De la pauvreté et de l`abstraction
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De la pauvreté et de l`abstraction
DE LA PAUVRETE ET DE L'ABSTRACTION Margot Cannevière Sous la direction d’Alice Laguarda 2 “Si l’on m’interroge, si l’on s’inquiète de ce que j’ai voulu dire (...) je réponds que j’ai voulu faire et que c’est cette intention de faire qui a voulu ce que j’ai dit.” Paul Valéry. 3 INTRODUCTION Il me semble que le travail de l'artiste consiste en la fabrication d'une forme qui rend compte de la perception qu'il a des choses. Hors des clichés et des idées préconçues, l'artiste cherche à aller au-delà de ce qu'il sait. Ancré dans l'actualité du monde, son travail n'est pas dénué de repères historiques. Certains artistes utilisent la mise en abîme de l'histoire de l'art pour produire. Jesus Alberto Benitez , par exemple, soulève la question de l'objectivité dans l'art. Il questionne la mise en abîme du procédé photographique en tant que médium et sujet de son travail. L'image est une donnée immatérielle que travaille Thomas Ruff dans sa série JPEG. Il rend compte de la réalité de l'image en tant que telle. En effet, l'image ne représente plus le réel mais parle d'elle-même. « Il faut aimer l'imperfection, travailler l'imperfection. Dans le désappointement, il y a quelque chose de très fort; le créatif arrive toujours après. C'est important d'arriver à être librement imparfait. » Cette phrase de Gabriel Orozco me touche. Se sentir libre de trouver de belles choses dans ce qu'il y a d'imparfait, dans « le désappointement » dit-il. L'imperfection est un principe de vie. Le luxe en est un autre. Des restes pris dans l'obscurité, des restes d'obscurité qui incitent à la lecture et à la relecture. Geste immatériel. Ce qui semble ressortir de l'insignifiance amène à la créativité. Une créativité prise dans un processus d'économie du geste. Je rejoins Pierre-Olivier Arnaud lorsqu'il affirme que « le régime spectaculaire c'est l'aveuglement. ». Il faut savoir explorer les seuils de visibilité non spectaculaire. Le spectacle n'apporte qu'une réception passive des choses. Gabriel Orozco rejette la monumentalité et l'idée d'une sculpture permanente. Il faut savoir regarder. Comment regarder ? Comment ne pas se laisser berner par son propre regard ? Regarder ne va pas de soi et ne passe pas forcément par de belles images, clinquantes et séduisantes. 4 I/ 'TOUT CE QUI N’EST PAS RIEN' Ce titre est une phrase extraite d’un texte de Joanes Neves, critique d’art, écrivain, et curatrice d’exposition d’art, pour l’exposition de Jesus Alberto Benitez, Le centre n’est pas un point, à la Galerie Frank Elbaz. (Paris, 2012) Pour parler du travail de Jesus Alberto Benitez, la critique d’art évoque l’euphémisme français: ‘ce n’est pas rien’ qui souligne l’importance d’un événement ou d’un geste qui risquerait d’être insignifiant. Il représente une valeur d’une importance primordiale. Joanes Neves écrit: “C’est la décomposition de l’adverbe de négation en deux mots ‘ne’ et ‘pas’, sans doute, qui permet l’euphémisme et qui soutient une pensée, du même coup, du ‘presque rien’.” Jesus Alberto Benitez et Gedi Sibony créent et organisent des constructions de matériaux pauvres. Dans une dynamique du presque rien, ils s’approprient des matériaux non-nobles, invisibles et dont la durée de vie est réduite. Les objets de leurs constructions pourraient avoir été autant créés que trouvés. Les objets trouvés sont ‘ce qui reste’. Par conséquent, les deux artistes n’en sont pas d’abord les auteurs. Les objets viennent à eux comme ils vont vers eux. En tout cas, le matériel utilisé reste fragile, c’est très peu de chose. Le travail des deux artistes va à l’encontre d’oeuvres dont les coûts de productions sont astronomiques, tels que Damien Hirst ou Jeff Koons. Est-ce une envie de cesser cette course démesurée aux objets parfaits, parfois luxueux? a) Jesus Alberto Benitez : Une mise en abîme du procédé photographique Jesus Alberto Benitez est d’abord sensible à la musique, en particulier au genre Death Metal et à la musique expérimentale. Il porte un intérêt particulier à ses outils de travail. Il explore toutes les variations de son instrument de musique, la guitare (pédales de distorsions, amplificateurs, cordes de guitares, les différentes qualités et textures de son). Jesus Alberto Benitez utilise deux médiums piliers de son oeuvre: le dessin et la photographie. Cependant, la musique reste présente dans son travail. Queen 3 est une image photographique réalisée en 2007-2010 qui est discrètement imprégnée de matière sonore. Elle est prise dans un coin sombre de l’atelier. Elle est prise de telle manière qu'elle montre beaucoup de grains. Le grain de l'image est communément appelé le « bruit ». Cette analogie sonore peut être utile pour décrire l'installation Sans titre réalisée en 2013 et y transposer des notions propres au langage musical. En effet, les superpositions aérées de couleurs mates confèrent à l'ensemble une certaine harmonie. De plus, les lignes, élément essentiel que l'on retrouve dans de nombreux dessins, pho- 5 tographies et peintures, donnent du rythme à la composition. Elles peuvent être également appréhendées comme un « riff », court motif musical, refrain anguleux qui structure l'image. L'artiste utilise du papier photosensible. Ce matériau incarne une attention portée au hasard. Jesus Alberto Benitez opère de hasard en hasard pour créer une cosmogonie. En effet, Il est fasciné par les théories de l’origine. Il travaille à partir de rouleaux de papier photosensible qu’il laisse s’abîmer au soleil. Tony Conrad, artiste américain, pionnier de la musique minimaliste, crée dans les années 1970 des Yellow Movies. Cette série prend la forme de cadres peints en noir, au format d’un écran, sur des feuilles de papier recouvertes d’une émulsion. L’artiste laisse vieillir et jaunir ces papiers qui ont le même statut qu’une pellicule de film et une temporalité particulière: “Le changement d’image dans chaque ‘toile’ ou ‘film’ est très lent. (...) On ne peut pas se rendre compte des changements sur la durée d’une exposition. Les changements dans l’image et dans la vitesse de projection peuvent seulement être perçus après un long intervalle.” (Tony Conrad, Out-ofSync. The Paradoxes of Times, Mudam Luxembourg, 2011.) Ce procédé revient sur l’origine de la photographie. La photographie en tant que procédé chimique. Cette approche expérimentale et scientifique évoque la représentation du médium photographique lui-même. La photographie est à la fois un médium et le sujet du médium photographique. Nous sommes face à la plus pure expression de l’objectivité photographique, à la sensibilité d’un médium qui n’est que la représentation objective de lui-même. Ce procédé renvoie aussi aux photographes de la Nouvelle Objectivité. En 1968, Bernd et Hilla Becher font l'inventaire photographique d'un monde industriel en train de disparaître. La fin des années soixante marque la fin du règne du charbon et du fer. L'oeuvre des Becher est militante, ils tentent de revenir à une stricte objectivité. Pour ce faire ils renoncent à tout ce qui fait les délices de la photographie subjective. En d'autres termes, ils rejettent l'anecdote, le premier plan, le reflet, le flou, le détail, la composition abstraite, le décentrage et les focales courtes qui modifient la perspective. Les Becher ne photographient que de manière frontale, en hiver et par temps gris. Cette volonté de montrer l’image d’un monde réel mais sans l’interpréter dépasse le simple archivage. Ce qu'ils appellent « un développement » consiste en huit positions d'un même bâtiment pris à un angle de 45°. Il créent également les « Typlogies », l'inventaire de bâtiments du même type. Le travail des Becher rend compte de l'élégance des formes d'une architecture étrange. Tomas Ruff, élève des Becher, s'est approprié dans son travail la frontalité, la distance, la froideur et la ligne droite, enseignées à l'école de Düsseldorf. Il crée une série intitulée JPEG. Ce sont des images d'internet, pauvres en informations. Elles montrent des pixels. Thomas Ruff développe ici une nouvelle 6 version de l'objectivité. Il ne montre plus la réalité du monde mais la réalité de l'image elle-même. Cette nouvelle esthétique prône que “la lumière qui illumine le monde est celle qui enregistre son image (...) en ce sens, toutes les photographies sont des traces.”. (Etienne Bernard, zérodeux n°48 revue d’art contemporain trimestrielle et gratuite hivers 2008, Walead Beshty, p.38) Le travail de Connrad dans les années 70 ou celui de Jesus Alberto Benitez aujourd’hui procèdent à la mise en abîme de cette objectivité. Les empreintes photographiques, qui sont l’image, sont créées par le procédé photographique lui-même. Jesus Alberto Benitez ré-interroge des expériences éprouvées il y a de ça près d’un siècle. Ce système purement tautologique du médium photographique aurait-il une portée plus politique? L’appropriation de cet héritage formel et conceptuel serait-elle une mise en crise artistique? La matérialité du support est primordiale dans le travail de Jesus Alberto Benitez. Cela efface la distinction entre l’objet et l’image. Une photographie encadrée d’une marge inégale est ce que j'appelle une ‘image-page’. Qu’est-ce-qui distingue une page d’une image? Quelle est la relation de l’une à l’autre? De fait, quelle est la relation avec la reproduction et la photographie? La page matérialise l’image. La relation de l’image et de la marge montre l’importance de la page. Donc de la matérialité du support. Le tirage Sans Titre, 2010 (110 x 165 cm), est d’abord une image d’extérieur avec une rampe, la photographie est scannée, pliée puis imprimée sur papier affiche. Elle suggère différents types de pesanteur. L’une étant d’ordre rétinien, affaire d’équilibre, puis celle du papier lui-même, relevé, séparé du mur où il est installé. L’image est pliée comme la plupart des images qu’utilise l’artiste. Le pliage est un trait obtenu sans outil. Le pli permet de donner une troisième dimension à la feuille, qui est un objet plat. Cette tridimentionnalité est ajoutée à celle de la feuille imprimée, qui a un aspect physique et concret. Par quel protocole choisit-il de plier sa feuille à tel endroit plutôt que tel autre ? Le pli comme la trace ou le point façonne un espace. Cet espace peut être celui du mur ou d'une feuille de papier, tout du moins ce qui existe physiquement. La question de l’espace se tient dans chaque image. Il est confronté à l’espace réel qui se tient autour de l’image-page’. Ici, se confrontent réel et représentation. “Je travaille dans un espace où presque tout est susceptible de devenir dessin” (Jesus Alberto Benitez). L’espace est pour lui un outil pour fabriquer une image. L’artiste utilise la peinture en spray car elle est indéterminée, on ne peut pas contrôler son geste ni obtenir une ligne parfaite. Les photographies de Jesus Alberto Benitez sont le résultat de nombreux essais sur la qualité du papier, de l’encre et du processus d’impression sur traceur. 7 La photographie est une façon de retenir le phénomène et le faire exister dans le présent, elle est aussi création, une tension du présent vers l’avenir. La photographie dans le travail de Jesus Alberto Benitez est un mécanisme du regard du détail, de ce qui est négligé, omis. Elle est le support d’une attention portée aux formes dans l’ombre. L’artiste cherche à faire exister des choses pauvres et négligées. Ainsi, il s’interroge sur la place de l’homme dans la totalité du monde. Finalement, la place qu'occupe Jesus Alberto Benitez dans le monde se restreint à l'endroit où il se place physiquement dans un espace, là où il pose ses pieds. La photographie et le dessin sont des objets qui possèdent une donnée immatérielle: l’image. Mais ils sont également des éléments physiques qui intègrent notre espace-temps à quatre dimensions. Dans les installations de l'artiste il n’y a pas de relation causale entre telle photographie et tel dessin. Les deux médiums sont différents dans leur contenu et dans leur traitement. Le travail de Jesus Alberto Benitez est ainsi une mise en abîme du procédé photographique. En effet, comme je l’ai précédemment relevé, si on part du principe que toute photographie est une trace alors les sujets photographiés par Jesus Alberto Benitez sont des mises en abîme de l’essence du procédé photographique. L’artiste photographie des morceaux d’ateliers et de matériaux qui portent les empreintes de la vie quotidienne. Soit des éléments qui passent inaperçus et qui n’ont pas de valeur pour l’être humain. Son regard ce concentre sur l’à côté du noyau central de l’existence humaine. Joanes Neves parle de “déhiérarchisation du regard”. Le vide prend ici tout son sens. Pas un être humain mais la trace de son passage. b) Gedi Sibony : le degré quasi zéro du geste Le travail de Gedi Sibony rend compte d’une esthétique particulière par l’utilisation de matériaux non-nobles (carton, bois, moquette, gaines en plastique, peinture latex,...) qu’il fond dans l’espace dans lequel il expose. C’est un travail fragile et poétique qui rend compte d’un état du monde à un temps donné, éphémère. L’artiste s’approprie, par des gestes simples, des objets et des matériaux trouvés, pauvres et banals. Les objets sont le plus souvent trouvés dans des bennes proches des bureaux administratifs. Il récupère ainsi des moquettes et des tapis. Le rebut, considéré comme sans valeur, révèle une poésie d’objets et de matériaux. Peut-on éventuellement parler de ready-made? Par définition un readymade est un objet trouvé dont on change le contexte et le statut en le désignant 8 comme oeuvre d’art. André Breton définit le ready-made comme « un objet usuel promu à la dignité d’objet d’art par le simple choix de l’artiste. » (article ‘readymade’ dans le dictionnaire abrégé du surréalisme.) L’attitude de Gedi Sibony remet-elle encore en question la notion de savoir-faire? L’artiste ne fait pas que désigner ces objets comme oeuvres d’art. C’est avec discrétion qu’il les manipule. Le plus simple des gestes sur l’objet l’éloigne de l’éventualité du ready-made. A partir de ces rebuts contemporains, il constitue des installations qui réorganisent l’espace d’exposition. Ce dernier, Proust le décrit comme symbolisant “..., par sa nudité et son dépouillement de toutes particularité, les espaces intérieurs où l’artiste s’est abstrait pour créer.”. En effet, la rudesse du lieu est a prendre en considération quant à la fragilité des oeuvres de l’artiste. Dans les années quatre-vingt dix, Gabriel Orozco utilisait des matériaux banals du quotidien, des matériaux pauvres, à portée de main, comme la pâte à modeler ou le papier hygiénique. Il est le principal artiste qui dirigea la sculpture vers un art pauvre dans les années 1990. « J'aimerais arriver à faire quelque chose d'aussi beau et simple qu'une feuille. » dit-il en filmant les feuilles des arbres sous un ciel bleu. (Gabriel Orozco, Trabajo, 2005.) Gabriel Orozco utilise sa main pour définir et déterminer l'échelle de son travail. La main arrache la matière, la presse, mais elle oeuvre le plus souvent en cercle. Elle permet de transformer le matériau de manière parfois infime. Ainsi, Orozco rejette toute notion de monumentalité et refuse l'idée d'une sculpture permanente. Il ne travaille pas à partir du réel mais dans l'espace réel, transitoire et ordinaire du quotidien. En 1991, lors d'un voyage au Brésil, il se rend dans un petit village de l'Etat de Bahia où il prend une photographie d'un marché totalement vide. Cette image photographique représente un marché désert à l'exception d'une orange placée sur chaque étal. L’image finale, digne d'un tableau abstrait, appelée Crazy Tourist, rend compte de l'acte créatif de l'artiste. Son travail s'inscrit dans l'immanent, dans l'ici et maintenant. Pour matérialiser ces instants Gabriel Orozco utilise la photographie et notamment le Polaroïd. L'artiste montre son travail sur des tables, comme lors de son exposition au Centre George Pompidou en 2010. La table affirme le caractère transitoire du travail. Par cette utilisation de matériaux non-nobles, le travail de Gedi Sibony se rapproche de l’attitude Arte Povera. Cette expression est donnée en 1967 par Germano Celant, historien d'art et commissaire d'expositions. A cette date, Germano Celant regroupe quelques artistes italiens dans le cadre d'une exposition intitulée Arte Povera e IM spazio, organisée à la Galerie la Bertesca de Gênes. Cette exposition présente deux sections : la première, intitulée « Art Pauvre », regroupe des œuvres de Boetti, Fabro, Kounellis, Paolini, Pascali et Primi. La seconde, intitulée « Dans l'espace », regroupe des œuvres de Bignardi, Ceroli, Mamboa et Mattiacci. Lors de cette exposition Pascali présente un cube en terre et Kounellis emploie 9 du charbon, des matières ordinaires et naturelles. Au-delà de ce constat, l'attitude de ces artistes est impliquée dans un contexte socio-politique et idéologique. En effet, à partir de 1963, l'Italie est poussée dans un nouveau mode de vie importé des U.S.A. Elle vit un véritable boom économique et des déséquilibres sociaux s'installent. C'est dans ce contexte que l'art vit une importante remise en question. Les artistes italiens cherchent à défier l’industrie culturelle et la société de consommation. Le langage artistique est réduit à un simple élément visuel et est libéré de toute structure historique et symbolique. Dans une recherche non spéculative le réel est exalté. L'Arte Povera privilégie le geste et non l’objet fini. Il consiste principalement à rendre signifiants des objets insignifiants et prône l’utilisation de matériaux pauvres tels que les métaux à l'état solide ou liquide, la laine, le miel, l'eau, la cire d'abeille, les végétaux, le cuir, la mousse de savon, le verre, les fruits, la paille, le lait, le néon, le feutre, le gravier concassé, le mercure, le sable, le givre, le fils d'argent, le feu, la toile de jute, les feuille de tabac, la graisse, le coton, la lumière noire, les matières fécales, le caoutchouc, la corde, le papier aluminium, le charbon, la terre, le sang animal voire humain, l'herbe, l'os, la matière plastique et les résines, le cristal, l'éternit, le souffre, la limaille, le polystyrène, la laque, le plexiglas, le plomb, la farine, la viande, le sulfate de cuivre, l'alcool, l'acide chlorhydrique, la fumée, le café, la peau de bête, l'acier, l'argile, parmi encore d'autres. « L'insignifiant visuel, le langage des éléments non symboliques attaque le spectateur, qu'il soit expert ou non, et se crée ainsi l'horreur pour la réalité culturelle. » (Celant, Germano. Arte Povera. Catalogue de l'exposition Arte Povera, Galleria La Bertesca, Gênes, septembre. 1967). Benjamin H. D. Buchloch, historien et critique d'art, en parle de la manière suivante: “Envisager une histoire alternative pour l’écriture de la sculpture du XXe siècle qui ne se définirait pas par l’ordre pragmatique d’un progrès évolutionniste et d’une production active en parallèle à l’industrie, mais une autre, qui se situerait en opposition à la production, en subversion du régime de travail produisant de la marchandise et du fétichisme de consommation.”. Ce qui m'intéresse dans le travail de Jannis Kounellis c'est l'utilisation du ReadyMade, non du point de vue du geste iconoclaste, comme pouvait le faire Duchamp en insistant sur la neutralité des objets détournés. Le Ready-made Duchampien ne provoque aucun sentiment de satisfaction esthétique, alors que les ready-made dont s'empare Jannis Kounellis sont chargés de mémoire picturale. La sculpture de Kounellis contient les traces d'une histoire qui n'en finit pas de se renouveler. En effet, le perroquet vivant perché sur une toile, à la galerie l'Attico en 1967, est tellement singulier, qu'il donne l'impression d'être peint. En 1969, lorsque Jannis Kounellis attache douze chevaux aux murs de la Galerie l'Attico, cela suscite la mémoire de l'iconographie du cheval. On peut y voir les chevaux 10 peints dans la grotte de Lascaux mais on peut penser au Cheval bleu I, peint en 1911 par Franz Marc De même pour la réalité organique de cette tresse de cheveux confrontée à l'inertie d'une plaque de plomb, Sans titre, 1969, dans l'histoire de la peinture, je pense à la natte de Madeleine avant son renoncement. En 2012, Gedi Sibony participe à une exposition intitulée Pour un art pauvre, inventaire du monde et de l’atelier. Cette exposition était présentée au Carré d’art, au Musée d’art contemporain de Nîmes. Elle était essentiellement constituée d’une nouvelle génération de sculpteurs clairement héritiers de l’Arte Povera et de la sculpture des années 60 et 70. En effet, l’idée d’un art pauvre n’est pas nouvelle. Pourquoi recourir à un art pauvre? Cet “art pauvre” est un art socialement engagé contre la surconsommation d’objets liée à la société contemporaine. La pratique de ces artistes repose sur une économie des moyens et des gestes. Il est question d’un repositionnement face à la sculpture. En 1967/1968, Richard Serra écrit une liste de verbes d’action à appliquer sur des matériaux : “Rouler, plier, courber, racourcir, raboter, déchirer, tailler, fendre, couper, trancher... Le langage structurait mes activités en relation avec des matériaux qui occupaient la même fonction que des verbes transitifs”. Ici, à l’instar du travail des artistes de l’exposition “Pour un art pauvre”, c’est le processus de création qui est privilégié. En effet, il ne sont pas à la recherche d’objets finis. Lors de cette exposition, Gedi Sibony présente quatre œuvres : Sans titre, 2011; Sans titre, 2011; Until the Break of Day, 2010 et Sans titre, 2011. Erios, 2007 est une plaque de bois qui tient debout. Elle tient de manière autonome, sans attache et sans s'adosser au mur. Cette plaque a été évidée de différentes formes géométriques. Sûrement pour construire quelque chose avec. La question cruciale que se pose Gedi Sibony est la suivante : Comment faire léviter un objet ? L'artiste récupère également des tableaux anciens dont il va enlever le cadre et ne garder que la toile. Cette dernière est simplement montrée retournée et accrochée au mur à l'aide de rubans adhésifs qui fonctionnent comme une composition. Il évoque la disparition du dessin, ici l'oeuvre nous tourne le dos. On comprend le processus de travail de l'artiste. Il déplace les choses. Par une économie de gestes, Jesus Alberto Benitez et Gedi Sibony créent des compositions de matériaux pauvres. Ils tentent de rendre signifiants des rebuts du quotidien. A l’inverse de la « déhiérachisation du regard » chez Jesus Alberto Benitez, l’art pauvre implique qu’il y un art moins pauvre. Par conséquent, cet art conserve une échelle des valeurs, que refuse Jesus Alberto Benitez. De plus, L'arte Povera utilisait des matériaux naturels qui sont par conséquent chargés de sens et d'histoire. 11 Face aux oeuvres de Gedi Sibony, à l’élégance des rythmes et des formes, notre regard ne sait pas où se poser. Ces objets, qui sont sujet à vieillir et à se défraîchir, ne sont en fait que déplacés dans un autre contexte qui est celui du White Cube, du lieu d'exposition. Le moindre geste appliqué sur chaque rebut ne permet pas d'évoquer le readymade. Cependant, nous pouvons quasiment évoquer un “degré zéro” du geste. Le “degré zéro” du geste consiste à effacer tout acquis pour re-concevoir quelque chose à partir de rien. 12 II/ GESTES MECANIQUES a) La répétition du geste La répétition dans sa première définition est quelque chose qui est redit ou refait. Il y a là l'idée d'un retour, d'un cycle, d'une boucle. La répétition apparaît en réalité comme le symptôme d'une double impossibilité: celle de poursuivre l'action commencée et dans le même temps, celle de l'interrompre. Le disque est rayé, le temps est mis en suspens. La répétition est ainsi le signe d'une blessure qui menace de refaire surface. -Bruce Nauman Dans les vidéos de Bruce Nauman, toute forme, aussi abstraite soit elle, porte la trace du corps. Il interroge le corps et sa perception dans un espace. Il joue sur la désorientation et la déstabilisation du regard. Qui regarde qui? En effet, parfois l'image est mise à l'envers. De plus, des gestes banals sont répétés de manière insistante, ce qui provoque un sentiment dérangeant et oppressant. L’artiste déclare pratiquer « un art qui agresse le spectateur ». Dans un espace d'exposition, il crée des installations avec plusieurs vidéos. Ces dernières montrent diverses échelles du corps. Ainsi, le spectateur prend conscience de l'espace et de son propre corps. Quelle image avons-nous de nous-même? Quel rapport avons-nous avec ce qui nous entoure? Ces vidéos se réfèrent explicitement, ne serait-ce parfois que par le titre, à la façon dont le corps est mis en scène dans le théâtre de Samuel Beckett. Dans les films de Nauman comme dans les pièces de Samuel Beckett, le corps répète les mêmes mouvements sans fin et sans but apparent. Mais le corps du spectateur se trouve lui aussi tout autant malmené par ces effets de répétition. Rien de radicalement et ouvertement au premier regard et pourtant. Pourquoi la répétition paraît si inconfortable pour le spectateur? Pourquoi le fait de voir un même geste répété ou d'entendre inlassablement le même son provoque-t-il une sensation, presque physique, d'angoisse? Dans Walking in an Exaggerated Manner around the Perimeter of a Square (196768) Bruce Nauman, comme le titre l'indique, marche de manière exagérée sur le périmètre d'un carré. Nous sommes devant un corps désarticulé qui se déplace de manière malaisée. Il est contraint de répéter le même geste sur un espace qui évoque la boucle. Jusqu'à quel point le corps de l'artiste peut-il se soumettre à la répétition? A partir de quel moment un mouvement perd-il tout son sens à force 13 d'être répété? Cette vidéo n'est pas sans rappeler la démarche sur une ligne des mannequins des défilés ou le jeu enfantin du choux-fleur dont la répétition du même pas et du même mot fonctionne comme un exercice. Ici, Nauman ne s'entraine pas, sa démarche n'est ni plus souple, ni plus légère à la fin de la vidéo. De plus, le point de fuite de la caméra enregistre 10 minutes durant cette démarche; le spectateur voit ainsi Nauman arpenter la ligne du carré de la même démarche raide et saccadée. Le cadre restant fixe, Nauman est à plusieurs reprises amené à sortir partiellement du champ. Dans un mouvement d'aller-retour, la répétition souligne toute l'absurdité et la complexité du mouvement. De cette façon la répétition apparaît comme un instrument particulièrement efficace pour soumettre le corps puisque pour rendre un corps docile, il ne suffit pas de le malmener, de le prendre au piège, il faut encore lui faire répéter le même geste jusqu'à ce que celui-ci soit intégré et comme automatisé. La structure du temps qui implique la boucle est de fait très particulière puisqu'elle conduit simultanément à une forme d'enroulement, de suspension et de dissolution du temps. Nauman s'attache à suggérer à travers la répétition d'actions aussi anodines que marcher en rond, des situations psychiques extrêmes. -Samuel Beckett Les actions exercées sur le corps se doublent chez Nauman mais également chez Beckett d'une réflexion sur le langage. Quand les corps en sont réduits au piétinement ou à l'immobilité, la parole se trouve en effet investie d'une dynamique. A l'image des corps, le langage est conçu comme un ensemble d'éléments formels que l'on peut décomposer, isoler, associer, répéter. De la même façon que la répétition d'un geste conduit à une forme d'automatisation et de non-sens, la répétition continue d'un son ou d'une proposition mène à une dissolution du sens. Dans La dernière Bande (1958) il est question de souvenir. Le protagoniste dénommé Krapp, assis à sa table, met en marche et arrête un magnétophone. Il écoute ainsi ses souvenirs enregistrés tout au long de sa vie sous forme de journal; pourtant ces instants mis bout à bout ne forment aucune continuité, rien qui puisse ressembler à une mémoire. La seule façon pour Krapp de se remémorer le temps passé consiste à écouter son magnétophone, mais ce passé qu'il cherche à ressaisir, en le répétant sans fin, se dissout totalement, d'autant plus que la machine finit par s'enrayer et que les bandes ne diffusent plus que des paroles incompréhensibles. L'enregistrement produit ici une forme de fragmentation et d'effacement du récit. C'est un échec. La situation de Krapp en présence de la fuite du temps se concrétise dans un mouvement tragique. Cette hantise de la 14 mort et cette lutte avec le temps ne mènent à rien d'autre qu'à notre condition d'être humain. Pour cette pièce, Beckett remplace le papier et l'écriture par une technologie, le magnétophone et le ruban. Le ruban est la matérialisation du temps qui passe. De plus, l'homme ne parle pas, il n'explique rien. Il écoute. Il s'écoute. La consternation que nous avons lorsque nous feuilletons un album photos de famille et remarquons l'usure du temps est chez Krapp envahi par l'audition de ses bandes. En effet, la voix virile du jeune homme contraste avec la respiration pénible et les sons séniles de « ce déchet de l'humanité trébuchant au bord de la tombe ». « Krapp » en anglais signifie « excréments ». Ce nom révèle le point de vue de Samuel Beckett quant aux aspirations du jeune homme, point de vue exprimé par la gestuelle impatiente du vieillard. Il va et vient, il manipule des bobines, il débranche l'appareil afin de sauter des passages de nature philosophique. Il préfère un souvenir amoureux, voire érotique. En ce sens, le titre de la pièce est presque obscène. « Nous dérivions parmi les roseaux et la barque s'est coincée. Comme ils se pliaient, avec un soupir, devant la proue ! (Pause) Je me suis coulé sur elle, mon visage dans ses seins et ma main sur elle. Nous restions là, couchés, sans remuer. Mais, sous nous tout remuait, et nous remuait, doucement de haut en bas, et d'un côté à l'autre ». Ce seul vrai amour de Krapp est un phénomène unique à l'intérieur de l'oeuvre de Beckett. Les sens jouent un grand rôle dans l'univers de Beckett. Dans son théâtre comme dans ses romans, les personnages perdent une à une leurs fonctions physiques et le monde dans lequel ils se déplacent est pauvre. Néanmoins, ils ne sont pas dépourvuent d'une pensée et de sensations. Ils désirent et ils souffrent. Maurice Nadeau, critique littéraire et éditeur français, écrit au sujet de Beckett : « La force corrosive de Beckett ne saurait procéder de l'affirmation d'une quelconque conviction ou illustration d'une conception philosophique ou métaphysique. Il ne croit rien, il ne pense rien : il montre. Et ce qu'il montre, c'est l'homme privé de toute illusion, débarrassé des sentiments, croyances, pensées qui servent à lui masquer la réalité de son supplice, l'homme attaché à vivre intensément ce supplice, c'est-à-dire à souffrir, décapé jusqu'à l'os... » Samuel Beckett vouait un amour à la musique de Schubert et la musique classique. Dans ces pièces de théâtre le rapport entre la parole et la musique prenait une place importante. C'est à partir de La dernière bande queBeckett pose une réflexion sur le son. Se posait la question du timbre de la voix. Comment détimbrer la voix ? Il tente de désubjectiver la voix, de la désentimentaliser. Il travaille la voix pour la faire sortir du timbre. Se pose la question de l'amoindrissement. Il tente d'aboutir à des phénomènes sonores infimes. La voix est un murmure puis un souffle. Ce qu'il appelle les voix mortes. Cependant, le rien chez Beckett est audible. Ce presque rien est un souffle qu'il mène jusqu'à l'épuisement. La pra- 15 tique d'une voix ou d'un son se réduit à des unités minimal. Le personnage est un instrument qui fabrique des sons. Le sujet est un enregistreur. Dans La dernière bande il y a un dédoublement du personnage avec les voix. Pour Samuel Beckett c'est une critique du personnage et du sujet personnage dans le théâtre. Le magnétophone marque le temps concret. Il y a une mise en abîme des différents moments de l'enregistrement. Le son est très différent de l'image. Avec le son on a l'impression de ne pas se reconnaître. Krapp est ainsi dans l'incompréhension de lui-même, il écoute les restes de sa petite histoire. Dans cette compulsion de répétition, rien ne peut être dit parce que c'est de l'ordre de l'innommable. L'enjeu de l'enregistrement est de dire ce rien. Ce à quoi on s'accroche. Arriver au phénomène vital qui est le dernier souffle avant de mourir. Samuel Beckett est presque un phénoménologue. Dans chaque pièce il s'est posé les questions de qu'est-ce-que c'est qu'entendre? Qu'est-ce qu'un souffle ? Qu'est-ce que parler ? En 1964, il réalise un film muet avec Alan Schneider : Film. Dans ce film, Samuel Beckett demande à ce qu'il y ait un seul son à un moment donné : 'shut'. Cette onomatopée signifie se taire. Ceci montre bien l'importance du phénomène sonore dans le travail de Samuel Beckett. Il y a plusieurs qualités de silence. Le rien n'est jamais le rien tout seul, il faut pouvoir l'entendre. C'est dans la matière sonore que Samuel Beckett fait entendre quelque chose. Pour lui, il faut arriver aux éléments minimaux qui font le théâtre : les gestes, le sons, les déplacements. Le sens est dans ces détails, ces petits bruits. -Christophe Tarkos La poésie sonore de Christophe Tarkos requiert un effort d'accommodation constant de la part du spectateur; il lui faut prêter l'oreille, saisir se qui se donne sous le mode de l'à peine audible. L'ouïe du spectateur est mise à rude épreuve.C. Tarkos s'est engagé dans un processus critique qui prend la forme d'une « mastication verbale » enfermant volontairement sa langue dans une textualité sans extériorité, sans image. Son œuvre est le fruit d'un travail de rumination minimaliste. Ruminer, d’après Le petit Larousse illustré de 2002, signifie dans un sens figuré: “ Tourner et retourner quelque chose dans son esprit.” Au comique de répétition vient se superposer une certaine angoisse. Comment mettre fin à la répétition? Comment définir les limites de ce qui se donne sous la forme d'un jeu mais qui, précisément sans limites, sans règles, ne révèle plus du jeu? Quand et comment mettre fin à la partie en cours? 16 -Dominique De Beir Dominique De Beir est une artiste qui produit des sculptures et installations à partir de gestes le plus souvent non artistiques détournés de leur usage premier. Si elle peut utiliser des outils existants, elle crée, parfois, des objets inédits permettant de produire l'oeuvre, objets qu'elle utilise dans des performances ou qui deviennent, eux-mêmes, des sculptures. Trouer, frapper, frotter, griffer, projeter, perforer, inciser, éplucher, brûler, creuser, découper, retourner... Tous les moyens sont bons pour introduire de l'accident dans la méthode. Mise à jour constitue un journal des opérations qu'elle effectue en même temps qu'une tentative de définition de ce qui sous-tend ces gestes. Mise à jour est une logique de l'épuisement et de la soustraction: « Plus qu'un geste opérant une blessure, cette attaque radicale correspond d'abord à un exutoire calmant, une litanie agitée. Trouer signifie avant tout regarder autrement, agir dans les strates et les sensations de la profondeur. » Il fait grand bleu est une boîte en carton peinte en blanc, réalisée par Dominique de Beir en 2002. Ses dimensions, 20 x 120 x 160 cm, sont à l'échelle du corps. Elle est présentée en deux parties. D'une part le fond de la boîte, de l'autre le couvercle de la boîte. Où est le fond, où est le couvercle ? On imagine que le fond d'une boîte en carton est toujours plus profond que le couvercle. C'est une boîte qui ne contient rien à l'intérieur. En tout cas du vide. Elle est perforée de manière aléatoire, parfois frottée ou griffée. Cette boîte est un condensée de gestes laissant apercevoir de la couleur, du bleu. Cependant, entre les trous, le carton est brut et nu. Ces perforations montrent un monochrome blanc constellé. Comme un morceau de ciel dans la nuit mais en négatif. Ceci n'est pas sans rappeler les Concetto Spaziale de Lucio Fontana. Ce dernier explique : " Je fais un trou dans la toile pour laisser derrière moi l'ancienne formule picturale, la peinture et la vue traditionnelle de l'art, et je m'évade symboliquement, mais aussi matériellement de la prison de la surface plane.". En effet, Lucio Fontana lacère la surface de la toile et crée ainsi un nouvel espace. Ainsi, différents espaces se côtoient. Mais il met à jour, également, ce qu'on ne voit pas, l'envers du décor, le revers de la toile et le châssis. Ces trous qui traversent le matériau « pauvre » agissent comme des trous noirs, comme une désacralisation du tableau. En effet, Dominique de Beir bouscule le vocabulaire de la peinture (surface, matière, couleur). Cependant, cet objet n'a rien d'un tableau. La simplicité de sa fabrication et de sa présentation ne montre rien d'autre qu'un carton d'emballage. L'artiste met ici en crise la notion de ta- 17 bleau et de peinture. Il fait grand bleu est également un travail sur le corps, un vaet-vient entre le corps figuré et le corps défiguré. L'artiste troue, perce, perfore jusqu'à la dé-figuration. De plus, les outils singuliers qu'elle utilise pour maltraiter les matériaux ont un rapport corporel important. Ils sont le prolongement du corps de l'artiste. « ...ce qu'il faut à la fois de concentration et d'inconscience dans la répétition pour réaliser le geste parfait. Le corps s'émancipe alors du contrôle du cerveau pour laisser le geste se faire tout seul et devenir en quelque sorte le prolongement de l'outil. » (Jacques Munier). Elle explore ainsi l'impact physique lié aux gestes opératoires et aléatoires. En effet, dans son atelier on voit des forets, des pointes, des poinçons et des seringues de toutes tailles et de toutes formes. En plus de ces outils existants, elle en fabrique elle-même. Elle a même créé des paires de semelles cloutées. Nous sommes d'avantage dans un atelier de sculpteur que de peintre. Par conséquent, Il fait grand bleu est un objet résiduel produit par le jeu de dé-figuration dont l'artiste a le secret. La répétition retient en quelque sorte l'instant et fait ainsi obstacle à une toute progression linéaire. L'action ne se déroule pas mais se répète sans fin, les choses finissent et durent à la fois, ou pour le dire autrement, n'en finissent pas de finir. La répétition apparaît à la fois comme ce qui empêche le temps de passer et la mémoire de se sédimenter (de se déposer et de s'accumuler). Le temps passe sans passer, les secondes se brisent les unes contre les autres sans continuer aucune continuité. b)Le dessin et la machine La machine est un interlocuteur particulier qui permet de traiter des questions de production, de reproduction et de répétition. Le dessin, dans sa relation avec la main, a-t-il une place à côté de la machine? Concevoir, créer, imaginer, éprouver, ces gestes sont-ils mis en péril face au recours à la machine et à l’automatisation? Qu’est-ce-que la technique peut apporter au dessin et inversement? Le brevet de la “Machine à dessiner et à peindre”, le Méta-matic n°1 créé en 1959 par Jean Tinguely dans l’intention de mettre fin à l’expressionnisme est un temps fort dans l’histoire de la mécanisation de la peinture et du dessin. Confusion (1994-2004) de Fabrice Cotinat est un regard particulier sur la redistribution des rôles entre la machine et le dessin. Enfin, Wade Guyton propose une nouvelle technique picturale à l'âge digital. 18 -Les machines à dessiner : de Jean Tinguely à Fabrice Cotinat Jean Tinguely a déposé le 26 juin 1959, à l’Institut national de la propriété industrielle à Paris, un brevet pour une “Machine à dessiner et à peindre”. Ce brevet, publié dans la revue Zéro, décrit le Méta-matic n°1. Il est aujourd’hui conservé au Musée national d’art moderne. Dans ce brevet il décrit: “un appareil de construction simple permettant de dessiner ou de peindre d’une manière qui, en pratique, est entièrement automatique, l’intervention humaine étant limité au choix d’un ou de quelques paramètres et, éventuellement, à la fourniture de l’énergie motrice.” Le tracé de Méta-matic n°1 s’imprime sur une feuille rectangulaire fixe, tandis qu’une tige s’agite de haut en bas et de bas en haut et hache le papier.Yves Klein décrit les Méta-matics, le 3 juin 1959, lors de la conférence intitulée “L’évolution de l’art vers l’immatériel”, comme une avancée certaine vers l’oubli de la peinture abstraite. “Elles sont à un certain art abstrait ou non figuratif, ce qu’a été l’invention de la photographie au réalisme du XIXe.” (Y. Klein, “L’évolution de l’art vers l’immatériel”, dans le Dépassement de la problèmatique de l’art, Paris, Ensba, 2003, p.127-128). Avec les Méta-matics, l’abstraction gestuelle est déléguée à un dispositif mécanique. Jean Tinguely invente le dessin sans efforts, sans savoir-faire et sans subjectivité. Grâce aux Méta-matics, les spectateurs deviennent producteurs. Ils réalisent des dessins abstraits de manière automatique. Peu importe la qualité de la peinture, c’est, chez Tinguely, la production machinique de l’oeuvre qui compte. Fabrice Cotinat, acteur au sein du collectif “La galerie du cartable”, porte un intérêt particulier pour les dispositifs mécaniques. On retrouve dans son travail un lien entre l’homo faber (l’homme qui fabrique) et l’homo ludens (l’homme qui joue). Depuis le milieu des années 1990, l’artiste a créé plusieurs machines au fonctionnement autonome dont Confusion. Réalisée entre 1994 et 2004, Confusion est une machine à dessiner. Elle évoque de manière explicite celles de Jean Tinguely. C’est un dispositif minimal, un plan horizontal rectangulaire, une table aux quatres angles de laquelle des spots éclairent puissamment la surface d’une feuille de 200 x 150 cm. Les capteurs solaires, dont est muni le robot de la machine à dessiner de Fabrice Cotinat, reçoivent la lumière artificielle des quatre spots et permettent au marqueur, grâce à l’énergie motrice générée, de déposer son encre noire sur la feuille. La machine dessine des oeuvres déjà existantes qui font partie d’un répertoire classique, moderne et contemporain. L’oeuvre originale est traitée par un logiciel vectoriel puis imprimée sur une feuille à la dimension de la table. Ensuite, elle cherche le dessin, le double, puis le transforme. En effet, Fabrice Cotinat laisse apparaître sous chaque dessin: “D’après Bruce 19 Nauman”, “D’après Sol Lewitt” ou encore “d’après Alberti”, etc. Cela montre bien la mutation du dessin. La capacité de la machine est limitée car le robot ne sait pas dessiner les angles et lorsqu’il n’a plus un trait à suivre il tourne en cercles concentriques jusqu’à rencontrer un nouveau trait. Par conséquent la reproduction effectuée est approximative, les dessins se tiennent à distance des oeuvres initiales. Ce que le dessin perd de l’oeuvre l’autonomise d’avantage. Cette machine à dessiner de Fabrice Cotinat est un dispositif de production mécanique de couches successives de marqueur, comme si la machine prenait son temps pour appréhender le dessin. La machine traduit par là une dimension temporelle de recherche et de hasard présente dans tout dessin. Lorsque Henri Georges Clouzot, dans Le Mystère Picasso réalisé en 1955, filme Picasso qui dessine à travers une vitre, il montre le dessin en train de se faire, le dessin dans le temps de l’action de dessiner. Ce qui est un plaisir souvent impossible à satisfaire. Confusion, sous les projecteurs, montre la performance d’une machine à dessiner. Cela évoque l’idée d’un dessin réalisé en direct. Je parle de direct pour la retransmission de l'événement. Cependant, la machine à dessiner de Fabrice Cotinat semble lutter contre la vitesse de cette idée de direct et de reproductibilité. Voilà un paradoxe intéressant: la machine reconnaît le dessin mais ne le reproduit pas à l’identique. La machine invente, elle s’approprie l’oeuvre d’un autre. Ce qui n’a rien à voir avec un programme et qui pourrait s’apparenter à ce que nous, en tant qu’humains, sommes capable de faire. De plus, chaque dessin est un original tamponné du jour, du lieu et de l’année de sa réalisation. La répétition du dessin décrit un nouveau paradoxe puisque chaque reproduction du même dessin est différente. Un dessin qui en suit un autre s’autorise d’autres chemins. -Wade Guyton : Bigblackfile.tif. Wade Guyton est un peintre qui se sert de l’ordinateur pour produire des oeuvres. La machine, par-delà l’ordinateur, joue un rôle particulier. A l’instar de Jean Tinguely, l’oeuvre de Guyton, cinquante ans plus tard, s’inscrit dans une histoire de la mécanisation de l’art. En effet, comme son prédécesseur, la machine est devenue le principal outil de l’artiste. Bigblackfile.tif. est le sobre nom d’un simple rectangle noir imprimé sur une toile de lin. Le processus est le suivant: l’artiste crée un document Photoshop donnant à voir un rectangle noir. Puis, il plie une toile de lin pour l’introduire dans une imprimante reliée à l’ordinateur. L’impression du document est lancée une première fois, avant d’être renouvelée sur le côté non imprimé lors du premier passage. 20 Les premières peintures une fois dépliées, donnent à voir le rectangle noir avec au centre la marque du pli. Celles qui suivent laissent d’abord apparaître la trace du mouvement des têtes de l’imprimante, puis au final la toile de lin est simplement salie. En effet, plus il y a d’impressions moins il y a d’encre. Contrairement à la fabrication en série et en masse, la machine est, pour Wade Guyton, synonyme de ratages et d’imperfections. Il dit à ce sujet: “Les performances techniques de l’imprimante ne m’intéressent pas. En réalité, les oeuvres travaillent parfois contre la machine. La preuve en est: la surface de la toile porte les traces de cette lutte.” Nous sommes face à la tentative d’un monochrome. Un monochrome qui a été de toute évidence raté puisqu’il est strié par l’épuisement progressif de la cartouche d’encre. Avec Epson et un processus complexe, Wade Guyton a trouvé le moyen de rater un monochrome noir. Cependant, Clément Greenberg, critique d’art et théoricien américain associé à l’expressionnisme abstrait, explique en 1962 : “... En d’autres termes, la simple observance de ces deux normes (la planéité et la délimitation de la planéité) suffit pour créer un objet qui peut être perçu comme tableau: ainsi la toile tendue ou cloutée (sur châssis) existe déjà en tant que tableau, sans pour autant être un tableau réussi.” (“Après l’expressionnisme abstrait” (1962), Regard sur l’art américain des années soixante, éd. par Claude Gintz, Paris, Territoires, 1979, p.18). En ce sens, le monochrome est une peinture « ratée ». L’artiste serait-il en train de demander à la machine de rater une peinture déjà ratée? Serait-ce pour la réussir? Dans les années 80, quand Sherrie Levine, artiste conceptuelle et photographe américaine, photographie dans des livres des reproductions de Walker Evans ou de Edward Weston, elle montre que le temps de la production est fini. C’est celui de la reproduction qui fait l’art. Elle montre la même photographie, mais avec un autre nom d’auteur, dans un autre contexte. Le référent pour la pratique photographique n’est le plus le réel mais une image. Entre la copie et l'original, il n'y a pas une grande différence. Par exemple dans After Walker Evans on retrouve les même personnages, les mêmes regards et les mêmes contrastes. La différence se trouve dans le geste de reproduire un original qui appartient à l'histoire de l'art. Elle questionne ici, de manière subtile, les critères de l'unique et de l'originalité. La différence entre l'image photographique de Walker Evans et celle de Sherrie Levine se situe dans l'intention et le contexte. Walker Evans interroge la représentation d'une réalité sociale et le regard que l'on y porte, alors que Sherrie Levine interroge la copie d'une réalité culturelle et le regard que l'on y porte. En cela elles sont chacune singulière. La copie, qui pose la reproduction comme identique à l'original, pose chez Sherrie Levine la question de l'identité. Cependant, l'identité qu'elle recherche est l'apparence. Elle est un leurre. Il ne s'agit pas, dans le travail 21 de Serrie Levine, de berner l'oeil. C'est d'avantage un clin d'oeil à l'objet originel : « Découvrir le corps de la Zambinella, c'est donc faire cesser l'infini des codes, trouver enfin l'origine (l'original) des copies, fixer le départ de la culture, assigner aux performances leur supplément (« plus qu'une femme ») (...) ». (Roland Barthes, « Le chef d'oeuvre », dans S/Z, 1970.) « Ce n’est pas tant le problème de la reproduction puisqu’aujourd’hui une image c’est d’abord une reproduction, c’est singulièrement une reproduction, il n’y a plus d’images qui ne le soient pas » Affirme Clément Rodzielski. Pour sauver une image de l'indistinction et de la disparition l'image reproduite est rendue unique. C'est le principe de l'individuation de la reproduction. Ces artistes, qui ont recours à la machine comme moyen de création, soulèvent la question de la répétition. Cette question amène une thématique de l’accident. L’artiste et la machine ont un échange particulier dont les nuances, apportées par le hasard mécanique de la machine, permettent la compréhension. Chez Wade Guyton la répétition apporte une transformation. Le rapport entre abstraction et figuration est une dialectique importante, notamment chez Fabrice Cotinat. Chez lui on en viendrait presque à se demander si la machine a une subjectivité. La machine combinée à l'acte créateur permettent une infinité de méthodes et de programmes. Ceux-ci permettant à leur tour un renouvellement surprenant de création et d’expression artistique. 22 III/ HISTOIRE DE SURFACE a) Marieta Chirulescu : expérimentation de la surface et incidents parasitaires La pratique de Marieta Chirulescu fait communiquer différents médiums et outils. Elle utilise aussi bien la peinture que la photographie, mais également Photoshop et la photocopieuse. Elle utilise des images de sources différentes. L'artiste compose avec des outils informatiques mais avec le vocabulaire des gestes de la peinture. Comment un matériau ou un médium prend les nécessités et les singularités d’un autre médium? Ces images peuvent provenir d'internet, des captures d'écran, des photographies prises par son père durant la dictature et des illustrations extraites de l'ancienne revue Roumaine Arte. Finalement, elle utilise des images trouvées. Des images dont elle n’est pas l’auteur. Ces images sont ‘ce qui reste’. Les images qu’elle montre sont passées par un certain nombre de transformations. Après les avoir scannées elle travaille à un épuisement de ces images selon un processus particulier. C’est subtilement que ces images sont créées de toutes pièces sur ordinateur. Parfois, elle crée des images manuellement mais pour ensuite les scanner ou les photocopier. C’est toujours la reproduction d’une image qui est utilisée. Aujourd’hui, une image est singulièrement une reproduction. Quelle est la condition de l’image aujourd’hui? que raconte-t-elle? Marieta Chirulescu s’approprie les qualités matérielles d’une image pour les faire apparaître dans le monde une nouvelle fois. Pourquoi ajouter des images au monde? - La surface comme terrain d’expérimentation Marieta Chirulescu utilise majoritairement des logiciels de retouche tel que Photoshop. Avec ces logiciels elle crée des effets à l'aide de « calques ». Cependant, ces images ne sont pas de simples effets. Les images sont imprimées sur de la toile de lin posée sur châssis. De plus, leurs formats varient. Nous sommes souvent face à de très grand formats, ce qui leur donne une dimension picturale importante. Ces effets sont aussi tactiles qu’impalpables alors qu'ils ont été créés de manière virtuelle. Les frontières entre peinture et photographie se brouillent: le grain de l'image se perd dans le bruit de l'agrandissement numérique. De ces images trouvées, parfois, elle ne garde que des fragments. La réitération d’un même processus, tel que photocopier plusieurs fois la même image sur le même papier, montre l’importance de la surface. Parfois, elle photocopie le couvercle ouvert ou bien scanne alors qu’il n’y a rien à l’intérieur, soit le vide. Ici, c’est la lumière qui devient le matériau même du travail. Ainsi, elle produit des images qui 23 montrent les détails insignifiants de l’espace environnant. C’est-à-dire des morceaux de saleté, de la poussière ou des plis. C’est l’irrégularité de ces surfaces qui l’intéresse et qui sont la matière première de son travail. Elle explore la surface de l’image et rend compte de son contenu, de ses bordures et des couches successives. Cette matière première est ensuite travaillée de manière analogique (sur ordinateur) ou manuelle (peinture). Tout n'est qu'effets subtilement ajoutés. La facture de ces images est attirante. Nous sommes face à des images aux couleurs pastel et extrêmement subtiles. Marieta Chirulescu se tourne vers son environnement matériel immédiat. Par conséquent, elle isole et prélève des formes du réel. Ne serait-ce pas là la première définition de l'abstraction? D’où vient cette abstraction et où va-t-elle? - L’incident parasitaire L'artiste a un goût particulier pour l’incident parasitaire (scotch oublié, griffure, poussière, reflet, décentrage, ...). L'anecdote à noter est qu'elle a passé son enfance en Roumanie, à lire des livres à l'impression approximative. Marieta Chirulescu utilise des outils et des techniques qui permettent de produire des images abstraites. Les sujets de ses images sont issus du monde réel. Cependant, cette réalité est coupée, transformée et reconstruite, car l’artiste ne cherche pas à créer sa représentation mais s’intéresse au processus de création. Elle utilise des images de synthèse qu’elle imprime sur toile. Marieta Chirulescu crée des compositions abstraites qui racontent l’histoire de leur propre production. L’image de synthèse est un espace de fantasme et de projection. Elles sont ce vers quoi on ne peut pas aller. Ces images sont distancées de nous. On ne connaît pas leurs sources, de plus elles sont toujours titrées « Sans Titre ». Ces images nous échappent, on ne les comprend pas immédiatement. Pour l’artiste, les sujets de ses images sont le reflet de l’inconscient mécanique des scanners et des photocopieuses. Le travail de Marieta Chirulescu hérite de l’art Minimal. En effet, ils ont tous deux des intérêts communs mais c’est l'intention qui diffère. L’un a une approche théorique, l’autre émotionnelle. L’un tend vers l’objectivité, l’autre vers la subjectivité. L’un porte une attention particulière au détail, l’autre préfère une vision globale. Il y a une certaine irrégularité chez l’un et une régularité chez l’autre. De quelle manière l’abstraction géométrique a changé d’une génération à l’autre? En effet, dans les années 1960 et 1970 les artistes utilisaient des machines comme outils de production. Ainsi, ils gardaient leur travail aussi objectif que possible. On peut alors parler d’inconscient mécanique. Cependant, rien n'est laissé au hasard. 24 Marieta Chirulescu laisse affleurer sa subjectivité. Elle n’est pas gênée de révéler sa propre personnalité. Finalement, malgré l'utilisation d'outils de reproduction, qui oeuvrent pour une objectivité, chaque oeuvre de Marieta Chirulescu est un original dont le geste opéré est la marque de sa subjectivité. b)Wolfgang Tillmans: images tactiles Adolescent, Wolfgang Tillmans s'intéresse aux sciences naturelles mais commence aussi à avoir de l'intérêt pour les possibilités de la photocopie, de la mise en page et pour le pouvoir des images. L'artiste développe une conception nouvelle et propre aux années 90. Sa pratique est directement liée à sa vie privée mais dans laquelle se croisent des réflexions autour du contexte sociopolitique et notamment autour de l'épidémie du sida. Ces fluides colorés sont autant un élément de contemplation qu'une métaphore d'une époque malade. - Contexte sociopolitique Manipuler les images passionne Wolfgang Tillmans. Le travail de l'artiste n'est jamais platement didactique, il s’intéresse à l'articulation entre les différents aspects (social, sexuel et spirituel) de son existence et de celle de ses proches : « … Ce qui m'intéresse, ce sont les différents aspects de la vie, je veux leur offrir un espace et une représentation. ». Cependant, ses photographies ne sont pas des documents qui permettraient de se renseigner sur les sujets qu'il photographie, comme le témoignage d'une certaine jeunesse urbaine des années 80. Il n'y a pas de hiérarchie entre les différents sujets photographiés. La science, la religion, la politique ou l'art sont des facettes de la vie mises au même plan. Ces sphères de la vie en société se chevauchent. Tous les thèmes qu'il exploite ne sont que des prétextes à de nouvelles combinaisons d'images. Ses installations murales sont une mosaïque d'images qui rend compte d'une génération non caricaturée. Lorsqu'il est invité à montrer son travail, il apporte avec lui quantité d'images, puis consacre jusqu'à une semaine à l'accrochage, choisissant des clichés, modifiant sans cesse la disposition des oeuvres, en un processus créatif qu'il qualifie luimême de prenant et d'intense. Le potentiel de recontextualisation de l'image est aussi important pour lui que l'impression ou la réalisation de nouveaux clichés. Ce n'est pas une image qu'il faut voir mais bien un ensemble. Les photographies ne sont pas encadrées mais scotchées directement au mur. Dans le contexte d'une société de consommation toujours avide de nouvelles modes et de ten- 25 dances inédites, Tillmans s'intéresse dans les années 90 à la définition du moi. Neville Wakefield, curateur et écrivain anglais spécialisé dans l'art contemporain, la culture et la photographie, observe à ce propos que l'artiste explore « la tension qui règne entre le désir tel qu'il est commercialisé par l'image, et la pureté du moi en tant qu'entité indépendante de ses myriades de représentations. ». Ses photographies montrent la vie de jeunes gens en train de se construire. Il est donc question du moi mais un moi changeant selon chaque instant donné par la photographie donc du temps. La photographie reproduit à l'infini mécaniquement, ce qui n'a lieu qu'une fois. L'objet photographié a bien existé et il a été là où je le vois. Seule, la photographie peut nous assurer du passé de la chose. Le « ça a été » de Roland Barthes , dans La chambre claire, explique cela et le rapport de la photographie avec la mort. « Prendre une photographie », écrit Susan Sontag, « c'est participer à la mortalité, la vulnérabilité, l'inconstance d'une autre personne (ou d'une autre chose). C'est précisément en découpant cet instant et en le figeant que toutes les photos témoignent de la fuite inexorable du temps. » Sportflecken, réalisée en 1996, est une image photographique qui montre le détail d'un T-shirt blanc froissé. Cette photographie rappelle celle de Felix Gonzales Torres réalisée en 1991. Cette photographie installée sur des panneaux publicitaires dans la ville de New York montre un lit de draps blanc défaits et froissés. Elle fut interprétée comme un symbole des disparitions liées au sida. Quels sont les corps qui ont habité ce lit? Quel est le corps qui a porté ce T-shirt? Ces images sont focalisées sur un centre absent, le corps. Chez Tillmans, ces images de vêtements éparpillés évoquent le désir et la perte, peut-être liés au sida, même s'il n'en fit pas un sujet à part entière. « Je considère l’image du sida comme une chose invisible, une image qui change les choses (…) L’invisibilité scientifique à ainsi été remplacé par le déni humain et politique, incarné par ce refus religieux d’accepter les faits (…) et devenant un mouvement au pouvoir symbolique très important. » - Photographie abstraite obtenue par la lumière et matérialité des fluides colorés Tillmans a aussi produit un grand nombre de natures mortes. Ces dernières sont souvent prises de haut . De cette manière, à première vue ces natures mortes semblent abstraites. Jochen's Plate, réalisée en 1997, est une image photographique qui montre une vue de dessus d'une assiette remplie de fruits et de légumes frais (grenade, mangues, cerise, aubergines, fenouil,...). Cette assiette est posée sur une table en bois sur laquelle sont posés des objets de la vie quotidienne ( un agenda, un cendrier immaculé, des magazines). Ces objets ne sont 26 montrés que partiellement. En effet, ils sortent du cadre de la photographie. Cette vue de dessus accentue les qualités abstraites de l'image photographique mais elle intensifie le fait que ces objets font partie du quotidien. En effet, les objets et déchets encadrent cette assiette et nous situent dans un contexte du quotidien. A partir des années 2000, Wolfgang Tillmans crée des photographies qui sont des photographies sur la photographie. En effet, certaines séries comme Blushes, démontrent le principe de base de la photographie. C'est au cours du processus de développement que Tillmans intervient et manipule les matériaux photosensibles. « Tous les travaux abstraits que vous décrivez comme organiques et liquides, ne proviennent pas de quelque chose. Ils sont purement fabriqués par la source lumineuse utilisée dans le procédé photographique. Il n’y a pas de liquides, pas de pigment, pas d’objet, tout est sec, produit à l’aide de la lumière dans la chambre noire. Après l’exposition lumineuse suit un processus normal. » Ainsi, il crée des photographies abstraites obtenues avec la lumière. Ces photographies montrent des effets de la lumière sur les matériaux photosensibles. Ici, l'artiste passe d'un sujet politique à un sujet esthétique, de la représentation à l'abstraction. La série des Blushes possède une tactilité particulière. Ces images donnent à voir des filaments qui pourraient être des cheveux ou des poils corporels. La surface de l'image est luisante et brillante. Nous sommes face à des fluides, comme une surface d'eau. Ces images sont d'avantage haptique que tactile. En effet, ces photographies donnent la sensation du toucher par la vue. Cette série est pour lui une sorte de « transition afin de faire des images qui soient physiques, corporelles et picturales en un sens ». La couleur photographique naît de l'exposition lumineuse. La palette colorée de Wolfgang Tillmans est intense mais subtile. Elle se veut évocatrice et non descriptive. Son sens chromatique est celui de quelqu'un qui a toujours connu la photocopie couleurs. « Je ne pense pas en terme de catégories spécifiques du médium. Je me dis avant tout : ‘un champ coloré est un champ coloré’ » Ces fluides colorés sont autant esthétiquement une non représentation des corps humains mais également métaphoriquement. En effet, par l'abstraction Wolfgang Tillmans fait le deuil de son compagnon décédé du sida en 1997. Ces fluides colorés évoquent une période sombre de la vie de l'artiste qui le pousse dans une certaine mélancolie. Finalement, les abstractions que sont ces fluides colorés sont d'avantage une réflexion autour des métaphores du corps alors qu'elles évoquent des fluides végétaux ou organiques. La caractéristique du travail de Tillmans c'est cette relation fondée sur le « même » plutôt que sur une quelconque hiérarchie. Ce qui m'intéresse dans son 27 travail, c'est qu'une feuille de papier photographique peut fonctionner comme un mur blanc ou une page blanche, la relation de l'image et de la marge peuvent correspondre à l'équilibre de l'installation et de la mise en page et les murs en une constellation de plusieurs photographies. Ces installations ne doivent pas être considérées comme une composition d'unités séparées mais comme un tout formant une photographie à part entière. La matérialité des images est liée à la couleur, importante dans le travail de l'artiste, et à l'abstraction, liée au cadrage et au processus de développement. 28 CONCLUSION Dans les années 1960, Bruce Nauman veut rompre avec “L’American way of life” et remet en question l’académisme de l’art. Aujourd’hui, Jesus Alberto Benitez s’approprie un héritage formel et conceptuel lié à l’objectivité photographique. La mise en crise du travail artistique permet d’interroger les formes du passé pour rompre avec elles ou bien pour mieux se les approprier. Le “degré zéro” du geste est une mise en crise artistique. Il consiste à se convaincre de l’idée selon laquelle l’art n’existe pas et en ce sens se demander: “ Que vais-je faire pour que l’art existe?”. Le “degré zéro” du geste permet de réinventer, de re-concevoir des formes en se libérant des acquis, de toute éducation et de toute culture. Il permet le “moindre geste”. Cette expression fait référence au film de Fernand Deligny réalisé entre 1962 et 1971 avec José Manenti et Jean-Pierre Daniel. Dans ce film, on suit les pérégrinations d’un enfant autiste qui s’est sauvé de l’asile. Deligny, éducateur, tente de faire face à ce qu’il appelle: “La différence absolue de l’autre”. Comment se confronter à cette limite, cette butée du langage? Le “moindre geste” qu’opère Gedi Sibony sur les objets qu’il trouve, cette économie, repose sur un déplacement subtil. Herman de Vries lui aussi déplace les choses: “Je ne représente pas la nature, je la présente.” Pour lui l’art dans la nature est superflu. Il a le souci du respect de celle-ci. Il utilise le Ready-made d’objet naturel car la nature est selon lui déjà art et le rôle de l’artiste est de le montrer. Herman de Vries ramasse, assemble et présente la nature sous une forme “neutre”. Il tente de restituer son expérience dans la nature comme s’il était luimême un élément de cette dernière. L’artiste explique que “la nature est notre réalité primaire”. Dans une attitude d’humilité et d’effacement, il ramène l’homme à sa juste proportion en tant qu’élément de la nature. En ce sens, Herman de Vries tente d’annuler toute hiérarchie entre le sujet et l’objet. La “dé-hiérarchisation” se fait jusque dans l’écriture: il écrit sans majuscules. Lorsque Wolfgang Tillmans crée des installations murales composées de plusieurs photographies de différentes natures, il les montre sur un même plan: le mur. Il n’impose aucune hiérarchie entre les images. Chaque image fait partie de l’image, l’installation. Ces artistes prélèvent et isolent des formes du réel. Il s’agit d’abstraire une forme du réel pour la donner à voir autrement, de manière singulière. Cette question de l’abstraction est récurrente dans les exemples d’artistes choisis pour mon mémoire. L’épuisement du geste et de l’image conduit à l’abstraction, voire à la disparition. La possibilité de voir est paradoxalement liée à la disparition des images. Lorsque Krapp se répète inlassablement ses souvenirs c’est pour finir par les voir disparaître à jamais. Lorsque Bruce Nauman impose l’image reproduite d’un geste répété, nous ne voyons plus ce qui est représenté mais l’image s’abstrait et nous 29 renvoie à nous-même. L’humilité de ces attitudes artistiques me touche. Le moindre geste opéré par l’artiste est une façon d’humaniser le regard. L’idée que la chose la plus immatérielle contient une épaisseur me plaît. Comment rendre compte du vide ou du silence? Lorsque Jesus Alberto Benitez plie une feuille de papier il cherche la matérialité de cette dernière. Comment les outils les plus standardisés peuvent-ils produire de l’accident? Comment assumer les choses qu’on ne peut pas contrôler? L’accident rend compte d’une singularité de l’objet et il faut savoir regarder et capter les gestes en suspens à l’endroit où l’on se trouve. La table de Gerhard Richter, peinture réalisée en 1962 est la métaphore du geste de faire table rase. La table de l’artiste est effacée. Quelque chose se joue sur la table elle-même, comme lieu de travail. Re-modeler et ré-inventer le support de son travail, n’est-ce-pas la question cruciale de l’artiste: sur quoi je travail? Et à partir de quoi? 30 Iconographie 31 Jesus Alberto Benitez, Queens, 2007-2010, impression jet d’encre, 52 x 78 cm 32 Jesus Alberto Benitez, Sans titre, 2013, encre et adhésif sur plomb, acrylique sur tissu, encre sur mur, dimensions variables 33 Tony Conrad, Yellow Movies, 1970, dimensions variables 34 Tony Conrad, Yellow Movies, 1970 35 Bernd et hilla Becher, Gazomètres, D 1963-1992, Typologie en 9 photographies en noir et blanc, 40x30cm chacune 36 Bernd et Hilla Becher, Maison Sternbuschweg 362, D 1972, Développement en 8 photographies en noir et blanc, 30,5x40,5cm chacune 37 Thomas Ruff, jpeg pt03, 2006, C-print/ Diasec Face, 249 x 188 cm 38 Jesus Alberto Benitez, Sans titre, 2010, photographie pliée et scannée, impression jet d’encre, 110 x 165 cm 39 Définition du mot Ready-Made par Marcel Duchamps, Le dictionnaire abrégé du surréalisme, Andre Breton et Paul Eluard, Edition Corti, 1938 40 Gabriel Orozco, Crazy tourist, 1991. Epreuve couleur chromogène, 40,6 x 50,8 cm. Edition de 5 41 Gabriel Orozco, table, maison de l’artiste, Tlalpan, Mexico, vers 1991-1992 42 Gabriel Orozco, au premier plan Four and Two Fingers, 2002. Terre cuite, 13 x 39 x 19 cm 43 Gabriel Orozco, Carnet 8 (1995 - 1996), p.51. stylo à bille et mine de plomb sur Polaroïd collés sur page de carnet, 27,3 x 20,5 cm. Collection de l’artiste. 44 Jannis Kounellis, senza titolo (sans titre), 1967, Galerie Iolas, Paris 45 Jannis Kounellis, Sans titre, 1969, Galerie de l’Attico, Rome 46 Franz Marc Cheval bleu I, 1911, huile sur toile 112,5x84,5cm Munich, Städtische Galerie im Lenbachhaus 47 Janis Kounellis, Sans titre, 1969, Plaque d’acier et cheveux, 100,5 x 70,5 x 5 cm 48 Titien, Marie-Madeleine, huile sur toile, 85x68cm, 1533, Palais Pitti, Florence, Italie 49 Richard Serra, liste de verbes, 1967/1968 50 Gedi Sibony, 2010/2011, vue d’exposition Pour un art pauvre, dimensions variables 51 Gedi Sibony, her trumpeted spoke lastly, 2010 52 Gedi Sibony, Erios, 2007, contreplaqué, 242,5 x 121,9 cm. Courtesy de l’artiste et Greene Naftali Gallery, New York 53 Bruce Nauman, Think, 1993 54 Bruce Nauman, Walking in an Exaggerated Manner around the Perimeter of a square, 1967-68 55 Samuel Beckett, La Dernière Bande, Avec Jacques Boudet, Mise en scène de Christophe Gand. Pièce de théâtre donnée au Festival OFF d’Avignon 56 Samuel Beckett, Film, 1965, 21 minutes, dirigé par Alan Schneider et produit par Barney Rosset 57 Christophe Tarkos, Oui, édition al dante, tut-tut, 1996 58 Christophe Tarkos, Oui, Editions al dante, Je te donne, 1996 59 Détail, Il fait grand bleu, Dominique de Beir, 2002, 20 x 120 x 160 cm 60 Dominique de Beir, Il fait grand bleu, 2002, 20 x 120 x 160 cm 61 Dominique de Beir, vue de son atelier 62 Dominique de Beir, exemple d’outil 63 Lucio Fontana, Concetto spaziale, 1964 64 Lucio Fontana, Concetto spaziale, 1964 65 Jean Tinguely, Brevet d’intention pour un appareil à dessiner et à peindre, 1959 66 Jean Tinguely, Brevet d’intention pour un appareil à dessiner et à peindre, 1959 67 Jean Tinguely, Meta-matic n°6, 1959 68 Fabrice Cotinat, Confusion, 1994-2004, capteurs solaires, crayon marqueur, matériaux électroniques, 200 x 240 x 160 cm 69 De gauche à droite: Traces de pas dans le sable, 1948, d’après Jean Dubuffet, 2010 Homme stéréonomique, 1523-1528 d’après Albrecht Dürer de la série d’éditions produite par le robot Confusion, été 2006 Les éléments de peinture: exercice pour former et exercer le futur peintre, vers 1435 d’après Léon Battista Alberti de la série d’éditions produite par le robot Confusion, été 2006 Tous les dessins: impressions numériques sur papier dos bleu, encre noire, 240 x 160 cm 70 Henri-Georges Clouzot, extrait du Mystère Picasso, 1955 71 Vue de «Wade Guyton OS», 2012-2013, Whitney Museum of American Art, New York 72 Wade Guyton, Bigblackfile.tif. 73 Wade Guyton, détail Bigblackfile.tif. 74 Sherrie Levine, After Walker Evans 2, 1981; gelatin silver print; 9,6 x 12,8 cm 75 Sherrie Levine, After Walker Evans 4, 1981; gelatin silver print; 12,8 x 9,8 cm 76 Marieta Chirulescu, Sans titre, 2010, 515 x 700 cm 77 Marieta Chirulescu, Sans titre, 2008, 486 x 700 cm 78 Wolfgang tillmans, arctic/silver installation, 2003 79 Wolfgang tillmans, regen sunlight, 2004 80 Wolfgang Tillmans, Jochen’s Plate, 1997 81 Felix Gonzales Torres, Untitle, Panneau d’affichage sur le sida, affiche, 1991 82 Wolfgang tillmans, Sportflecken, 1996 83 Wolfgang Tillmans, Blushes # 66, 2000 84 Gerhard Richter, Table, 1962, Oil on canvas, 90x113cm, private collection Frankfurt richter n°1 85 Bibilographie Pour un art Pauvre : inventaire du monde et de l’atelier / Françoise Cohen, commissaire ; Texte Joana Neves. Paris books, sautereau éditeur, 2011 Arte Povera : Giovanno Anselmo, Alighiero Boetti, Per Paolo Calzolari, Luciano Fabro / Germano Celant ; Trad. De Anne Machet.Villeurbanne : Art Edition, 1989 Arte Povera, antiform : sculpture 1966 – 1969 / Texte Germano Celant Bordeaux : Capc Musée d’art contemporain, 1982 Gabriel Orozco : centre Pompidou, Galerie Sud, 15 sep 2010, 3 janvier 2011 / Christine Marcel, Ann Temkin ; avec essais de Christine Macel, Ann Temkin, Biony Fer et al. New-York : Museum of Modern Art, 2010 Paris : ed du centre Pompidou, 2010 Dictionnaire abrégé du surréalisme, Breton, Eluard ; Gazette des Beaux-Arts, José Corti, 1991 Wolfgang Tillmans : burg, truth study center / edited by burthhard Riemscherdei ; essais de Minoru Shimizu ; David Deitcher. Cologne (Allemagne) : Taschen, 2011. 20/27 : revue de textes critiques sur l’art ; n°3 / direction éditoriale Michel Gauthier et Arnauld Pierre. Paris : M19, 2009. Les machines de Jean Tinguely. Paris : Gallerie nationnale d’art contemporain, 1971 Dominique De Beir : des bleues partout, des blancs en suspens : exposition, Beauvais, espace culturel, Galerie d’art contemporain, 9 mars – 27 avril 2002, Gennevilliers, Galerie municipale Eduard Manet, 13 mai – 15 juin, 2002 / texte de Karim Ghaddab. Gennevilliers : Galerie Edouard Manet, 2009 ; 95 – parmain : imp. Abrégé. Le geste à l’oeuvre : Richard Tuttle et pratiques contemporaines / sous la direction de Camille Saint-Jacques et Eric Suchère. Montreuil, 2011 Roven. 6 : Revue critique sur le dessin : automn. Hivers 2011-2012. Paris : Roven, 2011 Samuel Beckett / Cahier de l’Herne rédigé par Tom Bishop ; et Raymond Federman. Paris : Librairie générale Française, 1985 Christophe Tarkos, Oui / C.Tarkos ; édition Al Dante / Niok, 1996 Bruce Nauman : image-texte, 1966 – 1996 / sous la direction de Christine Van Assche ; traduit de l’anglais par Jean-Charles Massera. Paris : Centre Georges Pompidou, 1997 86 Les années 70, l’art en cause, Capc Musée d’art contemporain de Bordeaux, Réunion des Musées Nationaux, 2002 Clément Rodzielski dans le communiqué de presses de son exposition Trop peu de santé, trop peu de preuves, à la Galerie Carlos Cardenas, Paris, du 12 février au 27 mars 2010 Filmographie Henri Georges Clouzot (1907-1977). Le mystère Picasso / Henri-Georges Clouzot, réal ; Georges Aurie, comp. ; Pablo Picasso, participant. 1996. Film / Samuel Beckett et Alan Schneider, real ; Buster Keaten, Neil Harrison, James Karen, Susan Reed. Act. Paris : MR2, 2006 : TF1 vidéo, 2011. Film muet de 1965. Fernand Deligny, Le cinéma de Fernand Deligny: Le moindre geste et deux films de renaud Victor, 1962-1971, Paris, Edition Montparnasse, 2007 Poésie sonore Tarkos Christophe, Expressif, le petit bidon : improvisation et lectures, tomes 1 (cd) / Christophe Tarkos. Edition Cactus, 2002 Podcast Interview intégrale de François Noudelman , La dernière bande de Samuel Beckett et un morceau de chiffon rouge / Lorraine cœur d’acier, France culture, 19.10.2013. 87 88 Je souhaite remercier mes professeurs, Alice Laguarda, Gyan Panchal, Michèle Martel et Clément Rodzielski, qui ont contribué à l’élaboation de ce mémoire.