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Marcel Mariën Le passager clandestin Xavier Canonne PANDORA PUBLISHERS RONNY VAN DE VELDE 30 Trois peintres surréalistes, une exposition organisée par E.L.T. Mesens dont c’est l’une des dernières avant son départ pour Londres où il dirigera la London Gallery ; Scutenaire, qui préface le catalogue de l’exposition, publie de même son second ouvrage, Les haches de la vie6 chez G.L.M., illustré par René Magritte. L’arrivée de Mariën, outre ce qu’elle peut avoir d’inattendu compte tenu de son jeune âge, s’avère un événement vivifiant pour le groupe, étonné de la maturité de cette jeune pousse : Paul Magritte, René Magritte et Marcel Mariën, 1938 Collection Isy Brachot «Vos moyens sont étonnants», lui écrit Paul Colinet. «Où irez-vous ? Ailleurs, j’espère.»7, auquel Mariën répond depuis Anvers : «Mes amitiés à Magritte et à la «famille surréaliste à proscrire» et à vous, cela va sans dire.»8 Dès 1938, Marcel Mariën entreprend la confection d’un autre «objet», sous la forme d’un essai au titre explicite, La chaise de sable9, qui paraît deux années plus tard : «… l’esprit se meut parmi les objets dont il tente de s’en traduire la perception. (…) Ainsi l’esprit contourne les objets, en polit les aspérités, émousse ou stimule la violence de 6. Louis Scutenaire, Les haches de la leurs rencontres et se replie sur eux comme une paupière sur 7. Paul Colinet, lettre à Marcel vie, Paris, G.L.M., 1937. un regard. (…) Un ancien sabotier me racontait comment Mariën, 21 août 1937, reproduit il s’était plu à fabriquer jadis des sabots dont les semelles Bruxelles, Les Lèvres nues, 1990, se trouvaient placées dans le sens contraire de la marche, in L’histoire des deux lampes, p. 10. 8. Ibid., p. 17. de manière à ce qu’elles s’imprimassent sur le sol en une 9. Marcel Mariën, La chaise de direction adverse à celle que prenait celui qui les avait aux collective, 1940. L’introuvable, 1937 Objet Collection privée LE NOUVEAU MONDE sable, Bruxelles, L’Invention 31 1. 2. 3. 4. 1. La redondance, 1980 Collection Mr et Mme Paternoster 2. Lettre à un jeune poète, 1979 Tate Modern, Londres 3. Le vert et l’endroit, 1975 Collection privée 4. Les années folles, 1991 Galerie Seghers, Ostende 5. Le sismographe des antipodes, 1975 Collection privée 6. Le salon de Caligula, 1976 Collection Mireille Dohmen-Sprengers 7. La nuit allée avec le sommeil, 1979 Galerie Seghers, Ostende 5. 8. L’annonciation faite à Marie (version australienne), 1992 Collection Mr et Mme Paternoster 9. L’ordre et le rêve, 1979 Collection privée 10. La technologie au Moyen-Âge, 1975 Collection Mr et Mme Paternoster 11. L’esprit de corps, 1975 Collection de la Province de Hainaut 12. Le tremplin des antipodes, 1975 Collection de la Province de Hainaut 13. La loi, 1991 Collection privée 14. L’ange exterminateur, 1979 Collection privée Assemblages 150 6. 8. 7. 9. 10. 11. 13. 12. 14. 151 l’amplitude des connaissances littéraires de Mariën. Près de deux cents auteurs y sont en effet cités, des plus obscurs aux plus célèbres, des plus anciens aux plus récents, rassemblés autour de thèmes très divers pour susciter d’étonnantes rencontres. Précédées de titres imaginés par Mariën, les citations correspondent à des sujets aussi variés et universels que l’amour, la mort, la bêtise, le désir, la perversion, mais aussi des éléments du quotidien tels les bottes, le robinet, la culotte, les coiffeurs ou d’autres plus précis tels l’adultère, la vertu, le viol, la fellation, le cerveau ou les seins. Chaque «chapitre» est constitué de trois extraits, agencés comme les trois actes d’une pièce de théâtre ou comme l’examen dialectique d’un sujet, le dénouement étant parfois des plus surprenants, des plus inattendus. Le Pont aux Ânes est exclusivement illustré de photographies dont l’auteur précise cependant qu’elles ne constituent pas véritablement une illustration, «... exécutées indépendamment des textes et ce n’est Sans titre, ca 1955 Photographie surchargée qu’ensuite, selon diverses affinités d’esprit ou de forme, qu’elles leur ont été associées.»26 Collection José Vovelle 26. Id., p. 8. 172 Lettre à Jane Graverol, ca 1954 © Musée royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles / Archives de l’Art Contemporain en Belgique, AACB / Fonds Graverol 127 173 La cerisaie, 1983 Photographie confrontation avec les géantes de chair. Chaque photographie Collection Pascal Retelet s’accompagne d’un titre judicieux, Mariën révélant ici à nouveau, outre des trésors d’inspiration, l’étroite relation liant le titre à l’œuvre, l’image au mot. Dans l’ouvrage Le sentiment photographique – lequel ouvre par une photographie de 1949, L’esprit de l’escalier, un thème que Mariën reprendra à diverses époques et en divers intérieurs, «féminisant» de même le sujet par l’usage de souliers de femmes – chaque titre en vis-à-vis de la photographie est suivi d’un commentaire poétique, offrant tantôt un complément à l’œuvre ou La confluence, 1986 Photographie Collection Pascal Retelet 192 s’en écartant au départ d’elle. En ces photographies, Mariën s’interdit toute retouche, recadrant parfois à l’impression La prière du diable, 1991 Photographie Collection Pascal Retelet 193 A Basse-Terre, à bord du Silver Ocean, 1952 Bruxelles, Bibliothèque royale, Archives & Musée de la Littérature, Fonds Mariën FS47 n’est pas de ces écrivains-voyageurs qui décrivent, ajoutant à d’autres ce qu’ils ont vu, comme attestant d’un certificat de présence ; les lieux évoqués sont, ici et là, le décor de ce qu’il a vécu, sans guère de pittoresque. Ce ne sont pas les tours de New York qui le captivent, ni le soleil qui tombe oblique sur Park Avenue, mais les écureuils de Central Park ou le souvenir d’un riche vieillard impotent dont il fut un temps l’infirmier de nuit ; les paysages de Basse-Terre ou de Guadeloupe, la beauté des ciels en mer le retiennent bien moins que la description d’un équipage alcoolisé tuant l’ennui des traversées, ou tentant aux escales de rattraper le temps New York, 1963 Bruxelles, Bibliothèque royale, Archives & Musée de la Littérature, Fonds Mariën FS47 332 perdu ; de la Chine, c’est une savonnette Lux posée dans une vitrine de brocanteur comme un diamant dans un écrin ; c’est Le frère de la côte, 1978 Assemblage Collection privée, Anvers 333