L`autre guerre - Alma - Amnesty International

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L`autre guerre - Alma - Amnesty International
L’autre guerre - Alma
Réf : SF 14 EDH 14 - Document externe - février 2014
Livret d’accompagnement
de L’autre guerre et
d’Alma,une enfant de la violence
Pistes pédagogiques
Miquel Dewever-Plana & Isabelle Fougère
Édito
Curieux livre que celui-ci : un livre de photos, belles mais décrivant une
réalité terrible, un livre de textes, précis mais inquiétants, un thème a
priori inconnu, peut-être dérangeant, les maras (gangs) au Guatemala.
Le titre accroche et interroge, mais l’ensemble peut susciter une
réaction de rejet. Il faut aller au-delà de cette réaction instinctive qui
vise à se protéger. Pas très loin, inattendue mais pas saugrenue, une
citation de Nietzsche (Par-delà le bien et le mal) :
« Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans
le combat, à ne pas devenir monstre lui-même, et quant à celui qui
scrute le fond de l’abysse, l’abysse le scrute à son tour.»
Impossible de passer sur cette phrase, surtout pour un militant des droits
humains. C’est contre des monstres que nous luttons, c’est l’abysse
que nous contemplons en découvrant les violations quotidiennes des
droits les plus élémentaires. Pour comprendre ce que peut signifier
cette phrase, il faut reprendre le livre, dont nous avions tendance à
nous détourner. Or, il sera très difficile de le quitter, tant la fascination
qu’il exerce est grande. Nous voilà fascinés et étonnés de l’être.
Le webdoc, de son côté, nous met face à Alma, dont le témoignage
est terrible, détaché des autres et mis dans une lumière crue. Pas
d’échappatoire possible.
La commission éducation aux droits humains
Sommaire
•Amnesty International, Alma et L’autre guerre
•Le projet de M. Dewever Plana et I. Fougère
•Utiliser ce livre
•Une lecture qui dérange
•Le webdoc, un calvaire
•La violence
•Impunité
•Misère et pauvreté
•Les femmes
•Les photos
•Pistes pédagogiques
2 - L’autre guerre - Alma
p 3
p 4
p 7
p 8
p 11
p 16
p19
p 22
p 26
p 29
p 37
Commission éducation aux droits humains
Amnesty International
Alma et L’Autre guerre
Le Guatemala, situé en Amérique centrale, est frontalier du Mexique. Près
de la moitié des Guatémaltèques sont des autochtones, dont beaucoup de
Mayas. Les inégalités y sont parmi les plus fortes de la région – taux élevés
d’analphabétisme, de mortalité infantile et de malnutrition, en particulier en
milieu rural. Le crime organisé et la violence y sont par ailleurs très présents.
Entre 1960 et 1996, le Guatemala a été le théâtre d’un conflit armé interne
sanglant opposant l’armée à des groupes de guérilla. Plus de 200 000
hommes, femmes et enfants ont été tués ou soumis à une disparition forcée
au cours de cette guerre longue de 36 ans ; la plupart de ces personnes
étaient des autochtones.
Une des périodes les plus sanglantes du conflit est marquée par une
campagne agressive prenant pour cible quiconque était soupçonné de
soutenir les guérilléros d’extrême gauche.
En 1999, un rapport remis par la Commission de clarification historique,
parrainée par les Nations unies, a conclu que l’État guatémaltèque était
responsable de 93 % des violations commises.
En 2013,pour la première fois, un ancien chef d’État guatémaltèque est
jugé pour génocide. Efraín Ríos Montt fait l’objet de poursuites depuis 2001,
mais la procédure a buté sur une série d’obstacles.
Le travail d’Amnesty International sur le Guatémala porte aujourd’hui en
priorité sur la question du foncier et des expulsions ou menaces d’expulsion
par des compagnies minières.
Les questions de la violence et de l’impunité ne sont pourtant pas absentes
des prises de parole du mouvement sur ce pays d’Amérique centrale qui
compte en effet parmi les pays les plus violents de la région. Le conflit interne
qui a meurtri le pays pendant plus de 30 ans n’a que trop partiellement fait
l’objet du travail de mémoire, de justice et de réparation dont toute société
a besoin pour pouvoir se reconstruire et vivre en paix. Ce n’est pas le cas,
et les impressionnants niveaux de violence constatés dans ce pays ont à
voir avec ce travail inachevé. De fait Amnesty continue inlassablement de
demander que ce travail soit fait.
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 3
Le projet de
Miquel Dewever-Plana et
Isabelle Fougère
Amnesty International et Miquel Dewever-Plana
L’Autre guerre est la continuité d’un travail documentaire et précis
entrepris depuis plus de 20 ans par ce photographe (qui est d’ailleurs
venu à sa profession pour témoigner des conséquences du conflit qu’il
avait découvertes à l’occasion d’un séjour initialement touristique). 20 ans
passés à régulièrement revenir et vivre dans ce pays, pour en rencontrer
les habitants, à régulièrement en exposer les motifs : de la culture maya
à la culture des Maras, en passant par le patient travail des légistes pour
retrouver les corps des «disparus» du conflit interne, un travail qui s’inscrit
dans la quête de vérité, de justice et de réparation. Un travail (livre et
exposition) soutenu en 2006 par Amnesty International.
C’est dans la continuité de cette première collaboration que le soutien
d’Amnesty à L’Autre guerre s’inscrit. Parce que l’écriture photographique
de Miquel Dewever-Plana dialogue avec ce qu’Amnesty International dit de
ce pays. Parce qu’aussi la photographie, dans son registre documentaire
et quand elle s’intéresse aux mêmes questions et champs qu’Amnesty
International, offre un formidable moyen de faire prendre conscience des
réalités qu’elle montre. Le lien avec le travail de Miquel Dewever-Plana
prolonge ainsi un lien qui lie depuis longtemps Amnesty International au
monde de la photographie.
Un oeil extérieur et omniprésent
entre les divers mondes de cette société.
Une omniprésence
qui rend plus forte encore l’horreur de cette tragédie :
Son côté « étranger » lui permet d’entrer en contact avec tous les acteurs de
ce drame qui se joue et de le rendre parfaitement réel et tangible. Qui d’autre
qu’un oeil extérieur aurait en effet pu regrouper des témoignages si divers,
pénétrer dans des lieux impénétrables (la prison), obtenir la confiance de
personnes si différentes en apparence ?
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Commission éducation aux droits humains
Le fait d’entendre ces différents sons de cloche n’en rend que plus horrible
cette histoire car l’empathie est forte et ne permet pas de mettre ce conflit
à distance en déshumanisant
ses acteurs. En effet, leurs
sentiments, leurs peurs, leurs
doutes mais aussi leurs regards
réalistes posés sur la violence
de la société guatémaltèque
provoquent chez le lecteur une
identification à la personne qui
parle.
Un oeil extérieur, vraiment ?
Photo pages 198 - 199
Est-il possible de « scruter
L’autre
Guerre,
Éd. Le bec en l’air
l’abysse » sans y tomber soi©
2012
Miquel
Dewever-Plana
même ? De rencontrer tous ces
témoins sans se laisser happer
par l’abîme de violence que leurs
histoires laissent paraître ?
La mise en garde apparaît dès la page 12, avec la citation de Nietzsche,
qui semble être là pour nous dire : à trop regarder le mal pour le dénoncer,
grand est le risque d’y tomber soi-même – d’y devenir insensible ?
La posture du photographe
Le regard du photographe s’exprime ensuite directement dans le livre : son
témoignage est présenté à cinq
reprises, en blanc sur fond noir.
Ces cinq apparitions font figure
de pauses au cours desquelles
s’arrête momentanément la
déferlante d’acteurs et de
photos pour se recentrer sur
le protagoniste qui nous guide
au milieu de cette violence, en
choisissant quel zoom fixer sur
quelle situation.
Photo pages 164 - 165
Le questionnement quant à ce
L’autre Guerre, Éd. Le bec en l’air
que peut faire et ne pas faire le
© 2012 Miquel Dewever-Plana
photographe apparaît à plusieurs
reprises.
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 5
Peut-on, doit-on tout photographier ? Plus encore, l’accès à certaines
situations ne peut se faire sans concession : impossible de photographier et
interroger les mareros sans d’abord réaliser un travail intérieur pour pouvoir
les comprendre, travail qui ne peut exister sans grande force morale et
sans conscience claire des différences qui existent entre « comprendre »,
« expliquer », « justifier ». Mais, au fil du temps, ces frontières se brouillent
et il devient difficile de ne pas se sentir complice des agissements des
mareros : c’est pour cela que le photographe finit par cesser ses visites à la
prison.
La posture du photographe peut aussi amener à des situations éthiquement
sensibles : sa vocation est de témoigner et, pour cela, il a besoin de matière
donc de violence et de cadavres. N’est-ce pas être coupable que de
souhaiter l’arrivée du malheur aux autres pour avancer dans son travail ?
Passé par ce questionnement, le photographe a aussi réussi à en sortir :
cette violence existe bien au-delà de sa propre personne et son travail vise
à la rendre visible pour agir à son encontre.
Derrière le photographe, l’homme
Le photographe est aussi un homme, en proie à l’émotion, mal dissimulée
derrière son appareil, et à la ré-interrogation sur le sens et la valeur de la
vie, face à des situations dans lesquelles les vies semblent ne pas valoir
grand-chose. Un homme qui se demande aussi à quoi tient la valeur d’un
être humain : « Qu’aurais-je fait si j’étais né à leur place ? Aurais-je pu moi
aussi devenir un criminel ? L’évidence de la réponse a forcément changé
mon regard sur ces jeunes. Je ne suis ni différent, ni mieux qu’eux. J’ai juste
eu la chance d’être né ailleurs, au sein d’une famille aimante. »
Cette réflexion intervient en écho à ce que lui dit Edwin, membre de gang :
« Si j’avais eu la chance de naître ailleurs, est-ce que je serais quelqu’un
d’autre aujourd’hui ? Parce que finalement, qu’est-ce que tu as de plus que
moi ? Quelle vie tu aurais si tu étais né à ma place? Et moi à la tienne ? De
nous deux, qui serait le salaud ? » Face à tout cela, le photographe conclut
par une dédicace : à sa mère, qui l’a construit par son amour, alors que tant
d’enfants du Guatemala en sont privés.
Son projet ?
Le projet qu’il a monté l’amène à faire des patrouilles et à découvrir l’horreur
quotidienne, aux côtés des policiers. Cela le pousse à voir de l’autre côté, en
prison, mais aussi aux urgences, où il découvre les deux faces des détenus
et des victimes de règlements de comptes : criminels affirmés et parfois
enfants fragiles, voire émouvants.
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Commission éducation aux droits humains
Utiliser le livre
et/ou le webdoc
Quel public ?
La violence que décrit et contient ce livre ne permet pas de l’utiliser avec
des publics trop jeunes. C’est d’abord un excellent documentaire sur une
réalité que nous connaissons peu, les gangs au Guatemala, mais qui fait
également écho, toutes proportions gardées, à certaines tendances en
France dans des lieux privés de droit. En prison, dans certains quartiers,
dans des familles en déshérence. Des garde-fous existent en France, mais
s’ils viennent à manquer ? Quand la mafia fait la loi, sommes-nous loin des
gangs ?
Ce livre est à voir avec le webdoc qui lui emprunte de nombreuses photos.
Les deux forment un tout, complété par des dessins et des compléments
du webdoc.
En EDH, on pourra utiliser ce livre en 1ère, terminale, en faculté ; il faudra
disposer d’un peu de temps pour expliquer, aller au-delà des apparences.
Les thèmes
C’est un documentaire sur la violence, la privation de soins, les abus et sur
l’engrenage que tout cela suscite. La violence répond à la violence dans
une société qui y trouve finalement son compte, en séparant les « bons »
citoyens, des réprouvés.
Un enfant mal aimé, violenté, qui devient dealer, va en prison, intègre une
bande, devient violent pour se prouver qu’il est dans la même famille que
ses grands copains, nous avons déjà ça, dans des limites moins effrayantes.
La place des filles, réduites à être un sexe disponible quand elles ne sont
pas des « clones de mec » en encore plus violent, c’est un phénomène qui
se développe dans certains quartiers, de même que la mortalité inquiétante
des jeunes.
La violence énorme du Guatemala ne doit donc pas nous « rassurer » en
nous faisant croire que c’est trop éloigné de notre quotidien, dans l’espace
et le temps.
Commission éducation aux droits humains
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Une lecture qui dérange
Voici un livre qui ne peut pas laisser indifférent, certains sont rebutés, voire
choqués, d’autres adhèrent tout de suite, mais quelque chose se passe,
toujours.
Voici ce qui peut vous arriver (mais pas forcément) quand vous découvrez
ce livre :
Un livre de photos sur le Guatemala ?
Bonne idée, les photos ! C’est une approche vivante, informative et
immédiate. Très bien. Et nous voilà en train de découvrir les premières
images. Bizarre, ces pages grises, tiens ça s’éclaircit, il s’agit d’un bidonville.
Une page noire ? Curieux, mais continuons.
Bonne idée, le Guatemala Je ne connais pas bien le pays et son histoire,
le parrainage d’Amnesty, le webdoc annoncé, une bande dessinée, tout ça
semble très intéressant.
Ah non, là, ça n’est pas possible !
Ces photos ! Ces premières photos me heurtent, me font peur, me gênent…
Toutes les réactions sont possibles. Pourtant, pas de violence visible, mais
le résultat de cette violence.
Ces enchaînements de violences... c’est trop, en feuilletant le livre, j’aperçois
d’autres morts, je remarque pourtant des photos d’une grande beauté, des
gens qui me regardent et tentent de me faire comprendre quelque chose.
Hésitations...
Le Guatemala, après tout, c’est loin, voici ce que je finis par me dire.
Vraiment, vous insistez ?
Nietzsche, oui d’accord, cette citation ? C’est vrai, elle interpelle.
« Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le
combat, à ne pas devenir monstre lui-même, et quant à celui qui scrute le
fond de l’abysse, l’abysse le scrute à son tour. » (Par-delà le bien et le mal).
Militant d’Amnesty, c’est vrai, je suis toujours au bord de l’abîme, pas le
mien, mais celui des victimes. Pas le mien ? Voire…
Bon, je vais essayer de regarder ce livre de plus près. Si je ne supporte pas
de regarder des photos exprimant la violence, comment lutter contre cette
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Commission éducation aux droits humains
violence ? Comment aider ceux qui la subissent ? Rester dans un cocon
protecteur ? Je ne risque pas grand-chose en militant, alors, des photos, des
témoignages, ce n’est pas si dérangeant finalement.
Une fascination
En reprenant le livre, difficile de le lâcher. Pourquoi ? Il ne montre pas la
violence et la mort pour elles-mêmes, mais en témoignage, en hommage
aux victimes, en incitation à agir, pour nous, abrités derrière notre livre. D’un
rejet éventuel du début, nous passons tous par une phase de fascination.
Fascination des photos : Certaines évoquent le Caravage, d’autres frappent
en plein cœur pour différentes raisons. Une scène aux Urgences, mais ce
n’est pas du cinéma, des visages tatoués dans un fragment de glace ou le
judas d’une prison, des poupées déshabillées... Une de ces photos ferait
presque sourire si elle ne révélait pas tant d’horreur banalisée (« SVP, en
emportant votre cadavre, prière de prendre aussi le sac plastique, merci ! »).
Fascination des textes : Curieux, cette alternance, on se prend au jeu. En
noir, l’itinéraire du photographe, son projet. En blanc, des spécialistes,
des anonymes s’expriment sur la réalité montrée par les photos. En marge
parfois, des témoignages. Une symphonie de voix différentes qui tentent
de comprendre comment ce pays en est arrivé là. Et une inquiétude qui
progressivement s’installe : s’agit-il vraiment du seul Guatemala ?
Fascination des témoignages : Un procureur, un tueur à gages, une assistante
sociale partisane de l’auto-défense, des psychologues, une prostituée, des
sociologues, des membres de gangs, etc. Rarement témoignages aussi
divers ont été réunis.
Fascination des thèmes : De quoi parlent-ils, tous ? Du Guatemala, mais
surtout de pouvoir, de haine, d’amour et de manque d’amour, de fascination
pour l’argent, de corruption, de justice inefficace… Au fond, de ce que nous
connaissons aussi.
Alors, c’est si loin, le Guatemala ?
Pas chez nous ! Il ne peut pas se passer ce genre de choses ! Au pays
des droits de l’homme, en Europe, dans des démocraties, avec le niveau
d’éducation que nous avons…
Pourtant, des zones grises existent : ces banlieues dans lesquelles on ne
peut plus entrer, ces prisons où des gangs font parfois la loi, ces zones où
la mafia est implantée….
La déliquescence de nos institutions ? Justice, police et politique n’en sont
Commission éducation aux droits humains
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pas là, mais des scandales éclatent en France, en Italie, la justice n’est
pas toujours impartiale, la police contrôle parfois au faciès, les minorités
peuvent se sentir discriminées et chercher une forme de revanche.
Finalement, ce livre…
La beauté des photos : Elle est réelle, ce sont de bonnes photos. Certaines
sont belles, d’autres sont obsédantes comme le regard d’une fillette dans un
lit-cage, qui nous fixe. À nous de les regarder, de les comprendre
La force des textes : Ce ne sont pas des écrivains qui s’expriment, mais
que ce soient les analyses ou les témoignages, tous montrent ce besoin de
comprendre. Pourquoi ce pays s’enfonce-t-il ? Pourquoi leurs enfants sontils morts, ou tuent-ils, ou rackettent-ils ? Comment lutter ? Quelques lueurs
d’espoir : la rédemption de certains, par la prise de conscience (mais ils
savent que leurs ex-amis les rattraperont), la naissance d’un enfant, l’amour
d’une mère, une vocation de sportif, d’artiste….
Ou l’inverse : beauté des textes et force des photos, c’est surtout l’union de
tous ces témoignages : que cela s’arrête, que les petits ne suivent pas la voie
de leurs aînés, que la violence, l’impunité, les viols, le malheur d’être une
fille, les meurtres, que tout ça s’arrête.
Et moi, dans tout ça ? Eh bien, après la fascination, l’analyse, l’action …
Sans oublier un choix particulier de photos
Cette démarche peut encore être complétée par le reportage paru dans la
revue 6 mois (n°5, printemps-été 2013) et qui met en lumière, peut-être
plus encore que les autres documents, l’ambiguïté dans laquelle baignent
la plupart des personnes rencontrées.
Le choix des photos effectué par la revue pour un public plus large permet
une approche facilitée du reportage.
Définitions
•Mara, pandilla : le gang, le groupe
•Marero et pandillero : le membre du gang
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Commission éducation aux droits humains
Le webdoc, un calvaire ?
Le livre paraît dérangeant, le webdoc aussi. Dans les deux cas, nous sommes
perturbés, le réel s’impose durement. Un calvaire ? Pourquoi pas ?
C’est en effet presque un calvaire pour le spectateur, d’entendre ce
témoignage, de voir ce visage, ces yeux, d’intégrer la souffrance ressentie,
causée, d’imaginer le désespoir et l’espoir en parallèle. Cela impose une
vision ambivalente : bourreau et victime, en même temps, surtout quand on
comprend que cette personne est désormais en fauteuil roulant.
Un calvaire vécu par des personnes bien réelles
La première victime d’Alma connaît une mort lente et cruelle, d’autres sont
violées avec son aide, des gens souffrent des exactions de son gang…
Une cruauté partagée
Les membres de son gang, son compagnon, elle-même, ont pour principal
moyen d’expression la violence, la cruauté, la force. La mise en mots d’Alma
traduit une prise de conscience, déjà affirmée quand elle a voulu quitter le
gang, ravivée par son « châtiment ».
Et les femmes et les filles ?
Alma a son histoire propre, mais la vie des femmes dans ces quartiers peut
être un calvaire aussi. Devoir choisir entre se laisser battre ou battre est déjà
une violence insoutenable.
Le calvaire de la société
Le webdoc donne une image peu flatteuse de la société guatémaltèque,
mais c’est le calvaire que cette société fait subir à son peuple qui ressort ici.
Il faut oser contempler ce que cette société sécrète, il faut qu’elle-même se
regarde, même si le miroir est terrible.
Alma une enfant de la
violence,
Miquel Dewever-Plana &
Isabelle Fougère
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 11
Les thèmes
Un livre de témoignages
Les témoignages racontent, expliquent, mais les mots constatent surtout
une impasse, un enchaînement contre lequel on peut se battre, mais c’est
un combat infini, épuisant. Dans le webdoc, un seul témoignage, celui
d’Alma, plutôt perdu au milieu des autres dans le livre. Deux façons de
présenter le témoignage : le nombre impose diverses figures de victimes,
bourreaux, témoins… L’unicité nous recentre sur un itinéraire, celui d’une
jeune femme perdue, qui reproduit beaucoup de mécanismes vus dans le
livre. Mais si elle est symbolique, elle pose aussi question : ses sœurs n’ont
pas suivi sa voie ? Pourquoi elle ? Et nous, à sa place, qu’aurions-nous choisi
ou cru choisir ?
Des témoignages à titre personnel
Pourquoi témoigner ?
Pour les familles de victimes, lutter contre la peur, l’impunité, l’indifférence,
la corruption. Certains demandent vengeance ou la font eux-mêmes. Le livre
présente le cas d’un homme très durement atteint (ses filles) qui témoigne
sans crier vengeance, pour ne pas devenir comme ceux qu’il accuse. Pour
les mareros, éviter aux autres de se perdre comme eux.
Mais ils pointent une difficulté majeure pour changer de vie : les gangs
existent, c’est évident, mais ils servent souvent de boucs émissaires aux
exactions de la police et de l’armée. La corruption couvre l’ensemble.
Les jeunes se retrouvent coupés de tout soutien, familial ou institutionnel, les
« amis » des gangs semblent une béquille indispensable. Alors, en sortir…
Ce qu’en dit lui-même un témoin
Pages 214-215, un membre de gang résume sa prise de conscience :
« Au lieu de suivre mon exemple, il vaut mieux faire des études et se fixer
des objectifs pour ne pas se tromper de chemin. Moi, je me suis égaré, et
regarde où je suis maintenant : en taule. La plupart de mes homeboys sont
morts, d’autres ont disparu. Le chemin que j’ai pris est sans retour, je le sais.
On ne m’a pas tué dehors, mais je vais pourrir ici, enfermé. »
Mais lequel de ses jeunes émules le croira-t-il ?
12 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
Force du témoignage d’Alma dans le webdoc
Pourquoi cette force ?
La frontalité rend difficile la fuite du spectateur.
La forme du webdoc permet une vision parcellaire, un itinéraire personnel,
des retours, des alternances, etc. Chacun s’approprie sa lecture.
Victime et bourreau, ambivalence des actes d’Alma. Pour ne pas être violée,
aider au viol ; pour être intégrée (et protégée), tuer, de façon particulièrement
atroce, une autre femme.
Ni tout blanc, ni tout noir : nous classons souvent les gens par catégories
bien nettes, difficile avec Alma, souffrances imposées et subies se mêlent,
nous obligeant à regarder au-delà de son seul cas. Tout le monde ne devient
pas Alma, mais pourquoi l’est-elle devenue ?
Lucidité, espoir, repentir ? Elle n’enjolive pas sa vie et ses actes et même
si nous pensons parfois qu’un peu de repentir supplémentaire serait le
bienvenu, nous ressentons de l’intérieur ce qu’elle a vécu, l’espoir qu’elle
s’en sorte. Oui, mais impunément ? Certes, elle est paraplégique, mais ses
victimes sont mortes. Mais elle a le courage de dire, de faire comprendre.
C’est à nous de devenir ambivalent. Un double basculement de sa vie :
passer de la « normalité » à la vie des gangs, puis de cette vie à une autre,
marquée par la fuite, la menace, le handicap, mais aussi l’espoir.
Les questions qui se posent ?
Sa dualité nous interpelle, par rapport à elle, par rapport à nous : qu’aurionsnous fait ? La chance et le hasard de la naissance : c’est sans doute la
question la plus forte, dans le monde d’Alma et dans le nôtre. Si nous étions
nés (nées) comme elle, serions-nous comme elle ou comme ses sœurs,
restées dans la vie sociale ? Comme ce chef d’entreprise qui vilipende le
crime et en vit ?
La force du caractère : Alma ne l’a peut-être pas eue (de notre point de
vue) avant son entrée dans le gang. Mais il en a fallu tout de même pour
supporter l’apprentissage, les raclées… Et maintenant ? Elle témoigne, mais
vit toujours dans son quartier. Tout peut la rattraper sur son fauteuil : ses
ex-amis, les proches de victimes, la justice… ?
La transmission de son expérience : ne pas en faire une curiosité exotique,
mais une réflexion sur le destin, un avertissement pour chacun. Nietzsche
encore, nous rappelle que la limite est faible entre le criminel et celui qui
lit, écoute ses « exploits ». Les actes graves qu’elle a commis : comment les
intégrer à la réflexion ?
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 13
Témoignages de l’extérieur
Qui parle ?
Des professionnels amenés à se trouver au contact de la violence ou à la
constater : assistantes sociales, procureurs, personnel hospitalier, policiers…
D’autres qui tentent, dans leur métier, de comprendre ces mécanismes :
sociologues, psychologues…
Remarque : des absents surprenants,
les représentants des religions, les politiques.
Pourquoi ?
•Faire savoir, pour empêcher.
•Faire connaître, témoigner pour trouver des solutions, pour appeler au
secours peut-être.
•Éviter que d’autres succombent à cet enchaînement.
•Éveiller les consciences.
La force de ces témoignages ?
•Leur courage
•La détermination de ceux qui n’ont plus rien à perdre
•La volonté de changement, pas forcément pour eux, mais pour les autres
•Pas de pathos, des faits, des histoires, à nous de faire les enchaînements
•Si nous voulons bien décrypter, que faire ensuite ?
Bourreaux, héros, victimes, coupables…
Tous ces témoins ne peuvent être mis dans une case bien délimitée. Ils vivent
au quotidien cette violence, plusieurs témoignages soulignent l’ambiguïté
des positions de chacun. Un membre de gang est chassé par son père
après avoir été victime d’un viol (p.74), une assistante sociale, engagée
dans des patrouilles d’auto-défense, a tué. Qui aide, qui est victime, qui est
coupable, qui contribue à ce cercle infernal ?
La Postface de G.Garrigos,
Amnesty rappelle que cela nous concerne tous, partout.
Et Nietzsche ? Où sommes-nous exactement ?
Regarder sans agir, est-ce neutre ou déjà une acceptation ?
Que faisons-nous de ces témoignages ?
14 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
Photo pages 106 - 107
L’autre Guerre,
Éd. Le bec en l’air
© 2012 Miquel Dewever-Plana
Photo pages 72 - 73
L’autre Guerre,
Éd. Le bec en l’air
© 2012 Miquel Dewever-Plana
« Chez les animaux, la femelle recherche toujours le mâle le plus fort, celui
qui est prêt à affronter n’importe qui pour la conquérir.
Les bidonvilles sont ce monde animal, une jungle menaçante, un no man’s
land sans loi ni justice, au coeur duquel les filles recherchent le mâle
dominant, qu’importe s’il est cruel, du moment que, sous sa dépendance,
elles se sentent protégées et en sécurité.
Ces garçons sont conscients d’avoir un pouvoir sexuel qui ne laisse pas
indifférentes nombre de femmes de leurs quartiers, et même certaines
jeunes filles des universités privées qui se rendent dans les prisons pour
avoir des relations avec des pandilleros.
Être dans une cellule avec un assassin tatoué de la tête aux pieds et aux
manières un peu sauvages, c’est comme frôler le danger, transgresser la
morale établie, jouer avec l’interdit. Et ce qui est interdit est érotique. »
Fabiola P. 36 ans, psychologue
Texte page 72 - L’autre Guerre, Éd. Le bec en l’air
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 15
La violence
Photos et témoignages sont marqués par la violence, envers les autres et
la société, envers soi également. Au fil des pages, une histoire se raconte.
Le webdoc opte pour une présentation frontale d’Alma : impossible
d’échapper à son discours et à la violence qui en émane, même sans que
l’on explore en même temps le bandeau offrant photos et dessins.
Dans le reportage de la revue 6 mois, des phrases lapidaires évoquent
l’histoire entourant chaque photographie. Le détachement apparent voulu
par ce format type « légende » souligne le caractère kafkaïen et inextricable
de la situation actuelle au Guatemala.
Une histoire tristement répétitive
Omniprésent, le viol, d’abord en famille
À l’exception notable d’Alma, quand les mareros se racontent, le viol est le
plus souvent le traumatisme initial. Il est commis sur l’enfant par le père ou
une figure paternelle, souvent la mère ne s’en mêle pas, l’enfant est détruit
par l’acte, par le rejet, l’impossibilité de se confier.
La famille est le lieu dangereux, elle ne protège pas, pas plus que la société,
on doit donc se trouver une autre famille, dans la rue, avec d’autres valeurs.
Si Alma échappe au viol, sa mère est battue et Alma elle-même perd un
bébé sous les coups de son compagnon. Le viol sera ensuite un mode de
pouvoir, au même titre que la violence et le meurtre. C’est pourquoi il est
systématisé pour terroriser et soumettre : pour y échapper, Alma s’en fait
complice.
Cette fréquence du viol témoigne de la désintégration de la famille : l’image
du père est très mauvaise, la mère est idéalisée (sauf quand elle devient
elle-même bourreau).
Conséquences
Facteur aggravant, la pauvreté, l’absence de travail et surtout la corruption
généralisée qui gangrène la société. Finalement, c’est la banalisation de
certains actes qui induit la perte de repères et de valeurs : la photo de la
note à l’hôpital souligne cette banalisation. La mort est partout, violente,
qui n’épargne personne. C’est le crime, l’exécution « fondée » sur une
vengeance ou une commande, mais aussi gratuite, fortuite, au hasard…
16 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
Les meurtriers comprennent qu’on les tue, pas d’issue possible. La vie
devient dérisoire par rapport à l’argent et à la puissance.
Les gangs comprennent 20 000 jeunes issus des quartiers pauvres, âgés
de 10 à 25 ans.
Comme désormais dans les conflits, le viol devient une arme pour terroriser,
sans oublier qu’il peut devenir une forme d’addiction pour certains, en tout
cas un langage alors que les mots semblent leur échapper. C’est encore
plus terrifiant.
Des planches de salut ?
L’amour de la mère est ce qui manque le plus, c’est une figure magnifiée
(y compris par l’auteur) dans tous les cas ou presque. C’est lui qui permet
parfois le salut. Pour Alma, c’est aussi le symbole de la famille qu’elle veut
recréer.
Les témoins parlent aussi du sport (la boxe), de l’art (devenir clown), d’une
fuite (feinte ?) dans la pratique religieuse ostentatoire. Certains, rares, sont
protégés par la police en tant que témoins assistés. Souvent en devenant
pères, les mareros réfléchissent, voient la haine en eux et autour d’eux. Ils
comprennent ce qu’ils ont infligé et souffrent en pensant à ce que leurs
enfants vont subir.
Alma se rapproche des valeurs qu’elle a fuies (famille) ou n’a pu atteindre
(école). Ne pas pouvoir aller à l’école a contribué à la pousser dans la rue.
Elle cherche maintenant son salut dans une nouvelle vie, des études, un
travail, un bébé peut-être, malgré le handicap.
La résilience
Cette capacité de l’être humain à dépasser les circonstances négatives, à
se construire contre ou par elles, Alma l’a, d’autres aussi, mais une aide est
nécessaire. Outre les « planches de salut », il existe des programmes de
réinsertion des ex-mareros, ce qui a permis par exemple à Alma de trouver
un travail après sa sortie du gang.
Un témoignage sur le Guatemala
Les causes propres au Guatemala
Une histoire particulière explique la violence actuelle et le déchaînement
de meurtres. Un autre facteur est l’inversion des valeurs (la police utilise
les gangs, s’en sert de bouc émissaire, mais peut aussi être à leur service).
La corruption généralisée est évidente. L’argent des trafiquants de drogue
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 17
ajoute à cette opacité. La justice faillit à ses devoirs, elle est corruptible. Les
causes sont diverses, l’exode rural vient compliquer la situation en amenant
de nouvelles populations en ville, dans les bidonvilles où se concentrent
la misère, le déracinement, le chômage… La criminalité qui se développe
semble naturelle alors qu’elle résulte de cette concentration de facteurs
défavorables.
Des mécanismes qui dérèglent encore la société :
Cependant, si la violence fait peur, elle fascine aussi et fait vendre (la presse)
et fait oublier ce qui la provoque, les responsabilités disparaissent derrière
le sensationnel. On prête aux gangs un pouvoir érotique, aux tatouages
une valeur symbolique. Le cynisme entoure ces actes : un procureur peut
affirmer qu’un enfant de mareros tué avec eux n’est pas plus mal loti, un
chef d’entreprise issu des bidonvilles et qui s’en sort peut être ravi que les
autres s’entretuent. Une assistante sociale participe à des patrouilles et tue,
comme on a tué sa sœur.
Un système parallèle de valeurs se met en place chez les mareros, cellesci sont complètement opposées aux valeurs sociales. Le mécanisme de
la violence, initiée par les pères et les beaux-pères, fait que la figure de
l’autorité devient celle de la haine, contre l’autre et contre soi. Le meurtre
vaut pour le soulagement qu’il apporte à cette haine, mais elle reste sans fin
et il n’y a donc jamais de rémission.
Cette situation finit par arranger des gens occupés à certains trafics. Cela
n’enlève pas aux mareros la responsabilité de leurs meurtres, mais renvoie à
ce et ceux qui les ont conduits là. Le racket de la police envers les mareros
entrave les enquêtes tout en exacerbant paradoxalement le sentiment
d’injustice.
Photo pages 80 - 81
L’autre Guerre,
Éd. Le bec en l’air
© 2012 Miquel Dewever-Plana
18 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
Impunité
Lutter contre l’impunité, ce n’est pas seulement réclamer réparation, c’est
tenter d’empêcher que des exactions recommencent, que des agissements
criminels soient tolérés. La victime doit se sentir en droit de demander
justice.
Impunité pour qui ?
La plainte
Pour que l’impunité cesse, il faut que des plaintes soient déposées. Or, les
témoignages, dans le livre, montrent que porter plainte revient à appeler
d’autres violences. On sait qui a tué, violé, mais on se tait. Ceux qui
veulent parler ou fuir paient le prix fort : Alicia-Alma, sur qui on a tiré, est
paraplégique, un père qui ose parler voit sa fillette tuée (p 178). Norma,
mère d’une jeune fille assassinée, se bat contre tous et d’abord contre sa
propre peur (p 70-71).
Cependant, il arrive qu’une plainte aboutisse (un grand-père qui abusait
de ses enfants et petits-enfants est condamné p 206), le témoin est parfois
protégé (p 138).
L’enquête
Dans ces conditions, les coupables directs sont souvent impunis : Alma, par
exemple, a tué à deux reprises, mais n’a été condamnée que pour détention
de drogue. Certains trouvent même que la bonne solution, c’est que les
membres de gangs s’éliminent entre eux (le chef d’entreprise, p 166).
Cependant, les prisons sont pleines, les détenus ne sont pas des innocents.
L’impunité n’est donc pas la règle, mais quand un policier avoue (p 128)
que la police et l’armée tuent, que les gangs servent parfois de boucs
émissaires, on est en droit de se demander si ce sont les vrais coupables
que l’on retrouve en prison et s’ils y sont pour les bons motifs. La torture
est utilisée (p 128-129), le racket envers les inculpés (p 150) est fréquent,
la corruption est généralisée (témoignage d’un avocat p 142). Il arrive par
ailleurs que la police soit au service des criminels (p 96).
Un chiffre : les policiers sont 10 fois moins nombreux que les agents de
sécurité privée. Les premiers devraient enquêter, les seconds ne sont pas
dans cette logique.
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 19
La recherche des coupables
Les faits sont là, on trouve en prison des gens qui ont commis des crimes.
En admettant que l’on puisse emprisonner tous les coupables des meurtres,
viols et agressions commis, il manquerait des responsables plus ou moins
indirects :
•Le père qui viole son fils : celui-ci va à son tour violer et agresser pour se
sentir un homme (p 214-215). Le fils sera arrêté, pas le père, ou très peu
sur la masse de ceux qui commettent ces incestes et agressions dans le
cadre familial.
•Les agressions inter-gangs : les viols qu’Alma aide à commettre restent
impunis (webdoc et p 108).
•La démission des adultes qui ne protègent pas les enfants, dans le cadre
familial, scolaire, social… Personne ne les inculpe.
•Les politiques et la justice : voir le témoignage de l’assistant du procureur
(p 48-49), ou celui qui dénonce (p 246) la collusion entre les politiques et
les trafiquants de drogue. Le système prospère.
•Le système dans son ensemble : la société y trouve son compte, elle y
trouve également des histoires qui la fascinent (p 52). Un étudiant (p 234235) explique la société : malade, désenchantée, fascinée par la violence
narrée dans la presse.
Quelles conséquences ?
La punition
Si l’on considère ceux qui sont en prison, la punition est réelle : la prison
est un lieu de non-droit (p 194-195, une étudiante raconte le viol collectif
subi alors qu’elle est en visite en prison), la société se désintéresse de ceux
qui ont mérité leur sort. Elle ne se préoccupe pas plus des responsables
indirects.
Ceux qui trahissent la loi des maras sont rossés, violés, voire tués. Alma a
subi la violence. Mais la punition est surtout personnelle.
La vie des mareros devient facilement un enfer : soit parce qu’ils ne peuvent
pas sortir de l’engrenage qui les a poussés vers les gangs, soit parce qu’ils
prennent conscience de leur situation et de l’impasse de leur vie, et tous
ceux qui témoignent insistent sur le fait qu’ils veulent éviter à d’autres cet
engrenage.
20 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
La rédemption est d’autant plus difficile que les membres de gangs sont
marqués, socialement, mais aussi physiquement, par leurs tatouages. Quant
à ceux qui meurent, un étudiant démontre (p.234-235) qu’ils semblent,
pour la société, mériter leur sort, alors que souvent cette même société ne
leur a laissé aucune chance.
L’impunité
Elle est donc à tous les niveaux. Les institutions sont en faillite, la société
est corrompue, la famille en déshérence, les responsabilités individuelles
ne peuvent être assumées par les petits criminels qui sont logiquement
entraînés toujours plus loin dans la violence. La culture de l’impunité est
à tous les étages de la société. À ce titre, le procès qui s’est ouvert le 30
janvier 2013 pour « génocide et crimes contre l’humanité », à l’encontre de
l’ancien dictateur guatémaltèque Efraín Ríos Montt et de l’ex-responsable
des renseignements militaires José Mauricio Rodríguez Sanchez est un
signal fort pour le Guatemala et l’Amérique Latine entière.
La faillite de l’État que souligne le livre peut être remise en question si la
volonté de changer cette culture de l’impunité s’impose. Cela suppose
des réformes de la police, de la justice (voir le témoignage p.48-19 d’un
procureur qui se méfie de tout le monde au tribunal), du système politique,
bref de la société en profondeur.
Photo pages 286 - 287
L’autre Guerre,
Éd. Le bec en l’air
© 2012 Miquel Dewever-Plana
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 21
Misère et pauvreté
La misère socio-économique est un vecteur d’inégalités, de frustrations,
mais l’État peut rééquilibrer des situations difficiles. Tous ne jouent pas ce
rôle.
Le Guatemala :
un pays marqué par les inégalités et la pauvreté
Un État égalitaire
La violence endémique à l’oeuvre au Guatemala ne peut se comprendre sans
avoir à l’esprit les grandes disparités socio-économiques et la misère qui
existent dans ce pays. Il s’agit en effet d’un État profondément inégalitaire,
dans lequel 10% de la population reçoit 44% de la richesse et où les terres
sont concentrées dans les mains de grands propriétaires terriens, de grandes
compagnies minières internationales et de cartels de la drogue. En parallèle,
51% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté et 16% subsiste
avec moins de 1 dollar par jour. L’économie repose en grande partie sur le
secteur informel, dans lequel 60% de la population guatémaltèque travaille.
Exode rural et bidonvilles
Ces éléments favorisent l’exode rural et la concentration des populations, en
particulier les plus jeunes, dans les bidonvilles. Ainsi, 42,9% de la population
vivait dans un bidonville en 2005 (49% à Ciudad de Guatemala, la capitale,
soit plus d’un 1,5 million de personnes).
Ces « quartiers » constituent des terreaux fertiles pour la violence, du fait
de l’absence de services publics, d’infrastructures de base, de travail stable
et protégé...
Le cas des Mayas
Les populations Mayas sont particulièrement touchées par l’exode rural et
sont donc très présentes dans les bidonvilles. Les Mayas sont majoritaires
au Guatemala, où ils constituent 60% de la population, mais souffrent
toujours de racisme. La guerre civile (1982-1996) les a touchés de plein
fouet, plusieurs communautés mayas en zone rurale ayant été décimées,
victimes d’un véritable génocide. Cela a provoqué leur exil vers les villes, exil
qui se poursuit encore aujourd’hui pour les raisons économiques évoquées
ci-dessus.
22 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
La famille d’Alma fait partie de ces Mayas qui ont dû quitter leur village
pour venir peupler les bidonvilles de la capitale. Ces populations, venues
d’un milieu rural et étrangères aux réalités d’une grande ville, subissent un
véritable choc à leur arrivée dans ces quartiers informels, véritables jungles
urbaines et zones de non-droit.
Stigmatisation des bidonvilles
Le lien fort entre gangs et bidonvilles
La violence des gangs est d’ailleurs intimement liée à la vie dans les
bidonvilles et, plus largement, dans les quartiers pauvres et déshérités des
grandes villes. On note ainsi que tous les mareros ou pandilleros ont passé
leur enfance dans un bidonville.
La mara, la pandilla et leur violence ont un caractère profondément
urbain, héritiers d’une culture des gangs acquise à Los Angeles par les
Guatémaltèques, réfugiés là pendant la guerre civile et renvoyés chez eux
suite aux accords de paix. Contraints de s’installer dans des bidonvilles faute
de ressources suffisantes pour aller ailleurs, ils ont ainsi fortement contribué
à implanter cette culture des gangs dans les bidonvilles guatémaltèques.
La misère : un terreau pour la violence,
la corruption et la destruction des familles
Le fait que le phénomène des gangs soit indissociable de l’existence des
bidonvilles s’explique par le lien qui existe entre misère et violence. La
misère ne mène pas fatalement à la violence mais il est plus facile d’y céder
que lorsque l’on bénéficie de meilleures conditions de vie.
Il ne s’agit pas de dédouaner les membres de gangs, encore moins de les
excuser pour leurs actes, mais de re-contextualiser leurs agissements dans
une misère sociale que peu de personnes accepteraient.
Misère, chômage et alcoolisme
Les populations vivant dans les bidonvilles sont confrontées au quotidien à
la misère et au chômage. Ce dernier a tendance à entraîner les personnes,
surtout les hommes, qui en sont victimes vers l’alcoolisme, important facteur
de violences familiales.
Ces violences sont en effet le lot quotidien de nombres de femmes et
d’enfants des bidonvilles et nombreuses sont les familles de ces quartiers
détruites par ces fléaux.
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 23
Un engrenage souvent mortifère
Le sentiment d’abandon
Outre la violence et la misère, on relève un autre élément constitutif du
cocktail explosif qui aboutit bien trop souvent à pousser les jeunes
adolescents et pré-adolescents dans les griffes des maras : le sentiment
d’abandon, très lié aux deux autres facteurs puisque parmi les éléments le
suscitant, on peut évoquer les violences familiales mais aussi l’absence des
parents, notamment des mères, du foyer, trop occupés à tenter de travailler
pour ramener quelque argent.
La volonté de revanche
Ce sentiment d’abandon peut se trouver couplé à une volonté de revanche,
ce dont témoigne l’histoire d’Alma : son voeu le plus cher était de poursuivre
l’école pour faire des études supérieures mais sa mère dut mettre fin
précocement à sa scolarisation, faute d’argent. Se sentant trahie, ne
comprenant pas (ou ne voulant pas comprendre ?) les difficultés financières
dans lesquelles se trouvait sa mère, Alma a voulu se venger en traînant dans
la rue au lieu de travailler. Réaction potentielle de beaucoup d’adolescents
mais qui, dans un bidonville guatémaltèque, finit par mener au contact de
personnes dangereuses et, peu à peu, à intégrer un gang.
Le cas d’Alma
Née dans une autre vie, dans une autre famille, Alma aurait pu poursuivre ses
études et ne serait pas, à l’heure actuelle, clouée dans une chaise roulante
avec du sang sur les mains. Cette histoire est emblématique de la réalité
d’un pays dans lequel 2,5 millions d’enfants quittent l’école prématurément,
conséquence dramatique de l’absence de politique sociale de la part d’un
pouvoir politique corrompu, pour lequel il est beaucoup plus intéressant
de faire régner la peur en rejetant la faute sur des jeunes dont la moyenne
d’âge est de 15 ans, plutôt que d’y remédier en faisant rester ces jeunes à
l’école.
Une population facile à corrompre
La misère a également pour conséquence une déliquescence de la base
des institutions et cela se retrouve bien à travers l’exemple de la police, fort
documenté dans le livre.
Les policiers guatémaltèques sont en effet sous-payés et sous-formés. Leurs
faibles salaires les conduisent souvent à ne pas se montrer à la hauteur de
leur uniforme, que ce soit par la facilité avec laquelle ils se font corrompre
24 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
ou pour leur tendance à voler des pièces à conviction telles que les portables
pour équiper leur propre ménage. Quant à leur manque de formation, il tend
à rendre fragile l’éthique d’un métier qui exige pourtant l’exemplarité. C’est
ainsi que les exécutions extrajudiciaires et les actes de torture imputables à
des policiers sont fréquents au Guatemala. Que l’on pense à l’histoire de ce
témoin placé sous protection car menacé de mort... par des policiers, qu’il
a vus commettre un meurtre, ensuite maquillé en accident.
Et ailleurs ?
Dans quelle mesure les mécanismes exposés ci-dessus se retrouvent-ils
dans d’autres pays, y compris des pays comme le nôtre, bien moins exposés
à la violence et la déliquescence des institutions, bien plus riches et dotés
de politiques sociales importantes ? Il est possible de faire un parallèle avec
certaines cités déshéritées de nos contrées qui, si elles ne sont pas des
bidonvilles où règnent misère et impunité, concentrent tout de même les
indicateurs socio-économiques les plus négatifs et tendent à être désertées
par les services publics et les commerces, car considérées comme des
zones de non-droit gangrénées par les trafics.
Photo pages 236 - 237
L’autre Guerre,
Éd. Le bec en l’air
© 2012 Miquel Dewever-Plana
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 25
Les femmes
Être pauvre, peu formé, chômeur, habiter un bidonville, se laisser tenter par
des activités illégales et dangereuses, c’est le lot de beaucoup de jeunes.
Être une fille, une jeune femme, c’est en quelque sorte une « punition »
supplémentaire.
La double-peine des femmes pauvres
Les femmes sont privées de leurs droits
Au Guatemala comme dans la plupart des pays du monde, les femmes
ne sont pas considérées comme égales aux hommes et le respect de la
personne féminine se limite bien trop souvent à celui de la mère – lorsqu’il
existe !
Les femmes ne sont pas considérées comme des êtres libres et maîtresses
d’elles-mêmes et nombre d’affaires le montrent ; ainsi, la réalité des bidonvilles
guatémaltèques est telle que, si une femme se refuse à un homme, grande
est la probabilité qu’elle soit violée ou tuée, voire les deux. C’est l’histoire
que nous raconte Norma L., dont la fille a été tuée probablement parce
qu’elle avait eu le malheur de plaire à un marero. C’est aussi ce que nous
dit Alma : « En voyant une jolie fille, mes homies n’avaient qu’une idée en
tête : la violer ».
Les filles et les gangs
Au milieu de cette jungle urbaine pleine de violence, le marero possède
un indéniable pouvoir d’attraction pour bien des filles, pour qui il incarne
la force et le pouvoir mais aussi l’interdit, qui séduit. Qu’elles se gardent
d’y céder car une fois compagnes de mareros, ces femmes se trouvent de
facto impliquées dans les activités criminelles de leur hombre, même si
elles n’appartiennent pas à la mara, et c’est d’autant plus vrai lorsque leur
homme est en prison.
Compagnes, complices, les femmes restent cependant minoritaires dans les
gangs, traversés par des valeurs relevant de la virilité la plus brutale. Celles
qui intègrent une mara le font souvent, comme Alma, pour échapper au
destin de victimes que leurs mères subissent au quotidien, un peu comme
si elles souhaitaient devenir des hommes.
Elles n’en restent pas moins des femmes, dans une société dans laquelle être
femme c’est être dominée, et à ce titre, elles subissent plus de contrôle que
26 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
les garçons, sont en permanence sous la menace du viol et leurs défections
leur sont encore moins pardonnées. Alma, par exemple, a manqué d’être
tuée par ses anciens homies. La libération d’une femme ne peut se faire
sans lutte plus globale pour la libération des femmes et c’est un combat qui
reste encore à mener dans la société guatémaltèque, comme dans d’autres.
De la violence au viol, du viol aux violences
Viols et violences dans la rue
Le viol est en effet une véritable arme destinée à reléguer les femmes dans
la sphère privée, il est l’instrument de la domination masculine et de la
domination des mareros. L’entrée d’Alma dans le gang est ainsi marquée
par son assistance au viol collectif d’une fille, qu’elle finira par tuer à la
demande de ses « homies ».
L’entrée dans le gang passe par un baptême rituel qui consiste à être tabassé
ou, dans le cas des filles, à être violées ; Alma choisit le « lynchage » pour ne
pas être considérée comme une faible femme et pour éviter le viol.
Les mareros n’ont pas l’apanage des violences sexuelles et Alma en a été
victime, de la part des policiers. Au final, Alma se fait complice de ce qui lui
fait le plus horreur, pour ne pas être celle qui se fait violer.
C’est ainsi que le cycle de la domination masculine peut se perpétuer :
par le viol, pratiqué par tous les hommes, quel que soit leur bord, et non
combattu par des femmes qui craignent trop de le subir à leur tour – ce qui
ne les empêche pas de le subir...
Viols et violences au foyer
Cela a été dit plus haut, la famille n’est pas une cellule protectrice dans bien
des histoires et les témoignages évoquant les viols dans la sphère privée
ainsi que l’inceste sont très nombreux.
À cela s’ajoutent les violences conjugales, en particulier des maris sur leurs
femmes. Alma, qui n’a pas subi d’inceste ou de viol étant enfant, a par contre
été témoin des coups que son père portait sur sa mère lorsqu’il était saoul.
C’est d’ailleurs pour ne pas subir la destinée de femme soumise de sa mère
et pour échapper à ces violences qu’Alma a fait le choix de devenir violente
elle-même. Mais on n’échappe pas à la violence en l’exerçant soi-même
et le fait d’intégrer une mara n’empêche pas d’être à son tour maltraitée
lorsque l’on est une femme. De cela, Alma en a fait l’amère expérience, elle
qui a perdu son bébé sous les coups de son compagnon. C’est d’ailleurs ce
qui a produit le déclic, l’amenant à vouloir rompre définitivement avec son
gang.
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 27
Et ailleurs ?
La domination des femmes par les hommes est une réalité quasi-universelle
d’un point de vue historique, qu’il convient de combattre sur tous les plans
et dans tous les pays.
Aujourd’hui encore en France une femme meurt tous les 2 jours et demi
sous les coups de son compagnon et nombreuses sont celles qui sont
battues et n’osent pas quitter le foyer conjugal par peur de tomber dans la
pauvreté ou de perdre leurs enfants, voire pardonnent à leur bourreau par
amour pour lui.
Aujourd’hui, toujours, ce sont quelques 75 000 femmes qui sont victimes
de viols ou de violences sexuelles chaque année en France, la majorité par
l’un de leurs proches, et l’impunité reste encore trop souvent la règle dans
un contexte dans lequel « on » reste encore trop souvent persuadé qu’
« elle l’a cherché, l’a aguiché et qu’elle n’avait qu’à ne pas s’habiller comme
ça ». Il s’agit bien du seul crime dans lequel, couramment, la victime est
considérée comme responsable de sa situation.
Ces réalités existent dans tous les milieux économiques et sociaux et ne sont
pas imputables à la misère des bidonvilles ou des quartiers sensibles ; elles
sont liées à un sentiment répandu de domination masculine, contre lequel
il convient de s’ériger quotidiennement.
Photo pages 212 - 213
L’autre Guerre,
Éd. Le bec en l’air
© 2012 Miquel Dewever-Plana
28 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
Les photos
Attention, les photos peuvent sembler dures, dérangeantes, elles le sont
parfois. Il faut donc choisir les photos et le public, en fonction des objectifs
à définir.
Quelques techniques du photographe
L’Autre guerre est un texte, un recueil de photos et la synergie des deux,
sans oublier la résonance avec le webdoc. Ici, les photos témoignent
de la maîtrise du photographe, des cadrages, choix esthétiques, choix
thématiques, « montage » du livre, alternance avec les textes. Certaines
sont terribles, d’autres d’une grande beauté, parfois les deux aspects se
superposent.
Les photos ont aussi leur autonomie, on peut les regrouper selon quelques
aspects, un peu arbitraires. Nous vous proposons un choix, à adapter à
l’âge du public (certaines montrent une réalité dure). Ce choix est arbitraire
en excluant certaines photos, en choisissant par exemple le bidonville des
pages 44-45 et non une autre vue. Il est aussi une invitation à revenir sur
ces photos, à les interroger.
Les premières pages et le dégradé
•Comment se réalise le dévoilement ? Pourquoi une double page noire à la
suite de cette sorte de révélation ? On nous oblige à regarder, à chercher,
au-delà des apparences, mais tout de suite, un avertissement (la phrase
de Nietzsche) : le danger du regard, pourtant nécessaire.
•Pages 44-45, une double page montre le bidonville dévoilé. A remarquer :
la palette des couleurs, la lecture de l’urbanisation ou de son anarchie, la
présence des câbles en premier plan.
Un art du cadrage et de la composition
Parfois, les photos semblent prises vite, avec un recul, dû à une volonté de
ne pas s’imposer, de ne pas trop mettre en lumière. Le résultat sert pourtant
le projet du photographe :
Il peut ainsi cacher pour mieux dévoiler
Voir les photos des pages 14-15, 130-131, 60, 264-265. Le regard hésite,
doit se renouveler régulièrement. Page 14, nous cherchons à apercevoir le
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 29
cadavre entre les deux silhouettes massives du premier plan. C’est presque
un trou de serrure, nous sommes un peu le badaud ou même le voyeur.
C’est le photographe qui interroge son statut, mais nous aussi.
La variation sur les plans permet aussi de s’interroger
•Pages 32-33, la scène du crime est délimitée par une bande jaune,
des numéros jaunes à terre. Au fond, des badauds, au premier plan,
des cadavres. Tout est à décrypter et nous y parvenons (la télévision et
ses « polars » nous aident), mais le photographe oppose aussi ceux qui
sont hors du périmètre et ceux qui sont dedans. Or, « dedans », il y a le
photographe, les morts… et nous. Et « dehors », peut-être des proches,
des voisins, les criminels ?
•Ce n’est pas toujours si net, et le jeu des plans pages 154-155 suggère
au contraire une proximité avec ces deux mareros dont nous sommes en
théorie si éloignés. Les couleurs, un certain flou, des torses nus, un décor
intérieur… là aussi nous sommes devenus voyeurs.
•Pages 152-153, on peut aussi spéculer sur le nombre de personnes saisies
par l’image, dans et hors du cadre. Ce premier plan « intrusif » se retrouve
pages 42-43 : les jambes d’un militaire entourent (emprisonnent ?) un
groupe de personnes, l’avion à gauche devient insignifiant alors qu’il est
essentiel.
La contre-plongée appuie des effets
•Elle accentue par exemple (pages 56-57) la composition pyramidale de la
famille et suscite une angoisse diffuse. La mère (enceinte ?) dont la tête
est hors cadre, le père inquiet, l’enfant caché dans ses bras, cela laisse
attendre le pire.
•Même technique pages 84-85, un effet similaire : le détenu tend le bras
vers le haut et le dehors, mais la grille le renvoie à sa condition. Même la
plongée peut être angoissante (p 168-169) avec la vue de deux jeunes
montant dans un bus : le contexte (racket dans les bus) fait écho au
procédé.
Un parti-pris de photos obliques est à noter
•Parmi d’autres, les pages 106-107 présentent Alma-Alicia dans une
redondance d’obliques (fenêtre, miroir, fauteuil, lit, photo) qui reflète,
comme le miroir, la vie de la jeune femme qui a basculé.
•Même déséquilibre, même basculement, pages 110-111, avec en outre
une plongée très marquée vers le cadavre, relégué au second plan, alors
que les chaussures, incongrues, occupent le premier plan.
30 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
Les changements de perspective
•Ils nous bousculent aussi, mais le photographe y parvient aussi pages
102-103 par exemple, avec une composition respectant la perspective
la plus classique. Les procédés qu’il utilise sont ainsi liés au sujet, au
moment, plus qu’à un artifice.
•De même, quand il semble mettre ses personnages en scène, on comprend
vite que c’est la confrontation entre le personnage et le « décor » qui
est l’essentiel : la belle pose pages 56-57, le baiser pages 72-73, dans
les deux cas, le sujet réel, ce sont les barbelés omniprésents ou la grille
discrète, c’est l’histoire que raconte cette confrontation.
•À cet égard, les pages 210-211 instaurent une séparation des espaces
dans une petite maison qui nous raconte une histoire de mal logement,
de dignité, de volonté de vivre normalement, un face à face interrogateur
qui nous interroge à notre tour.
Des photos empreintes de réalisme
•Cela peut sembler étonnant en raison du sujet, mais beaucoup de photos,
même liées à la réalité la plus cruelle, la plus sordide, évoquent des formes
artistiques, une certaine poésie. Pourtant, certaines nous rappellent que
nous sommes dans l’évocation d’un réel très dur.
•Le livre montre un nombre impressionnant de cadavres, nus, vêtus ou
enveloppés de draps ou de sacs plastiques, dont on rappelle le lien avec
les sacs poubelles. On peut le voir pages 38-39 où 4 cadavres en sacs
attendent on ne sait quoi. Peu visible d’abord, le petit sac à droite souligne
que les enfants sont souvent des victimes.
•Pages 188-189, on atteint le sommet avec la mention « SVP, en emportant
votre cadavre, prière de prendre aussi le sac plastique, merci » : sac,
cadavre, c’est pareil, anonyme, bon à jeter. Les cadavres sont même
mélangés aux ordures (236-237) ou près des poubelles (66-67, 124-125).
Quand il n’est pas dans un sac, le mort peut être recroquevillé (p.80-81).
•D’autres thèmes connaissent aussi un traitement réaliste (prostitution,
arrestations…).
Un thème omniprésent : le regard
Forcément, le regard des personnes photographiées amène à se poser la
question du regard du photographe sur elles et du nôtre sur le résultat.
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 31
Quel regard posons-nous sur ces photos ?
•La première séquence de photos s’articule autour de l’enterrement d’une
fillette. Pages 20 à 23, sa mère et des enfants regardent le fond du cercueil
que nous apercevons aussi. Un jeu de regards circule dans la photo, entre
la scène et le photographe, entre la photo et nous.
•C’est l’abîme dont parle Nietzsche dans la phrase initiale : comment
calculer notre regard pour qu’il ne soit pas celui d’un voyeur, pour qu’il ne
se détourne pas, pour trouver la bonne distance ? On peut faire la même
démarche pages 114-117 et 120-121, dans les regards des prostituées,
des clients…
Que nous montrent ces regards ?
•Les sentiments aperçus sont souvent négatifs, comme la peur (pages
186-187) du jeune homme coincé entre deux agents, dans la même
configuration que le cadavre de la page 14, comme une préfiguration de
son destin. Peur de la fillette dans son lit rose (p.200-201) ou de la femme
battue (212-213).
•Un regard nous saisit, celui du brancardier menant une blessée aux
urgences (p.122-123), son angoisse devient la nôtre.
•Des sentiments plus tendres émergent cependant, l’amour maternel
(p.196-197), la sérénité pas encore affirmée du clown qui est sorti
symboliquement du bidonville (p.280-281).
D’autres sont ambivalents
•Ces hommes tatoués qui nous regardent dans les yeux, à travers l’objectif,
que veulent-ils nous dire ? Pages 182-183, 46-47, ils semblent avoir perdu
toute expression et le plus saisissant pour nous, page 256, ne nous offre
son regard qu’à travers le prisme d’un morceau de miroir, et de la photo,
naturellement. Qui interroge-t-il ? Sa vie, son destin, le monde… ?
•Alma-Alicia, pages 106-107, offre la même interrogation : dans le miroir,
son regard se baisse, se cherche, elle qui nous livre sa vie la plus intime
se dérobe ici. Dans le documentaire, c’est pourtant elle qui saura le mieux
exprimer ce que cherchent tous ces regards.
La beauté, l’esthétique des photos
Les photos sont celles d’un photographe de talent. Il joue de temps à autre
avec le flou, un mauvais cadrage apparent, un premier plan éclipsant le
sujet de la photo, etc. Mais c’est un jeu, d’autres photos atteignent une
beauté qui rend un peu de leur dignité aux personnes photographiées,
souvent des victimes.
32 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
La peinture classique s’insère dans ces pages si contemporaines
Pages 20-21, les trois personnes autour du cercueil baignent dans une
atmosphère de clair-obscur. On pense au Caravage, dont la vie fut en son
temps presque aussi agitée que celle d’un marero, dans le portement de
cadavre (p.94-95), à Vermeer avec ce portrait d’une jeune femme devant sa
fenêtre (p.198-199), à la peinture hollandaise avec Alma face à son miroir
(106-107).
Les thèmes évoqués nous suggèrent
des rapprochements parfois surprenants
•La jeune femme contemplant son bébé (p.196-197) rappelle de
nombreuses maternités du Moyen Age ou de la Renaissance.
•Un blessé à l’hôpital, et voici une leçon d’anatomie ou un Christ (p.224225), voire une descente de croix (p.226-227), les gestes et attitudes se
répondent entre la peinture traditionnelle et les photos.
•Loin de choquer, ces rapprochements amènent un peu de sérénité dans
cet univers. Nous trouvons aussi des natures mortes (p.62-63).
Mais les photos sont souvent belles, en elles-mêmes
•D’un décor sordide lié à des crimes, le photographe fait une scène
pyramidale, construite (p.92-93) dont nous nous surprenons à étudier les
proportions en oubliant le sujet.
•Devant des soldats, nous oublions la démonstration de force (p.136137), devant cette nature morte (p.282-283), les reflets sur le sac nous
font oublier un instant ce qu’il contient. Page 229, un moment d’intimité,
de silence, de sérénité, avec le flou dû à la buée de la douche, et nous
apercevrons la grâce possible.
•Cette grâce, nous la percevons dans le paysage au fil à linge (p.288-289),
calme et beau, au-delà du malheur. Le vide glacé de l’hôpital (p.230-231)
nous ramène, lui, au désespoir.
Mention spéciale pour quelques photos
Le photographe a saisi plusieurs hommes tatoués, mais trois des photos
s’imposent par leur beauté, due à divers éléments dont le cadrage, les
couleurs, le point de vue, beauté qui transcende tout ce que le discours
environnant a pu nous apprendre sur ces personnages.
Les photos leur offrent une sorte de rédemption, dans cette petite série :
le tatoué au rideau (p.46-47), le tatoué au miroir (p.256-257), le tatoué au
judas (p.258-259).
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 33
C’est encore une construction en abyme : ces trois objets évoquent la
peinture classique de portrait, mais il s’agit de criminels. Les tatouages sont
une forme d’art, la photo les immortalise, leur fonction criminelle s’estompe.
Il ne s’agit cependant pas de nier ce que sont ces hommes, mais de rappeler
que, même si leurs vies ont dérapé, ils restent des hommes.
Des photos à portée symbolique
Dans un choix encore aléatoire et non exhaustif, voici des photos qui
s’érigent en symboles.
L’inceste
Il est montré par un garçon manipulant deux poupées (un homme / un
enfant sans sous-vêtement) face à un miroir (p.203-204). L’horreur atténuée
est sans doute encore plus dure pour nous.
La famille
Elle est cependant vue aussi comme un espoir, mais les menaces planent
sur l’image (p.50-51).
La police
Elle est saisie dans des tâches symboliques, brûlant la drogue (p.244-245),
ramassant des cadavres dans la nuit (p.98-99). Parmi de nombreuses
photos, celle des pages 162-163, floue, prise d’un peu loin, près d’une
tôle qui coupe le champ, dans la nuit, semble « volée » : des cadavres, des
policiers, un enfant ou une jeune fille, le malheur est symbolisé.
L’image omniprésente
Photos bien sûr, mais les tatouages qui signalent (signalaient, car ils y ont
renoncé) les mareros sont très nombreux. Pages 266-267, le marero qui
pose, yeux clos, tatoué, près d’un grand Christ aux yeux également clos,
nous transmet son désespoir, son abandon ou… ? Les mareros disparaissent
derrière leurs tatouages, qui deviennent des identifiants : images de femmes
suggestives, peintures murales « sataniques », tatouage avec une madone
rayonnante, tout ceci est présent pages 74-75, le marero se présente même
de dos, les images étant l’essentiel pour le qualifier. Même chose pages
108-139, le visage est de face, mais flou, les photos plus crues étant nettes,
de même que les dessins.
La chosification
Un bras, de mort (étiquette) ou de blessé (tuyau), nous ramène à la fin
violente des mareros ou de leurs victimes, ils deviennent comme des objets,
des silhouettes anonymes (p.174-175).
34 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
Deux photos symboliques se répondent
Un marero en prison, son visage et ses tatouages se confondant presque
aux dessins sur le mur, parmi lesquels des masques, le marero sortant à
demi de sa cellule (p 276-277). Il regarde vers le haut et la gauche, la
photo est saturée, les couleurs grises. Un autre marero (p.280-281) lui est
opposé : couleurs vives du costume de clown, regard vers la droite et le bas,
vers le bidonville dont il a pu éviter la malédiction, espoir d’une vie autre.
Quelques principes
de regroupement des photos et de travail à mener
La notion de série
La série implique qu’on s’intéresse à diverses photos traitant d’un même
thème, mais en cherchant la logique du montage du photographe. C’est un
travail surtout centré sur les visuels. En fonction de l’âge, on peut s’attacher
à différentes séries :
•Les tatouages, les femmes, la prison, les enfants… Elles sont nombreuses.
•On peut choisir d’étudier une série, en cherchant les ressemblances,
dissemblances, leur rapprochement dans les « chapitres » du livre ou au
contraire leur éloignement.
•On cherche alors les visées du photographe : pourquoi cette série ? Ce
montage ?
•Et notre regard ? Comment évolue-t-il d’une photo à l’autre ? Quelle histoire
nous racontent ces photos ?
•Retour éventuel à la phrase de Nietzsche : est-elle pertinente ici ? Éclairet-elle le propos ou le trouble-t-elle ?
•Peut-on imaginer une série similaire, dans un autre cadre, un autre pays ?
Que choisir de montrer ?
La notion de thème
Le travail peut être proche du précédent, mais on s’intéresse ici davantage à
ce que nous apprennent les photos. Les thèmes peuvent se retrouver dans
des photos qui ne constituent pas des séries.
Par exemple, la photo d’Alma-Alicia appartient au thème des femmes, des
gangs, des victimes, des témoins… Elle se trouve dans une série sur les
femmes, les mareros, la prostitution, alors qu’elle n’est pas une prostituée.
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 35
L’articulation avec le texte
En combinant les photos et les textes, séparés ou en marge des photos, une
interaction se fait, qui nous permet de mieux saisir les problèmes dans leur
ensemble. La série sur l’enterrement de la petite Laura inaugure le livre,
le mouvement de recul est fréquent à ce moment. Si nous le dépassons,
le texte nous rappelle la situation du pays, Laura est une des nombreuses
victimes d’une guerre qui la dépasse complètement. Et la série suivante
nous montre d’autres victimes, qui ont pu tuer à leur tour, peut-être pas.
À nous de réfléchir sur l’histoire que nous raconte ce montage.
Le portrait
Les portraits sont emblématiques, anonymes, ils témoignent, comme
beaucoup de textes. Ils témoignent de leurs malheurs, certes, mais aussi
de ceux qu’ils infligent et surtout du malheur de leur pays. Peu importe leur
identité, quand nous refermons le livre, nous avons des visages en tête, qui
disent le désespoir pour la plupart, mais aussi la lucidité et l’espoir. Pour
autant, ce ne sont pas de simples symboles, mais des êtres de chair. Leur
souffrance devrait devenir la nôtre pour que quelque chose change, enfin.
La mise en perspective
Elle n’est pas dans les photos, mais dans leur agencement, dans le montage
qui nous guide. Ainsi, les pages 94-95 évoquent Le Caravage, la beauté et
l’horreur se mêlent. Pages 98-99, nous avons à peu près la même scène,
les mêmes personnages, mais le corps nu évoquant une descente de croix
est remplacé par un sac poubelle contenant un corps, le même peut-être.
Rien n’est dit, mais la mise en parallèle se fait là.
Nous sommes guidés par la mise en page, les rapprochements, les séries,
mais c’est à nous d’ajouter l’essentiel : faire des connections, faire émerger
le sens, les conséquences et implications de ce qui nous est donné à voir.
36 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
Pistes
pédagogiques
Ce livre peut être abordé de multiples façons, de nombreux thèmes sont à
exploiter, de nombreux fils à tirer. On peut le prendre comme un tout, qui
doit être lu du début à la fin : cela implique un travail au long cours avec
les jeunes. On peut aussi n’en prendre que des extraits, pour un travail plus
court.
Une approche large pour un public divers
Ce livret propose de s’intéresser :
•Au fond : la violence des gangs au Guatemala.
En faire ressortir les ressorts, mettre en perspective avec d’autres réalités,
lointaines mais aussi plus proches, réfléchir à ce que nous pouvons faire
face à cela.
•À la forme : travail sur l’articulation webdoc/livre.
Peut-on voir l’un sans lire l’autre ; sur la pertinence et le choix
des supports utilisés : le film pour le témoignage, le livre pour un
tableau plus large, l’intérêt du webdoc pour resituer un témoignage
dans son contexte ; pourquoi la photo plutôt que le film ? Etc.
Ce travail peut également se faire avec le reportage de 6 mois: pourquoi
cette sélection de photos plutôt qu’une autre ? Sur quoi a-t-on décidé de
mettre plus particulièrement l’accent, avec les deux témoignages extraits du
livre qui font suite au reportage photos ?
Avec quel public ?
•Un public assez âgé, à partir de 16-17 ans (correspond à 1ère / terminale)
•Des étudiants dans des filières techniques (BTS, IUT), souvent curieux
d’approches moins scolaires des problèmes du monde
•Des étudiants en master de communication, de journalisme : avec eux, un
travail sur la forme retenue semble particulièrement intéressant
•Une approche par le fond peut être intéressante avec des étudiants de
filières humanitaires, sociales et également sciences politiques.
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 37
Certains parcours peuvent ne nécessiter qu’une utilisation du webdoc tandis
que d’autres doivent se faire avec le livre, voire avec les deux. L’articulation
livre/reportage est également intéressante. Au moins 2 ou 3 séances de
travail sont nécessaires pour une exploitation réussie de ce projet. Mais c’est
un projet qui se prête également particulièrement bien à un investissement
dans la durée.
Proposition de parcours
S’informer, chercher des éléments
•Chercher des informations globales sur le Guatemala
•Regarder le webdoc. Idéalement, il faudrait que chaque personne puisse
le regarder devant un ordinateur, à son rythme, plutôt que de le projeter
sur grand écran ; le webdoc est en effet conçu pour que chacun le regarde
à sa manière et au rythme qu’il souhaite ; en outre, le site propose aussi
des « mini-exposés » sur les différentes thématiques qui sont faits, là
encore, pour être regardés au rythme que chacun souhaite.
•Lire des articles de presse relatant des événements pouvant être mis en
résonnance avec ce qui est décrit dans le livre/le webdoc : articles sur
Marseille, sur le Venezuela, l’Afrique du Sud, etc.
•Si le travail est fait sur le livre, une partie du groupe peut regarder le
webdoc, tandis que l’autre regarde le livre (si la lecture se fait en séance
de travail, l’organisateur aura pris le soin d’identifier des témoignages clés
avant la rencontre, car le livre est très dense).
•La reconstitution peut se faire ensuite en petits groupes, dans lesquels on
trouvera à la fois des gens ayant étudié le webdoc et d’autres ayant lu le
livre.
Synthétiser et discuter
Les étudiants sont invités à choisir :
•Une photo
•Si le travail est fait sur le livre, un témoignage
•Un passage du témoignage d’Alma
En petits groupes, ils expliquent leur choix aux autres. Est-ce que certaines
photos / certaines parties de témoignages reviennent plus souvent que
d’autres ? En fonction de quoi le choix s’est-il fait ? L’esthétique ? Le contenu
horrible ? L’émotion ? Etc.
38 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
Approfondir
Faire un remue-méninge pour dégager les principaux thèmes
On demande aux élèves / étudiants de dire ce qui les a marqués ou de
dire des mots, des expressions, qu’ils relient spontanément au livre. Les
réponses sont notées par le modérateur au tableau, qui les organise par
grandes thématiques afin de cadrer le travail de débat et de réflexion.
Partir d’extraits du livre
•Cynisme, ironie, franchise ?
« Vous croyez vraiment que nous pouvons obtenir des renseignements
confidentiels sur l’organisation des pandillas en leur demandant « Excusezmoi jeune homme, si cela ne vous dérange pas trop, pourriez-vous
m’expliquer pourquoi vous dépecez les femmes ? Pourquoi vous assassinez
des familles entières ? Pourquoi vous éliminez les chauffeurs d’autobus ? »
Bien sûr que non ! Pour obtenir ces informations, nous les soumettons à « la
question », aux bonnes vieilles méthodes utilisées dans le passé, comme
la torture et les exécutions extrajudiciaires. » (témoignage d’un officier de
police, p.128)
Cet extrait renvoie à la question de la torture : est-il nécessaire / obligatoire /
acceptable de torturer pour obtenir des informations ? Est-ce efficace, est-ce que
ça permet de condamner les criminels ? Qu’est-ce qui est efficace ?
•Machiavélisme ?
« Pour beaucoup de membres de l’oligarchie guatémaltèque, il est utile
de maintenir ce niveau de violence dans le pays afin de garder le peuple
soumis puisque paralysé par la peur » (point de vue d’un sociologue, p.41)
Rôle et responsabilité de l’État dans la propagation d’un état de violence.
Discussion sur une éventuelle perversion de sa mission de protection des citoyens
(ici, on envisage des citoyens de seconde zone et des oligarques).
•Stigmatisation ?
« Je considère cependant que ce genre de presse est excessivement
néfaste pour la société, car elle stigmatise un phénomène et une population
qu’elle maintient dans un état de psychose permanent. » (point de vue d’un
psychologue, p.52)
Réflexion sur le rôle des médias / à mettre en résonnance avec nos médias, en
France et en Europe : comment sont médiatisés les banlieues et autres quartiers
sensibles en France ? Quels thèmes sont mis en avant ? Travail possible : faire
une revue de presse sur le sujet ; reprendre les articles qui ont pu paraître lors
d’émeutes urbaines, voir les titres, examiner le vocabulaire
(le terme même d’« émeute urbaine »).
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 39
S’intéresser à la forme
Les apports des différentes formes utilisées
Livre, webdoc, documentaire... Ce travail a ceci d’original qu’il utilise
simultanément trois supports différents, en partant du même contenu brut.
Il s’agit donc d’un projet idéal pour s’interroger sur les apports, les limites et
la pertinence de supports différents.
La discussion peut s’engager sur cette base, avec des questions telles que :
quelle est la plus-value de chaque support ? L’un d’eux semble-t-il dégager
plus d’émotions ? D’informations ? Etc.
Dans l’articulation livre/reportage de la revue 6 mois, plusieurs photos
marquent car l’histoire dévoilée par le reportage n’est pas nécessairement
celle que l’on imaginerait en la découvrant dans le livre, entre différents
témoigagnes. L’exercice de comparaison entre la projection et la réalité
est intéressant à faire, comme amorce pour la réflexion, notamment sur la
photo de l’homme serrant une petite fille contre lui avec une femme à ses
côtés (p.135 Revue 6 mois, p.50-51 dans le livre) ou celle de la jeune fille
priant à côté d’un berceau (p.134 Revue 6 mois, p.196-197).
L’histoire du clown (p.132 Revue 6 mois, p.278-281 livre) et celle de la
petite Laura (p. 126-129 Revue 6 mois, p.14-31 livre) sont également
intéressantes à reprendre et ce d’autant plus qu’ils font déjà objets de
témoignages dans le livre, ce qui n’empêche pas pour autant d’apprendre
de nouveaux éléments sur leur histoire dans la Revue 6 mois.
Les photos
Voir la section consacrée aux photos pages 29 à 36.
La posture du photographe
•Le photographe s’est trouvé aux prises avec des réflexions éthiques
dérangeantes sur ce qu’un photographe peut ou ne peut pas faire.
Exemple pris dans le livre : p.100-101, il dit ne pas oser prendre en photo
les yeux du petit Juan qui vient de mourir et qui semble lui demander
dans une prière muette de respecter sa dignité.
•Cela peut être mis en résonnance avec d’autres photos célèbres qui ont
créé des débats sur le rôle du photographe, comme celui de la petite
Colombienne enlisée, morte sous les caméras et objectifs de la presse
mondiale, ou bien l’exécution sommaire en pleine rue d’un officier viêtcong par le chef de la police sud-vietnamienne en 1968. Photographier
Kim Phuc, fuyant les bombardements au napalm, au Viet Nâm en 1972
ou la secourir ? Les deux ? Où s’arrête la « neutralité » du photographe ?
40 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
Mise en perspective et en résonnance
Les mécanismes pour le Guatemala
Comment agir à notre échelle pour que ce qui se passe au Guatemala ne se
passe pas dans notre propre société ?
Faire une enquête sur un point sensible de notre société
Choisir un quartier difficile, une ville ou une région touchée par des
phénomènes de violence, la dérive possible des 900 000 jeunes qui, en
France, en 2013, ne sont, ni étudiants, ni travailleurs (le Monde, juin 2013),
les violences envers les femmes et les filles…
Cette enquête peut recueillir des témoignages, articles, livres, films,
reportages… et se mène de préférence en petit groupe.
Synthétiser ce qui a été recueilli
On propose ensuite à l’ensemble du groupe une synthèse sous forme de
montage visuel, d’affiche, d’article, au choix.
Travail collectif
On peut alors établir une comparaison entre ce que l’on a appris sur le
Guatemala et ce que l’on voit dans les différentes enquêtes. Mesurer l’écart,
les différences entre les diverses situations.
Vers l’action
Il est difficile d’en rester là et, en pensant à Nietzsche (citation liminaire),
aller vers l’action, comme cela est proposé plus bas.
Agir, ici et ailleurs
Ce reportage est essentiel pour ouvrir le regard sur une situation précise,
révoltante. Mais comment agir face à ce que le reportage nous expose ?
Informer, c’est militer
Au sein du lycée, de l’université, le groupe peut organiser une action
d’information et de sensibilisation en lien avec ce reportage : écriture d’un
article dans le journal de l’institution, organisation d’une conférence en
faisant venir le photographe, d’une exposition avec des photographies tirées
du livre.
Commission éducation aux droits humains
L’autre guerre - Alma - 41
Au-delà du Guatemala : l’action dans une association
•Au niveau local
La situation guatémaltèque peut sembler lointaine ; pourtant, certains des
éléments de cette mécanique sont déjà à l’oeuvre à quelques pas de chez
nous, dans les « quartiers sensibles ». De nombreuses associations se
battent au quotidien pour faire reculer la violence, les trafics et la pauvreté de
ces quartiers, pour donner à tous des perspectives d’avenir et la possibilité
de se réaliser. Rejoindre une de ces associations est une façon concrète de
lutter contre ce phénomène.
•Au niveau international
L’enfermement d’individus dans des cycles infernaux de pauvreté, de
violence, de corruption, d’impunité se retrouve malheureusement dans
beaucoup d’autres endroits tout autour de la planète. Beaucoup de ces
situations sont d’abord et avant tout dues aux violations des droits humains.
Être privé du droit de se loger, d’aller à l’école, de s’exprimer librement...
Tout cela favorise la pauvreté et la pauvreté est un terreau fertile pour la
violence, le crime et la corruption. Se battre pour que les droits humains
soient respectés partout dans le monde, c’est aussi se battre contre ça.
Rejoindre une ONG comme Amnesty, la soutenir financièrement, signer ses
pétitions... sont autant de façons de s’impliquer pour que ce qui existe au
Guatemala n’existe plus nulle part.
Conclusion
Tout notre travail de militant / éducateur / défenseur des droits humains est
résumé dans ce livre : savoir ouvrir les yeux, oser regarder ce qui dérange
et agir pour que cela change.
Photo pages 196 - 197
L’autre Guerre,
Éd. Le bec en l’air
© 2012 Miquel Dewever-Plana
42 - L’autre guerre - Alma
Commission éducation aux droits humains
Contacts
Odile de Courcy
Éducation aux droits humains - Pôle Vie militante
Tél : 01 53 38 65 14 (sauf mercredi)
[email protected]
Commission éducation aux droits humains
[email protected]
Amnesty International
76, boulevard de la Villette - 75940 Paris cedex 19
http://www.amnesty.fr/
Contact local :
L’autre guerre - Miquel Dewever-Plana,
Éditions Le bec en l’air,
Alma une enfant de la violence,
Miquel Dewever-Plana & Isabelle Fougère