Le Donjon - Vivre à Niort
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maq VAN n°130 18/10/02 21/10/02 17:48 Page 13 Notre histoire Le Donjon à travers les siècles Figure emblématique de la ville dès le Moyen Age, le Donjon a fini par se fondre à l’arrière-plan du décor et bien des Niortais ignorent ce monument historique qui s’érige derrière les Halles. Pourtant, cet édifice majeur de l’art roman de l’Ouest de la France est décrit dans de nombreux textes et gravures. Du XIIe siècle à l’aube du IIIe millénaire, le Donjon nous entraîne dans un voyage au cœur de l’histoire de Niort. Textes : Isabelle Jeannerot. Photos : Bruno Derbord, Darri. Vivre à Niort / Novembre 2002 / N°130 13 maq VAN n°130 18/10/02 21/10/02 17:49 Page 14 Notre histoire Le Donjon à trav e “le Grenier”, ce qui est significatif de son importance. En effet, contrairement aux routes, boueuses six mois de l’année, la Sèvre navigable permet un trafic ininterrompu. Sur la rive opposée tournent les ailes des moulins qui alimentent le commerce local en céréales mais aussi en tain pour le cuir. En avant-poste, le fort Foucault protège le passage de la Sèvre. Le commerce des chevaux et des mulets attire Bretons ou Espagnols, le sel provenant des côtes passe par Niort pour rejoindre l’arrière-pays. De par la ville, du quartier du port jusqu’à la place SaintJean en passant par le pont, le centre-ville, les quais, transitent, à pied, à cheval ou sur des charettes, hommes, femmes, enfants, animaux. Le Donjon est l’un des ouvrages d’art roman les plus grands et les mieux conservés de France. P laque tournante entre le Nord et le Sud, Niort connaît au Moyen Age une activité économique débordante. Céréales et draperies, mais surtout vin, bien des marchandises attirant la convoitise débarquent au port, implanté avant la fin du XIIe siècle à l’endroit où le Merdusson se jette dans la Sèvre (actuelle rue Brisson). On l’appelle alors Prison d’État C’est dès le XVIIIe siècle que le Donjon sert de prison. Les portes anciennes (du XVe ou XVIe siècle) sont adaptées à la fonction carcérale : on y installe une trappe pour passer les plats, un guichet pour surveiller les prisonniers. On crée des chambres de détention pour les femmes, on numérote les cantonnements (le n°6 est toujours visible dans l’une des salles du premier étage). Des cachots où l’on tient à peine debout, on a une vue rétrécie sur la ville par une meurtrière. 14 Vivre à Niort / Novembre 2002 / N°130 La terrasse offre une vue imprenable sur la ville. Nous sommes en 1154. Henri de Plantagenêt, comte d’Anjou, devient roi d’Angleterre. Avec la dot que lui a apporté, deux ans plus tôt, sa nouvelle épouse, Aliénor d’Aquitaine, son royaume s’étend désormais sur tout l’Ouest de la France. Niort y occupe une position stratégique pour favoriser les échanges avec l’Angleterre. Le roi a besoin d’une base sûre, avant-poste pour rejoindre rapidement la côte et l’Angleterre en cas de besoin, dans laquelle il pourra entretenir une garnison et stocker des marchandises (vivres comme munitions). On choisit, aux bords de Sèvre, l’emplacement du château mérovingien en bois incendié par les Normands pour élever un imposant et austère édifice destiné à protéger le port et à assurer le pouvoir anglais sur ces terres poitevines. Les avis des historiens divergent sur l’attribution de sa construction (Henri II de Plantagenêt ou hypothèse récemment mise en avant, son fils, Richard Cœur de Lion). Quoi qu’il en soit, le Donjon se veut le point central de la forteresse inexpugnable que va devenir le château de Niort, dont l’enceinte, longue de 700 mètres et armée de tours, ne présente qu’une seule entrée, vers les Halles. Protégé à l’Ouest par la Sèvre, agrémenté de jardins, ce château, qui délimite l’espace réservé à l’usage privé du seigneur, s’étend sur un vaste territoire (des Halles à l’actuelle Préfecture et à la rue Thiers). La pièce maîtresse du château de Niort Presque au centre de cette enceinte se dressent deux tours massives, carrées, dont la plus haute culmine à 28 mètres, flanquées maq VAN n°130 18/10/02 21/10/02 17:49 Page 15 v ers les siècles une force de frappe concentrée vers la ville (archères) finissent de déterminer la vocation militaire de l’édifice. L’enceinte du château de Niort occupait un vaste territoire qui s’étendait des Halles à l’actuelle Préfecture et à la rue Thiers. D’architecture romane (plan quadrangulaire, ouvertures en plein cintre), cette construction de qualité, en pierres de taille ajustées à joints fins, dont on peut relever quelques principes novateurs, démontre l’importance des moyens mis en œuvre pour l’affirmation symbolique du pouvoir anglais. En effet, si le Donjon paraît puissant à l’extérieur, il se révèle paradoxalement pauvre à l’intérieur. En cette fin de XIIe siècle, on doit y vivre dans le froid (on ne trouve nulle trace de cheminées), dans l’obscurité (aucune grande fenêtre) et dans l’austérité (aucun décor sculpté). Plutôt inconfortable pour la résidence, fûtelle temporaire, d’un roi ! Une base de repli et rien d’autre. Pour l’instant. Une ville prospère et bien protégée Il faudra attendre le XVe siècle pour que le confort soit amélioré dans l’espace résidentiel du Donjon par le percement de fenêtres et la création de cheminées. Ces salles du premier étage sont aujourd’hui dévolues à des expositions temporaires. de tourelles et reliées entre elles par de hautes courtines formant une cour à ciel ouvert. Chaque tour renferme un escalier à vis permettant de desservir les étages. Au sommet, les chemins de ronde à mâchicoulis (grandes ouvertures) servent à défendre le pied des murs. Deux entrées (une vers la ville, une vers la Sèvre), un pont levis, une importante douve sèche (on suppose que ses fossés, qu’on pouvait au besoin inonder, atteignaient 8 mètres de profondeur), quelques ouvertures vers la rivière (le côté le moins exposé), Bénéficiant de la protection du Donjon, mais aussi d’une enceinte fortifiée de près de 2 700 mètres, Niort est une ville sûre, dans laquelle on ne peut entrer que par trois portes principales : la porte Saint-Jean (au sud), la porte Saint-Gelais (au nord) et la porte du Pont (face au Vieux-Pont). Henri II de Plantagenêt, puis Richard, son fils, favorisent les échanges avec l’Angleterre, qui importe en quantité la production de cette région essentiellement vinicole (et qui, d’ailleurs, le restera jusqu’à la destruction des vignes par le phylloxéra au XIXe siècle). Sous l’autorité de Richard Cœur de Lion, qui gouverne le Poitou pendant une quinzaine d’années, Niort prospère, promue deuxième ville de la région après Poitiers. Ses marchés et ses foires commencent à acquérir une renommée importante. Nœud d’articulation entre les paroisses Notre-Dame et Saint-André, les deux parties de la ville qui se sont développées sur les collines, les Halles (à l’emplacement de l’actuelle rue Victor-Hugo) sont citées comme les plus vastes du royaume. Mémoire d’hier et d’aujourd’hui On pénètre aujourd’hui dans le Donjon par les salles du premier étage, dans lesquelles sont organisées des expositions temporaires. Après Eliane Larus cet été, les Marais à l’automne, les salles accueilleront cet hiver Kitty Holley et sa mère, Francine, puis Régis Fabre, des artistes contemporains. Dans les étages, grâce au don de l’association du costume poitevin, qui a permis de constituer un premier fonds dès la fin du XIXe siècle, le musée ethnologique régional retrace les arts et traditions populaires locaux : salle des outils (métiers artisanaux), salle des coiffes et reconstitution d’un intérieur poitevin. Sur l’une des terrasses crénelées, une table d’orientation permet d’apprécier la vue imprenable sur la ville. Au rez-de-chaussée, les salles dites basses abritent une exposition consacrée à l’archéologie locale. La roue de char de Coulon voisine avec des boutons en os de l’Âge du Cuivre, des verreries d’époque gallo-romaine, une série d’épées trouvées dans un sanctuaire gaulois, des flacons à eau bénite datant du Moyen Âge, sans oublier le collier en or de SaintLaurs (2000 av. J.-C.). Enfin, deux bornes milliaires (ces bornes placées au bord des voies romaines pour en indiquer les distances) sont parvenues jusqu’à nous parce qu’elles ont été creusées pour servir de... sarcophages. Dans la salle des coiffes est présentée une collection de bijoux régionaux (colliers dits “esclavage”, pendants d’oreilles, crochets à ciseaux). Niort devient l’une des premières villes de France à bénéficier d’une commune, selon la charte signée en 1199 par Aliénor et son fils Jean Sans Terre, qui a succédé sur le trône d’Angleterre à son frère Richard. Cette charte Vivre à Niort / Novembre 2002 / N°130 15 maq VAN n°130 18/10/02 21/10/02 17:49 Page 16 Notre histoire La restauration du IIIe millénaire D’importants travaux de restauration (dont la moitié subventionnés par le ministère de la Culture au titre des Monuments historiques) et de mise en conformité en matière de sécurité devraient être entrepris d’ici la fin de l’année, avec un phasage en plusieurs tranches, pour une durée totale de deux ans, période durant laquelle le monument devrait être fermé aux visiteurs. Ces travaux, pour un total estimé de près de 911 000 € (TTC), seront financés en partie par l’Etat et le Conseil général, environ 255 000 € restant à la charge de la Communauté d’agglomération. Ils viendront achever la restauration des salles (murs, planchers et portes anciennes) tandis que les huisseries modernes seront remplacées par des menuiseries neuves exécutées selon les modèles anciens, avec châssis garnis de vitraux losangés. En complément de l’isolation, l’installation électrique sera entièrement refaite et une alarme incendie mise en œuvre. Le déblaiement de la fausse-braie Nord-Est, solution envisagée pour remédier aux infiltrations, sera également l’occasion de procéder à des fouilles archéologiques. Une crypte archéologique pourrait d’ailleurs être aménagée sous les salles basses afin d’y exposer des sarcophages. Et permettra aux visiteurs de voir de plus près les impressionnantes fondations de l’édifice. marque une certaine indépendance des bourgeois de Niort par rapport au roi, qui leur octroie quelques privilèges et les autorise à créer une administration communale avec la nomination d’un maire. En contrepartie leur revient la charge d’entretenir les fortifications de la ville. Sans cesse assiégé et remanié Au début du XIIIe siècle, les bourgeois de Niort sont assiégés par les seigneurs poitevins des environs (Lusignan, Parthenay), qui bloquent les entrées de la ville et le passage des vivres comme des marchandises. Le blocus dure plusieurs années et Niort est menacée de famine. Le château de Niort, qui possède ses propres voies d’approvisionnement, devient le seul lieu de ravitaillement de la ville. En outre, le Donjon est relié au fort Foucault par un pont de bois, mais aussi, sans doute, aux moulins fortifiés établis sur les ilôts au milieu de la Sèvre et dont les noms sont parvenus jusqu’à nous : moulin du Roc, moulin du Milieu. Selon certains auteurs, c’est dès la seconde moitié du XIIIe siècle que l’on doit dater l’aménagement de la grande salle centrale par couvrement de l’espace à ciel ouvert entre les deux tours (cette salle, sans doute d’apparat, fut divisée par la suite) pour faire du Donjon un lieu de résidence plus confortable. Cependant, au dehors, la Guerre de Cent Ans fait rage. Niort, toujours objet de la lutte que se livrent Français et Anglais pour la possession du Poitou, est tour à tour sous domination anglaise et française. Au cœur du losange formant le départ de la clé de voûte a été gravée la date de reconstruction des salles du rez-de-chaussée. La ville retourne définitivement à la couronne de France au XIVe siècle grâce à la ruse de Du Guesclin. Dès la fin du siècle, sous l’impulsion du duc de Berry, frère du roi Charles V, averti de l’état déplorable de la ville, on restaure le château et, jusqu’au XVe siècle, on assiste à une grande phase d’aménagements visant à améliorer le confort dans l’espace résidentiel du Donjon. Des fenêtres sont percées ou agrandies pour offrir plus de lumière, on crée des cheminées et des coussièges dans la grande salle seigneuriale. On divise la grande salle du premier étage en deux plus petites, plus faciles à chauffer, on peint ou on enduit les murs pour cacher la pierre. Le duc de Berry fait également creuser, sur la rive droite, en face de l’enceinte, un nouveau port avec chenal d’accès à la Sèvre, le Port Neuf. Détail de la voûte en losange, modèle de stéréotomie, des salles du rez-de-chaussée, reconstruites au XVIIIe siècle après l’effondrement de la tour Nord. Niort en 1600, vue par Chastillon : au centre d’une enceinte fortifiée se dresse l’imposant et austère Donjon (en réalité, ses deux tours sont carrées et non rondes) ; seule la porte du Pont permet de rejoindre le Port Neuf, déplacé sur la rive droite. Un siècle de travaux De la fin du XIXe siècle aux années 80, le Donjon a fait l’objet de différentes campagnes de restauration, sans compter la destruction, au tout début du XXe siècle, des immeubles qui en cachaient la façade. Les couvertures et charpentes ont été rénovées, les remblais dégagés, les murets de soutainement repris. On résoud le problème de l’évacuation des eaux usées, on remet à neuf les salles intérieures par le nettoyage et la réfection des parements des murs, la mise en place ou la restauration des sols (planchers et dallages). maq VAN n°130 18/10/02 21/10/02 17:49 Page 17 Après les Guerres de Religion, qui ont laissé une fois de plus la ville meurtrie, on aménage sur le Donjon une terrasse pour y stocker de petits canons que l’on peut déplacer selon les besoins (c’est cette entrée qui est utilisée aujourd’hui). L’effet imposant du bâtiment s’en trouve amoindri, d’autant que l’aménagement de ses abords est modifié. Cependant, en même temps que l’importance stratégique de la ville décline, le Donjon, lui, commence à perdre sa vocation militaire. Il faut dire qu’il n’est plus guère performant comparé aux places fortes que l’on construit désormais. Et puis, d’autres tours de la ville ont été aménagées pour accueillir des canons plus volumineux et de meilleure portée. Le Donjon menace de s’effondrer ! Après avoir résisté à bien des attaques et supporté tous les sièges sans coup férir, le Donjon frise de peu la destruction. Alors que, un matin de 1749, la tour Nord s’écroule, ébranlant le reste du bâtiment, le gouverneur du château, lieutenant pour le roi, propose qu’on démolisse l’ensemble. En effet, il lui semble nécessaire de construire un édifice plus moderne et plus confortable pour la garnison et le dépôt de munitions chargés d’assurer la sécurité de la région. Mais ce lieu cher au cœur des Niortais, encore utile au pouvoir, est finalement restauré à l’identique par l’ingénieur Artus, qui se charge de la reprise de la tour en sous-œuvre et qui la conforte dès 1751. C’est de cette époque que datent les trois magnifiques voûtes losangées du rez-de-chaussée (dites aujoud’hui salles basses), modèles d’architecture et de stéréotomie, ainsi qu’en attestent les inscriptions gravées au cœur de Les salles du rez-de-chaussée, dites basses, formées de trois magnifiques voûtes losangées, abritent aujourd’hui une partie du fonds d’archéologie locale. chaque losange formant le départ des clés de voûtes. Des voûtes en arc de cloître sont reconstruites au quatrième niveau, aujourd’hui appelé “salle des échos” en raison du phénomène accoustique qui s’y produit. La tour Nord est, elle, dotée de hautes fenêtres. Lors de travaux entrepris dans les années 80, a été découvert un orifice carré par lequel on pouvait remonter des seaux d’eau du sous-sol (où se trouvait un puits) vers la salle d’habitation. Restauré et agrémenté d’une grille, il a immédiatement été sacralisé par les visiteurs qui, depuis, y jettent de la monnaie. On ne sait plus que faire du Donjon Le Donjon sert essentiellement de prison (lire encadrés). Après la Révolution, il est racheté au District par la Ville qui l’abandonne quelque temps plus tard au profit du Département. L’enceinte du château de Niort, mal entretenue et en mauvais état depuis le XVIIe siècle, la dizaine de tours qui le protégeaient, les logis que la cour abritait, le pont levis ont disparu (quelques tours seront cependant retrouvées au moment de la construction des Halles modernes). Finalement, en 1814, les murs fortifiés de la ville sont vendus aux démolisseurs. Classé au titre des Monuments historiques en 1840, le Donjon est habité par des familles d’employés de la ville ou utilisé pour abriter les archives départementales. En 1870, le Département laisse la propriété du Donjon et des terrains qui l’entourent à la Ville mais continue de l’occuper jusqu’au début du XXe siècle. C’est suite au premier congrès national d’ethnologie organisé en France, qui se tient à Niort en 1896, que le Donjon trouve finalement sa vocation contemporaine : il abritera le premier musée du costume poitevin (lire encadré). Nous tenons à remercier de leur précieuse collaboration Christian Gendron, Conservateur des Musées, et Marie-Pierre Baudry-Parthenay, chercheur au CNRS, spécialiste des fortifications des Plantagenêts en Poitou. Des prisonniers marquent les murs Le Donjon est devenu l’arrière-prison de La Rochelle. On lui envoie des équipages de marins anglais dont les vaisseaux ont a été saisis, les cargaisons vendues aux enchères. Des officiers qui bénéficient de certaines largesses, sont logés dans la salle du premier étage de la tour Sud et arpentent l’escalier. Par ennui, par dépit, ou pour laisser leur histoire à la postérité (c’est réussi !), ils n’ont de cesse de graver dans ces murs qui les retiennent prisonniers leur nom, celui de leur vaisseau, l’année de leur emprisonnement, la nostalgie de leur Angleterre natale. Le visiteur attentif d’aujourd’hui saura-t-il déchiffrer les inscriptions de ces marins prisonniers en 1782 qui regrettent leur navire, le Surprise Cutter ? Vivre à Niort / Novembre 2002 / N°130 17
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