Les Justes suisses

Transcription

Les Justes suisses
Les Justes suisses
Des actes de courage méconnus
au temps de la Shoah
François Wisard
Sommaire
Introduction
3
I. Les Justes
5
II. Les actions des Justes suisses
12
II.1. A la frontière suisse après l’Anschluss
de l’Autriche
12
II.2. En France
18
II.3. En Belgique
51
II.4. Dans le Reich allemand
53
II.5. A Budapest
58
II.6. Prague et la Pologne, lieux d’action de Justes
fameux ayant un lien étroit avec la Suisse
77
III. Notices biographiques
80
IV. Sélection bibliographique
97
Table des matières
112
Introduction
«La lutte contre la barbarie la plus dévastatrice de l’histoire de l’humanité fut la
vraie bataille de la Seconde Guerre mondiale. La perdre aurait privé le monde
de toute raison de vivre. Cette bataille fut gagnée par les Justes des Nations. Ils
ont offert la vie à leurs protégés, la survie au monde et une raison de vivre à
l’humanité.»
Lucien Lazare, Le Livre des Justes. Paris, Lattès, 1993, p. 233.
L’
histoire des Justes constitue une des pages les moins
connues de la Shoah. En ayant sauvé des Juifs au péril de
leur vie, tout en n’étant eux-mêmes pas juifs, ils ont maintenu la flamme de l’espérance et de l’humanité au milieu d’une
Europe en proie à la folie destructrice des nazis et de ceux qui les
soutenaient.
La Suisse compte une soixantaine de Justes. Leurs actions valent
donc d’être mieux connues. D’être méditées aussi, afin de nous
aider, où que nous nous trouvions, à refuser le racisme et la persécution de l’Autre.
Cette publication est éditée par la Coordination Intercommunautaire Contre l’Antisémitisme et la Diffamation. Fondée en 1990, la
CICAD lutte contre toutes les formes d’antisémitisme, veille à l’application de la loi suisse contre le racisme, se consacre au devoir
de mémoire lié à la Shoah et défend l’image d’Israël lorsqu’elle est
diffamée.
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Après une première partie sur les Justes et la façon dont on peut
écrire leur histoire, la publication offre trois entrées sur les Justes
suisses:
• thématique, avec une présentation des actions des Justes dans
leur contexte historique;
• biographique, avec de brèves notices offrant un aperçu de la
vie des Justes et un résumé de leurs actions de sauvetage;
• bibliographique, avec une présentation des sources utilisées
et des possibilités d’approfondir tel ou tel thème; la structure
de la bibliographie commentée reprend celle du volet thématique.
Le lecteur peut aborder un volet indépendamment des deux
autres. Les volets ont toutefois été conçus comme complémentaires et comportent un dispositif de renvois internes. Ainsi, dans le
volet thématique, les noms des Justes faisant l’objet d’une notice
biographique sont marqués en gras et chaque notice s’achève par
l’indication de la section du volet thématique où l’action du Juste
est présentée de manière plus détaillée et dans son contexte historique.
I. Les Justes
I.1. Qu’est-ce qu’un Juste?
Le Juste des Nations, ou Juste parmi les Nations est une personne
non juive honorée par le mémorial Yad Vashem pour avoir sauvé
des Juifs durant la Shoah, ou pour leur avoir apporté une aide alors
qu’ils étaient impuissants ou menacés de mort ou de déportation.
Le titre est décerné sur la base de critères précis: le sauveur a mis sa
vie en danger ou il a du moins pris des risques réels pour sa sécurité ou sa liberté; il a agi de manière désintéressée, sans rechercher
d’intérêt financier; enfin, son sauvetage ou son aide est confirmée
par les personnes sauvées, voire attestée par des témoins directs
ou des documents d’archives authentiques.
Les Justes ne constituent qu’une petite fraction des personnes qui
ont porté secours aux Juifs. D’abord, des Juifs ont sauvé leurs frères, notamment dans des filières d’évasion. Ensuite, des personnes ont porté secours à des Juifs sans que des traces subsistent, les
témoins, notamment les personnes sauvées, ayant disparu.
D’autres enfin ont fait preuve d’un grand dévouement à l’égard des
persécutés, dans des camps par exemple, sans que cela constitue
une action de sauvetage ou sans que des propositions de nomination aient été présentées. Gertrud Kurz, surnommée la «mère
des réfugiés», ou encore le pasteur Paul Vogt ont fait preuve d’un
immense dévouement pour les réfugiés juifs en Suisse, mais leur
action ne remplissait pas les critères de reconnaissance du Juste.
Surnommé «le sauveur de Mauthausen», Louis Haefliger a ob-
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1. Yad Vashem1
Mémorial des héros et des martyrs de la Shoah, Yad
Vashem a été établi en 1953 par une loi du parlement israélien. Situé sur une colline à l’ouest de Jérusalem, le mémorial comporte en particulier un musée et d’autres lieux
du souvenir, un centre de documentation et un institut de
recherche.
Il tire son nom du livre d’Isaïe: «Je leur ferai un monument, yad, et un nom, va-shem, qui ne seront point effacés». Donner un nom aux martyrs: une base de données
sur les victimes de la Shoah est accessible en ligne. Donner un nom aux héros: le titre de Juste parmi les Nations,
emprunté à la littérature talmudique, est décerné depuis
1963 par une commission de 35 personnes. Elle se prononce sur une proposition soumise par le Juif sauvé ou le
délégué de Yad Vashem du pays concerné.
Le Juste reçoit un certificat d’honneur et une médaille.
Ceux-ci sont remis sur place, dans le pays de résidence ou
dans celui du sauvetage. En cas de remise à Yad Vashem,
un arbre est planté en l’honneur du Juste. Depuis 1990
toutefois, faute de place, son nom est gravé sur un mur
avec le nom du pays correspondant.
La médaille comporte l’inscription suivante: «Quiconque sauve une vie, sauve l’univers tout entier». En effet,
sauver la vie d’un être humain, c’est sauvegarder toute sa
future descendance. Sauver une vie, notamment celle d’un
enfant, c’est préserver tout ce que cet être humain sera capable de donner plus tard au service de l’humanité.
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tenu en mai 1945 que le camp
autrichien lui soit remis sans
résistance et sans destruction,
malgré l’opposition initiale du
directeur du camp. 60’000 vies
furent épargnées. Plusieurs récits et un film relatent cette action. Le Suisse Louis Haefliger
ne porte toutefois pas le titre
de Juste parmi les Nations.
En vertu d’une loi de 2003, le
parlement suisse a mis sur pied
une Commission de réhabilitation2. Celle-ci peut annuler les
condamnations prononcées
pour avoir porté secours aux
personnes persécutées par le
régime nazi. Fin 2006, la Commission avait réhabilité 119
personnes. Certaines d’entre
elles sont du reste juives, comme la Genevoise Aimée Stitelmann, aujourd’hui décédée.
Un résumé de leurs actions est
disponible en ligne.
1. Les sources
utilisées dans les
encadrés ont été
regroupées en fin de
publication.
La Shoah se trouve souvent
réduite à une distinction entre
bourreaux (ou exécuteurs) et
victimes, entre Täter et Opfer.
L’existence même des Justes
– plus de 20’000 personnes honorées à ce jour – montre l’insuffisance de cette approche. Les Justes appartiennent à une troisième
catégorie d’acteurs, les témoins. Et ils y constituent une très petite
minorité. Dès lors se posent les questions suivantes: peut-on encore comprendre la Shoah en portant l’attention uniquement sur
cette infime minorité? Ne met-on pas cette poignée d’individus en
évidence pour faire oublier toutes les lâchetés, les compromissions
et l’indifférence de l’écrasante majorité?
2. www.parlament.
ch/f/homepage/koweitere-kommissionen/ko-rehab.htm.
En fait, les actions des Justes ne sauraient être isolées de leur contexte historique, celui dans lequel bourreaux et victimes ont agi. De
plus, l’héroïsme de quelques-uns n’effacera pas les manquements
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de la communauté à laquelle ils appartiennent. Les Justes suisses
sont-ils «l’honneur de la Suisse», pour reprendre le titre d’une série d’émissions radiophoniques de 1998? Il ne fait aucun doute que
leurs actions ont été honorables et exemplaires. Mais de manière
générale, ces actions ont été individuelles (abri offert à domicile hors
de Suisse, etc.) ou seule une désobéissance aux instructions reçues
de Suisse les a rendues possibles (filières d’évasion de la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants, multiplication des lettres de protection suisses en Hongrie, etc.). Ceci doit nous conduire à attribuer cet
honneur davantage aux Justes eux-mêmes qu’à leur patrie.
I.2. Pourquoi un ouvrage sur les Justes?
Il existe au moins deux raisons de s’intéresser aux actions des Justes. D’abord, ces actions ont été délaissées tant par la recherche
que par l’opinion publique. Ensuite, elles sont porteuses d’une
réelle valeur pédagogique.
«L’absence d’une histoire des Justes mutile l’histoire de la Shoah»,
rappelait en 2003 Lucien Lazare, le grand spécialiste des Justes de
France3. Et la situation n’a pas radicalement changé depuis lors.
De manière symptomatique, le Dictionnaire historique de la Suisse
en 13 volumes, en cours de publication, ne comporte pas d’article
sur les Justes.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer le peu d’intérêt accordé aux
Justes. L’un réside assurément dans la rareté des sources. En effet,
quand on prenait des risques pour aider ou sauver des Juifs – risques qui pouvaient aller jusqu’à la condamnation à mort dans des
pays d’Europe de l’Est – on se gardait bien de laisser des traces.
De plus, de nombreux Justes manifestent une forte réticence à se
mettre en avant. Ils s’étonnent souvent qu’on parle de leurs actions
tant celles-ci leur paraissent évidentes.
En Suisse comme à l’étranger, les actions des Justes sont intervenues dans un environnement de méfiance, bien plus que de
compréhension. L’après-guerre a mis en évidence les gestes de
résistance politique aux nazis plutôt que ceux de secours à leurs
victimes. Avoir sauvé des Juifs a pu signer aussi un arrêt de mort,
comme dans la Lituanie de l’été 1945 (encadré 3).
Partout, l’intérêt pour les Justes s’est porté, dans un premier
temps, sur quelques figures proéminentes. En Suisse, ces figures
furent Paul Grüninger, commandant de la police saint-galloise, et
3. Le Monde,
22 août 2003.
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Carl Lutz, vice-consul de Suisse à Budapest. Il en résulte pourtant
une illusion d’optique. En effet, parmi les Justes suisses, on compte en définitive très peu de fonctionnaires et beaucoup de femmes,
et les personnes au service de l’Eglise dépassent en nombre de
loin celles au service de l’Etat. De plus, la grande majorité des Justes suisses n’ont été actifs ni en Suisse ni même en Hongrie, mais
bien en France.
S’intéresser aux Justes répond également à un souci pédagogique.
S’ils nous enseignent quelque chose, ce n’est nullement un idéal
2. Pour un (futur) Juste, témoigner n’a rien d’habituel
Lettre manuscrite adressée par la fille d’un (futur) Juste suisse à la personne à qui
son père était venu en aide
«[…] Pour moi vous êtes B., un jeune homme à qui un jour mon papa a donné une partie de
son cœur. Il parlait souvent de vous et avec tant d’affection et peut-être aussi avec la satisfaction de
quelque chose d’accompli. Et puis vous êtes un peu pour moi la mémoire de ce qu’il a vécu pendant
la guerre. […] J’ai reçu une lettre de Yad Vashem dans laquelle on me demande en quelque sorte
de justifier la demande faite pour mon père. Je comprends cela… mais moi je ne peux rien prouver
j’étais trop jeune, j’ai oublié une partie des noms et des faits que mon père citait et c’était très rare
qu’il le fasse. Et comme vous le savez […] ce qu’il avait noté après la guerre, quelques heures avant
sa mort, il nous demandé à mon mari et à moi de tout brûler, ce que nous avons fait avec respect
et sans ouvrir un seul feuillet. Dès lors pour moi il ne reste que vous comme mémoire vivante. Je ne
veux pas aller à M. chercher des témoins, je crois que ce n’est pas ce que je dois faire. […]
Cela m’a amené plus d’une fois à faire une réflexion sur moi-même, à savoir pourquoi je tenais
à cette reconnaissance. En voilà peut-être confusément le résultat. D’abord je pense quand même
que mon papa aurait été touché par cette «reconnaissance» de ce qu’il était et de ce qu’il a fait.
Pour moi, c’est marquer dans l’histoire, dans le temps ce que papa a fait, a été. Je ne veux pas que
mes enfants, mes petits-enfants oublient comme l’horreur, l’injustice, la stupidité et tous ces mots
qui n’arrivent pas à décrire ce que l’homme est capable de faire subir à son prochain. Je ne veux pas
qu’ils oublient 40. Je veux qu’ils soient conscients que dans le monde les oppressions continuent
mais que aucun geste, aucun acte positif est inutile. Je ne veux pas faire un culte de papa.
C’était un petit bonhomme avec ses qualités et ses défauts comme tout un chacun. Mais il a fait
comme il le disait souvent «que ce que je devais faire» malgré le danger et la peur quand je le questionnais sur sa décision de rester à M. lors de la déclaration de guerre. […] Il me disait: «Comment
aurais-je pu faire autrement? C’est cela que je devais faire et pas autre chose. Comment aurais-je
pu continuer à vivre si je n’avais pas accompli mon devoir». […]
Maintenant je crois que ce qui compte, c’est que papa ait pu se regarder dans un miroir et se dire
j’ai fait avec amour ce que je devais. Je ne vais donc pas me battre pour que papa soit «reconnu»
dans ces actes, parce que les plus beaux actes d’amour sont souvent ceux dont on ne parle pas et
dont on ne connaît même pas l’existence. […]»
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inaccessible, celui du héros
3. Le destin tragique d’un Juste de Lituanie
prédestiné et de l’homme
sans défaut, mais une action
«Pendant la guerre, quatorze Juifs se rendirent dans la
à la portée de chacun. Car on
ferme de Mykolas Simelis. La plupart lui étaient inconnus.
trouve parmi eux des êtres
Il les cacha et les nourrit, lui qui avait du mal à nourrir sa
dont la conduite rappelle bien
propre famille. […] Ses enfants, dont l’aîné avait huit ans,
plus l’homme de la rue que le
virent leur enfance confisquée, parce qu’ils n’avaient pas le
saint, et même des nazis et
droit de jouer avec les enfants du voisinage. Ils étaient sans
des antisémites convaincus.
cesse obligés de rester près de la ferme pour donner l’alerte
Et s’il existe un trait commun
au cas où des visiteurs se seraient approchés. En 1944, la
entre les Justes, c’est bien leur
femme de Mykolas, Jadvyga, tomba enceinte d’un sixième
condition d’êtres humains,
enfant. Pour ne pas compliquer encore la vie à la ferme,
des êtres possédant des quaqui comptait déjà quatorze réfugiés, elle choisit d’avorter
lités et des défauts, et qui se
et mourut des complications de l’opération en avril 1944.
sont trouvés confrontés à un
Après la guerre et l’occupation de la Lituanie par l’URSS,
choix à un moment donné: un
des groupes de nationalistes lituaniens parcouraient le
choix entre le secours, l’indifpays. Ils étaient convaincus que quiconque avait sauvé
férence et la persécution. Or
des Juifs était forcément un communiste et un ennemi. En
face à ces dilemmes moraux,
juillet 1945, ils assassinèrent Mykolas Simelis. Ses enils ont opté pour l’aide et
fants grandirent dans un orphelinat.»
ont ainsi «offert la vie à leurs
protégés, la survie au monde
et une raison de vivre à l’humanité». Ainsi, c’est parce que cette
marge de manœuvre non seulement existe, mais existe en chacun
de nous que l’intérêt pour les Justes et leurs actions comporte une
dimension pédagogique.
L’enseignement sur la Shoah peut entraîner un sentiment de fatalité et d’impuissance: tout devait s’enchaîner fatalement, sans que
ceux qui ne furent ni bourreaux ni victimes – les témoins – puissent faire grand-chose, surtout à l’échelon individuel. Or intégrer
dans cet enseignement une réflexion sur les Justes, et plus généralement sur ceux qui ont porté secours aux persécutés, devrait
réduire le sentiment individuel de fatalité.
1.3. Comment écrire l’histoire des Justes
suisses?
Il existe une situation de départ idéale, ou du moins favorable: celle de l’unité des sources. Ainsi, Yad Vashem achève la publication
d’une série d’encyclopédies, composées de notices biographiques
rédigées sur la base des dossiers de nomination qui contiennent
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notamment les témoignages du ou des Juifs sauvés4; les deux
ouvrages édités par Meier Wagner sur la Suisse reposent sur les
mêmes sources, mais ils sont incomplets. Des entretiens peuvent
aussi assurer une cohérence à l’ensemble, comme aux neuf récits
de sauvetage contenus dans Verbotene Hilfe, l’ouvrage remarquable de Beate Kosmala et Revital Ludewig-Kedmi utilisé dans les
écoles alémaniques.
Dans le cas présent, la situation de départ était différente. Le délégué de Yad Vashem pour la Suisse, Herbert Herz, a aimablement
mis à notre disposition les dossiers se rapportant à la vingtaine de
propositions de nomination qu’il a soumises à Yad Vashem. Pour
les autres Justes, du reste pour la plupart décédés, il a fallu s’appuyer soit sur la littérature existante soit sur les notices des encyclopédies de Yad Vashem publiées à ce jour (Pologne, Pays-Bas,
France, Belgique, Allemagne et Autriche) qui parfois ne contiennent aucune donnée de nature biographique.
Ces notices accordent une importance centrale au moment du sauvetage, à la rencontre entre le persécuté et celui, ami ou inconnu,
qui lui portera secours. Ne serait-ce que par souci de ne pas copier
la démarche de Yad Vashem, c’est une approche différente qui a été
retenue ici. Elle insiste sur les contextes spécifiques dans lesquels
s’inscrivent ces actions de sauvetage – celui de la frontière saintgalloise en 1938 ayant peu de similitudes avec celui de Budapest
en 1944. Elle tente aussi de mettre en évidence la diversité des
actions: caches, filières d’immigration, démarches diplomatiques,
etc. Ainsi, il ne s’en dégagera pas un tableau général et cohérent,
mais plutôt une série d’éclairages sur des actions et des personnes
dont la trace a été conservée.
4. Pour une
appréciation très
critique de cette
appoche portée
par le directeur du
Centre de recherches
sur l’antisémitisme
de Berlin: BENZ,
Wolfgang, «Das
Lexikon der
Gerechten unter
den Völkern»,
Deutschland Archiv,
2/2006, pp. 553-554.
Une attention particulière a été apportée aux sources disponibles,
aux possibilités de mieux approfondir, dans un cadre scolaire par
exemple, l’étude de telle ou telle action de sauvetage ou d’aide.
C’est pourquoi la publication s’achève par une bibliographie commentée.
I.4. Qui sont les Justes suisses?
La question n’a rien de simple, sans même aborder le cas des doubles nationaux. Faut-il prendre en compte le lieu de l’action, la nationalité au moment de l’action ou encore la nationalité lors de la
remise de la médaille, voire au moment de la naissance? On doit
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constater que, dans les listes établies jusqu’ici, tous ces critères
ont été pris en compte, tour à tour ou simultanément. La plupart
des Suisses qui ont porté secours en France ont été intégrés dans
le Dictionnaire des Justes de France édité par Yad Vashem, parfois
sans indication de leur nationalité suisse, comme pour Germaine Muehlenthaler. La nationalité au moment de l’action possède
bien sûr davantage de pertinence que la nationalité au moment
de la remise; mais, il y a quelques années seulement, un couple
qui avait acquis la nationalité suisse après la guerre fut honoré à
Berne comme Juste suisse. Et où placer Bill Barazetti, surnommé le
«Schindler de Prague»? Né en Suisse, il en a perdu la nationalité à
l’âge de deux ans et n’a plus eu de lien avec notre pays; néanmoins,
invité par Yad Vashem à indiquer «son pays», ce cosmopolite a
choisi la Suisse, raison pour laquelle le mémorial le considère
comme Suisse5.
Et les femmes mariées? Les étrangères obtenaient automatiquement
la nationalité suisse par leur mariage, mais les Justes qui se sont trouvées dans cette situation (Suzanne Curtet, May Calame-Rosset) n’ont
pas été toujours considérées comme Justes suisses. A l’inverse, la Zurichoise Frieda Kobler, épouse du célèbre acteur et écrivain allemand
Toni Impekoven, a été retenue comme Juste suisse, même si son mariage lui avait fait perdre la nationalité suisse6.
Il faut insister: dans ce contexte, il n’existe pas de solution entièrement satisfaisante. D’un côté, il est indispensable de retenir des
critères identiques: c’est ce qui a été fait dans le volet biographique.
De l’autre côté, cette publication vise à éclairer des actes méconnus
bien que remarquables, et à offrir à la fois un aperçu de la variété
des actions des Justes et des pistes de recherches. C’est donc une
perspective englobante qui a été retenue dans le volet thématique.
La publication a été rédigée sur la base des informations dont disposait l’auteur fin mai 2007. Plusieurs propositions de nomination
étaient alors en cours d’examen à Yad Vashem: celle de Joseph
Spirig, passeur saint-gallois, celle d’Arthur et Wilhelmine Jaccard,
des Suisses établis dans le Jura français, et celle d’Edouard Brunschweiler, un adjoint du délégué du CICR à Budapest. Il reste possible que parmi les Justes honorés par Yad Vashem, d’autres que
ceux mentionnés dans la publication aient eu la nationalité suisse
au moment de leur action ou au moment de leur nomination…
5. Tribune de
Genève, 5 mai 1997.
Courriel de Yad
Vashem à l’auteur
du 22 août 2006.
6. Wagner, Meir,
Die Gerechten der
Schweiz. Tel-Aviv,
1999, pp. 146-148.
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II. Les actions
des Justes suisses
Les actions sont présentées selon le pays dans lequel
elles sont intervenues. Cela permet aussi d’assurer une
certaine cohérence d’ordre chronologique, le parcours
nous entraînant de la frontière avec l’Autriche en 1938
à la Hongrie en 1944.
II.1. A la frontière suisse après l’Anschluss
de l’Autriche
Depuis leur arrivée au pouvoir à Berlin en 1933, les nazis poussaient les Juifs au départ, tout en confisquant leurs biens. «L’émigration de tous les Juifs, tel était l’objectif à terme», nous rappelle
l’historien Philippe Burrin7. Après l’Anschluss de mars 1938, la majorité des quelque 180 à 200’000 Juifs se trouvant sur l’ancien territoire autrichien tenta de trouver refuge à l’étranger. Environ 50’000
d’entre eux émigrèrent, de gré ou de force, durant les huit premiers
mois. Entre 5’500 et 6’500 arrivèrent en Suisse, doublant ainsi le
nombre d’émigrants dans notre pays.
7. BURRIN, Philippe,
Hitler et les Juifs.
Genèse d’un génocide. Paris, Seuil, 1995,
p. 43 (coll. Points).
Le président Roosevelt invita 33 Etats à une conférence pour tenter
de trouver une solution internationale, incluant les pays dit de destination, soit les pays d’outre-mer, aux problèmes posés par cette
émigration massive, mais aussi pour satisfaire l’opinion américai-
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ne. Les Etats-Unis avaient fait clairement savoir que les participants ne seraient pas tenus d’accepter plus d’immigrants que ne
le prévoyait leur législation et que, pour leur part, ils n’augmenteraient pas leur quota annuel d’immigration, fixé à environ 27’000
pour l’Allemagne et l’Autriche. La Suisse, comme les autres pays
européens, avait réaffirmé qu’elle resterait un pays de passage, ou
de transit, pour les émigrants. La conférence qui s’est finalement
tenue à Evian en juillet 1938 n’a donc débouché, sans surprise, sur
aucun résultat substantiel.
La Suisse pratiquait elle aussi une politique d’accueil très restrictive. Le 28 mars 1938, le Conseil fédéral imposa l’obligation du visa
d’entrée aux détenteurs de passeports autrichiens et ordonna de
ne pas en délivrer aux réfugiés qui voudraient se rendre
4. Les excuses du président en Suisse pour y séjourner ou
de la Confédération, Kaspar Villiger, en 1995
s’y fixer. L’obtention de visas
«[…] De pénibles conflits, dans le sillage de peurs démede transit était soumise à des
surées, furent aussi réglés au détriment de l’humanité. Le
conditions très sévères. L’artimbre «Juif » fut une concession, une concession contraire
rivée de réfugiés diminua raà ses objectifs, que la Suisse fit à l’Allemagne. Ce timbre,
pidement. Dès l’été pourtant,
la Suisse l’a approuvé en 1938. Nous avons autrefois fait
les entrées clandestines se
multiplièrent.
le mauvais choix au nom d’un intérêt national pris dans
son sens le plus étroit. Le Conseil fédéral regrette profonOn assista à deux processus
dément cette erreur et tient à s’en excuser, tout en restant
s’achevant par des décisions
conscient que pareille aberration est en dernier lieu inexdu Conseil fédéral qui demeucusable. […]»
rent, aujourd’hui encore, les
plus critiquées de sa politique
à l’égard des réfugiés, au côté de la fermeture des frontières en
août 1942. La première est la fermeture des frontières le 19 août
1938, la seconde, l’approbation unanime d’un accord avec l’Allemagne introduisant un tampon «J» dans les passeports des Juifs du
Reich, le 4 octobre 1938.
Fruit de discussions entamées en avril, puis de négociations, l’introduction du «J» était liée au caractère tout à fait provisoire de
la solution du visa pour les passeports autrichiens; elle n’aurait
plus d’effet dès lors que ces passeports seraient remplacés par des
passeports allemands – ce qui arriva le 15 août. Deux voies se présentaient: l’imposition générale du visa ou le signe distinctif. En
simplifiant, la Suisse hésitait à imposer le visa aux Allemands pour
ne pas indisposer le grand voisin, mais voulait simultanément empêcher l’afflux de réfugiés juifs; toujours désireux de forcer les Juifs
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à l’émigration, le Reich voulait quand même éviter l’imposition générale du visa. La responsabilité importante
des Suisses dans le choix final du signe distinctif plutôt
que du visa généralisé ne peut, aujourd’hui, plus sérieusement être contestée. La législation raciale allemande
pénétrait ainsi dans le droit suisse.
Anton Bühler
Face à la poursuite de l’immigration clandestine, le Département fédéral de justice et police convoqua une
réunion des directeurs cantonaux de police; les cantons
possédaient alors une très large compétence en matière
d’asile. Heinrich Rothmund, le chef de la Division de police, évaluait alors à 1’000 le nombre de réfugiés illégaux
présents sur sol suisse. Des positions contrastées se
manifestèrent lors de la réunion du 17 août. Le commandant de la police thurgovienne se vanta que son canton
n’abritait aucun réfugié, avant d’ajouter: Berne peut décider et ordonner ce qu’elle veut, notre canton n’acceptera aucun
réfugié! Avec les représentants bâlois et schaffhousois, deux futurs
Justes invoquèrent des motifs humanitaires pour déclarer qu’on ne
pouvait refouler tout le monde: Paul Grüninger, le commandant de
la police saint-galloise, et Anton Bühler, secrétaire du département
grison de Justice et Police.
Le 19 août, le Conseil fédéral décida toutefois la fermeture des
frontières: refoulement de tous les réfugiés se présentant sans visa
à la frontière et renvoi de tous ceux qui l’avaient franchie illégalement. Certains fonctionnaires refusèrent néanmoins d’appliquer
ces directives.
II.1.1. Des visas généreusement délivrés à Bregenz: Ernest Prodolliet
Le visa ayant été rendu obligatoire pour les détenteurs de passeports autrichiens, Ernest Prodolliet, un collaborateur du consulat
de Suisse à Saint-Louis aux Etats-Unis, dut interrompre ses vacances européennes pour renforcer l’agence consulaire de Suisse
à Bregenz à partir du 1er avril 1938. Responsable du bureau des
passeports de l’agence consulaire, il se trouva vite confronté à de
nombreuses demandes de visas.
Son activité reste mal documentée, mais on évalue à au moins
300 le nombre de visas de transit accordés à des Juifs cherchant
à gagner la Palestine ou d’autres pays. On connaît de lui toutefois
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d’autres actions: passage de la
frontière en emmenant dans
sa voiture un réfugié sans
visa, intervention auprès d’un
douanier pour qu’il laisse entrer un médecin juif, tentative
de franchir clandestinement la
frontière avec un réfugié. Cette
dernière action se solda par
des tirs allemands et l’arrestation en Suisse de Prodolliet.
Celui-ci fut ensuite rappelé à
Berne. Nommé vice-consul de
Suisse à Amsterdam en 1939,
il y aurait aussi délivré des attestations de complaisance à
des Juifs.
II.1.2. Le commandant de la police saint-galloise licencié: Paul Grüninger
s u isses
5. Rothmund se plaint des milliers de visas
délivrés dans les consulats de Suisse en Italie
«Au cours du mois d’août dernier, plusieurs cantons se
sont plaints de la présence sur leur territoire de nombreux
émigrants provenant d’Autriche et entrés en Suisse avec
des visas délivrés par nos consulats en Italie. Les plaintes
des cantons se répétant, nous avons fait savoir, le 30 août,
à nos consulats en Italie qu’ils ne devraient plus délivrer
désormais aucun visa de leur chef à des émigrants d’Autriche. […] Trois consulats surtout se font remarquer par
le nombre des visas délivrés: en effet, alors qu’à eux tous
notre Légation à Rome et nos consulats à Florence, Gênes,
Naples, Turin et Catane avaient délivré environ 250 visas,
notre consulat de Trieste en avait octroyé 450, celui de Venise 500 et celui de Milan 1’600. […]
Les faits exposés ci-dessus dénotent chez certains fonctionnaires de nos consulats à Trieste, Venise et Milan une telle
incurie (on peut se demander s’ils ont jamais lu les instructions de notre Département) et un tel dédain des intérêts de
notre pays ou alors une telle incapacité qu’à notre avis des
mesures s’imposent. En agissant comme ils l’ont fait, ils
ont non seulement causé un grand surcroît de travail aux
polices fédérale et cantonales des étrangers, occasionné des
frais supplémentaires à ces administrations et aux organisations qui s’occupent de l’aide aux réfugiés, mais surtout
ils ont contribué à aggraver les difficultés dans lesquelles
notre pays se trouve, du fait de la présence d’un trop grand
nombre d’émigrants juifs sur notre territoire».
Les deux fonctionnaires concernés du bureau des passeports du consulat général de Suisse à Milan étaient Pio
Perucchi (1870-1945) et Candido Porta (1892-1988).
Perucchi prit sa retraite fin 1938. Porta resta au consulat,
mais fut réaffecté aux affaires militaires, poste qu’il avait
déjà occupé en début de carrière.
Si, en Suisse, une figure symbolise une générosité envers
les persécutés sanctionnée
par les autorités, c’est bien
l’ancien commandant de la
police du canton de Saint-Gall.
Pourtant, rien ou presque ne
prédestinait Paul Grüninger
au rôle qu’il a joué en 19381939. Instituteur de formation,
membre du parti radical, il se
passionnait davantage pour le football que pour les activités caritatives. Il déploya l’essentiel de son activité de sauvetage après
la fermeture complète des frontières – à laquelle il s’était opposé
comme on l’a vu. Sur les quelque 450 autorisations de séjours délivrées dont la trace est conservée, 400 l’ont été après le 19 août.
15
L es
J u s t es
6. Récit de Hellmut R. de Vienne, arrivé peu
avant Noël 1938 au camp de Diepoldsau
«Après quelques jours au camp, plusieurs personnes me
conseillèrent d’écrire une lettre au commandant Grüninger. Je racontai que j’étais l’enfant de parents sourdsmuets, qui avaient vainement essayé de venir avec moi en
Suisse et qui étaient rentrés à Vienne après que j’eus réussi
à m’enfuir. Je le priai de faire tout ce qui était humainement possible pour sauver mes parents. Il m’écrivit par retour de courrier qu’il n’était pas en mesure de leur délivrer
un visa. Mais il m’envoya une «citation à comparaître»
qui leur était destinée pour une «audition» dans son bureau à Saint-Gall. Mes parents utilisèrent leurs derniers
sous pour acheter des billets de train et, grâce à ce papier
officiel, ils purent sortir d’Autriche et entrer en Suisse. Le
commandant veilla à ce que je retrouve immédiatement
mes parents et leur accorda une autorisation de séjour».
s u isses
Grüninger alla jusqu’à falsifier des documents. Il est
établi qu’il en a antidatés au
moins 67, indiquant une date
antérieure à la fermeture des
frontières et à l’ordre de refoulement. Il a fermé les yeux
devant de faux visas, envoyé
des citations à comparaître et
des invitations à des détenus
du camp de concentration de
Dachau, afin de les faire venir
en Suisse.
Malgré ses contacts avec Prodolliet, Grüninger a surtout
travaillé avec deux autres personnes: son supérieur direct,
le conseiller d’Etat socialiste
Valentin Keel, et le dirigeant
de l’aide israélite de Saint-Gall, Sydney Dreifuss. Une des conditions d’admission en Suisse, même pour un simple transit, voulait
que le réfugié ne coûte rien à l’Etat: soit il pouvait subvenir à ses
besoins, soit des œuvres d’entraide privées le prenaient en charge.
Grüninger avait donc des contacts très réguliers avec Dreifuss pour
assurer que le réfugié qu’on voulait laisser entrer ou ne pas refouler serait entretenu financièrement.
Quant à son supérieur, Paul Grüninger répéta qu’il n’avait cessé
d’agir avec son aval. Or quand sa position se fragilisa – Rothmund
réclamant chiffres et explications dès janvier 1939 –, le conseiller
d’Etat Keel ne fit guère d’efforts pour prendre sa défense. Grüninger
fut suspendu de ses fonctions en mars 1939, licencié six semaines
plus tard. En 1940, le tribunal du district de Saint-Gall le condamna
à une amende pour falsification de documents et manquement aux
devoirs de sa charge. Paul Grüninger vécut ensuite péniblement
de diverses activités avant d’enseigner à l’école primaire d’Au. Des
rumeurs de corruption et de copinage avec les nazis circulèrent.
Encore aujourd’hui, elles resurgissent épisodiquement.
Bien que déposées régulièrement depuis 1968, les demandes de
réhabilitation ont abouti seulement dans les années 1990, soit
une vingtaine d’années après sa mort. A la réhabilitation politique
(1993) ont succédé la réhabilitation juridique (1995), puis le verse-
16
L es
J u s t es
s u isses
ment par le gouvernement saint-gallois de 1,3 million de
francs à la Fondation Paul Grüninger, à titre de dommages et intérêts pour le licenciement immédiat de 1939.
Aujourd’hui, plusieurs places portent son nom. Vienne
abrite une Ecole Paul-Grüninger.
On ne peut plus déterminer le nombre de personnes qui
doivent leur entrée en Suisse à l’ancien chef de la police saint-galloise. Alors que l’encyclopédie de la Shoah
avance le chiffre de 3’6008, la Fondation Paul Grüninger parle de quelques centaines, chiffre probablement
plus proche de la réalité. Il est certain en revanche que
le comportement de Grüninger et de son supérieur à
l’égard des réfugiés a incité des douaniers et policiers
saint-gallois – comme Chritian Dutler, Karl Zweifel ou
Alfons Eigenmann – à ne pas refouler les fugitifs. Des
passeurs ont aussi été actifs à la frontière du Rheintal
saint-gallois, à l’instar de Wilhelm Hutter, Jakob Spirig et Johann
Spirig; la Commission de réhabilitation du parlement a récemment
annulé leurs condamnations.
Paul Grüninger
II.1.3. Un Juste grison: Anton Bühler
Lors de la conférence des directeurs cantonaux de police, le 17
août 1938, le juriste Anton Bühler, qui représentait les Grisons,
avait ouvertement partagé le point de vue de Paul Grüninger. Secrétaire du département grison de Justice et Police, il avait précisé
que 173 réfugiés d’Autriche avaient franchi la frontière cantonale,
bon nombre d’entre eux ayant toutefois poursuivi leur route jusqu’en France. Comme Grüninger, il ne respecta pas les directives
fédérales édictées lors de la fermeture des frontières le 19 août.
Mais lui ne fut ni sanctionné, ni même inquiété. Bien plus, lors de
la séance du 16 mai 1939 du Grand Conseil grison, un député salua
la grande compréhension dont le Département de justice et police,
en particulier son secrétaire général, avaient fait preuve à l’égard
des réfugiés politiques.
La première intervention connue d’Anton Bühler en faveur des réfugiés juifs date du 30 septembre 1938. On l’avait appelé de Martina en Engadine où quatre jeunes Juifs de Vienne s’étaient présentés à la frontière. Pouvait-on les laisser entrer, malgré les directives
fédérales? Bühler accepta. L’autorisation fut ensuite étendue aux
parents de ces jeunes. Plus de cent réfugiés, en majorité juifs, seraient arrivés aux Grisons grâce à Bühler.
17
8. JÄCKEL, Eberhard,
e.a., (Ed.), Enzyklopädie
des Holocaust. Die
Verfolgung und
Ermordung der
europäischen Juden.
Munich et Zurich,
Piper, 1995, p. 582;
www.paul-grueninger.ch.
L es
J u s t es
s u isses
II.2. En France
Les actions de la plupart des Justes suisses en France s’inscrivent
dans deux contextes: les camps d’internement mis en place début
1939 dans le Sud du pays; l’application de la «solution finale» dès
1942. A la poursuite de l’aide apportée aux internés s’est ainsi ajoutée, avec les rafles et déportations de l’été 1942, une double action de
sauvetage. Il s’agissait d’organiser des passages clandestins en Suisse et un hébergement privé ou institutionnel pour les persécutés.
Les camps d’internement français – dans lesquels furent enfermés
au total 600’000 hommes, femmes, enfants – n’avaient à l’origine
aucun lien avec la Shoah ni avec Vichy. Ils relevaient d’une logique
d’exclusion sociale. D’abord, il avait fallu placer, dans des camps
de fortune proches des Pyrénées, les milliers de républicains qui
avaient fui l’Espagne lors de la victoire de Franco début 1939. Juifs,
Roms et Sinti étaient venus les rejoindre à partir de 1940.
Les armées allemandes se lancèrent à l’attaque des Pays-Bas, de
la Belgique, du Luxembourg et de la France le 10 mai 1940. Leur
avancée fut rapide, déversant des flots de civils sur les routes. A une
résistance à outrance, le maréchal Pétain, chef du gouvernement
depuis le 16 juin, préféra demander l’armistice. Pétain laissait de
fait la Grande-Bretagne de Churchill combattre seule le Troisième
Reich jusqu’en 1941. Avec l’armistice, la France se trouvait divisée en deux zones: au Nord une zone occupée par les Allemands,
au Sud une zone dite libre avec un gouvernement établi à Vichy.
L’Alsace-Lorraine avait été rattachée au Reich, alors que les trois
départements du Nord dépendaient de l’administration militaire
allemande de Bruxelles.
Avec 300’000 Juifs en 1939, dont deux tiers vivaient à Paris, la France comptait la plus grande communauté d’Europe occidentale.
Elle représentait toutefois moins de 1% de la population et seule
la moitié possédait la nationalité française.
Pour mettre en œuvre la «solution finale», les Allemands avaient
besoin d’une collaboration française. Le «compromis» suivant fut
trouvé: police et gendarmerie françaises effectueraient les rafles,
mais celles-ci ne toucheraient pas les Juifs de nationalité française. Les deux plus grandes rafles eurent lieu en été 1942. A Paris,
les 16 et 17 juillet, près de 13’000 Juifs furent arrêtés, les familles
étant parquées au Vélodrome d’hiver, les autres envoyés au camp
de Drancy d’où ils furent tous déportés à Auschwitz-Birkenau. Si
18
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s u isses
on restait relativement loin de l’objectif visé de 30’000 arrestations, l’émotion atteignit son comble car les rafles massives intervenaient de jour, en pleine ville et n’épargnaient nullement les
enfants. Dans la zone sud, les rafles touchèrent d’abord les camps,
qui devinrent ainsi la pierre angulaire du dispositif de déportation.
La rafle la plus importante survint le 26 août.
En novembre 1942, en riposte au débarquement allié en Afrique du
Nord, les Allemands occupèrent le Sud de la France. Leurs alliés
italiens en firent de même avec une bande de terre allant de Nice à
la Savoie, mais rechignèrent à livrer des Juifs. Le répit fut de courte
durée: les Allemands occupèrent l’ensemble de la France et de l’Italie du Nord en septembre 1943. Rafles, arrestations et déportations
se poursuivirent, mais sur une plus petite échelle. Trois convois
partirent encore pour Auschwitz-Birkenau après le débarquement
allié en Normandie, le 6 juin 1944 (depuis le premier convoi parti le
27 mars 1942, il y en avait eu jusqu’alors 75). Au total, 76’000 Juifs
ont été déportés de France. Seuls 2’500 d’entre eux ont survécu.
II.2.1. Le camp de Gurs
Gurs, dans le pays basque français, abritait le camp d’internement
le plus sinistre de la France de Vichy. Baraques en bois, infestées
de vermine, sur un sol en terre que l’hiver transformait en champ
de boue. Erigé à la hâte en avril 1939 pour des républicains espagnols, il s’était quasiment vidé en automne 1940, avant de devenir
un camp pour Juifs. Y furent d’abord parqués 6’500 Juifs expulsés
du jour au lendemain du pays de Bade, du Palatinat et de Sarre.
Quelque 4’000 internés juifs transférés d’autres camps français
les rejoignirent. Les conditions d’hygiène étaient effroyables et la
nourriture manquait: une épidémie de typhus et la dysenterie emportèrent 800 Juifs le premier hiver. Gurs devint un des principaux
points de départ des convois de déportation de la zone sud. Six
convois partirent pour Drancy, puis Auschwitz-Birkenau, emportant
près de 3’900 Juifs.
A Gurs comme dans les autres camps d’internement, des œuvres
d’entraide s’efforcèrent de procurer de la nourriture et d’autres types de secours aux internés. Soucieuses de renforcer leurs actions,
ces œuvres se regroupèrent dans le Comité de Nîmes.
Deux Suisses délégués par des œuvres d’entraide passèrent plusieurs mois en 1942-1943 à Gurs et y sauvèrent des Juifs de la déportation: le théologien protestant Hans Schaffert, envoyé par la
19
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s u isses
CIMADE pour un stage de six mois, et l’abbé Albert Gross, envoyé
par l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg.
Témoin direct des déportations de 1942, Hans Schaffert écrivit à
Marc Boegner, président de la Fédération protestante de France,
pour le presser d’intervenir. Il organisa également la fuite de prisonniers vers l’Espagne ou la Suisse et leur procura de l’argent. Les
autorités françaises n’apprécièrent guère ses activités et demandèrent son rappel. De retour en Suisse, Hans Schaffert devint le
principal collaborateur de Paul Vogt, le «pasteur des réfugiés».
Arrivé en mai 1942, l’abbé Gross fut témoin du départ des six
convois de déportation de Gurs. Il cacha une quarantaine de Juifs
dans une réserve pour qu’ils échappent aux déportations. Il sauva
également Georges Vadnai (encadré 8).
L’action de l’abbé Gross ne s’est pas limitée au camp de Gurs. Il
a également organisé la traversée du Léman pour deux ou trois
réfugiés et a vraisemblable7. Le Comité de Nîmes
ment participé à la fabrication
de faux papiers. Enfin, c’est lui
Dispersées et spécialisées dans un type d’activités ou sequi a transmis à Berne la precourant une catégorie de personnes, les œuvres se trouvèmière liste de non-refoulables,
rent confrontées à une rapide dégradation de la situation
comportant 22 noms. Cette
dans les camps d’internement. En novembre 1940, elles
liste, régulièrement actualise regroupèrent dans un comité de coordination, dit Cosée, allait compter 1’460 noms
mité de Nîmes. La coordination répondait aussi au vœu
dans sa dernière version, en
du gouvernement de Vichy, soucieux de se décharger sur
août 1944. Son origine était
les œuvres d’entraide d’une aide minimale aux internés
la suivante: le pasteur Marc
qu’il n’aurait sans doute pu assurer lui-même. Les œuvres
Boegner avait convenu avec
eurent donc un large accès aux camps.
les autorités helvétiques que
Le Comité allait réunir une vingtaine d’œuvres, dont les
certains protégés des œuvres
Quakers américains, les jeunes protestants de la CIMADE
d’entraide, pour lesquels elles
(Comité inter-mouvements auprès des évacués), les Juifs de
se portaient garantes, seraient
l’OSE (Œuvre de secours aux enfants) et le Secours suisse
accueillis sans risque de refou– sur lequel on reviendra.
lement. Sur la liste qu’il allait
En règle générale, chaque œuvre disposait d’une antenne
dans chaque camp. Si certaines œuvres d’entraide ou cerfinalement transmettre, Albert
taines personnalités émergent selon le camp ou le moment,
Gross avait placé une collabol’aide aux internés fut bel et bien une œuvre collective. Il
ratrice de l’Œuvre de secours
faut conserver cette dimension à l’esprit lorsqu’on s’intéaux enfants, elle aussi détaressera plus particulièrement à certaines personnalités, les
chée à Gurs. Il passa avec elle
Justes suisses.
clandestinement la frontière
suisse en juin 1943.
20
L es
J u s t es
Si les deux hommes d’Eglise ont
été honorés par Yad Vashem,
d’autres Suisses ont porté secours dans le camp de Gurs.
Première étrangère admise, en
décembre 1940, l’infirmière Elsbeth Kasser y resta trois ans,
créant un dispensaire, ouvrant
une école avec sept classes. Les
internés, juifs dans leur grande
majorité, lui ont confié des dizaines de dessins et d’aquarelles; elle en a également achetés. Composée d’une centaine
de dessins et d’aquarelles, sa
collection constitue un témoignage unique sur la vie de Gurs.
Elle est gérée aujourd’hui par
une fondation suisse9.
II.2.2. Le Secours aux enfants et les camps
d’internés
s u isses
8. L’abbé Gross sauve le futur grand rabbin
de Lausanne
Dans la nuit du 3 au 4 mars 1943 durant laquelle 750
Juifs sont «sélectionnés» pour la déportation, Georges Vadnai doit se présenter devant la «commission de sélection».
Sa nationalité yougoslave le condamne à la déportation. Il
tente de faire admettre une nationalité hongroise, pays où
il est né en 1915, qui lui épargnerait la déportation:
«Je dois prendre place dans un groupe qui partira par le
prochain autobus pour Oloron-Drancy. […] Près de moi,
une porte s’ouvre, un curé entre. J’apprends d’un codétenu
qu’il s’agit de l’Abbé Gross […] dont les interventions
efficaces et les actions de sauvetage sont connues de tout
le monde. Sans hésitation, je l’aborde: «Mon Père, je me
présente: je suis le Rabbin Vadnai. Je sers Dieu dans un
autre temple que vous, mais j’espère que cela ne vous empêchera pas de me donner un coup de main; je viens d’être
sélectionné pour la déportation».
L’abbé parvient à le faire sortir une première fois, mais le
rabbin passe à nouveau devant la «commission de sélection»:
«Le président «sélectionneur» se tourne vers l’Abbé Gross:
Elsbeth Kasser et Emmi Ott,
Qu’en pensez-vous mon Père? L’Abbé Gross donne, évicomme Maurice Dubois, Elisademment, la réponse que j’attends de lui et qui me sauve la
beth Eidenbenz, Friedel Reiter,
vie: Pour moi, il n’y a pas de doute, il est Hongrois».
Rösli Näf, Anne-Marie Piguet,
Sebastian Steiger, Gret Tobler,
Renée Farny, August Bohny, Emma Aeppli et Walter Giannini – des
Justes suisses dont on va parler maintenant –, travaillaient pour la
Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE), ou pour les organisations auxquelles elle a succédé.
9. La fondation est présidée par Walter Schmid, dont l’épouse a édité une
brochure: SCHMID-ACKERET, Therese, Elsbeth Kasser. Ein biographisches Projekt.
[s.l.], 1999, 67 p. La collection a été exposée, depuis la fin des années 1980,
au Danemark, en Allemagne, en France et au Musée international de la CroixRouge et du Croissant-Rouge à Genève. Deux catalogues ont été édités: Gurs
ein Internierungslager in Südfrankreich. 1939-1943. Zeichnungen, Aquarelle,
Fotografien. Sammlung Elsbeth Kasser; PHILIPP, Michael (Ed.), Gurs ein
Internierungslager in Südfrankreich. 1939-1943. Literarische Zeugnisse, Briefe,
Berichte. Hambourg, 1991.
21
L es
J u s t es
9. Vers la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE)
L’origine lointaine de la CRS, SE remonte à la guerre
d’Espagne, plus particulièrement aux œuvres d’entraide
suisses regroupées dans une association faîtière, le Comité
neutre d’action pour les enfants d’Espagne. Les volontaires sur le terrain y organisaient la distribution de vivres
et l’évacuation d’enfants. Après la victoire de Franco, ils
poursuivirent leurs activités dans les camps d’internés du
Sud de la France. La guerre entraîna la dissolution du
Comité et la naissance d’une nouvelle organisation faîtière, le Cartel suisse de secours aux enfants victimes de
la guerre. Il regroupa 17 associations sur une base qui
restait privée.
En décembre 1941, le Cartel fut affilié à la Croix-Rouge
suisse, celle-ci devant assurer la direction, le financement
et le suivi des activités humanitaires du Cartel. L’affiliation
était voulue par le Conseil fédéral. Elle augmentait les ressources pour le secours aux enfants; de 29, l’effectif des collaborateurs en France passa à 150 à la fin de 1942. Elle
entraînait toutefois une mainmise de l’Etat sur les œuvres
d’entraide privées, en particulier de l’armée dont dépendait
la Croix-Rouge suisse en temps de guerre.
s u isses
Dans le Sud de la France, le
second grand camp d’internement avec Gurs était celui de
Rivesaltes, à l’autre bout de
la chaîne des Pyrénées, près
de Perpignan. Au milieu d’une
plaine aride, écrasée sous la
chaleur l’été et balayée par un
vent glacial l’hiver, le camp se
composait de baraques en ciment, celles d’un ancien camp
militaire, regroupées en une
dizaine d’îlots. Républicains
espagnols, Juifs, Sinti et Roms
y étaient enfermés. De janvier
1941 à novembre 1942, le camp
a compté en moyenne 4’300
internés. Mais là comme dans
les autres camps, le volume et
la composition de la population ont connu d’importantes
fluctuations.
Le Cartel suisse y installa un
poste de secours en août 1941,
construisit une baraque pour
mieux assurer la distribution de suppléments alimentaires,
surtout de la soupe et du riz. La première responsable
suisse était Elsie Ruth. Friedel Reiter, une infirmière née à
Vienne et arrivée en Suisse en 1920, lui succéda en 1942.
Au total, 2’300 Juifs ont été déportés de Rivesaltes entre
août et octobre 1942, en neuf convois. Friedel Reiter a soustrait des enfants juifs aux convois en instance de départ et
les a cachés dans son entrepôt de produits alimentaires.
Elle les a ensuite envoyés dans un home de la CRS, SE au
Chambon-sur-Lignon (voir infra, II.2.5). En novembre 1942,
lorsque Rivesaltes fut vidé de ses internés, elle rejoignit le
Chambon – et son futur mari August Bohny.
Elisabeth Eidenbenz
Friedel Reiter tenait un journal intime. Il ne fut publié que
50 ans plus tard, en traduction française, par les soins de l’historienne Michèle Fleury-Seemuller. La cinéaste Jacqueline Veuve en
a tiré un film.
22
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s u isses
A Elne, non loin de Rivesaltes, Elisabeth Eidenbenz, une jeune
institutrice zurichoise de retour d’Espagne, avait installé fin 1939
une maternité dans un château à l’abandon. Elle avait été témoin
des conditions effroyables dans lesquelles les femmes devaient accoucher dans les camps voisins de Saint-Cyprien et de Rivesaltes.
En règle générale, les femmes venaient à Elne un mois avant l’accouchement et repartaient au bout de deux mois. La maternité ac10. Friedel Reiter, témoin des déportations
«19 août 1942
Chaleur accablante sur le camp. Le fil de fer barbelé
tiré étroitement autour des îlots K et F est oppressant.
Les plaintes des gens tourmentés flottent encore dans
l’air. Je les vois sortir en longues files de leurs baraques
haletant sous le poids de leurs affaires. Les gardiens à
leurs côtés. Se mettre en rang pour l’appel. Attendre
des heures dans un champ exposé au soleil. Puis arrivent les camions qui les mènent vers les voies de chemin
de fer. Ils sortent des camions entre deux rangées de
gardiens et entrent, les uns hésitants, les autres apathiques, quelques-uns d’un air défiant, la tête haute, dans
les wagons à bestiaux. Cela dure des heures jusqu’à ce
que tous soient entassés dans les wagons où il fait une
chaleur étouffante. Je vois des visages connus à travers
les barreaux. Formulant encore une demande, criant Friedel Reiter
un remerciement. A chaque ouverture, deux gardiens.
J’observe les visages. Même le désespoir ne s’y trouve plus dans ces visages, vieillis, délabrés et
mornes. Du dernier wagon on entend un «au revoir». Nous nous en allons vers le camp. Le lendemain matin – il fait encore nuit quand nous nous rendons vers la voie de chemin de fer. Le train
se met lentement en marche – ils échappent à une destinée pour s’en aller vers une autre. Tout s’est
déroulé en une semaine. Il me semble que c’était un mois. […]
26 août 1942
Au lieu de 200 ce sont 600 personnes qui ont été conduites ici. Les camions arrivent l’un après
l’autre. L’Ilot K se remplit à nouveau. Quand je l’ai traversé, j’ai rencontré plein de visages connus,
des gens pour qui nous avons obtenu des libérations, qui ont vécu quelques mois heureux en liberté.
Des gens que nous avons arrachés à la mort par la faim cet hiver, que nous avons vus quitter le
camp avec bonheur. Le même sort les attend tous.
Ce soir tout un train est arrivé. Seize wagons. On sort des gens sur des civières. Il y en a qui ont
des béquilles. Une longue procession de malheureux, d’exclus. A minuit, un deuxième train est
attendu, à 5 h du matin un troisième.»
23
L es
J u s t es
11. Activités de la CRS, SE en zone sud
Les activités étaient coordonnées depuis août 1940 par
Maurice Dubois, un Biennois très tôt engagé dans le Service civil international, et par son épouse Ellen (ou Eléonore), une Américaine qu’il avait connue dans l’action
humanitaire en Espagne. Lorsque Maurice Dubois dut
quitter Toulouse pour raison de santé en juillet 1943, son
collaborateur Richard Gilg lui succéda.
Durant la guerre, six colonies d’enfants dépendaient de la
CRS, SE:
• à Pringy en Haute-Savoie depuis décembre 1940
• le Château de La Hille en Ariège depuis mai 1941,
dirigé par Rösli Näf jusqu’à son licenciement, puis par
Emmi Ott
• les Feux-Follets à Saint-Cergues-les-Voirons en Haute-Savoie depuis septembre 1941, dirigés par la Française Germaine Hommel et son adjointe Renée Farny
• au Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire depuis octobre 1941, dirigée par August Bohny jusqu’en novembre 1944
• à Faverges en Haute-Savoie depuis mai 1942
• et à Montluel dans l’Ain depuis mai 1942
Outre la maternité d’Elne, la CRS, SE a géré des pouponnières à Banyuls-sur-Mer, Annemasse et Montagnac
en Aveyron, ainsi qu’une station médicale de trois établissements à Cruseilles.
Au total, ces colonies et foyers ont accueilli 9’500 enfants,
dont une minorité de Juifs. Au moment des rafles de l’été
1942, on comptait 17% de Juifs sur les quelque 1’000
enfants dont s’occupait alors la CRS, SE.
s u isses
cueillait aussi des enfants très
malades de Rivesaltes. Jusqu’à
sa fermeture à Pâques 1944,
plus de 600 enfants y virent le
jour.
II.2.3. La colonie pour
enfants de La Hille, la rafle d’août 1942 et
l’intervention de Maurice
Dubois à Vichy
Si on s’en tient à la soixantaine de Juifs encore présents
au moment des déportations
d’août 1942, l’histoire de cette
colonie d’enfants occupe une
place marginale aussi bien
dans l’histoire de la CRS, SE
que dans celle de l’aide apportée aux Juifs se trouvant dans
les camps, foyers ou homes du
Sud de la France. Et pourtant
cette colonie gérée par des
Suisses ne comptait quasiment que des enfants juifs qui
partageaient un destin collectif depuis 1938-1939 et dont
bon nombre allaient échapper
à la déportation, en particulier
grâce au courage, à l’imagination et à l’action collective de
collaboratrices et collaborateurs de la CRS, SE.
Les enfants et adolescents qui seraient installés au Château de La
Hille au printemps 1942 venaient d’Allemagne et d’Autriche. Leurs
parents les avaient placés en 1938 dans des homes à Bruxelles pour
leur épargner les mesures antisémites dont eux-mêmes faisaient
l’objet. L’occupation de la Belgique en mai 1940 provoqua leur départ précipité pour le Sud de la France. La situation très précaire
dans laquelle ils se trouvaient, à Seyre près de Toulouse, conduisit
24
L es
J u s t es
s u isses
à leur prise en charge par le Cartel suisse en octobre 1940. Ellen
Dubois parcourut alors la région à bicyclette, à la recherche d’un
toit pour ses protégés. Elle le trouva en Ariège, dans un château inhabité depuis 20 ans de la petite commune de Montégut-Plantaurel non loin de Pamiers. Un château fortifié certes, mais en mauvais
état, sans eau ni électricité. Les jeunes, secondés par des ouvriers
espagnols, s’activèrent à sa rénovation. Bientôt toute l’équipe, soit
une nonantaine de personnes, put emménager sous la conduite
d’une nouvelle directrice, Rösli Näf, une infirmière glaronnaise
qui venait de passer plusieurs années chez le docteur Schweitzer
à Lambaréné.
Les enfants poursuivirent leur éducation en fréquentant la bibliothèque bien vite installée au château, ou, pour les plus petits,
l’école de Montégut-Plantaurel. La colonie était très bien acceptée
par les paysans du voisinage. La menace s’abattit brusquement sur
elle dans la matinée du 26 août 1942.
L’heure était très grave. 45 enfants avaient été emmenés. Rösli Näf
apprit le même jour de la préfecture de Foix (le château ne disposait pas du téléphone) que ses protégés avaient été enfermés
dans le camp du Vernet, un camp dit de redressement, mais en
25
Repas dans la cour
du Château
de la Hille
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12. La rafle du 26 août 1942 au château de La Hille
«Vers cinq heures du matin, Jean [Garfunkel] est de nouveau derrière la porte. «Il y a deux autobus sur la route, de nombreux policiers sur le chemin, et deux dans la cour.» Rösli enfile une robe
de chambre, descend toute tremblante, pousse la lourde barre de fer de la porte. Sa lampe de poche
éclaire deux gendarmes, elle lui tombe presque des mains. […] Elle remonte s’habiller, mais déjà
l’escalier est barricadé par des hommes en uniforme. Tel un monstre à vingt têtes, ils montent. A
l’étage, le chef de la gendarmerie de Pamiers tend une liste de quarante noms, ceux des enfants de
plus de seize ans et du personnel juif. Rösli éclate en pleurs et lui crie à la figure: «Vous ne pouvez
pas faire ça dans une maison de la Croix-Rouge». Lui hausse les épaules, marmonnant «Ordre».
D’un geste, il ordonne: «Allez! Tous dans la cour!».
Les hommes montent à l’assaut dans les chambres et gardent portes et fenêtres. Rösli aurait au
moins voulu prévenir elle-même les enfants, afin de leur éviter un choc. Le chef refuse. Une fois les
jeunes dans la cour, premier appel. Les Grands avaient si souvent été les témoins d’événements
tragiques qu’ils savaient que seule une attitude calme était possible à cette heure. Personne ne se
laissa aller; les dents serrées, chacun prépara sa valise. […] L’officier dit: «S’ils ont des bijoux en
or, des montres, qu’ils vous les remettent!» En un éclair, Rösli comprend: ils vont au camp de la
mort. […]
L’officier autorise encore un petit déjeuner. Puis, deux par deux, la colonne se met en marche vers
les autobus branlants. Les plus petits suivent le sombre défilé, tandis que les paysannes voisines
sont accourues et s’indignent. La directrice est effondrée, elle ne peut que sangloter. Toni, une Petite
de onze ans, glisse sa main dans la sienne, et pour la consoler: «Maintenant que les Grands sont
partis, on va vous aider!»»
l’occurrence une étape avant Drancy et Auschwitz-Birkenau. Le lendemain, 27 août, elle se rendit au Vernet, parvint à retrouver ses
protégés. Elle décida de rester avec eux aussi longtemps qu’ils ne
seraient pas libérés.
Maurice Dubois, quant à lui, s’était rendu à Vichy. Il menaça le
chef de la police de fermer toutes les maisons d’enfants de la CRS,
SE en France si les enfants juifs arrêtés n’étaient pas libérés. Ce
langage énergique fut entendu. Rösli Näf put quitter Le Vernet avec
ses protégés le 2 septembre. Pour sa part, Ellen Dubois avait fait
le voyage de Berne pour avertir la Croix-Rouge suisse, mais aussi
tenter d’obtenir une meilleure protection des enfants juifs logés
dans les homes et colonies de la CRS, SE.
La seule protection efficace aurait évidemment consisté à accueillir
définitivement ces enfants en Suisse, avec l’aval de Vichy. La question fit d’abord l’objet de discussions entre le conseiller fédéral
Eduard von Steiger, le ministre de Suisse à Vichy, Walter Stucki, et
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de hauts fonctionnaires. Conclusion unanime: «Il serait à la fois
inopportun et dangereux que la CRS, SE prenne l’initiative de
recueillir ces enfants. S’agissant d’une mesure du Gouvernement
français prise dans des conditions que nul n’ignore, une pareille
initiative serait interprétée comme une manifestation de réprobation avec toutes les conséquences qu’une telle attitude comporte»;
on écarta même l’idée d’une protestation10. Une proposition formelle d’accueil en Suisse des enfants fut soumise au Conseil fédéral, qui tarda à répondre. L’occupation du Sud de la France lui
fit perdre toute actualité, car le Reich ne délivrerait bien entendu
aucun visa de sortie à des Juifs.
II.2.4. Les passages clandestins
organisés depuis La Hille (1942-1944):
Rösli Näf, Renée Farny, Anne-Marie Piguet, Gret Tobler,
Sebastian Steiger
Au plus tard dès l’arrivée de la gendarmerie française le 26 août 1942, les pensionnaires de La
Hille surent que la colonie n’offrait pas de sécurité malgré l’emblème de la Croix-Rouge suisse.
L’occupation allemande de la zone sud accentua
encore le sentiment d’insécurité. Seules l’Espagne toute proche et la Suisse, où la plupart des
pensionnaires avaient des parrains, pouvaient
procurer un abri sûr. Dans les deux cas, le franchissement de la frontière ne pouvait se faire que
clandestinement.
La directrice Rösli Näf choisit l’illégalité sans en
informer quiconque, pas même son supérieur
Maurice Dubois. Elle organisa la fuite en Suisse
des plus de 16 ans, les plus immédiatement menacés. Peu avant
Noël, elle fit partir un premier groupe de dix en leur remettant
de l’argent. Trois prirent la direction de l’Espagne, trois celle de
Lyon pour se mettre en contact avec des passeurs, alors que les
quatre autres rejoignaient les Feux-Follets à Saint-Cergues-lesVoirons. Cette colonie de la CRS, SE était située près de la frontière. Renée Farny, adjointe de la directrice, la Française Germaine Hommel, et un jeune passeur, Léon Balland, emmenèrent
Jacques Roth et ses amis en «promenade».
27
Anne-Marie Piguet
10. Notice d’Edouard de
Haller, 2 septembre 1942.
Documents
diplomatiques suisses,
vol. 14, pp. 754-756.
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Alors que deux des trois adolescents qui avaient voulu franchir
les Pyrénées durent revenir à La Hille, la voie suisse semblait plus
prometteuse. Rösli Näf décida d’y envoyer le reste des «grands»
par groupes, à un ou deux jours d’intervalle. Or l’un des groupes ne trouva pas de passeurs à Lyon et Rösli Näf dut le rejoindre d’urgence. C’est là qu’elle
apprit que cinq de ses proté13. Jacques Roth et ses amis passent gés, à qui Renée Farny avait
la frontière
voulu faire franchir la frontière
«On nous dit que nous partions pour une promenade au
dans la nuit du 1er au 2 janvier
cours de laquelle nous étions censés cueillir du gui pour la
1943, s’étaient fait arrêter. Une
décoration de Noël de la maison. Comme de bien entendu,
d’eux, Inge Joseph, réussit à
les arbres se trouvaient justement en bordure des champs
s’échapper; Maurice Dubois,
où passaient les barbelés de la frontière avec la Suisse. Léon
alerté, parvint à obtenir la libéme dit que le sentier qui bordait les champs était régulièration d’un autre jeune, Walter
rement patrouillé par la Feldgendarmerie et qu’à l’approStrauss. Mais les trois autres
che d’une patrouille, étant visiblement le plus âgé de nous
ne purent échapper à la déporquatre et nettement plus que les autres enfants, je devais
tation. Quant à Rösli Näf, elle
grimper à un arbre pour ne pas attirer l’attention des solrentra précipitamment à La
dats qui étaient habitués à voir les enfants s’y promener réHille pour stopper toute l’opégulièrement. Ce que je fis, et la patrouille passa sans poser
ration.
de questions. Après que les Feldgendarmes eurent disparu,
La direction de la CRS, SE fut
Léon nous conduisit, au pas de course, à travers le champ
rapidement informée. Le colojusqu’aux barbelés qu’il nous aida à traverser.»
nel Hugo Remund, médecinchef de la Croix-Rouge suisse,
décida non seulement de blâmer les collaboratrices, mais de les
démettre de leurs fonctions. Il poussa le zèle jusqu’à les dénoncer
à la Croix-Rouge allemande, qui n’en demandait pas tant. La Glaronnaise Rösli Näf éprouva un tel écœurement face au comportement de ses supérieurs censés représenter la Suisse qu’elle choisit
de s’établir au Danemark après la guerre. Par modestie, elle refusa
d’abord de recevoir la médaille des Justes que Vad Vashem voulait
lui décerner en 1989. Toutefois, alors qu’elle participait à la cérémonie de remise des médailles organisée trois ans plus tard aux
Feux-Follets, elle accepta enfin de recevoir cette distinction.
La nouvelle directrice de La Hille, Emmi Ott, l’ancienne adjointe
d’Elsbeth Kasser à Gurs, reçut des consignes très strictes. De toute
évidence, elle ne pouvait entreprendre ou cautionner aucun sauvetage, sans risquer de compromettre définitivement, face à la direction de la CRS, SE, la petite colonie de l’Ariège. Ce furent toutefois
deux nouvelles collaboratrices, arrivées à La Hille en 1943, qui reprirent les activités clandestines: la Vaudoise Anne-Marie Piguet
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et la Zurichoise Gret Tobler. Pour augmenter les
chances de succès, elles accompagnèrent ellesmêmes leurs protégés jusqu’à la frontière. Un
troisième collaborateur, le Bâlois Sebastian Steiger, remit sa pièce d’identité, après en avoir changé la photo, au jeune Walter Kamlet11 qui franchit
la frontière avec Anne-Marie Piguet et les sœurs
Cordier, des Françaises.
Fraîche diplômée de l’Université de Lausanne,
Anne-Marie Piguet se porta volontaire à la CRS,
SE, avec une première étape la colonie de Montluel près de Lyon. Quarante ans plus tard, elle décrit ses sentiments: «J’arrive à Montluel en juin
1942, persuadée que je vais «secourir de petits
Français». Mais c’est l’étonnement, mêlé d’une
pointe de déception, lorsque je vois ces enfants
espagnols et juifs, pauvres innocents jetés à la
poubelle de l’histoire par la malice des temps»12.
Après un passage au siège de la délégation à Toulouse, elle arriva à
La Hille en mai 1943 pour s’occuper notamment du ravitaillement.
La situation demeurait critique: en février, la gendarmerie française avait arrêté cinq pensionnaires, dont trois avaient été déportés
(Walter Strauss se trouvait parmi eux); en juin vint le tour de trois
autres adolescents, dénoncés par le guide espagnol qui les accompagnaient au travers des Pyrénées13.
C’est à cette époque – juin 1943 – qu’Anne-Marie Piguet mit au
point sa stratégie: accompagner les enfants du point de départ au
point d’arrivée, franchir la frontière dans la seule région qu’elle
connaissait très bien, le Risoux, une montagne boisée qui borde sa
Vallée de Joux natale. Elle testa avec succès la filière pendant ses
vacances. Et surtout, elle fit la connaissance de Victoria Cordier,
agent de liaison dans la Résistance française, et de sa sœur Madeleine, qui fabriquait de fausses pièces d’identité. Les sœurs Cordier habitaient Champagnole, mais la maison maternelle se trouvait à Chapelle-des-Bois, au pied du Risoux, dans la zone interdite
qui bordait la frontière suisse sur une largeur de deux kilomètres.
Selon des témoignages, les sœurs Cordier ont fait passer en Suisse
plus de 80 personnes, juives et non juives.
La première tentative «à blanc», avec le fils d’un fermier suisse
(Hans Schmutz) qui hébergeait clandestinement des enfants de La
Hille, se déroula sans encombre. Avec l’aide de Victoria Cordier,
29
Sebastian Steiger
11. Dans son récit (Les
enfants du château
de La Hille. Bâle,
Brunnen-Verlag, 1999),
Sebastian Steiger a
changé le nom de
celui-ci en Walter
Kamel – nom repris
par le Dictionnaire des
Justes de France. Il a
également modifié le
nom d’Emmi Ott.
12. IM HOF-PIGUET,
Anne-Marie, La Filière
– en France occupée
1942-1944. Yverdonles-Bains, Editions de
la Thièle, 1985, p. 29.
13. Le récit du
quatrième adolescent,
seul survivant (Werner
Epstein), est reproduit
dans IM HOF-PIGUET,
Anne-Marie, La filière,
op. cit., pp. 145-150.
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Anne-Marie Piguet fit alors passer huit jeunes de La
Hille et la mère de l’un d’eux, la cuisinière de la colonie
dont le mari avait été déporté. En Suisse, les fugitifs
étaient pris en charge par ses parents et par des amis,
puis envoyés à l’intérieur du pays, le plus souvent à
Zurich chez le pasteur Paul Vogt.
Walter Giannini
Même si la filière était bien organisée, l’accompagnement ininterrompu et le Risoux un terrain connu, la traversée de la zone interdite, puis de la frontière restait
dangereuse. Le dernier passage – en mai 1944 – allait
le rappeler. Avec Anne-Marie, ils étaient trois au départ
de La Hille: Paul Schlesinger, sa mère Flora – à qui Mme
Schmutz voulut donner sa pièce d’identité suisse – et
Walter Kamlet – à qui Sebastian Steiger donna finalement la sienne. Trajet habituel pour le quatuor: Toulouse, Montluel, Champagnole où les rejoignirent deux
jeunes devant passer en Suisse et enfin Chapelle-des-Bois. Avec
Victoria et Madeleine Cordier, la petite équipe passa la frontière,
mais elle tomba sur un policier vaudois qui voulait la refouler…
14. Madeleine Cordier parvient à éviter le refoulement
«Fier de sa trouvaille [le gendarme Adrien Goy] se fait sévère. Madeleine, il veut l’emmener en
Suisse, et refouler les autres. Le règlement, c’est le règlement. Madeleine, courageuse, éloquente,
plaide: «Moi, descendre en Suisse? C’est impossible. On m’attend à la maison. Non, non! – Et
refouler ces pauvres personnes qui viennent du fond de l’Ariège, qui sont en danger, qui sont mortes
de fatigue, qui comptent sur vous. Vous ne pouvez pas faire ça, c’est trop cruel.» Le gendarme n’est
pas long à sentir sa résolution vaciller. «Bon, retournez sur France et moi je les descends au Brassus. Mais attention! Qu’ils ne disent à personne que je les ai trouvés près de la frontière!»»
En 2003, une plaque a été déposée dans ce lieu: l’Hôtel d’Italie, en fait une cabane forestière. «Ici,
de septembre 1943 à mai 1944, quatorze femmes, enfants, adolescents, Israélites pour la plupart,
traqués en France occupée, ont trouvé refuge grâce à Fred Reymond, Anne-Marie Piguet, Madeleine et Victoria Cordier et au gendarme Adrien Goy en poste au Brassus».
Alors que la Vaudoise faisait passer plusieurs groupes par le Risoux, entre septembre 1943 et mai 1944, la Zurichoise Gret
Tobler emmena deux jeunes filles en décembre 1943 jusqu’en
Suisse, sans le secours de personne. Les filles avaient des visas
d’entrée en Suisse, bientôt échus, mais bien sûr aucun visa de sortie. Après plusieurs tentatives infructueuses de passer à travers les
barbelés et un interrogatoire par des douaniers français, le trio atteignit le sol suisse.
30
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II.2.5. D’autres colonies de la CRS, SE: Faverges et Le Chambon-sur-Lignon
En Haute-Savoie, la CRS, SE disposait aussi d’une autre colonie,
à Faverges. Le Zurichois Walter Giannini y travaillait comme enseignant, de même que sa future épouse, Suisse elle aussi, Emma
Aeppli. La colonie comptait
plusieurs dizaines d’enfants
15. Sauvetage de Rose Spiegel dont une quinzaine de Juifs,
et Berta Silber
lesquels partirent peu à peu
«En août 1943, il ne restait plus que moi et une autre fille
chercher refuge ailleurs, comjuive, Rose Spiegel. C’est alors qu’on nous dit que, étant
me Paul Bairoch, le futur proles plus anciennes […], nous étions toutes deux invitées
fesseur d’histoire économià une fête dans une autre maison d’enfants de la région.
que. En août 1943, il ne restait
M. Giannini et Mlle Aeppli devaient nous accompagner.
que deux petites filles juives.
Nous avons pris le bus pour Annecy et ensuite le train
L’une d’elle, dont les parents
avaient été déportés, raconte
jusqu’à Annemasse. Mais au lieu d’arriver à une autre
leur sauvetage.
colonie comme annoncé, nous avons marché le long de la
frontière suisse, tous les quatre, avec interdiction de parler.
Depuis mai 1941, la CRS, SE
[…] Subitement, M. Giannini s’est arrêté, montrant un
possédait une colonie au
trou dans la clôture. Soulevant les barbelés, il nous a orChambon-sur-Lignon.
En
donné, à Rose et à moi, de passer en dessous et de courir
plein cœur du pays hugueaussi vite que nous pouvions. Après quelques minutes, M.
not, Le Chambon a joué un
Giannini et Mlle Aeppli nous rejoignirent – nous étions
rôle très important dans le
en Suisse».
sauvetage de Juifs de France,
principalement en offrant des
caches dans des institutions et chez des particuliers, mais aussi
comme point de départ de filières d’évasion vers la Suisse, notamment via Collonges-sous-Salève chez le curé Marius Jolivet.
A l’invitation d’André Trocmé, le Secours aux enfants ouvrit une
première colonie au Chambon le 16 mai 1941: La Guespy. Elle accueillit aussitôt 16 enfants sortis des camps d’internement du Sud
de la France, de Gurs en particulier. Comme celle d’autres œuvres
humanitaires représentées dans le Comité de Nîmes, la présence
du Secours suisse aux enfants s’étendit progressivement, sous la
direction du jeune instituteur Bâlois August Bohny. Une deuxième
maison d’enfants (L’Abric) s’ouvrit en novembre 1941, une troisième (Faidoli) plus éloignée du village, une année plus tard. Une
partie des enfants pouvait suivre une instruction dans des «fermesécoles» et quelques-uns pratiquer – en compagnie d’enfants hébergés par d’autres institutions – la menuiserie et le bricolage dans
l’Atelier cévenol, généralement le samedi ou pendant les vacances.
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16. Le Chambon-sur-Lignon
A ce jour, Yad Vashem a dérogé deux fois à sa règle de n’attribuer la médaille des Justes qu’à des
particuliers: pour la commune néerlandaise de Niewlande et pour Le Chambon et les communes
avoisinantes. Le nombre exact de Juifs qui y ont trouvé refuge n’est pas connu. Le chiffre symbolique de 5’000, équivalant à celui des habitants et qu’un film a popularisé, est assurément exagéré.
La mairie du Chambon a compté «chaque rescapé, chaque réfugié qui apparaît sur un document»
et en dénombre près de 3’500; quant à l’historienne Limore Yagil, elle parvient au chiffre de 900
Juifs.
Le nom du Chambon est d’abord associé à celui d’André Trocmé, pasteur de la communauté; avec
l’aide notamment de son confrère Edouard Theis, il a exhorté ses paroissiens, dès le lendemain de
l’armistice, à résister avec les armes de l’esprit. Néanmoins, au-delà de ces grandes figures, c’est
bien toute une population, jusque dans les fermes retirées de ce plateau à 1’000 mètres d’altitude,
qui a refusé de se plier à la politique antijuive de Vichy. Septante personnes qui résidaient dans
la région du Chambon ont été honorées par Yad Vashem. Parmi elles, on trouve trois Suisses: le
pasteur Daniel Curtet, son épouse Suzanne et le directeur des colonies de la CRS, SE, August
Bohny.
Fils d’un pasteur de Château d’Oex, Daniel Curtet exerça son ministère pastoral au Fay-sur-Lignon. Avec son épouse Suzanne, il hébergea temporairement des réfugiés avant de les placer dans
la communauté protestante du Chambon. Il aida également des fugitifs cherchant à passer clandestinement en Suisse. Daniel Curtet envoyait aussi des lettres codées à ses parents à Lausanne.
Ainsi, en février 1943, avec le décodage qu’en a fait Lucien Lazare:
««Ces jours, je suis un peu bousculé, surtout par le placement des livres de la bibliothèque du
Chambon sur l’éternel sujet pour lequel la région se passionne bon gré mal gré (Mathieu, 15/24).
[…] Je suis tout fier que mes paroissiens se soient montrés si pleins d’intérêt pour se genre de lecture.» Dans Mathieu 15/24, on lit: Je n’ai été envoyé qu’aux brebis égarées de la Maison d’Israël.
Chacun aura compris que la lecture de livres est l’hébergement de juifs arrivés au Chambon à la
recherche d’un refuge».
Jusqu’à l’été 1943, tous les enfants de la CRS, SE fréquentèrent les
établissements scolaires du Chambon.
August Bohny évalue entre 800 et 1’000 le nombre d’enfants qui ont
été hébergés dans ces institutions de la CRS, SE pendant la guerre
et à environ 10% la proportion de Juifs parmi eux. Il s’agissait pourtant presque toujours de courts séjours, généralement de trois à
six mois. Les trois colonies offraient environ 100 places, auxquelles
s’ajoutent les 45 d’une colonie de l’Armée du salut dans laquelle la
CRS, SE avait aussi placé ses protégés. Aucun des enfants juifs des
établissements dirigés par August Bohny ne fut réellement inquiété. Mais l’angoisse des rafles restait quotidienne. Parmi les enfants
que le Bâlois a accueillis se trouvaient ceux que lui envoyait depuis
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le camp de Rivesaltes Friedel Reiter, qui, une fois le camp vidé de
ses internés fin 1942, rejoignit Le Chambon et y dirigea Faidoli,
puis L’Abric. August et Friedel unirent leurs destinées en octobre
1944, le couple s’établit à Bâle après la guerre.
II.2.6. Filières et passages clandestins en Suisse
Les passages clandestins et les filières constituent sans doute le
domaine de l’histoire des Justes, et plus généralement de l’histoire
des secours apportés aux persécutés du nazisme, qui soulève les
problèmes d’interprétation les plus délicats. Difficultés liées aux
sources d’abord: les traces écrites contemporaines sont rares, sauf
en cas d’arrestation, et les journaux intimes exceptionnels; parmi les Suisses, nous ne connaissons que celui de Laure Francken,
rédigé en 1946.
Deuxième difficulté: l’étude des
motivations des passeurs. Durant la guerre déjà, on connaissait l’existence de profiteurs, qui
exigent un prix exorbitant mais
peuvent aller jusqu’à dépouiller
les persécutés et les abandonner
avant la frontière. S’y ajoutent
aussi les délateurs – on l’a vu avec
des jeunes de La Hille tentant de
passer en Espagne. Et pour les
autres, comment faire la part du
goût du risque et de l’altruisme?
Lorsqu’il reçoit une proposition
visant à décerner le titre de Juste à
un passeur, l’institut Yad Vashem
examine soigneusement les motivations de celui-ci, notamment
sur la base du témoignage d’une
ou de plusieurs personnes sauvées. Enfin, même si on peut reconstituer les grandes filières à la
frontière franco-genevoise – la principale concernée ici –, il reste
difficile de dépasser le stade de l’alignement d’actions individuelles et parfois collectives, bref de dégager un tableau d’ensemble
cohérent, ainsi que des chiffres précis et fiables.
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Laure et William
Francken
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Lucien Lazare évalue à plus de 2’000 le nombre de Juifs sauvés par
des filières de passage clandestin en Suisse, Limore Yagil à environ
3’00014.
La liste des passeurs honorés comme Justes suisses par Yad
Vashem est longue. Aux noms déjà rencontrés, il faut ajouter ceux
de Laure et William Francken, Emile et Lina Marclay, Marguerite
Constantin-Marclay15, Jean Bovet, Ernest Wittwer, Emile Barras,
René Nodot, Arthur et Jeanne Lavergnat, Maria Junker-Kissling et
Fred Reymond. Pour les six derniers, des activités liées à la Résistance complétaient celles de passeurs. Ainsi, Emile Barras et René
Nodot participaient à la Résistance française, Arthur et Jeanne Lavergnat lui étaient liés et Fred Reymond glanait sur territoire fran17. Les trois principales filières de passage à la frontière franco-genevoise
reconstituées par l’historienne Ruth Fivaz-Silbermann
«La première est la filière des «non-refoulables», mise en place par des organisations confessionnelles avec l’appui de la Division de police en septembre 1942, en un geste de conciliation des autorités
helvétiques face à la protestation des Eglises et de l’opinion publique. […] Selon nos recherches, au
moins 173 personnes inscrites sur la liste «ouest» des non-refoulables, sont arrivées en Suisse, la
plupart par Genève. […]
La seconde filière, extrêmement active, est le fait de quelques organisations juives ayant basculé
dans la clandestinité. Il s’agit de l’OSE (Œuvre de secours aux enfants) qui gérait de nombreuses
maisons d’enfants en France où étaient hébergés des enfants de parents déportés ou menacés et
qui dès 1943 s’employa à les mettre en sécurité en les camouflant dans des institutions religieuses
ou des familles («réseau Garel»), ou en les faisant passer en Suisse ou en Espagne; les Eclaireurs
Israélites de France (EIF), dont l’organisation clandestine était connue sous le nom de code «La
Sixième» […]; enfin le Mouvement de la Jeunesse Sioniste, dont la branche clandestine s’appelait
«Education physique». Ces trois filières, très bien organisées, ont étroitement collaboré pour faire
passer des convois d’enfants en Suisse, notamment sous la responsabilité de Georges Loinger, dont
le QG était à Aix-les-Bains. Environ 1’100 enfants juifs passèrent la frontière genevoise entre
février 1943 et juillet 1944, sans qu’aucun convoi ne soit refoulé. Leur accueil avait été négocié
avec les autorités fédérales. […] Ces organisations, actives en zone sud et en zone occupée, ont été
admirablement secondées par certains milieux chrétiens, tant protestants que catholiques. […]
Enfin, jouxtant Genève […] on trouve des prêtres et des passeurs au dévouement exemplaire:
l’abbé Jolivet, curé de Collonges-sous-Salève, l’abbé Rosay, curé de Douvaine, l’abbé Louis-Adrien
Favre, père salésien du Juvénat de Ville-la-Grand; un peu plus loin, l’aumônier Folliet, d’Annecy.
Tous collaboraient avec la Résistance et les services secrets alliés. […]
La troisième filière enfin, [la filière Weinberger], organisée par un réseau proche de la Résistance
juive de Belgique, a permis le sauvetage en Suisse, en plusieurs convois organisés, d’au moins 120
personnes venues directement de Belgique [en 1944]».
34
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çais des informations pour les services
suisses de renseignements.
Quant à Maria Junker-Kissling – à propos de qui les seules informations en
notre possession sont celles de la brève notice du Dictionnaire des Justes de
France –, elle a eu manifestement de
multiples activités, remarquables mais
méconnues. Employée de maison chez
Marcel Blum à Belfort avant la guerre, la
Suissesse Maria Junker-Kissling accompagna la famille Blum lorsqu’elle partit
pour Béziers en juin 1940, puis en Indre
où elle se mit au service de la Résistance.
A Béziers, elle travailla activement pour
l’OSE, plaçant de nombreux orphelins
dans des familles d’accueil après les rafles de 1942. Elle procura de faux papiers
à un jeune Juif et le fit porter sur son passeport suisse. De plus, nous indique le Dictionnaire des Justes de
France, elle «escorta 18 jeunes de 13 à 16 ans, pensionnaires
d’une maison d’enfants à Limoges, et leur fit passer clandestinement la frontière suisse».
Marguerite
Constantin
Nous disposons heureusement de davantage d’informations pour
les autres Justes cités, à commencer par le couple Francken dont
l’action est intervenue en septembre 1942 entre la Savoie et le Valais. Après les rafles d’août au Nord comme au Sud de la France, des
groupes de fugitifs tentaient de franchir la frontière que la Suisse
avait entièrement fermée aux Juifs le 13 août. Désespoir et crainte
permanente se lisaient sur tous les visages. Quelques fugitifs parvinrent à passer clandestinement la frontière. D’autres se virent refoulés, ce qui entraîna pour certains la déportation et la mort.
14. LAZARE, Lucien,
«Introduction» au
Dictionnaire des Justes
de France, op. cit,
p. 28; YAGIL, Limore,
Chrétiens et Juifs
sous Vichy (19401944). Sauvetage et
désobéissance civile.
Paris, Cerf, 2005,
p. 185.
William Francken, médecin à Begnins près de Nyon, et sa femme
Laure possédaient un chalet au-dessus du petit village de Novel,
véritable balcon au-dessus du lac Léman et de Saint-Gingolph. Le
couple y passait ses étés avec des voisins français, Ernest et Germaine Brouze. En septembre 1942, le chalet des Vaudois, Le Clou,
devint une étape pour de nombreux fugitifs.
15. Le couple Marclay
et leur fille ont offert
un abri à des réfugiés
juifs sur territoire
suisse – sans lequel
ils auraient été
refoulés. S’ils ne sont
pas des passeurs à
proprement parler,
ils relèvent de la
thématique du
passage.
En dépit de l’interdiction formelle de loger des Juifs, le couple
Francken non seulement ne leur ferma pas la porte de son chalet,
mais, avec l’aide des Brouze, leur procura souvent gîte et couvert,
35
L es
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18. Extraits du «Livre de bord du Clou» de
Laure Francken
«Autour de la fontaine, un spectacle extraordinaire s’offre à nos yeux. Une cinquantaine de misérables sont là,
affalés sur des cailloux. Plusieurs ont les pieds en sang,
leurs pauvres chaussures de ville n’ayant pas résisté aux
pierres du col de Neuve qu’ils viennent de franchir. […]
On entend toutes les langues possibles: l’allemand, le hongrois, le tchèque, le polonais, le hollandais. […] Nous leur
offrons de leur faire passer la frontière. Le matin même j’ai
passé sur Suisse sans encombre, entre deux tournées des
douaniers. Comme elles sont régulières, selon mes renseignements du Chalet de la Morge, il suffit de choisir le bon
moment. Dans une heure précisément, ce sera l’instant
idéal. Une dizaine de Juifs acceptent, dont ceux d’Amsterdam mis en confiance par leur langue maternelle. Les
autres se regardent avec méfiance. La vie leur a appris à
terriblement se méfier.
[…] Je découvre toute la bande tapie derrière un buisson.
[…] Alors que nous nous retournons, nous nous trouvons
nez à nez avec un douanier français qui contemple tranquillement la scène. «Eh bien, ça y est», pensons-nous. Et
nous attendons, muets, la suite des événements. Alors le
douanier secouant la tête, nous dit avec un bon accent alsacien: «Faites ça! Mais faites-le avec plus de discrétion!»
Et au bout d’un moment, il ajoute: «J’aimerais mieux faire
votre métier que le mien»».
s u isses
et même des soins médicaux.
Il en accompagna aussi jusqu’à
la frontière, au col Le Haut de
la Morge. Combien y en eutil? Selon des témoignages,
William Francken aurait aidé
à franchir la frontière dans 37
cas. Quoi qu’il en soit, la fréquence des passages au Clou
augmenta au point d’alerter la
police française, qui planifia
une intervention. Les Francken
en eurent vent et fermèrent
précipitamment leur chalet le
6 octobre 1942. A la fin de la
guerre, Laure Francken a fait
le récit de ces journées tragiques de septembre et octobre
1942 dans le «Livre de bord du
Clou» que Micha Grin a intégré dans la biographie qu’il a
consacrée récemment au docteur Francken.
Franchir la frontière était une
chose, éviter le refoulement
depuis le territoire suisse en
était une autre, surtout là où
patrouillaient les garde-frontières. En juillet 1997, la commune de Champéry dans le Val d’Illiez diffusa un avis à la population (encadré 19)
Marguerite Constantin-Marclay se manifesta. Il apparut que ses
parents, Emile et Lina Marclay, et elle-même, alors âgée de quinze
ans, avaient secouru non seulement Jesha Shapir et les six personnes qui l’accompagnaient. Quelques semaines plus tard, la famille
Marclay était encore venue en aide à un autre groupe de sept personnes, relié au premier par des liens de parenté ou de connaissance.
En septembre 1942, le jeune Bernhard Blumenkranz franchit la
frontière grâce au curé d’Archamps, le Fribourgeois Jean Bovet. Un
passage hors filière, où fugitif et futur sauveur ne se connaissaient
36
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s u isses
pas. Dans de tels cas, identifier et quantifier les passages se révèle très difficile. S’agissant de Jean Bovet, Bernhard Blumenkranz
assura avoir entendu que le curé «avait aidé à sauver beaucoup
d’autres Juifs».
Tous les autres Justes suisses ou honorés comme tels par Yad
Vashem qui ont favorisé le passage clandestin de réfugiés juifs près
de Genève – hors des filières de la CRS, SE – étaient liés à la Résistance française. René Nodot possédait la nationalité suisse par
son père, secrétaire de la colonie suisse de l’Ain, et la nationalité
française par sa mère. Né à Bourg-en-Bresse (Ain), influencé très
jeune par le protestantisme social, il se lia au pasteur de la ville, qui
cachait des Juifs et des résistants dans le clocher de son temple. Il
s’établit à Lyon en 1941 et y découvrit d’autres activités de secours
aux persécutés et de résistance, notamment en tant que «homme de
confiance» du consulat de Suisse. A ce titre, il devait apporter une
aide aux ressortissants des Etats en guerre contre la France dont la
Suisse protégeait les intérêts, en premier lieu la Grande-Bretagne,
les Etats-Unis et plusieurs Etats d’Amérique latine.
19. Jesha Sapir retrouve en 1997 ses sauveurs valaisans
«Avis de la commune de Champéry
Nous communiquons ci-après une lettre de lecteur, parue dans le magazine américain «TIME»
[…]. Le but est de favoriser la recherche de la famille champérolaine concernée. […] Administration communale.
[…] Ma famille et moi avions commencé notre fuite d’Amsterdam qui était occupé par les Nazis
en juillet 1942. Nous avions voyagé à travers la Hollande, la Belgique, la France – notamment
Vichy – et les Alpes. Après avoir gravi des montagnes un jour de septembre à midi, sans savoir que
des garde-frontières suisses étaient en observation avec leurs jumelles afin d’attraper des réfugiés,
nous avons atterri en Suisse.
Juste là, une famille suisse de Champéry nous a rencontrés par hasard. Les membres de cette
famille nous ont informés du va-et-vient des garde-frontières; ils nous ont cachés dans les bois; ils
sont venus nous chercher quand il faisait nuit; ils nous ont donné à manger; ils nous ont habillés
pour nous donner l’air de gens respectables. [Après un voyage en train] comme une famille suisse
qui s’apprêtait à rentrer à Zurich […], nous nous sommes enregistrés au Consulat hollandais et,
de la sorte, nous n’avons pas pu être refoulés.
J’ai honte de devoir admettre que je ne peux pas me souvenir du nom de cette famille. Je ne les
ai plus jamais revus. Maintenant en contraste tranchant des révélations des actes et attitudes
du gouvernement suisse, j’aimerais remercier et saluer cette merveilleuse famille suisse, pour son
comportement courageux qui a sauvé un groupe de misérables réfugiés d’être jeté dans le noir de
la «Solution finale».
Jesha Shapir – Tel Aviv»
37
L es
J u s t es
20. René Nodot organise un passage en Suisse
«Toutes mes communications téléphoniques ayant trait à
une action illégale sont établies par une postière de l’interurbain de Lyon-Franklin qui n’est autre que ma femme.
Elle s’assure chaque fois que la ligne n’est pas écoutée,
et bien entendu elle ne laisse aucune trace de la relation
qu’elle a établie. C’est toujours elle qui m’appelle, soit à
mon bureau à Lyon […], soit au domicile de mes parents
à Bourg[-en-Bresse], soit dans n’importe quel bureau de
poste de l’Ain, du Jura, ou de la Saône-et-Loire. […] J’entre dans la cabine. Alors s’établit la banale conversation
suivante:
- C’est toi?
- Oui, ne quitte pas. Je te passe Jeannot.
- Bonjour Jeannot. Comment ça va?
- Très bien Christian. J’ai donné ton petit livre à l’ami
Potot.
- Merci beaucoup. A part ça?
- Tu peux venir mardi prochain avec ton neveu.
- Entendu. A mardi.
Il faut maintenant traduire. Jeannot est le curé de Collonges-sous-Salève, en Haute-Savoie. Le petit livre représente
un enfant passé en Suisse (un dictionnaire serait un homme, une brochure une femme). L’ami Potot? J’ai eu l’idée
de traduire ainsi tout passage clandestin en Suisse. La
frontière suisse était bordée d’une haie serrée de fils de fer
barbelés tendus entre de solides poteaux de bois. Le neveu
est un homme à «passer» prochainement.»
16 NODOT, René,
Résistance non
violente 1940
– 1944. Mémoires
de René Nodot,
titulaire du diplôme
de «Passeur bénévole
de frontière». Lyon,
Faculté des lettres,
1978, p. 49.
s u isses
Pour René Nodot, l’expérience
la plus décisive fut toutefois sa
désignation comme délégué
pour l’Ain et le Jura du Service social des étrangers (SSE).
Dirigé par Gilbert Lesage, que
Yad Vashem allait honorer en
1985, le SSE s’attachait au
regroupement familial des
étrangers incorporés dans les
Compagnies de travailleurs
étrangers et à la libération des
étrangers internés dans le Sud
de la France. Une partie des
étrangers auxquels il portait
secours, René Nodot les fit
passer en Suisse entre janvier
et octobre 1943. Il en a conduit
lui-même à la frontière, près
d’Annemasse. Mais il a surtout
utilisé la filière de Marius Jolivet, curé de Collonges-sousSalève. Prudence et langage
codé s’imposaient.
Dans un cas, celui du passage
en Suisse de la petite Eva Stein
par cette filière en avril 1943,
la préparation demanda deux
mois, incluant l’apprentissage
rudimentaire du français pour
passer pour une réfugiée de
Lorraine et la fabrication de
faux papiers. René Nodot précise: «J’avais même prévu des bonbons (rarissime friandise en 43) pour occuper la bouche de la fillette au moment des contrôles allemands à Ambérieu et à Bellegarde.
La petite, j’en suis persuadé, saisissait la gravité de la situation.
Mais un mot d’enfant s’envole si vite d’une petite bouche»16.
Lors des rafles à Bourg-en-Bresse les 24 et 25 août 1943, il protesta
contre l’arrestation de personnes dont le consulat de Suisse à Lyon
assurait la protection. Après son intervention, toutes les personnes
arrêtées et rassemblées dans une école – au moins 30 Juifs étrangers – furent libérées. En automne 1943, suspecté par la Gestapo,
38
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René Nodot, par ailleurs jeune père de famille, décida de quitter le
SSE, conscient qu’il ne pourrait s’abstenir d’activités illégales s’il
y restait.
L’un des relais du curé Marius Jolivet était un couple de maraîchers
de Troinex (Genève) dont la ferme jouxtait la frontière française. A
travers un trou dans les barbelés qu’ils avaient creusé, Arthur et
Jeanne Lavergnat firent passer en douce la frontière à des Juifs,
parfois en les hébergeant. La manœuvre restait très délicate à chaque fois car les soldats allemands avaient un poste avancé non loin
de là et pouvaient observer directement les barbelés que les
Lavergnat faisaient franchir aux
persécutés.
Autre maillon d’une autre chaîne de sauvetage: Emile Barras,
ouvrier agricole à Viry près de
la frontière genevoise, né dans
le canton de Fribourg. Il faisait
passer en Suisse des enfants
juifs convoyés par des organisations juives jusqu’à la gare de Viry. L’un de ces convois, fin mai 1944,
connut une fin tragique. La gare de Viry s’était avérée dangereuse
car voisine d’un château occupé par les Allemands. La Résistance
juive opta alors pour un transport par camion pour un groupe de 26
enfants et adolescents, d’Annecy jusqu’à proximité de la frontière,
sous la conduite d’une jeune Allemande, membre de la Jeunesse
sioniste: Marianne Cohn de l’OSE. Mais des militaires allemands
surgirent au moment où les enfants descendaient du camion, près
de Viry. Tandis qu’Emile Barras, qui devait les prendre en charge,
parvenait à s’enfuir, Marianne Cohn, le chauffeur Joseph Fournier
et tous les enfants furent arrêtés et emmenés à la prison de la
Gestapo à Annemasse. Joseph Fournier fut relâché après quelques
jours, non sans avoir été sévèrement battu. Le 8 juillet 1944, des
militaires – ou des policiers – allemands venus d’ailleurs (peut-être
de Lyon) s’emparèrent de Marianne Cohn et de plusieurs autres résistants prisonniers, qu’ils emmenèrent avec eux. Après la Libération, on découvrit près de Ville-la-Grand six corps sommairement
enterrés, dont celui, méconnaissable, de Marianne, identifié seulement grâce à une chaussure. Elle avait subi d’affreuses violences
avant d’être assassinée. Quant aux enfants, tous furent sauvés grâce au maire d’Annemasse, Jean Deffaugt, proche de la Résistance
bien que nommé par Vichy. Intervenant auprès des Allemands, il
39
Arthur et Jeanne
Lavergnat
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obtint qu’ils renoncent à déporter les enfants, moyennant quoi la
Résistance leur permettrait de s’échapper vers la Suisse lors de la
Libération d’Annemasse. C’est ce qui se produisit le 18 août 1944.
Promesse tenue.
Depuis le château de La Hille, une des filières de la CRS, SE aboutissait, on l’a vu, à la Vallée de Joux. Victoria Cordier et sa sœur Madeleine y jouaient un rôle crucial. De plus, il fallait, à l’image d’AnneMarie Piguet, bien connaître le Risoux et avoir de la famille ou des
amis dans la Vallée de Joux pour que la filière soit efficace.
Ces atouts, un autre enfant de la vallée les possédait: Fred Reymond,
un horloger recruté par les services suisses de renseignements. Pour
couvrir ses activités, il se faisait passer pour un contrebandier et
possédait une fausse carte d’identité française qui faisait de lui un
cultivateur de Treffay dans le Département du Jura. Il créa un petit
21. Fred Reymond et les passages réseau dès 1941, avec des jeunes
de réfugiés juifs
passeurs français habitant de
«Parmi les dizaines de poursuil’autre côté du Risoux, comme
vis qui ont transité sur l’hospiVictoria Cordier, Bernard Bouvetalière moquette de la [maison
ret et Achille Griffon.
de Fred Reymond] entre 40
et 45, il s’en est trouvé pluA partir de 1942, ses personnes
sieurs frappés de l’étoile jaune
de contact en France arrivaient
de David. Fred, lui, n’a jamais
presque toujours avec quelques
songé un instant à séparer le
personnes recherchées par la
bon grain de l’ivraie, «paraGestapo: des membres de la Rébolement» parlant. Le Juif
sistance, des Juifs, des réfractairestait strictement un homme,
res ou des officiers britanniques.
une femme, un enfant comme les autres, hormis le fait de
Il s’agissait de les emmener en
son appartenance à un peuple livré à la vindicte par les
Suisse. Fred Reymond connaistenants d’une hérésie abominable qui avaient décidé son
sait rarement leur identité. S’il
éradication pure et simple des territoires occupés. Dans ces
savait que la plus jeune avait
conditions bien évidemment, les descendre du sommet du
quatre mois et la plus âgée 70
Risoud, les héberger avant de les conduire vers la gare salans, il ne compta pas les pervatrice du Pont-Brassus relevait de l’évidence même.»
sonnes convoyées. En général, il
effectuait deux missions par semaine, mais il en fit jusqu’à 22 par
mois. Il franchit plus de 300 fois la frontière.
L’après-guerre fut amer pour Fred Reymond, qui traîna longtemps
une réputation d’ancien contrebandier: il avait été jeté en prison pour
de supposées activités de contrebande durant la guerre. En 1998, une
année avant sa mort, il a reçu la médaille des Justes, puis la Bourgeoisie d’honneur de la commune du Chenit dans la vallée de Joux.
40
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Dans le cas d’Ernest Wittwer,
22. Un tribunal militaire condamne on a affaire à un passage uniErnest
Wittwer
que de deux enfants. Tardif
(avril 1944), il intervenait à la
Extraits des considérants du tribunal militaire:
demande expresse d’un compa«Le passage de la frontière dans la nuit du 26.4.44 au
triote qui cachait Frédy et René
27.4.44 ayant pour but de favoriser l’entrée en Suisse de
Lévy, mais tremblait d’être dédeux jeunes réfugiés constitue une infraction grave, eu égard
couvert. Il s’adressa à son ami
aux inconvénients que ces entrées illicites présentent pour la
Suisse. […]
Wittwer, agriculteur à Véreux
Le tribunal a cependant admis, au bénéfice de l’accusé, qu’il
(Haute-Saône), dont le fils acn’a pas agi par esprit de lucre et qu’il a voulu rendre service
cepta de les convoyer en Suisse.
au nommé Wyss […]. Au surplus, il poursuivait un but
Ernest Wittwer emmena donc
humanitaire en cherchant à mettre à l’abri les deux enfants
les frères Lévy en train jusqu’à
menacés dans leur personne par la police allemande après
Montbéliard, en car jusqu’à
avoir perdu leurs parents par la mort et la captivité.»
Saint-Hippolyte, puis à pied.
Le trio fut cependant arrêté en
gare de Porrentruy, alors qu’il prenait le train pour Bâle où l’attendait une connaissance. Un tribunal militaire infligea à Ernest Wittwer
une peine de 60 jours d’emprisonnement, tenant compte du fait qu’il
avait franchi clandestinement la frontière au moins à cinq reprises.
La Commission de réhabilitation du parlement a constaté en 2004
que ce jugement était annulé.
II.2.7. Caches institutionnelles et caches privées
En France, les caches ont constitué une composante importante
du sauvetage. Les cas où des Suisses ont offert des abris temporaires ou plus durables sont mal documentés, souvent limités à
une notice du Dictionnaire des Justes de France. Ils font apparaître
deux grands types de caches: les caches institutionnelles, souvent
religieuses, dans lesquelles viennent généralement se réfugier des
inconnus; les caches privées offertes à des persécutés rencontrés
dans un cadre professionnel ou familial. Comme toute typologie,
elle connaît des exceptions, à savoir des caches privées offertes à
des inconnus. Ces exceptions ont ici un point commun qui rapproche ce sauvetage de la cache institutionnelle. En effet, il s’agit,
dans deux cas de pasteurs et dans le dernier cas – époux Beertschen – de sauveurs hébergeant des inconnus amenés par un curé.
Paris excepté, avec Ernest et Yannick Ischy, les caches se trouvent
en zone sud. Elles offrent une dispersion géographique remarquable. On en trouve près de la ligne de démarcation (Roanne), à Marseille, dans les Cévennes, en Rouergue, dans le Lot-et-Garonne et
41
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s u isses
en Savoie. Dans le cas de gouvernantes, on a vu avec Maria
Junker-Kissling que les activités peuvent suivre l’itinéraire
des persécutés; on le vérifiera
à nouveau avec Martha Schmidt.
Paul et
Marguerite Tzaut
17. Les notices du
Dictionnaire des
Justes de France sont
ambiguës: «Sœur
Jeanne-Françoise
Zufferey était
affectée à l’hospice de
vieillards de Rhule
et en assumait la
direction» (p. 579);
«Sœur Antoinette
Masserey était la
supérieure de la
maison de retraite
de Rhule»
(p. 400); le nom de la
commune est Rulhe.
L’ambiguïté subsiste
chez Limore YAGIL,
(op. cit., p. 342).
Germaine Muehlenthaler dirigeait la filiale marseillaise
de l’Union chrétienne des jeunes gens (YMCA). Elle aida
plusieurs jeunes Juifs en difficulté, dont Esther Strauss,
une Allemande à qui les EtatsUnis venaient de refuser le
visa d’immigration. Germaine
Muehlenthaler confia la jeune
fille à une amie, Suzelly Leenhardt, qui la fit passer pour sa
bonne. Elle lui procura ensuite
de faux papiers pour franchir la
frontière suisse, ce qu’elle put
faire à la deuxième tentative.
La congrégation de la Sainte-Famille possédait à Rulhe (Aveyron)
un ou deux établissements pour personnes âgées. Une dizaine de
sœurs y travaillaient, dont deux Suissesses: Jeanne-Françoise
Zufferey et Antoinette Masserey, qui y exerçaient manifestement
des fonctions dirigeantes17. En 1943 et 1944, la congrégation y a hébergé 24 Juifs envoyés par l’Œuvre de secours aux enfants; quatre
adolescentes purent travailler à la cuisine et à la blanchisserie. Dès
qu’une descente de police menaçait, les jeunes cherchaient refuge
dans une forêt voisine, tandis que les plus âgés restaient cachés
parmi les pensionnaires.
Le Suisse Paul Tzaut et son épouse Marguerite se sont engagés
très tôt dans l’Armée du salut. En mai 1942, ils furent nommés directeurs d’une de ses maisons de retraite, à Escoutet, près de Tonneins (Lot-et-Garonne). Une quinzaine de Juifs y ont trouvé refuge,
dont le couple Hercock d’origine polonaise et le couple Gunzburg
d’origine allemande. Le 26 août 1942, la famille Hercock avait été
prise dans la rafle qui frappait plusieurs localités du département
qui les accueillait depuis leur fuite de Lille. Avant de s’adresser aux
42
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époux Tzaut, qui allaient les héberger jusqu’à la fin de la guerre, la
famille connut la fuite en pleine nuit, racontée par l’une des filles.
Les deux exemples suivants
23. La fuite de la famille Hercock
montrent combien la distinction entre caches institution«[Vers quatre heures du matin, les gendarmes français
nelles et caches privées peut
tapent des poings sur les volets]. Mon cœur s’est arrêté.
Par une fenêtre basse située à l’arrière de la maison, pieds
se révéler poreuse. Dans les
nus, chaussures à la main pour ne pas laisser de trace, ma
filières de passage d’enfants
mère, ma sœur et moi nous sommes sorties de la maison
mises en place par les orgapendant que mon père essayait de «parler» avec les gennisations clandestines juives,
darmes, mais en vain… Mon père fut arrêté, emmené,
un des maillons les plus impendant que nous marchions dans la campagne à travers
portants près de la frontière
les champs sans savoir où nous allions. […] Au loin se
suisse était le père Jean-Joprofilait un champ de maïs et nous y sommes allées car les
seph Rosay, curé de Doutiges étaient hautes et nous pourrions nous cacher. Là penvaine (Haute-Savoie) qui n’a
dant toute la journée, nous sommes restées tapies à même
pas survécu à la déportation
la terre sans bouger. La nuit tombante, la cultivatrice nous
qui suivit son arrestation par
a vues et ma mère s’est jetée à ses genoux la suppliant de
nous cacher. Cette femme a été bouleversée par ma mère et
la Gestapo. Début 1944, le
a bien voulu nous cacher dans une cabane qui se trouvait à
père Rosay demanda à Sœur
proximité. Cette femme s’appelait Madame Montastruc.»
Jeanne Berchmans – née
Marie Meienhofer – de cacher
trois membres d’une famille juive de Vienne dans le couvent de la
congrégation du Sacré-Cœur à Thonon-les-Bains. Les Wittels y restèrent jusqu’à la Libération. Sœur Berchmans, enseignante au pensionnat du couvent, les fit passer pour des Alsaciens forcés de fuir
en mai 1940. Lorsque les Allemands perquisitionnèrent le couvent,
elle parvint à empêcher une inspection de la chambre des Wittels
en affirmant que leurs occupants avaient la scarlatine….
Louis-Maxime et Léontine Beetschen, un couple de cultivateurs
suisses, possédaient une ferme à Douvaine, qui jouxtait le presbytère catholique. Lorsque ce dernier débordait de Juifs accueillis par
le père Rosay, le trop plein s’écoulait naturellement vers la maison
hospitalière des Beetschen. Ces derniers ont offert un toit à plusieurs familles juives avant leur passage en Suisse. Ils ont aussi
hébergé de manière permanente une fillette juive, Tania Meller, qui
avait été prise en charge par l’OSE.
Les rencontres fortuites entre persécuté et futur sauveur – comme
celle de Jesha Shapir et des Marclay ou celle de la famille Hercock et de Madame Montastruc avant l’hébergement chez le couple
Tzaut – ne constituent assurément qu’une minorité des actions de
sauvetage honorées par Yad Vashem. Et pour une rencontre fortuite
43
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s u isses
ayant débouché sur un sauvetage, combien d’appels à l’aide
ayant suscité l’indifférence, le rejet, voire la dénonciation?
Les rencontres fortuites entre persécuté et futur sauveur ont
pourtant valeur d’exemple: elles montrent que le sauvetage
est à la portée de tous, parce que chacun peut, un jour, être
amené à décider subitement entre l’accueil et le rejet du persécuté. Il existe bien sûr des facteurs qui influencent la prise
de décision au moment de la rencontre, notamment celui de
la place disponible pour héberger des persécutés.
Sœur Antoinette
Masserey
Dans les deux cas que nous allons examiner de rencontres fortuites ayant débouché sur un hébergement durable,
les futurs sauveurs disposaient d’une habitation indépendante. Ancien pasteur, August Rutschi partageait avec son
épouse Cécile, sa fille Agnès et le mari de celle-ci, Laurent
Gilardino, une maison à Monnetier-Mornex près du Salève
(Haute-Savoie). En 1942, Agnès rencontra deux inconnus
lors d’une promenade, Leib Rudenski et sa femme, des Juifs de
Belgique qui venaient d’être refoulés à la frontière suisse. Epuisés et terrorisés, ils lui demandèrent de leur indiquer un chemin
détourné pour éviter la capture. Agnès les invita chez elle. Les Rudenski racontèrent leur fuite et leur refoulement à August Rutschi
et à Laurent Gilardino. Ceux-ci leur offrirent une chambre. En janvier 1943, il fallut les transférer dans une autre cachette par crainte
de dénonciation, mais les Gilardino et les Rutschi continuèrent à
les ravitailler. Par la suite, la Résistance française procura de faux
papiers aux Rudenski, ce qui leur permit de trouver travail et logement.
A Lassalle (Gard) en février 1943, le jeune Jacques Rojtenberg frappa à la porte d’un pasteur suisse qu’il ne connaissait pas, Edgar
Wasserfallen. Septante ans plus tard, lors de la remise de la médaille des Justes, il raconte son sauvetage en présence des enfants
Wasserfallen (encadré 24).
Avec l’aide de ses parents à Neuchâtel, le pasteur Wasserfallen assura également la transmission du courrier entre les Rojtenberg et
leurs deux fils aînés qui avaient trouvé refuge en Suisse.
Le couple Schneeberger à Roanne et le couple Ischy à Paris ont
hébergé, quant à eux, des Juifs dont la profession les avaient amenés à faire la connaissance. L’Argovien Arthur Schneeberger s’était
installé dans les années 1920 comme artisan bonnetier à Roanne
(Loire) après avoir appris le métier à Lille. Il s’était lié d’amitié avec
un de ses fournisseurs, M. Wolkowicz, un Juif d’origine polonaise.
44
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Celui-ci décida de cacher sa famille, mais en la dispersant pour
augmenter ses chances de survie. Il demanda à Arthur Schneeberger et à sa femme Anne de prendre soin de l’aîné de ses deux fils.
Les Schneeberger l’hébergèrent jusqu’à la fin de la guerre en le
faisant passer pour un neveu. Le risque était d’autant plus grand
que la maison des Suisses ne se trouvait qu’à une centaine de mètres d’une caserne occupée par des soldats allemands. La famille
Wolkowicz se retrouva à nouveau réunie à la fin de la guerre.
Yannick Ischy vivait à Paris avec son mari Ernest, entrepreneur en
bâtiment. Elle-même était infirmière dans un hôpital à Beauvais. Le
Dictionnaire des Justes de France ajoute: «Elle y fit la connaissance
du docteur Pierre Moyse, un chirurgien juif. Sachant qu’il courait
de graves dangers, Ernest et Yannick l’invitèrent à venir se réfugier
chez eux avec sa mère, Aline Moyse. […] Lorsque le médecin et sa
mère s’installèrent chez eux vers la fin de 1942, ils expliquèrent aux Soeur
voisins qu’il s’agissait de parents éloignés venus effectuer un court Jeanne-Françoise
Zufferey
séjour». Ils y sont manifestement restés jusqu’à la Libération.
Les Ischy et les Moyse, comme les Schneeberger et les Wolkowicz, sont restés liés après la guerre et se rencontraient régulière24. Le sauvetage de la famille Rojtenberg par le couple Wasserfallen
«Je me revois, en ce jour de février 1943, frappant à la porte
du presbytère de Lassalle, demander de l’aide pour ma famille, qui se trouvait entre Barre des Cévennes et Florac,
cachée depuis huit jours dans une grange. Inutile de vous
dire les dangers pour cette famille jetée sur les routes en plein
hiver, risquant à chaque instant des contrôles de gendarmerie. Au presbytère vos parents ont logé mes parents et mon
frère Roger, le temps de leur trouver une famille d’accueil. Quant à moi, M. Wasserfallen, le même
jour, m’accompagnait dans une famille d’accueil […]. M. Wasserfallen s’occupait de ma famille
mais également d’autres réfugiés juifs. En plus, il organisa les premiers maquis de la région de
Lassalle. Il m’est arrivé de l’accompagner à plusieurs reprises dans cette tâche. Le danger étant
plus pressant, il trouva pour mes parents, qui furent séparés, deux autres familles d’accueil. […]
Entre temps, M. Wasserfallen, nous avait procuré de «vrais faux» papiers d’identité enregistrés à
la mairie de Lassalle. […]
En février 1944, une lettre de dénonciation ayant été interceptée par les postiers résistants de
Lassalle, je fus obligé de partir du jour au lendemain. Ce fut le pasteur qui m’accompagna jusque
dans le Tarn. [Dans un car, ils tombèrent sur quatre Miliciens, qui étaient par ailleurs d’anciennes
ouailles du pasteur]. Les Miliciens lui demandèrent: «Où allez-vous avec ce grand jeune homme?»
Il répondit: «Ce garçon est muet et nous allons consulter un médecin à Montpellier»».
45
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Martha Schmidt
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ment. Pourtant, s’il y a une Juste qui illustre la
permanence du lien entre persécuté et sauveur,
c’est bien Martha Schmidt, une nurse restée
au service de la même famille de 1937 à 1960.
Les Cohen, des Juifs de Salonique propriétaires
à Montpellier d’un commerce de textile, avaient
engagé la Zurichoise pour s’occuper de leur troisième fille. En novembre 1942, la famille partit pour Monaco où naquit une quatrième fille.
L’occupation de la région par les Allemands à
l’automne 1943 obligea la famille à se disperser.
Martha Schmidt accepta de s’occuper des quatre
filles. Elle les emmena en Savoie, puis à SaintAnthène (Puy-de-Dôme), dans la propriété d’un
ami de la famille, qui tenta de les faire passer
pour ses filles. Les sœurs Cohen ne sortaient
quasiment jamais, mais plus d’un villageois
avait des soupçons. Elles survécurent toutes à la guerre, de même
que leurs parents.
II.2.8. Les pasteurs de Pury à Lyon et Pasche à Lille
Roland de Pury
Le spécialiste des Justes de France, Lucien Lazare, résume ainsi l’engagement du pasteur de
Pury: «Suisses l’un et l’autre, Roland et Jacqueline de Pury ont animé avec une audace
stupéfiante la résistance spirituelle et humanitaire des protestants lyonnais. Leur foyer
du quartier de la Croix-Rousse abritait non
seulement leurs huit enfants, mais un cortège toujours renouvelé de fugitifs, juifs pour la
plupart. […] Avec Pierre Chaillet, à la tête de
l’Amitié Chrétienne, Roland de Pury a favorisé
la symbiose entre les résistants des deux communautés chrétiennes lancées dans l’aventure
du sauvetage de juifs»18.
La résistance a commencé très tôt. Lyon avait
été occupée par l’armée allemande du 19 juin au
6 juillet 1940. La Wehrmacht partie, la population lyonnaise était surtout soulagée de ne pas
faire partie de la zone occupée. Dans ce contexte, le pasteur de
Pury allait tenir, le dimanche 14 juillet 1940 dans son temple de la
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rue Lanterne, un sermon d’une rare audace, dont des phrases circuleraient rapidement dans la communauté protestante de Lyon.
25. Sermon du pasteur de Pury du 14 juillet 1940
«[…] Je sais bien qu’après un tel carnage, la France peut bien se reposer et dire: j’ai fait ce que
je pouvais. Oui, elle avait le droit de déposer les armes. Mais non pas, non jamais de consentir
intérieurement à l’injustice. Et il y en a beaucoup qui, pour souffrir un peu moins, sont prêts à ce
consentement. […]
Mieux vaudrait la France morte que vendue, défaite que voleuse. La France morte, on pourrait
pleurer sur elle, mais la France qui trahirait l’espoir que les opprimés mettent en elle, mais la
France qui aurait vendu son âme et renoncé à sa mission, nous aurait dérobé jusqu’à nos larmes.
Elle ne serait plus la France. […]
Déjà les gens ne se demandent plus si cette guerre était juste. Ils regrettent de l’avoir faite parce
qu’ils l’ont perdue. […]. Mais alors c’est la victoire qui donne raison? Et la défaite qui donne tort?
C’est le succès qui détermine la vérité? Est-ce là ce que vingt siècles de christianisme ont enseigné à
la France? Est-ce là ce que la vérité clouée sur une croix nous enseigne? Si la France, parce qu’elle
est défaite, se met à douter de la justice de cette lutte qu’elle a menée, et si par conséquent elle étouffe
sa mission de justice, alors elle est pis que morte, elle est décomposée, elle est prête pour toutes les
infamies. […] Est-ce que toute la repentance de ce pays va consister à regretter la seule chose qu’il
n’ait pas à regretter? […]»
Roland de Pury a continué à tenir des sermons très courageux. Dès
octobre 1940, il prit en outre des initiatives de sauvetage avec le
concours des mouvements de jeunesse d’inspiration protestante,
regroupés dans la CIMADE, pour lesquels il assurait aussi un lien
avec la Suisse. De plus, le pasteur offrit sa maison, son temple, sa paroisse pour héberger des membres de la Résistance, des Juifs ou des
passeurs qui convoyaient des enfants du Chambon vers la Suisse.
De Paris, on envoyait aussi au couple des enfants pour qu’ils passent
en Suisse.
Le 30 mai 1943, dimanche de la confirmation, deux agents de la
Gestapo arrêtèrent Roland de Pury et l’emmenèrent au fort de
Montluc, prison de la Gestapo. Il apprendrait plus tard que son
arrestation était motivée par l’aide qu’il apportait à la Résistance,
en l’occurrence au mouvement Combat. Il fut enfermé. Le cardinal
18. LAZARE, Lucien, Le Livre des Justes, op. cit., pp. 156-157. L’Amitié chrétienne
était une œuvre de secours interconfessionnelle, fondée à Lyon en 1941 et patronnée par le cardinal Gerlier et le pasteur Boegner, qui désignèrent Pierre Chaillet et
Roland de Pury pour les représenter. L’Amitié chrétienne servit toujours plus de
paravent à un important service clandestin en faveur des persécutés raciaux. Le
local de l’association mettait aussi des faux papiers à disposition.
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Gerlier et le pasteur Boegner demandèrent en vain sa libération.
Avec des petits bouts de crayons conservés au risque de se faire
fusiller, le pasteur écrivit un Journal de cellule dont une première
édition parut en Suisse avant la Libération de la France; une édition complète fut publiée en 1981.
26. Journal de cellule du pasteur de Pury
«Vers le 20 juin. Ah! Tu me fais durement saisir que c’est là justement tout le problème de notre
destinée: esclavage ou liberté. […]
31 juillet. Quand, à 7 heures, le sergent a passé avec sa main pleine de crayons rendus, j’ai eu la
force de ne lui donner que le centimètre inutilisable qu’une jeune femme m’avait passé à l’interrogatoire, et de garder les autres. […] Depuis cet instant, j’écris sous menace de mort, et j’ai la
mort cachée dans ma cellule. […] Plus que mes crayons cachés, c’est cette vision de l’après-midi,
cette espèce de tableau dantesque qui me donne une sensation épouvantable de la captivité. Est-ce
que j’y suis vraiment? Est-ce que je suis, moi, pris là-dedans, ou suis-je envoûté par la lecture de
Dostoïevski? L’horreur de la situation me tombe dessus. J’étouffe. O Seigneur, quand m’ouvrirastu la porte ? […]
Jeudi 9 septembre. On perd de vue le rivage. On s’installe dans l’absence. On meurt lentement à
cette douleur qui vous fait crier les premiers temps. Le sens même de la vie s’endort. On est comme
une matière plastique qu’il faut forcer dans un moule. Cela fait mal à hurler. Et puis, peu à peu,
on prend la forme: la forme du prisonnier. Rien à signaler. Je suis de plus en plus replié sur moimême. Tellement surveillé qu’il m’est impossible d’échanger quelques paroles et de renouer quelques
liens. […]
Dimanche 3 octobre. Le garçon d’à côté a pleuré, gémi, appelé, frappé toute la nuit. L’étage entier
n’a pas dormi. En ouvrant la porte ce matin, on l’a trouvé gisant, presque hors de sens. Il a fallu
se mettre à trois pour le faire sortir. Beau travail! «O Homme que fais-tu de ton frère?»»
En définitive, Roland de Pury et d’autres Suisses capturés par les
Allemands furent échangés fin octobre 1943 contre des espions
nazis faits prisonniers sur territoire suisse. Il ne retourna à Lyon
qu’après la Libération.
Autre pasteur suisse grandement influencé par Karl Barth, Marcel
Pasche partit à Lille en 1937 pour un stage pastoral. Il fut consacré
pasteur de l’Eglise réformée de Roubaix quatre ans plus tard. La situation de Lille et de Roubaix était particulière. Avec l’occupation,
les départements du Nord et du Pas-de-Calais avaient été détachés
de la France et dépendaient de l’administration militaire allemande de Bruxelles. Forte d’environ 4’000 personnes, la communauté
juive de Lille fit l’objet d’une rafle le 11 septembre 1942.
Les activités de secours de Marcel Pasche présentent une diversité aussi grande que celles de son collègue Roland de Pury. Avec
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le policier Léon Coghe, il fit
passer la frontière suisse via
Besançon à Joseph Winischki
et à son fils Léon, des Juifs allemands réfugiés en Belgique
et que Coghe avait accueillis
à Roubaix. En revanche, Sonia
Winischki et ses deux filles, qui
avaient voulu rejoindre leur famille ne parvinrent pas à franchir la frontière; elles revinrent
à Roubaix où Marcel Pasche et
Léon Coghe s’occupèrent d’elles jusqu’à la Libération.
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27. «Auguste Matringe (1894-1984). Humaniste Franco-Suisse. Juste parmi les nations»
Cette inscription figure
sur une stèle inaugurée
en 2003 à Saint-Fons
dans la banlieue sud de
Lyon. Bien que né à Rolle
de mère suisse et y étant
mort après y avoir passé
sa retraite, Auguste
Matringe possédait uniquement la nationalité
française de son père savoyard. Chrétien très engagé dans la vie sociale et associative, il a dirigé, de 1936 à 1959, deux importantes usines
chimiques de la compagnie Saint-Gobain. Il a notamment
organisé l’hébergement des employés juifs au sein même de
l’usine. On estime qu’il a sauvé de la déportation 37 adultes juifs, qu’il a fait héberger 50 de leurs enfants à la campagne et qu’il a favorisé la dissimulation de 250 personnes
réfractaires au Service du travail obligatoire. Arrêté par
la Milice française en août 1944, il ne dut sa libération
au bout d’un mois qu’à l’intervention du vice-président de
Saint-Gobain.
Au-delà de ces activités qu’on
pourrait appeler classiques,
le pasteur suisse créa, avec
un groupe d’amis, le Secrétariat d’assistance judiciaire devant les tribunaux allemands
du Nord et du Pas-de-Calais.
Grâce à des complicités allemandes19, ce secrétariat put
fonctionner sans autorisation
officielle, laquelle n’aurait
bien entendu jamais été accordée. Cet organisme privé,
à la dénomination apparemment officielle, offrit aux familles de
personnes inculpées pour infraction réelle ou supposée contre
l’occupant nazi une protection que les deux seuls avocats germanophones de la place ne voulaient pas procurer. De 1942 à 1944, les
familles de 430 inculpés eurent recours au secrétariat et 70 d’entre
eux obtinrent ainsi une libération.
Marcel Pasche s’engagea aussi, cette fois avec Fred Huber, le consul
honoraire de Suisse à Lille, pour le sort des prisonniers de Loos, la
grande prison de la région où les Allemands avaient entassé toutes
les personnes accusées de résistance. Les deux Suisses jouèrent
aussi un rôle dans un des épisodes les plus dramatiques de la Libération, auquel un mémorial a été consacré: la déportation de
870 prisonniers de Loos par les Allemands, alors en déroute, le 1er
septembre 1944. Seuls 250 d’entre eux survécurent. Ayant appris,
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19. En contournant la censure, les
initiants parvinrent à
publier dans la presse un communiqué
annonçant l’existence
de ce secrétariat.
Le principal allié du
pasteur était Carlo
Schmid, conseiller
juridique auprès du
commandement militaire allemand et une
des grandes figures
du parti social-démocrate allemand de
l’après-guerre.
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à la Libération de Paris, que le consul de Suède à Paris et la CroixRouge française avaient obtenu la responsabilité de tous les détenus politiques se trouvant dans des camps et prisons de la région
parisienne, Marcel Pasche eut l’idée d’obtenir la même chose pour
la Suisse et la prison de Loos. La réouverture du consulat de Suisse fut acceptée par le commandement militaire à Bruxelles, et, le
1er septembre, il se présenta à la prison avec Fred Huber...
28. Marcel Pasche, le consul de Suisse et la prison de Loos
«Le capitaine Siebler [directeur de la prison] – nous l’apprîmes après coup – venait de faire charger sur des camions plusieurs centaines de «terroristes» à destination de la gare de
Tourcoing où ils devaient être «enwagonnés» pour la déportation. Débarrassé des détenus les plus dangereux, il se montra
favorable à suivre les instructions de l’Oberfeldkommandantur
et à envisager la mise en liberté. […] On convint de les libérer
par groupes de 20 […]. Le consul fit aussi transporter à la
clinique Ambroise-Paré quelques malades et blessés. […] Au
sujet du train de déportés, nous étions plutôt rassurés. Le Dr
[Carlo] Schmid avait agi sur les cheminots allemands et la
résistance ferait dérailler le train s’il se mettait en marche. La résistance belge était aussi alertée.
Pendant la nuit – je logeais chez le consul avec ma famille –, on nous informa que le train avait
quitté Tourcoing. Forts de notre succès de la veille, et misant sur le sabotage de la résistance belge,
nous décidâmes de partir à la recherche de ce convoi que nous imaginions bloqué quelque part.
Dans ce cas, notre offre de prise en charge aurait quelque chance de succès. […] Nous arrivâmes
finalement à Gand où [on] nous renseigna: le train avait passé normalement et il n’était peut-être
déjà plus sur le réseau belge.»
Marcel Pasche revint en Suisse quelques années après la fin de la
guerre et y poursuivit son activité pastorale. En 1992, la Mairie de
Roubaix lui décerna la Médaille d’honneur de la ville, et l’année
suivante Yad Vashem le titre de Juste.
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II.3. En Belgique
Invasion allemande et déportation des Juifs vers l’Est intervinrent
en Belgique en même temps qu’en France et aux Pays-Bas. Les
forces armées allemandes envahirent les trois pays en mai 1940,
la Belgique capitula le 28 et une organisation militaire fut mise
en place. Les déportations, dont le service d’Adolf Eichmann avait
assuré les préparatifs, débutèrent en été 1942, en Belgique deux à
trois semaines après les deux autres pays.
La population juive de Belgique s’élevait à plus de 65’000 personnes à la veille de l’invasion. Plus de la moitié vivait à Anvers et un
peu moins de 40% dans la capitale Bruxelles. Sa principale caractéristique était une proportion très élevée d’étrangers (plus de 90 %).
De nombreux Juifs étaient arrivés d’Europe de l’Est, en particulier
de Pologne, après la Première Guerre mondiale, puis la Belgique
avait aussi accueilli des Juifs fuyant le Reich.
Avant et pendant les déportations, des Juifs résidant en Belgique
poursuivirent leur émigration ou leur fuite en direction de la France – comme les enfants du château de La Hille (voir supra, II.2.3),
certains tentant de trouver refuge en Espagne ou en Suisse. Les
déportations touchèrent d’abord les Juifs étrangers; elles s’achevèrent avec les belges en septembre 1943. Les déportés furent réunis
dans un camp de transit, à Malines entre Anvers et Bruxelles, puis
envoyés à l’Est, généralement à Auschwitz-Birkenau. Le 20 avril
1943, la résistance clandestine juive attaqua le vingtième convoi
de déportés qui quittait Malines – seule opération du genre durant
la Shoah. Environ 25’000 Juifs et quelques centaines de Roms et
Sinti subirent la déportation depuis Malines. La majorité d’entre
eux n’avaient pas été arrêtés lors des rafles (août et septembre
1942), mais capturés par hasard lors de contrôles ou de tentatives
de fuite, ou encore lors de la découverte de leur cache.
On estime que 24 à 25’000 les Juifs ont bénéficié d’une cache, un
nombre important si on se souvient que l’écrasante majorité des
Juifs de Belgique étaient des immigrés. Mais l’ampleur du sauvetage est à rattacher à un autre phénomène d’envergure: la résistance,
à laquelle auraient participé environ 70’000 personnes.
II. 3.1. Sauvetage et résistance: Paul et May Calame-Rosset
Seuls Suisses à avoir été honorés par Yad Vashem pour des actions sur territoire belge, Paul Calame-Rosset et son épouse May,
d’origine britannique, illustrent le lien étroit qui a uni en Belgique
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29. Les motivations de Paul Calame-Rosset
Il n’a pas laissé de trace écrite de ses
actions de sauvetage. Interrogé en
1998 par le délégué de Yad Vashem
pour la Suisse, il a répondu: «Ce
que j’ai fait, ce que nous avons fait,
c’était par DEVOIR. Il fallait dire
NON à l’ennemi et lui ravir ses
proies. Et cela avec l’aide de Dieu.
[…] Vous m’avez demandé: pourquoi avoir logé et caché des Israélites alors que vous vous exposiez à de terribles représailles?
C’est fort simple… quand on frappe à votre porte à minuit,
implorant secours et accueil. Si j’avais fermé ma porte en
repoussant des êtres terrassés, affalés, voués à l’extermination
indescriptible! Jamais, un seul jour de ma vie, je n’aurais pu
justifier mon acte odieux».
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caches et résistance. Né en
1905 à Tavannes, dans la partie jurassienne du canton de
Berne, Paul Calame-Rosset a
suivi une formation d’architecte avant de partir pour le
plat pays. Durant la guerre,
la couple Calame-Rosset
possédait une villa à Uccle,
commune de l’agglomération bruxelloise, sur laquelle
il avait dressé le panneau
«propriété suisse».
Au total, le couple CalameRosset a hébergé deux aviateurs britanniques, un aviateur russe ainsi que trois
groupes de Juifs. Le premier
groupe était la famille Cywié:
le père horloger, son épouse et leur fille Golda, tandis que leur
fils trouvait une cache ailleurs. Le deuxième groupe, la famille
Lemberg, y chercha refuge fin 1942, après avoir été dénoncée à la
Gestapo par la famille qui les hébergeait; le fils Kurt resta chez
les Calame-Rosset, sa sœur rejoignit bientôt des amis, les parents
repartirent rapidement, ce qui se solda par une nouvelle dénonciation et la déportation. Enfin, début 1944, une jeune fille dont on ne
connaît que le prénom (Sarah) fut hébergée par les Calame-Rosset.
Ceux-ci la confièrent ensuite à une famille suisse de Bruxelles, qui
lui procura une identité suisse.
20. Archives Herbert
Herz, copie de l’attestation de Marcel
Franckson, professeur
honoraire de l’Université de Bruxelles, à
Yad Vashem du 14
avril 1998.
Lorsqu’il reçut la médaille des Justes en septembre 1998, Paul Calame-Rosset avait déjà la médaille de la Résistance belge et la King’s
Medal for Courage in the Course of Freedom britannique. Sous le
nom de code de Ted, il avait été actif dans la résistance belge dès le
début de 1942, d’abord dans un réseau de renseignements. A partir
de 1943, il participait à une filière d’évasion d’aviateurs alliés vers
la Grande-Bretagne, ainsi qu’au Service Hotton spécialisé dans le
sabotage militaire. L’un des dirigeants de ce service, Marcel Franckson, a témoigné en 1998: il avait séjourné six à huit semaines en
été 1943 chez Paul Calame-Rosset qui remplissait les fonctions de
responsable logistique pour le secteur de Bruxelles20. Selon Meir
Wagner, la maison du Suisse a servi d’abri temporaire à environ 70
membres de la résistance belge.
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II.4. Dans le Reich allemand
Les actions des Justes suisses sur territoire du Reich sont intervenues relativement tardivement, en 1943. Bien que les ouvrages
sur la Shoah abordent le Reich avant les pays occupés, il est logique d’examiner maintenant les actions de sauvetage de 1943, soit
après celles de la France et de la Belgique, souvent antérieures, et
avant celles de Budapest qui, elles, concernent 1944 et 1945.
La situation des Juifs du Reich s’est détériorée progressivement
depuis l’arrivée de Hitler au pouvoir en 1933. Lorsque l’émigration
leur fut interdite, à l’automne 1941, environ 170’000 Juifs demeuraient sur son territoire, contre 500’000 en 1933. Nombre d’entre
eux avaient émigré en Europe ou outre-Atlantique, ce que le Reich
avait favorisé dans une première phase, non sans les dépouiller
largement de leurs biens. Dès l’automne 1941, il ne leur restait
d’autre choix que la vie clandestine ou la fuite. Dans les deux cas,
disposer d’un réseau de relations et de papiers d’identité (falsifiés) augmentait les chances de survie ou d’une fuite réussie. Ainsi,
dans plus de 40% des actions de sauvetage examinées par le dictionnaire allemand des Justes, le persécuté et son futur sauveur se
connaissaient personnellement avant-guerre déjà21.
II.4.1. Les maillons d’une longue chaîne de sauvetage:
Jean-Edouard Friedrich et Elise Höfler-Brütsch
Il y a peu de sauvetages qui soient aussi bien documentés que celui
d’Herbert Strauss et de son amie, et future épouse, Lotte SchlossKahle. Les deux Berlinois, l’un né à Würzburg, l’autre à Wolfenbüttel, ont écrit leurs souvenirs sur leur jeunesse en Allemagne, leur
vie clandestine et leur fuite en Suisse. Deux études récentes, qui
exploitent également des documents d’archives et des interviews,
reconstruisent dans le détail la filière de passage empruntée par le
couple et par près de 30 de leurs coreligionnaires.
La Berlinoise Luise Meier et le couple Höfler de Gottmadingen
près de la frontière schaffhousoise ne constituaient que les derniers maillons d’une chaîne qui a permis à Lotte et à Herbert de
quitter Berlin après y avoir vécu clandestinement. Depuis l’automne 1941, l’étau s’était progressivement resserré sur leurs familles,
leurs amis et leurs voisins dont la Gestapo avait arrêté plusieurs
membres. Le 24 octobre 1942 vint le tour des parents de Lotte, ce
qui entraîna la décision d’entrer dans la clandestinité. Par dessus
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21. FRAENKEL, Daniel, «Die deutschen
Gerechten unter den
Völkern» in Lexikon
der Gerechten unter
den Völkern. Deutsche und Österreicher.
Yad Vashem et Wallstein, 2005, p. 28.
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tout, ils s’en rendirent vite compte, il leur
fallait éviter la répétition et la routine:
varier les lieux de rendez-vous, changer
fréquemment de cachette – leurs hôtes
risquant dénonciation et envoi dans un
camp de concentration.
La plupart de leurs hôtes durant la
demi-année de vie clandestine, ils ne
les connaissaient pas auparavant. Parmi
eux, on trouve le peintre communiste
August Sapandowski, mort dans un camp
de concentration, et le journaliste Friedrich Strindberg, fils de l’écrivain August
Strindberg. C’est de lui qu’ils apprirent
en janvier 1943, avec incrédulité, que les
nazis avaient construit des camps où ils
gazaient les déportés.
Jean-Edouard
Friedrich
Lotte avait un oncle à Lausanne, Ludwig
Schöneberg, qui lui avait indiqué un ami
à joindre en cas de problème: Jean-Edouard Friedrich, qui faisait
partie depuis juillet 1942 de la délégation berlinoise du Comité international de la Croix-Rouge. Lotte envoya à son oncle, par l’intermédiaire de Friedrich, un rapport détaillé sur la situation désespérée
des Juifs à Berlin après la grande rafle de février 1943. Schöneberg
se décida à faire venir clandestinement sa nièce en Suisse. Il trouva
les deux personnes qui pouvaient assurer le succès de l’opération, à
savoir organiser la fuite depuis Berlin, puis le passage de la frontière. Par l’entremise sur place de Friedrich, il mit sa nièce en contact
avec Luise Meier. Veuve approchant la soixantaine, elle avait déjà
aidé à la fuite en Suisse d’une voisine, propriétaire d’une pension
contrainte à fermer ses portes, ainsi qu’une pensionnaire de celleci, qui se révéla être l’ancienne secrétaire de Schöneberg. Leur passage de la frontière s’était toutefois réalisé dans des circonstances
toutes particulières; on ne pouvait répéter l’opération.
Schöneberg trouva aussi des passeurs, par l’intermédiaire d’un
médecin résidant à Stein am Rhein. Une de patientes de celui-ci,
Elise Höfler-Brütsch, une Suissesse qui avait épousé un Allemand,
vivait à dix minutes à pied de la frontière suisse. Elle se laissa
convaincre de faciliter le passage en Suisse de Lotte Schloss-Kahle. Jean-Edouard Friedrich prit une photo de Lotte et la transmit
au médecin, afin que les personnes qui l’accueilleraient puissent la
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reconnaître: les contacts directs dans un lieu aussi exposé qu’une
gare proche de la frontière devaient être limités au strict minimum.
Le voyage en train depuis Berlin fut fixé au 1er mai 1943, de façon à
ce que Lotte, même munie de faux papiers et voyageant sans bagage, passe plus inaperçue dans l’effervescence des déplacements
d’un jour de fête. Les Höfler l’hébergèrent, mais attendirent le dimanche pour organiser une “promenade familiale” à proximité de
la frontière avec leur fille de cinq ans et Lotte. Ils indiquèrent le
chemin à la jeune fugitive, qui parvint en Suisse et ne fut pas refoulée.
A l’origine, le dispositif mis en place par Schöneberg, avec l’aide de
Friedrich, n’était destiné qu’à sa nièce, Lotte Schloss. Ils parvinrent
cependant à convaincre Luise Meier et les Höfler de faciliter le passage de Herbert Strauss, entreprise qui s’annonçait beaucoup plus
délicate. Il devait impérativement avoir des documents d’identité
au-dessus de tout soupçon de falsification. Il put se les procurer
grâce à des amis. Le voyage en train fut fixé au week-end de la
Pentecôte, et Herbert Strauss parvint lui aussi en Suisse. Il poursuivit des études à Berne jusqu’en 1945, puis une belle carrière
d’enseignant aux Etats-Unis avant de fonder en 1982 le Centre de
recherches sur l’antisémitisme à Berlin, actuellement une référence internationale en matière de recherches sur la Shoah.
Luise Meier et Josef Höfler, ainsi mis en contact, poursuivirent leurs
activités. Au total, ce réseau fit passer près de 30 Juifs en Suisse
jusqu’au printemps 1944. Luise Meier et Josef Höfler furent ensuite
arrêtés et emprisonnés, alors que Elise Höfler trouvait refuge chez
son père, à Ramsen en Suisse. Tous trois reçurent la médaille des
Justes. Luise Meier, veuve aisée, n’a pas touché d’argent pour son
aide, à l’inverse des époux Höfler, plus pauvres, mais dont les motivations religieuses ont été prédominantes; du reste, les risques
encourus justifiaient une certaine contrepartie.
Jean-Edouard Friedrich avait lui aussi été arrêté temporairement,
mais dans d’autres circonstances. Deux semaines avant le passage
de Lotte Schloss et dans le cadre d’une mission du CICR, il avait
accompagné une jeune fille juive jusqu’à Singen pour la confier
à des passeurs. La police allemande les surprit. Le Suisse attira
l’attention sur lui, ce qui permit aux autres de passer la frontière.
Dépourvu d’autorisation pour se déplacer si près de la frontière, il
fut arrêté et dut fournir des explications deux jours durant. Cet incident fragilisa la position de Friedrich au sein du CICR. Fin juillet
1943, il quittait la délégation de Berlin pour la Division des secours
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30. Jean-Edouard Friedrich, Werner von Braun, les Américains et les Russes
«Juste après la chute de Berlin, Jean-Edouard Friedrich est
à Ravensbourg, dans le sud de l’Allemagne, où défilent des
dizaines de milliers de réfugiés et d’anciens déportés. C’est
alors qu’un certain Werner von Braun, avec des plans de
fusées sous le bras, arrive avec ses collaborateurs au bureau du CICR et demande à passer en Suisse. Le délégué
a juste le temps de les installer dans une usine désaffectée
avant l’arrivée des Russes. Ceux-ci recherchent fébrilement
le savant allemand, mais Friedrich leur assure qu’il n’a
vu personne. Il prévient ensuite les Américains qui s’empressent d’embarquer Werner von Braun, son équipe, ses
plans.
Avoir tenu le sort de la NASA entre ses mains: l’idée
amuse Jean-Edouard Friedrich. D’autant plus qu’il ne
connaissait pas Werner von Braun ni ses projets de fusées.
C’est en une fraction de seconde qu’il a décidé de mentir
aux Russes. Mais il aime bien se rappeler que lorsque les
hommes ont foulé le sol lunaire, c’était un tout petit peu
grâce à lui…»
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à Genève. De mai à octobre
1945, il a dirigé la délégation
du CICR à Ravensbourg, avant
de quitter définitivement l’organisation l’année suivante.
Survivre clandestinement dans
Berlin en 1942-1943 n’avait
rien d’évident. Passer en Suisse depuis la capitale du Reich
l’était encore moins. Il fallait
éviter toute improvisation,
penser aux moindres détails,
du voyage organisé un jour de
fête à la photo transmise pour
identification. Le nombre de
personnes qui se sont mobilisées, certes à des degrés divers et avec des motivations
variées, est impressionnant,
surtout si on songe qu’au départ, il fallait assurer un seul
passage. Initialement, il n’y
avait pas de réseau structuré
mais diverses personnes qui,
chacune, décidèrent d’agir courageusement et de manière complémentaire. Que Herbert Strauss, puis une vingtaine d’autres Juifs
aient pu ensuite utiliser cette même chaîne en dit long sur les besoins de sauvetage mais témoigne aussi que tous n’avaient pas
abdiqué face au nazisme.
II.4.2. Une cache à Francfort: Frieda Impekoven-Tobler
Ville à la réputation libérale et ouverte, Francfort abritait en 1933
la deuxième communauté juive d’Allemagne (26’000 personnes)
après Berlin, mais proportionnellement la plus importante du pays
(4,7 %). En revanche et surtout en comparaison avec Berlin, on y
recense peu d’efforts de sauvetage et également peu de Justes. Une
des explications avancées tient à la précocité de la déportation de
masse vers l’Est: elle était achevée en septembre 1942, soit au moment où débutait celle de Berlin.
La Zurichoise d’origine Frieda Impekoven-Tobler était l’épouse
de Toni Impekoven, acteur, écrivain et directeur du théâtre de Franc-
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fort, dont l’opposition résolue au nazisme allait lui coûter la place;
elle était aussi la mère de Nikki Impekoven, célèbre danseuse et actrice. En 1943, elle répondit à l’appel à l’aide de deux Juives. D’une
part, elle procura à plusieurs reprises de la nourriture à une veuve
âgée logée dans une pension, ce qui lui valut un interrogatoire de
la Gestapo; la renommée de sa fille permit toutefois sa libération
rapide. De plus, elle mit son appartement à la disposition d’une
ancienne élève de l’école de théâtre locale pendant qu’elle-même
rejoignait son mari en tournée à Strasbourg. A son retour, sa protégée avait trouvé une nouvelle planque.
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II.5. A Budapest
Les actions de sauvetage de Justes suisses en Hongrie se déroulèrent à Budapest dans les derniers mois de la guerre. Et dans des
circonstances particulièrement tragiques.
Alliée au Reich allemand dès 1940, la Hongrie avait récupéré des
territoires perdus au lendemain de la Première Guerre mondiale,
notamment une partie de la Ruthénie et la moitié septentrionale de
la Transylvanie. Si elle adopta des lois antijuives à partir de 1938, la
Hongrie ne participa toutefois pas aux déportations, si bien qu’elle
représenta un abri pour les rares Juifs des pays environnants (Pologne et surtout Slovaquie) qui pouvaient tenter d’échapper aux déportations. En 1944, la Hongrie constituait le dernier espace sous
domination ou influence de l’Axe dans lequel la «solution finale»
n’avait pas encore été appliquée. Quelque 750’000 Juifs vivaient
dans ses frontières. Ils connurent une sécurité physique, certes relative, jusqu’au 19 mars 1944.
Face à l’avancée inexorable des troupes soviétiques et à la volonté
toujours plus manifeste du gouvernement hongrois de rejoindre
le camp des Alliés, Hitler imposa alors deux séries de mesures au
régent Horthy: un gouvernement de collaboration (dirigé par Döme
Sztójay) et une armada de superviseurs et de conseillers, emmenée
par Edmund Veesenmayer, plénipotentiaire du Führer; Adolf Eichmann arriva à la tête d’un commando spécial pour organiser les déportations. L’hégémonie allemande était donc claire mais il fallait
maintenir la fiction d’une souveraineté hongroise: Horthy restait à
la tête de l’Etat. Cette situation complexe allait tantôt freiner tantôt faciliter les efforts de sauvetage.
22. HILBERG, Raul,
La destruction des
Juifs d’Europe. Paris,
Gallimard, 2006,
(coll. Folio), volume
II, p. 1483.
Eichmann et son équipe se mirent immédiatement au travail. Un
calendrier de la concentration des Juifs de Hongrie, suivie rapidement de leur déportation fut établi. Les premiers touchés seraient
les Juifs de l’Est, du Sud-Est et du Nord, territoires les plus proches des troupes soviétiques et les plus récemment acquis par la
Hongrie. L’opération devait s’achever, au plus tard trois mois après,
avec les Juifs de la capitale. Le 15 mai 1944, le premier train partit
pour Auschwitz-Birkenau, accompagné jusqu’à la frontière slovaque par des Hongrois. Au total, plus de 430’000 Juifs de la province
hongroise furent ainsi déportés en quelques semaines. «La Hongrie – nous rappelle Raul Hilberg22 – fut le seul pays où les auteurs
du crime savaient la guerre perdue lorsqu’ils passèrent à l’action.»
58
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En outre, les déportations se déroulèrent au vu et au su du monde
entier. Deux jeunes Juifs slovaques, Rudolf Vrba et Alfred Wetzler, qui avaient réussi à s’échapper d’Auschwitz-Birkenau en avril
1944, apportèrent le premier témoignage complet sur le camp de
la mort; également connu sous le nom de protocoles d’Auschwitz,
ce témoignage gagna Budapest, puis la Suisse23 et le Vatican. Des
protestations – en particulier du pape, du président Roosevelt et
des pays neutres24 – affluèrent auprès du régent Horthy et du gouvernement hongrois; en Suisse, plus de 200 articles parurent dans
la presse. Le Conseil fédéral fut lui aussi pressé d’intervenir, en
particulier par les représentants des Eglises protestantes. La position officielle, défendue depuis 1933 malgré des pressions toujours
plus fortes visant à refuser aux Juifs le statut de réfugiés politiques
fut abandonnée le 12 juillet 1944. Désormais les Juifs pouvaient
prétendre à l’asile parce qu’ils fuyaient des persécutions. Changement important, mais combien tardif.
Budapest subit de violents bombardements alliés le 3 juillet. Le
7, le régent Horthy ordonna l’arrêt des déportations. Il obtint plus
tard le départ du commando Eichmann. La province hongroise
avait été vidée de sa population juive. Restait la communauté de
Budapest. L’évolution militaire offrait l’espoir d’une délivrance prochaine de la Hongrie du joug nazi: l’armée Rouge pénétra en territoire hongrois en octobre et le même mois la Roumanie signait un
armistice avec les Alliés.
Toutefois, les situations désespérées poussent souvent les plus
fanatiques à des comportements jusqu’au-boutistes. Il y avait de
tels fanatiques en Hongrie: les Croix-fléchées, de farouches antisémites qui procéderaient encore à des rafles de Juifs sous les tirs
de l’artillerie soviétique dans Budapest encerclée; on estime à plus
de 60’000 le nombre de Juifs qu’ils ont tués25. Leur chef, Ferenc
Szálasi, parvint au pouvoir le 16 octobre 1944. Eichmann revint le
lendemain.
A Budapest, deux ghettos furent créés en novembre: le ghetto international et le grand ghetto. Le premier regroupait les Juifs au
bénéfice d’une protection des pays neutres, l’autre ceux qui en
étaient dépourvus. Les rafles se poursuivirent. Des dizaines de milliers de Juifs se virent contraints à des marches forcées en direction de l’Autriche; beaucoup moururent en chemin. L’armée Rouge
avait totalement encerclé la ville à Noël, elle libéra le quartier de
Pest le 18 janvier, celui de Buda un mois plus tard. Quelque 130’000
Juifs avaient survécu dans Budapest dévastée.
59
23. La version de ce
document transmise
au Conseil fédéral est
accessible sous www.
dodis.ch, Document
DoDiS 11979.
24. Le Roi de Suède
protesta le 30 juin,
alors que les protestations suisses
– Conseil fédéral et
CICR – ne parviendraient à Horthy
qu’après l’arrêt des
déportations.
25. TSCHUY, Theo,
Carl Lutz und die
Juden von Budapest.
Zurich, NZZ Verlag,
1995, p. 334.
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Dans les actions de sauvetage menées par des Suisses à Budapest,
deux noms occupent une place prééminente, celui de Carl Lutz,
chef de la Division des intérêts étrangers à la légation de Suisse,
et celui de Friedrich Born, délégué du CICR. Ils furent aussi, avec
Gertrud Lutz, les premiers à avoir reçu la médaille des Justes. Plus
récemment toutefois, Yad Vashem a honoré d’autres Suisses. Peter
Zürcher et son adjoint Ernst Vonrufs ont poursuivi l’action de Carl
Lutz dans Pest assiégée durant les dernières semaines de la guerre.
Avec tout autant de courage, Harald Feller assuma durant ces mêmes semaines la lourde tâche de diriger la légation de Suisse; il
cacha en outre plusieurs Juifs dans sa résidence. Des caches, Sœur
Hildegard Gutzwiller et l’industriel Otto Haggenmacher en procurèrent eux aussi à des dizaines d’enfants persécutés. Par ailleurs,
une proposition de nomination d’un collaborateur de Born a été
soumise en 2006 à Yad Vashem.
II.5.1. Carl Lutz: lettres, passeports et maisons de protection
Carl Lutz
Carl Lutz arriva à Budapest avec son épouse Gertrud le 2
janvier 1942. Le couple s’était connu aux Etats-Unis et fut
envoyé en 1935 au consulat de Suisse en Palestine. Lutz
rejoignit la capitale hongroise pour une mission précise,
déjà remplie en Palestine depuis 1939: assurer la protection d’intérêts étrangers. Des pays en guerre n’entretiennent plus de relations diplomatiques, mais la nécessité
de protéger des biens et des citoyens se trouvant sur territoire ennemi demeure. Cette mission est confiée à un
Etat tiers, appelé dès lors Puissance protectrice. Durant
la guerre, la Suisse assura quelque 200 mandats de représentation d’intérêts étrangers. Dans le cas de Budapest,
Lutz eut à protéger les intérêts d’une dizaine d’Etats,
parmi lesquels la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, deux Etats
en guerre avec la Hongrie depuis décembre 1941. Carl Lutz établit
son bureau dans le bâtiment de l’ancienne légation des Etats-Unis,
situé place de la Liberté (Szabadság tér) à Pest; il fit du bâtiment
de l’ancienne légation de Grande-Bretagne, sur la colline de Buda,
sa résidence privée.
Dans le contexte de la Shoah, la représentation des intérêts britanniques prenait une importance toute particulière. En effet, la
Grande-Bretagne exerçait un mandat sur la Palestine, territoire qui
constituait de fait pour les Juifs une des rares possibilités d’im-
60
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migration, et surtout la
plus attrayante dans une
perspective sioniste. Une
possibilité pourtant tragiquement limitée: en 1939,
les Britanniques avaient
fixé à 75’000 le quota de
Juifs autorisés à y immigrer
dans les cinq ans. L’Agence
juive pour la Palestine, qui
disposait de bureaux dans
plusieurs pays, organisait
cette immigration. Avec Carl
Lutz, elle parvint à envoyer
environ 10’000 enfants juifs
vers la Palestine de 1942 à
mars 1944, en majorité des
enfants dont les parents avaient été déportés. Lutz contribua à obtenir pour eux les autorisations nécessaires des Britanniques, des
Hongrois et des pays de transit.
Gertrud Lutz
A leur arrivée en mars 1944, les Allemands ordonnèrent la fermeture des frontières. Lutz protesta auprès de Veesenmayer contre
l’impossibilité faite aux détenteurs d’une autorisation d’immigration en Palestine (certificat palestinien) de quitter le pays. Environ
8’000 Juifs26 se trouvaient dans cette situation. En attendant leur
départ, Lutz leur avait remis des lettres de protection (Schutzbriefe) attestant leur statut et destinées à prévenir toute mesure contre
eux, comme la déportation ou le travail forcé. Veesenmayer déclara
qu’il acceptait le principe de les laisser partir. Il demanda à Lutz
de régler les aspects pratiques avec son adjoint Eichmann, qu’il
présenta comme le responsable des questions d’ordre technique,
telles que transports et horaires.
De longues négociations débutaient. Avec Eichmann qui déclara
qu’il n’avait pas d’instruction de Berlin. Avec les Hongrois dont
Lutz obtint finalement, fin juillet, les autorisations d’émigration.
Une nouvelle fois avec Eichmann ensuite, à qui il demanda d’organiser le transport des 8’000. L’Allemand lui proposa un marché diabolique: les 8’000 pourraient partir à la condition que Lutz renonce
à porter secours à d’autres Juifs en leur distribuant des lettres de
protection. Le Suisse demanda à réfléchir, ce qui signifiait un refus.
En fin de compte, les 8’000 ne sont jamais partis.
61
26. Plusieurs chiffres
ont circulé et circulent encore (7’000,
7800, 8’000, 8’234).
8’000 est celui que
Lutz donna à Veesenmayer, selon Theo
Tschuy (op. cit.,
p. 146).
L es
27. Archives fédérales suisses, E 2001
(D) 1968/74, vol.
14 (B.55.45.28 Ho),
Note d’entretien,
28.07.1944.
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En effet, la fabrication et la distribution des lettres de protection
avaient considérablement augmenté. Des dizaines, voire des centaines de Juifs se pressaient chaque jour devant les bureaux de
Lutz dans l’espoir d’obtenir ces précieux documents. Fin juillet,
lors d’une visite à Berne, Gertrud Lutz rapporta que 40’000 lettres
de protection avaient été délivrées, les déportations ayant conduit
son mari à étendre aux familles les effets des documents initiaux27.
En effet, Carl Lutz négociait alors avec les Allemands le départ non
plus de 8’000, mais de 40’000 personnes, tentant de faire admettre
que le chiffre communiqué à Veesenmayer se référait à des familles
31. D’autres lettres de protection: Milorad Tosic et Eduard Hürlimann
Parmi la dizaine de pays dont la Suisse représentait les intérêts à Budapest figurait la Yougoslavie. A la légation, la personne qui défendait ces intérêts au quotidien était, depuis novembre
1944, Eduard Hürlimann, jusqu’alors responsable de l’enregistrement. Le Suisse a entretenu des
contacts réguliers avec un ressortissant yougoslave, Milorad Tosic, allant jusqu’à la distribution de
lettres de protection falsifiées.
L’industriel Milorad Tosic vivait à Belgrade lorsque l’Allemagne envahit son pays en avril 1941.
Il se rallia au mouvement de résistance des chetniks du colonel serbe Mihaïlovitch, favorable au roi
Pierre II – l’autre mouvement de résistance était dirigé par Tito, un Croate procommuniste. Arrêté
par la Gestapo en juillet 1943, Tosic put toutefois s’enfuir avec son épouse, également engagée dans
la Résistance, grâce à l’intervention d’un parent. Les chetniks les firent immédiatement passer en
Hongrie en les cachant dans un wagon-lit. Le couple résida dès lors dans le grand hôtel Gellert,
dont le directeur était un ami des Serbes; à Noël 1944, Hürlimann proposa de les héberger dans
sa maison, mais Tosic préféra rester à l’hôtel.
Milorad Tosic porta secours à de nombreux Juifs yougoslaves, mais aussi hongrois. Il put compter
en particulier sur la collaboration d’Eduard Hürlimann, qui lui remettait des lettres de protection
en lui précisant que les numéros étaient faux. Milorad Tosic évalue aujourd’hui à une quarantaine
le nombre de documents qu’il a ainsi distribués à ses compatriotes. Cela lui a aussi permis de sortir
des Juifs du grand ghetto pour les placer dans des maisons protégées. Parmi les personnes sauvées
figuraient ses beaux-parents Julius et Klara Gutmann.
Milorad Tosic resta à Budapest après l’arrivée des troupes soviétiques. Il fut capturé le 27 avril
1945 par les partisans de Tito, qui contrôlaient le pouvoir en Yougoslavie, et transféré à Belgrade.
Son fils naquit quatre jours plus tard à Budapest mais il dut attendre onze ans avant de le rencontrer, ayant été contraint à une peine de neuf ans de travaux forcés.
En 1960, il arriva en Suisse comme réfugié politique. Yad Vashem l’honora en 1978, à Berne, en
même temps que Gertrud Lutz. Il acquit la nationalité suisse peu après. Sa plaque à Yad Vashem
porte l’inscription «Yougoslavia (Switzerland)». Milorad Tosic vit aujourd’hui à Lausanne.
Quant à Eduard Hürlimann, il faillit mourir lors de l’arrivée des troupes soviétiques. En effet,
des soldats russes, ivres, firent irruption dans sa maison, pourtant au bénéfice d’une protection
diplomatique, et violèrent les filles d’une famille amie du diplomate suisse qui y avaient trouvé abri.
Tentant de s’interposer, Eduard Hürlimann fut grièvement blessé par les tirs des soldats.
62
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et non à des personnes (les certificats palestiniens étaient
effectivement établis pour tous les membres d’une même
famille).
Autre idée ingénieuse développée par Lutz, les passeports
de protection suisses (Schutzpässe). Il s’agissait à l’origine
d’une banale mesure administrative, ces documents collectifs étant établis pour assurer le transit par la Roumanie
des titulaires d’un certificat palestinien. Ces passeports
contenaient les noms et photos des porteurs d’une lettre
de protection, alors que la lettre précisait que les coordonnées de son titulaire avaient été intégrées dans un passeport collectif. Le premier passeport fut établi le 29 juillet.
Avec la fabrication de lettres de protection qui n’étaient
plus couvertes par les certificats palestiniens, les passeports allaient offrir une sécurité supplémentaire aux personnes munies de
lettres. En effet, ces lettres portaient toujours un numéro entre 1 et
8’000 pour ne pas éveiller les soupçons des Allemands et Hongrois.
Le texte restait inchangé et rappelait que son titulaire avait été
inscrit dans un passeport collectif, ce qui indiquait qu’il était destiné à rejoindre la Palestine. Les passeports collectifs ne quittant
jamais le bureau de Lutz, Allemands et Hongrois ne pouvaient pas
procéder aux vérifications28.
Milorad Tosic
Combien y eut-il de lettres de protection suisses? On n’en connaîtra jamais le nombre exact. Le 28 août 1945, un article de la Basler Nationalzeitung avança le chiffre de 80’000, chiffre que Lutz
confirma peu après et que son biographe Theo Tschuy a finalement
retenu.
En juillet, Lutz parvint à faire accepter aux Hongrois une autre
mesure, plus audacieuse et décisive encore que les passeports de
protection: les maisons protégées (Schutzhäuser). A Budapest, la
concentration des Juifs, prélude à leur déportation, avait été engagée. Porteurs ou non de lettres de protection, ils avaient été placés
dans des maisons à étoile jaune, cibles évidentes en cas de rafles. Lutz s’adressa au ministère hongrois des Affaires étrangères.
Il demanda des maisons pour y loger les titulaires de lettres de
protection suisses. Il en obtint 72 aux alentours de l’avenue Pozsonyi, qui pouvaient abriter environ 15’000 personnes, chiffres élevés
plus tard à 76 maisons et 17’000 personnes. Restait bien sûr à assurer le maintien de l’immunité diplomatique. De jeunes Juifs (des
Chalutzim, ou pionniers) surveillaient jour et nuit les entrées des
immeubles, avertissaient Lutz ou ses collaborateurs aussitôt que
63
28. Aujourd’hui deux
volumes sont conservés aux Archives
fédérales suisses, un
troisième à Zurich
(Archiv für Zeitgeschichte), un dernier
aux Archives nationales hongroises.
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des nazis ou leurs complices hongrois menaçaient de s’en prendre
à leurs habitants.
Des diplomates d’autres pays neutres multiplièrent aussi les efforts de sauvetage. Suédois, Espagnols et Portugais reprirent l’idée
des lettres de protection29. Raoul Wallenberg arriva à Budapest le
9 juillet 1944. Sur insistance américaine, Stockholm l’avait envoyé
en Hongrie avec la mission de sauver le plus de Juifs possible. Wallenberg entra en contact avec Lutz. Peu après, il obtint 31 ou 32
maisons protégées pour la Suède, à proximité des maisons suisses. Quelques maisons furent aussi octroyées aux Portugais, aux
Espagnols et au nonce apostolique, Angelo Rotta, le plus résolu
des chefs des missions diplomatiques à Budapest.
29. La Division des
intérêts étrangers
de la légation suisse
a également établi
des passeports
individuels de
protection (entre
300 et 400),
essentiellement
à l’attention de
ressortissants
américains et
britanniques. A partir
d’août 1944, les
Suédois établirent
aussi des passeports
de protection
(Schutzpässe). La
Hongrie en avait
autorisé 4’500.
Contrairement aux
suisses, il s’agissait
de documents
individuels et non
pas collectifs. GANN,
Christoph, Raoul
Wallenberg. So viele
Menschen retten wie
möglich. Munich,
Beck, 1999, pp. 56 sq.
Après l’arrivée au pouvoir des Croix-fléchées et le retour d’Eichmann, la sécurité que pouvaient procurer les lettres de protection
se trouva encore plus incertaine. Le 18 octobre déjà, le nouveau
ministre hongrois de l’Intérieur, Vajna, annonça que les lettres et
autres documents de protection n’étaient plus reconnus par la
Hongrie et que tous les Juifs devaient rejoindre immédiatement
les maisons à étoile jaune. Les neutres et le CICR protestèrent. Le
29 octobre, grâce semble-t-il au ministre des Affaires étrangères,
les documents furent à nouveau reconnus, à la condition toutefois
que tous les porteurs de lettres soient regroupés dans des maisons protégées avant le 15 novembre; dès cette date, ces maisons
constituèrent le ghetto international. A partir du 18 novembre, Gertrud Lutz apporta quotidiennement du thé et d’autres formes de
soutien aux habitants de ce ghetto.
Au vu du nombre de documents distribués et des faux qui n’avaient
pas manqué de faire leur apparition, le nombre de porteurs de lettres
dépassait celui des places disponibles. La police hongroise organisa
des rafles à partir du 21 novembre et évacua des centaines de Juifs.
Autre menace, les rafles opérées pour alimenter le contingent de
travailleurs forcés obtenu par les Allemands pour des travaux de
défense de Vienne. Ces rafles jetèrent des milliers de personnes
affamées vers une briqueterie au Nord-Ouest de la ville, camp provisoire d’où elles étaient envoyées en direction de l’Autriche en
colonnes de 1’000 personnes.
C’est alors que Lutz reçut un ordre machiavélique du ministre
hongrois de l’Intérieur. Dans cette briqueterie, il devrait identifier les lettres de protection falsifiées dont les détenteurs seraient
contraints à la marche forcée. L’existence de ces falsifications était
64
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32. Carl et Gertrud Lutz dans la briqueterie d’Óbuda
«Des centaines de détenteurs de sauf-conduits avaient déjà été amenés à la briqueterie et il fallait
contrôler d’innombrables papiers d’identité. Pour nous, c’était indubitablement la tâche la plus
pénible jamais entreprise. Un jour, ma femme et moi nous restâmes debout quatre heures dans la
neige et la glace, à l’intérieur de la briqueterie infâme d’Óbuda, à accomplir la triste tâche de trier
les sauf-conduits. Nous assistâmes à des scènes déchirantes. Cinq mille malheureux étaient debout, en colonne, grelottants, tremblants, affamés, portant des petits baluchons d’effets personnels,
et me montraient leurs papiers. Je n’oublierai jamais leurs visages épouvantés. La police devait
intervenir constamment parce que les gens déchiraient presque mes vêtements en plaidant leur
cause. C’était le dernier sursaut de leur volonté de vivre, avant de céder à une résignation qui se
terminait habituellement par la mort. Pour nous, nous étions torturés mentalement de devoir trier
ces documents. Nous vîmes des êtres humains frappés avec des fouets à chiens. Nous-mêmes étions
menacés ouvertement si nous intervenions.»
d’autant moins un secret de polichinelle que, sur certaines lettres,
le mot «Suisse» contenait une faute d’orthographe. Ceux qui possédaient une lettre non falsifiée pourraient retourner à Budapest.
Dans le cas où Lutz refusait, tous seraient déportés. C’est avec son
épouse Gertrud qu’il dut exécuter cette tâche inhumaine.
Cette marche forcée en plein hiver fit des milliers de morts, tombant d’épuisement au bord de la route ou froidement abattus, malgré les efforts redoublés de Raoul Wallenberg, de Friedrich Born,
le délégué du CICR, et de Carl Lutz, qui distribuaient secours et
lettres de protection.
II. 5.2. Le Bureau d’émigration de la légation de Suisse et la Maison de verre
A l’origine, les lettres de protection délivrées par Lutz étaient destinées aux détenteurs d’un certificat palestinien. Ces documents
étaient établis par l’Agence juive pour la Palestine et devaient
être contresignés par les autorités britanniques. Le bureau de Budapest de l’Agence et son directeur exécutif, Moshe (ou Miklos)
Krausz, collaboraient donc étroitement avec Lutz et sa Division des
intérêts étrangers. Après le 19 mars 1944, ce bureau se vit contraint
à fermer ses portes. Selon un arrangement passé avec Lutz, le bureau fut hébergé dans les locaux mêmes de l’ancienne légation des
Etats-Unis et ses quelque 30 collaborateurs reçurent des laissezpasser suisses. L’office prit le nom de Bureau d’émigration30.
A côté des collaborateurs de Lutz et de Krausz, des jeunes Juifs ont
joué un rôle indispensable et souvent décisif dans le sauvetage de
65
30. Nous reprenons
ici le terme utilisé par
Lutz dans des rapports d’après-guerre.
D’autres appellations
ont circulé.
L es
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L es
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dizaines de milliers de Juifs de Hongrie. Ces jeunes pionniers – ou
Chalutzim – ont rempli les fonctions d’informateurs, d’agents de
liaison, de surveillants des maisons protégées et, enfin, de ravitailleurs. Environ 200 d’entre eux tombèrent sous les coups ou les
balles des nazis et des Croix-fléchées. Maillons indispensables, les
Chalutzim avaient leur quartier général dans la cave de l’ancienne légation des Etats-Unis et Lutz leur donna des papiers d’identité suisses. L’un de ces pionniers – Alexander Grossman – s’établit en Suisse
après la guerre; il allait rédiger la première biographie de Lutz.
La foule qui se pressait chaque jour devant le Bureau d’émigration de la légation de Suisse pour tenter d’obtenir des lettres de
protection obligea à explorer de nouvelles voies pour éviter des
représailles allemandes à l’égard d’un bâtiment américain que la
Suisse s’était engagée à protéger. La solution s’appela Maison de
verre. Ce bâtiment avec de larges vitres se trouvait dans le même
quartier, rue Vadász, et appartenait à Arthur Weisz. Lutz lui proposa de travailler dans le Bureau d’émigration et de reloger celui-ci
dans la Maison de verre, qui deviendrait une annexe de la légation
de Suisse, bénéficiant de son immunité diplomatique. L’industriel
Weisz, qui n’avait plus d’emploi, accepta avec reconnaissance. Le
ministère hongrois donna son feu vert à la solution.
67
La Maison de Verre
à Budapest
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Le 24 juillet, le Bureau d’émigration déménagea à la Maison de
verre. Après la prise du pouvoir par les Croix-fléchées, ce bâtiment
de trois étages avec cour intérieure devint rapidement un abri pour
persécutés. A la fin du mois d’octobre, ils étaient déjà 800 à s’y entasser. Un immeuble adjacent ainsi qu’un troisième bâtiment dans
le même quartier (rue Wekerle) s’ajoutèrent à la Maison de verre et
plus de 4’000 personnes y trouvèrent refuge. La situation était effroyable: les Chalutzim tentaient de ravitailler les milliers de locataires de la Maison de verre et à l’origine il n’y avait qu’un cabinet
de toilettes. Quant à l’ancienne légation des Etats-Unis, place de la
Liberté, elle a abrité jusqu’à 130 personnes, y compris des chefs de
la communauté juive de Budapest et des Juifs américains.
II.5.3. Achever le sauvetage dans Pest assiégée: Peter Zürcher et Ernst Vonrufs
Résidence à Buda et bureau à Pest, dans les bâtiments des deux
principales puissances dont il devait protéger les intérêts: des choix
s’imposaient pour Carl Lutz en cas de rupture des communications
entre les deux quartiers de la ville. Il anticipa ce moment et, avec
l’aval de Berne, désigna pour le représenter à Pest deux
Suisses qui avaient rejoint son service peu auparavant:
Peter Zürcher et Ernst Vonrufs, actifs depuis plusieurs années dans l’industrie textile de la capitale hongroise. Ils
“succédèrent” à Lutz fin 1944.
Peter Zürcher
Leur engagement se révéla de courte durée, Pest étant
libérée du joug des nazis et des Croix-fléchées le 18 janvier 1945. Mais combien important, puisque le quartier
abritait les 76 maisons protégées suisses du ghetto international, la Maison de verre et le grand ghetto où s’entassaient quelque 70’000 Juifs, dont des porteurs de lettres de protection de la Suisse et du CICR. Des bandes de
Croix-fléchées multipliaient les attaques contre ces trois
îlots dont l’existence venait leur rappeler l’échec des maîtres qu’ils
avaient suivis aveuglément.
La nuit de la Saint-Sylvestre, les bandes Croix-fléchées attaquèrent la
Maison de verre, tirant des coups de feu et lançant une grenade. 800
personnes furent mises à la rue. Alertés, Zürcher et Vonrufs intervinrent. Le calme revint finalement, mais Arthur Weisz y perdit la vie.
La situation devenait toujours plus chaotique. Tirs et incendies
rythmaient les jours et les nuits d’un hiver particulièrement froid.
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Le gouvernement était replié à Sopron, près de la frontière autrichienne. Des bandes de Croix-fléchées toutes-puissantes poursuivaient les rafles; elles avaient ainsi capturé près de 300 Juifs dans
les maisons protégées suédoises, puis les avaient abattus sur les
rives du Danube et jeté leurs cadavres à l’eau. Zürcher et Vonrufs
avaient encore deux interlocuteurs chez les Croix-fléchées: le maire
de Budapest et le représentant à Budapest du gouvernement, Ernö Vajna, le frère du ministre de l’Intérieur.
Le premier leur déclara qu’il respecterait l’immunité
diplomatique des bâtiments, mais pas de leurs occupants juifs. Début janvier 1945, toute l’œuvre de sauvetage mise sur pied par Lutz et son équipe se trouvait
donc menacée. Les deux Suisses obtinrent du commandant militaire de Pest que les SS protègent l’ancienne légation américaine.
Dans les maisons protégées du ghetto international,
des bandes de Croix-fléchées capturèrent 5’000 Juifs,
puis les placèrent dans le grand ghetto, surpeuplé et
objet d’attaques incessantes. Un sort identique menaçait les 12’000 Juifs protégés par la Suisse qui se
trouvaient encore dans le ghetto international. Mais Zürcher et
Vonrufs négocièrent avec Ernö Vajna et cherchèrent surtout à gagner du temps avant l’arrivée de l’armée Rouge. La dernière alerte
eut lieu le 15 janvier. Zürcher et Vonrufs eurent vent de préparatifs d’une attaque d’envergure contre le grand ghetto. Ils coururent avertir l’adjoint au maire, qu’ils savaient sensible à des arguments humanitaires. L’arrivée des Suisses semble avoir achevé de
convaincre Pál Szalay de réagir, en sortant le grand jeu: il menaça
le général allemand Schmidthuber de le traduire en justice aprèsguerre s’il ne protégeait pas le grand ghetto avec ses hommes.
Schmidthuber acquiesça, l’attaque n’eut pas lieu.
II.5.4. Friedrich Born et la protection des enfants
A côté de l’armée Rouge, des acteurs diplomatiques, des pionniers
et autres résistants juifs, les acteurs humanitaires ont également
joué un rôle très important dans le sauvetage des Juifs de Budapest. Dans le domaine humanitaire, si une institution pouvait se
doter de moyens d’envergure en raison de son statut, c’était bien le
Comité international de la Croix-Rouge. Certes, le rôle traditionnel
de délégué du CICR, celui que lui conféraient les Conventions de
Genève de 1929, consistait à protéger et à assister les prisonniers
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Ernst Vonrufs
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Friedrich Born
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de guerre et les civils ennemis internés. Au sens strict, cette mission excluait les victimes de la Shoah, persécutés raciaux. Il y a
près de vingt ans déjà, l’historien Jean-Claude Favez
a consacré une brillante étude au dilemme auquel le
CICR fut confronté durant la Seconde Guerre mondiale: dans une Europe longtemps dominée par le
Reich, apporter un soutien trop visible aux victimes
qui en avaient le plus besoin – les Juifs – n’empêcherait-il pas de secourir d’autres victimes, pas nécessairement menacées dans leur vie mais auxquelles des
conventions internationales exigeaient qu’il apporte
un secours? Le Reich ne tirerait-il pas prétexte que
le CICR s’occupe trop des Juifs pour lui interdire de
s’occuper des prisonniers de guerre et des réfugiés
civils sur les vastes territoires qu’ils contrôlait, entraînant des représailles alliées, réduisant le CICR à
l’impuissance et minant durablement sa crédibilité?
Longtemps, l’institution genevoise s’est attachée à ne pas sortir de
sa mission stricte.
Et les instructions données au premier délégué envoyé en Hongrie,
Jean de Bavier en octobre 1943, allaient encore dans ce sens. Sur
place, de Bavier prit toutefois clairement conscience des menaces
qui pesaient sur la grande communauté juive. Le 18 février 1944, il
écrivait à la Centrale: «Un problème d’une extrême gravité risque
de se poser ici en cas d’occupation allemande. Il s’agit du sort des
huit cent mille israélites hongrois qui vivent en Hongrie. En ayant
à l’esprit ce qui se passe en Allemagne et dans les territoires occupés, il serait urgent que vous m’indiquiez sous quelle forme une
protection pourrait leur être offerte afin d’atténuer les maux qui les
menacent. Je vous serais reconnaissant de toutes les instructions à
cet égard afin de ne pas abandonner cette population.» 31 Le message ne parvint toutefois à Genève que le 14 mars 1944.
31. Cité in BEN-TOV,
Arieh, Face au génocide. La Croix-Rouge
et les Juifs de Hongrie, 1941-1945.
Lausanne, Payot,
1997, p. 63.
32. Cité ibidem,
p. 90.
L’occupation allemande, le 19 mars, entraîna un changement de
délégué. Le Bernois Friedrich Born, très bon connaisseur de la
Hongrie où il représentait depuis plusieurs années l’Office suisse
d’expansion commerciale, succéda à un Jean de Bavier qui ne maîtrisait pas l’allemand. Arrivé à Budapest en mai, il réclama lui aussi
des directives nouvelles: «L’idée d’assister impuissant et désarmé à
ces événements funestes m’est presque insupportable»32.
De fait, Born allait beaucoup s’engager en faveur des Juifs de Budapest, particulièrement après l’arrivée au pouvoir des Croix-flé-
70
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cheés. Sa délégation compterait jusqu’à 250 personnes, pour l’essentiel du personnel local. La synthèse de ses activités, un rapport
de juin 1945, comporte 68 pages bien serrées. On peut toutefois
dégager trois actions principales: les secours matériels, les lettres
de protection et surtout les foyers et hôpitaux. Et une attention
toute particulière portée aux enfants.
Avec l’accord, âprement négocié, du gouvernement hongrois, Born
et ses collaborateurs portèrent secours aux Juifs déportés dans les
camps de concentration de Kistarcsa et de Szarvar, ainsi que dans
les ghettos de la capitale. Des organisations de secours, principalement américaines, fournirent les fonds nécessaires à l’achat de
vivres, de vêtements et de médicaments qu’il s’agissait ensuite de
distribuer. Cette tâche revint en particulier à la section A de la délégation du CICR, section créée en septembre 1944 et dont le seul
mandat consistait à protéger et à secourir les Juifs persécutés. Born
plaça à sa tête Otto Komoly, président de l’Organisation sioniste
hongroise; les Croix-fléchées allaient l’abattre début 1945.
Friedrich Born et son équipe vouèrent une attention toute particulière au sauvetage des enfants dont les parents avaient été déportés ou restaient introuvables. Contre les bandes de Croix-fléchées
et contre les Allemands, il ne suffisait pas de leur porter secours
dans les ghettos, les camps, les foyers ou les hôpitaux. Il fallait
encore leur assurer une protection aussi solide que possible. La
solution la plus fiable, que Born réussit à obtenir après de nombreuses démarches, consista à faire reconnaître par les autorités
hongroises un statut d’exterritorialité pour les établissements où
ces enfants se trouvaient regroupés. Toute personne souhaitant y
entrer devait présenter un laissez-passer délivré par la délégation
du CICR.
Born obtint la reconnaissance de ce statut non seulement pour des
établissements existants mais aussi pour ceux que lui et son équipe
mettraient sur pied. Il installa ainsi un hôpital pédiatrique de fortune dans un collège abandonné et lui annexa une petite maternité.
Des familles mirent gratuitement à disposition des maisons pour
créer des foyers pour enfants. En juin 1945, Born fit état de plus
de 150 établissements placés sous la protection du CICR: foyers,
hôpitaux, cantines populaires, dépôts de vivres, appartements de
Juifs travaillant en collaboration avec la délégation. Parmi eux, on
comptait 60 foyers hébergeant 7’000 enfants.
Cette protection restait malgré tout précaire. Lors de la création
du grand ghetto en novembre 1944, ordre fut donné d’y confiner
71
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également les Juifs des foyers et hôpitaux placés sous la protection
du CICR. Born parvint à éviter que la mesure s’applique à certains
de ses protégés. Il réussit également à faire ressortir 500 enfants
du grand ghetto. Victoires certes partielles, mais combien importantes. Des bandes de Croix-fléchées s’attaquèrent aussi à des hôpitaux protégés. Born dut intervenir personnellement pour faire
respecter le statut d’exterritorialité de ces bâtiments. Malheureusement, et quelques jours seulement avant l’arrivée des troupes
soviétiques, il ne put empêcher le pire. Une bande massacra sauvagement les malades et le personnel soignant de l’hôpital juif situé
rue Varosmajor. Le carnage fit 154 morts.
A partir de septembre 1944, Born délivra également des lettres de
protection du CICR, 30’000 au total selon son rapport. Il les distribua à ses collaborateurs juifs, puis à tous ceux qui pouvaient se
prévaloir d’un lien quelconque avec la délégation du CICR, ainsi
qu’à des détenteurs d’un certificat palestinien.
II.5.5. Les caches: résidences diplomatiques, couvent, maison privée
Avec celui procuré par le consul de Suisse à Bratislava33, les abris
offerts par Harald Feller d’une part, par Gertrud et Carl Lutz d’autre
part constituent les seuls exemples connus de caches dans des résidences de diplomates suisses durant la guerre.
33. Max Grässli et
sa femme ont caché
des Juifs dans leur
demeure. FAVEZ,
Jean-Claude, Une
mission impossible?
Le CICR, les
déportations et
les camps de
concentration nazis.
Lausanne, Payot,
1989, p. 280.
L’avocat bernois Harald Feller avait rejoint la légation de Suisse à
Budapest en 1943 avant d’en assumer la direction effective à partir
du 12 décembre 1944. Après l’arrivée au pouvoir des Croix-fléchées,
le ministre Maximilian Jaeger était parti sans retour – manière pour
Berne de prendre ses distances avec le nouveau régime. Son adjoint, Anton Kilchmann, fut rapidement rapatrié pour raisons de
santé. Dès lors, Feller, supérieur hiérarchique de Lutz, puis de Zürcher et de Vonrufs, se dépensa sans compter, prenant souvent de
grands risques. Sur ordre de Berne, il avait dû évacuer quatre Suissesses d’origine juive qui avaient perdu leur nationalité en raison
de leur mariage avec des Hongrois. L’une d’elles était la Saint-Galloise Berta Rottenberg-Passweg, accompagnée ses deux filles: Eva,
sept ans, et Vera, six semaines, qui deviendrait la première femme
à exercer la fonction de juge fédéral. Harald Feller se démena pour
organiser le voyage à travers la Hongrie, puis l’Autriche.
Fin 1944, Feller fut arrêté par des Croix-fléchées et soumis à un interrogatoire musclé de plusieurs heures à leur quartier général. Les
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services secrets soviétiques le
capturèrent le 16 février 1945
pour des raisons qui restent
en partie obscures. Il passa
une année dans les geôles
moscovites avant de bénéficier
d’un échange de diplomates
suisses capturés par Moscou
contre des Soviétiques internés dans notre pays durant la
guerre.
Harald Feller organisa deux caches, l’une dans sa résidence
privée, l’autre dans la chancellerie de la légation suisse, qui
se trouvait depuis mi-novembre dans le palais Esterházy à
Buda.
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34. Le voyage de Berta Rottenberg et ses
filles de Budapest à Saint-Gall
««Nous avions été installées dans une maison, le Swiss
Home, en attendant notre départ. Ma mère, enceinte,
tremblait de devoir partir avant d’avoir accouché. Ma sœur
est née le 15 août, nous avons quitté Budapest début octobre. Monsieur Feller, qui s’était occupé de nous et avait
organisé le voyage, avait cependant averti ma mère qu’une
fois hors de Hongrie, il ne pourrait plus rien pour nous et
que nous voyagions sous notre responsabilité. Je n’oublierai jamais la nuit que nous avons dû passer à Vienne».
Eva Koralnik[-Rottenberg] évoque avec effroi rétroactif le
scénario incroyable que le diplomate Feller avait réussi à
mettre sur pied dans la Vienne nazie […]. «Des officiers
SS sont venus nous chercher sur le quai. Ma mère qui
était terrorisée, souhaitait rester à la gare pour attendre
le train pour la Suisse qui devait partir tôt le lendemain
matin. Mais on nous a dit que nous devions être protégées
et qu’il était impensable de laisser quatre femmes suisses
avec enfants seules à la gare. On nous a emmenées au
quartier général des SS». […] Les quatre femmes ont dû
déposer leurs bagages à la réception. Le lendemain matin,
tout avait disparu. «Les SS nous ont ramenées à la gare.
J’avais reçu pour consigne de ne jamais dire que j’étais
juive et, si on me demandait où était mon père, de répondre
qu’il était soldat au front». Interné dans un camp de travail en Hongrie, Willi Rottenberg a pu rejoindre, non sans
difficulté, sa famille en Suisse après la guerre»».
Dans sa résidence privée, il
cacha au total neuf Juifs pendant plusieurs mois, assurant
également leur entretien à ses
propres frais. L’un d’eux était
le poète Gábor Devecseri, traducteur hongrois de Carl Spitteler et de Gottfried Keller, que
sa femme et ses deux fils allaient rejoindre; fin décembre,
prenant de gros risques, Feller sortit du ghetto les beaux-parents de Devecseri et les emmena
chez lui. Après l’arrivée au pouvoir des Croix-fléchées, il accorda
aussi l’asile à Gyula Molnar, un Juif qui avait épousé la Suissesse
Viola Goldberger dont il facilita le départ pour la Suisse, ainsi qu’à
un ami de Molnar.
Dans le bâtiment de la chancellerie de la légation, palais Esterházy,
Feller cacha une cinquantaine de personnes dont près de 40 étrangers. Parmi eux se trouvaient le ministre de Suède, Danielsson, et
la plupart de ses collaborateurs, sauf Wallenberg qui poursuivait
avec détermination et courage son action de sauvetage sous les
tirs allemands et soviétiques. Les Suédois représentaient les intérêts soviétiques et, la veille de Noël, des bandes de Croix-fléchées
73
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avaient attaqué leur légation. Pour des raisons de
sécurité, à la même époque, Feller avait conduit
dans l’abri antiaérien du
palais les personnes qui
avaient trouvé refuge dans
sa résidence privée. Six
ou sept bombes étaient
tombées sur le palais,
une bombe de 1’000 kilos
se trouvait dans le jardin
sans avoir explosé34.
Les personnes
ayant trouvé refuge
dans l’ancienne
légation de GrandeBretagne, dont Carl
Lutz (sur la droite
avec un chapeau),
Gertrud Lutz (au
milieu) et, devant
elle, la petite Agnes
et, à sa gauche,
la mère de celle-ci
Magda Csányi
34. Sur ceci, Archives
fédérales suisses, E
2001 (D) 7, vol. 15,
Zwischenbericht von
Oberrichter Kehrli
vom 14. Mai 1946,
pp. 60-62 et Bericht
von Oberrichter Kehrli
vom 27. Juli 1945,
p. 82.
35. Récit publié in
KANYAR BECKER,
Helena (Ed.), Gertrud
Lutz-Fankhauser:
Diplomatin und
Humanistin. Bâle et
Berne, 2006,
pp. 18-29.
Enfin, troisième cache diplomatique importante située à quelques
centaines de mètres des deux autres, la résidence de Carl et Gertrud
Lutz dans le bâtiment de l’ancienne légation de Grande-Bretagne.
Plus petit et moins bien protégé que celui de la chancellerie au palais Esterházy, l’abri antiaérien servit tout de même de refuge à une
vingtaine de personnes entre Noël et le 12 févier 1945. Au personnel
de maison de la légation suisse s’ajoutaient une famille britannique
et quelques Hongrois, dont une mère et sa jeune fille; Carl Lutz allait
épouser Magda Csányi en 1949 et adopter sa fille Agnes. Dans des
circonstances là aussi très difficiles (il n’y eut très vite ni lumière ni
nourriture), Gertrud Lutz se dépensa sans compter. En 1978, elle a
fait le récit de ces six semaines d’angoisse quotidienne, mais aussi
de compassion et d’entraide35.
Des couvents servirent aussi de refuge. Sœur Hildegard Gutzwiller,
une Bâloise, était depuis 1934 la Mère supérieure du couvent du
Sacré-Cœur à Budapest. Plusieurs bâtiments appartenaient au
couvent: le collège du Sophianum, place Mikszath Kalman, un
autre collège, le Philippineum, et une maison de retraite. Dans ses
souvenirs rédigés en février-mars 1945 et publiés par son neveu en
1998, Sœur Gutzwiller indique que les bâtiments du Sacré-Cœur
ont offert un refuge à 250 personnes. Les bâtiments bénéficiaient
certes de la protection diplomatique de la Suisse et du Vatican,
mais ils manquaient d’abris antiaériens: que les 250 réfugiés et
les religieuses survécurent au siège de Budapest et aux bombardements tient donc du miracle. Parmi les réfugiés se trouvaient
près de 40 femmes et enfants juifs qui avaient demandé de l’aide
à Sœur Gutzwiller. La Bâloise, dont le nom figure sur la plaque honorifique de la grande synagogue de Budapest, devint Mère supé-
74
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rieure d’un couvent du Sacré-Cœur en Autriche, puis en Allemagne
où elle s’éteignit en 1957.
Les caches dans des maisons présentaient de plus grands risques. Des dénonciations pouvaient survenir au moindre mouvement suspect. A cet égard, la villa que l’industriel suisse
Otto Haggenmacher possédait près de la colline Gellert à Buda
offrait deux avantages. Elle était éloignée de la rue et disposait
de grandes pièces à l’abri des regards. Haggenmacher entretenait
des contacts réguliers avec le pasteur hongrois Gábor Szethlo, responsable de la section B de la délégation du CICR, qui gérait une
partie des foyers pour enfants. Il accepta d’héberger dans sa villa
une trentaine d’enfants juifs, dont de nombreux orphelins. Haggenmacher fit plus: pendant plusieurs mois, il paya de sa poche
l’entretien de ces enfants qui ont tous survécu à la guerre.
Sœur Hildegard
Gutzwiller
II.5.6. Bilans et destins
On estime à 565’000 le nombre de Juifs de Hongrie ayant péri durant la Shoah, dont 60’000 avant l’occupation allemande. Un Juif sur
cinq ayant péri venait de la capitale, qui comptait en 1945 environ
130’000 survivants. Déterminer qui a sauvé les Juifs de Budapest a
été une question controversée depuis la guerre, et le reste36.
Habituellement, Carl Lutz est crédité du sauvetage de 62’000 Juifs.
Ce chiffre a été avancé en décembre 1948 par l’ancien président
de l’Organisation sioniste hongroise, Michael Salamon, dans une
lettre à Carl Lutz37.
Les pionniers juifs (Chalutzim) ont joué un rôle décisif dans la défense de la Maison de verre et du ghetto international, ainsi que
dans la distribution de documents de protection falsifiés. Il ne faut
pas sous-estimer leur rôle, ni celui de Peter Zürcher et de son adjoint Ernst Vonrufs. Depuis Noël 1944, alors que Carl Lutz restait
à Buda, ils ont repris son flambeau à Pest, avec détermination et
courage – qualités dont ont aussi fait preuve alors Raoul Wallenberg, Friedrich Born et Harald Feller.
Capturé par les Soviétiques en 1945, comme le Suédois Wallenberg, Harald Feller revint en Suisse après une année passée dans
les geôles moscovites. Il quitta la diplomatie peu après et fit carrière dans la justice bernoise. Carl Lutz acheva sa carrière consulaire à Bregenz dans un poste qu’il voulait proche de la Suisse pour
raisons de santé. Friedrich Born quitta le CICR.
75
36. Sur cette
controverse, voir en
particulier BRAHAM, Randolph L.,
«Rettungsaktionen:
Mythos und Realität»
in MIHOK, Brigitte
(Ed.), Ungarn und
der Holocaust. Kollaboration, Rettung
und Trauma. Berlin,
Metropol, 2006,
pp. 15-40. Les chiffres
utilisés ici proviennent de cet article.
37. Lettre Salamon
du 24.12.1948, Archiv
für Zeitgeschichte
(Zurich), Nachlass
Lutz. Il s’agit bien de
Salamon et de 1948,
et non de Salomon et
de 1949 comme l’indique Theo TSCHUY
(op. cit, p. 335).
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35. Bilan des sauvetages selon l’historien Yehuda Bauer
«Ce tableau des événements diffère de celui qu’on a présenté jusqu’ici. D’abord, les mouvements
de jeunesse sionistes eurent un rôle décisif. Certes, ils n’auraient rien accompli sans le soutien des
neutres – mais l’inverse est également vrai. Ils ont sauvé des dizaines de milliers de personnes. On
a célébré les non-Juifs héroïques qui ont fait de grands sacrifices – y compris celui de leur vie dans
le cas de Wallenberg – pour arracher des Juifs à la mort, et cela est compréhensible. Mais le fait est
qu’il n’y eut pas seulement des «Gentils justes» à Budapest – Wallenberg, Lutz, Born, Rotta (le
nonce apostolique), Perlasca: il y eut aussi des «justes juifs». Ils ne recherchaient pas plus la gloire
que leurs homologues non juifs, et ils nouèrent des amitiés durables avec ceux-ci; mais lorsque vint
le moment d’écrire l’histoire, après la guerre, ils furent tout simplement oubliés. Après tout, n’étaitil pas tout à fait normal, de leur part, de s’être portés au secours de leurs coreligionnaires? […]
Une seconde rectification est nécessaire, quelque délicate qu’elle soit, puisqu’elle touche Wallenberg,
ce banquier suédois effacé qui fut un héros authentique. Mais s’il était resté des nôtres, il aurait
été le premier à démentir certains récits, et surtout les chiffres énormes qui ont circulé. Il aurait dit
que s’il avait sauvé 4’500 Juifs avec ses passeports et permis d’en fabriquer quelques milliers de
plus, pourquoi fallait-il qu’on lui attribuât le salut de 100’000 Juifs comme d’aucuns l’ont fait38?
Y a-t-il beaucoup de gens, durant le Génocide, pour sauver, à eux seuls, 4’500 personnes? Parce
que les Suisses accomplirent bien plus, Wallenberg en est-il moins admirable?
Pour récapituler, Lutz et les Suisses protégèrent les 21’000 personnes déjà mentionnées [ceux du
ghetto international et de la Maison de verre], plus 26’000 Juifs des ghettos qui détenaient des
documents officiels ou fabriqués, 10’000 membres des bataillons de travail qui en reçurent par
diverses voies, et ils recommandèrent à d’autres légations neutres encore 5’000 Juifs – soit au total,
62’000 personnes sauvées.»
38. Par exemple son
ancien collègue, le
diplomate Per Anger.
Voir son avant-propos in LARSSON, Jan,
Raoul Wallenberg.
Stockholm, the Swedish Institute, 1995,
pp. 3-4.
Ni les actions des Suisses à Budapest, ni les acteurs eux-mêmes
n’attirèrent beaucoup l’attention dans notre pays après la guerre, que ce soit auprès des autorités ou dans le public. Certes, le
conseiller fédéral Markus Feldmann a vanté les mérites de Lutz
devant le Conseil des Etats en mars 1948 et le journaliste Werner Rings a réalisé dans les années 1960 une série télévisée puis
un ouvrage (Advokaten des Feindes) thématisant les activités de
délégués du CICR et de diplomates suisses à l’étranger durant la
guerre (dont celles de Lutz, Zürcher et Vonrufs). Il fallut néanmoins
attendre la fin des années 1980 et le début des années 1990 pour
que leurs actions deviennent mieux connues et reconnues: deux
ouvrages sur Carl Lutz, un sur Born, un monument érigé à Budapest. Le mouvement ne ralentit guère: en décembre 2006, les Américains ont inauguré un monument Carl Lutz à Budapest, place de
la Liberté, devant leur ambassade.
Mais les Justes suisses restent méconnus. Cela vaut aussi pour ceux
qui étaient actifs à Budapest: bien que son nom soit inscrit sur une
plaque de la grande synagogue de Budapest, qui, dans notre pays,
connaît Sœur Hildegard Gutzwiller et son action de sauvetage?
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II.6. Prague et la Pologne, lieux d’action de Justes fameux ayant un lien étroit avec la Suisse
Un descendant de famille noble autrichienne qui a aidé l’amie de
Franz Kafka, le «Schindler de Prague» et une artiste peintre polonaise: tous trois ont été honorés par Yad Vashem et ont un lien
étroit avec la Suisse. Sans présenter ici de manière détaillée leurs
actions ni le contexte de celles-ci – tant on peut contester leur statut de «Juste suisse» – les évoquer en guise de conclusion présente
toutefois un intérêt indéniable. On parlera aussi de deux autres
Polonaises qui s’établirent en Suisse une vingtaine d’années avant
d’être honorées par Yad Vashem. Gardons à l’esprit que porter secours à des Juifs en Pologne était extrêmement risqué et se soldait
par la peine de mort en cas de découverte.
Depuis l’occupation de la Bohême et de la Moravie en mars 1939,
Milena Jesenska, l’amie de Franz Kafka, organisait à partir de sa
maison de Prague la fuite à l’étranger d’opposants au nazisme,
pour la plupart des Juifs. Un de ses principaux soutiens fut le descendant d’une famille noble autrichienne, Joachim von Zedtwitz,
que son opposition au nazisme avait conduit à Prague après l’Anschluss. Von Zedtwitz emmena plusieurs persécutés dans sa voiture
jusqu’à la frontière. Milena Jesenska fut arrêtée en 1939 et mourut
au camp de Ravensbrück. Joachim von Zedtwitz fut arrêté en mars
1940, maintenu en détention quinze mois. Il quitta la Tchécoslovaquie en 1948 et arriva en Suisse comme apatride. Il acquit la nationalité suisse dans les années 1980. Yad Vashem l’honora en 1994.
Le peu que nous savons du destin de Bill Barazetti a tout du roman d’aventure. Il est né en Suisse en 1914 en portant le prénom
de Werner Theodor. Deux ans plus tard, son père quittait le pays,
renonçait à la nationalité suisse et germanisait son nom de Barazetti en Freyenried. Après des études à Hambourg, le jeune Werner
Freyenried partait pour Prague, poussé par son opposition au nazisme, et semble y avoir exercé des activités de renseignements. Il
devenait tchécoslovaque par mariage en 1936. L’année suivante,
il tentait en vain de recouvrer la nationalité suisse. C’est à Prague
qu’il a organisé en 1939 et avec Nicholas Winton le départ en train
vers la Grande-Bretagne de plus de 660 enfants Juifs. La Gestapo
l’arrêta, mais un oncle, colonel de l’armée suisse, obtint sa libération à la condition qu’il cesse ses activités de renseignements pour
les Tchèques et rejoigne la Suisse; Freyenried parvint à s’enfuir et à
77
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rallier Londres. Il devint citoyen britannique, travailla
notamment dans des organisations internationales. Il
reprit son premier nom de famille, Barazetti, et changea son prénom. Honoré par Yad Vashem en 1993, on
peut lire sur la plaque qui lui est dédiée: «Bill Barazetti Le Monnier Switzerland». Il avait ainsi souhaité
ajouter le nom de son arrière-grand-mère et celui
du pays où il est né. En octobre 2000, le Times lui a
consacré une longue notice nécrologique sous le titre:
«Bill Barazetti. The Schindler of Prague».
Irena Zadarnowska
Anna Paszkiewicz
C’est en décembre 1964 déjà que Yad Vashem a honoré Irena Zadarnowska. Artiste peintre de formation,
elle vivait avec son mari à Zoludek dans l’Est de la
Pologne (aujourd’hui Zheludok en Biélorussie), localité qu’elle quitta pour Vilnius en Lituanie à l’arrivée
des Russes en septembre 1939. A Vilnius, elle fit la connaissance
de Miriam (Masha) Pereworska et de sa jeune fille. En lançant l’attaque contre l’Union soviétique en juin 1941, les Allemands occupèrent rapidement la Lituanie, commencèrent à ériger le ghetto de
Vilnius en septembre déjà. Les Zadarnowska, qui étaient retournés
à Zoludek à l’arrivée des Allemands, firent venir Miriam et sa fille et
les logèrent dans leur maison. Le mari d’Irena fut arrêté et mourut
au camp de Dachau. Elle-même et les deux Pereworska finirent par
passer la frontière suisse en avril 1945. De 1945 à sa
mort en mars 1986, Irena Zadarnowska a vécu à Zurich.
Elle a poursuivi une carrière d’artiste peintre dont les
œuvres accordent une large place à la Toscane. En été
1981, le Musée polonais de Rapperswil a consacré une
exposition à sa vie et à son œuvre.
La famille Paszkiewicz vivait dans l’Est de la Pologne
et possédait une petite maison de campagne à Wysokie Litwewskie. Le père fut arrêté à l’arrivée des Soviétiques en 1939, puis envoyé en Sibérie. Sous l’occupation allemande, dès 1941, Anna Paszkiewicz et ses
trois enfants hébergèrent pourtant dans leur petite
maison de campagne de nombreuses personnes persécutées. Sa fille se souvient aujourd’hui qu’il y avait
une famille par chambre, mais sa mère ne lui en a jamais révélé l’identité, ni à l’époque ni ultérieurement. L’une des familles – la fille l’apprit en lisant la notice biographique de sa mère
publiée en 2004 par Yad Vashem – était Eugenia Wirszubska et ses
deux filles Regina et Ada, emprisonnées dans le ghetto de Pruzana.
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En octobre 1942, alors que des rumeurs circulaient sur la
liquidation du ghetto, elles contactèrent une amie, Anna
Paszkiewicz. Celle-ci parvint à les faire sortir, les hébergea
trois mois et obtint pour elles de faux papiers, ce qui leur
permit de survivre jusqu’à la libération. Anna Paszkiewicz
arriva en Suisse vers 1970 et épousa un Bernois, M. Margulies. Elle habita à Baden jusqu’à son décès en 1993.
Alicja Seipp partageait avec sa mère un tout petit appartement d’un quartier de Varsovie. Elles y hébergèrent toutefois Aleksander Bronowski pendant plusieurs mois de 1943,
ainsi que, pour des périodes plus courtes, sa femme et sa
fille, ce qui permit à ceux-ci de survivre à la Shoa. De forts
liens d’amitié se nouèrent entre les deux familles. Alors que
les Bronowski immigraient en Israël après la guerre, Alicja Seipp
gagna l’Allemagne, puis les Etats-Unis. Avec son mari, Oldrich
Cerny, elle s’établit en Suisse dans les années 1960. Le couple, qui
possède la citoyenneté américaine, vit à Genève.
79
Alicja Cerny-Seipp
III. Notices biographiques
Les informations relatives à la nationalité ont été établies sur la base des archives de M. Herbert Herz39, d’entretiens avec M. Milorad Tosic (25 novembre
2006), Mme Alicja Cerny-Seipp (21 mai 2007) et Mme Wanda Brysz (21
mai 2007), ainsi que d’échanges de courriels avec Mmes Irena Steinfeldt de
Yad Vashem (22 août 2006), Limore Yagil (2 septembre 2006), Ruth FivazSilbermann (31 octobre 2006).
La date de la nomination comme Juste est celle de la décision de Yad Vashem.
Elle n’est suivie de la date de remise de la médaille que lorsque celle-ci nous est
connue.
Le renvoi en fin de notice indique la section de la partie II de l’ouvrage dans
laquelle l’action du Juste est présentée de manière plus détaillée.
III.1. Justes possédant la nationalité suisse
au moment de leur action
BARRAS, Emile (1921 – 1996)
39. Depuis lors,
M. Herbert Herz a
déposé ses archives à
Archiv für Zeitgeschichte à Zurich
(www.afz.ethz.ch).
40. Selon courriel
de Yad Vashem à
l’auteur du 16 août
2006, il a été honoré
en même temps que
Joseph Fournier. Le
Dictionnaire des Justes de France indique
le 3 mars 1996.
Double-national né à Avry-devant-Pont (Fribourg), il est ouvrier agricole à Viry
(Haute-Savoie). Il fait passer la frontière à des militaires d’armées alliées ainsi
qu’à plusieurs groupes d’enfants juifs convoyés jusqu’en Savoie par des organisations clandestines juives. Dans ce cadre, il travaille avec Joseph Fournier
et Marianne Cohn, laquelle meurt sauvagement torturée et assassinée par des
Allemands.
Honoré par Yad Vashem en septembre 199540. Médaille remise,
à titre posthume, le 30 juin 1996 à Viry (France).
• 2.6
BEETSCHEN, Louis-Maxime (1898 – 1958)
Cultivateur à Douvaine (Haute-Savoie), il accueille temporairement dans sa
ferme plusieurs familles juives à la demande du père Jean-Joseph Rosay, et
cela avant leur passage en Suisse. Il héberge également une fillette juive de
façon permanente.
Honoré par Yad Vashem en 1987. Médaille remise, à titre posthume,
• 2.7
le 7 mai 1990 à Douvaine (France).
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BEETSCHEN née BULLAT, Léontine (1898 – ?)
Epouse de Louis-Maxime Beetschen, cultivateur à Douvaine (Haute-Savoie)
qui accueille temporairement plusieurs familles juives.
Honorée par Yad Vashem en 1987. Médaille remise, en mains propres,
le 7 mai 1990 à Douvaine (France).
• 2.7
BERCHMANS, Sœur Jeanne (Marie MEIENHOFER) (1897 – ?)
Née à Bremgarten (Argovie), elle entre en 1924 dans la congrégation du SacréCœur. Durant la guerre, elle est enseignante au pensionnat du couvent de la
congrégation à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie). A la demande du père JeanJoseph Rosay, curé de Douvaine, elle y cache jusqu’à la Libération trois Juifs
de Vienne.
Honorée par Yad Vashem en 1991. Médaille remise, en mains propres,
le 9 décembre 1991 dans la maison de retraite des religieuses de Givisiez
(Fribourg).
• 2.7
BOHNY née REITER, Friedel (1912 – 2001)
Née à Vienne, elle arrive en Suisse en 1920 avec un train d’enfants. Suissesse
depuis 1932, infirmière de formation, elle arrive en novembre 1941 au camp
d’internement de Rivesaltes (France) pour le compte de la Croix-Rouge suisse,
Secours aux enfants (CRS, SE). En août 1942, elle sauve plusieurs enfants en
les extrayant d’une file d’attente d’un train de déportation, puis en les cachant
dans des entrepôts. Après la fermeture du camp en novembre 1942, elle dirige
un foyer pour enfants de la CRS, SE au Chambon-sur-Lignon et épouse le responsable de la CRS, SE au Chambon, August Bohny. Son journal est édité en
1993 par l’historienne Michèle Fleury-Seemuller (Journal de Rivesaltes 19411942, Zoé), et la cinéaste Jacqueline Veuve en tire un film en 1997.
Honorée par Yad Vashem en 1990. Médaille remise, en mains propres,
en octobre 1990 au Chambon-sur-Lignon (France).
• 2.2
BOHNY, August (1919 – )
Instituteur bâlois responsable des maisons d’enfants de la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants au Chambon-sur-Lignon (France). Ces établissements
accueillent entre 800 et 1’000 enfants dont un dixième de juifs. Fin 1944, il
s’établit à Bâle avec son épouse, Friedel Bohny-Reiter. Son témoignage le plus
récent est reproduit dans l’ouvrage édité par Helena Kanyar Becker, Die Humanitäre Schweiz 1933-1945 (Berne et Bâle, 2005), pp. 84-86. August Bohny
vit à Bâle.
Honoré par Yad Vashem en 1990, médaille remise, en mains propres,
en octobre 1990 au Chambon-sur-Lignon (France).
•2.5
BORN, Friedrich (1903 – 1963)
Né à Langenthal, il est responsable d’une entreprise d’importation de céréales
à Budapest depuis 1936. Parallèlement, il y représente l’Office suisse d’expansion commerciale. En avril 1944, le CICR le nomme délégué à Budapest, où il
succède à Jean de Bavier. Sa délégation compte jusqu’à 250 collaborateurs et
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veille sur plus de 150 institutions. Born s’engage en particulier pour les enfants
juifs dont les parents ont été déportés. Il parvient notamment à obtenir la libération de 500 de ses protégés emmenés dans le grand ghetto. Ayant quitté le
CICR après la guerre, il fonde en Suisse une entreprise d’import-export.
Honoré par Yad Vashem en 1987. Médaille remise, à titre posthume,
le 5 juin 1987 à Yad Vashem (Israël).
• 5.4
BOVET, Jean (1900 – 1952)
Né à Villaz-Saint-Pierre (Fribourg), il est ordonné prêtre à Fribourg en 1924. Curé
à Archamps (Haute-Savoie) de 1942 à novembre 1944, il fait passer la frontière
à au moins un Juif après l’avoir hébergé dans la cure. Il succède ensuite à SaintGingolph (France) à un curé fusillé par les Allemands. Il meurt à Dijon.
Honoré par Yad Vashem en 1989.
• 2.6
BÜHLER, Anton (1890 – 1973)
Juriste grison, secrétaire du département cantonal de Justice et Police, il autorise l’entrée de quatre Juifs de Vienne le 30 septembre 1938, soit après la fermeture de la frontière. Des parents les rejoignent et une petite filière se met
en place. Contrairement à Paul Grüninger, Anton Bühler n’est pas sanctionné
pour ses actions de sauvetage.
Honoré par Yad Vashem en 2001. Médaille remise, à titre posthume,
le 23 octobre 2001 à Berne.
• 1.3
CALAME-ROSSET née WHITE, May
D’origine britannique, elle épouse l’architecte suisse Paul Calame-Rosset. Etabli
à Bruxelles, le couple héberge dans sa maison des Juifs et des aviateurs alliés.
Honorée par Yad Vashem en 1998. Médaille remise, à titre posthume,
le 16 septembre 1998 à Thônex (Genève).
• 3.1
CALAME-ROSSET, Paul (1905 – 2003)
Né à Tavannes (Jura bernois), architecte de formation, il s’établit à Bruxelles où il
demeure jusqu’en 1966. Il est actif dans la résistance belge dès le début de 1942
et sa maison est utilisée par les résistants comme cache et boîte aux lettres. Il y
héberge des aviateurs alliés ainsi que des Juifs: des membres de deux familles
(les Cywié et les Lemberg), ainsi qu’une jeune fille. Celle-ci est ensuite confiée à
une autre famille suisse. Honoré par la Belgique et la Grande-Bretagne pour ses
activités de résistance, il passe sa retraite dans le canton de Genève.
Honoré par Yad Vashem en 1998. Médaille remise, en mains propres,
• 3.1
le 16 septembre 1998 à Thônex (Genève).
CONSTANTIN née MARCLAY, Marguerite (1927 – )
Ses parents et elle recueillent dans leur chalet de Champéry deux groupes de
sept Juifs en septembre-octobre 1942, avant de les acheminer à l’intérieur du
pays.
Honorée par Yad Vashem en 2001. Médaille remise, en mains propres,
le 23 octobre 2001 à Berne.
• 2.6
82
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CURTET, Daniel
Fils d’un pasteur de Château d’Oex, il officie comme pasteur à Fay-sur-Lignon
(France) pendant la guerre. Il héberge temporairement des réfugiés, puis les
place dans la communauté protestante du Chambon-sur-Lignon. Il assiste en
outre les fugitifs cherchant à passer clandestinement en Suisse. Dans les années 1980, il exerce son ministère à Luc-en-Diois dans la Drôme.
Honoré par Yad Vashem en 1987.
• 2.5
CURTET, Suzanne
Epouse de Daniel Curtet, pasteur à Fay-sur-Lignon. Le couple héberge et assiste des réfugiés.
Honorée par Yad Vashem en 1987.
• 2.5
DE PURY née DE MONTMOLLIN, Jacqueline (1909 – 1973)
Née à Neuchâtel, épouse du pasteur Roland de Pury, elle soutient celui-ci dans
ses activités clandestines de sauvetage et de résistance. Elle demande au cardinal Gerlier d’intervenir pour obtenir la libération de son mari emprisonné par
la Gestapo; l’intervention de l’archevêque de Lyon et primat des Gaules reste
toutefois sans effet.
Honorée par Yad Vashem en 1976.
• 2.8
DE PURY, Roland (1907 – 1979)
Né à Genève, il étudie la théologie à Neuchâtel, à Paris, enfin à Bonn où il prépare une thèse auprès de Karl Barth. Pasteur dès 1934, il est nommé à Lyon en
1938 où il reste près de 20 ans. Le 14 juillet 1940 déjà, dans son temple, il lance
un appel à la résistance, à obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Dans sa maison
et dans son temple, il héberge temporairement de nombreux Juifs avant qu’ils
ne tentent de passer en Suisse. Il collabore aussi à la Résistance, ce qui lui vaut
d’être arrêté par la Gestapo en mai 1943. Il passe près de cinq mois en prison
avant de retourner en Suisse grâce à un échange de prisonniers. Il est l’auteur
d’une vingtaine d’ouvrages théologiques.
Honoré par Yad Vashem en 1976.
• 2.8
DUBOIS, Maurice (1905 – 1997)
Né à Bienne, fourreur de formation, il milite très tôt dans les mouvements
socialistes chrétiens et dans le Service civil international. Après un engagement humanitaire en Espagne, il devient le délégué de la Croix-Rouge suisse,
Secours aux enfants (CRS, SE) pour le Sud de la France, avec siège à Toulouse.
Il intervient en particulier auprès de Vichy au moment des rafles d’août 1942 et
obtient la libération des enfants et du personnel juifs de la CRS, SE, en premier
lieu ceux de La Hille internés dans le camp du Vernet et voués à la déportation.
Devant se rapprocher de la Suisse pour raisons de santé, il est nommé délégué
du Don Suisse pour la France, puis directeur d’un foyer pour enfants à Adelboden. De 1952 à sa retraite, il dirige l’orphelinat du Locle.
Honoré par Yad Vashem en 1985.
• 2.3
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EIDENBENZ, Elisabeth (1913 – )
Née à Zurich, institutrice de formation, elle ouvre une maternité à Elne près de
Perpignan en novembre 1939, après un engagement humanitaire en Espagne.
Elle y accueille des mères et bébés des camps d’internement voisins, surtout
espagnols, juifs, roms et sinti. Environ 600 enfants voient le jour à la maternité
jusqu’à sa fermeture à Pâques 1944. Après la guerre, elle s’installe en Autriche
et s’occupe d’enfants de réfugiés d’Europe de l’Est. Elle a été honorée de la
Croix de San Jordi (Espagne) et de la Légion d’honneur (France). Elisabeth
Eidenbenz vit aujourd’hui en Autriche.
Honorée par Yad Vashem en 2001. Médaille remise, en mains propres,
le 22 mars 2002 à Elne (France).
• 2.2
FARNY, Renée (1919 – ?)
Née en Indre-et-Loire, elle s’installe rapidement à Paris et devient assistante
sociale. Collaboratrice du Secours aux enfants dès 1940, elle travaille notamment à la colonie de La Hille, à la maternité d’Elne, puis à la colonie des
Feux-Follets où elle devient l’adjointe de la directrice, la Française Germaine
Hommel. Avec un jeune du village, elle fait passer la frontière à une dizaine
d’enfants juifs jusqu’à son arrestation début janvier 1943. En décembre de cette année-là, elle franchit une dernière fois la frontière clandestinement pour
rejoindre son père, un officier suisse hospitalisé à Leysin.
Honorée par Yad Vashem en 1992. Médaille remise, à titre posthume,
le 4 octobre 1992 à Saint-Cergues-les-Voirons (France).
• 2.4
FELLER, Harald (1913 – 2003)
Né à Berne, ce fils d’historien poursuit des études de droit à Berne et à Paris
avant d’entrer en 1939 au Département politique fédéral (aujourd’hui Département fédéral des affaires étrangères). Arrivé à Budapest en 1943, il est en
charge de la légation de Suisse – et donc le supérieur de Carl Lutz – à partir
du 12 décembre 1944. Il héberge clandestinement et à ses frais plusieurs Juifs
à son domicile à Buda, avant de les déplacer dans un lieu plus sûr, l’abri antiaérien de la chancellerie de la légation suisse. Au total, plus de 50 personnes
y trouvent refuge, dont le ministre de Suède. Capturé par les Soviétiques en
février 1945, il revient en Suisse une année plus tard. Il quitte la diplomatie
pour une carrière dans la justice qu’il achève comme procureur de l’arrondissement du Mittelland.
Honoré par Yad Vashem en 1999. Médaille remise, en mains propres,
le 6 septembre 1999 à Berne.
• 5.5
FRANCKEN, William (1889 – 1962)
Né à Rotterdam, il s’installe en 1914 à Begnins (Vaud), après des études de
médecine à Lausanne; il y réside jusqu’à sa mort. Il s’engage activement dans
la lutte contre la tuberculose et fonde le Pavillon de La Côte. Sa femme et lui
possèdent un chalet, Le Clou, au-dessus de Novel en Haute-Savoie, à quelques kilomètres de la frontière valaisanne. En septembre 1942, le couple y
abrite plusieurs groupes de Juifs qui tentent de passer en Suisse. Souvent, il
leur donne aussi de la nourriture, leur procure des soins médicaux et les ac-
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compagne jusqu’à la frontière. Devenu suspect aux yeux de la police française
et apprenant qu’elle veut l’arrêter, le couple ferme son chalet le 6 octobre 1942.
Un monument a été érigé à Novel à la mémoire de William Francken et une
plaque commémorative apposée à Begnins.
Honoré par Yad Vashem en 1997. Médaille remise, à titre posthume,
le 27 avril 1998 à Berne.
• 2.6
FRANCKEN née FIAUX, Laure (Loly)
Première femme ingénieur de Romandie, elle épouse William Francken et
sauve avec lui plusieurs groupes de Juifs à Novel en Haute-Savoie en 1942.
En 1946, elle rédige «Séjour de cauchemar», les pages d’un journal tenu dans
leur chalet et reproduites dans Micha Grin, William Francken, médecin de
campagne (Cabédita, 1996), pp. 26-47.
Honorée par Yad Vashem en 1997. Médaille remise, à titre posthume,
le 27 avril 1998 à Berne.
• 2.6
FRIEDRICH, Jean-Edouard (1912 – 1999)
Né à Shanghai dans une famille de négociants suisses, il est collaborateur du
CICR de mai 1942 à juin 1946. Membre de la délégation de Berlin, il favorise
le passage en Suisse de Lotte Schloss-Kahle, la nièce d’un ami qui vit à Lausanne. Il achemine en Suisse courrier et photographie d’identité, convainc une
Berlinoise, Luise Meier, d’accompagner Lotte. Il accompagne lui-même une
autre fille juive jusqu’à Singen. Il décède peu de temps après la remise de la
médaille des Justes.
Honoré par Yad Vashem en 1999. Médaille remise, en mains propres,
le 6 septembre 1999 à Berne.
• 4.1
GIANNINI, Walter (1914 – 2003)
Enseignant à la colonie pour enfants de la Croix-Rouge suisse, Secours aux
enfants (CRS, SE) à Faverges en Haute-Savoie, il manifeste beaucoup de dévouement pour la dizaine d’enfants juifs qui y séjournent, dont le futur historien Paul Bairoch. Avec sa collaboratrice Emma Aeppli, il fait passer clandestinement la frontière suisse en août 1943 aux deux derniers enfants juifs de la
colonie. Il épouse Emma Aeppli à Faverges et le couple s’installe à Zurich.
Honoré par Yad Vashem en 2000. Médaille remise, en mains propres,
le 15 février 2001 à Berne.
• 2.6
GIANNINI née AEPPLI, Emma
La Zurichoise travaille pendant la guerre à la colonie pour enfants de la CroixRouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE) à Faverges en Haute-Savoie avec
son futur mari, Walter Giannini. Ensemble, ils font passer clandestinement la
frontière suisse à deux enfants juifs en août 1943.
Honorée par Yad Vashem en 2000, médaille remise, à titre posthume,
le 15 février 2001 à Berne.
• 2.6
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GROSS, Albert (1904 – 1975)
Né à Lausanne, ordonné prêtre en 1934, il dirige le Foyer Saint-Justin à Fribourg. En 1942-1943, il est envoyé comme aumônier catholique dans le camp
d’internement de Gurs (France). Il y cache une quarantaine de Juifs, leur évitant
ainsi la déportation, puis revient clandestinement en Suisse. Il poursuit son
ministère notamment à Moudon et à Lucens et meurt accidentellement en
Bretagne.
Honoré par Yad Vashem en 1989.
• 2.1
GRÜNINGER, Paul (1891 – 1972)
Né à Saint-Gall, instituteur de formation, il entre dans la police cantonale en
1919 et en devient le commandant en 1925. Après l’Anschluss de l’Autriche
et surtout après la fermeture de la frontière suisse (19 août 1938), il aide plusieurs centaines de Juifs à entrer en Suisse ou à y rester. En plus de l’octroi
d’autorisations de séjours, il falsifie des documents et ferme les yeux sur des
entrées illégales. Licencié en mai 1939, il est condamné l’année suivante par le
tribunal du district de Saint-Gall pour falsification de documents (la réhabilitation intervient en 1995). Il éprouve de grandes difficultés à retrouver un emploi
stable. Le gouvernement saint-gallois le réhabilite politiquement, à titre posthume, en 1993. Stefan Keller lui a consacré un livre et Richard Dindo un film.
Une Fondation Paul Grüninger a été créée à Saint-Gall.
Honoré par Yad Vashem en 1971.
• 1.2
GUTZWILLER, Hildegard (1897 – 1957)
Membre de l’Ordre du Sacré-Cœur, la Bâloise entre dans le Sophianum à Budapest en 1927 et en devient sept ans plus tard la Mère supérieure. En 19441945, les bâtiments de l’Ordre abritent quelque 250 personnes, dont près de 40
femmes et enfants juifs. Après la guerre, elle poursuit sa carrière ecclésiastique
en Autriche et à Munich. Son nom figure sur la plaque honorifique de la grande
synagogue de Budapest.
Honorée par Yad Vashem en 1995. Médaille remise, à titre posthume,
en avril 1996 à Yad Vashem (Israël).
• 5.5
HAGGENMACHER, Otto
Industriel à Budapest, il cache pendant plusieurs mois et pour l’essentiel à ses
frais plus de 30 enfants juifs dans sa maison proche de la colline de Gellert. Il
entretient des liens étroits avec le pasteur hongrois Gábor Szethlo (1909-1974)
qui dirige la section de la délégation du CICR chargée des homes et foyers
pour enfants.
Honoré par Yad Vashem en 2003, médaille remise, à titre posthume,
le 25 novembre 2003 à Berne.
• 5.5
IM HOF née Piguet, Anne-Marie (1916 – )
Née au Sentier (Vaud), elle étudie les lettres à Lausanne et s’engage en 1942
dans la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE). Après un passage
à la colonie de Montluel, elle arrive au château de la Hille en mai 1943. De
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septembre 1943 à mai 1944, elle fait passer neuf de ses protégés en Suisse, à
travers le Risoux et avec l’aide de la Française Victoria Cordier. En 1959, elle
participe à la fondation de Swisscontact, Fondation suisse de coopération au
développement technique dans le tiers-monde. Elle relate son engagement
dans la CRS, SE dans l’ouvrage La Filière – en France occupée 1942-1944 (Ed.
de la Thièle, 1985) dont la cinéaste Jacqueline Veuve a tiré un film. Anne Marie
Im Hof-Piguet vit à Köniz près de Berne.
Honorée par Yad Vashem en 1990, médaille remise, en mains propres,
• 2.4
le 28 novembre 1991, à Berne.
ISCHY, Ernest
Entrepreneur en bâtiment établi à Paris, il héberge avec sa femme Yannick le
chirurgien Pierre Moyse et sa mère depuis fin 1942.
Honoré par Yad Vashem en 1991.
• 2.7
ISCHY, Yannick
Infirmière à Beauvais, elle fait la connaissance du chirurgien Pierre Moyse.
Avec son mari Ernest, elle héberge à Paris le chirurgien et sa mère.
Honorée par Yad Vashem en 1991.
• 2.7
JUNKER-KISSLING, Maria
Gouvernante, elle suit la famille de Marcel Blum de Belfort à Béziers, puis à
Saint-Benoît-du-Sault (Indre) dès 1942. Elle apporte un soutien à l’organisation juive OSE (Œuvre de secours aux enfants), place des enfants dans des
familles lors des rafles de 1942 et procure de faux papiers d’identité. En Indre,
elle travaille pour la Résistance et elle escorte depuis Limoges 18 jeunes à qui
elle fait passer la frontière suisse.
Honorée par Yad Vashem en 1973.
• 2.6
LUTZ, Carl (1895 – 1975)
Né à Walzenhausen (Appenzell Rhodes-Extérieures) dans une famille de dix enfants, il émigre aux Etats-Unis en 1913. Entré dans le service consulaire suisse,
il rencontre Gertrud Fankhauser et l’épouse. Le couple est envoyé en Palestine
(1935-1940) puis à Budapest (1942-1945) où Carl Lutz dirige la Division des intérêts étrangers à la légation de Suisse. Dans le cadre de la défense des intérêts
britanniques, il participe à l’émigration de 10’000 enfants juifs vers la Palestine
sous mandat britannique. Après l’occupation allemande (19 mars 1944), il étend
les activités de protection en faveur d’environ 8’000 détenteurs d’une autorisation d’immigrer en Palestine et de leur famille, en distribuant des lettres de
protection, en inscrivant leurs noms dans des passeports collectifs, puis en les
plaçant dans des maisons protégées. Le dispositif permet la fabrication et la
distribution de dizaines de milliers de lettres de protection. Il héberge également les bureaux de l’Agence juive, à la légation des Etats-Unis d’abord, puis
dans la Maison de verre où plus de 4’000 Juifs peuvent trouver refuge. Un leader
de la communauté juive de Hongrie, puis des historiens ont crédité Lutz du
sauvetage de 62’000 Juifs de Budapest après l’occupation allemande. Il poursuit
une carrière consulaire jusqu’à sa retraite et meurt à Berne.
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Ses mérites ne commencent à être véritablement reconnus en Suisse et à
l’étranger que depuis une dizaine d’années. Deux monuments commémoratifs lui sont dédiés à Budapest, une rue à Haïfa et un chemin à Berne. Il est
aussi citoyen d’honneur de l’Etat d’Israël. Deux livres (Alexander Grossman et
Theo Tschuy) et un film documentaire (Télévision suisse italienne) lui ont été
consacrés.
Honoré par Yad Vashem en mars 1964.
• 5.1 et 5.2
LUTZ née FANKHAUSER, Gertrud (1911 – 1995)
Née à Rechthalten (Fribourg), elle est employée au consulat de Suisse à SaintLouis (Etats-Unis) où elle rencontre Carl Lutz. De 1942 à 1945, elle soutient
activement son mari dans ses fonctions à la légation de Suisse à Budapest. En
particulier, elle ravitaille les habitants du ghetto international et, depuis Noël
1944, elle apporte de l’aide à plus de 25 personnes réfugiées dans l’abri antiaérien de la légation de Grande-Bretagne à Buda. Après la guerre et son divorce,
elle entame une brillante carrière à l’UNICEF: déléguée au Brésil et en Turquie,
finalement vice-directrice d’UNICEF-Europe à Paris.
Honorée par Yad Vashem en 1978. Médaille remise, en mains propres,
le 17 août 1978 à Berne.
• 5.1 et 5.2
MARCLAY, Emile (1897 – 1987)
Propriétaire d’un chalet à Champéry, il y recueille deux groupes de sept Juifs
chacun en septembre-octobre 1942. Il trouve le premier groupe lors d’une promenade dominicale près de la frontière. Le second groupe a des liens de parenté ou de connaissance avec le premier. Il fait ensuite acheminer les deux
groupes à Zurich.
Honoré par Yad Vashem en 2001. Médaille remise, à titre posthume,
le 23 octobre 2001 à Berne.
• 2.6
MARCLAY née STUDER, Lina (1903 – 1992)
Née dans la région d’Olten, elle recueille avec son mari Emile Marclay deux
groupes de sept Juifs en automne 1942 dans son chalet de Champéry.
Honorée par Yad Vashem en 2001. Médaille remise, à titre posthume,
le 23 octobre 2001 à Berne.
• 2.6
MASSEREY, Antoinette
Sœur de la congrégation de la Sainte-Famille, elle exerce pendant la guerre
une fonction dirigeante dans un établissement de la congrégation à Rulhe.
Dans cette localité de l’Aveyron, la congrégation héberge 24 Juifs en 1943 et
1944, y compris des adolescentes qui finissent par passer en Espagne.
Honorée par Yad Vashem en 1979.
• 2.7
MUEHLENTHALER, Germaine
Directrice de la filiale marseillaise de l’Union chrétienne des jeunes gens, elle
aide plusieurs jeunes Juifs dont Esther Strauss. Elle cache celle-ci chez une
amie, puis lui procure de faux papiers pour franchir la frontière suisse.
Honorée par Yad Vashem en 1967.
• 2.7
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NÄF, Rosa (Rösli) (1911 – 1996)
Infirmière née à Glaris, elle rejoint le docteur Albert Schweitzer à Lambaréné,
puis s’engage dans le Secours suisse aux enfants. Directrice de la colonie de La
Hille (Ariège), elle s’oppose en vain aux arrestations des enfants juifs de plus
de 16 ans par la gendarmerie française, le 26 août 1942, mais parvient toutefois
à les rejoindre dans le camp du Vernet. Après la libération des enfants grâce
à l’intervention de Maurice Dubois, elle organise des passages clandestins en
Suisse via les Feux-Follets, une autre colonie du Secours aux enfants. Le passage d’un premier groupe réussit à Noël 1942, un second groupe est toutefois
bientôt arrêté. Rosa Näf doit abandonner la direction de La Hille en mai 1943.
Elle s’établit au Danemark après la guerre et s’éteint à Glaris.
Honorée par Yad Vashem en 1989, elle refuse la médaille; la remise
intervient le 4 octobre 1992 à Saint-Cergues-les-Voirons (France) pour elle
en même temps que pour l’équipe des Feux-Follets.
• 2.4
NODOT, René (1916 – ~1999)
Double national, né à Bourg-en-Bresse (Ain), il exerce plusieurs activités liées
à la Résistance et au sauvetage entre 1941 et 1943. Délégué du Service social
des étrangers pour l’Ain et le Jura, il participe au regroupement familial et à la
cache de Juifs. Il prévient les Juifs étrangers des mesures de déportation. En
1943, il fait lui-même passer la frontière à des personnes recherchées par la
Gestapo et en oriente d’autres vers la filière du curé de Collonges-sous-Salève.
Il contribue au sauvetage d’au moins 30 Juifs étrangers lors des rafles à Bourgen-Bresse en août 1943. Après la guerre, il fait carrière dans l’Education nationale française. Il est honoré du titre de «Passeur bénévole de frontière» en 1955
par le ministère français de la Défense nationale et de la Légion d’honneur en
1957. Il écrit ses mémoires en 1978 (Résistance non violente 1940-1944).
Honoré par Yad Vashem en 1974.
• 2.6
PASCHE, Marcel (1911 – 2006)
Né à Berne, il suit des études de théologie à Lausanne, puis à Bâle avec Karl
Barth. Après un stage pastoral à Lille, il est nommé pasteur de l’Eglise réformée de Roubaix en août 1941. Il fait passer la frontière suisse à un Juif allemand, et prend en charge la famille de celui-ci. Il développe aussi une activité
importante en faveur des prisonniers politiques et des personnes que les Allemands traduisent devant leurs tribunaux. Pasteur à Château d’Oex dès 1950,
aumônier des chantiers des grands barrages valaisans cinq ans plus tard, il
s’engage pour le développement des liens entre les protestants de Suisse et
d’Europe de l’Est. En 1992, la Mairie de Roubaix lui décerne la Médaille d’honneur de la ville.
Honoré par Yad Vashem en 1992. Médaille remise, en mains propres,
le 7 mars 1993 à Roubaix (France).
• 2.8
PRODOLLIET, Ernest (1905 – 1984)
Né à Amriswil (Thurgovie), il est responsable du bureau des passeports de
l’agence consulaire de Suisse à Bregenz dès le 1er avril 1938, date à laquelle les
visas sont rendus obligatoires pour les détenteurs de passeports autrichiens.
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Il accorde environ 300 visas de transit à des Juifs fuyant l’Autriche, il convainc
des douaniers d’en laisser entrer même s’ils ne possèdent pas de visa. En décembre 1938, il fait l’objet d’une enquête disciplinaire et est rappelé à Berne.
De 1939 à fin 1942, il est vice-consul de Suisse à Amsterdam où il semble qu’il
délivre aussi des documents de complaisance à des Juifs. Il poursuit une carrière consulaire jusqu’à la retraite.
Honoré par Yad Vashem en 1982. Médaille remise, en mains propres,
le 18 novembre 1983 à la maison de retraite d’Amriswil (Thurgovie). • 1.1
REYMOND, Frédéric (Fred) (1907 – 1999)
Horloger né au Sentier (Vaud), il travaille pour les services suisses de renseignements en recueillant des informations sur territoire français. Il fait passer
en Suisse plusieurs dizaines de personnes recherchées par la Gestapo, notamment des membres de la Résistance française et des Juifs. Après les avoir hébergés dans sa maison de la Vallée de Joux, il les achemine vers l’intérieur du
pays. Après la guerre, il devient un des directeurs de la Fabrique de balanciers
réunis et s’installe à Saint-Aubin (Neuchâtel). En 1991, il témoigne dans une
série d’émissions de la télévision française, Les passeurs du clair de lune. Il
est honoré par Yad Vashem, puis par la commune du Chenit (Vaud) qui lui
décerne, ainsi qu’à sa femme Lilette, la Bourgeoisie d’honneur en juillet 1998.
Un ami, Daniel Capt, lui consacre un bel hommage avec l’ouvrage Fred (L’Aire,
2005).
Honoré par Yad Vashem en 1998. Médaille remise, en mains propres,
le 27 avril 1998 à Berne.
• 2.6
RUTSCHI, August
Ancien pasteur, il possède une maison à Monnetier-Mornex (Haute-Savoie)
dans laquelle sont recueillis en 1942 les époux Rudenski, des Juifs belges refoulés à la frontière suisse.
Honoré par Yad Vashem en 1977.
• 2.7
RUTSCHI, Cécile
Avec son mari August, elle possède une maison à Monnetier-Mornex (HauteSavoie) dans laquelle les époux Rudenski trouvent refuge en 1942.
Honorée par Yad Vashem en 1977.
• 2.7
SCHAFFERT, Hans (1918 – 2003)
Théologien suisse, élève de Karl Barth, il est envoyé en 1942 pour un stage
de six mois au camp d’internement de Gurs (France), où il organise des fuites
des prisonniers vers l’Espagne et la Suisse. De retour en Suisse, il devient le
principal collaborateur du pasteur Paul Vogt, puis le deuxième directeur de
l’Entraide protestante suisse.
Honoré par Yad Vashem en 1967.
• 2.1
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SCHMIDT, Martha (1900 – ?)
Nurse née à Zurich, elle est engagée en 1937 dans une famille juive en
France, les Cohen. Dès 1943, elle s’occupe des quatre filles de la famille en
les emmenant de Monaco dans un petit village du centre de la France. Les
cinq femmes peuvent loger dans la propriété d’un ami et survivent ainsi à
la guerre.
Honorée par Yad Vashem en 1993. Médaille remise, en mains propres,
le 21 février 1994 dans une maison de retraite à Zurich.
• 2.7
SCHNEEBERGER, Anne
Avec son mari Arthur, elle héberge un jeune Juif d’origine polonaise de fin 1942
à la Libération.
Honorée par Yad Vashem en 1999. Médaille remise, à titre posthume,
en novembre 1999 à Roanne (France).
• 2.7
SCHNEEBERGER, Arthur
Bonnetier argovien établi à Roanne (Loire), il héberge avec son épouse le jeune fils d’un collègue, Benjamin Wolkowicz.
Honoré par Yad Vashem en 1999. Médaille remise, à titre posthume,
en novembre 1999 à Roanne (France).
• 2.7
STEIGER, Sebastian (1918 – )
Fils de pasteur né à Oltingen (Bâle-Campagne), il obtient le brevet pédagogique en 1940. Il rejoint la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants comme
enseignant à la colonie de La Hille (Ariège) à partir d’août 1943. Il donne sa
carte d’identité à Walter Kamlet qu’Anne-Marie Piguet conduira à la frontière
du Risoux en mai 1944. Sans papier d’identité, il entre clandestinement en
Suisse en février 1945 et poursuit sa carrière d’enseignant à Bâle et dans la
région de Bâle. Publié en allemand en 1992, son récit des mois passés à La
Hille est traduit en français sous le titre Les enfants du château de La Hille,
(Brunnen Verlag, 1999). Sebastian Steiger vit à Bâle.
Honoré par Yad Vashem en 1993. Médaille remise, en mains propres,
le 29 août 1993 à Bâle. • 2.4
TOBLER, Margaretha (Gret) (1915 – ?)
Fille de pasteur, née à Zurich, jardinière d’enfants de formation, elle s’engage en 1942 à la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants. Depuis janvier
1943, elle est responsable des plus jeunes à La Hille (Ariège). Le 10 décembre 1943, elle quitte la colonie avec deux jeunes filles juives et franchit clandestinement avec elles la frontière suisse en Savoie. Le récit de ce passage
est reproduit dans La Filière – en France occupée 1942-1944 d’Anne-Marie
Im Hof-Piguet (Ed. de la Thièle, 1985, pp. 124-127).
Honorée par Yad Vashem en 2000. Médaille remise, en mains propres,
le 15 février 2001 à Berne.
• 2.4
91
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TZAUT, Marguerite
Avec son mari Paul, elle héberge une quinzaine de Juifs dans la maison de retraite de l’Armée du salut qu’ils dirigent près de Tonneins (Lot-et-Garonne).
Honorée par Yad Vashem en 1973. Médaille remise, en mains propres,
le 27 mai 1975 à Paris (France). • 2.7
TZAUT, Paul (~1901 – 1994)
Membre de l’Armée du salut depuis 1921, il dirige dès mai 1942 une maison
de retraite près de Tonneins (Lot-et-Garonne) qui hébergera une quinzaine de
Juifs, dont un couple d’origine polonaise de 1942 à la fin de la guerre.
Honoré par Yad Vashem en 1973. Médaille remise, en mains propres,
le 27 mai 1975 à Paris (France).
• 2.7
VONRUFS, Ernst (1906-1972)
Travaillant dans l’industrie textile à Budapest depuis 1935, il est désigné en
1944 pour poursuivre avec Peter Zürcher les activités de Carl Lutz (protection
des intérêts étrangers par la légation de Suisse à Budapest) si l’évolution de la
guerre l’exige. De Noël 1944 à l’arrivée des Soviétiques à Pest, il aide Peter Zürcher à protéger le ghetto international et la Maison de verre contre les attaques
des Croix-fléchées. Il revient en Suisse en 1947.
Honoré par Yad Vashem en 2001. Médaille remise, à titre posthume,
le 23 octobre 2001 à Berne.
• 5.3
WASSERFALLEN, Edgar (1908 – 1974)
Né en Suisse, il s’installe en France après ses études. Pasteur à Lassalle (Gard),
il héberge en 1943 le couple Rojtenberg venu frapper à la porte du presbytère.
Il trouve des familles d’accueil pour leurs deux enfants. Il est aussi actif très tôt
dans la Résistance. Les Rojtenberg peuvent être sauvés malgré des dénonciations et la perquisition au presbytère. Après la guerre, il poursuit son ministère
dans les Cévennes.
Honoré par Yad Vashem en 2000. Médaille remise, à titre posthume,
le 15 février 2001 à Berne.
• 2.7
WASSERFALLEN, Elise (1898 – 1997)
Née à Alès, elle héberge en 1943, avec son mari Edgar, pasteur à Lassalle
(Gard), le couple Rojtenberg venu frapper à la porte du presbytère.
Honorée par Yad Vashem en 2000, médaille remise, à titre posthume,
le 15 février 2001 à Berne.
• 2.7
WITTWER, Ernest (1922 – 1976)
Il est né à Alblingen (Berne) dans une famille d’agriculteurs qui s’installe en
France en 1939, à Montency d’abord, puis à Véreux (Haute-Saône). En 1944, un
ami suisse de la famille demande de prendre en charge deux enfants juifs qui
lui avaient été confiés. Ernest Wittwer qui avait déjà franchi plusieurs fois la
frontière clandestinement accepte de les convoyer jusqu’à Bâle. Le trio se fait
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arrêter à la gare de Porrentruy le 27 avril 1944 et le Suisse est condamné à 60
jours de prison. Il a été réhabilité, à titre posthume, en 2004.
Honoré par Yad Vashem en 1998. Médaille remise, à titre posthume,
• 2.6
le 6 septembre 1999 à Berne.
ZUFFEREY, Jeanne-Françoise
Sœur de la congrégation de la Sainte-Famille, elle exerce pendant la guerre
une fonction dirigeante dans un établissement de la congrégation à Rulhe
Dans cette localité de l’Aveyron, la congrégation héberge 24 Juifs en 1943 et
1944, y compris des adolescentes qui finissent par passer en Espagne.
Honorée par Yad Vashem en 1993.
• 2.7
ZÜRCHER, Peter (1914 – 1975)
Juriste zurichois, il dirige depuis 1940 une usine de textiles à Budapest. En
1944, il est désigné pour poursuivre les activités de Carl Lutz (protection des
intérêts étrangers par la légation de Suisse à Budapest) si l’évolution de la
guerre l’exige. C’est ainsi que de Noël 1944 à l’arrivée des Soviétiques à Pest, il
lui revient de protéger, avec son adjoint Ernst Vonrufs, le ghetto international
et la Maison de verre contre les attaques des Croix-fléchées. La ténacité des
deux Suisses permet de sauvegarder l’œuvre bâtie par Carl Lutz et les jeunes
sionistes.
Honoré par Yad Vashem en 1998. Médaille remise, à titre posthume,
le 6 septembre 1999 à Berne
• 5.3
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III.2. Justes possédant la nationalité suisse
au moment de leur nomination
LAVERGNAT, Arthur (1914 – 1980)
Maraîcher né à Bossey, commune de Haute-Savoie dont son père était le maire, il exploite au lieu-dit Pierre-Grand dans la commune de Troinex (Genève)
une ferme située en bordure de la frontière. Il participe à la filière de l’abbé
Jolivet et de Rolande Birgy. Avec son épouse, il fait passer de nombreux Juifs,
ainsi que des militaires alliés. Le gouvernement des Etats-Unis lui décerne un
certificat de reconnaissance pour services rendus à l’OSS (Office of Strategic
Services, ancêtre de la CIA). Après la guerre, il acquiert la nationalité suisse.
Honoré par Yad Vashem en 1990. Médaille remise,
à titre posthume, le 27 avril 1998 à Berne.
• 2.6
LAVERGNAT, Jeanne (1920 – )
Avec son époux Arthur, elle accueille dans sa ferme de nombreux Juifs franchissant clandestinement la frontière. Elle obtient la nationalité suisse après la
guerre. Jeanne Lavergnat vit aujourd’hui à Troinex (Genève).
Honorée par Yad Vashem en 1997. Médaille remise, en mains propres,
le 27 avril 1998 à Berne.
• 2.6
PASZKIEWICZ, Anna (1906 – 1993)
Habitant l’Est de la Pologne, elle héberge dans sa petite maison de campagne
à Wysokie Litewskie plusieurs familles fuyant les persécutions. Pour l’une de
ces familles, les Wirszubska, elle parvient à les faire sortir du ghetto de Pruzana
et à leur fournir de faux papiers après les avoir hébergés trois mois. Anna Paszkiewicz s’établit à Baden (Argovie) vers 1970 et épouse un Bernois.
Honorée à titre posthume par Yad Vashem en 1998.
•6
VON ZEDTWITZ, Joachim
Né à Vienne, cet opposant au nazisme quitte l’Autriche pour Prague après
l’Anschluss. Avec Milena Jesenska, l’amie de Franz Kafka, il organise la fuite
à l’étranger d’opposants au nazisme et de Juifs. Arrêté en 1940, il survit à la
guerre. Il quitte Prague pour la Suisse en 1948 et acquiert la nationalité suisse
dans les années 1980.
Honoré par Yad Vashem en 1994.
•6
ZADARNOWSKA, Irena (1916 – 1986)
Née dans une localité polonaise (aujourd’hui biélorusse), elle abrite dans sa
maison une jeune Juive et sa fille. Elles passent toutes trois la frontière suisse
en avril 1945. Jusqu’à sa mort, Irena Zadarnowska vit à Zurich et mène une
carrière d’artiste peintre.
Honorée par Yad Vashem en décembre 1964.
•6
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III.3. Justes ayant perdu la nationalité suisse
par mariage
GILARDINO née RUTSCHI, Agnès
Fille de August et Cécile Rutschi, elle rencontre les époux Rudelski, Juifs de
Belgique refoulés à la frontière suisse en 1942, lors d’une promenade avec son
petit garçon. Les Rudelski sont ensuite hébergés dans la maison des Rutschi
et des Gilardino.
Honorée par Yad Vashem en 1977.
• 2.7
HÖFLER née BRÜTSCH, Elise
Née à Ramsen (Schaffhouse), elle s’établit en Allemagne avec son époux Josef
Höfler. Elle accepte la proposition de son dentiste de favoriser le passage de
Lotte Schloss-Kahle, une jeune Berlinoise. Le dispositif de sauvetage ainsi mis
en place permet ensuite de faire passer près de 30 Juifs en Suisse.
Honorée par Yad Vashem en 2001.
• 4.1
IMPEKOVEN née KOBLER, Frieda (1880 – ?)
Née à Zurich, elle épouse l’acteur et écrivain Toni Impekoven. A Francfort, où
elle réside, elle porte secours à deux Juives en mettant son appartement à disposition pendant son absence et en procurant de la nourriture. Elle revient en
Suisse après la mort de son mari en 1947.
Honorée par Yad Vashem en 1966.
• 4.2
95
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III.4. Justes ayant un lien étroit avec la Suisse
BARAZETTI, Bill (1914 – 2000)
Né en Suisse, il la quitte en 1916, accompagnant en Allemagne son père qui renonce aussi à la nationalité suisse. A Prague en 1939, il organise avec Nicholas
Warton le départ en train de plus de 660 enfants juifs pour la Grande-Bretagne,
pays qu’il rejoint la même année.
Honoré par Yad Vashem en 1993. La plaque portant son nom indique
«Switzerland» comme pays.
•6
CERNY née SEIPP, Alicja (1923 – )
Avec sa mère, Waclawa Seipp, elle héberge pendant plusieurs mois Aleksander
Bronowski dans son tout petit appartement de Varsovie. Elle offre également
un abri provisoire à la femme et à la fille de Bronowski. Après l’Allemagne et
les Etats-Unis, Alicja Seipp s’établit en Suisse, avec son mari, dans les années
1960. Citoyenne américaine, elle vit actuellement à Genève.
Honorée par Yad Vashem en 1982. Médaille remise, en mains propres,
à Yad Vashem.
•6
MATRINGE, Auguste (1894 – 1984)
Né à Rolle (Vaud) d’un père Français et d’une mère Suisse, possédant donc uniquement la nationalité française, il poursuit en France une carrière d’ingénieur dans
l’industrie chimique. De 1936 à sa retraite en 1959 – après laquelle il s’installe en
Suisse –, il dirige deux usines Saint-Gobain dans la banlieue de Lyon. Il y héberge
des Juifs, place leurs enfants dans des familles à la campagne et soustrait de nombreux Français au Service du travail obligatoire en Allemagne. Le 18 avril 2003, une
stèle est érigé à Saint-Fons, dans la banlieue de Lyon, avec l’inscription: «Auguste
Matringe (1894-1984). Humaniste Franco-Suisse. Juste parmi les nations».
Honoré par Yad Vashem en 2000. Médaille remise, à titre posthume,
le 18 avril 2001.
• 2.8 (encadré 28)
TOSIC, Milorad (1909 – )
Industriel yougoslave propriétaire d’une fabrique de meubles à Maribor, il réside
à Belgrade au moment de l’invasion allemande, en avril 1941. Il rallie la résistance royaliste et doit s’enfuir avec son épouse en Hongrie en juillet 1943 pour
échapper à la Gestapo. A Budapest, il distribue à des compatriotes d’origine juive
une quarantaine de lettres de protection, des documents falsifiés que lui remet
Eduard Hürlimann de la légation suisse. Il porte également secours à des Juifs
hongrois. Il fait sortir des compatriotes du grand ghetto pour les placer dans des
maisons protégées. Capturé en mai 1945 par les partisans de Tito, il est condamné à Belgrade à douze ans de travaux forcés. Il arrive en Suisse en 1960 comme
réfugié politique. La plaque à Yad Vashem indique: «Milorad Tosic Yougoslavia
(Switzerland)». Milorad Tosic vit aujourd’hui à Lausanne.
Honoré par Yad Vashem en 1978. Médaille remise, en mains propres,
le 17 août 1978 à Berne. • 5.1 (encadré 31)
96
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IV. Sélection
bibliographique
La sélection bibliographique est destinée à
• offrir un aperçu des sources utilisées; sa structure est donc calquée sur celle
du volet thématique;
• permettre l’approfondissement de certains thèmes ou de la vie de certains
Justes, notamment dans un cadre scolaire; des commentaires complètent
généralement les références bibliographiques.
La priorité a été donnée aux ouvrages et aux articles
• portant sur des thèmes directement traités; le lecteur trouvera ailleurs des indications bibliographiques sur la Shoah, ou sur la politique suisse à l’égard
des réfugiés;
• en langue française.
A. Sur les Justes
Ouvrages généraux sur les Justes
Yad Vashem a entrepris la publication systématique des notices biographiques
des personnes honorées du titre de Juste, sous le titre: The Encyclopedia of the
Righteous Among the Nations. Rescuers of Jews during the Holocaust.
Les volumes concernant la Pologne (2 tomes, 2004, 1018 p.), les Pays-Bas
(2 tomes, 2004, 944 p.) et la Belgique (2005, 296 p.) ont été publiés en langue
anglaise. Le volume sur la France a été publié sous le titre Dictionnaire des
Justes de France (Yad Vashem et Fayard, 2003, 596 p.), le volume sur l’Allemagne et l’Autriche, sous le titre Lexikon der Gerechten unter den Völkern (Yad
Vashem et Wallstein, 2005, 371 p.).
Basées sur les dossiers personnels conservés à Yad Vashem, augmentées de
références bibliographiques pour le volume germano-autrichien, ces notices
biographiques sont centrées sur le moment du sauvetage. Elles constituent une
mine incontournable d’informations. Les volumes s’ouvrent par des introductions substantielles.
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GILBERT, Martin, Les Justes. Les héros méconnus de la Shoah. Paris, CalmannLévy, 2004, 530 p.
Ouvrage traduit de l’anglais d’un grand historien britannique, basé sur une
littérature abondante et des centaines de témoignages. Offre une excellente vue
d’ensemble, dans un style clair et accessible.
Aspects méthodologiques et pédagogiques
BENZ, Wolfgang, «Juden im Hintergrund und ihre Helfer» in BENZ, Wolfgang
(Hg.), Überleben im Dritten Reich. Juden im Hintergrund und ihre Helfer.
Munich, Beck, 2003, pp. 11-48, en particulier pp. 41-48.
KOSMALA, Beate et LUDEWIG-KEDMI, Revital, Verbotene Hilfe. Deutsche Retterinnen und Retter während des Holocaust. Zurich, Verlag Pestalozzianum et
Donauwörth, Auer Verlag, 2003, 124 p. (+ CD-Rom), en particulier pp. 13-30.
Ce dernier ouvrage, complété par un CD-Rom, constitue un remarquable outil
pédagogique pour les derniers degrés scolaires d’Allemagne et de Suisse alémanique. Il est centré sur neuf actions de sauvetage retenues pour leur diversité et
illustrées par des études et des témoignages recueillis à partir des années 1960.
Deux de ces actions de sauvetage se sont achevées par une fuite en Suisse
(pp. 43-49 et 69-74).
Sur les Justes suisses
L’encyclopédie en ligne Wikipédia offre une liste des Justes suisses. Ces informations sont fragmentaires. Surtout, la liste contient une erreur grossière: le
célèbre théologien Karl Barth figure dans la liste. Or il n’a jamais été honoré
par Yad Vashem (courriel de Yad Vashem à l’auteur du 29 août 2006). Cela n’enlève bien sûr rien à la valeur de son engagement contre le nazisme.
WAGNER, Meir, Die Gerechten der Schweiz. Tel-Aviv, 1999, 153 p.
L’ouvrage édité par Meier Wagner est basé sur les dossiers personnels de Yad
Vashem et introduit par six préfaces. Il contient plusieurs erreurs (par exemple,
le couple Brouze qui n’a aucun lien avec la Suisse) et passablement de coquilles
(notamment pp. 106, 151-152).
WAGNER, Meir, The Righteous of Switzerland. Heroes of the Holocaust. Hoboken (USA), Ktav Publishing, 2001, 269 p.
Version consolidée et richement illustrée de l’ouvrage précédent avec cinq préfaces. L’ouvrage édité par Wagner aborde aussi les actions d’aide de Suisses non
honorés du titre de Juste. Comme les dictionnaires édités par Yad Vashem, il
reproduit de larges extraits de témoignages des Juifs secourus. Aussi bien dans
la version allemande que dans la version anglaise, l’ordre des notices biographiques est impénétrable: il n’est ni alphabétique, ni thématique, ni géographique, ni chronologique. L’ordre de préfaces est plus clair.
SALVI, Manuela et AUBERT, Raphaël, Ces Justes qui sont l’honneur de la Suisse. CD-Rom produit par Radio Suisse Romande La Première et les Editions de
l’Aire, 1998 [No RSR 6114].
Série de quatre émissions radiophoniques avec des témoignages de Justes
vaudois (Anne-Marie Im Hof-Piguet, Fred Reymond) et des commentaires
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d’historiens et de Herbert Herz, délégué de Yad Vashem pour la Suisse. Les
émissions portent principalement sur le château de La Hille, les passages par
le Risoux et Carl Lutz.
WISARD, François, «Qui sont au juste les Justes suisses?» in Politorbis.
Publication du Département fédéral des affaires étrangères, 17, mars-avril 1999,
pp. 31-33.
A notre connaissance, le premier article de synthèse sur les Justes suisses.
Le Dictionnaire des Justes de France consacre des notices aux Justes suisses
suivants, mais sans préciser toujours qu’ils possèdent la nationalité suisse:
Emile Barras, Louis-Maxime et Léontine Beetschen, sœur Jeanne Berchmans
(Marie Meienhofer), August Bohny, Friedel Bohny-Reiter, Jean Bovet, Daniel et
Suzanne Curtet, Roland et Jacqueline de Pury, Renée Farny, Agnès Gilardino
et August et Cécile Rutschi, Albert Gross, Anne-Marie Im Hof-Piguet, Ernest
et Yannick Ischy, Maria Junker-Kissling, Arthur et Jeanne Lavergnat, sœur Antoinette Masserey, Germaine Muehlenthaler, René Nodot, Marcel Pasche, Martha Schmidt, Sebastian Steiger, Paul et Marguerite Tzaut, Ernest Wittwer, sœur
Jeanne-Françoise Zufferey. Certaines notices contiennent des erreurs.
Le Dictionnaire historique de la Suisse (www.hls.ch) consacre ou a prévu de
consacrer des notices biographiques à Maurice Dubois, Albert Gross, Paul
Grüninger, Hildegard Gutzwiller, Anne-Marie Im Hof-Piguet, Carl Lutz, Gertrud
Lutz-Fankhauser et Hans Schaffert.
Sur les Justes, en particulier sur Friedel Bohny-Reiter et Carl Lutz, on se référera aussi à l’article de Michèle FLEURY, «Résister là où on se trouve» dans les
Actes du Séminaire de Budapest organisé par le Conseil de l’Europe (15-17
avril 2005), pp. 58-68.
B. Sur les actions des Justes suisses
1. Frontière suisse après l’Anschluss de l’Autriche
Parmi la littérature abondante sur la politique à l’égard des réfugiés, on signalera pour l’année 1938, un excellent article:
BOURGEOIS, Daniel, «La porte se ferme: la Suisse et le problème de l’immigration juive en 1938» in Business helvétique et Troisième Reich. Milieux
d’affaires, politique étrangère, antisémitisme. Lausanne, Ed. Page Deux, 1998,
269 p., pp. 167-194.
Le rapport Ludwig de 1957, qui reste une œuvre de référence, est désormais
disponible en ligne: www.dodis.ch, DoDiS No 17417.
Sur Paul Grüninger, l’œuvre de référence reste:
KELLER, Stefan, Délit d’humanité. L’affaire Grüninger. Lausanne, Ed. d’en
bas, 1994, 291 p.
Traduction française, avec une préface de la conseillère fédérale Ruth Dreifuss,
d’un livre publié en 1993, malheureusement sans que les notes aient été re-
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prises. Sur la base de ce livre, Richard Dindo a tourné un film documentaire:
Grüninger’s Fall, 1997, 98 min.
Deux controverses ont surgi ces dernières années, mais les interprétations de
Stefan Keller restent largement admises parmi les historiens:
L’une autour du rôle de Sydney Dreifuss, dont la fille siégeait alors au Conseil
fédéral: Christoph Blocher, alors conseiller national, a affirmé qu’il avait dénoncé Paul Grüninger, interprétation que Stefan Keller a contestée fermement
(voir Weltwoche des 06.03.1997 et 17.04.1997).
L’autre à propos des liens entre Grüninger et les nazis: Shraga Elam a soutenu notamment que Grüninger était membre d’un parti pro-nazi interdit par le
Conseil fédéral (Nationale Bewegung der Schweiz); Stefan Keller, entre autres,
a contesté cette interprétation (voir SonntagsBlick du 24.05.1998 et Wochenzeitung du 28.05.1998; puis Shraga ELAM, Paul Grüninger – Held oder korrupter Polizist und Nazi-Agent? (Berne, Pro Libertate, 2003), NZZ am Sonntag
du 08.02.2004, Der Bund du 17.02.2004 et 24 heures du 06.09.2004).
Une Fondation Paul Grüninger a été créée à Saint-Gall: www.paul-grueninger.ch.
Pour une étude plus englobante, sur le canton de Saint-Gall:
KRUMENACHER, Jörg, Flüchtiges Glück. Die Flüchtlinge im Grenzkanton
St.Gallen zur Zeit des Nationalsozialismus. Zurich, Limmat Verlag, 2005,
415 p. (en particulier pp. 149-194).
Il n’existe pas d’étude sur Ernest Prodolliet, mais on trouvera de bonnes indications dans les ouvrages cités de Stefan Keller (pp. 74-78) et de Jörg Krummenacher (pp. 158-168).
Les informations sur Anton Bühler sont encore plus rares. On trouve des indications dans l’ouvrage de Martin BUNDI, Bedrohung, Anpassung und Widerstand. Die Grenzregion Graubünden 1933-1946 (Desertina, Bündner Monatsblatt, 1996, pp. 44-45) et dans un article de la Neue Zürcher Zeitung du
27 octobre 2001 (Fünf «Gerechte» in der israelischen Botschaft geehrt). Les
informations utilisées par nous proviennent des archives de M. Herbert Herz.
Avec deux autres Grisons, Anton Bühler a fait en 2002 l’objet d’un documentaire de Ruedi Bruderer et Bertilla Giossi pour la télévision romanche (Curashi
civil: Reto Caratsch – Gaudenz Canova – Anton Bühler, 26 min.).
2. France
2.1 Ouvrages généraux sur le sauvetage de Juifs en France
LAZARE, Lucien, Le Livre des Justes. Histoire du sauvetage des juifs par des
non juifs en France, 1940-1944. Paris, J.-C. Lattès, 1993, 262 p.
Ouvrage de synthèse par un ancien résistant qui travaille au département des
Justes de Yad Vashem et éditerait en 2003 le Dictionnaire des Justes de France.
S’appuyant non seulement sur les témoignages récoltés par Yad Vashem mais
aussi sur la littérature, il montre dans un style clair et captivant toute la diversité des actions de sauvetage.
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YAGIL, Limore, Chrétiens et Juifs sous Vichy (1940-1944). Sauvetage et désobéissance civile. Paris, Cerf, 2005, 765 p.
Après une introduction substantielle qui présente un tableau d’ensemble,
l’ouvrage examine, département par département, les actes individuels et
collectifs qui ont permis que trois quarts des Juifs présents sur sol français
échappent à la déportation. L’étude très fouillée se base sur des documents des
Archives nationales à Paris, des dossiers de Yad Vashem et sur une littérature
abondante. On y découvre bien sûr des Justes, mais aussi des personnes qui
ont secouru des Juifs ou se sont opposées à la politique antisémite de Vichy.
Mémorial de la Shoah, les Justes de France. Paris, 2006, 252 p.
Catalogue de l’exposition du même nom, l’ouvrage contient en particulier des textes sur Maurice Dubois, Elisabeth Eidenbenz, Friedel Reiter, Rosa Näf, Sebastian
Steiger, August Bohny et le couple de Pury (pp. 27, 28, 34, 121, 122, 200).
2.2. Camps d’internement, Croix-Rouge suisse, Secours aux
enfants (CRS, SE)
Sur les camps d’internement
PESCHANSKI, Denis, La France des camps: l’internement 1938-1946. Paris,
Gallimard, 2002, 549 p.
L’ouvrage le plus complet sur les camps, qui participent de la logique d’exclusion sociale de Vichy avant de devenir la pierre angulaire du dispositif de
déportation.
GRYNBERG, Anne, «Les camps de la honte»: les internés juifs dans les camps
français 1939-1944. Paris, La Découverte, 1991, 400 p.
Ouvrage pionnier centré sur les internés juifs.
Sur la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE)
SCHMIDLIN, Antonia, Eine andere Schweiz. Helferinnen, Kriegskinder und
humanitäre Politik 1933-1942. Zurich, Chronos, 1999, 432 p.
Contrairement à son sous-titre, cette étude examine le secours aux enfants
jusqu’à la fin de la guerre, après avoir montré, dans ses origines, l’importance
de l’engagement humanitaire durant la guerre d’Espagne. L’ouvrage fait une
synthèse de la littérature existante et repose aussi sur une série d’entretiens
réalisés en 1993. Il est complété par d’utiles notices biographiques.
KANYAR BECKER, Helena, «Texte zur Ausstellung» in KANYAR BECKER, Helena (Ed.), Die Humanitäre Schweiz 1933-1945. Kinder auf der Flucht. Bâle
et Berne, Universitätsbibliothek Basel, 2004, pp. 9-36.
Aperçu clair et concis du secours suisse aux enfants, en particulier dans le
Sud de la France et enrichi d’une belle iconographie. Dans le même ouvrage,
on trouvera des témoignages sur les foyers de la CRS, SE au Chambon-surLignon et sur la maternité d’Elne.
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FLEURY-SEEMULLER, Michèle, «Introduction» in BOHNY-REITER, Friedel,
Journal de Rivesaltes 1941-1942 (édité par Michèle Fleury-Seemüller). Genève, Zoé, 1993, pp. 5-28.
Très bon aperçu en langue française.
Sur la colonie de La Hille
Deux anciens de La Hille ont publié leurs mémoires, actuellement disponibles
aussi bien en français qu’en allemand, et deux films documentaires ont été
tournés:
IM HOF-PIGUET, Anne-Marie, La Filière – en France occupée 1942-1944. Yverdon-les-Bains, Editions de la Thièle, 1985, 165 p.
En allemand: Fluchtweg durch die Hintertür. Eine Rotkreuz-Helferin im besetzten Frankreich 1942-1944. Frauenfeld, Verlag im Waldgut, 1987, 156 p.
Premier témoignage, écrit dans un style vif mais sobre, sur La Hille et ses deux
filières, vers la Savoie et vers le Risoux. Il contient aussi les récits de Rösli Näf
sur la rafle du 26 août 1942 et celui de Gret Tobler sur son passage clandestin
en Suisse avec deux jeunes filles juives. En annexe, on trouve sept témoignages
d’enfants de La Hille, dont celui de Werner Epstein, survivant d’AuschwitzBirkenau. Une liste des enfants et de leurs destins complète l’ouvrage. Celui-ci
a été réédité en 2001 avec une préface de l’historienne Michèle Fleury.
STEIGER, Sebastian, Les enfants du château de La Hille. Bâle, Brunnen-Verlag, 1999, 359 p.
En allemand: Die Kinder von Schloss La Hille. Bâle, Brunnen-Verlag, 1992,
379 p.
Notablement plus long que celui de Anne-Marie Im Hof-Piguet, ce récit offre
des compléments avec des témoignages d’enfants (il reproduit ainsi le journal
d’Edith Goldapper) mais apporte peu d’éléments nouveaux au plan factuel.
Des noms ont été modifiés, dont celui de la directrice Emmi Ott.
La filière. Film documentaire réalisé par Jacqueline Veuve en 1987, sur la base
de l’ouvrage d’Anne-Marie Im Hof-Piguet (37 min.)
www.jacquelineveuve.ch/lg_fr/index.html.
Avec des interviews de Anne-Marie Im Hof-Piguet, Maurice Dubois, Rösli
Näf, Emmi Ott, des sœurs Victoria et Madeleine Cordier et d’un ancien enfant
de La Hille.
Un îlot dans la tempête. Film documentaire de Neus Viala en 2005 (52 min.)
www.cultures-et-communication.com.
Avec plusieurs interviews d’anciens enfants de La Hille, ainsi que d’AnneMarie Im Hof-Piguet et Sebastian Steiger.
VALSANGIACOMO, Enrico, «Les Français en train et les juifs… par la filière» et
«Qui pourra jamais écrire cela?» in Actio 8/9, 1988, pp. 14-15 et 27.
Compte rendu substantiel de l’ouvrage d’Anne-Marie Im Hof-Piguet et unique interview publié de Maurice Dubois.
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IM HOF-PIGUET, Anne-Marie, «Engagement sur un autre front» in L’Histoire,
c’est (aussi) nous, Intervalles. Revue culturelle du Jura bernois et de Bienne,
71, hiver 2005, pp. 67-70.
Résumé de son engagement en faveur de la Croix-Rouge suisse, Secours aux
enfants, en particulier de la filière à travers le Risoux.
Theo Tschuy, auteur d’une étude sur Carl Lutz (voir infra, 5), a réuni une abondante documentation dans la perspective de rédiger une étude. La mort l’a
malheureusement emporté avant, mais sa documentation a été versée à Archiv
für Zeitgeschichte à Zurich (Forschungsdokumentation Theo Tschuy). Cette documentation est en principe exploitée par Walter Reed, un ancien de La Hille
qui a le projet de mener à bien une histoire complète de ce groupe d’enfants.
Deux études universitaires sur la CRS, SE n’ont malheureusement pas été publiées: Esther SCHÄRER, Croix-Rouge Suisse, Secours aux enfants, 19421945. Sa formation, son activité, ses relations avec le gouvernement suisse,
son rôle (mémoire de licence de l’Université de Genève, 1986) et Vanessa HORESNYI, Les maisons d’enfants du secours suisse au Chambon-sur-Lignon
1939-1945 (maîtrise d’histoire de l’Université Jean Moulin Lyon III, année
1996-1997).
Autres monographies
BOHNY-REITER, Friedel, Journal de Rivesaltes 1941-1942 (édité par Michèle
Fleury-Seemuller). Genève, Zoé, 1993, 156 p.
Journal de Rivesaltes 1941-1942. Film documentaire réalisé par Jacqueline
Veuve en 1997 (77 min.). Prix du cinéma suisse: Meilleur documentaire en
1998.
La Maternité d’Elne. Film documentaire réalisé par Frédéric Goldbronn en
2002 (56 min.)
http://f.rosolato.free.fr/elne.html.
LEGRAIS, Hélène, Les enfants d’Elisabeth. Paris, Presses de la Cité, 2007.
Sur Elisabeth Eidenbenz et la Maternité d’Elne.
FIVAZ-SILBERMANN, Ruth, «Un prêtre suisse contre le pouvoir de Vichy. L’abbé Albert Gross auprès des Juifs internés (1942-1943)» in Traverse. Revue d’histoire, 2000/3, pp. 90-99.
Sur l’abbé Gross, on pourra aussi se référer au témoignage du grand rabbin de
Lausanne: VADNAI, Georges, Jamais la lumière ne s’est éteinte. Un destin juif
dans les ténèbres du siècle. Lausanne, L’Age d’Homme, 1999, pp. 103-111.
BOHNY, Auguste, «Le Secours suisse 1941-1944» (24 p.) in BOLLE, Pierre (dir.),
Le Plateau Vivarais. Accueil et résistance 1939-1944. Actes du colloque du
Chambon-sur-Lignon. Le Chambon-sur-Lignon, Société d’histoire de la Montagne, 1992.
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On trouvera d’utiles informations sur des sites Internet consacrés au camp de
Rivesaltes (www.cg66.fr/culture/memorial), au camp de Gurs (http://gurs.free.
fr/liens.html#) et à la Maternité d’Elne (www.elne.fr/maternite).
2.3. Passages et caches
Etudes à caractère général
FIVAZ-SILBERMANN, Ruth, «Refoulement, accueil, filières: les fugitifs juifs à
la frontière franco-genevoise entre 1942 et 1944. Pour un nouveau modèle du
refuge» in Revue suisse d’histoire, 2001/3, pp. 296-316.
Synthèse claire et précise d’une problématique compliquée dont l’auteure poursuit depuis plusieurs années l’examen, tant dans les archives suisses que dans
les archives françaises.
De la même auteure, on relèvera:
Le refoulement des réfugiés civils juifs à la frontière franco-genevoise durant la
Seconde Guerre mondiale, suivi du Mémorial de ceux parmi eux qui ont été
déportés ou fusillés. Paris, Beate Klarsfeld Foundation, 2000.
«Filières de passages en Suisse» in Archives d’Etat de Genève, Les Réfugiés
civils et la frontière genevoise durant la Deuxième Guerre mondiale. Fichiers et
archives. Genève, Archives d’Etat de Genève, 2000, pp. 135-136.
Sur les passages et les passeurs, on signalera également:
CROQUET, Jean-Claude, Chemins de passage. Les passages clandestins entre
la Haute-Savoie et la Suisse de 1940 à 1944. Saint-Julien-en-Genevois, La
Salévienne, 1996, 127 p.
MUNOS-DU PELOUX, Odile, Passer en Suisse. Les passages clandestins entre
la Haute-Savoie et la Suisse 1940-1944. Grenoble, Presses universitaires de
Grenoble, 2002, 135 p.
YAGIL, Limore, Chrétiens et Juifs…, op. cit., pp. 170-194.
NEURY, Laurent, «La banalité du bien: devenir passeur de Juifs à la frontière franco-suisse (1939-1945)» in Relations internationales, 118, été 2004, pp. 169-184.
L’auteur a constitué une base de données regroupant 397 anciens passeurs,
dont 49 pour lesquels il a recueilli un témoignage direct. Il a dénombré 52
filières de 3 à 26 membres.
BELOT, Robert (dir.), Guerre et frontières. La frontière franco-suisse pendant la
Seconde Guerre mondiale. Panazol (France), Lavauzelle, 2006, 366 p.
Actes d’un colloque tenu en avril 2005 dans le cadre du projet «Une frontière
entre la guerre et la paix: contacts, échanges et représentations de l’arc jurassien
(1939-1950)» présenté par les universités de Fribourg, Neuchâtel et BelfortMontbéliard et soutenu par le Fonds national de la recherche scientifique. Même
si aucune contribution n’est consacrée au sauvetage des Juifs, ces actes témoignent
de la diversité et de la richesse des approches de la frontière par les historiens.
Sur le Chambon-sur-Lignon et toute sa région, on signalera le récent ouvrage
collectif suivant, basé sur les actes d’un colloque: Les Résistances sur le Plateau Vivarais-Lignon, 1938-1945. Témoins, témoignages et lieux de mémoire. Les oubliés de l’histoire parlent. Polignac, Ed. du Roure, 2005, 208 p.
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Monographies concernant des Justes suisses
NODOT, René, Résistance non violente 1940 – 1944. Mémoires de René Nodot, titulaire du diplôme de «Passeur bénévole de frontière». Lyon, Faculté des
lettres, 1978, 93 p. + annexes.
Au-delà du récit brut, René Nodot cherche toujours à mettre ses actions en
contexte et reste très attentif aux témoignages qui ont pu, depuis la guerre,
confirmer ou infirmer tel ou tel point de son récit.
CAPT, Daniel, Fred. Vevey, L’Aire, 2005, 180 p.
La vie d’un agent des services suisses de renseignements, qui a aussi convoyé
des fugitifs à travers le Risoux, racontée par un ami. Témoignage affectueux et
coloré sur Fred Reymond, qui nous fait aussi rencontrer Anne-Marie Piguet et
Victoria Cordier, enrichi de nombreuses photographies.
GRIN, Micha, William Francken, médecin de campagne. Yens, Cabédita, 1996,
158 p.
Les pages 26-47 reproduisent le témoignage de Laure Francken rédigé en
1946.
LAREYNIE, Bernard, «Marguerite et Paul Tzaut, deux Justes des Nations» in La
mémoire du fleuve. Bulletin d’étude et de recherche sur l’histoire de Tonneins et
du Tonneinquais, No 39, 2006, pp. 14-16.
Article bref, basé principalement sur les témoignages de Yad Vashem.
2.4. Pasteurs Roland de Pury et Marcel Pasche
Roland DE PURY a publié une trentaine d’ouvrages, dont un Journal de cellule
(30.5.1943 – 29.10.1943). La troisième édition du Journal a été publiée en 1981
dans l’ouvrage Evangile et Droits de l’homme, qui comporte également plusieurs textes inédits dont le fameux sermon du 14 juillet 1940 (Genève, Labor
et Fides, 1981, 269 p.).
Marcel PASCHE a publié ses souvenirs en 1995: Années de guerre et de fraternité. Evocations sinistres et lumineuses d’un pasteur (Le Mont-sur-Lausanne,
Ed. Ouvertures, 191 p.). L’ouvrage contient aussi le texte de l’allocution qu’il a
prononcée lors de la réception de la médaille des Justes à Roubaix.
Sur Roland de Pury, en plus d’indications dans les ouvrages de Lucien Lazare
(pp. 156-159) et de Limore Yagil (en part. pp. 140-142), une excellente présentation générale a été donnée par son ami René Nodot:
NODOT, René, Le pasteur Roland de Pury et les protestants de la Région
Lyonnaise dans la Résistance. Conférence prononcée le 15 décembre 1981 au
Rectorat de l’Université de Lyon (Commission d’histoire de la Seconde guerre
mondiale) (tapuscrit de 28 p., Bibliothèque nationale, Berne).
Dans ses mémoires, Carlo Schmid a abordé les activités de Marcel Pasche à
Roubaix: SCHMID, Carlo, Erinnerungen. Berne, Munich, Vienne, Scherz 1979,
866 p., pp. 190-191.
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3. Belgique
Les informations générales sont tirées de l’introduction au volume belge de
l’encyclopédie des Justes, ainsi que de deux dictionnaires: BENZ, Wolfgang
(Ed.), Lexikon des Holocaust (Munich, Beck, 2002, 264 p.) et JÄCKEL, Eberhard,
e.a., (Ed.), Enzyklopädie des Holocaust (Munich, Piper, 1995, 4 volumes).
Sur Paul Calame-Rosset, les informations proviennent des Archives Herbert Herz.
4. Reich allemand
La chaîne de sauvetage autour de Luise Meier (à Berlin) et Josef Höfler (à Gottmadingen), et à laquelle Jean-Edouard Friedrich et Elise Höfler ont participé,
est très bien documentée, par des témoignages et des études basées sur des
documents d’archives:
STRAUSS, Herbert, Über dem Abgrund. Eine jüdische Jugend in Deutschland
1918-1943. Francfort, New York, Campus Verlag, 1997, 309 p. (pp. 265-297
pour la fuite en Suisse).
STRAUSS, Lotte, Über den grünen Hügel. Erinnerungen an Deutschland. Berlin, Metropol, 1997 (pp. 131-198 pour la fuite en Suisse).
Il existe également une version anglaise de ces deux témoignages, celui de
Herbert Strauss et de Lotte Strauss, née Lotte Schloss-Kahle.
BATTEL, Franco, «Ein Netz von Helferinnen und Helfer: Die Fluchthilfe um Luise Meier und Josef Höfler» in «Wo es hell ist, dort ist die Schweiz». Flüchtlinge
und Fluchthilfe an der Schaffhauser Grenze zur Zeit des Nationalsozialismus.
Zurich, Chronos, 2000, pp. 204-229.
SCHOPPMANN, Claudia, «Fluchtziel Schweiz: Das Hilfsnetz um Luise Meier
und Josef Höfler» in BENZ, Wolfgang (Ed.), Überleben im Dritten Reich. Juden
im Hintergrund und Ihre Helfer. Munich, dtv, 2006, pp. 205-219.
L’étude de Franco Battel est très complète et se base notamment sur des documents suisses et des interviews. Plus récente (2003), celle de Claudia Schoppmann s’intéresse d’abord aux motivations des sauveurs. Le rôle de JeanEdouard Friedrich est surtout examiné par Franco Battel.
Le dictionnaire des Justes allemands et autrichiens (Lexikon der Gerechten
unter den Völkern, Yad Vashem et Wallstein, 2005) comporte des notices biographiques sur Frieda Impekoven et Elise Höfler (entrée: Meier, Luise).
5. Hongrie et Budapest
Les deux ouvrages de référence sont
TSCHUY, Theo, Diplomatie dangereuse. Carl Lutz, l’homme qui a sauvé les
juifs de Budapest. Genève, Georg, 2004, 277 p. (préface de Simon Wiesenthal).
Version plus centrée sur Lutz mais aussi actualisée de l’original allemand
(Carl Lutz und die Juden von Budapest. Zurich, NZZ, 1995, 446 p.) Fouillé
et très accessible, malheureusement sans références ni bibliographie.
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BEN-TOV, Arieh, Face au génocide. La Croix-Rouge et les Juifs de Hongrie,
1941-1945. Lausanne, Payot, 1997, 232 p.
Version originale anglaise de 1988, traduction allemande en 1990.
Aucun des Justes n’a publié ses mémoires ou souvenirs. Signalons le film «La
Casa di vetro» de la Télévision suisse italienne (2005, 87 min).
Disponible en DVD, avec un sous-titrage anglais, réalisé par Aldo Sofia, le
traducteur italien de l’ouvrage de Tschuy.
Autres publications consacrées à des Justes suisses
GROSSMAN, Alexander, Nur das Gewissen. Carl Lutz und seine Budapester
Aktion. Geschichte und Porträt. Wald, Im Waldgut, 1988, 284 p.
Ancien pionnier juif ayant travaillé avec Lutz, Grossman accorde une large
place aux témoignages et documents. Il n’existe pas de version française de
l’ouvrage.
GUTZWILLER, Jörg, Sanfte Macht. Hildegard Gutzwiller, eine mutige Christin
die Juden rettete. Fribourg, Kasinius Verlag, 1998, 55 p.
L’auteur a réuni le peu d’informations disponibles sur sa tante, dont le journal
qu’elle a tenu entre Noël 1944 et Pâques 1945.
KANYAR BECKER, Helena (Ed.), Gertrud Lutz-Fankhauser: Diplomatin und
Humanistin. Bâle et Berne, 2006, 47 p.
Catalogue de l’exposition temporaire sur Gertrud Lutz, avec de nombreuses
photos et documents dont le récit des six semaines passées dans l’abri antiaérien de la légation britannique (pp. 18-29).
VAMOS, György, 1944. Glasshouse. Memorial Room. Budapest, [2006], 63 p.
Catalogue de la petite exposition permanente à la Maison de verre à Budapest,
avec notamment des témoignages.
HABER, Peter, «Die Aufnahme der Schweizer Gesandtschaft» in LÜTGENAU,
Stefan August (Ed.), Paul Esterházy 1901-1989. Ein Leben im Zeitalter der
Extreme. Innsbruck, e.a., Studien Verlag, 2005, pp. 39-59.
Met l’accent sur la cache offerte par Harald Feller dans la chancellerie de la
légation de Suisse, alors située dans le palais Esterházy.
Deux personnes, Eva Koralnik et Vera Rottenberg, que Harald Feller a fait sortir
de Hongrie avec leur mère témoignent dans
PRUSCHY, Eva (dir.), Survivre et témoigner. Rescapés de la Shoah en Suisse.
Genève et Zurich, Haute école de travail social et Pestalozzianum, 2007.
Sur d’autres aspects des actions de sauvetage des Juifs de Budapest (négociations menées avec des nazis par des leaders de la communauté juive de
Budapest, certificats salvadoriens de complaisance, vie et destin de Raoul Wallenberg):
BAUER, Yehuda, Juifs à vendre? Les négociations entre nazis et Juifs, 19331945. Paris, Liana Levi, 1996, 415 p. (traduit de l’anglais).
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FAVEZ, Jean-Claude, Une mission impossible? Le CICR, les déportations et les
camps de concentration nazis. Lausanne, Payot, 1988, 429 p. (pp. 315-337 sur
la Hongrie).
GANN, Christoph, Raoul Wallenberg. So viele Menschen retten wie möglich.
Munich, C.H. Beck, 1999, 274 p.
KRANZLER, David, The Man Who Stopped the Trains to Auschwitz. George
Mantello, El Salvador, and Switzerland’s Finest Hour. Syracuse (New York),
Syracuse University Press, 2000, 341 p.
MIHOK, Brigitte (Ed.), Ungarn und der Holocaust. Kollaboration, Rettung
und Trauma. Berlin, Metropol, 2006, 175 p. En particulier BRAHAM, Randolph
L., «Rettungsaktionen: Mythos und Realität» (pp. 15-40).
SZITA, Szabolcs, Trading in Lives? Operations of the Relief and Rescue Committee in Budapest, 1941-1945. Budapest, New York, Central European University Press, 2005, 237 p. (traduit du hongrois).
Quelques documents provenant des Archives fédérales suisses sont disponibles en ligne sur le site des Documents diplomatiques suisses (www.dodis.ch).
La base de données DoDiS permet des recherches par mots clés (personnes,
noms géographiques) et par périodes. S’agissant de la Hongrie, presque tous
les documents sont en allemand.
6. Prague et la Pologne
Les dictionnaires de Yad Vashem (voir la rubrique «Ouvrages généraux»)
contiennent les notices biographiques de Joachim von Zedtwitz (volume sur
l’Allemagne et l’Autriche), de Alicja Cerny-Seipp, Anna Paszkiewicz et Irena Zadarnowska (volume sur la Pologne).
Pour cette dernière, la date de nomination indiquée (22 décembre 1962) est
erronée – ne serait-ce que parce que la Commission de nomination des Justes
a tenu sa première séance en 1963. Mme Anna Piotrowska du Musée polonais
de Rapperswil a aimablement transmis à l’auteur une série de documents sur
Irena Zadarnowska, dont un article substantiel publié dans le journal Die Linth
le 8 mai 1981. La documentation transmise permet d’indiquer la date exacte de
nomination: 22 décembre 1964.
Grâce à M. Jacek Sygnarski, président de la Fondation Archivum Helveto-Polonicum, nous avons pu entrer en contact avec Mme Alicja Cerny-Seipp et avec la
fille de Mme Anna Paszkiewicz, qui habitent toutes deux à Genève.
Sur Bill Barazetti, un article intéressant est la notice nécrologique du Times
dans son édition du 9 octobre 2000. Les informations citées proviennent
de cet article ainsi que d’un dossier des Archives fédérales suisses (E 4264
1989/146/45: K 2535). Sur Nicholas Winton: www.powerofgood.net/story.php.
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Liste des encadrés
et de leurs sources
1. Yad Vashem. Sources: «Introduction» au Dictionnaire des Justes de France, Yad Vashem et Fayard, 2003, pp. 17-21; site Internet de Yad Vashem:
www.yadvashem.org.
2. Pour un (futur) Juste, témoigner n’a rien d’habituel. Source: Archives
Herbert Herz.
3. Le destin tragique d’un Juste de Lituanie. Source: GILBERT, Martin,
Les Justes. Les héros méconnus de la Shoah. Paris, Calmann-Lévy, 2004,
p. 109.
4. Les excuses du président de la Confédération, Kaspar Villiger, en
1995. Source: «Réflexions à l’occasion du 50e anniversaire de la fin de
la Guerre». Le président de la Confédération Kaspar Villiger devant les
Chambres fédérales, le 7 mai 1995.
5. Rothmund se plaint des milliers de visas délivrés dans les consulats
de Suisse en Italie. Sources: lettre de Heinrich Rothmund au chef de la
Division des Affaires étrangères du Département politique fédéral, du 23
novembre 1938; reproduite in Documents diplomatiques suisses, volume
14, doc. 454 ; dossier personnel de Pio Perucchi (Archives fédérales suisses, E 2500 1 vol. 39) et dossier E 2001 (D) 2, vol. 115.
6. Récit de Hellmut R. de Vienne, arrivé peu avant Noël 1938 au camp
de Diepoldsau. Source: KELLER, Stefan, Délit d’humanité. L’affaire Grüninger. Lausanne, Ed. d’en bas, 1994, pp. 103-104.
7. Le Comité de Nîmes. Source: PESCHANSKI, Denis, La France des camps:
l’internement 1938-1946. Paris, Gallimard, 2002, pp. 246-254 et 364.
8. L’abbé Gross sauve le futur grand rabbin de Lausanne. Source: VADNAI, Georges, Jamais la lumière ne s’est éteinte. Un destin juif dans les
ténèbres du siècle. Lausanne, L’Age d’homme, 1999, pp. 108-109.
9. Vers la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE). Source:
SCHMIDLIN, Antonia, Eine andere Schweiz. Helferinnen, Kriegskinder
und humanitäre Politik 1933-1942. Zurich, Chronos, 1999, pp. 63, 127,
176, 211-220, 295.
10. Friedel Reiter témoin des déportations. Source: BOHNY-REITER, Friedel, Journal de Rivesaltes 1941-1942 (édité par Michèle Fleury-Seemuller).
Genève, Zoé, 1993, pp. 133-135.
11. Activités de la CRS, SE en zone sud. Sources: SCHMIDLIN, Antonia,
Eine andere Schweiz. Helferinnen, Kriegskinder und humanitäre Politik
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1933-1942. Zurich, Chronos, 1999; Archives Herbert Herz, liste du personnel de la délégation de la CRS, SE dans la zone Sud établie par la CRS en
novembre 1986; Journal de Genève, 30 décembre 1995 – 2 janvier 1996;
KANYAR BECKER, Helena, «Texte zur Ausstellung» in KANYAR BECKER,
Helena (Ed.), Die Humanitäre Schweiz 1933-1945. Kinder auf der Flucht.
Bâle et Berne, Universitätsbibliothek Basel, 2004, p. 25.
12. La rafle du 26 août 1942 au château de La Hille. Source: IM HOF-PIGUET, Anne-Marie, La Filière – en France occupée 1942-1944. Yverdonles-Bains, Editions de la Thièle, 1985, pp. 73-74, qui rapporte le récit de
Rösli Näf; la date du 26 août vient de Schmidlin, op. cit., pp. 267-270.
Anne-Marie Piguet est arrivée à La Hille au printemps 1943.
13. Jacques Roth passe la frontière. Source: Archives Herbert Herz, témoignage de M. Jacques Roth établi le 12 janvier 1992.
14. Madeleine Cordier parvient à éviter le refoulement. Sources: IM HOFPIGUET, Anne-Marie, La Filière – en France occupée 1942-1944. Yverdonles-Bains, Editions de la Thièle, 1985, p. 138; CAPT, Daniel, Fred. Vevey,
L’Aire, 2005, p. 52.
15. Sauvetage de Rose Spiegel et Berta Silber. Source: Archives Herbert
Herz, témoignage de Bracha Scheinman, née Berta Silber, lu à Berne le 15
février 2001.
16. Le Chambon-sur-Lignon. Sources: Dictionnaire des Justes de France, Yad
Vashem et Fayard, 2003, en particulier les articles «Chambon-sur-Lignon»
et «Trocmé André»; YAGIL, Limore, Chrétiens et Juifs sous Vichy (19401944). Sauvetage et désobéissance civile. Paris, Cerf, 2005, p. 492; LAZARE,
Lucien, Le Livre des Justes. Histoire du sauvetage des juifs par des non
juifs en France, 1940-1944. Paris, J.-C. Lattès, pp. 204-205; «La Montagne
protestante, terre d’accueil et de résistance pendant la seconde guerre
mondiale (1939-1945) (www.ville-lechambonsurlignon.fr)».
17. Les trois principales filières de passage à la frontière franco-genevoise reconstituées par l’historienne Ruth Fivaz-Silbermann. Sources:
FIVAZ-SILBERMANN, Ruth, «Filières de passages en Suisse» in Archives
d’Etat de Genève, Les Réfugiés civils et la frontière genevoise durant la
Deuxième Guerre mondiale. Fichiers et archives. Genève, Archives d’Etat
de Genève, 2000, pp. 135-136; FIVAZ-SILBERMANN, Ruth, «Refoulement,
accueil, filières: les fugitifs juifs à la frontière franco-genevoise entre 1942
et 1944. Pour un nouveau modèle du refuge» in Revue suisse d’histoire,
2001/3, pp. 296-316, ici pp. 307 et 315; courriel de Ruth Fivaz-Silbermann a
l’auteur du 14 mars 2007.
18. Extraits du «Livre de bord du Clou» de Laure Francken. Source: GRIN,
Micha, William Francken, médecin de campagne. Yens, Cabédita, 1996,
pp. 27-28 et 33.
19. Jesha Sapir retrouve en 1997 ses sauveurs valaisans. Source: Archives
Herbert Herz.
20. René Nodot organise un passage en Suisse. Source: NODOT, René,
Résistance non violente 1940 – 1944. Mémoires de René Nodot, titulaire
du diplôme de «Passeur bénévole de frontière». Lyon, Faculté des lettres,
1978, pp. 30-31.
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21. Fred Reymond et les passages de réfugiés juifs. Source: CAPT, Daniel,
Fred. Vevey, L’Aire, 2005, p. 64.
22. Un tribunal militaire condamne Ernest Wittwer. Source: Archives
Herbert Herz, procès-verbal de l’audience du 31 mai 1944 du Tribunal
territorial I.
23. La fuite de la famille Hercock. Source: témoignage de Claire Hercock,
cité in LAREYNIE, Bernard, «Marguerite et Paul Tzaut, deux Justes des
Nations» in La mémoire du fleuve. Bulletin d’étude et de recherche sur
l’histoire de Tonneins et du Tonneinquais, No 39, 2006, p. 15.
24. Le sauvetage de la famille Rojtenberg par le couple Wasserfallen.
Source: Le Journal des Cévennes, 2 avril 2001 (Archives Herbert Herz).
25. Sermon du pasteur de Pury du 14 juillet 1940. Source: DE PURY, Roland, Journal de cellule (30.5.1943 – 29.10.1943). Genève, Labor et Fides,
1981, pp. 20-22.
26. Journal de cellule du pasteur de Pury. Source: DE PURY, Roland, Journal de cellule (30.5.1943 – 29.10.1943). Genève, Labor et Fides, 1981,
pp. 58, 88, 105-106, 114-115.
27. Marcel Pasche, le consul de Suisse et la prison de Loos. Source: PASCHE, Marcel, Années de guerre et de fraternité. Evocations sinistres et
lumineuses d’un pasteur. Le Mont-sur-Lausanne, Ed. Ouvertures, 1995,
pp. 35-37.
28. «Auguste Matringe (1894-1984). Humaniste Franco-Suisse. Juste parmi les nations». Sources: YAGIL, Limore, Chrétiens et Juifs sous Vichy
(1940-1944). Sauvetage et désobéissance civile. Paris, Cerf, 2005, p. 144;
Le Progrès (Lyon), 21 avril 2003.
29. Les motivations de l’architecte Paul Calame-Rosset. Sources : Archives
Herbert Herz, lettres du 1er mars et du 14 avril 1998 de Paul Calame-Rosset
à Herbert Herz.
30. Jean-Edouard Friedrich, Werner von Braun, les Américains et les Russes. Source: La Liberté, 6 septembre 1999.
31. D’autres lettres de protection: Milorad Tosic et Eduard Hürlimann.
Sources: entretien de Milorad Tosic avec l’auteur le 25 novembre 2006;
Berner Tagblatt, 19 août 1978; Bericht von Oberrichter Kehrli vom 27. Juli
1945, pp. 6-7 (Archives fédérales suisses, E 2001 (D) 7, vol. 15).
32. Carl et Gertrud Lutz dans la briqueterie d’Óbuda. Source: TSCHUY,
Theo, Diplomatie dangereuse. Carl Lutz, l’homme qui a sauvé les juifs de
Budapest. Genève, Georg, 2004, pp. 208-209.
33. Plan de la ville de Budapest, 1944-1945. Etabli par le Service historique
du DFAE en 2006.
34. Le voyage de Berta Rottenberg et ses filles de Budapest à Saint-Gall.
Source: 24 heures, 23 août 1999 (témoignage d’Eva Koralnik-Rottenberg
recueilli par Francine Brunschwig).
35. Bilan des sauvetages selon l’historien Yehuda Bauer. Source: BAUER,
Yehuda, Juifs à vendre? Les négociations entre nazis et Juifs, 1933-1945.
Paris, Liana Levi, 1996, pp. 325-326.
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Table des matières
Introduction
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I. I.1. I.2. I.3. I.4. Les Justes
Qu’est-ce qu’un Juste?
Pourquoi un ouvrage sur les Justes?
Comment écrire l’histoire des Justes suisses?
Qui sont les Justes suisses? 5
5
7
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II. Les actions des Justes suisses
12
II.1. A la frontière suisse après l’Anschluss de l’Autriche
II.1.1. Des visas généreusement délivrés à Bregenz: Ernest Prodolliet
II.1.2. Le commandant de la police saint-galloise licencié:
Paul Grüninger
II.1.3. Un Juste grison: Anton Bühler
12
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17
II.2. En France
18
II.2.1. Le camp de Gurs
19
II.2.2. Le Secours aux enfants et les camps d’internés
21
II.2.3. La colonie pour enfants de La Hille, la rafle d’août 1942
et l’intervention de Maurice Dubois à Vichy
24
II.2.4. Les passages clandestins organisés depuis La Hille
(1942-1944): Rösli Näf, Renée Farny, Anne-Marie Piguet, Gret Tobler, Sebastian Steiger
27
II.2.5. D’autres colonies de la CRS, SE: Faverges
et Le Chambon-sur-Lignon
31
II.2.6. Filières et passages clandestins en Suisse
33
II.2.7. Caches institutionnelles et caches privées
41
II.2.8. Les pasteurs de Pury à Lyon et Pasche à Lille
46
II.3. En Belgique
II.3.1. Sauvetage et résistance: Paul et May Calame-Rosset
51
51
II.4. Dans le Reich allemand
II.4.1. Les maillons d’une longue chaîne de sauvetage:
Jean-Edouard Friedrich et Elise Höfler-Brütsch
II.4.2. Une cache à Francfort: Frieda Impekoven-Tobler
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II.5. A Budapest
II.5.1. Carl Lutz: lettres, passeports et maisons de protection
II.5.2. Le Bureau d’émigration de la légation de Suisse
et la Maison de verre
II.5.3. Achever le sauvetage dans Pest assiégée:
Peter Zürcher et Ernst Vonrufs
II.5.4. Friedrich Born et la protection des enfants
II.5.5. Les caches: résidences diplomatiques, couvent,
maison privée
II.5.6. Bilans et destins
II.6. Prague et la Pologne, lieux d’action de Justes fameux ayant un lien étroit avec la Suisse
III. III.1. III.2. III.3. III.4. Notices biographiques
Justes possédant la nationalité suisse au moment
de leur action Justes possédant la nationalité suisse au moment
de leur nomination
Justes ayant perdu la nationalité suisse par mariage
Justes ayant un lien étroit avec la Suisse
IV. A. B. 1. 2. 2.1. 2.2. 2.3. 2.4. 3. 4. 5. 6. Sélection bibliographique
Sur les Justes
Sur les actions des Justes suisses
Frontière suisse après l’Anschluss de l’Autriche
France
Ouvrages généraux sur le sauvetage
de Juifs en France
Camps d’internement, Croix-Rouge suisse,
Secours aux enfants (CRS, SE)
Passages et caches
Pasteurs Roland de Pury et Marcel Pasche
Belgique
Reich allemand
Hongrie et Budapest
Prague et la Pologne
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60
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Liste des encadrés et de leurs sources
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Remerciements
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Impressum
Rédaction de l’ouvrage
François Wisard
Supervision, coordination
et iconographie
CICAD Genève,
Johanne Gurfinkiel,
Lili Dardashti,
Sandra Hadjedz.
Maquette et mise en page
Imagic Genève, Daniel Hostettler
Impression
Imprimerie Genevoise, Genève
Crédits photographiques
M. Stefan Keller: p.17; p. 86, haut
M. Jacques Lavilunière: p.22; p. 84, haut
Fonds Friedel Bohny-Reiter: p. 23; p. 81, milieu; p. 81, bas
Archives fédérales suisses1: p. 25; p. 67; p. 68; p. 84, milieu; p. 89; p. 93, bas
ETH Zürich, Archiv für Zeitgeschichte: p. 27; p. 30; p. 46, haut; p. 85, bas; p. 91, haut
M. Sebastian Steiger: p. 29; p. 91, bas
Archives cantonales vaudoises: p. 33; p. 50; p. 84, bas; p. 85, haut
Mme Marguerite Constantin-Marclay: p. 35; p. 82, bas
Mme Jeanne Lavergnat: p. 39; p. 94, haut; p. 94, 2e position
M. Alain Rouèche/Edipresse – 24 Heures: p. 40; p. 90
Mme Irène Westthal-Tzaut: p. 42; p. 92, haut; p. 92, 2e position
Yad Vashem, France: p. 44; p. 46, bas; p. 83, haut; p. 83, bas; p. 88, bas
Mme Lise Poletti-Wasserfallen: p. 45; p. 92, 4e position; p. 92, bas
DFAE, Service historique: p. 49
M. François Grobet: p. 52; p. 82, 3e position
M. Pablo Fernandez: p. 54; p. 85, milieu
Archives Agnes Hirschi: p. 60; p. 87, bas
M. Milorad Tosic: p. 63; p. 96, bas
M. Hans-Jörg Vonrufs: p. 69; p. 92, 3e position
Dr. Friedrich Born: p. 70; p. 82, haut
M. Jörg Gutzwiller: p. 75; p. 86, bas
Polenmuseum Rapperswil: p. 78, haut; p. 94, bas
Mme Wanda Brysz: p. 78, bas; p. 94, 3e position
Mme Alicja Cerny: p. 79; p. 96, haut
Archives des Sœurs de la Charité, à La Roche sur Foron: p. 81, haut
Mme Anne-Marie Im Hof-Piguet: p. 87, haut
1. Photos mises gracieusement à disposition.
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Remerciements de l’auteur
L’auteur tient à adresser ses plus vifs remerciements à M. Herbert
Herz, délégué de Yad Vashem pour la Suisse et la Savoie, qui lui
a ouvert ses archives. Depuis lors, M. Herz a déposé ses archives
au centre de documentation juive contemporaine de Zurich
(Archiv für Zeitgeschichte). Il vient de relater ses années de guerre
et de résistance dans l’ouvrage Mon combat dans la Résistance
FTP-MOI. Souvenirs d’un jeune Juif allemand (édité par Muriel
Spierer, Genève, 2006).
L’auteur exprime aussi sa gratitude aux personnes qui l’ont aidé
dans la collecte d’informations: Mmes Richelle Budd-Kaplan et
Irena Steinfeldt de l’institut Yad Vashem à Jérusalem, Mme Anna
Piotrowska du Musée polonais de Rapperswil, M. Jacek Sygnarski
de la Fondation Archivum Helveto-Polonicum de Fribourg, ainsi
que Mmes Alicja Cerny-Seipp, Ruth Fivaz-Silbermann, Helena
Kanyar Becker, Lise Poletti, Anne Weill-Levy et Limore Yagil.
M. Milorad Tosic et Mme Wanda Brysz ont accordé des entretiens
à l’auteur, qui en conserve un souvenir ému et leur adresse ses vifs
remerciements.
L’auteur remercie Ruth Fivaz-Silbermann, Herbert Herz, Agnes
Hirschi et Marc Perrenoud pour la relecture, partielle ou complète,
du manuscrit et leurs précieuses observations.
L’auteur
Né en 1963 dans le Jura, François Wisard est docteur ès sciences
politiques et licencié ès lettres de l’Université de Lausanne. Auteur
de plusieurs ouvrages et articles sur divers aspects de l’histoire politique de la Suisse au XXe siècle, il dirige depuis 1999 le Service
historique du Département fédéral des affaires étrangères. Il est
également membre de la délégation suisse auprès de la Task Force
for International Cooperation on Holocaust Education, Remembrance and Research (ITF).
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