Fragments pour une éventuelle histoire des nouvelles
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Fragments pour une éventuelle histoire des nouvelles
Fragments pour une éventuelle histoire des nouvelles musiques et pratiques sonores au Québec depuis 1960 Par Mario Gauthier Étude commandée par le Groupe Le Vivier, avec l’appui du Conseil des Arts du Canada pour les Rencontres professionnelles 2011 du Vivier ayant pour thème « 50 ans de création musicale au Québec » Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 2 Fragments pour une éventuelle histoire de nouvelles musiques et pratiques sonores au Québec depuis 1960 TABLE DES MATIÈRES AVANT-PROPOS 4 PRÉALABLE : 1915-1950 — MODERNE? 6 1. 1950-1961 — MODERNE! 8 2. 1961 — ÉCLOSION D’UNE ÈRE NOUVELLE 11 3. SENSIBILISATION ET ÉDUCATION DES PUBLICS 16 4. LA CRÉATION À MONTRÉAL ET EN RÉGIONS 22 a) Les Événements du neuf b) Les Productions SuperMusique c) L’émergence du multimédia (1981-1993) d) L’émergence d’une nouvelle génération 5. LES ANNÉES 1990 - RAYONNEMENT ET NOUVELLES FORMES D’EXPRESSIONS 30 6. DIVERSIFICATION DES PRATIQUES ET CONSOLIDATION DES FORCES VIVES 36 a) La Symphonie du millénaire b) SuperMicMac – La présence accrue de la création au féminin c) 1994-2004 : Backward /fast foward : médiation et musiques nouvelles d) Fragmentations e) La recherche de rayonnement : les tournées f) La convergence nécessaire 7. ÉPILOGUE : ARRÊT SUR IMAGE / VERS L’ART TOTAL? Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 47 3 AVANT-PROPOS « Retouche du réel avec du réel »1 Ce que vous vous apprêtez à lire est une tentative de cartographie faite à vol d’oiseau. À l’origine, il y a une demande du Groupe Le Vivier : proposer une étude portant sur l’évolution de 50 ans de musiques nouvelles au Québec. Rapidement, des questions ont surgi : comment parler de musique nouvelle en ce temps où les repères se font si fuyants? Quoi dire? Puis d’autres se sont ajoutées, plus exactes: comment la débuter, cette étude? Qui sont ces prospecteurs, créateurs, interprètes, musiciens, acteurs, performeurs, etc.? Comment reconvoquer tout cela pour en dégager les lignes de force, les constantes? Puis vint la grande question : comment comprendre l’évolution de ce dont on ne connaît pas réellement l’histoire, sinon par bribes, fragments virevoltants au fil du temps et des mémoires? Il y avait bien cet ouvrage récent de Marie-Thérèse Lefebvre et Jean-Pierre Pinson — Chronologie musicale du Québec 1535-2004 — édité aux Éditions du Septentrion en 2009, qui nous a permis de vérifier la pertinence de certains jalons, la revue Circuit, et l’Encyclopédie de la musique au Canada, maintenant sur Internet, sources de renseignements indispensables. Mais tout y est fragment, morceaux épars. Rien ne donnait une vue d’ensemble de l’évolution des musiques nouvelles, prise en soi. Sans compter le problème de ce qui demeure ou s’enfuit... Nous nous sommes donc repliés sur la solution qui nous semblait la plus efficace, la plus riche aussi : proposer, à l’exemple de Lefebvre et Pinson, une chronologie à double articulation, c’est-à-dire d’un côté, poser des années, et en parallèle, y situer des jalons, des événements, des noms d’individus ou d’organismes qui furent porteurs, signifiants. À la lecture, il faudra donc toujours garder à l’esprit que tout ceci n’est, en bout de course, qu’un relevé d’empreintes temporelles parfois indistinctes. Car on en conviendra, c’est presque une utopie que d’espérer réussir à poser ce type de balises correctement, c’est-à-dire sans omissions, lacunes ou oublis. Une partie de cette histoire est relativement simple à retracer. Elle est bien documentée. On sait, par exemple, que de « moderne », la musique devint subitement, mais momentanément, actuelle grâce à l’impulsion d’un compositeur dont on ne se souvient que trop peu et plutôt mal : Pierre Mercure. On commence aussi à se remémorer de cette fameuse semaine dont il fut le concepteur et organisateur : la Semaine Internationale de Musique Actuelle de Montréal (SIMAM) qui s’est déroulée du 3 au 8 août 1961. Telle une déferlante, cet événement éblouira le ciel musical, puis s’effacera des mémoires pendant un long, très long temps. Il nous est aussi apparu, au fil de cette recherche – mais nous en étions convaincu – qu’il était impossible de considérer une quelconque notion de musique nouvelle — c’est-à-dire de parler d’une recherche du sonore contemporaine, actuelle, électroacoustique, bruitiste, etc. — sans la rattacher plus ou moins directement à cette fameuse et méconnue semaine. Certes, ce n’est pas à ce moment précis que la modernité musicale québécoise est née. Il y eut, comme dans toute chose un avant et un après. Mais force est d’avouer que cet événement eut l’effet d’un catalyseur très singulier et que tout s’est ensuite enchaîné en une sorte d’attracteur étrange. D’où ce choix, que certains trouveront peut-être arbitraire, de s’y arrimer, tout en considérant d’autres points de départ potentiels. 1 Bresson, Robert : Notes sur le cinématographe, Gallimard, France, 1975, p. 90. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 4 Le temps imparti étant ce qu’il était, c’est-à-dire très court, les outils que nous avons utilisés furent ceux que nous avions sous la main : observateur de ces scènes depuis assez longtemps, notre mémoire, nos notes, nos recherches, nos écoutes furent nos matériaux de base. À cela se sont ajouté quelques entretiens, ouvrages et revues. Et Internet aussi, car les musiques nouvelles y sont de plus en plus présentes. Le tout nous a fourni un certain nombre de matériaux que nous avons ensuite agencés en une sorte de palimpseste, constamment réajusté par la suite au gré des trouvailles et en fonction d’un but : dégager les temps forts de l’évolution des musiques nouvelles. Nous sommes conscients que le tout est subjectif et portera peut-être flanc à la critique, voire, à la polémique. Si oui, tant mieux. Car si « on peut tout faire, excepté l’histoire de ce qui se fait »2, « nous sommes là, là où se fait notre histoire »3. Mario Gauthier Remerciements particuliers à... Réjean Beaucage, Christian Calon, Claudine Caron, Yves Charuest, Marcelle Deschênes, Chantal Dumas, Mireille Gagné, Raymond Gervais, Bernard Grenon, Joane Hétu, Christian Lafond, Alcides Lanza, Éric Mattson, Éric Normand, Monique Jean, Maryvonne Kendergi, Véronique Lacroix, Alain Lalonde, Louis Ouellet, Marie Pelletier, Hélène Prévost, Danielle Palardy Roger, Tim Brady. Et surtout à... Pierrette Gingras pour avoir eu l’idée de cette étude et m’avoir choisi pour la réaliser ainsi qu’à MarieThérèse Lefebvre pour ses conseils et lectures éclairées... * ** Tous les sites Internet donnés en référence ont été consultés entre octobre et décembre 2010. Ces fragments seront éventuellement complétés en vue de la publication d’une Histoire des nouvelles musiques et pratiques sonores au Québec depuis 1961. 2 Godard, 3 Duras, Jean-Luc : Histoire(s) du cinéma, Gaumont, France, 1998. Marguerite: La vie matérielle, 1ière de couverture, Folio, France, 1987. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 5 PRÉALABLE : 1915-1950 — MODERNE? On le dit sur tous les tons : le Québec que l’on connaît aujourd’hui est le fruit des années 60 et de la révolution dite « tranquille ». Peut-être, mais en musique québécoise, l’assertion est discutable, car on peut scinder la notion de modernité en deux avenues bien distinctes, toutes deux nées à la même époque. Et si l’une d’elles, les recherches des limites du système tonal de la seconde école de Vienne (Arnold Schoenberg, Alban Berg, Anton Webern), n’intéressa pas réellement les compositeurs d’ici à ce moment, son autre versant, la tonalité élargie, eut une influence indéniable. Considérer qu’il n’y ait pas eu de volonté de faire une musique « moderne » avant 1961 au Québec est donc, en un sens, réducteur, car cela équivaut à considérer que, d’un point de vue esthétique, la musique de compositeurs comme Igor Stravinsky, Francis Poulenc, Darius Milhaud, Georges Auric, Sergei Prokofiev, Bela Bartók, Dimitri Shostakovitch, etc. serait « romantique » ou « passéiste ». Cela dit, il n’était pas simple d’être moderne, ici, au début du XXe siècle. Le pays était engoncé dans un conservatisme prononcé. « Rien dont on ne puisse s’enorgueillir (...), c’est la plus complète absence d’originalité et de vie dont on puisse rêver »4, disait Léo-Pol Morin. Mais malgré le fait que peu d'artistes et de compositeurs défendirent le droit — voire la nécessité — d’être moderne, on ne peut pas nier leur apport et faire comme si la modernité en musique — nous entendons par là : l’éclatement des formes et des langages — était apparue, pouf! D’un seul coup, dans les années 50. Ce qui apparaîtra à ce moment, ce sera plutôt une musique qui, venue de l’autre versant de la modernité, deviendra rapidement « contemporaine ». Quatre aînés — Léo-Pol Morin, Rodolphe Mathieu, Claude Champagne et Jean Vallerand — exercèrent une très grande influence sur la vie culturelle d’alors et préparèrent le terrain à cette musique, et ce, même si, par moment, ils prêchèrent dans le désert. Morin défit morceau par morceau, via ses articles dans Le Nigog particulièrement, l’idée qu’il existait, dans ces années, une « musique canadienne » (terme qu’il faut peut-être entendre comme étant « canadienne-française ») et soutint qu’elle était en émergence. « Nous avons (...) quelques compositeurs intéressants, surtout parmi les jeunes, mais le temps n’est pas venu de parler de ceux-ci avec la solennité dont peut s’accommoder la réputation, en littérature, de Philippe Hébert, en architecture, d’Ernest Cormier. La cause me semble entendue. Et comme c’est le propre des pays jeunes que de pouvoir attendre, il faut donc réserver notre dernier mot »5. « Les musiciens d’aujourd’hui ont plus de liberté dans l’inspiration, plus de franchise dans l’expression, moins de naïveté dans le métier. À défaut de grande abondance et de puissance, des pages d’un équilibre de forme inaccoutumée donnent lieu de croire à l’existence prochaine d’une musique canadienne »6. En cela, Morin comprenait bien que le présent pouvait être garant de l’avenir, mais qu’on ne pouvait fabriquer du présent avec du passé recyclé (quoiqu’actuellement...?). Un autre précurseur fut Rodolphe Mathieu. Solitaire exemplaire, laissé pour compte par les critiques de son temps, il en arrivera, après avoir été proche pendant un temps des langages de Claude Debussy et Richard Wagner, à développer un langage très particulier. Léo-Pol Morin, un de ses seuls défenseurs, le considère comme « atonal », mais observe avec justesse que cette atonalité « (...) dépend étroitement de son système mélodique qui est d’une troublante flexibilité chromatique »7. Si ses œuvres sont proches, dans l’esprit, de celle de Debussy, « (...) en poussant à sa limite le chromatisme, il s'est aperçu qu'il devait trouver une nouvelle organisation à l'échelle. Dans un cheminement semblable à celui des compositeurs présériels, il aboutit à la résolution par 4 Morin, Léo-Pol cité in Lefebvre, Marie-Thérèse : Serge Garant et la révolution musicale au Québec, Louise Courteau, Montréal, 1986, p. 19. 5 Morin, Léo-Pol : Papiers de musique, Librairie d’action canadienne française limitée, Montréal, 1930, p. 58. 6 Op.cit., p. 61. 7 Op.cit., p. 95. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 6 complémentarité » (EMC)8. Selon Marie-Thérèse Lefebvre, il aurait aussi été « le premier musicien canadien à considérer la composition comme l’expression personnelle et originale d’une pensée artistique, et (...) à avoir utilisé tout le potentiel des outils d’écritures, sans égard pour les règles établies »9. En ce sens, « Mathieu s'inscrit dans le mouvement général d'évolution de la musique contemporaine, modestement sans doute, mais spontanément et à ses risques » (EMC). Deux autres disparus doivent encore être invoqués pour entrevoir en quoi l’action de ces quelques aînés mit en place les grands enjeux de la musique nouvelle: Claude Champagne et Jean Vallerand. De Claude Champagne, on se souvient d’œuvres néo-classiques influencées par la tendance folkloriste canadienne alors en vogue. Mais on oublie que, par son action de pédagogue, il positionnera le métier de compositeur comme étant non pas un loisir de dilettante, mais quelque chose de sérieux. Il formera, au cours de sa carrière de professeur, d’éditeur, etc., plusieurs compositeurs qui deviendront des piliers de leurs générations, entre autres: Jocelyne Binet, Serge Garant, Roger Matton, Pierre Mercure, François Morel, Clermont Pépin, Gilles Tremblay et Jean Vallerand. Ce dernier eut une importance de tout premier plan comme professeur, critique musical et animateur de la vie musicale québécoise. Il fit énormément pour aider à faire connaître la musique classique et contemporaine. Lucide, il écrivait, dans une des nombreuses séries sur la musique qu’il a rédigée pour le compte de l’émission Radio-Collège (entre 1941 et 1956): « Il y a deux sortes de compositeurs: ceux qui composent pour le public et ceux qui composent pour la musique. Ces derniers heurtent presque toujours les goûts et les modes de leurs contemporains. Leur musique est quand même le miroir de leur temps, mais elle exprime l’âme profonde, elle en exprime le devenir »10. Ce qu’il ne dut pas écrire sans difficulté. Car « bien qu’inquiet de l’aventure “intellectualiste” de la musique d’avantgarde, il n’en demeure pas moins convaincu de la nécessité, pour ces jeunes musiciens, de partir à la découverte de nouvelles contrées à explorer »11. Lui, Champagne, Morin, Mathieu, et d’autres sans doute — sûrement — furent donc d’indispensables alliés de la génération montante, mais ce, sans être modernes. ... Avons-nous encore écrit le mot « moderne »? Erreur! Car l’atmosphère générale de ce temps, c’est plutôt: « Il faut le dire bien haut et de plus nous en réjouir (...), tous ceux qui écrivent par agglomération de sons, par trouvailles de timbres ou par brutalité de percussions ne dépasseront jamais les petites chapelles qu’ils se sont érigées »12. L’avenir lui donnera tort. Même si la phrase aurait pu être écrite hier par certains critiques encore bien vivants! 8 Toutes les fois où nous nous sommes référé au site de l’Encyclopédie de Musique Canadienne, nous le mentionnerons par (EMC), sans donner plus de détails. 9 Lefebvre, Marie-Thérèse in Vincent, Odette : La vie musicale au Québec, Les éditions de l’IQRC, Presse de l’Université Laval, Québec, 2000, p. 88. 10 Radio-Collège – Société Radio-Canada (SRC) : Ce siècle avait cent ans, cité in Lefebvre, Marie-Thérèse : Jean Vallerand et la vie musicale du Québec – 1915-1994, Éditions du Méridien, Montréal, 1996, p. 43. 11 Op.cit., p. 57. 12 Eugène Lapierre, critique au journal Le Devoir : 1942 - cité in : Lefebvre, Marie-Thérèse : Serge Garant et la révolution musicale au Québec, Louise Courteau, éditrice, Montréal, 1986, p. 20. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 7 1. 1950-1961 — MODERNE! « Il faut être résolument moderne »13 La musique contemporaine, avons-nous appris à l’université, c’était le structuralisme intégral. Hors du sérialisme ou, minimalement, de l’atonalité, point de modernité. Il y avait, d’un côté, les gammes, le solfège, la dictée, c’est-à-dire 7 sons qui revenaient constamment sur eux-mêmes via toutes sortes d’entourloupettes que l’on justifiait par un équilibre supposément « naturel » et de l’autre, le grand tout, les 12 sons égaux, la série, une musique dans laquelle le compositeur avait tout prévu, contrôlait tous les paramètres. Ce n’est que maintenant, ou presque, que l’on peut comprendre le pourquoi de ce tabula rasa si radical. Et sitôt qu’on regarde comment se sont passés les événements, on comprend comment ils ont mué en remuant. 1948 approximativement: Au sein d’une société ultraconservatrice dans laquelle, depuis 1918, quelques voix hurlaient dans le désert, d’autres s’ajoutent. Plus proches des musiques de Béla Bartók, Igor Stravinsky, Alban Berg, André Jolivet, Olivier Messiaen, Edgar Varèse, Anton Webern que de celles de Claude Debussy, Paul Dukas, Gabriel Fauré, Maurice Ravel, etc., Jean Papineau-Couture, Otto Joachim, István Anhalt, Clermont Pépin, François Morel, Serge Garant, Gilles Tremblay commencent à dire haut et fort que ça ne va plus. Ces compositeurs prennent leur métier au sérieux. Et le présent aussi. Ils travailleront avec acharnement à amener la musique d’ici vers une forme et une expression « dont on ne sait pas ce qu’elles sont »14. Chemin solitaire et parsemé d’embûches, leurs efforts, cumulés, porteront lentement fruits vers 1950. Et feront finalement école jusque l’arrivée de la musique dite « postmoderne », vers 1982. Une autre initiative mettra subitement l’avenir en retard. Le 9 août 1948 paraît un manifeste: Le Refus global. Véritable bombe à retardement, l’influence de cet écrit de Paul-Émile Borduas, peintre, cosigné par seize autres personnalités du milieu des arts15, aura une influence déterminante dans tous les domaines de la pensée et de l’art d’ici. « Comme son titre l’indique, les signataires veulent une rupture totale avec la société traditionnelle, rupture par opposition à continuité, mais aussi à évolution. On veut donc changer radicalement du tout au tout. Borduas y dénonce l’autoritarisme du clergé et du gouvernement. Il revendique une totale liberté dans l’art et aussi dans la vie. De plus, il donne sa propre définition de l’art, dicté par l’inconscient et auquel il oppose la spontanéité aux contraintes ».16 Le mouvement artistique duquel était né ce manifeste — l’automatisme — sera éphémère, mais son influence sur le milieu de la danse et des arts en général sera considérable. Au carrefour se tenait un musicien, ambivalent face à leur démarche et revendications, mais intéressé par les possibilités artistiques intrinsèques à ces revendications: Pierre Mercure. Il jouera un rôle déterminant dans l’histoire de l’évolution de la musique d’ici. 13 Pierssens, Michel : Maurice Roche, Rodopi, Amsterdam 1989, p. 81. Le reste de la citation traduit bien certains problèmes qu’a rencontré la contemporanéité au cours de son histoire: « Il faut être résolument moderne – mais encore faut-il que les institutions en place vous en laissent la liberté et les moyens ». 14 Adorno, Theodor W. : Vers une musique informelle, Quasi una fantasia, NRF Gallimard, France, 1982, p. 340. 15 Rédigé par Paul-Émile Borduas, il fut signé par Madeleine Arbour, Marcel Barbeau, Bruno Cormier, Claude Gauvreau, Pierre Gauvreau, Muriel Guilbault, Marcelle Ferron-Hamelin, Fernand Leduc, Thérèse Leduc, Jean-Paul Mousseau, Maurice Ferron, Louis Renaud, Françoise Riopelle, Jean-Paul Riopelle, Françoise Sullivan. 16 http://www.histoirequebec.qc.ca/publicat/vol5num3/v5n3_3re.htm Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 8 D’où vint la modernité musicale au Québec: de Serge Garant et ses collègues? Des actions de Pierre Mercure, qui réagissait à certaines des idées du Refus global ? Des deux, vraisemblablement. Car l’idée motrice y était la même: être « au présent ». Sauf que chacun y allait selon les possibilités de son milieu et de son entendement. C’est à ce moment que le Québec « bascule » dans la modernité. Ce qui est un bien grand mot: « pivoter progressivement » serait plus juste. Là, ou presque, commence l’histoire qui nous intéresse, celles des musiques nouvelles. Les premiers événements s’y enfilent comme des perles sur un fil. Entre 1948 et 1960, les principaux pôles de la modernité québécoise sont posés, un à un: • Le manifeste Refus global est publié. Pierre Mercure côtoiera momentanément des membres de ce groupe. Sa démarche artistique et ses considérations sur l’art en porteront les traces. En 1952, il sera engagé comme réalisateur par la télévision de Radio-Canada et y réalisera, de 1954 jusqu’à sa mort en 1966, L’heure du concert, une émission musicale phare de la télévision de la Société Radio-Canada (SRC). • Maryvonne Kendergi arrivera au Canada en 1956. Engagée comme commentatrice à la radio de SRC à Montréal, elle se spécialisera dans les émissions musicales et culturelles et s’impliquera très activement, tout au cours de sa carrière, dans la promotion et la diffusion des musiques contemporaines. • « De 1954 à 1959, Serge Garant signe plusieurs articles de nature polémique, revendiquant le droit à une création « de notre temps », dans L’autorité, Le Québec Libre et Cahier pour un paysage à inventer »17. • En 1954-1955, Serge Garant, François Morel et Gilles Tremblay mettent sur pied la « première manifestation importante de musique contemporaine »18. Au programme: des œuvres de Olivier Messiaen, Anton Webern, Pierre Boulez, François Morel, Gilles Tremblay & Serge Garant. Ils organiseront un autre concert avant de fonder, en 1956, le groupe Musique de notre temps (avec Otto Joachim et Jeanne Landry). Le premier concert de ce groupe proposera des œuvres de Igor Stravinsky, Olivier Messiaen, Arnold Schoenberg, Alban Berg et Otto Joachim. Le second, des œuvres de Olivier Messiaen, Anton Webern, Karlheinz Stockhausen, Serge Garant et Pierre Boulez. • Les premières diffusions d’œuvres « modernes » ont lieu à l’émission Premières de la SRC (19541956). On y diffusera Nucléogame, première musique mixte canadienne de Serge Garant ainsi que des œuvres de Gabriel Charpentier, Roger Matton, Maurice Blackburn. La radio de la SRC deviendra alors pendant très longtemps un outil de promotion et de diffusion important des musiques nouvelles, toutes allégeances confondues. • Dans ces mêmes années, la radio de la SRC mettra sur pied la série Festivals européens, animée par Maryvonne Kendergi. On y parlera de plus en plus de création contemporaine. Clermont Pépin animera, pour sa part, une émission consacrée à la musique contemporaine sur les ondes de cette même radio en 1957. • En 1959 aura lieu le premier concert de musique électroacoustique. Ce concert, organisé par István Anhalt, se déroule à l’Université McGill. Au programme: des œuvres de Anhalt, Hugh Le Caine et de Karlheinz Stockhausen. De 1960 à 1963, Anhalt travaillera activement à la fondation du Electronic Music Studio de l’Université McGill (McGill EMS). • Le Centre de musique canadienne (CMC: auparavant Centre musical canadien) sera fondé cette même année. La section québécoise naîtra en 1973. 17 Lefebvre, Marie Thérèse/ Pinson, Jean-Pierre : Chronologie musicale du Québec, 1535-2004, Éditions du Septentrion, Québec, p. 285. 18 Lefebvre, Marie-Thérèse : Serge Garant et la révolution musicale au Québec, Louise Courteau, éditrice, Montréal, p. 88. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 9 Aujourd’hui, malgré le désinvestissement total de la radio publique et des médias en général dans la promotion et la diffusion des musiques nouvelles (voir chapitre 6), on compte au bas mot, au Québec, une quarantaine d’organismes qui produisent et diffusent ces musiques qui, de modernes, deviendront, selon l’époque, contemporaines, actuelles, postmodernes, improvisées, exploratoires, etc. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 10 2. 1961 — ÉCLOSION D’UNE ÈRE NOUVELLE À partir de 1961, un éventail de pratiques musicales nouvelles se déploiera lentement. Ces musiques qu’on disait alors « modernes » deviendront contemporaines, électroacoustiques, et actuelles. Elles se feront entendre via: A) Des institutions traditionnelles telles que l’orchestre symphonique de Montréal, l’orchestre symphonique de Québec, l’orchestre Métropolitain, l’orchestre des jeunes du Québec, etc. qui feront des efforts de diffusions modestes, mais constants. L’OSM, par exemple, commanda, dès 1959, une nouvelle œuvre par année à divers compositeurs de musiques contemporaines19; eut, de 1989 à 1995, deux compositeurs en résidence (Denis Gougeon, José Evangelista) et présenta quelques œuvres en première canadienne20. B) La radio de la SRC. Celle-ci jouera un rôle capital dans la promotion et la diffusion des musiques nouvelles. On y proposera, entre 1952 et 2004, des émissions spécifiquement consacrées à ces musiques (à la chaine AM d’abord, puis au réseau FM). Ce dernier fera énormément de commandes d’œuvres, de captations, de productions en studio entre 1972 à 2004. Il mettra en place le Concours des jeunes compositeurs de Radio-Canada (1973)21, proposa des œuvres nouvelles à des concours internationaux (Gilson, Italia, etc.) et produira maintes émissions spécifiquement consacrées à ces musiques. Des réalisateurs et animateurs tels Maryvonne Kendergi, Serge Garant, Louise Bail Milot, Gilles Poirier, George Nicholson, Françoise Davoine, Laurent Major, Hélène Prévost et Mario Gauthier y firent un travail de sensibilisation qui fut fondamental. Rebaptisée Espace Musique en 2004, on y a quasiment évacué tout contenu musical issu des musiques nouvelles et son action se limite maintenant à la captation de concerts et à un rayonnement sur le Web via Espace classique22. C) La Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ). Fondée à Montréal en 1966, grâce aux appuis de Wilfrid Pelletier, alors directeur du service de la musique au Ministère des Affaires culturelles du Québec, Jean Papineau-Couture, Maryvonne Kendergi, Serge Garant et Hugh Davidson (Jean Vallerand et Pierre Mercure y contribuèrent aussi), elle est toujours active de nos jours et deviendra pendant longtemps LE lieu de diffusion par excellence des musiques d’allégeances écrites. Serge Garant, son premier directeur artistique (1966-1986), y induira d’emblée une direction esthétique très précise. Il y proposera beaucoup d’œuvres issues des recherches d’émancipation du langage musical prôné par la seconde école de Vienne (atonalité, dodécaphonisme, sérialisme généralisé) et par Edgar Varèse. À cela s’ajoute une visée plus large: « diffuser et (...) promouvoir la musique contemporaine, tant internationale que canadienne » (EMC). La SMCQ formera son propre ensemble dès 196823. Autour de ce dernier graviteront beaucoup d’interprètes locaux qui y trouveront une tribune importante (ensembles ou solistes). À cela s’ajoutera la présence d’artistes internationaux invités dans différents contextes. Le tout amènera un nombre de plus en plus grand de jeunes compositeurs, interprètes, musicologues et étudiants (entre autres) à s’y intéresser. Les institutions emboîteront aussi très rapidement le pas en mettant sur pied des ateliers de musiques contemporaines, des cours d’analyses et de compositions, des cours d’initiations au répertoire du 20e siècle, etc. Garant défendit donc à la fois le répertoire contemporain « classique » (début, milieu du 20e siècle), interpréta des œuvres existantes récentes d’ici et d’ailleurs et créera un nombre d’œuvres nouvelles sans cesse grandissant. 19 De 1959 à 1993, puis de 2006 à nos jours. Nommément : François Morel, André Prévost, Clermont Pépin, Gilles Tremblay, Jacques Hétu, Jean Papineau-Couture, Alexander Brott, Roger Matton, Pierre Mercure, Serge Garant, Micheline Coulombe St-Marcoux, Claude Vivier, Michel Longtin, Michel-George Brégent, Denis Gougeon, Denys Bouliane, John Rea. 20 War and Peace (1945), Delightful Delusions (1950) et Analogy in Anagram (1956) d’Alexander Brott, Variations symphoniques de Clermont Pépin (1948), L'étoile noire de François Morel (1962), Three Moods for Doublebass d'Anne Lauber, (1988), Oro d'Ana Sokolovic (2001), Quaternions de Michel Longtin (2003) et Tetrapharmakos de Denys Bouliane (2004) (EMC). 21 Ce concours a été officiellement abandonné par la SRC en juin 2011. 22 Ce site a, lui aussi, été remanié depuis. Son adresse était http://www.radio-canada.ca/espace_musique/webRadioClassique.asp 23 Appelé Groupe instrumental de Montréal jusqu'en 1971. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 11 Walter Boudreau, directeur artistique depuis 1988, y accomplit un travail remarquable. Il a progressivement amené la SMCQ à élargir son répertoire de façon substantielle et maintenant presque tous les genres de musiques nouvelles y trouvent une place. La SMCQ a aussi su faire augmenter son public au fil des ans en mettant sur pied des séries à caractères plus événementiels dont La symphonie du millénaire (2000), Montréal Nouvelles Musiques (MNM) et la série Hommage. MNM par exemple, a attiré plus de 2000 personnes lors des trois premiers jours de son édition 2009. À ce jour, plus de 900 œuvres québécoises, canadiennes ou étrangères furent créées, jouées ou reprises lors de ses concerts. Pour la seule année 2004, l’EMC rapporte que cette société créa plus de 100 nouvelles œuvres. Il faut cependant noter que même si la SMCQ est une pierre d’assise de la vie musicale actuelle montréalaise et québécoise et que son mandat fut et demeure de promouvoir la musique contemporaine, tant canadienne qu’internationale, elle ne fut pas LE lieu de rencontre exclusif de tous les compositeurs. Certains d’entre eux, tels Raymond Daveluy, Denis Dion, Alain Gagnon, Jacques Hétu, Pierick Houdy, Anne Lauber, Roger Matton, Alain Payette, Donald Patriquin, André Prévost, etc. évoluèrent, pour des raisons esthétiques ou professionnelles, en parallèle à la SMCQ. Jacques Hétu par exemple, dont le catalogue comporte plus de 70 œuvres, écrivait une musique qui incorpore « les formes néoclassiques et les effets néo-romantiques à un langage musical utilisant les techniques du 20e siècle » (EMC). Il fut, de tous les compositeurs canadiens, le plus joué ici et à l’étranger et reçut plusieurs prix et honneurs (notamment le prix Jan V. Matejcek de la SOCAN à sept reprises). L’oeuvre d’André Prévost, dont le catalogue comporte une cinquantaine d’opus « (...) tient à s’affirmer détaché de tout déterminisme ou école quant à l’écriture ou l’esthétique. Il utilise librement les techniques et les procédés d’écriture contemporains » (EMC). Il composa plusieurs oeuvres pour l’OSM, la musique d’ouverture de l’exposition Terre des Hommes (1967: sur un poème de Michelle Lalonde), vit « (...) à trois reprises, une de ses oeuvres (...) choisie comme pièce canadienne imposée au Concours international de musique de Montréal: Pyknon (1966), Il fait nuit lente, extrait d’Hiver dans l’âme (1981) et Variations et thème (1988) » (EMC), etc. Il collabora également avec des interprètes de renoms tels Yehudi Menuhin ou, plus près de nous, Chantal Juillet, le réalisateur James Dormayer, etc., et contribua, comme pédagogue, à former un nombre important de compositeurs. En ce qui concerne le milieu anglophone, même si plusieurs prémisses d’échanges furent mises en place au cours des années par la SMCQ, les Événements du Neuf, Le NEM, SuperMusique, etc., c’est surtout par le biais du Festival per il popolo (2000)24, c’est-à-dire via la scène alternative anglophone, qu’adviendra la première tentative solide de métissage entre musiques francophones et anglophones. Cela explique, sans le justifier, que nous parlions trop peu de ce milieu et de son impact au cours de cet essai. D) L’émergence d’une pratique électroacoustique. Celle-ci verra le jour avec la naissance des premiers studios de musiques électroacoustiques (1964). Comme Jean-François Denis le propose dans son article Situation de la musique électroacoustique 25, rédigé en 2001, on peut classer le développement de la musique électroacoustique québécoise en trois grandes périodes: • 1954-1970: celle où on la considère comme « musique expérimentale » c’est-à-dire comme étant une « musique électronique ou prime la notion de nouveauté instrumentale »26. Durant cette période, elle se développe presque uniquement dans les studios universitaires et institutions d’enseignements. Elle est difficile d’accès en tant que pratique compositionnelle, car 24 Le Festival per il Popolo, fondé par Mauro Pezzente (Godspeed You! Black Emperor) et Kiva Stimac, les propriétaires de la Casa del Popolo, est un festival de musique ou se côtoient allègrement free jazz, musique électronique expérimentale, composition contemporaine, rock d’avant garde, arabique moderne, électro pop, rock pop, psychédélique, musique actuelle, musique à racine folk, etc. Il se déroule en juin à la Sala Rossa, une salle situé sur la rue St-Laurent, à Montréal, juste en face de la Casa. Il en est cette année à sa onzième édition. Leur slogan : Libérez vos oreilles! L’organisme Société des arts libres et actuels (SALA), qui en est l’instigateur, est récemment devenu membre du Vivier. 25 Denis, Jean-François : Situation de la musique électroacoustique, Musicanada 2000 : un hommage aux compositeurs canadiens, Liber/ CMC, Montréal, 2001, p. 137-140. 26 Op.cit., p. 137. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 12 elle implique une connaissance approfondie de certaines techniques complexes telles le travail de sons de synthèse et la maîtrise d’équipements techniques qui ne sont pas ultra « Hi-Fi ». L’équipement lourd et le studio ne sont pas non plus très accessibles, saufs pour les initiés. Patience et temps sont deux vertus indispensables pour être compositeur de musique électroacoustique à cette époque. En sus, les techniques de diffusions ne sont pas très raffinées. On diffuse souvent en monophonie ou en stéréophonie, sans plus. • 1970-1980 : celle où « le studio n’est plus seulement un nouvel instrument de musique : il devient une nouvelle façon de faire de la musique (...). Plusieurs compositeurs se consacrent à ce mode de création et vont acquérir ou développer des connaissances en Europe »27. En parallèle, la pratique en devient alors - du fait de la démocratisation rapide d’instruments électroniques et d’une amélioration notable de la qualité des équipements périphériques (magnétophones plus performants, plus grande variété d’outils de synthèse sonore, console de meilleure qualité, etc.) - grandement simplifiée. Les compositeurs maîtrisent mieux, il faut aussi le dire, les outillages qui y sont inhérents. C’est la période où naissent des ensembles qui se consacrent spécifiquement à ce genre. Parmi les plus importants, il faut mentionner MetaMusic (Université Concordia : 1971-1976 - Kevin Austin, Martin Gotfrit, Ross McAuley, Dawn Luke et Howard Abrams), le GIMEL c’est-à-dire le Groupe d’interprétation de musique électronique (Université Laval Québec : 1973-1977 - Nil Parent, Gisèle Ricard, Marcelle Deschênes, Jean Piché principalement); Sonde, un groupe d’improvisateurs et de concepteurs d’instruments électroacoustique (Montréal : 1975-1987 - Charles de Mestral, Pierre Dostie, Andrew Culver, Chris Howard, Robin Minard, Michael O’Neill, Linda Pavelka.) et le Group of the Electronic Music Studio de l’Université McGill (GEMS : 1983 - c.1990). • 1980-2010 : celle où « s’amorce la reconnaissance institutionnelle du genre électroacoustique par la mise sur pied d’un programme d’étude complet (à l’Université de Montréal) »28. Des associations telles l’Association pour la Création et la Recherche Électroacoustiques du Québec (ACREQ : 1977-1978 - Yves Daoust, Marcelle Deschênes, Michel Longtin, Philippe Ménard, Jean Sauvageau et Pierre Trochu), la Communauté électroacoustique canadienne (CEC : 1986 - Kevin Austin, Jean-François Denis) et Réseaux (1991 - Jean-François Denis, Gilles Gobeil, Robert Normandeau) promeuvent la diffusion de ses différentes conjugaisons (acousmatiques, mixtes, multimédias, électroniques, écologie sonore, etc.) via des concerts, des festivals, etc. En terme de diffusion, quoique le tout demeure encore lourd, on commence à diffuser en quadriphonie, puis en octophonie avant que de créer des « orchestres de haut-parleurs ». Marcelle Deschênes et Francis Dhomont, alors professeur invité à la faculté de musique de l’Université de Montréal (1982-1996) joueront, tout comme Yves Daoust, Micheline Coulombe St-Marcoux et quelques autres, un rôle capital comme pédagogues et animateurs de cette scène. Ils enseigneront à plusieurs générations de compositeurs « qui s’illustreront à travers le monde tout en formant ce qu’on reconnaît aujourd’hui comme l’École de Montréal »29. La musique électroacoustique commence alors à jouir d’un rayonnement international et tendra, à partir des années 1990, à se développer en dehors des institutions, c’est-à-dire via les studios personnels et connaîtra alors une très grande expansion29 . 27 Op.cit., p. 137. p. 137-138. 29 http://brahms.ircam.fr/francis-dhomont. L’appellation « d’école de Montréal », qui ne fait pas l’unanimité dans le milieu, correspond à un momentum important pour les compositeurs de ce genre de musique qui connut, dans ces années (1990-2000 particulièrement), un rayonnement très important. On associe généralement l’émergence de cette « école » à l’action très porteuse de Francis Dhomont, alors professeur invité à la faculté de musique de l’Université de Montréal (1982-1996) (voir http://cec.concordia.ca/ econtact/11_2/DhomontFr_Paes.html). Mais des pédagogues et compositeurs tels Marcelle Deschênes, Micheline Coulombe St-Marcoux, Yves Daoust, Kevin Austin et Alcides Lanza (notamment) avaient très bien préparé le terrain en mettant sur pied (ou en consolidant) les studios de l’Université de Montréal (Deschênes), du Conservatoire de musique et d’art dramatique de Montréal (St-Marcoux et Daoust), de l’université Concordia (Austin) et de l’université McGill (Lanza). En sus, ils formèrent ou sensibilisèrent de nombreux étudiants à ce genre. 28 Op.cit., Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 13 E) L’émergence de pratiques non écrites ou non rattachées à des institutions qui mèneront à ce qu’on nommera, dans les années 1980, les musiques actuelles. Furent porteurs les travaux : • du Quatuor de Jazz libre du Québec (Jean Préfontaine, Yves Charbonneau, Maurice C. Richard, Guy Thouin)30 qui permettra, en s’émancipant des structures traditionnelles du jazz et en s’inspirant de celles du free jazz, l’émergence des musiques « libres »; • de L’Atelier de musique expérimentale (l’AME : 1973-1975 - Yves Bouliane, Vincent Dionne, Bernard Gagnon et Robert Marcel Lepage comptent parmi ceux qui en firent partie) qui avait pour objectif de promouvoir diverses musiques de recherches, dont la nouvelle musique d’improvisation. « (...) L'association se rapprochera beaucoup des nouveaux modèles européens de collectifs revendiquant une indépendance accrue par rapport au “monopole” américain. On ne trouve plus le mot jazz, par exemple, dans son nom »31; • de l’Ensemble de Musique improvisée de Montréal (EMIM : 1978-1985 - Jean Derome, Robert Leriche, Pierre Saint-Jacques (St-Jak), Claude Simard)32. Selon l’EMC, l’EMIM était « (...) une association informelle de musiciens spécialisés dans le jazz et l’improvisation libre (...). Bien que l'EMIM se fût constitué en société en 1982, il suffisait, pour en devenir membre, d'en partager la philosophie. (...) La société se donna une structure plus officielle en 1985 [et fut] rebaptisée Association pour la diffusion de musiques ouvertes (ADMO). (...) Toutefois, la maison de disques Ambiances Magnétiques devint dans les années qui suivirent le centre d'intérêt de plusieurs de ses membres, l'ADMO ayant cessé ses activités en 1990 » (EMC). L'ADMO « (...) ira plus loin encore puisqu'elle propose désormais, comme son nom l'indique, une ouverture totale aux musiques de création du monde, une sorte d'acceptation plus globale de l'invention dans le champ de l'improvisation »33. Elle marquera le pas de ce qui deviendra la musique actuelle; • de l’AMIM (Association des musiciens improvisateurs de Montréal)34. L’AMIM tentera de relancer l’improvisation libre entre 1991 et 1996 en organisant régulièrement des concerts, mais cet effort ne portera malheureusement pas fruit. Ceux qui y étaient actifs à l’époque demeurent cependant concernés et l’improvisation libre est toujours pratiquée par des gens tels Peter Valsamis, Guillaume Dostaler, Yves Charuest, Dana Reason, Lori Freedman, Jean Derome, etc.; • de Conventum (1972-1980 - André Duchesne, Jean et Serge Gagné (le cinéaste))35, groupe à géométrie variable dont la musique métissa écriture, improvisation, idiomes issus du rock progressif, de la musique folklorique, de la musique contemporaine et du « Spoken Word » (poésie narrée). Certains artistes qui deviendront les forces vives de la musique actuelle y feront leurs premiers travaux. • de L’Infonie (1968-1974 : Raoûl Duguay et Walter Boudreau) qui évoluera en parallèle à la musique libre et pavera la voie à la multidisciplinarité. « Née des échanges interdisciplinaires qui voyaient le 30 Le Quatuor de Jazz libre du Québec « adopta le style avant-gardiste de jazz alors connu comme « musique libre », et également, à la fin des années 1960, « le répertoire de la musique pop » (EMC). Selon Raymond Gervais, qui connaît bien les pratiques musicales de cette époque, elle « se tenait assez proche du modèle américain, tout en y apportant des éléments personnels ». (Gervais, Raymond : Les indépendants du jazz au Québec : de l’E.M.I.M. à l’A.D.M.O., un sonoportrait sur disques du nouveau Jazz d’ici durant les années 80, Moebius : Écritures / Littérature, n° 40, Montréal, 1989, p. 51). 31 Gervais, Raymond : Op.cit. 32 Le guitariste René Lussier joua aussi un rôle de premier plan dans plusieurs groupes affiliés à l'EMIM. 33 Op.cit: P. 52. 34 « Parmi les membres de l'AMIM, on retrouvait: Michel Ratté, Yves Charuest, Lisle Ellis, Guillaume Dostaler, Lori Clarke, Chris Cauley, Peter Valsamis, John Heward, Jean-Claude Patry, Jean Beaudet, Normand Guilbault, et quelques autres. » (2010 – Charuest, Yves : communication avec l’auteur). 35 Formé et dissous et à quelques reprises, s’y succéderont entre autres, au gré des formations : Jean-Marc Bouchard (aussi fondateur du Centre d’expérimentation musicale à Jonquière : voir P.23) Michel et Jean-Pierre Tremblay, Charlot Barbot, Mathieu Léger, Jacques Laurin, René Lussier, Bernard Cormier et Alain-Arthur Painchaud. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 14 jour dans le sillage d'Expo 67, [L’Infonie] visait à réunir des créateurs de tous horizons : musique, peinture, soudure, artisanat, mime, se fondant au travail du conteur, de l'électricien ou du poète. À l'image des soirées underground des rassemblements californiens, les enviro-spectacles de l'Infonie étaient tous différents les uns des autres »36. Cette pratique (dont l’origine peut être ramené aux travaux des surréalistes, des dadaïstes et de Fluxus) a, le temps passant, de plus en plus souvent pris comme corps le sonore et, comme modalité de pensée, un aspect visuel ou « performatif ». On peut aussi dire de ce mouvement artistique aux configurations multiples (poésie sonore, performance, situation construite, pratiques sonores conceptuelles, etc.) où l’on préféra la spontanéité à l’intellectualisation et la pluralité à l’unicité; a) qu’il évoluera parallèlement aux formes d’arts culturellement déjà en place; b) qu’il y a, à l’origine de cette démarche, un désir d’y décloisonner les genres et de les laisser se « contaminer » et que; c) l’un de ses principes moteurs peut être rattaché à la reconsidération même du concept d’« art », du moins si l’on considère que ce concept « en luimême serait ce qui entretient l’aliénation entre le supposé artiste et son public »37. Préludera à tout cela un événement dont on ne fait que commencer à saisir toute la portée aujourd’hui : La semaine internationale de musique actuelle de Montréal (SIMAM). Organisé par Pierre Mercure en août 1961, le programme de cette semaine fut d’une audace et d’une ambition esthétique dont on ne retrouvera l’équivalent que trente-neuf ans plus tard, lors du Festival Montréal musiques actuelles, organisé par Traquen’art (direction artistique : Jean Piché). Mercure en disait : « Cette semaine (…) se donne (...) comme but de démontrer l’étroite collaboration et interpénétration qui existent aujourd’hui entre la musique, la poésie, la danse, le film et les arts plastiques. Ces arts n’ayant qu’un seul et même but celui de faire éclater la beauté de l’objet, qu’il soit visible ou audible, ils seront intimement reliés dans la présentation des œuvres musicales »38. En cinq jours, on présentera plus de 35 œuvres de « musique instrumentale, musique pour bandes magnétiques, musique pour instruments et bandes magnétiques, danse et film expérimental, son, lumière, mouvement, forme et couleur. Au programme, les noms de Anhalt et de Mercure auxquels on doit ajouter ceux de Maurice Blackburn, Louis Portugais, Armand Vaillancourt, Françoise Riopelle, Mousseau, Jeanne Renaud [et quelques autres qui] côtoyaient ceux de nombreux compositeurs étrangers, dont Babbitt, Behrman, Kotonski, Ligeti, Maxfield, Nono, Penderecki, Schaeffer, Stockhausen, Varèse, Wolff, en plus de ceux qui furent présents en tant que conférenciers (Brown, Feldman, Nikolais), chefs d'orchestre (Cage, Kagel) [et/ ou] interprètes (Ichiyanagi, Yoko Ono) » (EMC). Comme le souligne Lyse Richer : « [Mercure] voulait régler la société montréalaise à l'heure des manifestations actuelles de la musique. Il chercha de nouveaux sons pour construire un nouvel auditoire. Cet événement isolé, mais que Mercure aurait voulu annuel ouvrit la voie à ce qui allait devenir, en 1966, la SMCQ » (EMC). Dans une perspective plus vaste, il faut aussi y voir un point de départ aux innombrables déclinaisons des pratiques et au désir de pluridisciplinarité qui existe maintenant dans les musiques et pratiques sonores nouvelles. 36 http://www.qim.com/artistes/biographie.asp?artistid=391 37 Robert Richard : communication avec l’auteur. Quelques artistes dont la démarche se situe, du fait de cette posture esthétique, entre musique et « non musique » : Pierre-André Arcand (poète sonore), Magali Babin (artiste audio/perfomance), Jean-Pierre Gauthier (artiste visuel), Raymond Gervais (artiste visuel), AnneFrançoise Jacques et Nicolas Dion (artistes sonores), Éric Létourneau (artiste de performance), Alexandre StOnge (trio d’art sonore conceptuel), Richard Martin (compositeur d’environnements participatifs/multi sensoriels), Rober Racine (artiste visuel, artiste de performance), Alexandre St-Onge (musicien et artiste de performance), Michel Tétreault (musiques d’installations), Martin Tétreault (Dj et artiste visuel), Nancy Tobin (conceptrice son et artiste de performance), Jocelyn Robert (artiste audio), Diane Landry, (artiste visuelle), etc. 38 Mercure, Pierre : Présentation de la semaine de musique actuelle, Semaine internationale de musique actuelle de Montréal (programme), 1961, p. 2. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 15 3. SENSIBILISATION ET ÉDUCATION DES PUBLICS En musique nouvelle, la question de la sensibilisation des publics s’est posée très tôt. Déficiente tant au niveau des institutions d’enseignement que du grand public, elle demeure une préoccupation importante pour les artistes et ensembles qui cherchent toujours comment parvenir à sensibiliser le public à la création d’aujourd’hui. Un hommage tout spécial doit donc être rendu à celle qui fut peut-être la première à véritablement se soucier de cet aspect : Maryvonne Kendergi. Dès ses débuts comme animatrice à la radio de RadioCanada à Montréal (1956), elle entama, via la radiodiffusion, la télévision, des cours et des rencontres39— les Musialogues — un immense travail de sensibilisation aux musiques contemporaines qu’elle n’interrompra que vers les années 1990, et ce, en plus d’être présente, textuellement ou in vivo, partout où la défense de la musique contemporaine l’exigeait40. Comme l’écrivait Gilles Tremblay: « On ne dira jamais assez l’enrichissement apporté à travers son action parmi nous »41. Dans la même veine, mais avec un impact plus international, on doit également mentionner L’arsenal à musique (1978 : Lorena Corradi et Reggi Ettore). Dès leur première année d’existence, ils firent 250 spectacles, dans les écoles francophones et anglophones du Québec. « Une réussite qui vient confirmer le besoin de productions musicales de qualité (...) » disent-ils sur leur site Internet42. Ils ont créé jusqu’ici 24 productions originales explorant diverses esthétiques propres à la musique nouvelle (sculptures sonores, introduction à l’électro, collaborations avec divers orchestres, etc.) et ont donné, à ce jour, plus de 15 000 spectacles présentés devant 3 millions de spectateurs au Canada, ÉtatsUnis, Europe et Asie. Exception faite de l’Université de Montréal (à laquelle était associée Maryvonne Kendergi) qui fit figure de pionnière dans les années 1970 avec les Musialogues, L’atelier de musique contemporaine (1974 : direction Lorraine Vaillancourt); L’Atelier-Laboratoire, Le Groupe d'animation musicale (GAM), Le Groupe de recherche en animation musicale (GRAM : 1980-82), L’Atelier d'élaboration de jeux sonores (1983-...), ces derniers dirigés par Robert Léonard, les institutions et organismes de concerts furent, en général, longs à comprendre que la sensibilisation des publics et le soutien aux jeunes artistes étaient nécessaires pour assurer la pérennité des musiques nouvelles. Mais, dans les années 1980, plusieurs commencèrent à offrir un soutien à la jeune création, des ateliers d’initiation, des concerts « jeunes publics », etc. De nos jours, toutes les institutions offrent la possibilité de faire partie d’ensembles de musiques contemporaines. Du côté des organismes, plusieurs ont axé des parties, voire tout leur mandat, autour de ces questions. Mentionnons, à titre indicatif : • Codes d’accès (anciennement la Société de concerts alternatif du Québec-1986), dont le mandat est spécifiquement de fournir un soutien aux artistes de la relève; • L’Ensemble contemporain de Montréal (ECM+) : ensemble résident au Conservatoire de musique et d’art dramatique de Montréal et ses multiples projets de soutien à la relève, nommément Ateliers et Concerts (de 1994 à 1999) devenu GÉNÉRATION par la suite, une série de concerts pancanadiens commentés par le chef et les compositeurs ainsi que la série ECM+ Débuts (depuis 2003) qui présente de jeunes virtuoses solistes dans un répertoire contemporain. L’ECM+ coproduit également des spectacles de théâtre musical jeune public avec Le Moulin à musique) depuis 2000; 39 Lors du dépôt de son fonds d’archives audio à l’Université de Montréal, en 2008, nous avons recensé au bas mot, quelques trois cents rubans sur lesquels était enregistrés autant d’entretiens. 40 Elle fut tour à tour ou simultanément : membre fondatrice, puis présidente de la SMCQ ( 1966-1982), viceprésidente et présidente du Conseil canadien de la musique (1973-1980), membre fondateur de la Société internationale pour la musique contemporaine (1970-1980) ...et membre active d’innombrables autres organismes tels la Conférence canadienne des arts (1970-77), la Société internationale pour l’éducation musicale (1970-1980), l’ARMUQ (1980- 83) ainsi que de multiples jurys locaux (CAC, CALQ) et internationaux. Elle trouva en sus, le temps de rédiger une trentaine d’articles parus dans divers périodiques et revues. 41 Bail, Louise : Maryvonne Kendergi : La musique en partage, Cahiers du Québec, collection musique, Éditions Hurtubise, Montréal, 2002, p. 16. 42 http://www.arsenal.ca/fr/ Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 16 • Le Moulin à Musique (1980- Marie-Hélène da Silva.) qui « crée, produit et diffuse des spectacles musicaux pour le jeune public (15 à ce jour). (...) En faisant appel à de jeunes compositeurs québécois, il diffuse également un répertoire vivant »43; • Réseaux qui, depuis ses débuts en 1991, propose à tous ses concerts, des pièces de jeunes compositeurs émergents; • La SMCQ qui a commencé son volet jeunesse en 199744. Parmi leurs multiples projets, le plus fascinant est le « Musicolateur », un « instrument original de création musicale [permettant] (...) à deux doigts, de jouer avec le son de manière très sophistiquée et de créer des univers musicaux inouïs. Yves Daoust en est l’ingénieux concepteur »45; • Les Productions SuperMusique qui proposent depuis 2007 « Billes, pailles et glouglous » (pour les 8 à 11 ans) et « Les petits bruits » (pour les 5 à 8 ans). Instrumentation: assiettes en aluminium, verres en plastique, bâtonnets de bois, sacs de pailles, billes. Outre le surprenant Musique du Kébèc, de Raôul Duguay (Éditions de l’Homme, 1971), « Seul ouvrage du genre publié ici et consacré aux diverses tendances de la musique de recherches »46, et exception faite de deux ou trois maisons d’éditions dont Louise Courteau et Septentrion, de quelques revues et périodiques tels Musicworks, la Scena Musicale, ESSE, Spirale ou la défunte revue Parachute, écriture et nouvelle musique ne font pas encore bon ménage. Mais ce n’est pas par manque d’écrivains. Des gens tels que Marie-Thérèse Lefebvre, Jean Boivin, Louise Bail Milot et Michel Gonneville (musiques écrites), Andrew Jones, Michel F. Côté, et Raymond Gervais (musiques actuelles ou improvisées), Réjean Beaucage, dont on retrouve les écrits un peu partout (Circuit, La Scena Musicale, Voir), Jonathan Goldman et bien d’autres travaillent tous à changer cette situation en publiant partout où ils le peuvent. Deux tribunes connaissent aussi une certaine pérennité : la revue Circuit de l’Université de Montréal47, dans laquelle on publie, depuis 1990, des articles de fond sur la musique nouvelle québécoise et d’ailleurs, et l’incontournable Encyclopédie de la musique canadienne (EMC : 1983-1993 chez Fidès + 2003 : sur le Web). Depuis août 2010, il existe également un site internet spécifiquement dédié à ces musiques, (http://www.cettevilleetrange.org/). Mis sur pied par Michel Gonneville, Julien Bilodeau et Patrick Saint-Denis, cette ville étrange souhaite combler l’absence quasitotale de couverture médiatique ayant trait aux musiques nouvelles au Québec. L’arrivée du Centre de musique canadienne au Québec (CMC), en 1973, fut un signe incontestable de l’importance, de la prégnance et de la vitalité qu’acquéraient lentement les musiques écrites au Québec. Pour en mesurer la portée réelle, il faut se reporter deux décennies plus tôt. On compte alors presque sur les doigts de deux mains les modernes et contemporains. Ils peuvent apprendre un métier, mais doivent s’exiler pendant un temps plus ou moins long à Paris (Garant, Tremblay), Tanglewood (Mercure), etc. pour s’initier aux nouvelles techniques d’écriture. Vingt ans plus tard, il y a eu un « baby-boom ». La SMCQ est en place depuis 1966. Diverses initiatives de sensibilisation permettent aux jeunes compositeurs et interprètes d’écouter des musiques issues de multiples tendances esthétiques. Il y a, en sus, des émissions de radio et de plus en plus de disques qui offrent de nouveaux répertoires à découvrir. Et les compositeurs chevronnés tels Jocelyne Binet, Jean Papineau-Couture, Raymond Daveluy, Serge Garant, Alcides Lanza, Bruce Mather, François Morel, Clermont Pépin, André Prévost, Jacques Hétu, Gilles Tremblay, etc. enseignent tous à 43 http://moulinamusique.qc.ca/?lang=fr 44 Ils ont réalisé à ce jour une dizaine de projets tous aussi différents les uns des autres (conte musical, concerts, ateliers, spectacles avec manipulateur d’ombre, avec des acteurs dessinateurs, etc.). 45 http://www.smcq.qc.ca/jeunesse/fr/projets/21976/ 46 « Ce livre a une importance capitale en tant que première tentative de cerner et documenter les jalons de la postmodernité au Québec ». Gervais, Raymond, Programme, Montréal Musiques Actuelles, 1990, p. 9. 47 Créée en 1989 par Lorraine Vaillancourt, fondatrice et directrice artistique du Nouvel Ensemble Moderne et Jean-Jacques Nattiez, qui en fut son premier rédacteur en chef. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 17 l’université ou au conservatoire, initient des élèves à la musique nouvelle, écrite ou électroacoustique, les sensibilisent à la nécessité d’avoir une pensée qui soit de leur temps. Un effet d’entraînement se met alors en branle. Une « seconde », une « troisième » puis une « quatrième génération » de compositeurs et d’interprètes apparaissent. Sans être exhaustif, on peut nommer, entre autres (classés par naissance selon les décennies) : .... au cours des années 40 : Raynald Arsenault, Kevin Austin, Ginette Bellavance, Ginette Bertrand, Walter Boudreau, Michel-Georges Brégent, Brian Cherney, Micheline Coulombe St-Marcoux, Yves Daoust, Marcelle Deschênes, José Evangelista, Alain Gagnon, Jacques Hétu, Michel Longtin, Philippe Ménard, Bruce Pennycook, John Rea, Gisèle Ricard, Donald Steven, Lorraine Vaillancourt, Claude Vivier, etc. ... au cours des années 50 : Serge Arcuri, Linda Bouchard, Michelle Boudreau, Denys Bouliane, Tim Brady, Chistian Calon, Alain Dauphinais, Denis Dion, Julien Grégoire, Gilles Gobeil, Michel Gonneville, Denis Gougeon, Monique Jean, André Hamel, James Harley, Alain Lalonde, Chantale Laplante, Jean Lesage, Robert Normandeau, Isabelle Panneton, Silvio Palmieri, Marie Pelletier, Jean Piché, Serge Provost, Michel Smith, Donald Steven, Michel Tétreault, Alain Thibault, André Villeneuve, etc. ... au cours des années 60-70-(80): Alain Beauchesne, Martin Bédard, Nicolas Bernier, Simon Bertrand, Jérôme Blais, Christian Bouchard, Ned Bouhalassa, Alexandre Burton, Francis Caron, Vincent Collard, Jean- François Denis, Jacques Desjardins, Louis Dufort, Sean Ferguson, Paul Frehner, Michel Frigon, Nicolas Gilbert, Melissa Hui, Marc Hyland, Pierre Klanac, Jean-François Laporte, Rachel Laurin, Jimmie LeBlanc, Robert Lemay, Esthelle Lemire, Analia Llugdar, Luc Marcel, Isabelle Marcoux, Éric Morin, Cléo Palacio-Quintin, Yannick Plamondon, André Ristic, Ana Sokolovic, Patrick St-Denis, Jacques Poulin-Denis, Anthony Rozankovic, Jacques Tremblay, Pierre A. Tremblay, Roxanne Turcotte, etc. Plusieurs compositeurs nés dans les années 40 laissent lentement leur place à ceux des années 50-60 et 70 (pas tous inclus, tant s'en faut, dans cette liste). Et les compositeurs issus de ces générations constituent actuellement une large partie du « noyau dur » de la musique écrite et électro. Ils forment, à leur tour, de jeunes compositeurs. En moins grand nombre, bien sûr, les mouvements démographiques étant ce qu’ils sont, mais il y a passage, relais. Il en va de même pour les interprètes et pédagogues. Bref, plusieurs nouvelles générations de compositeurs, d’interprètes, etc. apparaissent et s’affirment, créant ainsi une vaste confrérie. L’apparition du Centre de musique canadienne au Québec s’inscrit dans cette foulée, voire, en a marqué le pas. La situation est la même en musiques actuelles et en pratiques audio expérimentales, etc., mais ce, dans des cadres moins structurés et l’émergence des pratiques ayant été ce qu’elle a été, le passage générationnel n’y est pas encore aussi sensible qu’en musique écrite. Mais, malgré que des artistes comme Michel F. Côté, Jean Derome, Joane Hétu, Danielle Pallardy-Roger, Pierre Tanguay, Martin Tétrault, Jocelyn Robert, Christof Migone, etc. soient toujours là, au meilleur de leur forme d’ailleurs, une certaine relève commence à s’affirmer. En musique actuelle, les démarches d’Antoine Berthiaume, Isaiah Ceccarelli, Guido Del Fabbro, Pierre Labbé et Éric Norman, semblent très prometteuses. Du côté des pratiques audio expérimentales : Magali Babin, Érick d’Orion, I8U (France Jobin), Herman Kolgen, Hélène Prévost et Nancy Tobin font un travail dont la pertinence et la créativité sont indéniables. Les musiques nouvelles furent de tout temps propices à des expérimentations paramusicales dont certaines furent très fertiles. Dès les années 60, au cours de la SIMAM notamment, certains chorégraphes tels Merce Cunningham, Françoise Riopelle, Françoise Sullivan, Alwin Nicolais ont exploré les rapports entre son et mouvements, Mercure, les rapports sons-images ou installation visuelle (Structures métalliques II de Pierre Mercure), etc. Par la suite, ces explorations se poursuivront. Danse, cinéma, performance, installation, théâtre, etc. deviendront autant de genres dans lesquels on approfondira les possibilités d’usages des musiques nouvelles. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 18 Ont travaillés dans ces secteurs dans lequel les zones de création ne sont pas claires et où le métissage est de rigueur, des artistes tels que : • En cinéma : Norman McLaren, pionnier du cinéma d’animation et d’une certaine pratique électroacoustique (grattage de la bande-son, peinture à même la pellicule, impression de champs de fréquences photographiées directement sur la pellicule, etc.); Maurice Blackburn 48, qui fera, à sa suite, certaines expériences son-image assez radicales (la bande-son du film Jour après jour de Clément Perron (1962) par exemple); Alain Clavier et Yves Daoust (dans le cadre de l’Atelier de conception et de réalisations sonores de l’Office National du Film (ONF) mis sur pied par Maurice Blackburn en 1971); Jean Derome, André Duchesne, Robert Marcel Lepage, René Lussier (en 1991, ces derniers avaient écrit la musique de plus de 35 films, dont plusieurs de l'ONF), etc.49 • En danse : Serge Arcuri (Résurgence - 1982 : pour Manon Levac), Bertrand Chénier et Michel Gonneville (pour Jean-Pierre Perrault et d’autres), Michel F. Côté (pour Catherine Tardif et plusieurs autres), Louis Dufort (pour Marie Chouinard), Monique Jean, qui tout en peaufinant sa pratique d’acousmaticienne (musique mixte majoritairement) travaille dans divers contextes tels danse, cinéma, Michel Longtin dont quelques œuvres Rituel II, Mi e Meta, Pour conjurer la montagne (1977) et La Trilogie de la montagne (1980) furent dansées par le groupe NouvelleAire, Rober Racine (pour Marie Chouinard), Ginette Bertrand (Djinn) et ses collaborations avec le chorégraphe Pierre-Paul Savoie (depuis le début des années 2000), l’ECM+ (sous le thème de ECM+ danse) a travaillé avec plusieurs chorégraphes tels Isabelle Van Grimde (3 Vues d’un secret : 2001), José Navas (Séminaires chorégraphiques : 2003) Hélène Blackburn (Courage mon amour de 2002 à 2006, Suites cruelles : 2007), Dominique Porte (Exit : 2006), etc. • En théâtre/performance : Ginette Bellavance qui composa beaucoup de musiques de scène et de films ainsi que des musiques pour la télévision dans les années 70-80, Ned Bouhalassa, électroacousticien qui fait beaucoup de musiques de film, Denys Bouliane, Jean Derome, Denis Gougeon et John Réa qui ont travaillé avec le metteur en scène Denis Marleau et le théâtre UBU50, Bertrand Chénier, qui a réalisé des musiques de séries télévisuelles pour enfants, de la musique de film (au-delà de 15 films), de la musique pour des chorégraphies de Jean-Pierre Perrault, etc., Yves Daoust (pour la troupe de mime Omnibus), Charles de Mestral (autour de sculptures de Paul Mercier) & avec ses installations « holoacoustiques », Robin Minard (avec Mur-Murs : 1985) pour Louis Parent et, depuis 20 ans, avec ses « musiques environnementales »)51, Robert Normandeau (pour Denis Marleau et Brigitte Haentjens depuis les années 2000), Michel Smith, compositeur très polyvalent (musique écrite, installation, théâtre musical, etc.) qui fait des musiques pour le théâtre sur une base régulière, Michel Tétreault qui a fait plusieurs musiques pour des installations entre 1970 et 1990, Alain Thibault, qui en plus d’être directeur artistique d’Elektra, « participe en tant que compositeur à la production de pièces de théâtre, de chorégraphies, de vidéos, films, documentaires et d'œuvres multimédias et fait de la vidéomusique [notamment avec Yann Breuleux] »52, etc. • En pratiques pluridisciplinaires : Outre Pierre Mercure et l’Infonie (Walter Boudreau, Raôul Daoust y composera notamment les bandes-son des films Les jeux sont faits, rien ne va plus! (Raymond Brousseau : 1971), ...26 fois de suite! (Jean-Claude Labrecque : 1978), L’âge de chaise (Jean-Thomas Bédard : 1978) et Les naufragés du quartier (Bernard Longpré : 1980). Alain Clavier composera, pour sa part, les bandesson d’une soixantaine de films, mais aucun document ne signale lesquelles furent composées dans le cadre de cet atelier, exception faite de Métadata. 49 Entre autres L'Albédo, Riopelle, Les Illusions tranquilles, Le dernier glacier, Passiflora, Beyrouth à défaut d'être mort, Shoot and Cry, Trois pommes à côté du sommeil, Riopelle, Étienne et Sara, Le Métro (deux films d'animation de Pierre Hébert), etc. 50 Denys Bouliane : Woyzeck de Büchner (1993) et Lulu de Wedekind (1995-1996); Jean Derome : Cantate grise de Beckett (1990), Les Ubs (1991) collage de texte de Jarry, Luna Park, collage de textes de divers auteurs (1992); Denis Gougeon : Roberto Zucco de Koltès (c.1993), Maîtres anciens de Bernhard (1995), Passage de l’Indiana de Chaurette, (1996), Nathan le Sage de Lessing, (1997); John Rea : Urfaust - tragédie subjective (d'après Goethe et Pessoa) : (1999). 51 « La musique environnementale se définit comme une musique fonctionnelle ayant pour but d'améliorer notre environnement » (EMC). Elle s’inscrit dans un certain prolongement de « l’écologie sonore ». 52 http://www.lienmultimedia.com/personne.php3?id_mot=1126 48 Yves Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 19 Duguay) qui proposèrent dès les années 60 des travaux transdisciplinaires, plusieurs artistes ont exploré, au fil des années, cette zone dans laquelle les disciplines se métissent souvent. Quelques noms d’artistes et de groupes qui s’intéressèrent à cette pratique, toute tendance esthétique confondue : le groupe Fusion des arts (1964-1968), les événements organisés par Serge Lemoyne (La semaine A (1964), Les trente A (1965)), le Groupe du Nouvel-Âge (1964) qui deviendra ensuite Les horlogers du Nouvel-Âge avant de devenir Zirmate (1965 : Claude Péloquin, Jean Sauvageau et le peintre Serge Lemoyne), les « sculptures sonores et cinétiques » de Richard Lacroix, installées au Pavillon du Canada lors d’Expo 67, les manifestes Agis (Claude Paradis, André Fournelle, Lucie Ménard (1968)), Richard Martin qui s’intéressa beaucoup à l’idée d’un art impliquant la participation du public (c. 1970), Pierre-André Arcand, de Québec, pionnier en poésie sonore (c. 1970-90), Rober Racine, artiste multidisciplinaire, qui a donné à la musique et au son une place de choix dans sa pratique de 1978 à nos jours (performances, installations, compositions, etc.), les disques imaginaires et installations de l’artiste multidisciplinaire Raymond Gervais, les Événements du neuf (1978) dont les premières années d’existence côtoyèrent souvent de près ces pratiques, les musiques d’installation de Michel Tétreault, compositeur et professeur au CEGEP St-Laurent (avec le sculpteur Michel Archambault, avec l’artiste multimédia André Greusard, etc. dans les années 1980-1990), Drive-in, installation vidéo de Michel Smith au Pavillon Calixa-Lavallé (1988 - SCAQ), Marie Pelletier, qui collabore ponctuellement depuis 1998 avec la plasticienne Carole Simard-Laflamme, le trio Mineminemine (Magali Babin, Éric Létourneau, Alexandre St-Onge) qui travaille, depuis 1999, à partir de formes conceptuelles; les concerts commentés du Quatuor Molinari avec Guido Molinari (c. 2000 jusqu’au décès du peintre en 2004), Erreur de type 27, un organisme de Québec dont le mandat flirte souvent avec ces idées, Cage en liberté, un concert-concept (avec installations sonores) présenté par l’Ensemble contemporain de Montréal (ECM+) pour célébrer le 10e anniversaire de la mort de John Cage (2002), Le requin blanc se multiplie, série de spectacles transdisciplinaires alliant musique et théâtre de marionnettes (concepteurs: Marcelle Hudon, Karèya Audet, Bernard Falaise et Nicolas Gilbert (2002)), certains des travaux de Marc Hyland, qui collabore de façon ponctuelle avec le compositeur Silvio Palmieri à des projets spéciaux, expositions, événements, œuvres électroacoustiques (DADA MUSIK : 1995, Musique iconoclaste : 1997, Musique en Cage : 2002), etc. Les radios communautaires, apparues au cours des années 1970, joueront un grand rôle dans la promotion des musiques nouvelles via diverses émissions de diffusion53. Elles généreront, surtout, une nouvelle pratique sonore : la création radiophonique, genre ingrat à définir car plusieurs esthétiques y cohabitent : • • • • • formes littéraires plus ou moins éclatées, parentes du théâtre radiophonique formes documentaires éclatées œuvres proches, de par leur nature, de l’esthétique des musiques de sons fixées formes dans lesquelles on tient compte de certaines spécificités du média (sa nature narrative, son instantanéité) formes s’apparentant à la performance ou à de l’improvisation libre faite en studio et diffusée en direct Quoiqu’exploré de façon ponctuelle (les œuvres conçues pour ce média ont une existence généralement brève du fait de la culture de l’éphémère qui prévaut à la radio) ce genre fut relativement florissant jusque vers les années 2000 et connaît actuellement une accalmie. Du côté anglophone, on peut observer une certaine constante de pratique, via des émissions régulières, surtout à CKUT. Du côté francophone, CINQ (centre-ville), CIBL et CKRL à Québec furent parmi les 53 Il est presqu’impossible de retracer toutes les émissions qui furent consacrées aux musiques nouvelles dans les radios communautaires québécoise à travers le temps car plus qu’ailleurs, les archives y sont éphémères, mais il importe de signaler le rôle très important qu’elles jouent comme diffuseurs. À CKUT, par exemple, pas moins de sept émissions (Adventures in Music, Chaude pour le mont Stone, Harvey Christ Radio Hour, etc) sont actuellement consacrées à ce genre. D’autres stations qui diffusent ou ont diffusé des nouvelles musiques: CKRL et Radio Basse-Ville (Québec), CIBL, CINQ FM, CKUT (Montréal), et CFLX (Sherbrooke). Quelques noms d’animateurs : Pierre St-Onge, Réjean Beaucage (CIBL), François Couture (CFLX FM), Martine Crispo, Éric Létourneau et Émilie Mouchous (CKUT). Évidemment, diffusion et création n’y sont parfois qu’une seule et même chose. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 20 stations où l’on a le plus proposé de ce genre d’œuvres dans les années 80-90. La radio de Radio-Canada s’est, pour sa part, généralement limitée à la commande d’œuvres54. Quelques noms de créateurs associés à cette esthétique - dont certains comptent plus d’une vingtaine d’années de pratique : Gilles Artaud (Québec), Daniel Buisson, Christian Calon, Boris Chassagne, Martine H. Crispo, Benoît Fauteux, Yves Daoust, Chantal Dumas, Jan Desrosiers, Bernard Lessard, Éric Létourneau, Andreas Kitzmann, Katty Kennedy, Christof Migone, Fabrice Montal (Québec), Claude Schryer, Neil Wiernick, etc. D’autres, plus rares, telle Anna Friz, font un travail d’installation qui côtoie la radio de près. Il faut aussi ajouter à cela la radio Web qui est un phénomène auquel s’arriment maintenant beaucoup de radios à ondes hertziennes et qui, sans encore avoir commencé à susciter de nouveaux types d’œuvres, est une plateforme de diffusion prometteuse. Enfin, il faut mentionner que dans ce domaine spécifique, nul n’est moins prophète en leur pays que les artistes radiophoniques et il est courant de composer pour les stations où il y a une demande pour ce type d’œuvres. Chantal Dumas par exemple, une des rares artistes à pratiquer cet art avec constance, a composé des œuvres pour la SRC, la CBC, la DeutschlandRadio Hörspiel/Klangkunst, la SFB (Senders Freies Berlin : jusqu’en 1983), Silence-Radio (http://www.silenceradio.org), le programme Kunstradio-Radiokunst de l’ORF (la radio nationale autrichienne), etc. 54 Généralement commandées pour des prix internationaux tels le prix Gilson ou le prix Italia : Otto Joachim, Yves Daoust, Marcelle Deschênes, Michel-Georges Brégent, Robert Normandeau, René Lussier, Walter Boudreau, Raôul Duguay figurent parmi ceux qui reçurent des commandes de la SRC. L’émission L’espace du son (1997-2001) animée et réalisée par Mario Gauthier commanda ou diffusa un assez grand nombre d’œuvres radiophoniques locales ou étrangères en plus de proposer des « émissions carte blanche » à des artistes comme Christof Migone, Jocelyn Robert, Chantal Neveu, George Azzaria, etc. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 21 4. LA CRÉATION À MONTRÉAL ET EN RÉGIONS 1978 : de nouveaux organismes voient alors le jour à Montréal et dans différentes régions du Québec. Ce déploiement signera le début d’une sorte de nouvelle vague, c’est-à-dire d’élargissement, des formes de diffusion et des esthétiques prévalentes à ce moment. À Québec, Irène Brisson, Claude Brisson, Pierre Genest, Michel Drapeau, Odile Magnan, André Morin et Gisèle Ricard fondent l’Association de musique actuelle de Québec (AMAQ) qui se donne comme objectifs de « promouvoir et de diffuser la musique contemporaine québécoise, canadienne et internationale » (EMC). Dans un contexte de diffusion beaucoup plus complexe qu’à Montréal, l’AMAQ réussira à organiser « (...) plus de 90 concerts, ateliers, conférences et événements spéciaux, non seulement à Québec mais aussi en régions (Baie-Saint-Paul, Victoriaville, Alma, Montréal), lesquels ont permis de faire connaître 390 œuvres de plus de 300 compositeurs » (EMC). À cela s’ajouteront des commandes faites à des compositeurs de Québec55. L’AMAQ cessera ses activités en 1991. Mais ce silence sera temporaire. Dès 1997, Yannick Plamondon, Patrick St-Denis et Martin Bédard mettent sur pied Erreur de type 27, un ensemble à géométrie variable, dont la philosophie est axée sur « l’ouverture aux multiples esthétiques (...) des musiques d’aujourd’hui et sur le dialogue interdisciplinaire »56. Leur travail, d’une grande originalité, incorpore création d’ici et d’ailleurs, modalités de jeu inédites (dont l’improvisation) et répertoire traditionnel (du vingtième siècle). Gisèle Ricard en assura la direction artistique de 2002 à 2008. Marie-Hélène Breault a pris la relève. Un autre ensemble fit beaucoup parler de lui entre 2000 et 2008, le Consort Contemporain de Québec. Son fondateur, Nicolas Jobin s’était entouré de 12 musiciens ainsi que de trois compositeurs/arrangeurs (Claude Boucher, Guillaume Boulay et Pierre-Olivier Roy). Une des particularités de cet ensemble a été de défendre à la fois des œuvres du répertoire (Cage, Glass, œuvres inspirées de St-Denys Garneau) et de s'associer, dans le but de démocratiser davantage l’accès à la musique contemporaine, avec des artistes issus de la musique populaire tels Pierre Lapointe, Loco Locass, Fred Fortin et Marie-Jo Thério. Le groupe connut un certain succès. Il a cessé ses activités en 2008. Au moment où la musique actuelle émerge lentement à Montréal via Conventum (1972-1980), l’EMIM et l’ADMO (1978-1985), ce genre se taille aussi une place de choix en région via un organisme et un festival : Le Centre d’expérimentation musicale (CEM-1980) à Jonquière et le Festival international de musique actuelle de Victoriaville (FIMAV-1983) dans la région des Bois-Francs. Le CEM fut probablement la première structure spécifiquement consacrée à la musique « actuelle » à naître en dehors de la grande région montréalaise. « Fondé (...) par les musiciens Jean-Pierre Bouchard, Claude Fradette, Pierre Dumont, Pierre Lavoie et le poète Alain-Arthur Painchaud, le Centre d’expérimentation musicale s’est donné comme mission le développement du milieu des musiques nouvelles et émergentes au Saguenay. Par ses activités (...), le CEM assure un soutien professionnel à ses créateurs dans un contexte favorisant la recherche et l’exploration musicale (...). Depuis sa fondation, le CEM a produit, coproduit et diffusé près de 200 concerts rejoignant plus de 20 000 spectateurs »57. Quant au FIMAV, son rôle fut plus que celui d’un simple producteur/diffuseur. Fondé par Michel Levasseur en 1983 pour donner à entendre les diverses tendances des musiques actuelles, il aura une influence directe sur le milieu musical québécois en « officialisant » l’appellation « musique actuelle ». En plus, il marqua symboliquement le début des activités à caractères événementiels en musique nouvelle. L’idée de rattacher une série d’événements de musiques nouvelles autour d’un « festival » aura, à partir des années 2000 58, une très grande incidence sur l’évolution des musiques 55 Bernard Bonnier, Denys Bouliane, Denis Dion, Bruno Fecteau, Alain Gagnon, Marc Gagné, Pierre Genest, François Morel, Raymond Skilling, Gisèle Ricard, Armando Santiago, Daniel Toussaint et André Villeneuve. 56 http://erreurdetype27.com/index.htm 57 http://cemproduction.com/A_propos_du_cem/ 58 En témoigne, à Montréal et en régions, le très grand nombre de festivals ou événements qui animent la scène musicale : Festival per il Popolo, (depuis 2000 - Sala Rossa), Elektra (ACREQ), Akousma (Réseaux), MNM (SMCQ), Mois Multi (Recto-Verso), Les Rencontres de musiques spontanées (Tour de Bras, Rimouski), Montréal en Lumières, etc. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 22 nouvelles59. Enfin, par sa pérennité et sa haute tenue esthétique, cette initiative fut indéniablement une des plus ambitieuses à avoir vu le jour en matière de diffusion et de création de musiques nouvelles en régions60. Pendant ce temps à Montréal... certains groupes se questionnent à propos des tendances du moment. Avec raison, car en musique nouvelle, le paysage musical montréalais est somme toute, relativement polarisé. D’un côté, il y a la SMCQ, qui a l’indéniable mérite de continuer son travail de création, de sensibilisation et de diffusion des musiques écrites et à l’autre bout du spectre l’EMIM, puis l’ADMO qui se dégagent lentement de l’influence de la musique libre et souhaitent faire une musique de plus en plus ouverte. C’est dans ce contexte qu’apparaissent deux mouvances tout à fait contraires, mais portées par le même désir de faire autre chose. a) Les Événements du neuf « Ce siècle s’achève déjà et bien que, de façon générale, les organismes officiels de production de concerts et de disques aient ignoré la musique qui s’y faisait, les efforts de quelques groupes et de certaines écoles ont réussi à faire naître un enthousiasme grandissant en faveur de la musique nouvelle. Jeunes et moins jeunes, de plus en plus, apprennent à reconnaître leur quotidien dans les sons actuels et commencent à s’y identifier »61 ... écrivaient Les Événements du neuf, fondés en 1978 à Montréal par José Evangelista, John Rea, Lorraine Vaillancourt et Claude Vivier. Porté par un double désir de « présenter des musiques inconnues du public et tenter l’aventure d’une nouvelle formule de présentation de concert »62, ce regroupement fit énormément pour faire avancer la cause des musiques nouvelles. Comme on le souligne dans L’encyclopédie de la musique canadienne : « Cette organisation se donna le mandat d'explorer les différentes tendances de la musique contemporaine sous toutes ses formes, incluant les performances multimédias, tout en visant un décloisonnement des genres et des périodes » (EMC). On y proposa maints concerts-événements demeurés mémorables par leur contenu et leur originalité (Geoffrey D. Madge présentant l'une des très rares exécutions d'Opus Clavicembalisticum de Kaikhosru Sorabji (1984-1985); L’arche de Noé, série d’événements musicaux impliquant des interprètes, compositeurs, danseurs, mimes; ainsi que des projections de films, des explorations de nouvelles techniques vocales via des concerts tels La nouvelle mélodie (1979), Trois jours de musiques vocales (1981-1982), etc.). Au fil de leur évolution, tout en poursuivant l’idée d’ouvrir la vénérable institution du concert à d’autres approches, les Événements du neuf proposèrent de plus en plus de concerts traditionnels, et ce fut, peu à peu, cette formule qui s’imposa du fait qu’un besoin grandissant d’expressions d’esthétiques nouvelles émergeaient. En effet, les œuvres de compositeurs tels Claude Vivier (dont ils créèrent et interprétèrent le Kopernicus (1979)), Louis de Pablo, Frederick Rewski, Luciano Berio, Peter Eötvos, La Monte Young, etc., n’étaient que la pointe de ce qui allait devenir une nouvelle étape de la modernité musicale : la postmodernité, que l’on peut succinctement résumer comme étant la résultante d’une ambivalence face aux avant-gardes des années 50 et 60, laquelle amènera les compositeurs à une « (...) prise en charge de divers héritages : ceux de la tradition musicale occidentale enrichis des pratiques et des styles orientaux, aussi bien que l’héritage 59 Outre la SIMAM, il y eut quelques événements précurseurs tels la Semaine de musiques nouvelles (Montréal) (1975), la série de concerts entourant les célébrations du 10e anniversaire du EMS (Electronic Music Studio de McGill : 1975), etc., ainsi que quelques événements à caractères festivaliers tels les Printemps électroacoustiques de l’ACREQ (1983-1992), L’année internationale de la musique canadienne organisée par L’UNESCO et le CMC, section Québec (1986), etc. 60 D’autres lieux de productions en région : La galerie Obscure (1982 à c.1998, Québec) qui proposa à la fois des expositions d’art actuel, des concerts de musiques improvisées et des performances audio : Le festival des musiques de création à Jonquière (1989, mis sur pied par le CEM); La coopérative Méduse (1995, Québec) où se déroule, depuis plus de 10 ans, le Mois Multi, un événement multidisciplinaire; Tour de Bras (2004, Rimouski), « structure de diffusion, de création et de production dans le domaine des musiques actuelles, des arts performatifs et des nouvelles pratiques sonores et instrumentales » http://www.tourdebras.com/?q=node/34), etc. 61 Communiqué des Événements du neuf émis le 9 janvier 1979. 62 Op. cit. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 23 tout récent des musiques contemporaines »63. Lors de leur douzième et dernière saison, Les Événements du neuf accueillirent, en une sorte de concert d’adieu et de bienvenue le Nouvel Ensemble Moderne (NEM) qui proposa, pour cette occasion, un concert de musique du Groupe de musique expérimentale de Marseille (GMEM). Le soliste en était Claude Lamothe. Le NEM allait continuer, sous une forme plus assidue et plus ouverte aussi, le travail amorcé dans les dernières années par les Événements : faire place à de nouveaux répertoires, aux œuvres de jeunes compositeurs tout en incorporant à son mandat un aspect voisin de celui de la SMCQ : jouer et rejouer des œuvres marquantes du répertoire. Un des objectifs de ces « redites » était de faire en sorte que ces œuvres, à force d’être jouées deviennent ce qu’elles sont en réalité depuis longtemps : des classiques du répertoire du vingtième siècle. Comme l’a élégamment dit Lorraine Vaillancourt à ce moment, « nous ne mettons fin à rien. Nous sortons simplement du calendrier »64. Mais ces douze années d’activités auront été un moment capital dans l’évolution des nouvelles musiques québécoises. L’intérêt pour le métissage ne sera pas une spécificité propre à cet organisme. Au fil du temps, d’autres s’y arrimeront. Traquen’art, fondé par Patrick Darby en 1982 fut sans doute le premier producteur à s’inscrire dans cette lignée. Reconnu pour la qualité de ses productions en musique du monde (il est avant tout un diffuseur), Traquen’art a toujours eu deux cordes à son arc : la musique nouvelle et en parallèle, une série dont le titre est éloquent : Musiques et Traditions du Monde. Vingt-cinq ans plus tard, il en va toujours ainsi. D’autres artistes et regroupements qui évoluent dans cet entre-deux mondes : Constantinople (1998), fondé par Kiya Tabassian et Ziya Tabassian, dont la pratique s’inspire à la fois des traditions des musiques du Moyen Âge, de la Renaissance, de celles de la Méditerranée et de l’Orient et de l’improvisation qu’ils revendiquent comme pratique actuelle; Iks, groupe de jazz contemporain formé de Sébastien Arcand-Tourigny, Nicolas Boucher, Stefan Schneider, Sylvain Pohu et Pierre-Alexandre Tremblay, né « d'un désir des musiciens d'expérimenter la mise en commun de leurs différentes visions de la musique improvisée, pour ériger un langage qui est actuel et propre au groupe, puisant au présent ses forces dans les divers langages passés, pour en proposer l'avenir »65; Trace, duo composé de Julien Grégoire et Guy Pelletier qui crée, par le biais d’un croisement serré entre écriture et improvisation, une musique teintée d’influences multiples; Sam Shalabi dont les travaux ont des relents de musique traditionnelle, orientale et psychédélique, etc. Le théâtre musical, un des nombreux genres à avoir vu le jour au cours du 20e siècle, aura une prégnance particulière au Québec à partir des années 1980, et ce, même s’il a été exploré de façon plutôt ponctuelle. Lié à l’opéra (et aussi au mélodrame) de par l’idée du mariage musique/dramaturgie, il en diffère cependant par « (...) la relation entre la musique et l'espace (...), correspondance entre une idée scénique, une idée musicale, va-et-vient constant. », ce qui ouvre « [un] territoire de possibilités (...) aux compositeurs dès lors que s'immisce la notion de théâtralité entre le chant et la déclamation, entre la musique et le verbe »66. Parmi ceux qui ont exploré avec pertinence ce genre, on peut nommer entre autres (toute allégeance esthétique confondue) : Gabriel Charpentier qui en fut un précurseur67; Gropus 7 (1975 - 1982 : Marcelle Guertin, Nicolas Desjardins, Anne Jalbert, Pauline Vaillancourt); Micheline Coulombe StMarcoux dont Transit (1984 : livret de France Théoret) sera une pierre d’assise dans le genre; Michelle Boudreau qu’on décrit comme « compositrice et “parleuse” dont les recherches se concentrent particulièrement sur la structure, la matière, le geste et l’intégration théâtrale et visuelle »68; Gisèle Ricard; Serge Provost; José Evangelista; Myke Roy; Michel Smith et Alain Thibault. 63 Provost, Serge : Tendances de la création musicale-Québec, Musicanada 2000 : un hommage aux compositeurs canadiens, Liber/ CMC, Montréal, 2001, p. 72. 64 Gingras, Claude : La Presse, 11 mars 1990, Montréal. 65 http://www.iksperience.com/xfran.html 66 Galaise Sophie, Le théâtre musical au Québec, L'Annuaire théâtral, Revue québécoise d’études théâtrales, n° 25, Montréal, 1999, p. 61. 67 Son catalogue comporte plus d’une soixantaine d’œuvres se rattachant au théâtre et à la voix. 68 http://www.smcq.qc.ca/mnm/fr/2007/prog/concert/21912/ Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 24 Deux artistes en ont fait leur spécialité : Pauline Vaillancourt, qui a fondé Chants Libres (1990), une compagnie de création lyrique qui « a pour mandat de réunir des créateurs de toutes les disciplines, tant en musique, en théâtre, en arts plastiques, qu’en vidéo, et en arts électroniques, autour d’un point commun : la voix »69. Chants Libres créée une nouvelle œuvre par année depuis sa création, ce qui est exceptionnel. ...et Marie Pelletier, compositrice-librettiste « membre fondatrice du regroupement des Compositeurs dépendants polyvalents (CDP) » (sic!) qui, dans les faits, n’est associée à aucune compagnie. Son catalogue compte, à ce jour, une vingtaine d’œuvres de théâtre musical. b) Les Productions SuperMusique Définir la musique actuelle, c’est comme tenter de saisir un couteau sans lame auquel il manque le manche! On peut la nommer, mais il est plus facile de dire ce qu’elle n’est pas que ce qu’elle est. Le désir de liberté et d’expression y prime sur les conventions. Il faut donc, pour comprendre la dynamique singulière qui caractérise ce milieu, considérer que la musique actuelle est essentiellement issue d’un désir d’expression d’individualités qui ne trouvaient pas leur place au sein des pratiques alors prônées par les institutions en place. À cela, il faut aussi ajouter que les gens qui la pratiquent tiennent mordicus à se tenir loin de modalités de langage sonore trop rigides et cherchent à demeurer à l’écart de toutes structures trop hiérarchisées (musicales ou autres). La fondation de SuperMusique est typique de cette attitude. Joane Hétu, Diane Labrosse, Danielle P. Roger s’intéressent à ce que font des groupes comme L’enfanfare, Les enfants de la rue Duluth, Clockville, Montréal Transport Limité 70, Conventum, l’EMIM, etc. Mais elles ne se sentent pas « dans ça ». Elles cherchent « leur son » et y travaillent longuement avant de former, vers la fin des années 1970, le groupe dans lequel elles concilieront fanfare, rock et jazz en une sorte d’agglomérat qu’ellesmêmes n’arrivent pas à situer de façon très claire, musicalement parlant : Wondeur Brass71. Afin de pouvoir s’autoproduire et faire des tournées dans un cadre adéquat, elles fondent, en 1979, les Productions SuperMémé (desquelles naîtront, vers 1998, les Productions SuperMusique : PMS). Avec Wondeur Brass, Les Poules, puis Justine, elles commencent alors à faire des tournées à l’étranger, côtoient de plus en plus de musiciennes72 et réfléchissent beaucoup à leur rôle dans ce que l’on avait commencé à nommer, vers 1983, la « musique actuelle ». Jean Piché leur fournira, via le festival Montréal Musiques actuelles (1990), l’occasion de se faire reconnaître tout en prenant conscience de la portée de leur travail et de son impact dans l’ensemble du milieu musical montréalais. Elles commenceront alors à faire, en parallèle à leur production, de concert avec l’ADMO, un immense travail de sensibilisation dont la visée est de faire reconnaître la légitimité et l’apport unique de ces musiques à la vie culturelle montréalaise et québécoise. Leurs efforts porteront fruit et les années 1990 seront une période faste pour elles et pour les musiques actuelles. À l’autoproduction, elles ajouteront alors la production. Pour y parvenir, elles mettront sur pied, en 1997-1998, l’ensemble SuperMusique, lequel est encore, à ce jour, le seul à se consacrer spécifiquement à la musique actuelle. L’ensemble est à géométrie variable et chaque membre y est soliste et compositeur. Depuis, les PSM et leur corollaire, l’ensemble SuperMusique, produisent, bon an mal an, concerts et événements, dans lesquels se côtoient sans (ou avec!) heurts « rock déstructuré, jazz fragmenté, chansons éclatées, folklore réinventé, ambiances bruitistes, improvisations, nouvelles musiques d’ensemble, métissages des lutheries acoustiques et électroacoustiques »73. Par toutes ces activités, elles ont peu à peu permis à ces pratiques de se cristalliser et, par extension, 69 http://www.levivier.ca/fr/apropos/organismes/cl/ 70 Groupe formé de Raffaele Artigliere (batterie, percussions), Lou Babin (voix, saxophone), Marie-Claude de Chevigny (voix, saxophone, synthétiseur), Maxime Dubois (cor français, synthétiseur), Bernard Poirier (voix, guitare, basse, synthétiseur), Claude St-Jean (trombone, basse) et René Lussier (guitare). 71 Ce ne sera qu’en c.1983, lorsqu’elles rencontreront Chris Cutler, percussionniste et fondateur du label R&R (Recommended Records) qu’elles réalisent qu’elles font, en quelque sorte, partie d’une confrérie : celle des « musiques nouvelles », alors émergentes et qu’ont ne nommaient pas encore « actuelles ». 72 Joëlle Léandre, Maggie Nicols, Lindsay Cooper, Geneviève Cabane. 73 http://www.supermusique.qc.ca/fr/apropos/historique/ Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 25 à devenir « admises ». D’une certaine manière, elles sont aussi en train de « faire école ». Même si, du côté des institutions d’enseignements, il y a encore loin de la coupe aux lèvres, SuperMusique, par le rassemblement et la solidarité qu’elles ont suscitées, a contribué à rendre les pratiques de la musique actuelle et de l’improvisation plus usuelles. Et cela n’est pas sans conséquence. Les artistes issus des plus jeunes générations y viennent maintenant avec moins d’hésitation et sans avoir l’impression d’être en porte-à-faux face à leurs acquis antérieurs (académiques notamment). Et du côté des « actualistes », il y a aussi passage. De l’improvisation, on passe lentement, dans certains projets, à l’écriture musicale, et ce, sans qu’aucun compromis ne soit fait en terme esthétique. Par leur travail acharné, leur persévérance, elles ont donc donné à ce genre, ses lettres de noblesse et l’ont amené à une maturité, laquelle permet maintenant de franchir cet apparent « manque de crédibilité » à laquelle on associait initialement les musiques actuelles et improvisées, du fait notamment qu’elles n’étaient rattachées à aucune institution et n’avaient, pour ainsi dire, que peu ou pas de tradition. C’est aussi ce qui explique, en partie, la volonté des générations de la relève de se situer autrement, d’aller ailleurs. Comme dans tous les domaines où s’instaurent, justement, une tradition et une reconnaissance, une volonté de dépassement s’installe qui, immanquablement – cela est advenu maintes fois en musique écrites – finit par enrichir la pratique de laquelle émergent les nouvelles mouvances. c) L’émergence du multimédia (1981-1993) ... prélude à une vague de fond qui générera un développement sans précédent des musiques électroacoustiques tout au long des années 1990. Ces œuvres qui « (...) en plus de la musique, incorporent un ou plusieurs autres modes d'expression comme la parole, le mouvement, le film, les effets de lumière, la sculpture et la danse » (EMC) à l’aide de technologies combinées, flirtent sérieusement avec le Gesamkunstwerk wagnérien et eurent un profond impact sur l’évolution de la musique nouvelle, particulièrement en électroacoustique. Mais cet impact fut relativement momentané, peut-être parce son apparition concorda, au point de vue technique, avec le début de la transition de l’analogue au numérique. Après un essoufflement « auquel ne sont sans doute pas étrangers la récession économique et le recul des paliers gouvernementaux en matière de subvention »74, le genre s’est aujourd’hui partiellement intégré à ce que l’on appelle les arts médiatiques75. Plusieurs artistes, généralement issus du monde de l’électroacoustique, ont créé des œuvres dans ce domaine (ou y ont collaboré), mais celle qui en a exploré les multiples possibilités avec la plus grande pertinence est indéniablement Marcelle Deschênes76. Parmi ses œuvres les plus marquantes, mentionnons : OPÉRAaaaAH! (1981-1983), Lux (1985), deUS irae (1985), Big Bang II (1987), Ludi (1990) et Big Bang III (1992). d) L’émergence d’une nouvelle génération ... se manifestera aussi via la création quasi continuelle d’organismes et d’ensembles qui poseront, chacun leur tour, une nouvelle pierre à l’édifice des musiques nouvelles. Parmi ceux qui se 74 http://cec.concordia.ca/econtact/histories/ApercuElectroacoustique.htm Car cette pratique existe toujours. Elle est simplement moins présente en musique nouvelle. Jacques Collin, un des pionniers de cette discipline travaille régulièrement pour Robert Lepage et Ex-Machina depuis 1992 et considère qu’il fait encore du multimédia. 76 Le travail de cette pionnière demeure encore largement méconnue et mériterait qu’on s’y arrête pour la peine. Son apport à l’évolution de la musique électroacoustique au pays fut, comme celui de sa collègue Micheline Coulombe St-Marcoux, d’une importance capitale. Elle a exploré plusieurs approches esthétiques avec un égal bonheur : l’écriture sérielle (1 1/2), l’exploration des rapports que peut entretenir la musique avec l’aspect visuel (7+7+7+7), la musique mixte (TalilalilalilalaRequiem, Moll, opéra lilliput pour six roches molles), la transposition, à des instruments traditionnels de sonorités inspirées par la musique électroacoustique (Voz-Cantate mitrailleuse), la perception auditive, etc. C’est également en grande partie grâce à elle que le studio de musique électroacoustique de l’Université de Montréal a pu voir le jour au début des années 1980. 75 Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 26 démarquent le plus, on peut nommer : • Code d’Accès (1986 : originellement La société de concerts alternatifs du Québec - Gyslaine Dubuc, Mario Gauthier, André Hamel, Claude Lassonde, Gaétan Martel) dont le but est de promouvoir la jeune création musicale québécoise et les jeunes artistes en émergence. Fait particulier, son fonctionnement est plus proche de l’idée d’un collectif que de celui d’un organisme : « Cette compagnie s’est dotée d’une structure démocratique unique : toute personne qui désire s’impliquer peut devenir membre, et c’est parmi l’assemblée générale de ses membres qu’est élu le conseil d’administration qui la dirige, appartenant ainsi véritablement aux artistes du milieu »77. • L’Ensemble contemporain de Montréal (1987 : Véronique Lacroix, chef et directrice fondatrice – devenu ECM+). Depuis ses débuts, l’ensemble fait un important travail de diffusion et de soutien à la relève canadienne des compositeurs via sa série GÉNÉRATION et ses ateliers de composition, en plus de développer, à long terme, la carrière et la reconnaissance canadienne des compositeurs (Ana Sokolovic, André Ristic, Nicolas Gilbert, Michael Oesterle, Maxime McKinley, Pierre Klanac, Louis Dufort, Yannick Plamondon, Nicole Lizée, Jean-François Laporte, Analia Lludgar, etc.). À ceci s’ajoutent de nombreux concerts à caractère thématique et hybride dans lesquels cohabitent musiques classiques et nouvelles, recherches multidisciplinaires (avec le cinéma, la danse, la vidéo, etc.) ainsi qu’un travail d’éducation via ses concerts jeune public avec le Moulin à Musique. L’ECM+ a créé jusqu’ici plus de 200 nouvelles œuvres pour grand ensemble diffusées lors de tournées locales, régionales et nationales78. • Tuyo (1987) : un des premiers ensembles, après Sonde, a avoir créé leurs « Chaque nouvelle production permet (...) de découvrir d’impressionnants inventés par Carol Bergeron, directeur artistique de TUYO, qu’il construit partir de matériaux à usage multiple. Depuis deux décennies, ils ont représentations lors de 24 tournées sur tous les continents79 ». • Le Nouvel Ensemble Moderne (NEM - 1989 : Lorraine Vaillancourt, chef et directrice fondatrice), un orchestre de chambre de 15 musiciens qui propose une interprétation des musiques d'aujourd’hui « ... en leur accordant le temps et l'attention qu'elles méritent. Son répertoire est (...) constitué de "classiques du XXe siècle", reflète la variété des esthétiques actuelles, s’ouvre à la musique de tous les continents et consacre une place importante à la création. Ses concerts, ses répétitions ouvertes au public et le Forum international des jeunes compositeurs, un événement qui offre un stage de quatre semaines à de jeunes compositeurs qui [participent] à des séminaires, des répétitions, des discussions avec des experts et des concerts à l'Université de Montréal sont des moments privilégiés d’échange et de réflexion »80. À ce mandat déjà très riche, le NEM a ajouté au fil des ans des événements-hommages à des compositeurs de renom tels Mauricio Kagel (1992), Franco Donatoni (1994), Elliot Carter (1998), Xénakis (2005), Serge Garant (2009), Gilles Tremblay (2010), etc., des concerts plus métissés tels Musique défilé pour une fin de siècle (1999) et MusMix81 dans lesquels le NEM mit en vedette musique instrumentale et électroacoustique82 et quelques concerts plus éclatés, tels Refus global à partir du célèbre texte de Borduas (Jacques Drouin : 1999), NEM IT (2001), une œuvre de Michel Smith dans laquelle étaient très habilement jumelé musique écrite et théâtre musical et le tout récent Forum 2010 dont le thème était musique et vidéo d’art. propres instruments. instruments inusités, en majeure partie à donné plus de 850 77 http://www.codesdacces.org/quest-ce/ 78 L’ensemble a récemment créé, dans cette lignée esthétique des spectacles tels Les cinq as (2011), Les aventures de Madame Merveille (2010), Ponts de papillon (2009), Opéra Élia (2004), etc. On peut en visualiser des extraits sur le site web de l’ECM+ à http://www.ecm.qc.ca/videoex.php?lang=f&page=extraits 79 Librement adapté de http://www.servicesmontreal.com/jacqueline/af_tuyo.html 80 Librement adapté de http://www.lenem.ca/site nem/historique.php 81 « Dont l'objectif est de reprendre des œuvres de musiques mixtes existantes que l'on n'entend pas, pour des raisons techniques, entre autres. » http://www.scena.org/lsm/sm9-7/NEM.htm 82 Musique électroacoustique de Marcelle Deschênes, musique instrumentale pour 16 musiciens de Linda Bouchard, mise en scène de Richard Armstrong. Ce concert fut présenté par le Nouvel ensemble moderne (NEM) au Medley à Montréal. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 27 • Réseaux (1991: Jean-François Denis, Gilles Gobeil, Robert Normandeau) dont « le mandat principal (...) est de diffuser sur la place publique les œuvres réalisées par les artistes et les groupes de production en musique électro[acoutique] présentées sur un ensemble de hautparleurs et cela, sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de musique acousmatique (sur bande), mixte (avec instruments), en direct. (« live electronics ») ou avec toute autre forme d’art comme la vidéo, la danse ou l’installation. Ses outils de promotion sont essentiellement le concert et les bases de données (...) qui permettent aux œuvres de vivre sur scène et aux écrits d’être diffusés. (...) Réseaux est unique en son genre, non seulement au Québec, mais également au Canada. Il s’agit de la seule société de diffusion qui s’occupe uniquement de présenter les musiques électroacoustiques de concert, autant celles des compositeurs d’ici que celles des compositeurs étrangers »83. • Le quatuor de saxophones Quasar (1996 : Marie-Chantal Leclair, Mathieu Leclerc, André Leroux, Jean- Marc Bouchard) qui, « passionné par la musique de son temps, (...) se consacre à la création et à la promotion de la musique contemporaine. Reconnu pour son énergie, son audace et la qualité de son jeu, Quasar explore les diverses facettes de la création, de la musique instrumentale à la musique improvisée en passant par la musique électronique et le théâtre instrumental. Depuis sa fondation en 1994, Quasar a créé une quarantaine d’oeuvres, écrites pour la plupart (...) par des compositeurs québécois. (...) Il compte (…) à son actif quelques créations d’oeuvres étrangères et a le mérite d’avoir fait découvrir au public québécois de nombreuses oeuvres de compositeurs étrangers. Quasar assure également un rayonnement d’importance aux oeuvres nouvelles en les portant sur la scène nationale et internationale. Le quatuor s’est produit à travers tout le Canada et a également participé à des événements d’envergure internationale en France, en Espagne, en Estonie, en Lituanie et aux Pays-Bas. ».84 • Les Productions Totem Contemporain (2003) qui se « vouent au développement, à la diffusion et à la promotion des instruments inventés et installations sonores de Jean-François Laporte. (...) L’organisme a suscité l’intérêt de plusieurs artistes (...) tels que l’Orchestre national de France, les compositeurs Jonathan Harvey (...) et Benjamin Thigpen, les musiciens Jean-Paul Bernard, JeanMarc Bouchard , Martin Ouellet, le musée d’art contemporain de Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne) et le Symposium international d’art contemporain de Baie-St-Paul, (...), etc. En plus de favoriser le développement et la réalisation de différents projets, les PTC produisent chaque année plusieurs concerts à Montréal et font d’importantes tournées à l’international »85. Pour l’édition 2011 de MNM, Jean-François Laporte a confié ses instruments aux compositeurs Alexandre Burton, Félix-Antoine Morin, Jesper Nordin et au quatuor Quasar qui proposeront une œuvre spécifiquement composée pour ceux-ci. On mentionnera aussi : Espaces sonores illimités (André Hamel, Alain Lalonde, Alain Dauphinais : 1992) qui, depuis presque vingt ans, désenclave la musique écrite de la salle de concert pour la redonner à entendre dans des espaces particuliers via des compositions expressément conçues pour ces lieux. Ils ont une dizaine d’œuvres, toutes aussi spéciales et imposantes les unes que les autres, à leur actif; Innovations en concert (Tim Brady : 1994) « qui désire rendre accessible la musique d’aujourd’hui (...) et présente des ensembles et des solistes voués aux musiques de création et au répertoire de notre temps dans une vision stylistique très large qui inclut la musique contemporaine, actuelle, improvisée, expérimentale, électroacoustique et jazz contemporain.»86 ; l’ensemble Kore (1997), le Quatuor Molinari (1997), le Trio Fibonacci (1998) et le Quatuor Bozzini (1999)87, qui 83 http://www.reseauxconcerts.com/fr/pages/historique-et-mandat 84 Librement adapté de http://quasar4.com/html/bioquasar.htm et http://quasar4.com/html/accueil.php. 85 http://www.totemcontemporain.com/ 86 Directeur actuel : Michel Frigon. Librement adapté de http://www.innconcert.ca respectivement par Marc Couroux, Michael Oesterle (Ensemble Kore), Olga Ranzenhofer (Quatuor Molinari ), Gabriel Prynn, André Ristic, Julie-Anne Derome (Trio Fibonacci ) et Isabelle Bozzini (Quatuor Bozzini). Ce dernier quatuor a un nombre impressionnant de créations à son actif. Jusqu’ici, il a commandé une centaine d’œuvres et en a créé plus de cent cinquante autres. Le quatuor Molinari, pour sa part, a été qualifié par la critique canadienne d’ensemble «essentiel» et «prodigieux», voire de «pendant canadien aux quatuors Kronos et Arditti. Il s’est imposé comme l’un des meilleurs quatuors au Canada.» (http://quatuormolinari.qc.ca/fr/?page_id=78) 87 Fondés Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 28 défendent de façon convaincue et convaincante des oeuvres du répertoire, font des commandes à des compositeurs et de la sensibilisation auprès du public; In Extensio (2005 - MariEve Lauzon, Louise Campbell, Barah Héon-Morissette) qui « tire essentiellement son inspiration de la création de nouvelles œuvres, de la variation du format de l’ensemble, de l’exploration de nouveaux sons » et dont le « mandat consiste principalement à diversifier son public et les lieux de ses concerts, de même qu’à y intégrer la technologie et à solliciter les pratiques multidisciplinaires »88; Theresa Transitor, un collectif d’improvisation électroacoustique formé de Christian Bouchard, Christian Calon, Mario Gauthier et Monique Jean, qui propose des concerts « [résultant] de la convergence de l’écoute active de l’auditeur liée à l’action des improvisateurs attentifs aux tracés singuliers du présent en train de se dérouler. Acteurs et auditeurs, ensemble au centre de la salle, sont immergés dans le même espace d’expérimentation »89; Sixtrum (2007) 90 qui a le grand mérite de remettre les percussions à l’honneur et innove beaucoup dans ses formules de concert ainsi que Transmission (2007)91 qui « initie (...) des projets qui chevauchent la composition et l’improvisation, dans cette zone exploratrice où la performance crée sa propre musique »92. La direction et le choix de son répertoire sont initiés par chacun de ses membres. On remarquera que tous ces ensembles sont issus du domaine de la musique écrite (exception faire de Réseaux et de Theresa Transistor qui proviennent de la musique électroacoustique). Il semble donc que les cadres existants n’aient pas été suffisants ou adéquats pour accueillir les nouveaux venus. À tout le moins, s’il est juste de considérer que la musique improvisée et l’électroacoustique connaissent un essor considérable dans ces années, cela n’a aucunement signifié que les musiques écrites étaient en perte de vitesse. Bien au contraire, leurs activités se démultipliaient. Elles changeaient de modalité de fonctionnement, se décentralisaient, simplement. La venue de Pierre Boulez à Montréal en 1991, l’événement Mauricio Kagel en 1992 (organisée par le NEM), les forums internationaux des compositeurs du NEM, les ateliers-concerts ou les concerts-concepts de l’ECM+, les événements de Productions Totem Contemporain, etc., ne sont que quelques-uns des événements qui se déroulèrent tout au cours de la décennie 1990, qui somme toute, fut faste pour ce genre aussi. 88 http://www.levivier.ca/fr/apropos/organismes/inextensio/ 89 http://theresatransistor.ca/#/groupe 90 João Catalão, Julien Grégoire, Philip Hornsey, Kristie Ibrahim, Sandra Joseph et Fabrice Marandola Pelletier, Lori Freedman, Alain Giguère, Julie Trudeau, Julien Grégoire, Brigitte Poulin. 92 http://www.ensembletransmission.com/ 91 Guy Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 29 5. LES ANNÉES 1990 RAYONNEMENT ET NOUVELLES FORMES D’EXPRESSIONS Le début des années 1990 secoua sérieusement tous les milieux de musiques nouvelles. Et pour cause. Plusieurs bouleversements esthétiques et techniques majeurs auront lieu dans un temps très court. 1989 : Les enregistrements se multiplient avec l’arrivée du disque compact (CD). À l’époque du glorieux vinyle (1950-1987) qui croît, en parallèle ou presque, avec l’émergence et le développement des musiques écrites, ce support connaît un certain rayonnement, notamment via les étiquettes RCI et ses dérivés (CBC LM, SM5000), par le biais de la série de disques « Portrait musical » produit par la CAPAC93 ainsi que par L’anthologie de musique canadienne, l’initiative où la SRC produisit le plus de musiques nouvelles94. Mais pour les autres genres, la situation était difficile. Exception faite de Ambiances Magnétiques, fondée en 1983 par Jean Derome, André Duchesne, Robert Marcel Lepage et René Lussier, qui produisit une quinzaine de disques vinyles, on ne trouvait nulle part de musiques actuelles ou électroacoustiques d’ici sur disque. L’arrivée du CD (disque compact) vers 1987 change la situation du tout au tout. Elle correspond grosso modo au moment où Radio-Canada commence à se désengager de la production de disques (qui cessera complètement lors de la fermeture de la chaîne culturelle, en 2004). Cela portera un dur coup au rayonnement des musiques écrites, car les moyens requis pour les endisquer sont considérables95. Par contre, pour les musiques actuelles et électroacoustiques, cette nouvelle technologie a l’effet d’une force centrifuge et engendre une augmentation sans précédent de la production. Ambiances Magnétiques, par exemple, décuple sa production et de cette augmentation naîtra DAME (fondatrice : Joane Hétu), outil de coordination et de réseautage qui devient très rapidement un carrefour incontournable. Il ouvre aussi la voie à une prolifération de musiques actuelles sur disques, ce qui contribue grandement à faire connaître ces artistes et leurs travaux96. DAME consolide aussi sa position de leader dans le domaine de la production et de la diffusion des musiques actuelles en commençant à distribuer des disques « d’amis étrangers » comme le dit François Couture97. Un nombre considérable de projets, d’étiquettes, trop nombreuses pour être énumérées ici, font alors peu à peu leur niche chez DAME, y compris une étiquette... de musique écrite98. À ce jour, le catalogue d’Ambiances Magnétiques compte 206 productions. 93 L'Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada i.e. en anglais The Composers, Authors and Publishers Association of Canada (CAPAC). « En 1976, une série de ’’portraits musicaux’’ commencèrent à paraître. Il s'agissait d'enregistrements sur disques petit format [7 po.: plus tard sur cassette], chacun contenant de courts extraits d'oeuvres d'un compositeur et une courte biographie » (EMC). Cette initiative de promotion, aujourd’hui oublié, fut très importante à l’époque par son nombre (au-delà de 40 en format vinyle), par son impact auprès des compositeurs (« des subventions de la CAPAC étaient accessibles aux compositeurs membres pour la préparation de rubans témoins » (EMC)) et par son potentiel de rayonnement (ces petits disques et cassettes servant de carte de visite aux compositeurs). Leur publication cessa en 1990. 94 S’y ajoutaient des productions plus ponctuelles de Société Nouvelle d’Enregistrement (SNE), Melbourne Records, McGill University Records, Centredisques. Etc. 95 D’autres maisons de disques apparaîtront alors qui pallieront ce manque. Parmi celles-ci, il faut mentionner l’important travail de la maison de disques Atma (c.1996 : fondatrice : Johanne Goyette) qui a fait des efforts plus que louables pour endisquer des artistes et compositeurs d’ici (ECM+, Julie-Anne Derome, SMCQ, Serge Arcuri, Quasar, André Hamel, le NEM, Lise Daoust, le Quatuor Molinari, etc). Quelques autres en produisent ponctuellement (Analekta, Phonovox, Disques XXI). D’autres enfin, plus rares, ont préféré fonder leur propre étiquette (le Quatuor Bozzini qui compte actuellement une douzaine de disques à son catalogue). 96 Pour ce qui est des années 1990 : Michel F. Côté, Pierre Cartier, Jean Derome André Duchênes, Joane Hétu, Diane Labrosse, Robert Marcel Lepage, René Lusssier, Danielle P. Roger, Pierre Tanguay, Martin Tétreault. La famille s’agrandira considérablement à partir des années 2000 avec l’arrivée d’artistes comme Tim Brady, Bernard Falaise, Pierre Labbé, Alexandre Berthiaume, Ganesh Anandan, Rainer Weins, etc. 97 http://www.actuellecd.com/fr/boutique/ambiancesmagnetiques/info/ 98 Collection Quatuor Bozzini (CQB : 12 disques). La majorité des catalogues amis est constitué d’étiquettes de musiques actuelles québécoises : Les Disques Victo (115), Monsieur Fauteux, m’entendez-vous? (15), & record (14), Malasartes (12), etc. On y retrouve aussi des disques du reste du Canada, de la Suisse, du Royaume-Uni et de la France. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 30 Du côté des musiques électroacoustiques, avant l’arrivée, en 1989, de l’étiquette de disques Empreintes DIGITALes, (que fondent Jean-François Denis et Claude Schryer), puis de Diffusion IMÉDIA, il n’y a presqu’aucune musique électroacoustique sur disque, et ce, tant au Québec qu’à l’étranger. « Les inconditionnels [étaient] principalement concentrés en Europe (Angleterre, Scandinavie, France, Belgique et [en] Allemagne »99. Et les grands conglomérats ne se bousculent pas au portillon pour graver ces musiques sur disque. L’Allemagne, la France, la Suède distribuent, çà et là, des œuvres dont le succès commercial est relativement assuré sous diverses étiquettes telles Deutsche Grammophon, Philips, Filkingen, Chants du monde, etc. Le Groupe de Recherches Musicales (GRM) et le Festival de Bourges possèdent leur étiquette maison, mais tout cela demeure relativement marginal. Au Québec, la situation est catastrophique. Pas de major. Pas d’étiquettes indépendantes, ou presque. Il y a RCI, mais elle n’est pas du tout portée vers le genre. On retrouve, clairsemés, des disques chez SNE, Centredisques, Melbourne, McGill University Records, et quelques étiquettes privées telles Amarilys (Bernard Bonnier), Synchronos (Philippe Ménard), mais vraiment, le tout demeure poussif. Le genre intéresse beaucoup de gens, mais on ne retrouve rien, ou presque. L’arrivée d’Empreintes DIGITALes change tout cela d’un seul coup, ou presque. Sa mise sur pied concorde avec celle du numérique, c’est-à-dire avec l’arrivée du disque compact qui est alors en plein essor. Et en quelques années, l’offre se démultiplie d’au moins 200 %. Seize CD de « musique électro», comme on dit, sont proposés entre 1990 et 1993. À partir de 1995, la production se régularise sans discontinuité : 5 CD sont produit en 1995, 11 en 1996 : 7 en 1998, etc. Aujourd’hui, le catalogue d’Empreintes DIGITALes se compose de 111 disques contenant 470 œuvres de 95 compositeurs, c’est-à-dire grosso modo cinq fois plus que tout ce qui avait était produit par toutes les maisons de disques québécoises dans ce genre au cours des cinq décennies précédentes100. À cela s’est ajouté, comme dans le cas des musiques actuelles, le réseautage via Internet, qui est, aujourd'hui, l’outil par excellence de promotion de ces musiques. En sus, Diffusion IMÉDIA distribue via ÉlectroCD, les produits de quelque 100 autres compagnies de disques, des publications, etc. Parmi ces autres compagnies, on retrouve certaines des plus importantes en art audio, en art sonore, en pratiques audio expérimentales, etc. : Ohms Éditions (Avatar, Québec), Oral (Éric Mattson, Montréal), CEC (Communauté électroacoustique canadienne, Montréal), Alien 8 (Montréal), No Type (Montréal), Squint Fucker (Montréal), et maintes petites compagnies indépendantes. Nombre d’items au catalogue à ce jour : plus de 1300 titres répertoriés et plus 755 titres disponibles. En 1990 se déroule un festival dont l’onde de choc est égale, voire plus grande que celle de la SIMAM de Mercure : le festival Montréal Musiques Actuelles (organisation: Traquen’art, directeur artistique : Jean Piché). On y proposa, sur une dizaine de jours, une cinquantaine de concerts représentatifs de tous les courants artistiques qui pouvaient être alors dans l’air du temps, c’est-àdire : musiques écrites, électroacoustiques, actuelles, théâtre, spectacles multimédias, installations sonores, projections vidéo, ateliers de jeux sonores, événements musique/danse, créations multidisciplinaires, etc. La manifestation, très suivie, « [réveille] de vieilles controverses de par l’éclectisme des présentations proposées. (...). Abondamment rapportées dans la presse101, ces controverses ont aussi ouvert un espace de réflexions entre musiciens de différentes tendances »102 et suscita plusieurs débats publics, dont un qui a encore le vent en poupe aujourd’hui, mais tend à s’estomper, à savoir : la rivalité implicite, mais tenace, entre les tenants de la musique écrite/ceux des 99 http://www.electrocd.com/fr/boutique/empreintesdigitales/critiques/ - 6534 ce sujet, on consultera avec profit : Gauthier, Mario : Du sillon fermé au sillon ouvert : quelques préalables et une discographie, Circuit, vol. 4, n° 1-2, 1993, Montréal, 1993, p. 145-145. 101 L’événement sera capté dans sa quasi-totalité et partiellement retransmis en direct dans le cadre l’émission Radio-Concert (coordonnatrice : Christiane Leblanc, animation : Michel Keable et Michel F. Coté). Ces captations furent aussi rediffusées de 1992 à 1994 dans le cadre de l’émission Chants Magnétiques (Animation : Michel F. Coté, réalisation : Mario Gauthier). 102 Robineau, Anne : Pour une étude sociologique de la musique actuelle au Québec, Musique, enjeux sociaux et défis méthodologiques : perspectives comparées Québec, France, Cuba, L’Harmattan, France, 2006, p. 192-193. 100 À Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 31 musiques actuelles, c’est-à-dire entre « l’académisme et le vernaculaire ». Ce sera, durant cette décennie (1990-2000), dont ce festival sera un condensé, que s’envenimera et explosera au grand jour ce conflit latent depuis presque une décennie. À cette époque, en effet, la chaîne culturelle de la SRC commence à donner une place de plus en plus grande aux musiques actuelles via des émissions comme Musique Actuelle (réalisation : Hélène Prévost) et Chants Magnétiques (réalisation : Mario Gauthier). En sus, ces musiques avaient acquis, les années passant, de plus en plus de visibilité et une certaine envergure (sans franchir le seuil des institutions, cela viendra partiellement dans les années 2000). Au même moment, les musiques écrites connaissent « une crise de croissance ». Prises entre l’émergence de nouvelles générations de compositeurs, un structuralisme déclinant dont elles cherchent à se défaire et un postmodernisme pas encore tout à fait assumé, elles travaillent à se trouver une identité qui soit forte et rassembleuse. D’un côté, certains les considèrent désuètes et engoncées dans une tradition dépassée. D’autres les remettent en question via la réhabilitation à la va-vite d’un certain « postmodernisme de commerce » (à la Philip Glass par exemple) et cela leur nuira parfois beaucoup. Elles portent aussi, pendant un temps très bref, nous semble-t-il, l’odieux de leur pérennité. Les discours autour la validité des unes et des autres s’enflammeront alors pendant un temps. Les uns accuseront les autres de fumisterie et d’amateurisme tandis que les autres revendiqueront la légitimité de leur démarche en dénonçant l’académisme de leurs rivaux. Dans les années qui suivent la lancée de cette polémique à laquelle Jean-Jacques Nattiez, rédacteur en chef de la revue Circuit, donne un ton assez tranchant en demandant, « Faut-il tout accepter? » — ce à quoi Jean Piché avait répondu : « Non ! Mais acceptons que le jardin soit plus grand que ce que vous ne le croyez! »103 — on verra trois champs de force se côtoyer. D’un côté, il y aura la musique écrite qui se cherchera pendant un temps, mais demeure active et dynamique, voire, étend ses horizons et, de l’autre côté, les musiques actuelles qui connaissent, durant toute cette décennie, un très grand essor, et ce, tant du point de vue esthétique que de celui de la diffusion et de la reconnaissance. Et au centre, il y aura les musiques électroacoustiques qui se développeront en force, en originalité, gagnant d’année en année en reconnaissance publique. Une autre retombée du festival sera de permettre la mise en place de formes d’échanges artistiques plus ouvertes entre le Québec et le reste du monde. Ce réseautage, dont Montréal Musique Actuelles posait alors les bases, est aujourd’hui un des fondements majeurs de la promotion et de la diffusion des musiques nouvelles, toutes tendances confondues. C’est dans ce contexte de développement et de divergences qu’émergent de nouvelles pratiques que faute d’espace pour en définir les détails et ramifications multiples, on nommera ici « pratiques sonores expérimentales ». Leurs genèses se situent à plusieurs confluents esthétiques. John Cage en fut l’un des premiers instigateurs. Mais s’y insèrent aussi les influences de la musique concrète, la pratique d’une certaine école américaine de la musique électronique104, la musique minimaliste, les démarches de Fluxus105, les musiques microtonales, la musique répétitive, le « DJing », c’est-à-dire les manipulateurs de tourne-disque, etc. À la base de ce mouvement, il y a la volonté fondamentale d’explorer, généralement via l’usage d’instruments électriques ou électroniques, le sonore et ses potentialités sans trop s’embarrasser des questions d’appartenance ou d’allégeances esthétiques. C’est ainsi que l’ultra complexité, le minimalisme, le low-fi (basse fidélité) et le hi-fi (haute fidélité), le kitch, le postmodernisme, le collage, l’art brut, l’art conceptuel, etc. s’y côtoient. 103 Nattiez, Jean-Jacques : Faut-il tout accepter?, Circuit, Vol. 1, n° 2, Montréal, 1991, p. 43-49 / Piché, Jean : Non! Mais acceptons que le jardin soit plus grand que ce que vous croyez!, Circuit, Vol. 1, n° 2, Montréal, 1991, P. 51-54. 104 Earle Brown, Christian Wolff, David Tudor. 105 « L’un des objectifs ultimes que Maciunas assignait à Fluxus était de saper le rôle traditionnel de l’art et de l’artiste. Il espérait démontrer que tout un chacun est artiste et les artistes NE sont PAS par conséquent indispensables. Dès le début, ses buts furent sociaux (pas esthétiques) et soucieux de “l’élimination progressive des beaux-arts” qu’il voyait comme un gaspillage de ressources susceptibles d’être consacrées à des “fins [plus] constructives”» (Elizabeth Armstrong, cité in http://www.artperformance.org/article-21977981.html). Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 32 Quatre mouvances ont favorisé son essor : • Le détournement d’appareils électroniques tombés en désuétude. L’arrivée du CD, puis la démocratisation de l’informatique, rendent subitement caduques plusieurs types d’appareils. Des artistes s’en emparent alors et, à l’exemple des Disc-Jockeys, commencent à en exploiter le potentiel sonore. Beaucoup d’autres appareils seront récupérés ainsi, le temps passant : jouets pour enfants (les claviers Casio par exemple), films et projecteurs super-8, micro de téléphone, vieux synthétiseurs, projecteurs à acétates, magnétophones à ruban et récemment…lecteurs CD… • Le « Electronic Hacking » (piratage électronique) et le « Circuit Bending » (reconfigurations de circuits électroniques) sont deux autres tendances issues de la mise au rancart d’appareils devenus subitement désuets. Dès les années 1960, John Cage, David Tudor, Alvin Lucier106, etc., avaient commencé à « hacker » des appareils électroniques, c’est-à-dire à les détourner pour en faire naître des sons inouïs. Avec la désuétude rapide de multiples appareils, l’intérêt pour cette pratique s’accroît. Micro-contact, pick-up de guitare, etc., sont alors redécouverts en tant que potentiels générateurs « d’objets sonores »107. • L’apparition des « home studios » (studios maison) fut peut-être la pierre de taille de ce contexte d’émergence. Jusqu’au début des années 2000, la composition et le travail sonore à l’aide d’outils électroniques ou informatiques étaient plus ou moins réservés à une certaine élite. Ils impliquaient d’avoir de l’argent, de connaître adéquatement l’informatique et les équipements, etc. La simplification de plus en plus grande des programmes de composition, des outillages ainsi que la baisse considérable de prix de presque toute la panoplie d’équipements de studio (qui advint vers 1997 et continue depuis)108 change subitement la donne. Elle démocratise rapidement et radicalement l’accès à ces ressources et amène, par la bande, des artistes issus d'autres disciplines que la musique à s’y intéresser. • L’émergence ultra rapide (moins de dix ans) de ce que l’on appelle les arts médiatiques qui, transdisciplinaire par définition, impliquent l’usage de la technologie et de ses avatars « pour servir à la production d'œuvres d'art. Les artistes qui sont associés aux arts médiatiques travaillent entre autres en cinéma expérimental, en vidéo, en holographie, en infographie, en copigraphie et en art réseau. Ils créent des installations multimédias et interactives. Ils utilisent des ordinateurs, des télécopieurs, des satellites »109. Et le son n’y est pas une donnée innocente, bien sûr. De plus, l’usage du numérique, qui permettait d’obtenir un « son ultra propre », incite aussi beaucoup d’artistes à explorer des zones jusqu’ici « interdites d’accès » ou considérées comme résiduelles (bruit de fond, défauts ou limite de l’enregistrement, etc.). Ils en envisagent le potentiel esthétique et lentement, la basse fidélité et ses innombrables dérivés deviennent des « genres en soi ». Cette idée, combinée à la technologie numérique (qui permet de magnifier cet aspect du son) et la réintégration d’éléments sonores considérés comme étant inadéquats en musique électroacoustique (le « beat », le drone, la trame, la boucle, etc.) posent les balises d’une esthétique qu’on nommera, selon les artistes et leurs allégeances esthétiques, art audio ou art sonore. Ce type de pratique intéressera beaucoup les jeunes générations. Ce qui aura pour effet d’élargir considérablement l’offre esthétique rattachée aux musiques d’origines électroniques et, par extension, aux musiques écrites et improvisées qui se laisseront lentement « contaminer » par cette reconsidération du rôle de l’outil et de l’instrument, rendant les démarcations entre ces trois genres de plus en plus poreuses. Au fur et à mesure que cette pratique émerge et se déploie en divers genres (art audio, 106 Avec, par exemple, Cartrige Music (Cage:1960), Rainforest (Tudor:1965), Music for Solo Performer (Lucier: 1965). 107 Le groupe Sonde qui, sans faire dans le « electronic hacking » à proprement parler, inventa ses propres instruments dans les années 70 et s’inscrira, de ce fait, en précurseur de cette mouvance. 108 Dans les années 1990, acheter un ordinateur et un programme de son comme Protools (usagés) pouvaient facilement coûter $5000. Aujourd’hui, on peut monter un studio neuf de très bon calibre pour ce prix. À titre indicatif, on retrouve des consoles à $300, certaines versions de Protools se vendent maintenant $400, etc... 109 http://132.208.118.245/frames/termA.html Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 33 arts médiatiques, etc.), de nouveaux producteurs, centre de recherches et diffuseurs apparaissent. • • • • • • • Avatar, association de recherches et de créations sonores et électroniques dont les destinées furent longtemps dirigées par Jocelyn Robert, est fondé en 1993 à Québec. Ils furent les premiers à spécifiquement défendre la notion d’art audio110 Recto-Verso, autre collectif de Québec (1984) dont la mission résume à elle seule ce que nous entendons par « art médiatique », lequel implique, comme nous l’avons dit antérieurement, l’idée de transdisciplinarité et de ses corollaires111 La Société des Arts Technologiques (1996 – SAT), « centre transdisciplinaire de recherche et création, de production, de formation et de diffusion vouée au développement et à la conservation de la culture numérique »112 Le Studio XX (1996 : Kim Sawchuck, Patricia Kearns, Kathy Kennedy et Sheryl Hamilton), « centre d’artiste féministe bilingue engagé dans l’exploration, la création et la critique en art technologique »113 Perte de signal (1997 : Robin Dupuis, Julie-Christine Fortier, Isabelle Hayeur, Rémi Lacoste et Sébastien Peso), « centre de production, de recherches et de développement de projets artistiques en arts néomédiatiques. Prenant différentes formes — de la création sur disque numérique à l’installation immersive in situ — les projets de diffusion cherchent à repenser les modes de présentation des œuvres numériques »114 Elektra (1999), une ramification de l’ACREQ dirigée par Alain Thibeault consacrée spécifiquement aux arts électroniques et numériques (vidéo musique, robotique appliquée au sonore, etc.) Mutek (2000 : Alain Mongeau), « dédié à la diffusion et au développement des formes émergentes de la création numérique sonore, musicale, visuelle »115 Et... des galeries d’art comme Oboro (1982), des commissaires tels Éric Mattson (2002) et Nicole Gingras (2002) dont le travail est axé vers le sonore, etc. Des étiquettes de disques indépendantes plus ou moins marginales apparaissent et en assurent le rayonnement. Certaines de ces étiquettes telles No Type (1998), Alien8, Oral (c. 2002116), etc., sont relativement bien organisées et distribuées, mais plusieurs autres ne sont pas aisées à recenser, car contrairement aux musiques nouvelles « traditionnelles », la commercialisation à très petite échelle du produit est littéralement une posture politique et socioculturelle. Chez No Type, Alien8 ou Oral, par exemple, on retrouve des musiques et travaux de toutes allégeances. Bruitisme, drone, DJing, musiques immersives, free improv, musique expérimentale improvisée, approches plus conceptuelles, beat music, etc. sont autant de genres qui y trouvent leur place. Comme chez Empreintes DIGITALes, on retrouve, sur cette étiquette, des œuvres d’artistes locaux et d’artistes étrangers. Le tout est assez aisément accessible et bien distribué. Par contre, d'autres sont 110 Les artistes pratiquant l’art audio s’intéressent au son de façon différente des musiciens. Habitués à l’abstraction, l’écoute réduite de Pierre Schaeffer est d’emblée une modalité d’écoute allant de soi pour eux. Ils « regardent » le son, c’est-à-dire que le son, jusque-là considéré comme objet musical abstrait par les musiciens devient « (...) un matériau (...) qui peut être utilisé indépendamment de la représentation et de l'écriture musicales. Parallèlement, les espaces de l'exposition/installation [deviennent] des lieux possibles pour l'expression musicale - nombreux sont les artistes qui ne cherchent plus à se situer par rapport à une distinction entre ces domaines ou qui ne prennent plus comme principe cette distinction ». http://locusonus.org/w/index.php?page=R%26D+audio+in+art. 111 « Privilégiant depuis près de vingt-cinq ans une approche qui combine le risque et la complexité artistiques, Recto-Verso élabore, produit et diffuse des œuvres qui fusionnent des langages, des matériaux, des techniques, des formes et des procédés artistiques de toute nature. Actif et engagé à l’égard de la multidisciplinarité, RectoVerso se veut l’expression des mutations conceptuelles et technologiques qui agitent autant les pratiques que les formes inattendues de " l’art multi" ». http://www.mmretc.overso.org/index.php?option=com_content&task=view&id=35&Itemid=50 112 http://www.sat.qc.ca/page.php?id=10&lang=fr 113 http://www.studioxx.org/mandat 114 http://www.perte-de-signal.org/ - fr/Informations/ 115 http://www.mutek.org/fr/about_mutek/mission 116 Fondateur : Éric Mattson. 35 disques à ce jour. Mattson organise beaucoup d’événements, 3 ou 4 par année, et contribue beaucoup au rayonnement de ce type de recherche. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 34 dans la marge de la marge. Les fondateurs de l’étiquette Le Son 666 (Nicolas Dion, Anne-Françoise Jacques et Jean Michel Gadoua), proposent eux aussi des travaux exploratoires, mais considèrent qu’il n’est pas intéressant pour eux de s’insérer dans des regroupements déjà existants, d’où leur « automise à l’écart » et leur évolution en parallèle aux « circuits officiels ». On ne retrouve donc que peu ou pas de trace de leurs CD dans les catalogues habituels non plus que dans les magasins de disques. Ils sont faits à la main et sont vendus en « main à main », dans d’anciennes distributrices à cigarettes (les Distrobotos de la Sala Rossa), posés sur un site Internet ou refilés à des distributeurs amis (Oral par exemple). La promotion se fait via des listes d’envoi, des sites personnels, sur MySpace, SoundCloud ou autres espaces de ce type. Quelques artistes et regroupements qui travaillent dans cette optique plus « underground », ou si l’on préfère, micro communautaire (ou y vont et viennent) : Aimé Dontigny, David Turgeon, Esther B. (Esther Bourdages), Nicolas Bernier, Nicolas Dion, AnneFrançoise Jacques, Nancy Tobin, Nicolas Caloia, Érick d’Orion, Magali Babin, Alexis Bellavance, Julie Rousse, Eucci, L’orchestre de granulation, Jacques Gravel, John Heward, Martin Tétreault, Philémon Girouard, Rainer Weins, Guillaume Théroux-Rancourt (alias Le Chien borgne), James Schidlowsky, Alexandre St-Onge, Sam Shalabi, Œuf Korreckt (Frédérick Blouin), etc. On signalera, en terminant que cette notion de microcommunauté, quoique encore émergente, est très prégnante et compte de plus en plus d’adhérents (les mercredimusics, La Brique Ample, 24Gauche, les Mardi-Spaghetti du Cagibi (à Montréal),Tartare (Québec), le bar l’Agitée, (id.) etc.). On notera aussi que, depuis 2006 particulièrement, les technologies changent si rapidement que le CD est déjà considéré comme obsolète, que le téléchargement est son éventuel successeur, mais qu’en même temps, le MP3 n’est pas considéré comme étant assez performant en termes de qualité sonore pour être utilisé comme « support final » pour les œuvres. Cela génère une sorte d’apesanteur, une sorte d’état de suspension quant à l’avenir de la diffusion phonographique. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 35 6. DIVERSIFICATION DES PRATIQUES ET CONSOLIDATION DES FORCES VIVES Le tournant du millénaire marque un élargissement significatif des pratiques dans le domaine des musiques nouvelles. Il signe aussi le début d’une accélération technologique sans précédent dans l’histoire humaine117. Cette accélération subite, dont on pouvait pressentir la poussée depuis une décennie, aura des impacts radicaux. On peut noter, entre autres changements : • • • • • • Un déploiement non plus linéaire, mais rhizomatique des pratiques; Une reconsidération de certaines d’entre elles (l’électro, notamment, fera des essais dans des domaines auparavant inexplorés); Une remise en question des formes, des moules liés à l’événementiel, tous genres confondus; Un étoilement des langages et des genres : les genres se contaminent les uns les autres de façon significative; Une forte tendance à la combinaison de formes artistiques différentes. Parmi les combinaisons explorées, le mariage vidéo/musique intéressera de plus en plus d’artistes et d’ensembles vers la fin des années 2000118; Une reconsidération radicale de la notion même de compositeur qui tend maintenant à se confondre avec celle d’artiste pluridisciplinaire. Hier n’étant pas encore devenu réellement du passé, nous nous arrimerons autant que faire se peut à quelques événements porteurs. Selon nous, ceux-ci furent : a) La Symphonie du millénaire La Symphonie du millénaire, donnée à entendre le 3 juin 2000, fut indéniablement LE plus grand événement de musique nouvelle à s’être déroulé au Québec. Imaginée par Denys Bouliane et Walter Boudreau, directeurs artistiques, et mise en place par la SMCQ pour célébrer l’arrivée du nouveau millénaire, l’œuvre restera sans doute longtemps sans équivalent dans l’histoire de la musique nouvelle. Qui plus est, le succès public fut au rendez-vous : 70,000 personnes se réunissaient ce jourlà sur le site de l’Oratoire Saint-Joseph pour entendre une œuvre d’une ampleur dont Berlioz n’aurait pas osé rêver : 19 compositeurs et compositrices119, 333 musiciens120, 2000 carillonneurs auxquels s’ajoutaient 15 clochers, un grand orgue, un carillon de 56 cloches et deux camions de pompiers. Elle fut diffusée en direct à la Chaîne culturelle de Radio-Canada. Cette symphonie préluda aussi à un changement progressif d’orientation de la diffusion de la musique écrite que l’on commence à placer alors davantage d’un point de vue festif. En ce qui concerne la SMCQ par exemple, la saison régulière, demeure, mais s’y ajoutent maintenant deux séries, soit : Montréal Nouvelles Musiques (MNM) – Événement biennal (2003-2005-2007-2009-2011) qui prend la 117 Cet effet, nommé « théorie de la singularité », avance l’idée que le progrès (scientifique) tend à suivre une courbe exponentielle : « Si on accepte cet axiome du pape de la futurologie Ray Kurzweil, il adviendra plus de révolutions technologiques au cours des cinquante prochaines années que nous en avons connues lors des cent cinquante dernières » (Bruno Bonnel, Viva la robolution – une nouvelle étape pour l’humanité, JC Lattès, France 2010, p. 19. 118 L’ECM+, le NEM, Elektra, Sixtrum, etc. 119 Serge Arcuri, Walter Boudreau, Denys Bouliane, Vincent Collard, Yves Daoust, André Duchesne, Louis Dufort, Espaces sonores illimités (Alain Dauphinais, André Hamel, Alain Lalonde), Sean Ferguson, Michel Gonneville, Estelle Lemire, Jean Lesage, Luc Marcel, Marie Pelletier, John Rea, Anthony Rozankovic et Gilles Tremblay. 120 I Musici, Codes d’accès, SMAM, Les Idées heureuses, le NEM, l’ECM+, l’OSM, Musica Camerata, l’Arsenal à musique, SuperMémé, le Quatuor Molinari, Chants libres, la SMCQ, les Petits chanteurs du Mont-Royal et la musique du Royal 22e Régiment. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 36 forme d’un « véritable "marathon musical", au cours duquel [on peut] assister à une vingtaine de concerts, des colloques et différentes installations et expositions »121. Par sa pluralité, cet événement, contribuera de façon significative au décloisonnement et à l’éventuelle convergence des divers milieux (dès le début, MNM a rassemblé des créateurs et artistes issus des musiques écrites, des musiques actuelles, de l’électro, etc.)... qui a tout d’abord alterné avec Musimars (2002-2004-2006), puis avec la série Hommage qu’elle consacre à un compositeur. Jusqu’ici, Claude Vivier et Gilles Tremblay ont été célébrés de cette façon. Avec un retentissement certain. « [Lors de la 44e saison de la SMCQ], plus de 40 000 personnes ont entendu au moins une œuvre de Gilles Tremblay grâce à l’initiative de la Série Hommage. Parmi eux, nous pouvons compter 14,215 enfants à travers la province dans le cadre du projet Grand jeu / Grande écoute. La Série montréalaise de la SMCQ a (...) [rejoint] 1495 personnes; le spectacle jeunesse La fugue et ses ateliers préparatoires ont atteint (...) un auditoire de 7629 enfants; l’auditoire de la SMCQ Jeunesse, tous projets confondus, a dépassé le cap de 25,000! »122. Même si, pour d’aucuns, cette symphonie fut une réponse directe à la polémique née six ans plus tôt autour de « l’accessibilité de la musique contemporaine » soulevée par Lise Bissonnette et que, « compositionnellement parlant », le symbolisme musical utilisé pour structurer cette immense partition fut critiqué par certains, l’œuvre fut considérée comme étant « abordable », festive et amenait un très large public à la musique nouvelle. Mais surtout et pour la première fois, une vaste majorité des intervenants du milieu des nouvelles musiques montréalaises travaillèrent ensemble à l’édification d’une œuvre commune. Ce geste précurseur peut être considéré comme étant un de ceux qui auront pavé la voie à la fondation, en 2007, du Vivier. b) SuperMicMac – La présence accrue de la création au féminin Série d’événements se déroulant en plus de dix endroits, proposant treize concerts, un théâtre musical, un récital commenté, deux conférences, une table ronde, une exposition, quatre « 5 à 7 » avec plus de cent artistes venant des quatre coins du Canada, SuperMicMac, organisé par SuperMusique à l’automne de la même année, fut un autre événement phare, lui aussi placé sous le signe de la fête. « Célébration (...) organisée en l’honneur des créatrices et des innovatrices de Halifax à Vancouver d’hier jusqu’à aujourd’hui »123, l’événement permit de faire le point — et cette mise au point était nécessaire depuis fort longtemps — sur l’apport des femmes au milieu de la musique nouvelle. Car, comme le demandait très pertinemment Marie-Thérèse Lefebvre dans le programme de l’événement : « Depuis 1975, l’intervention des femmes dans le milieu musical québécois est bien connue et on peut facilement mettre des noms sur celles qui composent, interprètent, dirigent, animent et gèrent la musique. Mais avant? Y a-t-il une histoire? Avons-nous construit une mémoire collective du travail de ces femmes qui nous ont précédées? »124 La réponse résidait toute entière dans la question : non! Mais elles y travaillaient fort depuis longtemps 121 http://www.festivalmnm.ca/fr/2011/ 122 http://www.smcq.qc.ca/smcq/fr/hommage/2009/ Danielle P. : Célébration, SuperMicMac – Programme, Montréal, 2000, p. 3. Marie-Thérèse : Sous le signe du ralliement, SuperMicMac, Programme, Montréal, 2000, p.2. Ces lignes pourraient être écrites au présent car même si dans certains domaines - les arts médiatiques par exemple on retrouve davantage de femmes que d’hommes, qu’on retrouve de plus en plus de femmes dans tout les domaines de la musique et qu’elles sont extrêmement actives dans le milieu, leur participation est encore trop peu mise en valeur. On retrouve, ça et là, au cours des années, des concerts, événements, mais on présente encore et toujours ces travaux « en marge » de l’activité musicale habituelle, c.-à-d. dans des contextes souvent ponctuels et circonstanciés. En ce sens, il faut souligner les très importants efforts déployés par tous et chacun pour améliorer cet état de fait (ex: l’ECM+ et son événement Les Marquises en 2007, un des rares concerts de musique écrite pour grand ensemble exclusivement consacré à la création féminine, au cours des 20 dernières années, Supermusique et son SuperMicMac en 2000, le studio XX qui dispense des cours en technologies numériques spécifiquement au femmes, le concert Travaux électroniques féminins, organisé dans le cadre des célébrations entourant le 20e anniversaire d’Empreintes DIGITALes (DIFFUSION i MéDIA), etc. La série Hommage 2011-2012 (SMCQ) consacrée à Ana Sokolovic est, en ce sens, un heureux précédent puisque l’événement se déroule sur une année complète. 123 Roger, 124 Lefebvre, Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 37 et cette « célébration » – pour reprendre à notre compte le terme de Danielle P. Roger – en témoignait bien. De la visée au but, le chemin fut long et laborieux. Jusque dans les années 1985-1990, très peu de femmes compositrices exerçaient réellement leur métier au Québec. Il y eu des pédagogues et musicologues dont l’action fut déterminante telles, au premier chef peut-être, Maryvonne Kendergi, suivie de près par Françoise Aubut, Jocelyne Binet, Luce Beaudet, Andrée Desautels, Jeanne Landry, Marcelle Guertin, Louise Hirbour, Marie-Thérèse Lefebvre Élise Paré-Tousignant, etc. et par des compositrices pour qui il ne dû pas toujours être simple d’œuvrer dans un monde d’hommes. Il faudra attendre les années 1970 pour que les œuvres de Micheline Coulombe St-Marcoux, Marcelle Deschênes ou Gisèle Ricard soient ouïes. Les années 80 ouvriront peu à peu les portes et d’autres, beaucoup d’autres empruntent depuis ce chemin qui, aujourd’hui, est bien plus et mieux fréquenté qu’il y a 15 ou 20 ans125. Ce qui ne veut nullement dire qu’il y a parité. La musique, qu’elle soit nouvelle ou classique, demeure encore un monde dans lequel une majorité d’hommes détiennent les postes clefs. Mais cette question d’équité entre les hommes et les femmes déborde du cadre de la musique. Elle n’est que la mince frange d’une problématique qui concerne la société dans son ensemble. c) 1994-2004 : Backward/fast foward - médiation et musiques nouvelles Convergences et nouvelles alliances sont sans doute les deux mots qui définissent le mieux certaines des grandes mouvances des années 2000. Dans ces années, le paysage socioculturel change rapidement et les divers organismes de productions s’en ressentent. Deux événements marquants, situés à 12 ans d’écarts, traduisent l’ampleur et la portée : le débat sur la médiation des musiques nouvelles et ce qui en fut symboliquement le lointain écho : la fermeture de la chaîne culturelle de Radio-Canada. 1994 : « L’année 1994-1995, à Montréal et au Québec, a été marquée par un débat public inhabituel : alors que la musique contemporaine reste confinée le plus souvent à un petit cercle, une discussion vive sur ses enjeux et son devenir s’est répandue dans nos quotidiens et sur les ondes de la radio d’État. (...) Au départ, une lettre privée de Lorraine Vaillancourt, directrice artistique et fondatrice du Nouvel Ensemble Moderne, à Lise Bissonnette, directrice du Devoir, (...) : « Comment expliquer qu’à l’aube du XXIe siècle, nous soyons musicalement si ignorants du XXe? Je ne veux pas vous attarder sur l’explication du phénomène de rupture. » Le grand mot était lâché. Le 3 octobre 1994, Lise Bissonnette renvoie la balle dans le camp des compositeurs : « II est vrai que le Québec et le Canada sont désespérants de médiocrité, que nos écoles préparent surtout le public du rire et du rot devant toutes les sortes d’écrans. Mais je résiste au postulat sur lequel se rabattent les créateurs de pointe. La rupture commence à me rompre. La question tient au sens, au système d’un art qui voudrait tant nous toucher tout en se construisant désormais hors de nous. Y a-t-il une réponse dans la salle? »126 En ces quelques lignes, Jean-Jacques Nattiez résumait les termes d’un débat qui enflamma les esprits pendant presque un an. Elle impliquait de multiples niveaux de questionnements touchant de près les pratiques de la musique nouvelle prise dans son ensemble (et ce, même si elle concernait d’abord la musique écrite) : comment expliquer l’absence de la musique contemporaine sur la place publique? La musique écrite contemporaine est-elle « accessible »? À qui s’adresse-t-elle? Quels sont ses rapports avec la culture en général? Pourquoi ne trouve-t-elle pas de place dans les médias? Peut-on ou doiton l’aborder avec des critères aussi subjectifs que le beau, l’accessibilité, etc.? Vieux débat, vain débat diraient certains! Mais il n’apparut pas ainsi à l’époque. À lire les réponses et réactions à ce « pavé » lancé par Lise Bissonette, rédactrice en chef du journal Le Devoir à cette époque, on pouvait croire que la musique écrite (et par extension, nouvelle) était sclérosée, moribonde, engoncée dans des formes et modalités d’expressions qui n’avaient pas bougé depuis les années 50. 125 Pour en connaître davantage sur ce sujet, on consultera avec profit l’ouvrage de Marie-Thérèse Lefebvre La création musicale des femmes au Québec, Éditions du remue-ménage, Montréal, 1991. 126 Nattiez, Jean-Jacques : Editorial, Circuit, vol 7, n° 1, Montréal, 1996, p. 5. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 38 Or, c’était tout le contraire. Au moment de ce débat127 dont on perdit rapidement de vue, nous semble-t-il, la question centrale, à savoir : celle de sa présence dans les médias pour ne se pencher que sur son « accessibilité », la musique écrite est littéralement « au meilleur de sa forme ». Certes, son développement ou sa visibilité n’étaient pas aussi spectaculaires que celles des musiques actuelles et électroacoustiques, mais il faut attribuer cette impression à « l’effet de nouveauté » qu’engendrait l’émergence relativement subite de ces dernières sur la place publique. Or, cet effet, une fois dissipé, sous-tend que la pratique émergente en question se consolide ou disparaisse. Et la musique actuelle et l’électro n’en étaient pas là. À cela, il faut ajouter que les pratiques ayant un plus long passé tendent, pensons-nous, à évoluer sur de plus longues durées et selon le modèle de l’arbre plutôt que de manière rhizomatique. En musique écrite notamment, « l’effet de l’instant » n’existe pour ainsi dire pas. Contrairement à certains mouvements esthétiques où les artistes vont et viennent « au gré des Zeitgeists », on retrouve, en musique écrite, une tradition, et donc conséquemment, une certaine constance. Tout organisme qui atteint une certaine maturité passe par ce stade qui se manifeste par une décélération de l’effet de nouveauté. En musique électroacoustique, par exemple, Réseaux dont la spécificité est la musique acousmatique, est, depuis quelques années, confronté à cette question « d’image projetée ». La question qui se pose actuellement pour eux – et qui se posera sans doute sous peu pour les musiques actuelles et improvisées – est : quand une pratique atteint sa maturité, comment se renouvelle-t-elle ou se repositionne-t-elle (si besoin est) tout en conservant ses acquis? La musique écrite était passée bien avant tout le monde par ces questionnements et en était sortie grandie. Certes, la SMCQ avait beaucoup défendu, particulièrement dans les années 1966-1980, le répertoire issu de l’école structuraliste. Mais elle s’était assez rapidement réorientée vers des approches plus ouvertes, ce qui avait alors permis à plusieurs autres générations de compositeurs de se faire entendre. Aux voix des pionniers s’étaient alors peu à peu ajoutées – avec un accelerando notable à l’arrivée de Walter Boudreau comme directeur artistique en 1988 – les voix de Claude Vivier, Michel-Georges Brégent, Michel Gonneville, Raynald Arseneault, Linda Bouchard, André Villeneuve, Denys Bouliane, Michel Longtin, Marc Couroux, Isabelle Panneton, Nicolas Gilbert, Serge Provost, Jean Lesage, André Hamel, Denis Gougeon et beaucoup d’autres. La fondation des Événements du Neuf, en 1978, puis, à partir de 1986, la mise en place de multiples nouveaux ensembles et regroupements enrichiront, à leur tour, le paysage musical. Bref, la situation en 1994, c’est-à-dire au moment où émerge ce singulier débat est à l’exact opposé de ce qu’il laisse entendre. La musique écrite, loin d’être poussive, anémique ou en perte de vitesse, couvre grand et large. Dans ce même numéro de Circuit, la rubrique de la saison 1994-1995 est d’ailleurs très instructive quant à ce constat de bonne santé. Dominique Olivier relève notamment qu’« un mot s’impose d’emblée lorsqu’on jette un regard a posteriori sur la saison 1994-1995 en musique contemporaine : accessibilité »128. Les regroupements et ensembles font, selon elle, des efforts évidents pour éliminer le « vernis d’austérité qui donnait tant de chic aux concerts des initiés du discours de la musique du XXe siècle »129. Et elle recense la saison de 4 organismes, 4 concerts ainsi que Les journées du 20e siècle organisées par l’OSM qui regroupait six sociétés montréalaises (le NEM, I Musici, la SMCQ, l’ECM+, l’ACREQ, le Conseil québécois de la musique). Quoi penser de ce débat, après quelque 15 années? Faux débat? Malentendu? Nous penchons beaucoup pour la seconde hypothèse. Car, sans affirmer que la musique écrite, ou de façon plus générale, les musiques nouvelles rejoignent un large public, il nous semble que cette accessibilité est directement tributaire de la place que l’on veut bien leur donner médiatiquement parlant. Et il est faux de penser que cet argument est un simple prétexte ou un refuge commode pour 127 Qui prit des proportions importantes. Selon Nattiez (op.cit.), entre octobre 1994 et décembre 1995, quinze articles parurent dans les journaux Le Devoir, La Presse, Voir, et les revues Liberté, Alternance, etc. À cela se sont ajoutés une table ronde patronnée par le Conseil québécois de la musique diffusée à l’émission Musique Actuelle (SRC), une conférence de John Réa prononcée dans le cadre des journées de musiques du 20ième siècle organisées par l’OSM, une autre table ronde tenue dans le même contexte dont le titre était « Qui a peur de la musique contemporaine? », un concert du groupe « Les mélodistes indépendants » (Anne Lauber, Raymond Daveluy, Rachel Laurin, Alain Payette), etc. 128 Olivier, Dominique: L’accessibilité comme nouveau critère esthétique, Circuit, vol 7, n° 1, Montréal, 1996, p.93-110. 129 Op. cit., p. 94. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 39 les créateurs et artisans, car vu de leur seul côté, ce silence s’explique plutôt mal. C’est donc de CELA qu’il était question, au fond130. Quoiqu’on en dise, les médias sont et continuent donc, a priori, d’être partie prenante de ce débat qui demeure entier aujourd’hui. Ils en sont même largement imputables, car ils ne font que la promotion de ce qui leur sied bien. Et, de musiques nouvelles, ils ne veulent point131. Avant l’accessibilité du genre ou du langage, le beau ou le laid, le refus des créateurs de jouer le jeu d’une société du spectacle et du commerce, il y a l’accès à une tribune publique. Et cet accès peut être permis ou interdit. L’avenir se chargera de montrer qu’une large portion du problème résidait spécifiquement là, dans cet accès aux ressources primaires de diffusions publiques en général, toutes plateformes confondues (Internet excepté). Lequel, pour ces musiques, si bien portantes soient-elles, demeure encore aujourd'hui largement prohibé. Il n’y a pas plus sourd que celui ne veut pas entendre, certes, mais si on ne lui donne rien à entendre, peut-on supposer d’emblée qu’il est sourd? (...) 2004 : À l’automne 2004, la chaîne culturelle de Radio-Canada se retire subitement de « la diffusion de la culture de pointe »132. Même si tout cela paraît déjà terriblement lointain, voire abstrait, il importe de savoir que jusqu’à ce moment, un grand nombre de milieux (musicaux et culturels) profitaient des possibilités de diffusions offertes par la défunte chaîne culturelle de la SRC (auparavant : le FM de Radio-Canada). Cette chaîne captait et produisait une très grande quantité de concerts, festivals, événements, productions en studio, etc., pour fournir du matériel à ses différentes émissions. En se retirant de la captation des musiques nouvelles, la SRC supprima donc à la fois une tribune de diffusion pancanadienne – c’est-àdire un outil de rayonnement important – à ces musiques et élimina du même coup, une source de financement modeste, mais stable à une grande partie des organismes et ensembles qu’elle avait jusque-là supportés. Certes, pour paraphraser Lafontaine : « Ils ne moururent pas tous, mais tous furent frappés ». À différents degrés, bien sûr, car certains groupes ou milieux étaient plus soutenus que d’autres, mais dans l’ensemble, cette perte financière et promotionnelle fut significative pour la vaste majorité des groupes et individus œuvrant dans le domaine des musiques nouvelles. d) Fragmentations Cela dit, il serait très réducteur de considérer que cette perte de rayonnement et de financement explique, à elle seule, le phénomène de fragmentation et de dispersion des publics, déjà perceptible au seuil des années 2000. Pour en saisir toute la portée, il faut, en fait, la jumeler à plusieurs autres facteurs socioculturels. Le très grand nombre de diffuseurs, l’implantation du modèle affairiste dans 130 La convergence actuelle des médias n’aide pas cette cause. À titre indicatif, du côté radio, Astral Média possède 24 stations de radio (21 francophones et 3 anglophones) et Cogeco 13 (12 francophones et une anglophone) - (Brousseau-Pouliot, Vincent : Cogeco peut acheter Corus, La Presse, samedi 18 décembre, Montréal, 2010, p. 5). On peut aussi se demander, comme nous l’a signalé pertinemment Marie-Thérèse Lefebvre, pourquoi, en musique, « il n’y a qu’un seul critique par journal et qu’aucun autre papier ne pouvait provenir de quelqu’un d’autre, comme c’est le cas en littérature et arts visuels? La longévité d’un Claude Gingras, par exemple, ne se retrouve pas ailleurs. Ceci ne vaut que pour la presse écrite ». Et que « pour ce qui est de la radio et de la télé, le contrôle est entre les mains de quelques têtes, toutes les mêmes, et aucune ne relèvent de l’art proprement dit » (Marie-Thérèse Lefebvre : communication avec l’auteur). 131 Pour donner à César ce qui lui revient, les radios communautaires font de très grands efforts en ce sens, particulièrement CKUT. 132 Le terme « culture de pointe » est de nous. Il fait référence à la réflexion qui commence à émerger autour de la notion de « culture de masse ». Le fait de désigner péjorativement certaines pratiques comme étant « pour les initiés » ou comme étant « pointus », voire de considérer qu’il existe une « high » et une « low » culture témoigne de l’existence de cette culture et que la notion de culture, au sens traditionnel du terme, n’est plus forcément « la vie avec la pensée » (Finkielkraut, Alain : La défaite de la pensée, Folio essais, France, 1987). Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 40 certains milieux culturels et institutionnels, la désaffection du public et son morcellement de plus en plus marqué, l’effritement du tissu urbain, l’exode vers la banlieue, l’accès de plus en plus simplifié à de multiples produits culturels (DVD, CD, chaînes radio ou télé spécialisées, etc.), l’accélération de nos modes de vie, le banal - mais affreusement réel - « manque de temps », l’émergence des réseaux sociaux, l’indépendance radicale de certains groupes d’artistes qui, ne se sentant pas à leur place dans les structures déjà existantes (ceux des micro-communautés particulièrement), évoluent de plus en plus dans la marge de la marge, sont quelques facteurs qui témoignent d’un changement radical des réalités socioculturelles et expliquent, au moins à parts égales, cette érosion du rayonnement des pratiques. Un autre facteur très important est la disparition annoncée (depuis quelques années maintenant) du disque compact, outil de rayonnement fondamental qui, du fait de l’émergence latente de nouveaux modèles de diffusion-production-distribution « on the NET » affecte directement la diffusion et, in extenso, les sphères de la production, de la distribution et de la promotion. Dans certaines sociétés de concerts, on fait avec pour le mieux. Dans d’autres, on y pressent une catastrophe annoncée et on travaille très fort à essayer d’en contrer les effets. Chose certaine, tous ces facteurs combinés entraînent indéniablement une certaine désinformation du public vis-à-vis les nouvelles explorations artistiques en général. Simultanément, ces changements engendrent aussi une prolifération sans précédent de nouvelles tendances dont certaines ne sont que des conques creuses et d’autres, des prémisses prometteuses. D’une certaine façon, c’est tout le modèle de diffusion, voire peut-être même, la raison d’être de ces musiques qui sont questionnées. Car on peut se demander si « à la fin, plusieurs ne sont pas las de ce monde ancien » (dixit Apollinaire), syndrome typique de l’hypermodernité133. Conséquemment, on peut donc s’interroger à savoir si les organismes « traditionnels » ne devront pas, de gré ou de force, trouver d’autres modèles de diffusion, comme tentent d’ailleurs de le faire l’ECM+, le NEM, la SMCQ, SuperMusique, Réseaux, Sixtrum, etc. et les pratiques audio expérimentales via des festivals (MNM, ELEKTRA), la collaboration avec d’autres ensembles (l’ECM+ et l’ensemble de flûtes Alizé, (depuis 1999), avec l’orchestre de chambre McGill en 2009, le temps du spectacle Jardins féeriques, etc.), l’exploration de diverses formes de métissages ou la remise en question de la forme traditionnelle que prend le concert (l’ECM+ et son opéra Les aventures de Madame Merveille, Erreur de type 27, les événements organisés par Éric Mattson) les événements vidéo-musique, l’ouverture à d’autres pratiques esthétiques (Réseaux, le Mois Multi ), etc. Mais quoi qu’on en dise ou fasse, le fait est là. La désaffectation du public n’est pas un phénomène passager. Il faut faire avec. La question étant : comment? e) La recherche de rayonnement : les tournées En musique écrite, la tournée, tel qu’on entend le terme, commença modestement mais prit une importance de plus en plus grande les années passant. Dans les années 1970-1980 par exemple, la SMCQ fit quelques tournées, mais le travail qu’elle faisait au pays était si capital - elle était, tout compte fait, la seule société de concerts à défendre la musique écrite à ce moment - que cela fut pendant longtemps (pour cet ensemble), presque une option. On n’en était pas non plus, socioculturellement parlant, à l’idée du « village global », c’est-à-dire que le rayonnement outre frontière n’était pas aussi simple et nécessaire qu’aujourd’hui. Cela dit, entre 1972 et 1977, la SMCQ fera des tournées à Royan, Bruxelles, Paris, Washington, Boston, ainsi qu’en Angleterre, en France, en Allemagne et en Belgique. Suivront des tournées à Rimouski, Trois-Rivières, Chicoutimi, Orford, Joliette et Québec (1983), puis en Alberta, en Colombie-Britannique, en Ontario, en Belgique, en 133 « Un des aspects de l’hypermodernité, c’est qu’elle n’est pas un système qui a évolué à rebours de la modernité ou de la postmodernité. Elle est l’extension, la limite extrême des possibilités contenues dans ces deux autres états. (…) [L’hypermodernité] (...) conserve toutes les valeurs de la modernité, MAIS, ces valeurs sont de plus en plus contestées car beaucoup moins opératoires et protectrices qu’elles n’étaient dans la période précédente » (http://www.ecogesam.ac-aix- marseille.fr/Resped/Ecogen/hypermod.htm). On peut ajouter qu’elle n’est pas « (...) celle de la fin de la modernité, mais celle qui enregistre l’avènement d’une nouvelle modernité. [L’]hypermodernité. (...) [n’est nullement] une postmodernité mais une modernisation hyperbolique, le parachèvement de la modernité. » (Institut Paul Bocuse, Cycles de conférences « Grands Témoins » sur le thème de « l’hypermodernité », Extrait de la conférence de Gilles Lipovetsky - 4 octobre 2010 : http://www.institutpaulbocuse. com/media/.../extrait-confgilles-lipovetsky.pdf). Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 41 Hollande et en France (1988). Ils iront aussi, en partenariat avec le NEM, - et ce fut un moment très important en terme de rayonnement - au Festival Présences organisé par Radio France, à Paris en 1999. À cette occasion, plus d’une cinquantaine de musiciens et artisans issus de ces deux ensembles emportaient avec eux, pour les présenter au public montréalais d’abord, puis à Paris (en janvier et février 1999), les œuvres d’une vingtaine de compositeur(e)s québécois(es)134. De cette collaboration fructueuse naîtra aussi une publication : Présence de la musique Québécoise : vingt-deux portraits instantanés. Plus récemment, la SMCQ a aussi fait une tournée en Chine (2009). D’autres ensembles et groupes enjambèrent le pas au fur et à mesure de leur naissance et travaillèrent à la fois dans une optique régionale et internationale135. • • • • • • Le NEM, outre sa série de concerts réguliers, fera, entre 1990 et 2010, des tournées au Canada, aux États-Unis, en France, Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Espagne, Italie, Angleterre, Japon, Australie, Singapour et au Mexique; L’ECM+ fait sa tournée biennale Génération depuis 2000. Cette tournée couvre le territoire des principales villes canadiennes et cumule jusqu’ici un total de 28 concert pancanadien, un record inégalé par quelqu’autre ensemble canadien. L’ensemble a aussi largement contribué au rayonnement des musiques nouvelles en régions au Québec en présentant treize concerts (répartis sur huit tournées). Coté international, il a également été invité au Festival Cervantino du Mexique (2009) et à Bordeaux (France: 2010) et récemment, à Singapour; Le quatuor Bozzini fait, de façon régulière, des tournées au Canada, en Allemagne, en Suisse, aux États-Unis, en Angleterre, en Irlande, en Suède, en République tchèque, aux Pays-Bas; Bradyworks, trois ans à peine après sa naissance (1989) commença à faire des tournées aux États-Unis en 1991, au Canada en 1994, 1999, 2000, à New York en 2001, en Europe en 2003 (Angleterre, Écosse, Irlande), etc.; Le quatuor de saxophones Quasar a fait diverses tournées dans des villes québécoises et canadiennes (presqu’annuellement de 2004-2010), en Lituanie et en Estonie (2005), aux EtatsUnis (2008), en Suisse (2009) et en Europe (2009 + 2011); Etc. Il en va aussi de même pour certains solistes tels: • • • Lise Daoust, qui créa, tout au cours de sa carrière, ici œuvres de Claude Vivier, Alain Lalonde, René Lussier, Daoust, Isabelle Panneton, Lorraine Desmarais, etc.; Louise Bessette, qui fera des tournées au Canada, aux Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie, en Singapour et au Mexique; Etc. et un peu partout dans le monde, des Denis Gougeon, Gilles Tremblay, Yves États-Unis, en France, en Belgique, en Angleterre, au Japon, en Australie, à Les générations des années 80 et 90 comprirent aussi très rapidement que le marché local était limité. L’artiste ou l’ensemble qui souhaite articuler son travail en fonction du marché francophone québécois, se rend compte rapidement qu’il n’est pas prophète en son pays et qu’il est pris dans un cercle vicieux qui l’oblige à faire constamment du neuf, à se « renouveler », comme on dit. En ce sens, on peut considérer qu’en musique nouvelle, la tournée est une nécessité. Elle permet une rentabilisation du matériel, la possibilité de rayonner, c’est-à-dire de mieux faire connaître son travail et surtout, de « répéter les œuvres », ce qui artistiquement parlant, est fondamental pour parvenir à la maîtriser réellement. Selon les genres, cette idée se conjuguera différemment, mais son essence demeurera la même : se faire connaître ou reconnaître à l’étranger est une valeur ajoutée essentielle au produit que l’on offre. Aujourd’hui, sauf si on est peu actif ou que l’on pratique la musique nouvelle en dilettante, la tournée est devenue un moyen incontournable pour jouir d’un certain rayonnement. 134 Linda Bouchard, Walter Boudreau, Denys Bouliane, Brian Cherney, Francis Dhomont, José Evangelista, Sean Ferguson, Michel Gonneville, Denis Gougeon, Estelle Lemire, Jean Lesage, Michel Longtin, Bruce Mather, Michael Oesterle, Isabelle Panneton, Serge Provost, John Rea, Ana Sokolovic, Gilles Tremblay, Claude Vivier. 135 Afin d’alléger le texte, nous excluons volontairement de cette liste très sommaire les nombreuses tournées Jouer dans l’île soutenues par le Conseil des arts de la ville de Montréal à laquelle participent plusieurs ensembles de musique nouvelle (l’ECM+ en a fait, à lui seul, 9 à ce jour). Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 42 En musique électroacoustique, quoique l’idée de tournée se conjugue différemment, l’idée de rayonnement sera, là aussi, de plus en plus privilégiée, le temps passant. Trois avenues nous semblent y être des passerelles privilégiées : 1) les festivals, 2) les concours et 3) les invitations. 1. Dans les festivals, le compositeur est souvent invité à diffuser son œuvre et à en parler. Ces festivals sont nombreux, variés et permettent à l’artiste de faire connaître son travail dans d’autres contextes; 2. Les concours très nombreux, sont, pour leur part, une tribune de rayonnement fondamentale qui garantit une excellente visibilité outremer; 3. Enfin, les invitations, généralement personnalisées, sont peut-être l’outil de promotion le plus important. Elles n’ont pas la portée des deux formes précédentes de rayonnements, mais elles permettent au compositeur un ressourcement en ceci qu’il peut travailler, pendant une période donnée, à un projet qui lui tient à cœur. Ce type d’invitation n’est pas fréquent d’un point de vue local, mais à l’étranger, oui. Certains studios tels le DAAD en Allemagne, le Groupe de musique expérimentale de Bourges (GMEB, France), le GRM, le groupe Musiques & Recherches, en Belgique, le Zentrum für Kunst und Medientechnologie (ZKM, Allemagne) et le Studio BEAST en Angleterre sont quelques-uns des lieux qui fournissent ce type d’accueil. Du côté des musiques actuelles, les tournées, locales ou étrangères sont l’outil de promotion et de diffusion par excellence. En fait, si ce milieu doit une large partie de sa vitalité à son originalité, son acharnement, son sens communal et à sa débrouillardise, les tournées furent — en sus d’une démultiplication de plus en plus grande des projets originaux à partir des années 90 — un des moyens qu’il a su utiliser pour se faire connaître, faire vivre des projets et en exploiter tout le potentiel. Wondeur Brass, par exemple, le génome des productions SuperMusique, fit entre 1979 et 1991, un grand nombre de concerts dans des lieux comme le Spectrum, le Cargo ou le Café Campus, etc., des concerts en région, puis à partir de 1985, des tournées de festivals en Europe. De façon générale, les ensembles et musiciens actifs dans ce domaine fonctionnent, encore de nos jours, selon des principes communaux et de réseautages. Ils tournent aussi bien au Québec qu’au Canada et à l’étranger. Enfin, du côté des pratiques électroniques expérimentales, ce type d’invite est beaucoup plus rare, mais quelques organismes tels Oboro et le studio XX, à Montréal, DAÏMÕN, à Hull et Avatar, à Québec, l’offrent. En ce qui concerne les pays étrangers c’est, la plupart du temps, par des invitations à participer à des festivals ou événements que l’occasion se présente. f) La convergence nécessaire En parallèle, diverses initiatives font tomber – non sans heurts parfois – plusieurs cloisons esthétiques et idéologiques, jusque-là relativement étanches, entre diverses pratiques auparavant « rivales ». Les approches s’entrechoquent, l’arrivée de nouveaux joueurs change la donne, jusque-là assez claire. Mais surtout, des questionnements s’imposent quant à la nécessité de faire autrement les choses, de « penser la musique aujourd’hui » aurait dit Boulez (dans un tout autre contexte!). Le mouvement le plus significatif d’un changement des mentalités nous semble avoir été la fondation du Conseil québécois de la musique qui signa, ni plus ni moins, le début de la convergence de certains milieux (ceux de la musique écrite, de l’électroacoustique et de la musique actuelle) et la reconnaissance par les pairs. Certaines formes de reconnaissances et de rayonnements très importants existaient depuis longtemps en musique écrite et en électroacoustique via les concours locaux ou internationaux. Faire la liste de tous les prix remportés par les artistes, compositeurs, communicateurs ou exégètes rattachés aux Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 43 musiques écrites ou électroacoustiques au Québec pourrait faire l’objet d’un ou deux volumineux ouvrages. Il est cependant important de noter que la notion de prix est, a priori, plutôt spécifique à ces deux genres. Ce qui veut dire, en fait, que plusieurs catégories de musiques rattachées à d’autres genres (pratiques électroniques expérimentales, musique actuelle, etc.) s’inscrivent beaucoup moins, par tradition, dans cette logique136 et, in extenso, que ces concours et reconnaissances, s’ils sont indicateurs d’un niveau d’excellence certain, ne le sont que dans la limite de la discipline à laquelle ils sont associés. Parmi les prix importants remportés par les compositeurs et interprètes d’ici, il faut mentionner les: • Concours Ernest Bloch, Prix Gilson/musique, Prix Italia/musique, Prix BMI Canada (qui devint plus tard celui de la SDE), Prix de musique Calixa-Lavallée, John Adaskin Memorial, Prix Jules Léger, Prix Amis de la musique canadienne du Centre de musique canadienne et de la Ligue canadienne des compositeurs, Prix Émile Nelligan (devenu le prix Serge Garant), Prix Molson du CAC, Concours national des jeunes compositeurs de Radio-Canada (1973-2011), Prix Flandre-Québec (SMCQ), Tribune internationale des compositeurs de l’UNESCO, Prix Jan V. Matejcek de la fondation SOCAN, le prix d’Europe, Grand Prix du Conseil des arts de la communauté urbaine de Montréal (CACUM), Conseil canadien de la musique, Prix de la CAPAC, Prix ISCM, Austrian World Music Day, etc... Quelques lauréats, en vrac (plusieurs d’entres eux reçurent plusieurs distinctions): • Serge Arcuri, Louise Bessette, Walter Boudreau, Denys Bouliane, Tim Brady, Michel-Georges Brégent, John Burke, Brian Cherney, Marc Couroux, Lise Daoust, Yves Daoust, Claude Frenette, Robin Minard, Serge Garant, Raymond Gervais, Nicolas Gilbert, Michel Gonneville, Jacques Hétu, Otto Joachim, Véronique Lacroix, Claude Lamothe, Jimmie LeBlanc, Marie-Chantal Leclerc, Jean Lesage, Michel Longtin, Dennis Lorrain, Analia Llugdar, Simon Martin, Bruce Mather, Maxime McKinley, François Morel, Éric Morin, Michael Oesterle, Marie Pelletier, Clermont Pépin, Jean Piché, Yannick Plamondon, John Réa, André Ristic, Patrick St-Denis, Donald Steven, Pierre Trochu, Gilles Tremblay, Lorraine Vaillancourt, Claude Vivier, John Winiarz, etc. Évidemment, certains cumulent les honneurs. L’exemple de Maryvonne Kendergi, infatigable communicatrice devant l’Éternel, est éloquent à cet égard. Elle reçut, vers la fin de sa carrière, une vingtaine de distinctions. Dans le domaine électroacoustique, cette tradition, très importante, est davantage tournée vers l’international. Parmi les prix prestigieux il y a... • Ars Electronica (Autriche), Stockholm Electronic Arts Award (Suède), CIMESP (Brésil), Métamorphoses (Belgique), Ciber@rt (Espagne), Luigi-Russolo (Italie), Musica Nova, Prague (République tchèque) , Noroit-Léonce Petitot (France), Grand Prix Marulic de l’UER/EBU (Union européenne des radiodiffuseurs), le Concours international de musique électroacoustique de Bourges (France), le Concours international de création radiophonique Phonurgia Nova (France), NEWCOMP International Computer Music Competition (USA), EAR International Electroacoustic Competition (Hongrie), la CEC, le Prix Victor-Martyn-Lynch- Staunton, le Prix ANIK, celui de la Socan, etc... Quelques lauréats: • Martin Bédard, Nicolas Bernier, Christian Bouchard, Ned Bouhalassa, Michel-George Brégent, Christian Calon, Micheline Coulombe St-Marcoux, Yves Daoust, Jean-François Denis, Francis Dhomont, Louis Dufort, Chantal Dumas, Marcelle Deschênes, Gilles Gobeil, Monique Jean, Martin Leclerc, Philippe Ménard, Robert Normandeau, Hélène Prévost, Mario Rodrigue, Stéphane Roy, Michel Smith, Roxanne Turcotte, Alain Thibault, Jacques Tremblay, Claude Schryer, etc. 136 Ce qui ne veut nullement dire qu’il n’y a aucune reconnaissance de ces artistes, mais qu’elle est plus rare. Le prix Gilson 1989/Musique, par exemple, fut accordé à René Lussier pour Le trésor de la langue. Mais ce type de reconnaissance était, à cette époque, exceptionnel en musique actuelle et improvisée. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 44 Comme dans le domaine de la musique écrite ou électroacoustique, il est courant de voir un artiste obtenir plusieurs prix. Marcelle Deschênes, par exemple, a reçu plus de quatorze prix et distinctions entre 1978 et 1999. Un cas d’espèce tout à fait particulier de reconnaissance eut lieu dans le domaine des pratiques électroniques expérimentales avec le duo The User qui a reçu jusqu’ici: « (...) le prix de Téléfilm Canada (1998), une mention honorable dans la catégorie musique numérique au Prix Ars Electronica (Linz, Autriche 1999), une autre dans le cadre du Festival Interférences (CICV, Belfort, 2000), le premier prix dans la catégorie performance au FCMM (Montréal, 2001) ainsi qu’une nomination au prix Nam June Paik (Kunststiftung NRW, Dortmund, Allemagne, 2004) ». (...) En 2010, ils étaient « finalistes dans la catégorie arts médiatiques pour la sixième édition du prix Qwartz. La série Coincidence Engines était en nomination au prix 2010 de la Transmediale 137 ». En ce qui a trait à la convergence en tant que telle, le terme n’était simplement pas de mise. Il y avait, selon nous, peu ou pas de désir réel d’aller en ce sens dans les divers milieux. La fondation du Conseil québécois de la musique (CQM) changea tout cela. Même s’il ne s’occupe pas que de musique nouvelle et défend d’abord les intérêts de ses membres (toutes allégeances esthétiques confondues), sa présence dans le milieu musical eut un effet centralisateur. Pour favoriser et encourager la reconnaissance par les pairs, le CQM mit sur pied, en 1996, les prix OPUS pour témoigner « du dynamisme et de la diversité du milieu musical québécois. Ils soulignent l’excellence de la musique de concert au Québec, dans différents répertoires musicaux »138. Y figurent les catégories moderne, actuelle, contemporaine, électroacoustique. Ces prix signèrent le début d’une forme de reconnaissance de la musique nouvelle, prise dans son ensemble (exception faite des pratiques audio expérimentales, qui sont encore en émergence) et lui donna, peu à peu, une cohésion jusque-là inexistante. En sus, en 1992-1994, le CQM donnera, avec le CMC et la SMCQ, le premier élan à un geste qui sur le coup échoua, mais qui allait ultérieurement devenir une réalité: réunir les forces vives du milieu en un seul lieu. Après une autre tentative du NEM, de Réseaux et des PSM (2000) et huit ans après avoir tous travaillé ensemble pour la première fois lors de la Symphonie du millénaire, 22 organismes, majoritairement spécialisés en musique de création, se réuniront pour lancer ensemble leur saison. En 2007 naissait officiellement le Groupe Le Vivier, nommé ainsi en hommage au compositeur Claude Vivier, décédé en 1983, auquel la SMCQ dédiait sa toute première série Hommage en 2007. Son action et son œuvre avaient marqué de façon significative le monde de la musique d’ici. Il avait aussi dit « C’est dans nos mains que réside le futur de la musique »139. Le Vivier, formé de l’association de 22 ensembles et organismes musicaux et issu de la volonté du milieu, s’est donné pour mission de favoriser le développement des musiques nouvelles et d’offrir à tous, par la diffusion d’œuvres de qualité, une porte ouverte sur la culture. Sa priorité: doter Montréal d’un lieu de création et de diffusion pour les musiques nouvelles. Deux ans plus tard, en 2010, la ministre de la Culture, Madame Christine St-Pierre, annonce officiellement qu’un accord de principe confie la bibliothèque Saint-Sulpice aux bons soins du groupe Le Vivier pour en faire un carrefour des musiques nouvelles. Cette annonce du Vivier au Saint-Sulpice laisse indéniablement entrevoir une éventuelle mutation du paysage des musiques de création ! Les membres du Groupe Le Vivier sont, au moment de la rédaction de cette étude: • • • • • L’Arsenal à musique Bradyworks Centre de musique canadienne au Québec (CMC) Circuit, Revue de musiques contemporaines Chants Libres — compagnie lyrique de création 137 http://www.undefine.ca/fr/artists/the-user/ 138 http://www.cqm.qc.ca/36/Les_prix_OPUS.html 139 http://www.levivier.ca/ Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 45 • • • • • • • • • • • • • • • • • • Codes d’accès Constantinople DAME / Ambiances Magnétiques DIFFUSION i MéDIA / empreintes DIGITALes Ekumen Ensemble contemporain de Montréal (ECM+) Espaces sonores illimités (ESI) In Extensio Innovations en concert (IEC) Productions SuperMusique (PSM) Productions Totem contemporain (PTC) Quasar — quatuor de saxophones Quatuor Bozzini Quatuor Molinari Réseaux des arts médiatiques Sixtrum — ensemble à percussion Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) Société des Arts Libres et Actuels (SALA) • Transmission Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 46 7. ÉPILOGUE : ARRÊT SUR IMAGE / VERS L’ART TOTAL? Plusieurs tendances multidisciplinaires, transdisciplinaires ou d’arts médiatiques semblent actuellement « apparaître d’un seul coup » et « tasser du coude » les musiques nouvelles, toutes tendances confondues. Cela est, bien sûr, une illusion. Selon nous, tout au plus assistons-nous à un changement de paradigme et à la re-conjugaison d’idées prônées par L’Infonie, ou celles proposées par Pierre Mercure au cours de la SIMAM en 1961 et qui émergèrent ensuite sous diverses formes tout au cours de la modernité dans les domaines du multimédia, de la transdisciplinarité, etc. Sans boucler la boucle à ce point-ci de l’histoire (il est encore trop tôt) non plus que de se raccrocher à la SIMAM pour la considérer comme étant fondatrice des pratiques actuelles, force est de constater que les modalités qu’on y avait alors proposées ont actuellement une très grande prégnance dans tous les secteurs de la musique nouvelle (nous y incluons les nouvelles pratiques sonores). Selon nous, ce que ces mouvances laissent peut-être entrevoir, c’est - paradoxalement - une éventuelle érosion de certaines formes de représentations artistiques très ciblées au profit de certaines autres qui seraient plus englobantes et intégratrices. À l’instar de Mercure, nous pensons depuis presque toujours que toute œuvre d’art peut se conjuguer à plusieurs temps et selon plusieurs modes sans perdre sa substance. Comme le disait Jean Vallerand au cours une table ronde autour de la musique actuelle en 1961, « (...) en art, il est futile de discuter d’esthétique. Il n’y a que les œuvres qui comptent (...). [L]a fin justifie les moyens. Tous les moyens sont bons pourvu que les résultats soient valables »140. À l’arrivée du second millénaire, cet éclatement des pratiques en même temps que la réintégration d’éléments issus du modernisme141 engendra une réelle difficulté à situer les choses de façon « précise » et brouilla considérablement leurs délimitations respectives. Si les organismes déjà existants conservèrent leurs fondements identitaires, ils furent, bien malgré eux parfois, touché par cette idée de transdisciplinarité et, vers 2005, plusieurs d’entre eux commencèrent à en intégrer l’essence dans leur façon de faire. Les explorations de Jean Piché autour de la vidéomusique (depuis 1983!), l’installation-concert Espèces en voie de disparition de Diane Labrosse (SuperMusique: 2007), Filature (2006) de Joane Hétu, le thème du FORUM 2010 du NEM (Musique et vidéo d'art), les explorations de l’ECM+ avec différentes formes d’arts telles que Unions Libres (2000 - danse, vidéo, poésie, peinture), Sacrée Landowska (2001 - théâtre musical), Cage en Liberté (2002 - performances multiples), Musique, on tourne (2008 - films), Pont de papillons (2009 - vidéo), Les Marquises (2008 arts visuels) et récemment, l’opéra Les aventures de Madame Merveille (2010 - écran géant, bandes dessinées, littérature, décors, etc.), les concerts éclatés d’Erreur de type 27 à Québec et de Sixtrum avec son récent essai cinétique, vidéo, musique et percussions ne sont que quelques exemples des effets de cette remise en question de plus en plus évidente du cadre de représentation. La transdisciplinarité est, selon toute apparence, une des grandes avenues esthétiques que l’on explorera au cours des années à venir. Et on peut considérer cette exploration comme étant l’indéniable expression d’un désir de décloisonner « le concert » et, de façon plus générale, la musique nouvelle. Pour reprendre à notre compte une description donnée par Perte de signal de leur travail: « images en mouvements ou fixes, sons, dispositifs d’installation, montage, projections et lumières sont certains des éléments de base dont les artistes (...) explorent les inépuisables configurations. Plus encore, avec les propriétés du numérique et de la transmission sur le Web, ils éprouvent de façon inédite les limites de l’œuvre d’art 142». On pourrait ajouter à cet énoncé: et façonnent de nouvelles modalités de réception. Quoique l’on pense ou dise de ceci, on conviendra, nous l’espérons, d’une chose: nous nous approchons lentement des terres fertiles que Pierre Mercure avait su entrevoir en 1961, en proposant la SIMAM. Et dont nous nous sommes éloignés considérablement avant que de pouvoir en Mario : Table ronde autour d’Incandescence, de Pierre Mercure, article à paraître, Circuit, 2011. des caractéristiques de l’hypermodernité. 142 http://www.perte-de-signal.org/ - fr/Diffusions/Éditions/ 140 Gauthier, 141 Une Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 47 entrapercevoir de nouveau les horizons. Nous ne pouvons nous empêcher de penser que l’histoire, tout en étant fuyante et imprévisible, fige des choses dans le temps et oblige, par cette double posture, à reconsidérer constamment les vestiges de son passage à la lueur du présent. Tout en posant un voile sur les êtres, le temps et les choses, elle dépose aussi le limon de ce qui auraient pu être ou devenir. Jean-Luc Godard, dit, à juste titre nous semble-t-il, au tout début de son film Histoire(s) du cinéma: « Ne change rien pour que tout soit différent. Ne va pas montrer tous les côtés des choses. Garde-toi une marge d’indéfini ».143 C’est de cet indéfini dont il est question maintenant. Mario Gauthier, 28 décembre 2011 143 Godard, Jean-Luc : Histoire(s) du cinéma, Gaumont, France, 1998. Mario Gauthier — © Tous droits réservés 2011 48