Fragments pour une éventuelle histoire des nouvelles

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Fragments pour une éventuelle histoire des nouvelles
Fragments pour une éventuelle histoire des nouvelles musiques
et pratiques sonores au Québec depuis 1960
Par Mario Gauthier
Étude commandée par le Groupe Le Vivier, avec l’appui du Conseil des Arts du Canada
pour les Rencontres professionnelles 2011 du Vivier ayant pour thème
« 50 ans de création musicale au Québec »
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 2 Fragments pour une éventuelle histoire de nouvelles musiques
et pratiques sonores au Québec depuis 1960
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS
4
PRÉALABLE : 1915-1950 — MODERNE?
6
1. 1950-1961 — MODERNE!
8
2. 1961 — ÉCLOSION D’UNE ÈRE NOUVELLE
11
3. SENSIBILISATION ET ÉDUCATION DES PUBLICS
16
4. LA CRÉATION À MONTRÉAL ET EN RÉGIONS
22
a) Les Événements du neuf
b) Les Productions SuperMusique
c) L’émergence du multimédia (1981-1993)
d) L’émergence d’une nouvelle génération
5. LES ANNÉES 1990 - RAYONNEMENT ET NOUVELLES FORMES D’EXPRESSIONS
30
6. DIVERSIFICATION DES PRATIQUES ET CONSOLIDATION DES FORCES VIVES
36
a) La Symphonie du millénaire
b) SuperMicMac – La présence accrue de la création au féminin
c) 1994-2004 : Backward /fast foward : médiation et musiques nouvelles
d) Fragmentations
e) La recherche de rayonnement : les tournées
f) La convergence nécessaire
7. ÉPILOGUE : ARRÊT SUR IMAGE / VERS L’ART TOTAL?
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 47
3 AVANT-PROPOS
« Retouche du réel avec du réel »1
Ce que vous vous apprêtez à lire est une tentative de cartographie faite à vol d’oiseau.
À l’origine, il y a une demande du Groupe Le Vivier : proposer une étude portant sur l’évolution de 50
ans de musiques nouvelles au Québec.
Rapidement, des questions ont surgi : comment parler de musique nouvelle en ce temps où les
repères se font si fuyants? Quoi dire? Puis d’autres se sont ajoutées, plus exactes: comment la
débuter, cette étude? Qui sont ces prospecteurs, créateurs, interprètes, musiciens, acteurs,
performeurs, etc.? Comment reconvoquer tout cela pour en dégager les lignes de force, les
constantes?
Puis vint la grande question : comment comprendre l’évolution de ce dont on ne connaît pas
réellement l’histoire, sinon par bribes, fragments virevoltants au fil du temps et des mémoires?
Il y avait bien cet ouvrage récent de Marie-Thérèse Lefebvre et Jean-Pierre Pinson — Chronologie
musicale du Québec 1535-2004 — édité aux Éditions du Septentrion en 2009, qui nous a permis de
vérifier la pertinence de certains jalons, la revue Circuit, et l’Encyclopédie de la musique au Canada,
maintenant sur Internet, sources de renseignements indispensables. Mais tout y est fragment,
morceaux épars. Rien ne donnait une vue d’ensemble de l’évolution des musiques nouvelles, prise en
soi.
Sans compter le problème de ce qui demeure ou s’enfuit...
Nous nous sommes donc repliés sur la solution qui nous semblait la plus efficace, la plus riche aussi :
proposer, à l’exemple de Lefebvre et Pinson, une chronologie à double articulation, c’est-à-dire d’un
côté, poser des années, et en parallèle, y situer des jalons, des événements, des noms d’individus ou
d’organismes qui furent porteurs, signifiants.
À la lecture, il faudra donc toujours garder à l’esprit que tout ceci n’est, en bout de course, qu’un
relevé d’empreintes temporelles parfois indistinctes. Car on en conviendra, c’est presque une utopie
que d’espérer réussir à poser ce type de balises correctement, c’est-à-dire sans omissions, lacunes ou
oublis.
Une partie de cette histoire est relativement simple à retracer. Elle est bien documentée. On sait, par
exemple, que de « moderne », la musique devint subitement, mais momentanément, actuelle grâce à
l’impulsion d’un compositeur dont on ne se souvient que trop peu et plutôt mal : Pierre Mercure. On
commence aussi à se remémorer de cette fameuse semaine dont il fut le concepteur et organisateur :
la Semaine Internationale de Musique Actuelle de Montréal (SIMAM) qui s’est déroulée du 3 au 8 août
1961. Telle une déferlante, cet événement éblouira le ciel musical, puis s’effacera des mémoires
pendant un long, très long temps.
Il nous est aussi apparu, au fil de cette recherche – mais nous en étions convaincu – qu’il était
impossible de considérer une quelconque notion de musique nouvelle — c’est-à-dire de parler d’une
recherche du sonore contemporaine, actuelle, électroacoustique, bruitiste, etc. — sans la rattacher
plus ou moins directement à cette fameuse et méconnue semaine. Certes, ce n’est pas à ce moment
précis que la modernité musicale québécoise est née. Il y eut, comme dans toute chose un avant et
un après. Mais force est d’avouer que cet événement eut l’effet d’un catalyseur très singulier et que
tout s’est ensuite enchaîné en une sorte d’attracteur étrange. D’où ce choix, que certains trouveront
peut-être arbitraire, de s’y arrimer, tout en considérant d’autres points de départ potentiels.
1 Bresson,
Robert : Notes sur le cinématographe, Gallimard, France, 1975, p. 90.
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 4 Le temps imparti étant ce qu’il était, c’est-à-dire très court, les outils que nous avons utilisés furent
ceux que nous avions sous la main : observateur de ces scènes depuis assez longtemps, notre
mémoire, nos notes, nos recherches, nos écoutes furent nos matériaux de base. À cela se sont ajouté
quelques entretiens, ouvrages et revues. Et Internet aussi, car les musiques nouvelles y sont de plus
en plus présentes. Le tout nous a fourni un certain nombre de matériaux que nous avons ensuite
agencés en une sorte de palimpseste, constamment réajusté par la suite au gré des trouvailles et en
fonction d’un but : dégager les temps forts de l’évolution des musiques nouvelles.
Nous sommes conscients que le tout est subjectif et portera peut-être flanc à la critique, voire, à la
polémique. Si oui, tant mieux. Car si « on peut tout faire, excepté l’histoire de ce qui se fait »2, « nous
sommes là, là où se fait notre histoire »3.
Mario Gauthier
Remerciements particuliers
à...
Réjean Beaucage, Christian Calon, Claudine Caron, Yves Charuest, Marcelle Deschênes, Chantal
Dumas, Mireille Gagné, Raymond Gervais, Bernard Grenon, Joane Hétu, Christian Lafond, Alcides
Lanza, Éric Mattson, Éric Normand, Monique Jean, Maryvonne Kendergi, Véronique Lacroix, Alain
Lalonde, Louis Ouellet, Marie Pelletier, Hélène Prévost, Danielle Palardy Roger, Tim Brady.
Et surtout à...
Pierrette Gingras pour avoir eu l’idée de cette étude et m’avoir choisi pour la réaliser ainsi qu’à MarieThérèse Lefebvre pour ses conseils et lectures éclairées...
*
**
Tous les sites Internet donnés en référence ont été consultés entre octobre et décembre 2010.
Ces fragments seront éventuellement complétés en vue de la publication d’une Histoire des
nouvelles musiques et pratiques sonores au Québec depuis 1961.
2 Godard,
3 Duras,
Jean-Luc : Histoire(s) du cinéma, Gaumont, France, 1998. Marguerite: La vie matérielle, 1ière de couverture, Folio, France, 1987. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 5 PRÉALABLE : 1915-1950 — MODERNE?
On le dit sur tous les tons : le Québec que l’on connaît aujourd’hui est le fruit des années 60 et de la
révolution dite « tranquille ».
Peut-être, mais en musique québécoise, l’assertion est discutable, car on peut scinder la notion de
modernité en deux avenues bien distinctes, toutes deux nées à la même époque. Et si l’une d’elles, les
recherches des limites du système tonal de la seconde école de Vienne (Arnold Schoenberg, Alban
Berg, Anton Webern), n’intéressa pas réellement les compositeurs d’ici à ce moment, son autre
versant, la tonalité élargie, eut une influence indéniable. Considérer qu’il n’y ait pas eu de volonté de
faire une musique « moderne » avant 1961 au Québec est donc, en un sens, réducteur, car cela
équivaut à considérer que, d’un point de vue esthétique, la musique de compositeurs comme Igor
Stravinsky, Francis Poulenc, Darius Milhaud, Georges Auric, Sergei Prokofiev, Bela Bartók, Dimitri
Shostakovitch, etc. serait « romantique » ou « passéiste ».
Cela dit, il n’était pas simple d’être moderne, ici, au début du XXe siècle. Le pays était engoncé dans
un conservatisme prononcé. « Rien dont on ne puisse s’enorgueillir (...), c’est la plus complète
absence d’originalité et de vie dont on puisse rêver »4, disait Léo-Pol Morin. Mais malgré le fait que
peu d'artistes et de compositeurs défendirent le droit — voire la nécessité — d’être moderne, on ne
peut pas nier leur apport et faire comme si la modernité en musique — nous entendons par là :
l’éclatement des formes et des langages — était apparue, pouf! D’un seul coup, dans les années 50.
Ce qui apparaîtra à ce moment, ce sera plutôt une musique qui, venue de l’autre versant de la
modernité, deviendra rapidement « contemporaine ».
Quatre aînés — Léo-Pol Morin, Rodolphe Mathieu, Claude Champagne et Jean Vallerand — exercèrent
une très grande influence sur la vie culturelle d’alors et préparèrent le terrain à cette musique, et ce,
même si, par moment, ils prêchèrent dans le désert.
Morin défit morceau par morceau, via ses articles dans Le Nigog particulièrement, l’idée qu’il existait,
dans ces années, une « musique canadienne » (terme qu’il faut peut-être entendre comme étant
« canadienne-française ») et soutint qu’elle était en émergence. « Nous avons (...) quelques
compositeurs intéressants, surtout parmi les jeunes, mais le temps n’est pas venu de parler de ceux-ci
avec la solennité dont peut s’accommoder la réputation, en littérature, de Philippe Hébert, en
architecture, d’Ernest Cormier. La cause me semble entendue. Et comme c’est le propre des pays
jeunes que de pouvoir attendre, il faut donc réserver notre dernier mot »5. « Les musiciens
d’aujourd’hui ont plus de liberté dans l’inspiration, plus de franchise dans l’expression, moins de
naïveté dans le métier. À défaut de grande abondance et de puissance, des pages d’un équilibre de
forme inaccoutumée donnent lieu de croire à l’existence prochaine d’une musique canadienne »6. En
cela, Morin comprenait bien que le présent pouvait être garant de l’avenir, mais qu’on ne pouvait
fabriquer du présent avec du passé recyclé (quoiqu’actuellement...?).
Un autre précurseur fut Rodolphe Mathieu. Solitaire exemplaire, laissé pour compte par les critiques
de son temps, il en arrivera, après avoir été proche pendant un temps des langages de Claude
Debussy et Richard Wagner, à développer un langage très particulier. Léo-Pol Morin, un de ses seuls
défenseurs, le considère comme « atonal », mais observe avec justesse que cette atonalité « (...)
dépend étroitement de son système mélodique qui est d’une troublante flexibilité chromatique »7. Si
ses œuvres sont proches, dans l’esprit, de celle de Debussy, « (...) en poussant à sa limite le
chromatisme, il s'est aperçu qu'il devait trouver une nouvelle organisation à l'échelle. Dans un
cheminement semblable à celui des compositeurs présériels, il aboutit à la résolution par
4 Morin,
Léo-Pol cité in Lefebvre, Marie-Thérèse : Serge Garant et la révolution musicale au Québec, Louise
Courteau, Montréal, 1986, p. 19. 5 Morin, Léo-Pol : Papiers de musique, Librairie d’action canadienne française limitée, Montréal, 1930, p. 58. 6 Op.cit., p. 61. 7 Op.cit., p. 95. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 6 complémentarité » (EMC)8. Selon Marie-Thérèse Lefebvre, il aurait aussi été « le premier musicien
canadien à considérer la composition comme l’expression personnelle et originale d’une pensée
artistique, et (...) à avoir utilisé tout le potentiel des outils d’écritures, sans égard pour les règles
établies »9. En ce sens, « Mathieu s'inscrit dans le mouvement général d'évolution de la musique
contemporaine, modestement sans doute, mais spontanément et à ses risques » (EMC).
Deux autres disparus doivent encore être invoqués pour entrevoir en quoi l’action de ces quelques
aînés mit en place les grands enjeux de la musique nouvelle: Claude Champagne et Jean Vallerand.
De Claude Champagne, on se souvient d’œuvres néo-classiques influencées par la tendance folkloriste
canadienne alors en vogue. Mais on oublie que, par son action de pédagogue, il positionnera le métier
de compositeur comme étant non pas un loisir de dilettante, mais quelque chose de sérieux. Il
formera, au cours de sa carrière de professeur, d’éditeur, etc., plusieurs compositeurs qui deviendront
des piliers de leurs générations, entre autres: Jocelyne Binet, Serge Garant, Roger Matton, Pierre
Mercure, François Morel, Clermont Pépin, Gilles Tremblay et Jean Vallerand.
Ce dernier eut une importance de tout premier plan comme professeur, critique musical et animateur
de la vie musicale québécoise. Il fit énormément pour aider à faire connaître la musique classique et
contemporaine. Lucide, il écrivait, dans une des nombreuses séries sur la musique qu’il a rédigée pour
le compte de l’émission Radio-Collège (entre 1941 et 1956): « Il y a deux sortes de compositeurs:
ceux qui composent pour le public et ceux qui composent pour la musique. Ces derniers heurtent
presque toujours les goûts et les modes de leurs contemporains. Leur musique est quand même le
miroir de leur temps, mais elle exprime l’âme profonde, elle en exprime le devenir »10. Ce qu’il ne dut
pas écrire sans difficulté. Car « bien qu’inquiet de l’aventure “intellectualiste” de la musique d’avantgarde, il n’en demeure pas moins convaincu de la nécessité, pour ces jeunes musiciens, de partir à la
découverte de nouvelles contrées à explorer »11.
Lui, Champagne, Morin, Mathieu, et d’autres sans doute — sûrement — furent donc d’indispensables
alliés de la génération montante, mais ce, sans être modernes.
... Avons-nous encore écrit le mot « moderne »?
Erreur! Car l’atmosphère générale de ce temps, c’est plutôt: « Il faut le dire bien haut et de plus nous
en réjouir (...), tous ceux qui écrivent par agglomération de sons, par trouvailles de timbres ou par
brutalité de percussions ne dépasseront jamais les petites chapelles qu’ils se sont érigées »12.
L’avenir lui donnera tort. Même si la phrase aurait pu être écrite hier par certains critiques encore bien
vivants!
8 Toutes les fois où nous nous sommes référé au site de l’Encyclopédie de Musique Canadienne, nous le
mentionnerons par (EMC), sans donner plus de détails. 9 Lefebvre, Marie-Thérèse in Vincent, Odette : La vie musicale au Québec, Les éditions de l’IQRC, Presse de
l’Université Laval, Québec, 2000, p. 88. 10 Radio-Collège – Société Radio-Canada (SRC) : Ce siècle avait cent ans, cité in Lefebvre, Marie-Thérèse : Jean
Vallerand et la vie musicale du Québec – 1915-1994, Éditions du Méridien, Montréal, 1996, p. 43. 11 Op.cit., p. 57. 12 Eugène Lapierre, critique au journal Le Devoir : 1942 - cité in : Lefebvre, Marie-Thérèse : Serge Garant et la
révolution musicale au Québec, Louise Courteau, éditrice, Montréal, 1986, p. 20. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 7 1. 1950-1961 — MODERNE!
« Il faut être résolument moderne »13
La musique contemporaine, avons-nous appris à l’université, c’était le structuralisme intégral.
Hors du sérialisme ou, minimalement, de l’atonalité, point de modernité. Il y avait, d’un côté, les
gammes, le solfège, la dictée, c’est-à-dire 7 sons qui revenaient constamment sur eux-mêmes via
toutes sortes d’entourloupettes que l’on justifiait par un équilibre supposément « naturel » et de
l’autre, le grand tout, les 12 sons égaux, la série, une musique dans laquelle le compositeur avait tout
prévu, contrôlait tous les paramètres.
Ce n’est que maintenant, ou presque, que l’on peut comprendre le pourquoi de ce tabula rasa si
radical. Et sitôt qu’on regarde comment se sont passés les événements, on comprend comment ils ont
mué en remuant.
1948 approximativement: Au sein d’une société ultraconservatrice dans laquelle, depuis 1918,
quelques voix hurlaient dans le désert, d’autres s’ajoutent. Plus proches des musiques de Béla Bartók,
Igor Stravinsky, Alban Berg, André Jolivet, Olivier Messiaen, Edgar Varèse, Anton Webern que de
celles de Claude Debussy, Paul Dukas, Gabriel Fauré, Maurice Ravel, etc., Jean Papineau-Couture,
Otto Joachim, István Anhalt, Clermont Pépin, François Morel, Serge Garant, Gilles Tremblay
commencent à dire haut et fort que ça ne va plus. Ces compositeurs prennent leur métier au sérieux.
Et le présent aussi. Ils travailleront avec acharnement à amener la musique d’ici vers une forme et
une expression « dont on ne sait pas ce qu’elles sont »14. Chemin solitaire et parsemé d’embûches,
leurs efforts, cumulés, porteront lentement fruits vers 1950. Et feront finalement école jusque l’arrivée
de la musique dite « postmoderne », vers 1982.
Une autre initiative mettra subitement l’avenir en retard.
Le 9 août 1948 paraît un manifeste: Le Refus global. Véritable bombe à retardement,
l’influence de cet écrit de Paul-Émile Borduas, peintre, cosigné par seize autres personnalités du milieu
des arts15, aura une influence déterminante dans tous les domaines de la pensée et de l’art d’ici.
« Comme son titre l’indique, les signataires veulent une rupture totale avec la société traditionnelle,
rupture par opposition à continuité, mais aussi à évolution. On veut donc changer radicalement du
tout au tout. Borduas y dénonce l’autoritarisme du clergé et du gouvernement. Il revendique une
totale liberté dans l’art et aussi dans la vie. De plus, il donne sa propre définition de l’art, dicté par
l’inconscient et auquel il oppose la spontanéité aux contraintes ».16
Le mouvement artistique duquel était né ce manifeste — l’automatisme — sera éphémère, mais son
influence sur le milieu de la danse et des arts en général sera considérable.
Au carrefour se tenait un musicien, ambivalent face à leur démarche et revendications, mais intéressé
par les possibilités artistiques intrinsèques à ces revendications: Pierre Mercure. Il jouera un rôle
déterminant dans l’histoire de l’évolution de la musique d’ici.
13 Pierssens, Michel : Maurice Roche, Rodopi, Amsterdam 1989, p. 81. Le reste de la citation traduit bien
certains problèmes qu’a rencontré la contemporanéité au cours de son histoire: « Il faut être résolument
moderne – mais encore faut-il que les institutions en place vous en laissent la liberté et les moyens ». 14 Adorno, Theodor W. : Vers une musique informelle, Quasi una fantasia, NRF Gallimard, France, 1982, p. 340. 15 Rédigé par Paul-Émile Borduas, il fut signé par Madeleine Arbour, Marcel Barbeau, Bruno Cormier, Claude
Gauvreau, Pierre Gauvreau, Muriel Guilbault, Marcelle Ferron-Hamelin, Fernand Leduc, Thérèse Leduc, Jean-Paul
Mousseau, Maurice Ferron, Louis Renaud, Françoise Riopelle, Jean-Paul Riopelle, Françoise Sullivan. 16 http://www.histoirequebec.qc.ca/publicat/vol5num3/v5n3_3re.htm
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 8 D’où vint la modernité musicale au Québec: de Serge Garant et ses collègues? Des actions de Pierre
Mercure, qui réagissait à certaines des idées du Refus global ?
Des deux, vraisemblablement. Car l’idée motrice y était la même: être « au présent ». Sauf que
chacun y allait selon les possibilités de son milieu et de son entendement. C’est à ce moment que le
Québec « bascule » dans la modernité. Ce qui est un bien grand mot: « pivoter progressivement »
serait plus juste.
Là, ou presque, commence l’histoire qui nous intéresse, celles des musiques nouvelles. Les premiers
événements s’y enfilent comme des perles sur un fil. Entre 1948 et 1960, les principaux pôles de la
modernité québécoise sont posés, un à un:
•
Le manifeste Refus global est publié. Pierre Mercure côtoiera momentanément des membres de ce
groupe. Sa démarche artistique et ses considérations sur l’art en porteront les traces. En 1952, il
sera engagé comme réalisateur par la télévision de Radio-Canada et y réalisera, de 1954 jusqu’à
sa mort en 1966, L’heure du concert, une émission musicale phare de la télévision de la Société
Radio-Canada (SRC).
•
Maryvonne Kendergi arrivera au Canada en 1956. Engagée comme commentatrice à la radio de
SRC à Montréal, elle se spécialisera dans les émissions musicales et culturelles et s’impliquera très
activement, tout au cours de sa carrière, dans la promotion et la diffusion des musiques
contemporaines.
•
« De 1954 à 1959, Serge Garant signe plusieurs articles de nature polémique, revendiquant le
droit à une création « de notre temps », dans L’autorité, Le Québec Libre et Cahier pour un
paysage à inventer »17.
•
En 1954-1955, Serge Garant, François Morel et Gilles Tremblay mettent sur pied la « première
manifestation importante de musique contemporaine »18. Au programme: des œuvres de Olivier
Messiaen, Anton Webern, Pierre Boulez, François Morel, Gilles Tremblay & Serge Garant. Ils
organiseront un autre concert avant de fonder, en 1956, le groupe Musique de notre temps (avec
Otto Joachim et Jeanne Landry). Le premier concert de ce groupe proposera des œuvres de Igor
Stravinsky, Olivier Messiaen, Arnold Schoenberg, Alban Berg et Otto Joachim. Le second, des
œuvres de Olivier Messiaen, Anton Webern, Karlheinz Stockhausen, Serge Garant et Pierre Boulez.
•
Les premières diffusions d’œuvres « modernes » ont lieu à l’émission Premières de la SRC (19541956). On y diffusera Nucléogame, première musique mixte canadienne de Serge Garant ainsi que
des œuvres de Gabriel Charpentier, Roger Matton, Maurice Blackburn. La radio de la SRC
deviendra alors pendant très longtemps un outil de promotion et de diffusion important des
musiques nouvelles, toutes allégeances confondues.
•
Dans ces mêmes années, la radio de la SRC mettra sur pied la série Festivals européens, animée
par Maryvonne Kendergi. On y parlera de plus en plus de création contemporaine. Clermont Pépin
animera, pour sa part, une émission consacrée à la musique contemporaine sur les ondes de cette
même radio en 1957.
•
En 1959 aura lieu le premier concert de musique électroacoustique. Ce concert, organisé par
István Anhalt, se déroule à l’Université McGill. Au programme: des œuvres de Anhalt, Hugh Le
Caine et de Karlheinz Stockhausen. De 1960 à 1963, Anhalt travaillera activement à la fondation
du Electronic Music Studio de l’Université McGill (McGill EMS).
•
Le Centre de musique canadienne (CMC: auparavant Centre musical canadien) sera fondé cette
même année. La section québécoise naîtra en 1973.
17 Lefebvre, Marie Thérèse/ Pinson, Jean-Pierre : Chronologie musicale du Québec, 1535-2004, Éditions du
Septentrion, Québec, p. 285. 18 Lefebvre, Marie-Thérèse : Serge Garant et la révolution musicale au Québec, Louise Courteau, éditrice,
Montréal, p. 88. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 9 Aujourd’hui, malgré le désinvestissement total de la radio publique et des médias en général dans la
promotion et la diffusion des musiques nouvelles (voir chapitre 6), on compte au bas mot, au Québec,
une quarantaine d’organismes qui produisent et diffusent ces musiques qui, de modernes,
deviendront, selon l’époque, contemporaines, actuelles, postmodernes, improvisées, exploratoires,
etc.
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 10 2. 1961 — ÉCLOSION D’UNE ÈRE NOUVELLE
À partir de 1961, un éventail de pratiques musicales nouvelles se déploiera
lentement. Ces musiques qu’on disait alors « modernes » deviendront contemporaines,
électroacoustiques, et actuelles. Elles se feront entendre via:
A) Des institutions traditionnelles telles que l’orchestre symphonique de Montréal, l’orchestre
symphonique de Québec, l’orchestre Métropolitain, l’orchestre des jeunes du Québec, etc. qui feront
des efforts de diffusions modestes, mais constants. L’OSM, par exemple, commanda, dès 1959, une
nouvelle œuvre par année à divers compositeurs de musiques contemporaines19; eut, de 1989 à 1995,
deux compositeurs en résidence (Denis Gougeon, José Evangelista) et présenta quelques œuvres en
première canadienne20.
B) La radio de la SRC. Celle-ci jouera un rôle capital dans la promotion et la diffusion des musiques
nouvelles. On y proposera, entre 1952 et 2004, des émissions spécifiquement consacrées à ces
musiques (à la chaine AM d’abord, puis au réseau FM). Ce dernier fera énormément de commandes
d’œuvres, de captations, de productions en studio entre 1972 à 2004. Il mettra en place le Concours
des jeunes compositeurs de Radio-Canada (1973)21, proposa des œuvres nouvelles à des concours
internationaux (Gilson, Italia, etc.) et produira maintes émissions spécifiquement consacrées à ces
musiques. Des réalisateurs et animateurs tels Maryvonne Kendergi, Serge Garant, Louise Bail Milot,
Gilles Poirier, George Nicholson, Françoise Davoine, Laurent Major, Hélène Prévost et Mario Gauthier y
firent un travail de sensibilisation qui fut fondamental. Rebaptisée Espace Musique en 2004, on y a
quasiment évacué tout contenu musical issu des musiques nouvelles et son action se limite
maintenant à la captation de concerts et à un rayonnement sur le Web via Espace classique22.
C) La Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ). Fondée à Montréal en 1966, grâce aux
appuis de Wilfrid Pelletier, alors directeur du service de la musique au Ministère des Affaires
culturelles du Québec, Jean Papineau-Couture, Maryvonne Kendergi, Serge Garant et Hugh Davidson
(Jean Vallerand et Pierre Mercure y contribuèrent aussi), elle est toujours active de nos jours et
deviendra pendant longtemps LE lieu de diffusion par excellence des musiques d’allégeances écrites.
Serge Garant, son premier directeur artistique (1966-1986), y induira d’emblée une direction
esthétique très précise. Il y proposera beaucoup d’œuvres issues des recherches d’émancipation du
langage musical prôné par la seconde école de Vienne (atonalité, dodécaphonisme, sérialisme
généralisé) et par Edgar Varèse. À cela s’ajoute une visée plus large: « diffuser et (...) promouvoir la
musique contemporaine, tant internationale que canadienne » (EMC). La SMCQ formera son propre
ensemble dès 196823. Autour de ce dernier graviteront beaucoup d’interprètes locaux qui y trouveront
une tribune importante (ensembles ou solistes). À cela s’ajoutera la présence d’artistes internationaux
invités dans différents contextes. Le tout amènera un nombre de plus en plus grand de jeunes
compositeurs, interprètes, musicologues et étudiants (entre autres) à s’y intéresser. Les institutions
emboîteront aussi très rapidement le pas en mettant sur pied des ateliers de musiques
contemporaines, des cours d’analyses et de compositions, des cours d’initiations au répertoire du 20e
siècle, etc. Garant défendit donc à la fois le répertoire contemporain « classique » (début, milieu du
20e siècle), interpréta des œuvres existantes récentes d’ici et d’ailleurs et créera un nombre d’œuvres
nouvelles sans cesse grandissant.
19 De
1959 à 1993, puis de 2006 à nos jours. Nommément : François Morel, André Prévost, Clermont Pépin, Gilles
Tremblay, Jacques Hétu, Jean Papineau-Couture, Alexander Brott, Roger Matton, Pierre Mercure, Serge Garant,
Micheline Coulombe St-Marcoux, Claude Vivier, Michel Longtin, Michel-George Brégent, Denis Gougeon, Denys
Bouliane, John Rea. 20 War and Peace (1945), Delightful Delusions (1950) et Analogy in Anagram (1956) d’Alexander Brott, Variations
symphoniques de Clermont Pépin (1948), L'étoile noire de François Morel (1962), Three Moods for Doublebass
d'Anne Lauber, (1988), Oro d'Ana Sokolovic (2001), Quaternions de Michel Longtin (2003) et Tetrapharmakos de
Denys Bouliane (2004) (EMC). 21 Ce concours a été officiellement abandonné par la SRC en juin 2011. 22 Ce site a, lui aussi, été remanié depuis. Son adresse était
http://www.radio-canada.ca/espace_musique/webRadioClassique.asp 23 Appelé Groupe instrumental de Montréal jusqu'en 1971. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 11 Walter Boudreau, directeur artistique depuis 1988, y accomplit un travail remarquable. Il a
progressivement amené la SMCQ à élargir son répertoire de façon substantielle et maintenant presque
tous les genres de musiques nouvelles y trouvent une place. La SMCQ a aussi su faire augmenter son
public au fil des ans en mettant sur pied des séries à caractères plus événementiels dont La
symphonie du millénaire (2000), Montréal Nouvelles Musiques (MNM) et la série Hommage. MNM par
exemple, a attiré plus de 2000 personnes lors des trois premiers jours de son édition 2009. À ce jour,
plus de 900 œuvres québécoises, canadiennes ou étrangères furent créées, jouées ou reprises lors de
ses concerts. Pour la seule année 2004, l’EMC rapporte que cette société créa plus de 100 nouvelles
œuvres.
Il faut cependant noter que même si la SMCQ est une pierre d’assise de la vie musicale actuelle
montréalaise et québécoise et que son mandat fut et demeure de promouvoir la musique
contemporaine, tant canadienne qu’internationale, elle ne fut pas LE lieu de rencontre exclusif de tous
les compositeurs. Certains d’entre eux, tels Raymond Daveluy, Denis Dion, Alain Gagnon, Jacques
Hétu, Pierick Houdy, Anne Lauber, Roger Matton, Alain Payette, Donald Patriquin, André Prévost, etc.
évoluèrent, pour des raisons esthétiques ou professionnelles, en parallèle à la SMCQ. Jacques Hétu
par exemple, dont le catalogue comporte plus de 70 œuvres, écrivait une musique qui incorpore « les
formes néoclassiques et les effets néo-romantiques à un langage musical utilisant les techniques du
20e siècle » (EMC). Il fut, de tous les compositeurs canadiens, le plus joué ici et à l’étranger et reçut
plusieurs prix et honneurs (notamment le prix Jan V. Matejcek de la SOCAN à sept reprises). L’oeuvre
d’André Prévost, dont le catalogue comporte une cinquantaine d’opus « (...) tient à s’affirmer détaché
de tout déterminisme ou école quant à l’écriture ou l’esthétique. Il utilise librement les techniques et
les procédés d’écriture contemporains » (EMC). Il composa plusieurs oeuvres pour l’OSM, la musique
d’ouverture de l’exposition Terre des Hommes (1967: sur un poème de Michelle Lalonde), vit « (...) à
trois reprises, une de ses oeuvres (...) choisie comme pièce canadienne imposée au Concours
international de musique de Montréal: Pyknon (1966), Il fait nuit lente, extrait d’Hiver dans l’âme
(1981) et Variations et thème (1988) » (EMC), etc. Il collabora également avec des interprètes de
renoms tels Yehudi Menuhin ou, plus près de nous, Chantal Juillet, le réalisateur James Dormayer,
etc., et contribua, comme pédagogue, à former un nombre important de compositeurs.
En ce qui concerne le milieu anglophone, même si plusieurs prémisses d’échanges furent mises en
place au cours des années par la SMCQ, les Événements du Neuf, Le NEM, SuperMusique, etc., c’est
surtout par le biais du Festival per il popolo (2000)24, c’est-à-dire via la scène alternative anglophone,
qu’adviendra la première tentative solide de métissage entre musiques francophones et anglophones.
Cela explique, sans le justifier, que nous parlions trop peu de ce milieu et de son impact au cours de
cet essai.
D) L’émergence d’une pratique électroacoustique. Celle-ci verra le jour avec la naissance des premiers
studios de musiques électroacoustiques (1964). Comme Jean-François Denis le propose dans son
article Situation de la musique électroacoustique 25, rédigé en 2001, on peut classer le développement
de la musique électroacoustique québécoise en trois grandes périodes:
• 1954-1970: celle où on la considère comme « musique expérimentale » c’est-à-dire comme étant
une « musique électronique ou prime la notion de nouveauté instrumentale »26.
Durant cette période, elle se développe presque uniquement dans les studios universitaires et
institutions d’enseignements. Elle est difficile d’accès en tant que pratique compositionnelle, car
24 Le Festival per il Popolo, fondé par Mauro Pezzente (Godspeed You! Black Emperor) et Kiva Stimac, les
propriétaires de la Casa del Popolo, est un festival de musique ou se côtoient allègrement free jazz, musique
électronique expérimentale, composition contemporaine, rock d’avant garde, arabique moderne, électro pop, rock
pop, psychédélique, musique actuelle, musique à racine folk, etc. Il se déroule en juin à la Sala Rossa, une salle
situé sur la rue St-Laurent, à Montréal, juste en face de la Casa. Il en est cette année à sa onzième édition. Leur
slogan : Libérez vos oreilles! L’organisme Société des arts libres et actuels (SALA), qui en est l’instigateur, est
récemment devenu membre du Vivier. 25 Denis, Jean-François : Situation de la musique électroacoustique, Musicanada 2000 : un hommage aux
compositeurs canadiens, Liber/ CMC, Montréal, 2001, p. 137-140. 26 Op.cit., p. 137. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 12 elle implique une connaissance approfondie de certaines techniques complexes telles le travail de
sons de synthèse et la maîtrise d’équipements techniques qui ne sont pas ultra « Hi-Fi ».
L’équipement lourd et le studio ne sont pas non plus très accessibles, saufs pour les initiés.
Patience et temps sont deux vertus indispensables pour être compositeur de musique
électroacoustique à cette époque. En sus, les techniques de diffusions ne sont pas très raffinées.
On diffuse souvent en monophonie ou en stéréophonie, sans plus.
• 1970-1980 : celle où « le studio n’est plus seulement un nouvel instrument de musique : il devient
une nouvelle façon de faire de la musique (...). Plusieurs compositeurs se consacrent à ce mode de
création et vont acquérir ou développer des connaissances en Europe »27.
En parallèle, la pratique en devient alors - du fait de la démocratisation rapide d’instruments
électroniques et d’une amélioration notable de la qualité des équipements périphériques
(magnétophones plus performants, plus grande variété d’outils de synthèse sonore, console de
meilleure qualité, etc.) - grandement simplifiée. Les compositeurs maîtrisent mieux, il faut aussi le
dire, les outillages qui y sont inhérents. C’est la période où naissent des ensembles qui se
consacrent spécifiquement à ce genre. Parmi les plus importants, il faut mentionner MetaMusic
(Université Concordia : 1971-1976 - Kevin Austin, Martin Gotfrit, Ross McAuley, Dawn Luke et
Howard Abrams), le GIMEL c’est-à-dire le Groupe d’interprétation de musique électronique
(Université Laval Québec : 1973-1977 - Nil Parent, Gisèle Ricard, Marcelle Deschênes, Jean Piché
principalement); Sonde, un groupe d’improvisateurs et de concepteurs d’instruments
électroacoustique (Montréal : 1975-1987 - Charles de Mestral, Pierre Dostie, Andrew Culver, Chris
Howard, Robin Minard, Michael O’Neill, Linda Pavelka.) et le Group of the Electronic Music Studio
de l’Université McGill (GEMS : 1983 - c.1990).
• 1980-2010 : celle où « s’amorce la reconnaissance institutionnelle du genre électroacoustique par
la mise sur pied d’un programme d’étude complet (à l’Université de Montréal) »28.
Des associations telles l’Association pour la Création et la Recherche Électroacoustiques du Québec
(ACREQ : 1977-1978 - Yves Daoust, Marcelle Deschênes, Michel Longtin, Philippe Ménard, Jean
Sauvageau et Pierre Trochu), la Communauté électroacoustique canadienne (CEC : 1986 - Kevin
Austin, Jean-François Denis) et Réseaux (1991 - Jean-François Denis, Gilles Gobeil, Robert
Normandeau) promeuvent la diffusion de ses différentes conjugaisons (acousmatiques, mixtes,
multimédias, électroniques, écologie sonore, etc.) via des concerts, des festivals, etc. En terme de
diffusion, quoique le tout demeure encore lourd, on commence à diffuser en quadriphonie, puis en
octophonie avant que de créer des « orchestres de haut-parleurs ». Marcelle Deschênes et Francis
Dhomont, alors professeur invité à la faculté de musique de l’Université de Montréal (1982-1996)
joueront, tout comme Yves Daoust, Micheline Coulombe St-Marcoux et quelques autres, un rôle
capital comme pédagogues et animateurs de cette scène. Ils enseigneront à plusieurs générations
de compositeurs « qui s’illustreront à travers le monde tout en formant ce qu’on reconnaît
aujourd’hui comme l’École de Montréal »29. La musique électroacoustique commence alors à jouir
d’un rayonnement international et tendra, à partir des années 1990, à se développer en dehors
des institutions, c’est-à-dire via les studios personnels et connaîtra alors une très grande
expansion29 .
27 Op.cit.,
p. 137. p. 137-138. 29 http://brahms.ircam.fr/francis-dhomont. L’appellation « d’école de Montréal », qui ne fait pas l’unanimité dans
le milieu, correspond à un momentum important pour les compositeurs de ce genre de musique qui connut, dans
ces années (1990-2000 particulièrement), un rayonnement très important. On associe généralement l’émergence
de cette « école » à l’action très porteuse de Francis Dhomont, alors professeur invité à la faculté de musique de
l’Université de Montréal (1982-1996) (voir http://cec.concordia.ca/ econtact/11_2/DhomontFr_Paes.html). Mais
des pédagogues et compositeurs tels Marcelle Deschênes, Micheline Coulombe St-Marcoux, Yves Daoust, Kevin
Austin et Alcides Lanza (notamment) avaient très bien préparé le terrain en mettant sur pied (ou en consolidant)
les studios de l’Université de Montréal (Deschênes), du Conservatoire de musique et d’art dramatique de Montréal
(St-Marcoux et Daoust), de l’université Concordia (Austin) et de l’université McGill (Lanza). En sus, ils formèrent
ou sensibilisèrent de nombreux étudiants à ce genre. 28 Op.cit.,
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 13 E) L’émergence de pratiques non écrites ou non rattachées à des institutions qui mèneront à ce qu’on
nommera, dans les années 1980, les musiques actuelles. Furent porteurs les travaux :
• du Quatuor de Jazz libre du Québec (Jean Préfontaine, Yves Charbonneau, Maurice C. Richard, Guy
Thouin)30 qui permettra, en s’émancipant des structures traditionnelles du jazz et en s’inspirant de
celles du free jazz, l’émergence des musiques « libres »;
• de L’Atelier de musique expérimentale (l’AME : 1973-1975 - Yves Bouliane, Vincent Dionne,
Bernard Gagnon et Robert Marcel Lepage comptent parmi ceux qui en firent partie) qui avait pour
objectif de promouvoir diverses musiques de recherches, dont la nouvelle musique d’improvisation.
« (...) L'association se rapprochera beaucoup des nouveaux modèles européens de collectifs
revendiquant une indépendance accrue par rapport au “monopole” américain. On ne trouve plus le
mot jazz, par exemple, dans son nom »31;
• de l’Ensemble de Musique improvisée de Montréal (EMIM : 1978-1985 - Jean Derome, Robert
Leriche, Pierre Saint-Jacques (St-Jak), Claude Simard)32. Selon l’EMC, l’EMIM était « (...) une
association informelle de musiciens spécialisés dans le jazz et l’improvisation libre (...). Bien que
l'EMIM se fût constitué en société en 1982, il suffisait, pour en devenir membre, d'en partager la
philosophie. (...) La société se donna une structure plus officielle en 1985 [et fut] rebaptisée
Association pour la diffusion de musiques ouvertes (ADMO). (...) Toutefois, la maison de disques
Ambiances Magnétiques devint dans les années qui suivirent le centre d'intérêt de plusieurs de ses
membres, l'ADMO ayant cessé ses activités en 1990 » (EMC). L'ADMO « (...) ira plus loin encore
puisqu'elle propose désormais, comme son nom l'indique, une ouverture totale aux musiques de
création du monde, une sorte d'acceptation plus globale de l'invention dans le champ de
l'improvisation »33. Elle marquera le pas de ce qui deviendra la musique actuelle;
• de l’AMIM (Association des musiciens improvisateurs de Montréal)34. L’AMIM tentera de relancer
l’improvisation libre entre 1991 et 1996 en organisant régulièrement des concerts, mais cet effort
ne portera malheureusement pas fruit. Ceux qui y étaient actifs à l’époque demeurent cependant
concernés et l’improvisation libre est toujours pratiquée par des gens tels Peter Valsamis, Guillaume
Dostaler, Yves Charuest, Dana Reason, Lori Freedman, Jean Derome, etc.;
• de Conventum (1972-1980 - André Duchesne, Jean et Serge Gagné (le cinéaste))35, groupe à
géométrie variable dont la musique métissa écriture, improvisation, idiomes issus du rock
progressif, de la musique folklorique, de la musique contemporaine et du « Spoken Word » (poésie
narrée). Certains artistes qui deviendront les forces vives de la musique actuelle y feront leurs
premiers travaux.
• de L’Infonie (1968-1974 : Raoûl Duguay et Walter Boudreau) qui évoluera en parallèle à la musique
libre et pavera la voie à la multidisciplinarité. « Née des échanges interdisciplinaires qui voyaient le
30 Le Quatuor de Jazz libre du Québec « adopta le style avant-gardiste de jazz alors connu comme « musique
libre », et également, à la fin des années 1960, « le répertoire de la musique pop » (EMC). Selon Raymond
Gervais, qui connaît bien les pratiques musicales de cette époque, elle « se tenait assez proche du modèle
américain, tout en y apportant des éléments personnels ». (Gervais, Raymond : Les indépendants du jazz au
Québec : de l’E.M.I.M. à l’A.D.M.O., un sonoportrait sur disques du nouveau Jazz d’ici durant les années 80,
Moebius : Écritures / Littérature, n° 40, Montréal, 1989, p. 51). 31 Gervais, Raymond : Op.cit. 32 Le guitariste René Lussier joua aussi un rôle de premier plan dans plusieurs groupes affiliés à l'EMIM. 33 Op.cit: P. 52. 34 « Parmi les membres de l'AMIM, on retrouvait: Michel Ratté, Yves Charuest, Lisle Ellis, Guillaume Dostaler, Lori
Clarke, Chris Cauley, Peter Valsamis, John Heward, Jean-Claude Patry, Jean Beaudet, Normand Guilbault, et quelques autres. » (2010 – Charuest, Yves : communication avec l’auteur).
35 Formé et dissous et à quelques reprises, s’y succéderont entre autres, au gré des formations : Jean-Marc
Bouchard (aussi fondateur du Centre d’expérimentation musicale à Jonquière : voir P.23) Michel et Jean-Pierre
Tremblay, Charlot Barbot, Mathieu Léger, Jacques Laurin, René Lussier, Bernard Cormier et Alain-Arthur
Painchaud.
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 14 jour dans le sillage d'Expo 67, [L’Infonie] visait à réunir des créateurs de tous horizons : musique,
peinture, soudure, artisanat, mime, se fondant au travail du conteur, de l'électricien ou du poète. À
l'image des soirées underground des rassemblements californiens, les enviro-spectacles de l'Infonie
étaient tous différents les uns des autres »36. Cette pratique (dont l’origine peut être ramené aux
travaux des surréalistes, des dadaïstes et de Fluxus) a, le temps passant, de plus en plus souvent pris
comme corps le sonore et, comme modalité de pensée, un aspect visuel ou « performatif ». On peut
aussi dire de ce mouvement artistique aux configurations multiples (poésie sonore, performance,
situation construite, pratiques sonores conceptuelles, etc.) où l’on préféra la spontanéité à
l’intellectualisation et la pluralité à l’unicité; a) qu’il évoluera parallèlement aux formes d’arts
culturellement déjà en place; b) qu’il y a, à l’origine de cette démarche, un désir d’y décloisonner les
genres et de les laisser se « contaminer » et que; c) l’un de ses principes moteurs peut être rattaché à
la reconsidération même du concept d’« art », du moins si l’on considère que ce concept « en luimême serait ce qui entretient l’aliénation entre le supposé artiste et son public »37.
Préludera à tout cela un événement dont on ne fait que commencer à saisir toute la portée
aujourd’hui : La semaine internationale de musique actuelle de Montréal (SIMAM).
Organisé par Pierre Mercure en août 1961, le programme de cette semaine fut d’une audace et d’une
ambition esthétique dont on ne retrouvera l’équivalent que trente-neuf ans plus tard, lors du Festival
Montréal musiques actuelles, organisé par Traquen’art (direction artistique : Jean Piché). Mercure en
disait : « Cette semaine (…) se donne (...) comme but de démontrer l’étroite collaboration et
interpénétration qui existent aujourd’hui entre la musique, la poésie, la danse, le film et les arts
plastiques. Ces arts n’ayant qu’un seul et même but celui de faire éclater la beauté de l’objet, qu’il soit
visible ou audible, ils seront intimement reliés dans la présentation des œuvres musicales »38.
En cinq jours, on présentera plus de 35 œuvres de « musique instrumentale, musique pour bandes
magnétiques, musique pour instruments et bandes magnétiques, danse et film expérimental, son,
lumière, mouvement, forme et couleur. Au programme, les noms de Anhalt et de Mercure auxquels on
doit ajouter ceux de Maurice Blackburn, Louis Portugais, Armand Vaillancourt, Françoise Riopelle,
Mousseau, Jeanne Renaud [et quelques autres qui] côtoyaient ceux de nombreux compositeurs
étrangers, dont Babbitt, Behrman, Kotonski, Ligeti, Maxfield, Nono, Penderecki, Schaeffer,
Stockhausen, Varèse, Wolff, en plus de ceux qui furent présents en tant que conférenciers (Brown,
Feldman, Nikolais), chefs d'orchestre (Cage, Kagel) [et/ ou] interprètes (Ichiyanagi, Yoko Ono) »
(EMC).
Comme le souligne Lyse Richer : « [Mercure] voulait régler la société montréalaise à l'heure des
manifestations actuelles de la musique. Il chercha de nouveaux sons pour construire un nouvel
auditoire. Cet événement isolé, mais que Mercure aurait voulu annuel ouvrit la voie à ce qui allait
devenir, en 1966, la SMCQ » (EMC). Dans une perspective plus vaste, il faut aussi y voir un point de
départ aux innombrables déclinaisons des pratiques et au désir de pluridisciplinarité qui existe
maintenant dans les musiques et pratiques sonores nouvelles.
36 http://www.qim.com/artistes/biographie.asp?artistid=391 37 Robert Richard : communication avec l’auteur. Quelques artistes dont la démarche se situe, du fait de cette
posture esthétique, entre musique et « non musique » : Pierre-André Arcand (poète sonore), Magali Babin
(artiste audio/perfomance), Jean-Pierre Gauthier (artiste visuel), Raymond Gervais (artiste visuel), AnneFrançoise Jacques et Nicolas Dion (artistes sonores), Éric Létourneau (artiste de performance), Alexandre StOnge (trio d’art sonore conceptuel), Richard Martin (compositeur d’environnements participatifs/multi sensoriels),
Rober Racine (artiste visuel, artiste de performance), Alexandre St-Onge (musicien et artiste de performance),
Michel Tétreault (musiques d’installations), Martin Tétreault (Dj et artiste visuel), Nancy Tobin (conceptrice son et
artiste de performance), Jocelyn Robert (artiste audio), Diane Landry, (artiste visuelle), etc. 38 Mercure, Pierre : Présentation de la semaine de musique actuelle, Semaine internationale de musique
actuelle de Montréal (programme), 1961, p. 2. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 15 3. SENSIBILISATION ET ÉDUCATION DES PUBLICS
En musique nouvelle, la question de la sensibilisation des publics s’est posée très tôt.
Déficiente tant au niveau des institutions d’enseignement que du grand public, elle demeure une
préoccupation importante pour les artistes et ensembles qui cherchent toujours comment parvenir à
sensibiliser le public à la création d’aujourd’hui.
Un hommage tout spécial doit donc être rendu à celle qui fut peut-être la première à véritablement se
soucier de cet aspect : Maryvonne Kendergi. Dès ses débuts comme animatrice à la radio de RadioCanada à Montréal (1956), elle entama, via la radiodiffusion, la télévision, des cours et des
rencontres39— les Musialogues — un immense travail de sensibilisation aux musiques contemporaines
qu’elle n’interrompra que vers les années 1990, et ce, en plus d’être présente, textuellement ou in
vivo, partout où la défense de la musique contemporaine l’exigeait40. Comme l’écrivait Gilles
Tremblay: « On ne dira jamais assez l’enrichissement apporté à travers son action parmi nous »41.
Dans la même veine, mais avec un impact plus international, on doit également mentionner L’arsenal
à musique (1978 : Lorena Corradi et Reggi Ettore). Dès leur première année d’existence, ils firent 250
spectacles, dans les écoles francophones et anglophones du Québec. « Une réussite qui vient
confirmer le besoin de productions musicales de qualité (...) » disent-ils sur leur site Internet42. Ils ont
créé jusqu’ici 24 productions originales explorant diverses esthétiques propres à la musique nouvelle
(sculptures sonores, introduction à l’électro, collaborations avec divers orchestres, etc.) et ont donné,
à ce jour, plus de 15 000 spectacles présentés devant 3 millions de spectateurs au Canada, ÉtatsUnis, Europe et Asie.
Exception faite de l’Université de Montréal (à laquelle était associée Maryvonne Kendergi) qui fit figure
de pionnière dans les années 1970 avec les Musialogues, L’atelier de musique contemporaine (1974 :
direction Lorraine Vaillancourt); L’Atelier-Laboratoire, Le Groupe d'animation musicale (GAM), Le
Groupe de recherche en animation musicale (GRAM : 1980-82), L’Atelier d'élaboration de jeux sonores
(1983-...), ces derniers dirigés par Robert Léonard, les institutions et organismes de concerts furent,
en général, longs à comprendre que la sensibilisation des publics et le soutien aux jeunes artistes
étaient nécessaires pour assurer la pérennité des musiques nouvelles. Mais, dans les années 1980,
plusieurs commencèrent à offrir un soutien à la jeune création, des ateliers d’initiation, des concerts
« jeunes publics », etc. De nos jours, toutes les institutions offrent la possibilité de faire partie
d’ensembles de musiques contemporaines. Du côté des organismes, plusieurs ont axé des parties,
voire tout leur mandat, autour de ces questions. Mentionnons, à titre indicatif :
•
Codes d’accès (anciennement la Société de concerts alternatif du Québec-1986), dont le mandat
est spécifiquement de fournir un soutien aux artistes de la relève;
•
L’Ensemble contemporain de Montréal (ECM+) : ensemble résident au Conservatoire de musique
et d’art dramatique de Montréal et ses multiples projets de soutien à la relève, nommément
Ateliers et Concerts (de 1994 à 1999) devenu GÉNÉRATION par la suite, une série de concerts
pancanadiens commentés par le chef et les compositeurs ainsi que la série ECM+ Débuts (depuis
2003) qui présente de jeunes virtuoses solistes dans un répertoire contemporain. L’ECM+
coproduit également des spectacles de théâtre musical jeune public avec Le Moulin à musique)
depuis 2000;
39 Lors du dépôt de son fonds d’archives audio à l’Université de Montréal, en 2008, nous avons recensé au bas
mot, quelques trois cents rubans sur lesquels était enregistrés autant d’entretiens. 40 Elle fut tour à tour ou simultanément : membre fondatrice, puis présidente de la SMCQ ( 1966-1982), viceprésidente et présidente du Conseil canadien de la musique (1973-1980), membre fondateur de la Société
internationale pour la musique contemporaine (1970-1980) ...et membre active d’innombrables autres
organismes tels la Conférence canadienne des arts (1970-77), la Société internationale pour l’éducation musicale
(1970-1980), l’ARMUQ (1980- 83) ainsi que de multiples jurys locaux (CAC, CALQ) et internationaux. Elle trouva
en sus, le temps de rédiger une trentaine d’articles parus dans divers périodiques et revues. 41 Bail, Louise : Maryvonne Kendergi : La musique en partage, Cahiers du Québec, collection musique,
Éditions Hurtubise, Montréal, 2002, p. 16. 42 http://www.arsenal.ca/fr/ Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 16 •
Le Moulin à Musique (1980- Marie-Hélène da Silva.) qui « crée, produit et diffuse des spectacles
musicaux pour le jeune public (15 à ce jour). (...) En faisant appel à de jeunes compositeurs
québécois, il diffuse également un répertoire vivant »43;
•
Réseaux qui, depuis ses débuts en 1991, propose à tous ses concerts, des pièces de jeunes
compositeurs émergents;
•
La SMCQ qui a commencé son volet jeunesse en 199744. Parmi leurs multiples projets, le plus
fascinant est le « Musicolateur », un « instrument original de création musicale [permettant] (...)
à deux doigts, de jouer avec le son de manière très sophistiquée et de créer des univers musicaux
inouïs. Yves Daoust en est l’ingénieux concepteur »45;
•
Les Productions SuperMusique qui proposent depuis 2007 « Billes, pailles et glouglous » (pour les
8 à 11 ans) et « Les petits bruits » (pour les 5 à 8 ans). Instrumentation: assiettes en aluminium,
verres en plastique, bâtonnets de bois, sacs de pailles, billes.
Outre le surprenant Musique du Kébèc, de Raôul Duguay (Éditions de l’Homme, 1971), « Seul ouvrage
du genre publié ici et consacré aux diverses tendances de la musique de recherches »46, et exception
faite de deux ou trois maisons d’éditions dont Louise Courteau et Septentrion, de quelques revues et
périodiques tels Musicworks, la Scena Musicale, ESSE, Spirale ou la défunte revue Parachute, écriture
et nouvelle musique ne font pas encore bon ménage. Mais ce n’est pas par manque d’écrivains. Des
gens tels que Marie-Thérèse Lefebvre, Jean Boivin, Louise Bail Milot et Michel Gonneville (musiques
écrites), Andrew Jones, Michel F. Côté, et Raymond Gervais (musiques actuelles ou improvisées),
Réjean Beaucage, dont on retrouve les écrits un peu partout (Circuit, La Scena Musicale, Voir),
Jonathan Goldman et bien d’autres travaillent tous à changer cette situation en publiant partout où ils
le peuvent. Deux tribunes connaissent aussi une certaine pérennité : la revue Circuit de l’Université de
Montréal47, dans laquelle on publie, depuis 1990, des articles de fond sur la musique nouvelle
québécoise et d’ailleurs, et l’incontournable Encyclopédie de la musique canadienne (EMC : 1983-1993
chez Fidès + 2003 : sur le Web). Depuis août 2010, il existe également un site internet
spécifiquement dédié à ces musiques, (http://www.cettevilleetrange.org/). Mis sur pied par Michel
Gonneville, Julien Bilodeau et Patrick Saint-Denis, cette ville étrange souhaite combler l’absence quasitotale de couverture médiatique ayant trait aux musiques nouvelles au Québec.
L’arrivée du Centre de musique canadienne au Québec (CMC), en 1973, fut un signe
incontestable de l’importance, de la prégnance et de la vitalité qu’acquéraient lentement les musiques
écrites au Québec. Pour en mesurer la portée réelle, il faut se reporter deux décennies plus tôt. On
compte alors presque sur les doigts de deux mains les modernes et contemporains. Ils peuvent
apprendre un métier, mais doivent s’exiler pendant un temps plus ou moins long à Paris (Garant,
Tremblay), Tanglewood (Mercure), etc. pour s’initier aux nouvelles techniques d’écriture.
Vingt ans plus tard, il y a eu un « baby-boom ». La SMCQ est en place depuis 1966. Diverses
initiatives de sensibilisation permettent aux jeunes compositeurs et interprètes d’écouter des musiques
issues de multiples tendances esthétiques. Il y a, en sus, des émissions de radio et de plus en plus de
disques qui offrent de nouveaux répertoires à découvrir. Et les compositeurs chevronnés tels Jocelyne
Binet, Jean Papineau-Couture, Raymond Daveluy, Serge Garant, Alcides Lanza, Bruce Mather, François
Morel, Clermont Pépin, André Prévost, Jacques Hétu, Gilles Tremblay, etc. enseignent tous à
43 http://moulinamusique.qc.ca/?lang=fr 44 Ils
ont réalisé à ce jour une dizaine de projets tous aussi différents les uns des autres (conte musical, concerts,
ateliers, spectacles avec manipulateur d’ombre, avec des acteurs dessinateurs, etc.). 45 http://www.smcq.qc.ca/jeunesse/fr/projets/21976/ 46 « Ce livre a une importance capitale en tant que première tentative de cerner et documenter les jalons de la
postmodernité au Québec ». Gervais, Raymond, Programme, Montréal Musiques Actuelles, 1990, p. 9. 47 Créée en 1989 par Lorraine Vaillancourt, fondatrice et directrice artistique du Nouvel Ensemble Moderne et
Jean-Jacques Nattiez, qui en fut son premier rédacteur en chef.
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 17 l’université ou au conservatoire, initient des élèves à la musique nouvelle, écrite ou électroacoustique,
les sensibilisent à la nécessité d’avoir une pensée qui soit de leur temps. Un effet d’entraînement se
met alors en branle. Une « seconde », une « troisième » puis une « quatrième génération » de
compositeurs et d’interprètes apparaissent. Sans être exhaustif, on peut nommer, entre autres
(classés par naissance selon les décennies) :
.... au cours des années 40 : Raynald Arsenault, Kevin Austin, Ginette Bellavance, Ginette Bertrand,
Walter Boudreau, Michel-Georges Brégent, Brian Cherney, Micheline Coulombe St-Marcoux, Yves
Daoust, Marcelle Deschênes, José Evangelista, Alain Gagnon, Jacques Hétu, Michel Longtin, Philippe
Ménard, Bruce Pennycook, John Rea, Gisèle Ricard, Donald Steven, Lorraine Vaillancourt, Claude
Vivier, etc.
... au cours des années 50 : Serge Arcuri, Linda Bouchard, Michelle Boudreau, Denys Bouliane, Tim
Brady, Chistian Calon, Alain Dauphinais, Denis Dion, Julien Grégoire, Gilles Gobeil, Michel Gonneville,
Denis Gougeon, Monique Jean, André Hamel, James Harley, Alain Lalonde, Chantale Laplante, Jean
Lesage, Robert Normandeau, Isabelle Panneton, Silvio Palmieri, Marie Pelletier, Jean Piché, Serge
Provost, Michel Smith, Donald Steven, Michel Tétreault, Alain Thibault, André Villeneuve, etc.
... au cours des années 60-70-(80): Alain Beauchesne, Martin Bédard, Nicolas Bernier, Simon
Bertrand, Jérôme Blais, Christian Bouchard, Ned Bouhalassa, Alexandre Burton, Francis Caron, Vincent
Collard, Jean- François Denis, Jacques Desjardins, Louis Dufort, Sean Ferguson, Paul Frehner, Michel
Frigon, Nicolas Gilbert, Melissa Hui, Marc Hyland, Pierre Klanac, Jean-François Laporte, Rachel Laurin,
Jimmie LeBlanc, Robert Lemay, Esthelle Lemire, Analia Llugdar, Luc Marcel, Isabelle Marcoux, Éric
Morin, Cléo Palacio-Quintin, Yannick Plamondon, André Ristic, Ana Sokolovic, Patrick St-Denis,
Jacques Poulin-Denis, Anthony Rozankovic, Jacques Tremblay, Pierre A. Tremblay, Roxanne Turcotte,
etc.
Plusieurs compositeurs nés dans les années 40 laissent lentement leur place à ceux des années 50-60
et 70 (pas tous inclus, tant s'en faut, dans cette liste). Et les compositeurs issus de ces générations
constituent actuellement une large partie du « noyau dur » de la musique écrite et électro. Ils
forment, à leur tour, de jeunes compositeurs. En moins grand nombre, bien sûr, les mouvements
démographiques étant ce qu’ils sont, mais il y a passage, relais. Il en va de même pour les interprètes
et pédagogues. Bref, plusieurs nouvelles générations de compositeurs, d’interprètes, etc. apparaissent
et s’affirment, créant ainsi une vaste confrérie. L’apparition du Centre de musique canadienne au
Québec s’inscrit dans cette foulée, voire, en a marqué le pas.
La situation est la même en musiques actuelles et en pratiques audio expérimentales, etc., mais ce,
dans des cadres moins structurés et l’émergence des pratiques ayant été ce qu’elle a été, le passage
générationnel n’y est pas encore aussi sensible qu’en musique écrite. Mais, malgré que des artistes
comme Michel F. Côté, Jean Derome, Joane Hétu, Danielle Pallardy-Roger, Pierre Tanguay, Martin
Tétrault, Jocelyn Robert, Christof Migone, etc. soient toujours là, au meilleur de leur forme d’ailleurs,
une certaine relève commence à s’affirmer. En musique actuelle, les démarches d’Antoine Berthiaume,
Isaiah Ceccarelli, Guido Del Fabbro, Pierre Labbé et Éric Norman, semblent très prometteuses. Du
côté des pratiques audio expérimentales : Magali Babin, Érick d’Orion, I8U (France Jobin), Herman
Kolgen, Hélène Prévost et Nancy Tobin font un travail dont la pertinence et la créativité sont
indéniables.
Les musiques nouvelles furent de tout temps propices à des expérimentations
paramusicales dont certaines furent très fertiles. Dès les années 60, au cours de la SIMAM
notamment, certains chorégraphes tels Merce Cunningham, Françoise Riopelle, Françoise Sullivan,
Alwin Nicolais ont exploré les rapports entre son et mouvements, Mercure, les rapports sons-images
ou installation visuelle (Structures métalliques II de Pierre Mercure), etc.
Par la suite, ces explorations se poursuivront. Danse, cinéma, performance, installation, théâtre, etc.
deviendront autant de genres dans lesquels on approfondira les possibilités d’usages des musiques
nouvelles.
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 18 Ont travaillés dans ces secteurs dans lequel les zones de création ne sont pas claires et où le
métissage est de rigueur, des artistes tels que :
•
En cinéma : Norman McLaren, pionnier du cinéma d’animation et d’une certaine pratique
électroacoustique (grattage de la bande-son, peinture à même la pellicule, impression de champs
de fréquences photographiées directement sur la pellicule, etc.); Maurice Blackburn 48, qui fera, à
sa suite, certaines expériences son-image assez radicales (la bande-son du film Jour après jour de
Clément Perron (1962) par exemple); Alain Clavier et Yves Daoust (dans le cadre de l’Atelier de
conception et de réalisations sonores de l’Office National du Film (ONF) mis sur pied par Maurice
Blackburn en 1971); Jean Derome, André Duchesne, Robert Marcel Lepage, René Lussier (en
1991, ces derniers avaient écrit la musique de plus de 35 films, dont plusieurs de l'ONF), etc.49
•
En danse : Serge Arcuri (Résurgence - 1982 : pour Manon Levac), Bertrand Chénier et Michel
Gonneville (pour Jean-Pierre Perrault et d’autres), Michel F. Côté (pour Catherine Tardif et
plusieurs autres), Louis Dufort (pour Marie Chouinard), Monique Jean, qui tout en peaufinant sa
pratique d’acousmaticienne (musique mixte majoritairement) travaille dans divers contextes tels
danse, cinéma, Michel Longtin dont quelques œuvres Rituel II, Mi e Meta, Pour conjurer la
montagne (1977) et La Trilogie de la montagne (1980) furent dansées par le groupe NouvelleAire, Rober Racine (pour Marie Chouinard), Ginette Bertrand (Djinn) et ses collaborations avec le
chorégraphe Pierre-Paul Savoie (depuis le début des années 2000), l’ECM+ (sous le thème de
ECM+ danse) a travaillé avec plusieurs chorégraphes tels Isabelle Van Grimde (3 Vues d’un secret
: 2001), José Navas (Séminaires chorégraphiques : 2003) Hélène Blackburn (Courage mon amour
de 2002 à 2006, Suites cruelles : 2007), Dominique Porte (Exit : 2006), etc.
•
En théâtre/performance : Ginette Bellavance qui composa beaucoup de musiques de scène et de
films ainsi que des musiques pour la télévision dans les années 70-80, Ned Bouhalassa,
électroacousticien qui fait beaucoup de musiques de film, Denys Bouliane, Jean Derome, Denis
Gougeon et John Réa qui ont travaillé avec le metteur en scène Denis Marleau et le théâtre UBU50,
Bertrand Chénier, qui a réalisé des musiques de séries télévisuelles pour enfants, de la musique
de film (au-delà de 15 films), de la musique pour des chorégraphies de Jean-Pierre Perrault, etc.,
Yves Daoust (pour la troupe de mime Omnibus), Charles de Mestral (autour de sculptures de Paul
Mercier) & avec ses installations « holoacoustiques », Robin Minard (avec Mur-Murs : 1985) pour
Louis Parent et, depuis 20 ans, avec ses « musiques environnementales »)51, Robert Normandeau
(pour Denis Marleau et Brigitte Haentjens depuis les années 2000), Michel Smith, compositeur très
polyvalent (musique écrite, installation, théâtre musical, etc.) qui fait des musiques pour le théâtre
sur une base régulière, Michel Tétreault qui a fait plusieurs musiques pour des installations entre
1970 et 1990, Alain Thibault, qui en plus d’être directeur artistique d’Elektra, « participe en tant
que compositeur à la production de pièces de théâtre, de chorégraphies, de vidéos, films,
documentaires et d'œuvres multimédias et fait de la vidéomusique [notamment avec Yann
Breuleux] »52, etc. •
En pratiques pluridisciplinaires : Outre Pierre Mercure et l’Infonie (Walter Boudreau, Raôul
Daoust y composera notamment les bandes-son des films Les jeux sont faits, rien ne va plus! (Raymond
Brousseau : 1971), ...26 fois de suite! (Jean-Claude Labrecque : 1978), L’âge de chaise (Jean-Thomas Bédard :
1978) et Les naufragés du quartier (Bernard Longpré : 1980). Alain Clavier composera, pour sa part, les bandesson d’une soixantaine de films, mais aucun document ne signale lesquelles furent composées dans le cadre de
cet atelier, exception faite de Métadata. 49 Entre autres L'Albédo, Riopelle, Les Illusions tranquilles, Le dernier glacier, Passiflora, Beyrouth à défaut d'être
mort, Shoot and Cry, Trois pommes à côté du sommeil, Riopelle, Étienne et Sara, Le Métro (deux films
d'animation de Pierre Hébert), etc. 50 Denys Bouliane : Woyzeck de Büchner (1993) et Lulu de Wedekind (1995-1996); Jean Derome : Cantate grise
de Beckett (1990), Les Ubs (1991) collage de texte de Jarry, Luna Park, collage de textes de divers auteurs
(1992); Denis Gougeon : Roberto Zucco de Koltès (c.1993), Maîtres anciens de Bernhard (1995), Passage de
l’Indiana de Chaurette, (1996), Nathan le Sage de Lessing, (1997); John Rea : Urfaust - tragédie subjective
(d'après Goethe et Pessoa) : (1999). 51 « La musique environnementale se définit comme une musique fonctionnelle ayant pour but d'améliorer notre
environnement » (EMC). Elle s’inscrit dans un certain prolongement de « l’écologie sonore ». 52 http://www.lienmultimedia.com/personne.php3?id_mot=1126 48 Yves
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 19 Duguay) qui proposèrent dès les années 60 des travaux transdisciplinaires, plusieurs artistes ont
exploré, au fil des années, cette zone dans laquelle les disciplines se métissent souvent. Quelques
noms d’artistes et de groupes qui s’intéressèrent à cette pratique, toute tendance esthétique
confondue : le groupe Fusion des arts (1964-1968), les événements organisés par Serge Lemoyne
(La semaine A (1964), Les trente A (1965)), le Groupe du Nouvel-Âge (1964) qui deviendra
ensuite Les horlogers du Nouvel-Âge avant de devenir Zirmate (1965 : Claude Péloquin, Jean
Sauvageau et le peintre Serge Lemoyne), les « sculptures sonores et cinétiques » de Richard
Lacroix, installées au Pavillon du Canada lors d’Expo 67, les manifestes Agis (Claude Paradis,
André Fournelle, Lucie Ménard (1968)), Richard Martin qui s’intéressa beaucoup à l’idée d’un art
impliquant la participation du public (c. 1970), Pierre-André Arcand, de Québec, pionnier en poésie
sonore (c. 1970-90), Rober Racine, artiste multidisciplinaire, qui a donné à la musique et au son
une place de choix dans sa pratique de 1978 à nos jours (performances, installations,
compositions, etc.), les disques imaginaires et installations de l’artiste multidisciplinaire Raymond
Gervais, les Événements du neuf (1978) dont les premières années d’existence côtoyèrent souvent
de près ces pratiques, les musiques d’installation de Michel Tétreault, compositeur et professeur
au CEGEP St-Laurent (avec le sculpteur Michel Archambault, avec l’artiste multimédia André
Greusard, etc. dans les années 1980-1990), Drive-in, installation vidéo de Michel Smith au Pavillon
Calixa-Lavallé (1988 - SCAQ), Marie Pelletier, qui collabore ponctuellement depuis 1998 avec la
plasticienne Carole Simard-Laflamme, le trio Mineminemine (Magali Babin, Éric Létourneau,
Alexandre St-Onge) qui travaille, depuis 1999, à partir de formes conceptuelles; les concerts
commentés du Quatuor Molinari avec Guido Molinari (c. 2000 jusqu’au décès du peintre en 2004),
Erreur de type 27, un organisme de Québec dont le mandat flirte souvent avec ces idées, Cage en
liberté, un concert-concept (avec installations sonores) présenté par l’Ensemble contemporain de
Montréal (ECM+) pour célébrer le 10e anniversaire de la mort de John Cage (2002), Le requin
blanc se multiplie, série de spectacles transdisciplinaires alliant musique et théâtre de
marionnettes (concepteurs: Marcelle Hudon, Karèya Audet, Bernard Falaise et Nicolas Gilbert
(2002)), certains des travaux de Marc Hyland, qui collabore de façon ponctuelle avec le
compositeur Silvio Palmieri à des projets spéciaux, expositions, événements, œuvres
électroacoustiques (DADA MUSIK : 1995, Musique iconoclaste : 1997, Musique en Cage : 2002),
etc.
Les radios communautaires, apparues au cours des années 1970, joueront un grand rôle dans
la promotion des musiques nouvelles via diverses émissions de diffusion53. Elles généreront, surtout,
une nouvelle pratique sonore : la création radiophonique, genre ingrat à définir car plusieurs
esthétiques y cohabitent :
•
•
•
•
•
formes littéraires plus ou moins éclatées, parentes du théâtre radiophonique
formes documentaires éclatées
œuvres proches, de par leur nature, de l’esthétique des musiques de sons fixées
formes dans lesquelles on tient compte de certaines spécificités du média (sa nature narrative,
son instantanéité)
formes s’apparentant à la performance ou à de l’improvisation libre faite en studio et diffusée en
direct
Quoiqu’exploré de façon ponctuelle (les œuvres conçues pour ce média ont une existence
généralement brève du fait de la culture de l’éphémère qui prévaut à la radio) ce genre fut
relativement florissant jusque vers les années 2000 et connaît actuellement une accalmie. Du côté
anglophone, on peut observer une certaine constante de pratique, via des émissions régulières,
surtout à CKUT. Du côté francophone, CINQ (centre-ville), CIBL et CKRL à Québec furent parmi les
53 Il est presqu’impossible de retracer toutes les émissions qui furent consacrées aux musiques nouvelles dans les
radios communautaires québécoise à travers le temps car plus qu’ailleurs, les archives y sont éphémères, mais il
importe de signaler le rôle très important qu’elles jouent comme diffuseurs. À CKUT, par exemple, pas moins de
sept émissions (Adventures in Music, Chaude pour le mont Stone, Harvey Christ Radio Hour, etc) sont
actuellement consacrées à ce genre. D’autres stations qui diffusent ou ont diffusé des nouvelles musiques: CKRL
et Radio Basse-Ville (Québec), CIBL, CINQ FM, CKUT (Montréal), et CFLX (Sherbrooke). Quelques noms
d’animateurs : Pierre St-Onge, Réjean Beaucage (CIBL), François Couture (CFLX FM), Martine Crispo, Éric
Létourneau et Émilie Mouchous (CKUT). Évidemment, diffusion et création n’y sont parfois qu’une seule et même
chose.
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 20 stations où l’on a le plus proposé de ce genre d’œuvres dans les années 80-90.
La radio de Radio-Canada s’est, pour sa part, généralement limitée à la commande d’œuvres54.
Quelques noms de créateurs associés à cette esthétique - dont certains comptent plus d’une vingtaine
d’années de pratique : Gilles Artaud (Québec), Daniel Buisson, Christian Calon, Boris Chassagne,
Martine H. Crispo, Benoît Fauteux, Yves Daoust, Chantal Dumas, Jan Desrosiers, Bernard Lessard, Éric
Létourneau, Andreas Kitzmann, Katty Kennedy, Christof Migone, Fabrice Montal (Québec), Claude
Schryer, Neil Wiernick, etc.
D’autres, plus rares, telle Anna Friz, font un travail d’installation qui côtoie la radio de près. Il faut
aussi ajouter à cela la radio Web qui est un phénomène auquel s’arriment maintenant beaucoup de
radios à ondes hertziennes et qui, sans encore avoir commencé à susciter de nouveaux types
d’œuvres, est une plateforme de diffusion prometteuse.
Enfin, il faut mentionner que dans ce domaine spécifique, nul n’est moins prophète en leur pays que
les artistes radiophoniques et il est courant de composer pour les stations où il y a une demande pour
ce type d’œuvres. Chantal Dumas par exemple, une des rares artistes à pratiquer cet art avec
constance, a composé des œuvres pour la SRC, la CBC, la DeutschlandRadio Hörspiel/Klangkunst, la
SFB (Senders Freies Berlin : jusqu’en 1983), Silence-Radio (http://www.silenceradio.org), le
programme Kunstradio-Radiokunst de l’ORF (la radio nationale autrichienne), etc.
54 Généralement commandées pour des prix internationaux tels le prix Gilson ou le prix Italia : Otto Joachim, Yves
Daoust, Marcelle Deschênes, Michel-Georges Brégent, Robert Normandeau, René Lussier, Walter Boudreau, Raôul
Duguay figurent parmi ceux qui reçurent des commandes de la SRC. L’émission L’espace du son (1997-2001)
animée et réalisée par Mario Gauthier commanda ou diffusa un assez grand nombre d’œuvres radiophoniques
locales ou étrangères en plus de proposer des « émissions carte blanche » à des artistes comme Christof Migone,
Jocelyn Robert, Chantal Neveu, George Azzaria, etc. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 21 4. LA CRÉATION À MONTRÉAL ET EN RÉGIONS
1978 : de nouveaux organismes voient alors le jour à Montréal et dans différentes
régions du Québec. Ce déploiement signera le début d’une sorte de nouvelle vague, c’est-à-dire
d’élargissement, des formes de diffusion et des esthétiques prévalentes à ce moment.
À Québec, Irène Brisson, Claude Brisson, Pierre Genest, Michel Drapeau, Odile Magnan, André Morin
et Gisèle Ricard fondent l’Association de musique actuelle de Québec (AMAQ) qui se donne comme
objectifs de « promouvoir et de diffuser la musique contemporaine québécoise, canadienne et
internationale » (EMC). Dans un contexte de diffusion beaucoup plus complexe qu’à Montréal, l’AMAQ
réussira à organiser « (...) plus de 90 concerts, ateliers, conférences et événements spéciaux, non
seulement à Québec mais aussi en régions (Baie-Saint-Paul, Victoriaville, Alma, Montréal), lesquels ont
permis de faire connaître 390 œuvres de plus de 300 compositeurs » (EMC). À cela s’ajouteront des
commandes faites à des compositeurs de Québec55. L’AMAQ cessera ses activités en 1991. Mais ce
silence sera temporaire. Dès 1997, Yannick Plamondon, Patrick St-Denis et Martin Bédard mettent sur
pied Erreur de type 27, un ensemble à géométrie variable, dont la philosophie est axée sur «
l’ouverture aux multiples esthétiques (...) des musiques d’aujourd’hui et sur le dialogue
interdisciplinaire »56. Leur travail, d’une grande originalité, incorpore création d’ici et d’ailleurs,
modalités de jeu inédites (dont l’improvisation) et répertoire traditionnel (du vingtième siècle). Gisèle
Ricard en assura la direction artistique de 2002 à 2008. Marie-Hélène Breault a pris la relève.
Un autre ensemble fit beaucoup parler de lui entre 2000 et 2008, le Consort Contemporain de
Québec. Son fondateur, Nicolas Jobin s’était entouré de 12 musiciens ainsi que de trois
compositeurs/arrangeurs (Claude Boucher, Guillaume Boulay et Pierre-Olivier Roy). Une des
particularités de cet ensemble a été de défendre à la fois des œuvres du répertoire (Cage, Glass,
œuvres inspirées de St-Denys Garneau) et de s'associer, dans le but de démocratiser davantage
l’accès à la musique contemporaine, avec des artistes issus de la musique populaire tels Pierre
Lapointe, Loco Locass, Fred Fortin et Marie-Jo Thério. Le groupe connut un certain succès. Il a cessé
ses activités en 2008.
Au moment où la musique actuelle émerge lentement à Montréal via Conventum (1972-1980), l’EMIM
et l’ADMO (1978-1985), ce genre se taille aussi une place de choix en région via un organisme et un
festival : Le Centre d’expérimentation musicale (CEM-1980) à Jonquière et le Festival international de
musique actuelle de Victoriaville (FIMAV-1983) dans la région des Bois-Francs. Le CEM fut
probablement la première structure spécifiquement consacrée à la musique « actuelle » à naître en
dehors de la grande région montréalaise. « Fondé (...) par les musiciens Jean-Pierre Bouchard, Claude
Fradette, Pierre Dumont, Pierre Lavoie et le poète Alain-Arthur Painchaud, le Centre d’expérimentation
musicale s’est donné comme mission le développement du milieu des musiques nouvelles et
émergentes au Saguenay. Par ses activités (...), le CEM assure un soutien professionnel à ses
créateurs dans un contexte favorisant la recherche et l’exploration musicale (...). Depuis sa fondation,
le CEM a produit, coproduit et diffusé près de 200 concerts rejoignant plus de 20 000 spectateurs »57.
Quant au FIMAV, son rôle fut plus que celui d’un simple producteur/diffuseur. Fondé par Michel
Levasseur en 1983 pour donner à entendre les diverses tendances des musiques actuelles, il aura une
influence directe sur le milieu musical québécois en « officialisant » l’appellation « musique actuelle ».
En plus, il marqua symboliquement le début des activités à caractères événementiels en musique
nouvelle. L’idée de rattacher une série d’événements de musiques nouvelles autour d’un « festival »
aura, à partir des années 2000 58, une très grande incidence sur l’évolution des musiques
55 Bernard Bonnier, Denys Bouliane,
Denis Dion, Bruno Fecteau, Alain Gagnon, Marc Gagné, Pierre Genest,
François Morel, Raymond Skilling, Gisèle Ricard, Armando Santiago, Daniel Toussaint et André Villeneuve.
56 http://erreurdetype27.com/index.htm 57 http://cemproduction.com/A_propos_du_cem/ 58 En témoigne, à Montréal et en régions, le très grand nombre de festivals ou événements qui animent la scène
musicale : Festival per il Popolo, (depuis 2000 - Sala Rossa), Elektra (ACREQ), Akousma (Réseaux), MNM
(SMCQ), Mois Multi (Recto-Verso), Les Rencontres de musiques spontanées (Tour de Bras, Rimouski), Montréal
en Lumières, etc. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 22 nouvelles59. Enfin, par sa pérennité et sa haute tenue esthétique, cette initiative fut indéniablement
une des plus ambitieuses à avoir vu le jour en matière de diffusion et de création de musiques
nouvelles en régions60.
Pendant ce temps à Montréal... certains groupes se questionnent à propos des tendances du moment.
Avec raison, car en musique nouvelle, le paysage musical montréalais est somme toute, relativement
polarisé. D’un côté, il y a la SMCQ, qui a l’indéniable mérite de continuer son travail de création, de
sensibilisation et de diffusion des musiques écrites et à l’autre bout du spectre l’EMIM, puis l’ADMO qui
se dégagent lentement de l’influence de la musique libre et souhaitent faire une musique de plus en
plus ouverte.
C’est dans ce contexte qu’apparaissent deux mouvances tout à fait contraires, mais portées par le
même désir de faire autre chose.
a)
Les Événements du neuf
« Ce siècle s’achève déjà et bien que, de façon générale, les organismes officiels de production de
concerts et de disques aient ignoré la musique qui s’y faisait, les efforts de quelques groupes et de
certaines écoles ont réussi à faire naître un enthousiasme grandissant en faveur de la musique
nouvelle. Jeunes et moins jeunes, de plus en plus, apprennent à reconnaître leur quotidien dans les
sons actuels et commencent à s’y identifier »61
... écrivaient Les Événements du neuf, fondés en 1978 à Montréal par José Evangelista, John Rea,
Lorraine Vaillancourt et Claude Vivier. Porté par un double désir de « présenter des musiques
inconnues du public et tenter l’aventure d’une nouvelle formule de présentation de concert »62, ce
regroupement fit énormément pour faire avancer la cause des musiques nouvelles. Comme on le
souligne dans L’encyclopédie de la musique canadienne : « Cette organisation se donna le mandat
d'explorer les différentes tendances de la musique contemporaine sous toutes ses formes, incluant les
performances multimédias, tout en visant un décloisonnement des genres et des périodes » (EMC).
On y proposa maints concerts-événements demeurés mémorables par leur contenu et leur originalité
(Geoffrey D. Madge présentant l'une des très rares exécutions d'Opus Clavicembalisticum de
Kaikhosru Sorabji (1984-1985); L’arche de Noé, série d’événements musicaux impliquant des
interprètes, compositeurs, danseurs, mimes; ainsi que des projections de films, des explorations de
nouvelles techniques vocales via des concerts tels La nouvelle mélodie (1979), Trois jours de
musiques vocales (1981-1982), etc.). Au fil de leur évolution, tout en poursuivant l’idée d’ouvrir la
vénérable institution du concert à d’autres approches, les Événements du neuf proposèrent de plus en
plus de concerts traditionnels, et ce fut, peu à peu, cette formule qui s’imposa du fait qu’un besoin
grandissant d’expressions d’esthétiques nouvelles émergeaient. En effet, les œuvres de compositeurs
tels Claude Vivier (dont ils créèrent et interprétèrent le Kopernicus (1979)), Louis de Pablo, Frederick
Rewski, Luciano Berio, Peter Eötvos, La Monte Young, etc., n’étaient que la pointe de ce qui allait
devenir une nouvelle étape de la modernité musicale : la postmodernité, que l’on peut succinctement
résumer comme étant la résultante d’une ambivalence face aux avant-gardes des années 50 et 60,
laquelle amènera les compositeurs à une « (...) prise en charge de divers héritages : ceux de la
tradition musicale occidentale enrichis des pratiques et des styles orientaux, aussi bien que l’héritage
59 Outre la SIMAM, il y eut quelques événements précurseurs tels la Semaine de musiques nouvelles (Montréal)
(1975), la série de concerts entourant les célébrations du 10e anniversaire du EMS (Electronic Music Studio de
McGill : 1975), etc., ainsi que quelques événements à caractères festivaliers tels les Printemps électroacoustiques
de l’ACREQ (1983-1992), L’année internationale de la musique canadienne organisée par L’UNESCO et le CMC,
section Québec (1986), etc. 60 D’autres lieux de productions en région : La galerie Obscure (1982 à c.1998, Québec) qui proposa à la fois des
expositions d’art actuel, des concerts de musiques improvisées et des performances audio : Le festival des
musiques de création à Jonquière (1989, mis sur pied par le CEM); La coopérative Méduse (1995, Québec) où se
déroule, depuis plus de 10 ans, le Mois Multi, un événement multidisciplinaire; Tour de Bras (2004, Rimouski),
« structure de diffusion, de création et de production dans le domaine des musiques actuelles, des arts
performatifs et des nouvelles pratiques sonores et instrumentales » http://www.tourdebras.com/?q=node/34),
etc. 61 Communiqué des Événements du neuf émis le 9 janvier 1979. 62 Op. cit. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 23 tout récent des musiques contemporaines »63. Lors de leur douzième et dernière saison, Les
Événements du neuf accueillirent, en une sorte de concert d’adieu et de bienvenue le Nouvel
Ensemble Moderne (NEM) qui proposa, pour cette occasion, un concert de musique du Groupe de
musique expérimentale de Marseille (GMEM). Le soliste en était Claude Lamothe. Le NEM allait
continuer, sous une forme plus assidue et plus ouverte aussi, le travail amorcé dans les dernières
années par les Événements : faire place à de nouveaux répertoires, aux œuvres de jeunes
compositeurs tout en incorporant à son mandat un aspect voisin de celui de la SMCQ : jouer et
rejouer des œuvres marquantes du répertoire. Un des objectifs de ces « redites » était de faire en
sorte que ces œuvres, à force d’être jouées deviennent ce qu’elles sont en réalité depuis longtemps :
des classiques du répertoire du vingtième siècle.
Comme l’a élégamment dit Lorraine Vaillancourt à ce moment, « nous ne mettons fin à rien. Nous
sortons simplement du calendrier »64. Mais ces douze années d’activités auront été un moment capital
dans l’évolution des nouvelles musiques québécoises.
L’intérêt pour le métissage ne sera pas une spécificité propre à cet organisme. Au
fil du temps, d’autres s’y arrimeront. Traquen’art, fondé par Patrick Darby en 1982 fut sans doute le
premier producteur à s’inscrire dans cette lignée. Reconnu pour la qualité de ses productions en
musique du monde (il est avant tout un diffuseur), Traquen’art a toujours eu deux cordes à son arc :
la musique nouvelle et en parallèle, une série dont le titre est éloquent : Musiques et Traditions du
Monde. Vingt-cinq ans plus tard, il en va toujours ainsi.
D’autres artistes et regroupements qui évoluent dans cet entre-deux mondes : Constantinople (1998),
fondé par Kiya Tabassian et Ziya Tabassian, dont la pratique s’inspire à la fois des traditions des
musiques du Moyen Âge, de la Renaissance, de celles de la Méditerranée et de l’Orient et de
l’improvisation qu’ils revendiquent comme pratique actuelle; Iks, groupe de jazz contemporain formé
de Sébastien Arcand-Tourigny, Nicolas Boucher, Stefan Schneider, Sylvain Pohu et Pierre-Alexandre
Tremblay, né « d'un désir des musiciens d'expérimenter la mise en commun de leurs différentes
visions de la musique improvisée, pour ériger un langage qui est actuel et propre au groupe, puisant
au présent ses forces dans les divers langages passés, pour en proposer l'avenir »65; Trace, duo
composé de Julien Grégoire et Guy Pelletier qui crée, par le biais d’un croisement serré entre écriture
et improvisation, une musique teintée d’influences multiples; Sam Shalabi dont les travaux ont des
relents de musique traditionnelle, orientale et psychédélique, etc.
Le théâtre musical, un des nombreux genres à avoir vu le jour au cours du 20e siècle, aura une
prégnance particulière au Québec à partir des années 1980, et ce, même s’il a été exploré de façon
plutôt ponctuelle. Lié à l’opéra (et aussi au mélodrame) de par l’idée du mariage
musique/dramaturgie, il en diffère cependant par « (...) la relation entre la musique et l'espace (...),
correspondance entre une idée scénique, une idée musicale, va-et-vient constant. », ce qui ouvre
« [un] territoire de possibilités (...) aux compositeurs dès lors que s'immisce la notion de théâtralité
entre le chant et la déclamation, entre la musique et le verbe »66.
Parmi ceux qui ont exploré avec pertinence ce genre, on peut nommer entre autres (toute allégeance
esthétique confondue) : Gabriel Charpentier qui en fut un précurseur67; Gropus 7 (1975 - 1982 :
Marcelle Guertin, Nicolas Desjardins, Anne Jalbert, Pauline Vaillancourt); Micheline Coulombe StMarcoux dont Transit (1984 : livret de France Théoret) sera une pierre d’assise dans le genre;
Michelle Boudreau qu’on décrit comme « compositrice et “parleuse” dont les recherches se
concentrent particulièrement sur la structure, la matière, le geste et l’intégration théâtrale et
visuelle »68; Gisèle Ricard; Serge Provost; José Evangelista; Myke Roy; Michel Smith et Alain Thibault.
63 Provost, Serge : Tendances de la création musicale-Québec, Musicanada 2000 : un hommage aux
compositeurs canadiens, Liber/ CMC, Montréal, 2001, p. 72. 64 Gingras, Claude : La Presse, 11 mars 1990, Montréal. 65 http://www.iksperience.com/xfran.html 66 Galaise Sophie, Le théâtre musical au Québec, L'Annuaire théâtral, Revue québécoise d’études
théâtrales, n° 25, Montréal, 1999, p. 61. 67 Son catalogue comporte plus d’une soixantaine d’œuvres se rattachant au théâtre et à la voix. 68 http://www.smcq.qc.ca/mnm/fr/2007/prog/concert/21912/ Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 24 Deux artistes en ont fait leur spécialité : Pauline Vaillancourt, qui a fondé Chants Libres (1990), une
compagnie de création lyrique qui « a pour mandat de réunir des créateurs de toutes les disciplines,
tant en musique, en théâtre, en arts plastiques, qu’en vidéo, et en arts électroniques, autour d’un
point commun : la voix »69. Chants Libres créée une nouvelle œuvre par année depuis sa création, ce
qui est exceptionnel.
...et Marie Pelletier, compositrice-librettiste « membre fondatrice du regroupement des Compositeurs
dépendants polyvalents (CDP) » (sic!) qui, dans les faits, n’est associée à aucune compagnie. Son
catalogue compte, à ce jour, une vingtaine d’œuvres de théâtre musical.
b)
Les Productions SuperMusique
Définir la musique actuelle, c’est comme tenter de saisir un couteau sans lame auquel il
manque le manche! On peut la nommer, mais il est plus facile de dire ce qu’elle n’est pas que ce
qu’elle est. Le désir de liberté et d’expression y prime sur les conventions. Il faut donc, pour
comprendre la dynamique singulière qui caractérise ce milieu, considérer que la musique actuelle est
essentiellement issue d’un désir d’expression d’individualités qui ne trouvaient pas leur place au sein
des pratiques alors prônées par les institutions en place. À cela, il faut aussi ajouter que les gens qui
la pratiquent tiennent mordicus à se tenir loin de modalités de langage sonore trop rigides et
cherchent à demeurer à l’écart de toutes structures trop hiérarchisées (musicales ou autres).
La fondation de SuperMusique est typique de cette attitude. Joane Hétu, Diane Labrosse, Danielle P.
Roger s’intéressent à ce que font des groupes comme L’enfanfare, Les enfants de la rue Duluth,
Clockville, Montréal Transport Limité 70, Conventum, l’EMIM, etc. Mais elles ne se sentent pas « dans
ça ». Elles cherchent « leur son » et y travaillent longuement avant de former, vers la fin des années
1970, le groupe dans lequel elles concilieront fanfare, rock et jazz en une sorte d’agglomérat qu’ellesmêmes n’arrivent pas à situer de façon très claire, musicalement parlant : Wondeur Brass71. Afin de
pouvoir s’autoproduire et faire des tournées dans un cadre adéquat, elles fondent, en 1979, les
Productions SuperMémé (desquelles naîtront, vers 1998, les Productions SuperMusique : PMS). Avec
Wondeur Brass, Les Poules, puis Justine, elles commencent alors à faire des tournées à l’étranger,
côtoient de plus en plus de musiciennes72 et réfléchissent beaucoup à leur rôle dans ce que l’on avait
commencé à nommer, vers 1983, la « musique actuelle ». Jean Piché leur fournira, via le festival
Montréal Musiques actuelles (1990), l’occasion de se faire reconnaître tout en prenant conscience de
la portée de leur travail et de son impact dans l’ensemble du milieu musical montréalais. Elles
commenceront alors à faire, en parallèle à leur production, de concert avec l’ADMO, un immense
travail de sensibilisation dont la visée est de faire reconnaître la légitimité et l’apport unique de ces
musiques à la vie culturelle montréalaise et québécoise.
Leurs efforts porteront fruit et les années 1990 seront une période faste pour elles et pour les
musiques actuelles. À l’autoproduction, elles ajouteront alors la production. Pour y parvenir, elles
mettront sur pied, en 1997-1998, l’ensemble SuperMusique, lequel est encore, à ce jour, le seul à se
consacrer spécifiquement à la musique actuelle. L’ensemble est à géométrie variable et chaque
membre y est soliste et compositeur. Depuis, les PSM et leur corollaire, l’ensemble SuperMusique,
produisent, bon an mal an, concerts et événements, dans lesquels se côtoient sans (ou avec!) heurts
« rock déstructuré, jazz fragmenté, chansons éclatées, folklore réinventé, ambiances bruitistes,
improvisations, nouvelles musiques d’ensemble, métissages des lutheries acoustiques et
électroacoustiques »73.
Par toutes ces activités, elles ont peu à peu permis à ces pratiques de se cristalliser et, par extension,
69 http://www.levivier.ca/fr/apropos/organismes/cl/ 70 Groupe formé de Raffaele Artigliere (batterie, percussions), Lou Babin (voix, saxophone), Marie-Claude de
Chevigny (voix, saxophone, synthétiseur), Maxime Dubois (cor français, synthétiseur), Bernard Poirier (voix,
guitare, basse, synthétiseur), Claude St-Jean (trombone, basse) et René Lussier (guitare). 71 Ce ne sera qu’en c.1983, lorsqu’elles rencontreront Chris Cutler, percussionniste et fondateur du label R&R
(Recommended Records) qu’elles réalisent qu’elles font, en quelque sorte, partie d’une confrérie : celle des
« musiques nouvelles », alors émergentes et qu’ont ne nommaient pas encore « actuelles ». 72 Joëlle Léandre, Maggie Nicols, Lindsay Cooper, Geneviève Cabane. 73 http://www.supermusique.qc.ca/fr/apropos/historique/ Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 25 à devenir « admises ». D’une certaine manière, elles sont aussi en train de « faire école ». Même si,
du côté des institutions d’enseignements, il y a encore loin de la coupe aux lèvres, SuperMusique, par
le rassemblement et la solidarité qu’elles ont suscitées, a contribué à rendre les pratiques de la
musique actuelle et de l’improvisation plus usuelles. Et cela n’est pas sans conséquence. Les artistes
issus des plus jeunes générations y viennent maintenant avec moins d’hésitation et sans avoir
l’impression d’être en porte-à-faux face à leurs acquis antérieurs (académiques notamment). Et du
côté des « actualistes », il y a aussi passage. De l’improvisation, on passe lentement, dans certains
projets, à l’écriture musicale, et ce, sans qu’aucun compromis ne soit fait en terme esthétique. Par
leur travail acharné, leur persévérance, elles ont donc donné à ce genre, ses lettres de noblesse et
l’ont amené à une maturité, laquelle permet maintenant de franchir cet apparent « manque de
crédibilité » à laquelle on associait initialement les musiques actuelles et improvisées, du fait
notamment qu’elles n’étaient rattachées à aucune institution et n’avaient, pour ainsi dire, que peu ou
pas de tradition. C’est aussi ce qui explique, en partie, la volonté des générations de la relève de se
situer autrement, d’aller ailleurs. Comme dans tous les domaines où s’instaurent, justement, une
tradition et une reconnaissance, une volonté de dépassement s’installe qui, immanquablement – cela
est advenu maintes fois en musique écrites – finit par enrichir la pratique de laquelle émergent les
nouvelles mouvances.
c)
L’émergence du multimédia (1981-1993)
... prélude à une vague de fond qui générera un développement sans précédent des musiques
électroacoustiques tout au long des années 1990. Ces œuvres qui « (...) en plus de la musique,
incorporent un ou plusieurs autres modes d'expression comme la parole, le mouvement, le film, les
effets de lumière, la sculpture et la danse » (EMC) à l’aide de technologies combinées, flirtent
sérieusement avec le Gesamkunstwerk wagnérien et eurent un profond impact sur l’évolution de la
musique nouvelle, particulièrement en électroacoustique. Mais cet impact fut relativement
momentané, peut-être parce son apparition concorda, au point de vue technique, avec le début de la
transition de l’analogue au numérique. Après un essoufflement « auquel ne sont sans doute pas
étrangers la récession économique et le recul des paliers gouvernementaux en matière de
subvention »74, le genre s’est aujourd’hui partiellement intégré à ce que l’on appelle les arts
médiatiques75.
Plusieurs artistes, généralement issus du monde de l’électroacoustique, ont créé des œuvres dans ce
domaine (ou y ont collaboré), mais celle qui en a exploré les multiples possibilités avec la plus grande
pertinence est indéniablement Marcelle Deschênes76. Parmi ses œuvres les plus marquantes,
mentionnons : OPÉRAaaaAH! (1981-1983), Lux (1985), deUS irae (1985), Big Bang II (1987), Ludi
(1990) et Big Bang III (1992).
d)
L’émergence d’une nouvelle génération
... se manifestera aussi via la création quasi continuelle d’organismes et d’ensembles qui poseront,
chacun leur tour, une nouvelle pierre à l’édifice des musiques nouvelles. Parmi ceux qui se
74 http://cec.concordia.ca/econtact/histories/ApercuElectroacoustique.htm Car cette pratique existe toujours. Elle est simplement moins présente en musique nouvelle. Jacques Collin, un
des pionniers de cette discipline travaille régulièrement pour Robert Lepage et Ex-Machina depuis 1992 et
considère qu’il fait encore du multimédia. 76 Le travail de cette pionnière demeure encore largement méconnue et mériterait qu’on s’y arrête pour la peine.
Son apport à l’évolution de la musique électroacoustique au pays fut, comme celui de sa collègue Micheline
Coulombe St-Marcoux, d’une importance capitale. Elle a exploré plusieurs approches esthétiques avec un égal
bonheur : l’écriture sérielle (1 1/2), l’exploration des rapports que peut entretenir la musique avec l’aspect visuel
(7+7+7+7), la musique mixte (TalilalilalilalaRequiem, Moll, opéra lilliput pour six roches molles), la transposition,
à des instruments traditionnels de sonorités inspirées par la musique électroacoustique (Voz-Cantate
mitrailleuse), la perception auditive, etc. C’est également en grande partie grâce à elle que le studio de musique
électroacoustique de l’Université de Montréal a pu voir le jour au début des années 1980.
75
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 26 démarquent le plus, on peut nommer :
•
Code d’Accès (1986 : originellement La société de concerts alternatifs du Québec - Gyslaine
Dubuc, Mario Gauthier, André Hamel, Claude Lassonde, Gaétan Martel) dont le but est de
promouvoir la jeune création musicale québécoise et les jeunes artistes en émergence. Fait
particulier, son fonctionnement est plus proche de l’idée d’un collectif que de celui d’un
organisme : « Cette compagnie s’est dotée d’une structure démocratique unique : toute personne
qui désire s’impliquer peut devenir membre, et c’est parmi l’assemblée générale de ses membres
qu’est élu le conseil d’administration qui la dirige, appartenant ainsi véritablement aux artistes du
milieu »77. •
L’Ensemble contemporain de Montréal (1987 : Véronique Lacroix, chef et directrice fondatrice –
devenu ECM+). Depuis ses débuts, l’ensemble fait un important travail de diffusion et de soutien à
la relève canadienne des compositeurs via sa série GÉNÉRATION et ses ateliers de composition,
en plus de développer, à long terme, la carrière et la reconnaissance canadienne des compositeurs
(Ana Sokolovic, André Ristic, Nicolas Gilbert, Michael Oesterle, Maxime McKinley, Pierre Klanac,
Louis Dufort, Yannick Plamondon, Nicole Lizée, Jean-François Laporte, Analia Lludgar, etc.). À ceci
s’ajoutent de nombreux concerts à caractère thématique et hybride dans lesquels cohabitent
musiques classiques et nouvelles, recherches multidisciplinaires (avec le cinéma, la danse, la
vidéo, etc.) ainsi qu’un travail d’éducation via ses concerts jeune public avec le Moulin à Musique.
L’ECM+ a créé jusqu’ici plus de 200 nouvelles œuvres pour grand ensemble diffusées lors de
tournées locales, régionales et nationales78.
•
Tuyo (1987) : un des premiers ensembles, après Sonde, a avoir créé leurs
« Chaque nouvelle production permet (...) de découvrir d’impressionnants
inventés par Carol Bergeron, directeur artistique de TUYO, qu’il construit
partir de matériaux à usage multiple. Depuis deux décennies, ils ont
représentations lors de 24 tournées sur tous les continents79 ».
•
Le Nouvel Ensemble Moderne (NEM - 1989 : Lorraine Vaillancourt, chef et directrice fondatrice),
un orchestre de chambre de 15 musiciens qui propose une interprétation des musiques
d'aujourd’hui « ... en leur accordant le temps et l'attention qu'elles méritent. Son répertoire est
(...) constitué de "classiques du XXe siècle", reflète la variété des esthétiques actuelles, s’ouvre à
la musique de tous les continents et consacre une place importante à la création. Ses concerts,
ses répétitions ouvertes au public et le Forum international des jeunes compositeurs, un
événement qui offre un stage de quatre semaines à de jeunes compositeurs qui [participent] à
des séminaires, des répétitions, des discussions avec des experts et des concerts à l'Université de
Montréal sont des moments privilégiés d’échange et de réflexion »80. À ce mandat déjà très riche,
le NEM a ajouté au fil des ans des événements-hommages à des compositeurs de renom tels
Mauricio Kagel (1992), Franco Donatoni (1994), Elliot Carter (1998), Xénakis (2005), Serge Garant
(2009), Gilles Tremblay (2010), etc., des concerts plus métissés tels Musique défilé pour une fin
de siècle (1999) et MusMix81 dans lesquels le NEM mit en vedette musique instrumentale et
électroacoustique82 et quelques concerts plus éclatés, tels Refus global à partir du célèbre texte de
Borduas (Jacques Drouin : 1999), NEM IT (2001), une œuvre de Michel Smith dans laquelle
étaient très habilement jumelé musique écrite et théâtre musical et le tout récent Forum 2010
dont le thème était musique et vidéo d’art.
propres instruments.
instruments inusités,
en majeure partie à
donné plus de 850
77 http://www.codesdacces.org/quest-ce/ 78 L’ensemble a récemment créé, dans cette lignée esthétique des spectacles tels Les cinq as (2011), Les
aventures de Madame Merveille (2010), Ponts de papillon (2009), Opéra Élia (2004), etc. On peut en visualiser
des extraits sur le site web de l’ECM+ à http://www.ecm.qc.ca/videoex.php?lang=f&page=extraits 79 Librement adapté de http://www.servicesmontreal.com/jacqueline/af_tuyo.html 80 Librement adapté de http://www.lenem.ca/site nem/historique.php 81 « Dont l'objectif est de reprendre des œuvres de musiques mixtes existantes que l'on n'entend pas, pour des
raisons techniques, entre autres. » http://www.scena.org/lsm/sm9-7/NEM.htm 82 Musique électroacoustique de Marcelle Deschênes, musique instrumentale pour 16 musiciens de Linda
Bouchard, mise en scène de Richard Armstrong. Ce concert fut présenté par le Nouvel ensemble moderne (NEM)
au Medley à Montréal. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 27 •
Réseaux (1991: Jean-François Denis, Gilles Gobeil, Robert Normandeau) dont « le mandat
principal (...) est de diffuser sur la place publique les œuvres réalisées par les artistes et les
groupes de production en musique électro[acoutique] présentées sur un ensemble de hautparleurs et cela, sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de musique acousmatique (sur bande),
mixte (avec instruments), en direct. (« live electronics ») ou avec toute autre forme d’art comme
la vidéo, la danse ou l’installation. Ses outils de promotion sont essentiellement le concert et les
bases de données (...) qui permettent aux œuvres de vivre sur scène et aux écrits d’être diffusés.
(...) Réseaux est unique en son genre, non seulement au Québec, mais également au Canada. Il
s’agit de la seule société de diffusion qui s’occupe uniquement de présenter les musiques
électroacoustiques de concert, autant celles des compositeurs d’ici que celles des compositeurs
étrangers »83.
•
Le quatuor de saxophones Quasar (1996 : Marie-Chantal Leclair, Mathieu Leclerc, André Leroux,
Jean- Marc Bouchard) qui, « passionné par la musique de son temps, (...) se consacre à la
création et à la promotion de la musique contemporaine. Reconnu pour son énergie, son audace
et la qualité de son jeu, Quasar explore les diverses facettes de la création, de la musique
instrumentale à la musique improvisée en passant par la musique électronique et le théâtre
instrumental. Depuis sa fondation en 1994, Quasar a créé une quarantaine d’oeuvres, écrites pour
la plupart (...) par des compositeurs québécois. (...) Il compte (…) à son actif quelques créations
d’oeuvres étrangères et a le mérite d’avoir fait découvrir au public québécois de nombreuses
oeuvres de compositeurs étrangers. Quasar assure également un rayonnement d’importance aux
oeuvres nouvelles en les portant sur la scène nationale et internationale. Le quatuor s’est produit
à travers tout le Canada et a également participé à des événements d’envergure internationale en
France, en Espagne, en Estonie, en Lituanie et aux Pays-Bas. ».84
•
Les Productions Totem Contemporain (2003) qui se « vouent au développement, à la diffusion et
à la promotion des instruments inventés et installations sonores de Jean-François Laporte. (...)
L’organisme a suscité l’intérêt de plusieurs artistes (...) tels que l’Orchestre national de France, les
compositeurs Jonathan Harvey (...) et Benjamin Thigpen, les musiciens Jean-Paul Bernard, JeanMarc Bouchard , Martin Ouellet, le musée d’art contemporain de Saint-Jacques-de-Compostelle
(Espagne) et le Symposium international d’art contemporain de Baie-St-Paul, (...), etc. En plus de
favoriser le développement et la réalisation de différents projets, les PTC produisent chaque année
plusieurs concerts à Montréal et font d’importantes tournées à l’international »85. Pour l’édition
2011 de MNM, Jean-François Laporte a confié ses instruments aux compositeurs Alexandre
Burton, Félix-Antoine Morin, Jesper Nordin et au quatuor Quasar qui proposeront une œuvre
spécifiquement composée pour ceux-ci.
On mentionnera aussi : Espaces sonores illimités (André Hamel, Alain Lalonde, Alain Dauphinais :
1992) qui, depuis presque vingt ans, désenclave la musique écrite de la salle de concert pour la
redonner à entendre dans des espaces particuliers via des compositions expressément conçues pour
ces lieux. Ils ont une dizaine d’œuvres, toutes aussi spéciales et imposantes les unes que les autres, à
leur actif; Innovations en concert (Tim Brady : 1994) « qui désire rendre accessible la musique
d’aujourd’hui (...) et présente des ensembles et des solistes voués aux musiques de création et au
répertoire de notre temps dans une vision stylistique très large qui inclut la musique contemporaine,
actuelle, improvisée, expérimentale, électroacoustique et jazz contemporain.»86 ; l’ensemble Kore
(1997), le Quatuor Molinari (1997), le Trio Fibonacci (1998) et le Quatuor Bozzini (1999)87, qui
83 http://www.reseauxconcerts.com/fr/pages/historique-et-mandat 84 Librement
adapté de http://quasar4.com/html/bioquasar.htm et http://quasar4.com/html/accueil.php. 85 http://www.totemcontemporain.com/ 86 Directeur
actuel : Michel Frigon. Librement adapté de http://www.innconcert.ca respectivement par Marc Couroux, Michael Oesterle (Ensemble Kore), Olga Ranzenhofer (Quatuor
Molinari ), Gabriel Prynn, André Ristic, Julie-Anne Derome (Trio Fibonacci ) et Isabelle Bozzini (Quatuor Bozzini).
Ce dernier quatuor a un nombre impressionnant de créations à son actif. Jusqu’ici, il a commandé une centaine
d’œuvres et en a créé plus de cent cinquante autres. Le quatuor Molinari, pour sa part, a été qualifié par la
critique canadienne d’ensemble «essentiel» et «prodigieux», voire de «pendant canadien aux quatuors Kronos et
Arditti. Il s’est imposé comme l’un des meilleurs quatuors au Canada.»
(http://quatuormolinari.qc.ca/fr/?page_id=78) 87 Fondés
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 28 défendent de façon convaincue et convaincante des oeuvres du répertoire, font des commandes à des
compositeurs et de la sensibilisation auprès du public; In Extensio (2005 - MariEve Lauzon, Louise
Campbell, Barah Héon-Morissette) qui « tire essentiellement son inspiration de la création de
nouvelles œuvres, de la variation du format de l’ensemble, de l’exploration de nouveaux sons » et
dont le « mandat consiste principalement à diversifier son public et les lieux de ses concerts, de même
qu’à y intégrer la technologie et à solliciter les pratiques multidisciplinaires »88; Theresa Transitor, un
collectif d’improvisation électroacoustique formé de Christian Bouchard, Christian Calon, Mario
Gauthier et Monique Jean, qui propose des concerts « [résultant] de la convergence de l’écoute active
de l’auditeur liée à l’action des improvisateurs attentifs aux tracés singuliers du présent en train de se
dérouler. Acteurs et auditeurs, ensemble au centre de la salle, sont immergés dans le même espace
d’expérimentation »89; Sixtrum (2007) 90 qui a le grand mérite de remettre les percussions à l’honneur
et innove beaucoup dans ses formules de concert ainsi que Transmission (2007)91 qui « initie (...) des
projets qui chevauchent la composition et l’improvisation, dans cette zone exploratrice où la
performance crée sa propre musique »92. La direction et le choix de son répertoire sont initiés par
chacun de ses membres.
On remarquera que tous ces ensembles sont issus du domaine de la musique écrite (exception faire
de Réseaux et de Theresa Transistor qui proviennent de la musique électroacoustique). Il semble
donc que les cadres existants n’aient pas été suffisants ou adéquats pour accueillir les nouveaux
venus. À tout le moins, s’il est juste de considérer que la musique improvisée et l’électroacoustique
connaissent un essor considérable dans ces années, cela n’a aucunement signifié que les musiques
écrites étaient en perte de vitesse. Bien au contraire, leurs activités se démultipliaient. Elles
changeaient de modalité de fonctionnement, se décentralisaient, simplement. La venue de Pierre
Boulez à Montréal en 1991, l’événement Mauricio Kagel en 1992 (organisée par le NEM), les forums
internationaux des compositeurs du NEM, les ateliers-concerts ou les concerts-concepts de l’ECM+, les
événements de Productions Totem Contemporain, etc., ne sont que quelques-uns des événements qui
se déroulèrent tout au cours de la décennie 1990, qui somme toute, fut faste pour ce genre aussi.
88 http://www.levivier.ca/fr/apropos/organismes/inextensio/ 89 http://theresatransistor.ca/#/groupe 90 João
Catalão, Julien Grégoire, Philip Hornsey, Kristie Ibrahim, Sandra Joseph et Fabrice Marandola Pelletier, Lori Freedman, Alain Giguère, Julie Trudeau, Julien Grégoire, Brigitte Poulin. 92 http://www.ensembletransmission.com/ 91 Guy
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 29 5. LES ANNÉES 1990
RAYONNEMENT ET NOUVELLES FORMES D’EXPRESSIONS
Le début des années 1990 secoua sérieusement tous les milieux de musiques nouvelles. Et pour
cause. Plusieurs bouleversements esthétiques et techniques majeurs auront lieu dans un temps très
court.
1989 : Les enregistrements se multiplient avec l’arrivée du disque compact (CD).
À l’époque du glorieux vinyle (1950-1987) qui croît, en parallèle ou presque, avec l’émergence et le
développement des musiques écrites, ce support connaît un certain rayonnement, notamment via les
étiquettes RCI et ses dérivés (CBC LM, SM5000), par le biais de la série de disques « Portrait
musical » produit par la CAPAC93 ainsi que par L’anthologie de musique canadienne, l’initiative où la
SRC produisit le plus de musiques nouvelles94. Mais pour les autres genres, la situation était difficile.
Exception faite de Ambiances Magnétiques, fondée en 1983 par Jean Derome, André Duchesne,
Robert Marcel Lepage et René Lussier, qui produisit une quinzaine de disques vinyles, on ne trouvait
nulle part de musiques actuelles ou électroacoustiques d’ici sur disque. L’arrivée du CD (disque
compact) vers 1987 change la situation du tout au tout. Elle correspond grosso modo au moment où
Radio-Canada commence à se désengager de la production de disques (qui cessera complètement
lors de la fermeture de la chaîne culturelle, en 2004). Cela portera un dur coup au rayonnement des
musiques écrites, car les moyens requis pour les endisquer sont considérables95. Par contre, pour les
musiques actuelles et électroacoustiques, cette nouvelle technologie a l’effet d’une force centrifuge et
engendre une augmentation sans précédent de la production. Ambiances Magnétiques, par exemple,
décuple sa production et de cette augmentation naîtra DAME (fondatrice : Joane Hétu), outil de
coordination et de réseautage qui devient très rapidement un carrefour incontournable. Il ouvre aussi
la voie à une prolifération de musiques actuelles sur disques, ce qui contribue grandement à faire
connaître ces artistes et leurs travaux96.
DAME consolide aussi sa position de leader dans le domaine de la production et de la diffusion des
musiques actuelles en commençant à distribuer des disques « d’amis étrangers » comme le dit
François Couture97. Un nombre considérable de projets, d’étiquettes, trop nombreuses pour être
énumérées ici, font alors peu à peu leur niche chez DAME, y compris une étiquette... de musique
écrite98. À ce jour, le catalogue d’Ambiances Magnétiques compte 206 productions.
93 L'Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada i.e. en anglais The Composers, Authors and
Publishers Association of Canada (CAPAC). « En 1976, une série de ’’portraits musicaux’’ commencèrent à
paraître. Il s'agissait d'enregistrements sur disques petit format [7 po.: plus tard sur cassette], chacun contenant
de courts extraits d'oeuvres d'un compositeur et une courte biographie » (EMC). Cette initiative de promotion,
aujourd’hui oublié, fut très importante à l’époque par son nombre (au-delà de 40 en format vinyle), par son
impact auprès des compositeurs (« des subventions de la CAPAC étaient accessibles aux compositeurs membres
pour la préparation de rubans témoins » (EMC)) et par son potentiel de rayonnement (ces petits disques et
cassettes servant de carte de visite aux compositeurs). Leur publication cessa en 1990. 94 S’y ajoutaient des productions plus ponctuelles de Société Nouvelle d’Enregistrement (SNE), Melbourne
Records, McGill University Records, Centredisques. Etc. 95 D’autres maisons de disques apparaîtront alors qui pallieront ce manque. Parmi celles-ci, il faut mentionner
l’important travail de la maison de disques Atma (c.1996 : fondatrice : Johanne Goyette) qui a fait des efforts
plus que louables pour endisquer des artistes et compositeurs d’ici (ECM+, Julie-Anne Derome, SMCQ, Serge
Arcuri, Quasar, André Hamel, le NEM, Lise Daoust, le Quatuor Molinari, etc). Quelques autres en produisent
ponctuellement (Analekta, Phonovox, Disques XXI). D’autres enfin, plus rares, ont préféré fonder leur propre
étiquette (le Quatuor Bozzini qui compte actuellement une douzaine de disques à son catalogue). 96 Pour ce qui est des années 1990 : Michel F. Côté, Pierre Cartier, Jean Derome André Duchênes, Joane Hétu,
Diane Labrosse, Robert Marcel Lepage, René Lusssier, Danielle P. Roger, Pierre Tanguay, Martin Tétreault. La
famille s’agrandira considérablement à partir des années 2000 avec l’arrivée d’artistes comme Tim Brady, Bernard
Falaise, Pierre Labbé, Alexandre Berthiaume, Ganesh Anandan, Rainer Weins, etc. 97 http://www.actuellecd.com/fr/boutique/ambiancesmagnetiques/info/ 98 Collection Quatuor Bozzini (CQB : 12 disques). La majorité des catalogues amis est constitué d’étiquettes de
musiques actuelles québécoises : Les Disques Victo (115), Monsieur Fauteux, m’entendez-vous? (15), & record
(14), Malasartes (12), etc. On y retrouve aussi des disques du reste du Canada, de la Suisse, du Royaume-Uni et
de la France. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 30 Du côté des musiques électroacoustiques, avant l’arrivée, en 1989, de l’étiquette de disques
Empreintes DIGITALes, (que fondent Jean-François Denis et Claude Schryer), puis de Diffusion
IMÉDIA, il n’y a presqu’aucune musique électroacoustique sur disque, et ce, tant au Québec qu’à
l’étranger. « Les inconditionnels [étaient] principalement concentrés en Europe (Angleterre,
Scandinavie, France, Belgique et [en] Allemagne »99. Et les grands conglomérats ne se bousculent pas
au portillon pour graver ces musiques sur disque. L’Allemagne, la France, la Suède distribuent, çà et
là, des œuvres dont le succès commercial est relativement assuré sous diverses étiquettes telles
Deutsche Grammophon, Philips, Filkingen, Chants du monde, etc. Le Groupe de Recherches Musicales
(GRM) et le Festival de Bourges possèdent leur étiquette maison, mais tout cela demeure relativement
marginal.
Au Québec, la situation est catastrophique. Pas de major. Pas d’étiquettes indépendantes, ou presque.
Il y a RCI, mais elle n’est pas du tout portée vers le genre. On retrouve, clairsemés, des disques chez
SNE, Centredisques, Melbourne, McGill University Records, et quelques étiquettes privées telles
Amarilys (Bernard Bonnier), Synchronos (Philippe Ménard), mais vraiment, le tout demeure poussif.
Le genre intéresse beaucoup de gens, mais on ne retrouve rien, ou presque.
L’arrivée d’Empreintes DIGITALes change tout cela d’un seul coup, ou presque. Sa mise sur pied
concorde avec celle du numérique, c’est-à-dire avec l’arrivée du disque compact qui est alors en plein
essor. Et en quelques années, l’offre se démultiplie d’au moins 200 %. Seize CD de « musique
électro», comme on dit, sont proposés entre 1990 et 1993. À partir de 1995, la production se
régularise sans discontinuité : 5 CD sont produit en 1995, 11 en 1996 : 7 en 1998, etc. Aujourd’hui, le
catalogue d’Empreintes DIGITALes se compose de 111 disques contenant 470 œuvres de 95
compositeurs, c’est-à-dire grosso modo cinq fois plus que tout ce qui avait était produit par toutes les
maisons de disques québécoises dans ce genre au cours des cinq décennies précédentes100.
À cela s’est ajouté, comme dans le cas des musiques actuelles, le réseautage via Internet, qui est,
aujourd'hui, l’outil par excellence de promotion de ces musiques. En sus, Diffusion IMÉDIA distribue
via ÉlectroCD, les produits de quelque 100 autres compagnies de disques, des publications, etc. Parmi
ces autres compagnies, on retrouve certaines des plus importantes en art audio, en art sonore, en
pratiques audio expérimentales, etc. : Ohms Éditions (Avatar, Québec), Oral (Éric Mattson, Montréal),
CEC (Communauté électroacoustique canadienne, Montréal), Alien 8 (Montréal), No Type (Montréal),
Squint Fucker (Montréal), et maintes petites compagnies indépendantes.
Nombre d’items au catalogue à ce jour : plus de 1300 titres répertoriés et plus 755 titres disponibles.
En 1990 se déroule un festival dont l’onde de choc est égale, voire plus grande que celle de la
SIMAM de Mercure : le festival Montréal Musiques Actuelles (organisation: Traquen’art, directeur
artistique : Jean Piché). On y proposa, sur une dizaine de jours, une cinquantaine de concerts
représentatifs de tous les courants artistiques qui pouvaient être alors dans l’air du temps, c’est-àdire : musiques écrites, électroacoustiques, actuelles, théâtre, spectacles multimédias, installations
sonores, projections vidéo, ateliers de jeux sonores, événements musique/danse, créations
multidisciplinaires, etc. La manifestation, très suivie, « [réveille] de vieilles controverses de par
l’éclectisme des présentations proposées. (...). Abondamment rapportées dans la presse101, ces
controverses ont aussi ouvert un espace de réflexions entre musiciens de différentes tendances »102 et
suscita plusieurs débats publics, dont un qui a encore le vent en poupe aujourd’hui, mais tend à
s’estomper, à savoir : la rivalité implicite, mais tenace, entre les tenants de la musique écrite/ceux des
99 http://www.electrocd.com/fr/boutique/empreintesdigitales/critiques/
- 6534 ce sujet, on consultera avec profit : Gauthier, Mario : Du sillon fermé au sillon ouvert : quelques préalables
et une discographie, Circuit, vol. 4, n° 1-2, 1993, Montréal, 1993, p. 145-145. 101 L’événement sera capté dans sa quasi-totalité et partiellement retransmis en direct dans le cadre l’émission
Radio-Concert (coordonnatrice : Christiane Leblanc, animation : Michel Keable et Michel F. Coté). Ces captations
furent aussi rediffusées de 1992 à 1994 dans le cadre de l’émission Chants Magnétiques (Animation : Michel F.
Coté, réalisation : Mario Gauthier). 102 Robineau, Anne : Pour une étude sociologique de la musique actuelle au Québec, Musique, enjeux sociaux
et défis méthodologiques : perspectives comparées Québec, France, Cuba, L’Harmattan, France, 2006,
p. 192-193. 100 À
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 31 musiques actuelles, c’est-à-dire entre « l’académisme et le vernaculaire ». Ce sera, durant cette
décennie (1990-2000), dont ce festival sera un condensé, que s’envenimera et explosera au grand
jour ce conflit latent depuis presque une décennie.
À cette époque, en effet, la chaîne culturelle de la SRC commence à donner une place de plus en plus
grande aux musiques actuelles via des émissions comme Musique Actuelle (réalisation : Hélène
Prévost) et Chants Magnétiques (réalisation : Mario Gauthier). En sus, ces musiques avaient acquis,
les années passant, de plus en plus de visibilité et une certaine envergure (sans franchir le seuil des
institutions, cela viendra partiellement dans les années 2000). Au même moment, les musiques écrites
connaissent « une crise de croissance ». Prises entre l’émergence de nouvelles générations de
compositeurs, un structuralisme déclinant dont elles cherchent à se défaire et un postmodernisme pas
encore tout à fait assumé, elles travaillent à se trouver une identité qui soit forte et rassembleuse.
D’un côté, certains les considèrent désuètes et engoncées dans une tradition dépassée. D’autres les
remettent en question via la réhabilitation à la va-vite d’un certain « postmodernisme de commerce »
(à la Philip Glass par exemple) et cela leur nuira parfois beaucoup. Elles portent aussi, pendant un
temps très bref, nous semble-t-il, l’odieux de leur pérennité. Les discours autour la validité des unes
et des autres s’enflammeront alors pendant un temps. Les uns accuseront les autres de fumisterie et
d’amateurisme tandis que les autres revendiqueront la légitimité de leur démarche en dénonçant
l’académisme de leurs rivaux.
Dans les années qui suivent la lancée de cette polémique à laquelle Jean-Jacques Nattiez, rédacteur
en chef de la revue Circuit, donne un ton assez tranchant en demandant, « Faut-il tout accepter? » —
ce à quoi Jean Piché avait répondu : « Non ! Mais acceptons que le jardin soit plus grand que ce que
vous ne le croyez! »103 — on verra trois champs de force se côtoyer. D’un côté, il y aura la musique
écrite qui se cherchera pendant un temps, mais demeure active et dynamique, voire, étend ses
horizons et, de l’autre côté, les musiques actuelles qui connaissent, durant toute cette décennie, un
très grand essor, et ce, tant du point de vue esthétique que de celui de la diffusion et de la
reconnaissance. Et au centre, il y aura les musiques électroacoustiques qui se développeront en force,
en originalité, gagnant d’année en année en reconnaissance publique. Une autre retombée du festival
sera de permettre la mise en place de formes d’échanges artistiques plus ouvertes entre le Québec et
le reste du monde. Ce réseautage, dont Montréal Musique Actuelles posait alors les bases, est
aujourd’hui un des fondements majeurs de la promotion et de la diffusion des musiques nouvelles,
toutes tendances confondues.
C’est dans ce contexte de développement et de divergences qu’émergent de
nouvelles pratiques que faute d’espace pour en définir les détails et ramifications multiples, on
nommera ici « pratiques sonores expérimentales ». Leurs genèses se situent à plusieurs confluents
esthétiques. John Cage en fut l’un des premiers instigateurs. Mais s’y insèrent aussi les influences de
la musique concrète, la pratique d’une certaine école américaine de la musique électronique104, la
musique minimaliste, les démarches de Fluxus105, les musiques microtonales, la musique répétitive, le
« DJing », c’est-à-dire les manipulateurs de tourne-disque, etc. À la base de ce mouvement, il y a la
volonté fondamentale d’explorer, généralement via l’usage d’instruments électriques ou électroniques,
le sonore et ses potentialités sans trop s’embarrasser des questions d’appartenance ou d’allégeances
esthétiques. C’est ainsi que l’ultra complexité, le minimalisme, le low-fi (basse fidélité) et le hi-fi
(haute fidélité), le kitch, le postmodernisme, le collage, l’art brut, l’art conceptuel, etc. s’y côtoient.
103 Nattiez, Jean-Jacques : Faut-il tout accepter?, Circuit, Vol. 1, n° 2, Montréal, 1991, p. 43-49 / Piché, Jean :
Non! Mais acceptons que le jardin soit plus grand que ce que vous croyez!, Circuit, Vol. 1, n° 2, Montréal, 1991,
P. 51-54. 104 Earle Brown, Christian Wolff, David Tudor. 105 « L’un des objectifs ultimes que Maciunas assignait à Fluxus était de saper le rôle traditionnel de l’art et de
l’artiste. Il espérait démontrer que tout un chacun est artiste et les artistes NE sont PAS par conséquent
indispensables. Dès le début, ses buts furent sociaux (pas esthétiques) et soucieux de “l’élimination progressive
des beaux-arts” qu’il voyait comme un gaspillage de ressources susceptibles d’être consacrées à des “fins [plus]
constructives”» (Elizabeth Armstrong, cité in http://www.artperformance.org/article-21977981.html).
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 32 Quatre mouvances ont favorisé son essor :
•
Le détournement d’appareils électroniques tombés en désuétude. L’arrivée du CD, puis la
démocratisation de l’informatique, rendent subitement caduques plusieurs types d’appareils. Des
artistes s’en emparent alors et, à l’exemple des Disc-Jockeys, commencent à en exploiter le
potentiel sonore. Beaucoup d’autres appareils seront récupérés ainsi, le temps passant : jouets
pour enfants (les claviers Casio par exemple), films et projecteurs super-8, micro de téléphone,
vieux synthétiseurs, projecteurs à acétates, magnétophones à ruban et récemment…lecteurs CD…
•
Le « Electronic Hacking » (piratage électronique) et le « Circuit Bending » (reconfigurations de
circuits électroniques) sont deux autres tendances issues de la mise au rancart d’appareils
devenus subitement désuets. Dès les années 1960, John Cage, David Tudor, Alvin Lucier106, etc.,
avaient commencé à « hacker » des appareils électroniques, c’est-à-dire à les détourner pour en
faire naître des sons inouïs. Avec la désuétude rapide de multiples appareils, l’intérêt pour cette
pratique s’accroît. Micro-contact, pick-up de guitare, etc., sont alors redécouverts en tant que
potentiels générateurs « d’objets sonores »107.
•
L’apparition des « home studios » (studios maison) fut peut-être la pierre de taille de ce contexte
d’émergence. Jusqu’au début des années 2000, la composition et le travail sonore à l’aide d’outils
électroniques ou informatiques étaient plus ou moins réservés à une certaine élite. Ils impliquaient
d’avoir de l’argent, de connaître adéquatement l’informatique et les équipements, etc. La
simplification de plus en plus grande des programmes de composition, des outillages ainsi que la
baisse considérable de prix de presque toute la panoplie d’équipements de studio (qui advint vers
1997 et continue depuis)108 change subitement la donne. Elle démocratise rapidement et
radicalement l’accès à ces ressources et amène, par la bande, des artistes issus d'autres
disciplines que la musique à s’y intéresser. •
L’émergence ultra rapide (moins de dix ans) de ce que l’on appelle les arts médiatiques qui,
transdisciplinaire par définition, impliquent l’usage de la technologie et de ses avatars « pour
servir à la production d'œuvres d'art. Les artistes qui sont associés aux arts médiatiques travaillent
entre autres en cinéma expérimental, en vidéo, en holographie, en infographie, en copigraphie et
en art réseau. Ils créent des installations multimédias et interactives. Ils utilisent des ordinateurs,
des télécopieurs, des satellites »109. Et le son n’y est pas une donnée innocente, bien sûr. De plus, l’usage du numérique, qui permettait d’obtenir un « son ultra propre », incite aussi beaucoup
d’artistes à explorer des zones jusqu’ici « interdites d’accès » ou considérées comme résiduelles (bruit
de fond, défauts ou limite de l’enregistrement, etc.). Ils en envisagent le potentiel esthétique et
lentement, la basse fidélité et ses innombrables dérivés deviennent des « genres en soi ». Cette idée,
combinée à la technologie numérique (qui permet de magnifier cet aspect du son) et la réintégration
d’éléments sonores considérés comme étant inadéquats en musique électroacoustique (le « beat », le
drone, la trame, la boucle, etc.) posent les balises d’une esthétique qu’on nommera, selon les artistes
et leurs allégeances esthétiques, art audio ou art sonore. Ce type de pratique intéressera beaucoup
les jeunes générations. Ce qui aura pour effet d’élargir considérablement l’offre esthétique rattachée
aux musiques d’origines électroniques et, par extension, aux musiques écrites et improvisées qui se
laisseront lentement « contaminer » par cette reconsidération du rôle de l’outil et de l’instrument,
rendant les démarcations entre ces trois genres de plus en plus poreuses.
Au fur et à mesure que cette pratique émerge et se déploie en divers genres (art audio,
106 Avec, par exemple, Cartrige Music (Cage:1960), Rainforest (Tudor:1965), Music for Solo Performer (Lucier:
1965).
107 Le groupe Sonde qui, sans faire dans le « electronic hacking » à proprement parler, inventa ses propres
instruments dans les années 70 et s’inscrira, de ce fait, en précurseur de cette mouvance. 108 Dans les années 1990, acheter un ordinateur et un programme de son comme Protools (usagés) pouvaient
facilement coûter $5000. Aujourd’hui, on peut monter un studio neuf de très bon calibre pour ce prix. À titre
indicatif, on retrouve des consoles à $300, certaines versions de Protools se vendent maintenant $400, etc... 109 http://132.208.118.245/frames/termA.html Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 33 arts médiatiques, etc.), de nouveaux producteurs, centre de recherches et diffuseurs apparaissent.
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Avatar, association de recherches et de créations sonores et électroniques dont les destinées
furent longtemps dirigées par Jocelyn Robert, est fondé en 1993 à Québec. Ils furent les premiers
à spécifiquement défendre la notion d’art audio110
Recto-Verso, autre collectif de Québec (1984) dont la mission résume à elle seule ce que nous
entendons par « art médiatique », lequel implique, comme nous l’avons dit antérieurement, l’idée
de transdisciplinarité et de ses corollaires111
La Société des Arts Technologiques (1996 – SAT), « centre transdisciplinaire de recherche et
création, de production, de formation et de diffusion vouée au développement et à la conservation
de la culture numérique »112
Le Studio XX (1996 : Kim Sawchuck, Patricia Kearns, Kathy Kennedy et Sheryl Hamilton), « centre
d’artiste féministe bilingue engagé dans l’exploration, la création et la critique en art
technologique »113
Perte de signal (1997 : Robin Dupuis, Julie-Christine Fortier, Isabelle Hayeur, Rémi Lacoste et
Sébastien Peso), « centre de production, de recherches et de développement de projets
artistiques en arts néomédiatiques. Prenant différentes formes — de la création sur disque
numérique à l’installation immersive in situ — les projets de diffusion cherchent à repenser les
modes de présentation des œuvres numériques »114
Elektra (1999), une ramification de l’ACREQ dirigée par Alain Thibeault consacrée spécifiquement
aux arts électroniques et numériques (vidéo musique, robotique appliquée au sonore, etc.) Mutek (2000 : Alain Mongeau), « dédié à la diffusion et au développement des formes
émergentes de la création numérique sonore, musicale, visuelle »115
Et... des galeries d’art comme Oboro (1982), des commissaires tels Éric Mattson (2002) et Nicole
Gingras (2002) dont le travail est axé vers le sonore, etc.
Des étiquettes de disques indépendantes plus ou moins marginales apparaissent et
en assurent le rayonnement. Certaines de ces étiquettes telles No Type (1998), Alien8, Oral (c.
2002116), etc., sont relativement bien organisées et distribuées, mais plusieurs autres ne sont pas
aisées à recenser, car contrairement aux musiques nouvelles « traditionnelles », la commercialisation
à très petite échelle du produit est littéralement une posture politique et socioculturelle. Chez No
Type, Alien8 ou Oral, par exemple, on retrouve des musiques et travaux de toutes allégeances.
Bruitisme, drone, DJing, musiques immersives, free improv, musique expérimentale improvisée,
approches plus conceptuelles, beat music, etc. sont autant de genres qui y trouvent leur place.
Comme chez Empreintes DIGITALes, on retrouve, sur cette étiquette, des œuvres d’artistes locaux et
d’artistes étrangers. Le tout est assez aisément accessible et bien distribué. Par contre, d'autres sont
110 Les artistes pratiquant l’art audio s’intéressent au son de façon différente des musiciens. Habitués à
l’abstraction, l’écoute réduite de Pierre Schaeffer est d’emblée une modalité d’écoute allant de soi pour eux. Ils «
regardent » le son, c’est-à-dire que le son, jusque-là considéré comme objet musical abstrait par les musiciens
devient « (...) un matériau (...) qui peut être utilisé indépendamment de la représentation et de l'écriture
musicales. Parallèlement, les espaces de l'exposition/installation [deviennent] des lieux possibles pour l'expression
musicale - nombreux sont les artistes qui ne cherchent plus à se situer par rapport à une distinction entre ces
domaines ou qui ne prennent plus comme principe cette distinction ».
http://locusonus.org/w/index.php?page=R%26D+audio+in+art.
111 « Privilégiant depuis près de vingt-cinq ans une approche qui combine le risque et la complexité artistiques,
Recto-Verso élabore, produit et diffuse des œuvres qui fusionnent des langages, des matériaux, des techniques,
des formes et des procédés artistiques de toute nature. Actif et engagé à l’égard de la multidisciplinarité, RectoVerso se veut l’expression des mutations conceptuelles et technologiques qui agitent autant les pratiques que les
formes inattendues de " l’art multi" ».
http://www.mmretc.overso.org/index.php?option=com_content&task=view&id=35&Itemid=50 112 http://www.sat.qc.ca/page.php?id=10&lang=fr 113 http://www.studioxx.org/mandat 114 http://www.perte-de-signal.org/ - fr/Informations/ 115 http://www.mutek.org/fr/about_mutek/mission 116 Fondateur : Éric Mattson. 35 disques à ce jour. Mattson organise beaucoup d’événements, 3 ou 4 par année,
et contribue beaucoup au rayonnement de ce type de recherche.
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 34 dans la marge de la marge. Les fondateurs de l’étiquette Le Son 666 (Nicolas Dion, Anne-Françoise
Jacques et Jean Michel Gadoua), proposent eux aussi des travaux exploratoires, mais considèrent qu’il
n’est pas intéressant pour eux de s’insérer dans des regroupements déjà existants, d’où leur « automise à l’écart » et leur évolution en parallèle aux « circuits officiels ». On ne retrouve donc que peu ou
pas de trace de leurs CD dans les catalogues habituels non plus que dans les magasins de disques. Ils
sont faits à la main et sont vendus en « main à main », dans d’anciennes distributrices à cigarettes
(les Distrobotos de la Sala Rossa), posés sur un site Internet ou refilés à des distributeurs amis (Oral
par exemple). La promotion se fait via des listes d’envoi, des sites personnels, sur MySpace,
SoundCloud ou autres espaces de ce type.
Quelques artistes et regroupements qui travaillent dans cette optique plus « underground », ou si l’on
préfère, micro communautaire (ou y vont et viennent) :
Aimé Dontigny, David Turgeon, Esther B. (Esther Bourdages), Nicolas Bernier, Nicolas Dion, AnneFrançoise Jacques, Nancy Tobin, Nicolas Caloia, Érick d’Orion, Magali Babin, Alexis Bellavance, Julie
Rousse, Eucci, L’orchestre de granulation, Jacques Gravel, John Heward, Martin Tétreault, Philémon
Girouard, Rainer Weins, Guillaume Théroux-Rancourt (alias Le Chien borgne), James Schidlowsky,
Alexandre St-Onge, Sam Shalabi, Œuf Korreckt (Frédérick Blouin), etc.
On signalera, en terminant que cette notion de microcommunauté, quoique encore émergente, est
très prégnante et compte de plus en plus d’adhérents (les mercredimusics, La Brique Ample,
24Gauche, les Mardi-Spaghetti du Cagibi (à Montréal),Tartare (Québec), le bar l’Agitée, (id.) etc.).
On notera aussi que, depuis 2006 particulièrement, les technologies changent si rapidement que le CD
est déjà considéré comme obsolète, que le téléchargement est son éventuel successeur, mais qu’en
même temps, le MP3 n’est pas considéré comme étant assez performant en termes de qualité sonore
pour être utilisé comme « support final » pour les œuvres. Cela génère une sorte d’apesanteur, une
sorte d’état de suspension quant à l’avenir de la diffusion phonographique.
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 35 6. DIVERSIFICATION DES PRATIQUES ET CONSOLIDATION
DES FORCES VIVES
Le tournant du millénaire marque un élargissement significatif des pratiques dans le domaine
des musiques nouvelles. Il signe aussi le début d’une accélération technologique sans précédent dans
l’histoire humaine117. Cette accélération subite, dont on pouvait pressentir la poussée depuis une
décennie, aura des impacts radicaux. On peut noter, entre autres changements :
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Un déploiement non plus linéaire, mais rhizomatique des pratiques;
Une reconsidération de certaines d’entre elles (l’électro, notamment, fera des essais dans des
domaines auparavant inexplorés);
Une remise en question des formes, des moules liés à l’événementiel, tous genres confondus;
Un étoilement des langages et des genres : les genres se contaminent les uns les autres de façon
significative;
Une forte tendance à la combinaison de formes artistiques différentes. Parmi les combinaisons
explorées, le mariage vidéo/musique intéressera de plus en plus d’artistes et d’ensembles vers la
fin des années 2000118;
Une reconsidération radicale de la notion même de compositeur qui tend maintenant à se
confondre avec celle d’artiste pluridisciplinaire.
Hier n’étant pas encore devenu réellement du passé, nous nous arrimerons autant que faire se peut à
quelques événements porteurs.
Selon nous, ceux-ci furent :
a)
La Symphonie du millénaire
La Symphonie du millénaire, donnée à entendre le 3 juin 2000, fut indéniablement LE plus grand
événement de musique nouvelle à s’être déroulé au Québec. Imaginée par Denys Bouliane et Walter
Boudreau, directeurs artistiques, et mise en place par la SMCQ pour célébrer l’arrivée du nouveau
millénaire, l’œuvre restera sans doute longtemps sans équivalent dans l’histoire de la musique
nouvelle. Qui plus est, le succès public fut au rendez-vous : 70,000 personnes se réunissaient ce jourlà sur le site de l’Oratoire Saint-Joseph pour entendre une œuvre d’une ampleur dont Berlioz n’aurait
pas osé rêver : 19 compositeurs et compositrices119, 333 musiciens120, 2000 carillonneurs auxquels
s’ajoutaient 15 clochers, un grand orgue, un carillon de 56 cloches et deux camions de pompiers. Elle
fut diffusée en direct à la Chaîne culturelle de Radio-Canada.
Cette symphonie préluda aussi à un changement progressif d’orientation de la diffusion de la musique
écrite que l’on commence à placer alors davantage d’un point de vue festif. En ce qui concerne la
SMCQ par exemple, la saison régulière, demeure, mais s’y ajoutent maintenant deux séries, soit :
Montréal Nouvelles Musiques (MNM) – Événement biennal (2003-2005-2007-2009-2011) qui prend la
117 Cet effet, nommé « théorie de la singularité », avance l’idée que le progrès (scientifique) tend à suivre une
courbe exponentielle : « Si on accepte cet axiome du pape de la futurologie Ray Kurzweil, il adviendra plus de
révolutions technologiques au cours des cinquante prochaines années que nous en avons connues lors des cent
cinquante dernières » (Bruno Bonnel, Viva la robolution – une nouvelle étape pour l’humanité, JC Lattès,
France 2010, p. 19. 118 L’ECM+, le NEM, Elektra, Sixtrum, etc.
119
Serge Arcuri, Walter Boudreau, Denys Bouliane, Vincent Collard, Yves Daoust, André Duchesne, Louis Dufort,
Espaces sonores illimités (Alain Dauphinais, André Hamel, Alain Lalonde), Sean Ferguson, Michel Gonneville,
Estelle Lemire, Jean Lesage, Luc Marcel, Marie Pelletier, John Rea, Anthony Rozankovic et Gilles Tremblay.
120
I Musici, Codes d’accès, SMAM, Les Idées heureuses, le NEM, l’ECM+, l’OSM, Musica Camerata, l’Arsenal à
musique, SuperMémé, le Quatuor Molinari, Chants libres, la SMCQ, les Petits chanteurs du Mont-Royal et la
musique du Royal 22e Régiment.
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 36 forme d’un « véritable "marathon musical", au cours duquel [on peut] assister à une vingtaine de
concerts, des colloques et différentes installations et expositions »121. Par sa pluralité, cet événement,
contribuera de façon significative au décloisonnement et à l’éventuelle convergence des divers milieux
(dès le début, MNM a rassemblé des créateurs et artistes issus des musiques écrites, des musiques
actuelles, de l’électro, etc.)... qui a tout d’abord alterné avec Musimars (2002-2004-2006), puis avec la
série Hommage qu’elle consacre à un compositeur. Jusqu’ici, Claude Vivier et Gilles Tremblay ont été
célébrés de cette façon. Avec un retentissement certain. « [Lors de la 44e saison de la SMCQ], plus de
40 000 personnes ont entendu au moins une œuvre de Gilles Tremblay grâce à l’initiative de la Série
Hommage. Parmi eux, nous pouvons compter 14,215 enfants à travers la province dans le cadre du
projet Grand jeu / Grande écoute. La Série montréalaise de la SMCQ a (...) [rejoint] 1495 personnes;
le spectacle jeunesse La fugue et ses ateliers préparatoires ont atteint (...) un auditoire de 7629
enfants; l’auditoire de la SMCQ Jeunesse, tous projets confondus, a dépassé le cap de 25,000! »122.
Même si, pour d’aucuns, cette symphonie fut une réponse directe à la polémique née six ans plus tôt
autour de « l’accessibilité de la musique contemporaine » soulevée par Lise Bissonnette et que,
« compositionnellement parlant », le symbolisme musical utilisé pour structurer cette immense
partition fut critiqué par certains, l’œuvre fut considérée comme étant « abordable », festive et
amenait un très large public à la musique nouvelle. Mais surtout et pour la première fois, une vaste
majorité des intervenants du milieu des nouvelles musiques montréalaises travaillèrent ensemble à
l’édification d’une œuvre commune. Ce geste précurseur peut être considéré comme étant un de ceux
qui auront pavé la voie à la fondation, en 2007, du Vivier.
b)
SuperMicMac – La présence accrue de la création au féminin
Série d’événements se déroulant en plus de dix endroits, proposant treize concerts, un théâtre
musical, un récital commenté, deux conférences, une table ronde, une exposition, quatre « 5 à 7 »
avec plus de cent artistes venant des quatre coins du Canada, SuperMicMac, organisé par
SuperMusique à l’automne de la même année, fut un autre événement phare, lui aussi placé sous le
signe de la fête. « Célébration (...) organisée en l’honneur des créatrices et des innovatrices de Halifax
à Vancouver d’hier jusqu’à aujourd’hui »123, l’événement permit de faire le point — et cette mise au
point était nécessaire depuis fort longtemps — sur l’apport des femmes au milieu de la musique
nouvelle. Car, comme le demandait très pertinemment Marie-Thérèse Lefebvre dans le programme de
l’événement : « Depuis 1975, l’intervention des femmes dans le milieu musical québécois est bien
connue et on peut facilement mettre des noms sur celles qui composent, interprètent, dirigent,
animent et gèrent la musique. Mais avant? Y a-t-il une histoire? Avons-nous construit une mémoire
collective du travail de ces femmes qui nous ont précédées? »124
La réponse résidait toute entière dans la question : non! Mais elles y travaillaient fort depuis
longtemps
121 http://www.festivalmnm.ca/fr/2011/ 122 http://www.smcq.qc.ca/smcq/fr/hommage/2009/ Danielle P. : Célébration, SuperMicMac – Programme, Montréal, 2000, p. 3. Marie-Thérèse : Sous le signe du ralliement, SuperMicMac, Programme, Montréal, 2000, p.2. Ces
lignes pourraient être écrites au présent car même si dans certains domaines - les arts médiatiques par exemple on retrouve davantage de femmes que d’hommes, qu’on retrouve de plus en plus de femmes dans tout les
domaines de la musique et qu’elles sont extrêmement actives dans le milieu, leur participation est encore trop
peu mise en valeur. On retrouve, ça et là, au cours des années, des concerts, événements, mais on présente
encore et toujours ces travaux « en marge » de l’activité musicale habituelle, c.-à-d. dans des contextes souvent
ponctuels et circonstanciés. En ce sens, il faut souligner les très importants efforts déployés par tous et chacun
pour améliorer cet état de fait (ex: l’ECM+ et son événement Les Marquises en 2007, un des rares concerts de
musique écrite pour grand ensemble exclusivement consacré à la création féminine, au cours des 20 dernières
années, Supermusique et son SuperMicMac en 2000, le studio XX qui dispense des cours en technologies
numériques spécifiquement au femmes, le concert Travaux électroniques féminins, organisé dans le cadre des
célébrations entourant le 20e anniversaire d’Empreintes DIGITALes (DIFFUSION i MéDIA), etc. La série Hommage
2011-2012 (SMCQ) consacrée à Ana Sokolovic est, en ce sens, un heureux précédent puisque l’événement se
déroule sur une année complète.
123 Roger,
124 Lefebvre,
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 37 et cette « célébration » – pour reprendre à notre compte le terme de Danielle P. Roger – en
témoignait bien.
De la visée au but, le chemin fut long et laborieux. Jusque dans les années 1985-1990, très peu de
femmes compositrices exerçaient réellement leur métier au Québec. Il y eu des pédagogues et
musicologues dont l’action fut déterminante telles, au premier chef peut-être, Maryvonne Kendergi,
suivie de près par Françoise Aubut, Jocelyne Binet, Luce Beaudet, Andrée Desautels, Jeanne Landry,
Marcelle Guertin, Louise Hirbour, Marie-Thérèse Lefebvre Élise Paré-Tousignant, etc. et par des
compositrices pour qui il ne dû pas toujours être simple d’œuvrer dans un monde d’hommes. Il faudra
attendre les années 1970 pour que les œuvres de Micheline Coulombe St-Marcoux, Marcelle
Deschênes ou Gisèle Ricard soient ouïes. Les années 80 ouvriront peu à peu les portes et d’autres,
beaucoup d’autres empruntent depuis ce chemin qui, aujourd’hui, est bien plus et mieux fréquenté
qu’il y a 15 ou 20 ans125. Ce qui ne veut nullement dire qu’il y a parité. La musique, qu’elle soit
nouvelle ou classique, demeure encore un monde dans lequel une majorité d’hommes détiennent les
postes clefs. Mais cette question d’équité entre les hommes et les femmes déborde du cadre de la
musique. Elle n’est que la mince frange d’une problématique qui concerne la société dans son
ensemble.
c)
1994-2004 : Backward/fast foward - médiation et musiques nouvelles
Convergences et nouvelles alliances sont sans doute les deux mots qui définissent le mieux
certaines des grandes mouvances des années 2000. Dans ces années, le paysage socioculturel change
rapidement et les divers organismes de productions s’en ressentent. Deux événements marquants,
situés à 12 ans d’écarts, traduisent l’ampleur et la portée : le débat sur la médiation des musiques
nouvelles et ce qui en fut symboliquement le lointain écho : la fermeture de la chaîne culturelle de
Radio-Canada.
1994 : « L’année 1994-1995, à Montréal et au Québec, a été marquée par un débat public inhabituel :
alors que la musique contemporaine reste confinée le plus souvent à un petit cercle, une discussion
vive sur ses enjeux et son devenir s’est répandue dans nos quotidiens et sur les ondes de la radio
d’État. (...) Au départ, une lettre privée de Lorraine Vaillancourt, directrice artistique et fondatrice du
Nouvel Ensemble Moderne, à Lise Bissonnette, directrice du Devoir, (...) : « Comment expliquer qu’à
l’aube du XXIe siècle, nous soyons musicalement si ignorants du XXe? Je ne veux pas vous attarder
sur l’explication du phénomène de rupture. » Le grand mot était lâché. Le 3 octobre 1994, Lise
Bissonnette renvoie la balle dans le camp des compositeurs : « II est vrai que le Québec et le Canada
sont désespérants de médiocrité, que nos écoles préparent surtout le public du rire et du rot devant
toutes les sortes d’écrans. Mais je résiste au postulat sur lequel se rabattent les créateurs de pointe.
La rupture commence à me rompre. La question tient au sens, au système d’un art qui voudrait tant
nous toucher tout en se construisant désormais hors de nous. Y a-t-il une réponse dans la salle? »126
En ces quelques lignes, Jean-Jacques Nattiez résumait les termes d’un débat qui enflamma les esprits
pendant presque un an. Elle impliquait de multiples niveaux de questionnements touchant de près les
pratiques de la musique nouvelle prise dans son ensemble (et ce, même si elle concernait d’abord la
musique écrite) : comment expliquer l’absence de la musique contemporaine sur la place publique? La
musique écrite contemporaine est-elle « accessible »? À qui s’adresse-t-elle? Quels sont ses rapports
avec la culture en général? Pourquoi ne trouve-t-elle pas de place dans les médias? Peut-on ou doiton l’aborder avec des critères aussi subjectifs que le beau, l’accessibilité, etc.?
Vieux débat, vain débat diraient certains!
Mais il n’apparut pas ainsi à l’époque. À lire les réponses et réactions à ce « pavé » lancé par Lise
Bissonette, rédactrice en chef du journal Le Devoir à cette époque, on pouvait croire que la musique
écrite (et par extension, nouvelle) était sclérosée, moribonde, engoncée dans des formes et modalités
d’expressions qui n’avaient pas bougé depuis les années 50.
125 Pour en connaître davantage sur ce sujet, on consultera avec profit l’ouvrage de Marie-Thérèse Lefebvre La
création musicale des femmes au Québec, Éditions du remue-ménage, Montréal, 1991. 126 Nattiez, Jean-Jacques : Editorial, Circuit, vol 7, n° 1, Montréal, 1996, p. 5. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 38 Or, c’était tout le contraire. Au moment de ce débat127 dont on perdit rapidement de vue, nous
semble-t-il, la question centrale, à savoir : celle de sa présence dans les médias pour ne se pencher
que sur son « accessibilité », la musique écrite est littéralement « au meilleur de sa forme ». Certes,
son développement ou sa visibilité n’étaient pas aussi spectaculaires que celles des musiques actuelles
et électroacoustiques, mais il faut attribuer cette impression à « l’effet de nouveauté » qu’engendrait
l’émergence relativement subite de ces dernières sur la place publique. Or, cet effet, une fois dissipé,
sous-tend que la pratique émergente en question se consolide ou disparaisse. Et la musique actuelle
et l’électro n’en étaient pas là. À cela, il faut ajouter que les pratiques ayant un plus long passé
tendent, pensons-nous, à évoluer sur de plus longues durées et selon le modèle de l’arbre plutôt que
de manière rhizomatique. En musique écrite notamment, « l’effet de l’instant » n’existe pour ainsi dire
pas. Contrairement à certains mouvements esthétiques où les artistes vont et viennent « au gré des
Zeitgeists », on retrouve, en musique écrite, une tradition, et donc conséquemment, une certaine
constance. Tout organisme qui atteint une certaine maturité passe par ce stade qui se manifeste par
une décélération de l’effet de nouveauté. En musique électroacoustique, par exemple, Réseaux dont
la spécificité est la musique acousmatique, est, depuis quelques années, confronté à cette question «
d’image projetée ». La question qui se pose actuellement pour eux – et qui se posera sans doute sous
peu pour les musiques actuelles et improvisées – est : quand une pratique atteint sa maturité,
comment se renouvelle-t-elle ou se repositionne-t-elle (si besoin est) tout en conservant ses acquis?
La musique écrite était passée bien avant tout le monde par ces questionnements et en était sortie
grandie. Certes, la SMCQ avait beaucoup défendu, particulièrement dans les années 1966-1980, le
répertoire issu de l’école structuraliste. Mais elle s’était assez rapidement réorientée vers des
approches plus ouvertes, ce qui avait alors permis à plusieurs autres générations de compositeurs de
se faire entendre. Aux voix des pionniers s’étaient alors peu à peu ajoutées – avec un accelerando
notable à l’arrivée de Walter Boudreau comme directeur artistique en 1988 – les voix de Claude Vivier,
Michel-Georges Brégent, Michel Gonneville, Raynald Arseneault, Linda Bouchard, André Villeneuve,
Denys Bouliane, Michel Longtin, Marc Couroux, Isabelle Panneton, Nicolas Gilbert, Serge Provost, Jean
Lesage, André Hamel, Denis Gougeon et beaucoup d’autres. La fondation des Événements du Neuf,
en 1978, puis, à partir de 1986, la mise en place de multiples nouveaux ensembles et regroupements
enrichiront, à leur tour, le paysage musical.
Bref, la situation en 1994, c’est-à-dire au moment où émerge ce singulier débat est à l’exact opposé
de ce qu’il laisse entendre. La musique écrite, loin d’être poussive, anémique ou en perte de vitesse,
couvre grand et large. Dans ce même numéro de Circuit, la rubrique de la saison 1994-1995 est
d’ailleurs très instructive quant à ce constat de bonne santé. Dominique Olivier relève notamment qu’«
un mot s’impose d’emblée lorsqu’on jette un regard a posteriori sur la saison 1994-1995 en musique
contemporaine : accessibilité »128. Les regroupements et ensembles font, selon elle, des efforts
évidents pour éliminer le « vernis d’austérité qui donnait tant de chic aux concerts des initiés du
discours de la musique du XXe siècle »129. Et elle recense la saison de 4 organismes, 4 concerts ainsi
que Les journées du 20e siècle organisées par l’OSM qui regroupait six sociétés montréalaises (le
NEM, I Musici, la SMCQ, l’ECM+, l’ACREQ, le Conseil québécois de la musique).
Quoi penser de ce débat, après quelque 15 années? Faux débat? Malentendu?
Nous penchons beaucoup pour la seconde hypothèse. Car, sans affirmer que la musique écrite, ou de
façon plus générale, les musiques nouvelles rejoignent un large public, il nous semble que cette
accessibilité est directement tributaire de la place que l’on veut bien leur donner médiatiquement
parlant. Et il est faux de penser que cet argument est un simple prétexte ou un refuge commode pour
127 Qui prit des proportions importantes. Selon Nattiez (op.cit.), entre octobre 1994 et décembre 1995, quinze
articles parurent dans les journaux Le Devoir, La Presse, Voir, et les revues Liberté, Alternance, etc. À cela se
sont ajoutés une table ronde patronnée par le Conseil québécois de la musique diffusée à l’émission Musique
Actuelle (SRC), une conférence de John Réa prononcée dans le cadre des journées de musiques du 20ième siècle
organisées par l’OSM, une autre table ronde tenue dans le même contexte dont le titre était « Qui a peur de la
musique contemporaine? », un concert du groupe « Les mélodistes indépendants » (Anne Lauber, Raymond
Daveluy, Rachel Laurin, Alain Payette), etc. 128 Olivier, Dominique: L’accessibilité comme nouveau critère esthétique, Circuit, vol 7, n° 1, Montréal, 1996,
p.93-110. 129 Op. cit., p. 94. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 39 les créateurs et artisans, car vu de leur seul côté, ce silence s’explique plutôt mal. C’est donc de CELA
qu’il était question, au fond130.
Quoiqu’on en dise, les médias sont et continuent donc, a priori, d’être partie prenante de ce débat qui
demeure entier aujourd’hui. Ils en sont même largement imputables, car ils ne font que la promotion
de ce qui leur sied bien. Et, de musiques nouvelles, ils ne veulent point131. Avant l’accessibilité du
genre ou du langage, le beau ou le laid, le refus des créateurs de jouer le jeu d’une société du
spectacle et du commerce, il y a l’accès à une tribune publique. Et cet accès peut être permis ou
interdit.
L’avenir se chargera de montrer qu’une large portion du problème résidait spécifiquement là, dans cet
accès aux ressources primaires de diffusions publiques en général, toutes plateformes confondues
(Internet excepté). Lequel, pour ces musiques, si bien portantes soient-elles, demeure encore
aujourd'hui largement prohibé.
Il n’y a pas plus sourd que celui ne veut pas entendre, certes, mais si on ne lui donne rien à entendre,
peut-on supposer d’emblée qu’il est sourd?
(...)
2004 : À l’automne 2004, la chaîne culturelle de Radio-Canada se retire subitement de « la diffusion
de la culture de pointe »132.
Même si tout cela paraît déjà terriblement lointain, voire abstrait, il importe de savoir que jusqu’à ce
moment, un grand nombre de milieux (musicaux et culturels) profitaient des possibilités de diffusions
offertes par la défunte chaîne culturelle de la SRC (auparavant : le FM de Radio-Canada). Cette chaîne
captait et produisait une très grande quantité de concerts, festivals, événements, productions en
studio, etc., pour fournir du matériel à ses différentes émissions. En se retirant de la captation des
musiques nouvelles, la SRC supprima donc à la fois une tribune de diffusion pancanadienne – c’est-àdire un outil de rayonnement important – à ces musiques et élimina du même coup, une source de
financement modeste, mais stable à une grande partie des organismes et ensembles qu’elle avait
jusque-là supportés. Certes, pour paraphraser Lafontaine : « Ils ne moururent pas tous, mais tous
furent frappés ». À différents degrés, bien sûr, car certains groupes ou milieux étaient plus soutenus
que d’autres, mais dans l’ensemble, cette perte financière et promotionnelle fut significative pour la
vaste majorité des groupes et individus œuvrant dans le domaine des musiques nouvelles.
d)
Fragmentations
Cela dit, il serait très réducteur de considérer que cette perte de rayonnement et de financement
explique, à elle seule, le phénomène de fragmentation et de dispersion des publics, déjà perceptible
au seuil des années 2000. Pour en saisir toute la portée, il faut, en fait, la jumeler à plusieurs autres
facteurs socioculturels. Le très grand nombre de diffuseurs, l’implantation du modèle affairiste dans
130 La convergence actuelle des médias
n’aide pas cette cause. À titre indicatif, du côté radio, Astral Média
possède 24 stations de radio (21 francophones et 3 anglophones) et Cogeco 13 (12 francophones et une
anglophone) - (Brousseau-Pouliot, Vincent : Cogeco peut acheter Corus, La Presse, samedi 18 décembre,
Montréal, 2010, p. 5). On peut aussi se demander, comme nous l’a signalé pertinemment Marie-Thérèse
Lefebvre, pourquoi, en musique, « il n’y a qu’un seul critique par journal et qu’aucun autre papier ne pouvait
provenir de quelqu’un d’autre, comme c’est le cas en littérature et arts visuels? La longévité d’un Claude Gingras,
par exemple, ne se retrouve pas ailleurs. Ceci ne vaut que pour la presse écrite ». Et que « pour ce qui est de la
radio et de la télé, le contrôle est entre les mains de quelques têtes, toutes les mêmes, et aucune ne relèvent de
l’art proprement dit » (Marie-Thérèse Lefebvre : communication avec l’auteur). 131 Pour donner à César ce qui lui revient, les radios communautaires font de très grands efforts en ce sens,
particulièrement CKUT. 132 Le terme « culture de pointe » est de nous. Il fait référence à la réflexion qui commence à émerger autour de
la notion de « culture de masse ». Le fait de désigner péjorativement certaines pratiques comme étant « pour les
initiés » ou comme étant « pointus », voire de considérer qu’il existe une « high » et une « low » culture
témoigne de l’existence de cette culture et que la notion de culture, au sens traditionnel du terme, n’est plus
forcément « la vie avec la pensée » (Finkielkraut, Alain : La défaite de la pensée, Folio essais, France, 1987). Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 40 certains milieux culturels et institutionnels, la désaffection du public et son morcellement de plus en
plus marqué, l’effritement du tissu urbain, l’exode vers la banlieue, l’accès de plus en plus simplifié à
de multiples produits culturels (DVD, CD, chaînes radio ou télé spécialisées, etc.), l’accélération de nos
modes de vie, le banal - mais affreusement réel - « manque de temps », l’émergence des réseaux
sociaux, l’indépendance radicale de certains groupes d’artistes qui, ne se sentant pas à leur place dans
les structures déjà existantes (ceux des micro-communautés particulièrement), évoluent de plus en
plus dans la marge de la marge, sont quelques facteurs qui témoignent d’un changement radical des
réalités socioculturelles et expliquent, au moins à parts égales, cette érosion du rayonnement des
pratiques. Un autre facteur très important est la disparition annoncée (depuis quelques années
maintenant) du disque compact, outil de rayonnement fondamental qui, du fait de l’émergence latente
de nouveaux modèles de diffusion-production-distribution « on the NET » affecte directement la
diffusion et, in extenso, les sphères de la production, de la distribution et de la promotion.
Dans certaines sociétés de concerts, on fait avec pour le mieux. Dans d’autres, on y pressent une
catastrophe annoncée et on travaille très fort à essayer d’en contrer les effets.
Chose certaine, tous ces facteurs combinés entraînent indéniablement une certaine désinformation du
public vis-à-vis les nouvelles explorations artistiques en général. Simultanément, ces changements
engendrent aussi une prolifération sans précédent de nouvelles tendances dont certaines ne sont que
des conques creuses et d’autres, des prémisses prometteuses. D’une certaine façon, c’est tout le
modèle de diffusion, voire peut-être même, la raison d’être de ces musiques qui sont questionnées.
Car on peut se demander si « à la fin, plusieurs ne sont pas las de ce monde ancien » (dixit
Apollinaire), syndrome typique de l’hypermodernité133. Conséquemment, on peut donc s’interroger à
savoir si les organismes « traditionnels » ne devront pas, de gré ou de force, trouver d’autres modèles
de diffusion, comme tentent d’ailleurs de le faire l’ECM+, le NEM, la SMCQ, SuperMusique, Réseaux,
Sixtrum, etc. et les pratiques audio expérimentales via des festivals (MNM, ELEKTRA), la collaboration
avec d’autres ensembles (l’ECM+ et l’ensemble de flûtes Alizé, (depuis 1999), avec l’orchestre de
chambre McGill en 2009, le temps du spectacle Jardins féeriques, etc.), l’exploration de diverses
formes de métissages ou la remise en question de la forme traditionnelle que prend le concert
(l’ECM+ et son opéra Les aventures de Madame Merveille, Erreur de type 27, les événements
organisés par Éric Mattson) les événements vidéo-musique, l’ouverture à d’autres pratiques
esthétiques (Réseaux, le Mois Multi ), etc. Mais quoi qu’on en dise ou fasse, le fait est là. La
désaffectation du public n’est pas un phénomène passager. Il faut faire avec. La question étant :
comment?
e)
La recherche de rayonnement : les tournées
En musique écrite, la tournée, tel qu’on entend le terme, commença modestement mais prit
une importance de plus en plus grande les années passant. Dans les années 1970-1980 par exemple,
la SMCQ fit quelques tournées, mais le travail qu’elle faisait au pays était si capital - elle était, tout
compte fait, la seule société de concerts à défendre la musique écrite à ce moment - que cela fut
pendant longtemps (pour cet ensemble), presque une option. On n’en était pas non plus, socioculturellement parlant, à l’idée du « village global », c’est-à-dire que le rayonnement outre frontière
n’était pas aussi simple et nécessaire qu’aujourd’hui. Cela dit, entre 1972 et 1977, la SMCQ fera des
tournées à Royan, Bruxelles, Paris, Washington, Boston, ainsi qu’en Angleterre, en France, en
Allemagne et en Belgique. Suivront des tournées à Rimouski, Trois-Rivières, Chicoutimi, Orford,
Joliette et Québec (1983), puis en Alberta, en Colombie-Britannique, en Ontario, en Belgique, en
133 « Un des aspects de l’hypermodernité, c’est qu’elle n’est pas un système qui a évolué à rebours de la
modernité ou de la postmodernité. Elle est l’extension, la limite extrême des possibilités contenues dans ces deux
autres états. (…) [L’hypermodernité] (...) conserve toutes les valeurs de la modernité, MAIS, ces valeurs sont de
plus en plus contestées car beaucoup moins opératoires et protectrices qu’elles n’étaient dans la période
précédente » (http://www.ecogesam.ac-aix- marseille.fr/Resped/Ecogen/hypermod.htm). On peut ajouter qu’elle
n’est pas « (...) celle de la fin de la modernité, mais celle qui enregistre l’avènement d’une nouvelle modernité.
[L’]hypermodernité. (...) [n’est nullement] une postmodernité mais une modernisation hyperbolique, le
parachèvement de la modernité. » (Institut Paul Bocuse, Cycles de conférences « Grands Témoins » sur
le thème de « l’hypermodernité », Extrait de la conférence de Gilles Lipovetsky - 4 octobre 2010 :
http://www.institutpaulbocuse. com/media/.../extrait-confgilles-lipovetsky.pdf). Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 41 Hollande et en France (1988). Ils iront aussi, en partenariat avec le NEM, - et ce fut un moment très
important en terme de rayonnement - au Festival Présences organisé par Radio France, à Paris en
1999. À cette occasion, plus d’une cinquantaine de musiciens et artisans issus de ces deux ensembles
emportaient avec eux, pour les présenter au public montréalais d’abord, puis à Paris (en janvier et
février 1999), les œuvres d’une vingtaine de compositeur(e)s québécois(es)134. De cette collaboration
fructueuse naîtra aussi une publication : Présence de la musique Québécoise : vingt-deux
portraits instantanés. Plus récemment, la SMCQ a aussi fait une tournée en Chine (2009).
D’autres ensembles et groupes enjambèrent le pas au fur et à mesure de leur naissance et
travaillèrent à la fois dans une optique régionale et internationale135.
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Le NEM, outre sa série de concerts réguliers, fera, entre 1990 et 2010, des tournées au Canada,
aux États-Unis, en France, Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Espagne, Italie, Angleterre, Japon,
Australie, Singapour et au Mexique; L’ECM+ fait sa tournée biennale Génération depuis 2000. Cette tournée couvre le territoire des
principales villes canadiennes et cumule jusqu’ici un total de 28 concert pancanadien, un record
inégalé par quelqu’autre ensemble canadien. L’ensemble a aussi largement contribué au
rayonnement des musiques nouvelles en régions au Québec en présentant treize concerts
(répartis sur huit tournées). Coté international, il a également été invité au Festival Cervantino du
Mexique (2009) et à Bordeaux (France: 2010) et récemment, à Singapour;
Le quatuor Bozzini fait, de façon régulière, des tournées au Canada, en Allemagne, en Suisse, aux
États-Unis, en Angleterre, en Irlande, en Suède, en République tchèque, aux Pays-Bas; Bradyworks, trois ans à peine après sa naissance (1989) commença à faire des tournées aux
États-Unis en 1991, au Canada en 1994, 1999, 2000, à New York en 2001, en Europe en 2003
(Angleterre, Écosse, Irlande), etc.; Le quatuor de saxophones Quasar a fait diverses tournées dans des villes québécoises et
canadiennes (presqu’annuellement de 2004-2010), en Lituanie et en Estonie (2005), aux EtatsUnis (2008), en Suisse (2009) et en Europe (2009 + 2011); Etc. Il en va aussi de même pour certains solistes tels:
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Lise Daoust, qui créa, tout au cours de sa carrière, ici
œuvres de Claude Vivier, Alain Lalonde, René Lussier,
Daoust, Isabelle Panneton, Lorraine Desmarais, etc.; Louise Bessette, qui fera des tournées au Canada, aux
Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie, en
Singapour et au Mexique; Etc. et un peu partout dans le monde, des
Denis Gougeon, Gilles Tremblay, Yves
États-Unis, en France, en Belgique, en
Angleterre, au Japon, en Australie, à
Les générations des années 80 et 90 comprirent aussi très rapidement que le marché local était limité.
L’artiste ou l’ensemble qui souhaite articuler son travail en fonction du marché francophone
québécois, se rend compte rapidement qu’il n’est pas prophète en son pays et qu’il est pris dans un
cercle vicieux qui l’oblige à faire constamment du neuf, à se « renouveler », comme on dit. En ce
sens, on peut considérer qu’en musique nouvelle, la tournée est une nécessité. Elle permet une
rentabilisation du matériel, la possibilité de rayonner, c’est-à-dire de mieux faire connaître son travail
et surtout, de « répéter les œuvres », ce qui artistiquement parlant, est fondamental pour parvenir à
la maîtriser réellement. Selon les genres, cette idée se conjuguera différemment, mais son essence
demeurera la même : se faire connaître ou reconnaître à l’étranger est une valeur ajoutée essentielle
au produit que l’on offre. Aujourd’hui, sauf si on est peu actif ou que l’on pratique la musique nouvelle
en dilettante, la tournée est devenue un moyen incontournable pour jouir d’un certain rayonnement.
134 Linda Bouchard, Walter Boudreau, Denys Bouliane, Brian Cherney, Francis Dhomont, José Evangelista, Sean
Ferguson, Michel Gonneville, Denis Gougeon, Estelle Lemire, Jean Lesage, Michel Longtin, Bruce Mather, Michael
Oesterle, Isabelle Panneton, Serge Provost, John Rea, Ana Sokolovic, Gilles Tremblay, Claude Vivier. 135 Afin d’alléger le texte, nous excluons volontairement de cette liste très sommaire les nombreuses tournées
Jouer dans l’île soutenues par le Conseil des arts de la ville de Montréal à laquelle participent plusieurs ensembles
de musique nouvelle (l’ECM+ en a fait, à lui seul, 9 à ce jour). Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 42 En musique électroacoustique, quoique l’idée de tournée se conjugue différemment, l’idée de
rayonnement sera, là aussi, de plus en plus privilégiée, le temps passant.
Trois avenues nous semblent y être des passerelles privilégiées : 1) les festivals, 2) les concours et 3)
les invitations.
1. Dans les festivals, le compositeur est souvent invité à diffuser son œuvre et à en parler. Ces
festivals sont nombreux, variés et permettent à l’artiste de faire connaître son travail dans
d’autres contextes; 2. Les concours très nombreux, sont, pour leur part, une tribune de rayonnement fondamentale
qui garantit une excellente visibilité outremer; 3. Enfin, les invitations, généralement personnalisées, sont peut-être l’outil de promotion le plus
important. Elles n’ont pas la portée des deux formes précédentes de rayonnements, mais elles
permettent au compositeur un ressourcement en ceci qu’il peut travailler, pendant une
période donnée, à un projet qui lui tient à cœur. Ce type d’invitation n’est pas fréquent d’un
point de vue local, mais à l’étranger, oui. Certains studios tels le DAAD en Allemagne, le
Groupe de musique expérimentale de Bourges (GMEB, France), le GRM, le groupe Musiques &
Recherches, en Belgique, le Zentrum für Kunst und Medientechnologie (ZKM, Allemagne) et le
Studio BEAST en Angleterre sont quelques-uns des lieux qui fournissent ce type d’accueil. Du côté des musiques actuelles, les tournées, locales ou étrangères sont l’outil de promotion
et de diffusion par excellence. En fait, si ce milieu doit une large partie de sa vitalité à son originalité,
son acharnement, son sens communal et à sa débrouillardise, les tournées furent — en sus d’une
démultiplication de plus en plus grande des projets originaux à partir des années 90 — un des moyens
qu’il a su utiliser pour se faire connaître, faire vivre des projets et en exploiter tout le potentiel.
Wondeur Brass, par exemple, le génome des productions SuperMusique, fit entre 1979 et 1991, un
grand nombre de concerts dans des lieux comme le Spectrum, le Cargo ou le Café Campus, etc., des
concerts en région, puis à partir de 1985, des tournées de festivals en Europe.
De façon générale, les ensembles et musiciens actifs dans ce domaine fonctionnent, encore de nos
jours, selon des principes communaux et de réseautages. Ils tournent aussi bien au Québec qu’au
Canada et à l’étranger.
Enfin, du côté des pratiques électroniques expérimentales, ce type d’invite est
beaucoup plus rare, mais quelques organismes tels Oboro et le studio XX, à Montréal, DAÏMÕN, à Hull
et Avatar, à Québec, l’offrent. En ce qui concerne les pays étrangers c’est, la plupart du temps, par
des invitations à participer à des festivals ou événements que l’occasion se présente.
f) La convergence nécessaire
En parallèle, diverses initiatives font tomber – non sans heurts parfois – plusieurs cloisons esthétiques
et idéologiques, jusque-là relativement étanches, entre diverses pratiques auparavant « rivales ». Les
approches s’entrechoquent, l’arrivée de nouveaux joueurs change la donne, jusque-là assez claire.
Mais surtout, des questionnements s’imposent quant à la nécessité de faire autrement les choses, de
« penser la musique aujourd’hui » aurait dit Boulez (dans un tout autre contexte!).
Le mouvement le plus significatif d’un changement des mentalités nous semble avoir été la
fondation du Conseil québécois de la musique qui signa, ni plus ni moins, le début de la convergence
de certains milieux (ceux de la musique écrite, de l’électroacoustique et de la musique actuelle) et la
reconnaissance par les pairs.
Certaines formes de reconnaissances et de rayonnements très importants existaient depuis longtemps
en musique écrite et en électroacoustique via les concours locaux ou internationaux. Faire la liste de
tous les prix remportés par les artistes, compositeurs, communicateurs ou exégètes rattachés aux
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 43 musiques écrites ou électroacoustiques au Québec pourrait faire l’objet d’un ou deux volumineux
ouvrages. Il est cependant important de noter que la notion de prix est, a priori, plutôt spécifique à
ces deux genres. Ce qui veut dire, en fait, que plusieurs catégories de musiques rattachées à d’autres
genres (pratiques électroniques expérimentales, musique actuelle, etc.) s’inscrivent beaucoup moins,
par tradition, dans cette logique136 et, in extenso, que ces concours et reconnaissances, s’ils sont
indicateurs d’un niveau d’excellence certain, ne le sont que dans la limite de la discipline à laquelle ils
sont associés.
Parmi les prix importants remportés par les compositeurs et interprètes d’ici, il faut mentionner les:
•
Concours Ernest Bloch, Prix Gilson/musique, Prix Italia/musique, Prix BMI Canada (qui devint plus
tard celui de la SDE), Prix de musique Calixa-Lavallée, John Adaskin Memorial, Prix Jules Léger,
Prix Amis de la musique canadienne du Centre de musique canadienne et de la Ligue canadienne
des compositeurs, Prix Émile Nelligan (devenu le prix Serge Garant), Prix Molson du CAC,
Concours national des jeunes compositeurs de Radio-Canada (1973-2011), Prix Flandre-Québec
(SMCQ), Tribune internationale des compositeurs de l’UNESCO, Prix Jan V. Matejcek de la
fondation SOCAN, le prix d’Europe, Grand Prix du Conseil des arts de la communauté urbaine de
Montréal (CACUM), Conseil canadien de la musique, Prix de la CAPAC, Prix ISCM, Austrian World
Music Day, etc...
Quelques lauréats, en vrac (plusieurs d’entres eux reçurent plusieurs distinctions):
•
Serge Arcuri, Louise Bessette, Walter Boudreau, Denys Bouliane, Tim Brady, Michel-Georges
Brégent, John Burke, Brian Cherney, Marc Couroux, Lise Daoust, Yves Daoust, Claude Frenette,
Robin Minard, Serge Garant, Raymond Gervais, Nicolas Gilbert, Michel Gonneville, Jacques Hétu,
Otto Joachim, Véronique Lacroix, Claude Lamothe, Jimmie LeBlanc, Marie-Chantal Leclerc, Jean
Lesage, Michel Longtin, Dennis Lorrain, Analia Llugdar, Simon Martin, Bruce Mather, Maxime
McKinley, François Morel, Éric Morin, Michael Oesterle, Marie Pelletier, Clermont Pépin, Jean Piché,
Yannick Plamondon, John Réa, André Ristic, Patrick St-Denis, Donald Steven, Pierre Trochu, Gilles
Tremblay, Lorraine Vaillancourt, Claude Vivier, John Winiarz, etc.
Évidemment, certains cumulent les honneurs. L’exemple de Maryvonne Kendergi, infatigable
communicatrice devant l’Éternel, est éloquent à cet égard. Elle reçut, vers la fin de sa carrière, une
vingtaine de distinctions.
Dans le domaine électroacoustique, cette tradition, très importante, est davantage tournée
vers l’international. Parmi les prix prestigieux il y a...
•
Ars Electronica (Autriche), Stockholm Electronic Arts Award (Suède), CIMESP (Brésil),
Métamorphoses (Belgique), Ciber@rt (Espagne), Luigi-Russolo (Italie), Musica Nova, Prague
(République tchèque) , Noroit-Léonce Petitot (France), Grand Prix Marulic de l’UER/EBU (Union
européenne des radiodiffuseurs), le Concours international de musique électroacoustique de
Bourges (France), le Concours international de création radiophonique Phonurgia Nova (France),
NEWCOMP International Computer Music Competition (USA), EAR International Electroacoustic
Competition (Hongrie), la CEC, le Prix Victor-Martyn-Lynch- Staunton, le Prix ANIK, celui de la
Socan, etc...
Quelques lauréats:
•
Martin Bédard, Nicolas Bernier, Christian Bouchard, Ned Bouhalassa, Michel-George Brégent,
Christian Calon, Micheline Coulombe St-Marcoux, Yves Daoust, Jean-François Denis, Francis
Dhomont, Louis Dufort, Chantal Dumas, Marcelle Deschênes, Gilles Gobeil, Monique Jean, Martin
Leclerc, Philippe Ménard, Robert Normandeau, Hélène Prévost, Mario Rodrigue, Stéphane Roy,
Michel Smith, Roxanne Turcotte, Alain Thibault, Jacques Tremblay, Claude Schryer, etc.
136 Ce qui ne veut nullement dire qu’il n’y a aucune reconnaissance de ces artistes, mais qu’elle est plus rare. Le
prix Gilson 1989/Musique, par exemple, fut accordé à René Lussier pour Le trésor de la langue. Mais ce type de
reconnaissance était, à cette époque, exceptionnel en musique actuelle et improvisée. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 44 Comme dans le domaine de la musique écrite ou électroacoustique, il est courant de voir un artiste
obtenir plusieurs prix. Marcelle Deschênes, par exemple, a reçu plus de quatorze prix et distinctions
entre 1978 et 1999.
Un cas d’espèce tout à fait particulier de reconnaissance eut lieu dans le domaine des pratiques
électroniques expérimentales avec le duo The User qui a reçu jusqu’ici: « (...) le prix de Téléfilm
Canada (1998), une mention honorable dans la catégorie musique numérique au Prix Ars Electronica
(Linz, Autriche 1999), une autre dans le cadre du Festival Interférences (CICV, Belfort, 2000), le
premier prix dans la catégorie performance au FCMM (Montréal, 2001) ainsi qu’une nomination au prix
Nam June Paik (Kunststiftung NRW, Dortmund, Allemagne, 2004) ». (...) En 2010, ils étaient
« finalistes dans la catégorie arts médiatiques pour la sixième édition du prix Qwartz. La série
Coincidence Engines était en nomination au prix 2010 de la Transmediale 137 ».
En ce qui a trait à la convergence en tant que telle, le terme n’était simplement pas de mise.
Il y avait, selon nous, peu ou pas de désir réel d’aller en ce sens dans les divers milieux.
La fondation du Conseil québécois de la musique (CQM) changea tout cela. Même s’il ne s’occupe pas
que de musique nouvelle et défend d’abord les intérêts de ses membres (toutes allégeances
esthétiques confondues), sa présence dans le milieu musical eut un effet centralisateur. Pour favoriser
et encourager la reconnaissance par les pairs, le CQM mit sur pied, en 1996, les prix OPUS pour
témoigner « du dynamisme et de la diversité du milieu musical québécois. Ils soulignent l’excellence
de la musique de concert au Québec, dans différents répertoires musicaux »138. Y figurent les
catégories moderne, actuelle, contemporaine, électroacoustique.
Ces prix signèrent le début d’une forme de reconnaissance de la musique nouvelle, prise dans son
ensemble (exception faite des pratiques audio expérimentales, qui sont encore en émergence) et lui
donna, peu à peu, une cohésion jusque-là inexistante. En sus, en 1992-1994, le CQM donnera, avec le
CMC et la SMCQ, le premier élan à un geste qui sur le coup échoua, mais qui allait ultérieurement
devenir une réalité: réunir les forces vives du milieu en un seul lieu. Après une autre tentative du
NEM, de Réseaux et des PSM (2000) et huit ans après avoir tous travaillé ensemble pour la première
fois lors de la Symphonie du millénaire, 22 organismes, majoritairement spécialisés en musique de
création, se réuniront pour lancer ensemble leur saison.
En 2007 naissait officiellement le Groupe Le Vivier, nommé ainsi en hommage au
compositeur Claude Vivier, décédé en 1983, auquel la SMCQ dédiait sa toute première série Hommage
en 2007. Son action et son œuvre avaient marqué de façon significative le monde de la musique d’ici.
Il avait aussi dit « C’est dans nos mains que réside le futur de la musique »139. Le Vivier, formé de
l’association de 22 ensembles et organismes musicaux et issu de la volonté du milieu, s’est donné
pour mission de favoriser le développement des musiques nouvelles et d’offrir à tous, par la diffusion
d’œuvres de qualité, une porte ouverte sur la culture. Sa priorité: doter Montréal d’un lieu de création
et de diffusion pour les musiques nouvelles. Deux ans plus tard, en 2010, la ministre de la Culture,
Madame Christine St-Pierre, annonce officiellement qu’un accord de principe confie la bibliothèque
Saint-Sulpice aux bons soins du groupe Le Vivier pour en faire un carrefour des musiques nouvelles.
Cette annonce du Vivier au Saint-Sulpice laisse indéniablement entrevoir une éventuelle mutation du
paysage des musiques de création !
Les membres du Groupe Le Vivier sont, au moment de la rédaction de cette étude:
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L’Arsenal à musique
Bradyworks
Centre de musique canadienne au Québec (CMC)
Circuit, Revue de musiques contemporaines
Chants Libres — compagnie lyrique de création
137 http://www.undefine.ca/fr/artists/the-user/ 138 http://www.cqm.qc.ca/36/Les_prix_OPUS.html 139 http://www.levivier.ca/ Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 45 •
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Codes d’accès
Constantinople
DAME / Ambiances Magnétiques
DIFFUSION i MéDIA / empreintes DIGITALes
Ekumen
Ensemble contemporain de Montréal (ECM+)
Espaces sonores illimités (ESI)
In Extensio
Innovations en concert (IEC)
Productions SuperMusique (PSM)
Productions Totem contemporain (PTC)
Quasar — quatuor de saxophones
Quatuor Bozzini
Quatuor Molinari
Réseaux des arts médiatiques
Sixtrum — ensemble à percussion
Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ)
Société des Arts Libres et Actuels (SALA) • Transmission
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 46 7. ÉPILOGUE : ARRÊT SUR IMAGE / VERS L’ART TOTAL?
Plusieurs tendances multidisciplinaires, transdisciplinaires ou d’arts médiatiques semblent actuellement
« apparaître d’un seul coup » et « tasser du coude » les musiques nouvelles, toutes tendances
confondues.
Cela est, bien sûr, une illusion. Selon nous, tout au plus assistons-nous à un changement de
paradigme et à la re-conjugaison d’idées prônées par L’Infonie, ou celles proposées par Pierre
Mercure au cours de la SIMAM en 1961 et qui émergèrent ensuite sous diverses formes tout au cours
de la modernité dans les domaines du multimédia, de la transdisciplinarité, etc. Sans boucler la boucle
à ce point-ci de l’histoire (il est encore trop tôt) non plus que de se raccrocher à la SIMAM pour la
considérer comme étant fondatrice des pratiques actuelles, force est de constater que les modalités
qu’on y avait alors proposées ont actuellement une très grande prégnance dans tous les secteurs de
la musique nouvelle (nous y incluons les nouvelles pratiques sonores). Selon nous, ce que ces
mouvances laissent peut-être entrevoir, c’est - paradoxalement - une éventuelle érosion de certaines
formes de représentations artistiques très ciblées au profit de certaines autres qui seraient plus
englobantes et intégratrices.
À l’instar de Mercure, nous pensons depuis presque toujours que toute œuvre d’art peut se conjuguer
à plusieurs temps et selon plusieurs modes sans perdre sa substance. Comme le disait Jean Vallerand
au cours une table ronde autour de la musique actuelle en 1961, « (...) en art, il est futile de discuter
d’esthétique. Il n’y a que les œuvres qui comptent (...). [L]a fin justifie les moyens. Tous les moyens
sont bons pourvu que les résultats soient valables »140.
À l’arrivée du second millénaire, cet éclatement des pratiques en même temps que la réintégration
d’éléments issus du modernisme141 engendra une réelle difficulté à situer les choses de façon
« précise » et brouilla considérablement leurs délimitations respectives. Si les organismes déjà
existants conservèrent leurs fondements identitaires, ils furent, bien malgré eux parfois, touché par
cette idée de transdisciplinarité et, vers 2005, plusieurs d’entre eux commencèrent à en intégrer
l’essence dans leur façon de faire. Les explorations de Jean Piché autour de la vidéomusique (depuis
1983!), l’installation-concert Espèces en voie de disparition de Diane Labrosse (SuperMusique: 2007),
Filature (2006) de Joane Hétu, le thème du FORUM 2010 du NEM (Musique et vidéo d'art), les
explorations de l’ECM+ avec différentes formes d’arts telles que Unions Libres (2000 - danse, vidéo,
poésie, peinture), Sacrée Landowska (2001 - théâtre musical), Cage en Liberté (2002 - performances
multiples), Musique, on tourne (2008 - films), Pont de papillons (2009 - vidéo), Les Marquises (2008 arts visuels) et récemment, l’opéra Les aventures de Madame Merveille (2010 - écran géant, bandes
dessinées, littérature, décors, etc.), les concerts éclatés d’Erreur de type 27 à Québec et de Sixtrum
avec son récent essai cinétique, vidéo, musique et percussions ne sont que quelques exemples des
effets de cette remise en question de plus en plus évidente du cadre de représentation. La
transdisciplinarité est, selon toute apparence, une des grandes avenues esthétiques que l’on explorera
au cours des années à venir. Et on peut considérer cette exploration comme étant l’indéniable
expression d’un désir de décloisonner « le concert » et, de façon plus générale, la musique nouvelle.
Pour reprendre à notre compte une description donnée par Perte de signal de leur travail: « images
en mouvements ou fixes, sons, dispositifs d’installation, montage, projections et lumières sont certains
des éléments de base dont les artistes (...) explorent les inépuisables configurations. Plus encore,
avec les propriétés du numérique et de la transmission sur le Web, ils éprouvent de façon inédite les
limites de l’œuvre d’art 142».
On pourrait ajouter à cet énoncé: et façonnent de nouvelles modalités de réception.
Quoique l’on pense ou dise de ceci, on conviendra, nous l’espérons, d’une chose: nous nous
approchons lentement des terres fertiles que Pierre Mercure avait su entrevoir en 1961, en proposant
la SIMAM. Et dont nous nous sommes éloignés considérablement avant que de pouvoir en
Mario : Table ronde autour d’Incandescence, de Pierre Mercure, article à paraître, Circuit, 2011. des caractéristiques de l’hypermodernité. 142 http://www.perte-de-signal.org/ - fr/Diffusions/Éditions/ 140 Gauthier,
141 Une
Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 47 entrapercevoir de nouveau les horizons.
Nous ne pouvons nous empêcher de penser que l’histoire, tout en étant fuyante et imprévisible, fige
des choses dans le temps et oblige, par cette double posture, à reconsidérer constamment les
vestiges de son passage à la lueur du présent. Tout en posant un voile sur les êtres, le temps et les
choses, elle dépose aussi le limon de ce qui auraient pu être ou devenir.
Jean-Luc Godard, dit, à juste titre nous semble-t-il, au tout début de son film Histoire(s) du cinéma:
« Ne change rien pour que tout soit différent.
Ne va pas montrer tous les côtés des choses.
Garde-toi une marge d’indéfini ».143
C’est de cet indéfini dont il est question maintenant.
Mario Gauthier, 28 décembre 2011
143 Godard,
Jean-Luc : Histoire(s) du cinéma, Gaumont, France, 1998. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 48