L`appréhension des catastrophes par le droit français à travers l
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L`appréhension des catastrophes par le droit français à travers l
IEP de Toulouse Mémoire de recherche présenté par Mlle Marion DURAND « L’appréhension des catastrophes par le droit français à travers l’étude de deux fonctions essentielles des normes et dispositifs juridiques : la prévention et la réparation » Directrice du mémoire : Mme Valérie LARROSA 2012 2 IEP de Toulouse Mémoire de recherche présenté par Mlle Marion DURAND « L’appréhension des catastrophes par le droit français à travers l’étude de deux fonctions essentielles des normes et dispositifs juridiques : la prévention et la réparation » Directrice du mémoire : Mme Valérie LARROSA 2012 3 Avertissement L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteure. 4 ABREVIATIONS Afsset Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail ANSES Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail ARJEL Autorité de régulation des jeux en ligne ARS Agence régionale de santé AS Autorisation avec servitude ATEX Atmosphère explosible AZF Azote fertilisants BRGM Bureau de recherches géologiques et minières CARSAT Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail Catnat Catastrophes naturelles CCR Caisse centrale de réassurance CLIC Centre local d’information et de coordination CNAV Caisse nationale d’assurance vieillesse CODERST Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques CPAM Caisse primaire d’assurance maladie CPP Comité de la prévention et la précaution DDAE Document de demande d’autorisation d’exploiter DREAL Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement DRIRE Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement DRPCE Document relatif à la protection contre les explosions DUERP Document unique d’évaluation des risques professionnels EDF Electricité de France 5 EHS Environment, Health and Safety ICPE Installations classées pour la protection de l’environnement INERIS Institut national de l’environnement industriel et des risques INES International Nuclear Event Scale INRS Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles INVS Institut de veille sanitaire ISO International Standard Organization OHSAS Occupational Health and Safety Assessment Series ORSEC Organisation de la réponse de sécurité civile PLU Plan local d’urbanisme POI Plan d’opération interne POS Plan d’occupation des sols PPAM Politique de prévention des accidents majeurs PPI Plan particulier d’intervention PPRT Plan de prévention des risques technologiques REACH Registration, Evaluation, and Authorization of Chemicals SDIS Service départemental d’incendie et de secours SCOT Schéma de cohérence territoriale SGS Système de gestion de la sécurité SNPE Société nationale des poudres et des explosifs SPPPI Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles SPS The Sanitary and Phytosanitary Dispute Settlement Paper UE Union Européenne 6 SOMMAIRE INTRODUCTION ………………………………………………………………………... 1 PARTIE I – Dans quelle mesure le droit anticipe-t-il les catastrophes ? De la mise en œuvre des principes de prévention et de précaution …………………………………… 13 CHAPITRE I – Comment le droit réagit-il suite aux catastrophes ? L’exemple de la prise en compte des risques technologiques majeurs par le droit en France et le droit européen ………………………………………... 14 CHAPITRE II – L’anticipation des catastrophes ou l’échec du droit. L’exemple des nanotechnologies …………………………………………... 35 PARTIE II – La réparation des dommages de catastrophes : un processus complexe ……………………………………………………………………………….. 60 CHAPITRE I – La difficile identification des dommages et préjudices causés par les catastrophes ………………………………………………… 63 CHAPITRE II – La réparation des dommages de catastrophes ………….. 72 CONCLUSION …………………………………………………………………………... 84 BIBLIOGRAPHIE ……………………………………………………………………….. 86 TABLES DES MATIERES ……………………………………………………………… 94 7 INTRODUCTION Le 11 mars 2011, un violent séisme de magnitude 9 frappe la partie nord du Japon (île de Honshu). La secousse provoque un tsunami, soit « une onde provoquée par un rapide mouvement d’un grand volume d’eau (océan ou mer) »1, se manifestant par une immense vague. Celle-ci touche plus de 600 kilomètres de côtes japonaises, jusqu’à 10 kilomètres à l’intérieur des terres. Séisme et tsunami sont à l’origine de la mort et de la disparition de plus de 18 000 personnes. Ils ont aussi provoqué un accident à la centrale nucléaire de la préfecture de Fukushima, une région située à 250 kilomètres environ au nord de Tokyo. « L’agence internationale de l’énergie atomique classe la catastrophe nucléaire de Fukushima au niveau 72, soit un degré à peine sous le niveau de l’accident de Tchernobyl, en 1986. »3 Le séisme a eu pour conséquence le tsunami, qui lui-même à causé l’accident à la centrale de Fukushima Daiichi4. Si ces événements sont à relier du fait de leur enchaînement, ils peuvent aussi l’être du fait de leurs caractéristiques : ce sont des événements catastrophiques. Etymologiquement, le terme de « catastrophe » vient du grec ancien καταστροφη [katastrophé] ; il a pour premier sens « fin, dénouement ». Selon le Dictionnaire de l’Académie française de 1823, c’est « le dernier et principal événement d’un poème dramatique. L’intérêt s’affaiblit si la catastrophe est trop prévue »5. Dans le sens commun contemporain, elle est synonyme de « bouleversement », « une brusque modification accompagnée de désordre »6. Ainsi, la catastrophe serait porteuse de transformation(s) d’un 1 Définition du tsunami donné par le site Internet du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), établissement public spécialisé dans les Sciences de la Vie et de la Terre, et plus particulièrement des problématiques liées à la gestion des ressources et des risques du sol et du sous-sol. 2 L’échelle internationale des événements nucléaires, INES (International Nuclear Event Scale) est un instrument de mesure de la gravité d’une catastrophe nucléaire, reconnu par de nombreux pays. Elle compte huit niveaux de gravité, de l’écart (anomalie sans conséquence sur la sûreté) à l’accident majeur, noté 7 (rejets majeurs avec effet étendu sur la santé et l’environnement). 3 NAKAMURA A., « Un réexamen du modèle asiatique de gouvernement à la suite de la crise économique mondiale : un point de vue japonais tiré de l’expérience de la triple catastrophe de mars 2011 », Revue internationale des Sciences Administratives, 2012/2, vol. 78, p. 255-275. 4 Il s’agit en fait d’un ensemble d’accidents suite au séisme et au tsunami. 5 Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Firmin Didot frères, 1823, p. 270. 6 http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/bouleversement/ 1 ordre établi, et de nature à le remettre en cause, voire à y mettre fin, du fait notamment des ses conséquences. En effet, par les conséquences bouleversantes qu’elle cause, la catastrophe est à l’origine de réflexions critiques envers l’ordre social et culturel en place. A cet égard, on peut citer le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 sur lequel « les philosophes des Lumières se sont penchés […] moquant le fatalisme leibnizien et la naïveté des pénitents face au châtiment divin. »7 L’ethnologue Nicolas Journet ajoute : « nul ne doute qu’il y ait eu dans les écrits de Voltaire et de Diderot l’intention d’aiguiser une querelle contre l’emprise de la bigoterie et de la superstition ». Le philosophe Alain Vergnioux, dans le texte « Catastrophe »8 évoque cet épisode : « L’année 1755, au matin, le tremblement de terre de Lisbonne détruisit la ville dans sa quasi-totalité et fit entre 50 et 60 000 victimes. Survenant le jour de la Toussaint et détruisant la plupart des églises, la catastrophe ne pouvait manquer de bouleverser la pensée philosophique et religieuse du XVIIIème siècle. Que l’on se souvienne de Voltaire, de son Poème sur le désastre de Lisbonne (1756), ou du chapitre V de Candide (1759) : « si c’est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? » demande notre héros après avoir assisté à quelques autodafés destinés à prévenir de nouveaux désastres, car c’est là « un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler. » Cette réflexion sur l’événement amène Voltaire à remettre en cause les thèses de G. W. Leibniz, et particulièrement la Théodicée9 (Les essais de Théodicée). Voltaire dénonce le caractère arbitraire de l’événement et l’ampleur de ses conséquences comme la preuve de l’inexistence de la bonté de Dieu. Alain Vergnioux aborde un autre philosophe, Jean-Jacques Rousseau, en citant deux extraits de la Lettre10 du 18 août 1756 : 7 JOURNET N., « Catastrophes et ordre du monde », Terrain [en ligne], 54, 2010. VERGNIOUX A. « Catastrophe », Le Télémaque, 2007/1, n°31, p. 11-18. 9 RATEAU P. dans l’émission « Les nouveaux chemins de la connaissance », France Inter, août 2010. « Théodicée vient de deux termes grecs, theos, Dieu et diké, la justice. Au sens strict, c’est la justice de Dieu, ou encore la doctrine de la justice de Dieu […] Pour qu’il y une théodicée, c’est-à-dire une recherche rationnelle sur ce qu’est la justice de Dieu, il faut que la notion de justice soit compréhensible par l’homme, et les règles de cette justice sont les mêmes pour Dieu et pour l’homme […] Il ne crée pas arbitrairement les notions de bien ou mal. Il est tout puissant, mais ses vérités ne sont pas instituées par lui mais elles s’imposent à lui […] La nature de Dieu, c’est l’ensemble des vérités […] » 10 ROUSSEAU J.-J., Lettre de J.-J. Rousseau à Monsieur de Voltaire, in Œuvres Complètes, tome IV, Paris, Gallimard (Pléiade), 1969, p. 1061. 8 2 « Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez par exemple que la nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étapes, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement logés le dégât eut été beaucoup moindre, et peut-être nul […] Vous auriez voulu (et qui n’eût pas voulu de même) que le tremblement de terre se fût fait au fond d’un désert plutôt qu’à Lisbonne ? Peut-on douter qu’il ne s’en forme aussi dans les déserts. Mais nous n’en parlons point parce qu’ils ne font aucun mal aux messiers des villes. » Jean-Jacques Rousseau ne fait rien d’autre que de placer la responsabilité des dégâts (humains et matériels) sur l’homme et son organisation (la vie urbaine, les méthodes de construction et d’urbanisme…) : il « dénaturalise » le mal. Aussi dès le XVIIIème siècle émerge l’idée que les choix faits par les êtres humains dans leur façon de s’organiser en société, de vivre, de travailler, peut être porteur d’événements négatifs. Ce postulat perdure, et se renforce même aujourd’hui : les catastrophes, par la portée de leurs conséquences souvent dramatiques, ont un impact majeur sur les modalités d’exercice du pouvoir politique et sur les problèmes publics proposés par lui à l’agenda politique. Ainsi, en 2011, dès l’explosion d’un réacteur de la centrale de Fukushima Daichii, le débat sur la sûreté des installations nucléaires françaises et sur le bien fondé d’une politique énergétique basée sur le développement de l’industrie nucléaire revient sur le devant de la scène politique. Les catastrophes sont des événements particuliers, qui doivent être précisés : « La Commission du droit international, démarrant ses travaux sur la protection des personnes, fournit une définition juridique de la « catastrophe ». Ainsi, on entend par catastrophe une calamité ou une série d’événements provoquant des pertes massives en vie humaine, de graves souffrances humaines et une détresse aiguë, ou des dommages matériels et environnementaux de grande ampleur, perturbant ainsi gravement le fonctionnement de la société. »11 11 LAVIEILLE J.-M., BETAILLE J., PRIEUR M. (dir.), Les catastrophes écologiques et le droit : échecs du droit, appels au droit, Bruxelles, Editions Bruylant, 2012. 3 La gravité et l’ampleur des conséquences du tremblement de terre de Lisbonne font qu’il peut donc être qualifié de « catastrophique ». Trois éléments peuvent être considérés comme constitutifs d’un événement catastrophique : - L’irréversibilité : terme emprunté la thermodynamique, elle désigne « un processus qui s’écoule sans que l’on puisse le retenir. Il implique l’idée d’usure, d’érosion inévitable, d’identités qui se défont, mais aussi celle de création, d’émergence du nouveau et de formation de nouvelles identités. »12 - Les conséquences massives : la catastrophe se définit en effet par un critère quantitatif. « Il n’y a de catastrophes qu’en cas de dommages considérables : un événement n’est tenu pour catastrophe que s’il implique des dégâts matériels ou humains dépassant le seuil individuel pour basculer dans celui du collectif. »13 - Le rejet de la fatalité : bouleversantes, la catastrophe et ses conséquences humaines et/ou matérielles apparaissent comme anormales voire intolérables pour les individus. Elles le sont d’autant plus dans un contexte où ils demandent sans cesse plus de sécurité face aux risques, voire le risque-zéro. Et même aujourd’hui, les réflexions à ce propos restent ancrées dans une certaine conception divine : « L’idée moderne de catastrophe apparaît à la fois en continuité et en rupture avec l’idée mythologique et religieuse d’apocalypse. La catastrophe est l’absolu du risque et de l’accident. Elle représente l’événement dans ce qu’il y a de plus monstrueux. »14 - La variété : les catastrophes regroupent des événements hétérogènes : cataclysmes dont l’origine est naturelle (séismes, tsunamis…) ou événements d’origine anthropique (accidents industriels, attentats terroristes…). Leurs conséquences sont elles aussi marquées par une forte hétérogénéité, même si toutes se caractérisent, comme vu ci-dessus, par leur importance. La juriste Caroline Lacroix définit la catastrophe comme « un événement ponctuel ou sériel d’origine naturelle et/ou anthropique, susceptible de recevoir une qualification pénale, causant d’importants dégâts matériels et/ou de nombreuses victimes et générateur d’un fort impact émotionnel, qui, à ce titre, nécessite la mise en œuvre de mesures spécifiques dans 12 GUILBERT A., « L’irréversibilité des catastrophes écologiques » in LAVIEILLE J.-M., BETAILLE J., PRIEUR M. (dir.), 2012, op. cit. 13 LACROIX C., La réparation des dommages en cas de catastrophes, Paris, LGDJ, 2008. 14 LAVIEILLE J.-M., BETAILLE J., PRIEUR M. (dir.), op. cit., 2012. 4 l’intérêt des victimes. »15 C’est cette définition de la catastrophe qui sera considérée tout au long de ce travail. La catastrophe peut être pensée au prisme du risque : « penser […] ce qui nous menace en termes de risque, c’est inviter à prendre en compte la plus ou moins grande probabilité de ces menaces, et en conséquence à envisager la catastrophe seulement comme la réalisation concrète et dommageable d’un risque potentiel. »16 Etymologiquement, le mot risque proviendrait17 de l’italien risco ou rischio. Il est utilisé au XIIème siècle par les assurances maritimes italiennes : il renvoie aux dangers que subissaient les navires de commerce au XIIème siècle. Son émergence est ainsi liée au développement des échanges économiques en Méditerranée, donc d’activités humaines de plus en plus complexes, nécessitant matériel, circulation et déplacements… Elle a au cours des siècles subit quelques transformations, son sens revêtant tantôt un aspect positif, tantôt un aspect négatif. Selon le sens commun contemporain, le risque est connoté de façon négative, même si certaines utilisations renvoient le risque à la notion de pari pouvant se révéler gagnant (et donc engendrer des conséquences positives) pour celui qui le prend : « qui ne risque rien n’a rien ». En témoigne par exemple l’univers des jeux de loterie, des jeux d’argent ou des paris sportifs. Y jouer induit pour le parieur un risque : le risque de perdre ou le risque de gagner, soit une conséquence négative (la perte de la somme correspondant au prix du pari), soit une conséquence positive (le montant du gain associé au pari). Selon la théorie économique de la 15 LACROIX C., 2008, op. cit. GUEMARD F., SIMAY P., « Du risque à la catastrophe. A propos d’un nouveau paradigme », www.laviedesidees.fr? 17 Travaux de recherche de Laurent MAGNE : Certains auteurs évoquent plutôt une origine arabe rizq, soit la part que de biens que Dieu attribue à chaque homme, les moyens de subsistance qui sont prédestinés aux humains ou accordés par Allah. Cette part est provisoire et peut changer au cours du temps en fonction de leurs comportements (Allah peut choisir d’accroître le rizq si les actions des hommes lui sont plaisantes ou bien diminuer le rizq dans le cas contraire). 16 5 décision18, la majorité des parieurs se caractérisent par une certaine aversion au risque : ils préfèrent un gain relativement sûr à un gain bien plus important mais aléatoire19. Aux risques constitutifs du pari s’ajoute un autre risque, apparu suite à des mobilisations collectives dénonçant les effets des paris sur la santé, et particulièrement le phénomène de l’addiction au jeu. « Jouer comporte des risques » : en plus du risque de perdre ou gagner de l’argent, les joueurs sont susceptibles de mettre en danger leur santé. Afin de prévenir ces dangers, le secteur est désormais régulé par le droit20, avec un objectif majeur : celui de la prévention en amont, dans le but de minimiser voire d’éviter les conduites addictives. Les usagers peuvent par exemple demander à se faire interdire de jeux par les services du Ministère de l’Intérieur. Le champ universitaire s’est progressivement saisi de la notion de risque, et notamment les spécialistes de science politique21. Le développement de la sociologie des risques est concomitant à l’émergence des risques dits « collectifs » (ensemble formé par les « risques majeurs » et les « risques diffus »). Les risques classiques Ils sont liés à l'industrialisation et aux phénomènes naturels. Ils sont gérables et administrables. Les "risques majeurs" (P. Lagadec) Ils échappent à la logique assurantielle du fait de leur faible probabilité d'occurrence et l'ampleur de leurs conséquences dans l'espace et le temps. Les risques diffus Ils sont attachés à des phénomènes pouvant potentiellement se réaliser mais qui demeurent à l'état de menace car n'ayant pas encore produits leurs effets. Figure 1 - Articulation de la notion de risque dans la littérature sociologique et philosophique contemporaine Ainsi, une évolution sociétale des risques peut être détaillée (sachant que l’émergence d’un « nouveau risque » n’annule pas le précédent) : 18 Elle a été mise en évidence par Daniel Bernoulli selon lequel « la valeur d’un bien n’est pas basée sur son prix mais sur l’utilité qu’elle génère. » 19 D’autres au contraire, considèrent le risque comme porteur de valeur, de valorisation (cf. David Le Breton sur l’ambivalence du risque dans les sociétés contemporaines). 20 La loi n°2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne organise sa régulation et prévoit un dispositif de prévention et de prise en charge des addictions de type jeux pathologiques, dans le cadre du plan national de prévention et de prise en charge des addictions 2007-2011. Ce dispositif est notamment par une autorité administrative indépendante, l’Arjel (l’autorité de régulation des jeux en ligne). 21 Intérêt savant relativement récent en science politique (seconde moitié des années 1990). 6 1. Les risques classiques, ou individuels, sont liés à l’industrialisation (« le risque est le mode moderne du rapport à autrui »22). Ils sont consécutifs d’une certaine organisation sociale, de plus en plus complexe (mode industriel de production, développement des échanges et des déplacements…). Ils sont considérés comme des faits sociaux à part entière, soit des événements objectivables et mesurables par les outils statistiques et probabilistes. Parce que mesurables, ils deviennent prévisibles : à chaque risque est associé une probabilité d’occurrence et des degrés d’effets. Ce savoir scientifique est à la base d’une gestion des risques, qui se multiplient : c’est l’émergence de l’Etat-Providence et de la société assurantielle. Ainsi, les risques sociaux, au nom du Contrat social et du Pacte républicain23, sont désormais pris en charge par l’Etat, qui assure les individus impactés (retraite, accident du travail, grossesse…) et leur garantit la persistance d’une indépendance, d’une sécurité sociale (logique assurantielle et gestion des risques par la puissance publique). On parle de « socialisation des risques », soit un phénomène de prise en charge par la société des risques individuels, dont les effets dommageables sont crées par elle. Le droit s’adapte en conséquence, en fondant au début du XIXème siècle le régime de responsabilité délictuelle fondée sur le risque, dans le cadre de la création d’un régime spécial d’indemnisation des victimes d’accidents du travail (voir figure 2 ci-après). Ici, l’indemnisation prime sur la détermination des responsabilités, donc de l’attribution d’une faute à l’origine d’un risque subi par un individu. Article 1364 al. 1 du Code Civil "On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l'on a sous sa garde." Cour de Cassation, arrêt Teffaine, 1896 La chaudière d'une remorque explose et cause la mort d'un ouvrier. La responsabilité du propriétaire de la chaudièr est invoquée au titre de l'article du Code Civil. La chose devient source de responsabilité si elle est manipulée par la main de l'homme et surtout si elle présente un caractère dangereux. Loi du 9 avril 1898 Création d'un régime spécial d'indemnisation. Le salarié victime d'un accident peut demander une réparation, sans avoir à prouver la faute de son employeur. C'est donc un régime de responsabilité délictuelle fondée sur le risque qui est créé. Figure 2 - Evénements juridiques à l'origine du régime spécial d’indemnisation des victimes et de responsabilité sans faute 22 EWALD F., L’Etat-Providence, Paris, Grasset, 1986. Le préambule de la Constitution instituant la IVème République en 1946 consacre le principe de solidarité : « la Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les français devant les charges qui résultent des calamités nationales. » 23 7 2. Les « risques technologiques majeurs »24 (terme consacré par le sociologue Patrick Lagadec) émergent au cours du XXème siècle : ils sont nommés ainsi car porteurs d’événements majeurs, dont les effets négatifs impactent non plus un individu dans une situation donnée (un salarié sur son lieu de travail) mais un ensemble d’individus, sans distinction. De par leur portée, ils échappent à la logique assurantielle et à la gestion de l’Etat : ils sont en effet peu saisissables et mesurables, du fait de leur faible probabilité d’occurrence et encore moins gérable, du fait de la gravité très élevée de leurs conséquences dans l’espace et dans le temps. Alors qu’un incident industriel antérieur restait souvent circonscrit au site, les nouveaux risques, de par leur ampleur, sont difficilement assurables en raison des dommages occasionnés. « L’explosion d’AZF [à Toulouse le 21 septembre 2001] s’inscrit dans le registre des risques technologiques majeurs. Cette notion fut proposée dès 1979 pour signifier qu’en matière de sécurité nous avions à reconnaître et traiter des sauts non seulement quantitatifs (les conséquences potentielles d’un risque changeaient d’échelle) mais qualitatifs. Les risques sortaient de l’enceinte industrielle et des champs statistiques habituels (tant pour la fréquence que pour la gravité), ils sortaient des univers scientifiques connus et pouvaient franchir des limites d’espace (affecter très loin de leur source) et de temps (affecter les générations futures). La question changeait de nature ; on passait du technique au politique. L’extérieur, désormais lui aussi en première ligne, devenait de facto légitime pour poser question. »25 3. Les risques diffus peuvent eux aussi être considérés comme une catégorie de risques collectifs, mais de façon plus larges : ils impliquent autant les générations actuelles que les générations futures. Ils se caractérisent par leur degré d’incertitude majeure, qui rend inutile mais surtout impossible toute étude probabiliste. Ils peuvent potentiellement se réaliser, sans que l’on sache quand et comment. Juridiquement, le risque est défini comme « la probabilité qu’un effet spécifique se produise dans une période donné ou dans des circonstances déterminées. En conséquences, un risque se caractérise par deux composantes : la probabilité d’occurrence d’un événement donné ; la 24 25 LAGADEC P., « Toulouse, le rendez-vous manqué », Projet, 2003/1, n°273, p. 15-22. Ibid. 8 gravité des effets ou des conséquences de l’événement supposé pouvant se produire. »26 Il constitue « un danger bien identifié, associé à l’occurrence d’un événement ou d’une série d’événements parfaitement descriptibles, dont on ne sait pas s’ils se produisent mais dont on sait qu’ils sont susceptibles de se produire. »27 Pour l’appréhender concrètement, on peut schématiser de la façon suivante les conditions de réalisation d’un risque : Aléa : occurrence d'un phénomène qui dépend de facteurs qui se situent à l'interface entre la nature et la société Vulnérabilité : impacts potentiels sur l'organisation, suite à la réalisation du risque Risque Figure 3 - Définition du risque comme de la rencontre entre l'aléa et la vulnérabilité On distingue plusieurs typologies de risques, en fonction des sources de dangers. Les risques industriels majeurs trouvent leur origine dans la présence, dans certains établissements ou certaines installations, de substances dangereuses. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, les risques liés aux procès industriels étaient essentiellement dominés par des accidents de type incendies ou explosions, avant que ne surviennent les grandes catastrophes aux conséquences dramatiques. Avec le développement de la technique et les innovations technologiques, la notion s’est encore élargie et englobe aujourd’hui des risques de plus en plus variés : a) Le risque industriel est un événement accidentel se produisant sur un site industriel. Il peut entraîner des conséquences graves pour le personnel du site, les populations riveraines, les biens (internes et externes au site), l’environnement, le milieu naturel. 26 Directive n°96/82/CE du Conseil Européen du 09/12/96 concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses. 27 BARTHE Y., CALLON M., LASCOUMES P., Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Editions du Seuil, 2001. 9 b) Le risque nucléaire, qui provient des centrales électronucléaires ou des usines fournissant le combustible de ces centrales ou des établissements chargés du transport et du traitement des déchets nucléaires. c) Le risque lié au transport de matières dangereuses, pouvant présenter des risques pour l’environnement, l’homme, les biens. d) Le risque de rupture de barrage. e) … Cette recherche porte principalement sur le risque technologique, et particulièrement industriel, et sur ses conséquences dommageables sur les personnes et les biens. Selon la juriste Marie-Pierre Camproux-Duffrène, « le droit positif permet une protection des individus face aux risques majeurs technologiques. En amont, il traite de la prévention et la planification des risques majeurs. En aval, le droit appréhende l’événement catastrophique lorsqu’il est survenu, par le biais de la réhabilitation des sites et de l’indemnisation des victimes. »28 Ces risques peuvent être visés par différents types de dispositifs juridiques : - les dispositifs visant une gestion prévisionnelle des risques en amont - les mécanismes de responsabilité ou de garantie visant la réparation des dommages liés à la réalisation des risques La catastrophe pouvant être considérée comme une des conséquences possibles de la réalisation d’un risque, il s’agit ici d’interroger le droit sous ces deux aspects, au prisme de la notion de catastrophe. On abordera particulièrement les catastrophes technologiques, définies comme étant la réalisation d’un risque majeur du fait de l’homme, provenant de l’utilisation d’une technique, qui est la cause déterminante de l’événement. Cette catastrophe entraîne des dommages corporels et matériels massifs. 28 CAMPROUX-DUFFRENE M.-P., « Réflexion technologiques », La Gazette du palais, 1997. sur 10 l’indemnisation des victimes de catastrophes - Dans quelle mesure le droit, en tant qu’ensemble de normes et de dispositifs susceptibles de réguler les comportements des agents, peut-il prévenir et anticiper la survenue de catastrophes ?29 - En cas de survenue d’une catastrophe majeure, comment le droit, en tant que système organisant la détermination des responsabilités et la réparation des dommages, s’adapte-t-il à des événements majeurs aux conséquences massives ? Alors que la société est en demande de toujours plus de sécurité face aux risques (malgré leur complexité croissante), et le cas échéant, exige que les dommages subis à ce titre soient réparés et indemnisés, et cela le mieux possible, le droit et les solutions juridiques tendent à être de plus en plus mobilisés dans tous les domaines de la vie sociale et économique. Ce phénomène de juridicisation entraîne celui de judiciarisation, soit la tendance des individus à confier la résolution de leurs problèmes au droit. Aussi, l’attente vis-à-vis du droit face aux catastrophes est grande. Mais est-elle vraiment pertinente ? Dans une première partie, c’est la tentative de gestion prévisionnelle des catastrophes technologiques et industrielles par le droit qui sera étudiée. Il s’agira donc d’étudier quelles solutions le droit met-il en place pour prévenir les risques qu’il associe à l’idée de catastrophe. En effet, si la catastrophe ne peut être prévue, le premier chapitre montrera qu’il « prévoit en aval » la survenue de catastrophes par rapport à des événements catastrophiques passés30. En effet, le droit, sous la pression de la société notamment réagit aux catastrophes en proposant des dispositifs juridiques avant tout basés sur le mécanisme de la prévention des risques associés à ces catastrophes. Proposer des normes et des dispositifs juridiques ne suffit pas : ceux-ci doivent être effectifs et mobilisés par les acteurs économiques (en l’occurrence les exploitants industriels) mais aussi par les autorités administratives, à qui est confiée une mission de contrôle de la (bonne) exécution de ces dispositifs, au nom justement du principe de prévention. Si le droit tente de se saisir des risques collectifs tels que les risques industriels, le deuxième chapitre permettra de s’interroger que le rôle du droit face aux risques diffus. 29 On se concentrera donc dans la première partie sur les catastrophes d’origine anthropique. La prévention vise en effet les risques avérés, ceux dont l’existence est démontrée ou connue empiriquement, sans toutefois qu’on puisse en estimer la fréquence d’occurrence ni la portée quantitative des conséquences. 30 11 L’exemple du développement industriel d’une technologie incertaine, les nanotechnologies, montrera que le droit échoue dans cette tentative d’anticipation de risques dont les conséquences sont inconnues et incertains. Il s’agit donc de se placer du côté de la précaution31, soit « une appréhension renouvelée du risque » par le droit.32 En effet, face à des risques si particuliers, susceptibles d’entraîner des conséquences majeures (mais positives comme négatives, puisqu’avant tout incertaines), le droit se retrouve démuni et peine à rendre le principe de précaution effectif. La deuxième partie de ce travail de recherche traitera d’un autre rôle du droit : celui basé sur les mécanismes de responsabilité et de garantie, visant à la réparation des dommages subis et à l’indemnisation des préjudices associés. On se concentrera sur la réparation des dommages corporels et matériaux. Le préjudice écologique, pouvant être considérée comme une problématique à part entière, ne sera pas abordé dans cette recherche33. Comment organiser la réparation de dommages si caractéristiques que ceux consécutifs d’une catastrophe ? En effet, celles-ci peuvent rendre difficile l’identification des dommages et l’évaluation monétaire des dommages, mais aussi dans les mécanismes de réparation et d’indemnisation : il s’agira de voir comment le droit s’adapte en bouleversant ses mécanismes traditionnels, face à une demande sociale particulièrement latente et ellemême bouleversée suite à la catastrophe. 31 La précaution vise les risques dont ni l’ampleur ni la probabilité d’occurrence ne peuvent être calculés avec certitude, compte tenu des connaissances scientifiques du moment. 32 ROUYERE A., « L’irréversibilité des catastrophes écologiques » in LAVIEILLE J.-M., BETAILLE J., PRIEUR M. (dir.), 2012, op. cit. 33 La notion de préjudice écologique, depuis la loi du 1 er août 2008 relative à la responsabilité environnementale, est désormais distincte du préjudice économique ou du préjudice moral. C’est le préjudice causé aux espèces et habitats naturels protégés, à l’eau et aux sols, indépendamment de la lésion directe d’un intérêt humain. Les collectivités territoriales ont ainsi la possibilité de se constituer partie civile, dès lors que leur territoire subit un préjudice environnemental direct ou indirect. 12 PARTIE I – Dans quelle mesure le droit anticipe-t-il les catastrophes ? De la mise en œuvre des principes de prévention et de précaution « Le principe de prévention se rattache à la prudence […] La prévention constitue une réaction juridique face à un risque avéré et certain compte tenu des données et des connaissances scientifiques. »34 L’objectif de tels dispositifs juridiques est d’organiser la réduction de la probabilité d’occurrence du risque et de ses effets. Cette première partie propose d’étudier comment le droit émerge et organise, d’une part, la prévention du risque, mais surtout comment il est appliqué par les acteurs, notamment économiques. Ce risque est particulier : il a été identifié par le droit comme susceptible de causer une catastrophe, donc peut être anticipé par le droit afin de réduire au maximum sa probabilité d’occurrence. Ainsi, dans un premier chapitre, il s’agira certes d’étudier la mobilisation du principe de prévention par le droit (communautaire et français) face aux catastrophes, mais en tant que réaction à des catastrophes. D’autre part, il s’agira de s’interroger sur le rôle du droit face aux dangers induisant des conséquences avant tout incertaines : en prenant l’exemple d’une innovation technologique porteuse de risques diffus, les nanotechnologies. Ainsi, on verra que le droit, en particulier national, est fort limité face à des risques globaux, difficilement cernables et définissables. Aussi, il peine à organiser des propositions de régulation et de dispositifs d’anticipation de ces risques, et donc de la réduction de la probabilité d’occurrence de catastrophes. Il s’agira donc d’aborder la problématique de l’effectivité du principe de précaution, notion pourtant constitutionnelle depuis 2005, après la consécration de la Charte de l’Environnement, dont l’article 5 énonce : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs 34 HECQUART-THERON M., « Le droit à l’épreuve du risque industriel », in DE TERSSAC G., GAILLARD I. (dir.), La catastrophe d’AZF. L’apport des sciences humaines et sociales, Paris, Lavoisier, 2008. 13 domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation des dommages. »35 CHAPITRE I – Comment le droit réagit-il suite aux catastrophes ? L’exemple de la prise en compte des risques technologiques majeurs par le droit en France et par le droit européen Dans le premier chapitre, nous étudierons la réactivité du droit (français et communautaire) suite à des catastrophes : le contenu des normes et des dispositifs émergeant alors traduit la volonté de consacrer le principe de prévention de façon de plus en plus large (de l’exploitant aux populations). Section 1 – Des catastrophes technologiques majeures à l’origine de la création de dispositifs juridiques axés sur la prévention des risques Les catastrophes, par l’ampleur de leurs conséquences et de leurs impacts, sont largement couvertes et relayées dans les médias : la médiatisation en temps réel (le tsunami annoncé du 11 mars 2011 a permis aux téléspectateurs du monde entier de vivre la catastrophe en direct)… L’association « catastrophe » et « médias » pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un travail de recherche à part entière. Aussi, si les catastrophes bouleversent la vie quotidienne des individus, elles bouleversent aussi le fonctionnement des institutions les plus stables : pour le juriste Julien Bétaille, « les catastrophes sont au rang des facteurs qui contribuent à l’évolution du droit, qui le mettent en mouvement. »36 Il se demande alors si il est possible de considérer si « les catastrophes sont, à un titre ou à un autre, une source de droit ? »37 35 http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4octobre-1958/charte-de-l-environnement-de-2004.5078.html 36 BETAILLE J., « Les catastrophes et le droit : un jeu d’influences réciproques ? », in LAVIEILLE J.-M., BETAILLE J., PRIEUR M. (dir.), 2012, op. cit. 37 Ibid. 14 Il s’agit en effet dans cette première section de d’analyser, de manière empirique, l’impact des événements catastrophiques (et particulièrement des catastrophes industrielles) sur le droit, et ainsi dans quelle mesure celles-ci constituent une source matérielle de droit. Trois événements seront à ce titre évoqués : - L’explosion de la Poudrerie de Grenelle à Paris (1794) - La catastrophe de Seveso (1976) - L’explosion de l’usine AZF à Toulouse (2001) A. La poudrerie de Grenelle en 1794 : une catastrophe non mobilisée par le droit mais révélatrice d’un contexte industriel dangereux 1. L’explosion de la poudrerie de Grenelle Dans cette partie, sera particulièrement mobilisé l’article de l’historien Thomas Le Roux, portant sur l’événement38. Sous la Convention nationale (1792-1795), dans le château de Grenelle, situé alors dans l’actuel XVème arrondissement de Paris (près du Champ de Mars et des Invalides), est installée une poudrerie39. Celle-ci produit notamment du salpêtre (« sel de pierre » en latin), ou nitrate de potassium, utilisé par l’industrie de l’armement, dont la production est renforcée par le pouvoir en place (sont d’ailleurs créées « l’Administration des salpêtres et poudres de la Commune de Paris », puis la « Commission des armes et poudres »). Sous l’influence des chimistes de l’époque, le procédé de fabrication des poudres se développe très rapidement : Il s’agissait d’ « une trituration des matières constitutives de la poudre (salpêtre, charbon, soufre) dans des tonneaux tournant autour d’un axe et actionnés par des ouvriers au moyen d’une manivelle. Des boules en marbre ou métalliques étaient insérées dans les tonneaux pour faciliter la trituration. Après cette trituration, la poudre était mise sur des plateaux, mise à sécher, puis pressée afin d’agglomérer le mélange ternaire avant la granulation. Après cette dernière, il restait à tamiser la poudre pour obtenir des grains homogènes. A chaque étape, les risques d’explosion existaient, c’est 38 LE ROUX T., « Accidents industriels et régulation des risques : l’explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2011/3, n°58-3, p. 34-62. 39 Cette décision vient à l’encontre des pratiques traditionnelles sous la Monarchie : la fabrication de poudre n’était pas tolérée à proximité des villes et des habitations, par peur des incendies et des explosions. 15 pourquoi les ateliers étaient, même à Grenelle, séparés les uns des autres, et le transport des matières d’un atelier à l’autre était sévèrement contrôlé. »40 Les deux industriels responsables de l’exécution opérationnelle (MM. Chaptal et Carny) mettent en place, dès l’ouverture de la poudrerie de Grenelle, une ferme discipline et un fonctionnement hiérarchisé : 700 à 1 500 ouvriers (répartis selon les opérations à mener), du personnel d’encadrement et de contrôle, des surveillants, des gardes à l’extérieur du site… « Les ateliers étaient organisés comme des bataillons militaires où les manquements étaient synonymes de renvoi ou d’arrestation. »41 L’explosion de la poudrerie a lieu le 14 fructidor an II (soit le 31 août 1794), le matin : « L’explosion s’est manifestée d’abord par un grand coup, puis par plusieurs autres très-éclatants et l’on a ressenti comme un tremblement de terre qui a balancé les maisons. A l’instant les fenêtres s’ouvrirent : les hommes et les femmes, pâles d’effroi, se demandaient d’où venait le bruit. Une colonne immense de fumée qui s’élevait du côté du couchant avec une terrible majesté donna bientôt le signal d’un malheur extraordinaire. »42 Ainsi, l’explosion fut entendue jusqu’à Versailles et Gonnesse. Immédiatement, « une quinzaine d’arrêtés du Comité de Salut Public43 ordonnèrent la sécurisation du site, la mise à disposition immédiate des fonds pour l’organisation des secours, incluant des réquisitions diverses pour les soins à dispenser aux blessés. »44 « Dans l’immédiat, la catastrophe suscita un regain d’intérêt pour les règles de prévention et de sécurité »45, notamment concernant l’aménagement des sites et leur éloignement des habitations (à Vincennes, Corbeil et près de Saint-Germain en Laye notamment), le remplacement de l’homme par des nouveaux mécanismes, l’amélioration de la qualité de la substance produite… Par contre, la question de la responsabilité n’a pas 40 LE ROUX T., 2011, op. cit. Ibid. 42 MERCIER L.-S., Le nouveau Paris (1798), Paris, rééd. Mercure de France, 1994 (Jean-Claude Bonnet éd.), livre 4, chapitre 143, p. 452. 43 Organe de gouvernement révolutionnaire mis en place par la Convention pour faire face aux dangers qui menaçaient la République. 44 LE ROUX T., 2011, op. cit. 45 Ibid. 41 16 vraiment été posée : « la thèse du complot et de l’attentat circula comme une traînée de poudre dès le lendemain »46, relayée par les hommes politiques et dans les rapports de police. Concernant cette catastrophe, Aria, la base de données du Ministère du Développement Durable et de l’Ecologie sur les incidents et accidents touchant les sites classés au titre de la législation relative aux installations classées dit : « cette catastrophe industrielle paraît avoir contribué à définir les bases de notre législation sur les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) »47. Or, pour Thomas Le Roux, « la genèse de la régulation des risques à l’époque contemporaine se réalisa en fait de façon tout à fait autonome vis-à-vis des explosions de poudreries, les sphères militaires et civiles étant nettement séparées. »48 2. La naissance d’une nomenclature des installations industrielles Aussi, le décret impérial du 15 octobre 1810 relatif aux « manufactures et ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode » résulte notamment du processus de long terme d’industrialisation des villes, et par là du développement des ateliers d’acide nitrique, de chlore, d’acide sulfurique, de soude, générateurs d’importantes pollutions pour les riverains, telles que mauvaises odeurs, vapeurs acides, rejets de polluants dans les rivières… Le décret pose les bases de la législation portant sur un classement des installations, qui selon leurs caractéristiques, ne pourront être formées sans une permission de l’autorité administrative : - Classe 1 : les sites devant être éloignés des habitations particulières (l’exploitation est permise sous certaines conditions par décret pris en conseil d’Etat) - Classe 2 : les sites pour lesquels l’éloignement des mêmes habitations n’est pas nécessaire, mais dont la permission d’exploitation nécessite d’avoir acquis la certitude que les opérations pratiquées ne sont pas de nature à incommoder le voisinage ou lui causer des dommages (l’exploitation est permise après accord des préfets et sous avis des sous-préfets) 46 Ibid. www.aria.developpement-durable.gouv.fr/ressources/5992.pdf 48 LE ROUX T., 2011, op. cit 47 17 - Classe 3 : les sites pouvant s’installer près des habitations, mais qui doivent rester sous la surveillance de la police (l’exploitation est permise par le sous-préfet, sous avis du maire) 3. La réglementation française actuelle, relative aux « installations classées pour la protection de l’environnement » Le régime des installations classées est ainsi l’un des plus anciens du droit français de l’environnement. Avec le décret de 1810, on se plaçait déjà dans l’optique d’une prévention des nuisances aux riverains, provoquées du fait d’activités industrielles : une identification préalable était nécessaire afin que les autorités administratives décident ou non (théoriquement) d’autoriser leur implantation. La notion de « nuisance » est remplacée par celle de « pollution » dans la loi de décembre 1917, relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes. C’est en 1976 qu’est donnée la définition des ICPE dans la loi du 19 juillet (codifiée dans le Livre V, Titre I, art L511-1 du Code de l’Environnement49). Ces installations industrielles ou agricoles sont considérées comme présentant des risques, donc pouvant avoir une incidence négative sur l’environnement proche (les nuisances aux riverains sont toujours considérées) et sur l’environnement en général. Les établissements doivent se fier à une « nomenclature » mise à jour par le Ministère du Développement Durable, dont le fonctionnement est expliqué sur le site Internet de l’Inspection en charge des installations classées50 : la nomenclature des installations classées est divisée en deux parties : les substances (substances toxiques, inflammables, radioactives…) et les activités. Une installation classée peut être visée par plusieurs rubriques. Chaque rubrique est identifiée par un numéro à 4 chiffres dont les 2 premiers caractérisent la famille de substance ou d’activité. Chaque rubrique propose un descriptif de l’activité ainsi que les seuils éventuels pour lesquels est défini un régime de classement. 1. Régime de Déclaration : « Si au moins une des installations est soumise à déclaration et qu’aucune d’entres-elles ne dépasse un seuil d’autorisation, l’installation est 49 Le Code de l’environnement est très récent : la partie législative n’a été approuvée qu’en 2000 (Ordonnance n°2000-914, ratifiée par la loi n°2003-591 du 2 juillet 2003. 50 http://www.installationsclassees.developpement-durable.gouv.fr/-Installation-classee-.html 18 soumise à déclaration. Dans ce cas l’exploitant doit constituer un dossier de déclaration qui sera remis en préfecture. Après vérification de la conformité du dossier, le préfet délivre un récépissé de la déclaration. » Le préfet du département, avec le récépissé de déclaration, communique les prescriptions générales et les obligations relatives à ce type d’établissement. Un arrêté-type peut aussi être publié, contenant des prescriptions particulières, en fonction du contexte propre à l’établissement. 2. Régime d’Enregistrement : depuis 2012, ce régime concerne seulement une série d’installations qui souffraient de la complexité de la procédure liée au régime d’autorisation (les stations services, les entrepôts de produits combustibles, bois, papier, plastiques, polymères, les entrepôts frigorifiques) 3. Régime d’Autorisation : les établissements mettant en œuvre des activités ou utilisant/stockant des substances, selon certaines conditions (quantités notamment) sont soumises, selon la nomenclature ICPE, à l’émission d’un arrêté préfectoral qui fixe des dispositions et les conditions dans lesquelles ces activités pourront être exploitées, selon des dispositions particulières, dans le souci du respect de l’environnement. Selon l’Inspection en charge des installations classées pour la protection de l’environnement, la France compte actuellement environ 500 000 établissements relevant de la législation des installations classées selon leur activité, la nature et la quantité de produits stockés ou mis en œuvre (le détail de ces classifications est disponible sur le site Internet des préfectures de chaque département) : - environ 45 000 installations soumises à déclaration - environ 43 600 établissements comprenant au moins une installation soumise à autorisation - 1 000 établissements soumis à enregistrement Ainsi, l’émergence d’un droit de l’environnement, ou en tout cas d’une régulation des activités industrielles considérées comme sources de nuisances n’est pas directement constitutive de la catastrophe de Grenelle. En effet, si peu de temps après la catastrophe, décision était prise d’éloigner les poudreries des habitations, d’autres types d’exploitations sont restées et se sont développées au cœur des villes (Thomas Le Roux parle d’un « processus d’occultation »). 19 Il n’en reste pas moins que le décret de 1810 pose les fondements d’un droit basé sur le principe de prévention d’après une évaluation des risques a priori ; elle instaure des dispositifs de contrôle administratif toujours en vigueur aujourd’hui, et qui ne cessent de se renforcer. B. La réglementation SEVESO : une initiative européenne, des évolutions françaises 1. La directive européenne suite à la catastrophe de Seveso (1976) La présentation de la catastrophe de Seveso mobilise particulièrement l’article de Laura Centemeri : « Retour à Seveso. La complexité morale et politique du dommage à l’environnement »51. « Seveso est une petite ville de 20 000 habitants environ située à 20 km de Milan (Lombardie), dans la Brianza, un territoire historiquement de culture politique « blanche », avec une organisation économique de district donc la spécialisation est la production de meubles. A côté des entreprises artisanales, à gestion familiale, ce territoire a vu l’installation, à partir des années 1950, de l’industrie chimique, en raison de la présence d’infrastructures de transport, d’eau, et d’une situation politique qui soutenait le développement industriel « à tout prix » dans l’effort de modernisation de la nation […] Responsable du désastre de Seveso, la multinationale suisse HofmannLa Roche (dorénavant Roche) était, en 1976, propriétaire de l’usine ICMESA située depuis 1945 dans la ville de Meda. Le samedi 10 juillet 1976, à 12h37, un nuage se dégage du réacteur destiné à la production de trichlorophénol et va déposer ses effluves toxiques sur les territoires de Meda, Cesano Maderno, Desio et Seveso. A cause de la direction des vents, Seveso est la localité la plus contaminée. Comme le prouvent les travaux de la commission parlementaire d’enquête, appelée à établir les responsabilités du désastre, l’accident résulte d’une gestion de la production peu soucieuse des exigences de sécurité. »52 51 CENTEMERI L., « Retour à Seveso. La complexité morale et politique du dommage à l’environnement », Annales. Histoire, sciences sociales, 2011/1, p. 213-240. 52 Ibid. 20 A l’époque, les connaissances sur la substance en question (la 2,3,7,8tetrachlorodibenzo-p-dioxine) portent sur l’extrême toxicité de cette molécule. Mais la variabilité des résultats en laboratoires conduit l’exploitant à minimiser le risque sur la santé humaine et l’environnement. Familiers des odeurs émises par l’usine, les riverains et les autorités ne se sont pas alarmés, jusqu’à ce que « des phénomènes inquiétants se multiplient dans la zone contaminée, en particulier la mort de petits animaux et la chloracné, une maladie de la peau qui affecta plusieurs enfants. »53. Ce n’est que le 19 juillet que l’exploitant va reconnaître la fuite, informer les autorités régionales de la situation et de la seule situation envisageable : l’évacuation de la population. « L’évacuation a touché au total 736 habitants de Seveso et Meda, dont 200 ne purent jamais plus retourner dans leurs habitations détruites au cours des opérations de décontamination. »54 Le territoire contaminé est divisé en zones, en fonction du degré de contamination. Les dommages importants causés par la catastrophe entraînent la réaction du législateur européen. En effet, il est admis que la directive Seveso est la conséquence directe de la catastrophe italienne, en témoigne son nom d’usage. Cependant, d’autres événements ont motivé cette disposition juridique : les accidents majeurs de Feyzin (France) en 1966, de Flixborough (Grande-Bretagne) en 1974 et de Los Alfaques (Espagne) par exemple. La Directive 82/501A dite « Seveso I » du 24 juin 1982, relative aux accidents industriels majeurs concerne les installations industrielles susceptibles d’engendrer les risques technologiques les plus importants. L’ambition de la Commission Européenne est la maîtrise des risques majeurs de certaines activités industrielles. Les principes fondamentaux du texte sont les suivants : 1. Des mesures complémentaires sont prises par les exploitants concernés pour prévenir les risques technologiques 2. Les autorités administratives (notamment environnementales) exercent un contrôle renforcé des installations 3. Des plans d’intervention prévoient les actions des exploitants et des pouvoirs publics en cas d’accidents majeurs. Ainsi, le POI (plans d’opération interne), mis 53 54 Ibid. Ibid. 21 en place par l’industriel, a pour objectif de définir son organisation et les moyens qu’il met en œuvre pour maîtriser un accident circonscrit au site. C’est un document opérationnel de planification (organisation – ressources – stratégies d’intervention), élaboré sur la base de scenarii d’accidents et régulièrement testé. La Préfecture établit le PPI (plan particulier d’intervention). 4. Les personnes qui travaillent sur les sites et les populations concernées sont tenues informées pour réagir efficacement en cas de sinistre. Dans les années suivantes, de nombreuses catastrophes industrielles ont lieu qui expliquent l’adoption de la directive 96/82/CE du 9 décembre 1996, communément appelée Seveso II. Le texte étend son champ d’application aux établissements (et non plus aux installations). Ainsi, quel qu’en soit l’usage (fabrication, stockage, emploi…), la présence dans l’établissement d’une substance dangereuse (envers l’environnement et/ou les personnes) référencée dans les annexes de la directive et en quantité supérieure aux seuils conditionne l’application de cette disposition au site. Le risque n’est plus envisagé de façon individuelle (à l’échelle d’un produit) mais de façon globale : la directive introduit « la règle du cumul », pour tenir compte de l’ensemble des substances dangereuses présentes. A ce titre, elle demande : 1. La prise en compte de l’effet domino (réaction en chaîne) et la coopération avec les établissements industriels voisins 2. La mise en place d’un système de management de la sécurité, de type OHSAS 1800155 3. Des tests des POI et PPI (Plan particulier d’intervention, établi sous l’autorité du préfet, visant à mettre en œuvre les moyens nécessaires à la maîtrise d’un sinistre de grande ampleur, dont les conséquences pourraient menacer directement les populations riveraines). 4. Un programme d’inspection 5. La maîtrise de l’urbanisme et des distances d’éloignement des habitations 55 La norme BS OHSAS 1800155 (Bristish Standard Occupational Health and Safety Assessment Series) est un des cadres proposant aux organisations de mettre en place un système de management de la Santé et de la Sécurité au travail. L’objectif premier de la norme est de leur fournir un cadre intégré de management, leur permettant d’améliorer de façon organisée les dispositifs de santé et sécurité au travail. Surtout, en tant que référentiel, il fournit des lignes directrices claires : la norme constitue un support d’évaluation de ces performances, et surtout de certification. 22 A noter que la directive 2012/18/UE du 4 juillet 2012 relative aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, dite Seveso III a été publiée le 24 juillet 2012 au journal officiel de l’Union Européenne, pour prendre effet en juin 2015 (et ainsi remplacer la directive Seveso II). Les évolutions notables de la directive Seveso III sont : - une inspection renforcée des installations - une participation du public mieux prise en compte - une sophistication des la classification des produits chimiques 2. La transposition française et son évolution suite à la catastrophe dite « AZF » de Toulouse (2001) En France, c’est au travers de la législation des Installations Classées (loi du 19 juillet 1976) que la directive Seveso I a été rendue applicable aux exploitants. Puis c’est principalement l’arrêté du 10 mai 2000 qui transpose la directive européenne : il fixe les prescriptions relatives à la prévention des risques majeurs impliquant des substances ou des préparations dangereuses présentes dans les installations concernées par la réglementation ICPE. Sont ainsi définis : - des établissements SEVESO seuils bas : l’exploitant décrit la politique de prévention des accidents dans un document à disposition de l’inspection des installations classées - des établissements SEVESO seuils haut et des établissements AS – Autorisation avec Servitudes : l’exploitant met en place un SGS56 (système de gestion de la sécurité) et de Tous les établissements SEVESO doivent : - procéder au recensement régulier des substances ou préparation dangereuses présente dans l’établissement et relevant en annexe de l’arrêté. Il est transmis annuellement au préfet 56 Selon le site Internet des Installations Classées, le SGS est « proportionné aux risques d’accidents majeurs susceptibles d’être générés par les substances présentes dans leurs installations […] Il repose sur un ensemble contrôlé d’actions planifiées ou systématiques, fondées sur des procédures ou des notes d’organisation écrites. » Il s’agit en fait d’un système spécifique de management de la sécurité, dont les objectifs et les principes sont déterminés au regard de l’étude de dangers. 23 - réaliser des études de dangers décrivant les mesures d’ordre technique mises en place ou à venir visant à réduire voire à supprimer les risques / leur probabilité d’occurrence et leurs conséquences - rédiger une politique de prévention des accidents majeurs (PPAM), soit un cadre organisationnel permettant une prise en compte intégrée des risques recensés par l’exploitant Ces dispositions sont renforcées par la loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, dite loi Bachelot. Elle fait suite à la catastrophe AZF de Toulouse le 21 septembre 2001. Selon Patrick Lagadec, « L’explosion du 21 septembre est l’idéal type des risques majeurs. Elle pose les questions de la prévention des risques à la source, des possibles effets dominos, de l’urbanisation autour des sites à risque, de la maîtrise politique du risque technique […] Toulouse a représenté la possibilité d’hyperbole dans le drame, avec le risque, un moment présent, de libération du phosgène et autres gaz toxiques. »57 La description du contexte et de l’accident du 21 septembre 2001 est réalisée en partie grâce au rapport de l’Inspection générale de l’environnement58 : 1. Le contexte : « L’usine de la société Grande Paroisse est située sur un terrain de 70 ha au sud de Toulouse et à environ 3 km du centre, en rive gauche de la Garonne. Elle emploie 470 personnes. L’usine produisait des engrais et divers produits chimiques. A partir de gaz naturel, l’usine produisait [de l’ammoniac, de l’acide nitrique, de l’urée, du nitrate d’ammonium59] […] L’usine produisait également divers autres produits chimiques [de la mélamime, du formol, des dérivés chlorés, des colles, des résines et des durcisseurs]. L’usine comportait des stockages importants de substances dangereuses [selon une valeur maximale à respecter] : ammoniac, chlore, nitrates d’ammonium. » 57 LAGADEC P., 2003, op. cit. Inspection Générale de l’Environnement, « Usine de la société Grande Paroisse à Toulouse. Accident du 21 septembre 2001 », octobre 2001. 59 Le nitrate d’ammonium présente des risques de combustion plus ou moins rapide (en l’absence d’oxygène) avec dégagements de gaz toxiques (les oxydes d’azote) ; des risques d’explosion complexes (en fonction des produits avec lesquels il est mélangé. 58 24 Au moment de la catastrophe, l’usine AZF fait partie de Grande Paroisse, premier producteur français de fertilisants, une société du groupe TotalFinaElf. Elle compte 500 salariés et 200 sous-traitants. Elle est alors en perte de vitesse économique. L’usine est voisine de la SNPE (Société nationale des poudres et des explosifs), de Tolochimie (qui dépend de la SNPE pour ses fournitures de base, dont le phosgène60 dissous, acheminé par le biais d’une canalisation) et d’Isochem (sur le site même de la SNPE). 2. « L’explosion du 21 septembre 2001 est survenue dans un stockage de nitrates d’ammonium déclassé bâtiment 221 222 qui était autorisé pour 500 tonnes et contenant 300 à 400 tonnes de produit le jour de l’explosion. Les produits déclassés provenaient principalement des ateliers de fabrication et de conditionnement du nitrate d’ammonium destiné à la production d’engrais ou de nitrate d’ammonium industriel ; le déclassement pouvait être lié à des anomalies dans la granulométrie mais aussi la composition des produits. Ce bâtiment était adjacent à la sacherie bâtiment 123 124 125 où des produits combustibles étaient stockés. Cet ensemble de bâtiment d’était pas équipé de systèmes de détection incendie […] [et] ne comportait pas de détecteurs d’oxydes d’azote […] L’exploitation du bâtiment 221 222 était supervisée par le service d’expédition de Grande Paroisse et sous-traitée à des sociétés extérieures. Les manutentions dans ce local étaient effectuées par du personnel d’une société sous-traitante TMG qui effectuait également la manutention des nitrates en sacs et sur palettes. » « La veille de l’explosion, 15 à 20 tonnes d’une fabrication d’ammonitrate avec un adjuvant en phase de qualification ont été amenés dans ce local. Le matin de l’explosion, des produits issus du conditionnement des ammonitrates et des ateliers de fabrication ont été conduits dans ce local. Le dernier produit ayant été amené moins d’une demi-heure avant l’explosion est une benne en provenance d’une autre zone de stockage. » 3. « L’explosion s’est produite à 10 h 17 dans le bâtiment 221, elle a provoqué la mort de 30 personnes dont 22 dans l’usine et 8 à l’extérieur, 2 500 blessés dont une trentaine dans un état grave [dont l’un décédera quelques jours avant la rédaction du rapport] […] L’explosion a provoqué la formation d’un cratère d’une quarantaine de mètres de diamètre et de 7 mètres de profondeur par rapport au sol naturel. Elle a 60 Le phosgène appartient à la classe des agents chimiques suffocants. Il provoque de graves brûlures de la peau et des lésions oculaires. Il peut être mortel après inhalation. 25 provoqué des destructions considérables dans toute la partie nord du site […] Cela a entraîné la destruction de certains réservoirs de solutions de nitrate d’ammonium et une pollution de la Garonne et des fuites d’acide nitrique. » Sur le site voisin de la SNPE, le principe respecté du confinement systématique des produits dangereux a permis aux réservoirs de phosgène (fractionnés, enterrés et confinés) de résister, tout comme la canalisation de phosgène (passerelle parasismique et sécurité de fermeture aux vibrations). Suite à la catastrophe, une commission d’enquête parlementaire est chargée de faire des recommandations pour renforcer « la sûreté des installations industrielles » et « protéger les personnes et l’environnement ». En découle la loi Bachelot, dont les principaux points sont les suivants : 1. L’obligation d’information des riverains : renforcement de l’enquête publique, création du CLIC (Centre Local d’Information et de Coordination), et prescription des mesures de protection des populations face aux risques encourus 2. La sensibilisation des salariés et des sous-traitants 3. La maîtrise de l’urbanisation par la définition de zones à risques, dans le cadre du PPRT (Plans de Prévention des Risques Technologiques) 4. La reconnaissance de la notion de risques technologiques pour l’indemnisation des victimes de catastrophes technologiques Julien Bétaille dresse ainsi une typologie des fonctions de la catastrophe relativement à la portée du droit, soit les champs concernés par des dispositifs juridiques : - « la fonction révélatrice » des insuffisances du droit du fait de l’absence de droit ou des difficultés rencontrées par le droit à répondre à un problème connu - « la fonction amplificatrice » du droit existant, par exemple des dispositions de la Directive Seveso II par la loi de 2003 Si toutes les catastrophes ne sont pas des « forces créatrices de droit », soit « un force qui peut imposer une règle de nature juridique » selon George Ripert, « c’est 26 l’instrumentalisation qui en est faite par les différents acteurs du droit, la lutte des intérêts de ces acteurs, qui constituent une force créatrice du droit »61. L’influence des catastrophes sur le droit ne doit donc pas seulement porter sur l’application du droit aux catastrophes elles-mêmes. Aussi, la deuxième section de ce premier chapitre propose d’étudier l’effectivité de ces dispositifs juridiques et les comportements des acteurs concernés (entreprises privées et services administratifs). La Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans un arrêt du 18 juin 2002, a consacré le « droit à la vie », en application de l’article 262 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Selon le juriste Willy Tshitende Wa Mpinda 63, « c’est [justement] la préservation de la vie humaine qui constitue, à une échelle proche comme lointaine, la volonté communautaire de légiférer. » Les Etats sont donc soumis par l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires à la préservation de la vie des personnes, et particulièrement du fait des risques technologiques. Les dispositifs juridiques de prévention témoignent aussi du besoin grandissant de sécurité demandé par la société, demandant d’une part protection face aux catastrophes, mais aussi réduction des risques de catastrophes : le droit français s’est développé dans ce sens, parfois sous l’impulsion du droit européen mais surtout après des catastrophes, et a construit un ensemble de règles et de dispositifs obligeants les exploitants industriels à la prévention. Section 2 – De l’effectivité des dispositifs juridiques renforçant la prévention des risques technologiques majeurs : quelle implication des acteurs clés ? On a pu le voir par l’étude des dispositifs juridiques de prévention des catastrophes technologiques : les exploitants industriels et les autorités administratives sont les principaux acteurs de la prévention de ces risques. Il convient désormais d’étudier ce qu’impliquent 61 BETAILLE J., 2012, op. cit. Article 2, alinéa 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme ; « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine de mort. » 63 TSHITENDE WA MPINDA W., « Risques industriels et droit de l’Union européenne », in LAVIEILLE J.-M., BETAILLE J., PRIEUR M. (dir.), 2012, op. cit. 62 27 concrètement ces mesures, et sur quels principes elles sont fondées : on abordera particulièrement l’obligation d’évaluation des risques, la planification et l’information des populations. A. L’implication effective des exploitants d’établissements industriels Les exploitants d’établissements, particulièrement du secteur industriel sont les principaux concernés par les dispositifs juridiques étudiés dans la section première. Il s’agit dans cette partie, en s’appuyant sur deux exemples de dispositions juridiques d’étudier dans quelle mesure et sous quelles conditions l’exploitant intervient dans la prévention des risques technologiques et des catastrophes : l’évaluation des risques liés aux activités, aux infrastructures et aux substances utilisées est un axe majeur développé par le droit. Mais si les normes de droit consacrant la prévention en obligeant les exploitants à l’évaluation des risques (leur donnant ainsi la possibilité de mettre en place des mesures pour réduire voire supprimer ce risque), les défaillances des dispositifs doivent aussi être soulignées. 1. L’obligation d’évaluation des risques : deux exemples concrets L’INRS64 (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) définit l’évaluation des risques comme « une étape cruciale de la démarche de prévention ». Ainsi, la réglementation ATEX, relative aux atmosphères explosibles, et la réglementation relative aux ICPE consacrent ce principe d’évaluation des risques. a) La réglementation ATEX (Atmosphères Explosibles) « Dans l’industrie, toute installation dans laquelle des poussières au moins partiellement inflammables sont fabriquées ou mises en œuvre, peut être soumise à un risque 64 L’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) est une association (loi 1901), composée de membres issus de disciplines variées (ingénieurs, médecins, chercheurs, juristes, formateurs…). Il s’intègre au dispositif français de prévention en santé et sécurité au travail (avec les différentes Directions composant l’Assurance Maladie – Branche Risques Professionnels, des services de l’Etat, des agences spécialisées…). De par les études qu’elle mène et les formations et l’assistance qu’elle délivre aux entreprises, elle contribue à l’anticipation des risques professionnels, à la sensibilisation des employeurs et des employés et à l’accompagnement des entreprises face aux problématiques liées à la santé et la sécurité au travail. 28 d’explosion de poussières dans certaines conditions de concentration en présence d’une source d’inflammation » d’après un rapport publié en 200065 par l’INERIS66, qui décrit ici un exemple d’atmosphère explosible. Une atmosphère explosible est un mélange d’air (le comburant) et de produit combustible dans un état de : - Gaz inflammable (gaz de ville, propane, butane…) - Vapeur émise par un liquide inflammable (éthanol, acétone, kérosène, essence…) - Les brouillards de liquides inflammables (aérosols…) - Solide pulvérulent à l’état de nuage dispersé dans l’air (selon des conditions de concentration telles qu’une réaction de combustion soit susceptible de se propager à tout le mélange) soit des nuages de poussières explosibles (maïs, farine, sucre, céréales, bois, soufre…) tels que décrits par l’INERIS. Elle est explosible car elle est susceptible d’exploser. En effet, dans des circonstances habituelles, elle n’est pas explosive, mais peut le devenir si comburant (l’oxygène dans l’air) et combustible sont exposés à une source d’inflammation, dans des circonstances particulières (source suffisante et à la température suffisamment élevée). Ces sources peuvent être par exemple : court-circuit, étincelles, défaillance mécanique, phénomène météorologique (canicule, courant d’air…). Selon l’INRS, « il se produit, en France, plus d’une centaine d’explosions par jour. On estime que les explosions représentent en moyenne 4 accidents sur 10 000 et près de 3 décès sur 1 000 au titre des accidents du travail. Si les explosions représentent un faible nombre d’accidents du travail (0,04%), leur taux de gravité est supérieur à celui des autres accidents du travail, pouvant aller jusqu’au décès de la personne accidentée. ». L’INRS rappelle par exemple l’accident de Blaye en 1997 : 11 personnes sont mortes après l’explosion d’un silo vertical de stockage de plus de 37 000 tonnes de blés et l’effondrement de celui-ci sur des bâtiments. 65 INERIS, Ministère de l’Aménagement du territoire et de l’environnement, Guide pour la conception et l’exploitation de silos de stockage de produits agro-alimentaires vis-à-vis des risques d’explosion et d’incendie », Rapport final, mai 2000. 66 L’Institut national de l’environnement industriel et des risques : établissement public à caractère industriel et commercial, sous tutelle du Ministère du Développement Durable. Sa mission : contribuer à l’évaluation et à la prévention des risques pour l’homme et l’environnement liés aux installations industrielles, aux substances chimiques et aux exploitations souterraines de par des travaux de recherche et la mise en place d’outils opérationnels. 29 Les ATEX ont d’abord fait l’objet d’une réglementation européenne. Ainsi, la directive 1999/92/CE concernant les prescriptions minimales visant à améliorer la protection en matière de sécurité et de santé des travailleurs susceptibles d’être exposés au risques d’atmosphères explosives précise les exigences minimales pour la sécurité des travailleurs amenés à travailler dans des atmosphères explosibles. L’employeur doit alors : - Evaluer les risques d’explosion d’une ATEX « en tenant compte de la probabilité que des ATEX se présenteront et persisteront, de la probabilité que des sources d’inflammation, y compris les décharges électrostatiques, seront présentes et deviendront actives et effectives, des installations et substances utilisées, des procédés et de leurs interactions éventuelles, de l’étendue des conséquences prévisibles. » - Classer en zones les emplacements dangereux (ou zonage) (annexe de la directive). - Prendre les mesures techniques et organisationnelles de protection contre les explosions (formation des personnels, instructions écrites encadrant l’utilisation/le stockage des produits…), pour ses salariés comme lorsque des travailleurs de entreprises sont présents sur un même lieu de travail. - S’équiper de matériels conformes à la directive 94/9/CE (marquage et déclaration CE notamment). - Rédiger un Document relatif à la protection contre les explosions sur le site (DRPCE), qu’il peut combiner avec les évaluations des risques existantes. Cette directive a été transposée en droit français par le biais de plusieurs textes, s’intégrant dans le Code du travail, en particulier : - Les articles R4227-42 à R4227-54 précisent les obligations de l’employeur pour prévenir les explosions sur le lieu de travail. - 2 arrêtés (1993 et 2003) sur la signalisation en matière de santé et sécurité au travail. - L’arrêté du 8 juillet 2003, portant sur la protection des travailleurs susceptibles d’être exposés à une atmosphère explosible. b. La réglementation relative aux ICPE Lorsqu’une entreprise développe des activités et/ou des infrastructures et/ou utilise des substances référencés dans la nomenclature de la réglementation ICPE, elle doit, pour pouvoir exploiter son installation, rédiger un dossier de demande d’autorisation d’exploiter (DDAE) ou un dossier de déclaration. 30 La rédaction d’un dossier de demande d’autorisation d’exploiter (DDAE) comprend conformément aux dispositions réglementaires (décret n°77-1133 du 21 septembre 1977) : 1. Un dossier administratif : - La lettre officielle de demande d’autorisation - La description des capacités techniques et financières de l’exploitant 2. Un dossier technique : - Plusieurs cartes, précisant la localisation du site et l’intégrant dans son environnement proche - Une description générale de l’établissement et une description détaillée des installations dans leur situation actuelle et des projets futurs 3. L’étude d’impact67 : - L’état initial, soit la description précise et la plus exhaustive possible de l’environnement du site selon des aspects généraux68 - L’analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents des activités et installations actuelles et futures du site. S’il s’agit dans cette analyse d’identifier les effets ; il faut aussi définir des mesures compensatoires associées, ainsi que des mesures de mise en conformité pour limiter les effets sur l’environnement. Le site doit en effet démontrer qu’il connaît et maîtrise ses effets et impacts. - L’étude des risques sanitaires consiste à évaluer les effets que les activités engendrent ou pourraient engendrer sur la santé des riverains, dans le cadre du fonctionnement normal de ces installations (bruits, ondes, émissions de fumées ou de poussières…). Des mesures sont effectuées, afin de les comparer aux critères sanitaires en vigueur. - Les mesures envisagées par le site pour supprimer, réduire ou compenser les impacts : aménagement, performances des mesures de protection de l’environnement et de gestion des pollutions et nuisances… - La justification du choix du projet, du point de vue des préoccupations environnementales, selon des critères techniques, économiques et environnementaux. 67 Le décret entré en vigueur le 1er juin 2012 portant réforme aux études d’impact, demande aux sites de mieux prendre en compte les critères de sensibilité des milieux, les effets cumulés des projets et de garantir l’efficience des mesures envisagées dans l’étude d’impact. 68 Occupation des terrains voisins, aspect paysager, contexte socio-économique, contexte géologique et hydrogéologique, contexte hydraulique, aspects climatologiques, risques naturels, faune et flore, environnement sonore air, et vibrations, déchets, transports, biens et patrimoine culturels, environnement industriel… 31 - Les conditions de remise en état du site après exploitation, en cas de cessation d’activité par l’exploitant. 4. L’étude de dangers, qui vise à identifier et décrire les potentiels de dangers et de les modéliser, sur la bases de scénarii de réalisation des risques afférents avec évaluation de la probabilité d’occurrence, de la cinétique et des conséquences, afin de déterminer de leur acceptabilité (incendies de déchets, de locaux de stockage de produits dangereux, pollution accidentelle par déversement d’un produit chimique…). 5. La notice d’hygiène et de sécurité, relative à la prévention et à la protection de la santé et de la sécurité des personnels. 6. Le résumé technique de l’étude d’impact et de l’étude de dangers, à destination du grand public. L’autorité environnementale compétente pour ce type de projet est le préfet de département, assisté par la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement). C’est principalement cette autorité qui instruit le dossier ; au vu de la diversité des dangers et risques concernés par l’analyse, mais aussi des impacts possibles sur l’environnement et la santé des hommes, la DREAL peut mobiliser au cours de cette instruction : les Agences Régionales de Santé (ARS), les Conseils départementaux de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST), les Services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), l’Inspection du travail, les collectivités territoriales, le public et les associations… 2. Les limites des dispositifs juridiques et de leur application par les exploitants L’évaluation de tous les risques susceptibles de se réaliser dans la cadre de l’activité de l’établissement est un principe intégré par la majeure partie des chefs d’entreprise ; d’une part, elle est source d’opportunités internes et d’une gestion améliorée des ressources humaines69, des infrastructures et utilités, des matériels et substances utilisées dans la cadre de l’activité de l’entreprise. Cependant, l’accumulation des dispositifs de prévention, et donc des obligations des exploitants peut être perçue comme contre-productive : cela est particulièrement manifeste 69 Il s’agit principalement de l’Evaluation des Risques professionnels, à intégrer à un « Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels » 32 dans les Petites et Moyennes Entreprises. Certaines préfèrent délibérément ignorer la loi ou ne pas en tenir compte plutôt que de répondre à des exigences dont ils ont l’impression qu’elles se répètent. Ainsi, pour encourager et inciter les établissements spécialisés dans le secteur de la réparation automobile, la Carsat (Caisse d’Assurance retraite et de la santé au travail)70 Midi-Pyrénées a lancé une opération collective, qui finance près de 70% de l’intervention d’un prestataire expert pour les accompagner dans le processus d’évaluation des risques chimiques, dont on connaît les risques sur la santé71. Cet exemple permet d’ailleurs d’évoquer la complexification72 et surtout l’inflation des dispositions relatives à l’EHS (problématiques Hygiène, Santé au travail et Environnement dans l’entreprise). La professionnalisation du secteur, de par l’émergence des « responsables EHS » sur les sites de production, d’un « Corporate EHS » au siège social des grandes entreprises mais aussi des consultants spécialisés en EHS le démontrent : la gestion des problématiques liées à l’EHS, et notamment à la prévention des risques nécessite des compétences spécifiques. C’est particulièrement le cas pour l’élaboration et la motivation du DDAE devant les autorités administratives. Or ce projet est très long : entre 15 et 25 jours de travail par un consultant spécialisé, sans compter le temps nécessaire à l’instruction, dont le schéma ci-dessous permet de mieux appréhender la complexité du processus, mais surtout la longueur et donc le coût de l’élaboration de telles études, dont pourtant dépend la possibilité d’exploiter ou de continuer à exploiter le site. 70 Les Carsat sont des organismes régionaux de sécurité sociale ; elles ont succédé en 2010 aux Caisses régionales d’assurance maladie. Leurs missions concernent l’assurance vieillesse et la prévention des risques professionnels. 71 http://www.carsat-mp.fr/risques-pro/votre-secteur-dactivite/148-reparation-auto-moto 72 Complexification qui pose la question de la lisibilité du droit, de plus en plus technique et spécialisé. 33 Figure 4 - Procédure d'instruction d'un dossier de demande d'autorisation d'exploiter (source : site de l'Inspection des Installations Classées) 34 « Le risque est un problème important, mais parmi d’autres aux yeux des industriels et aux yeux de la puissance publique. La continuité du service et des activités et la rentabilité sont d’autres facteurs qui viennent sans arrêt équilibrer la prévention du risque. »73 B. Le rôle des autorités publiques Si les exploitants sont obligés de mener des évaluations des risques liés à leur activité, c’est la notion de prévention qui s’impose aux services publics. Hélène Pauliat évoque même l’idée d’un « service public de la prévention »74 institutionnalisé par le droit (interne et communautaire). L’étude des modalités d’action des pouvoirs publics face aux catastrophes montrera dans quelle mesure celles-ci contribuent à la redéfinition des instruments de gouvernement proposés. 1. Un rôle de contrôle L’Etat exerce un rôle de contrôle pour assurer la maîtrise des risques générés par les installations industrielles, notamment par le biais des Inspecteurs des Installations classées pour la protection de l’environnement. Le but de ces contrôles est de vérifier la conformité réglementaire de l’installation. Ce contrôle peut être ciblé ou général (donc porter sur l’ensemble des conditions de fonctionnement et de respect des prescriptions préfectorales), approfondie ou plus ponctuel. Selon le site Internet relatif à l’Inspection des installations classées : « les inspecteurs ont un droit absolu et permanent d’obtenir de l’exploitant l’autorisation de pénétrer sur le site d’une installation classée, et d’obtenir toute documentation relative aux installations réglementées. Aucune autorisation judiciaire ne lui est nécessaire pour exercer ce droit. Les agents sont assermentés. L’obstacle à l’accomplissement des fonctions de l’inspecteur est un délit. »75 Dans un article consacré à l’étude des biographies et des parcours professionnels des Inspecteurs des installations classées depuis 197076, Laure Bonnaud constate que si les modalités d’intervention publique ont pu évoluer pour prendre en charge les risques ayant 73 Remarque d’un participant à la Commission d’enquête parlementaire, suite à la catastrophe AZF. PAULIAT H., « Les services publics et les catastrophes écologiques », in LAVIEILLE J.-M., BETAILLE J., PRIEUR M. (dir.), 2012, op. cit. 75 http://www.installationsclassees.developpement-durable.gouv.fr/Les-droits-et-les-obligations-de-l.html 76 BONNAUD L., « Au nom de la loi et de la technique. L’évolution de la figure de l’inspecteur des installations classées », Politix, 2005/1, n°69, p. 131-161. 74 35 émergé avec l’évolution de la société, il ne faut pas occulter les formes plus anciennes d’intervention de l’Etat, telles que les politiques d’inspection, notamment des installations classées. Cette étude sociologique permet tout de même d’appréhender un certain changement dans la continuité, appréhendé à l’aune de « l’identité des inspecteurs, leur rapport à la technique et leur rapport au droit. » - A la fin des années 1960, l’inspection des installations classées dépend des services des Mines, spécialisé dans la sécurité des mines, dont l’exploitation en France décline. Elle est créée suite à l’enchaînement de plusieurs catastrophes et du constat de l’inadaptation des dispositifs juridiques (les raffineries et installations pétrolières ne sont pas à l’époque des installations classées par des installations de guerre ; les établissements de secteurs industriels en expansion ne sont pas contrôlés…). « Dans cette configuration, l’entrée en scène d’un service technique compétent du ministère de l’Industrie constitue un aboutissement logique qui répond à ces désordres »77. Ces inspecteurs sont recrutés massivement en 1973, issus d’écoles diverses. Petit à petit, l’identité du service se réoriente donc vers l’inspection des installations classées. La spécialisation des Inspecteurs de Mines se retrouve alors remise en cause, alors qu’ils doivent désormais inspecter des installations classées. Ceux-ci font alors de « l’acquisition de la connaissance technique du fonctionnement des installations un préalable indispensable à son encadrement juridique. ». Selon Laure Bonnaud, « le premier travail des inspecteurs du service des Mines a indiscutablement consisté à impliquer davantage les industriels afin que la protection de l’environnement deviennent une condition de l’exploitation des entreprise. » - Suite à la loi de 1976 sur les installations classées, émerge la figure de « l’inspecteur magistrat. Progressivement, les ressources et références juridiques deviennent incontournables, alors que la technique est remise en question : cela nécessite de « réévaluer le poids des dimensions techniques et réglementaires qui composent l’équilibre de l’identité professionnelle [des inspecteurs] »78. - Depuis les années 2000, le Ministère de l’Environnement entend valoriser le métier d’inspecteur des installations classées : les ingénieurs des Mines sont désormais généralistes et disposent « d’une culture forte en matière d’environnement industriel ». La formation des inspecteurs a été généralisée pour tous et a émergée l’organisation d’une carrière d’inspecteur ; pour être habilité, celui-ci doit avoir suivi des stages sur un nombre 77 78 Ibid. Ibid. 36 défini de thèmes. Il évolue ensuite en fonction des formations suivies. La spécialisation comprend aussi l’émergence d’une « déontologie » (publication d’une charte de l’inspection en 2001 insistant sur l’inspection en tant que mission de service public et affichant « quatre valeurs fédératrices » : compétence, impartialité, équité, transparence). « Placés dans la position d’être des experts, les inspecteurs sont d’abord vus comme des individus-ressources qui viennent apporter leur savoir technique et réglementaire, dans les situations diverses où une réponse doit être apportée, ou dans le cadre d’une décision administrative. »79 Figure 5 - L'évolution du métier d'Inspecteur des Installations Classées (typologie proposée par Laure Bonnaud). 79 Ibid. 37 Cette étude de l’évolution du métier d’Inspecteur des installations classées révèle la spécialisation de la fonction de contrôle de l’Etat, intégrant une dimension procédurale, permettant de prendre en compte les multiples enjeux relatifs à l’Inspection, et particulièrement les enjeux réglementaires. 2. Un rôle de planification Plusieurs dispositifs consacrés par le droit permettent aussi aux autorités de l’Etat comme des collectivités territoriales de participer à la prévention des risques technologiques majeurs. Parmi eux, le PPRT, plan de prévention des risques technologiques, institués par la loi de 2003 faisant suite à la catastrophe AZF et codifiés aux articles L515-15 à L515-25 du Code de l’environnement. « Ils ont pour objet de prévenir les risques d’accidents susceptibles de survenir dans les installations classées dangereuses, industrielles ou agricoles, en délimitant un périmètre au sein duquel pourront être prises différentes mesures tendant à réduire les risques. »80 Ils sont instruits sous l’autorité du préfet pour chaque installation classée SEVESO seuil haut, soit les installations comportant des risques très importants pour la santé et la sécurité des populations. Le but est l’instauration d’un « glacis de protection »81 autour des sites industriels. Ainsi, il délimite un périmètre d’exposition aux risques en tenant compte des informations délivrées par l’exploitant, et portant sur l’identification et l’évaluation des risques. « Plus le risque de danger, pour la vie humaine, sera fort, plus les mesures prises pourront être coercitives (liberté d’aller et de venir par exemple. L’encadrement de l’usage des sols pourra consister à interdire ou réglementer les constructions à usage d’habitation ou recevant du public (les établissements sensibles comme les crèches ou les écoles maternelles). »82 Les PPRT peuvent aussi définir des zones où la déconstruction du bâti pourra être envisagée (par le recours à l’expropriation). 80 AOUSTIN T., « La planification et les autorisations en matière de prévention des risques naturels et technologiques » in LAVIEILLE J.-M., BETAILLE J., PRIEUR M. (dir.), 2012, op. cit. 81 Ibid. 82 Ibid. 38 Dans les faits, la législation à ce propos, associant droit de l’urbanisme et droit des installations classées, permet une certaine maîtrise de l’urbanisation autour des sites à risques, dans le cadre du contrôle des autorisations d’urbanisme83. Reste que les PPRT sont des dispositifs lourds et complexes à mettre en place : selon Tristan Aoustin, « au total, ce sont 421 PPRT concernant 670 établissements industriels qui sont à élaborer. Au 1er janvier 2009, seuls 107 PPRT ont été lancés et 5 approuvés. »84 La fonction de planification des pouvoirs publics tient aussi, à la suite de retours d’expérience, à l’organisation de la gestion de crise en cas de survenue de catastrophe. Parmi les outils disponibles, on peut citer le plan ORSEC (Organisation de la réponse de sécurité civile), en tant que système polyvalent de gestion de crise, activé par le préfet selon la nature ou l’importance de l’événement (loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile). Il s’agit d’organiser les secours sous une direction unique des opérations de secours assurée par le préfet. Son objectif est la protection générale des populations. Pour cela, la loi de 2004 introduit 3 éléments : un recensement et une analyse préalables des risques et des conséquences des menaces (création d’un répertoire unique reconnu par les acteurs concernés pour disposer d’une culture partagée des aléas et vulnérabilités d’un territoire), un dispositif opérationnel (définissant une organisation unique de gestion d’événement majeur), des phases de préparation, d’exercice et d’entraînement. Ces plans traduisent une certaine « philosophie de l'action de l'Etat », qui tente par là de probabiliser des risques majeurs et de maîtriser l’incertitude qu’ils portent. Il réaffirme sa position d’acteur majeur, en mobilisant notamment la figure du préfet et en se définissant comme : - omniscient : anticiper la survenue d'un événement dommageable - omnipotent : se préparer à réagir à une situation de crise Cette « philosophie de l'Etat », c’est l’idée selon laquelle dès qu'une catastrophe survient, les populations se tournent vers l'Etat car c'est lui qui garantit la sécurité. A chaque 83 L’article R111-2 du Code de l’urbanisme prévoit que le projet de construction peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité et à la santé publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. D’autres articles évoquent les sites et voisinages naturels, ou plus globalement l’atteinte à l’environnement. 84 AOUSTIN T., 2012, op. cit. 39 crise, l'Etat est sommé d'intervenir, mais toute crise est aussi susceptible d’entraîner une contestation de l'Etat, et qui peut expliquer l’émergence de nouveaux dispositifs d’action publique, par lesquels celui-ci tente de renforcer son rôle de gestionnaire. « Le pouvoir politique tente de capter, d’ordonner les craintes et les menaces exprimées par la société civile. Au terme de ces échanges, le droit assure une véritable traduction par la construction de règles juridiques. »85 Si est fait appel à des modèles « traditionnels », tels que ceux décrits dans le chapitre premier, les catastrophes contribuent aussi à la mise en œuvre de modalités de gouvernement nouvelles. 3. L’information et la participation du public La loi de 2003 demande la création d’un CLIC (Centre local d’information et de coordination) dans chaque bassin industriels, qu’elle décrit comme une instance de débat, d’échange d’information et de concertation sur les risques accidentels autour des établissements classés SEVESO. Le CLIC est informé du lancement du PPRT et désigne un représentant pour réunions de concertation avec la population, qui contribuent à la rédaction d’une stratégie locale de prévention des risques. Pour cela, les populations doivent pouvoir se réunir et rencontrer les parties prenantes au projet (exploitant, services de l’Etat, services territoriaux…) et doivent pouvoir consulter tous les documents nécessaires relatifs au projet. Le PPRT n’est d’ailleurs approuvé par l’arrêté préfectoral qu’après enquête publique. Le diagramme ci-dessous, proposé par les services de l’Etat de la région Champagne Ardenne86 résumé les différentes phases d’élaboration du PPRT en fonction de l’impératif de concertation. 85 DE TERSAC G., GAILLARD I., « La catastrophe d’AZF au risque des sciences humaines et sociales », in DE TERSSAC G., GAILLARD I. (dir.), La catastrophe AZF. L’apport des sciences humaines et sociales, Paris, Lavoisier, 2008. 86 http://www.chalonsenchampagne.cci.fr/pdf/sedevelopper/clubs-assoc/club_seveso.pdf 40 Figure 6 - Etapes d'élaboration du PPRT et concertation Un tel mouvement, promouvant la participation de nombreux acteurs avait été initié par la loi de 1976, qui avait créé, au niveau régional, les SPPPI (Secrétariats permanents pour la prévention des pollutions industrielles)87. Par l'information et la concertation, les SPPPRI visent notamment à favoriser les actions tendant à maîtriser les pollutions et nuisances de toutes natures et à prévenir les risques technologiques majeurs des installations classées visées à l'article L. 511-1 du Code de l’environnement. La loi les définit comme des lieux de débats sur les orientations prioritaires en matière de prévention des pollutions et des risques industriels. Ils doivent « contribuer à l'échange ainsi qu'à la diffusion des bonnes pratiques en matière d'information et de participation des citoyens à la prévention des pollutions et des risques industriels ». 87 SURAUD M.-G., « La concertation sur les risques industriels : de la généralité à la spécificité », in DE TERSSAC G., GAILLARD I. (dir.) ? 2008, op. cit. 41 Ces dispositifs illustrent le fait que l’action publique se transforme, notamment par le biais des politiques publiques environnementales (en effet, si ceux décrits précédemment concernent le risque technologique majeur, ils font partie du Code de l’environnement. L’environnement est considéré au sens large, comme le milieu humain, économique, culturel, social et naturel dans lequel une exploitation est installée). Elles renvoient en effet à des instruments nouveaux de gouvernement, qui ont été étudiés par Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès88, qui permettent la mise en œuvre d’une action publique, en particulier territoriale89. Or, selon eux, ces instruments ne sont pas neutres : par leur technicité, il contraint l’action. Ils en dégagent deux types : - Deux instruments traditionnels : la loi ou le règlement, un acte normatif qui vise à discipliner les comportements (la fiscalité, les règlements valables dans le domaine économique). - 3 instruments « nouveaux » depuis les années 1970 : - conventionnels, incitatifs : on passe contrat avec des groupes sociaux pour mettre en œuvre des politiques (figure de l’Etat animateur) ; - communicationnels, sollicitation de l'avis du public, délibération du public ; - création de normes qui vont encadrer l'action des opérateurs et des individus (indicateurs, benchmarking, mais aussi création de standards internationaux90). 88 LASCOUMES P., LE GALES P. (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2005. Le philosophe Michel Foucault parle de « gouvernementalité, soit l’étude du « comment s’exerce le pouvoir », considéré comme un flux horizontal circulant dans la société. 90 GIARD V. « La normalisation technique », Revue française de gestion, n°147, 2003. Dans cet article, il définit la normalisation technique comme un mouvement qui s’inscrit dans le prolongement de celui de la standardisation ». L’établissement de mesures (ou étalonnage) a constitué le premier mouvement de standardisation, qui s’est accru suite à la Révolution Industrielle (« l’usage de processus standardisés autorise la fabrication de produits substituables, permettant l’élaboration de produits finis de complexité croissante réalisés à partir de constituants identiques fabriqués sur des machines »). Les échanges entre entreprises se développent encore au XIXème siècle. Alors, « l’établissement de référentiels partagés par plusieurs entreprises va permettre de réduire une diversité sans valeur ajoutée, d’atteindre des économies d’échelle substantielles et d’ouvrir la porte à la production de masse de produits variés. Aujourd’hui, l’International Standard Organization (ISO) définit la norme comme un « document, établi par consensus et approuvé par un organisme reconnue, qui fournit, pour des usages communs et répétés, des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques, pour des activités ou leurs résultats, garantissant un niveau d’ordre optimal dans un contexte donné. ». Selon la réglementation française, « la normalisation a pour objet de fournir des documents de référence comportant des solutions à des problèmes techniques et commerciaux concernant les produits, biens et services qui se posent de façon répétée dans des relations entre partenaires économiques, scientifiques, techniques et sociaux. » (décret du 26 janvier 1984). Ainsi, la norme ISO 31000 définit les risques comme les effets de l’incertitude sur l’atteinte des objectifs de l’organisation, soit un écart par rapport à une attente : « les organismes de tous types et de toutes dimensions confrontés à des facteurs et des incertitudes internes et externes ignorent si et quand ils vont atteindre leurs objectifs. L’incidence de cette incertitude sur l’atteinte des objectifs d’un organisme constitue le risque. » 89 42 L'environnement est une catégorie d'action publique qui joue la carte de ces nouveaux instruments. Le principe de prévention des catastrophes technologiques et les dispositifs juridiques l’organisant ont pu être étudiés dans le premier chapitre, traduisant la construction d’un droit basé sur l’évaluation des risques par les exploitants industriels. Ceux-ci découlent dans la plupart des cas du traumatisme social causé par la survenue de catastrophes technologiques, et auquel le droit s’efforce de répondre. Or, selon le juriste Jean-Marie Pontier, « La prévention n’est plus la seule mission de la puissance publique dans les décisions et actions à entreprendre avant que des dommages ne surviennent et, pour éviter ces derniers, elle doit être pensée par rapport à la précaution. »91 Aussi, la réduction voire la suppression du risque de survenue d’une catastrophe technologique peut désormais passer par la mise en œuvre du principe de précaution, consacré par la loi française en 1995, puis par la Constitution en 2005 (dans le cadre de l’insertion dans le bloc de constitutionnalité de la Charte de l’Environnement). Le fait qu’une norme ISO se saisisse de la problématique des risques est révélateur du fait que celle-ci est désormais considérée comme devant faire partie intégrante de la prise de décision des entreprises : le Risk Management doit donc être intégré dans la stratégie globale de l’entreprise. La norme ISO 31000 précise selon quels principes et dans quel cadre celui-ci doit être implémenté. Ainsi, l’ISO 31000 « fixe un certain nombre de principes qui doivent être appliqués pour rendre le management du risque efficace. Elle recommande que les organismes élaborent, mettent en œuvre et améliore continuellement un cadre organisationnel dont le but est d’intégrer le processus de management du risque aux processus de gouvernance, de stratégie et de planification, de management, de rédaction des rapports, ainsi qu’aux politiques, aux valeurs et à la culture d’ensemble de l’organisme [...] Il convient que le management du risque soit partie intégrante du management, intégré à la culture et aux pratiques et adapté aux processus métiers de l’organisme. » 91 PONTIER J.-M., « La puissance publique et la prévention des risques », AJDA, 2003. 43 CHAPITRE II – L’anticipation des catastrophes ou l’échec du droit. L’exemple des nanotechnologies En introduction, les risques collectifs ont été classés selon la typologie suivante : - Les risques majeurs, définis par Patrick Lagadec (identifiables, même si ils restent incertains dans leur probabilité d’occurrence et dans l’ampleur de leurs effets) ; - Les risques diffus, attachés à des phénomènes pouvant potentiellement se réaliser mais qui demeurent à l’état de menace car n’ayant pas encore produit leurs effets. Le chapitre II de cette première partie propose d’aborder ces risques diffus par l’exemple des nanotechnologies ; cette innovation technologique majeure, qu’il faudra définir, connaît un développement industriel important malgré le fait qu’elle soit frappée d’incertitudes quant aux effets qu’elle pourrait induire à court, moyen et long terme. Section 1 – Le développement d’une technologie incertaine : les nanotechnologies… « Les nanoparticules résultant des nanotechnologies sont à l’origine pour certains de la troisième révolution technologique et industrielle […] Depuis les années 1990, leur production, devenue industrielle, conduit à en faire une réalité de notre quotidien souvent à notre insu. »92 Les nanotechnologies en effet connaissent un développement important, mais relativement confiné : leur taille n’aide pas à l’objectivation de l’innovation. Aussi, les nanotechnologies sont frappées par l’incertitude, particulièrement au niveau de leurs effets : forment-ils une innovation majeure synonyme d’augmentation du bien-être ou au contraire sont-ils porteurs d’effets négatifs voire dangereux ? Dans ce chapitre, il s’agit d’interroger la « force » du droit face à l’incertitude. Dans quelle mesure les normes et dispositifs juridiques sont-ils capables de réguler une technologie émergente, qui reste avant tout un risque diffus ? 92 DOBRENKO B., « Les nanotechnologies : un défi pour le droit ? » in LAVIEILLE J.-M., BETAILLE J., PRIEUR M. (dir.), 2012, op. cit. 44 La première section permettra de présenter cette technologie et la façon dont les industriels s’en sont saisie, qualifiant les nanotechnologies d’innovation révolutionnaire (donc bouleversante ?). Surtout, il s’agira de les présenter sous l’angle des incertitudes qu’elles portent et de la vigilance93 dont beaucoup appellent à faire preuve à leur égard. A. Le développement industriel à forte valeur ajoutée des nanotechnologies… 1. Les nanotechnologies : définition Les nanoparticules sont de la matière, dont les dimensions vont de 1 à 100 nanomètres (sachant qu’un nanomètre correspond à 0,000001 millimètre). C’est Richard P. Feynman, prix Nobel de physique, qui en 1959qui va décrire le premier les enjeux de la maîtrise de l’infiniment petit. Il image ainsi un nanomonde, dans lequel, selon lui, « il serait possible de construire un milliards de petites usines, qui travaillent simultanément ». La première limite des nanotechnologies est qu’elles ne font pas l’objet d’une définition stabilisée : le seul facteur commun à toutes les tentatives est l’allusion à sa taille. Ainsi, l’OCDE définit les nanotechnologies comme « un ensemble de technologies permettant de manipuler, d’étudier ou d’exploiter des structures et systèmes de très petite taille (le plus souvent de moins de 100 nanomètres) »94 Si elles sont imperceptibles à l’œil nu, les nanoparticules sont présentes dans notre cadre de vie au quotidien. Ainsi, le Comité de la prévention et de la précaution aborde95 : - Les nanoparticules d’origine naturelle et/ou anthropique mélangées dans l’atmosphère après des transformations diverses (combustion, réaction entre composants gazeux, condensation d’une vapeur, pulvérisation…) - Les nanoparticules manufacturées provenant des nanotechnologies, selon divers procédés de fabrication : réduction de la taille des microsystèmes existants 93 La vigilance est ici considérée ici comme une forme de partie pris : celui motivé par l’incertitude et appelant à user de précaution au cours du développement des nanotechnologies. 94 http://www.oecd.org/fr/sti/politiquesscientifiquesettechnologiques/groupedetravaildelocdesurlananotechnologie .htm 95 Comité de la prévention et de la précaution, « Nanotechnologies – Nanoparticules : quels dangers, quels risques ? », mai 2006. 45 (méthode top-down), création de structures à l’échelle atomique ou moléculaire (méthode bottom-up). En grande quantité, elles sont surtout produites par les multinationales les utilisant dans leurs procès industriels. 2. Des débouchés économiques pour plusieurs secteurs « Le principal facteur d’expansion des nanotechnologies réside dans les perspectives d’impact économique positif qu’elles laissent entrevoir. Jusqu’à ce jour [2010] le financement public dépasse le privé et, selon les analystes, le marché mondial des nanotechnologies devrait s’élever entre 750 et 2 000 milliards d’euros d’ici à 2015 ».96 L’attrait des industriels peut notamment trouver son origine dans l’offensive commerciale lancée par G. W. Bush, alors Président des Etats-Unis en 2003 : il a mis en place un programme national en place (the National Nanotechnology Initiative), dans le but de recueillir, sur le long terme un financement de la recherche et du développement dans le domaine (en témoigne les 1,5 milliards de dollars reçus en 2009). Elles sont ainsi une priorité aux Etats-Unis, qui détiennent la majorité des brevets en la matière. Quatre substances sont à l’origine de 95% des nanomatériaux97 : les nanotubes de carbone, les oxydes de titane, les nanosilices et le nanoargent. Leurs atouts : résistance et légèreté, écran solaire, effet catalytique, propriétés émulsifiantes et liantes… D’où de multiples usages, anticipés voire déjà mis en œuvre par les industriels : - Noir de carbone : encres d’imprimerie, toners, plastiques, couches protectrices … - Fullerènes : médicaments, administration de médicament, dispositifs optiques… - Nanoargent (propriétés micro biocides) aujourd’hui utilisé dans les chaussettes et les vêtements de sport, les jouets d’enfant, les ustensiles alimentaires, les réfrigérateurs… « La course aux brevets illustre le caractère générique des nanotechnologies. Le champ des secteurs sociaux, environnementaux et sanitaires dans lesquels les risques qu’elles pourraient engendrer sont susceptibles de se manifester est dès lors immense. »98 96 BENOIT BROWAEYS D., « Promesses et craintes des nanotechnologies », Etudes, 2010/3, tome 412. Ibid. 98 LACOUR S., « Nanotechnologies : réguler l’incertitude ? », Droit et société, 2001/2, n°78, p. 429-446. 97 46 B. … marqué par une incertitude et appelant à la vigilance « Qui dit nanoproduits dit propriétés nouvelles donc risques inédits »99, révélés notamment par quelques études d’impact menés sur des mammifères (toxicité spécifique et toxicité cellule in vitro). 1. Les effets sur la santé Le principal danger pour la santé humaine réside dans le caractère diffusant des nanotechnologies : chaque jour, nous inhalons des nanoparticules, notamment en cas de pic de pollution. Ceci n’est pas anodin, puisque lorsque la densité de nanoparticules augmente, l’excès de risque de décès est de 2,2% selon l’INVS (Institut de veille sanitaire). Les nouvelles nanoparticules « manufacturées », plus petites, sont susceptibles d’être inhalées et de se diffuser dans le corps humain dans des compartiments inaccessibles en « temps normal ». Ainsi, « le problème principal est l’inhalation par les travailleurs des nanoparticules – notamment des nanotubes de carbone qui semblent provoquer des effets de type amiante – ainsi que leur diffusion par voie lymphatique ou nerveuse. »100 Le défi est de taille : suite aux différentes études menées par des organismes publics européens, les toxicologues ne savent pas quels paramètres pertinents ils doivent considérer, surtout que les industriels ne divulguent ni travaux, ni pratiques. 2. Les risques « éthiques » L’éthique est une branche de la philosophie qui s’intéresse aux questions morales, aux bonnes mœurs et aux bonnes conduites humaines. Les conséquences négatives des risques éthiques sont donc de nature à remettre en cause un ensemble de pratiques et de valeurs, définies comme guidant les conduites humaines. Ainsi, les nanotechnologies sont susceptibles de remettre en cause la liberté d’aller et venir ou encore du respect de la vie privée, en témoigne les propositions actuelles et futures des industriels en la matière : 99 Ibid. Ibid. 100 47 - La numérisation du monde ou la « nanodimension » permet de réaliser des puces, capteurs, dotés d’une grande puissance de calcul, autonomes voire communicants. Ainsi, depuis 2004, le tatouage électronique est autorisé chez l’homme (au même titre que pour les animaux d’élevage et de compagnie…). Ces « mouchards » sont par exemple implanter par des médecins sur leurs malades, pour les identifier et les caractériser. Selon la société commercialisation ces puces, plus de risque de disparition d’enfant ou d’égarement de malades d’Alzheimer… La problématique engendrée par le développement de ces puces tient notamment à leur interconnexion (donc à l’interconnexion de l’individu) avec des bases de données et d’informations localisantes et identifiantes, maîtrisées par des sociétés privées, susceptibles de piloter une véritable indexation du monde. - La copie voire la réinvention du vivant : un des objectifs des ingénieurs spécialisés dans la manipulation des nanoparticules est de reproduire et synthétiser des matériaux produits par des organismes vivants (bois, coquillage, os…) voire de l’ADN, des virus et des bactéries synthétiques. - La perte de contrôle des nanosystèmes qui pourraient d’auto-organiser et se reproduire, « menant à une multiplication exponentielle et aboutissant pour finir à la consommation de l’ensemble des molécules utilisables sur la planète pour cette fabrication, espèce humaine comprise. »101 Section 2 – Les failles du droit en matière de contrôle Si les nanoparticules sont connues et reconnues par les industriels, elles le sont moins par le droit. Aussi, les dispositifs existants (en France et à l’échelle de l’Union européenne) ne tiennent pas compte de leur caractère incertain, révélant les failles du droit à réguler les risques diffus, d’autant plus défendus par les intérêts économiques. 101 Comité de la prévention et de la précaution, 2006, op. cit. 48 A. L’insuffisante portée des règles en vigueur La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, dite Grenelle II, portant engagement national pour l'environnement, insère dans le code de l’environnement un nouveau chapitre intitulé « Prévention des risques pour la santé et l'environnement résultant de l'exposition aux substances à l'état nanoparticulaire ». Celle-ci oblige les exploitants de nanotechnologies à faire preuve de transparence : - Obligation de déclarer à l’autorité administrative les informations sur les modalités d’exploitation des nanoparticules et des nanotechnologies - Obligation de communiquer les informations relatives aux risques, aux dangers des substances, aux expositions (soit l’introduction d’une traçabilité des produits contenant des nanoparticules - Mise à disposition du public (et non pas du consommateur) des informations relatives aux substances et aux risques Au niveau communautaire, les instruments juridiques existants sont les suivants102 : - La réglementation REACH (Registration, Evaluation, Autorisation of CHemicals), « est le règlement européen sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions des substances chimiques. Il est entré en vigueur le 1er juin 2007. REACH fait porter à l’industrie la responsabilité d’évaluer et de gérer les risques posés par les produits chimiques et de fournir des informations de sécurité adéquates à leurs utilisateurs. En parallèle, l’Union Européenne peut prendre des mesures supplémentaires concernant des substances extrêmement dangereuses, quand une actions complémentaires au niveau nécessaire. » S’il n’est pas fait explicitement mention des « nanomatériaux » dans REACH, ceux-ci sont couverts par la notion de substance. Or, ce sont uniquement les substances produites ou importées en quantités supérieures à une tonne par an qui doivent être enregistrées dans la base de données de l’agence européenne, selon un agenda particulier. Les nanomatériaux, parce qu’ils n’excèdent pas le seuil d’enregistrement, ne font pas l’objet de l’application des exigences de sécurité. 102 PONCE DEL CASTILLO A.-M., “La réglementation européenne en matière de nanotechnologies », Courrier hebdomadaire du CRISP, 2010/20, n°2065, p. 5-40. 49 - Le règlement (CE) n°1223 du 30 novembre 2008 modifiant la directive 76/768 CEE sur les cosmétiques : c’est le premier instrument légal européen contenant des dispositions spécifiques aux nanomatériaux. Il s’agit pour les industriels du secteur de garantir la sécurité des produits et un minimum de transparence sur les dangers associés. Le règlement prévoit de nouvelles règles sur la notification et l’étiquetage, qui imposent l’exécution d’une procédure d’évaluation de la sécurité pour tous les produits contenant des nanomatériaux avant qu’ils puissent être commercialisés. Ainsi, tous les produits cosmétiques contenant des nanomatériaux doivent être notifiés à la Commission. - Le règlement sur les nouveaux aliments : à propos du développement des nanotechnologies dans le secteur, la sécurité alimentaire est la principale préoccupation. Ainsi, l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) demande que des investigations plus poussées soient menées pour aborder les nombreuses incertitudes portées par les nanotechnologies. Elle évoque plusieurs besoins : le développement de programmes de méthodes pour détecter, caractériser et quantifier les nanomatériaux manufacturés dans les aliments, les matériaux en contact avec les aliments et les fourrages pour animaux, l’amélioration des méthodologies d’essai pour évaluer leur toxicité et la comprendre (notamment du point de vue de la carcinogénécité). Il n’existe donc aucun cadre de référence précis permettant d’aborder les nanotechnologies en droit positif. Or, « la complexité et l’imprévisibilité, intrinsèques ou programmatiques, font partie des traits saillants des nanotechnologies et de leur développement. »103 D’où, selon Stéphane Lacour, la mobilisation du principe de précaution, « présenter comme devant encadrer le développement de l’ensemble des nanotechnologies »104. B. Et le principe de précaution ? L’incertitude portée par le développement des nanotechnologies oriente le débat à son propos sur la mobilisation du principe de précaution. Celui-ci, après avoir été défini, sera donc 103 104 LACOUR S., 2001, op. cit. Ibid. 50 étudié au prisme des nanotechnologies. Alors de que les acteurs juridiques ont des difficultés à se saisir du principe, le contexte de développement mondialisé et à forte valeur ajoutée ne favorise pas une prise de position, qui revêt dans ce contexte un caractère plus politique que juridique. 1. Définition du principe de précaution En 1987, le « rapport Brundtland105 » souligne la nécessité de prendre des « précautions » par rapport au développement de certaines activités, et ce même si la nocivité des activités n’est pas encore reconnue au moment où ces activités sont entreprises. Le rapport a un grand impact au niveau international : outre le fait de contribuer à l’émergence de la notion de développement durable, il « met en lumière » la notion de précaution, qui sera définie dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement durable du 13 juin 1992. C’est dans l’article 15 qu’est introduit le principe, dans les termes suivants : « L’absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût économiquement acceptable. » A l’origine de ce principe, qui a d’abord pris de l’ampleur en Allemagne dans les 1960, du fait de mouvements liés à la protection de l’environnement 106, il est indispensable de citer les travaux du philosophe Hans Jonas, et particulièrement l’ouvrage Le principe de responsabilité107 publié en 1979 en Allemagne. Le principe est en lien avec l’émergence de la « société du risque »108, notamment définie par Ulrich Beck et Anthony Giddens109. Selon ce dernier, « Elle désigne la société moderne, marquée par le déclin de la tradition, par l’emprise croissante du progrès scientifique sur nos existences qui remplace l’empire qu’exerçait autrefois la nature. Les conséquences de l’activité humaine ont introduit de nouveaux 105 Organisation des Nations Unies, Commission mondiale sur l’environnement et le développement, « Notre avenir à tous », 1987. 106 AUFORT C., « Principe de précaution : où sont les risques ? », Nouvelles fondations, 2007/2 n°6, p. 55-61. 107 JONAS H., Le Principe responsabilité, Paris, Cerf, 1990 (publication originale : 1979). 108 BECK U. La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Aubier, 2001 (publication originale, 1986). 109 GIDDENS A., Les conséquences de la modernité, L’Harmattan, 2000 (publication originale, 1991). 51 risques (pollution, réchauffement de la planète, vache folle, etc.), de nouvelles incertitudes, qui affectent nos décisions quotidiennes. » Ces nouveaux risques, dits risques diffus ne peuvent pas être pris en charge par les dispositifs assurantiels garantissant les risques prévisibles. En effet, ils se caractérisent par le fait qu’ « ils ne sont pas calculables selon une logique probabiliste, et ils entraînent des conséquences irréversibles, elles aussi incalculables. »110 Pour Robert Castel, ces situations ne peuvent d’ailleurs pas être qualifiées de risque, puisque leur probabilité d’occurrence ne peut être déterminée, même par la science. Il préfère parler « d’éventualités néfastes, ou de menaces, ou de dangers qui risquent effectivement d’advenir mais sans que l’on dispose de technologies adéquates pour les prendre en charge, ni même de connaissances suffisantes pour les anticiper. »111 Ainsi, ces « éventualités néfastes » selon Hans Jonas font que les hommes, de par les innovations technologiques qu’ils ont créées, ont désormais la capacité de s’autodétruire ou d’altérer significativement la qualité de vie des générations futures. Face à cela, il demande aux hommes de mettre en œuvre le principe de responsabilité : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur Terre. »112 En effet, « jamais l’existence ou l’essence de l’homme dans son intégralité ne doivent être mis en jeu dans les paris de l’avenir. » Cela implique que les sociétés modernes renouvellent leurs principes éthiques, et que la notion de responsabilité (ou de précaution) soit étroitement associée à celle progrès technique, voire même la conditionnant. Le principe de précaution crée donc les conditions permettant d’inverser la charge de la preuve de l’absence de risque. « Jusqu’à maintenant, l’innovation était présumée innocente, il revenait aux experts de prouver l’existence des dangers potentiels qu’ils pouvaient supposer. Maintenant, toute nouveauté est supposée coupable, il faut prouver son innocence. »113 110 CASTEL R., La montée des incertitudes : travail, protections, statut de l’individu, Paris, Seuil, 2009. Ibid. 112 JONAS H., op. cit. 113 AUFORT C., 2007, op. cit. 111 52 Le principe de précaution a été introduit en droit français en 1995, dans le cadre de la loi n°95-101 du 2 février relative au renforcement de la protection de l’environnement, dite loi Barnier. Celle-ci institue les principes généraux du droit de l’environnement, dont le principe de précaution, définit selon les termes suivants : « L’absence de certitudes compte-tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable. » Ce principe est aujourd’hui empreint de juridicité (le Conseil Constitutionnel, dans une décision de juin 2008, a considéré que le principe de précaution, comme l’ensemble de la Charte de l’Environnement (2005) a une valeur constitutionnelle). Selon Olivier Borraz, « il est devenu une norme de référence pour les actions et politiques publiques dans le domaine de la protection de l’environnement puis, par extension, de la sécurité alimentaire et de la santé publique »114, soit des risques collectifs115 potentiels. Si l’incertitude est importante concernant les nanomatériaux, la certitude est qu’ils sont bien présents dans notre vie quotidienne. Le principe de précaution semble, si l’on se fie à la définition de la précaution, s’imposer. Or, le manque de connaissance est lié autant à la difficulté pour la science de sa saisir des nanomatériaux, objets complexes et multiples, mais surtout du blocage opéré par les industriels. 2. La difficile appréhension par les juges du principe de précaution La définition du principe de précaution par la Charte de l’Environnement confirme la responsabilité des décideurs publics, chargés de la mise en œuvre des mesures de précaution, 114 BORRAZ O., « Le principe de précaution comme norme de l’action publique, ou la proportionnalité en question », Revue économique, 2003/6, vol. 54, p. 1245-1276. 115 Les risques collectifs sont entendus dans cette recherche selon la définition d’Olivier Borraz, soit comme des menaces d’atteintes qui affectent des biens collectifs ou qui concernent de larges groupes de personnes du fait du comportement d’autres agents ou de phénomènes naturels. 53 dans le cadre de leurs compétences116. Mais cette consécration constitutionnelle n’a pas résolu tous les problèmes juridiques : la doctrine s’interroge toujours sur la portée du principe. Ces interrogations portent notamment sur : - La définition même du principe. Le principe de précaution définit par la loi Barnier demande de ne pas retarder l’adoption de mesures de prévention des risques, basées sur l’évaluation des risques. D’autres, et particulièrement la société civile (ONG, victimes de catastrophes de santé publique) défendent l’application d’un principe de précaution basée sur l’abstention, ou le refus d’agir sans avoir apporté, à propos de cette action, la preuve de l’absence de risque117. - Quand considérer qu’une technologie est évaluée de telle façon que la connaissance des risques soit la plus exhaustive possible ?118 - Quelle portée politique d’une décision invoquant le principe de précaution ? Les diverses interrogations remettent en cause son effectivité par les juges, qui doivent s’en saisir, lui donner des conséquences juridiques réelles en termes de responsabilité ou d’illégalité d’une décision prise par les pouvoirs publics. Ainsi, les réceptions jurisprudentielles du principe illustrent le fait que les juges éprouvent une difficulté à appréhender le principe119. Les juges, par exemple, ne l’appliqueraient pas toujours la distinction entre prévention et précaution. Selon elles, 116 « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » 117 O. Borraz évoque à ce sujet la définition du Conseil d’Etat du principe de précaution dans un rapport public : « ce nouveau concept se définit par l’obligation pesant sur le décideur public ou privé de s’astreindre à une action ou de s’y refuser en fonction du risque possible. Dans ce sens, il ne lui suffit pas de conformer sa conduite à la prise en compte des risques connus. Il doit, en outre, apporter la preuve, compte-tenu de l’état actuel de la science, de l’absence de risque. » (le Conseil d’Etat a évoqué cette définition comme non pertinente dans la suite du rapport). 118 Olivier Borraz cite la graduation établie par Olivier Godard pour qualifier la maturité scientifique des connaissances des risques : 1. La simple conjecture scientifique 2. L’hypothèse non étayée, non réfutée et compatible avec l’état des savoirs scientifiques 3. L’hypothèse non étayée mais résultant d’une méthode scientifique acceptée 4. L’hypothèse étayée par des travaux scientifiques de modélisation et/ou simulation, des observations empiriques ou des résultats expérimentaux ayant la validité d’indices et acceptée ou soutenue par une minorité de scientifiques 5. L’hypothèse scientifique étayée, empiriquement ou par modélisation, et acceptée par une majorité de scientifique 6. L’hypothèse validée de façon isolée, à confirmer, qu’il s’agisse d’une démonstration expérimentale ou d’une découverte, demandant à être reproduite, confirmée ou critiquée 7. Le résultat majoritairement accepté par la communauté scientifique, mais encore soumis aux critiques ou réserves d’une minorité scientifique 6. Le résultat avéré, accepté par la communauté scientifique quant à l’existence du risque. 54 « Ce travail de construction [de la jurisprudence] est lent et ne répond pas à une évolution linéaire qui traduirait la mise en œuvre d’une idée déjà préconçue de ce que doit être la précaution et de ce qu’elle doit apporter aux politiques de gestion des risques. Au contraire, le processus par lequel le principe de précaution trouve progressivement sa place dans la jurisprudence et dans les politiques des risques témoignent de l’existence de tensions et de mouvements contradictoires entre des conceptions différentes. »120 3. Une mise en œuvre sensible au vu des débouchés commerciaux des nanotechnologies Le développement des nanotechnologies est affiché comme une priorité stratégique, particulièrement aux Etats-Unis. Il fait aussi l’objet d’investissements importants de la part des industriels, qui parient sur les nanotechnologies dans de nombreux domaines. Dans le même temps, au vu de leurs caractéristiques, « la demande de cadres normatifs mieux adaptés à un développement responsable se fait pressante, à l’échelon national comme international. »121 En France, ce sont le Comité de la prévention et de la précaution (avis de 2006 122) et l’Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail) 123 qui insistent sur le manque de données concernant cette technologie, et qui invitent les pouvoirs publics à renforcer la régulation en la matière. Au niveau européen, la Commission européenne, dans une communication de 2004124 prône la mise en œuvre d’une stratégie en faveur des nanotechnologies « sûre, intégrée et responsable ». Des voix institutionnelles s’élèvent même au niveau international (OCDE notamment). Stéphanie Lacour souligne toutefois « l’insuffisance du principe de précaution comme réponse unique. » Même si le principe de précaution permet à la société de prendre conscience de la globalité et la complexité des risques auxquels elle est exposée, elle 119 VANNEUVILLE R., GANDREAU S., Le principe de précaution saisi par le droit. Les enjeux sociopolitiques de la juridicisation du principe de précaution, Paris, La Documentation française, 2006. 120 Ibid. 121 LACOUR S., 2001, op. cit. 122 Comité de la prévention et de la précaution, 2006, op. cit. 123 L’Afsset a été remplacée par l’ANSES 124 COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPENNES, Vers une stratégie européenne en faveur des nanotechnologies, Communication de la Commission, Bruxelles, 2004. 55 « n’implique pas pour autant que seul le principe de précaution puisse répondre à la variété des risques engendrés par les technologies émergentes. » En effet, celui-ci tend à être remis en cause par le contexte économique et commercial international, fortement concurrentiel. Ainsi, Sylvie Lupton analyse comment les négociations commerciales internationales sur le bœuf aux hormones révèlent un conflit entre deux « interprétations rivales […] sur l’importance à accorder aux incertitudes scientifiques […] qui est utilisée par les agents afin de refuser un produit en se basant sur le principe de précaution, ce qui a pour conséquence de restreindre les marchés. »125 L’Union Européenne interdit l’importation de bœuf américain et canadien élevé aux hormones de croissance depuis 1988, en application de directives interdisant l’utilisation d’hormones de croissance dans l’Union126. Les Etats-Unis et le Canada se déclarent pénalisés (les pertes annuelles de cette interdiction sont évaluées à 250 millions de dollars par an). « Ils contestent le caractère scientifique de l’interdiction, et affirment qu’il n’existe aucune preuve scientifique indiquant que ces hormones représentent des risques pour la santé, à condition que les bonnes pratiques vétérinaires soient respectées. L’UE a rejeté cet argument en mettant en avant le principe de précaution pour justifier son interdiction : compte tenu des incertitudes scientifiques affectant l’évaluation des risques pour la santé humaine, un moratoire était justifié. »127 Suite à la mobilisation des Etats-Unis dans les instances régulant le commerce international (Uruguay Round, Organisation mondiale du commerce)128, l’UE est sommée en 1998 d’apporter des indications scientifiques pertinentes pour justifier son interdiction, alors que l’Etats-Unis et le Canada ont pu prendre des contre-mesures (sanctions financières de près de 130 millions de dollars, renforcement des mesures douanières sur certains produits européens). L’UE poursuit alors ses recherches, qui ont pu démontrer « les effets d’une hormone (l’œstradiol 17β) sur le développement de tumeurs cancéreuses. Ces recherches ont 125 LUPTON S., « Commerce international et incertitudes sur les effets environnementaux et sanitaires des biens. Les négociations autour du bœuf aux hormones et des OGM », Négociations, 2011/2, n°16, p. 23-37. 126 Directives du Conseil des ministres du 31 juillet 1981, du 7 mars 1998. Directive 96/22/CE du 29 avril 1996. 127 LUPTON S., 2011, op. cit. 128 L’accord SPS (The Sanitary and Phytosanitary Dispute Settlement Paper) témoigne de la vision américaine qui favorise une approche en termes d’évaluation des risques, et qui se base sur le fait que le principe de précaution n’est pas reconnu dans le droit international. Voir http://www.wto.org/french/tratop_f/sps_f/spsagr_f.htm 56 justifié une nouvelle directive (directive 2003/74/CE) imposant une interdiction permanente par rapport à l’œstradiol 17β et une interdiction provisoire pour cinq autres hormones basée sur le principe de précaution. »129 Finalement en 2009, les Etats-Unis et l’UE ont signé un accord temporaire. L’UE autorise des quantités plus importantes de viande américaine sans hormones alors que les Etats-Unis renoncent à une forte hausse des droits de douane pour le roquefort et l’eau minérale. Selon Sylvie Lupton, « L’issue du conflit ne résulte pas d’une voie médiane entre les positions des EtatsUnis et de l’UE. Chaque partie est restée sur sa position, mais une solution économique a été trouvée en acceptant l’entrée du bœuf sans hormones sur le marché européen. La segmentation du marché (sans hormones/avec hormones) a permis de classer cette affaire. »130 Aussi, ce conflit révèle les difficultés pour les autorités françaises et européennes de mobiliser le principe de précaution face à des innovations incertaines pour en faire des « biens indéterminés »131. Cela s’applique particulièrement aux nanotechnologies, porteuses de débouchés économiques et commerciaux importants, et d’autant plus dans un contexte de crise économique. La problématique pourtant prégnante, puisqu’aujourd’hui, aucune référence réglementaire explicite aux nanoparticules n’existe, notamment du fait de la monopolisation de l’information relative aux nanotechnologies par les industriels132. Les autorités se retrouvent donc démunies face à une problématique majeure qui dépasse les cadres traditionnels du droit. Celle-ci revêt en effet des enjeux politiques et internationaux face auxquels le juge se retrouve démuni. Selon le juriste Bernard Drobenko, le défi doit tout de même être relevé par le droit, 129 LUPTON S., 2011, op. cit. Ibid. 131 Les biens indéterminés sont définis par Sylvie Lupton comme des biens pour lesquels l’incertitude scientifique est utilisée comme justificatif de refus des produits sur un marché. 132 Si des outils d’évaluation des risques existent, ceux-ci ont été développés par les industriels. On peut citer la méthode Nanorisk Framework (DuPont et Environmental Defense Fund), le « Guide des bonnes pratiques nanomatériaux et HSE » (Fédération française pour les sciences de la chimie et Union des industries chimiques)… 130 57 « Quelque soit le niveau considéré, les nanoparticules manufacturées sous-tendent des catastrophes en devenir… In fine, oui, les nanoparticules constituent un défi, d’abord pour les sociétés qui les mettent en œuvre, puis pour celles qui ont ou auront à y être confrontées, en fin pour le droit. Insuffisant en la forme actuelle, les risques et les dangers sous-jacents révèlent bien à un appel au droit. »133 Stéphanie Lacour, rejoint Bernard Drobenko : « Souhaitons que la réponse, lorsqu’elle sera formulée, apporte, sur la régulation des incertitudes liées aux nanotechnologies, des éléments de clarification qui soient de nature à favorisée réellement le développement responsable des nanotechnologies, et par voie de conséquence, une distribution sociale optimale des bénéfices et des risques engendrés par ces technologies. » Le défi pour le droit est donc conséquent, car il implique des défis démocratiques sur l’acceptabilité des risques et des vulnérabilités, le partage des risques, la place de la science et le choix entre rationalité éthique et rationalité économique. 133 DOBRENKO B., 2012, op. cit. 58 Par l’importance qu’ont ses conséquences sur la société, la catastrophe peut être considérée comme un objet à part entière. Si on considère ici catastrophiques technologiques, et particulièrement industrielles, on pourrait aussi s’intéresser aux catastrophes naturelles, aux catastrophes de guerre et de terrorisme… Ce sont ses conséquences qui la rende objectivable pour et par tous. « Elle véhicule un rapport au monde spécifique et a une aura sans réel équivalent, d’où l’emploi possible du singulier Catastrophe. »134 Elle n’en reste pas pour autant facilement définissable : si elle crée des conséquences objectives, elle admet une forte subjectivité, par la réception qu’en font les individus, mais surtout les sociétés. « Elle porte en elle une rupture et induit irrémédiablement une extériorité, d’où cette référence constante au désordre, au trouble et par conséquent au régime des émotions. Elle est création et véhicule à elle seule un univers à part entière qui vient télescoper le quotidien, le banal et le normal. » Les origines du mot bouleversement qui la définit si bien sont théâtrales : la catastrophe revêt dans nos sociétés actuelles les caractéristiques d’une tragédie, d’autant plus accentuée par les médias, dont les spectateurs assistant aux malheurs de leurs semblables sont bien plus nombreux que dans un théâtre. Pour … la catastrophe ne peut être réduite à un risque réalisé : « Elle serait alors bornée à un défaut de prévision ou à un modèle préventif défaillant, ce qui supposerait qu’elle était prévisible. En outre, la catastrophe serait restreinte à sa dimension accidentelle et factuelle. Or sa principale caractéristique est de provoquer une rupture des schémas établis […] »135. Dès lors, l’entreprise du droit dans l’élaboration de dispositifs censés prévenir les catastrophes est-elle un non-sens ? On a vu que le droit se mobilise particulièrement suite à une catastrophe, notamment du fait des conséquences que celles-ci à sur la société, en demande de toujours plus de sécurité. Il réagit donc en proposant de nouveaux schémas et modèles, basés sur le risque à l’origine de la catastrophe, pour éviter qu’une catastrophe semblable (dans ses causes) ne se reproduise. 134 135 CLAVANDIER G. « Faire face à la catastrophe », La vie des idées, 2011. Ibid. 59 Le droit tente aussi d’imposer une régulation des nouveaux enjeux constitués par les risques diffus, risques se définissant par leur impossibilité d’être probabilisé. S’il dispose d’outils pour le faire – le principe de précaution – celui-ci reste insuffisant car aussi instable que les risques qu’il tente de réguler. Sa mobilisation découle avant tout d’une volonté politique, et donc d’un bouleversement de la société dans ses valeurs – qui empêcherait donc le bouleversement de la catastrophe. On a vu dans une première partie dans mesure le droit se saisit des risques collectifs majeurs susceptibles de provoquer des catastrophes, puis des risques diffus. La deuxième partie de cette recherche est centrée sur l’après-catastrophe saisie par le droit, soit le moment de la réparation des dommages provoqués par elle. Aussi, on verra que la catastrophe est un événement singulier, qui bouleverse les mécanismes traditionnels du droit de la responsabilité, toujours sous l’influence d’une demande sociale importante. 60 Partie 2 : La réparation des dommages de catastrophes : un processus complexe Une fois les catastrophes réalisées, les populations et institutions sociales se retrouvent face à des dégâts, humains et matériels, causés par cet événement. Elles sont sources, de par leur réalisation soudaine et surtout massive, de bouleversements dans la vie quotidienne des individus (elles sont notamment porteuses de traumatismes) et des groupes sociaux. Aussi, dans l’intérêt des victimes, les catastrophes interrogent les mécanismes traditionnels de réparation des dommages. L’article de Bidénam Kambia-Chopin136 permet de préciser certains points élémentaires du droit civil et de la responsabilité civile (soit la responsabilité délictuelle et la responsabilité contractuelle). La responsabilité civile est un principe juridique ; il oblige tout individu qui cause un dommage à autrui en cas de faute ou de négligence à le réparer. Le droit de la responsabilité civile exige des conditions nécessaires à l’ouverture d’une action en réparation : l’existence d’une faute, l’existence du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le dommage subi par la victime et l’activité de l’auteur du dommage : 1. Une faute, soit un non-respect de la loi ou un comportement que n’aurait pas du avoir une personne normalement prudente placée dans les mêmes circonstances 2. Un dommage quantifiable (les juges refusent d’indemniser un préjudice dont le montant n’est pas chiffré) et certain : la victime doit démontrer qu’elle a éprouvé une perte ou une dégradation par rapport à un état antérieur. Ainsi, la simple exposition à un risque ne constitue pas un dommage certain et n’ouvre pas droit à la réparation. La victime doit apporter la preuve de la matérialité et de l’effectivité du préjudice. Les dommages sont : - Les dommages aux biens soit une altération, causée de manière volontaire ou involontaire par un tiers, d’un bien dont le propriétaire est celui qui se plaint de cette altération (c’est-à-dire la victime). 136 KAMBIA-CHOPIN B., « Règles de responsabilité civile et prévention des risques environnementaux », Revue d’économie politique, 2007/2, vol. 117, p. 285-308. 61 - Les dommages aux personnes : o Le dommage corporel porte atteinte à l’intégrité physique d’une personne. o Le dommage moral est considéré par le droit civil comme recouvrant, pour l’individu, des intérêts de nature extrapatrimoniale. 3. Un lien de causalité entre la faute et le dommage : le fait doit être la cause (même seulement en partie) du dommage. Ainsi, la responsabilité délictuelle peut être causées par plusieurs faits générateurs : le fait personnel (article 1382 du Code civil : « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer » et article 1383 du Code civil : « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »), le fait d’autrui (article 1384 du Code civil : « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre […] »), le fait des choses (article 1384 du Code civil : « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait […] des choses que l’on a sous sa garde »). Concernant la réparation d’un dommage, en matière de responsabilité civile, ou administrative, le principe est celui du dédommagement intégral du préjudice. Celui-ci a été consacré par la jurisprudence, sur la base de l’article 1382 du Code civil. Dans plusieurs arrêts la Cour de Cassation a considéré à l’aune de cet article, « qu’attendu que le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de rétablir la victime aux dépens du responsable dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit. » Ainsi, le premier chapitre de cette partie abordera les mécanismes des dispositifs juridiques proposés aux victimes de dommages causés par catastrophes. Il s’agira notamment de constater que le droit est relativement bousculé, en raison des caractéristiques particulières des dommages résultant de catastrophes, tenant à un aspect quantitatif – en termes de victimes touchées par un même événement – mais aussi qualitatif – de par les traumatiques durables 62 susceptibles d’émerger chez la victime. De ce fait, les préjudices sont difficilement identifiables et évaluables, d’où la nécessité pour le droit de « sortir » de ses structures processuelles traditionnelles et de faire appel à des mécanismes ad hoc. L’étude des modalités de réparation des dommages permettra de constater que là aussi le droit de la responsabilité est remis en cause par des mécanismes d’indemnisation des dommages collectifs, fondés sur le principe de solidarité nationale. CHAPITRE 1 : LA DIFFICILE IDENTIFICATION DES DOMMAGES ET PREJUDICES CAUSES PAR LES CATASTROPHES Section 1 – Les dommages de catastrophes : des dommages particuliers Contrairement au risque classique, les risques majeurs sortent de l’enceinte industrielle : ils ne lèsent pas seulement les personnes directement concernées par cette enceinte (les salariés par exemple) mais le milieu environnant tout entier : personnes morales, personnes privées subissant des dommages matériels, corporels… Ils représentent « la menace dont la gravité est telle que la société se trouve absolument dépassée par l’immensité du désastre. »137 Les préjudices résultant de la catastrophe sont donc caractérisés par leur aspect « collectif », « la notion de dommage [évoluant] quantitativement et [changeant] d’échelle lors d’une catastrophe »138. A. La notion de préjudice de masse Ainsi, Caroline Lacroix qualifie-t-elle les préjudices d’une gravité exceptionnelle qui affectent un grand nombre d’individus des « préjudices de masse »139 : « ils ont pour spécificité de mettre en cause un grand nombre de victimes qui ont subi des préjudices similaires causés par un processus commun, soit simultanément, soit de manière différée. »140 137 TAZIEFF H,, cité dans LARROUY X., OURLIAC J.-P., Risques et urbanisme, Le moniteur, Paris, 2004. LACROIX C., op. cit., 2008. 139 Ibid. 140 Ibid. 138 63 Les préjudices sont aussi massifs du point de vue de la gravité des dommages. La catastrophe AZF de Toulouse peut ici encore être évoquée à titre d’exemple : - Le site d’AZF est soufflé, ainsi que plusieurs établissements de la zone commerciale voisine, une partie du dépôt de bus de Langlade, des bâtiments publics (le lycée Gallieni, la salle de spectacle le Bikini). Les dommages aux biens se caractérisent par leur étendue géographique, puisque des dégâts ont été constatés à plusieurs kilomètres du lieu de la catastrophe, au centre-ville de Toulouse. Aujourd’hui, dans des quartiers proches de l’usine (Mirail et Bagatelle), des bâtiments n’ont toujours pas été réparés (murs lézardés, portes et fenêtres enfoncées, vitres brisées…). Au total, les dégâts matériels sont estimés à 2 milliards d’euros. - 31 morts, dont 21 employés du site et 8 personnes extérieures - 2 500 blessés, dont une trentaine dans un état grave. Certaines souffrent encore aujourd’hui de pathologies chroniques s’étant développées après la catastrophe (désordres psychiques, problèmes auditifs…). Ainsi, au caractère quantitatif induit par la notion de « masse » s’ajoute la dimension éminemment subjective de la réception de la catastrophe et de ses effets par chaque individu. Les retours d’expérience et les expertises médicales ont montré que les victimes d’accidents majeurs pouvaient, à une fréquence relativement élevée, développer des troubles psychologiques majeurs directement liés à la catastrophe. La prise en charge de ce traumatisme s’est progressivement développée, jusqu’à devenir une mesure d’urgence lors d’une catastrophe. Aussi le droit a-t-il progressivement consacrés des préjudices particuliers ou « spécifiques ». B. La création de préjudices spécifiques 1. Les conséquences psycho traumatiques d’une catastrophe Suite à l’explosion d’AZF en 2001, le maire de Toulouse de l’époque, Philippe Douste-Blazy, fait appel à l’urgence psychiatrique pour gérer « le risque traumatique »141 : « moins d’une heure après l’explosion, l’équipe municipale sollicite l’ensemble des 141 LATTE S., RECHTMAN R., « Enquête sur les usages sociaux du traumatisme à la suite de l’accident 1 de l’usine AZF à Toulouse », Politix, 2006/1, n°73, p. 159-184. 64 thérapeutes de la ville qu’elle invite à se rassembler place du Capitole. La mobilisation des cliniciens est inédite puisque rapidement plus de 380 psychologues et 40 psychiatres sont disséminés à travers la commune à la recherche des personnes exposées. »142 Ainsi, l’ampleur du traumatisme psychique est immédiatement reconnue : celui-ci est en effet intimement lié à la survenue d’une catastrophe. Jean-Luc Gaspard et Marie Jean-Sauret ont étudié les contenus des entretiens réalisés par une équipe de recherche en psychopathologie clinique et en psychanalyse de l’Université de Toulouse – Le Mirail. Pour évoquer les conséquences psychologiques de la catastrophe d’AZF, ils parlent de « cet insoutenable brutalement convoqué »143 : le questionnement et le malaise psychologiques ont été imposés à ces personnes, devenues brutalement les victimes d’un événement auquel elles n’avaient pas pris part, si ce n’est de vivre dans la même agglomération que là où était située l’usine AZF. « Aussi, les événements à connotation catastrophique sont à l’origine de la découverte et de la mise en évidence de différents préjudices extrapatrimoniaux, essentiellement moraux »144 : en effet, « un préjudice post-traumatique spécifique à un événement collectif est diagnostiqué par des spécialistes de la santé publique et de la psychiatrie vers la fin des années 80 »145. La juriste Marie-France Steinle-Feuerbach évoque ainsi la thèse du psychiatre Louis Croqc, selon lequel « les catastrophes occasionnent non seulement des blessures physiques mais aussi des désordres psychiques, individuels ou collectifs, immédiats ou différés, aigus ou chronicisés »146 : « L’intensité du traumatisme psychique, de l’expérience vécue et des circonstances qui l’ont entourée auront d’autant plus d’effets négatifs que l’incident aura été imprévisible, soudain, massif, intense. Plus il aura été représentée une menace vitale 142 Ibid. GASPARD J.-L., SAURET M.-J., « AZF : leçons cliniques d’un accident social » in DE TERSSAC G., GAILLARD I., La catastrophe d’AZF. L’apport des sciences sociales humaines et sociales, Paris, Lavoisier, 2008. 144 LACROIX C., op. cit., 2008 145 STEINLE-FEUERBACH M.-F., « A situations exceptionnelles, préjudices exceptionnels, réflexions et interrogations », site Internet de la Cour Cassation, novembre 2000. 146 Ibid. 143 65 pour l’intégrité corporelle de l’individu, plus celui-ci se verra confronté à sa propre vulnérabilité et pire sera le vécu de l’incident traumatique. »147 2. L’émergence de préjudices « spécifiques » reconnus par le droit Les préjudices spécifiques (ou exceptionnels, ou ad hoc) sont d’origine jurisprudentielle : « la jurisprudence a en effet affiché la volonté d’améliorer la situation des victimes en traduisant le mieux possible la réalité de la catastrophe à travers la reconnaissance et l’indemnisation de nouveaux dommages »148, particulièrement liés aux souffrances morales post-traumatiques. Elle est donc propre à une situation ou à un événement précis. La reconnaissance de tels préjudices est consécutive de la reconnaissance de la possibilité pour le droit de prendre en charge le Pretium Doloris, soit le prix de la douleur. Selon le dictionnaire juridique JuriTravail, il désigne : « Une cause de préjudice en réparation de laquelle la victime obtient une compensation financière pour les souffrances qu’elle a ressenties ensuite des blessures subies, et ce, que ces souffrance aient été ou non la conséquence directe ou indirectes d’un fait accidentel ou d’un mauvais traitement dont l’auteur doit répondre. Cette réparation se cumule avec l’indemnisation des autres chefs de préjudice tels que le préjudice physique, le préjudice moral ou le préjudice esthétique. »149 A ce titre, on peut citer, au titre de la réparation de préjudices liés à des défaillances organisationnelles (justice, médecine) : - La reconnaissance du préjudice causé par les souffrances résultant d’un parcours judiciaire dramatique. - Le préjudice d’être né, consacré par l’arrêt de la Cour de Cassation du 17 novembre 2000 (affaire Nicolas Perruche contre Caisse Primaire d’Assurance Maladie de 147 CROCQ L., DOUTHEAU C., SAILHAN M., « Les réactions émotionnelles dans les catastrophes », Encyclopédie médicale de chirurgie, Paris, Psychiatrie, 1987, p.8. 148 LACROIX C., op. cit., 2008 149 Dictionnaire Juri Travail.com, « Pretium doloris », http://www.juritravail.com/lexique/Pretium.html 66 l’Yonne), qui déclare que « dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec Mme Perruche avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse et ce afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues. »150 Les préjudices spécifiques liés à des catastrophes peuvent être les suivants : Suite à la survenue d’événements catastrophiques, le juge a pu considérer les préjudices spécifiques suivants : - La reconnaissance d’un préjudice spécifique en cas d’attentat, le préjudice spécifique d’acte terroriste. Il a été consacré par le Fonds de garantie des actes de terrorisme : ainsi, le supplément d’indemnisation est forfaitaire (40% du capital représentant l’évaluation de l’incapacité permanente partielle : le syndrome post-traumatique se manifeste en effet par un état séquellaire durable, des cauchemars, des sursauts et est susceptible de déclencher des névroses d’effroi, comparables à celles vécues en temps de guerre. - L’existence d’un préjudice post-traumatique en cas d’accident collectif : en 1997, le tribunal de Grenoble reconnaît le traumatisme psychologique incontestable des survivants de la noyade collective occasionnée par un lâchage d’eau d’un barrage EDF, alors qu’une institutrice avait emmené ses élèves faire une promenade dans le lit du fleuve du Drac. Auparavant, « aucune disposition particulière n’avait été prise pour indemniser les victimes d’accidents collectifs ; il convenait donc d’appliquer le droit commun en se référant au principe de la réparation intégrale et par conséquent d’inclure dans le pretium doloris151 non seulement les souffrances physiques, mais également les souffrances psychiques. »152 150 Cour de Cassation (Assemblée plénière), 2000, arrêt Nicolas Perruche contre Caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne. 151 Le pretium doloris désigne le dommage lié aux souffrances physiques et morales d’un individu (les douleurs liées à une blessure, le préjudice moral dû à la perte d’une personne proche…). 152 STEINLE-FEUERBACH M.-F., op. cit., 2000. 67 - Un préjudice spécifique a aussi été reconnu suite à l’explosion d’AZF à Toulouse153, permettant « une indemnisation objective, autonome et exceptionnelle correspondant à une souffrance supplémentaire durable, conséquence éventuelle du retentissement de l’aspect collectif du sinistre. »154 Pour être indemnisé, ce préjudice doit être constaté et évalué médicalement, puis s’indemnise sur la base du pretium doloris. - Le préjudice spécifique d’angoisse ou d’anxiété, issu d’une jurisprudence de la Cour de Cassation dans l’affaire de l’amiante, prend désormais en compte le retentissement psychologique de la crainte de développer des maladies suite à une exposition récurrente à l’amiante qui est prouvée. Ainsi, la Cour dépasse la notion de préjudice actuel et réel pour décider de l’indemnisation des plaignants (alors que selon la logique classique et individuelle, le problème de la réparation est nécessairement lié à l’existence d’un dommage : c’est le dommage qui sous-entend la réparation). - Une angoisse liée à l’attente est également présente chez les proches des victimes d’accidents collectifs. « L’indemnisation du préjudice moral des membres de la famille d’une victime est admise en justice »155 (le principe est toutefois critiqué par une partie de la doctrine, craignant la commercialisation des sentiments). Dans le cadre de la catastrophe, le préjudice tient donc compte de l’angoisse de l’attente de l’entourage (notamment de l’annonce d’un décès). - Le préjudice de contamination, dans le cadre d’une catastrophe sanitaire, celle du sang contaminé : une jurisprudence de 1989 admet ainsi que « toutes les souffrances physiques et morales dues aux contraintes médicales, aux réactions sociales, à l’incertitude et au risque d’aggravation, ainsi qu’aux perturbations de la vie affective, conjugale et familiale doivent être prises en compte par la Cour [de Cassation] dans 153 LATTE S., RECHTMAN R., op. cit., 2006 : « Ce supplément est le produit d’une négociation qui s’engage – entre les associations de sinistrés, la chancellerie et les assureurs de l’entreprise civilement responsable […] ». Les conditions posées par les signataires de la convention posent deux conditions à sa réparation : « le préjudice doit être spécifique à la catastrophe toulousaine et il ne saurait servir de point d’appui à une extension jurisprudentielle des postes d’indemnisation reproductible à d’autres événements. Il ne s’agit donc pas de compenser financièrement les conséquences socio-économiques de l’explosion mais le vécu psychologique de ces dernières, le traumatisme supplémentaire qui en découle. Ne sont d’ailleurs invitées à prétendre au préjudice spécifique que les victimes d’étant vues reconnaître des séquelles médicalement constatables. » 154 Convention nationale pour l’indemnisation des victimes de l’explosion AZF-Grande Paroisse/Groupe TotalFina-Elf, « Avenant n°7 relatif à l’indemnisation du préjudice spécifique », juillet 2003. 155 STEINLE-FEUERBACH M.-F., op. cit., 2000. 68 l’appréciation du dommage. Sa spécificité cruelle et son exceptionnelle gravité justifient une indemnité exceptionnelle » Le caractère particulier des dommages des catastrophes réside donc dans leur aspect collectif. D’autre part, les bouleversements provoqués par un événement catastrophique admettent la réparation de préjudices spécifiques pour les victimes et les proches des victimes, remettant en cause les principes traditionnels de la réparation des dommages. Reste que ces préjudices sont parfois difficilement indemnisables, du fait de la complexité du processus d’évaluation. Section 2 – L’évaluation des préjudices On l’a vu en introduction, un dommage doit être certain et quantifiable : les juges refusent d’indemniser un préjudice dont le montant n’est pas chiffré. La victime doit démontrer qu’elle a éprouvé une perte ou une dégradation par rapport à un état antérieur. Ainsi, la simple exposition à un risque ne constitue pas un dommage certain et n’ouvre pas droit à la réparation. A. L’apport de preuves de l’existence du dommage 1. L’évaluation des dommages aux personnes : l’expertise médicale L’expertise médicale a pour objet l’évaluation médicale du dommage, soit les conséquences de l’accident sur la santé. Elle est souvent mal vécue par les victimes, confrontées à des expertises médicales multiples, « imposant à celles-ci, avec à chaque fois les mêmes questions posées, la revivance du même choc psycho-traumatique. »156 A ce titre, la catastrophe d’AZF a fait l’objet d’une démarche singulière : l’institution d’un comité de suivi ad hoc, conformément au rapport de la CNAV qui préconisait « qu’à la suite d’une catastrophe ou d’un accident collectif, il soit mis en place, chaque fois que cela est possible, un comité de suivi destiné à coordonner l’action de l’ensemble des interlocuteurs 156 LACROIX C., op. cit., 2008 69 concernés en vue d’assurer l’information, le soutien juridique et psychologiques ainsi que l’indemnisation des victimes. »157 A Toulouse, il était piloté directement du Ministère de la Justice et était composé d’acteurs venant de plusieurs disciplines. Ainsi « l’existence du comité de suivi [a permis] de densifier et de vivifier le dispositif d’expertise médico-légal » : mise en œuvre d’une expertise unique, selon un cadre précis communiqué aux experts, et avec la volonté d’associer à l’expertise médico-légale une fonction thérapeutique. 2. L’évaluation des dommages aux biens : l’expertise dommage Concernant les dommages aux biens, c’est par le biais de l’assurance privée qu’un rapport d’expertise est établi, suite à un sinistre. L’indemnisation du dommage suppose qu’il soit constaté par un expert dommages, qui détermine les causes du sinistre et chiffre le dommage constaté (informations compilées dans un rapport d’expertise). Suite à des catastrophes importantes, les sociétés d’assurance mettent en place des dispositifs particuliers afin d’appréhender de manière optimale le flux des expertises liées. Ainsi, concrètement, dans le cadre de la Convention signée à Toulouse suite à la catastrophe d’AZF, concernant les dommages matériels, il a été décidé que pour - les préjudices d’un montant inférieur ou égal à 10 000 francs, il n’y aurait pas d’expertise - Les victimes seront indemnisées dans un délai d’un mois suivant le dépôt de devis - Les assureurs ne demandent pas d’expertise complémentaire pour les dommages inférieurs à 300 000 francs Ces dispositifs ont depuis été consacrés dans la loi du 30 juillet 2003 relative à l’indemnisation des catastrophes technologiques. B. L’évaluation monétaire du dommage L’indemnité en droit est une compensation financière destinée à réparer un dommage. Le terme est synonyme de celui de réparation. L’indemnisation est donc la procédure juridique dont l’objectif est de verser cette indemnité à la victime d’un dommage : on parle du 157 LIENHARD C., « AZF : la catastrophe saisie par le droit » in DE TERSSAC G., GAILLARD I. (2008), op. cit. 70 versement de dommages-intérêts. Ceux-ci consistent en une compensation financière destinés à réparer le préjudice physique, moral ou matériel subi par une personne victime (d’une mauvaise exécution d’un contrat, d’un accident, d’un délit, d’un crime). Le versement de cette indemnité peut se faire à l’amiable entre la victime et le responsable du dommage, ou par le recours à une procédure judiciaire. Dans les deux cas, l’évaluation du montant des dommages-intérêts nécessite d’être fixé en amont. Ils sont déterminés en fonction des pertes subies, des frais engagés (honoraires d’avocat par exemple), des pertes de gains manqués et de toutes les conséquences physiques ou morales du dommage. Or, les dommages issus de catastrophes, dont on a pu percevoir les caractéristiques « extraordinaires », sont particulièrement complexes à évaluer, notamment les droits extrapatrimoniaux. Caroline Lacroix évoque ainsi la difficulté pour le droit, mais aussi pour la société, de fixer le prix de la vie humaine « perdue » lors d’une catastrophe : « L’allocation de dommages et intérêts pour réparer le préjudice moral, et plus particulièrement le prix de la vie « perdue » pour les proches, se heurte à une difficulté pratique liée à son évaluation pécuniaire. Il apparaît a priori impossible de quantifier objectivement le chagrin ressenti du fait du décès ou des blessures d’un proche. »158 Pour un juge, le préjudice moral est, en toutes circonstances, le plus difficile à évaluer. Aussi, il peut dépasser le cadre fixé par le droit, c’est-à-dire la simple étendue du préjudice subi par la victime. Cela s’illustre notamment par le fait que les montants fixés au titre de la réparation d’un préjudice moral varient d’une juridiction à l’autre. Le juge peut notamment être influencé par le caractère massif du fait générateur. « Dans le cadre de circonstances exceptionnelles, il semble que les magistrats aient tendance à opérer une évaluation majorée du préjudice moral de la victime directe ou des proches. Un juge, se référent à l’émotion suscitée par un grave accident, peut 158 LACROIX C., op. cit., 2008. 71 estimer devoir faire un exemple avec une indemnisation hors normes des préjudices moraux. »159 En matière de catastrophes, les juges sont guidés par un critère principal : le caractère exceptionnel de l’événement à la source du préjudice. La jurisprudence évoque « des circonstances particulièrement tragiques », « des circonstances dramatiques des décès »… Aussi les juges, comme la société, tiennent compte du caractère intolérable et inacceptable des catastrophes, élément avant tout subjectif et psychologique. Il ne s’agirait plus pour eux de réparer un dommage, mais une injustice. Face au caractère extraordinaire des conséquences d’une catastrophe, et particulièrement du point de vue des dommages, ce sont toutes les institutions sociales qui sont bouleversées. Aussi, le droit, les principes fondamentaux du droit sont remis en cause, le juge allant même, selon Caroline Lacroix, statuer à partir d’arguments subjectifs. Ce bouleversement des catégories traditionnelles du droit s’illustre aussi lors de l’étape de la réparation des dommages, où des dispositifs juridiques innovants sont créés ex nihilo suite à des catastrophes. CHAPITRE 2 – La réparation des dommages de catastrophes Le droit positif ne propose pas de réponse adaptée. Un certain nombre de régimes particuliers ont été élaborés qui apportent des réponses partielles ou sectorielles. Cette multiplicité des cas spéciaux entraîne des disparités et des inégalités entre les victimes. Section 1 – La remise en cause du principe de reconnaissance de la responsabilité Les régimes de réparation des catastrophes naturelles et technologiques sont des initiatives législatives. Ceux-ci sont venus bouleverser les catégories traditionnelles du droit 159 Ibid. 72 de la responsabilité sur faute160 : la reconnaissance du droit à la réparation dépend en effet de la capacité de la victime d’identifier le responsable du dommage subi. Ces régimes font notamment appel à l’assurance privée, selon des modalités déterminées par la loi, qui viennent déconnecter recherche de responsabilité et indemnisation des victimes. Ces mécanismes sont en fait motivés et sous-tendus par le principe de solidarité. A. Des régimes d’indemnisation spécifiques 1. Les régimes français de réparation des catastrophes naturelles et industrielles La loi n°2003-699 du 20 juillet 2003, a, notamment, pour objectif de fixer les conditions de réparation des dommages issus de catastrophes technologiques. Selon les dispositions législatives, plusieurs conditions sont nécessaires à la mise en œuvre de ce régime de réparation : 1. Le phénomène déclencheur doit trouver sa source dans une installation classée (ICPE ou Seveso), le transport de matières dangereuses ou le stockage de gaz naturel, d’hydrocarbures ou de produits chimiques161 ; 2. L’état de catastrophe technologique doit être déclaré par les autorités administratives (dès lors que 500 logements au moins sont rendus inhabitables), soit l’intensité des dégâts162. Il est constaté dans un délai maximal de 15 jours, par un arrêté ministériel publié au Journal Officiel. 160 La responsabilité pour risque est une responsabilité sans faute, introduite dans le droit par la jurisprudence Teffaine de la Cour de Cassation en 1896 puis la loi de 1898 qui crée un nouveau régime d’indemnisation des accidents du travail. Le salarié victime d’un accident du travail peut demander réparation à son employeur sans avoir à prouver la faute de celui-ci. On parle aussi d’un régime de responsabilité pour risque, qui se justifie par l’article 1384, al. 1 du Code civil alors appliqué aux accidents du travail (« on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. » 161 Les catastrophes nucléaires ne sont pas considérées comme relevant de ce régime. La France a en effet ratifié la Convention de Paris de 1960, complétée par la Convention de Bruxelles de 1963. Celle-ci pose le principe de la responsabilité objective de l’exploitant de l’installation nucléaire. En plus d’inclure les dommages aux biens et aux personnes, elle considère aussi, selon son article premier, « le coût des mesures de restauration d’un environnement dégradé, sauf si la dégradation est insignifiante, si de telles mesures sont effectivement prises ou doivent l’être. » 162 Selon Caroline Lacroix, « cette référence aux dommages témoigne de l’influence de la catastrophe d’AZF sur l’esprit du législateur ». Celle-ci avait en effet entraîné des dommages sur près de 27 000 logements. 73 Les conditions d’indemnisation sont alors liées à un régime d’assurance. Il en est de même concernant le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, créé par la loi du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. Ce régime d’assurance (dit « régime catnat ») est décrit dans un rapport… Ainsi, il repose sur l’obligation d’insérer dans tous les contrats d’assurance « dommages aux biens et pertes d’exploitation » une clause de garantie contre les dommages résultants de catastrophes naturelles. Pour financer ce régime, les assurés doivent s’acquitter d’une prime additionnelle dont le taux est fixé par l’Etat. Au moment où survient un événement de type sécheresse, tempête, inondation… provoquant des dommages, et pour que la garantie soit mise en jeu, celui-ci doit : - correspondre à la définition suivante : « les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale163 d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises », soit la catastrophe naturelle définie par la loi - faire l’objet de la publication d’un arrêté ministériel portant constatation de l’état de catastrophe naturelle, et définissant les zones et périodes où s’est située la catastrophe, ainsi que la nature des dommages pris en charge. La qualification d’un événement comme relevant d’une telle catégorie est laissée à l’appréciation de l’administration. Le régime de la catastrophe technologique est calqué sur le « régime catnat », sauf qu’ici, ce n’est pas l’intensité anormale de l’agent naturel qui est considérée mais l’intensité des dégâts provoqués qui détermine la reconnaissance de l’état de catastrophe technologique. Ainsi, le décret n°2005-1466, qui vient modifier le Code des Assurances en conséquence, précise les conditions nécessaires à l’application du régime d’indemnisation des catastrophes technologiques et les modalités d’indemnisation des dommages consécutifs à une catastrophe technologique. - Concernant les biens immobiliers : en vertu du principe traditionnel de réparation intégrale, le propriétaire du bien immobilier endommagé est 163 Selon Caroline Lacroix, ce critère d’anormalité est lié au caractère exceptionnel de l’agent naturel. Mais ce terme fait l’objet de débats récurrents, tant l’appréciation d’événements naturels au regard de « l’anormalité » est porteuse d’enjeux pour les victimes. 74 indemnisé par l’assureur, sans plafond ni déduction de la franchise. Si le bien est trop endommagé pour être réparé, l’indemnité versée doit lui permettre de retrouver un bien comparable dans un secteur comparable. - Concernant les biens mobiliers : ils sont indemnisés à leur valeur de remplacement. Le régime d’indemnisation d’un dommage hors catastrophe déduit la vétusté (par le biais d’un coefficient), ce n’est pas le cas dans le cadre du régime d’indemnisation des catastrophes technologiques. Alors, en pratique, tout assuré victime d’une catastrophe naturelle ou d’une catastrophe technologique n’a qu’à déclarer le sinistre à son assureur dès qu’il en a la connaissance et dans un délai déterminé après publication de l’arrêté ministériel constatant l’état de catastrophe dans la commune. L’ouverture de la garantie a alors lieu dès lors que le lien de causalité entre l’événement défini par l’arrêté et le dommage. Les dommages des non-assurés (touchant notamment à l’habitation principale) sont indemnisés selon les dispositions de l’article L421-6 du Code des assurances, qui institue et fixe les modalités de fonctionnement d’un fonds de garantie complémentaire. « Le dispositif [de régime d’indemnisation] est donc original en ce qu’il cherche à combiner l’efficacité des mécanismes d’assurance avec un principe de solidarité nationale qu’illustrent [l’extension de garantie intégrée dans les contrats de dommages aux biens les plus répandus], l’uniformité des primes et la garantie de solvabilité accordée par l’Etat164. »165 2. Des régimes législatifs fondés sur un principe de solidarité limité Le principe de solidarité est au fondement de l’Etat-Providence, auquel a été attribué le rôle de « réducteur des risques sociaux »166, dont les conséquences sont considérées comme des dommages sociaux. Il fonde la mutualisation des risques. Progressivement consacré, 164 Les assureurs ont en effet la possibilité de se réassurer auprès de la Caisse centrale de Réassurance (CCR), société contrôlée par l’Etat. 165 INSPECTION GENERALE DES FINANCES, CONSEIL GENERAL DES PONTS ET CHAUSSES, INSPECTION GENERALE DE L’ENVIRONNEMENT, Rapport particulier sur les aspects assuranciels et institutionnels du régime Catnat, septembre 2005 (dans le cadre d’une mission d’enquête sur le régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. 166 CASTEL R., L’insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ?, Paris, Seuil, 2003. 75 jusqu’à être inscrit dans la Constitution de 1946 : « la nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les français devant les charges qui résultent des calamités nationales. » A ce titre, il fait partie des principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps167. « Il s’agira de réparer la société, de combler ses failles, d’assurer ses membres contre les risques qu’ils encourent précisément du fait de cette interdépendance qui les lie dans toutes leurs activités. Car la société, par son Etat, ne peut que s’engager à guérir les maux qu’elle produit du fait des défauts de sa propre organisation. Cela vaut pour tous les problèmes qui surgiront dans le cadre de la division du travail. »168 Le principe de solidarité dépasse ainsi les risques sociaux dits « classiques » pour garantir les risques collectifs : il « est aujourd’hui le moteur du développement d’outils spécifiques ou de techniques d’indemnisation collective. »169 La mobilisation du principe de solidarité a tout de même une limite : le champ des deux régimes n’inclut pas les dommages corporels. Les victimes doivent alors mobiliser les voies communes du droit de la réparation, mais les procédures sont longues et non garanties de succès170. - « S’agissant des catastrophes, les victimes peuvent mettre en jeu l’assurance de responsabilité civile des responsables de la catastrophe, à condition que ceux-ci soient identifiés et sous réserve que l’entreprise soit en mesure d’indemniser l’ensemble des victimes. »171 - « Concernant les catastrophes naturelles, un recours au droit commun de la responsabilité est envisageable, dans l’hypothèse où la catastrophe aurait pu être évitée si des précautions convenables avaient été prises. » Si devant la 167 Depuis une décision du Conseil Constitutionnel en 1975, ces principes, décrits comme des droits-créances impliquant de la part de l’Etat des prestations positives et non plus une abstention sont intégrés dans le bloc de constitutionnalité. 168 DONZELOT J., L’invention du social, essai sur le déclin des passions politiques, Paris, Fayard, 1984. 169 LACROIX C., op. cit., 2008. Elle précise tout de même que ce principe n’a aucune portée législative et ne peut être saisi directement par les justiciables pour fonder une action en réparation. La jurisprudence du Conseil d’Etat à ce propos n’a jamais était remise en cause (« le principe ainsi posé, en l’absence de toutes dispositions législatives en assurant l’application ne saurait servir de base à une action contentieuse en indemnité. » Elle suggère « de considérer le principe de solidarité comme fondement de la réparation et non de la responsabilité. » 170 Elles bénéficient tout de même des garanties de la Sécurité sociale et des assurances complémentaires, ainsi que celles proposées par les assureurs privés, dans le cadre des assurances de personne, qui couvrent les personnes physiques contre les accidents corporels, l’invalidité, la maladie, le décès. 171 LACROIX C., op. cit., 2008. 76 juridiction judiciaire, la responsabilité humaine pour faute et recevable par le juge pénal est établie, les victimes pourront être indemnisées par la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions172. Des dispositifs existent, chargés d’indemniser les victimes de dommages corporels causés par des catastrophes. Il s’agit particulièrement du Fonds de garantie des victimes d’infraction et du terrorisme. Ces fonds d’indemnisation constituent une autre voie permettant la réparation des dommages causés par les catastrophes, et particulièrement les dommages corporels. S’ils peuvent être considérés comme des « palliatifs » aux dispositifs B. Des dispositifs ad hoc créés par le législateur ou d’origine privée Dans cette hypothèse, la réparation du dommage n’est pas axée sur la recherche d’un responsable mais sur la prise en charge des victimes commis par des auteurs inconnus. « L’indemnisation des victimes peut …] se faire au moyen d’une contribution des acteurs économiques concernés par la catastrophe. Ainsi un fonds d’indemnisation peut regrouper les apports des professionnels, des compagnies d’assurance, des collectivités locales, de l’État ou des États concernés. L’intervention de l’État doit être le recours ultime, il peut prendre la forme soit d’une participation au fonds d’indemnisation soit d’une indemnisation directe des dommages. »173 Ainsi, le 25 septembre 2001, le propriétaire de l’usine AZF, le groupe Total Fina Elf, annonce qu’il va assumer les charges induites par les conséquences de l’explosion : il s’engage à indemniser le plus rapidement possible les victimes, alors même que la responsabilité de l’usine et du groupe n’est pas encore établie. Le 30 octobre 2001, une « Convention nationale pour l’indemnisation des victimes de l’explosion de l’usine AZF » est signée « notamment par un groupement d’assureurs (GEMA), le responsable « présumé » (Total-Fina-Elf) et ses assureurs, la Mairie de Toulouse, le service local d’aide 172 Ibid. CAMPROUX-DUFFRENE M.-P., « Réflexion sur l’indemnisation des victimes de catastrophes technologiques », La Gazette du palais, 1997. 173 77 aux victimes, la CPAM de Haute-Garonne… Cette convention [tend] à favoriser une indemnisation simple, rapide et équitable des victimes. Au 7 janvier 2005, 13 430 personnes étaient identifiées comme victimes de dommages corporels, 10 302 expertises étaient réalisées et plus de 8 000 personnes ont été totalement indemnisées. »174 Le fonds d’indemnisation pour la prise en charge de la réparation des dommages obéit à des règles propres définies dans ses statuts qui régissent aussi bien les conditions d’accès des victimes que les quotités d’indemnisation. Il ne faut pas exclure, étant donné l’ampleur des dommages catastrophiques, que les sommes versées par le fonds soient plafonnées, ce qui peut entraîner une indemnisation incomplète. Ils se caractérisent tout de même par leur efficacité « La procédure d’offre d’indemnisation transactionnelle faite par les assureurs aux victimes de catastrophes […] ne remet pas en cause le droit d’accès au juge »175, consacré par la Convention européenne des Droits de l’Homme176. Aussi, les victimes de dommages de catastrophes veulent souvent aller plus loin, notamment dans la recherche de la responsabilité de la catastrophe, mais surtout de la « vérité » concernant les circonstances de son advenue. Section 2 – De l’importance pour les victimes de mobiliser les voies de recours traditionnelles Le droit de la responsabilité administrative, civile et pénale pourra être sollicité par les victimes de dommages causés par une catastrophe, toutes les fois où les situations ne relèvent pas exclusivement des régimes particuliers d’indemnisation, abordés dans la section précédente. 174 LACROIX C., op. cit., 2008. Ibid. 176 Article 6, al. 1 : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, doit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. » 175 78 Or, dans son ensemble, le droit commun est apparu bien insuffisant pour répondre aux enjeux de la réparation des dommages causés par les catastrophes. En effet, d’un procès « traditionnel », les responsabilités sont déterminées en même temps que les dommagesintérêts. Mais lors d’accidents collectifs, « dans un procès séquentiel, les responsabilités sont déterminées séparément de l’évaluation des dommages et intérêts de sorte que la procédure d’indemnisation des victimes est décomposées en deux étapes distinctes » : on l’a vu en première partie, « l’indemnisation des victimes est […] temporairement déconnectée des questions de responsabilités. Plus précisément, c’est la présomption de responsabilité qui justifie l’indemnisation anticipée. »177 A. L’importance du droit civil dans la recherche de la « vérité » Du fait du dommage subi, le demandeur peut exercer une action en réparation sur le fondement des règles de droit commun de la responsabilité civile. Mais la mise en jeu de la responsabilité civile est complexe, du fait de la recherche quasi-impossible de la faute, mais surtout du responsable. En effet, l’objectif du droit civil, par le biais de la responsabilité civile, est, après identification de l’auteur de la faute, d’obliger le responsable à réparer le dommage causé à la victime (« celui qui cause le dommage doit le réparer »). Au cours du procès, celui-ci doit par ailleurs s’expliquer sur les circonstances de cette faute et se justifier sur les manquements qui ont conduit à la faute. « Prévues pour des situations mettant en présence un nombre limité de personnes, ces règles de droit commun se révèlent insuffisantes en cas de catastrophe technologique. »178 Aussi la responsabilité civile s’est-elle orientée vers une fonction réparation indemnitaire. Pourtant, pour la juriste Pascale Steichen, « la responsabilité civile délictuelle […] a vocation à intervenir dans la dans la mesure où elle représente par essence le droit des rapports entre une victime et celui qui a causé le dommage dont elle se plaint. »179 177 DEFFAIN B., DORIAT-DUBAN M., LANGLAIS E., MARKOVA T., « Analyse économique de la prise en charge des victimes d’accidents collectifs par le droit », Université Nancy 2, 2005. 178 CAMPROUX-DUFFRENE M.-P., 1997, op. cit. 179 STEICHEN P., « La responsabilité environnementale et les catastrophes » in LAVIEILLE J.-M., BETAILLE J., PRIEUR M. (dir.), 2012, op. cit. 79 Selon Marie-Pierre Camproux-Duffrene, il s’agit de baser sur la théorie du risque, qui a déjà été abordée plus haut : la responsabilité pour risque est une responsabilité sans faute, qui se justifie par l’article 1384, al. 1 du Code civil : ainsi, celle-ci peut être fondée sur le risque. « Dans le cadre d’une responsabilité délictuelle, c’est le fait de la chose qui permet la mise en œuvre de la responsabilité. En cas de catastrophe, il s’agit de l’activité à risque ou du produit à risque. En cas de responsabilité contractuelle, le responsable potentiel est le contractant ayant à sa charge une obligation de sécurité quant au produit ou à l’activité à risque. »180 Reste que pour la victime, établir la charge de la preuve est complexe. Les juges peuvent alors utiliser l’article 1353 du Code civil selon lequel « les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l’acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol. »181 « Ainsi, [la jurisprudence] admet que la preuve du lien de causalité est apportée si l’on peut constater l’absence de toute autre circonstance de nature à expliquer la survenance du dommage. Le juge accepte donc la preuve négative du lien de causalité […], [voire] la preuve positive du fait juridique de son exposition au risque. Il peut s’agir de la localisation dans un endroit exposé au moment de l’explosion d’une usine ou du passage d’un nuage toxique […] »182 Mais le problème de la désignation du responsable n’est pas résolu, et le reste souvent. Le législateur l’a compris et dans certains cas, a désigné par la loi le responsable de certains accidents : aucune recherche n’est donc nécessaire, la présomption dite « canalisation de responsabilité » canalisant la responsabilité sur une personne prédéterminée. On peut citer les régimes de responsabilité 180 CAMPROUX-DUFFRENE M.-P., 1997, op. cit. Depuis 1992, le juge peut aussi mobiliser la Convention de Lugano du Conseil de l’Europe sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement ; celle-ci demande au juge, « lorsqu’il apprécie la preuve du lien de causalité entre l’événement et le dommage [de tenir] dûment compte du risque accru de provoquer le dommage inhérent à l’activité dangereuse » 182 CAMPROUX-DUFFRENE M.-P., 1997, op. cit. 181 80 - En cas de risque nucléaire (canalisation sur l’exploitant nucléaire en cas d’accident dans l’installation ou pendant le transport des substances en provenance ou en partance de l’installation) - En cas de pollution par hydrocarbure (canalisation sur les propriétaires des navires en cause dans l’accident) - Du fait des téléphériques - Du fait des aéronefs Selon Caroline Lacroix, « Même dans l’hypothèse d’une identification du responsable, la responsabilité civile constitue rarement une sanction pour l’auteur car le relais de l’assurance de responsabilité civile vient neutraliser les fonctions de santé et de prévention des fautes. »183 B. Le droit pénal comme « catharsis » Alors que le droit civil concerne le rapport entre les individus, le droit pénal est la branche du droit qui détermine les infractions – les comportements (par action ou par omission) faisant l’objet d’une interdiction prévue par la loi et assortie d’une peine – et les sanctions que la société impose à celui qui les commet. « La procédure pénale est donc ainsi chargée d’identifier un coupable et de lui faire payer personnellement, à travers un procès public, le prix de la douleur des victimes. »184 Caroline Lacroix constate une « pénalisation de la vie publique », en illustre l’investissement par les victimes de catastrophe de ce champ. Elle l’explique par deux raisons principales : - Des explications sociologiques, - du fait de la perception sociale des risques. La pénalisation des catastrophes est le reflet de la perception sociale des risques : « quand l’accident est vu comme une atteinte aux valeurs de la société, 183 184 LACROIX C., op. cit., 2008. Ibid. 81 l’intervention du juge pénal est dans la logique sociale. La multiplication des actions devant les juridictions pénales en est alors la conséquence. »185 - du fait de la représentation sociale de la justice pénale par les groupes sociaux : pour l’opinion publique, « le jugement pénal reste un jugement de valeur, fondé largement sur le libre arbitre, une appréciation morale sur un comportement qui a blessé les convictions ou les intérêts de la société. »186 Elle répond aussi au besoin de la société de punir les victimes. - Des explications procédurales, tenant à « l’importance des ressources procédurales offertes par la justice pénale. »187 Le fait que le juge d’instruction « procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité « facilite » la démonstration de la charge de la preuve pour les victimes. Surtout, lors d’un procès pénal, ce n’est pas le désir de vengeance des victimes qui est exprimé, mais la défense de la société dans son ensemble (« la finalité première de l’intervention du droit pénal est la protection de l’ordre social et non la protection des particuliers »188) La mobilisation du droit pénal en cas de catastrophe est depuis la loi du 8 février 1995 et selon le Code de la procédure pénale, par les associations de défense des victimes d’accidents collectifs, et donc de certaines catastrophes de se porter civile. « Toute association régulièrement déclarée ayant pour objet statutaire la défense des victimes d’un accident survenu dans les transports collectifs ou dans un lieu ou local ouvert au public ou dans une propriété privée à usage d’habitation ou à usage professionnel et regroupant plusieurs de ces victimes peut, si elle a été agréée à cette fin, exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne cet accident lorsque l’action a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée. »189 185 SEILLAN H., Dangers, accidents, maladies, catastrophes – Responsabilité pénale, Paris, Préventique, 2004. PRADEL J., Droit pénal général, Paris, Cujas, 1994. 187 LACROIX C., op. cit., 2008. 188 Ibid. 189 L’article a en fait été complété par la loi du 9 septembre 2002, qui a ajouté les hypothèses d’accidents se produisant dans une propriété à usage d’habitation ou à usage professionnel, ce qui a permis aux associations des victimes de l’explosion d’AZF de se constituer partie civile (l’accident s’étant produit dans une usine). 186 82 L’article pré-cité a en fait été complété par la loi du 9 septembre 2002, qui a ajouté les hypothèses d’accidents se produisant dans une propriété à usage d’habitation ou à usage professionnel, ce qui a permis aux associations des victimes de l’explosion d’AZF de se constituer partie civile (l’accident s’étant produit dans une usine). Aussi, cette possibilité nous permet de faire le lien avec un débat régulier posé au sein de la doctrine : celui de la saisie de la justice par des collectifs de victimes de tous les accidents collectifs, et pas seulement ceux-cités et dans les circonstances fixées par la loi de 1995. On parle de class action, telle qu’elle existe par exemple aux Etats-Unis et au Québec, et qui désigne une action de masse entreprise par un grand nombre de personnes qui ont toute individuellement subi le même préjudice. L’intérêt est que tous les individus se regroupent et entament un seul et unique recours pour obtenir des indemnisations individuelles. Elle n’est pas reconnue comme un principe général d’action contentieuse en droit français aujourd’hui, pour des raisons théoriques (la saisie de la justice pour demande de réparation est traditionnellement individuelle et concerne un individu) mais aussi technique, la structure du contentieux français étant basé sur le principe du recours individuel, d’où des bouleversements nécessaires. Les questionnements induits par la catastrophe sur le droit processuel, soit l’ensemble des formalités qui doivent être observées dans le déroulement d’une procédure, sont donc de taille, et remettent en cause certains mécanismes traditionnels, dont celui de la responsabilité civile. En effet, le trio faute – dommage quantifiable – charge de la preuve n’est pas nécessaire pour que les victimes d’une catastrophe puissent être indemnisées, grâce au recours à des régimes spécifiques, créés par le législateur. Mais le juge judiciaire comprend aussi ces situations et s’y adapte, rompant avec la représentation d’une justice inflexible : ils contribuent ainsi certes à la réparation des dommages, mais aussi à la « réparation d’un lien social brisé par la catastrophe […] à la nécessité du besoin de vérité, du besoin social de justice. »190 190 LACROIX C., op. cit., 2008. 83 CONCLUSION Bien que ne l’ayant pas vécue « directement » en 2001, je fus spectatrice de la catastrophe AZF de Toulouse. Le fait d’y vivre aujourd’hui a contribué à ma volonté de dédier ce travaille de recherche a un objet vecteurs de nombreuses interrogations, notamment du point de vue des conséquences durables et quasi-structurelles que celle-ci a provoqué chez les toulousains et les habitants de l’agglomération. Le bouleversement individuel est parfois chronique (maladies psychiques, surdité…), l’émotion de la société toujours prégnante, même si le Cancerôpole est venu effacer les traces tangibles de l’événement sur l’ancien site d’AZF, et laisser place à un ensemble « apaisé ». Quant au questionnement du la catastrophe par le droit, je m’y suis d’abord intéressée par le biais des cours donnés à Sciences Po Toulouse dans le cadre du Master Risques, Sciences, Environnement et Santé, mais aussi de mon stage professionnel de 5ème année, effectué dans un cabinet de conseil et d’expertise spécialisé en Environnement, Santé et Sécurité au travail & Stratégies de Développement Durable191. L’une des données d’entrée des consultants est en effet la réglementation concernant la régulation des activités industrielles par rapport aux risques que celles-ci sont susceptibles d’engendrer sur l’environnement mais surtout sur la santé et la sécurité des personnels et riverains. Ainsi, « bien que la catastrophe soit a priori productrice de désordre, elle est aussi à l’origine d’un nouvel ordre », résultat tout de même d’un certain bouleversement du droit, sous l’effet d’une demande sociale bouleversée. Le droit participe de leur prévention de façon indirecte, par la prévention des risques à l’origine de catastrophes majeurs ayant pu se manifester (à Seveso en Italie en 1976, à Toulouse en France en 2001…), refusant la fatalité. Il échoue parfois, à cause de dispositifs peu lisibles pour les acteurs et ayant tendance à s’accumuler. Il échoue surtout dans la mise en œuvre d’un véritable principe de précaution, et révèle sa difficulté à imposer une régulation des activités économiques basées sur des innovations technologiques incertaines, et susceptibles d’engendrer elles-aussi des risques majeurs. L’anticipation du droit n’existe donc qu’une fois la catastrophe produite. 191 EDDERIS, à Toulouse. 84 Or une catastrophe est singulière et toujours inédite. Les dommages qu’elle implique sont cependant reconnaissables à une caractéristique : leur aspect collectif voire massif. C’est concernant leur réparation qu’on peut commencer à aborder la notion de droit de la catastrophe, en tant que celui-ci a créé de nouvelles catégories juridiques, propres à la réparation de dommages résultant de catastrophes. Ce « régime de la catastrophe » remet en cause les fondements de la responsabilité civile : en ce sens, il a intégré l’aspect collectif de la catastrophe et sa volonté de répondre d’une manière la plus « optimale » possible aux victimes. Une recherche complémentaire sera pertinente, concernant cette fois l’étude du droit par rapport aux catastrophes impactant l’environnement et questionnant la nature comme sujet de droit. Dans le deux cas, le dépassement de l’échelle nationale semble indispensable à la construction d’un droit complet de la catastrophe. Quelle qu’elle soit, elle a en effet des effets bien au-delà des frontières. La problématique du risque nucléaire est à ce titre exemplaire. Mais l’enjeu majeur du droit qui semble se dessiner ici à propos de ces événements et surtout face aux risques majeurs et diffus, c’est la protection des générations futures. 85 BIBLIOGRAPHIE COURS UNIVERSITAIRES - ALARY D., « Economie politique du risque et de l’assurance », Cours magistral de 4ème année, Institut d’Etudes Politiques de Toulouse (2010). - BLIN-FRANCHOMME M.-P., « L’entreprise et sa responsabilité en matière d’environnement : regards croisés sur la gestion juridique des risques environnementaux », Session d’un cours magistral de 4ème année intitulé « Les enjeux de l’environnement », Institut d’Etudes Politiques de Toulouse (2010). - LARROSA V., « Les causes publiques et le droit », Cours magistral de 4ème année, Institut d’Etudes Politiques de Toulouse (2010). - WEISBEIN J., « La construction des problèmes publics et des risques », Séminaire de 4ème année, Institut d’Etudes Politiques de Toulouse (2010). - LARROSA V., « La responsabilité : éthique, droit et risques », Cours magistral de 4ème année, Institut d’Etudes Politiques de Toulouse (2011). - LARROSA V., « Risques et sécurité sanitaires », Séminaire de 4ème année, Institut d’Etudes Politiques de Toulouse (2011). 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DE LA MISE EN ŒUVRE DES PRINCIPES DE PREVENTION ET DE PRECAUTION ……………………………………………………………………... 13 CHAPITRE I – Comment le droit réagit-il suite aux catastrophes ? l’exemple de la prise en compte des risques technologiques majeurs par le droit en France et le droit européen ……………………………………………………………………………… 14 Section 1 – Des catastrophes technologiques majeures à l’origine de la création de dispositifs juridiques axés sur la prévention des risques …………. 14 A. La poudrerie de Grenelle en 1794 : une catastrophe non mobilisée par le droit mais révélatrice d’un contexte industriel dangereux ……………………………………………………........................ 1. L’explosion de la poudrerie de Grenelle ………………... 2. La naissance de la nomenclature des installations classées …………………………………………………... 3. La réglementation française actuelle, relative aux « installations classées pour la protection de l’environnement » ………………………………………... B. La réglementation SEVESO : une initiative européenne, des évolutions françaises …………………………………………….... 1. La directive européenne suite à la catastrophe de Seveso (1976) …………………………………………………….. 2. La transposition française et sont évolution suite à la catastrophe dite « AZF » de Toulouse (2001) …………… 15 15 17 18 20 20 23 Section 2 – De l’effectivité des dispositifs juridiques renforçant la prévention des risques technologiques : quelle implication des acteurs clés ? …………… 27 A. L’implication effective des exploitants d’établissements industriels …………………………………………………………. 1. L’obligation d’évaluation des risques : deux exemples concrets …………………………………………………... a) La réglementation ATEX (atmosphères explosibles)... b) La réglementation relative aux ICPE ……………….. 2. Les limites des dispositifs juridiques et de leur application par les exploitants ………………………………………... B. Le rôle des autorités publiques …………………………………… 1. Un rôle de contrôle ………………………………………. 2. Un rôle de planification ………………………………….. 3. L’information et la participation du public ……………… 94 28 28 28 30 32 35 35 38 40 CHAPITRE II – L’anticipation des catastrophes ou l’échec du droit. L’exemple des nanotechnologies ……………………………………………………………………... 44 Section 1 - Le développement d’une technologie incertaine : les nanotechnologies… …………………………………………………………... 44 A. Le développement industriel à forte ajoutée des nanotechnologies . 1. Les nanotechnologies : définition ………………………... 2. Des débouchés économiques pour de nombreux secteurs .. B. … marqué par une incertitude et appelant à la vigilance …………. 1. Les effets sur la santé …………………………………….. 2. Les risques « éthiques » ………………………………….. 45 45 46 47 47 47 Section 2 – Les failles du droit en matière de contrôle ……………………….. 48 A. L’insuffisante portée des règles en vigueur ………………………. B. Et le principe de précaution ? ……………………………………... 1. Définition du principe de précaution ………………... 2. La difficile appréhension par les juges du principe de précaution …………………………………………… 3. Une mise en œuvre sensible au vu des débouchés commerciaux des nanotechnologies ………………… 49 50 51 53 55 PARTIE II – LA REPARATION DES DOMMAGES DE CATASTROPHES : UN PROCESSUS COMPLEXE ……………………………………………………….......... 60 CHAPITRE I – La difficile identification des dommages et préjudices causés les catastrophes …………………………………………………………………………... 63 Section 1 – Les dommages des catastrophes : des dommages particuliers …… 63 A. La notion de préjudice de masse ………………………………… B. La création de préjudices spécifiques …………………………… 1. Les conséquences psycho traumatiques d’une catastrophe 2. L’émergence de préjudices spécifiques reconnus par le droit ……………………………………………………… 63 64 64 Section 2 – L’évaluation des préjudices …………………………………….. 66 69 A. L’apport de preuves de l’existence du dommage ……………….. 69 1. L’évaluation des dommages aux personnes : l’expertise médicale ………………………………………………….. 69 2. L’évaluation des dommages aux biens : l’expertise dommage ……………………………………………………… 70 B. L’évaluation monétaire du dommage ……………………………. CHAPITRE II – La réparation des dommages de catastrophes ……………………. 95 70 72 Section 1 – La remise en cause du principe de reconnaissance de la responsabilité ………………………………………………………………….. 72 A. Des régimes d’indemnisation spécifiques ………………………. 73 1. Les régimes de réparation des catastrophes naturelles et industrielles ……………………………………………………. 73 2. Des régimes fondés sur un principe de solidarité limité …. 75 B. Des dispositifs ad hoc créés par le législateur ou d’origine privée 77 Section 2 – De l’importance pour les victimes de mobiliser les voies de recours traditionnelles ………………………………………………………. 78 A. L’importance du droit civil dans la recherche de la « vérité » …. 79 B. Le droit pénal comme « catharsis » ……………………………. 81 CONCLUSION ……………………………………………………………………………. 84 BIBLIOGRAPHIE ………………………………………………………………………… 86 96 Résumé : La présente recherche entend déterminer dans quelle mesure les catastrophes, et particulièrement les catastrophes technologiques majeures (soit anthropiques) sont considérées par le droit français. Peut-on parler d’un droit de la catastrophe ? En effet, cet événement revêtant dans nos sociétés actuelles les caractéristiques d’une tragédie, reformule les mécanismes traditionnels du droit. Il l’oblige, sous la pression de la société demandeuse de toujours plus de sécurité, a mettre en place plus de prévention voire de précaution (l’exemple du développement des nanotechnologies est ici mobilisé), mais aussi a réparer les victimes. C’est donc sous ces deux aspects, l’anticipation et la réparation des catastrophes que l’on entend ici questionner le droit face à un enjeu marqué par l’incertitude. Mots-clés : Droit, catastrophe, risques majeurs, prévention, précaution, réparation, responsabilité 1