La divination est-elle une science ?

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La divination est-elle une science ?
La divination à Rome La divination est‐elle une science ? La divination entre autant dans la sphère privée que dans la sphère publique, et alors que les Grecs donnent la prééminence à une divination inspirée et oraculaire, pour les Romains, l’univers est à tout moment signifiant, et sa divination privilégie l’approche technique et scientifique. Le devin romain n’est pas dépossédé de lui‐même comme l’oracle grec, mais c’est au contraire un technicien qui use de méthodes et de techniques longuement élaborées . Ainsi le terme grec μαντικὴ τέχνη est‐il construit sur μαίνεσθαι, délirer, tandis que la divinatio repose sur la lecture des signes des dii. Celle‐ci relève de trois grandes traditions : italique, étrusque et orientale Les livres sibyllins (Légende rapportée par Lactance et Denys d’Halicarnasse) Une vieille femme vint à la cour de Tarquin proposer neuf livres à un prix démesuré. Au premier refus du roi, elle brûle devant lui trois des livres, et lui propose les restants à un prix encore plus élevé. Second refus, seconde crémation. Alors que la vieille femme propose les trois derniers livres à un prix considérable, Tarquin se ravise et les achète : il s’agit de la somme des prédictions de la Sibylle, que celle‐ci venait en personne offrir au peuple romain. Les livres sont entreposés dans un coffre de pierre dans le temple de Jupiter Capitolin, et un collège de prêtres, les decemviri sacris faciundis est créé pour veiller sur eux et les consulter lors d’événements graves. L’histoire retient un nombre certain de consultations : ‐293 Une épidémie grave conduit, sur la recommandation des livres sibyllins, à la construction sur l’île Tibérine d’un temple dédié à un nouveau dieu : Esculape ‐204 Alors qu’Hannibal menace Rome, les livres sibyllins préconisent d’instaurer à Rome un culte à la déesse anatolienne Cybèle. Des navires partent alors rechercher la pierre noire de son culte en Orient, et le Sénat la fait dresser dans Rome (il a ensuite eu toutes les peines à réfréner un culte dont l’émasculation rituelle effrayait tout citoyen digne de ce nom) ‐85 le temple brûle, mais les livres sont reconstitués à partir des connaissances de l’Orient. Le nouveau recueil survit jusqu’à sa destruction par les Chrétiens. Prophéties de la Sibylle, des Pythie, des livres de Tagès Sur le même modèle, les prédictions des oracles sont compilées. Les prophéties de Tagès ont été dictées par un être magique sorti vivant et adulte du sillon que venait de tracer un laboureur étrusque dans son champ. Les Prophéties de Chiusum ont‐elles été dictées par la nymphe Vegaia, et elles sont traduites à l’époque de Cicéron en latin. Omina Proche du lapsus, c’est un signum auditif, qui bien que fortuit et en apparence anodin, délivre un message des dieux à qui sait l’entendre. Il présente l’énorme avantage de ne devenir une nécessité (ou un destin) que si la personne à qui le signe est destiné l’entend : il suffit donc de se protéger des sons et des bruits de la rue pour ne pas les entendre et ne pas subir le sort menaçant qu’ils annoncent. Auspicia (aves *spicere : regarder les oiseaux) 1 Signe visuel que délivre les oiseaux, dans leur vol ou par leur appétit (celui des oies du Capitole ou des poulets sacrés du forum). Il peut également se présenter en rêve. Il repose sur l’idée que les oiseaux, dans leur vol, sont plus près des sphères divines. Auspicia oblativa : auspice spontané (les aigles au‐dessus des jumeaux Romulus et Rémus ou de Tarquin l’Ancien) Auspicia impetrativa : auspice attendu, qui répond uniquement par oui ou par non à la question que pose l’augure. L’augure dessine avec son bâton (lituus) un espace dans le ciel (templum) et y observe le comportement aviaire. Le collège des augures et si important, politiquement, qu’il peut entrer dans le cursus honorum (c’est le cas pour Cicéron et Pline, qui l’ont tous deux été pendant un an, sans grande conviction mystique, mais en étant pleinement conscients du pouvoir politique qu’ils détenaient) Prodiges (Prodigium, ostentum, monstrum, miraculum, portentum) Tout phénomène naturel qui échappe à la banalité, quelle que soit sa nature, peut être considéré comme un prodige et à ce titre témoigner de la rupture avec la pax deorum. Afin de rétablir cet équilibre, on procède à une procuratio prodigiorum. Haruspicine D’origine estrusque, elle repose autant sur l’usage des compilations de prophéties, ou de rituels, que sur la lecture des exta (viscères), selon l’idée que les dieux communiquent avec les hiommes en modifiant les organes essentiels (foie, cœur, poumon des animaux au moment de leur sacrifice. Le foie offre par sa géométrie une source importante d’oracles (et des modèles de foies en terre cuite ou bronze, comme le foie de Faléries, dressent une cartographie des signes – qui nous est aujourd’hui bien peu lisible) Astrologie et magie Toutes deux sont originaires d’Orient et n’arrivent à Rome qu’au II° siècle, et ne s’implantent alors que dans les milieux populaires. L’astronomie, d’origine mésopotamienne, prend ses lettres de noblesse avec les traités de M Manilius et Firmicus Maternus. A la fin de la république, l’astrologie acquiert une telle aura dans les milieux lettrés et puissants que chaque princeps, dès Auguste, a son astrologue attitré. Elle repose sur l’idée que les planètes influencent tout le temps la destinée humaine, et que leur situation dans le Zodiaque permet de définir la nature – changeante ‐ de cette influence. + Kerranologie : Oracle de Dodone, chêne des Germains (Pline XXV, 106) 2 Interrogations scientifiques La divination est elle une science ? T Lat 2014‐15 Présentation du problème document Au moment de présenter les éléments que l’on peut utiliser dans un discours judiciaire, Quintilien s’interroge sur la place des oracles : On se pose souvent la question du choix 1 Saepe inter testes et argumenta quaesitum est. entre témoignages et preuves (…) His adicere si qui uolet ea quae diuina testimonia A ces éléments, on peut si l’on veut faire uocant, ex responsis oraculis ominibus, duplicem intervenir ce que l’on nomme des sciat esse eorum tractatum: generalem alterum, in témoignages surnaturels, tirés des 5 quo inter Stoicos et Epicuri sectam secutos pugna prédictions, des oracles, des présages ; que perpetua est regaturne proui‐dentia mundus, l’on sache alors qu’il y a deux façons d’en specialem alterum circa partis diuinationum, ut traiter : l’une est générale, et c’est un point quaeque in quaestionem cadet. perpétuellement débattu entre les Stoïciens et la secte d’Epicure, savoir si le monde est gouverné par une Providence ; l’autre est spéciale, et concerne les variétés de divinations, selon celle qui est en question. Aliter enim oraculorum, aliter haruspicum augurum Différents en effet sont les moyens d’établir 10 coniectorum mathematicorum fides confirmari aut ou de récuser l’autorité des oracles ou celle refelli potest, cum sit rerum ipsarum ratio diuersa. des haruspices, des augures, des devins, des Circa eius modi quoque instrumenta firmanda uel astrologues, puisque les deux classes‐même destruenda multum habet operis oratio, si quae diffèrent de méthodes. Il y a aussi dans le sunt uoces per uinum somnum dementiam même genre des instruments de preuve, où 15 emissae, uel excepta paruolorum indicia, la parole joue un grand rôle pour confirmer ou réfuter, par exemple les propos tenus en états d’ivresse, de sommeil, de folie, ou les indices recueillis de la bouche des petits enfants, dont certains diront qu’ils ne quos pars altera nihil fingere, altera nihil iudicare peuvent rien inventer, tandis que les autres dictura est. diront qu’ils ne peuvent rien percevoir correctement. Quintilien Institutions oratoires, V, 7 3 Interrogations scientifiques La divination est elle une science ? Texte présenté à l’oral Présentation du problème : la question vue par des philosophes Chez Cicéron : Au début de a réflexion sur la divination, Cicéron prend le parti de considérer la divination comme une science avérée afin de mieux l’étudier et la comprendre avant de trancher sur sa nature : Vetus opinio est iam usque ab heroicis ducta temporibus, eaque et populi Romani et omnium gentium firmata consensu, versari quandam inter homines divinationem, quam Graeci μαντικήν appellant, id est praesensionem et scientiam rerum futurarum. Magnifica quaedam res et salutaris, si modo est ulla, qua‐que proxime ad deorum vim natura mortalis possit accedere. Itaque ut alia nos melius multa quam Graeci, sic huic praestantissimae rei nomen nostri a divis, Graeci, ut Plato interpretatur, a furore duxerunt. Gentem quidem nullam video neque tam humanam atque doctam neque tam inmanem tamque barbaram, quae non significari futura et a quibusdam intellegi praedicique posse censeat. Principio Assyrii, ut ab ultumis auctoritatem repetam, propter planitiam ma‐gnitudinemque regionum, quas incolebant, cum caelum ex omni parte patens atque apertum intuerentur, tra‐
iectiones motusque stellarum observitaverunt, quibus notatis, quid cuique significaretur, memoriae prodide‐runt. Qua in natione Chaldaei non ex artis, sed ex gentis vocabulo nominati diuturna observatione siderum scientiam putantur effecisse, ut praedici posset, quid cuique eventurum et quo quisque fato natus esset. Eandem artem etiam Aegyptii longinquitate temporum innumerabilibus paene saeculis consecuti putantur. Cilicum autem et Pisidarum gens et his finituma Pamphylia, quibus nationibus praefuimus ipsi, volatibus avium cantibusque ut certissimis signis declarari res futuras putant. Quam vero Graecia coloniam misit in Aeoliam, Ioniam, Asiam, Siciliam, Italiam sine Pythio aut Dodonaeo aut Hammonis oraculo? aut quod bellum susceptum ab ea sine consilio deorum est? Cicéron, De divinatione, lib. I , premières sections 1 5 10 15 20 4 Interrogations scientifiques La divination est elle une science ? document Chez Platon : 1 5 10 15 20 25 30 35 40 Socrate rapporte le discours de Stésichore, fils d’Euphémos d’Himère, au sujet du délire au sein du couple amoureux : « Non, ce discours n'est pas vrai; non, il ne faut pas, lorsqu'on a un amant, lui préférer un homme sans amour, par cela seul que l'un est en délire et que l'autre est dans son bon sens; ce serait juste s'il était hors de doute que le délire fût un mal, mais au contraire le délire est pour nous la source des plus grands biens, quand il est l'effet d'une faveur divine. C'est dans le délire en effet que la prophétesse de Delphes et les prêtresses de Dodone ont rendu maints éminents services à la Grèce, tant aux États qu'aux particuliers; de sang‐froid, elles n'ont guère ou n'ont point été utiles. Ne parlons pas de la sibylle et des autres devins inspirés par les dieux, qui, par leurs prédictions, ont mis dans le droit chemin bien des gens : ce serait allonger le discours sans rien apprendre à personne. Mais voici un témoignage qui mérite l'attention, c'est que, chez les anciens, ceux qui ont créé les mots n'ont pas cru que le délire fût ni honteux ni déshonorant; car ils n'auraient pas attaché ce nom même au plus beau des arts, à l'art qui interprète l'avenir, et ne l'auraient pas appelé μανική (délire); c'est parce qu'ils regardaient le délire comme un don magnifique, quand il vient du ciel, qu'ils lui ont donné ce nom ; mais les modernes, insérant maladroitement un τ dans le mot, en ont fait μαντική (divination). Quand, au contraire, des hommes de sang‐froid cherchent à connaître l'avenir par les oiseaux et les autres signes, comme cet art se fonde sur le raisonne¬ment pour fournir à la pensée humaine (οἴησις) l'intelligence (νοῦς) et la connaissance (ἱστορᾴα), on l'a appelé oionistikè, dont les modernes ont fait oiônistikè (οἰωνοστική : art des augures), en y introduisant un emphatique ω. Ainsi, autant la divination l'emporte en perfection et en dignité sur l'art augural, autant le nom l'emporte sur le nom, et l'objet sur l'objet, autant aussi, au témoignage des anciens, le délire l'emporte en noblesse sur la sagesse, le don qui vient des dieux sur le talent qui vient de l'homme. Quand, pour venger de vieilles offenses, les dieux frappèrent certaines familles de maladies ou de fléaux redoutables, le délire, s'emparant de mortels désignés et faisant entendre sa voix inspirée à ceux qui devaient l'entendre, trouva le moyen de détourner ces maux, en recourant à des prières et à des cérémonies propitiatoires. C'est ainsi qu'en inventant les purifications et les expiations le délire préserva celui qui en était favorisé des maux présents et des maux futurs ; car il apprend à l'homme vraiment inspiré et possédé la manière de s'affranchir des maux qui surviennent. Il y a une troisième espèce de possession et de délire, celui qui vient des Muses. Quand il s'empare d'une âme tendre et pure, il l'éveille, la transporte, lui inspire des odes et des poèmes de toute sorte et, célébrant d'innombrables hauts faits des anciens, fait l'éducation de leurs descendants. Mais quiconque approche des portes de la poésie sans que les Muses lui aient soufflé le délire, persuadé que l'art suffit pour faire de lui un bon poète, celui‐là reste loin de la perfection, et la poésie du bon sens est éclipsée par la poésie de l'inspiration105. Tels sont, et je pourrais en citer d'autres, les heureux effets du délire inspiré par les dieux. Gardons‐nous donc de le redouter, et ne nous laissons pas troubler ni intimider par ceux qui disent qu'il faut préférer à l'amant agité par la passion l'ami maître de lui. Il leur resterait encore à prouver, pour emporter l'honneur de la victoire, que ce n'est pas pour le bien des amants et des aimés que les dieux leur envoient l'amour. De notre côté nous avons, au contraire, à démontrer que c'est pour notre plus grande félicité que cette espèce de délire nous a été donnée. Notre démonstration ne persuadera pas les habiles, mais convaincra les sages. Il faut d'abord apprendre à connaître exactement la nature de l'âme divine et humaine, en considérant ses propriétés passives et actives. Platon, Phèdre 244a – 245c
5 Interrogations scientifiques La divination est elle une science ? Texte présenté à l’oral Une virulente réprobation La satire VI est une charge violente contre les femmes de son siècle (+Ier siècle, la douce époque de Caligula, Néron et les 3 empereurs Othon, Galba, Vitellius), pour qui le mot Pudor a perdu tout sens : elles se perdent dans le luxe, les dépenses, la vie mondaine, la luxure, et finalement, les vices des religions à mystère et des oracles. Le texte est adressé à Postumus, sur le point de se marier : Elle a rendez‐vous ; elle a décidé de se mettre en frais d’élégance, elle est pressée. On l’attend au jardin (plus précisément au sanctuaire d’Isis, la déesse‐maquerelle), et une infortunée Psecas est en train d'arranger (elle‐même cheveux arrachés, épaules aies, seins nus) sa mise en plis. « Pourquoi cette boucle remonte‐t‐elle ? » Séance tenante le nerf de bœuf châtie le crime de la mèche rebelle ‐ qu'a donc fait la Psecas ? Où est sa faute, à cette fille, si votre trombine vous déplaît ? Une autre, côté gauche, brosse les cheveux, les peigne, les enroule aux bigoudis. Un jury se constitue autour d'une fileuse hors d'âge, vieille esclave de famille qui a lâché l'aiguille. Elle ouvre les avis, après quoi opineront les plus jeunes, par rang d'ancienneté ou de mérite, :omme pour trancher d'une affaire d'honneur ou décider d'une condamnation à mort, tant la recherche d'élégance tourne à l'idée fixe. Les boucles alignées se superposent et chaque rangée ajoute encore un étage à l'édifice érigé au sommet de sa tête. De face on dirait Andromaque, de dos son sosie en plus petit. Comment donc se coiffera celle qui a reçu de la nature une taille de naine, qui doit porter des semelles triples pour être au niveau d'une Pygmée vierge et sauter à pieds joints pour se faire embrasser ? Dans tout ça pas question du mari, pas un mot des trous faits à sa bourse. Elle vit comme si elle était sa voisine plutôt que sa femme. Tout ce qui les rapproche ce sont ses amis et ses esclaves qu'elle déteste, et son budget qu'elle grève ‐ justement voilà le chœur des délirants de Bellone et de Cybèle qui fait son entrée, mené par un géant sans couilles (il se les est amputées lui‐même, encore tendres, d'un coup de tesson, il y a bien longtemps). Les joues battues d'une tiare phrygienne, dominant de tout son prestige une procession crasseuse de fidèles enroués et une plèbe de tambourinaires, il prend des accents emphatiques pour lui décrire les maléfices du Sirocco septembral et lui enjoindre de s'en purger par l'offrande d'une centaine d'œufs et de vieilles chemises rouge‐pampre, pour que tous les accidents et catastrophes prédits s'en aillent dans le linge et qu'elle achète d'un coup sa tranquillité pour l'année. Cet hiver elle s'en ira à l'aube casser la glace du Tibre pour se baigner dans le courant, y plonger trois fois, se laver la tête à même le tourbillon, tout effrayée, après quoi, nue et grelottante, elle traversera le champ de Tarquin le Superbe en rampant sur ses genoux en sang. Si Io la Radieuse lui en donne l'ordre, elle ira au fin fond de l'Egypte, jusqu'à la torride Meroe, chercher de quoi asperger d'eau le temple d'Isis, juste à côté du parc à brebis antique : elle est persuadée d'entendre la voix de la Dame et d'avoir des révélations ‐ voilà la créature, voilà le cerveau avec qui les dieux auraient des entretiens nocturnes ! Pas étonnant qu'elle réserve le premier rang et les suprêmes honneurs à l'Anubis de farce pour gogos pleurards qui accourt, escorté d'une troupe de tondus en robe de lin. Chaque fois qu'elle a fait l'amour avec son mari pendant la période taboue, que les taches sur le drap appellent un châtiment impitoyable, qu'on a vu le serpent d'argent remuer la tête, c'est lui qui demande grâce pour elle, c'est par ses larmes et ses marmottages préfabriqués qu'Osiris se laisse fléchir et pardonne ‐ à condition bien entendu d'avoir reçu l'offrande corruptrice d'une oie grasse et d'une pâtisserie fine. A peine celui‐là a‐t‐il vidé les lieux qu'arrive, laissant là sa corbeille et son foin pour venir lui mendier dans le creux de l'oreille, une Juive chevrotante, docteur de la Loi de Solyme, grande prêtresse de l'Arbre, ambassadrice accréditée de la Céleste Voûte. Elle non plus ne repart pas les mains vides, mais ça coûte moins cher : les Juifs te débitent à la demande n'importe quel songe creux pour une pincée de petite monnaie. 6 548 550 555 560 565 spondet amatorem tenerum uel diuitis orbi testamentum ingens calidae pulmone columbae tractato Armenius uel Commagenus haruspex; pectora pullorum rimabitur, exta catelli interdum et pueri; faciet quod deferat ipse. Chaldaeis sed maior erit fiducia: quidquid dixerit astrologus, credent a fonte relatum Hammonis, quoniam Delphis oracula cessant et genus humanum damnat caligo futuri. praecipuus tamen est horum, qui saepius exul, cuius amicitia conducendaque tabella magnus ciuis obit et formidatus Othoni. inde fides artis, sonuit si dextera ferro laeuaque, si longe castrorum in carcere mansit. nemo mathematicus genium indemnatus habebit, sed qui paene perit, cui uix in Cyclada mitti contigit et parua tandem caruisse Seripho. consulit ictericae lento de funere matris, ante tamen de te Tanaquil tua, quando sororem efferat et patruos, an sit uicturus adulter post ipsam; quid enim maius dare numina possunt? (569‐582) Encore ce genre de clientes ont‐elles le mérite d'ignorer les catastrophes que présage Saturne, la constellation qui rend Vénus propice, les mois de malchance et les périodes de gain. Mais rappelle‐toi de changer de chemin quand tu en croises une qui serre entre ses doigts un almanach graisseux, usé, jauni comme l'ambre, une qui ne consulte plus et qu'on consulte déjà, une qui ne suivra son mari ni partant aux armées ni rentrant dans ses foyers, pour peu que ça lui soit contre‐indiqué par les Tables de Thrasylle, une qui choisit l'heure dans son manuel avant d'aller se promener en voiture à un mille de Rome, une qui consulte son ciel pour acheter un collyre quand elle a attrapé un orgelet à force de se frotter l'œil, une qui, même malade et au lit, n'interrompra sa diète qu'aux heures indiquées dans le Petosiris (manuel d’astrologie égyptienne en vogue)! 583 585 590 si mediocris erit, spatium lustrabit utrimque metarum et sortes ducet frontemque manumque praebebit uati crebrum poppysma roganti. diuitibus responsa dabit Phryx augur et inde conductus, dabit astrorum mundique peritus atque aliquis senior qui publica fulgura condit. plebeium in circo positum est et in aggere fatum. quae nudis longum ostendit ceruicibus aurum consulit ante falas delphinorumque columnas an saga uendenti nubat caupone relicto. Du moins ces femmes‐là, accablées par leur condition, prennent le risque d'enfanter et supportent de faire les nourrices. 7 Interrogations scientifiques La divination est elle une science ? Texte présenté à l’oral Analyse grammaticale du texte de Cicéron 1 Vetus opinio est iam usque ab heroicis ductă temporibus Il existe une vieille idée menée jusqu’à aujourd’hui depuis les temps héroïques
eăque et populi Romani et omnium gentium firmată consensu Et celle‐ci confirmée par l’assentiment du peuple romain et des nations de tous les autres versari quandam inter homines divinationem Infinitive explétive (proposition qui développe le mot opinio)
Selon laquelle Il se trouve parmi les hommes une certaine divination quam Graeci μαντικήν appellant, Les mots grecs conservent leur déclinaison : μαντικήν est un accusatif
Que les Grecs appellent mantikè Les nôtres ont tiré le nom de cette chose des plus précieuses des divinités, tandis que les Grecs, comme l’explique Platon, l’ont tiré de la folie Gentem quidem nullam video Je ne vois aucune nation neque tam humanam atque doctam neque tam inmanem tamque barbaram Ni si humaine et savante, ni si monstrueuse et barbare
quae non significari futura et a quibusdam intellegi praedici*que posse censeat *dyew‐
Désigne la lumière du jour et le divin. C’est la racine de Ζεύς Jupiter, Dies et divus, deus, etc… ἡ μανία désigne la folie Sic huic praestantissimae rei nomen nostri a divis, Graeci, ut Plato interpretatur, a furore duxerunt. polysyndète
Notion stoïcienne de consensus* id est praesensionem et scientiam rerum futurarum. C'est‐à‐dire la préscience et la science du futur (divination naturelle et artificielle)
Magnifica quaedam res et salutaris, si modo est ulla Cohose magnifique et salutaire, si toutefois elle existe
quāque proxime ad deorum vim natura mortalis possit accedere Et par laquelle notre nature mortelle peut s’approcher de très près de la force des dieux 5 Itaque ut aliă nos melius multă quam Graeci C’est pourquoi, ainsi que nous le faisons bien mieux que les Grecs dans de nombreuses choses
Qui ne juge pas que l’avenir puisse être indiqué, et compris comme prédit par certains Relative au subjonctif 10 Principio Assyrii, ut ab ultumis auctoritatem repetam Au début les Assyriens, pour faire remonter ma recherche de prédécesseurs le plus loin possible propter planitiam magnitudinemque regionum, quas incolebant Parce que leur pays est plat et vaste cum caelum ex omni parte patens atque apertum intuerentur Pour avoir regardé un ciel étendu et dégagé de toutes parts
traiectiones motusque stellarum observitaverunt Ont observé avec rigueur les trajectoires te le s mouvements des étoiles
Concordance quibus notatis, quid cuique significaretur, memoriae prodiderunt des temps Et après les avoir notées, ont confié à la mémoire ce qui été indiqué, et pour qui
Quā in natione Chaldaei non ex artis, sed ex gentis vocabulo nominati Parmi ce peuple, les Chaldéens, nommés ainsi par un terme qui désigne non leur art mais leur peuple diuturnā observatione siderum scientiam putantur effecisse Par une longue observation des astres ont mis au jour une science, pense‐t‐on
ut praedici posset, quid cuique eventurum et quo quisque fato natus esset 8 De telle sorte que puisse être prédit ce qui était destiné à chacun, et pour quel destin chacun était né. Eandem artem etiam Aegyptii consecuti <esse> putantur Les Egyptiens à leur tour ont, pense‐t‐on, poursuivi cette même science
longinquitate temporum innumerabilibus paene saeculis Pendant une longue période et un nombre de générations à peine dénombrables Cilicum autem et Pisidarum gens et his finituma Pamphylia, La nation de Cilicie et de Piside, at la Pamphylie qui leur est frontalière
(quibus nationibus praefuimus ipsi) (nations que j’ai moi‐même dirigées) volatibus avium cantibusque ut certissimis signis declarari res futuras putant Pensent que l’avenir est affirmé par les vol des oiseaux et leur chant, qui en sont des signes très clairs Quam vero Graecia coloniam misit in Aeoliam, Ioniam, Asiam, Siciliam, Italiam Quant à la Grèce, quelle colonie a‐t‐elle envoyée en Eolie, Ionie, Asie, Sicile, Italie
sine Pythio aut Dodonaeo aut Hammonis oraculo? Sans prendre l’oracle de la Pythie, de Delphes ou d’Hammon?
aut quod bellum susceptum ab eā sine consilio deorum est? Ou quelle guerre a été entreprise par elle sans l’avis des dieux ? Consensus stoïcien : concept selon lequel lorsqu’une idée se retrouve dans l’humanité toute entière, la force de l’intuition qui l’a fait naître la valide : puisque l’idée du divin est universelle, c’est que la réalité des dieux qui nous l’insuffle est vraie.[sic…] Significari, intellegi, praedici sont canoniquemtn les trois phases de tout acte de divination μάντις et μαίνομαι, bien que leur rapprochement soit séduisant et de prime abord vraisemblable, n’ont en fait aucun rapport. (Casevitz, « Μάντις, le vrai sens », REG 105, p. 1‐18, 1992) Pour le commentaire : Realia : la divination, la chronologie propre aux Romains et le découpage du monde Un éloge de la divination, son antiquité, son universalité, sa rationalité Teinté de doute et d’ironie conclusion : les questions rhétoriques qui closent le passage s’entendent selon deux niveaux de lecture, qui correspondent aux deux frères : livre I Quintus, qui suit la divination, mais dont la parole est médiatisée par le frère ; livre II : le frère Marcus, qui détruit d’emblée cette tentative Vis (la force) La déclinaison est défective N Acc Gen Dat Abl Vis Vim - - Vi Vires Virium viribus 9 Interrogations scientifiques La divination est elle une science ? Texte présenté à l’oral Analyse grammaticale du texte de Juvénal spondeus, σπονδεῖος (spondée) ont la même Un tendre amant ou bien d’un homme riche étymologie que spondeum, vase à libation, sans descendance spondeo, promettre, respondeo, répondre, annoncer (pour un oracle) testamentum ingens calidae pulmone columbae // tractatō Ce n’est pas un ablatif absolu… L’immense testament, après avoir examiné un poumon de colombe encore chaude 550 Armenius uel Commagenus haruspex (voilà ce que) promet un haruspice arménien ou de Commagène Rejet : pectora pullorum rimabitur, exta catelli // interdum et pueri; amplification de ce Il examinera les poitrines de volailles, les viscères des veaux, qui est choquant et de temps à autres, même celles d’un jeune garçon faciet quod deferat ipse. Il fera ce que lui‐même dénoncerait Chaldaeis sed maior erit fiducia Mias plus grande (encore) sera la confiance prêtée aux Chaldéens Contre rejet: quidquid // dixerit astrologus, credent a fonte relatum // Hammonis perte de logique [objet de credent ] attribut du COD Quoi que ce soit qu’aura dit l’astrologue, ils croiront que cela a été tiré de la source d’Hammon 555 quoniam Delphis oracula cessant // et genus humanum damnat caligo futuri. Puisque les oracles de Delphes se tait et que l’obscurité de l’avenir condamne l’espèce humaine praecipuus tamen est horum, qui saepius exul, Le plus important parmi ces gens‐là est celui qui a le plus souvent été exilé cuius amicitiā conducendāque tabellā // magnus ciuis obit et formidatus Othoni. Tabellam conducere : Et par la faute de l’amitié et la tablette de décision duquel un grand citoyen périt, même s’il était craint d’Othon voter, en inscrivant sa 560 inde fides artis, sonuit si dexteră ferro // laeuăque proposition sur La confiance en son art [existera] On aura confiance en son art si n’a pas résonné à sa main droite du fer, et à sa gauche une tablette. si longe castrorum in carcere mansit. S’il est longtemps resté dans la prison d’un camp nemo mathematicus genium indemnatus habebit spondet amatorem tenerum uel diuitis orbi Aucun astrologue/numérologue n’aura de génie s’il n’a pas été condamné
sed qui paene perit, cui uix in Cyclada mitti // contigit Mais celui qui a presque périt, à qui a presque échu la chance d’être envoyé aux Cyclades Σέριφος est aussi une et paruā tandem caruisse Seripho. île des Cyclades Et qui a finalement échappé à la petite Seripho
[litt. Et qui a manqué de la petite Séripho – carere en fait un manque, au contraire du soulagement que laisse supposer la traduction française ] Double encadrement, chiasme
565 consulit ictericae lento de funere matris éventuellement Elle prend conseil à propos de la lente mort de sa mère, frappée d’ictère (jaunisse – symptôme de toutes les hépatites, visiblement…) ante tamen de te Tanaquil tua*, quando sororem (avant cependant, à ton propos) ta Tanaqui à toi ; (elle demande) quand elle emportera sa sœur efferat et patruos, an sit uicturus adulter // post ipsam 10 Forme de subjonctif futur
– utilisé seulement pour transcrire le futur dans un discours indirect qui requiert le subjonctif
Et ses oncles ? est‐ce que son amant sera vaincu (par la mort) après elle‐même ? quid enim maius dare numina possunt? Qu’est‐ce que les puissances divines peuvent en effet donner de plus grand ?
Encore ce genre de clientes ont‐elles le mérite d'ignorer les catastrophes que présage Saturne, la constellation qui rend Vénus propice, les mois de malchance et les périodes de gain. Mais rappelle‐toi de changer de chemin quand tu en croises une qui serre entre ses doigts un almanach graisseux, usé, jauni comme l'ambre, une qui ne consulte plus et qu'on consulte déjà, une qui ne suivra son mari ni partant aux armées ni rentrant dans ses foyers, pour peu que ça lui soit contre‐indiqué par les Tables de Thrasylle, une qui choisit l'heure dans son manuel avant d'aller se promener en voiture à un mille de Rome, une qui consulte son ciel pour acheter un collyre quand elle a attrapé un orgelet à force de se frotter l'œil, une qui, même malade et au lit, n'interrompra sa diète qu'aux heures indiquées dans le Petosiris ! 583 si mediocris erit, spatium lustrabit utrimque // metarum Lustrare : purifier (laver rituellement) : il s’agit de Futur et futur antérieur : éventuel faire tourner l’offrande autour de la borne, ou la Si elle est d’une fortune médiocre, elle honorera l’espace des deux côtés des victime, ou soi‐même. bornes polysyndète
et sortes ducet frontemque manumque //praebebit Elle tirera les sorts et elle tendra la main et le front
τὸ πόππυσμα est un claquement 585 uati crebrum poppysma roganti de langue approbateur, dont Accusatif grec de relation (objet effectué par rogare)
Pline note qu’il sert à détourner un orage (XXVIII,25) Au devin qui l’appelle d’un claquement de langue fréquent (= qui fait claquer sa langue plusieurs fois pour l’appeler) diuitibus responsa dabit Phryx augur et inde // conductus Aux riches, c’est un augure phrygien qui formule les réponses, après avoir même été conduit chez eux dabit astrorum mundique peritus C’est un expert des astres et de l’ordre du monde
atque aliquis senior qui publică fulgură condit. Et quelque vieillard qui enterre la foudre pour l’Etat.
plebeium in circo positum est et in aggere fatum Le destin du peuple se trouve dans le cirque et sur la place publique
590 quae nudis longum ostendit ceruicibus aurum « Relatif sans antécédent » Celle qui porte un long collier en or sur son cou nu consulit ante falas delphinorumque columnas Consulte les oracles devant les colonnes de bois et les colonnes aux dauphins An saga uendenti nubat caupone relicto. Colonnes de bois de l’Epine du cirque et colonnes compte‐tours. Et demande si elle épousera le fripier après avoir abandonné le cabaretier Sagum: vêtement de mauvaise qualité, manteau des Germains ou des esclaves Tanaquil, femme de Tarquin l’Ancien, est celle dont l’ambition conduisit son mari à la tête de Rome, et qui est donc responsable du destin peu glorieux de son descendant Tarquin le Superbe. 11 Interrogations scientifiques La divination est elle une science ? Document Exemples de signa indiqués par Cicéron IV Etenim nobismet ipsis quaerentibus quid sit de divinatione iudicandum, quod a Carneade multa acute et copiose contra Stoicos disputata sint, verentibusque ne temere vel falsae rei vel non satis cognitae adsentiamur, faciendum videtur ut diligenter etiam atque etiam argumenta cum argumentis comparemus, ut fecimus in iis tribus libris quos de natura deorum scripsimus. Nam cum omnibus in rebus temeritas in adsentiendo errorque turpis est, tum in eo loco maxime, in quo iudicandum est quantum auspiciis rebusque divinis religionique tribuamus; est enim periculum, ne aut neglectis iis impia fraude aut susceptis anili superstitione obligemur. Quand je me demande en effet quel jugement il convient de porter sur la divination, prenant en considération de nombreux et subtils arguments dirigés par Carnéade contre les Stoïciens, je crains de donner à l'aveuglette mon assentiment à des idées fausses ou insuffisamment éclaircies et il me paraît, en conséquence, qu'il faut, comme je l'ai fait dans mes trois livres sur la nature des dieux, confronter avec soin, sans me lasser, les raisons des uns avec celles des autres. Si, en effet, c'est toujours chose laide que de juger à la légère et de se tromper, on doit particulièrement l'éviter quand il s'agit de décider quelle attitude sied à l'égard des auspices, des oracles divins, des pratiques religieuses. Nous courons le danger, si nous leur refusons toute créance, de nous charger du crime d'impiété et, si nous acceptons l'opinion commune, de nous asservir à une superstition de vieille femme. Les auspices Voyons encore : bien des années après Romulus, sous le règne de Tarquin l'Ancien, quel est le vieil auteur qui ne parle de la délimitation opérée par Attus Navius. Tout jeune il faisait, étant pauvre, paître les porcs; une truie disparut et il promit, s'il la retrouvait, d'offrir au dieu le plus beau raisin qui fût dans le vignoble. Il la retrouva et alors, se tournant au midi il divisa, dit‐on, le vignoble en quatre parties, sur les indications des oiseaux en écarta trois, puis, ayant avec son bâton délimité les régions dans la quatrième, mit la main sur une grappe d'une grosseur merveilleuse, ainsi est‐il écrit. Ce succès lui valut de la célébrité, tous ses voisins parlaient de lui, le glorifiaient, si bien que Tarquin l'Ancien le fit venir. Pour éprouver sa science augurale, ce roi lui dit qu'il avait pensé quelque chose et lui demanda si ce qu'il avait pensé pouvait se faire. Après consultation des auspices Attus Navius répondit affirmativement. Tarquin alors dit qu'il avait pensé à un caillou tranché à l'aide d'un rasoir et sa volonté fut qu'Attus essayât. On apporta un caillou dans le "comitium" et, sous les yeux du roi et du peuple, Attus le trancha en se servant d'un rasoir. Ainsi arriva‐t‐il que Tarquin prit Attus Navius pour augure et le peuple le consultait sur ses affaires. Suivant la tradition on enterra le caillou et le rasoir dans le "comitium" et l'on construisit au‐dessus un "puteal" Interpréter les signes naturels ‐ 1
Y a‐t‐il matière à raillerie dans cette histoire d'une mule qui a mis bas ? Les haruspices n'ont‐ils pas prédit que cet enfantement contraire à la nature, qui veut que cet animal soit stérile, annonçait la venue au monde d'incroyables malheurs? Et Tiberius Gracchus, qui a été deux fois consul, qui a été censeur, un très grand augure, un homme plein de sagesse, un citoyen excellent, quand on découvrit deux serpents dans sa maison, n'a‐t‐il pas, comme l'a écrit son fils Caïus, mandé des haruspices? Leur réponse fut que s'il mettait le mâle en liberté, sa femme mourrait dans un bref délai, s'il lâchait la femelle, c'est lui‐même que la mort frapperait. Il jugea qu'à l'âge où il était parvenu, mourir était chose assez naturelle et qu'au contraire la fille toute jeune de Scipion l'Africain avait droit à la vie. Il lâcha la femelle et s'éteignit peu de jours après. 12 Interpréter les signes naturels ‐ 2
Des interprètes habiles font des prédictions que justifie l'événement. Des fourmis introduisirent des grains de froment dans la bouche du Phrygien Midas encore enfant, pendant son sommeil. On prédit qu'il deviendrait très riche et il le devint en effet. Alors que Platon tout petit dormait dans son berceau, des abeilles se posèrent sur ses lèvres et cela voulait dire, d'après les devins, que son langage aurait une douceur singulière. L'éloquence de l'homme fait apparaissait donc par anticipation dans l'enfant. Mais quoi? Roscius, tes amours, ton délice était‐il un menteur ou est‐ce tout Lanuvium qui a menti pour lui? Tout enfant on l'élevait à Solonium dans le territoire de Lanuvium et une nuit sa nourrice réveillée le vit à la lumière d'une lampe qui dormait le corps enlacé par un serpent. Épouvantée elle poussa un cri, mais quand le père de Roscius eut rapporté le fait aux haruspices, ils déclarèrent que rien n'égalerait le renom, la célébrité de cet enfant. Pasitèle, le ciseleur, a donné de la scène une représentation en argent, notre ami Archias l'a mise en vers. Que demanderons‐nous de plus? Faut‐il que les dieux se montrent à nous au forum, que nous les rencontrions sur les routes, qu'ils viennent chez nous? Interpréter les songes Mais voici deux songes très souvent rappelés par les Stoïciens et que je ne vois pas que nul puisse juger méprisables. Dans l'un il s'agit de Simonide : ce poète avait trouvé un cadavre humain allongé sur le sol et l'avait inhumé, après quoi son intention était de s'embarquer. L'homme auquel il avait donné une sépulture lui apparut et le détourna de ce projet : s'il partait en mer, il périrait dans un naufrage. Simonide revint à terre et les autres passagers succombèrent. L'autre songe, qui est bien connu, se raconte comme il suit :Deux amis arcadiens voyageaient ensemble et arrivèrent à Mégare, l'un descendit à l'auberge, l'autre chez un hôte. Après le repas du soir ils allèrent se reposer et, pendant la nuit, celui des deux qui était chez un hôte vit en songe son ami qui implorait son secours parce que l'aubergiste s'apprêtait à le tuer. Il se réveilla tout effrayé, se leva, puis se ressaisit, jugea qu'il n'y avait pas là de quoi s'inquiéter et se recoucha. Quand il fut rendormi son ami lui apparut de nouveau lui demandant, puisqu'il ne l'avait pas secouru vivant, de ne pas laisser sa mort sans vengeance : l'aubergiste l'avait tué puis avait mis le cadavre dans une charrette et l'avait recouvert de fumier. Il demandait à son ami de se rendre au matin à la porte de la ville avant que la charrette en fût sortie. Troublé par ce songe, l'ami, quand le jour parut, se tint en effet à la porte de la ville et quand parut un bouvier conduisant une charrette lui demanda ce qu'il transportait. L'homme effrayé prit la fuite, on découvrit le mort et, le crime établi, l'aubergiste subit la peine qu'il méritait. Ut ordiar ab haruspicina, quam ego rei publicae causa communisque religionis colendam censeo ‐ sed soli sumus; licet verum exquirere sine invidia, mihi praesertim de plerisque dubitanti ‐, inspiciamus, si placet, exta primum. ‐ Pour commencer, je parlerai de l'haruspicine; dans l'intérêt de la république et par égard pour les croyances populaires je suis d'avis d'en maintenir la pratique. Mais nous sommes entre nous et il m'est permis, à moi surtout qui fais profession de mettre tant de choses en doute, de chercher la vérité sans exciter la haine. Examinons, si tu le veux bien, la signification attachée aux entrailles. Les haruspices XXIII. ‐ À quoi bon d'autres exemples? Considérons la façon dont l'haruspicine a pris naissance, nous jugerons mieux ainsi de l'autorité qu'on doit lui reconnaître. On raconte qu'une fois, dans le territoire de Tarquinies, au temps du labour, le soc de la charrue s'étant enfoncé dans le sol plus profondément que de coutume, un certain Tagès en sortit brusquement et adressa la parole au laboureur. Ce Tagès, d'après les livres des Étrusques, avait l'aspect d'un enfant, mais la sagesse d'un vieillard. Stupéfait à sa vue, l'homme aux bœufs poussa un grand cri de surprise, on accourut de toutes parts et au bout de peu d'instants toute l'Étrurie était là : Tagès alors parla longuement 13 devant un nombreux auditoire, on recueillit toutes ses paroles et on les mit par écrit. C'est ce discours qui contenait les règles de l'haruspicine; on y a depuis ajouté quelques dispositions complémentaires, fruit de l'expérience, toujours en rapport avec les principes posés. Telles sont les traditions que nous tenons des Étrusques, voilà les livres qu'ils gardent, la source de leur science. Faudra‐t‐il un Carnéade, un Épicure pour en montrer le néant? Est‐il quelqu'un d'assez déraisonnable pour croire que la charrue a fait sortir du sol un ... j'hésite, était‐ce un dieu ou un homme? Si c'était un dieu pourquoi cet enfouissement dans le sol, pourquoi fallait‐il l'intervention d'une charrue pour qu'il revît la lumière du jour? Vraiment, un dieu ne pouvait‐il instruire les hommes de plus haut? Si ce Tagès était un homme, comment a‐t‐il pu vivre sous cette terre qui l'écrasait? D'où tenait‐il les règles qu'il enseignait aux autres? Mais en vérité moi qui perds mon temps à montrer l'absurdité de ce récit, je suis plus déraisonnable encore que ceux qui le croient vrai. XXIV. ‐ Il y a de Caton un mot qui reste plein de sens : il s'étonnait, disait‐il, qu'un haruspice pût regarder sans rire un autre haruspice. Et en effet combien de fois leurs prédictions se sont‐elles trouvées d'accord avec l'événement? Et quand c'est arrivé, comment prouver qu'il n'y a pas eu coïncidence fortuite? Le roi Prusias, quand Hannibal en exil chez lui aurait voulu engager la lutte, déclarait qu'il n'osait pas parce que les entrailles étaient contraires. «Et tu aimes mieux, lui dit Hannibal, t'en rapporter à un morceau de chair de veau qu'à un vieil homme de guerre.» 14