Fiche de Lecture

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Fiche de Lecture
Manso Lydia
L3 Lettres Voie Sciences Politiques
Fiche de Lecture
Castel Robert, L'insécurité sociale : qu'est-ce qu'être protégé ?, Éditions du Seuil, 2003.
Les élections présidentielles de 2002 ont été le témoignage d’une profonde crise
politique et sociale. Cette campagne électorale avait notamment multiplié les débats sur
l’insécurité avec pour conséquence l’arrivée de l’extrême droite au second tour des élections
avec Jean Marie Le Pen. C’est dans ce cadre que Robert Castel a publié son œuvre en 2003 :
L’insécurité sociale – Qu’est-ce qu’être protégé ?. Cet ouvrage, d’une actualité toujours brûlante,
s’inscrit dans le phénomène d’insécurisation croissant qui s’exprime au sein des sociétés
contemporaines.
Sociologue et directeur à l’EHESS, Robert Castel est l’auteur de plusieurs ouvrages tels
que Métamorphoses de la question sociale en 1995 ou plus récemment La montée des
incertitudes : travail, protections, statut de l'individu en 2009. Une partie de son œuvre se donne
pour but d’analyser la société salariale, son effritement depuis la fin des années 80 et ses
conséquences telles que la vulnérabilité des personnes, un concept clé du sociologue, la
fragilisation des liens sociaux et l’insécurité. Il tente ainsi d’expliquer comment le salariat s'est
peu à peu imposé comme un modèle de référence et s'est progressivement associé à des
protections sociales et notamment à la notion de « propriété sociale », créant ainsi un statut
constitutif d'une identité sociale qui sera ensuite mise en question par les transformations
sociales qui auront lieu après la crise des années 80. Ses œuvres les plus récentes telles que
L’insécurité sociale – Qu’est-ce qu’être protégé ? s'ancrent davantage dans la crise des années
2000 pour constater la montée croissante des incertitudes et des risques dans les sociétés
contemporaines dû notamment à la financiarisation du capitalisme dans les années 80 et la
fluctuation des marchés. Dans cette œuvre, Robert Castel met l’accent sur la dénonciation du
souci sécuritaire extrême ainsi que l’affirmation du besoin de protections de nos sociétés
contemporaines.
Cette œuvre est brève et se structure en cinq chapitres, chacun composé de deux sous
parties. Dans un premier temps, Il établit un rappel historique et reprend les thèses
philosophiques de Hobbes et de Locke pour saisir l’importance de la question des protections au
sein de la société et rappeler qu’être protégé n’est pas un état « naturel » mais « une dimension
consubstantielle à la coexistence des individus dans une société moderne ». Le sentiment
d’insécurité est donc une construction sociale, propre à chaque société et s’ancre dans une
période historique déterminée. Il met en avant la distinction entre les protections civiles et
sociales pour rappeler que la sécurité et l’insécurité correspondent à des rapports aux types de
protections assurées de chacune des sociétés. Il ne faut donc pas opposer sécurité et protection
puisque celles-ci son intrinsèquement liées. L’insécurité n’est dès lors pas une absence de
protection mais selon Robert Castel « une quête sans fin de protection et de sécurité ».
L’insécurité serait donc une conséquence de la protection. D’après le sociologue, « L’insécurité
sociale n’entretient pas seulement la pauvreté mais agit comme un principe de démoralisation,
de dissociation sociale à la manière d’un virus qui imprègne la vie quotidienne dissout les liens
sociaux et mine les structures psychiques des individus, c’est ne pouvoir maitriser ni le présent,
ni l’avenir. ». Etre protégé d’un point de vue social est donc permettre l’indépendance de chaque
individu par l’intermédiaire de conditions sociales minimales afin d’établir une « société de
semblable ». Selon Robert Castel, la protection sociale est ainsi la condition afin de former une
« société de semblable » car celle-ci engage une formation sociale au sein de laquelle nul n’est
exclu parce que chacun dispose de ressources et des droits nécessaires pour entretenir des
relations d’interdépendance avec tous les individus. C’est dans ces termes qu’il évoque la
« citoyenneté sociale ».
Une société salariale est selon Robert Castel une société dans laquelle l’immense
majorité de la population accède à « la citoyenneté sociale » à partir d’abord de la consolidation
du statut du travail. La société salariale est dès lors fortement réductrice des inégalités grâce à la
protection. C’est le statut collectif qui définit l’ensemble de règles, qui protège l’individu. Or
aujourd’hui, on observe une montée en puissance des processus d’individualisation. L’accès à la
propriété sociale engendre la production « d’équivalents sociaux des protections » qui étaient
auparavant seulement donnés par la propriété privée. L’Etat et les catégories
socioprofessionnelles homogènes sont les deux piliers sur lesquels se sont édifiés les systèmes
de protections collectives qui se sont effrités à partir des années 70 à cause du marché et de la
mauvaise situation économique. C’est pourquoi, on se retrouve face à une « hétérogénéisation
des catégories socio professionnel » qui s’est accompagné d’un chômage de masse, de la
précarisation des relations de travail à cause de la mise en compétition des individus avec une
dynamique profonde de « décollectivisation », de réindividualisation et d’insécurisation. Robert
Castel constate ainsi le retour des « classes dangereuses » à cause de la désocialisation des
individus et l’exclusion sociale. Cette peur de l’autre, de l’étranger, à travers le « problème des
banlieues » prend racine en réalité dans la rencontre entre insécurité civile et sociale. La
frustration sociale s’alimente ainsi d’un fort sentiment d’insécurité mêlant insécurité sociale et
civile. C’est ainsi que Robert Castel tente de corriger l’amalgame entre insécurité civile et
insécurité sociale souvent confondues. L’insécurité sociale alimente souvent le sentiment
d’insécurité civile. Ce phénomène marque le glissement de l’Etat social vers un Etat sécuritaire
par un retour à la loi et l’ordre. Il exprime d’après Hobbes le risque d’un état absolutiste pour
mettre en avant la « contradiction entre une demande absolue de protections et un légalisme
dont on observe les formes exacerbées d’un recours au droit dans toutes les sphères de
l’existence, jusqu’au plus privé » qui peut mener à une réduction et une limitation des libertés
publiques.
L’insécurité devient dès lors plus complexe, non seulement à cause de l’érosion des
systèmes de protection mais aussi par la prolifération des risques liés notamment à
l’environnement et aux nouvelles technologies. Robert Castel annonce ainsi « une nouvelle
génération de risque ». Il souligne la relation étroite entre l’explosion des risques,
l’hyperindividualisation des pratiques et la privatisation des assurances qui entraine une
certaine exigence de flexibilité concernant la protection sociale.
Toutefois, Robert Castel ne va pas remettre en cause l’ensemble du système de par les
solutions qu’il propose. A cette crise du système de protection et au problème croissant
d’insécurisation, il exprime des solutions portées sur la protection sociale, la sécurisation des
situations de travail et des trajectoires professionnelles. Afin de reconfigurer les protections
sociales, il propose la flexibilité des régimes de protections, leurs diversifications et leur
individualisation pour établir un « contrat de projet ». Il souhaite ainsi s’adapter à la fluctuation
des marchés pour établir un état social flexible et actif. D’autre part, Robert Castel souligne qu’il
est indispensable de créer un régime homogène de droit ainsi que de traiter à égalité l’insécurité
civile et sociale.
Robert Castel explique que « la problématique des protections sociales se situe
aujourd’hui à l’intersection du travail et du marché ». C’est principalement la croissance qui a
permis la mise en place de l’Etat social. La période des « Trente glorieuses » est en effet le
moment où l’on assiste à une période de forte productivité, de consommation et une hausse des
revenus salariaux. Certes, la croissance favorise la confiance mais le sociologue ne la remet
jamais en cause. Ainsi peut-on avoir quelques réserves quand aux solutions qui sont proposées.
De fait, elles correspondent plus à des mesures d’accompagnement et d’ajustement efficaces
pour « endiguer le marché », mais elles se situent au cœur d’un système en perdition. Ces
solutions ne sont donc pas des mesures réellement réformatrices et révolutionnaires. Elles ne
s’opposent pas au système mais tentent plutôt de s’y adapter. Il préconise de limiter l’hégémonie
du marché mais refuse de condamner le marché et souhaite davantage « domestiquer le
marché ».
Bien que le sociologue évoque « la dégradation de la conception de solidarité », il
n’aboutit pas à une remise en question et à une interrogation des valeurs de la société. Robert
Castel fait le constat d’un individualisme profond et croissant sans pour autant évoquer la
création de nouveaux liens ou la nécessité de créer de nouvelles valeurs au sein de nos sociétés
comme l’exprime Pierre Rosanvallon dans son œuvre La société des égaux. De fait, tel que le
souligne François Miquet-Marty dans son ouvrage Les nouvelles passions françaises publié en
2013, la crise économique est certes véritable mais apparaît comme seule génératrice des maux
de la société tandis que l’on observe un phénomène de délitement de la société. Ainsi, la crise ne
s’avère non pas seulement économique mais politique et sociale. Selon François Miquet-Marty,
on se retrouve face à une crise aussi basée sur une crise des mécanismes sociaux de la confiance.
Une société qui se délite ne permet pas d’augmenter et de répartir correctement les richesses
car on se retrouve face à une crise du lien social, une crise de la confiance. Il est donc nécessaire
pour refonder le système davantage de confiance pour créer un lien social et de la solidarité.
Ainsi, lorsque le sociologue signale la nécessité de « refaire société », il invoque la recherche de
nouvelles valeurs au sein des sociétés contemporaines.