STUART OF CORSICA, L`origine dévoilée

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STUART OF CORSICA, L`origine dévoilée
STUART OF CORSICA, L’origine dévoilée
- Première édition Une enquête historique réalisée par Desideriu Ramelet-Stuart
In memoriam,
Dumenicu Stuart, Luisa Stuart
N° ISBN : 978-2-7466-2340-8
Copyright Editions Stuart of Corsica © 2010
Préface
Il y avait très longtemps que je m’interrogeais sur l’existence en Corse d’une
famille Stuart. Comment ce nom célèbre d’une grande famille d’Ecosse et souverains
d’Angleterre s’entendait-il chez nous ?
Je l’avais remarqué dans les années 70, lorsqu’un jeune militant du nom de Stuart
s’était retrouvé au banc des accusés de la très fameuse Cour de sûreté de l’Etat.
Il était surprenant de trouver ce nom parmi les patronymes des jeunes révoltés
amoureux de leur île en plein vingtième siècle. Jusqu’à ce qu’un ami, quelque trente
ans plus tard, n’attire mon attention sur un gros document qu’il me donna à lire,
une sorte de manuscrit dévoilant l’origine des « Stuart of Corsica ».
L’exploration de l’histoire à travers la recherche des traces d’une famille, d’un
groupe de personnages, d’une généalogie, est toujours passionnante lorsqu’elle ne
se contente pas d’aligner des noms et de simples dates. Lorsque le descendant, le
descendant-chercheur, ou le chercheur tout court, fouille dans les archives, exhume
des documents, trace des connexions, contextualise les faits et nous raconte les vies
des membres de cette famille.
Desideriu Ramelet-Stuart, il faut bien le dire, était grandement servi par le caractère
tout à fait remarquable, le destin peu banal de cette ascendance. Il nous fait côtoyer les
plus grands personnages de l’histoire de la Corse, du siècle des lumières, et quelques
souverains de l’Europe d’alors. Mais beaucoup plus que cela, sa recherche le conduit
à porter le regard sur des pans méconnus, souvent peu explorés, parfois même
ignorés ou jamais révélés, des suites de Ponte Novu, de l’exil en Toscane, cette
« base arrière » du combat paoliste.
Nous touchons du doigt ce que fut la vie de ces exilés, les rêves qu’ils nourrissaient
d’une reconquête de l’île, le positionnement du Grand Duché de Toscane, et le rôle des
anglais pendant qu’en Corse même, une résistance poursuivait le combat. Jusqu’à la
parenthèse du Royaume anglo-corse.
Le rôle des Stuart, d’Emmanuel à Giovanni, de l’Ecosse à la Corse en passant
par Belfast, et de Londres à Castifau, prend petit à petit un sens dans la logique
des luttes d’influence entre grandes puissances tout autour de notre île,
du drame de Ponte Novu à la révolution française.
A la suite de cela, pendant que Paoli finissait sa vie là bas, en Angleterre, les Stuart
faisaient souche en Méditerranée, au coeur de nos montagnes. Et l’exploration du
destin de ces hommes nous permet aujourd’hui de découvrir des aspects moins
connus de l’histoire et de mettre nos pas dans ceux d’individus qui peuvent nous
conduire sur des chemins de traverse.
Sampiero Sanguinetti
Avant-propos
L’étude de l’origine des Stuarts en Corse ne procède pas nécessairement d’un
travail de généalogie classique réservé à quelques initiés ou à quelques proches.
L’arrivée du premier Stuart en Corse ne peut s’extraire du contexte plus universel du
siècle des Lumières et de tous les bouleversements qui s’y rapportent.
Comme de nombreux enfants issus de familles de nobles lignées, de jeunes Stuarts
parcourent l’Europe et arrivent en Italie. C’est ce qu’on appelait alors « Le grand tour »,
un voyage nécessaire pour parfaire une éducation et une formation intellectuelles.
Il s’agit de voyages aussi plaisants qu’instructifs, réservés à une élite
D’autres jeunes Stuarts, au contraire, sont en fuite. Ils ont fui l’Écosse après les
défaites stuardistes de 1715 et de 1746, et se réfugient un peu partout en Europe,
principalement en France et en Italie. Certains font escale en Irlande, d’où ils peuvent
aller et venir en Amérique du Nord, voire s’y établir.
De la Scandinavie à l’Espagne, en passant par l’Irlande, la nébuleuse jacobite s’agite
donc sur tout le continent européen, soutenant les derniers prétendants Stuarts.
La Corse, bien malgré elle, se retrouvera au coeur de l’affrontement entre les Stuarts
et les Hanovres dans leur lutte pour le trône d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande.
Durant cette période, la Corse, indépendante, est européenne. Elle est un lieu
qui cristallise les aspirations spirituelles, philosophiques et politiques d’hommes
et de femmes progressistes. Elle est aussi, du fait de liens anciens entre
Highlanders et Islanders, une terre qui nourrit quelques espoirs pour les Jacobites.
Les Stuarts en exil essayeront de bâtir une véritable alliance politique avec le
gouvernement de Paoli, alliance fondée sur des intérêts communs et une proche
vision du monde.
Dans les années 1760 et 1770, la Toscane est un carrefour d’échanges entre
Paolistes et Jacobites. Dans les dernières semaines précédant la bataille de
Ponte Novu, les principaux soutiens viendront d’Écosse et d’Irlande.
C’est précisément durant cette période, demeurant l’une des plus
sanglantes et porteuses d’espoir de l’histoire de la Corse, qu’un homme,
Emmanuel Stuart, est venu s’établir définitivement dans l’île.
A travers son histoire, certains aspects de l’histoire de la Corse seront de nouveau
explorés et le voile sur l’origine des Stuarts de Castifau sera levé.
Desideriu Ramelet-Stuart
Table des Matières
Des Irlandais en Méditerranée ................................................................
p 7
Paoli, Stuart : Cause commune ? ...........................................................
p 11
1768-1769 : From Scotland to Corsica ....................................................
p 16
La Toscane de l’après Ponte Novu : Une base arrière ...........................
p 22
Emmanuel Stuart et le soulèvement de 1774 .........................................
p 29
Vie et mort d’Emmanuel Stuart en Corse ................................................
p 35
Les Mibelli-Stuart et leurs alliés ..............................................................
p 38
Le général Charles Stuart, Giovanni Stuart, et le royaume anglo-corse . p 43
Giovanni Stuart de Castifau, « u vechju Stuart » ....................................
p 52
épilogue ..................................................................................................
p 62
Annexes ..................................................................................................
p 63
Remerciements .......................................................................................
p 77
Des Irlandais en Méditerranée
Pour comprendre les énigmes du présent, fussent-elles à
une échelle locale, il est parfois
nécessaire de s’affranchir des notions
de distance dans le temps et dans l’espace. Pour appréhender dans leur
globalité les mécanismes historiques qui ont conduit à l’établissement de Stuarts en
Corse, il convient de délimiter des champs d’exploration divers qui forment un
ensemble cohérent.
C’est bien durant le xviiie siècle qu’un Stuart est venu s’établir en Corse ; Il s’appelle
Emmanuel Stuart. Habitué aux métiers de la guerre et de la forge, il déclare être
originaire de Belfast et être le fils de John. Il prononce son nom à l’irlandaise :
O’Stuart ! Cette particularité linguistique et culturelle aura une conséquence
précise : les hommes d’Église et officiers publics corses écriront « Ostuard »,
« Ostuardi » et « Astuardi » en lieu et place de « Stuart ».
La première question que nous devons nous poser est celle de l’origine et du
contexte : qu’est ce qui peut bien pousser un homme à quitter Belfast pour venir
en Méditerranée, plus particulièrement en Corse ?
La présence de Celtes normands et irlandais en Méditerranée ne date pas d’hier.
En 1137, Roger II de Sicile, seigneur Normand de la famille des Hautevilles, s’empare
du Royaume de Naples et l’incorpore au Royaume de Sicile.
De 1150 à 1177, Walter Fitzallan, fils d’un seigneur Normand, fut le premier sénéchal
(Stewart) du Roi d’Écosse David Ier. Il fut à l’origine des différentes descendances
Stewart et Stuart en Écosse.
En 1191, dans le sillage de Richard Coeur de Lion s’établit à Naples un templier
nommé Everard. Quelques siècles plus tard, durant l’année 1734, un régiment
d’infanterie irlandais est créé à Naples, il est commandé par le major Général O’Dea
et le colonel Everard. Parmi les Irlandais affectés à ce régiment se trouvent des
O’Sullivan.1
Ces événements s’inscrivent dans un continuum historique, car Everard fut le dernier
des fils de Duncan Ier 2 , Roi d’Écosse assassiné par MacBeth en 1041 et à l’origine
d’une des plus illustres familles du Royaume de Naples, les Cantelmi.
Dès 1691, après la guerre qui opposa James II Stuart à William III d’Irlande,
12 000 Irlandais jacobites arrivèrent en France, dont 5 000 formeront les régiments de
l’Irish Brigade, unité d’élite de l’armée française. D’autres iront servir par centaines en
Méditerranée, en Espagne, en Sicile et à Naples.
En 1716, la France reconnaît comme seul roi légitime d’Angleterre, d’Écosse et
d’Irlande James III. Fort de ce soutien et espérant reprendre le trône aux Hanovres,
les régiments irlandais resteront en France.
C’est dans ce contexte qu’en 1739 John Vera O’Sullivan sert activement le
Marquis de Maillebois en Corse.3 Cet homme eut par la suite un rôle considérable dans
la vie du dernier prétendant Stuart et dans le déroulement de missions jacobites en
Méditerranée.
1
Royal Irish Academy, Marquess MacSwiney Papers, Box 7-1, Dublin
2
H.Agatte, Encyclopédie Méthodique - Histoire supplément -Tome VI, Paris, 1804 - p 95
3
Anne McCabe, The history of Cappanacush Castle, Keery, 2004
-7-
John Vera O’Sullivan ‘Lo Bandito’
Sa naissance remonte à l’année 1700, à Cappanacush Castle, dans le sud de l’Irlande.
En 1715, c’est en tant que jeune séminariste qu’il se trouve à Rome. Il retournera dans ses foyers
Irlandais, dans le Munster, à la mort de ses parents. Rejoignant par la suite l’Irish Brigade en France, il devint
le secrétaire et tuteur du fils du Marquis de Maillebois.
En 1739, il sert activement en Corse et est décrit comme un expert en guerilla et contre-guerilla. Maillebois
écrit alors à son sujet : « Le Sieur O’Sullivan comprend et pratique les arts irréguliers de la guerre mieux
qu’aucun homme en Europe. » Il évoluera du grade de capitaine à celui de colonel.
En 1744, il rejoint la cour du Prince Charles Edward Stuart, qui le nomme « adjudant général » de sa
garde royale. Le père de Charles, James III, écrit à son fils à Rome : « Je suis heureux d’apprendre que
O’Sullivan est désormais à vos côtés, vous en retirerez tout à la fois aises et avantages, desquels vous pourrez
dépendre souvent. » (cf. annexe 1)
Le 16 juillet 1745, le Prince Charles part de France vers l’Écosse pour reconquérir son trône, à bord du
navire Du Tellay. Se trouve à bord, l’adjudant général John O’Sullivan of Cappanacush. Le chevalier Johnstone
décrira O’Sullivan comme la seule personne ayant un tel savoir des affaires militaires. Le 16 septembre 1745,
à la tête de 900 Highlanders, O’Sullivan reprit Edimburg. Ce fut un succès militaire parmi d’autres durant les
mois qui suivirent.
Nommé quartier-maître général à Culloden, il organisa le plan de bataille et la disposition des troupes
jacobites. Après la défaite de Culloden, John O’Sullivan protégea durant cinq mois la fuite de Bonnie
Prince Charlie en Écosse, alors que sa tête était mise à prix pour une récompense exhorbitante à l’époque
( 30 000 livres ! ) et il organisa son évacuation vers la France le 1er octobre 1746.
En 1747, James III Stuart, pour tous les services rendus, l’érigea au titre de « Knight and
baronnet of Wales ». Il épousera une compatriote Irlandaise, Louise Fitzgerald, en 1749 à Paris.
Depuis la France, il coordonera bon nombre de missions délicates et diplomatiques au service du Roi James
et de son fils le Prince Charles, alias « Bonnie Prince Charlie ».
En 1760, le Prince prit ses distances avec O’Sullivan, qui nourrissait quelques ambitions à la cour de
France.
John Pettie, Garde royale jacobite, 1745
-8-
Quand Giacinto de Paoli évacue la Corse en 1739, emmenant avec lui son fils
Pasquale, il a été vaincu par une armée française qui s’est appuyée, entre autres,
sur des soldats d’élite irlandais, dont John Vera O’Sullivan.
Quand le même Giacinto de Paoli devient colonel d’infanterie au service du Roi
de Naples, il se trouve aux côtés du régiment d’infanterie irlandais de Naples,
et donc des parents directs d’O’Sullivan ! Cette situation assez cocasse est
révélatrice des rapports humains complexes dans une période qui ne l’est pas moins.
Les exilés paolistes sont, de fait, en contact rapproché avec les Irlandais jacobites,
et ce, alors que se dessine un projet particulier pour la Corse. En effet, en 1741, le
Cardinal Tency, représentant la cour de France à Rome, élabore un plan pour garantir
au Prince Charles Edward Stuart la suzeraineté de la Corse, « comme un cadeau de
mariage des cours d’Espagne et de France. »4
En 1744, John Vera O’Sullivan est la nouvelle étoile montante dans la suite du Prince.
Cela signifie que Charles Edward Stuart bénéficia de l’éclairage particulier d’un
homme qui a servi en Corse pendant une année. Mais le Prince avait alors d’autres
ambitions, principalement centrées sur l’Écosse. Après l’échec de l’aventure
écossaise et son retour, O’Sullivan continuera à se rendre régulièrement en Italie
pour coordonner des missions délicates.
A la suite du traité d’Aix-la-Chapelle du 16 octobre 1748, Louis XV reconnut
la légitimité de la Maison de Brunswick. Il fit mettre aux arrêt le Prince Stuart
le 10 décembre de la même année et l’expulsa de France le 23 décembre.
En janvier 1753, O’Sullivan assiste à une partie de chasse à Montefortino
en compagnie du secrétaire particulier du Prince.5 Doit-on mettre cet événement
en relation avec la très hypothétique apparition de Charles Edward Stuart
en Corse en 1753 ? Pasquale de Paoli était alors en garnison sur l’île d’Elbe,
ce qui aurait pu faciliter l’organisation d’un éventuel voyage nocturne du Prince
vers la Corse. Quoi qu’il en soit, en septembre 1754, le Pape s’est bel et bien
entremis pour faire céder la Corse à un prétendant Stuart réfugié à Rome,
contre une somme d’argent versée à Gênes6. Gênes s’opposa résolument à ce projet.
Durant cette période qui précède l’indépendance de la Corse, il est établi que des
connexions existaient entre les nationaux Corses et des Irlandais. Pasquale de Paoli
évoquera auprès de James Boswell l’intrépide Irlandais Carrew avec lequel il a
combattu en Italie. C’est une donnée supplémentaire constitutive de cet axe ancien de
relations entre la Corse et des latitudes plus septentrionales.
En effet, les rapports entre Écossais et Corses, eux, étaient déjà établis dès la
première moitié du xvie siècle, quand Sampieru Corsu se rendit en Écosse pour
soutenir Mathieu Stuart.7 Dès lors, la présence en Corse d’un Stuart, venant de
Belfast et d’origine écossaise, est une chose plus concevable.
4
Franck Mc Lynn, Charles Edward Stuart : a tragedy in many acts, London, 1988 - p70
5
James Dennistoun, Memoirs of Sir Robert Strange : Vol I, London, 1855 - p151
6
BSSHNC, N°358,360 - p18
7
Antoine Marie Graziani, Sampiero Corso ( 1498-1567). Un mercenaire européen au XVIe siècle, Ajaccio, 1999
-9-
Pasquale de Paoli et l’Elbinchi
Quand Pasquale de Paoli est affecté à la forteresse de Porto Longone le 17 février 1752, il retrouve un lieu
qu’il avait déjà abordé en 1739 à l’âge de quatorze ans.
La localité n’a pas beaucoup changé et compte toujours moins de 1 000 âmes, garnison napolitaine incluse.
La marine de Longone en contrebas de la citadelle compte moins d’une quarantaine de feux, autant dire que
les militaires du régiment napolitain connaissent tous les habitants individuellement.
Le 19 mai, il sera promu au grade de sous-lieutenant, et commande la compagnie de grenadiers du Real
farnese, sous les ordres de son compatriote le capitaine Lusinchi. Pasquale de Paoli est très apprécié aussi
bien par les soldats que par ses supérieurs. Il est considéré comme l’un des meilleurs officiers du régiment
et est décrit comme un homme distingué et une personne de coeur.
Il entretient également de bons rapports avec la population civile qui vit en bonne intelligence avec les
soldats. Pasquale de Paoli pourra ainsi fréquenter un certain Natale Mibelli trois années durant.
Dans une lettre du 10 août 1754 adressée à son père, il écrit « j’avais en tête d’aller voir ces petits villages
de l’île d’Elbe, et, pour me libérer des dépenses, et même gagner quelque argent, d’y faire une trentaine de
recrues, chose aisée dans la garnison de Portoferraio. »
Pasquale de Paoli n’hésita pas à parcourir l’Isola d’Elba avec son ami le « sergent » Savelli, et séjourna
plusieurs fois à Portoferraio, ville dont il estimait le coût des marchandises très élevé. Malgré des
problèmes réccurents de liquidité, le jeune lieutenant s’affaira à faire repriser quelques chemises et boutons de
manchettes. Sans doute a-t-il été recommandé par Natale Mibelli à son cousin, le tailleur Mibelli, qui résidait
à Portoferraio.
Quand Pasquale de Paoli quitte Porto Longone en avril 1755, il laissera un bon souvenir à ses nombreux
amis elbinchi, dont certains deviendront par la suite des partisans zélés. Il existait également un axe
naturel et historique Portoferraio-Livorno-Firenze, véritable canal de communication emprunté par l’ordre des
chevaliers de San Stefano, canal qui pourra servir à Pasquale de Paoli par la suite.
.
Articles de Valdo Valdi et Ersilio Michel, « Lo Scoglio, Elba Ieri, Oggi, Domani », Portoferraio, 1988-1992
Antoine Marie Graziani et Carlo Bitossi, Pascal Paoli CORRESPONDANCE - Volume I - La prise du Pouvoir, Ajaccio, 2003
Collection particulière, Vue de la rade de Porto Longone à la fin du XVIIIe
- 10 -
Paoli, Stuart : Cause commune ?
Dans toute la péninsule italienne, des Paolistes, des Jacobites et des
chevaliers toscans et napolitains se côtoient, sympathisent et partagent leurs vues sur
l’avenir d’un monde en pleine mutation.
Si la situation de soulèvement général en Corse est certainement évoquée, il n’en
demeure pas moins que cette entreprise est l’oeuvre des Corses eux-mêmes et qu’il
serait très hasardeux de spéculer sur un interventionnisme stuardiste, d’autant qu’à
cette période, la cour de France reconnaît toujours James III Stuart comme prétendant
légitime. A contrario, on ne peut nier un courant de sympathie réelle et un surcroît
d’intérêt pour les affaires corses.
Après son retour en Corse, le 16 avril 1755, Pasquale de Paoli est accueilli par les
chefs corses réunis au couvent de San Francescu di Castifau, pieve di Caccia, en
tant que député de Merusaglia. Les travaux de ce directoire élargi jettent les bases de
la première constitution de la Corse en édictant toute une série de règlements et de
décrets de droit commun et pénal. Le choix de la pieve di Caccia pour réfléchir aux
fondement légaux de l’État corse et à sa structuration ne doit rien au hasard. En effet,
dans cette pieve, les nationaux corses peuvent s’appuyer sur l’apport de nombreux
juristes formés dans les prestigieuses universités toscanes.
Pasquale de Paoli le sait, lui qui durant son exil avait pu mesurer la qualité des
enseignements reçus par les juristes corses. Lui-même avait été instruit à Lucca
par l’illustre Bernardino Baroni, au cours d’un travail de compilation du « Codice
diplomatico di Malta »8. A cette époque Pasquale de Paoli a dû croiser un
Grimaldi d’Esdra de Castifau et un Grimaldi de Moltifau, tous deux devenus par la
suite « Dottore di legge ». Dans cette pieve di Caccia, même les notaires afficheront
ouvertement leur fidélité au gouvernement national de la Corse.
Le 20 août 1764, un notaire de Castifau,
Pietro Martino Ferrandi, transmet à
l’évêché de Mariana et d’Accia un acte
notarié de quatre pages, dont l’en-tête
figurant sur deux pages représente les
armes du gouvernement de Paoli.
Ce document est un acte de cession de
patrimoine établi pour le compte de
Carlo Girolamo Bareni, clerc établi à
Castifau, qui entrera dans les ordres
la même année.
8
G.P Vieusseux , Archivio Storico Italiano – Giornale degli archivi di Toscane, Firenze, 1859
- 11 -
Pendant ce temps, des faits importants se produisent au sein du mouvement
stuardiste. En premier lieu, en 1762, le Prince Charles Edward rappelle auprès de lui
une vieille connaissance : John Stuart. Ce dernier demeurera son homme de confiance
et ami jusqu’à son dernier souffle. Il est intéressant de souligner que ce John Stuart
avait un frère, qui sert alors dans l’Irish Brigade.
Mais c’est en Écosse que les lignes bougent, car en 1760 les Hanovres ont
gracié Georges Keith et l’ont autorisé à retourner en Écosse après des décennies d’exil.
Cet homme est un pilier de l’internationale jacobite.
Georges Keith est le fils de Georges Keith, grand chancelier d’Écosse sous le règne
de James II Stuart. Il est aussi le frère aîné de Jacques Keith, avec qui il se réfugia
en Espagne, et qui fut un officier dans les brigades irlandaises pendant dix ans.9
Georges Keith, maréchal héréditaire d’Écosse, est plus connu sous l’identité de
Mylord Maréchal.
En 1764, Jean-Jacques Rousseau vivait sous la protection de Mylord Maréchal en
Écosse. Au mois de novembre 1764, les Corses le consultèrent sur la législation qui
leur conviendrait le mieux. « On a voulu mettre en doute cet honneur qu’un peuple
libre avait rendu au philosophe genevois, mais un gentilhomme flamand assure avoir
vu la correspondance de Paoli avec Rousseau ».10 A partir de ce moment-là, il existe
un canal de communication et un lien politique direct entre les réseaux d’Écosse et le
gouvernement de Paoli. Les problèmes de logistique et de distance sont surmontés
avec l’appui de relais dans toute l’Europe, y compris au sein de la franc-maçonnerie.
Les Écossais décident d’envoyer un émissaire en Corse, mais ce n’est nullement
l’initiative de quelques hommes : c’est une affaire suivie de très près par la maison
Stuart en exil en Italie.
C’est alors qu’entre en scène James Boswell (cf. annexe 2), qui effectue
opportunément son grand tour en Europe. Il se rendra d’abord à Rome en mai 1765
pour rencontrer James III mourant, ainsi que son fils le Prince Charles Edward.
Il parcourt ensuite toute l’Italie jusqu’à Venise, se liant d’amitié au mois de juillet avec
John Stuart-Mounstuart dont le rôle sera important en Corse par la suite.
Le 12 octobre 1765, James Boswell débarque en Corse avec en poche une lettre de
Rousseau; il rencontrera par la suite Paoli. Pasquale de Paoli se montra très ferme
avec le jeune écossais : « Nous pouvons conclure une alliance, mais nous ne nous
soumettrons pas à l’autorité de la plus grande nation de l’Europe (la Grande Bretagne).
Ce peuple qui a tant fait pour la liberté se ferait tailler en pièces jusqu’au dernier de ses
représentants plutôt que de laisser annexer la Corse au territoire d’un autre pays. »11
Cette fermeté dans un choix d’autodétermination n’incommode pas les Stuardistes,
leurs préoccupations portent davantage sur le fond politique du projet de Paoli que
sur le degré de liberté souhaité légitimement par les Corses. D’ailleurs, à ce propos,
la lettre du 12 novembre 1765 qu’envoie le secrétaire particulier du Prince Charles
Edward, Andrew Ludminsen, à James Boswell, est édifiante. Il y pose une question :
« Est-ce que Paoli vous a montré le code Rousseau ? Quel système de gouvernement
cet homme moderne célébré a-t-il fait adopter pour ces braves îliens ? »12
9
Abbé F.X de Feller, Dictionnaire Historique, Tome VI, Lyon, 1822
10
Marc Viridet, Almanach de J.J Rousseau pour 1861, Genève, 1861 - p11
11
James Boswell, An Account of Corsica, Glasgow, 1768 - p 321
12
James Dennistoun, Memoirs of Sir Robert Strange : Vol I, London, 1855 - p207
- 12 -
Lettre de recommandation de Jean-Jacques Rousseau à James Boswell pour son voyage en Corse.
- 13 -
Le 1er janvier 1766, James III Stuart s’éteint à Rome à l’âge de soixante-dixhuit ans. Le 14 janvier de la même année, le Vatican légitime la dynastie des
Hanovres sur le trône de Grande-Bretagne et d’Irlande, reléguant les prétentions
du Prince Charles Edward au seul titre de Comte d’Albany. C’est un coup dur pour
Bonnie Prince Charlie, qui, non seulement n’accepte pas cette décision mais prend ses
distances avec l’Église catholique de Rome. Son frère cadet, Henry Benedict, est un
puissant Cardinal au Vatican, ce qui gèle toute possibilité de crise sérieuse entre la
papauté et le camp jacobite, camp qui continue à légimiter les prétentions royales de
Charles Edward, nommé par ses partisans Charles III.
Avec cette nouvelle donne, la Corse prend une autre dimension, d’autant plus
que d’éventuelles interférences avec la diplomatie française ne posent plus aucun
problème de conscience aux Jacobites, Louis XV reconnaissant alors la légitimité de
la maison des Brunswick.
Or, en Corse le gouvernement de Paoli tient bon depuis onze années et s’est doté
des nombreux attributs d’un État moderne, à travers ses institutions, son armée, sa
marine, son université, sa monnaie, etc... Dans quelle mesure les intérêts de
Charles Edward peuvent-ils rejoindre ceux de Paoli ? Quelle cohérence politique
peut-on trouver dans un projet commun, s’il a bel et bien existé, entre un monarque
déchu, un général élu et la vision politique de Jean-Jacques Rousseau ?
Les choses ne sont pas aussi réductrices et certaines proximités de vues
pourraient surprendre. Pour Rousseau, seul l’accord des intérêts particuliers
peut tendre vers le bien commun, et c’est bien sur la base de ce
postulat que le souverain ne peut être divisé ou exclure quiconque sans quoi il ne
serait plus que l’expression d’une volonté particulière.
Dans ce droit fil, Pasquale de Paoli considère que l’intérêt général
doit transcender les intérêts particuliers. De plus, il adhère au principe d’égalité des
droits, raison pour laquelle il permet la promotion sociale des moins nantis, grâce
à des bourses d’études, afin que l’élite et le futur pouvoir exécutif élu puissent
représenter une nation corse une et indivisible.
Rien n’empêchait Charles Edward Stuart de se rapprocher de l’État corse. En effet,
dépositaire de traditions chrétiennes anciennes, mais également d’hypothétiques
sociétés secrètes ( Templiers, rites maçonniques inconnus ), Charles Edward Stuart ,
d’une nature romantique, était en quête d’élévation spirituelle. Il aspirait
profondément et symboliquement « à la concorde universelle de tous les ouvriers
pour reconstruire la tour de Babel » et il ne dissociait pas son élévation de celle de
l’humanité entière, ce qui le rapproche des hommes des Lumières, dont Paoli.
Le généralat de Paoli qui reposait sur une élection pouvait-il se fondre dans une
monarchie parlementaire dirigée par un Stuart ? Oui, à partir du moment où les pouvoirs
sont clairement délimités et séparés. C’est une question sur laquelle Paoli s’est
certainement entretenu avec Rousseau. Déjà par le passé, les Corses s’étaient
accommodés de l’accession au trône d’un aventurier hollandais, Théodore de Neuhoff,
petit parent des Stuarts. Il va sans dire que Bonnie Prince Charlie était d’une toute autre
stature, y compris sur le plan international. Une alliance de raison a donc été possible
et les événements qui suivirent durant les dernières années de l’indépendance de la
Corse semblent le confirmer.
- 14 -
Dès le printemps 1766, l’alliance corso-écossaise se précise à travers une
série de campagnes d’information et d’aide à l’échelle européenne. En Écosse,
Mylord Maréchal est au coeur du réseau de soutien à la cause corse. Il est en contact
avec James Boswell et l’écrivain David Hume, autre partisan important de Paoli.
Au printemps 1766, Le comte de Nény, franc-maçon et petit-fils d’Irlandais, quitte
secrètement les pays-bas autrichiens pour se rendre en Corse.
Entre temps, au mois de mai 1766, arrive de Rome à Corté un trône royal richement
décoré. Selon l’historien Michel Vergé-Franceschi, deux hypothèses sont possibles,
soit ce royal mobilier est destiné à servir directement à Charles Edward Stuart, soit il
correspond à la mise en place d’une loge maçonnique, les deux hypothèses ne
s’excluant pas mutuellement. Parce que ce n’est pas l’objet de ce livre, nous jetterons
un voile pudique sur la constitution de la première loge corse de l’obédience de
Saint Jean d’Écosse.
Le Comte de Nény rencontrera Paoli en août. Il séjournera à
Corté , accompagné d’Hervey, quatrième comte de Bristol, futur Lord lieutenant
d’Irlande.13 Il convient de préciser que le comte de Nény est aussi membre de l’ordre
chevalier de San Stefano.14 Il peut ainsi s’appuyer en Toscane sur un réseau de
600 chevaliers issus de cet ordre militaire ancien de défense de la foi chrétienne.
On ignore les contenus des discussions entre le Comte de Nény et Paoli, mais
cet épisode mériterait des recherches historiques approfondies. Des dizaines de
personnalités écossaises viendront entre 1766 et 1769 en Corse pour rencontrer Paoli.
Dans le même temps, James Boswell publiera à Glasgow en 1768 la première édition
de son «An Account of Corsica», plaidoyer pro-paoliste qui rencontrera un succès de
vente en Europe, y compris en Irlande où il se rendra pour défendre la cause corse.
C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Stuart va quitter Belfast pour la Corse.
Dans son «An Account of Corsica» James Boswell joint une nouvelle carte de la Corse. Dans la Pieve di Caccia la localité de
Castifau est nommée Petrera. A Petrera di Caccia, ancien quartier général de Sampieru Corsu, est connue d’historiens écossais.
13
Michel vergé-Franceschi, Paoli, un corse des lumières, Paris, 2005 - p 342
14
Gazzetta Toscana, N°13, Anno 1768 - p 57
- 15 -
1768-1769 : From Scotland to Corsica
Jean-Jacques Rousseau avait fait part de ses réflexions sur les Corses
à James Boswell : « Les Corses sont une poignée d’hommes aussi braves et aussi
délibérés que les Anglois. On ne les domptera, je crois, que par la prudence et
la bonté. On peut voir par leur exemple, quel courage et quelle vertu, donne aux
hommes l’amour de la liberté, et qu’il est dangereux et injuste de l’opprimer. »15
Mais en 1768, l’heure n’est plus à la bonté en Corse. Par le traité de Versailles du
15 mai 1768, la Corse est rattachée au patrimoine personnel du Roi de France,
même si elle reste en théorie la possession juridique de la République de Gênes.
Le 22 mai 1768, une Cunsulta est convoquée et le gouvernement national de la Corse
décrète l’ordre de mobilisation générale. Au mois d’août, le Marquis François de
Chauvelin fait imprimer à Toulon une affiche bilingue en français et en italien qui
annonce une confrontation militaire inévitable.
Cette situation inquiète l’Angleterre, qui malgré les luttes d’influences internes à son
appareil d’État, dépêche en Corse un agent de renseignement, John Stuart-Mounstuart.16
Il semble qu’un bon nombre d’officiers du renseignement britannique ait compris
dès 1768 que le meilleur compromis politique était de garantir une présence et une
protection militaires britanniques dans l’île tout en laissant la plus grande autonomie
de décision politique aux Corses dans leur pays. Cette idée est aussi défendue dans
le rapport de quatre-vingt douze pages communiqué en août 1768 à Lord Shelburne,
secrétaire d’État responsable des services secrets, par John Stuart-Mountstuart.
Pour autant, il ne faut pas en conclure que les services de renseignements
britanniques sont noyautés par un courant jacobite, de fait acquis à la cause corse.
La situation est bien plus subtile que cela. Shelburne et d’autres cherchent
véritablement à protéger de la façon la plus intelligente possible les intérêts de
l’Angleterre en Méditerranée. Ils mettent en garde les ministres et George III contre
une invasion française de la Corse. Une note de renseignement estime que le
commerce anglais dans la zone en serait affecté dès la première année pour un
montant de 430 000 livres. D’autres notes alertent sur les conséquences stratégiques.
Quand la question corse fut évoquée au parlement anglais, une minorité importante de
84 lords se prononça en faveur d’une intervention militaire.
L’Angleterre n’intervint pas, laissant les Corses face à leur destin, ce qui provoquera par
la suite l’amertume d’anciens membres du renseignement britannique : « Si, au lieu de
renier Lord Shelburne, la cour d’Angleterre s’était imposée avec fermeté et dignité, vous
savez mon seigneur, que la Corse n’aurait jamais été envahie. »17
Dans les faits, le Duc de Grafton contourna l’embargo de son propre gouvernement
concernant la livraison d’armes aux corses. Il chargea un agent secret, le Capitaine
Dunant, de convoyer depuis Londres plusieurs milliers de fusils pour Paoli .18
Le rapport de John Stuart-Mounstuart fut utilisé tant par les réseaux maçons que
jacobites pour apprécier l’état des forces en présence en Corse.
15
16
James Boswell, An Account of Corsica, Glasgow, 1768 - p 216
Michel Vergé-Franceschi, La Corse et l’Angleterre XVIe - XIXe Siècle, Ajaccio, 2004 - p 181
17
Junius Letters, Lettre au Duc de Grafton du 30 mai 1769, London, 1772
18
The Edimburgh Review, Edimbourg, 1865 - p 464
- 16 -
« Tout Village, ou Place fermée dans l’étendue de l’Isle de Corse, qui ne se rendra pas
aux Troupes du Roi après en avoir été préalablement sommé, sera au pillage ».
L’avertissement du haut commandement français officialise dans les faits une
déclaration de guerre aux nationaux corses.
- 17 -
James Boswell avait déjà remarqué une faiblesse dans la capacité défensive des
troupes paolistes : « Les corses fabriquent de nombreux fusils et pistolets de bonne
facture, dont la plupart sont fabriqués par d’excellents artisans. Ils ont aussi de la
poudre, mais ils n’ont pas de fonderie pour produire des canons »19.
A cette époque toute armée moderne dispose d’une artillerie. Le réseau
jacobite comprend que cette carence doit être palliée au plus vite et une grande
souscription en faveur des Corses est levée en Écosse. Cette souscription dont James
Boswell et d’Andrew Crosbie d’Edimbourg sont à l’origine, permet de récolter des fonds
suffisamment importants pour expédier à Paoli 30 canons, 2 917 boulets, 5 020
mitrailles et 38 fûts.20
L’historien Brian Burns précise que ces 38 fûts ont été fondus aux forges Carron
de Falkirk. En octobre 1768, le chargement part d’Écosse. Sur le navire qui arrivera en
Corse se trouvaient le Capitaine William Augustus Fawkener et Archibald Menzies of
Culdares de la loge maçonnique St Michel N°38 en Écosse.
Le Capitaine Fawkener connaît James Boswell depuis 1764, mais il connaît également
un Stuart en Irlande du Nord. Il s’agit de William Stewart de Killymoon, demeurant à
quelques lieux de Belfast, dont le fils James est en Italie depuis 1767. Ce dernier doit
quitter Turin en décembre 1768 pour retourner en Irlande.21
Autant dire que cette expédition qui fait escale à Belfast tombe à pic. Belfast, c’est
aussi la ville où Emmanuel Stuart déclare résider !
Emmanuel Stuart «U primu Stuart »
( Né en 1730 à Belfast ?, mort le 22 novembre 1780 à Petralba )
Qui est Emmanuel Stuart ?
Emmanuel Stuart serait issu d’une branche cadette du clan royal Stuart.
Son origine exacte est sujette à polémique et plusieurs hypothèses ont été formulées.
( voir l’épilogue sur les origines d’Emmanuel Stuart ).
D’où vient Emmanuel Stuart ?
Il vient de Belfast, ville dont il serait natif, comme l’attestent divers documents en Corse et en Italie.
Une autre piste suggère plutôt une naissance en France et une enfance à Belfast.
Quelles sont les activités d’Emmanuel Stuart ?
Il s’agit d’un vétéran de l’Irish Brigade, un militaire expérimenté.
C’est également un grand spécialiste des métaux, plus exactement un fabbro.
Emmanuel Stuart n’est pas qu’un simple forgeron, il exerce principalement l’activité de Maître armurier.
Sur le plan politique, c’est un jacobite proche du Prince Charles Edward Stuart, dont il bénéficie d’une
confiance suffisante pour se voir confier une mission de la plus haute importance en Corse.
19
James Boswell, An Account of Corsica, Glasgow, 1768 - p 184
20
Michel Vergé-Franceschi, La Corse et l’Angleterre XVIe - XIXe Siècle, Ajaccio, 2004 - p 182
21
Public Record Office for Northern Ireland, Faulkner papers - MIC21, Belfast, 2009
- 18 -
Une concordance de lieux n’étant pas un motif suffisant pour établir une hypothèse,
quelle autre raison pourrait justifier qu’un Stuart de Belfast, même sensibilisé
à la cause corse par James Boswell, puisse embarquer pour la Corse ?
Il y a bien un lien évident entre le métier d’Emmanuel Stuart et une partie
de la cargaison du navire qui le conduit en Corse. En effet, les 38 fûts de
canons des forges de Falkirk, quelle que soit la qualité de leur facture,
ne serviront à rien s’ils ne sont pas montés sur affûts et assemblés avec toutes les
autres pièces métalliques nécessaires à la réalisation de véritables pièces d’artillerie.
Or, précisément, Emmanuel Stuart a toutes les qualités requises pour produire
ce type de pièces. Il y a bien des forgerons en Corse, mais peu d’entre eux sont
habitués à ce genre de travail, Boswell l’avait déjà remarqué en 1765, quand
on lui avait expliqué que les Corses faisaient venir des artificiers et artisans
spécialisés d’Italie, pour faire effectuer des travaux complexes. Si l’on conserve cette
hypothèse comme seule piste réaliste, Emmanuel Stuart serait arrivé à Livorno le
1er novembre 1768 et aurait débarqué en Corse quelques jours plus tard. Est-il resté
sur place, ou a-t-il quitté l’Isula Rossa dès le mois décembre, suivant l’équipage ?
Un technicien qui participe au renforcement de la puissance de feu des
armées paolistes, alors que celles-ci ont été victorieuses à Borgu contre les troupes
de louis XV, est certainement plus utile en Corse, surtout après un tel voyage.
Par ailleurs, la présence de combattants étrangers en Corse est formellement établie.
« Nous avons déjà dit que dans toute l’Italie , on s’intéressait vivement aux
affaires des Corses ; mais les Toscans ne se contentaient pas d’applaudir à
leurs succès, ni de s’affliger de leurs malheurs; plusieurs d’entre eux prirent
une part active à la lutte, et il y en eut qui se firent remarquer des plus braves
officiers de la nation. »22 Les observateurs anglais rapporteront qu’un grand
nombre d’étrangers s’étaient effectivement engagés dans les rangs corses.23
Paoli écrit à Domenico Arrighi de Speluncatu « J’en ai remarqué quelques uns,
parmi les plus exaltés, qui ont les cheveux frisés et sentent le parfum du continent »24,
faisant ainsi une allusion précise à de jeunes combattants venus d’Italie.
Le dernier argument est déterminant : il est attesté que Peter Carper Junior de la
compagnie des Forges de Falkirk, demeure en Corse. Nous sommes persuadés qu’il
participa, avec des artilleurs et techniciens venus avec lui dans l’île, à la constitution
d’une ébauche de corps d’artillerie corse. D’autant plus que durant l’hiver 1768, le
moral des troupes françaises est au plus bas et que tous les espoirs sont de mise.
(cf. Annexe 3)
Le 12 février 1769, la frégate de guerre Eole, commandée par le capitaine Thomas
Pye Bennet quitte le port de Livorno à destination de l’Isula Rossa pour escorter
deux navires marchands ( poudre, boeufs, biscuits en grande quantité et barils
contenants un grand nombre de fusils ). Ce convoi naval est aussi important en raison
de la délégation anglaise qu’il transporte, dont Mylord Pembroke et l’amiral Smittoy.
Se trouvent aussi à bord John Stuart-Mountstuart et un chevalier Mibelli25.
22
J.M Jacobi, Histoire Générale de la Corse -Tome Deuxième, Paris, 1835 - p 365
23
Amédé Pichot, Revue Britannique Internationale - Tome Deuxième, Bruxelles, 1855 - p 53
24
25
A.Arrighi, Histoire de Paoli -Tome II, Paris, 1843 - p 392
Gazzetta Toscana, N°18, Anno 1769 - p 71
- 19 -
Le 30 mars 1769, le Capitaine Medows (Charles Pierrepont-Medows , 1st Earl Manvers)
part de Portoferraio à destination de L’isula Rossa pour remettre au général Paoli
50 000 sequins, de la poudre et du plomb. Il rejoindra également Mylord Pembroke
pour le faire embarquer sur son navire et le ramener en Toscane.
Cette seconde venue en Corse de John Stuart-MounStuart ne doit pas être prise à la
légère, d’autant que sa famille, les Stuart de Bute, sont directement apparentés aux
Stewart of Ards d’Irlande, les Stuart les plus proches de Belfast, et donc, du moins par
la géographie, d’Emmanuel Stuart.
Le 28 avril 1769, le Capitaine Medows ramène en Toscane une partie de la
délégation Pembroke, quelques jours avant la bataille de Ponte Novu,
dont le peintre romain Vincenzo Rotigliardi qui avait exécuté un Portrait de Paoli.
Retenons également que le 6 mai 1769, le Grand Duc Léopold reçoit au cours de
la même audience Mylord Pembroke, le capitaine Medows et le chevalier Mibelli.
Le Chevalier Mibelli est un officier au service de la cour de Naples, stationné à Porto
Longone, il s’agît du Capitaine Giovanni Filippo Marzio Mibelli.
En Corse, la guerre atteint son paroxysme et une colonne de 1 200 miliciens
paolistes, dont la plupart sont originaires de Balagna, vient stationner à Petralba,
juste avant la bataille de Ponte Novu. Les compagnies formant cette colonne ont été
rassemblées par les vingt hommes composant l’escadron Volant de Balagna,
unité dirigée par Giovanni Pietro Bonavita (marié à une Paoli) de Nuvella. Parmi
ces hommes se trouvait Francesco Maria Casta d’Aregno di Balagna. (cf. annexe 4)
Emmanuel Stuart a-t-il été affecté aux forges de Petralba, pour aider
à la production d’armes ? A-t-il servi sous les ordres du Colonel paoliste Giacomo
Dante Grimaldi d’Esdra26 de Castifau ? Ce qui rend cette question légitime est la
proximité politique et familiale entre les Grimaldi d’Esdra et les Stuart quand ces
derniers s’établiront à Castifau, car cette proximité perdurera durant des décennies.
Le 6 mai 1769, Giacomo Dante Grimaldi d’Esdra attaque frontalement à la Bocca
di San ghjacumu di Tenda les troupes des régiments français de Champagne et de
Rouergues. Le régiment de Champagne essuya de nombreuses pertes, 2 colonels
furent tués et un lieutenant-colonel mortellement blessé. Un moment victorieux,
les nationaux corses durent refluer vers Petralba sous la charge des renforts français du
Marquis d’Arcambal.27 Le Marquis d’Arcembal poursuivra l’offensive jusqu’à Palasca,
de là, il opéra une manoeuvre vers le Giussani pour prendre en tenaille la pieve di
Caccia. Moltifau et Castifau capituleront après 24 heures de combats.28
C’est durant cette période de guerre totale que le capitaine Mibelli, son cousin
Pietro Antonio Michele Mibelli et quelques volontaires elbinchi débarquent en Corse
pour prêter main forte aux troupes paolistes. Ils furent tous tués très rapidement.
Le 21 mai 1769, Pizzini de Speluncatu, Anton Leonardu de Belgudè, Achille Murati,
Capocchia, Panattieri et d’autres paolistes sont retranchés dans la place forte d’Isula
Rossa. Toutes les pièces d’artillerie étant tournées vers la mer, la place ne peut être
défendue.29 Les paolistes tiendront 3 jours face aux grenadiers du Marquis d’Arcambal.
26
à ne pas confondre avec le controversé lieutenant Grimaldi, en poste sur la ligne de défense Canavaghja - Lentu.
27
Gazzetta Toscana, N°20, Anno 1769 - p 80
28
Gazzetta Toscana, N°22, Anno 1769 - p 89
29
Gazzetta Toscana, N°22, Anno 1769 - p 90
- 20 -
Après la défaite de Ponte Novu et face à l’avancée des troupes françaises,
des centaines de personnes fuient la Corse sur des frégates de guerre anglaises et
des felouques napolitaines. Dans le port de l’isula Rossa assiégée, mouille une frégate
de guerre anglaise que les militaires français se gardent bien d’attaquer.
Concernant Emmanuel Stuart, la seule échappatoire possible, mais également
la plus logique, est cette frégate anglaise qui quittera l’Isula Rossa pour Livorno
le 24 mai 1769. C’est d’autant plus logique que se trouve également sur cette
frégate Peter Carper junior de la Compagnie des forges de Falkirk30.
Juste avant son départ il aurait rencontré Paoli. Peter Caper junior fera
embarquer sur la frégate anglaise le chef de guerre paoliste Antone Pizzini dit
‘Spadone’ de Speluncatu ainsi que 200 partisans balanini. 31
Sitôt la frégate anglaise partie, les troupes françaises s’emparent de la place forte
de l’Isula Rossa le 25 mai 1769, depuis laquelle le prêtre Giovanni Battista Croce et
quelques hommes ne purent opposer de résistance réelle. Sur place, elles trouveront
des pièces d’artillerie en grande quantité ( 40 canons exactement ) et de nombreuses
munitions. Tout cet armement sera embarqué pour Toulon le 31 mai suivant.32
Parmi d’autres paolistes originaires de Speluncatu, citons un éminent membre du
gouvernement de Paoli, Domenico Arrighi, juriste distingué qui avait participé
à la Cunsulta de Caccia en 1755. Réfugié sur le Monte Rotondu, il
se rendra in Corti avec une délégation de nationaux corses afin de
rencontrer le Comte de Vaux et de négocier les conditions du dépôt des armes.
Domenico Arrighi, comme d’autres chefs paolistes restés sur place, restera
clandestinement en contact avec les exilés paolistes réfugiés en Toscane.
Collection particulière, Régiment d’infanterie français à l’entraînement dans les années 1760
30
Michel Vergé-Franceschi, La Corse et l’Angleterre XVIe - XIXe Siècle, Ajaccio, 2004 - p 184
31
Association Noi Tutti, Chroniques Spéloncataises, Speluncatu, 2010
32
Gazzetta Toscana, N°23, Anno 1769 - p 94
- 21 -
La Toscane de l’après Ponte Novu : Une base arrière
Les premiers jours de juin 1769, les premiers réfugiés corses arrivent à
Portoferraio et font part du déluge de feu qui s’abat sur la Corse. Pietro Mibelli, résidant
à Portoferraio apprend à cette occasion la mort de son frère, de son cousin, de ses
amis et aussitôt la nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans l’île d’Elba.
Passé le choc, les esprits s’échauffent aussi bien dans la population civile que dans les
garnisons militaires toscanes et napolitaines. A Porto Longone, plus particulièrement,
la mort du Capitaine Mibelli place les troupes du Real Farnese en état d’alerte.
A Florence, le conseil d’état du Grand Duché de Toscane jugea la situation très
sérieuse et redouta des incidents pouvant déboucher sur une crise diplomatique
majeure dans la région. Le 6 juin 1769 à minuit, le Grand Duc de Toscane Pietro
Leopoldo, ainsi que ses plus proches conseillers, quittèrent précipitamment le
palais pour se rendre à Portoferraio. Les plus hautes autorités de Toscane resteront
sur l’île d’Elba un mois !33 Dans la Gazzetta Toscana, on parle alors d’une simple visite
d’inspection des places fortes de l’île. Rien ne doit filtrer de cette crise.
Le 16 juin 1769, Pasquale de Paoli arrive à Livorno d’où il part immédiatement pour
rencontrer Mylord Pembroke, de retour de Rome. Il est alors hébergé dans la villa du
consul britannique, John Dick. Trois jours plus tard, à Portoferraio, Clemente de Paoli
débarque avec 334 hommes ( armés comme des soldats ) et 20 pièces d’artillerie.34
Aussitôt débarqué à Portoferraio, Francesco Serpentini envoie sa femme (Mme
Franceschetti ) retrouver Pasquale de Paoli, lequel est entouré d’hommes bien vêtus
et bien armés. Le 21 juin suivant, Clemente de Paoli et Nicodemu Pasqualini quittent
Portoferraio pour Livorno en laissant 140 hommes sur l’île d’Elba, dont de nombreux
officiers paolistes.35
Collection particulière, Vue de Portoferraio en arrivant de Porto Longone vers la fin du XVIIIe
33
34
35
Archivio di Stato di Firenze, Imperiale e reale corte, côte 2120 - p 47, Firenze
Gazzetta Toscana, N°25, Anno 1769 - p 102
Gazzetta Toscana, N°26, Anno 1769 - p 105
- 22 -
Une des raisons pour lesquelles Pietro Leopoldo prolongea son séjour elbois
est aussi la demande directe de la Cour de Vienne, le grand duc devenant la
principale source d’information concernant la présence française en Corse.36
Confronté à cette situation , le grand duc de Toscane doit alors trouver un savant
équilibre entre les exigences de sa diplomatie internationale liée à une politique de
neutralité absolue et des contradictions de politique intérieure. En effet, la population
toscane est très inquiète de l’invasion française de la Corse et accueille les réfugiés
corses à bras ouverts. De puissants réseaux d’exilés paolistes et stuardistes sont
désormais réunis sur le territoire toscan et leur poids politique est réel. Plus d’un millier
de nationaux corses sont alors réfugiés en toscane !
A ces derniers, le grand duc de Toscane exprime ouvertement son sentiment :
« Je regrette que l’Autriche et l’Angleterre ne se soient pas entendues pour s’opposer
à l’expédition française en Corse. »37
C’est durant cette période qu’Emmanuel Stuart, par choix individuel ou en service
commandé, part s’établir à Portoferraio, ville qu’il quittera de façon épisodique pour
se rendre à Firenze et Sienna. Selon le rapport annuel du gouverneur de la place,
au 21 avril 1769 la ville comptait alors 2 423 habitants. Sur place il exerce son métier
aux forges Pucci, qui bénéficient d’une patente ducale exclusive sur l’île d’Elba.
Les frères Pucci exercent une activité très sensible, puisqu’ils travaillent au service
de l’armée. Giuseppe Maria Pucci est le maître forgeron/armurier au service du
régiment Real Toscano de la garnison de Portoferraio. Il travaille plus précisément
pour le compte du Servizio dell’artiglieria di Portoferraio.38 Giacomo Pucci, son frère,
travaille pour le compte de la cour de Naples, au service du Real Farnese stationné à
Porto Longone. L’activité d’Emmanuel Stuart va plutôt se concentrer sur la garnison
de Portoferraio, peut-être même que cela rentre dans le cadre d’un accord officieux au
niveau du commandement politique et militaire toscan, voire directement avec Pietro
Leopoldo qui se trouve encore sur place.
Origine des forgerons et armuriers Pucci di Portoferraio
Les Pucci de Portoferraio sont issus d’une branche cadette de la famille
Pucci de Firenze. Cette vielle famille de la noblesse florentine est présente
en Toscane depuis le XIIIe siècle et son origine est sarrazine.
Cette famille a toujours été proche du pouvoir depuis l’époque des Médicis,
et c’est ce qui explique la confiance que leur accorde Pietro Leopoldo pour
exercer une activité très sensible sur le poste avancé de l’île d’Elba.
Autres particularités des Pucci de Florence, leur blason est une tête de
Maure dont le bandeau comporte trois lettres T. C’est l’abréviation de la
devise familiale : Tempore tempora tempera
Les Pucci ont inventé la fourchette diffusée par Catherine de Medicis.
Depuis 1404, ils sont les propriétaires de la chapelle San Sebastiano dans
la basilique de la Santissima Annunziata, lieu où viendra se recueuillir dès
1773, le Prince Charles Edward Stuart.
36
Adam Wandruska, Pietro Leopoldo un grande riformatore, firenze, 1968 - p 205
37
W.S. Lewis, Horace Walpole’s correspondance with Sir Horace Mann, Vol (24) VIII, London, 1971 - p 437
38
Archivio di Stato di Firenze, Segreteria di Guerra 1747 - 1808, côte 552, Firenze
- 23 -
En travaillant aux forges Pucci, Emmanuel Stuart fait la connaissance du fondeur
Niccola Giovanni Mibelli, ce dernier est le jeune fils de Giovanni Pietro Mibelli, frère du
défunt Capitaine du Real Farnese. Emmanuel se lie d’amitié avec Niccola et fait la
connaissance de Maria Anna, veuve Mibelli. Maria Anna est issue de par son père,
Vincenzo Giuseppe Baroni, de Sienna et de par sa mère de Livorno, ville
ou elle possède une villa. Elle vit sous la protection de Giovanni Pietro Mibelli à
Portoferraio et s’occupe de ses trois enfants ; Giuseppe l’aîné, Francesco et
Marguerita la benjamine. C’est au cours de cette rencontre que le lien indéfectible
Stuart-Mibelli fut scellé. Le 18 octobre 1770, Niccola Mibelli épousa Cattarina Sarocchi,
originaire de la pieve di Tavagna en Corse. De cette union, naîtra Giuseppe Antonio
Mibelli, le 6 décembre 1770.39
Pendant ce temps en Corse les combats n’ont pas cessé, malgré l’exil de
Pasquale de Paoli. Des poches de résistance subsistent et quelques maquis
sont actifs sur place. Des commandos nocturnes, de quelques dizaines
d’hommes la plupart du temps, font des incursions en Corse depuis la Toscane
et harcèlent les troupes françaises, ces résistants extérieurs à l’occupation
militaire française, sont ce que l’on appelle des Fuorusciti. Sur fond de chasse aux
paolistes, les arrestations arbitraires se multiplient dans toute l’île. (cf. annexe 5)
Depuis Juillet 1770, Charles Edward Stuart, alias Count of Albany, prend l’habitude
de résider ponctuellement à Florence, et les réseaux jacobites sont alors
en relation directe avec les réseaux paolistes. Le Duc de Choiseul, encore
pour un temps secrétaire d’État à la Guerre , demeure en 1770 l’un des plus sévères
critiques du prétendant Stuart à Versailles, et pour cause !40 Choiseul doit très
certainement être bien informé du rôle politique, militaire et financier des jacobites
dans le soutien actif aux paolistes depuis 1766.
Il semble qu’Emmanuel Stuart fut mis à contribution pour fondre des armes et des
munitions pour les Fuorusciti Corsi. Les comptes de la mine de Rio nell’Elba le font
clairement apparaître.41
Anto Pietro Pizzini a acheté pour 13 tonnes de minerais de fer brut Per il conto dello
santo regno di Corsica, comprenez du gouvernement national de la Corse en exil.
39
Archivio Parrochiale della chiesa Beata virgina, Registri dei battessimi, Portoferraio
40
Frank Mc Lynn, Charles Edward Stuart: A Tragedy in Many Acts, London, 1988
41
Archivio di Stato di Firenze, Carte dell’ufficio rendite di Portoferraio, côte 19, Firenze
- 24 -
Dès 1771, les intérêts français dépassent largement le contexte méditerranéen.
La couronne de France s’inquiète au niveau international de la menace que
constitue l’empire britannique naissant, en Inde notamment. Les agents français
en Angleterre notent le poids important du parti jacobite dans le pays
et développent l’idée selon laquelle une restauration stuardiste est toujours
possible. Ce renversement de situation pourrait paradoxalement servir les intérêts
français, et la couronne de France charge le colonel Ryan de l’Irish Brigade de trouver
une épouse acceptable pour le Prince Charles Edward Stuart.42
Le 26 août 1771, Pasquale de Paoli entreprend un tour d’Écosse, nation amie au
sein de laquelle il rencontrera de très nombreux soutiens. Le 5 septembre, il eut
un plaisir particulier à visiter les forges Carron de Falkirk et fut invité à dîner par le
directeur de la compagnie Carron, Charles Cascoigne.43 Le 18 septembre, il restera
deux jours chez les Boswell à Auchinleck.44 Lors de ce voyage, des négociations
historiques concernant la Corse se sont déroulées entre Paoli et les chefs jacobites.
Les nationaux corses n’ignorent rien de l’importance du soutien écossais, via la franc
-maçonnerie et/ou les brigades jacobites, tout comme ils savent qu’ils ne pourront
plus se libérer seuls face à la machine de guerre française. Le 7 septembre 1771, des
nouvelles des réseaux corses arrivent à Londres via le Consul Britannique à Livorno,
John Dick. Un projet très précis a vu le jour, projet qui s’articule autour d’une vieille
idée : « Il se dit que les Corses sont déterminés à se débarrasser du joug français, et
qu’ils ont envoyé sept de leur députés pour offrir le gouvernement général de l’île à un
prince réfugié en Italie. Selon le plan qu’ils ont eux même conçu, et les résolutions sur
lesquelles ils s’accordent, ce prince accepterait la Corse comme un royaume
héréditaire revenant à sa famille, la nation devant lui fournir un revenu annuel de
800 000 sequins et lui réservant le droit de lever, si besoin, 6 000 hommes dans
l’île. De son côté, le prince devra fournir, 9 bataillons d’infanterie, 6 compagnies de
hussards et un corps d’artillerie de 360 hommes. »45
Ce projet retient l’attention du Prince Stuart, et constitue sans doute le
dernier projet politique d’envergure de sa vie. Pour le conforter dans son choix,
la résistance corse marque alors des points. Des nouvelles quotidiennes de l’île
indiquent que les troupes françaises sont harcelées lors d’attaques nocturnes, des
points d’eau empoisonnés, des installations détruites. Indiscutablement, l’armée
française ne contrôle pas la campagne corse. Le 28 octobre 1771, un détachement
français qui se rendait vers Aiacciu a été pris en embuscade à la bouche des Agriates.
Ceux qui ont survécu à ce carnage ont dû se mettre à couvert. Des officiers et
subalternes ont été fait prisonniers et les Corses ont demandé une rançon de
6 000 Louis en échange de leur libération. Les autorités françaises leur en ont offert
2 000 Louis, la libération de familles corses emprisonnées et 22 mules chargées de
bagages et de provisions.46
42
Morray Mac Laren, Bonnie prince Charlie, London, 1972 - p 188
43
The London magazine, Volume XL, London, 1771 - p 433
44
George Birkbeck Hill, Boswell’s Life of Johnson, London, 1786 - p 437
45
The London magazine, Volume XL, London, 1771, - p 525
46
The London magazine, Volume XL, London, 1771 - p 578
- 25 -
En décembre 1771, Buttafoco écrit à Marbeuf à propos de ces corses actifs en
Toscane, en ces termes : « C’est là le foyer de toutes les dissensions, c’est là où se
forment les projets d’irruption de bandits. C’est de là que l’on jette les apparences
d’une prompte rupture et d’une révolution dans le pays. C’est de là qu’on désigne ceux
qui doivent être sacrifiés . »47
Le consul de France à Livorno, le chevalier de Bertellet, s’inquiète de cette capacité
de nuisance et de la menace constante que fait peser la résistance extérieure
paoliste sur le maintien de l’occupation française de l’île. D’autant plus que les
sources d’inquiétudes sont aussi diverses que variées, Pasquale de Paoli entretenant
également des rapports avec Catherine II de Russie, alliée de l’Angleterre, et qui a
besoin d’une base navale en Méditerranée. Mais la diplomatie française relativise la
situation en Corse, les intérêts géostratégiques se situent sur une toute autre échelle.
Le 28 mars 1772, le Prince Charles Edward Stuart épouse à Paris la Princesse Louise
de Stolberg. Durant ce séjour, le Prince eut tout le loisir d’évaluer le nombre d’officiers
de l’Irish Brigade sur lesquels il pourrait s’appuyer concernant le projet corse.
En Corse, les autorités françaises optèrent pour une autre politique, basée sur une
loi d’amnistie et la création de juridictions spéciales en charge, entre autre, d’accorder
le pardon royal aux fugitifs paolistes qui se feraient connaître, contre une amende à
payer. Cette clémence apparente visait surtout à affaiblir le parti paoliste et à éviter une
nouvelle confrontation armée ruineuse. Les campagnes de 1768 et 1769 ont coûté
16 747 816 livres à la Couronne de France, sans parler du bilan des pertes, 10 721
soldats tués, dont 549 officiers. Dans un premier temps, cette démarche semble
aboutir à quelques résultats (Cf. annexe 6). La gazzetta Toscana du 14 avril 1772
indique qu’un nombre assez considérable de familles corses embarquent à Livorno
pour la Corse. Mais ces mesures n’entament en rien l’activité des maquis corses.
Le 13 juin 1772, un prêtre rapporte : « on a pu voir jusqu’à 100 bandits rassemblés
vers le Pont du Golo. »48
Le 6 août 1772, dans sa villa de Fucecchio, Clemente de Paoli reçoit des visites
continuelles. Cet accroissement d’activité éveille suffisamment l’attention pour que la
presse en parle. Ce sont de nombreux officiers corses et étrangers qui lui rendent
visite.49 Fucecchio se situe exactement à mi-chemin entre Firenze et Livorno.
Le 15 août 1772, 4 juntes royales sont crées. Celle de Caccia a son siège à Castifau
et c’est Domenico Arrighi de Speluncatu qui la dirige avec 6 autres commissaires.
L’intendant Pradines demeura cependant, non sans raison, très méfiant vis-à-vis
de cet ancien membre du conseil suprême de l’État corse. Ces juntes mènent une
double politique, l’une de conciliation, l’autre répressive, pour « châtier tous ceux qui
renoncent à être sujets, pour devenir vagabonds, déserteurs ou rebelles. »
Les autorités françaises ignorent à ce moment là dans quelle proportion elles viennent
d’apporter, avec la nomination de Domenico Arrighi, une contribution bien involontaire
au projet paolo-stuardiste. Au même moment à Portoferraio, Emmanuel Stuart
entame une relation intime avec la veuve du capitaine Mibelli, Maria Anna.
47
Mémorial des corses - Vol II - 1980
48
Simon Grimaldi, La corse et le Monde, Tome III, Aix-en-Provence, 1997 – p 23
49
Gazzetta Toscana, N°32, Anno 1772 - p 128
- 26 -
Le 1er février 1773, à Portoferraio, Emmanuel Stuart épouse Maria Anna. Le témoin
d’Emmanuel, on s’en serait douté, est le Maître armurier Giuseppe Maria Pucci.
Le témoin de Maria Anna est l’élu municipal Giuseppe Ravioli.
Le 25 mai 1773, naît à Portoferraio Vincenzo Giovanni Sebastiano Stuart.
Le 30 mai suivant, en l’absence de son père, c’est son parrain Niccola Mibelli qui fait
baptiser le petit Giovanni Stuart. Son second parrain est Tomaso Vincenzo Maria Topi,
élu influent de Portoferraio qui siège au Consiglio Minore de la ville.50 Les Topi sont une
famille nombreuse à Portoferraio, qui appartient à la classe aisée et instruite.
Le 19 juin 1773, la Gazetta Toscana signale la venue à Florence de Clemente de Paoli,
accompagné d’un cavalier anglais.
Le vendredi 13 juillet 1773, Pasquale de Paoli embarque à bord du navire Les Trois
Soeurs, commandé par le capitaine Hailes et part de Douvres pour St Petersburg.51
On connaît les liens d’amitiés entre Paoli et l’impératrice Catherine II de Russie.
Pasquale de Paoli était donc présent sur le continent européen durant l’été 1773 et
disposait ainsi de canaux multiples pour contacter, voire pour rencontrer directement,
ses partisans exilés en Toscane ainsi que d’autres alliés. Dans le même temps, le
Prince Charles Edward Stuart demanda au pape de revenir sur sa légitimation, et,
essuyant un refus catégorique, quitta Rome en déclarant ne plus jamais y revenir. Il se
rendit alors pour quelques temps dans la ville de Sienna.52
Le 6 août 1773, le Grand Duc Pietro Leopoldo part pour Sienna.53 Le même jour un
cavaliere Stuard en provenance de Livorno part également pour Sienna.54 Il ne peut
s’agir en aucune façon de coïncidences.
Fin septembre 1773, à Édimbourg, un étrange signal est donné aux réseaux jacobites.
Une poésie (canal de communication courant) de Tobbias Smollet intitulée « Ode to
independence » est paraphée d’une note « La noble résistance de Pascal Paoli et de
ses associés contre l’usurpation du Roi de France doit leur procurer le soutien de tous
les fils de la liberté et de l’indépendance ».55 On ne peut être plus clair, et ce d’autant
plus que Tobbias Smollet avait passé une grande partie de l’année 1770 en Italie et
avait rencontré bon nombre de paolistes.
Le 27 octobre 1773, débarque à Livorno une partie de la garnison de Portoferraio qui
vient juste d’être relevée. Trois jours plus tard, le grand duc Pietro Leopoldo reçoit
un signore inglese Hume et un cavaliere inglese Steward.56 Aucune source publique
relative à cette entrevue et à l’identité exacte de ces personnes n’a été retrouvée.
C’est un épisode important de l’histoire de la Corse qui était en train de se dessiner en
Toscane en cette année 1773.
50
Archivio della biblioteca comunale Foresiana, Lettere, Negozi, etc... - 1772-1780, Côte Già C22, Portoferraio
51
Scots magazine – Vol XXXV – affairs in England – p 387
52
Susan Mclean Kybett, Bonnie Prince Charlie, London, 1988 - p 285
53
Archivio di Stato di Firenze, Imperiale e reale corte, côte 2124, Firenze - p 33
54
Gazzetta Toscana, N°35, Anno 1773 - p 135
55
Scots magazine – Vol XXXV – Poetical Essays – p 542
56
Gazzetta Toscana, N°44, Anno 1773 - p 173
- 27 -
Acte de mariage d’Emmanuel Stuart, Archivio Parrochiale della chiesa Beata virgina, Registri dei Matrimoni, Portoferraio
Acte de naissance de Giovanni Stuart, Archivio Parrochiale della chiesa Beata virgina, Registri dei battessimi, Portoferraio
- 28 -
Emmanuel Stuart et le soulèvement de 1774
Le 7 janvier 1774, un détachement de 13 soldats du Provincial Corse,
commandé par le lieutenant Spinola, tira sur une population civile non armée à
Palasca, occasionnant de nombreux blessés, dont le podestat du village.57
Le 21 janvier 1774 à Paris, des officiers revenus récemment de Corse affirmèrent :
« que l’île est toujours infestée de bandits, qui sont soutenus par les habitants de leur
pays ; la plus part d’entre eux sont jaloux de leur liberté et ils encouragent de toutes
les façons les violences que subit le gouvernement. »58
Le 6 février 1774 à Castifau, le colonel Gafforio du Provincial corse et le Capitaine
Arrighi de la Légion corse, sont pris sous le feu d’une dizaine de paolistes.
Le capitaine sera tué et le colonel remis en liberté.59 Les commissaires paolistes de
la junte de Caccia s’assurent alors du contrôle des hommes du Provincial corse qui
stationnent au couvent, soldats dont les éléments récalcitrants seront désarmés.
Cette situation ingérable était connue des ministres français, tout comme l’était
aussi le centre névralgique de la résistance paoliste. Aussi, la cour de Versailles
prit la résolution d’écrire directement au grand duc de Toscane très sèchement :
« Sur les excès commis par les bandits corses réfugiés en Toscane,
exigeons des mesures de répression concrètes et rapides »60
La réponse de Pietro Leopoldo ne fut pas celle attendue par les autorités françaises.
Le décret qu’il promulgua le 18 février 1774 pourrait presque passer inaperçu.
Il fut question de rétablir la conscription pour l’ancienne milice urbaine de Portoferraio,
concernant tous les hommes valides de 16 à 40 ans. Le texte précisait également
l’identité du nouveau gouverneur militaire, de tous les officiers, ainsi que la mise
à disposition d’une caserne (un hôpital désaffecté) pouvant accueillir une compagnie
de vétérans issus du Real Toscana. Ce fut un curieux déploiement de force pour cette
cité de Portoferraio qui était un port libre et ouvert d’une nation neutre.
Quand le décret fut publié de façon sybilline dans la gazzetta toscanna, les elbinchi
comprirent ce qui se tramait. Au mois de mars 1774, des lettres chiffrées de
Pasquale de Paoli furent adressées à tous ses lieutenants fidèles en Corse pour
enclencher le « projet ». Durant la dernière semaine de mars 1774, la compagnie de
vétérans quitta le port de Livorno pour prendre son affectation à Portoferraio, telle a été
du moins la version officielle jusqu’à aujourd’hui.
La désignation de Giuseppe Mibelli, âgé de 21 ans, au poste de lieutenant de la
compagnie de vétérans de Portoferraio est un acte partisan du grand duc de Toscane.
Peut-être cette décision résulte-t-elle d’un engagement pris cinq années auparavant,
quand il a fallu empêcher que la Toscane ne s’embrase. La nomination du fils
du capitaine Mibelli et beau-fils d’Emmanuel Stuart, caractérise un appui logistique
direct au projet paolo-stuardiste. Giuseppe Mibelli ne prit jamais ses quartiers à
Portoferraio61, il s’embarqua pour la Corse avec Emmanuel Stuart, entre autre.
57
Archives Départementales de la haute Corse, Justice Royale, Juridiction de Calvi - Côte 6 B3, Bastia
58
The London magazine, Volume XLII, London, 1774 - p 104
59
Christine Roux, Les makis de la résistance corse, 1772 -1778, Paris, 1984 - p 96
60
Didier Rey, Encyclopedia Corsae - Vol 5, Bastia, 2005
61
Archivio della biblioteca comunale Foresiana, Lettere, Negozi, etc... - 1772-1780, Côte Già C22, Portoferraio
- 29 -
Article dans la Gazzetta Toscana relatant le décret du 18 février 1774
Après le débarquement en Corse, une famille fut cachée à Speluncatu, à savoir :
- Emmanuel Stuart, vétéran et maître armurier, 43 ans
- Maria Anna Stuart ( Née Baroni ), vivant de ses propres biens, 43 ans
- Giovanni Stuart, 11 mois
- Giuseppe Mibelli, Lieutenant d’Infanterie, 21 ans
- Francesco Mibelli, Tailleur, 18 ans
- Giuseppe Antonio Mibelli, 3 ans, fils de Niccola Mibelli
Début Avril 1774, ils se rendirent à Castifau et furent accueillis par des Grimaldi d’Esdra
et des Bareni au sein du quartier Pedali. Le prêtre de la commune, Carlo Girolamo Bareni,
signe quelques fois des actes sous le patronyme « Baroni ». Ne s’agît-il pas d’un petit
cousin de Maria Anna Stuart ?
Parmi les amis très proches de Carlo Girolamo Bareni, on compte
Carlo Felice Grimaldi d’Esdra, dettu «Carluccio», neveu du colonel Giacomo Dante,
ancien lieutenant de l’armée paoliste et ami de Pasquale de Paoli. Carluccio présenta
à coup sûr son parent par alliance, le forgeron Salvetti, à Emmanuel Stuart pour que
celui-ci puisse à nouveau mettre son art au service de l’effort de guerre.
Le choix de Castifau est surtout motivé par des considérations politico-militaires.
Depuis le mois de février, Nicodemo Pasqualini, cousin de Pasquale de Paoli, tient le
maquis de Petralba. Il a organisé une première tentative de révolte dans le Niolu, mais
Marbeuf en fut informé et ce fut un échec. La Balagna, Canale, le Nebbiu, le Rustinu
sont déjà prêtes à se soulever et la pieve di Caccia, outre la force du parti paoliste,
est un des verrous stratégiques entre la Balagna et le centre de la Corse. C’est à
Castifau que doit s’établir une Junte, véritable embryon de gouvernement national
provisoire, dans l’attente de sa prochaine restauration. C’est bien la raison principale
de la présence des Stuart et des Mibelli dans la pieve di Caccia.
- 30 -
Le dimanche de Pâques, Nicodemo Pasqualini réunit une consulta clandestine au
Monte Stello. Il ignorait alors qu’il parlait en présence d’espions corses à la solde de
Marbeuf. Les différentes phases opérationnelles du soulèvement furent mise à jour.
Emmanuel Stuart devait évaluer si le soulèvement débouchait sur un ralliement général
du peuple corse, occasionnant ainsi une désorganisation complète de l’administration
et de l’armée française d’occupation. Si cette phase réussissait, des renforts importants
de troupes irrégulières regroupant aussi bien des Toscans, des Corses exilés que
des Irlandais, seraient arrivés de Livorno. Ces deux phases étaient parfaitement
connues du haut commandement français qui fit preuve de la plus grande discrétion
dans cette affaire. Les rares officiers dans la confidence redoutaient la venue de ces
renforts, qualifiés de « révoltés de Livourne ».62
Mais sa mission ne s’arrêtait pas là, si la première phase réussissait, Emmanuel aurait
encadré les renforts irlandais. Ensuite, dans un vaste territoire sécurisé, les
chefs paolistes auraient expliqué et fait valider le projet paolo-stuardiste en Cunsulta.
Le projet accepté, de véritables régiments jacobites auraient débarqué afin de
préparer la venue du Prince Charles Edward Stuart. En outre, on ne peut exclure que
Paoli n’ait pas négocié avec Catherine II de Russie la présence de son escadre dans
un port corse, car l’impératrice de Russie avait fait d’importantes propositions à Paoli
dans ce but. (cf. annexe 7). Dans tous les cas, la Cour de France se serait retrouvée
dans une situation diplomatique intenable.
Durant le mois d’avril 1774, les rapports venus de Toscane sont alarmants et le ton
se durcit. A Bastia un décret appelle à la délation. L’arrêt du 28 avril 1774 menace de
punir toutes les personnes qui garderaient le silence en ayant connaissance de
présence de bandits. Elles seront jugées en tant que complices des rebelles.63
Marins, paysans ou citadins, chaque jour apporte son lot d’interrogatoires,
de perquisitions et d’arrestations (cf. annexe 8)
Début mai 1774, un complot est élaboré pour éliminer les soldats français
présents dans l’île le jour de l’ascension. Ce complot a été révélé par une jeune native
de l’île soucieuse de préserver son amant français cantonné à l’Isula Rossa.64
L’officier Jouvenne, en poste à l’Isula, informa Marbeuf « que les derniers jours de ce
mois, il y aura une révolte générale de la Corse. Certains nomment même le jour…
ce sera Vendredi Saint… »
Le 10 Mai 1774, Louis XV meurt de la petite vérole et Marbeuf est rappelé à
Paris. C’est le comte de Narbonne qui débarque en Corse avec de nouvelles
troupes. Informé du risque de révolte générale et des projets ennemis, il
entreprend une répression méthodique, pendant sur place toute personne
trouvée en possession d’une arme. Il positionne également plusieurs bataillons à titre
préventif en Castagniccia, sans en expliquer le motif aux officiers et aux hommes.
La stratégie de Narbonne était simple et déterminante ; frapper très fort et écraser la
rébellion par tous les moyens pour couper toute possibilité d’arrivée de renforts.
62
Christine Roux, Les makis de la résistance corse, 1772 -1778, Paris, 1984 - p 120
63
Imprimerie Royale, Code Corse, Tome Second, Paris, 1778
64
The London magazine, Volume XLIII, London, 1774 - p 299
- 31 -
Le couvent de Caccia devint comme convenu le quartier général du
commandement paoliste. Le docteur della Croce, expédia des lettres et des
missives aux officiers municipaux des différentes régions de l’île.65
Certains répondirent par la négative en arguant du fait que c’était trop tôt, d’autres
adoptèrent une position attentiste et d’autres encore firent parvenir les courriers
reçus directement à Narbonne. Les paolistes tentèrent le tout pour le tout en
s’appuyant sur les communautés acquises, et passèrent à l’offensive.
Durant la dernière semaine de Mai 1774, les pieve du Niolu, de Talcini et du Bozziu
se soulevèrent en masse. Les principaux chefs de guerres paolistes étaient
Teseu de Petralba, le colonel Cesare Matteu de Petriconi de Tenda, Pace
Maria Falconetti, Cesaru d’Orezza, Tomè Cervoni de Soveria, Ghjuvan Petru
Giampetri, Maria Bonelli, Paulu Capellini, Guidoni, Anghjulu Saveriu Valentini
et six de ses frères, et enfin Nicudemu Pasqualini.66
Tomè Cervoni et Paulu Capellini de Soveria prirent la tête des troupes corses,
traversèrent les pieve de Talcini, Bozziu, Vallerustie et Rustinu. Le lieutenant
Giuseppe Mibelli étant venu en Corse pour venger la mort de son père, sa présence au
combat semble acquise. Tout comme on imagine mal comment le vétéran Emmanuel
Stuart n’aurait pas veillé sur la vie du fils aîné de sa femme.
Les troupes corses attaquèrent un détachement de soldats français dans le Rustinu
et firent de nombreux morts.
Dans le sillage de Matteu Cesare de Petriconi, se trouvaient également deux paolistes
originaires de Santu Petru di Tenda. Le notaire Lepido Casta et son cousin germain
Antonio Casta étaient de fervents paolistes, apparentés avec les Casta d’Aregno
di Balagna, dont Francesco Maria Casta. C’est ce dernier qui avait sans doute conduit
Emmanuel Stuart à Petralba en 1769.
La réponse militaire du commandement français fut massive et brutale.
Le comte de Narbonne mobilisa 16 bataillons, soit 7 744 hommes, plus de l’artillerie,
pour écraser la révolte.67 Le maréchal-de-camp Sionville mena une guerre
d’extermination, désignant lui même les arbres où pendre les rebelles. Il fit brûler les
maisons, couper les oliviers et les châtaigniers, abattre le bétail et arracher les vignes,
non seulement des insurgés, mais aussi de leurs parents jusqu’au troisième degré.
Des dizaines d’hommes de la pieve di Giovellina vinrent se retrancher au couvent de
Caccia avec de nombreux paolistes déjà présents sur place.
Le 7 juin 1774, 50 chasseurs et 50 grenadiers du régiment de la Fère marchèrent sur
Castifau. Arrivés au couvent, ils se heurtèrent à une colonne de 100 paolistes armés.
Une violente fusillade fit quelques morts des deux côtés, contraignant les troupes
françaises à se replier provisoirement. Ce répit laissa le temps aux paolistes d’organiser
une évacuation nocturne en débarrassant le couvent de leurs affaires et d’archives
compromettantes.68 Le lendemain, l’armée française revint en force et saccagea le
couvent.
65
Mémorial des corses - Vol II - 1980
66
Association Marcu Maria, préservation de la mémoire des pendus du Niolu, Calacuccia, 2004
67
M.V de Caraffa, Mémoire historiques sur la Corse par un officier du régiment de Picardie, Paris, 1978
68
Christine Roux, Les makis de la résistance corse, 1772 -1778, Paris, 1984
- 32 -
L’anéantissement de la Junte de Caccia produisit l’effet escompté, et tous ceux qui
étaient dans une position attentiste par rapport à ce soulèvement estimèrent que la
partie était perdue, achevant d’isoler un peu plus les insurgés.
La répression continua et c’est le Niolu qui eut le plus à en souffrir. Évoquant les
opérations militaires françaises en Corse, l’envoyé extraordinaire de Grande Bretagne
à Florence, Sir Horace Mann, employa le mot « Boucherie ». Dans le centre de l’île ;
« Les soldats abattirent 6 000 bêtes à cornes et ne laissèrent plus aucune trace de
maisons ».69 Le 23 juin 1774 dans le Niolu, après un simulacre de procès, 11 Corses
furent pendus pour l’exemple. Le comte de Narbonne fit déporter 600 Corses dans
les bagnes toulonnais et proposa « Le transfert de toute la population mâle de l’île. »
Au mois d’août 1774 ; « le sort des Corses semble être finalement déterminé.
Les rebelles, comme on les nomme, sont totalement défaits, et peu parmi eux
ont réussi à s’échapper dans les montagnes, condamnés à se résigner à une vie
précaire, qui ne pourra être prolongée que par ce que pourra produire un sol infertile. Les
Français, en Real Politicians, semblent être convaincus que le seul moyen de s’établir
durablement dans cette île conquise, sensibles au fait qu’elle ne peut l’être seulement
en titre, est de régler leur sort à tous les vieux et à tous les natifs de l’île en mettant un
terme à leur existence sur la roue, ou en les passant au fil de l’épée, ou de les déplacer
par tout autre moyen que la royale humanité suggérera. »70
Dans le Bozziu, Ghuvan Carlu Guiducci, provoque de nouveaux troubles. Le comte
de Marbeuf réagit très vigoureusement, et décide de faire pendre tous ceux, hommes
et femmes, qui seront soupçonnés d’avoir été ses complices. Le village de Poghju
Marinacciu est brûlé, et sa maison rasée. Il est arrêté, avec ses amis Paulu Cappellini
et u duttore Andreani, de l’Ampugnani. Ils sont déportés à Toulon, où ils mourront tous.
Il est impossible d’estimer précisément le nombre d’arrestations et d’exécutions.
Maria Anna Stuart et trois de ses enfants furent cachés à Castifau, mais Emmanuel
Stuart et Giuseppe Mibelli entrèrent dans la clandestinité la plus totale.
Le Consul de France à Livourne le Chevalier de Bertellet rendant compte au Comte
de Pradines, Intendant de Corse, informa dans son courrier du 3 septembre 1774
que, pour préparer une intervention en Corse, les patriotes corses exilés dirigés
par Nicomède Pasqualini avaient adressé une lettre de Paoli à plusieurs notables
restés sur place dont « à Speloncato au Sieur Dominique Arrighi. »71. En octobre 1774,
l’armée française arrêta Giovanni Paolo Quilici et 29 autres personnes à Speluncatu,
prisonniers qui furent tous déportés à la prison royale de Toulon.
La campagne militaire française de 1774 peut être assimilée à une nouvelle campagne
de pacification, dont la violence est comparable à celle de 1769. A la différence qu’il
y eut désormais une volonté de quadrillage militaire de l’intérieur de l’île : « On abattit
les forêts ; on renversa les rochers ; on ouvrit les chemins au travers des montagnes
; on détruisit les asiles des fugitifs. Toutes les villes reçurent garnison française ;
& quiconque voulut parler de liberté, ou combattre pour elle, fut traité de séditieux et
poursuivi comme tel.72 »
69
E.Lewis, Horace Whalpole’s correspondence with Sir Horace Mann - Vol VIII (24), London, 1967 - p 26
70
The London magazine, Volume XLIII, London, 1774 - p 408
71
Cahiers d’Histoire et de Documentation Corses N°1 - 1949 - p.53
72
Paul-Philippe Gudin de la Brenellerie, Aux manes de Louis XV, Lausanne, 1777 - p 45
- 33 -
Collection particulière, Répression dans le centre de la Corse en Juin 1774
Le fils d’un paoliste cortenais contemporain du soulèvement relata ceci à propos de la
répression de 1774 :
« Sionville prenait le silence de la terreur pour le signe d’une adhésion volontaire,
et lorsque des patriotes suspects de regretter l’indépendance nationale se retiraient
dans les montagnes, il écrivait que l’ordre était rétabli dans les villages - D’autres
généraux, pour conserver cette domination arbitraire, ne craignaient point de
calomnier de paisibles populations, en leur prêtant gratuitement des projets de
révolte. Après cela, ils déchaînaient contre elles des régiments entiers, avec ordre
de les poursuivre par le fer et le feu, de répandre, sur la moindre résistance, le sang
de ces rebelles, de dévaster leurs champs, de détruire leurs chaumières. Témoin le
canton de Niolo, où des arbres, transformés tout-à-coup en gibets, gardèrent
longtemps les traces de ces sanglantes exécutions. »73
73
A.Arrighi, Histoire de Pascal Paoli, Tome Deuxième, Paris, 1843 - p 9
- 34 -
Vie et mort d’Emmanuel Stuart en Corse
Après la victoire militaire, la répression continue et les juntes royales
s’assurent de la soumission du parti paoliste dans toute la Corse. Tous les rebelles
identifiés sont placés aux arrêts et beaucoup sont encore déportés aux bagnes de
Toulon. Parfois les autorités françaises font preuve de plus de souplesse quand
l’ordre public est en jeu. Antonio et Lepido Casta de Santu Petru di Tenda, accusés
de crimes contre le gouvernement, étaient placés aux arrêts en Castagniccia. Toute la
communauté de Santu Petru di Tenda, leur parent castellano Casta en tête, a fait
parvenir une supplique74 à la junte royale d’Orezza pour demander que leur peines
soient commuées en une privation de droits civiques et une interdiction d’exercice
professionnel. Il est fait clairement mention dans cette supplique d’un risque important
de nouveaux troubles si les frères Casta étaient déportés. Fait rare, la junte royale
accéda à la demande de cette communauté et Lepido Casta n’exerça plus son métier
de notaire royal jusqu’en 1781.
Pendant ce temps, Emmanuel Stuart et Giuseppe Mibelli s’organisent dans la
clandestinité. Par définition il n’y a aucune source et aucun témoignage sur leurs
conditions de vie, et de survie, après le désastre de 1774, mais il semblerait qu’il
parvinrent progressivement à s’établir à Castifau. En Toscane, l’échec du projet
corse acheva d’affecter le moral du dernier prétendant Stuart. Tous les biographes
du prince charles Edward Stuart s’accordent sur le fait que c’est à partir du milieu des
années 1770 que la santé du prince déclina plus que d’ordinaire. Déjà éprouvé par la
défaite de Culloden en 1746, il n’a pas dû rester insensible à l’infortune de l’expédition
en Corse.
Emmanuel Stuart, dont la provenance et la mission sont connues par quelques notables
initiés, bénéficie d’un solide réseau de protection en Balagna, et dans les pieve di
Caccia e di Canale. L’highlander dispose également d’autres atouts, c’est un maître
dans le travail des métaux et de l’armurerie. A Castifau il y a la forge et une mine de
cuivre, de plus la forge Salvetti est discrète, les conditions sont donc réunies pour
continuer ses activités de forge, voire pour fabriquer clandestinement des armes
pour les foyers de résistances résiduels. Il peut également se rendre aux forges
de Petralba qu’il doit très certainement déjà connaître, mais les déplacements sont
périlleux. Durant cette période un habitant doit demander l’autorisation au Podestat
pour pouvoir se rendre sur le territoire d’une autre commune. Emmanuel, lui, doit
juste éviter les patrouilles. Sa famille habite au quartier des Pedali à Castifau, dans le
champ de vision de la Torra Paganosa qui surplombe le village. Un système d’alerte fut
probablement mis en place. Il paraît peu probable qu’Emmanuel Stuart et Giuseppe
Mibelli soient restés statiques, mais aucune preuve ne permet d’étayer leur
participation à des actions de guérilla.
La présence d’Emmanuel Stuart dans la forge Salvetti à Castifau est en revanche un
fait établi, c’est du reste dans cette forge que son fils, Giovanni Stuart, apprendra son
premier métier ; fondre et travailler le fer. On retrouvera des années plus tard d’étranges
similitudes entre la production de pistolets de Petralba et celle de Castifau.75
74
Archives familiales Casta, Brouillon original d’une supplique de 1774, Santo Pietro di Tenda
75
Jean Louis Leccia, Les armes à feu corses, Chaumont, 2006 - p 64
- 35 -
Pistolet Salvetti, toutes garnitures de fer, produit à Castifau. Jean Louis Leccia, Les armes à feu corses, Chaumont, 2006 - p 64
En 1776, des combats isolés se produisent encore en Corse. On dénombra 182 soldats
français tués pour la période allant du mois de juillet 1774 à avril 1776.76
Le rapport de force était trop défavorable pour que ces actions sortent du
champ symbolique. En avril 1776 un affrontement important se déroula
dans le Pumonte, mais ce baroud d’honneur ne posa pas de problèmes sérieux
à la puissance militaire occupante : « on ne paraît pas en avoir d’inquiétude
puisqu’on espère les détruire avec le seul régiment provincial.77 »
Le 20 octobre 1776, il se dit que les derniers chefs rebelles ont embarqué pour la
Sardaigne depuis la cale de Favone.78 Des accrochages sporadiques continuèrent,
mais avec le temps il devint difficile de dissocier les « rebelles » des «bandits», la
lutte pour une survie individuelle ne s’inscrivant plus nécessairement dans un projet
collectif et à fortiori national. En octobre 1779, un sous lieutenant du Provincial corse
patrouille à Petralba.79 L’étau s’est-il resserré autour d’Emmanuel Stuart ?
Le 3 mars 1780 à Castifau, Maria Anna Stuart décède. Emmanuel et Francesco Mibelli
sont présents à son enterrement. Le prêtre Carlo Girolamo Bareni, voisin et peut-être
parent, dissimule l’identité des Stuart et des Mibelli, mais il souligne la qualité du veuf
en ces termes : « Maestro Emanuele (...) Gio Emanuele. »
Le 22 novembre 1780, la mort d’Emmanuel Stuart est rendue publique à Petralba
par Angelo Matteo Bonavita et Giovanni Stefano Savelli. Le corps d’Emmanuel gît
dans la maison de Simone Gaspari. Toutes ces familles étaient paolistes, un des
officiers de la garde personnelle de Pasquale de Paoli se nommait Andrea Gaspari.
Nous ignorons tout des circonstances de la mort d’Emmanuel à douze kilomètres
de sa maison. Son âge ainsi que l’éloignement suggère une mort non-naturelle, voire
violente. Giovanni Stuart, âgé de sept ans, se retrouva orphelin cette année là.
76
Pommereul, Histoire de l’isle de Corse, Paris, 1778
77
Journal de politique et de littérature, Numéro Treizième, Bruxelles, 1776 - p 125
78
79
A. Bouillon, Journal Encyclopédique et Universel, année 1776, Paris, 1776 - p 180
Archives Départementales de la haute Corse, dépôt des communes - Côte E 101/5, Bastia
- 36 -
Acte de décès de Maria Anna Stuart - Castifau, 3 mars 1780
Archives Départementales de la haute Corse, dépôt des communes - Côte E 99/7, Bastia
Acte de décès d’Emmanuel Stuart - Petralba, 22 novembre 1780
Archives Départementales de la haute Corse, dépôt des communes - Côte E 101/5, Bastia
- 37 -
Les Mibelli-Stuart et leurs alliés
Le jeune Giovanni Stuart n’eut plus qu’une seule famille : Les Mibelli.
Ses deux demi-frères, véritables pères de substitution, avaient des activités
et des apports éducatifs bien différents. Entre Francesco, tailleur raffiné et
Giuseppe, militaire endurci, Giovanni avait le choix les armes. Son âge le
rapprochait également du fils de son parrain, Giuseppe Antonio, âgé de dix ans en 1780.
Giovanni Stuart ne restera pas longtemps immergé dans un univers masculin.
En toute logique, le 24 août 1784, Francesco Mibelli épousa Angela, la fille du
forgeron Francesco Felice Salvetti. De cette union naquît un premier enfant,
Felice Maria, premier Mibelli natif de Castifau, le 26 décembre 1784.
La nièce d’Angela Salvetti avait eut pour parrain Carlo Felice Grimaldi d’Esdra.
Durant cette période les Grimaldi d’Esdra n’ont pas, contrairement à d’autres, inventé
des histoires pour obtenir des titres de noblesses et faveurs de la couronne de France,
Ils se contentent de participer à la vie de leur communauté, et de s’appuyer sur le droit
français quand cela est juste, et ce, dans une période de calme relatif.
Le lien professionnel, puis familial avec les Salvetti permettra au jeune Stuart
d’apprendre très tôt le travail du fer, respectant ainsi la mémoire de son père.
Le 11 juillet 1786, Giuseppe Mibelli apparaît pour la première fois sur un document à
Castifau. Il fut à cette occasion reconnu parrain d’une petite Maria Rosa, fille d’Antonio
Maria Arnos, qui réside quartier Paganosa, juste en dessous de la tour.
Le 5 octobre 1788, pour la naissance de Francesca, troisième enfant de Francesco
Mibelli, deux personnes font le déplacement de Santu Petru di Tenda. Ce sont
respectivement Lepido Casta et sa nièce Angela Maria Casta qui deviennent parrain
et marraine de la petite Mibelli. Dans la foulée, Giuseppe Antonio Mibelli, alors âgé de
18 ans, suivra Angela Maria Casta qu’il épousera à Santu Petru di Tenda, village où il
demeurera jusqu’à la fin de ses jours.
Ce sont bien les Casta rebelles de 1774 qui viennent de nouer leurs destinés avec les
Mibelli-Stuart de Castifau. Lepido Casta et son frère Antonio ( père d’Angela Maria )
avaient-ils connu Emmanuel Stuart en 1774 ? Cela est certain puisqu’ils étaient venus
à la junte de Caccia et avaient été capturés tous les deux dans le centre de la Corse.
Giuseppe Mibelli et Giovanni Stuart rendront visite à leurs parents à Santu Petru di
Tenda, en passant par la Bocca di Tenda. Ces visites fréquentes laisseront des traces
dans la mémoire collective de Santu Petru di Tenda, puisque d’aucuns seront persuadés
à tort que le patronyme Mibelli était dérivé de l’anglais Mybel. On qualifiera même les
Mibelli de Santu Petru di Tenda « d’inglese »80. C’est dire si dans les représentations
populaires les Mibelli-Stuart était assimilés à une seule et même famille.
En 1789, le processus révolutionnaire français, les discours sur l’égalité des droits
si chers à Jean-Jacques Rousseau furent très bien accueillis par de nombreux
paolistes, dont les Stuart-Mibelli. Le 26 août 1789 la déclaration des droits de l’homme
et du citoyen, la célébration du héros de la liberté Pasquale de Paoli, sont autant
de signes d’encouragement pour les paolistes. Une nouvelle ère s’ouvre.
Le 14 septembre 1789, lors du baptême de Giacomo Francesco, fils d’Antonio Maria
Grimaldi d’Esdra, le parrain fut Francesco Mibelli et la Marraine Saveria Bonavita de
Petralba. Ce fut le premier lien familial formalisé avec les Grimaldi d’Esdra.
80
Témoignage recueilli par Mr Casta auprès d’une grande tante en 1976.
- 38 -
Acte de mariage de Francesco Mibelli - Castifau, 24 août 1784
Archives Départementales de la haute Corse, dépôt des communes - Côte E 99/7, Bastia
Acte où apparaît Giuseppe Mibelli pour la première fois - Castifau, 11 juillet 1786
Archives Départementales de la haute Corse, dépôt des communes - Côte E 99/7, Bastia
- 39 -
Le 30 novembre 1789, Pasquale de Paoli fut autorisé à rentrer dans son pays.
Le 3 avril 1790, il arriva à Paris et fut reçu aussi bien par Louis XVI que par tous les
clubs révolutionnaires. Enfin, le 14 juillet 1790 il s’embarqua à Toulon pour la Corse.
Il faut bien se représenter l’état d’esprit du parti paoliste d’alors. Pour cette
générations de juristes qui forment pour l’essentiel l’ossature du parti, c’est la
souveraineté du peuple corse qui passe avant tout. Le principe d’égalité des droits
suppose que les Corses, même sous le drapeau français, disposent des mêmes droits
que les Parisiens. Le peuple corse possède donc de facto la liberté de s’administrer
par lui-même, selon ses propres choix démocratiques et non sous la tutelle
parisienne. Dès lors la majorité des paolistes opte pour une approche pragmatique afin de
garantir le plus grand degré de liberté et de droits au peuple corse.
En vue de la préparation de l’assemblée générale de la Corse, toutes les communautés
de l’île élisent leurs représentants. On assiste à un retour en force des paolistes.
Si l’on s’attarde sur le détail des élections on remarque que ce sont les alliés et parents
des Stuart-Mibelli qui sont propulsés sur le devant de la scène politique.
A Castifau, parmi les six députés de la pieve di Caccia figurent Carlo Felice Grimaldi
d’Esdra et Carlo Girolamo Bareni. A Santu Petru di Tenda on retrouve également
Castellano Casta et Lepido Casta.
La décision politique la plus importante de la Cunsulta d’Orezza, tenue le
9 septembre 1790, sera la création d’un département unique administré par un Conseil
général. C’est Pasquale de Paoli qui fut élu président du Conseil général et
commandant en chef de la garde nationale. Dans le Nebbiu, Giuseppe Mibelli intégra
directement la garde nationale avec le grade de sous-lieutenant, sous le
commandement du Capitaine Gugliemo Casta. Son père était venu en Corse en
combattant pour la Liberté, pour Giuseppe la vengeance personnelle n’est plus de
mise quand cette liberté semble être à la portée des Corses.
Archives Départementales de la Corse du Sud,
Liste des électeurs - Côte 1 L 41, Aiacciu
- 40 -
Paoli, conformément aux souhaits du pouvoir révolutionnaire, ne rencontra pas de
grandes difficultés à mettre sur pied la garde nationale en Corse. Outre les députés
mandatés à Bastia pour structurer la garde dans tout le pays, il put compter sur sa base
militaire historique : « Les milices civiques établissaient entre elles des rapports et
s’unissaient par les mêmes serments. Celles de Corté, des pieve de Talcini, Vallerustie,
Giovellina, Caccia, Niolo, Venaco, Rostino, Rogna et Bozio formèrent une association
armée. (...) Les cris de vive la nation, vive la liberté, vive Paoli faisaient retentir les
échos alentour. »81
Cette force de frappe organisée au sein de la garde nationale fut très utile à
Paoli quelques mois plus tard. En effet, le 2 juin 1791 à Bastia, lors d’une assemblée
générale qui exposait les modalités de l’application de la constitution civile du
clergé, les bastiais chassèrent les autorités révolutionnaires de la ville. Paoli, furieux,
leva des milliers d’hommes originaires de l’intérieur de l’île. Sa position était
ferme et conforme aux idéaux révolutionnaires : « Les prêtres ignorants et fanatiques ne
mesurent pas les conséquences que pourrait avoir leur victoire et les prétextes
qu’ils pourraient donner aux anciens fauteurs de despotisme. »82 (cf. annexe 9)
Le 24 juin 1791 il entra à la tête d’une véritable armée dans Bastia et restaura les
autorités révolutionnaires, les Bastiais se souvinrent longtemps de cette répression
appelé « cuccagna di Bastia ». Giuseppe Mibelli a participé forcément à cette opération
de maintien de l’ordre, Giovanni Stuart probablement.
C’est au niveau des choix sociaux et économiques que des clivages se dessinent.
Durant la vente des biens nationaux, effective à partir de 1792, le républicain
Barthélemy Arena rafla 32 % des biens vendus à Calvi.83 Ce dernier fait parti de cette
classe de notables ruraux qui tirent avantage d’un lobbying auprès du pouvoir central
parisien. Les familles de paysans spoliés en 1769 par les colons français se retrouvèrent
à nouveau spoliés de leur biens communs par ces nouveaux riches du camp républicain.
Or, ces paysans constituent la base du parti paoliste. Dans le même temps
ces républicains entretiennent une nouvelle clientèle et renforcent un parti
pro-parisien. Des haines individuelles se cristallisent, en plus de différends idéologiques.
Les rapports entre les deux factions se dégradèrent gravement en 1792.
Le 28 février 1792 de graves troubles éclatent à l’Isula Rossa, la maison des Arena est
incendiée et les frères Arena se mettent à l’abri à Calvi. Barthélemy Arena reprochera
dans une lettre du 6 avril 1792 à Paoli « de trahir les lois de la constitution et d’avoir
laisser ruiner sa maison de famille ».
A Castifau la population met à sac le couvent de Caccia et en chasse les frères.
Dans le même temps le processus révolutionnaire se radicalise à Paris et la convention
commence à voir des traîtres partout, préfigurant le régime de la terreur à venir.
Les républicains affairistes n’ont plus besoin que d’un prétexte pour s’attaquer à Paoli,
ce sera le cas lors de l’organisation d’une expédition militaire en Sardaigne.
Le 24 novembre 1792 Paoli écrit aux députés Andrei et Bozio : « Sauf un miracle,
l’expédition de Sardaigne ne peut réussir… Je ferai ce que je peux faire, mais je
veillerai à ce qu’on ne me mette l’échec à dos, ce que je peux supposer ».
81
A.Arrighi, Histoire de Pascal Paoli, Tome Deuxième, Paris, 1843 - p 91
82
Archives Départementales de la Corse du Sud, Lettre de Pasquale de Paoli à Buonacorsi - côte 71 J 1, Aiacciu
83
Jean Dominique Gladieu, La Corse et la révolution française : Les causes d’une rupture,
in Le bicentenaire et ces îles que l’on dit françaises, Bastia, 1989 - p 73
- 41 -
Le 12 janvier 1793 les bateaux qui apportent les volontaires marseillais, commandés
par Dhiller accompagné par Arena arrivent en vue du golfe d’Aiacciu, mais la tempête
les disperse. La plus part des bateaux réussissent à se réfugier à San Fiurenzu. De
là, les volontaires passent à Bastia où ils se livrent aux pires exactions, y compris des
profanations d’églises et de tombeaux. Rembarqués le 18 pour Aiacciu, ils commettent
dans cette ville les mêmes actions d’indiscipline et de terreur, deux ajacciens sont
pendus au mat d’un navire. Parties pour Cagliari le 17 janvier, les troupes de Provence
subirent un cuisant échec en Sardaigne.
A force d’intrigues, et après l’échec de Sardaigne, Salicetti demanda finalement,
le 28 janvier 1793, l’arrestation de Paoli. La convention, par un décret du 5 février
1793, supprima les quatre bataillons de la garde nationale en Corse. La tension
politique dans l’île atteignit un point culminant. Paoli est finalement accusé « d’entente
probable avec l’Angleterre » et est destitué en Avril 1793.
C’est une estafette qui se rend à corté pour lire la sentence à Paoli : « Par ordre du
Comité de Salut Public, le Général Paoli, Commandant la division militaire de la Corse
et le procureur général syndic, Pozzo di Borgo, devront se rendre immédiatement à
Paris pour répondre, en séance de la Convention Nationale, sur les faits suivants :
Négligence dans les préparatifs de l’expédition de Sardaigne, concessions criminelles
au parti royaliste, négociations secrètes avec Pitt et Cobourg. »84
Le 23 mai 1793 le parti paoliste convoqua une consulta à Corti, où 1009 députés
corses se déclarèrent « en état de résistance légitime à l’oppression » et chargèrent
Pasquale de Paoli de protéger la nation corse85, qui, jusqu’à l’épuisement total des
possibilités de dialogue, maintiendra le contact avec la convention.
Paoli forma des bataillons de volontaires nationaux, aussitôt rejoints par des gardes
nationaux et des miliciens. Giuseppe Mibelli conserva le même grade et prit
une part active aux combats menés par le 2nd bataillon contre les troupes républicaines.
La guerre civile débuta en Balagna dès le début du mois de juin 1793.
Au cours de l’attaque de Calvi, les républicains tuèrent 40 paolistes.
En représailles tous les magasins de l’Isula Rossa furent pillés. Si la majorité
du territoire fut sous le contrôle du gouvernement national provisoire paoliste,
Calvi, Bastia et San Fiurenzu demeurèrent aux mains des républicains.
Sous la demande pressante de Salicetti et des républicains retranchés en Corse, une
intervention militaire française pesait sur une Corse devenue complètement autonome.
Le 25 août 1793, Paoli écrit au vice-amiral lord Samuel Hood, commandant de la
flotte britannique en Méditerranée : « nous nous regardons donc aujourd’hui comme
peuple libre et indépendant qui a le droit de prendre par lui-même toutes les résolutions
convenables à son honneur et à ses intérêts ». Il demanda la protection de S.M.
britannique pour assurer « l’existence politique » des Corses et donc l’intervention
de la flotte anglaise.
Le 16 septembre, il écrit à son ami Carlo Felice Grimaldi d’Esdra de Castifau pour
l’informer que les navires anglais sont en vue.86 Carluccio dirige alors une colonne de
volontaires nationaux dans laquelle doit se trouver, à ses côtés, Giovanni Stuart.
Le 21 septembre, Paoli demande à Carluccio de se préparer à l’attaque.
84
85
86
Bibliothèque municipale d’Aiacciu, Mémoires de Simeon de Buochberg, Aiacciu
Jean Dominique Gladieu, La Corse et la révolution française : Les causes d’une rupture,
in Le bicentenaire et ces îles que l’on dit françaises, Bastia, 1989 - p 73
Giovanni Pietro Vieuseux, Archivio Storico Italiano -Tomo XI, 1846, Firenze – p 440
- 42 -
Le général Charles Stuart, Giovanni Stuart et le
royaume anglo-corse.
Le 4 janvier 1794, le Général de Paoli livra une bataille contre les
troupes françaises entre Castirla et Petralba, au cours de laquelle il fit de nombreux
morts chez l’ennemi et un grand nombre de prisonniers.87 Demeurant dans la
zone de conflit, acquis à Paoli, c’est la raison même de sa présence en Corse,
Giovanni Stuart a donc participé aux combats dans les pieve de Caccia
et de Canale, tout comme son père vingt ans auparavant. Peut-être même a-t-il
contribué à fabriquer des pistolets au sein de la forge Salvetti pour fournir les troupes.
Quelques jours plus tard, les anglais répondent à l’appel de Paoli et mandent une mission
de reconnaissance en Corse. Le 9 janvier 1794, le colonel John Moore a été envoyé
en Corse en mission de renseignement afin d’obtenir le plus d’informations possible
sur la situation de l’île et les intentions de Paoli.88 C’est à cette mission de renseignement
effectuée avec zèle que Hood attribuera les succès militaires anglais en Corse.89
Le colonel Moore, originaire de Glasgow et dont le père avait reçu Paoli en 1771, s’était
également rendu en Toscane en 1775 avec le duc de Hamilton. Son père, fidèle parmi
les fidèles de la maison Stuart avait assisté au siège de Stirling avec le Prince Charles
Edward Stuart. Ce fut donc, à tous égards, l’homme de la situation pour conduire une
délégation anglaise vers Paoli. John Moore évoque l’arrivée de la délégation :
« La délégation navigant à bord d’une frégate ( 14 janvier ), accosta dans une petite
île Rousse et s’en alla ensuite en direction de Murato. Les habitants de chaque village
par lesquels nous sommes passés nous saluaient avec des volées de mousqueterie,
et s’exclamait « Viva paoli, la patria, è la nazione Inglese ! ». Cet accueil a été très
amusant. Sur le trajet nous avons vu que Paoli avait élu résidence dans un couvent de
récollets abandonné depuis la Révolution. Le couvent était rempli de paysans armés
qui venaient de différentes parties de l’île et qui servaient sans être payés. Ils portaient
sur leur dos pour 10 jours de provisions constitués principalement de châtaignes
grillés (…). »
Quand le général Paoli s’adressa lui-même aux militaires, pour expliquer le plan
d’opérations qu’il espérait voir adopter, le Colonel Moore l’informa que « Sir Gilbert
Elliot était le représentant du Roi et que c’était à lui d’agréer la suite des affaires. »
Paoli se tourna vers Sir Gilbert, et dit « J’ai écrit il y a longtemps au Roi et à ses
ministres, que moi-même et mon peuple désirions demeurer libres même en tant que
sujets, ou sous la protection de la Grande Bretagne, à partir du moment où le Roi et
le Pays puissent raisonner d’une façon pratique. J’espérais avant de mourir, de voir
mon pays, après tant de luttes, durant ces trente dernières années, établi et heureux,
avec son propre degré de liberté, sous la protection du gouvernement de la Nation
Britannique. »90 Le général était tellement affecté pendant son discours, que des
larmes coulèrent de ses yeux. La conférence fut close amicalement, Sir Gilbert donna
son assurance d’une assistance pour l’expulsion des français.
87
Freemason’s magazine, or General and complete library – Volume II, london, 1794 - p 75
88
James Alex Browne, Royal Artillery, London, 1865
89
J. Debrett, State Papers relative to the war against France - Vol. II, London, 1795
90
James Carrick Moore, The life of Lieutenant-General Sir John Moore, K.B - Volume 1, London, 1834 - p 52
- 43 -
Il y eut tout de même une fausse note au tableau, en effet, alors que Pasquale de Paoli
négociait avec Elliot, une voix discordante se fit entendre, ce qui provoqua l’ire du
babbu di a patria. Dans une lettre du 1er avril 1794 envoyée à Ordioni il écrit :
« Carluccio di Caccia, qui fut votre ami, est dangereux et tous les siens sont dangereux.
Le discours que je tiens à Murato, il me l’a reproché assez, quand pour assurer le sort
de notre pays, je propose d’abandonner toute ingérence dans les affaires publiques.
Felice Carlo ne sait pas ce qu’il dit, et est quelques fois excusable dans ses transports. »91
Paoli, visiblement énervé par cette opposition interne, essaie de temporiser ces ardeurs
souverainistes et écrit à nouveau le 2 avril depuis San Fiurenzu au même Ordioni :
« Je ne doute aucunement que les parents de M....... et de Carluccio de Castifao
ne soient pas de mauvais bougres. Carluccio en particulier était présent, et appelait
principalement à un discours bien séditieux, alors que j’étais présent à Murato. Je
n’ai pas discuté avec lui alors, parce que de toutes les façons j’étais personnellement
mis en cause. A l’occasion, faites le condamner à une amende de Mille Lire. »92
Carluccio combat depuis des semaines les troupes républicaines, sans aucune
aide extérieure, il jouit donc d’une certaine légitimité pour exprimer publiquement un
désaccord avec Paoli, qui est pourtant son ami.
La personne dont l’identité est préservée par Paoli est très certainement le
sous-lieutenant Giuseppe Mibelli, opérant précisément dans le Nebbiu. Carlo Felice
Grimaldi d’Esdra, comme nous le savons, est très proche des Stuart et des Mibelli,
il doit certainement connaître le sort que réserva la dynastie des Hanovres aux patriotes
écossais. Il n’a aucune confiance en Elliot et en son Roi et l’a exprimé ouvertement,
ainsi que son souhait de voir Pasquale de Paoli conserver la direction des affaires en
Corse. Cette position n’est pas tenable pour u babbu qui sait qu’il ne pourra soutenir
une nouvelle guerre contre les républicains français sans l’aide de Georges III.
La position des caccianinchi est loin d’être isolée dans le parti paoliste. Comme dans
tout groupe humain, des différences existent. Parmi les tendances internes identifiées
on peut citer les souverainistes, les paolistes et les opportunistes. Sur le fond,
Carluccio di Castifau et d’autres ne supportent pas l’idée de redevenir des sujets d’un
monarque lointain, cela est vécu comme une régression majeure par de nombreux
paolistes acquis aux idéaux de la révolution française. Ce sont les dérives de la
Convention et son hostilité qui ont provoqué la rupture et l’appel aux anglais, mais
fondamentalement l’égalité des droits entre citoyens demeure un objectif politique.
Le 21 avril 1794, Sir Elliot écrit à Paoli : « Nous avons dans le commandement
de sa majesté, et avec son assentiment, un tel système qui cimentera l’union de nos
deux nations sous une souveraineté commune, et dans le même temps, garantira à la
Corse pour toujours son indépendance, la préservation de son ancienne constitution,
de ses lois et de sa religion. »
Le 2 Mai 1794 , Pasquale de Paoli écrit depuis Furiani à ses compatriotes pour les
rassurer : « je peux obtenir pour notre pays l’établissement d’un gouvernement libre
et durable, et ainsi préserver pour la Corse, sa gloire, son unité et son indépendance,
et ce, au nom des héros qui ont versé leur sang pour défendre le bien-être des
générations futures. »93
91
Giovanni Pietro Vieuseux, Archivio Storico Italiano -Tomo XI, 1846, Firenze – p 481
92
idem
93
The Scots Magazine, Volume 56, Edimbourg, 1794 - p 471
- 44 -
Le 15 mai 1794, le général Charles Stuart, auquel on prêtait des talents militaires
supérieurs, débarqua en Corse. C’était un des frères de John Stuart-Mounstuart,
venu en 1768 et 1769 en Corse et devenu un ami personnel de Paoli. De plus,
bien que militaire loyal, Charles Stuart n’était pas inféodé aux Hanovres,
il portait une devise finement ciselée sur un cachet attaché au cordon de sa montre :
« Le Roi tient tout de nous et nous ne tenons rien du Roi ». C’est donc bel et bien le
plus puissant allié militaire étranger de Paoli qui n’ait jamais foulé le sol corse.
Après la capitulation de Bastia, le 23 mai 1794, le commissaire de George III, sir Elliot,
comprend le danger que représente Stuart. Il se rend à Corté et fait littéralement le
siège de Paoli pour que ce dernier adresse une lettre au Roi George III lui demandant
de le nommer vice-roi de Corse. Paoli, contrarié de sa modestie simulée, l’interpréta
comme la volonté de Georges III lui même et écrivit, sous les yeux de sir Elliot, cette
fameuse lettre, qui valut à ce dernier la vice-royauté de l’île.94
Paoli reprit l’initiative politique contre Elliot en organisant une Cunsulta à Corté, qui, du
10 au 15 juin fit adopter par le peuple corse la constitution du Royaume anglo-corse.
Le Général Stuart se rendit à Corté pour rencontrer Paoli, puis le 29 juin suivant,
il marcha sur Calvi avec 600 hommes et un bataillon corse fourni par Paoli. Il
organisa le siège terrestre avec le colonel Moore. Sir Charles Stuart dormait toutes
les nuits dans les tranchées et partait très fréquemment en reconnaissance pour
voir les effets de l’artillerie, Moore le blâma en le voyant s’exposer autant. Le 8 juillet,
le général fut touché par un éclat d’obus. Quand les soldats anglais tombèrent malades;
le rôle des volontaires nationaux corses devint déterminant. Le 22 juillet Charles
Stuart, quitta provisoirement la Balagna pour rejoindre Paoli qui se trouvait à Orezza.
Il nomma Moore adjudant général, lui laissant le soin de terminer le siège de Calvi.
Collection particulière, Siège de Calvi par les troupes anglo-corses en Juin 1794.
94
Bibliothèque municipale d’Aiacciu, Mémoires de Simeon de Buochberg, Aiacciu
- 45 -
Charles Stuart passa par le Giussani et par Castifau. John Moore, disposait de
sources de renseignement très variées, aussi bien politiques que familiales,
pour indiquer très précisément au général le lieu de résidence de Giovanni Stuart.
Il continua sa route vers Orezza pour ensuite rejoindre le cortenais.
Le 25 juillet 1795, Paoli lui ayant fourni des guides, le Général Stuart entreprit l’ascension
du Rotondu en compagnie de sa fille et d’autres « inglese » en civil. Il est possible que
Giovanni Stuart ait participé à cette randonnée. Sa fille qui fit une mauvaise chute fut
sauvée in extremis par le berger Pedinellu, à qui Charles Stuart offrit son fusil personnel,
une pièce magnifique ciselée d’or. Le général anglais noua des rapports chaleureux
avec de nombreuses familles du centre corse et sa réputation fit vite le tour de l’île.
Puis il retourna au siège de Calvi, Paoli ayant décrêté l’envoi de renforts corses.
Dans une lettre du 29 juillet 1794, Paoli écrit à Murati : « l’ordre a été donné à toutes
les familles du parti jacobite, et nous ne pouvons admettre aucune exception. »95.
Des familles jacobites en Corse ? Paoli parle bien ici de jacobites, et non de jacobins.
Le 2 août 1794, un assaut général fut donné sur Calvi, le bataillon corse engagé
en Balagna reçut l’ordre de prendre les collines environnantes. Le lieutenant colonel
Sabbatini fut tué, le Capitaine Giovanni Paoli sérieusement blessé.96
Le 10 août 1794, la garnison française de Calvi signa l’acte de capitulation. Après y
avoir établi ses propres quartiers, Sir Charles proposa au Colonel Moore de faire un tour
à travers toute l’île pour mieux connaître le pays, les manières et les
sentiments de ses habitants. : « De nombreuses personnes l’en assurèrent, et c’est ce
qu’il constata dans l’opinion générale, que rien de mieux qu’un gouvernement militaire
pourrait convenir à la Corse »97
Un tel gouvernement militaire de l’île échoirait bien évidemment au Général Stuart
et cette idée fut propagée par le parti paoliste et admise par de nombreux patriotes.
Le politique à Paoli et le militaire à Stuart, c’était une combinaison redoutable.
Collection particulière, Le Général Charles Stuart KB en 1794 et l’officier John Moore.
95
96
97
Giovanni Pietro Vieuseux, Archivio Storico Italiano -Tomo XI, 1846, Firenze - p 502
The Scots Magazine, Volume 56, Edimbourg, 1794 - p 471
James Carrick Moore, The life of Lieutenant-General Sir John Moore, K.B - Volume 1, London, 1834 - p 83
- 46 -
Le 7 septembre 1794, on rapporta que Giuseppe Mibelli, avait été tué, ainsi que d’autres
combattants corses, lors d’un assaut contre la position française de Farinole,
clé du Cap Corse selon Paoli. Vingt cinq années plus tard, Giuseppe Mibelli connut
donc le même destin tragique que son père, pour la même cause et sous les mêmes
balles ennemies.
Terminant son périple par Corté, Stuart emprunta une route faite par le génie militaire
français, en direction de Bastia, et, arrivé à destination : « une déplaisante dispute
éclata entre Sir Charles Stuart et Sir Gilbert Elliot (…) Charles Stuart résista en disant
à Sir Elliot qu’il avait été nommé commandant des forces armées britanniques et qu’il
n’avait pas à se référer à son autorité pour toutes les affaires concernant l’armée,
jusqu’à ce que Sir Elliot ait une commission du Roi, lui donnant ce commandement.
Mais le 9 octobre fut annoncée officiellement la nomination de Sir Elliot Vice Roi, ce
qui stupéfia de nombreux corses. »98
Le 11 octobre 1794, Elliot précise à Stuart « Que s’il est le commandant en chef
de l’armée britannique en Méditerranée, lui est bien le chef de l’armée en Corse ».
Le lendemain Stuart lui répond qu’il « refuse, sans ordre direct de sa Majesté de céder
son commandement des troupes en Corse ».99 Dès lors Elliot entreprit une campagne
méthodique de stigmatisation contre Stuart auprès de ses relais à la cour de Londres.
Le 11 octobre, Elliot avait également écrit au duc de Portland au sujet de l’attitude du
Général Stuart, mettant en garde contre le danger d’une autorité indépendante en
Corse, qu’il ne pouvait pas y avoir différentes autorités que la sienne. George III donna
les pleins pouvoirs à Elliot.
Bibliothèque municipal de Bastia, Mention dans la lettre d’Elliot du 11 octobre 1794 à Portland, côte p38 2/19, Bastia
Vis-à-vis de la nouvelle administration en place, les Grimaldi d’Esdra de Castifau et les
Casta de Santu Petru di Tenda gardèrent leurs distances pour les raisons politiques
que l’on connaît. Elliot et Pozzo di Borgo s’appuyèrent sur une nouvelle clientèle ;
les Vincentelli à Castifau et les De Petriconi dans le Nebbiu.
Le 6 novembre 1794, Eliott donna l’ordre à Charles Stuart de mettre sur pied
et d’assurer le commandement de trois bataillons de troupes anglo-corses, lui même
conservant l’autorité sur les régiments anglais. Le 14 novembre 1794, le Général Stuart
créa avec Paoli trois bataillons royaux anglo-corses (cf. annexe 10) de 500 hommes,
qu’il inspecta le 1er Janvier 1795 aux Porette à Corté.
« Comme une invasion de France était redoutée (…) le général considéra son métier
avec maturité et présenta un plan de défense au Vice-roi, qui, sans un seul égard
pour l’opinion du général, le modifia sur des points essentiels et affecta les officiers
sans tenir compte de ses recommandations. Sir Charles, qui avait pourtant un grand
esprit, fut indigné de voir qu’un plan médité par lui soit ainsi rejeté, et que ses opinions
sur la défense de l’île soient réduites au néant, sans cérémonie, par une personne
ignorante de tous ces sujets. Il refusa d’endurer un instant de plus un tel traitement. » 100
98
James Carrick Moore, The life of Lieutenant-General Sir John Moore, K.B, London, 1834 - p 85
99
Dorothy Carrington, Sources de l’histoire de la Corse au Public Reccord office de Londres , Aiacciu, 1983 - p 63
100
James Carrick Moore, The life of Lieutenant-General Sir John Moore, K.B - Volume 1, London, 1834 - p 86
- 47 -
Le 2 février 1795, depuis Monticellu, Paoli correspond à nouveau en termes très
amicaux avec Felice Carlo Grimaldi d’Esdra, cet ami qui l’avait mis en garde.
Le 6 février 1795, le vice-roi Elliot fit transférer le siège du Gouvernement vers Bastia.
Cette manoeuvre était destinée à réduire l’influence de Paoli. Les députés corses
éliront Pasquale de Paoli chef du gouvernement par acclamation. Eliott rappela
aussitôt un régiment anglais qui était parti de Bastia pour Corté et Paoli renonça.
Le 17 février 1795, Elliot écrit au duc de Portland que toutes les affectations militaires
décidées par le général Stuart sont invalidées.101 Le vice-roi dispersa à sa guise les
officiers proches de Stuart sur tout le territoire corse.
Sir charles Stuart se dit « dégoûté des méthodes de gouvernement de
Sir Elliot et de Pozzo di Borgo ». Il retourna en Angleterre, accompagné
de Cesari Colonna pour mener une bataille politique contre les agissements
d’Elliot. L’impression que suscita ce départ chez le Colonel Moore fut consigné
dans son journal : « Le départ de Sir Charles Stuart est un coup dur que l’armée
ressent sévèrement. Nous n’avions jamais eu un général qui gagna autant de
loyauté, d’affection et de confiance auprès de ses troupes. Son absence sera lourde
de conséquences, si jamais les français prévoient de débarquer dans cette île ».
Son absence fut également lourde de conséquences pour Giovanni Stuart et ses
proches à Castifau. Les premiers troubles éclatèrent, on dénombra de nombreux
actes d’insubordination et de désertion dans les bataillons royaux anglo-corses. Elliot
fit adopter un décret le 31 mars 1795 pour faire punir ces actes par la cour martiale.
Dès lors, Sir Elliot travailla à éloigner Paoli en Angleterre. Pour arriver à ses fins, il
envoya une série de dépêches au Roi George III : « Le rostino devient le lieu de
réunions de tous les mécontents de Corse. Paoli se sert du titre de citoyen au lieu
d’employer celui de Monsieur ; c’est ainsi qu’il adresse toutes ses lettres à ses
compatriotes de tous rangs et de toutes conditions (…). »102
Le 4 mai 1795, il écrit au duc de Portland : « Les intrigues de Paoli sont toujours
soutenues par la cabale que le général Stuart a laissé derrière lui. (...) Il est soutenu
par une faction en Corse (...) il travaille contre l’administration en Corse (...) sa majesté
se doit de soutenir son propre gouvernement »103
C’est un véritable clivage, une guerre civile larvée qui opposa le camp Paoli/Stuart au
camp Pozzo di Borgo/Elliot. Les premiers troubles sérieux éclatèrent durant l’été 1795.
Dès le mois de juillet le capitaine Moore prend l’habitude de dîner chez Paoli dans sa
maison de Merusaglia, et il ne s’y rend pas seul, il y a d’autres personnes avec lui dont
un autre écossais, le capitaine Campbell.
Elliot fit parvenir le 31 juillet 1795 au duc de Portland une note secrète sur les
agissements de Moore et de certains officiers anglais. Il dénonça l’existence d’un
parti anglo-paoliste, hostile au gouvernement et dont le leader serait le Capitaine John
Moore, en connexion avec le Général Stuart. S’appuyant sur les lois du royaume anglocorse, il fit la chasse aux traîtres anglais, mais pas seulement aux militaires.
Dans des districts en rébellion ouverte, des républicains et paolistes,
sont animés par le même désir de liberté et la même haine contre le gouvernement
d’Elliot et sa clientèle. Elliot proclame la loi martiale dans certaines parties de l’île,
dans le Rustinu et la Gravona notamment.
101
102
103
Bibliothèque municipal de Bastia, Lettre d’Elliot du 17 février 1795 à Portland, côte p38 2/19, Bastia
Mémorial des corses - Vol III, 1980 - p 509
Bibliothèque municipal de Bastia, Lettre d’Elliot du 4 mai 1795 à Portland, côte p38 2/19, Bastia
- 48 -
Archives Départementales de la Corse du Sud, Actes du parlement Anglo-Corse - côte 2 J 92, Aiacciu
Bibliothèque municipal de Bastia, Extrait d’une note secrète d’Elliot du 31 juillet 1795 à Portland, côte p38 2/19, Bastia
- 49 -
Face à une situation politique qui dégénère et des affrontements qui éclatent dans
toute l’île, les accusations d’Elliot se font plus précises : « Paoli disait au peuple que
nous avions les chapeaux mais que son parti avait les casquettes, désignant par là les
classes inférieures. Il recommandait à ses compagnons de garder leurs fusils chargés
car nul ne sait au juste quand ils en auraient besoin. Au point où en sont les choses le
séjour de Paoli en Corse est incompatible avec le gouvernement anglais. »
Le 16 août 1795, Elliot adresse à nouveau au duc de Portland un long réquisitoire
contre le capitaine Moore, le général Stuart et Pasquale de Paoli.
Selon Paoli, dans une lettre du 22 août, de nombreuses notes secrètes d’Elliot
circulent, affirmant que l’intérieur de l’île est en état d’insurrection.
Sur le terrain, les sbires d’Elliot et les amis de Pozzo di Borgo doivent très
certainement faire la guerre à des opposants moins connus, y compris à Castifau.
Une histoire familiale est très présente dans la mémoire collective des Stuart :
« Des soldats anglais seraient venus à Castifau pour trouver u vechju Stuart, il aurait
été protégé et caché dans les caselle près de la tour. »104
Diverses sources historiques corroborent cette version à travers deux faits établis :
- Carlo Felice Grimaldi d’Esdra, l’ami et le voisin de Giovanni Stuart est mort en 1795.
- La famille Mibelli/Stuart de Castifau s’est enfuie pour Aregno di Balagna en 1795.
Il s’est donc forcément passé quelque chose à Castifau, pouvant justifier une telle fuite.
Puis Elliot s’occupa du cas de John Moore qui reçut l’ordre le 1er septembre 1795
de quitter l’île dans les quarante huit heures. Il prit le temps d’aller saluer ses
camarades du 51 ème d’infanterie à Corté ainsi que ses amis corses.105 Dans une
lettre du 17 septembre 1795, le duc de Portland demanda à Elliot « s’il ne conviendrait
pas de traduire cet officier devant une cour martiale. »106
Le 13 octobre 1795, Pasquale de Paoli reçut également l’ordre de retourner en
Angleterre, la force étant préconisée en cas de refus. Las, et n’ayant plus quarante ans,
le père de l’indépendance s’exécuta...
Dans sa toute dernière lettre écrite en Corse à Ordioni, évoquant Frédérique North,
secrétaire d’État du Royaume Anglo-Corse, Paoli dit ceci : « Bien sûr, il a su que j’avais
prié Moore de m’attendre quelques jours à Livorno pour que l’on puisse faire le voyage
ensemble. Il m’offre de me permettre de choisir quelques officiers pour m’accompagner
et me fait savoir que son aide de camp désire cet honneur. » Dans les faits, à Livorno
Moore n’eut même pas le droit d’embarquer dans le même navire que Paoli, il dut
traverser l’Europe pour se rendre en Angleterre par voie terrestre !
En 1796, l’île devint incontrôlable pour les Anglais, alors que la menace du général
français Bonaparte se faisait de plus en plus sentir.
En avril 1796, 700 insurgés se regroupent à Bistugliu mêlant des républicains et des
paolistes, qui demandent tous la dissolution du parlement anglo-corse. Toutes les
communications étant coupées entre Bastia et Aiacciu, le gouvernement d’Elliot sera
contraint de négocier in Corti avec les insurgés, sans toutefois les poursuivre.
104
Témoignage de Barbe Marie Stuart ( épouse Parsi ) recueilli en 1939 par Leria Stuart, âgée aujourd’hui de 95 ans.
105
Arthur William Alsager Pollock, The United service magazine -Volume 119 London, 1869 - p 223
106
M.Jollivet, Les anglais en Méditerranée, Paris, 1896 - p 186
- 50 -
Le 27 mai 1796, Frédérique North dissout toutes les milices corses leur demandant
de rentrer dans leur foyers.
Le 8 juillet 1796, Elliot écrit aux autorités de Portoferraio : « Les troupes françaises
ont occupé le Port de Livorno et tiré sur les vaisseaux du Roi stationnés dans la rade
nonobstant la neutralité du Grand Duché de Toscane. Ce qui porte à croire que les
français ont la même intention concernant Portoferraio et auront un moyen plus facile
de tenter l’offensive contre la Corse. Ce motif m’a déterminé à prévenir le plan de
l’ennemi, de faire passer une garnison à Portoferraio et à défendre cette place contre
toute invasion. »107
Plutôt que de reconnaître sa déroute dans une Corse en état d’insurrection générale,
Elliot, fidèle à ses habitudes, évoqua donc un repli stratégique sur l’île d’Elbe !
Au mois d’août, George III donne l’ordre d’évacuer la Corse.
Après que le Major Knesevich a mené une mission de reconnaissance et préparé le
transfert des troupes à Portoferraio, les anglais quittèrent l’île. Le 22 octobre 1796, le
gros des troupes de Georges III était parti, le petit règne d’Elliot arriva à son terme.
(cf. annexe 11)
L’année 1796 se termina par un clin d’œil historique, presque anecdotique, mais au
combien symbolique. Le 20 décembre 1796, le vaisseau de ligne d’Horacio Nelson
attaqua la frégate de Guerre espagnole La Sabina. La frégate capitula, ayant perdu
114 hommes et souffrant de fortes avaries. Le capitaine était, Don Jacobo Stuart, un
descendant naturel direct de James II d’Angleterre et qui se présenta comme tel. Le
plus surpris fut Nelson, qui non seulement traita avec tous les égards son prisonnier,
mais organisa très rapidement un échange de prisonniers lui permettant de retourner
en Espagne, avec son épée. Nous refermons cette parenthèse sur le combat qui
opposa cet ami du général Charles Stuart à un autre Stuart, mais cette situation n’est
pas sans rappeler ce que dut ressentir Giacinto Paoli quand il mit les pieds au mess
des officiers à Naples en 1739 et rencontra des O’Sullivan.
L’affaire du buste brisé de Paoli, le 14 juillet 1795
« The Vice-roy, most unfortunatly, could not perceive the necessity of conciliating
the Corsicans, or acting in unison with their feelings. Soon after this, he made
a visit to Ajaccio, when the officers of a Corsican corps resolved to give him a
ball. The hall of the municipality was chosen for that purpose, in wich had been
placed a bust of Paoli. Some of the officers assembled there to consult about the
decorations, when an aid-de-camp of the Viceroy, pointing to the bust, asked
‘ What business has that old charlatan here ? ’. He then pulled down the bust,
and threw it into a small closet, where it was broken to pieces. This insult to their
revered chief was soon reported all over Corsica : yet no punishement was
inflicted upon the officer, who remained attached to the person of the Viceroy. »
James Carrick Moore, The life of Lieutenant-General Sir John Moore, K.B -Volume I, London, 1834 - p89
Pasquale de Paoli fut donc traité de ‘Vieux charlatan’ par l’aide de camp d’Elliot,
qui brisa son buste.
107
Giuseppe Ninci, Storia dell’isola Dell’Elba, Porto Longone, 1898 – p 210
- 51 -
Giovanni Stuart de Castifau, « u vechju Stuart »
Après l’évacuation de Castifau en 1795, les Mibelli-Stuart trouvèrent
refuge au sein de la famille Bartolini demeurant à Aregno di Balagna. La marraine
de feu Maria Anna Stuart était une Bartolini de Livorno. De plus, Le Dottore di legge
Niccolò Bartolini de Palasca avait fait ses études de Droit en même temps que
Giuseppe Maria Grimaldi d’Esdra, un ami qu’il rencontre souvent à Castifau.
Giovanni Stuart bénéficie également de la protection des Casta de Balagna.
Entre le départ des troupes anglaises et l’arrivée des troupes françaises de Buonaparte,
le plus grand désordre règne en Corse et ce n’est que le 24 avril 1797 que l’administration
française sera clairement rétablie et instaure deux départements, le Golo et le Liamone.
A Santu Petru di Tenda, les Casta reviennent à titre provisoire aux responsabilités.
En décembre 1797, à la suite de la Consulta de San Antone di a Casabianca, la révolte
de la Crocetta éclate, avec à sa tête le vieux général Agostino Giafferi, fils de Luigi
Giafferi . Cette révolte a longtemps été assimilée à un mouvement religieux localisé
dans le nord, il n’en est rien. Ce regroupement très hétéroclite est cimenté par un
sentiment commun de haine contre les abus du clientélisme de parvenus républicains,
mais aussi par une volonté de sortir la Corse de l’ornière. C’est le dernier soulèvement
majeur que connut la Corse, soulèvement patriotique qui mobilisa des milliers d’hommes
dans toute l’île. Des affrontements sanglants éclatèrent, des troupes républicaines
furent attaquées au pont du Golu, laissant plusieurs morts.
Barthélemy Arena, à la tête des troupes républicaines de Balagna et d’une compagnie
de grenadiers marche sur Aregno et met à sac la maison du paoliste Marco Aurelio
Savelli. Les rebelles Balanini ( dont Giovanni Stuart ) s’enfuient vers la pieve di Caccia,
mais la colonne de Barthélemy Arena les poursuit et occupe Castifau pendant
trois jours sans voir les fugitifs.108 Ceux-ci sont allés chercher du secours à Ponte Leccia
où un détachement rebelle venant du cortenais vient de mettre en déroute un
campement républicain de 260 hommes. 200 insurgés foncent sur Castifau poursuivant
les républicains qui s’échappèrent jusqu’à l’Isula Rossa. Giovanni Stuart
n’aura donc fait qu’un aller-retour durant quelques jours.(cf. annexe 12)
Pendant ce temps, à Santu Petru di Tenda, Antone Giuseppe Mibelli et sa belle famille
Casta s’engagent aux côtés des insurgés. Mais des troupes de ligne ont débarqué et
le général Vaubois, à la tête d’un millier d’hommes soumet le Nebbiu. Les fauteurs de
troubles sont arrêtés. Lepido Casta et le juge de paix Don Paolo Casta sont mis aux
fers dans la citadelle de Bastia. Par arrêt du 2 Frimaire An VII ( 22 novembre 1798 ),
le Directoire destitua le rebelle Lepido Casta, et le fit remplacer au poste de commissaire
provisoire du canton de Tenda.109
Le 11 février 1798, 700 soldats français encerclent Speluncatu et demandent une
rançon de 6 000 Francs pour ne pas mettre à sac le Village. Ce sont les frères
Domenico et Paolo Andrea Arrighi qui payèrent la somme, payement qui engageait
toute la communauté villageoise, dont trois connaissances de Giovanni Stuart ;
à savoir Leonardo Alberti, Dom Pietro Rifaccioli et Antone Giuseppe Saladini.110
108
Archives Départementales de la Haute Corse, Émeutes 1793 - 1803 - côte 1 Mi 110, Bastia
109
Archives Nationales, Procès Verbaux du Directoire – Tome VII, Paris, 1798
110
François Antoine Mariani, Spelontaco de A à Z, Speluncatu, 2006
- 52 -
Lettre du 22 janvier 1798 du général Vaubois sur les Casta et leur parent (Mibelli ?) emprisonnés à la citadelle de Bastia.
Archives Départementales de la Haute Corse, Département du Golo, armée, police - côte 5 L 45, Bastia
Contrairement aux idées reçues, dans le Liamone aussi des combats violents ont lieu.
Le général Raphaël de Casabianca poursuivra depuis le Liamone des fuyards jusqu’au
Fiumorbu. Il arriva à convaincre les insurgés de déposer les armes en échange de la
liberté, ces derniers ayant accepté, il les fera massacrer.
La révolte sera définitivement écrasée par Vaubois et Casalta. Agostino Giafferi fut
fusillé sur la place St Nicolas à Bastia le 21 février 1798, ses dernières paroles furent
« Viva la Patria, Viva Paoli ! »111
Giovanni Stuart est encore passé entre les mailles du filet répressif, sans doute grâce à
un réseau multiple de soutiens politiques et familiaux. Aucune procédure criminelle ne
le concerne durant cette période. Le ministère de la guerre analysera à froid que c’est
la résistance des républicains fortifiés in Corti, qui a empêché la révolte de s’étendre à
toute l’île. C’est à la suite de cette révolte que Corti deviendra progressivement la plus
grande ville de garnison de Corse.
111
Franceso Ottaviani Renucci, Storia di Corsica – Tomo Secondo, Bastia,1834
- 53 -
Le 26 juillet 1798, Francesco Mibelli est à nouveau père d’une petite fille qu’il
prénomme Marianna, rendant ainsi un hommage naturel à sa mère.
Le 5 avril 1799, un deuil affecte la famille, Felice Maria Mibelli s’éteint.
C’est en 1799 que Giovanni Stuart apparaît pour la première fois sur un acte officiel,
le 23 décembre il assiste au baptême de Maria Rosa Salvarelli et devient son parrain.
Sur cet acte, l’identification de Giovanni nous donne plusieurs indications : « Maestro
Giovanni Astuard Ordonceno Ferro di Nazione di Porto Ferraio. »112 Ayant poursuivi
l’activité de son père dans la forge Salvetti à Castifau, il travaille donc certainement
dans une autre forge à Aregno di Balagna. Sa sortie de la clandestinité témoigne
probablement de la fin de tout engagement politique en ce qui le concerne.
En 1800, la Balagna se révolte encore contre le gouvernement français, Salicetti et
d’Ambert écrasent la révolte à la tête de 800 soldats, des dizaines de balanins sont
tués de Palasca à Speluncatu. Les communes de cette région doivent payer des
contributions extraordinaires pour ne pas être livrées à la destruction et au pillage.
Dans le Liamone le même général d’Ambert se heurta près de Purti-Vechju à une
colonne de 800 insurgés, qui laisseront 50 morts dans cette bataille.113
A Paris on donne des instructions fermes pour que les rebelles soient traduits devant
des tribunaux militaires, redoutant un état général de révolte armée dans l’intérieur de
l’île. Ce fut un prélude à la Ghjustizia Morandina de sinistre mémoire.
Le 4 août 1801 à Aregno, un petit garçon voit le jour, il porte l’identité homonyme de
son grand père ; Marzio Fillipo Mibelli. Le 14 mars 1802, Giovanni est à nouveau
parrain d’une petite Maria Domenica Torracinta.
Le 14 avril 1802, une petite Maria Giovanna naît d’une union illégitime entre Maestro
Giovanni et Maria Bartolini, cette petite Stuart-Bartolini eut Francesco Mibelli comme
parrain. C’est ainsi qu’à Aregno di Balagna, depuis cette époque, certaines personnes
de la famille Bartolini et leurs alliés se demandèrent pourquoi il y avait parfois dans leur
famille des petites têtes blondes au type plus anglais que méditerranéen.
Les Bartolini sont demeurés proches des Mibelli-Stuart, d’ailleurs, devenu homme,
Marzio Fillipo Mibelli épousera une Chiara Maria Bartolini, le 29 décembre 1833.
Le 20 mai 1802, Giovanni assiste en tant que témoin à l’enterrement de feu
Maria Restituda Casta, ce qui n’est guère surprenant compte tenu des liens étroits et
multiples avec cette famille.
1802 est décidément une année importante, en effet, la loi du 25 octobre 1802 impose
le recensement de tous les citoyens français ayant le droit de vote dans chaque
commune. C’est lors de ce recensement que Francesco Mibelli et Giovanni Stuardi
obtiennent la nationalité française et le droit de vote, avec l’approbation du conseil
municipal d’Aregno, ce qui témoigne de leur intégration réussie dans ce village.
Le 31 mai 1803, Antone Giuseppe Mibelli est à nouveau actif dans le village de Santu
Petru di Tenda, il y exerce alors la profession de tailleur comme son oncle Francesco.
Le 11 septembre 1803, Giovanni Stuart apparaît encore dans les archives communales
d’Aregno, il figure comme témoin sur l’acte de décès de Don Antonio Martelli.
112
Archives Départementales de la Haute Corse, Dépôt des communes - côte E 142/1, Bastia
113
Archives Départementales de la Haute Corse, Département du Golo, armée, police - côte 5 L 46, Bastia
- 54 -
Extrait de la liste des électeurs de la commun d’Aregno di balagna
Archives Départementales de la Haute Corse, Administration du département Golo - côte 3 M 14, Bastia
- 55 -
En définitive, sous l’ère Napoléonienne, les autorités semblent alors peu regardantes
sur l’origine et le rôle politique passé de ces Stuart et Mibelli en Corse. Comment
expliquer cette clémence envers un Stuart quand on connaît la virulence des
déclarations des officiels républicains à Bastia contre les Anglais ?
Il faut bien distinguer deux périodes; celle de la République où Buonaparte s’appuie
en Corse sur des républicains anti-paolistes acharnés, et puis celle postérieure au
11 mai 1804, où l’Empereur Napoléon, au contraire, intègre une partie de l’élite paoliste
dans l’appareil d’État. C’est ainsi que Lepido Casta, allié de la famille, a été amnistié et
dirigea à nouveau l’administration du Canton de Tenda. Son influence a dû être
déterminante. Lepido Casta jouissait d’un poids économique considérable, la
commission de renseignement de la préfecture du Golo pour l’établissement de la liste
des personnes les plus imposées, réunie le 3 août 1805, le classe parmi les 30 plus
grosses fortunes en Corse. Dans le même temps Antone Giuseppe Mibelli abandonne
la couture et devient secrétaire du juge de paix du canton de Tenda, c’est à dire son
parent, Dom Paolo Casta. Dans la pieve di Caccia, Antonio Maria Grimaldi d’Esdra,
parent par alliance, devient également juge de paix.
Le 3 mars 1805, Giovanni Paolo Parsi, résidant et votant à Castifau, est
enterré à Ascu, village dont il est originaire. Giovanni Parsi avait été militaire en 1768
et 1769 dans l’armée régulière corse, sous les ordres du capitaine Tomè Cervoni,
chef de guerre qui s’illustra dans le soulèvement de 1774. Cet ancien compagnon
d’armes d’Emmanuel Stuart laisse une orpheline de 17 ans. Giovanni Stuart fut
informé de cette situation et un mariage fut arrangé avec l’orpheline; Orsola Maria.
A partir du 1er septembre 1805, la municipalité d’Aregno di Balagna enregistrera
six publications des bans de mariage de Giovanni alors âgé de 32 ans et d’Orsola
Maria Parsj âgée de 17 ans. Cette publication en six exemplaires consécutifs, dont une
application stricte de la loi ( 3 publications ) , est un fait unique dans les archives de
l’État Civil de la commune d’Aregno di Balagna. Ce document historique a une valeur
importante car il précise à nouveau la filiation Stuart de Giovanni. Par ailleurs nous y
apprenons que Giovanni a changé de profession, il est désormais tailleur, disposant
des enseignements d’un maître tailleur en la personne de son père de substitution.
Mariage de raison ou retrouvailles entre familles proches, dans tous les cas de figures
cette union avec une Parsi clôt la parenthèse balanine de Giovanni Stuart.
Les Mibelli laisseront alors Giovanni aller vers son destin individuel à Castifau, eux
demeureront et feront souche à Aregno di Balagna. Francesco Mibelli s’y éteindra
dans sa 75 ème année, le 5 février 1831.
Depuis le 13 septembre 1805, les bans de mariage ont été publiés à la Mairie de
Castifau. C’est le 20 septembre 1805114 que Giovanni Stuart retourne s’établir
définitivement au sein de la communauté d’adoption de son père. Le 23 septembre 1805,
Giovanni Ostuardi épouse Orsula Maria Parsj. Le mariage est célébré en salle commune
par le Maire Antonio Maria Grimaldi d’Esdra. Les témoins présents sont Allesandro
Savelli, Francesco Maria Bareni, Vittorio Salvetti, Vincenzo Cervoni et Go Paolo Leca,
tous demeurant à Castifau. Le parent le plus proche désigné par Giovanni Ostuardi
et qui consent à cette union est Francesco Maria Bareni, ce qui atteste pour le moins
d’un lien de parenté probable avec sa mère décédée, dont la dépouille demeure au
cimetière de Castifau. Désormais, Giovanni Stuart et sa femme demeureront
dans la maison de feu Giovanni Parsi, située en haut du village quartier Case Soprane.
114
Archives Départementales de la Haute Corse, État Civil - côte 2E 2/97-1, Bastia
- 56 -
Publication des bans de mariage de Giovanni Stuart et d’Orsola Maria Parsi
Archives communales d’Aregno di Balagna, État Civil, Aregno
- 57 -
Sous l’ère impériale, c’est une période de quiétude et de prospérité qui s’ouvre.
Le 30 mars 1806, Giovanni Stuard, rejoint la confrérie de Castifau, ou plutôt
« a cumpagnia dello Santissimo Rosario ». C’est au sein de confréries du Rosaire de
ce type que les paolistes furent très actifs durant tout le XVIIIe siècle.
Le 30 mai 1806, Giuseppe Maria Grimaldi d’Esdra, docteur en droit, désigne Giovanni
Ostuardi comme parrain de son fils Fabrizio.
Le 26 mai 1807, Giovanni Stuart est comparu devant le juge de paix Grimaldi d’Esdra
pour régler à l’amiable la succession provenant de son beau père décédé, Giovanni
Parsi, et ce avec l’accord de Don Francesco Parsi d’Ascu, oncle d’Orsola Maria Parsi
( épouse Stuart ). C’est ainsi que Giovanni hérita de la maison située Case Soprane.115
Le juge de paix précise dans l’acte « le dénommé Stuard qui signe Ostuardi. » ce qui
indique les ultimes précautions de Giovanni qui a toujours en mémoire la fuite de 1795.
Le 26 septembre 1807, « Giovanni Stuart, tailleur domicilié dans la commune de
Castifao, fils de feu Emmanuel Stuart de la cité de Dublin en Irlande et de feu Maria
Anna Baroni de la cité de Livorno en Etruria, lequel accompagné de Martino Colombani,
meunier et Vittore Colombani, orateur, se sont rendus à la mairie de Castifao. Giovanni
Stuart a déclaré que son épouse légitime Orsola Maria Parsj a donné naissance ce
matin, vers les quatre heures, à un enfant à qui ils ont donné le prénom d’Emmanuel ».
Ce premier enfant Stuart natif de Corse décédera à l’âge de 17 ans le 20 mars 1824.
Le 1er octobre 1809, sur le point d’accoucher, Orsola Maria Stuart, accompagnée
d’Orsola Maria Bareni, rejoint à son tour la Cumpagnia dello Santissimo Rosario.
Le 3 octobre 1809, elle donne naissance à un fils baptisé Manuello. Ce dernier décédera
à l’âge de 9 ans le 2 septembre 1818.
Le 18 septembre 1812, Giovanni Ostuardi se rend à la Mairie de Castifao. il y déclare que
son épouse légitime Orsula Maria a donné naissance, dans leur maison d’habitation,
Le Case sopranelle, à un fils qu’il ont prénommé Paolo. Paolo Stuart initiera la première
branche Stuart de Castifau, jusqu’à aujourd’hui, en témoigne la rédaction de ce livre.
L’abdication de Napoléon le 6 avril 1814 provoque une période d’instabilité en Corse
et inquiète les Stuart-Mibelli. Lors de la seconde restauration monarchique et la
montée sur le trône de France de Louis XVIII le 8 juillet 1815, la parenthèse de calme
s’interrompt brutalement. Au mois de septembre 1815, le Marquis de Rivière débarque
en Corse et mène une chasse implacable contre les bonapartistes. Dans le canton de
Tenda Gaspard De Petriconi est chargé de faire flotter le drapeau blanc royaliste dans
toutes les places du Nebbiu.116 C’est dans ce contexte que Giuseppe Antone Mibelli
est exécuté à l’âge de 46 ans, le 23 novembre 1815. On ne peut que spéculer sur
l’identité de ses bourreaux, ce peut être la basse besogne des soldats du Marquis de
Rivière ou un règlement de compte opéré par des corses royalistes espérant quelques
faveurs en retour. Niccola Mibelli, quand il a confié le destin de son enfant à Emmanuel
Stuart en 1774, ne pouvait imaginer cette fin tragique. Giovanni Stuart a sans aucun
doute été très affecté par la perte de ce parent corso-elbois dont il était très proche.
La vie semble continuer à Castifau, puisque Le 13 août 1816, les Stuart donne naissance
à une petite Lucisanta. ( Celle-ci décédera le 12 février 1823 à l’âge de 6 ans. ). Mais la
situation politique se détériora rapidement pour les Stuart et leurs alliés. La restauration
a porté un nouveau Maire à Castifau et celui-ci attaque frontalement les Grimaldi
d’Esdra et les Bareni.
115
116
Archives Départementales de la Haute Corse, Justice de paix du canton de Moltifao - côte 4 U 29/1, Bastia
Archives Départementales de la Corse du Sud, Correspondances Golo - côte 2 J/191, Aiacciu
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Des incidents se sont produits, deux frères Bareni ont été condamnés par le tribunal
correctionnel de Corté et emprisonnés dans cette ville. Après de multiples échanges de
courriers avec la préfecture du Golo, les esprits retrouveront leur calme. C’est durant
cette période qu’on évoquera la soudaine « nationalité anglaise » de Giovanni Stuart
lui interdisant de pouvoir voter. Même si cette manipulation aussi grossière que
grotesque ne durera qu’un temps, cette légende perdura dans la mémoire collective
villageoise et sera colportée par la tradition orale jusqu’à nos jours : « Les stuarts
étaient anglais et n’avaient pas le droit de voter. »
Le 9 mars 1819, Giovanni Stuart, Tailleur, accompagné de Matteo Massimi et de Giorgo
Francesco Grimaldi d’Esdra s’est rendu à la Mairie de Castifao. Il a déclaré que sa femme
a enfanté un garçon à qui ils ont donné le prénom d’Emanuele. Ce troisième enfant
prénommé Emanuel est mort jeune, mais pas à castifau, c’est tout ce que nous savons.
Le 15 août 1820, Giovanni Stuart est élu à l’unanimité par les membres de la confrérie
de Castifau, Assistant-Conseiller du Prieur Orso Paolo Marchini et du second Prieur
Giacomo Francesco Grimaldi d’Esdra.117 Ce poste témoigne de l’enracinement de
Giovanni au sein de la communauté. Les Stuart et Grimaldi d’Esdra semblent liés
également sur le plan des activités au sein de la Cunfraterna. Ainsi le 28 mars 1822, le
fils de Giovanni, Paolo Stuart, Rejoint la confrérie en même temps que Giuseppe Maria,
Pietro Giorgo, Francesco Medoro et Angelo Santo, tous les quatre Grimaldi d’Esdra !
Le 14 août 1822, le Maire de Casfifau déclare « est comparu en la salle publique de la
maison commune de cette commune de Castifao Jean Stuart, Maître Tailleur, demeurant
et domicilié en cette commune le Case Sopranelle, lequel étant accompagné des
nommés François Marie Vadella et Antoine Jean Colombani, tous deux ses voisins,
a déclaré que Ursule Parsj, fileuse, son épouse en légitime mariage, ce matin à trois
heure en sa maison, est accouché d’une fille, à laquelle il a donné le nom de Maria
Ostuarde » Le prénom de sa fille est bien Maria Ostuarde ! Giovanni a tenu à faire
figurer « Ostuarde » comme deuxième prénom dans le texte de l’acte et dans la marge
du livret de l’état civil. C’est une clé de lecture pouvant permettre aux générations
futures de faire le lien entre « Ostuardi » et « Stuart ». A l’approche de la cinquantaine
( âge de décès de son père ) la transmission de l’origine des Stuart semble commencer
à préoccuper Giovanni.
En 1823, en examinant les différents documents fiscaux de la préfecture du Golo, nous
en apprenons un peu plus sur la vie de Giovanni Stuart, c’est avant tout un maître
tailleur, métier qu’il tient de ses parents Mibelli, mais il exerce d’autres activités on
ne peut plus classiques dans la vie villageoise. Ainsi il déclare posséder 14 brebis et
moutons et une vigne de 1,4 hectares, c’est donc un contribuable solvable.
Le 21 juin 1825, Giovanni Stuart, accompagné de Angelo Davido Ferrandi et Angelo
Santo Ferrandi, s’est rendu à la Mairie de Castifau. Il y a déclaré que son épouse en
légitime mariage, Orsola Parsj, a donné naissance à un fils auquel ils ont donné le
prénom d’ Emanuele. Emanuele initiera la seconde branche des Stuart de Castifau,
jusqu’à nos jours.
117
Archives Départementales de la Haute Corse, Registre confrérie de Castifau - côte 4 J 5/2, Bastia
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Le 2 novembre 1827, Giovanni Stuart fut un parrain désigné d’une petite Maria Anna
Grimaldi d’Esdra, fille d’Agostino Grimaldi d’Esdra. Ceci confirme alors la stabilité des
liens Grimaldi d’Esdra-Stuart, et ce depuis des décennies.
Le 14 novembre 1828, Giovanni semble se soucier encore une fois de l’histoire de ses
origines et de la nécessité de transmettre des preuves à ses descendants. Il entame
alors une démarche particulière, se rendant à la Commune de Speluncatu. De retour
en Balagna, où il n’aura pas manqué de saluer sa famille Mibelli et Bartolini à Aregno di
Balagna, il retrouve trois témoins de 1774 qui ont connu son père. Il fait donc attester
par le Maire de Speluncatu et par Leonardo Alberti, Dom Pietro Rifaccioli et le fameux
Antone Giuseppe Saladini les faits qui se sont déroulés dans leur commune, à savoir
la présence des Stuart-Mibelli en 1774.
Le 27 mars 1828, Giovanni Stuart fut le parrain de Maria Rosa, fille de Giovanni
Andrea Arnos.
Le 22 juillet 1829, Giovanni Stuart, tailleur, âgé de 55 ans, accompagné de Tomaso
Paverani et Francesco Antonio Ferrandi s’est rendu à la Mairie de Castifao. Il y a
déclaré que son épouse légitime, Orsola, fileuse âgée de Quarante ans, a donné
naissance à une fille qu’il ont prénommé Lucisanta. Ce sera leur dernier enfant.
Le 6 février 1846, est un jour exceptionnel pour Giovanni Stuart, il se rend à la Mairie
de Castifau et fait enregistrer par l’état civil, en qualité de témoin de son fils Paolo,
la naissance de son premier petit-fils, Jean Stuart.
Le 7 février 1848, Ursule Marie Stuart décède à l’âge de 59 ans, c’est Joseph
Marie Grimaldi d’Esdra qui vient en informer le Maire, Antoine Grimaldi d’Esdra.
Le 12 juin 1848, Giovanni Stuart assiste au mariage de son fils Emmanuel avec
Angelica Parsi. C’est une union Stuart / Parsi parmi d’autres, signe des liens entre les
deux familles. Il paraphe l’acte de mariage en qualité de premier témoin de son fils et
signe ainsi pour la postérité un dernier document administratif.
Le 2 août 1849, Giovanni Stuart s’éteindra à Castifau, dans sa 76 ème année.
U « vechju Stuart » aura traversé de nombreuses périodes qui agitèrent l’histoire
de la Corse. Il aura été dans une seule vie témoin, des derniers soubresauts de la
résistance paoliste, de la monarchie absolue, de la révolution française, du royaume
anglo-corse, des périodes napoléoniennes, de la restauration monarchique, des trente
glorieuses et enfin de la révolution de juillet 1848. Souvent, et de part ses origines,
Giovanni Stuart fut directement concerné par ces événements, sur lesquels il a pu
s’exprimer, car il parlait très peu et passait sa vie à écrire, parfois dans une langue
incompréhensible pour son entourage.
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Certificat établit par le maire de Speluncatu attestant de l’arrivée de Giovanni Stuart dans sa commune en 1774
Archives familiales Stuart
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épilogue
Cette première édition avait pour principal objectif de rendre justice à la
mémoire d’Emmanuel Stuart, et de préciser dans quel contexte politique il est venu
s’établir en Corse. Le second axe de travail consistait à expliquer quand, comment,
et dans quelles conditions Giovanni Stuart a fait souche en Corse. Ces deux objectifs
ayant été atteints, du moins dans une large mesure, une question centrale demeure :
Qui est Emmanuel Stuart ?
Selon Lady Rose, dont la rigueur scientifique n’est pas sujette à discussion, il porterait
« un nom hérité d’un rejeton de la dynastie déchue des Stuart qui trouva un refuge
dans l’île ». Dorothy Carrington a bien écrit cela dans son ouvrage ‘ Mazzeri, Funzioni,
Signadori’, mais elle n’a jamais précisé de quelle rejeton il s’agissait.
Quelques décennies avant elle, une autre citoyenne anglaise a réalisé une longue
enquête sur la question de la présence d’une famille Stuart en Corse.
Dans les années 1890, le vice-consul britannique Arthur Southwell, en poste à Bastia,
fit la connaissance, place du marché, de Théodore Stuart (fils d’Emmanuel né en 1825).
Celui-ci fit savoir au vice-consul qu’il descendait de la famille royale Stuart.
Intrigué, Southwell fit venir des amis écossais d’Italie, lesquels offrirent
un kilt du clan royal Stuart à Théodore, kilt que ce dernier portera par la suite
ostensiblement dans les rues bastiaises, tout en vendant son fromage.
40 ans plus tard, la fille du vice consul, Edith Southwell-Colucci, ethnologue réputée,
réalisa un reportage sur « dei descendenti del «clan» reale degli Stuart di Scozia,
ramo completamente sconosciuto furoi dell’Isola. » Ce reportage fut effectué durant
l’été 1930 à Castifau pour le compte de la revue scientifique Archivio Storico di Corsica
dirigée par le professeur Gioacchino Volpe. Edith Southwell-Colucci fut stupéfaite par
le nombre de témoignages concordant des familles Stuarts, des alliés et des villageois
sur la parenté avec un Roi d’Angleterre. Une Madre Stuart, âgé d’une soixantaine
d’années, lui déclara ceci : « Nous descendons d’un Roi qui s’appelait Jacques et
d’une reine qui s’appelait Marie... Et c’est tout. J’ai entendu dire que notre famille avait
conservé des documents, des écrits, mais qu’avec le temps ils s’étaient perdus. »
Ce témoignage est une référence précise à James II Stuart et à Marie de Modena.
L’origine précise d’Emmanuel Stuart demeure donc un mystère. A contrario, la
question de la présence des Stuarts en Corse est désormais une énigme résolue.
Il a été parfois nécessaire de rentrer dans les détails du vécu des Mibelli, des Stuarts
et de leurs parents, pour rendre définitivement irréfutable ce que voulait transmettre
Giovanni Stuart à la postérité, à savoir, la présence et le rôle de sa famille dès 1774.
Pour autant, lui et son père Emmanuel, n’ont pas livré tous leurs secrets, loin s’en faut.
Mais des archives non exploitées existent, détenues pas des institutions lointaines,
des fonds d’archives privés et enfin par des particuliers, en Corse notamment.
De nouvelles pistes de travail, parfois aussi surprenantes qu’inattendues,
ont été établies. Les nouveaux travaux permettront d’ici quelques années
de publier une seconde édition revue, corrigée et augmentée.
D.Ramelet-Stuart
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Annexe 1 : Esquisse de John Pettie, Bonnie Prince Charlie et sa garde en 1745
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Annexe 2 : Portrait de James Boswell, peint à Rome en 1765 par George Willison
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Annexe 3 : Lettre du colonel O’Connell de l’Irish Brigade sur la situation militaire en Corse en 1769
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Annexe 4 : Effectifs de l’escadron volant de Balagna, archives de l’armée corse en 1765
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Annexe 5 : Mandat de prise de corps contre le dénommé ‘Francesque’, Justice Royale, Nebbiu, 1771
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Annexe 6 : Exemple d’amnistie accordée par la Junte de Caccia à partir d’août 1772
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Catherine II de Russie a proposé à Pasquale de Paoli une pension de 6 000 roubles, plus d’autres
avantages en échange d’une présence russe en Corse.
Annexe 7 : Document de 1804 évoquant une lettre de Catherine II de Russie à Paoli le 4 mars 1770
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Annexe 8 : Mandat d’arrêt contre Jules François Serpentini d’Orezza, Bastia, 17 mai 1774
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Pasquale de Paoli fustige les prêtres ignorants et fanatiques et défend la constitution civile du clergé
Annexe 9 : Lettre de Paoli à Bartolomeo Buonaccorsi sur les troubles de Bastia, 1er mai 1791.
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Annexe 10 : Soldat d’un bataillon royal anglo-corse, tel qu’à la revue du 1er janvier 1795 ©
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Annexe 11 : Entête officielle utilisée par Sir Gilbert Elliot, vice-roi de Corse
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Annexe 12 : Lettre de Barthélémy Arena sur sa retraite de Castifau, 6 janvier 1798.
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Remerciements,
à Muriel Walker, bibliothécaire de la Stewart Society, Edimburg,
à Petra Schnabel, bibliothécaire adjointe de la Royal Irish Academy, Dublin,
à la Doctoresse Loredana Maccabruni, Archivio di Stato di Firenze, Firenze,
au personnel de la Biblioteca Nazionale Centrale, Firenze,
à la Doctoresse Gloria Perie, Coodinatrice della gestione associate degli archivi storici dell’isola
d’Elba, Portoferraio,
au personnel de la Biblioteca Comunale Fioresana, Portoferraio,
au Padre Don Salvatore Gallo, Archivio dello Parrochio, Portoferraio,
à Alain Venturini, Directeur, et au personnel des Archives Départementales de Corse du Sud, Aiacciu
au personnel des Archives Départementales de la Haute Corse, Bastia,
à Christian Peri, Directeur de la Bibliothèque Municipale de Bastia,
à François Pagano, Responsable du fond patrimonial de la Bibliothèque Municipale d’Aiacciu,
au personnel de l’association ‘A Franciscorsa’, Bastia,
à Mr le Maire et à Mme la secrétaire de mairie d’Aregno di Balagna,
à Mr le Maire et à Mme la secrétaire de mairie de Santu Petru di tenda,
à Solange Paoli, Anna Laura Cristofari, Saveria Santucci, Paul Biadelli, Dumenicu Parsi, Jean-Michel
Casta, Andrea Mandroni, Garry O’Sullivan, Ian Neilson, ... etc ...
aux Stuart et alliés qui ont contribué,
à Sampiero Sanguinetti pour son soutien,
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Stuart of Corsica, l’origine dévoilée
- Première édition Desideriu Ramelet-Stuart
Tirage : 1 000 exemplaires
N° ISBN : 978-2-7466-2340-8
Dépôt légal : Novembre 2011 - Copyright Editions Stuart of Corsica © 2010
Editions Stuart of Corsica
Villa Carmen - Bd Benoîte Danesi - 20 200 Bastia
[email protected]
www.stuart-corsica.com
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