l'observation, Bell pouvait rel ever des
inform ations import antes à partir des détails l es pl us minces , ce qui
l'aidait à mi eux connaître les pat hologi es de ses patients, et aussi à
se
livrer
à
diverses
enquêt es.
D’ailleurs,
Scotland
Yard
fit
réguli èrement appel à lui et Bell parti cipa à la résol ution de plusieurs
affaires criminelles.
114
Francis Lacassin écrit, dans Mythologie du roman policier Tome(I). P.109 : « Le recueil Aventures de
Sherlock Holmes lui est dédié. Les dédicaces de Conan Doyle ne figurent jamais dans les
éditions françaises de ses œuvres. On se demande quel motif a pu inspirer aux traducteurs ou
éditeurs un tel manque de courtoisie ».
132
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
SHER LOCK HOLMES paraît avoir emprunté beaucoup à la
personne du Dr. Bell ; en cel a, ce dernier devi ent une source
d’inspiration probante. A so n professeur, Do yl e finit bien par
reconnaître :
Mon cher B el l , C‘ est t rès cert ai nem ent à vous
que j e doi s Sherl ock H ol m es, et m êm e si dans m es
hi st oi res j ’ ai l ’ avant age de pouvoir le pl acer dans
t out e sort e de sit uat ions dram at i ques, j e ne croi s pas
que son t ravail d‘ anal yse exagère en quoi que ce soi t
cert ai ns ef f et s que je vous ai vu produi re dans l e
servi ce des pat i ent s de j our. Aut our d u cent re de
déduct i on, de rai sonnem ent et d ’ observat i on que j e
vous ai ent endu i ncul quer, j ‘ ai t ent é de const rui re
un hom m e qui pouss e l a m ét hode aussi loi n qu‘ el l e
peut al l er - pl us l oin à l ’ occasi on - et je sui s f ort
heureux q ue l e résul t at vous sat i sf asse, vous qui
seri ez en droi t d ’ êt re m on cri t i que l e pl us sévère . 115
Ce à quoi le Doct eur Bell avait répondu en écriva nt à Doyl e :
« vous êt es vous - mêm e Sherl ock H ol mes et vous l e savez bi en ».
D’aucuns seraient tentés de croire à un hommage ou à une expressi on
de gratitude du Dr. Bell .
D’après cette l ettre, Conan Do yle est très explicite et t rès précis
quant au caract ère et à la personnalité de son héros ; HOLMES
semble emprunter d’innombrabl es car actéristiques impressi onnant es
115
"It is most certainly to you that I owe Sherlock Holmes, and though in the stories I have the
advantage of being able to place [the detective] in all sorts of dramatic positions, I do not think
that his analytical work is in the least an exaggeration of some effects which I have seen you
produce in the out-patient ward. Round the centre of deduction and inference and observation
which I heard you inculcate I have tried to build up a man who pushed the things as far as it
would go - further occasionally - and I am so glad that the result has satisfied you, who are the
critic with the most right to be severe." .A.C. Doyle, The new annotated Sherlock Holmes. Ed.
Klinger Leslie. S, New York: W.W. Norton & Co.; 2005. p. xxiii-xxiv.
133
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
t elles ses capacités d’observation et de déducti on.
au Dr. Bell
Cependant, Do yle voudrait bien faire comprendre à ses lecteurs, qu’il
s’agissait juste d’une source d’inspi rat ion et non d’une copi e d’un
être réel. Comme tous les aut eurs d’ailleurs, l ’écrivain voudrait qu e
sa créativit é, son innovation et, surtout son ori ginali té soient
reconnues.
Si Dupin et Lecoq étaient Français, de solides att ac hes reli aient
Sherlock Holmes à la France. Le dét ecti ve ne l e dit -il pas à Watson,
son inévit able compagnon ? : « [ ...] m a grand - m ère […] ét ait l a sœur
de Vernet , l e pei nt re f rançai s. Dans
l e sang, l ’ art est suscept i bl e de
prendre l es f orm es les pl us ét ra nges » 116. Même si Sherlock Holmes
réunissait en lui un pur produit de l a bourgeoisie victorienne, et un
archét ype
du
gentl eman
brit annique,
ses
ori gines
part iellement
françaises sont attestées par les holm ésiens les plus séri eux. « Le
sang qui coul e dans l e s vei nes du dét ect i ve est donc, en part i e, f rançais
».
117
Ajoutons que, Hol mes avait refusé l e titre de chevalier en
Anglet erre :
Je m e souvi ens t rès bi en de l a dat e, car au cours
du m êm e m oi s H olmes ref usa un ti t re de cheval ier
pour avoi r rendu de s servi ce s qui seront peut - êt re
un j our racont és 118.
En
revanche,
il
avait
accepté
la
Légion
d’honneur
en
France : « e xpl oi t qui val ut à H olm es une l ett re de remerci ement
m anuscri t e
du
prési dent
f rançai s
et
la
m édai ll e
de
la
Légi on
116
A.C. Doyle, Volume2. L’interprète grec (The Greek Interpreter), p.157.
117
Thierry Saint-Joanis, Société Sherlock Holmes de France, http://www.sshf.com/articles.php?id=9,
consulté le 20 mars 2011.
118
A.C. Doyle, Volume3. Les trois Garrideb (The Three Garridebs), p. 807.
134
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
d’ honneur » 119 ; cela a poussé Thi err y S aint -Joanis 120 à
question
poser une
non dénuée d’esprit pol émique : « U n Angl ai s aurai t - il pu
f ai re un t el choi x ? Nous vous l ai ssons j uges » 121, il continue en
affi rmant une opini on générale de l a sociét é Sherlock Holmes de
France :
P our l a Soci ét é Sherl ock H olm es de F rance, i l
n' y a pas l ' om bre d' un dout e depui s l ongt em ps.
Sherl ock H olm es étai t un dét ect i ve f ranco - angl ai s
( et
non
f rançai s)
si m pl em ent
angl ai s,
ni
mêm e
angl o -
122
C’est pourquoi, comme cela fut évoqué précédemment, nous
rev enons au ra yonnement dont jouissai t la France en Europe dans
plusieurs domai nes, l’influence artistique et littérai re ent re aut res.
Rappelons-nous le poids, le presti ge et surtout l’influence véhiculés
par les expressions : « pensée française », « culture française »,
« ra yonnement français » et de leur i mpact sur les bell es lettres
universell es.
119
A.C. Doyle, Volume2. Le pince-nez en or (The Golden Pince-Nez), p.997.
120
Journaliste et président fondateur de la Société Sherlock Holmes de France.
121
http://www.sshf.com/articles.php?id=9
122
Ibid.
135
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
P
our surdéterminer l’effet sémantique des noms de leurs
personnages, Poe, Gabori au et Do yl e les ont dotés de noms
qui font penser à des personnages réels - quel que fois ficti fs cél èbres, de sorte que le l ect eur va int erprét er l e personnage à l a
lumière du savoi r préétabli que recèle son nom. Ce t ype de nom
témoi gne d’un cert ain envahi ssem ent des t extes de fi ction par
l’univers réel. L’uni vers de la fiction devient ainsi un univers mixte
qui allie él éments fi ctifs et réels en accordant droit de cité aux objets
réels.
Le dét ail identitai re constitue donc, chez les trois auteurs, un
procédé littéraire de caract érisation qui joue un rôle capit al dans la
création de l’illusion référentiell e et la const ructi on de l’effet d e
réalité. C ependant, aucun de nos aut eurs ne se livre à ce travail
attenti f et minutieux sur le choix des noms des personnages dont P.
Hamon fait, a just e titre, une des caract éristiques maj eures du roman
au X IX e siècle 123 . Cit ons l’exemple de La Lettre Volée , où Dupin est
le seul personnage qui ait un nom, les autres n’ont droit tout au plus
qu’à des initial es : l e préfet est M. G. ; l e ministre est M . D . Dans ce
sens, Poe ne s’int éresse pas aux individus, mais seul ement aux
rapports logi ques qui les unissent.
Le détail identit aire constitue certes un élém ent de cohérence
narrative et de source d’inform ation. Il peut aider à caract ériser l e
personnage, mais il fonctionne égalem ent comme une porte ouvert e
vers une autre dim ension, vers
l’uni vers extratextuel. C’est une
manière d’int égrer l a réalit é dans l a fiction, comm e de situer l ’êt re
fictionnel par rapport au monde réel. Élément indispensabl e pour la
lisibilité et l a cohérence du t exte, l’identité constitue au ssi une
important e mine d’inform ations sur l es différents aspects du récit.
123
Philippe Hamon, Le Personnel du roman, Librairie Droz, Genève, 1998, p. 108.
136
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Poe, Gaboriau et Doyl e n’ont pas inventé les identités de leurs
héros, ces derni ers comme êt res fi ctifs ne sont guère déconnect és des
êtres de chair. Les expériences personnelles des trois écri vains leur
ont bien fourni leur matière . Il reste à noter que l’univers intéri eur
de nos aut eurs inclut leurs lect ures voire tout un patrimoine
littérai re, il s’agit d’ une int ert extualité dont le poids est considérable
chez ces hommes connus pour êt re très cultivés.
137
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
2.
Biographies entre fiction et réalité.
Le nom reste cert es la marque et le si gnal privilégié d’un effet
de réel du personnage, mais : « l e n om [...] ne p ermet pas de
total ement
individuer
les
pers on nages
dans
l’univ ers
du
roman» 124, il n’est pas le seul él ément à pol ariser l’attention du
lect eur ; ce derni er semble fai re une connaissance plus intim e av ec le
personnage, quand il découv re sa biographie.
L’écrivain du XIXe siècl e n’éprouvait pas de diffi cult és à parl er
ouvertem ent de la vi e de son personnage, car son passé, son histoire,
sont des él éments capitaux dans l a voi e de sa particularisation. Le
personnage, mi roir de l’indivi du, entre en cont act avec sa propre
identité par l ’intermédiai re du souvenir des actions e t pensées
passées. S ans m émoire, l e personnage romanesque n’aurait en effet
pas l a moindre notion de cause, ni par conséquent de cett e chaîne de
causes et d’effets qui constitue l’action romanesque mêm e.
Le temps et l’espace sont des composantes essentiell es. Les
idées par exemple deviennent ordinaires et banales, quand on les
détache du cadre spatio-t emporel , ell es ne sont par conséquent
pertinent es et intéressantes que si elles sont replacées dans ce m ême
cadre. De la mêm e manière, l es personnages du rom a n ne peuvent
être individualisés que si on les place dans un arrière -fond d’espace
et de temps précis.
Qu’en est-il donc
de nos trois écrivains ? Misent -ils sur le
détail biographique très répandu au X IX e siècle, ou font -ils exception
à la règle générale ?
124
Erman, Michel, Poétique du personnage de roman, Paris, Ellipses, Collection «thèmes & études »,
2006, p. 50.
138
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
2.1. La cheval eri e d e Dupin
La biographie du personnage de Dupin se limite dans le récit à
une poi gnée de dét a ils : d’abord, ses m anières aristocratiques ; c’est
un « j eune gent l em an », puis, sa t raj ect oire soc ial e ; il appartient à
une
« excel l ent e
mais
f a m i ll e »
« par
une
séri e
d’ événem ent s
m al encont reux, i l se t rouva rédui t à une t el l e pauvret é… »
sa
position culturel le ;
le
narrateur
était
« f ort
125
, ensuite,
ét onné
de
la
prodi gi euse ét endue » des lectures de son ami , et enfin sa position
économique , le narrat eur révèle que
grâce à la courtoisie des
créanciers de Dupin, ce dernier :
[ …] rest a en possessi on d’ un peti t reliquat de
son pat ri m oi ne, et , sur l a rent e qu’ il en t i rai t , il
t rouva m oyen, par une économ i e ri goureuse, de
subveni r aux nécessi t és de l a vi e, sans s’ i nqui ét er
aut rem ent des superfl ui t és 126
Ces él éments bi ographiques sur le personnage de Dupin, ce
noble décl assé, pourraient être fort ement inspirés par la vraie
biographie
de
l’auteur,
qui
avait ,
l ui -mêm e,
vécu
comme
un
bourgeois désarge nté. C ette biographie fi ctive semble en effet
accorder au scripteur la chance d’exister pleinem ent au sein même du
texte. Il s’agit d’une intersection créée entre le dedans et le dehors
du texte, ent re l’i ntra - et l’extra -textuel, voilà ce qui rend l e
script eur personnage de sa propre fi ction,
125
Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p.42.
126
Ibid., p.44.
comme l e souli gne
139
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
U.Eisenzwei g : « C e n’ est que grâce au m asque ( du personnage) que
peut êt re t enue l a plum e ( de l ’ auteur) » 127.
Dupin appartien t à l’arist ocrati e française et à une famille
excellent e, d’où ses qualit és de gentlem an. Il cum ulerait l es attributs
positifs de noblesse d’âme et de rang , de lo yaut é et de puret é qui
sont inconcili ables avec le crime et l’i mmoralit é, auxquell es not re
détective doit faire face. En souli gnant la cl asse soci ale, Poe sembl e
indiquer implicit ement, la capacité de son héros à accomplir sa tâche
de dét ective, qui est en parfait e adéquat ion avec son éducat ion. Les
ori gines familial es de Dupin lui ont permis d’ailleurs de t raiter en
égal l e préfet de pol ice et mêm e d’avoi r accès au dom icile particuli er
d’un minist re 128.
Poe aurait attri bué de l’import ance à la noblesse de rang et du
sang et aux qualités qu’elle comporte obligatoirement : un noble ne
naît pas m auvais, détail qui t émoi gne de la confi ance pl acée par de
nombreux auteurs du XIX e si ècl e dans les qualit és conférées au nobl e
par sa seul e naissance.
Dupin apparti en t à la noblesse également par son tit re de
chevalier, or vivant dans les années 1830 -1840, sous la monarchie de
juillet 129, il n’avait dégainé aucune épée à aucun moment ; c’est
pourquoi il nous a fallu revenir à la li ttérat ure du X III e si ècl e qui
explique que l e tit re de chevali er, ét ait celui que port ent l es cadets
127
U. Eisenzweig, Le Récit impossible. Forme et sens du roman policier, Mesnil-sur-l’Estrée, Editions
Bourgois, 1986, p. 43. C’est en référence à une célèbre collection de roman policier.
128
« […] je [Dupin] me présentai un beau matin, comme par hasard, à l’hôtel du ministre. Je
trouve D… chez lui ». Edgar Allan Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), Petits classiques. ,
Paris, 1999, p.128.
129
La monarchie de Juillet tire son nom de l'émeute qui se transforma en révolution, les 27, 28 et
29 juillet 1830 (les Trois Glorieuses), et dont le souverain fut Louis-Philippe Ier, qui fut renversé
par la révolution de février 1848.
140
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
d’une bonne famille. Ce qui conduit à dire que la nobl esse de Dupin
renvoie à cette curieuse nost al gie pour les époques révol ues, qui
vient pondérer l ’inscription de Poe dans son siècle. La chevalerie à
laquell e apparti ent ce dét ective serait d’une essence di fférent e et
nouvell e, ell e serait un code moral très strict qui donne au chevali er
des val eurs de référ ence : l’intelli gence, l a force ph ysique et
ps ychologique, le courage devant l e danger, le chevali er qui ne
recule pas, qui ne craint pas pour sa vie, qui doit aussi êt re lo yal.
Enfin, l e chevalier qui est capabl e de rester m aître de lui-m ême dans
le feu d e l 'action . Une chevalerie qui veut qu’on marque sa déférence
et sa consi dération à l’égard du héros d’Edgar Poe.
Mais puisque le s él éments biographiques constituent un apport
fondament al dans l a parti cularisation du personnage rom anesque,
comment se fa it-il qu’ils soient si peu nombreux chez le héros de
Poe? Nous en trouvons les raisons dans sa vision de l ’hom me. Il a
probablem ent voulu souli gner l 'import ance des facult és m entales de
son héros, et donc l aissé de côt é toute autre considération qui aurait
affaibli l a notion primai re de l 'intell igence de ce derni er. Nous
pouvons ainsi const ater chez Poe
un souci d’authenti cité qui est
opposé aux préoccupations d’exactitude de l’écrivain du X IX e si ècl e.
Pour éviter que son personnage soit conventionnel, il va lui chercher
une singul arit é et le peindre par un détail qui ne soit pas t ypi que
mais insolit e, c’est l e souci essenti el du réalisme de Poe.
Cette brièvet é des indications biographiques serait égal ement
expliquée par un refus du dét ail précis. Poe sembl e opt er pour la
description vague et imprécise du personnage qui permett rait de le
classer dans le flou auquel le lecteur t entera de rem édier par son
imagination pour fai re revi vre une personne réelle.
141
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
2.2. Lecoq le bourgeois
A l’inverse de l ’enquêt eur de Poe, on dispose d’abondants
détails biographiques sur Lecoq. Tout comme Dupin, il est le fils
d’une riche et honorabl e famille de Norm andie, a yant reçu une
excellent e éducation et une solide i nstruction. Il avait entrepris
l’étude du Droit à la Sorbonne quan d il apprit dans la mêm e semai ne
que son père venait de mouri r, rui né, et que sa m ère ne lui avait pas
survécu. Désormais, seul au monde et sans ressources , il dut
solliciter de nombreux emplois, il donna des leçons particulières en
anglais et en latin , il fut courtier d’annonces, démarcheur pour une
compagnie d’assurances, il all a à domicile proposer ses rossignol s de
librai rie et fut vendeur dans un magasi n de nouveaut és. Fi nalem ent,
il devint le secrétaire d’un célèbre astronome . Pour étonner son
patron et , surtout, face à une situation qui n'évoluait pas, songea aux
moyens de s’enri chir d’un coup, il lui soumit un pl an qui aurait
permis de rafler un demi -million sans m ême s’exposer à un soupçon ;
l’astronom e jugea peu prudent de garder auprès de lui un secrétaire si
ingéni eux,
il
le
congédia
en
lui
disant : « Quand
on
a
vos
dispositions et qu’on est pauvre, on devient un vol eur fameux ou
un illustre poli cier. Choisissez. » 130. Réflexion fait e, l e secrétaire
décida de suivre la seconde voie.
Encore une b iographie d’où émane
le respect des valeurs
bourgeoises ; l a voi e choisie par Lecoq, cell e du bi en et non du m al,
n’est que la prérogative de l’homme bi en né, mais aussi une voie qui
l’aurait libéré de l ’hérit age douteux d’un Vido cq – comm e ancien
repris de justice-, en lui rendant un st atut professionnel respectabl e.
130
E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p.17.
142
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Toujours comme Dupin, Lecoq est un bourgeois déchu du point
de vue de sa situat ion matériell e et des aléas de la vi e ; le choix
délibéré par Gabori au de ce t ype de personnage est dû probablem ent
au fait que son dét ective doit être accepté par toutes l es couches
social es et suscit er sinon leur admi ration du moins leur adhésion à ce
qu’il ent rep rend comme actions. En outre, l a cl asse soci ale dont
Lecoq est issu, devrait l ’inciter à conform er ses actions et ses
missions
aux
valeurs
de
son
anci enne
classe,
cependa nt
son
décl assement l ’aidera en t ant que dét ective à s’insérer dans l es
milieux sociaux les plus divers. Gabori au aurait cherc hé à harmoniser
les valeurs d e la bourgeoisie avec cel les de l a profession de ses
policiers.
La biographi e de Lecoq semble égalem ent nourrie de celle de
Gaboriau lui -mêm e. Cette existence précaire qu’a mené e Lecoq avant
d’avoir trouvé sa voie, rappelle pour quelque temps l 'existence de
Gaboriau qui eut des débuts d i ffi ciles : « [ Il ] dem anda du pa i n à t ous
l es m ét iers qui sont l e l ot des décl assés. Méti ers i ngrat s ! … »
131
.
La
réalité de l ’aut eur qui a nourri la fiction de son personnage a
largement cont ribué à donner l’illusi on qu’il s’agit d’une vérit able
personne. U ne fois de plus, comm e nous l’avons déjà noté, il est
impossible
de
m et tre
entre
parenthèses
la
personnalit é
et
l es
expériences du créateur, ni d’i gnorer son univers int éri eur et sa
biographie consci ente et inconsci ent e, car c’est t out cel a qui va
défini r son ori ginali té.
131
E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 16.
143
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
2.3. Hol mes l ’aristocrate
Quant à Holm es, dont les parents ét aient d es petits propriét aires
de la cam pagne, il n’avait présent é à son fidèl e ami Watson qu’un
seul frère, son aîné de sept ans, prénom mé M ycroft et qui occupe une
place très import ant e au gouvernem ent. Holmes avait ét é encouragé
dans sa vocati on par le père de son ami Victor Trevor :
Je
ne
sai s
pas
c om m ent
vous
f ai tes
cel a,
m onsi eur H olm es, mai s j ’ ai l ’ im pressi on que t ous l es
dét ect i ves réel s ou i m agi nai res sont des enf ants
com parés à vous. C’ est l à vot re vocat i on
132
Descendant de petits propri étai res t erriens, Holmes est issu de la
petite aristocrati e campagnarde, mai s i l est égalem ent un citadin
t ypiquem ent londoni en, qui connaî t Londres comme sa poche et un
intellectuel qui représent e l a couc he studieuse et sci entifique. Êt re à
la fois c ampagnard et citadin int ellectuel est une contradi ction qui
trouve
son
explication
dans
l’Histoire
de
l’Angl et erre ,
le
dépeuplem ent des ca mpagnes au profit des villes, un exode rural
motivé p ar l’effondrement de l’agriculture angl aise à parti r de 1875.
Les nouveaux venus à des t âches qui cessent d’être purem ent
manuell es requièrent un minimum d’inst ruction , et ont bénéficié , dès
1870,
de l’inst ruction généralisée par la loi Forst er 133, qui avai t
organisé un ensei gnement prim aire à l ’échelle nati onal e permettant
une réduction im pressionnant e de l’anal phabétisme.
La place import ante qu’occupait M ycroft, le frère de Sherl ock,
serait un indi ce de l ’imprégnati on de l a conscience de cl asse dans la
132
A.C. Doyle, Volume 1, Le “Gloria-Scott” (The “Gloria Scott”), p.1055.
133
Cette loi jette les bases d’un système scolaire en généralisant l’enseignement primaire, elle a été
élaborée par William Edouard Forster, un politique et industrialiste britannique.
144
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
sociét é britannique où l’image d’une pyramide social e hi érarchisée
faisait naturell ement parti e de l ’éducation, dans l a famil le et à
l’école. Le somm et était ai nsi occupé par les représentants de
l’arist ocrati e ,
mêm e
la
petite.
Aj outons
à
cela,
le
fait
que
l’aut eur avait fait résider son héros , ainsi que son compagnon ,
à
Baker Street un quarti er huppé considéré comme vit rine de la
puissance économique et culturell e britannique.
La consci ence de classe émerge donc égal ement chez Conan
Do yle, mai s,
de manière implicit e seulem ent, car l’aut eur avait
certainement compris qu’un héros appart enant à une ari stocratie
titrée ou à une haute bourgeoisi e, serait loin de recuei llir une
considération unani me et sans nuances.
Ceci est d’aill eurs attest é
par le refus de Hol mes du titre de chevalier, dont nous avons fait
déjà mention plus haut. Nous pensons que Do yl e voul ait plutôt d’un
héros popul aire, pl aisant au plus grand nombre, sans verser dans l e
populisme.
Conan Do yl e s’inquiétait peu de
varier l es méthodes et le s
usages des bi ographies fi ctives, qui pouvai ent bien donner de
l’épaisseur à son personnage ; d’une part , on dirait que Do yle avait la
certitude que son détective allait atti rer le lecteur par ses facult és
mental es plutôt que par sa vi e et son passé, d’au tre part, rendre un
personnage m ystéri eux et énigm atique, donne souvent au lecteur
l’envi e de l e suivre et le poursuivre afin de mieux le connaît re et de
le com prendre.
145
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
L
a fonction première des biographies de s trois héros détectives sembl e bien l’établ issem ent d’un cl assement
social. Leurs biographi es sont émaill é es de dét ails sur le urs bonnes
ori gines. Ici, l a question de li gnée est prépondérant e et la démarche
biographique se veut généalogique. Le passé d’un personnage apporte
un éclai rage sur son co mportem ent et ses act es. Il dét ermine de façon
signi ficative le présent :
Le
port rai t
bi ographi que
[ ...] ,
en
f aisant
réf érence au passé, voi re à l’ hérédit é, perm et de
conf ort er
le
vraisem bl abl e
psychologi que
du
personnage ( en donnant l a cl é de son comport em ent )
et de préci ser l e regard que l e narrat eur port e sur
l ui . 134
Or, si l es trois aut eurs on t mis en scène des personnages de t ype
noble décl assé, bourgeois déchu et fils de campagnards, c’est qu’ils
voulai ent que leurs détectives puissent d’un côté jouir d’un certai n
presti ge avec lequel ils n’ont que des rel ations loint aines
et de
l’aut re, puissent puiser leur carac tère et comport ements dans l eur
classe de naissance. Ainsi, en donnant à leurs héros cette m obilité
social e, puisqu’ils passent d’un st atut à un aut re, nos troi s auteurs
ont
tout
mis en œuvre afi n de faciliter l’évolution
de leurs
personnages qui pourraient alors s’i nfiltrer dans les différents
milieux sociaux. Ils aurai ent aussi tout e latitude pour s’ouvrir sur de
nouvell es catégories socia l es,
entraînant un assouplissement des
règl es régissant l es héros cl assiques,
qui proscrivaient toute forme
de héros ordinaire ressemblant à t out le monde.
134
Jouve Vincent, La poétique du roman, SEDES/HER, Collection « CAMPUS Lettres », Paris, 1999,
p.59
146
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Si les trois héros avai ent continué à faire partie des hautes
classes de leur soci été, ils n’aurai ent pas pu profit er d’une grande
s ympathi e du publi c appartenant en cette moitié du X IX e si ècl e, à une
sociét é industri elle composée majoritai rement de prolét aires. Ils s e
seraient aussi heurt és au poids des préjugés et des frontières soci ales.
Les trois aut eurs, avaient annihil é l’écart soci al qui pouvait opposer
leurs héros à leurs l ect eurs, car ils n’avaient pas l e moindre dési r de
s’adresser à une élit e mais à un groupe plus large.
Dans cett e optique, les héros dont nous parlons ne sont plus ces
perso nnages nobles à tous poi nts de vue qui associent à la fois
noblesse de rang et noblesse moral e apparent e, ils ne sont pas si
parfaits qu’un héros épique ou cl assique. Ils ne se di stinguent pas
autant des personnes ordinaires, ils
nous ressemblent, et peuv ent
aussi êt re affli gés de tares et de défauts. Ces héros représentent plus
une réalité qu'un idéal. Ceci n’est pas dit explicitement, mais les
détails biographiques des personnages le laissent aisément penser.
En somme, nos écrivains réalisent, par le tr uchement d’une
biographie fi ctive de leurs héros, une expérimentation t extuelle d’une
certaine relation à leur monde réel et non d’une transcripti on fidèl e
de l eurs propres expériences. L’idéal de Poe, Gabori au et Do yl e
semble résider dans un réalisme qui part du réel pour mieux se
dével opper dans l ’i maginai re.
147
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
II-
L’apparence : un code descriptif
Les dét ails identitai res et biographiques ne sont pas les seul s
élém ents qui contribuent à l a particularisation des personnages. Ces
derni ers peuvent présent er de s traits physi ques qui l es définissent
mieux que leur nom et leur passé, et qui les mett ent en relation avec
leur position dans l ’univers rom anesque.
Le portrait ph ysique qui pourrait prendre l a form e d’une
description et d’une présent ation de l ’arrière -fond du personnage,
joue égalem ent un rôle dans son individuation. Tout d’abord , ce t ype
de port rait remplit une fonction de mise en reli ef du personnage : un
minimum de présence corporell e est sinon nécessaire du moins
pratique pour cam per les personnages. Il remplit égalem ent une
deuxième fonction anaphorique import ante. Enfin, il nous t ransm et,
sans cesse, des messages sur l’essence du personnage, il peut en effet
être sa mét aphore et l’expression de sa personnalit é.
L’apparence est en effet l’expression imagée de l a nat ure du
personnage : sous l es traits ph ysiques de ce derni er se révèle son
âme, son moi. C’est pourquoi, les changements de la ph ysionomie les
plus minimes peuvent être si gni ficatifs, indiquant une évolut ion de l a
personnalit é ou de l ’histoi re du personnage. P. Hamon confirme que
le port rait est un fo yer de regroupement et de consti tution du
« sens » du personnage 135.
Dans l e genre policier cl assique, qui se donne à lire selon les
règl es communes du réalism e et du vraisembl able et qui recherche
une organisation cohérente de son univers rom anesque, nous sommes
inévitabl em ent conduits à poser de nom breuses questions: Qu’en est 135
Philippe Hamon, Du Descriptif, Hachette, Paris, 1993, p. 105.
148
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
il de la composition du port rait ph ysi que chez Poe, Gaboriau et
Do yle ?
Lui
accordent -ils
une
pl ace
fondamental e
dans
leurs
récits poli ciers? Quel rôle assi gnent-il s au portrait ph ysique, et
quelle fonction rem plit -il ? Telles sont les questions auxquelles nous
voudrions apport er quelques él éments de réponse.
Les portraits ph ysiques de nos héros -détective seront donc objet
d’investi gation.
1.
Une apparence dissimul ée
Nous souli gnons le peu de réalit é ph ysique du héros de Poe.
L’œuvre poli cière poesque est t rès pauvre en ce dom aine et peu
soucieuse d’exhausti vité. C ontrai rem ent à Gaboriau et Do yle, Poe ne
livre aucun détail sur l’apparence ph ysi que de Dupin, il est presque
désincarné. Cet écri vain réduit à l’extrême la part accordée à ce t ype
de description, son enquêteur a tout juste « l a dose d’existence
nécessaire à la marche du récit ». Cett e négli gence va parfoi s jusqu’à
l’invraisembl ance.
De mêm e, l e confident de Dupin, le narrateur, n’est rien de plus
qu’une simple pai re d’oreilles ; sa personnalit é ainsi que son
apparence sont si imprécises qu’après l’avoi r vu fi gurer dans trois
récits
polici ers
di fférents,
nous
ne
saurons
jam ais
s’il
faut
l’identi fier avec Poe ou l’en distinguer.
Chez Poe, le Héros -dét ective sembl e vouloir se dérober aux
regards dans une obscurit é prot ect rice. Il est mis en scène dès le
début de l’avent ure Doubl e Assassinat dans la rue Morgue et nous
sommes invités à connaître son caract ère, mais son visage et s a
silhouett e sont invisibles et inconnus. De mêm e dans La Lett re Vol ée
et dans Le Myst ère De Mari e Roget, l es premiers cont act s direct s
149
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
avec Dupi n ont égal em ent li eu au début, et concernent ses habit udes,
sa conduit e, nous apprenons davant age sur ce personnage sans avoi r
encore connu l’homme. Le Double Assassinat comm ence par une
séri e de scènes nocturnes qui, là encore, camoufl ent le corps de
l’enquêt eur: « au p rem i er poi nt du j our nous [ nar r at eur et Dupi n]
f erm i ons t ous les l ourds vol et s de not re m asure » j usqu’ à ce que « la
pendul e nous avertî t du ret our de l a véri t abl e obscuri t é. Al ors, nous
nous échappi ons à t ravers l es rues » 136.
Est-ce une m anière subtile e t effi cace chez Poe de se distinguer
des écri vains d’aut res genres qui passent pour avoir l e mieux
enraciné leurs personnages dans l e réel ? Il se peut égal ement que
Poe ait voul u souli gner l 'import anc e du raisonnem ent et donc laiss er
de côt é toute aut re considération qui aurait affaibli la not ion primaire
de l'i ntelli gence de son détective. Ai nsi, dépourvu d’une ph ysionomie
vivant e, il se réduit à sa facult é d’anal yse, c’est un ordinateur avant
la lettre. F. Lacassin 137 trouve que Dupin n’est qu’une figure
mathém atique desti née à illustrer une dé monstration, et que c’est un
détective de chair, réduit à un cerveau.
Cette description succincte apport e cependant une dim ension
encore plus profonde. D’une part,
grâce à une réput ation qui
précède l e héros -détective avant mêm e que l 'enquêt e ne débute, le
lect eur sait à quoi i l doit s'attendre de ce personnage. D’autre part,
Poe veut avec son héros créer non seul ement un personnage vivant,
mais aussi un dét ective t ypique. Ne pas t rop parti cul ari ser son
enquêteur, c’est en effet le rendre plus universel , pl us ét ernel.
136
Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p.46.
137
Dans son ouvrage Mythologie du roman policier (I)
150
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Nous pouvons égal ement supposer que Poe, en estompant son
personnage
par
un
flou,
n’a
pas
voulu
l’enfermer
dans
des
descriptions fi nes qui limitent l’i maginaire du lect eur qui devra se
contenter d’une apparence nébuleuse :
En l ’ absence de préci si ons sur ces poi nt s, l e
l ect eur voi t des bl onds, des bruns, des yeux vert s….
P ourquoi l ui supprim er ce pl aisi r ? A cont enu égal ,
l e ci ném a est une boî t e ouvert e que l ’ on t end au
spect at eur, et l e roman une boî t e f erm ée qu’ on l i vre
au l ect eur. 138
2.
Une apparence styl isée
Quand l’apparence n’ est pas dissimul ée comm e cell e de Dupin,
elle apparaît st ylisée chez l e héros de Gaboriau. Ce derni er ne
négli ge pas tot alem ent de parl er de l’apparence ph ysique de son
détective,
mais
conventionnel.
il
Dans
se
content e
sa
d’un
représentation
portrait
limitée
ass ez
de
discret
et
l ’apparence
ph ysique de Monsi eur Lecoq, certaines récurrences se révèlent
toutefois si gnifi cati ves de sorte qu’on décèle l ’existence, chez
l’aut eur, d’un st éréot ype ph ysique relevant d’un idéa l personnel.
Dans l’Affai re Lerouge où Lecoq ne fait qu’ apparaître sur les
lieux du crime, nous n’avons de lui que cette descri ption des plus
sommaires : « un ga i l l ard habi l e dans son m ét i er, f i n com m e l ’ am bre
et j al oux de son chef » 139. C’est dans les ouvr ages suivants qu’i l est le
mieux décrit . Dans Monsieur Lecoq , c’est un garçon de vi ngt -cinq à
vingt -six ans, il a « l ’ œi l , qui sel on sa vol ont é, éti ncel ait ou s’ét ei gnai t
138
Réponse de Frédéric Fossaert, dans Le Roman Policier et ses personnages, Textes réunis et présentés
par Yves Reuter, PUV, Saint-Denis, 1989, p.190.
139
E. Gaboriau, L’Affaire Lerouge, p.8.
151
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
com m e l e f eu d’ un p hare à écl i pses, et l e nez, dont l es ai l es larges et
charnues
avai ent
une
surprenant e
m obi l i t é » 140.
Dans
Le
Crime
d’Orcival où Gabori au l’a présent é plus âgé, c’ est « un beau garçon
de t rent e - ci nq ans à l ’ œi l f i er, à l a l èvre f rém i ssant e » , « de
m agnif i ques cheveux noi rs boucl és f ai saient vi goureusem ent ressort ir
l a pâl eu r m at e de son t ei nt et l e f erm e dessi n de sa t êt e énergi que » 141.
La brièveté du portrait de ce héros -détective repose, nous semble -t -il,
sur le fait que l e rôle de ce personnage est suffisamment i mportant
pour qu’une descript ion ph ysique minuti euse soit utile.
Pourtant, le peu de traits sur lesquels Gaboriau insist e ont une
grande val eur si gnal étique. L’essentiel du port rait ph ysique de Lecoq
rest e focalisé su r le visage, siège conventionnel des effet s de
personne. Gabori au semble être un adepte de la ph ys iognomonie,
cett e
pseudo -sci ence
créée
par
Johan -C aspar
Lavater 142,
selon
laquell e on pense qu’il y a correspondance entre les t raits du visage
et le t empéram ent ou le caractère de chaque individu. La forme du
nez, celle des l èvres, la coul eur des cheveux pa r exemple, font sens.
Gaboriau s’int éresse donc avec une prédil ection parti culière au
visage de son héros, puisque l es informations int roduit es dans la
description de Lecoq se concentrent exclusivem ent aut our de ce
derni er.
Nous lisons dans l’œil « fier », qui selon la volonté de Lecoq
« ét i ncel ai t ou s’ étei gnai t com me l e f eu d’ un phare à écl i pses » ,
l’esprit
intelli gent ,
le
raisonnem ent
fulgurant,
la
réfl exion
surprenante et la m alice nécessaires à un fin limier. Nous y lisons
égal ement que Lecoq est un o bservat eur paradoxal qui rem arque tout,
140
E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p.26.
141
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.193.
142
Voir la note 105, p.127.
152
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
qui peut percevoir non pas simplem ent ce qui est, m ais m ême – et
surtout – ce qui est latent. C e qui lui perm et de rem arquer sur l a
scène du crim e des détails passés inaperçus aux yeux des autres
personnages.
Avec la lèvre « f rém i ssant e » et le nez « dont l es ai l es l arges et
charnues avai ent une surprenant e m obili t é », Gabori au invoque des
parti es du visage qui rappell ent conventionnell ement l’ani malité de
l’homme. C ette ani malisation du détective rappelle à son tour le
chasseur sur l a trace de sa proie et rejoi nt de la sorte l es fondements
même du récit poli cier, proche à l 'ori gi ne, des récits d'aventures où
les poursuites, les chasses et les pistages sont monnai e courante.
Lecoq se transform e donc en chi en, à qui l’a cuité visuell e et surtout
olfactive perm ettent de remont er une piste en déchiffrant des traces
qui sont aut ant de si gnes et doivent être lus comm e un langage.
L’odorat en éveil, Lecoq va donc senti r, flai rer, reni fler j usqu’à ce
que l e coupable soi t démasq ué ; ce que Gaboriau explique en ces
termes : « P eut - êt re est - ce chez l ui
[ Lecoq] si m pl e af f ai re d’i nst i nct ,
parei l à cel ui qui pousse l e chi en de chasse sur l a t race du gibi er » 143.
L’aut eur nous présente ai nsi un fin limi er qui va jusqu’au bout de son
élan.
Même la coul eur est en mesure d’indiquer des traits de
caractère. Ai nsi, la « pâl eur m ate » du teint peut , selon Lavater, être
signe d’un caractère tranquille , de l a sagesse, car un t em pérament
sanguin ne serait pas susceptible de pensées profonde s et de
réfl exions ful gurant es. Les « m agni f i ques cheveux noi rs »
sont une
marque d’élection qui nous fait soupçonner l a jeunesse du détective,
son courage et son i mpatience.
143
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.378.
153
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Évoquer enfi n la beauté ph ysi que du détective : « beau garçon de
t rent e ci nq ans », pourrait correspondre à une beauté m oral e. En
effet, accepter d’admettre les rapports de l a beaut é ph ysique et de la
beaut é morale, c’est véritablem ent
reconnaît re la puissance de
l’expression et l e charm e qui se développe sur un visage au moment
où, quelle que soit sa forme habituel le, il peint des sentiments
généreux. En tout cas, derri ère la description ph ysique, il y a,
toujours, une intenti on de l ’auteur.
En somme, par le bi ais de la description du visage de son héros,
Gaboriau veut nous présent er un dét ecti ve dont l’apparence ne trahit
pas
la
profession
et
reflèt e
sa
vraie
personnalité.
Il
sembl e
impossible que Lecoq soi t autre que ce que nous avons m ontré, c’est
dire à quel point la physi onomie est en rapport avec l’esprit.
Gaboriau n’a certes pas brossé un port rait ph ysique détaill é de son
héros -détective, mai s il a réussi à isol er les traits caractéristi ques qui
le distinguent.
3. Une apparence pop ulaire
La mise en t exte de Sherl ock Holm es est différent e de cell e de
Dupin et de Lecoq. En effet , en dotant son héros d’un nom, d’un
prénom et d’un portrait ph ysique détaillé, Arthur Conan Do yle
voulait graver l’aspect de son dét ective dans l’im agination du
lect eur, et lui l aisser une impression indélébile.
A son ent rée en scène, Holmes fait l’objet d’un port rait ph ysi que
sommaire, m ais il y a li eu de relever qu’il n’est pas un personnage
fait d’un bloc, il est const ruit au fil des aventures polici ères dont il
est le héros. Ainsi, lors de sa premi ère apparition, not re enquêt eur
fait l ’objet d’une représent ation approximative, compl étée par notre
imagination de lect eur. Son image initiale se précise au cours de la
154
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
lecture sel on les informations distill ées par les di fférents textes où il
apparaît , nous somm es donc am enés à compléter, voi re à modifier les
représent ations que nous avons en tête. L’apparence de Holmes
devient alors un compromis entre l es données obj ectives des t extes et
nos apports subjecti fs,
c e qui n’empêche en aucun cas d’avoir une
percepti on étroit em ent li ée à la caract érisation narr ative de notre
héros -détective. Il sera donc incontest able que l’im age de Sherlock
Holmes, à travers notre étude, naîtra, se const ruira et se développera
selon des modalités qui doivent peu au hasard. En tout ét at de cause,
il nous sembl e que les détails et él émen ts que nous avons pu glaner
ici et l à dans les récits polici ers do yliens offrent une si gni fi cation
certaine. C ar mêm e à l a fi n du X IX è m e et au début du XX è m e siècle,
après que la sci ence ph ysiognomoniste s’est avérée sans fondem ent
aucun, l es personnages n ’ont que rarem ent, du poi nt de vue l ittérai re,
des t raits fort uits.
Une attention plus part i culière et plus important e qu’à cell e de
Lecoq a ét é accordée à l’apparence ph ys ique de Sherlock Holmes. Le
détective brit annique s’impose sous une apparence presq ue i dentique
et révél atri ce d’un i déal d’homm e. L’écrivain avait ainsi joué sur l es
stéréot ypes popul aires ; haut e taill e et minceur qui traduisent la force
et l’agilité, l a quali té du re gard ; un sens inné de l’observa tion, la
finesse du nez aqui lin ; le fl air et l’autorité souveraine, l e menton
carré ; si gne de volonté et ténacit é. La valeur du port rait ph ysique de
Sherlock Holmes est entièrem ent s ym bol ique.
Tout comm e Gabori au, Do yl e est souci eux de camper son héros
moral ement
et
intellectuell ement,
d’un e
m ani ère
nett e,
d’où
l’attention portée aux différent es parti es du visage qui perm ettent au
lect eur l e moins averti de les décoder en termes ps ychologiques ou
moraux. Ainsi, l ’apparence s ymbolique de Holm es met d’emblée l e
155
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
lect eur sur l a voie de l a connai ssance du personnage, avant qu’il
n’ent re en action. Ses traits, qui se réduisent à quel ques si gnes plus
ou moins conventionnels et codés, font plus appel à l ’int elligence, à
l’image ment ale qu’à la visualisation.
Do yle à son tour va valori ser l’anim al ité jusqu’à la confondre
avec le meilleur de son héros. En effet, dans les récits policiers de
cet écrivain, le vocabulai re animali er est prégnant, l e dét ective est
métamorphosé en chien ou en reptil e. Holmes se t ransfi gure en
appel ant des qualit és sensoriell e s dont il n’est pas dépourvu :
Sherl ock H ol mes ét ai t t ransf orm é l orsqu’ i l ét ai t
l ancé sur une pi st e com m e cel l e - ci . Les hom m es qui
n’ ont connu que l e penseur et l e l ogi ci en t ranqui l le
de B aker St reet n’ aurai ent pas pu l e reconnaî t re.
Son vi sage s’ enf l amm a i t , [ …] ses yeux bri l l ai ent
d’ un écl at d’ aci er […] . Ses nari nes sem bl ai ent se
di l at er sous l ’ ef f et de l ’ i nsti nct purement ani m al
pour l a chasse, et son espri t ét ai t si absol um ent
concent ré
sur
un
obj et
que
t out e
quest i on
ou
rem arque parvenai t à son orei l l e [ …] ne provoquai t
au m i eux qu’ un bref grognem ent agacé. 144
La mét aphore est ainsi poussée jusqu’au bout, puisqu’ell e est
prise au pied de la lettre. Sherlock Holmes ne ressembl e pas à un
chien de chasse ; il est un chien de chasse. L’ animalisation du héros détective ne peut en aucun cas êt re considérée comme déval orisant e ;
Holmes est un fin li mier grâce à son fl ai r très affûté.
144
A. C. Doyle, Volume1. Le mystère de la vallée de Boscombe (The Boscombe Valley Mystery, p.547.
156
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Do yle i nscrit son héros dans l e registre animali er quand il parl e
égal ement de son « vi sage d’ ai gl e » 145, d’où des « yeu x vif s et
per çant s» . Holmes « ne voi t pas pl us que l es aut res» , mais il est
« ent raî né à rem arquer ce qu' i l voi t » , c’est pourquoi son regard est
incisif, il extrait , indexe et point e. Un tel regard du détective
s ymbolise efficacem ent son intelli gence et sa perspicacit é. Watson,
narrat eur et compagnon de Holm es, not e :
J’ avai s
pourt ant
eu
des
preuves
si
ext raordi nai res de l a vi vaci té de ses f acul t és de
percept i on que j e ne dout ai pas un i nst ant qu’ i l
pui sse voi r bi en des choses qui m e dem eurai ent
cachées. 146
Nous pouvons rel ever d’autres détails physi ques plus précis : ses
doigt s nerveux et minces, ses genoux minces, son nez de faucon, son
visage étroit, son front large, ses sourcils sombres et épai s, sa voix
haute et un peu st rident e, au débit rapide.
exprimant l a force, la soli dité et l a
Ce sont des trait s
singul arit é du caract ère.
Arrêtons -nous, par exemple sur cette voix « haut e » et « un peu
st ri dent e » . Dans sa composante sémantico -logi que comme dans s a
composante sonore, la voix haute est une force mat éri elle don t
dispose l’orateur, une véritabl e action qui met en mouvem ent , diri ge,
form e, arrête. Nous devons parl er d'act ions vocales dont l’i nfluence
est immédiat e sur qui en est touché. La voix haut e et stridente
attribuée à Holmes est d’une nature affirmative q ui t ranche et qui
s’impose.
145
A.C. Doyle, Volume1, Le Signe des quatre (The Sign of Four), p. 211.
146
A.C. Doyle, Volume1., Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.37.
157
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Résumons , en quel ques traits, Holmes est un homm e fort
extraordinai re qui frappe l 'attention même d es observat eurs les plus
occasionnels. Nous retrouvons ai nsi dans cette apparence grave et
imposant e, une dim ension m ythique pro pre aux héros populaires.
D’un point de vue moral, l e dét ective de Do yl e est un surhomme, un
héros au sens m ythologique pl utôt que li ttérai re.
4. Compléments de portraits
4.1. L’habit et l’accessoire
A l’opposé de Gaboriau, Conan Do yl e mise non seul ement sur
les caract éristiques physi ques qui sont
hors du contrôl e de son
personnage, m ais aussi sur les si gnes de l’habit, de l a toilette, les
habitudes alimentaires, qui en partie dépendent de la volonté de son
enquêteur. Décrire l a mise d’un personnage, ce n’est pas sacrifi er à
des futilités. Dans le cas de nos t extes, l’habit fait l e moine.
Comme l’apparence est un mélange de physi que et de vêt em ent ,
toute l’attention d’Arthur C onan Do yl e a été retenue pour ce derni er .
En fait, depui s touj ours, l’habit est li é à la mentalit é de celui qui l e
porte ; un li en qui puise ses sources dans une proximité linguistique
existant
entre
« h abit »
et
« habitus ».
Cett e
dernière
notion
anci enne, dont l e sens est att esté dès l’Antiquit é et qui signi fie
proprem ent m anière d’être, ren voie par conséquent au caract ère, à
l’attitude, dési gnant une disposition à l a fois ph ysique et m oral e. La
façon de s'habill er est parfois, censée mieux dénoter le caract ère
moral du personnage que les traits du corps. Nous n’avons qu’à
penser à l a longue description du père Goriot de Balzac, où nous ne
trouvons aucune distinction entre corps et vêt ements, ent re traits
ph ysiques et si gnifi cation moral e.
158
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Do yle nous fait savoir que son héros est propre comm e un chat
et s’habille él égam ment, dans le genre stri ct : « [ …] de mêm e qu’ il
af f ect ai t dans sa mi se une cert ai ne élégance di scrèt e » 147, Il reste très
classique, principal ement vêtu de noi r. Il ne se permet pas de
fant aisie et ne suit pas l a mode. Mais au quoti dien, il est négli gé.
Habill é habituell em ent d’un costum e de tweed, d’une redi ngote ou
d’un ulster. Dans l 'intimité, il vit en robe de chambre, il en possède
plusieurs l 'une est pourpre, une aut re est bleu e, une troisi èm e est gris
souris, sans oubli er le manteau gris et la casquett e de drap qu’il port e
à la campagne . Hol mes fum e le ci gare, la ci garett e et l a pi pe. Trois
pipes parti culière s sont mentionnées, l a premi ère est noire, i l la fum e
lors de ses médit ations, il la rem place parfois par une pipe de bru yère
pourvu e d'un tu yau en ambre, mai s q uand il passe à l 'anal yse d'un
problèm e, il fum e pl utôt une pipe en m erisier.
Quand il si gnale la propreté de son détective, Do yle semble
parl er de l ’époque victori enne, cell e durant laquell e l 'Anglet erre
dominait l e monde et où ordre et propret é régnaient en maîtres sur la
sociét é. L’Angl ais se voit déj à comm e l e maître – raffiné - du monde
et le ro yaume victorien rangeait propreté et pureté au nombre des
vertus cardinal es. Donc le vêt ement ici symbolise l’int égrat ion et le
conformism e sociaux.
Au cours du XIXe si ècl e, la propreté fai t l'objet d'une att ent ion
grandissant e et revêt une connotation moral e. Ell e devient en effet le
gage d'une âm e vertueuse, le garant d'une soci été ordonnée et
disciplinée. Ai nsi, quand l’individu est propre, il respire l’ordre et la
vertu, contrairement au vi cieux connu général ement par sa salet é et
son désordre. Par le jeu ambi gu du ph ysi que et du moral, par l'action
réciproque qu'ils entretiennent l 'un sur l'autre, évoquer l’h ygi ène de
147
A.C. Doyle, Volume2. Le rituel des Musgrave (The Musgrave Ritual), p.9.
159
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Sherlock Holmes c’est lui donner une connot ation moral e et ét ablir
une correspondance entre l’apparence et l’être profond .
Par l’élégance de son héros -détective, Do yle nous présent e un
personnage issu du dand ysm e victorien. Tout efois le dand y Holm es
n’est pa s un simpl e phénomène de mode épris d’une vi e o isive et
superfici elle, errant de club privé en club privé. La perspective de
Do yle est d’attribuer au dand ysme de son héros une di mension
moral e plus profonde que tout es ces superfici alités citées. C’est u n
dand ysm e qui consti tue un jeu sur l ’êt re et le paraît re. Holm es est un
homme discret, qui ne cherche pas à se faire rem arquer par des
excentri cités vestimentai res, c ’est pourquoi il évit e les couleurs
cri ardes et se cont ente du noir et du gris. L’auteur veut certes
que
son héros soit él égant et raffiné , mais l’habit est, pour lui, un mo yen,
jamais une fin.
Le dand ysm e de Hol mes ne représent e donc pas
seulem ent l ’él égance et la toilett e, m ais il révèl e toute une mani ère
d’êt re supposant lucidité, clai rvo ya nce, fiert é et pudeur. Holmes est
le personnage dand y d’un esprit à l a fois fin et profond.
Selon Baudel aire : « Le m ot dandy i m pl ique une qui nt essence de
caract ère et une i ntel l i gence subt il e de t out l e m écani sm e m oral de ce
m onde » 148.
La quint essence dont parl e Baudel aire, est prise au plus
profond du caractère pour s’extérioriser en un habit qui fait le
personnage. Elle inspire tous les senti ments que ne saurait faire
naître l a personne qui passait inaperçu e. Notre m onde, suggère
Baudel aire, n’a -t-il pas bâti ses valeurs et sa moral e sur l ’apparence ,
représent ée ici par le dand ysm e ? Cette quintessence est l ’él ément
fondament al qui va permett re à notre héros -détective d’observer la
réalité de sa ville et d’ y trouver l es si gnes du Bien et du Mal.
148
Charles Baudelaire, Le peintre de la vie moderne, in Œuvres Complètes, Gallimard, Bibliothèque de La
Pléiade, NRF, Paris, 1976, p. 691.
160
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
Enfin, Sherlock Hol mes, comm e la m aj orité des gentlem en de
l'époque, fum e pour les vertus du t abac, par conformit é, ou tout
simplement par pl aisir. Nous savons que Holmes usait de l a pipe pour
se mett re dans l es m eilleures conditions de médit ation. Le t abac est,
pour nos troi s dét ectives , un stimul ant intell e ctuel ai nsi qu’un
vérit able instrument de travail qui l eur sert à mesurer la diffi cult é
d’une éni gm e, Holm es affirm e : « c’est un problème d e trois pipes,
et je vous pri e de n e pas me parler du rant cinquante min utes » 149.
C’est ainsi que le tabac donne au dét ective l e goût de l 'activit é
tranquill e et réguli ère.
4.2.
Habitudes ali mentaires
Pour les habitudes alimentaires, les soucis de l a profession
n’empêchent pas Monsieur Lecoq d’être un bon vivant, un fin
gourm et, ce poli ci er est un «grand mangeu r comme tous les
hommes
d’une
activité
dévoran te » 150.
A
l’opposé,
le
régime
aliment aire de Hol mes était « des plu s f rugaux » 151. Mais quand ils
travaillent, l es deux détectives vont jusqu'à oubli er carrém ent de s e
sustent er :
[ …]
l es
f acul t és
s’ af f i nent
l orsque
vous
l es
af f am ez [ …] ce que l a di gest i on nécessi t e comm e
af f l ux sangui n représent e aut ant de perdu pour l e
cerveau. Je sui s un cerveau Wat son. Le rest e de m a
personne
n’ est
guère
qu’ un
149
A.C. Doyle, Volume1. La ligue des rouquins (The Red-Headed League), p.459.
150
E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, ed. Masque, Paris, 2005, p.440.
151
A.C. Doyle, Volume1, Le visage jaune (The yellow face), p.42.
appendi ce.
En
161
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
conséquence,
penser .
c’ est
le
cerveau
auquel
je
dois
152
Il en est de mêm e pour Lecoq : « [ …] i l y avai t pl us de quarant e
heures qu’ i l ét ait sur pi ed, et qu’ i l n’ avai t pour ai nsi di re ni bu ni
m angé » 153.
Cela démont re à quel point ces détectives se donnent t out entier
à leur t ravail. Ils sont honnêtes et conscienci eux. Leur t rav ail doit se
faire mais doit se faire séri eusement et correct ement. Ce sont des
personnages qui ne peuvent vivre que dans l a tensi on de leur énergie
et de leurs facultés i ntellectuell es.
4.3. Des habitats all égoriques
Souvent le li eu dans lequel vit un personna ge nous révèl e un
côté
de
sa
personnalité.
C ela
nous
rappelle
Balzac
qui
a
merveilleusement résumé les liens unissant le personnage au décor,
lorsqu’au début du Père Goriot , après avoir décrit la pension de M m e
Vauquer, il écrit : « [ …] enf i n t out e sa per sonne expl i que l a pensi on,
com m e l a pensi on i mpl i que sa personne » 154, c’est toujours Balzac qui
nous dit : « sa m ai son et l ui se ressembl ai ent . Vous eussi ez di t de
l ' huî t re et son rocher » 155.
Chez Poe et Gaboria u, l’habitat semble être sym bol ique, se
conform ant à la t radition littéraire du XIX è m e si ècl e qui crée une
analogie ent re les personnages et l eur décor. Or, nous avons la nett e
impression que les habita ts de nos personnages ne reflètent pas
152
A.C. Doyle, Volume3, La pierre de Mazarin (The Mazarin Stone), p.711.
153
E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p.80.
154
Honoré de Balzac, Le père Goriot, Gallimard et Librairie Générale Française, Paris, 1961, p. 26.
155
Balzac, Gobseck, Editions de la Pleïade, t. II, Gallimard, Paris, 1976, p. 965.
162
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
seulem ent leur ét at d’âm e, mais nous off rent égal ement des acc ès à
leur époque et à l eur envi ronnement . Car, les t rois détectives ont ét é
ancrés
dans
des
milieux
culturels,
historiques
et
soci aux
qui
contribuent à l es définir.
La description de l ’habit at aide à défi nir le personnage et à
avoir accès à sa vi e et à son époque. Elle contribue également à
façonner l’illusion réalist e en souli gnant la dépe ndance de l a
personne hum aine à l’égard du cadre dans leque l elle vit et qui
l’imprègne. Les habitats des trois héros -dét ectives refl ètent -ils plus
ou moins les réalit és soci ales, politiques voire économiques des
époques auxquelles l eurs aut eurs les créent ?
4.3.1.
L’habitat isolé
La maisonnett e choisie par Dupin, l e héros de Poe, et le
narrat eur, son compagnon, se situe dans un coin reculé à Paris au
« f aubourg Sai nt Germ ai n ». C’est un habit at déserté , « t om bant
presque en rui nes » et que les habitants du quartier pensent être
hanté : «des superst i t i ons dont nous [ Dupi n et l e narrat eur ] ne
dai gnâm es pas nous enquéri r avai ent f ai t désert er » 156. La maison
choisie par ces personnag es connaît ainsi un t ripl e i solement ,
géographi que, temporel
(il s’agit d’une « m ai sonnet t e ant i que »
coupée donc du t em ps soci al ), et surnat urel puisque cett e habitation
est liée à des « super st i t i ons ».
L’isolem ent
géographique
peut
être considéré
comme un
stimulant de la cl ai rvo yance de not re détective, dans la m esure où
l’isolem ent est une condition nécessaire à toute pensée profonde et
égal ement à tout caract ère profond, n’est -ce pas que : « C’ est en
156
E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, Paris, p. 45.
163
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
s’ i sol ant l e pl us possi bl e que l ’ âme va parveni r à l a connaissance de ce
qui est » 157 ?
Dupin se retire donc en un isolem ent choisi qui
préserverait son intelli gence et sa perspicacit é , afin de pouvoir
résoudre les éni gm es criminelles dont il s’est chargé.
Le caract ère antique de l a maisonnette peut s ymboli ser la
sagesse ancestrale à laquel le se trouve oppos ée la rudesse et la
vacuit é de la modernit é.
Cet isolem ent serait, pour Edgar Poe,
l’expression de cett e nost al gie pour l es époques révolues dont nous
avons précédemm ent parl é. 158
Enfin,
motivations
nous
expliquons
gothi ques
et
l ’isolem ent
fant astiques
surnaturel
d’Edgar
Poe
par
que
les
nous
rencont rons dans ses écrits non polici ers tels La chute de la maison
Usher et Ligei. Poe n’a pas hésité à installer, m êm e dans ses récits
policiers, une atm osphère inquiét ant e susceptibl e qui
perm et l e
surgissement de l 'effet fantastique, une des spécialit és de cet
écrivain.
L’habitat de Dupin peut égalem ent révéler une perturbation ou
un déséquilibre dans le caractère du dét ective. Le choix d’habiter un
lieu isolé est en effet un élém ent révélat eur d’une misanthropie
supposée chez Dupi n due probablem ent
à sa situation d’aristocrate
décl assé. Car, si une vie meill eure est une conquête pour certains,
pour d’autres – com me c’est le cas de Dupin – ce n’est que vivre seul
dans la nost al gi e d’une vie passée et jugée id yllique. En choisissant
l’isolem ent, Dupin vivrait un retour aux sources pour pouvoir mieux
support er son existence de désargent é et de décl assé.
157
Claude Tresmontant, in Siences de l’univers et problèmes métaphysiques, Seuil, 1976, p. 161.
158
Voir pages 140-141.
164
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
L’habitat sécurisé
4.3.2.
Le domi cile de Monsieur Lecoq occupe t out un t roisièm e étage à
la rue Montm art re. Pour y accéder, il faut emprunter un escalier
« ét roi t et m al écl ai ré », en s’ai dant d’une « ram pe gl uant e » . Sur son
palier, on p eut voi r que les « port es de droi t e et de gauche sont
condam nées ». Il faut donc se diri ger vers la porte centrale qui va
faire l ’objet de t oute une description part iculière et minuti euse :
La port e « en f ace », au t roi si ème étage, ne
ressem ble pas à t out es l es aut res port es. El l e est de
chêne
pl ei n,
épai sse,
sans
m oul ures,
et
encore
consol i dée par des croi sil l ons de f er, ni pl us ni
m oi ns que l e couvercl e d’ un cof f re -f ort . Au m i l i eu,
un
j udas
est
prat i qué,
garni
de
barreaux
ent recroi sés à t ravers l esquel s on passerai t à pei ne
l e doi gt .
O n j urerait une port e de pri son, [ …] . 159
Et quand on pres se sur un bouton de cui vre apparaît à travers le
judas un visage fémi nin, fort ement moustachu, et une voix basse prie
le visiteur de décli ner son identité. Si ce dernier n’ apparaît pas
suspect, la port e s’ouvre « non sans un cert ai n f racas de chaî nes, de
t arget t es et de serrures » 160.
Une
premi ère
lecture
de
cette
description,
nous
ferait
comprendre que même à son domicile, Monsieur Lecoq est menacé .
C’est lui -mêm e qui nous fera savoi r qu’il s’en ét ait fallu de peu qu’il
ne soit tué par un faux facteur des ch em ins de fer, porteur d’un colis
que nous diri ons auj ourd’hui pi égé :
159
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.424.
160
Ibid., p. 425.
165
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
[ …] j ’ al l onge l a m ain pour l e prendre, pif ! paf !
deux coups de pi st olet écl at ent . Le paquet ét ai t un
revol ver envel oppé de t oil e ci rée, l e f act eur ét ait un
évadé de Cayenne serré par m o i l’ an passé 161.
Le dét ective explique que c’es t pour les besoi ns de sa sécurit é
qu’il se voit contrai nt de se déguiser : « j e sui s condam né à m ort par
sept m alf ai t eurs, l es pl us dangereux qui s oi ent en F rance » 162.
L’aut eur nous révèl e explicitem ent que son dét ective n’est pas
en sécurité, il prend des coups et risque la mort à tout mom ent. C’est
égal ement une m ani ère d’ affi cher ouvertement la suprémati e de son
héros qui ne peut être cont est ée. Il s’agit bi en d’une tradition
littérai re polici ère, cell e d’une c oncréti sation idéalisée du courage,
de l 'honneur et de l 'i nfaillibilit é du héros -dét ective.
En revanche, la porte cent ral e de l’habitat du dét ecti ve est
porteuse d’une connotation plus profonde. Cett e porte « consol i dée
par
des
croi si l l ons
« serrures »,
de
seraient
f er »,
les
ces
si gnes
« chaî nes » ,
d’une
« t arget t es »
sensation
et
d’i nsécurité
marquant cette fin de siècle, où nous assist ons à une montée
spect aculai re
du
nombre
des
crimes
due
aux
profondes
transform ati ons socio-économiques que connaît la Fr ance. Nous
parlons de cett e montée en puissance de l’industri alisation , d’où une
poussée de violence dans les grandes vi lles, avec au premier rang la
capit ale Paris.
Gaboriau décrit une époque qui inspi re l a peur en
diffusant l 'idée de l 'omni présence du c rime qui peut frapper chacun
et à tout mom ent . Les individus ne se sentent en sécurité qu’une fois
chez eux, la porte solidement verrouill ée comm e celle de Monsieur
Lecoq.
161
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p. 428.
162
Ibid., p. 194.
166
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
4.3.3.
L’habitat bourgeoi s
Sherlock Holm es réside chez
Mrs Hudson, au premier étage
du 221B Baker Street. Bi en que Baker Street soit une aut hentique
rue de Londres, l’adresse 221B n’existait pas à l’époque de la
parution des « aventures » de Holm es, car les numéros s’arrêt ai ent
au 85. C’est plus tard (durant l’année 1930) que l es rues de ce
quarti er ont été réorganisées et que les numéros compris ent re l e 219
et le 229 ont ét é att ribués.
Nous souli gnons que Baker Street se trouve au nord-ouest de l a
ville de Londres, dans le West End. A l’époque, c’ ét ait une zone
résidentiell e
de
la
haut e
so ciét é
et
vitrine
de
la
puissance
économique et culturelle brit annique. On y t rouve les mi nistères, de
nombreux collèges de l’uni versité de Londres. On y trouve égalem ent
des théâtres, des grands magasins et des boutiques à la mode. Le
logement de Holmes es t évidemm ent à l ’image de son empl acement,
il se trouve dans les beaux quartiers et « se com posai t de deux
conf ort abl es cham bres à coucher et d’ un seul vast e sal on, gai em ent
m eubl é et écl ai ré » 163.
Dans les écrits de Do yle, de nom breux signes extérieurs
marquent l ’appartenance à une catégorie soci ale, not amment l e
quarti er où l’on habite. Ainsi, situé dans le West End, l’habitat du
détective lui offre une vie sereine échappant aux bruit s et à l a
délinquance caractéri sant le reste de l a ville occupé par une couche
social e composée de chôm eurs, d’indi gents et de marginaux. Doyle
nous présente ai nsi une soci été brit anni que fort ement imprégnée de la
163
A.C. Doyle, Volume1, Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p. 15.
167
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
conscience de cl asse. C’est un sentiment encore plus vi f à l’époque
victori enne qu’il ne l’est aujourd’hui.
En revanche, le l ogi s de Sherlock Holm es et de son compagnon
le docteur Watson est certes bourgeois, mais notre détective ne l’est
que t out just e, pui sque c’est le lo yer él evé qui fait que Holm es
propose la cohabitat ion à son fut ur narrateur. C’est par rappo rt à cet
habitat part agé qu’il faut égalem ent comprendre l’explosion urbaine
qui a caract érisé l’évolution de l a sociét é vi ctori enne en cett e fin de
siècl e : époque où t rois Angl ais sur quatre sont des citadi ns. D’où
une crise de logem ent sans précédent qu i n’a épargné m êm e pas un
Holmes censé appart enir à une couche social e aisée.
168
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
I
l ressort des port rai ts de Lecoq et surt out cel ui de Holmes,
que chez Gaboriau t out comm e chez Doyl e, l e dét ail ph ysique
n’est donné comm e constituant du personnage, q ue dans la mesure où
il est chargé de si gnifier autre chose que lui -mêm e en véhi culant des
signes int erprétabl es.
Il apparaît très cl airement que Conan Doyl e et Émile Gaboriau,
avai ent suffisamment fait pour l aisser plan er le dout e sur l ’identit é
de leur h éros, en essa yant de fai re croi re qu’ il était réel. Cependant,
l’apparence de Hol mes est sûrem ent un élém ent plus révélateur de
son caract ère que celle de Lecoq, à t el point que l a simpl e si lhouette
suffit aujourd’hui à représent er de façon st ylisée l a fi g ure du grand
détective.
Si nous si gnal ons un refus de la descri ption dét aillée par Poe,
c’est que l’aut eur aurait choisi de créer, dans son écrit ure, un
« bl anc » 164, ou ce qu' Iser appell e des « li eux d’indéterminati on » 165,
afin que l’im aginat ion du lecteur s’ y installe et partici pe à l a
construction de l’i mage du héros. Ce « bl anc »
Gaboriau et Do yl e
ont préféré le com bler sans craindre que leurs descriptions détaillées
fassent obst acl e à l ’imagination du l ecteur
et l’enferm ent dans un
carcan. Il s offrent un accès plus aisé aux attitudes, mi miques et
personnalit és de l eurs héros. Un tel choix, pourrait avoir deux
interprét ations disti nc tes, néanmoins complément aires. L a première
serait le danger encouru de laisser libre cours à l’im agination du
lect eur, impli quant , par l à,
une déformation de l’im age que le
romancier voulait donner de son personnage et de ses réact ions . La
deuxième serait, q u’une description m ême prolix e, n’empri sonnerait
164
Terme emprunté à Vincent Jouve
165
Wolfgang Iser, L’acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, Trad. française Pierre Mardaga,
Bruxelles, 1985.
169
Deuxième partie. Chapitre I
Des portraits physiques parlants
jamais l ’imagination indomptable et non bridée du l ect eur -notre
esprit est ainsi fait -. Le projet de l’auteur serait alors de gui der cett e
imagination, en invit ant le lecteur à se l a isser emporter par la fluidité
d’une description physi que détaillée,
apparemm ent vraisemblable,
afin de rapprocher l e plus possibl e son person nage de cel ui imagi né
par l e lecteur, puis pour laisser plan er l e doute sur l’identité du héros
que l’aut eur présent e comm e réel.
En somme, nous avons la nette convi ction que les connot ations,
impliquées par les qualifi cati fs intégrés dans ces port raits ph ysi ques
sont conventionnelles et que les t raits se réduisant à quelques si gnes
plus ou moins codés, vont révéler l a ps ychologi e du personnage.
Toutefois ,
existe-il vraiment une relat ion de cohérence entre
l’être et le paraît re chez l es troi s héros -dét ectives ? Leurs portraits
ph ysiques sont -ils un support servant à réaliser un référent, à
illustrer une qualit é principale ? Voici des questions auxquelles nous
devons répondre dans l’étude des port raits moraux de nos héros détectives.
170
Chapitre II
Des portraits moraux
atypiques
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
C
ert es, les traits ph ysiques nous ont permis d’avoir une
premi ère idée sur l e s trois héros -dét ectives, m ais il est
certain que l e portrait moral est l’élém ent du roman avec lequel le
lect eur est l e plus familiarisé ; c’est lui qui permet de porter d es
jugements de val eur sur l’attitude des personnages. Ai nsi, ces
personnages en devi ennent à nos yeux, presque « vivants ».
La
caract érisation
psychologi que
du
personnage
peut
être
directe, c’est -à-di re que nous rencontrons des informations sur son
caractère provenant soit de l’aut eur soit des autres personnages, soit
du héros lui -mêm e grâce à une auto -description. Elle est indi recte ou
implicite quand le caract ère du personnage ressort de ses act es, de s a
conduit e, de la façon dont il agit. Le caract ère peut également se
révéler à nous par ce que l e personnage dit (vocabulai re, niveau de
langue, t eneur du di scours). Le point de vue des aut res personnages
contribue de m ême à sa caractérisation.
Edgar Poe, Émile Gaboriau et Conan Doyl e ont montré une
certaine ori ginalité dans l ’art de brosser les portraits de l eurs héros détectives. Ils ne se sont pas tenus aux conventions et aux traditions
qui imposaient au portrait un plan st rict et lui donnai ent une place
fixe dans le récit . En effet, La récurrence de le urs héros sem ble alors
leur
donner
le
droit
d'ajust er
l es
portraits
moraux
de
leurs
personnages en leur perm ettant d'acquéri r des personnalit és beaucoup
plus précises et de revêti r des caractéri stiques plus hum aines.
Ainsi, tout comm e l es portraits ph ysi q ues des détectives, qui ont
été construits au fil des textes où ils apparaissent , l es indi cat ions sur
les traits ps ychologi ques se t rouvent données sans aucun ordre précis
ou sont dispersées à travers l es différents récits. A partir de là, l es
élém ents per tinents des portraits moraux de nos dét ectives ne son t
172
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
jamais donnés com me définiti fs . Par conséquent, ils ne sont pas
facilem ent localisables. Pourtant , les portraits moraux des détectives
s’intègrent parfaitement à l’i ntri gue. Nous sommes certains que
les
trois aut eurs n’ont pas tracé d’em blée les port raits, ils les ont
composés par touches successives, dispersées et diluées dan s leurs
œuvres poli cières tout entières.
Les caractéristiques morales procurent sur un personnage donné
de solides inform ations qui nous perm et tent de mieux le comprendre.
Nous somm es donc conviés à étudi er l es caractéristiques moral es des
trois détectives ; anal yser ainsi l eur caract ère, l eurs habitudes, l eurs
goûts et l eur façon de concevoi r la vie.
173
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
1.
Le profil intellec tuel
Grâce à son amour très passionné des livres et des loisirs
consacrés essentiell ement à l a lecture et à l’étude, Dupin donne
l’aspect d’un homm e très cultivé. C’est d’aill eurs dans un cabinet de
lecture que le narrat eur fait sa connaissance : « Not re p rem i ère
connai ssance se f i t dans un obscur c abi net de l ect ure de l a rue
Mont m artre » , le narrat eur ajout e : « Je f us aussi f ort ét onné de l a
prodi gi euse ét endue de ses l ect ures » 166. Il est égalem ent une personne
plus intelli gent e que la mo yenne : « Ce que j ’ [ nar r ateur ] ai rem arqué
dans
ce
si ngul i er
F rançais
i nt el li gence surexci t ée ».
ét ai t
sim pl em ent
le
résul tat
d’ une
167
Il en est d e mêm e pour le héros de Gaboriau ; la description du
domicile de Lecoq qui occupe tout un troisi ème ét age de l a rue
Montmart re ( mêm e l ieu cit é pour le cabi net de l ect ure de Dupin, est ce une coïncidence ? ), nous laisse découvrir l e profil intell ectuel et
scienti fique du dét ective : « L’ aut re pan de m ur ét ai t garni par une
bi bl i ot hèque rem pli e d’ ouvrages sci entif iques. Les l i vres de physi que
et de chi m ie dom i naient » 168.
Quant à Holmes, nous avons affaire à un nouveau t ype
d’enquêt eur intell ectuel qui se distingu e de mani ère si gni fi cative de
ses prédécesseurs.
Watson nous dresse l’invent aire des di sciplines
auxquelles s’int éresse son ami dans l a forme qui suit :
166
Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue, p.44, p.45.
167
Ibid., p. 47.
168
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p. 47.
174
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
1.
Connai ssances en l i t térat ure : nul l es 169.
2.
Connai ssances en phi l osophi e : nul l es.
3.
Connai ssances en astronom i e : nul les.
4.
Connai ssances en pol i t i que : f ai bl es.
5.
Connai ssances en bot ani que : i négal es. Cal é sur l a
bel l adone, l ' opi u m , et l es poisons en général . Ne
connaî t ri en au j ardinage.
6.
Connai ssances en gé ol ogi e : prat i ques, mai s l i mi t ées.
Sai t reconnaî tre en un seul coup d' œil
espèces de sol s. Après
dif f érent es
des bal ades à pi eds, i l m' a
m ont ré des écl aboussures sur son pant a l o n, et i l f ut en
m esure de di re par leur coul eur et l eur consi st ance , de
quel quart i er de Londres el l es provenai ent .
7.
Connai ssances en chi m i e : approf ondi es.
8.
Connai ssances en anat om i e : précises, m ai s sans
vi si on d’ ensem bl e.
9.
Connai ssances en l it térat ure à sensat i on : i m menses.
Il sem bl e t out savoir dans l e m oi ndre d ét ai l de t out es
l es horreurs perpét rées au cours du si ècl e.
10. Joue bi en du vi ol on.
11. Est expert à l a canne, à l a boxe et en escri m e.
12. A
une
angl ai s.
bonne
con nai ssance
prat i que
du
droi t
170
169
« Or, on doit rectifier Watson, car Holmes cite Carlyle dans Une étude en rouge. Il cite
Shakespeare (Macbeth). Cite aussi L’Ecclésiaste […]. Il cite Horace en latin, Boileau et La
Rochefoucauld en français, Goethe en allemand. Il lit en latin le traité écrit par Richard
Zouche, […], des ouvrages philosophiques, tel Le Martyre de l’Homme, de Winwood Reade » :
Pierre Nordon, Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré.
Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, 1994, p. 47.
170
A.C. Doyle, Volume1. Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.21.
175
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Nous
avons
dé j à
évoqué
dans
la
premi ère
parti e
le
dével oppem ent qu’avait connue l a sci ence au X IX e siècle. Ce n’est
sans doute pas un hasard qu e l e genre policier naisse à la moitié d’un
siècl e marqué par le rationalisme sci entifique . On assiste à un
rapprochem ent entr e l’imaginaire et l a pensée scienti fique impliquant
un vérit able changement de paradi gme qui s’imposera dans la
littérat ure. D’où des héros i ntelli gents, intell ectuels et ayant des
connaissances étendues, alors qu’auparavant science et littérat ure
étai ent
trop
souvent
considérées
comme
des
activités
qui
ne
pouvai ent aller ensemble. Baudel aire n’avait pas manqué de marquer
que :
Le t em ps n' est pas loi n où l ' on com prendra que
t out e
l i tt érat ure
qui
se
ref use
à
m archer
f rat ernell em ent ent re l a science et l a ph il osophi e est
une l i t t érat ure hom ici de et sui ci de. 171
Il s’agit d’ un siècl e où s’est dével oppée l ’idée que tout est
accessi ble à la science, l ’homm e lui -m ême. P arallèl ement apparaît ra
l’idée que le détecti ve qui poursuit le criminel réussira son entreprise
grâce à des méthod es rati onnell es, voire scientifiqu es pl utôt que par
la force, son enquêt e polici ère donc ne trouvera ses cautions que du
côté de l a science.
Si Dupin est l e t ype de détective dot é d’une int elli gence hors du
commun et qui ne compte que s ur son exceptionnelle capacité
d’anal yse et de déduction pour résoudre les crim es, Lecoq et Holmes
sont des dét ectives attirés par les sciences , ils marient l eurs savoirs à
leurs capacités de déducti on afin de découvrir l a vérit é qui enfouie
dans le m ystère. Pour l’exercice de leur profession, ils ont dû mettre
171
Charles Baudelaire, "L'école païenne", Œuvres complètes, éd. Claude Pichois, Gallimard, Paris, 1961,
p. 628.
176
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
le plus possi ble d’atouts dans l eur jeu, car l e génie ne suffisait pas
s’il ne s’appu yait sur de solides connaissances. Le poli cier de
Gaboriau fait à l’occasion appel aux connaissances de chimistes,
surtout en m atière de t oxicologie, et à cell es d’ali énist es et de
médecins l égistes. Do yle a fait de son détective un Bri tannique
pratique, un chimiste remarquable qui , dans Une étude en rouge ,
découvre « un réact if qui n’ est préci pit é que par l ’ hém ogl obi ne » .
Holmes est aussi écrivain, ses écrits sont d’ordre émi nemment
pratique, sa biblio t hèque comporte un traité sur la discrimination
entre des différents tabacs, un essai sur la détection des t races de
pas, une monographie sur l’écriture des docum ents an ciens, un
manuel pratique d’api culture……. Doyl e lui att ribue égalem ent
quelques compét ences en médecine général e.
Certes, Boileau et Narcejac ont en grande parti e raison, quand
ils affirment que Sherlock Holm es est l e premier détective vraim ent
scienti fique dépassant incontest ablem ent ses devanciers,
mais nous
ne trouvons pas surprenant en cette « fin de siècle », que la chimie et
les sciences naturelles aient une place prépondérant e auprès du
détective. La période qui voit naître et se développer l e c ycl e de
Sherlock Holm es coïncide avec ces sci ences qui sont illustrées de
manière remarquabl e par les savants de cett e « fin de siècle ». En
effet, Chevreul 172 , qui est versé dans l a chimie des colorants, publie
en 1883 ses Considérations générales sur les mét hodes sci entifiques .
Tyndall 173 publie ses t ravaux sur l’électri cité et l a radi ation. Au cours
de cett e m ême décennie, Past eur réali se ses découvert es les plus
important es et Berthelot publie ses travaux sur la thermochi mie. Pour
ce qui est de ses connaissan ces en m édecine, il faut bien reconnaître
que Holm es a su largement puiser dans le bagage sci entif i que de son
172
Michel-Eugène Chevreul (1786-1889), chimiste français.
173
John Tyndall (1820-189 3), physicien irlandais.
177
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
créat eur, médecin au courant de t out es les derni ères t echniques
scienti fiques de son époque :
En
ef f et ,
l ’ aut eur
des Avent ures
de
Sherl ock
H olm es est t out d’ abord un m édeci n qui écri t —
t out e
sa
bi bl i ographi e
com prend
en
paral l èle
art i cl es m édi caux et t ext es de f i ct i on — pui s, après
1891 où i l abandonne l a prati que médi cal e pour se
consacrer à l ’ écri t ure, un écri vai n qui se souvi ent
qu’ i l a ét é m éde ci n. 174
Il serait t rop hâtif de conclure que Lecoq (Dupin
est en dehors
de cette comparaison, car il m anifest e son goût et ses aptitudes pour
les applications abst raites et m ental es et non concrètes) ne s‘appuie
pas sur les mét hodes et connaissances scienti fiques que Holmes
manipule avec brio, et que cel a s’explique par un savoir que possède
et maît rise l ’un alors que l’autre en est dépourvu par manque de
connaissances sci entifiques . Tout simplement le profil hautement
scienti fique du dét ective Sherlock Hol m es résulterait nat urellem ent
d’un cont exte sci entifico -historique, ainsi que de la profession
d’ori gi ne de son créateur mai s non d’une intelli gence et d’une culture
supéri eures. Il serai t donc inconcevabl e que Lecoq n’utilise pas les
découvertes
et
les
inn ovations
de
la
science,
alors
que
la
connaissance existe chez le lecteur de Gabori au, cel a ferait passer l e
détective pour inculte et par conséquent son créat eur égalem ent,
infami e et déshonneur que ne support erait aucun aut eur de rom an
policier à l’écoute de son l ect orat.
174
Dominique Meyer-Bolzinger, colloque « Étude clinique et modèles d’enquêtes ». URL :
http://www.fabula.org/colloques/document931.php.
178
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
2.
Bizarreries
2.1. Le d étective noctambul e
Mon am i avai t une bi zarreri e d’ hum eur – car
com m ent déf i ni r cel a ? – c’ ét ai t d’ ai mer la nui t pour
l ’ am our de l a nui t ; l a nuit ét ai t sa passi on ; et je
t om bai
m oi- m êm e
t ranqui l l em ent
dans
cet t e
bi zarreri e, com me dans t out es l es autres qui l ui
ét ai ent propres, m e l ai ssant al l er au courant de
t out es
ses
abandon .
ét ranges ori gi nal i t és
avec un parf ai t
175
« Bizarreri e » est donc le term e que le narrateur anon ym e des
nouvell es poli cières de Poe a emplo yé pour décrire l ’attitude de son
compagnon Dupin qui, pendant l e jour vit reclus chez lui, les vol ets
ferm és pour se plonger dans l ’obscurit é. Ce n’est qu’une fois la nuit
venue que le dét ecti ve sort de sa m aison pour déambuler longuement
à travers l es rues de la capital e qui sommeille, surtout dans l es
quarti ers les moi ns éclairés . Lacassin a posé l’excell ente question :
Est - ce une cont i nuit é d’ i nspi rati on – cel l e du
cont eur f ant ast i que habi t ué à m ani pul er l ’ obscurit é
pour m et t re en scène l es f ant ôm es – qui condui t P oe
à poser Dupi n en am at eur des t énèbres ? O u l a
vol ont é déli bérée de l ui donner un goût du t héât re et
de l ’ ef f et ? Dupi n se sert de l a nui t co m m e d’ une
scène pour y j ouer ses m ei ll eurs m orceaux . 176
175
Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p. 45-46.
176
Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p.21-22.
179
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Cet engouem ent pour la nuit pourrait fai re penser au personnage
gothi que, qui éveill e dans l 'inconsci ent collectif l 'image du vampire
et est donc peu propre à suscit er l a s ym pathie du l ect eur. C ’est donc
avec une esthétique noire que Poe fonde une litt érature nocturne,
exprimant ainsi les anxiétés et l es craintes d’un Américain face à la
croissance rapide du dével oppem ent industriel et aux modificati ons
de la modernit é. C ’est une anxiété envers l e changem ent , envers
l’altérati on des r yt hmes nat urels, envers l’espace urbain :
Jadi s déposi t ai res du surnat urel , auj ourd’ hui
ref uge du cri m e, cel l es - ci [t énèbres] n’ envel oppent
pl us l a f orêt m ai s un nouveau l abyri nt he surgi sur
son [ Poe] espace i nqui ét ant : l a vi l l e . 177
L’individu
par
conséquent
ne
pourra
subsister
que
dans
l’obscurit é recluse. Cela est l e refl et de ce que Georg Sim mel dans
Les grandes villes et la vie de l’esprit 178 dési gne comm e la réserve,
l’éloi gnement du monde et le recueillement dans des espaces
intéri eurs.
Ce sentiment d’anxiété et de craint e
menace
sociopoli tiqu e ;
Poe
est
pourrait surgi r d’une
contemporain
de
la
« panique1873 » 179 qui marque l a fin du pouvoi r du président
populiste Andrew Jackson et la grande crise économique qui s’ensuit
entraînant la faillit e de nombreuses i nstit utions am éri caines.
177
Francis Lacassin, op. cit., p. 21.
178
Georg Simmel est une des figures les plus importantes de la sociologie allemande classique.
Simmel est surtout connu comme le promoteur de la sociologie « formelle », une notion
fondamentale et acceptée dans les sciences sociales contemporaines. Il est aussi un des fondateurs
de la psychologie sociale. Dans son essai de 1903, Les grandes villes et la vie de l’esprit, Simmel
pense que la condition métropolitaine se caractérise principalement par une «intensification de
la stimulation nerveuse, qui résulte du changement rapide et ininterrompu des impressions
externes et internes» : in Philosophie de la modernité, Payot, Paris, 2005, p. 234.
179
La Grande Dépression de 1873-1896 est une crise économique étendue et de grande ampleur qui
marqua la fin du XIXème siècle.
180
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Nous rel evons dans le caractère biz arre de Dupin une phobi e de
la lumière, c’est d’ailleurs l a fenêt re écl airée de Madam e L’Espana ye
qui a attiré le monst rueux assassin de Double Assassi nat dans la rue
Morgue. Le cont rast e ent re l’om bre et la lumière t ransforme l’espace
du dét ective en un m onde fantom atique, encadrant des rues funestes
et mal éclai rées, accompagnant un réci t annonci ateur de crime . F.
Lacassin assure : « P ar ce t rai t , Edgar P oe f i xe l e dest i n du rom an
pol i ci er, rom an de l ’om bre, saga des t énèbres ». 180
2.2. L e détecti ve exc entrique
Il arrive souvent à S herlock Holmes , tout comme à Dupin, d’être
très acti f la nuit, c’est ce que nous dit son ami Watson :
M. Sherl ock H ol mes, qui se l evai t habi t uel l em ent
t rès t ard l e m ati n –en dehors de ce s occasi ons
f réquent es où i l rest é évei ll é t out e l a nui t - ét ait
i nst al lé à l a t abl e du pet i t déj euner . 181
Holmes nous offre de nombreuses occasi ons de nous étonner tant
son comport em ent reste étrange et excent rique. Hormis ses ét ran getés
de mani es, de tics, de sujets de convers ation peu communs, de s a
culture hétéroclite, etc., Holm es est un adept e de l a cocaïne et de l a
morphine :
Sherl ock H ol mes prit son f l acon sur l e coi n du
m ant eau
de
la
chem i née,
et
t i ra
la
seri ngue
hypoderm i que de son ét ui de cui r. D e ses l ongs
doi gt s pâl es et nerveux i l aj u st a l a f i ne ai gui l l e et
rel eva l a m anche gauche de sa chem i se. P endant ,
180
Francis Lacassin, op. cit., p. 21.
181
A.C. Doyle, Volume2. Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), p. 301.
181
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
quel ques
i nst ant s,
avant - bras
et
d’ i nnom brabl es
son
il
exam i na
poi gnet
m arques
de
pensivem ent
m uscl és,
pi qûres.
son
recouvert s
Enf i n,
il
enf onça l a poi nte, appuya sur l e pi st on et se l ai ssa
ret om ber dans l e f aut eui l de vel ours en poussant un
l ong soupi r de sat i sfact i on. 182
La prise de morphine ou de cocaïne, à cette époque, ne sem blait
pas constituer une i llégalit é, mai s on se rendait compt e de son effet
néfaste sur le corps et la santé. Holmes j ustifie sa prise de drogue par
un manque d’activités criminell es qui auraient pu lui apporter
quelques problèm es à dém êler, et ainsi créer chez lui une activit é
intense :
Mon espri t , di t -i l , est rebel l e à t out e inact i on.
F ourni ssez- m oi
t ravai l ,
des
probl èm e s,
soum et t ez -m oi
le
donnez - m oi
pl us
obscur
du
des
crypt ogram mes ou l a pl us com pl exe des anal yses, et
l à j e sui s dans m on é l ém ent . Je peux al or s m e passer
des st i m ul ant s artif i ci el s . 183
La drogue pour Hol mes serait un mo yen d’exploration du champ
de la conscience et non cet ingrédient sensualiste qui ent raî ne plaisi r
et jouissance pour son consomm ateur. P ar affecti on pour son grand
ami, Watson s'efforce parfois de ramener Holm es dans le droit
chemin. Mais l 'orgueilleux dét ective n'accepte pas si faci l ement les
leçons 184 :
182
A.C. Doyle Volume1. Le Signe de quatre (The Sign of Four), p.197.
183
Ibid., p. 199.
184
Dans un drame en 5 actes, écrit en collaboration avec William Gillette et créé à Buffalo (État de
New York) le 23 novembre 1898, Conan Doyle a repris sensiblement la même scène où Watson
tente en vain de raisonner son ami :
182
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
P eut - être avez - vous rai son, Wat son, di t - i l . Je
suppose que son i nf l uence sur l e corps est négat i ve.
Mai s je t rouve néanm oi ns qu’ el l e exerce sur l ’esprit
une st i m ul at i on si transcendant e et éclai rant e que
ses
ef f et s
i m port ant s.
secondai res
sont
f i nalem ent
peu
185
Autre « bizarrerie » que Watson apprend sur Sherl ock Holmes de
la bouche de l’ho m me qui les a mis en relation quand tous les deux
étai ent en quête d’un nouveau fo yer à Londres :
- [ …] H ol m es est un peu t rop sci entif i que à m on
goût . Ça f ri se l ’i nsensi bi l it é. [ …]
- Très bi en, et al ors ?
- O ui , m ai s i l pousse parf oi s un peu l oi n. Quand
on en arri ve à f rapper des cadavres à coups de
canne en sal l e de di ssect i on, cel a prend cert ai nement
une t ournure pl ut ôt bi zarre.
- F rapper des cadavres ?
- O ui , pour voi r dans quel l e m esure on peut
provoquer des bl eus sur des corps après l eur m ort .
Je l ’ ai vu f aire de m es propres yeux. 186
« Watson. - Voilà des années que vous avez recours à cette satanée drogue. Et les doses augmentent
de plus en plus tous les jours !... Jusqu'à la fin !
Holmes. - Voilà des années que je déjeune tous les jours, Watson ! Et il en est de même jusqu'à la
fin.
Watson. - En déjeunant on se nourrit !... Avec ces drogues, vous vous empoisonnez... Leurs ravages
sont lents mais certains, et elles vous changent un homme du tout au tout !
Holmes. - Je suis tellement dégoûté de moi-même que je ne serais pas fâché de changer... ». Cité par
Éric Fouassier, « Sherlock Holmes, Watson et la cocaïne. Une contribution littéraire à l'histoire des
toxicomanies », In: Revue d'histoire de la pharmacie, 82e année, N. 300, 1994, p. 66.)
185
A.C. Doyle, Volume1. Le Signe de quatre (The Sign of Four), p. 199.
186
A.C. Doyle, Volume1. Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.9.
183
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
L’éto nnem ent du docteur Watson, le nô tre aussi en tant que
lect eurs, ne s’arrêt e pas là, lorsqu’on apprend que Holmes joue du
violon à des heures que tout un chacun réserve au somm eil, ou cribl e
le mur de son salon en s' entraînant au tir au revolver. Il range ses
ci gares dans un seau à charbon, son tabac au fond d'une babouche
persane. On peut voir Holmes test er l ’efficacit é d’un poison sur lui même, t ranspercer un cochon mort à coups de harpon.
Christophe Gell y nous fait compr endre que l’incapacit é à suivre
le
raisonnement
d’incohérence
et
de
Holm es,
qualifi er
sa
a
laissé
conduite
Watson
t axer
son
ami
d’excent rique : « Wat son
cor respond en t out poi nt à l ’ i m age du l ect eur i ncom pétent qui rej et te
dans l e dom ai ne de la m ani e i nexpl i cabl e, de l ’ ét ranget é, t out ce qu’ il
ne com prend pas ». 187 Selon Gell y toujours , la bizarreri e chez Holmes
n’est qu’une façade qui cache une identi té bi en p rofonde m ais qu’on
ne peut saisi r, et cel a tient, une foi s de plus, aux li mitations
imposées par l e poi nt de vue de Watson le narrateur, qui ne perm et
pas de voi r et de comprendre Holm es « de l ’ i nt éri eur ».
Quant à Boileau et Narcejac, ils affi rm ent que les personnages
détectives « sont t ous – parce qu’i l n’ y a pas m oyen de f ai re aut rem ent
– des excent ri ques, des personnages étranges, pl ei ns de t ics et de
m ani es [ …] » 188, ils pensent que c’est l e personnage de Dupin qui
avait imposé cette fatalité (excentri ci té) sur sa post érit é.
Même si nous som mes global ement d’accord avec Boil eau et
Narcejac, nous pensons que l e caractère at ypique et i ncompara ble de
Sherlock Holmes force l ’admiration et que son succès provi endrait de
son excent ricit é exceptionnelle qui ne r essemble à aucune autre, ainsi
187
Christophe Gelly, Le Chien des Baskerville: Poétique du roman policier chez Conan Doyle, Presses
Universitaires de Lyon, Lyon, 2005, p. 88.
188
Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Paris, Vendôme, 1994, p. 30.
184
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
que de son réalism e. Ce détecti ve est cert es loin d’êt re un individu
commode : cocaïnomane, méprisant, souvent inatt entif quand on lui
parl e, il peut passer des semaines sans sorti r de son appart ement,
c’est un personnage do nt les défauts feraient un individu haïssable ;
mais, ses défaut s sont compensés par les qualités excepti onnell es
dont il fait preuve lorsqu’il combat l e cri me.
2.3. Le policier ty pe
Pour le
polici er
Lecoq, nous pouvons affi rmer qu’il
fait
exception à la règle avancée par Boil eau et Narcejac, il existe certes
des excentri cités dans ses m éthodes de travail mai s non dans son
caractère, et cette exception tiendrait à une dissembl ance ent re l a
profession d’un pol icier enquêt eur et celle d’un dét ective amat eur.
En effet, Lecoq n’est pas libre de son comp ort ement , on ne peut
autoriser un fonctionnaire de l a police à avoi r des sautes d’humeur,
les affai res qu’il a à résoudre entrent dans le cadre des missions
offi ciell es de la poli ce, d’où un comport ement e t un caract ère qui ne
devraient à aucun m oment, nui re à l ’image de l’ i nstitution policière.
Le docteur Edmond Locard apprécie chez M. Lecoq un « t em péram ent
pol i ci er de premi er ordre » 189 et remarque qu’il ressembl e à des
« pol i ci ers véri t ables » 190.
189
Cité par Jean-Marc Berlière, Police réelle et police fictive, in: Romantisme, 1993, n°79. pp. 73-90.
URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_00488593_1993_num_23_79_6189
190
Cité par Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J.Vrin, Paris, 1985, p. 411.
185
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
3. Des déte ctives vaniteux, arrogants et comédiens
3.1. Un certain goût pour la mise en scène
Dupin n’est pas si mal placé pour être un acteur, il pratique la
comédi e devant t out e personne en face de lui. Lorsqu’il exerce ses
dons de raisonnem ent, il est stupéfi ant , se compos ant un visage
comme sur scène et changeant mêm e sa voix qui devient surai guë, à
tel point que l e narrat eur a besoin de fai re appel à « l a vi ei l le
phi l osophi e
de
l’ âm e
doubl e » 191
pour
expliquer
cett e
étrange
métamorphose :
Dans
ces
m om ent s - l à,
ses
m ani ères
ét ai ent
gl aci al es et di strai t es ; ses yeux regardai ent dans l e
vi de,
et
sa
voi x,
–
une
ri che
voi x
de
t énor,
habi t uel l em ent , – mont ai t j usqu’ à l a voi x de t êt e ;
c’ eût ét é de l a pét ul ance, sans l ’ absol ue dél i bérati on
de
son
parl er
et
la
parf ai t e
certi t ude
de
son
accent uat i on. Je l’ observai s dans ses all ures, et je
rêvai s souvent à l a vi ei ll e phi l osophi e de l ’ âm e
doubl e, – j e m ’ am usai s à l ’i dée d’ un Dupi n doubl e, –
un Dupi n créat eur et un Dupi n anal yst e. 192
Est-ce donc une apti tude anal yti que ou une scène théât r al e ?
Je
[ nar r at eur ]
rem arquer
anal yt i que
et
ne
pouvai s
d’adm i rer
part i culière
chez
[…]
m ’ em pêcher
une
Du pi n.
Il
de
apt i t ude
sem bl ait
prendre un dél i ce âcre à l ’ exercer, – peut êt re m êm e
191
Pensée selon laquelle la nature humaine est fondamentalement double.
192
E. A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.46, p.47.
186
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
à l ’ ét al er, – et avouai t sans f açon t out l e pl ai si r
qu’ i l en t i rai t 193
C’est un pl aisir que Dupin veut augm enter en ajout ant à son
interprét ation de la mise en scène, pensons à son dial ogue avec le
préfet
lorsque
ce
dernier
vient
le
solliciter
pour
une
affaire
embarrassante, et Dupin au li eu d’allumer l a l ampe, s’écrie : « Si
c’ est un cas qui dem ande de l a réf l exi on [ …] nous l ’ exam i nons pl us
convenabl em ent dans l es t énèbres.» 194, Dupin baisse l’écl airage pour
mettre en val eur son attitude, un tel gest e du détective le fai t passer
du monde de l ’ordi naire au monde de l ’excepti onne l . Lacassin nous
parl e d’un « art i f ice m oi ns i nspi ré par le souci de préserver l a bonne
m arche de l ’ enquêt e que par l e cabot i nage » 195.
Citons une autre scène qu’on ne peut qualifi er que de théât ral e
et qui apparaît dans Double Assassinat dans la rue Morgue , ent re
Dupin et le suspect :
Voi ci
quel l e
sera m a
récom pense :
vous
me
racont ez t out ce qu e vous savez rel at i vem ent aux
assassi nat s de l a rue Morgue.
Dupi n prononça ces derni ers m ot s d’ une voi x
t rès basse et f ort t ranqui l l em ent . Il se di ri gea vers
l a port e avec l a m êm e pl aci di té, l a f erm a, et m i t l a
cl ef dans sa poche. Il t i ra al ors un pi st ol et de son
sei n, et l e posa sans l e m oi ndre ém oi sur l a t abl e »p.
89
193
E. A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p. 46.
194
E.A. Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), p.101.
195
Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), Paris, 1974, coll. 10-18, p. 24.
187
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Dupin est possédé par le dési r d’étonner, peu importent les
circonstances et peu importe la qualité de l’interlocut eur préfet ou
simple suspect ; pourvu qu’il en ait un et qui soit près d’attribuer au
chevalier l a tout e -puissance.
Lecoq confesse à son tour son goût pour la mise en scène : « Il
est des gens, cont i nua - t - il , qui ont l a rage du t héât re. Cet t e ra ge est un
peu l a mi enne ». 196 Il t héât ralise tous les paramèt res de la réal ité : le
lieu devient scène, les personnes se muent en acteurs et les
événem ents composent une pièce théâtral e :
– P l us dif f i cil e ou pl us bl asé que l e publ i c,
cont i nua M. Lecoq, i l me f aut , à m oi , des com édi es
véri t abl es ou des dram es réel s. La soci ét é, voi l à m on
t héât re. Mes act eurs, à m oi , ont l e ri re f ranc ou
pl eurent de vrai es l arm es.
Un cri m e se comm et , c’ est l e prol ogue.
J’ arri ve, l e prem i er act e com m ence. D’un coup
d’ œi l j e sai si s l es moi ndres nuances de l a mi se en
scène. P ui s, je cherche à pénét rer l es m obi l es, j e
groupe m es personnages, j e rat t ache l es épi sodes au
f ai t
capi t al ,
je
lie
en
f ai sceau
t out es
l es
ci rconst ances. Voi ci l ’ exposi t i on.
B i ent ôt ,
l ’ acti on
se
corse,
le
fil
de
m es
i nduct i ons m e condui t au coupabl e ; j e le devi ne, j e
l ’ arrête, j e l e l i vre. Al ors, arri ve l a grande scène, le
prévenu se débat , i l ruse, i l veut donner l e change ;
m ai s arm é des arm es que j e l ui ai f orgées, l e j uge
d’ i nst ructi on l ’ accabl e, i l s e t roubl e ; il n’ avoue pas,
m ai s il est conf ondu. Et aut our de ce personnage
pri nci pal ,
196
que
de
personnages
secondai res,
l es
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.162.
188
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
com pl i ces, l es i nst i gat eurs du cri me, l es am i s, les
ennem i s, l es t ém oi ns ! [ …]
La Cour d’ assi ses, voi l à m on derni er tabl eau.
L’ accu sat i on parl e, m ai s c’est m oi qui ai f ourni l es
i dées ; l es phrases sont l es broderi es jet ées sur l e
canevas de m on ra pport . Le prési dent pose l es
quest i ons aux j urés ; quel l e ém ot i on ! C’ est l e sort
de m on dram e qui se déci de. Le j ury répond : Non.
C’ en es t f ait , m a pi èce ét ai t m auvai se, j e sui s sif f l é.
Est - ce oui , au cont rai re, c’ est que m a pi èce ét ai t
bonne ; on m ’ appl audi t , j e t ri om phe. Sans com pt er
que l e l endem ai n j e pui s al l er voi r m on pri nci pal
act eur, et l ui f rapper sur l ’ épaul e en l ui di sant : «
Tu as perdu, m on vi eux, j e sui s pl us f ort que t oi ! »
M. Lecoq, en ce m om ent mêm e, ét ai t - i l de bonne f oi ,
ou j ouai t - il une com édi e !
Quant à Holmes, D. Fernandez -R ecat ala m et en avant la
théât ralit é de ce personnage et la m anière dont Conan Do yl e parvi ent
à val oriser ses m éthodes :
H ol m es ne serait pas perçu com m e i l l’ a ét é sans
l a t héât ral i té ; son rai sonnem ent ri goureux est m i s
non m oi ns ri goureusem ent en si t uat i on : i l f ait
événem ent , et ses concl usi ons sont expos ées com me
aut ant de dépoui ll es opi m es. La sci ence et l e t héât re
se conf ondent dans l a révél at i on qui est l ’ avat ar
subl i m e du coup d’ écl at . 197
Holmes, tout comm e Lecoq, revendique fièrem ent
son rôl e de
metteur en scène et sa conception performative de l’illusi on. Il s e
197
D. Fernandez-Recatala, Le Polar, M. A. Editions, Paris, 1986, p. 98.
189
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
voit artiste, a yant besoin d’u ne belle mi se en scène qui puisse mettre
en relief ses succès:
L’ i nst i nct de l ’ art ist e qui m onte en m oi me
récl am e avec i nsi stance une bel l e m i se en scène.
Not re prof essi on, […] , serai t à coup sûr t erne et
sordi de si nous ne pouvi ons de t em ps en t em ps
enj o l i ver les choses pour m et t re nos résul t at s en
val eur. 198
La fi ert é de Holmes réside moins dans la résolution de l’éni gme,
que dans la présent ation d’un spectacl e théât ral de qualit é. Pierre
Nordon notamm ent a insisté sur ce point : « Son sens de l a perf ecti o n
art i sti que l e pousse à rechercher l es dénouem ent s spect acul ai res et
él égant s ou à s’ of f rir une m yst if i cat i on aux dépens de ses cl i ent s » 199.
Sherlock Holm es est encore un dét ective qui reconnaît lui -même s a
passion pour l a mise en scène : « j e ne rési ste j am ai s à une pet i te
t ouche t héât ral e ». 200
Les
trois
esthétisant e
héros-détectives
de
la
réalit é,
constituent
donc
une
acti vité
ils
soulignent
l eur
réel
à
le
reconstruction
constante
du
représent ation
artistique.
Nous
travers
somm es
dev ant
prism e
des
vision
de
de
la
détectives
metteurs en scène qui passent les bornes et sacri fient les intérêts du
réel à l a qualité de la représentation.
198
A.C. Doyle, Volume3, La Vallée de la peur (The Valley of Fear), p. 131.
199
Pierre Nordon, Sir Arthur Conan Doyle: l'homme et l'œuvre, Didier, « Études Anglaises », Paris,
1964, p. 203.
200
A.C. Doyle, Volume2, Le traité naval (The Naval Treaty), p.253.
190
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
3.2.
Rivalité, cri tique et moquerie
Le préfet de poli ce G est partagé ent re l’admi rati on pour les
talents de Dupi n et le déplaisi r devant ses succès, il est l’archét ype
du polici er offi ciel, imbu d’une puissance dont il adm et mal les
failles, il est fidèl e à des préjugés mesquins et à des méthodes
dépourvues d’imagi nation, c’est un homme qui sait tout et ne
comprend ri en. Dupin se m oque de sa « m ani e de ni er ce qui est , et
d’ expl i quer ce qui n’est pas » 201.
Par orgueil, le préfet a éprouvé du m al à reconnaît re qu’il était
venu réclam er l ’aide de Dupin, il a donc tenté de déguiser l e motif de
sa visite :
Le f ai t est que l ’ af f ai re est vr ai m ent t rès si m pl e,
et j e ne dout e pas que nous pui ssi ons nous en t i rer
bi en nous - m êm es ; m ai s j ’ ai pensé que Dupi n ne
serai t pas f âché d’apprendre l es dét ail s de cet te
af f ai re, parce qu’ el l e est excessi vem ent bizarre. 202
Et là, avec toute l’i ntelli gence d’u n Dupin et la politesse d’un
chevalier, i nsinuant l’incompét ence de la poli ce, il répond : « P eut êt re est - ce l a si m pli ci t é m êm e de l a chose qui vous i ndui t en er reur » 203.
Si Dupin se mont re ironique à l’égard du préfet lorsqu’il est en s a
présence, en son absence, il est pl ein de mépris pour ses m ét hodes :
[ …] Q u’ il n’ ai t pas pu débroui l l er ce m yst ère, i l
n’ y a null em ent li eu de s’ét onner, et cela est m oi ns
si ngul i er qu’ il ne l e croi t ; car, en véri t é, not re am i
l e préf et est un peu t rop f i n pour êt re prof ond. Sa
201
E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.96. Avec la note
de Poe que l’expression est extraite de La Nouvelle Héloïse de J.-J. Rousseau.
202
E. Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), p.102.
203
Ibid., p.102.
191
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
sci ence n’ a pas de base. El l e est t out e en t êt e et n’ a
pas de corps, com m e l es port rait s de l a déesse
Laverna, - ou, si vous ai m ez mi eux, t out e en t êt e et
en épaul es, com m e une m orue. 204
Dupin reproche égal ement à l’ensemble de la police parisi enne ,
un manque d’im agination frappant aussi bien que de mét hode : « La
pol i ce pari sienne, si vant ée pour sa pénét rat i on, est t rès rusée, ri en de
pl us. El l e procède sans m ét hode, el l e n’ a pas d’ aut re m ét hode que cel l e
du m om ent ». 205
Dans ses luttes contre les c riminels, M. Lecoq se heurte
réguli èrement à l a force d’inerti e et même à l a jalousie de ses
confrères, qui ne veulent pas être dérangés dans l eurs investigations
routinières. Le poli cier explique lui -même au juge de paix comment
ses collègues ne ti ennent pas sa venue en haut e estim e :
Arri ver quand une i nst ruct i on est comm encée,
est dépl orabl e, m onsi eur l e j uge de pai x, t out à f ai t
dépl orabl e. Les gens qui vous ont précéd é ont eu l e
t em ps de se f ai re un syst èm e, et si vous ne l ’ adopt ez
pas d’ em bl ée, c’est le di abl e 206
Mais Lecoq sait parfait ement comment feindre la modestie ,
accept ant i roniquem ent les critiques de ses supéri eurs :
Et
avec
véri t abl e
une
act e
condescendance
d’ héroï sm e,
m ai s
un
que
peu
rai de,
gât ai t
une
poi nt e f i ne d’ ironi e, i l [ Lecoq] aj out a :
– Sel on vous, m onsi eur, que devrai s - j e f aire ? 207
204
E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.96.
205
Ibid., 67.
206
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.97.
207
Ibid., p.417.
192
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Le poli cier peut aller loin dans son affect ation de modest ie :
P l us
que
j am ai s,
il
ét ait
rent ré
dans
son
personnage de m erci er béni n, s’expri m ant d’ une
pet i t e voi x f l ût ée, out rant l es f orm ul es obséqui eu ses
: « J’ aurai l ’ honneur » ou « Si m onsieur l e j uge
dai gne m e perm et t re » 208
Nous constatons une réciprocit é confli ctuell e dans la relation
tendue qu’entretient Lecoq avec ses coll ègues ; le poli cier a du mal à
support er l eur présence :
Et sur cet t e conclu si on l ’ agent de l a Sûret é
[ Lecoq] sort ant sa bonbonni ère se récompensa d’ un
carré de régl isse adressant au j uge d’ i nstruct i on un
j ol i souri re qui bi en cl ai rem ent si gnif i ait : « Ti rez vous de l à. » 209
Le polici er de Gaboriau a su s’imposer au juge en lui arr achant
une reconnaissance de sa m éthode savante, de son raisonnem ent
puissant et de la val eur de ses servi ces :
Enf i n,
[ …] ,
nous
l ’ em port ons,
cet
aust ère
m agi st rat qui dét este si f ort l ’ i nst i t uti on dont nous
som m es le pl us bel ornem ent , f ai t am ende honora bl e
; i l reconnaît et l oue nos ut i l es servi ces.
210
Avec les polici ers et les inspect eurs de Scotland Yard, Sherlock
Holmes entretient , tel un maît re vis -à-vi s de ses élèves, des rapports
souvent t endus et ambigus, mêl és d’une petite admi ration, de critique
208
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.394.
209
Ibid., p.413.
210
Ibid., p.427.
193
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
et d’ironi e. En fait, cet esprit supéri eurem ent int elli gent se gauss e
des poli ciers l ancés sur l a mêm e affai re que lui , car il support e
diffi cilem ent la lent eur d’esprit chez aut rui .
- Gregson est l e pl us m al i n des gars de Scot l and
Y ard, di t m on am i [Hol me s ] . Lest rade et l ui sont l es
seul s qui ém ergent d’ une bande de m édi ocres. Il s
sont t ous deux ra pi des et énergi ques, m ais t el l em ent
conf orm i st es…c’ en est presque scandal eux. 211
En se confiant à son ami Watson, Hol mes s’irrite d’un m anque
de reconnaissance de la part de l a poli ce offi ciell e pour ses grands
apports aux enquêt es, pourt ant, les inspect eurs de police sont l es
premi ers à récolter l e bénéfice de ses résultats :
- Mon cher cam arade qu’ est - ce que cel a peut
bi en m e f ai re ? Adm et t ons que j e résol ve t out e
l ’ af f ai re, vous pouvez êt re cert ai n que Gregson,
Lest rade et com pagni e vont em pocher t out l e crédi t
du f ait . Car j e ne suis pas un personnage of f i ciel .
- Mai s il vous suppl ie de l ’ ai der.
- O ui . Il sai t que j e l ui sui s supéri eur et i l m e l e
concède ; m ais i l se couperai t l a l angue pl ut ôt que
de l ’ adm ett re devant une t i erce personne. 212
Dans tous les cas, l’intérêt pour Holm es est de résoudre des
éni gmes sur lesquell es ont buté les meill eurs enquêt eurs de Scotland
Yard. C’est Holmes qui l eur abandonne, habitu ellem ent, tout le
mérite du succès : « Sur ci nquant e - t roi s af f ai re s où son i ntervent i on a
211
A.C. Doyle, Volume1, Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.35.
212
Ibid.
194
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
ét é dét ermi nant e, dans quat re seul em ent son nom a ét é ci t é, ce qui ne
l ’ a pas em pêché de deveni r cél èbre ». 213
En somme, il s’agit bien d’une scission qui, hist oriqueme nt, a
signalé l ’avènement du genre, elle se manifeste sous deux formes
essenti elles. La première est cell e d’une distinction institutionnelle
entre l ’individu et l e s yst ème. C’est l e cas de l’amat eur Dupin puis,
plus tard, de l’enquêteur privé plus ou moin s professionnel , Holmes .
La seconde form e consist e en une di stinction sur le pl an de l a
personnalit é. L’enquêteur, ici, appartient effectivement à la police
offi ciell e, mais il possède un caractère et une conduite différents et
supéri eurs en m ême temps, ce qui impl ique des heurts relativement
fréquents ent re lui et ses collègues, l’ex emple de ce t ype d’enquêt eur
est illustré par Lecoq.
Un tal en t sou rce d’orgueil et de vani té
3.3.
La modesti e de Lecoq n’est qu’apparent e, car ce dét ective i mbu
de lui-mêm e affecte de se rabaisser devant les aut res mai s dans le
seul but qu’on le fl atte: « Eh bi en, cont i nua M. Lecoq, d’ un ai r et
d’ un t on t rop hum ble pour n’ êt re pas j oué, j ’ hésit e encore » 214. Mais
son humilité est un masque qui peut tom ber à n’importe quel moment
laissant apparaître l e vrai Lecoq : « Le t on m odest e de Lecoq ét ait
devenu
soudai nem ent
rési st er ».
si
i m péri eux
que
le
bonhomm e
n’ osa
l ui
215
Sous la modestie affect ée du dét ective se cache une vanit é
intéri eure qui saut e aux yeux des moi ns clai rvo yants : « Le j eune
pol i ci er s’ i ncli na, l e verm i ll on de l a m odest i e sur l es j oues ; m ai s l a
213
Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J.Vrin, Paris, 1985, p. 405.
214
Ibid., p.91.
215
E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 48.
195
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
vani t é
heureuse
escarboucl es »
216
écl at ai t
dans
ses
yeux
pl us
bri l l ant s
que
des
. A coup sûr, l a vanit é ou l ’orgueil sont pour
beaucoup dans le ton que Lecoq adopt e :
Tenez, m onsi eur , ajout a l ’ agent , voi ci m onsi eur
l e j uge d’ i nst ruct i on qui se croi t en f ace d’ une
af f ai re t oute si m ple, t andi s que m oi , m oi M. Lecoq,
[ …] j e n’ y vois pas encore cl ai r. 217
Cependant, il faut reconnaître que si le dét ective Lecoq est
vaniteux, c’est surtout de s succès qu’il obtient dans l’exercice de sa
profession :
La
f i gure
j usqu’ al ors,
de
M.
expri m a
Lecoq,
la
j oi e
asse z
la
pl us
so uci euse
vi ve.
Il
éprouvai t l’ orguei l si légi ti m e et si nat urel du
capi t ai ne
qui
voit
réussi r
les
com binai sons
qui
doi vent perdre l ’ ennem i . 218
D’aill eurs, l es com pliments l es plus maladroits peuvent ravi r
Lecoq, quand il les sait sincères et m érit és: « M. Lecoq qui a l a vani t é
de t ous l es act eurs, f ut sensi bl e au com pl i m ent et di ssi m ul a assez m al
une gri m ace de sat i sf act i on ». 219 En effet , Lecoq est t rès sensi ble aux
flatteries : « P ui s c’ ét ai t l a premi ère f oi s que cet t e rosée de l a l ouange
t om bai t sur l a van i t é de Lecoq : el l e l ’ épanoui t ». 220
216
E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 219.
217
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p. 97.
218
Ibid., p.489.
219
Ibid., p.110.
220
E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p.56.
196
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Vanit é, orgueil ou fierté, ce sont les traits caract éristiques qui
font d’un Lecoq une personne a yant une opinion avant ageuse de soi
même :
L’ af f ai re est com pliquée, dif f i ci l e, t ant m i eux !
Eh ! si el l e ét ait si m pl e, j e ret ournerai s sur - l echam p à P ari s, et dem ai n je vous enverrai s un de
m es
homm es.
Je
lai sse
aux
enf ant s
l es
rébus
f aci l es. 221
Pour en veni r à Hol mes, nous avons déjà si gnalé sa vanité pleine
de m épris envers ses prédécesseurs Lecoq et Dupin. Il l es a t raité s de
« pauvre i ncapabl e » pour le premier et de « col l ègue t out à f ai t
i nf éri eur » pour le deuxième. Un t el rabaissem ent a contrari é so n ami
Watson au point qu’il se dit « Ce personnage est peut -êt re t rès
i nt el li gent , [ …] , m ai s i l est aussi d’ une i ncroyabl e prét ent i on.» 222
C’est en effet, une très haut e idée qu’a de lui -même Sherl ock
Holmes qui décl are en parlant de son plus dangereux adver saire, le
bandit de haut vol Moriart y :
C’ est
un
géni e,
un
phi l osophe,
une
pensée
abst rai t e. Il est dot é d’ un cerveau de t out prem i er
ordre. [ …] Vous connai ssez m es f acul t és, m on cher
Wat son, et pourt ant au bout de t roi s moi s, j e f us
f orcé de reconnaî t re q ue j ’ avai s enf i n rencont ré un
adversai re
qui
étai t
m on
égal
sur
le
pl an
i nt el lect uel . 223
221
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.161.
222
A.C. Doyle, Volume1, Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.29.
223
A.C. Doyle, Volume2, Le dernier problème (The Final Problem), p.269.
197
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Il
ne
paraît
pas
contest abl e
que Holmes est
excessivement
orgueilleux ; un dial ogue entre Holm es et un duc venu solli citer son
aide, en dit long sur cet orgueil roide et i ntransi geant du dét ective :
- [ …] J’ ai ent endu di re que vous aviez déj à eu
l ’ occasi on de vous occuper de quest i ons dél i cat es de
cet t e
nat ure,
monsi eur,
bi en
qu’ el l es
ne
concernassent guère, j e suppose, l a m ême cl asse de
l a soci été.
- En ef f et , j e régress e.
- Je vous dem ande pardon ?
- Mon derni er cli ent de l a sort e ét ai t un roi . 224
L’orgueil de Holmes peut apparaître sans limite : « j e sui s t out à
l a f oi s l ’ ul t im e et l a pl us haut e cour d’ appel en t erm es de recherche
cri m i nel l e » 225 . C’est pourquoi il s’est froissé quand un visit eur a cru
le fl atter en lui disant qu’il ét ait l e second dét ective d’Europe ;
à
cel a, Holmes a répli qué avec une certaine rudesse :
- Vrai m ent , m onsi eur ! P uis - j e vous dem ander
qui a l ’ honneur d’ êt re l e prem ier ? [ …]
- L’ œuvre de M. B ert i ll on exercera t ouj ours
beaucoup d’ at t ract i on sur un espri t ri goureusem ent
sci ent if i que.
- Al ors
ne
f eriez - vous
pas
m i eux
de
le
consul t er ? 226
Tout
en
se
vant ant
toujours
de
sa
supériorité
face
aux
inspect eurs de poli ce, Holm es explique à son ami Watson :
224
A.C. Doyle, Volume1, L’aristocrate célibataire ( The Noble Bachelor), p.795.
225
A.C. Doyle, Volume1, Le Signe des quatre (The Sign of Four), p. 199.
226
A.C. Doyle, Volume2, Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), p. 313.
198
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Je m e f l at t e de pouvoi r di st i nguer d’ un seul coup
d’ œi l l a cendre de n’ i m porte quel l e m arque connue
de ci gares ou de t abac. C’ est préci sément sur ce
genre de dét ail s que l ’ enquêt eur expéri m enté se
di st i ngue d’ un Gregson ou d’ un Lest rade. 227
Même son ami et coloca tai re W atson, censé le connaître en
profondeur
et
le
comprendre,
acceptait
m al
son
égotism e :
« [ …] j ’ ét ai s vexé pa r cet égocent ri sme qui , j e l ’ avai s pl us d’ une f ois
const at é, ét ai t un des t rai t s sai ll ant s de l a personnal i t é si ngul i ère de
m on am i » 228.
Avec Sherlock Hol mes nous pouvons confi rmer qu’orguei l et
vanité sont deux sentiments qui marchent souvent de compagni e :
« Ce m êm e caract ère si ngul i èrem ent f i er et réservé, […] , pouvai t êt re
ém u au pl us prof ond par l ’ ém ervei ll ement spont ané et l es l ouanges
d’ un am i » 229
Tout comm e Lecoq , Holmes est : « sensi bl e à l a f l at t erie à propos
de son t al ent qu’ une j eune f i l l e peut l ’ être à propos de sa beaut é.» 230.
On peut lire aussi : « Les j oues de H ol m es se col orèrent , et i l s’ i ncl i na
devant nous com m e un m aî t re dram atu rge recevant l ’ hom m age du
publ i c » 231. Le dét ecti ve est par ailleurs fort consci ent de cet te tare,
allant jusqu’à concéder : « j e ne peux êt re d’ accord avec ceux qui
cl assent l a m odesti e parm i l es vert us. » 232
227
A.C. Doyle, Volume1, Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.51.
228
A.C. Doyle, Volume1, Les Hêtres-Dorés (The Copper Beeches), p.877.
229
A.C. Doyle, Volume2, Les six Napoléon (The Six Napoleons), p.955.
230
A.C. Doyle, Volume1, Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.53.
231
A.C. Doyle, Volume2, Les six Napoléon (The Six Napoleons), p.955.
232
A.C. Doyle, Volume2, L’interprète grec (The Greek Interpreter) , p.159.
199
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Même si
l es jugements de Watson sur l 'égocentrism e et
l’orgueil de son am i ne sont pas sans fondement, Holmes s’en est
défendu avec des remarques assez révél atrices sur son ét at d'esprit:
Non, ce n’ est ni de l ’ égoï sm e ni de l a vani t é,
[ …] . Si j e revendi que une pl ei ne reconn ai ssance de
m on
art ,
c’ est
qu’ i l
s’ agit
de
quel que
chose
d’ i m personnel… de quel que chose qui m e dépasse. 233
Pour Lecoq comm e pour Holmes, l’orgueil est u n besoin
d’excell er pl us que leurs collègues, et de s’attribuer à eux -mêmes
leur propre excellence. Il nous sembl e bien cl air que l’int e lli gence
supéri eure et except ionnelle et les grands talents des détect ives sont
la cause principale qui a développé leur sentiment d’orgueil et d e
vanité. En effet, si l’on observe l ’influence des professions sur l es
caractères, l es poèt es, les artist es, les philosophes, etc., o nt souvent
une dose d’orgueil beaucoup plus fort e que le reste du monde.
Ainsi, avec un Dupi n qui a la passion d’opposer la supériorité de
ses anal yses des cri mes à cell es , erronées, de l a poli ce et avec l a
fiert é excessi ve d’un Lec oq et l’arrogance infat uée d’un Holmes,
l’orgueil devient légitime et se transforme en hommage m érité qu’on
se rend à soi -m ême. Ces dét ectives ont ce que l’on appell e l’orgueil
légitime des grands invent eurs, comm e Sherl ock Holm es l ’explique
lui-mêm e :
P our un l ogi ci en, t out es l es choses doi vent êt re
vues exact em ent com m e el l es sont , et se sous - est im er
233
A.C. Doyle, Volume1, Les Hêtres-Dorés (The Copper Beeches), p.877.
200
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
revi ent à s’ écart er de l a véri t é aut ant que l orsqu’ on
exagère ses propres m éri tes 234.
Ce sont des personnages fi ers qui trouvent en eux -mêmes la
source de l eur di gni té, et ils savent bi en que cette dernière ne peut
être augm entée ni diminuée que par leurs propres actes. Certes à
l’orgueil l égitime des détectives se joi nt, il faut l ’avouer, un peu
d’égoïsme, mais chez eux, cet orgueil n’est pas un vi ce, ni un jus te
sentiment de sa valeur, il est un puissant ressort d’action et
d’évolution dans l eur profession.
4. Relations sociales et états émotionnels
4.1. Misanthropie et asocia lité
Dupin et son c ompagnon se situent vol ontiers en marge. Avec
eux, on assiste à un mode de vie extrême par l’isol ement qui
s’oppose aux lois de la soci ét é, le narrat eur et compagnon du
détective nous dit : « Si l a routi ne de not re vi e dans ce l i eu avai t été
connue du m onde, n ous eussi ons passé pour deux f ous ». L’association
Dupin-narrateur
m et
en
commun
misanthropie
et
goût
des
cachotteries . La coupure est tot ale m ême avec les plus proches :
« not re ret rai te ét ait rest ée un secret – soi gneusem ent gardé – pour
m es anci ens cam arades », le narrat eur ajoute : « not re récl usi on ét ai t
com pl èt e ;
nous
ne
recevi ons
aucune
vi si t e »,
« nous
ne
vi vi ons
qu’ ent re nous » 235. Ce vérit abl e isolem ent 236 du reste de l a sociét é
contredit le statut de l’enquêt eur qui va s’impliquer dans la vie
234
A.C. Doyle, Volume2, L’interprète grec (The Greek Interpreter), p. 159.
235
E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.45. (Même
référence pour toutes les notes de cette page).
236
Voir plus haut « l’habitat isolé », p. 163.
201
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
d’aut rui et jouer un rôle soci al fondamental puisqu’il rét abl it l’ordre
pertu rbé par l e crimi nel .
Cette extrême marginalité inscrit Dupi n et le narrat eur dans
l’anim alité, d’où un compor tem ent de bêtes sauvages fuyant tous
liens avec la soci été et ainsi avec l’humanité. Cet isol ement quasi animal est accentu é par l e mode de vie clo s des deux personnages.
Nous avons l’impression que le portrait d’un Dupin -noctambule fait
suite à un Dupin m arginal et asocial , et ce sont l es m êmes
raisons,
précédemm ent évoquées pour son am our de la nuit , qui semblent l e
pousser à craindre toute form e de sociabilit é. Le récit polici er
d’Edgar Poe est en effet un exempl e d’une esthétique visuell e
marquée par le cont rast e entre l’ombre et la lumière, qui transforme
l’espace urbain en un monde spectral, encadrant des intéri eurs
propices à l a cl austrophob ie.
A
travers
la
dual ité
d’un
Dupin
brillamment
intelli gent,
raisonneur et anal yst e et un Dupin m ystérieux, misanthrop e et
solitaire, nous pouvons constat er qu’Edgar Poe s’est dépeint dans son
personnage. En effet, cet écrivain paradoxal car écartel é entre le
rationnel avec ses écrits polici ers, et l’irrationnel avec ses écrits
fant astiques, avait attribué à son héros plusieurs t raits a yant val eur
d’indices sur ses i dées et son st yl e. Dans des réfl exions qu’il publi e
en sa qualit é de critique littérai re, Ju les Vernes encourage les
lect eurs du magazine Le Musée des fami lles à lire Edgar Poe. Inspiré
par l’i denti fication entre Poe et ses personnages , il sembl e ne plus
faire l a différence entre l a fi ction et l e réel :
[ …] , ce qu’ i l f aut adm i rer dans l es ouvrag es de
P oe, c’ est [ …] , l e choi x de ses suj et s, l a personnal i t é
t ouj ours ét range de ses héros, l eur t em péram ent
m al adif et nerveux, l eur m ani ère de s’expri m er par
202
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
i nt erj ect i ons bi zarres. Et cependant , au m i l ieu de
ses im possi bil i tés, exi st e parf oi s une vrai s em bl ance
qui s’ em pare de l a crédul i t é du l ecteur . 237
De son côté, Sherl ock Holm es est asocial . Il ne s'est jamais
vraim ent mêl é à la sociét é. Il y vit bien sûr, m ais par obligation,
parce qu'il a besoin d'elle et surt out parce qu'ell e a besoi n de lui.
Hormis sa logeuse M m e Hudson et son servit eur Bill y, il n’y a guère
de familiers. Hormis Watson pas d’amis non plus et h ormis son frère
M ycroft qu’il voit rarem ent, pas de parents. Pas de rel ations non plus
en dehors des cli ent s « souvent peu recom m andabl es » , et de quelques
policiers.
Holmes
détest e
la
compagni e
sous
toutes
ses
form es : comme l’at teste son ami Watson : « [ …] H olm es, dont l ’ âm e
de parf ai t bohémi en m éprisai t t out e f orm e de m ondani t é , dem eurai t
dans not re m eubl é de B aker St reet , enf oui sous ses l i v res » 238.
Il sembl e à premi ère vue que l a misanthropie est un trait
familial chez les Holmes, car M ycroft le frère aîné de Sherlock
Holmes éprouve l a plus grande répugnance à paraître en public et
même à so rtir de chez lui. Êt re misanthrope relève, d’après l e
détective,
Holmes
d’un
décrit
caract ère
le
Club
brit annique.
Diogène,
Voi ci
dont
comment
Mycroft
est
Sherlock
l’un
des
fondateurs :
Nom breux sont ceu x à Londres qui , cert ai ns par
t i m i di t é, d’ aut res par m i sant hropie, ne dési rent
aucunem ent
la
com pagni e
de
leurs
sem bl ables.
Tout ef oi s, i l s ne dédai gnent pas pour aut ant l es
f auteui l s conf ort abl es ni l es j ournaux réc ent s. C’ est
237
Jules Vernes, Le Musée des familles, 1864, cité dans Double Assassinat dans la rue Morgue, La Lettre
volée, Petits classiques. , Paris, 1999, p.167.
238
A.C. Doyle, Volume1, Un scandale en Bohême (A Scandal in Bohemia), p. 389.
203
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
pour sat i sf ai re ces gens - l à que l e cl ub Diogène a ét é
créé, et il réuni t désorm ai s l es homm es l es pl us
asoci aux et l es pl us ant i - cl ub s qui soi ent dans cet t e
vi l l e. 239
Tout comme Edgar Poe, Conan Do yle se laisse voir derrière son
personnage, dans l e port rait de Sherl ock Holm es l’asoci al et le
misanthrope. Holmes est un lecteur avi de, Conan Do yl e de son côté,
se passi onnait pour la lect ure et tomba amoureux des œuvres de
Walter Scott et de Jules Verne. Or, la lecture qui est une pratique
essenti ellem ent solit aire, serait pour Hol mes et son créateur, à la fois
stimulante,
libératrice,
mais
aussi
source
de
déséquilibr e
et
d’isolem ent ; M. Pinque l e confi rme int égral ement :
H ol m es
ne
m ent i onne
à
aucun
m oment
ses
géni t eurs, et cet «oubl i » n’ est probabl em ent pas
i nnocent . Son père ressem bl ai t peut - êt re au propre
père de Doyl e, auqu el cas l ’ enf ant se serai t t ourné,
f aute d’ une i m age m ascul i ne sat i sf ai sant e, vers l es
preux cheval i ers des l i vres. 240
239
A.C. Doyle, Volume2, L’interprète grec (The Greek Interpreter), p. 161.
240
Meryl Pinque, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, Etude réalisée dans le cadre d’un DEA de
Littérature, URL : http://faustroll.net/pinque/index.htm.
204
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
4.2.
Un univers misogyn e
Sherlock Holmes est particuli èrement rem arquable dans son
attitude face aux femmes et à l 'amour :
Mai s l ’ am our est aff ai re d’ ém ot i on, et t out ce
qui est ém ot i onnel s’ oppose à l a rai son f roi de et
i m pl acable, que j e place au - dessus de t out . Je ne m e
m ari erai j am ai s m oi - m êm e, de peur de voi r m on
j ugem ent bi ai sé.
241
Chez lui, la vie sent imental e est catégoriquement inexistante, Il
se décrit lui -m ême comme un être incapable d’aim er: « Je n’ ai j am ai s
ai m é , Wat son » 242. A propos de la misogynie de Holm es, Jorge Luis
Borges note: « Il est chast e. Ne sait rien de l ’ am our. N’ a pas aim é. Cet
hom m e si vi ril a renoncé à l ’ art d’ ai mer. A B aker St reet , i l vi t seul et
à part . 243
Holmes va même jusqu’à pro fesser, en homme averti, l e m épris
des femmes : « Il ne f aut j am ai s f ai re ent i èrem ent conf iance aux
f em mes. P as m êm e aux m ei l l eures d’ entre el l es » 244. Dans l e m eilleur
des cas, il décrit la femme avec la mêm e « obj ectivité qu’un insecte
ou un ois eau mi grate ur » :
L’ une des cat égori es l es pl us dangereuses qui
soi ent , [ …] , est l a f em m e sans at t aches ni am i s. Ell e
est l a pl us of f ensi ve, et souvent l a pl us ut i l e des
m ort els, m ai s parf ois el le i nci t e i névit abl em ent au
241
A.C. Doyle, Volume1, Le Signe des quatre (The Sign of Four), p.383.
242
A.C. Doyle, Volume3, Le pied-du-diable (The Devil’s Foot), p.577.
243
Cité dans : Poésie en France 1893-1988: une anthologie critique de Henri Deluy, Flammarion, Paris,
1992, p.317.
244
A.C. Doyle, Volume1, Le Signe des quatre, (The Sign of Four), p.305.
205
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
cri m e. El le est sans déf ense. El l e m i gre sans arrêt .
[ …] El l e est com me un poul et égaré dans un m onde
de renards. Q uand ell e se f ait dévorer, on s’ aperçoi t
à pei ne de sa di sparit i on. 245
Miss Mar y Morstan, qui deviendra l’épouse de Watson, vi ent de
quitter l e 221B Baker St reet après avoir exposé son pro blème au
détective Holm es. W atson, qui assistait à la scène, ne l’a pas écout ée,
il est resté fasciné par la beauté de la jeune femm e, beauté que
Holmes, lui, n’a pas remarquée. Watson comprend alors l a vérit é:
« vous êt es vrai m ent un aut om at e, une machi ne à cal cul er, […] , i l y a
par m om ent quel que chose de véri t abl em ent i nhum ai n en vous » 246.
Watson reproche à son ami de préférer l ’usage des stupéfi ants à
une vi e conjugal e normal e. Ainsi, l orsqu’ à l a fin d’une de l eurs
avent ures polici ères, il lui annonce s on mariage en lui posant la
question:
- Le
part age
sem ble
assez
peu
équi t abl e,
rem arquai -j e. Vous avez f ai t t out l e t ravai l dans
cet t e af f ai re. J’ hérite d’ une f emm e, Jones en ret i re
t ous l es honneurs, mai s di t es - m oi donc ce qu’ i l vous
rest e, à vous ?
- P our m oi , di t Sherl ock H olm es, il rest e l e
f l acon de cocaï ne. 247
Certai ns critiques pensent que, pour préserver l’infaillibili té de
Sherlock Holmes,
tout ce cont re quoi il ne peut pas lutter lui est
245
A.C. Doyle, Volume3, La disparition de lady Frances Carfax (The Disappearance of Lady Frances
Carfax), p.491.
246
Ibid., p. 217.
247
Ibid., p. 385.
206
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
épargné, et en premier li eu l es fem mes. L’anal yse de Geoffre y
O’Bri en paraît, à ce sujet, tout à fait pertinente:
Dans l e m onde de Sh erl ock H olm es, aussi f erm é
à l a sexual i t é que son appart em ent de Baker St reet
est i m perm éabl e au vent et au broui l l ard ext éri eurs,
l es m yst ères sont cont rôl és et réduit s à de si m ples
obj et s : une l ett re vol ée, une bout ei l le de som nif ère,
un condui t d’ aérat i on caché. Ce sont des anom al i es
dans un m onde ord onné où l e t em ps et l ’ espace
f orm ent
des
l i gnes
cl ai rem ent
déf i ni es.
En
consul t ant un t abl eau horai re et une cart e, i l est
f aci l e d’ i sol er l ’ él ément pert urbat eur. [ …] Ce genre
de réci t poli ci er excl ut l es f emm es pour l a m êm e
rai son qu’ i l él im i ne l e surnat urel : ce sont des
m yst ères qui se si t uent bi en au - del à des capaci t és
du dét ect i ve . 248
La misogynie de Sherlock Holmes a même
théori ciens
à
prét endre
poussé
plusie urs
que le duo formé par Holmes et Watson
form ait un m énage homosexuel t ypi quement vi ctori en, ancré dans le
secret et l ’inavoué, à une époque où l 'homosexualité est s ynonym e de
dégoût et de rejet. C ependant, Sherlock Holmes ne f uit pas seulem ent
la compagni e des femmes, nous n’avons pas manqué de démontrer
plus haut qu’il fai t de m ême avec les hommes. Parmi ceux qui
s’opposent à l 'idée de voir un Sherlock Holmes homosexuel, i l y a M.
Pinque qui argumente ainsi :
Ri en n’ est cepend ant pl us cont rouvé que cet t e
af f i rm at i on, car Sherl ock H ol mes pl ane l oi n au dessus du sexe et de ses t urpi t udes. Ce suj et ne
248
G. O’Brien, Hard-Boiled USA.. Histoire du roman noir américain, Amiens, Encrage éditions, trad.
S. Bourgoin, 1989, édition augmentée, p. 114.
207
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
l ’ i nt éresse pas, qu’ il soi t d’ obédi ence mascul i ne ou
f ém i ni ne. [ …] Le héros, par nat ure, est d’ abord un
êt re
asexué,
n’ éprouverai t
dépri s
de
probabl em ent
la
que
c hai r.
m épri s,
H olm es
voi re
superbe i ndif f érence, pour des êt res rédui t s à des
expédi ent s purem ent physi ques qui , l oi n de rom pre
l a m onot oni e de l ’ exist ence, ne f ont au cont rai re que
l ’ ent ret eni r et l ’ exacerber . 249
Et pourtant , Sherlock Holmes a atténué sa misogyni e en une
seule et unique occasion, c’était avec la t rès belle Irène Adler,
l’héroïne de Un scandale en Bohême qui le fascinera au poi nt qu'il la
laissera partir libre. Selon Watson, Irène Adler est pour Sherlock
Holmes « La femme » qui non seul ement « éclipse » l’ensemble de
son sexe, mais elle le « su rpasse ». Il y a mêm e lieu de pens er que
Holmes est tombé sous le charme de cette femme. Holmes reconnaît
à Irène Adler des qualités d'esprit supéri eures à la mo yenne, car ell e
a réussi à faire subir au dét ecti ve un de ses rares éc hecs, ce qui laiss e
penser que c e serai ent plutôt ses qualit és intell ectuelles qui av ai ent
attiré le dét ective pl utôt que sa beauté ou son charme.
A la personnalité misogyne de Sherlock Holm es s’o ppose l a
personnalit é sentimentale de M. Lecoq. Ce dernier a une femme dans
sa vie ; si important e d’ailleurs qu’il reconnaît en être l’escl ave :
O ui , m oi , l ’ agent de l a Sûret é, l a terreur des
vol eurs et des assassi ns, [ …] , m oi qui sais t out , qui
ai t out vu, t out ent endu, m oi , Lecoq, en f i n, j e sui s
pour el l e pl us sim pl e et pl us naïf qu’ un enf ant . Ell e
m e t rom pe, j e l e voi s, et el l e m e prouve que j ’ ai m al
249
Meryl Pinque, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, Étude réalisée dans le cadre d’un DEA de
Littérature, http://faustroll.net/pinque/index.htm .
208
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
vu. El l e m ent , je l e sai s, j e l e l ui prouve… et j e l a
croi s. 250
Mais cette femm e dont parl e Lecoq, reste une m aîtresse et non
une épouse, et leur amour ne s’est j amais exposé au regard public.
Il est bien clair qu’Edgar Poe, Émil e Gabori au et Conan Doyl e
ont imposé le célibat à leurs détectives. Nous pouvons penser aux
exigences de l eur profession. C’est pour avoir le temps de s e
consacrer à leur ardu métier et de ne pas êt re encom br és de
sentiments
et
de
responsabilités
familiales
lorsqu’ils
doivent
rechercher la clef de l’éni gme. Leur activité intell ectuelle implique
donc une sorte d’ascèse. Il l eur faut faire abstracti on de leurs
sentiments pour que fonctionne sans défaill ance leur admirable
appareil logique.
Certes, pour Edgar Poe et Conan Do yl e, la passion amoureuse ne
devrait pas toucher l e parfait enquêteur de roman, dont elle ri squerait
d’amoindri r l es facultés. Mais Lecoq de Gaboriau, pour y avoir
succombé, n’en serait que plus humain et plus s ympathique au
lect eur,
et
ne
pourrait
jamais
être
qualifi é
de
« c érébral
à
l ’ ext rêm e » , d’ « i ncapabl e d’ ai m er » ou de « m onst re » , comme c’est
le cas avec ses h omologues August e Dupin et Sherlock Holmes. 251
250
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.164.
251
« Cérébraux à l’extrême, ils paraissent incapable d’aimer. Disons-le : ce sont des monstres ».
Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Pari, Vendôme, 1994, p. 30.
209
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
4.3.
Serai ent-ils sensibl es !
Edgar All an Poe présen t e son héros comme un raisonneur sans
corps ni âm e, et le présente comm e une incarnation quel que peu
abstraite du froid t alent de l’anal yse. Mais il le dote en même temps
de traits de caract ères étranges qui le rapprochent du surhomme ou de
l’artist e géni al et névrosé. Ainsi , s ’int errogent Boileau et Narcejac :
Mai s qui est Dupi n ? Au f ond, P oe n’ en sai t ri en.
L’ hom m e ne l ’i nt éresse pas. Il l ui suf f i t de nous
suggérer que Dupi n est une prodi gi euse m achi ne à
rai sonner. Son aspect est à pei ne esqui ssé. [ …] . En
som m e, i l n’exi st e pas. [ …] . L’ homm e qui ne se
t rom pe
hum ai ne.
j am ai s
s’ excl ut
de
la
com m unaut é
252
Et mêm e quand il veut se dist rai re, Dupin choisit le Whist dont
les manœuvres constituent un véritabl e exerci ce i ntell ect uel. Une
telle passion sèche dominée par le calcul et l’effort mental, nous
révèle l’aspect raisonneur, froi d et gl acial d’un personnage voué à
l’abst raction.
En revanche, si Dupin réussit l à o ù la police échoue, c’est qu’il
est aussi doué pour la poési e et l a philosophie. Il est un esprit
méthodique alli é à un poète qui a, nous confie -t-il modestem ent, écrit
quelques
vers.
L’ attirance
du
détective
est
fort e
pour
l 'art
combinatoire : la recherch e d'une poéti que fondée sur une méthode
aussi ri goureuse qu'une m éthode sci entifique.
252
Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Pari, Vendôme, 1994, p. 30.
210
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Le
personnage de Dupin possède l es qualités nécessai re s pour
être poèt e : il s'inquiète des « nécessi t és de vi e » (le rêve, l a lecture,
l'écriture et l a conversation), l es « l i vres sont véri t abl ement son seul
l uxe ». Il
a une i magination extraordinaire puisqu'il trouve l es
solutions à tous l es m yst ères qui paraissent impossibl es. Et il manie
la langue parfait ement. C’est pour cel a que le dét ective met bien en
évidence l a parenté de son exigence poétique avec l 'exigence de
ri gueur qui caractérise les sciences. Dupin est poète
parce qu’il
parvi ent à « dégag er l a sim pl i ci t é réel l e » du monde qui paraît
confus à chacun d’entre nous. « Dupi n él uci de et écl ai re l ’ éni gme
com m e l e poèt e écl ai re l e l ect eur et l ui dévoi l e l’ i déal ». À travers
Dupin, Poe semble être ce poèt e.
En parl ant du minist re D, le dérobeur de la fameuse lett re que la
reine reçoit ( sans doute) d’un amant, Dupin affi rme : « Co m m e poèt e
et
m at hém at i ci en,
il
a
dû
rai sonner
j ust e
;
comm e
sim pl e
m at hém at i cien, i l n’aurai t pas raisonné du t out , et se serait ai nsi mi s à
l a m erci du préf et ».
253
Dupin/Poe nous donne ainsi l ’impressi on que
la rationalité d u scientifique ne s’oppose pas à la sensibilité d u
poète, bien au contraire science et poési e ferai ent bon ménage en une
sorte de néopl atonisme tout à fait à part . Ainsi, à travers un détective
scienti fique et poèt e, une litt érature nouvell e est née. Le s frères
Goncourt, dans leur Journal à l a date du 16 juillet 1865, a ffirment :
Après
avoi r
lu
Poe. Q uel que
chose
que
la
cri t i que n' a pas vu, un m onde l i tt érai re nouveau, l es
si gnes de l a l i t t érat ure du X X e si ècl e. Le m i racul eux
sci ent if i que, l a f able par A + B ; une l i t t érat ure
m al adi ve et l uci de. 254
253
E.A. Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), p.122.
254
Cité par Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 38.
211
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
La sci ence a en effet, une grande i mportance dans l’œuvre de
Poe, ses
t rois nouvelles polici ères reposent en grande partie sur
cell e-ci. Poe parvi ent à fai re entre science et littérature un mélange
subtil qui donne à son œuvre tout e son ori ginalit é et son intérêt. La
fascination de Baudelaire pour le t ravai l de Poe a un rapport direct
avec
l ’opinion
de
Baudelai re
sur
le
rapport
entre
science
et
littérat ure. S elon l ui, il est impossible pour l a littérat ure d’exister
hors de la sci ence et de la philosophie m odernes. C ette i dée ét ait l’un
des messages les pl us fondament aux de la théorie litt éraire de Poe,
telle qu'il l 'a i ncarnée en l a personne de son héros -dét ective Auguste
Dupin.
Watson
décrit
son
ami
Sherlock
Holmes
comme
étant
« l a m achi ne à observer et rai sonner l a pl us parf ai t e que l e monde ait
connue » 255 , il not e égalem ent de façon précise les moment s où l e
visage du détective prend cette « i m passi bi l it é de peau - rouge, qui a
condui t de si nombreuses personnes à l e consi dérer com m e une
m achi ne pl ut ôt que com m e un hom me » 256. Pourtant, nous découvrons ,
sous la haut aine carapace dont s'est entouré Holm es, une réell e
sensibilité et un sens profond de l’amitié même s’il ne les m ontre que
très exceptionnell ement et pour un temps très court.
Lors de
l'aventure des Trois Garrideb , quand Holmes s'inquièt e pour Watson
qui vient d'êt re bl essé, ce dernier, très ému, racont e :
P ui s l es bras m ai gres de m on am i m ’ ent ourèrent
et i l me condui si t sur une chai se.
- Vous n’ êt es pas blessé, Wat son ? P our l’ am our
de Di eu, di t es - m oi que vous n’ êt es pas bl essé !
255
A.C. Doyle, Volume1, Un scandale en Bohême (A Scandal in Bohemia), p. 389.
256
A.C. Doyle, Volume2, L’estropié (The Crooked Man), p. 91.
212
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Cel a val ai t bi en une bl essure – cel a val ai t de
nom breuses
bl essures
–
que
de
co nnaî t re
la
prof ondeur de l a l oyaut é et de l ’ af f ecti on qui se
cachai ent derri ère ce m asque f roi d. 257
Le plus ét onnant chez Sherlock Holm es, est son amour pour la
musique,
c’est
un
mélomane
averti
qui
pratique
le
violon,
l’instrum ent rom ant ique par excell ence et dont il est dit qu’il
constitue « son occupation favorite » 258. Il se déplace vol ontiers
pour all er entendre un artiste : la violoniste Norman -Néruda, les
frères de Reszké ou une œuvre qui l ui pl aît de Wagner, de C hopin...
Chez Holmes comme chez Dupi n, deux facett es s’opposent. D’un
côté, ce sont des rai sonneurs et des cerveaux sans émotions, des êtres
froids et insensibl es qui passent pour des machines, de l’autre côt é,
ce sont des artistes qui, sans une cert ai ne sensibilité, n e pourr aient
pas exercer l eur art . C’est ainsi que Watson nous décrit son ami
Holmes qui assi stait à un concert:
Son vi sage l égèrement souri ant et son regard
l angui ssant et rêveur ét ai ent aussi é loi gnés que
possi bl e
de
ceux
de
H olm es
le
l im ier,
H olm es
l ’ i m pl acabl e et i nf at igabl e expert crim i nel à l’ esprit
vif . Sa personnal i t é si ngul i ère ét ai t t our à t our
dom i née par l ’ une des f acet t es de cet t e dual it é
[ …] . 259
Cela se sent : sous des dehors durs et i nhumains se cachent la
chai r, l e cœur,…. se cache l’être hum ain.
257
A.C. Doyle, Volume3, Les trois Garrideb (The Three Garridebs), p. 837.
258
A.C. Doyle, Volume1, Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p. 65.
259
A.C. Doyle, Volume1, La ligue des rouquins (The Red-Headed League), p. 465.
213
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Mais, d’où vient cet te impassibilit é propre à Holm es et Dupin ?
En fait, l e premi er est britanni que, le deuxièm e port e un nom
français, m ais son créateur est am éri cai n, influencé par l 'esthé tique
de l 'époque vi ctorienne. D eux personnages part agent donc un mêm e
caractère
propre
aux
anglo -saxons :
le
sang-froid.
À
l'époque
victori enne, les Continentaux sont encore perçus comm e des êtres
efféminés par les Brit anniques, p uisque les Français se la issent
guider par l eur passion plutôt que par l a raison, et ils ne possèdent
pas l a m asculi nité presque froide des Angl ais. Aux yeux de ces
derni ers,
efféminé s
et
sensuels
sont
donc
l es
caractéristique s
t ypiques des continentaux qui cont rast e nt avec l a moral e stricte du
peupl e angl ais qui voit dans cette froide rectitude un moyen de
défense effi cace contre l es périls étrangers.
Ainsi, Lecoq est conform e à l 'im age victorienne du Continental ,
puisque ses excès de joie, de t ristesse et de colère ne correspondent
pas à l a m entalit é angl aise qui se veut beaucoup plus sobre et
réfl échie. Lecoq affect e l’impassibilité qui doit êt re l a règl e dans son
métier, si l’on ne veut pas perdre sa cl ai rvo yance, mai s au fond c’est
un sensible. Il lui arrive d’êt re ému jusqu’a ux larm es , ce qu’il
s’efforce toujours de dissimuler :
Depui s un m om ent déj à, M. Lecoq f ai sai t l es pl us
si ncères ef f ort s pour em pêcher de t om ber une l arm e
chaude qui roul ai t dans ses yeux. M. Lecoq est
st oï que par pri nci pes et par prof essi on. 260
Pour cacher ses émotions, Lecoq affecte de plaisanter sur un ton
c ynique, all ant jusqu’à tomber dans un humour noir assez déplacé.
Ainsi quand il a remarqué d’horri bles taches de sang sur l e lieu du
260
Émile Gaboriau, Le crime d’Orcival, p.140.
214
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
crime, il a alors ce reproche : « – Les m al heureux ! O n ne sal i t pas
t out ai nsi dans une m ai son, ou du m oins on essui e. O n prend des
précaut i ons, que diabl e ! ». 261 Lecoq est plus que sensi ble, il est
sentiment al. Comme nous l’avons évoqué précédemment, i l a aimé
une femme qui l’a fait souffri r par sa légèret é, cependant i l n ’a pas
cessé de l’aimer et , quand ell e lui reviendra, il la reprendra. A
l’opposé de l ’Angl o -saxon du X IX e siècl e, perçu comme un êt re
austère et quasi dépourvu de sentiments, Lecoq représent e le Français
de cette m ême époque qui se l aisse gui der par des p ulsions et des
sentiments parfoi s irrationnels.
***********
En somme, si nous essa yons de définir les valeurs qu’impliquent
les portraits moraux des t rois détectives, force est de const at er qu’ils
sont des personnages qui n’ont cert es aucune ori gine di vine ou
surnat urelle, mais ils relèvent, comm e sujets de fi ction, de la
tradition des héros antiques .
D’abord ils sont ét ranges, excentriques, pleins de tics et de
manies. La bizarreri e serait bi en l’ él ém ent sur lequel l es détect ives
jouent afin de préserver un m ys tère aut our de leur personne, elle est
le trait distincti f, sans lequel l es trois enquêteurs ressembl eraient à
tout le monde , puisqu’aucun autre si gne ps ychologique ne leur offre
la distinction.
Outre cel a, sans êt re des surhomm es, nos enquêt eurs jou issent
implicitem ent
d’une
sorte
d’i nvul nérabilité.
Ils
sont
donc
imperturbables, jusqu’à l ’effronterie ; ils peuvent , la plupa rt du
temps, passer pour des indifférents qui n’ont pas froid aux yeux.
261
Émile Gaboriau, Le crime d’Orcival, p. 78.
215
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Dupin et Holm es sont égal ement des personnages asoci aux, car pour
leurs créateurs, tout grand détective se doit d’êt re seul dans son
combat
avec
le
m yst ère.
Or,
la
solitude
pour
Lecoq
n’est
apparemm ent pas un presti gi eux apanage ni un atout.
Les trois détectives sont sûrs d’eux -mêmes, l eur assurance va
jusqu’à
l’impertinence , voire
jusqu’à
l’arrogance mais
le plus
souvent, il s’agit d’une capacit é à prendre l es choses et les gens –
leurs coll ègues en parti culi er - d’assez haut sans s’en laiss er
compter, avec une nette t endance à la causti cité non dépourvue de
coquineri e.
Ce
sont
des
personnages
flegm atiqu es
dans
leur
profession, censés avoir un sang froid à toute épreuve, c'est -à-dire
capabl es
de
se
mainteni r
dans
des
situations
obj ectivement
traum atisant es et angoissant es ; tel est le cas de Holmes menacé
d’êt re m até par un poing énorme qu’on exhibe sous son nez, il se
contente de di re, t out en examinant attentivem ent son agresseur :
« Êt es - vous né ai nsi ? [ …] O u est - ce venu progressi vem ent ? ». 262 En
l’occurrence, il convient de distinguer Lecoq des deux autres
détectives
dans
la
mesure
où
il
semble
avoi r
une
certaine
vulnérabilit é sur le plan personnel, c’est son cot é sensible , voi re
sentiment al, mais qui doit idéal ement, lui conférer une épaisseur
humaine aut hentique.
En somme, si Jacques Duboi s nous met en gard e cont re la
tentation
de
considérer
les
personnages
comme
de
vérit ables
personnes en affi rm ant qu’ils ne sont que « des héros de papier qui ne
sont f ait s que des m ot s et des phrases qual if i ant f ragm ent ai rement
l eur êt re et l eur f ai re » 263, nous pensons que les portraits mora ux des
personnages leur confèrent l’épaisseur de l’êt re, d’un indi vidu, elle
262
A.C. Doyle, Volume3, Les Trois-Pignons (The Three Gables), p. 741.
263
Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 87.
216
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
leur a donné l’illusi on de l a vi e. La caract érisation moral e qui dote
les dét ectives de notre étude d’une conscience, contribue dans une
large mesure à donner de l’étoffe à ces êtres de papi ers. C’est très
certainement l’élém ent avec lequel l e l ect eur est l e plus familiarisé,
le portrait moral perm et de port e r des jugements de val eur sur
l’attitude des personnages et de philosopher sur l eur ps ychol ogi e.
217
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
D
’après
Y.
Reut er,
personnage 264,
il
dans
existe
son
un
articl e
lien
L’importance
ent re
les
du
t ypes
de
personnages et l es genres littéraires. Ai nsi les personnages réalistes
semblabl es
aux
personnes
de
la
vie
réell e,
apparaissent
exclusivem ent dans les tranche s de vi e et les histoires policières.
Nous l e confi rmons dans la mesure où tout a ét é mis en œuvre par
Gaboriau,
Do yl e
et
à
un
m oindre
degré
P oe,
pour
« vraisembl abiliser » l eurs héros et fai re oubli er l ’écrit ure. Lecoq et
Holmes sont construits selon une harm onie entre l eur apparence et
leur nature profonde. Il s nous paraissent de ce fait, presque vivant s
d’aut ant qu’ils sont affubl és de t raits ph ysiques et ps ychologi ques
marquants. Ernest Gidde y en fait ét at, en ce qui concerne Sherlock
Holmes :
P hysi que ment aussi bi en que par ses apt i t udes
m oral es et m ent ales, H ol m es est dot é de si gnes
di st i nctif s qui l e rendent crédi bl es : sa pi pe, sa
l oupe, sa casquet te, sa passi on pour l e vi ol on, ses
rêveri es, ses m om ent s d’ abat t em ent , l a l uci di t é de
son
sens
de
l ’ obs ervat i on,
la
ri gueur
de
ses
déduct i ons… L’ adresse préci se qui est la si enne à
Londres et l a nett eté m ét hodi que qui prési de à la
descri pt i on du m obi li er de sa dem eure concourent à
l ui donner une consist ance qui est cell e des êt res de
l a vi e quot i di enne. Q ui t t ant l a f i cti on, i l ent re dans
l ’ hi st oi re. 265
264
Yves Reuter., L’importance du personnage, in Pratiques, n° 60, déc. 1988, p. 8: « le genre appelle des
personnages » et « les personnages renvoient au genre ».
265
E. Giddey, Crime et détection. Essai sur les structures du roman policier de langue anglaise, Éditions
Peter Lang S.A., Berne, 1990, p. 17-18.
218
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
Le lecteur du récit policier du XIX e si ècle est invité à se perdre
volontai rem ent dans une illusion qui possède tous l es pouvoirs de la
réalité au poi nt de réveill er les plus vives émotions en lui. Ce qui est
incont establ e, c’est que ces personnages ont le pouvoir de séduire le
lect eur par un ensemble de t raits moraux qui sont largement perçus
comme positifs même quand il s’agi t de défauts ou de t ares
(insen sibilité, arrogance, vanit é….). Même si Poe et Do yle on t
préféré
créer
dans
leurs
œuvres,
un
obstacle
sous
forme
de
personnages l acunai res, et contre lequel le lect eur va se heurter, i ls
ont par contre ouvert une port e perm ettant à ce mêm e lecteur d’aller
au-delà de l’hi stoire et de découvrir des si gnifi cation s profondes sur
la nat ure de ces héros.
Nous l’avons bi en rem arqué, la caract érisation des trois
détectives
s’est
faite
tant ôt
di rectement
par
des
informations
provenant d’eux -mêmes ou des narrateurs omnisci ents qui ont accès
aux replis de l eur âme, et tantôt indi rectem ent lorsque nous avons
saisi par nous mêm e des informations nouvelles sur ces personnages,
données impli citem ent à partir d’un détail m atériel, d’une parol e,
d’une action voir d’un lieu dans l equel vit le héros (le cas de Dupin).
Il est à not er égal ement que les indices de caractérisat ion des
détectives sont disséminés dans di fférents récits poli ciers et non pas
présent és en bloc dans un seul écrit. Il s doivent donc être réunis et
associ és en un fai sceau si gnifi ant
par le lecteur pour pou voir
parveni r à cerner et saisir ces personnages. Ai nsi, doués d’une longue
vie littéraire, à des degrés différents, Dupin, Lecoq et Holmes
s’imposent à la conscience du lect eur qui croit en leur existence.
Cela est confirmé par Jouve qui pense que la desc ription du
personnage se compl ète au fil de la l ecture:
219
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
En règl e général e, l e personnage, l ors de sa
prem i ère
occurrence,
représent ati on
t rès
est
l ' obj et
approxi m at i ve,
d' une
f ort em ent
m arquée par l' i m aginat i on du l ect eur. Cet t e im age
i ni t i al e se préci se au cours de l a l ect ure sel on l es
i nf orm ati ons di sti l l ées par l e t ext e. Le l ect eur est
ai nsi
am ené
à
com pl ét er,
voi re
à
m odif i er
la
représent ati on qu' i l a en t êt e 266
Les t rois dét ectives sont donc des créations imparfaites qui ne
trouvent
leur
com plétude
qu e
lors
de
leur
rencontre
avec
l'im aginati on du l ecteur. C ert es, l 'aut eur est cel ui qui construit la
plus grande partie de la structure de son personnage, mais cette
fi gure sera compl ét ée par l e lecteur. Autrement dit , d’une forte
associ ation entre des mots alignés sur une page et une imagination
active
d’un
lect eur ,
naît ra
un
être
complet
sembl abl e
à
des
représent ations du m onde concret.
Nous nous somm es inspirée de ce que Jouve propose comme
nouvell e approche du personnage, p lutôt que de le consi dérer comm e
un être de papier, ayant la mission de remplir une foncti on textuelle,
nous avons fondé l’anal yse de son port rait sur l 'effet qu’il provoque
au travers du texte et surtout sa «f orce percul ot oi re [ ...] ( capaci t é à
agi r sur l e l ecteur) » 267. En anal ysant les portraits de Dupin, Le coq et
Holmes, nous le reconnaissons , nous étions , particuli èrem ent pour
ces deux derni ers, en plein effet -personnage dont parl e Jouve tout en
étant vi ctime de l’ill usion référentiell e , au point qu’il nous est arrivé
parfois de voir d ans ces détective s fi ctifs des personnes réell es et
indépendantes de l a fiction où ell es int erviennent.
Anal ysés comme de véritables personnes, les trois personnages
266
V. Jouve, L'effet-personnage dans le roman, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 51.
267
Ibid., P.14.
220
Deuxième partie. Chapitre II
Des portraits moraux atypiques
sont devenus « l ’ o bj et d’ i nvesti ssem ent s af f ect if s » 268 de not re part .
Ce syst ème de sym pat hie a dépendu de trois codes distinct s établis
par Jouve : l e code narratif qui nous a, tout d’abord, poussé à nous
identifi er aux héros; ensuit e, l e code affectif
qui a dét erminé
sentiment de s ympathie que nous avons développé
le
pour ces êtres
romanesques ; enfi n, le code culturel est intervenu lors de notre
anal yse de la val eur idéologique des trois dét ectives. Ainsi, une
premi ère condition requise à la réussit e du genre polici er classique
réside en ce que l’enquêt eur doit paraît re crédibl e ; il n’es t pas un
simple personnage, i l est une têt e pensante qui, à l a seule force de s a
réfl exion fait avancer l’enquête, et par là même l e roman.
De ce fait,
l es portraits ph ysiques et moraux des t rois héros-
détectives constituent un code descripti f, un s ystè m e de si gnificati on,
contribuant à l ’effet de réel dont sembl e joui r le rom an policier du
XIX e si ècl e.
268
V. Jouve, L'effet-personnage dans le roman, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 119.
221
Troisième partie
Une nouvelle typologie de
l’héroïsme
Troi si ème part i e
D
upin,
Lecoq
et
Holmes
parti culière du héros . Ils
constituent
une
t ypologi e
adoptent des traits du héros
avent uri er et du héros justicier , tout en cessant d’ être surhumains. Ils
gardent un aspect humble et une condi tion ordinaire, m ais cachent
sous leurs dehors une infaillibilité absolue, rejoi gnant par l à le t ype
des héros forts. C ette image particuli ère leur a d’ ailleurs permis
d’exercer une attract ion particuli ère sur l e lecteur.
L’aut re aspect de l’ héroïsm e de nos dét ectives réside dans leur
professionnalism e à mener une enquêt e , en gl orifi ant aut ant le savoi r
que l es lois. Les tex tes de not re corpus sont les his toires d’un héros
(le dét ecti ve), qui vise l’appropriati on
investissant
son
savoir -faire.
d’un obj et (le crimi nel), en
Quand
les
trois
dét ecti ves
sont
sollicités pour prendre en mai n une affaire, on reconnaît déjà l eur
compét ence professi onnell e.
Les t rois dét ectives jouissent d’une t ypologi e ori ginale, dans la
mesure où ils bénéficient de st atuts spéci fiques . Dupin, Lecoq et
Holmes se distin guent surtout par leur statut professi onnel, les
fonctions qui leur sont attribués , les rôles qu’ils incarnent , et enfin
les rapports qu’ils entreti ennent avec leur narrat eur , voire même avec
leur créat eur .
Tels
sont
les
él éments
qui
font
que
nos
personnages
appartiennent à une t ypologi e nouvell e qui voul ait rompre avec le
personnage d e t ype classique. Nous com ptons anal yser et développer
ces élém ents dans l e présent chapitre.
223
Chapitre I
Des enquêteurs
hors du commun
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
Poe avait i nvent é bien plus que l e récit policier, il avait invent é
l’enquêt e
polici ère
« scientifique ».
Dans
la
critique
littérai re
universitaire, on a dmet facilem ent que la naissance du réci t polici er
est liée à la sci ence positiviste du XIX è m e siècle. Cette science est
« une doct ri ne qui se récl am e de l a seule connai ssance des f ai t s, de
l ’ expéri ence sci ent if ique » 269. Lors d’une affaire, l’enquêteur s’emp are
des m éthodes sci enti fiques pour les besoins de l ’intri gue. Dans toute
affai re criminelle, il faut des preuves pour arrêter le coupable.
L’interprétation des indices nécessit e un discour s cohérent argum ent é
et logique, Jacques Dubois l e souli gne pertin emment:
Dès l ors, l a quêt e s e dépasse en i nt erprét at i on,
en un pur t ravai l de l ' i nt ell ect , en m ét hodi que
déchif f rem ent
des
si gnes.
Ce
qui
aut ori se
à
reconnaî t re dans l e dét ect i ve un savant l ect eur, un
sém i ol ogue, un herméneut e 270.
C’est
pourquoi
le
rom an
po li cier
est
un
d ivertissement
scienti fique, car au-delà d’une simple fiction, il intègre à sa structure
les procédés fondamentaux de l a logi que. En ce sens, La l ecture
devient à l a fois, une école du savoir, du caractère, et un plaisir de
l'im aginati on. C’est le cas de
Poe, Gaboriau et Do yle qui , en
utilisant le code herméneutique, préconisent la logique dans leurs
composition s littéraires. Leurs héros -détectives qui possèdent l e
pouvoir
de
faire
surgi r
le
passé,
de
révéler
l’i nvisi ble,
ont
manifestem ent t r ouvé un public prêt à recevoi r des l eçons sur
l’enquêt e poli cière scienti fique ai nsi que s ur l es divers procédés de
méthodes d’i nvesti gation.
269
Le nouveau Petit Robert de la langue française, 2007.
270
Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 174.
225
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
De l à, c omment Dupin, Lecoq et Holmes m ènent -ils leurs
enquêtes, et en quoi consiste leur savoir-faire ? Procèdent-ils de l a
même mani ère, suivent -ils les mêm es ét apes d’investi gation , ou ontils réussi, chacun de leur côt é, à pratiquer une méthode qui lui
ressemble ? Ce sont bien les questions auxquelles nous t âcherons
d’apport er des réponses dans ce chapitre.
I- L’art de la logique et de la déduction
1. Lire dans l es pensées
Le prologue du Double Assassinat dans la rue Morgue , au cours
duquel
le
narrateur
anon yme
fait
l’éloge
de
l’anal yse,
de
l’observation et de l’inventi on, perm et d’in troduire naturell ement l e
personnage de l ’enquêteur C. Auguste Dupin. Avant m êm e que ne
soit évoquée l’affai re de la rue Morgue, celui -ci se livre aux dépens
du narrateur à un petit exercice d’anal yse, pénétrant les pensées
secrèt es de son compagnon et révél ant ainsi au l ect eur ses dons
exceptionnels. Le narrat eur et Dupin
marchent en silence lorsque
celui -ci déclare à son compagnon :
C’ est un bi en peti t garçon, en véri té ; et i l serai t
m i eux à sa pl ace au t héât re des Vari ét és.
- Cel a
répl i quai -j e
ne
f ai t
sans
y
pas
l ’ om bre
penser
et
d’ un
sans
dout e,
rem arquer
d’ abord, t ant j’ ét ais absorbé, l a si ngul i ère f açon
dont l ’ i nt errupteur adapt ai t sa parol e à m a propre
rêveri e . [ …] . 271
Une minute plus t ard, le narrateur réali sant l e miracle, supplie
Dupin de lui expliquer comment il a devi né qu’il pensait à…
271
E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.47.
226
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
- A
Chant i l l y ?
i nt errom pre ?
Vous
dit
[ Dupi n] ;
f ai si ez
en
pourquoi
vous
vous - m êm e
la
rem arque que sa peti t e t ail l e l e rendai t im propre à
l a t ragédi e. 272
Le narrat eur nous explique comment, par suite de réflexions
logiques, Dupin est parvenu à deviner à q ui pensait le narrateur tout
en lui donnant la sui te de sa pensée. Lacassin précise : « Le j oueur de
cart es doué de f acult és anal yti ques est com parabl e au m age ori ent al
qui a l e pouvoi r de cont rôl er l’ espri t de ses di sci pl es » 273.
Dupin unifi e consci ent et inconsci ent, additionne l 'irrationnel au
rationnel. Les cont enus inconsci ents se révèl ent à l a conscience . À
premi ère vue donc, la méthode logique du dét ective qui consiste
essenti ellem ent à épouser la suit e de pensées d’un ti ers, tient plus du
hasard, voi re du fantastique que d’un raisonnem ent logique. Régis
Messac
se
mont re
just ement
sceptique
devant
ce
genre
d’enchaînem ent des pensées que pratique Dupin. Il estim e la chose
inconcevabl e, car ce personnage raisonne comme si « l es p ensées ne
pouvai ent s’ ass ocier ent re el l es que d’ une seul e f açon. En ef f et , ne
peut - on l ever l es yeux au ci el pour autre chose que pour y chercher l a
const el l at i on d’ Ori on ? » 274
Dupin insiste pourtant sur le fait que ses anal yses et par la suite
ses déductions ne rel èvent pas de l ’i rrati onnel ou du merveill eux
mais uniquement de la logique :
272
E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.48.
273
Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p.38.
274
Régis Messac, Le « Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, éd. Encrage, collection
« Travaux », Paris, 2011, p. 492.
227
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
La f acult é d’ anal yse ne doi t pas êt re conf ondue
avec
la
si m pl e
i ngéni osi t é ;
car,
pendant
que
l ’ anal yst e est nécessai rem ent i ngénieux, i l arri ve
souvent
que
l ’ homm e
i ncapabl e d’ anal yse.
i ngéni eux
est
absol um ent
275
Si Poe dit que « t out e hi st oi re est un rai sonnem ent de Dupi n »,
nous savons bi en qu’avant tout, c’est un raisonnem ent de Poe lui même 276, car il sem ble toujours se dessiner à travers son personnage.
Ainsi, cette capacit é de li re l es pens ées et d’en deviner la suite est
une vrai e théori e que Poe pratique réellement. En 1841, P oe savait
que Charles Dickens était en train de publier un rom an, Barnaby
Rudge, dont une partie ét ait parue en feuill eton. En suivant le
dével oppem ent de sa théori e, Poe parvint à résum er la suite et la
concl usion du roman de Dickens et le fit savoir à cel ui -ci : c’ét ait à
peu de chose près ce que l’écri vain angl ais avait prévu. Stupéfait,
Dickens ne put s’empêcher de dire que « cet hom m e ét ai t l e diabl e ».
Ce t ype de déduction, pratiqué par Dupi n, a fidèlem ent été suivi
par son successeur Sherlock Holmes. Comment expliquer alors ce
passage, sout enu par Holm es et Watson, qui se révèle plus ou moins
identique :
[ …] ,
je
me
pl ongeai
dans
une
prof onde
m édi t ati on. Soudai n l a voi x de m on com pagnon
s’ i mm i sça dans m es réf l exi ons.
- Vous avez rai son. W at son ! C’ est une m ani ère
t out à f ai t absurde de régl er un conf li t .
- Tout à f ait absurde ! M’ excl am ai - j e, t out à
275
Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p.42.
276
Quand Poe a écrit Le mystère de Marie Roget, il s’est inspiré d’une histoire vraie. À travers Dupin,
c’est lui qui menait réellement l’enquête à travers ses innombrables articles pour élucider le
meurtre de Mary Cecilia Rogers.
228
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
coup consci ent qu’ i l avai t f ait écho à ma pensée l a
pl us prof onde ; je me redressai sur m on si ège et l e
dévi sageai t ot al ement ébahi .
Q u’ est- ce que cel a veut di re, H ol m es ? M’ écri ai j e. Voi l à qui dépasse m on i m agi nati on . 277
Holmes explique al ors compl aisamm ent ses déductions : après
que Watson eut l aissé flott er ses regards autour de la cham bre, il a
fixé son attention sur le portrait du général Gordon, puis sur celui de
Henr y Ward Beecher. Évidemm ent , il s’est rem émoré l es événem ents
principaux de la carri ère de ces deux personnages. Le détective
n’avait éprouvé aucune pein e à le suivre, d’aut ant plus que ces
événem ents ont été l’objet d’une discussion avec son compagnon.
Gordon et Beecher ayant pris part à des guerres, Holm es a deviné que
l’esprit de son compagnon est tourné de ce côté, car Watson tâtait s a
vieille bl essure et souriait amèrem ent. Il n’ y avait donc point de
doute pour le détect ive que Watson songe ait à cette mani ère absurde
dont les conflits int ernationaux sont régl és.
Cela ne laisse pas l’ exégèt e de la littérature poli cière R égis
Messac indifférent, il va ju ger ainsi ce dialogue ent re Holmes et
Watson :
Est - i l besoi n de soul i gner que t out ceci n’ est
qu’ une i m i t at i on presque servi l e du début f am eux de
Murder i n t he Rue Morgue ? Dans l es deux cas, l e
dét ect i ve, [ …] , rai sonne com m e si l es pensées ne
pouvai ent s’ associ er ent re el l es que d’ une seule
f açon… 278.
Messac ne s’arrêt e pas là, il affi rme qu’en comparant Holmes et
Dupin, ce dernier était pl us ingénieux que son successeur. En
277
A.C. Doyle, Volume 3, La boîte en carton (The Cardboard Box), p. 1053.
278
R. Messac, op. cit., p. 492.
229
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
enferm ant Holmes et Watson dans l a mêm e chambre, Do yle a
grandem ent facilité la tâch e du détective, car les poi nts d’appui de
son raisonnem ent sont beaucoup moins vari és que ceux de Dupin qui
se trouvait en prom enade en plein air.
En tout cas, jam ais on n’assistera de la part de Lecoq à de tels
anal yses déductives ou à de tell es « vol t i ge s », sinon : « O n cesserait
de l e prendre au séri eux. » 279. Gabori au a cert es voulu que son
enquêteur soit un excellent poli cier, m ais non qu’il accom plisse des
miracl es de divination, car l’aut eur a cert ainem ent jugé qu’il serait
peu possible aux lecteurs d e croire son héros.
2.
Lire dans les objets
La l ecture dans les pensées par déduction que pratiquent Dupin
et Holmes pourrait paraître peu certaine et rel ever du hasard et de la
pure fantaisi e, mais Holmes m érit e vraiment l’admiration lorsqu’il
fait parl er un obj et inanimé. L’interrogatoire des objets est une
passion que le dét ective renouvell e à chaque fois que l’occasion s e
présent e. En i nterrogeant un pi nce-nez, une m ontre, une paire de
pantoufles, une pipe ou un chapeau, il en tire « non pas un lapin »,
mais tout un portrait complet - ph ysique et moral – d’un inconnu.
Ainsi, sur l a simple trouvaill e d’un pince -nez en or, il annonce dans
les journaux :
O n recherche une f em m e présent ant bi en, vêt ue
avec él égance. El l e possède un nez part icul i èrem ent
épai s, des yeux t rès rapprochés. Ell e a l e f ront
pl i ssé, un regard scrut at eur, et probabl em ent l e dos
voût é. Cert ai ns dét ai l s i ndi quent que par deux f ois
au m oi ns el l e aurait eu recours à un o pt i ci en ces
279
Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J. Vrin, Paris, 1985, p. 411.
230
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
m oi s derni ers. Com me ses l unet t es sont ext rêm em ent
f ort es, et que l es opt i ci ens ne sont pas t el l em ent
nom breux, i l ne devrai t pas êt re dif f ici l e de l a
ret rouver. 280
Ses déductions qui sont, d’après Holmes « l a simplicité m êm e »,
se fondent sur les observations suivantes : l’objet est déli cat : donc
porté par une femm e. En or m assif : il n’irait pas avec une tenue
pauvre ou négli gée. Ses pinces, trop larges, montrent que le nez de la
dame est épais. Des yeux rapprochés, Holmes n’a pu regarder au
cent re ou près du centre des verres. Quant aux front, regard et dos,
Holmes explique :
[ …] ces verres sont concaves et d’ une épai sseur
i nhabi t uel l e. Une f em m e qui a eu une vue aussi
déf i ci ente t out e sa vie doi t cert ai nem ent posséder l es
caract érist i ques physi ques qui accom pagnent cet te
vi si on, lesquel l es se li sent sur l e f ront , l es paupi ères
et l es épaul es. 281
Après de tell es déductions, il n'y a pas lieu de s'étonner qu’il
signale deux réparations chez l’opticien, l’une plus fraîche que
l’aut re aux bagues de liège bordant les pinces.
Holmes a fait égal ement porter une de ses plus magist rales
déductions sur un objet appartenant à son compagnon W atson, ce
derni er l ’a mis au défit de « f ai re parler » une vieille montre qu ’il
tire de sa poche. Défi tenu, d ans L’escarboucle bl eue , Holmes se
trouve en possession d’un chapeau perdu, et pa r l a seule i nspection
du couvre -chef, pour le plus grand ébahissement de Watson, il arrive
280
A.C. Doyle, Volume2, Le pince-nez en or (The Golden Pince-Nez), p. 1011.
281
Ibid., p. 1013.
231
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
à donner une description minutieuse du possesseur :
[ …] quel qu’ un d’ émi nem m ent i nt ell ect uel [ …] i l
ét ai t pl ut ôt à l ’ ai se ces t roi s derni ères années, bi en
qu’ i l t raverse act uel lem ent une très m auvai se passe.
Il
ét ai t
prévoyant,
bi en
qu’ i l
le
soi t
m oi ns
dorénavant , ce qui i ndi que une régressi on m orale
qui ,
associ ée
évoquer
à
quel que
son
revers
i nf l uence
de
f ort une,
m ali gne,
la
sem ble
boi sson
probabl em ent , qui agi t sur l ui . Ceci peu t expl i quer
aussi l e f ait évi dent que sa f emm e a cessé de
l ’ ai mer. 282
Ce ne sont que deux exemples choisi s parmi une vingt aine
d’aut res, provoquant la stupeur et l ’adm iration du l ect eur. Ainsi, l es
indications que Holmes se plaî t à ti rer de son examen des objets
traduisent un œil supéri eurem en t exercé, paraissent pl ausibles et
n’ont souvent ri en d’incro yabl e, m ême si
elles m édusent non
seulem ent l es personnages de l’histoi re , mais égal ement l e l ecteur. Et
même si l e raisonnement ingénieux du déte ctive n’est pas à l’abri de
la contest ation, il i mporte peu , car l e l ecteur est complice et présent e
une grande disposit ion à en être convaincu. Il nous sem ble que le
lect eur
ne
réclam e
pas,
chez
Hol mes,
l’authentique
mais
ce
merveilleux avec lequel l e dét ecti ve de Baker Street formule ses
anal yses et déductions. Son charme provient de l à plutôt que d’une
ri gueur sci entifi que propageant l’ennui, comme c’est souvent le cas
avec Dupin. Avec Holmes c’est donc le « dét ect eur » qui se double
d’un sorci er qui peu t dresser « l e port rai t d’ un assassi n inconnu,
com m e s’ i l en voyait dans une boul e en cri st al » 283.
282
A.C. Doyle, Volume1, L’Escarboucle bleue (The Blue Carbuncle), p. 657.
283
F. Lacassin, op. cit., p. 72.
232
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
Gaboriau lui -mêm e se livrait égal ement à ce petit jeu, mais sans
faire preuve de suffisance et à seul e fin de test er sa propre
perspi cacit é. Le rédact eur du Figaro Al fred d’Auna y rapporte qu’il
l’a vu suivre des passants et se montrer très fier quand il ét ait
parvenu à deviner l eur condition social e . Mais pourquoi Gaboriau ne
prêt e-t -il pas ce jeu à son enquêteur Lec oq ? La profession de Lecoq
en tant que poli ci er offi ciel peut en êt re l a cause, car n’étant pas
dilettant e comm e Holmes, le tem ps lui manquerait pour s’adonner à
de telles passions. S inon il faut avouer que la supériorité d e Holmes
réside en sa capacité à int erpréter des données élém entaires qui
échappent aux plus i nte lli gents des hom mes, Nordon le confirme :
L’ observat i on par l e regard est chez l ui [Hol mes]
un don i nst i nct if , une sort e de seconde nat ure. Il n’ a
pas son parei l pour « l i re », ou, pl us exact em ent ,
déchif f rer l e sens de l ’ obj et . 284
284
Pierre Nordon, Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré.
Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, 1994, p. 61.
233
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
II- Des enquêtes entre raisonnement et terrain
1. Le détective séd entaire.
Dupin prend connai ssance des faits par ouï -dire, en particulier
par l es journaux. Il se fait livrer tous l es arti cles relati fs à l ’enquêt e
et les étudi e, car chacun d’eux constitue l’él ément d’un puzzle dont
les journalistes n’ont pas consci ence. Il élimine les contradictions,
assembl e ce qui rest e et relève l es illogism es, pour découvrir enfin
la vérité l à où la pol ice avait fait fausse route. D’où l’explication du
m yst ère.
En effet , c e sont les journaux qui lui ont révélé l es dét ails des
meurt res de la rue Morgue ainsi que les déclarations des témoins. Il
en ressort une accumulation de const atations étranges , à dérouter tout
enquêteur offici el. L’affaire constitue un m ystère apparemmen t
inexplicabl e. Comm ent expliquer l’assassinat d’une femme et de sa
fille, dans un appart ement dont les port es et les fenêtres sont rest ées
ferm ées ?
Sur les lieux du crim e, constatant qu’il n’existe aucune
issue secrèt e, que la cheminée trop étroi te ne p eut servir de passage,
Dupin arrive à la conclusion que le ou les assassins sont passés par l a
fenêtre de la cham bre de derrière , même si celle -ci a ét é trouvée
herm étiquement close :
Mai nt enant am enés com m e nous l e som m es à
cet t e concl usi on par des déduct i ons i rréf ragabl es,
nous n’ avons pas l e droi t , en t ant que r ai sonneurs,
de
la
rej et er
en
rai son
de
son
apparent e
i m possi bi l it é. Il ne nous rest e donc qu’ à dém ont rer
que cet t e i m possi bi li t é apparent e n’ exi st e pas en
réal i t é. 285
285
Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p.74.
234
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
La solution , en accord avec l es faits, est à la fois imprévue,
incro yabl e et simpl e. En rem arquant la férocité du doubl e m eurt re, la
force surhumai ne du meurtri er, les étranges poils roussâtres retrouvés
dans l a m ain d’une des vi ctimes, le langage incompréhensibl e
entendu par les voisin s, Dupin n’a pas besoin d’en savoir plus pour
acquéri r une certitude : l’assassin est un énorm e orang -out an g. Si le
détective s’est dépl acé sur l es li eux du crim e, c’est seul ement pour
en avoir l a confi rmation et non pour examiner l e sol à quatre patt es
comme l e font monsi eur Lecoq et Sherlock Holm es.
Dans Le Mystère de Mari e Roget , Dupin a fait mieux encore
puisqu’il a prouvé l’excell ence de sa méthode. Loin du t héât re du
crime, il a, par la seule lecture des j ournaux, réussi à donner une
solution à l’éni gme qui, par la suite, s’est révélée correcte. Pour
Dupin,
l’enquête
policière
n’est
donc
qu’un
« j eu
cérébral
d’ observat i on et de déduct i ons » car l’aspect mat éri el de l’enquête lui
est indifférent.
On n'aurait pas pu concevoir une enquêt e à distance basé e sur la
lecture des journaux telle que Dupin l’entreprend avant le milieu du
XIXe si ècl e.
Il semble que la relati on ent re l 'enquêt e policière
pratiquée par Auguste Dupin et l e journal est imparabl e. Comme on a
noté que l ’ascension du récit poli cier est l iée à celle de la sci ence, on
peut égal ement att ester que l a créat ion du récit poli cier é t ait
impensable avant que le report age sur les crimes ne devienne l 'une
des principal es activités du journalisme populai re.
Gaston Leroux l’ex prime clai rem ent, dans s on rom an poli cier
intitulé Le mystère de la chambre jaune , dans lequel – et c’est l'une
des premi ères fois dans l a tradition française - le report er joue l e rôl e
du dét ective dans une affaire criminelle:
235
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
O n ne saurai t s' ét onner de t rouver chez l a m êm e
per sonne
report er] ,
[la
doubl e
at tendu
qual i t é
que
la
de
dét ect i ve
presse
et
de
quot i di enne
com m ençai t déj à à se t ransf orm er et à deveni r ce
qu' el l e est à peu près auj ourd' hui : l a gazet t e du
cri m e .
286
Cependant, R. Bonniot 287 trouve que les déductions de Dupin
sont quand mêm e « un peu t rop géni al es » , et qu’ell es ne doivent pas
nous
fai re
illusi on.
rai sonnem ent s »
Il
pense
aussi
que
les
« ébl oui ssants
du dét ective, utilisés dans les affaires réelles,
condui rai ent à de graves erreurs, car ils comportent t oujours u ne part
d’incertitude. C’est le cas chez d’autres critiques qui pensent que
la chaîne des déduct ions qui amènent l e détective à l a découvert e du
coupable semble solide, mais ne résist e aucunem ent à un examen
séri eux ; que la m éthode de Dupin se fonde moin s sur la déducti on
elle-m êm e que sur l a passion de la déduction, moins sur la logique
que sur la cro yance à sa val eur absolue.
Dans les courts récits ou « cont es de rat i oci nat i on » de Poe,
l’enquêt eur amat eur décide de se fier à ses yeux et à ses capacit és
déductives. Dupin ne se caractérise pas par son engagement dans
l’action mai s par l ’exhibition de ses facultés i ntell ectuel les et l a
démonst ration de son géni e anal ytique. Le détective n’aime d’aill eurs
sortir que la nuit ; période peu propi ce aux formali tés de l ’enquêt e
(examen du t errain, interrogat oires….). D’où un contact quasi absent
avec l es aspects mat éri els du crim e. C’est la raison pour laquelle on
286
Gaston Leroux, Le mystère de la chambre jaune, Robert Laffont, Paris, 1961, p. 14.
287
Roger Bonniot, op.cit, P.165.
236
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
l’a
appel é
le
« d étective
en
fauteuil »,
ou
le
« détective
en
pantoufles » qui n’enfile ses chaussur es que pour vérifier s es
hypothèses
ou
chercher
le
maillon
manquant
à
sa
chaîne
de
raisonnem ent.
Nous avons affai re à un personnage bi en curi eux. Par toutes ses
facultés, l e cheval ier Dupin est un homme doué d’une grande
intelli gence.
Il
résout
les
m eurtre s
par
déduction
logique,
il
contourne l es pi èges et fasci ne ainsi l e lecteur par ses capacités
intellectuell es. Il apparaît comm e un vérit able génie aux yeux de
tous. Il est l e premi er enquêt eur à user de la force du raisonnement et
de la logique infai llib le de ses déductions. L’enquêt eur vit des
avent ures int ellectuelles : ce sont l es aventures d’un esprit. E n
pratiquant son art d’investi gation, le détective en ti re un grand
plaisir délirant :
De m êm e que l’ homm e f ort se réj ouit dans son
apt i t ude physi que, se com pl aît dans l es exerci ces qui
provoquent
l ’ anal yst e
l es
prend
muscl es
sa
à
gl oi re
l’ act i on,
dans
de
cett e
m ême
act i vi t é
spi ri t uel l e dont l a f onct i on est de débrouil l er. Il t i re
du pl ai si r m êm e des pl us t ri vi al es occasi ons qui
m et t ent ses t alent s en j eu. 288
La lecture que fait Baudel aire du Double Assassinat met l ’accent
sur la méthode et les dons impressionnants d’A uguste Dupin :
P ar une concent ration ext rêm e de sa pensée, et
par l ’ anal yse successi ve de t ous l es phénom ènes de
son ent endem ent , i l est par venu à surprendre l a l oi
de l a générat i on des i dées. Ent re une parol e et une
288
Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p.38.
237
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
aut re, ent re deux i dées t out à f ait ét rangères en
apparence,
il
peut
ét abl i r
t out e
la
séri e
i nt erm édi ai re, et com bl er aux yeux ébl o ui s l a l acune
des i dées non expri m ées et presque i nconsci ent es . 289
2. Le détective de terrain
Tous les sens de Monsieur Lecoq sont en éveil lorsqu’il est sur
la pist e d’un gi bier criminel : l’ouïe, la vue, l’odorat. Lecoq s e
métamorphose en limier, dont les narines se dilatent lorsqu’il est sur
la trace d’u n fauve :
Il al l ai t , venait , t ournai t , s’ écart ai t , revenai t
encore, courant ou s’ arrêt ant sans rai son apparent e
; i l pal pai t , il scrut ai t , i l i nterrogeait t out : l e
t errai n, l es boi s, l es pi erres et j usqu’ aux pl us m enus
obj et s ; t ant ôt debout , l e pl us souv ent à genoux,
quel quef oi s à pl at vent re, l e vi sage si près de t erre
que son hal ei ne devai t f ai re f ondre l a neige. Il avai t
t i ré un m èt re de sa poche, et i l s’ en servai t avec une
prest esse
d’ arpenteur,
il
m esurait ,
m esurait ,
m esurai t….
Et t ous ces m ouvement s, i l l es accom pagnai t de
gest es
bi zarres
ent recoupant
de
com m e
j urons
ceux
ou
d’ un
de
f ou,
pet i t s
l es
ri res,
d’ excl am at i ons de dépi t ou de pl ai si r.
Enf i n, [ …] [i l ] s’essuya l es m ai ns à son m ouchoi r
et di t :
289
Charles Baudelaire, « Edgar Poe, sa vie et ses œuvres », dans Revue de Paris, Volume d’avril, 1852.
P.99. URL : http://books.google.fr/books?id=84zpAAAAMAAJ&printsec=frontcover&dq#v=onepage&
238
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
– Mai nt enant , j e sai s t out . 290
Monsieur Locoq déclare, dans L e crime d’Orci val : « L’ en quêt e
d’ un cri m e n’ est autre chose que l a sol ut i on d’ un probl èm e », Mais il
convi ent d’ajout er que cette sol ution est recherchée avec passion par
Lecoq, acharné à démasquer et m ettre hors d’état de nui re l es pires
malfait eurs. Chasse difficil e et dangereuse, car l es fauves qu’il
traque sont rusés et capabl e s d’une défense vi goureuse. Mais le
policier de Gaboriau ne m anque pas de courage et dispose de tout un
arsenal de m o yens et d’ast uces .
C’est surtout dans l a recherche et l’exploitation des indi ces et
des traces que se révèle le poli cier de grande cl asse. Or l’idée est que
ces t races doi vent êt res déchi ffrées ou lues comm e un livre. Lecoq, à
genoux, examine les empreint es avec l 'at tention d'un chirom ancien
Ce t errai n v ague, couvert de nei ge, est com m e
une i m mense page bl anche où l es gens que nous
recherchons
ont
écri t ,
non - seul em ent
l eurs
m ouvem ent s et l eurs dém arches, m ai s encore l eurs
secrèt es pensées, l es espérances et les angoi sses qui
l es
agit ai ent .
Q ue
vous
di sent - ell es,
papa,
ces
em prei nt es f ugi ti ves ? Ri en. P our m oi , el l es vi vent
com m e ceux qui l es ont l aissées, el les pal pi t ent , el l es
parl ent , el l es accusent ! … 291
Et une fois en possession du plus grand nombre d’indi ces
possibles, il él abore l’h ypothèse où il pourr a avec vraisemblance les
enchâsser. Parmi les nombreux rensei gnements ti rés par Lecoq de
290
E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 30.
291
Ibid.
239
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
l’examen des lieux, contentons -nous de citer ceux qui concernent l e
complice du meurtri er :
C’ est un homm e d’ un cert ai n âge, de haut e
t ai l le, – i l a au moi ns un m èt re quatre - vi ngt s, –
coif f é
d’ une
m arron
casquet t e m ol le,
de
drap
vêt u d’ un
m out onneux,
pal et ot
mari é
très
probabl em ent , car il port e une al l i ance au pet i t
doi gt de l a m ai n droit e…. 292
Le j eune polici er
ne raill e pas et n’a rien dit dont il ne soit
matéri ellem ent sûr, rien qui ne soit la stricte et indiscut abl e vérit é. Il
continue devant le scepti cisme de son collègue :
En som m e, qu’ ai -j e f ai t de si f ort ? Je vous ai di t
que l ’ hom me avai t un cert ai n âge … ce n’ ét ai t pas
dif f i ci l e
après
avoir
exam i né
son
pas
l our d
et
t raî nant . Je vous ai f i xé sa t ail l e, l a bel le m ali ce ! …
Q uand j e m e sui s aperçu qu’ i l s’ ét ai t accoudé sur le
bl oc de pi erre qui est l à, à gauche, j ’ ai m esuré l e
susdi t
bl oc.
Il
a
un
m èt re
soi xant e -sept ,
donc
l ’ hom me qui a pu y appuyer son coude a au m oi ns
un m èt re quat re - vi ngt s. L’ em prei nt e de sa m ai n m ’ a
prouvé que j e ne m e t rom pai s pas. En vo yant qu’ on
avai t enl evé l a nei ge qui recouvrai t l e m adri er, je
m e sui s dem andé avec quoi ; j ’ ai songé que ce
pouvai t êt re avec une casquet t e, et une m arque
l ai ss ée par l a visi ère m ’ a prouvé que j e ne me
t rom pai s pas.
Enf i n, si j ’ ai su de q uel l e coul eur est son pal et ot ,
et de quel l e ét of f e, c’ est que l orsqu’ il a essuyé l e
292
E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 30.
240
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
boi s hum i de, des éclat s de boi s ont ret enu ces pet i ts
f l ocons de l ai ne m arron que j ’ ai ret rouv és et qui
f i gureront aux pi èces de convi ct i on… 293
Dans Le crime d’Orcival, l e lecteur ne manque d’être surpri s par
un dét ective qui traverse la pelouse à quatre patt es, qui i nt erroge l es
moindres brins d’herbe et qui observe minutieusement l a direction
des p etites ti ges brisées. Et un peu plus t ard, il conclut :
En exam i nant l e gazon, [ …] , j ’ ai relevé l es
si l l ons parall èl es des pi eds, m ai s l ’ herbe ét ai t f oul ée
sur un espace assez l arge. P ourquoi ? C’ est que ce
n’ est pas l e cadavre d’ un hom m e qui a ét é t raî né à
t ravers l a pel ouse, mai s bi en cel ui d’ une f em me t out
habi l l ée et dont l es j upons ét ai ent assez l ourds
[ …] . 294
Lecoq est l 'él ève du père Tabaret, ce derni er l ui a appris
beaucoup en développant devant lui les conclusions tirées de l’étude
des li eux des cri m es, l’exam en des cadavres et les vêt ements de l a
victime. Lecoq a su mettre à profit l es leçons de son m aître, et est
devenu le logi cien par excellence comme nous pouvons nous en
rendre compte en admirant comm ent il s’ y prend pour faire parl er un
lit, qu’on a feint d’avoir utilisé pour dérout er les poli ciers chargés
d’enquêt er sur l e cri me d’Orcival :
O n a ouvert ce l it , c’ est vrai , on s’ est peut - êt re
roul é dessus, on a chif f onné l es oreil l ers, f roissé l es
couvert ures, f ri pé les draps, m ai s on n’ a pu l ui
donner pour un œi l exercé l ’ apparence d’ un l i t dans
293
E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 34.
294
E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, p. 113.
241
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
l equel deux personn es ont dorm i . Déf ai re un l i t est
aussi dif f i cil e, pl us dif f ici l e peut - être que de l e
ref ai re. P our l e ref aire, i l n’ est pas i ndispensabl e de
ret i rer draps et couvert ures et de retourner l es
m at el as. P our l e déf ai re, il f aut absol um ent se
coucher dedans et y avoi r chaud. Un l it est un de ces
t ém oi ns t erri bl es qui ne t rom pent j am ais et cont re
l esquel s on ne peut s’ i nscrire en f aux. O n ne s’ est
pas couché dans cel ui - ci … [ …] .
Si claire ét ait la démonstration de M. Lecoq, si palpabl es ét aient
ses preuves qu’il n’ y avait pas à douter. Il continue :
Ces orei l l ers sont très f roi ssés t ous deux, n’ est ce pas ? Mai s voyez en dessous l e t raversi n, i l est
i nt act , vous n’ y ret rouvez aucu n de ce s pl i s q ue
l ai ssent l e poi ds de la t êt e et l e m ouvem ent des bras
Ce n’ est pas t out : regardez l e l i t à part ir du m i l i eu
j usqu’ à l ’ ext rémi t é. Com m e l es couvert ures ont été
bordées avec soi n, l es deux draps se t o uchent bi en
part out . Gl i ssez l a m ai n com me m oi – et i l gl i ssait
un de ses bras – et vous sent i rez une rési st ance qui
n’ exi st erai t pas si des j am bes s’ ét aient al l ongées à
cet endroi t . O r, M. de Trém orel ét ait de t ai l l e à
occuper l e l it dans t out e sa l ongueur 295.
Dans l e rom an poli cier, le t ype du détective sci en tifi que qui
émerge, est incont establem ent cel ui qui rappelle le poli cier créé par
Gaboriau, Monsi eur Lecoq . C ’est m ême ce t ype qui revi ent dans l es
créations
romanesques
encore
plus
modernes.
Ce
t ype que Gaboriau avait su constituer soit à l 'aide de son i m agination
et de son esprit d'observation et de logi que, soit en se docum entant et
295
E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, p. 84.
242
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
en anal ysant les t ypes de personnages existants - entre aut res Vidocq
et Dupin - et en prenant la décision par la suite, de mettre en scène
un personnage di fférent. Avec Lec oq, le personnage du polici er
professionnel ent re dans la littérature, i l nous fait découvrir les
« m œurs polici ères sous leur jour exact ».
À la différence de Dupin, Lecoq ne se confine pas dans
l’abst raction absolue. Si Dupi n est l e raisonneur infailli bl e qui
ne s’accroch e
pas aux détails, si ce n’est pour la sat isfaction
morbide de constat er que, sans êt re sort i de son appart ement, il est
arri vé à l a soluti on exacte ,
Lecoq t âtonne, il se t rompe, il observe
minutieusement avant de se risquer à des h ypothèses : c’est un
homme, et non un syl logism e personnifi é. La comparaison d’Edmond
Locard paraît à ce sujet tout à fait perti nente :
P our
ce
qui est de
l ' enquêt e
crim i nell e,
l ' Am éricai n i ncarne l e géni e et l e F rançai s l e t al ent .
Le
pol i ci er
de
P oe est
t out i nt uit i on
; cel ui
de
Gabori au est t out expéri ence, sagesse et prat i que du
m ét i er. 296
En somme, si Lecoq est inférieur à Dupin sur le t errain de la
logique pure, il pourra, grâce à ses investi gations sur l es l ieux des
crimes, complét er l a méthode de son préd écesseur. Ainsi, si ce
derni er fait souvent l’effet d’un dét e cti ve en chambre. Lecoq quant à
lui est constamm ent prêt à se dém ener ph ysiquement, à se donner
beaucoup de peine, à se dépasser intensément, quitt e à s’abaisser sur
la nei ge ou la poussi ère et à s’agenouiller dans la boue.
296
Cité par Denis Fernandez Récatala, dans Le polar, MA Éditions, Paris, 1986, p. 86.
243
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
3. Le maître détective
En qualifi ant Holmes de « m achi ne à observer et à rai sonner l a
pl us parf ai t e de l a planèt e » , Watson nous révèle l es deux points forts
de sa méthodologi e : l’observation et le raisonnement. C ’est pourquo i
Holmes, en ne bougeant guère de son fauteuil – ce qui nous rappelle
Dupin- bénéfici e mi eux de l’admi ration du narrat eur et de cell e du
lect eur. Holmes affirme par exempl e que si l’observat eur ét udie bien
un fait « [ …] dans une séri e d’ i nci dents, [ il ] dev rai t êt re capabl e de
dét erm i ner préci sément t ous l es autres, ceux qui précéden t com me
ceux qui en découl ent » 297. En insistant également sur l’importance du
raisonnem ent, dans la résolution des problèmes, le dét ective ajout e :
« Nous n’ avons pas encore saisi l es résul t at s auxquel s notre seule
rai son peut parveni r» 298.
Si le raisonnem ent de Dupin est déduct if, celui de Holm es est
souvent inducti f, car le premi er raisonne d’abord et véri fie ensuite,
mais le deuxième remonte d es faits à leur ori gi ne . Cependant, le s
deux détectives se ressemblent comm e deux grands l ecteurs de
journaux. Pour Hol mes, la l ect ure des j ournaux est primordiale, afin
d’observer l es faits rapportés et
de l es trier par l a suite : « Ayant
rassem bl é l es f ai ts, j e l es consi dérai en f um ant pl us i eurs pi pes,
essayant de di sti nguer ceux qui ét ai ent cruci aux de ceu x qui n’ ét ai ent
que purem ent anecdot i ques.
299
.
Holmes peut égalem ent observer les fait s exposés par un cli ent,
raisonner et trouver la soluti on. Dans Le pont du Thor, L e soldat
blafard, Le marchand de coul eurs ret raité, Holmes a trouvé l a
solution sans quitt er son salon. S ’il a effectué un dépl acement sur l e
297
A.C. Doyle, Volume1, Les cinq pépins d’orange (The Five Orange Pips), p. 589.
298
Ibid.
299
A.C. Doyle, Volume2, L’estropié (The Crooked Man), p. 101.
244
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
terrain, c’ét ait just e pour une vérifi cati on superflue ou de routine ou
peut-être mêm e plus pour « f ai re prendre l ’ air à Watson et au l ect eur
que pour céder au pl ai si r d’ ét onner en di sant après une brève
i nspect i on : « j ’ ai tout résol u »» 300 . L’appell ation « détect ive en
faut euil » correspond dans ces cas -l à, à Holmes tout com me à son
homol o gue Dupi n.
En
revanche,
Hol mes
n’est
pas
seuleme nt
observat eur
et
raisonneur, il est aussi un expérim ent ateur, un homm e de terrain tout
comme Lecoq. Hol mes a amplifi é cett e sci ence de l 'observation sur
le terrain dont Lecoq avait montré l 'importance. Et c’est l a venue du
détective britannique sur l e ter rain qui a rendu sa m aîtrise encore
plus éclat ant e. Dans une de ses premières aventures, Sherl ock
Holmes reconstitue tout ce qui s'est déroulé la nuit du vol au mo yen
des t races laissées dans l a nei ge par l es divers act eurs du drame. Le
détective affirm e : « une f oi s sur l e chem i n qui m ène à l ’ écuri e, j’y
découvri s une hi st oire t rès l ongue et t rès com plexe écri t e devant m oi
sur l a nei ge» 301, cel a ne r appell e -t -i l pas le début de Monsi eur Lecoq
où le policier de Gaboriau accomplit des prouesses analogues ?
Un
autre exemple montre une parfaite exploitation du terrain
p ar
Holmes, m éthode incontest abl ement héritée de Lecoq :
Tout en parl ant , i l sort i t brusquem ent un m èt re
en ruban et une l oupe de sa poche. Muni de ces deux
i nst rum ents, il s’ af f ai ra sil enci eusem ent tout aut our
de l a pi èce, s’ arrêtant quel quef oi s, s’ agenoui l l ant
parf oi s, et all ant une f oi s mêm e j usqu’ à s’ all onger
f ace cont re t erre. [ …] , i l n’ arrêt a pas de parl er dans
sa barbe, dans un fl ot conti nu d’ excl am at i ons, de
grognem ent s,
de
sif f l em ent s,
et
de
300
Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p.98.
301
A.C. Doyle, Volume1, Le diadème de béryls (The Beryl Coronet), p. 869.
pet i t s
cris
245
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
d’ encouragem ent et d’ espoi r 302.
À parti r d e l à, force donc est de const ater qu’à la ri goureuse
logique
de
Dupin,
Holmes
ajout e
l’observation
att entive
et
l’interprétation des indices de Lecoq, m ais en l a poussant plus loin
encore, et en l’en ri chissant de nombreuses ressources fourni es par l a
science moderne : chimie, géologi e, bot anique, anatomi e, et c.
En somme, Les m éthodes des trois dét ect ives sont pl us ou moins
différentes les unes des autres pour diverses raisons. D’abord, ils ne
sont pas cont emporains (il y a pratiquement une génération d’écart
entre chacun d’eux). Compte t enu donc des progrès accompli s par les
sciences au cours des années qui séparent chacun des trois détectives,
il serait honnêtem ent absurde de reprocher à Dupin de ne pas avoi r
recours à des techniques qui n’existaient pas encore, m ais que
connaît Lecoq, com me on ne peut non plus reprocher à ce derni er de
ne pas user du t éléphone inexistant à son époque et que possède
Holmes.
Ensuite, M. Lecoq et Sherlock Holm es ont une longue vie
littérai re : Cinq rom ans pour Lecoq, quatre rom ans et ci nquante -six
nouvell es pour Hol mes, alors que Dupin n’existe qu’à t ravers t rois
nouvell es ; ce qui a permis à Lecoq, et plus encore à Holmes de
vari er leurs m éthodes et t echniques selon le nombre d’enquêt es prises
en charge.
Enfin, l a diversit é qu’il y a à relever dans la façon de m ener une
enquête chez Dupin ou Lecoq ou Holm es tiennent à la dissemblance
des caract ères des trois hommes, de leur stat ut ou leur situation
professionnell e et m êm e de l a nature des affai res qu’ils ont à trait er.
302
A.C. Doyle, Volume1. Une étude en rouge (A Study in Scarlet), 2005, p.47.
246
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
Il est pourt ant clai r que Dupin n'est pas homme de t errain. Le
détective selon Poe n'est pas homme d'acti on. Dupi n « f ai t de la
pol i ce comm e d' aut res f ont du cal cul i ntégral et avec l 'i nf ai lli bi l it é du
géni e » 303.
Pour
lui,
tout
est
connaissable et
explicabl e
rationnellem ent . Ce détective se caractérise par une int elli gence
déductive étonnant e et un pouvoir de raisonnement abst rai t où rien
n'est l aissé au hasard ; sur ce point là, le dét ective de Poe est
inimitable. Cependant Dupin est, en dépit de quelques touches de
bizarreri e, t rès pauvre en humanit é, une vrai e machine à raisonner ; il
ne se t rompe jamai s, et ne peut imaginer qu’il puisse se tromper, il
va droit au but avec la précision et l’i mplacabilité d’ un m écanisme
bien réglé produisant des équations al gébriques que l e lecteur n’aura
pas
forcément
envie
de
déchiffrer.
Le
cél èbre
criminaliste
et
directeur du l aborat oire de poli ce t echni que de Lyon de 1910 à 1950,
Le Dr. Locard regrette que la m éthode d’Au gust e Dupin soit si peu à
la port ée des gendarm es, il affirm e que la visite des lieux et le
recueil
des
indi ces
perm ettraient
à
un
polici er
d’intelli gence
moyenne d’arriver aux mêmes conclusi ons que lui.
Le détective de Gaboriau a un avant age sur celui de Poe, Le coq
a su vivifier ce qui chez Dupin était demeuré abst rait. Il emploie des
méthodes qui ne s’écartent pas de ce qu’on voit dans la poli ce réelle,
il est doué d’une surprenante perspicacité ainsi que d’un réel sens
pratique. Il lui arrive de comm ettr e des erreurs, ce qui le rend plus
humain par opposit ion à Dupin. Lecoq est « découragean t par sa
supéri ori t é », on ne peut pas l’imit er. On peut apprécier chez Lecoq,
égal ement , son ingéniosité à distinguer et interpréter l es indices, ses
admirables anal yses de t races, ses qualités de raisonnem ent
qui
« pourrai ent servi r de m odèl e à t out pol i ci er, dont pas un sur m il l e,
303
Cité par Berlière Jean-Marc. « Police réelle et police fictive ». In: Romantisme, 1993, n°79. pp. 73-90.
247
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
ci nquant e ans après, ne saurai t f ai re aussi bi en m al gré l es progrès
consi dérabl es des connai ssances t echni ques » 304.
La résol ution des enquêt es de Lecoq
passe pri ncipalem ent par
des déductions logi ques et des interrogatoires sur le t errain. Son
travail nécessit e donc un mél ange de "fl air", de déduction, mais
surtout de patientes investi gations, des recherches, des véri fications
méthodiqu es. Il est aidé par ses collègues, il s’éclipse de temps à
autre, son enquête n’ accapare pas l a
place du rom an comm e le fait
cell e de Dupi n.
En em prunt ant à Poe l e personnage du dét ective i ntelli gent,
cultivé raisonneur et
anal yti que, en lui emprunt ant ég alem ent,
quelques t raits de caractère (aptitude à résoudre l e probl ème sans
bouger) ; Do yle a mis en scène un Holmes qui « connaî t m i eux son
m ét i er que Dupi n ». En s’inspi rant en même tem ps de l a méthode
pratique du polici er de Gaboriau , le créateur britan nique a doté son
détective d’une meil leure connaissance des t echni ques sci entifiques.
Le mérite de Do yl e est donc d’avoir réuni toute s sort es d’élém ents
épars. Chez Holmes, nous ne trouvons ri en qui n’a it existé avant lui,
mais l’amal gam e est plus concent ré, pl us intelli gemment combiné.
Holmes est le t ype de dét ective spéci alement adapt é à son art. Il a
surcl assé ses prédécesseurs par l’audace, l’aisance et la rapidité de s a
réaction :
Tout est à im i t er chez H ol m es : sa spéci ali sat i on,
sa com pétence t echni que, m ai s l à où i l rest e l e
m aî t re, c' est dans l e choi x heureu x de l ' hypot hèse,
dans l ' i nt uit i on, dans l a f orce l ogi que 305.
304
Berlière Jean-Marc. « Police réelle et police fictive ». In: Romantisme, 1993, n°79. pp. 73-90.
305
Cité par F. Lacassin, op. cit., p. 115.
248
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
III- Autres procédés d’enquête
1. Des caméléons hu mains
En tirant quelques ensei gnem ents des Mémoires de Vi docq, en
parti culier sur l ’art du déguisement , Lecoq est devenu un être
éminemm ent protéiforme, vi rtuose du déguisem ent et du changem ent
rapide. Tel un act eur, il possède un vestiai re bi en achal andé où
puiser ses différent es apparences :
Tout
un
côt é
du
m ur
ét ai t
occupé
par
un
port em ant ea u où pendai ent l es pl us ét ranges et l es
pl us di sparat es déf roques. Là ét ai ent accrochés des
cost um es appart enant à t out es l es cl asses de l a
soci ét é, depui s l ’ habit à l arge revers, derni ère m ode,
orné d’ une rosett e rouge, j usqu’ à l a bl ouse de l ai ne
noi re du t yran de barri ère. Sur une pl anche, au dessus du port em ant eau, s’ ét al ai ent sur des t êt es de
boi s une douzai ne de perruques de t out es nuances. À
t erre, ét ai ent des chaussures assorti es aux di vers
cost um es.
Enf i n,
dans
un
coi n,
se
voyai t
un
assort im ent de c annes assez com pl et et assez vari é
pour f aire rêver un col l ecti onneur 306.
Il faut savoir que cet art du déguisement était effectivem ent une
courant e des poli ci ers, pratique utilisée par Vi docq s'inspirant des
mœurs sécul aires des truands de l a
« cour des mi racl es », on l a
retrouve tout au long du si ècl e. D ans l es Mémoires d'Outre -tombe, et
pendant sa courte arrestation au début de la Monarchie de juillet,
Chateaubri and, évoque les coulisses de l a Préfecture de poli ce qu'il a
pu observer et il rapporte qu'il y existait alors un vesti aire pour y
306
E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, p. 425.
249
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
engranger une pl éthore de costumes divers, où les agents trouvai ent
les accessoi res nécessai res pour se t ransform er « en m archands de
sal ades, en cri eurs des rues, en charbo nni ers, en f orts des hal l es, en
m archands de v i eux habi t s, en chi f f onni ers, en j oueurs d' orgue » 307, ils
étai ent « coi f f és de perruques », ou avai ent « barbes, m oustaches et
f avori s posti ches ».
Cependant, si Gaboriau s’est inspi ré sans doute fort em ent de l a
réalité poli cière quotidienne, en retour, so n héros a considérablem ent
contribué à modifi er non seul ement l'im age de l a poli ce dans
l'opi nion publique, mais la police et ses techniques, voire les
policiers eux -mêm es. L'illusion d'une police infaillible, qui naît avec
les progrès techniques et l es ré ussites de la poli ce judi ci aire, doit
beaucoup aux enquêtes et éni gm es crimi nelles résolues avec brio par
M. Lecoq.
Ainsi, savoir se gri mer, se déguiser, di ssimuler sa personnalit é
est le premier com mandem ent du bon policier, et Lecoq est pass é
maître en cet art. Un personnage du Dossier n°113 confi rm e bien cet
avis :
Il ne f audrai t pas en j urer, parce que, voyez vous, personne ne peut se vant er de connaî t re la
vrai e
f i gure
de
m onsi eur
Lecoq.
Il
est
ceci
auj ourd’ hui et cel a dem ai n ; t ant ôt brun, t ant ôt
bl ond, parf oi s t out j eune, d’ aut res
si vi eux qu’ o n
l ui donnerai t cent ans. Tene z, m oi qui v ous parl e, i l
m ’ enf once com m e i l veut . Je cause avec un i nconnu,
paf ! C’ est l ui . N’ im port e qui peut êt re l ui . O n
307
François-René de Chateaubriand,
www.ebooksfrance.com, p. 1021.
Mémoires
d'Outre−tombe,
éditions
eBooksFrance,
250
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
m ’ aurai t di t que vous ét iez l ui , j ’ aurai s répondu : «
C’ est bi en possi bl e. » 308
Pour rest er t oujours dans la réalit é policière, Gabori au nous
explique longuem ent , dans Le crime d’Orcival , que ce serait pour les
besoins de sa sécurité que Lecoq, t el un policier réel, se verrait
contraint de se maquiller et de se t ravesti r sans cesse :
Q ue voul ez - vous ! Tout n’ est pas rose, dans l e
m ét i er. O n court , à é cheni l l er l a sociét é, des dangers
qui devrai ent bi en nous conci l ier l’ estim e de nos
cont em porai ns à déf aut de leur af f ecti on. Tel que
vous m e voyez j e sui s condam né à m ort par sept
m alf ait eurs,
l es
plus
dangereux
qui
soi ent
en
F rance. Je l es ai f ai t prendre, et i l s ont juré – et ce
sont des hom m es de parol e – que j e ne mourrai s que
de l eur m ai n. [ …] . Q ui sai t si l ’ un deux ne m’ a pas
sui vi j usqu’i ci , qui m e dit que de m ai n, au dét our
d’ un chem i n creux, j e ne recevrai pas si x pouces de
f er dans l e vent re. 309
L’habilité de Sherl ock Holm es à modi fier l ’apparence de son
visage et de son corps sem ble égal e à celle de Lecoq. Holmes
comptait « au m oi ns ci nq pet i t s ref uges dans d i f f érent s quart i ers de
Londres dans l esquels i l pouvai t changer de personnal i té » 310. Dans Un
scandal e en Bohême , il apparaît déguisé en une sorte de val et
d’écuri e pris de bois son avec le visage rougeaud et d es habit s miteux.
Mais
quel ques
mi nutes
après
il
redevient
308
E. Gaboriau, Le Dossier 113, p.102.
309
E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, p. 194.
310
A.C. Doyle, Volume2, Peter le noir (Black Peter), p. 845.
comm e
il
était
à
251
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
l’accout umé. Dans Le Signe des quatre, Il a pu se transformer en
vieillard avec :
[ …] un pas l ourd q ui gravi ssai t l es m arches et
un hal èt em ent sif f l ant et bruyant , comm e chez un
hom m e ayant de graves probl èm es de respi rat i on.
Une ou deux f oi s i l s’ arrêt a, comm e si l ’ ascensi on
ét ai t t rop dif f i cil e pour l ui , [ …] , son dos ét ai t voût é,
ses
genoux
t rem bl ai ent
et
son
souf f l e
ét ai t
doul oureusem ent asthm at i que. 311
Et dans L e dét ecti ve agonisant , il est parvenu à se faire passer
pour un mou rant, même aux yeux avertis du doct eur Watson. Il
apparaît à son ami, le visage décharné, le front ruissel ant de sueur,
les yeux brill ants, agrandis par la fi èvre, l es pommettes rouges, des
croût es noires collées aux lèvres, l es mai ns agitées d’un trem blem ent
et
tenant
d’une
voix
affaibli e
des
propos
incohérents.
Les
métamorphoses récurrentes de Holmes qui rel èvent au mieux de la
prestidi git ation, causent de véritabl es chocs chez Watson. Lacassin
s’interroge sur les motivations de Hol mes à se déguiser : « S’ agi t - il
de surprendre l es secret s des bandi t s… ou de surprendre Wat son ? » 312.
Pinque apporte une réponse si gni ficative, c’est :
[ …]
une
aut re
mani ère
de
Sherl ock H olm es, déci dém ent , est
dém ont rer
que
uni que ;
que
l orsqu’ i l l ève l e m asque, révél ant son i de nt i t é, « ça
m arche encore ! » . Wat son, dupe pri vi légi ée m ai s
ravi e de ces ef f ets d’ i l l usi on, s'ém ervei llera chaque
f oi s de l a perf ect i on du cost um e. 313
311
A.C. Doyle, Volume1, Le Signe des quatre (The Sign of Four), p. 315.
312
Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), p.88.
313
Meryl Pinque, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, URL :http://faustroll.net/pinque/index.htm.
252
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
Chez Conan Do yl e l e déguisement ne semble guère rel ever d’une
réalité polici ère, mais d’un m onde puremen t fi ctif. L’aut eur a affirmé
à plusi eurs reprises que l a mission de l’écrivain ét ait de distraire l e
lect eur, de l’arracher à ses préoccupations ou à ses soucis quotidiens.
Ainsi, quand Holm es assume des identit és différent es c’est souvent,
pour l es besoins de l’enquêt e, cert es, m ais surt out pour se flatter de
pouvoir ne pas être reconnu en tant que S herlock Holmes.
2. S’identifier au criminel
Lecoq ne s’embarrasse pas toujours de scrupules dans ses
recherches et n’hési te pas à viol er l e secret d’une correspo ndance ou
à s’appropri er les l ettres d’aut rui ; chez le juge d’Escorval ( Monsieur
Lecoq), il ramasse une l ettre tombée sur l e t apis et « m û par un
sent i m ent i nst i nct if pl us f ort que sa vol ont é », il la lit. Dans Le cri me
d’Orcival, il se livre à un act e pe u él égant voire délictueux pour un
policier en s’emparant de la l ettre de l a fill e du mai re, abandonnée
sur une t able, et en la glissant dans sa poche. Lecoq n’hésite pas
égal ement à écout er aux portes tout en se donnant une excuse : « O ui ! Ce n’ est pas f ort dél icat peut - êt re ; m ai s qui veut l a f i n veut l es
m oyens. J’ ai écouté et j e m ’ en appl audis […] » 314.
Lecoq a toujours sur lui une trousse « renf erm ant une l oupe et
di vers i nst rum ents de f ormes bi zarres, une t i ge d’ aci er recourbée vers
l e bout , qu’ i l i n t rodui sai t et f ai sai t j ouer dans l es serrures » 315. Ainsi,
un excellent polici er doit posséder des talents qui s’apparentent à
ceux des cambri oleurs et des faussaires ; son excuse est l a nécessité
de fai re éclat er la vérité, disculp er les i nnocents et de dém asquer les
coupables.
314
E. Gaboriau, Le Dossier 113, p.189.
315
E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, p.88.
253
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
Tout comme Lecoq, Sherlock Holmes n’hésite pas à sacri fier de
façon expéditive les mo yens à l a fin, m ais bien entendu, toujours au
servi ce d’une j uste cause. En toute connaissance de cause, l e
détective
se
rend
coupabl e
de
vi olation
de
domi ci le
avec
prém éditation ( Le vi sage jaune). Holm es se mue en cambriol eur pour
le bon motif, muni d’un attirail de cambriolage, dont il n’est pas peu
fier : « voi l à un équ i pem ent de cam bri oleur de prem i ère cl asse et du
derni er cri » 316. Il est conscient des risques qu’il court et qu’il fait
couri r à son ami Watson, tout en plaisantant, il lui dit : « no us avons
part agé l e m êm e appart em ent pendant des années, et ce serai t am usant
que nous f i nissi ons par part ager l a m êm e cel l ul e » 317.
Holmes n’hésit e pas à aller plus loin, il peut troubler l’ordre
public en déclenchant un incendie, c’est le cas dans Un scandale en
Bohême. Dans L’illustre cli ent , il échappe de peu aux poursui tes :
Sherl ock
H ol m es
se
ret rouva
m enacé
d’ une
accusat i on de cam bri ol age, m ais quand l e but est
l ouabl e et l e cli ent suf f i sam m ent il l ust re, m êm e l e
ri gi de droi t angl ai s devi ent hum ai n et él ast i que. 318
M. Lecoq et Sherlock Holmes imitent ceux qu’ils poursuive nt, et
comme excellents psychologues, ils sont capabl es de s’identifi er à
eux égal eme nt sur le plan des pensées.
L’expérience de Lecoq comm e ex forçat, lui servi ra pour venir à
bout des m yst ères auxquels il est confront é. Lecoq s’identifie au
criminel et épouse sa logique pour retrouver les sentim ents qui furent
les siens avant, pendant e t après le crim e :
316
A.C. Doyle, Volume2, Charles Augustus Milverton (Charles Augustus Milverton), p. 899.
317
Ibid.
318
A.C. Doyle, Volume3, L’illustre client ( The Illustrious Client), p. 665.
254
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
[…] j e dépoui ll e m on i ndi vi dual i t é et m’ef f orce
de revêt ir l a si enne. Je subst it ue son i ntel l i gence à
l a m i enne. Je cesse d’ êt re l ’ agent de l a Sûret é, pour
êt re cet homm e, quel qu’ i l soi t . 319
Holmes à son tour possède la facult é de se met tre en pensée à la
place du criminel pour mi eux comprendre ses mobiles et reconstituer
ses agissem ents, il explique :
Je m e m et s à l a pl ace de l a personne et , ayant au
préal abl e j augé son i nt el li gence, j ’ essai e d’ i m agi ner
com m ent
j ’ aurai s
m oi -m êm e
agi
dan s
des
ci rconst ances i dent i ques.
En insistant sur cette technique de s’identifi er à l ’aut re, le
détective brit annique donne ce conseil à un inspecteur de Scotland
Yard :
Vous
n’ obt i endrez
des
résul t at s,
i nspect eur,
qu’ en vous m et t ant touj ours à l a pl ace de l ’ aut re en
réf l échissant à ce que vous auri ez f ait vous - m ême.
Cel a requi ert une cert ai ne dose d’ im agi nat i on, m ai s
c’ est payant . 320
Cela nous rappelle incontest abl ement Dupin, dans l a Lettr e
volée, qui s’est identifié à l ’intell ect de son adversaire, alors qu e l a
police a échoué parce qu’elle s’en est tenue à ses propres idées de
l’ingéni osité, qui se sont avérées insuffisantes face à un m alfaiteur
d’une intelli gence au dessus de la m oyenne. Dupin a évalué son
319
E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, p.431.
320
A.C. Doyle, Volume3, Le marchand de couleurs retraité (The Retired Colourman), p. 1051.
255
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
adversaire à sa just e val eur et est parvenu à conf ondre le cri minel en
s’identi fiant à lui .
S’identifi er au cri minel, pourrait même créer un senti ment
d’admi ration
chez
le
détective.
En
effet,
Lecoq
est
capable
d’appréci er le crimi nel int elli gent qui sait évent er les pièges de l a
police. Il se retient pou r ne pas l’applaudir et éprouve pour l ui « cet te
secrèt e sym pat hi e qu’ i nspi re l’ adversai re qu’ on sent di gne de soi » 321.
Voici égalem ent Holmes qui parle avec fascination de son di abolique
adversaire le professeur Mori art y :
C’ est l e Napol éon du cri m e. [ …] . C’ est un géni e,
un phi l osophe, une p ensée abst rai te. Il est dot é d’ un
cerveau de t out prem i er ordre. [ …] Vous connai ssez
m es f acul t és, m on cher Wat son, et pourt ant au bout
de t roi s m oi s, j e f us f orcé de reconnaî t re que j ’ avai s
enf i n rencont ré un adversai re qui ét ai t mon égal sur
l e pl an i nt ell ect uel . 322
3. Le goût du secret
Au cours de leurs enquêt es, Dupin et Holmes taisent l’essentiel
de l eurs découvertes, ce qui permett ra d’abord au m ystère de
persist er à t ravers l ’i gnorance du narrat eur, puis au probl ème d’ê tre
résolu à l a faveur de l’i gnorance du crim inel.
Dupin ent reti ent certes une relation intime avec le narrat eur,
mais l’intimit é a ses limites chez le dét ective :
J’ ai di t que m on am i avait t out es sort es de
bi zarreri es, et que je l es m énageai s [ …]. Il ent rai t
321
E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 138.
322
A.C. Doyle, Volume2, Le dernier problème (The Final Problem), p.269.
256
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
m ai nt enant dans sa f ant ai si e de se ref user à t out e
conversat i on rel at i vem ent à l ’ assassi nat , j usqu’ au
l endem ai n à m i di . Ce f ut al ors qu’ il m e dem anda
brusquem ent si j ’ avai s rem arqué quel que chose de
part i culi er sur l e t héât re du cri m e. 323
Le narrateur a pprend la découvert e de la l ettre vol ée en m ême
temps que l a police offici elle. Dans l’affai re de la rue Morgue, le
narrat eur reçoit la révél ation peu de temps avant l a police, et après
une attent e convenable. Nous avons l ’i mpression que la discrétion de
Dupin est dict ée non par la m éfi ance mais, comme à son habit ude,
par l e dési r d’étonner. Cett e mise en scène lui assure le flot des
applaudissem ents fi naux ; « l e ri deau se l ève à l’ heure dite, j am ai s
avant » 324.
À son tour, Holm es a cette capacité de s’abstr aire de l ’enquêt e
presque instantanément. Il a égalem ent cett e m anie
cachotti ère
consist ant à détourner l a conversation pour éviter de livrer à Watson
des détails concernant l’éni gm e ; ce qui étonne sans dout e l e lecteur
autant que le narrateur Watson :
Sherl ock H olm es possédai t l a f acult é, à un degré
haut em ent rem arquabl e de di ssoci er son espri t à
l oi si r. Durant deux heures, l ’ ét range af f ai re dans
l aquel l e nous avi ons ét é i m pli qués sem bl a oubl i ée et
il
s’ absorba
enti èrem ent
dans
l es
pei nt ures
de
l ’ écol e be l ge m oderne. [ …] , i l ne voul ut parl er de
ri en d’ aut re que d’ art [ …] . 325
La façon dont Holm es abrège certaines discussions en gardant le
secret de ses proj ets et de ses acti ons, relève d’une rét ention
323
E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p. 69.
324
F. Lacassin, Mythologie du roman policier (I), p. 31.
325
A.C. Doyle, Volume2. Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), p. 373.
257
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
d’information, que l e narrat eur présente comm e bizarreri e ou comm e
défaut chez son ami :
L’ un des déf aut s de Sherl ock H olm es – si, à vrai
di re, on peut appeler cel a un déf aut – ét ai t qu’i l
répugnai t f ort em ent à com m uni quer à qui conque
l ’ ensem bl e de ses pl ans j usqu’ au m om ent de l eur
exécut i on. 326
Un défaut bi en com mode emprunt é à Dupin, qui lui permet de
nous teni r en halei ne avec une éni gme dont nous entreverri ons trop
tôt la solution, si l’on nous communiquait toutes l es données. C’est
une vol onté, chez Holmes tout com me chez Dupin, de reteni r
l’attention de son auditeur au lieu de l ui donner la soluti on aussitôt
découverte.
Quant au sil ence de Lecoq, c’est un choix imposé en présence
des autres hommes de loi. Lecoq préfère se tenir sur la réserve et ne
laisser aucun mot l ui échapper. Il est capabl e de dissim uler son
intime pensée, tout en cherchant à pénétrer cell e d’un col lègue, et
s’efforce, si elle est opposée, de ram ener ce coll ègue adversaire à son
opinion, non en l a l ui découvrant franchement , mais en appelant son
attention sur les mot s graves ou futiles qui l’ont fixée.
En gardant pour l ui seul les informati ons, le détective empêche
le lect eur d’êt re édifié par l a connaissance des données nécessaires à
la résolution du crim e ou à l a solution de l’intri gue afin de le tenir en
haleine. Qu’il s’agi sse donc des l acunes dans l’inform ation fournie
au l ect eur ou de certains d ét ails i gnorés par le criminel , c’est au
personnage du détective et à son silence qu’il faut remonter pour
trouver l es pi èces m anquantes d’un puzzle encore inextricabl e .
326
A.C. Doyle, Volume2. Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), p. 563.
258
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
IV-
Des héros-détectives face à la science
Un des t raits caract éristiques de nos troi s héros -dét ectives et qui
suffit à l es distinguer comm e des invest igateurs hors pai r, est qu’ils
se récl ament de la science et des méthodes scientifiques.
Les déductions de Dupin rel èvent du domaine le plus exact qui
puisse exister : les mathém atiques. Doté de facult és d’anal yse à un
point impressionnant, n otre détective en arrive à reconstituer ce qui
s’est passé. En tant qu’anal yste, il doit « décom poser, di sséquer,
ét udi er, exam i ner ». Dans Double Assassi nat dans la rue Morgue , Poe
produit toute une démonstration sur l e terme « anal yse ». Bien que
cett e affai re dépasse l’entendem ent, Dupin va percer une ex plication
logique. En part ant des faits (le crime), il remonte à sa cause grâce à
une suite de raisonnements et en s’appuyant sur des indi ces matéri els
et
ps ychologiques.
Puis,
il
poursui t
en
expliquant
le
terme
« analyse » :
Cet t e f acul t é de résol ut i on t i re peut - êt re une
grande
f orce
de
l’ét ude
des
m at hém at i ques,
et
part i cul ièrem ent de l a t rès ha ut e branche de cet t e
sci ence, qui , f ort im proprem ent et sim pl em ent en
rai son de ses opérati ons rét rogrades, a ét é nom m ée
l ’ anal yse,
comm e
si
el l e
ét ai t
l ’ anal yse
par
excel l ence. 327
Dupin s’int éresse de très près aux mathém atiques. Dans Le
myst ère
de
Mari e
Ro get,
il
parl e
m at hém at i ques ». Ai l l eur s i l aj out e :
m at i ère
327
d’ un
cal cul
ri goureux.
de
« cal cul s
purem ent
« Nous f ai sons du hasard l a
Nous
soum et t ons
l ’ i natt endu
et
E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.39.
259
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
l ’ i nconcevabl e aux f orm ul es m at hém at i ques des écol es » 328. De la même
manière Dupin fait de nom breuses anal yses sci entifiques dans la
seconde nouvelle, dans La L ettre vol ée , il expose toute une théorie
sur le raisonnement tiré e de l’étude des m athém atiques. Il di ra alors
que :
« Les
m at hé m at i ques
sont
la
sci ence
des
f orm es
et
des
quant i t és » 329 ou en core que « l e rai sonnem ent m at hém at i que n’ est
aut re que l a sim pl e logi que appl i quée à la f orm e et à l a quanti t é » 330. Il
signale aussi des « a xi om es m at hém at i ques » , de « chi m i e ». Il expose
même des formul es telles que « « x » + px » égal ou non à « q »…
ou bien encore il s’i ntéresse au « pri nci pe de l a f orce d’i nert i e » . Des
récits tels que Double Assassinat dans la rue Morgue , La Lettre volée
et Le Myst ère de Marie Roget ont m anifest ement t rouvé un public
prêt à recevoi r les leçons de l 'enquêt e policière sci entifique, de la
part d’un dét ective qui est à la fois m at hémati cien et logi ci en. Léon
Lemmoni er écrit à propos de Poe et du calcul des probabilités :
Les cont es pol i ci ers de P oe sont une app l i cati on
à l a l i t térat ure du f am eux l i vre de Laplace : Essai
phi l osophi que sur l es probabi l i t és […] .
A chaque f ai t , il [ Dupi n] at tri bue une cause, i l
appl i que l e t roi si ème pri nci pe de Lapl a ce sur « l a
m ani ère
dont
l es
probabi l i t és
augm ent ent
ou
di m i nuent par l eurs com bi nai sons m ut uell es ». 331
C’est sans dout e Poe lui -mêm e qui a ouvert la voi e à de t elles
comparaisons en écrivant :
328
E.A. Poe, Le Mystère de Marie Roget (The Mystery of Marie Roget), p. 28.
329
E.A. Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), p.123.
330
Ibid.
331
Régis Messac, Le « Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, éd. Encrage, collection
« Travaux », Paris, 2011,p. 304.
260
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
En général , l es coïnci dences sont de grosses
pi erres d’ achoppem ent dans l a rout e de ces pauvres
penseurs m al éduqués qui ne savent pas l e prem i er
m ot de l a t héori e des probabi l i t és, t héorie à l aquel l e
l e savoi r hum ai n doi t ses pl us gl ori euses conquêt es
et ses pl us bell es découvert es. 332
En revanche, l a logique de Dupin et de son propre aveu, n’est
pas enti èrement identique à la logique mathém atique. Reprenons 333 ce
fragment de dialogue ent re le dé t ective et son compagnon au sujet du
ministre D :
- [ …]
je
croi s
qu’ il
a
écri t
un
l i vre
f ort
rem arquabl e sur l e cal cul dif f érent i el et int égral . Il
est l e m at hém ati ci en et non pas l e poèt e.
- Vous vous t rom pez ; j e l e connai s f ort bien, i l
est l ’ un et l ’ aut re. Com m e poète et m at hém at i ci en, i l
a dû rai sonner j ust e ; comm e si m pl e m athém at i ci en,
i l n’ aurai t pas rai sonné du t out , et se s erai t ai nsi
m i s à l a m erci du préf et . 334
Poe sembl e insister sur la distinction entre l’esprit de géom étrie
et l’esprit de finesse. Effectivem ent, si l ’intuition fournit l e point de
départ dans la méthode de Dupin , ou plutôt de Poe lui -m ême, c’est
parce que chez lui l'anal yste est doubl é d'un poète : c’est le poèt e
qui, au bout de ses raisonnem ents , découvre h ypothétiquement, par
intuition et di vination géni ale, la cause cherchée.
Le détective de Gaboriau est trop respectueux de ce qui relève
de la science pour ne pas t enir compt e des résultats des examens des
332
E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p. 80.
333
Voir page 211.
334
E.A. Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), p.122.
261
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
médecins légist es, m ême si l’inspection du cadavre, de la blessure et
des ec ch ymoses de la part des médecins, ne fait souvent,
que
confi rmer les indi cations de Lecoq , il rest e que l ’examen médical
minutieux devient absolument fondam ental. Dans le Crime d’Orcival,
Lecoq ne m anque pas d’aill eurs de l e souligner une fois le cadavre
examiné, l es lieux inspect és et les h ypothèses const ruit es :
J’ ai bi en m a l ant erne, et m êm e une chandel l e
dans m a l ant erne, i l ne m e m anque pl us qu’ une
al l um ett e… [ …] ,
si m onsi eur l e doct eur dai gnai t
prendre l a pei ne de procéder à l’ exam en du cadavre
de M m e l a com t esse de Trém orel , il m e rendrai t un
grand servi ce. [ …] ,
j e m e perm et t rai d’ appel er
l ’ at t ent i on de m onsieur l e doct eur sur les bl essures
f ai t es
à
la
i nst rum ent
t êt e
de
cont ondant
M me
que
de
je
Trém orel
par
un
suppos e
êt re
un
m art eau. J’ ai ét udié ces bl essures, m oi qui ne sui s
pas m édeci n, et el l es m ’ ont paru suspect es. 335
Emanant de la bouche de Lecoq, cett e démonst ration au st yl e
badin, m ontre assez bien quell e ét ait la conception que Gaboriau se
faisait de l 'enquête j udiciai re : le détecti ve pou rrait bien avoir, grâce
à ses qualit és d'observation, l a lantern e et m ême l a chandelle ; il
appartenait à la sci ence d’offrir l ’allum ette.
Lecoq n’a pas hésité à faire appel
aux derniers progrès
scienti fiques m arquant son époque. Dans L e Dossier n°113 , l e
détective a
eu recours à un agrandissement photographi que. Une
autre utilisati on de la photographie, trop ordinai re a ujourd’hui,
« m ais peut -êt re inventée par Gabori au », renvoi e à l’examen d’un lot
de portraits parmi lesquels fi gure celui du coupabl e pr ésumé. Sur un
335
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.91.
262
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
autre regist re, l e héros -dét ective de Gabori au a fait de l a chimi e
avant Sherlock Hol mes : « Q uel s poi sons produi sent les ef f et s décrit s
? Je n’ en connai s pas. Et j ’ ai pourt ant étudi é bi en des poi sons, depui s
l a di gi t ale de La P omm eraye j usqu ’ à l’ aconi t i ne de l a Sauvresy » 336.
En 1907, le criminologue Al fredo Ni ceforo
l’œuvre
polici ère
de
Gaboriau
considère
i nnovat eur af f ranchi de l a rout i ne ».
qui s’int éresse à
Lecoq
com me
« un
À travers l e dét ective, c’est à
Gaboriau qu e Ni ceforo adresse cet él oge :
Q uel t ype de poli ci er devrai t êt re l ’ homm e qui ,
m i eux que t out aut re de son époque, pouvai t se
servi r de cet t e f acult é si rare qu’ est l a f acul té de
rai sonner l ogi quem ent et m ett re en cont ri but i on des
connai ssances sci entif i ques pour l es i nvest i ga ti ons
sur l es l i eux du cri me ! 337
Gaboriau a ainsi su profit er de l’exemple d’Edgar Poe. Ses écrit s
policiers décèl ent de nombreuses traces de l’influence scient ifique. Il
a réussi à conquérir ses fidèl es par la satisf action qu’il apportait à
leur int elli gen ce. L’un des rares bi ographes de Gabori au, Marius
Topin le souli gne pertinemm ent :
[ …] l ' Af f ai re Lerouge , l e Crim e d' Orci val , l e
Dossi er n ° 113, Monsi eur Lecoq, La Cor de au cou ,
œuvres f ort im proprem ent nom mées rom ans [ …] ,
m ai s
auxquel l es
véri t abl e
t i t re
il
est
général ,
t em ps
de
rest i t uer
qui
est
celui - ci :
procédés de rai sonnem ent en m ati ère j udici ai re .
336
E. Gaboriau, Le Dossier 113, p.538.
337
Cité par Roger Bonniot, op. cit., p. 431.
338
Cité par R. Messac, op. cit., p. 434.
leur
des
338
263
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
Quant à Sherlock Holmes, son créat eur lui -mêm e explique :
« j ’ ai essayé de créer un dét ect i ve sci ent ifi que qui résout l es probl èm es
par ses prop res m oyens, et non grâce aux erreurs du coupabl e » 339.
La méthode de Sherlock Holm es met au premier pl an les
avant ages que procure le progrès scient ifique. Holmes s’int éresse à
plusieurs discipli nes, mais surtout à la chimie. Il a d’ailleurs fait la
connaissance de Watson dans un laboratoire de chimie, où il venait
de réussir une expéri ence sur l ’hémoglobi ne. Holmes a ainsi fait
« pénét rer l a cri mi nol ogi e dans une voi e nouvel l e et , bi en qu e f ict i ve,
cet t e découvert e est un poi nt de départ » 340.
La m éthode de She rlock Holm es tém oigne du progrès de la
science et fait partie de la modernit é de son époque. Sans oublier que
dans les enquêt es m enées p ar Holmes, Doyl e n’hésit e pas à réinvesti r
ses
connai ssances
médicales.
En
jouiss ant
égalem ent
d’une
connaissance ét endu e des techniques de laboratoire, son détective
était capabl e d’i ndi quer la provenance d’une boue, d’identifier la
nature d’un t abac ou de reconnaître l es dessins d’un pneumatique
parmi les 42 sortes de pneus qui existaient à l’époque. Dans Policier s
de roman et de laboratoire , Edmond Locard écrit :
Ce qui est adm i rabl e chez H olm es, c’ est cett e
parf ai t e connai ssance de t out ce qu’i l f aut avoi r
ét udi é pour l a découvert e des cri m i nel s ; en quoi i l
est grandem ent supéri eur aux pol i ci ers d' Edgar P oe
et de Gabori au 341.
339
A.C. Doyle, Souvenirs et Aventures, 1924, extrait présenté sous le titre « Le Dr Joseph Bell vu par
Conan Doyle », p. 1 006.
340
Pierre Nordon, Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré.
Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, 1994, p. 49.
341
Cité par Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Paris, 1994, p. 41.
264
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
En revanche, nous pouvons reprocher à Holmes de ne point avoir
eu recours aux résul tats d’une aut opsie (comme Lecoq), et de ne pas
accorder de content ion aux empreintes digit ales, alors que l’emploi
de cett e t echni que était admis en France depui s 1888 ; quand Holm es
a découvert la t race très nette d’un pouce sur une boît e, il l’a
ignorée ! Il n’a ni usé du tél éphone, ni pris l’automobil e ou le métro.
Chose étrange chez un homme qui sur tant de points fut un initiateur,
il ignore la dact yloscopie, qui e st si uti le pour le polici er, et qui, à
l'époque, ét ait dans le domaine public. C’est la raison qui a poussé
Lacassin à exprim er son étonnement : « A cert ai ns égards, Sherl ock
H ol m es s’ avère i nexpl i cabl em ent en ret ard sur son t em ps » 342.
Heureusement,
Hol mes
se
ratt rape
avec
l’expertise
des
docum ents écrits et les écritures secrètes. Il est arrivé à décel er
l’odeur de café à partir du papier port ant l’adresse de la destinatai re
de La Boîte en cart on . Sa connaissance des soixante -quinze parfums
qu’un expert criminologue, lui a permi s d’identifi er dans Le chi en
des Baskerville , l ’ori gine féminine d’une lettre. Et là où vraim ent
Holmes fait preuve d’une étonnant e ingéniosit é, c’est quand, dans
Les hommes dansant s , il réussit à déchi ffrer l’étrange cr yptogramm e
form é par des li gnes minuscul es , de sil houett es en t rain de danser.
« Les pet i t s hom m es dansant s ne pouv ai ent t ai re i ndéf i nim ent l eur
secret au roi des détect i ves, l e dét ecti ve des roi s » 343.
Il sembl e mêm e que Holm es
a pratiqué la police scienti fique
avant qu'ell e ne soit inventée, il a créé un art nou veau. Il a
réellem ent influencé la technique poli cière. Le Dr. Locard ne manque
pas de lui rendre un hommage di gne de ses tal ents :
342
Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), p. 102.
343
Ibid., p. 105.
265
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
J’ avoue pour m a part , avoi r pri s dans l es
avent ures
de
Sh.
H ol m es
l ’ i dée
prem i ère
de
recherches sur l es poussi ères des vêt ement s et sur
l es t âches de boue et j e sai s ne pas êt re l e seul à
avoi r t rouvé dans ces rom ans des i dées neuves et des
i nspi rat i ons uti l es 344.
L’image qui se dessine désormais est celle d’un héros -dét ective
qui se passionne, et passionne le l ect eur pour l ’enquêt e sci entifique.
Grâce à leur caract ère rationnel, Dupi n, Lecoq et Holm es deviennent
les ennemis implacabl es de « ceux qui peupl ent le m onde des
ombres ».
344
Cité par Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), p.114.
266
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
D
e ce long parallèl e entre les méthodes et procédés
d’enquêt e de Dupin, Lecoq et Holm es, nous fini rons par
une s ynthèse d es él éments recuei llis dans notre anal yse afin de situer
les ressem blances et les dissemblances qui ont caract érisés les trois
enquêteurs.
Nous avons affaire , tout d'abord, au détective
qui se sert
principal ement de ses facult és m ental es pour résoudre les énigm es ;
c’est le cas de Dupi n. C’est u n esprit fort qui règne sur l 'univers du
roman à éni gm es et pour qui chaque m yst ère n'est qu'un problèm e
mathém atique qui doit connaître sa classification . Le t ype Dupin ne
parti cipe que très rarem ent à l 'action, il préfère garder une certaine
distance face aux événem ents. Dist ance qui lui permet d'anal yser plus
clairem ent les indices laissés par l e mal faiteur et de découvrir, grâce
à diverses opérations ment ales, l a clé du m ystère. Dupin se révèle
donc un rationalist e qui a une confi ance exclusive dans l a raison,
cel a coïncide avec une époque, milieu du XIX e siècle, où l 'on entend
manifester la toute puissance de l 'intelli gence hum aine sur les
déterminations de l a nature et du hasard. Dans ce sens, Dupin ne
s’intéresse pas aux choses, ni aux individus, m ais seul ement aux
rapports logiques qui les unissent. Ce rapport abst rait rest e donc sa
seule base.
Ensuite,
nous retrouvons l e t ype d u policier habile qui m et à
profit sa vivacité
d’esprit et d’action à la fois. Lecoq, homme de
terrain, nous rappell e un scout consci encieux sur un itinérai re t ruffé
de si gnes de piste. C’est l’infati gable traqueur d’une cat égori e de
gibi er. Sur le t errai n il se transform e en limier voire en animal dont
la vue, l ’ouï e et l’odorat sont const amm ent en éveil . Les enquêtes de
Lecoq sont pl acées sous le si gne du d ynamisme et du mouvement, et
sa méthode est fondée sur l’exam en des indices et ensuit e sur la
267
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
déduction qui s’ensuit. Ce poli cier pl ei n d’énergie nous l’affi rme :
« Not e z bi en ceci : un hom m e d’ i nt el l i gence m oyenne qui concent re
t out es ses pensées, t out es l es i m pulsi ons de sa vol ont é vers un seul but ,
arri ve presque t oujours à ce but » 345. Or, Monsieur Le coq est loin
d’êt re un homm e d’intelli gence mo yenne ; à l’exception de Dupin,
aucun des poli ciers que l’on a mis en scène avant lui ne possède son
intelli gence pénét rante, sa lucidité ni m ême sa culture.
Par conséquent , deux écoles vont se défini r: L'écol e anglo saxonne d'Edgar Poe qui s'attache à l a fi gure du dét ective amat eur
purem ent raisonneur. L'école française de Gabori au qui uti lise des
méthodes pratiques et sci entifiques et crée la fi gure du policier
professionnel de t errain.
Enfin, nous distinguo ns le dét ective adepte du rationalism e et du
scientism e en cett e fin de si ècl e qui se transform e, selon les cas,
d’un enquêt eur à m atière grise tel que Dupin en vérit abl e homme de
terrain
t el
que
Lecoq.
Holm es
insi ste
sur
la
nécessi té
d’une
observation mi nutieuse préal abl e au rai sonnem ent (sur ce point là, il
se dém arque de Dupin). Or, c’est surt out par cette minut ie dans
l’observation que Holmes ressemble au policier de Gaboriau.
Le dépl acem ent sur le t errain et l’examen opéré sur la scène de
crime caractérisent égal ement de nombreuses enquêtes du détective.
En tous les cas, Holmes se veut un chercheur scienti fique et son
créat eur
le
confirm e:
« J'ai
essayé
de
créer
un
détecti ve scien tifique». 346 En créant son héros, Do yl e a réussi à faire
la s ynthèse des
deux détectives : Dupi n et Lecoq. Cett e synthèse a
parti cipé en grande partie à la popul arité mondi ale et durabl e de
345
E. Gaboriau, Le Dossier 113, p.530.
346
Cité par Dominique Meyer-Bolzinger dans Une méthode clinique dans l'enquête policière: Holmes,
Poirot, Maigret, Éditions du CÉFAL, Belgique, 2003, p. 16.
268
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
Holmes, qui devi ent, pour toujours,
synon yme de « dét ective de
génie ».
Nos trois enquêt eurs se différenci ent égalem ent dans la m esure
où, Dupin et Hol mes agissent sur mandat ement indivi duel, ils
procèdent en dehors des ci rcuits offi ciel s, ent ret enant en général des
rapports ambi gus et tendus avec les policiers offici els, qui sont
général em ent présentés de m anière burl esque ou grotesque et à qui
les deux dét ectives tiennent à prouver l eur supériorit é. Par contre,
Lecoq est un foncti onnaire offici el de police, mais il rest e quand
même un poli cier spéci al, en concurrence avec ses peu s ympathiques
collègues qui n’appréci ent guère ses mét hodes.
Par aill eurs ,
si Edgar
Do yle se sont inspi rés
Allan Poe, Émile Gabori au et C onan
sans doute fort ement de la réalit é poli cière
quotidienne ou m ythifiée, en retour, et à travers leurs enquêt eurs, ils
ont
puissamment contribué à modi fier non seul ement l 'i mage de
l’enquêt e polici ère dans l 'opinion, m ais l’enquêt e et ses t echniques,
voire les enquêt eurs eux -mêm es. L'illusion d'une police infaillibl e,
doit beaucoup aux enquêt es et éni gm es criminelles résolues avec le
brio qu'on leur connaît par le chevalier Dupin, Monsi eur Lecoq et
Sherlock Holmes.
Ces héros -détectives ont excité l 'im agi naire et
suscité l 'admirati on de leurs cont emporains. Grâ ce à eux les policiers
et détectives réel s ont joui d'un presti ge indescri ptible, c es derni ers
ont voulu ressembler d'une mani ère ou d'une aut re à ces détectives
fictifs. Roger Borniche, un anci en policier français, en préfaçant
Émile Gaboriau ou la naissance du roman poli cier affi rme à propos
de Gaboriau :
Un si ècl e après l ui , j e ne pui s qu’ adm i rer, avec
son
espri t
d’ o bservat i on
et
la
j ust esse
de
ses
269
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
déduct i ons, l a vérit é de ses « gens de pol i ce »,
f onct i onnai res ou détect i ves pri vés [ …] 347.
Or, ce qui rassem ble les troi s enquêteurs, c’est leur côté
rassurant,
leur ténacit é, mais aussi leur courage et leur « bonne
étoile », ils paraissent infaillibl es et ne perm ettent pas de douter de
leur réussite. Boileau -Narcej ac souli gnent:
Le dét ect i ve ne peut pas ne pas êt re i nf ai ll i bl e. Il
est i nf ai l li bl e, non pas parce qu’ il est un surhom m e,
m ai s parce que son rôl e est de « dém on t er » un
i m brogli o qui a ét é « m ont é » pour l ui . S’ i l se
t rom pai t , i l ne f ourni rai t pas l a preuve que l e
m yst ère
le
dépasse,
m ai s
t out
si m plem ent
que
l ’ hi st oi re est m auvaise, et , dans ce cas, l e rom anci er
renoncerai t
à
écrire
cel l e - ci .
Du
m om ent
que
l ’ hi st oi re exi st e, l e pol i ci er est i nf ai ll i bl e. 348
Avec l eur brill ant allant et leur infailli ble lucidité et sagacité ,
aucun mensonge ni méfait quelconque n’est censé échapper aux trois
détectives. Tout se passe, en effet, comme s’ils jouissai ent d’une
clairvo yanc e sans limite, leur perm et tant en fin de compte de
dévoil er la vérit é. C ette assurance et cet te autorité affi chées par les
détectives semble nt hypnotiser, d’une cert aine mani ère le lecteur qui
demeure général ement ébloui par ceux qu’il considère com me des
êtres hors du comm un et qui a tendance à oublier que ces derniers
sont des êt res en papier.
Grâce aux méthodes infaillibl es des trois détectives, l a narrat ion
policière sembl e être ouvert ement programmée : l e lect eur ignore c e
347
Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, Paris: J.Vrin, 1985. (Préface).
348
Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Paris, 1994, p. 28.
270
Troisième partie. Chapitre I
Des enquêteurs hors du commun
qu’il va découvrir dans le roman, mais il sait déjà qu’on lui
annoncera un crim e ou qu’il sera confronté à une éni gm e, dès le
début du roman. Il sait égalem ent qu’un enquêteur, qu’il connaît déj à
la plupart du temps, sera chargé de résoudre le m ystère, qu’il sera
amené à suspect er, innocenter, int erroger, prospecter, juger..... En
outre, l e lect eur ne doute pas de la réussite de l’enquêteur qui , de par
son sens de pénétrat ion, ne peut être qu’infaillible ; il s’att end donc
aux révélations finales, à l a victoi re de la raison sur l e m y stère. En
somme, l ’infaillibil ité qui
caract érise
nos t rois
enquêt eurs
les
consacre comme des héros , c.-à-d. comm e des héros -dét ecti ves.
271
Chapitre II
Des personnages aux
statuts spécifiques
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
I. Statut professionnel
1. Le détective officieux
Il est à constat er que le nom de « polici er » qui dési gne l e genre
ne reflèt e pas les i ntentions des aut eurs qui préfèrent des héros, le
plus souvent, indépendants de l’administ ration poli cière. En effet, l a
plupart des représentations littéraires du XIX è m e siècle ont enfermé
l’appareil polici er dans une tradit ion de Gui gnol . Le polici er offi ciel
est décrit comm e un personnage inefficace, ent êté qui, lorsqu’il
trouve une pist e qui lui paraît vrai semblabl e, ne change pl us
d’opinion et s’ y accroche tenacem ent . C ertains aut eurs ont cl airement
affi ché leur déni greme nt de cette instit ution polici ère inopérante et
inefficace. Ainsi dans l’Épouvant e, M. Level écrit :
Du rest e , quoi d' ét onnant à ce qu' un cri m e f ût
perpét ué avec
sergent
de
une
vi ll e
parei l l e
aux
audace
endroi t s
?
Jam ai s
dange reux
de
! Les
rues , passé mi nui t ? des coupe - gorges , et pour ne
pas êt re prot égés on payai t des i m pôt s pl us l ourds
chaque année. 349
C’est pour cett e raison qu’ il était devenu :
paradoxal de dénom m er « pol i ci er » ce qui en
f ai t s’ oppose en perm anence à un corps i nst i t ué qui
s’ avère i m pui ssant à résoudre cert ai nes éni gm es.
349
Cité par D. Kalifa dans son article « Roman policer, roman de l’insécurité ? » in Crime et Châtiment
dans le roman populaire de langue française du XIXe siècle. Actes du colloque international de mai
1992. Université de Limoges, PULIM, 1994, p. 144.
273
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
Seul e peut - êt re l’ étym ol ogi e du m ot (pol i s= ci t é)
j ust if i e cett e ét i quet te 350.
Dominique Kali fa nous fait savoir que l e polici er constituait au
début du XIX è m e si ècle, une fi gure honnie, oscill ant de la si lhouette
sombre de l’espion à cell e, moins retorse, m ais tout aussi négati ve,
du fonctionnaire incapabl e et obtus, englué dans l a routi ne et l a
suffisance. Kali fa explique qu’:
au x
F rance,
sources
la
du
phénom ène
concept ion
prat i quée par F ouché
d’ une
351
se
pol i ce
t rouve,
en
repensée
et
com m e un i nst rum ent de
rensei gnem ent et de basse poli t i que. Mai nt enu par
t ous l es régim es post éri eurs, l a f i gure du m ouchard
nourri t t out l’ i m aginai re rom anti que. Du Jackal de
Dum as au Javert d e H ugo, l ’ hom m e de pol i ce y
dem eure
l aquel l e
une
f i gure
l ’ om bre
f roi de
port ée
de
et
i m pl acabl e,
Vi docq
sur
suri m prim e
encore l a suspi ci on cri m i nel l e 352.
Il en va de m ême dans Les Français pei nts par eux -mêmes, pour
l’image qu’avait le policier à l’époque :
La hont e et l ’ i nf am i e l ’ enserrent de t out es part s,
l a soci ét é l e chasse de son sei n, l ’ i sol e com m e un
pari a, l ui crache son m épri s avec sa pai e, sans
350
Lauric Guillaud, L'Aventure mystérieuse de Poe à Merritt ou les orphelins de Gilgamesh, éditions du
C.E.F.A.L. Liège, Belgique, 1993, p. 192.
351
Joseph Fouché, était un homme politique français (1759-1820). Connu par la férocité avec laquelle
il réprime l’insurrection lyonnaise. Était ministre de la police sous le Directoire et l'Empire.
352
Domnique Kalifa, « Enquête judiciaire, littérature et imaginaire social au XIX siècle », in Cuadernos
de Historia Contemporánea, janvier 2011. URL : http://readperiodicals.com/201101/2593465461.html#b
274
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
rem ords, sans regrets, sans pit i é : c' est un agent de
pol i ce, c' est un m ouchard . 353
Par
la
suite,
la
littérat ure
a
cont ribué
activement
à
la
requalifi cation du métier, mais en n’insistant que sur la part
judiciai re de l’activité polici ère. Elle a valorisé le rôl e de la police
dans la const ruction de la «sécurit é publique » et la défense des
honnêt es gens. En revanche, l e poli cier manqu e d’éclat, l a l ittérat ure
l’a cert es sorti de la fange, mais aux yeux des romanciers, il
manquait de l’aura romantique qui nim bait les grands criminels. Le
fonctionnai re poli ci er éprouvait donc
comme
fi gure
romanesque
de
de la peine
premier
pl an.
Il
à s’imposer
demeurait
ce
personnage t erne, ineffi cace, et le plus souvent ridicule.
E.A. Poe et A.C. Doyl e n’ont pas fait exception, l e premi er crée
le dét ecti ve amat eur et le deuxièm e met en scène l e dét ective privé
professionnel qui, t ous les deux, ne ti ennent pas la police en haut e
estime ; mêm e si leurs enquêtes sont menées avec l’assenti ment ou à
la demande de cel le -ci. Nous avons précédemm ent 354 évoqué l es
rel ations t endues que l es deux détect ives entretiennent avec l es
policiers offi ciels qui font fi gure de grotesques ou de burlesques.
Poe et Do yl e, ont chois i le statut « privé » pour leur héro , pour
que ces derni ers soient des êtres à part, en m arge des norm es et des
codes
soci aux
et
qu’ils
évoluent
dans
un
monde
parallèl e
à
l’institution polici ère. Ils incarnent une di mension libert aire certaine.
Et même s’ils vendent leurs services, chacun d’eux rest e son propre
maître et décide seul. Ils diri geront leurs pas. Ils choisissent
d’accept er ou de refuser l es missions qu’on leur propose, et peuvent,
353
Armand Durantin, «L’agent de la rue de Jérusalem», Les Français peints par eux-mêmes (Volume 2),
Omnibus, Paris, 2003, p. 977.
354
Voir le titre « Rivalité, critique et moquerie » p.190.
275
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
à tout moment l es faire évoluer comm e bon leur sembl e. Cela leur
perm et de mener leurs enquêtes de m anière tot alem ent autonome,
d’intervenir dans des affai res avant l a police, et d’êt re les premiers à
découvri r la vérité. Ils ont conti nuell ement une longueur d’avance
sur les poli ci ers. A la fin c e sont eux qui les mettent sur la bonne
piste. Sherlock Hol mes se compare à un charlat an face à des policiers
comparés aux médecins offi ci els :
Il [ un cli ent] m ’ a ét é envoyé par Scot l and Y ard.
Tout com m e l es médeci ns envoi ent parf oi s l eurs
pat i ent s i ncurabl es à un charl at an. Ils prét endent ne
ri en pouvoi r f ai re de pl us, et quoi qu’ i l advi enne l e
m al ade ne s’ en t rouvera pas pl us m al 355.
Le d ynamism e des détectives pri vés contraste donc avec l a
passivité des inspect eurs de police, qui supporten t m al d’êt re
toujours devancés par ces détectives. Les com pét ences de ces
derni ers sont ainsi soulignées et se disti nguent l argement de cell es de
l’appareil
polici er. Chez Poe comme chez Do yle, il est à noter un
constant insuccès de l’enquêt e de police et un perm anent succès de
leurs
concurrents,
les
détectives
privés.
Il
s’agit
d’une
nett e
opposition du « privé » à « l ’État ».
Il se trouve mêm e que des victim es préfèrent solli citer le
détective « privé » et non pas la police . Par exempl e, d ans les
avent ures de Holmes, le crim e et la m enace visent le plus souvent des
êtres privil égi és, i mportants par leur statut social et poli tique qui
font appel, pour conjurer le danger , à ses servi ces parce que tout
d’abord ils veul ent que leurs affaires restent discrètes. Et parce
qu’ils n'ont pas ou n'ont plus confiance en une poli ce offici elle
355
A.C. Doyle, Volume3, Le marchand de couleurs retraité (The Retired Colourman), p. 1025.
276
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
destinée à secourir t outes l es victim es, comme à poursuivre tous les
criminels, contrairement au détective privé qui « p eut s’ef facer par
moments, devenir presque transparent et se con centrer sur les
gens et l eurs problèmes su r lesquels il enquête » 356. Ainsi, face à ce
t ype de crim e ou de menace Holmes se dresse et t âche avant tout de
décr ypt er avant de combattre. Or, ce don n’est pas à l a portée de tout
un chacun, seul not re dét ec tive privé présente l es caract éristi ques du
génie qui semble faire défaut à la police offi ciell e.
Le détective privé, qu’il soit amat eur du t ype Dupin ou
professionnel du t yp e Holmes, devient donc l e personnage favori du
retour à l’ordre. C ’est bien lui qu i va constituer l a fi gure moderne et
populai re. Il va démontrer en perm anence sa supériorit é sur une
police m arquée par une routine inopérant e. Son détachement de
l’institution poli cière lui perm ettra d’agi r libre de tout e entrave et
loin de l’arbitrai re c ontrai gnant des codes et des lois. Le détective
privé est l e personnage i déal, indépendant, maître de ses gestes mais
égal ement de sa conscience.
356
Ross Macdonald, Lew Archer, détective privé à Hollywood, Fleuve Noir, Paris, 1993, p. 484.
277
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
2.
Le policier officiel
Il revi ent à Gabori au d’avoir
l’idée de tirer le fonctionnaire
policier du ghett o où l’avaient mis la pl upart des aut eurs. Lecoq a en
parti e réussi à déchi rer l’im age odi euse et somm aire qu’on se faisait
du polici er, à travers Jackal et Javert. Dans Le Petit Vieux des
Batignolles , l’inspecteur Michenet donne l 'impression d'êt re port eparol e de Gaboriau :
[ …] j e sui s une des sent i nell es perdues de l a
ci vi li sat i on, au pri x de m on repos et au ri sque de m a
vi e,
j ’ assure
la
sécuri t é
de
la
soci ét é
et
j ’ en
rougi rai s ! … Ce serai t par t rop pl aisant . Tu m e
di ras qu’ il exi st e, cont re nous aut res de l a pol i ce,
quant i t é de préj ugés i nept es l égués par l e passé…
Q ue m’ im port e ! O ui, j e sai s qu’i l y a des m essi eurs
suscept i bl es qui nous regardent de t rès haut … Mai s
sacrebl eu ! j e voudrai s bi en voi r l eur m i ne si dem ai n
m es col lègues et m oi nous nous m e t t i ons en grève,
l ai ssant l e pavé l i bre à l ’ arm ée de gredins que nous
t enons en respect ! 357
Avant 1910, et en attendant que l’image qu’avait l e policier
change radicalem ent avec Mai gret, seul Monsieur Lecoq comme
agent de l a Sûreté a donc échappé à l a règl e générale. Or, Gaboriau
tient à souli gner que son enquêteur est un polici er parti culier pas
comme l es aut res, souvent en désaccord avec ses peu chers collègues
qui n’apprécient guère ses m éthodes. R. Bonni ot nous l e dit:
Ce m épri s pour l es gens de pol i ce ou, tout au
m oi ns, cet t e f roi deur à l eur égard sont p art agés par
357
E. Gaboriau, Le Petit Vieux des Batignolles, URL:
http://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_petit_vieux_des_batignolles.pdf. p. 29.
278
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
cert ai ns m agist rat s, dont il s sont cependant l es
auxi l i ai res i ndi spensabl es » 358
Ce sentim ent se fait jour dans Le crime d’Orcival , quand Domini
le juge d’inst ructi on accueil l e peu aim ablement Monsieur Le coq pour
ne pas s’être présenté à lui dès son arri vée. L’aut eur
précise
explicitement :
M. Dom i ni n’ ai me pas l a pol i ce et ne s’ en cache
guère. Il subi t sa col l aborat i on pl utôt qu’ i l ne
l ’ accept e,
uni quem ent
parce
qu’ i l
ne
peut
s’ en
passer.
Dans sa droi t ure, il condam ne l es m oyens qu’ ell e
est parf oi s f orcée d’em pl oyer, t out en reconnai ssant
l a nécessit é de ces mêm es m oyens 359.
Et quand un Lecoq énergique et int elli gent a affaire à des
criminels perfides qui usent de toute leur ingéniosit é pour ne pas
laisser t raîner le m oindre indi ce derrière eux, il comprend bien que
les méthodes offici elles de la poli ce ne peuvent êt re effi caces à l eur
égard : « Le mand at me donne -t-il l e droit d e fouiller sur -lechamp les maisons où j’ai li eu de su pposer qu’il s’ est réfugié !
Non » 360. Raison pour laquell e Monsi eur Lecoq ne cache pas son
envie de vouloi r être l e maît re de l ui-mêm e et d’échapper aux
contraint es des lois , voire de l a politique qui lui lient les m ai ns :
Ah ! m onsi eur, c’ est que l a l égal i t é nous t ue.
Nous ne som m es pas l es m aî t res, m al heureusem ent.
358
Roger Bonniot, Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier, Paris, Editions J. Vrin, Pais, 1985. P.
224.
359
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.77.
360
Ibid., p. 436.
279
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
La
l oi
nous
condam ne
à
n’ user
que
d’ arm es
court oi ses cont re des adversai res pour qui t ous l es
m oyens sont bons. Le P arquet nous l ie l es m ai ns 361.
Mal gré cela, Gaboriau a préféré que son héros soit polici er en
titre. Sans chercher trop loin les raisons de ce choix, il ne fait guère
de doute que le cont exte hexagonal de traditions peu libéral es laiss e
fort peu de place au détective (l e mot lui-mêm e n’est int roduit que
vers l es années 1880). Mais pourquoi l a Fran ce et, par corollaire, la
littérat ure
poli cière
française
n'ont
jamais
fait
bon
accueil
au détective privé ? Pour répondre à cett e question, nous nous
baserons sur l’anal yse t alentueuse de l ’historien français Dominique
Kalifa : Naissance de la police pri v ée. Détecti ves et agences de
recherche en France 1832 -1942 . Au long des 334 pages qui
constituent cett e anal yse, trois dossi ers sont ouvert s par l ’historien,
dont voici le résumé :
Le premier dossi er aborde une diffici le professionnalisati on
d’un m étier aux tâches mal définies.
Les
représentations
littérai res
constituent
le
deuxième
dossier ouvert par l’aut eur qui trouve que la production française
disqualifi e l e détective, souvent m al honnêt e et parfois ridicule,
comme dans le cas exemplaire de Vaude ville, Trioche et Cacol et,
crées par Henr y M eilhac et Ludovic Halév y. Mis es en scène pour le
théât re en 1871, ces créat ures sont devenues pour longtemps des
personnages t ypiques d’une profession à la mauvaise réputation.
Kalifa affirm e qu’on chercherait en vain des détectives privés dans la
littérat ure polici ère française, mêm e s’il convi ent de reconnaître que
361
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p. 436.
280
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
Sherlock Holm es, Nick C art er et divers avatars avai ent connus un
grand succès en France.
Le dernier dossi er est, à nos yeux, le plus pertinent, c ar il
traite le rapport de la poli ce privée avec l ’Ét at. Kalifa nous parle
d’un réel blocage opposé par l ’institution polici ère au dével oppem ent
d’une profession généralem ent com posée d’homm es a yant appart enu
à ses rangs avant de rompre avec ell e. Il n’était point admis de
confi er au « privé » ce que l’on a toujours consi déré comm e l ’une des
premi ères missions de l’État : l a protection des cit o yens. Ce n’est
qu’en 1942, qu’une loi avait ét é créée pour réglem enter la profession
de directeur et de gérant d’ag ences pri vées.
Si la littérature policière françai se a en fin de compt e jet é son
dévolu sur un « gentleman cambriol eur » 362 plutôt qu’un S herlock
Holmes, c’est certai nement parce que le seul t ype de personnage en
marge de l’autorité polici ère pouvant susc iter l ’intérêt serait celui
d’un m alfaiteur.
362
Il s’agit d’Arsène Lupin, le héros de Maurice Leblanc
281
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
II.
L’enquêteur : détective et/ou justicier
1.
Le « rétablisseur » de vérité
Nous l’avons dit, Dupin est l e premi er dét ective de l ’hist oire
littérai re, car il i ncarne une pratique judiciai re d’am at eur, en m arge
de l a justi ce instituée. En mêm e t emps, l e personnage du dét ective s e
démarque
de
celui
du
personnage
justicier.
Ce
dernier
est
personnell ement impliqué dans le drame et lutte cont re un adversaire
présent jusqu’à ce que l’ordre de la justice soit rét a bli, au nom du
Bien. Le dét ecti ve est un expert de la technique d’enquêt e. Il est
extérieur au drame et port e un regard lucide et distanci é sur les
événem ents . Il cherche à identifi er un coupabl e absent avec l equel il
n’a que très peu de relations di rectes . Il n’accomplit qu’un act e
judiciai re partiel : l e but est de rét ablir l e Vrai.
Dans Doubl e Assassinat dans la rue Morgue , l a restaurat ion
de la justice est presque un prétexte à la mise en œuvre de
l’ « anal yse »
dont
l’enquête
polici ère
constit ue
u ne
modalité
parti culière. Le dénouement du récit est très si gnifi cati f à cet égard.
La libération d’un suspect, accusé à tort, est rapport ée de manière
laconi que. Le sort du marin (propri étai re du singe) n’est pas évoqué.
Le récit s’achève sur une note qua si phi losophique : Dupi n, dans des
propos spirituels, critique l a « sci ence » du préfet de poli ce, attirant
indirectem ent
l’att ention
du
lect eur
sur
son
propre
génie
de
l’anal yse. Le triomphe du Vrai éclipse le triomphe du Bi en.
Le plus important pour Dupin est que l e coupable soit
découvert, non qu’il soit arrêté. Nous l’avons déj à cité plus haut , le
détective de Poe ne s’intéresse pas aux individus, mais seul ement aux
rapports l ogiques qui les unissent. L’enquêt e constitue pour lui un
exerci ce de la l ogique pure, non un processus qui mène au châtiment.
282
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
Le dét ective, loi n d’êt re justici er, aspire plutôt à résoudre une
équati on, non rendre justice, pour qu’à l a fin de l ’exerci ce, il tourne
la page et affront e une nouvell e affaire (équati on).
2.
Le justi cier
Lecoq par cont re obéit à une préoccupati on : épargner une
erreur à la justi ce. C’est ainsi que, dans Le Crime d’Orci val , l’agent
de la Sûret é parvi ent à innocent er Guespin. Il ne fait ri en non plus
pour s’opposer à un gest e de vengeance de l a vi ctime , mêm e s’il est
condamné par l a l oi, Lecoq laisse Laurence Court ois abat tre son
criminel et indi gne amant, l e comte de Trémorel , qui par l âchet é, va
l’ent raîner dans son déshonneur. Réagissant comm e justici er, Lecoq
laisse s’échapper un coupable, l es effet s de la faute étant réparés, si
la publi cité donnée à son procès doit porter att eint e à l’hon orabilité
d’une honnête fami lle. C’est ainsi que dans L e Dossier 113 , il a
ferm é l es yeux sur la fuit e du prétendu fils de M m e Fauvel. Il lui
arri ve égalem ent de p ardonner quand il est quasi certai n que l e
coupable se rachètera. Lecoq a renoncé à fai re poursuivre Victor
Chupin à la suite de sa t entative d’assassinat sur l a personne du
sculpteur André, qui lui a pardonné cont re la prom esse qu’il
s’am enderait.
Quand il aborde le statut de Lecoq, J. Dubois évoque le
surhomm e du feuilleton et le dét ective, qui sont t ous l es deux des
héros justi ciers . Car tous deux représentent une pratique j udiciai re
parallèl e dans la m esure où ell e ne rejoint la justice instituée q u’in
extremis, souli gnant par l à les limites et insuffisances de cell e -ci.
Dubois trouve donc que Lecoq est certes un enquêteur appartenant à
une institution offi ciell e, mais ses usages sont aussi indépendants
que le seront ceux d’Hercule Poirot ou de Jule s Mai gret. Qu’il
283
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
s’agisse de ses m ét hodes d’investi gation, ou des sanctions qu’il lui
revi ent de prendre, Lecoq agit le plus souvent de son propre chef.
Pour
J.
Dubois,
Gabori au
est
donc l ’écrivain
qui,
par
excellence, m élangea le personnage du j ustici er chaud et surhumain,
propre au feuill eton, et celui du justici er froid et quelque peu dand y.
3.
Le détective-justici er
Chez Holm es, détective et justicier y sont associés . En effet,
il est détective quand il illustre une forme d’art pour l’art, quand s on
talent s’exerce avec le plus de brio sur des cas infim es pour n’aboutir
à rien. Ou quand « tel un gourm et opérant un choix parmi des mets
plus ou moins savoureux », il s’int éresse seulem ent aux affaires qui
comportent une éni gme considérée com me obscure ou impossible par
Scotland Yard. A ce titre, il apparaît com me un successeur de Dupin.
Holm es est détective quand il ne m et ses facultés au service
ni de la loi , ni de l a morale, ni mêm e de l’int érêt mat éri el . Il est l e
détective amat eur qui, pour se divertir ou par pure curiosité, est
entraîné dans une avent ure polici ère de par son intérêt pour un
individu ou une si tuation parti culière. Ici, Holmes représente l a
cat égori e du « Fl âneur » développée par J. Dubois 363. Souvent , notre
détective britannique a ccepte de s’att aquer à une éni gm e, parce qu’il
est convaincu avant tout que le m ystère est à sa haut eur et que seul es
son intelli gence et ses connaissances garantissent son élucidation.
Dans de tels cas, l ’excentrique enquêteur ne se livre que dans le j eu,
et seul ce dernier l’i ntéresse, et non la condamnation du coupable. En
cel a Holm es est le digne continuateur de Dupin.
363
Voir Le roman policier ou la modernité de Jacques Dubois, chapitreV (La symbolique des fonctions).
284
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
Force est de rem arquer que l’attitude de Holmes face à la
découverte de l’éni gm e prend parfois des proportions démesurées ,
c’est que l a réussite de l ’enquêt e est avant t out une questi on
d’honneur pour lui . Il s’agit plus de répondre à une ambition
personnell e -celle de faire preuve d’int elli gence - que de m ener une
action profit able et avantageuse pour la communauté. L’enquêt eur
fonctio nne i ci com me une machine à résoudre l’éni gm e, non comme
un justici er.
En revanche, à t ravers l e détective de Baker St reet, Conan
Do yle émet des jugements : d’une part sur la loi et la pratique
judiciai re, de l’autre, sur la moral e chréti enne. Quant au rôle de
justicier, Holm es applique sa propre just ice lorsque l a faute commise
n'appelle pas l a sanction que la soci été légale infli gerait à son
auteur, en faisant promett re au responsable du délit de ne pas
renouvel er son gest e, de fai re amende honorable . La fin de l’avent ure
Le Manoir de l’Abbaye est, à cet égard, exemplaire :
Wat son, vous êt es l e j ury brit anni que, et j e
[ Hol mes] n’ ai j am ai s rencont ré quel qu’ un qui soi t
pl us
di gne
de
le
représent er.
Je
suis
le
j uge.
Mai nt enant , m essi eurs l es j urés, v ous avez ent endu
l es t ém oi gnages. Jugez - vous ce pri sonni er coupabl e
ou non coupabl e ?
- Non coupabl e, vot re honneur, di s - j e.
- Vox
popul i ,
vox
D ei .
Vous
êt es
acqui t t é,
capi t ai ne Croker. Tant que l a l oi ne découvre pas
une aut re vi ct im e, vous ne crai ndrez ri en de m a
part . 364
364
A.C. Doyle, Volume2, Le Manoir de l’Abbaye (The Abbey Grange), p. 1129.
285
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
Cette situation se reproduit dans L es troi s étudiants , à l’égard de
Gilchri st qui avait dérobé chez son professeur une feuille portant l es
sujets d’un concours auquel il devait prendre part le l endemain. Mai s
l’étudi ant avait ensuite décidé de ne pas se présenter aux épreuves et
d’accept er l e poste qu’on lui offrait dans la poli ce de Rhodésie. Dans
L’escarboucle bleue , Holmes renonce encore une fois à li vrer à l a
police Horner, le voleur de l a pi erre précieuse, dont le repentir lui
paraît sincè re :
Je pense que j e co uvre une f él onie, m ai s i l est
aussi possi bl e que j e sauve une âm e. Cet i ndi vi du ne
f era pl us j am ai s de m al . Il est bi en t rop t errori sé.
Envoyez- l e en pri son m ai ntenant , et vous en f erez un
gi bi er de pot ence pour l a vi e. De pl us, c’est l a bonne
sai son de pardon [Noël].
365
Il arrive parfois que des conditions sociales soient anéanties
et que des t ragédi es famili ales soient m ises au jour, comm e dans le
cas de La deuxième tache , où afi n de sauvegarder son honneur auprès
de son mari qui est secrét aire d’ Ét at aux Affai res Européennes, une
femme cède à un chant age : elle livre à un m aître chanteur des
docum ents secrets en échange d’une l ettre indiscrèt e qu’elle avait
écrite encore jeune fille. Dans ce cas Holmes s’abstient de faire
interv enir la justi ce :
Mêm e
s’ il
est
un
m argi nal
opérant
i ndépendam m ent de l ’ of f i ci el l e et bourgeoi se pol i ce
vi ct ori enne, il n’ en dem eure pas m oi ns le garant , l e
365
A.C. Doyle, Volume1, L’escarboucle bleue (The Blue Carbuncle), p. 689.
286
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
sym bol e de l’ ordre et de l a l oi . […] , i l est aussi une
parf ai t e i ncarnat i on du gent l em an bri t anni qu e. 366
La volonté de l aisser à son héros les décisions de justi ce, est
claire chez Do yl e, cel a se devine aussi dans la façon souvent fort
cavalière envers l a légalit é. C ert es, Hol mes combat pour l a morale,
mais une moral e humaine souvent plus nourri e de justi ce naturelle
que de lois. Le rôle de dét ective se double donc de celui de justicier.
Ainsi que le souli gne M. Pinque :
Sans
dout e
éprouvai t - on
un
obscur
dési r
d’ ordre, de j ust i ce et de vert u dans une soci ét é
puri t ai ne
néanm oins
m i née
par
le
vi ce
et
l ’ i mm orali t é, et Doyle se f it l e port e - parol e de cett e
Angl et erre « des purs ». Cel ui qui t ouj ours m arqua
un prof ond at t achem ent aux val eurs bri t anni ques,
m enant
une
exi st ence
di gne
et
exem pl ai re,
ne
pouvai t qu’ engendrer, croi t - on, un personnage sans
peur et sans reproche, un héros au sens l e pl us
absol u du t erm e – l a réi ncarnat i on du Sauveur. 367
366
Meryl Pinque, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, Etude réalisée dans le cadre d’un DEA de
Littérature, http://faustroll.net/pinque/index.htm.
367
Ibid.
287
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
E
n résumé, par son act e insensé, l e cri minel provoque une
rupture dans le règne de l a Raison, dans l’ordre du Bien et
dans l’ordre de la Loi . Il incombe donc au h éros -dét ective, chargé de
rét ablir l’ordre de la raison en m ême temps que l ’ordre public,
d’oscill er de ce fait entre dét ection rati onnell e et dét ecti on moral e
ou, comm e l e précise W ystan Hugh Auden 368, ent re esthétique et
éthique :
La t âche d u dét ect i ve c onsi st e à rest aurer l ’ ét at
de grâce dans l equel l ’ est hét i que et l ’ét hi que ne
f orm ai ent qu’ un. Com m e l ’ assassi n qui a causé leur
séparat i on est l ’i ndivi du est hét i quem ent provocant ,
son
adversai re,
le
dét ect i ve,
doi t
être
soi t
le
représent ant of f i ci el de l ’ é t hi que, soit un i ndi vi du
except i onnel qui se t rouve l ui - m êm e en ét at de
grâce. Dans l e premi er cas, c’ est un prof essi onnel ;
dans l e second, un am at eur . 369
Dans l e cas d’une enquêt e menée par un justi cier ou un
détective/j ustici er, préserver l’éthique peut engendrer des risques
dans la m esure où cela dépend d’un individu qui se situe parfois en
marge des lois, voi re hors l a loi, et qui n’hésit e pas à t ransgresser l a
légalit é, à fai re usage de l a force ou de mo yens malhonnêtes, pour
parveni r à ses fi ns. Ici, esthétique et éthique ne sont plus les maîtres
mots de l’enquêteur ; l’homm e reprend le dessus sur l es codes et s e
place au delà du Bi en et du Mal. Le Bi en ne coïnci de plus avec les
lois mais avec la personne de l’enquêteur. Par conséquent, le
domaine de l a loi et celui de l a justi ce ne coïncident égalem ent plus.
368
Plus connu sous la signature de W. H. Auden, est un poète et critique britannique.
369
Wystan Hugh Auden, « Le Presbytère coupable. Remarques sur le roman policier par un
drogué », in Autopsies du roman policier, U. Eisenzweig (dir.), Union générale d’éditions, Paris,
1983, p. 113-132.
288
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
Un mêm e rôl e réunit en fin de compte l e trio composé de Dupin
détective, de Lecoq justici er et de Holmes dét ective -j usticier :
démasquer le coupable. Il s’agit d’une part, de lever l’éni gme d’un
crime commi s secrètement et d’autre part, de confondre et dési gner
l’individu coupabl e. L’enquêteur poursuit en ce sens, volont airement
ou inconsciemm ent, un double objectif, l’un soumis au pouvoir de la
raison, l’aut re, à cel ui de la moral e. Dans cette op tique M. Chastaing
distingue l ’ordre mental de l’ordre social :
La l i t t érat ure poli ci ère, déf i ni e par deux axes où
vari ent l a l ogi que et l ’ expéri ence, se déf i ni t aussi
par l es deux vari ables du cri m e et du cri m i nel . En
ordonnée,
l ’ enquêteur
cherche
à
résou dre
le
probl èm e posé par un m éf ai t ; en abscisse, i l veut
accum ul er
des
“preuves”
af i n d’ i ncul per
le
m alf ait eur et de discul per des accusés i nnocent s.
Son enquêt e a pour obj ect if : l à, l e ret our à l ’ ordre
m ent al par l a véri t é ; i ci , l e ret our à l ’ ordre soc i al
par l a j ust i ce. 370
En ce sens, le retour à l’ordre mental rel ève cert es d’un strict
processus int ellectuel chez Dupin, mais il n’est permis que sous la
condition d’un retour à l’ordre soci al. Ainsi, la quêt e de vérit é
engagée par l ’enquêteur n’a qu’un but i mposé, cel ui de retrouver le
coupable en vue de le soumett re à la punition qu’il m érit e, que ce
soit dans le cadre d’une justi ce instituée ou d’une justice personnell e
comme c’est l e cas chez Lecoq et Holm es. La découverte de la vérit é
par un dét ectiv e ou par un justi cier, s’apparent e alors à un retour à
l’ordre, au rétablissement d’un équilibre soci al rompu par le crim e,
autrement dit au triomphe du Bi en sur l e Mal.
370
Maxime Chastaing, « Le Roman policier « classique » », in Europe, n°571-572, novembredécembre 1976, p. 26-50.
289
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
III-
Le tandem détective/assistant
Un dispositi f narrat if cont ribuant au façonnage de l a personne
du détective a été créé par Edgar Poe : faire du narrat eur l’ami intime
du chevali er Dupin, un personnage effacé qui ne parti cipe pas aux
exploits de ce derni er. C e t admirat eur a pour fonction de m ettre en
valeur la clai rvo yance extraordi n ai re du détective tout en exalta nt ses
vertus. Il est d’une intelli gence plus limitée que son ami et lui voue
une grande admirati on.
Conan Do yl e va em prunter astucieusem ent à Poe son recours à
un narrateur peu perspi cace, continuellem ent abasourdi par les
brillant es
déductions
du
dét ective
mais
qui,
contrairement
au
compagnon de Dupin, parti cipe aux exploits de son cam arde.
Sherlock Holmes a un ami, docteur en m é decine, narrateur de
l’aventure, l e Dr. Watson qui est un peu lent, mais est l’allié fidèl e
du dét ective. C e dernier a donc eu le considérable avant age d’êt re
servi par un narrat eur qui, en prime, est à la fois mett eur en scène et
personnage. Do yl e j ustifie ainsi l a créati on du Dr. Watson :
Il
[ Hol mes]
ne
pouvai t
pas
racont er
ses
propres expl oi t s ; i l l ui f all ai t donc un cam arade
banal qui l e f erai t val oi r par cont rast e - un hom m e
act if et i nst ruit qui pourrai t à l a f oi s part i ci per à
ses expl oi t s et l es racont er. Un nom t erne et di scret
pour
ce
personnage
sans
écl at .
Watson
f erait
l ’ af f ai re 371.
Les tandems Du pin/ narrat eur et Holmes/ Watson vont devenir des
topoï
traditionnels
du
genre
polici er
cl assique
(Poirot /Hasting,
Rouletabill e/Sainclair, Lupin/narrat eur). Le narrateur inconnu et le
371
Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p.106-107.
290
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
Dr. Watson sont des acol yt es qui assurent la chronique des enquêtes
de leurs amis détect ives. Il s’agit tout d’abord, pour ces narrat eurs,
de se poser en faire -valoir des fins limiers en racont ant par le détail,
mais égalem ent en comment ant non sans une cert aine em phase, le
déroulem ent des enquêtes de ces derni ers. A ce propos M. Pinque
précise : « [Holm es] est un narcissique. Il lui faut un public, un
faire-valoir,
d’Afghanistan
un
admi rateur
[Watson]
fervent,
joue
ce
et
rôle
l’an cien
à
la
combattant
p erfection » 372.
L’opposition de l’intelli gence redout abl e du héros au prosaï sme terre
à t erre de s on adj oint, constitue donc l’un des attraits des récits
policiers de Poe et de Do yle . La banali té fait tout e l a force de ces
personnages incom pétents, puisqu’ell e leur perm et à la fois de
renforcer par cont raste le statut des héros -dét ectives, et de flatt er
l’intelli gence du l ecteur qui se sent à son aise avec ces narrat eurs à
taille hum aine, voi re trop hum aine.
Or, il faut souli gner l’import ance de ces amis chroniqueurs ou
biographes dans l a vie des détectives. E n évoquant sa rel ation av ec le
Dr. Watson, Holm es fait allusion à l’amitié qui, à la fin du XV III e
siècl e, unissait le critique Samuel Johnson 373 et son biographe, James
Boswell 374. Le dét ecti ve britannique décl are : « je suis perd u sans
mon Boswell » 375. Ce que P. Nordon comm ente en ce s termes :
372
Meryl Pinque, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, Etude réalisée dans le cadre d’un DEA de
Littérature, URL : http://faustroll.net/pinque/index.htm .
373
C’est l’un des principaux auteurs de la littérature anglaise. Poète, essayiste, biographe,
lexicographe, traducteur, pamphlétaire, journaliste, éditeur, moraliste et polygraphe. Il est aussi
un critique littéraire des plus réputés. Ses commentaires sur Shakespeare, en particulier, sont
considérés comme des classiques, URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/Samuel_Johnson
374
Est un écrivain et avocat écossais. Connu pour sa monumentale biographie de Samuel Johnson,
publiée en 1791, considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de la littérature anglaise du XVIIIe
siècle.
375
A.C. Doyle, Volume1, Un Scandal en Bohême (A Scandal in Bohemia), p. 399.
291
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
O n observera qu’ en se com parant à Sam uel
Johnson, H ol m es ne pèche pas par m od est i e. Mais
l ’ anal ogi e com port e des i m pl i cat i ons qui t ouchent à
la
concept i on
et
à
la
const i t ut i on
m êm es
des
avent ures. El l e si t ue l e coupl e Wat son -Hol m es dans
un schém a cul t urel f am i li er, cel ui du cheval i er et de
l ’ écuyer 376.
Les récits polici ers de Poe et de Do yle mett ent en scène un
chroniqueur lui -même, qui s’exprime à la première personne. Grâce à
son statut très parti culier, nous assistons à un dispositif de t echni qu e
littérai re ori ginal et ingénieux. Ce dispositif place l e lecteur dans
l’intimité du héros, tout en ménageant une part de m ystère. Ainsi, le
lect eur est mis dans une situation d’i gnorance aussi int éressante que
paradoxale, car il est invit é à résoudre l ’é ni gme avant que l e
narrat eur un peu l ent n’ y parvien ne. A cet égard, la mise en relief du
brio du dét ective par le narrateur, fl atte en m ême t emps l e sentiment
de supériorité du lecteur qui va jubil er de comprendre plus vite que
ce derni er et qui ne se lai sse pas prendre aux pièges tendus par le
détective. L’aventure Les propri étaires de Reigate en est un exemple
explicite. Sherlock Holmes y joue un de ses tours : il fei nt de s e
tromper sur l ’heure écrit e sur un billet , pour am ener son suspect à
corri ger et à lui donner ainsi un échantillon de son écriture. Le
suspect se laisse prendre, et le pauvre Watson n’ y voit que du feu. Il
plaint même son compagnon d’avoir commis cett e erreur et de
s’exposer aux moqueri es de la police officielle :
Je [ Wat son ] f us contrari é par cet t e erreur, car j e
savai s com bi en H olm es serait t ouché par une t el l e
bévue. Il avai t pour pri nci pe d’ êt re t ouj ours t rès
376
Pierre Nordon, Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré.
Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche. Biblio essais, 1994, p. 67.
292
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
préci s quant aux f ai t s, m ai s sa récent e m al adi e
l ’ avai t
secoué,
et
ce
pet it
i nci dent
suf f i sait
à
m ont rer à quel poi nt i l ét a i t l oi n d’ avoir recouvré
t ous ses m oyens 377.
Et pendant ce t em ps là, le lect eur tout jubilant est sûr, d’une
part qu’il s’agit d’un piège tendu au suspect et que Sherlock Holmes
a encore réussi, et d’aut re part il jouit de sa victoire sur Watson
décidément
t rès
naïf.
En
d’autres
termes,
mal gré
les
efforts
pathétiques du narrateur anon ym e et de Watson pour comp rendre l es
cheminements de l eur ami détective , leur i ncompétence avouée
instaure donc une pratique compétitive de la l ecture, où le lect eur
sera am ené à se poser en concurrent des deux chroniqueurs, et à
mesurer sa propre sagacit é.
Et s’il arrive au détective de se substituer à son compagnon dans
le rôle du narrat eur ? C’est le cas de l’aventure L e sol dat bl afard où
le narrateur est pour une fois Holm es. Le dét ective s’est révélé
incapabl e de donner au récit la richesse, l e r yt hme et l e suspense
dont le Dr. Watson détient l e secret . Dans ce cont exte, Naugrette dit :
« La t erreur du l ect eur serai t , préci sém ent , d’ accéder di rect em ent aux
pensées et aux rai s onnem ent s d’ un H ol m es narrat eur qui , de f ai t ,
évacuerai t t out spect acul ai re de ses enquêt es » 378. Par conséquent, l e
dispositif narratif duquel l e personnage -narrat eur de Do yl e est absent
débouche inévitabl ement sur l’inconfort du lecteur.
Sur un autre pl an, Holmes et Dupi n confient à leur compagnon le
soin de servir de re l ais ent re les l ect eurs et leur personne . C’est une
377
A.C. Doyle, Volume3, Les propriétaires de Reigate (The Reigate Squires), p. 67.
378
Jean-Pierre Naugrette, « La mort de Sherlock Holmes : réflexions sur la diagonale du détective »,
in Sherlock Holmes et le signe de la fiction, textes réunis par Denis Mellier, éd., Fontenay-aux-Roses
ENS-Éditions, Signes, 1999. P. 94.
293
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
élégante
façon
de
concilier
l es
projections
du
lecteur
et
la
glorifi cation du héros. De l à, l e narrateur anon yme et le Dr. Watson
s’absti ennent de pénétrer l ’int éri eur des consciences et ne dominent
ni le temps ni l’espace. Ils ne sont pas omniscients, afin d’évit er l e
risque de dévoil er le nom du coupabl e dès les premières li gnes. Ils ne
sont égal ement pas l imités au « j e », sous peine de r évél er les indices
au fur et à mesure de l eurs découvertes. Ces personnages secondaires
intervi ennent donc comme régisseurs de la narration, prenant en
charge l e découpage, assurant au l ect eur attent e, surprise, et coups de
théât re. En ce sens, ils devienn ent l es délégués litt érai res des
auteurs.
Enfin, nous souli gnons dans l es écrits policiers do yli en s que l e
personnage de Watson apport e l ’él ément « hum ain » aux aventures
grâce à son rôle compensateur face à la froideur d e Holm es. C’est un
personnage famil ier pour le lect eur qui, malgré l es faibl esses, les
naïvet és et l es erreurs de jugem ent du docteur, lui
donne sa
s ympathi e. N’oublions pas que tout es l es descriptions ph ysiques et
moral es
des
personnages
sont
faites
par
lui.
Holm es
doit
sa
réput ation autan t à la mani ère dont il est présent é par son ami qu’à
ses mérites propres. Grâce au personnage de Watson, une atm osphère
humoristique est également assurée. De ce point de vue, l a principal e
qualité du docteur consist e à ne pas comprendre, et Holmes ne
manque jamais de souligner avec ironi e les réfl exions toutes banal es
et évi dent es 379 de son compagnon. Les fausses déductions de Watson
se transforment en atout narrati f et décl enchent l e rire qui fait
alterner t ension et légèreté dans des enquêtes poli cières pa rfois
pesantes. Cet hum our n’est pas sans rappeler cel ui que nous
retrouvons dans le duo Don Quichotte/ S ancho Pança.
379
« […] faute de pouvoir les appeler des lapalissades on est tenu d’inventer le terme
« watsonismes » : Pierre Nordon, op. cit., p. 72.
294
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
Mais
Watson ?
pourquoi
Monsieur
Lecoq
ne
pas
dispose-t -il
d’un
C’est son amour propre qui en serait l a cause. Un Lecoq
qui « l ai sse voi r sans vergogne s e s t ât onnem ent s » craint un spect ateur
assidu auquel il ne pourrait manquer de montrer ses faiblesses :
Égoï st e com m e tous l es grands artist es, M.
Lecoq n’ a j am ais f ait d’ él èves et ne cherche pas à en
f ai re. Il t ravail l e seul . Il hai t l e s coll aborat eurs, ne
voul ant part ager ni l es j oui ssances du t ri om phe, ni
l es am ert um es de l a déf ai t e 380.
Fort de son amour propre, Lecoq est tout à fait différent de
Holmes l ’orgueill eux qui est trop sûr de lui pour que W atson lui
fasse ombrage. Or, certain s personnages de Gaboriau ont pu prendre
occasionnellem ent l ’attitude de Watson. Dans le Dossier 113, Lecoq
dési gne Pâlot comme son subordonné, celui -ci a parfait ement conduit
en Anglet erre une di fficil e enquête dont son maître l ’avait chargé. Ce
même personnage apparaît encore une fois, dans L es Esclaves de
Paris
où
Lecoq
le
consi dère
désormais
comm e
son
meilleur
inspect eur. Fanferlot est un aut re adjoi nt de M. Lecoq qui , tout en
admirant son m aître , s’efforce t rop tôt de vol er de ses propres ailes.
Fanferlot a tenté, m ais en vain, de teni r Lecoq dans l’i gnorance de
ses investi gations, il s’en est trouvé quitte pour une réprimande
verbale, non sévè re mais humilian te : Lecoq lui dit
[ …]
non,
tu
n’ es
pas
un
sot .
Tu
as
eu
si m pl em ent l e t ort de t e charger d’ u ne t âche au dessus de t es f orces. As - t u f ai t f ai re un pas à
l ’ af f ai re depui s que tu l a sui s ? Non. C’ est que, voi s t u, i ncom parabl e com m e li eut enant , t u n’ as pas l e
sang -f roi d d’ un général . Je vai s t e f ai re cadeau d’ un
380
E. Gaboriau, Le Dossier 113, p.145.
295
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
aphori sm e, reti ens -le, et qu’ i l devi e nne l a règl e de
t a condui t e : « Tel bri l le au second rang qui
s’ écl i pse au prem i er» 381.
Et c’est peut être à Pâlot et à Fanferlot que pense Monsieur
Lecoq quand, dans l’un de ses rares m om ents d’orgueil, il s’écri e :
L’affaire est compl iquée, difficile, tan t mi eux
! Eh ! si elle étai t simpl e, je retourn erais sur -lechamp à Paris, et d emain je vous enverrais un de
mes hommes. Je l aisse aux enfants les rébus
faciles. 382
381
E. Gaboriau, Le Dossier 113, p. 140.
382
E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.159.
296
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
IV-
Le rapport créateur / créature
En prenant appui, d’une part sur not re anal yse des biographies
des héros-dét ectives, et dans la quell e nous avons constat é que ce ll esci étai ent parti ellement nourries de s biographies des aut eurs eux mêmes, et d’aut re part sur une tradition critique litt éraire qui
considère
le
personnage
romanesque
comme
une
somme
d’expériences, d’observations et de virtualités de son aut eur, nous
nous somm es dem andée si l a conscience des trois auteurs est une
dominant e de la construction de leurs héros.
Or, pouvoi r répondre à cett e question, suppose de pouvoir
élucider les interrogations suivantes : Dupin, Lecoq et Hol mes sontils des images parti elles, rêvées ou t ransform ées de leurs créat eurs ?
Si non, devons -nous disjoindre ces aut eurs et leurs héros, et dire que
Poe, Gaboriau et Doyl e apparti ennent à ces écrivains qui , en t oute
occasion, m ultiplient les décl arations sur l’autonomie de leurs
personnages rom anesques par rapport à eux?
Les t ypes de rapports qu’entretiennent Dupin, Lecoq et Holmes
avec l eurs créateurs deviennent donc obj et d’investi gation.
297
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
1.
Le personnage rêvé
Tous les port raits existants de Poe le représentent de face et non
pas de profil, ce qui ne nous lai sse pas saisi r l’autre face cachée ,
peut être rêvée de l’écrivain. Une face que Poe aurait plutôt projet ée
sur son personnage Dupin.
En effet, l es h istoires poli cières de l’écrivain am éri cai n se
déroulent en France, les noms de ses personnages sont français ; nous
pouvons nous ét onner du choix qu’a fait Poe de sit uer son univers de
fiction dans un pa ys étranger. Mais com ment Poe aurait -il pu situer
son œuvre d ans sa patri e alors qu’ un critique a confi é que cett e
derni ère « n’ ét ai t pas de ni veau avec l ui » ? Les Ét ats -Unis, premi ère
démocrati e créée au monde, pa ys gi gantesque et neuf, j aloux du
Vieux conti nent, et qui s’enorgueillit de sa croissance mat ériell e,
presque monstrueuse pour ne pas di re attei nte de gi ganti sme . Le
temps et l’argent ont une valeur énorme, et l’activité des affaires,
vérit able m ani e nationale, laisse peu de place pour l es choses qui ne
sont pas mat éri elles.
Poe regrettait pour s on pa ys l ’absence d’une aristocratie de race,
disant que dans un peupl e sans aristocratie l e goût du beau ne peut
que
s’affaibli r
concit o yens
les
et
disparaître.
manifestations
L’écrivain
d’un
dénonçait
mauvais
goût
chez
ses
propre
aux
nouveaux riches, mép risait le progrès, et se sent ait donc dans son
pa ys comm e un esprit solitaire. Que pouvait -il écri re, pri s dans ce
divorce ent re ses propres val eurs spiri tuelles et esthétiques et l es
valeurs nouvelles de son pa ys, mat éri ell es et vul gaires ? Mal gré l es
errances de cet auteur vo yageur, de Richmond à Balti more, de
Baltimore à New York, de New York à Philadelphi e, de Phi ladelphie
à Bost on, il n’a jam ais écrit de « souvenirs » de vo yage, il n’a jam ais
pu évoquer tel ou t el compat riote. Edgar Poe aurait donc re gagné une
298
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
fois pour toutes son monde intérieur, qu’il produit dans ses écrits et
s’est proj eté sur son personnage de dét ective.
Lorsqu’il a créé pour héros de ses nouvelles poli cières, un héros
de noble extraction – mal gré sa déchéance – et l ’a doté en m ême
temps d’une merveilleuse intelli gence, Poe semble apporter une
nouvell e valeur à l’aristocrati e de sang qui ne peut valoi r si elle n’est
pas soutenue par cell e de l’esprit. L’écrivain am éri cai n aurait
égal ement voulu se rattacher au siècl e des lumières caract éri sé par l a
clarté de l’intelli gence logique, tout en s’opposant à une bourgeoisi e
industriell e et com merçant e. L’ambition d’Edgar Poe était de port er
haut le flam beau d u Beau: s ynon ym e de nobl esse de tout e nation,
cel a lui a coûté l e rejet par sa s ociét é am éri caine mat éri aliste :
Sel on
B audel ai re,
l ’ Am éri que
ne
f ut
pour
l ’ aut eur d’ Eurêka, « qu’ une vast e pri son ». P ri vé
d’ ari st ocrat i e, son peupl e s’ est t rouvé condam né à
corrom pre l e cul t e de l a B eaut é 383.
Un héros -détective de nationalité française ne reflèt e-t -il pas
l’envi e et le rêve de Poe d’appartenir à la Grande Nation , voire au
Vieux
Continent
francophile
en
général?
convai ncu,
L’écrivain
puisque
nous
ne
est
sans
cont este
trouvons
pas
un
trace
d’Am érique chez lui. Si un fait divers du Kentuck y - l’affai re Sharp Beaucham p - 384, l’i nspire, il l e transpose dans l a Rom e de XV II e
siècl e pour en ti rer son dram e Politian. L’affai re Mar y Rogers de
New York devient Le Mystère de Marie Roge t à Paris.
383
André Guyaux, Bertrand Marchal, Les Fleurs du mal, colloque de la Sorbonne, Presses de
l'Université de Paris-Sorbonne, Paris, 2003, p. 85.
384
Sharp-Beauchamp : affaire criminelle aussi connue sous le nom de « Tragédie du Kentucky », fait
référence au meurtre du colonel Solomon P. Sharp, un homme politique américain du Kentucky,
par l'avocat Jereboam O. Beauchamp.
299
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
Une autre personnal ité rêvée par Poe est égalem ent s ymboli sée
par Dupin ; cell e de l’homm e supéri eur sans vices, un mi s anthrope
sans faibl esses. On a pu écri re que « Dupi n, c’ est P oe dél i vré de
l ’ angoi sse, un Edgar P oe i déal , dont l ’ espri t n’ est pl us ravagé m ai s
s’ exerce souverai nem ent sur l a m écanique uni versel l e » 385. En effet,
l’aut eur aurait voul u créer un personnage idéalisé qui s’oppose à lui
et qui ne correspond pas à sa réalité amère et désolant e. En effet,
Poe, déjà al coolique et souffra nt de crises h ypocondri aques, est
rendu fragilisé par l a mort de sa fem me ; ce qui le plonge dans une
dépression total e si bien qu’il se livre à l’al cool et aux drogues. En
créant un personnage antithétique , l’aut eur voudrait donc échapper
complèt ement
à
sa
réalité
et
attei ndre
une
pure
jouissance
sémiotique. Il espérerait s e t rouver dans un uni vers tot alem ent
déréalisé, puisqu’il est incapable de se situer dans son uni vers réel.
En somm e, Dupin constituerait le personnage qu’Edgar Poe
rêvait d’êt re. Dès lor s, ce héros -détective serait un double de
l’aut eur. Poe crée Dupin, et il est créé par lui. A travers son
personnage, l 'auteur améri cai n réalise son rêve le plus cher, à savoi r
être un gentl eman européen:
P oe se m et en scène l ui - mêm e et i l f ant asm e
( dans l e sens « rêver évei ll é » !) sur l’ idée d’ habi t er
P ari s, de f ai re l es b ouqui neri es pour ret rouver des
édi t i ons rares qu’i l rêve de posséder, et de rencont rer
une versi on i déal e de l ui -m ême, l e Cheval i er Dupi n,
avec l equel i l pourra di scut er sans f i n, de j our com m e
de nui t 386.
385
Jacques Cabau, Edgar Poe par lui-même, Seuil, Paris, 1960, p. 2.
386
David Sicé, Ecrire comme Edgar Allan Poe, URL :
http://www.davonline.com/ecrirekom/ecrirekom_poe_extrait.pdf.
300
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
2.
Le personnage porteur d e la pensée de l’auteur
La pe nsée d’un aut eur peut êt re véhi culée par son personnage.
Ce dernier peut rem ettre en question les modes de connaissance et les
cro yances d'une époque . Nous avons déj à vu comment Gaboriau a su
propulser au rang de héros, l e personnage du poli cier qui faisai t
jusqu’alors fi gure de délat eur et d’espion. A travers
Monsieur
Lecoq, Gabori au nous révèle sa conception de ce que devra être le
policier de l ’aveni r, doté de mo yens scienti fiques qu’on ne peut
encore envisager à l’époque. L’homm e de sci ence, Edmond Loc ard,
le note : « i l [ Gabor i au] f ut l e prem i er à décri re l es m œurs pol i ci ères
sous l eur j our exact » 387.
Avec l a création de son personnage Lecoq, Gabori au semble
engendrer une dial ectique des reflets. Ainsi, sa concept ion d’un
appareil j udici aire infaillibl e est reflétée par son héros -détective.
Gaboriau aurait voulu d’un polici er usant de méthodes sci entifiques
dans le but de rendre impossible l ’erreur judici aire, un sujet
récurrent dans les écrits polici ers de l’auteur :
Nos soupçons sont f ondés, cont i nua l e j uge, j ’ en
sui s
persuadé.
Mais
s’ i l s
ét ai ent
f aux
?
Not re
préci pi t ati on serai t pour ce j eune hom m e un af f reux
m al heur. Et encore, quel écl at , quel scandal e ! Y
avez- vous songé ? Vous ne savez pas t out ce qu’ une
dém arche ri squée peut
coût er à l ’ aut ori t é,
à la
di gni t é de l a j ust i ce, au respect qui const i t ue sa
f orce… 388
387
Cité par Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J.Vrin, Paris, 1985, p. 433.
388
E. Gaboriau, L’Affaire Lerouge, p.110.
301
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
C’est
dans
L’Affai re
Lerouge
que
le
thème
de
« l’erreur
judiciai re » t rouve son expression la plus accent uée. On parvi ent à
résoudre l’éni gme de cette affaire par des dét ours, impliquant des
faut es professionnel les, qui obli gent le j uge à démissionner. Quant à
Tabaret, premier dét ective mis en scène par Gabori au, il rejoint à son
tour le juge et renonce à ses att ribution s de détective :
P arce que le hasard m [T abar et ] ' a servi troi s ou
quat re f ois, j' en suis devenu bêt em ent orguei l l eux. Je
reconnai s trop t ard que j e ne suis pas ce que j e
croyai s : j e sui s un apprent i à qui le succès a f ait
t ourner l a cervel l e [ ...] 389
Tabaret est par conséquent vite suppl anté par Monsieur Lecoq,
un policier profes si onnel qui se réclam e des m éthodes sci entifiques
infaillibl es. Le héros -dét ective de Gaboriau m aîtrise la science, l a
sociologi e, la ps ychologi e afin d’arrêter un criminel qui use de toute
son intelli gence pour que son crim e rest e impénétrable.
Pour
l’aut eur, l a question n'est plus donc de savoir « quel sera le sor t du
héros ? », mais « réussira -t-il à rétablir l ’ordre? ».
Gaboriau est cert es convaincu que l a justice, comme t oute
institution hum aine, est suj ette à l ’erreur, m ais il veut prouver
qu’avec un polici er comme Lecoq, le crime ne peut rester impuni .
Ainsi, Lecoq, comm e él ément d’une int ri gue et résultat d’un travail
scriptural , est porteur d’une nouvelle i mage du polici er im aginée et
espérée par Gabori au.
389
E. Gaboriau, L’Affaire Lerouge, p.278.
302
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
3. Quand la créature échappe au créateur
L’ aut eur j oue avec ses personnages une ét range
part i e de squash. Les rebonds sur l es m urs ou l e
pl af ond sont aut ori sés, et com pli quent bi grem ent l a
t raj ect oi re de l a bal l e. O n pensai t t errasser son
adversai re par t el coup, et voi l à que l a bal l e vous
revi ent q uasim ent dans l e dos. Ai nsi , dans l e f eu de
l ’ écrit ure, l ’ aut eur va « l aisser » un personnage
réagi r d’ une f açon qui s’ él oi gne du proj et i ni t i al , ce
qui peut al l er j usqu’ à générer une modif i cati on
sensi bl e d’ une pai re de chapi t re s. P eut - on di re al ors
que l e personnage a « échappé » à l ’ aut eur ? 390
Il existe dans l e monde romanesque des personnages qui, connus
à peu près de t out l e monde, se sont ém ancipés de leurs créateurs et
de l eur cont exte origina l pour acquérir dans l’imaginai re collectif
une autonomi e q ue nous pourrions qualifier de m yt hologique. Bram
Stoker et Gast on Leroux n’ont pas eu la chance d’êt re aussi
universell ement cél èbres que leurs créatures respectives Dracula et le
Fantôme de l’Opéra. Le héros -détective britanni que Sherlock Holmes
est le p arangon de ces personnages fictifs qui ont échappé à l eurs
créat eurs en s’ani mant d’une vie propre. Doué d’une existence
autonom e, Holmes ne cessait d’évoluer et de croître sous l es yeux de
Do yle devenu paradoxalement l e spectat eur et le t émoin passif de s a
création.
En décembre 1893, c’est -à-dire six ans après la création de
Holmes, l e Strand Magazine publi e L e dernier probl ème où l’on
apprend l a mort du détective. Cett e aventure polici ère fait i ntervenir
390
Réponse de Frédéric Fossaert, dans Le Roman Policier et ses personnages, Textes réunis et présentés
par Yves Reuter, PUV, Saint-Denis, 1989, p.192-193.
303
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
un personnage à l a mesure de Sherl ock Holmes, le pr ofesseur
Moriart y, l’archét ype du savant criminel, qui a mis son génie de
mathém atici en au service du Mal. Le détective brit annique a décidé
de mett re fin aux agissements de celui qu’il surnomme « le Napoléon
du cri me ». Or ce
dernier a, de son côt é, réso l u de supprimer
Holmes. Les deux adversaires en vi ennent aux mains et se livrent à
un combat qui les précipitent tous deux dans les profondeurs du
gouffre de Reichenb ach en Suisse. Watson relat e :
Au
fond
de
tourbillonnante
ce
terrible
et
d ’écu me
chaudron
d’eau
bouillonnante,
demeu reront à jamais le plus dan gereux des
cri min els et le plu s remarquable d éfenseur de la
loi de leu r générati on 391.
Sherlock Holm es aurait donc dû mouri r, assassi né par son propre
créat eur : Do yle. En effet, le héros -détective a cert es construit la
popularité de son auteur, m ais il a également const ruit les m urs de s a
prison. Ai nsi, en jugeant que la popularit é de son héros condamnait à
l’obscurit é
ses
« meilleures
œuvres »,
c’est-à-di re
ses
roman s
historiqu es, Conan Do yle résolut de m ettre un term e à son li mier. En
novembre 1891 Doyl e avait écrit à sa mère : « Je réf l échi s à t uer
H ol m es ; ... et l e l iqui der corps et âme. Il m e dét ourne l'espri t de
m ei ll eures choses ». Sa mère répondit : « F ait es com m e bon vous
sem bl e, m ai s l e public ne l e prendra pas de gai et é de cœur ».
Dans un articl e publié en 1895 par l a revue N ew Age, S ilas
Hocking, auteur prolifique populai re dans les années 1880, rapport a
qu’il avait rencont ré Conan Do yle en S uisse au cours de l’été 1893,
et que ce dernier lui avait confié son i ntention d’en fini r avec son
391
A.C. Doyle, Volume2, Le dernier problème (The Final Problem), p. 297.
304
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
détective : « j e l e t uerai à l a f i n de l’ année ». Do yl e aurait ajout é :
« Si j e ne l e t ue pas, c’ est l ui qui m e t uera ». Une expressi on qui ne
fait donc pas de Holmes seul em ent un empêcheur d’écrire, mais une
sorte de doubl e menaçant.
« Si j e ne l e t ue pas, c’ est l ui qui m e tuera » c’est donc un cri
lancé par Conan Doyl e qui n’est pas sans nous rappel er d’autres cris
et situations sembl ables : le cri d’Hergé 392 « j e hai s Ti nt in, vous
n’ avez pas i dée à qu el p oi nt » 393, les multiples tentati ves de Mauri ce
Leblanc pour se libérer d’Arsène Lupin : « Il m e sui t part out. Il n' est
pas m on om bre, je sui s son om bre. C' est l ui qui s' assi ed à cet t e t able
quand j ' écri s. Je l ui obéi s », ainsi que les efforts de George Sime non
pour fai re valoir ses écrits ps ychologiques éclipsés par l es enquêt es
de Mai gret.
La critique littéraire Mer yl Pinque a merveilleusement résumé
ce que pourraient êt re l es vraies raisons de l a suppression de Holm es
par son créat eur :
Débordé par l ’ ext rao rdi nai re succès du héros
qu’ i l
avai t
i m agi né,
l ’ écri vai n
dut
crai ndre
un
m om ent pour son propre presti ge et , af i n d’ évi ter que
l e publ i c ne l ’ oubl ie t out à f ai t , orchestra, prém édi t a
l a di spari t i on de H olm es en l e préci pi t ant du haut des
chut es
m aj est ueuse s
de
Rei chenbach ,
près
de
Mei ri ngen, en Sui sse. Le cél èbre l ogi ci en ét ai t devenu
t rop envahi ssant , son père i nf anti ci de t rouva donc un
392
De son vrai nom Georges Prosper Remi, auteur belge de bandes dessinées francophone, connu
principalement pour Les Aventures de Tintin.
393
Pierre Assouline, Hergé, Plon, Paris, 1996, p.335.
305
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
l i eu « pl ausi bl e », à sa m esure, po ur l ’ y f ai re
m ouri r 394.
Cette
fin
du
dét ective
brit annique
entraîne
fatal em ent
le
dével oppem ent rapi de d’un m ythe. Fous de colère et de chagrin, les
lect eurs de Holm es protest èrent hautem ent cont re cett e suppressi on.
Il s sont des centai nes qui arborent des brassards noirs, signe de
deuil. Conan Do yle reçoit tantôt des lettres d’injures, le traitant
d’assassin,
et
t ant ôt
des
supplications
pour
donner
suite
aux
avent ures holm ésiennes.
Le 6 j anvi er 1894, en réponse à un abondant courrier de
lect eurs, le m agazine Tit-Bits écrit :
Nous avons t ous ét é const ernés d’ apprendre l a
m ort de Sherl ock Hol m es et des l ect eurs nous ont
suppl i és d’ user de not re i nf l uence auprès de Mr
Conan Doyl e pour préveni r cet t e tragédi e. Nous
pouvons seul em ent répondre que nous avons pl ai dé
s a cause de l a f açon l a pl us pressant e, l a pl us
séri euse, l a pl us insi st ant e possi bl e. Com m e des
cent ai nes de correspondant s, nous ressent ons cet t e
pert e comm e cel l e d’ un vi ei l am i dont la présence
nous m anquera beaucoup. Mr Doyl e a est i m é qu’i l
ne souhai t ai t pas voi r Sherl ock H olm es abuser de
son hospi t ali t é, et que l e publi c s’ ét ai t lassé de l ui .
Ni nous - m êm es ni le publ i c ne part agerons cet t e
opi ni on ; m ai s nous regret t ons de di re que c’ est cell e
de Mr Doyl e 395.
394
Meryl Pinque, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, Etude réalisée dans le cadre d’un DEA de
Littérature, URL : http://faustroll.net/pinque/index.htm.
395
Cité dans Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré de Pierre
Nordon, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, Paris, 1994, p. 27.
306
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
Les pressions furent ineffi caces devant la résolution de Conan
Do yle et son « ent êt em ent bi en di gne de s e s raci nes i rl andai ses » 396.
S’enlisant de plus en plus dans un courrier monst rueux, et subissant
l ’aut eur finit par
une plus fort e pression popul aire et fi nanci ère,
céder en « ressuscit ant » son héros-détective. En effet , dix ans plus
tard, Do yl e fera réapparaître Holmes dans son roman L e C hien des
Baskervill e, en ex pliquant
que le détective,
contrairement
aux
apparences, n’avait pas été blessé mort ellement lors de sa chute. La
« mort » ne pouvait donc être accolée au plus célèbre des dét ectives.
L’idée de l’autonom ie du personn age et de l’indépendance de la
créature par rapport à son créateur t rouve son amorce chez Marcel
Proust qui écrit en octobre 1920, après la publication du Côté de
Guermantes : « cel a va se gât er sans qu' i l y ai t de m a f aut e. Mes
personnages ne t ournent pas bi en ; je suis obl i gé de l es sui vre l à où m e
m ène l eur déf aut ou l eur vi ce aggravé » 397.
Nous ret rouvons cette
même idée un peu plus tard chez François Mauri ac dans son célèbre
ouvrage L e Romancier et ses personnages : « P l us nos personnages
vi vent , et m oi ns i l s nous sont soum i s » 398. Roger Caillois nous parle à
son tour de ce qu’il appell e : « l a révolt e de l ’ être f i ctif cont re son
dém i urge » 399.
En
revanche,
littérat ure
qu’un
c'est
la premi ère fois
personnage
cont raint ,
si
dans
l 'histoi re de
impéri eusemen t,
la
son
créat eur à lui redonner vi e. Holmes est résolument infaillibl e, au -del à
même des int entions de Conan Do yl e. Cela s’est passé comme si
396
Meryl Pinque, op.cit.
397
Cité dans Le prédicateur et ses masques : les personnages d’André Malraux de Christiane Moatti,
Publications de la Sorbonne 1987, p. 27.
398
Cité dans Le Personnel du roman. Le système des personnages dans Les Rougon-Macquart d'Emile Zola
de Philippe Hamon, Librairie Droz, Genève, 1983, p. 13.
399
Roger Caillois, Puissances du roman, Sagittaire, Marseille, 1942, p.150.
307
Troisième partie. Chapitre II
Des personnages aux statuts spécifiques
l’écrivain, a yant perdu le cont rôl e de son œuvre, ét ait effacé derrière
sa
créature :
« Ces
personnages
l ittérai res
qui
deviennent
mythiques font souvent à leurs créateurs l’effet d’un diable sorti
de sa boîte – et désormais i mpossible à contenir » 400.
Holmes devient ai nsi ce personnage mi grant, capable d’all er et
de venir entre ficti on et réalit é. Il a su échapper au contrôl e et à l a
volonté de son créateur pour adopter une existence m yt hique et
peupl er not re im agi naire coll ecti f . Le m yt he holm ésien était dès lors
solidement en place.
400
Maxime Prévost, « Compte rendu de Bayard (Pierre), L’Affaire du Chien des Baskerville » in
COnTEXTES, URL : http://contextes.revues.org/index2783.html
308
Conclusion
Concl usi on
A
u
terme
de
ce
t ravail
qui
consist ait
en
une
étude
comparati ve entre les héros -dét ecti ves August e Dupi n,
Monsieur Lecoq et Sherlock Holm es, nous tent erons de s ynthétiser
les principaux résul tats obt enus et d’en tirer des conclusion s. Not re
objecti f de recherche, rappel ons -l e, ét ai t de montrer l’ori gi nalité de
Poe, de Gabori au et de Do yle et leur apport à la création du
personnage
du
détective,
d’influence,
d’inspiration,
tout
en
d’emprunt
insistant
sur
les
voire d’imitation
rapports
que
ces
côt é
de
auteurs peuvent entreteni r les uns avec l es autres.
Nous
avons
d’abord
diri gé
notre
recherche
du
l’investi gation et de son origine, il en est ressorti que les trois héros détectives n’ont pas surgi du néant, ils possèdent de l ointains
antécédents, remontant
à l ’antiquité grecque. En revanche, les
premi ères traces d’i nvesti gation que l ’on trou ve chez ces protot ypes
n’ét aient que rudim entai res, et le personnage posé en héros était le
criminel et l e bri gand et non pas l’enquêteur.
En examinant par l a suit e une multipl icité de contextes dans
lesquel s nos auteurs ont pu créer leurs héros, nous avo ns com pris que
le personnage de dét ective n’a pas pu apparaître avant que la sociét é
rurale « n’accouche sous le forceps » de l’industri alisati on et du
positivisme d’une sociét é urbaine et instruite. Ces cont extes, plus
parti culièrem ent litt éraires nous on t égalem ent permis de répondre
parti ellem ent à not re probl ématique, en affirm ant que Gaboriau a
connu l ’œuvre de P oe et que l es deux auteurs ont servi de modèle à
Conan Do yle.
La confrontati on des trois héros dét ectives, à des niveaux
différents de leur construction (l’être, le faire, l e st at ut et la
t ypol ogie),
nous a apporté une réponse qui, sans être exhaustive,
n’en a pas ét é moins pertinente , aux questionnements sur lesquels
310
Concl usi on
notre problém atique s'est fondée. D’une part, l’examen des liens qui
unissent les personnages a permis de suivre à la trace, t out t ype
d’influence exercée sur leurs créateurs. D’autre part, les éléments qui
les séparent et les différencient ont aidé à mieux faire ressorti r
l’ori ginalité et l ’apport créatif de chaque auteur.
Au niveau de « l ’êt re » des personnages, Poe, Gaboriau et Doyl e
ont compris que, pour profiter de la s ym pathie d’un large l ectorat, ils
devai ent rédui re, voire mêm e annihiler l’écart soci al qui pouvait
opposer leurs héros à leurs lecteurs. Ils ont donc assoupl i l es règl es
régissant l e héros classique, beau, ri che et appart enant à la haute
sociét é, en optant pour des dét ectives qui ont cert es de s ori gines
honorables , mais qui sont ordinaires et communs, m ême s’i ls ne se
prêt ent pas facilem ent à des procédures d’ identi fication du l ect eur.
Sous une apparence dissimulée, l e héros poesque est sans relief
ou, pour emprunter l’expression si préci se de Messac, il a t out juste
« l a dose d’existence nécessai re à la m arche du récit ». P oe refuse
toute description physique de son détect ive, et ne l’incarne qu’en tant
que voix d’un raisonneur qui ne se trompe jamai s. La seul e présence
de Dupin, dans le récit, rend inutile celle d’aut res personnages, qui
ne sont pour le dét ective que des pièces d’échecs, ou des données
d’un
problèm e
mathém atique
util isées
pour
exposer
son
raisonnem ent. Exclu de la communaut é humaine, Auguste Dupin, ce
détective
excent ri que,
misanthrope
et
noct ambul e,
est
un
« m écanism e bi en régl é » et une vrai e « machine à raisonner ».
Par sa personnalit é, Dupin exerce une grande influence sur
Sherlock Holmes qui, à son tour, passe pour « un automate » e t
« une m achi ne à calcul er ». Cert es, Doyl e a accordé une attention
parti culière au portrait de son dét ective, en l e dotant d’une apparence
imposant e et de quel ques dét ails ph ysiques suffisant à l e singulariser,
311
Concl usi on
mais su r l e pl an moral, Holm es ne différera de Dupin que par
quelques t raits accessoires. En effet, afin de prêter une épaisseur
humaine à ce personnage
insensible, a soci al et misogyne endurci,
Do yle le préfère toxicomane et viol oni ste, traduisant par l a mêm e
occasion une sort e de mél ancolie fin de siècl e.
Seul le poli cier de Gaboriau a échappé à l a qualifi cation de
« personnage -machi ne ». Il convient donc de distinguer Monsieur
Lecoq de ses coll ègues, da ns la mesure où il semble avoir une
certaine vulnérabilit é sur l e plan personnel. C’est le coté sensibl e ,
voire s entiment al du policier françai s qui doit, idéal ement, lui
conférer une épaisseur authentique sur l e plan humain. La distinction
de Monsieur Lec oq réside égal ement dans le degré d’infaillibilité que
son créateur l ui a conféré . Si Dupin est le personnage qui ne peut
jamais se trom per, et si Holmes est le détective trop sûr de lui,
Lecoq, en revanche, est l e poli cier qui tâtonne, hésite et commet
parfois des erreurs, ce qui l’humanise davant age. Lecoq est un
personnage touchant , s ympathique et vi vant aux yeux du lecteur, si
bien que la qualité principal e de Gabori au consiste à avoi r brossé un
portrait cri ant de vérité, et d’être réali ste et crédible, plus que son
successeur, et pl us encore que son prédécesseur.
Pour ce qui est des pratiques des trois héros -dét ectives, un des
traits caract éristiques qui suffit à l es m ettre hors pair, c’est qu’ils s e
réclam ent de la science. Ils se ressemblent égal eme nt par l eur
ténacité, leur c ourage et l eur « bonne ét oile » qui les rendent
rassurants. Ils sont dotés d’une infaillibilité qui, bi en qu’inégal e, ne
perm et pas de dout er de leur réussite. Or, c’est au niveau de leurs
méthodes d’investi gation, donc de l eur savoi r-fai re professionnel,
que Dupin, Lecoq et Holmes se disti nguent le plus.
312
Concl usi on
Les surnoms de « détective en fauteuil », et « dét ecti ve en
pantoufles », dont Dupin était affubl é nous révèlent t oute une
méthode d’enquêt e propre au dét ecti ve poesque . Cet enquêt eur
n’enfile « ses chaussures » que pour véri fier ses h ypothèses ou
chercher le m aillon manquant à sa chaîne de raisonnem ent. Il ne
s’engage pas dans l ’action, il se caract éris e par l’exhibition de ses
facultés int ellectuel les et l a démonstrat ion de son géni e anal ytique.
C’est un dét ective abstrait qui ne cesse de parler d’al gèbre et de
mathém atiques.
Lecoq, lui, est un détective de terrain qui ne se confi ne pas dans
l’abst raction, il est énergique et n’hésit e guère à s’agenouil ler dans
la poussière ou d ans la boue, c’est un vi rtuose du déguisem ent et du
changem ent rapide . Si son intelligence peut paraître inféri eure à celle
de Dupin, Lecoq
possède la ruse et le flair qui ressembl ent à ceux
des animaux et des sauvages. Il es t doté d’un extraordinai re esp rit
d’observation ainsi que d’une étonnante perspicacit é. Mai s, est -ce
une m anière de di re que nous ne pouvons retrouver chez l ’enquêteur
de Gabori au des trac es du détective de Poe ? Certes non. Lecoq se
rapproche du héros de Poe
par ce qu’i l y a de pl us ori ginal en ce
derni er , par son rai sonnem ent logique, tout en donnant vie à ce qui
chez Dupin était demeuré abstrait.
Les m éthodes d ’enquête créée s par P oe et par Gaboriau
ne
seront pas perdues pour Conan Do yl e. C elui -ci a su coul er Dupin et
Lecoq en un seul personnage, Sherl ock Holmes. En effet, c’est par sa
minutie dans l’observation, par son art d u déguisement , et par son
profil d’expériment ateur que Holmes ressemble à Lecoq. Il a en
même tem ps hérité de Dupin l a mani e de se rensei gner sur l es crim es
par les journaux, le raisonnem ent, l’exercice de lecture de la pensée,
mais surtout une i mpressionnante intelligence qui le rend, tout
comme Dupin, incompréhensibl e aux ye ux d’autrui .
313
Concl usi on
Même si Conan Do yl e n’a pas invent é grand chose après Poe et
Gaboriau, il a toutefois l e mérit e d’avoir réuni tout e s sort es
d’él éments épars, pour mettre en scène un « détective de génie ». En
effet, en termes de méthodes d’investi gation, nous ne rel evons ri en
chez Holmes qui n’ait existé avant lui, m ais l a s yn thèse est
intelli gemm ent
opérée,
elle
est
réussie,
assurant
au
détective
britanni que une not oriét é et une popul arité universell e s. Depuis s a
création, d’innombrables dét ectives ont surgi mais aucun d’eux n’a
réussi à l ’éclipser ou à l e faire descendre de son t rône.
Après une ét ude comparative détaill ée portant sur « l’être » et
« l e faire » des troi s héros -détectives, notre int érêt s’est porté sur
leurs st atuts qui se sont révél és égal ement spécifiques.
En ce qui concerne le statut professionnel des trois héros détectives, le t ype du détective dilet tante est l’invention géni ale
d’Edgar Poe,
Dupi n est incont establ ement le premier détective de
l’histoire littéraire. Conan Do yle a compris que, par sa dimension
libert aire
et
son
détachem ent
de
l’institution
poli cière,
le
personnage poesque sera l e modèl e exemplaire de ses aventures. En
effet, l e statut « amateur » ou « privé » a permis à Dupin et à Holmes
de rester, chacun, son propre maît re, de mener leurs enquêtes de
manière tot alem ent autonom e, d’int ervenir dans des affa ires avant l a
police, et d’être les premi ers à découvri r la vérit é.
Quant à Gabori au, encore une fois, il ét ait loin de s’en teni r à la
simple imitation 401, en optant pour un policier en tit re. Voil à un héros
différent, un agent de Sûreté de statut « offi ciel », dont on appréci e
le « tempéram ent policier de premi er ordre » et qui ressem ble à des
401
« Malgré qu’il eût des précurseurs, dont je crois qu’il ne s’inspira guère, on peut affirmer
qu’Emile Gaboriau fut un créateur véritable » : Edmond Locard. Cité par Roger Bonniot, Emile
Gaboriau ou la naissance du roman policier, J.Vrin, Paris, 1985, p. 433.
314
Concl usi on
« polici ers vé ritabl es ». Gaboriau a réussi à créer « l e m ythe du flic
s ympathique »,
en déchi rant l’image odieuse et somm aire qu’on s e
faisait du polici er à travers Jackal de Dumas et Javert de Hugo.
A
travers
l’anal ys e
d’un
aut re
t ype
de
statut s,
celui
du
« dét ective » ou du « justici er », nous avons relevé que Poe a préféré
son détective « rét ablisseur » de vérité et non du B i en, ce choix est à
l’image du caractère abst rait , froid et rationnel de Dupin. Pour cet
al gébriste, l’enquêt e est un pur exercice de l’esprit , et non un
processus
qui
mène
au
châtiment .
Or,
en
obéissant
à
la
préoccupation d’épargner une erreur à la justice, l e pol icier de
Gaboriau ass um e son st atut de justici er, sur ce pl an-l à, l a différence
entre les deux héros -dét ectives va de soi, puisque, nous l’avons dit,
Dupin incarne l e personnage -machine al ors que Lecoq représente le
personnage -humai n. Quant à Holmes, il va, une fois de plus,
s ynt hétiser ses deux prédécesseurs, i l est, selon l es cas et selon l es
t ypes d’affai res qu’i l traite, tantôt comm e Dupin, quand il ne veut se
livrer qu’au jeu du m ystère et de l’énigm e, tantôt com me Lecoq
quand il s’autorise l ui -mêm e à se substit uer à l a loi.
En ce qui concerne le st atut détective/ assistant , il consist e à
opposer l’int elli gence redout abl e du détective au prosaïsm e terre à
terre de son adjoint . Les tandems Dupin/narrat eur et Holmes/W atson
semblent
revisiter
le
m yt he
t radi tionnel
du
double
Don
Quichott e/Sancho P ança. Si Poe était l e premier à avoi r l ’idée de
cett e re pris e, en flanquant son détective d’un ami -narrateur, Do yl e a
fait mieux en rendant son imitation plus créative. En effet, la nature
de l a rel ation que partagent Holmes et Watson est plus h umai ne, pl us
chal eureuse, donc plus vivante que celle qui unit Dupi n à son
compagnon. C e que nous admirons par -dessus-tout chez le couple
do yli en, c’est cett e atmosphère humoristique résult ant de la naïvet é
315
Concl usi on
et de l’incompét ence de Watson. En revanche, Gaboriau n’a emprunt é
le statut dét ective/assistant à son prédécesseur qu’occasionnel lement.
Il nous rest ait encore, pour terminer cette étude, de savoir
exactem ent
ce
qu’étai ent
Dupin,
Lecoq
et
Holmes
pour
leurs
créat eurs. En ce sens, les rapports qu’entretie nnent Poe, Gaboriau et
Do yle avec leurs personnages se sont révél és bi en disti ncts. De
Dupin, l e personnage qu’Edgar Poe rêvait d’êt re, en passant par
Lecoq le porteur d’une nouvelle image du polici er imaginée et
espérée
par
Gaboriau,
à
Holmes,
la
créatur e
indépendante qui a su échapper à son créateur ;
autonome
et
les trois héros -
détectives ont répondu, chacun à sa m anière, à l a consci ence de l eurs
auteurs.
Pour conclure, nous dirons que les trois auteurs ont réussi à se
distinguer, et ont contribué chac un pour sa part à la construction du
personnage du dét ective en fondant l es bases sur l esquelles allait s e
dével opper
ce
dernier .
Edgar
All an
Poe
fut
le
précurseur
et
l’inspirateur à qui il faut accorder l ’honneur dû à un vérit able
créat eur.
Émile
Gabori au
fut
loin
d’êt re
un
faible
i mitateur,
l’inspiration ét ait pour lui une source de créativité. Quant à Conan
Do yle
qui
a
lo yalem ent
reconnu
sa
dette
envers
ses
deux
prédécesseurs, il a réussi à porter le personnage de détect ive à son
apogée. Nous ne saurons l e ni er, Sherlock Holm es s ’est im posé sous
tous les cieux, il est aussi célèbre en Russie, au Japon qu’en
Anglet erre, et c’est sa silhouette qui va donc dominer l e genre
policier.
Nous affirmons que le présent travail est loin d’être exhausti f, et
pourrait utilem ent être compl été à l 'occasion d'autres recherches en
élargissant, par exemple, l e cham p d’anal yse aux
personnages
policiers qui ont m arqué le XX e siècle. Citons notamm ent Mauri ce
Leblanc qui, avec Arsène Lupin, le « gentlem an cambrioleur »,
316
Concl usi on
renouvell e la fi gure populai re du bandit justicier . Citons ensuite
Agatha Christie considérée comm e l a R eine du crim e avec son très
maniaque et excent ri que détective bel ge Hercul e Poirot et sa désuète
mais très perspi cace Miss Marpl e qui va apport er à l a fi gure de
détective de la sensi bilité et de l a finesse ps ychologique. Nous citons
égal ement l’i nventeur du roman policier ps ychologique, Georges
Simenon et son enquêteur, le commissaire M ai gret , ce dernier ne va
plus concevoir l ’enquête comm e un puzzle logique ma is comme un e
tragédie social e en dévoil ant sous le crime la misère, la solitude et
les rancœurs. Com patissant, il va jusqu’à apparaître comme un
rédempteur et conduit les coupables à se réconcili er avec eux -mêmes.
Ce mêm e champ d’étude pourrait être pl us é largi aux enquêt eurs
du roman noir , not amment ceux De Dashiell Hammett, de James
Hadl e y Chase et de Ra ymond Chandl er . C’est une nouvelle race
d’enquêt eurs , appelés les « durs à cui re » 402, ces dét ecti ves pri vés ne
vont pas résoudre de savant es éni gmes dans l eur bureau m ais vont
arpenter l es quartiers mal famés. Confrontés à la pègre, i ls seront
prêts à user de tous les mo yens pour parvenir à leurs fi ns ; parfois
violents et grossiers, souvent à la limite de la légalit é, incorruptibles
mais sans scrupul es, ils sont sarcastiques, solitaires et désabusés.
Telles sont quelques suggestions parm i tant d’autres , car le
roman polici er qui continue à se m ultipl ier en t ypes, en séri es et en
succès, ne cesse d’offri r de nouvelles pi stes de recherche à explorer.
Que cette étude se termine donc avec un sentiment d'ina chèvement ,
rien de pl us naturel.
402
« dur à cuire » est la signification littérale « hard-boiled » qui renvoie évidemment à l'école du
roman noir américain.
317
Bibliographie
Bi bl i ographi e
I-
Romans et nouvelles du corpus
Edgar Allan Poe
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Morgue), 1841, Paris, Petits classiques. Larousse, 1999.
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URL : http://www.ebooksgratuits.com/pdf/poe_histoires_grotesques_et_serieuses.pdf
POE, Edgar Allan, La Lettre volée (The Purloined Letter), 1845, Petits classiques.
Larousse, Paris, 1999.
Émile Gaboriau
GABORIAU, Émile, Le Crime d’Orcival, 1867, ed. Masque, Paris, 2005.
GABORIAU, Émile, Le Dossier 113, 1867, Edition « Ebooks libres et gratuits »,
décembre 2004. URL : http://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_dossier_113.pdf
GABORIAU, Émile, Monsieur Lecoq, 1868, Edition « Ebooks libres et gratuits »,
décembre 2003. URL : http://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_monsieur_lecoq.pdf
Arthur Conan Doyle
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DOYLE, Arthur Conan (sir), L’Escarboucle bleue (The Blue Carbuncle), 1892.
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319
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Aventures de Sherlock Holmes. Volume2, Omnibus, Paris, 2006.
DOYLE, Arthur Conan (sir), La boîte en carton (The Cardboard Box), 1893, dans
Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume3, Omnibus, Paris, 2007.
DOYLE, Arthur Conan (sir), Le Chien des Baskerville (The Hound of the
Baskervilles), 1901-1902, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume2,
Omnibus, Paris, 2006.
DOYLE, Arthur Conan (sir), Charles Augustus Milverton (Charles Augustus
Milverton), 1904, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume2, Omnibus,
Paris, 2006.
DOYLE, Arthur Conan (sir), Le pince-nez en or (The Golden Pince-Nez), 1904,
dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume2, Omnibus, Paris, 2006.g
DOYLE, Arthur Conan (sir), Le Manoir de l’Abbaye (The Abbey Grange), 1904,
dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume2, Omnibus, Paris, 2006.
DOYLE, Arthur Conan (sir), La Vallée de la peur (The Valley of Fear), 1915, dans
Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume3, Omnibus, Paris, 2007.
DOYLE, Arthur Conan (sir), L’illustre client (The Illustrious Client), 1924, dans Les
Aventures de Sherlock Holmes. Volume3, Omnibus, Paris, 2007.
DOYLE, Arthur Conan (sir), Les trois Garrideb (The Three Garridebs), 1924, dans
Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume3, Omnibus, Paris, 2007.
DOYLE, Arthur Conan (sir), Le marchand de couleurs retraité (The Retired
Colourman), 1926, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume3, Omnibus,
Paris, 2007.
320
Bi bl i ographi e
II- Corpus élargi
Edgar Allan Poe
POE, Edgar Allan, La Genèse d’un poème, 1846, L’Hrne, coll. Confidences, 1997.
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Laffont, coll. « Bouquins », Paris Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 1989.
Émile Gaboriau
GABORIAU, Émile, L’Affaire Lerouge, 1865, Edition « Ebooks libres et gratuits »,
février 2005. URL : http ://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_affaire_lerouge.pdf
GABORIAU, Émile, La Corde au cou, 1873, Edition « Ebooks libres et gratuits »,
février 2005. URL :http ://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_corde_au_cou.pdf
GABORIAU, Émile, Le Petit Vieux des Batignolles, 1876, Edition « Ebooks libres
et gratuits », mars 2005. URL :
http://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_petit_vieux_des_batignolles.pdf
Arthur Conan Doyle
DOYLE, Arthur Conan (sir), Les Aventures de Sherlock Holmes, Volume1,
Omnibus, Paris, 2005.
DOYLE, Arthur Conan (sir), Les Aventures de Sherlock Holmes, Volume2,
Omnibus, Paris, 2006.
DOYLE, Arthur Conan (sir), Les Aventures de Sherlock Holmes, Volume3,
Omnibus, Paris, 2007.
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Paris, 1961.
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Gallimard, Paris, 1961.
BAUDELAIRE, Charles, Le peintre de la vie moderne, in Œuvres Complètes,
Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, NRF, Paris, 1976.
BAUDELAIRE, Charles, Œuvres posthumes, Mercure de France, Paris, 1908.
URL : http://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Baudelaire__%C5%92uvres_posthumes_1908.djvu
BAUMARCHAIS, Pierre-Augustin Caron de, Le Barbier de Séville, Nouvelle
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l’Herne, Paris, 1985.
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poétique, THÈSE pour obtenir le grade de docteur de
l’université LYON II,
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contemporain, THÈSE pour obtenir le grade de docteur de l’université LYON II,
Discipline : Lettres et Arts, 24 janvier 2000.
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Antilles et du Maghreb, Thèse pour l’obtention du Doctorat, Discipline :
Littératures
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329
Annexes
A nnexes
Résumés des romans et nouvelles du corpus
I- Edgar Allan Poe
1. Double Ass assinat dans la rue Morgue (1841)
L’ af f air e const i t ue un myst èr e appar emme nt i nexpli cabl e. Comment
expl i quer , par exempl e, un doubl e assassi nat dans un appar t ement dont les
por t es sont bar r ées et l es f enêt r es f er mées ? La pol i ce ne parvi ent pas
ét abl ir c omment l ’ assassi n a pu ent r er et sor t i r de l a chambr e du cr i me.
C’ est par l e r ai sonnement que l e cheval i er Dupi n, l e dét ect i ve amat eur qui
n’ appar ti ent pas à l a pol i ce of fi ci el l e, donne l ’ expl i cat i on : un or ang out an, r amené de Bo r néo par un mar i n, est pas sé par l a f enêt r e de la
chambr e de der r i èr e. Un cl ou cassé, un r essor t f er mant aut omat i quement l e
châssi s de l a f enêt r e de l a chambr e de d er r i èr e. C’ est en s’ aidant d’ une
chaî ne de par at onner re qu’ un êtr e tr ès agi l e a pu se gl i sser . Les sons de sa
voi x et des poi l s r oussât r es conf i r ment qu’ il s’ agi t bi en d’ un si nge.
2.
Le Myst ère De Marie Roget (1842)
La seconde nouvel l e Le M yst ère De M arie Roget ( 1842) , écri t e apr ès
Doubl e Assassi nat… et un an avant La Let t re vol ée , n'a ét é publ i ée en
Fr ance qu’ en 1865 bi e n apr ès ces deux nouvel l es. Mar i e Roget , une
gr i set t e empl oyée au Pal ai s -Ro yal , di spar aît al ors qu’ el l e se rendai t chez
sa t ant e. Son cadavr e est r etr ouvé, f l ott ant dans l a Sei ne. La pol i ce ne
t r ouve aucune expl i cat i on. S’ agi t -i l mê me du cadavr e de l a j eun e f i l l e ?
Des vêt e ment s sont r et r ouvés pr ès de l a barr i èr e du Roul e, ce qui br oui ll e
l es pi st es. Le cheval ier Dupi n, appar u dans Doubl e Assassi nat dans l a rue
M orgue bal ai e t outes l es hypot hèses de l a pr esse, l aquel l e met en cause
une bande de mal f ai teur s. Il dé mont r e que l e coupabl e est un of f i cier de
mar i ne, anci en amant de Mar i e. Poe s’ est i nspir é d’ un fai t di ver s
aut hent i que. Poe prétendai t avoi r appor t é l a sol uti on
de cet t e éni gme à
t r aver s sa nouvel l e.
331
A nnexes
3. La Lettre Vol ée (1845)
La Let t re Vol ée , ét ait di sai t Poe, « l e m ei l l eur de m es cont es de
rat i oci nati on ». Le cheval i er Dupi n r éussi t t out seul , en moi ns d ’ un moi s,
à r écupérer dans l ’hôt el du mi ni st re D… l e document vol é que l es
mei l l eur s pol ici ers du pr éf et G… cher chaient en vai n depui s pl us d’ un an.
« Si l a l et t re avai t ét é cachée dans l e rayon de l eur i nv est i gati on,
expl i que Dupi n, ces gai l l ards l’ aurai ent t rouvée [ …] » 403. Donc l a l ett r e
n’ ét ait pas cachée. Ell e ét ait dans « un m isérabl e port e - cart es » suspendu
par un r uban cr asseux au -dessus du mant eau de l a chemi née. El l e y ét ait
j et ée « négl i gem m ent » et « presque déchi rée ». Cet t e l et t r e ser vai t de
mo yen de chant a ge a u mi ni st r e D… sur une dame du monde. M aî t r e de la
l et tr e, Dupi n r et our ne l a si t uat i on.
II- Émile Gaboriau
1.
Le Crim e d’ Orci val (1867)
Le 9 j uil l et 186…, deux br aconni er s découvr ent à Or ci val l e cadavr e
d’ une f emme. Il s’ agi t de l a comt esse de T r emor el . Dans l e chât eau, on
t r ouve des t r aces de sang, des meubl es br i sés, des papi er s di spersés, mai s
nul l e part l e comt e de T remor el . T out accuse un cer tai n Guespin, qui est
ar r êt é.
M. Leoq, de l a Sûr et é, envo yé par l a pr éf ect ure de pol i ce, pr end
l ’ af fai r e en mai n. Il r ét abl it l’ heur e du cr ime, const at e que l e li t est défai t,
mai s que ni l e co mt e ni l a comt esse n’ y ont couché. Les assassi ns ont
l ai ssé
vol ont ai remen t
des
i ndi ces
destinés
à
égar er
l es
soupçons
( not amment ci nq ver res pour f air e cr oi re à ci nq br i gands ou une f ausse
l ut t e si mul ée dans l e sabl e par un seul pi ed) . Lecoq t end un pi ège au
comt e, qui n’ ét ai t pas mor t . Il ét ai t l ’ assassi n de son é pouse, apr ès avoi r
empoi sonné l e pr emi er mar i de cell e -ci . Il avai t sédui t et engr ossé
403
Edgar Allan Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), Petits classiques. Larousse, Paris, 1999, p.118.
332
A nnexes
Laur ence, l a f i ll e du mai r e. Co mme i l r ef use l e sui ci de, c’ est Laur ence qui
l e t ue. M. Lecoq gagn er a une pr opri ét é à Orci val .
2. Le Dossier 113 (1867)
Le 28 j anvi er 186…, o n appr end par la pr esse l e vol d’ une somme de
350000 f r ancs dans le cof f r e -f or t du banqui er Fauvel . Le cai ssier Pr osper
Ber t omy est ar r êt é. Il ét ai t seul à avoi r l a cl ef du cof f re avec l e banqui er .
Ber t omy a vai t t out e l a conf i ance de Fauvel , d’ aut ant qu’ il ét ai t l’ ami
d’ enf ance de sa ni èce. Le j eune Fanf er l ot, di t l ’ Écur euil , est char gé de
l ’ enquêt e, en s’ appuyant sur M. Lecoq qui , sous di ver s dégui sement s,
démasque une escr oquer i e dont la vi ct i me ét ai t Mme Fauvel .
3. Monsieur Lecoq (1868)
Le 22 f évr i er 18…, u ne r onde d’ agent s de l a Sûr et é découvr e dans un
bouge, La Poi vr i èr e, un vér i t abl e massacr e. Le coupabl e est appr éhendé.
L’ une des vi ct i mes p or t e un uni f or me, ma i s l ’ un des agent s, Lecoq, not e
que, vu sa coupe de cheveux, ce ne peut êt r e un sol dat . C’ est l e même
Lecoq qui , gr âce à une manœu vr e habi l e, a sai si l e coupabl e pr ésumé.
Lecoq appar t i ent à une bonne f ami l l e r ui née et a f ai t di ver s mét i er s où son
i nt ell i gence a f ait mer vei l l e ( t r op) , pui s il a choi si d’ ent r er dans la pol i ce.
Le chef de l a pat r oui l l e cr oit à un r ègl ement de compt es ent r e
escar pes. Lecoq pense, l ui , que l e meur t r ier est un homme du monde. Il
r el ève des empr ei nt es dans l a nei ge, qui r évèl ent que deux f emmes se sont
échappées. L’ homme ar r êt é pr étend êtr e un enf ant tr ouvé r épondant au nom
de Mai . S’ ét ant per du, i l di t êt r e ent ré dans ce bouge où i l a ét é at t aqué par
t r oi s escar pes. Lecoq suggèr e au j uge Segmul l er de l ai sser échapper ce Mai
et de l e f ai r e sui vr e. Il l es condui t à l ’ hôt el du duc de Ser meuse pui s
di spar aît . Déçu, Lecoq pr end c ont act avec un vi eux dét ect i ve, l e pèr e
T abaret . Cel ui -ci l ui expl i que qu’ il s’ agi t bien du duc de Ser meus e.
La seconde par ti e, L’ Honneur du nom , r envoi e en août 1815, au
dévoi l ement d’ un t er r i bl e secr et . Bl anche de Ser meuse a empoi sonné
Mar i e -Anne Lachene ur , f i ll e de l’ acquér eur des bi ens des Ser meuse
333
A nnexes
devenus
bi ens
nat i onaux.
J ean
Lacheneur ,
f r èr e
de
Mar ie -Anne
et
possesseur du secr et , at t i r e Bl anche dans l e bouge de La Poi vr i èr e. Il
pr évi ent par ail l eur s l e duc, dans le dessei n de pr ovoquer un scandal e.
Int r i gué, l e duc sui t son épouse et sa f emme de cha mbr e. Il s’ agi t d’ un
guet -apens. Le duc t ue l es t r oi s mal andr i ns. A son r et our , l a duchesse se
donne l a mor t . Lecoq ét ouf f e l ’ aff ai re et obt i ent un post e d’ i mpor t ance.
III- Arthur Conan Doy le
1. Une étude en rouge (1887)
Dans l e r oman Une ét ude en rouge , Sherl ock Hol mes et Wat son son
col ocat ai r e du 221 B Baker St r eet f urent appel és en r enf ort non of f i ci el
sur l es l i eux d'un cr i me, une mai son aband onnée de Br i xt on où un cadavr e
avai t ét é t r ouvé, l e mot " Rache" ayant été gr i boui l l é « en l et t r es de sang »
sur l e mur à côt é et une al l i ance en or ayant ét é l ai ssée. Les pol i ci er s de
« Scot l and Yar d » s’ avouèr ent dépassés. Gr âce à une obser vat i on at t enti ve
des l ieux, Sherl ock Hol mes co mpr i t ce qui s 'ét ai t passé. Il pl aça d ans un
j our nal une pet i te annonce, f ai sant appel au pr opr i ét ai re de l ’ anneau. Il
r eçut al or s l a vi sit e d’ une vi ei l l e femme q ui vi nt l e r éclamer . Il l a sui vi t
mai s c’ ét ai t en f ait un ho mme dé gui sé q ui par vi nt à l ui échapper . La
pol i ce compl èt ement désempar ée, Hol me s décl ar a qu’i l avait r ésol u
l ’ éni gme des meur t r es et qu’ i l al l ai t sous peu ar r êt er l e meur t r i er .
Pr ét endant f ai r e ses baga ges pour un vo ya ge, i l demanda au chau f f eur qui
at t endai t de veni r l ’ aider à l es por t er . Mai s, dès qu’ i l f ut dans sa chambr e ,
Hol mes sor t i t ses men ot t es et l ’ ar r êta. Fi èr ement , i l décl ar a : « Messi eurs
[ …] Je vous présente M. Jef f erson H ope, l ’ assassi n d’ Énoch Drebber
et de M. Joseph St rangerson. ». Dans l a seconde part i e, l 'hi st oi r e de ces
t r oi s hommes est r acont ée : le meur t r i er s’ est vengé de deux Mor mons
qui , en Ut ah, ont obl igé sa f i ancée à deven i r l a concubi ne de l 'u n d 'eux.
La conf essi on du crimi nel vi nt conf i r mer l 'h ypot hèse de Sher l ock Hol me s
qui expl i qua comment i l avai t pr océdé.
334
A nnexes
2. Le Signe des quatre (1890)
Un deux i è me r oma n consacr é à Sher l ock Hol mes : Le Si gne des
quat re. C’ est dans ses pages que l e l ect eur appr end que l e hér os -dét ecti ve
se dr ogue. C’ est l à aussi qu’ il aff i r me que « l a déduct i on est une
sci ence ».
Une
da m e,
Mar y
Mor t on,
demande
à
Sher l ock
Hol mes
d 'enquêt er sur son pèr e, of f i ci é aux Inde s, di spar u voi l à di x ans, l e 3
décembr e 1878. El l e l ui par l e d'une l et t r e bi zar r e qu'el l e a r eçue,
accompa gnée de per l es et dans l aquell e un anonyme l ui demandai t de l e
r ej oi ndre avec deux ami s qui ne sont pas de l a poli ce. Hol mes et Wat son
se r endent avec el l e à ce myst ér i eux r endez -vous. Il s y appr ennen t l a mor t
acci dent el l e du capitai ne et l 'exi st ence d 'un f abul eux t r ésor qu 'i l aur ai t
r appor t é des Indes. H ol mes pr essent t r ès vi t e qu'i l s 'a gi t de l a vengeance
de qua t r e bagnar ds qui ont concl u un pact e secr et . Ayant besoi n d'un coup
de mai n pour r epér er un ho mme, i l f ai t appel à T oby, l e chi en l e pl us
savant du monde t ant son f l air est dével oppé.
3. Un scandal e en Bohêm e (1891)
Le co mt e K r amm, en r éal it é l e r oi de Bohême , vi ent t r ouver Hol mes.
Un scandal e menace sa f ami l l e. Une a vent u r i èr e, Ir ène Adl er , po ssède des
l et tr es d’ amour du mo nar que. Or cel ui -ci va épouser une pri ncesse. Il f aut
que
le
dét ecti ve
r écupèr e
ces
document s
et
sur t out
une
photo
compr o met t ant e. Hol mes, s 'ét ant f ai t r ecevoi r , amène Ir ène par une r use à
r évél er où se t r ouve l a phot o. S 'ét ant r endue compt e qu 'el l e s 'ét ai t t rahi e,
el l e part à l 'ét r ange r avec l a phot o. Mai s el le n'est pl us danger euse
pui squ'el l e ai me un au t r e homme.
4. L’Escarboucl e bl eue (1892)
Pet er son , un commi ssi onnai r e, conf i e à Hol mes l a pi er r e pr écieuse
qu 'i l a tr ouvée dans le j abot d'une oi e abandonnée par un homme qui a
l ai ssé aussi un chapeau. Pour l e vol r écent de cet te escar boucl e bl eue est
accusé un homme qu i cl ame son i nnocence. Du possesseur du chapeau,
Hol mes r e mont e au mar chand d'oi es et t ombe ai nsi sur le vér i t abl e vol eur
335
A nnexes
de l a pier r e qui r acont e comment , apr ès avoi r compr o mi s cel ui qui est
accusé, il l 'a cachée dans une oi e qu'i l a ensui t e per due de vue. Hol mes l e
l i bèr e car l 'accusat i on t ombe et l e vol eur se r epent .
5. Le diadèm e de béryl s (1892)
Un banqui er a r apport é chez l ui un di adème. Or , dans l a nuit , i l a
sur pr i s son f il s en t rai n de t or dr e l e di adème auquel manquai ent t r oi s
bér yl s. Hol mes él uci de l e vol par ti r des empr ei nt es de pas dans l a nei ge
et i nnocent e l e f i ls du banqui er . Le dét ecti ve r appor t e l es t r oi s bér yl s en
expl i quant
que
le
bij ou
a
ét é
vol é
par
une
ni èce,
appar emment
i r r épr ochabl e, qui vi t aussi dans l a mai son et dont le f il s est amour eux.
El l e l 'a passé à son amant que l e f i l s a rat t r apé. Le di adème avai t ét é
br i sé, l 'a mant par t ant avec l es t r oi s bér yl s qu 'i l avai t vendus.
6. L’estropié (1893)
Sher l ock Hol mes et s on a mi Wat son sont invi t és à r ésoudr e l 'én i gme
que pose l e cri me d u col onel J ames Bar cl ay r et r ou vé
mor t , l e vi sage
f r appé d’ horr eur , et Nancy sa f e mme é van oui e. Hol mes r econst i t ue cet te
soi r ée où Nancy a vai t r encont r é son anci en a mour eux, Henr y Wood, qui
avai t ét é t r ahi et mal tr ai t é par J ames au poi nt d'en êt r e r esté “ t ordu” . De
r et our chez el le, el l e par l a à J ames de cett e r encontr e, ce qui pr ovoqua
l 'al t er cat i on. Mai s Henr y qui l 'a vai t sui vi e, ent r a pour l a pr ot éger et , à sa
vue, J ames, f r appé d 'a popl exi e, se blessa en t ombant et Nancy s’ évanoui t .
7. L’interprète grec (1893)
Le f r èr e de Sher l ock Hol me s, M ycr of t , pl us habi l e que l ui mai s
moi ns doué d 'éner gi e, l ui soumet l 'af f ai r e d'un i nt er pr èt e, M. Melas, qui a
ét é enga gé par un cer t ai n Har ol d Lat i mer pour ser vi r d 'i nt er pr èt e ent r e l e
Gr ec Paul Kr at i des et deux Angl ai s qui l es ret i ennent l ui et sa sœur cont re
l eur vol ont é. Sherl ock Hol mes co mpr end qu 'el l e a ét é sédui t e et qu'on
veut f ai r e si gner à son f r èr e l e tr ansf er t de sa f or t une dont i l est l e
cur at eur . Mycr of t ayant appr is gr âce à une annonce où se t r ouve l a
mai son, Sher l ock Ho l mes y pénèt r e, sauv e l 'i nt er pr èt e d'une asphyxi e
336
A nnexes
t andi s que l 'aut r e Gr ec est mor t . Les deux ki dnappeur s par t i s avec l a
Gr ecque s'ent r et uent à Budapest .
8. Le trait é naval (1893)
Per cy Phel ps, un anci en camar ade de Wat son, f onct i onnaire du
« For ei gn Of f i ce », demande l 'ai de de S her l ock Hol mes car on l ui a
subt i li sé un t r ès i mpor t ant document di pl omat i que, un t r ait é naval dont i l
f ai sait l a copi e dans son bur eau dont i l s'ét ai t absent é un mo ment . Il en
est t ombé mal ade et se t r ouve à l a campagne où séj our nent aussi sa
f i ancée et l e fr èr e de cel l e -ci qui l ui a d'ai l l eur s cédé sa chambr e. Co mme
i l va mi eux, i l n'y a pl us de gar de, et i l const at e qu'on a voul u y ent r er .
Hol mes l 'él oi gne, r est e l à et l ui r apport e l e t r ait é : c'est l e f r èr e de l a
f i ancée, avec l equel il a dû se batt r e, qui l 'avai t vol é et di ssi mul é dans l a
chambr e.
9.
Le dernier probl èm e (1893)
Apr ès une sér i e de t ent at i ves de meur t r e cont r e l ui commandi t ée par
l e pr of esseur J ames P . Mor i ar t y, cr i mi nel géni al et machi avél i que, di gne
en t ous poi nt s de se mesur er avec l ui , Hol mes de mande à Wat son de
l 'acco mpa gner en Eur ope j usqu'au démant èl ement de l 'or gani sat i on. Apr ès
de nombr euses pér i pét i es, l es deux ami s att ei gnent Mei r i ngen, en Sui sse.
En haut des chut es de Rei chenbach, cadr e ma gni f i que, gr andi ose et
t er r if i ant , pr opi ce à une f i n dr amat i que, Ho l mes et Mor i ar t y s’ empoi gnent
dans un cor ps à cor ps au t er me duquel i l s r oul ent ensembl e au f ond du
gouf f r e.
10. La boîte en carton (1893)
Une chal eur t orr i de règne sur Londr es. Miss Susan Cushi ng appr end
à Hol mes et Wat son qu’ ell e a
r eçu dans une boî t e deux or eil l es
f r aî chement coupées. Qui est l ’ aut eur de cet t e macabr e plai santer i e ? Un
ét udi ant en médeci ne auquel el l e aur ai t j adi s l oué une chambr e et dont
el l e se ser ai t débar r assée pour mau vai ses mœur s. Hol mes const at e que l es
deux or ei l l es n’ appar ti ennent pas à l a mê m e per sonne et ne peuvent veni r
337
A nnexes
d’ une sal l e de dissect i on. L’ une est une or ei ll e de f emme, l ’ aut r e cel le
d’ un homme. Pour qu oi avoi r adr essé ces vest i ges d’ un cr i me à une
demoi sel l e r angée ? Cel l e -ci a deux sœur s : Mar y et Sarah. N’ y a -t -i l pas
er r eur ? Le paquet n’ét ai t -i l pas pl ut ôt dest i né à Sar ah, qui avai t vécu
chez Mar y? On découvr e que l a pr emi èr e or ei ll e est cel l e de Mar y, qui
avai t épousé st ewar d, J i m Br owner , et l ’ aut r e cell e de son amant , Al ec
Fai r bai r n, que Sa r ah avai t poussé dans l es br as de sa sœur s pour se ven ger
du dédai n de Ji m Br o wner à son égar d. C’ est Br owner qui a t ué l es deux
amant s.
11. Le Chien des Baskerville (1901 -1902)
Sel on une vi ei l le l égende, Si r Hugo Basker vi l l e aur ait assassi né une
j eune f emme d ans l es r ui nes d'un chât eau et aur ai t été at t aqué par l a sui t e
par une cr éat ur e f ér oce, l e " chien des enfer s" . Bien des décenni es pl us
t ar d, l 'uni que hér i t i er des Basker vi l l e, Si r Henr y, est conf r ont é à cet t e
ét r ange mal édi ct i on qui sembl e avoi r de nouveau f ai t son œuvr e : en ef f et ,
l e ser vant des Baskervi l l e, Bar r ymor e a découver t son maî t r e, Sir Char l es,
mor t dans l a l ande avec une de t er r eur figée sur l e vi sage. Le doct eur
Ri char d Mor t i mer , un ami de l a f ami l l e des Basker vi l l es, se r end à
Londr es af i n de r encont r er l e cél èbr e dét ecti ve Sher l ock H ol mes. Il
demande à ce der ni er et à son f i dèl e Watson de veni r avec l ui dans le
Devonshi r e, pour pr ot éger Si r Henr y et él uci der l e myst èr e de l a
mal édi ct i on du chi en des enf er s.
12. Charl es August us Mi lvert on ( 1904)
Le
r oi
des
maî t r es
chant eur s,
Charl es -Au gust e
Mi l ver t on,
est
convoqué par Hol me s. Il possède des l et t r es « i mpr udent es » d’ E va
Br ackwel l . Or cel l e -c i doi t épouser le Co mt e de Dover cour t . Le dét ecti ve
doi t l es r écupér er mai s un accor d ne peut se fai r e
l’ ami abl e. Hol mes
déci de en conséquence, avec l ’ ai de de Watson, de l es cambr i ol er . Mai s,
une f oi s dans la pi èce où l e maî t r e chant eur cache ses document s, Hol mes
et Watson assi st ent au meur t r e de Mi l ver t on par l ’ une de ses vi ct i mes. Il s
s’ enf ui ent apr ès avoi r b r ûl é t ous les papi er s dest i nés di ver s chantages.
338
A nnexes
13. Le pince-n ez en or (1904)
L’ i nspect eur Hopki ns vi ent sol l i ci t er l ’ aide de Hol mes. Il ex pose
l ’ af fai r e qui l ’ amène : l e pr of esseur Coram a achet é une ma i son t r ès
i sol ée. Il y écr i t un li vr e avec l ’ ai de d’ un secr ét ai r e, Wi ll oughby S mi t h .
Ce der ni er est assassiné et l ’ on r et r ouve près de l a vi ct i me un pi nce -ne z.
C’ est à par ti r de cet obj et que Hol mes dédui t le cour s des événement s. Le
pi nce -ne z appar t i ent à une f emme venu e pour vol er Cor am, et qui ,
sur pr i se par l e secr étai r e, l ’ a poi gnar dé. n'ayant pl us son pi nce -nez, s 'est
t r ompée de che mi n et s 'est r et r ouvée dans l a chambr e de Cor a m qui l ’ a
cachée. C’ est en f ait sa f emme, el l e est d’or i gi ne r usse. El l e est r evenue
pour sauver un j eune Russe à l ’ ai de de d ocumen t s que conser vai t son
mar i . El l e se donne l a mor t apr ès avoi r r emi s l es papi er s à Sher l ock
Hol mes.
14. Le Manoir de l ’Abbaye (1904)
L’ i nspect eur Hopki ns appel l e Hol mes au secour s. Il l ’ i nvi t e
le
r ej oi ndre au manoi r d e l ’ Abbaye où si r Eust ace Br ackenst al l , l ’ u n des pl us
r i ches pr opr i ét air es du K ent , a ét é assassi né et son épouse blessée. Cel l e ci r évèl e d’abor d à Hol mes que si r Eust ace ét ait un i vr ogne i nvét ér é. Pui s
el l e l ui r aconte que des vol eur s se sont i ntrodui t s dans l e manoi r , ont vol é
de l ’ ar gent er i e e t bu une bout eil l e de si r Eust ace. C’ est ce détai l qui att i r e
l ’ att ent i on de Hol mes. Les cambr i ol eur s n’ont pas fi ni la bout eil l e. Lady
Br ackenst al l a i nvent é l ’ hi st oi r e du cambr i ol age. En r éal i t é, un ho mme
qui l ’ ai mai t n’ a pu suppor t er qu’ el l e soi t mal t r a i t ée par un mar i i vr ogne.
Hol mes se t r ansf or me en j uge et l’ acquit t e symbol i que ment .
15. La Vallée de la peur (19614-1915)
Hi st oi r e écri t e en deux par t i es : La t ragédi e de Bi rl st one et Les
Écl ai reurs. Une substi t ut i on de cadavr e ( l e vr ai J ohn Dougl as n’ est pas
mor t ) pour échapper à une t er ri bl e vengea nce que f er a r éussi r Mor i art y.
On y voi t , ce qui est r ar e, Sherl ock Hol mes en pr oi e au dout e. On
l ’ i nter r oge à l a f i n : « Êt es - vous sûr que personne ne haussera au
339
A nnexes
ni veau de ce roi des dém ons ?
- Non, j e n’ en sui s pas sûr ! répondi t
H ol m es, dont l es yeux sem bl ai ent déchif frer un aveni r l oi nt ain. Je ne
di s poi nt qu’i l ne peut pas êt re bat t u. Mai s vous devez m e l ai sser du
t em ps ! ». L’af fr ont ement f i nal entr e Holmes et Mor i ar t y aur a l i eu dans
Le derni er probl ème .
16. L’illustre client (1924)
C’ est l ’ hi st oi re d’ une af f ai r e soumi se à Sher l ock Hol mes p ar Si r
J ames Da mer y. El l e concer ne l e bar on Grüner , un Aut r i chi en qui , apr ès
avoi r assassi né sa f emme, s’ est r endu en Angl et er r e où i l a sédui t V i ol et
de Mer vi l le. Il s’ agi t po ur Hol mes d’ empê cher ce mar i age. Mai s Gr üner
pr end l es devant s : Hol mes est vi ct i me d’ u ne t er ri bl e agr essi on. Il en voi e
Wat son chez Gr üner , amat eur de por cel ai ne chi noi se, avec une soucoupe
de l ’ époque Mi ng. Au mo ment où Gr üner s’ appr êt e à démasquer Wat son ,
i l est déf i gur é par une anci enne maî t r esse. Hol mes en pr of i t e pour
s’ empar er du r egi st r e sur l equel Gr üner consi gnai t ses bonnes f or t unes.
Dur e l eçon pour l ’ Autr i chi en.
17. Les trois Garrideb (1924)
Cel a se passe en 1902, Al exandr e Hami l t on Gar r i deb, un homm e t r ès
r i che, ét ait f i er de son no m. Il a l ai ssé un t est ament dans l equel ses bi ens
sont di vi sés en t r ois par t i es : une par ti e r éser vée à un J ohn Garr i deb que
Hol mes connaî t et l es deux aut r es pour deux Gar r i deb que J ohn doit
t r ouver . J ohn en t r ouve un et confi e à Hol mes l e soi n de découvr ir l ’ aut r e.
Mai s pour Hol mes, ce t t e hi st oi r e ne t i ent pas debout . Cer t es un t r oi si ème
Gar r i deb est l ocali sé et l e deuxi ème Gar r i deb par t , bi en que f or t
sédent air e, à sa r encont r e. En r éal it é c’ est un st r at agème mi s au poi n t par
J ohn Gar ri deb, al i as K i ll r er Evans, pour éloi gner son pr ét endu homon yme,
qui ne bouge j amai s d e chez l ui , et y r écupér er une machi ne à f abr i quer de
l a f ausse monnai e. Hol mes l e sai si t en fl agr ant dél it .
340
A nnexes
18. Le m archand de cou leurs retrait é (1926)
J osiah Amber l ey, f abr i cant de pot s de pei nt ur e, s’ est ret ir é, f or t une
f ai t e, à Lewi sham. Mai s sa f emme s’ est enf ui e avec un j eune médeci n et
l es économi es du mé nage. A mber l ey f ai t appel à Hol mes. Que st i on de
cel ui -ci : « Qu’ ave z - vous f ai t des cadavres ? », car Amber l ey a t ué l es
amant s et f ai t appel à Hol mes pour é gar er l es soupçons.
341
Index des
auteurs
Index des auteurs cités
A
Abomo-Maurin, Marie -Rose : 125
Assouline, Pierre : 305
Auden, Wystan Hugh: 288
Aunay, Alfred d': 233
Avi (Edward Irving Wortis) : 107
B
Balzac, Honoré de : 2, 4, 5, 22, 23, 59, 72, 74, 77, 158, 162
Baudelaire, Charles : 36, 62, 63, 160, 176, 212, 237, 238, 299
Baudou, Jacques : 6, 105, 113
Beaumarchais, Pierre-Auguste Caron : 49, 50, 51, 52
Berlière, Jean-Marc : 185, 247, 248
Biggers, Earl Derr : 83
Blanc, Jean-Noël : 28, 29
Boileau, Pierre Louis et Narcejac, Thomas : 25, 26, 31, 45, 66, 67, 113, 177, 184, 185, 209,
210,264, 270
Bonniot, Roger: 32, 76, 105, 129, 185, 195, 230, 236, 263, 270, 278, 279, 301, 314
Borges, Jorge Luis: 205
Bornich, Roger: 269
Bourdier, Jean : 130
Boyer, Alain-Michel: 32
Brown, Charles Brockden: 63
Bryant, William Cullen: 63
Busnach, William-Bertrand: 109
C
Cabau, Jacques : 65, 290
Caillois, Roger : 297
Carlyle, Thomas: 82, 164
Carr, John Dickson: 99
Chabrillat, Henri: 96
Chandler, Raymond Thornton: 68, 317
Chase, James Hadley: 307
Chastaing, Maxime : 278, 279
Christie, Agatha : 69, 83, 307
343
Index des auteurs cités
Cocteau, Jean : 77
Colin, Jean-Paul : 88
Collins, Wilkie: 80
Comt, Auguste: 92
Cooper, James Fenimore: 63
D
Darwin, Charles Robert : 106
Deluy, Henri : 205
Dickens, Charles John Huffam : 63, 228
Dostoïewski, Fedor: 2
Doyle, Arthur Conan: 2, 5, 6, 8, 9, 14, 16, 51, 55, 57, 59, 68, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 86, 87,
94, 95, 96, 97, 98, 99, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 122, 130, 131,132, 133, 134,135,
136, 137, 144, 145, 147, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161,162, 167, 169, 172, 175, 177, 181, 182,
183, 184, 189, 190, 194, 197, 198, 199, 200, 201, 203, 204, 205, 206, 212, 213, 216,218, 219, 225, 229,
230, 231, 232, 244, 245, 246, 248, 251, 252, 254, 255, 256, 257, 268, 269, 275, 276, 285, 286, 287, 290,
291, 292, 293, 303, 304, 305, 306, 307, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316.
Du Boisgobey, Fortuné : 109
Dutourd, Jean Gwenaël : 113
Durantin, Armand : 275
Dubois, Jacques : 2, 24, 25, 37, 44, 86, 87, 100, 102, 103, 211, 216, 225, 283, 284
Dumas, Alexandre : 22, 23, 32, 73, 77, 274, 315
E&F
Eco, Umberto: 113
Eisenzweig, Uri: 88, 139, 287
Eliot, Thomas Stearns: 62, 113
Erman, Michel : 138
Fernandez-Recatala, Denis: 99, 189, 243
Féval, Paul: 23, 73, 129
Fitzgerald, Francis Scott Key: 113
Flaubert, Gustave: 32
Fossaert, Frédéric : 151, 303
Foucault, Paul-Michel: 71
Franklin, Benjamin: 63
Frères Goncourt (Edmond de Goncourt et Jules de Goncourt) : 211
344
Index des auteurs cités
Freud, Sigmund: 112
G
Gaboriau, Émile: 5, 6, 8, 9, 14, 16, 20, 22, 32, 48, 55, 57, 59, 68, 71, 72, 75, 76, 77, 79, 80, 81, 82,
84, 86, 87, 90, 91, 92, 93, 94, 96, 97, 98, 99, 105, 109, 110, 119, 120, 122, 128, 129, 130, 131, 132, 136,
137, 142, 143, 147, 149, 151, 152,153, 154, 155, 158, 161, 162, 165, 166, 169, 172, 174, 177, 178, 185,
188, 192, 193, 195, 196, 197, 209, 214, 218, 225, 233, 238, 239, 240, 241, 242, 243, 245, 247, 248, 249,
250, 251, 253, 255, 261, 262, 263, 264, 268, 269, 270, 278, 279, 280, 284, 295, 296, 297, 301, 302, 310,
311, 312, 313, 314, 315, 316
Gayot, Paul: 113
Gelly, Christophe: 97, 184
Giddey, Ernest : 218
Gide, André: 77
Gillette, William Hooker: 113, 114, 182
Girardin, Émile de : 23
Giraudoux, Hippolyte Jean : 113
Godwin, William: 52, 53, 54
Guillaud, Lauric : 274
Guyaux, André : 299
H
Halévy, Ludovic: 280
Hammett, Dashiell: 68, 317
Hamon, Philippe: 11, 122, 124, 136, 148, 307
Hatvary, George Egon: 107
Hergé: 305
Hocking, Silas: 304
Hoffmann, Ernst Theodor Amadeus: 21
Hugo, Victor: 2, 4, 5, 22, 59, 72, 77, 274, 315
Huxley, Aldous: 62
I&J
Irving, Washington: 63
Iser, Wolfgang : 169
Johnson, Samuel : 291, 292
Jolles, André : 45
Jouve, Vincent : 11, 84, 121, 122, 124, 146, 169, 219, 220, 221
345
Index des auteurs cités
K
Kalifa, Dominique : 273, 274, 280, 281
Kessel, Joseph : 77
King, Stephen: 68
Knox, Ronald Arbuthnott: 113
L
Lacassin, Francis: 27, 55, 126, 127, 132, 150, 179, 180, 181, 187, 227, 233, 245, 248, 252, 257, 265,
290
Lavater, Johann Kaspar: 127, 128, 152, 153
Le Fanu, Joseph Sheridan: 67
Leblanc, Maurice : 76, 112, 305, 316, 281
Lebrun, Michel : 23
Lecaye, Alexis : 113
Leroux, Armand: 77
Leroux, Gaston: 43, 83, 235, 236, 303
Level, Maurice: 273
Lewis, Matthew Gregory: 20
Lits, Marc: 30, 36, 45, 46, 86
Lovecraft, Howard Phillips: 68
Lovelock, Frank: 108
M
Mandel, Ernest : 25
Marchal, Bertrand : 299, 327
Marlowe, Stephen : 107
Massol, Chantal : 51
Mauriac, François : 307
Meilhac, Henry : 280
Meyer-Bolzinger, Dominique : 112, 178, 268
Messac, Régis : 19, 43, 51, 52, 54, 55, 77, 90, 91, 92, 96, 97, 119, 120, 227, 229, 260, 263, 311
Mill, John Stuart : 106
Moatti, Christiane : 307
Morley, Christopher : 131
Morvan, Jean-David : 108
346
Index des auteurs cités
N&O
Naugrette, Jean-Pierre : 293
Niceforo, Alfredo : 263
Nordon, Pierre : 78, 113, 115, 175, 190, 233, 264, 291, 292, 294, 306, 323
O’brien, Geoffrey: 207
Orwell, George: 78
Ovide: 18
P
Pinque, Meryl: 204, 207, 252, 287, 291, 303, 306
Ponson du Terrail, Pierre Alexis : 23
Pourcell, Edgar : 109
Proust, Marcel : 307
Pittin-Hédon, Marie-Odile : 11
Poe, Edgar Allan : 5, 6, 8, 9, 14, 16, 22, 25, 26, 27, 32, 33, 34, 36, 55, 57, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65,
66, 67, 67, 68, 69, 70, 74, 75, 77, 80, 81, 82, 84, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 93, 94, 97, 98, 99, 104, 105, 107,
108, 119, 120, 122, 126, 127, 128, 131, 132, 136, 137, 139, 140, 141, 142, 147, 149, 150, 151, 162, 163,
164, 169, 172, 174, 179, 180, 181,186, 187, 191, 192, 201, 202, 203, 204, 209, 210, 211, 212, 218, 219,
225, 226, 227, 228, 234, 236, 237, 243, 247, 248, 259, 260, 261, 263, 264, 268, 269, 274, 275, 276, 282,
290, 291, 292, 297, 298, 299, 300, 310, 311, 304, 313, 314, 315, 316
Prévost, Maxime : 308
Q&R
Queen, Ellery : 82
Radcliffe, Ann : 20
Ray, Jean : 112
Reouven, René : 113
Reuter, Yves : 151, 218, 303
Richard, Claude: 67, 69
S
S.S. Van Dine: 82, 113
Saint-Joanis, Thierry: 81, 134, 135
Sayers, Dorothy Leigh: 83
Schléret, Jean-Jacques :6, 105
Scott, Walter: 63, 67, 81, 204
347
Index des auteurs cités
Seele, Wilhelm: 20
Shakespeare, William: 80, 175, 291
Shaw, George Bernard: 113
Simenon, Georges: 83, 305, 317
Simmel, Georg: 180
Sophocle: 19, 43
Soulié, Frédéric: 23, 32, 73
Springer, Nancy: 112, 113
Stoker, Bram: 303
Stout, Rex Todhunter: 83
Sue, Eugène : 4, 22, 23, 73
Swedenborg, Emanuel: 64
T, V & W
Todorov, Tzvetan: 35
Topin, Marius Jean François : 74, 263
Valéry, Paul : 10, 67
Verne, Jules : 202, 203
Vidocq, Eugène-François : 4, 5, 22, 54, 55, 59, 71, 72, 74, 127, 128, 130, 142, 242, 249, 274
Voltaire : 19, 20, 48, 51, 127
Voragine, Jacques de : 18
Walpole, Horace : 20
Wodehouse, Pelham Grenville: 113
348
Table des matières
Introduction…………………………………………………………………………………………….
Première Partie : Genèse et naissance……………………………………………………………
Chapitre I : Aux origines du genre et du personnage policier……………………………………
I.
Les origines du genre : Approche synthétique et historique……………………………
1.
Les origines littéraires…………………………………………………………………...
1.1. La littérature d’énigme………………………………………………………………
1.2. La tragédie grecque………………………………………………………………….
1.3. Le Zadig de Voltaire…………………………………………………………............
1.4. Le roman gothique…………………………………………………………………...
1.5. Chroniques du crime…………………………………………………………...........
1.6. E.T.A. Hoffman………………………………………………………………............
1.7. Les Mémoires de Vidocq……………………………………………………...........
1.8. Le roman-feuilleton………………………………………………………………….
2.
Circonstances de la naissance…………………………………………………….........
2.1. Un genre attestant une évolution sociale………………………………………….
2.2. Un genre urbain………………………………………………………………...........
2.3. Policier et criminel…………………………………………………………………...
2.4. La presse……………………………………………………………………………..
2.5. L’enquête policière…………………………………………………………………..
II- Le genre policier : essai de définition………………………………………………………
III- Les prototypes du personnage du détective………………………………………….........
1.
Œdipe déchiffreur de signes……………………………………………………………
2.
Le subtil Zadig…………………………………………………………………………...
3.
Beaumarchais et sa Gaieté……………………………………………………….............
01
15
17
18
18
18
19
19
20
21
21
22
23
24
24
27
30
31
33
35
40
41
47
49
349
4.
Caleb Williams…………………………………………………………………………...
5.
Vidocq……………………………………………………………………………..............
Chapitre II : Premiers créateurs et premiers héros….…………………………………………….
I- Premiers créateurs…………………………………………………………………………….
1.
Poe ou l’image du père…………………………………………………………………..
1.1. Contextes…………………………………………………………………….................
1.1.1. L’Amérique d’Edgar Allan Poe………………………………………………
a) Jeunesse d’une nation démocratique……………………………………….
b) décrépitude d’une société coloniale……………………………………..
1.1.2. Une littérature américaine…………………………………………………….
a)
Poe et la tradition littéraire américaine……………………………………
b) Les formes littéraires à la mode…………………………………………….
1.2. Carrière policière………………………………………………………………............
2.
Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier……………………………………
2.1. Contextes……………………………………………………………………………….
2.1.1. La littérature « judiciaire »……………………………………………………
2.1.2. La thématique policière des romans-feuilletons……………………………
2.2. Biographie et carrière………………………………………………………………….
3.
Sir Arthur Conan Doyle et le mythe holmésien………………………………………..
3.1. Contextes………………………………………………………………………………..
3.1.1. Contexte social…………………………………………………………………
3.1.2. Contexte littéraire……………………………………………………………...
3.2. Biographie et carrière………………………………………………………………….
II- Construction de l’intrigue policière chez les trois auteurs………………………………..
1.
L’intrigue poesque……………………………………………………………………….
2.
L’intrigue chez Gaboriau……………………………………………………………….
52
54
58
59
60
60
60
60
61
62
62
64
65
71
71
71
73
74
78
78
78
79
80
86
87
90
350
3.
L’intrigue doylienne……………………………………………………………………..
III- Premiers héros-détectives……………………………………………………………………
1.
Autour du personnage du détective…………………………………………………….
2.
Les trois détectives………………………………………………………………………
2.1. Le chevalier Auguste Dupin…………………………………………………………
2.2. Monsieur Lecoq………………………………………………………………………..
2.3. Sherlock Holmes……………………………………………………………………….
3.
Les trois héros : une notoriété durable………………………………………………..
3.1. Le chevalier Auguste Dupin…………………………………………………………
3.2. Monsieur Lecoq ………………………………………………………………………..
3.3. Sherlock Holmes……………………………………………………………………….
Deuxième Partie : Le portrait comme système de signification………………………………….
Chapitre I : Des portraits physiques parlants………………………………………………………...
I- Du détail identitaire et biographique du héros-détective………………………………….
4.
Détail identitaire………………………………………………………………………..
1.1. Le DUPIN de Poe : un Dupont de tous ?...............................................................
1.2. Le cocorico de LECOQ……………………………………………………………..
1.3. SHERLOCK ou « cher Lecoq »………………………………………………...
2.
Biographies entre fiction et réalité……………………………………………………
2.1. La chevalerie Dupin………………………………………………………………
2.2. Lecoq le bourgeois…………………………………………………………………
2.3. Holmes l’aristocrate………………………………………………………………..
II-L’apparence : un code descriptif…………………………………………………………….
1.
Une apparence dissimulée…………………………………………………………….
2.
Une apparence stylisée………………………………………………………………...
3.
Une apparence populaire……………………………………………………………...
94
88
101
104
104
105
106
107
107
109
110
121
123
124
124
126
128
130
138
139
142
144
148
149
151
154
351
4.
Compléments de portraits…………………………………………………………….
4.1. L’habit et l’accessoire ……………………………………………………………...
4.2. Habitudes alimentaires…………………………………………………………….
4.3. Des Habitats allégoriques………………………………………………………….
4.3.1. L’habitat isolé………………………………………………………………..
4.3.2. L’habitat sécurisé……………………………………………………………
4.3.3. L’habitat bourgeois…………………………………………………………
Chapitre II : Des portraits moraux atypiques………………………………………………………...
1. Le profil intellectuel……………………………………………………………...
2.
3.
Bizarreries………………………………………………………………………………
2.1.
Le détective noctambule ………………………………………………………...
2.2.
L’extrême excentricité …………………………………………………………
2.3.
Le policier type………………………………………………………………….
Des détectives vaniteux, arrogants et comédiens………………………………….
3.1.
Un certain goût pour la mise en scène………………………………………..
3.2. Rivalité, critique et moquerie…………………………………………………….
3.3. Un talent source d'orgueil et de vanité…………………………………………
4.
Relations sociales et états émotionnels……………………………………………….
4.1. Misanthropie et asociabilité……………………………………………………...
4.2. Un univers misogyne……………………………………………………………..
4.3. Seraient-ils sensibles?..............................................................................................
Troisième Partie : une nouvelle typologie de l'héroïsme……………………………………….
Chapitre I: Des enquêteurs hors du commun………………………………………………………
I- L'art de la logique et de la déduction……………………………………………………….
1.
Lire dans les pensées…………………………………………………………………
2.
Lire dans les objets……………………………………………………………………..
158
158
161
162
163
165
167
171
174
179
179
181
185
186
186
191
195
201
202
205
210
222
224
226
226
230
352
II- Des enquêteurs entre raisonnement et terrain…………………………………………….
1.
Le détective sédentaire………………………………………………………………...
2.
Le détective de terrain…………………………………………………………………
3.
Le maître détective…………………………………………………………………….
III- Autres procédés d'enquête…………………………………………………………………..
1.
Des caméléons humains……………………………………………………………….
2.
S'identifier au criminel…………………………………………………………………
3.
Le goût du secret……………………………………………………………………….
IV- Des héros-détectives face à la science………………………………………………………
Chapitre II: Des personnages aux statuts spécifiques………………………………………………
I- Statut professionnel ……………………………………………………………………….
1.
Le détective officieux…………………………………………………………………..
2.
Le policier officiel………………………………………………………………………
II- L'enquêteur: détective et/ou justicier………………………………………………………
1.
Le «rétablisseur» de vérité…………………………………………………………….
2.
Le justicier……………………………………………………………………………….
3.
Le détective-justicier…………………………………………………………………...
III- Le tandem détective/assistant……………………………………………………………
IV- Le rapport créateur / créature………………………………………………………………
1.
Le personnage rêvé……………………………………………………………………
2.
Le personnage porteur de la pensée de l'auteur…………………………………….
3.
Quand la créature échappe au créateur……………………………………………...
Conclusion…………………………………………………………………………………………….
Bibliographie…………………………………………………………………………………………....
Jk Annexes………………………………………………………………………………………………....
Index des auteurs……………………………………………………………………………………..
234
234
238
244
249
249
253
256
259
272
273
273
278
282
282
283
284
290
297
298
301
303
309
318
330
342
353
:‫ملّخص‬
‫ اميل غابوريو و آرثر كونان دويل مدينة إلى أبطال‬،‫ليس من شك ان شهرة و مجد كل من الكاتب إدغار آالن بو‬
‫ ذوي موهبة استثنائية في‬،‫ نوابغ في االستنباط‬.‫رواتهم اللذين ال زالوا يسحرون إلى أيامنا هذه جزءا من القراء ال يستهان به‬
‫ تلك هي المظاهر الخاصة العالقة برجال التحري‬،‫ مع شيء من الغرابة‬،‫ مع لباقة جد ثابتة‬،‫ و كذا دقة تقارب اله وس‬،‫المالحظة‬
.‫الثالث‬
‫ السيد لوكوك و شارلوك‬،‫ أوغست دوبان‬:‫إن العمل الذي نحن بصدده يخص دراسة متوازية بين األبطال الثالثة‬
، ‫ عن طريق فحص الروابط بين هذه األشخاص متشابهة كانت أو متفرقة‬.‫ كل منهم يحمل شارة تكشف عن سمة خالقه‬،‫هولمز‬
‫فإن الهدف من دراستنا هذه يكمن في رفع النقاب عن المساهمات الخاصة بكل كاتب في خلق شخصية التحري عبر االدب‬
.‫ألبوليسي و بالتالي في خلق النوع البوليسي نفسه‬
.‫ النوع البوليسي – دوبان – لوكوك – هولمز – بطل –تحري – دراسة مقارنة‬: ‫كـلـمـات مفتاحيه‬
Abstract:
Edgar Allan Poe, Emile Gaboriau and Arthur Conan Doyle owe great part of their glory to
their hero detectives who, till nowadays, are charming a large number of readers. Their profile
can be described as follows: they are geniuses of deduction, endowed with an exceptional gift of
observation, with a fussiness- like- attention to detail, courteous and strict to the extreme, but
extravagant and funny.
The present research work, therefore, draws a parallel between the chevalier Auguste
Dupin, Monsieur Lecoq and Sherlock Holmes, three hero detectives, each one carrying the
personal print of his creator. When examining either what brings them together or what separates
them, our research objective is to shed light on the original contribution of each author to the
creation of the detective character in the detective literature, indeed, their contribution to the
creation of the detective genre.
Key words: detective genre – Dupin – Lecoq – Holmes – hero – detectives – comparative study.
Résumé:
Edgar Allan Poe, Émile Gaboriau et Arthur Conan Doyle doivent une très grande partie de
leur gloire à leurs héros-détectives qui continuent à séduire, jusqu’à nos jours, un large lectorat.
Génies de la déduction, doués d’un don d’observation exceptionnel, d’une minutie frisant la
maniaquerie, courtois et rigoureux à l’extrême, mais extravagants et pleins de bizarreries : tel est
le profil de nos trois détectives.
Le présent travail met donc en parallèle le chevalier Auguste Dupin, Monsieur Lecoq et
Sherlock Holmes, trois héros-détectives portant chacun la marque personnelle de son créateur.
En examinant les liens qui unissent ou séparent ces personnages, notre objectif de recherche
consiste à mettre en lumière l’apport original de chaque auteur à la création du personnage du
détective dans la littérature policière, voire son apport à la création du genre policier.
Mots clés : genre policier - Dupin – Lecoq – Holmes – héros – détectives – étude comparative
Abstract:
Thèse en vue de l 'o bt ent i on du D oct orat
Spécialité :
Scien ces des textes l ittéraires
Résumé de la thèse
Travai l présent é par : Fat i ma BRA H MI
- A nnée uni ver si t aire 201 2- 2013-
Résumé de la thèse
Le genre polici er puise sa séduction dans le personnage de
l’enquêt eur. Pour que l’histoi re polici ère soit réussi e, l’enquête s e
doit d’êt re judi cieusement m enée, par la seule ri gueur de la logique.
Or, cett e en quêt e doit se faire le réceptacl e de t oute l a puissance
intellectuell e de l ’enquêt eur. C eci est parti culièrem ent vrai dans la
form e traditionnelle et classique du genre où l e personnage central
est en position d’investi gat eur. Il n’est pas un sim ple person nage, il
est un être puissant et une têt e pensante qui fait avancer l’enquête, et
par là mêm e l e roman ;
par l a seule force de sa réflexion.
L’enquêt eur du rom an polici er cl assique nous paraît, ph ysi quement
aussi bien que ment alem ent, doté de signes distin cti fs qui le rendent
crédible. Il est, de ce fait, presque un êt re réel.
Le personnage du détective occupe une place import ante dans la
form e et l e contenu de l’histoire poli cière classique, et bénéfici e
d'une att ention part iculière de l'aut eur. C’est à p artir de Double
Assassinat dans la rue Morgue , qu’il devient l 'élém ent pri ncipal et
ori ginal de l 'histoire du crime ; une place auparavant occupée par l e
personnage du crim inel. Il est di ffi cil e de décrire exact ement le
statut littérai re du héros -détective , car il n’a pas d’équivalent ni
d’homologue dans tout autre genre de fiction. Plus que cela , il
représent e dans l a plupart des cas l 'expression de la personnalité de
l'auteur lui -mêm e ai nsi que l a reproducti on de ses idées.
Le détective, héros du genre p olici er, se démarque de cel ui du
« héros justici er », qui constituait une des fi gures cl efs du roman
populai re (L es Misérables de Vi ctor Hugo, Les Mystères de Paris
d’Eugène Sue). C e derni er ét ait personnellem ent impliqué dans l e
dram e et luttait cont re un adversai re présent jusqu’à ce que l ’ordre de
la justice soit rétabl i, au nom du Bien. Le détective est un expert de
la technique d’enquête. Il est extéri eur au dram e et porte un regard
lucide et distancié sur les événements. La police d’Ét at a certes
fourni des noms illustres, qui appartiennent à la vi e et à l’Hi stoire, et
dont la litt érature s’est parfois emparée. Le personnage étonnant de
Vidocq, ancien bagnard devenu chef de la Sûret é à P aris (mais qui
avait aussi créé sa police parall èle), a connu Bal zac, qui l’a
immortalisé sous l e nom de Vautrin 404, et Victor Hugo qui s’en est
souvenu aussi bien pour Javert que pour Jean Valj ean 405. Mais le
détective amateur qui résout touj ours l es éni gmes l es plus complexes
est une création de l a fiction, et Poe en est l’incontest able i nitiateur.
J usqu’à nos j ours, il est possi ble d’observer son influence.
Le héros -détective comme nouveau personnage surgissant au
XIX e si ècl e, est devenu la plus grande fi gure m arquant e de l a
littérat ure policière. C’est le héros infaillib le celui qui voi t par le
raisonnem ent ce que les aut res ne devi nent pas, le sauveur sur qui
tous les espoi rs se fondent . Dans l a présente étude, nous avons jet é
notre dévolu sur le chevali er August e Dupin, Monsi eur Lecoq et
Sherlock
Holmes,
trois
héros -dét ectives,
qui
seront
décrits,
interrogés, anal ysés et comparés. En un mot, ils seront scrutés à la
loupe à t ravers trois expériences de créat ion : Edgar Allan Poe, Émil e
Gaboriau, Arthur Conan Do yle.
La motivation qui nous a conduite au choix du sujet, relè ve tout
d’abord d’un intérêt personnel, provenant de l’att rait qu’exerce sur
nous l e roman poli cier. Le suspens qui nous t enait en halei ne, l e j eu
intellectuel, not re goût pour l e m yst ère et la détection policière sont
autant de fact eurs qui se sont emparé s de notre goût, en tant que
404
Balzac, lecteur de Vidocq, le rencontra à de multiples occasions et s’en inspira pour créer le
personnage de Vautrin qu’on retrouve dans Le père Goriot, dans Les illusions perdues et dans
Splendeurs et misères des courtisanes.
405
Par sa connaissance de Vidocq en 1849 au moment de la rédaction des Misérables, Hugo le
dédouble à travers les personnages antagonistes de Jean Valjean, ancien bagnard, et du policier
Javert.
lectri ce admiratrice des aventures de Sherlock Holm es. C et intérêt est
égal ement li é à la présentation d’un m émoire de magist ère, a yant été
soutenu en 2007. Dans ce travail qui traitait de la morali té et de
l’immoralit é dans le roman poli cier chez Émile Gabori au, nous avons
été am enée à m ettre en évi dence, avec i llustration à l’appui , le fait
que l e genre poli cier jouit de droit de cité dans l es universités les
plus réputées, en égard à bon nombre d’études académiques.
Si le cho ix du genre polici er ét ait guidé par une motivation
personnell e,
celui
des
personnages
relève
plutôt
d’un
intérêt
scienti fique. En effet, C’est à Edgar Allan Poe que l ’on doit la
création du personnage de l’enquêteur, le chevalier August e Dupin,
un pur pro duit du rationalisme sci enti fique et positiviste dont le
créat eur fut, en son temps, l ’un des plus fervents apologi stes. Sur l es
traces de l’écrivain américain et de son enquêt eur, Émil e Gabori au,
feuill etoniste français, parvi ent à dével opper la formul e i naugurée
vingt ans plus tôt par Poe, en transposant le récit d’éni gme au cadre
romanesque. Contrairement au personnage de Poe, Monsieur Lecoq,
l’enquêt eur mis en scène par Gabori au est poli cier et devi ent, de ce
fait,
le
« premi er
policier
p rofessi onnel
de
l’histoi re
de
la
littérature policière » 406. Dans la continuité de ces deux premiers
pas, un troisi ème s’accomplit ; sans en avoir ét é l’insti gat eur, Arthur
Conan Do yl e porte le t ype du détect ive am ateur surdoué à son
apogée. Véritabl e m ythe, son inoubliabl e Sherl ock Holmes devient
plus célèbre que son créat eur.
Ainsi, Poe, Gaboriau et Do yl e doivent une t rès grande part ie de
leur gloi re à leurs héros -dét ectives qui continuent à sédui re, jusqu’à
nos jours, un large l ectorat. Géni es de l a déduction, doués d’u n don
d’observation exceptionnel, d’une minutie frisant la m aniaquerie,
406
J. Baudou, J-J. Schléret (dir.), Le Polar, Larousse, Collection « Guide Totem », Paris, 2001, p. 214.
courtoi s et ri goureux à l’extrêm e, mais extravagants et pleins de
bizarreri es : t el est le profil de nos dét ectives.
Depuis la création des fi gures du chevalier Dupin, de Monsieur
Lecoq et de Sherlock Holm es, l es personnages de dét ectives se sont
multipliés dans la littérat ure poli cière. Nos dét ectives ne cesseront
de projet er leur om bre sur leurs émules, a yant droit à une l ongue et
brillant e li gnée de disciples : Arsène Lupin(1905), le père Brown
(1910), Roul etabill e (1907), Hercule P oirot (1920),
Miss Marpl e
(1930), Jules Maigret (1931), etc.,
pour ne citer que ceux -là.
trois
fait
détectives
adapt ations :
ont
égalem ent
lit téraires,
l’objet
théâtrales,
de
Les
nombreuses
tél évisuelles
et
ciném atographi ques.
Dupin, Lecoq et Hol mes appartiennent à la période fondat ri ce du
genre poli cier, c'est -à-dire approximativement l es six derni ères
décenni es du X IX e et le début du XX e si ècl e. C’est en effet l’époque
de la naissance et de l’évolution l a plus signi ficative non seulem ent
du genre mais surt out du personnage policier, que nous comptons
anal yser au cours de notre travail. De pl us, s’impose une dél imitation
d’un champ d’études qui serait devenu trop vaste : depuis le XXe
siècl e, s’est amorcé e une évolution dont on n’est pas à même de
percevoir l ’aboutissement, à l ’heure où nous écrivons ces li gnes.
La probl émati que principal e de not re recherche quant à elle est de
comprendre comm ent nos troi s héros -dét ectives avai ent pu m arquer le
genre poli cier, tout en restant distinct s. Nous voudrons égalem ent
saisir en quoi réside l’ori ginalit é de chacun de leurs créateurs, et si
ces derni ers ent reti ennent des rapports d’influence, d’inspiration,
d’emprunt voire d’i mitation les uns avec les aut res.
La résolution de notre problém atique consiste à répondre en
amont aux interrogations suivantes :
Comment nos auteurs imposent -ils l 'image de l eurs héros,
quelle fonction est attribuée à ces derni ers et quelles sont l es val eurs
dont ils sont l es supports ?
Quelles stratégi es déploient nos auteurs pour doter leurs
personnages d’une épaisseur humaine, et leur donnant l’illusion de l a
vie ? En d’aut res termes comm ent ces héros -dét ectives ont pu
dépasser le cadre fi ctionnel, et exister en dehors des textes comme
des êtres agi ssant et vivant dans un monde réel?
L’aut eur polici er ne met j amais fin à la vi e de son héros
dans l’hist oire, il est invulnérabl e, il revient à chaque production
avec les mêm es trait s de caractère et l es mêmes qualit és et défauts, s i
toutefois nous consi dérons ce héros comme une personne réell e. Or,
cett e
invulnérabilit é
est -ell e
exaspérante
d’invraisembl ance,
et
conditionne-t -ell e, par l à, l ’identifi cation du l ect eur au héros, ou au
contraire, l e héros i nvulnérabl e rassure -t-il un lect eur rendu inquiet
par l e crim e et l e cri minel ?
Au-delà d’un siècl e et demi, l e plaisir procuré par la
lecture des aventures poli cières de nos héros -dét ectives, demeure
intact.
Qu’est -ce
qui
suscit e
donc
un
tel
engouement toujours
renouvel é? En qu oi réside leur ori ginalité qui ne cesse de nous
interpeller et de nous sédui re ?
Le présent travail m et en parallèl e Dupi n, Lecoq et Holm es, trois
héros -détectives
portant
chacun
la
marque
créat eur. En exami nant les liens qui
personnell e
de
son
unissent o u séparent ces
personnages, not re objecti f de recherche consist e à mett re en lumière
l’apport ori ginal de chaque aut eur à l a création du personnage du
détective dans la lit térature polici ère, voire son apport à la création
du genre polici er.
Pour
le
corpus
si gnalons
que
le
héros
récurrent
est
une
composante constant e de l ’écriture de P oe, de Gabori au et de Do yle.
Cela rel ève d’un choix éditorial qui perm et de fidéliser l e lecteur qui
aime ret rouver son héros familier, sui vre ses aventures et pénétrer sa
vie. Nos aut eurs ont fait évoluer leurs personnages, au cours de leurs
différents écrits poli ciers, personnages qui ne sont donc pas invent és
d’un bloc, m ais construits au fil des récit s.
Dans cett e perspecti ve, not re étude suppose avant tout, un corpus
riche tant quantitati vement que qualit ati vement . Il s'agira pour nous ,
de parti ciper à une lisibilité plus claire et plus pointue par la
comparaison des personnages dans les œuvres choisi es. À cett e fin,
nous avons examiné pendant deux années de lecture tous le s écrits
policiers des t rois auteurs. La t âche a ét é d’abord, relativem ent aisée
pour August e Dupi n puisqu’il ne fi gure que dans trois nouvell es,
moins facil e, ensuit e, pour Monsi eur Lecoq qui apparaît dans cinq
romans, enfin di ffi cile voi re ardue pour She rlock Holm es, héros
de quatre romans et cinquante -six nouvel les .
Devant donc délimit er not re corpus, la sélection s’est organisée
autour d’un
trait majeur: repérer ce qui réunit ou sépare l es trois
personnages s el on un filtre sémi ologique concernant leur être, leur
savoir, leur faire et leur hi érarchi e. Nous avons procédé par une pré anal yse, cell e de repérer les passages spécifiques où s'élabore l e
personnage.
Nous
avons
ai nsi
distingué
deux
processus
de
composition: les processus cumulati fs par lesquels l 'aut eur transmet
de nouvell es informations qui complèt ent ou modifient le personnage
et
les processus de répétition ou de renvoi par lesquels l’aut eur
rappelle ce qu’est l e personnage, ce qu’il sait, ce qu’il fait. Nous
nous somm es donc i ntéressée aux pr emi ers processus et n’avons ainsi
sélectionné que les écrits cont enant du nouveau sur nos personnages.
Le présent t ravail va s’appu yer sur un corpus composé des trois
nouvell es d’Edgar Allan Poe, de t rois romans d’Émile Gaboriau et de
trois rom ans et qui nz e nouvelles d’Art hur Conan Do yl e. Il
nous a
semblé excessif d'i ntégrer d’autres écrits à un corpus qui est déjà
important; nous nous sommes néanmoi ns servie de certains extrait s
de ces écrits – extérieurs donc au corpus - pour enri chi r et combler
des zones d’ombre de notre anal yse.
Pour ce qui est de la méthodologi e de notre recherche, il faut dire
qu’anal yser l e personnage du détective est une entrepri se tent ante
bien que délicate à condui re, car l ’opération peut être abordée de
bien des mani ères. Pour r est er dans l’objecti f fixé dès l’intitulé de
cett e thèse qui se veut com paratist e, il serait possibl e de mieux le
réaliser en confront ant les trois personnages à des niveaux différents
de leur const ruction. L’identité, les portraits, les actions, les parol es,
les rapports avec l es autres personnages ainsi qu’avec l es créat eurs ,
sont aut ant d’él éments pertinents pour notre anal yse.
Notre
étude
com parative
comporte
différentes
approches
complém ent aires, qui paraissent êt re en accord avec
l ’objectif
principal de cett e recherche.
La sémiologi e en tant que procédé de décr ypt age des si gnes, nous
fera prêter une attention parti culière au signi fiant du personnage.
Nous nous inspi rerons donc des travaux de
propose
trois
champs
d'anal yse :
Philippe Hamon qui
« l’êt re »,
« le
fai re »
et
« l 'im port ance hiérarchique » du personnage. En revanche, nous ne
pouvons nous ranger à l ’avis de Ham on, quand il propose de ne
considérer l e personnag e que comm e un être de papier, dont le seul
rôle est de remplir une fonction textuell e. Hamon s’en prend à l’idée
de l’illusion romanesque qui prend le personnage pour un être réel , il
affi rme, en citant
Paul
Valér y,
qu’il
s’agit
de
« superstitions
littérai res ». Certes, la sémiologi e nous sera d'un apport inestimable,
mais une approche du personnage uniquement à textuell e serait de
façon
absolue
difficilement
tenabl e,
dans
la
m esure
où
tout
personnage se crée et évolue en référence à un monde extérieur ou à
une réalité.
Le cont exte textuel s’insère dans une di mension plus l arge, cell e
de l’époque, de l a sociét é, de l’Histoire et de la culture. S ans oublier
que l a const ructi on d’un personnage dépend égal ement du lecteur
(auquel nous nous i dentifions) qui l e met en rapport avec ses propres
expériences réell es. Vincent Jouve propose de poser la question
« qu’est-ce que le personnage pou r le lecteu r ?». Le t héori cien
réhabilite ainsi une approche qui prend en compt e le hors -t exte, qui
est à la fois l e lieu d’un e expérience de lecture et l e monde auquel le
personnage réfère. Par conséquent, chaque trait, ph ysique, moral ou
ps ychologique, chaque comportem ent ou parole, qui dans le réel
rendrait une personne s ympat hique ou antipathique, aurait, dans
l’univers rom an esque, le même effet pour le lect eur. C’est dans cett e
perspective que l e rapport « personnage/ personne » aura toute s a
valeur, et rend possi ble une diversit é d’anal yses.
Le rom an polici er évoque un monde particulier, mais il révèl e
aussi, m ême si c’est d e façon indirecte,
le contexte général dans
lequel l’œuvre a ét é conçue et écrit e, contexte transposé dans le t exte
avec plus ou moins de précision, plus ou moins d’omissions ou de
fluctuations quand ce ne sont pas des altérations. Les contextes
socio-historique et culturel se reconnaissent inévitabl ement dans
celui de l’i ntri gue policière,
aidant à saisir l a quotidi ennet é et l es
personnages qui l a composent. C ’est surtout par l e regard spéci fique
et filtrant de l’enquêteur que le monde est présenté au le ct eur. Il faut
donc s’int éresser de près à ce personnage qui mène l’enquête, qui
révèle autrement et à sa mani ère la sociét é, en en proposant un
tableau parti culier. Il conviendra donc de faire appel à une approche
multidisciplinaire, ressembl ant de très près à cell e dont on se sert
pour anal yser l’êt re réel. Une approche où se croisent lit térature,
sociologi e, histoi re, psychologie et philosophie.
En
s’i nscrivant
dans
le
l’intertextualité va à son tour
sill age
de
l’étude
comparative,
nous m ener à une comparaison plus
approfondie de nos personnages. C’est une approche qui m et à notre
disposition les out ils qui motivent tout chercheur intéressé par
l’étude des écrits policiers, not amment les invariants du genre
(personnages, éni gme, enquête, …), perm etta nt entre autres, le
repérage des stéréot ypes, l ’emprunt, l es écarts ou les pasti ches. Le
personnage intertex tuel met en j eu deux concepts distincts: « le
retour
du
personnage »
et
« l’i denti té
trans -universell e » 407.
Le
premi er concept concerne l es personnag es qui revi ennent dans les
productions d’un m ême aut eur, alors que le deuxièm e repose sur une
base d’emprunt ext éri eure et plus large. Ces deux concepts vont
condui re l’évolution de notre recherche puisque, d’une part, notre
corpus s’inscrit dans le t ype s éri el, mettant en scène des héros
récurrents, d’aut re part, apporter une réponse à l a problém atique des
rapports que peuvent entretenir nos trois personnages entre eux.
Les di fférent es approches que nous proposons constitueront donc
au fondem ent de notre é tude comparati ve des trois héros -détectives .
Enfin, nous proposons étude conçue de manière t ripartite, s’articulant
comme suit :
Dans un premi er chapitre de la premi ère partie intitul ée « Aux
origines du gen re et du personnage pol icier », nous avons démont ré
que le genre policier n’est pas un genre surgi du néant , nous avons
voulu mieux situer sa place et montrer son importance dans l’histoire
de la littérature. Le s étapes de sa naissance seront en effet le cadre
d’un cheminement aboutissant à l ’éclosion d’ un Chevali er Dupin,
407
Cité par Marie-Odile Pittin-Hédon, Alasdair Gray: marges et effets de miroirs, Ellug, Paris, 2004,
p.324.
d’un Monsi eur Lecoq et d’un Sherlock Holmes . Nous somm es passée
à l’étude des
prototyp es du personnage de d étective , où, nous
avons const até que le personnage du détective plonge ses racines
assez profondém ent dans l’Histoire, parce qu ’il est lié au besoin
d’élucidation d’une situation trouble. Certes, les premi ères traces
d’investi gation que l’on déterre, chez les protot ypes étudiés, sont
fort rudim ent aires, mais elles dénotent un cert ain souci de mise en
échec d’une situati on anorm ale , d’élucidation de m yst ères et les
méthodes emplo yées alors sont assez proches de cell es que l’on
rencont rera dans l e récit polici er naissant du XIXe siècle : recherches
d’indices, déductions, affi rmation d’une culpabilité en vue du
châtim ent du coupable.
Nous avons donc conclu qu’on ét ait encore
loin du détective m ondain, él égant et raffi né. Les créateurs de ces
protot ypes que nous avons cit é, n’ont pu ni mett re clai rement en
lumière le rôl e prépondérant que l es raisonnement s inductif et
déductif
pouvai en t
jouer
dans
l eurs
histoires,
ni
en
réserver
exclusivem ent l’usage à leurs personnages.
Dans l e second chapitre de cette m ême partie,
nous avons
présent é « l es premi ers créateurs », en apportant un éclai rage, peut être pas di fférent de celui apport é par d ’aut res études, mai s nuancé
sur certains aspects de l a vi e et des œuvres d’Edgar Poe, d’Émil e
Gaboriau et d’ Arthur Conan Do yle. Nous avons cherché à faire redécouvri r ces créateurs, qui ont su absorber la réalit é de l eur
époque pour en fai re de la fiction. Les écrits de ces écrivains trouvent
donc préci sém ent leur essence dans une forme d’ancrage dans la
réalité
de
leur
époque.
Le
contexte
histori co -soci al,
politique,
intellectuel ou voire mêm e circonst anciel n’agit plus en tant que
décor m ais véritablement en tant que personnage.
Toujours dans ce deuxième chapitre, Nous avons pensé uti le de
commencer tout d’abord par comprendre la st ruct ure de cett e intri gue
policière chez les trois auteurs, et comment cett e dernière met en
avant l ’étude du personnage du hé ros. Nous sommes donc arrivée à l a
convi ction que, quel que soit le mode narratif utilisé, l a voix qui
prime dans les récits polici ers créés par les trois aut eurs, est
inévitabl em ent cell e de l eurs héros -détectives. Ce sont eux qui
lancent l es pist es, l es écl aireurs du récit, le poi nt de référence du
lect eur. Leurs jugem ents sont décisi fs et le lect eur adhère la plus part
du temps à leurs opinions. Nous avons pu démontré que le rôle du
héros -détective consiste donc bien à combler le vide narrat if impos é
par l a découvert e du crime au début du récit poli cier. Dupin, Lecoq et
Holmes ont l’art de voir mi eux que l e narrat eur et plus que le lecteur
; ils savent associ er des indices, des traces et des éléments qui
représent ent l es pi èces du puzzle (récit) à reconst ituer. Une fois la
derni ère pièce du puzzle en place, l ’énigm e (int ri gue) est résolue.
Ainsi nous dit J. Dubois : « l’autori té d u détective […] ne serai t pas
seulement polici ère ou judiciai re, mais aussi bien au ctoriale » 408.
Ces héros détectives ne reçoi ven t donc pas seulem ent la di rection de
l’enquêt e, mais égal ement cell e du récit.
Dans
un
second
temps,
et
avant
de
passer
à
l’anal yse
comparati ve, nous avons ét ablit un premier cont act avec les trois
héros -détectives, en les présent ant som mairem ent. Nous av ons cité
égal ement l es adapt ations les pl us créat ives dont nos personnages ont
fait objet, dans l e but d’éval uer l e degré de l eur popul arit é. C’est en
ce dernier point que nous avons const até qu’en terme de quantit é
comme en qualité, entre adaptations, hom mages et pastiches, Sherlock
Holmes était peut -être le personnage policier le plus adapté aux
différents supports : écrits, écrans, scènes, radios, et c., il est devenu
l’un des m ythes les plus const amment durables. Les écrits polici ers
d’Edgar Poe et d’Émi le Gaboriau, pourtant pasti chés, parodiés et
adapt és, n’ont pas donné au Chevalier Dupin et à Monsi eur Lecoq la
408
Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 100.
popularité durable dont Holmes continue de jouir, m al gré leur succès
qui a aucun mom ent été démenti.
La deuxième partie intitulée « L e portrai t comme système d e
signification» , nous avons tent é, tout au long de notre anal yse, de
mesurer l ’ « effet personnage » sur nous, pour comprendre comment
et pourquoi Dupin, Lecoq et Holm es, à travers l eurs traits physi ques ,
moraux, intellectuel s, etc., ont pu nous marquer. Nous avons examiné
égal ement
comment
Poe,
Gaboriau
et
Do yle
procèdent
à
la
qualifi cation de l eurs héros, afin de m esurer l ’ « effet personnage »
sur nous, et comprendre comm ent Dupi n, Lecoq et Holm es, à t ravers
leurs traits ph ysi ques, moraux , intell ectuels, et c., ont pu nous
marquer.
Les
cat égori es
de
la
sémiologie
du
personnage,
parti culièrem ent cel les défini es par P. Hamon, nous ont servi de
points de repère pour notre ét ude comparative. Les dét ectives étai ent
ainsi anal ysés selon leur, ide ntité, bi ographie, port rait ph ysique,
comportem ent et at titudes m ental es, et selon ce que ces élém ents
s ymbolisent et m anifestent comm e valeurs.
De ce fait, il est ressortit des portraits de Lecoq et surtout celui
de Holm es, que chez Gaboriau tout comme ch ez Do yl e, le dét ail
ph ysique n’est donné comme constituant du personnage, que dans la
mesure où il est chargé de si gni fier autre chose que lui -même en
véhiculant des si gnes interprétabl es. Il a apparu t rès clairement que
Conan Do yle et Émile Gabori au, avai ent suffisamm ent fait pour
laisser planer le doute sur l’identité de leur héros, en essa yant de
faire croi re qu’il ét ait réel. Cependant, l’apparence de Holmes est
sûrem ent un élém ent plus révél ateur de son caract ère que cell e de
Lecoq, à tel point que l a simple sil houett e suffit aujourd’hui à
représent er de façon st ylisée l a fi gure du grand dét ective. Enfin, nous
avons conclu par l a nette conviction que les connotations, i mpliquées
par les qualifi catifs intégrés dans ces port raits ph ysi ques sont
conventionnelles et que l es t raits se réduisant à quelques si gnes pl us
ou moins codés, vont révél er l a ps ychologi e du personnage.
Pour ce qui est de la qualifi cati on psychologique, nous avons
essa yé de définir l es valeurs qu’impliquent les portraits m oraux des
trois détectives, force ét ait de constat er qu’ils sont des personnages
qui n’ont certes aucune ori gine divi ne ou surnat urelle, mais ils
rel èvent , comm e suj ets de fi ction, de l a tradition des héros antiques.
D’abord ils sont étranges, excent riques, pleins de t ics et de mani es.
La bizarreri e serait bien l ’él ément sur lequel les dét ectives jouent
afin de préserver un m ystère aut our de leurs personnes, el le est le
trait distincti f, sans lequel l es trois enquêteurs ressembl eraient à tout
le monde, puisqu’aucun aut re si gne psychologique ne leur offre la
distinction. Outre cela, sans être des surhomm es, nos enquêteurs
jouissent im plicitem ent d’une sorte d’i nvulnérabilit é. Ils sont donc
imperturbables, jusqu’à l ’effronterie ; ils peuvent , la plupart du
temps, passer p our des indifférents qui n’ont pas froid aux yeux.
Nous en avons déduit que les portraits moraux des personnages leur
confèrent l ’épaisseur de l’être, d’un i ndividu, elle l eur a donné
l’illusion de l a vi e. La caractérisati on m oral e qui dot e l es détectives
de notre étude d’une conscience, cont ribue dans une large mesure à
donner de l ’étoffe à ces êt res de papi ers. C’est t rès cert ainem ent
l’élém ent avec lequel le lect eur est le plus familiarisé, l e portrait
moral perm et de porter des jugem ents de valeur sur l’attit ude des
personnages et de philosopher sur leur psychologi e.
Nous nous sommes consacrée, dans l a troisi ème et dernière
parti e, intitulée « Une nouvelle typol ogie de l’héroïsme », à l’étude
de
la
t ypologi e
du
détective
comm e
personnage
héros.
Nous
ex aminerons ainsi l es élém ents qui font de nos dét ectives des héros
uniques et distincts. Nous comm encerons dans un premier chapit re
par anal yser l eurs méthodes d’invest igation et leur savoir -fai re
professionnel. De là, nous avons pu démontrer qu’ un des trai ts
caractéristiques qui suffit à l es mettre hors pair, c’est qu’ils se
réclam ent de la science. Ils se ressemblent égal ement par l eur
ténacité, leur courage et leur « bonne étoile » qui l es rendent
rassurants. Ils sont dotés d’une infaillibilité qui, bi en qu’inégal e, ne
perm et pas de dout er de leur réussite. Or, c’est au niveau de leurs
méthodes d’investi gation, donc de leur savoi r -fai re professionnel,
que Dupin, Lecoq et Holmes se disti nguent le plus.
En effet, Les surnoms de « dét ective en fauteuil », et « détective
en pantoufl es », dont Dupin était affublé nous révèl ent t oute une
méthode d’enquêt e propre au dét ecti ve poesque. Cet enquêt eur
n’enfile « ses chaussures » que pour vérifi er ses h ypot hèses ou
chercher le m aillon manquant à sa chaîne de raisonne m ent. Il ne
s’engage pas dans l ’action, il se caract érise par l’exhibition de ses
facultés int ellectuel les et l a démonstrat ion de son géni e anal ytique.
C’est un dét ective abstrait qui ne cesse de parler d’al gèbre et de
mathém atiques.
Le coq, lui, est un dé tective de terrain qui ne s e
confine pas dans l’abstraction, il est énergique et n’hésit e guère à
s’agenouill er dans l a poussi ère ou dans la boue, c’est un vi rtuose du
déguisement et du changement rapide. Si son int elli gence peut
paraître inférieure à cell e de Dupin, Lecoq possède la ruse et le flair
qui ressemblent à ceux des animaux et des sauvages. Il est doté d’un
extraordinai re
esprit
d’observation
ainsi
que
d’une
étonnant e
perspi cacit é. Mais, est -ce une mani ère de dire que nous ne pouvons
retrouver ch ez l’enquêteur de Gaboriau des traces du dét ective de
Poe ? Certes non. Lecoq se rapproche du héros de Poe par ce qu’il y
a de plus ori ginal en ce derni er, par son raisonnement l ogi que, tout
en donnant vi e à ce qui chez Dupin était demeuré abst rait.
Les
méthodes d’enquête créées par Poe et par Gaboriau ne seront pas
perdues pour Conan Do yle. Celui -ci a su couler Dupin et Lecoq en un
seul personnage, Sherlock Holmes. En effet , c’est par sa mi nutie dans
l’observation,
par
son
art
du
déguisement,
et
par
son
p rofil
d’expériment ateur que Holmes ressemble à Lecoq. Il a en mêm e
temps hérit é de Dupin la mani e de se rensei gner sur les crimes par
les journaux, l e rai sonnem ent, l ’exerci ce de l ecture de la pensée,
mais surtout une i mpressionnante intelligence qui le re nd, tout
comme Dupin, incompréhensibl e aux yeux d’aut rui. De ce fait,
Même si Conan Doyl e n’a pas inventé grand chose après Poe et
Gaboriau, il a toutefois l e mérit e d’avoir réuni tout es sort es
d’él éments épars, pour m ettre en scène un « dét ective de géni e ». En
effet, en termes de méthodes d’investi gation, nous ne rel evons ri en
chez Holmes qui n’ait existé avant lui, m ais l a s yn thèse est
intelli gemm ent
opérée,
elle
est
réussie,
assurant
au
détective
britanni que une not oriét é et une popul arité universell es . Depuis s a
création, d’innombrables dét ectives ont surgi mais aucun d’eux n’a
réussi à l ’éclipser ou à l e faire descendre de son t rône.
En ce qui concerne le statut professionnel des trois héros détectives, le t ype du détective dilettante est l’invention géniale
d’Edgar Poe,
Dupin est incontestablement le premier détective de
l’histoire littéraire. Conan Doyle a compris que, par sa dimension
libertaire et son détachement de l’institution policière, le personnage
poesque sera le modèle exemplaire de ses a ventures. En effet, le statut
« amateur » ou « privé » a permis à Dupin et à Holmes de rester,
chacun, son propre maître, de mener leurs enquêtes de manière
totalement autonome, d’intervenir dans des affaires avant la police, et
d’être les premiers à décou vrir la vérité. Quant à Gaboriau, encore une
fois, il était loin de s’en tenir à la simple imitation 409, en optant pour
un policier en titre. Voilà un héros différent, un agent de Sûreté de
statut « officiel », dont on apprécie le « tempérament policier de
premier ordre » et qui ressemble à des « policiers véritables ».
409
« Malgré qu’il eût des précurseurs, dont je crois qu’il ne s’inspira guère, on peut affirmer
qu’Emile Gaboriau fut un créateur véritable » : Edmond Locard. Cité par Roger Bonniot, Emile
Gaboriau ou la naissance du roman policier, J.Vrin, Paris, 1985, p. 433.
Gaboriau a réussi à créer « le m ythe du flic sympathique »,
en
déchirant l’image odieuse et sommaire qu’on se faisait du policier à
travers Jackal de Dumas et Javert de Hugo. A travers l’anal yse d’un
autre t ype de statuts, celui du « détective » ou du « justicier », nous
avons relevé que Poe a préféré son détective « rétablisseur » de vérité
et non du Bien, ce choix est à l’image du caractère abstrait, froid et
rationnel de Dupin. Pour cet alg ébriste, l’enquête est un pur exercice
de l’esprit, et non un processus qui mène au châtiment . Or, en
obéissant à la préoccupation d’épargner une erreur à la justice, le
policier de Gaboriau assume son statut de justicier, sur ce plan -là, l a
différence ent re les deux héros -détectives va de soi, puisque, nous
l’avons dit, Dupin incarne le personnage -machine alors que Lecoq
représente le personnage -humain. Quant à Holmes, il va, une fois de
plus, synthétiser ses deux prédécesseurs, il est, selon les cas et se lon
les t ypes d’affaires qu’il traite, tantôt comme Dupin, quand il ne veut
se livrer qu’au jeu du m ystère et de l’énigme, tantôt comme Lecoq
quand il s’autorise lui -même à se substituer à la loi. En ce qui
concerne
le
statut
détective/assistant,
il
consis te
à
opposer
l’intelligence redoutable du détective au prosaïsme terre à terre de
leurs
adjoints.
semblent
Les
revisiter
tandems
le
Dupin/narrateur
m ythe
traditionnel
et
du
Holmes/Watson
double
Don
Quichotte/Sancho Pança. Si Poe était le premier à avoir l ’idée de cette
reprise, en flanquant son détective d’un ami -narrateur, Doyle a fait
mieux en rendant son imitation plus créative. En effet, la nature de la
relation que partagent Holmes et Watson est plus humaine, plus
chaleureuse, donc plus vivante que ce lle qui unit Dupin à son
compagnon. Ce que nous admirons par -dessus-tout chez le couple
doylien, c’est cette atmosphère humoristique résultant de la naïveté et
de l’incompétence de Watson. En revanche, Gaboriau n’a emprunté le
statut détective/assistant à son prédécesseur qu’occasionnellement. Il
nous restait encore, pour terminer cette étude, de savoir exactement ce
qu’étaient Dupin, Lecoq et Holmes pour leurs créateurs. En ce sens,
les rapports qu’entretiennent Poe, Gaboriau et Doyle avec leurs
personnages se sont révélés bien distincts. De Dupin, le personnage
qu’Edgar Poe rêvait d’être, en passant par Lecoq le porteur d’une
nouvelle image du policier imaginée et espérée par Gaboriau, à
Holmes, la créature autonome et indépendante qui a su échapper à son
créateur ; les trois héros -détectives ont répondu, chacun à sa manière,
à la conscience de leurs auteurs.
Pour concl ure, nous dirons que les trois aut eurs ont réussi à s e
distinguer, et ont contribué chacun pour sa part à la construction du
personnage du dét ective en fondant l es bases sur l esquelles allait s e
dével opper
ce
dernier.
Edgar
All an
Poe
fut
le
précurseur
et
l’inspirateur à qui il faut accorder l ’honneur dû à un vérit able
créat eur. Émile Gaboriau
fut loin d’êt re un faibl e i mitateur,
l’inspirati on ét ait pour lui une source de créativité. Quant à Conan
Do yle
qui
a
lo yalem ent
reconnu
sa
dette
envers
ses
deux
prédécesseurs, il a réussi à porter le personnage de détect ive à son
apogée. Nous ne saurons l e ni er, Sherlock Holm es s’est im posé sous
tous les cieux, il est aussi célèbre en Russie, au Japon qu’en
Anglet erre, et c’est sa silhouette qui va donc dominer l e genre
policier.
Thèse en vue de l 'o bt ent i on du D oct orat
Spécialité :
Scien ces des textes l ittéraires
Introduction et Conclusion en anglais
Travai l présent é par : Fat i ma BRA H MI
- A nnée uni ver si t aire 201 2- 2013-
Introduction
Raising,
from
its
appearance,
from
a
little
devel oping
classi fication, the detective genre is excluded for a long time from
the field of the "real " literature. Does not Conan Do yle have himself,
man y a tim e decl ared his av ersion, or at least his anno yance towards
this part of his work which he considered as secondar y subordinat e
and which divert ed him from the best works, underst andi ng there
that, historical romances?
The first narratives with eni gma appear nevertheless in the
justifiabl e literature, the det ective stor y irri gates since its ori gin the
traditional novel: that we think of Hugo "Les miserables ", to dark
Balzac "Une ténébreuse affaire ", or sti ll to Dostoïewski "Crime et
châtiment ". An ywa y, that we det ect its ori g in in "Oedipe-Roi" or in
"Zadig ", it is undeni able that the detecti ve novel does not have to be
asham ed with its
parents ; as well as the rem ark J. Duboi s in " Le
Roman polici er ou l a modernité " : the detective them e is set up from
the rom anti cism.
The pec uliarit y which returns to the detective
novel its
advisable st atus is due to the fact that this genre is judged, not
without lightness as a second -class lit erature. It is doubt less this
situation of the ki ndgenre outside of the "bi g" literature whi ch
favo red its success with middle classes because the devel opment of
the detective genre coinci ded historicall y with that of these classes
and with the tri umph of their tast e; and all which strengt hened its
bad reputation with the e yes of the criti cs, assured on the contrar y,
its success with the publi c. The studi es on the popular literat ure
showed that it is especi all y t he genre said minor whi ch reflect and
enli ghten, in a ver y critical and immedi ate wa y, the hist ori c, political
and social situation of a nation and its people.
It is also the genre which made a success of an outstandi ngl y
delicate mixture between the realism and the rom antic. The m ost
usual fact of the dai l y life can take an extraordinar y dim ension. It is
a continual and ceaseless quest of ori gi na lit y, the obj ect of t he most
audacious and the most eccent ric innovations. Ever y publ ic holds
consequentl y his own police novel .
The detective genre has of what to seduce the reader: narrative
with suspense, condensed intri gue, pl easure of the investigatio n ,
precise and clear descriptions, strong sensations, anxiet y and shiver,
without speaking about the aspect occasionall y entertai ning bound in
about benefaction of this whol esom e escape of the reader. It is also
necessar y
to
raise
big
them es
whi ch
belong
to
a
collective
imagination: the wrestling bet ween the strengths of the Good and t he
Evil, the Mani cheanism of the values, the hope in a hero prométhéen
capabl e of ri ghting the wrongs caused b y the miserabl e or an
inequitable soci et y, the persecution of t he innocence, the i mportance
which dresses the vengeance or the reward, et c. It seems good that it
is about strong them atic units of the coll ective unconscious which t he
police kind(genre) would reactivat e ceasel essl y. Still, Should I
remind that the cri me i s eternal and a part of the m an, and it since
the first murder list ed by the hum anit y: Caïn killing his brot her Abel.
What made the detective genre inexhaustible and brought the
possibilit y of creating series, getting a climate of wait while
devel opping l o yalt y of the reader.
The detective genre draws its seduction also from the character
of the detective. So that the det ective novel is made a success, the
investi gation owes be sensibl y l ed, b y the onl y ri gor of t he logi c.
now, this investi gation has to be made the receptacle of all the
intellectual power of the investi gator. This is parti cularl y true in the
traditional and classic shape of the genre where the central character
is in investi gator's position. He is not a simple charact er, he is a
powerful being and a brains whi ch advances the investi gation, and
there even t he novel; b y the onl y strength of its reflect ion. The
investi gator of the classi c poli ce novel seems to us, ph ysi call y as
well as ment all y, endowed with distinguishing features whi ch make
him credibl e. He is, therefore, almost a real being.
The charact er of the detective occupies an important place i n the
shape and the cont ents of the cl assi c detective stor y, and benefits
from a parti cular at tention of the author. It is from The Murders in
the Rue Morgue , that it becom es the m ai n el ement and the original of
the stor y of the ; pl ace previ ousl y occupied b y the charact er of t he
criminal. It is diffi cult to descri be exactl y the lit erar y st atus of the
hero -detective, because he(it ) has neither an
equivalent nor a
count erpart in an y other kind(genre) of fiction. More than it, he
represents in most of the cases the expression of the personalit y of
the ver y author as well as t he reproducti on of his ideas.
The detective, the hero of the detective stor y, dist ances him self
from that of the «he roes upholder of the law ", whi ch consti tuted one
of the fi gures ke ys of the popular novel ( Les Miserabl es of Vi ctor
Hugo, Les Myst ères de Paris of Eugène Sue). The l atter was
personall y involved in the drama and fo ught agai nst a present
opponent until t he order of the justi ce is restored, in the nam e of
Good. The detective is an expert of the technique of investigation.
He is outside the drama and carries a glance lucid and dist anced on
the events. The poli ce of Sta t e cert ainl y suppli ed illustrious names,
which belong to the life and to the Hist or y, and which the literat ure
sometimes seized. The charact er amaz ing at Vidocq, old convi ct
becom e a head of t he safet y in Paris (but who had also creat ed his
secret police), knew Balz ac, who immortalized himunder t he name of
Vaut rin, and Vi ctor Hugo who remembered it as well for Javert as fo r
J ean Valjean. But the am ateur detective who al wa ys solves t he most
complex eni gm as i s a creation of the ficti on, and Poe is the
indisputabl e initi ator. Until our da ys, i t is possible t o observe his
influence.
The hero -detective as the new character appeari ng in the X IXth
centur y, became most striking major fi gure of the police literature. It
is the infallibl e hero the one who sees by t he reasoning what the
others do not guess, the rescuer on whom all the hopes base
themselves. In the present stud y, we set our heart on the kni ght
August e Dupin, Monsieur Lecoq and Sherlock Holmes, three heroes detectives,
who
will
be
described,
questioned,
a nal yz ed
and
compared. In bri ef, the y will be scrutinized in the magni f yi ng gl ass
through three experiences of creation: Edgar All an Poe, Émile
Gaboriau, Arthur Conan Do yle.
The m otivation whi ch l ed to us in the choi ce of the subject ,
recovers first of al l from a personal interest, resulting from the
charm that the poli ce novel practi ces on us. The suspense which
captivated us, t he intellectual gam e, our taste for the m yster y and the
police det ecti on are so man y factors whi ch seized our t aste, as reader
admirer of Sherl ock Holmes's adventures. This interest is al so bound
to the present ation of a report of magist er y, havi ng been supported in
2007. In this work which dealt with the moralit y and with the
immoralit y in the police novel at Émil e Gaboriau, we were brought to
highli ght, with illustration in the support, the fact that the detective
genre enjo ys ri ght
of l egitimat e pl ace in the most renowned
universities, i n respect in a lot of academic studi es.
If the choi ce of the detective genre was guided b y a pers onal
motivation, t hat of the characters recovers rat her from a scienti fic
interest. Indeed, It i s to Edgar Allan Poe that we owe the creation of
the character of the investi gator, the knight Auguste Dupi n, a pure
product of the sci entific and positi vist ra tionalism the creator of
which was, at the appropri ate tim e, one of the most fervent
apologists. On the tracks of the Am eri can writ er and his investi gator,
Émile Gabori au, French colum nist, succeeds in developing the
formul a inaugurat ed twent y years earlie r b y Poe, b y t ransposing the
narrative of eni gm a into the rom ant ic fram e.
Contrar y to the
character of Poe, Monsi eur Lecoq, the investi gator staged b y
Gaboriau is poli ce and becom es, therefore, t he " first professional
policeman of the history of the pol ic e li teratu re " 410. In the
continuit y of these two first steps, the third comes true; Without
having been the inspirator there, Arthur Conan Do yle carri es the t ype
of the exceptionall y gi fted am ateur detective in his peak. R eal m yth,
his unforgettabl e S herloc k Holmes becomes more famous than his
creator.
So, Poe, Gabori au and Do yle owe a very bi g part of thei r glor y
to their heroes -detectives who continue to seduce, until our da ys, a
wide readership. Geniuses of the deducti on, endowed with an
exceptional
gi ft
of
observation,
with
an
accurac y curl ing the
fussiness, court eous and ri gorous extremel y, but extravagant and full
of odditi es: such is t he profil e of our det ectives.
Since the creation of the fi gures of t he kni ght Dupin, Monsieur
Lecoq and Sherlock Holme s, the characters of detectives m ultiplied
in the police lit erat ure. Our detectives will not st op throwi ng thei r
shade on thei r emul ators, legal successor in long and brill iant one
lined b y followers: Arsène Lupin ( 1905 ), le père Brown ( 1910 ),
Rouletabill e ( 1907 ), Hercul e Poi rot ( 1920 ), Beaut y queen Marpl e (
1930 ), Jules Mai gret ( 1931 ), et c., to quote onl y those. Three
detectives were also the obj ect of numerous adapt ations: literar y,
theat rical, t elevision and film.
410
« premier policier professionnel de l’histoire de la littérature policière ». J.
Baudou, J-J. Schléret (dir.), Le Polar, Larousse, Collection « Guide Totem »,
Paris, 2001, p. 214.
Dupin, Lecoq and Holmes belon gs to the founding period of the
detective genre, that is approximatel y the last six decades of the XIX
th and the begi nning of the XX th century. It is indeed the period of
the bi rth and t he m ost si gnifi cant evolut ion not onl y of the genre but
especiall y of the pol ice character, that we plan to anal yz e during our
work. Furthermore, is imperative a dem arcation of a fiel d of studi es
which woul d have becom e too vast: for the XXth centur y, primed an
evolution the outcome of whi ch we are not able to perceive, w hen we
write t hese lines.
The main problem of our research as for her is to understand
how our three heroes -det ectives had been able to mark the detective
genre, while remai ning di fferent. We shall also want to seize in what
lies the ori ginalit y of each of their creat ors, and if the l atter maintain
reports of influence, inspiration, l oan even of imitati on some with
the others.
The resolution of our problem consists in answering upst ream
the foll owing questi oning :
 How do our authors impose the image of thei r heroes, whi ch
function is attribut ed to the latter and which are the values supports
of whi ch the y are?
 What strategi es spread our authors to endow their charact ers of
a hum an thi ckness, and givi ng them the illusion of the life? In other
words how these heroes -det ectives were able to exceed the fictional
fram e, and to exist except t exts as acti ve and alive beings in a real
world?
 The police aut hor never termi nat es the life of his hero in t he
stor y, he is invulnerabl e, he returns to ever y production with the
same charact er t rai ts and the same qualities and t he defects, if
however we consider this hero as a real person. now, is this
invulnerabilit y annoyi ng of unlikeliness, and does it condition, there,
the identifi cation of the reader to the hero, or on th e cont rar y, the
invulnerabl e hero reassures a reader made worri ed b y the cri me and a
criminal?
 Be yond one and a half centur y, the pl easure got b y the reading
of the poli ce adventures of our heroes -det ectives, rem ains intact.
What thus arouses such an alwa y s renewed craze? In what lies their
ori ginalit y whi ch does not stop calling out to questioning us and
seducing us?
The present work puts in parall el Dupin, Lecoq and Holmes ,
three carr yi ng heroes -detectives each marks her personal of her
creator. B y examin ing t he links whi ch unite or separat e thes e
characters, our objective of research consists in bringing to light the
ori ginal cont ribution of ever y author i n the creation of the character
of the det ective in t he poli ce lit erature, even its cont ributi on in t he
creation of t he detective genre.
For the corpus let us indicate that the recurring hero is a
constant component of the writing of Poe, Gaboriau and Do yle. It
recovers from an editorial choi ce which allows to develop l oyalt y of
the reader who likes findi ng his familiar hero, following its
adventures and penetrating into his life. Our authors devel oped their
characters, during their various poli ce papers, charact ers who are not
thus invented b y a block, but not built in the course of narrat ives.
In this pe rspective, our stud y supposes above all, a rich corpus
so quantitativel y as qualit ativel y. It will be a question for us, to
parti cipat e in a clearer and sharper legi bilit y b y the comparison of
the charact ers in the chosen works. To t his end, we examined du ring
two years of reading all the police papers of three authors. The task
was at fi rst, relativel y eas y for August e Dupin because he appears
onl y in three short stories, less eas y, then, for Mist er Lecoq who
appears in five novels, finall y difficult even di ffi cult for Sherlock
Holmes, hero of four novels and fift y six short stories.
That must bound thus our corpus, the selection got organi zed
around a major line: spot what combines or separat es three charact ers
accordi ng to a concerning semiologi cal filter to be them, thei r
knowledge, to m ake for t hem and their hierarch y. We proceeded b y a
pre-anal ysis,
that
to
spot(locat e)
the
specifi c
passages
where
elaborat es the charact er. W e so disti nguished two processes of
composition: the cumulative processes by wh i ch t he author transmits
on new information which com plet e or modif y the charact er and the
processes of repetit ion or dismissal b y whi ch the author reminds
whom is the charact er, what he knows, what he makes. We were thus
interested in the fi rst processes and so select ed no as the papers
contai ning of the new on our characters.
The present work i s going to lean on a corpus consist ed of t hree
short stories of Edgar Allan Poe, three romances of Émil e Gaboriau
and three romances and fi fteen short stories of Ar thur Conan Do yle.
It seem ed to us excessive to int egrat e t he other papers int o a corpus
which is al read y im portant; we nevertheless used cert ain extracts of
these papers - outsi des thus in the corpus - to enrich and fi ll shadow
zones of our anal ysi s.
As for the methodology of our research, it is necessar y t o sa y
that to anal yz e the charact er of t he det ective is an attractive compan y
although deli cat e to lead, because the operation can be approached b y
man y m anners. To sta y in the objective fixed from the ti tl e of this
thesis which wants speci alist in comparative li nguistics, it would be
possible to realize it better b y confronting three characters with
levels di fferent from their construction. The identit y, the portraits,
the actions, the words, the reports with the other characters as well
as with t he creat ors, are so m an y rel evant elem ents for our anal ysis.
Our
comparative
stud y
cont ains
various
compl ementar y
approaches, which appear to be in agreement wit h the m ain objective
of this research.
The semiolo gy as proceeded to deciphering of the si gns, will
make us pa y a parti cular attention on the signi ficant of the charact er.
We shall thus be inspired b y Philippe Hamon's works who proposes
three fi elds of anal ysis: " the being ", " to make him " and " the
hierarchical import ance " of the character. On the other hand, we
cannot
line
up
in
the
opinion
of
Hamon,
when
he
suggests
considering the character onl y as a bei ng of paper, with whom the
onl y rol e is to fill a textual function. Hamon t akes itsel f at the id ea
of the romantic illusion which takes charact er for a real being, he
asserts,
by
quoting
P aul
Valér y,
that
it
is
about
"
literar y
superstitions ". Cert ainl y, the semiol ogy will be us of an inestimable
contribution, but an approach of the charact er onl y i n t extual would
be in a absolut e with difficult y bearabl e wa y, as far as ever y
character builds up himself and evolves in reference to an outside
world or to a realit y.
The textual cont ext fits into a wider dimension, that of the
period, of the societ y, of t he Histor y and of the culture. Without
forgetting that the construction of a charact er also depends on the
reader (with whom we becom e identi fied) which puts him in touch
with the own real experiences. Vincent Jouve suggests asking the
question " what th e charact er for the reader? ". The theorist s o
rehabilitat es an approach which t akes int o account the pl ate, which is
at the sam e time the place of an experi ence of reading and t he worl d
to whi ch the character refers. Consequentl y, ever y feature, ph ysical
appearance, moral or ps ychologi cal, ever y behavior or word, which
in the realit y would return a nice or unpleasant person, would have,
in the rom antic uni verse, the same effect the reader. It i s in this
perspective t hat t he rel ationship " charact er / perso n " will have all
its value, and m akes possible a di versit y of anal yses .
The detective novel evokes a parti cular world, but it also
reveals, even if it is in a indirect wa y, t he general context in which
the work was concei ved and writt en, context transpose d into the text
with more or less of precision, more or l ess omissions or fluctuations
when t he y are not changes. The socio -historic and cultural contexts
recognize inevitabl y in that of the det ective stor y, helping to seize
the ever yda y nature and the cha racters who compose her. It is
especiall y b y the speci fic and filt ering glance of the investi gator that
the worl d is presented to the reader. It is thus necessar y t o be
interested closel y to this character who l eads investi gation the
investi gation, who rev eals di fferentl y and in its wa y the societ y, b y
proposing a particul ar pict ure. It will thus be advisabl e to appeal to a
multidisciplinar y approach, looki ng like ver y cl osel y the one which
we use t o anal yz e the real being. An approach where cross
themselves lit erature, sociology, histor y, psychology and phil osoph y.
B y j oining the trail of the comparative study, the int ert extualité
is goi ng to lead us i n his turn to a more thorough comparison of our
characters. It i s an approach which provides us with the to ols whi ch
motivate ever y researcher i nterest ed in t he stud y of the police papers,
in
parti cular
the
invari ants
of
the
genre
(charact ers,
eni gma,
investi gation), allowing among others, the location of stereot ypes ,
the loan, the distances or the pastiches. T he intertextual charact er
involves t wo different concepts: " The return of the charact er "and"
the
trans -universal
identit y ".
The
first
concept
concerns
t he
characters who return in the productions of the sam e author, whil e
the second rests on a wider and outsi de base of loan. These two
concepts are going t o lead t he evol ution of our research because, on
one hand, our corpus joins in the serial t ype, st aging recurring
heroes, on the other hand, to bring an answer to the probl em of the
rel ationships t hat ou r three charact ers between them can m ai ntain.
Vari ous approaches that we t hus propose in the foundation of
our comparati ve study of three heroes -detectives.
Finall y, we propose a conceived plan of research in a tripartite
wa y, arti cul ating as follows:
In a first chapt er of the first entitl ed part «In t he ori gi ns of the
genre and t he police charact er " we shal l report ke y moment s of t he
genesis of the police genre. We settled for obj ective to hi ghlight the
important pl ace which occupi es the genre in the hist or y of the
literat ure. The stages of his bi rth will be in fact the frame of a
progress ending in t he hatching of t he charact er of the detective. This
wa y, t he creation and the evolution of the police hero owes l ead us to
investi gate the com post in whi ch he discreetl y germinated. We shall
follow then the hatching of the hero -det ective, while demonstrating
how is al read y set up cert ain number of conditions whi ch are lat er
going to allow hi s upward advance.
In the second chapt er of t he sam e part, we shall pres ent " the
first creators ", that is the initiators whom are our three aut hors, and
their " the first heroes -det ectives ". We shall give fi rst of all a
perspective on cert ain aspects of the life and the works of three
writers, on the context in which their pol ice texts were produced. We
shall in fact tr y t o make rediscover these creat ors, who knew how to
absorb the realit y of their periods to m ake it of the fiction, and to
whom we owe the creation of the detecti ve genre and the character of
the investi gator. B y being interest ed then in t he det ective stor y, we
would tr y t o underst and how it is built by each of our authors, to see
in which m easure t he narrative st ruct ure advances the study of the
character. S econdl y, and before passing in the comparative anal ys i s,
we shall establish a first contact with three heroes -det ectives, b y
presenting them briefl y. We shall also quot e the most creative
adapt ations object of whi ch our characters made, with the aim of
estimating t he degree of thei r popularit y.
The second pa rt enti tled " The portrait as the syst em of meaning
", is going to allow us to answer the following question: how and
wh y, through their ph ysical, moral, intellectual features, etc., three
heroes-det ectives the y can m ark us. We shall anal yz e how our
author s proceed to the quali fications of their charact ers. We shall try
to underst and how Poe, Gabori au and Do yl e managed to lend
feelings, refl ection, intelli gence or idiocy to " beings of paper ". We
shall examine if the ph ysical detail is gi ven onl y as consti tuent of the
character, or i f it is in charge of meaning the ot her thing than
himself, b y conve yi ng int erpretabl e si gns. Dupin, Lecoq and Holmes
will so be anal yz ed according to thei r identit y, bi ograph y, port rait
ph ysical appearance, behavior and m ent al a ttitudes, and according to
what t hese elem ents s ymbolize and demonst rat e as val ues and
meanings.
We shall dedi cat e ourselves, i n the third and l ast part , to the
stud y of the t ypology of the det ective as the charact er hero. We shall
so examine the el em ents whi ch make of our det ecti ves of the unique
and different heroes. We shall begi n in a first chapter to anal yz e
their m ethods of investi gation and thei r professional know -how. Our
purpose will be to demonst rat e that the mai n aspect of the heroi c
t ypol ogy
of
our
detectives
lives
in
their
skills
and
thei r
professionalism to lead a police investi gation. In t he second chapter
of this ultimate part, we shall em phasi ze the vari ous statuses from
which benefit Dupi n, Lecoq and Holm es, such as their professi onal
status, their moral status, as well as on the relationships which the y
maintain with the ot her charact ers, and with thei r creator.
After all, the sum of the results obt ained along our comparative
stud y, will be the object of the conclusion.
Conclusion
In the term of this work whi ch consisted of a comparati ve study
between the heroes -detectives August e Dupin, Monsi eur Lecoq and
Sherlock Holmes, we shall t r y to s ynthesize the main obt ained results
and to draw from it concl usions. Our obj ective of re search, l et us call
back it, was to show the ori ginalit y of Poe, Gaboriau and Do yle and
their contributi on in the creation of the charact er of the detective,
while i nsisting on t he rel ationships of influence, inspiration, loan
even of imitation t hat these authors can maint ain some with the
others.
We managed at fi rst our research on the side of the investi gation
and near its ori gin, it stood out from it that three heroes -detectives
did not appear from the nothingness, the y possess of distant
histories, goin g back up to the Greek antiquit y. On the other hand,
the first tracks of investi gation whi ch we find at these protot ypes
were onl y rudim ent ar y, and the com posed character like a hero was
the criminal and the bandit and not the investi gat or.
B y examining a ft erward a multiplicit y of contexts in which our
authors were abl e to create their heroes, we understood that the
character of det ecti ve was not able t o appear before the rural societ y
«gi ve birth under t he pair of forceps" t o the indust rializati on and to
the positivism of an urban and educat ed soci et y. These contexts,
more particul arl y li terar y also all owed us to answer parti all y our
problem , b y asserti ng that Gaboriau knew t he work of Poe and that
both authors were of use as model to Conan Do yl e.
The con front ation of three heroes det ectives, at levels di fferent
from their construction (the bei ng, m ake him, the st atus and the
t ypol ogy), brought us an answer whi ch, without bei ng exhaustive,
being not less rel evant, in the questionings on which our problem
based itself. On one hand, the examinat ion of the links whi ch unite
the charact ers allowed to follow in the track, ever ythi ng t ypifies of
influence exercised on thei r creators. On the other hand, the elem ents
which separat e them and differentiat e them helpe d to hi ghli ght bett er
the ori ginalit y and t he creative contribut ion of ever y author.
At the level of " the being " of the characters, Poe, Gabori au and
Do yle understood that, to take advantage of the s ympath y of a wide
readership, the y had to reduce, even annul the soci al distance which
could set their heroes to thei r readers. The y thus softened rules
governing the cl assi c, beautiful, ri ch hero and belonging to the hi gh
societ y, b y opting for detectives who have cert ainl y honorable
ori gins, but who are ordi nar y and comm on, even if the y do not lend
themselves easil y to procedures of identi fication of the reader.
Under a hidden appearance, the poesque hero is fl at or, to
borrow the expressi on so precise of Messac, he just has " t he dose of
existence necessar y for the step of the narrative ". Poe refuses an y
ph ysical descripti on of his det ective, and embodi es it onl y as voice
of a reasoner who never makes a mistake. The onl y presence of
Dupin, in the narrative, makes useless t hat of the other characters,
who are for the det ective onl y chessm en, or dat a of a m at hemati cal
problem used to expose its reasoning. Excluded from the human
communit y, August e Dupin, this eccentri c det ective, the misanthrope
and ni ght bird, is a settled well " mechanism " and the real " mac hine
to argue ".
B y his personalit y, Dupin exercises a bi g infl uence on Sherl ock
Holmes who, in his turn, is thought of as " an automaton " and " a
cal culator ". Cert ai nl y, Do yle grant ed a parti cul ar att ention on the
portrait of his det ective, b y endowing him with an im pressi ve
appearance
and
with
some
physical
details
being
enough
to
distinguish him, but morall y speaki ng, Holmes will differ from Dupin
onl y b y som e secondar y features. Indeed, to lend a hum an thickness
to this hardened insensibl e, antisoci al and misogynous charact er,
Do yle prefers it drug addi ct and violi nist, transl ating at the sam e
time a ki nd of mel anchol y the end of centur y.
Onl y the policeman of Gabori au escaped the quali fication of
"character-m achine". It is thus advisable to distingui s h Monsieur
Lecoq of his coll eagues, as far as he seems t o have a certai n
vulnerabilit y on the personal plan. It is hi ghl y -rat ed sensiti ve, even
sentiment al of the French policeman who has to, ideall y, confer him
an authentic thi ckness on the human plan. Th e distinction of Mister
Lecoq al so lies in the degree of infallibilit y whi ch his creator
conferred him. If Dupin is the character who can never make a
mistake, and i f Hol mes is the too self -confident, det ecti ve Lecoq, on
the other hand, is the policeman wh o gropes, hesitat es and sometimes
makes errors, what humanizes him more. Lecoq is a m oving, nice and
alive character with the e yes of t he reader, so that the mai n qualit y
of Gabori au consist s in having paint ed a true -to -life port rai t, and to
be realistic a nd credible, more than his successor, and more still than
his predecessor.
As for the practi ces of three heroes -det ectives, one of the
characteristic features whi ch is enough to put them outstanding, it is
that the y refer to the science. The y are also ali ke b y their t enacit y,
their courage and t heir " good st ar " which make them reassuring.
The y are endowed with an infallibilit y which, although uneven, does
not allow to doubt their success. Yet , it is at the level of their
methods of investi gation, thus th ei r professional know -how, that
Dupin, Lecoq and Holmes distinguish themselves most.
The ni cknames of " detective in arm chair ", and " detective in
slippers ", with which Dupin was decked out reveal us a whole
method of investi gation appropri atefor the poe sque det ecti ve. This
investi gator threads " his shoes " onl y to verif y his h ypot heses or
look for the link bei ng l acking i n his chain of reasoning. He does not
make a commitm ent in the action, he is charact erized b y the
exhibition of his intellectual facul ties and the demonst rati on of his
anal yti cal geni us. It is an abstract detective who does not stop
speaking about al gebra and about mathematics.
Lecoq, him, is a detective of ground who does not confine
himself in the abst raction, it is energetic and hesit ates hardl y to
kneel down in the dust or in the mud, it is a vi rtuoso of the disguise
and the fast change. If his intelli gence can seem lower than that of
Dupin, Lecoq possesses the guile and t he intuition whi ch l ook like
those
of
the
ani mals
and
savages.
He
is
endowed
with
an
extraordinar y spi rit of observation as well as with a surprising
perspi cacit y. But, is it the wa y of sa ying that we cannot fi nd at t he
investi gator's of Gabori au of the tracks of the detective of Poe?
Certai nl y not. Lecoq gets closer to t he hero of Poe b y what he of
more ori ginal there in the latt er, b y his logical reasoning, while
giving life to what at Dupin had rem ained abst ract.
The m ethods of investi gation creat ed by P oe and b y Gaboriau
will not be lost for Conan Do yl e. Thi s one knew how to pour Dupin
and Lecoq in a singl e charact er, Sherlock Holmes. Indeed, it is by its
accurac y in the observation, b y its art of t he disguise, and b y it s
experimenter's profi le that Holm es looks like to Lecoq. He inherit ed
at the same time from Dup in the mani a t o inquire about the crimes b y
newspapers, reasoning, exercise of reading of the thought, but
especiall y an impressive intelli gence which makes him, quite as
Dupin, incomprehensible with the e yes of others.
Even if Conan Doyl e did not invent m uch aft er Poe and
Gaboriau, he has however the merit to have combined an y sorts of
scatt ered el ements, to stage a "brilliant detective". Indeed, in terms
of met hods of investigation, we find nothing at Holmes who existed
before him, but the synthesis is in t elli gentl y operated, it is made a
success, assuri ng
the British det ecti ve one universal fame and a
popularit y. Since his creation, uncount able detectives appeared but
none of them managed to darken him or to make him com e down from
his throne.
After a d etailed comparative stud y concern ing "the being" and
"to m ake him " three heroes -det ectives, our interest concerned to thei r
statuses whi ch showed themselves also speci fic.
As regards the professional status of three heroes -detectives ,
t ype of the detecti v e dilett ante is Edgar Poe's brilli ant invention;
Dupin is unmistakabl y the fi rst detect ive of the literar y histor y.
Conan Do yl e understood that, b y his dimension libertarian and his
detachment of the police institution, t he poesque charact er will be
the ex emplar y model of his adventures. Indeed, the "amat eur " or "
privat e" st atus allowed Dupin and Holmes to st a y, each, its own
teacher, to l ead thei r investi gations in a totall y autonomous wa y, to
intervene in affairs before t he poli ce, and to be the first o nes to
discover the t ruth.
As for Gaboriau, once again, he was far from bei ng held in the
simple imitation, by opting for a policem an titul ar. Here is a
different hero, an agent of safet y of "offici al " stat us, of which we
appreci at e the " excellent poli ce temperament " and whi ch l ooks like
" real policemen ". Gaboriau managed t o create " the m yth of the nice
cop ", b y t earing t he obnoxious and summar y image that we were
made of the poli cem an through Jackal de Dumas and Javert de Hugo.
Through the anal ysis o f another t ype of stat uses, that of the
"detective" or the "upholder of the law", we raised that Poe preferred
his detective "rétablisseur " of the truth and not the Good, this choice
is just like the abst ract, cold and rational character of Dupin. For this
al gébriste, the investigation is a pure exercise of the spirit, and not a
process which l eads to the punishment. Now, b y obe yi ng the concern
to spare an error in the j ustice, the policem an of Gaboriau assum es
his status of upholder of the law, on this pla n, the difference between
both heroes -det ecti ves is obvious, because, we said it, Dupin
embodi es
the
character -m achine
while
Lecoq
represents
the
character-human bei ng. As for Holm es, he is goi ng, one more tim e,
to synthesize his two predecessors, he is, a s the case may be and
accordi ng to the business t ypes whom he treats, this sometimes as
Dupin, when he wants to be engaged onl y in the gam e of the m yst er y
and the eni gma, this sometimes as Lecoq when it adduces himself to
substitute itself for t he law.
As regards the status det ective / assist ant, he consists in setting
the formidable i ntel ligence of the det ective against the mundaneness
down-t o-earth of t heir assist ants. Tandems Dupin / narrator and
Holmes / Watson seem to revisit the t raditional m yt h of t he doubl e
gi ft Qui chotte / Sancho Pança. If Poe was the first one to have the
idea of this resum ption, b y fl anking his detective of a fri end narrator, Do yl e made bett er b y returning its more creative i mitation.
Indeed, the nature of the rel ation which shar es Holmes and Watson is
thus more hum an, warm er, more alive than the one who unit es Dupin
to his companion. That we admire b y - above ever ything to the
do yli en coupl e, it is this funn y atmosphere resulting from the nai vet y
and from the incom petence of Wats on. On the other hand, Gaboriau
borrowed the st atus det ective / assist ant to his predecessor onl y
occasionall y.
We still had, to end this stud y, to know exactl y whom were
Dupin,
Lecoq
rel ationships
and
Holmes
for
their
creat ors.
This
wa y,
the
whi ch maint a ins Poe, Gabori au and Do yl e with thei r
characters showed it self ver y different. Of Dupin, the character about
whom Edgar Poe dream ed belong, b y wa y of Lecoq the carrier of a
new image of the policem an imagined and hoped b y Gaboriau, t o
Holmes, the autonomo us and independent creature which knew how
to escape his creator; three heroes -detectives answered, each in the
wa y, i n the consciousness of their authors.
To conclude, we shall sa y that three authors m anaged to
distinguish themsel ves, and contri buted each for the part to the
construction of the character of the det ective b y basing the bases on
which was going t o develop the latt er. Edgar Allan Poe was the
precursor and the inspirer to whom it is necessar y to grant the honor
due to a real creat or. Émil e Gab oriau was far from bei ng a low
imitator, t he i nspiration was for him a source of creativit y. As for
Conan
Do yl e
who
lo yall y
recognized
his
debt
to
his
two
predecessors, he m anaged to carr y the character of det ecti ve in his
peak. We shall not know how to d en y him, Sherlock Holm es stood
out under all the heavens, he is also famous in Russi a, in Japan as i n
England, and it is the silhouett e whi ch i s thus going to dom inate the
detective genre.
We assert that the present work i s far from being exhaustive,
and could be usefull y com plet ed on the occasi on of the other
researches b y widening, for example, the field of anal ysi s to the
police charact ers who marked the XX th centur y. Let us quote in
parti cular Mauri ce Leblanc who, with Arsène Lupin, the " gentleman
burglar ", renews the popular fi gure of the bandit upholder of the
law. Let us quot e then Agatha Christi e considered as the Queen of
the crime with very obsessive sound and the eccent ric Bel gi an
detective Hercule P oirot and his old -fashioned but ver y acut e Be aut y
queen Marple who is going to bring to detective's fi gure of the
sensibilit y and some ps ychol ogical sharpness. We also quote the
inventor of the ps yc hological police novel, Georges Simenon and his
investi gator, the inspector Mai gret, the latter is not going to conceive
an y more the investigation as a logi cal puzzle but as a social traged y
by revealing under the crime t he povert y, the solitude and the
resentment . Compassionate, he goes as far as appearing as a redeem er
and l eads the culprit s to becom e re concil ed with themselves.
The same fi eld of stud y could be more widened to the
investi gators of the crime novel, in particular those Of Dashi ell
Hammett, Jam es Hadle y Chase and Ra ymond Chandl er. It i s a new
race of investi gat ors; conscripts the " hard -boile d", these detectives
are not going to solve learned eni gm ae i n their office but are going to
measure the disreputable dist ricts. Confronted with the underworld,
the y will be read y to use all the means to reach their purposes;
sometimes viol ent and unrefine d, often on the verge of the legalit y,
incorruptibl e but without scruples, they are sarcasti c, sol itar y and
disenchant ed.
Some are some suggestions am ong so man y others, because the
police novel whi ch continues to multipl y in t ypi cal, seri al and in
success
does
not
stop
offering
new
avenues
of
research
to
investi gate. That thi s study thus ends wi th a feeling of in completion,
nothing more nature.