mgi. p. queguiner ? mgi j. - École du Val-de

Transcription

mgi. p. queguiner ? mgi j. - École du Val-de
&Armées
Médecine
Revue du Service de santé des armées
TOME 36 N°5 Décembre 2008
ISSN 0300-4937
MÉDECINE
ET
ARMÉES
Revue du Service de santé
des armées
SOMMAIRE
Pages
T. 36 - n° 5 - Décembre 2008
Direction centrale
du Service de santé des armées
Médecine et Armées
1, Place Alphonse Laveran,
75230 Paris Cedex 05.
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
MGI J. MARIONNET
387 • Éditorial.
B. LAFONT
TRICENTENAIRE DU SERVICE DE SANTE DES ARMEES
RÉDACTEUR EN CHEF
MG F. FLOCARD – Tél. : 01 40 51 47 01
RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINTS
MC É. DARRÉ – MCS J.-D. CAVALLO.
SECRÉTARIAT DE RÉDACTION
Mme M. SCHERZI
Tél. : 01 40 51 47 44
Fax : 01 40 51 51 76
Email : [email protected]
TRADUCTION
MC M. AUDET-LAPOINTE
COMITÉ DE RÉDACTION
MCS B. BAUDUCEAU – CDC A. BENMANSOUR – MCS A.-X. BIGARD – PC P. BURNAT –
MCS J.-D. CAVALLO – MC É. DARRÉ – MCS
S. FAUCOMPRET – MG R. JOSSE – VEGI
J.-C. KERVELLA – MCS. J.-M. ROUSSEAU –
MCS D. VALLET.
COMITÉ SCIENTIFIQUE
MGI J.-L. ANDRÉ – MGI D. BÉQUET –
MGI P. BINDER – MCS P. BONNET – MGA P.
JEANDEL – MGI F. EULRY –MGI G. LAURENT
MGI G. MARTET – MG J.-L. MOREL – MG M.
MORILLON – MG J.-L. PERRET – PGI C.
RENAUDEAU– MGI B. ROUVIER – GB C.
TILLOY – MGI J.E. TOUZE – MG M. VERGOS.
CONSEILLERS HONORAIRES
MGI P H . ALLARD – MGI M. BAZOT – MGI
B. BRISOU – MCS A. CHAGNON – MGI
L. COURT – MGI J.-P. DALY – MGA
J.DE SAINT JULIEN – MGI CL. GIUDICELLI –
MGI J. GUELAIN - CDG P H . KAHL – MGI J.
KERMAREC – MGI CH. LAVERDANT – MGI P.
LEFEBVRE – PGI LECARPENTIER – VEGI R.
LUIGI – VBGI CL. MILHAUD – MGI J. MINÉ –
MCS CL. MOLINIÉ – MCS J.-L. PAILLER – MGI
P. QUEGUINER – MGI J.-M. VEILLARD – MGI
J. VIRET – MGI R. WEY.
ÉDITION
Délégué à l'information et à la communication
de la Défense (DICoD) - BP 33,
00450 Armées. Tél. : 01 44 42 30 11
ABONNEMENT (5 NUMÉROS PAR AN)
ECPAD/Service abonnements, 2 à 8 route
du Fort, 94205 IVRY-SUR-SEINE Cedex.
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Tarif des abonnements/1 an :
• Métropole :
36,50 €
• DOM-TOM par avion :
59,70 €
• Étranger par avion :
70,00 €
• Militaires et - 25 ans Métropole : 25,00 €
• Militaires et - 25 ans DOM-TOM : 48,00 €
Prix du numéro :
7,50 €
Les chèques sont à libeller à l’ordre de l’agent
comptable de l’ ECPAD.
409 • Le Service de santé des armées au centre du champs de bataille.
R. WEY.
421 • Le Service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier militaire en France.
D. MOYS AN, M. BERNICOT.
431 • Le corps technique et administratif du Service de santé des armées. Un aboutissement.
P.-J. LINON.
435 • L’Édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du Service
de santé des armées.
J.-É. TOUZE, J.-J. FERRANDIS.
445 • Trois siècles de recherche et de découvertes au sein du Service de santé des armées.
D. VIDAL, R. DELOINCE.
455 • La recherche au centre de transfusion sanguine des armées.
M. JOUSSEMET.
457 • Chirurgie militaire et blessés des membres.
S. RIGAL.
467 • Psychiatrie du combattant : évolution sur trois siècles.
P. CLERVOY.
475 • De l’apothicaire au pharmacien des armées.
B. BURNAT, J.-F. CHAULET, F. CHAMBONNET, F. CEPPA, C. RENARD.
487 • Le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire.
E. DUMAS, M. FREULON, D. DAVID, J.-Y. KERVELLA.
497 • Paramédicaux dans les armées. Trois siècles pour parvenir au statut de Militaires infirmiers
techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008).
F. OLIER.
507 • Trois cents ans de médecine navale : du grand siècle à nos jours.
B. BRISOU.
517 • Des fièvres aux maladies infectieuses. Trois siècles de lutte contre l’infection.
J.-D. CAVALLO.
527 • Trois siècles d’histoire du Service de santé des armées outre-mer.
M. MORILLON.
535 • Le visage social du médecin militaire.
P. CRISTAU.
IMPRIMEUR ET ROUTAGE
Pôle graphique de Tulle – BP 290 –19007
Tulle Cedex.
Tél. : 05 55 93 61 00
Commission paritaire N° 0306 B 05721
ISSN : 0300-4937
COUVERTURE
Ghislaine PLOUGASTEL
[email protected]
Coordination : MG F. FLOCARD
MCS J.-D. CAVALLO
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Médecin général des armées B. LAFONT, Directeur central du Service de santé des armées.
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ÉDITORIAL
Hier, aujourd'hui, demain...
Le Service de santé des armées, qui célèbre en cette année 2008 le
tricentenaire de sa fondation, peut, dans le même temps, faire face sans
inquiétude à son avenir.
Le débat historique sur l’antériorité de la création de telle ou telle
formation qui y fut ultérieurement intégrée ne me paraît pas
spécialement pertinent. L’édit royal de 1708 constitue bel et bien un
acte fondateur par ce qu’il signifie, c'est-à-dire la reconnaissance d’un
devoir de l’État plus que l’avènement d’une nouvelle institution. Cette
commémoration fournit une occasion de nous retourner sur un passé et
une tradition dont nous sommes les dépositaires. Ils ont fait l’essentiel
de la culture de notre service. Centrée sur un idéal humaniste, elle est
encore aujourd’hui ce qui prévaut dans toutes nos actions, et donc aussi
la clé de notre avenir.
Trois cents ans, voilà déjà une longue histoire. Elle n’a jamais été
interrompue par les changements de régime et les événements de toute
nature qui ont jalonné l’histoire de France. Mais ne nous y trompons
pas. Cette longévité n'est ni le fait de la chose sacrée ou intouchable, ni
une prime accordée à l’immuabilité. Ce qui dure, c’est ce qui change,
par volonté de préparer l’avenir, ou, parfois aussi, par simple mais
impérieuse nécessité de s’adapter aux contraintes du présent.
Que de chemin parcouru par notre service depuis ses origines jusqu'à
cette image de modernité portée par l’arrivée de blessés rapatriés par
Morphée depuis les théâtres d’opérations.
Bien entendu, nous vivons sur une autre planète technologique. Ce
constat est d'une évidente banalité. Loin de moi l'idée d'en sous-estimer
l'importance. Car à l'évolution des techniques, répond également une
évolution des concepts, à moins que ce ne soit parfois l'inverse. Celui,
bien classique, de l'obligation de moyens tend à évoluer, par exemple,
vers une obligation de résultats en grande partie à cause de la
sophistication croissante des outils dont dispose la médecine. À quoi
peuvent servir des plateaux techniques de plus en plus modernes si ce
n'est, en effet, à améliorer les performances ? Nous devons aujourd'hui,
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comme nos anciens, non seulement sauver la vie de nos blessés, mais
préserver au mieux l'intégrité de leurs fonctions physiques et
psychiques. L'évolution des mentalités et de la culture collective influe
dans ce domaine autant que celle des techniques. Si la notion de qualité,
celle des soins dispensés par les soignants comme celle de la vie des
soignés, est maintenant installée au cœur de l'exercice médical, et donc
du nôtre, c'est qu'elle s'était d'abord révélée comme un fait de société.
Tout le problème est de savoir où se situe le point d'équilibre entre les
moyens et les résultats. La référence aux bonnes pratiques y contribue.
Cette démarche, est devenue routinière dans l'exercice de la médecine
courante mais elle concerne également de plus en plus la pratique en
situation d'exception qu'est la médecine opérationnelle (ainsi d'ailleurs
que la médecine humanitaire), au fur et à mesure que s'élève son niveau
d'environnement technique. Qui pourrait le regretter ? Mais ce
prolongement a des limites. Il faut rappeler que, dans ces circonstances, la
maîtrise de l'ensemble des risques ne dépend pas exclusivement de la
chaîne médicale. Beaucoup de facteurs relèvent des moyens et de la
conduite de la manœuvre opérationnelle. À l'inverse, on peut aussi penser
que la responsabilité qui incombe au Service de santé des armées n'est
pas toute contenue dans l'habileté, la compétence et l'expertise de
ses praticiens, au demeurant parfaitement reconnues. Elles sont le
prérequis de tout exercice médical. La détention des moyens et la capacité
technique de les utiliser ne résument pas la mission opérationnelle
du service. Celle-ci implique également leur organisation en système
cohérent et rationnel, la déf inition de leur stratégie d'emploi, et
la responsabilité de sa mise en œuvre.
C'est en ce sens que l'histoire du Service de santé des armées,
commencée il y a trois siècles, est perpétuellement relancée au fur et à
mesure des avancées techniques. Au cours de ces 300 ans, le Service de
santé des armées en a bien souvent été l'initiateur dans beaucoup de
domaines. Mais il a dû aussi souvent convaincre, et parfois s'affronter,
afin d'obtenir la capacité de décision nécessaire pour que le résultat
attendu soit à la mesure des moyens mis en œuvre. Car les idées les
plus généreuses et les plus justes ne s'imposent pas d'elles-mêmes.
Elles sont inutiles si elles n'ont pas trouvé la formulation qui leur
permet d'être comprises et adoptées, et finalement, appliquées dans un
cadre qui les adapte aux contraintes de leur temps.
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Tel est le fil rouge qui nous rattache à une tradition qui, à mon sens,
serait sans intérêt si elle ne servait pas à nous faciliter l'accès à une
vision de l'avenir. Pas plus qu'à la conséquence mécanique du progrès
technique, la leçon de notre histoire ne peut se résumer à la
glorification d'un passé, même indiscutablement prestigieux.
La pérennité de la guerre dans l'histoire de l'humanité engendre un lien
particulier entre les nations et leurs soldats. L’attention que la
communauté porte à leur protection, à leur soutien, à la qualité des soins
qui leurs sont prodigués, et, le cas échéant à leur retour en son sein,
traduit le niveau de reconnaissance qu'elle accorde à leurs sacrifices.
Les événements récents d'Afghanistan ont ravivé douloureusement,
mais d'une façon éclatante, cette vérité un peu oubliée. Ce par quoi le
combattant d'une nation se distingue d'un mercenaire se traduit en
particulier dans l'existence effective d'un service de santé dédié aux
armées qui ne soit pas un simple accessoire parmi les outils de défense.
Il est facile de vérif ier la concordance entre les performances
capacitaires et d’organisation des divers services de santé et les valeurs
démocratiques cultivées par les nations qui en disposent.
S'il y a toujours eu, en effet, des secours aux blessés et une médecine du
temps de guerre au cours des âges, l'existence de services de santé
organisés au sein des armées est plus que l'expression d'une compassion
même si, pour chaque personnel impliqué, celle-ci demeure une
référence absolue de motivation à son action propre. En situant celle-ci
dans un cadre institutionnel, on applique aux compétences et aux
dévouements individuels une valeur ajoutée qui est la marque d’un
service d'État. Elle affirme et garantit le respect, en tous lieux et en
toutes circonstances, du contrat moral d’assistance qui lie le corps social
à chacun de ses membres. C'est ce que représente aujourd'hui
parfaitement notre Service de santé des armées, et même plus encore.
Car cette présence dans la guerre d'une humanité organisée, à la portée
de tous, amis ou adversaires, ne traduit pas seulement une valeur
morale, mais elle concrétise une règle de droit dont les forces armées
engagées doivent garantir le respect. L'emploi d'équipements plus lourds
et de meilleur niveau technique sert aussi à aider les populations si bien
que les moyens, que consentent les états afin d'apporter des soins à leurs
blessés de guerre, sont, plus que jamais, ce qui unit encore les hommes
lorsque tout le reste les oppose. Ces deux versants de notre mission, qui
furent associés dès l'origine, le demeurent et le resteront bien au-delà de
toutes les transformations de conjoncture.
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Dans les pages qui suivent, on découvrira, en effet, que la véritable
tradition du service est celle d'une extraordinaire plasticité qui lui a
permis d'exprimer partout, pour le perpétuer, l'essentiel de sa mission
humaniste d'assistance. Celle-ci n'est la propriété de personne.
Individus, écoles, corps successifs qui ont composé le service, peuvent
tout au plus se prévaloir de l'avoir accomplie, à leur façon et en leur
temps, et toujours fort bien. Mais ils ne peuvent certainement pas
prétendre en détenir l'exclusivité, et encore moins en prédire
l'extinction. Ni finie, ni immuable, elle n'est pas une relique et la
considérer comme telle serait faire bien peu de cas de la vigueur
créatrice des nouvelles générations. Il est vrai que tout changement
n'est pas, par nature, un progrès, mais c'est à chaque fois une page qui
s'ouvre sur un nouveau chapitre dont le contenu leur appartient. Ne pas
l'admettre, c'est rétrécir son jugement à une dimension privative.
N'oublions pas que ce que nous regardons aujourd'hui avec la déférence
due à l'œuvre de ceux qui nous ont précédés procède de leur capacité à
avoir été de leur temps.
En lisant cette revue, on prend aussi pleinement conscience du rôle qu'a
joué le service, non seulement au sein de la défense, mais dans la vie
de la nation. Le récent Livre Blanc fait apparaître qu'il sera encore
sollicité sur ce terrain. À lui de savoir y répondre.
Même si nous ne sommes pas encore en mesure de discerner
aujourd'hui avec précision ses futurs contours, il est permis d'envisager
un bel avenir pour le Service de santé des armées, indépendamment de
toute inclination affective ou de sollicitude démagogique. Pourquoi
cela ? Parce que l'existence d'appareils d'État de ce type s'avérera de
plus en plus nécessaire dans un monde où le principe de précaution, la
maîtrise des risques et la professionnalisation des domaines de
compétences ne feront que s'accentuer ; parce qu'il faudra disposer de
systèmes de réponses aux crises de plus en plus complexes, mais que
ceux-ci devront être aussi de plus en plus réactifs ; parce que les
attributions des compétences de tels systèmes concerneront des
secteurs de la vie sociale et de la vie économique plus larges encore
que cela n'est aujourd'hui le cas.
Or, dans ces domaines, notre Service de santé des armées est bien
placé. Lieu unique de compétences spécifiques, que la diversité des
corps de praticiens, de techniciens et de paramédicaux qui le
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constituent, étend bien au-delà du champ strictement médical, il est
déjà très ouvert sur de nombreux partenariats universitaires,
scientifiques, professionnels. Il sait produire industriellement des
dispositifs et des médicaments stratégiques. Il possède une culture et
une pratique avancées en conduite de projet et en économie de la santé.
Il se trouve aux avant-postes des évolutions profondes des institutions
qui sont en cours dans notre société. Il n'est pas jusqu'aux modèles
pressentis par la santé publique pour l'organisation future de l'offre de
soins ou de l'hôpital public qui ne pourraient présenter quelques
analogies avec les nôtres. On apprendra dans l'article sur les hôpitaux
des armées qu'il y a, en la matière, des précédents. Peut-on penser qu'ils
sont encore d'actualité ? Oui, parce que les analyses des mêmes
contraintes amènent aux mêmes conclusions. Les solutions qui en
découlent, quand la recherche de l'efficacité et de la fonctionnalité
prévalent, ont un air de famille. L'un de leurs traits communs est l'appel
à une responsabilité professionnelle qui sache s'exercer au-delà de ses
aspects purement techniques en prenant en compte les contraintes
d'environnement. Cette problématique concerne de plus en plus la santé
et il serait inexact de penser que l'identité du service s'estompe dans
cette convergence car l'expérience qu'il a acquise fait au contraire de lui
un exemple examiné avec intérêt.
Alors sommes-nous si loin du propos initial : l'édit royal de 1708 ? Je ne
le crois pas. Le service s'est construit comme une organisation de
compétences, de dévouements, et parfois d'héroïsmes, tous individuels.
L'une ne va pas sans les autres. Tel est notre paradoxe. Il est bien sûr
diff icile de s'identif ier à un édit, fut-il royal, ou à sa prolif ique
descendance faite de décrets, d'instructions et de directives... Ceux que
leur métier, le (parfois trop) fameux « cœur de métier », place in fine
dans une relation forte d'engagement personnel, dont l'essentiel, pour
nous tous, comme pour ceux qui nous sont confiés, est la relation
médecin-malade, comment leur faire grief de leur posture de première
intention, souvent fondamentalement individualiste ?
Cette dualité entre l'individu et l'institution est l'une de nos
particularités sans être toutefois une exclusivité du Service de santé. Il
faut se réjouir d'avoir compté, et de compter encore dans nos rangs des
personnalités d'exception, des caractères trempés, des découvreurs à
l'étroit dans les règles qu'on leur donne. On en trouvera maints
exemples dans les pages qui suivent. Mais c'est aussi notre fragilité
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lorsque certains d'entre eux se prennent à penser que leur action se
suffit à elle-même et que c'est elle qui entraîne l'ensemble de la
communauté. Le service n'est rien sans eux mais, sans lui aucun d'entre
eux n'aurait occupé, ou n'occuperait, la place qui est la sienne.
Il est très probable que si l'on interrogeait chacun de ses membres sur
ce qui, de son point de vue, identifie le plus profondément le service,
l'édit de 1708 serait rarement mentionné, mais bien plutôt la figure
tutélaire d'Ambroise Paré, l'ancêtre absolu de tout médecin des armées.
Eh bien, revenons donc un instant sur la célèbre formule qu'il nous a
transmise : « Je le pansai et Dieu le guérit ». Notre prestigieux
devancier ne relègue certes pas son rôle au second plan (« Je le
pansai... »), mais il le relativise (« ...et Dieu le guérit... »). L'acte de
soigner n'est pas une action humaine comme les autres. Il trouve sa
dignité dans ce qui le dépasse. Et si ce mot fameux est parvenu jusqu'à
nous, c'est que son inaltérable honnêteté défie le temps. Il revient à
chacun d'entre nous de décider si la f igure divine invoquée par
Ambroise Paré est ce qui lui convient au sein de son propre système de
valeur. Toutes les réponses sont valables si elles expriment, non pas tant
la modestie, qu'une humilité que je qualifierais de lucide. Celle qui
n'est pas un effacement, mais au contraire une attitude où la prise en
compte réaliste des forces de la nature, des évolutions du monde, de
l'imprévisibilité des choses humaines, de toutes les incertitudes sur
l'avenir, ne paralyse pas mais rehausse la responsabilité à faire face et à
agir, celle où la vérité n'est pas révélée mais démontrée et dégagée au
jour le jour par la raison, l'analyse et le travail.
La voie vers l'avenir est largement ouverte. Elle passe par l'imagination
créatrice et l'innovation. C'est ainsi, j'en suis convaincu, que nous
l'inscrirons dignement dans l'esprit de ceux que nous ont légué les
grandes figures du Service de santé des armées dont les destins ont
parcouru ses trois cents années d'existence.
B. LAFONT
Médecin général des armées
Directeur central du Service de santé des armées
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Tricentenaire du Service de santé des armées
LE SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES AU CENTRE DU
CHAMP DE BATAILLE
R. WEY
I. INTRODUCTION.
L'Édit signé par Louis XIV le 17 janvier 1708 est l'acte de
naissance reconnu du Service de santé, même si, depuis
1689, une ordonnance royale régissait l'organisation et
le fonctionnement des hôpitaux des armées navales et
dans les ports.
1708 – 2008 : trois siècles d'une histoire en dents de scie
depuis que furent créées les charges de médecins et de
chirurgiens dans les armées françaises. Trois siècles qui
virent la lente maturation d’une organisation rationnelle
des secours aux blessés et malades, avec des périodes
fastes ou sombres, avant de parvenir, aujourd'hui, à
l'évidence de la nécessité de disposer d'une chaîne de
prise en charge thérapeutique cohérente, continue et
adaptée aux besoins des forces armées.
La médecine militaire trouve ses racines, il y a cinq
millénaires, dans les affrontements qui opposèrent les
civilisations alors dominantes. Dès l'Antiquité
apparaissent quelques préoccupations sanitaires,
généralement au bénéf ice sinon exclusif, au moins
prioritaire, des grands personnages. Il faut attendre le
règne de l’empereur romain Trajan et la création de
garnisons permanentes jalonnant le Limes pour
qu'apparaisse une véritable organisation sanitaire,
confiée le plus souvent à des médecins d'origine grecque
au statut subalterne, dont le but évident était la
préservation des effectifs aguerris. S'organise alors dans
chaque légion, un soutien médical pourvu de matériels
mobiles permettant d'apporter les premiers soins sur le
champ de bataille, adossé à de véritables hôpitaux
d'évacuation installés dans les camps les plus importants.
Notre Moyen-Âge oubliera toute forme d'organisation sanitaire avant que n'émergent les ordres
hospitaliers militaires qui fondent, au prof it du
combattant, leur démarche sur des valeurs de charité et
de dévouement complétées par des règles rigoureuses
R. WEY, médecin général inspecteur (2s), Spécialiste des techniques d'organisation
et de logistique de la santé.
Correspondance : R. WEY, 5, rue Eugène Renault, 94700 Maisons Alfort.
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de fonctionnement. Avec eux s'ouvre une ère nouvelle,
scientifique, qui sera amplifiée par la Renaissance.
L'apparition des armes à feu et la nature nouvelle des
blessures qu’elles provoquent, vont profiter à la chirurgie
de guerre, empiriquement encore, mais déjà par l'apport
des connaissances anatomiques. Ambroise Paré,
chirurgien attaché au Prince mais dévoué au soldat, « le
gain étant éloigné seul demeure l'honneur et l'amitié de
tant de soldats », sera la figure emblématique de cette
évolution et de l'affirmation de la place que prennent les
chirurgiens et, dans une moindre mesure, les médecins
au sein des armées.
Par la suite, les rois vont démontrer leur volonté que soient
assurés aux blessés des secours médicaux. Des offices de
médecins et d’apothicaires sont progressivement ouverts
dans les forces permanentes. L’organisation reste toutefois élémentaire, les blessés étant répartis dans les
hospices rencontrés sur la route des armées. De même, le
sort des survivants, trop souvent invalides, est pris en
considération, même si cette démarche n'est pas toujours
exempte d’arrière-pensées visant à éviter la dérive de ces
anciens soldats vers le vagabondage et le brigandage.
Dans ce mouvement, la f in du XVI e siècle verra en
germe une première structuration du soutien médical
dans les armées. Lorsque Vauban fortifie les frontières
de la France, des établissements de soins sont prévus,
pas toujours réalisés. De même, il est envisagé que
toute armée dispose d’un hôpital mobile et qu’un navirehôpital soit gréé pour dix bâtiments. Le service sanitaire
des ports est réglementé.
L’Édit de 1708 est donc un aboutissement, capitalisation
logique de toutes les initiatives réalisées depuis de
nombreuses années. Il est surtout un commencement,
car il représente la première officialisation d’une organisation étatique visant à assurer la cohérence du système
de prise en charge des blessés et des malades militaires.
Depuis, le Service de santé des armées n'a jamais cessé,
au cours des trois siècles qui nous séparent de cet acte
fondateur, de proposer, malgré les difficultés ou les
aléas conjoncturels, les solutions d'ordre conceptuel ou
matériel qui permettent de porter sur le champ de
bataille toutes les possibilités offertes par la médecine.
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II. LE XVIIIE SIÈCLE ET L’APPARITION DES
FORMATIONS SANITAIRES MOBILES.
L'analyse des systèmes de soins aux victimes des combats
qui se succèdent au cours de notre histoire, montre qu'ils
ont oscillé, au fil du temps, autour de la prééminence
donnée à l'un ou l'autre des termes d'une alternative sans
cesse reposée : traiter au plus tôt ou évacuer au plus vite.
L’assise sédentaire étant assurée à partir de 1708 par 50
hôpitaux militaires, portés rapidement à 90 mais
malheureusement sous-traités à des entrepreneurs dont la
gestion est souvent hasardeuse, l'accompagnement direct
des troupes en campagne commence à être envisagé. Des
charges de chirurgiens-majors vont être ouvertes au sein
des régiments. Rapidement, les règlements successifs
vont imposer dans chacune de ces unités la disponibilité
d'un chariot pour le transport des blessés. Par la suite,
l’échelon du bataillon sera à son tour renforcé, y compris
en ayant recours à des moyens de fortune, requis par
l'autorité militaire auprès des communes.
Fontenoy (1745), avec ses 5 500 victimes, dont 3 250
blessés, est généralement considérée comme la première
bataille à l’issue de laquelle va vraiment s'imposer la
nécessité d’organiser un Service de santé des armées en
campagne. On prête au Maréchal de Saxe cette adresse à
Louis XV : « Voilà ce que coûte une victoire ».
Est alors ordonnée la création, dans chaque armée, des
« hôpitaux à la suite », selon la terminologie de l'époque,
formations mobiles en mesure d’assurer l’accueil et les
traitements d’urgence à proximité des lieux où se
déroulent les combats. Le ravitaillement de ces hôpitaux
ambulants, ainsi que celui des ambulances régimentaires,
est organisé : des caissons sont affectés au transport
des instruments, des médicaments, des draps et des
couvertures, des brancards, mais aussi d'une tonne à vin
et de pain frais.
Pour autant, à son entrée en campagne en juin 1757,
l'armée de Soubise ne dispose pas d’une telle structure. Il
faut un ordre péremptoire du secrétaire d'État à la Guerre
pour qu'elle soit mise rapidement sur pied à Strasbourg et
puisse être en mesure de soutenir la bataille de Rossbach.
Pendant tout l'hiver de 1757, cet hôpital, sédentarisé,
permettra d'assurer le service sanitaire quotidien de
l'armée au repos.
Pour tant, dès cette époque, Hugues Ravaton,
chirurgien-major de l'hôpital de Landau, praticien
des plus habiles et expérimentés, rêvait déjà de la
constitution de brigades sanitaires indépendantes,
adaptées à chaque armée !
L'apparition à la suite des troupes en campagne de ce type
de formation mobile va ouvrir le débat, qui reprendra
régulièrement, de savoir s’il convient d’opérer aux
échelons les plus avancés ou d’attendre que le blessé ait
été acheminé vers une structure où il trouvera des
conditions meilleures de traitement. La tendance qui
prédomine est de considérer que l’ambulance est un
simple lieu d’attente, première étape vers un hôpital
de charité proche ou vers un hôpital militaire de
l’intérieur où les blessés seront conduits par voie terrestre
ou fluviale.
Évacuation à Fontenoy.
410
r. wey
Despotats.
Cette discussion prendra un tour particulièrement
théorique à partir de 1781, lorsque Louis XVI, confronté
à des difficultés économiques majeures et contraint de
réviser la politique financière du Royaume, prendra
la décision de réduire à huit le nombre des hôpitaux
militaires sédentaires et de limiter le nombre des charges
de praticiens à la suite des armées !
En 1792, lorsque la Révolution viendra tout bouleverser,
il restera surtout des bonnes intentions s’agissant du
soutien sanitaire aux armées, même si la volonté de
remettre en place une organisation rationnelle de soins est
bien réelle.
Le souci le plus évident est de réduire les délais de prise en
charge des blessés, quelle que soit la solution adoptée,
rapprocher l’ambulance des combats ou limiter les durées
des transports vers les structures sédentaires les plus
proches. Dans la réalité quotidienne, tout ceci restera le
plus souvent très théorique et les secours aux blessés des
campagnes qui vont se succéder, y compris jusqu’à la fin
du premier Empire, seront généralement improvisés en
fonction des circonstances !
le service de santé des armées au centre du champ de bataille
III. LE XIX E SIÈCLE ET LA QUÊTE DE
L’AUTONOMIE.
Pourtant, les propositions d’améliorations venues des
rangs des chirurgiens et des médecins militaires ne
manqueront pas, cette période étant tout particulièrement
riche en projets ou en initiatives. Pour l'essentiel, elles
viendront buter sur la toute-puissante incompétence des
commissaires des guerres, dont l’imprévoyance le
disputait parfois à la malhonnêteté.
De grandes figures médicales comme Percy, Larrey,
Desgenettes et autres Costes, feront entendre leur voix
pour améliorer le sort des blessés et des malades. Elles
seront trop rarement entendues, malgré la confiance et
parfois l'amitié que leur manifestait l'Empereur. C’est
Percy qui propose la création d’un corps de brancardiers
d’ambulance, les fameux « despotats », afin d'améliorer
la relève des blessés. C'est lui encore qui accroît la
mobilité des équipes chirurgicales à la suite des unités
en transformant un caisson d’artillerie en ambulance
chirurgicale mobile, très vite baptisée par les Grognards
« saucisse ou wurst de Percy ». Étaient rassemblés sur cet
411
Ambulance volante.
attelage tout le personnel et le matériel indispensables
pour assurer les premiers gestes chirurgicaux salvateurs
sur les lieux même des combats.
Larrey, quant à lui, revendiquera la paternité des
« ambulances volantes » qui f irent leur apparition
dès 1797 dans l’armée d’Italie et dans l’armée du Rhin.
Dans son concept, ces ambulances constituent des
unités opérationnelles dans des divisions composées de
voitures légères à 2 ou 4 roues et de voitures pesantes. Une
ambulance volante doit être mise en œuvre par armée et
leur regroupement avec celles de divisions voisines
permettre la constitution, très rapide, d'un ou plusieurs
hôpitaux de premier secours. Des moyens allégés supplémentaires doivent en outre être disposés là où des combats
particuliers risquent de se dérouler. Enfin, une ambulance
volante est attachée à l’avant-garde. Mais elle pourra être
détachée « sur tous les points où l’action sera la plus vive
afin de donner les secours d’urgence ». Trois lignes de
soutien sanitaire sont organisées dans la profondeur à
l'arrière des combats, le corps d’ambulance principal le
Larrey soignant Rebsomen.
412
r. wey
Ambulanciers.
plus distal devant disposer de suffisamment de brancards
et de voitures pour être en mesure d'évacuer les blessés
vers les hôpitaux temporaires les plus proches.
Cependant, le danger d’évacuer en première intention
certains blessés graves commence à être parfaitement
perçu par les praticiens du corps de santé et, en corollaire,
leur apparaît pour la première fois comme une évidence,
la nécessité d'effectuer un choix dans les priorités de
traitement. Généralement ce seront des amputations
précoces qui seront privilégiées en raison de la gravité des
blessures, du risque rapide de gangrène et de l'excellence
des résultats qu'elles permettent pour la survie de
nombreux blessés. Dans ce domaine, la dextérité de
l’opérateur est déterminante et fera la réputation de
certains opérateurs.
Les propositions du corps médical ne manquent donc
pas au sein de la Grande Armée. Pour l'essentiel, elles ne
trouveront de concrétisation qu'au profit de la Garde
Impériale. Ailleurs, elles seront souvent négligées.
Ainsi, à Friedland, les caissons sanitaires sont arrêtés
à douze kilomètres des combats, sans autre moyen
pour les rejoindre que le brancardage ou le portage. Lors
de la préparation de l'invasion de la Russie, les réserves de
matériels sanitaires rassemblées sur les bases de départ
étaient largement suffisantes pour la campagne envisagée, mais il n’y avait aucun véhicule pour les transporter.
Certains projets novateurs déplairont et des initiatives
irriteront, tant il est vrai que geste guerrier et geste
médical sont aux antipodes l'un de l'autre. Le Maréchal
Soult vouera ainsi à Larrey une inimitié définitive dont il
le service de santé des armées au centre du champ de bataille
Gama.
413
L.J. Bégin.
poursuivra, au-delà de sa mort, le chirurgien le plus
honoré par l'Empereur.
Ambivalence des hommes et des situations ! Napoléon
apporte une attention particulière à la qualité et au choix
des zones de cantonnement. Il sait l'apport considérable
du médecin aux armées en matière d'hygiène des troupes
en campagne et à la prévention des épidémies.
L'expérience de Desgenettes est là pour le lui rappeler.
Général attentif à toutes les informations concernant
ses soldats, il ne peut ignorer le prix que ceux-ci payent
aux épidémies et aux infections, très supérieur à celui
des combats eux-mêmes. Pourtant, cela ne l'empêchera
pas d'estimer que « le médecin-major dans un corps
d'armée est un être absurde et inutile » et de décréter
qu'il n'y a plus sa place.
Ainsi, pour certains, le premier Empire aura marqué,
globalement, une forme de recul dans le soutien sanitaire
des armées en campagne. Les propositions de Percy
et Larrey avaient un siècle d'avance !
La Restauration ne va pas améliorer la situation, et les
conditions du soutien sanitaire des conflits du XIXe siècle
vont démontrer que les rares occasions où les soins
d'urgence et les évacuations sont réalisés dans de
bonnes conditions, relèvent des seules initiatives
des médecins.
Triage de blessés.
414
r. wey
Embarquement des blessés dans le train sanitaire.
De fait, il faudra attendre la succession des désastres
sanitaires (en contraste saisissant, à la même époque,
avec l'envolée des progrès techniques majeurs
auxquels la médecine et la chirurgie militaires apportent
une contribution exemplaire) que seront les campagnes
de Crimée , d'Italie puis de France en 1871, pour
que les réformes profondes de 1882 puis de 1889,
tirant les enseignements de ces évènements, accordent
l'autonomie technique puis administrative au Service
de santé, l'exonérant enfin de la tutelle de l'Intendance
et libérant son propre potentiel d'innovation et
de réalisation.
IV. LE XXE SIÈCLE ET LA RECONNAISSANCE
DES BESOINS DU SOUTIEN SANITAIRE.
Bégin, Gama, Keraudren, entre autres, seront autant
d’artisans farouches de cette autonomie qui permettra
au Service de santé d'aborder la Grande guerre avec les
capacités techniques de qualité dont il a pu se doter grâce
à cette toute jeune liberté décisionnelle.
Seule ombre au tableau, mais majeure, l'inadaptation
totale aux conditions de la guerre qui s'engage, du
règlement d'emploi du soutien sanitaire de 1910.
Delorme, homme intègre et rigoureux, qui en fut
largement l'inspirateur, a reconnu avec une très grande
honnêteté son inadéquation dès la fin de 1914.
Ce règlement privilégiait l'évacuation systématique
avant traitement des blessés transportables, les autres
étant considérés comme « inévacuables », soit parce
que trop gravement atteints pour supporter un transport,
ils mourront alors au poste de secours central, soit parce
que leur état était estimé pouvoir relever de moyens
thérapeutiques limités, disponibles sur place. Pour les
« transportables », le traitement s'effectuera loin du
front : on emballe, on étiquette et on expédie au loin, sans
le service de santé des armées au centre du champ de bataille
surveillance. C'est ainsi que l'on aboutit à ce qui fut
qualifié de « Charleroi sanitaire ».
Heureusement, la leçon porte aussitôt : il faut traiter les
blessés, et d'abord les plus graves, le plus précocement
possible. Un tri est donc indispensable conduisant à
conserver les blessés les plus atteints dans les hôpitaux
les plus avancés et permettant d'évacuer plus loin les
blessés dont on jugeait que l'état permettait l'attente
de la durée du transport. On conserve au maximum
les blessés en zone d'armée. Seuls ceux qui ne peuvent
récupérer rapidement, et ils sont légion, sont envoyés
dans les hôpitaux de l'intérieur, hôpitaux militaires
d'infrastructure ou hôpitaux complémentaires créés
pour la guerre.
Le triage médico-chirurgical venait de naître et d’emblée
il s’impose. Il sera adopté par toutes les armées, avec
des modulations dans ses modalités, mais toujours
conçu comme un acte de diagnostic médical majeur
et diff icile, aboutissant à une catégorisation des
blessés en fonction du degré d’urgence du traitement
chirurgical qui détermine la priorité du traitement et
celle de l'évacuation.
Il offre également un moment privilégié pour compléter
la mise en condition de survie réalisée au premier échelon
et effectuer les gestes chirurgicaux salvateurs, rapides
et déterminants.
Il va permettre d’adapter aux circonstances et aux choix
tactiques, les moyens de soutien médical à déployer
dans la zone des combats en les échelonnant dans la
profondeur avec rigueur, qu’ils soient destinés au
traitement ou aux évacuations sanitaires.
Outre l'optimisation du dispositif de soutien, il apporte
enfin l'assurance aux blessés d’être pris en charge dans
les meilleures conditions.
Ce concept de triage deviendra une caractéristique
majeure du soutien sanitaire des forces en opérations et
ce n'est pas l'effet du hasard si cet esprit se retrouve,
aujourd'hui, dans la pratique civile des services d'aide
415
Wagon pour le transport des blessés graves.
médicale d'urgence, dès lors que la concentration de
victimes, dans le temps et dans l'espace, l'impose.
Mais, l'état-major va devoir aller plus loin dans l'association des médecins à la conception des engagements en
acceptant, avancée majeure, la création en son sein d'une
direction du Service de santé et la présence de médecins
dans les bureaux chargés d'organiser les opérations et
d’en assurer la conduite. Les impératifs sanitaires seront
désormais pris en considération dès la planification,
permettant ainsi l’anticipation des besoins.
Désormais, les conditions sont réunies pour que la
médecine militaire puisse se faire entendre au plus haut de
la hiérarchie et pousser les décideurs à faire évoluer,
chaque fois que nécessaire, les doctrines d’emploi du
Service de santé en campagne et à financer l'adaptation
aux progrès techniques des matériels mis à la disposition
des praticiens sur le champ de bataille.
Le Service de santé sort profondément rénové de la
Première guerre mondiale. Devenu un conseiller écouté
du commandement à tous les niveaux de décision, il est
doté des structures et des matériels, à l'exemple des
célèbres « autochirs » comme des voitures radiologiques,
qui lui permettent de remplir au mieux ses missions.
Ses qualités sont d’ailleurs unanimement reconnues par
l'ensemble des Nations qui ont participé au conflit. Son
organisation fait école et ses matériels de campagne sont
adoptés à l’étranger. Le mérite de ce succès revient à ses
personnels qui, partout où ils agissaient, ont démontré
416
leur réactivité et leurs capacités à innover et à proposer des
solutions adaptées aux exigences du moment avec,
comme seule ambition, celle de la qualité des secours
apportés aux blessés.
Comment cette capacité d’imagination ne se serait-elle
pas emparée de l'espace nouveau qui s’est imposé au
cours de la guerre : la troisième dimension et les aéronefs
qui en ont pris possession ? Les premiers avions adaptés
aux évacuations par voie aérienne apparaissent. Il s’agit
encore d’expérimentations limitées, mais l’avenir de ce
mode d’évacuation promet. La conf irmation de son
intérêt potentiel, grâce à l'expérience acquise au Maroc et
au Levant, et surtout sous l'impulsion déterminée de
Robert Picqué en métropole, constituera probablement
l'évolution majeure de la courte période qui sépare les
deux conflits mondiaux.
Pourtant, l’entre deux guerres n'est pas le temps privilégié
de l'innovation conceptuelle. En effet, la formidable
évolution enregistrée entre 1914 et 1918, comme
l'exceptionnelle expérience qui en est résultée, ont
enfermé le Service de santé dans la confiance en une
organisation qui a trouvé sa qualif ication dans des
conditions particulièrement diff iciles et dans la
reconnaissance internationale.
En réalité, comme l'armée elle-même, trop confiante
dans la puissance des murailles érigées face à la menace,
le dispositif sanitaire militaire s'est f igé. L'échelon
divisionnaire a perdu toute formation de traitement. Le
r. wey
Évacuation par hélitreuillage.
triage lui-même est reporté dans les ambulances et les
hôpitaux d'évacuation primaire du corps d'armée,
pourtant dotés de capacités techniques significatives, ont
une mobilité nulle.
Aussi, en quelques jours, compte tenu de la rapidité des
opérations lors de la campagne de France de 1940, les
hôpitaux d'évacuation secondaire se retrouveront en
première ligne. Ils disparaîtront à leur tour dans la
débâcle. Il ne reste plus alors qu'à accompagner la
retraite avec les moyens mobiles résiduels, en laissant
les blessés, quand cela s'avère possible, dans les hôpitaux
de l'infrastructure rencontrés.
Lorsque les forces françaises vont reprendre le combat,
leur Service de santé va être structuré et équipé par les
États-Unis. À partir de 1943, les moyens mis en œuvre et
leur fonctionnement seront ceux de l'impressionnante
logistique de l'armée américaine. Apparaissent alors les
bataillons médicaux divisionnaires, puissantes unités de
soutien sanitaire en mesure tout à la fois de renforcer les
postes de secours des bataillons de combat, d'assurer une
part du ramassage des blessés et, avec des structures
dédiées, d'assurer le triage médico-chirurgical, les
traitements de survie et la mise en condition d'évacuation
vers les formations déployées en zone d'armée.
Dans cette conception, les « sections de triage » sont
devenues des structures autonomes. Elles représentent
le point de passage obligé de tous les blessés où sont
Évacuation aérienne.
le service de santé des armées au centre du champ de bataille
417
déterminées les priorités de traitement et donc d'évacuation, soit vers les hôpitaux de campagne, formations
« légères », pour les blessés les plus urgents, soit vers un
hôpital d'évacuation motorisé ou semi-motorisé.
Déjà, préf iguration de la période moderne, dans
l'organisation apportée par les Américains les capacités
des bataillons médicaux des divisions d'infanterie sont
différentes de celles des bataillons de division blindée,
adaptées à la structure ternaire et à la manœuvre de ces
grandes unités blindées. Pour autant, le goût français de
l'adaptabilité allait générer quelques aménagements à
l'ordonnancement réglementaire américain, malgré la
sévérité des rappels à l'ordre ! Des circonstances
particulières du combat justif iaient aux yeux des
médecins français les décisions de pousser à l'avant,
jusqu'au poste de secours régimentaire, une « antenne »
chirurgicale, prélevée sur les sections de triage, en
mesure d'y assurer, au plus tôt, la prise en charge des
blessés les plus urgents.
Pour la France, la fin de la Seconde Guerre mondiale ne
signifie pas la paix retrouvée. Elle va devoir faire face à un
nouveau type d'engagement militaire, sans front établi, où
alternent les harcèlements imprévisibles de la guérilla et
les combats organisés. Pour soutenir les forces, les
schémas traditionnels sont inopérants.
L'Indochine présentera le premier défi à relever dans ces
conditions particulières.
Conflit lointain, conflit trop ignoré de la métropole,
conflit sévère pour les hommes, mais conflit qui gravera
à tout jamais dans la mémoire et la reconnaissance des
combattants, le courage, l'abnégation, la compétence,
malgré leur jeunesse, des hommes et des femmes du
Service de santé qui partagent avec eux, jour après jour,
les risques d'un combat éprouvant.
Le soutien va reposer sur les médecins affectés dans chaque
bataillon où ils assurent au plus près, la prise en charge
primaire des blessés, parfois dans un long isolement, avant
que ceux-ci ne puissent être évacués, difficilement, à bras
d'hommes, vers les hôpitaux d'infrastructure.
Il fallait trouver des solutions pour améliorer cette
situation trop précaire : la voie aérienne va d'emblée
s'imposer pour réduire, au moins en partie, les difficultés
d'évacuation dans le milieu fermé que représente la
géographie indochinoise. Elle sera significativement
renforcée par l'emploi de l'hélicoptère qui, lui, peut
accéder au plus près des postes de secours. Pour autant, à
elle seule, elle ne permet pas de toujours garantir aux
blessés la continuité des soins. Il fallait aller plus loin et la
proposition innovante sera de transformer les formations
chirurgicales traditionnelles en les allégeant au maximum
afin de pouvoir les engager le plus à l'avant possible par
aérotransport ou parachutage. Ainsi naissent les antennes
chirurgicales mobiles.
Ces antennes vont prouver leur exemplaire
efficacité. Formations conçues pour ne conserver les
blessés que quelques heures, le temps d'assurer la
stabilisation des fonctions vitales, de traiter les plus
urgents et de conditionner les autres en vue de leur
418
évacuation, elles devront également « durer » lorsque
les circonstances vont l'exiger.
Avec un type d'échelonnement similaire (service médical
au sein des unités, évacuations vers les hôpitaux
d'infrastructure ou les antennes chirurgicales, par voie
routière et par voie aérienne lorsque celle-ci est accordée)
le soutien des forces en Algérie n'apportera pas de
nouveauté marquante dans l'organisation du soutien
sanitaire en opérations. Il devra assurer une mission
complémentaire en apportant sa contribution essentielle
à l'œuvre de pacif ication qui est engagée vers les
populations. Cette assistance médicale aux populations,
qui est depuis longtemps une tradition ancrée dans
l'éthique du Service de santé militaire, se poursuivra
d'ailleurs après la fin du conflit. Les médecins des armées
seront, pendant de nombreuses années, les derniers
militaires français présents sur le sol algérien.
L'Europe, pendant ce temps, est entrée dans l'ère de la
Guerre froide. Les forces se sont adaptées aux conditions
prévisibles du combat principal qui pourrait embraser le
continent. Le fait nucléaire apporte ses contraintes
majeures spécifiques. À plusieurs reprises, à partir des
années 1960, sans attendre d'être confronté aux réalités
des combats, le Service de santé va repenser et adapter ses
règles d'engagement en opérations pour être en mesure
d'apporter, à tous les échelons, le meilleur soutien
médical concevable au moment considéré.
Le soutien sanitaire du corps de bataille, véritable corps
expéditionnaire devant s’engager massivement en Centre
Europe, tous moyens réunis, dans un combat d’extrême
intensité mais de durée limitée avant le recours au feu
nucléaire, s’articule autour de quatre étapes échelonnées
dans la profondeur.
Il bénéficie, dans sa conception, de l'expérience des deux
guerres mondiales et de celle de Corée. Le ramassage est
assuré par la section sanitaire des régiments ; le triage,
pierre angulaire de la chaîne des évacuations, est de
la responsabilité de l’échelon divisionnaire ; les évacuations sanitaires des blessés triés, en fonction de leur
degré d’urgence, sont assurées, soit vers les formations
de traitement organiques au corps d’armée, soit
directement vers les hôpitaux de l’infrastructure
nationale. Ces évacuations s’effectuent par voie de
surface (routière et ferroviaire) mais également par voie
aérienne, car cette dernière étape, celle du traitement,
englobe une vaste zone commençant à la limite avant de
la zone arrière de corps d’armée et incluant l'ensemble
du territoire national.
Cette organisation hiérarchisée est strictement adaptée à
un combat frontal. Sa planification précise est imposée
par la nécessaire interopérabilité avec nos alliés, même si,
dans certains domaines, la doctrine française se démarque
de celle adoptée par les autres forces de l’OTAN.
Par contre, elle laisse des zones d'ombre dont la principale
est ce que Jean Miné décrira comme le « vide médical à
l’avant ». Effectivement, lors du ramassage, le blessé ne
peut recevoir que des soins élémentaires sans pouvoir
bénéficier de toutes les avancées de la médecine d’urgence
qui sont pourtant courantes dans la pratique civile.
r. wey
Ce vide est confirmé par l’absence de tout convoyage
sanitaire lors des transports. Enfin, l’étape du traitement
dans les hôpitaux mobiles de campagne déployés
à l'avant, n’offre pas toute la technicité à la fois
indispensable et disponible dans l'infrastructure.
Les règlements d'emploi et l'organisation du soutien
(dans ce qui devient en 1977 la chaîne « santé » des
brigades logistiques de corps d'armée), les formations
sanitaires comme les dotations planif iées seront
repensées de manière itérative afin de les adapter à la
mobilité accrue des forces, à l'augmentation de la
puissance de feu et du caractère vulnérant des armements,
à la continuité des combats de jour comme de nuit. Plus de
blessés sont attendus, plus graves et plus complexes. Il
devient évident, malgré les réticences de certains, que les
névroses de guerre viendront accroître les pertes et que
leur traitement devra être assuré spécifiquement. Tous les
besoins qui découlent de ces contraintes nouvelles sont,
soit satisfaits, soit en cours de comblement lorsque 1989
vient consacrer la fin de la menace militaire soviétique et
modifier profondément les données stratégiques.
Les crises régionales vont alors se multiplier et les
opérations de maintien de la paix ou d'interposition dans
un cadre multinational (ONU ou OTAN) se généraliser.
Le Service de santé avait déjà compris, lors des
engagements de nos forces en Afrique ou au ProcheOrient ou lors de sa participation aux secours médicalisés
en France, toute l'importance de la médicalisation la plus
précoce possible dans la prise en charge d'un blessé ainsi
que celle de la pérennité des soins au cours de toutes les
évacuations. La technique médicale permet maintenant
d’associer les deux termes de l'alternative historique :
il faut traiter et évacuer le plus tôt possible.
La prise de conscience aux différents niveaux du
commandement que, pour être totalement performante,
la chaîne de soutien santé doit être conçue d'emblée
comme interarmées, que son homogénéité doit être
assurée et qu'il faut matérialiser sur le terrain l’unicité de
la prise en charge médicale, va permettre d'adopter en
1995 un nouveau concept qui s'appuie sur deux constats
sociologiques et éthiques devenus primordiaux :
– le combattant engagé en opération extérieure doit
pouvoir bénéficier des secours d'une médecine ayant une
qualité égale à celle qui est réalisée au quotidien dans
Ophtalmologie, hôpital de Kaboul, Afghanistan 2006 (copyright ECPAD).
le service de santé des armées au centre du champ de bataille
419
les secours publics et la vie professionnelle. L'obligation
de moyens est une réalité qui s'impose à tous ;
– il ne suffit plus de sauver les vies, mais il faut désormais
également préserver ou être capable, en bout de chaîne, de
restaurer au maximum les fonctions garantissant aux
blessés la meilleure réinsertion possible dans la société.
Pour parvenir à un tel résultat, il est, dès lors, indispensable d’amener sur des théâtres même éloignés de la
métropole, au plus près des combats, des compétences
techniques adaptées aux différentes situations : les
médecins, les chirurgiens, les anesthésistes-réanimateurs
nécessaires ou les spécialistes identifiés (ophtalmologistes, ORL, neurochirurgiens…). Il faut également
évacuer les blessés et les malades, systématiquement et
aussitôt que le permet le traitement d'urgence ou la mise
en condition de survie, sur un hôpital de l'infrastructure
où les conditions de soins seront toujours plus
performantes que celles déployées sur le terrain, même au
sein d'hôpitaux médico-chirurgicaux de nouvelle
génération. Sont donc indispensables des vecteurs
rapides comme l’avion, ou des vecteurs permettant la
continuité des soins dans la durée comme un navire
disposant d'équipements techniques performants
à l’exemple du récent « module de réanimation
pour patients à haute élongation d’évacuation »
pour évacuation sanitaire aérienne ou des capacités
420
hospitalières à la mer offertes par les « bâtiments
de commandement et de soutien ».
V. CONCLUSION.
Aujourd'hui, nos soldats en opération disposent de
l'assurance d'être protégés par un des meilleurs services
de santé militaire au monde. Dans l'avenir, comme il l'a
réalisé par le passé, le Service de santé des armées devra,
pour conserver cette qualité due aux soldats, poursuivre
une veille active sur les risques, les menaces et les
modif ications des conditions d'engagement des
forces. Elle seule lui permettra d'adapter l'organisation
et les moyens qu'il met en œuvre à leur prof it pour
leur apporter le meilleur d’une pratique médicale en
évolution permanente.
Le Service de santé a toujours trouvé dans ses rangs les
forces d’imagination et de progrès pour faire en sorte que
chaque blessé puisse bénéficier du meilleur des bonnes
pratiques médicales de son temps. Ne doutons pas que
demain, à l'exemple de la longue lignée de ceux dont ils sont
les héritiers, ses personnels continueront à promouvoir les
réformes qui leur apparaîtront essentielles pour remplir la
mission qui leur incombe et dont ils ne peuvent partager la
responsabilité, parce qu'elle relève dans son intégralité des
exigences éthiques de la médecine militaire.
r. wey
Tricentenaire du Service de santé des armées
LE SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES ET L'ÉVOLUTION
DU CONCEPT HOSPITALIER EN FRANCE
D. MOYSAN, M. BERNICOT
I. INTRODUCTION.
Si l’histoire n’a pas un sens, du moins a-t-elle du sens,
disait Merleau Ponty. L’histoire du concept hospitalier
militaire en atteste. Né de valeurs empiriques, du progrès
des sciences, de la volonté des hommes, et d’une forte
croyance en des valeurs humanistes, il est en constante
évolution. En cette année 2008, le Service de santé des
armées commémore le tricentenaire de sa fondation.
L'Édit royal du 17 janvier 1708 est en effet considéré
comme son texte créateur. Réfléchir sur l'évolution
du concept hospitalier conduit immanquablement à
une réflexion parallèle sur le positionnement du
Service de santé des armées dans le cours de cette très
longue histoire.
long moment les pratiques médicales. Ces pratiques sont
déjà présentes dans les anciennes civilisations. Ainsi, en
Mésopotamie et en Égypte, les soins sont inséparables de
la praxis magique avec toutefois, pour la civilisation
égyptienne, l'introduction d'un certain rationalisme
avec la prise en compte de l'observation. Ce qui est visible
(les yeux, la peau…) est traité par un médecin, ce qui est
invisible, par un prêtre.
Ce mouvement est repris et amplif ié en Grèce où,
au V e siècle avant notre ère, la médecine insiste sur
l'observation clinique et l'expérience. La pensée grecque
tente d'entreprendre une séparation entre l'invisible et le
visible, l'irrationnel et le rationnel, le sacré et le naturel.
Mais qu'en est-il exactement ? L'éventuelle guérison
II. LA GENÈSE DU CONCEPT HOSPITALIER,
UNE NOTION IMPRÉGNÉE DE RELIGIEUX.
À partir du moment où l'homme a pensé, peut-être à ce
moment précis où il a commencé à enterrer ses morts, il a
cherché à comprendre et à combattre la maladie.
Comprendre et agir ont de tout temps constitué une
préoccupation majeure de la pensée humaine.
Empirisme, médecine, magie et religion ont chacun à leur
tour ou le plus souvent concurremment apporté une
réponse à cette inquiétude et joué un rôle prépondérant
dans les domaines de la santé. Les peintures rupestres
ne sont-elles pas là pour attester par des f igures
énigmatiques qu'une médecine magique tente de
répondre aux aspirations des hommes de la préhistoire.
Aux confins de l’histoire et de la mémoire humaine,
faisant référence à la mythologie, la magicienne Médée,
petite fille d'Hélios (le soleil) aide Jason à conquérir la
toison d'or avec des onguents magiques et des sortilèges et
donne ainsi son nom à la médecine. Elle marque pour un
D. MOYSAN, général de brigade (2s), Maire de Crozon. M. BERNICOT,
lieutenant-colonel (cr).
Correspondance : D. MOYSAN, 2 allée Bois Quenvel, 29160 CROZON.
médecine et armées, 2008, 36, 5
Esculape.
421
étant attribuée la plupart du temps à une intervention
divine, l'empirisme l'emporte. Ainsi, à titre d'exemple,
la physiologie, science qui étudie les fonctions de
l'organisme, est construite à partir de la théorie des
quatre humeurs représentées par les quatre éléments,
l'eau, la terre, le feu, et l'air. La maladie est considérée
comme la résultante d'un déséquilibre entre ces humeurs.
Les malades sont regroupés dans les temples qui
peuvent être considérés comme les ancêtres de nos
premiers hôpitaux. Il s'agit des temples d'Asclépios,
l'Esculape des romains, où le malade est isolé dans une
pièce spéciale, l'Abaton, durant une ou deux nuits, le
temps nécessaire pour recevoir et interpréter le songe
que le dieu envoie pour guérir le patient.
Au début du premier millénaire de notre ère, l'invasion
romaine implique des besoins de soins importants en
raison de la nécessité de disposer d'une armée forte et en
bonne santé. Elle favorise le développement de certaines
pratiques d'hygiène et de santé publique. Ainsi, chaque
légion dispose de soldats ayant une expérience pratique
et qui soignent dans des valétudinaria (infirmeries) –
qui donnent le terme de valétudinaire – Ces soins sont
cependant fermés à la population civile.
L'hôpital, en tant qu'entité géographique distincte,
apparaît au IVe siècle. Les premiers écrits le font naître en
actuelle Turquie vers 370, sur l'initiative de l'évêque
Basile. Il a pour but de secourir les pauvres et les vieux,
d'accueillir les lépreux et de soigner les infirmes. Presque
simultanément, en Italie, le premier hôpital voit le jour
vers 394. Notons, pour la petite histoire, que l'année
suivante l'Empire romain est scindé en deux, celui
d'Occident qui s'achèvera définitivement en 476 après
que Rome ait été mise à sac à plusieurs reprises, et celui
d'Orient qui tombera un millénaire plus tard avec la prise
de Constantinople en 1453.
Que retenir de cette longue période qui s'étend depuis les
grottes préhistoriques jusqu'à la chute de l'empire romain
d'Occident ? Essentiellement que chaque culture apporte
bienfaits et superstitions dans la manière de soigner. Cette
longue période polythéiste mélange techniques de
traitement des malades constituées, la plupart du temps,
de médications à base de plantes et de techniques
magiques propres à provoquer une intervention divine.
Les armées quant à elles tentent de disposer de troupes
aguerries et en parfaite santé en créant des petites
structures uniquement destinées aux soldats.
Après la naissance du concept d'hôpital, le IV e siècle
est marqué par un second fait qui revêt une importance
capitale. L'Empereur Constantin se convertit au
christianisme, qui dès lors va devenir religion d'État.
Les dieux, jusqu'alors impliqués au premier chef dans
la guérison depuis la magicienne Médée, ne sont
désormais plus partie prenante dans la santé des
hommes. Ils sont remplacés par le Dieu unique. Mais la
christianisation des sociétés au fond ne change pas
grand-chose, Dieu et ses saints prennent peu à peu la
place des anciennes divinités topiques. La relation
triangulée « maladie/dieux/guérison » évolue en
changeant les dieux par le Dieu unique.
422
L'extension du christianisme et celle des premiers
hôpitaux, appelés « maisons hospitalières », s'effectuent
progressivement. L'hôpital du Moyen Âge est avant
tout un espace institué pour réaliser concrètement,
publiquement et gratuitement l'obligation de charité,
l'une des trois vertus théologales avec la foi et l'espérance.
Af in de racheter ses fautes, chacun doit accomplir
sur terre les sept œuvres de miséricorde : nourrir ceux qui
ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir les
démunis, soigner les malades, accueillir les pèlerins,
visiter les prisonniers et ensevelir les morts. Il y a lieu
cependant d'observer une divergence entre la partie de
l'empire romain qui est devenue orientale et celle qui est
devenue occidentale.
En Orient, on a réalisé, durant les Ve et VIe siècles, des
modalités diversifiées de la charité que l'Occident ne
connaîtra que bien plus tard. Si la notion de l'homme
comme pèlerin, étranger sur cette terre, demeure au
centre de la pratique chrétienne, l'attention de l'église
orientale ne se tourne pas moins vers des réalités
sociales spécifiques faisant une distinction entre les
pauvres, les vieux, les orphelins, les enfants abandonnés sans oublier les malades. C'est ainsi que sont
créés l'hospice des pauvres, celui des pèlerins, celui
des vieillards, celui des enfants abandonnés,
l'orphelinat et enf in l'hôpital pour les malades. En
Orient, la charité s'organise en privilégiant le lien
entre le corps et l'âme, le matériel et le spirituel, la
médecine profane et la médecine sacrée.
En Occident, l'hôpital est universel et indifférencié, tout
comme les lieux ecclésiastiques dans l'enceinte desquels
il reste enfermé pendant très longtemps. Idéalement, il est
destiné à accueillir et à soigner tout homme considéré
comme pèlerin ou comme infirme, viator ou infirmus.
Mais de fait, il est ouvert à toute personne se trouvant en
situation précaire. La charité publique s'organise dans un
contexte privilégiant non pas le lien, mais l'opposition
entre le corps et l'âme, le matériel et le spirituel. Les
conciles, qui à cette époque règlent la vie religieuse,
rappellent les évêques au devoir d'hospitalité à l'égard des
pauvres. Ainsi, celui de 816 à Aix la Chapelle, sous le
règne de Louis Ier dit le Pieux où fut demandé la création
d’hôpitaux, près de l'évêché ou de la cathédrale, des
espaces adaptés avec des lits pour accueillir les infirmes
et les nécessiteux en pourvoyant à leurs besoins. Dans ces
lieux, sont accueillis, de façon indifférenciée pauvres,
pèlerins, vieillards, enfants orphelins ou abandonnés et
malades. C'est dans ces lieux sacrés dédiés à Dieu, où la
prière constitue le premier soin, que se révèlent la
puissance et la miséricorde divine. Contrairement à
l'évolution constatée en Orient, le terme hôpital apparu au
ive siècle ne devient vraiment usité qu'à partir du
ixe siècle. Dans ces sanctuaires, la distinction entre
maladie curable et incurable, maladie chronique et aiguë,
maladie et difformité n'a pas de sens ; comme n'a pas de
sens de parler d'un temps pour la maladie et d'un temps
pour le soin, de la guérison et de la convalescence. Le
temps du médecin est remplacé par l'instantanéité de l'intervention divine.
d. moysan
Vue en perspective de l’Hôtel royal des Invalides.
À côté de ces structures hospitalières situées dans le
domaine de l'évêché, il faut noter le long des routes,
notamment celles des pèlerinages ou proches des
sanctuaires religieux, la présence de monastères. La
charité y est organisée en offrant une halte et de la
nourriture aux pèlerins, mais également quelques soins
dans le but de calmer la douleur, sous l'autorité du frère
hospitalier de la communauté initié à la médecine
d'alors à base essentiellement de plantes et de simples
provenant du jardin du monastère.
Charlemagne, Empereur d'Occident au début du IXe siècle,
en s'engageant aux côtés de l'église catholique tente de
reprendre à son compte l'hospitalité comme valeur
dominante jusqu'alors réservée aux religieux. Il introduit
des laïcs auprès des religieux dans les hôpitaux. Ils seront
plus spécialement chargés de l'administration. Au cours
des siècles qui suivent, l'église et l'État royal tentent tour
à tour de s'approprier le monopole de la charité pour
f inalement s'accorder sur un objectif commun :
l'enfermement des pauvres, mendiants, invalides et
malades ou asociaux divers. Pour les gouvernants, le
pauvre menace la paix sociale et pour l'église il doit être
secouru comme s'il était le Christ en personne.
La Renaissance, caractérisée par l'amour du beau et du
vrai et qui voit se répandre des idées nouvelles qui
atteignent même la religion par le biais de la Réforme, ne
changera pas profondément l'hôpital. Notons cependant,
le service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier en france
même si elle ne lui est pas propre, que l'idée d'établir
un lien voire un parallèle entre le corps et l'âme devient
à partir de XVIe siècle la marque du protestantisme.
À la veille de la Révolution, l'hôpital quant à lui,
est toujours un lieu ecclésiastique jouissant du droit
d'asile à l'écart des changements, n'ayant pas de
médecins à demeure pour soigner. Chaque homme
bénéficiant de l'hospitalité doit d'abord se confesser,
communier et assister aux offices. Le baiser de la paix
n'est donné qu'en suite.
III. L'HÔPITAL MILITAIRE : L'INTRODUCTION DE LA LAÏCISATION ET DE LA
MÉDICALISATION DANS LE CONCEPT
HOSPITALIER.
Le siècle de Louis XIV marque un tournant dans
l'évolution du concept hospitalier. À côté de l'hôpital
universel et religieux apparaît l'hôpital réservé
exclusivement aux militaires.
Plusieurs éléments ont concouru à cette évolution.
En premier lieu, la progressive remise en cause de
l'autorité temporelle et des interdits de l'église a
permis l'essor des sciences, au rang desquelles compte
naturellement la médecine.
Par ailleurs, l'art de la guerre est transformé. Les armes
à feu en effet se généralisent et avec elles leurs cortèges
423
induits de blessés et d'invalides. Cette avancée
technologique conduit à la mutation des effectifs,
lesquels se doivent désormais d'être nombreux mais
également supérieurement entraînés.
C'est alors que des besoins sanitaires spécifiques aux
militaires apparaissent. Il en va ainsi du traitement des
plaies par armes à feu, à propos desquelles Ambroise Paré
recommande une extraction précoce et un nettoyage
soigneux. De la même façon, les fracas osseux causés par
des projectiles nécessitent des amputations réalisées dans
les règles et avec des moyens rudimentaires. Les effectifs
nombreux et stationnés dans des conditions précaires
sont propices au développement de maladies infectieuses
ou encore du scorbut.
La présence de praticiens spécialisés sur les zones de
guerre ou embarqués à bord des navires de la Marine
constitue une première réponse à ces besoins sanitaires
particuliers. Il s'agit toutefois d'une réponse insuffisante
et des hôpitaux temporaires sont créés dans le
prolongement normal des lieux de recueils improvisés
des malades et des blessés. Mais ces mesures ne suffisent
pas du fait d'un manque de personnel compétent et de
l'absence d'organisation rigoureuse. Les hôpitaux de
charité du royaume, en décadence, redoutent d'accueillir
des malades et des blessés particuliers ainsi que des
invalides. C'est pourquoi les premiers hôpitaux militaires
permanents sont créés sous Louis XIII. Les plus connus
sont ceux de Calais et de Brouage, deux places situées
au cœur d'opérations militaires importantes et durables.
Mais le concept hospitalier militaire prend son véritable
essor sous le règne du roi Louis XIV. Celui-ci fait en effet
de l'armée l'un des instruments de sa gloire et nourrit
vraisemblablement une réelle sollicitude pour les
soldats y compris les blessés et les malades.
Plusieurs évènements vont dès lors dans le sens
d'un Service de santé des armées.
Tout d'abord, Louis XIV, soucieux d'incarner un monarque
puissant et généreux, fait élever en 1670 à l'attention
de nombreux invalides confiés jusqu'alors aux autorités
religieuses l'« Hôtel royal des Invalides ». Les premiers
invalides sont admis en 1674, date de l'Édit de fondation
de cet établissement dont la capacité d'accueil est de 3 000
pensionnaires. Cette institution est profondément
novatrice. Elle est pourvue dès sa fondation de médecins,
de chirurgiens et d'apothicaires. L'infirmerie de 300 lits
constitue un véritable hôpital, où le développement de
l'activité chirurgicale est tel qu'il conduit à la création de la
première charge permanente de chirurgien au service des
armées. Elle inaugure la part prééminente du militaire sur
le religieux, les Invalides étant soumis à des gardes et des
exercices. L'empreinte de Saint Vincent de Paul demeure
toutefois présente puisque l'aumônerie est assurée par les
prêtres de la mission ou encore que l'apothicairerie est
assurée par la communauté des Filles de la charité.
Par ailleurs, les hôpitaux militaires permanents se
développent. Ces établissements forment une rupture
avec l'hôpital de charité destiné au « renfermement » des
pauvres. L'autorité royale entre ainsi dans des hôpitaux
424
réservés exclusivement aux traitements du corps pour la
seule communauté militaire.
À terre, Sébastien le Prestre de Vauban imagine des
systèmes défensifs et conçoit un urbanisme militaire
fonctionnel dans lequel s'intègre l'hôpital. Les hôpitaux
terrestres sont gérés selon le régime de l'entreprise : un
entrepreneur, sous l'autorité de l'intendant d'armée, se
charge de la marche de l'entreprise et rétribue le personnel
y compris les médecins.
Sur mer, l'Ordonnance du 15 avril 1689, qui contient les
bases du fonctionnement de la Marine royale, traite
également de la question de l'organisation des soins aussi
bien sur les navires hôpitaux que dans les hôpitaux des
ports. Les hôpitaux maritimes, contrairement aux
hôpitaux terrestres, sont dirigés par un commissaire
nommé par les autorités de la marine. La responsabilité
médicale incombe au premier médecin et au chirurgienmajor du port. Dans ces établissements, des soins
efficaces à un moindre coût sont prodigués. Innovants
sur bien des points, directement impliqués dans la vie
du port et de l’arsenal, ces hôpitaux dans lesquels les
responsabilités des médecins, chirurgiens et apothicaires
englobent le service à l’hôpital et le service à bord,
inaugurent un concept hospitalier résolument moderne.
L'innovation essentielle à l'origine de la création d'un
service de santé réside dans l'Édit royal du 17janvier1708.
Les finances du royaume sont alors au plus bas, il est donc
créé des « off ices de médecins et de chirurgiens des
armées », assorties de la vente des charges correspondantes. L’Édit crée un corps de chirurgiens et de médecins
de carrière dans les régiments et dans les hôpitaux,
attestant de la volonté d’assurer un « soutien-santé »
permanent dans les armées. La responsabilité technique
de l’assistance aux blessés et malades militaires est
conférée aux médecins et chirurgiens. Le contrôle est
assuré par les médecins et chirurgiens inspecteurs
généraux, cependant que l'administration des moyens
reste entre les mains de responsables non médicaux.
Sans parler d’un réel statut des personnels de santé, l’Édit
en porte les prémices, créant un corps d’inspection et
un corps d’exécution composé de médecins et
chirurgiens hospitaliers et de médecins des corps de
troupe. Les chirurgiens majors, dont tous les régiments
et vaisseaux sont dotés assurent les soins au plus près
des combats. Les hôpitaux des places et des ports
constituent le recours après l’évacuation des malades
et blessés du champ de bataille.
Les fondements du Service de santé des armées et les
bases d’un concept hospitalier militaire sont posés, même
si ces offices sont des charges vénales et même si les
médecins ne disposent d’aucun pouvoir de décision sur le
fonctionnement des établissements.
Cependant, au cours des dernières années de l'ancien
régime, les hôpitaux militaires font l'objet de vives
critiques portant tant sur le principe même, leur préférant
un exercice régimentaire, que sur les abus évidents qui les
déconsidéraient. En outre, l'image de l'armée se dégrade
et celle du Service de santé en pâtit ipso facto. Mais
finalement, une nouvelle fois c'est un adversaire de poids
d. moysan
IV. L'AVÈNEMENT D'UN HÔPITAL LAÏC DE
PLUS EN PLUS MÉDICALISÉ.
Hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne.
qui en viendra à bout : la dégradation f inancière du
Royaume. L'Ordonnance du 22 juillet 1788 dispose dans
son article premier : « À dater du premier du mois de
janvier prochain, l'ancienne administration des
hôpitaux, désignés sous les noms d'hôpitaux militaires
sera et demeurera supprimée. » Mais la Révolution
proche empêchera une exécution complète de cette
mesure. Toutefois, il faudra attendre la première
Restauration et une Ordonnance du 25 novembre 1814
pour enlever aux hôpitaux de charité la charge du
traitement des militaires.
Au terme de cette très longue période au cours de laquelle
l'hôpital est essentiellement religieux, interrogeons-nous
sur la triangulation « Homme/Temps/Espace » et nous
remarquons qu'elle s'établit de la façon suivante :
– l’Homme est dominé corps et âme par le clergé, le corps
doit souffrir pour assurer à l'âme le salut éternel ;
– le Temps est rythmé par le découpage chrétien, prièreoff ice-communion-actions de grâces… constituant
autant de temps forts de la vie hospitalière ;
– l’Espace est divisé en intra et extra-hospitalier. À
l'extérieur, au domicile des malades, règnent les
inciseurs, sorciers, rebouteux et ceux que l'on appelle les
barbiers, ancêtres des chirurgiens. Le médecin formé à
l'université demeure un théoricien détaché de toute
pratique. À l'intérieur, l'État contrôle l'administration,
vérifie les recettes et les dépenses et s'assure de la qualité
de la population recluse, abandonnant à l'église les soins
des âmes et du corps.
Notons enfin que durant cette période l'architecture
hospitalière est marquée par l'eau, élément indispensable
pour faire fonctionner les établissements recevant
pauvres et malades. La proximité des fleuves ou des
sources était indispensable pour le nettoyage et le lavage
de ces établissements hébergeant pauvres, malades et
indigents et où f ièvres et parasites de toutes sortes
proliféraient et se propageaient.
le service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier en france
Le siècle des Lumières marque la fin de l'ancien régime
et sa philosophie influence fortement l'opinion publique
qui s'ouvre aux réalités sociales, à la liberté, à l'égalité et
à la fraternité. La foi en l'homme est forte, le pouvoir ne
vient plus du Roi représentant Dieu sur terre, mais de la
Nation émanation du citoyen. Une nouvelle conception
naît avec l'esprit des Lumières, la société crée la misère,
elle en est donc redevable envers l'individu. Nous
assistons au passage d'une politique de charité à une
politique de prévoyance. Les hôpitaux passent ainsi
lentement d'une exigence de charité à une obligation
d'assistance. Cependant, jusqu'à la IIIe République, les
conceptions de l'ancien régime demeurent prégnantes et
c'est ainsi qu'à titre d'exemple, les hôpitaux conservent
leur appellation « d'établissements de bienfaisance ».
Ces idéaux révolutionnaires sont repris dans les
cahiers de doléances en 1789 et adoptés dans un plan
d'ensemble de réformes sociales présenté par le comité
de mendicité de l'Assemblée Constituante présidée par
La Rochefoucault-Liancourt. Les rapports qui y sont
présentés en 1790 et 1791 remplacent la charité par
l'assistance et considèrent comme nécessaire la
nationalisation de tous les biens hospitaliers. L'assistance
ne doit pas relever de la charité privée ni de l'aumône, elle
est un devoir de la société envers les indigents. L'ordre
social est détruit, les congrégations religieuses dissoutes
et les privilèges abolis : c'est la « grande peur » sur
l'ensemble du pays.
Pour les hôpitaux, les moyens f inanciers relevaient
jusqu'alors essentiellement de la charité privée constituée
par des rentes, dons, aumônes, que l'on désignait sous
l'ancien régime par l'expression de la « comptabilité de
l'au-delà ». Les moyens humains étaient fournis en
très grande majorité par l'Église. Aussi, la mutation de
l'hôpital religieux vers l'hôpital laïc est-elle vécue
de façon dramatique, car les établissements manquent
cruellement de tout : moyens financiers et humains.
Les caisses de l'État sont vides et le gouvernement
révolutionnaire proclame alors le principe de la
responsabilité communale. Il appartient désormais
à chacune des communes françaises de prendre en
charge sa propre misère et de gérer ses établissements
de bienfaisance. Cette mesure ne connaît pas plus
de résultat, les caisses des communes n'étant pas plus
remplies que celles de l'État.
Napoléon Bonaparte, en devenant le sauveur de la Patrie,
renfloue les caisses avec l'argent pris à l'étranger et
engage une politique de centralisation des pouvoirs.
Dorénavant, les médecins sont nommés par le ministre de
l'Intérieur. Le XIXe siècle, qui débute avec une volonté de
paix exacerbée par les années de trouble, voit Napoléon
reprendre les œuvres de la Révolution avec plus d'autorité
et de contrôle. La toute puissance de l'Église est maîtrisée
par la signature du concordat avec Pie VII autorisant,
notamment, le retour des religieuses dans les structures
hospitalières. L'enseignement médical devient
425
universitaire et l'hôpital un lieu d'exercice. La pratique
des soins médicaux est réservée aux docteurs diplômés
ayant satisfait aux examens et titulaires d'une thèse.
Vers le milieu du XIXe siècle, l'hôpital est ainsi en bonne
voie de médicalisation. La procédure d'admission relève
de plus en plus du médecin. Il prononce l'admission
du malade qui dès lors est soumis à une double tutelle,
médicale et administrative. La discipline demeure aussi
sévère que sous l'ancien régime et c'est de cette époque
que date le slogan « Hôpital Silence ». Par ailleurs, la
restriction budgétaire, ce mal universel, permet à l'État de
reprendre le pouvoir dans l'hôpital en restreignant la
rémunération du médecin après l'avoir nommé, au
prétexte « qu'il est déjà rémunéré par l'honneur qui
rejaillit sur lui de son titre de médecin de l'hôpital ».
La vocation soignante s'affirme au cours de la seconde
moitié du XIXe siècle. Comme il est moins coûteux de
secourir les vieillards à domicile, il est conseillé aux
médecins d'être plus sélectifs lors de l'admission. De la
même façon, la surveillance des f illes publiques
est transférée aux dispensaires. Dans cette même
logique, des hôpitaux psychiatriques sont construits
grâce à la facturation au prix de journée versée par
la famille ou le département.
Parallèlement, le confort et l'hygiène sont améliorés, les
avancées scientifiques, telles que l'asepsie et l'antisepsie,
font évoluer les pratiques et les comportements. Ces
découvertes modif ient l'organisation de l'hôpital,
l'emploi du temps journalier en est l'illustration, tout
comme la multiplication des matériels médicaux. Koch
découvre le bacille du charbon et celui de la tuberculose,
Pasteur le vaccin de la rage. La médecine semble toute
puissante, le diagnostic se fait de plus en plus précis
en ayant recours à la chimie et à la physique.
V. LES DIFFICULTÉS DE L'HÔPITAL
MILITAIRE : UNE PRATIQUE MÉDICALE EN
CONSTANTE AMÉLIORATION MAIS UNE
STRUCTURE ADMINISTRATIVE À INVENTER.
Depuis la Révolution et au cours du XIXe siècle, le concept
hospitalier militaire est malmené. Les gouvernements
successifs ont cherché pendant 150 ans la structure
la plus adaptée aussi bien en temps de guerre qu'en
temps de paix.
Pourtant, au sortir de la Révolution, on aurait pu imaginer
qu'un conquérant comme Napoléon Bonaparte se
doterait d'un Service de santé de nature à répondre
efficacement aux besoins de ses troupes. Or tel n'a pas été
le cas et les hommes qui ont porté le Service de santé des
armées n'ont eu de cesse de tenter de remédier aux
diff icultés et aux désorganisations induites par les
décisions adoptées depuis la tourmente révolutionnaire.
Au cours des premières années de la période révolutionnaire, les facultés sont supprimées, les hôpitaux
d'instruction sont fermés et des officiers de santé sont
licenciés. La Convention tente de remettre sur pied le
Service de santé des armées. Mais par la suite, les lois
adoptées sous le Directoire s'attachent bien plus à
renforcer le pouvoir de l'administration en plaçant le
Service de santé sous tutelle administrative qu'à résoudre
le problème des effectifs en officiers de santé.
C'est dans cet état d'esprit que commencent les campagnes
napoléoniennes. Dans ces guerres de conquêtes, il y a lieu
Hôpital Saint Mandrier.
426
d. moysan
Hôpital du Val-de-Grâce au XIXe.
de noter l'œuvre du Baron Dominique Larrey. Ce chirurgien d'exception, précurseur de la médecine humanitaire,
invente les ambulances volantes : les chirurgiens suivent
les troupes à pied avant d'arriver aux blessés pour les
opérer directement sur le champ de bataille avant de les
évacuer vers des structures en 2 e et 3 e lignes. Ces
campagnes mettent ainsi en lumière les prouesses
techniques des chirurgiens et des médecins militaires.
Elles mettent également en exergue, surtout la campagne
d'Égypte, les lacunes et les dysfonctionnements
du Service de santé : manque d'effectifs, insuffisance
des supports logistiques. Aussi, malgré les prouesses
réalisées sur les champs de bataille, de très nombreux
blessés et malades sont à déplorer.
Pourtant, aucun enseignement n'est tiré des désastres
sanitaires des campagnes napoléoniennes. Sous le
Consulat en effet, il est décidé, pour des raisons purement
économiques, de réduire les effectifs en licenciant les
officiers de santé et de fermer des hôpitaux terrestres.
En réalité, Napoléon organise un Service de santé
pour des guerres de conquête, en distinguant le champ
de bataille, les hôpitaux ambulants, les hôpitaux
temporaires et les hôpitaux permanents. Le temps et le
lieu de l'intervention médicale dépendent donc de la
situation géographique des forces armées en campagne.
Une telle architecture comporte deux conséquences : tout
d'abord, le Service de santé connaît de grandes difficultés
au moindre revers militaire. Par ailleurs, aucune place
n'est imaginée pour l'hôpital militaire en temps de paix
de telle sorte que de nombreux licenciements, et des
démissions, interviennent à la moindre lueur de paix. On
le service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier en france
comprend aisément que les problèmes d'effectifs,
déjà importants depuis la Révolution, s'aggravent
en période de paix sous le I er Empire, hypothéquant
ainsi la préparation du Service de santé pour de
nouveaux conflits.
Cette période est une alternance de crises sanitaires
consécutives aux nombreuses guerres et de licenciements
de personnels en période de paix. Le concept hospitalier
militaire peine donc à définir ses contours : des hôpitaux
projetés ou f ixes ? Des hôpitaux permanents ou
temporaires et propres aux périodes de guerre ?
La question de la formation du personnel soignant est
également l'objet de valse-hésitation. Faut-il organiser un
cursus particulier pour les médecins militaires ou doit-on
recruter parmi les médecins sortant des facultés ?
L'ouverture à Paris d'une école unique en 1850, désignée
sous le titre d'École d'application de la médecine militaire
constitue une réponse. Toutefois, cette école rattachée à
l'hôpital du Val-de-Grâce, est « arrachée » au ministre de
la Guerre, de telle sorte que ses intérêts ont parfois dû
défendus avec énergie. Sa mission est d'assurer
aux médecins l'enseignement des maladies spéciales
des armées, des données et des pratiques spécifiques
à la médecine militaire.
Les batailles se succèdent au cours du XIX e siècle et
les combats sont de plus en plus meurtriers. Ce sont
toujours les mêmes situations de crises que l'on déplore :
insuff isance des effectifs, insuff isance du matériel
sanitaire, plans d'évacuation mal préparés, de telle sorte
que le Service de santé doit faire face à de nombreuses
crises sanitaires. On assiste alors à l'éveil d'une conscience
427
universelle. Sous le IInd Empire, le développement des
œuvres philanthropiques, l'internationalisation et le
souci de fraternité font naître des sentiments de charité
à l'égard des armées en campagne, ce qui aboutira
notamment à l'ouverture de la première École impériale
du Service de santé militaire à Strasbourg destinée à la
formation de médecins militaires. Il existe une relation
étroite entre cette école et l'École d'application de Paris, la
seconde proposant une formation complémentaire
aux élèves de la première.
La défaite de 1870 et la chute du IInd Empire suscitent
un élan patriotique à l'égard des blessés et les autorités
militaires en prof itent pour obtenir une refondation
globale du Service de santé et mettre fin aux mesures
« patchwork » qui ont prévalu jusque-là. Le Service de
santé de l'armée de Terre obtient son autonomie dans une
Loi du 16 mars 1882 modifiée par la Loi du 1er juillet
1889 : la direction est entre les mains du corps médical,
en temps de guerre comme en temps de paix ; tous les
personnels spécialisés sont sous les ordres et la responsabilité administrative du Service. Concomitamment, à la
suite de la fermeture de l'école de Strasbourg, l'École du
Service de santé militaire s'ouvre à Lyon. Le Service de
santé de la Marine œuvre également à l'acquisition de
son autonomie complète et une école de formation propre
est créée à Bordeaux.
Si, sous Louis XIV, l'hôpital militaire a été précurseur
dans l'évolution du concept hospitalier, notamment par
un mouvement au moins partiel de laïcisation et de
médicalisation, il a connu de grandes diff icultés
structurelles au cours du XIXe siècle, qui ont freiné son
développement. Malgré les atermoiements autour de la
notion et de la structure de « Service de santé des
armées », la vocation soignante de l'hôpital militaire n'a
cessé de se préciser, permettant ainsi aux médecins de
répondre à leur obligation d'assistance. Les officiers de
santé ont en effet toujours fait preuve du dévouement et de
l'humanité attachés à leur mission et ont participé,
souvent dans des conditions extrêmes, aux progrès très
importants réalisés dans le domaine des sciences
médicales. Les hommes, même au sein de structures
changeantes, ont amélioré et affiné toujours et encore
leurs connaissances médicales.
VI. QUEL BILAN TIRER DE CETTE PÉRIODE
ALLANT DE LA RÉVOLUTION À LA
IIIE RÉPUBLIQUE ?
La philosophie des Lumières a changé l'hôpital en
profondeur. Avant la Révolution, le pauvre fauteur de
troubles doit être enfermé, de telle sorte que lors des
épidémies, une population contagieuse est mélangée aux
« indésirables », aux pauvres, aux fous et folles et aux
filles publiques. Cette hétérogénéité peu à peu s'estompe,
pour laisser place à des malades soumis à une classe
médicale qui soigne. L'expertise de la profession est
nécessaire pour juguler les épidémies, maintenir la bonne
santé des travailleurs et assurer la reconduction de la force
de travail indispensable à l'industrialisation du pays.
428
Le positionnement de l'homme, malade qui souffre,
s'établit désormais dans le temps et l'espace de la façon
suivante :
– l’Homme, a vu son esprit se libérer avec la République et
le triomphe de la laïcité et son corps livré au pouvoir
médical fort du soutien de l'État et des progrès de
la science ;
– l’Espace hospitalier est occupé par l'État, qui y exerce
son contrôle et fait assurer l'administration par un
personnel laïque ;
– le Temps passe, comme le corps, d'une domination
ecclésiastique à une domination médicale. Il n'est plus
rythmé par la prière, mais par les contraintes dictées par
l'exercice de l'« art médical ». La prise de température à
heures fixes date de cette époque.
Ces bouleversements sont intégrés aux impératifs de
l'architecture hospitalière. L'air, après l'eau, en devient
l'élément prépondérant en raison des découvertes de
Pasteur. L'air véhicule les microbes, les architectes
conçoivent donc une architecture pavillonnaire.
VII. L'HÔPITAL CONTEMPORAIN DANS UN
ENVIRONNEMENT DOMINÉ PAR LA LOI DU
MARCHÉ.
La fin du XIX e siècle marque le début d'une évolution
nouvelle de l'hôpital. En 1892 est créée l'Assistance
médicale gratuite (AMG). Elle est confiée aux communes
et aux départements. Cette réforme nécessite la mise en
place d'une comptabilité plus élaborée aboutissant au prix
de journée fixé par le préfet. Elle emporte, de plus, deux
autres conséquences : d'une part l'obligation pour
l'hôpital de recevoir tous les malades non soignés à
domicile et, d'autre part, la modif ication du rapport
médecin/malade, le premier considérant le second
comme un client. La maladie s'individualise et l'État
prend peu à peu la forme d'un État-providence.
Les relations entre l'Église et l'État se dégradent jusqu'à la
séparation de 1905. L'instituteur, ce « hussard noir de la
République » socialisant les enfants à partir des directives
du pouvoir central et d'idées républicaines, constitue un
exemple vivant de cette époque jusqu'à la Seconde
Guerre mondiale. De la même façon, les religieuses qui
avaient encore des fonctions à l'hôpital se les voient petit
à petit retirer.
Les médecins qui exerçaient avec charité, passent
d'un registre symbolique à un autre plus économique.
L'hôpital, religieux durant des millénaires, laïc depuis
plus d'un siècle, vient à être dominé par les lois du marché.
Cette évolution s'effectue tout au long du XXe siècle en
fonction des événements qui ont marqué son histoire :
– la séparation de l'Église et de l'État induit, entre autres
conséquences, la création des écoles d'infirmières ;
– la Loi de 1928 sur les assurances sociales valide et
pérennise le principe de la médecine libérale, plus que
jamais réaffirmé et en vigueur aujourd'hui ;
– les avancées du Front Populaire se répercutent sur le
personnel hospitalier ;
d. moysan
– la création de la sécurité sociale en 1945, en organisant
le service public de la santé, tente de planifier le développement de l'hôpital, mais il est déjà trop tard ;
– en 1958, la Loi « Debré » assimile les médecins
hospitaliers à des fonctionnaires, tout en leur permettant
de cumuler cette fonction avec celle de professeur
des universités et de pouvoir disposer dans les CHU
d'une clientèle privée ;
– en 1961 est créée l'École nationale de santé publique,
maillon déconcentré du pouvoir central ;
– les Lois hospitalières de 1970 et 1991 introduisent
une nouvelle dimension avec les projets d'établissement
et les contrats :
– les ordonnances de 1994 ancrent la santé dans une
démarche qualité ayant pour ambition de mieux soigner
le patient pour un moindre coût ;
– la Loi de Santé Publique du 9 août 2004 et la Loi relative
à l'assurance-maladie du 13 août 2004…
VIII. UN CONCEPT HOSPITALIER MILITAIRE,
SYNTHÈSE DE SON HISTOIRE DANS UN
MONDE GLOBAL.
De nombreux conflits auxquels les forces armées
françaises ont pris part se sont déroulés au XXe siècle: deux
guerres mondiales, les conflits de la décolonisation, les
crises politiques et sanitaires dans les pays défavorisés, etc.
Tout au long de cette période, le Service de santé des
armées, fort de son autonomie, s'est attaché à définir et
construire la structure de l'hôpital militaire la plus
efficiente possible. Il a dû s'adapter constamment afin de
définir des tactiques sanitaires en fonction des moyens de
guerre toujours plus puissants, au gré des territoires
d'intervention des forces armées, en tenant compte des
formes nouvelles de combat et de pathologies observées,
tout en veillant à la prophylaxie des maladies infectieuses
et parasitaires.
À la fin de la deuxième période, deux axes de réflexions
étaient apparus, d'une part le développement des progrès
de la science et d'autre part la capacité opérationnelle.
Pour la part scientifique, force est de constater que le
progrès a continué d'apporter son lot d'améliorations et de
nouveautés dans la prise en charge des malades et blessés.
Pour reprendre les mots de Maurice Druon, « Qu'elle est
loin, qu'elle est effacée l'image du “toubib” de jadis
muni de sa lancette, de son flacon de quinine et d'un
savoir limité ».
Pour la part structurelle et opérationnelle, la problématique
consistant à choisir entre hôpitaux permanents
et hôpitaux projetés a montré ses limites. Des hôpitaux
terrestres trop nombreux ne sont pas viables économiquement tandis que des hôpitaux projetés ne peuvent être
opérationnels sans structures nationales pérennes. L'enjeu
est dès lors la légitimité des hôpitaux militaires terrestres
permanents. Deux catégories d'éléments au moins peuvent
être avancées pour légitimer les hôpitaux permanents.
Les missions dévolues au Service de santé des armées ont
évolué. Ainsi notamment, outre la mission de soutien des
forces armées, le Service de santé a organisé à partir de la
France, et donc grâce aux structures permanentes,
des missions humanitaires par le biais de formations
particulières : l'Élément médical militaire d'intervention
rapide (EMMIR), la Bioforce et la Force d'assistance
humanitaire militaire d'intervention rapide (FAHMIR).
Par ailleurs, un Décret du 14 mai 1974 a ouvert les
Hôpital d’instruction des armées Percy.
le service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier en france
429
hôpitaux militaires à tous les malades et blessés qui le
souhaitent et non plus seulement aux seuls militaires. Le
caractère permanent des hôpitaux militaires, en ce qu'ils
participent à la mission de service public de santé public,
s'en trouve légitimé.
La légitimité de la nécessité d'une architecture duale est,
également, être à rechercher dans l'évolution géopolitique du monde. Si la question de l'existence même d'une
dualité « hôpitaux projetés et hôpitaux terrestres
permanents » se posait avec beaucoup d'acuité au temps
de Napoléon, c'est peut-être bien parce que les guerres se
déroulaient ou partaient du territoire national, que le
temps de la guerre dépendait autant de considérations
internes et nationales que de l'ambition des dirigeants.
Actuellement, le temps de l'intervention armée s'est
mondialisé et le Service de santé des armées se doit de
toujours se trouver dans la capacité de répondre à toutes
situations d'urgence, dans n'importe quel point du globe.
Puisque la nécessité d'hôpitaux projetés peut se révéler à
tout moment, en dehors de la considération de l'état de
paix sur le territoire national, le fonctionnement
d'hôpitaux permanents se justifie de fait.
Au cours de cette dernière période, l'hôpital est entré
résolument dans une logique de marché. La médecine
n'a plus à montrer son utilité pour être légitime.
L'administration hospitalière, en tant que relais de
l'État, contribue à la prééminence du pouvoir médical,
mais s'affirme également comme force de proposition.
Avec les indicateurs économiques, non seulement
elle connaît de la prise en charge hospitalière, mais encore
elle sait qui fait quoi.
Aujourd'hui le triangle « Homme-Espace-Temps »
s'établit de la façon suivante :
– l'Homme, malade est toujours uniquement dépendant
du médecin ;
– l'Espace est aussi médicalisé, divisé en services,
départements ou pôles ;
– le Temps est également passé à un découpage médical :
l'heure de la visite, de la contre visite, des prélèvements,
des examens complémentaires, des soins…
Si l'eau et l'air ont orienté l'architecture hospitalière
des deux premières périodes, l'hôpital actuel quant à lui,
voit son architecture influencée par l'espace et le temps.
L'espace, car il faut rentabiliser l'emprise au sol, obtenir
un meilleur usage des surfaces et une plus grande
productivité des équipes. Avec la découverte des
antibiotiques, par Sir Alexander Fleming en 1945, on
pensait avoir vaincu à jamais le risque infectieux, c'était
l'époque des années d'après guerre où les hôpitaux neufs
prennent la forme de H, X ou Y.
Le temps ensuite, celui des patients qui ne veulent plus
être hospitalisés trop longtemps et celui des équipes
hospitalières que l'on cherche à optimiser. L'hôpital de
nos jours est moins un lieu d'hébergement qu'un lieu de
passage dans des locaux de plus en plus spécialisés et
sophistiqués, devant tenir compte de la nouvelle écologie
bactérienne et des résistances aux antibiotiques. Dans un
proche avenir, on peut supposer qu'il se rapprochera sans
doute plus d'un aéroport que d'un hôtel.
IX. CONCLUSION.
Au terme de ce chemin commencé en compagnie de
Médée, nous avons vu au f il des siècles une logique
d'échanges symboliques où pauvres et malades
recevaient aide et accueil religieux, être remplacée par
une logique d'échanges économiques où le malade et la
religion se sont affrontés pour disposer des hôpitaux selon
leur volonté propre. L'homme a accompagné ces
évolutions en se positionnant de son mieux dans
l'espace et le temps hospitaliers. Le malade qui souffre,
« homme-objet » situé au centre des préoccupations
religieuses puis laïques du système de santé, s'est déplacé
vers la périphérie où il est devenu « homme-sujet » d'un
système économique dans lequel il convient de ne pas
faire de la guérison une simple marchandise.
À l'aube du XXIe siècle, l'hôpital militaire doit toujours
assurer sa mission première de soutien des forces armées
en tous lieux, à tout moment, en toutes circonstances, sans
rupture ni dans l'espace ni dans le temps. Même si ce
concept est demeuré invariant au cours des siècles,
l'hôpital militaire doit également participer au service
public hospitalier et s'adapter à un environnement
économique de plus en plus prégnant. Aujourd'hui,
l'hôpital est devenu une entreprise, devant par son activité
assurer une grande part de son fonctionnement. Il lui
faut trouver un juste équilibre entre l'hôpital au service
de l'homme, qui place le patient au centre de toutes ses
préoccupations, et l'hôpital-entreprise, où l'espace
détermine la productivité des équipes soignantes, où le
temps est compté. Il appartient aux hommes et aux
femmes qui composent ces équipes de ne jamais perdent
de vue la notion d'humanité, assez peu éloignée du
concept de charité qui a, pendant trois siècles, guidé
l'exercice de la médecine militaire et de garder ancrée
en eux la maxime “pro patria et humanitate”.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Histoire de la médecine aux armées Tomes 1, 2 et 3. Charles
Lavauzelle 1982.
2. Notes et études documentaires N° 4949. La documentation
française 1992.
3. Les hôpitaux en France. Jean Imbert. Presses universitaires de
France 1996.
430
4. « De la charité médiévale à la sécurité sociale », sous la direction de
André Guesclin et Pierre Guillaume. Les éditions ouvrières. 1996.
5. L'hôpital aux prises avec l'histoire. Joël Autret. L'harmattan
2004.
6. L'hôpital. Jean de Kervasdoué. Presse Universitaires
de France 2004.
d. moysan
Tricentenaire du Service de santé des armées
LE CORPS TECHNIQUE ET ADMINISTRATIF DU SERVICE
DE SANTÉ DES ARMÉES
Un aboutissement
P.-J. LINON
I. INTRODUCTION.
Créé en 1976, ce corps est le fruit d’une évolution lente
mais progressive au rythme des changements intervenus
dans les armées et des mutations du Service de santé des
armées depuis le XVIIIe siècle.
La fonction administrative hospitalière dans les armées
connaîtra deux périodes, l’une civile, l’autre militaire, à
partir de 1824, commencée dans le cadre de l’Intendance
militaire, puis en intégrant pleinement le Service de santé.
II. ADMINISTRATION CIVILE.
La première période se caractérise par une administration, en régie ou en entreprise, deux systèmes possédant
autant d’inconvénients que d’avantages qui les feront
successivement appliquer ou supprimer. Le juriste est
frappé par le nombre de textes et de réorganisations,
de 1716 à 1788 ; l’historien par la critique des médecins à
l’égard de l’administration des hôpitaux. C’est l’époque
des contrôleurs. Suby, qui avait été entrepreneur des
hôpitaux militaires, écrit à leur sujet : « Les contrôleurs
des hôpitaux militaires ont des fonctions qui peuvent être
considérées comme inutiles. » (1).
Trois arrêtés de l’an 8 s’inscrivent dans cet ensemble de
réformes que Louis Madelin a qualifié de « monument de
l’an 8 ». Le premier établit un Conseil de santé, le second
un directoire central des hôpitaux militaires. Le dernier,
du 24 thermidor, concerne les trois classes d’hôpitaux et
constitue un véritable règlement. Le corps civil des agents
des hôpitaux militaires y trouve ses structures novatrices.
Il participera à toutes les campagnes de l’Empire en
supportant les vicissitudes du temps et la pression des
commissaires des guerres et ordonnateurs.
Sous la Restauration, quatre inspecteurs des hôpitaux
seront maintenus, placés sous les ordres directs du
Conseil de santé des armées, dont Simonnin, Legendre et
P.-J. LINON colonel (cr).
Correspondance : P.-J. LINON, 36 rue des fontaines, 92 310 SÈVRES.
médecine et armées, 2008, 36, 5
Gubert qui seront intégrés avec le grade d’off icier
principal d’administration dans le corps des officiers
d’administration des hôpitaux.
III. ADMINISTRATION MILITAIRE.
L’acte de naissance du corps des officiers d’administration des hôpitaux est l’ordonnance du 18 septembre 1824
portant réorganisation du personnel du Service de santé
et des hôpitaux de l’armée de Terre. Il est formé par la
militarisation des agents des hôpitaux militaires.
Cette ordonnance présente une conception générale
nouvelle car toutes les parties qui composent le
Service de santé semblent enfin réunies. Ce n’est en
fait qu’une apparence.
Sous la surveillance de l’Intendance, la Direction
générale du Service des hôpitaux des armées et des
hôpitaux d’instruction est conf iée aux off iciers
d’administration. La fonction d’officier d’administration
en chef d’armée est créée pour celui qui sera désigné
pour diriger le Service des hôpitaux aux armées. Le
premier sera l’off icier principal d’administration
Michel à l’armée d’Afrique en 1830.
Pour illustrer le poids et la contrainte de l’Intendance,
on peut se référer au règlement qui suivra l’ordonnance
de 1824 et à ses 824 articles !
À partir de 1838 d’autres cadres d’officiers d’administration seront organisés au sein de l’Intendance.
Cette réorganisation se fera au désavantage des officiers
d’administration des hôpitaux. Après huit années
de débats parlementaires, la Direction des hôpitaux
militaires est confiée aux médecins (loi du 16 mars 1882).
Mais les off iciers d’administration des hôpitaux
n’appartiendront au Service de santé militaire qu’après le
vote de la loi d’autonomie complète du 1er juillet 1889. Ce
transfert s’effectuera dans la douleur pour nombre des
325 officiers d’administration qui restaient attachés à
l’esprit et aux pratiques de l’Intendance. La déposition de
l’Officier d’administration principal (OAP) Antonini
431
Journal Officiel 1889.
432
p.-j. linon
devant la Commission parlementaire le 22 mars 1878, est
un morceau de bravoure, polémique et théâtral (2).
Entre-temps, le corps s’était développé en Algérie où
servait le tiers des ses effectifs (45 hôpitaux en 1881), et
illustré avec tous les corps expéditionnaires : Morée,
armée d’Afrique, Crimée, Italie, Chine, Syrie, Mexique,
Tonkin, Tunisie et, plus tard, Madagascar et Maroc.
De 1828 à 1895, on compte 73 officiers du corps, tués à
l’ennemi ou victimes du devoir.
L’École d’administration militaire avait été créée
en 1875 à Vincennes. L’officier d’administration des hôpitaux Poulard, licencié en droit, y
sera professeur et concevra le programme
destiné aux futurs officiers du corps. Cette
école formera les officiers d’administration
des Services de santé jusqu’en 1939.
IV. ÉVOLUTIONS AU SEIN DU SERVICE
DE SANTÉ.
De nouveaux règlements sont conçus : Service de
santé à l’intérieur (1889), Service de santé
de l’armée en campagne (1892). L’histoire a
retenu le nom de l’OAP Picard parmi les
membres de la commission chargée de la
rédaction. Les officiers comptables deviennent
alors gestionnaires.
Deux faits importants marquent le début du XXe siècle :
la correspondance des grades avec ceux de la hiérarchie
militaire (1900), le grade le plus élevé étant celui
d’officier d’administration principal (OAP) équivalent
à commandant et la création du cadre d’off iciers
d’administration du Service de santé des troupes
coloniales (1904).
La guerre de 1914-1918 tissera des liens indéfectibles
entre le corps médical et ses officiers d’administration
d’active et de réserve (4 900 au moment de l’armistice).
Le corps aura 175 morts dont 149 réservistes. Ancien
sous-secrétaire d’État du Service de santé militaire, Justin
Godart a écrit : « Le jour où sera fait un ouvrage
d’ensemble sur le rôle des officiers d’administration de
1914 à 1918, on comprendra les services que ce corps a
rendu au Pays… » (3).
Pour distinguer deux d’entre eux, on peut citer l’OAP
Raphal, choisi par le médecin inspecteur Toubert, aidemajor général du Service de santé au Grand quartier
génral des forces (GQGF) en mars 1918. Sa mission et ses
responsabilités seront considérables (4) : tout le matériel
sanitaire, l’ensemble des ravitaillements et les formations
de campagne. On peut citer aussi l’OAP Denain, servant
volontairement à l’armée d’Orient. Il sera promu
commandeur de la Légion d’honneur en avril 1918.
Pendant la campagne du Maroc, l’officier d’administration de 2e classe Teulé, gestionnaire de l’ambulance de
colonne mobile n° 22 (1925-1926), sera cité à l’Ordre de
l’armée. Son carnet de route servira de modèle (5).
Un fait statutaire majeur est compris dans la loi des cadres
et effectifs de l’armée du 28 mars 1928. Les appellations
de classes pour tous les officiers du Service de santé
le corps technique et administratif du service de santé des armées
sont remplacées par les grades militaires. Le grade
de lieutenant-colonel d’administration est créé. À
l’origine des mesures concernant le Service de santé : le
sénateur Eugène Penancier, président des off iciers
d’administration de réserve du Service de santé. À
cette époque, on compte près de 100 hôpitaux
militaires (métropole et Afrique du Nord, sans compter
l’Outre-Mer).
Quelques chiffres pour la guerre 1939-1945 (active et
réserve), 37 off iciers dans la France Libre,
54 morts pour la France, 2 Compagnons de la
Libération : Amiot, active et Dehon, réserve, 43
médailles de la Résistance dont 7 avec rosette.
Parmi les morts, 16 tués à l’ennemi, 4 fusillés,
10 en déportation dont le capitaine Salvat.
Jean Baillou sera élevé à la dignité de grand
officier de la Légion d’honneur (1973) comme
commandant d’administration de réserve
honoraire (déportés-résistants).
Un nouvel acte de l’intégration effective du
corps dans le Service de santé est la création
d’une section administrative à l’École du Service
de santé militaire (ESSM) de Lyon en juin 1946 sous
l’impulsion du Médecin général inspecteur
Debenedetti. Près de 600 officiers y seront formés
avant de rejoindre les écoles d’application. Deux
professeurs s’y distinguent : les lieutenants-colonels
Deporcq, licencié en droit, à l’ESSM et Cluzel, docteur
ès-lettres, à l’École d’application du Service de santé
militaire (EASSM).
Le corps participera aux guerres d’Indochine et
d’Algérie, laissant sa trace en Allemagne, en Afrique
du Nord et Outre-Mer.
En 1965, la loi du 13 juillet réunit en un seul corps les
off iciers d’administration du Service de santé de
l’armée de Terre et des troupes de Marine et intégra sur
option ceux des branches « commissariat et santé » et
« comptables matières » de l’armée de Mer.
Enfin est créé le corps technique et administratif du
Service de santé des armées (24 décembre 1976).
Rompant avec les principes de 1882, le statut prévoit que
ses officiers assurent des fonctions administratives ou
techniques d’encadrement, qu’ils peuvent exercer des
fonctions de commandement et participer à la direction
des organismes de leur service et être appelés à faire partie
d’organismes interarmées. Le nouveau statut offrait des
perspectives nouvelles. François Ardhuin sera le premier
officier Général de brigade nommé en 2e section (1985)
et Jean-Alain Le Corre, le premier en 1re section (1993).
L’École militaire du corps technique et administratif,
créée le 1 er juillet 1977, forme désormais les élèves
off iciers du Corps technique et administratif du
Service de santé des armées (CTASSA), qui effectuent
ensuite une année à l’École du Val-de-Grâce où ils
suivent un enseignement universitaire (Master II Pro en
cohabilitation avec Paris VII). Le recrutement direct
parmi des diplômés de l’enseignement supérieur,
complétant le recrutement semi-direct, apporte la variété
des formations universitaires initiales. Les spécialités
433
dans lesquelles sont répartis les officiers couvrent un
large spectre : administration et gestion hospitalière,
administration générale et gestion f inancière,
approvisionnement sanitaire, administration des
personnels, encadrement, enseignement et instruction,
informatique etc. pour la branche administrative,
psychologie appliquée, recherches et techniques de
laboratoire, génie sanitaire et bio-médical pour la branche
technique. Sur le plan du perfectionnement, les diplômes
(Diplôme de qualification militaire (DQM), Diplôme
militaire supérieur (DMS), Diplôme technique (DT)) et le
brevet technique « option Études spécialisées du Service
de santé », (enseignement militaire supérieur du 2e degré)
jalonnent le cursus professionnel.
Le champ des activités s’est élargi par l’application des
règles du service public hospitalier. Il s’est enrichi par des
systèmes d’information performants et des procédures
nouvelles, par l’ouverture à d’autres disciplines comme
l’économie de la santé, par la formation militaire et
logistique, par la participation aux opérations extérieures
(Groupement médico-chirurgical (GMC), notamment).
Et, depuis 2004, l’officier général du corps est Inspecteur
technique administratif du SSA.
V. CONCLUSION.
On peut suivre historiquement l’évolution du corps
jusqu’à son aboutissement par la création du corps
technique et administratif (6). Le niveau des méthodes et
celui de la méthodologie qui caractérisent les 2 e et 3 e
cycles de l’enseignement supérieur, correspondent
bien aux connaissances et aux capacités d’un nombre
toujours croissant d’officiers du corps. Ces qualités ne
sont-elles pas de nature à satisfaire le développement
d’un sens accru des responsabilités et la préparation
à relever des challenges nouveaux, ainsi que l’exprime
le Médecin général des armées Bernard Lafont,
Directeur central du Service de santé des armées dans
son commentaire sur le Livre blanc ? (7).
Baptême de la promotion 2008 des élèves officiers d’administration du Service de santé des armées à l’École du Val-de-Grâce.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1.
2.
3.
4.
Suby in Des Hôpitaux militaires, Collignon éd, Metz, 1789.
Antonini Journal officiel du 9 février 1880.
Godart Bull. RAOARSS n° 345, février 1935.
Biog. Raphal, par P.-J. Linon in Rev. OCTASSA, n° 101, 1er trim.
1988.
434
5. Teulé, Arch.med.ph.mil, t.82, 1er sem 1930.
6. Linon PJ. Officiers d’adm. du Service de santé, préface MGI
Juillet, DCSSA, EREMM éd, Paris, 1983.
7. Lafont B. DCSSA, in Armées d’Aujourd’hui, n° 332, juillet-août
2008.
p.-j. linon
Tricentenaire du Service de santé des armées
L’ÉDIT ROYAL DU 17 JANVIER 1708 : ÉVOLUTION DE
L’ENSEIGNEMENT ET DE LA FORMATION AU SEIN DU
SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES
J.-E. TOUZE, J.-J. FERRANDIS
I. INTRODUCTION.
Lorsque Louis XIV, par son Édit Royal du
17 janvier 1708, créa les off ices de médecins et
chirurgiens des armées du Roy, il ne mesurait
certainement pas toute la portée de sa décision. Certes, il
souhaitait apporter à nos soldats un soutien sanitaire au
plus près des combats et la création d’hôpitaux dans les
grandes places du pays pour le traitement des blessures
et les soins de suite. En revanche, il ne pressentait pas
tout l’impact de son Édit sur la formation des médecins
et les avancées scientifiques futures auxquelles nos
praticiens ont apporté une part déterminante.
Depuis 1708, le Service de santé a été impliqué dans de
nombreux conflits. Il a aussi été l’objet de réformes
fréquentes mais également de remises en cause de son
existence ; cependant, la qualité de son dispositif de
formation, jamais contesté, a été un élément clef de sa
crédibilité. Composante essentielle du Service, la
formation a, au cours de l’Histoire, connu de profondes
mutations tout en préservant sa finalité, celle d’offrir aux
armées des praticiens polyvalents, aptes à exercer sans
transition leur futur métier.
d’un long apprentissage manuel était alors bridé par
l’interdit religieux interdisant la dissection et l’étude de
l’anatomie. C’est avec le développement des premières
armes à feu au Moyen âge que la chirurgie, notamment
militaire, connaîtra un véritable essor. L’école de
médecine de Montpellier y apporta une contribution
essentielle avec Henri de Mondeville et Guy de Chauliac
qui instaurent au XIV e siècle, l’enseignement de
l’anatomie opératoire et apportent des idées novatrices
dans le traitement des hémorragies et des suppurations.
À cette époque la notion de contrat opérationnel
n’existait pas. Pourtant, les monarques exigeaient lors
des conflits armés, d’être entourés d’un personnel
II. LES PRÉCURSEURS.
L’enseignement de la médecine a été jusqu’au XVIe siècle
l’objet d’une profonde dichotomie entre les corporations
de barbiers-chirurgiens et les médecins dépositaires de la
pensée hippocratique, largement enrichie au cours des
siècles qui suivirent, de la médecine de langue arabe
conduite par Avicenne (1). Ce médecin et philosophe
auteur du « canon de la Médecine » influença fortement
la pratique et l’enseignement de la médecine
occidentale. Les médecins de formation universitaire
méprisaient la chirurgie réservée, selon eux, à des
barbiers dénués de culture. Le savoir chirurgical, fruit
J.-E. TOUZE, médecin général inspecteur. J.-J. FERRANDIS, médecin en chef (cr).
Correspondance : J.-E. TOUZE, Direction de l’École du Val-de-Grâce, 1 place
Alphonse Laveran, 75230 PARIS Cedex 01.
médecine et armées, 2008, 36, 5
Guy de Chauliac.
435
sanitaire important, militaire mais aussi civil. Ces
professionnels de santé reprenaient leurs activités civiles
une fois le conflit terminé, ils étaient l’équivalent de
notre réserve opérationnelle. À la fin du XVe siècle, les
chirurgiens sont de plus en plus nombreux sur les
théâtres de combats et fait nouveau, sont attachés à des
corps de troupe, sans distinction de rang et déjà insérés au
sein de formations sanitaires de campagne (2).
Avec la généralisation des armes à feu, le XVI e siècle
voit s’individualiser une ébauche de chirurgie spécifiquement militaire, comme en témoignent les premiers
traités de chirurgie de Jérôme Brunschwig (Strasbourg,
1497) et Hans von Gersdorf, (également à Strasbourg,
1517). C’est évidemment Ambroise Paré, chirurgien de
hôpitaux pour secourir les soldats de leurs blessures et
maladies ». En temps de paix, les soldats sont hospitalisés
dans les hôpitaux de charité. Mais surtout, le code institue
l’obligation d’un chirurgien par régiment. Les décennies
qui suivirent furent marquées par le regroupement des
chirurgiens de « robe longue » de la confrérie de Saint
Côme et Saint Damien et des barbiers-chirurgiens « de
robe courte », et l’apparition pour la première fois du
concept d’évacuations sanitaires (Catinat : « Mémoire
contenant les moyens de faire la guerre offensivement
dans le Piedmont en 1694, adressé au Roi »).
III. LA MÉDECINE MILITAIRE AU SIÈCLE
DES LUMIÈRES.
Le règne de Louis XIV a été marqué par des guerres
incessantes contre toutes les nations d’Europe et par de
nouvelles stratégies de combat. La guerre de mouvement,
la généralisation des armes à feu furent des sources de
blessures au combat plus sévères. Louis XIV conscient du
lourd tribut payé par nos soldats souhaita leur apporter le
soutien sanitaire qu’ils méritaient. Sa première action fut
la création en 1670 de l’Hôtel royal des Invalides qui a été,
dira le souverain : « la plus grande pensée de mon règne ».
Mais il fallait aussi, eu égard au nombre et au type des
conflits, assurer un recrutement régulier et suffisant
de praticiens formés à la chirurgie de guerre. L’Édit
du 17 janvier 1708 « portant création d’Off ices de
Médecins et Chirurgies des Armées du Roy » instaure
Ambroise Paré.
quatre rois de France, au cours de ses trente années
de campagnes militaires, qui est incontestablement
considéré comme le père de la chirurgie militaire avec ses
méthodes révolutionnaires (désarticulation du coude,
ligature vasculaire) et la diffusion de son enseignement
en français au lieu du latin. Dès lors, le blessé sera pris
en considération et la fin de ce XVI e siècle voit donc,
logiquement, la création du premier hôpital de campagne,
par Henri IV et Sully, au siège d’Amiens (1597) (3).
En 1629, à l’instigation de Richelieu, le code Michau
dispose qu’« à la suite des armées seraient entretenus des
436
François Gigot de Lapeyronie.
j.é. touze
le premier Service de santé des armées avec toutes
ses conséquences sur la formation des médecins et
chirurgiens militaires. Dès 1718, des cours sont organisés
dans nos hôpitaux et dans les régiments disposants
d’office de chirurgie. L’ordonnance du 20 décembre 1718
oblige les chirurgiens de chaque hôpital à assister aux
cours d’anatomie et de chirurgie « pour s’entretenir et
se fortifier dans l’exercice de leur art ».
L’Hôtel royal des Invalides a, au cours de cette période,
rempli pleinement son rôle d’hôpital d’instruction avant
la lettre. Il disposait d’une école d’anatomie où les futurs
chirurgiens des armées royales pouvaient s’entraîner sur
des travaux de dissection et des exercices de médecine
opératoire. Cette école de chirurgie initialement réservée
aux futurs chirurgiens des armées royales sera plus tard
ouverte, sur des critères de sélection sévères, à des
auditeurs extérieurs aptes à recevoir un enseignement de
haut niveau. L’enseignement sera, à cette époque et
jusqu’à la Révolution, essentiellement limité à l’étude de
l’anatomie et de la chirurgie opératoire. La médecine est
quasi-absente des programmes d’enseignement.
François Gigot de Lapeyronie, issu de l’école de
Montpellier, fonde à Paris les chaires de démonstrateurs
royaux d’anatomie (1725). Il isole ensuite les chirurgiens
du corps des barbiers et crée l’Académie royale
de chirurgie (1731).
C’est dans ce contexte que Jean Cochon Dupuy (1674 –
1751) prend conscience de la nécessité d’une structure
permettant une meilleure formation des médecins et
chirurgiens de la Marine. Dans une lettre adressée en
1715 au Secrétaire d’État, il écrit ceci : « il manque,
Monseigneur, à tous ces chirurgiens la qualité la plus
essentielle pour qu’ils puissent rendre de bons services à
la mer, c’est qu’ils ne soient point anatomistes. ». C’est
grâce à son impulsion que la première école de médecine
navale fut créée à Rochefort, en 1722. Première école de
chirurgie au monde, elle servira de modèle aux écoles de
Toulon (1725) et Brest (1731). Jean Cochon Dupuy ne
limitait pas ses objectifs pédagogiques à l’enseignement
de la chirurgie. Il voulait aussi que le chirurgien de la
Marine « acquière des connaissances sur les maladies
internes, la composition des remèdes et les doses
auxquelles ils sont administrés ». C’est pour cette raison
qu’un jardin botanique fut créé au sein de l’école de
Rochefort. L’enseignement qui était délivré était un
modèle exemplaire dans le monde médical de l’époque.
Il était à la fois pratique et théorique comportant
naturellement celui de l’anatomie et de la chirurgie, mais
aussi celui de la médecine interne et de la pharmacopée. Il
était aussi continu, validé par un concours d’admission,
des contrôles de connaissances hebdomadaires et
un concours annuel. En somme, un véritable Centre
hospitalier universitaire (CHU).
Louis XV poursuivit l’action de son prédécesseur en
réorganisant l’enseignement de la médecine militaire. La
formation des futurs médecins et chirurgiens-majors des
régiments sera déf inie en 1747, après la bataille de
Fontenoy. L’ordonnance portant sur le règlement général
Programme des cours an 8.
des hôpitaux militaires stipule pour la première fois
l’existence de cours obligatoires de médecine délivrés
une fois par an pour chaque élève médecin. Le dispositif
hospitalier militaire s’appuie sur les hôpitaux de la
Marine (Rochefort, Toulon, Brest), les hôpitaux de places
créés par Louis XIV et les trois grands hôpitaux de Metz
(1728), Strasbourg (1742), et Lille (1752) dans lesquels
s’est développé l’enseignement nécessaire à la formation
des médecins. Pour les personnels hospitaliers, le
règlement du 23 décembre 1774, crée au sein des grands
hôpitaux de Metz, Strasbourg et Lille, des amphithéâtres
et des nouvelles modalités d’enseignements avec la
mise en place de stages, d’un contrôle continu des
connaissances, de concours et de prix annuels pour
les élèves les plus méritants. L'ordonnance du
26 février 1777, subordonne tous les officiers de santé
aux médecins inspecteurs généraux avec une sélection
rigoureuse, un stage préalable de trois ans, un enseignement surveillé, un cours de perfectionnement sanctionné
par un concours à chaque changement de grade.
En 1796, un nouveau règlement réorganise, au sein des
grands hôpitaux militaires, un enseignement théorique et
pratique de médecine, chirurgie et pharmacie. Chaque
établissement hospitalier se voit doté d’un amphithéâtre
d’anatomie, d’un laboratoire de chimie et pharmacie et
d’une salle pour les cours et conférences. Ce dispositif de
formation restera en vigueur jusqu’au 1 er Empire. Il
permettra aux barons Dominique Larrey, Pierre-François
Percy et René-Nicolas Dufriche Desgenettes d’écrire de
belles pages de la chirurgie et de la médecine aux armées.
l’édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du service de santé des armées
437
IV. DU ROMANTISME À LA PÉRIODE
MODERNE.
Cette période a été marquée par de profonds bouleversements dans la formation. Largement conditionné
par l’engagement de la France dans plusieurs conflits
mondiaux mais aussi par de nombreuses guer res
coloniales, l’enseignement s’est efforcé de garder trois
principes essentiels : maintenir le lien entre les écoles
de formation et les hôpitaux, transmettre des savoirfaire et adapter en permanence l’enseignement aux
missions du service.
Pendant le Consulat et l’Empire, le soutien santé aux
armées napoléoniennes fut apporté par les officiers de
santé recrutés en masse au sein de l’ancienne armée
royale et de l’Académie de chirurgie. Les hôpitaux
d’instruction furent paradoxalement supprimés,
le gouvernement d’alors préférant les hôpitaux
régimentaires et les hôpitaux ambulants « à la suite des
armées » plus aptes à fournir les soins aux blessés.
À la chute de l’Empire, le gouvernement de la
Restauration procéda à des réductions massives
d’effectifs et d’off iciers. Le Service de santé ne fut
pas épargné et les hôpitaux militaires totalement
désorganisés étaient dans l’impossibilité, faute de
praticiens, d’assurer les soins aux blessés de la campagne
Hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce.
de France. Poussé par les circonstances, le gouvernement
de la Restauration dut dans la précipitation réouvrir les
écoles de formation et les hôpitaux d’instruction
qui avaient été supprimés pendant le Consulat. Le
gouvernement de la Restauration va dès lors entreprendre
une profonde réorganisation du Service de santé des
armées (SSA) : rétablissement des infirmiers militaires
dès 1820, création d’un corps d’officiers d’administration des hôpitaux militaires, instauration d’un conseil de
santé, subordination de l’intendance (4).
La formation des médecins qui avait été jusque-là
essentiellement orientée sur la chirurgie et l’anatomie va
s’enrichir des progrès de la physiologie, des avancées
cliniques apportées par Laennec, Bright, Claude Bernard
et des perspectives diagnostiques offertes par les progrès
de la chimie. L’hôpital devient selon Claude Bernard, « le
vestibule de la médecine scientifique » préfigurant les
futurs centres hospitalo-universitaires d’aujourd’hui. La
formation des médecins militaires tiendra compte dans
ses objectifs pédagogiques des avancées scientifiques
initiées dès la Restauration.
A) LE LIEN ÉCOLE-HÔPITAL.
Michel Lévy.
438
Le lien École-Hôpital a été très tôt présent dans les
hôpitaux maritimes et les grands hôpitaux de Metz,
Strasbourg et Lille. L’hôpital du Val-de-Grâce déjà
transformé en 1796 en hôpital d’instruction suivit la
même démarche et a été dans les décennies ultérieures un
temple de la médecine militaire animé par les grandes
personnalités scientifiques de l’époque (D. Larrey, P.F.
Percy, R.N. Desgenettes).
Mais sous la Restauration, la formation des officiers de
santé était devenue plus qu’insuffisante ; Bégin avait
même dénoncé l’impossibilité d’une formation continue
du fait des pérégrinations des chirurgiens élèves restant
trop peu de temps à l’hôpital d’instruction (ils quittaient
trop souvent et pendant de longs mois, leur hôpital afin
de servir durant la conquête de l’Algérie). En 1836, afin
de remédier à ces diff icultés, les anciens hôpitaux
d’instruction de Strasbourg, Metz et Lille furent
seulement chargés de former les élèves durant deux
années préparatoires ; le Val-de-Grâce devint l’unique
hôpital de perfectionnement. L’enseignement était
j.é. touze
Élèves du Val-de-Grâce en 1882.
principalement axé sur la prise en charge des maladies et
des blessures. Il était complété par des cours de chirurgie
de guerre. La durée des études était de trois ans avant que
les élèves ne rejoignent leur première affectation au sein
des hôpitaux et des régiments. Cette synergie ÉcoleHôpital sera rompue en 1850 par deux décrets : le
premier, du 23 avril 1850, signé par le général
d’Hautpoul, supprima les hôpitaux d’instruction de Lille,
Strasbourg, Metz, Brest et Toulon et surtout l’hôpital
de perfectionnement du Val-de-Grâce. En fait, c’est le
Val-de-Grâce qui était visé car ses élèves avaient participé
activement à la Révolution de 1848, réclamant à la suite
de Gama, l’autonomie du Service de santé vis-à-vis de
l’Intendance. Michel Lévy réussit en quatre mois à faire
signer, par le même d’Hautpoul, le second décret du
9 août 1850, donnant naissance à la première École
d’application de médecine militaire, dont la mission
était d’apporter aux jeunes médecins et pharmaciens
l’instruction médico-militaire indispensable à leur
futur métier. Désormais, les futurs officiers de santé
devaient avoir soutenu leur thèse de doctorat en médecine
préalablement à leur admission. Les hôpitaux de
Strasbourg, Metz et Lille continuaient d’assurer la
formation initiale des étudiants, en liaison avec les
facultés de médecine.
Fondateur de l’École du Val-de-Grâce, Michel Lévy
mesura rapidement les conséquences de la rupture du
lien fonctionnel entre l’École et l’Hôpital. Pour y
remédier, il instaura au Val-de-Grâce des conférences
cliniques, mit en place des concours de recrutement
de professeurs agrégés. Son souhait était d’ouvrir aux
hôpitaux militaires une voie d’accès réservée aux
médecins et pharmaciens formés à l’école d’application.
L’École d’application assurait donc, dès sa création,
l’enseignement médico-militaire spécifique aux futures
missions des jeunes médecins, de manière analogue à ce
qui se pratique de nos jours.
Le lien École-Hôpital sera rétabli en 1889 après
l’autonomie technique du Service (1882). L’hôpital
d’instruction retrouve sa mission initiale, celle d’être
un complément indispensable au cursus pédagogique
suivi à l’École d’application (5, 6).
La nécessité d’offrir aux élèves médecins des stages
hospitaliers a, depuis cette époque, été une priorité
pour tous les directeurs de l’École du Val-de-Grâce. Ils
souhaitaient que l’enseignement se déroulât au plus
près du malade avec des conférences cliniques sur les
pathologies observées. C’est dans cet esprit, que le
Médecin inspecteur général Vaillard, considérant
l’offre de soins insuff isante dans nos hôpitaux
militaires, tenta sans succès d’ouvrir l’accès aux
hospices civils pour nos étudiants. Dans la même
démarche, il concentra l’enseignement clinique
des maladies infectieuses au cours de la période
hivernale où le recrutement du pavillon des contagieux
était à son acmé. Le programme d’enseignement
utilisait la dissection de cadavres, l’étude de coupes
anatomiques congelées. Il comportait, fait nouveau,
des cours portant sur l’hygiène, l’épidémiologie
et la microbiologie. Ces disciplines étaient alors
incontournables pour nos praticiens engagés dans
la campagne d’Algérie et dans de nombreuses
guerres coloniales. C’était l’ère Pastorienne, celle de la
connaissance des maladies infectieuses où l’on retrouve
des noms prestigieux : Laveran, Calmette, Yersin,
Simond, Grall, Marchoux.
La période contemporaine a été marquée par de
nombreuses réformes universitaires et par de grandes
évolutions dans la formation des praticiens du Service de
santé des armées : adaptation de la formation aux
évolutions du service, ouverture sur l’université en 1968
sous l’impulsion de C. Laverdant et d’H. Baylon,
rattachement des hôpitaux d’instruction aux directions
régionales, sans perdre pour autant le lien fonctionnel
avec l’École et les Instituts de formation.
Depuis 2004, la réforme des études médicales a modifié
le 3e cycle des études médicales en instaurant l’examen
national classant, obligatoire pour tous les étudiants
en médecine. Cet « internat pour tous » a supprimé
de facto le stage d’application que toutes les
générations antérieures de médecins avaient suivi
à l’École du Val-de-Grâce (EVDG). Celle-ci a désormais
la responsabilité pédagogique du 3 e cycle des
études médicales. Elle a aussi la charge d’assurer la
cohérence des actions de formation du SSA, ainsi que la
mise en œuvre des actions de formation continue et
d’adaptation à l’emploi pour l’ensemble des personnels
du SSA. Elle implique que chaque personnel soignant
s’engage à terme dans une démarche de formation
continue et d’évaluation de sa pratique professionnelle.
Pour remplir sa mission pédagogique, l’EVDG dispose
d’un collège de professeurs titulaires et de professeurs
agrégés, des écoles de formation et bénéf icie de
l’édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du service de santé des armées
439
respectée et de nos jours, l’épreuve d’anatomie et
l’apprentissage de la chirurgie sur cadavres et modèles
animaux, reste un des points forts de la formation.
Il en était de même pour les épreuves de clinique au lit du
malade où l’étudiant devait ressortir dans chaque leçon
les implications particulières à la médecine et à la
chirurgie d’armée. Cette tradition a été maintenue dans
les concours actuels du Service de santé des armées.
C’est sur ces principes que l’enseignement de la
médecine tropicale et en situation isolée s’est toujours
appuyé. L’Institut de médecine tropicale créé sur le site du
Pharo en 1905, a de tout temps préparé les jeunes
médecins issus des écoles de Bordeaux et de Lyon
à fournir, en zone tropicale, une aide médicale aux
populations démunies des pays du sud. Ces médecins
étaient dans la plupart de cas en poste isolé, en
milieu rural, avec des moyens limités et confrontés au
quotidien à des urgences médicales ou chirurgicales. La
connaissance des maladies tropicales transmissibles, la
gestion des épidémies, la maîtrise des principaux gestes
chirurgicaux d’urgence ont toujours été des axes
importants d’un enseignement délivré par des praticiens
ayant tous une expérience de terrain. Les médecins
militaires à l’issue de leur stage étaient capables de faire
face à la plupart des situations médicales et d’effectuer
des interventions chirurgicales de première nécessité.
Louis Laveran.
l’appui de l’ensemble des structures du Service de
santé disposant d’experts dans chacun de leurs
domaines de compétence (hôpitaux d’instruction
des armées, instituts, directions régionales, centres
d’instruction et de formation).
Les responsabilités pédagogiques du directeur de
l’EVDG l’amènent à avoir des contacts étroits avec toutes
les instances universitaires. Il est à ce titre membre de la
conférence des doyens de facultés de médecine françaises
et maintient avec les chefs de service de CHU et ses
homologues universitaires des liens étroits qui
permettent un meilleur suivi du cursus des internes et des
assistants. L’EVDG est aussi un site privilégié de
colloques et de réunions scientifiques et elle héberge
l’enseignement de nombreux diplômes universitaires.
B) LA TRANSMISSION DES SAVOIR-FAIRE.
L’enseignement a, depuis la création des hôpitaux des
ports, gardé une finalité pratique suivant la tradition de
l’École « facta, non verba ». Le compagnonnage, le retour
d’expérience, l’apprentissage des gestes élémentaires de
chirurgie ont toujours été les points forts de la pédagogie.
Louis Laveran recommandait déjà en 1856 d’alléger les
exposés théoriques et invitait les professeurs à délivrer
des enseignements pratiques mettant les élèves face aux
réalités futures de leur exercice. L’enseignement de
l’anatomie topographique et de la médecine opératoire
était alors un des points forts de cet enseignement absent
du programme des facultés. Cette tradition a toujours été
440
Jamot.
j.é. touze
C’est cette polyvalence qui a crédibilisé leurs actions
auprès des populations et qui a fait la renommée des
médecins issus de l’École du Pharo.
Aujourd’hui, les conditions d’exercice en pays tropical
sont différentes. La politique de substitution a été
remplacée par un véritable partenariat de coopération. Le
contexte international, la professionnalisation des
armées, l’évolution des missions de défense ont conduit le
Service de santé des armées à adapter son enseignement.
Les enjeux actuels sont la préparation sanitaire des forces,
le soutien médical opérationnel et l’aide médicale aux
populations. La prévention, la gestion des urgences, la
connaissance de l’environnement tropical et une parfaite
connaissance des maladies endémiques et transmissibles
sont plus que jamais nécessaire pour le soutien médical
des 30 000 militaires présents en permanence en zone
tropicale. Les formations sont menées en étroite
collaboration avec l’Université de la Méditerranée et avec
la participation de nombreux experts militaires et civils.
Cette mission d’enseignement est renforcée par une
importante activité de recherche et d’expertise en santé
publique. Le paludisme, les arbovirus, le méningocoque
sont depuis longtemps des axes de recherche prioritaires
car ces affections concernent au premier plan les
militaires en opération extérieure.
C) UN ENSEIGNEMENT ADAPTÉ AUX
MISSIONS.
Depuis la création de l’École, les directeurs successifs ont
chacun apporté des outils pédagogiques et des locaux
adaptés aux thématiques enseignées. Le pavillon
d’anatomie construit en 1830 sera suivi les décennies
suivantes, de la construction d’autres locaux destinés à
l’histologie, la médecine légale, l’hygiène, la microbiologie, la chimie. Fait original pour l’époque le médecin
général inspecteur Delorme avait créé en 1913 un stand
de tir sur le site de l’École pour que les médecins et jeunes
chirurgiens puissent évaluer les effets des armes à feu
sur des pièces anatomiques. Dès sa création, l’École
disposait déjà d’une bibliothèque et d’une imprimerie
destinée à l’impression des cours des professeurs et des
thèses des élèves.
Les promotions de l’époque comportaient 60 à 80
stagiaires et quelques auditeurs civils. L’enseignement se
déroulait de janvier à juillet, il était regroupé en six chaires
d’enseignement : médecine d’armée, anatomie et
médecine opératoire, hygiène et ergonomie, chirurgie
spéciale, maladies et épidémies aux armées.
La volonté des enseignants de l’École était d’offrir aux
élèves médecins une formation la plus complète possible,
prenant en compte toutes les situations de leur futur
exercice. C’était notamment le cas de la chirurgie spéciale
où les étudiants devaient appréhender tous les aspects de
l’ophtalmologie, de l’oto-rhino-laryngologie et de
l’odontologie qui étaient déjà des disciplines essentielles
pour l’expertise et le recrutement. Il en était de même pour
la déontologie, la législation et l’administration militaire
qui étaient l’objet d’un enseignement spécifique.
Les objectifs pédagogiques d’aujourd’hui sont peu
différents. Les matières enseignées regroupées en neuf
chaires restent les mêmes, les étudiants disposent des
laboratoires hospitaliers, d’une bibliothèque rassemblant
plus de 40 000 ouvrages et 400 périodiques. L’atelier de
reprographie assure les mêmes missions qu’autrefois, le
stand expérimental de tir crée par Delorme a trouvé
depuis une suite avec l’unité de chirurgie pratique
expérimentale situé sur le site du Pharo. Celle-ci permet
aux médecins et chirurgiens d’évaluer et traiter les effets
des armes de guerre sur des réacteurs biologiques et
d’étudier les effets arrières des balles de guerre sur les
gilets de protection.
La plus grande avancée tient aux nouveaux outils de
communication mis à la disposition des enseignants et
des élèves. L’enseignement utilise d’ores et déjà les
nouveaux instruments pédagogiques nés de la révolution
technologique. L’e-learning, le télé-enseignement
commencent à être utilisés et permettent de délocaliser
les formations, de limiter les déplacements
d’enseignants et de réduire les coûts pédagogiques. Les
infirmiers de bloc opératoire sont formés avec ce vecteur
d’enseignement et des cycles de formation chirurgicale
ont déjà été effectués entre les hôpitaux d’instruction des
armées et des hôpitaux africains. Ces nouveaux outils
sont un élément de réponse à de nombreuses situations
d’isolement et se révèlent précieux dans la mise en place
d’une formation continue pour tous.
Mais aujourd’hui, le véritable enjeu de l’EVDG est
d’instaurer une formation adaptée aux emplois des
Médecin général inspecteur Delorme.
l’édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du service de santé des armées
441
praticiens. Mettre en adéquation les emplois et les
compétences acquises est l’enjeu que s’est f ixé
récemment le SSA pour toutes ses catégories de
personnels. Après une période initiale où les emplois
sont polyvalents une orientation est envisagée dans un
domaine de compétence. La formation complémentaire
et continue trouve ici toute sa place. Elle ouvre la voie
d’une qualification par validation de l’expérience. Tous
les personnels du SSA inscrits dans ce processus
peuvent progresser dans leur emploi, obtenir des
postes de responsabilité plus importants et bénéficier
d’un avancement plus rapide.
Il est ainsi possible d’identifier des parcours professionnels et d’offrir aux intéressés une meilleure lisibilité de
Élèves à l’École du Service de santé des armées de Lyon 2006. (copyright
ESSA Lyon Bron).
carrière. Cette démarche permet aussi au responsable des
ressources humaines d’avoir une vision prospective dans
le pilotage de sa politique et de disposer d’un outil de
gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
V. CONCLUSION.
En conclusion, les principes de la formation au sein du
Service de santé des armées n’ont guère varié au cours des
siècles. Les thématiques enseignées sont peu ou prou les
mêmes, qu’il s’agisse de la médecine ou de la chirurgie
aux armées, mais aussi de l’hygiène, de l’épidémiologie
et de la connaissance des bases déontologiques et
législatives indispensables à l’exercice médical.
Le regroupement de la formation en grandes chaires
pédagogiques, les concours hospitaliers, l’enseignement
résolument pratique utilisant le compagnonnage et le
retour d’expérience ont depuis la création du service en
1708, toujours été les points forts de la formation délivrée
dans nos écoles et nos instituts. Attentif aux évolutions
universitaires et pédagogiques, le Service de santé des
armées est en permanence inscrit dans la modernité tout
en préservant les acquis d’une riche histoire. Rappelonsnous ce qu’écrivait en 1914 le Médecin inspecteur
A. Mignon, directeur de l’École du Val-de-Grâce : « je ne
suis pas de ceux qui refusent de rendre hommage
aux morts sous prétexte que la vie est synonyme d’action
et que ce qui a cessé d’être n’a plus d’avantage en soi.
Il me semble au contraire que quiconque apparaît
au banquet de la vie doit se féliciter que d’autres soient
nés avant lui pour lui préparer le gîte et le couvert ».
Méditons ce propos et n’oublions pas que nos actions
actuelles et futures ne doivent pas faire table rase
de l’expérience du passé (7).
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Grmek MD. Histoire de la pensée médicale en occident ; Seuil Ed,
1999 ; tome 3 : 412 p.
2. Cudennec Y. In Chirurgie de guerre. Le cas du moyen âge par
Mounier-Kuhn A. Economica Ed, 2006, 1 volume : 314 p.
3. Delorme E. Traité de chirurgie de guerre. Anc. Lib. Germer
Baillière et Cie, Félix Alcan Ed, Paris, 1888. T. I. Introduction :
Histoire de la chirurgie militaire française.
4. Des Cilleuls J, Hassendorfer J, Pesme J, Hugonot G. Le Service de
442
santé militaire pendant la Révolution et l’Empire. Revue
internationale des Services de santé des armées de Terre, de Mer et
de l’Air. SPEI Ed, Paris, 1961.
5. Bazot M. L’École d’application du Service de santé des armées et
ses missions contemporaines. Lyon-Val, 1994 ; 56 : 10-1520.
6. Bazot M. L’École d’application dans le siècle, au Val-de-Grâce.
Lyon-Val, 1999 ; 61 : 39-44.
7. Mignon A. L’école du Val-de-Grâce, 1914, 1 volume : 242 p.
j.é. touze
ESSA Bordeaux
ESSA Lyon
IMASSA
EPPA
EVDG
IMNSSA
IMTSSA
CRSSA
l’édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du service de santé des armées
443
Officiers du corps de santé
Membres titulaires de l'Académie
de médecine
1820 J. BARBIER
J.P. BOUDET
F. BROUSSAIS
R. DESGENETTES
D. LARREY
P.F. PERCY
P. ROBIQUET
1821 Ch. LAUBERT
1822 J.M.G. ITARD
1823 P. GALLEE
J. VIREY
1825 J. LODIBERT
1835 L. BEGIN
A. FEE
Ch. LAURENT
A. POIRSON
1850 H. LARREY
M. LEVY
1856 A. POGGIALE
1867 V. LEGOUEST
1874 J. VILLEMIN
1875 M. PERRIN
1880 L. COLLIN
1885 E. VALLIN
1887 J. MARTY
444
1890 L. LEREBOULLET
J. CHAUVEL
1893 L. KELSCH
A. LAVERAN
1897 E. DELORME
1904 L. VAILLARD
1907 H. VINCENT
1918 Ch. DOPTER
C. SIEUR
1929 P. BRETEAU
H. ROUVILLOIS
1933 E. SACQUEPEE
1956 L. AUBLANT
1958 M. PILOD
R. DEBENEDETTI
1962 H. GOUNELLE de PONTANEL
L. VELLUZ
1979 J.F. CIER
1980 H. BAYLON
1987 Ch. LAVERDANT
1988 P. JUILLET
1992 P. LEFEBVRE
2007 Y. BUISSON
2008 J.E. TOUZE
j.é. touze
Tricentenaire du Service de santé des armées
TROIS SIÈCLES DE RECHERCHE ET DE DÉCOUVERTES AU
SEIN DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES
D. VIDAL, R. DELOINCE
I. INTRODUCTION.
II. LES XVIIE ET XVIIIE SIÈCLES.
Présenter en quelques lignes les activités de recherche
conduites par le Service de santé des armées depuis trois
siècles ne peut se faire qu’en choisissant quelques
découvertes et avancées scientifiques originales dans
le contexte scientif ique des époques traversées. La
recherche est une activité humaine naturelle et continuelle, qui a débuté bien longtemps avant sa récente
institutionnalisation. Les avancées de nos connaissances
résultent plus d’un travail constant, et souvent bien ingrat,
que d’une trouvaille spectaculaire et bruyamment
annoncée. Les idées réellement nouvelles heurtent
souvent les certitudes d’une époque et mettent beaucoup
de temps à s’imposer avant de devenir elles-mêmes des
certitudes, qui sont, à leur tour âprement défendues lors
de leur remise en cause.
Pourtant, lorsque le roi Louis XIV décide, en 1708, de
créer un Service de santé des armées, pouvait-on
imaginer, à une époque où la science était encore
balbutiante voire combattue, que ce service devrait
s’engager dans des activités de recherche propres ?
L’évolution des conditions de vie du soldat ainsi que les
maladies, les agressions et les contraintes spécifiques,
ont soulevé des questions pour le maintien de la santé
des combattants et la réparation des affections
contractées en opérations, qui ont conduit le Service
de santé à rechercher des solutions pragmatiques
et efficaces.
Nous évoquerons les principaux progrès de la science
médicale et biologique au cours des trois derniers siècles,
pour voir ensuite comment le Service de santé des armées
a assimilé et parfois initié cette évolution.
A) CONTEXTE SCIENTIFIQUE.
D. VIDAL, pharmacien chef des services. R. DELOINCE, médecin chef des
services (er), maître de recherches.
Correspondance : D. VIDAL, département de Biologie des agents transmissibles,
CRSSA, BP 87 , 38702 LA TRONCHE.
médecine et armées, 2008, 36, 5
Depuis la renaissance, il devenait peu à peu certain que les
phénomènes naturels obéissaient à des lois que l’homme
pouvait apprendre à connaître. Le premier microscope
était inventé vers 1590 par un habile fabricant de lunettes,
Zaccharias Janssen, et le hollandais Anton Van
Leeuwenhoek (1632-1723) avait décrit dès 1673 de
nombreux êtres microscopiques sous le terme d’«animalcules », mais les mots biologie ou microbe n’existaient
pas encore. Depuis le XVII e siècle, des académies qui
tentaient de mettre les observations et les premières
découvertes scientif iques à disposition d’une élite,
étaient fondées un peu partout en Europe. L’Académie
des Sciences, établie en 1666, excluait l’alchimie et
l’astrologie de son champ d’action. Elle mit en place des
bases spécifiques propres à l’activité scientifique : expérimentation, la publication et la rémunération des
savants. Dès le XVIIe siècle, la nécessité de la mesure et de
l’expérimentation était déjà affirmée pour connaître les
lois de la nature et une transmission eff icace des
connaissances scientifiques était mise en place. Si la
médecine était plutôt pratiquée par des scolastiques,
moqués par Molière, la physiologie a pris son essor durant
le XVIIIe siècle. En France, l’Académie royale de chirurgie
était fondée par Louis XV en 1731 et la Société royale de
médecine par Louis XVI en 1776. Une découverte
majeure de la fin du XVIII e siècle est la variolisation,
procédé efficace de protection contre un fléau redoutable : la variole. Elle est venue d’Angleterre après les
travaux d’Edward Jenner (1749-1823).
B) LES APPLICATIONS DE LA SCIENCE DANS
LE CORPS DE SANTÉ MILITAIRE.
Ambroise Paré (1509-1590) avait déjà appliqué avec
succès les connaissances anatomiques publiées par
Vésale, en dépit du contrôle sévère et menaçant des
445
l'expédition de Minorque. Il passa à l'armée d'Allemagne
pendant la guerre de Sept ans, et y rendit les plus grands
services en créant, pour ainsi dire, la pharmacie militaire.
Il analysa les eaux minérales de la France, découvrit la
propriété fulminante du mercure, reconnut avant
Lavoisier que, dans la combustion, les minéraux enlèvent
à l'air un de ses principes. Élu à l’Académie des Sciences
en 1795, il fit plusieurs autres observations importantes,
consignées dans ses Opuscules chimiques, Paris, 1798.
Ambroise Paré.
autorités religieuses. Le nouveau corps de santé des
armées était par nature destiné à affronter des situations
inédites de détresse et de souffrance humaines auxquelles
il devait répondre. Des esprits ouverts à la science y
étaient présents (1) : Antoine Poissonnier-Desperrière,
inspecteur général de la médecine pour la Marine, Pierre
Bayen (1725-1798) et Antoine Parmentier (1737-1813),
apothicaires du roy. Les officiers du Service de santé
militaire ont compris la nécessité d’une organisation
administrative et technique spécifique afin de prévenir
les épidémies et maintenir un bon état de santé au sein du
personnel des armées. L’hygiène et l’administration des
hôpitaux apparaissent très vite comme une préoccupation
majeure. La Marine royale disposait déjà d’un corps
de santé attentif aux problèmes d’hygiène posés par
les longues traversées océaniques, les infections
nouvelles rencontrées dans les pays explorés et même
par le travail dans les arsenaux. Les travaux de Jenner
ne passent pas inaperçus au sein du service. Un grand
hygiéniste, Jean-François Coste (1741-1819), introduit la
variolisation parmi les troupes envoyées au secours des
insurgés américains, puis la vaccination antivariolique
deviendra obligatoire dans les Armées sous l’impulsion
entre autres de Parmentier, pharmacien-inspecteur
général du Service de santé. Il estimait aussi que la
meilleure façon de lutter contre les maladies était d’abord
une bonne nourriture et une bonne hygiène. Adepte
des idées des Lumières, il n’aura cesse d’améliorer
la condition du soldat et il apparaît comme l’un des
fondateurs de la médecine préventive.
Pierre Bayen, pharmacien et chimiste né à Châlons-surMarne, suivit en 1755, comme pharmacien en chef,
446
Jean-François Coste.
III. LE XIXE SIÈCLE.
A) LE CONTEXTE SCIENTIFIQUE.
Dès le début de ce siècle, l’origine des maladies fait
l’objet de discussions entre Pierre-Fidèle Bretonneau
(chaque maladie a une origine spécifique) et François
Broussais (les maladies ont une origine commune). La
structure cellulaire des tissus vivants est établie et
Virchow fonde l’histopathologie microscopique. Les
anomalies de la composition chimique du sang
commencent à être étudiées. Pasteur, en étudiant la
dissymétrie moléculaire, fonde la stéréochimie dont
l’intérêt est considérable en biologie moderne, puis il
s’intéresse à la fermentation et fait des découvertes qui
vont révolutionner la médecine. Il va ainsi confirmer
avec Koch, la spécif icité étiologique des maladies
infectieuses, alors que Claude Bernard ouvre la voie à la
physiopathologie. De nombreux agents infectieux sont
identifiés et les moyens de prévention ou de lutte contre
d. vidal
les épidémies vont se rationaliser à la fin de ce XIXe siècle,
pendant que la recherche scientifique et technique va
s’enraciner profondément en biologie et en médecine. À
cette époque sont formés en France et en Europe, des
savants, médecins, vétérinaires et pharmaciens, dont
l’influence sera majeure et se poursuivra jusqu’au milieu
du XXe siècle.
B) LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE DANS LE
SERVICE DE SANTÉ.
Le corps de santé militaire français va participer
activement à ces recherches.
C’est une période fructueuse au cours de laquelle
les collaborations avec l’Académie de médecine et
l’Académie de pharmacie sont renforcées. Rappelons
que dès 1796, la convention avait créé l’hôpital
d’instruction du Val-de-Grâce qui dispensera un
enseignement spécifique et scientifique aux médecins
des armées. Son corps professoral comptera de
nombreux membres des Académies de médecine, de
chirurgie ou des sciences et certains d’entre eux
présideront ces assemblées.
La circonscription fournit quantité d’hommes pour les
conflits qui vont se dérouler au sein de l’Europe et en
Orient. Les immenses rassemblements et déplacements
humains engendrent des épidémies massives et les armes
des combats deviennent de plus en plus meurtrières. Les
chirurgiens des armées doivent affronter des situations
qui dépassent l’entendement et leurs efforts héroïques
constituent les premières tentatives de la médecine
d’urgence. Tout cela est largement connu. Cependant leur
dévouement inlassable et leur extraordinaire habileté
technique ont été souvent masqués par le développement
d’infections redoutables. De plus, l’intérêt des dirigeants
politiques, hors quelques paroles réconfortantes
largement diffusées, reste anecdotique car l’opinion
publique n’a pas pris conscience de l’ampleur du
phénomène. Une méthode scientif ique simple va la
convaincre : l’introduction de la méthode statistique (2).
Les médecins classent et dénombrent les blessures
par armes, en établissent leur fréquence respective et
leurs conséquences. Ils prouvent l’importance des
phénomènes infectieux, qui vont encore s’accentuer
avec la conquête coloniale où les militaires ont rencontré
des agents infectieux nouveaux dans des conditions
climatiques diff iciles. L’eff icacité de moyens de
prévention simples et peu coûteux est ainsi prouvée sans
contestation possible. C’est ainsi que Maillot obtient
une bonne protection contre le paludisme du corps
expéditionnaire en Algérie avec le sulfate de quinine.
C’est bien évidemment les travaux de Pasteur qui ont
apporté une base rationnelle à la prévention et au
traitement des infections. La communication de Charles
Emmanuel Sédillot, à l’Académie de médecine en 1878,
avait introduit le terme de microbes et la science des
microbes ou microbiologie allait prendre un essor
considérable en médecine. Les liens étroits entretenus
par Pasteur et les médecins du Val-de-Grâce ont permis
trois siècles de recherche et de découvertes au sein du service de santé des armées
une diffusion rapide des connaissances au sein du service
où les « pastoriens » ont rapidement pris une place légitime
auprès de leurs collègues cliniciens (3). Le laboratoire
de bactériologie crée au Val-de-Grâce en 1888 par
Louis Vaillard marque le passage de la recherche
individuelle à la recherche collective dans le Service
de santé des armées (4).
Dès 1862, Jean-Antoine Villemin avait démontré
expérimentalement le caractère contagieux de la
tuberculose, Alphonse Laveran avait établi aux alentours
de 1880 l’origine parasitaire de l’infection paludéenne et
sa transmission par un moustique. L’ensemble de ses
travaux lui vaudra le prix Nobel en 1907. Le pharmacien
aide-major de 1re classe Louis Carle Gessard avait, en
1883, isolé dans son laboratoire du Val-de-Grâce le
bacille pyocyanique. Louis Vaillard a installé le premier
laboratoire de bactériologie médicale au Val-de-Grâce
en 1888, la même année que l’inauguration de l’institut
Pasteur. En 1910, Hyacinthe Vincent crée le laboratoire
de vaccination antityphoïdique et de sérothérapie du
Val-de-Grâce et sera, selon le maréchal Joffre, l’un
des meilleurs artisans de la victoire de la guerre de
1914-1918. N’oublions pas les importants travaux
réalisés dans les Instituts Pasteur d’outre-mer, en
particulier ceux d’Alexandre Yersin, découvreur du
bacille de la peste, en Asie (1).
Charles Emmanuel Sédillot.
447
l’institutionnalisent, mais l’Europe doit désormais
compter avec l’Amérique du Nord qui a développé
un formidable outil de recherche dans ses universités.
Cela va progressivement enclencher un contrôle des
dépenses publiques engagées pour la recherche, puis
un investissement de l’État dans l’orientation des
travaux, une évaluation des chercheurs et parfois des
ajustements douloureux.
V. L’ADAPTATION DE LA RECHERCHE
SCIENTIFIQUE DANS LE SERVICE DE SANTÉ.
Les médecins de la Marine recevaient depuis longtemps
une formation spécifique liée aux conditions de vie en
mer, puis ceux des troupes de marine eurent à résoudre les
problèmes posés par l’envoi de troupes outre-mer. Des
centres de documentation furent naturellement établis
pour répondre à ces nouvelles pathologies infectieuses ou
alimentaires. L’École d’application du Service de santé
de la Marine fut créée à Toulon en 1896, celle pour les
troupes coloniales à Marseille au Pharo, en 1905. Après
de multiples péripéties, une Société savante de médecine
militaire est même créée officiellement le 5 septembre
1906 : société purement scientifique, nommée « Société
de médecine militaire française », elle a pour but
d'organiser « une tribune scientifique où tout membre du
corps de santé pourrait venir exposer et débattre des sujets
d'ordre professionnel ».
Louis Vaillard.
IV. LE XXE SIÈCLE.
A) LE CONTEXTE SCIENTIFIQUE.
Au début du XXe siècle se poursuit l’œuvre entreprise
précédemment pour améliorer la prévention et le
traitement des maladies infectieuses avec les
sulfamides, puis les antibiotiques, les antiviraux et
le développement des vaccins. Les techniques
d’investigation du corps humain progressent, l’acte
chirurgical est de plus en plus maîtrisé. Mais dès 1930,
des physiciens qui avaient participé à l’émergence du
modèle atomique s’intéressèrent à l’origine de la vie. Ils
allaient mettre en marche, au cours des années 40 et 50,
une formidable évolution de nos connaissances sur
l’information génétique. Celle-ci avait commencé avec le
moine Mendel, puis avec Morgan. Erwin Schrödiger,
Max Delbrück développèrent des modèles simples
(bactérien ou viral) afin d’élucider la composition de la
molécule-gène. Watson et Crick établirent la structure de
l’ADN, ce qui ouvrit la voie aux biotechnologies
actuelles. Cette révolution biologique commencée à la
fin de la guerre 1939-1945, est restée en Europe un peu
confidentielle jusqu’au début des années soixante.
Parallèlement, le développement de l’informatique,
dès les années soixante-dix, va bouleverser l’analyse des
données et conduira en particulier à l’imagerie médicale.
Les gouvernements des États européens comprennent alors l’intérêt de la recherche médicale et
448
Commandemants armées orient.
d. vidal
Vaccination anti-variolique au Val-de-Grâce.
Les deux guerres mondiales en moins d’un demi-siècle
vont favoriser le développement d’armes nouvelles. Sous
l’impulsion des médecins d’unités et des enseignants, des
instituts de formation et de recherche voient le jour pour
répondre à ces problèmes nouveaux. La réponse du
Service de santé est rapide : une section technique de
recherche (STRESSA) est établie en 1912 et regroupera
progressivement le laboratoire de bactériologie, le
laboratoire de chimie et le laboratoire de physiologie
qui seront par la suite transférés à Lyon en 1955 et
formeront le Centre de recherche du Service de santé
des armées (CRSSA). Un laboratoire d’études médicophysiologiques de médecine aéronautique militaire est
fondé au Val-de-Grâce en 1921 devenant par la suite
l’Institut de médecine aérospatiale (IMASSA), l’Institut
du Pharo devient dès 1953 un centre de formation et
de recherche dont la renommée dépassera largement
le cadre de l’hexagone en devenant l’Institut de
médecine tropicale (IMTSSA), le centre de recherches
biophysiologiques appliquées à la Marine (CERB) à
Toulon va aborder les réactions de l’homme en
hyperbarie, devenant l’Institut de médecine navale
(IMNSSA).
Fils de médecin colonial, Henri Laborit (1914-1995) est
né à Hanoï. Médecin de la Marine, chirurgien en
Indochine, il observe que les défenses de l’organisme
peuvent devenir néfastes dans certaines circonstances,
et a donc l’idée de les bloquer à l’aide de substances ou
trois siècles de recherche et de découvertes au sein du service de santé des armées
de les ralentir par hibernation. En vérif iant l’action
d’une nouvelle molécule, la chlorpromazine, il découvre
son eff icacité dans le domaine de la psychiatrie ce
qui transforme radicalement le traitement de quelques
maladies mentales. Il créée le Centre de recherches
biophysiologiques appliquées à la Marine et devient
l’un des premiers maîtres de recherches du Service de
santé des Armées. Il reprendra l’étude de la physiologie
en l’abordant par la complexif ication de la matière,
l’ionisation de l’hydrogène et un mode de représentation
emprunté à la cybernétique. Il obtient le Prix Albert
Lasker. Cet esprit original, communicant, a ensuite
tenté d’appliquer les progrès récents de la biologie
à une meilleure compréhension des comportements
humains (5).
Tous ces nouveaux champs d’études sont enseignés dans
des écoles d’application qui ont mis en place leur propre
corps professoral et restent parfaitement intégrées au
système de formation du Service de santé. Mais le
développement de ces armes nouvelles amène, en 1961,
le Service de santé à mettre en place dans le prolongement
de la section technique, le CRSSA, organisme à vocation
interarmées pour faire front aux agressions de type
nucléaire, radiologique, biologique ou chimique
(NRBC) et psychophysiologique. L’évolution rapide des
connaissances demande un effort de mise à niveau qui
échappe, en partie, au Service de santé. Les futurs
spécialistes de recherche du Service de santé sont formés
449
Alexandre Yersin.
450
d. vidal
auprès d’équipes de recherches de pointe en France
ou aux États-Unis. Des vétérinaires militaires, des
scientifiques du contingent, issus des grandes écoles ou
des universités, sont accueillis au sein des unités de
recherche et vont bousculer la pensée anthropocentrique
régnante. Chaque unité de recherche explore des voies
variées et originales pour maintenir un juste équilibre
entre la science pure et dure (recherche amont) apprise à
l’Université et les attentes du Service de santé ou des
États-majors qui ont surtout trait à la recherche appliquée.
Cela ne favorise pas toujours les relations avec ceux qui
font tourner la « maison » au quotidien et qui ont comme
préoccupations immédiates la médecine d’unité, la
prévention des épidémies d’hépatite en Algérie, la
sélection du personnel, la chirurgie réparatrice,… Des
chefs, souvent indulgents, ont permis de traverser cette
période de mise à niveau, qui a parfois été accompagnée
du départ pour l’université de médecins militaires déjà
rompus à la recherche moderne.
Pierre Douzou (1926-2000), né à Millau, pharmacien
chimiste du Service de santé des armées, Docteur ès
Sciences (1958), sera chef de la division de biophysique
du CRSSA (1960), maître de recherches du Service de
santé des Armées (1965) et professeur au Val-de-Grâce
(1966). Pour tenter de comprendre comment on passe
en biochimie d’un système inanimé à un système vivant,
il s’intéresse aux mécanismes photochimiques et photophysiques, en particulier aux photo-transformations
trois siècles de recherche et de découvertes au sein du service de santé des armées
réversibles de certaines molécules (ex : lunette s’adaptant
à la luminosité). L’étude précise de ces cycles l’amène à
ralentir les réactions en abaissant la température et initie
ainsi la cryochimie et la cryoenzymologie dont il écrit un
ouvrage de base : Cryobiochemistry : an introduction.
1977 ; Academic Press ; London. Il étudie aussi certains
cycles biochimiques hépatique et musculaire, à l’aide des
outils techniques qu’il a mis au point. Il a reçu en 1962 le
prix Pelman de biologie. Ayant quitté le Service de santé
en 1971, il a travaillé dans de nombreux instituts de
recherche : Muséum national d’Histoire naturelle,
INSERM, INRA. Membre de l’Académie des sciences en
1979, il est demeuré jusqu’à son décès, une personnalité
scientifique influente.
Les chercheurs ont d’abord travaillé sur des modèles
animaux reconnus, ce qui ne va pas tarder à surprendre
même les plus compréhensifs du Service ou de la DGA
(élevage de canards, de crabes, de scorpions voire de
moutons ou de congres). Mais comment échapper à
l’étude d’une infection émergente comme le SIDA,
lorsqu’on dispose d’outils permettant d’évaluer les
troubles immunitaires radio-induits, comment étudier
la radiorésistance sans rechercher des modèles
naturellement radiorésistants comme le scorpion ou les
agents transmissibles non conventionnels responsables
d’encéphalopathies spongiformes. Heureusement, des
médecins issus des centres de recherches se sont peu à
peu intégrés au sein du système de financement de la
recherche militaire et ont ouvert aux ingénieurs
et bailleurs de fonds le monde de la biologie et de la
médecine modernes.
La majorité des travaux se sont poursuivis dans différents
domaines, en physiologie pour tenter de protéger le
combattant sur terre (climat, altitude) en mer (hyperbarie)
et dans les nouveaux avions de combat (accélération), en
microbiologie pour améliorer la protection contre les
infections naturelles ou provoquées et en biochimie sur le
thème de la protection contre les gaz de combats. Les
aspects psychologiques n’ont pas été négligés et
l’étude du cerveau (neurosciences) demeure une priorité
au sein de nombreuses unités de recherche. D’autres
établissements tels que le Centre de transfusion
sanguine des armées (CTSA), le Service de protection
radiologique des armées (SPRA), le Centre principal
d’expertise du personnel naviguant (CPEPN), le Centre
de traitement de l’information médicale des armées
(CETIMA) ont mis sans cesse en place des outils
techniques nouveaux et ont participé activement à des
travaux de recherche qui leur sont propres. Enfin, comme
en milieu hospitalier civil, la recherche clinique s’est
développée dans la plupart des Hôpitaux d’instruction
des armées (HIA) pour maintenir une compétence
médicale d’excellence et obtenir une reconnaissance
nationale et internationale.
L’émergence de la biologie moderne en médecine a
introduit de nouvelles pratiques en recherche : l’analyse
des mesures s’aff ine et les statisticiens contribuent
à l’établissement de protocoles rigoureux ; la réglementation impose le renforcement des mesures
451
Chlorpromazine.
d’hygiène et de sécurité du travail, la protection du sujet
en expérimentation, la surveillance des activités du génie
génétique, la protection de l’environnement ; les comités
d’éthique éveillent au respect de l’animal et la qualité
en recherche se développe. Les résultats sont publiés
dans des revues internationales avec comités de lecture,
majoritairement anglophones. Tout cela valide le travail
accompli, mais impose une adaptation continue des
acteurs de la recherche. De même, à la suite des grandes
réformes de la recherche nationale, la formation évolue
et l’habilitation à diriger les recherches s’impose à nos
cadres ainsi que l’évaluation périodique des travaux
réalisés sous leur direction. Ceci nécessite une constante
collaboration avec l’université, et pour le chercheur
la création de réseau nationaux et internationaux
personnels permettant d’accéder rapidement aux
dernières évolutions scientifiques et techniques de son
domaine. Cette évolution rapide va nécessiter des ajustements fréquents des structures de recherche avec des
regroupements ou des restructurations qui vont bousculer
les habitudes mais permettre un décloisonnement et la
mise en place de projets transversaux.
Dominique Dormont, né en 1948 à Châlon-sur-Marne,
médecin de la Marine, arrive au Centre de recherche du
service de santé des Armées en 1977. Une formation
scientifique solide et bien ciblée dans le domaine de la
452
biochimie et de la biologie moléculaire, une structure de
recherche ouverte, performante et bien insérée dans un
milieu scientifique moderne et compétent français, puis
américain vont permettre l’épanouissement de ses
qualités humaines et professionnelles exceptionnelles. Il
prend en charge l’étude des modif ications précoces
biochimiques et immunologiques des encéphalopathies
spongiformes attribuées alors à un virus dit à incubation
longue (slow-virus). En recherchant les moyens de
diagnostiquer, puis de traiter de telles infections, il aborde
l’étude de rétrovirus et se trouve rapidement impliqué
dans le traitement du SIDA qui vient d’émerger et s’étend
rapidement. Cette réactivité remarquable n’empêche pas
son équipe d’obtenir ensuite la multiplication de l’agent
de la tremblante du mouton dans une lignée cellulaire
et disposer ainsi des moyens de quantif ier l’agent
infectieux. En 1992, il fait un rapport au ministère de la
Recherche sur les encéphalopathies spongiformes. Il
allait enfin faire prendre conscience du problème et de la
nécessité d’une prévention afin d’assurer la sécurité
alimentaire. Il fut nommé directeur à l’Institut des hautes
études mais décéda en 2003, avant d’avoir inauguré un
laboratoire totalement consacré à l’étude des prions (6).
Peu à peu la maîtrise de l’outil scientifique et un choix de
travaux de thèse bien ciblés ont débouché sur une stratégie
de recherche propre au service, lisible par toutes les
d. vidal
parties. Des réseaux avec les hôpitaux civils et militaires,
avec les Centres de recherches nationaux et internationaux et avec l’Université permettent de maintenir l’outil
technique et scientifique à un niveau d’excellence. Des
résultats appréciables, objet de thèses d’état ou de publications nationales ou internationales, sont acquis dans
toutes les disciplines en prenant une part active aux
contraintes nouvelles du Service de santé des armées.
L’expérience du SSA dans le domaine de l’hépatite virale
épidémique commence par l’expérience clinique et
épidémiologique incomparable des médecins des armées
confrontés aux grandes épidémies en Algérie (Laverdant,
Molinier). D’emblée (1961) les pastoriens du service
tentent d’isoler un virus en utilisant les techniques
de laboratoire les plus connues à l’époque (Maître,
Antoine, Garrigues) mais ce sont des expérimentations
américaines qui ont caractérisé, puis détecté le virus
de l’hépatite A dans les selles, en 1973 à l’aide d’une
technique délicate à l’époque. Sous l’impulsion de
ces précurseurs, le soutien constant d’universitaires
(C. Trepo, Ph. Maupas, Ph. Chevallier) et l’aide
désintéressée mais précieuse de collègues américains
(J.L. Dienstag, I. Kamal, Ph. Provost et J.R. Ticehurst)
ou européens (B. Flehmig, A. Pana), une équipe de la
division de microbiologie du Centre de recherches peut,
dès 1978, isoler, puis cultiver ce virus et enfin déterminer
sa sensibilité aux antiseptiques et antiviraux, à partir de
prélèvements parfaitement ciblés par les médecins et
biologistes hospitaliers militaires. Tous les travaux
réalisés par une dizaine d’équipes dans le monde ont
conduit, en une vingtaine d’années, à la mise au point
d’un vaccin qui permet de protéger efficacement les
armées contre l’« hépatite du soldat » qui depuis plusieurs
siècles défiait stratèges et médecins (7).
Ainsi, lors de la première guerre du Golfe, plusieurs
chercheurs médecins, pharmaciens et vétérinaires ont été
envoyés en mission auprès des hôpitaux de campagne lors
du conflit, puis en mission d’inspection pour le compte de
la Commission spéciale des Nations Unies (UNSCOM)
dans les sites de défense de l’Irak. Ce personnel adapté
aux missions de recherche a donc retrouvé une position
opérationnelle de médecins, pharmaciens et vétérinaires.
Tête de scud irakien supposée avoir été armée par le bacille du charbon,
déterrée par une mission de l’UNSCOM. Photo D. Garin, Irak 1998.
trois siècles de recherche et de découvertes au sein du service de santé des armées
La récente organisation de la fédération de recherche
officialise cette situation et les chercheurs continuent de
participer aux opérations extérieures.
La fonction recherche est aujourd’hui organisée en
huit programmes opérationnels de recherche axés sur
la protection du combattant face aux agressions
biologiques, chimiques et physiques, combattant
évoluant dans des environnements extrêmes ou sur un
espace de bataille moderne de plus en plus complexe. Le
plan stratégique du Service de santé des armées étend
ces priorités de la recherche, sous forme duale, à la
protection du combattant mais aussi à celle de la
population civile. Ainsi, le Service de santé des armées
dispose d’une capacité d’expertise unique dans les
domaines couverts par ces programmes pour conseiller le
commandement et les États-majors (8).
La formation des assistants, les séjours à l’étranger,
la participation à la formation dans l’École du Valde-Grâce, sont désormais organisés et encouragés ainsi
que le séjour de chercheurs militaires étrangers
dans nos laboratoires.
VI. PERSPECTIVES ET CONCLUSIONS.
Depuis trois siècles le Service de santé des armées a fait
des efforts considérables et permanents pour répondre
par des solutions scientifiques aux questions que posent
les contraintes du métier des armes à la santé des
militaires. Les conditions extrêmes de la vie du soldat, du
marin ou de l’aviateur dans les campagnes et les guerres,
sous toutes les latitudes et les climats, sous les mers et
dans l’espace, ont suscité de multiples questions pour
prévenir, protéger ou traiter les conséquences de ces
multiples agressions. Les médecins, les pharmaciens, les
vétérinaires, les ingénieurs et les techniciens du Service
de santé ont cherché à innover dans tous les domaines de
la physiologie, de la microbiologie, de l’immunologie,
de la psychologie, de la pharmacologie, de la toxicologie,
de la biologie moléculaire et cellulaire, etc. Dans le
cadre de cette problématique spécifique la recherche du
Service de santé a progressivement émergé avec le
progrès scientifique. Le problème qui persiste de façon
récurrente, est de trouver l’équilibre entre la recherche
amont dite fondamentale, source d’évolution, avec la
recherche dite appliquée, qui valorise dans la pratique les
acquis de la précédente dans des domaines particuliers.
Cette recherche appliquée est certes moins spectaculaire
et médiatique mais très utile au combattant. Cette
recherche d’équilibre est à l’origine de turbulences
inévitables et devant les protestations ou critiques des uns
et des autres, le Service de santé des armées est resté
attentif et ouvert, car il est souvent difficile de percevoir
l’importance d’un concept, d’une méthode ou d’une idée
qui risque de bouleverser notre futur. Pouvait-on penser
qu’un travail d’ethnologue allait apporter le diagnostic de
l’hépatite B ? Qu’un agent infectieux radio-résistant
peut ne pas posséder d’acide nucléique et provoquer
des démences, liée à une neuro-dégénérescence
transmissible chez l’adulte jeune ? Parmi les nombreux
453
chercheurs du Service de santé des armées, certains ont
été éminemment distingués, comme Alphonse Laveran,
prix Nobel de médecine pour sa découverte de l’agent du
paludisme ou Henri Laborit, prix Lasker pour la mise en
évidence du premier neuroleptique, découverte qui
bouleversa la psychiatrie. Néanmoins, il reste toujours
difficile d’institutionnaliser la créativité dans un corps
qui sélectionne ses meilleurs éléments pour transmettre
ce qui est le plus utile au blessé ou au malade et qui doit
aussi veiller à les protéger contre les engouements
médicaux soutenus par une communication performante
voire contre l’irrationnel. La recherche collective a pu de
même être distinguée par exemple avec l’attribution du
prestigieux prix Gallien au Service de santé des armées
pour l’auto-injecteur bi-compartiment utilisable dans
la thérapie d’urgence dans les intoxications par les
organophosphorés. L’esprit de recherche, « savoir plus
pour mieux soigner », doit continuer à soutenir la prise en
charge des blessés et des malades qui sont confiés au
Service de santé des armées depuis 300 ans. L’institution
trouvera sa richesse à la fois en encourageant des
personnalités passionnées, parfois dérangeantes mais
nécessaires au progrès des idées, et en soutenant sans
faille l’effort ingrat, discret, continu et indispensable des
chercheurs formant les groupes de recherche structurés
autour d’équipements et de plateaux techniques lourds.
La recherche a été organisée rationnellement dès les
années 1950 par un Bureau d’action scientif ique et
technique de la Direction centrale du Service de santé des
armées en évitant les redondances inutiles avec les
établissements scientifiques civils (Centre national de
la recherche scientif ique, Institut national de la
recherche médicale) (9). Le Centre de recherche du
Service de santé des armées, les Instituts de médecine
tropicale, de médecine aéronautique et de médecine
navale sont maintenant regroupés au sein d’une
fédération de la recherche préfigurant la création du
futur centre unique du XXIe siècle, l’Institut de recherche
biomédicale des armées.
Prix Gallien 2005.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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médecine et de la pharmacie militaires, Paris, Éditeur Blanchard ;
1952 : 420 p.
2. Chenu JC : De la mortalité dans l’Armée et des
moyens d’économiser la vie humaine. Extraits des
statistiques médico-chirurgicales des Campagnes de Crimée
(1854-1856) et d’Italie (1859). Paris, Librairie Hachette
et Cie ; 1870.
3. Roussel P. Les pastoriens du Service de santé des armées. Thèse
de médecine, Lyon, 1997 : 151 p.
4. Lefêvre P. Histoire de la médecine aux armées, tome 3. Paris,
454
Lavauzelle ; 1987 : 424 p.
5. Laborit H. Physiologie humaine cellulaire et métabolique. Paris,
Masson et Cie ; 1961 : 585 p.
6. Court, L. Histoire d’une épopée scientifique. Médecine et Armées,
2006, 34 (2) : 109-15.
7. Trepo C, Valla D. Hépatites virales. Progrès en hépatogastroentérologie, Paris, Doin ; 1993 : 188 p.
8. Viret J. Évolution de la recherche dans le Service de santé des
armées. Médecine et Armées, 2006, 34 (2) : 105-8.
9. De Benedetti R. La médecine militaire. Paris, Presses
universitaires de France ; 1961 : 128 p.
d. vidal
Tricentenaire du Service de santé des armées
LA RECHERCHE AU CENTRE DE TRANSFUSION SANGUINE
DES ARMÉES
M. JOUSSEMET
La recherche appliquée, comme la participation à la
recherche fondamentale dans ses domaines d’activités,
en collaboration étroite avec des unités de recherche du
secteur civil, ont, en quelque sorte, été inscrites dans les
gènes du Centre de transfusion sanguine des armées
(CTSA) par son fondateur, Jean Julliard. Lui-même est
l’un des pionniers qui ont fait passer la transfusion du
bras à bras, norme de la pratique des actes transfusionnels
jusque dans les années quarante, à la transfusion différée
de sang conservé par l’utilisation du citrate et du flacon de
verre. Le modèle de flacon utilisé en France était
d’ailleurs le fruit des travaux de Julliard et il en portait le
nom : le moule initial est conservé au CTSA. Le concept
même de l’acte transfusionnel et son positionnement
dans la prise en charge des patients traumatiques ont été
appliquées pendant la campagne d’Italie par « l’invention » du « médecin transfuseur réanimateur », travaillant
proche de la ligne de front, capable de participer à son
propre réapprovisionnement par des prélèvements « sur
place ». C’est l’origine du concept de fonctionnement des
services d’urgence et de réanimation : les initiateurs
portaient pour nom Julliard, Benhamou, Stora, …
Après la reconquête du territoire français et l’installation
à Percy du CTSA par le gouvernement provisoire de De
Gaulle, le centre se positionnera toujours parmi les
pionniers qui participaient aux mouvements de
recherches touchant à ses domaines d’activités : ce sera
l’utilisation systématique de produits sanguins spécifiques (concentrés de globules rouges, de plaquettes,
plasma frais congelé) et l’abandon du sang total, puis la
lyophilisation du plasma avec l’installation à Clamart de
la première unité européenne de lyophilisation de plasma
thérapeutique. La transfusion de plaquettes en France a
été initiée par Maupin, deuxième directeur du CTSA,
qui, pour l’anecdote, tous les jours, apportait à Villejuif
les premiers concentrés de plaquettes transfusées
aux premiers greffés de moelle par Mathé ; c’était déjà
M. JOUSSEMET, médecin général, directeur du CTSA.
Correspondance : M. JOUSSEMET, Centre de transfusion sanguine des armées
« Jean Julliard », BP 410, 92141 Clamart Cedex.
médecine et armées, 2008, 36, 5
la prise en charge des patients irradiés suite à un accident
en Bulgarie.
L’un des pionniers de l’hémostase a été Raby qui a inventé
le thromboélastogramme, et participé à la découverte des
facteurs de l’hémostase ; un des premiers traitements de
l’hémophilie a été du plasma dit « anti-hémophilique »,
plasma lyophilisé très rapidement après sa séparation du
don de sang puis immédiatement congelé et lyophilisé :
Perfusion.
455
la thermosensibilité de la molécule de facteur VIII,
inconnue à l’époque, était déjà prise en compte dans la
préparation du produit thérapeutique.
En immunologie, un travail plus discret qui avec
le regard de l’histoire s’est révélé d’esprits novateurs,
a été l’aventure de l’étude du facteur de transfert
lymphocytaire : la connaissance des cytokines apportera
bien des années après une explication aux interrogations
de l’époque. Il en sera de même pour tout un ensemble
de travaux sur l’inflammation et l’hémostase ; Jean
Hainaut y consacrera de nombreuses années de recherche
en marge de son activité purement transfusionnelle.
Pour la période plus proche de nous, deux domaines
de recherche seront plus particulièrement développés
à la f in du vingtième siècle : l’amélioration de la
conservation des produits sanguins par l’utilisation
de solutions de conservation pour les concentrés de
globules rouges ou de plaquettes et le fractionnement
des protéines du plasma. En complément du fractionnement alcoolique de Cohn, la mise en application des
méthodes de chromatographie permet une séparation
beaucoup plus fine des protéines du plasma à l’origine
de nombreux médicaments dérivés du sang : ce
sera l’œuvre de Saint Blancard et de Fabre. Cette évolution est actuellement mise en application sur un plan
industriel et largement utilisée.
L’actualité est toute autre, elle est liée à l’utilisation
des cellules isolées puis greffées éventuellement
après une phase de culture : la thérapie cellulaire fait
partie de ce grand mouvement actuel des biotechnologies qui est l’un des domaines de recherche les
plus en pointe de la médecine actuelle, mais on n’écrit
pas l’histoire au présent.
Unité de thérapie cellulaire (CTSA).
456
m. joussemet
Tricentenaire du Service de santé des armées
CHIRURGIE MILITAIRE ET BLESSÉS DES MEMBRES
S. RIGAL
I. INTRODUCTION.
La majorité des blessés qui arrivent vivants aux
chirurgiens de guerre présentent une lésion des membres.
C’est la constatation réalisée au cours de tous les conflits
de l’antiquité à nos jours.
Le traitement des lésions graves des membres dans les
structures chirurgicales de l’avant permet de sauver la vie
de blessés par la médicalisation précoce et une chirurgie
aux gestes rapides et efficaces, de sauver le membre par
une stabilisation et une revascularisation et de préserver
au mieux la fonction par des gestes qui permettent de
nombreux choix techniques après évacuation. Cette prise
en charge est possible par la présence de chirurgiens des
armées compétents en traumatologie osseuse et formés
aussi bien aux spécif icités des lésions de guerre
qu’aux nécessités militaires. Aux qualités des hommes
s’ajoutent un équipement technique et une logistique
performants. En 2008, les principes de traitement ne
sont pas seulement une adaptation à la situation actuelle
mais également l’héritage de l’histoire du Service de
santé des armées au service des combattants sur le terrain
depuis trois siècles.
La chirurgie dans les armées sur le champ de bataille a
une histoire marquée par des hommes d’exception et le
traitement des lésions des membres a longtemps été le
seul domaine de leur activité. Cette chirurgie des
membres a évolué en permanence (« appuyé sur des faits
et non sur des théories » ainsi que le soulignait Baudens
au XIXe siècle (1)) par des adaptations successives des
principes de traitement et d’organisation aux caractéristiques des conflits, à la nature des lésions et à une
meilleure connaissance de celles-ci, ainsi qu’aux progrès
de la médecine. Cela a été réalisé par des hommes,
souvent brillants opérateurs, qui ont su toujours aller audelà de leur simple rôle technique. Réfléchissant sur leurs
pratiques et la singularité de chaque conflit sur le terrain,
ils ont été des organisateurs de la médecine de l’avant
et ont toujours insisté sur la nécessité de partager leur
expérience et d’enseigner. Longtemps l’habilité et les
qualités individuelles n’ont pu compenser les faiblesses
S. RIGAL, médecin chef des services.
Correspondance : S. RIGAL, service de chirurgie orthopédique et traumatologique,
HIA Percy, 101 avenue Henri Barbusse, 92141 CLAMART Cedex.
médecine et armées, 2008, 36, 5
de l’organisation et des ressources mais ils ont, dans
de nombreuses circonstances singulières, toujours su
s’adapter sous la pression de la nécessité. Enfin leur
pratique auprès des blessés, a toujours été marquée par
une grande humanité et un sens éthique constant qui ont
fait honneur au Service de santé des armées.
Cet article ne saurait être exhaustif, il évoquera les grands
principes laissés en héritage : la nécessaire chirurgie au
cœur des combats, la lutte contre l’infection, l’amputation encore parfois malheureusement nécessaire, la place
de la fixation externe dans le traitement conservateur, les
règles techniques et éthiques du triage et l’indispensable
formation à une pratique chirurgicale spécifique.
II. LA CHIRURGIE AU PLUS PRÈS DES
COMBATS.
Depuis le XVe siècle les blessures des membres posent
deux problèmes bien identif iés, qui font l’objet de
discussions et de recommandations : la suppuration et
l’hémorragie. Les tissus de la plaie sont dévitalisés par le
traumatisme et systématiquement infectés par l’agent
vulnérant. La prévention de l’infection demande une
intervention précoce pour éliminer les tissus morts et la
contamination. L’hémorragie tue le blessé dans les
minutes qui suivent la blessure, le contrôle par un garrot
est connu depuis longtemps et le geste chirurgical de
ligature ainsi que le proposaient Ambroise Paré (2) et
Guy de Chaulliac ou la réparation vasculaire plus
moderne doivent être rapides.
Faut-il encore disposer des compétences et des
moyens pour cette chirurgie sur le terrain !
L’assistance au blessé, sur le champ de bataille, s’est
longtemps limitée aux soins donnés par un camarade. Au
moyen âge, les blessés sont abandonnés sur le terrain et
même achevés. Même si dès 1550 Henri II prévoit un
« hospital ambulant pour secourir les malades et les
blessés » et si l’édit de Louis XIV, en 1708, précisait :
« chaque régiment sera pourvu d’un chirurgien major
assisté d’un aide major et de deux élèves chirurgiens
qui devront suivre les combats », la nécessité d’une
chirurgie encore plus précoce sur le champ de bataille
est certainement l’idée des chirurgiens de l’empire.
Sous l’impulsion de Pierre François Percy et de Jean
457
Ambroise Paré décrivant la ligature vasculaire en 1553.
Dominique Larrey, les chirurgiens sont au cœur des
combats au sein de véritables antennes chirurgicales.
Pierre François Percy crée des ambulances légères,
petits caissons sur roues permettant de transporter non
seulement des inf irmiers mais aussi des civières
démontables et pliables. Il utilise le Wurst, caisson
d’artillerie transformé pour contenir les moyens de
secours pour 1 200 blessés. En 1792, Larrey est engagé
dans l'armée du Rhin et la suit dans sa campagne
d'Allemagne. À la bataille de Spire, en septembre 1792,
il brave l'interdiction interdisant aux officiers de santé
de se tenir à moins d'une lieue des combats et à attendre
leur f in, pour secourir les blessés au cœur même de
la bataille. À son retour à Paris, il imagine d'autres
« ambulances volantes », caisses suspendues destinées
au transport des blessés, qui permettraient d'enlever les
soldats invalides du champ de bataille afin « d'opérer dans
les vingt-quatre heures ». Ce concept, sur lequel encore
aujourd’hui le Service de santé des armées base
sa stratégie, est donc parfaitement édicté depuis deux
siècles. Cependant l’absence d’autonomie logistique
du service de santé au cours du XIXe siècle rendra son
application souvent défaillante.
Les avancées médicales de cette même période avaient
conduit à oublier ces principes à la fin du XIXe siècle et
au début du XXe siècle. Dans ce domaine le Service de
santé des armées, sous l’influence des chirurgiens de
l’avant, à su montrer ses capacités de remise en cause
et ses possibilités d’adaptation pour définitivement
Ambulance volante de Larrey.
458
s. rigal
aff irmer l’importance de la chirurgie du champ de
bataille dès les premiers mois de la Grande guerre.
La littérature chirurgicale fait actuellement toujours une
grande place à la prévention de l’infection (3). À chaque
époque les auteurs ont rappelé et rappellent encore l’erreur
récurrente de sous estimer le potentiel septique des plaies
de guerre et de ne pas respecter le geste chirurgical
précoce essentiel que constitue le débridement et le parage.
Ambroise Paré, chirurgien ordinaire de quatre rois,
s’affranchit le premier des théories officielles et définit
dès le XVIe siècle traitement, à appliquer au nouveau type
de blessures entrainées par les armes à feux (2). Il écarte
l’huile bouillante et propose le nettoyage soigneux des
plaies. Jean Dominique Larrey et François Percy avaient
identifié, avant l’ère pasteurienne, que l’infection de la
plaie de guerre était une des plus graves complications
et insisté sur le débridement pour les prévenir. Ce
débridement associé au parage chirurgical (dont le stade
ultime peut être une amputation), pourtant déjà préconisé
par Ambroise Paré (4), mais pas encore admis par tous les
chirurgiens, devient la règle en chirurgie de guerre
au début du XIXe siècle. Le terme de débridement, mot
français attribué à Dominique Larrey et repris par les
auteurs anglo-saxons, qui signifie littéralement « couper
les brides » mérite d’être précisé. Il ne constitue que
l’étape initiale de l’exploration des lésions par ouverture
large dans l’axe du membre de la peau, du fascia et plus
profondément par section des attaches musculaires et
périostées. Il soulage la pression intracompartimentale et
donne accès à la chambre d’attrition tissulaire au contact
du foyer de fracture, permettant l’évaluation précise et
méthodique des lésions avant le parage des tissus.
La méthode des pansements rares et des évacuations
précoces devaient d’autre part, pour Larrey, éviter « la
pourriture d’hôpital », que nous nommons actuellement
infection nosocomiale.
Les lésions des guerres post Napoléoniennes du milieu et
de la fin du XIXe siècle par des balles de petit calibre et
l’apport de l’antiseptie puis de l’aseptie, ont dans un
premier temps conduit à un parage économique et à une
chirurgie trop conservatrice, puis ont fait abandonner
le principe d’un geste chirurgical au plus près des
combats au tout début de la Première Guerre mondiale.
On estimait pouvoir opérer ces blessures peu contuses
et peu infectées loin du front, les bases militaires étaient
celles d’une guerre de mouvement de courte durée, et
l’orientation s’est fait vers une organisation où les
évacuations primaient sur le traitement précoce des
blessures. Ainsi le règlement de 1910 était conçu dans
cet état d’esprit. La capacité opératoire était sacrifiée
à la souplesse, le principal travail était d’emballer et
d’expédier au loin. Edmond Delorme, professeur de
chirurgie de guerre au Val-de-Grâce, prononçait à
l’Académie nationale de médecine le 10 avril 1914,
ses conseils aux chirurgiens en proposant « des opérations rares, retardées et pratiquées hors du front pour
des blessures de beaucoup les plus fréquentes, dues aux
balles de petit calibre, dites humanitaires ». L’infection
devient alors la règle ! Le 22 septembre 1914 Delorme
chirurgie militaire et blessés des membres
Ambulance chirurgicale des premières lignes à Baleycourt, secteur
de Verdun 1916.
reconnaissait ses erreurs « la chirurgie des premières
lignes doit faire elle-même tout le nécessaire »… « à
situations nouvelles dispositifs nouveaux » (5, 6). Il
préconisait une chirurgie précoce concentrée à l’avant
et plus ambitieuse. Il est remarquable de constater la
réactivité dans la modification de la doctrine qui ramène
aux principes édictés lors des guerres de la révolution et
de l’empire mais avec une logistique plus efficiente liée à
l’autonomie acquise par le Service de santé des armées
grâce aux lois de 1882 et 1889.
En octobre 1917 Pierre Duval, médecin chef de l’ambulance chirurgicale automobile 21 et chirurgien consultant
de la 7e armée, rapportait son expérience sur l’évolution
de la chirurgie de guerre. « En 1914, la chirurgie de guerre
reposait sur deux grands principes : évacuer loin sans
opération précoce et opérer au minimum. La guerre
actuelle a inversé cette formule. Opérer toujours et le plus
vite possible ; n’évacuer que des blessés opérés : telle est
la règle ». La meilleure connaissance de l’évolution
biologique de la plaie de guerre justifiait cette attitude
sans attendre pour éviter les redoutables complications
infectieuses. Ce principe imposait que « le chirurgien doit
être aux armées, et le plus près possible des lignes pour
opérer le plus vite possible »… « le chirurgien doit avoir à
sa disposition une installation parfaite, un matériel
complet » « cette formule est appliquée dans l’armée
française ; les installations chirurgicales dans les
ambulances chirurgicales automobiles, dans les centres
chirurgicaux ne laissent actuellement rien à désirer ». Dès
1915 avec la guerre des tranchées sont constituées des
formations chirurgicales mobiles dont les fameuses
« autochir ». Cette nouvelle formation sanitaire est créée
selon Henri Rouvillois « dans la plus grande tradition des
médecins militaires qui, tel Larrey, voulaient que les
secours soient toujours placés à côté du danger » et
« disposent de puissantes ressources en personnel et en
matériel devant permettre d’opérer dans de meilleures
conditions de confort chirurgical » (5).
Toutes les formations chirurgicales mobiles utilisées
de nos jours n’en sont que les héritières plus ou moins
459
14e Antenne Chirurgicale Parachutiste durant l’opération « Turquoise » en 1994 à Goma.
perfectionnées. Plus loin à l’arrière s’échelonnent
des hôpitaux de plus en plus lourds et perfectionnés.
La guérilla, avec un front mal défini, et les conditions
sanitaires diff iciles de la guerre d’Indochine ont
imposé une refonte des formations chirurgicales mobiles
des campagnes d’Italie et de France. Les antennes
chirurgicales mobiles et les antennes chirurgicales
parachutistes, formations plus légères et à l’équipement
standardisé, ont participé à toutes les opérations.
Lors de la guerre d’Algérie les évacuations héliportées
médicalisées sont devenues de routine et le concept des
antennes chirurgicales a été conf irmé sous le nom
d’antennes de secteur, devenues plus sédentaires (6).
Aujourd’hui l’armature du Service de santé de l’avant est
conçue pour une action mobile développée autour de ces
antennes chirurgicales capables de traiter les extrêmes
urgences et de conditionner les autres avant évacuation
vers les hôpitaux de l’arrière et de l’infrastructure. En
pratique depuis 30 ans, l’éloignement de la métropole des
territoires d’opération de l’armée française a toujours
imposé pour les lésions des membres un geste chirurgical
bien au-delà d’un simple conditionnement. L’Antenne
chirurgicale est constituée d’une équipe formée de
douze personnels dont un chirurgien orthopédiste. Ce
chirurgien diplômé et compétent en orthopédie mène
alternativement la vie d’un chirurgien de terrain et celle
d’un chirurgien de service hospitalier. C’est un avantage
certain que d’avoir ainsi la connaissance de toutes les
460
étapes de la stratégie du traitement des lésions des
membres lors de la décision des gestes à réaliser en
urgence à l’avant. Lucien Jean Baudens (1) insistait déjà
en 1837 en Algérie sur cette double expérience : « j’avais
le double avantage d’aller panser les blessés sur le champ
de bataille et de les ramener ensuite dans un hôpital dont
j’étais le chirurgien en chef ». Le matériel est adapté à une
stratégie de traitement en niveaux successifs et comporte
en particulier des boîtes pour la chirurgie osseuse et des
boîtes de fixateur externe permettant de stabiliser les
fractures. Si la mission initiale est le soutien chirurgical
des troupes françaises avant évacuation, les capacités
d’adaptation permettent une activité au service des
populations avec dans ce cadre aussi une majorité de
lésions des membres à traiter. Une transformation en
structure de soins unique qui doit assurer l’ensemble du
traitement est alors nécessaire au cours de ces missions à
caractère humanitaire (7).
Si ces formations ne peuvent procurer l’idéal chirurgical,
elles représentent un compromis entre l’art chirurgical
et les obligations imposées par les conditions du
combat ainsi que le soulignait déjà le médecin en
chef Chippaux en 1959.
Il faut remarquer qu’actuellement cette doctrine du
Service de santé des armées qui met le chirurgien le plus
près possible du blessé est reprise dans les conflits d’Irak
et d’Afghanistan où est privilégié une relève médicalisée
vers une formation chirurgicale de l’avant, comparable à
s. rigal
nos antennes chirurgicales, pour un geste opératoire
précoce et rapide puis une évacuation vers une formation
plus lourde à l’arrière.
III. L’AMPUTATION, LONGTEMPS LA SEULE
RÉPONSE AUX LÉSIONS GRAVES, RETROUVE
UNE ACTUALITÉ CRUELLE DANS LES
CONFLITS MODERNES.
Ambroise Paré amène une innovation fondamentale
en appliquant rationnellement à l’amputation la ligature
des vaisseaux pratiquée depuis longtemps dans les
hémorragies (4). Bien codif ié, ce geste restera pour
trois siècles la base de l’enseignement et de la pratique
du chirurgien militaire.
Pierre Dionis (premier chirurgien de mesdames les
dauphines et dont le fils a été le chirurgien major de
Le rétracteur à parties molles de Percy toujours présent dans les boites
d’amputation au XXIe siècle.
l’armée du roi d’Espagne) qui avait pratiqué la chirurgie
aux armées, dans la neuvième démonstration de son cours
d’opération de chirurgie publié en 1707 précise : « C’est
dans les hôpitaux des armées, durant les sièges ou après
une bataille, qu’il y a bien des occasions de faire cette
amputation : les coups de canon ou de fusil, les éclats de
bombe et de grenade brisent tellement les bras et les
jambes de ceux qui en sont blessés qu’il est très difficile
de les leur sauver. Le chirurgien se trouve contraint
d’extirper malgré lui une jambe pour sauver la vie du
malade ; car il vaut encore mieux vivre avec trois
membres, que de mourir avec quatre ». Déjà les niveaux
de l’amputation sont parfaitement appréhendés pour le
meilleur résultat fonctionnel de l’appareillage ainsi au
niveau de la jambe : « je conseille toujours de couper une
jambe tout le plus bas qu’il est possible, pourvu que l’on
puisse conserver le mouvement du genou … pour ne
laisser du moignon qu’autant qu’il en faut pour appuyer la
jambe de bois … » (8).
chirurgie militaire et blessés des membres
La ligature appuyée des vaisseaux, réalisée séparément,
est un geste actuel pourtant déjà bien défini ainsi par
Georges de la Faye chirurgien des camps et armées du roi
en 1732 : « L’opérateur prend une aiguille courbe ... il
l’enfonce assez avant dans les chairs, à un des côtés du
vaisseau, et la retire ; il passe une seconde fois dans les
chairs de l’autre côté du vaisseau et le retire de même ; il
noue le fil à deux nœuds … par ce moyen le vaisseau se
trouve lié avec les chairs qui l’environnent, comprimé
exactement et mollement » (9).
Larrey pratiquait des amputations précoces et salvatrices,
les blessés mourraient moins et guérissaient plus
vite qu’après le traitement conservateur. En outre
leur évacuation était plus simple que celle des blessés
ayant conservé leur membre. Il préconisait plutôt
la désarticulation geste plus rapide (en l’absence
d’anesthésie) qui ne nécessitait pas la scie mais le couteau
qui passait dans l’articulation. Alors que Percy, quant
à lui, préférait temporiser pour laisser se dessiner la
frontière entre le tissu dévitalisé et celui encore vivant.
Ce « Nestor de la chirurgie militaire », lauréat à plusieurs
reprises de l’académie pour ces travaux sur les
ciseaux, les bistouris, les instruments d’extraction
des projectiles et qui travailla aussi sur les aiguilles, la
ligature des artères, la cautérisation nous a laissé en
héritage son rétracteur de parties molles pour amputation
encore employé aujourd’hui.
Lucien Jean-Baptiste Baudens, défenseur des
amputations précoces, réalisait un véritable parage de
régularisation le plus distal possible pour conserver le
plus de longueur et des lambeaux cutanés suff isant
pour l’affrontement : « le coussinet charnu ainsi formé
protégeait la cicatrice et les opérés étaient moins soumis
aux douleurs du moignon » (1). C’est la préconisation
que l’on fait actuellement pour la réalisation des
amputations en traumatologie et qui est indispensable à
un appareillage fonctionnel. Si longtemps les chirurgiens
ont pu estimer que leur tâche était achevée dès la
cicatrisation, il faut retenir que des chirurgiens des
armées ont eu, bien avant la formalisation par la
commission consultative de prothèse et d’orthopédie en
1921, le souci de l’appareillage. Ambroise Paré est
souvent retenu comme un précurseur dans ce domaine
avec ses appareils métalliques articulés et motorisés
pour le coude ou le genou, la cheville à boule du général
Dausmenil amputé à Wagram par Larrey est célèbre,
la bottine-pilon était proposée par Roux en 1850 pour
les amputations basses de jambe (6). Actuellement la
collaboration chirurgiens orthopédistes, rééducateurs
et appareilleurs permet une prise en charge multidisciplinaire indispensable au sein du service de santé
des armées.
Longtemps, l’amputation fut la seule réponse chirurgicale aux lésions graves des membres, mais très tôt les
chirurgiens des armées ont eu conscience de son caractère
mutilant et on eu le désir d’être autant que possible
conservateurs. Ainsi Dionis introduit-il sa neuvième
démonstration « De l’amputation » : « de toutes nos
opérations, celle qui fait le plus d’horreur c’est
461
l’amputation de cuisse, d’une jambe ou d’un bras. Quand
on est près de séparer une partie de son tout, qu’on fait
la réflexion sur les moyens cruels dont on va se servir, il
n’y a point de chirurgien qui ne tremble et qui ne
compatisse au malheur du pauvre patient, qui se trouve
dans la fatale nécessité d’être privé d’une partie de son
corps pour toute la vie » (8). L’observation de monsieur de
la Peyronie, rapporté dans le même chapitre, montre la
conservation et la guérison d’une fracture ouverte du bras
par arme blanche, parée et immobilisé par un appareil qui
autorisait les pansements. Le risque de la conservation est
pris et une tactique adaptée à l’arsenal conceptuel et
technique de l’époque est mise en œuvre avec succès
même si le résultat fonctionnel reste limité par les
séquelles neurologiques (9).
La découverte de l’anesthésie (par deux dentistes Wells et
Morton en 1847) utilisée pour la première fois durant la
guerre de Crimée (1854-1855), et ultérieurement
amélioré avec l’injection de penthotal apporte une
amélioration majeure à la pratique chirurgicale et
permet le développement de techniques plus élaborées.
Celle de l’antisepsie par Joseph Lister, les progrès
fulgurants de l’ère pasteurienne, puis le développement
des antibiotiques à la suite de la découverte de la
pénicilline en 1928 par Fleming (la pénicilline est utilisée
pour la première fois par les chirurgiens français lors de la
campagne d’Italie en 1943) apportent un progrès majeur
dans la prise en charge et la prévention de l’infection. Les
progrès du traitement d’un choc grâce à la réanimation et
à la transfusion sanguine permettront dans certains cas
une option conservatrice mais l’amputation reste
toujours indispensable devant des lésions pluritissulaires
graves ou pour sauver la vie.
Sabatier, chirurgien chef des Invalides, exposait
clairement en 1796 les indications et les interrogations,
sur les possibilités de gestes moins radicaux, encore
très actuelles : « les cas qui exigent l’amputation sont
assez nombreux : ce sont les grands fracas des os avec
écrasement des parties molles, la destruction totale
des membres par l’effet du canon, … , l’ouverture
des principaux troncs artériels », et laisse percevoir la
possibilité d’un geste moins radical «… mais dans
quelques uns de ces cas mêmes, il est possible de se
dispenser de l’amputation et de parvenir à la guérison
en conservant le membre » (10).
c’est une double adaptation à des nécessités techniques
intangibles, sinon invariables et à des nécessités militaires
parfois inattendues et toujours variables » (11).
Le traitement des lésions des membres en pratique de
guerre a bénéficié des connaissances de la chirurgie civile
et applique les nouvelles avancées techniques de celle ci.
Mais la pratique civile est,elle aussi, influencée par
l’expérience de la chirurgie de conflit. Si le « damage
control » orthopédique issu de la pratique civile s’est
imposé comme référence de la prise en charge des lésions
des membres chez le polyblessé (3, 12, 13), le regain
d’intérêt pour le contrôle de l’hémorragie par le garrot est
issu de l’utilisation militaire actuelle. Le garrot, mis en
place par le blessé ou un camarade, évite la mort dans les
premières minutes (« les minutes de platine ») qui suivent
la blessure, voici ce que nous rappellent les derniers
conflits, voilà ce qui est applicable lors de blessure graves
en milieu rural. Henri Le Dran en 1749 recommandait
déjà l’utilisation militaire du tourniquet en chirurgie
IV. ÉVOLUTION VERS UN TRAITEMENT PLUS
CONSERVATEUR ET UN BUT FONCTIONNEL.
En 1936, le Médecin général inspecteur Henri Rouvillois,
président du congrès français de chirurgie, rappelait dans
son discours d’ouverture : « la chirurgie de guerre n’a
d’autres règles que celles de la chirurgie de paix ; elle ne
peut avoir d’autres bases que les siennes c’est-à-dire des
bases techniques. L’organisation de la chirurgie aux
armées est fonction des soins à donner aux blessés ; elle
doit être subordonnée à la technique et non la technique à
l’organisation. Mais son fonctionnement doit s’adapter
aux circonstances de guerre et aux nécessités militaires,
462
La « boîte à Baudens » en bois qui permet extension et contention des
fractures de jambe.
s. rigal
de guerre pour contrôler les hémorragies dans les
traumatismes graves et durant les amputations.
Même si des différences résident dans la typologie
des traumatismes rencontrés, les modes de traitement
et d’évacuation, le chirurgien militaire cherche à
respecter les standards civils malgré des conditions
de travail plus difficiles.
Cette orientation a toujours existé à l’exemple de la résection articulaire défendue par Percy (« nous nous sommes
applaudi d’avoir adapté au traitement des plaies par armes
à feu et propagé cette pratique aux armées »), adoptée par
Larrey, réintroduite par Baudens et dont les résultats ont
été analysé par Delorme en 1881 dans un mémoire qu’on
pourrait qualifié aujourd’hui de méta analyse (14). Percy
écrira en parlant de ce procédé « j’ai ainsi conservé à une
foule de gens des bras condamnés à la destruction totale ».
L’analyse de Delorme sera plus critique pour les résultats
fonctionnels et il conclura en faveur d'une place limitée
de la résection articulaire à côté de la méthode
conservatrice d’une part et de l’amputation de l’autre.
Le traitement actuel des lésions graves des membres est
issu des deux exercices, civil et militaire. Le débridementparage initial est l’héritier des règles précisées lors du
premier conflit mondial (le débridement systématique
permet d’explorer la plaie, l’épluchage et l’émondage
au bistouri et au ciseau éliminent les zones dévitalisées
et contuses), la stabilisation par fixateur externe est
l’application d’une technique de la traumatologie civile.
S’il n’est pas l’inventeur de la fixation externe le Service
de santé des armées a eu le mérite d’en reconnaître les
vertus, de les adopter, d’œuvrer à son perfectionnement
et d’institutionnaliser sa stratégie d’utilisation en
pratique de guerre.
Ambroise Paré, repris dans l’édition de 1764 des « dix
livres de chirurgie » donnait les principes essentiels
du traitement d’une plaie de guerre de l’avant bras avec
fracture des deux os, après extraction des corps étrangers
l’immobilisation était réalisée sur gouttière métallique
(4). Les contentions pour immobiliser les fractures par
des attelles en bois ou des « fanons de paille » étaient utilisées lors des guerres d’empire. À la suite de l’orientation
plus conservatrice, qui est née en 1830 lors de la conquête
de l’Algérie, extension et contention des fractures sont
devenues indispensables. La « boîte à Baudens » de 1821
est une des solutions proposée (1).
Lors de la première guerre mondiale, le chirurgien Duval
note en matière d’appareillage que « leur emploi ressort
de l’esprit regrettable qui veut que la chirurgie de guerre
se fasse avec des moyens de fortune ». Pour Rouvillois
« une immobilisation bien faite change complètement la
situation du blessé … l’appareillage de transport est un
geste de nécessité fonctionnelle qui permet de calmer
la douleur, réaliser une évacuation confortable, limiter
les lésions préexistantes, éviter les complications » (5).
La méthode de Trueta, lors de la guerre civile espagnole,
comportait outre le parage une immobilisation stricte
par plâtre à l’origine des meilleurs résultats vis-à-vis du
risque infectieux dans période pré antibiotique (15).
L’importance de la stabilisation était donc connue
chirurgie militaire et blessés des membres
Fracture de hanche par balle et lésion vasculaire des vaisseaux fémoraux.
Stabilisation par fixateur externe du Service de santé des armées et
réparation vasculaire.
depuis longtemps mais les moyens chirurgicaux pour la
réaliser n’existaient pas encore.
Jusqu’à la fin des années 70, le traitement des fractures
ouvertes de guerre s’effectuait grâce à des méthodes
orthopédiques (immobilisation plâtrée, traction)
qui complétaient l’indispensable parage chirurgical
463
et l’antibiothérapie. Les insuffisances de ce traitement
étaient notoires : mauvaise réduction, instabilité,
difficultés à surveiller et traiter les lésions des parties
molles, inadaptation aux contraintes de l’évacuation.
En 1979, le Service de santé des armées a mis au point un
fixateur externe répondant aux exigences de la chirurgie
de guerre et en a doté toutes ses formations de campagne,
ses hôpitaux de l’arrière et de l’infrastructure (16-18).
Ce n’est véritablement que durant les années 90, que
la communauté internationale militaire reconnaitra
l’intérêt de l’exof ixation (19, 20) et rejoindra la
conception d’utilisation du Service de santé des armées
sur l’utilisation de cet appareil qui participe au damage
control des lésions des membres, qui assure une
stabilisation indispensable à la réparation vasculaire (21)
et qui évite ou diminue les complications tel le syndrome
compartimental ou l’infection.
Ce système permet tout au long de la chaîne d’évacuation
de l’avant vers l’arrière, un maintien rigoureux de la
stabilité de la fracture. Le Fixateur externe du Service de
santé des armées (FESSA) ainsi conçu est utilisé comme
une traction portable qui permet d’associer à la chaîne
d’évacuation une véritable continuité de l’exofixation.
Après évacuation, la chirurgie de reconstruction est
assurée par des équipes spécialisées dans les hôpitaux
de l’infrastructure et utilisent toutes les techniques de
réparation des parties molles, de relance de l’ostéogénèse
par apport osseux, de réparation nerveuse, de réanimation
de la fonction utilisées en pratique civile.
Dès 1917, Pierre Duval résumait les buts de la chirurgie
des plaies de guerre des membres : « le temps n’est plus où
diminuer leur effroyable mortalité était la suprême
préoccupation, il convient de rechercher la meilleure
qualité, à la restauration anatomique doit s’ajouter la
guérison fonctionnelle. La qualité de la guérison devient
son but présent ».
Ces principes sont plus que jamais d’actualité alors que le
caractère précieux du soldat blessé s’impose. Chaque
combattant et sa famille exigent l’assurance que tout
blessé recevra un soin rapide et compétent à l’exemple de
ce qui se fait en traumatologie quotidienne. C’est ce qui a
été réalisé grâce à la mise à disposition dans les structures
de l’avant des moyens de la f ixation externe avec le
Lésion de la jambe stabilisée par un fixateur externe Percy Fx avec lambeau
musculaire de couverture.
464
FESSA, jusqu’en 2003, puis après cette date par un
nouvel appareil, conçu pour une utilisation en pratique de
guerre, le PercyFx (22). Cet appareil en matériaux
composites légers, disponible stérile à l’avant est le
précurseur d’une génération de f ixateurs proposés
actuellement en pratique civile et qui répondait avant
l’heure aux caractéristiques définies actuellement par le
STANAG (standardization agreement) 2 469 de
l’OTAN, véritable cahier des charges pour un fixateur
externe opérationnel.
V. LES PRINCIPES DU TRIAGE ET LES IDÉES
HUMANISTES.
La chirurgie de guerre exige des modif ications
dans l’éthique parce qu’elle est parfois une chirurgie
de masse qui impose un triage. « La guerre, a dit Pirogoff,
est une épidémie de traumatismes. Bien souvent le
chirurgien sera dans l’obligation de limiter son action
à des gestes utiles et sans grandeur, au détriment de
tentatives héroïques longues et incertaines, qui sont
la récompense de son effort et l’orgueil de la profession ».
Lorsque le nombre de blessés à traiter est important l’objectif est d’en sauver le maximum en réalisant
un véritable « damage control collectif » (23) fait
de gestes rapides et d’indications d’amputations
plus nombreuses.
Ce triage a des règles techniques, qui définissent une
priorité de traitement pour les lésions des membres. Les
fractures des membres qui mettent en jeu le pronostic
vital et celles qui sont associées à une lésion vasculaire
qui met en jeu la vitalité du membre sont des urgences
absolues. Les autres lésions sont des urgences relatives,
pour lesquelles classiquement une mise en condition
simple à l’antenne chirurgicale permet l’évacuation
vers d’autres structures de soins.
Ce triage a des règles éthiques. En 1796, Larrey
enseignait « sur le champ de bataille traiter le plus
gravement atteint sans notion de rang ou de nationalité,
ami ou ennemi ». En 1806, lors de la bataille d’Iéna, ce
même praticien préconisait dans ses mémoires de
campagne « il faut toujours commencer par le plus
dangereusement blessé » et ajoutait « sans avoir égard
à son rang et aux distinctions ».
Dans un même esprit humaniste, dès 1800, Percy
a essayé de développer des conventions entre
belligérants pour déclarer la neutralité des blessés et
des soignants. Il fait proposer au général Moreau et
au général autrichien Kay de déclarer inviolable les
refuges où sont regroupés et soignés les blessés, amis
ou ennemis, ainsi que les chirurgiens et tous les
personnels chargés des soins. Il faudra près de
60 ans pour qu’Henri Dunant publie « souvenir de
Solférino » (juin 1859) un livre qui décrit les horreurs
subies par les blessés et dont l’impact est tel, qu’en 1864
la première convention de Genève sera signée et la
Croix Rouge naîtra.
s. rigal
Cours pratique aux chirurgiens des armées, dans le cadre du module
« lésions des membres » de la Capacité Chirurgicale en Mission Extérieure
(CA.CHIR.M.EX.).
VI. L’INDISPENSABLE FORMATION À UNE
PRATIQUE CHIRURGICALE SINGULIÈRE.
Hippocrate authentifiait déjà cette spécialisation en
conseillant à ceux qui voulaient se perfectionner dans
le traitement des plaies de guerre de s’enrôler dans
les troupes mercenaires. Celse, au I er siècle, rédigea
une véritable encyclopédie médicale dont une partie
importante est consacrée au traitement des plaies.
En marge de l’enseignement officiel, qui restait à Paris
l’apanage du collège de chirurgie, Louis XIV avait institué
en 1673 au jardin royal des démonstrations d’anatomie et
de chirurgie. Le premier titulaire fût Pierre Dionis qui
avait pratiqué la chirurgie aux armées et publia en 1707 le
recueil de ses cours en un ouvrage. Dans la préface du
Cours d’opérations de chirurgie il cible une partie de
l’auditoire : « livre utile à ceux qui pratiquent la chirurgie
dans les armées » et précise l’organisation « chaque hiver
au jardin royal on commence par l’anatomie sur le
premier cadavre qui se présente et qu’ensuite sur un
autre on fait toutes les opérations de chirurgie » (8).
Le cours actuel de capacité chirurgicale en mission
extérieure (CA.CHIR.M.EX) de l’École du Val-de-Grâce
constitué de cinq modules faits de cours théoriques et
de pratiques techniques sur sujets d’anatomie est en
droite ligne l’héritier du Cours de Dionis divisé en dix
journées, « la huitième de celles qu’on fait aux extrémités
supérieures, la neuvième celles qui sont faites sur
les extrémités inférieures ».
Percy et Larrey ne se contentaient pas d’opérer, ils
avaient le souci de la formation. Dès le cantonnement installé, ils formaient les apprentis, et au cours
des étapes des armées de l’Empire dans des grandes
villes d’Europe les médecins des pays occupés en
devenaient d’assidus auditeurs. Baudens pendant
les guerres d’Afrique s’occupait du perfectionnement
chirurgie militaire et blessés des membres
des jeunes officiers de santé et faisait agréer en 1832
l’hôpital militaire du Dey à Alger comme hôpital
d’instruction puis comme école de médecine ; il
enseignait plus particulièrement un parage raisonné et
les résections articulaires (24).
Le diff icile problème de la formation en chirurgie
de guerre des équipes médicales des armées reste une
préoccupation actuelle. Comment apprendre la chirurgie
de guerre ? Les trauma-centers des grandes villes
américaines ont longtemps été le terrain de formation
des chirurgiens militaires américains. Actuellement
c’est la pratique civile qui est modifiée par l’expérience
des conflits d’Irak et d’Afghanistan. Il en a été de même
lors de la guerre du Vietnam dans le domaine de la
chirurgie des traumatismes vasculaires. Les spécificités
particulières font opposer la chirurgie du temps de paix
et la chirurgie de guerre et le passage de l’une à l’autre
ne peut se faire que par un enseignement particulier
complémentaire. La formalisation est réalisée par la
chaire de chirurgie appliquée aux armées de l’École du
Val-de-Grâce. Cette chaire, héritière de la chaire
d’anatomie et de chirurgie conf iée par le Comité de
salut public à Dominique Larrey en 1796 en f ixe les
orientations. Le module 2 de CA.CHIR.M.EX, dédié
aux lésions des membres, propose des conduites
thérapeutiques intégrées dans une conception des soins
intéressant plusieurs équipes chirurgicales amenées à
soigner le blessé à des stades variables de la guérison.
Mais cette chirurgie de guerre « réglée » n’est pas
f igée. Elle est en constante évolution et s’adapte à
l’évolution des sciences et des techniques et aux
retours d’expérience.
Le choix du Service de santé d’un orthopédiste à
l’avant, plutôt qu’un chirurgien généraliste formé à
la traumatologie osseuse, assure au combattant un
traitement sur le terrain qui respecte les fondamentaux de la chirurgie de guerre mais avec une vision
globale des possibilités ultérieures de réparation.
Les chirurgiens orthopédistes militaires actuels ont
une formation identique et acquièrent une qualification
équivalente à leurs collègues civils. Des connaissances
plus spécialisées en traumatologie osseuse, incluant
la chirurgie réparatrice des membres, sont nécessaires.
Les services des hôpitaux d’instruction se doivent donc
d’offrir au quotidien cette activité aux chirurgiens des
armées pour entretenir ces compétences.
VII. CONCLUSION.
La chirurgie près des combats est une pratique difficile,
les chirurgiens des armées doivent y être préparés par leur
formation, être capable d’adaptation et ne pas oublier
l’expérience de leurs aînés. Voilà, simplifié, l’héritage
des chirurgiens de l’avant !
Si Henri Rouvillois (11) écartait toute attitude
dogmatique et demandait à ses chirurgiens d’être capable
d’adaptation en rappelant la pensée de Herbert Spencer
« il n’y a que l’imprévu qui arrive », il insistait aussi sur
465
le respect de principes élémentaires éprouvés par
des siècles de tâtonnements expérimentaux.
Les nouvelles techniques, les avancées conceptuelles
ne doivent pas laisser penser que ce qui se faisait
antérieurement est révolu (25). Il en va ainsi du débridement-parage et de l’amputation, gestes aujourd’hui
encore indispensables, même si se dessinent les
possibilités de l’ingénierie tissulaire et de la régénération
tissulaire pour la reconstruction des lésions graves des
membres dont les lésions de guerre devraient bénéficier.
Note de l’auteur : un article historique relève souvent
d’une motivation très personnelle. Mon intérêt pour
la chirurgie des membres, l’importance quantitative
en pratique de guerre de ces lésions et les impératifs
de format de la publication expliquent le choix d’un
sujet limité à celle ci. Si j’ai écarté de mon propos les
autres domaines chirurgicaux, il doit être bien compris
qu’il s’agit là d’un cloisonnement artificiel et que le
chirurgien des armées se doit, bien sur, d’avoir en pratique
une vision plus généraliste indispensable à la prise
en charge des poly blessés graves. Enfin, le domaine
du traitement des blessures des membres me semble se
prêter parfaitement à la mise en perspective des avancées
réalisées par le Service de santé des armées car il a
longtemps été la seule sphère d’activité des chirurgiens
des armées avec l’intérêt de couvrir entièrement les
trois siècles d’existence de notre service.
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s. rigal
Tricentenaire du Service de santé des armées
PSYCHIATRIE DU COMBATTANT : ÉVOLUTION SUR
TROIS SIÈCLES
P. CLERVOY
I. INTRODUCTION.
L’histoire de la psychiatrie et de la psychologie clinique
dans le Service de santé des armées (SSA) est marquée
par une double influence : les grands mouvements
humanistes et philosophiques qui ont traversé ces trois
siècles articulés aux événements historiques qui en ont
été les moments de rupture et de rénovation. On ne peut
pas parler de continuité dans le développement de cette
discipline, seulement d’une perspective historique
construite à partir d’une succession de mouvements,
chacun se superposant au précédent. Deux phénomènes
paraissent cependant constants. D’abord, au fil de ces
trois siècles l’intérêt pour les troubles psychiques
survenant en temps de guerre a pris une importance croissante, probablement parce qu’en même temps les progrès
en hygiène médicale entraînaient une diminution des
grands fléaux épidémiques qui dominaient les questions
de santé en milieu militaire. Où s’effaçaient le typhus et le
choléra se laissait voir progressivement l’impact de la
bataille sur l’état psychologique du soldat. Ensuite la
discipline psychiatrique n’existait pas en tant que telle
avant le XIXe siècle, et elle ne s’est pas autonomisée de la
neurologie avant le milieu du XXe siècle ; cela explique le
déséquilibre entre une première période plutôt pauvre et
une seconde période bien plus riche en développements.
II. L’HUMANISME ET LA SCIENCE.
Aux premiers temps, l’approche psychologique
et psychiatrique était toute entière contenue dans
l’humanisme des off iciers du Service de santé des
armées. Elle se fond dans l’élan philosophique qui
a annoncé puis conduit les grandes réformes de la
Révolution française. Le justement nommé « Traité
médico-philosophique » de Philippe Pinel paru en 1801
peut être considéré comme le premier ouvrage de
psychiatrie de langue française. On peut y lire plusieurs
descriptions de cas cliniques qui pourraient encore
illustrer un ouvrage contemporain de psychiatrie militaire.
P. CLERVOY, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce.
Correspondance : P. CLERVOY, service de psychiatrie, HIA Sainte-Anne, BP 600,
83800 TOULON Armées.
médecine et armées, 2008, 36, 5
L’artilleur de Pinel
Philippe Pinel est le médecin auquel,
déformant la réalité historique, la
légende attribue la naissance de la
psychiatrie parce qu’en libérant les
fous de leurs chaînes, il donnait
naissance à une discipline médicale
consacrée à la maladie mentale. Par son
geste, les désordres comportementaux et
les idées délirantes des aliénés quittaient
définitivement le domaine de la superstition et
entraient dans le champ de l’observation clinique. Dans le
Traité médico-philosophique il rapporte le cas « d’un
jeune militaire de 22 ans frappé de terreur par le fracas de
l’artillerie, dans une action sanglante où il prend part
aussitôt après son arrivée à l’armée ». Il fait une autre
observation qui montre son attention aux troubles
psychiques immédiats de guerre et aux perturbations
familiales secondaires : « À la même époque, deux jeunes
réquisitionnaires partent pour l’armée, et dans une action
sanglante, un d’entre eux est tué d’un coup de feu à côté de
son frère ; l’autre reste immobile et comme une statue à ce
spectacle : quelques jours après on le fait ramener dans cet
état à sa maison paternelle ; son arrivée fait la même
impression sur un troisième fils de la même famille ; la
nouvelle de la mort d’un de ses frères, et l’aliénation de
l’autre, le jettent dans une telle consternation et une telle
stupeur, que rien ne réalisait mieux cette immobilité
glacée d’effroi qu’ont peinte tant de poètes anciens ou
modernes. J’ai eu longtemps sous mes yeux ces deux frères
infortunés dans les infirmeries de Bicêtre ; et ce qui était
encore plus déchirant, j’ai vu le père venir pleurer sur ces
tristes restes de son ancienne famille ». Et il y a le grand
classique de la littérature psychiatrique connue sous le
nom de l’artilleur de Pinel : « Un artilleur, l’an deuxième
de la république, propose au comité de salut public le
projet d’ un canon de nouvelle invention, dont les effets
doivent être terribles ; on en ordonne pour un certain jour
l’essai à Meudon, et Robespierre écrit à son inventeur
une lettre si encourageante, que celui-ci reste comme
immobile à cette lecture, et qu’il est bientôt envoyé à
Bicêtre dans un état complet d’idiotisme» (1). Aujourd’hui
encore cette observation sert à la démonstration clinique
qu’une émotion forte, aussi heureuse soit-elle, peut
déclencher des sévères perturbations de l’humeur.
467
Les officiers du Service de santé des armées sont animés
d’une curiosité passionnée. Ils sont au service de
l’homme avant d’être au service d’une discipline. Ils sont
engagés dans un combat contre tout ce qui peut empêcher
l’accomplissement de son humanité. Ils s’inspirent des
débats philosophique qui leurs sont contemporains et
montrent parallèlement une grande avidité pour les
développements de la science. Tout en ayant lu Rousseau
et Condillac, ils cherchent dans le cerveau les lieux de
l’âme, des rêves et des passions. Ils formulent le vœu
d’une éducation morale qui porterait chacun au meilleur
possible de lui-même. L’humanisme et la science sont les
deux moteurs de leur discipline.
Itard : chirurgien et… précurseur de la
pédopsychiatrie
Jean Marc Gaspard Itard
était destiné à êtrebanquier
comme son père. Pris dans
le grand chaos de la
Révolution française, il
devient chirurgien de la
Grande Armée. Dominique Larrey l’appelle
ensuite à l’Hôpital du
Val-de-Grâce. Il n’y reste que
trois ans puis prend à quelques
rues de là, la direction de l’Institution impériale des sourds-muets.
Suivant l’enseignement de Pinel, il prône le traitement
moral. Il s’applique à la prise en charge psychologique des
grands déficients sensoriels et c’est dans ce contexte qu’à
sa demande lui est confié un enfant sauvage capturé à l’âge
de 8 ans dans les forêts de l’Aveyron. L’enfant fugue
impulsivement, mord ceux qui tentent de l’approcher, se
masturbe frénétiquement, refuse de porter des vêtements.
Malgré quelques éphémères et très partiels succès, les
tentatives éducatives de civiliser l’enfant seront au final un
échec. Mais l’observation scientifique publiée ensuite par
Itard lui vaut une renommée immédiate. La démarche
pédagogique patiente et appliquée qu’il a développée
pour l’enfant sauvage peut être considérée comme un
travail pionnier. On peut attribuer, de loin bien sûr, à un
officier du Service de santé des armées la première
approche thérapeutique spécifique en pédopsychiatrie (2).
Dans son acte auprès du blessé de guerre, le dévouement
du chirurgien, sa présence et son engagement moral,
sont déjà la forme d’un soin psychologique. Avant qu’il
use de son art son empathie a déjà produit un bénéfice,
qu’il en soit conscient ou non.
468
Dominique Larrey fin psychologue
Au lendemain de la Révolution,
la France est menacée à ses
frontières par une coalition de
nations ennemies. L’armée est
à refaire. Avec la conscription
apparaît le soldat citoyen. Il est le
plus souvent d’origine rurale et n’a
guère été formé au métier des armes.
À plusieurs reprises des soldats ont
été empêchés de participer au combat
dès le commencement de la manœuvre en
raison de sévères blessures faites à leur main
avec leurs fusils. Le soupçon tombe sur eux. Les maréchaux
sont indignés par ces blessures qu’ils attribuent à des mutilations volontaires en vue d’échapper au combat. Ils
qualifient ces blessés de lâches, voire de traîtres à la Nation.
Les malheureux sont menacés du peloton d’exécution.
L’Empereur, prudent, suspend cette sanction expéditive et
demande à Dominique Larrey une expertise. Celui-ci prend
le temps d’examiner chacun. Il les écoute aussi. L’avis qu’il
rend est bien différent : ces pauvres soldats étaient avant tout
inexpérimentés. Pris dans la fièvre anxieuse de la bataille,
ils manipulaient leur arme avec maladresse et se blessaient à
la main lors du chargement de leur fusil en faisant exploser
la poudre qu’ils tassaient au fond du canon. Ils furent graciés
(3). La tempérance, l’écoute attentive et la finesse analytique de Dominique Larrey à cette occasion est une leçon de
psychologie médicale appliquée au milieu militaire.
Le vent du boulet
Ils tiennent debout mais ils paraissent endormis. Ils ont les
yeux ouverts mais ils n’observent rien. Ils ont la bouche
ouverte mais ils ne prononcent pas un mot. La mitraille
tombe sur eux mais ils restent inertes. Ils sont pétrifiés.
Leur pensée s’est arrêtée. Obnubilation. Stupeur… Parfois
ils se mettent en mouvement comme des automates. Ils
s’agglutinent par dizaine et déambulent sans but sur le
champ de bataille, la conscience obscurcie. Les médecins
militaires du XIX e siècle diagnostiquent une réaction
d’effroi. Ils ont nommé ces états plus ou moins durables
« confusion mentale de guerre », « onirisme de la bataille ».
Soucieux de donner une explication rationnelle à ces états,
ils évoquent un phénomène mécanique : le « vent du
boulet ». C’est la frayeur intense suscitée par un
bombardement qui produit cette paralysie psychique.
Aujourd’hui on parle de stress dépassé.
C’est toujours le même état,
mais nommé avec des termes
plus modernes. On incrimine
l’embrasement physiologique
d’une petite zone du cerveau,
l’amygdale. Quels que soient
les temps et les avancées
théoriques, la fragilité psychologique de l’homme en guerre est de
toutes les époques.
p. clervoy
III. VERS DES PATHOLOGIES PSYCHIATRIQUES SPÉCIFIQUES AUX ARMÉES…
Les guerres napoléoniennes ont fait émerger un corps
d’officiers de santé spécialisés. Ils vont développer pas à
pas une doctrine médicale fondée sur l’observation du
soldat sur le champ de bataille. Un savoir psychiatrique
s’élabore progressivement et se transmet de maître à élève.
Les perturbations psychologiques s’expriment parfois
sous la forme de troubles du comportement. Les
médecins pressentent une dimension pathologique
lorsque ces troubles prennent une forme stéréotypée et
peuvent être décrits comme des manifestations cliniques
regroupées en syndromes. Un certain nombre de ces
syndromes sont propres au milieu militaire. Ainsi émerge
une spécificité de la psychiatrie dans les armées.
D’autres pathologies psychiatriques et psychologiques
propres au milieu militaire furent décrites sous
des vocables variés : « le cœur émotif », « l’éréthisme
cardio-vasculaire », « dystonie neuro-végétative »… Ils
désignaient des pathologies fonctionnelles qui
traduisaient un épuisement psychosomatique ou
une fragilité psychologique du soldat. Ils correspondaient
à une réalité clinique et permettaient aux médecins
La psychose nostalgique
Le plus souvent ce sont des soldats qui viennent des
montagnes, des Alpes ou des Pyrénées. Parfois ce sont
aussi des soldats originaires des lointaines colonies. Ils
sont motivés et parfaitement intégrés dans leurs bataillons.
Sans facteur déclenchant remarquable, leur état de santé se
détériore progressivement. Les médecins observent des
troubles de l’appétit, des troubles du sommeil, une fatigue.
Puis le tableau clinique s’aggrave avec une altération de
l’état général et une dépression sévère de l’humeur. Une
terminologie purement militaire a été inventée par les
médecins militaires du XIX e siècle pour définir ces
troubles : la psychose nostalgique. Ils observent que la
seule thérapeutique efficace est de permettre à ces soldats
de retrouver leur pays, leurs racines, et se ré-imprégner de
leur culture. Ils pouvaient ensuite retourner dans leurs
unités et reprendre leur service pour une longue période.
La dernière fois que fut décrite cette pathologie fut durant
la première guerre mondiale. Une dizaine de soldats
d’origine basque avaient fuit leur unité. Ils y étaient ensuite
spontanément revenus. Ils étaient passibles de la cour
martiale pour désertion. Un jeune psychiatre qui avait reçu
les plus hautes décorations pour son action au front, Henri
Baruk, fit valoir cette pathologie devant une commission
de discipline et ces hommes furent graciés (2).
Aujourd’hui ce terme est désuet comme les autres noms
sous lesquels la nostalgie était désignée : « cafard »,
« soudanite ». Cette symptomatologie est maintenant
dénommée pathologie des transplantés et des migrants ou
encore anxiété de séparation, trouble de l’adaptation et
immaturité psycho affective. Ce sont des mots moins
précis, plus consensuels aussi.
psychiatrie du combattant : évolution sur trois siècles
de négocier avec le commandement des solutions
thérapeutiques adaptées.
La pathologie psychosomatique domine largement
les descriptions médicales du temps de guerre. Leur
physiologie est bien connue, rapportée au stress qui est un
concept introduit en médecine par des auteurs anglosaxons. Curiosité historique, l’étymologie du mot stress
le rapporte à une origine française. Du mot détresse au
départ il est passé dans la langue anglaise pour donner
distress, puis par aphérèse a donné stress qui est ensuite
revenu dans la lexicologie médicale française…
IV. LE TOURNANT DU DÉBUT DU XX E
SIÈCLE : DE L’ALIÉNISME ORDINAIRE À LA
PSYCHIATRIE DANS LES ARMÉES.
Au début de l’époque dite moderne, l’orientation est
neuropsychiatrique. Les désordres psychiques, lorsqu’ils
sont observés, sont systématiquement rapportés à une
pathologie de l’encéphale ou de ses enveloppes. Les
Les troubles neuro-psychiatriques de la
guerre de 14-18
Durant la Grande Guerre les neuro-psychiatres furent
déroutés par le nombre et l’allure des blessés psychiques.
La moitié des troubles neurologiques sont des conversions
hystériques telles que les avait décrites Jean-Martin
Charcot le grand maître de la neurologie du XIXe siècle. Les
descriptions cliniques se multiplient : des « trembleurs »,
des « inertes psychiques », des « persévérateurs », des
« exagérateurs », des « crisards », des « estropiés à
temps ». Les conversions les plus surprenantes restent les
contractures. Au niveau des membres, elles réalisent des
attitudes monoplégiques variées. Au niveau du tronc, elles
prennent la forme d'attitudes scoliotiques ou lordotiques.
Les plus caricaturales sont les camptocormies dénommées
ainsi parce qu'elles reproduisent l'attitude du cueilleur
de champignon. Ce sont des hommes quasiment pliés
en deux, les jambes semi-fléchies et le dos courbé, la
tête en hyper-extension pour regarder le sol où ils
posent avec prudence le bâton sur lequel ils s'appuient
et qui les aide à ne pas se recroqueviller totalement.
Babinski pense que ce sont des simulateurs de
bonne foi. Des médecins
audacieux, pour ne pas
dire sadiques, tentent en
vain de corriger leur
posture à coups de
décharges électriques (4).
De ces observations et
en réaction à ces échecs
thérapeutiques émergent
en France deux mouvements jumeaux qui vont
influencer la psychologie
médicale : la psychanalyse et le surréalisme (2).
469
problèmes infectieux sont prioritaires. La plupart des
pathologies psychiatriques décrites sont attribuées à
des méningo-encéphalites traumatiques, toxiques ou
infectieuses. Les médecins du Service de santé des
armées sont les soldats de l’hygiène en campagne. Ils
combattent la tuberculose, la syphilis et l’alcoolisme avec
la même vigueur et partout où dans l’immense empire
colonial français sont positionnées les forces armées. La
grande rupture intervient lors de la Première Guerre
mondiale lorsque les médecins militaires sont confrontés
à l’incidence inattendue des conversions hystériques.
C’est après cette guerre que sont rédigés les premiers
ouvrages exclusivement consacrés à la psychiatrie
militaire : La folie et la guerre de 1914-1918 de Rodier et
Fribourg-Blanc en 1930 (5), La pratique psychiatrique
dans les armées par le même Fribourg-Blanc et
Gauthier cinq ans plus tard (6).
Le premier ouvrage est une succession d’observations
faites durant la Grande Guerre. L’ambition des auteurs
est de faire la démonstration qu’il n’y a pas de clinique
psychiatrique spécif ique au temps de guerre.
Singulièrement le second ouvrage prend le contrepied du précédent, soulignant les spécif icités d’une
pratique psychiatrique aux armées…
V. AVANCÉES ET DÉVELOPPEMENTS.
La psychiatrie devient une discipline off icielle.
L’enseignement de la psychiatrie en France se réforme
dès 1969 avec l’effet accélérateur donné par les
évènements de mai 1968. Le Service de santé suit
le mouvement général et une chaire de psychiatrie
militaire est crée sous l’impulsion d’un psychiatre
qui deviendra Directeur central, Pierre Juillet. Avec
Pierre Moutin, il est l’auteur d’un ouvrage qui fait la
synthèse de l’ensemble des travaux psychiatriques
réalisés par chaque nation belligérante durant la
seconde guerre mondiale et les principaux conflits de la
décolonisation, notamment sur les théâtres d’extrême
470
Laborit : apôtre de la
psychopharmacologie
Henri Laborit est un médecin de Marine
qui choisit au départ de s’orienter vers
la chirurgie. Il veut en pousser plus loin
les limites. Il développe une discipline
nouvelle, l’anesthésie, et il invente
l’hibernation artificielle du malade qui
peut ainsi supporter des interventions
plus longues et plus hémorragiques.
Il est en quête d’une substance
susceptible de paralyser le système
neurovégétatif. Il développe l’emploi d’une molécule
nouvelle : la chlorpromazine commercialisée sous le nom
de Largactil. Un jour les psychiatres de l’hôpital du Valde-Grâce lui demandent son aide pour les aider à calmer un
patient agité sur lequel ils ont épuisé toutes les ressources
médicamenteuses possibles. Laborit sort de sa poche
quelques ampoules de Largactil avec la seule mention
« essaye ça ». De ce geste est née une nouvelle catégorie de
médicaments : les neuroleptiques. Les services de
psychiatrie se sont alors transformés. Les malades agités
s’apaisent. Les murs des asiles s’ouvrent et des patients
psychotiques jusque là considérés incurables peuvent
progressivement se réinsérer socialement. Très
éclectique, Laborit a ensuite rédigé de nombreux ouvrages
mêlant sociologie, psychologie et physiologie. Il reste
aujourd’hui avec deux visages : celui d’un visionnaire qui
se trompe lorsqu’il prophétise l’âge d’or d’un homme
libéré des pulsions agressives, et celui d’un chercheur qui
a été couronné du Prix Lasker de
l’American Health Association pour
son rôle dans la découverte des neuroleptiques. Il aurait même mérité mieux.
L’importance de cette découverte
justifiait bien l’attribution d’un prix
Nobel ; mais l’atypicité du personnage
et son opposition aux conventions
universitaires sont les facteurs proba
bles de cette non-récompense (2).
orient et du maghreb. Effet de conjoncture remarquable,
ce livre est publié au même moment et chez le même
éditeur que l’ouvrage de psychiatrie civil de référence,
le manuel de psychiatrie d’Henri Ey.
L’ouvrage « Psychiatrie militaire » est à la fois une somme
et une synthèse (7). L’armée est analysée comme un
milieu social avec un fonctionnement particulier qui
donne aux pathologies psychiatriques des aspects
cliniques spécif iques. Les auteurs distinguent une
pathologie du temps de paix et une pathologie du temps
de guerre. À chaque personnalité pathologique est
rapportée une décompensation psychologique possible.
Signe des temps modernes, on remarque que des termes
retrouvés dans les ouvrages antérieurs comme ivrognerie
ou lâcheté disparaissent ; on décrit maintenant des
conduites addictives et des conduites de fugues. Cet
effacement du jugement moral sur la pathologie
p. clervoy
La psychanalyse dans les armées.
Angelo Hesnard, neuropsychiatre de la Marine a été un des
pionniers de la psychanalyse en France. Grâce à son frère
professeur agrégé d’allemand, il a accès dès les années
trente aux premiers travaux de Sigmund Freud et il en
vulgarise la théorie. Il est l’un des fondateurs du premier
groupe psychanalytique français, mais il ne fait pas école
dans le Service de santé des armées.
Bien plus tard, à partir des années soixante, la psychanalyse est une discipline très dynamique au sein de la
psychiatrie française et donc de la psychiatrie militaire
aussi. Claude Barrois, puis François Lebigot et Guy Briole
ont dirigé de nombreux travaux notamment dans le champ
des névroses traumatiques (8-10). Ils ont aussi donné une
orientation psychanalytique à plusieurs de leurs élèves.
psychiatrique marque l’autonomisation et la médicalisation de la psychiatrie parvenue à maturité après s’être
dégagée de la tutelle de la neurologie. La pathologie
psychiatrique aiguë de guerre est abordée sous les
termes génériques de choc de combat et de fatigue de
combat, héritage des travaux anglo-saxons. Ces termes
ont l’avantage de ne pas enfermer trop hâtivement un
soldat dans une catégorie nosologique. En effet, et ce
depuis la première guerre mondiale, on sait que la forme
et l’intensité des troubles psychiques aigus de guerre ne
sont pas des indicateurs pronostiques fiables. Chaque
médecin l’apprend aujourd’hui dans la formule classique
des principes de Salmon qui préconisent une intervention
psychiatrique immédiate, de proximité, simple et surtout
qui ménage le jugement pronostique.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale s’effondrent les
grands empires coloniaux. L’armée française traverse
deux épisodes difficiles de son histoire, en Indochine
d’abord puis surtout en Algérie où le contingent est
engagé. Beaucoup de militaires sont déstabilisés par les
combats au milieu des populations civiles, les ambiances
où se confondent les victimes et les bourreaux, les scènes
de torture, les visions atroces et répétées de combattants
mutilés et de familles massacrées. Nombre d’entre eux
reviennent en métropole psychologiquement éprouvés.
Ils vivent chaque jour avec l’angoisse récurrente de leurs
psychiatrie du combattant : évolution sur trois siècles
souvenirs. Ils retrouvent chaque nuit l’épouvante de leurs
cauchemars. Ils ont du mal à parler et trouvent dans leur
entourage peu de personnes pour écouter leur plainte. Les
noms des lieux de guerre deviennent synonymes de
blessure psychique : Diên Biên Phu, Alger, les Aurès…
Au contact de ces vétérans, trois générations de
psychiatres militaires développent une approche
conceptuelle de leur pathologie et de leur traitement.
Selon l’orientation de travail de chacun, la narcoanalyse
puis l’approche psychanalytique, la prise en charge de ces
blessés psychiques se prolonge sur plusieurs années. Le
terme de névrose traumatique est progressivement
validé, ensuite remplacé par celui de syndrome de
répétition traumatique ; aujourd’hui la dénomination
internationale validée est « état de stress post traumatique » (11). Deux points forts sont à mettre au crédit du
Service de santé des armées : en 1992 l’adoption d’un
texte de loi officiel qui reconnaît cette pathologie et
471
groupe par des paniques collectives aux conséquences
imprévisibles. Deux psychiatres partent sur le terrain dès
le début du déploiement (19, 20), rejoints quelques mois
plus tard par deux autres psychiatres venus en renfort (21,
22). Ils inventent un travail auprès des militaires. Pas des
consultations formelles comme dans un hôpital, mais une
veille psychologique et une écoute portée où chacun la
sollicite. Sous l’impulsion de Bernard Lafont se met en
place une doctrine sur la place et le rôle du psychiatre en
opération, auprès du commandement et en association
avec le médecin d’unité (23, 24). Sur l’initiative
des psychiatres militaires français, un symposium
international est organisé l’année suivante dans l’enceinte
du Val-de-Grâce. Les fondements de cette doctrine
sont posés et validés. Moment symbolique : c’est le
bicentenaire de l’installation du SSA dans les murs de
l’ancienne abbaye royale ; acte symbolique : la salle
capitulaire nouvellement restaurée est inaugurée
à cette occasion.
Par la suite, ponctuellement au Rwanda en 1994
et durablement en Ex-Yougoslavie dès 1995, aussi
longtemps que l’auront permis un effectif suff isant
de spécialistes, un psychiatre est intégré aux structures
médico-chirurgicales projetées sur les théâtres
d’opérations extérieures.
B) LA NAISSANCE DES CELLULES
D’URGENCE MÉDICO-PSYCHOLOGIQUES
permet l’attribution de pensions aux militaires et aux
victimes civiles psychologiquement blessés (12), et cette
même année la publication d’un ouvrage médical de
référence intitulé « Le traumatisme psychique : rencontre
et devenir » (13). En 1990 faire valoir le traumatisme
psychique comme une blessure était une démarche
pionnière. Cette entité a été validée par la suite : devant
l’Académie nationale de médecine (14) d’abord ; puis
pour la première fois une grande revue médicale française
lui consacre une monographie (15) ; et enfin elle est
admise dans le grand public et les médias (16-18).
VI. CONSTRUCTION D’UNE DOCTRINE : LA
PSYCHIATRIE MILITAIRE EN SITUATION
OPÉRATIONNELLE.
A) LES PSYCHIATRES AU FRONT
De 1990 à 1991, la France participe à une coalition de
forces armées rassemblée dans le Golfe persique prête à
combattre l’armée irakienne qui a envahi le Koweït. Les
experts s’attendent à des combats intenses avec l’emploi
d’armes non conventionnelles, notamment chimiques.
Mais ces armes sont avant tout de puissantes armes
psychologiques, susceptibles d’induire des états
d’angoisse individuels qui se traduiraient à l’échelon du
472
En 1994 plusieurs évènements fortement médiatisés
produisent des effets conjugués qui ont donné naissance à
des innovations en matière d’intervention psychologique
précoce. Deux attentats terroristes dans les transports en
commun parisiens, une intervention militaire au Rwanda
avec des morts par milliers lors d’une épidémie de choléra
dans un camp de réfugiés, la prise en otage de militaires
français sous mandat de l’ONU en ex-Yougoslavie et
enfin la libération des passagers, victimes d’une prise
d’otage sur l’aéroport de Marseille-Marignane : à chaque
fois est improvisée une intervention psychologique
précoce au prof it des victimes et des sauveteurs. En
association avec les psychiatres militaires, les pouvoirs
publics prennent en compte la dimension de souffrance
associée à un traumatisme psychologique. Aujourd’hui,
dans chacune des armées comme en milieu civil, des
procédures sont institutionnalisées pour mettre en
place en quelques heures des cellules d’assistance
psychologique en cas de catastrophe ou d’attentat (26).
C) LE SYNDROME DES CASQUES BLEUS
Lors de la dernière décennie du XX e siècle, après les
longues années d’immobilisme apparent de la guerre
froide, les soldats français retrouvent les champs de
bataille. Les conditions ont radicalement changé : des
opérations d’interposition et de maintien de la paix sous
mandat international de l’ONU ou de l’OTAN, des
missions de police au profit du Tribunal international,
l’accueil humanitaire de populations réfugiées. On les
appelle « soldats de la paix ». Cette dénomination peut
p. clervoy
tromper ; ces missions n’ont rien de paisible. Certes ils
ne sont pas ou peu exposés à des combats violents, mais
ils sont exposés à un stress permanent lié aux menaces
individuelles et surtout une limitation des conditions
d’ouverture du feu en cas d’attaque. Les psychiatres
militaires décrivent des troubles du comportement parmi
ces hommes, notamment une augmentation des gestes
suicidaires et des manipulations inappropriées des armes
à feu à l’origine de plusieurs accidents (25). L’analyse
du contexte psychologique de ces missions fait ressortir
un sentiment d’impuissance et de vulnérabilité,
l’impossibilité de riposter, l’enfermement et l’ennui,
la pression médiatique, la perte de l’identité nationale.
VII. VERS QUEL AVENIR ?
Pour les prochaines années, les polémologues annoncent
la multiplication des conflits asymétriques. Le
11 septembre 2001 est la date visible où le monde a
basculé dans une nouvelle forme d’engagement : la
guerre contre le terrorisme. Le soldat du XXIe siècle doit
faire face à des ennemis masqués dans les foules urbaines,
à des engins explosifs improvisés sur le bord des routes, à
des populations réfugiées, à des charniers. Autour de ce
guerrier du futur, l’électronique est surabondante ; mais la
technologie ne peut faire parade aux traumatismes
psychologiques…
Le plus souvent la mémoire humaine ne retient les
prédictions que lorsqu’elles se sont avérées erronées. On
peut cependant anticiper que l’avenir de la psychiatrie
militaire est proche de ce qui est aujourd’hui observé
en Irak ou en Afghanistan : dans l’ensemble des
enquêtes publiées depuis 2002, on donne une estimation
moyenne de 20 % de blessés psychiques parmi les
soldats en opération (27).
Il y aura toujours demain, c’est une certitude, des
psychiatres auprès des soldats.
Note : l’auteur indique qu’il ne peut mettre en référence
l’ensemble des travaux des spécialistes militaires qui
ont contribué au développement de la psychiatrie et
de la psychologie clinique du SSA, notamment ceux
des auteurs contemporains. Ont été retenus à titre
indicatif ceux qui ont marqué une étape singulière
et constituent en cela un repère historique dans les
développements de la discipline.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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la manie. Richard, Caille et Ravier ed. Paris 1798.
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psychiatrie en France. EDK Paris 2004.
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post-traumatiques » La Revue du Praticien 2003, 53 : 827-8.
psychiatrie du combattant : évolution sur trois siècles
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Symposium international Stress psychiatrie et guerre. Paris Valde-Grâce 26-27 juin 1992.
22. Lafont B, Plouznikoff M. Déontologie et éthique en situation
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23. Lafont B. Le psychiatre en opération principes et réalités. In : Le
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24. Briole G. Le médecin d'unité et le psychiatre en opération. In : Le
médecin d'unité en opération, aspects psychologiques. ESSA, Le
Val-de-Grâce, Paris ; 1996.
25. Lassagne M, Vignault PJ, De Montleau F. Clinique et
psychopathologie de la conduite d’utilisation inappropriée de
l’arme dans le cadre d’une mission d’interposition de l’armée
française. Médecine et Armées 1997 ; 25 (6) : 505-8.
26. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Circulaire DH/E04DGS/SQ2 N° 97/383 du 2 mai 1997 relative à la création d'un
réseau national de prise en charge de l'urgence médicopsychologique en cas de catastrophe.
27. Clervoy P, Bourdon L, Sicard B. Évolutions du soutien
psychologique des forces de l’US Army. Médecine et Armées
2007, 35 (4) : 373-6.
473
Antoine Parmentier.
474
Tricentenaire du Service de santé des armées
DE L’APOTHICAIRE AU PHARMACIEN DES ARMÉES
P. BURNAT, J.-F. CHAULET, F. CHAMBONNET, F. CEPPA, C. RENARD
I. INTRODUCTION.
La présence d’apothicaires associés aux armées du roi est
décrite pour la première fois dans un rapport d’Ambroise
Paré sous Henri II lors du siège de Metz (1552) puis aux
sièges d’Autun, de Montauban, d’Amiens et de
La Rochelle, activités militaires qui permettaient une
stabilité des soins. Richelieu, crée en 1620 le premier
hôpital sédentaire pour les soldats à Pignerol en Italie
avec dans les effectifs la présence d’un apothicaire.
Ensuite des apothicaires sont associés aux médecins et
aux chirurgiens dans les hôpitaux militaires établis lors de
la campagne d’Italie en 1629 sous Louis XIII (1).
Sans négliger leurs activités antérieures, nous nous
proposons de décrire principalement les faits historiques
de ces trois derniers siècles depuis janvier 1708 où les
apothicaires puis les pharmaciens militaires eurent un
rôle modeste ou parfois déterminant pour « la patrie et
l’humanité ». Les pharmaciens militaires ont été associés
à toutes les guerres, campagnes et expéditions, sur terre et
sur mer. Leurs responsabilités initiales sont la fabrication,
l’approvisionnement et la distribution des produits de
santé aux armées après les hécatombes des champs de
batailles ou les ravages des maladies infectieuses et de la
dénutrition. Ensuite, ce sont aussi des analystes et des
découvreurs dans les domaines de la pharmacologie, de la
chimie, de l’alimentation, de la botanique, de l’hygiène,
de la toxicologie au sens le plus large et plus récemment
de la biologie. Cette double activité, de spécialiste du
médicament et d’analyste très polyvalent, remonte ainsi à
plusieurs siècles et explique leurs diverses activités
actuelles au sein du Service de santé et des armées.
P. BURNAT, pharmacien en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce.
J.-F. CHAULET, pharmacien général, praticien certifié. F. CHAMBONNET,
pharmacien chef des services (cr). F. CEPPA, pharmacien en chef, professeur agrégé du
Val-de-Grâce. C. RENARD, pharmacien en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce.
Correspondance : P. BURNAT, laboratoire de biochimie toxicologie et
pharmacologie cliniques. 69, avenue de Paris, HIA Bégin, 94163 Saint Mandé Cedex.
médecine et armées, 2008, 36, 5
II. DÉBUT DU XVIII E SIÈCLE ET L’ÉDIT
ROYAL DE 1708.
En ce début de siècle, les diagnostics médicaux ont
beaucoup progressé. Mais les traitements essentiellement basés, outre les saignées, sur les plantes et des
produits d’origine minérale ou animale les plus divers et
fantaisistes sont pour le moins inefficaces voire toxiques.
La chimie n’existe pas, la synthèse minérale ou organique
verra le jour à la fin du siècle en se détachant de l’alchimie,
plus mystique que scientifique. Les apothicaires sont les
successeurs des moines et des nonnes qui avaient,
jusqu’au XV e siècle, la charge de cultiver les plantes
médicinales comme le montrent les jardins dans les
monastères. Dans les hôpitaux les apothicaires ont
l’obligation d’installer « un jardin de plantes médicinales
afin que l’apothicaire puisse trouver les herbes récentes
desquelles on a ordinairement affaire et y choisir un
endroit exposé au soleil ». Les apothicaires outre leur
rôle de collecte et de culture des plantes médicinales,
doivent créer des réserves, participer aux tournées de
consultations médicales et devaient être présents lors de
l’administration aux patients pour éviter des gaspillages.
Durant tout son règne, le roi Louis XIV organise son
armée, son équipement et son ravitaillement, activité
plutôt novatrice. Il était, malgré les guerres désastreuses
et parfois inutiles qu’il décidait, conscient des douleurs
qui s’y associaient. Ainsi il écrivait en 1669 au comte de
Coligny « Ce m’a été grand déplaisir de voir le rôle que
vous m’avez envoyé des morts et des blessés, quoique ce
soit une chose qu’il est nécessaire que je sache. Il faut
assister les blessés avec des soins extraordinaires, les voir
de ma part et leur témoigner que je compatis fort ». Il
décide la construction des Invalides sous les ordres
de Louvois. Cet Hôtel royal ouvre en 1674 pour « le
logement, subsistance et entretement de tous les pauvres
officiers et soldats de nos troupes estropiez ou ayant
vieilli dans le service » avec un apothicaire rémunéré.
Cette compassion à l’égard de ses soldats qui anime ce roi
qui aima trop la guerre comme il le confessa sur son lit de
475
Ancienne apothicairerie.
mort explique peut-être son intérêt pour les soins
aux blessés et pour les hôpitaux.
En cet hiver 1708 le roi Louis XIV, âgé de 70 ans, règne
depuis 65 ans et pour encore 7 ans. La royauté avait
vieilli en même temps que le roi. « L’état est une vieille
machine délabrée » disait Fénelon. Le maréchal Vauban
après avoir fortif ié la France et l’avoir si longtemps
servie est en disgrâce depuis quelques mois pour avoir
proposé des réformes salvatrices qui avaient déplu au
monarque autoritaire.
Les finances de la France sont déplorables du fait des
guerres, de l’incurie et de l’immobilisme royal : les taxes
augmentent et la misère aussi. Le peuple meurt de faim en
nombre, notamment durant le terrible hiver 1709, un an
plus tard. Dans cette fin de règne et au début de ce siècle,
déterminant pour la France, en ce mois de janvier 1708,
pas de bal à la cour, ce qui donne une idée de l’ambiance
qui y règne sous la férule très pieuse de Madame de
Maintenon. Ainsi l’Édit royal du 17 janvier 1708 est signé
dans l’une des périodes les plus sombres de notre histoire.
En énumérant les devoirs et missions des médecins et des
chirurgiens, il est considéré comme l’acte fondateur du
Service de santé militaire français. Les apothicaires n’y
476
f igurent pas, malgré leur rôle déterminant dans les
cinquante hôpitaux militaires mis en place.
Le règlement du 20 décembre 1718 fixe le statut des
officiers de santé comparables aux officiers de troupe
mais avec un uniforme particulier. Celui-ci passe du
gris au bleu avec pour les pharmaciens un collet spécial
vert conservé au fil des siècles et qui reste la couleur
emblématique de la profession militaire ou civile. Les
effectifs des armées au XVIIIe siècle varient de 200 00 à
300 000 hommes. Les batailles sont particulièrement
meurtrières, les milliers de victimes créées en quelques
heures n’ont droit qu’à des soins limités. Le 11 mai 1745
Maurice de Saxe, en présence du roi Louis XV et du
dauphin, remporte sur les anglo-hollandais dirigés par
le duc de Cumberland la victoire de Fontenoy : plus de
5 000 morts et 10 000 blessés. Le roi parcourant le champ
de bataille dit à son fils « voyez ce qu’il coûte de remporter
des victoires. Le sang de nos ennemis est toujours le sang
des hommes. La vraie gloire c’est de l’épargner ». Ces
belles paroles ne l’empêcheront pas de continuer les
guerres et d’ensanglanter les champs de bataille. Durant
cette période, les apothicaires sont le plus souvent des
employés civils au compte des entrepreneurs, engagés
pour une campagne de guerre ou une prestation
p. burnat
Fontenoy 1745.
hospitalière (2). En 1747, la multiplication des abus dans
les hôpitaux militaires impose la constitution d'un corps
d'apothicaires militaires subordonnés aux médecins de
l'hôpital à raison d’un apothicaire pour 50 hospitalisés.
Durant leur carrière ils franchissent différents grades :
garçon ou élève apothicaire, apothicaire sous-aidemajor, apothicaire aide-major, apothicaire-major. Les
apothicaires majors et aides-majors des armées sont
alors dotés du même uniforme que les chirurgiens moins
le collet. Leur formation est basée sur l’apprentissage
auprès d’apothicaires en activité.
III. LA GUERRE DE SEPT ANS (1755-1762) ET
LA FIN DU XVIIIE SIÈCLE.
Cette guerre débute le 1er mai 1755 par la déclaration
de guerre des Anglais alliés à la Prusse à la France
alliée aux princes allemands et à la Russie. Cette suite
ininterrompue de batailles terrestres et navales mobilise
des off iciers de santé et marque les débuts d’une
orga-nisation structurée souvent à la base du système
actuel du Service de santé notamment des hôpitaux
mobiles, sédentaires et fixes. Les pertes sont très élevées :
lors de la défaite de Rossbach près de Leipzig le
7 novembre 1757 plus de 10 000 hommes restent sur
de l’apothicaire au pharmacien des armées
le terrain. La guerre est aussi en Amérique où se
déchirent français et anglais avec la perte du Québec
(17 septembre 1759) et aux Indes où la situation militaire
est tout aussi désespérée.
Le 10 février 1759, une ordonnance au sens déterminant,
instituait le port de l’épaulette comme insigne distinctif
des off iciers, les membres du service de santé en
sont exclus. Il faudra 150 ans pour acquérir ce symbole
de la distinction entre les officiers des armes et ceux
de santé. Le Commissaire des guerres laissait peu de
liberté au corps de santé dans lequel la médecine exerçait
une domination sans partage ni bienveillance sur
les chirurgiens et les apothicaires. Cette guerre, où
Parmentier est fait prisonnier et Bayen organise la
pharmacie militaire, se termine par les traités de Paris
et d’Hubertsbourg (février 1763) sans intérêt pour la
France toujours exsangue financièrement.
En 1772, les hôpitaux ambulants à raison d’un pour
20 000 hommes comprennent 1 chirurgien-major,
12 chirurgiens aides-majors et 24 garçons chirurgiens
mais aussi 1 apothicaire à cheval, 2 apothicaires
aides-majors, 4 garçons apothicaires. La caisse à
pharmacie se situe au milieu des chariots de la lingerie
et de l’approvisionnement général. En 1788 l’armée
comprend 130 apothicaires et 508 chirurgiens. La
477
Apothicaire major 1786.
pharmacie est désormais enseignée au Collège des
pharmaciens créé en 1777 (2).
Dans cette fin de siècle des lumières, la chimie et les
sciences sont en plein essor, les pharmaciens y participent
pleinement comme Pilatre de Rozier qui réalisa la
première ascension en ballon. Deux pharmaciens
militaires marquent particulièrement cette période.
Pierre Bayen, (1725-1798) fait parti des plus illustres
représentants de la profession qu’il servit durant
42 années. Il participe comme pharmacien en chef à
l'expédition victorieuse de Minorque contre les Anglais
en 1756 commandée par le maréchal de Richelieu et
l’amiral de La Galissonnière où il se consacre notamment
à l’approvisionnement en eau potable des troupes.
Nommé pharmacien chef de l’armée en Allemagne
durant la guerre de Sept ans, il organise la pharmacie
militaire française. Il devient ensuite pharmacien en chef
des armées du roi en 1766 ce qui lui permettra de noter et
d’inspecter les pharmaciens militaires et de mettre de
l’ordre dans la profession. Il analyse les eaux minérales,
découvre la propriété du fulminate de mercure explosif
employé dans les amorces et les détonateurs. Il réalise de
nombreux travaux scientif iques sur les oxydes
métalliques et l’apport de l’air dans leur synthèse « dans
la combustion, les minéraux enlèvent à l'air un de ses
principes » et il ouvre ainsi la voie à Lavoisier pour la
découverte de l’oxygène en 1776 à laquelle il devrait être
478
officiellement associé. Bayen est nommé inspecteur
général du Service de santé de la république en 1789
à égalité avec un médecin et un chirurgien. Élu membre
de l'Académie des sciences en 1795, il publie en 1798
ses Opuscules chimiques (3).
Antoine Parmentier (1737-1813), le plus illustre des
pharmaciens militaires français fait son apprentissage
de la pharmacie chez un apothicaire de sa ville natale de
Montdidier, puis à Paris. À 20 ans il est pharmacien
aux armées pendant la guerre de Sept Ans où il fait la
connaissance de Bayen : ce sera l’origine de l’amitié entre
ces deux monuments de la pharmacie militaire. Au cours
de son incarcération en Allemagne, il découvre la qualité
nutritive d’une plante de la famille des solanacées, la
pomme de terre, destinée à l’alimentation des animaux et
des prisonniers. Originaire d’Amérique où les Incas la
cultivaient sous le nom de papa. Elle arrive en Europe
avec les conquistadores et elle est cultivée particulièrement en Ardèche sous le nom de « truffoles » du fait de son
aspect plus proche du précieux champignon que de la
Bintje actuelle. À son retour de captivité, Parmentier
obtient sur concours en 1766 la charge d’apothicaire de
l’Hôtel royal des Invalides. Il y est sous la coupe peu
amène des sœurs dites de la charité qui avaient le pouvoir,
sinon la connaissance, de préparer et d’administrer les
médicaments, responsabilité qu’elles ne voulaient pas
partager. Il profite ainsi de l’archaïsme institutionnel des
lieux pour continuer ses recherches agronomiques
notamment sur la pomme de terre dont il sélectionne les
meilleures variétés mais le roi Louis XV lui retire sa
charge en 1774 sous les coups des sœurs grises et de la
cabale ecclésiastique qu’elles avaient savamment
organisée. Il doit aussi renoncer à cultiver les pommes de
terre aux Invalides, le terrain appartenant aux religieuses
(3, 4). En 1772, les membres de la Faculté de médecine
de Paris qui planchaient depuis longtemps sur le sujet
finissent par déclarer que la consommation de la pomme
de terre ne présente pas de danger car il existe une
interdiction du Parlement de la cultiver datant de 1748. La
pomme de terre comme la tomate a probablement subi la
mauvaise réputation de la famille des solanacées qui
compte dans ses rangs des membres moins recommandables comme la belladone, la jusquiame ou la
mandragore. Parmentier rédige en 1779 un mémoire
qui le rend célèbre : Examen critique de la pomme de
terre. Pugnace, il va promouvoir la pomme de terre en
organisant des dîners où seront notamment conviés
des hôtes prestigieux tels que Benjamin Franklin ou
Lavoisier, véritables opérations promotionnelles au
principe encore d’actualité. Avec l’appui de Louis XVI, il
crée en 1786 une plantation à Neuilly dans la plaine des
Sablons réputée inculte. Il apporte au roi le 24 août de
cette année, veille de la Saint Louis, un bouquet de fleurs
de pomme de terre : le roi en glisse une à sa boutonnière et
une autre sur la perruque de Marie-Antoinette. L’utilisation novatrice de la publicité royale popularise la pomme
de terre. Ultérieurement, sur un autre terrain à Gentilly
où il reprend la culture, les gardes des lieux ont l’ordre
p. burnat
de laisser la population « voler » ces plants précieux
nécessitant leur garde ce qui permet de disséminer le
tubercule. Celui-ci est aujourd’hui indispensable à
l’alimentation avec 350 millions de tonnes produites
actuellement. Ainsi l’année 2008 est déclarée « année
internationale de la pomme de terre » par l’ONU afin
qu’elle soit reconnue comme aliment de base pour la
population mondiale. Mais à la fin du XVIIIe siècle, la
pénurie alimentaire exacerbée par le blocus naval anglais
est le principal problème de la population. Parmentier met
toute son énergie pour nourrir le peuple en s’intéressant
à la valeur nutritive et à la fabrication de produits de
substitution. Il propose ainsi le sucre de raisin et de
betterave pour le sucre de canne cultivé en Amérique et la
culture du maïs pour remplacer celle de blé déficitaire. La
première raffinerie de sucre de betterave voit le jour en
1801 grâce à lui. Il s’intéresse aussi à la conservation des
farines, du vin et des produits laitiers.
Avec Louis Cadet de Vaux, il va améliorer la qualité du
pain distribué dans les hôpitaux, les prisons et les armées
en imaginant une nouvelle méthode de panification. Il
sera un des fondateurs d’une école de boulangerie à Paris
en uniformisant les composants et les techniques de
fabrication à l’origine de la qualité et de la réputation
du pain français. En 1778 il publie son « Traité complet
sur la fabrication du pain ». Il publie aussi sur l’intérêt
alimentaire du maïs, des fourrages, du blé, des champignons, mais aussi sur le vin, les eaux de boisson, les
eaux-de-vie et la salubrité dans les hôpitaux militaires, il
participe aux débuts de l’hygiène hospitalière. Il travaille
sur l’opium et l’ergot de seigle (3).
Le soutien de Louis XVI à l'agronome philanthrope le
rend d'abord suspect au nouveau régime révolutionnaire,
mais rapidement lui sont confiées la surveillance des
salaisons destinées à la Marine et la fabrication des
biscuits de mer, nourriture essentielle dans la Royale.
Puis le Directoire, le Consulat et l'Empire utilisent
largement ses multiples compétences. Inspecteur
général du Service de santé de 1803 jusqu’à sa mort
en 1813, il fait adopter la vaccination antivariolique
par l’armée et s’occupe des conditions d’hygiène sur
les bateaux. Il devient le premier président de la Société
de pharmacie de Paris puis président du Conseil de salubrité de Paris en 1807. Il préconise la conservation des
viandes par le froid et travaille sur l’amélioration de la
technique des conserves alimentaires par ébullition mis
au point par Nicolas Appert, en 1810. Très attaché à son
titre de pharmacien, il définit lui-même sa vie et son
œuvre exemplaire « mes recherches n’ont d’autres buts
que le progrès de l’art et le bien général. La nourriture
du peuple est ma sollicitude, mon vœu est d’en améliorer
la qualité et d’en diminuer le prix. J’ai écrit pour être
utile à tous ». Le nombre d’articles et d’ouvrages dont
il est l’auteur fait de ses « titres et travaux » un vaste
ensemble très impressionnant (4). C’est aussi le seul
membre du Service de santé qui a donné son nom à
une station de métro parisien.
de l’apothicaire au pharmacien des armées
IV. LA RÉVOLUTION ET LES EMPIRES.
A) RÔLES DES PHARMACIENS.
En 1793, la France désormais sans roi depuis le 21 janvier
est en révolution et en guerre contre les « ennemis de
l’intérieur » avec les guerres de Vendée qui font 150 000
morts dont beaucoup de civils et contre les royautés
européennes avec les victoires de Valmy et de Jemmapes
puis la défaite de Neerwinden en mars. Le 1er août 1793
tous les officiers de santé pharmaciens, médecins et
chirurgiens sont à la réquisition du ministre de la Guerre.
Six jours plus tard, le décret du 7 août organise le Service
de santé militaire et les hôpitaux. En vertu de ce texte il est
attaché à chaque armée un premier pharmacien, un
premier médecin et un premier chirurgien. C’est en 1793
que les apothicaires se transforment en pharmaciens à
l’étymologie plus valorisante que la précédente, du grec
« boutique ». Dans tous les hôpitaux militaires répartit en
hôpitaux fixes et collectifs, hôpitaux ambulants, hôpitaux
d’instruction (Lille, Metz, Strasbourg, Toulon), hôpitaux
pour vénériens et galeux et enf in hôpitaux d’eaux
minérales. Les officiers de santé sont répartis en trois
classes qu’ils soient médecins, chirurgiens ou
pharmaciens (5). La loi 12 janvier 1795 crée le Conseil de
santé composé de quinze membres. Elle fait preuve
d’une équité révolutionnaire exemplaire qui n’a pas
persisté : cinq pharmaciens dont trois laisseront leur
nom dans l’Histoire (Bayen, Parmentier, Pelletier,
Hego, Brougniart), cinq médecins (Coste, Lepreux,
Lorents, Sabathier de Brest, Becu), et cinq chirurgiens
(Heurteloup, Villars, Groffier, Saucerotte, Ruffin). La loi
du 21 germinal an XI (11 avril 1803) crée des écoles
de pharmacie (Paris, Strasbourg et Montpellier) et
cette même année parait la Pharmacopée des Hospices
rédigée par Parmentier.
Le décret impérial du 1 er septembre 1805 attache
un caisson ambulance de premier secours à chaque
régiment. Dans ce caisson, outre 2 matelas, 2 couvertures,
6 brancards et 200 kg de linge à pansement se place
1 caisse d’amputation et 1 caisse à pharmacie. Cette
caisse de bois recouverte de toile cirée est séparée en
cases garnies par des coussins en étoffes. Parmentier dans
sa note du 8 vendémiaire an XIV (30 septembre 1805)
établi précisément le contenu de cette caisse qui permet
d’appréhender la nature de la pharmacopée d’urgence
de l’époque : l’agaric de chêne (champignon appelé
aussi amadou) servait contre les hémorragies, le
sulfate de cuivre comme antiseptique, la cire blanche
et la colophane comme excipients des onguents,
l’alcool comme désinfectant, l’acide acéteux comme
antiseptique, la liqueur d’Hoffmann (mélange d’alcool
à 95 °C et d’éther à part égale) comme anesthésique
et le laudanum de Sydenham (macération d’opium, de
safran et de girofle dans du vin de Malaga), comme
analgésique et anti-diarrhéique (6). Cette caisse préfigure les cantines médico-chirurgicales actuelles.
D’une manière générale, les médicaments à la disposition
des pharmaciens militaires hospitaliers sont relativement
peu nombreux essentiellement le quinquina, le camphre,
479
l’opium, la valériane, l’arnica, le kermès (oxysulfure
d’antimoine, appelé aussi poudre des Chartreux :
expectorant, vomitif et purgatif), le cachou, la cannelle
et la thériaque, extrait de plusieurs dizaines de
composés végétaux, véritable panacée qui devait son
action très limitée à l’opium qu’elle contenait. Il existe
des dépôts de médicaments établis sur le trajet des
armées et approvisionnés par une pharmacie centrale
établie à Paris (6). Mais souvent les pharmaciens de
l’Empire privés de leur approvisionnement, doivent
se fournir localement en médicaments ce qui les
conduit à la découverte de nouvelles thérapeutiques.
Les pharmaciens sont responsables du transport et de
la gestion des dépôts. Ils sont associés ou plutôt sous
la coupe de l’intendance qui ne les ménage pas. Les
intendants généraux et les commissaires ordonnateurs,
souvent honnis pour leurs pratiques à l’honnêteté
parfois douteuse, sont pourvus de pouvoirs très étendus
(approvisionnement, police, convois militaires, vivres,
ambulances, etc.) et notamment disciplinaires sur les
officiers de santé sans que des responsabilités identiques
soient données aux inspecteurs généraux et aux officiers
de santé en chef (6-8).
Les effectifs en apothicaires de l’armée de Terre durant
cette période sont très élevés : 540 en 1800, 601 en 1808,
1 011 en 1812 alors que ceux de la Marine sont d’environ
45. Ils participent activement aux combats comme le
prouve les nombreux pharmaciens qui connurent la
captivité ou la mort. Ainsi 363 pharmaciens parmi les
personnels de santé ont participé à la campagne de
Russie, 247 n’en reviendront pas, morts, prisonniers
ou disparus (8). Ils sont présents notamment dans les
ambulances ce qui leur vaut les louanges de Larrey après
la bataille de la Moscova : « M Laubert, pharmacien en
chef de l’armée, et plusieurs de ses jeunes pharmaciens
méritent des éloges et des remerciements pour le zèle
avec lequel ils m’ont secondé dans cette pénible
circonstance ». Napoléon reconnaissait lui aussi la
polyvalence et l’efficacité des pharmaciens militaires à
travers lui car il disait « n’avons-nous pas Laubert, je le
charge de tout ! ». Charles Jean Laubert (1761-1833)
organisa ainsi la frappe de la monnaie à Moscou et le
ravitaillement en médicaments mais aussi les aliments et
boissons des armées en Russie comme pharmacien en
chef de la Grande armée. Il réalisa un Codex très pratique
destiné aux hôpitaux militaires et de nombreuses études
sur le quinquina. Il fut nommé inspecteur général à la
mort de son ami Parmentier en 1814 par Napoléon alors
qu’il était enfermé dans la place encerclée de Torgau en
Allemagne après la bataille de Leipsick. Ce titre fut
confirmé par Louis XVIII.
En dehors des combats, le typhus transmis par les
déjections des poux fait des ravages, en 1812 sur 25 000
malades à Wilna (Vilnius) seuls 3 000 survivent. Le
général Rapp signale à Danzig assiégé (1813) 200 décès
par jours et durant l’hiver 1813-1814 les pertes sont de
13 448 hommes dans la garnison de Torgau. Le traitement
était basé sur le vinaigre, le camphre et les fumigations
aromatiques…(6).
B) PHARMACIENS ILLUSTRES.
Pharmacien inspecteur 1797.
480
Cette époque est particulièrement féconde en réformes,
en découvertes scientifiques majeures mais aussi en
guerres. Elle a permis à de nombreux pharmaciens
militaires d’exception, qu’il est impossible de citer dans
leur intégralité, de se distinguer par leur apport dans les
sciences et dans le soutien des armées. Nous en avons
choisi quelques-uns des plus exemplaires.
Louis Claude Cadet de Gassicourt (1731-1799) est
pharmacien en chef des armées en Allemagne et au
Portugal puis apothicaire-major à l'Hôtel des Invalides,
commissaire du roi pour la chimie à la manufacture de
porcelaine de Sèvres et membre de l'Académie des
sciences en 1766. Durant la Révolution, il est chargé, avec
Lavoisier d'extraire le cuivre du métal des cloches et écrit
plusieurs mémoires sur la pharmacie, la physique et la
chimie et la découverte du composé d'éther appelé
« liqueur fumante de Cadet ». Parmi ses amis, on retrouve
les principaux rédacteurs de l'Encyclopédie : d'Alembert,
Nicolas de Condorcet, Jean Sylvain Bailly. Son épouse,
séduite par Louis XV, donna le jour à Charles Louis
Cadet de Gassicourt (1769-1821) un des nombreux
p. burnat
bâtards royaux. Avocats sous l’ancien régime, idéologue
révolutionnaire, poète et auteur de théâtre, fondateur
d’un club astronomique, il complète ses talents éclectiques
par celui de pharmacien militaire et chimiste. Nommé
premier pharmacien de Napoléon et responsable de
l’ambulance impériale durant la campagne d’Autriche de
1809, il vit à la cour près de l’empereur. À ce titre, il a
l’honneur d’embaumer la dépouille du maréchal Lannes
avec Larrey qui avait amputé le maréchal de la jambe
droite après la bataille d’Essling contre l’avis de Percy. Il
aurait sauvé Napoléon du suicide trois jours après
Waterloo (18 juin 1815) par un lavage d’estomac (1, 6, 9).
Edme-Jean Baptiste Bouillon-Lagrange (1764-1844)
organise en 1793 les hôpitaux de l'armée en qualité de
pharmacien-major. Directeur de l'école de pharmacie, il
professa la chimie à l'École polytechnique puis devint
directeur de cette École. Analyste de nombreuses
thérapeutiques, il écrit un Manuel du pharmacien et un
Manuel de chimie, devenus des classiques.
Georges Simon Serullas (1774-1832) s’engage à 15 ans,
en 1789, dans le bataillon des Volontaires du département
de l’Ain. Il choisit ensuite la pharmacie militaire et
une fois formé, est nommé pharmacien major à l’armée
des Alpes puis d’Italie. Il suit Napoléon en Prusse et
en Russie. En 1813 pharmacien principal du 3e Corps
d’armée du maréchal Ney, il est fait prisonnier à
la bataille d’Hanau, libéré, il fait la campagne de
Belgique en 1815. À la chute de l’Empire, il enseigne au
Muséum d’histoires naturelles et au Val-de-Grâce
jusqu’à sa mort. Il réalise de nombreux travaux sur
les halogènes, découvre l’iodoforme en 1822, premier
antiseptique chimique et prépare le bromure d’éthyle et
l’acide iodique.
Joseph Bienaimé Caventou (1765-1877), attaché aux
armées du Nord puis à l’hôpital de Saint Omer il retourne
à la vie civile et à l’internat après Waterloo (1815). Il
découvre le sulfate de quinine (1820) avec Joseph
Pelletier (1788-1842) en l’extrayant des écorces de
quinquina qui étaient très difficiles à absorber du fait
de leur amertume. Il réussit à extraire de nombreux
alcaloïdes et toxiques comme la strychnine, la brucine,
la vératrine et la colchicine. Il fut professeur à l'École
de pharmacie, membre de l'Académie de médecine,
puis de l'Académie des sciences (3).
Antoine Baudouin Poggiale (1808-1879), professeur
au Val-de-Grâce, médecin et pharmacien général
inspecteur et membre de l'Académie de médecine. Il
étudia notamment les eaux et les aliments, il a publié de
nombreux ouvrages sur des sujets très variés : Traité
d'analyse chimique, Recherches sur les eaux des casernes
et des forts de Paris ; le Pain de munition ; la Composition
chimique des aliments ; la Formation de la matière
glycogène ; l'Empoisonnement par le phosphore ; les
Eaux potables. Il défend brillamment mais sans succès
l’indépendance de la pharmacie militaire vis-à-vis des
médecins car en 1882 la pharmacie est mise sous tutelle
de la médecine tandis que le Service de santé des armées
obtient son indépendance (1, 3).
de l’apothicaire au pharmacien des armées
Carle Gessard (1850-1925), après la guerre FrancoPrusienne, devient pharmacien aide-major de l'École de
médecine militaire du Val-de-Grâce avant d’être affecté
à l'Hôpital militaire du Gros-Cailloux (Paris) puis
de Médéa (Algérie). De nouveau au Val-de-Grâce
il découvre le bacille pyocyanique, à l'origine du
phénomène du pus bleu des plaies. En 1882, Louis
Pasteur lui rend visite et l'encourage à continuer ses
recherches. Après sa thèse de doctorat en médecine : « De
la Pyocyanide et de son Microbe. Applications cliniques»,
il publie un grand nombre de notes sur ce bacille et sur ses
pigments. Après la campagne de Tunisie (1882), nommé
professeur agrégé de chimie et expertise à l'École de
médecine militaire du Val-de-Grâce il entre comme
travailleur libre et donne des cours à l'Institut Pasteur.
Envoyé en poste à Sétif (Algérie) où il n'a plus la
possibilité de continuer ses recherches, il refuse la
chaire de Chimie du Val-de-Grâce pour un poste
à l'hôpital militaire de Lille où Calmette l'invite à
travailler à l'Institut Pasteur. En 1914-1916 n'étant plus
mobilisable, il participe à l'effort de guerre en travaillant
sur des préparations contre les poux des tranchées (1, 10).
V. LES APOTHICAIRES ET PHARMACIENS DE
LA MARINE.
Les premières expéditions maritimes lointaines comme
celle de Jacques Cartier qui débarque au Canada en 1535
Pharmacien de 1re classe 1809.
481
emmènent un apothicaire à bord. Au début du XVIIIe siècle
les disciplines de chirurgien et d’apothicaire sont souvent
exercées par la même personne. Par manque de vocation,
surtout pendant les épidémies, il faut avoir recours dans
la Marine pour les chirurgiens et les apothicaires à
« la levée » variante de la mobilisation. Le scorbut et le
typhus font plus de perte que les combats eux-mêmes ce
qui explique le peu d’empressement d’aller servir dans
la Royale. Les matelots déjà dénutris, en convalescence
ou malades retournent à la mer ce qui accroît la mortalité.
À un noyau de praticien « entretenu » s’agglomère
une foule de chirurgiens et d’apothicaires peu
considérés. Les apothicaires étaient chargés d’assurer
l’approvisionnement en substances et préparations
médicamenteuses destinées à soigner les affections
« du bord » : la dysenterie, les fièvres, la syphilis et le
scorbut. Ils contribuaient à l’amélioration de l’alimentation, à la conservation des aliments et participaient à la
« désinsectisation, dératisation ». Les hôpitaux maritimes
de Toulon et Rochefort dont les deux premiers datent de
1674 (Brest 1684) sont prévus pour accueillir 200 puis
400 malades sous la dépendance de l’intendance, des
apothicaires y sont présents. L’ordonnance de 1689
renforce le rôle et les fonctions des médecins, chirurgiens
et apothicaires (5). Pour la Marine royale, le règlement
de Choiseul en 1765 décide une augmentation sensible
des officiers de santé : pour un vaisseau de 100 canons
et 1 800 hommes à côté d’un chirurgien-major, d’un
second chirurgien et de quatre aides est prévu un
apothicaire. Le corps des apothicaires de la Marine
est créé en 1767. L’hôpital de Rochefort en 1789
comprendra 12 apothicaires, 12 chirurgiens, 12 sœurs
et 21 galériens-inf irmiers… À la f in de l’Ancien
régime, le Service de Santé de la Marine comprend
notamment à côté de 114 chirurgiens, 85 apothicaires à
la mer qui bénéficient d’une retraite et d’une pension en
cas de décès (5, 11, 12). Lors des expéditions à travers le
monde, les pharmaciens sont souvent les scientifiques
du bord car ils collectent et font l’inventaire de la flore,
de la faune et des minéraux que les nouveaux territoires
pouvaient fournir. Les végétaux exotiques prélevés,
amenés par bateau dans des serres de fortune, sont
cultivés dans les jardins botaniques des hôpitaux de la
Marine créés et surveillés par les pharmaciens qui
produisent également des plantes médicinales. Au
XIX e siècle la chimie et l’analyse se développent et les
pharmaciens de la Marine deviennent des experts
chimistes auprès du commissariat et des constructions
navales. Ils analysent les produits les plus divers,
alimentation, cuir, textiles, huiles, combustibles et gaz
toxiques. En 1919 leur engagement est conditionné par
la possession de trois certificats des sciences dont deux
de chimie et ils deviennent pharmaciens chimistes de
la Marine. Cette relative autonomie se terminera
le 9 juillet 1965 par la création d’un corps unique de
pharmacien chimiste des armées (1, 5, 12).
Deux pharmaciens de Marine sont l’archétype de tous
ceux, souvent botanistes, qui partirent vers des terres
lointaines et en revinrent avec des plantes, graines,
482
Antoine Baudoin Poggiale.
croquis, animaux, observations qui enrichirent le
patrimoine scientifique mondial (5, 11).
Charles Gaudichaud-Beaupré (1789-1854), pharmacien de la Marine et botaniste, fait partie de l’état-major
scientifique de la corvette Uranie qui quitte Toulon en
1817 pour un tour du monde. Il rentre au Havre en 1820 et
rapporte malgré le naufrage du bateau 3 000 espèces de
plantes dont 500 manquaient au Muséum et 200 étaient
inconnues. Il remplace à l’Académie des sciences son
maître Laurent de Jussieu (5).
René-Primevère Lesson (1794-1849), est emmené par
le commandant Duperrey en compagnie de Dumont
d’Urville sur la Coquille (1822-1825) pour faire un tour
du monde scientif ique en sens inverse de l’Uranie.
Avec Dumont d’Urville il rapporte près de 30 000
espèces botaniques dont 400 nouvelles, 110 espèces
d’insectes, 300 poissons etc. Cuvier rend hommage à
cette expédition de trois années particulièrement riche
en découvertes (5).
VI. PREMIÈRE GUERRE MONDIALE.
Les pharmaciens sont mobilisés en grand nombre
comme le reste de la population. La Pharmacie centrale
des armées (PCA) située au 2, avenue de Tourville à
Paris de 1903 à 1931 sera particulièrement active durant
cette guerre. L’approvisionnement prévu pour trois mois
sera utilisé en 15 jours ce qui explique l’ingéniosité et
p. burnat
l’activité des pharmaciens militaires nécessaire pour
palier rapidement à cette carence et à l’accroissement
extraordinaire des besoins. Le nombre des pharmaciens
à la PCA est augmenté de 5 à 22. La fabrication des
sutures passe de 52 000 à 1 250 000, celle des comprimés
de 18 à 180 tonnes. Ils ont créé des pansements
individuels utilisés pour la première fois lors d’une
guer re ainsi que des laboratoires de toxicologie
de campagnes destinés à l’analyse des gaz.
À côté de l’approvisionnement, la guerre chimique est
un nouveau domaine où les pharmaciens militaires
d’actives ou mobilisés ont pris une part déterminante
durant cette guerre. Pour la première fois les gaz sont
utilisés de manière systématique alors que les deux
armées n’étaient pas préparées à ce type d’agression.
Immédiatement après l’attaque sur Ypres, le 22 avril
1915, l’État-major s’adressait au Service de santé
pour réunir toutes les informations sur les gaz. Les
pharmaciens du fait de leur connaissance en chimie et en
toxicologie sont rapidement mis à contribution. Ils
participent également à l’enseignement des cadres
militaires dans ce nouveau domaine. Les pharmaciens
sont notamment responsables du prélèvement des
échantillons des gaz utilisés par l’ennemi pour ensuite
les analyser dans les laboratoires de toxicologie
divisionnaires. Le premier masque à gaz français
(juillet 1915) formé d’une gaze imbibée d’huile de ricin
est ainsi d’origine pharmaceutique. Viendra ensuite la
cartouche mis au point notamment par Paul Lebeau
(1868-1959) professeur en pharmacie chimique et
toxicologie à la faculté de pharmacie de Paris. Il est à
l’origine des avancées dans les masques de protection
français. Il propose des cartouches comprenant de la
gaze, de l’oxyde de zinc, du carbonate de sodium et du
charbon de bois, ce dernier composé est encore retrouvé
dans la cartouche actuelle. Durant la guerre 1939-1940
il faisait partie de l’État-major de la défense contre les
gaz (14). Dans le domaine de la guerre chimique, les
pharmaciens militaires notamment les professeurs de la
faculté de pharmacie de Paris mobilisés jouent un rôle à
la fois dans la protection mais aussi dans la fabrication.
C’est notamment le cas de Gabriel Bertrand (18671962) plus connu par les pharmaciens militaires pour
sa technique de dosage des sucres. Chef de service
de biologie à l’Institut Pasteur en 1900, il propose
l’utilisation de la chloracétone, un lacrymogène, dans
une grenade mise au point par ses soins en 1915 (13) puis
devient durant la guerre un chercheur des plus actifs
grâce à ses connaissances en chimie sur les différentes
substances agressives utilisables. Il fut nominé sans
succès plusieurs fois pour le prix Nobel de chimie. Les
pharmaciens attachés au Service chimique durant cette
guerre ont joué un rôle essentiel dans la protection et
dans l’agression au profit des armées et eurent ainsi un
rôle non négligeable dans la victoire (1, 12, 13).
VII. LE CORPS DE SANTÉ COLONIAL.
Pharmacien en chef de la Marine 1798.
de l’apothicaire au pharmacien des armées
Le décret du 7 janvier 1890 crée le Service de santé des
colonies et pays de protectorat et donne naissance au
pharmacien colonial (14). Les pharmaciens militaires,
traditionnellement sortis de l’école de Bordeaux sont
formés durant 60 générations au Pharo à Marseille dans
le laboratoire en sous-sol surnommé « la cave » (14). Ils
participèrent activement à soutenir les forces armées
coloniales et les efforts sanitaires au bénéf ice des
populations que ce soit en Afrique ou en Asie. Cette
présence se traduisait par de très nombreux postes Outremer (34 en 1890, 135 en 1954) jusque dans les années
1990. Le rôle des pharmaciens coloniaux est initialement
très large car ils participent à accroître les ressources
locales en limitant la dépendance vis-à-vis de la métropole. Ainsi, ils se mobilisent pour valoriser l’utilisation et
la culture des plantes pharmaceutiques locales mais
aussi celle des ressources alimentaires végétales ou
animales et les ressources minières (14). Ils combattent
les épidémies notamment la fièvre jaune au côté des
médecins et nombreux ceux qui en périssent comme
le montre la stèle de l’île de Gorée au Sénégal. Parmi
483
Pharmacie portative.
ces pharmaciens, il faut évoquer le parcours original
de Victor Liotard (1858-1916) qui participe sous les
ordres de Gallieni à la pacif ication du Soudan,
dresse une carte géologique et botanique de la Haute
Guinée, réorganise la pharmacie à Libreville
(Gabon), lance la construction du chemin de fer au
Niger et devient successivement gouverneur du
Dahomey, de la Nouvelle-Calédonie et de la Guinée.
Plus récemment Eugène Le Floch qui envoyé au
Cameroun comme chef de la pharmacie et du
laboratoire de l’hôpital de Yaoundé, s’échappe pour
rejoindre les Forces françaises libres et arrive à Alger
et suit les troupes lors de la campagne de France
dans l’HE 414. Autre parcours exemplaire, celui
de Félix Busson qui après avoir connu la guerre en
1940 et le cours du Pharo en 1941, part au Sénégal
où il y édif ie un laboratoire d’analyse moderne. Il
s’intéresse à la biologie clinique des Africains et aux
analyses bromatologiques des aliments locaux avant
de retourner comme directeur du laboratoire au Pharo
à Marseille durant seize années et de continuer ses
travaux sur la nutrition et la biochimie. Il devient
un expert international reconnu par le CNRS, l’OMS
et la FAO (5).
VIII. LE RAVITAILLEMENT SANITAIRE EN
INDOCHINE ET LA DRS 451.
Le dépôt de ravitaillement sanitaire 451 arrivant de
Fribourg en Allemagne après un arrêt à Marseille
s’installe en janvier 1946 à Kanh-Hoï près de Saigon avec
à sa tête le pharmacien commandant G. Pille (1911-1966)
compagnon du Maréchal Leclerc. La première
commande à la Direction des approvisionnements et
fabrications (DAF) ancêtre de la DAPS est annuelle et de
3 427 tonnes (15). Elle est destinée au soutien d’un corps
484
expéditionnaire de 70 000 hommes. Ultérieurement
les commandes seront semestrielles ce qui reste
une fréquence très limitée. À ces commandes à la
lointaine métropole sont associés des achats sur les
marchés indochinois (oxygène, alcool, bois, plâtre,
vaccins et sérums de l’Institut Pasteur) et Indiens
(textiles, toile pour brancards) qui représentent un
tiers des approvisionnents. L’aide américaine est
particulièrement importante à base de surplus de
la Seconde Guerre mondiale notamment des
hôpitaux et des unités collectives particulièrement
bien colisées et tropicalisées, surtout de 1950 à 1954,
avec 2 428 tonnes de matériels sanitaires (15).
La DRS 451 approvisionne le corps expéditionnaire en
médicaments et matériels sanitaires comme les brancards
mais se charge aussi de leur fabrication (ampoules,
pommades, etc.) et de leur réparation. Ce petit groupe
industriel regroupe de 300 à 500 personnes dont sept
pharmaciens et une majorité de personnel local. Durant
dix années, elle produira 186 tonnes de produits galéniques
et 27 millions d’ampoules diverses. Les unités sont
ravitaillées via des dépôts de ravitaillement sanitaires
situés au Viêt Nam, Laos et Cambodge. Le ravitaillement
sanitaire en Indochine fut pour le Service de santé une
mission particulièrement difficile notamment du fait de
la distance avec la métropole (12 000 km). La chaîne de
Insigne de DSR 451 en Indochine.
p. burnat
ravitaillement malgré ses archaïsmes administratifs
initiaux a su satisfaire en majorité les besoins des troupes
en guerre grâce à un immense effort collectif d’ingéniosité
et d’adaptation notamment de la part des pharmaciens
(15). Ce sera le début du ravitaillement sanitaire moderne
des opérations extérieures.
IX LES PHARMACIENS DES ARMÉES ACTUELS.
L’évolution des besoins des armées en matière de santé et
la baisse des effectifs de pharmaciens ont conduit à une
délimitation des activités pharmaceutiques en cinq
domaines principaux. La Direction des approvisionnements en produits de santé et les Établissements de
ravitaillement sanitaire ont un rôle déterminant dans les
opérations extérieures où des pharmaciens d’active et de
réserve de toutes origines sont en permanence présents
et efficients. La Pharmacie centrale des armées est un
outil indispensable pour le soutien sanitaire des milliaires
mais aussi au niveau national dans le cadre des risques
spécifiques ou de plans spéciaux. Les biologistes et
les pharmaciens hospitaliers s’adaptent en permanence
aux nouvelles règlementations et aux évolutions
scientif iques. Ces préoccupations sont identiques
dans les différents laboratoires d’analyses environnementales et toxicologiques. Les chercheurs participent
activement à la prévention, au diagnostic et aux
traitements des risques NRBC. Enfin les activités de
conseils, d’enseignement, d’expertise et de direction sont
aussi des facettes d’un même corps qui se caractérise
par son homogénéité et son interdépendance.
X. CONCLUSION.
Durant plus de trois siècles, les apothicaires du Roy puis
les pharmaciens des armées ont suivi les armées de la
France pour secourir les blessés et les malades sur terre et
sur mer. Actuellement ils ont conservé une grande
partie de leurs activités ancestrales notamment en
préparant, ravitaillant et distribuant les médicaments
et produits de santé indispensables à une médecine
eff iciente. Polyvalents et pratiques, ils participent
aussi activement à la protection contre les armes
chimiques et à l’analyse dans les domaines biologiques ou environnementaux. Malgré leur nombre
réduit et de ce fait sous l’égide d’autorités diverses, ils
se sont montrés tout au long de leur histoire des
humanistes et des scientif iques qui servent souvent
avec modestie, la France et ses armées. L’ultime
conclusion sera laissée à Parmentier, le plus illustre,
bienfaiteur de l’humanité et véritable modèle pour
la pharmacie militaire : « si nous avons adopté la
pharmacie, restons-lui fidèles, ne rougissons pas de
son nom, forçons même par des talents et des vertus
nos collègues les médecins et les chirurgiens, à
abjurer pour toujours la vaine et méprisable dispute
des préséances, à reconnaître que la première place
appartient au plus habile, et qu’on ne doit traiter de
subalternes que la sottise et l’ignorance » (4).
Établissement du ravitaillement sanitaire de Chartres (RAVSAN)
de l’apothicaire au pharmacien des armées
485
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Ed JB Baillière. 1948.
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pharmacie de Paris. 12 mai 1814.
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des colonies. Édition Privat. 1985.
6. Oulieu S Contribution à l’histoire de la pharmacie : les
pharmaciens de la grande armée. Thèse d’état de docteur en
pharmacie. 5 décembre 1986 ; Lyon I.
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(1792-1815). Tradition magasine. 2004. Hors série n° 28, 74p.
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dans la grande armée 1805-1814. Du Roure Ed. 2005. Polignac.
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10. http://www.pasteur.fr/infosci/archives/
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2007, 113 : 26-30.
12. Nauroy J. L’évolution de la pharmacie militaire de 1870 à nos
jours. Rev Hist Arm 1972, 28 : 211-20.
13. Lejaille A. La contribution des pharmaciens dans la protection
individuelle contre les gaz de combat durant la Première
Guerre mondiale - Extension à la période 1920-1940. Université
Henry Poincaré, Nancy, 1999. http://pageperso.aol.fr/guerre
desgaz/these/
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15. Olier F. Ravitaillement sanitaire en Indochine. Médecine et
armées. 1997, 25, 7 : 601-615.
Fabrication des gélules antipaludiques. PCA Orléans (RAVSAN).
Seringue bi-compartiments fabriquée par la PCA (traitement des intoxications par les organo-phosphorés) (RAVSAN).
486
p. burnat
Tricentenaire du Service de santé des armées
LE RÔLE DES VÉTÉRINAIRES DES ARMÉES DANS
L’ÉVOLUTION DE LA MÉDECINE VÉTÉRINAIRE
E. DUMAS, M. FREULON, D. DAVIS, J.-Y. KERVELLA
I. INTRODUCTION.
Évoquer le rôle des vétérinaires des armées dans un
numéro spécial consacré au tricentenaire du Service de
santé des armées (SSA) pourrait sembler paradoxal. En
effet, le corps des vétérinaires des armées, dont la création
remonte à 1769, n’a pas encore célébré son deux cent
cinquantième anniversaire (1).
De plus, hormis un premier rattachement de courte durée
du Service vétérinaire de l’armée à la Direction générale
du Service de santé militaire de 1944 à 1961, l’intégration
du corps des vétérinaires des armées au SSA ne date que
du 1er janvier 1978 (2).
Pourtant que de points communs entre le parcours des
vétérinaires et des médecins des armées : la lente progression dans la hiérarchie militaire, les difficultés pour faire
reconnaître leurs compétences et accéder à l’autonomie
technique, l’important rôle joué dans le développement
des sciences tout au long des trois derniers siècles.
C’est cet apport des vétérinaires militaires aux sciences
vétérinaires que nous allons présenter après un rappel
sur l’histoire des vétérinaires militaires.
II. APERÇU DE L’HISTOIRE DES VÉTÉRINAIRES MILITAIRES.
L’apparition des vétérinaires militaires français a suivi de
près la fondation des premières écoles vétérinaires de
l’époque moderne par Claude Bourgelat, à Lyon en 1761
puis à Alfort en 1765.
C’est en effet en 1769 qu’un ordre du duc de Choiseul,
secrétaire d’état à la guerre, a enjoint à tous les colonels
des régiments de cavalerie de détacher à l’école
vétérinaire d’Alfort un sujet pour y être instruit en l’art
E. DUMAS, vétérinaire en chef, praticien certifié MA/MVHA. M. FREULON,
vétérinaire principal, praticien confirmé MA/MVSA. D. DAVIS, docteur
vétérinaire, docteur en géographie, professeur associé du département de géographie
et environnement de l’université du Texas. J.-Y. KERVELLA, vétérinaire général
inspecteur, praticien certifié TMM/MVHA.
Correspondance : E. DUMAS, DRSSA Brest. Bureau vétérinaire, BP 5, 29240
BREST Armées.
médecine et armées, 2008, 36, 5
vétérinaire. Avant cette date, les soins aux chevaux étaient
assurés dans chaque unité par le maréchal-ferrant jugé le
plus habile. Ce maréchal-ferrant portait alors le titre
de « maréchal expert » et était affecté à l’état-major du
régiment avec le rang de maréchal des logis.
Une ordonnance du 17 avril 1772 a accordé aux élèves
militaires à leur sortie de l’école, la dénomination de
« maréchal expert » avec rang de maréchal des logis et
obligation de servir dans l’armée pendant huit ans.
Ainsi, le suivi de quatre années d’études et l’obtention
après examens du titre de « privilégié du Roi en l’art
vétérinaire » ne s’est pas traduit par une meilleure
position statutaire que celle des maréchaux-ferrants
empiriques. Cette assimilation initiale aux maréchauxferrants sous-officiers et les préjugés des officiers de
cavalerie ont longtemps rendu difficile la progression
des vétérinaires dans la hiérarchie militaire. Cependant,
les progrès des sciences vétérinaires au XIXe siècle, les
remarquables résultats obtenus dans la conservation des
effectifs équins et les services rendus lors de la conquête
de l’Algérie ont permis aux vétérinaires d’accéder au
statut d’officier en 1852, grâce notamment à l’appui du
Maréchal de Saint-Arnaud (3).
Ils ont ensuite obtenu l’assimilation de leurs grades
à ceux de la hiérarchie militaire générale en 1884, l’accès
aux grades de colonel en 1902 puis de général de
brigade en 1913 (1).
Sur le plan professionnel, c’est le décret du
26 décembre 1876 portant organisation du Service
vétérinaire de l’armée qui a conféré au vétérinaire
la direction de l’inf irmerie vétérinaire conf iée
auparavant au capitaine instructeur. Sur le plan
fonctionnel, il a fallu attendre 1878 pour voir la création
de dix ressorts vétérinaires, premières structures
territoriales à la tête desquelles sont placés des
vétérinaires chargés de fonctions d’inspection des
services vétérinaires des régiments (4).
Si actuellement, avec un corps de 81 vétérinaires des
armées, les carrières militaires ne concernent plus
qu’une faible proportion de vétérinaires (promotions
de un à quatre vétérinaires des armées pour environ
487
Opération chirurgicale dans le bled (Maroc vers 1930) (5).
Contrôle du poisson séché à Saïgon.
488
450 vétérinaires sortant des écoles vétérinaires
françaises), le Service vétérinaire de l’armée a été,
jusqu’à la mécanisation des armées, une des principales
voies offertes aux vétérinaires. En effet, l’augmentation
des effectifs des armées de la III e République avec le
service militaire obligatoire a entraîné une augmentation
des cadres des vétérinaires militaires de 262 en 1852 à
522 en 1913 (3).
Ainsi, les promotions d’aides vétérinaires stagiaires à
l’École d’application de cavalerie de Saumur ont
compté jusqu’à 40 élèves alors que, chaque année, le
nombre de diplômés des trois écoles vétérinaires
n’excédait pas 140 : environ 60 à 65 à Alfort, 35 à 40
à Lyon et 30 à 35 à Toulouse.
Ainsi Saumur a, en quelque sorte, été de 1854 à 1940, une
quatrième école vétérinaire où les aides vétérinaires
stagiaires effectuaient une année d’application. Nombre
de vétérinaires militaires, professeurs à Saumur tels Vallon,
Aureggio, Jacoulet, Joly ou Marcenac, sont considérés
comme des grands noms de la médecine vétérinaire
équine à l’instar des maîtres des écoles vétérinaires.
Si, au XIXe siècle, en France métropolitaine, les vétérinaires militaires sont cantonnés aux soins des chevaux et
commencent à intervenir dans l’inspection du bétail et
des viandes destinées à l’armée, l’expansion coloniale
française va leur permettre de démontrer toute l’étendue
de leurs compétences.
e. dumas
III. CONTRIBUTION
COLONIALE.
À
LA
FRANCE
Les vétérinaires militaires ont joué un rôle particulièrement important dans chacune des conquêtes
coloniales françaises : l’Algérie à partir de 1830,
l’Afrique occidentale et équatoriale, la Tunisie (1881),
Madagascar (1896), le Maroc (1907) (5).
Accompagnant les premières troupes engagées dans ces
expéditions pour assurer les soins aux chevaux et mulets
des colonnes, les vétérinaires militaires ont participé à
toutes les missions. Ils ont été, tour à tour, combattants,
officiers de liaison, topographes, chefs de convoi, tout en
continuant à apporter leurs soins aux animaux et bien
souvent aux soldats blessés. Certains se sont brillamment
illustrés lors des multiples combats et accrochages. Parmi
ceux-ci, on peut citer l’aide vétérinaire Hue qui, en 1889,
au combat de Koundian (Soudan français) a sauvé la vie
du sous-lieutenant Marchand, futur héros de Fachoda, en
l’emportant blessé et évanoui hors de la mêlée. Nombre
d’entre eux ont payé de leur vie la constitution de l’empire
colonial français (6).
Au début de la colonisation, l’armée a été la seule
présence française structurée. C’est pourquoi, ce sont
naturellement les vétérinaires qui ont pris en charge le
cheptel local et assuré les soins aux animaux. Grâce à
la mise en place de « consultations indigènes », ils ont
efficacement concouru à l’acceptation de la présence
française par des populations rurales pour lesquelles
l’agriculture et l’élevage étaient les seules richesses.
Fort de leurs succès, les autorités militaires ont ensuite
systématisé ces pratiques. Ainsi, au Maroc, ont été
spécialement constitués des groupes vétérinaires
mobiles, composés d’un vétérinaire, d’un sousoff icier maréchal-ferrant et de quelques hommes
de troupe, chargés d’aller dispenser des soins, de
tribus en tribus dans les ter ritoires en cours de
pacif ication . Ces groupes ont souvent été les seuls
éléments militaires à pouvoir s’aventurer dans
certaines zones de dissidence (5).
Les vétérinaires militaires ont progressivement
développé des méthodes de police sanitaire pour lutter
contre les enzooties et épizooties affectant le bétail en
prenant en compte, pour plus d’efficacité, les coutumes
locales (7). Par la suite, les premières structures
administratives vétérinaires, service de l’élevage, service
des épizooties ou service de police sanitaire selon les
colonies et les époques, ont toujours été d’abord armées
par des vétérinaires militaires. Elles ont ensuite été
progressivement transférées à l’administration civile et
dirigées par des vétérinaires militaires détachés hors
Groupe vétérinaire mobile de Marrakech (Maroc vers 1930) (5).
le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire
489
cadre au ministère des Colonies, puis par des vétérinaires
civils du corps des vétérinaires des colonies.
Outre la lutte contre les maladies animales, les
vétérinaires militaires ont joué un rôle majeur dans le
développement de l’élevage local en mettant en application
leurs compétences zootechniques. On leur doit
notamment l’amélioration du cheptel ovin du
Maghreb, l’acclimatation d’un grand nombre de
races ovines, bovines et équines françaises, mais aussi
de façon plus anecdotique la création d’une autrucherie
à Meknès (Maroc).
Le cheval, du fait de son importance pour l’armée, reste
une préoccupation essentielle. Grâce à la création de
haras, de jumenteries et d’établissements hippiques où
sont affectés des vétérinaires militaires, le cheval barbe,
résistant et rustique, est amélioré (7).
Le développement de son élevage a permis la remonte
des unités de la cavalerie d’Afrique avec des chevaux
adaptés aux conditions climatiques locales. C’est
notamment l’exploit d’une brigade de cavalerie
d’Afrique, qui a précipité l’effondrement des empires
centraux dans les Balkans par la prise d’Uskub,
aujourd’hui Skopje, le 29 septembre 1918. Grâce à
l’endurance de leurs montures, spahis marocains et
chasseurs d’Afrique montés sur des chevaux barbes
ont traversé en quatre jours et quatre nuits, dans
des conditions extrêmement diff iciles, le massif de
Jakoupitza Planina par d’étroits sentiers de montagne.
Ils ont ainsi pu occuper Uskub par surprise et couper la
retraite à la XI e Armée allemande forte de 77 000
hommes qui a été contrainte à la capitulation (8).
IV. L’ŒUVRE DES LABORATOIRES.
Toutes ces actions des vétérinaires militaires ont été
permises et favorisées par la mise en place de laboratoires
vétérinaires militaires. Nous évoquerons ici les plus
importants d’entre eux.
A) LE LABORATOIRE MILITAIRE DE
RECHERCHES VÉTÉRINAIRES.
Le laboratoire militaire de recherches vétérinaires, créé
en 1920 à Paris puis transféré à Alfort en 1932, a été
pendant près de 50 ans le laboratoire vétérinaire militaire
de référence. Il avait pour but, l’étude des maladies infectieuses et parasitaires des chevaux de l’armée, avec la
recherche de moyens de diagnostic et de traitement de ces
affections et la réalisation des examens bactériologiques et
parasitologiques demandés par les vétérinaires des corps
de troupe. Il servait également de laboratoire d’expertise
en matière d’hygiène des aliments du cheval (9).
Parmi les importants travaux réalisés peuvent être
cités l’étude du diagnostic sérologique de la morve, la
mise au point et la production d’un sérum antigourmeux,
des essais de vaccins contre la lymphangite épizootique,
la réalisation de tests de toxicité et d’eff icacité sur
des anthelminthiques.
490
Les expertises dans le domaine alimentaire ont tenu
une place importante avec notamment des études sur
divers aliments de substitution pour les chevaux (algues,
tourteaux, paille et son mélassés, marc de pommes) et
des recherches sur les intoxications des chevaux par
les mycotoxines (9).
B) LES LABORATOIRES DE RECHERCHE
VÉTÉRINAIRE DES COLONIES.
D’autres laboratoires militaires ont également été créés
dans les colonies et protectorats français : laboratoire
de recherche vétérinaire des troupes d’occupation du
Maroc à Casablanca en 1912, laboratoire de recherche
vétérinaire du Levant à Beyrouth en 1920. Leurs
activités ont été comparables à celles du laboratoire
d’Alfort avec une spécialisation dans les maladies
tropicales locales. Ces laboratoires ont souvent été, dans
un premier temps, les seules structures techniques
présentes sur lesquelles s’appuyaient les services de
l’élevage. Ces structures ont fonctionné à leurs débuts
dans des conditions plus que rudimentaires. Ainsi le
laboratoire de Beyrouth avait, pour tout personnel, outre
le vétérinaire en assurant la direction, un employé civil
et un militaire du train. Il a cependant assuré l’ensemble
des diagnostics bactériologiques, parasitologiques et
anatomopathologiques vétérinaires civils et militaires
pour le Levant (Syrie et Liban) ainsi que les diagnostics
de rage par microscopie et inoculation sur lapins. Ce
laboratoire a aussi entrepris en collaboration avec
l’hôpital militaire de Beyrouth des travaux sur les
bacilles de Yersin et de Malassez et Vignal (10).
Le laboratoire de Casablanca, dirigé de 1913 à 1938 par le
vétérinaire militaire Henri Velu, a eu un rôle essentiel
dans l’approfondissement des connaissances des
maladies infectieuses et parasitaires locales telles la
lymphangite épizootique, l’anémie infectieuse des
équidés, les trypanosomoses et les piroplasmoses (11).
Tous ces laboratoires servaient également de
centres d’instruction spécialisée pour les vétérinaires
nouvellement affectés dans ces territoires et assuraient
la production et la distribution de vaccins et de
sérums pour les animaux, mais aussi pour les hommes
en partenariat avec les structures locales du service
de santé (10, 12).
C) LE LABORATOIRE D’ÉTUDES ET DE
CONTRÔLE DES VIANDES CONSERVÉES
DE L’ARMÉE.
À la f in du XIX e siècle, plusieurs accidents observés
dans les corps de troupe et attribués à la consommation
de conserves ont conduit le ministre de la Guerre à créer
le 1 er février 1899 une commission d’étude. Cette
commission à laquelle a participé le professeur Nocard
a incriminé l’empirisme des fabricants de conserves et
a proposé la mise en place d’études afin d’établir des
techniques scientifiquement raisonnées pouvant servir
de base à une réglementation et à un nouveau cahier des
charges pour les marchés militaires. La commission a
e. dumas
aussi préconisé la création d’un laboratoire central
d’examens des substances alimentaires.
C’est ainsi qu’est créé par décision ministérielle du
2 février 1901, le laboratoire d’études et de contrôle des
viandes conservées de l’armée rattaché à l’Inspection
générale de l’intendance (13).
Ce laboratoire est dirigé initialement par le professeur
Blanc, docteur ès sciences physiques, auquel est adjoint le
vétérinaire en premier Dassonville. Ce dernier, futur
vétérinaire général, docteur ès sciences naturelles, s’est
déjà illustré en 1898 par la découverte et l’identification
de Trichophyton equinum (6).
C’est ainsi qu’a commencé l’importante participation
des vétérinaires militaires à l’expertise des denrées
alimentaires et plus particulièrement des conserves dans
les laboratoires de l’intendance. Au départ du professeur
Blanc en 1922, le vétérinaire major Bidault, son adjoint,
prend la direction du laboratoire. Ce poste ne sera ensuite
plus occupé que par des vétérinaires militaires,
notamment Forgeot, Fleuret, Guillot et Lebert (14).
Installé initialement dans les locaux de l’Institut Pasteur
de Paris, le laboratoire est transféré à l’Hôtel des
Invalides en 1908.
L’autorité scientifique du laboratoire fut vite telle que le
ministère de l’Agriculture fit appel à ses compétences
pour réaliser les contrôles du respect des décrets
d’application de la loi du 1er août 1905 sur la répression
des fraudes. L’accord du 19 juillet 1909 confiant cette
expertise au laboratoire militaire perdure jusqu’en 1924,
date à laquelle ses missions civiles sont conf iées au
nouveau laboratoire national de recherches vétérinaires
d’Alfort (13). Cette activité au service de la répression des
fraudes n’a réellement cessé qu’en 1948.
Ainsi, pendant près de quinze ans, c’est un laboratoire
militaire qui a servi de laboratoire national de référence
dans le domaine des conserves.
Les vétérinaires de ce laboratoire, qui a connu
différentes appellations au cours du temps, ont
développé une expertise incontestée et réalisé de
nombreuses études et recherches sur les différents
modes de conservation des aliments.
Les études réalisées étaient motivées par la double
nécessité de rechercher les meilleurs moyens de
conservation des denrées permettant de répondre aux
contraintes logistiques des armées (nécessité de stocks de
longue durée, élongation des voies d’approvisionnement,
conditions climatiques extrêmes) et de garantir la sécurité
et la qualité des aliments destinés aux armées.
Parmi les nombreuses recherches, peuvent être cités :
– l’examen microbiologique et l’étude de la corrosion
des conserves ;
– la mise au point d’une technique d’électrosoudure des
fûts des boîtes de conserves af in d’éviter les achats
d’étain, onéreux et difficiles en temps de guerre ;
– l’étude de la congélation de viandes désossées découpées
et, plus tard, la surgélation des viandes hachées;
– la conservation des denrées par ionisation, par
utilisation de rayonnements ultraviolets ou par adjonction
d’antibiotiques.
Si certaines méthodes ont été abandonnées, pour
beaucoup d’autres, ce sont les études et les besoins
militaires qui ont permis le développement de technologies novatrices.
Un autre volet des recherches a été le développement
de moyens de détection des fraudes avec notamment
l’analyse histologique des charcuteries et l’utilisation
de sérums précipitants pour déterminer les espèces
animales entrant dans la composition de produits de
charcuterie (14).
Le Commissariat de l’armée de Terre dispose toujours
de nos jours à Angers d’un laboratoire, dirigé par un
vétérinaire des armées, qui assure notamment le contrôle
et l’expertise des constituants de la ration de combat
individuelle réchauffable.
le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire
491
D) CENTRES ET LABORATOIRES DU
SERVICE BIOLOGIQUE ET VÉTÉRINAIRE
DES ARMÉES.
La courte indépendance du Service biologique et
vétérinaire des armées (SBVA) de 1961 à 1967 a vu la
création de structures éphémères comme le Centre
biologique d’expérimentation de Tarbes, le Centre
d’études et de production biologique de Compiègne,
le Laboratoire d’étude des dauphins de Biarritz, le
Centre de production et de conditionnement d’animaux d’expérimentation au camp de Souge. Un Centre
de radiodétection et de décontamination a été créé à
Paris dans l’infirmerie vétérinaire de l’École militaire
et a réalisé le premier enseignement militaire de
radiodétection et radioprotection au profit des officiers
d’active et de réserve (1).
V. AUTRES APPORTS À LA MÉDECINE
VÉTÉRINAIRE.
A) DÉVELOPPEMENT DE L’ENSEIGNEMENT
VÉTÉRINAIRE.
Les vétérinaires militaires ont également contribué au
développement de l’enseignement vétérinaire dans le
monde. C’est ainsi qu’ont été créées :
– l’École vétérinaire de Rosette en Égypte en 1828, par les
vétérinaires militaires Pierre Hamont et Auguste Prétot
(Alfort 1824), école qui n’a cependant pas survécu au
départ des vétérinaires français en 1840 ;
– l’École vétérinaire militaire turque à Constantinople en
1851, par le vétérinaire en premier Dubroca, issu de
l’école vétérinaire de Lyon (15) ;
– le Service vétérinaire de l’armée péruvienne en 1905,
par le vétérinaire aide major de première classe Bourgueil
(Alfort 1897) ;
– l’École vétérinaire de l’armée brésilienne par
le vétérinaire major de deuxième classe Marliangeas
(Alfort 1903) et l’aide vétérinaire major de première
classe Dieulouard (Alfort 1909) en 1920 (16).
B) LES VÉTÉRINAIRES MILITAIRES ET LA
MORVE.
C) LES VÉTÉRINAIRES MILITAIRES
DÉTACHÉS DANS LES INSTITUTS PASTEUR.
Le début du XIXe siècle a été marqué par l’affrontement
des partisans de la contagiosité de la morve et de ceux de
sa spontanéité qui attribuaient son apparition aux
mauvaises conditions d’hygiène et d’entretien des
chevaux (17). Si les vétérinaires militaires majoritairement sortis d’Alfort dont les maîtres étaient de fervents
« spontanéistes » ont longtemps préféré les théories
hygiénistes, ils se sont rangés progressivement parmi
les « contagionnistes », grâce notamment aux travaux
du vétérinaire en premier Gillet (6).
C’est grâce aux expériences de malléination réalisées
entre juin et octobre 1892 à l’annexe de remonte de
Montoire qu’a été démontrée la valeur diagnostique des
injections de malléine. Ces travaux de très grande
ampleur ont été réalisés par une commission présidée par
le général Faverot de Kerbrech adjoint à l’inspecteur
général des remontes et comprenant le docteur Roux de
l’institut Pasteur, le professeur Nocard d’Alfort, quatre
vétérinaires principaux et cinq vétérinaires en premier :
plus de 230 chevaux ont reçu une ou plusieurs injections
de malléine, et 90 animaux ont été abattus et autopsiés.
Ces expériences ont conduit l’armée à préconiser
l’emploi de la malléine comme moyen de diagnostic de la
morve latente, et ont ainsi ouvert la voie à l’éradication
de cette maladie au sein des effectifs équins militaires
puis civils (18).
De nombreux vétérinaires militaires ont été détachés
dans les instituts Pasteur d’Outre-mer où ils se sont bien
souvent illustrés :
– R. Wilbert, qui a fondé en 1923 l’institut Pasteur de
Kindia en Guinée dont il a été le premier directeur, a
réalisé de nombreux travaux sur la prévention des
maladies infectieuses des singes africains et a organisé
leur transport vers les centres de recherches français ;
– Camille Pesas, premier vétérinaire collaborateur de
Yersin à l’institut antipesteux Nhatrang en 1896,
qui mourra de la peste en 1897 et à qui succéderont
notamment Albert Fraimbault, Charles Carré et Jules Blin
qui travailleront sur la peste bovine et la peste humaine;
– Edmond Plantureux, chef du service de microbiologie
de l’institut Pasteur d’Alger qui a réalisé de nombreux
travaux sur la rage ;
– Lucien Balozet, directeur de l’institut Pasteur
de Tunis (19).
Statue de Philippe Thomas, place Philippe Thomas à Sfax (Tunisie).
492
VI. UNE DÉCOUVERTE MAJEURE : LES
PHOSPHATES DE CHAUX TUNISIENS.
Une des découvertes scientifiques les plus importantes
par ses conséquences économiques est la découverte des
phosphates de chaux de Tunisie par Philippe Thomas.
Ce vétérinaire militaire, sorti d’Alfort en 1864 et de
Saumur en 1865, a servi jusqu’en 1868 au 1er Régiment de
cuirassiers à Haguenau avant de partir pour l’Afrique du
Nord où il est resté douze ans. Affecté au 1er Régiment
de spahis de 1868 à 1875, il a connu de nombreuses
garnisons et participé à plusieurs expéditions dans le
Sahara avant d’être nommé directeur de la ferme-pénitencier d’Ain El Bay près de Constantine. Il a profité de ses
déplacements et de ses loisirs pour s’adonner à sa passion,
l’archéologie. Ses rencontres avec des archéologues
présents en Algérie, comme Le Mesle et Gaudry, l’ont fait
s’intéresser à la paléontologie (20). C’est ainsi qu’il a
découvert un atelier de silex taillés à Ouargla et un
tumulus paléolithique à Ain Mila. Il a également publié
des travaux sur les bovidés fossiles d’Algérie, et des
recherches stratigraphiques et paléontologiques sur les
formations d’eau douce d’Algérie (21). En 1880, bien
qu’il ait rejoint la métropole avec le 10 e Régiment de
hussards, ses connaissances géologiques de terrain et
sa notoriété lui valent d’être nommé le 1er décembre 1884,
par le ministre de l’Instruction publique Jules Ferry,
membre de la commission d’exploration scientifique de
la Tunisie, devenue protectorat français en 1883 (20).
C’est à l’occasion de la première mission d’exploration
géologique de la Tunisie, qu’il a découvert le 18 avril 1885
près de Metlaoui des marnes et calcaires dont la teneur
en phosphate tricalcique est de l’ordre de 60 %. Dès
confirmation de ce taux de phosphates exceptionnel
par des analyses d’échantillons effectuées à l’École
des mines de Paris, il communique la découverte de ce
gisement à l’Académie des sciences le 7 décembre 1885.
e. dumas
Chiens ambulanciers.
La deuxième mission réalisée en 1886 lui a permis de
localiser plusieurs autres gisements de phosphates de
chaux à Gafsa, Djebel-Sehib, Rosfa-Berda, KhechebArt-Souma, Nasser-Allah, Kalaat-es-Senam.
À la suite de l’intervention de l’autorité militaire, qui voit
d’un mauvais œil les congés qu’il doit prendre pour
participer à ces expéditions, Thomas n’a pas pris part
aux missions suivantes qui s’achèvent en 1889.
Il poursuit alors brillamment sa carrière militaire et atteint
le sommet de la hiérarchie vétérinaire. En 1891, il est
nommé vétérinaire principal de 2e classe, directeur du
8e ressort vétérinaire à Montpellier, puis est affecté au
ministère de la Guerre, à la section technique du comité de
cavalerie. Il est ensuite promu vétérinaire principal de
1 re classe, directeur du 1 er ressort vétérinaire
(Gouvernement militaire de Paris, 1 er, 2 e et 3 e corps
d’armée) (22).
La découverte de Philippe Thomas eut un retentissement
considérable et fut à l’origine du développement de
l’économie tunisienne. Elle permit à l’agriculture
française qui commençait à se rationaliser de disposer de
la source d’engrais phosphatés dont elle avait besoin
pour ses cultures céréalières.
La première concession minière est exploitée à Gafsa à
partir de 1895. L’exploitation des phosphates conduit à la
construction de deux ports modernes et de trois lignes de
chemins de fer (1 000 km) reliant les mines de phosphates
situées à l’intérieur des terres à ces ports. Dès 1908, la
Tunisie exporte 1 360 000 tonnes de phosphates par an. Le
pays exporte de nos jours 8 400 000 tonnes de phosphates
chaque année. On peut considérer que la Tunisie doit une
grande part de son essor économique à la découverte de
Thomas, car les infrastructures ferroviaires et portuaires
créées pour l’exportation des phosphates permirent, dès
le début du XXe siècle, l’exploitation d’autres ressources
minières secondaires comme le zinc, le plomb et le cuivre
ainsi que le développement d’une production agricole
destinée à l’exportation.
On doit également à Philippe Thomas la première
découverte et description d’un crocodilien préhistorique
qu’il baptisa Crocodilus phosphaticus. Aujourd’hui
classé dans la famille des Dyrosauridae, il est dénommé
Dyrosaurus phosphaticus Thomas.
Admis à la retraite en 1901, Philippe Thomas est décédé
en 1910 alors qu’il achevait le troisième tome de son
« Essai d’une description géologique de la Tunisie ».
Se considérant en service commandé lors de ses missions
d’exploration géologique, il n’a jamais cherché à retirer
un quelconque bénéfice personnel de ses découvertes.
Il a, au contraire, donné dans toutes ses communications,
les indications les plus précises pour permettre
l’exploitation des gisements.
Ce n’est que tardivement, quand l’exploitation
des phosphates a atteint son plein rendement que le
le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire
493
Chien sanitaire.
gouvernement du protectorat de Tunisie a récompensé
Philippe Thomas en le nommant grand cordon de
1re classe de l’ordre du Nicham Iftikhar et en lui accordant
en 1908 une pension annuelle de 6 000 francs. Les divers
impôts et redevances liés à l’exploitation des phosphates
rapportaient alors plus de 10 millions de francs par an au
trésor tunisien (20).
Philippe Thomas a alors écrit : « Je serais surtout heureux
si ce nouvel honneur qui va m’être conféré pouvait
rejaillir sur le Corps des vétérinaires militaires,
auquel j’ai eu l’honneur d’appartenir, car je ne
saurais oublier que, si cet acte de justice m’est enfin
rendu, je le dois beaucoup à la si juste considération
dont jouissent en Tunisie les vétérinaires militaires, ces
chers et bons camarades, qui ont tout fait pour y honorer
mon souvenir. » (22).
Il serait d’ailleurs injuste de laisser à penser que Philippe
Thomas était un géologue égaré dans une carrière de
vétérinaire militaire. Ses travaux scientifiques dans le
domaine vétérinaire ont aussi fait autorité. Ainsi, son
rapport médical sur le « Bou Frida », péripneumonie
exsudative d’allure épizootique affectant les chèvres
d’Algérie, a été repris par Leclainche et Nocard dans la
première édition de leur ouvrage «Maladies contagieuses».
Ses études sur la pasteurellose et la paraplégie infectieuse
du cheval ont servi également de référence au célèbre
livre « maladies du cheval de troupe » de Joly (20, 22).
La statue de Thomas, érigée sur une des principales places
de Sfax, rebaptisée place Philippe Thomas après sa mort,
a été ramenée en France lors de l’accession de la Tunisie
494
à l’indépendance en 1957. Cette statue, longtemps
conservée dans les locaux de l’Inspection technique
des services vétérinaires et biologiques des armées
(ITSVBA) est exposée dans le hall de l’École du Service
de santé des armées de Lyon-Bron depuis le transfert de
l’ITSVBA de Lyon à Paris.
VII. DÉVELOPPEMENT DE LA CYNOTECHNIE
MODERNE.
Le temps qui passe tend à faire oublier le rôle
majeur qu’ont joué les vétérinaires militaires dans le
développement de la cynotechnie militaire.
La Première Guerre mondiale a été le premier conflit où
les chiens ont été significativement utilisés avec l’emploi
de chiens sanitaires pour la localisation des blessés, de
chiens porteurs, estafettes ou sentinelles. Les vétérinaires
ont alors uniquement été employés aux soins de ces
animaux (23).
L’effondrement de l’armée française en juin 1940 n’a
pas permis un nouvel essor de la cynotechnie tombée
en désuétude entre les deux guerres. Par contre, les
guerres de décolonisation ont rapidement mis
en évidence l’intérêt des chiens militaires dans les
opérations de contre-guérilla.
Malgré leur rattachement au Service de santé militaire
entre 1944 et 1961, c’est aux vétérinaires militaires que
l’on a confié, à partir de 1948, la sélection, le dressage et
l’emploi des chiens de guerre.
e. dumas
A) CYNOTECHNIE EN INDOCHINE.
Après des débuts diff iciles liés à la dispersion et à
l’isolement des équipes cynophiles au sein des unités, le
service vétérinaire a formé, à partir de 1951, des
commandos cynophiles opérationnels.
Ces commandos étaient formés de neuf hommes armés de
pistolets mitrailleurs, un gradé cynophile et huit hommes
du rang avec leurs chiens. Au nombre de quatre, six puis dix
en janvier 1954, ces commandos, dirigés par trois
vétérinaires officiers cynotechniciens, étaient employés
en unités constituées, généralement en appui d’une compagnie d’infanterie. Ils ont obtenu des résultats remarquables
dans la détection des embuscades lors des missions
d’ouverture de route ou de piste, dans la recherche et la
poursuite de l’ennemi et dans les fouilles d’agglomération.
En 1954, trois cynocommandos de déminage ont
également été envoyés des forces françaises en Allemagne
mais leurs résultats ont été décevants : la longueur des
pistes à ouvrir et la faible densité des mines et pièges
associées à des conditions climatiques éprouvantes ont
souvent découragé les animaux (24).
B) CYNOTECHNIE EN ALGÉRIE.
La guerre d’Algérie a vu un développement très important
de l’emploi des chiens. Ainsi les effectifs canins sont
passés de 160 en 1955 à 900 en 1957 pour culminer entre
1 900 et 2 000 à partir de 1958. Les chiens nécessaires à
cette montée en puissance étaient achetés et débourrés en
Allemagne par le 10e groupe vétérinaire (GV) de Linx et
en France par le 24e GV de Suippes. Les chiens étaient
dressés et acclimatés en Algérie par trois groupes
vétérinaires (31e GV de Mostaganem, 32e GV de SaintArnaud et 33 e puis 541 e GV de Blida) qui assuraient
également la formation des maîtres-chiens. Les équipes
étaient ensuite employées au sein de 90 à 100 pelotons
cynophiles qui comportaient quinze à vingt chiens.
Les trois quarts de ces pelotons étaient commandés par
des vétérinaires aspirants (25). Les chiens éclaireurs
utilisés pour des missions de patrouille, de ratissage et de
bouclage ont montré leur intérêt. Les chiens pisteurs ont
été efficacement utilisés à la suite de sabotage, d’évasion,
d’embuscade ou le long des lignes Péron et Morice pour
détecter les infiltrations. Enfin des chiens de grotte ont
été spécifiquement dressés pour débusquer l’adversaire
dans les grottes. Les résultats des chiens de déminage ont
été satisfaisants, mais la longueur des voies ferrées
sur lesquelles ils étaient employés et la lenteur du travail
limitaient leur efficacité (26).
C) BILAN DE LA PARTICIPATION
VÉTÉRINAIRE À LA CYNOTECHNIE.
Les vétérinaires des armées ont ainsi mis en place les
bases de la cynotechnie militaire moderne en France. Ils
ont développé des techniques raisonnées de dressage des
chiens prenant en compte le comportement canin.
Parallèlement à cette implication directe dans l’emploi
opérationnel des chiens, les vétérinaires des armées,
traditionnellement hippiatres, se sont orientés vers la
médecine vétérinaire canine. De nombreux travaux
scientifiques ont été réalisés par les vétérinaires des GV,
orientés autant vers l’optimisation de l’emploi des
chiens avec des recherches sur l’olfaction que vers les
principales affections touchant les chiens militaires
comme la dysplasie coxo-fémorale.
Les vétérinaires des armées ont abandonné les activités
cynotechniques lors du deuxième rattachement du corps
au Service de santé des armées. Le 1 er juillet 1977, le
24e GV de Suippes a été dissous et ses installations et
activités ont été reprises par le 132e groupe cynophile de
l’armée de Terre.
VIII. CONCLUSION.
Clinique vétérinaire du 32e bataillon cynophile de l’armée de Terre, Suippes
2006 (Copyright O. Merlin).
Ce court exposé a permis d’esquisser le rôle, non
négligeable, des vétérinaires militaires à « la vétérinaire »
comme nos grands anciens aimaient à appeler les
sciences vétérinaires.
Pour répondre aux besoins des armées, les vétérinaires
militaires ont souvent été des précurseurs dans de
nombreux domaines que ce soit la santé des animaux,
leur emploi ou l’hygiène des aliments. Malheureusement, les noms des plus illustres de nos anciens que ce
soit Thomas, Vallon ou Aureggio n’ont pas été retenus par
la postérité comme Larrey, Parmentier ou Laverant.
La citation accompagnant l’attribution de la croix de la
légion d’honneur aux Écoles nationales vétérinaires
(décret du 27 mai 1939) illustre parfaitement l’action des
vétérinaires militaires : « Établissements d’enseignement
réputés, ont rendu des services très appréciés au pays en
lui donnant des techniciens instruits qui ont apporté leur
précieux concours au développement de l’élevage et à la
conservation du cheptel animal métropolitain et colonial,
ainsi qu’à la défense nationale et à l’œuvre colonisatrice
et civilisatrice de la France. Ont contribué en outre grâce
aux travaux de leurs maîtres et de tous les chercheurs
formés à leurs disciplines à accroître le patrimoine et le
prestige de la science française. » (27).
le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire
495
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Échographie, Clinique vétérinaire du 32e bataillon cynophile de l’armée de Terre,
Suippes 2006 (Copyright O. Merlin).
496
Tricentenaire du Service de santé des armées
PARAMÉDICAUX DANS LES ARMÉES.
TROIS SIÈCLES POUR PARVENIR AU STATUT DES
MILITAIRES INFIRMIERS TECHNICIENS DES HÔPITAUX
DES ARMÉES (1708-2008)
F. OLIER
I. INTRODUCTION.
Il serait présomptueux de faire remonter la présence
de l’inf irmier dans les armées, ancêtre du moderne
« paramédical » à l’édit de janvier 1708 donné comme
l’acte de naissance du Service de santé militaire. Vous
n’en trouverez pas trace dans cet acte régalien. À cette
époque il appartient à un univers parallèle du travail qu’il
est inutile de codifier ; celui des goujats, servants et autres
domestiques laïcs qui n’ont d’existence dans la société
qu’au travers de leurs maîtres barbiers puis chirurgiens.
Le champ d’investigation de notre sujet est vaste ; aussi
nous nous limiterons à accompagner cet auxiliaire, ce
paramédical – du grec para, « à côté de » – dans son long
cheminement tant « statutaire » que professionnel aux
côtés des praticiens des armées.
dont on se méfiait. Ce n’est que tardivement dans un
siècle dont les lumières vacillaient que l’ordonnance
du 2 mai 1781 attribua aux infirmiers quelques menus
II. AUX ORIGINES (1708-1845).
Au XVIII e siècle, des hôpitaux militaires permanents
s’implantèrent dans les places de guerre au sein desquels
s’organisèrent des embryons de services sanitaires autour
d’un médecin, d’un chirurgien-major et de leurs aides
appointés par le Roi. Le service subalterne des soins du
corps était alors confié à des élèves chirurgiens, plus
apprentis qu’inf irmiers et bien souvent parents des
titulaires des charges, tant au service de Terre qu’à celui
de la Marine. Il ne restait à nos « servants domestiques »
que les corvées de propreté, de vide-pots et le portage de
la nourriture. Il fallut attendre les ordonnances du milieu
du XVIIIe siècle (règlement du 1er janvier 1747) pour que
les bureaux de la Guerre tentent d’attacher au service
des hôpitaux militaires cette population domestique, ces
« inf irmiers » dont l’encadrement fut conf ié à des
congrégations religieuses hospitalières jugées plus aptes,
selon les mœurs du temps, à régenter cette population
F. OLIER, major.
Correspondance : F. OLIER, major, Hôpital d’instruction des armées Bégin,
69 avenue de Paris, 94163 SAINT-MANDÉ Cedex.
médecine et armées, 2008, 36, 5
Despotats.
497
avantages en échange « de longs services » dont le plus
significatif fut l’octroi d’une pension de retraite (1). Cette
mesure ne touchait qu’une « élite » de sujets sédentarisés,
f ixés dans des ressorts géographiques bien limités
(Alsace, Hainaut, Trois Évêchés) ou totalement isolés
(places fortes des Pyrénées, des Alpes ou de Bretagne).
Les campagnes de la Révolution et de l’Empire
conduisirent à une nouvelle définition de « l’infirmier ».
Alors qu’au fil du XVIII e siècle on le trouvait attaché
dans les hôpitaux à des emplois ancillaires, à la f in
du siècle apparut un nouveau modèle d’infirmier : le
« soldat d’ambulance » (2), appartenant aux troupes
d’administration assujetties à l’Intendance militaire. Ce
soldat d’ambulance était né de la volonté des chirurgiens
en chef Dominique Larrey et François Percy d’avoir
« à leur main » les auxiliaires pour le service de leurs
ambulances volantes qui suivaient « au plus près » les
armées républicaines puis impériales. Associés aux
soldats du train des équipages, organisés en compagnies,
ils s’occupaient plus de brancardage, de garde et de la
protection des convois d’évacuation que des soins qui
restaient l’apanage exclusif des chirurgiens en sousordre. Les compagnies d’ambulance de l’Empire
furent une réalité militaire assez bien comprise de leurs
contemporains mais un réel fiasco concernant le service
infirmier qui fut jugé notoirement calamiteux.
Cette longue période de guerre posa irrémédiablement,
en France, pour le XIXe siècle le problème de la dualité de
l’exercice infirmier aux armées, partagé entre service
militaire et service de soins. Le premier conduisait à
renouveler l’organisation des compagnies d’infirmiers
de l’Empire intégrées dans un bataillon d’ouvriers
d’administration, accessoires de la logistique sanitaire
des expéditions militaires de la Restauration (Espagne,
1823) et de la Monarchie de Juillet (Algérie, 1830) ; le
second admettait au service, un corps d’infirmiers dits
« entretenus » dédié au service hospitalier. L’expédition
d’Alger et les besoins de la Colonisation (1830-1870)
imposèrent dans les hôpitaux des effectifs considérables
d’infirmiers. À compter du 1er juillet 1834 ces derniers
furent enlevés des cadres du bataillon d’ouvriers
d’administration et répartis en détachements autonomes
dans les hôpitaux militaires de France et d’Algérie.
Jusqu’au Second Empire ces soldats inf irmiers
totalement inféodés à l’Intendance militaire transformèrent les hôpitaux en de véritables casernes où l’exercice
militaire confié à des officiers d’administration des
hôpitaux primait sur le service des soins. (3)
III. LE PARAMÉDICAL DANS LES ARMÉES.
A) MILITAIRES ET « INFIRMIERS D’ÉLITE »
(1845-1908).
1. Entre infirmiers et galériens (1845-1853).
Les membres du Conseil de santé constataient lors de
leurs missions d’inspection médicale en métropole et en
Algérie l’étendue du déficit d’instruction hospitalière des
infirmiers. Les prescriptions paramédicales – telles que
nous les comprenons aujourd’hui – se limitaient, en 1840,
aux lotions, frictions, embrocations. L’essentiel des
actes simples était exclu de ce service, y compris les
pansements, confiés aux chirurgiens sous-aides. En ce
Illustration « Despotats ».
498
f. olier
de celui des troupes d’administration de l’armée de Terre.
Ce corps qui comprenait quatre inf irmiers-chefs
(maîtres), 58 infirmiers-majors (pour moitié de secondsmaîtres et par moitié de quartiers-maîtres), plus 250
infirmiers ordinaires (matelots), engagés par contrat
de sept ans, allait s’imposer tant au service à la mer qu’à
celui de terre. La qualité de leur recrutement, leur
professionnalisme dans les salles allait servir de modèle
pour l’élaboration de l’instruction technique hospitalière
que l’armée de Terre adoptera en 1860. (4)
Italie, février 1944, infirmière.
milieu de siècle le service hospitalier des infirmiers
restait dévalorisé, par opposition au service dans les
bureaux, plus susceptible d’avancement et de reconnaissance. La diffusion, en 1845, d’un Manuel de l’infirmier
militaire ne régla pas le problème du déficit d’instruction
hospitalière, d’autant – et les inspections médicales
ultérieures (1842-1850) le conf irmèrent – que les
officiers d’administration, commandants les infirmiers
dans les hôpitaux, ignoraient volontairement les
directives techniques du Conseil de santé et continuaient
d’affecter au service des soins le rebut des détachements.
Une réforme en profondeur s’imposait.
À la veille de la Guerre de Crimée, la Marine, elle aussi se
trouvait confrontée à la réforme de son service infirmier
et cherchait à s’affranchir de la tutelle du Commissariat.
Cette situation impose un retour en arrière : Depuis le
XVIIe siècle les congrégations religieuses servaient dans
les hôpitaux de la Marine. À la Révolution les congrégations furent chassées des hôpitaux ; les religieuses qui le
souhaitaient, pouvaient cependant continuer d’y servir
sous l’habit laïc, concurremment avec des « hommes
libres » recrutés dans les « dernières couches de la
société ». Toutefois, depuis le milieu du XVIIIe siècle, la
Marine profitait d’une ressource qui lui était propre, celle
des bagnards employés au service des salles comme
infirmiers. Cette population mieux reconnue paradoxalement que celle des hommes libres, sous les aspects « de la
moralité (sic), de l’esprit d’ordre, de la conduite et de la
tempérance » et du point de vue économique détenait
l’exclusivité du service infirmier dans les hôpitaux de la
Marine. La transportation des bagnards en Guyane, à
compter du 23 mars 1852, tarit cette main-d’œuvre quasi
gratuite. De l’ancien système il ne subsista bientôt que les
congrégations chargées de l’économie intérieure des
établissements. L’insuffisance numérique des religieuses
et le coût contractuel du prix de journée qui ne pouvait
qu’évoluer vers un tarif prohibitif depuis le départ des
bagnards, obligèrent la Marine à se constituer, le
19 mars 1853, un corps d’infirmiers, calqué sur le modèle
2. Un auxiliaire reconnu : l’infirmier « d’élite »
(1853-1860).
À l’instar de la Marine, la création d’un nouveau
corps d’infirmiers éduqués est à rattacher à la disparition
d’une ressource en personnel dans l’armée de Terre,
celle des chirurgiens sous-aides, officiers subalternes,
« auxiliaires modestes, gens de dévouement et sans
ambition » requis pour la durée de la guerre ou en période
de crise d’effectifs et licenciés à la paix. Cette population
besogneuse bloquée dans ce grade avait été à la pointe des
mouvements insurrectionnels survenus, en 1848, à Paris
et au Val-de-Grâce (rébellion, séquestration de membres
du Conseil de santé, etc.) À la chute de la IIe République
survînt l’heure des comptes : la suppression de ce grade
et la mise en extinction progressive des emplois de
sous-aides (23 août 1852) jugés trop frondeurs, trop
républicains.
Le deuxième facteur qui conduisit à l’émergence
d’infirmiers professionnels fut le retour d’expérience
des campagnes militaires du Second Empire. Des
applications heureuses avaient été réalisées lors de la
campagne de Crimée (1854-1856) pour compenser les
lourdes pertes en personnels sous-aides. Ainsi s’était
constitué sur le théâtre d’opérations un corps provisoire
d’infirmiers « spécialisés », les « soldats panseurs » en
charge de la « tenue des cahiers de visite et du renouvellement des pansements simples (...) ». Le médecin
inspecteur Lucien Baudens (1804-1857) qui avait,
en Crimée, apprécié leurs services, leur prédisait un
grand avenir dans le remplacement des sous-aides, « ces
auxiliaires médiocres du corps de santé militaire » qui
l’avaient copieusement hué pendant les évènements de
1848. (5) Parallèlement à ces recherches d’auxiliaires
qualifiés il faut noter l’expérience britannique en Crimée
d’emploi dans les hôpitaux de « dames infirmières »
conduites par Florence Nightingale (1820-1910) dont
Baudens se fit l’écho et la prise de conscience d’Henri
Dunant (1828-1910) fondateur de la Croix-Rouge, face
à la situation désastreuse des blessés franco-piémontais
et autrichiens abandonnés sans soins lors de la guerre
d’Italie (1859).
Il reviendra à Michel Lévy (1809-1872), directeur de
l’école du Val-de-Grâce d’effectuer la synthèse de ces
expériences. Le développement d’un concept infirmier
avait fait son chemin : créer un corps d’inf irmiers
militaires susceptible d’effectuer des besognes
secondaires en vue d’alléger le travail d’officiers de santé,
paramédicaux dans les armées. trois siècles pour parvenir au statut des militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008)
499
docteurs en médecine. À cette fin, il organisa, au Val-deGrâce, un stage de deux mois, dont un de théorie, où furent
accueillis 50 infirmiers (sous-officiers et soldats) choisis
parmi les plus « lettrés ». Une formation théorique et
pratique devait conduire à former des infirmiers, appelés
« d’élite » puis de « visite », aptes à la rédaction des relevés
journaliers de prescriptions, à la réalisation des
pansements et au « détail » de petite chirurgie. À la sortie
du Val-de-Grâce ces infirmiers étaient répartis entre les
hôpitaux à raison de trois infirmiers de visite par médecin
traitant. La réussite de ce stage ne devait plus se démentir
et les sujets « dressés » furent réclamés à grands cris par
tous les médecins-chefs d’hôpitaux. Cette initiative
limitée fut rapidement réglementée et fit l’objet d’une
instruction ministérielle du 3 janvier 1860. Pour les
distinguer et reconnaître leur fonction, ils recevaient une
haute-paie journalière dès leur affectation en milieu
hospitalier ; ils étaient exempts de corvées, de travaux de
force et de propreté ; recevaient en alimentation la portion
entière des malades et non l’ordinaire. Et, suprême
distinction, à l’instar des anciens sous-aides, ils portaient
le caducée sur le collet en velours de leur uniforme et
se voyaient doter à titre personnel d’une trousse
réglementaire en mouton maroquiné. Cette « révolution »
ne se fit pas sans une certaine réticence du milieu médical
qui voyait dans les infirmiers de visite « une pépinière de
quasi-médicastres destinés à infecter tôt ou tard la société
civile et à répandre dans nos campagnes une nouvelle
catégorie de charlatans. » (6)
3. De la « bonne sœur » à la « bonne dame »
(1860-1908).
Nous avons laissé les infirmiers en 1834, encasernés
dans les hôpitaux militaires de métropole et d’Algérie.
À compter du 17 septembre 1863 les détachements
autonomes des hôpitaux furent regroupés en sections
d’infirmiers militaires (SIM). Cette transformation
allait entretenir jusqu’au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale l’appellation générique « d’infirmier
militaire » qui regroupait quantité de professions
tant administratives, techniques que paramédicales.
Le nouveau corps se composait de trois classes : les
infirmiers aux écritures, les infirmiers de visite (de 1860),
les inf irmiers d’exploitation du service général.
Seuls, ceux de visite recevaient une formation
professionnelle au lit des malades. Cette formation
initiée au Val-de-Grâce fut étendue, dès 1867, aux
autres hôpitaux militaires. Ainsi l’opportunité d’ouvrir
une « école » spécialisée, unité de lieu et d’enseignement
s’évaporait dans la chute de l’Empire. Sous la
III e République l’ensemble du corpus réglementaire
concernant les inf irmiers fut maintenu. Seules des
modif ications de détail sur le recrutement furent
apportées essentiellement liées aux modalités de
recrutement de la nouvelle armée républicaine (service
militaire de trois, de deux puis d’un an). Ce système
induisait un important renouvellement des infirmiers de
visite du contingent dont l’éducation hospitalière ne
pouvait avoir la valeur des infirmiers de 1860, soldats
500
susceptibles de servir de trois à sept années. La qualité
cédait le pas à la quantité.
Alors que le Service de santé militaire laissait se déliter
son corps d’infirmiers spécialisés, la société civile voyait,
quant à elle, se développer le concept moderne de « gardemalade » formé sur les principes hérités du « système
Nightingale » dans des écoles de formation (CroixRouge, Assistance Publique) dédiées à ce modèle
anglo-saxon de « nursing », acquises aux pratiques
modernes de l’asepsie et de l’antisepsie. Par ailleurs, les
lois sur la laïcité de 1905 avaient chassé des hôpitaux
militaires et maritimes les congrégations religieuses
confortées sous le Second Empire. Un fort courant
d’opinion travaillé par la presse poussait dans le sens de
l’introduction de « dames infirmières » bénévoles dans
les armées ; ces dames pourraient fort bien se substituer
aux religieuses et apporter dans les hôpitaux « toute leur
féminité bienveillante » et la valeur de leur formation
acquise au sein d’écoles d’infirmières. (7)
B) MILITAIRES ET « SOIGNANTS CIVILS »
(1909-1946).
1. De la « religieuse laïque » au maître infirmier (19091914).
En ce début de XXe siècle les infirmiers de visite formaient
l’ossature des services cliniques des hôpitaux militaires.
Ces infirmiers incorporés pour deux ans par des prélèvements annuels (loi de 1906 sur le recrutement) ne
pouvaient durant ce laps de temps se transformer en
véritables professionnels alors que dans le même temps
les écoles civiles d’infirmières ne délivraient un diplôme
à leurs élèves qu’après deux ans de cours et stages. À
défaut de pouvoir se constituer un véritable corps de
sous-officiers infirmiers rengagés, le Service de santé
devait absolument recruter des personnels qualifiés.
Pour la communauté médico-militaire, l’introduction des
infirmières dans les hôpitaux militaires ne serait une
réussite que si ces femmes instruites étaient « dans la
main des médecins traitants » (8) à l’instar des religieuses
et à l’image d’une maîtresse de maison modèle
« parfaitement docile et respectueuse à l’égard du
maître ». (7) À la suite d’un débat assez contrasté, le
recrutement de 60 infirmières fut inscrit au budget 1908
de la Guerre. (9) Par une note du 20 décembre 1907,
le médecin chef du Val-de-Grâce lança un appel à
candidatures pour le recrutement sur concours, à compter
du 1er février 1908, d’infirmières laïques assimilées au
personnel civil d’exploitation. Les postulantes devaient
avoir entre vingt et un et vingt-cinq ans et être diplômées
de l’Assistance publique ou d’écoles d’infirmières.
En dépit d’une publicité limitée, 103 candidates se
présentèrent et 82 d’entre elles furent reconnues aptes à
l’emploi.(9) D’une manière générale le Corps de santé
militaire applaudissait ce recrutement d’autant que leur
subordination était clairement définie : « le service des
infirmières consiste à donner des soins aux malades
et blessés sous l’autorité immédiate des médecins
f. olier
traitants ». Hormis quelques articles critiques de la part
de la presse inf irmière touchant à la « sauvegarde
morale » de jeunes filles abandonnées au milieu d’une
jeunesse masculine débridée et appelant de ses vœux
un encadrement de femmes plus âgées sur le modèle des
«matrones» britanniques (10), la société civile accueillait
favorablement cette entrée des femmes dans les hôpitaux.
En 1909, 51 inf irmières laïques avaient rejoint les
hôpitaux militaires. En 1910, s’ajoutèrent quinze nouvelles
recrues, tandis que 34 infirmières des sociétés d’assistance
de la Croix-Rouge effectuaient bénévolement des
« stages » qualifiants dans les hôpitaux (11).
L’introduction des inf irmières rémunérées restait
propre à l’armée de Terre. La Marine opta pour le
renforcement du décret de 1853 et la professionnalisation
de ses personnels inf irmiers : appartenance aux
équipages de la flotte, reconnaissance d’une spécialité et
d’un brevet d’infirmier (1883).(12) L’armée de Terre qui
n’avait pas réglé son problème récurrent du déf icit
professionnel de ses infirmiers en dépit de l’arrivée des
infirmières laïques devait, à l’instar de la Marine et des
troupes coloniales, se constituer un corps de rengagés et
non plus dépendre de soldats issus du contingent
(étudiants en médecine). Ces personnels « exclusivement
chargés de donner des soins aux malades (ne devaient
être) sous aucun prétexte distraits de leurs fonctions ».
Mais ce n’était encore que cautère sur jambe de bois en
regard des réformes qui s’avéraient nécessaires.
2. Le paramédical aux armées : un pas en avant, deux
pas en arrière (1914-1929).
Le 2 août 1914, l’effectif des infirmiers fut porté de 8 870
à 108 870 personnels, comprenant les hommes de
l’active, de la réserve, de la territoriale et de sa réserve. En
Aide médicale aux populations - Cote-d'Ivoire - 2006 copyright ECPAD.
1914, l’on était à cent lieues des discours alambiqués sur
l’emploi de l’infirmier de visite, habilité, du bout des
doigts, à faire les pansements. L’infirmier de la Grande
Guerre, les pieds dans la boue, les mains dans la chair et le
sang, allait s’affranchir de toutes ces « défenses ».
À la suite des opérations meurtrières du début des
hostilités (bataille des frontières, Course à la mer, etc.),
les pertes sanitaires devenant considérables, il fallut
recourir à la loi pour imposer une meilleure utilisation de
la ressource disponible. En juillet 1915, la loi Dalbiez
prescrivit l’envoi au front des hommes de l’active et de la
réserve sous-utilisés ; ce fut l’ouverture de ce que le Poilu
appela : « la chasse aux embusqués ». En 1915-1916, les
formations hospitalières de l’arrière furent vidées de
toutes leurs classes jeunes, des ecclésiastiques, des
infirmiers « valides » qui furent poussés vers l’avant voire
directement versés dans les unités combattantes. Le front
était avide de nouveaux renforts sanitaires et il fallait
compenser les lourdes pertes par une chasse permanente
aux effectifs tout en maintenant auprès des médecins
militaires un noyau inamovible de « spécialistes assistants de médecins » composé d’étudiants en médecine et
de détenteurs du « caducée » formés à de nouveaux
métiers (panseurs, stérilisateurs, manipulateurs en
électroradiologie, aide-anesthésistes) et comme tels,
protégés des versements d’off ice dans les troupes
combattantes. Vers la fin de la guerre devant les déficits
aggravés le commandement f it appel à la ressource
de l’Empire (malgaches et annamites) et envisagea
la mobilisation générale féminine pour le service
aux hôpitaux (13).
La Grande Guerre apporta à la femme européenne une
manière de consécration professionnelle, en particulier
dans les professions de santé. « L’archétype de
l’infirmière, c’est l’infirmière Croix-Rouge dont la
silhouette familière surgit dès que l’on évoque la femme
en 1914-1918 » (7). Le 8 mars 1916, le Service de santé
saigné par la loi Dalbiez décida la création d’un corps
d’infirmières temporaires civiles « pour la durée de la
guerre, plus six mois ». Ce corps salarié qui atteignit 5 160
recrues en novembre 1918 s’opposait aux 500 000
« professionnelles bénévoles » de la Croix-Rouge.
À l’Armistice, le Service de santé décida de puiser dans
le corps des « temporaires » en vue de renforcer son
corps de « permanentes », le faisant passer de 108 à 620
spécialistes. Un fort noyau de professionnelles,
équivalent à l’ensemble des infirmiers de visite d’active
de 1914, formait l’ossature des services cliniques des
hôpitaux militaires de l’Après-guerre. Toutefois les
déficits en infirmiers restaient abyssaux et il fallait puiser
en permanence dans le tout-venant des corps de troupes et
des effectifs coloniaux (2 500 pour 3 000 Français en
1924). (14) En conclusion à une étude datée de 1929 un
rédacteur anonyme insistait sur la nécessité de recruter
1 650 infirmiers sous le statut de carrière ; à défaut, il
proposait, non sans une certaine ironie, un « remède
héroïque » : rappeler les sœurs hospitalières ! (15)
paramédicaux dans les armées. trois siècles pour parvenir au statut des militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008)
501
militaire le dépoussiérage du statut de 1909 s’imposait
compte tenu des avancées du décret de 1922. Il fit l’objet
du décret du 6 août 1926. Mais cela ne suffisait toujours
pas. Le recrutement se tarissait et il fallait sans tarder
trouver des remèdes à cette crise durable des effectifs. La
7e direction (service de santé) proposa au ministre de
s’inspirer une nouvelle fois de l’organisation du service
infirmier dans la Marine pour structurer un corps de sousofficiers infirmiers de carrière articulé entre un cadre
d’infirmiers (brevet élémentaire) et de maîtres infirmiers
(brevet supérieur). Cette proposition fut acceptée et fit
l’objet de l’instruction du 21 octobre 1929. Les maîtres
infirmiers après une période minimale de formation de
quatre années de cours et stages, furent autorisés, par
décret du 24 juin 1930, à porter le titre d’inf irmier
hospitalier de l’État français. Cette reconnaissance
Insigne Rochambelle.
Rochambelle.
3. D’une constance réglementaire à un « capharnaüm » législatif (1929-1946).
La situation du recrutement restait difficile tant dans la
Santé Publique que dans les armées et cela en dépit d’une
vague de reconnaissance nationale dont le cœur fut la
promulgation par l’Assemblée nationale du décret du
27 juin 1922 portant création du brevet de capacité
professionnelle d’infirmière. Dans le Service de santé
502
tardive ne touchait annuellement que quinze brevetés
supérieurs. Il est vrai que psychologiquement détenir le
diplôme d’État pour un infirmier des armées de cette
époque était presque une incongruité, pour le moins une
originalité, tendant à se démarquer de son appartenance à
la « famille » militaire ; être soupçonné d’avoir déjà un
pied dans ce monde infirmier civil dominé par la gente
féminine. À titre d’exemple, la liste d’ancienneté
des sous-officiers de carrière de 1938 totalisant 1 277
sous-officiers ne mentionnait que 84 maîtres infirmiers
dont 33 diplômés d’État pour l’ensemble du Service
de santé militaire…
L’évolution statutaire la plus intéressante et la plus
complexe des années 1940 est sans contestation possible
celle de l’infirmière aux armées laissée cette dernière,
en 1926, dans le cadre étriqué des inf irmières des
hôpitaux militaires. C’est avec un petit noyau de
550 personnels inf irmières que le Service de santé
militaire aborda le conflit mondial renforcé par plus de
6 500 infirmières bénévoles de la Croix-Rouge engagées
f. olier
pour le temps de guerre. La défaite de 1940 sans
véritablement mettre à bas cette organisation dans la
France occupée devait permettre l’essaimage des
inf irmières engagées dans la poursuite de la lutte
armée de la France sur tous les théâtres, sous toutes les
dénominations, sous tous les statuts, rassemblées
cependant autour d’un diplôme d’État commun et de
fonctions techniques identiques. Durant la Seconde
Guerre mondiale on trouvait dans les forces françaises
combattantes : les infirmières du cadre des hôpitaux
militaires de 1926 (statut civil, métropole et Afrique du
Nord) ; les infirmières bénévoles de la Croix-Rouge
(statut civil, tous théâtres) ; les infirmières du corps des
volontaires françaises de Londres (statut militaire avec
grades) ; les infirmières des forces françaises libres
ralliées au Levant (statut civil) ; les infirmières de la
Croix-Rouge de l’Afrique du Nord servant sous le
régime de l’instruction du 26 juin 1943 (corps civil de
droit commun… à caractère militaire). Tous ces corps
furent fusionnés par décret du 11 janvier 1944 en trois
ensembles à statut civil, un par armée : infirmières du
corps militaire des auxiliaires féminines de l’armée de
Terre (AFAT) ; des forces féminines de l’Air (FFA) ; des
sections féminines de la Flotte (SFF). C’est avec ce
fouillis de dispositions législatives et réglementaires que
le Service de santé déjà engagé en Indochine, se retrouva,
en métropole, dans une situation chaotique, tiraillé dans
un compromis bancal entre filières militaires de Londres
et filières civiles d’Alger. L’ensemble était ingérable
et totalement injuste en regard des droits à retraite et
à rémunération. (16)
C) PROFESSIONNELS
MILITAIRES (1946-2008).
DE
SANTÉ
ET
1. Infirmier aux armées (1946-1980) : un parcours
semé d’embûches.
L’infirmier des armées (Terre-Air-Marine) sortait de la
Seconde Guerre mondiale comme il y était entré : peu
qualifié. Il n’en était pas de même dans le secteur civil qui
s’empressa, dès 1946, de mener à bien la réforme
amorcée dès 1938, en rendant obligatoire pour exercer la
possession du diplôme d’État d’inf irmier(DEI). Le
11 juillet 1948 une porte s’entrouvrit néanmoins pour
l’infirmier des armées ; le décret n° 48-1108 portant
classement hiérarchique des grades et emplois tant des
personnels civils que militaires en matière de régime de
retraite nécessitait la mise à plat de l’architecture d’avantguerre. Les Services de santé des différentes armées
(autonomes jusqu’en 1968) furent contraints de redéfinir
le cadre d’emploi de l’ensemble de leurs paramédicaux
qui se trouvèrent classés en non certif iés, certif iés,
brevetés élémentaires et supérieurs. Avec obligation, dès
le brevet élémentaire de détenir le diplôme d’État :
« l’obtention du brevet élémentaire (BE) d’infirmier
militaire est subordonné à la possession du DEI hospitalier délivré par le ministère de la Santé publique »
ou encore : « Tous les gradés candidats pour l’obtention
d’un brevet supérieur de la branche technique
(masseurs, manipulateurs en électroradiologie) doivent
préalablement à leur admission au stage de formation
être possesseur du DEI ». Un diplôme d’expertise de
maître infirmier était attribué aux titulaires du BE/DEI
détenteurs de certificats de réanimateur-transfuseur et
d’aide-anesthésiste. Ces DEI devaient être préparés
dans un centre de formation du Service de santé militaire
agréé par le ministère de la Santé publique aux mêmes
conditions que pour les écoles civiles, avec préparation
sur deux ans, présentation aux mêmes examens et passage
devant les mêmes jurys. Ce décret, cinquante ans après
sa promulgation, étonne par sa modernité. Malheureusement, comme bon nombre de textes réglementaires
bousculés par l’actualité, il resta au niveau d’un vœu
pieux. Les armées subissaient une grave crise de
recrutement et au-delà des mers, la guerre d’Indochine
drainait vers l’Extrême-Orient tout ce que les Services de
santé comptaient de « paramédicaux spécialistes ». Il
n’était plus temps de former à grands frais sur deux ans
des diplômés d’État, alors que les effectifs « santé » sur
les théâtres d’opérations extérieurs étaient gravement
déficitaires. On revînt alors à des notions plus classiques
de formation – a minima – tant pour les appelés du
contingent que pour les engagés et rengagés pour
l’Indochine : « caducée » puis certificats d’aptitude
technique des 1er et 2e degrés. Les besoins en infirmiers
qualif iés DE bien que toujours criants (Indochine,
Algérie) s’effaçaient pour de nombreuses années
devant les nécessités opérationnelles à court terme des
états-majors.Cette situation perdura jusqu’à un passé
récent, s’enfonçant dans un statu quo confortable mais
ténu. Les armées conservaient les formations spécifiques
(BE, BS, 1er et 2e degrés) dans des écoles particulières à
chacune d’entre elles : Brest puis Toulon pour la Marine ;
Wildbad, Mourmelon, Chanteau, Dinan et Metz pour
l’armée de Terre ; Toulouse, Nîmes, Mérignac pour
l’armée de l’Air. Il n’était plus d’actualité dans les années
1970 de refondre un système qui fonctionnait à la
satisfaction générale des états-majors :
– en limitant l’« évasion » vers le civil, de personnels
attachés à l’institution par un certificat, brevet ou diplôme
sous-valorisé par la Santé Publique par rapport à leur
exercice en milieu militaire (mesures dérogatoires à la loi
de 1946 : infirmier polyvalent autorisé ou avec activité
limitée ; infirmier auxiliaire polyvalent, etc.) ;
– par l’apport de plus en plus massif d’inf irmiers
masculins DEI du contingent (1962 à 1995) ;
– par le développement des recrutements en personnels
civils DEI et aides-soignants à partir de 1960 ;
– par un recrutement de personnels féminins à gestion
propre au Service de santé des armées.
2. L’inf irmière aux armées (1946-1980) : une
exception professionnelle.
En 1945, l’inf irmière était toujours tiraillée entre
plusieurs cadres civils et militaires. La Direction centrale
des Services de santé des armées soucieuse de cet état de
fait proposa l’élaboration d’un statut militaire uniforme
applicable aux personnels paramédicaux féminins des
paramédicaux dans les armées. trois siècles pour parvenir au statut des militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008)
503
trois armées. Cette proposition fut suivie d’effet et aboutit
à la parution du décret du 15 octobre 1951 « portant statut
général des personnels des cadres militaires féminins ».
(17, 18) L’ensemble des paramédicaux féminins de
l’armée française fut ainsi ramené à deux cadres :
– le cadre des infirmières des hôpitaux militaires (civiles,
décret de 1926), auquel se substitua à compter du
1er janvier 1949, le « corps des infirmières civiles des
hôpitaux militaires » refondu par décret du 18 mars 1953 ;
– le cadre du personnel féminin du Service de santé,
organisé par le décret du 15 octobre 1951 (texte interarmées) qui prévoyait le recrutement de personnels sous
contrats ou commissionnés qui détenaient une hiérarchie
purement conventionnelle sans aucune assimilation
ni grades, excepté sous le rapport à la solde (caporal-chef
à commandant).
En raison de la pénurie de la ressource en personnels
soignants qualifiés dans le milieu hospitalier militaire, la
DCSSA créa, à partir de 1961 des centres d’instruction
des infirmières militaires (jusqu’à onze CIIM furent mis
sur pied dans les hôpitaux militaires) en vue de conduire
ses personnels d’exploitation au brevet militaire
supérieur d’infirmier. Après les évènements de 1968, la
situation du recrutement ne cessant de se dégrader, un
décret du 11 décembre 1969 portant statut du personnel
militaire féminin du Service de santé des armées
(PMFSSA) dissocia le sort du personnel féminin du
Service de santé des autres personnels des armées. Le
statut des PMFSSA s’inspirait des règles applicables
à leurs homologues civils en matière de grades et de
rémunérations. Les CIIM quant à eux, agréés par la Santé
publique conduisirent au DEI (exemple : CIIM de
l’hôpital d’instruction des armées Bégin de Saint-Mandé,
19 promotions de 20 à 30 élèves, de 1966 à 1991) (19). En
parallèle la pression de la société civile imposa une
nouvelle définition de l’infirmière (loi du 31 mai 1978),
lui concédant pour la première fois une fonction indépendante, « un rôle propre » dans une nouvelle pratique des
soins infirmiers dont la filière de formation fut refondue
en 1979. Une succession de textes novateurs obligea le
Service de santé des armées à réaliser l’unification de ses
statuts pour ne pas se laisser distancer, par la Santé
Publique, en termes d’attrait au recrutement. Par décret
du 24 juillet 1980, le corps des infirmières et spécialistes
d’exploitation (décret de 1969) et les secrétaires issues du
décret du 23 mars 1973 furent regroupées sous le statut
des militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des
armées (MITHA). Il s’agissait d’un statut « très original »
s’appuyant sur une hiérarchie sans assimilation, mais
militaire et soumise à ce titre aux lois et règlements
applicables aux off iciers et sous-off iciers. Par sa
réactivité le Service marquait sa volonté de f ixer ce
nouveau statut dans le sillage de celui « homologue » de
la Santé Publique. Il chassait par la même occasion le
spectre des difficultés de recrutement, en se constituant –
à grands frais – un vivier restreint de professionnels
qualif iés réclamés par les praticiens soucieux de
maintenir un haut niveau de qualité de soins en milieu
hospitalier militaire.
504
3. Infirmier militaire et militaire infirmier (19802008) : une inéluctable osmose.
Arrivés au terme de notre cheminement historique, audelà des vicissitudes statutaires et nombreuses
polémiques qui ont animé ces trois dernières décennies, il
reste un fait, presque miraculeux en regard du chemin
parcouru : à l’aube du tricentenaire de sa « fondation » le
Service de santé des armées est parvenu à réaliser
l’intégration sous le statut MITHA de 96 % (2008) des
sous-officiers, officiers mariniers paramédicaux des trois
armées et de la Gendarmerie (20).
Cette affirmation liminaire faite, au-delà d’effets faciles,
il permet au contemporain qui souhaite retracer succinctement l’évolution du Paramédical aux Armées durant
ces dernières années, la présenter – à rebours – avec plus
de sérénité, tant vis-à-vis des personnels concernés que
de l’institution militaire.
L’inf irmier des armées de 1980, à la différence
du MITHA se sentait en marge de la communauté
infirmière civile qui se réformait activement à coups
de décrets. (21) La loi du 31 mai 1978 (décret d’application du 12 mai 1981) définissait un véritable métier
poussant vers une professionnalisation sans cesse
accrue. L’inf irmier n’était plus un simple exécutant
mais un véritable professionnel apte à instaurer des
relations de partenariat avec les autres acteurs de la
santé. Cette mise à plat ne se fit pas sans difficultés et
combats retardateurs du corps médical qui s’employa
à freiner cette évolution à coups de recours devant
le Conseil d’État. Cette lutte d’arrière-garde parviendra
à faire abroger nombre de textes et induira de
nombreuses modifications et adaptations statutaires
et d’exercice professionnel (mai 1984, juillet 1984,
mars 1993, février 2002). Toute cette activité législative
obligea la Défense, par corollaire, à une modification
analogue du statut MITHA (1980, 1984, 1994, 2002)
af in de coller à l’actualité jurisprudentielle et à
l’évolution des corps « homologues » de la Santé
Publique. Toutefois si cette évolution peut paraître
désordonnée, il n’en demeure pas moins qu’elle
assura, à chaque étape, des avancées signif icatives
en termes de statuts, de rémunérations, de définition
de l’exercice inf irmier, de description des actes
professionnels, de formation initiale ou continue. Au
fur et à mesure de ces apports, l’image du statut
MITHA se renforçait, mettant en évidence – a contrario –
le peu d’attrait des f ilières paramédicales issues
des armées. L’inf irmier des forces eut durant cette
période charnière l’impression douloureuse de voir
passer le train de la modernité, exclu d’une prise en
compte par ses hiérarchies de tutelle de ses légitimes
aspirations professionnelles, dont la principale
était la capacité à se former dans un cadre validant et
accéder au sésame de la reconnaissance : au diplôme
d’État d’infirmier.
En 1990, le Service de santé des armées décidait de
franchir le pas et de regrouper à Toulon en une École du
personnel paramédical des armées (EPPA) les différentes
écoles et centres de formation du personnel infirmier
f. olier
des armées. (22) L’objectif était novateur : permettre
l’acquisition dans une structure interarmées,
des diplômes nationaux requis pour l’exercice
professionnel tout en respectant les exigences (cadre,
durée des études) de la Santé Publique. Mais le
challenge ne s’arrêtait pas là. Il était hors de question
de laisser sur le carreau des centaines d’inf irmiers
titulaires d’un 1 er ou 2 e degré, n’ayant que le statut
d’aide-soignant ou « d’infirmier autorisé polyvalent »,
pur produit des mesures dérogatoires de l’art.
L477 de la Santé Publique et comme tel « exception
à la règle du diplôme d’État, diplôme de référence aux plans national et européen ». (23) À
compter de septembre 1992, à Toulon, un Centre
de perfectionnement par correspondance (CPC)
fut chargé d’amener aux épreuves terminales du
diplôme d’État, des centaines d’inf irmiers des
forces volontaires et très motivées pour cette opportune requalif ication technique, d’autant que la
f in du service national (à compter de 1995) et
l’ouverture des hôpitaux des armées au secteur
public hospitalier nécessitaient une importante
mobilisation de l’ensemble des paramédicaux
exerçant dans les armées.
IV. EN GUISE DE CONCLUSION.
Le décret n° 2005-562 du 27 mai 2005 portant intégration
des sous-officiers, officiers mariniers paramédicaux
des armées de Terre, de l’Air, de la Marine et de la
Gendarmerie dans le corps des MITHA marque en
point d’orgue, à la veille du tricentenaire du Service
de santé des armées, l’unicité du statut des paramédicaux des armées. Ces derniers pourront dorénavant
relever – à chances égales – les déf is annoncés
du XXI e siècle et apporter sans complexe toute leur
riche expérience forgée au service des forces. C’est
un véritable challenge qui reste à relever et qui s’inscrit
logiquement pour les années à venir dans l’évolution
orchestrée par la société civile : développement d’un
code de déontologie inf irmier, d’un ordre national
inf irmier, transfert de tâches et de compétences
médicales (vers un infirmier praticien des armées ?),
migration des instituts de formation vers l’Université
avec création d’un 3 e cycle européen d’études
inf irmières. Aujourd’hui, en 2008, le MITHA
attend tout de l’évolution irréversible de l’exercice
professionnel des soins inf irmiers conduite par
une communauté infirmière avide de reconnaissance
et de nouvelles responsabilités.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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paramédicaux dans les armées. trois siècles pour parvenir au statut des militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008)
505
506
Infirmiers et chirurgien au bloc opératoire de la 14e Antenne de chirurgicale parachutiste. (Rwanda 1994).
Tricentenaire du Service de santé des armées
TROIS CENTS ANS DE MÉDECINE NAVALE
du grand siècle à nos jours
B. BRISOU
I. INTRODUCTION.
Dès l’année 1434, la boussole et les portulans (carte
marine des premiers navigateurs ( XIII e- XVI e s) (Petit
Robert 2007)), le compas de mer et les caravelles
permettent aux audacieux navigateurs occidentaux
d’installer des comptoirs et de coloniser des territoires
au-delà des mers.
Henri IV sent, le premier, la nécessité d’avoir une flotte
disponible en tout temps et le besoin d’entretenir des
ports. De 1589 à 1606, Toulon s’entoure de remparts à
bastions et se dote d’un petit arsenal tandis que Brest,
blottie au fond de sa rade, renforce ses défenses. Le
13 janvier 1629, le cardinal duc de Richelieu déclare
dans son Avis au roi : « La première chose qu’il faut faire
est de se rendre puissant sur la mer qui donne entrée à
tous les États du monde ». Fondateur de la Marine royale
permanente, il est l’initiateur du « Règlement sur le fait
de la marine » signé le 29 mars 1631. Pour la première
fois, des commissaires généraux, les futurs intendants,
tiennent la main (ordonnent) à l’entretien des navires, du
matériel et des équipages et l’ordonnance de 1642
prescrit aux capitaines des vaisseaux et des flûtes
(pouvant accueillir malades et blessés) au service du roi,
d’embarquer « un très bon chirurgien pour le soin des
équipages ». Était ainsi officialisé un embryon de corps
des « chirurgiens navigans ».
Il revenait au successeur de transformer un si bel essai (1).
(mot d’origine hollandaise désignant celui qui partage sa
couche, en l’occurrence un hamac) étant un personnage
aussi précieux que difficile à recruter malgré le système
des classes mis en œuvre en 1668 à Rochefort. Le
22 septembre 1673, Louis XIV signe l’Édit de Nancy,
créant la première assurance sociale mutuelle,
l’Institution des Invalides de la Marine, alimentée
II. NAISSANCE DU SERVICE DE SANTÉ DE LA
MARINE.
Conscient de l’importance de la maîtrise des mers, Louis
XIV conf ie à son ministre Jean-Baptiste Colbert la
mission d’organiser, pour sa plus grande gloire, le
commerce avec l’outre-mer, la sécurité des côtes, celle
des colonies et des voies maritimes qui y conduisent. Il
n’a garde d’oublier le bien-être de ses sujets, le matelot
B. BRISOU, MGI (2S).
Correspondance : B. BRISOU, 413 avenue Jacques Cartier, La Beltegeuse,
83 000 TOULON.
médecine et armées, 2008, 36, 5
Ordonnance royale de 1689. Cliché Service historique de la Défense Département Marine Toulon.
507
Bataille navale de Bévesiers.
par une cotisation levée sur la solde des gens de mer
embarqués. Pour recevoir blessés et malades, des
hôpitaux sont établis : en 1674 dans la presqu’île de SaintMandrier, face au port de Toulon ; en 1683 à Rochefort,
ville construite de novo sur le front atlantique et dont les
« f ièvres intermittentes » déciment une population
nouvellement installée ; à Brest, en 1684, et enf in à
Port-Louis en 1689. L’hôpital de l’Abbaye à Cherbourg
ne recevra ses premiers patients qu’en 1793.
Jean-Baptiste Colbert ayant quitté ce monde le
6 septembre 1683, son fils, le marquis de Seignelay,
soumet au roi la fameuse ordonnance du 15 avril 1689
« Pour les armées navales et les arsenaux de la Marine »
qui définit en 23 livres l’organisation et le fonctionnement de la marine militaire. Le livre vingtième traite
« Des hospitaux des armées navales et dans les ports,
comme aussi des séminaires établis pour leur direction, et
pour celles des aumôniers des vaisseaux ».
À l’époque, la Marine entretient trois sortes d’officiers de
santé : les médecins, les chirurgiens et les apothicaires.
Les premiers, issus des facultés, sont titulaires d’un
508
doctorat. Émules d’Hippocrate et de Galien, ils dissertent
longuement, en latin, sur le pourquoi et le comment
des pathologies qui gardent encore tous leurs secrets.
La notion même de maladie commence à se faire jour et
certaines entités nosocomiales sont nommées. Le
médecin du port est le personnage important du service
et le premier d’entre eux est nommé à Toulon vers 1666.
Les chirurgiens, d’extraction souvent très modeste,
apprennent leur métier en pratiquant aux côtés d’un
confrère plus expérimenté et, après bien des années de
labeur, peuvent à leur tour être reçus « maître en
chirurgie ». Il en va de même pour les apothicaires.
Dans son titre troisième, article dix, l’ordonnance
prévoit que le commissaire en charge du service de
santé : « assistera aux examens qui se feront par le
médecin, et le chirurgien major du port, des maîtres et
aydes chirurgiens et apothicaires qui se présenteront
pour servir sur les vaisseaux et dans les hôpitaux ;
empêchera qu’il en soit reçu que de capables des fonctions
auxquelles ils seront destinés. ».
b. brisou
III. LES ÉCOLES DE CHIRURGIE NAVALE.
IV. LES ÉQUIPAGES ET LEUR PATHOLOGIE.
Exerçant tout à la fois les fonctions de médecin, de
chirurgien et d’apothicaire, le chirurgien-major devient
ainsi l’acteur principal du Service de santé embarqué.
Objet de reconnaissance, il est aussi la cible de critiques
de la part des états-majors, du fait d’une formation
insuff isante. L’intendant Bégon, administrateur de
l’Aunis et de la Marine à Rochefort, est le premier à réagir.
Ayant remarqué Jean Cochon-Dupuy, jeune médecin de
trente ans, docteur de la faculté de Toulouse et médecin
ordinaire du roi dans sa province, il lui propose le poste de
second médecin de la Marine. Nous sommes en 1704 et
Cochon-Dupuy, qui ne quittera plus la ville de Rochefort,
en devient le premier médecin huit ans plus tard. Le
13 janvier 1715, il adresse un rapport brossant un avenir
souhaitable où : « les hôpitaux de la Marine deviendraient
des asiles pour malades et des écoles pour les jeunes
chirurgiens, où ils pourraient s’instruire non-seulement
sur l’anatomie et les opérations de chirurgie, mais encore
acquérir des connaissances sur les maladies internes
et sur la composition des remèdes et sur les doses
auxquelles on les administre. Il ne suffit pas, en effet, aux
chirurgiens-majors des vaisseaux de savoir la pure
chirurgie, puisqu’ils sont obligés de servir aussi comme
médecins et comme apothicaires ». Plans et devis
seront approuvés le 12 juin 1721 et l’inauguration de
l’amphithéâtre a lieu dans les premières semaines du
mois de février 1722. Le corps de santé de la Marine
vient de prendre un tournant décisif pour son avenir.
Consécration suprême, le roi décide en 1735 que les
chirurgiens seront nommés par ordonnance royale.
Toulon a son école dès 1725, mais l’honneur revient
à Jacques Philippe Boucault d’avoir obtenu du roi sa
transformation en Collège royal de chirurgie en 1754.
À Brest, les débuts sont aussi diff iciles et l’école
prendra réellement son essor grâce à Étienne Chardon
de Courcelles, en 1742.
Devenus des établissements hospitalo-universitaires – ou
des hôpitaux d’instruction avant la lettre – ils sont bientôt
dotés de jardins botaniques. Celui de Rochefort est
inauguré le 30 décembre 1741, celui de Brest le sera en
1768 et celui de Toulon en 1785. L’emploi de jardinier de
la Marine est créé afin d’entretenir les plantations et
d’enseigner à l’occasion. Ces jardins servent aussi
à l’acclimatation des végétaux que les off iciers de
santé rapportent de leurs campagnes, et fournissent une
partie de la matière propre à l’approvisionnement des
coffres à médicaments.
Enf in, un évènement majeur vient donner un élan
inattendu au fonctionnement des écoles. Par ordonnance
royale du 27 septembre 1748, le corps des galères est réuni
à celui de la Marine. La chiourme de Marseille, composée
de 4 000 forçats, est répartie sur les trois sites où sont créés
des bagnes : à Toulon dès 1748, à Brest l’année suivante et
à Rochefort en 1752. Un hôpital du bagne est établi que
dirige un médecin en chef. Les chirurgiens y font des
stages et l’amphithéâtre de l’école de chirurgie ne manque
plus jamais de pièces anatomiques (2).
Venus des « classes », les futurs matelots « arrivaient aux
ports tout nus, ayant le plus souvent vendu en route leurs
nippes pour vivre, ou ayant mendié le long des chemins.
À leur arrivée au port d’armement, aucune mesure
n’était prise pour constater leur validité, et souvent on
s’apercevait qu’un grand nombre étaient impropres au
service au moment où on les embarquait » (1). Ajouté à
cela, un ordinaire peu varié, fait de biscuits et de salaisons
dont la qualité au départ et l’état de conservation laissent à
désirer. Ajouté aussi, une eau de boisson chichement
distribuée et qui pourrit dans des tonneaux. Ajouté encore,
l’entassement dans les entreponts, l’humidité permanente, la vermine (poux, puces et punaises), les ravageurs
(cafards et rats pullulent) et l’embarquement d’animaux
vivants (moutons, volailles…) qui empuantissent un air
qui a bien du mal à se renouveler. Tous les ingrédients sont
réunis pour qu’éclatent, sur fond de pathologies
communes, des bouffées épidémiques meurtrières.
Ainsi, le scorbut fait-il planer sur les équipages une
menace permanente. Les embarquements itératifs et le
mauvais état de santé habituel de la majeure partie du
personnel, raccourcissent nettement le délai d’apparition
de cette carence vitaminique, habituellement établi à
quatre mois de privation de vivres frais. À la suite des
travaux du docteur Lind et dès 1795, la marine anglaise
rend obligatoire le « limon juice », jus de citron de Sicile
additionné de 10 % de brandy, distribué à raison d’une
cuillerée par jour et par personne. Connaissant l’effet
bénéfique des escales et des « rafraîchissements », les
Français ne prendront conscience du rôle spécifique du
jus de citron que dans les années 1850, à l’occasion de la
campagne de Crimée.
Au mois de janvier 1756, la triste guerre de sept ans est
engagée contre l’Angleterre. Le 4 novembre 1757, les
premiers bâtiments de l’escadre de M. Dubois de
Lamotte, revenant en catastrophe de Louisbourg qu’ils
défendaient, arrivent en rade de Brest. Le reste des
bâtiments suit dont une partie est déroutée sur la rade
d’Aix. Les équipages épuisés par le scorbut et décimés
par le typhus, cette fameuse « fièvre des vaisseaux », ne
suffisent plus à la manœuvre et le personnel du port doit
intervenir. Au milieu d’un désordre indescriptible,
l’épidémie atteint bientôt la population civile. L’enquête
ultérieure fera état de 10 000 morts parmi cette dernière
et de 3 600 chez les marins. Le Service de santé est
durement touché, perdant 5 médecins sur 15, plus de
150 chirurgiens et apothicaires et 200 infirmiers. Cette
catastrophe sanitaire n’est pas étrangère à la f in
calamiteuse de ce conflit qui fit perdre à la France nombre
de colonies comme le Canada et l’île Maurice.
Aussi, afin de préserver les ports de l’invasion épidémique,
la Marine avait, depuis le XVIIe siècle, établi des lazarets :
sur l’île de Tréberon en rade de Brest et sur la presqu’île de
Saint-Mandrier, non loin de l’hôpital. Les escadres, au
retour d’outre-mer, étaient placées en quarantaine soit en
presqu’île, soit à l’île de Porquerolles lorsque la place
manquait et il fallut attendre l’expulsion des Jésuites de
Toulon, pour qu’un hôpital principal de la Marine soit
installé dans leur couvent désaffecté.
trois cents ans de médecine navale
509
de préfet maritime le 17 avril 1800 puis, au gré des
Restaurations, se succèdent de nouvelles organisations
de la Marine et de ses ports jusqu’à la loi du 19 mai 1834
sur l’état d’officier et l’ordonnance royale du 17 juillet
1835 sur le Service de santé de la Marine et des colonies.
Le statut militaire est enfin reconnu aux officiers de
santé : ils sont « assimilés » au corps des officiers de
Marine. L’intelligence et l’habileté de l’inspecteur
général du Service de santé de la Marine, Pierre-François
Kéraudren, a permis cette avancée majeure.
La génération d’officiers de santé, sortie de la grande
tourmente, se trouve alors à la tête du Service de santé des
ports. Elle a connu l’expédition d’Égypte, la défaite
d’Aboukir et les horreurs de la peste de 1798 à 1801, la
fièvre jaune de l’expédition de Saint-Domingue puis le
drame du cap Trafalgar où nombre de chirurgiens ont
perdu la vie, coupés par un boulet ou engloutis lors du
naufrage de leur bâtiment.
VI. DES VOYAGES DE CIRCUMNAVIGATION
AUX GUERRES DU SECOND EMPIRE.
Porte de l’hôpital principal de la Marine à Toulon –
Cliché Bernard Brisou.
XVIII e
siècle.
V. DU PREMIER UNIFORME AU STATUT
D’ASSIMILÉS.
Le traité de Paris étant signé le 10 février 1763, la Marine
met à prof it ce temps de paix retrouvée pour se
réorganiser. À la tête de son Service de santé, elle place un
inspecteur général de la médecine, de la pharmacie et de
la botanique dans les ports et dans les colonies. Premier
dans cette fonction, Pierre Poissonnier se voit adjoindre,
pour le service des colonies, son propre frère, Antoine
Poissonnier dit Desperrières. L’avancée vers une certaine
autonomie se conf irme avec l’ordonnance de 1765
plaçant définitivement le chirurgien-major d’un bâtiment
au nombre des membres de l’état-major : il est reçu à
la table du capitaine. Puis, par arrêté du 30 novembre
1767, médecins et chirurgiens sont dotés d’un uniforme,
le fameux habit gris d’épine. Dix ans plus tard, l’ancre
enlacée du serpent d’Épidaure orne les boutons
de l’uniforme. Enf in, le règlement pour les écoles
de chirurgie du 1 er mars 1768 consacre le principe de
l’avancement au concours.
Le 1er février 1783, une école de médecine pratique est
crée à Brest, afin d’apprendre aux jeunes médecins issus
des facultés les rudiments de la pathologie navale et
tropicale : une sorte d’école d’application en somme.
Dans le désordre, la confusion et la violence de la Révolution française, le Service de santé de la Marine, avec à sa
tête un commissaire-médecin, Augustin Coulomb,
s’adapte aux aléas du moment, met sur pied dans chaque
port un Comité de salubrité navale qui devient Conseil de
salubrité le 21 avril 1794 et Conseil de santé le
27 septembre 1799. Le premier Consul crée la fonction
510
Depuis les expéditions de Louis Antoine de Bougainville
(1766-1769) et celle de Jean-François de Galaud de
Lapérouse, tragiquement interrompue par le naufrage de
l’Astrolabe et de la Boussole dans les passes de Vanikoro
en 1788, la France n’a jamais cessé de participer à la
découverte du reste du Monde en envoyant ses meilleurs
marins et ses savants sillonner les mers du globe. Sous la
seconde Restauration, à la demande expresse des chefs
de mission, comme de Freycinet en 1817, les naturalistes
embarqués sont exclusivement, ou presque, des
chirurgiens et des pharmaciens de la Marine spécialement formés. Les écoles de médecine de Brest, Rochefort
et Toulon renforcent leur enseignement en zoologie,
en botanique et en géologie. Les musées et les jardins
botaniques de leurs écoles jouent alors un rôle majeur.
Devenues l’organe de presse où paraissent les comptes
rendus des circumnavigations et certains rapports des
officiers de santé, les Annales maritimes et coloniales
éditent les longues recommandations des professeurs du
Muséum d’histoire naturelle de Paris concernant le
recueil, la naturalisation, la conservation et le transport
des spécimens destinés à enrichir les collections des uns
et des autres. Cette période est une des plus glorieuses du
Service de santé de la Marine qui a donné à la France les
chirurgiens Jean René Constant Quoy et Paul Gaimard,
les pharmaciens René Primevère Lesson et Charles
Gaudichaud-Beaupré, membres de l’Académie de
médecine ou de l’Académie des sciences (3).
Se faisant un devoir de suivre les progrès significatifs de
la médecine au temps où la méthode anatomo-clinique
prouve son efficacité, le Service de santé, décimé par la
fièvre jaune, le paludisme, le choléra, les dysenteries ou
la tuberculose, doit combler les vides d’autant plus
impérativement que les armements se multiplient.
Les ministres successifs sont ainsi amenés à augmenter
signif icativement le nombre des off iciers de santé
entretenus sortant des écoles. À la suite de la guerre
b. brisou
d’Espagne en 1823, de la bataille de Navarin en 1827 et de
celle d’Alger en 1830, l’ordonnance de 1835 prévoit un
cadre de 272 médecins et chirurgiens que des auxiliaires
viennent renforcer au gré des besoins opérationnels. Le
décret du 25 mars 1854 porte cet effectif à 504, plus
54 pharmaciens, crée le grade de directeur et réserve
25 places de chirurgiens principaux à des navigants,
marquant ainsi leur rôle majeur dans l’économie
du service. Au décret du 31 mai 1875, sont inscrits 666
médecins et 84 pharmaciens, la dénomination de
chirurgien ayant disparu depuis le décret du 14 juillet
1865. Les besoins du service des colonies et les
engagements outre-mer sont ainsi honorés.
Parmi les conflits majeurs du Second empire, la guerre
des Alliés contre la Russie mérite une mention spéciale.
La Marine se bat sur trois fronts : la mer Baltique, la
presqu’île du Kamtchatka et la mer Noire. C’est au nord
de cette dernière que se déroulent les divers épisodes de la
guerre dite de Crimée au cours de laquelle, pour la
première fois dans l’histoire, le Service de santé, dans
son ensemble, met en œuvre une technique qui va
révolutionner la chirurgie : l’anesthésie. Inventé moins de
dix ans auparavant aux États-Unis, ce procédé est adopté
par les chirurgiens de la Marine dès 1847 et Auguste
Adolphe Reynaud, futur inspecteur général, met au point
en 1850 un « cornet anesthésique » au chloroforme qui est
rendu réglementaire en 1856 (4). Lors de l’affaire du pont
de Tractir, le 16 août 1855, à la demande du médecin en
chef de l’armée Joseph Scrive, le médecin principal
Auguste Marroin détache douze chirurgiens de la
Marine pour prêter main forte à leurs confrères de la
Terre. Un de ces derniers, le médecin aide-major de 1re
classe Albin Laforgue, notera, à propos de ce cornet :
« Immédiatement j’en construisis un… et dès la première
expérience que j’en f is, il fut adopté d’acclamation
par tous mes camarades ; depuis lors il nous a rendu
les plus grands services. » Bel exemple d’une action
technique interarmées.
des diverses colonies. Les plus remarquables de ces
travaux sont imprimés dans les colonnes des Annales
maritimes et coloniales puis, à partir de 1864, paraissent
dans les numéros trimestriels de la nouvelle revue du
service, les Archives de médecine navale . C’est grâce
à ce système d’information et à l’opiniâtreté d’un
homme que l’affaire des coliques sèches trouve une
heureuse conclusion.
En effet, à bord des navires destinés à servir sur les côtes
occidentales d’Afrique, apparaissent depuis 1820 des cas
de plus en plus fréquents de coliques très douloureuses
et invalidantes se terminant parfois par un décès. Ces
coliques sont tantôt dites sèches, car non productives,
tantôt coliques végétales. Très vite, deux camps
s’affrontent. Dans son rapport de 1846, le chirurgien de
1 re classe Louis Raoul écrit : « cette maladie est
tellement identique à la maladie saturnine qu’on est tenté
de lui assigner la même cause ». L’autre parti est mené
par Jean-Baptiste Fonssagrives, futur grand professeur
d’hygiène navale. Celui-ci écrit dans sa thèse, en
1852 : « l’opinion qui rattache la colique végétale à
l’intoxication saturnine est toute gratuite ». Le mot de la
VII. L’AFFAIRE DES COLIQUES SÈCHES.
Déjà prévu par l’ordonnance de 1689, le rapport médical
de f in de campagne prend une forme nouvelle (5).
Parfaitement codifié, il comporte : une description du
bâtiment avec un commentaire sur ses conditions
d’hygiène, un récit des évènements pathologiques
survenus au cours de la navigation, une description des
escales avec des précisions sur les moyens hospitaliers
locaux, des f iches cliniques et des statistiques tant
médico-chirurgicales que météorologiques. Au retour,
le chirurgien major adresse son rapport, signé du
commandant, au conseil de santé du port. Un premier
exemplaire, après analyse et appréciation, est conservé
sur place. Le second est envoyé au cabinet de l’amiral,
directeur du personnel, qui, après visa, le transmet à
l’inspecteur général du Service de santé. Ce dernier est
ainsi, en permanence, mis au courant des problèmes
survenus sur l’ensemble de la planète, des rapports
similaires étant rédigés par les chefs de Service de santé
trois cents ans de médecine navale
Page de garde du premier numéro des Archives de médecine navale. Cliché
Bernard Brisou.
511
Poste de secours intérieur navire.
fin revient au directeur du Service de santé de Brest qui,
après avoir étudié de près des centaines de rapports et
avoir correspondu avec les chirurgiens, fait supprimer
toute trace de plomb à bord, en particulier la tuyauterie en
contact avec l’eau de boisson. La mesure étant appliquée,
les coliques sèches disparaissent. En 1858, Amédée
Lefèvre est fait commandeur de la Légion d’Honneur.
Son ouvrage consacré à la question, publié l’année
suivante, reste un modèle pour les épidémiologistes.
Dans la deuxième édition de son Traité d’hygiène navale,
en 1877, Fonssagrives fait amende honorable (6).
VIII. 1889-1890, TROIS FONDATIONS, UNE ÈRE
NOUVELLE.
Cette fin de XIXe siècle, grosse des progrès accomplis par
les sciences médicales et animée d’un irrésistible esprit
de conquête, engendre trois structures dans lesquelles le
Service de santé de la Marine est impliqué : un service de
santé particulier pour les colonies ; une école du service
de santé unique liée à une faculté de médecine ; la création
de l’Institut Pasteur.
Après de multiples tentatives de prise d’autonomie de la
direction des colonies vis-à-vis du ministre de la Marine,
menées depuis 1858, un secrétariat d’état aux colonies
512
voit le jour en 1881. L’année suivante, le professeur
Georges Treille est nommé auprès du président du
Conseil supérieur du Service de santé de la Marine,
Bérenger-Féraud (7). Devenu médecin en chef en 1886,
Treille se fait connaître d’Eugène Étienne, homme
politique influent et secrétaire d’état aux colonies.
Malgré la forte résistance de la Marine, le 7 janvier 1890
paraît le décret portant « Constitution et organisation
du corps de santé des colonies et pays de protectorat »,
œuvre conjointe d’Étienne et de Treille. Albert Calmette,
alors en poste à Saint-Pierre et Miquelon, opte parmi
les premiers pour le nouveau corps.
Le second évènement majeur est le fruit de la loi du
10 avril 1890, portant « Création d’une École du Service
de santé de la Marine et de trois annexes ». Le doctorat
étant devenu obligatoire pour exercer la médecine, les
écoles de Brest, Rochefort et Toulon en sont réduites
à préparer les élèves au concours d’entrée à l’École
principale que le décret du 22 juillet a placé auprès de la
faculté de Bordeaux. Son règlement intérieur et les
uniformes étant calqués sur ceux de l’École navale de
Brest, elle devient naturellement « Santé navale », d’où
sortiront les médecins et les pharmaciens destinés à servir
sur mer et outre-mer.
b. brisou
La troisième fondation, contemporaine des deux autres,
va participer étroitement à la vie des médecins issus
de cette école bordelaise dont la faculté de rattachement
se tourne résolument vers l’outre-mer. Après la
retentissante réussite du vaccin contre la rage, les dons
affluent qui permettent à Louis Pasteur de voir s’édifier
l’Institut qui porte son nom. Inauguré le 14 novembre
1888, cet Institut Pasteur ouvre un cours de « microbie
technique » sous la direction d’Émile Roux avec comme
adjoint Alexandre Yersin. Dès la première session, des
médecins et des pharmaciens de l’armée de Terre, de la
Marine et des colonies font partie des auditeurs.
Ces trois fondations entraînent une réorganisation des
structures sanitaires outre-mer. Depuis son implantation
dans les colonies, la Marine entretenait, en effet, des
établissements hospitaliers tels ceux de Saint-Louis au
Sénégal ou de Saïgon en Cochinchine. Ces structures,
ainsi que les Instituts Pasteurs créés outre-mer, seront
gérés dorénavant par les médecins des colonies.
Cependant, la Marine gardera, jusqu’à la décolonisation
des années soixante, un hôpital en Afrique du Nord.
La France ayant établi son protectorat sur la Tunisie, la
Marine construit, dès 1900, une base navale à Bizerte. Au
fond du lac, relié à la mer par un canal, un arsenal voit
le jour à Sidi Abdallah dont le bourg voisin devient
Ferryville. Le 21 août 1905 le dernier hôpital de la Marine
outre-mer est inauguré. Il rendra les plus grands services
au cours des deux conflits mondiaux. En 1944, le Service
de santé des troupes américaines apporte avec lui trois
précieuses nouveautés : les cocktails lytiques, la
pénicilline et l’insecticide DDT. C’est à l’hôpital de
Ferryville que le jeune chirurgien de la Marine Henri
Laborit fait ses premiers essais aboutissant à son
concept d’hibernation. Une épidémie de peste s’étant
déclarée, le médecin de 1re classe Jean Brisou démontre
expérimentalement l’efficacité des sulfamides, sauvant
ainsi de nombreux malades, tandis que la pénicilline,
si eff icace contre les f ièvres récurrentes, reste sans
effet sur le bacille de Yersin. Le DDT, quant à lui, devient
un atout majeur de lutte contre le paludisme.
Le navire-hôpital Canada en 1940. Collection Jean Brisou.
trois cents ans de médecine navale
IX. LES NAVIRES ET LES TRANSPORTSHÔPITAUX.
L’ordonnance fondatrice du 15 avril 1689 prévoyait, à la
suite des Armées navales, un navire-hôpital pour 10
vaisseaux. Outre l’aumônier et l’écrivain, le personnel
comprenait un maître chirurgien capable et expérimenté,
deux chirurgiens sous lui, un maître et deux aides
apothicaires. Le matériel comportait des coffres
d’instruments chirurgicaux et des coffres à médicaments,
des cadres (et non des hamacs) pour le couchage, de la
lingerie ainsi qu’une alimentation appropriée pour les
alités. Depuis cette époque, de nombreux vaisseaux gréés
en hôpitaux suivirent les différentes escadres y compris
durant la guerre d’Indépendance américaine.
Au XIXe siècle, la reprise des colonies puis l’extension des
positions outre-mer conduit la Marine à s’adapter aux
besoins opérationnels en établissant, par endroits, des
hôpitaux flottants. Ainsi, en octobre 1859, la Caravane
prend-elle son mouillage dans l’estuaire du Gabon pour
servir d’hôpital et de magasin de vivres pour la division
navale de la côte occidentale d’Afrique. Ayant mis sa
mâture à terre, elle est aussi utilisée comme direction du
port et caserne pour les ouvriers. Cependant, les plus
nombreux et les plus utilisés seront les transportshôpitaux, bâtiments à tout faire qui, outre les malades
et les blessés, convoient des familles, des troupes et leurs
montures. Dès l’ouverture des pénitenciers de Guyane,
ces bâtiments sont aussi chargés du transport des
condamnés que l’on enferme dans des cages. Les
médecins-majors de ces bâtiments, en rotations
constantes entre le Sénégal, les îles du Salut, les Antilles
et la métropole, ne manqueront pas, dans leurs rapports,
de condamner ce système fort contraire aux règles
élémentaires d’hygiène. Afin de faire face aux besoins
des armées lors de la conquête puis de la pacification de
l’Annam et du Tonkin, la Marine est contrainte d’affréter
des navires appartenant à des compagnies privées. Ainsi,
de 1886 à 1895, à côté des bâtiments de l’État comme le
Vinh-Long, l’Annamite, le Bien-Hoa et le Mytho, sont
affrétés le Chandernagor, le Comorin, le Canton, le
Colombo et le Cachar, pour effectuer les navettes entre
l’Extrême-Orient et la France.
Si la grande guerre n’exige, à ses débuts, que peu
de moyens maritimes d’évacuation des blessés, les
besoins se révèlent considérables lors des opérations
en Orient. L’affaire des Dardanelles mobilise à elle
seule, outre le vieux Tonquin rebaptisé Duguay-Trouin,
cinq navires réquisitionnés. Les rapatriements sanitaires
du front d’Orient vers la métropole ou l’Afrique du
nord, en particulier sur l’hôpital maritime de SidiAbdallah, mobiliseront jusqu’au plus grand paquebot
français, le France.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, deux vétérans
de la flotte marchande, le Canada et le Sphinx, sont mobilisés. Le premier fera des navettes entre l’Angleterre et
Toulon. Le second sera capturé par les Italiens.
513
Le Mistral. Credit ECPAD.
X. LES TEMPS MODERNES.
Les 6 et 9 août 1945, les États-Unis d’Amérique font
capituler le Japon en anéantissant Hiroshima et Nagasaki
par le feu nucléaire. Le monde entre dans une ère
nouvelle. Les Services de santé de Terre, de Mer, de l’Air
et des Troupes de marine fusionnent. Le Service de
santé de la Marine avait participé, dès leurs débuts, aux
aventures aéronautiques et sous-marines qui, dans les
années cinquante, prennent un rythme plus soutenu.
Les bases aéronavales se multiplient et la Marine passe
du porte-avions Béarn au Clémenceau et bientôt au
Charles-de-Gaulle à propulsion nucléaire. Des médecins
s’engagent dans la voie de l’aéronautique navale
en effectuant un stage sur la base de Pensacola, aux ÉtatsUnis, af in d’acquérir un diplôme de navigant et la
compétence médicale spécifique. Un centre d’expertise
du personnel navigant entre en fonction. La Marine
étant responsable de la sécurité en mer, ses médecins
participent à la surveillance des pêches ainsi qu’aux
secours aux malades et aux blessés parfois au prix
d’un hélitreuillage.
Passant à la propulsion nucléaire, les sous-marins,
qu’ils soient d’attaque ou lanceurs d’engins, ont besoin
de compétences médicales particulières et des
médecins, volontaires et sélectionnés, suivent les cours
de l’école atomique de Cherbourg et s’initient à
514
la chirurgie générale, ainsi qu’à la dentisterie, lors de
stages hospitaliers.
Initié au XIXe siècle avec la cloche à plongeurs, le travail en
immersion est source de bien des accidents. Très tôt les
médecins et pharmaciens de la Marine participent aux
recherches générées par ces interventions sous la mer.
Aux scaphandres dits lourds succéderont les scaphandres
autonomes auxquels sont attachés les noms de Cousteau
et de Gagnan et dont les premiers essais sont menés dans
les années quarante en rade de Toulon. Les appareils de
plongée se perfectionnent et des mélanges gazeux sont
mis au point dans les centres de recherche de la Marine
puis du Service de santé. Le Centre d’étude et de recherche
de biophysiologie (CERB) appliquées à la Marine et des
centres de sélection, d’expertise et de suivi du personnel
sont mis en place. Les accidents de décompression
guettent les plongeurs malgré le respect des tables
rythmant les temps et les paliers de remontée des
profondeurs. Des caissons de recompression sont
installés à terre ou à bord des chasseurs de mines,
qu’un personnel médical et paramédical spécialisé
et entraîné est amené à servir.
Parmi les plongeurs, les nageurs de combats tiennent une
place éminente au sein des fusiliers marins et leurs médecins partagent les mêmes contraintes d’entraînement
qu’eux. Au large de la Somalie, le 11 avril 2008, lors du
récent sauvetage du voilier de luxe le Ponant des griffes des
b. brisou
bâtiments de guerre de fort tonnage sont depuis bien des
lustres dotés d’un véritable hôpital. À côté du porte-avions
Charles-de-Gaulle, les derniers nés de ces navires, les
bâtiments de projection et de commandement (BPC)
Mistral et Tonnerre, déplaçant chacun 20 000 tonnes, ont
des capacités « santé » exceptionnelles. Pouvant recevoir
des équipes de spécialistes venues pour la circonstance des
hôpitaux des armées afin de renforcer le personnel qui lui
est propre, doté d’un système de télémédecine, un tel
bâtiment peut assurer la capacité médicale de soutien d’une
task force. Les premiers essais de transmission d’images
radiologiques et cardiologiques furent conduits les 28 et
29 septembre 1993, entre le service de radiologie de
l’hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne à Toulon et
le croiseur-école Jeanne d’Arc: le médecin de la Marine du
XXIe siècle n’est plus un praticien isolé, comme le furent
longtemps ses anciens, les chirurgiens navigants (8).
Les Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins
(SNLE) veillent, tapis au fond des océans, assurant la
« dissuasion », c’est-à-dire la « non-guerre ». Le temps
n’est plus aux batailles escadre contre escadre et
les projections de forces sont devenues une affaire
interarmées voire interalliée : le Service de santé s’y
est préparé.
XI. CONCLUSION.
Tranbordement.
pirates, les hommes du commando Hubert avaient avec
eux leur médecin : un métier qui ne s’improvise pas.
Enf in, la Convention de Genève imposant trop de
contraintes, le temps des navires-hôpitaux qui arboraient
fièrement des croix rouges sur leurs flancs est révolu. Les
Cependant, la mer garde ses droits et la Marine, en
charge de ces plates-formes de projection, de la sécurité
des voies de navigation, du service public le long
des côtes, de la lutte contre l’immigration clandestine
et le trafic maritime de la drogue, se doit de conserver,
comme aujourd’hui, des médecins dont la vocation et la
formation soient de la servir. Créé avec la caution de
l’État-major de la Marine et la Direction centrale du
Service de santé des armées, le diplôme de médecine
navale est décerné, avec son insigne, aux médecins
stagiaires de l’Institut de médecine navale depuis le
28 novembre 2007, reconnaissant ainsi leur spécificité.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Lefèvre A. Histoire du Service de santé de la Marine militaire et des
Écoles de médecine navale en France. Paris: J.-B. Baillière et fils; 1867.
2. Brisou B. Du Service de santé de la Marine au Service de santé
pour la Marine. Carnet de la Sabretache 2004, nouvelle série ;
N° 162 : 169-78.
3. Sardet M. Naturalistes et explorateurs du Service de santé de la
Marine au XIXe siècle. Paris : Pharmathèmes ; 2007.
4. Brisou B. Débuts de l’anesthésie générale dans la Marine de
guerre. Médecine et Armées 1997 ; 25 (5) : 543-50.
5. Brisou B. Catalogue raisonné des rapports médicaux annuels ou de
trois cents ans de médecine navale
fin de campagne des médecins et chirurgiens de la Marine d’État,
1790-1914. Orléans : Service historique de la marine/Service de
santé des armées ; 2003.
6. Brisou B. Amédée Lefèvre, éminent hygiéniste naval de
Rochefort. Médecine et Armées 2003 ; 31 (5) : 516-24.
7. Brisou B. Naissance du Service de santé des colonies : dix ans de
drames. Médecine et Armées 1996 ; 24 (5) : 423-31.
8. Brisou B. Le Service de santé pour la Marine au début du
XXIe siècle. Académie de Marine - Communications et mémoires
2001-2002 ; N° 2 : 23-40.
515
Le professeur Alphonse Laveran identifia l’hématozoaire du paludisme en 1880, effectua de nombreux travaux sur la trypanosomiase et obtint le prix Nobel en 1907.
Agrégé du Val-de-Grâce, il fut l’auteur d’un excellent traité des maladies et épidémies des armées édité en 1875, et actuellement réédité.
516
Tricentenaire du Service de santé des armées
DES FIÈVRES AUX MALADIES INFECTIEUSES
Trois siècles de lutte contre l’infection
J.-D. CAVALLO
Depuis la plus haute antiquité, les maladies infectieuses
tiennent une place à part dans la médecine aux armées.
Vieilles terreurs de l’humanité et omniprésentes dans les
armées au camp ou en campagne, les maladies
infectieuses ont rythmé sur un mode endémique ou
épidémique la vie des hommes et ont largement influé
sur le cours de l’histoire des nations. Les médecins de
l’antiquité ont passé complètement sous silence l’histoire
des épidémies qui nous sont uniquement rapportées par
l’intermédiaire des historiens. Si les médecins et leurs
contemporains connaissaient bien les symptômes de
maladies infectieuses, ils n’en maîtrisaient ni les causes,
ni la nosologie, ni le traitement et les considéraient
comme un mal inévitable contre lequel ils ne disposaient
que de méthodes empiriques. Cette attitude fataliste
était à la hauteur de leur impuissance face à ces
fléaux. Thucydide nous a laissé le premier une
description précise de l’épidémie de « peste » qui a
touché massivement Athènes lors de la guerre du
Péloponnèse, tua Périclès en 429 et contribua fortement
à l'affaiblissement de la puissance Athénienne face
à Sparte (1). Les épidémies de paludisme furent omniprésentes dans l’armée d’Alexandre le Grand lors de leurs
campagnes en Asie et le conquérant lui-même mourut
probablement d’un accès palustre grave à Babylone en
323 avant J.-C. Les autres descriptions des auteurs
antiques sont nombreuses, mais plus sommaires. Nous
nous contenterons de citer la peste de Galien ou « peste
antonine », ramenée de Syrie par les légions de Lucius
Verus qui décima les populations de l’Empire romain
entre 165 et 180 après J.-C et tua l’empereur Marc Aurèle.
Hippocrate décrit les fièvres, leur rythme, leur intensité,
les relie aux désordres des humeurs du corps et en donne
le pronostic. On retrouve dans le livre des Épidémies :
« Les maladies les plus aiguës, les plus considérables, les
plus pénibles, les plus funestes, sont dans la f ièvre
continue. La fièvre quarte est de toutes la plus sûre, la plus
supportable et la plus longue (…) Dans la fièvre appelée
hémitritée, il survient aussi des maladies aiguës, et de
toutes les autres elle est la plus funeste. (…) La fièvre
J.-D. CAVALLO, médecin chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce.
Correspondance : J.-D. CAVALLO, Service de biologie, HIA Bégin, 69 avenue de
Paris, 94163 SAINT-MANDÉ Cedex.
médecine et armées, 2008, 36, 5
continue nocturne n’expose pas à un très grand danger de
mort, mais elle est longue ; la fièvre continue diurne dure
encore davantage (…). La fièvre tierce exquise se juge
très promptement et ne cause pas la mort. (….). Toutes ces
fièvres ont leur mode d’être, leurs constitutions et leurs
redoublements. » (2)
Différentes classifications des fièvres basées sur les
tableaux cliniques furent proposées tout au long des
siècles, mais l’attitude empirique dans la prise en charge
des maladies infectieuses perdurait encore au siècle de
Louis XIV. L’hygiène était à son plus bas niveau depuis
la renaissance et les XVIe et XVIIe siècles sont réputés pour
leur manque d’hygiène. La notion de pénétration des
miasmes au travers des pores de la peau suggérée par
Jérôme Fracastor, pionnier de l’épidémiologie et de la
notion de contagion (1546) aura des conséquences
néfastes auprès de ses contemporains. La toilette à l’eau
chaude, réputée dilater les pores se trouvera reléguée au
rang des causes favorisantes de la transmission des
maladies et restera considérée comme nocive pour la
santé pendant près de trois siècles. L’insalubrité et la
promiscuité accompagnaient le quotidien des soldats
et favorisaient la multiplication des épidémies dans
les armées ainsi que dans les hôpitaux sédentaires et
ambulatoires créés par l’autorité royale et qui étaient le
plus souvent de véritables mouroirs. C’est à la suite des
pertes immenses subies par les armées lors des guerres
menées tout au long de son règne que Louis XIV fut à
l’origine d’hôpitaux sédentaires systématiquement
construits dans les forteresses frontalières, de l’édification de l’hôtel national des Invalides et de l’Édit de
janvier 1708, acte fondateur visant à uniformiser et
centraliser l’organisation hospitalière militaire par la
création d’un corps des officiers de santé militaire (3).
Malgré ces efforts, les maladies, au premier rang
desquelles les maladies infectieuses épidémiques
dépassaient complètement les capacités médicales et
continuaient à tuer beaucoup plus que les combats.
L’hiver, temps de répit pour les armes, était plus meurtrier
que l’été pendant lesquels les hommes s’affrontaient. On
estime ainsi que sur les 600 000 victimes militaires des
guerres du XVIIIe siècle, 54 % furent victimes de maladies,
32 % blessés et 14 % furent tués ou décédés des suites de
leurs blessures. Pendant les guerres de la Révolution et de
517
l’Empire, on estime le nombre de morts par maladie
dans les armées françaises à plus de 2 500 000 contre
seulement 150 000 tués au combat.
Les praticiens du XVIIIe siècle appelaient en fait « fièvres »
toutes les maladies fébriles qu’ils ne savaient pas
diagnostiquer. Le degré de fièvre se mesurait à la vitesse
et à la force du pouls, à l’augmentation de la chaleur, à la
fréquence de la respiration et au niveau de lassitude
spontanée (asthénie). Les médecins militaires comme
l’anglais John Pringle, auteurs de l’ouvrage de référence
Encart 1
La victoire sur les fièvres typhoïdes
Les fièvres typhoïdes étaient au milieu du XIXe siècle la
seconde cause de mortalité dans les armées avec 20 % des
décès survenus dans les troupes stationnées en métropole,
juste après la tuberculose. Cette endémie a perduré sur un
mode majeur dans les armées jusqu’à la guerre de 1914 et
l’introduction obligatoire de la vaccination mise au point
par Hyacinthe Vincent dans l’armée française grâce à la loi
Léon Labbé éditée en 1913. Cependant, au déclenchement
de la guerre, seules les unités d’active étaient vaccinées et
des épidémies survenaient dans les unités de réserve ou de
conscrits hâtivement levées. Pendant les premiers mois de la
guerre, plus de 45 000 malades avaient été hospitalisés pour
plus de 8 000 décès. On s’aperçut que la vaccination, ciblée
sur l’unique bacille d’Ebert (Salmonella enterica sérotype
Typhi) ne protégeait pas contre les bacilles
des sérotypes Para A et Para B, responsables des fièvres
paratyphoïdes. Hyacinthe Vincent mit au point rapidement
un vaccin polyvalent TAB avec lequel il obtint l’autorisation de vacciner l’ensemble des armées. Le résultat fut
spectaculaire et à la fin de la guerre, seulement quelques
centaines de cas de typhoïde par an étaient encore déclarés.
Cette victoire médicale majeure contre une endémie
séculaire au sein des armées valut au professeur Vincent
une notoriété immense assortie de la médaille militaire,
décoration exceptionnellement obtenue par les officiers et
habituellement réservée aux généraux en chefs victorieux.
H. Vincent fait la première vaccination antityphoïdique.
518
Encart 2
Diarrhées, dysenterie et choléra
La dysenterie a accompagné l’histoire des armées en
campagne. La grande épidémie de dysenterie qui a décimé
la puissante armée prussienne a sauvé les armées
révolutionnaires d’une défaite probable lors de la bataille
de Valmy en 1792. Elle a largement obéré les capacités
des armées lors des campagnes Napoléoniennes, de la
conquête de l’Algérie ou lors de la guerre de Crimée. Les
corps expéditionnaires lui ont payé un lourd tribut lors des
campagnes coloniales au cours desquelles la survenue de
ces dysenteries avait très tôt été associée à la fréquence des
abcès hépatiques, témoignant de la présence des amibes
dysentériques aux côtés des Shigella. Le choléra, dont
l’agent est Vibrio cholerae, identifié par Koch en 1883,
sortit de son foyer traditionnel du Bengale et de la haute
vallée du Gange au début du XIXe siècle, se répandit dans le
monde le long des routes commerciales sous forme de
pandémies successives et s’installa en Europe à partir de
1830, avec la seconde pandémie. À la suite de l’armée
anglaise des Indes, déjà victime du choléra dans la
deuxième moitié du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle,
les armées européennes en campagne furent à leur tour
atteintes par des épidémies au cours du XIXe siècle. C’est
ainsi que le choléra importé d’Europe sévit avec force en
Algérie et en surtout en Crimée dans les armées françaises,
qui en furent très lourdement éprouvées. Les garnisons de
métropole furent également touchées par les épidémies.
Avec l’élucidation des mécanismes de la contagion
les méthodes de prévention furent progressivement
améliorées. Le développement de la quarantaine et des
lazarets, l’utilisation d’un vaccin dans le cas du choléra,
les progrès de l’hygiène et de la désinfection, le traitement
de l’eau de boisson devaient permettre de mieux contrôler
les maladies du péril fécal.
de l’époque ou le français Jean Colombier (4, 5) isolaient
les fièvres putrides considérées comme les plus sévères et
qui avaient pour cause un ferment putride et les fièvres
inflammatoires. Les médecins militaires de la Révolution
et de l’Empire distinguaient de façon pragmatique trois
grands types de f ièvres dans les armées : les f ièvres
rémittentes saisonnières des camps qui correspondaient
essentiellement à la typhoïde actuelle (encart 1) ou à la
dysenterie, qui selon Jean Colombier était « la maladie
qu’on voit régner le plus souvent dans les troupes. Elle est
épidémique » (encart 2) ; les fièvres des marécages,
incluant le paludisme (encart 3) et les fièvres des prisons
et des hôpitaux qui étaient dominées par le typhus
exanthématique et les maladies transmises par les
poux (encart 4). La pourriture d’hôpital ou gangrène
compliquait un grand nombre de plaies de guerres et
emportait les patients dans des tableaux septicémiques et
de choc septique (encart 5). Enfin, des endémies tenaces
j.-d. cavallo
Encart 3
De la malaria au Paludisme (8)
Bien que considérée comme une maladie tropicale, la
malaria (mal aria = mauvais air) a infesté de vastes régions
d’Europe durant des siècles et accompagné de nombreuses
expéditions militaires. Elle sévissait de façon endémique
dans presque toutes les régions marécageuses et humides
aussi bien à Rome qu’en Provence, aux Pays Bas comme
en Écosse. Les légions romaines furent en effet décimées
par les fièvres des marais lors de la campagne calédonienne menée par Septime Sévère en 208 après J.-C.Depuis
l’atteinte des armées d’Alexandre le Grand suivie de la
mort du conquérant par accès pernicieux, la malaria fut
décrite comme un fléau majeur dans toutes les armées en
campagne lors des grandes expansions vers l’Orient,
l’Afrique ou les Amériques. L’expansion coloniale à partir
du XVIIIe siècle s’accompagna d’une explosion des fièvres
palustres dans les armées européennes et indigènes. La
malaria coûta un lourd tribut à l’armée française lors de la
conquête de l’Algérie et la campagne de Madagascar fut à
la fois une promenade militaire et un désastre sanitaire.
Pendant la Première Guerre mondiale, le paludisme
toucha 50 % des effectifs de l’armée française d’Orient et
nécessita 20 000 rapatriements. L’étiologie supposée
de ces fièvres fut évoquée dès le Moyen-âge sous les
appellations de fièvre des marais, palustre, paludéenne. Ce
n’est réellement qu’après la découverte de l’agent
pathogène par Laveran en 1880 à Constantine et son traité
sur les fièvres palustres (1884) que s’imposera le terme
« paludisme » (palus = marais) désignant à la fois la
maladie et l’attribution aux « miasmes » du marais. La
responsabilité d’un moustique fut prouvée en 1897 par
Ronald Ross. La lutte antivectorielle contre l’anophèle
s’imposa alors comme une des bases de la prophylaxie.
Les vertus de l’écorce du quinquina étaient connues et
utilisées depuis le XVIIe siècle contre les fièvres palustres,
jusqu’à l’isolement du sulfate de quinine en 1820 par
Pelletier et Caventou et à son utilisation massive à partir de
1834 sous l’impulsion de François Maillot dans le
traitement et la prévention des fièvres. L’association de
traitements spécifiques de plus en plus performants, de la
chimioprophylaxie et de la lutte antivectorielle permit de
faire reculer le spectre du paludisme au cours du XXe siècle.
Cependant, l’apparition des résistances aux antimalariques chez les hématozoaires, des résistances aux
insecticides chez l’anophèle, la diminution des efforts
sanitaires liée à la multiplication des conflits font que le
paludisme reste encore avec plus de 500 cas déclarés
chaque année le premier problème sanitaire pour nos
forces qui interviennent dans les zones d’endémie.
comme les maladies vénériennes ou la gale affligeaient
de façon permanente les troupes.
Vu avec les connaissances d’un médecin de 2008, toutes
ces fièvres ont trouvé un cadre nosologique et des agents
étiologiques précis peuvent être mis en évidence à l’aide
d’examens complémentaires performants. Ces maladies
appellent un traitement spécif ique à base d’antiinfectieux et une prophylaxie collective adaptée à
des fièvres aux maladies infectieuses
l’épidémiologie de chaque type d’infection et basée
selon les cas sur des mesures d’hygiène, la vaccination
ou la lutte antivectorielle. Plusieurs siècles ont été
nécessaires pour que le corps médical, au travers des
progrès en sciences humaines, transforme les fièvres
qui tuent en infections curables et réussisse à leur enlever
leur caractère inévitable par des mesures de prévention
spécifiques. Les médecins militaires ont joué un rôle
éminent dans la révolution scientifique qui a permis
de contrôler et prendre en charge les maladies
infectieuses, première cause de maladie et de mortalité
depuis les débuts de l’humanité.
Les premiers moyens de lutte mis en place contre les
fièvres découlaient d’une vision médicale innovante pour
l’époque concernant leur transmission : le mauvais air est
Encart 4
Les maladies transmises par les poux
Les poux, en particulier Pediculus humanus (poux du
corps) sont les grands vecteurs du typhus exanthématique
du à Rickettsia prowaseki, mais aussi de la fièvre des
tranchées due à Bartonella quintana ou la fièvre récurrente cosmopolite à poux liée à Borrelia recurrentis.
Maladies épidémiques de la promiscuité, de la misère et
des guerres, très répandues dans les armées en campagne,
les maladies transmises par les poux ont marqué l’histoire
militaire depuis la Renaissance et les guerres d’Italie. Le
terme de « typhus » désignait initialement plusieurs types
d’infections épidémiques touchant les grands
regroupements militaires et dont la plus sévère était le
typhus exanthématique, principal responsable de la fièvre
des hôpitaux et des prisons. Les maladies transmises
par les poux ont accompagné toutes les campagnes
Napoléoniennes. Une étude génétique sur la pulpe
dentaire de 35 soldats enterrés à Vilnius lors de la retraite
de Russie montrait que 30 % d’entre eux souffraient de
maladies transmises par les poux, fièvre des tranchées ou
typhus exanthématique (9). Le typhus exanthématique fut
responsable de très nombreux décès par maladie dans
l’armée française lors de la campagne de Crimée. La
fièvre récurrente ou « typhus à rechute » à B. recurrentis
était connue pour accompagner fréquemment les épidémies de typhus exanthématique, avec une évolution
cependant moins sévère. Les épidémies de fièvre récurrente ont sévi dans les armées en Afrique du Nord jusqu’à
la 2e Guerre Mondiale. B. quintana, agent de la fièvre des
tranchées pendant la Guerre de 1914-1918, infecte
l’homme depuis au moins 4 000 ans (10) et sévit encore
dans les populations de sans-abri infestées par les poux. La
responsabilité des poux dans la transmission du typhus
exanthématique ne fut prouvée qu’en 1909 par Charles
Nicolle. Le déparasitage des sujets infestés par les poux,
devint une priorité en matière d’hygiène et l’utilisation de
poudres insecticides comme le DDT permit d’atteindre
définitivement cet objectif et d’éliminer dans les armées
ces maladies à réservoir humain.
519
Épouillement.
le responsable par excellence des maladies les plus graves
et les plus contagieuses. John Pringle résume bien les
quatre types d’air infect : celui qui provient de l’eau
stagnante des marais, celui qui s’exhale des excréments
qui sont autour du camp pendant les chaleurs et lorsque la
dysenterie est fréquente, celui qui émane de la paille
pourrie dans les tentes et enfin celui que l’on respire
dans les hôpitaux pleins de gens incommodés par les
maladies putrides et dans les casernes quand elles sont
trop pleines et mal entretenues (4). L’eau croupissante ou
la mauvaise alimentation sont également reconnus
comme responsables de maladies.
Les praticiens militaires du XVIIIe siècle se placent parmi
les grands précurseurs de l’hygiène en campagne. Pour
eux, la notion dominante était que la propreté est la
meilleure prévention possible contre les épidémies.
Il s’agissait d’abord de la propreté de l’air avec le
creusement des feuillées loin du camp et leur traitement
par l’ajout quotidien de terre, l’aération des tentes,
des chambrées ou des salles d’hôpital. Les eaux
croupissantes des marais étaient réputées charger l’air
d’impuretés et devaient être soigneusement évitées.
Les locaux étaient entretenus, le linge régulièrement
changé et lavé pour éviter les maladies de peau. L’hygiène
corporelle et le bain chaud étaient de nouveau conseillés,
en particulier pour les malades. À l’hôpital, il était
préconisé de ne mettre qu’un seul patient par lit,
contrairement à l’habitude du temps. Les patients galeux,
520
teigneux, « vermineux » ou porteurs de maladies
vénériennes devaient être isolés des autres militaires.
L’eau devait être filtrée et on préconisait d’y ajouter
du vinaigre, les qualités de l’eau bouillie et de l’eau
chaude donnée sous forme de tisanes étaient vantées.
On rechercha enfin l’amélioration de la ration du soldat
pour le fortifier et le rendre plus résistant aux maladies.
Toutes ces recommandations nées du bon sens et
de l’observation étaient reprises dans des manuels
d’instruction, mais étaient malheureusement peu
suivies d’effet, car les officiers de santé et leurs aides
étaient cantonnés aux soins médico-chirurgicaux et
à la prescription des régimes alimentaires. Pour la
politique sanitaire, ils étaient placés sous la tutelle
de l’intendance et dépendaient de son bon vouloir pour
l’approvisionnement, la police et la propreté sanitaire.
Leur influence sur la conduite des opérations et les
conditions de vie des soldats était en fait limitée. Sur le
plan thérapeutique, la quinquina était depuis le XVII e
siècle le remède universellement utilisé pour le traitement de toutes les fièvres, y compris de la dysenterie.
Le XVIII e siècle devait voir la dernière des grandes
épidémies de peste qui sévissaient depuis le moyen-âge.
Elle eut lieu en Provence entre 1720 et 1723 et fut en
grande partie jugulée grâce aux mesures de quarantaine
et à l’intervention de l’armée qui établit des cordons
sanitaires autour des zones où sévissait l’épidémie.
j.-d. cavallo
La période 1792-1796 amorça une courte période
d’autonomie pour le Service de santé, avant que le corps
de santé ne retombe sous la coupe des commissaires des
guerres, avec les mêmes inconvénients que sous l’ancien
régime. Dans le domaine des maladies infectieuses, les
épidémies qui rythmaient les campagnes de la révolution
et de l’empire se rajoutaient à une situation sanitaire déjà
déficiente. Si ces épidémies étaient parfois favorables
aux armes françaises, comme l’épidémie de dysenterie
qui décima l’armée prussienne à Valmy en 1792 ou celle
de paludisme qui décima 27 000 soldats britanniques
dans les marécages de Walcheren en Hollande en 1809,
elles s’exerçaient le plus souvent à leur détriment et
prenaient parfois des dimensions catastrophiques. On
peut citer parmi les épidémies restées célèbres l’épidémie
de peste dans l’armée d’Égypte, celle de fièvre jaune qui
anéantit la quasi-totalité (24 000 hommes sur 30 000) du
corps expéditionnaire français à Saint-Domingue
en 1802 ou les épidémies de typhus (encart 4) qui
accompagnaient la Grande armée depuis Austerlitz
jusqu’à la campagne de France, avec un pic lors de la
retraite de Russie. Pour chaque homme tué au combat,
la Grande Armée perdit cinq hommes par maladie
(surtout typhus et dysenterie). Des hôpitaux spéciaux
recevaient les galeux et les vénériens pour éviter la
contagion avec les autres blessés ou malades. La gale
atteignait quasiment 10 % des effectifs de l’armée en l’an
VIII. Cette période brillante sur le plan de la chirurgie de
guerre de l’avant fut très sombre sur le plan sanitaire et
la mortalité hospitalière était telle que les hôpitaux
militaires avaient gagné l’appellation de « sépulcre de
la Grande Armée » dans un pamphlet publié en 1814.
On rajoutait « un billet d’hôpital était un billet d’enterrement ». Cette période du premier empire a été
cependant marquée par un progrès médical notable
dans le domaine des maladies infectieuses avec
l’introduction, sous l’impulsion de Jean-François Coste,
de la vaccination contre la variole dans les armées par la
méthode de variolisation de bras à bras (encart 6).
La période qui va du 1er Empire à la guerre de 1870 est une
période de transition, très bien décrite par Alphonse
Laveran dans son « Traité des maladies et épidémies des
armées » publié en 1875 (6). Celui-ci s’appuie sur les
statistiques de morbidité et de mortalité, publiées dans les
Le typhus à Mayence. Lors de la retraite de Russie (1812) et de la campagne d’Allemagne (1813), le typhus fit des ravages dans la Grande Armée avant d’envahir la
France et de toucher la population civile. La mortalité dans la population civile et l’armée contribua à provoquer la première abdication de Napoléon Ier.
des fièvres aux maladies infectieuses
521
Encart 5
De la pourriture d’hôpital aux infections
du site opératoire
Suivant les préceptes édités par Guy de Chauliac au
XIVe siècle, la prise en charge des plaies de guerre et des
plaies suivant une amputation associait la cautérisation
pour arrêter l’hémorragie, des pommades et des
pansements fréquents, tous éléments favorisant la nécrose
et la suppuration des plaies (11). Ambroise paré proposa
avec raison de remplacer la barbare et nocive cautérisation
par la ligature vasculaire. Les progrès considérables de la
chirurgie et la virtuosité des chirurgiens du XVIIIe et du
XIXe siècles n’amélioreront pas sensiblement l’évolution
des plaies qui suppuraient de façon quasi systématique
et se compliquaient souvent de gangrène (ou pourriture
d’hôpital), qui emportait les patients. Ajoutée aux
épidémies qui sévissaient dans les hôpitaux, la mortalité
des blessés et amputés se situait entre 40 et 70 % des
patients opérés. Les deux grandes avancées qui ont
révolutionné la chirurgie sont l’anesthésie et l’hygiène.
L’anesthésie par éther, chloroforme ou chlorure d’éthyle
s’imposa dès la fin des années 1840, permit le développement de techniques chirurgicales élaborées et l’accès à
des organes jusque là impossibles à opérer. Grâce à des
précurseurs visionnaires comme Holmes et Semmelweiss
relayés par les travaux de Louis Pasteur, l’idée de
l’antisepsie utilisant les dérivés phénoliques va germer
chez Lister en 1867, mais ne sera pas encore adoptée lors
de la guerre de 1870 (45 % de mortalité chez les blessés
opérés). Devant les résultats remarquables obtenus en
termes de taux de suppuration et de mortalité (15 % seulement !) grâce à l’antisepsie chirurgicale par brumisation
phéniqué, celle-ci se généralise rapidement et en 1875, elle
est partout adoptée. En 1890, sous l’impulsion de Pasteur,
l’antiseptie par brumisation phéniquée est remplacée par
l’asepsie qui associe la stérilisation des instruments, la
désinfection du site opératoire et l’utilisation de gants en
caoutchouc et d’une casaque stérile par l’opérateur.
L’asepsie ouvre définitivement la voie à la chirurgie
moderne en permettant le contrôle du risque infectieux
armées entre les années 1830 et 1870 et sur l’expérience
encore récente de la conquête de l’Algérie, des guerres de
Crimée, d’Italie et de celle toute récente de 1870 contre la
Prusse. Il distingue bien les maladies et la mortalité du
temps de paix de celles des armées en campagne. Parmi
les maladies infectieuses responsables de mortalité dans
les armées, la tuberculose tenait au XIXe siècle une place à
part (encart 7). Dans les années 1860-1870, elle causait le
quart des décès dans les armées de métropole, c'est-à-dire
plus de 2 pour 1 000 hommes par an et autant de réformes
pour maladie. La mortalité par tuberculose précédait de
peu celle due aux fièvres typhoïdes (1/5 des décès), suivie
par les diarrhées et dysenteries, les fièvres éruptives
incluant la variole et les f ièvres palustres dans les
522
causes de décès (tab. I). Laveran soulignait bien que
leur fréquence variait avec la géographie et les fièvres
palustres étaient de loin la première cause reconnue
de mortalité dans l’armée d’Algérie (tab. I). Tous ces
chiffres ne tenaient pas compte de la fréquence des
infections qui entraînaient une plus faible mortalité
comme les infections respiratoires ou de l’omniprésence
des maladies vénériennes ou de la gale.
Pendant cette période, les progrès en matière d’hygiène
ont été sensibles et la mortalité hospitalière commença
à régresser de 13,5 % en 1814 à moins de 10 % en 1862.
La réputation de l’hôpital, autrefois considéré comme
antichambre de la mort commença à s’améliorer. Dans
les armées en campagne sous le second empire, les
Encart 6
La variole éradiquée
La variole ou « petite vérole » provient probablement de
l’adaptation à l’homme d’un poxvirus animal il y a plusieurs
milliers d’années au sein de sociétés pastorales primitives.
Tous les continents ont été touchés au cours du moyen âge et
des temps modernes. Aucune description précise dans les
armées ne nous est parvenue malgré sa large diffusion
attestée en Europe à partir du VIe siècle et sa responsabilité
dans le décès de personnages illustres comme le roi Louis XV
en France, la reine Marie II en Angleterre ou le tsar Pierre II en
Russie. L’utilisation de la vaccine, initiée en Angleterre par
Edward Jenner en 1796, devint d’usage courant en France
sous le premier empire. Étendue aux armées sous l’influence
de Coste par l’instruction du 29 mai 1811, elle eut pour effet
de diminuer de façon importante les épidémies sans toutefois
les faire disparaître, en particulier chez les patients n’ayant
pas bénéficié d’une revaccination récente. La variole
survenait dans les armées sous formes de petites épidémies à
propagation lente au sein des unités avec une fréquence
inverse du taux de revaccinations. Pendant la guerre de 1870,
l’armée française fut beaucoup plus atteinte par la pandémie
variolique que l’armée Prussienne, mieux vaccinée (6). Les
revaccinations furent généralisées à toute l’armée en 1871
sous l’impulsion de Michel Lévy et Louis Kelsch (7). Louis
Vaillard installa au Val-de-Grâce le premier centre de
vaccination des armées en 1884 utilisant de la vaccine
obtenue sur flanc de génisse et mit au point un vaccin à
partir de pulpe vaccinale glycérinée. L’efficacité de cette
politique vaccinale intensive fut remarquable, avec une
baisse de la morbidité de 350 pour 100 000 hommes par an
en 1862-69 à 250 en 1875-1877, à 20 en 1890 et 0,2 en 1913.
L’obligation vaccinale dès le plus jeune âge ne devint légale
qu’en 1902 pour la population française. L’intensification
de la politique de vaccination/revaccination associée
aux mesures d’isolement des patients contribua à l’issue
d’une campagne mondiale d’éradication lancée en 1965
qui aboutit à l’extinction mondiale de la variole proclamée
en 1980 par l’OMS. En juin 1977, une équipe militaire
française de la Bioforce intervint sur le dernier foyer mondial
de variole situé en Somalie.
j.-d. cavallo
Tableau I. Principales causes de mortalité par maladie infectieuse dans les
armées dans les années 1860-1870 (adapté d’après référence 6).
Maladie ou groupe
de maladies
Taux de mortalité pour
1 000 hommes/an
Armée de l’intérieur
(1860-1872)
Armée d’Algérie
(1869 et 1872)
Tuberculose
2,3
1,2
Fièvres typhoïdes
1,5 à 2,3
1,4 à 2
Diarrhée,
dysenterie
0,3
0,9
Fièvres éruptives
Dont variole
0,3
0,1
ND
Fièvres palustres
0,2
3,8 à 4,5
l’armée de Terre, enf in obtenue en 1882 après celui
du Service de santé de la Marine fut un évènement
décisif qui lui permit enfin de maîtriser la conduite de
la politique sanitaire dans les armées et de valoriser
rapidement les progrès scientifiques dans la pratique
médicale aux armées .Alphonse Laveran identif ia
l’hématozoaire du paludisme en 1880 et obtint le
prix Nobel en 1907 , Alexandre Yersin identif ia
la bactérie responsable de la Peste en 1894 et prépara un
sérum antipesteux. Jean-Antoine Villemin démontra en
1865 le caractère transmissible de la tuberculose. Louis
Vaillard fonda le premier laboratoire de bactériologie
militaire au Val-de-Grâce en 1889 et mit au point avec
Émile Roux la sérothérapie antitétanique (1893). Albert
Calmette mit au point en 1921 avec Camille Guérin le
Encart 7
Abcès hépatique /
hépatite
ND
0,2
La régression de la tuberculose
Mortalité globale
toutes causes
confondues
8 à 9,5
14,5
La tuberculose est l’infection la plus anciennement
attestée et la plus meurtrière de l’histoire humaine. Connue
depuis plusieurs millénaires (11), cette infection,
responsable d’un décès sur sept au cours du moyen âge a
connu son apogée au XIXe siècle, touchant le quart de la
population, et n’a pas épargné les armées. Une surmortalité par tuberculose était constatée au début du XIXe dans la
collectivité militaire. Dans les années 1860-1870, elle était
encore responsable de plus du quart des décès relevés dans
l’armée française avec plus deux décès pour mille hommes
par an. Le risque de mortalité par tuberculose s’accroissait
avec la durée du service et avec l’âge (6). Si Laennec a
identifié le premier la variété des formes cliniques de la
tuberculose, c’est Jean-Antoine Villemin, professeur au
Val-de-Grâce qui démontra en 1865 son caractère
transmissible et posa ainsi les bases de la prévention avant
même la caractérisation du bacille tuberculeux par Robert
Koch en 1882. Albert Calmette mit au point avec Camille
Guérin en 1921 la vaccination par le BCG qui permit
d’obtenir une prémunition, en particulier contre les formes
les plus sévères de tuberculose. Le dépistage par
radioscopie se développa sous l’impulsion d’Antoine
Béclère qui dirigea le service radiologique des armées
pendant la Grande Guerre et de médecins militaires
comme Salles ou Célestin Sieur et fut rendu obligatoire
par Henri Rouvillois dans les armées. L’évaluation de la
prémunition des jeunes recrues par la cuti-réaction à la
tuberculine, avec revaccination par le BCG en cas de
résultat négatif, devint systématique dès 1934. Suivant la
mise au point des traitements antituberculeux à partir des
années 50, l’association systématique des méthodes de
dépistage et du traitement des patients tuberculeux aboutit
à une diminution spectaculaire de la tuberculose dans les
armées tout au long du XXe siècle. Au début du XXIe siècle,
environ 3 cas pour 100 000 hommes sont déclarés
chaque année dans les armées françaises, c’est à dire moins
de 100 fois les chiffres rencontrés à la fin du XIXe siècle.
ND : non déterminé.
statistiques des guerres d’Italie et de Crimée montraient
que les maladies occasionnaient autant de décès et bien
plus d’indisponibilités dans les forces que le combat
lui-même. Les diarrhées/dysenteries, le choléra, le
typhus ont causé plus de 16 000 décès dans les
armées françaises pendant cette campagne de Crimée.
Les maladies infectieuses (fièvres diverses, diarrhées,
dysenterie et fièvre typhoïde surtout) représentaient près
de 80 % des 126 000 entrées relevées dans les hôpitaux
pendant la guerre d’Italie en 1859.
Face à l’omniprésence des maladies infectieuses, l’ère
des grands progrès n’était plus très loin. Les médecins
militaires de l’époque se tournaient de plus en plus vers
une démarche scientifique s’attachant à bien distinguer
les cadres nosologiques pour en découvrir les causes et
les modes de transmission. Ils suivaient le concept de
Broussais qui recommandait de remplacer l’antique
médecine des symptômes par la médecine des lésions.
L’objectif recherché, au-delà de l’amélioration de la
prise en charge thérapeutique était la prise de mesures
prophylactiques adaptées sur la base des connaissances
acquises. Les esprits s’ouvraient à la démarche épidémiologique et étaient prêts à accueillir la révolution
médicale Pastorienne et ses retombées. Les grandes
découvertes microbiologiques et épidémiologiques
de l’ère Pastorienne se multiplient à partir des années
1860. Des médecins militaires, à la fois cliniciens et
épidémiologistes, allaient se faire biologistes et
accompagner la révolution des connaissances dans le
domaine des sciences humaines. La fin de la tutelle de
l’intendance et l’autonomie du Service de santé de
des fièvres aux maladies infectieuses
523
La revaccination systématique contre la variole, entreprise après la guerre de 1870 a permis le contrôle de la maladie qui avait quasiment disparu dans l’armée
française avant la guerre de 1914. Le centre de vaccination du Val-de-Grâce avait été le premier centre créé spécifiquement pour les armées.
premier vaccin contre la tuberculose, appelé BCG.
Paul-Louis Simond démontra le rôle de la puce dans la
transmission de la peste et la nécessité de faire précéder
la dératisation par une désinsectisation. La masse
de données scientifiques générée dans le domaine des
maladies infectieuses permit de développer des moyens
de traitement spécif iques (sérothérapie), et surtout
des moyens prophylactiques adaptés aux principales
maladies. Ces mesures associaient d’une part des
mesures d’hygiène, l’isolement des patients contagieux,
la lutte contre les insectes, la dératisation, et d’autre
part des mesures spécifiques d’immunisation contre les
maladies bactériennes (typhoïde, peste, rage, charbon…),
puis virales (7). La vaccination antivariolique devint
obligatoire en 1902, celle contre la fièvre typhoïde en
1913 avec la Loi Léon Labbé. Le vaccin TAB mis au point
par Hyacinthe Vincent fut généralisé dans les armées
dès 1914-1915 avec un succès considérable en termes
de morbidité et de mortalité (encart 1). Les vaccinations
antitétaniques et antidiphtériques mises au point par
Gaston Ramon et Christian Zoeller devinrent obligatoires
dans les armées respectivement en 1931 et 1936 et furent
combinées à la vaccination antityphoïdique sous
forme d’association dans le TABDT. Les avancées
s’accéléraient dans le domaine des maladies
524
bactériennes, virales, parasitaires et mycosiques et les
anciennes « fièvres » furent progressivement identifiées,
classées, les agents responsables identifiés et leurs modes
de transmission caractérisés. La communauté militaire,
grâce à la réactivité du Service de santé, profita très
rapidement de toutes les grandes avancées scientifiques.
L’arrivée des antibiotiques et plus largement le
développement des anti-infectieux dans la seconde
moitié du XXe siècle améliorèrent de façon spectaculaire
la prise en charge des maladies infectieuses. Les vaccins
antibactériens et antiviraux se développaient et le
calendrier vaccinal mis en œuvre dans les armées était
régulièrement adapté à l’état de l’art et à la situation
épidémiologique particulière des armées. Dans le
domaine de l’hygiène et de la prophylaxie, le Service de
santé, en métropole ou Outre-mer, dans le cadre des
grandes endémies, dans les dispensaires ou les hôpitaux,
mit en œuvre des stratégies prophylactiques efficaces
appuyées sur un arsenal vaccinal de plus en plus varié
et performant, sur le développement des méthodes
de désinfection et de stérilisation et la multiplication
des insecticides à la suite du DDT. Des infections
comme la méningite cérébro-spinale (encart 8)
régressèrent grâce à la vaccination. La lutte contre
les infections hospitalières s’accéléra à partir de la fin
j.-d. cavallo
Encart 8
La prévention des « méningites
épidémiques »
Le professeur Hyacinthe Vincent fut le premier à préconiser l’utilisation de masse de la vaccination pour éradiquer une endémie dans une armée
en temps de guerre. Le succès de la vaccination contre la fièvre typhoïde fut
spectaculaire et rejaillit sur le Service de santé des armées.
des années 1980. Les stratégies de prise en charge et
de prévention de l’infection des plaies de guerre ont fait
disparaître depuis plus de 50 ans les pourritures d’hôpital
encore omniprésentes au début du XXe siècle.
En 2008, les maladies infectieuses sont des maladies
sous contrôle, soumises à une étroite surveillance
épidémiologique, avec des stratégies thérapeutiques et
prophylactiques spécifiques et performantes. Parmi les
grands fléaux des siècles passés, seuls le paludisme et les
diarrhées restent des menaces réellement significatives
pour nos forces en opérations extérieures.
Mais la vigilance reste de mise car les micro-organismes
sont d’une plasticité étonnante. Ils développent comme
tous les êtres vivants des stratégies de survie et
d’adaptation et le risque infectieux se modifie, avec
l’émergence de nouveaux agents infectieux ou d’agents
infectieux modifiés. L’émergence du virus de l’immunodéficience humaine ou la multiplication des résistances
des fièvres aux maladies infectieuses
La fréquence élevée de la survenue d’épidémies de
méningites cérébro-spinales ou « méningites épidémiques » dans les collectivités militaires était attestée
depuis le début du XIXe siècle. C’est à Michel Lévy que
revient le mérite d’avoir bien isolé le tableau clinique
de cette entité. Sa fréquence dans les collectivités
militaires sous forme de petites épidémies à prédominance hivernale, survenant surtout parmi les conscrits de
moins de 3 ans de services et les sujets âgés de 18 à 27 ans
avec des taux de mortalité de plus de 60 % était largement
attestée (6). Malgré la découverte de l’agent responsable,
Neisseria meningitidis, par Weisselbaum en 1887, les
moyens thérapeutiques non spécifiques mis en œuvre
n’ont été que d’un faible secours jusqu’à l’arrivée des
antibiotiques. Charles Dopter, au Val-de-Grâce établit la
preuve du portage rhino-pharyngé du méningocoque, et
ouvre les portes à l’immunoprophylaxie en définissant
leur sérotypage. Les médecins du Service de Santé
colonial, puis des grandes endémies comme Léon
Lapeyssonie conduisent au début des années 60 de
grandes campagnes de prévention basées sur l’utilisation
de masse de la chimioprophylaxie et à partir de la fin des
années 70 des campagnes de vaccination à l’aide d’un
vaccin antipolysaccharidiques A+C. Le remplacement
en 1991 de la vaccination circonstancielle lors d’un cas
survenu à l’unité par la vaccination systématique des
jeunes recrues à l’incorporation par le vaccin polysaccharidique A+C sous l’impulsion de Michel Meyran
entraîne une quasi-disparition de la méningite cérébrospinale dans les armées et depuis cette date, moins de 5
cas sont déclarés chaque année au sein des armées.
aux antibiotiques sont des témoignages représentatifs
de cette plasticité. Le bioterrorisme dans un contexte
international instable doit plus que jamais être pris
en compte. Le XIXe siècle a été le siècle de la découverte
du rôle des micro-organismes dans les f ièvres et
épidémies et des premières mesures eff icaces de
prévention et de traitement. Le XXe siècle a été celui de la
rationalisation de la lutte contre les maladies infectieuses
avec l’association de l’hygiène, de la lutte antivectorielle,
des vaccinations et des thérapeutiques anti-infectieuses.
Le XXIe siècle appuyé sur le développement des moyens
de communication, les biotechnologies et la biologie
moléculaire sera le siècle de la vigilance et de la réactivité
vis-à-vis de l’émergence des nouvelles maladies
infectieuses. Le Service de santé des armées y trouvera
sa place au plus grand profit des Armées.
525
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Quatrième édition, Librairie hachette, Paris 1878 : 100-4.
2. Hippocrate. De l'Art Médical. Paris, Librairie Générale Française,
1994 : 603.
3. Lucenet M. Médecine, chirurgie et armées en France au siècle des
lumières. Ed I&D, Paris, 2006 : 159 p.
4. Pringle J. Observations on the diseases of the army. London, 1752.
5. Colombier J. Médecine militaire ou traité des maladies tant
internes qu’externes auxquelles les militaires sont exposés dans
leurs différentes positions de paix ou de guerre. Paris, 1778.
6. Laveran A. Traité des maladies et épidémies des armées. 1875,
Paris, Réédition Charles Lavauzelle, 2005 : 736 p.
7. Antoine HM. Vaccinations et campagnes militaires. In Y Buisson,
Vaccinations dans les armées. Collection scientifique de la revue
8.
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12.
Médecine et Armées et de la Société française de médecine des
armées, Addim, 1999.
Dodin A, Rhodain F, Dodin F. Mal Air, Malaria, Paludisme. Ed
Tropical Pathology Society, Londres : 128 p.
Raoult D, Dutour O, Houhamdi L et al. Evidence of lousetransmitted diseases in soldiers of Napoleon’s Grand Army in
Vilnius. J Infect Dis 2006 ; 193 : 112-20.
Drancourt M, Tran-Hung L, Courtin J et al. Bartonella quintana in
a 4 000 year-Old human tooth. J Infect Dis 2005 ; 191 : 607-11.
D’Allaines C. Histoire de la chirurgie. Que sais-je ? Presses
Universitaires de France, 1967, Paris : 126 p.
Cruzeby E, Ludes B, Podeva JD et al. Identification of
Mycobacterium DNA in an Egyptian Pott’s disease of 5,400 years
old. CR Acad Sci III 1998 ; 321 : 941-51.
Ernest Duchesne (1874-1912). Élève de l’École du
Service de santé militaire de Lyon soutint en 1897 sa thèse
de doctorat en médecine « Contribution à l’étude de la
concurrence vitale chez les micro-organismes :
antagonisme entre les moisissures et les microbes ». Il était
ainsi le premier à démontrer que certaines moisissures
pouvaient tuer des bactéries. Il est considéré comme le
précurseur de l’une des plus grandes découvertes du
XX e siècle : la thérapie au moyen des antibiotiques.
Duchesne démontre que Penicillium glaucum peut éliminer
complètement Escherichia coli dans une culture contenant
ces deux seuls organismes. Il prouve également qu'un
animal inoculé avec une dose mortelle de bacilles de la
typhoïde est exempt de maladie s'il a été préalablement
inoculé avec Penicillium glaucum. Ses conclusions sont
visionnaires : « On peut donc espérer qu'en poursuivant
l'étude des faits de concurrence biologique entre
moisissures et microbes, étude seulement ébauchée par
nous et à laquelle nous n'avons d'autre prétention que
d'avoir apporté ici une très modeste contribution, on
arrivera, peut-être, à la découverte d'autres faits
directement utiles et applicables à l'hygiène prophylactique
et à la thérapeutique ». Ayant passé sa thèse, Duchesne
quitta le laboratoire et sa découverte révolutionnaire resta
inaperçue pendant trente-deux ans jusqu’à ce qu’Alexander
Fleming montre en 1929 les propriétés antibiotiques de la
pénicilline, une substance dérivée de ces moisissures. Ce
fut probablement la plus grande occasion manquée pour la
science du vivant en ce début du XXe siècle. Il mourut à 37
ans après 8 ans de longue maladie, en 1912. Son nom a été
donné à la promotion 1983 de l'École du Service de santé
des armées de Lyon-Bron.
526
j.-d. cavallo
Tricentenaire du Service de santé des armées
TROIS SIÈCLES D’HISTOIRE DU SERVICE DE SANTÉ DES
ARMÉES OUTRE-MER
M. MORILLON
I. INTRODUCTION.
Aborder en quelques pages trois siècles d’une histoire
aussi riche que celle du Service de santé des armées
outre-mer est un exercice périlleux. Le sujet rassemble
en effet un nombre considérable d’aventures humaines
toutes plus passionnantes les unes que les autres. Le
Service de santé était toujours présent qu’il s’agisse
des conquêtes de nouveaux territoires ou de guerres
lointaines, dans les colonnes des explorateurs ou avec les
corps expéditionnaires. Plus discrètement mais aussi
plus durablement, il bâtissait hôpitaux, dispensaires et
laboratoires et mettait sur pied des équipes mobiles de
dépistage et de vaccinations, allant au delà de sa mission
de soutien des troupes et se dévouant sans compter aux
soins des populations civiles. Les plus grandes pages de
cette histoire se situent au XXE SIECLE avec l’apogée de
ce que l’on appelait l’Empire colonial et trouvaient
une prolongation dans la période de coopération qui
suivait les indépendances. Mais avant ce « siècle d’or »,
nos anciens avaient déjà combattu des maladies
inconnues avec les moyens rudimentaires que leur
offraient les connaissances et les pratiques de leur temps.
Nous les suivrons dans quelques-uns des territoires
emblématiques de leur époque.
II. AU XVIIIE SIÈCLE À SAINT DOMINGUE.
La partie ouest de l’île de Saint Domingue, celle qui
correspond aujourd’hui à la République d’Haïti, est alors
la colonie la plus riche et la plus peuplée du royaume
de France et fournit à l’Europe le café, le cacao, l’indigo
et surtout le sucre de canne. C’est aussi une terre
d’esclavage, de 3 000 en 1700, l’effectif des esclaves noirs
passe à 100 000 vingt cinq ans plus tard et culmine à
600 000 au milieu du siècle. Si leurs conditions de vie sont
peu enviables, celles d’une grande partie de la population
blanche ne sont guère meilleures, ces « engagés » devant
trois ans de travail à la Compagnie royale des Indes en
échange de leur transport. La troupe quant à elle, mal
M. MORILLON, médecin général inspecteur, professeur agrégé du Val-de-Grâce
Correspondance : M. MORILLON, direction de l'Institut de médecine tropicale du
Service de santé des armées. BP 46, 13998 MARSEILLE Armées.
médecine et armées, 2008, 36, 5
nourrie, mal logée, mal payée, imprégnée de tafia, est
méprisée par la population et les esclaves traitent les
soldats de « nègres blancs ». La mortalité est importante.
Thibaud de Chamvallon en fait un portait évocateur : « La
couleur de ceux qui se portent le mieux est toujours livide
et jaune. » (1). Le soutien médical est confié pour une
partie aux nombreux « chirurgiens de plantation » (ils
sont environ 700 en 1791), engagés par les planteurs
qui leur ont payé le voyage et leur dotation en instruments
et médicaments. Ces praticiens aux compétences
incertaines en restent le plus souvent à saigner, purger
et distribuer de l’émétique. Lorsque surviennent des
épidémies, leur ignorance leur fait attribuer les pics de
mortalité à la sorcellerie ou aux empoisonnements,
accusations qui produisent d’importants désordres dans
la colonie. Moins nombreux mais mieux sélectionnés,
les médecins et chirurgiens du Roi font figure d’élite.
Ces officiers de santé « entretenus » mais peu payés,
complètent leurs revenus en gérant eux-mêmes des
plantations et des maisons et font partie de la petite
bourgeoisie de l’île. Leurs missions sont nombreuses :
ils doivent traiter les soldats malades ou blessés, visiter
les vaisseaux négriers, les prisons, rendre des rapports
de justice, autrement dit des expertises, délivrer des
certificats sanitaires de sortie et présider aux réceptions
c’est-à-dire aux examens d’aptitude des chirurgiens,
apothicaires et sage-femmes. Certains d’entre eux sont
dentistes et d’autres accoucheurs. Cette prééminence
donnée aux « chirurgiens-majors » qui valident les
compétences de leurs autres confrères créent des tensions
avec les chirurgiens de la colonie qui contestent à leur
tour aux médecins et chirurgiens du Roi le privilège
lucratif de soigner la population civile.
En 1719, des hôpitaux sont construits au Cap Haïtien et
à Leogane ; ils sont administrés par les Pères de la
Charité mais sont néanmoins dirigés par les médecins et
chirurgiens du Roi (1, 2). Cette situation amène des
conflits d’autorité le plus souvent arbitrés en faveur des
derniers par la Cour et le duc de Choiseul. En 1763, Saint
Domingue compte une dizaine d’hôpitaux dont les
principaux sont ceux du Cap et de Port au Prince, ce
dernier étant administré par des laïcs. Une proportion
importante de leurs malades est constituée par les soldats
des Compagnies franches de la Marine puis de la Légion
527
Carte de l’Île de Saint Domingue au XVIIe siècle : la partie ouest de l’île devenue, plus tard, la République d’Haïti était alors la principale colonie de la France.
de Saint Domingue ; à la fin du siècle près d’un soldat sur
six est aux hôpitaux. La promiscuité et le manque
d’hygiène sont responsable d’une mortalité plus
importante que celle des esclaves. À côté des très
fréquentes infections sexuellement transmissibles
(« maladies galantes » à l’époque) et des diarrhées, les
organismes affaiblis par les carences alimentaires (le
scorbut est encore fréquent) sont minés par le paludisme
et la tuberculose. Les ressources thérapeutiques, si l’on
peut appeler ainsi les méthodes contemporaines
de Molière, sont limitées et très soustractives : purges,
lavements, saignées et diète principalement. Sur ce fond
endémique, surviennent régulièrement les épidémies de
fièvre jaune, curieusement appelée alors « Mal de Siam ».
On ignore alors que cette maladie redoutable est importée
d’Afrique dans les colonies d’Amérique et qu’elle est liée
à la traite négrière. Si l’origine du mal doit rester encore
inconnue pendant deux siècles, sa description clinique
telle qu’on la retrouve dans un ouvrage publié en 1788 est
évocatrice et reprend bien les phases que Dutroulau (3)
caractérisera un siècle plus tard : « Le visage s’enflamme,
puis devient avec le reste du corps de couleur citron ; le
transport au cerveau suit de bien près et le sang sort par le
nez, la bouche, les autres conduits naturels, quelquefois
même au travers des pores. On s’imagine au vu de pareils
symptômes que le mal est occasionné par une trop grande
abondance de sang ; on en conclut qu’il faut saigner et
resaigner le malade. Ce traitement ne manque pas d’en
emporter plusieurs qui se trouvent dépourvus de forces
528
suff isantes pour résister aux violents assauts du
mal. Quelques-uns réchappent mais c’est le plus petit
nombre et ils sont si longtemps à se rétablir qu’il
n’est point de convalescence plus longue. Ils n’en
reviendraient pas moins si on ne les saignait pas et
guériraient bien plus-tôt… » (4).
En l’absence de traitements efficaces, les médecins se
tournent vers la prévention et s’intéressent à l’hygiène. Ils
écrivent de nombreux règlements sanitaires concernant
le casernement, les débits de boisson, les esclaves, les
cimetières. Avec les apothicaires ils analysent les eaux
minérales, s’intéressent à la fabrication du sucre, plantent
un jardin botanique et fondent un musée d’histoire
naturelle. Lorsque est fondée l’Académie des Arts et des
Sciences du Cap, 22 % des sociétaires sont des officiers
de santé. Cette curiosité intellectuelle se manifeste encore
lors des débuts de la vaccine et l’inoculation devient
systématique à Saint Domingue dès 1776, avant la France
métropolitaine.
La f in du siècle est marquée par plusieurs révoltes
des esclaves puis par le soulèvement qui aboutira à une
véritable guerre civile. Le corps expéditionnaire envoyé
par la République est victime d’une épidémie de fièvre
jaune d’une ampleur considérable, deuxième grand
désastre sanitaire après la peste de Jaffa. Les pertes sont
effroyables : en deux ans 1 500 officiers, 22 000 soldats et
185 off iciers de santé succombent à la maladie. Le
Premier Consul, qui n’a pas non plus la maîtrise des mers,
décide d’abandonner la colonie en 1803.
m. morillon
III. AU XIXE SIÈCLE, L’ALGÉRIE.
Dès le début de la conquête en 1830, ce sont 270
chirurgiens, médecins et pharmaciens, soit un quart de
l’effectif total du Service de santé qui débarquent sur le sol
algérien. À cette époque les chirurgiens sont très
majoritaires (178 pour 98 médecins et pharmaciens)
puisque ce sont à la fois des chirurgiens des régiments (que
l’on appellerait aujourd’hui médecins d’unité) et les
chirurgiens des hôpitaux. Les médecins sont quant à eux
des spécialistes affectés uniquement dans les hôpitaux.
Les combats sont rudes et l’on s’attend à des pertes
importantes. En plus de l’hôpital d’évacuation de 2300 lits
établi à Mahon aux Baléares, plusieurs établissements sont
installés à Alger, Bône, Constantine, Oran, Mostaganem,
Mascara, Tlemcen (5). Ils vont servir plus d’un siècle. Dès
1833, Baudens, jeune chirurgien de 29 ans crée l’École de
médecine militaire d’Alger à l’hôpital du Dey, futur hôpital
Maillot. Si cette école ne dure que trois ans, l’idée sera
reprise en 1856, donnant naissance à l’École préparatoire
de médecine et de pharmacie d’Alger, ouverte aux
musulmans et dont les militaires constituent la majorité des
professeurs. Cette école deviendra la Faculté mixte de
médecine et de pharmacie en 1909.
Baudens, bien que chirurgien attaché aux hôpitaux, suit
les colonnes expéditionnaires et se trouve à plusieurs
reprises sur le théâtre des combats. Il opère beaucoup,
observe et revient sur les principes que lui ont enseigné
ses maîtres, chirurgiens de bataille du Premier Empire à
propos du traitement des plaies par armes à feu. Il constate
qu’en étant moins agressif, en pratiquant moins
d’amputations et moins de débridements systématiques,
il obtient de meilleurs résultats. Quelques années plus
tard, son collègue Sédillot a la surprise de constater
l’importance que peuvent prendre les gelures sous cette
latitude. Elles sont traitées à l’époque avec quelques
gouttes d’éther sulfurique, un peu de vin, de la cannelle et
du café chaud… Sur ces blessés il mesure aussi les dégâts
de l’infection et c’est lui-même à la fin du siècle qui créera
le mot de microbe et plaidera en faveur des travaux de
Louis Pasteur à l’Académie des sciences.
Mais comme toujours, la troupe souffre beaucoup plus
des maladies que des blessures reçues au combat. Les
moyens thérapeutiques hérités du siècle précédent
peuvent nous sembler bien « exotiques » aujourd’hui :
pour la dysenterie bacillaire, particulièrement fréquente,
on prescrit la diète, de la guimauve, des violettes, du riz et
de l’orge, l’application de sangsues sur l’hypogastre et
l’anus, des lavements… et même des saignées pour les
cas graves, assorties de ventouses scarifiées et d’une
potion opiacée. On est tout aussi maladroit avec le paludisme, tellement présent qu’il y a des infirmeries de
f iévreux jusque dans les régiments. Plus encore, le
nombre des malades et des décès est si important que le
maréchal Soult, ministre de la Guerre, refuse de diffuser
les chiffres et envisage même l’abandon de l’Algérie.
Là encore, les enseignements de Broussais ont pour
conséquence l’administration de rudes traitements
« antiphlogistiques » : diète, saignées et sangsues. La
trois siècles d’histoire du service de santé des armées outre-mer
quinine n’est donnée qu’en complément lorsque la fièvre
devient périodique aux rythmes des accès de reviviscence. Cette attitude et les résultats obtenus choquent
Maillot, jeune médecin arrivé en 1834 à l’hôpital
de Bône. Il pressent l’unicité entre les fièvres continues
et intermittentes et décide d’utiliser la quinine comme
traitement principal mais à des doses plus importantes.
Les résultats sont spectaculaires, la mortalité passe de
25% à 5 %. La nouvelle se répand chez les soldats qui
insistent pour être admis à Bône dans « le service où l’on
ne meurt pas ». Bien que cette innovation ait le soutien des
généraux Damrémont et Bugeaud, le ministre continue
à trouver que la dépense en médicaments est trop
importante ! Cette découverte empirique est d’autant plus
remarquable qu’il faudra attendre encore presque un
demi-siècle pour qu’un autre médecin militaire servant
en Algérie découvre le parasite responsable. C’est à
l’hôpital de Constantine qu’Alphonse Laveran, après de
patientes observations microscopiques repère des
éléments mobiles et en conclut que le responsable est un
parasite. L’importance de la découverte est considérable
et vaudra à son auteur le prix Nobel de médecine. Il sera le
premier Français à obtenir cette prestigieuse récompense.
Mais d’autres maladies infectieuses font des ravages
comme la f ièvre typhoïde, appelée tantôt f ièvre
adynamique ou dothinentérie. On tarde à reconnaître que
cette maladie, bien connue en Europe et qui a décimé les
armées en Espagne, puisse aussi sévir de l’autre côté de la
Méditerranée. Et c’est toujours en Algérie, à la fin du
siècle que dans son laboratoire de l’hôpital du Dey,
Hyacinthe Vincent débute ses travaux sur le vaccin TAB.
C’est dans ce même laboratoire qu’il décrit l’angine
qui porte son nom et l’association fuso-spirillaire qui
en est responsable. Quant au choléra, il est importé
d’Europe par les troupes débarquées de Marseille ! Plus
de 500 militaires en meurent à Oran en 1834 et 639 à Alger
l’année suivante. C’est à cette maladie que le Service de
santé payera son plus lourd tribut en Algérie avec 69 morts
parmi ses officiers. Le typhus, bien sur, continue à suivre
les armées en campagne et tue 22 off iciers dont 16
médecins et 6 officiers d’administration.
La population civile qui souffre des même maux
bénéficie aussi de la sollicitude des médecins militaires.
Dès le début, Mauriceau-Beaupré, chirurgien en chef du
corps de débarquement annonçait à ses hommes : « Si le
séjour de l’Armée se prolonge pendant quelque temps
dans ce pays, plus d’un malheureux viendra implorer
votre assistance. Vous lui tendrez une main secourable,
vous verserez sur ses plaies le bienfait de la consolation et
le bienfait ressenti sera peut-être une première semence
de civilisation susceptible de germer. » Les hôpitaux
militaires admettent les patients autochtones et en 1847,
après la création des « bureaux arabes » dans toutes
les localités du pays il est décidé que « les indigènes
seront traités gratuitement par l’off icier de santé
militaire de l’hôpital, de l’ambulance, du corps le plus
voisin de chaque bureau. » Nous avons là les prémices
de l’Assistance médicale indigène développée au siècle
suivant (6). Les infirmeries-dispensaires et les postes
529
Inauguration du village de Laveran en Algérie en 1930.
de secours ruraux couvrent ainsi le territoire et vont
plus tard s’étendre jusqu’aux confins sahariens, assurant
les soins quotidiens et faisant reculer les endémies,
notamment le trachome.
IV. LE XXE SIÈCLE ET LE SERVICE DE SANTÉ
COLONIAL (1890-1960).
Cette période commence en réalité en 1890 quelques
années après l’humiliation de 1871 et la perte de l’Alsace
et de la Lorraine, lorsque la France se lance à la conquête
de ce que l’on appellera l’Empire colonial. En dépit de
tout ce qui a pu être dit ou écrit, l’œuvre médicale est
considérable et cette époque reste un « age d’or » dans
l’histoire du Service de santé outre-mer. Voilà déjà
quelques années que les médecins accompagnaient les
colonnes d’explorateurs et organisaient des dispensaires
et des hôpitaux, mais en 1890 commence une nouvelle ère
avec un engagement sans précédent au service des
populations. Au début de l’aventure, avant même la
naissance officielle des troupes coloniales, ce sont des
530
médecins de Marine qui sont à l’œuvre. S’ils sont de
remarquables cliniciens, la science médicale de leur
époque les laisse bien désarmés face aux maladies
exotiques. À l’époque où les côtes africaines sont
présentées comme « les rivages de la mort » ou « le
tombeau de l’homme blanc », Mahé, professeur à l’école
de médecine navale de Brest fait un portait de l’Afrique
Équatoriale d’un lyrisme terrifiant : « Là bas, sur les rives
empestées de l’Atlantique, vous rencontrerez le
redoutable sphinx de la malaria, pernicieux Protée, le
fantôme délirant du typhus, le spectre livide du choléra et
le masque jaune du vomito negro. Défiez vous ! De la
terre et des eaux s’exhale un souffle empoisonné… » (7).
La catastrophe sanitaire de Madagascar en 1895, dans
laquelle disparaît un quart du corps expéditionnaire
victime du paludisme et de la dysenterie, montre à quel
point il est indispensable de mieux connaître et de mieux
prendre en charge ces maladies. En 1903, le corps de santé
colonial est rattaché aux troupes coloniales et en 1907,
l’École du Pharo à Marseille reçoit sa première
promotion d’élèves. Destinés à servir auprès des
m. morillon
troupes déployées dans les colonies, ces médecins
vont rapidement se mettre au service des populations
indigènes. Cette mission double se retrouve dans l’appellation des hôpitaux : les hôpitaux coloniaux du service
général qui accueillent les militaires, les fonctionnaires
et les patients civils à titre onéreux et les hôpitaux de
l’Assistance médicale indigène (AMI) ouverts à la
population et gratuits. Dès 1900, 30 hôpitaux principaux
et secondaires sont en fonctionnement, ils sont 41 en 1960
(tab. I). Ces établissements relèvent d’une dotation
budgétaire de la colonie et les patients sont pris en charge
pour 90 % sur les fonds publics. L’accès est gratuit pour
une grande majorité des usagers. Rapidement, les
médecins et pharmaciens qui y exercent doivent avoir des
titres hospitaliers comme leurs camarades de métropole.
Ils les acquièrent entre deux séjours à l’occasion d’une
affectation en métropole, notamment à l’École du Pharo.
À côté des 41 hôpitaux généraux, pas moins de 593
hôpitaux secondaires, 2 000 dispensaires, 6 000
maternités ont été créés et gérés par des médecins du
corps de santé militaire. L’AMI à elle seule consommait
un nombre considérable de médecins (tab. II).
En dépit de ces efforts à la fois indispensables et
admirables, le maillage hospitalier, inspiré par la mère
patrie se révèle insuffisamment adapté à des territoires
immenses dont la densité de population, exclusivement
rurale est souvent très faible (10 à 15 habitants au km2) et
où les communications sont difficiles. Les formations
hospitalières ne drainent leurs patients que dans un rayon
de 10 à 15 km, laissant de côté les villages plus éloignés.
C’est le constat que fait Eugène Jamot, en 1917, alors
qu’il vient d’être chargé de la lutte contre la maladie du
sommeil au Cameroun. Son idée d’aller chercher les
malades là où il sont, « au bout de la piste » est proprement
révolutionnaire. De 1921 à 1931, il l’organise en
concepts :
– faire une médecine de masse s’appuyant sur une
prospection active ;
Tableau II. Personnel et activité des hôpitaux d’Afrique noire en 1938
(d’après Lapeyssonie (8)).
AOF
AEF
Personnel européen
451
185
Dont médecins militaires
165
80
Personnel indigène
3 469
895
Formations sanitaires
556
325
Hospitalisations
61 259
52 395
Consultants
3 742 143
904 063
Consultations
13 232 977
3 101 552
– recenser et examiner de façon exhaustive toute la
population ;
– établir et faire appliquer des procédures uniformisées
pour toutes les équipes.
La méthode s’avère très efficace et les résultats sont
spectaculaires. Née dans l’AEF, elle est « exportée » en
AOF puis étendue à d’autres maladies : lèpre, paludisme,
onchocercose, méningite cérébro-spinale puis appliquée
aux vaccinations en zone rurale. Sur ces bases naît le
service général d’hygiène mobile et de prophylaxie.
L’époque correspond également à l’émergence de la
science vaccinale, et les médecins militaires participent
pour une part importante au développement des Instituts
Pasteur d’outre mer qui se construisent à Saigon dès 1891,
Nha Trang en 1895 et Tananarive en 1898. Onze
autres suivront. À cette époque 60 % du personnel de
ces Instituts est militaire. L’apport de ces « pasteuriens »
à la lutte contre les maladies infectieuses est considérable et dans l’impossibilité de tous les citer, nous
pouvons donner un aperçu de leur œuvre à travers
deux maladies aussi terrifiantes qu’emblématiques :
la peste et la fièvre jaune.
Tableau I. Principaux hôpitaux en fonctionnement à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (ne prend pas en compte les hôpitaux d’Afrique du Nord).
Hanoi
Indochine
Inde
Madagascar
Pacifique
H. Lanessan
H. Yersin
Dakar
H. principal
H. Le Dantec
Saigon
H. Grall
St Louis
H. colonial
Vientiane
H. Mahosot
Bamako
H. du point G
Phnom Penh
H. Calmette
Pondichéry
H. général
Abidjan
H. central
H. de Treicheville
Tananarive
H Girard et Robic
H. Befelatanana
Gd Bassam
H. colonial
Conakry
H. Ballay
Tamatave
H. colonial
Diego Suarez
H. colonial
Douala
H. La Quintinie
H. général
Majunga
H. colonial
Brazzaville
H. général
Nouméa
H. G. Bourret
Pointe Noire
H. Sice
Djibouti
H. Peltier
H. Bouffard
AOF
AEF
Papeete
H. Mamao
Antilles
Fort de France
H. Clarac
Guyane
Cayenne
H. J. Martial
Côte des Somalis
trois siècles d’histoire du service de santé des armées outre-mer
531
Consultation médicale gratuite, Tonkin 1932.
La peste qui avait décimé le corps expéditionnaire de
Syrie en 1799 représente un chapitre des maladies
infectieuses ou l’apport du Service de santé des armées
est majeur. Dès 1894, à Hong Kong, Alexandre Yersin,
récemment engagé dans le corps de santé colonial à
l’instigation de Calmette, colore, cultive et inocule le
bacille qui portera son nom. Quatre ans plus tard, près de
Karachi, Paul Louis Simond, futur premier sous directeur
de l’École du Pharo, démontre le rôle de la puce dans la
propagation de la peste. En 1932, à l’issue de six ans de
travail, Georges Girard et Jean-Marie Robic, à l’Institut
Pasteur de Madagascar, mettent au point le premier
vaccin et le testent courageusement sur eux-mêmes avant
de le mettre à disposition de la population. Après
plusieurs milliers de vaccinations, le nombre de cas
annuel passe de 4 0 à 50 dans la grande île.
La f ièvre jaune, elle aussi vieille compagne des
expéditions militaires, trouve sur son chemin deux
médecins coloniaux, Laigret et Durieux qui mettent au
point le premier vaccin à l’Institut Pasteur de Dakar en
1936. Plus de 55 millions de doses du « vaccin de Dakar »
sont inoculées en 15 ans en AOF. Le masque jaune du
vomito negro ne sera plus dès lors aussi terrifiant.
532
Pour clore ce bilan rapide d’une période si riche que
plusieurs volumes ne suffisent pas à la décrire, il nous
faut ajouter l’important travail de formation avec la
création de 2 facultés et 4 écoles de médecine, 2 écoles
de formation d’assistants médicaux et 19 écoles
d’infirmières.
V. LA FIN DU XX E SIÈCLE APRÈS LES
INDÉPENDANCES.
Après 1962, la France garde des relations privilégiées
avec les nouveaux états indépendants et le Service de
santé participe pour une part importante à la Coopération.
Son apport a été tel au cours du demi siècle précédent
qu’une période de transition s’avère nécessaire. Les
effectifs augmentent encore : alors qu’il y avait environ
700 officiers du Service en poste outre-mer en 1940, ils
sont 800 en 1980, soit près de vingt ans après la naissance
des nouveaux états. Parmi ceux ci, 442 sont employés au
titre de la coopération dont 209 dans les pays de l’ex AOF,
125 dans les DOM TOM. Ils sont présents dans trente
pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, du Pacifique et de
l’Océan Indien. Leurs cadres d’emploi sont très divers :
m. morillon
hôpitaux, secteurs de médecine rurale, dispensaires des
centres sociaux, secteurs d’hygiène mobile, grandes
endémies et Instituts Pasteur. Les hôpitaux généraux de
l’ère coloniale deviennent hôpitaux nationaux ou CHU,
les services d’hygiène mobile ont donné naissance à des
organisations régionales : l’OCCGE pour l’Afrique de
l’Ouest et le Togo en 1960 et l’OCEAC pour le Gabon, le
Cameroun, le Congo et le Tchad en 1963 (9).
Avec le même dévouement que leurs anciens, ces
médecins coopérants luttent contre les maladies
infectieuses et une fois de plus les succès sont là : ils
participent aux campagnes de vaccination qui
aboutissent à l’éradication mondiale de la variole en
1977. Elle vaudra l’attribution de la médaille du CDC
en 1992 à l’Institut de médecine tropicale du Service
de santé des armées en remerciement du travail des
médecins militaires français. Dans ce combat contre les
infections, la figure du Médecin général Lapeyssonie
est emblématique. Il est l’un des premiers à utiliser les
sulfamides retard contre la méningite cérebrospinale
dans la fameuse ceinture sahélienne de la méningite à
laquelle il laisse son nom. Sollicité en 1974 par Charles
Mérieux pour l’épidémie de méningite de Sao Paulo, il
utilise les injecteurs sans aiguille et parvient à vacciner
120 millions de personnes. Personnage hors du
commun, il rassemblait tous les savoirs-faire de ceux qui
l’avaient précédé : médecin, biologiste, épidémiologiste,
enseignant, chercheur mais aussi chasseur et coureur
de brousse, mécanicien et maçon et enfin romancier et
historien. Il était celui qui parlait le mieux de cette histoire
du Service sous les Tropiques.
La fin du XXE siècle est marquée par plusieurs guerres
civiles et catastrophes naturelles pour lesquelles le
Service, conformément à sa tradition, va développer
ses capacités de réponse aux situations d’urgence. Le
mouvement de la médecine humanitaire émerge à la
même époque et pour les mêmes raisons. Dans ce
contexte, en 1968, à Libreville, l’Élément médical
Tournée de brousse en République centrafricaine. Fin des années 1960.
trois siècles d’histoire du service de santé des armées outre-mer
533
militaire d’intervention rapide (EMMIR) déploie un
hôpital chargé d’accueillir les enfants victimes de la
guerre civile au Biafra. L’EMMIR sera envoyé également
en Jordanie 1970 pour secourir les victimes de « septembre noir » et lors du tremblement de terre au Nicaragua
en 1972. La nécessité de campagnes de vaccination de
masse et d’une réponse rapide aux épidémies aboutit
en 1983 à la création de la Bioforce. À côté de nombreuses
interventions sur des épidémies de méningite ou de
choléra, cet élément a été impliqué dans l’intervention
de 1994 au Rwanda ou l’équipe française à dû faire
face à une situation complexe dans laquelle à la fois,
la méningite, le choléra et la dysenterie bacillaire
décimaient des milliers de réfugiés.
Prise en charge de deux enfants victimes d’une explosion de mine (OMLT
Afghanistan 2007-08 / cp-c PELLEGRIN).
Au cours de ce siècle, médecine tropicale, médecine
humanitaire, recherche, ont réalisé un ensemble très
attractif à l’origine de nombreuses vocations de médecins
militaires. À leurs côtés, il est juste de rappeler le travail
des confrères civils effectuant leur service national au
titre de la coopération, qui suivaient la même formation et
partageaient le même idéal.
VI. CONCLUSION.
Cette évocation de trois siècles de médecine militaire
outre-mer ne doit pas être nostalgique mais nous rappeler
à quel point le Service et ses hommes ont su s’adapter aux
évolutions de l’histoire et de leurs missions. Renforcés
par cet héritage prestigieux, nous pourrons nous inscrire
dans sa continuité en répondant aux défis d’aujourd’hui.
Le mouvement a déjà été amorcé en 1996 avec la
professionnalisation des armées et l’évolution des
missions de défense. Il n’y a plus de « postes de brousse »
et les emplois dans les hôpitaux ou les Instituts Pasteur
sont devenus l’exception. L’heure est aux missions de
courte durée, en soutien des forces projetées : Côte
d’Ivoire, Afghanistan, pour ne citer que deux d’entre
elles. L’expérience acquise par des générations de
médecins militaires, tant en médecine tropicale que dans
l’exercice de la médecine en situation dégradée ou
précaire trouve ici toute sa place. Ce savoir-faire est
toujours transmis aux jeunes médecins avec cette
flamme si particulière faite à la fois d’amour du prochain
et d’attrait du lointain (7), entretenue à l’École du Pharo.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Pluchon P. Histoire des médecins et pharmaciens de la Marine et
des colonies. Privat, Toulouse. 1985 : 430 p.
2. Comité d’Histoire du Service de santé. Histoire de la Médecine
aux armées. Lavauzelle ; Paris-Limoges 1982 : 513 p.
3. Dutroulau AF. Maladies des Européens dans les pays chauds.
Baillière, Paris 1868 : 679 p.
4. Bourgeois N, Nougaret P. Voyages intéressans dans différentes
colonies françaises, espagnoles, anglaises, contenant des
observations relatives à ses contrées ; un Mémoire sur les maladies
les plus communes à Saint-Domingue, leurs remèdes, le moyen
de s'en préserver moralement et physiquement. JF Bastien Paris
1788 : 507 p.
534
5. Direction du Service de santé. L’œuvre du Service de santé
militaire en Algérie. Lavauzelle Paris 1931 : 363 p.
6. Camelin A. Le Service de santé en Algérie, de la conquête
aux accords d’Évian. Revue historique de l’armée. 1972. N° 1
(spécial) : 47-63.
7. Lapeyssonie. La Médecine Coloniale Seguers Paris 1988 : 310 p.
8. Lapeyssonie L. Le Service de santé dans ses tâches de santé
publique en Afrique francophone. Revue historique de l’armée.
1972. N° 1 (spécial) : 26-45.
9. Deroo E, Champeaux E, Milleliri JM, Queguiner P. L’École du
Pharo, Cent ans de Médecine Outre-Mer 1905-2005. Lavauzelle
Panazol. 2005.
m. morillon
Tricentenaire du Service de santé des armées
LE VISAGE SOCIAL DU MÉDECIN MILITAIRE
P. CRISTAU
Ambroise PARÉ.
I. INTRODUCTION.
« La médecine militaire est à la médecine civile ce que
la musique militaire est à la musique classique ». Cet
aphorisme sous forme de plaisanterie plutôt caustique
P. CRISTAU, médecin général inspecteur (2s).
Correspondance : P. CRISTAU, 28 rue Fay, 94 300 VINCENNES.
médecine et armées, 2008, 36, 5
en dit long sur idée que certains se faisaient du médecin
militaire au siècle dernier. Et pourtant l’hôpital du Val-deGrâce est resté au cours des siècles un hôpital de référence,
Alphonse Laveran fut le premier prix Nobel de médecine
français et la seule statue française en Corée du Sud est
celle du médecin commandant Jean Louis mortellement
blessé par mine en secourant un autochtone.
535
C’est dire qu’au prorata des modes et des circonstances, le
visage social du médecin militaire a pu prendre des
aspects multiples. Le but de cet article est de relater
l’évolution de ce visage au cours des trois derniers siècles,
au-delà de ces modes et au vu des circonstances.
II. AVANT LA CRÉATION DU SERVICE DE
SANTÉ MILITAIRE EN 1708.
Avant la création officielle du Service de santé par Louis
XIV des médecins attachés aux armées existent cependant depuis longtemps.
On les voit apparaître au cours de la Renaissance. Pendant
le Moyen Âge en effet, aucune organisation officielle ne
s’occupe des blessés. Ce sont en fait les ordres religieux
qui assument cette responsabilité.
Depuis le début de la Renaissance, les grands chefs
militaires emmènent avec eux un ou plusieurs chirurgiens
qui leur sont personnellement attachés. Ambroise Paré
s’en distingue en soignant, bien que chirurgien attaché
au roi, tous les combattants sans distinction avec
dévouement et modestie. Sa réputation est grande auprès
des hommes de guerre. Mais c’est un cas particulier ; à
cette époque, il est encore difficile de parler du visage
social du médecin militaire car fort peu l’ont rencontré.
Au cours du XVIe siècle, la place des chirurgiens militaires
s’installe progressivement. Leur rétribution est
néanmoins révélatrice de leur maigre considération.
Dans l’artillerie, cette rétribution les met juste avant les
canonniers ordinaires et les conducteurs de charroi.
Dans la cavalerie, elle est la même que celle du trompette.
Chez les marins, c’est différent lorsqu’ils imposent pour
tout vaisseau d’importance, la présence permanente de
chirurgiens, leur place est reconnue parmi les officiers,
juste après le prévôt et les aumôniers.
Lorsqu’au siècle suivant, Louvois réorganise les armées,
lorsque Vauban installe un hôpital militaire dans toutes
les places fortifiées à la frontière du royaume, le besoin
de praticiens militaires se fait sentir, des efforts de
recrutement sont faits, mais ces derniers ne sont pas
encore assimilés à des off iciers. Ils sont seulement
commissionnés pour une durée qui ne peut excéder
une campagne. Ils n’ont pas d’uniforme et si la plupart
portent une épée, c’est parce qu’ils veulent se distinguer
des praticiens civils.
Il est vrai que, si l’on se réfère aux Diafoirus de Molière,
l’image du médecin au Grand siècle ne jouit pas d’une
considération immense, cachant derrière un niveau
scientif ique théorique assez élevé, une eff icacité
thérapeutique modeste. Il est vrai aussi que le médecin
aux armées, encore plus exposé que son confrère civil aux
pathologies engendrées par la collectivité, n’a pas plus de
moyens de les enrayer. Les grandes épidémies (variole,
typhus, choléra) y sont tout aussi redoutables.
Il est curieux de noter en passant que le terme de
carabin qui voit le jour à cette période a au départ une
connotation militaire. Il désigne un soldat de cavalerie
légère qui fait rapidement passer ses adversaires de vie à
trépas, comme le « scarabin », ensevelisseur de pestiférés,
536
terme dérivé du scarabée qui fouille la terre et le fumier.
Par extension, il est attribué ironiquement aux
chirurgiens de cette époque.
Si le chirurgien militaire s’efforce de se distinguer de
son confrère civil, c’est que la pratique de la chirurgie
de guerre lui donne une expérience inégalée. Pierre
Dionis, premier titulaire de l’école de perfectionnement
des étudiants en chirurgie au Jardin royal de Paris en 1673,
est un ancien chirurgien militaire qui a été choisi pour
sa grande expérience pratique.
Dans la Marine, le développement de la flotte de
guerre par Colbert impose la création de petits bâtiments
de support sanitaire au sein des escadres, des « flûtes »,
à raison d’une pour dix vaisseaux. Sur les galères
elles-mêmes, le « taular » de l’avant est aménagé pour
le chirurgien. Mais si la spécialisation poussée de ces
chirurgiens embarqués n’est pas discutée, ils restent
totalement impuissants devant le scorbut qui décime
toujours les équipages. À tel point que Colbert écrit
à l’intendant des galères de Marseille que si la
connaissance de ses médecins ne paraît pas suffisante, le
roi ferait volontiers la dépense d’en faire aller un des
plus célèbres de la faculté de médecine de Montpellier
pour en chercher les remèdes. La conf iance mise
d’ailleurs en cette décision s’est avérée très décevante…
III. LE « SIÈCLE DES LUMIÈRES ».
La création par Louis XIV à la fin de son règne d’un
Service de santé de la Marine puis 20 ans après de celui de
l’armée de Terre découle en particulier de l’estime et la
confiance qu’il porte aux médecins des armées.
Ces derniers forment maintenant un corps permanent
réparti dans les hôpitaux, les corps de troupe ou les
bateaux, bien inclus dans le milieu militaire.
Cette décision n’apporte cependant pas, dans l’immédiat,
tous les avantages escomptés. Les difficultés pécuniaires
de la fin du règne, les guerres incessantes et leur cortège
de destructions ternissent l’image de l’armée et de la
Marine. Les récentes dragonnades dans les Cévennes
entraînent une coupure entre le monde militaire et le pays.
Par ailleurs, si la sollicitude du roi vis-à-vis de ses médecins militaires est le témoin de la reconnaissance de leurs
capacités techniques, elle ne va pas jusqu’à créer un
corps parfaitement indépendant en le laissant sous
l’autorité et la responsabilité de l’intendance. Cette
dépendance, dont le Service de santé va souffrir pendant
près de deux siècles, va être à l’origine de problèmes qui
vont épisodiquement altérer image du médecin militaire.
Il y a d’abord le problème de la gestion des hôpitaux
militaires, problème qui d’ailleurs n’est pas récent.
Certes, depuis Henri IV, il existe des hôpitaux militaires
mobiles qui suivent les troupes en campagne. Et ce
système bien organisé à l’avance est efficace. Mais le
service des hôpitaux est souvent sous-traité à des
entreprises pour qui la rentabilité l’emporte sur
l’eff icacité. C’est l’exagération du nombre des
hospitalisés, voire de la fausse survie de patients
décédés, ce qui coûte cher au budget des armées, mais
p. cristau
ce sont aussi des restrictions de médicaments ou de
nourriture, ce qui coûte cher à la santé des malades et
à la notoriété du Service. Le médecin militaire tire
toutefois son épingle du jeu.
Il la tire d’autant mieux qu’une bonne gestion des
hôpitaux militaires permanents et particulièrement ceux
de la capitale leur conserve une excellente renommée.
Jacques-René Tenon dans son « mémoire sur les hôpitaux
de Paris » décrit l’état catastrophique de l’Hôtel-Dieu
et cite plusieurs fois comme modèle l’hôpital des
Gardes françaises (futur hôpital du Gros-caillou) et
l’Hôtel royal des Invalides.
Au cours du siècle, la notoriété du Service de santé va
aller en s’améliorant de façon notable.
Chez les médecins, trois d’entre eux doivent à leur
réputation d’être médecins du roi : Guy Crescent Fagon
qui demeure aux côtés de Louis XIV jusqu’à sa mort,
Uniformes des chirurgiens et médecins.
le visage social du médecin militaire
Pierre Chirac qui sert Louis XV de 1731 à 1732 et Jean
Baptiste Senac qui lui succède après avoir été médecin
personnel du maréchal de Saxe.
Mais ce siècle se caractérise surtout par la promotion des
chirurgiens militaires. Ils bénéficient des progrès obtenus
dans l’échelle sociale par leurs confrères civils, progrès
auxquels certains d’entre eux participent efficacement.
Un des deux créateurs de l’Académie de chirurgie et qui
en deviendra le président, François Guyot de la Peyronie
est un militaire qui tient son prestige de son service sous
les ordres du maréchal de Villars. Dans cette académie
une vingtaine de ses 60 membres est militaire dont les
premiers directeurs et les premiers secrétaires.
La promotion des chirurgiens les fait doter les premiers
d’un uniforme en 1757. Ils portent l’habit « gris d’épine »
avec la veste et le pantalon rouge, cette couleur ayant été
demandée par Pichaut de la Martinière, chirurgien
consultant, pour qu’on puisse les identifier facilement sur
le champ de bataille. Les médecins n’obtiennent le leur
qu’en 1786 avec une couleur distinctive noire.
Un autre fait marquant est la création originale
d’un enseignement pluridisciplinaire et pratique
dispensé dans les hôpitaux royaux et basé sur l’examen
clinique et l’expérimentation concrète alors que
l’enseignement médical dans les facultés est un
enseignement purement théorique.
La dispersion de l’enseignement dans les hôpitaux
militaires des places, dont le nombre s’est élevé jusqu’à
90, donne cependant des résultats très inégaux. Il
débouche sur la constitution en 1775 de véritables écoles
avec la création de trois grands « hôpitaux-amphithéâtres » (Lille, Metz et Strasbourg) où les études
durent trois ans après deux années d’apprentissage
chez un maître chirurgien. Ce sont de véritables centres
hospitaliers universitaires avant la lettre.
Cette organisation est calquée sur les Écoles de chirurgie
navale qui existent déjà depuis plusieurs décennies à
Toulon, Brest et Rochefort où l’on pratique des cours aux
jeunes chirurgiens destinés à l’embarquement. Sous
l’autorité déterminante de Jean Cochon du Puys, l’école
de Rochefort acquiert une renommée dépassant les
frontières locales. La reconstruction des bâtiments en
1785 en font un ensemble considéré comme le premier
hôpital moderne du royaume.
Le bilan du Siècle des Lumières apparaît donc comme
globalement très positif concernant l’image sociale des
médecins militaires. Il se traduit par leur participation
non négligeable à la rédaction de chapitres sur la
médecine et la chirurgie dans la Grande Encyclopédie
de Diderot et D’Alembert.
La fin du siècle détruit malheureusement ce bel édifice.
Pour des raisons essentiellement budgétaires, Louis XVI
décide en 1788 de ne conserver que 8 hôpitaux
permanents et 10 auxiliaires. Cette réduction d’effectifs
et de moyens va mettre en évidence les insuffisances
du Service de santé au moment des premières batailles
de la Révolution.
537
IV. LA RÉVOLUTION ET L’EMPIRE.
L’Assemblée nationale au départ est pleine d’idées
généreuses et novatrices. Mais, elle décide de supprimer
les corporations qui sont l’image trop voyante de
l’Ancien régime ce qui entraîne la dissolution des
facultés. De la même manière, l’Académie de chirurgie
tient sa dernière séance en 1793. L’enseignement
des futurs médecins se fera dans trois écoles (Paris,
Montpellier et Strasbourg) ou, « à la demande », auprès
de praticiens hospitaliers selon les circonstances et la
bonne volonté des intéressés.
Pour le Service de santé, la levée en masse impose de
nouveaux recrutements rendus difficiles par les décisions
précédentes. La création d’un hôpital d’instruction au
Val-de-Grâce, après qu’on en ait chassé les religieuses en
1793, est insuffisante. Pour pallier ces déficits et attirer
des volontaires, l’on décide de façon paradoxale de ne pas
leur demander de certificat de civisme que l’on exige
ailleurs. C’est ainsi que l’on voit s’engager des candidats
de toute nature, par exemple des prêtres réfractaires ou
des personnes politiquement suspectes venus chercher la
sécurité sous les drapeaux. C’est le cas de Desgenettes
compromis par ses relations amicales avec les Girondins,
qui s’engage sans vocation militaire particulière, mais
qui va bénéficier des circonstances. Affecté à l’armée
d’Italie, il rencontre sur son chemin dans une taverne
un certain général Bonaparte qui rejoint aussi sa
nouvelle affectation.
Mais Desgenettes est déjà docteur en médecine et
praticien expérimenté. Beaucoup d’autres jeunes vont
s’instruire « sur le tas » et n’ont pas le temps de fréquenter
les écoles de médecine ou les hôpitaux d’instruction entre
deux campagnes. Cette disparité fait décider par la
Convention un contrôle obligatoire des connaissances.
C’est ainsi que Percy, alors chirurgien de l’armée de la
Moselle, se voit obligé, avec l’humeur que l’on devine, de
rester enfermé 28 heures à la mairie de Buzonville
pour subir ces épreuves sous la surveillance du personnel
local et des représentants du peuple.
Cette suspicion aveugle n’empêche pas l’enthousiasme
révolutionnaire qui anime le corps de santé comme
les autres militaires. En 1994, 900 d’entre eux y ont
déjà laissé la vie.
La période de l’Empire se caractérise d’abord par la gloire
des grandes figures de cette époque, les Larrey, Percy,
Desgenettes :
– Larrey qui crée les ambulances volantes, qui désarticule
une épaule en quelques minutes, dont Napoleon dira
« c’est l’homme le plus vertueux que j’ai connu » et que
Wellington salue le soir de Waterloo comme « l’honneur
qui passe » ;
– Percy qui envoie ses chirurgiens sur le champ de
bataille avec ses « wurst », qui organise les infirmiers en
compagnies de « despotats » ;
– Desgenettes qui s’inocule la peste en Égypte et qui,
capturé par les russes à Vilna, est libéré immédiatement
par le Tsar.
538
Ces trois personnalités emblématiques, nommées barons
d’Empire et figurant sur les murs de l’Arc de triomphe,
participent à la renommée de l’Empire et à celle du
Service de santé. Leur représentation sur de nombreux
tableaux de bataille est un instrument de propagande pour
l’Empereur mais qui retombe aussi sur les intéressés. Ils
en sont d’ailleurs parfaitement conscients, témoin les
démarches pressantes faites par Larrey aux lendemains
d’Eylau, ce qui n’empêchera pas Gros de choisir Percy.
Au niveau des unités, le problème est différent. Le
médecin militaire ne bénéficie toujours pas de toutes les
prérogatives des officiers. Il n’a pas droit au salut ni aux
honneurs réservés à son grade. Il porte l’épée mais le
nouvel uniforme « Bleu barbeau » attribué par le
Directoire ne comporte pas d’épaulettes. Surtout, il
ressemble étrangement à celui des intendants ce qui
est fort mal perçu par l’ensemble du corps. À tel point
que beaucoup de chirurgiens affectés dans les unités
se sentent valorisés en portant l’uniforme de ce
régiment et en y rajoutant le rouge amarante qui est
leur couleur distinctive.
Cette désaffectation vis-à-vis de l’intendance vient du
fait que plusieurs décisions du Directoire ont accentué
la subordination des médecins à cette institution,
subordination qui va être à l’origine d’un certain nombre
de catastrophes sanitaires favorisées par le nombre
des belligérants et par celui des blessés au cours des
grandes batailles de l’Empire. Si dans les unités d’élite de
la Garde impériale, personnels, matériels et moyens
d’évacuation sont en général satisfaisants, il est loin d’en
être de même dans les autres formations. Larrey raconte
qu’à Eylau, après avoir opéré toute la journée, il est obligé
de sacrifier son cheval pour donner un bouillon chaud à
ses blessés et qu’on doit le faire chauffer dans une
cuirasse, faute de récipients.
Si dans les premières campagnes de l’Empire
la débrouillardise du soldat français, qui va le faire
s’approvisionner chez l’habitant, pallie beaucoup
d’insuffisances, la politique de la terre brûlée au cours
de la retraite de Russie est à l’origine d’une véritable
catastrophe humanitaire.
À cela s’ajoute l’existence des grandes épidémies
aggravées par la promiscuité des hôpitaux. Un pamphlet
de 1814 qualifie ces hôpitaux de « sépulcres de la Grande
Armée ». Les pertes santé sont autant, voire plus qu’avant,
dues beaucoup plus aux maladies qu’aux blessures.
La fièvre jaune pendant l’expédition de Saint Domingue
tue la moitié des effectifs avec son commandant en chef,
le général Leclerc. Le typhus suit la Grande Armée dans
sa progression. À Dantzig, en 1812, on dénombre 200
décès par jour. À Torgau en 1813, la garnison forte
de 25 000 hommes en perd 13 500 par maladie sans avoir
tiré un coup de fusil.
V. LE XIXE SIÈCLE.
La fin de l’Empire et la cessation des hostilités entraînent
une réduction drastique des effectifs. Bon nombre de
médecins militaires sont licenciés sans autre forme de
p. cristau
procès et retournent à la vie civile en allant grossir les
rangs des officiers de santé.
L’officier de santé est autorisé à exercer la médecine sans
le titre de docteur. Cet état existe depuis le début du siècle
et concerne des praticiens qui, formés en un an au lieu de
trois, limitent leurs activités dans les campagnes à des
soins ordinaires. Ils sont considérés comme des médecins
de seconde zone. Le terme d’officiers de santé est aussi
donné aux médecins militaires et dans l’esprit des
français va être assimilé aux précédents avec le discrédit
qui l’accompagne. Il est vrai que bon nombre de ces
anciens militaires a, comme les difficultés de recrutement
l’imposaient, appris leur métier « sur le tas », surtout dans
la pratique chirurgicale. Ils sont donc mal préparés à une
médecine de clientèle polyvalente ce qui explique aussi
leur dépréciation dans l’opinion, dépréciation qui va
« coller » à l’institution pendant longtemps.
Autre aspect négatif de ce siècle, et qui témoigne
du manque de considération des autorités, le médecin
militaire n’est toujours pas un officier à part entière.
L’échelle hiérarchique est écrasée et l’avancement très
lent. Les soldes sont deux fois plus faibles que pour les
officiers des armes. Cela se traduit par un mouvement de
revendications auxquelles le gouvernement répond par
des mesures dilatoires et inadaptées, telles que la dispense
de l’obligation de porter la moustache... Une véritable
assimilation avec les grades de l’armée et la solde
attenante n’est enfin obtenue qu’en 1860.
Le malaise entretenu par ces faits engendre des
mouvements de revendication au moment des
révolutions de 1830 et de 1848 où les jeunes médecins
militaires manifestent avec les insurgés. L’Écho du
Val-de-Grâce créé en 1848 s’en fait le propagandiste.
Ces manifestations contraires à l’esprit et la discipline
militaire sont fort mal vues des hautes autorités militaires.
Plus grave encore est la persistance et même l’accentuation de la tutelle de l’intendance qui prévoit mal les
besoins. Lors de la prise de Constantine, le linge fait
défaut et les chemises des hospitalisés doivent être
confectionnées dans la percale imprimée des robes des
femmes du harem qui les cousent elles-mêmes. C’est le
terrible spectacle du champ de bataille de Solférino
où blessés français et autrichiens gisent pêle-mêle au
milieu des cadavres, qui est à l’origine de la création des
Conventions de Genève par Henri Dunant. Lors du repli
de Bazaine sur Metz en 1870, des milliers de blessés sont
abandonnés et les médecins français sont obligés de
demander à Bismarck de l’eau et des vivres.
Une bonne partie de l’histoire du Service de santé au xIXe
siècle peut se résumer à une lutte permanente de ses
Larrey à Eylau.
le visage social du médecin militaire
539
L’Écho du Val-de-Grâce.
540
p. cristau
chefs pour obtenir son autonomie complète qui ne lui est
finalement accordée que le 16 mars 1862.
Tout, cependant, n’est pas négatif dans l’image
du médecin militaire au xIXe siècle.
La conquête de l’Algérie avec l’efficacité du médecin
dans les colonnes volantes de Bugeaud, les soins
apportés à la population civile autochtone donnent au
praticien militaire une aura concrétisée par le terme de
« toubib » (médecin, savant habile, en langue arabe)
qui va caractériser le praticien de l’armée d’Afrique et
se généraliser plus tard avec une tonalité sympathique
et amicale.
L’enseignement des jeunes se normalise progressivement avec quelques hésitations liées aux difficultés
épisodiques du recrutement. Dans la seconde moitié du
siècle il est admis que le futur médecin militaire fait ses
études en faculté puis suivra une instruction militaire
spécifique dans des écoles d’application pendant un an.
L’encadrement pendant les études en faculté sera libre ou
structuré au sein d’une école. C’est le système qui prévaut
encore actuellement mais qui mettra longtemps à être
reconnu dans la population. Dans la pratique, le Val-deGrâce reprend l’appellation d’École d’application en
1850. Cette solution n’étant qu’à moitié satisfaisante au
plan du recrutement, une École impériale du Service de
santé est ouverte à Strasbourg en 1856. Ses élèves, les
fameux « carabins rouges », sont très populaires chez les
Strasbourgeois qui leur réservent une particulière
indulgence pour leurs chahuts estudiantins. L’école ferme
ses portes lors de la perte de l’Alsace en 1870 remplacée
par les écoles de Lyon pour l’armée de Terre et Bordeaux
pour la Marine. Les facultés de ces deux villes restent
attachées au lustre que leur apportent ces deux formations.
Avec les travaux de Maillot, Sedillot, Baudens, Laveran,
Villemin, Vaillard, Delorme, Parmentier, Poggiale et des
médecins de Marine qui accompagnent Dumont d’Urville
dans son expédition sur l’Astrolabe, le Service de santé,
qu’il soit de l’armée de Terre, de la Marine participe
largement aux avancées scientifiques de l’époque. Il se
hisse au niveau des meilleurs qui ne lui ménagent pas
leur considération.
Il n’est pas sûr qu’il en soit de même au niveau du public.
L’image du médecin militaire de corps de troupe à la fin de
ce siècle est devenue dérisoire. Avec la conscription, le
conseil de révision et les faibles moyens qui lui sont
alloués dans les infirmeries, le médecin militaire qui
passe sa visite avec une blouse blanche et son képi sur la
tête devient la cible des caricaturistes et des humoristes.
Certains restent bons enfants, comme le dessinateur
Guillaume. D’autres sont un peu plus acerbes, comme
Feydeau dans le Dindon ; son médecin major Pinchard est
une vieille baderne, mais les autres personnages sont
aussi caricaturaux ; l’on sent toutefois que le comique
est accentué parce qu’il est militaire. D’autres sont
carrément injurieux ; dans les Gaîtés de l’escadron,
Courteline traite le médecin du régiment de « cancre
ahuri ». Quelques années plus tard, le sapeur Camembert
de Christophe aime bien le major Guy Mauve, mais il
lui déclare pour le remercier « Qu’on ose dire devant
le visage social du médecin militaire
moi, comme cela se dit tous les jours, que vous êtes une
vieille baderne ! »
VI. LE XXE SIECLE.
Le XX e siècle, comme c’est convenu, commence à la
guerre de 14-18. Le Service de santé s’y est préparé,
comme le reste de l’armée, c’est-à-dire pour une guerre
« fraîche et joyeuse » qui sera de courte durée. La réalité
avec les premiers grands combats de la bataille de
la Marne et les gros dégâts de l’artillerie montre la totale
inadaptation du service à ce genre de conflit. Ses
responsables, avec le médecin général Charasse à leur
tête, le reconnaissent rapidement et avec le soutien de
Justin Godard nommé Secrétaire d’état du Service de
santé, réorganisent complètement leurs moyens pour
faire de leur service un instrument exemplaire qui
servira de modèle à de nombreuses armées étrangères.
Pour la première fois, les pertes santé pour maladies ne
l’emportent pas sur celles par blessures. Hyacinthe
Vincent, qui a fait rendre obligatoire la vaccination
antityphoïdique, est considéré par les grands chefs
militaires comme un des meilleurs artisans de la victoire.
Le médecin militaire, les infirmiers, les infirmières
bénéficient de cette aura et si un humoriste a pu dire du
monument des brancardiers de Broquet qui trône au
milieu des jardins du Val-de-Grâce, qu’il démontre la
carence du Service de santé incapable de fournir des
brancards à ses infirmiers, tout le monde reconnaît la
qualité émotionnelle de cette sculpture qui illustre le
dévouement de tous ses personnels confrontés aux
pires circonstances de la guerre des tranchées. La gloire
des armées victorieuses fait aussi reluire l’image du
médecin militaire à la fin du conflit.
Monument des brancardiers de Broquet.
Une autre image particulièrement brillante est celle
du médecin colonial. Comme on le chante dans l’hymne
du santard de l’École de Lyon :
« Et s’il y en a qui sont de la coloniale,
Devant ceux-là, pekins inclinez vous,
Car ils iront dans l’Afrique infernale
Porter la science au pays des Bantous. »
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Le médecin des colonies, d’abord médecin de Marine,
puis officiellement médecin colonial depuis la fin du
siècle dernier, jouit du prestige de l’aventure. C’est aussi
un pionnier confronté à de nouvelles pathologies dans
un environnement hostile. II incarne enfin la mission
philanthropique que la III e République donne à sa
colonisation. Il accompagne donc les armées au moment
de la conquête, puis lors de l’installation des colons
européens, il en devient par la force des choses le
médecin de référence et souvent un ami fidèle.
Pour les autochtones, ces médecins ouvrent d’innombrables dispensaires et appliquent les plus récentes
découvertes de la révolution pastorienne. La plupart
des instituts Pasteur d’outre-mer sont créés par eux.
L’enseignement est aussi un de leurs titres de gloire. Deux
ans après le débarquement de Sidi-Ferruch, un hôpital
militaire a été installé à Alger qui devint École militaire
d’Alger, ancêtre de la faculté d’Alger. Il en sera de même
dans les autres colonies. C’est le cas de Tananarive, Dakar
et bien d’autres. En Indochine le médecin général Grall
devient le premier directeur du Service de santé civil ;
l’hôpital militaire de Saïgon porte encore son nom.
Par leur action sur le terrain et leurs travaux scientifiques
certains vont laisser leur nom à la postérité Calmette,
Yersin, Simond, Girard et Robic, Jamot, Muraz et
bien d’autres. Grâce à eux, grâce à l’action auprès
des populations indigènes des plus obscurs dont
beaucoup y ont laissé la vie, les affres de la décolonisation
n’ont pu altérer l’image du médecin colonial. Félix
Houphouet-Boigny devenu président de la Côte d’Ivoire
rendra un vibrant hommage aux médecins du Service
de santé colonial.
Un autre élément positif pour l’image du médecin
militaire est l’apparition du médecin de l’armée de l’Air.
Ces médecins existent en petit nombre à la f in de la
première guerre mondiale, mais ils n’ont pas de caractère
spécifique et sont recrutés dans les autres armes. Ils
s’organisent dans l’entre-deux guerres avec la naissance
d’un Service de santé de l’Air dont la création n’est
off icialisée qu’en 1940. Ils sont les pionniers de la
médecine aéronautique pour la sélection et la surveillance
du personnel navigant et pour d’importants travaux
dans la physiologie des vols en haute altitude (hypoxie,
décompression, accélérations, barotraumatismes).
Un laboratoire de médecine aérospatiale est créé en 1957.
C’est un médecin du Service de santé de l’Air
qui s’occupe de la sélection et de l’entraînement du
premier spationaute français en 1975. Cette importante
contribution est malheureusement peu connue du
grand public ; elle est essentiellement reconnue par les
personnels militaires et civils de l’aéronautique d’autant
qu’une excellente collaboration a toujours existé entre
médecins militaires et civils de cette spécialité, sachant
qu’une grande partie du personnel navigant civil est
surveillée par les centres d’expertise militaires.
Par contre le rôle du médecin de l’armée de l’Air dans les
évacuations aériennes est beaucoup plus apprécié.
Inaugurées lors de la guerre du Rif, ces évacuations
commencent à être diffusées dans les médias au cours de
542
Les carabins rouges.
la guerre d’Indochine avec l’hélicoptère sur le lieu des
combats et l’image du médecin capitaine Valérie André.
Ces évacuations sanitaires par hélicoptère sont encore
plus généralisées lors de la guerre d’Algérie et ont un
impact très positif auprès de tous les blessés, particulièrement des appelés du contingent pour lesquels c’est
un apport très rassurant. Il en est de même pour les
évacuations par avion sur la métropole des gros blessés ou
gros malades, tels que les poliomyélitiques, avec l’aide
des réanimateurs. Plus récemment, la prise en charge en
urgence et le transfert d’un off icier blessé le matin
au Kosovo, qui a pu être sauvé par une intervention
chirurgicale au Val-de-Grâce dans l’après midi, illustre
de façon exemplaire l’eff icacité de l’association
médecins réanimateurs et médecins de l’armée de l’Air.
De même que l’image du médecin militaire a bénéficié de
la gloire des combattants au cours de la « Grande guerre »,
de même cette image va suivre les fluctuations des autres
conflits du XX e siècle. Lors de la Seconde Guerre
mondiale, le Service de santé n’échappe pas à la panique
de la débâcle, mais certains entrent dans la Résistance
(deux d’entre eux sont exécutés dans l’infirmerie du
Vercors), d’autres retenus en captivité pour soigner
les prisonniers sont accusés par les allemands de
« sabotage sanitaire » pour avoir favorisé avec excès les
rapatriements, d’autres se retrouvent dans les unités de
la France libre, d’autres enf in s’illustrent dans les
campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne et
récoltent l’auréole des libérateurs.
p. cristau
En Indochine, l’apparition des antennes chirurgicales
parachutistes devient très populaire. Quelques 5 000
blessés y sont opérés lorsque les difficultés d’évacuation
imposent un traitement immédiat Au sujet de Dien
Bien Phu, le livre du médecin commandant Grauwin
qui décrit le dévouement des chirurgiens dans les
conditions exceptionnelles du camp retranché, bénéficie
d’un large succès dans le grand public.
Pendant la guerre d’Algérie, outre sa place dans les
combats, le médecin militaire pratique l’Assistance
médicale gratuite (AMG) auprès de la population
autochtone dans les Sections administratives spécialisées
(SAS) ou dans les Territoires du Sud. Il retrouve l’impact
du toubib de l’armée d’Afrique au moment de la conquête.
L’Écho d’Oran publie la photo de l’un d’entre eux, un
petit arabe dans les bras, avec la légende « Les fellaghas
passent, la France reste »…
La désaffectation du public vis-à-vis de la « chose »
militaire, qui a débuté après le deuxième conflit mondial,
s’est aggravée à l’occasion du rappel du contingent en
Algérie et les soubresauts tragiques de l’indépendance.
Elle ternit l’image du médecin militaire, même si son rôle
n’apparaît pas dans ces derniers soubresauts.
Qui plus est, les désirs de liberté de la jeunesse rendent de
plus en plus impopulaire le service militaire et le médecin
militaire qui en est un des maillons. Le rôle imposé du
médecin d’unité ou hospitalier auprès du contingent est
mal perçu. C’est particulièrement évident au moment des
opérations de sélection et d’incorporation où les efforts
de beaucoup sont de biaiser les décisions médicales.
Couramment, on ne dit pas « il a été réformé », mais plus
fièrement « il s’est fait réformer » ce qui illustre bien
l’impact négatif auprès du public, ignorant d’ailleurs
que nombre de ceux qui ont bénéficié de cette décision
le plus souvent pour motifs psychiatriques présentera
ultérieurement au cours de leur vie des problèmes
psychopathologiques
La cessation des hostilités donne au Service de santé la
possibilité d’une réadaptation aux besoins de l’époque,
positive pour l’image de ses médecins.
La diminution des effectifs des armées entraîne
une réduction du nombre des hôpitaux mais aussi
une concentration et une modernisation de leurs
technologies. Elle justif ie aussi une ouverture au
secteur civil « non-ayant-droit » pour lequel une
hospitalisation dans ces formations est souvent
ressentie comme un avantage. Les accréditations ne leur
sont pas d’ailleurs refusées. Le Val-de-Grâce reste
l’hôpital de référence pour les hautes personnalités. Les
le visage social du médecin militaire
services de rééducation et réadaptation fonctionnelles
des Invalides sont un modèle exemplaire.
Le médecin d’unité voit aussi s’élargir ses compétences
et ses moyens. Outre sa mission classique de soins aux
militaires et à leurs familles, il doit être prêt à intervenir
en situations extrêmes, c’est encore un médecin de
prévention avec les vaccinations mais aussi la prophylaxie des épidémies et des maladies tropicales, c’est aussi
un médecin du travail très orienté vers les problèmes
d’environnement spécifiques du milieu militaire.
La gestion des grands conflits a été remplacée par des
interventions moins importantes et plus disséminées
souvent dans un contexte international où le Service de
santé français n’a pas à rougir. Ces opérations extérieures
(OPEX) mobilisent une bonne partie des médecins
militaires, le soutien santé se devant d’être effectif même
aux groupements militaires les plus faibles. Elles
imposent de plus en plus une médicalisation de l’avant
pour laquelle les services médicaux des pompiers de
Paris et de Marseille sont exemplaires. De formations
sanitaires de campagne originales ont pris naissance
dans des équipements techniques modulaires ou dans
des nouvelles structures métallo-textiles.
En même temps que ces OPEX ou indépendamment
d’elles, le Service de santé s’investit, comme c’est
traditionnel, dans les missions humanitaires. Avec
l’EMMIR (Elément médical militaire d’intervention
rapide), la FAHMIR (Force d’assistance humanitaire
militaire d’intervention rapide) et la Bioforce, le médecin
militaire est présent au Biafra, au Pérou, en Jordanie,
aux Comores, au Cameroun, au Mali, à Mexico, plus
récemment en Thaïlande ou en Afghanistan. Il est
l’origine et le modèle des organisations humanitaires
civiles non gouvernementales qui se développent à
travers le monde mais qui vont progressivement le
remplacer aux yeux du public.
VII. CONCLUSION.
Toutes ces avancées qui ont indiscutablement redoré le
blason du médecin militaire sont en partie liées à la
professionnalisation du service conséquence de la
suspension du Service militaire en 1996. Mais cette
suspension, à l’origine de la disparition du médecin
aspirant du contingent qui rendait de gros services, a
entraîné d’importants problèmes d’effectifs pour le
Service de santé. Il ne faudrait pas que ces problèmes
qui ne sont pas encore complètement résolus ternissent
la bonne image du médecin militaire si chèrement
acquise au cours des dernières décennies.
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Aides médicales aux populations touchées par le Tsunami, Opération BERYX 2005 (copyright ECPAD).
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Le médecin général F. FLOCARD et le médecin chef des services J.-D. CAVALLO, coordonnateurs
du numéro de la revue Médecine et Armées consacré au tricentenaire du Service de santé des armées,
remercient les auteurs, les relecteurs et les collaborateurs pour leur contribution.
Monsieur le médecin général inspecteur (2s) M. BAZOT
Madame le lieutenant-colonel (cr) M. BERNICOT
Monsieur le médecin général inspecteur (2s) BRISOU
Monsieur le pharmacien en chef P. BURNAT
Monsieur le médecin chef des services J.-D. CAVALLO
Monsieur le pharmacien en chef F. CEPPA
Monsieur le pharmacien chef des services (cr) F. CHAMBONNET
Monsieur le pharmacien général J.-F. CHAULET
Monsieur le médecin en chef P. CLERVOY
Monsieur le médecin général inspecteur (2s) P. CRISTAU
Monsieur le médecin général É. DAL
Monsieur le médecin en chef É. DARRÉ
Monsieur le docteur vétérinaire D. DAVID
Monsieur le médecin chef des services (cr) R. DELOINCE
Monsieur le vétérinaire en chef E. DUMAS
Monsieur l’infirmier anesthésiste cadre de santé P. DUREL
Monsieur le médecin en chef (cr) J.-J. FERRANDIS
Monsieur le médecin général F. FLOCARD
Monsieur le vétérinaire principal M. FREULON
Monsieur le médecin en chef D. GARIN
Monsieur le médecin général M. JOUSSEMET
Monsieur le vétérinaire général inspecteur J.-Y. KERVELLA
Monsieur le médecin général des armées LAFONT
Monsieur l’adjudant chef T. LEVAZEUX
Monsieur le colonel (cr) J.-P. LINON
Monsieur M. MAILLOLS
Monsieur le médecin général inspecteur M. MORILLON
Monsieur le général de brigade (2s) D. MOYSAN
Monsieur le médecin général inspecteur G. NEDELLEC
Monsieur le major F. OLIER
Madame C.PINARD
Madame M. PRAT
Monsieur le pharmacien en chef C. RENARD
Monsieur le médecin chef des services S. RIGAL
Madame le médecin chef des services A. ROBERT
Madame M. SCHERZI
Monsieur le lieutenant X. TABBAGH
Monsieur F. TESTE
Monsieur le médecin général inspecteur J.-E. TOUZE
Monsieur le pharmacien chef des services D. VIDAL
Madame la secrétaire médicale de classe normale P. VEIL
Monsieur le médecin général inspecteur (2s) R. WEY
Revue du Service de santé des armées
SGA/SMG Impressions
TOME 36 N°5 Décembre 2008
ISSN 0300-4937