mgi. p. queguiner ? mgi j. - École du Val-de
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&Armées Médecine Revue du Service de santé des armées TOME 36 N°5 Décembre 2008 ISSN 0300-4937 MÉDECINE ET ARMÉES Revue du Service de santé des armées SOMMAIRE Pages T. 36 - n° 5 - Décembre 2008 Direction centrale du Service de santé des armées Médecine et Armées 1, Place Alphonse Laveran, 75230 Paris Cedex 05. DIRECTEUR DE LA PUBLICATION MGI J. MARIONNET 387 • Éditorial. B. LAFONT TRICENTENAIRE DU SERVICE DE SANTE DES ARMEES RÉDACTEUR EN CHEF MG F. FLOCARD – Tél. : 01 40 51 47 01 RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINTS MC É. DARRÉ – MCS J.-D. CAVALLO. SECRÉTARIAT DE RÉDACTION Mme M. SCHERZI Tél. : 01 40 51 47 44 Fax : 01 40 51 51 76 Email : [email protected] TRADUCTION MC M. AUDET-LAPOINTE COMITÉ DE RÉDACTION MCS B. BAUDUCEAU – CDC A. BENMANSOUR – MCS A.-X. BIGARD – PC P. BURNAT – MCS J.-D. CAVALLO – MC É. DARRÉ – MCS S. FAUCOMPRET – MG R. JOSSE – VEGI J.-C. KERVELLA – MCS. J.-M. ROUSSEAU – MCS D. VALLET. COMITÉ SCIENTIFIQUE MGI J.-L. ANDRÉ – MGI D. BÉQUET – MGI P. BINDER – MCS P. BONNET – MGA P. JEANDEL – MGI F. EULRY –MGI G. LAURENT MGI G. MARTET – MG J.-L. MOREL – MG M. MORILLON – MG J.-L. PERRET – PGI C. RENAUDEAU– MGI B. ROUVIER – GB C. TILLOY – MGI J.E. TOUZE – MG M. VERGOS. CONSEILLERS HONORAIRES MGI P H . ALLARD – MGI M. BAZOT – MGI B. BRISOU – MCS A. CHAGNON – MGI L. COURT – MGI J.-P. DALY – MGA J.DE SAINT JULIEN – MGI CL. GIUDICELLI – MGI J. GUELAIN - CDG P H . KAHL – MGI J. KERMAREC – MGI CH. LAVERDANT – MGI P. LEFEBVRE – PGI LECARPENTIER – VEGI R. LUIGI – VBGI CL. MILHAUD – MGI J. MINÉ – MCS CL. MOLINIÉ – MCS J.-L. PAILLER – MGI P. QUEGUINER – MGI J.-M. VEILLARD – MGI J. VIRET – MGI R. WEY. ÉDITION Délégué à l'information et à la communication de la Défense (DICoD) - BP 33, 00450 Armées. Tél. : 01 44 42 30 11 ABONNEMENT (5 NUMÉROS PAR AN) ECPAD/Service abonnements, 2 à 8 route du Fort, 94205 IVRY-SUR-SEINE Cedex. Tél. : 01 49 60 52 44 - Fax : 01 49 60 52 68. Tarif des abonnements/1 an : • Métropole : 36,50 € • DOM-TOM par avion : 59,70 € • Étranger par avion : 70,00 € • Militaires et - 25 ans Métropole : 25,00 € • Militaires et - 25 ans DOM-TOM : 48,00 € Prix du numéro : 7,50 € Les chèques sont à libeller à l’ordre de l’agent comptable de l’ ECPAD. 409 • Le Service de santé des armées au centre du champs de bataille. R. WEY. 421 • Le Service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier militaire en France. D. MOYS AN, M. BERNICOT. 431 • Le corps technique et administratif du Service de santé des armées. Un aboutissement. P.-J. LINON. 435 • L’Édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du Service de santé des armées. J.-É. TOUZE, J.-J. FERRANDIS. 445 • Trois siècles de recherche et de découvertes au sein du Service de santé des armées. D. VIDAL, R. DELOINCE. 455 • La recherche au centre de transfusion sanguine des armées. M. JOUSSEMET. 457 • Chirurgie militaire et blessés des membres. S. RIGAL. 467 • Psychiatrie du combattant : évolution sur trois siècles. P. CLERVOY. 475 • De l’apothicaire au pharmacien des armées. B. BURNAT, J.-F. CHAULET, F. CHAMBONNET, F. CEPPA, C. RENARD. 487 • Le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire. E. DUMAS, M. FREULON, D. DAVID, J.-Y. KERVELLA. 497 • Paramédicaux dans les armées. Trois siècles pour parvenir au statut de Militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008). F. OLIER. 507 • Trois cents ans de médecine navale : du grand siècle à nos jours. B. BRISOU. 517 • Des fièvres aux maladies infectieuses. Trois siècles de lutte contre l’infection. J.-D. CAVALLO. 527 • Trois siècles d’histoire du Service de santé des armées outre-mer. M. MORILLON. 535 • Le visage social du médecin militaire. P. CRISTAU. IMPRIMEUR ET ROUTAGE Pôle graphique de Tulle – BP 290 –19007 Tulle Cedex. Tél. : 05 55 93 61 00 Commission paritaire N° 0306 B 05721 ISSN : 0300-4937 COUVERTURE Ghislaine PLOUGASTEL [email protected] Coordination : MG F. FLOCARD MCS J.-D. CAVALLO 385 Médecin général des armées B. LAFONT, Directeur central du Service de santé des armées. 386 ÉDITORIAL Hier, aujourd'hui, demain... Le Service de santé des armées, qui célèbre en cette année 2008 le tricentenaire de sa fondation, peut, dans le même temps, faire face sans inquiétude à son avenir. Le débat historique sur l’antériorité de la création de telle ou telle formation qui y fut ultérieurement intégrée ne me paraît pas spécialement pertinent. L’édit royal de 1708 constitue bel et bien un acte fondateur par ce qu’il signifie, c'est-à-dire la reconnaissance d’un devoir de l’État plus que l’avènement d’une nouvelle institution. Cette commémoration fournit une occasion de nous retourner sur un passé et une tradition dont nous sommes les dépositaires. Ils ont fait l’essentiel de la culture de notre service. Centrée sur un idéal humaniste, elle est encore aujourd’hui ce qui prévaut dans toutes nos actions, et donc aussi la clé de notre avenir. Trois cents ans, voilà déjà une longue histoire. Elle n’a jamais été interrompue par les changements de régime et les événements de toute nature qui ont jalonné l’histoire de France. Mais ne nous y trompons pas. Cette longévité n'est ni le fait de la chose sacrée ou intouchable, ni une prime accordée à l’immuabilité. Ce qui dure, c’est ce qui change, par volonté de préparer l’avenir, ou, parfois aussi, par simple mais impérieuse nécessité de s’adapter aux contraintes du présent. Que de chemin parcouru par notre service depuis ses origines jusqu'à cette image de modernité portée par l’arrivée de blessés rapatriés par Morphée depuis les théâtres d’opérations. Bien entendu, nous vivons sur une autre planète technologique. Ce constat est d'une évidente banalité. Loin de moi l'idée d'en sous-estimer l'importance. Car à l'évolution des techniques, répond également une évolution des concepts, à moins que ce ne soit parfois l'inverse. Celui, bien classique, de l'obligation de moyens tend à évoluer, par exemple, vers une obligation de résultats en grande partie à cause de la sophistication croissante des outils dont dispose la médecine. À quoi peuvent servir des plateaux techniques de plus en plus modernes si ce n'est, en effet, à améliorer les performances ? Nous devons aujourd'hui, médecine et armées, 2008, 36, 5 387 comme nos anciens, non seulement sauver la vie de nos blessés, mais préserver au mieux l'intégrité de leurs fonctions physiques et psychiques. L'évolution des mentalités et de la culture collective influe dans ce domaine autant que celle des techniques. Si la notion de qualité, celle des soins dispensés par les soignants comme celle de la vie des soignés, est maintenant installée au cœur de l'exercice médical, et donc du nôtre, c'est qu'elle s'était d'abord révélée comme un fait de société. Tout le problème est de savoir où se situe le point d'équilibre entre les moyens et les résultats. La référence aux bonnes pratiques y contribue. Cette démarche, est devenue routinière dans l'exercice de la médecine courante mais elle concerne également de plus en plus la pratique en situation d'exception qu'est la médecine opérationnelle (ainsi d'ailleurs que la médecine humanitaire), au fur et à mesure que s'élève son niveau d'environnement technique. Qui pourrait le regretter ? Mais ce prolongement a des limites. Il faut rappeler que, dans ces circonstances, la maîtrise de l'ensemble des risques ne dépend pas exclusivement de la chaîne médicale. Beaucoup de facteurs relèvent des moyens et de la conduite de la manœuvre opérationnelle. À l'inverse, on peut aussi penser que la responsabilité qui incombe au Service de santé des armées n'est pas toute contenue dans l'habileté, la compétence et l'expertise de ses praticiens, au demeurant parfaitement reconnues. Elles sont le prérequis de tout exercice médical. La détention des moyens et la capacité technique de les utiliser ne résument pas la mission opérationnelle du service. Celle-ci implique également leur organisation en système cohérent et rationnel, la déf inition de leur stratégie d'emploi, et la responsabilité de sa mise en œuvre. C'est en ce sens que l'histoire du Service de santé des armées, commencée il y a trois siècles, est perpétuellement relancée au fur et à mesure des avancées techniques. Au cours de ces 300 ans, le Service de santé des armées en a bien souvent été l'initiateur dans beaucoup de domaines. Mais il a dû aussi souvent convaincre, et parfois s'affronter, afin d'obtenir la capacité de décision nécessaire pour que le résultat attendu soit à la mesure des moyens mis en œuvre. Car les idées les plus généreuses et les plus justes ne s'imposent pas d'elles-mêmes. Elles sont inutiles si elles n'ont pas trouvé la formulation qui leur permet d'être comprises et adoptées, et finalement, appliquées dans un cadre qui les adapte aux contraintes de leur temps. 388 médecine et armées, 2008, 36, 5 Tel est le fil rouge qui nous rattache à une tradition qui, à mon sens, serait sans intérêt si elle ne servait pas à nous faciliter l'accès à une vision de l'avenir. Pas plus qu'à la conséquence mécanique du progrès technique, la leçon de notre histoire ne peut se résumer à la glorification d'un passé, même indiscutablement prestigieux. La pérennité de la guerre dans l'histoire de l'humanité engendre un lien particulier entre les nations et leurs soldats. L’attention que la communauté porte à leur protection, à leur soutien, à la qualité des soins qui leurs sont prodigués, et, le cas échéant à leur retour en son sein, traduit le niveau de reconnaissance qu'elle accorde à leurs sacrifices. Les événements récents d'Afghanistan ont ravivé douloureusement, mais d'une façon éclatante, cette vérité un peu oubliée. Ce par quoi le combattant d'une nation se distingue d'un mercenaire se traduit en particulier dans l'existence effective d'un service de santé dédié aux armées qui ne soit pas un simple accessoire parmi les outils de défense. Il est facile de vérif ier la concordance entre les performances capacitaires et d’organisation des divers services de santé et les valeurs démocratiques cultivées par les nations qui en disposent. S'il y a toujours eu, en effet, des secours aux blessés et une médecine du temps de guerre au cours des âges, l'existence de services de santé organisés au sein des armées est plus que l'expression d'une compassion même si, pour chaque personnel impliqué, celle-ci demeure une référence absolue de motivation à son action propre. En situant celle-ci dans un cadre institutionnel, on applique aux compétences et aux dévouements individuels une valeur ajoutée qui est la marque d’un service d'État. Elle affirme et garantit le respect, en tous lieux et en toutes circonstances, du contrat moral d’assistance qui lie le corps social à chacun de ses membres. C'est ce que représente aujourd'hui parfaitement notre Service de santé des armées, et même plus encore. Car cette présence dans la guerre d'une humanité organisée, à la portée de tous, amis ou adversaires, ne traduit pas seulement une valeur morale, mais elle concrétise une règle de droit dont les forces armées engagées doivent garantir le respect. L'emploi d'équipements plus lourds et de meilleur niveau technique sert aussi à aider les populations si bien que les moyens, que consentent les états afin d'apporter des soins à leurs blessés de guerre, sont, plus que jamais, ce qui unit encore les hommes lorsque tout le reste les oppose. Ces deux versants de notre mission, qui furent associés dès l'origine, le demeurent et le resteront bien au-delà de toutes les transformations de conjoncture. médecine et armées, 2008, 36, 5 389 Dans les pages qui suivent, on découvrira, en effet, que la véritable tradition du service est celle d'une extraordinaire plasticité qui lui a permis d'exprimer partout, pour le perpétuer, l'essentiel de sa mission humaniste d'assistance. Celle-ci n'est la propriété de personne. Individus, écoles, corps successifs qui ont composé le service, peuvent tout au plus se prévaloir de l'avoir accomplie, à leur façon et en leur temps, et toujours fort bien. Mais ils ne peuvent certainement pas prétendre en détenir l'exclusivité, et encore moins en prédire l'extinction. Ni finie, ni immuable, elle n'est pas une relique et la considérer comme telle serait faire bien peu de cas de la vigueur créatrice des nouvelles générations. Il est vrai que tout changement n'est pas, par nature, un progrès, mais c'est à chaque fois une page qui s'ouvre sur un nouveau chapitre dont le contenu leur appartient. Ne pas l'admettre, c'est rétrécir son jugement à une dimension privative. N'oublions pas que ce que nous regardons aujourd'hui avec la déférence due à l'œuvre de ceux qui nous ont précédés procède de leur capacité à avoir été de leur temps. En lisant cette revue, on prend aussi pleinement conscience du rôle qu'a joué le service, non seulement au sein de la défense, mais dans la vie de la nation. Le récent Livre Blanc fait apparaître qu'il sera encore sollicité sur ce terrain. À lui de savoir y répondre. Même si nous ne sommes pas encore en mesure de discerner aujourd'hui avec précision ses futurs contours, il est permis d'envisager un bel avenir pour le Service de santé des armées, indépendamment de toute inclination affective ou de sollicitude démagogique. Pourquoi cela ? Parce que l'existence d'appareils d'État de ce type s'avérera de plus en plus nécessaire dans un monde où le principe de précaution, la maîtrise des risques et la professionnalisation des domaines de compétences ne feront que s'accentuer ; parce qu'il faudra disposer de systèmes de réponses aux crises de plus en plus complexes, mais que ceux-ci devront être aussi de plus en plus réactifs ; parce que les attributions des compétences de tels systèmes concerneront des secteurs de la vie sociale et de la vie économique plus larges encore que cela n'est aujourd'hui le cas. Or, dans ces domaines, notre Service de santé des armées est bien placé. Lieu unique de compétences spécifiques, que la diversité des corps de praticiens, de techniciens et de paramédicaux qui le 390 médecine et armées, 2008, 36, 5 constituent, étend bien au-delà du champ strictement médical, il est déjà très ouvert sur de nombreux partenariats universitaires, scientifiques, professionnels. Il sait produire industriellement des dispositifs et des médicaments stratégiques. Il possède une culture et une pratique avancées en conduite de projet et en économie de la santé. Il se trouve aux avant-postes des évolutions profondes des institutions qui sont en cours dans notre société. Il n'est pas jusqu'aux modèles pressentis par la santé publique pour l'organisation future de l'offre de soins ou de l'hôpital public qui ne pourraient présenter quelques analogies avec les nôtres. On apprendra dans l'article sur les hôpitaux des armées qu'il y a, en la matière, des précédents. Peut-on penser qu'ils sont encore d'actualité ? Oui, parce que les analyses des mêmes contraintes amènent aux mêmes conclusions. Les solutions qui en découlent, quand la recherche de l'efficacité et de la fonctionnalité prévalent, ont un air de famille. L'un de leurs traits communs est l'appel à une responsabilité professionnelle qui sache s'exercer au-delà de ses aspects purement techniques en prenant en compte les contraintes d'environnement. Cette problématique concerne de plus en plus la santé et il serait inexact de penser que l'identité du service s'estompe dans cette convergence car l'expérience qu'il a acquise fait au contraire de lui un exemple examiné avec intérêt. Alors sommes-nous si loin du propos initial : l'édit royal de 1708 ? Je ne le crois pas. Le service s'est construit comme une organisation de compétences, de dévouements, et parfois d'héroïsmes, tous individuels. L'une ne va pas sans les autres. Tel est notre paradoxe. Il est bien sûr diff icile de s'identif ier à un édit, fut-il royal, ou à sa prolif ique descendance faite de décrets, d'instructions et de directives... Ceux que leur métier, le (parfois trop) fameux « cœur de métier », place in fine dans une relation forte d'engagement personnel, dont l'essentiel, pour nous tous, comme pour ceux qui nous sont confiés, est la relation médecin-malade, comment leur faire grief de leur posture de première intention, souvent fondamentalement individualiste ? Cette dualité entre l'individu et l'institution est l'une de nos particularités sans être toutefois une exclusivité du Service de santé. Il faut se réjouir d'avoir compté, et de compter encore dans nos rangs des personnalités d'exception, des caractères trempés, des découvreurs à l'étroit dans les règles qu'on leur donne. On en trouvera maints exemples dans les pages qui suivent. Mais c'est aussi notre fragilité médecine et armées, 2008, 36, 5 391 lorsque certains d'entre eux se prennent à penser que leur action se suffit à elle-même et que c'est elle qui entraîne l'ensemble de la communauté. Le service n'est rien sans eux mais, sans lui aucun d'entre eux n'aurait occupé, ou n'occuperait, la place qui est la sienne. Il est très probable que si l'on interrogeait chacun de ses membres sur ce qui, de son point de vue, identifie le plus profondément le service, l'édit de 1708 serait rarement mentionné, mais bien plutôt la figure tutélaire d'Ambroise Paré, l'ancêtre absolu de tout médecin des armées. Eh bien, revenons donc un instant sur la célèbre formule qu'il nous a transmise : « Je le pansai et Dieu le guérit ». Notre prestigieux devancier ne relègue certes pas son rôle au second plan (« Je le pansai... »), mais il le relativise (« ...et Dieu le guérit... »). L'acte de soigner n'est pas une action humaine comme les autres. Il trouve sa dignité dans ce qui le dépasse. Et si ce mot fameux est parvenu jusqu'à nous, c'est que son inaltérable honnêteté défie le temps. Il revient à chacun d'entre nous de décider si la f igure divine invoquée par Ambroise Paré est ce qui lui convient au sein de son propre système de valeur. Toutes les réponses sont valables si elles expriment, non pas tant la modestie, qu'une humilité que je qualifierais de lucide. Celle qui n'est pas un effacement, mais au contraire une attitude où la prise en compte réaliste des forces de la nature, des évolutions du monde, de l'imprévisibilité des choses humaines, de toutes les incertitudes sur l'avenir, ne paralyse pas mais rehausse la responsabilité à faire face et à agir, celle où la vérité n'est pas révélée mais démontrée et dégagée au jour le jour par la raison, l'analyse et le travail. La voie vers l'avenir est largement ouverte. Elle passe par l'imagination créatrice et l'innovation. C'est ainsi, j'en suis convaincu, que nous l'inscrirons dignement dans l'esprit de ceux que nous ont légué les grandes figures du Service de santé des armées dont les destins ont parcouru ses trois cents années d'existence. B. LAFONT Médecin général des armées Directeur central du Service de santé des armées 392 médecine et armées, 2008, 36, 5 médecine et armées, 2008, 36, 5 393 394 médecine et armées, 2008, 36, 5 médecine et armées, 2008, 36, 5 395 396 médecine et armées, 2008, 36, 5 médecine et armées, 2008, 36, 5 397 398 médecine et armées, 2008, 36, 5 médecine et armées, 2008, 36, 5 399 400 médecine et armées, 2008, 36, 5 médecine et armées, 2008, 36, 5 401 402 médecine et armées, 2008, 36, 5 médecine et armées, 2008, 36, 5 403 404 médecine et armées, 2008, 36, 5 médecine et armées, 2008, 36, 5 405 406 médecine et armées, 2008, 36, 5 médecine et armées, 2008, 36, 5 407 L’Édit du roy. Fac-similé F. FLOCARD. 408 médecine et armées, 2008, 36, 5 Tricentenaire du Service de santé des armées LE SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES AU CENTRE DU CHAMP DE BATAILLE R. WEY I. INTRODUCTION. L'Édit signé par Louis XIV le 17 janvier 1708 est l'acte de naissance reconnu du Service de santé, même si, depuis 1689, une ordonnance royale régissait l'organisation et le fonctionnement des hôpitaux des armées navales et dans les ports. 1708 – 2008 : trois siècles d'une histoire en dents de scie depuis que furent créées les charges de médecins et de chirurgiens dans les armées françaises. Trois siècles qui virent la lente maturation d’une organisation rationnelle des secours aux blessés et malades, avec des périodes fastes ou sombres, avant de parvenir, aujourd'hui, à l'évidence de la nécessité de disposer d'une chaîne de prise en charge thérapeutique cohérente, continue et adaptée aux besoins des forces armées. La médecine militaire trouve ses racines, il y a cinq millénaires, dans les affrontements qui opposèrent les civilisations alors dominantes. Dès l'Antiquité apparaissent quelques préoccupations sanitaires, généralement au bénéf ice sinon exclusif, au moins prioritaire, des grands personnages. Il faut attendre le règne de l’empereur romain Trajan et la création de garnisons permanentes jalonnant le Limes pour qu'apparaisse une véritable organisation sanitaire, confiée le plus souvent à des médecins d'origine grecque au statut subalterne, dont le but évident était la préservation des effectifs aguerris. S'organise alors dans chaque légion, un soutien médical pourvu de matériels mobiles permettant d'apporter les premiers soins sur le champ de bataille, adossé à de véritables hôpitaux d'évacuation installés dans les camps les plus importants. Notre Moyen-Âge oubliera toute forme d'organisation sanitaire avant que n'émergent les ordres hospitaliers militaires qui fondent, au prof it du combattant, leur démarche sur des valeurs de charité et de dévouement complétées par des règles rigoureuses R. WEY, médecin général inspecteur (2s), Spécialiste des techniques d'organisation et de logistique de la santé. Correspondance : R. WEY, 5, rue Eugène Renault, 94700 Maisons Alfort. médecine et armées, 2008, 36, 5 de fonctionnement. Avec eux s'ouvre une ère nouvelle, scientifique, qui sera amplifiée par la Renaissance. L'apparition des armes à feu et la nature nouvelle des blessures qu’elles provoquent, vont profiter à la chirurgie de guerre, empiriquement encore, mais déjà par l'apport des connaissances anatomiques. Ambroise Paré, chirurgien attaché au Prince mais dévoué au soldat, « le gain étant éloigné seul demeure l'honneur et l'amitié de tant de soldats », sera la figure emblématique de cette évolution et de l'affirmation de la place que prennent les chirurgiens et, dans une moindre mesure, les médecins au sein des armées. Par la suite, les rois vont démontrer leur volonté que soient assurés aux blessés des secours médicaux. Des offices de médecins et d’apothicaires sont progressivement ouverts dans les forces permanentes. L’organisation reste toutefois élémentaire, les blessés étant répartis dans les hospices rencontrés sur la route des armées. De même, le sort des survivants, trop souvent invalides, est pris en considération, même si cette démarche n'est pas toujours exempte d’arrière-pensées visant à éviter la dérive de ces anciens soldats vers le vagabondage et le brigandage. Dans ce mouvement, la f in du XVI e siècle verra en germe une première structuration du soutien médical dans les armées. Lorsque Vauban fortifie les frontières de la France, des établissements de soins sont prévus, pas toujours réalisés. De même, il est envisagé que toute armée dispose d’un hôpital mobile et qu’un navirehôpital soit gréé pour dix bâtiments. Le service sanitaire des ports est réglementé. L’Édit de 1708 est donc un aboutissement, capitalisation logique de toutes les initiatives réalisées depuis de nombreuses années. Il est surtout un commencement, car il représente la première officialisation d’une organisation étatique visant à assurer la cohérence du système de prise en charge des blessés et des malades militaires. Depuis, le Service de santé des armées n'a jamais cessé, au cours des trois siècles qui nous séparent de cet acte fondateur, de proposer, malgré les difficultés ou les aléas conjoncturels, les solutions d'ordre conceptuel ou matériel qui permettent de porter sur le champ de bataille toutes les possibilités offertes par la médecine. 409 II. LE XVIIIE SIÈCLE ET L’APPARITION DES FORMATIONS SANITAIRES MOBILES. L'analyse des systèmes de soins aux victimes des combats qui se succèdent au cours de notre histoire, montre qu'ils ont oscillé, au fil du temps, autour de la prééminence donnée à l'un ou l'autre des termes d'une alternative sans cesse reposée : traiter au plus tôt ou évacuer au plus vite. L’assise sédentaire étant assurée à partir de 1708 par 50 hôpitaux militaires, portés rapidement à 90 mais malheureusement sous-traités à des entrepreneurs dont la gestion est souvent hasardeuse, l'accompagnement direct des troupes en campagne commence à être envisagé. Des charges de chirurgiens-majors vont être ouvertes au sein des régiments. Rapidement, les règlements successifs vont imposer dans chacune de ces unités la disponibilité d'un chariot pour le transport des blessés. Par la suite, l’échelon du bataillon sera à son tour renforcé, y compris en ayant recours à des moyens de fortune, requis par l'autorité militaire auprès des communes. Fontenoy (1745), avec ses 5 500 victimes, dont 3 250 blessés, est généralement considérée comme la première bataille à l’issue de laquelle va vraiment s'imposer la nécessité d’organiser un Service de santé des armées en campagne. On prête au Maréchal de Saxe cette adresse à Louis XV : « Voilà ce que coûte une victoire ». Est alors ordonnée la création, dans chaque armée, des « hôpitaux à la suite », selon la terminologie de l'époque, formations mobiles en mesure d’assurer l’accueil et les traitements d’urgence à proximité des lieux où se déroulent les combats. Le ravitaillement de ces hôpitaux ambulants, ainsi que celui des ambulances régimentaires, est organisé : des caissons sont affectés au transport des instruments, des médicaments, des draps et des couvertures, des brancards, mais aussi d'une tonne à vin et de pain frais. Pour autant, à son entrée en campagne en juin 1757, l'armée de Soubise ne dispose pas d’une telle structure. Il faut un ordre péremptoire du secrétaire d'État à la Guerre pour qu'elle soit mise rapidement sur pied à Strasbourg et puisse être en mesure de soutenir la bataille de Rossbach. Pendant tout l'hiver de 1757, cet hôpital, sédentarisé, permettra d'assurer le service sanitaire quotidien de l'armée au repos. Pour tant, dès cette époque, Hugues Ravaton, chirurgien-major de l'hôpital de Landau, praticien des plus habiles et expérimentés, rêvait déjà de la constitution de brigades sanitaires indépendantes, adaptées à chaque armée ! L'apparition à la suite des troupes en campagne de ce type de formation mobile va ouvrir le débat, qui reprendra régulièrement, de savoir s’il convient d’opérer aux échelons les plus avancés ou d’attendre que le blessé ait été acheminé vers une structure où il trouvera des conditions meilleures de traitement. La tendance qui prédomine est de considérer que l’ambulance est un simple lieu d’attente, première étape vers un hôpital de charité proche ou vers un hôpital militaire de l’intérieur où les blessés seront conduits par voie terrestre ou fluviale. Évacuation à Fontenoy. 410 r. wey Despotats. Cette discussion prendra un tour particulièrement théorique à partir de 1781, lorsque Louis XVI, confronté à des difficultés économiques majeures et contraint de réviser la politique financière du Royaume, prendra la décision de réduire à huit le nombre des hôpitaux militaires sédentaires et de limiter le nombre des charges de praticiens à la suite des armées ! En 1792, lorsque la Révolution viendra tout bouleverser, il restera surtout des bonnes intentions s’agissant du soutien sanitaire aux armées, même si la volonté de remettre en place une organisation rationnelle de soins est bien réelle. Le souci le plus évident est de réduire les délais de prise en charge des blessés, quelle que soit la solution adoptée, rapprocher l’ambulance des combats ou limiter les durées des transports vers les structures sédentaires les plus proches. Dans la réalité quotidienne, tout ceci restera le plus souvent très théorique et les secours aux blessés des campagnes qui vont se succéder, y compris jusqu’à la fin du premier Empire, seront généralement improvisés en fonction des circonstances ! le service de santé des armées au centre du champ de bataille III. LE XIX E SIÈCLE ET LA QUÊTE DE L’AUTONOMIE. Pourtant, les propositions d’améliorations venues des rangs des chirurgiens et des médecins militaires ne manqueront pas, cette période étant tout particulièrement riche en projets ou en initiatives. Pour l'essentiel, elles viendront buter sur la toute-puissante incompétence des commissaires des guerres, dont l’imprévoyance le disputait parfois à la malhonnêteté. De grandes figures médicales comme Percy, Larrey, Desgenettes et autres Costes, feront entendre leur voix pour améliorer le sort des blessés et des malades. Elles seront trop rarement entendues, malgré la confiance et parfois l'amitié que leur manifestait l'Empereur. C’est Percy qui propose la création d’un corps de brancardiers d’ambulance, les fameux « despotats », afin d'améliorer la relève des blessés. C'est lui encore qui accroît la mobilité des équipes chirurgicales à la suite des unités en transformant un caisson d’artillerie en ambulance chirurgicale mobile, très vite baptisée par les Grognards « saucisse ou wurst de Percy ». Étaient rassemblés sur cet 411 Ambulance volante. attelage tout le personnel et le matériel indispensables pour assurer les premiers gestes chirurgicaux salvateurs sur les lieux même des combats. Larrey, quant à lui, revendiquera la paternité des « ambulances volantes » qui f irent leur apparition dès 1797 dans l’armée d’Italie et dans l’armée du Rhin. Dans son concept, ces ambulances constituent des unités opérationnelles dans des divisions composées de voitures légères à 2 ou 4 roues et de voitures pesantes. Une ambulance volante doit être mise en œuvre par armée et leur regroupement avec celles de divisions voisines permettre la constitution, très rapide, d'un ou plusieurs hôpitaux de premier secours. Des moyens allégés supplémentaires doivent en outre être disposés là où des combats particuliers risquent de se dérouler. Enfin, une ambulance volante est attachée à l’avant-garde. Mais elle pourra être détachée « sur tous les points où l’action sera la plus vive afin de donner les secours d’urgence ». Trois lignes de soutien sanitaire sont organisées dans la profondeur à l'arrière des combats, le corps d’ambulance principal le Larrey soignant Rebsomen. 412 r. wey Ambulanciers. plus distal devant disposer de suffisamment de brancards et de voitures pour être en mesure d'évacuer les blessés vers les hôpitaux temporaires les plus proches. Cependant, le danger d’évacuer en première intention certains blessés graves commence à être parfaitement perçu par les praticiens du corps de santé et, en corollaire, leur apparaît pour la première fois comme une évidence, la nécessité d'effectuer un choix dans les priorités de traitement. Généralement ce seront des amputations précoces qui seront privilégiées en raison de la gravité des blessures, du risque rapide de gangrène et de l'excellence des résultats qu'elles permettent pour la survie de nombreux blessés. Dans ce domaine, la dextérité de l’opérateur est déterminante et fera la réputation de certains opérateurs. Les propositions du corps médical ne manquent donc pas au sein de la Grande Armée. Pour l'essentiel, elles ne trouveront de concrétisation qu'au profit de la Garde Impériale. Ailleurs, elles seront souvent négligées. Ainsi, à Friedland, les caissons sanitaires sont arrêtés à douze kilomètres des combats, sans autre moyen pour les rejoindre que le brancardage ou le portage. Lors de la préparation de l'invasion de la Russie, les réserves de matériels sanitaires rassemblées sur les bases de départ étaient largement suffisantes pour la campagne envisagée, mais il n’y avait aucun véhicule pour les transporter. Certains projets novateurs déplairont et des initiatives irriteront, tant il est vrai que geste guerrier et geste médical sont aux antipodes l'un de l'autre. Le Maréchal Soult vouera ainsi à Larrey une inimitié définitive dont il le service de santé des armées au centre du champ de bataille Gama. 413 L.J. Bégin. poursuivra, au-delà de sa mort, le chirurgien le plus honoré par l'Empereur. Ambivalence des hommes et des situations ! Napoléon apporte une attention particulière à la qualité et au choix des zones de cantonnement. Il sait l'apport considérable du médecin aux armées en matière d'hygiène des troupes en campagne et à la prévention des épidémies. L'expérience de Desgenettes est là pour le lui rappeler. Général attentif à toutes les informations concernant ses soldats, il ne peut ignorer le prix que ceux-ci payent aux épidémies et aux infections, très supérieur à celui des combats eux-mêmes. Pourtant, cela ne l'empêchera pas d'estimer que « le médecin-major dans un corps d'armée est un être absurde et inutile » et de décréter qu'il n'y a plus sa place. Ainsi, pour certains, le premier Empire aura marqué, globalement, une forme de recul dans le soutien sanitaire des armées en campagne. Les propositions de Percy et Larrey avaient un siècle d'avance ! La Restauration ne va pas améliorer la situation, et les conditions du soutien sanitaire des conflits du XIXe siècle vont démontrer que les rares occasions où les soins d'urgence et les évacuations sont réalisés dans de bonnes conditions, relèvent des seules initiatives des médecins. Triage de blessés. 414 r. wey Embarquement des blessés dans le train sanitaire. De fait, il faudra attendre la succession des désastres sanitaires (en contraste saisissant, à la même époque, avec l'envolée des progrès techniques majeurs auxquels la médecine et la chirurgie militaires apportent une contribution exemplaire) que seront les campagnes de Crimée , d'Italie puis de France en 1871, pour que les réformes profondes de 1882 puis de 1889, tirant les enseignements de ces évènements, accordent l'autonomie technique puis administrative au Service de santé, l'exonérant enfin de la tutelle de l'Intendance et libérant son propre potentiel d'innovation et de réalisation. IV. LE XXE SIÈCLE ET LA RECONNAISSANCE DES BESOINS DU SOUTIEN SANITAIRE. Bégin, Gama, Keraudren, entre autres, seront autant d’artisans farouches de cette autonomie qui permettra au Service de santé d'aborder la Grande guerre avec les capacités techniques de qualité dont il a pu se doter grâce à cette toute jeune liberté décisionnelle. Seule ombre au tableau, mais majeure, l'inadaptation totale aux conditions de la guerre qui s'engage, du règlement d'emploi du soutien sanitaire de 1910. Delorme, homme intègre et rigoureux, qui en fut largement l'inspirateur, a reconnu avec une très grande honnêteté son inadéquation dès la fin de 1914. Ce règlement privilégiait l'évacuation systématique avant traitement des blessés transportables, les autres étant considérés comme « inévacuables », soit parce que trop gravement atteints pour supporter un transport, ils mourront alors au poste de secours central, soit parce que leur état était estimé pouvoir relever de moyens thérapeutiques limités, disponibles sur place. Pour les « transportables », le traitement s'effectuera loin du front : on emballe, on étiquette et on expédie au loin, sans le service de santé des armées au centre du champ de bataille surveillance. C'est ainsi que l'on aboutit à ce qui fut qualifié de « Charleroi sanitaire ». Heureusement, la leçon porte aussitôt : il faut traiter les blessés, et d'abord les plus graves, le plus précocement possible. Un tri est donc indispensable conduisant à conserver les blessés les plus atteints dans les hôpitaux les plus avancés et permettant d'évacuer plus loin les blessés dont on jugeait que l'état permettait l'attente de la durée du transport. On conserve au maximum les blessés en zone d'armée. Seuls ceux qui ne peuvent récupérer rapidement, et ils sont légion, sont envoyés dans les hôpitaux de l'intérieur, hôpitaux militaires d'infrastructure ou hôpitaux complémentaires créés pour la guerre. Le triage médico-chirurgical venait de naître et d’emblée il s’impose. Il sera adopté par toutes les armées, avec des modulations dans ses modalités, mais toujours conçu comme un acte de diagnostic médical majeur et diff icile, aboutissant à une catégorisation des blessés en fonction du degré d’urgence du traitement chirurgical qui détermine la priorité du traitement et celle de l'évacuation. Il offre également un moment privilégié pour compléter la mise en condition de survie réalisée au premier échelon et effectuer les gestes chirurgicaux salvateurs, rapides et déterminants. Il va permettre d’adapter aux circonstances et aux choix tactiques, les moyens de soutien médical à déployer dans la zone des combats en les échelonnant dans la profondeur avec rigueur, qu’ils soient destinés au traitement ou aux évacuations sanitaires. Outre l'optimisation du dispositif de soutien, il apporte enfin l'assurance aux blessés d’être pris en charge dans les meilleures conditions. Ce concept de triage deviendra une caractéristique majeure du soutien sanitaire des forces en opérations et ce n'est pas l'effet du hasard si cet esprit se retrouve, aujourd'hui, dans la pratique civile des services d'aide 415 Wagon pour le transport des blessés graves. médicale d'urgence, dès lors que la concentration de victimes, dans le temps et dans l'espace, l'impose. Mais, l'état-major va devoir aller plus loin dans l'association des médecins à la conception des engagements en acceptant, avancée majeure, la création en son sein d'une direction du Service de santé et la présence de médecins dans les bureaux chargés d'organiser les opérations et d’en assurer la conduite. Les impératifs sanitaires seront désormais pris en considération dès la planification, permettant ainsi l’anticipation des besoins. Désormais, les conditions sont réunies pour que la médecine militaire puisse se faire entendre au plus haut de la hiérarchie et pousser les décideurs à faire évoluer, chaque fois que nécessaire, les doctrines d’emploi du Service de santé en campagne et à financer l'adaptation aux progrès techniques des matériels mis à la disposition des praticiens sur le champ de bataille. Le Service de santé sort profondément rénové de la Première guerre mondiale. Devenu un conseiller écouté du commandement à tous les niveaux de décision, il est doté des structures et des matériels, à l'exemple des célèbres « autochirs » comme des voitures radiologiques, qui lui permettent de remplir au mieux ses missions. Ses qualités sont d’ailleurs unanimement reconnues par l'ensemble des Nations qui ont participé au conflit. Son organisation fait école et ses matériels de campagne sont adoptés à l’étranger. Le mérite de ce succès revient à ses personnels qui, partout où ils agissaient, ont démontré 416 leur réactivité et leurs capacités à innover et à proposer des solutions adaptées aux exigences du moment avec, comme seule ambition, celle de la qualité des secours apportés aux blessés. Comment cette capacité d’imagination ne se serait-elle pas emparée de l'espace nouveau qui s’est imposé au cours de la guerre : la troisième dimension et les aéronefs qui en ont pris possession ? Les premiers avions adaptés aux évacuations par voie aérienne apparaissent. Il s’agit encore d’expérimentations limitées, mais l’avenir de ce mode d’évacuation promet. La conf irmation de son intérêt potentiel, grâce à l'expérience acquise au Maroc et au Levant, et surtout sous l'impulsion déterminée de Robert Picqué en métropole, constituera probablement l'évolution majeure de la courte période qui sépare les deux conflits mondiaux. Pourtant, l’entre deux guerres n'est pas le temps privilégié de l'innovation conceptuelle. En effet, la formidable évolution enregistrée entre 1914 et 1918, comme l'exceptionnelle expérience qui en est résultée, ont enfermé le Service de santé dans la confiance en une organisation qui a trouvé sa qualif ication dans des conditions particulièrement diff iciles et dans la reconnaissance internationale. En réalité, comme l'armée elle-même, trop confiante dans la puissance des murailles érigées face à la menace, le dispositif sanitaire militaire s'est f igé. L'échelon divisionnaire a perdu toute formation de traitement. Le r. wey Évacuation par hélitreuillage. triage lui-même est reporté dans les ambulances et les hôpitaux d'évacuation primaire du corps d'armée, pourtant dotés de capacités techniques significatives, ont une mobilité nulle. Aussi, en quelques jours, compte tenu de la rapidité des opérations lors de la campagne de France de 1940, les hôpitaux d'évacuation secondaire se retrouveront en première ligne. Ils disparaîtront à leur tour dans la débâcle. Il ne reste plus alors qu'à accompagner la retraite avec les moyens mobiles résiduels, en laissant les blessés, quand cela s'avère possible, dans les hôpitaux de l'infrastructure rencontrés. Lorsque les forces françaises vont reprendre le combat, leur Service de santé va être structuré et équipé par les États-Unis. À partir de 1943, les moyens mis en œuvre et leur fonctionnement seront ceux de l'impressionnante logistique de l'armée américaine. Apparaissent alors les bataillons médicaux divisionnaires, puissantes unités de soutien sanitaire en mesure tout à la fois de renforcer les postes de secours des bataillons de combat, d'assurer une part du ramassage des blessés et, avec des structures dédiées, d'assurer le triage médico-chirurgical, les traitements de survie et la mise en condition d'évacuation vers les formations déployées en zone d'armée. Dans cette conception, les « sections de triage » sont devenues des structures autonomes. Elles représentent le point de passage obligé de tous les blessés où sont Évacuation aérienne. le service de santé des armées au centre du champ de bataille 417 déterminées les priorités de traitement et donc d'évacuation, soit vers les hôpitaux de campagne, formations « légères », pour les blessés les plus urgents, soit vers un hôpital d'évacuation motorisé ou semi-motorisé. Déjà, préf iguration de la période moderne, dans l'organisation apportée par les Américains les capacités des bataillons médicaux des divisions d'infanterie sont différentes de celles des bataillons de division blindée, adaptées à la structure ternaire et à la manœuvre de ces grandes unités blindées. Pour autant, le goût français de l'adaptabilité allait générer quelques aménagements à l'ordonnancement réglementaire américain, malgré la sévérité des rappels à l'ordre ! Des circonstances particulières du combat justif iaient aux yeux des médecins français les décisions de pousser à l'avant, jusqu'au poste de secours régimentaire, une « antenne » chirurgicale, prélevée sur les sections de triage, en mesure d'y assurer, au plus tôt, la prise en charge des blessés les plus urgents. Pour la France, la fin de la Seconde Guerre mondiale ne signifie pas la paix retrouvée. Elle va devoir faire face à un nouveau type d'engagement militaire, sans front établi, où alternent les harcèlements imprévisibles de la guérilla et les combats organisés. Pour soutenir les forces, les schémas traditionnels sont inopérants. L'Indochine présentera le premier défi à relever dans ces conditions particulières. Conflit lointain, conflit trop ignoré de la métropole, conflit sévère pour les hommes, mais conflit qui gravera à tout jamais dans la mémoire et la reconnaissance des combattants, le courage, l'abnégation, la compétence, malgré leur jeunesse, des hommes et des femmes du Service de santé qui partagent avec eux, jour après jour, les risques d'un combat éprouvant. Le soutien va reposer sur les médecins affectés dans chaque bataillon où ils assurent au plus près, la prise en charge primaire des blessés, parfois dans un long isolement, avant que ceux-ci ne puissent être évacués, difficilement, à bras d'hommes, vers les hôpitaux d'infrastructure. Il fallait trouver des solutions pour améliorer cette situation trop précaire : la voie aérienne va d'emblée s'imposer pour réduire, au moins en partie, les difficultés d'évacuation dans le milieu fermé que représente la géographie indochinoise. Elle sera significativement renforcée par l'emploi de l'hélicoptère qui, lui, peut accéder au plus près des postes de secours. Pour autant, à elle seule, elle ne permet pas de toujours garantir aux blessés la continuité des soins. Il fallait aller plus loin et la proposition innovante sera de transformer les formations chirurgicales traditionnelles en les allégeant au maximum afin de pouvoir les engager le plus à l'avant possible par aérotransport ou parachutage. Ainsi naissent les antennes chirurgicales mobiles. Ces antennes vont prouver leur exemplaire efficacité. Formations conçues pour ne conserver les blessés que quelques heures, le temps d'assurer la stabilisation des fonctions vitales, de traiter les plus urgents et de conditionner les autres en vue de leur 418 évacuation, elles devront également « durer » lorsque les circonstances vont l'exiger. Avec un type d'échelonnement similaire (service médical au sein des unités, évacuations vers les hôpitaux d'infrastructure ou les antennes chirurgicales, par voie routière et par voie aérienne lorsque celle-ci est accordée) le soutien des forces en Algérie n'apportera pas de nouveauté marquante dans l'organisation du soutien sanitaire en opérations. Il devra assurer une mission complémentaire en apportant sa contribution essentielle à l'œuvre de pacif ication qui est engagée vers les populations. Cette assistance médicale aux populations, qui est depuis longtemps une tradition ancrée dans l'éthique du Service de santé militaire, se poursuivra d'ailleurs après la fin du conflit. Les médecins des armées seront, pendant de nombreuses années, les derniers militaires français présents sur le sol algérien. L'Europe, pendant ce temps, est entrée dans l'ère de la Guerre froide. Les forces se sont adaptées aux conditions prévisibles du combat principal qui pourrait embraser le continent. Le fait nucléaire apporte ses contraintes majeures spécifiques. À plusieurs reprises, à partir des années 1960, sans attendre d'être confronté aux réalités des combats, le Service de santé va repenser et adapter ses règles d'engagement en opérations pour être en mesure d'apporter, à tous les échelons, le meilleur soutien médical concevable au moment considéré. Le soutien sanitaire du corps de bataille, véritable corps expéditionnaire devant s’engager massivement en Centre Europe, tous moyens réunis, dans un combat d’extrême intensité mais de durée limitée avant le recours au feu nucléaire, s’articule autour de quatre étapes échelonnées dans la profondeur. Il bénéficie, dans sa conception, de l'expérience des deux guerres mondiales et de celle de Corée. Le ramassage est assuré par la section sanitaire des régiments ; le triage, pierre angulaire de la chaîne des évacuations, est de la responsabilité de l’échelon divisionnaire ; les évacuations sanitaires des blessés triés, en fonction de leur degré d’urgence, sont assurées, soit vers les formations de traitement organiques au corps d’armée, soit directement vers les hôpitaux de l’infrastructure nationale. Ces évacuations s’effectuent par voie de surface (routière et ferroviaire) mais également par voie aérienne, car cette dernière étape, celle du traitement, englobe une vaste zone commençant à la limite avant de la zone arrière de corps d’armée et incluant l'ensemble du territoire national. Cette organisation hiérarchisée est strictement adaptée à un combat frontal. Sa planification précise est imposée par la nécessaire interopérabilité avec nos alliés, même si, dans certains domaines, la doctrine française se démarque de celle adoptée par les autres forces de l’OTAN. Par contre, elle laisse des zones d'ombre dont la principale est ce que Jean Miné décrira comme le « vide médical à l’avant ». Effectivement, lors du ramassage, le blessé ne peut recevoir que des soins élémentaires sans pouvoir bénéficier de toutes les avancées de la médecine d’urgence qui sont pourtant courantes dans la pratique civile. r. wey Ce vide est confirmé par l’absence de tout convoyage sanitaire lors des transports. Enfin, l’étape du traitement dans les hôpitaux mobiles de campagne déployés à l'avant, n’offre pas toute la technicité à la fois indispensable et disponible dans l'infrastructure. Les règlements d'emploi et l'organisation du soutien (dans ce qui devient en 1977 la chaîne « santé » des brigades logistiques de corps d'armée), les formations sanitaires comme les dotations planif iées seront repensées de manière itérative afin de les adapter à la mobilité accrue des forces, à l'augmentation de la puissance de feu et du caractère vulnérant des armements, à la continuité des combats de jour comme de nuit. Plus de blessés sont attendus, plus graves et plus complexes. Il devient évident, malgré les réticences de certains, que les névroses de guerre viendront accroître les pertes et que leur traitement devra être assuré spécifiquement. Tous les besoins qui découlent de ces contraintes nouvelles sont, soit satisfaits, soit en cours de comblement lorsque 1989 vient consacrer la fin de la menace militaire soviétique et modifier profondément les données stratégiques. Les crises régionales vont alors se multiplier et les opérations de maintien de la paix ou d'interposition dans un cadre multinational (ONU ou OTAN) se généraliser. Le Service de santé avait déjà compris, lors des engagements de nos forces en Afrique ou au ProcheOrient ou lors de sa participation aux secours médicalisés en France, toute l'importance de la médicalisation la plus précoce possible dans la prise en charge d'un blessé ainsi que celle de la pérennité des soins au cours de toutes les évacuations. La technique médicale permet maintenant d’associer les deux termes de l'alternative historique : il faut traiter et évacuer le plus tôt possible. La prise de conscience aux différents niveaux du commandement que, pour être totalement performante, la chaîne de soutien santé doit être conçue d'emblée comme interarmées, que son homogénéité doit être assurée et qu'il faut matérialiser sur le terrain l’unicité de la prise en charge médicale, va permettre d'adopter en 1995 un nouveau concept qui s'appuie sur deux constats sociologiques et éthiques devenus primordiaux : – le combattant engagé en opération extérieure doit pouvoir bénéficier des secours d'une médecine ayant une qualité égale à celle qui est réalisée au quotidien dans Ophtalmologie, hôpital de Kaboul, Afghanistan 2006 (copyright ECPAD). le service de santé des armées au centre du champ de bataille 419 les secours publics et la vie professionnelle. L'obligation de moyens est une réalité qui s'impose à tous ; – il ne suffit plus de sauver les vies, mais il faut désormais également préserver ou être capable, en bout de chaîne, de restaurer au maximum les fonctions garantissant aux blessés la meilleure réinsertion possible dans la société. Pour parvenir à un tel résultat, il est, dès lors, indispensable d’amener sur des théâtres même éloignés de la métropole, au plus près des combats, des compétences techniques adaptées aux différentes situations : les médecins, les chirurgiens, les anesthésistes-réanimateurs nécessaires ou les spécialistes identifiés (ophtalmologistes, ORL, neurochirurgiens…). Il faut également évacuer les blessés et les malades, systématiquement et aussitôt que le permet le traitement d'urgence ou la mise en condition de survie, sur un hôpital de l'infrastructure où les conditions de soins seront toujours plus performantes que celles déployées sur le terrain, même au sein d'hôpitaux médico-chirurgicaux de nouvelle génération. Sont donc indispensables des vecteurs rapides comme l’avion, ou des vecteurs permettant la continuité des soins dans la durée comme un navire disposant d'équipements techniques performants à l’exemple du récent « module de réanimation pour patients à haute élongation d’évacuation » pour évacuation sanitaire aérienne ou des capacités 420 hospitalières à la mer offertes par les « bâtiments de commandement et de soutien ». V. CONCLUSION. Aujourd'hui, nos soldats en opération disposent de l'assurance d'être protégés par un des meilleurs services de santé militaire au monde. Dans l'avenir, comme il l'a réalisé par le passé, le Service de santé des armées devra, pour conserver cette qualité due aux soldats, poursuivre une veille active sur les risques, les menaces et les modif ications des conditions d'engagement des forces. Elle seule lui permettra d'adapter l'organisation et les moyens qu'il met en œuvre à leur prof it pour leur apporter le meilleur d’une pratique médicale en évolution permanente. Le Service de santé a toujours trouvé dans ses rangs les forces d’imagination et de progrès pour faire en sorte que chaque blessé puisse bénéficier du meilleur des bonnes pratiques médicales de son temps. Ne doutons pas que demain, à l'exemple de la longue lignée de ceux dont ils sont les héritiers, ses personnels continueront à promouvoir les réformes qui leur apparaîtront essentielles pour remplir la mission qui leur incombe et dont ils ne peuvent partager la responsabilité, parce qu'elle relève dans son intégralité des exigences éthiques de la médecine militaire. r. wey Tricentenaire du Service de santé des armées LE SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES ET L'ÉVOLUTION DU CONCEPT HOSPITALIER EN FRANCE D. MOYSAN, M. BERNICOT I. INTRODUCTION. Si l’histoire n’a pas un sens, du moins a-t-elle du sens, disait Merleau Ponty. L’histoire du concept hospitalier militaire en atteste. Né de valeurs empiriques, du progrès des sciences, de la volonté des hommes, et d’une forte croyance en des valeurs humanistes, il est en constante évolution. En cette année 2008, le Service de santé des armées commémore le tricentenaire de sa fondation. L'Édit royal du 17 janvier 1708 est en effet considéré comme son texte créateur. Réfléchir sur l'évolution du concept hospitalier conduit immanquablement à une réflexion parallèle sur le positionnement du Service de santé des armées dans le cours de cette très longue histoire. long moment les pratiques médicales. Ces pratiques sont déjà présentes dans les anciennes civilisations. Ainsi, en Mésopotamie et en Égypte, les soins sont inséparables de la praxis magique avec toutefois, pour la civilisation égyptienne, l'introduction d'un certain rationalisme avec la prise en compte de l'observation. Ce qui est visible (les yeux, la peau…) est traité par un médecin, ce qui est invisible, par un prêtre. Ce mouvement est repris et amplif ié en Grèce où, au V e siècle avant notre ère, la médecine insiste sur l'observation clinique et l'expérience. La pensée grecque tente d'entreprendre une séparation entre l'invisible et le visible, l'irrationnel et le rationnel, le sacré et le naturel. Mais qu'en est-il exactement ? L'éventuelle guérison II. LA GENÈSE DU CONCEPT HOSPITALIER, UNE NOTION IMPRÉGNÉE DE RELIGIEUX. À partir du moment où l'homme a pensé, peut-être à ce moment précis où il a commencé à enterrer ses morts, il a cherché à comprendre et à combattre la maladie. Comprendre et agir ont de tout temps constitué une préoccupation majeure de la pensée humaine. Empirisme, médecine, magie et religion ont chacun à leur tour ou le plus souvent concurremment apporté une réponse à cette inquiétude et joué un rôle prépondérant dans les domaines de la santé. Les peintures rupestres ne sont-elles pas là pour attester par des f igures énigmatiques qu'une médecine magique tente de répondre aux aspirations des hommes de la préhistoire. Aux confins de l’histoire et de la mémoire humaine, faisant référence à la mythologie, la magicienne Médée, petite fille d'Hélios (le soleil) aide Jason à conquérir la toison d'or avec des onguents magiques et des sortilèges et donne ainsi son nom à la médecine. Elle marque pour un D. MOYSAN, général de brigade (2s), Maire de Crozon. M. BERNICOT, lieutenant-colonel (cr). Correspondance : D. MOYSAN, 2 allée Bois Quenvel, 29160 CROZON. médecine et armées, 2008, 36, 5 Esculape. 421 étant attribuée la plupart du temps à une intervention divine, l'empirisme l'emporte. Ainsi, à titre d'exemple, la physiologie, science qui étudie les fonctions de l'organisme, est construite à partir de la théorie des quatre humeurs représentées par les quatre éléments, l'eau, la terre, le feu, et l'air. La maladie est considérée comme la résultante d'un déséquilibre entre ces humeurs. Les malades sont regroupés dans les temples qui peuvent être considérés comme les ancêtres de nos premiers hôpitaux. Il s'agit des temples d'Asclépios, l'Esculape des romains, où le malade est isolé dans une pièce spéciale, l'Abaton, durant une ou deux nuits, le temps nécessaire pour recevoir et interpréter le songe que le dieu envoie pour guérir le patient. Au début du premier millénaire de notre ère, l'invasion romaine implique des besoins de soins importants en raison de la nécessité de disposer d'une armée forte et en bonne santé. Elle favorise le développement de certaines pratiques d'hygiène et de santé publique. Ainsi, chaque légion dispose de soldats ayant une expérience pratique et qui soignent dans des valétudinaria (infirmeries) – qui donnent le terme de valétudinaire – Ces soins sont cependant fermés à la population civile. L'hôpital, en tant qu'entité géographique distincte, apparaît au IVe siècle. Les premiers écrits le font naître en actuelle Turquie vers 370, sur l'initiative de l'évêque Basile. Il a pour but de secourir les pauvres et les vieux, d'accueillir les lépreux et de soigner les infirmes. Presque simultanément, en Italie, le premier hôpital voit le jour vers 394. Notons, pour la petite histoire, que l'année suivante l'Empire romain est scindé en deux, celui d'Occident qui s'achèvera définitivement en 476 après que Rome ait été mise à sac à plusieurs reprises, et celui d'Orient qui tombera un millénaire plus tard avec la prise de Constantinople en 1453. Que retenir de cette longue période qui s'étend depuis les grottes préhistoriques jusqu'à la chute de l'empire romain d'Occident ? Essentiellement que chaque culture apporte bienfaits et superstitions dans la manière de soigner. Cette longue période polythéiste mélange techniques de traitement des malades constituées, la plupart du temps, de médications à base de plantes et de techniques magiques propres à provoquer une intervention divine. Les armées quant à elles tentent de disposer de troupes aguerries et en parfaite santé en créant des petites structures uniquement destinées aux soldats. Après la naissance du concept d'hôpital, le IV e siècle est marqué par un second fait qui revêt une importance capitale. L'Empereur Constantin se convertit au christianisme, qui dès lors va devenir religion d'État. Les dieux, jusqu'alors impliqués au premier chef dans la guérison depuis la magicienne Médée, ne sont désormais plus partie prenante dans la santé des hommes. Ils sont remplacés par le Dieu unique. Mais la christianisation des sociétés au fond ne change pas grand-chose, Dieu et ses saints prennent peu à peu la place des anciennes divinités topiques. La relation triangulée « maladie/dieux/guérison » évolue en changeant les dieux par le Dieu unique. 422 L'extension du christianisme et celle des premiers hôpitaux, appelés « maisons hospitalières », s'effectuent progressivement. L'hôpital du Moyen Âge est avant tout un espace institué pour réaliser concrètement, publiquement et gratuitement l'obligation de charité, l'une des trois vertus théologales avec la foi et l'espérance. Af in de racheter ses fautes, chacun doit accomplir sur terre les sept œuvres de miséricorde : nourrir ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir les démunis, soigner les malades, accueillir les pèlerins, visiter les prisonniers et ensevelir les morts. Il y a lieu cependant d'observer une divergence entre la partie de l'empire romain qui est devenue orientale et celle qui est devenue occidentale. En Orient, on a réalisé, durant les Ve et VIe siècles, des modalités diversifiées de la charité que l'Occident ne connaîtra que bien plus tard. Si la notion de l'homme comme pèlerin, étranger sur cette terre, demeure au centre de la pratique chrétienne, l'attention de l'église orientale ne se tourne pas moins vers des réalités sociales spécifiques faisant une distinction entre les pauvres, les vieux, les orphelins, les enfants abandonnés sans oublier les malades. C'est ainsi que sont créés l'hospice des pauvres, celui des pèlerins, celui des vieillards, celui des enfants abandonnés, l'orphelinat et enf in l'hôpital pour les malades. En Orient, la charité s'organise en privilégiant le lien entre le corps et l'âme, le matériel et le spirituel, la médecine profane et la médecine sacrée. En Occident, l'hôpital est universel et indifférencié, tout comme les lieux ecclésiastiques dans l'enceinte desquels il reste enfermé pendant très longtemps. Idéalement, il est destiné à accueillir et à soigner tout homme considéré comme pèlerin ou comme infirme, viator ou infirmus. Mais de fait, il est ouvert à toute personne se trouvant en situation précaire. La charité publique s'organise dans un contexte privilégiant non pas le lien, mais l'opposition entre le corps et l'âme, le matériel et le spirituel. Les conciles, qui à cette époque règlent la vie religieuse, rappellent les évêques au devoir d'hospitalité à l'égard des pauvres. Ainsi, celui de 816 à Aix la Chapelle, sous le règne de Louis Ier dit le Pieux où fut demandé la création d’hôpitaux, près de l'évêché ou de la cathédrale, des espaces adaptés avec des lits pour accueillir les infirmes et les nécessiteux en pourvoyant à leurs besoins. Dans ces lieux, sont accueillis, de façon indifférenciée pauvres, pèlerins, vieillards, enfants orphelins ou abandonnés et malades. C'est dans ces lieux sacrés dédiés à Dieu, où la prière constitue le premier soin, que se révèlent la puissance et la miséricorde divine. Contrairement à l'évolution constatée en Orient, le terme hôpital apparu au ive siècle ne devient vraiment usité qu'à partir du ixe siècle. Dans ces sanctuaires, la distinction entre maladie curable et incurable, maladie chronique et aiguë, maladie et difformité n'a pas de sens ; comme n'a pas de sens de parler d'un temps pour la maladie et d'un temps pour le soin, de la guérison et de la convalescence. Le temps du médecin est remplacé par l'instantanéité de l'intervention divine. d. moysan Vue en perspective de l’Hôtel royal des Invalides. À côté de ces structures hospitalières situées dans le domaine de l'évêché, il faut noter le long des routes, notamment celles des pèlerinages ou proches des sanctuaires religieux, la présence de monastères. La charité y est organisée en offrant une halte et de la nourriture aux pèlerins, mais également quelques soins dans le but de calmer la douleur, sous l'autorité du frère hospitalier de la communauté initié à la médecine d'alors à base essentiellement de plantes et de simples provenant du jardin du monastère. Charlemagne, Empereur d'Occident au début du IXe siècle, en s'engageant aux côtés de l'église catholique tente de reprendre à son compte l'hospitalité comme valeur dominante jusqu'alors réservée aux religieux. Il introduit des laïcs auprès des religieux dans les hôpitaux. Ils seront plus spécialement chargés de l'administration. Au cours des siècles qui suivent, l'église et l'État royal tentent tour à tour de s'approprier le monopole de la charité pour f inalement s'accorder sur un objectif commun : l'enfermement des pauvres, mendiants, invalides et malades ou asociaux divers. Pour les gouvernants, le pauvre menace la paix sociale et pour l'église il doit être secouru comme s'il était le Christ en personne. La Renaissance, caractérisée par l'amour du beau et du vrai et qui voit se répandre des idées nouvelles qui atteignent même la religion par le biais de la Réforme, ne changera pas profondément l'hôpital. Notons cependant, le service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier en france même si elle ne lui est pas propre, que l'idée d'établir un lien voire un parallèle entre le corps et l'âme devient à partir de XVIe siècle la marque du protestantisme. À la veille de la Révolution, l'hôpital quant à lui, est toujours un lieu ecclésiastique jouissant du droit d'asile à l'écart des changements, n'ayant pas de médecins à demeure pour soigner. Chaque homme bénéficiant de l'hospitalité doit d'abord se confesser, communier et assister aux offices. Le baiser de la paix n'est donné qu'en suite. III. L'HÔPITAL MILITAIRE : L'INTRODUCTION DE LA LAÏCISATION ET DE LA MÉDICALISATION DANS LE CONCEPT HOSPITALIER. Le siècle de Louis XIV marque un tournant dans l'évolution du concept hospitalier. À côté de l'hôpital universel et religieux apparaît l'hôpital réservé exclusivement aux militaires. Plusieurs éléments ont concouru à cette évolution. En premier lieu, la progressive remise en cause de l'autorité temporelle et des interdits de l'église a permis l'essor des sciences, au rang desquelles compte naturellement la médecine. Par ailleurs, l'art de la guerre est transformé. Les armes à feu en effet se généralisent et avec elles leurs cortèges 423 induits de blessés et d'invalides. Cette avancée technologique conduit à la mutation des effectifs, lesquels se doivent désormais d'être nombreux mais également supérieurement entraînés. C'est alors que des besoins sanitaires spécifiques aux militaires apparaissent. Il en va ainsi du traitement des plaies par armes à feu, à propos desquelles Ambroise Paré recommande une extraction précoce et un nettoyage soigneux. De la même façon, les fracas osseux causés par des projectiles nécessitent des amputations réalisées dans les règles et avec des moyens rudimentaires. Les effectifs nombreux et stationnés dans des conditions précaires sont propices au développement de maladies infectieuses ou encore du scorbut. La présence de praticiens spécialisés sur les zones de guerre ou embarqués à bord des navires de la Marine constitue une première réponse à ces besoins sanitaires particuliers. Il s'agit toutefois d'une réponse insuffisante et des hôpitaux temporaires sont créés dans le prolongement normal des lieux de recueils improvisés des malades et des blessés. Mais ces mesures ne suffisent pas du fait d'un manque de personnel compétent et de l'absence d'organisation rigoureuse. Les hôpitaux de charité du royaume, en décadence, redoutent d'accueillir des malades et des blessés particuliers ainsi que des invalides. C'est pourquoi les premiers hôpitaux militaires permanents sont créés sous Louis XIII. Les plus connus sont ceux de Calais et de Brouage, deux places situées au cœur d'opérations militaires importantes et durables. Mais le concept hospitalier militaire prend son véritable essor sous le règne du roi Louis XIV. Celui-ci fait en effet de l'armée l'un des instruments de sa gloire et nourrit vraisemblablement une réelle sollicitude pour les soldats y compris les blessés et les malades. Plusieurs évènements vont dès lors dans le sens d'un Service de santé des armées. Tout d'abord, Louis XIV, soucieux d'incarner un monarque puissant et généreux, fait élever en 1670 à l'attention de nombreux invalides confiés jusqu'alors aux autorités religieuses l'« Hôtel royal des Invalides ». Les premiers invalides sont admis en 1674, date de l'Édit de fondation de cet établissement dont la capacité d'accueil est de 3 000 pensionnaires. Cette institution est profondément novatrice. Elle est pourvue dès sa fondation de médecins, de chirurgiens et d'apothicaires. L'infirmerie de 300 lits constitue un véritable hôpital, où le développement de l'activité chirurgicale est tel qu'il conduit à la création de la première charge permanente de chirurgien au service des armées. Elle inaugure la part prééminente du militaire sur le religieux, les Invalides étant soumis à des gardes et des exercices. L'empreinte de Saint Vincent de Paul demeure toutefois présente puisque l'aumônerie est assurée par les prêtres de la mission ou encore que l'apothicairerie est assurée par la communauté des Filles de la charité. Par ailleurs, les hôpitaux militaires permanents se développent. Ces établissements forment une rupture avec l'hôpital de charité destiné au « renfermement » des pauvres. L'autorité royale entre ainsi dans des hôpitaux 424 réservés exclusivement aux traitements du corps pour la seule communauté militaire. À terre, Sébastien le Prestre de Vauban imagine des systèmes défensifs et conçoit un urbanisme militaire fonctionnel dans lequel s'intègre l'hôpital. Les hôpitaux terrestres sont gérés selon le régime de l'entreprise : un entrepreneur, sous l'autorité de l'intendant d'armée, se charge de la marche de l'entreprise et rétribue le personnel y compris les médecins. Sur mer, l'Ordonnance du 15 avril 1689, qui contient les bases du fonctionnement de la Marine royale, traite également de la question de l'organisation des soins aussi bien sur les navires hôpitaux que dans les hôpitaux des ports. Les hôpitaux maritimes, contrairement aux hôpitaux terrestres, sont dirigés par un commissaire nommé par les autorités de la marine. La responsabilité médicale incombe au premier médecin et au chirurgienmajor du port. Dans ces établissements, des soins efficaces à un moindre coût sont prodigués. Innovants sur bien des points, directement impliqués dans la vie du port et de l’arsenal, ces hôpitaux dans lesquels les responsabilités des médecins, chirurgiens et apothicaires englobent le service à l’hôpital et le service à bord, inaugurent un concept hospitalier résolument moderne. L'innovation essentielle à l'origine de la création d'un service de santé réside dans l'Édit royal du 17janvier1708. Les finances du royaume sont alors au plus bas, il est donc créé des « off ices de médecins et de chirurgiens des armées », assorties de la vente des charges correspondantes. L’Édit crée un corps de chirurgiens et de médecins de carrière dans les régiments et dans les hôpitaux, attestant de la volonté d’assurer un « soutien-santé » permanent dans les armées. La responsabilité technique de l’assistance aux blessés et malades militaires est conférée aux médecins et chirurgiens. Le contrôle est assuré par les médecins et chirurgiens inspecteurs généraux, cependant que l'administration des moyens reste entre les mains de responsables non médicaux. Sans parler d’un réel statut des personnels de santé, l’Édit en porte les prémices, créant un corps d’inspection et un corps d’exécution composé de médecins et chirurgiens hospitaliers et de médecins des corps de troupe. Les chirurgiens majors, dont tous les régiments et vaisseaux sont dotés assurent les soins au plus près des combats. Les hôpitaux des places et des ports constituent le recours après l’évacuation des malades et blessés du champ de bataille. Les fondements du Service de santé des armées et les bases d’un concept hospitalier militaire sont posés, même si ces offices sont des charges vénales et même si les médecins ne disposent d’aucun pouvoir de décision sur le fonctionnement des établissements. Cependant, au cours des dernières années de l'ancien régime, les hôpitaux militaires font l'objet de vives critiques portant tant sur le principe même, leur préférant un exercice régimentaire, que sur les abus évidents qui les déconsidéraient. En outre, l'image de l'armée se dégrade et celle du Service de santé en pâtit ipso facto. Mais finalement, une nouvelle fois c'est un adversaire de poids d. moysan IV. L'AVÈNEMENT D'UN HÔPITAL LAÏC DE PLUS EN PLUS MÉDICALISÉ. Hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne. qui en viendra à bout : la dégradation f inancière du Royaume. L'Ordonnance du 22 juillet 1788 dispose dans son article premier : « À dater du premier du mois de janvier prochain, l'ancienne administration des hôpitaux, désignés sous les noms d'hôpitaux militaires sera et demeurera supprimée. » Mais la Révolution proche empêchera une exécution complète de cette mesure. Toutefois, il faudra attendre la première Restauration et une Ordonnance du 25 novembre 1814 pour enlever aux hôpitaux de charité la charge du traitement des militaires. Au terme de cette très longue période au cours de laquelle l'hôpital est essentiellement religieux, interrogeons-nous sur la triangulation « Homme/Temps/Espace » et nous remarquons qu'elle s'établit de la façon suivante : – l’Homme est dominé corps et âme par le clergé, le corps doit souffrir pour assurer à l'âme le salut éternel ; – le Temps est rythmé par le découpage chrétien, prièreoff ice-communion-actions de grâces… constituant autant de temps forts de la vie hospitalière ; – l’Espace est divisé en intra et extra-hospitalier. À l'extérieur, au domicile des malades, règnent les inciseurs, sorciers, rebouteux et ceux que l'on appelle les barbiers, ancêtres des chirurgiens. Le médecin formé à l'université demeure un théoricien détaché de toute pratique. À l'intérieur, l'État contrôle l'administration, vérifie les recettes et les dépenses et s'assure de la qualité de la population recluse, abandonnant à l'église les soins des âmes et du corps. Notons enfin que durant cette période l'architecture hospitalière est marquée par l'eau, élément indispensable pour faire fonctionner les établissements recevant pauvres et malades. La proximité des fleuves ou des sources était indispensable pour le nettoyage et le lavage de ces établissements hébergeant pauvres, malades et indigents et où f ièvres et parasites de toutes sortes proliféraient et se propageaient. le service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier en france Le siècle des Lumières marque la fin de l'ancien régime et sa philosophie influence fortement l'opinion publique qui s'ouvre aux réalités sociales, à la liberté, à l'égalité et à la fraternité. La foi en l'homme est forte, le pouvoir ne vient plus du Roi représentant Dieu sur terre, mais de la Nation émanation du citoyen. Une nouvelle conception naît avec l'esprit des Lumières, la société crée la misère, elle en est donc redevable envers l'individu. Nous assistons au passage d'une politique de charité à une politique de prévoyance. Les hôpitaux passent ainsi lentement d'une exigence de charité à une obligation d'assistance. Cependant, jusqu'à la IIIe République, les conceptions de l'ancien régime demeurent prégnantes et c'est ainsi qu'à titre d'exemple, les hôpitaux conservent leur appellation « d'établissements de bienfaisance ». Ces idéaux révolutionnaires sont repris dans les cahiers de doléances en 1789 et adoptés dans un plan d'ensemble de réformes sociales présenté par le comité de mendicité de l'Assemblée Constituante présidée par La Rochefoucault-Liancourt. Les rapports qui y sont présentés en 1790 et 1791 remplacent la charité par l'assistance et considèrent comme nécessaire la nationalisation de tous les biens hospitaliers. L'assistance ne doit pas relever de la charité privée ni de l'aumône, elle est un devoir de la société envers les indigents. L'ordre social est détruit, les congrégations religieuses dissoutes et les privilèges abolis : c'est la « grande peur » sur l'ensemble du pays. Pour les hôpitaux, les moyens f inanciers relevaient jusqu'alors essentiellement de la charité privée constituée par des rentes, dons, aumônes, que l'on désignait sous l'ancien régime par l'expression de la « comptabilité de l'au-delà ». Les moyens humains étaient fournis en très grande majorité par l'Église. Aussi, la mutation de l'hôpital religieux vers l'hôpital laïc est-elle vécue de façon dramatique, car les établissements manquent cruellement de tout : moyens financiers et humains. Les caisses de l'État sont vides et le gouvernement révolutionnaire proclame alors le principe de la responsabilité communale. Il appartient désormais à chacune des communes françaises de prendre en charge sa propre misère et de gérer ses établissements de bienfaisance. Cette mesure ne connaît pas plus de résultat, les caisses des communes n'étant pas plus remplies que celles de l'État. Napoléon Bonaparte, en devenant le sauveur de la Patrie, renfloue les caisses avec l'argent pris à l'étranger et engage une politique de centralisation des pouvoirs. Dorénavant, les médecins sont nommés par le ministre de l'Intérieur. Le XIXe siècle, qui débute avec une volonté de paix exacerbée par les années de trouble, voit Napoléon reprendre les œuvres de la Révolution avec plus d'autorité et de contrôle. La toute puissance de l'Église est maîtrisée par la signature du concordat avec Pie VII autorisant, notamment, le retour des religieuses dans les structures hospitalières. L'enseignement médical devient 425 universitaire et l'hôpital un lieu d'exercice. La pratique des soins médicaux est réservée aux docteurs diplômés ayant satisfait aux examens et titulaires d'une thèse. Vers le milieu du XIXe siècle, l'hôpital est ainsi en bonne voie de médicalisation. La procédure d'admission relève de plus en plus du médecin. Il prononce l'admission du malade qui dès lors est soumis à une double tutelle, médicale et administrative. La discipline demeure aussi sévère que sous l'ancien régime et c'est de cette époque que date le slogan « Hôpital Silence ». Par ailleurs, la restriction budgétaire, ce mal universel, permet à l'État de reprendre le pouvoir dans l'hôpital en restreignant la rémunération du médecin après l'avoir nommé, au prétexte « qu'il est déjà rémunéré par l'honneur qui rejaillit sur lui de son titre de médecin de l'hôpital ». La vocation soignante s'affirme au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Comme il est moins coûteux de secourir les vieillards à domicile, il est conseillé aux médecins d'être plus sélectifs lors de l'admission. De la même façon, la surveillance des f illes publiques est transférée aux dispensaires. Dans cette même logique, des hôpitaux psychiatriques sont construits grâce à la facturation au prix de journée versée par la famille ou le département. Parallèlement, le confort et l'hygiène sont améliorés, les avancées scientifiques, telles que l'asepsie et l'antisepsie, font évoluer les pratiques et les comportements. Ces découvertes modif ient l'organisation de l'hôpital, l'emploi du temps journalier en est l'illustration, tout comme la multiplication des matériels médicaux. Koch découvre le bacille du charbon et celui de la tuberculose, Pasteur le vaccin de la rage. La médecine semble toute puissante, le diagnostic se fait de plus en plus précis en ayant recours à la chimie et à la physique. V. LES DIFFICULTÉS DE L'HÔPITAL MILITAIRE : UNE PRATIQUE MÉDICALE EN CONSTANTE AMÉLIORATION MAIS UNE STRUCTURE ADMINISTRATIVE À INVENTER. Depuis la Révolution et au cours du XIXe siècle, le concept hospitalier militaire est malmené. Les gouvernements successifs ont cherché pendant 150 ans la structure la plus adaptée aussi bien en temps de guerre qu'en temps de paix. Pourtant, au sortir de la Révolution, on aurait pu imaginer qu'un conquérant comme Napoléon Bonaparte se doterait d'un Service de santé de nature à répondre efficacement aux besoins de ses troupes. Or tel n'a pas été le cas et les hommes qui ont porté le Service de santé des armées n'ont eu de cesse de tenter de remédier aux diff icultés et aux désorganisations induites par les décisions adoptées depuis la tourmente révolutionnaire. Au cours des premières années de la période révolutionnaire, les facultés sont supprimées, les hôpitaux d'instruction sont fermés et des officiers de santé sont licenciés. La Convention tente de remettre sur pied le Service de santé des armées. Mais par la suite, les lois adoptées sous le Directoire s'attachent bien plus à renforcer le pouvoir de l'administration en plaçant le Service de santé sous tutelle administrative qu'à résoudre le problème des effectifs en officiers de santé. C'est dans cet état d'esprit que commencent les campagnes napoléoniennes. Dans ces guerres de conquêtes, il y a lieu Hôpital Saint Mandrier. 426 d. moysan Hôpital du Val-de-Grâce au XIXe. de noter l'œuvre du Baron Dominique Larrey. Ce chirurgien d'exception, précurseur de la médecine humanitaire, invente les ambulances volantes : les chirurgiens suivent les troupes à pied avant d'arriver aux blessés pour les opérer directement sur le champ de bataille avant de les évacuer vers des structures en 2 e et 3 e lignes. Ces campagnes mettent ainsi en lumière les prouesses techniques des chirurgiens et des médecins militaires. Elles mettent également en exergue, surtout la campagne d'Égypte, les lacunes et les dysfonctionnements du Service de santé : manque d'effectifs, insuffisance des supports logistiques. Aussi, malgré les prouesses réalisées sur les champs de bataille, de très nombreux blessés et malades sont à déplorer. Pourtant, aucun enseignement n'est tiré des désastres sanitaires des campagnes napoléoniennes. Sous le Consulat en effet, il est décidé, pour des raisons purement économiques, de réduire les effectifs en licenciant les officiers de santé et de fermer des hôpitaux terrestres. En réalité, Napoléon organise un Service de santé pour des guerres de conquête, en distinguant le champ de bataille, les hôpitaux ambulants, les hôpitaux temporaires et les hôpitaux permanents. Le temps et le lieu de l'intervention médicale dépendent donc de la situation géographique des forces armées en campagne. Une telle architecture comporte deux conséquences : tout d'abord, le Service de santé connaît de grandes difficultés au moindre revers militaire. Par ailleurs, aucune place n'est imaginée pour l'hôpital militaire en temps de paix de telle sorte que de nombreux licenciements, et des démissions, interviennent à la moindre lueur de paix. On le service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier en france comprend aisément que les problèmes d'effectifs, déjà importants depuis la Révolution, s'aggravent en période de paix sous le I er Empire, hypothéquant ainsi la préparation du Service de santé pour de nouveaux conflits. Cette période est une alternance de crises sanitaires consécutives aux nombreuses guerres et de licenciements de personnels en période de paix. Le concept hospitalier militaire peine donc à définir ses contours : des hôpitaux projetés ou f ixes ? Des hôpitaux permanents ou temporaires et propres aux périodes de guerre ? La question de la formation du personnel soignant est également l'objet de valse-hésitation. Faut-il organiser un cursus particulier pour les médecins militaires ou doit-on recruter parmi les médecins sortant des facultés ? L'ouverture à Paris d'une école unique en 1850, désignée sous le titre d'École d'application de la médecine militaire constitue une réponse. Toutefois, cette école rattachée à l'hôpital du Val-de-Grâce, est « arrachée » au ministre de la Guerre, de telle sorte que ses intérêts ont parfois dû défendus avec énergie. Sa mission est d'assurer aux médecins l'enseignement des maladies spéciales des armées, des données et des pratiques spécifiques à la médecine militaire. Les batailles se succèdent au cours du XIX e siècle et les combats sont de plus en plus meurtriers. Ce sont toujours les mêmes situations de crises que l'on déplore : insuff isance des effectifs, insuff isance du matériel sanitaire, plans d'évacuation mal préparés, de telle sorte que le Service de santé doit faire face à de nombreuses crises sanitaires. On assiste alors à l'éveil d'une conscience 427 universelle. Sous le IInd Empire, le développement des œuvres philanthropiques, l'internationalisation et le souci de fraternité font naître des sentiments de charité à l'égard des armées en campagne, ce qui aboutira notamment à l'ouverture de la première École impériale du Service de santé militaire à Strasbourg destinée à la formation de médecins militaires. Il existe une relation étroite entre cette école et l'École d'application de Paris, la seconde proposant une formation complémentaire aux élèves de la première. La défaite de 1870 et la chute du IInd Empire suscitent un élan patriotique à l'égard des blessés et les autorités militaires en prof itent pour obtenir une refondation globale du Service de santé et mettre fin aux mesures « patchwork » qui ont prévalu jusque-là. Le Service de santé de l'armée de Terre obtient son autonomie dans une Loi du 16 mars 1882 modifiée par la Loi du 1er juillet 1889 : la direction est entre les mains du corps médical, en temps de guerre comme en temps de paix ; tous les personnels spécialisés sont sous les ordres et la responsabilité administrative du Service. Concomitamment, à la suite de la fermeture de l'école de Strasbourg, l'École du Service de santé militaire s'ouvre à Lyon. Le Service de santé de la Marine œuvre également à l'acquisition de son autonomie complète et une école de formation propre est créée à Bordeaux. Si, sous Louis XIV, l'hôpital militaire a été précurseur dans l'évolution du concept hospitalier, notamment par un mouvement au moins partiel de laïcisation et de médicalisation, il a connu de grandes diff icultés structurelles au cours du XIXe siècle, qui ont freiné son développement. Malgré les atermoiements autour de la notion et de la structure de « Service de santé des armées », la vocation soignante de l'hôpital militaire n'a cessé de se préciser, permettant ainsi aux médecins de répondre à leur obligation d'assistance. Les officiers de santé ont en effet toujours fait preuve du dévouement et de l'humanité attachés à leur mission et ont participé, souvent dans des conditions extrêmes, aux progrès très importants réalisés dans le domaine des sciences médicales. Les hommes, même au sein de structures changeantes, ont amélioré et affiné toujours et encore leurs connaissances médicales. VI. QUEL BILAN TIRER DE CETTE PÉRIODE ALLANT DE LA RÉVOLUTION À LA IIIE RÉPUBLIQUE ? La philosophie des Lumières a changé l'hôpital en profondeur. Avant la Révolution, le pauvre fauteur de troubles doit être enfermé, de telle sorte que lors des épidémies, une population contagieuse est mélangée aux « indésirables », aux pauvres, aux fous et folles et aux filles publiques. Cette hétérogénéité peu à peu s'estompe, pour laisser place à des malades soumis à une classe médicale qui soigne. L'expertise de la profession est nécessaire pour juguler les épidémies, maintenir la bonne santé des travailleurs et assurer la reconduction de la force de travail indispensable à l'industrialisation du pays. 428 Le positionnement de l'homme, malade qui souffre, s'établit désormais dans le temps et l'espace de la façon suivante : – l’Homme, a vu son esprit se libérer avec la République et le triomphe de la laïcité et son corps livré au pouvoir médical fort du soutien de l'État et des progrès de la science ; – l’Espace hospitalier est occupé par l'État, qui y exerce son contrôle et fait assurer l'administration par un personnel laïque ; – le Temps passe, comme le corps, d'une domination ecclésiastique à une domination médicale. Il n'est plus rythmé par la prière, mais par les contraintes dictées par l'exercice de l'« art médical ». La prise de température à heures fixes date de cette époque. Ces bouleversements sont intégrés aux impératifs de l'architecture hospitalière. L'air, après l'eau, en devient l'élément prépondérant en raison des découvertes de Pasteur. L'air véhicule les microbes, les architectes conçoivent donc une architecture pavillonnaire. VII. L'HÔPITAL CONTEMPORAIN DANS UN ENVIRONNEMENT DOMINÉ PAR LA LOI DU MARCHÉ. La fin du XIX e siècle marque le début d'une évolution nouvelle de l'hôpital. En 1892 est créée l'Assistance médicale gratuite (AMG). Elle est confiée aux communes et aux départements. Cette réforme nécessite la mise en place d'une comptabilité plus élaborée aboutissant au prix de journée fixé par le préfet. Elle emporte, de plus, deux autres conséquences : d'une part l'obligation pour l'hôpital de recevoir tous les malades non soignés à domicile et, d'autre part, la modif ication du rapport médecin/malade, le premier considérant le second comme un client. La maladie s'individualise et l'État prend peu à peu la forme d'un État-providence. Les relations entre l'Église et l'État se dégradent jusqu'à la séparation de 1905. L'instituteur, ce « hussard noir de la République » socialisant les enfants à partir des directives du pouvoir central et d'idées républicaines, constitue un exemple vivant de cette époque jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. De la même façon, les religieuses qui avaient encore des fonctions à l'hôpital se les voient petit à petit retirer. Les médecins qui exerçaient avec charité, passent d'un registre symbolique à un autre plus économique. L'hôpital, religieux durant des millénaires, laïc depuis plus d'un siècle, vient à être dominé par les lois du marché. Cette évolution s'effectue tout au long du XXe siècle en fonction des événements qui ont marqué son histoire : – la séparation de l'Église et de l'État induit, entre autres conséquences, la création des écoles d'infirmières ; – la Loi de 1928 sur les assurances sociales valide et pérennise le principe de la médecine libérale, plus que jamais réaffirmé et en vigueur aujourd'hui ; – les avancées du Front Populaire se répercutent sur le personnel hospitalier ; d. moysan – la création de la sécurité sociale en 1945, en organisant le service public de la santé, tente de planifier le développement de l'hôpital, mais il est déjà trop tard ; – en 1958, la Loi « Debré » assimile les médecins hospitaliers à des fonctionnaires, tout en leur permettant de cumuler cette fonction avec celle de professeur des universités et de pouvoir disposer dans les CHU d'une clientèle privée ; – en 1961 est créée l'École nationale de santé publique, maillon déconcentré du pouvoir central ; – les Lois hospitalières de 1970 et 1991 introduisent une nouvelle dimension avec les projets d'établissement et les contrats : – les ordonnances de 1994 ancrent la santé dans une démarche qualité ayant pour ambition de mieux soigner le patient pour un moindre coût ; – la Loi de Santé Publique du 9 août 2004 et la Loi relative à l'assurance-maladie du 13 août 2004… VIII. UN CONCEPT HOSPITALIER MILITAIRE, SYNTHÈSE DE SON HISTOIRE DANS UN MONDE GLOBAL. De nombreux conflits auxquels les forces armées françaises ont pris part se sont déroulés au XXe siècle: deux guerres mondiales, les conflits de la décolonisation, les crises politiques et sanitaires dans les pays défavorisés, etc. Tout au long de cette période, le Service de santé des armées, fort de son autonomie, s'est attaché à définir et construire la structure de l'hôpital militaire la plus efficiente possible. Il a dû s'adapter constamment afin de définir des tactiques sanitaires en fonction des moyens de guerre toujours plus puissants, au gré des territoires d'intervention des forces armées, en tenant compte des formes nouvelles de combat et de pathologies observées, tout en veillant à la prophylaxie des maladies infectieuses et parasitaires. À la fin de la deuxième période, deux axes de réflexions étaient apparus, d'une part le développement des progrès de la science et d'autre part la capacité opérationnelle. Pour la part scientifique, force est de constater que le progrès a continué d'apporter son lot d'améliorations et de nouveautés dans la prise en charge des malades et blessés. Pour reprendre les mots de Maurice Druon, « Qu'elle est loin, qu'elle est effacée l'image du “toubib” de jadis muni de sa lancette, de son flacon de quinine et d'un savoir limité ». Pour la part structurelle et opérationnelle, la problématique consistant à choisir entre hôpitaux permanents et hôpitaux projetés a montré ses limites. Des hôpitaux terrestres trop nombreux ne sont pas viables économiquement tandis que des hôpitaux projetés ne peuvent être opérationnels sans structures nationales pérennes. L'enjeu est dès lors la légitimité des hôpitaux militaires terrestres permanents. Deux catégories d'éléments au moins peuvent être avancées pour légitimer les hôpitaux permanents. Les missions dévolues au Service de santé des armées ont évolué. Ainsi notamment, outre la mission de soutien des forces armées, le Service de santé a organisé à partir de la France, et donc grâce aux structures permanentes, des missions humanitaires par le biais de formations particulières : l'Élément médical militaire d'intervention rapide (EMMIR), la Bioforce et la Force d'assistance humanitaire militaire d'intervention rapide (FAHMIR). Par ailleurs, un Décret du 14 mai 1974 a ouvert les Hôpital d’instruction des armées Percy. le service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier en france 429 hôpitaux militaires à tous les malades et blessés qui le souhaitent et non plus seulement aux seuls militaires. Le caractère permanent des hôpitaux militaires, en ce qu'ils participent à la mission de service public de santé public, s'en trouve légitimé. La légitimité de la nécessité d'une architecture duale est, également, être à rechercher dans l'évolution géopolitique du monde. Si la question de l'existence même d'une dualité « hôpitaux projetés et hôpitaux terrestres permanents » se posait avec beaucoup d'acuité au temps de Napoléon, c'est peut-être bien parce que les guerres se déroulaient ou partaient du territoire national, que le temps de la guerre dépendait autant de considérations internes et nationales que de l'ambition des dirigeants. Actuellement, le temps de l'intervention armée s'est mondialisé et le Service de santé des armées se doit de toujours se trouver dans la capacité de répondre à toutes situations d'urgence, dans n'importe quel point du globe. Puisque la nécessité d'hôpitaux projetés peut se révéler à tout moment, en dehors de la considération de l'état de paix sur le territoire national, le fonctionnement d'hôpitaux permanents se justifie de fait. Au cours de cette dernière période, l'hôpital est entré résolument dans une logique de marché. La médecine n'a plus à montrer son utilité pour être légitime. L'administration hospitalière, en tant que relais de l'État, contribue à la prééminence du pouvoir médical, mais s'affirme également comme force de proposition. Avec les indicateurs économiques, non seulement elle connaît de la prise en charge hospitalière, mais encore elle sait qui fait quoi. Aujourd'hui le triangle « Homme-Espace-Temps » s'établit de la façon suivante : – l'Homme, malade est toujours uniquement dépendant du médecin ; – l'Espace est aussi médicalisé, divisé en services, départements ou pôles ; – le Temps est également passé à un découpage médical : l'heure de la visite, de la contre visite, des prélèvements, des examens complémentaires, des soins… Si l'eau et l'air ont orienté l'architecture hospitalière des deux premières périodes, l'hôpital actuel quant à lui, voit son architecture influencée par l'espace et le temps. L'espace, car il faut rentabiliser l'emprise au sol, obtenir un meilleur usage des surfaces et une plus grande productivité des équipes. Avec la découverte des antibiotiques, par Sir Alexander Fleming en 1945, on pensait avoir vaincu à jamais le risque infectieux, c'était l'époque des années d'après guerre où les hôpitaux neufs prennent la forme de H, X ou Y. Le temps ensuite, celui des patients qui ne veulent plus être hospitalisés trop longtemps et celui des équipes hospitalières que l'on cherche à optimiser. L'hôpital de nos jours est moins un lieu d'hébergement qu'un lieu de passage dans des locaux de plus en plus spécialisés et sophistiqués, devant tenir compte de la nouvelle écologie bactérienne et des résistances aux antibiotiques. Dans un proche avenir, on peut supposer qu'il se rapprochera sans doute plus d'un aéroport que d'un hôtel. IX. CONCLUSION. Au terme de ce chemin commencé en compagnie de Médée, nous avons vu au f il des siècles une logique d'échanges symboliques où pauvres et malades recevaient aide et accueil religieux, être remplacée par une logique d'échanges économiques où le malade et la religion se sont affrontés pour disposer des hôpitaux selon leur volonté propre. L'homme a accompagné ces évolutions en se positionnant de son mieux dans l'espace et le temps hospitaliers. Le malade qui souffre, « homme-objet » situé au centre des préoccupations religieuses puis laïques du système de santé, s'est déplacé vers la périphérie où il est devenu « homme-sujet » d'un système économique dans lequel il convient de ne pas faire de la guérison une simple marchandise. À l'aube du XXIe siècle, l'hôpital militaire doit toujours assurer sa mission première de soutien des forces armées en tous lieux, à tout moment, en toutes circonstances, sans rupture ni dans l'espace ni dans le temps. Même si ce concept est demeuré invariant au cours des siècles, l'hôpital militaire doit également participer au service public hospitalier et s'adapter à un environnement économique de plus en plus prégnant. Aujourd'hui, l'hôpital est devenu une entreprise, devant par son activité assurer une grande part de son fonctionnement. Il lui faut trouver un juste équilibre entre l'hôpital au service de l'homme, qui place le patient au centre de toutes ses préoccupations, et l'hôpital-entreprise, où l'espace détermine la productivité des équipes soignantes, où le temps est compté. Il appartient aux hommes et aux femmes qui composent ces équipes de ne jamais perdent de vue la notion d'humanité, assez peu éloignée du concept de charité qui a, pendant trois siècles, guidé l'exercice de la médecine militaire et de garder ancrée en eux la maxime “pro patria et humanitate”. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Histoire de la médecine aux armées Tomes 1, 2 et 3. Charles Lavauzelle 1982. 2. Notes et études documentaires N° 4949. La documentation française 1992. 3. Les hôpitaux en France. Jean Imbert. Presses universitaires de France 1996. 430 4. « De la charité médiévale à la sécurité sociale », sous la direction de André Guesclin et Pierre Guillaume. Les éditions ouvrières. 1996. 5. L'hôpital aux prises avec l'histoire. Joël Autret. L'harmattan 2004. 6. L'hôpital. Jean de Kervasdoué. Presse Universitaires de France 2004. d. moysan Tricentenaire du Service de santé des armées LE CORPS TECHNIQUE ET ADMINISTRATIF DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES Un aboutissement P.-J. LINON I. INTRODUCTION. Créé en 1976, ce corps est le fruit d’une évolution lente mais progressive au rythme des changements intervenus dans les armées et des mutations du Service de santé des armées depuis le XVIIIe siècle. La fonction administrative hospitalière dans les armées connaîtra deux périodes, l’une civile, l’autre militaire, à partir de 1824, commencée dans le cadre de l’Intendance militaire, puis en intégrant pleinement le Service de santé. II. ADMINISTRATION CIVILE. La première période se caractérise par une administration, en régie ou en entreprise, deux systèmes possédant autant d’inconvénients que d’avantages qui les feront successivement appliquer ou supprimer. Le juriste est frappé par le nombre de textes et de réorganisations, de 1716 à 1788 ; l’historien par la critique des médecins à l’égard de l’administration des hôpitaux. C’est l’époque des contrôleurs. Suby, qui avait été entrepreneur des hôpitaux militaires, écrit à leur sujet : « Les contrôleurs des hôpitaux militaires ont des fonctions qui peuvent être considérées comme inutiles. » (1). Trois arrêtés de l’an 8 s’inscrivent dans cet ensemble de réformes que Louis Madelin a qualifié de « monument de l’an 8 ». Le premier établit un Conseil de santé, le second un directoire central des hôpitaux militaires. Le dernier, du 24 thermidor, concerne les trois classes d’hôpitaux et constitue un véritable règlement. Le corps civil des agents des hôpitaux militaires y trouve ses structures novatrices. Il participera à toutes les campagnes de l’Empire en supportant les vicissitudes du temps et la pression des commissaires des guerres et ordonnateurs. Sous la Restauration, quatre inspecteurs des hôpitaux seront maintenus, placés sous les ordres directs du Conseil de santé des armées, dont Simonnin, Legendre et P.-J. LINON colonel (cr). Correspondance : P.-J. LINON, 36 rue des fontaines, 92 310 SÈVRES. médecine et armées, 2008, 36, 5 Gubert qui seront intégrés avec le grade d’off icier principal d’administration dans le corps des officiers d’administration des hôpitaux. III. ADMINISTRATION MILITAIRE. L’acte de naissance du corps des officiers d’administration des hôpitaux est l’ordonnance du 18 septembre 1824 portant réorganisation du personnel du Service de santé et des hôpitaux de l’armée de Terre. Il est formé par la militarisation des agents des hôpitaux militaires. Cette ordonnance présente une conception générale nouvelle car toutes les parties qui composent le Service de santé semblent enfin réunies. Ce n’est en fait qu’une apparence. Sous la surveillance de l’Intendance, la Direction générale du Service des hôpitaux des armées et des hôpitaux d’instruction est conf iée aux off iciers d’administration. La fonction d’officier d’administration en chef d’armée est créée pour celui qui sera désigné pour diriger le Service des hôpitaux aux armées. Le premier sera l’off icier principal d’administration Michel à l’armée d’Afrique en 1830. Pour illustrer le poids et la contrainte de l’Intendance, on peut se référer au règlement qui suivra l’ordonnance de 1824 et à ses 824 articles ! À partir de 1838 d’autres cadres d’officiers d’administration seront organisés au sein de l’Intendance. Cette réorganisation se fera au désavantage des officiers d’administration des hôpitaux. Après huit années de débats parlementaires, la Direction des hôpitaux militaires est confiée aux médecins (loi du 16 mars 1882). Mais les off iciers d’administration des hôpitaux n’appartiendront au Service de santé militaire qu’après le vote de la loi d’autonomie complète du 1er juillet 1889. Ce transfert s’effectuera dans la douleur pour nombre des 325 officiers d’administration qui restaient attachés à l’esprit et aux pratiques de l’Intendance. La déposition de l’Officier d’administration principal (OAP) Antonini 431 Journal Officiel 1889. 432 p.-j. linon devant la Commission parlementaire le 22 mars 1878, est un morceau de bravoure, polémique et théâtral (2). Entre-temps, le corps s’était développé en Algérie où servait le tiers des ses effectifs (45 hôpitaux en 1881), et illustré avec tous les corps expéditionnaires : Morée, armée d’Afrique, Crimée, Italie, Chine, Syrie, Mexique, Tonkin, Tunisie et, plus tard, Madagascar et Maroc. De 1828 à 1895, on compte 73 officiers du corps, tués à l’ennemi ou victimes du devoir. L’École d’administration militaire avait été créée en 1875 à Vincennes. L’officier d’administration des hôpitaux Poulard, licencié en droit, y sera professeur et concevra le programme destiné aux futurs officiers du corps. Cette école formera les officiers d’administration des Services de santé jusqu’en 1939. IV. ÉVOLUTIONS AU SEIN DU SERVICE DE SANTÉ. De nouveaux règlements sont conçus : Service de santé à l’intérieur (1889), Service de santé de l’armée en campagne (1892). L’histoire a retenu le nom de l’OAP Picard parmi les membres de la commission chargée de la rédaction. Les officiers comptables deviennent alors gestionnaires. Deux faits importants marquent le début du XXe siècle : la correspondance des grades avec ceux de la hiérarchie militaire (1900), le grade le plus élevé étant celui d’officier d’administration principal (OAP) équivalent à commandant et la création du cadre d’off iciers d’administration du Service de santé des troupes coloniales (1904). La guerre de 1914-1918 tissera des liens indéfectibles entre le corps médical et ses officiers d’administration d’active et de réserve (4 900 au moment de l’armistice). Le corps aura 175 morts dont 149 réservistes. Ancien sous-secrétaire d’État du Service de santé militaire, Justin Godart a écrit : « Le jour où sera fait un ouvrage d’ensemble sur le rôle des officiers d’administration de 1914 à 1918, on comprendra les services que ce corps a rendu au Pays… » (3). Pour distinguer deux d’entre eux, on peut citer l’OAP Raphal, choisi par le médecin inspecteur Toubert, aidemajor général du Service de santé au Grand quartier génral des forces (GQGF) en mars 1918. Sa mission et ses responsabilités seront considérables (4) : tout le matériel sanitaire, l’ensemble des ravitaillements et les formations de campagne. On peut citer aussi l’OAP Denain, servant volontairement à l’armée d’Orient. Il sera promu commandeur de la Légion d’honneur en avril 1918. Pendant la campagne du Maroc, l’officier d’administration de 2e classe Teulé, gestionnaire de l’ambulance de colonne mobile n° 22 (1925-1926), sera cité à l’Ordre de l’armée. Son carnet de route servira de modèle (5). Un fait statutaire majeur est compris dans la loi des cadres et effectifs de l’armée du 28 mars 1928. Les appellations de classes pour tous les officiers du Service de santé le corps technique et administratif du service de santé des armées sont remplacées par les grades militaires. Le grade de lieutenant-colonel d’administration est créé. À l’origine des mesures concernant le Service de santé : le sénateur Eugène Penancier, président des off iciers d’administration de réserve du Service de santé. À cette époque, on compte près de 100 hôpitaux militaires (métropole et Afrique du Nord, sans compter l’Outre-Mer). Quelques chiffres pour la guerre 1939-1945 (active et réserve), 37 off iciers dans la France Libre, 54 morts pour la France, 2 Compagnons de la Libération : Amiot, active et Dehon, réserve, 43 médailles de la Résistance dont 7 avec rosette. Parmi les morts, 16 tués à l’ennemi, 4 fusillés, 10 en déportation dont le capitaine Salvat. Jean Baillou sera élevé à la dignité de grand officier de la Légion d’honneur (1973) comme commandant d’administration de réserve honoraire (déportés-résistants). Un nouvel acte de l’intégration effective du corps dans le Service de santé est la création d’une section administrative à l’École du Service de santé militaire (ESSM) de Lyon en juin 1946 sous l’impulsion du Médecin général inspecteur Debenedetti. Près de 600 officiers y seront formés avant de rejoindre les écoles d’application. Deux professeurs s’y distinguent : les lieutenants-colonels Deporcq, licencié en droit, à l’ESSM et Cluzel, docteur ès-lettres, à l’École d’application du Service de santé militaire (EASSM). Le corps participera aux guerres d’Indochine et d’Algérie, laissant sa trace en Allemagne, en Afrique du Nord et Outre-Mer. En 1965, la loi du 13 juillet réunit en un seul corps les off iciers d’administration du Service de santé de l’armée de Terre et des troupes de Marine et intégra sur option ceux des branches « commissariat et santé » et « comptables matières » de l’armée de Mer. Enfin est créé le corps technique et administratif du Service de santé des armées (24 décembre 1976). Rompant avec les principes de 1882, le statut prévoit que ses officiers assurent des fonctions administratives ou techniques d’encadrement, qu’ils peuvent exercer des fonctions de commandement et participer à la direction des organismes de leur service et être appelés à faire partie d’organismes interarmées. Le nouveau statut offrait des perspectives nouvelles. François Ardhuin sera le premier officier Général de brigade nommé en 2e section (1985) et Jean-Alain Le Corre, le premier en 1re section (1993). L’École militaire du corps technique et administratif, créée le 1 er juillet 1977, forme désormais les élèves off iciers du Corps technique et administratif du Service de santé des armées (CTASSA), qui effectuent ensuite une année à l’École du Val-de-Grâce où ils suivent un enseignement universitaire (Master II Pro en cohabilitation avec Paris VII). Le recrutement direct parmi des diplômés de l’enseignement supérieur, complétant le recrutement semi-direct, apporte la variété des formations universitaires initiales. Les spécialités 433 dans lesquelles sont répartis les officiers couvrent un large spectre : administration et gestion hospitalière, administration générale et gestion f inancière, approvisionnement sanitaire, administration des personnels, encadrement, enseignement et instruction, informatique etc. pour la branche administrative, psychologie appliquée, recherches et techniques de laboratoire, génie sanitaire et bio-médical pour la branche technique. Sur le plan du perfectionnement, les diplômes (Diplôme de qualification militaire (DQM), Diplôme militaire supérieur (DMS), Diplôme technique (DT)) et le brevet technique « option Études spécialisées du Service de santé », (enseignement militaire supérieur du 2e degré) jalonnent le cursus professionnel. Le champ des activités s’est élargi par l’application des règles du service public hospitalier. Il s’est enrichi par des systèmes d’information performants et des procédures nouvelles, par l’ouverture à d’autres disciplines comme l’économie de la santé, par la formation militaire et logistique, par la participation aux opérations extérieures (Groupement médico-chirurgical (GMC), notamment). Et, depuis 2004, l’officier général du corps est Inspecteur technique administratif du SSA. V. CONCLUSION. On peut suivre historiquement l’évolution du corps jusqu’à son aboutissement par la création du corps technique et administratif (6). Le niveau des méthodes et celui de la méthodologie qui caractérisent les 2 e et 3 e cycles de l’enseignement supérieur, correspondent bien aux connaissances et aux capacités d’un nombre toujours croissant d’officiers du corps. Ces qualités ne sont-elles pas de nature à satisfaire le développement d’un sens accru des responsabilités et la préparation à relever des challenges nouveaux, ainsi que l’exprime le Médecin général des armées Bernard Lafont, Directeur central du Service de santé des armées dans son commentaire sur le Livre blanc ? (7). Baptême de la promotion 2008 des élèves officiers d’administration du Service de santé des armées à l’École du Val-de-Grâce. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. 2. 3. 4. Suby in Des Hôpitaux militaires, Collignon éd, Metz, 1789. Antonini Journal officiel du 9 février 1880. Godart Bull. RAOARSS n° 345, février 1935. Biog. Raphal, par P.-J. Linon in Rev. OCTASSA, n° 101, 1er trim. 1988. 434 5. Teulé, Arch.med.ph.mil, t.82, 1er sem 1930. 6. Linon PJ. Officiers d’adm. du Service de santé, préface MGI Juillet, DCSSA, EREMM éd, Paris, 1983. 7. Lafont B. DCSSA, in Armées d’Aujourd’hui, n° 332, juillet-août 2008. p.-j. linon Tricentenaire du Service de santé des armées L’ÉDIT ROYAL DU 17 JANVIER 1708 : ÉVOLUTION DE L’ENSEIGNEMENT ET DE LA FORMATION AU SEIN DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES J.-E. TOUZE, J.-J. FERRANDIS I. INTRODUCTION. Lorsque Louis XIV, par son Édit Royal du 17 janvier 1708, créa les off ices de médecins et chirurgiens des armées du Roy, il ne mesurait certainement pas toute la portée de sa décision. Certes, il souhaitait apporter à nos soldats un soutien sanitaire au plus près des combats et la création d’hôpitaux dans les grandes places du pays pour le traitement des blessures et les soins de suite. En revanche, il ne pressentait pas tout l’impact de son Édit sur la formation des médecins et les avancées scientifiques futures auxquelles nos praticiens ont apporté une part déterminante. Depuis 1708, le Service de santé a été impliqué dans de nombreux conflits. Il a aussi été l’objet de réformes fréquentes mais également de remises en cause de son existence ; cependant, la qualité de son dispositif de formation, jamais contesté, a été un élément clef de sa crédibilité. Composante essentielle du Service, la formation a, au cours de l’Histoire, connu de profondes mutations tout en préservant sa finalité, celle d’offrir aux armées des praticiens polyvalents, aptes à exercer sans transition leur futur métier. d’un long apprentissage manuel était alors bridé par l’interdit religieux interdisant la dissection et l’étude de l’anatomie. C’est avec le développement des premières armes à feu au Moyen âge que la chirurgie, notamment militaire, connaîtra un véritable essor. L’école de médecine de Montpellier y apporta une contribution essentielle avec Henri de Mondeville et Guy de Chauliac qui instaurent au XIV e siècle, l’enseignement de l’anatomie opératoire et apportent des idées novatrices dans le traitement des hémorragies et des suppurations. À cette époque la notion de contrat opérationnel n’existait pas. Pourtant, les monarques exigeaient lors des conflits armés, d’être entourés d’un personnel II. LES PRÉCURSEURS. L’enseignement de la médecine a été jusqu’au XVIe siècle l’objet d’une profonde dichotomie entre les corporations de barbiers-chirurgiens et les médecins dépositaires de la pensée hippocratique, largement enrichie au cours des siècles qui suivirent, de la médecine de langue arabe conduite par Avicenne (1). Ce médecin et philosophe auteur du « canon de la Médecine » influença fortement la pratique et l’enseignement de la médecine occidentale. Les médecins de formation universitaire méprisaient la chirurgie réservée, selon eux, à des barbiers dénués de culture. Le savoir chirurgical, fruit J.-E. TOUZE, médecin général inspecteur. J.-J. FERRANDIS, médecin en chef (cr). Correspondance : J.-E. TOUZE, Direction de l’École du Val-de-Grâce, 1 place Alphonse Laveran, 75230 PARIS Cedex 01. médecine et armées, 2008, 36, 5 Guy de Chauliac. 435 sanitaire important, militaire mais aussi civil. Ces professionnels de santé reprenaient leurs activités civiles une fois le conflit terminé, ils étaient l’équivalent de notre réserve opérationnelle. À la fin du XVe siècle, les chirurgiens sont de plus en plus nombreux sur les théâtres de combats et fait nouveau, sont attachés à des corps de troupe, sans distinction de rang et déjà insérés au sein de formations sanitaires de campagne (2). Avec la généralisation des armes à feu, le XVI e siècle voit s’individualiser une ébauche de chirurgie spécifiquement militaire, comme en témoignent les premiers traités de chirurgie de Jérôme Brunschwig (Strasbourg, 1497) et Hans von Gersdorf, (également à Strasbourg, 1517). C’est évidemment Ambroise Paré, chirurgien de hôpitaux pour secourir les soldats de leurs blessures et maladies ». En temps de paix, les soldats sont hospitalisés dans les hôpitaux de charité. Mais surtout, le code institue l’obligation d’un chirurgien par régiment. Les décennies qui suivirent furent marquées par le regroupement des chirurgiens de « robe longue » de la confrérie de Saint Côme et Saint Damien et des barbiers-chirurgiens « de robe courte », et l’apparition pour la première fois du concept d’évacuations sanitaires (Catinat : « Mémoire contenant les moyens de faire la guerre offensivement dans le Piedmont en 1694, adressé au Roi »). III. LA MÉDECINE MILITAIRE AU SIÈCLE DES LUMIÈRES. Le règne de Louis XIV a été marqué par des guerres incessantes contre toutes les nations d’Europe et par de nouvelles stratégies de combat. La guerre de mouvement, la généralisation des armes à feu furent des sources de blessures au combat plus sévères. Louis XIV conscient du lourd tribut payé par nos soldats souhaita leur apporter le soutien sanitaire qu’ils méritaient. Sa première action fut la création en 1670 de l’Hôtel royal des Invalides qui a été, dira le souverain : « la plus grande pensée de mon règne ». Mais il fallait aussi, eu égard au nombre et au type des conflits, assurer un recrutement régulier et suffisant de praticiens formés à la chirurgie de guerre. L’Édit du 17 janvier 1708 « portant création d’Off ices de Médecins et Chirurgies des Armées du Roy » instaure Ambroise Paré. quatre rois de France, au cours de ses trente années de campagnes militaires, qui est incontestablement considéré comme le père de la chirurgie militaire avec ses méthodes révolutionnaires (désarticulation du coude, ligature vasculaire) et la diffusion de son enseignement en français au lieu du latin. Dès lors, le blessé sera pris en considération et la fin de ce XVI e siècle voit donc, logiquement, la création du premier hôpital de campagne, par Henri IV et Sully, au siège d’Amiens (1597) (3). En 1629, à l’instigation de Richelieu, le code Michau dispose qu’« à la suite des armées seraient entretenus des 436 François Gigot de Lapeyronie. j.é. touze le premier Service de santé des armées avec toutes ses conséquences sur la formation des médecins et chirurgiens militaires. Dès 1718, des cours sont organisés dans nos hôpitaux et dans les régiments disposants d’office de chirurgie. L’ordonnance du 20 décembre 1718 oblige les chirurgiens de chaque hôpital à assister aux cours d’anatomie et de chirurgie « pour s’entretenir et se fortifier dans l’exercice de leur art ». L’Hôtel royal des Invalides a, au cours de cette période, rempli pleinement son rôle d’hôpital d’instruction avant la lettre. Il disposait d’une école d’anatomie où les futurs chirurgiens des armées royales pouvaient s’entraîner sur des travaux de dissection et des exercices de médecine opératoire. Cette école de chirurgie initialement réservée aux futurs chirurgiens des armées royales sera plus tard ouverte, sur des critères de sélection sévères, à des auditeurs extérieurs aptes à recevoir un enseignement de haut niveau. L’enseignement sera, à cette époque et jusqu’à la Révolution, essentiellement limité à l’étude de l’anatomie et de la chirurgie opératoire. La médecine est quasi-absente des programmes d’enseignement. François Gigot de Lapeyronie, issu de l’école de Montpellier, fonde à Paris les chaires de démonstrateurs royaux d’anatomie (1725). Il isole ensuite les chirurgiens du corps des barbiers et crée l’Académie royale de chirurgie (1731). C’est dans ce contexte que Jean Cochon Dupuy (1674 – 1751) prend conscience de la nécessité d’une structure permettant une meilleure formation des médecins et chirurgiens de la Marine. Dans une lettre adressée en 1715 au Secrétaire d’État, il écrit ceci : « il manque, Monseigneur, à tous ces chirurgiens la qualité la plus essentielle pour qu’ils puissent rendre de bons services à la mer, c’est qu’ils ne soient point anatomistes. ». C’est grâce à son impulsion que la première école de médecine navale fut créée à Rochefort, en 1722. Première école de chirurgie au monde, elle servira de modèle aux écoles de Toulon (1725) et Brest (1731). Jean Cochon Dupuy ne limitait pas ses objectifs pédagogiques à l’enseignement de la chirurgie. Il voulait aussi que le chirurgien de la Marine « acquière des connaissances sur les maladies internes, la composition des remèdes et les doses auxquelles ils sont administrés ». C’est pour cette raison qu’un jardin botanique fut créé au sein de l’école de Rochefort. L’enseignement qui était délivré était un modèle exemplaire dans le monde médical de l’époque. Il était à la fois pratique et théorique comportant naturellement celui de l’anatomie et de la chirurgie, mais aussi celui de la médecine interne et de la pharmacopée. Il était aussi continu, validé par un concours d’admission, des contrôles de connaissances hebdomadaires et un concours annuel. En somme, un véritable Centre hospitalier universitaire (CHU). Louis XV poursuivit l’action de son prédécesseur en réorganisant l’enseignement de la médecine militaire. La formation des futurs médecins et chirurgiens-majors des régiments sera déf inie en 1747, après la bataille de Fontenoy. L’ordonnance portant sur le règlement général Programme des cours an 8. des hôpitaux militaires stipule pour la première fois l’existence de cours obligatoires de médecine délivrés une fois par an pour chaque élève médecin. Le dispositif hospitalier militaire s’appuie sur les hôpitaux de la Marine (Rochefort, Toulon, Brest), les hôpitaux de places créés par Louis XIV et les trois grands hôpitaux de Metz (1728), Strasbourg (1742), et Lille (1752) dans lesquels s’est développé l’enseignement nécessaire à la formation des médecins. Pour les personnels hospitaliers, le règlement du 23 décembre 1774, crée au sein des grands hôpitaux de Metz, Strasbourg et Lille, des amphithéâtres et des nouvelles modalités d’enseignements avec la mise en place de stages, d’un contrôle continu des connaissances, de concours et de prix annuels pour les élèves les plus méritants. L'ordonnance du 26 février 1777, subordonne tous les officiers de santé aux médecins inspecteurs généraux avec une sélection rigoureuse, un stage préalable de trois ans, un enseignement surveillé, un cours de perfectionnement sanctionné par un concours à chaque changement de grade. En 1796, un nouveau règlement réorganise, au sein des grands hôpitaux militaires, un enseignement théorique et pratique de médecine, chirurgie et pharmacie. Chaque établissement hospitalier se voit doté d’un amphithéâtre d’anatomie, d’un laboratoire de chimie et pharmacie et d’une salle pour les cours et conférences. Ce dispositif de formation restera en vigueur jusqu’au 1 er Empire. Il permettra aux barons Dominique Larrey, Pierre-François Percy et René-Nicolas Dufriche Desgenettes d’écrire de belles pages de la chirurgie et de la médecine aux armées. l’édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du service de santé des armées 437 IV. DU ROMANTISME À LA PÉRIODE MODERNE. Cette période a été marquée par de profonds bouleversements dans la formation. Largement conditionné par l’engagement de la France dans plusieurs conflits mondiaux mais aussi par de nombreuses guer res coloniales, l’enseignement s’est efforcé de garder trois principes essentiels : maintenir le lien entre les écoles de formation et les hôpitaux, transmettre des savoirfaire et adapter en permanence l’enseignement aux missions du service. Pendant le Consulat et l’Empire, le soutien santé aux armées napoléoniennes fut apporté par les officiers de santé recrutés en masse au sein de l’ancienne armée royale et de l’Académie de chirurgie. Les hôpitaux d’instruction furent paradoxalement supprimés, le gouvernement d’alors préférant les hôpitaux régimentaires et les hôpitaux ambulants « à la suite des armées » plus aptes à fournir les soins aux blessés. À la chute de l’Empire, le gouvernement de la Restauration procéda à des réductions massives d’effectifs et d’off iciers. Le Service de santé ne fut pas épargné et les hôpitaux militaires totalement désorganisés étaient dans l’impossibilité, faute de praticiens, d’assurer les soins aux blessés de la campagne Hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce. de France. Poussé par les circonstances, le gouvernement de la Restauration dut dans la précipitation réouvrir les écoles de formation et les hôpitaux d’instruction qui avaient été supprimés pendant le Consulat. Le gouvernement de la Restauration va dès lors entreprendre une profonde réorganisation du Service de santé des armées (SSA) : rétablissement des infirmiers militaires dès 1820, création d’un corps d’officiers d’administration des hôpitaux militaires, instauration d’un conseil de santé, subordination de l’intendance (4). La formation des médecins qui avait été jusque-là essentiellement orientée sur la chirurgie et l’anatomie va s’enrichir des progrès de la physiologie, des avancées cliniques apportées par Laennec, Bright, Claude Bernard et des perspectives diagnostiques offertes par les progrès de la chimie. L’hôpital devient selon Claude Bernard, « le vestibule de la médecine scientifique » préfigurant les futurs centres hospitalo-universitaires d’aujourd’hui. La formation des médecins militaires tiendra compte dans ses objectifs pédagogiques des avancées scientifiques initiées dès la Restauration. A) LE LIEN ÉCOLE-HÔPITAL. Michel Lévy. 438 Le lien École-Hôpital a été très tôt présent dans les hôpitaux maritimes et les grands hôpitaux de Metz, Strasbourg et Lille. L’hôpital du Val-de-Grâce déjà transformé en 1796 en hôpital d’instruction suivit la même démarche et a été dans les décennies ultérieures un temple de la médecine militaire animé par les grandes personnalités scientifiques de l’époque (D. Larrey, P.F. Percy, R.N. Desgenettes). Mais sous la Restauration, la formation des officiers de santé était devenue plus qu’insuffisante ; Bégin avait même dénoncé l’impossibilité d’une formation continue du fait des pérégrinations des chirurgiens élèves restant trop peu de temps à l’hôpital d’instruction (ils quittaient trop souvent et pendant de longs mois, leur hôpital afin de servir durant la conquête de l’Algérie). En 1836, afin de remédier à ces diff icultés, les anciens hôpitaux d’instruction de Strasbourg, Metz et Lille furent seulement chargés de former les élèves durant deux années préparatoires ; le Val-de-Grâce devint l’unique hôpital de perfectionnement. L’enseignement était j.é. touze Élèves du Val-de-Grâce en 1882. principalement axé sur la prise en charge des maladies et des blessures. Il était complété par des cours de chirurgie de guerre. La durée des études était de trois ans avant que les élèves ne rejoignent leur première affectation au sein des hôpitaux et des régiments. Cette synergie ÉcoleHôpital sera rompue en 1850 par deux décrets : le premier, du 23 avril 1850, signé par le général d’Hautpoul, supprima les hôpitaux d’instruction de Lille, Strasbourg, Metz, Brest et Toulon et surtout l’hôpital de perfectionnement du Val-de-Grâce. En fait, c’est le Val-de-Grâce qui était visé car ses élèves avaient participé activement à la Révolution de 1848, réclamant à la suite de Gama, l’autonomie du Service de santé vis-à-vis de l’Intendance. Michel Lévy réussit en quatre mois à faire signer, par le même d’Hautpoul, le second décret du 9 août 1850, donnant naissance à la première École d’application de médecine militaire, dont la mission était d’apporter aux jeunes médecins et pharmaciens l’instruction médico-militaire indispensable à leur futur métier. Désormais, les futurs officiers de santé devaient avoir soutenu leur thèse de doctorat en médecine préalablement à leur admission. Les hôpitaux de Strasbourg, Metz et Lille continuaient d’assurer la formation initiale des étudiants, en liaison avec les facultés de médecine. Fondateur de l’École du Val-de-Grâce, Michel Lévy mesura rapidement les conséquences de la rupture du lien fonctionnel entre l’École et l’Hôpital. Pour y remédier, il instaura au Val-de-Grâce des conférences cliniques, mit en place des concours de recrutement de professeurs agrégés. Son souhait était d’ouvrir aux hôpitaux militaires une voie d’accès réservée aux médecins et pharmaciens formés à l’école d’application. L’École d’application assurait donc, dès sa création, l’enseignement médico-militaire spécifique aux futures missions des jeunes médecins, de manière analogue à ce qui se pratique de nos jours. Le lien École-Hôpital sera rétabli en 1889 après l’autonomie technique du Service (1882). L’hôpital d’instruction retrouve sa mission initiale, celle d’être un complément indispensable au cursus pédagogique suivi à l’École d’application (5, 6). La nécessité d’offrir aux élèves médecins des stages hospitaliers a, depuis cette époque, été une priorité pour tous les directeurs de l’École du Val-de-Grâce. Ils souhaitaient que l’enseignement se déroulât au plus près du malade avec des conférences cliniques sur les pathologies observées. C’est dans cet esprit, que le Médecin inspecteur général Vaillard, considérant l’offre de soins insuff isante dans nos hôpitaux militaires, tenta sans succès d’ouvrir l’accès aux hospices civils pour nos étudiants. Dans la même démarche, il concentra l’enseignement clinique des maladies infectieuses au cours de la période hivernale où le recrutement du pavillon des contagieux était à son acmé. Le programme d’enseignement utilisait la dissection de cadavres, l’étude de coupes anatomiques congelées. Il comportait, fait nouveau, des cours portant sur l’hygiène, l’épidémiologie et la microbiologie. Ces disciplines étaient alors incontournables pour nos praticiens engagés dans la campagne d’Algérie et dans de nombreuses guerres coloniales. C’était l’ère Pastorienne, celle de la connaissance des maladies infectieuses où l’on retrouve des noms prestigieux : Laveran, Calmette, Yersin, Simond, Grall, Marchoux. La période contemporaine a été marquée par de nombreuses réformes universitaires et par de grandes évolutions dans la formation des praticiens du Service de santé des armées : adaptation de la formation aux évolutions du service, ouverture sur l’université en 1968 sous l’impulsion de C. Laverdant et d’H. Baylon, rattachement des hôpitaux d’instruction aux directions régionales, sans perdre pour autant le lien fonctionnel avec l’École et les Instituts de formation. Depuis 2004, la réforme des études médicales a modifié le 3e cycle des études médicales en instaurant l’examen national classant, obligatoire pour tous les étudiants en médecine. Cet « internat pour tous » a supprimé de facto le stage d’application que toutes les générations antérieures de médecins avaient suivi à l’École du Val-de-Grâce (EVDG). Celle-ci a désormais la responsabilité pédagogique du 3 e cycle des études médicales. Elle a aussi la charge d’assurer la cohérence des actions de formation du SSA, ainsi que la mise en œuvre des actions de formation continue et d’adaptation à l’emploi pour l’ensemble des personnels du SSA. Elle implique que chaque personnel soignant s’engage à terme dans une démarche de formation continue et d’évaluation de sa pratique professionnelle. Pour remplir sa mission pédagogique, l’EVDG dispose d’un collège de professeurs titulaires et de professeurs agrégés, des écoles de formation et bénéf icie de l’édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du service de santé des armées 439 respectée et de nos jours, l’épreuve d’anatomie et l’apprentissage de la chirurgie sur cadavres et modèles animaux, reste un des points forts de la formation. Il en était de même pour les épreuves de clinique au lit du malade où l’étudiant devait ressortir dans chaque leçon les implications particulières à la médecine et à la chirurgie d’armée. Cette tradition a été maintenue dans les concours actuels du Service de santé des armées. C’est sur ces principes que l’enseignement de la médecine tropicale et en situation isolée s’est toujours appuyé. L’Institut de médecine tropicale créé sur le site du Pharo en 1905, a de tout temps préparé les jeunes médecins issus des écoles de Bordeaux et de Lyon à fournir, en zone tropicale, une aide médicale aux populations démunies des pays du sud. Ces médecins étaient dans la plupart de cas en poste isolé, en milieu rural, avec des moyens limités et confrontés au quotidien à des urgences médicales ou chirurgicales. La connaissance des maladies tropicales transmissibles, la gestion des épidémies, la maîtrise des principaux gestes chirurgicaux d’urgence ont toujours été des axes importants d’un enseignement délivré par des praticiens ayant tous une expérience de terrain. Les médecins militaires à l’issue de leur stage étaient capables de faire face à la plupart des situations médicales et d’effectuer des interventions chirurgicales de première nécessité. Louis Laveran. l’appui de l’ensemble des structures du Service de santé disposant d’experts dans chacun de leurs domaines de compétence (hôpitaux d’instruction des armées, instituts, directions régionales, centres d’instruction et de formation). Les responsabilités pédagogiques du directeur de l’EVDG l’amènent à avoir des contacts étroits avec toutes les instances universitaires. Il est à ce titre membre de la conférence des doyens de facultés de médecine françaises et maintient avec les chefs de service de CHU et ses homologues universitaires des liens étroits qui permettent un meilleur suivi du cursus des internes et des assistants. L’EVDG est aussi un site privilégié de colloques et de réunions scientifiques et elle héberge l’enseignement de nombreux diplômes universitaires. B) LA TRANSMISSION DES SAVOIR-FAIRE. L’enseignement a, depuis la création des hôpitaux des ports, gardé une finalité pratique suivant la tradition de l’École « facta, non verba ». Le compagnonnage, le retour d’expérience, l’apprentissage des gestes élémentaires de chirurgie ont toujours été les points forts de la pédagogie. Louis Laveran recommandait déjà en 1856 d’alléger les exposés théoriques et invitait les professeurs à délivrer des enseignements pratiques mettant les élèves face aux réalités futures de leur exercice. L’enseignement de l’anatomie topographique et de la médecine opératoire était alors un des points forts de cet enseignement absent du programme des facultés. Cette tradition a toujours été 440 Jamot. j.é. touze C’est cette polyvalence qui a crédibilisé leurs actions auprès des populations et qui a fait la renommée des médecins issus de l’École du Pharo. Aujourd’hui, les conditions d’exercice en pays tropical sont différentes. La politique de substitution a été remplacée par un véritable partenariat de coopération. Le contexte international, la professionnalisation des armées, l’évolution des missions de défense ont conduit le Service de santé des armées à adapter son enseignement. Les enjeux actuels sont la préparation sanitaire des forces, le soutien médical opérationnel et l’aide médicale aux populations. La prévention, la gestion des urgences, la connaissance de l’environnement tropical et une parfaite connaissance des maladies endémiques et transmissibles sont plus que jamais nécessaire pour le soutien médical des 30 000 militaires présents en permanence en zone tropicale. Les formations sont menées en étroite collaboration avec l’Université de la Méditerranée et avec la participation de nombreux experts militaires et civils. Cette mission d’enseignement est renforcée par une importante activité de recherche et d’expertise en santé publique. Le paludisme, les arbovirus, le méningocoque sont depuis longtemps des axes de recherche prioritaires car ces affections concernent au premier plan les militaires en opération extérieure. C) UN ENSEIGNEMENT ADAPTÉ AUX MISSIONS. Depuis la création de l’École, les directeurs successifs ont chacun apporté des outils pédagogiques et des locaux adaptés aux thématiques enseignées. Le pavillon d’anatomie construit en 1830 sera suivi les décennies suivantes, de la construction d’autres locaux destinés à l’histologie, la médecine légale, l’hygiène, la microbiologie, la chimie. Fait original pour l’époque le médecin général inspecteur Delorme avait créé en 1913 un stand de tir sur le site de l’École pour que les médecins et jeunes chirurgiens puissent évaluer les effets des armes à feu sur des pièces anatomiques. Dès sa création, l’École disposait déjà d’une bibliothèque et d’une imprimerie destinée à l’impression des cours des professeurs et des thèses des élèves. Les promotions de l’époque comportaient 60 à 80 stagiaires et quelques auditeurs civils. L’enseignement se déroulait de janvier à juillet, il était regroupé en six chaires d’enseignement : médecine d’armée, anatomie et médecine opératoire, hygiène et ergonomie, chirurgie spéciale, maladies et épidémies aux armées. La volonté des enseignants de l’École était d’offrir aux élèves médecins une formation la plus complète possible, prenant en compte toutes les situations de leur futur exercice. C’était notamment le cas de la chirurgie spéciale où les étudiants devaient appréhender tous les aspects de l’ophtalmologie, de l’oto-rhino-laryngologie et de l’odontologie qui étaient déjà des disciplines essentielles pour l’expertise et le recrutement. Il en était de même pour la déontologie, la législation et l’administration militaire qui étaient l’objet d’un enseignement spécifique. Les objectifs pédagogiques d’aujourd’hui sont peu différents. Les matières enseignées regroupées en neuf chaires restent les mêmes, les étudiants disposent des laboratoires hospitaliers, d’une bibliothèque rassemblant plus de 40 000 ouvrages et 400 périodiques. L’atelier de reprographie assure les mêmes missions qu’autrefois, le stand expérimental de tir crée par Delorme a trouvé depuis une suite avec l’unité de chirurgie pratique expérimentale situé sur le site du Pharo. Celle-ci permet aux médecins et chirurgiens d’évaluer et traiter les effets des armes de guerre sur des réacteurs biologiques et d’étudier les effets arrières des balles de guerre sur les gilets de protection. La plus grande avancée tient aux nouveaux outils de communication mis à la disposition des enseignants et des élèves. L’enseignement utilise d’ores et déjà les nouveaux instruments pédagogiques nés de la révolution technologique. L’e-learning, le télé-enseignement commencent à être utilisés et permettent de délocaliser les formations, de limiter les déplacements d’enseignants et de réduire les coûts pédagogiques. Les infirmiers de bloc opératoire sont formés avec ce vecteur d’enseignement et des cycles de formation chirurgicale ont déjà été effectués entre les hôpitaux d’instruction des armées et des hôpitaux africains. Ces nouveaux outils sont un élément de réponse à de nombreuses situations d’isolement et se révèlent précieux dans la mise en place d’une formation continue pour tous. Mais aujourd’hui, le véritable enjeu de l’EVDG est d’instaurer une formation adaptée aux emplois des Médecin général inspecteur Delorme. l’édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du service de santé des armées 441 praticiens. Mettre en adéquation les emplois et les compétences acquises est l’enjeu que s’est f ixé récemment le SSA pour toutes ses catégories de personnels. Après une période initiale où les emplois sont polyvalents une orientation est envisagée dans un domaine de compétence. La formation complémentaire et continue trouve ici toute sa place. Elle ouvre la voie d’une qualification par validation de l’expérience. Tous les personnels du SSA inscrits dans ce processus peuvent progresser dans leur emploi, obtenir des postes de responsabilité plus importants et bénéficier d’un avancement plus rapide. Il est ainsi possible d’identifier des parcours professionnels et d’offrir aux intéressés une meilleure lisibilité de Élèves à l’École du Service de santé des armées de Lyon 2006. (copyright ESSA Lyon Bron). carrière. Cette démarche permet aussi au responsable des ressources humaines d’avoir une vision prospective dans le pilotage de sa politique et de disposer d’un outil de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. V. CONCLUSION. En conclusion, les principes de la formation au sein du Service de santé des armées n’ont guère varié au cours des siècles. Les thématiques enseignées sont peu ou prou les mêmes, qu’il s’agisse de la médecine ou de la chirurgie aux armées, mais aussi de l’hygiène, de l’épidémiologie et de la connaissance des bases déontologiques et législatives indispensables à l’exercice médical. Le regroupement de la formation en grandes chaires pédagogiques, les concours hospitaliers, l’enseignement résolument pratique utilisant le compagnonnage et le retour d’expérience ont depuis la création du service en 1708, toujours été les points forts de la formation délivrée dans nos écoles et nos instituts. Attentif aux évolutions universitaires et pédagogiques, le Service de santé des armées est en permanence inscrit dans la modernité tout en préservant les acquis d’une riche histoire. Rappelonsnous ce qu’écrivait en 1914 le Médecin inspecteur A. Mignon, directeur de l’École du Val-de-Grâce : « je ne suis pas de ceux qui refusent de rendre hommage aux morts sous prétexte que la vie est synonyme d’action et que ce qui a cessé d’être n’a plus d’avantage en soi. Il me semble au contraire que quiconque apparaît au banquet de la vie doit se féliciter que d’autres soient nés avant lui pour lui préparer le gîte et le couvert ». Méditons ce propos et n’oublions pas que nos actions actuelles et futures ne doivent pas faire table rase de l’expérience du passé (7). RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Grmek MD. Histoire de la pensée médicale en occident ; Seuil Ed, 1999 ; tome 3 : 412 p. 2. Cudennec Y. In Chirurgie de guerre. Le cas du moyen âge par Mounier-Kuhn A. Economica Ed, 2006, 1 volume : 314 p. 3. Delorme E. Traité de chirurgie de guerre. Anc. Lib. Germer Baillière et Cie, Félix Alcan Ed, Paris, 1888. T. I. Introduction : Histoire de la chirurgie militaire française. 4. Des Cilleuls J, Hassendorfer J, Pesme J, Hugonot G. Le Service de 442 santé militaire pendant la Révolution et l’Empire. Revue internationale des Services de santé des armées de Terre, de Mer et de l’Air. SPEI Ed, Paris, 1961. 5. Bazot M. L’École d’application du Service de santé des armées et ses missions contemporaines. Lyon-Val, 1994 ; 56 : 10-1520. 6. Bazot M. L’École d’application dans le siècle, au Val-de-Grâce. Lyon-Val, 1999 ; 61 : 39-44. 7. Mignon A. L’école du Val-de-Grâce, 1914, 1 volume : 242 p. j.é. touze ESSA Bordeaux ESSA Lyon IMASSA EPPA EVDG IMNSSA IMTSSA CRSSA l’édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du service de santé des armées 443 Officiers du corps de santé Membres titulaires de l'Académie de médecine 1820 J. BARBIER J.P. BOUDET F. BROUSSAIS R. DESGENETTES D. LARREY P.F. PERCY P. ROBIQUET 1821 Ch. LAUBERT 1822 J.M.G. ITARD 1823 P. GALLEE J. VIREY 1825 J. LODIBERT 1835 L. BEGIN A. FEE Ch. LAURENT A. POIRSON 1850 H. LARREY M. LEVY 1856 A. POGGIALE 1867 V. LEGOUEST 1874 J. VILLEMIN 1875 M. PERRIN 1880 L. COLLIN 1885 E. VALLIN 1887 J. MARTY 444 1890 L. LEREBOULLET J. CHAUVEL 1893 L. KELSCH A. LAVERAN 1897 E. DELORME 1904 L. VAILLARD 1907 H. VINCENT 1918 Ch. DOPTER C. SIEUR 1929 P. BRETEAU H. ROUVILLOIS 1933 E. SACQUEPEE 1956 L. AUBLANT 1958 M. PILOD R. DEBENEDETTI 1962 H. GOUNELLE de PONTANEL L. VELLUZ 1979 J.F. CIER 1980 H. BAYLON 1987 Ch. LAVERDANT 1988 P. JUILLET 1992 P. LEFEBVRE 2007 Y. BUISSON 2008 J.E. TOUZE j.é. touze Tricentenaire du Service de santé des armées TROIS SIÈCLES DE RECHERCHE ET DE DÉCOUVERTES AU SEIN DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES D. VIDAL, R. DELOINCE I. INTRODUCTION. II. LES XVIIE ET XVIIIE SIÈCLES. Présenter en quelques lignes les activités de recherche conduites par le Service de santé des armées depuis trois siècles ne peut se faire qu’en choisissant quelques découvertes et avancées scientifiques originales dans le contexte scientif ique des époques traversées. La recherche est une activité humaine naturelle et continuelle, qui a débuté bien longtemps avant sa récente institutionnalisation. Les avancées de nos connaissances résultent plus d’un travail constant, et souvent bien ingrat, que d’une trouvaille spectaculaire et bruyamment annoncée. Les idées réellement nouvelles heurtent souvent les certitudes d’une époque et mettent beaucoup de temps à s’imposer avant de devenir elles-mêmes des certitudes, qui sont, à leur tour âprement défendues lors de leur remise en cause. Pourtant, lorsque le roi Louis XIV décide, en 1708, de créer un Service de santé des armées, pouvait-on imaginer, à une époque où la science était encore balbutiante voire combattue, que ce service devrait s’engager dans des activités de recherche propres ? L’évolution des conditions de vie du soldat ainsi que les maladies, les agressions et les contraintes spécifiques, ont soulevé des questions pour le maintien de la santé des combattants et la réparation des affections contractées en opérations, qui ont conduit le Service de santé à rechercher des solutions pragmatiques et efficaces. Nous évoquerons les principaux progrès de la science médicale et biologique au cours des trois derniers siècles, pour voir ensuite comment le Service de santé des armées a assimilé et parfois initié cette évolution. A) CONTEXTE SCIENTIFIQUE. D. VIDAL, pharmacien chef des services. R. DELOINCE, médecin chef des services (er), maître de recherches. Correspondance : D. VIDAL, département de Biologie des agents transmissibles, CRSSA, BP 87 , 38702 LA TRONCHE. médecine et armées, 2008, 36, 5 Depuis la renaissance, il devenait peu à peu certain que les phénomènes naturels obéissaient à des lois que l’homme pouvait apprendre à connaître. Le premier microscope était inventé vers 1590 par un habile fabricant de lunettes, Zaccharias Janssen, et le hollandais Anton Van Leeuwenhoek (1632-1723) avait décrit dès 1673 de nombreux êtres microscopiques sous le terme d’«animalcules », mais les mots biologie ou microbe n’existaient pas encore. Depuis le XVII e siècle, des académies qui tentaient de mettre les observations et les premières découvertes scientif iques à disposition d’une élite, étaient fondées un peu partout en Europe. L’Académie des Sciences, établie en 1666, excluait l’alchimie et l’astrologie de son champ d’action. Elle mit en place des bases spécifiques propres à l’activité scientifique : expérimentation, la publication et la rémunération des savants. Dès le XVIIe siècle, la nécessité de la mesure et de l’expérimentation était déjà affirmée pour connaître les lois de la nature et une transmission eff icace des connaissances scientifiques était mise en place. Si la médecine était plutôt pratiquée par des scolastiques, moqués par Molière, la physiologie a pris son essor durant le XVIIIe siècle. En France, l’Académie royale de chirurgie était fondée par Louis XV en 1731 et la Société royale de médecine par Louis XVI en 1776. Une découverte majeure de la fin du XVIII e siècle est la variolisation, procédé efficace de protection contre un fléau redoutable : la variole. Elle est venue d’Angleterre après les travaux d’Edward Jenner (1749-1823). B) LES APPLICATIONS DE LA SCIENCE DANS LE CORPS DE SANTÉ MILITAIRE. Ambroise Paré (1509-1590) avait déjà appliqué avec succès les connaissances anatomiques publiées par Vésale, en dépit du contrôle sévère et menaçant des 445 l'expédition de Minorque. Il passa à l'armée d'Allemagne pendant la guerre de Sept ans, et y rendit les plus grands services en créant, pour ainsi dire, la pharmacie militaire. Il analysa les eaux minérales de la France, découvrit la propriété fulminante du mercure, reconnut avant Lavoisier que, dans la combustion, les minéraux enlèvent à l'air un de ses principes. Élu à l’Académie des Sciences en 1795, il fit plusieurs autres observations importantes, consignées dans ses Opuscules chimiques, Paris, 1798. Ambroise Paré. autorités religieuses. Le nouveau corps de santé des armées était par nature destiné à affronter des situations inédites de détresse et de souffrance humaines auxquelles il devait répondre. Des esprits ouverts à la science y étaient présents (1) : Antoine Poissonnier-Desperrière, inspecteur général de la médecine pour la Marine, Pierre Bayen (1725-1798) et Antoine Parmentier (1737-1813), apothicaires du roy. Les officiers du Service de santé militaire ont compris la nécessité d’une organisation administrative et technique spécifique afin de prévenir les épidémies et maintenir un bon état de santé au sein du personnel des armées. L’hygiène et l’administration des hôpitaux apparaissent très vite comme une préoccupation majeure. La Marine royale disposait déjà d’un corps de santé attentif aux problèmes d’hygiène posés par les longues traversées océaniques, les infections nouvelles rencontrées dans les pays explorés et même par le travail dans les arsenaux. Les travaux de Jenner ne passent pas inaperçus au sein du service. Un grand hygiéniste, Jean-François Coste (1741-1819), introduit la variolisation parmi les troupes envoyées au secours des insurgés américains, puis la vaccination antivariolique deviendra obligatoire dans les Armées sous l’impulsion entre autres de Parmentier, pharmacien-inspecteur général du Service de santé. Il estimait aussi que la meilleure façon de lutter contre les maladies était d’abord une bonne nourriture et une bonne hygiène. Adepte des idées des Lumières, il n’aura cesse d’améliorer la condition du soldat et il apparaît comme l’un des fondateurs de la médecine préventive. Pierre Bayen, pharmacien et chimiste né à Châlons-surMarne, suivit en 1755, comme pharmacien en chef, 446 Jean-François Coste. III. LE XIXE SIÈCLE. A) LE CONTEXTE SCIENTIFIQUE. Dès le début de ce siècle, l’origine des maladies fait l’objet de discussions entre Pierre-Fidèle Bretonneau (chaque maladie a une origine spécifique) et François Broussais (les maladies ont une origine commune). La structure cellulaire des tissus vivants est établie et Virchow fonde l’histopathologie microscopique. Les anomalies de la composition chimique du sang commencent à être étudiées. Pasteur, en étudiant la dissymétrie moléculaire, fonde la stéréochimie dont l’intérêt est considérable en biologie moderne, puis il s’intéresse à la fermentation et fait des découvertes qui vont révolutionner la médecine. Il va ainsi confirmer avec Koch, la spécif icité étiologique des maladies infectieuses, alors que Claude Bernard ouvre la voie à la physiopathologie. De nombreux agents infectieux sont identifiés et les moyens de prévention ou de lutte contre d. vidal les épidémies vont se rationaliser à la fin de ce XIXe siècle, pendant que la recherche scientifique et technique va s’enraciner profondément en biologie et en médecine. À cette époque sont formés en France et en Europe, des savants, médecins, vétérinaires et pharmaciens, dont l’influence sera majeure et se poursuivra jusqu’au milieu du XXe siècle. B) LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE DANS LE SERVICE DE SANTÉ. Le corps de santé militaire français va participer activement à ces recherches. C’est une période fructueuse au cours de laquelle les collaborations avec l’Académie de médecine et l’Académie de pharmacie sont renforcées. Rappelons que dès 1796, la convention avait créé l’hôpital d’instruction du Val-de-Grâce qui dispensera un enseignement spécifique et scientifique aux médecins des armées. Son corps professoral comptera de nombreux membres des Académies de médecine, de chirurgie ou des sciences et certains d’entre eux présideront ces assemblées. La circonscription fournit quantité d’hommes pour les conflits qui vont se dérouler au sein de l’Europe et en Orient. Les immenses rassemblements et déplacements humains engendrent des épidémies massives et les armes des combats deviennent de plus en plus meurtrières. Les chirurgiens des armées doivent affronter des situations qui dépassent l’entendement et leurs efforts héroïques constituent les premières tentatives de la médecine d’urgence. Tout cela est largement connu. Cependant leur dévouement inlassable et leur extraordinaire habileté technique ont été souvent masqués par le développement d’infections redoutables. De plus, l’intérêt des dirigeants politiques, hors quelques paroles réconfortantes largement diffusées, reste anecdotique car l’opinion publique n’a pas pris conscience de l’ampleur du phénomène. Une méthode scientif ique simple va la convaincre : l’introduction de la méthode statistique (2). Les médecins classent et dénombrent les blessures par armes, en établissent leur fréquence respective et leurs conséquences. Ils prouvent l’importance des phénomènes infectieux, qui vont encore s’accentuer avec la conquête coloniale où les militaires ont rencontré des agents infectieux nouveaux dans des conditions climatiques diff iciles. L’eff icacité de moyens de prévention simples et peu coûteux est ainsi prouvée sans contestation possible. C’est ainsi que Maillot obtient une bonne protection contre le paludisme du corps expéditionnaire en Algérie avec le sulfate de quinine. C’est bien évidemment les travaux de Pasteur qui ont apporté une base rationnelle à la prévention et au traitement des infections. La communication de Charles Emmanuel Sédillot, à l’Académie de médecine en 1878, avait introduit le terme de microbes et la science des microbes ou microbiologie allait prendre un essor considérable en médecine. Les liens étroits entretenus par Pasteur et les médecins du Val-de-Grâce ont permis trois siècles de recherche et de découvertes au sein du service de santé des armées une diffusion rapide des connaissances au sein du service où les « pastoriens » ont rapidement pris une place légitime auprès de leurs collègues cliniciens (3). Le laboratoire de bactériologie crée au Val-de-Grâce en 1888 par Louis Vaillard marque le passage de la recherche individuelle à la recherche collective dans le Service de santé des armées (4). Dès 1862, Jean-Antoine Villemin avait démontré expérimentalement le caractère contagieux de la tuberculose, Alphonse Laveran avait établi aux alentours de 1880 l’origine parasitaire de l’infection paludéenne et sa transmission par un moustique. L’ensemble de ses travaux lui vaudra le prix Nobel en 1907. Le pharmacien aide-major de 1re classe Louis Carle Gessard avait, en 1883, isolé dans son laboratoire du Val-de-Grâce le bacille pyocyanique. Louis Vaillard a installé le premier laboratoire de bactériologie médicale au Val-de-Grâce en 1888, la même année que l’inauguration de l’institut Pasteur. En 1910, Hyacinthe Vincent crée le laboratoire de vaccination antityphoïdique et de sérothérapie du Val-de-Grâce et sera, selon le maréchal Joffre, l’un des meilleurs artisans de la victoire de la guerre de 1914-1918. N’oublions pas les importants travaux réalisés dans les Instituts Pasteur d’outre-mer, en particulier ceux d’Alexandre Yersin, découvreur du bacille de la peste, en Asie (1). Charles Emmanuel Sédillot. 447 l’institutionnalisent, mais l’Europe doit désormais compter avec l’Amérique du Nord qui a développé un formidable outil de recherche dans ses universités. Cela va progressivement enclencher un contrôle des dépenses publiques engagées pour la recherche, puis un investissement de l’État dans l’orientation des travaux, une évaluation des chercheurs et parfois des ajustements douloureux. V. L’ADAPTATION DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE DANS LE SERVICE DE SANTÉ. Les médecins de la Marine recevaient depuis longtemps une formation spécifique liée aux conditions de vie en mer, puis ceux des troupes de marine eurent à résoudre les problèmes posés par l’envoi de troupes outre-mer. Des centres de documentation furent naturellement établis pour répondre à ces nouvelles pathologies infectieuses ou alimentaires. L’École d’application du Service de santé de la Marine fut créée à Toulon en 1896, celle pour les troupes coloniales à Marseille au Pharo, en 1905. Après de multiples péripéties, une Société savante de médecine militaire est même créée officiellement le 5 septembre 1906 : société purement scientifique, nommée « Société de médecine militaire française », elle a pour but d'organiser « une tribune scientifique où tout membre du corps de santé pourrait venir exposer et débattre des sujets d'ordre professionnel ». Louis Vaillard. IV. LE XXE SIÈCLE. A) LE CONTEXTE SCIENTIFIQUE. Au début du XXe siècle se poursuit l’œuvre entreprise précédemment pour améliorer la prévention et le traitement des maladies infectieuses avec les sulfamides, puis les antibiotiques, les antiviraux et le développement des vaccins. Les techniques d’investigation du corps humain progressent, l’acte chirurgical est de plus en plus maîtrisé. Mais dès 1930, des physiciens qui avaient participé à l’émergence du modèle atomique s’intéressèrent à l’origine de la vie. Ils allaient mettre en marche, au cours des années 40 et 50, une formidable évolution de nos connaissances sur l’information génétique. Celle-ci avait commencé avec le moine Mendel, puis avec Morgan. Erwin Schrödiger, Max Delbrück développèrent des modèles simples (bactérien ou viral) afin d’élucider la composition de la molécule-gène. Watson et Crick établirent la structure de l’ADN, ce qui ouvrit la voie aux biotechnologies actuelles. Cette révolution biologique commencée à la fin de la guerre 1939-1945, est restée en Europe un peu confidentielle jusqu’au début des années soixante. Parallèlement, le développement de l’informatique, dès les années soixante-dix, va bouleverser l’analyse des données et conduira en particulier à l’imagerie médicale. Les gouvernements des États européens comprennent alors l’intérêt de la recherche médicale et 448 Commandemants armées orient. d. vidal Vaccination anti-variolique au Val-de-Grâce. Les deux guerres mondiales en moins d’un demi-siècle vont favoriser le développement d’armes nouvelles. Sous l’impulsion des médecins d’unités et des enseignants, des instituts de formation et de recherche voient le jour pour répondre à ces problèmes nouveaux. La réponse du Service de santé est rapide : une section technique de recherche (STRESSA) est établie en 1912 et regroupera progressivement le laboratoire de bactériologie, le laboratoire de chimie et le laboratoire de physiologie qui seront par la suite transférés à Lyon en 1955 et formeront le Centre de recherche du Service de santé des armées (CRSSA). Un laboratoire d’études médicophysiologiques de médecine aéronautique militaire est fondé au Val-de-Grâce en 1921 devenant par la suite l’Institut de médecine aérospatiale (IMASSA), l’Institut du Pharo devient dès 1953 un centre de formation et de recherche dont la renommée dépassera largement le cadre de l’hexagone en devenant l’Institut de médecine tropicale (IMTSSA), le centre de recherches biophysiologiques appliquées à la Marine (CERB) à Toulon va aborder les réactions de l’homme en hyperbarie, devenant l’Institut de médecine navale (IMNSSA). Fils de médecin colonial, Henri Laborit (1914-1995) est né à Hanoï. Médecin de la Marine, chirurgien en Indochine, il observe que les défenses de l’organisme peuvent devenir néfastes dans certaines circonstances, et a donc l’idée de les bloquer à l’aide de substances ou trois siècles de recherche et de découvertes au sein du service de santé des armées de les ralentir par hibernation. En vérif iant l’action d’une nouvelle molécule, la chlorpromazine, il découvre son eff icacité dans le domaine de la psychiatrie ce qui transforme radicalement le traitement de quelques maladies mentales. Il créée le Centre de recherches biophysiologiques appliquées à la Marine et devient l’un des premiers maîtres de recherches du Service de santé des Armées. Il reprendra l’étude de la physiologie en l’abordant par la complexif ication de la matière, l’ionisation de l’hydrogène et un mode de représentation emprunté à la cybernétique. Il obtient le Prix Albert Lasker. Cet esprit original, communicant, a ensuite tenté d’appliquer les progrès récents de la biologie à une meilleure compréhension des comportements humains (5). Tous ces nouveaux champs d’études sont enseignés dans des écoles d’application qui ont mis en place leur propre corps professoral et restent parfaitement intégrées au système de formation du Service de santé. Mais le développement de ces armes nouvelles amène, en 1961, le Service de santé à mettre en place dans le prolongement de la section technique, le CRSSA, organisme à vocation interarmées pour faire front aux agressions de type nucléaire, radiologique, biologique ou chimique (NRBC) et psychophysiologique. L’évolution rapide des connaissances demande un effort de mise à niveau qui échappe, en partie, au Service de santé. Les futurs spécialistes de recherche du Service de santé sont formés 449 Alexandre Yersin. 450 d. vidal auprès d’équipes de recherches de pointe en France ou aux États-Unis. Des vétérinaires militaires, des scientifiques du contingent, issus des grandes écoles ou des universités, sont accueillis au sein des unités de recherche et vont bousculer la pensée anthropocentrique régnante. Chaque unité de recherche explore des voies variées et originales pour maintenir un juste équilibre entre la science pure et dure (recherche amont) apprise à l’Université et les attentes du Service de santé ou des États-majors qui ont surtout trait à la recherche appliquée. Cela ne favorise pas toujours les relations avec ceux qui font tourner la « maison » au quotidien et qui ont comme préoccupations immédiates la médecine d’unité, la prévention des épidémies d’hépatite en Algérie, la sélection du personnel, la chirurgie réparatrice,… Des chefs, souvent indulgents, ont permis de traverser cette période de mise à niveau, qui a parfois été accompagnée du départ pour l’université de médecins militaires déjà rompus à la recherche moderne. Pierre Douzou (1926-2000), né à Millau, pharmacien chimiste du Service de santé des armées, Docteur ès Sciences (1958), sera chef de la division de biophysique du CRSSA (1960), maître de recherches du Service de santé des Armées (1965) et professeur au Val-de-Grâce (1966). Pour tenter de comprendre comment on passe en biochimie d’un système inanimé à un système vivant, il s’intéresse aux mécanismes photochimiques et photophysiques, en particulier aux photo-transformations trois siècles de recherche et de découvertes au sein du service de santé des armées réversibles de certaines molécules (ex : lunette s’adaptant à la luminosité). L’étude précise de ces cycles l’amène à ralentir les réactions en abaissant la température et initie ainsi la cryochimie et la cryoenzymologie dont il écrit un ouvrage de base : Cryobiochemistry : an introduction. 1977 ; Academic Press ; London. Il étudie aussi certains cycles biochimiques hépatique et musculaire, à l’aide des outils techniques qu’il a mis au point. Il a reçu en 1962 le prix Pelman de biologie. Ayant quitté le Service de santé en 1971, il a travaillé dans de nombreux instituts de recherche : Muséum national d’Histoire naturelle, INSERM, INRA. Membre de l’Académie des sciences en 1979, il est demeuré jusqu’à son décès, une personnalité scientifique influente. Les chercheurs ont d’abord travaillé sur des modèles animaux reconnus, ce qui ne va pas tarder à surprendre même les plus compréhensifs du Service ou de la DGA (élevage de canards, de crabes, de scorpions voire de moutons ou de congres). Mais comment échapper à l’étude d’une infection émergente comme le SIDA, lorsqu’on dispose d’outils permettant d’évaluer les troubles immunitaires radio-induits, comment étudier la radiorésistance sans rechercher des modèles naturellement radiorésistants comme le scorpion ou les agents transmissibles non conventionnels responsables d’encéphalopathies spongiformes. Heureusement, des médecins issus des centres de recherches se sont peu à peu intégrés au sein du système de financement de la recherche militaire et ont ouvert aux ingénieurs et bailleurs de fonds le monde de la biologie et de la médecine modernes. La majorité des travaux se sont poursuivis dans différents domaines, en physiologie pour tenter de protéger le combattant sur terre (climat, altitude) en mer (hyperbarie) et dans les nouveaux avions de combat (accélération), en microbiologie pour améliorer la protection contre les infections naturelles ou provoquées et en biochimie sur le thème de la protection contre les gaz de combats. Les aspects psychologiques n’ont pas été négligés et l’étude du cerveau (neurosciences) demeure une priorité au sein de nombreuses unités de recherche. D’autres établissements tels que le Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA), le Service de protection radiologique des armées (SPRA), le Centre principal d’expertise du personnel naviguant (CPEPN), le Centre de traitement de l’information médicale des armées (CETIMA) ont mis sans cesse en place des outils techniques nouveaux et ont participé activement à des travaux de recherche qui leur sont propres. Enfin, comme en milieu hospitalier civil, la recherche clinique s’est développée dans la plupart des Hôpitaux d’instruction des armées (HIA) pour maintenir une compétence médicale d’excellence et obtenir une reconnaissance nationale et internationale. L’émergence de la biologie moderne en médecine a introduit de nouvelles pratiques en recherche : l’analyse des mesures s’aff ine et les statisticiens contribuent à l’établissement de protocoles rigoureux ; la réglementation impose le renforcement des mesures 451 Chlorpromazine. d’hygiène et de sécurité du travail, la protection du sujet en expérimentation, la surveillance des activités du génie génétique, la protection de l’environnement ; les comités d’éthique éveillent au respect de l’animal et la qualité en recherche se développe. Les résultats sont publiés dans des revues internationales avec comités de lecture, majoritairement anglophones. Tout cela valide le travail accompli, mais impose une adaptation continue des acteurs de la recherche. De même, à la suite des grandes réformes de la recherche nationale, la formation évolue et l’habilitation à diriger les recherches s’impose à nos cadres ainsi que l’évaluation périodique des travaux réalisés sous leur direction. Ceci nécessite une constante collaboration avec l’université, et pour le chercheur la création de réseau nationaux et internationaux personnels permettant d’accéder rapidement aux dernières évolutions scientifiques et techniques de son domaine. Cette évolution rapide va nécessiter des ajustements fréquents des structures de recherche avec des regroupements ou des restructurations qui vont bousculer les habitudes mais permettre un décloisonnement et la mise en place de projets transversaux. Dominique Dormont, né en 1948 à Châlon-sur-Marne, médecin de la Marine, arrive au Centre de recherche du service de santé des Armées en 1977. Une formation scientifique solide et bien ciblée dans le domaine de la 452 biochimie et de la biologie moléculaire, une structure de recherche ouverte, performante et bien insérée dans un milieu scientifique moderne et compétent français, puis américain vont permettre l’épanouissement de ses qualités humaines et professionnelles exceptionnelles. Il prend en charge l’étude des modif ications précoces biochimiques et immunologiques des encéphalopathies spongiformes attribuées alors à un virus dit à incubation longue (slow-virus). En recherchant les moyens de diagnostiquer, puis de traiter de telles infections, il aborde l’étude de rétrovirus et se trouve rapidement impliqué dans le traitement du SIDA qui vient d’émerger et s’étend rapidement. Cette réactivité remarquable n’empêche pas son équipe d’obtenir ensuite la multiplication de l’agent de la tremblante du mouton dans une lignée cellulaire et disposer ainsi des moyens de quantif ier l’agent infectieux. En 1992, il fait un rapport au ministère de la Recherche sur les encéphalopathies spongiformes. Il allait enfin faire prendre conscience du problème et de la nécessité d’une prévention afin d’assurer la sécurité alimentaire. Il fut nommé directeur à l’Institut des hautes études mais décéda en 2003, avant d’avoir inauguré un laboratoire totalement consacré à l’étude des prions (6). Peu à peu la maîtrise de l’outil scientifique et un choix de travaux de thèse bien ciblés ont débouché sur une stratégie de recherche propre au service, lisible par toutes les d. vidal parties. Des réseaux avec les hôpitaux civils et militaires, avec les Centres de recherches nationaux et internationaux et avec l’Université permettent de maintenir l’outil technique et scientifique à un niveau d’excellence. Des résultats appréciables, objet de thèses d’état ou de publications nationales ou internationales, sont acquis dans toutes les disciplines en prenant une part active aux contraintes nouvelles du Service de santé des armées. L’expérience du SSA dans le domaine de l’hépatite virale épidémique commence par l’expérience clinique et épidémiologique incomparable des médecins des armées confrontés aux grandes épidémies en Algérie (Laverdant, Molinier). D’emblée (1961) les pastoriens du service tentent d’isoler un virus en utilisant les techniques de laboratoire les plus connues à l’époque (Maître, Antoine, Garrigues) mais ce sont des expérimentations américaines qui ont caractérisé, puis détecté le virus de l’hépatite A dans les selles, en 1973 à l’aide d’une technique délicate à l’époque. Sous l’impulsion de ces précurseurs, le soutien constant d’universitaires (C. Trepo, Ph. Maupas, Ph. Chevallier) et l’aide désintéressée mais précieuse de collègues américains (J.L. Dienstag, I. Kamal, Ph. Provost et J.R. Ticehurst) ou européens (B. Flehmig, A. Pana), une équipe de la division de microbiologie du Centre de recherches peut, dès 1978, isoler, puis cultiver ce virus et enfin déterminer sa sensibilité aux antiseptiques et antiviraux, à partir de prélèvements parfaitement ciblés par les médecins et biologistes hospitaliers militaires. Tous les travaux réalisés par une dizaine d’équipes dans le monde ont conduit, en une vingtaine d’années, à la mise au point d’un vaccin qui permet de protéger efficacement les armées contre l’« hépatite du soldat » qui depuis plusieurs siècles défiait stratèges et médecins (7). Ainsi, lors de la première guerre du Golfe, plusieurs chercheurs médecins, pharmaciens et vétérinaires ont été envoyés en mission auprès des hôpitaux de campagne lors du conflit, puis en mission d’inspection pour le compte de la Commission spéciale des Nations Unies (UNSCOM) dans les sites de défense de l’Irak. Ce personnel adapté aux missions de recherche a donc retrouvé une position opérationnelle de médecins, pharmaciens et vétérinaires. Tête de scud irakien supposée avoir été armée par le bacille du charbon, déterrée par une mission de l’UNSCOM. Photo D. Garin, Irak 1998. trois siècles de recherche et de découvertes au sein du service de santé des armées La récente organisation de la fédération de recherche officialise cette situation et les chercheurs continuent de participer aux opérations extérieures. La fonction recherche est aujourd’hui organisée en huit programmes opérationnels de recherche axés sur la protection du combattant face aux agressions biologiques, chimiques et physiques, combattant évoluant dans des environnements extrêmes ou sur un espace de bataille moderne de plus en plus complexe. Le plan stratégique du Service de santé des armées étend ces priorités de la recherche, sous forme duale, à la protection du combattant mais aussi à celle de la population civile. Ainsi, le Service de santé des armées dispose d’une capacité d’expertise unique dans les domaines couverts par ces programmes pour conseiller le commandement et les États-majors (8). La formation des assistants, les séjours à l’étranger, la participation à la formation dans l’École du Valde-Grâce, sont désormais organisés et encouragés ainsi que le séjour de chercheurs militaires étrangers dans nos laboratoires. VI. PERSPECTIVES ET CONCLUSIONS. Depuis trois siècles le Service de santé des armées a fait des efforts considérables et permanents pour répondre par des solutions scientifiques aux questions que posent les contraintes du métier des armes à la santé des militaires. Les conditions extrêmes de la vie du soldat, du marin ou de l’aviateur dans les campagnes et les guerres, sous toutes les latitudes et les climats, sous les mers et dans l’espace, ont suscité de multiples questions pour prévenir, protéger ou traiter les conséquences de ces multiples agressions. Les médecins, les pharmaciens, les vétérinaires, les ingénieurs et les techniciens du Service de santé ont cherché à innover dans tous les domaines de la physiologie, de la microbiologie, de l’immunologie, de la psychologie, de la pharmacologie, de la toxicologie, de la biologie moléculaire et cellulaire, etc. Dans le cadre de cette problématique spécifique la recherche du Service de santé a progressivement émergé avec le progrès scientifique. Le problème qui persiste de façon récurrente, est de trouver l’équilibre entre la recherche amont dite fondamentale, source d’évolution, avec la recherche dite appliquée, qui valorise dans la pratique les acquis de la précédente dans des domaines particuliers. Cette recherche appliquée est certes moins spectaculaire et médiatique mais très utile au combattant. Cette recherche d’équilibre est à l’origine de turbulences inévitables et devant les protestations ou critiques des uns et des autres, le Service de santé des armées est resté attentif et ouvert, car il est souvent difficile de percevoir l’importance d’un concept, d’une méthode ou d’une idée qui risque de bouleverser notre futur. Pouvait-on penser qu’un travail d’ethnologue allait apporter le diagnostic de l’hépatite B ? Qu’un agent infectieux radio-résistant peut ne pas posséder d’acide nucléique et provoquer des démences, liée à une neuro-dégénérescence transmissible chez l’adulte jeune ? Parmi les nombreux 453 chercheurs du Service de santé des armées, certains ont été éminemment distingués, comme Alphonse Laveran, prix Nobel de médecine pour sa découverte de l’agent du paludisme ou Henri Laborit, prix Lasker pour la mise en évidence du premier neuroleptique, découverte qui bouleversa la psychiatrie. Néanmoins, il reste toujours difficile d’institutionnaliser la créativité dans un corps qui sélectionne ses meilleurs éléments pour transmettre ce qui est le plus utile au blessé ou au malade et qui doit aussi veiller à les protéger contre les engouements médicaux soutenus par une communication performante voire contre l’irrationnel. La recherche collective a pu de même être distinguée par exemple avec l’attribution du prestigieux prix Gallien au Service de santé des armées pour l’auto-injecteur bi-compartiment utilisable dans la thérapie d’urgence dans les intoxications par les organophosphorés. L’esprit de recherche, « savoir plus pour mieux soigner », doit continuer à soutenir la prise en charge des blessés et des malades qui sont confiés au Service de santé des armées depuis 300 ans. L’institution trouvera sa richesse à la fois en encourageant des personnalités passionnées, parfois dérangeantes mais nécessaires au progrès des idées, et en soutenant sans faille l’effort ingrat, discret, continu et indispensable des chercheurs formant les groupes de recherche structurés autour d’équipements et de plateaux techniques lourds. La recherche a été organisée rationnellement dès les années 1950 par un Bureau d’action scientif ique et technique de la Direction centrale du Service de santé des armées en évitant les redondances inutiles avec les établissements scientifiques civils (Centre national de la recherche scientif ique, Institut national de la recherche médicale) (9). Le Centre de recherche du Service de santé des armées, les Instituts de médecine tropicale, de médecine aéronautique et de médecine navale sont maintenant regroupés au sein d’une fédération de la recherche préfigurant la création du futur centre unique du XXIe siècle, l’Institut de recherche biomédicale des armées. Prix Gallien 2005. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Blaessinger E. Quelques grandes figures de la chirurgie, de la médecine et de la pharmacie militaires, Paris, Éditeur Blanchard ; 1952 : 420 p. 2. Chenu JC : De la mortalité dans l’Armée et des moyens d’économiser la vie humaine. Extraits des statistiques médico-chirurgicales des Campagnes de Crimée (1854-1856) et d’Italie (1859). Paris, Librairie Hachette et Cie ; 1870. 3. Roussel P. Les pastoriens du Service de santé des armées. Thèse de médecine, Lyon, 1997 : 151 p. 4. Lefêvre P. Histoire de la médecine aux armées, tome 3. Paris, 454 Lavauzelle ; 1987 : 424 p. 5. Laborit H. Physiologie humaine cellulaire et métabolique. Paris, Masson et Cie ; 1961 : 585 p. 6. Court, L. Histoire d’une épopée scientifique. Médecine et Armées, 2006, 34 (2) : 109-15. 7. Trepo C, Valla D. Hépatites virales. Progrès en hépatogastroentérologie, Paris, Doin ; 1993 : 188 p. 8. Viret J. Évolution de la recherche dans le Service de santé des armées. Médecine et Armées, 2006, 34 (2) : 105-8. 9. De Benedetti R. La médecine militaire. Paris, Presses universitaires de France ; 1961 : 128 p. d. vidal Tricentenaire du Service de santé des armées LA RECHERCHE AU CENTRE DE TRANSFUSION SANGUINE DES ARMÉES M. JOUSSEMET La recherche appliquée, comme la participation à la recherche fondamentale dans ses domaines d’activités, en collaboration étroite avec des unités de recherche du secteur civil, ont, en quelque sorte, été inscrites dans les gènes du Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) par son fondateur, Jean Julliard. Lui-même est l’un des pionniers qui ont fait passer la transfusion du bras à bras, norme de la pratique des actes transfusionnels jusque dans les années quarante, à la transfusion différée de sang conservé par l’utilisation du citrate et du flacon de verre. Le modèle de flacon utilisé en France était d’ailleurs le fruit des travaux de Julliard et il en portait le nom : le moule initial est conservé au CTSA. Le concept même de l’acte transfusionnel et son positionnement dans la prise en charge des patients traumatiques ont été appliquées pendant la campagne d’Italie par « l’invention » du « médecin transfuseur réanimateur », travaillant proche de la ligne de front, capable de participer à son propre réapprovisionnement par des prélèvements « sur place ». C’est l’origine du concept de fonctionnement des services d’urgence et de réanimation : les initiateurs portaient pour nom Julliard, Benhamou, Stora, … Après la reconquête du territoire français et l’installation à Percy du CTSA par le gouvernement provisoire de De Gaulle, le centre se positionnera toujours parmi les pionniers qui participaient aux mouvements de recherches touchant à ses domaines d’activités : ce sera l’utilisation systématique de produits sanguins spécifiques (concentrés de globules rouges, de plaquettes, plasma frais congelé) et l’abandon du sang total, puis la lyophilisation du plasma avec l’installation à Clamart de la première unité européenne de lyophilisation de plasma thérapeutique. La transfusion de plaquettes en France a été initiée par Maupin, deuxième directeur du CTSA, qui, pour l’anecdote, tous les jours, apportait à Villejuif les premiers concentrés de plaquettes transfusées aux premiers greffés de moelle par Mathé ; c’était déjà M. JOUSSEMET, médecin général, directeur du CTSA. Correspondance : M. JOUSSEMET, Centre de transfusion sanguine des armées « Jean Julliard », BP 410, 92141 Clamart Cedex. médecine et armées, 2008, 36, 5 la prise en charge des patients irradiés suite à un accident en Bulgarie. L’un des pionniers de l’hémostase a été Raby qui a inventé le thromboélastogramme, et participé à la découverte des facteurs de l’hémostase ; un des premiers traitements de l’hémophilie a été du plasma dit « anti-hémophilique », plasma lyophilisé très rapidement après sa séparation du don de sang puis immédiatement congelé et lyophilisé : Perfusion. 455 la thermosensibilité de la molécule de facteur VIII, inconnue à l’époque, était déjà prise en compte dans la préparation du produit thérapeutique. En immunologie, un travail plus discret qui avec le regard de l’histoire s’est révélé d’esprits novateurs, a été l’aventure de l’étude du facteur de transfert lymphocytaire : la connaissance des cytokines apportera bien des années après une explication aux interrogations de l’époque. Il en sera de même pour tout un ensemble de travaux sur l’inflammation et l’hémostase ; Jean Hainaut y consacrera de nombreuses années de recherche en marge de son activité purement transfusionnelle. Pour la période plus proche de nous, deux domaines de recherche seront plus particulièrement développés à la f in du vingtième siècle : l’amélioration de la conservation des produits sanguins par l’utilisation de solutions de conservation pour les concentrés de globules rouges ou de plaquettes et le fractionnement des protéines du plasma. En complément du fractionnement alcoolique de Cohn, la mise en application des méthodes de chromatographie permet une séparation beaucoup plus fine des protéines du plasma à l’origine de nombreux médicaments dérivés du sang : ce sera l’œuvre de Saint Blancard et de Fabre. Cette évolution est actuellement mise en application sur un plan industriel et largement utilisée. L’actualité est toute autre, elle est liée à l’utilisation des cellules isolées puis greffées éventuellement après une phase de culture : la thérapie cellulaire fait partie de ce grand mouvement actuel des biotechnologies qui est l’un des domaines de recherche les plus en pointe de la médecine actuelle, mais on n’écrit pas l’histoire au présent. Unité de thérapie cellulaire (CTSA). 456 m. joussemet Tricentenaire du Service de santé des armées CHIRURGIE MILITAIRE ET BLESSÉS DES MEMBRES S. RIGAL I. INTRODUCTION. La majorité des blessés qui arrivent vivants aux chirurgiens de guerre présentent une lésion des membres. C’est la constatation réalisée au cours de tous les conflits de l’antiquité à nos jours. Le traitement des lésions graves des membres dans les structures chirurgicales de l’avant permet de sauver la vie de blessés par la médicalisation précoce et une chirurgie aux gestes rapides et efficaces, de sauver le membre par une stabilisation et une revascularisation et de préserver au mieux la fonction par des gestes qui permettent de nombreux choix techniques après évacuation. Cette prise en charge est possible par la présence de chirurgiens des armées compétents en traumatologie osseuse et formés aussi bien aux spécif icités des lésions de guerre qu’aux nécessités militaires. Aux qualités des hommes s’ajoutent un équipement technique et une logistique performants. En 2008, les principes de traitement ne sont pas seulement une adaptation à la situation actuelle mais également l’héritage de l’histoire du Service de santé des armées au service des combattants sur le terrain depuis trois siècles. La chirurgie dans les armées sur le champ de bataille a une histoire marquée par des hommes d’exception et le traitement des lésions des membres a longtemps été le seul domaine de leur activité. Cette chirurgie des membres a évolué en permanence (« appuyé sur des faits et non sur des théories » ainsi que le soulignait Baudens au XIXe siècle (1)) par des adaptations successives des principes de traitement et d’organisation aux caractéristiques des conflits, à la nature des lésions et à une meilleure connaissance de celles-ci, ainsi qu’aux progrès de la médecine. Cela a été réalisé par des hommes, souvent brillants opérateurs, qui ont su toujours aller audelà de leur simple rôle technique. Réfléchissant sur leurs pratiques et la singularité de chaque conflit sur le terrain, ils ont été des organisateurs de la médecine de l’avant et ont toujours insisté sur la nécessité de partager leur expérience et d’enseigner. Longtemps l’habilité et les qualités individuelles n’ont pu compenser les faiblesses S. RIGAL, médecin chef des services. Correspondance : S. RIGAL, service de chirurgie orthopédique et traumatologique, HIA Percy, 101 avenue Henri Barbusse, 92141 CLAMART Cedex. médecine et armées, 2008, 36, 5 de l’organisation et des ressources mais ils ont, dans de nombreuses circonstances singulières, toujours su s’adapter sous la pression de la nécessité. Enfin leur pratique auprès des blessés, a toujours été marquée par une grande humanité et un sens éthique constant qui ont fait honneur au Service de santé des armées. Cet article ne saurait être exhaustif, il évoquera les grands principes laissés en héritage : la nécessaire chirurgie au cœur des combats, la lutte contre l’infection, l’amputation encore parfois malheureusement nécessaire, la place de la fixation externe dans le traitement conservateur, les règles techniques et éthiques du triage et l’indispensable formation à une pratique chirurgicale spécifique. II. LA CHIRURGIE AU PLUS PRÈS DES COMBATS. Depuis le XVe siècle les blessures des membres posent deux problèmes bien identif iés, qui font l’objet de discussions et de recommandations : la suppuration et l’hémorragie. Les tissus de la plaie sont dévitalisés par le traumatisme et systématiquement infectés par l’agent vulnérant. La prévention de l’infection demande une intervention précoce pour éliminer les tissus morts et la contamination. L’hémorragie tue le blessé dans les minutes qui suivent la blessure, le contrôle par un garrot est connu depuis longtemps et le geste chirurgical de ligature ainsi que le proposaient Ambroise Paré (2) et Guy de Chaulliac ou la réparation vasculaire plus moderne doivent être rapides. Faut-il encore disposer des compétences et des moyens pour cette chirurgie sur le terrain ! L’assistance au blessé, sur le champ de bataille, s’est longtemps limitée aux soins donnés par un camarade. Au moyen âge, les blessés sont abandonnés sur le terrain et même achevés. Même si dès 1550 Henri II prévoit un « hospital ambulant pour secourir les malades et les blessés » et si l’édit de Louis XIV, en 1708, précisait : « chaque régiment sera pourvu d’un chirurgien major assisté d’un aide major et de deux élèves chirurgiens qui devront suivre les combats », la nécessité d’une chirurgie encore plus précoce sur le champ de bataille est certainement l’idée des chirurgiens de l’empire. Sous l’impulsion de Pierre François Percy et de Jean 457 Ambroise Paré décrivant la ligature vasculaire en 1553. Dominique Larrey, les chirurgiens sont au cœur des combats au sein de véritables antennes chirurgicales. Pierre François Percy crée des ambulances légères, petits caissons sur roues permettant de transporter non seulement des inf irmiers mais aussi des civières démontables et pliables. Il utilise le Wurst, caisson d’artillerie transformé pour contenir les moyens de secours pour 1 200 blessés. En 1792, Larrey est engagé dans l'armée du Rhin et la suit dans sa campagne d'Allemagne. À la bataille de Spire, en septembre 1792, il brave l'interdiction interdisant aux officiers de santé de se tenir à moins d'une lieue des combats et à attendre leur f in, pour secourir les blessés au cœur même de la bataille. À son retour à Paris, il imagine d'autres « ambulances volantes », caisses suspendues destinées au transport des blessés, qui permettraient d'enlever les soldats invalides du champ de bataille afin « d'opérer dans les vingt-quatre heures ». Ce concept, sur lequel encore aujourd’hui le Service de santé des armées base sa stratégie, est donc parfaitement édicté depuis deux siècles. Cependant l’absence d’autonomie logistique du service de santé au cours du XIXe siècle rendra son application souvent défaillante. Les avancées médicales de cette même période avaient conduit à oublier ces principes à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Dans ce domaine le Service de santé des armées, sous l’influence des chirurgiens de l’avant, à su montrer ses capacités de remise en cause et ses possibilités d’adaptation pour définitivement Ambulance volante de Larrey. 458 s. rigal aff irmer l’importance de la chirurgie du champ de bataille dès les premiers mois de la Grande guerre. La littérature chirurgicale fait actuellement toujours une grande place à la prévention de l’infection (3). À chaque époque les auteurs ont rappelé et rappellent encore l’erreur récurrente de sous estimer le potentiel septique des plaies de guerre et de ne pas respecter le geste chirurgical précoce essentiel que constitue le débridement et le parage. Ambroise Paré, chirurgien ordinaire de quatre rois, s’affranchit le premier des théories officielles et définit dès le XVIe siècle traitement, à appliquer au nouveau type de blessures entrainées par les armes à feux (2). Il écarte l’huile bouillante et propose le nettoyage soigneux des plaies. Jean Dominique Larrey et François Percy avaient identifié, avant l’ère pasteurienne, que l’infection de la plaie de guerre était une des plus graves complications et insisté sur le débridement pour les prévenir. Ce débridement associé au parage chirurgical (dont le stade ultime peut être une amputation), pourtant déjà préconisé par Ambroise Paré (4), mais pas encore admis par tous les chirurgiens, devient la règle en chirurgie de guerre au début du XIXe siècle. Le terme de débridement, mot français attribué à Dominique Larrey et repris par les auteurs anglo-saxons, qui signifie littéralement « couper les brides » mérite d’être précisé. Il ne constitue que l’étape initiale de l’exploration des lésions par ouverture large dans l’axe du membre de la peau, du fascia et plus profondément par section des attaches musculaires et périostées. Il soulage la pression intracompartimentale et donne accès à la chambre d’attrition tissulaire au contact du foyer de fracture, permettant l’évaluation précise et méthodique des lésions avant le parage des tissus. La méthode des pansements rares et des évacuations précoces devaient d’autre part, pour Larrey, éviter « la pourriture d’hôpital », que nous nommons actuellement infection nosocomiale. Les lésions des guerres post Napoléoniennes du milieu et de la fin du XIXe siècle par des balles de petit calibre et l’apport de l’antiseptie puis de l’aseptie, ont dans un premier temps conduit à un parage économique et à une chirurgie trop conservatrice, puis ont fait abandonner le principe d’un geste chirurgical au plus près des combats au tout début de la Première Guerre mondiale. On estimait pouvoir opérer ces blessures peu contuses et peu infectées loin du front, les bases militaires étaient celles d’une guerre de mouvement de courte durée, et l’orientation s’est fait vers une organisation où les évacuations primaient sur le traitement précoce des blessures. Ainsi le règlement de 1910 était conçu dans cet état d’esprit. La capacité opératoire était sacrifiée à la souplesse, le principal travail était d’emballer et d’expédier au loin. Edmond Delorme, professeur de chirurgie de guerre au Val-de-Grâce, prononçait à l’Académie nationale de médecine le 10 avril 1914, ses conseils aux chirurgiens en proposant « des opérations rares, retardées et pratiquées hors du front pour des blessures de beaucoup les plus fréquentes, dues aux balles de petit calibre, dites humanitaires ». L’infection devient alors la règle ! Le 22 septembre 1914 Delorme chirurgie militaire et blessés des membres Ambulance chirurgicale des premières lignes à Baleycourt, secteur de Verdun 1916. reconnaissait ses erreurs « la chirurgie des premières lignes doit faire elle-même tout le nécessaire »… « à situations nouvelles dispositifs nouveaux » (5, 6). Il préconisait une chirurgie précoce concentrée à l’avant et plus ambitieuse. Il est remarquable de constater la réactivité dans la modification de la doctrine qui ramène aux principes édictés lors des guerres de la révolution et de l’empire mais avec une logistique plus efficiente liée à l’autonomie acquise par le Service de santé des armées grâce aux lois de 1882 et 1889. En octobre 1917 Pierre Duval, médecin chef de l’ambulance chirurgicale automobile 21 et chirurgien consultant de la 7e armée, rapportait son expérience sur l’évolution de la chirurgie de guerre. « En 1914, la chirurgie de guerre reposait sur deux grands principes : évacuer loin sans opération précoce et opérer au minimum. La guerre actuelle a inversé cette formule. Opérer toujours et le plus vite possible ; n’évacuer que des blessés opérés : telle est la règle ». La meilleure connaissance de l’évolution biologique de la plaie de guerre justifiait cette attitude sans attendre pour éviter les redoutables complications infectieuses. Ce principe imposait que « le chirurgien doit être aux armées, et le plus près possible des lignes pour opérer le plus vite possible »… « le chirurgien doit avoir à sa disposition une installation parfaite, un matériel complet » « cette formule est appliquée dans l’armée française ; les installations chirurgicales dans les ambulances chirurgicales automobiles, dans les centres chirurgicaux ne laissent actuellement rien à désirer ». Dès 1915 avec la guerre des tranchées sont constituées des formations chirurgicales mobiles dont les fameuses « autochir ». Cette nouvelle formation sanitaire est créée selon Henri Rouvillois « dans la plus grande tradition des médecins militaires qui, tel Larrey, voulaient que les secours soient toujours placés à côté du danger » et « disposent de puissantes ressources en personnel et en matériel devant permettre d’opérer dans de meilleures conditions de confort chirurgical » (5). Toutes les formations chirurgicales mobiles utilisées de nos jours n’en sont que les héritières plus ou moins 459 14e Antenne Chirurgicale Parachutiste durant l’opération « Turquoise » en 1994 à Goma. perfectionnées. Plus loin à l’arrière s’échelonnent des hôpitaux de plus en plus lourds et perfectionnés. La guérilla, avec un front mal défini, et les conditions sanitaires diff iciles de la guerre d’Indochine ont imposé une refonte des formations chirurgicales mobiles des campagnes d’Italie et de France. Les antennes chirurgicales mobiles et les antennes chirurgicales parachutistes, formations plus légères et à l’équipement standardisé, ont participé à toutes les opérations. Lors de la guerre d’Algérie les évacuations héliportées médicalisées sont devenues de routine et le concept des antennes chirurgicales a été conf irmé sous le nom d’antennes de secteur, devenues plus sédentaires (6). Aujourd’hui l’armature du Service de santé de l’avant est conçue pour une action mobile développée autour de ces antennes chirurgicales capables de traiter les extrêmes urgences et de conditionner les autres avant évacuation vers les hôpitaux de l’arrière et de l’infrastructure. En pratique depuis 30 ans, l’éloignement de la métropole des territoires d’opération de l’armée française a toujours imposé pour les lésions des membres un geste chirurgical bien au-delà d’un simple conditionnement. L’Antenne chirurgicale est constituée d’une équipe formée de douze personnels dont un chirurgien orthopédiste. Ce chirurgien diplômé et compétent en orthopédie mène alternativement la vie d’un chirurgien de terrain et celle d’un chirurgien de service hospitalier. C’est un avantage certain que d’avoir ainsi la connaissance de toutes les 460 étapes de la stratégie du traitement des lésions des membres lors de la décision des gestes à réaliser en urgence à l’avant. Lucien Jean Baudens (1) insistait déjà en 1837 en Algérie sur cette double expérience : « j’avais le double avantage d’aller panser les blessés sur le champ de bataille et de les ramener ensuite dans un hôpital dont j’étais le chirurgien en chef ». Le matériel est adapté à une stratégie de traitement en niveaux successifs et comporte en particulier des boîtes pour la chirurgie osseuse et des boîtes de fixateur externe permettant de stabiliser les fractures. Si la mission initiale est le soutien chirurgical des troupes françaises avant évacuation, les capacités d’adaptation permettent une activité au service des populations avec dans ce cadre aussi une majorité de lésions des membres à traiter. Une transformation en structure de soins unique qui doit assurer l’ensemble du traitement est alors nécessaire au cours de ces missions à caractère humanitaire (7). Si ces formations ne peuvent procurer l’idéal chirurgical, elles représentent un compromis entre l’art chirurgical et les obligations imposées par les conditions du combat ainsi que le soulignait déjà le médecin en chef Chippaux en 1959. Il faut remarquer qu’actuellement cette doctrine du Service de santé des armées qui met le chirurgien le plus près possible du blessé est reprise dans les conflits d’Irak et d’Afghanistan où est privilégié une relève médicalisée vers une formation chirurgicale de l’avant, comparable à s. rigal nos antennes chirurgicales, pour un geste opératoire précoce et rapide puis une évacuation vers une formation plus lourde à l’arrière. III. L’AMPUTATION, LONGTEMPS LA SEULE RÉPONSE AUX LÉSIONS GRAVES, RETROUVE UNE ACTUALITÉ CRUELLE DANS LES CONFLITS MODERNES. Ambroise Paré amène une innovation fondamentale en appliquant rationnellement à l’amputation la ligature des vaisseaux pratiquée depuis longtemps dans les hémorragies (4). Bien codif ié, ce geste restera pour trois siècles la base de l’enseignement et de la pratique du chirurgien militaire. Pierre Dionis (premier chirurgien de mesdames les dauphines et dont le fils a été le chirurgien major de Le rétracteur à parties molles de Percy toujours présent dans les boites d’amputation au XXIe siècle. l’armée du roi d’Espagne) qui avait pratiqué la chirurgie aux armées, dans la neuvième démonstration de son cours d’opération de chirurgie publié en 1707 précise : « C’est dans les hôpitaux des armées, durant les sièges ou après une bataille, qu’il y a bien des occasions de faire cette amputation : les coups de canon ou de fusil, les éclats de bombe et de grenade brisent tellement les bras et les jambes de ceux qui en sont blessés qu’il est très difficile de les leur sauver. Le chirurgien se trouve contraint d’extirper malgré lui une jambe pour sauver la vie du malade ; car il vaut encore mieux vivre avec trois membres, que de mourir avec quatre ». Déjà les niveaux de l’amputation sont parfaitement appréhendés pour le meilleur résultat fonctionnel de l’appareillage ainsi au niveau de la jambe : « je conseille toujours de couper une jambe tout le plus bas qu’il est possible, pourvu que l’on puisse conserver le mouvement du genou … pour ne laisser du moignon qu’autant qu’il en faut pour appuyer la jambe de bois … » (8). chirurgie militaire et blessés des membres La ligature appuyée des vaisseaux, réalisée séparément, est un geste actuel pourtant déjà bien défini ainsi par Georges de la Faye chirurgien des camps et armées du roi en 1732 : « L’opérateur prend une aiguille courbe ... il l’enfonce assez avant dans les chairs, à un des côtés du vaisseau, et la retire ; il passe une seconde fois dans les chairs de l’autre côté du vaisseau et le retire de même ; il noue le fil à deux nœuds … par ce moyen le vaisseau se trouve lié avec les chairs qui l’environnent, comprimé exactement et mollement » (9). Larrey pratiquait des amputations précoces et salvatrices, les blessés mourraient moins et guérissaient plus vite qu’après le traitement conservateur. En outre leur évacuation était plus simple que celle des blessés ayant conservé leur membre. Il préconisait plutôt la désarticulation geste plus rapide (en l’absence d’anesthésie) qui ne nécessitait pas la scie mais le couteau qui passait dans l’articulation. Alors que Percy, quant à lui, préférait temporiser pour laisser se dessiner la frontière entre le tissu dévitalisé et celui encore vivant. Ce « Nestor de la chirurgie militaire », lauréat à plusieurs reprises de l’académie pour ces travaux sur les ciseaux, les bistouris, les instruments d’extraction des projectiles et qui travailla aussi sur les aiguilles, la ligature des artères, la cautérisation nous a laissé en héritage son rétracteur de parties molles pour amputation encore employé aujourd’hui. Lucien Jean-Baptiste Baudens, défenseur des amputations précoces, réalisait un véritable parage de régularisation le plus distal possible pour conserver le plus de longueur et des lambeaux cutanés suff isant pour l’affrontement : « le coussinet charnu ainsi formé protégeait la cicatrice et les opérés étaient moins soumis aux douleurs du moignon » (1). C’est la préconisation que l’on fait actuellement pour la réalisation des amputations en traumatologie et qui est indispensable à un appareillage fonctionnel. Si longtemps les chirurgiens ont pu estimer que leur tâche était achevée dès la cicatrisation, il faut retenir que des chirurgiens des armées ont eu, bien avant la formalisation par la commission consultative de prothèse et d’orthopédie en 1921, le souci de l’appareillage. Ambroise Paré est souvent retenu comme un précurseur dans ce domaine avec ses appareils métalliques articulés et motorisés pour le coude ou le genou, la cheville à boule du général Dausmenil amputé à Wagram par Larrey est célèbre, la bottine-pilon était proposée par Roux en 1850 pour les amputations basses de jambe (6). Actuellement la collaboration chirurgiens orthopédistes, rééducateurs et appareilleurs permet une prise en charge multidisciplinaire indispensable au sein du service de santé des armées. Longtemps, l’amputation fut la seule réponse chirurgicale aux lésions graves des membres, mais très tôt les chirurgiens des armées ont eu conscience de son caractère mutilant et on eu le désir d’être autant que possible conservateurs. Ainsi Dionis introduit-il sa neuvième démonstration « De l’amputation » : « de toutes nos opérations, celle qui fait le plus d’horreur c’est 461 l’amputation de cuisse, d’une jambe ou d’un bras. Quand on est près de séparer une partie de son tout, qu’on fait la réflexion sur les moyens cruels dont on va se servir, il n’y a point de chirurgien qui ne tremble et qui ne compatisse au malheur du pauvre patient, qui se trouve dans la fatale nécessité d’être privé d’une partie de son corps pour toute la vie » (8). L’observation de monsieur de la Peyronie, rapporté dans le même chapitre, montre la conservation et la guérison d’une fracture ouverte du bras par arme blanche, parée et immobilisé par un appareil qui autorisait les pansements. Le risque de la conservation est pris et une tactique adaptée à l’arsenal conceptuel et technique de l’époque est mise en œuvre avec succès même si le résultat fonctionnel reste limité par les séquelles neurologiques (9). La découverte de l’anesthésie (par deux dentistes Wells et Morton en 1847) utilisée pour la première fois durant la guerre de Crimée (1854-1855), et ultérieurement amélioré avec l’injection de penthotal apporte une amélioration majeure à la pratique chirurgicale et permet le développement de techniques plus élaborées. Celle de l’antisepsie par Joseph Lister, les progrès fulgurants de l’ère pasteurienne, puis le développement des antibiotiques à la suite de la découverte de la pénicilline en 1928 par Fleming (la pénicilline est utilisée pour la première fois par les chirurgiens français lors de la campagne d’Italie en 1943) apportent un progrès majeur dans la prise en charge et la prévention de l’infection. Les progrès du traitement d’un choc grâce à la réanimation et à la transfusion sanguine permettront dans certains cas une option conservatrice mais l’amputation reste toujours indispensable devant des lésions pluritissulaires graves ou pour sauver la vie. Sabatier, chirurgien chef des Invalides, exposait clairement en 1796 les indications et les interrogations, sur les possibilités de gestes moins radicaux, encore très actuelles : « les cas qui exigent l’amputation sont assez nombreux : ce sont les grands fracas des os avec écrasement des parties molles, la destruction totale des membres par l’effet du canon, … , l’ouverture des principaux troncs artériels », et laisse percevoir la possibilité d’un geste moins radical «… mais dans quelques uns de ces cas mêmes, il est possible de se dispenser de l’amputation et de parvenir à la guérison en conservant le membre » (10). c’est une double adaptation à des nécessités techniques intangibles, sinon invariables et à des nécessités militaires parfois inattendues et toujours variables » (11). Le traitement des lésions des membres en pratique de guerre a bénéficié des connaissances de la chirurgie civile et applique les nouvelles avancées techniques de celle ci. Mais la pratique civile est,elle aussi, influencée par l’expérience de la chirurgie de conflit. Si le « damage control » orthopédique issu de la pratique civile s’est imposé comme référence de la prise en charge des lésions des membres chez le polyblessé (3, 12, 13), le regain d’intérêt pour le contrôle de l’hémorragie par le garrot est issu de l’utilisation militaire actuelle. Le garrot, mis en place par le blessé ou un camarade, évite la mort dans les premières minutes (« les minutes de platine ») qui suivent la blessure, voici ce que nous rappellent les derniers conflits, voilà ce qui est applicable lors de blessure graves en milieu rural. Henri Le Dran en 1749 recommandait déjà l’utilisation militaire du tourniquet en chirurgie IV. ÉVOLUTION VERS UN TRAITEMENT PLUS CONSERVATEUR ET UN BUT FONCTIONNEL. En 1936, le Médecin général inspecteur Henri Rouvillois, président du congrès français de chirurgie, rappelait dans son discours d’ouverture : « la chirurgie de guerre n’a d’autres règles que celles de la chirurgie de paix ; elle ne peut avoir d’autres bases que les siennes c’est-à-dire des bases techniques. L’organisation de la chirurgie aux armées est fonction des soins à donner aux blessés ; elle doit être subordonnée à la technique et non la technique à l’organisation. Mais son fonctionnement doit s’adapter aux circonstances de guerre et aux nécessités militaires, 462 La « boîte à Baudens » en bois qui permet extension et contention des fractures de jambe. s. rigal de guerre pour contrôler les hémorragies dans les traumatismes graves et durant les amputations. Même si des différences résident dans la typologie des traumatismes rencontrés, les modes de traitement et d’évacuation, le chirurgien militaire cherche à respecter les standards civils malgré des conditions de travail plus difficiles. Cette orientation a toujours existé à l’exemple de la résection articulaire défendue par Percy (« nous nous sommes applaudi d’avoir adapté au traitement des plaies par armes à feu et propagé cette pratique aux armées »), adoptée par Larrey, réintroduite par Baudens et dont les résultats ont été analysé par Delorme en 1881 dans un mémoire qu’on pourrait qualifié aujourd’hui de méta analyse (14). Percy écrira en parlant de ce procédé « j’ai ainsi conservé à une foule de gens des bras condamnés à la destruction totale ». L’analyse de Delorme sera plus critique pour les résultats fonctionnels et il conclura en faveur d'une place limitée de la résection articulaire à côté de la méthode conservatrice d’une part et de l’amputation de l’autre. Le traitement actuel des lésions graves des membres est issu des deux exercices, civil et militaire. Le débridementparage initial est l’héritier des règles précisées lors du premier conflit mondial (le débridement systématique permet d’explorer la plaie, l’épluchage et l’émondage au bistouri et au ciseau éliminent les zones dévitalisées et contuses), la stabilisation par fixateur externe est l’application d’une technique de la traumatologie civile. S’il n’est pas l’inventeur de la fixation externe le Service de santé des armées a eu le mérite d’en reconnaître les vertus, de les adopter, d’œuvrer à son perfectionnement et d’institutionnaliser sa stratégie d’utilisation en pratique de guerre. Ambroise Paré, repris dans l’édition de 1764 des « dix livres de chirurgie » donnait les principes essentiels du traitement d’une plaie de guerre de l’avant bras avec fracture des deux os, après extraction des corps étrangers l’immobilisation était réalisée sur gouttière métallique (4). Les contentions pour immobiliser les fractures par des attelles en bois ou des « fanons de paille » étaient utilisées lors des guerres d’empire. À la suite de l’orientation plus conservatrice, qui est née en 1830 lors de la conquête de l’Algérie, extension et contention des fractures sont devenues indispensables. La « boîte à Baudens » de 1821 est une des solutions proposée (1). Lors de la première guerre mondiale, le chirurgien Duval note en matière d’appareillage que « leur emploi ressort de l’esprit regrettable qui veut que la chirurgie de guerre se fasse avec des moyens de fortune ». Pour Rouvillois « une immobilisation bien faite change complètement la situation du blessé … l’appareillage de transport est un geste de nécessité fonctionnelle qui permet de calmer la douleur, réaliser une évacuation confortable, limiter les lésions préexistantes, éviter les complications » (5). La méthode de Trueta, lors de la guerre civile espagnole, comportait outre le parage une immobilisation stricte par plâtre à l’origine des meilleurs résultats vis-à-vis du risque infectieux dans période pré antibiotique (15). L’importance de la stabilisation était donc connue chirurgie militaire et blessés des membres Fracture de hanche par balle et lésion vasculaire des vaisseaux fémoraux. Stabilisation par fixateur externe du Service de santé des armées et réparation vasculaire. depuis longtemps mais les moyens chirurgicaux pour la réaliser n’existaient pas encore. Jusqu’à la fin des années 70, le traitement des fractures ouvertes de guerre s’effectuait grâce à des méthodes orthopédiques (immobilisation plâtrée, traction) qui complétaient l’indispensable parage chirurgical 463 et l’antibiothérapie. Les insuffisances de ce traitement étaient notoires : mauvaise réduction, instabilité, difficultés à surveiller et traiter les lésions des parties molles, inadaptation aux contraintes de l’évacuation. En 1979, le Service de santé des armées a mis au point un fixateur externe répondant aux exigences de la chirurgie de guerre et en a doté toutes ses formations de campagne, ses hôpitaux de l’arrière et de l’infrastructure (16-18). Ce n’est véritablement que durant les années 90, que la communauté internationale militaire reconnaitra l’intérêt de l’exof ixation (19, 20) et rejoindra la conception d’utilisation du Service de santé des armées sur l’utilisation de cet appareil qui participe au damage control des lésions des membres, qui assure une stabilisation indispensable à la réparation vasculaire (21) et qui évite ou diminue les complications tel le syndrome compartimental ou l’infection. Ce système permet tout au long de la chaîne d’évacuation de l’avant vers l’arrière, un maintien rigoureux de la stabilité de la fracture. Le Fixateur externe du Service de santé des armées (FESSA) ainsi conçu est utilisé comme une traction portable qui permet d’associer à la chaîne d’évacuation une véritable continuité de l’exofixation. Après évacuation, la chirurgie de reconstruction est assurée par des équipes spécialisées dans les hôpitaux de l’infrastructure et utilisent toutes les techniques de réparation des parties molles, de relance de l’ostéogénèse par apport osseux, de réparation nerveuse, de réanimation de la fonction utilisées en pratique civile. Dès 1917, Pierre Duval résumait les buts de la chirurgie des plaies de guerre des membres : « le temps n’est plus où diminuer leur effroyable mortalité était la suprême préoccupation, il convient de rechercher la meilleure qualité, à la restauration anatomique doit s’ajouter la guérison fonctionnelle. La qualité de la guérison devient son but présent ». Ces principes sont plus que jamais d’actualité alors que le caractère précieux du soldat blessé s’impose. Chaque combattant et sa famille exigent l’assurance que tout blessé recevra un soin rapide et compétent à l’exemple de ce qui se fait en traumatologie quotidienne. C’est ce qui a été réalisé grâce à la mise à disposition dans les structures de l’avant des moyens de la f ixation externe avec le Lésion de la jambe stabilisée par un fixateur externe Percy Fx avec lambeau musculaire de couverture. 464 FESSA, jusqu’en 2003, puis après cette date par un nouvel appareil, conçu pour une utilisation en pratique de guerre, le PercyFx (22). Cet appareil en matériaux composites légers, disponible stérile à l’avant est le précurseur d’une génération de f ixateurs proposés actuellement en pratique civile et qui répondait avant l’heure aux caractéristiques définies actuellement par le STANAG (standardization agreement) 2 469 de l’OTAN, véritable cahier des charges pour un fixateur externe opérationnel. V. LES PRINCIPES DU TRIAGE ET LES IDÉES HUMANISTES. La chirurgie de guerre exige des modif ications dans l’éthique parce qu’elle est parfois une chirurgie de masse qui impose un triage. « La guerre, a dit Pirogoff, est une épidémie de traumatismes. Bien souvent le chirurgien sera dans l’obligation de limiter son action à des gestes utiles et sans grandeur, au détriment de tentatives héroïques longues et incertaines, qui sont la récompense de son effort et l’orgueil de la profession ». Lorsque le nombre de blessés à traiter est important l’objectif est d’en sauver le maximum en réalisant un véritable « damage control collectif » (23) fait de gestes rapides et d’indications d’amputations plus nombreuses. Ce triage a des règles techniques, qui définissent une priorité de traitement pour les lésions des membres. Les fractures des membres qui mettent en jeu le pronostic vital et celles qui sont associées à une lésion vasculaire qui met en jeu la vitalité du membre sont des urgences absolues. Les autres lésions sont des urgences relatives, pour lesquelles classiquement une mise en condition simple à l’antenne chirurgicale permet l’évacuation vers d’autres structures de soins. Ce triage a des règles éthiques. En 1796, Larrey enseignait « sur le champ de bataille traiter le plus gravement atteint sans notion de rang ou de nationalité, ami ou ennemi ». En 1806, lors de la bataille d’Iéna, ce même praticien préconisait dans ses mémoires de campagne « il faut toujours commencer par le plus dangereusement blessé » et ajoutait « sans avoir égard à son rang et aux distinctions ». Dans un même esprit humaniste, dès 1800, Percy a essayé de développer des conventions entre belligérants pour déclarer la neutralité des blessés et des soignants. Il fait proposer au général Moreau et au général autrichien Kay de déclarer inviolable les refuges où sont regroupés et soignés les blessés, amis ou ennemis, ainsi que les chirurgiens et tous les personnels chargés des soins. Il faudra près de 60 ans pour qu’Henri Dunant publie « souvenir de Solférino » (juin 1859) un livre qui décrit les horreurs subies par les blessés et dont l’impact est tel, qu’en 1864 la première convention de Genève sera signée et la Croix Rouge naîtra. s. rigal Cours pratique aux chirurgiens des armées, dans le cadre du module « lésions des membres » de la Capacité Chirurgicale en Mission Extérieure (CA.CHIR.M.EX.). VI. L’INDISPENSABLE FORMATION À UNE PRATIQUE CHIRURGICALE SINGULIÈRE. Hippocrate authentifiait déjà cette spécialisation en conseillant à ceux qui voulaient se perfectionner dans le traitement des plaies de guerre de s’enrôler dans les troupes mercenaires. Celse, au I er siècle, rédigea une véritable encyclopédie médicale dont une partie importante est consacrée au traitement des plaies. En marge de l’enseignement officiel, qui restait à Paris l’apanage du collège de chirurgie, Louis XIV avait institué en 1673 au jardin royal des démonstrations d’anatomie et de chirurgie. Le premier titulaire fût Pierre Dionis qui avait pratiqué la chirurgie aux armées et publia en 1707 le recueil de ses cours en un ouvrage. Dans la préface du Cours d’opérations de chirurgie il cible une partie de l’auditoire : « livre utile à ceux qui pratiquent la chirurgie dans les armées » et précise l’organisation « chaque hiver au jardin royal on commence par l’anatomie sur le premier cadavre qui se présente et qu’ensuite sur un autre on fait toutes les opérations de chirurgie » (8). Le cours actuel de capacité chirurgicale en mission extérieure (CA.CHIR.M.EX) de l’École du Val-de-Grâce constitué de cinq modules faits de cours théoriques et de pratiques techniques sur sujets d’anatomie est en droite ligne l’héritier du Cours de Dionis divisé en dix journées, « la huitième de celles qu’on fait aux extrémités supérieures, la neuvième celles qui sont faites sur les extrémités inférieures ». Percy et Larrey ne se contentaient pas d’opérer, ils avaient le souci de la formation. Dès le cantonnement installé, ils formaient les apprentis, et au cours des étapes des armées de l’Empire dans des grandes villes d’Europe les médecins des pays occupés en devenaient d’assidus auditeurs. Baudens pendant les guerres d’Afrique s’occupait du perfectionnement chirurgie militaire et blessés des membres des jeunes officiers de santé et faisait agréer en 1832 l’hôpital militaire du Dey à Alger comme hôpital d’instruction puis comme école de médecine ; il enseignait plus particulièrement un parage raisonné et les résections articulaires (24). Le diff icile problème de la formation en chirurgie de guerre des équipes médicales des armées reste une préoccupation actuelle. Comment apprendre la chirurgie de guerre ? Les trauma-centers des grandes villes américaines ont longtemps été le terrain de formation des chirurgiens militaires américains. Actuellement c’est la pratique civile qui est modifiée par l’expérience des conflits d’Irak et d’Afghanistan. Il en a été de même lors de la guerre du Vietnam dans le domaine de la chirurgie des traumatismes vasculaires. Les spécificités particulières font opposer la chirurgie du temps de paix et la chirurgie de guerre et le passage de l’une à l’autre ne peut se faire que par un enseignement particulier complémentaire. La formalisation est réalisée par la chaire de chirurgie appliquée aux armées de l’École du Val-de-Grâce. Cette chaire, héritière de la chaire d’anatomie et de chirurgie conf iée par le Comité de salut public à Dominique Larrey en 1796 en f ixe les orientations. Le module 2 de CA.CHIR.M.EX, dédié aux lésions des membres, propose des conduites thérapeutiques intégrées dans une conception des soins intéressant plusieurs équipes chirurgicales amenées à soigner le blessé à des stades variables de la guérison. Mais cette chirurgie de guerre « réglée » n’est pas f igée. Elle est en constante évolution et s’adapte à l’évolution des sciences et des techniques et aux retours d’expérience. Le choix du Service de santé d’un orthopédiste à l’avant, plutôt qu’un chirurgien généraliste formé à la traumatologie osseuse, assure au combattant un traitement sur le terrain qui respecte les fondamentaux de la chirurgie de guerre mais avec une vision globale des possibilités ultérieures de réparation. Les chirurgiens orthopédistes militaires actuels ont une formation identique et acquièrent une qualification équivalente à leurs collègues civils. Des connaissances plus spécialisées en traumatologie osseuse, incluant la chirurgie réparatrice des membres, sont nécessaires. Les services des hôpitaux d’instruction se doivent donc d’offrir au quotidien cette activité aux chirurgiens des armées pour entretenir ces compétences. VII. CONCLUSION. La chirurgie près des combats est une pratique difficile, les chirurgiens des armées doivent y être préparés par leur formation, être capable d’adaptation et ne pas oublier l’expérience de leurs aînés. Voilà, simplifié, l’héritage des chirurgiens de l’avant ! Si Henri Rouvillois (11) écartait toute attitude dogmatique et demandait à ses chirurgiens d’être capable d’adaptation en rappelant la pensée de Herbert Spencer « il n’y a que l’imprévu qui arrive », il insistait aussi sur 465 le respect de principes élémentaires éprouvés par des siècles de tâtonnements expérimentaux. Les nouvelles techniques, les avancées conceptuelles ne doivent pas laisser penser que ce qui se faisait antérieurement est révolu (25). Il en va ainsi du débridement-parage et de l’amputation, gestes aujourd’hui encore indispensables, même si se dessinent les possibilités de l’ingénierie tissulaire et de la régénération tissulaire pour la reconstruction des lésions graves des membres dont les lésions de guerre devraient bénéficier. Note de l’auteur : un article historique relève souvent d’une motivation très personnelle. Mon intérêt pour la chirurgie des membres, l’importance quantitative en pratique de guerre de ces lésions et les impératifs de format de la publication expliquent le choix d’un sujet limité à celle ci. Si j’ai écarté de mon propos les autres domaines chirurgicaux, il doit être bien compris qu’il s’agit là d’un cloisonnement artificiel et que le chirurgien des armées se doit, bien sur, d’avoir en pratique une vision plus généraliste indispensable à la prise en charge des poly blessés graves. Enfin, le domaine du traitement des blessures des membres me semble se prêter parfaitement à la mise en perspective des avancées réalisées par le Service de santé des armées car il a longtemps été la seule sphère d’activité des chirurgiens des armées avec l’intérêt de couvrir entièrement les trois siècles d’existence de notre service. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Baudens ML. Clinique des plaies d’armes à feu. Paris, Édition JB Baillière, 1836. 2. Paré A. 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Maîtrise Orthopédique, n° 94, mai 2000. s. rigal Tricentenaire du Service de santé des armées PSYCHIATRIE DU COMBATTANT : ÉVOLUTION SUR TROIS SIÈCLES P. CLERVOY I. INTRODUCTION. L’histoire de la psychiatrie et de la psychologie clinique dans le Service de santé des armées (SSA) est marquée par une double influence : les grands mouvements humanistes et philosophiques qui ont traversé ces trois siècles articulés aux événements historiques qui en ont été les moments de rupture et de rénovation. On ne peut pas parler de continuité dans le développement de cette discipline, seulement d’une perspective historique construite à partir d’une succession de mouvements, chacun se superposant au précédent. Deux phénomènes paraissent cependant constants. D’abord, au fil de ces trois siècles l’intérêt pour les troubles psychiques survenant en temps de guerre a pris une importance croissante, probablement parce qu’en même temps les progrès en hygiène médicale entraînaient une diminution des grands fléaux épidémiques qui dominaient les questions de santé en milieu militaire. Où s’effaçaient le typhus et le choléra se laissait voir progressivement l’impact de la bataille sur l’état psychologique du soldat. Ensuite la discipline psychiatrique n’existait pas en tant que telle avant le XIXe siècle, et elle ne s’est pas autonomisée de la neurologie avant le milieu du XXe siècle ; cela explique le déséquilibre entre une première période plutôt pauvre et une seconde période bien plus riche en développements. II. L’HUMANISME ET LA SCIENCE. Aux premiers temps, l’approche psychologique et psychiatrique était toute entière contenue dans l’humanisme des off iciers du Service de santé des armées. Elle se fond dans l’élan philosophique qui a annoncé puis conduit les grandes réformes de la Révolution française. Le justement nommé « Traité médico-philosophique » de Philippe Pinel paru en 1801 peut être considéré comme le premier ouvrage de psychiatrie de langue française. On peut y lire plusieurs descriptions de cas cliniques qui pourraient encore illustrer un ouvrage contemporain de psychiatrie militaire. P. CLERVOY, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce. Correspondance : P. CLERVOY, service de psychiatrie, HIA Sainte-Anne, BP 600, 83800 TOULON Armées. médecine et armées, 2008, 36, 5 L’artilleur de Pinel Philippe Pinel est le médecin auquel, déformant la réalité historique, la légende attribue la naissance de la psychiatrie parce qu’en libérant les fous de leurs chaînes, il donnait naissance à une discipline médicale consacrée à la maladie mentale. Par son geste, les désordres comportementaux et les idées délirantes des aliénés quittaient définitivement le domaine de la superstition et entraient dans le champ de l’observation clinique. Dans le Traité médico-philosophique il rapporte le cas « d’un jeune militaire de 22 ans frappé de terreur par le fracas de l’artillerie, dans une action sanglante où il prend part aussitôt après son arrivée à l’armée ». Il fait une autre observation qui montre son attention aux troubles psychiques immédiats de guerre et aux perturbations familiales secondaires : « À la même époque, deux jeunes réquisitionnaires partent pour l’armée, et dans une action sanglante, un d’entre eux est tué d’un coup de feu à côté de son frère ; l’autre reste immobile et comme une statue à ce spectacle : quelques jours après on le fait ramener dans cet état à sa maison paternelle ; son arrivée fait la même impression sur un troisième fils de la même famille ; la nouvelle de la mort d’un de ses frères, et l’aliénation de l’autre, le jettent dans une telle consternation et une telle stupeur, que rien ne réalisait mieux cette immobilité glacée d’effroi qu’ont peinte tant de poètes anciens ou modernes. J’ai eu longtemps sous mes yeux ces deux frères infortunés dans les infirmeries de Bicêtre ; et ce qui était encore plus déchirant, j’ai vu le père venir pleurer sur ces tristes restes de son ancienne famille ». Et il y a le grand classique de la littérature psychiatrique connue sous le nom de l’artilleur de Pinel : « Un artilleur, l’an deuxième de la république, propose au comité de salut public le projet d’ un canon de nouvelle invention, dont les effets doivent être terribles ; on en ordonne pour un certain jour l’essai à Meudon, et Robespierre écrit à son inventeur une lettre si encourageante, que celui-ci reste comme immobile à cette lecture, et qu’il est bientôt envoyé à Bicêtre dans un état complet d’idiotisme» (1). Aujourd’hui encore cette observation sert à la démonstration clinique qu’une émotion forte, aussi heureuse soit-elle, peut déclencher des sévères perturbations de l’humeur. 467 Les officiers du Service de santé des armées sont animés d’une curiosité passionnée. Ils sont au service de l’homme avant d’être au service d’une discipline. Ils sont engagés dans un combat contre tout ce qui peut empêcher l’accomplissement de son humanité. Ils s’inspirent des débats philosophique qui leurs sont contemporains et montrent parallèlement une grande avidité pour les développements de la science. Tout en ayant lu Rousseau et Condillac, ils cherchent dans le cerveau les lieux de l’âme, des rêves et des passions. Ils formulent le vœu d’une éducation morale qui porterait chacun au meilleur possible de lui-même. L’humanisme et la science sont les deux moteurs de leur discipline. Itard : chirurgien et… précurseur de la pédopsychiatrie Jean Marc Gaspard Itard était destiné à êtrebanquier comme son père. Pris dans le grand chaos de la Révolution française, il devient chirurgien de la Grande Armée. Dominique Larrey l’appelle ensuite à l’Hôpital du Val-de-Grâce. Il n’y reste que trois ans puis prend à quelques rues de là, la direction de l’Institution impériale des sourds-muets. Suivant l’enseignement de Pinel, il prône le traitement moral. Il s’applique à la prise en charge psychologique des grands déficients sensoriels et c’est dans ce contexte qu’à sa demande lui est confié un enfant sauvage capturé à l’âge de 8 ans dans les forêts de l’Aveyron. L’enfant fugue impulsivement, mord ceux qui tentent de l’approcher, se masturbe frénétiquement, refuse de porter des vêtements. Malgré quelques éphémères et très partiels succès, les tentatives éducatives de civiliser l’enfant seront au final un échec. Mais l’observation scientifique publiée ensuite par Itard lui vaut une renommée immédiate. La démarche pédagogique patiente et appliquée qu’il a développée pour l’enfant sauvage peut être considérée comme un travail pionnier. On peut attribuer, de loin bien sûr, à un officier du Service de santé des armées la première approche thérapeutique spécifique en pédopsychiatrie (2). Dans son acte auprès du blessé de guerre, le dévouement du chirurgien, sa présence et son engagement moral, sont déjà la forme d’un soin psychologique. Avant qu’il use de son art son empathie a déjà produit un bénéfice, qu’il en soit conscient ou non. 468 Dominique Larrey fin psychologue Au lendemain de la Révolution, la France est menacée à ses frontières par une coalition de nations ennemies. L’armée est à refaire. Avec la conscription apparaît le soldat citoyen. Il est le plus souvent d’origine rurale et n’a guère été formé au métier des armes. À plusieurs reprises des soldats ont été empêchés de participer au combat dès le commencement de la manœuvre en raison de sévères blessures faites à leur main avec leurs fusils. Le soupçon tombe sur eux. Les maréchaux sont indignés par ces blessures qu’ils attribuent à des mutilations volontaires en vue d’échapper au combat. Ils qualifient ces blessés de lâches, voire de traîtres à la Nation. Les malheureux sont menacés du peloton d’exécution. L’Empereur, prudent, suspend cette sanction expéditive et demande à Dominique Larrey une expertise. Celui-ci prend le temps d’examiner chacun. Il les écoute aussi. L’avis qu’il rend est bien différent : ces pauvres soldats étaient avant tout inexpérimentés. Pris dans la fièvre anxieuse de la bataille, ils manipulaient leur arme avec maladresse et se blessaient à la main lors du chargement de leur fusil en faisant exploser la poudre qu’ils tassaient au fond du canon. Ils furent graciés (3). La tempérance, l’écoute attentive et la finesse analytique de Dominique Larrey à cette occasion est une leçon de psychologie médicale appliquée au milieu militaire. Le vent du boulet Ils tiennent debout mais ils paraissent endormis. Ils ont les yeux ouverts mais ils n’observent rien. Ils ont la bouche ouverte mais ils ne prononcent pas un mot. La mitraille tombe sur eux mais ils restent inertes. Ils sont pétrifiés. Leur pensée s’est arrêtée. Obnubilation. Stupeur… Parfois ils se mettent en mouvement comme des automates. Ils s’agglutinent par dizaine et déambulent sans but sur le champ de bataille, la conscience obscurcie. Les médecins militaires du XIX e siècle diagnostiquent une réaction d’effroi. Ils ont nommé ces états plus ou moins durables « confusion mentale de guerre », « onirisme de la bataille ». Soucieux de donner une explication rationnelle à ces états, ils évoquent un phénomène mécanique : le « vent du boulet ». C’est la frayeur intense suscitée par un bombardement qui produit cette paralysie psychique. Aujourd’hui on parle de stress dépassé. C’est toujours le même état, mais nommé avec des termes plus modernes. On incrimine l’embrasement physiologique d’une petite zone du cerveau, l’amygdale. Quels que soient les temps et les avancées théoriques, la fragilité psychologique de l’homme en guerre est de toutes les époques. p. clervoy III. VERS DES PATHOLOGIES PSYCHIATRIQUES SPÉCIFIQUES AUX ARMÉES… Les guerres napoléoniennes ont fait émerger un corps d’officiers de santé spécialisés. Ils vont développer pas à pas une doctrine médicale fondée sur l’observation du soldat sur le champ de bataille. Un savoir psychiatrique s’élabore progressivement et se transmet de maître à élève. Les perturbations psychologiques s’expriment parfois sous la forme de troubles du comportement. Les médecins pressentent une dimension pathologique lorsque ces troubles prennent une forme stéréotypée et peuvent être décrits comme des manifestations cliniques regroupées en syndromes. Un certain nombre de ces syndromes sont propres au milieu militaire. Ainsi émerge une spécificité de la psychiatrie dans les armées. D’autres pathologies psychiatriques et psychologiques propres au milieu militaire furent décrites sous des vocables variés : « le cœur émotif », « l’éréthisme cardio-vasculaire », « dystonie neuro-végétative »… Ils désignaient des pathologies fonctionnelles qui traduisaient un épuisement psychosomatique ou une fragilité psychologique du soldat. Ils correspondaient à une réalité clinique et permettaient aux médecins La psychose nostalgique Le plus souvent ce sont des soldats qui viennent des montagnes, des Alpes ou des Pyrénées. Parfois ce sont aussi des soldats originaires des lointaines colonies. Ils sont motivés et parfaitement intégrés dans leurs bataillons. Sans facteur déclenchant remarquable, leur état de santé se détériore progressivement. Les médecins observent des troubles de l’appétit, des troubles du sommeil, une fatigue. Puis le tableau clinique s’aggrave avec une altération de l’état général et une dépression sévère de l’humeur. Une terminologie purement militaire a été inventée par les médecins militaires du XIX e siècle pour définir ces troubles : la psychose nostalgique. Ils observent que la seule thérapeutique efficace est de permettre à ces soldats de retrouver leur pays, leurs racines, et se ré-imprégner de leur culture. Ils pouvaient ensuite retourner dans leurs unités et reprendre leur service pour une longue période. La dernière fois que fut décrite cette pathologie fut durant la première guerre mondiale. Une dizaine de soldats d’origine basque avaient fuit leur unité. Ils y étaient ensuite spontanément revenus. Ils étaient passibles de la cour martiale pour désertion. Un jeune psychiatre qui avait reçu les plus hautes décorations pour son action au front, Henri Baruk, fit valoir cette pathologie devant une commission de discipline et ces hommes furent graciés (2). Aujourd’hui ce terme est désuet comme les autres noms sous lesquels la nostalgie était désignée : « cafard », « soudanite ». Cette symptomatologie est maintenant dénommée pathologie des transplantés et des migrants ou encore anxiété de séparation, trouble de l’adaptation et immaturité psycho affective. Ce sont des mots moins précis, plus consensuels aussi. psychiatrie du combattant : évolution sur trois siècles de négocier avec le commandement des solutions thérapeutiques adaptées. La pathologie psychosomatique domine largement les descriptions médicales du temps de guerre. Leur physiologie est bien connue, rapportée au stress qui est un concept introduit en médecine par des auteurs anglosaxons. Curiosité historique, l’étymologie du mot stress le rapporte à une origine française. Du mot détresse au départ il est passé dans la langue anglaise pour donner distress, puis par aphérèse a donné stress qui est ensuite revenu dans la lexicologie médicale française… IV. LE TOURNANT DU DÉBUT DU XX E SIÈCLE : DE L’ALIÉNISME ORDINAIRE À LA PSYCHIATRIE DANS LES ARMÉES. Au début de l’époque dite moderne, l’orientation est neuropsychiatrique. Les désordres psychiques, lorsqu’ils sont observés, sont systématiquement rapportés à une pathologie de l’encéphale ou de ses enveloppes. Les Les troubles neuro-psychiatriques de la guerre de 14-18 Durant la Grande Guerre les neuro-psychiatres furent déroutés par le nombre et l’allure des blessés psychiques. La moitié des troubles neurologiques sont des conversions hystériques telles que les avait décrites Jean-Martin Charcot le grand maître de la neurologie du XIXe siècle. Les descriptions cliniques se multiplient : des « trembleurs », des « inertes psychiques », des « persévérateurs », des « exagérateurs », des « crisards », des « estropiés à temps ». Les conversions les plus surprenantes restent les contractures. Au niveau des membres, elles réalisent des attitudes monoplégiques variées. Au niveau du tronc, elles prennent la forme d'attitudes scoliotiques ou lordotiques. Les plus caricaturales sont les camptocormies dénommées ainsi parce qu'elles reproduisent l'attitude du cueilleur de champignon. Ce sont des hommes quasiment pliés en deux, les jambes semi-fléchies et le dos courbé, la tête en hyper-extension pour regarder le sol où ils posent avec prudence le bâton sur lequel ils s'appuient et qui les aide à ne pas se recroqueviller totalement. Babinski pense que ce sont des simulateurs de bonne foi. Des médecins audacieux, pour ne pas dire sadiques, tentent en vain de corriger leur posture à coups de décharges électriques (4). De ces observations et en réaction à ces échecs thérapeutiques émergent en France deux mouvements jumeaux qui vont influencer la psychologie médicale : la psychanalyse et le surréalisme (2). 469 problèmes infectieux sont prioritaires. La plupart des pathologies psychiatriques décrites sont attribuées à des méningo-encéphalites traumatiques, toxiques ou infectieuses. Les médecins du Service de santé des armées sont les soldats de l’hygiène en campagne. Ils combattent la tuberculose, la syphilis et l’alcoolisme avec la même vigueur et partout où dans l’immense empire colonial français sont positionnées les forces armées. La grande rupture intervient lors de la Première Guerre mondiale lorsque les médecins militaires sont confrontés à l’incidence inattendue des conversions hystériques. C’est après cette guerre que sont rédigés les premiers ouvrages exclusivement consacrés à la psychiatrie militaire : La folie et la guerre de 1914-1918 de Rodier et Fribourg-Blanc en 1930 (5), La pratique psychiatrique dans les armées par le même Fribourg-Blanc et Gauthier cinq ans plus tard (6). Le premier ouvrage est une succession d’observations faites durant la Grande Guerre. L’ambition des auteurs est de faire la démonstration qu’il n’y a pas de clinique psychiatrique spécif ique au temps de guerre. Singulièrement le second ouvrage prend le contrepied du précédent, soulignant les spécif icités d’une pratique psychiatrique aux armées… V. AVANCÉES ET DÉVELOPPEMENTS. La psychiatrie devient une discipline off icielle. L’enseignement de la psychiatrie en France se réforme dès 1969 avec l’effet accélérateur donné par les évènements de mai 1968. Le Service de santé suit le mouvement général et une chaire de psychiatrie militaire est crée sous l’impulsion d’un psychiatre qui deviendra Directeur central, Pierre Juillet. Avec Pierre Moutin, il est l’auteur d’un ouvrage qui fait la synthèse de l’ensemble des travaux psychiatriques réalisés par chaque nation belligérante durant la seconde guerre mondiale et les principaux conflits de la décolonisation, notamment sur les théâtres d’extrême 470 Laborit : apôtre de la psychopharmacologie Henri Laborit est un médecin de Marine qui choisit au départ de s’orienter vers la chirurgie. Il veut en pousser plus loin les limites. Il développe une discipline nouvelle, l’anesthésie, et il invente l’hibernation artificielle du malade qui peut ainsi supporter des interventions plus longues et plus hémorragiques. Il est en quête d’une substance susceptible de paralyser le système neurovégétatif. Il développe l’emploi d’une molécule nouvelle : la chlorpromazine commercialisée sous le nom de Largactil. Un jour les psychiatres de l’hôpital du Valde-Grâce lui demandent son aide pour les aider à calmer un patient agité sur lequel ils ont épuisé toutes les ressources médicamenteuses possibles. Laborit sort de sa poche quelques ampoules de Largactil avec la seule mention « essaye ça ». De ce geste est née une nouvelle catégorie de médicaments : les neuroleptiques. Les services de psychiatrie se sont alors transformés. Les malades agités s’apaisent. Les murs des asiles s’ouvrent et des patients psychotiques jusque là considérés incurables peuvent progressivement se réinsérer socialement. Très éclectique, Laborit a ensuite rédigé de nombreux ouvrages mêlant sociologie, psychologie et physiologie. Il reste aujourd’hui avec deux visages : celui d’un visionnaire qui se trompe lorsqu’il prophétise l’âge d’or d’un homme libéré des pulsions agressives, et celui d’un chercheur qui a été couronné du Prix Lasker de l’American Health Association pour son rôle dans la découverte des neuroleptiques. Il aurait même mérité mieux. L’importance de cette découverte justifiait bien l’attribution d’un prix Nobel ; mais l’atypicité du personnage et son opposition aux conventions universitaires sont les facteurs proba bles de cette non-récompense (2). orient et du maghreb. Effet de conjoncture remarquable, ce livre est publié au même moment et chez le même éditeur que l’ouvrage de psychiatrie civil de référence, le manuel de psychiatrie d’Henri Ey. L’ouvrage « Psychiatrie militaire » est à la fois une somme et une synthèse (7). L’armée est analysée comme un milieu social avec un fonctionnement particulier qui donne aux pathologies psychiatriques des aspects cliniques spécif iques. Les auteurs distinguent une pathologie du temps de paix et une pathologie du temps de guerre. À chaque personnalité pathologique est rapportée une décompensation psychologique possible. Signe des temps modernes, on remarque que des termes retrouvés dans les ouvrages antérieurs comme ivrognerie ou lâcheté disparaissent ; on décrit maintenant des conduites addictives et des conduites de fugues. Cet effacement du jugement moral sur la pathologie p. clervoy La psychanalyse dans les armées. Angelo Hesnard, neuropsychiatre de la Marine a été un des pionniers de la psychanalyse en France. Grâce à son frère professeur agrégé d’allemand, il a accès dès les années trente aux premiers travaux de Sigmund Freud et il en vulgarise la théorie. Il est l’un des fondateurs du premier groupe psychanalytique français, mais il ne fait pas école dans le Service de santé des armées. Bien plus tard, à partir des années soixante, la psychanalyse est une discipline très dynamique au sein de la psychiatrie française et donc de la psychiatrie militaire aussi. Claude Barrois, puis François Lebigot et Guy Briole ont dirigé de nombreux travaux notamment dans le champ des névroses traumatiques (8-10). Ils ont aussi donné une orientation psychanalytique à plusieurs de leurs élèves. psychiatrique marque l’autonomisation et la médicalisation de la psychiatrie parvenue à maturité après s’être dégagée de la tutelle de la neurologie. La pathologie psychiatrique aiguë de guerre est abordée sous les termes génériques de choc de combat et de fatigue de combat, héritage des travaux anglo-saxons. Ces termes ont l’avantage de ne pas enfermer trop hâtivement un soldat dans une catégorie nosologique. En effet, et ce depuis la première guerre mondiale, on sait que la forme et l’intensité des troubles psychiques aigus de guerre ne sont pas des indicateurs pronostiques fiables. Chaque médecin l’apprend aujourd’hui dans la formule classique des principes de Salmon qui préconisent une intervention psychiatrique immédiate, de proximité, simple et surtout qui ménage le jugement pronostique. À la fin de la Seconde Guerre mondiale s’effondrent les grands empires coloniaux. L’armée française traverse deux épisodes difficiles de son histoire, en Indochine d’abord puis surtout en Algérie où le contingent est engagé. Beaucoup de militaires sont déstabilisés par les combats au milieu des populations civiles, les ambiances où se confondent les victimes et les bourreaux, les scènes de torture, les visions atroces et répétées de combattants mutilés et de familles massacrées. Nombre d’entre eux reviennent en métropole psychologiquement éprouvés. Ils vivent chaque jour avec l’angoisse récurrente de leurs psychiatrie du combattant : évolution sur trois siècles souvenirs. Ils retrouvent chaque nuit l’épouvante de leurs cauchemars. Ils ont du mal à parler et trouvent dans leur entourage peu de personnes pour écouter leur plainte. Les noms des lieux de guerre deviennent synonymes de blessure psychique : Diên Biên Phu, Alger, les Aurès… Au contact de ces vétérans, trois générations de psychiatres militaires développent une approche conceptuelle de leur pathologie et de leur traitement. Selon l’orientation de travail de chacun, la narcoanalyse puis l’approche psychanalytique, la prise en charge de ces blessés psychiques se prolonge sur plusieurs années. Le terme de névrose traumatique est progressivement validé, ensuite remplacé par celui de syndrome de répétition traumatique ; aujourd’hui la dénomination internationale validée est « état de stress post traumatique » (11). Deux points forts sont à mettre au crédit du Service de santé des armées : en 1992 l’adoption d’un texte de loi officiel qui reconnaît cette pathologie et 471 groupe par des paniques collectives aux conséquences imprévisibles. Deux psychiatres partent sur le terrain dès le début du déploiement (19, 20), rejoints quelques mois plus tard par deux autres psychiatres venus en renfort (21, 22). Ils inventent un travail auprès des militaires. Pas des consultations formelles comme dans un hôpital, mais une veille psychologique et une écoute portée où chacun la sollicite. Sous l’impulsion de Bernard Lafont se met en place une doctrine sur la place et le rôle du psychiatre en opération, auprès du commandement et en association avec le médecin d’unité (23, 24). Sur l’initiative des psychiatres militaires français, un symposium international est organisé l’année suivante dans l’enceinte du Val-de-Grâce. Les fondements de cette doctrine sont posés et validés. Moment symbolique : c’est le bicentenaire de l’installation du SSA dans les murs de l’ancienne abbaye royale ; acte symbolique : la salle capitulaire nouvellement restaurée est inaugurée à cette occasion. Par la suite, ponctuellement au Rwanda en 1994 et durablement en Ex-Yougoslavie dès 1995, aussi longtemps que l’auront permis un effectif suff isant de spécialistes, un psychiatre est intégré aux structures médico-chirurgicales projetées sur les théâtres d’opérations extérieures. B) LA NAISSANCE DES CELLULES D’URGENCE MÉDICO-PSYCHOLOGIQUES permet l’attribution de pensions aux militaires et aux victimes civiles psychologiquement blessés (12), et cette même année la publication d’un ouvrage médical de référence intitulé « Le traumatisme psychique : rencontre et devenir » (13). En 1990 faire valoir le traumatisme psychique comme une blessure était une démarche pionnière. Cette entité a été validée par la suite : devant l’Académie nationale de médecine (14) d’abord ; puis pour la première fois une grande revue médicale française lui consacre une monographie (15) ; et enfin elle est admise dans le grand public et les médias (16-18). VI. CONSTRUCTION D’UNE DOCTRINE : LA PSYCHIATRIE MILITAIRE EN SITUATION OPÉRATIONNELLE. A) LES PSYCHIATRES AU FRONT De 1990 à 1991, la France participe à une coalition de forces armées rassemblée dans le Golfe persique prête à combattre l’armée irakienne qui a envahi le Koweït. Les experts s’attendent à des combats intenses avec l’emploi d’armes non conventionnelles, notamment chimiques. Mais ces armes sont avant tout de puissantes armes psychologiques, susceptibles d’induire des états d’angoisse individuels qui se traduiraient à l’échelon du 472 En 1994 plusieurs évènements fortement médiatisés produisent des effets conjugués qui ont donné naissance à des innovations en matière d’intervention psychologique précoce. Deux attentats terroristes dans les transports en commun parisiens, une intervention militaire au Rwanda avec des morts par milliers lors d’une épidémie de choléra dans un camp de réfugiés, la prise en otage de militaires français sous mandat de l’ONU en ex-Yougoslavie et enfin la libération des passagers, victimes d’une prise d’otage sur l’aéroport de Marseille-Marignane : à chaque fois est improvisée une intervention psychologique précoce au prof it des victimes et des sauveteurs. En association avec les psychiatres militaires, les pouvoirs publics prennent en compte la dimension de souffrance associée à un traumatisme psychologique. Aujourd’hui, dans chacune des armées comme en milieu civil, des procédures sont institutionnalisées pour mettre en place en quelques heures des cellules d’assistance psychologique en cas de catastrophe ou d’attentat (26). C) LE SYNDROME DES CASQUES BLEUS Lors de la dernière décennie du XX e siècle, après les longues années d’immobilisme apparent de la guerre froide, les soldats français retrouvent les champs de bataille. Les conditions ont radicalement changé : des opérations d’interposition et de maintien de la paix sous mandat international de l’ONU ou de l’OTAN, des missions de police au profit du Tribunal international, l’accueil humanitaire de populations réfugiées. On les appelle « soldats de la paix ». Cette dénomination peut p. clervoy tromper ; ces missions n’ont rien de paisible. Certes ils ne sont pas ou peu exposés à des combats violents, mais ils sont exposés à un stress permanent lié aux menaces individuelles et surtout une limitation des conditions d’ouverture du feu en cas d’attaque. Les psychiatres militaires décrivent des troubles du comportement parmi ces hommes, notamment une augmentation des gestes suicidaires et des manipulations inappropriées des armes à feu à l’origine de plusieurs accidents (25). L’analyse du contexte psychologique de ces missions fait ressortir un sentiment d’impuissance et de vulnérabilité, l’impossibilité de riposter, l’enfermement et l’ennui, la pression médiatique, la perte de l’identité nationale. VII. VERS QUEL AVENIR ? Pour les prochaines années, les polémologues annoncent la multiplication des conflits asymétriques. Le 11 septembre 2001 est la date visible où le monde a basculé dans une nouvelle forme d’engagement : la guerre contre le terrorisme. Le soldat du XXIe siècle doit faire face à des ennemis masqués dans les foules urbaines, à des engins explosifs improvisés sur le bord des routes, à des populations réfugiées, à des charniers. Autour de ce guerrier du futur, l’électronique est surabondante ; mais la technologie ne peut faire parade aux traumatismes psychologiques… Le plus souvent la mémoire humaine ne retient les prédictions que lorsqu’elles se sont avérées erronées. On peut cependant anticiper que l’avenir de la psychiatrie militaire est proche de ce qui est aujourd’hui observé en Irak ou en Afghanistan : dans l’ensemble des enquêtes publiées depuis 2002, on donne une estimation moyenne de 20 % de blessés psychiques parmi les soldats en opération (27). Il y aura toujours demain, c’est une certitude, des psychiatres auprès des soldats. Note : l’auteur indique qu’il ne peut mettre en référence l’ensemble des travaux des spécialistes militaires qui ont contribué au développement de la psychiatrie et de la psychologie clinique du SSA, notamment ceux des auteurs contemporains. Ont été retenus à titre indicatif ceux qui ont marqué une étape singulière et constituent en cela un repère historique dans les développements de la discipline. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Pinel Ph. Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie. Richard, Caille et Ravier ed. Paris 1798. 2. Clervoy P, Corcos M. Petits moments de l’histoire de la psychiatrie en France. EDK Paris 2004. 3. Lefevre P. Psychiatrie militaire. Cours polycopiés. EASSAT Paris 1980. 4. Clervoy P, Corcos M et al. De cire et de plâtre... Les camptocormies du Val-de-Grâce. La revue du Praticien. 1996; 46: 284-6. 5. Rodier A, Fribourg-Blanc A. La folie et la guerre de 1914-1918. Librairie Félix Alcan Paris 1930. 6. Fribourg-Blanc A, Gauthier. La pratique psychiatrique dans les armées. Ed . Charles Lavauzelle & Cie. Paris 1935. 7. Juillet P, Moutin P. Psychiatrie militaire. Ed Masson, Paris 1969. 8. Barrois Cl. Psychanalyse du guerrier. Hachette coll Pluriel 1993. 9. Lebigot F. La névrose traumatique, la mort réelle et la faute originelle. Annales médico-psychologiques 1997 ; 155 (8) : 522-6. 10. Briole G. Une clinique individuelle du traumatisme. In La clinique lacanienne Erès 2004. 11. DSM IV TR. Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux. Masson Paris 2003. 12. Décret du 10 janvier 1992 déterminant les règles et barèmes pour la classification et l'évaluation des troubles psychiques de guerre. Publication au JO du 12 janvier 1992. 13. Briole G, Lebigot F, Lafont B, et al. Le traumatisme psychique : rencontre et devenir. Rapport de la LXXXXIIe session du Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française. Toulouse 1994. Masson, Paris 1994. 14. Lafont B, Briole G. Psychiatrie de guerre ou psychiatre du champ de bataille? Bull Acad Natl Med. oct 1997; 181 (7): 133140. 15. Clervoy P et coll. Monographie « Stress et troubles psychiques post-traumatiques » La Revue du Praticien 2003, 53 : 827-8. psychiatrie du combattant : évolution sur trois siècles 16. Barrois Cl. Les traumatismes psychiques. Dunod coll Psychismes Paris 1998. 17. Lebigot F. Soigner les psychotraumatismes. Dunod coll. Psychothérapies, Paris 2005. 18. Clervoy P. Le syndrome de Lazare. Albin-Michel, Paris 2007. 19. Lafont B, Raingeard D. Psychiatrie dans le Golfe. Médecine et Armées 1992 ; 20 (3) : 261-6. 20 Lafont B, Raingeard D. Les principes de Salmon à l’épreuve de la guerre du Golfe. Médecine et Armées 1992 ; 20 (1) : 95-100. 21. Marblé J. À chacun son Scud. La menace chimique en base arrière. Symposium international Stress psychiatrie et guerre. Paris Valde-Grâce 26-27 juin 1992. 22. Lafont B, Plouznikoff M. Déontologie et éthique en situation d’exception. Médecine et Armées 1993 ; 21 (1) : 79-82. 23. Lafont B. Le psychiatre en opération principes et réalités. In : Le médecin d'unité en opération, aspects psychologiques. ESSA, Le Val-de-Grâce, Paris ; 1996. 24. Briole G. Le médecin d'unité et le psychiatre en opération. In : Le médecin d'unité en opération, aspects psychologiques. ESSA, Le Val-de-Grâce, Paris ; 1996. 25. Lassagne M, Vignault PJ, De Montleau F. Clinique et psychopathologie de la conduite d’utilisation inappropriée de l’arme dans le cadre d’une mission d’interposition de l’armée française. Médecine et Armées 1997 ; 25 (6) : 505-8. 26. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Circulaire DH/E04DGS/SQ2 N° 97/383 du 2 mai 1997 relative à la création d'un réseau national de prise en charge de l'urgence médicopsychologique en cas de catastrophe. 27. Clervoy P, Bourdon L, Sicard B. Évolutions du soutien psychologique des forces de l’US Army. Médecine et Armées 2007, 35 (4) : 373-6. 473 Antoine Parmentier. 474 Tricentenaire du Service de santé des armées DE L’APOTHICAIRE AU PHARMACIEN DES ARMÉES P. BURNAT, J.-F. CHAULET, F. CHAMBONNET, F. CEPPA, C. RENARD I. INTRODUCTION. La présence d’apothicaires associés aux armées du roi est décrite pour la première fois dans un rapport d’Ambroise Paré sous Henri II lors du siège de Metz (1552) puis aux sièges d’Autun, de Montauban, d’Amiens et de La Rochelle, activités militaires qui permettaient une stabilité des soins. Richelieu, crée en 1620 le premier hôpital sédentaire pour les soldats à Pignerol en Italie avec dans les effectifs la présence d’un apothicaire. Ensuite des apothicaires sont associés aux médecins et aux chirurgiens dans les hôpitaux militaires établis lors de la campagne d’Italie en 1629 sous Louis XIII (1). Sans négliger leurs activités antérieures, nous nous proposons de décrire principalement les faits historiques de ces trois derniers siècles depuis janvier 1708 où les apothicaires puis les pharmaciens militaires eurent un rôle modeste ou parfois déterminant pour « la patrie et l’humanité ». Les pharmaciens militaires ont été associés à toutes les guerres, campagnes et expéditions, sur terre et sur mer. Leurs responsabilités initiales sont la fabrication, l’approvisionnement et la distribution des produits de santé aux armées après les hécatombes des champs de batailles ou les ravages des maladies infectieuses et de la dénutrition. Ensuite, ce sont aussi des analystes et des découvreurs dans les domaines de la pharmacologie, de la chimie, de l’alimentation, de la botanique, de l’hygiène, de la toxicologie au sens le plus large et plus récemment de la biologie. Cette double activité, de spécialiste du médicament et d’analyste très polyvalent, remonte ainsi à plusieurs siècles et explique leurs diverses activités actuelles au sein du Service de santé et des armées. P. BURNAT, pharmacien en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce. J.-F. CHAULET, pharmacien général, praticien certifié. F. CHAMBONNET, pharmacien chef des services (cr). F. CEPPA, pharmacien en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce. C. RENARD, pharmacien en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce. Correspondance : P. BURNAT, laboratoire de biochimie toxicologie et pharmacologie cliniques. 69, avenue de Paris, HIA Bégin, 94163 Saint Mandé Cedex. médecine et armées, 2008, 36, 5 II. DÉBUT DU XVIII E SIÈCLE ET L’ÉDIT ROYAL DE 1708. En ce début de siècle, les diagnostics médicaux ont beaucoup progressé. Mais les traitements essentiellement basés, outre les saignées, sur les plantes et des produits d’origine minérale ou animale les plus divers et fantaisistes sont pour le moins inefficaces voire toxiques. La chimie n’existe pas, la synthèse minérale ou organique verra le jour à la fin du siècle en se détachant de l’alchimie, plus mystique que scientifique. Les apothicaires sont les successeurs des moines et des nonnes qui avaient, jusqu’au XV e siècle, la charge de cultiver les plantes médicinales comme le montrent les jardins dans les monastères. Dans les hôpitaux les apothicaires ont l’obligation d’installer « un jardin de plantes médicinales afin que l’apothicaire puisse trouver les herbes récentes desquelles on a ordinairement affaire et y choisir un endroit exposé au soleil ». Les apothicaires outre leur rôle de collecte et de culture des plantes médicinales, doivent créer des réserves, participer aux tournées de consultations médicales et devaient être présents lors de l’administration aux patients pour éviter des gaspillages. Durant tout son règne, le roi Louis XIV organise son armée, son équipement et son ravitaillement, activité plutôt novatrice. Il était, malgré les guerres désastreuses et parfois inutiles qu’il décidait, conscient des douleurs qui s’y associaient. Ainsi il écrivait en 1669 au comte de Coligny « Ce m’a été grand déplaisir de voir le rôle que vous m’avez envoyé des morts et des blessés, quoique ce soit une chose qu’il est nécessaire que je sache. Il faut assister les blessés avec des soins extraordinaires, les voir de ma part et leur témoigner que je compatis fort ». Il décide la construction des Invalides sous les ordres de Louvois. Cet Hôtel royal ouvre en 1674 pour « le logement, subsistance et entretement de tous les pauvres officiers et soldats de nos troupes estropiez ou ayant vieilli dans le service » avec un apothicaire rémunéré. Cette compassion à l’égard de ses soldats qui anime ce roi qui aima trop la guerre comme il le confessa sur son lit de 475 Ancienne apothicairerie. mort explique peut-être son intérêt pour les soins aux blessés et pour les hôpitaux. En cet hiver 1708 le roi Louis XIV, âgé de 70 ans, règne depuis 65 ans et pour encore 7 ans. La royauté avait vieilli en même temps que le roi. « L’état est une vieille machine délabrée » disait Fénelon. Le maréchal Vauban après avoir fortif ié la France et l’avoir si longtemps servie est en disgrâce depuis quelques mois pour avoir proposé des réformes salvatrices qui avaient déplu au monarque autoritaire. Les finances de la France sont déplorables du fait des guerres, de l’incurie et de l’immobilisme royal : les taxes augmentent et la misère aussi. Le peuple meurt de faim en nombre, notamment durant le terrible hiver 1709, un an plus tard. Dans cette fin de règne et au début de ce siècle, déterminant pour la France, en ce mois de janvier 1708, pas de bal à la cour, ce qui donne une idée de l’ambiance qui y règne sous la férule très pieuse de Madame de Maintenon. Ainsi l’Édit royal du 17 janvier 1708 est signé dans l’une des périodes les plus sombres de notre histoire. En énumérant les devoirs et missions des médecins et des chirurgiens, il est considéré comme l’acte fondateur du Service de santé militaire français. Les apothicaires n’y 476 f igurent pas, malgré leur rôle déterminant dans les cinquante hôpitaux militaires mis en place. Le règlement du 20 décembre 1718 fixe le statut des officiers de santé comparables aux officiers de troupe mais avec un uniforme particulier. Celui-ci passe du gris au bleu avec pour les pharmaciens un collet spécial vert conservé au fil des siècles et qui reste la couleur emblématique de la profession militaire ou civile. Les effectifs des armées au XVIIIe siècle varient de 200 00 à 300 000 hommes. Les batailles sont particulièrement meurtrières, les milliers de victimes créées en quelques heures n’ont droit qu’à des soins limités. Le 11 mai 1745 Maurice de Saxe, en présence du roi Louis XV et du dauphin, remporte sur les anglo-hollandais dirigés par le duc de Cumberland la victoire de Fontenoy : plus de 5 000 morts et 10 000 blessés. Le roi parcourant le champ de bataille dit à son fils « voyez ce qu’il coûte de remporter des victoires. Le sang de nos ennemis est toujours le sang des hommes. La vraie gloire c’est de l’épargner ». Ces belles paroles ne l’empêcheront pas de continuer les guerres et d’ensanglanter les champs de bataille. Durant cette période, les apothicaires sont le plus souvent des employés civils au compte des entrepreneurs, engagés pour une campagne de guerre ou une prestation p. burnat Fontenoy 1745. hospitalière (2). En 1747, la multiplication des abus dans les hôpitaux militaires impose la constitution d'un corps d'apothicaires militaires subordonnés aux médecins de l'hôpital à raison d’un apothicaire pour 50 hospitalisés. Durant leur carrière ils franchissent différents grades : garçon ou élève apothicaire, apothicaire sous-aidemajor, apothicaire aide-major, apothicaire-major. Les apothicaires majors et aides-majors des armées sont alors dotés du même uniforme que les chirurgiens moins le collet. Leur formation est basée sur l’apprentissage auprès d’apothicaires en activité. III. LA GUERRE DE SEPT ANS (1755-1762) ET LA FIN DU XVIIIE SIÈCLE. Cette guerre débute le 1er mai 1755 par la déclaration de guerre des Anglais alliés à la Prusse à la France alliée aux princes allemands et à la Russie. Cette suite ininterrompue de batailles terrestres et navales mobilise des off iciers de santé et marque les débuts d’une orga-nisation structurée souvent à la base du système actuel du Service de santé notamment des hôpitaux mobiles, sédentaires et fixes. Les pertes sont très élevées : lors de la défaite de Rossbach près de Leipzig le 7 novembre 1757 plus de 10 000 hommes restent sur de l’apothicaire au pharmacien des armées le terrain. La guerre est aussi en Amérique où se déchirent français et anglais avec la perte du Québec (17 septembre 1759) et aux Indes où la situation militaire est tout aussi désespérée. Le 10 février 1759, une ordonnance au sens déterminant, instituait le port de l’épaulette comme insigne distinctif des off iciers, les membres du service de santé en sont exclus. Il faudra 150 ans pour acquérir ce symbole de la distinction entre les officiers des armes et ceux de santé. Le Commissaire des guerres laissait peu de liberté au corps de santé dans lequel la médecine exerçait une domination sans partage ni bienveillance sur les chirurgiens et les apothicaires. Cette guerre, où Parmentier est fait prisonnier et Bayen organise la pharmacie militaire, se termine par les traités de Paris et d’Hubertsbourg (février 1763) sans intérêt pour la France toujours exsangue financièrement. En 1772, les hôpitaux ambulants à raison d’un pour 20 000 hommes comprennent 1 chirurgien-major, 12 chirurgiens aides-majors et 24 garçons chirurgiens mais aussi 1 apothicaire à cheval, 2 apothicaires aides-majors, 4 garçons apothicaires. La caisse à pharmacie se situe au milieu des chariots de la lingerie et de l’approvisionnement général. En 1788 l’armée comprend 130 apothicaires et 508 chirurgiens. La 477 Apothicaire major 1786. pharmacie est désormais enseignée au Collège des pharmaciens créé en 1777 (2). Dans cette fin de siècle des lumières, la chimie et les sciences sont en plein essor, les pharmaciens y participent pleinement comme Pilatre de Rozier qui réalisa la première ascension en ballon. Deux pharmaciens militaires marquent particulièrement cette période. Pierre Bayen, (1725-1798) fait parti des plus illustres représentants de la profession qu’il servit durant 42 années. Il participe comme pharmacien en chef à l'expédition victorieuse de Minorque contre les Anglais en 1756 commandée par le maréchal de Richelieu et l’amiral de La Galissonnière où il se consacre notamment à l’approvisionnement en eau potable des troupes. Nommé pharmacien chef de l’armée en Allemagne durant la guerre de Sept ans, il organise la pharmacie militaire française. Il devient ensuite pharmacien en chef des armées du roi en 1766 ce qui lui permettra de noter et d’inspecter les pharmaciens militaires et de mettre de l’ordre dans la profession. Il analyse les eaux minérales, découvre la propriété du fulminate de mercure explosif employé dans les amorces et les détonateurs. Il réalise de nombreux travaux scientif iques sur les oxydes métalliques et l’apport de l’air dans leur synthèse « dans la combustion, les minéraux enlèvent à l'air un de ses principes » et il ouvre ainsi la voie à Lavoisier pour la découverte de l’oxygène en 1776 à laquelle il devrait être 478 officiellement associé. Bayen est nommé inspecteur général du Service de santé de la république en 1789 à égalité avec un médecin et un chirurgien. Élu membre de l'Académie des sciences en 1795, il publie en 1798 ses Opuscules chimiques (3). Antoine Parmentier (1737-1813), le plus illustre des pharmaciens militaires français fait son apprentissage de la pharmacie chez un apothicaire de sa ville natale de Montdidier, puis à Paris. À 20 ans il est pharmacien aux armées pendant la guerre de Sept Ans où il fait la connaissance de Bayen : ce sera l’origine de l’amitié entre ces deux monuments de la pharmacie militaire. Au cours de son incarcération en Allemagne, il découvre la qualité nutritive d’une plante de la famille des solanacées, la pomme de terre, destinée à l’alimentation des animaux et des prisonniers. Originaire d’Amérique où les Incas la cultivaient sous le nom de papa. Elle arrive en Europe avec les conquistadores et elle est cultivée particulièrement en Ardèche sous le nom de « truffoles » du fait de son aspect plus proche du précieux champignon que de la Bintje actuelle. À son retour de captivité, Parmentier obtient sur concours en 1766 la charge d’apothicaire de l’Hôtel royal des Invalides. Il y est sous la coupe peu amène des sœurs dites de la charité qui avaient le pouvoir, sinon la connaissance, de préparer et d’administrer les médicaments, responsabilité qu’elles ne voulaient pas partager. Il profite ainsi de l’archaïsme institutionnel des lieux pour continuer ses recherches agronomiques notamment sur la pomme de terre dont il sélectionne les meilleures variétés mais le roi Louis XV lui retire sa charge en 1774 sous les coups des sœurs grises et de la cabale ecclésiastique qu’elles avaient savamment organisée. Il doit aussi renoncer à cultiver les pommes de terre aux Invalides, le terrain appartenant aux religieuses (3, 4). En 1772, les membres de la Faculté de médecine de Paris qui planchaient depuis longtemps sur le sujet finissent par déclarer que la consommation de la pomme de terre ne présente pas de danger car il existe une interdiction du Parlement de la cultiver datant de 1748. La pomme de terre comme la tomate a probablement subi la mauvaise réputation de la famille des solanacées qui compte dans ses rangs des membres moins recommandables comme la belladone, la jusquiame ou la mandragore. Parmentier rédige en 1779 un mémoire qui le rend célèbre : Examen critique de la pomme de terre. Pugnace, il va promouvoir la pomme de terre en organisant des dîners où seront notamment conviés des hôtes prestigieux tels que Benjamin Franklin ou Lavoisier, véritables opérations promotionnelles au principe encore d’actualité. Avec l’appui de Louis XVI, il crée en 1786 une plantation à Neuilly dans la plaine des Sablons réputée inculte. Il apporte au roi le 24 août de cette année, veille de la Saint Louis, un bouquet de fleurs de pomme de terre : le roi en glisse une à sa boutonnière et une autre sur la perruque de Marie-Antoinette. L’utilisation novatrice de la publicité royale popularise la pomme de terre. Ultérieurement, sur un autre terrain à Gentilly où il reprend la culture, les gardes des lieux ont l’ordre p. burnat de laisser la population « voler » ces plants précieux nécessitant leur garde ce qui permet de disséminer le tubercule. Celui-ci est aujourd’hui indispensable à l’alimentation avec 350 millions de tonnes produites actuellement. Ainsi l’année 2008 est déclarée « année internationale de la pomme de terre » par l’ONU afin qu’elle soit reconnue comme aliment de base pour la population mondiale. Mais à la fin du XVIIIe siècle, la pénurie alimentaire exacerbée par le blocus naval anglais est le principal problème de la population. Parmentier met toute son énergie pour nourrir le peuple en s’intéressant à la valeur nutritive et à la fabrication de produits de substitution. Il propose ainsi le sucre de raisin et de betterave pour le sucre de canne cultivé en Amérique et la culture du maïs pour remplacer celle de blé déficitaire. La première raffinerie de sucre de betterave voit le jour en 1801 grâce à lui. Il s’intéresse aussi à la conservation des farines, du vin et des produits laitiers. Avec Louis Cadet de Vaux, il va améliorer la qualité du pain distribué dans les hôpitaux, les prisons et les armées en imaginant une nouvelle méthode de panification. Il sera un des fondateurs d’une école de boulangerie à Paris en uniformisant les composants et les techniques de fabrication à l’origine de la qualité et de la réputation du pain français. En 1778 il publie son « Traité complet sur la fabrication du pain ». Il publie aussi sur l’intérêt alimentaire du maïs, des fourrages, du blé, des champignons, mais aussi sur le vin, les eaux de boisson, les eaux-de-vie et la salubrité dans les hôpitaux militaires, il participe aux débuts de l’hygiène hospitalière. Il travaille sur l’opium et l’ergot de seigle (3). Le soutien de Louis XVI à l'agronome philanthrope le rend d'abord suspect au nouveau régime révolutionnaire, mais rapidement lui sont confiées la surveillance des salaisons destinées à la Marine et la fabrication des biscuits de mer, nourriture essentielle dans la Royale. Puis le Directoire, le Consulat et l'Empire utilisent largement ses multiples compétences. Inspecteur général du Service de santé de 1803 jusqu’à sa mort en 1813, il fait adopter la vaccination antivariolique par l’armée et s’occupe des conditions d’hygiène sur les bateaux. Il devient le premier président de la Société de pharmacie de Paris puis président du Conseil de salubrité de Paris en 1807. Il préconise la conservation des viandes par le froid et travaille sur l’amélioration de la technique des conserves alimentaires par ébullition mis au point par Nicolas Appert, en 1810. Très attaché à son titre de pharmacien, il définit lui-même sa vie et son œuvre exemplaire « mes recherches n’ont d’autres buts que le progrès de l’art et le bien général. La nourriture du peuple est ma sollicitude, mon vœu est d’en améliorer la qualité et d’en diminuer le prix. J’ai écrit pour être utile à tous ». Le nombre d’articles et d’ouvrages dont il est l’auteur fait de ses « titres et travaux » un vaste ensemble très impressionnant (4). C’est aussi le seul membre du Service de santé qui a donné son nom à une station de métro parisien. de l’apothicaire au pharmacien des armées IV. LA RÉVOLUTION ET LES EMPIRES. A) RÔLES DES PHARMACIENS. En 1793, la France désormais sans roi depuis le 21 janvier est en révolution et en guerre contre les « ennemis de l’intérieur » avec les guerres de Vendée qui font 150 000 morts dont beaucoup de civils et contre les royautés européennes avec les victoires de Valmy et de Jemmapes puis la défaite de Neerwinden en mars. Le 1er août 1793 tous les officiers de santé pharmaciens, médecins et chirurgiens sont à la réquisition du ministre de la Guerre. Six jours plus tard, le décret du 7 août organise le Service de santé militaire et les hôpitaux. En vertu de ce texte il est attaché à chaque armée un premier pharmacien, un premier médecin et un premier chirurgien. C’est en 1793 que les apothicaires se transforment en pharmaciens à l’étymologie plus valorisante que la précédente, du grec « boutique ». Dans tous les hôpitaux militaires répartit en hôpitaux fixes et collectifs, hôpitaux ambulants, hôpitaux d’instruction (Lille, Metz, Strasbourg, Toulon), hôpitaux pour vénériens et galeux et enf in hôpitaux d’eaux minérales. Les officiers de santé sont répartis en trois classes qu’ils soient médecins, chirurgiens ou pharmaciens (5). La loi 12 janvier 1795 crée le Conseil de santé composé de quinze membres. Elle fait preuve d’une équité révolutionnaire exemplaire qui n’a pas persisté : cinq pharmaciens dont trois laisseront leur nom dans l’Histoire (Bayen, Parmentier, Pelletier, Hego, Brougniart), cinq médecins (Coste, Lepreux, Lorents, Sabathier de Brest, Becu), et cinq chirurgiens (Heurteloup, Villars, Groffier, Saucerotte, Ruffin). La loi du 21 germinal an XI (11 avril 1803) crée des écoles de pharmacie (Paris, Strasbourg et Montpellier) et cette même année parait la Pharmacopée des Hospices rédigée par Parmentier. Le décret impérial du 1 er septembre 1805 attache un caisson ambulance de premier secours à chaque régiment. Dans ce caisson, outre 2 matelas, 2 couvertures, 6 brancards et 200 kg de linge à pansement se place 1 caisse d’amputation et 1 caisse à pharmacie. Cette caisse de bois recouverte de toile cirée est séparée en cases garnies par des coussins en étoffes. Parmentier dans sa note du 8 vendémiaire an XIV (30 septembre 1805) établi précisément le contenu de cette caisse qui permet d’appréhender la nature de la pharmacopée d’urgence de l’époque : l’agaric de chêne (champignon appelé aussi amadou) servait contre les hémorragies, le sulfate de cuivre comme antiseptique, la cire blanche et la colophane comme excipients des onguents, l’alcool comme désinfectant, l’acide acéteux comme antiseptique, la liqueur d’Hoffmann (mélange d’alcool à 95 °C et d’éther à part égale) comme anesthésique et le laudanum de Sydenham (macération d’opium, de safran et de girofle dans du vin de Malaga), comme analgésique et anti-diarrhéique (6). Cette caisse préfigure les cantines médico-chirurgicales actuelles. D’une manière générale, les médicaments à la disposition des pharmaciens militaires hospitaliers sont relativement peu nombreux essentiellement le quinquina, le camphre, 479 l’opium, la valériane, l’arnica, le kermès (oxysulfure d’antimoine, appelé aussi poudre des Chartreux : expectorant, vomitif et purgatif), le cachou, la cannelle et la thériaque, extrait de plusieurs dizaines de composés végétaux, véritable panacée qui devait son action très limitée à l’opium qu’elle contenait. Il existe des dépôts de médicaments établis sur le trajet des armées et approvisionnés par une pharmacie centrale établie à Paris (6). Mais souvent les pharmaciens de l’Empire privés de leur approvisionnement, doivent se fournir localement en médicaments ce qui les conduit à la découverte de nouvelles thérapeutiques. Les pharmaciens sont responsables du transport et de la gestion des dépôts. Ils sont associés ou plutôt sous la coupe de l’intendance qui ne les ménage pas. Les intendants généraux et les commissaires ordonnateurs, souvent honnis pour leurs pratiques à l’honnêteté parfois douteuse, sont pourvus de pouvoirs très étendus (approvisionnement, police, convois militaires, vivres, ambulances, etc.) et notamment disciplinaires sur les officiers de santé sans que des responsabilités identiques soient données aux inspecteurs généraux et aux officiers de santé en chef (6-8). Les effectifs en apothicaires de l’armée de Terre durant cette période sont très élevés : 540 en 1800, 601 en 1808, 1 011 en 1812 alors que ceux de la Marine sont d’environ 45. Ils participent activement aux combats comme le prouve les nombreux pharmaciens qui connurent la captivité ou la mort. Ainsi 363 pharmaciens parmi les personnels de santé ont participé à la campagne de Russie, 247 n’en reviendront pas, morts, prisonniers ou disparus (8). Ils sont présents notamment dans les ambulances ce qui leur vaut les louanges de Larrey après la bataille de la Moscova : « M Laubert, pharmacien en chef de l’armée, et plusieurs de ses jeunes pharmaciens méritent des éloges et des remerciements pour le zèle avec lequel ils m’ont secondé dans cette pénible circonstance ». Napoléon reconnaissait lui aussi la polyvalence et l’efficacité des pharmaciens militaires à travers lui car il disait « n’avons-nous pas Laubert, je le charge de tout ! ». Charles Jean Laubert (1761-1833) organisa ainsi la frappe de la monnaie à Moscou et le ravitaillement en médicaments mais aussi les aliments et boissons des armées en Russie comme pharmacien en chef de la Grande armée. Il réalisa un Codex très pratique destiné aux hôpitaux militaires et de nombreuses études sur le quinquina. Il fut nommé inspecteur général à la mort de son ami Parmentier en 1814 par Napoléon alors qu’il était enfermé dans la place encerclée de Torgau en Allemagne après la bataille de Leipsick. Ce titre fut confirmé par Louis XVIII. En dehors des combats, le typhus transmis par les déjections des poux fait des ravages, en 1812 sur 25 000 malades à Wilna (Vilnius) seuls 3 000 survivent. Le général Rapp signale à Danzig assiégé (1813) 200 décès par jours et durant l’hiver 1813-1814 les pertes sont de 13 448 hommes dans la garnison de Torgau. Le traitement était basé sur le vinaigre, le camphre et les fumigations aromatiques…(6). B) PHARMACIENS ILLUSTRES. Pharmacien inspecteur 1797. 480 Cette époque est particulièrement féconde en réformes, en découvertes scientifiques majeures mais aussi en guerres. Elle a permis à de nombreux pharmaciens militaires d’exception, qu’il est impossible de citer dans leur intégralité, de se distinguer par leur apport dans les sciences et dans le soutien des armées. Nous en avons choisi quelques-uns des plus exemplaires. Louis Claude Cadet de Gassicourt (1731-1799) est pharmacien en chef des armées en Allemagne et au Portugal puis apothicaire-major à l'Hôtel des Invalides, commissaire du roi pour la chimie à la manufacture de porcelaine de Sèvres et membre de l'Académie des sciences en 1766. Durant la Révolution, il est chargé, avec Lavoisier d'extraire le cuivre du métal des cloches et écrit plusieurs mémoires sur la pharmacie, la physique et la chimie et la découverte du composé d'éther appelé « liqueur fumante de Cadet ». Parmi ses amis, on retrouve les principaux rédacteurs de l'Encyclopédie : d'Alembert, Nicolas de Condorcet, Jean Sylvain Bailly. Son épouse, séduite par Louis XV, donna le jour à Charles Louis Cadet de Gassicourt (1769-1821) un des nombreux p. burnat bâtards royaux. Avocats sous l’ancien régime, idéologue révolutionnaire, poète et auteur de théâtre, fondateur d’un club astronomique, il complète ses talents éclectiques par celui de pharmacien militaire et chimiste. Nommé premier pharmacien de Napoléon et responsable de l’ambulance impériale durant la campagne d’Autriche de 1809, il vit à la cour près de l’empereur. À ce titre, il a l’honneur d’embaumer la dépouille du maréchal Lannes avec Larrey qui avait amputé le maréchal de la jambe droite après la bataille d’Essling contre l’avis de Percy. Il aurait sauvé Napoléon du suicide trois jours après Waterloo (18 juin 1815) par un lavage d’estomac (1, 6, 9). Edme-Jean Baptiste Bouillon-Lagrange (1764-1844) organise en 1793 les hôpitaux de l'armée en qualité de pharmacien-major. Directeur de l'école de pharmacie, il professa la chimie à l'École polytechnique puis devint directeur de cette École. Analyste de nombreuses thérapeutiques, il écrit un Manuel du pharmacien et un Manuel de chimie, devenus des classiques. Georges Simon Serullas (1774-1832) s’engage à 15 ans, en 1789, dans le bataillon des Volontaires du département de l’Ain. Il choisit ensuite la pharmacie militaire et une fois formé, est nommé pharmacien major à l’armée des Alpes puis d’Italie. Il suit Napoléon en Prusse et en Russie. En 1813 pharmacien principal du 3e Corps d’armée du maréchal Ney, il est fait prisonnier à la bataille d’Hanau, libéré, il fait la campagne de Belgique en 1815. À la chute de l’Empire, il enseigne au Muséum d’histoires naturelles et au Val-de-Grâce jusqu’à sa mort. Il réalise de nombreux travaux sur les halogènes, découvre l’iodoforme en 1822, premier antiseptique chimique et prépare le bromure d’éthyle et l’acide iodique. Joseph Bienaimé Caventou (1765-1877), attaché aux armées du Nord puis à l’hôpital de Saint Omer il retourne à la vie civile et à l’internat après Waterloo (1815). Il découvre le sulfate de quinine (1820) avec Joseph Pelletier (1788-1842) en l’extrayant des écorces de quinquina qui étaient très difficiles à absorber du fait de leur amertume. Il réussit à extraire de nombreux alcaloïdes et toxiques comme la strychnine, la brucine, la vératrine et la colchicine. Il fut professeur à l'École de pharmacie, membre de l'Académie de médecine, puis de l'Académie des sciences (3). Antoine Baudouin Poggiale (1808-1879), professeur au Val-de-Grâce, médecin et pharmacien général inspecteur et membre de l'Académie de médecine. Il étudia notamment les eaux et les aliments, il a publié de nombreux ouvrages sur des sujets très variés : Traité d'analyse chimique, Recherches sur les eaux des casernes et des forts de Paris ; le Pain de munition ; la Composition chimique des aliments ; la Formation de la matière glycogène ; l'Empoisonnement par le phosphore ; les Eaux potables. Il défend brillamment mais sans succès l’indépendance de la pharmacie militaire vis-à-vis des médecins car en 1882 la pharmacie est mise sous tutelle de la médecine tandis que le Service de santé des armées obtient son indépendance (1, 3). de l’apothicaire au pharmacien des armées Carle Gessard (1850-1925), après la guerre FrancoPrusienne, devient pharmacien aide-major de l'École de médecine militaire du Val-de-Grâce avant d’être affecté à l'Hôpital militaire du Gros-Cailloux (Paris) puis de Médéa (Algérie). De nouveau au Val-de-Grâce il découvre le bacille pyocyanique, à l'origine du phénomène du pus bleu des plaies. En 1882, Louis Pasteur lui rend visite et l'encourage à continuer ses recherches. Après sa thèse de doctorat en médecine : « De la Pyocyanide et de son Microbe. Applications cliniques», il publie un grand nombre de notes sur ce bacille et sur ses pigments. Après la campagne de Tunisie (1882), nommé professeur agrégé de chimie et expertise à l'École de médecine militaire du Val-de-Grâce il entre comme travailleur libre et donne des cours à l'Institut Pasteur. Envoyé en poste à Sétif (Algérie) où il n'a plus la possibilité de continuer ses recherches, il refuse la chaire de Chimie du Val-de-Grâce pour un poste à l'hôpital militaire de Lille où Calmette l'invite à travailler à l'Institut Pasteur. En 1914-1916 n'étant plus mobilisable, il participe à l'effort de guerre en travaillant sur des préparations contre les poux des tranchées (1, 10). V. LES APOTHICAIRES ET PHARMACIENS DE LA MARINE. Les premières expéditions maritimes lointaines comme celle de Jacques Cartier qui débarque au Canada en 1535 Pharmacien de 1re classe 1809. 481 emmènent un apothicaire à bord. Au début du XVIIIe siècle les disciplines de chirurgien et d’apothicaire sont souvent exercées par la même personne. Par manque de vocation, surtout pendant les épidémies, il faut avoir recours dans la Marine pour les chirurgiens et les apothicaires à « la levée » variante de la mobilisation. Le scorbut et le typhus font plus de perte que les combats eux-mêmes ce qui explique le peu d’empressement d’aller servir dans la Royale. Les matelots déjà dénutris, en convalescence ou malades retournent à la mer ce qui accroît la mortalité. À un noyau de praticien « entretenu » s’agglomère une foule de chirurgiens et d’apothicaires peu considérés. Les apothicaires étaient chargés d’assurer l’approvisionnement en substances et préparations médicamenteuses destinées à soigner les affections « du bord » : la dysenterie, les fièvres, la syphilis et le scorbut. Ils contribuaient à l’amélioration de l’alimentation, à la conservation des aliments et participaient à la « désinsectisation, dératisation ». Les hôpitaux maritimes de Toulon et Rochefort dont les deux premiers datent de 1674 (Brest 1684) sont prévus pour accueillir 200 puis 400 malades sous la dépendance de l’intendance, des apothicaires y sont présents. L’ordonnance de 1689 renforce le rôle et les fonctions des médecins, chirurgiens et apothicaires (5). Pour la Marine royale, le règlement de Choiseul en 1765 décide une augmentation sensible des officiers de santé : pour un vaisseau de 100 canons et 1 800 hommes à côté d’un chirurgien-major, d’un second chirurgien et de quatre aides est prévu un apothicaire. Le corps des apothicaires de la Marine est créé en 1767. L’hôpital de Rochefort en 1789 comprendra 12 apothicaires, 12 chirurgiens, 12 sœurs et 21 galériens-inf irmiers… À la f in de l’Ancien régime, le Service de Santé de la Marine comprend notamment à côté de 114 chirurgiens, 85 apothicaires à la mer qui bénéficient d’une retraite et d’une pension en cas de décès (5, 11, 12). Lors des expéditions à travers le monde, les pharmaciens sont souvent les scientifiques du bord car ils collectent et font l’inventaire de la flore, de la faune et des minéraux que les nouveaux territoires pouvaient fournir. Les végétaux exotiques prélevés, amenés par bateau dans des serres de fortune, sont cultivés dans les jardins botaniques des hôpitaux de la Marine créés et surveillés par les pharmaciens qui produisent également des plantes médicinales. Au XIX e siècle la chimie et l’analyse se développent et les pharmaciens de la Marine deviennent des experts chimistes auprès du commissariat et des constructions navales. Ils analysent les produits les plus divers, alimentation, cuir, textiles, huiles, combustibles et gaz toxiques. En 1919 leur engagement est conditionné par la possession de trois certificats des sciences dont deux de chimie et ils deviennent pharmaciens chimistes de la Marine. Cette relative autonomie se terminera le 9 juillet 1965 par la création d’un corps unique de pharmacien chimiste des armées (1, 5, 12). Deux pharmaciens de Marine sont l’archétype de tous ceux, souvent botanistes, qui partirent vers des terres lointaines et en revinrent avec des plantes, graines, 482 Antoine Baudoin Poggiale. croquis, animaux, observations qui enrichirent le patrimoine scientifique mondial (5, 11). Charles Gaudichaud-Beaupré (1789-1854), pharmacien de la Marine et botaniste, fait partie de l’état-major scientifique de la corvette Uranie qui quitte Toulon en 1817 pour un tour du monde. Il rentre au Havre en 1820 et rapporte malgré le naufrage du bateau 3 000 espèces de plantes dont 500 manquaient au Muséum et 200 étaient inconnues. Il remplace à l’Académie des sciences son maître Laurent de Jussieu (5). René-Primevère Lesson (1794-1849), est emmené par le commandant Duperrey en compagnie de Dumont d’Urville sur la Coquille (1822-1825) pour faire un tour du monde scientif ique en sens inverse de l’Uranie. Avec Dumont d’Urville il rapporte près de 30 000 espèces botaniques dont 400 nouvelles, 110 espèces d’insectes, 300 poissons etc. Cuvier rend hommage à cette expédition de trois années particulièrement riche en découvertes (5). VI. PREMIÈRE GUERRE MONDIALE. Les pharmaciens sont mobilisés en grand nombre comme le reste de la population. La Pharmacie centrale des armées (PCA) située au 2, avenue de Tourville à Paris de 1903 à 1931 sera particulièrement active durant cette guerre. L’approvisionnement prévu pour trois mois sera utilisé en 15 jours ce qui explique l’ingéniosité et p. burnat l’activité des pharmaciens militaires nécessaire pour palier rapidement à cette carence et à l’accroissement extraordinaire des besoins. Le nombre des pharmaciens à la PCA est augmenté de 5 à 22. La fabrication des sutures passe de 52 000 à 1 250 000, celle des comprimés de 18 à 180 tonnes. Ils ont créé des pansements individuels utilisés pour la première fois lors d’une guer re ainsi que des laboratoires de toxicologie de campagnes destinés à l’analyse des gaz. À côté de l’approvisionnement, la guerre chimique est un nouveau domaine où les pharmaciens militaires d’actives ou mobilisés ont pris une part déterminante durant cette guerre. Pour la première fois les gaz sont utilisés de manière systématique alors que les deux armées n’étaient pas préparées à ce type d’agression. Immédiatement après l’attaque sur Ypres, le 22 avril 1915, l’État-major s’adressait au Service de santé pour réunir toutes les informations sur les gaz. Les pharmaciens du fait de leur connaissance en chimie et en toxicologie sont rapidement mis à contribution. Ils participent également à l’enseignement des cadres militaires dans ce nouveau domaine. Les pharmaciens sont notamment responsables du prélèvement des échantillons des gaz utilisés par l’ennemi pour ensuite les analyser dans les laboratoires de toxicologie divisionnaires. Le premier masque à gaz français (juillet 1915) formé d’une gaze imbibée d’huile de ricin est ainsi d’origine pharmaceutique. Viendra ensuite la cartouche mis au point notamment par Paul Lebeau (1868-1959) professeur en pharmacie chimique et toxicologie à la faculté de pharmacie de Paris. Il est à l’origine des avancées dans les masques de protection français. Il propose des cartouches comprenant de la gaze, de l’oxyde de zinc, du carbonate de sodium et du charbon de bois, ce dernier composé est encore retrouvé dans la cartouche actuelle. Durant la guerre 1939-1940 il faisait partie de l’État-major de la défense contre les gaz (14). Dans le domaine de la guerre chimique, les pharmaciens militaires notamment les professeurs de la faculté de pharmacie de Paris mobilisés jouent un rôle à la fois dans la protection mais aussi dans la fabrication. C’est notamment le cas de Gabriel Bertrand (18671962) plus connu par les pharmaciens militaires pour sa technique de dosage des sucres. Chef de service de biologie à l’Institut Pasteur en 1900, il propose l’utilisation de la chloracétone, un lacrymogène, dans une grenade mise au point par ses soins en 1915 (13) puis devient durant la guerre un chercheur des plus actifs grâce à ses connaissances en chimie sur les différentes substances agressives utilisables. Il fut nominé sans succès plusieurs fois pour le prix Nobel de chimie. Les pharmaciens attachés au Service chimique durant cette guerre ont joué un rôle essentiel dans la protection et dans l’agression au profit des armées et eurent ainsi un rôle non négligeable dans la victoire (1, 12, 13). VII. LE CORPS DE SANTÉ COLONIAL. Pharmacien en chef de la Marine 1798. de l’apothicaire au pharmacien des armées Le décret du 7 janvier 1890 crée le Service de santé des colonies et pays de protectorat et donne naissance au pharmacien colonial (14). Les pharmaciens militaires, traditionnellement sortis de l’école de Bordeaux sont formés durant 60 générations au Pharo à Marseille dans le laboratoire en sous-sol surnommé « la cave » (14). Ils participèrent activement à soutenir les forces armées coloniales et les efforts sanitaires au bénéf ice des populations que ce soit en Afrique ou en Asie. Cette présence se traduisait par de très nombreux postes Outremer (34 en 1890, 135 en 1954) jusque dans les années 1990. Le rôle des pharmaciens coloniaux est initialement très large car ils participent à accroître les ressources locales en limitant la dépendance vis-à-vis de la métropole. Ainsi, ils se mobilisent pour valoriser l’utilisation et la culture des plantes pharmaceutiques locales mais aussi celle des ressources alimentaires végétales ou animales et les ressources minières (14). Ils combattent les épidémies notamment la fièvre jaune au côté des médecins et nombreux ceux qui en périssent comme le montre la stèle de l’île de Gorée au Sénégal. Parmi 483 Pharmacie portative. ces pharmaciens, il faut évoquer le parcours original de Victor Liotard (1858-1916) qui participe sous les ordres de Gallieni à la pacif ication du Soudan, dresse une carte géologique et botanique de la Haute Guinée, réorganise la pharmacie à Libreville (Gabon), lance la construction du chemin de fer au Niger et devient successivement gouverneur du Dahomey, de la Nouvelle-Calédonie et de la Guinée. Plus récemment Eugène Le Floch qui envoyé au Cameroun comme chef de la pharmacie et du laboratoire de l’hôpital de Yaoundé, s’échappe pour rejoindre les Forces françaises libres et arrive à Alger et suit les troupes lors de la campagne de France dans l’HE 414. Autre parcours exemplaire, celui de Félix Busson qui après avoir connu la guerre en 1940 et le cours du Pharo en 1941, part au Sénégal où il y édif ie un laboratoire d’analyse moderne. Il s’intéresse à la biologie clinique des Africains et aux analyses bromatologiques des aliments locaux avant de retourner comme directeur du laboratoire au Pharo à Marseille durant seize années et de continuer ses travaux sur la nutrition et la biochimie. Il devient un expert international reconnu par le CNRS, l’OMS et la FAO (5). VIII. LE RAVITAILLEMENT SANITAIRE EN INDOCHINE ET LA DRS 451. Le dépôt de ravitaillement sanitaire 451 arrivant de Fribourg en Allemagne après un arrêt à Marseille s’installe en janvier 1946 à Kanh-Hoï près de Saigon avec à sa tête le pharmacien commandant G. Pille (1911-1966) compagnon du Maréchal Leclerc. La première commande à la Direction des approvisionnements et fabrications (DAF) ancêtre de la DAPS est annuelle et de 3 427 tonnes (15). Elle est destinée au soutien d’un corps 484 expéditionnaire de 70 000 hommes. Ultérieurement les commandes seront semestrielles ce qui reste une fréquence très limitée. À ces commandes à la lointaine métropole sont associés des achats sur les marchés indochinois (oxygène, alcool, bois, plâtre, vaccins et sérums de l’Institut Pasteur) et Indiens (textiles, toile pour brancards) qui représentent un tiers des approvisionnents. L’aide américaine est particulièrement importante à base de surplus de la Seconde Guerre mondiale notamment des hôpitaux et des unités collectives particulièrement bien colisées et tropicalisées, surtout de 1950 à 1954, avec 2 428 tonnes de matériels sanitaires (15). La DRS 451 approvisionne le corps expéditionnaire en médicaments et matériels sanitaires comme les brancards mais se charge aussi de leur fabrication (ampoules, pommades, etc.) et de leur réparation. Ce petit groupe industriel regroupe de 300 à 500 personnes dont sept pharmaciens et une majorité de personnel local. Durant dix années, elle produira 186 tonnes de produits galéniques et 27 millions d’ampoules diverses. Les unités sont ravitaillées via des dépôts de ravitaillement sanitaires situés au Viêt Nam, Laos et Cambodge. Le ravitaillement sanitaire en Indochine fut pour le Service de santé une mission particulièrement difficile notamment du fait de la distance avec la métropole (12 000 km). La chaîne de Insigne de DSR 451 en Indochine. p. burnat ravitaillement malgré ses archaïsmes administratifs initiaux a su satisfaire en majorité les besoins des troupes en guerre grâce à un immense effort collectif d’ingéniosité et d’adaptation notamment de la part des pharmaciens (15). Ce sera le début du ravitaillement sanitaire moderne des opérations extérieures. IX LES PHARMACIENS DES ARMÉES ACTUELS. L’évolution des besoins des armées en matière de santé et la baisse des effectifs de pharmaciens ont conduit à une délimitation des activités pharmaceutiques en cinq domaines principaux. La Direction des approvisionnements en produits de santé et les Établissements de ravitaillement sanitaire ont un rôle déterminant dans les opérations extérieures où des pharmaciens d’active et de réserve de toutes origines sont en permanence présents et efficients. La Pharmacie centrale des armées est un outil indispensable pour le soutien sanitaire des milliaires mais aussi au niveau national dans le cadre des risques spécifiques ou de plans spéciaux. Les biologistes et les pharmaciens hospitaliers s’adaptent en permanence aux nouvelles règlementations et aux évolutions scientif iques. Ces préoccupations sont identiques dans les différents laboratoires d’analyses environnementales et toxicologiques. Les chercheurs participent activement à la prévention, au diagnostic et aux traitements des risques NRBC. Enfin les activités de conseils, d’enseignement, d’expertise et de direction sont aussi des facettes d’un même corps qui se caractérise par son homogénéité et son interdépendance. X. CONCLUSION. Durant plus de trois siècles, les apothicaires du Roy puis les pharmaciens des armées ont suivi les armées de la France pour secourir les blessés et les malades sur terre et sur mer. Actuellement ils ont conservé une grande partie de leurs activités ancestrales notamment en préparant, ravitaillant et distribuant les médicaments et produits de santé indispensables à une médecine eff iciente. Polyvalents et pratiques, ils participent aussi activement à la protection contre les armes chimiques et à l’analyse dans les domaines biologiques ou environnementaux. Malgré leur nombre réduit et de ce fait sous l’égide d’autorités diverses, ils se sont montrés tout au long de leur histoire des humanistes et des scientif iques qui servent souvent avec modestie, la France et ses armées. L’ultime conclusion sera laissée à Parmentier, le plus illustre, bienfaiteur de l’humanité et véritable modèle pour la pharmacie militaire : « si nous avons adopté la pharmacie, restons-lui fidèles, ne rougissons pas de son nom, forçons même par des talents et des vertus nos collègues les médecins et les chirurgiens, à abjurer pour toujours la vaine et méprisable dispute des préséances, à reconnaître que la première place appartient au plus habile, et qu’on ne doit traiter de subalternes que la sottise et l’ignorance » (4). Établissement du ravitaillement sanitaire de Chartres (RAVSAN) de l’apothicaire au pharmacien des armées 485 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Acker P. De l’apothicaire du Roy au pharmacien chimiste des armées. Ora édition. 1985. 2. Olier F. Le Service de santé au XVIIIe siècle. [email protected] 3. Blaessinger. E. Quelques grandes figures de la pharmacie militaire. Ed JB Baillière. 1948. 4. Cadet de Gassicourt C.L. Eloge de Parmentier. Société de pharmacie de Paris. 12 mai 1814. 5. Pluchon P. Histoire des médecins et pharmaciens de la Marine et des colonies. Édition Privat. 1985. 6. Oulieu S Contribution à l’histoire de la pharmacie : les pharmaciens de la grande armée. Thèse d’état de docteur en pharmacie. 5 décembre 1986 ; Lyon I. 7. Pigeard A. Le Service de santé de la révolution au 1er empire (1792-1815). Tradition magasine. 2004. Hors série n° 28, 74p. 8. Stupp F. Les carnets de route de Pierre Irénée Jacob, pharmacien dans la grande armée 1805-1814. Du Roure Ed. 2005. Polignac. 9. Kassel D. Des pharmaciens dans leur siècle, le XIX e . 2002. http://www.ordre.pharmacien.fr 10. http://www.pasteur.fr/infosci/archives/ 11. Reynier L.M. Les pharmaciens-chimistes de la Marine. ASNOM. 2007, 113 : 26-30. 12. Nauroy J. L’évolution de la pharmacie militaire de 1870 à nos jours. Rev Hist Arm 1972, 28 : 211-20. 13. Lejaille A. 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En effet, le corps des vétérinaires des armées, dont la création remonte à 1769, n’a pas encore célébré son deux cent cinquantième anniversaire (1). De plus, hormis un premier rattachement de courte durée du Service vétérinaire de l’armée à la Direction générale du Service de santé militaire de 1944 à 1961, l’intégration du corps des vétérinaires des armées au SSA ne date que du 1er janvier 1978 (2). Pourtant que de points communs entre le parcours des vétérinaires et des médecins des armées : la lente progression dans la hiérarchie militaire, les difficultés pour faire reconnaître leurs compétences et accéder à l’autonomie technique, l’important rôle joué dans le développement des sciences tout au long des trois derniers siècles. C’est cet apport des vétérinaires militaires aux sciences vétérinaires que nous allons présenter après un rappel sur l’histoire des vétérinaires militaires. II. APERÇU DE L’HISTOIRE DES VÉTÉRINAIRES MILITAIRES. L’apparition des vétérinaires militaires français a suivi de près la fondation des premières écoles vétérinaires de l’époque moderne par Claude Bourgelat, à Lyon en 1761 puis à Alfort en 1765. C’est en effet en 1769 qu’un ordre du duc de Choiseul, secrétaire d’état à la guerre, a enjoint à tous les colonels des régiments de cavalerie de détacher à l’école vétérinaire d’Alfort un sujet pour y être instruit en l’art E. DUMAS, vétérinaire en chef, praticien certifié MA/MVHA. M. FREULON, vétérinaire principal, praticien confirmé MA/MVSA. D. DAVIS, docteur vétérinaire, docteur en géographie, professeur associé du département de géographie et environnement de l’université du Texas. J.-Y. KERVELLA, vétérinaire général inspecteur, praticien certifié TMM/MVHA. Correspondance : E. DUMAS, DRSSA Brest. Bureau vétérinaire, BP 5, 29240 BREST Armées. médecine et armées, 2008, 36, 5 vétérinaire. Avant cette date, les soins aux chevaux étaient assurés dans chaque unité par le maréchal-ferrant jugé le plus habile. Ce maréchal-ferrant portait alors le titre de « maréchal expert » et était affecté à l’état-major du régiment avec le rang de maréchal des logis. Une ordonnance du 17 avril 1772 a accordé aux élèves militaires à leur sortie de l’école, la dénomination de « maréchal expert » avec rang de maréchal des logis et obligation de servir dans l’armée pendant huit ans. Ainsi, le suivi de quatre années d’études et l’obtention après examens du titre de « privilégié du Roi en l’art vétérinaire » ne s’est pas traduit par une meilleure position statutaire que celle des maréchaux-ferrants empiriques. Cette assimilation initiale aux maréchauxferrants sous-officiers et les préjugés des officiers de cavalerie ont longtemps rendu difficile la progression des vétérinaires dans la hiérarchie militaire. Cependant, les progrès des sciences vétérinaires au XIXe siècle, les remarquables résultats obtenus dans la conservation des effectifs équins et les services rendus lors de la conquête de l’Algérie ont permis aux vétérinaires d’accéder au statut d’officier en 1852, grâce notamment à l’appui du Maréchal de Saint-Arnaud (3). Ils ont ensuite obtenu l’assimilation de leurs grades à ceux de la hiérarchie militaire générale en 1884, l’accès aux grades de colonel en 1902 puis de général de brigade en 1913 (1). Sur le plan professionnel, c’est le décret du 26 décembre 1876 portant organisation du Service vétérinaire de l’armée qui a conféré au vétérinaire la direction de l’inf irmerie vétérinaire conf iée auparavant au capitaine instructeur. Sur le plan fonctionnel, il a fallu attendre 1878 pour voir la création de dix ressorts vétérinaires, premières structures territoriales à la tête desquelles sont placés des vétérinaires chargés de fonctions d’inspection des services vétérinaires des régiments (4). Si actuellement, avec un corps de 81 vétérinaires des armées, les carrières militaires ne concernent plus qu’une faible proportion de vétérinaires (promotions de un à quatre vétérinaires des armées pour environ 487 Opération chirurgicale dans le bled (Maroc vers 1930) (5). Contrôle du poisson séché à Saïgon. 488 450 vétérinaires sortant des écoles vétérinaires françaises), le Service vétérinaire de l’armée a été, jusqu’à la mécanisation des armées, une des principales voies offertes aux vétérinaires. En effet, l’augmentation des effectifs des armées de la III e République avec le service militaire obligatoire a entraîné une augmentation des cadres des vétérinaires militaires de 262 en 1852 à 522 en 1913 (3). Ainsi, les promotions d’aides vétérinaires stagiaires à l’École d’application de cavalerie de Saumur ont compté jusqu’à 40 élèves alors que, chaque année, le nombre de diplômés des trois écoles vétérinaires n’excédait pas 140 : environ 60 à 65 à Alfort, 35 à 40 à Lyon et 30 à 35 à Toulouse. Ainsi Saumur a, en quelque sorte, été de 1854 à 1940, une quatrième école vétérinaire où les aides vétérinaires stagiaires effectuaient une année d’application. Nombre de vétérinaires militaires, professeurs à Saumur tels Vallon, Aureggio, Jacoulet, Joly ou Marcenac, sont considérés comme des grands noms de la médecine vétérinaire équine à l’instar des maîtres des écoles vétérinaires. Si, au XIXe siècle, en France métropolitaine, les vétérinaires militaires sont cantonnés aux soins des chevaux et commencent à intervenir dans l’inspection du bétail et des viandes destinées à l’armée, l’expansion coloniale française va leur permettre de démontrer toute l’étendue de leurs compétences. e. dumas III. CONTRIBUTION COLONIALE. À LA FRANCE Les vétérinaires militaires ont joué un rôle particulièrement important dans chacune des conquêtes coloniales françaises : l’Algérie à partir de 1830, l’Afrique occidentale et équatoriale, la Tunisie (1881), Madagascar (1896), le Maroc (1907) (5). Accompagnant les premières troupes engagées dans ces expéditions pour assurer les soins aux chevaux et mulets des colonnes, les vétérinaires militaires ont participé à toutes les missions. Ils ont été, tour à tour, combattants, officiers de liaison, topographes, chefs de convoi, tout en continuant à apporter leurs soins aux animaux et bien souvent aux soldats blessés. Certains se sont brillamment illustrés lors des multiples combats et accrochages. Parmi ceux-ci, on peut citer l’aide vétérinaire Hue qui, en 1889, au combat de Koundian (Soudan français) a sauvé la vie du sous-lieutenant Marchand, futur héros de Fachoda, en l’emportant blessé et évanoui hors de la mêlée. Nombre d’entre eux ont payé de leur vie la constitution de l’empire colonial français (6). Au début de la colonisation, l’armée a été la seule présence française structurée. C’est pourquoi, ce sont naturellement les vétérinaires qui ont pris en charge le cheptel local et assuré les soins aux animaux. Grâce à la mise en place de « consultations indigènes », ils ont efficacement concouru à l’acceptation de la présence française par des populations rurales pour lesquelles l’agriculture et l’élevage étaient les seules richesses. Fort de leurs succès, les autorités militaires ont ensuite systématisé ces pratiques. Ainsi, au Maroc, ont été spécialement constitués des groupes vétérinaires mobiles, composés d’un vétérinaire, d’un sousoff icier maréchal-ferrant et de quelques hommes de troupe, chargés d’aller dispenser des soins, de tribus en tribus dans les ter ritoires en cours de pacif ication . Ces groupes ont souvent été les seuls éléments militaires à pouvoir s’aventurer dans certaines zones de dissidence (5). Les vétérinaires militaires ont progressivement développé des méthodes de police sanitaire pour lutter contre les enzooties et épizooties affectant le bétail en prenant en compte, pour plus d’efficacité, les coutumes locales (7). Par la suite, les premières structures administratives vétérinaires, service de l’élevage, service des épizooties ou service de police sanitaire selon les colonies et les époques, ont toujours été d’abord armées par des vétérinaires militaires. Elles ont ensuite été progressivement transférées à l’administration civile et dirigées par des vétérinaires militaires détachés hors Groupe vétérinaire mobile de Marrakech (Maroc vers 1930) (5). le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire 489 cadre au ministère des Colonies, puis par des vétérinaires civils du corps des vétérinaires des colonies. Outre la lutte contre les maladies animales, les vétérinaires militaires ont joué un rôle majeur dans le développement de l’élevage local en mettant en application leurs compétences zootechniques. On leur doit notamment l’amélioration du cheptel ovin du Maghreb, l’acclimatation d’un grand nombre de races ovines, bovines et équines françaises, mais aussi de façon plus anecdotique la création d’une autrucherie à Meknès (Maroc). Le cheval, du fait de son importance pour l’armée, reste une préoccupation essentielle. Grâce à la création de haras, de jumenteries et d’établissements hippiques où sont affectés des vétérinaires militaires, le cheval barbe, résistant et rustique, est amélioré (7). Le développement de son élevage a permis la remonte des unités de la cavalerie d’Afrique avec des chevaux adaptés aux conditions climatiques locales. C’est notamment l’exploit d’une brigade de cavalerie d’Afrique, qui a précipité l’effondrement des empires centraux dans les Balkans par la prise d’Uskub, aujourd’hui Skopje, le 29 septembre 1918. Grâce à l’endurance de leurs montures, spahis marocains et chasseurs d’Afrique montés sur des chevaux barbes ont traversé en quatre jours et quatre nuits, dans des conditions extrêmement diff iciles, le massif de Jakoupitza Planina par d’étroits sentiers de montagne. Ils ont ainsi pu occuper Uskub par surprise et couper la retraite à la XI e Armée allemande forte de 77 000 hommes qui a été contrainte à la capitulation (8). IV. L’ŒUVRE DES LABORATOIRES. Toutes ces actions des vétérinaires militaires ont été permises et favorisées par la mise en place de laboratoires vétérinaires militaires. Nous évoquerons ici les plus importants d’entre eux. A) LE LABORATOIRE MILITAIRE DE RECHERCHES VÉTÉRINAIRES. Le laboratoire militaire de recherches vétérinaires, créé en 1920 à Paris puis transféré à Alfort en 1932, a été pendant près de 50 ans le laboratoire vétérinaire militaire de référence. Il avait pour but, l’étude des maladies infectieuses et parasitaires des chevaux de l’armée, avec la recherche de moyens de diagnostic et de traitement de ces affections et la réalisation des examens bactériologiques et parasitologiques demandés par les vétérinaires des corps de troupe. Il servait également de laboratoire d’expertise en matière d’hygiène des aliments du cheval (9). Parmi les importants travaux réalisés peuvent être cités l’étude du diagnostic sérologique de la morve, la mise au point et la production d’un sérum antigourmeux, des essais de vaccins contre la lymphangite épizootique, la réalisation de tests de toxicité et d’eff icacité sur des anthelminthiques. 490 Les expertises dans le domaine alimentaire ont tenu une place importante avec notamment des études sur divers aliments de substitution pour les chevaux (algues, tourteaux, paille et son mélassés, marc de pommes) et des recherches sur les intoxications des chevaux par les mycotoxines (9). B) LES LABORATOIRES DE RECHERCHE VÉTÉRINAIRE DES COLONIES. D’autres laboratoires militaires ont également été créés dans les colonies et protectorats français : laboratoire de recherche vétérinaire des troupes d’occupation du Maroc à Casablanca en 1912, laboratoire de recherche vétérinaire du Levant à Beyrouth en 1920. Leurs activités ont été comparables à celles du laboratoire d’Alfort avec une spécialisation dans les maladies tropicales locales. Ces laboratoires ont souvent été, dans un premier temps, les seules structures techniques présentes sur lesquelles s’appuyaient les services de l’élevage. Ces structures ont fonctionné à leurs débuts dans des conditions plus que rudimentaires. Ainsi le laboratoire de Beyrouth avait, pour tout personnel, outre le vétérinaire en assurant la direction, un employé civil et un militaire du train. Il a cependant assuré l’ensemble des diagnostics bactériologiques, parasitologiques et anatomopathologiques vétérinaires civils et militaires pour le Levant (Syrie et Liban) ainsi que les diagnostics de rage par microscopie et inoculation sur lapins. Ce laboratoire a aussi entrepris en collaboration avec l’hôpital militaire de Beyrouth des travaux sur les bacilles de Yersin et de Malassez et Vignal (10). Le laboratoire de Casablanca, dirigé de 1913 à 1938 par le vétérinaire militaire Henri Velu, a eu un rôle essentiel dans l’approfondissement des connaissances des maladies infectieuses et parasitaires locales telles la lymphangite épizootique, l’anémie infectieuse des équidés, les trypanosomoses et les piroplasmoses (11). Tous ces laboratoires servaient également de centres d’instruction spécialisée pour les vétérinaires nouvellement affectés dans ces territoires et assuraient la production et la distribution de vaccins et de sérums pour les animaux, mais aussi pour les hommes en partenariat avec les structures locales du service de santé (10, 12). C) LE LABORATOIRE D’ÉTUDES ET DE CONTRÔLE DES VIANDES CONSERVÉES DE L’ARMÉE. À la f in du XIX e siècle, plusieurs accidents observés dans les corps de troupe et attribués à la consommation de conserves ont conduit le ministre de la Guerre à créer le 1 er février 1899 une commission d’étude. Cette commission à laquelle a participé le professeur Nocard a incriminé l’empirisme des fabricants de conserves et a proposé la mise en place d’études afin d’établir des techniques scientifiquement raisonnées pouvant servir de base à une réglementation et à un nouveau cahier des charges pour les marchés militaires. La commission a e. dumas aussi préconisé la création d’un laboratoire central d’examens des substances alimentaires. C’est ainsi qu’est créé par décision ministérielle du 2 février 1901, le laboratoire d’études et de contrôle des viandes conservées de l’armée rattaché à l’Inspection générale de l’intendance (13). Ce laboratoire est dirigé initialement par le professeur Blanc, docteur ès sciences physiques, auquel est adjoint le vétérinaire en premier Dassonville. Ce dernier, futur vétérinaire général, docteur ès sciences naturelles, s’est déjà illustré en 1898 par la découverte et l’identification de Trichophyton equinum (6). C’est ainsi qu’a commencé l’importante participation des vétérinaires militaires à l’expertise des denrées alimentaires et plus particulièrement des conserves dans les laboratoires de l’intendance. Au départ du professeur Blanc en 1922, le vétérinaire major Bidault, son adjoint, prend la direction du laboratoire. Ce poste ne sera ensuite plus occupé que par des vétérinaires militaires, notamment Forgeot, Fleuret, Guillot et Lebert (14). Installé initialement dans les locaux de l’Institut Pasteur de Paris, le laboratoire est transféré à l’Hôtel des Invalides en 1908. L’autorité scientifique du laboratoire fut vite telle que le ministère de l’Agriculture fit appel à ses compétences pour réaliser les contrôles du respect des décrets d’application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes. L’accord du 19 juillet 1909 confiant cette expertise au laboratoire militaire perdure jusqu’en 1924, date à laquelle ses missions civiles sont conf iées au nouveau laboratoire national de recherches vétérinaires d’Alfort (13). Cette activité au service de la répression des fraudes n’a réellement cessé qu’en 1948. Ainsi, pendant près de quinze ans, c’est un laboratoire militaire qui a servi de laboratoire national de référence dans le domaine des conserves. Les vétérinaires de ce laboratoire, qui a connu différentes appellations au cours du temps, ont développé une expertise incontestée et réalisé de nombreuses études et recherches sur les différents modes de conservation des aliments. Les études réalisées étaient motivées par la double nécessité de rechercher les meilleurs moyens de conservation des denrées permettant de répondre aux contraintes logistiques des armées (nécessité de stocks de longue durée, élongation des voies d’approvisionnement, conditions climatiques extrêmes) et de garantir la sécurité et la qualité des aliments destinés aux armées. Parmi les nombreuses recherches, peuvent être cités : – l’examen microbiologique et l’étude de la corrosion des conserves ; – la mise au point d’une technique d’électrosoudure des fûts des boîtes de conserves af in d’éviter les achats d’étain, onéreux et difficiles en temps de guerre ; – l’étude de la congélation de viandes désossées découpées et, plus tard, la surgélation des viandes hachées; – la conservation des denrées par ionisation, par utilisation de rayonnements ultraviolets ou par adjonction d’antibiotiques. Si certaines méthodes ont été abandonnées, pour beaucoup d’autres, ce sont les études et les besoins militaires qui ont permis le développement de technologies novatrices. Un autre volet des recherches a été le développement de moyens de détection des fraudes avec notamment l’analyse histologique des charcuteries et l’utilisation de sérums précipitants pour déterminer les espèces animales entrant dans la composition de produits de charcuterie (14). Le Commissariat de l’armée de Terre dispose toujours de nos jours à Angers d’un laboratoire, dirigé par un vétérinaire des armées, qui assure notamment le contrôle et l’expertise des constituants de la ration de combat individuelle réchauffable. le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire 491 D) CENTRES ET LABORATOIRES DU SERVICE BIOLOGIQUE ET VÉTÉRINAIRE DES ARMÉES. La courte indépendance du Service biologique et vétérinaire des armées (SBVA) de 1961 à 1967 a vu la création de structures éphémères comme le Centre biologique d’expérimentation de Tarbes, le Centre d’études et de production biologique de Compiègne, le Laboratoire d’étude des dauphins de Biarritz, le Centre de production et de conditionnement d’animaux d’expérimentation au camp de Souge. Un Centre de radiodétection et de décontamination a été créé à Paris dans l’infirmerie vétérinaire de l’École militaire et a réalisé le premier enseignement militaire de radiodétection et radioprotection au profit des officiers d’active et de réserve (1). V. AUTRES APPORTS À LA MÉDECINE VÉTÉRINAIRE. A) DÉVELOPPEMENT DE L’ENSEIGNEMENT VÉTÉRINAIRE. Les vétérinaires militaires ont également contribué au développement de l’enseignement vétérinaire dans le monde. C’est ainsi qu’ont été créées : – l’École vétérinaire de Rosette en Égypte en 1828, par les vétérinaires militaires Pierre Hamont et Auguste Prétot (Alfort 1824), école qui n’a cependant pas survécu au départ des vétérinaires français en 1840 ; – l’École vétérinaire militaire turque à Constantinople en 1851, par le vétérinaire en premier Dubroca, issu de l’école vétérinaire de Lyon (15) ; – le Service vétérinaire de l’armée péruvienne en 1905, par le vétérinaire aide major de première classe Bourgueil (Alfort 1897) ; – l’École vétérinaire de l’armée brésilienne par le vétérinaire major de deuxième classe Marliangeas (Alfort 1903) et l’aide vétérinaire major de première classe Dieulouard (Alfort 1909) en 1920 (16). B) LES VÉTÉRINAIRES MILITAIRES ET LA MORVE. C) LES VÉTÉRINAIRES MILITAIRES DÉTACHÉS DANS LES INSTITUTS PASTEUR. Le début du XIXe siècle a été marqué par l’affrontement des partisans de la contagiosité de la morve et de ceux de sa spontanéité qui attribuaient son apparition aux mauvaises conditions d’hygiène et d’entretien des chevaux (17). Si les vétérinaires militaires majoritairement sortis d’Alfort dont les maîtres étaient de fervents « spontanéistes » ont longtemps préféré les théories hygiénistes, ils se sont rangés progressivement parmi les « contagionnistes », grâce notamment aux travaux du vétérinaire en premier Gillet (6). C’est grâce aux expériences de malléination réalisées entre juin et octobre 1892 à l’annexe de remonte de Montoire qu’a été démontrée la valeur diagnostique des injections de malléine. Ces travaux de très grande ampleur ont été réalisés par une commission présidée par le général Faverot de Kerbrech adjoint à l’inspecteur général des remontes et comprenant le docteur Roux de l’institut Pasteur, le professeur Nocard d’Alfort, quatre vétérinaires principaux et cinq vétérinaires en premier : plus de 230 chevaux ont reçu une ou plusieurs injections de malléine, et 90 animaux ont été abattus et autopsiés. Ces expériences ont conduit l’armée à préconiser l’emploi de la malléine comme moyen de diagnostic de la morve latente, et ont ainsi ouvert la voie à l’éradication de cette maladie au sein des effectifs équins militaires puis civils (18). De nombreux vétérinaires militaires ont été détachés dans les instituts Pasteur d’Outre-mer où ils se sont bien souvent illustrés : – R. Wilbert, qui a fondé en 1923 l’institut Pasteur de Kindia en Guinée dont il a été le premier directeur, a réalisé de nombreux travaux sur la prévention des maladies infectieuses des singes africains et a organisé leur transport vers les centres de recherches français ; – Camille Pesas, premier vétérinaire collaborateur de Yersin à l’institut antipesteux Nhatrang en 1896, qui mourra de la peste en 1897 et à qui succéderont notamment Albert Fraimbault, Charles Carré et Jules Blin qui travailleront sur la peste bovine et la peste humaine; – Edmond Plantureux, chef du service de microbiologie de l’institut Pasteur d’Alger qui a réalisé de nombreux travaux sur la rage ; – Lucien Balozet, directeur de l’institut Pasteur de Tunis (19). Statue de Philippe Thomas, place Philippe Thomas à Sfax (Tunisie). 492 VI. UNE DÉCOUVERTE MAJEURE : LES PHOSPHATES DE CHAUX TUNISIENS. Une des découvertes scientifiques les plus importantes par ses conséquences économiques est la découverte des phosphates de chaux de Tunisie par Philippe Thomas. Ce vétérinaire militaire, sorti d’Alfort en 1864 et de Saumur en 1865, a servi jusqu’en 1868 au 1er Régiment de cuirassiers à Haguenau avant de partir pour l’Afrique du Nord où il est resté douze ans. Affecté au 1er Régiment de spahis de 1868 à 1875, il a connu de nombreuses garnisons et participé à plusieurs expéditions dans le Sahara avant d’être nommé directeur de la ferme-pénitencier d’Ain El Bay près de Constantine. Il a profité de ses déplacements et de ses loisirs pour s’adonner à sa passion, l’archéologie. Ses rencontres avec des archéologues présents en Algérie, comme Le Mesle et Gaudry, l’ont fait s’intéresser à la paléontologie (20). C’est ainsi qu’il a découvert un atelier de silex taillés à Ouargla et un tumulus paléolithique à Ain Mila. Il a également publié des travaux sur les bovidés fossiles d’Algérie, et des recherches stratigraphiques et paléontologiques sur les formations d’eau douce d’Algérie (21). En 1880, bien qu’il ait rejoint la métropole avec le 10 e Régiment de hussards, ses connaissances géologiques de terrain et sa notoriété lui valent d’être nommé le 1er décembre 1884, par le ministre de l’Instruction publique Jules Ferry, membre de la commission d’exploration scientifique de la Tunisie, devenue protectorat français en 1883 (20). C’est à l’occasion de la première mission d’exploration géologique de la Tunisie, qu’il a découvert le 18 avril 1885 près de Metlaoui des marnes et calcaires dont la teneur en phosphate tricalcique est de l’ordre de 60 %. Dès confirmation de ce taux de phosphates exceptionnel par des analyses d’échantillons effectuées à l’École des mines de Paris, il communique la découverte de ce gisement à l’Académie des sciences le 7 décembre 1885. e. dumas Chiens ambulanciers. La deuxième mission réalisée en 1886 lui a permis de localiser plusieurs autres gisements de phosphates de chaux à Gafsa, Djebel-Sehib, Rosfa-Berda, KhechebArt-Souma, Nasser-Allah, Kalaat-es-Senam. À la suite de l’intervention de l’autorité militaire, qui voit d’un mauvais œil les congés qu’il doit prendre pour participer à ces expéditions, Thomas n’a pas pris part aux missions suivantes qui s’achèvent en 1889. Il poursuit alors brillamment sa carrière militaire et atteint le sommet de la hiérarchie vétérinaire. En 1891, il est nommé vétérinaire principal de 2e classe, directeur du 8e ressort vétérinaire à Montpellier, puis est affecté au ministère de la Guerre, à la section technique du comité de cavalerie. Il est ensuite promu vétérinaire principal de 1 re classe, directeur du 1 er ressort vétérinaire (Gouvernement militaire de Paris, 1 er, 2 e et 3 e corps d’armée) (22). La découverte de Philippe Thomas eut un retentissement considérable et fut à l’origine du développement de l’économie tunisienne. Elle permit à l’agriculture française qui commençait à se rationaliser de disposer de la source d’engrais phosphatés dont elle avait besoin pour ses cultures céréalières. La première concession minière est exploitée à Gafsa à partir de 1895. L’exploitation des phosphates conduit à la construction de deux ports modernes et de trois lignes de chemins de fer (1 000 km) reliant les mines de phosphates situées à l’intérieur des terres à ces ports. Dès 1908, la Tunisie exporte 1 360 000 tonnes de phosphates par an. Le pays exporte de nos jours 8 400 000 tonnes de phosphates chaque année. On peut considérer que la Tunisie doit une grande part de son essor économique à la découverte de Thomas, car les infrastructures ferroviaires et portuaires créées pour l’exportation des phosphates permirent, dès le début du XXe siècle, l’exploitation d’autres ressources minières secondaires comme le zinc, le plomb et le cuivre ainsi que le développement d’une production agricole destinée à l’exportation. On doit également à Philippe Thomas la première découverte et description d’un crocodilien préhistorique qu’il baptisa Crocodilus phosphaticus. Aujourd’hui classé dans la famille des Dyrosauridae, il est dénommé Dyrosaurus phosphaticus Thomas. Admis à la retraite en 1901, Philippe Thomas est décédé en 1910 alors qu’il achevait le troisième tome de son « Essai d’une description géologique de la Tunisie ». Se considérant en service commandé lors de ses missions d’exploration géologique, il n’a jamais cherché à retirer un quelconque bénéfice personnel de ses découvertes. Il a, au contraire, donné dans toutes ses communications, les indications les plus précises pour permettre l’exploitation des gisements. Ce n’est que tardivement, quand l’exploitation des phosphates a atteint son plein rendement que le le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire 493 Chien sanitaire. gouvernement du protectorat de Tunisie a récompensé Philippe Thomas en le nommant grand cordon de 1re classe de l’ordre du Nicham Iftikhar et en lui accordant en 1908 une pension annuelle de 6 000 francs. Les divers impôts et redevances liés à l’exploitation des phosphates rapportaient alors plus de 10 millions de francs par an au trésor tunisien (20). Philippe Thomas a alors écrit : « Je serais surtout heureux si ce nouvel honneur qui va m’être conféré pouvait rejaillir sur le Corps des vétérinaires militaires, auquel j’ai eu l’honneur d’appartenir, car je ne saurais oublier que, si cet acte de justice m’est enfin rendu, je le dois beaucoup à la si juste considération dont jouissent en Tunisie les vétérinaires militaires, ces chers et bons camarades, qui ont tout fait pour y honorer mon souvenir. » (22). Il serait d’ailleurs injuste de laisser à penser que Philippe Thomas était un géologue égaré dans une carrière de vétérinaire militaire. Ses travaux scientifiques dans le domaine vétérinaire ont aussi fait autorité. Ainsi, son rapport médical sur le « Bou Frida », péripneumonie exsudative d’allure épizootique affectant les chèvres d’Algérie, a été repris par Leclainche et Nocard dans la première édition de leur ouvrage «Maladies contagieuses». Ses études sur la pasteurellose et la paraplégie infectieuse du cheval ont servi également de référence au célèbre livre « maladies du cheval de troupe » de Joly (20, 22). La statue de Thomas, érigée sur une des principales places de Sfax, rebaptisée place Philippe Thomas après sa mort, a été ramenée en France lors de l’accession de la Tunisie 494 à l’indépendance en 1957. Cette statue, longtemps conservée dans les locaux de l’Inspection technique des services vétérinaires et biologiques des armées (ITSVBA) est exposée dans le hall de l’École du Service de santé des armées de Lyon-Bron depuis le transfert de l’ITSVBA de Lyon à Paris. VII. DÉVELOPPEMENT DE LA CYNOTECHNIE MODERNE. Le temps qui passe tend à faire oublier le rôle majeur qu’ont joué les vétérinaires militaires dans le développement de la cynotechnie militaire. La Première Guerre mondiale a été le premier conflit où les chiens ont été significativement utilisés avec l’emploi de chiens sanitaires pour la localisation des blessés, de chiens porteurs, estafettes ou sentinelles. Les vétérinaires ont alors uniquement été employés aux soins de ces animaux (23). L’effondrement de l’armée française en juin 1940 n’a pas permis un nouvel essor de la cynotechnie tombée en désuétude entre les deux guerres. Par contre, les guerres de décolonisation ont rapidement mis en évidence l’intérêt des chiens militaires dans les opérations de contre-guérilla. Malgré leur rattachement au Service de santé militaire entre 1944 et 1961, c’est aux vétérinaires militaires que l’on a confié, à partir de 1948, la sélection, le dressage et l’emploi des chiens de guerre. e. dumas A) CYNOTECHNIE EN INDOCHINE. Après des débuts diff iciles liés à la dispersion et à l’isolement des équipes cynophiles au sein des unités, le service vétérinaire a formé, à partir de 1951, des commandos cynophiles opérationnels. Ces commandos étaient formés de neuf hommes armés de pistolets mitrailleurs, un gradé cynophile et huit hommes du rang avec leurs chiens. Au nombre de quatre, six puis dix en janvier 1954, ces commandos, dirigés par trois vétérinaires officiers cynotechniciens, étaient employés en unités constituées, généralement en appui d’une compagnie d’infanterie. Ils ont obtenu des résultats remarquables dans la détection des embuscades lors des missions d’ouverture de route ou de piste, dans la recherche et la poursuite de l’ennemi et dans les fouilles d’agglomération. En 1954, trois cynocommandos de déminage ont également été envoyés des forces françaises en Allemagne mais leurs résultats ont été décevants : la longueur des pistes à ouvrir et la faible densité des mines et pièges associées à des conditions climatiques éprouvantes ont souvent découragé les animaux (24). B) CYNOTECHNIE EN ALGÉRIE. La guerre d’Algérie a vu un développement très important de l’emploi des chiens. Ainsi les effectifs canins sont passés de 160 en 1955 à 900 en 1957 pour culminer entre 1 900 et 2 000 à partir de 1958. Les chiens nécessaires à cette montée en puissance étaient achetés et débourrés en Allemagne par le 10e groupe vétérinaire (GV) de Linx et en France par le 24e GV de Suippes. Les chiens étaient dressés et acclimatés en Algérie par trois groupes vétérinaires (31e GV de Mostaganem, 32e GV de SaintArnaud et 33 e puis 541 e GV de Blida) qui assuraient également la formation des maîtres-chiens. Les équipes étaient ensuite employées au sein de 90 à 100 pelotons cynophiles qui comportaient quinze à vingt chiens. Les trois quarts de ces pelotons étaient commandés par des vétérinaires aspirants (25). Les chiens éclaireurs utilisés pour des missions de patrouille, de ratissage et de bouclage ont montré leur intérêt. Les chiens pisteurs ont été efficacement utilisés à la suite de sabotage, d’évasion, d’embuscade ou le long des lignes Péron et Morice pour détecter les infiltrations. Enfin des chiens de grotte ont été spécifiquement dressés pour débusquer l’adversaire dans les grottes. Les résultats des chiens de déminage ont été satisfaisants, mais la longueur des voies ferrées sur lesquelles ils étaient employés et la lenteur du travail limitaient leur efficacité (26). C) BILAN DE LA PARTICIPATION VÉTÉRINAIRE À LA CYNOTECHNIE. Les vétérinaires des armées ont ainsi mis en place les bases de la cynotechnie militaire moderne en France. Ils ont développé des techniques raisonnées de dressage des chiens prenant en compte le comportement canin. Parallèlement à cette implication directe dans l’emploi opérationnel des chiens, les vétérinaires des armées, traditionnellement hippiatres, se sont orientés vers la médecine vétérinaire canine. De nombreux travaux scientifiques ont été réalisés par les vétérinaires des GV, orientés autant vers l’optimisation de l’emploi des chiens avec des recherches sur l’olfaction que vers les principales affections touchant les chiens militaires comme la dysplasie coxo-fémorale. Les vétérinaires des armées ont abandonné les activités cynotechniques lors du deuxième rattachement du corps au Service de santé des armées. Le 1 er juillet 1977, le 24e GV de Suippes a été dissous et ses installations et activités ont été reprises par le 132e groupe cynophile de l’armée de Terre. VIII. CONCLUSION. Clinique vétérinaire du 32e bataillon cynophile de l’armée de Terre, Suippes 2006 (Copyright O. Merlin). Ce court exposé a permis d’esquisser le rôle, non négligeable, des vétérinaires militaires à « la vétérinaire » comme nos grands anciens aimaient à appeler les sciences vétérinaires. Pour répondre aux besoins des armées, les vétérinaires militaires ont souvent été des précurseurs dans de nombreux domaines que ce soit la santé des animaux, leur emploi ou l’hygiène des aliments. Malheureusement, les noms des plus illustres de nos anciens que ce soit Thomas, Vallon ou Aureggio n’ont pas été retenus par la postérité comme Larrey, Parmentier ou Laverant. La citation accompagnant l’attribution de la croix de la légion d’honneur aux Écoles nationales vétérinaires (décret du 27 mai 1939) illustre parfaitement l’action des vétérinaires militaires : « Établissements d’enseignement réputés, ont rendu des services très appréciés au pays en lui donnant des techniciens instruits qui ont apporté leur précieux concours au développement de l’élevage et à la conservation du cheptel animal métropolitain et colonial, ainsi qu’à la défense nationale et à l’œuvre colonisatrice et civilisatrice de la France. Ont contribué en outre grâce aux travaux de leurs maîtres et de tous les chercheurs formés à leurs disciplines à accroître le patrimoine et le prestige de la science française. » (27). le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire 495 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Milhaud C. Schéma général de l’histoire des vétérinaires militaires français. Bull. Soc. Fr. Hist. Méd. Sci. Vét. 2003 ; 2 (1) : 47-61. 2. 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Le champ d’investigation de notre sujet est vaste ; aussi nous nous limiterons à accompagner cet auxiliaire, ce paramédical – du grec para, « à côté de » – dans son long cheminement tant « statutaire » que professionnel aux côtés des praticiens des armées. dont on se méfiait. Ce n’est que tardivement dans un siècle dont les lumières vacillaient que l’ordonnance du 2 mai 1781 attribua aux infirmiers quelques menus II. AUX ORIGINES (1708-1845). Au XVIII e siècle, des hôpitaux militaires permanents s’implantèrent dans les places de guerre au sein desquels s’organisèrent des embryons de services sanitaires autour d’un médecin, d’un chirurgien-major et de leurs aides appointés par le Roi. Le service subalterne des soins du corps était alors confié à des élèves chirurgiens, plus apprentis qu’inf irmiers et bien souvent parents des titulaires des charges, tant au service de Terre qu’à celui de la Marine. Il ne restait à nos « servants domestiques » que les corvées de propreté, de vide-pots et le portage de la nourriture. Il fallut attendre les ordonnances du milieu du XVIIIe siècle (règlement du 1er janvier 1747) pour que les bureaux de la Guerre tentent d’attacher au service des hôpitaux militaires cette population domestique, ces « inf irmiers » dont l’encadrement fut conf ié à des congrégations religieuses hospitalières jugées plus aptes, selon les mœurs du temps, à régenter cette population F. OLIER, major. Correspondance : F. OLIER, major, Hôpital d’instruction des armées Bégin, 69 avenue de Paris, 94163 SAINT-MANDÉ Cedex. médecine et armées, 2008, 36, 5 Despotats. 497 avantages en échange « de longs services » dont le plus significatif fut l’octroi d’une pension de retraite (1). Cette mesure ne touchait qu’une « élite » de sujets sédentarisés, f ixés dans des ressorts géographiques bien limités (Alsace, Hainaut, Trois Évêchés) ou totalement isolés (places fortes des Pyrénées, des Alpes ou de Bretagne). Les campagnes de la Révolution et de l’Empire conduisirent à une nouvelle définition de « l’infirmier ». Alors qu’au fil du XVIII e siècle on le trouvait attaché dans les hôpitaux à des emplois ancillaires, à la f in du siècle apparut un nouveau modèle d’infirmier : le « soldat d’ambulance » (2), appartenant aux troupes d’administration assujetties à l’Intendance militaire. Ce soldat d’ambulance était né de la volonté des chirurgiens en chef Dominique Larrey et François Percy d’avoir « à leur main » les auxiliaires pour le service de leurs ambulances volantes qui suivaient « au plus près » les armées républicaines puis impériales. Associés aux soldats du train des équipages, organisés en compagnies, ils s’occupaient plus de brancardage, de garde et de la protection des convois d’évacuation que des soins qui restaient l’apanage exclusif des chirurgiens en sousordre. Les compagnies d’ambulance de l’Empire furent une réalité militaire assez bien comprise de leurs contemporains mais un réel fiasco concernant le service infirmier qui fut jugé notoirement calamiteux. Cette longue période de guerre posa irrémédiablement, en France, pour le XIXe siècle le problème de la dualité de l’exercice infirmier aux armées, partagé entre service militaire et service de soins. Le premier conduisait à renouveler l’organisation des compagnies d’infirmiers de l’Empire intégrées dans un bataillon d’ouvriers d’administration, accessoires de la logistique sanitaire des expéditions militaires de la Restauration (Espagne, 1823) et de la Monarchie de Juillet (Algérie, 1830) ; le second admettait au service, un corps d’infirmiers dits « entretenus » dédié au service hospitalier. L’expédition d’Alger et les besoins de la Colonisation (1830-1870) imposèrent dans les hôpitaux des effectifs considérables d’infirmiers. À compter du 1er juillet 1834 ces derniers furent enlevés des cadres du bataillon d’ouvriers d’administration et répartis en détachements autonomes dans les hôpitaux militaires de France et d’Algérie. Jusqu’au Second Empire ces soldats inf irmiers totalement inféodés à l’Intendance militaire transformèrent les hôpitaux en de véritables casernes où l’exercice militaire confié à des officiers d’administration des hôpitaux primait sur le service des soins. (3) III. LE PARAMÉDICAL DANS LES ARMÉES. A) MILITAIRES ET « INFIRMIERS D’ÉLITE » (1845-1908). 1. Entre infirmiers et galériens (1845-1853). Les membres du Conseil de santé constataient lors de leurs missions d’inspection médicale en métropole et en Algérie l’étendue du déficit d’instruction hospitalière des infirmiers. Les prescriptions paramédicales – telles que nous les comprenons aujourd’hui – se limitaient, en 1840, aux lotions, frictions, embrocations. L’essentiel des actes simples était exclu de ce service, y compris les pansements, confiés aux chirurgiens sous-aides. En ce Illustration « Despotats ». 498 f. olier de celui des troupes d’administration de l’armée de Terre. Ce corps qui comprenait quatre inf irmiers-chefs (maîtres), 58 infirmiers-majors (pour moitié de secondsmaîtres et par moitié de quartiers-maîtres), plus 250 infirmiers ordinaires (matelots), engagés par contrat de sept ans, allait s’imposer tant au service à la mer qu’à celui de terre. La qualité de leur recrutement, leur professionnalisme dans les salles allait servir de modèle pour l’élaboration de l’instruction technique hospitalière que l’armée de Terre adoptera en 1860. (4) Italie, février 1944, infirmière. milieu de siècle le service hospitalier des infirmiers restait dévalorisé, par opposition au service dans les bureaux, plus susceptible d’avancement et de reconnaissance. La diffusion, en 1845, d’un Manuel de l’infirmier militaire ne régla pas le problème du déficit d’instruction hospitalière, d’autant – et les inspections médicales ultérieures (1842-1850) le conf irmèrent – que les officiers d’administration, commandants les infirmiers dans les hôpitaux, ignoraient volontairement les directives techniques du Conseil de santé et continuaient d’affecter au service des soins le rebut des détachements. Une réforme en profondeur s’imposait. À la veille de la Guerre de Crimée, la Marine, elle aussi se trouvait confrontée à la réforme de son service infirmier et cherchait à s’affranchir de la tutelle du Commissariat. Cette situation impose un retour en arrière : Depuis le XVIIe siècle les congrégations religieuses servaient dans les hôpitaux de la Marine. À la Révolution les congrégations furent chassées des hôpitaux ; les religieuses qui le souhaitaient, pouvaient cependant continuer d’y servir sous l’habit laïc, concurremment avec des « hommes libres » recrutés dans les « dernières couches de la société ». Toutefois, depuis le milieu du XVIIIe siècle, la Marine profitait d’une ressource qui lui était propre, celle des bagnards employés au service des salles comme infirmiers. Cette population mieux reconnue paradoxalement que celle des hommes libres, sous les aspects « de la moralité (sic), de l’esprit d’ordre, de la conduite et de la tempérance » et du point de vue économique détenait l’exclusivité du service infirmier dans les hôpitaux de la Marine. La transportation des bagnards en Guyane, à compter du 23 mars 1852, tarit cette main-d’œuvre quasi gratuite. De l’ancien système il ne subsista bientôt que les congrégations chargées de l’économie intérieure des établissements. L’insuffisance numérique des religieuses et le coût contractuel du prix de journée qui ne pouvait qu’évoluer vers un tarif prohibitif depuis le départ des bagnards, obligèrent la Marine à se constituer, le 19 mars 1853, un corps d’infirmiers, calqué sur le modèle 2. Un auxiliaire reconnu : l’infirmier « d’élite » (1853-1860). À l’instar de la Marine, la création d’un nouveau corps d’infirmiers éduqués est à rattacher à la disparition d’une ressource en personnel dans l’armée de Terre, celle des chirurgiens sous-aides, officiers subalternes, « auxiliaires modestes, gens de dévouement et sans ambition » requis pour la durée de la guerre ou en période de crise d’effectifs et licenciés à la paix. Cette population besogneuse bloquée dans ce grade avait été à la pointe des mouvements insurrectionnels survenus, en 1848, à Paris et au Val-de-Grâce (rébellion, séquestration de membres du Conseil de santé, etc.) À la chute de la IIe République survînt l’heure des comptes : la suppression de ce grade et la mise en extinction progressive des emplois de sous-aides (23 août 1852) jugés trop frondeurs, trop républicains. Le deuxième facteur qui conduisit à l’émergence d’infirmiers professionnels fut le retour d’expérience des campagnes militaires du Second Empire. Des applications heureuses avaient été réalisées lors de la campagne de Crimée (1854-1856) pour compenser les lourdes pertes en personnels sous-aides. Ainsi s’était constitué sur le théâtre d’opérations un corps provisoire d’infirmiers « spécialisés », les « soldats panseurs » en charge de la « tenue des cahiers de visite et du renouvellement des pansements simples (...) ». Le médecin inspecteur Lucien Baudens (1804-1857) qui avait, en Crimée, apprécié leurs services, leur prédisait un grand avenir dans le remplacement des sous-aides, « ces auxiliaires médiocres du corps de santé militaire » qui l’avaient copieusement hué pendant les évènements de 1848. (5) Parallèlement à ces recherches d’auxiliaires qualifiés il faut noter l’expérience britannique en Crimée d’emploi dans les hôpitaux de « dames infirmières » conduites par Florence Nightingale (1820-1910) dont Baudens se fit l’écho et la prise de conscience d’Henri Dunant (1828-1910) fondateur de la Croix-Rouge, face à la situation désastreuse des blessés franco-piémontais et autrichiens abandonnés sans soins lors de la guerre d’Italie (1859). Il reviendra à Michel Lévy (1809-1872), directeur de l’école du Val-de-Grâce d’effectuer la synthèse de ces expériences. Le développement d’un concept infirmier avait fait son chemin : créer un corps d’inf irmiers militaires susceptible d’effectuer des besognes secondaires en vue d’alléger le travail d’officiers de santé, paramédicaux dans les armées. trois siècles pour parvenir au statut des militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008) 499 docteurs en médecine. À cette fin, il organisa, au Val-deGrâce, un stage de deux mois, dont un de théorie, où furent accueillis 50 infirmiers (sous-officiers et soldats) choisis parmi les plus « lettrés ». Une formation théorique et pratique devait conduire à former des infirmiers, appelés « d’élite » puis de « visite », aptes à la rédaction des relevés journaliers de prescriptions, à la réalisation des pansements et au « détail » de petite chirurgie. À la sortie du Val-de-Grâce ces infirmiers étaient répartis entre les hôpitaux à raison de trois infirmiers de visite par médecin traitant. La réussite de ce stage ne devait plus se démentir et les sujets « dressés » furent réclamés à grands cris par tous les médecins-chefs d’hôpitaux. Cette initiative limitée fut rapidement réglementée et fit l’objet d’une instruction ministérielle du 3 janvier 1860. Pour les distinguer et reconnaître leur fonction, ils recevaient une haute-paie journalière dès leur affectation en milieu hospitalier ; ils étaient exempts de corvées, de travaux de force et de propreté ; recevaient en alimentation la portion entière des malades et non l’ordinaire. Et, suprême distinction, à l’instar des anciens sous-aides, ils portaient le caducée sur le collet en velours de leur uniforme et se voyaient doter à titre personnel d’une trousse réglementaire en mouton maroquiné. Cette « révolution » ne se fit pas sans une certaine réticence du milieu médical qui voyait dans les infirmiers de visite « une pépinière de quasi-médicastres destinés à infecter tôt ou tard la société civile et à répandre dans nos campagnes une nouvelle catégorie de charlatans. » (6) 3. De la « bonne sœur » à la « bonne dame » (1860-1908). Nous avons laissé les infirmiers en 1834, encasernés dans les hôpitaux militaires de métropole et d’Algérie. À compter du 17 septembre 1863 les détachements autonomes des hôpitaux furent regroupés en sections d’infirmiers militaires (SIM). Cette transformation allait entretenir jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale l’appellation générique « d’infirmier militaire » qui regroupait quantité de professions tant administratives, techniques que paramédicales. Le nouveau corps se composait de trois classes : les infirmiers aux écritures, les infirmiers de visite (de 1860), les inf irmiers d’exploitation du service général. Seuls, ceux de visite recevaient une formation professionnelle au lit des malades. Cette formation initiée au Val-de-Grâce fut étendue, dès 1867, aux autres hôpitaux militaires. Ainsi l’opportunité d’ouvrir une « école » spécialisée, unité de lieu et d’enseignement s’évaporait dans la chute de l’Empire. Sous la III e République l’ensemble du corpus réglementaire concernant les inf irmiers fut maintenu. Seules des modif ications de détail sur le recrutement furent apportées essentiellement liées aux modalités de recrutement de la nouvelle armée républicaine (service militaire de trois, de deux puis d’un an). Ce système induisait un important renouvellement des infirmiers de visite du contingent dont l’éducation hospitalière ne pouvait avoir la valeur des infirmiers de 1860, soldats 500 susceptibles de servir de trois à sept années. La qualité cédait le pas à la quantité. Alors que le Service de santé militaire laissait se déliter son corps d’infirmiers spécialisés, la société civile voyait, quant à elle, se développer le concept moderne de « gardemalade » formé sur les principes hérités du « système Nightingale » dans des écoles de formation (CroixRouge, Assistance Publique) dédiées à ce modèle anglo-saxon de « nursing », acquises aux pratiques modernes de l’asepsie et de l’antisepsie. Par ailleurs, les lois sur la laïcité de 1905 avaient chassé des hôpitaux militaires et maritimes les congrégations religieuses confortées sous le Second Empire. Un fort courant d’opinion travaillé par la presse poussait dans le sens de l’introduction de « dames infirmières » bénévoles dans les armées ; ces dames pourraient fort bien se substituer aux religieuses et apporter dans les hôpitaux « toute leur féminité bienveillante » et la valeur de leur formation acquise au sein d’écoles d’infirmières. (7) B) MILITAIRES ET « SOIGNANTS CIVILS » (1909-1946). 1. De la « religieuse laïque » au maître infirmier (19091914). En ce début de XXe siècle les infirmiers de visite formaient l’ossature des services cliniques des hôpitaux militaires. Ces infirmiers incorporés pour deux ans par des prélèvements annuels (loi de 1906 sur le recrutement) ne pouvaient durant ce laps de temps se transformer en véritables professionnels alors que dans le même temps les écoles civiles d’infirmières ne délivraient un diplôme à leurs élèves qu’après deux ans de cours et stages. À défaut de pouvoir se constituer un véritable corps de sous-officiers infirmiers rengagés, le Service de santé devait absolument recruter des personnels qualifiés. Pour la communauté médico-militaire, l’introduction des infirmières dans les hôpitaux militaires ne serait une réussite que si ces femmes instruites étaient « dans la main des médecins traitants » (8) à l’instar des religieuses et à l’image d’une maîtresse de maison modèle « parfaitement docile et respectueuse à l’égard du maître ». (7) À la suite d’un débat assez contrasté, le recrutement de 60 infirmières fut inscrit au budget 1908 de la Guerre. (9) Par une note du 20 décembre 1907, le médecin chef du Val-de-Grâce lança un appel à candidatures pour le recrutement sur concours, à compter du 1er février 1908, d’infirmières laïques assimilées au personnel civil d’exploitation. Les postulantes devaient avoir entre vingt et un et vingt-cinq ans et être diplômées de l’Assistance publique ou d’écoles d’infirmières. En dépit d’une publicité limitée, 103 candidates se présentèrent et 82 d’entre elles furent reconnues aptes à l’emploi.(9) D’une manière générale le Corps de santé militaire applaudissait ce recrutement d’autant que leur subordination était clairement définie : « le service des infirmières consiste à donner des soins aux malades et blessés sous l’autorité immédiate des médecins f. olier traitants ». Hormis quelques articles critiques de la part de la presse inf irmière touchant à la « sauvegarde morale » de jeunes filles abandonnées au milieu d’une jeunesse masculine débridée et appelant de ses vœux un encadrement de femmes plus âgées sur le modèle des «matrones» britanniques (10), la société civile accueillait favorablement cette entrée des femmes dans les hôpitaux. En 1909, 51 inf irmières laïques avaient rejoint les hôpitaux militaires. En 1910, s’ajoutèrent quinze nouvelles recrues, tandis que 34 infirmières des sociétés d’assistance de la Croix-Rouge effectuaient bénévolement des « stages » qualifiants dans les hôpitaux (11). L’introduction des inf irmières rémunérées restait propre à l’armée de Terre. La Marine opta pour le renforcement du décret de 1853 et la professionnalisation de ses personnels inf irmiers : appartenance aux équipages de la flotte, reconnaissance d’une spécialité et d’un brevet d’infirmier (1883).(12) L’armée de Terre qui n’avait pas réglé son problème récurrent du déf icit professionnel de ses infirmiers en dépit de l’arrivée des infirmières laïques devait, à l’instar de la Marine et des troupes coloniales, se constituer un corps de rengagés et non plus dépendre de soldats issus du contingent (étudiants en médecine). Ces personnels « exclusivement chargés de donner des soins aux malades (ne devaient être) sous aucun prétexte distraits de leurs fonctions ». Mais ce n’était encore que cautère sur jambe de bois en regard des réformes qui s’avéraient nécessaires. 2. Le paramédical aux armées : un pas en avant, deux pas en arrière (1914-1929). Le 2 août 1914, l’effectif des infirmiers fut porté de 8 870 à 108 870 personnels, comprenant les hommes de l’active, de la réserve, de la territoriale et de sa réserve. En Aide médicale aux populations - Cote-d'Ivoire - 2006 copyright ECPAD. 1914, l’on était à cent lieues des discours alambiqués sur l’emploi de l’infirmier de visite, habilité, du bout des doigts, à faire les pansements. L’infirmier de la Grande Guerre, les pieds dans la boue, les mains dans la chair et le sang, allait s’affranchir de toutes ces « défenses ». À la suite des opérations meurtrières du début des hostilités (bataille des frontières, Course à la mer, etc.), les pertes sanitaires devenant considérables, il fallut recourir à la loi pour imposer une meilleure utilisation de la ressource disponible. En juillet 1915, la loi Dalbiez prescrivit l’envoi au front des hommes de l’active et de la réserve sous-utilisés ; ce fut l’ouverture de ce que le Poilu appela : « la chasse aux embusqués ». En 1915-1916, les formations hospitalières de l’arrière furent vidées de toutes leurs classes jeunes, des ecclésiastiques, des infirmiers « valides » qui furent poussés vers l’avant voire directement versés dans les unités combattantes. Le front était avide de nouveaux renforts sanitaires et il fallait compenser les lourdes pertes par une chasse permanente aux effectifs tout en maintenant auprès des médecins militaires un noyau inamovible de « spécialistes assistants de médecins » composé d’étudiants en médecine et de détenteurs du « caducée » formés à de nouveaux métiers (panseurs, stérilisateurs, manipulateurs en électroradiologie, aide-anesthésistes) et comme tels, protégés des versements d’off ice dans les troupes combattantes. Vers la fin de la guerre devant les déficits aggravés le commandement f it appel à la ressource de l’Empire (malgaches et annamites) et envisagea la mobilisation générale féminine pour le service aux hôpitaux (13). La Grande Guerre apporta à la femme européenne une manière de consécration professionnelle, en particulier dans les professions de santé. « L’archétype de l’infirmière, c’est l’infirmière Croix-Rouge dont la silhouette familière surgit dès que l’on évoque la femme en 1914-1918 » (7). Le 8 mars 1916, le Service de santé saigné par la loi Dalbiez décida la création d’un corps d’infirmières temporaires civiles « pour la durée de la guerre, plus six mois ». Ce corps salarié qui atteignit 5 160 recrues en novembre 1918 s’opposait aux 500 000 « professionnelles bénévoles » de la Croix-Rouge. À l’Armistice, le Service de santé décida de puiser dans le corps des « temporaires » en vue de renforcer son corps de « permanentes », le faisant passer de 108 à 620 spécialistes. Un fort noyau de professionnelles, équivalent à l’ensemble des infirmiers de visite d’active de 1914, formait l’ossature des services cliniques des hôpitaux militaires de l’Après-guerre. Toutefois les déficits en infirmiers restaient abyssaux et il fallait puiser en permanence dans le tout-venant des corps de troupes et des effectifs coloniaux (2 500 pour 3 000 Français en 1924). (14) En conclusion à une étude datée de 1929 un rédacteur anonyme insistait sur la nécessité de recruter 1 650 infirmiers sous le statut de carrière ; à défaut, il proposait, non sans une certaine ironie, un « remède héroïque » : rappeler les sœurs hospitalières ! (15) paramédicaux dans les armées. trois siècles pour parvenir au statut des militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008) 501 militaire le dépoussiérage du statut de 1909 s’imposait compte tenu des avancées du décret de 1922. Il fit l’objet du décret du 6 août 1926. Mais cela ne suffisait toujours pas. Le recrutement se tarissait et il fallait sans tarder trouver des remèdes à cette crise durable des effectifs. La 7e direction (service de santé) proposa au ministre de s’inspirer une nouvelle fois de l’organisation du service infirmier dans la Marine pour structurer un corps de sousofficiers infirmiers de carrière articulé entre un cadre d’infirmiers (brevet élémentaire) et de maîtres infirmiers (brevet supérieur). Cette proposition fut acceptée et fit l’objet de l’instruction du 21 octobre 1929. Les maîtres infirmiers après une période minimale de formation de quatre années de cours et stages, furent autorisés, par décret du 24 juin 1930, à porter le titre d’inf irmier hospitalier de l’État français. Cette reconnaissance Insigne Rochambelle. Rochambelle. 3. D’une constance réglementaire à un « capharnaüm » législatif (1929-1946). La situation du recrutement restait difficile tant dans la Santé Publique que dans les armées et cela en dépit d’une vague de reconnaissance nationale dont le cœur fut la promulgation par l’Assemblée nationale du décret du 27 juin 1922 portant création du brevet de capacité professionnelle d’infirmière. Dans le Service de santé 502 tardive ne touchait annuellement que quinze brevetés supérieurs. Il est vrai que psychologiquement détenir le diplôme d’État pour un infirmier des armées de cette époque était presque une incongruité, pour le moins une originalité, tendant à se démarquer de son appartenance à la « famille » militaire ; être soupçonné d’avoir déjà un pied dans ce monde infirmier civil dominé par la gente féminine. À titre d’exemple, la liste d’ancienneté des sous-officiers de carrière de 1938 totalisant 1 277 sous-officiers ne mentionnait que 84 maîtres infirmiers dont 33 diplômés d’État pour l’ensemble du Service de santé militaire… L’évolution statutaire la plus intéressante et la plus complexe des années 1940 est sans contestation possible celle de l’infirmière aux armées laissée cette dernière, en 1926, dans le cadre étriqué des inf irmières des hôpitaux militaires. C’est avec un petit noyau de 550 personnels inf irmières que le Service de santé militaire aborda le conflit mondial renforcé par plus de 6 500 infirmières bénévoles de la Croix-Rouge engagées f. olier pour le temps de guerre. La défaite de 1940 sans véritablement mettre à bas cette organisation dans la France occupée devait permettre l’essaimage des inf irmières engagées dans la poursuite de la lutte armée de la France sur tous les théâtres, sous toutes les dénominations, sous tous les statuts, rassemblées cependant autour d’un diplôme d’État commun et de fonctions techniques identiques. Durant la Seconde Guerre mondiale on trouvait dans les forces françaises combattantes : les infirmières du cadre des hôpitaux militaires de 1926 (statut civil, métropole et Afrique du Nord) ; les infirmières bénévoles de la Croix-Rouge (statut civil, tous théâtres) ; les infirmières du corps des volontaires françaises de Londres (statut militaire avec grades) ; les infirmières des forces françaises libres ralliées au Levant (statut civil) ; les infirmières de la Croix-Rouge de l’Afrique du Nord servant sous le régime de l’instruction du 26 juin 1943 (corps civil de droit commun… à caractère militaire). Tous ces corps furent fusionnés par décret du 11 janvier 1944 en trois ensembles à statut civil, un par armée : infirmières du corps militaire des auxiliaires féminines de l’armée de Terre (AFAT) ; des forces féminines de l’Air (FFA) ; des sections féminines de la Flotte (SFF). C’est avec ce fouillis de dispositions législatives et réglementaires que le Service de santé déjà engagé en Indochine, se retrouva, en métropole, dans une situation chaotique, tiraillé dans un compromis bancal entre filières militaires de Londres et filières civiles d’Alger. L’ensemble était ingérable et totalement injuste en regard des droits à retraite et à rémunération. (16) C) PROFESSIONNELS MILITAIRES (1946-2008). DE SANTÉ ET 1. Infirmier aux armées (1946-1980) : un parcours semé d’embûches. L’infirmier des armées (Terre-Air-Marine) sortait de la Seconde Guerre mondiale comme il y était entré : peu qualifié. Il n’en était pas de même dans le secteur civil qui s’empressa, dès 1946, de mener à bien la réforme amorcée dès 1938, en rendant obligatoire pour exercer la possession du diplôme d’État d’inf irmier(DEI). Le 11 juillet 1948 une porte s’entrouvrit néanmoins pour l’infirmier des armées ; le décret n° 48-1108 portant classement hiérarchique des grades et emplois tant des personnels civils que militaires en matière de régime de retraite nécessitait la mise à plat de l’architecture d’avantguerre. Les Services de santé des différentes armées (autonomes jusqu’en 1968) furent contraints de redéfinir le cadre d’emploi de l’ensemble de leurs paramédicaux qui se trouvèrent classés en non certif iés, certif iés, brevetés élémentaires et supérieurs. Avec obligation, dès le brevet élémentaire de détenir le diplôme d’État : « l’obtention du brevet élémentaire (BE) d’infirmier militaire est subordonné à la possession du DEI hospitalier délivré par le ministère de la Santé publique » ou encore : « Tous les gradés candidats pour l’obtention d’un brevet supérieur de la branche technique (masseurs, manipulateurs en électroradiologie) doivent préalablement à leur admission au stage de formation être possesseur du DEI ». Un diplôme d’expertise de maître infirmier était attribué aux titulaires du BE/DEI détenteurs de certificats de réanimateur-transfuseur et d’aide-anesthésiste. Ces DEI devaient être préparés dans un centre de formation du Service de santé militaire agréé par le ministère de la Santé publique aux mêmes conditions que pour les écoles civiles, avec préparation sur deux ans, présentation aux mêmes examens et passage devant les mêmes jurys. Ce décret, cinquante ans après sa promulgation, étonne par sa modernité. Malheureusement, comme bon nombre de textes réglementaires bousculés par l’actualité, il resta au niveau d’un vœu pieux. Les armées subissaient une grave crise de recrutement et au-delà des mers, la guerre d’Indochine drainait vers l’Extrême-Orient tout ce que les Services de santé comptaient de « paramédicaux spécialistes ». Il n’était plus temps de former à grands frais sur deux ans des diplômés d’État, alors que les effectifs « santé » sur les théâtres d’opérations extérieurs étaient gravement déficitaires. On revînt alors à des notions plus classiques de formation – a minima – tant pour les appelés du contingent que pour les engagés et rengagés pour l’Indochine : « caducée » puis certificats d’aptitude technique des 1er et 2e degrés. Les besoins en infirmiers qualif iés DE bien que toujours criants (Indochine, Algérie) s’effaçaient pour de nombreuses années devant les nécessités opérationnelles à court terme des états-majors.Cette situation perdura jusqu’à un passé récent, s’enfonçant dans un statu quo confortable mais ténu. Les armées conservaient les formations spécifiques (BE, BS, 1er et 2e degrés) dans des écoles particulières à chacune d’entre elles : Brest puis Toulon pour la Marine ; Wildbad, Mourmelon, Chanteau, Dinan et Metz pour l’armée de Terre ; Toulouse, Nîmes, Mérignac pour l’armée de l’Air. Il n’était plus d’actualité dans les années 1970 de refondre un système qui fonctionnait à la satisfaction générale des états-majors : – en limitant l’« évasion » vers le civil, de personnels attachés à l’institution par un certificat, brevet ou diplôme sous-valorisé par la Santé Publique par rapport à leur exercice en milieu militaire (mesures dérogatoires à la loi de 1946 : infirmier polyvalent autorisé ou avec activité limitée ; infirmier auxiliaire polyvalent, etc.) ; – par l’apport de plus en plus massif d’inf irmiers masculins DEI du contingent (1962 à 1995) ; – par le développement des recrutements en personnels civils DEI et aides-soignants à partir de 1960 ; – par un recrutement de personnels féminins à gestion propre au Service de santé des armées. 2. L’inf irmière aux armées (1946-1980) : une exception professionnelle. En 1945, l’inf irmière était toujours tiraillée entre plusieurs cadres civils et militaires. La Direction centrale des Services de santé des armées soucieuse de cet état de fait proposa l’élaboration d’un statut militaire uniforme applicable aux personnels paramédicaux féminins des paramédicaux dans les armées. trois siècles pour parvenir au statut des militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008) 503 trois armées. Cette proposition fut suivie d’effet et aboutit à la parution du décret du 15 octobre 1951 « portant statut général des personnels des cadres militaires féminins ». (17, 18) L’ensemble des paramédicaux féminins de l’armée française fut ainsi ramené à deux cadres : – le cadre des infirmières des hôpitaux militaires (civiles, décret de 1926), auquel se substitua à compter du 1er janvier 1949, le « corps des infirmières civiles des hôpitaux militaires » refondu par décret du 18 mars 1953 ; – le cadre du personnel féminin du Service de santé, organisé par le décret du 15 octobre 1951 (texte interarmées) qui prévoyait le recrutement de personnels sous contrats ou commissionnés qui détenaient une hiérarchie purement conventionnelle sans aucune assimilation ni grades, excepté sous le rapport à la solde (caporal-chef à commandant). En raison de la pénurie de la ressource en personnels soignants qualifiés dans le milieu hospitalier militaire, la DCSSA créa, à partir de 1961 des centres d’instruction des infirmières militaires (jusqu’à onze CIIM furent mis sur pied dans les hôpitaux militaires) en vue de conduire ses personnels d’exploitation au brevet militaire supérieur d’infirmier. Après les évènements de 1968, la situation du recrutement ne cessant de se dégrader, un décret du 11 décembre 1969 portant statut du personnel militaire féminin du Service de santé des armées (PMFSSA) dissocia le sort du personnel féminin du Service de santé des autres personnels des armées. Le statut des PMFSSA s’inspirait des règles applicables à leurs homologues civils en matière de grades et de rémunérations. Les CIIM quant à eux, agréés par la Santé publique conduisirent au DEI (exemple : CIIM de l’hôpital d’instruction des armées Bégin de Saint-Mandé, 19 promotions de 20 à 30 élèves, de 1966 à 1991) (19). En parallèle la pression de la société civile imposa une nouvelle définition de l’infirmière (loi du 31 mai 1978), lui concédant pour la première fois une fonction indépendante, « un rôle propre » dans une nouvelle pratique des soins infirmiers dont la filière de formation fut refondue en 1979. Une succession de textes novateurs obligea le Service de santé des armées à réaliser l’unification de ses statuts pour ne pas se laisser distancer, par la Santé Publique, en termes d’attrait au recrutement. Par décret du 24 juillet 1980, le corps des infirmières et spécialistes d’exploitation (décret de 1969) et les secrétaires issues du décret du 23 mars 1973 furent regroupées sous le statut des militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées (MITHA). Il s’agissait d’un statut « très original » s’appuyant sur une hiérarchie sans assimilation, mais militaire et soumise à ce titre aux lois et règlements applicables aux off iciers et sous-off iciers. Par sa réactivité le Service marquait sa volonté de f ixer ce nouveau statut dans le sillage de celui « homologue » de la Santé Publique. Il chassait par la même occasion le spectre des difficultés de recrutement, en se constituant – à grands frais – un vivier restreint de professionnels qualif iés réclamés par les praticiens soucieux de maintenir un haut niveau de qualité de soins en milieu hospitalier militaire. 504 3. Infirmier militaire et militaire infirmier (19802008) : une inéluctable osmose. Arrivés au terme de notre cheminement historique, audelà des vicissitudes statutaires et nombreuses polémiques qui ont animé ces trois dernières décennies, il reste un fait, presque miraculeux en regard du chemin parcouru : à l’aube du tricentenaire de sa « fondation » le Service de santé des armées est parvenu à réaliser l’intégration sous le statut MITHA de 96 % (2008) des sous-officiers, officiers mariniers paramédicaux des trois armées et de la Gendarmerie (20). Cette affirmation liminaire faite, au-delà d’effets faciles, il permet au contemporain qui souhaite retracer succinctement l’évolution du Paramédical aux Armées durant ces dernières années, la présenter – à rebours – avec plus de sérénité, tant vis-à-vis des personnels concernés que de l’institution militaire. L’inf irmier des armées de 1980, à la différence du MITHA se sentait en marge de la communauté infirmière civile qui se réformait activement à coups de décrets. (21) La loi du 31 mai 1978 (décret d’application du 12 mai 1981) définissait un véritable métier poussant vers une professionnalisation sans cesse accrue. L’inf irmier n’était plus un simple exécutant mais un véritable professionnel apte à instaurer des relations de partenariat avec les autres acteurs de la santé. Cette mise à plat ne se fit pas sans difficultés et combats retardateurs du corps médical qui s’employa à freiner cette évolution à coups de recours devant le Conseil d’État. Cette lutte d’arrière-garde parviendra à faire abroger nombre de textes et induira de nombreuses modifications et adaptations statutaires et d’exercice professionnel (mai 1984, juillet 1984, mars 1993, février 2002). Toute cette activité législative obligea la Défense, par corollaire, à une modification analogue du statut MITHA (1980, 1984, 1994, 2002) af in de coller à l’actualité jurisprudentielle et à l’évolution des corps « homologues » de la Santé Publique. Toutefois si cette évolution peut paraître désordonnée, il n’en demeure pas moins qu’elle assura, à chaque étape, des avancées signif icatives en termes de statuts, de rémunérations, de définition de l’exercice inf irmier, de description des actes professionnels, de formation initiale ou continue. Au fur et à mesure de ces apports, l’image du statut MITHA se renforçait, mettant en évidence – a contrario – le peu d’attrait des f ilières paramédicales issues des armées. L’inf irmier des forces eut durant cette période charnière l’impression douloureuse de voir passer le train de la modernité, exclu d’une prise en compte par ses hiérarchies de tutelle de ses légitimes aspirations professionnelles, dont la principale était la capacité à se former dans un cadre validant et accéder au sésame de la reconnaissance : au diplôme d’État d’infirmier. En 1990, le Service de santé des armées décidait de franchir le pas et de regrouper à Toulon en une École du personnel paramédical des armées (EPPA) les différentes écoles et centres de formation du personnel infirmier f. olier des armées. (22) L’objectif était novateur : permettre l’acquisition dans une structure interarmées, des diplômes nationaux requis pour l’exercice professionnel tout en respectant les exigences (cadre, durée des études) de la Santé Publique. Mais le challenge ne s’arrêtait pas là. Il était hors de question de laisser sur le carreau des centaines d’inf irmiers titulaires d’un 1 er ou 2 e degré, n’ayant que le statut d’aide-soignant ou « d’infirmier autorisé polyvalent », pur produit des mesures dérogatoires de l’art. L477 de la Santé Publique et comme tel « exception à la règle du diplôme d’État, diplôme de référence aux plans national et européen ». (23) À compter de septembre 1992, à Toulon, un Centre de perfectionnement par correspondance (CPC) fut chargé d’amener aux épreuves terminales du diplôme d’État, des centaines d’inf irmiers des forces volontaires et très motivées pour cette opportune requalif ication technique, d’autant que la f in du service national (à compter de 1995) et l’ouverture des hôpitaux des armées au secteur public hospitalier nécessitaient une importante mobilisation de l’ensemble des paramédicaux exerçant dans les armées. IV. EN GUISE DE CONCLUSION. Le décret n° 2005-562 du 27 mai 2005 portant intégration des sous-officiers, officiers mariniers paramédicaux des armées de Terre, de l’Air, de la Marine et de la Gendarmerie dans le corps des MITHA marque en point d’orgue, à la veille du tricentenaire du Service de santé des armées, l’unicité du statut des paramédicaux des armées. Ces derniers pourront dorénavant relever – à chances égales – les déf is annoncés du XXI e siècle et apporter sans complexe toute leur riche expérience forgée au service des forces. C’est un véritable challenge qui reste à relever et qui s’inscrit logiquement pour les années à venir dans l’évolution orchestrée par la société civile : développement d’un code de déontologie inf irmier, d’un ordre national inf irmier, transfert de tâches et de compétences médicales (vers un infirmier praticien des armées ?), migration des instituts de formation vers l’Université avec création d’un 3 e cycle européen d’études inf irmières. Aujourd’hui, en 2008, le MITHA attend tout de l’évolution irréversible de l’exercice professionnel des soins inf irmiers conduite par une communauté infirmière avide de reconnaissance et de nouvelles responsabilités. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Olier F. Infirmier militaire de l’armée de Terre (1708-1940). Médecine et Armées 1994 ; 22 (7) : 567-80. 2. Olier F. Compagnies de soldats d’ambulance du Premier Empire (1809-1815). Médecine et Armées 1997 ; 25 (7) : 551-8. 3. Olier F. Infirmiers de l’armée de Terre en Algérie (1830-1870). Médecine et Armées 1997 ; 25 (7) : 569-81. 4. Lefèvre A. Histoire du Service de santé de la Marine et des écoles de médecine navale étudiée plus particulièrement au port de Rochefort. Archives de Médecine Navale 1867 ; VII-7 : 119-21. 5. Baudens L. La guerre de Crimée ; Paris : Michel Lévy frères ; 1858 : 412. 6. 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Bégin, Saint-Mandé : Exposition du 150 e anniversaire ; dossier « CIIM », 15/5/2008 : n.p. 20. Actu Santé. mai-juin 2008, N° 105 : 6 21. Duboys-Fresney C. Le métier d’infirmière en France. Presses Universitaires de France, coll. Que-sais-Je ?, 2007 ; N°3052 : 128p. 22. Le Vot J. École du personnel paramédical des armées (EPPA). Médecine et Armées 1997 ; 25 (4) : 277-9. 23. Berciaud P, Agosta D, Verdier G. Centre de perfectionnement par correspondance de l’École du personnel paramédical des armées. Médecine et Armées 1997 ; 25 (4) : 319-22. paramédicaux dans les armées. trois siècles pour parvenir au statut des militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008) 505 506 Infirmiers et chirurgien au bloc opératoire de la 14e Antenne de chirurgicale parachutiste. (Rwanda 1994). Tricentenaire du Service de santé des armées TROIS CENTS ANS DE MÉDECINE NAVALE du grand siècle à nos jours B. BRISOU I. INTRODUCTION. Dès l’année 1434, la boussole et les portulans (carte marine des premiers navigateurs ( XIII e- XVI e s) (Petit Robert 2007)), le compas de mer et les caravelles permettent aux audacieux navigateurs occidentaux d’installer des comptoirs et de coloniser des territoires au-delà des mers. Henri IV sent, le premier, la nécessité d’avoir une flotte disponible en tout temps et le besoin d’entretenir des ports. De 1589 à 1606, Toulon s’entoure de remparts à bastions et se dote d’un petit arsenal tandis que Brest, blottie au fond de sa rade, renforce ses défenses. Le 13 janvier 1629, le cardinal duc de Richelieu déclare dans son Avis au roi : « La première chose qu’il faut faire est de se rendre puissant sur la mer qui donne entrée à tous les États du monde ». Fondateur de la Marine royale permanente, il est l’initiateur du « Règlement sur le fait de la marine » signé le 29 mars 1631. Pour la première fois, des commissaires généraux, les futurs intendants, tiennent la main (ordonnent) à l’entretien des navires, du matériel et des équipages et l’ordonnance de 1642 prescrit aux capitaines des vaisseaux et des flûtes (pouvant accueillir malades et blessés) au service du roi, d’embarquer « un très bon chirurgien pour le soin des équipages ». Était ainsi officialisé un embryon de corps des « chirurgiens navigans ». Il revenait au successeur de transformer un si bel essai (1). (mot d’origine hollandaise désignant celui qui partage sa couche, en l’occurrence un hamac) étant un personnage aussi précieux que difficile à recruter malgré le système des classes mis en œuvre en 1668 à Rochefort. Le 22 septembre 1673, Louis XIV signe l’Édit de Nancy, créant la première assurance sociale mutuelle, l’Institution des Invalides de la Marine, alimentée II. NAISSANCE DU SERVICE DE SANTÉ DE LA MARINE. Conscient de l’importance de la maîtrise des mers, Louis XIV conf ie à son ministre Jean-Baptiste Colbert la mission d’organiser, pour sa plus grande gloire, le commerce avec l’outre-mer, la sécurité des côtes, celle des colonies et des voies maritimes qui y conduisent. Il n’a garde d’oublier le bien-être de ses sujets, le matelot B. BRISOU, MGI (2S). Correspondance : B. BRISOU, 413 avenue Jacques Cartier, La Beltegeuse, 83 000 TOULON. médecine et armées, 2008, 36, 5 Ordonnance royale de 1689. Cliché Service historique de la Défense Département Marine Toulon. 507 Bataille navale de Bévesiers. par une cotisation levée sur la solde des gens de mer embarqués. Pour recevoir blessés et malades, des hôpitaux sont établis : en 1674 dans la presqu’île de SaintMandrier, face au port de Toulon ; en 1683 à Rochefort, ville construite de novo sur le front atlantique et dont les « f ièvres intermittentes » déciment une population nouvellement installée ; à Brest, en 1684, et enf in à Port-Louis en 1689. L’hôpital de l’Abbaye à Cherbourg ne recevra ses premiers patients qu’en 1793. Jean-Baptiste Colbert ayant quitté ce monde le 6 septembre 1683, son fils, le marquis de Seignelay, soumet au roi la fameuse ordonnance du 15 avril 1689 « Pour les armées navales et les arsenaux de la Marine » qui définit en 23 livres l’organisation et le fonctionnement de la marine militaire. Le livre vingtième traite « Des hospitaux des armées navales et dans les ports, comme aussi des séminaires établis pour leur direction, et pour celles des aumôniers des vaisseaux ». À l’époque, la Marine entretient trois sortes d’officiers de santé : les médecins, les chirurgiens et les apothicaires. Les premiers, issus des facultés, sont titulaires d’un 508 doctorat. Émules d’Hippocrate et de Galien, ils dissertent longuement, en latin, sur le pourquoi et le comment des pathologies qui gardent encore tous leurs secrets. La notion même de maladie commence à se faire jour et certaines entités nosocomiales sont nommées. Le médecin du port est le personnage important du service et le premier d’entre eux est nommé à Toulon vers 1666. Les chirurgiens, d’extraction souvent très modeste, apprennent leur métier en pratiquant aux côtés d’un confrère plus expérimenté et, après bien des années de labeur, peuvent à leur tour être reçus « maître en chirurgie ». Il en va de même pour les apothicaires. Dans son titre troisième, article dix, l’ordonnance prévoit que le commissaire en charge du service de santé : « assistera aux examens qui se feront par le médecin, et le chirurgien major du port, des maîtres et aydes chirurgiens et apothicaires qui se présenteront pour servir sur les vaisseaux et dans les hôpitaux ; empêchera qu’il en soit reçu que de capables des fonctions auxquelles ils seront destinés. ». b. brisou III. LES ÉCOLES DE CHIRURGIE NAVALE. IV. LES ÉQUIPAGES ET LEUR PATHOLOGIE. Exerçant tout à la fois les fonctions de médecin, de chirurgien et d’apothicaire, le chirurgien-major devient ainsi l’acteur principal du Service de santé embarqué. Objet de reconnaissance, il est aussi la cible de critiques de la part des états-majors, du fait d’une formation insuff isante. L’intendant Bégon, administrateur de l’Aunis et de la Marine à Rochefort, est le premier à réagir. Ayant remarqué Jean Cochon-Dupuy, jeune médecin de trente ans, docteur de la faculté de Toulouse et médecin ordinaire du roi dans sa province, il lui propose le poste de second médecin de la Marine. Nous sommes en 1704 et Cochon-Dupuy, qui ne quittera plus la ville de Rochefort, en devient le premier médecin huit ans plus tard. Le 13 janvier 1715, il adresse un rapport brossant un avenir souhaitable où : « les hôpitaux de la Marine deviendraient des asiles pour malades et des écoles pour les jeunes chirurgiens, où ils pourraient s’instruire non-seulement sur l’anatomie et les opérations de chirurgie, mais encore acquérir des connaissances sur les maladies internes et sur la composition des remèdes et sur les doses auxquelles on les administre. Il ne suffit pas, en effet, aux chirurgiens-majors des vaisseaux de savoir la pure chirurgie, puisqu’ils sont obligés de servir aussi comme médecins et comme apothicaires ». Plans et devis seront approuvés le 12 juin 1721 et l’inauguration de l’amphithéâtre a lieu dans les premières semaines du mois de février 1722. Le corps de santé de la Marine vient de prendre un tournant décisif pour son avenir. Consécration suprême, le roi décide en 1735 que les chirurgiens seront nommés par ordonnance royale. Toulon a son école dès 1725, mais l’honneur revient à Jacques Philippe Boucault d’avoir obtenu du roi sa transformation en Collège royal de chirurgie en 1754. À Brest, les débuts sont aussi diff iciles et l’école prendra réellement son essor grâce à Étienne Chardon de Courcelles, en 1742. Devenus des établissements hospitalo-universitaires – ou des hôpitaux d’instruction avant la lettre – ils sont bientôt dotés de jardins botaniques. Celui de Rochefort est inauguré le 30 décembre 1741, celui de Brest le sera en 1768 et celui de Toulon en 1785. L’emploi de jardinier de la Marine est créé afin d’entretenir les plantations et d’enseigner à l’occasion. Ces jardins servent aussi à l’acclimatation des végétaux que les off iciers de santé rapportent de leurs campagnes, et fournissent une partie de la matière propre à l’approvisionnement des coffres à médicaments. Enf in, un évènement majeur vient donner un élan inattendu au fonctionnement des écoles. Par ordonnance royale du 27 septembre 1748, le corps des galères est réuni à celui de la Marine. La chiourme de Marseille, composée de 4 000 forçats, est répartie sur les trois sites où sont créés des bagnes : à Toulon dès 1748, à Brest l’année suivante et à Rochefort en 1752. Un hôpital du bagne est établi que dirige un médecin en chef. Les chirurgiens y font des stages et l’amphithéâtre de l’école de chirurgie ne manque plus jamais de pièces anatomiques (2). Venus des « classes », les futurs matelots « arrivaient aux ports tout nus, ayant le plus souvent vendu en route leurs nippes pour vivre, ou ayant mendié le long des chemins. À leur arrivée au port d’armement, aucune mesure n’était prise pour constater leur validité, et souvent on s’apercevait qu’un grand nombre étaient impropres au service au moment où on les embarquait » (1). Ajouté à cela, un ordinaire peu varié, fait de biscuits et de salaisons dont la qualité au départ et l’état de conservation laissent à désirer. Ajouté aussi, une eau de boisson chichement distribuée et qui pourrit dans des tonneaux. Ajouté encore, l’entassement dans les entreponts, l’humidité permanente, la vermine (poux, puces et punaises), les ravageurs (cafards et rats pullulent) et l’embarquement d’animaux vivants (moutons, volailles…) qui empuantissent un air qui a bien du mal à se renouveler. Tous les ingrédients sont réunis pour qu’éclatent, sur fond de pathologies communes, des bouffées épidémiques meurtrières. Ainsi, le scorbut fait-il planer sur les équipages une menace permanente. Les embarquements itératifs et le mauvais état de santé habituel de la majeure partie du personnel, raccourcissent nettement le délai d’apparition de cette carence vitaminique, habituellement établi à quatre mois de privation de vivres frais. À la suite des travaux du docteur Lind et dès 1795, la marine anglaise rend obligatoire le « limon juice », jus de citron de Sicile additionné de 10 % de brandy, distribué à raison d’une cuillerée par jour et par personne. Connaissant l’effet bénéfique des escales et des « rafraîchissements », les Français ne prendront conscience du rôle spécifique du jus de citron que dans les années 1850, à l’occasion de la campagne de Crimée. Au mois de janvier 1756, la triste guerre de sept ans est engagée contre l’Angleterre. Le 4 novembre 1757, les premiers bâtiments de l’escadre de M. Dubois de Lamotte, revenant en catastrophe de Louisbourg qu’ils défendaient, arrivent en rade de Brest. Le reste des bâtiments suit dont une partie est déroutée sur la rade d’Aix. Les équipages épuisés par le scorbut et décimés par le typhus, cette fameuse « fièvre des vaisseaux », ne suffisent plus à la manœuvre et le personnel du port doit intervenir. Au milieu d’un désordre indescriptible, l’épidémie atteint bientôt la population civile. L’enquête ultérieure fera état de 10 000 morts parmi cette dernière et de 3 600 chez les marins. Le Service de santé est durement touché, perdant 5 médecins sur 15, plus de 150 chirurgiens et apothicaires et 200 infirmiers. Cette catastrophe sanitaire n’est pas étrangère à la f in calamiteuse de ce conflit qui fit perdre à la France nombre de colonies comme le Canada et l’île Maurice. Aussi, afin de préserver les ports de l’invasion épidémique, la Marine avait, depuis le XVIIe siècle, établi des lazarets : sur l’île de Tréberon en rade de Brest et sur la presqu’île de Saint-Mandrier, non loin de l’hôpital. Les escadres, au retour d’outre-mer, étaient placées en quarantaine soit en presqu’île, soit à l’île de Porquerolles lorsque la place manquait et il fallut attendre l’expulsion des Jésuites de Toulon, pour qu’un hôpital principal de la Marine soit installé dans leur couvent désaffecté. trois cents ans de médecine navale 509 de préfet maritime le 17 avril 1800 puis, au gré des Restaurations, se succèdent de nouvelles organisations de la Marine et de ses ports jusqu’à la loi du 19 mai 1834 sur l’état d’officier et l’ordonnance royale du 17 juillet 1835 sur le Service de santé de la Marine et des colonies. Le statut militaire est enfin reconnu aux officiers de santé : ils sont « assimilés » au corps des officiers de Marine. L’intelligence et l’habileté de l’inspecteur général du Service de santé de la Marine, Pierre-François Kéraudren, a permis cette avancée majeure. La génération d’officiers de santé, sortie de la grande tourmente, se trouve alors à la tête du Service de santé des ports. Elle a connu l’expédition d’Égypte, la défaite d’Aboukir et les horreurs de la peste de 1798 à 1801, la fièvre jaune de l’expédition de Saint-Domingue puis le drame du cap Trafalgar où nombre de chirurgiens ont perdu la vie, coupés par un boulet ou engloutis lors du naufrage de leur bâtiment. VI. DES VOYAGES DE CIRCUMNAVIGATION AUX GUERRES DU SECOND EMPIRE. Porte de l’hôpital principal de la Marine à Toulon – Cliché Bernard Brisou. XVIII e siècle. V. DU PREMIER UNIFORME AU STATUT D’ASSIMILÉS. Le traité de Paris étant signé le 10 février 1763, la Marine met à prof it ce temps de paix retrouvée pour se réorganiser. À la tête de son Service de santé, elle place un inspecteur général de la médecine, de la pharmacie et de la botanique dans les ports et dans les colonies. Premier dans cette fonction, Pierre Poissonnier se voit adjoindre, pour le service des colonies, son propre frère, Antoine Poissonnier dit Desperrières. L’avancée vers une certaine autonomie se conf irme avec l’ordonnance de 1765 plaçant définitivement le chirurgien-major d’un bâtiment au nombre des membres de l’état-major : il est reçu à la table du capitaine. Puis, par arrêté du 30 novembre 1767, médecins et chirurgiens sont dotés d’un uniforme, le fameux habit gris d’épine. Dix ans plus tard, l’ancre enlacée du serpent d’Épidaure orne les boutons de l’uniforme. Enf in, le règlement pour les écoles de chirurgie du 1 er mars 1768 consacre le principe de l’avancement au concours. Le 1er février 1783, une école de médecine pratique est crée à Brest, afin d’apprendre aux jeunes médecins issus des facultés les rudiments de la pathologie navale et tropicale : une sorte d’école d’application en somme. Dans le désordre, la confusion et la violence de la Révolution française, le Service de santé de la Marine, avec à sa tête un commissaire-médecin, Augustin Coulomb, s’adapte aux aléas du moment, met sur pied dans chaque port un Comité de salubrité navale qui devient Conseil de salubrité le 21 avril 1794 et Conseil de santé le 27 septembre 1799. Le premier Consul crée la fonction 510 Depuis les expéditions de Louis Antoine de Bougainville (1766-1769) et celle de Jean-François de Galaud de Lapérouse, tragiquement interrompue par le naufrage de l’Astrolabe et de la Boussole dans les passes de Vanikoro en 1788, la France n’a jamais cessé de participer à la découverte du reste du Monde en envoyant ses meilleurs marins et ses savants sillonner les mers du globe. Sous la seconde Restauration, à la demande expresse des chefs de mission, comme de Freycinet en 1817, les naturalistes embarqués sont exclusivement, ou presque, des chirurgiens et des pharmaciens de la Marine spécialement formés. Les écoles de médecine de Brest, Rochefort et Toulon renforcent leur enseignement en zoologie, en botanique et en géologie. Les musées et les jardins botaniques de leurs écoles jouent alors un rôle majeur. Devenues l’organe de presse où paraissent les comptes rendus des circumnavigations et certains rapports des officiers de santé, les Annales maritimes et coloniales éditent les longues recommandations des professeurs du Muséum d’histoire naturelle de Paris concernant le recueil, la naturalisation, la conservation et le transport des spécimens destinés à enrichir les collections des uns et des autres. Cette période est une des plus glorieuses du Service de santé de la Marine qui a donné à la France les chirurgiens Jean René Constant Quoy et Paul Gaimard, les pharmaciens René Primevère Lesson et Charles Gaudichaud-Beaupré, membres de l’Académie de médecine ou de l’Académie des sciences (3). Se faisant un devoir de suivre les progrès significatifs de la médecine au temps où la méthode anatomo-clinique prouve son efficacité, le Service de santé, décimé par la fièvre jaune, le paludisme, le choléra, les dysenteries ou la tuberculose, doit combler les vides d’autant plus impérativement que les armements se multiplient. Les ministres successifs sont ainsi amenés à augmenter signif icativement le nombre des off iciers de santé entretenus sortant des écoles. À la suite de la guerre b. brisou d’Espagne en 1823, de la bataille de Navarin en 1827 et de celle d’Alger en 1830, l’ordonnance de 1835 prévoit un cadre de 272 médecins et chirurgiens que des auxiliaires viennent renforcer au gré des besoins opérationnels. Le décret du 25 mars 1854 porte cet effectif à 504, plus 54 pharmaciens, crée le grade de directeur et réserve 25 places de chirurgiens principaux à des navigants, marquant ainsi leur rôle majeur dans l’économie du service. Au décret du 31 mai 1875, sont inscrits 666 médecins et 84 pharmaciens, la dénomination de chirurgien ayant disparu depuis le décret du 14 juillet 1865. Les besoins du service des colonies et les engagements outre-mer sont ainsi honorés. Parmi les conflits majeurs du Second empire, la guerre des Alliés contre la Russie mérite une mention spéciale. La Marine se bat sur trois fronts : la mer Baltique, la presqu’île du Kamtchatka et la mer Noire. C’est au nord de cette dernière que se déroulent les divers épisodes de la guerre dite de Crimée au cours de laquelle, pour la première fois dans l’histoire, le Service de santé, dans son ensemble, met en œuvre une technique qui va révolutionner la chirurgie : l’anesthésie. Inventé moins de dix ans auparavant aux États-Unis, ce procédé est adopté par les chirurgiens de la Marine dès 1847 et Auguste Adolphe Reynaud, futur inspecteur général, met au point en 1850 un « cornet anesthésique » au chloroforme qui est rendu réglementaire en 1856 (4). Lors de l’affaire du pont de Tractir, le 16 août 1855, à la demande du médecin en chef de l’armée Joseph Scrive, le médecin principal Auguste Marroin détache douze chirurgiens de la Marine pour prêter main forte à leurs confrères de la Terre. Un de ces derniers, le médecin aide-major de 1re classe Albin Laforgue, notera, à propos de ce cornet : « Immédiatement j’en construisis un… et dès la première expérience que j’en f is, il fut adopté d’acclamation par tous mes camarades ; depuis lors il nous a rendu les plus grands services. » Bel exemple d’une action technique interarmées. des diverses colonies. Les plus remarquables de ces travaux sont imprimés dans les colonnes des Annales maritimes et coloniales puis, à partir de 1864, paraissent dans les numéros trimestriels de la nouvelle revue du service, les Archives de médecine navale . C’est grâce à ce système d’information et à l’opiniâtreté d’un homme que l’affaire des coliques sèches trouve une heureuse conclusion. En effet, à bord des navires destinés à servir sur les côtes occidentales d’Afrique, apparaissent depuis 1820 des cas de plus en plus fréquents de coliques très douloureuses et invalidantes se terminant parfois par un décès. Ces coliques sont tantôt dites sèches, car non productives, tantôt coliques végétales. Très vite, deux camps s’affrontent. Dans son rapport de 1846, le chirurgien de 1 re classe Louis Raoul écrit : « cette maladie est tellement identique à la maladie saturnine qu’on est tenté de lui assigner la même cause ». L’autre parti est mené par Jean-Baptiste Fonssagrives, futur grand professeur d’hygiène navale. Celui-ci écrit dans sa thèse, en 1852 : « l’opinion qui rattache la colique végétale à l’intoxication saturnine est toute gratuite ». Le mot de la VII. L’AFFAIRE DES COLIQUES SÈCHES. Déjà prévu par l’ordonnance de 1689, le rapport médical de f in de campagne prend une forme nouvelle (5). Parfaitement codifié, il comporte : une description du bâtiment avec un commentaire sur ses conditions d’hygiène, un récit des évènements pathologiques survenus au cours de la navigation, une description des escales avec des précisions sur les moyens hospitaliers locaux, des f iches cliniques et des statistiques tant médico-chirurgicales que météorologiques. Au retour, le chirurgien major adresse son rapport, signé du commandant, au conseil de santé du port. Un premier exemplaire, après analyse et appréciation, est conservé sur place. Le second est envoyé au cabinet de l’amiral, directeur du personnel, qui, après visa, le transmet à l’inspecteur général du Service de santé. Ce dernier est ainsi, en permanence, mis au courant des problèmes survenus sur l’ensemble de la planète, des rapports similaires étant rédigés par les chefs de Service de santé trois cents ans de médecine navale Page de garde du premier numéro des Archives de médecine navale. Cliché Bernard Brisou. 511 Poste de secours intérieur navire. fin revient au directeur du Service de santé de Brest qui, après avoir étudié de près des centaines de rapports et avoir correspondu avec les chirurgiens, fait supprimer toute trace de plomb à bord, en particulier la tuyauterie en contact avec l’eau de boisson. La mesure étant appliquée, les coliques sèches disparaissent. En 1858, Amédée Lefèvre est fait commandeur de la Légion d’Honneur. Son ouvrage consacré à la question, publié l’année suivante, reste un modèle pour les épidémiologistes. Dans la deuxième édition de son Traité d’hygiène navale, en 1877, Fonssagrives fait amende honorable (6). VIII. 1889-1890, TROIS FONDATIONS, UNE ÈRE NOUVELLE. Cette fin de XIXe siècle, grosse des progrès accomplis par les sciences médicales et animée d’un irrésistible esprit de conquête, engendre trois structures dans lesquelles le Service de santé de la Marine est impliqué : un service de santé particulier pour les colonies ; une école du service de santé unique liée à une faculté de médecine ; la création de l’Institut Pasteur. Après de multiples tentatives de prise d’autonomie de la direction des colonies vis-à-vis du ministre de la Marine, menées depuis 1858, un secrétariat d’état aux colonies 512 voit le jour en 1881. L’année suivante, le professeur Georges Treille est nommé auprès du président du Conseil supérieur du Service de santé de la Marine, Bérenger-Féraud (7). Devenu médecin en chef en 1886, Treille se fait connaître d’Eugène Étienne, homme politique influent et secrétaire d’état aux colonies. Malgré la forte résistance de la Marine, le 7 janvier 1890 paraît le décret portant « Constitution et organisation du corps de santé des colonies et pays de protectorat », œuvre conjointe d’Étienne et de Treille. Albert Calmette, alors en poste à Saint-Pierre et Miquelon, opte parmi les premiers pour le nouveau corps. Le second évènement majeur est le fruit de la loi du 10 avril 1890, portant « Création d’une École du Service de santé de la Marine et de trois annexes ». Le doctorat étant devenu obligatoire pour exercer la médecine, les écoles de Brest, Rochefort et Toulon en sont réduites à préparer les élèves au concours d’entrée à l’École principale que le décret du 22 juillet a placé auprès de la faculté de Bordeaux. Son règlement intérieur et les uniformes étant calqués sur ceux de l’École navale de Brest, elle devient naturellement « Santé navale », d’où sortiront les médecins et les pharmaciens destinés à servir sur mer et outre-mer. b. brisou La troisième fondation, contemporaine des deux autres, va participer étroitement à la vie des médecins issus de cette école bordelaise dont la faculté de rattachement se tourne résolument vers l’outre-mer. Après la retentissante réussite du vaccin contre la rage, les dons affluent qui permettent à Louis Pasteur de voir s’édifier l’Institut qui porte son nom. Inauguré le 14 novembre 1888, cet Institut Pasteur ouvre un cours de « microbie technique » sous la direction d’Émile Roux avec comme adjoint Alexandre Yersin. Dès la première session, des médecins et des pharmaciens de l’armée de Terre, de la Marine et des colonies font partie des auditeurs. Ces trois fondations entraînent une réorganisation des structures sanitaires outre-mer. Depuis son implantation dans les colonies, la Marine entretenait, en effet, des établissements hospitaliers tels ceux de Saint-Louis au Sénégal ou de Saïgon en Cochinchine. Ces structures, ainsi que les Instituts Pasteurs créés outre-mer, seront gérés dorénavant par les médecins des colonies. Cependant, la Marine gardera, jusqu’à la décolonisation des années soixante, un hôpital en Afrique du Nord. La France ayant établi son protectorat sur la Tunisie, la Marine construit, dès 1900, une base navale à Bizerte. Au fond du lac, relié à la mer par un canal, un arsenal voit le jour à Sidi Abdallah dont le bourg voisin devient Ferryville. Le 21 août 1905 le dernier hôpital de la Marine outre-mer est inauguré. Il rendra les plus grands services au cours des deux conflits mondiaux. En 1944, le Service de santé des troupes américaines apporte avec lui trois précieuses nouveautés : les cocktails lytiques, la pénicilline et l’insecticide DDT. C’est à l’hôpital de Ferryville que le jeune chirurgien de la Marine Henri Laborit fait ses premiers essais aboutissant à son concept d’hibernation. Une épidémie de peste s’étant déclarée, le médecin de 1re classe Jean Brisou démontre expérimentalement l’efficacité des sulfamides, sauvant ainsi de nombreux malades, tandis que la pénicilline, si eff icace contre les f ièvres récurrentes, reste sans effet sur le bacille de Yersin. Le DDT, quant à lui, devient un atout majeur de lutte contre le paludisme. Le navire-hôpital Canada en 1940. Collection Jean Brisou. trois cents ans de médecine navale IX. LES NAVIRES ET LES TRANSPORTSHÔPITAUX. L’ordonnance fondatrice du 15 avril 1689 prévoyait, à la suite des Armées navales, un navire-hôpital pour 10 vaisseaux. Outre l’aumônier et l’écrivain, le personnel comprenait un maître chirurgien capable et expérimenté, deux chirurgiens sous lui, un maître et deux aides apothicaires. Le matériel comportait des coffres d’instruments chirurgicaux et des coffres à médicaments, des cadres (et non des hamacs) pour le couchage, de la lingerie ainsi qu’une alimentation appropriée pour les alités. Depuis cette époque, de nombreux vaisseaux gréés en hôpitaux suivirent les différentes escadres y compris durant la guerre d’Indépendance américaine. Au XIXe siècle, la reprise des colonies puis l’extension des positions outre-mer conduit la Marine à s’adapter aux besoins opérationnels en établissant, par endroits, des hôpitaux flottants. Ainsi, en octobre 1859, la Caravane prend-elle son mouillage dans l’estuaire du Gabon pour servir d’hôpital et de magasin de vivres pour la division navale de la côte occidentale d’Afrique. Ayant mis sa mâture à terre, elle est aussi utilisée comme direction du port et caserne pour les ouvriers. Cependant, les plus nombreux et les plus utilisés seront les transportshôpitaux, bâtiments à tout faire qui, outre les malades et les blessés, convoient des familles, des troupes et leurs montures. Dès l’ouverture des pénitenciers de Guyane, ces bâtiments sont aussi chargés du transport des condamnés que l’on enferme dans des cages. Les médecins-majors de ces bâtiments, en rotations constantes entre le Sénégal, les îles du Salut, les Antilles et la métropole, ne manqueront pas, dans leurs rapports, de condamner ce système fort contraire aux règles élémentaires d’hygiène. Afin de faire face aux besoins des armées lors de la conquête puis de la pacification de l’Annam et du Tonkin, la Marine est contrainte d’affréter des navires appartenant à des compagnies privées. Ainsi, de 1886 à 1895, à côté des bâtiments de l’État comme le Vinh-Long, l’Annamite, le Bien-Hoa et le Mytho, sont affrétés le Chandernagor, le Comorin, le Canton, le Colombo et le Cachar, pour effectuer les navettes entre l’Extrême-Orient et la France. Si la grande guerre n’exige, à ses débuts, que peu de moyens maritimes d’évacuation des blessés, les besoins se révèlent considérables lors des opérations en Orient. L’affaire des Dardanelles mobilise à elle seule, outre le vieux Tonquin rebaptisé Duguay-Trouin, cinq navires réquisitionnés. Les rapatriements sanitaires du front d’Orient vers la métropole ou l’Afrique du nord, en particulier sur l’hôpital maritime de SidiAbdallah, mobiliseront jusqu’au plus grand paquebot français, le France. Lors de la Seconde Guerre mondiale, deux vétérans de la flotte marchande, le Canada et le Sphinx, sont mobilisés. Le premier fera des navettes entre l’Angleterre et Toulon. Le second sera capturé par les Italiens. 513 Le Mistral. Credit ECPAD. X. LES TEMPS MODERNES. Les 6 et 9 août 1945, les États-Unis d’Amérique font capituler le Japon en anéantissant Hiroshima et Nagasaki par le feu nucléaire. Le monde entre dans une ère nouvelle. Les Services de santé de Terre, de Mer, de l’Air et des Troupes de marine fusionnent. Le Service de santé de la Marine avait participé, dès leurs débuts, aux aventures aéronautiques et sous-marines qui, dans les années cinquante, prennent un rythme plus soutenu. Les bases aéronavales se multiplient et la Marine passe du porte-avions Béarn au Clémenceau et bientôt au Charles-de-Gaulle à propulsion nucléaire. Des médecins s’engagent dans la voie de l’aéronautique navale en effectuant un stage sur la base de Pensacola, aux ÉtatsUnis, af in d’acquérir un diplôme de navigant et la compétence médicale spécifique. Un centre d’expertise du personnel navigant entre en fonction. La Marine étant responsable de la sécurité en mer, ses médecins participent à la surveillance des pêches ainsi qu’aux secours aux malades et aux blessés parfois au prix d’un hélitreuillage. Passant à la propulsion nucléaire, les sous-marins, qu’ils soient d’attaque ou lanceurs d’engins, ont besoin de compétences médicales particulières et des médecins, volontaires et sélectionnés, suivent les cours de l’école atomique de Cherbourg et s’initient à 514 la chirurgie générale, ainsi qu’à la dentisterie, lors de stages hospitaliers. Initié au XIXe siècle avec la cloche à plongeurs, le travail en immersion est source de bien des accidents. Très tôt les médecins et pharmaciens de la Marine participent aux recherches générées par ces interventions sous la mer. Aux scaphandres dits lourds succéderont les scaphandres autonomes auxquels sont attachés les noms de Cousteau et de Gagnan et dont les premiers essais sont menés dans les années quarante en rade de Toulon. Les appareils de plongée se perfectionnent et des mélanges gazeux sont mis au point dans les centres de recherche de la Marine puis du Service de santé. Le Centre d’étude et de recherche de biophysiologie (CERB) appliquées à la Marine et des centres de sélection, d’expertise et de suivi du personnel sont mis en place. Les accidents de décompression guettent les plongeurs malgré le respect des tables rythmant les temps et les paliers de remontée des profondeurs. Des caissons de recompression sont installés à terre ou à bord des chasseurs de mines, qu’un personnel médical et paramédical spécialisé et entraîné est amené à servir. Parmi les plongeurs, les nageurs de combats tiennent une place éminente au sein des fusiliers marins et leurs médecins partagent les mêmes contraintes d’entraînement qu’eux. Au large de la Somalie, le 11 avril 2008, lors du récent sauvetage du voilier de luxe le Ponant des griffes des b. brisou bâtiments de guerre de fort tonnage sont depuis bien des lustres dotés d’un véritable hôpital. À côté du porte-avions Charles-de-Gaulle, les derniers nés de ces navires, les bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral et Tonnerre, déplaçant chacun 20 000 tonnes, ont des capacités « santé » exceptionnelles. Pouvant recevoir des équipes de spécialistes venues pour la circonstance des hôpitaux des armées afin de renforcer le personnel qui lui est propre, doté d’un système de télémédecine, un tel bâtiment peut assurer la capacité médicale de soutien d’une task force. Les premiers essais de transmission d’images radiologiques et cardiologiques furent conduits les 28 et 29 septembre 1993, entre le service de radiologie de l’hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne à Toulon et le croiseur-école Jeanne d’Arc: le médecin de la Marine du XXIe siècle n’est plus un praticien isolé, comme le furent longtemps ses anciens, les chirurgiens navigants (8). Les Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) veillent, tapis au fond des océans, assurant la « dissuasion », c’est-à-dire la « non-guerre ». Le temps n’est plus aux batailles escadre contre escadre et les projections de forces sont devenues une affaire interarmées voire interalliée : le Service de santé s’y est préparé. XI. CONCLUSION. Tranbordement. pirates, les hommes du commando Hubert avaient avec eux leur médecin : un métier qui ne s’improvise pas. Enf in, la Convention de Genève imposant trop de contraintes, le temps des navires-hôpitaux qui arboraient fièrement des croix rouges sur leurs flancs est révolu. Les Cependant, la mer garde ses droits et la Marine, en charge de ces plates-formes de projection, de la sécurité des voies de navigation, du service public le long des côtes, de la lutte contre l’immigration clandestine et le trafic maritime de la drogue, se doit de conserver, comme aujourd’hui, des médecins dont la vocation et la formation soient de la servir. Créé avec la caution de l’État-major de la Marine et la Direction centrale du Service de santé des armées, le diplôme de médecine navale est décerné, avec son insigne, aux médecins stagiaires de l’Institut de médecine navale depuis le 28 novembre 2007, reconnaissant ainsi leur spécificité. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Lefèvre A. Histoire du Service de santé de la Marine militaire et des Écoles de médecine navale en France. Paris: J.-B. Baillière et fils; 1867. 2. Brisou B. Du Service de santé de la Marine au Service de santé pour la Marine. Carnet de la Sabretache 2004, nouvelle série ; N° 162 : 169-78. 3. Sardet M. Naturalistes et explorateurs du Service de santé de la Marine au XIXe siècle. Paris : Pharmathèmes ; 2007. 4. Brisou B. Débuts de l’anesthésie générale dans la Marine de guerre. Médecine et Armées 1997 ; 25 (5) : 543-50. 5. Brisou B. Catalogue raisonné des rapports médicaux annuels ou de trois cents ans de médecine navale fin de campagne des médecins et chirurgiens de la Marine d’État, 1790-1914. Orléans : Service historique de la marine/Service de santé des armées ; 2003. 6. Brisou B. Amédée Lefèvre, éminent hygiéniste naval de Rochefort. Médecine et Armées 2003 ; 31 (5) : 516-24. 7. Brisou B. Naissance du Service de santé des colonies : dix ans de drames. Médecine et Armées 1996 ; 24 (5) : 423-31. 8. Brisou B. Le Service de santé pour la Marine au début du XXIe siècle. Académie de Marine - Communications et mémoires 2001-2002 ; N° 2 : 23-40. 515 Le professeur Alphonse Laveran identifia l’hématozoaire du paludisme en 1880, effectua de nombreux travaux sur la trypanosomiase et obtint le prix Nobel en 1907. Agrégé du Val-de-Grâce, il fut l’auteur d’un excellent traité des maladies et épidémies des armées édité en 1875, et actuellement réédité. 516 Tricentenaire du Service de santé des armées DES FIÈVRES AUX MALADIES INFECTIEUSES Trois siècles de lutte contre l’infection J.-D. CAVALLO Depuis la plus haute antiquité, les maladies infectieuses tiennent une place à part dans la médecine aux armées. Vieilles terreurs de l’humanité et omniprésentes dans les armées au camp ou en campagne, les maladies infectieuses ont rythmé sur un mode endémique ou épidémique la vie des hommes et ont largement influé sur le cours de l’histoire des nations. Les médecins de l’antiquité ont passé complètement sous silence l’histoire des épidémies qui nous sont uniquement rapportées par l’intermédiaire des historiens. Si les médecins et leurs contemporains connaissaient bien les symptômes de maladies infectieuses, ils n’en maîtrisaient ni les causes, ni la nosologie, ni le traitement et les considéraient comme un mal inévitable contre lequel ils ne disposaient que de méthodes empiriques. Cette attitude fataliste était à la hauteur de leur impuissance face à ces fléaux. Thucydide nous a laissé le premier une description précise de l’épidémie de « peste » qui a touché massivement Athènes lors de la guerre du Péloponnèse, tua Périclès en 429 et contribua fortement à l'affaiblissement de la puissance Athénienne face à Sparte (1). Les épidémies de paludisme furent omniprésentes dans l’armée d’Alexandre le Grand lors de leurs campagnes en Asie et le conquérant lui-même mourut probablement d’un accès palustre grave à Babylone en 323 avant J.-C. Les autres descriptions des auteurs antiques sont nombreuses, mais plus sommaires. Nous nous contenterons de citer la peste de Galien ou « peste antonine », ramenée de Syrie par les légions de Lucius Verus qui décima les populations de l’Empire romain entre 165 et 180 après J.-C et tua l’empereur Marc Aurèle. Hippocrate décrit les fièvres, leur rythme, leur intensité, les relie aux désordres des humeurs du corps et en donne le pronostic. On retrouve dans le livre des Épidémies : « Les maladies les plus aiguës, les plus considérables, les plus pénibles, les plus funestes, sont dans la f ièvre continue. La fièvre quarte est de toutes la plus sûre, la plus supportable et la plus longue (…) Dans la fièvre appelée hémitritée, il survient aussi des maladies aiguës, et de toutes les autres elle est la plus funeste. (…) La fièvre J.-D. CAVALLO, médecin chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce. Correspondance : J.-D. CAVALLO, Service de biologie, HIA Bégin, 69 avenue de Paris, 94163 SAINT-MANDÉ Cedex. médecine et armées, 2008, 36, 5 continue nocturne n’expose pas à un très grand danger de mort, mais elle est longue ; la fièvre continue diurne dure encore davantage (…). La fièvre tierce exquise se juge très promptement et ne cause pas la mort. (….). Toutes ces fièvres ont leur mode d’être, leurs constitutions et leurs redoublements. » (2) Différentes classifications des fièvres basées sur les tableaux cliniques furent proposées tout au long des siècles, mais l’attitude empirique dans la prise en charge des maladies infectieuses perdurait encore au siècle de Louis XIV. L’hygiène était à son plus bas niveau depuis la renaissance et les XVIe et XVIIe siècles sont réputés pour leur manque d’hygiène. La notion de pénétration des miasmes au travers des pores de la peau suggérée par Jérôme Fracastor, pionnier de l’épidémiologie et de la notion de contagion (1546) aura des conséquences néfastes auprès de ses contemporains. La toilette à l’eau chaude, réputée dilater les pores se trouvera reléguée au rang des causes favorisantes de la transmission des maladies et restera considérée comme nocive pour la santé pendant près de trois siècles. L’insalubrité et la promiscuité accompagnaient le quotidien des soldats et favorisaient la multiplication des épidémies dans les armées ainsi que dans les hôpitaux sédentaires et ambulatoires créés par l’autorité royale et qui étaient le plus souvent de véritables mouroirs. C’est à la suite des pertes immenses subies par les armées lors des guerres menées tout au long de son règne que Louis XIV fut à l’origine d’hôpitaux sédentaires systématiquement construits dans les forteresses frontalières, de l’édification de l’hôtel national des Invalides et de l’Édit de janvier 1708, acte fondateur visant à uniformiser et centraliser l’organisation hospitalière militaire par la création d’un corps des officiers de santé militaire (3). Malgré ces efforts, les maladies, au premier rang desquelles les maladies infectieuses épidémiques dépassaient complètement les capacités médicales et continuaient à tuer beaucoup plus que les combats. L’hiver, temps de répit pour les armes, était plus meurtrier que l’été pendant lesquels les hommes s’affrontaient. On estime ainsi que sur les 600 000 victimes militaires des guerres du XVIIIe siècle, 54 % furent victimes de maladies, 32 % blessés et 14 % furent tués ou décédés des suites de leurs blessures. Pendant les guerres de la Révolution et de 517 l’Empire, on estime le nombre de morts par maladie dans les armées françaises à plus de 2 500 000 contre seulement 150 000 tués au combat. Les praticiens du XVIIIe siècle appelaient en fait « fièvres » toutes les maladies fébriles qu’ils ne savaient pas diagnostiquer. Le degré de fièvre se mesurait à la vitesse et à la force du pouls, à l’augmentation de la chaleur, à la fréquence de la respiration et au niveau de lassitude spontanée (asthénie). Les médecins militaires comme l’anglais John Pringle, auteurs de l’ouvrage de référence Encart 1 La victoire sur les fièvres typhoïdes Les fièvres typhoïdes étaient au milieu du XIXe siècle la seconde cause de mortalité dans les armées avec 20 % des décès survenus dans les troupes stationnées en métropole, juste après la tuberculose. Cette endémie a perduré sur un mode majeur dans les armées jusqu’à la guerre de 1914 et l’introduction obligatoire de la vaccination mise au point par Hyacinthe Vincent dans l’armée française grâce à la loi Léon Labbé éditée en 1913. Cependant, au déclenchement de la guerre, seules les unités d’active étaient vaccinées et des épidémies survenaient dans les unités de réserve ou de conscrits hâtivement levées. Pendant les premiers mois de la guerre, plus de 45 000 malades avaient été hospitalisés pour plus de 8 000 décès. On s’aperçut que la vaccination, ciblée sur l’unique bacille d’Ebert (Salmonella enterica sérotype Typhi) ne protégeait pas contre les bacilles des sérotypes Para A et Para B, responsables des fièvres paratyphoïdes. Hyacinthe Vincent mit au point rapidement un vaccin polyvalent TAB avec lequel il obtint l’autorisation de vacciner l’ensemble des armées. Le résultat fut spectaculaire et à la fin de la guerre, seulement quelques centaines de cas de typhoïde par an étaient encore déclarés. Cette victoire médicale majeure contre une endémie séculaire au sein des armées valut au professeur Vincent une notoriété immense assortie de la médaille militaire, décoration exceptionnellement obtenue par les officiers et habituellement réservée aux généraux en chefs victorieux. H. Vincent fait la première vaccination antityphoïdique. 518 Encart 2 Diarrhées, dysenterie et choléra La dysenterie a accompagné l’histoire des armées en campagne. La grande épidémie de dysenterie qui a décimé la puissante armée prussienne a sauvé les armées révolutionnaires d’une défaite probable lors de la bataille de Valmy en 1792. Elle a largement obéré les capacités des armées lors des campagnes Napoléoniennes, de la conquête de l’Algérie ou lors de la guerre de Crimée. Les corps expéditionnaires lui ont payé un lourd tribut lors des campagnes coloniales au cours desquelles la survenue de ces dysenteries avait très tôt été associée à la fréquence des abcès hépatiques, témoignant de la présence des amibes dysentériques aux côtés des Shigella. Le choléra, dont l’agent est Vibrio cholerae, identifié par Koch en 1883, sortit de son foyer traditionnel du Bengale et de la haute vallée du Gange au début du XIXe siècle, se répandit dans le monde le long des routes commerciales sous forme de pandémies successives et s’installa en Europe à partir de 1830, avec la seconde pandémie. À la suite de l’armée anglaise des Indes, déjà victime du choléra dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, les armées européennes en campagne furent à leur tour atteintes par des épidémies au cours du XIXe siècle. C’est ainsi que le choléra importé d’Europe sévit avec force en Algérie et en surtout en Crimée dans les armées françaises, qui en furent très lourdement éprouvées. Les garnisons de métropole furent également touchées par les épidémies. Avec l’élucidation des mécanismes de la contagion les méthodes de prévention furent progressivement améliorées. Le développement de la quarantaine et des lazarets, l’utilisation d’un vaccin dans le cas du choléra, les progrès de l’hygiène et de la désinfection, le traitement de l’eau de boisson devaient permettre de mieux contrôler les maladies du péril fécal. de l’époque ou le français Jean Colombier (4, 5) isolaient les fièvres putrides considérées comme les plus sévères et qui avaient pour cause un ferment putride et les fièvres inflammatoires. Les médecins militaires de la Révolution et de l’Empire distinguaient de façon pragmatique trois grands types de f ièvres dans les armées : les f ièvres rémittentes saisonnières des camps qui correspondaient essentiellement à la typhoïde actuelle (encart 1) ou à la dysenterie, qui selon Jean Colombier était « la maladie qu’on voit régner le plus souvent dans les troupes. Elle est épidémique » (encart 2) ; les fièvres des marécages, incluant le paludisme (encart 3) et les fièvres des prisons et des hôpitaux qui étaient dominées par le typhus exanthématique et les maladies transmises par les poux (encart 4). La pourriture d’hôpital ou gangrène compliquait un grand nombre de plaies de guerres et emportait les patients dans des tableaux septicémiques et de choc septique (encart 5). Enfin, des endémies tenaces j.-d. cavallo Encart 3 De la malaria au Paludisme (8) Bien que considérée comme une maladie tropicale, la malaria (mal aria = mauvais air) a infesté de vastes régions d’Europe durant des siècles et accompagné de nombreuses expéditions militaires. Elle sévissait de façon endémique dans presque toutes les régions marécageuses et humides aussi bien à Rome qu’en Provence, aux Pays Bas comme en Écosse. Les légions romaines furent en effet décimées par les fièvres des marais lors de la campagne calédonienne menée par Septime Sévère en 208 après J.-C.Depuis l’atteinte des armées d’Alexandre le Grand suivie de la mort du conquérant par accès pernicieux, la malaria fut décrite comme un fléau majeur dans toutes les armées en campagne lors des grandes expansions vers l’Orient, l’Afrique ou les Amériques. L’expansion coloniale à partir du XVIIIe siècle s’accompagna d’une explosion des fièvres palustres dans les armées européennes et indigènes. La malaria coûta un lourd tribut à l’armée française lors de la conquête de l’Algérie et la campagne de Madagascar fut à la fois une promenade militaire et un désastre sanitaire. Pendant la Première Guerre mondiale, le paludisme toucha 50 % des effectifs de l’armée française d’Orient et nécessita 20 000 rapatriements. L’étiologie supposée de ces fièvres fut évoquée dès le Moyen-âge sous les appellations de fièvre des marais, palustre, paludéenne. Ce n’est réellement qu’après la découverte de l’agent pathogène par Laveran en 1880 à Constantine et son traité sur les fièvres palustres (1884) que s’imposera le terme « paludisme » (palus = marais) désignant à la fois la maladie et l’attribution aux « miasmes » du marais. La responsabilité d’un moustique fut prouvée en 1897 par Ronald Ross. La lutte antivectorielle contre l’anophèle s’imposa alors comme une des bases de la prophylaxie. Les vertus de l’écorce du quinquina étaient connues et utilisées depuis le XVIIe siècle contre les fièvres palustres, jusqu’à l’isolement du sulfate de quinine en 1820 par Pelletier et Caventou et à son utilisation massive à partir de 1834 sous l’impulsion de François Maillot dans le traitement et la prévention des fièvres. L’association de traitements spécifiques de plus en plus performants, de la chimioprophylaxie et de la lutte antivectorielle permit de faire reculer le spectre du paludisme au cours du XXe siècle. Cependant, l’apparition des résistances aux antimalariques chez les hématozoaires, des résistances aux insecticides chez l’anophèle, la diminution des efforts sanitaires liée à la multiplication des conflits font que le paludisme reste encore avec plus de 500 cas déclarés chaque année le premier problème sanitaire pour nos forces qui interviennent dans les zones d’endémie. comme les maladies vénériennes ou la gale affligeaient de façon permanente les troupes. Vu avec les connaissances d’un médecin de 2008, toutes ces fièvres ont trouvé un cadre nosologique et des agents étiologiques précis peuvent être mis en évidence à l’aide d’examens complémentaires performants. Ces maladies appellent un traitement spécif ique à base d’antiinfectieux et une prophylaxie collective adaptée à des fièvres aux maladies infectieuses l’épidémiologie de chaque type d’infection et basée selon les cas sur des mesures d’hygiène, la vaccination ou la lutte antivectorielle. Plusieurs siècles ont été nécessaires pour que le corps médical, au travers des progrès en sciences humaines, transforme les fièvres qui tuent en infections curables et réussisse à leur enlever leur caractère inévitable par des mesures de prévention spécifiques. Les médecins militaires ont joué un rôle éminent dans la révolution scientifique qui a permis de contrôler et prendre en charge les maladies infectieuses, première cause de maladie et de mortalité depuis les débuts de l’humanité. Les premiers moyens de lutte mis en place contre les fièvres découlaient d’une vision médicale innovante pour l’époque concernant leur transmission : le mauvais air est Encart 4 Les maladies transmises par les poux Les poux, en particulier Pediculus humanus (poux du corps) sont les grands vecteurs du typhus exanthématique du à Rickettsia prowaseki, mais aussi de la fièvre des tranchées due à Bartonella quintana ou la fièvre récurrente cosmopolite à poux liée à Borrelia recurrentis. Maladies épidémiques de la promiscuité, de la misère et des guerres, très répandues dans les armées en campagne, les maladies transmises par les poux ont marqué l’histoire militaire depuis la Renaissance et les guerres d’Italie. Le terme de « typhus » désignait initialement plusieurs types d’infections épidémiques touchant les grands regroupements militaires et dont la plus sévère était le typhus exanthématique, principal responsable de la fièvre des hôpitaux et des prisons. Les maladies transmises par les poux ont accompagné toutes les campagnes Napoléoniennes. Une étude génétique sur la pulpe dentaire de 35 soldats enterrés à Vilnius lors de la retraite de Russie montrait que 30 % d’entre eux souffraient de maladies transmises par les poux, fièvre des tranchées ou typhus exanthématique (9). Le typhus exanthématique fut responsable de très nombreux décès par maladie dans l’armée française lors de la campagne de Crimée. La fièvre récurrente ou « typhus à rechute » à B. recurrentis était connue pour accompagner fréquemment les épidémies de typhus exanthématique, avec une évolution cependant moins sévère. Les épidémies de fièvre récurrente ont sévi dans les armées en Afrique du Nord jusqu’à la 2e Guerre Mondiale. B. quintana, agent de la fièvre des tranchées pendant la Guerre de 1914-1918, infecte l’homme depuis au moins 4 000 ans (10) et sévit encore dans les populations de sans-abri infestées par les poux. La responsabilité des poux dans la transmission du typhus exanthématique ne fut prouvée qu’en 1909 par Charles Nicolle. Le déparasitage des sujets infestés par les poux, devint une priorité en matière d’hygiène et l’utilisation de poudres insecticides comme le DDT permit d’atteindre définitivement cet objectif et d’éliminer dans les armées ces maladies à réservoir humain. 519 Épouillement. le responsable par excellence des maladies les plus graves et les plus contagieuses. John Pringle résume bien les quatre types d’air infect : celui qui provient de l’eau stagnante des marais, celui qui s’exhale des excréments qui sont autour du camp pendant les chaleurs et lorsque la dysenterie est fréquente, celui qui émane de la paille pourrie dans les tentes et enfin celui que l’on respire dans les hôpitaux pleins de gens incommodés par les maladies putrides et dans les casernes quand elles sont trop pleines et mal entretenues (4). L’eau croupissante ou la mauvaise alimentation sont également reconnus comme responsables de maladies. Les praticiens militaires du XVIIIe siècle se placent parmi les grands précurseurs de l’hygiène en campagne. Pour eux, la notion dominante était que la propreté est la meilleure prévention possible contre les épidémies. Il s’agissait d’abord de la propreté de l’air avec le creusement des feuillées loin du camp et leur traitement par l’ajout quotidien de terre, l’aération des tentes, des chambrées ou des salles d’hôpital. Les eaux croupissantes des marais étaient réputées charger l’air d’impuretés et devaient être soigneusement évitées. Les locaux étaient entretenus, le linge régulièrement changé et lavé pour éviter les maladies de peau. L’hygiène corporelle et le bain chaud étaient de nouveau conseillés, en particulier pour les malades. À l’hôpital, il était préconisé de ne mettre qu’un seul patient par lit, contrairement à l’habitude du temps. Les patients galeux, 520 teigneux, « vermineux » ou porteurs de maladies vénériennes devaient être isolés des autres militaires. L’eau devait être filtrée et on préconisait d’y ajouter du vinaigre, les qualités de l’eau bouillie et de l’eau chaude donnée sous forme de tisanes étaient vantées. On rechercha enfin l’amélioration de la ration du soldat pour le fortifier et le rendre plus résistant aux maladies. Toutes ces recommandations nées du bon sens et de l’observation étaient reprises dans des manuels d’instruction, mais étaient malheureusement peu suivies d’effet, car les officiers de santé et leurs aides étaient cantonnés aux soins médico-chirurgicaux et à la prescription des régimes alimentaires. Pour la politique sanitaire, ils étaient placés sous la tutelle de l’intendance et dépendaient de son bon vouloir pour l’approvisionnement, la police et la propreté sanitaire. Leur influence sur la conduite des opérations et les conditions de vie des soldats était en fait limitée. Sur le plan thérapeutique, la quinquina était depuis le XVII e siècle le remède universellement utilisé pour le traitement de toutes les fièvres, y compris de la dysenterie. Le XVIII e siècle devait voir la dernière des grandes épidémies de peste qui sévissaient depuis le moyen-âge. Elle eut lieu en Provence entre 1720 et 1723 et fut en grande partie jugulée grâce aux mesures de quarantaine et à l’intervention de l’armée qui établit des cordons sanitaires autour des zones où sévissait l’épidémie. j.-d. cavallo La période 1792-1796 amorça une courte période d’autonomie pour le Service de santé, avant que le corps de santé ne retombe sous la coupe des commissaires des guerres, avec les mêmes inconvénients que sous l’ancien régime. Dans le domaine des maladies infectieuses, les épidémies qui rythmaient les campagnes de la révolution et de l’empire se rajoutaient à une situation sanitaire déjà déficiente. Si ces épidémies étaient parfois favorables aux armes françaises, comme l’épidémie de dysenterie qui décima l’armée prussienne à Valmy en 1792 ou celle de paludisme qui décima 27 000 soldats britanniques dans les marécages de Walcheren en Hollande en 1809, elles s’exerçaient le plus souvent à leur détriment et prenaient parfois des dimensions catastrophiques. On peut citer parmi les épidémies restées célèbres l’épidémie de peste dans l’armée d’Égypte, celle de fièvre jaune qui anéantit la quasi-totalité (24 000 hommes sur 30 000) du corps expéditionnaire français à Saint-Domingue en 1802 ou les épidémies de typhus (encart 4) qui accompagnaient la Grande armée depuis Austerlitz jusqu’à la campagne de France, avec un pic lors de la retraite de Russie. Pour chaque homme tué au combat, la Grande Armée perdit cinq hommes par maladie (surtout typhus et dysenterie). Des hôpitaux spéciaux recevaient les galeux et les vénériens pour éviter la contagion avec les autres blessés ou malades. La gale atteignait quasiment 10 % des effectifs de l’armée en l’an VIII. Cette période brillante sur le plan de la chirurgie de guerre de l’avant fut très sombre sur le plan sanitaire et la mortalité hospitalière était telle que les hôpitaux militaires avaient gagné l’appellation de « sépulcre de la Grande Armée » dans un pamphlet publié en 1814. On rajoutait « un billet d’hôpital était un billet d’enterrement ». Cette période du premier empire a été cependant marquée par un progrès médical notable dans le domaine des maladies infectieuses avec l’introduction, sous l’impulsion de Jean-François Coste, de la vaccination contre la variole dans les armées par la méthode de variolisation de bras à bras (encart 6). La période qui va du 1er Empire à la guerre de 1870 est une période de transition, très bien décrite par Alphonse Laveran dans son « Traité des maladies et épidémies des armées » publié en 1875 (6). Celui-ci s’appuie sur les statistiques de morbidité et de mortalité, publiées dans les Le typhus à Mayence. Lors de la retraite de Russie (1812) et de la campagne d’Allemagne (1813), le typhus fit des ravages dans la Grande Armée avant d’envahir la France et de toucher la population civile. La mortalité dans la population civile et l’armée contribua à provoquer la première abdication de Napoléon Ier. des fièvres aux maladies infectieuses 521 Encart 5 De la pourriture d’hôpital aux infections du site opératoire Suivant les préceptes édités par Guy de Chauliac au XIVe siècle, la prise en charge des plaies de guerre et des plaies suivant une amputation associait la cautérisation pour arrêter l’hémorragie, des pommades et des pansements fréquents, tous éléments favorisant la nécrose et la suppuration des plaies (11). Ambroise paré proposa avec raison de remplacer la barbare et nocive cautérisation par la ligature vasculaire. Les progrès considérables de la chirurgie et la virtuosité des chirurgiens du XVIIIe et du XIXe siècles n’amélioreront pas sensiblement l’évolution des plaies qui suppuraient de façon quasi systématique et se compliquaient souvent de gangrène (ou pourriture d’hôpital), qui emportait les patients. Ajoutée aux épidémies qui sévissaient dans les hôpitaux, la mortalité des blessés et amputés se situait entre 40 et 70 % des patients opérés. Les deux grandes avancées qui ont révolutionné la chirurgie sont l’anesthésie et l’hygiène. L’anesthésie par éther, chloroforme ou chlorure d’éthyle s’imposa dès la fin des années 1840, permit le développement de techniques chirurgicales élaborées et l’accès à des organes jusque là impossibles à opérer. Grâce à des précurseurs visionnaires comme Holmes et Semmelweiss relayés par les travaux de Louis Pasteur, l’idée de l’antisepsie utilisant les dérivés phénoliques va germer chez Lister en 1867, mais ne sera pas encore adoptée lors de la guerre de 1870 (45 % de mortalité chez les blessés opérés). Devant les résultats remarquables obtenus en termes de taux de suppuration et de mortalité (15 % seulement !) grâce à l’antisepsie chirurgicale par brumisation phéniqué, celle-ci se généralise rapidement et en 1875, elle est partout adoptée. En 1890, sous l’impulsion de Pasteur, l’antiseptie par brumisation phéniquée est remplacée par l’asepsie qui associe la stérilisation des instruments, la désinfection du site opératoire et l’utilisation de gants en caoutchouc et d’une casaque stérile par l’opérateur. L’asepsie ouvre définitivement la voie à la chirurgie moderne en permettant le contrôle du risque infectieux armées entre les années 1830 et 1870 et sur l’expérience encore récente de la conquête de l’Algérie, des guerres de Crimée, d’Italie et de celle toute récente de 1870 contre la Prusse. Il distingue bien les maladies et la mortalité du temps de paix de celles des armées en campagne. Parmi les maladies infectieuses responsables de mortalité dans les armées, la tuberculose tenait au XIXe siècle une place à part (encart 7). Dans les années 1860-1870, elle causait le quart des décès dans les armées de métropole, c'est-à-dire plus de 2 pour 1 000 hommes par an et autant de réformes pour maladie. La mortalité par tuberculose précédait de peu celle due aux fièvres typhoïdes (1/5 des décès), suivie par les diarrhées et dysenteries, les fièvres éruptives incluant la variole et les f ièvres palustres dans les 522 causes de décès (tab. I). Laveran soulignait bien que leur fréquence variait avec la géographie et les fièvres palustres étaient de loin la première cause reconnue de mortalité dans l’armée d’Algérie (tab. I). Tous ces chiffres ne tenaient pas compte de la fréquence des infections qui entraînaient une plus faible mortalité comme les infections respiratoires ou de l’omniprésence des maladies vénériennes ou de la gale. Pendant cette période, les progrès en matière d’hygiène ont été sensibles et la mortalité hospitalière commença à régresser de 13,5 % en 1814 à moins de 10 % en 1862. La réputation de l’hôpital, autrefois considéré comme antichambre de la mort commença à s’améliorer. Dans les armées en campagne sous le second empire, les Encart 6 La variole éradiquée La variole ou « petite vérole » provient probablement de l’adaptation à l’homme d’un poxvirus animal il y a plusieurs milliers d’années au sein de sociétés pastorales primitives. Tous les continents ont été touchés au cours du moyen âge et des temps modernes. Aucune description précise dans les armées ne nous est parvenue malgré sa large diffusion attestée en Europe à partir du VIe siècle et sa responsabilité dans le décès de personnages illustres comme le roi Louis XV en France, la reine Marie II en Angleterre ou le tsar Pierre II en Russie. L’utilisation de la vaccine, initiée en Angleterre par Edward Jenner en 1796, devint d’usage courant en France sous le premier empire. Étendue aux armées sous l’influence de Coste par l’instruction du 29 mai 1811, elle eut pour effet de diminuer de façon importante les épidémies sans toutefois les faire disparaître, en particulier chez les patients n’ayant pas bénéficié d’une revaccination récente. La variole survenait dans les armées sous formes de petites épidémies à propagation lente au sein des unités avec une fréquence inverse du taux de revaccinations. Pendant la guerre de 1870, l’armée française fut beaucoup plus atteinte par la pandémie variolique que l’armée Prussienne, mieux vaccinée (6). Les revaccinations furent généralisées à toute l’armée en 1871 sous l’impulsion de Michel Lévy et Louis Kelsch (7). Louis Vaillard installa au Val-de-Grâce le premier centre de vaccination des armées en 1884 utilisant de la vaccine obtenue sur flanc de génisse et mit au point un vaccin à partir de pulpe vaccinale glycérinée. L’efficacité de cette politique vaccinale intensive fut remarquable, avec une baisse de la morbidité de 350 pour 100 000 hommes par an en 1862-69 à 250 en 1875-1877, à 20 en 1890 et 0,2 en 1913. L’obligation vaccinale dès le plus jeune âge ne devint légale qu’en 1902 pour la population française. L’intensification de la politique de vaccination/revaccination associée aux mesures d’isolement des patients contribua à l’issue d’une campagne mondiale d’éradication lancée en 1965 qui aboutit à l’extinction mondiale de la variole proclamée en 1980 par l’OMS. En juin 1977, une équipe militaire française de la Bioforce intervint sur le dernier foyer mondial de variole situé en Somalie. j.-d. cavallo Tableau I. Principales causes de mortalité par maladie infectieuse dans les armées dans les années 1860-1870 (adapté d’après référence 6). Maladie ou groupe de maladies Taux de mortalité pour 1 000 hommes/an Armée de l’intérieur (1860-1872) Armée d’Algérie (1869 et 1872) Tuberculose 2,3 1,2 Fièvres typhoïdes 1,5 à 2,3 1,4 à 2 Diarrhée, dysenterie 0,3 0,9 Fièvres éruptives Dont variole 0,3 0,1 ND Fièvres palustres 0,2 3,8 à 4,5 l’armée de Terre, enf in obtenue en 1882 après celui du Service de santé de la Marine fut un évènement décisif qui lui permit enfin de maîtriser la conduite de la politique sanitaire dans les armées et de valoriser rapidement les progrès scientifiques dans la pratique médicale aux armées .Alphonse Laveran identif ia l’hématozoaire du paludisme en 1880 et obtint le prix Nobel en 1907 , Alexandre Yersin identif ia la bactérie responsable de la Peste en 1894 et prépara un sérum antipesteux. Jean-Antoine Villemin démontra en 1865 le caractère transmissible de la tuberculose. Louis Vaillard fonda le premier laboratoire de bactériologie militaire au Val-de-Grâce en 1889 et mit au point avec Émile Roux la sérothérapie antitétanique (1893). Albert Calmette mit au point en 1921 avec Camille Guérin le Encart 7 Abcès hépatique / hépatite ND 0,2 La régression de la tuberculose Mortalité globale toutes causes confondues 8 à 9,5 14,5 La tuberculose est l’infection la plus anciennement attestée et la plus meurtrière de l’histoire humaine. Connue depuis plusieurs millénaires (11), cette infection, responsable d’un décès sur sept au cours du moyen âge a connu son apogée au XIXe siècle, touchant le quart de la population, et n’a pas épargné les armées. Une surmortalité par tuberculose était constatée au début du XIXe dans la collectivité militaire. Dans les années 1860-1870, elle était encore responsable de plus du quart des décès relevés dans l’armée française avec plus deux décès pour mille hommes par an. Le risque de mortalité par tuberculose s’accroissait avec la durée du service et avec l’âge (6). Si Laennec a identifié le premier la variété des formes cliniques de la tuberculose, c’est Jean-Antoine Villemin, professeur au Val-de-Grâce qui démontra en 1865 son caractère transmissible et posa ainsi les bases de la prévention avant même la caractérisation du bacille tuberculeux par Robert Koch en 1882. Albert Calmette mit au point avec Camille Guérin en 1921 la vaccination par le BCG qui permit d’obtenir une prémunition, en particulier contre les formes les plus sévères de tuberculose. Le dépistage par radioscopie se développa sous l’impulsion d’Antoine Béclère qui dirigea le service radiologique des armées pendant la Grande Guerre et de médecins militaires comme Salles ou Célestin Sieur et fut rendu obligatoire par Henri Rouvillois dans les armées. L’évaluation de la prémunition des jeunes recrues par la cuti-réaction à la tuberculine, avec revaccination par le BCG en cas de résultat négatif, devint systématique dès 1934. Suivant la mise au point des traitements antituberculeux à partir des années 50, l’association systématique des méthodes de dépistage et du traitement des patients tuberculeux aboutit à une diminution spectaculaire de la tuberculose dans les armées tout au long du XXe siècle. Au début du XXIe siècle, environ 3 cas pour 100 000 hommes sont déclarés chaque année dans les armées françaises, c’est à dire moins de 100 fois les chiffres rencontrés à la fin du XIXe siècle. ND : non déterminé. statistiques des guerres d’Italie et de Crimée montraient que les maladies occasionnaient autant de décès et bien plus d’indisponibilités dans les forces que le combat lui-même. Les diarrhées/dysenteries, le choléra, le typhus ont causé plus de 16 000 décès dans les armées françaises pendant cette campagne de Crimée. Les maladies infectieuses (fièvres diverses, diarrhées, dysenterie et fièvre typhoïde surtout) représentaient près de 80 % des 126 000 entrées relevées dans les hôpitaux pendant la guerre d’Italie en 1859. Face à l’omniprésence des maladies infectieuses, l’ère des grands progrès n’était plus très loin. Les médecins militaires de l’époque se tournaient de plus en plus vers une démarche scientifique s’attachant à bien distinguer les cadres nosologiques pour en découvrir les causes et les modes de transmission. Ils suivaient le concept de Broussais qui recommandait de remplacer l’antique médecine des symptômes par la médecine des lésions. L’objectif recherché, au-delà de l’amélioration de la prise en charge thérapeutique était la prise de mesures prophylactiques adaptées sur la base des connaissances acquises. Les esprits s’ouvraient à la démarche épidémiologique et étaient prêts à accueillir la révolution médicale Pastorienne et ses retombées. Les grandes découvertes microbiologiques et épidémiologiques de l’ère Pastorienne se multiplient à partir des années 1860. Des médecins militaires, à la fois cliniciens et épidémiologistes, allaient se faire biologistes et accompagner la révolution des connaissances dans le domaine des sciences humaines. La fin de la tutelle de l’intendance et l’autonomie du Service de santé de des fièvres aux maladies infectieuses 523 La revaccination systématique contre la variole, entreprise après la guerre de 1870 a permis le contrôle de la maladie qui avait quasiment disparu dans l’armée française avant la guerre de 1914. Le centre de vaccination du Val-de-Grâce avait été le premier centre créé spécifiquement pour les armées. premier vaccin contre la tuberculose, appelé BCG. Paul-Louis Simond démontra le rôle de la puce dans la transmission de la peste et la nécessité de faire précéder la dératisation par une désinsectisation. La masse de données scientifiques générée dans le domaine des maladies infectieuses permit de développer des moyens de traitement spécif iques (sérothérapie), et surtout des moyens prophylactiques adaptés aux principales maladies. Ces mesures associaient d’une part des mesures d’hygiène, l’isolement des patients contagieux, la lutte contre les insectes, la dératisation, et d’autre part des mesures spécifiques d’immunisation contre les maladies bactériennes (typhoïde, peste, rage, charbon…), puis virales (7). La vaccination antivariolique devint obligatoire en 1902, celle contre la fièvre typhoïde en 1913 avec la Loi Léon Labbé. Le vaccin TAB mis au point par Hyacinthe Vincent fut généralisé dans les armées dès 1914-1915 avec un succès considérable en termes de morbidité et de mortalité (encart 1). Les vaccinations antitétaniques et antidiphtériques mises au point par Gaston Ramon et Christian Zoeller devinrent obligatoires dans les armées respectivement en 1931 et 1936 et furent combinées à la vaccination antityphoïdique sous forme d’association dans le TABDT. Les avancées s’accéléraient dans le domaine des maladies 524 bactériennes, virales, parasitaires et mycosiques et les anciennes « fièvres » furent progressivement identifiées, classées, les agents responsables identifiés et leurs modes de transmission caractérisés. La communauté militaire, grâce à la réactivité du Service de santé, profita très rapidement de toutes les grandes avancées scientifiques. L’arrivée des antibiotiques et plus largement le développement des anti-infectieux dans la seconde moitié du XXe siècle améliorèrent de façon spectaculaire la prise en charge des maladies infectieuses. Les vaccins antibactériens et antiviraux se développaient et le calendrier vaccinal mis en œuvre dans les armées était régulièrement adapté à l’état de l’art et à la situation épidémiologique particulière des armées. Dans le domaine de l’hygiène et de la prophylaxie, le Service de santé, en métropole ou Outre-mer, dans le cadre des grandes endémies, dans les dispensaires ou les hôpitaux, mit en œuvre des stratégies prophylactiques efficaces appuyées sur un arsenal vaccinal de plus en plus varié et performant, sur le développement des méthodes de désinfection et de stérilisation et la multiplication des insecticides à la suite du DDT. Des infections comme la méningite cérébro-spinale (encart 8) régressèrent grâce à la vaccination. La lutte contre les infections hospitalières s’accéléra à partir de la fin j.-d. cavallo Encart 8 La prévention des « méningites épidémiques » Le professeur Hyacinthe Vincent fut le premier à préconiser l’utilisation de masse de la vaccination pour éradiquer une endémie dans une armée en temps de guerre. Le succès de la vaccination contre la fièvre typhoïde fut spectaculaire et rejaillit sur le Service de santé des armées. des années 1980. Les stratégies de prise en charge et de prévention de l’infection des plaies de guerre ont fait disparaître depuis plus de 50 ans les pourritures d’hôpital encore omniprésentes au début du XXe siècle. En 2008, les maladies infectieuses sont des maladies sous contrôle, soumises à une étroite surveillance épidémiologique, avec des stratégies thérapeutiques et prophylactiques spécifiques et performantes. Parmi les grands fléaux des siècles passés, seuls le paludisme et les diarrhées restent des menaces réellement significatives pour nos forces en opérations extérieures. Mais la vigilance reste de mise car les micro-organismes sont d’une plasticité étonnante. Ils développent comme tous les êtres vivants des stratégies de survie et d’adaptation et le risque infectieux se modifie, avec l’émergence de nouveaux agents infectieux ou d’agents infectieux modifiés. L’émergence du virus de l’immunodéficience humaine ou la multiplication des résistances des fièvres aux maladies infectieuses La fréquence élevée de la survenue d’épidémies de méningites cérébro-spinales ou « méningites épidémiques » dans les collectivités militaires était attestée depuis le début du XIXe siècle. C’est à Michel Lévy que revient le mérite d’avoir bien isolé le tableau clinique de cette entité. Sa fréquence dans les collectivités militaires sous forme de petites épidémies à prédominance hivernale, survenant surtout parmi les conscrits de moins de 3 ans de services et les sujets âgés de 18 à 27 ans avec des taux de mortalité de plus de 60 % était largement attestée (6). Malgré la découverte de l’agent responsable, Neisseria meningitidis, par Weisselbaum en 1887, les moyens thérapeutiques non spécifiques mis en œuvre n’ont été que d’un faible secours jusqu’à l’arrivée des antibiotiques. Charles Dopter, au Val-de-Grâce établit la preuve du portage rhino-pharyngé du méningocoque, et ouvre les portes à l’immunoprophylaxie en définissant leur sérotypage. Les médecins du Service de Santé colonial, puis des grandes endémies comme Léon Lapeyssonie conduisent au début des années 60 de grandes campagnes de prévention basées sur l’utilisation de masse de la chimioprophylaxie et à partir de la fin des années 70 des campagnes de vaccination à l’aide d’un vaccin antipolysaccharidiques A+C. Le remplacement en 1991 de la vaccination circonstancielle lors d’un cas survenu à l’unité par la vaccination systématique des jeunes recrues à l’incorporation par le vaccin polysaccharidique A+C sous l’impulsion de Michel Meyran entraîne une quasi-disparition de la méningite cérébrospinale dans les armées et depuis cette date, moins de 5 cas sont déclarés chaque année au sein des armées. aux antibiotiques sont des témoignages représentatifs de cette plasticité. Le bioterrorisme dans un contexte international instable doit plus que jamais être pris en compte. Le XIXe siècle a été le siècle de la découverte du rôle des micro-organismes dans les f ièvres et épidémies et des premières mesures eff icaces de prévention et de traitement. Le XXe siècle a été celui de la rationalisation de la lutte contre les maladies infectieuses avec l’association de l’hygiène, de la lutte antivectorielle, des vaccinations et des thérapeutiques anti-infectieuses. Le XXIe siècle appuyé sur le développement des moyens de communication, les biotechnologies et la biologie moléculaire sera le siècle de la vigilance et de la réactivité vis-à-vis de l’émergence des nouvelles maladies infectieuses. Le Service de santé des armées y trouvera sa place au plus grand profit des Armées. 525 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Thucydide. Guerre du Péloponnèse, traduction E-A Bétant, Quatrième édition, Librairie hachette, Paris 1878 : 100-4. 2. Hippocrate. De l'Art Médical. Paris, Librairie Générale Française, 1994 : 603. 3. Lucenet M. Médecine, chirurgie et armées en France au siècle des lumières. Ed I&D, Paris, 2006 : 159 p. 4. Pringle J. Observations on the diseases of the army. London, 1752. 5. Colombier J. Médecine militaire ou traité des maladies tant internes qu’externes auxquelles les militaires sont exposés dans leurs différentes positions de paix ou de guerre. Paris, 1778. 6. Laveran A. 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Ernest Duchesne (1874-1912). Élève de l’École du Service de santé militaire de Lyon soutint en 1897 sa thèse de doctorat en médecine « Contribution à l’étude de la concurrence vitale chez les micro-organismes : antagonisme entre les moisissures et les microbes ». Il était ainsi le premier à démontrer que certaines moisissures pouvaient tuer des bactéries. Il est considéré comme le précurseur de l’une des plus grandes découvertes du XX e siècle : la thérapie au moyen des antibiotiques. Duchesne démontre que Penicillium glaucum peut éliminer complètement Escherichia coli dans une culture contenant ces deux seuls organismes. Il prouve également qu'un animal inoculé avec une dose mortelle de bacilles de la typhoïde est exempt de maladie s'il a été préalablement inoculé avec Penicillium glaucum. Ses conclusions sont visionnaires : « On peut donc espérer qu'en poursuivant l'étude des faits de concurrence biologique entre moisissures et microbes, étude seulement ébauchée par nous et à laquelle nous n'avons d'autre prétention que d'avoir apporté ici une très modeste contribution, on arrivera, peut-être, à la découverte d'autres faits directement utiles et applicables à l'hygiène prophylactique et à la thérapeutique ». Ayant passé sa thèse, Duchesne quitta le laboratoire et sa découverte révolutionnaire resta inaperçue pendant trente-deux ans jusqu’à ce qu’Alexander Fleming montre en 1929 les propriétés antibiotiques de la pénicilline, une substance dérivée de ces moisissures. Ce fut probablement la plus grande occasion manquée pour la science du vivant en ce début du XXe siècle. Il mourut à 37 ans après 8 ans de longue maladie, en 1912. Son nom a été donné à la promotion 1983 de l'École du Service de santé des armées de Lyon-Bron. 526 j.-d. cavallo Tricentenaire du Service de santé des armées TROIS SIÈCLES D’HISTOIRE DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES OUTRE-MER M. MORILLON I. INTRODUCTION. Aborder en quelques pages trois siècles d’une histoire aussi riche que celle du Service de santé des armées outre-mer est un exercice périlleux. Le sujet rassemble en effet un nombre considérable d’aventures humaines toutes plus passionnantes les unes que les autres. Le Service de santé était toujours présent qu’il s’agisse des conquêtes de nouveaux territoires ou de guerres lointaines, dans les colonnes des explorateurs ou avec les corps expéditionnaires. Plus discrètement mais aussi plus durablement, il bâtissait hôpitaux, dispensaires et laboratoires et mettait sur pied des équipes mobiles de dépistage et de vaccinations, allant au delà de sa mission de soutien des troupes et se dévouant sans compter aux soins des populations civiles. Les plus grandes pages de cette histoire se situent au XXE SIECLE avec l’apogée de ce que l’on appelait l’Empire colonial et trouvaient une prolongation dans la période de coopération qui suivait les indépendances. Mais avant ce « siècle d’or », nos anciens avaient déjà combattu des maladies inconnues avec les moyens rudimentaires que leur offraient les connaissances et les pratiques de leur temps. Nous les suivrons dans quelques-uns des territoires emblématiques de leur époque. II. AU XVIIIE SIÈCLE À SAINT DOMINGUE. La partie ouest de l’île de Saint Domingue, celle qui correspond aujourd’hui à la République d’Haïti, est alors la colonie la plus riche et la plus peuplée du royaume de France et fournit à l’Europe le café, le cacao, l’indigo et surtout le sucre de canne. C’est aussi une terre d’esclavage, de 3 000 en 1700, l’effectif des esclaves noirs passe à 100 000 vingt cinq ans plus tard et culmine à 600 000 au milieu du siècle. Si leurs conditions de vie sont peu enviables, celles d’une grande partie de la population blanche ne sont guère meilleures, ces « engagés » devant trois ans de travail à la Compagnie royale des Indes en échange de leur transport. La troupe quant à elle, mal M. MORILLON, médecin général inspecteur, professeur agrégé du Val-de-Grâce Correspondance : M. MORILLON, direction de l'Institut de médecine tropicale du Service de santé des armées. BP 46, 13998 MARSEILLE Armées. médecine et armées, 2008, 36, 5 nourrie, mal logée, mal payée, imprégnée de tafia, est méprisée par la population et les esclaves traitent les soldats de « nègres blancs ». La mortalité est importante. Thibaud de Chamvallon en fait un portait évocateur : « La couleur de ceux qui se portent le mieux est toujours livide et jaune. » (1). Le soutien médical est confié pour une partie aux nombreux « chirurgiens de plantation » (ils sont environ 700 en 1791), engagés par les planteurs qui leur ont payé le voyage et leur dotation en instruments et médicaments. Ces praticiens aux compétences incertaines en restent le plus souvent à saigner, purger et distribuer de l’émétique. Lorsque surviennent des épidémies, leur ignorance leur fait attribuer les pics de mortalité à la sorcellerie ou aux empoisonnements, accusations qui produisent d’importants désordres dans la colonie. Moins nombreux mais mieux sélectionnés, les médecins et chirurgiens du Roi font figure d’élite. Ces officiers de santé « entretenus » mais peu payés, complètent leurs revenus en gérant eux-mêmes des plantations et des maisons et font partie de la petite bourgeoisie de l’île. Leurs missions sont nombreuses : ils doivent traiter les soldats malades ou blessés, visiter les vaisseaux négriers, les prisons, rendre des rapports de justice, autrement dit des expertises, délivrer des certificats sanitaires de sortie et présider aux réceptions c’est-à-dire aux examens d’aptitude des chirurgiens, apothicaires et sage-femmes. Certains d’entre eux sont dentistes et d’autres accoucheurs. Cette prééminence donnée aux « chirurgiens-majors » qui valident les compétences de leurs autres confrères créent des tensions avec les chirurgiens de la colonie qui contestent à leur tour aux médecins et chirurgiens du Roi le privilège lucratif de soigner la population civile. En 1719, des hôpitaux sont construits au Cap Haïtien et à Leogane ; ils sont administrés par les Pères de la Charité mais sont néanmoins dirigés par les médecins et chirurgiens du Roi (1, 2). Cette situation amène des conflits d’autorité le plus souvent arbitrés en faveur des derniers par la Cour et le duc de Choiseul. En 1763, Saint Domingue compte une dizaine d’hôpitaux dont les principaux sont ceux du Cap et de Port au Prince, ce dernier étant administré par des laïcs. Une proportion importante de leurs malades est constituée par les soldats des Compagnies franches de la Marine puis de la Légion 527 Carte de l’Île de Saint Domingue au XVIIe siècle : la partie ouest de l’île devenue, plus tard, la République d’Haïti était alors la principale colonie de la France. de Saint Domingue ; à la fin du siècle près d’un soldat sur six est aux hôpitaux. La promiscuité et le manque d’hygiène sont responsable d’une mortalité plus importante que celle des esclaves. À côté des très fréquentes infections sexuellement transmissibles (« maladies galantes » à l’époque) et des diarrhées, les organismes affaiblis par les carences alimentaires (le scorbut est encore fréquent) sont minés par le paludisme et la tuberculose. Les ressources thérapeutiques, si l’on peut appeler ainsi les méthodes contemporaines de Molière, sont limitées et très soustractives : purges, lavements, saignées et diète principalement. Sur ce fond endémique, surviennent régulièrement les épidémies de fièvre jaune, curieusement appelée alors « Mal de Siam ». On ignore alors que cette maladie redoutable est importée d’Afrique dans les colonies d’Amérique et qu’elle est liée à la traite négrière. Si l’origine du mal doit rester encore inconnue pendant deux siècles, sa description clinique telle qu’on la retrouve dans un ouvrage publié en 1788 est évocatrice et reprend bien les phases que Dutroulau (3) caractérisera un siècle plus tard : « Le visage s’enflamme, puis devient avec le reste du corps de couleur citron ; le transport au cerveau suit de bien près et le sang sort par le nez, la bouche, les autres conduits naturels, quelquefois même au travers des pores. On s’imagine au vu de pareils symptômes que le mal est occasionné par une trop grande abondance de sang ; on en conclut qu’il faut saigner et resaigner le malade. Ce traitement ne manque pas d’en emporter plusieurs qui se trouvent dépourvus de forces 528 suff isantes pour résister aux violents assauts du mal. Quelques-uns réchappent mais c’est le plus petit nombre et ils sont si longtemps à se rétablir qu’il n’est point de convalescence plus longue. Ils n’en reviendraient pas moins si on ne les saignait pas et guériraient bien plus-tôt… » (4). En l’absence de traitements efficaces, les médecins se tournent vers la prévention et s’intéressent à l’hygiène. Ils écrivent de nombreux règlements sanitaires concernant le casernement, les débits de boisson, les esclaves, les cimetières. Avec les apothicaires ils analysent les eaux minérales, s’intéressent à la fabrication du sucre, plantent un jardin botanique et fondent un musée d’histoire naturelle. Lorsque est fondée l’Académie des Arts et des Sciences du Cap, 22 % des sociétaires sont des officiers de santé. Cette curiosité intellectuelle se manifeste encore lors des débuts de la vaccine et l’inoculation devient systématique à Saint Domingue dès 1776, avant la France métropolitaine. La f in du siècle est marquée par plusieurs révoltes des esclaves puis par le soulèvement qui aboutira à une véritable guerre civile. Le corps expéditionnaire envoyé par la République est victime d’une épidémie de fièvre jaune d’une ampleur considérable, deuxième grand désastre sanitaire après la peste de Jaffa. Les pertes sont effroyables : en deux ans 1 500 officiers, 22 000 soldats et 185 off iciers de santé succombent à la maladie. Le Premier Consul, qui n’a pas non plus la maîtrise des mers, décide d’abandonner la colonie en 1803. m. morillon III. AU XIXE SIÈCLE, L’ALGÉRIE. Dès le début de la conquête en 1830, ce sont 270 chirurgiens, médecins et pharmaciens, soit un quart de l’effectif total du Service de santé qui débarquent sur le sol algérien. À cette époque les chirurgiens sont très majoritaires (178 pour 98 médecins et pharmaciens) puisque ce sont à la fois des chirurgiens des régiments (que l’on appellerait aujourd’hui médecins d’unité) et les chirurgiens des hôpitaux. Les médecins sont quant à eux des spécialistes affectés uniquement dans les hôpitaux. Les combats sont rudes et l’on s’attend à des pertes importantes. En plus de l’hôpital d’évacuation de 2300 lits établi à Mahon aux Baléares, plusieurs établissements sont installés à Alger, Bône, Constantine, Oran, Mostaganem, Mascara, Tlemcen (5). Ils vont servir plus d’un siècle. Dès 1833, Baudens, jeune chirurgien de 29 ans crée l’École de médecine militaire d’Alger à l’hôpital du Dey, futur hôpital Maillot. Si cette école ne dure que trois ans, l’idée sera reprise en 1856, donnant naissance à l’École préparatoire de médecine et de pharmacie d’Alger, ouverte aux musulmans et dont les militaires constituent la majorité des professeurs. Cette école deviendra la Faculté mixte de médecine et de pharmacie en 1909. Baudens, bien que chirurgien attaché aux hôpitaux, suit les colonnes expéditionnaires et se trouve à plusieurs reprises sur le théâtre des combats. Il opère beaucoup, observe et revient sur les principes que lui ont enseigné ses maîtres, chirurgiens de bataille du Premier Empire à propos du traitement des plaies par armes à feu. Il constate qu’en étant moins agressif, en pratiquant moins d’amputations et moins de débridements systématiques, il obtient de meilleurs résultats. Quelques années plus tard, son collègue Sédillot a la surprise de constater l’importance que peuvent prendre les gelures sous cette latitude. Elles sont traitées à l’époque avec quelques gouttes d’éther sulfurique, un peu de vin, de la cannelle et du café chaud… Sur ces blessés il mesure aussi les dégâts de l’infection et c’est lui-même à la fin du siècle qui créera le mot de microbe et plaidera en faveur des travaux de Louis Pasteur à l’Académie des sciences. Mais comme toujours, la troupe souffre beaucoup plus des maladies que des blessures reçues au combat. Les moyens thérapeutiques hérités du siècle précédent peuvent nous sembler bien « exotiques » aujourd’hui : pour la dysenterie bacillaire, particulièrement fréquente, on prescrit la diète, de la guimauve, des violettes, du riz et de l’orge, l’application de sangsues sur l’hypogastre et l’anus, des lavements… et même des saignées pour les cas graves, assorties de ventouses scarifiées et d’une potion opiacée. On est tout aussi maladroit avec le paludisme, tellement présent qu’il y a des infirmeries de f iévreux jusque dans les régiments. Plus encore, le nombre des malades et des décès est si important que le maréchal Soult, ministre de la Guerre, refuse de diffuser les chiffres et envisage même l’abandon de l’Algérie. Là encore, les enseignements de Broussais ont pour conséquence l’administration de rudes traitements « antiphlogistiques » : diète, saignées et sangsues. La trois siècles d’histoire du service de santé des armées outre-mer quinine n’est donnée qu’en complément lorsque la fièvre devient périodique aux rythmes des accès de reviviscence. Cette attitude et les résultats obtenus choquent Maillot, jeune médecin arrivé en 1834 à l’hôpital de Bône. Il pressent l’unicité entre les fièvres continues et intermittentes et décide d’utiliser la quinine comme traitement principal mais à des doses plus importantes. Les résultats sont spectaculaires, la mortalité passe de 25% à 5 %. La nouvelle se répand chez les soldats qui insistent pour être admis à Bône dans « le service où l’on ne meurt pas ». Bien que cette innovation ait le soutien des généraux Damrémont et Bugeaud, le ministre continue à trouver que la dépense en médicaments est trop importante ! Cette découverte empirique est d’autant plus remarquable qu’il faudra attendre encore presque un demi-siècle pour qu’un autre médecin militaire servant en Algérie découvre le parasite responsable. C’est à l’hôpital de Constantine qu’Alphonse Laveran, après de patientes observations microscopiques repère des éléments mobiles et en conclut que le responsable est un parasite. L’importance de la découverte est considérable et vaudra à son auteur le prix Nobel de médecine. Il sera le premier Français à obtenir cette prestigieuse récompense. Mais d’autres maladies infectieuses font des ravages comme la f ièvre typhoïde, appelée tantôt f ièvre adynamique ou dothinentérie. On tarde à reconnaître que cette maladie, bien connue en Europe et qui a décimé les armées en Espagne, puisse aussi sévir de l’autre côté de la Méditerranée. Et c’est toujours en Algérie, à la fin du siècle que dans son laboratoire de l’hôpital du Dey, Hyacinthe Vincent débute ses travaux sur le vaccin TAB. C’est dans ce même laboratoire qu’il décrit l’angine qui porte son nom et l’association fuso-spirillaire qui en est responsable. Quant au choléra, il est importé d’Europe par les troupes débarquées de Marseille ! Plus de 500 militaires en meurent à Oran en 1834 et 639 à Alger l’année suivante. C’est à cette maladie que le Service de santé payera son plus lourd tribut en Algérie avec 69 morts parmi ses officiers. Le typhus, bien sur, continue à suivre les armées en campagne et tue 22 off iciers dont 16 médecins et 6 officiers d’administration. La population civile qui souffre des même maux bénéficie aussi de la sollicitude des médecins militaires. Dès le début, Mauriceau-Beaupré, chirurgien en chef du corps de débarquement annonçait à ses hommes : « Si le séjour de l’Armée se prolonge pendant quelque temps dans ce pays, plus d’un malheureux viendra implorer votre assistance. Vous lui tendrez une main secourable, vous verserez sur ses plaies le bienfait de la consolation et le bienfait ressenti sera peut-être une première semence de civilisation susceptible de germer. » Les hôpitaux militaires admettent les patients autochtones et en 1847, après la création des « bureaux arabes » dans toutes les localités du pays il est décidé que « les indigènes seront traités gratuitement par l’off icier de santé militaire de l’hôpital, de l’ambulance, du corps le plus voisin de chaque bureau. » Nous avons là les prémices de l’Assistance médicale indigène développée au siècle suivant (6). Les infirmeries-dispensaires et les postes 529 Inauguration du village de Laveran en Algérie en 1930. de secours ruraux couvrent ainsi le territoire et vont plus tard s’étendre jusqu’aux confins sahariens, assurant les soins quotidiens et faisant reculer les endémies, notamment le trachome. IV. LE XXE SIÈCLE ET LE SERVICE DE SANTÉ COLONIAL (1890-1960). Cette période commence en réalité en 1890 quelques années après l’humiliation de 1871 et la perte de l’Alsace et de la Lorraine, lorsque la France se lance à la conquête de ce que l’on appellera l’Empire colonial. En dépit de tout ce qui a pu être dit ou écrit, l’œuvre médicale est considérable et cette époque reste un « age d’or » dans l’histoire du Service de santé outre-mer. Voilà déjà quelques années que les médecins accompagnaient les colonnes d’explorateurs et organisaient des dispensaires et des hôpitaux, mais en 1890 commence une nouvelle ère avec un engagement sans précédent au service des populations. Au début de l’aventure, avant même la naissance officielle des troupes coloniales, ce sont des 530 médecins de Marine qui sont à l’œuvre. S’ils sont de remarquables cliniciens, la science médicale de leur époque les laisse bien désarmés face aux maladies exotiques. À l’époque où les côtes africaines sont présentées comme « les rivages de la mort » ou « le tombeau de l’homme blanc », Mahé, professeur à l’école de médecine navale de Brest fait un portait de l’Afrique Équatoriale d’un lyrisme terrifiant : « Là bas, sur les rives empestées de l’Atlantique, vous rencontrerez le redoutable sphinx de la malaria, pernicieux Protée, le fantôme délirant du typhus, le spectre livide du choléra et le masque jaune du vomito negro. Défiez vous ! De la terre et des eaux s’exhale un souffle empoisonné… » (7). La catastrophe sanitaire de Madagascar en 1895, dans laquelle disparaît un quart du corps expéditionnaire victime du paludisme et de la dysenterie, montre à quel point il est indispensable de mieux connaître et de mieux prendre en charge ces maladies. En 1903, le corps de santé colonial est rattaché aux troupes coloniales et en 1907, l’École du Pharo à Marseille reçoit sa première promotion d’élèves. Destinés à servir auprès des m. morillon troupes déployées dans les colonies, ces médecins vont rapidement se mettre au service des populations indigènes. Cette mission double se retrouve dans l’appellation des hôpitaux : les hôpitaux coloniaux du service général qui accueillent les militaires, les fonctionnaires et les patients civils à titre onéreux et les hôpitaux de l’Assistance médicale indigène (AMI) ouverts à la population et gratuits. Dès 1900, 30 hôpitaux principaux et secondaires sont en fonctionnement, ils sont 41 en 1960 (tab. I). Ces établissements relèvent d’une dotation budgétaire de la colonie et les patients sont pris en charge pour 90 % sur les fonds publics. L’accès est gratuit pour une grande majorité des usagers. Rapidement, les médecins et pharmaciens qui y exercent doivent avoir des titres hospitaliers comme leurs camarades de métropole. Ils les acquièrent entre deux séjours à l’occasion d’une affectation en métropole, notamment à l’École du Pharo. À côté des 41 hôpitaux généraux, pas moins de 593 hôpitaux secondaires, 2 000 dispensaires, 6 000 maternités ont été créés et gérés par des médecins du corps de santé militaire. L’AMI à elle seule consommait un nombre considérable de médecins (tab. II). En dépit de ces efforts à la fois indispensables et admirables, le maillage hospitalier, inspiré par la mère patrie se révèle insuffisamment adapté à des territoires immenses dont la densité de population, exclusivement rurale est souvent très faible (10 à 15 habitants au km2) et où les communications sont difficiles. Les formations hospitalières ne drainent leurs patients que dans un rayon de 10 à 15 km, laissant de côté les villages plus éloignés. C’est le constat que fait Eugène Jamot, en 1917, alors qu’il vient d’être chargé de la lutte contre la maladie du sommeil au Cameroun. Son idée d’aller chercher les malades là où il sont, « au bout de la piste » est proprement révolutionnaire. De 1921 à 1931, il l’organise en concepts : – faire une médecine de masse s’appuyant sur une prospection active ; Tableau II. Personnel et activité des hôpitaux d’Afrique noire en 1938 (d’après Lapeyssonie (8)). AOF AEF Personnel européen 451 185 Dont médecins militaires 165 80 Personnel indigène 3 469 895 Formations sanitaires 556 325 Hospitalisations 61 259 52 395 Consultants 3 742 143 904 063 Consultations 13 232 977 3 101 552 – recenser et examiner de façon exhaustive toute la population ; – établir et faire appliquer des procédures uniformisées pour toutes les équipes. La méthode s’avère très efficace et les résultats sont spectaculaires. Née dans l’AEF, elle est « exportée » en AOF puis étendue à d’autres maladies : lèpre, paludisme, onchocercose, méningite cérébro-spinale puis appliquée aux vaccinations en zone rurale. Sur ces bases naît le service général d’hygiène mobile et de prophylaxie. L’époque correspond également à l’émergence de la science vaccinale, et les médecins militaires participent pour une part importante au développement des Instituts Pasteur d’outre mer qui se construisent à Saigon dès 1891, Nha Trang en 1895 et Tananarive en 1898. Onze autres suivront. À cette époque 60 % du personnel de ces Instituts est militaire. L’apport de ces « pasteuriens » à la lutte contre les maladies infectieuses est considérable et dans l’impossibilité de tous les citer, nous pouvons donner un aperçu de leur œuvre à travers deux maladies aussi terrifiantes qu’emblématiques : la peste et la fièvre jaune. Tableau I. Principaux hôpitaux en fonctionnement à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (ne prend pas en compte les hôpitaux d’Afrique du Nord). Hanoi Indochine Inde Madagascar Pacifique H. Lanessan H. Yersin Dakar H. principal H. Le Dantec Saigon H. Grall St Louis H. colonial Vientiane H. Mahosot Bamako H. du point G Phnom Penh H. Calmette Pondichéry H. général Abidjan H. central H. de Treicheville Tananarive H Girard et Robic H. Befelatanana Gd Bassam H. colonial Conakry H. Ballay Tamatave H. colonial Diego Suarez H. colonial Douala H. La Quintinie H. général Majunga H. colonial Brazzaville H. général Nouméa H. G. Bourret Pointe Noire H. Sice Djibouti H. Peltier H. Bouffard AOF AEF Papeete H. Mamao Antilles Fort de France H. Clarac Guyane Cayenne H. J. Martial Côte des Somalis trois siècles d’histoire du service de santé des armées outre-mer 531 Consultation médicale gratuite, Tonkin 1932. La peste qui avait décimé le corps expéditionnaire de Syrie en 1799 représente un chapitre des maladies infectieuses ou l’apport du Service de santé des armées est majeur. Dès 1894, à Hong Kong, Alexandre Yersin, récemment engagé dans le corps de santé colonial à l’instigation de Calmette, colore, cultive et inocule le bacille qui portera son nom. Quatre ans plus tard, près de Karachi, Paul Louis Simond, futur premier sous directeur de l’École du Pharo, démontre le rôle de la puce dans la propagation de la peste. En 1932, à l’issue de six ans de travail, Georges Girard et Jean-Marie Robic, à l’Institut Pasteur de Madagascar, mettent au point le premier vaccin et le testent courageusement sur eux-mêmes avant de le mettre à disposition de la population. Après plusieurs milliers de vaccinations, le nombre de cas annuel passe de 4 0 à 50 dans la grande île. La f ièvre jaune, elle aussi vieille compagne des expéditions militaires, trouve sur son chemin deux médecins coloniaux, Laigret et Durieux qui mettent au point le premier vaccin à l’Institut Pasteur de Dakar en 1936. Plus de 55 millions de doses du « vaccin de Dakar » sont inoculées en 15 ans en AOF. Le masque jaune du vomito negro ne sera plus dès lors aussi terrifiant. 532 Pour clore ce bilan rapide d’une période si riche que plusieurs volumes ne suffisent pas à la décrire, il nous faut ajouter l’important travail de formation avec la création de 2 facultés et 4 écoles de médecine, 2 écoles de formation d’assistants médicaux et 19 écoles d’infirmières. V. LA FIN DU XX E SIÈCLE APRÈS LES INDÉPENDANCES. Après 1962, la France garde des relations privilégiées avec les nouveaux états indépendants et le Service de santé participe pour une part importante à la Coopération. Son apport a été tel au cours du demi siècle précédent qu’une période de transition s’avère nécessaire. Les effectifs augmentent encore : alors qu’il y avait environ 700 officiers du Service en poste outre-mer en 1940, ils sont 800 en 1980, soit près de vingt ans après la naissance des nouveaux états. Parmi ceux ci, 442 sont employés au titre de la coopération dont 209 dans les pays de l’ex AOF, 125 dans les DOM TOM. Ils sont présents dans trente pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, du Pacifique et de l’Océan Indien. Leurs cadres d’emploi sont très divers : m. morillon hôpitaux, secteurs de médecine rurale, dispensaires des centres sociaux, secteurs d’hygiène mobile, grandes endémies et Instituts Pasteur. Les hôpitaux généraux de l’ère coloniale deviennent hôpitaux nationaux ou CHU, les services d’hygiène mobile ont donné naissance à des organisations régionales : l’OCCGE pour l’Afrique de l’Ouest et le Togo en 1960 et l’OCEAC pour le Gabon, le Cameroun, le Congo et le Tchad en 1963 (9). Avec le même dévouement que leurs anciens, ces médecins coopérants luttent contre les maladies infectieuses et une fois de plus les succès sont là : ils participent aux campagnes de vaccination qui aboutissent à l’éradication mondiale de la variole en 1977. Elle vaudra l’attribution de la médaille du CDC en 1992 à l’Institut de médecine tropicale du Service de santé des armées en remerciement du travail des médecins militaires français. Dans ce combat contre les infections, la figure du Médecin général Lapeyssonie est emblématique. Il est l’un des premiers à utiliser les sulfamides retard contre la méningite cérebrospinale dans la fameuse ceinture sahélienne de la méningite à laquelle il laisse son nom. Sollicité en 1974 par Charles Mérieux pour l’épidémie de méningite de Sao Paulo, il utilise les injecteurs sans aiguille et parvient à vacciner 120 millions de personnes. Personnage hors du commun, il rassemblait tous les savoirs-faire de ceux qui l’avaient précédé : médecin, biologiste, épidémiologiste, enseignant, chercheur mais aussi chasseur et coureur de brousse, mécanicien et maçon et enfin romancier et historien. Il était celui qui parlait le mieux de cette histoire du Service sous les Tropiques. La fin du XXE siècle est marquée par plusieurs guerres civiles et catastrophes naturelles pour lesquelles le Service, conformément à sa tradition, va développer ses capacités de réponse aux situations d’urgence. Le mouvement de la médecine humanitaire émerge à la même époque et pour les mêmes raisons. Dans ce contexte, en 1968, à Libreville, l’Élément médical Tournée de brousse en République centrafricaine. Fin des années 1960. trois siècles d’histoire du service de santé des armées outre-mer 533 militaire d’intervention rapide (EMMIR) déploie un hôpital chargé d’accueillir les enfants victimes de la guerre civile au Biafra. L’EMMIR sera envoyé également en Jordanie 1970 pour secourir les victimes de « septembre noir » et lors du tremblement de terre au Nicaragua en 1972. La nécessité de campagnes de vaccination de masse et d’une réponse rapide aux épidémies aboutit en 1983 à la création de la Bioforce. À côté de nombreuses interventions sur des épidémies de méningite ou de choléra, cet élément a été impliqué dans l’intervention de 1994 au Rwanda ou l’équipe française à dû faire face à une situation complexe dans laquelle à la fois, la méningite, le choléra et la dysenterie bacillaire décimaient des milliers de réfugiés. Prise en charge de deux enfants victimes d’une explosion de mine (OMLT Afghanistan 2007-08 / cp-c PELLEGRIN). Au cours de ce siècle, médecine tropicale, médecine humanitaire, recherche, ont réalisé un ensemble très attractif à l’origine de nombreuses vocations de médecins militaires. À leurs côtés, il est juste de rappeler le travail des confrères civils effectuant leur service national au titre de la coopération, qui suivaient la même formation et partageaient le même idéal. VI. CONCLUSION. Cette évocation de trois siècles de médecine militaire outre-mer ne doit pas être nostalgique mais nous rappeler à quel point le Service et ses hommes ont su s’adapter aux évolutions de l’histoire et de leurs missions. Renforcés par cet héritage prestigieux, nous pourrons nous inscrire dans sa continuité en répondant aux défis d’aujourd’hui. Le mouvement a déjà été amorcé en 1996 avec la professionnalisation des armées et l’évolution des missions de défense. Il n’y a plus de « postes de brousse » et les emplois dans les hôpitaux ou les Instituts Pasteur sont devenus l’exception. L’heure est aux missions de courte durée, en soutien des forces projetées : Côte d’Ivoire, Afghanistan, pour ne citer que deux d’entre elles. L’expérience acquise par des générations de médecins militaires, tant en médecine tropicale que dans l’exercice de la médecine en situation dégradée ou précaire trouve ici toute sa place. Ce savoir-faire est toujours transmis aux jeunes médecins avec cette flamme si particulière faite à la fois d’amour du prochain et d’attrait du lointain (7), entretenue à l’École du Pharo. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Pluchon P. Histoire des médecins et pharmaciens de la Marine et des colonies. Privat, Toulouse. 1985 : 430 p. 2. Comité d’Histoire du Service de santé. Histoire de la Médecine aux armées. Lavauzelle ; Paris-Limoges 1982 : 513 p. 3. Dutroulau AF. Maladies des Européens dans les pays chauds. Baillière, Paris 1868 : 679 p. 4. Bourgeois N, Nougaret P. Voyages intéressans dans différentes colonies françaises, espagnoles, anglaises, contenant des observations relatives à ses contrées ; un Mémoire sur les maladies les plus communes à Saint-Domingue, leurs remèdes, le moyen de s'en préserver moralement et physiquement. JF Bastien Paris 1788 : 507 p. 534 5. Direction du Service de santé. L’œuvre du Service de santé militaire en Algérie. Lavauzelle Paris 1931 : 363 p. 6. Camelin A. Le Service de santé en Algérie, de la conquête aux accords d’Évian. Revue historique de l’armée. 1972. N° 1 (spécial) : 47-63. 7. Lapeyssonie. La Médecine Coloniale Seguers Paris 1988 : 310 p. 8. Lapeyssonie L. Le Service de santé dans ses tâches de santé publique en Afrique francophone. Revue historique de l’armée. 1972. N° 1 (spécial) : 26-45. 9. Deroo E, Champeaux E, Milleliri JM, Queguiner P. L’École du Pharo, Cent ans de Médecine Outre-Mer 1905-2005. Lavauzelle Panazol. 2005. m. morillon Tricentenaire du Service de santé des armées LE VISAGE SOCIAL DU MÉDECIN MILITAIRE P. CRISTAU Ambroise PARÉ. I. INTRODUCTION. « La médecine militaire est à la médecine civile ce que la musique militaire est à la musique classique ». Cet aphorisme sous forme de plaisanterie plutôt caustique P. CRISTAU, médecin général inspecteur (2s). Correspondance : P. CRISTAU, 28 rue Fay, 94 300 VINCENNES. médecine et armées, 2008, 36, 5 en dit long sur idée que certains se faisaient du médecin militaire au siècle dernier. Et pourtant l’hôpital du Val-deGrâce est resté au cours des siècles un hôpital de référence, Alphonse Laveran fut le premier prix Nobel de médecine français et la seule statue française en Corée du Sud est celle du médecin commandant Jean Louis mortellement blessé par mine en secourant un autochtone. 535 C’est dire qu’au prorata des modes et des circonstances, le visage social du médecin militaire a pu prendre des aspects multiples. Le but de cet article est de relater l’évolution de ce visage au cours des trois derniers siècles, au-delà de ces modes et au vu des circonstances. II. AVANT LA CRÉATION DU SERVICE DE SANTÉ MILITAIRE EN 1708. Avant la création officielle du Service de santé par Louis XIV des médecins attachés aux armées existent cependant depuis longtemps. On les voit apparaître au cours de la Renaissance. Pendant le Moyen Âge en effet, aucune organisation officielle ne s’occupe des blessés. Ce sont en fait les ordres religieux qui assument cette responsabilité. Depuis le début de la Renaissance, les grands chefs militaires emmènent avec eux un ou plusieurs chirurgiens qui leur sont personnellement attachés. Ambroise Paré s’en distingue en soignant, bien que chirurgien attaché au roi, tous les combattants sans distinction avec dévouement et modestie. Sa réputation est grande auprès des hommes de guerre. Mais c’est un cas particulier ; à cette époque, il est encore difficile de parler du visage social du médecin militaire car fort peu l’ont rencontré. Au cours du XVIe siècle, la place des chirurgiens militaires s’installe progressivement. Leur rétribution est néanmoins révélatrice de leur maigre considération. Dans l’artillerie, cette rétribution les met juste avant les canonniers ordinaires et les conducteurs de charroi. Dans la cavalerie, elle est la même que celle du trompette. Chez les marins, c’est différent lorsqu’ils imposent pour tout vaisseau d’importance, la présence permanente de chirurgiens, leur place est reconnue parmi les officiers, juste après le prévôt et les aumôniers. Lorsqu’au siècle suivant, Louvois réorganise les armées, lorsque Vauban installe un hôpital militaire dans toutes les places fortifiées à la frontière du royaume, le besoin de praticiens militaires se fait sentir, des efforts de recrutement sont faits, mais ces derniers ne sont pas encore assimilés à des off iciers. Ils sont seulement commissionnés pour une durée qui ne peut excéder une campagne. Ils n’ont pas d’uniforme et si la plupart portent une épée, c’est parce qu’ils veulent se distinguer des praticiens civils. Il est vrai que, si l’on se réfère aux Diafoirus de Molière, l’image du médecin au Grand siècle ne jouit pas d’une considération immense, cachant derrière un niveau scientif ique théorique assez élevé, une eff icacité thérapeutique modeste. Il est vrai aussi que le médecin aux armées, encore plus exposé que son confrère civil aux pathologies engendrées par la collectivité, n’a pas plus de moyens de les enrayer. Les grandes épidémies (variole, typhus, choléra) y sont tout aussi redoutables. Il est curieux de noter en passant que le terme de carabin qui voit le jour à cette période a au départ une connotation militaire. Il désigne un soldat de cavalerie légère qui fait rapidement passer ses adversaires de vie à trépas, comme le « scarabin », ensevelisseur de pestiférés, 536 terme dérivé du scarabée qui fouille la terre et le fumier. Par extension, il est attribué ironiquement aux chirurgiens de cette époque. Si le chirurgien militaire s’efforce de se distinguer de son confrère civil, c’est que la pratique de la chirurgie de guerre lui donne une expérience inégalée. Pierre Dionis, premier titulaire de l’école de perfectionnement des étudiants en chirurgie au Jardin royal de Paris en 1673, est un ancien chirurgien militaire qui a été choisi pour sa grande expérience pratique. Dans la Marine, le développement de la flotte de guerre par Colbert impose la création de petits bâtiments de support sanitaire au sein des escadres, des « flûtes », à raison d’une pour dix vaisseaux. Sur les galères elles-mêmes, le « taular » de l’avant est aménagé pour le chirurgien. Mais si la spécialisation poussée de ces chirurgiens embarqués n’est pas discutée, ils restent totalement impuissants devant le scorbut qui décime toujours les équipages. À tel point que Colbert écrit à l’intendant des galères de Marseille que si la connaissance de ses médecins ne paraît pas suffisante, le roi ferait volontiers la dépense d’en faire aller un des plus célèbres de la faculté de médecine de Montpellier pour en chercher les remèdes. La conf iance mise d’ailleurs en cette décision s’est avérée très décevante… III. LE « SIÈCLE DES LUMIÈRES ». La création par Louis XIV à la fin de son règne d’un Service de santé de la Marine puis 20 ans après de celui de l’armée de Terre découle en particulier de l’estime et la confiance qu’il porte aux médecins des armées. Ces derniers forment maintenant un corps permanent réparti dans les hôpitaux, les corps de troupe ou les bateaux, bien inclus dans le milieu militaire. Cette décision n’apporte cependant pas, dans l’immédiat, tous les avantages escomptés. Les difficultés pécuniaires de la fin du règne, les guerres incessantes et leur cortège de destructions ternissent l’image de l’armée et de la Marine. Les récentes dragonnades dans les Cévennes entraînent une coupure entre le monde militaire et le pays. Par ailleurs, si la sollicitude du roi vis-à-vis de ses médecins militaires est le témoin de la reconnaissance de leurs capacités techniques, elle ne va pas jusqu’à créer un corps parfaitement indépendant en le laissant sous l’autorité et la responsabilité de l’intendance. Cette dépendance, dont le Service de santé va souffrir pendant près de deux siècles, va être à l’origine de problèmes qui vont épisodiquement altérer image du médecin militaire. Il y a d’abord le problème de la gestion des hôpitaux militaires, problème qui d’ailleurs n’est pas récent. Certes, depuis Henri IV, il existe des hôpitaux militaires mobiles qui suivent les troupes en campagne. Et ce système bien organisé à l’avance est efficace. Mais le service des hôpitaux est souvent sous-traité à des entreprises pour qui la rentabilité l’emporte sur l’eff icacité. C’est l’exagération du nombre des hospitalisés, voire de la fausse survie de patients décédés, ce qui coûte cher au budget des armées, mais p. cristau ce sont aussi des restrictions de médicaments ou de nourriture, ce qui coûte cher à la santé des malades et à la notoriété du Service. Le médecin militaire tire toutefois son épingle du jeu. Il la tire d’autant mieux qu’une bonne gestion des hôpitaux militaires permanents et particulièrement ceux de la capitale leur conserve une excellente renommée. Jacques-René Tenon dans son « mémoire sur les hôpitaux de Paris » décrit l’état catastrophique de l’Hôtel-Dieu et cite plusieurs fois comme modèle l’hôpital des Gardes françaises (futur hôpital du Gros-caillou) et l’Hôtel royal des Invalides. Au cours du siècle, la notoriété du Service de santé va aller en s’améliorant de façon notable. Chez les médecins, trois d’entre eux doivent à leur réputation d’être médecins du roi : Guy Crescent Fagon qui demeure aux côtés de Louis XIV jusqu’à sa mort, Uniformes des chirurgiens et médecins. le visage social du médecin militaire Pierre Chirac qui sert Louis XV de 1731 à 1732 et Jean Baptiste Senac qui lui succède après avoir été médecin personnel du maréchal de Saxe. Mais ce siècle se caractérise surtout par la promotion des chirurgiens militaires. Ils bénéficient des progrès obtenus dans l’échelle sociale par leurs confrères civils, progrès auxquels certains d’entre eux participent efficacement. Un des deux créateurs de l’Académie de chirurgie et qui en deviendra le président, François Guyot de la Peyronie est un militaire qui tient son prestige de son service sous les ordres du maréchal de Villars. Dans cette académie une vingtaine de ses 60 membres est militaire dont les premiers directeurs et les premiers secrétaires. La promotion des chirurgiens les fait doter les premiers d’un uniforme en 1757. Ils portent l’habit « gris d’épine » avec la veste et le pantalon rouge, cette couleur ayant été demandée par Pichaut de la Martinière, chirurgien consultant, pour qu’on puisse les identifier facilement sur le champ de bataille. Les médecins n’obtiennent le leur qu’en 1786 avec une couleur distinctive noire. Un autre fait marquant est la création originale d’un enseignement pluridisciplinaire et pratique dispensé dans les hôpitaux royaux et basé sur l’examen clinique et l’expérimentation concrète alors que l’enseignement médical dans les facultés est un enseignement purement théorique. La dispersion de l’enseignement dans les hôpitaux militaires des places, dont le nombre s’est élevé jusqu’à 90, donne cependant des résultats très inégaux. Il débouche sur la constitution en 1775 de véritables écoles avec la création de trois grands « hôpitaux-amphithéâtres » (Lille, Metz et Strasbourg) où les études durent trois ans après deux années d’apprentissage chez un maître chirurgien. Ce sont de véritables centres hospitaliers universitaires avant la lettre. Cette organisation est calquée sur les Écoles de chirurgie navale qui existent déjà depuis plusieurs décennies à Toulon, Brest et Rochefort où l’on pratique des cours aux jeunes chirurgiens destinés à l’embarquement. Sous l’autorité déterminante de Jean Cochon du Puys, l’école de Rochefort acquiert une renommée dépassant les frontières locales. La reconstruction des bâtiments en 1785 en font un ensemble considéré comme le premier hôpital moderne du royaume. Le bilan du Siècle des Lumières apparaît donc comme globalement très positif concernant l’image sociale des médecins militaires. Il se traduit par leur participation non négligeable à la rédaction de chapitres sur la médecine et la chirurgie dans la Grande Encyclopédie de Diderot et D’Alembert. La fin du siècle détruit malheureusement ce bel édifice. Pour des raisons essentiellement budgétaires, Louis XVI décide en 1788 de ne conserver que 8 hôpitaux permanents et 10 auxiliaires. Cette réduction d’effectifs et de moyens va mettre en évidence les insuffisances du Service de santé au moment des premières batailles de la Révolution. 537 IV. LA RÉVOLUTION ET L’EMPIRE. L’Assemblée nationale au départ est pleine d’idées généreuses et novatrices. Mais, elle décide de supprimer les corporations qui sont l’image trop voyante de l’Ancien régime ce qui entraîne la dissolution des facultés. De la même manière, l’Académie de chirurgie tient sa dernière séance en 1793. L’enseignement des futurs médecins se fera dans trois écoles (Paris, Montpellier et Strasbourg) ou, « à la demande », auprès de praticiens hospitaliers selon les circonstances et la bonne volonté des intéressés. Pour le Service de santé, la levée en masse impose de nouveaux recrutements rendus difficiles par les décisions précédentes. La création d’un hôpital d’instruction au Val-de-Grâce, après qu’on en ait chassé les religieuses en 1793, est insuffisante. Pour pallier ces déficits et attirer des volontaires, l’on décide de façon paradoxale de ne pas leur demander de certificat de civisme que l’on exige ailleurs. C’est ainsi que l’on voit s’engager des candidats de toute nature, par exemple des prêtres réfractaires ou des personnes politiquement suspectes venus chercher la sécurité sous les drapeaux. C’est le cas de Desgenettes compromis par ses relations amicales avec les Girondins, qui s’engage sans vocation militaire particulière, mais qui va bénéficier des circonstances. Affecté à l’armée d’Italie, il rencontre sur son chemin dans une taverne un certain général Bonaparte qui rejoint aussi sa nouvelle affectation. Mais Desgenettes est déjà docteur en médecine et praticien expérimenté. Beaucoup d’autres jeunes vont s’instruire « sur le tas » et n’ont pas le temps de fréquenter les écoles de médecine ou les hôpitaux d’instruction entre deux campagnes. Cette disparité fait décider par la Convention un contrôle obligatoire des connaissances. C’est ainsi que Percy, alors chirurgien de l’armée de la Moselle, se voit obligé, avec l’humeur que l’on devine, de rester enfermé 28 heures à la mairie de Buzonville pour subir ces épreuves sous la surveillance du personnel local et des représentants du peuple. Cette suspicion aveugle n’empêche pas l’enthousiasme révolutionnaire qui anime le corps de santé comme les autres militaires. En 1994, 900 d’entre eux y ont déjà laissé la vie. La période de l’Empire se caractérise d’abord par la gloire des grandes figures de cette époque, les Larrey, Percy, Desgenettes : – Larrey qui crée les ambulances volantes, qui désarticule une épaule en quelques minutes, dont Napoleon dira « c’est l’homme le plus vertueux que j’ai connu » et que Wellington salue le soir de Waterloo comme « l’honneur qui passe » ; – Percy qui envoie ses chirurgiens sur le champ de bataille avec ses « wurst », qui organise les infirmiers en compagnies de « despotats » ; – Desgenettes qui s’inocule la peste en Égypte et qui, capturé par les russes à Vilna, est libéré immédiatement par le Tsar. 538 Ces trois personnalités emblématiques, nommées barons d’Empire et figurant sur les murs de l’Arc de triomphe, participent à la renommée de l’Empire et à celle du Service de santé. Leur représentation sur de nombreux tableaux de bataille est un instrument de propagande pour l’Empereur mais qui retombe aussi sur les intéressés. Ils en sont d’ailleurs parfaitement conscients, témoin les démarches pressantes faites par Larrey aux lendemains d’Eylau, ce qui n’empêchera pas Gros de choisir Percy. Au niveau des unités, le problème est différent. Le médecin militaire ne bénéficie toujours pas de toutes les prérogatives des officiers. Il n’a pas droit au salut ni aux honneurs réservés à son grade. Il porte l’épée mais le nouvel uniforme « Bleu barbeau » attribué par le Directoire ne comporte pas d’épaulettes. Surtout, il ressemble étrangement à celui des intendants ce qui est fort mal perçu par l’ensemble du corps. À tel point que beaucoup de chirurgiens affectés dans les unités se sentent valorisés en portant l’uniforme de ce régiment et en y rajoutant le rouge amarante qui est leur couleur distinctive. Cette désaffectation vis-à-vis de l’intendance vient du fait que plusieurs décisions du Directoire ont accentué la subordination des médecins à cette institution, subordination qui va être à l’origine d’un certain nombre de catastrophes sanitaires favorisées par le nombre des belligérants et par celui des blessés au cours des grandes batailles de l’Empire. Si dans les unités d’élite de la Garde impériale, personnels, matériels et moyens d’évacuation sont en général satisfaisants, il est loin d’en être de même dans les autres formations. Larrey raconte qu’à Eylau, après avoir opéré toute la journée, il est obligé de sacrifier son cheval pour donner un bouillon chaud à ses blessés et qu’on doit le faire chauffer dans une cuirasse, faute de récipients. Si dans les premières campagnes de l’Empire la débrouillardise du soldat français, qui va le faire s’approvisionner chez l’habitant, pallie beaucoup d’insuffisances, la politique de la terre brûlée au cours de la retraite de Russie est à l’origine d’une véritable catastrophe humanitaire. À cela s’ajoute l’existence des grandes épidémies aggravées par la promiscuité des hôpitaux. Un pamphlet de 1814 qualifie ces hôpitaux de « sépulcres de la Grande Armée ». Les pertes santé sont autant, voire plus qu’avant, dues beaucoup plus aux maladies qu’aux blessures. La fièvre jaune pendant l’expédition de Saint Domingue tue la moitié des effectifs avec son commandant en chef, le général Leclerc. Le typhus suit la Grande Armée dans sa progression. À Dantzig, en 1812, on dénombre 200 décès par jour. À Torgau en 1813, la garnison forte de 25 000 hommes en perd 13 500 par maladie sans avoir tiré un coup de fusil. V. LE XIXE SIÈCLE. La fin de l’Empire et la cessation des hostilités entraînent une réduction drastique des effectifs. Bon nombre de médecins militaires sont licenciés sans autre forme de p. cristau procès et retournent à la vie civile en allant grossir les rangs des officiers de santé. L’officier de santé est autorisé à exercer la médecine sans le titre de docteur. Cet état existe depuis le début du siècle et concerne des praticiens qui, formés en un an au lieu de trois, limitent leurs activités dans les campagnes à des soins ordinaires. Ils sont considérés comme des médecins de seconde zone. Le terme d’officiers de santé est aussi donné aux médecins militaires et dans l’esprit des français va être assimilé aux précédents avec le discrédit qui l’accompagne. Il est vrai que bon nombre de ces anciens militaires a, comme les difficultés de recrutement l’imposaient, appris leur métier « sur le tas », surtout dans la pratique chirurgicale. Ils sont donc mal préparés à une médecine de clientèle polyvalente ce qui explique aussi leur dépréciation dans l’opinion, dépréciation qui va « coller » à l’institution pendant longtemps. Autre aspect négatif de ce siècle, et qui témoigne du manque de considération des autorités, le médecin militaire n’est toujours pas un officier à part entière. L’échelle hiérarchique est écrasée et l’avancement très lent. Les soldes sont deux fois plus faibles que pour les officiers des armes. Cela se traduit par un mouvement de revendications auxquelles le gouvernement répond par des mesures dilatoires et inadaptées, telles que la dispense de l’obligation de porter la moustache... Une véritable assimilation avec les grades de l’armée et la solde attenante n’est enfin obtenue qu’en 1860. Le malaise entretenu par ces faits engendre des mouvements de revendication au moment des révolutions de 1830 et de 1848 où les jeunes médecins militaires manifestent avec les insurgés. L’Écho du Val-de-Grâce créé en 1848 s’en fait le propagandiste. Ces manifestations contraires à l’esprit et la discipline militaire sont fort mal vues des hautes autorités militaires. Plus grave encore est la persistance et même l’accentuation de la tutelle de l’intendance qui prévoit mal les besoins. Lors de la prise de Constantine, le linge fait défaut et les chemises des hospitalisés doivent être confectionnées dans la percale imprimée des robes des femmes du harem qui les cousent elles-mêmes. C’est le terrible spectacle du champ de bataille de Solférino où blessés français et autrichiens gisent pêle-mêle au milieu des cadavres, qui est à l’origine de la création des Conventions de Genève par Henri Dunant. Lors du repli de Bazaine sur Metz en 1870, des milliers de blessés sont abandonnés et les médecins français sont obligés de demander à Bismarck de l’eau et des vivres. Une bonne partie de l’histoire du Service de santé au xIXe siècle peut se résumer à une lutte permanente de ses Larrey à Eylau. le visage social du médecin militaire 539 L’Écho du Val-de-Grâce. 540 p. cristau chefs pour obtenir son autonomie complète qui ne lui est finalement accordée que le 16 mars 1862. Tout, cependant, n’est pas négatif dans l’image du médecin militaire au xIXe siècle. La conquête de l’Algérie avec l’efficacité du médecin dans les colonnes volantes de Bugeaud, les soins apportés à la population civile autochtone donnent au praticien militaire une aura concrétisée par le terme de « toubib » (médecin, savant habile, en langue arabe) qui va caractériser le praticien de l’armée d’Afrique et se généraliser plus tard avec une tonalité sympathique et amicale. L’enseignement des jeunes se normalise progressivement avec quelques hésitations liées aux difficultés épisodiques du recrutement. Dans la seconde moitié du siècle il est admis que le futur médecin militaire fait ses études en faculté puis suivra une instruction militaire spécifique dans des écoles d’application pendant un an. L’encadrement pendant les études en faculté sera libre ou structuré au sein d’une école. C’est le système qui prévaut encore actuellement mais qui mettra longtemps à être reconnu dans la population. Dans la pratique, le Val-deGrâce reprend l’appellation d’École d’application en 1850. Cette solution n’étant qu’à moitié satisfaisante au plan du recrutement, une École impériale du Service de santé est ouverte à Strasbourg en 1856. Ses élèves, les fameux « carabins rouges », sont très populaires chez les Strasbourgeois qui leur réservent une particulière indulgence pour leurs chahuts estudiantins. L’école ferme ses portes lors de la perte de l’Alsace en 1870 remplacée par les écoles de Lyon pour l’armée de Terre et Bordeaux pour la Marine. Les facultés de ces deux villes restent attachées au lustre que leur apportent ces deux formations. Avec les travaux de Maillot, Sedillot, Baudens, Laveran, Villemin, Vaillard, Delorme, Parmentier, Poggiale et des médecins de Marine qui accompagnent Dumont d’Urville dans son expédition sur l’Astrolabe, le Service de santé, qu’il soit de l’armée de Terre, de la Marine participe largement aux avancées scientifiques de l’époque. Il se hisse au niveau des meilleurs qui ne lui ménagent pas leur considération. Il n’est pas sûr qu’il en soit de même au niveau du public. L’image du médecin militaire de corps de troupe à la fin de ce siècle est devenue dérisoire. Avec la conscription, le conseil de révision et les faibles moyens qui lui sont alloués dans les infirmeries, le médecin militaire qui passe sa visite avec une blouse blanche et son képi sur la tête devient la cible des caricaturistes et des humoristes. Certains restent bons enfants, comme le dessinateur Guillaume. D’autres sont un peu plus acerbes, comme Feydeau dans le Dindon ; son médecin major Pinchard est une vieille baderne, mais les autres personnages sont aussi caricaturaux ; l’on sent toutefois que le comique est accentué parce qu’il est militaire. D’autres sont carrément injurieux ; dans les Gaîtés de l’escadron, Courteline traite le médecin du régiment de « cancre ahuri ». Quelques années plus tard, le sapeur Camembert de Christophe aime bien le major Guy Mauve, mais il lui déclare pour le remercier « Qu’on ose dire devant le visage social du médecin militaire moi, comme cela se dit tous les jours, que vous êtes une vieille baderne ! » VI. LE XXE SIECLE. Le XX e siècle, comme c’est convenu, commence à la guerre de 14-18. Le Service de santé s’y est préparé, comme le reste de l’armée, c’est-à-dire pour une guerre « fraîche et joyeuse » qui sera de courte durée. La réalité avec les premiers grands combats de la bataille de la Marne et les gros dégâts de l’artillerie montre la totale inadaptation du service à ce genre de conflit. Ses responsables, avec le médecin général Charasse à leur tête, le reconnaissent rapidement et avec le soutien de Justin Godard nommé Secrétaire d’état du Service de santé, réorganisent complètement leurs moyens pour faire de leur service un instrument exemplaire qui servira de modèle à de nombreuses armées étrangères. Pour la première fois, les pertes santé pour maladies ne l’emportent pas sur celles par blessures. Hyacinthe Vincent, qui a fait rendre obligatoire la vaccination antityphoïdique, est considéré par les grands chefs militaires comme un des meilleurs artisans de la victoire. Le médecin militaire, les infirmiers, les infirmières bénéficient de cette aura et si un humoriste a pu dire du monument des brancardiers de Broquet qui trône au milieu des jardins du Val-de-Grâce, qu’il démontre la carence du Service de santé incapable de fournir des brancards à ses infirmiers, tout le monde reconnaît la qualité émotionnelle de cette sculpture qui illustre le dévouement de tous ses personnels confrontés aux pires circonstances de la guerre des tranchées. La gloire des armées victorieuses fait aussi reluire l’image du médecin militaire à la fin du conflit. Monument des brancardiers de Broquet. Une autre image particulièrement brillante est celle du médecin colonial. Comme on le chante dans l’hymne du santard de l’École de Lyon : « Et s’il y en a qui sont de la coloniale, Devant ceux-là, pekins inclinez vous, Car ils iront dans l’Afrique infernale Porter la science au pays des Bantous. » 541 Le médecin des colonies, d’abord médecin de Marine, puis officiellement médecin colonial depuis la fin du siècle dernier, jouit du prestige de l’aventure. C’est aussi un pionnier confronté à de nouvelles pathologies dans un environnement hostile. II incarne enfin la mission philanthropique que la III e République donne à sa colonisation. Il accompagne donc les armées au moment de la conquête, puis lors de l’installation des colons européens, il en devient par la force des choses le médecin de référence et souvent un ami fidèle. Pour les autochtones, ces médecins ouvrent d’innombrables dispensaires et appliquent les plus récentes découvertes de la révolution pastorienne. La plupart des instituts Pasteur d’outre-mer sont créés par eux. L’enseignement est aussi un de leurs titres de gloire. Deux ans après le débarquement de Sidi-Ferruch, un hôpital militaire a été installé à Alger qui devint École militaire d’Alger, ancêtre de la faculté d’Alger. Il en sera de même dans les autres colonies. C’est le cas de Tananarive, Dakar et bien d’autres. En Indochine le médecin général Grall devient le premier directeur du Service de santé civil ; l’hôpital militaire de Saïgon porte encore son nom. Par leur action sur le terrain et leurs travaux scientifiques certains vont laisser leur nom à la postérité Calmette, Yersin, Simond, Girard et Robic, Jamot, Muraz et bien d’autres. Grâce à eux, grâce à l’action auprès des populations indigènes des plus obscurs dont beaucoup y ont laissé la vie, les affres de la décolonisation n’ont pu altérer l’image du médecin colonial. Félix Houphouet-Boigny devenu président de la Côte d’Ivoire rendra un vibrant hommage aux médecins du Service de santé colonial. Un autre élément positif pour l’image du médecin militaire est l’apparition du médecin de l’armée de l’Air. Ces médecins existent en petit nombre à la f in de la première guerre mondiale, mais ils n’ont pas de caractère spécifique et sont recrutés dans les autres armes. Ils s’organisent dans l’entre-deux guerres avec la naissance d’un Service de santé de l’Air dont la création n’est off icialisée qu’en 1940. Ils sont les pionniers de la médecine aéronautique pour la sélection et la surveillance du personnel navigant et pour d’importants travaux dans la physiologie des vols en haute altitude (hypoxie, décompression, accélérations, barotraumatismes). Un laboratoire de médecine aérospatiale est créé en 1957. C’est un médecin du Service de santé de l’Air qui s’occupe de la sélection et de l’entraînement du premier spationaute français en 1975. Cette importante contribution est malheureusement peu connue du grand public ; elle est essentiellement reconnue par les personnels militaires et civils de l’aéronautique d’autant qu’une excellente collaboration a toujours existé entre médecins militaires et civils de cette spécialité, sachant qu’une grande partie du personnel navigant civil est surveillée par les centres d’expertise militaires. Par contre le rôle du médecin de l’armée de l’Air dans les évacuations aériennes est beaucoup plus apprécié. Inaugurées lors de la guerre du Rif, ces évacuations commencent à être diffusées dans les médias au cours de 542 Les carabins rouges. la guerre d’Indochine avec l’hélicoptère sur le lieu des combats et l’image du médecin capitaine Valérie André. Ces évacuations sanitaires par hélicoptère sont encore plus généralisées lors de la guerre d’Algérie et ont un impact très positif auprès de tous les blessés, particulièrement des appelés du contingent pour lesquels c’est un apport très rassurant. Il en est de même pour les évacuations par avion sur la métropole des gros blessés ou gros malades, tels que les poliomyélitiques, avec l’aide des réanimateurs. Plus récemment, la prise en charge en urgence et le transfert d’un off icier blessé le matin au Kosovo, qui a pu être sauvé par une intervention chirurgicale au Val-de-Grâce dans l’après midi, illustre de façon exemplaire l’eff icacité de l’association médecins réanimateurs et médecins de l’armée de l’Air. De même que l’image du médecin militaire a bénéficié de la gloire des combattants au cours de la « Grande guerre », de même cette image va suivre les fluctuations des autres conflits du XX e siècle. Lors de la Seconde Guerre mondiale, le Service de santé n’échappe pas à la panique de la débâcle, mais certains entrent dans la Résistance (deux d’entre eux sont exécutés dans l’infirmerie du Vercors), d’autres retenus en captivité pour soigner les prisonniers sont accusés par les allemands de « sabotage sanitaire » pour avoir favorisé avec excès les rapatriements, d’autres se retrouvent dans les unités de la France libre, d’autres enf in s’illustrent dans les campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne et récoltent l’auréole des libérateurs. p. cristau En Indochine, l’apparition des antennes chirurgicales parachutistes devient très populaire. Quelques 5 000 blessés y sont opérés lorsque les difficultés d’évacuation imposent un traitement immédiat Au sujet de Dien Bien Phu, le livre du médecin commandant Grauwin qui décrit le dévouement des chirurgiens dans les conditions exceptionnelles du camp retranché, bénéficie d’un large succès dans le grand public. Pendant la guerre d’Algérie, outre sa place dans les combats, le médecin militaire pratique l’Assistance médicale gratuite (AMG) auprès de la population autochtone dans les Sections administratives spécialisées (SAS) ou dans les Territoires du Sud. Il retrouve l’impact du toubib de l’armée d’Afrique au moment de la conquête. L’Écho d’Oran publie la photo de l’un d’entre eux, un petit arabe dans les bras, avec la légende « Les fellaghas passent, la France reste »… La désaffectation du public vis-à-vis de la « chose » militaire, qui a débuté après le deuxième conflit mondial, s’est aggravée à l’occasion du rappel du contingent en Algérie et les soubresauts tragiques de l’indépendance. Elle ternit l’image du médecin militaire, même si son rôle n’apparaît pas dans ces derniers soubresauts. Qui plus est, les désirs de liberté de la jeunesse rendent de plus en plus impopulaire le service militaire et le médecin militaire qui en est un des maillons. Le rôle imposé du médecin d’unité ou hospitalier auprès du contingent est mal perçu. C’est particulièrement évident au moment des opérations de sélection et d’incorporation où les efforts de beaucoup sont de biaiser les décisions médicales. Couramment, on ne dit pas « il a été réformé », mais plus fièrement « il s’est fait réformer » ce qui illustre bien l’impact négatif auprès du public, ignorant d’ailleurs que nombre de ceux qui ont bénéficié de cette décision le plus souvent pour motifs psychiatriques présentera ultérieurement au cours de leur vie des problèmes psychopathologiques La cessation des hostilités donne au Service de santé la possibilité d’une réadaptation aux besoins de l’époque, positive pour l’image de ses médecins. La diminution des effectifs des armées entraîne une réduction du nombre des hôpitaux mais aussi une concentration et une modernisation de leurs technologies. Elle justif ie aussi une ouverture au secteur civil « non-ayant-droit » pour lequel une hospitalisation dans ces formations est souvent ressentie comme un avantage. Les accréditations ne leur sont pas d’ailleurs refusées. Le Val-de-Grâce reste l’hôpital de référence pour les hautes personnalités. Les le visage social du médecin militaire services de rééducation et réadaptation fonctionnelles des Invalides sont un modèle exemplaire. Le médecin d’unité voit aussi s’élargir ses compétences et ses moyens. Outre sa mission classique de soins aux militaires et à leurs familles, il doit être prêt à intervenir en situations extrêmes, c’est encore un médecin de prévention avec les vaccinations mais aussi la prophylaxie des épidémies et des maladies tropicales, c’est aussi un médecin du travail très orienté vers les problèmes d’environnement spécifiques du milieu militaire. La gestion des grands conflits a été remplacée par des interventions moins importantes et plus disséminées souvent dans un contexte international où le Service de santé français n’a pas à rougir. Ces opérations extérieures (OPEX) mobilisent une bonne partie des médecins militaires, le soutien santé se devant d’être effectif même aux groupements militaires les plus faibles. Elles imposent de plus en plus une médicalisation de l’avant pour laquelle les services médicaux des pompiers de Paris et de Marseille sont exemplaires. De formations sanitaires de campagne originales ont pris naissance dans des équipements techniques modulaires ou dans des nouvelles structures métallo-textiles. En même temps que ces OPEX ou indépendamment d’elles, le Service de santé s’investit, comme c’est traditionnel, dans les missions humanitaires. Avec l’EMMIR (Elément médical militaire d’intervention rapide), la FAHMIR (Force d’assistance humanitaire militaire d’intervention rapide) et la Bioforce, le médecin militaire est présent au Biafra, au Pérou, en Jordanie, aux Comores, au Cameroun, au Mali, à Mexico, plus récemment en Thaïlande ou en Afghanistan. Il est l’origine et le modèle des organisations humanitaires civiles non gouvernementales qui se développent à travers le monde mais qui vont progressivement le remplacer aux yeux du public. VII. CONCLUSION. Toutes ces avancées qui ont indiscutablement redoré le blason du médecin militaire sont en partie liées à la professionnalisation du service conséquence de la suspension du Service militaire en 1996. Mais cette suspension, à l’origine de la disparition du médecin aspirant du contingent qui rendait de gros services, a entraîné d’importants problèmes d’effectifs pour le Service de santé. Il ne faudrait pas que ces problèmes qui ne sont pas encore complètement résolus ternissent la bonne image du médecin militaire si chèrement acquise au cours des dernières décennies. 543 Aides médicales aux populations touchées par le Tsunami, Opération BERYX 2005 (copyright ECPAD). 544 Le médecin général F. FLOCARD et le médecin chef des services J.-D. CAVALLO, coordonnateurs du numéro de la revue Médecine et Armées consacré au tricentenaire du Service de santé des armées, remercient les auteurs, les relecteurs et les collaborateurs pour leur contribution. Monsieur le médecin général inspecteur (2s) M. BAZOT Madame le lieutenant-colonel (cr) M. BERNICOT Monsieur le médecin général inspecteur (2s) BRISOU Monsieur le pharmacien en chef P. BURNAT Monsieur le médecin chef des services J.-D. CAVALLO Monsieur le pharmacien en chef F. CEPPA Monsieur le pharmacien chef des services (cr) F. CHAMBONNET Monsieur le pharmacien général J.-F. CHAULET Monsieur le médecin en chef P. CLERVOY Monsieur le médecin général inspecteur (2s) P. CRISTAU Monsieur le médecin général É. DAL Monsieur le médecin en chef É. DARRÉ Monsieur le docteur vétérinaire D. DAVID Monsieur le médecin chef des services (cr) R. DELOINCE Monsieur le vétérinaire en chef E. DUMAS Monsieur l’infirmier anesthésiste cadre de santé P. DUREL Monsieur le médecin en chef (cr) J.-J. FERRANDIS Monsieur le médecin général F. FLOCARD Monsieur le vétérinaire principal M. FREULON Monsieur le médecin en chef D. GARIN Monsieur le médecin général M. JOUSSEMET Monsieur le vétérinaire général inspecteur J.-Y. KERVELLA Monsieur le médecin général des armées LAFONT Monsieur l’adjudant chef T. LEVAZEUX Monsieur le colonel (cr) J.-P. LINON Monsieur M. MAILLOLS Monsieur le médecin général inspecteur M. MORILLON Monsieur le général de brigade (2s) D. MOYSAN Monsieur le médecin général inspecteur G. NEDELLEC Monsieur le major F. OLIER Madame C.PINARD Madame M. PRAT Monsieur le pharmacien en chef C. RENARD Monsieur le médecin chef des services S. RIGAL Madame le médecin chef des services A. ROBERT Madame M. SCHERZI Monsieur le lieutenant X. TABBAGH Monsieur F. TESTE Monsieur le médecin général inspecteur J.-E. TOUZE Monsieur le pharmacien chef des services D. VIDAL Madame la secrétaire médicale de classe normale P. VEIL Monsieur le médecin général inspecteur (2s) R. WEY Revue du Service de santé des armées SGA/SMG Impressions TOME 36 N°5 Décembre 2008 ISSN 0300-4937