Les Justes suisses
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Les Justes suisses
Les Justes suisses Des actes de courage méconnus au temps de la Shoah François Wisard Sommaire Introduction 3 I. Les Justes 5 II. Les actions des Justes suisses 12 II.1. A la frontière suisse après l’Anschluss de l’Autriche 12 II.2. En France 18 II.3. En Belgique 51 II.4. Dans le Reich allemand 53 II.5. A Budapest 58 II.6. Prague et la Pologne, lieux d’action de Justes fameux ayant un lien étroit avec la Suisse 77 III. Notices biographiques 80 IV. Sélection bibliographique 97 Table des matières 112 Introduction «La lutte contre la barbarie la plus dévastatrice de l’histoire de l’humanité fut la vraie bataille de la Seconde Guerre mondiale. La perdre aurait privé le monde de toute raison de vivre. Cette bataille fut gagnée par les Justes des Nations. Ils ont offert la vie à leurs protégés, la survie au monde et une raison de vivre à l’humanité.» Lucien Lazare, Le Livre des Justes. Paris, Lattès, 1993, p. 233. L’ histoire des Justes constitue une des pages les moins connues de la Shoah. En ayant sauvé des Juifs au péril de leur vie, tout en n’étant eux-mêmes pas juifs, ils ont maintenu la flamme de l’espérance et de l’humanité au milieu d’une Europe en proie à la folie destructrice des nazis et de ceux qui les soutenaient. La Suisse compte une soixantaine de Justes. Leurs actions valent donc d’être mieux connues. D’être méditées aussi, afin de nous aider, où que nous nous trouvions, à refuser le racisme et la persécution de l’Autre. Cette publication est éditée par la Coordination Intercommunautaire Contre l’Antisémitisme et la Diffamation. Fondée en 1990, la CICAD lutte contre toutes les formes d’antisémitisme, veille à l’application de la loi suisse contre le racisme, se consacre au devoir de mémoire lié à la Shoah et défend l’image d’Israël lorsqu’elle est diffamée. L es J u s t es s u isses Après une première partie sur les Justes et la façon dont on peut écrire leur histoire, la publication offre trois entrées sur les Justes suisses: • thématique, avec une présentation des actions des Justes dans leur contexte historique; • biographique, avec de brèves notices offrant un aperçu de la vie des Justes et un résumé de leurs actions de sauvetage; • bibliographique, avec une présentation des sources utilisées et des possibilités d’approfondir tel ou tel thème; la structure de la bibliographie commentée reprend celle du volet thématique. Le lecteur peut aborder un volet indépendamment des deux autres. Les volets ont toutefois été conçus comme complémentaires et comportent un dispositif de renvois internes. Ainsi, dans le volet thématique, les noms des Justes faisant l’objet d’une notice biographique sont marqués en gras et chaque notice s’achève par l’indication de la section du volet thématique où l’action du Juste est présentée de manière plus détaillée et dans son contexte historique. I. Les Justes I.1. Qu’est-ce qu’un Juste? Le Juste des Nations, ou Juste parmi les Nations est une personne non juive honorée par le mémorial Yad Vashem pour avoir sauvé des Juifs durant la Shoah, ou pour leur avoir apporté une aide alors qu’ils étaient impuissants ou menacés de mort ou de déportation. Le titre est décerné sur la base de critères précis: le sauveur a mis sa vie en danger ou il a du moins pris des risques réels pour sa sécurité ou sa liberté; il a agi de manière désintéressée, sans rechercher d’intérêt financier; enfin, son sauvetage ou son aide est confirmée par les personnes sauvées, voire attestée par des témoins directs ou des documents d’archives authentiques. Les Justes ne constituent qu’une petite fraction des personnes qui ont porté secours aux Juifs. D’abord, des Juifs ont sauvé leurs frères, notamment dans des filières d’évasion. Ensuite, des personnes ont porté secours à des Juifs sans que des traces subsistent, les témoins, notamment les personnes sauvées, ayant disparu. D’autres enfin ont fait preuve d’un grand dévouement à l’égard des persécutés, dans des camps par exemple, sans que cela constitue une action de sauvetage ou sans que des propositions de nomination aient été présentées. Gertrud Kurz, surnommée la «mère des réfugiés», ou encore le pasteur Paul Vogt ont fait preuve d’un immense dévouement pour les réfugiés juifs en Suisse, mais leur action ne remplissait pas les critères de reconnaissance du Juste. Surnommé «le sauveur de Mauthausen», Louis Haefliger a ob- L es J u s t es 1. Yad Vashem1 Mémorial des héros et des martyrs de la Shoah, Yad Vashem a été établi en 1953 par une loi du parlement israélien. Situé sur une colline à l’ouest de Jérusalem, le mémorial comporte en particulier un musée et d’autres lieux du souvenir, un centre de documentation et un institut de recherche. Il tire son nom du livre d’Isaïe: «Je leur ferai un monument, yad, et un nom, va-shem, qui ne seront point effacés». Donner un nom aux martyrs: une base de données sur les victimes de la Shoah est accessible en ligne. Donner un nom aux héros: le titre de Juste parmi les Nations, emprunté à la littérature talmudique, est décerné depuis 1963 par une commission de 35 personnes. Elle se prononce sur une proposition soumise par le Juif sauvé ou le délégué de Yad Vashem du pays concerné. Le Juste reçoit un certificat d’honneur et une médaille. Ceux-ci sont remis sur place, dans le pays de résidence ou dans celui du sauvetage. En cas de remise à Yad Vashem, un arbre est planté en l’honneur du Juste. Depuis 1990 toutefois, faute de place, son nom est gravé sur un mur avec le nom du pays correspondant. La médaille comporte l’inscription suivante: «Quiconque sauve une vie, sauve l’univers tout entier». En effet, sauver la vie d’un être humain, c’est sauvegarder toute sa future descendance. Sauver une vie, notamment celle d’un enfant, c’est préserver tout ce que cet être humain sera capable de donner plus tard au service de l’humanité. s u isses tenu en mai 1945 que le camp autrichien lui soit remis sans résistance et sans destruction, malgré l’opposition initiale du directeur du camp. 60’000 vies furent épargnées. Plusieurs récits et un film relatent cette action. Le Suisse Louis Haefliger ne porte toutefois pas le titre de Juste parmi les Nations. En vertu d’une loi de 2003, le parlement suisse a mis sur pied une Commission de réhabilitation2. Celle-ci peut annuler les condamnations prononcées pour avoir porté secours aux personnes persécutées par le régime nazi. Fin 2006, la Commission avait réhabilité 119 personnes. Certaines d’entre elles sont du reste juives, comme la Genevoise Aimée Stitelmann, aujourd’hui décédée. Un résumé de leurs actions est disponible en ligne. 1. Les sources utilisées dans les encadrés ont été regroupées en fin de publication. La Shoah se trouve souvent réduite à une distinction entre bourreaux (ou exécuteurs) et victimes, entre Täter et Opfer. L’existence même des Justes – plus de 20’000 personnes honorées à ce jour – montre l’insuffisance de cette approche. Les Justes appartiennent à une troisième catégorie d’acteurs, les témoins. Et ils y constituent une très petite minorité. Dès lors se posent les questions suivantes: peut-on encore comprendre la Shoah en portant l’attention uniquement sur cette infime minorité? Ne met-on pas cette poignée d’individus en évidence pour faire oublier toutes les lâchetés, les compromissions et l’indifférence de l’écrasante majorité? 2. www.parlament. ch/f/homepage/koweitere-kommissionen/ko-rehab.htm. En fait, les actions des Justes ne sauraient être isolées de leur contexte historique, celui dans lequel bourreaux et victimes ont agi. De plus, l’héroïsme de quelques-uns n’effacera pas les manquements L es J u s t es s u isses de la communauté à laquelle ils appartiennent. Les Justes suisses sont-ils «l’honneur de la Suisse», pour reprendre le titre d’une série d’émissions radiophoniques de 1998? Il ne fait aucun doute que leurs actions ont été honorables et exemplaires. Mais de manière générale, ces actions ont été individuelles (abri offert à domicile hors de Suisse, etc.) ou seule une désobéissance aux instructions reçues de Suisse les a rendues possibles (filières d’évasion de la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants, multiplication des lettres de protection suisses en Hongrie, etc.). Ceci doit nous conduire à attribuer cet honneur davantage aux Justes eux-mêmes qu’à leur patrie. I.2. Pourquoi un ouvrage sur les Justes? Il existe au moins deux raisons de s’intéresser aux actions des Justes. D’abord, ces actions ont été délaissées tant par la recherche que par l’opinion publique. Ensuite, elles sont porteuses d’une réelle valeur pédagogique. «L’absence d’une histoire des Justes mutile l’histoire de la Shoah», rappelait en 2003 Lucien Lazare, le grand spécialiste des Justes de France3. Et la situation n’a pas radicalement changé depuis lors. De manière symptomatique, le Dictionnaire historique de la Suisse en 13 volumes, en cours de publication, ne comporte pas d’article sur les Justes. Plusieurs facteurs peuvent expliquer le peu d’intérêt accordé aux Justes. L’un réside assurément dans la rareté des sources. En effet, quand on prenait des risques pour aider ou sauver des Juifs – risques qui pouvaient aller jusqu’à la condamnation à mort dans des pays d’Europe de l’Est – on se gardait bien de laisser des traces. De plus, de nombreux Justes manifestent une forte réticence à se mettre en avant. Ils s’étonnent souvent qu’on parle de leurs actions tant celles-ci leur paraissent évidentes. En Suisse comme à l’étranger, les actions des Justes sont intervenues dans un environnement de méfiance, bien plus que de compréhension. L’après-guerre a mis en évidence les gestes de résistance politique aux nazis plutôt que ceux de secours à leurs victimes. Avoir sauvé des Juifs a pu signer aussi un arrêt de mort, comme dans la Lituanie de l’été 1945 (encadré 3). Partout, l’intérêt pour les Justes s’est porté, dans un premier temps, sur quelques figures proéminentes. En Suisse, ces figures furent Paul Grüninger, commandant de la police saint-galloise, et 3. Le Monde, 22 août 2003. L es J u s t es s u isses Carl Lutz, vice-consul de Suisse à Budapest. Il en résulte pourtant une illusion d’optique. En effet, parmi les Justes suisses, on compte en définitive très peu de fonctionnaires et beaucoup de femmes, et les personnes au service de l’Eglise dépassent en nombre de loin celles au service de l’Etat. De plus, la grande majorité des Justes suisses n’ont été actifs ni en Suisse ni même en Hongrie, mais bien en France. S’intéresser aux Justes répond également à un souci pédagogique. S’ils nous enseignent quelque chose, ce n’est nullement un idéal 2. Pour un (futur) Juste, témoigner n’a rien d’habituel Lettre manuscrite adressée par la fille d’un (futur) Juste suisse à la personne à qui son père était venu en aide «[…] Pour moi vous êtes B., un jeune homme à qui un jour mon papa a donné une partie de son cœur. Il parlait souvent de vous et avec tant d’affection et peut-être aussi avec la satisfaction de quelque chose d’accompli. Et puis vous êtes un peu pour moi la mémoire de ce qu’il a vécu pendant la guerre. […] J’ai reçu une lettre de Yad Vashem dans laquelle on me demande en quelque sorte de justifier la demande faite pour mon père. Je comprends cela… mais moi je ne peux rien prouver j’étais trop jeune, j’ai oublié une partie des noms et des faits que mon père citait et c’était très rare qu’il le fasse. Et comme vous le savez […] ce qu’il avait noté après la guerre, quelques heures avant sa mort, il nous demandé à mon mari et à moi de tout brûler, ce que nous avons fait avec respect et sans ouvrir un seul feuillet. Dès lors pour moi il ne reste que vous comme mémoire vivante. Je ne veux pas aller à M. chercher des témoins, je crois que ce n’est pas ce que je dois faire. […] Cela m’a amené plus d’une fois à faire une réflexion sur moi-même, à savoir pourquoi je tenais à cette reconnaissance. En voilà peut-être confusément le résultat. D’abord je pense quand même que mon papa aurait été touché par cette «reconnaissance» de ce qu’il était et de ce qu’il a fait. Pour moi, c’est marquer dans l’histoire, dans le temps ce que papa a fait, a été. Je ne veux pas que mes enfants, mes petits-enfants oublient comme l’horreur, l’injustice, la stupidité et tous ces mots qui n’arrivent pas à décrire ce que l’homme est capable de faire subir à son prochain. Je ne veux pas qu’ils oublient 40. Je veux qu’ils soient conscients que dans le monde les oppressions continuent mais que aucun geste, aucun acte positif est inutile. Je ne veux pas faire un culte de papa. C’était un petit bonhomme avec ses qualités et ses défauts comme tout un chacun. Mais il a fait comme il le disait souvent «que ce que je devais faire» malgré le danger et la peur quand je le questionnais sur sa décision de rester à M. lors de la déclaration de guerre. […] Il me disait: «Comment aurais-je pu faire autrement? C’est cela que je devais faire et pas autre chose. Comment aurais-je pu continuer à vivre si je n’avais pas accompli mon devoir». […] Maintenant je crois que ce qui compte, c’est que papa ait pu se regarder dans un miroir et se dire j’ai fait avec amour ce que je devais. Je ne vais donc pas me battre pour que papa soit «reconnu» dans ces actes, parce que les plus beaux actes d’amour sont souvent ceux dont on ne parle pas et dont on ne connaît même pas l’existence. […]» L es J u s t es s u isses inaccessible, celui du héros 3. Le destin tragique d’un Juste de Lituanie prédestiné et de l’homme sans défaut, mais une action «Pendant la guerre, quatorze Juifs se rendirent dans la à la portée de chacun. Car on ferme de Mykolas Simelis. La plupart lui étaient inconnus. trouve parmi eux des êtres Il les cacha et les nourrit, lui qui avait du mal à nourrir sa dont la conduite rappelle bien propre famille. […] Ses enfants, dont l’aîné avait huit ans, plus l’homme de la rue que le virent leur enfance confisquée, parce qu’ils n’avaient pas le saint, et même des nazis et droit de jouer avec les enfants du voisinage. Ils étaient sans des antisémites convaincus. cesse obligés de rester près de la ferme pour donner l’alerte Et s’il existe un trait commun au cas où des visiteurs se seraient approchés. En 1944, la entre les Justes, c’est bien leur femme de Mykolas, Jadvyga, tomba enceinte d’un sixième condition d’êtres humains, enfant. Pour ne pas compliquer encore la vie à la ferme, des êtres possédant des quaqui comptait déjà quatorze réfugiés, elle choisit d’avorter lités et des défauts, et qui se et mourut des complications de l’opération en avril 1944. sont trouvés confrontés à un Après la guerre et l’occupation de la Lituanie par l’URSS, choix à un moment donné: un des groupes de nationalistes lituaniens parcouraient le choix entre le secours, l’indifpays. Ils étaient convaincus que quiconque avait sauvé férence et la persécution. Or des Juifs était forcément un communiste et un ennemi. En face à ces dilemmes moraux, juillet 1945, ils assassinèrent Mykolas Simelis. Ses enils ont opté pour l’aide et fants grandirent dans un orphelinat.» ont ainsi «offert la vie à leurs protégés, la survie au monde et une raison de vivre à l’humanité». Ainsi, c’est parce que cette marge de manœuvre non seulement existe, mais existe en chacun de nous que l’intérêt pour les Justes et leurs actions comporte une dimension pédagogique. L’enseignement sur la Shoah peut entraîner un sentiment de fatalité et d’impuissance: tout devait s’enchaîner fatalement, sans que ceux qui ne furent ni bourreaux ni victimes – les témoins – puissent faire grand-chose, surtout à l’échelon individuel. Or intégrer dans cet enseignement une réflexion sur les Justes, et plus généralement sur ceux qui ont porté secours aux persécutés, devrait réduire le sentiment individuel de fatalité. 1.3. Comment écrire l’histoire des Justes suisses? Il existe une situation de départ idéale, ou du moins favorable: celle de l’unité des sources. Ainsi, Yad Vashem achève la publication d’une série d’encyclopédies, composées de notices biographiques rédigées sur la base des dossiers de nomination qui contiennent L es J u s t es s u isses notamment les témoignages du ou des Juifs sauvés4; les deux ouvrages édités par Meier Wagner sur la Suisse reposent sur les mêmes sources, mais ils sont incomplets. Des entretiens peuvent aussi assurer une cohérence à l’ensemble, comme aux neuf récits de sauvetage contenus dans Verbotene Hilfe, l’ouvrage remarquable de Beate Kosmala et Revital Ludewig-Kedmi utilisé dans les écoles alémaniques. Dans le cas présent, la situation de départ était différente. Le délégué de Yad Vashem pour la Suisse, Herbert Herz, a aimablement mis à notre disposition les dossiers se rapportant à la vingtaine de propositions de nomination qu’il a soumises à Yad Vashem. Pour les autres Justes, du reste pour la plupart décédés, il a fallu s’appuyer soit sur la littérature existante soit sur les notices des encyclopédies de Yad Vashem publiées à ce jour (Pologne, Pays-Bas, France, Belgique, Allemagne et Autriche) qui parfois ne contiennent aucune donnée de nature biographique. Ces notices accordent une importance centrale au moment du sauvetage, à la rencontre entre le persécuté et celui, ami ou inconnu, qui lui portera secours. Ne serait-ce que par souci de ne pas copier la démarche de Yad Vashem, c’est une approche différente qui a été retenue ici. Elle insiste sur les contextes spécifiques dans lesquels s’inscrivent ces actions de sauvetage – celui de la frontière saintgalloise en 1938 ayant peu de similitudes avec celui de Budapest en 1944. Elle tente aussi de mettre en évidence la diversité des actions: caches, filières d’immigration, démarches diplomatiques, etc. Ainsi, il ne s’en dégagera pas un tableau général et cohérent, mais plutôt une série d’éclairages sur des actions et des personnes dont la trace a été conservée. 4. Pour une appréciation très critique de cette appoche portée par le directeur du Centre de recherches sur l’antisémitisme de Berlin: BENZ, Wolfgang, «Das Lexikon der Gerechten unter den Völkern», Deutschland Archiv, 2/2006, pp. 553-554. Une attention particulière a été apportée aux sources disponibles, aux possibilités de mieux approfondir, dans un cadre scolaire par exemple, l’étude de telle ou telle action de sauvetage ou d’aide. C’est pourquoi la publication s’achève par une bibliographie commentée. I.4. Qui sont les Justes suisses? La question n’a rien de simple, sans même aborder le cas des doubles nationaux. Faut-il prendre en compte le lieu de l’action, la nationalité au moment de l’action ou encore la nationalité lors de la remise de la médaille, voire au moment de la naissance? On doit 10 L es J u s t es s u isses constater que, dans les listes établies jusqu’ici, tous ces critères ont été pris en compte, tour à tour ou simultanément. La plupart des Suisses qui ont porté secours en France ont été intégrés dans le Dictionnaire des Justes de France édité par Yad Vashem, parfois sans indication de leur nationalité suisse, comme pour Germaine Muehlenthaler. La nationalité au moment de l’action possède bien sûr davantage de pertinence que la nationalité au moment de la remise; mais, il y a quelques années seulement, un couple qui avait acquis la nationalité suisse après la guerre fut honoré à Berne comme Juste suisse. Et où placer Bill Barazetti, surnommé le «Schindler de Prague»? Né en Suisse, il en a perdu la nationalité à l’âge de deux ans et n’a plus eu de lien avec notre pays; néanmoins, invité par Yad Vashem à indiquer «son pays», ce cosmopolite a choisi la Suisse, raison pour laquelle le mémorial le considère comme Suisse5. Et les femmes mariées? Les étrangères obtenaient automatiquement la nationalité suisse par leur mariage, mais les Justes qui se sont trouvées dans cette situation (Suzanne Curtet, May Calame-Rosset) n’ont pas été toujours considérées comme Justes suisses. A l’inverse, la Zurichoise Frieda Kobler, épouse du célèbre acteur et écrivain allemand Toni Impekoven, a été retenue comme Juste suisse, même si son mariage lui avait fait perdre la nationalité suisse6. Il faut insister: dans ce contexte, il n’existe pas de solution entièrement satisfaisante. D’un côté, il est indispensable de retenir des critères identiques: c’est ce qui a été fait dans le volet biographique. De l’autre côté, cette publication vise à éclairer des actes méconnus bien que remarquables, et à offrir à la fois un aperçu de la variété des actions des Justes et des pistes de recherches. C’est donc une perspective englobante qui a été retenue dans le volet thématique. La publication a été rédigée sur la base des informations dont disposait l’auteur fin mai 2007. Plusieurs propositions de nomination étaient alors en cours d’examen à Yad Vashem: celle de Joseph Spirig, passeur saint-gallois, celle d’Arthur et Wilhelmine Jaccard, des Suisses établis dans le Jura français, et celle d’Edouard Brunschweiler, un adjoint du délégué du CICR à Budapest. Il reste possible que parmi les Justes honorés par Yad Vashem, d’autres que ceux mentionnés dans la publication aient eu la nationalité suisse au moment de leur action ou au moment de leur nomination… 5. Tribune de Genève, 5 mai 1997. Courriel de Yad Vashem à l’auteur du 22 août 2006. 6. Wagner, Meir, Die Gerechten der Schweiz. Tel-Aviv, 1999, pp. 146-148. 11 II. Les actions des Justes suisses Les actions sont présentées selon le pays dans lequel elles sont intervenues. Cela permet aussi d’assurer une certaine cohérence d’ordre chronologique, le parcours nous entraînant de la frontière avec l’Autriche en 1938 à la Hongrie en 1944. II.1. A la frontière suisse après l’Anschluss de l’Autriche Depuis leur arrivée au pouvoir à Berlin en 1933, les nazis poussaient les Juifs au départ, tout en confisquant leurs biens. «L’émigration de tous les Juifs, tel était l’objectif à terme», nous rappelle l’historien Philippe Burrin7. Après l’Anschluss de mars 1938, la majorité des quelque 180 à 200’000 Juifs se trouvant sur l’ancien territoire autrichien tenta de trouver refuge à l’étranger. Environ 50’000 d’entre eux émigrèrent, de gré ou de force, durant les huit premiers mois. Entre 5’500 et 6’500 arrivèrent en Suisse, doublant ainsi le nombre d’émigrants dans notre pays. 7. BURRIN, Philippe, Hitler et les Juifs. Genèse d’un génocide. Paris, Seuil, 1995, p. 43 (coll. Points). Le président Roosevelt invita 33 Etats à une conférence pour tenter de trouver une solution internationale, incluant les pays dit de destination, soit les pays d’outre-mer, aux problèmes posés par cette émigration massive, mais aussi pour satisfaire l’opinion américai- 12 L es J u s t es s u isses ne. Les Etats-Unis avaient fait clairement savoir que les participants ne seraient pas tenus d’accepter plus d’immigrants que ne le prévoyait leur législation et que, pour leur part, ils n’augmenteraient pas leur quota annuel d’immigration, fixé à environ 27’000 pour l’Allemagne et l’Autriche. La Suisse, comme les autres pays européens, avait réaffirmé qu’elle resterait un pays de passage, ou de transit, pour les émigrants. La conférence qui s’est finalement tenue à Evian en juillet 1938 n’a donc débouché, sans surprise, sur aucun résultat substantiel. La Suisse pratiquait elle aussi une politique d’accueil très restrictive. Le 28 mars 1938, le Conseil fédéral imposa l’obligation du visa d’entrée aux détenteurs de passeports autrichiens et ordonna de ne pas en délivrer aux réfugiés qui voudraient se rendre 4. Les excuses du président en Suisse pour y séjourner ou de la Confédération, Kaspar Villiger, en 1995 s’y fixer. L’obtention de visas «[…] De pénibles conflits, dans le sillage de peurs démede transit était soumise à des surées, furent aussi réglés au détriment de l’humanité. Le conditions très sévères. L’artimbre «Juif » fut une concession, une concession contraire rivée de réfugiés diminua raà ses objectifs, que la Suisse fit à l’Allemagne. Ce timbre, pidement. Dès l’été pourtant, la Suisse l’a approuvé en 1938. Nous avons autrefois fait les entrées clandestines se multiplièrent. le mauvais choix au nom d’un intérêt national pris dans son sens le plus étroit. Le Conseil fédéral regrette profonOn assista à deux processus dément cette erreur et tient à s’en excuser, tout en restant s’achevant par des décisions conscient que pareille aberration est en dernier lieu inexdu Conseil fédéral qui demeucusable. […]» rent, aujourd’hui encore, les plus critiquées de sa politique à l’égard des réfugiés, au côté de la fermeture des frontières en août 1942. La première est la fermeture des frontières le 19 août 1938, la seconde, l’approbation unanime d’un accord avec l’Allemagne introduisant un tampon «J» dans les passeports des Juifs du Reich, le 4 octobre 1938. Fruit de discussions entamées en avril, puis de négociations, l’introduction du «J» était liée au caractère tout à fait provisoire de la solution du visa pour les passeports autrichiens; elle n’aurait plus d’effet dès lors que ces passeports seraient remplacés par des passeports allemands – ce qui arriva le 15 août. Deux voies se présentaient: l’imposition générale du visa ou le signe distinctif. En simplifiant, la Suisse hésitait à imposer le visa aux Allemands pour ne pas indisposer le grand voisin, mais voulait simultanément empêcher l’afflux de réfugiés juifs; toujours désireux de forcer les Juifs 13 L es J u s t es s u isses à l’émigration, le Reich voulait quand même éviter l’imposition générale du visa. La responsabilité importante des Suisses dans le choix final du signe distinctif plutôt que du visa généralisé ne peut, aujourd’hui, plus sérieusement être contestée. La législation raciale allemande pénétrait ainsi dans le droit suisse. Anton Bühler Face à la poursuite de l’immigration clandestine, le Département fédéral de justice et police convoqua une réunion des directeurs cantonaux de police; les cantons possédaient alors une très large compétence en matière d’asile. Heinrich Rothmund, le chef de la Division de police, évaluait alors à 1’000 le nombre de réfugiés illégaux présents sur sol suisse. Des positions contrastées se manifestèrent lors de la réunion du 17 août. Le commandant de la police thurgovienne se vanta que son canton n’abritait aucun réfugié, avant d’ajouter: Berne peut décider et ordonner ce qu’elle veut, notre canton n’acceptera aucun réfugié! Avec les représentants bâlois et schaffhousois, deux futurs Justes invoquèrent des motifs humanitaires pour déclarer qu’on ne pouvait refouler tout le monde: Paul Grüninger, le commandant de la police saint-galloise, et Anton Bühler, secrétaire du département grison de Justice et Police. Le 19 août, le Conseil fédéral décida toutefois la fermeture des frontières: refoulement de tous les réfugiés se présentant sans visa à la frontière et renvoi de tous ceux qui l’avaient franchie illégalement. Certains fonctionnaires refusèrent néanmoins d’appliquer ces directives. II.1.1. Des visas généreusement délivrés à Bregenz: Ernest Prodolliet Le visa ayant été rendu obligatoire pour les détenteurs de passeports autrichiens, Ernest Prodolliet, un collaborateur du consulat de Suisse à Saint-Louis aux Etats-Unis, dut interrompre ses vacances européennes pour renforcer l’agence consulaire de Suisse à Bregenz à partir du 1er avril 1938. Responsable du bureau des passeports de l’agence consulaire, il se trouva vite confronté à de nombreuses demandes de visas. Son activité reste mal documentée, mais on évalue à au moins 300 le nombre de visas de transit accordés à des Juifs cherchant à gagner la Palestine ou d’autres pays. On connaît de lui toutefois 14 L es J u s t es d’autres actions: passage de la frontière en emmenant dans sa voiture un réfugié sans visa, intervention auprès d’un douanier pour qu’il laisse entrer un médecin juif, tentative de franchir clandestinement la frontière avec un réfugié. Cette dernière action se solda par des tirs allemands et l’arrestation en Suisse de Prodolliet. Celui-ci fut ensuite rappelé à Berne. Nommé vice-consul de Suisse à Amsterdam en 1939, il y aurait aussi délivré des attestations de complaisance à des Juifs. II.1.2. Le commandant de la police saint-galloise licencié: Paul Grüninger s u isses 5. Rothmund se plaint des milliers de visas délivrés dans les consulats de Suisse en Italie «Au cours du mois d’août dernier, plusieurs cantons se sont plaints de la présence sur leur territoire de nombreux émigrants provenant d’Autriche et entrés en Suisse avec des visas délivrés par nos consulats en Italie. Les plaintes des cantons se répétant, nous avons fait savoir, le 30 août, à nos consulats en Italie qu’ils ne devraient plus délivrer désormais aucun visa de leur chef à des émigrants d’Autriche. […] Trois consulats surtout se font remarquer par le nombre des visas délivrés: en effet, alors qu’à eux tous notre Légation à Rome et nos consulats à Florence, Gênes, Naples, Turin et Catane avaient délivré environ 250 visas, notre consulat de Trieste en avait octroyé 450, celui de Venise 500 et celui de Milan 1’600. […] Les faits exposés ci-dessus dénotent chez certains fonctionnaires de nos consulats à Trieste, Venise et Milan une telle incurie (on peut se demander s’ils ont jamais lu les instructions de notre Département) et un tel dédain des intérêts de notre pays ou alors une telle incapacité qu’à notre avis des mesures s’imposent. En agissant comme ils l’ont fait, ils ont non seulement causé un grand surcroît de travail aux polices fédérale et cantonales des étrangers, occasionné des frais supplémentaires à ces administrations et aux organisations qui s’occupent de l’aide aux réfugiés, mais surtout ils ont contribué à aggraver les difficultés dans lesquelles notre pays se trouve, du fait de la présence d’un trop grand nombre d’émigrants juifs sur notre territoire». Les deux fonctionnaires concernés du bureau des passeports du consulat général de Suisse à Milan étaient Pio Perucchi (1870-1945) et Candido Porta (1892-1988). Perucchi prit sa retraite fin 1938. Porta resta au consulat, mais fut réaffecté aux affaires militaires, poste qu’il avait déjà occupé en début de carrière. Si, en Suisse, une figure symbolise une générosité envers les persécutés sanctionnée par les autorités, c’est bien l’ancien commandant de la police du canton de Saint-Gall. Pourtant, rien ou presque ne prédestinait Paul Grüninger au rôle qu’il a joué en 19381939. Instituteur de formation, membre du parti radical, il se passionnait davantage pour le football que pour les activités caritatives. Il déploya l’essentiel de son activité de sauvetage après la fermeture complète des frontières – à laquelle il s’était opposé comme on l’a vu. Sur les quelque 450 autorisations de séjours délivrées dont la trace est conservée, 400 l’ont été après le 19 août. 15 L es J u s t es 6. Récit de Hellmut R. de Vienne, arrivé peu avant Noël 1938 au camp de Diepoldsau «Après quelques jours au camp, plusieurs personnes me conseillèrent d’écrire une lettre au commandant Grüninger. Je racontai que j’étais l’enfant de parents sourdsmuets, qui avaient vainement essayé de venir avec moi en Suisse et qui étaient rentrés à Vienne après que j’eus réussi à m’enfuir. Je le priai de faire tout ce qui était humainement possible pour sauver mes parents. Il m’écrivit par retour de courrier qu’il n’était pas en mesure de leur délivrer un visa. Mais il m’envoya une «citation à comparaître» qui leur était destinée pour une «audition» dans son bureau à Saint-Gall. Mes parents utilisèrent leurs derniers sous pour acheter des billets de train et, grâce à ce papier officiel, ils purent sortir d’Autriche et entrer en Suisse. Le commandant veilla à ce que je retrouve immédiatement mes parents et leur accorda une autorisation de séjour». s u isses Grüninger alla jusqu’à falsifier des documents. Il est établi qu’il en a antidatés au moins 67, indiquant une date antérieure à la fermeture des frontières et à l’ordre de refoulement. Il a fermé les yeux devant de faux visas, envoyé des citations à comparaître et des invitations à des détenus du camp de concentration de Dachau, afin de les faire venir en Suisse. Malgré ses contacts avec Prodolliet, Grüninger a surtout travaillé avec deux autres personnes: son supérieur direct, le conseiller d’Etat socialiste Valentin Keel, et le dirigeant de l’aide israélite de Saint-Gall, Sydney Dreifuss. Une des conditions d’admission en Suisse, même pour un simple transit, voulait que le réfugié ne coûte rien à l’Etat: soit il pouvait subvenir à ses besoins, soit des œuvres d’entraide privées le prenaient en charge. Grüninger avait donc des contacts très réguliers avec Dreifuss pour assurer que le réfugié qu’on voulait laisser entrer ou ne pas refouler serait entretenu financièrement. Quant à son supérieur, Paul Grüninger répéta qu’il n’avait cessé d’agir avec son aval. Or quand sa position se fragilisa – Rothmund réclamant chiffres et explications dès janvier 1939 –, le conseiller d’Etat Keel ne fit guère d’efforts pour prendre sa défense. Grüninger fut suspendu de ses fonctions en mars 1939, licencié six semaines plus tard. En 1940, le tribunal du district de Saint-Gall le condamna à une amende pour falsification de documents et manquement aux devoirs de sa charge. Paul Grüninger vécut ensuite péniblement de diverses activités avant d’enseigner à l’école primaire d’Au. Des rumeurs de corruption et de copinage avec les nazis circulèrent. Encore aujourd’hui, elles resurgissent épisodiquement. Bien que déposées régulièrement depuis 1968, les demandes de réhabilitation ont abouti seulement dans les années 1990, soit une vingtaine d’années après sa mort. A la réhabilitation politique (1993) ont succédé la réhabilitation juridique (1995), puis le verse- 16 L es J u s t es s u isses ment par le gouvernement saint-gallois de 1,3 million de francs à la Fondation Paul Grüninger, à titre de dommages et intérêts pour le licenciement immédiat de 1939. Aujourd’hui, plusieurs places portent son nom. Vienne abrite une Ecole Paul-Grüninger. On ne peut plus déterminer le nombre de personnes qui doivent leur entrée en Suisse à l’ancien chef de la police saint-galloise. Alors que l’encyclopédie de la Shoah avance le chiffre de 3’6008, la Fondation Paul Grüninger parle de quelques centaines, chiffre probablement plus proche de la réalité. Il est certain en revanche que le comportement de Grüninger et de son supérieur à l’égard des réfugiés a incité des douaniers et policiers saint-gallois – comme Chritian Dutler, Karl Zweifel ou Alfons Eigenmann – à ne pas refouler les fugitifs. Des passeurs ont aussi été actifs à la frontière du Rheintal saint-gallois, à l’instar de Wilhelm Hutter, Jakob Spirig et Johann Spirig; la Commission de réhabilitation du parlement a récemment annulé leurs condamnations. Paul Grüninger II.1.3. Un Juste grison: Anton Bühler Lors de la conférence des directeurs cantonaux de police, le 17 août 1938, le juriste Anton Bühler, qui représentait les Grisons, avait ouvertement partagé le point de vue de Paul Grüninger. Secrétaire du département grison de Justice et Police, il avait précisé que 173 réfugiés d’Autriche avaient franchi la frontière cantonale, bon nombre d’entre eux ayant toutefois poursuivi leur route jusqu’en France. Comme Grüninger, il ne respecta pas les directives fédérales édictées lors de la fermeture des frontières le 19 août. Mais lui ne fut ni sanctionné, ni même inquiété. Bien plus, lors de la séance du 16 mai 1939 du Grand Conseil grison, un député salua la grande compréhension dont le Département de justice et police, en particulier son secrétaire général, avaient fait preuve à l’égard des réfugiés politiques. La première intervention connue d’Anton Bühler en faveur des réfugiés juifs date du 30 septembre 1938. On l’avait appelé de Martina en Engadine où quatre jeunes Juifs de Vienne s’étaient présentés à la frontière. Pouvait-on les laisser entrer, malgré les directives fédérales? Bühler accepta. L’autorisation fut ensuite étendue aux parents de ces jeunes. Plus de cent réfugiés, en majorité juifs, seraient arrivés aux Grisons grâce à Bühler. 17 8. JÄCKEL, Eberhard, e.a., (Ed.), Enzyklopädie des Holocaust. Die Verfolgung und Ermordung der europäischen Juden. Munich et Zurich, Piper, 1995, p. 582; www.paul-grueninger.ch. L es J u s t es s u isses II.2. En France Les actions de la plupart des Justes suisses en France s’inscrivent dans deux contextes: les camps d’internement mis en place début 1939 dans le Sud du pays; l’application de la «solution finale» dès 1942. A la poursuite de l’aide apportée aux internés s’est ainsi ajoutée, avec les rafles et déportations de l’été 1942, une double action de sauvetage. Il s’agissait d’organiser des passages clandestins en Suisse et un hébergement privé ou institutionnel pour les persécutés. Les camps d’internement français – dans lesquels furent enfermés au total 600’000 hommes, femmes, enfants – n’avaient à l’origine aucun lien avec la Shoah ni avec Vichy. Ils relevaient d’une logique d’exclusion sociale. D’abord, il avait fallu placer, dans des camps de fortune proches des Pyrénées, les milliers de républicains qui avaient fui l’Espagne lors de la victoire de Franco début 1939. Juifs, Roms et Sinti étaient venus les rejoindre à partir de 1940. Les armées allemandes se lancèrent à l’attaque des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg et de la France le 10 mai 1940. Leur avancée fut rapide, déversant des flots de civils sur les routes. A une résistance à outrance, le maréchal Pétain, chef du gouvernement depuis le 16 juin, préféra demander l’armistice. Pétain laissait de fait la Grande-Bretagne de Churchill combattre seule le Troisième Reich jusqu’en 1941. Avec l’armistice, la France se trouvait divisée en deux zones: au Nord une zone occupée par les Allemands, au Sud une zone dite libre avec un gouvernement établi à Vichy. L’Alsace-Lorraine avait été rattachée au Reich, alors que les trois départements du Nord dépendaient de l’administration militaire allemande de Bruxelles. Avec 300’000 Juifs en 1939, dont deux tiers vivaient à Paris, la France comptait la plus grande communauté d’Europe occidentale. Elle représentait toutefois moins de 1% de la population et seule la moitié possédait la nationalité française. Pour mettre en œuvre la «solution finale», les Allemands avaient besoin d’une collaboration française. Le «compromis» suivant fut trouvé: police et gendarmerie françaises effectueraient les rafles, mais celles-ci ne toucheraient pas les Juifs de nationalité française. Les deux plus grandes rafles eurent lieu en été 1942. A Paris, les 16 et 17 juillet, près de 13’000 Juifs furent arrêtés, les familles étant parquées au Vélodrome d’hiver, les autres envoyés au camp de Drancy d’où ils furent tous déportés à Auschwitz-Birkenau. Si 18 L es J u s t es s u isses on restait relativement loin de l’objectif visé de 30’000 arrestations, l’émotion atteignit son comble car les rafles massives intervenaient de jour, en pleine ville et n’épargnaient nullement les enfants. Dans la zone sud, les rafles touchèrent d’abord les camps, qui devinrent ainsi la pierre angulaire du dispositif de déportation. La rafle la plus importante survint le 26 août. En novembre 1942, en riposte au débarquement allié en Afrique du Nord, les Allemands occupèrent le Sud de la France. Leurs alliés italiens en firent de même avec une bande de terre allant de Nice à la Savoie, mais rechignèrent à livrer des Juifs. Le répit fut de courte durée: les Allemands occupèrent l’ensemble de la France et de l’Italie du Nord en septembre 1943. Rafles, arrestations et déportations se poursuivirent, mais sur une plus petite échelle. Trois convois partirent encore pour Auschwitz-Birkenau après le débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944 (depuis le premier convoi parti le 27 mars 1942, il y en avait eu jusqu’alors 75). Au total, 76’000 Juifs ont été déportés de France. Seuls 2’500 d’entre eux ont survécu. II.2.1. Le camp de Gurs Gurs, dans le pays basque français, abritait le camp d’internement le plus sinistre de la France de Vichy. Baraques en bois, infestées de vermine, sur un sol en terre que l’hiver transformait en champ de boue. Erigé à la hâte en avril 1939 pour des républicains espagnols, il s’était quasiment vidé en automne 1940, avant de devenir un camp pour Juifs. Y furent d’abord parqués 6’500 Juifs expulsés du jour au lendemain du pays de Bade, du Palatinat et de Sarre. Quelque 4’000 internés juifs transférés d’autres camps français les rejoignirent. Les conditions d’hygiène étaient effroyables et la nourriture manquait: une épidémie de typhus et la dysenterie emportèrent 800 Juifs le premier hiver. Gurs devint un des principaux points de départ des convois de déportation de la zone sud. Six convois partirent pour Drancy, puis Auschwitz-Birkenau, emportant près de 3’900 Juifs. A Gurs comme dans les autres camps d’internement, des œuvres d’entraide s’efforcèrent de procurer de la nourriture et d’autres types de secours aux internés. Soucieuses de renforcer leurs actions, ces œuvres se regroupèrent dans le Comité de Nîmes. Deux Suisses délégués par des œuvres d’entraide passèrent plusieurs mois en 1942-1943 à Gurs et y sauvèrent des Juifs de la déportation: le théologien protestant Hans Schaffert, envoyé par la 19 L es J u s t es s u isses CIMADE pour un stage de six mois, et l’abbé Albert Gross, envoyé par l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg. Témoin direct des déportations de 1942, Hans Schaffert écrivit à Marc Boegner, président de la Fédération protestante de France, pour le presser d’intervenir. Il organisa également la fuite de prisonniers vers l’Espagne ou la Suisse et leur procura de l’argent. Les autorités françaises n’apprécièrent guère ses activités et demandèrent son rappel. De retour en Suisse, Hans Schaffert devint le principal collaborateur de Paul Vogt, le «pasteur des réfugiés». Arrivé en mai 1942, l’abbé Gross fut témoin du départ des six convois de déportation de Gurs. Il cacha une quarantaine de Juifs dans une réserve pour qu’ils échappent aux déportations. Il sauva également Georges Vadnai (encadré 8). L’action de l’abbé Gross ne s’est pas limitée au camp de Gurs. Il a également organisé la traversée du Léman pour deux ou trois réfugiés et a vraisemblable7. Le Comité de Nîmes ment participé à la fabrication de faux papiers. Enfin, c’est lui Dispersées et spécialisées dans un type d’activités ou sequi a transmis à Berne la precourant une catégorie de personnes, les œuvres se trouvèmière liste de non-refoulables, rent confrontées à une rapide dégradation de la situation comportant 22 noms. Cette dans les camps d’internement. En novembre 1940, elles liste, régulièrement actualise regroupèrent dans un comité de coordination, dit Cosée, allait compter 1’460 noms mité de Nîmes. La coordination répondait aussi au vœu dans sa dernière version, en du gouvernement de Vichy, soucieux de se décharger sur août 1944. Son origine était les œuvres d’entraide d’une aide minimale aux internés la suivante: le pasteur Marc qu’il n’aurait sans doute pu assurer lui-même. Les œuvres Boegner avait convenu avec eurent donc un large accès aux camps. les autorités helvétiques que Le Comité allait réunir une vingtaine d’œuvres, dont les certains protégés des œuvres Quakers américains, les jeunes protestants de la CIMADE d’entraide, pour lesquels elles (Comité inter-mouvements auprès des évacués), les Juifs de se portaient garantes, seraient l’OSE (Œuvre de secours aux enfants) et le Secours suisse accueillis sans risque de refou– sur lequel on reviendra. lement. Sur la liste qu’il allait En règle générale, chaque œuvre disposait d’une antenne dans chaque camp. Si certaines œuvres d’entraide ou cerfinalement transmettre, Albert taines personnalités émergent selon le camp ou le moment, Gross avait placé une collabol’aide aux internés fut bel et bien une œuvre collective. Il ratrice de l’Œuvre de secours faut conserver cette dimension à l’esprit lorsqu’on s’intéaux enfants, elle aussi détaressera plus particulièrement à certaines personnalités, les chée à Gurs. Il passa avec elle Justes suisses. clandestinement la frontière suisse en juin 1943. 20 L es J u s t es Si les deux hommes d’Eglise ont été honorés par Yad Vashem, d’autres Suisses ont porté secours dans le camp de Gurs. Première étrangère admise, en décembre 1940, l’infirmière Elsbeth Kasser y resta trois ans, créant un dispensaire, ouvrant une école avec sept classes. Les internés, juifs dans leur grande majorité, lui ont confié des dizaines de dessins et d’aquarelles; elle en a également achetés. Composée d’une centaine de dessins et d’aquarelles, sa collection constitue un témoignage unique sur la vie de Gurs. Elle est gérée aujourd’hui par une fondation suisse9. II.2.2. Le Secours aux enfants et les camps d’internés s u isses 8. L’abbé Gross sauve le futur grand rabbin de Lausanne Dans la nuit du 3 au 4 mars 1943 durant laquelle 750 Juifs sont «sélectionnés» pour la déportation, Georges Vadnai doit se présenter devant la «commission de sélection». Sa nationalité yougoslave le condamne à la déportation. Il tente de faire admettre une nationalité hongroise, pays où il est né en 1915, qui lui épargnerait la déportation: «Je dois prendre place dans un groupe qui partira par le prochain autobus pour Oloron-Drancy. […] Près de moi, une porte s’ouvre, un curé entre. J’apprends d’un codétenu qu’il s’agit de l’Abbé Gross […] dont les interventions efficaces et les actions de sauvetage sont connues de tout le monde. Sans hésitation, je l’aborde: «Mon Père, je me présente: je suis le Rabbin Vadnai. Je sers Dieu dans un autre temple que vous, mais j’espère que cela ne vous empêchera pas de me donner un coup de main; je viens d’être sélectionné pour la déportation». L’abbé parvient à le faire sortir une première fois, mais le rabbin passe à nouveau devant la «commission de sélection»: «Le président «sélectionneur» se tourne vers l’Abbé Gross: Elsbeth Kasser et Emmi Ott, Qu’en pensez-vous mon Père? L’Abbé Gross donne, évicomme Maurice Dubois, Elisademment, la réponse que j’attends de lui et qui me sauve la beth Eidenbenz, Friedel Reiter, vie: Pour moi, il n’y a pas de doute, il est Hongrois». Rösli Näf, Anne-Marie Piguet, Sebastian Steiger, Gret Tobler, Renée Farny, August Bohny, Emma Aeppli et Walter Giannini – des Justes suisses dont on va parler maintenant –, travaillaient pour la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE), ou pour les organisations auxquelles elle a succédé. 9. La fondation est présidée par Walter Schmid, dont l’épouse a édité une brochure: SCHMID-ACKERET, Therese, Elsbeth Kasser. Ein biographisches Projekt. [s.l.], 1999, 67 p. La collection a été exposée, depuis la fin des années 1980, au Danemark, en Allemagne, en France et au Musée international de la CroixRouge et du Croissant-Rouge à Genève. Deux catalogues ont été édités: Gurs ein Internierungslager in Südfrankreich. 1939-1943. Zeichnungen, Aquarelle, Fotografien. Sammlung Elsbeth Kasser; PHILIPP, Michael (Ed.), Gurs ein Internierungslager in Südfrankreich. 1939-1943. Literarische Zeugnisse, Briefe, Berichte. Hambourg, 1991. 21 L es J u s t es 9. Vers la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE) L’origine lointaine de la CRS, SE remonte à la guerre d’Espagne, plus particulièrement aux œuvres d’entraide suisses regroupées dans une association faîtière, le Comité neutre d’action pour les enfants d’Espagne. Les volontaires sur le terrain y organisaient la distribution de vivres et l’évacuation d’enfants. Après la victoire de Franco, ils poursuivirent leurs activités dans les camps d’internés du Sud de la France. La guerre entraîna la dissolution du Comité et la naissance d’une nouvelle organisation faîtière, le Cartel suisse de secours aux enfants victimes de la guerre. Il regroupa 17 associations sur une base qui restait privée. En décembre 1941, le Cartel fut affilié à la Croix-Rouge suisse, celle-ci devant assurer la direction, le financement et le suivi des activités humanitaires du Cartel. L’affiliation était voulue par le Conseil fédéral. Elle augmentait les ressources pour le secours aux enfants; de 29, l’effectif des collaborateurs en France passa à 150 à la fin de 1942. Elle entraînait toutefois une mainmise de l’Etat sur les œuvres d’entraide privées, en particulier de l’armée dont dépendait la Croix-Rouge suisse en temps de guerre. s u isses Dans le Sud de la France, le second grand camp d’internement avec Gurs était celui de Rivesaltes, à l’autre bout de la chaîne des Pyrénées, près de Perpignan. Au milieu d’une plaine aride, écrasée sous la chaleur l’été et balayée par un vent glacial l’hiver, le camp se composait de baraques en ciment, celles d’un ancien camp militaire, regroupées en une dizaine d’îlots. Républicains espagnols, Juifs, Sinti et Roms y étaient enfermés. De janvier 1941 à novembre 1942, le camp a compté en moyenne 4’300 internés. Mais là comme dans les autres camps, le volume et la composition de la population ont connu d’importantes fluctuations. Le Cartel suisse y installa un poste de secours en août 1941, construisit une baraque pour mieux assurer la distribution de suppléments alimentaires, surtout de la soupe et du riz. La première responsable suisse était Elsie Ruth. Friedel Reiter, une infirmière née à Vienne et arrivée en Suisse en 1920, lui succéda en 1942. Au total, 2’300 Juifs ont été déportés de Rivesaltes entre août et octobre 1942, en neuf convois. Friedel Reiter a soustrait des enfants juifs aux convois en instance de départ et les a cachés dans son entrepôt de produits alimentaires. Elle les a ensuite envoyés dans un home de la CRS, SE au Chambon-sur-Lignon (voir infra, II.2.5). En novembre 1942, lorsque Rivesaltes fut vidé de ses internés, elle rejoignit le Chambon – et son futur mari August Bohny. Elisabeth Eidenbenz Friedel Reiter tenait un journal intime. Il ne fut publié que 50 ans plus tard, en traduction française, par les soins de l’historienne Michèle Fleury-Seemuller. La cinéaste Jacqueline Veuve en a tiré un film. 22 L es J u s t es s u isses A Elne, non loin de Rivesaltes, Elisabeth Eidenbenz, une jeune institutrice zurichoise de retour d’Espagne, avait installé fin 1939 une maternité dans un château à l’abandon. Elle avait été témoin des conditions effroyables dans lesquelles les femmes devaient accoucher dans les camps voisins de Saint-Cyprien et de Rivesaltes. En règle générale, les femmes venaient à Elne un mois avant l’accouchement et repartaient au bout de deux mois. La maternité ac10. Friedel Reiter, témoin des déportations «19 août 1942 Chaleur accablante sur le camp. Le fil de fer barbelé tiré étroitement autour des îlots K et F est oppressant. Les plaintes des gens tourmentés flottent encore dans l’air. Je les vois sortir en longues files de leurs baraques haletant sous le poids de leurs affaires. Les gardiens à leurs côtés. Se mettre en rang pour l’appel. Attendre des heures dans un champ exposé au soleil. Puis arrivent les camions qui les mènent vers les voies de chemin de fer. Ils sortent des camions entre deux rangées de gardiens et entrent, les uns hésitants, les autres apathiques, quelques-uns d’un air défiant, la tête haute, dans les wagons à bestiaux. Cela dure des heures jusqu’à ce que tous soient entassés dans les wagons où il fait une chaleur étouffante. Je vois des visages connus à travers les barreaux. Formulant encore une demande, criant Friedel Reiter un remerciement. A chaque ouverture, deux gardiens. J’observe les visages. Même le désespoir ne s’y trouve plus dans ces visages, vieillis, délabrés et mornes. Du dernier wagon on entend un «au revoir». Nous nous en allons vers le camp. Le lendemain matin – il fait encore nuit quand nous nous rendons vers la voie de chemin de fer. Le train se met lentement en marche – ils échappent à une destinée pour s’en aller vers une autre. Tout s’est déroulé en une semaine. Il me semble que c’était un mois. […] 26 août 1942 Au lieu de 200 ce sont 600 personnes qui ont été conduites ici. Les camions arrivent l’un après l’autre. L’Ilot K se remplit à nouveau. Quand je l’ai traversé, j’ai rencontré plein de visages connus, des gens pour qui nous avons obtenu des libérations, qui ont vécu quelques mois heureux en liberté. Des gens que nous avons arrachés à la mort par la faim cet hiver, que nous avons vus quitter le camp avec bonheur. Le même sort les attend tous. Ce soir tout un train est arrivé. Seize wagons. On sort des gens sur des civières. Il y en a qui ont des béquilles. Une longue procession de malheureux, d’exclus. A minuit, un deuxième train est attendu, à 5 h du matin un troisième.» 23 L es J u s t es 11. Activités de la CRS, SE en zone sud Les activités étaient coordonnées depuis août 1940 par Maurice Dubois, un Biennois très tôt engagé dans le Service civil international, et par son épouse Ellen (ou Eléonore), une Américaine qu’il avait connue dans l’action humanitaire en Espagne. Lorsque Maurice Dubois dut quitter Toulouse pour raison de santé en juillet 1943, son collaborateur Richard Gilg lui succéda. Durant la guerre, six colonies d’enfants dépendaient de la CRS, SE: • à Pringy en Haute-Savoie depuis décembre 1940 • le Château de La Hille en Ariège depuis mai 1941, dirigé par Rösli Näf jusqu’à son licenciement, puis par Emmi Ott • les Feux-Follets à Saint-Cergues-les-Voirons en Haute-Savoie depuis septembre 1941, dirigés par la Française Germaine Hommel et son adjointe Renée Farny • au Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire depuis octobre 1941, dirigée par August Bohny jusqu’en novembre 1944 • à Faverges en Haute-Savoie depuis mai 1942 • et à Montluel dans l’Ain depuis mai 1942 Outre la maternité d’Elne, la CRS, SE a géré des pouponnières à Banyuls-sur-Mer, Annemasse et Montagnac en Aveyron, ainsi qu’une station médicale de trois établissements à Cruseilles. Au total, ces colonies et foyers ont accueilli 9’500 enfants, dont une minorité de Juifs. Au moment des rafles de l’été 1942, on comptait 17% de Juifs sur les quelque 1’000 enfants dont s’occupait alors la CRS, SE. s u isses cueillait aussi des enfants très malades de Rivesaltes. Jusqu’à sa fermeture à Pâques 1944, plus de 600 enfants y virent le jour. II.2.3. La colonie pour enfants de La Hille, la rafle d’août 1942 et l’intervention de Maurice Dubois à Vichy Si on s’en tient à la soixantaine de Juifs encore présents au moment des déportations d’août 1942, l’histoire de cette colonie d’enfants occupe une place marginale aussi bien dans l’histoire de la CRS, SE que dans celle de l’aide apportée aux Juifs se trouvant dans les camps, foyers ou homes du Sud de la France. Et pourtant cette colonie gérée par des Suisses ne comptait quasiment que des enfants juifs qui partageaient un destin collectif depuis 1938-1939 et dont bon nombre allaient échapper à la déportation, en particulier grâce au courage, à l’imagination et à l’action collective de collaboratrices et collaborateurs de la CRS, SE. Les enfants et adolescents qui seraient installés au Château de La Hille au printemps 1942 venaient d’Allemagne et d’Autriche. Leurs parents les avaient placés en 1938 dans des homes à Bruxelles pour leur épargner les mesures antisémites dont eux-mêmes faisaient l’objet. L’occupation de la Belgique en mai 1940 provoqua leur départ précipité pour le Sud de la France. La situation très précaire dans laquelle ils se trouvaient, à Seyre près de Toulouse, conduisit 24 L es J u s t es s u isses à leur prise en charge par le Cartel suisse en octobre 1940. Ellen Dubois parcourut alors la région à bicyclette, à la recherche d’un toit pour ses protégés. Elle le trouva en Ariège, dans un château inhabité depuis 20 ans de la petite commune de Montégut-Plantaurel non loin de Pamiers. Un château fortifié certes, mais en mauvais état, sans eau ni électricité. Les jeunes, secondés par des ouvriers espagnols, s’activèrent à sa rénovation. Bientôt toute l’équipe, soit une nonantaine de personnes, put emménager sous la conduite d’une nouvelle directrice, Rösli Näf, une infirmière glaronnaise qui venait de passer plusieurs années chez le docteur Schweitzer à Lambaréné. Les enfants poursuivirent leur éducation en fréquentant la bibliothèque bien vite installée au château, ou, pour les plus petits, l’école de Montégut-Plantaurel. La colonie était très bien acceptée par les paysans du voisinage. La menace s’abattit brusquement sur elle dans la matinée du 26 août 1942. L’heure était très grave. 45 enfants avaient été emmenés. Rösli Näf apprit le même jour de la préfecture de Foix (le château ne disposait pas du téléphone) que ses protégés avaient été enfermés dans le camp du Vernet, un camp dit de redressement, mais en 25 Repas dans la cour du Château de la Hille L es J u s t es s u isses 12. La rafle du 26 août 1942 au château de La Hille «Vers cinq heures du matin, Jean [Garfunkel] est de nouveau derrière la porte. «Il y a deux autobus sur la route, de nombreux policiers sur le chemin, et deux dans la cour.» Rösli enfile une robe de chambre, descend toute tremblante, pousse la lourde barre de fer de la porte. Sa lampe de poche éclaire deux gendarmes, elle lui tombe presque des mains. […] Elle remonte s’habiller, mais déjà l’escalier est barricadé par des hommes en uniforme. Tel un monstre à vingt têtes, ils montent. A l’étage, le chef de la gendarmerie de Pamiers tend une liste de quarante noms, ceux des enfants de plus de seize ans et du personnel juif. Rösli éclate en pleurs et lui crie à la figure: «Vous ne pouvez pas faire ça dans une maison de la Croix-Rouge». Lui hausse les épaules, marmonnant «Ordre». D’un geste, il ordonne: «Allez! Tous dans la cour!». Les hommes montent à l’assaut dans les chambres et gardent portes et fenêtres. Rösli aurait au moins voulu prévenir elle-même les enfants, afin de leur éviter un choc. Le chef refuse. Une fois les jeunes dans la cour, premier appel. Les Grands avaient si souvent été les témoins d’événements tragiques qu’ils savaient que seule une attitude calme était possible à cette heure. Personne ne se laissa aller; les dents serrées, chacun prépara sa valise. […] L’officier dit: «S’ils ont des bijoux en or, des montres, qu’ils vous les remettent!» En un éclair, Rösli comprend: ils vont au camp de la mort. […] L’officier autorise encore un petit déjeuner. Puis, deux par deux, la colonne se met en marche vers les autobus branlants. Les plus petits suivent le sombre défilé, tandis que les paysannes voisines sont accourues et s’indignent. La directrice est effondrée, elle ne peut que sangloter. Toni, une Petite de onze ans, glisse sa main dans la sienne, et pour la consoler: «Maintenant que les Grands sont partis, on va vous aider!»» l’occurrence une étape avant Drancy et Auschwitz-Birkenau. Le lendemain, 27 août, elle se rendit au Vernet, parvint à retrouver ses protégés. Elle décida de rester avec eux aussi longtemps qu’ils ne seraient pas libérés. Maurice Dubois, quant à lui, s’était rendu à Vichy. Il menaça le chef de la police de fermer toutes les maisons d’enfants de la CRS, SE en France si les enfants juifs arrêtés n’étaient pas libérés. Ce langage énergique fut entendu. Rösli Näf put quitter Le Vernet avec ses protégés le 2 septembre. Pour sa part, Ellen Dubois avait fait le voyage de Berne pour avertir la Croix-Rouge suisse, mais aussi tenter d’obtenir une meilleure protection des enfants juifs logés dans les homes et colonies de la CRS, SE. La seule protection efficace aurait évidemment consisté à accueillir définitivement ces enfants en Suisse, avec l’aval de Vichy. La question fit d’abord l’objet de discussions entre le conseiller fédéral Eduard von Steiger, le ministre de Suisse à Vichy, Walter Stucki, et 26 L es J u s t es s u isses de hauts fonctionnaires. Conclusion unanime: «Il serait à la fois inopportun et dangereux que la CRS, SE prenne l’initiative de recueillir ces enfants. S’agissant d’une mesure du Gouvernement français prise dans des conditions que nul n’ignore, une pareille initiative serait interprétée comme une manifestation de réprobation avec toutes les conséquences qu’une telle attitude comporte»; on écarta même l’idée d’une protestation10. Une proposition formelle d’accueil en Suisse des enfants fut soumise au Conseil fédéral, qui tarda à répondre. L’occupation du Sud de la France lui fit perdre toute actualité, car le Reich ne délivrerait bien entendu aucun visa de sortie à des Juifs. II.2.4. Les passages clandestins organisés depuis La Hille (1942-1944): Rösli Näf, Renée Farny, Anne-Marie Piguet, Gret Tobler, Sebastian Steiger Au plus tard dès l’arrivée de la gendarmerie française le 26 août 1942, les pensionnaires de La Hille surent que la colonie n’offrait pas de sécurité malgré l’emblème de la Croix-Rouge suisse. L’occupation allemande de la zone sud accentua encore le sentiment d’insécurité. Seules l’Espagne toute proche et la Suisse, où la plupart des pensionnaires avaient des parrains, pouvaient procurer un abri sûr. Dans les deux cas, le franchissement de la frontière ne pouvait se faire que clandestinement. La directrice Rösli Näf choisit l’illégalité sans en informer quiconque, pas même son supérieur Maurice Dubois. Elle organisa la fuite en Suisse des plus de 16 ans, les plus immédiatement menacés. Peu avant Noël, elle fit partir un premier groupe de dix en leur remettant de l’argent. Trois prirent la direction de l’Espagne, trois celle de Lyon pour se mettre en contact avec des passeurs, alors que les quatre autres rejoignaient les Feux-Follets à Saint-Cergues-lesVoirons. Cette colonie de la CRS, SE était située près de la frontière. Renée Farny, adjointe de la directrice, la Française Germaine Hommel, et un jeune passeur, Léon Balland, emmenèrent Jacques Roth et ses amis en «promenade». 27 Anne-Marie Piguet 10. Notice d’Edouard de Haller, 2 septembre 1942. Documents diplomatiques suisses, vol. 14, pp. 754-756. L es J u s t es s u isses Alors que deux des trois adolescents qui avaient voulu franchir les Pyrénées durent revenir à La Hille, la voie suisse semblait plus prometteuse. Rösli Näf décida d’y envoyer le reste des «grands» par groupes, à un ou deux jours d’intervalle. Or l’un des groupes ne trouva pas de passeurs à Lyon et Rösli Näf dut le rejoindre d’urgence. C’est là qu’elle apprit que cinq de ses proté13. Jacques Roth et ses amis passent gés, à qui Renée Farny avait la frontière voulu faire franchir la frontière «On nous dit que nous partions pour une promenade au dans la nuit du 1er au 2 janvier cours de laquelle nous étions censés cueillir du gui pour la 1943, s’étaient fait arrêter. Une décoration de Noël de la maison. Comme de bien entendu, d’eux, Inge Joseph, réussit à les arbres se trouvaient justement en bordure des champs s’échapper; Maurice Dubois, où passaient les barbelés de la frontière avec la Suisse. Léon alerté, parvint à obtenir la libéme dit que le sentier qui bordait les champs était régulièration d’un autre jeune, Walter rement patrouillé par la Feldgendarmerie et qu’à l’approStrauss. Mais les trois autres che d’une patrouille, étant visiblement le plus âgé de nous ne purent échapper à la déporquatre et nettement plus que les autres enfants, je devais tation. Quant à Rösli Näf, elle grimper à un arbre pour ne pas attirer l’attention des solrentra précipitamment à La dats qui étaient habitués à voir les enfants s’y promener réHille pour stopper toute l’opégulièrement. Ce que je fis, et la patrouille passa sans poser ration. de questions. Après que les Feldgendarmes eurent disparu, La direction de la CRS, SE fut Léon nous conduisit, au pas de course, à travers le champ rapidement informée. Le colojusqu’aux barbelés qu’il nous aida à traverser.» nel Hugo Remund, médecinchef de la Croix-Rouge suisse, décida non seulement de blâmer les collaboratrices, mais de les démettre de leurs fonctions. Il poussa le zèle jusqu’à les dénoncer à la Croix-Rouge allemande, qui n’en demandait pas tant. La Glaronnaise Rösli Näf éprouva un tel écœurement face au comportement de ses supérieurs censés représenter la Suisse qu’elle choisit de s’établir au Danemark après la guerre. Par modestie, elle refusa d’abord de recevoir la médaille des Justes que Vad Vashem voulait lui décerner en 1989. Toutefois, alors qu’elle participait à la cérémonie de remise des médailles organisée trois ans plus tard aux Feux-Follets, elle accepta enfin de recevoir cette distinction. La nouvelle directrice de La Hille, Emmi Ott, l’ancienne adjointe d’Elsbeth Kasser à Gurs, reçut des consignes très strictes. De toute évidence, elle ne pouvait entreprendre ou cautionner aucun sauvetage, sans risquer de compromettre définitivement, face à la direction de la CRS, SE, la petite colonie de l’Ariège. Ce furent toutefois deux nouvelles collaboratrices, arrivées à La Hille en 1943, qui reprirent les activités clandestines: la Vaudoise Anne-Marie Piguet 28 L es J u s t es s u isses et la Zurichoise Gret Tobler. Pour augmenter les chances de succès, elles accompagnèrent ellesmêmes leurs protégés jusqu’à la frontière. Un troisième collaborateur, le Bâlois Sebastian Steiger, remit sa pièce d’identité, après en avoir changé la photo, au jeune Walter Kamlet11 qui franchit la frontière avec Anne-Marie Piguet et les sœurs Cordier, des Françaises. Fraîche diplômée de l’Université de Lausanne, Anne-Marie Piguet se porta volontaire à la CRS, SE, avec une première étape la colonie de Montluel près de Lyon. Quarante ans plus tard, elle décrit ses sentiments: «J’arrive à Montluel en juin 1942, persuadée que je vais «secourir de petits Français». Mais c’est l’étonnement, mêlé d’une pointe de déception, lorsque je vois ces enfants espagnols et juifs, pauvres innocents jetés à la poubelle de l’histoire par la malice des temps»12. Après un passage au siège de la délégation à Toulouse, elle arriva à La Hille en mai 1943 pour s’occuper notamment du ravitaillement. La situation demeurait critique: en février, la gendarmerie française avait arrêté cinq pensionnaires, dont trois avaient été déportés (Walter Strauss se trouvait parmi eux); en juin vint le tour de trois autres adolescents, dénoncés par le guide espagnol qui les accompagnaient au travers des Pyrénées13. C’est à cette époque – juin 1943 – qu’Anne-Marie Piguet mit au point sa stratégie: accompagner les enfants du point de départ au point d’arrivée, franchir la frontière dans la seule région qu’elle connaissait très bien, le Risoux, une montagne boisée qui borde sa Vallée de Joux natale. Elle testa avec succès la filière pendant ses vacances. Et surtout, elle fit la connaissance de Victoria Cordier, agent de liaison dans la Résistance française, et de sa sœur Madeleine, qui fabriquait de fausses pièces d’identité. Les sœurs Cordier habitaient Champagnole, mais la maison maternelle se trouvait à Chapelle-des-Bois, au pied du Risoux, dans la zone interdite qui bordait la frontière suisse sur une largeur de deux kilomètres. Selon des témoignages, les sœurs Cordier ont fait passer en Suisse plus de 80 personnes, juives et non juives. La première tentative «à blanc», avec le fils d’un fermier suisse (Hans Schmutz) qui hébergeait clandestinement des enfants de La Hille, se déroula sans encombre. Avec l’aide de Victoria Cordier, 29 Sebastian Steiger 11. Dans son récit (Les enfants du château de La Hille. Bâle, Brunnen-Verlag, 1999), Sebastian Steiger a changé le nom de celui-ci en Walter Kamel – nom repris par le Dictionnaire des Justes de France. Il a également modifié le nom d’Emmi Ott. 12. IM HOF-PIGUET, Anne-Marie, La Filière – en France occupée 1942-1944. Yverdonles-Bains, Editions de la Thièle, 1985, p. 29. 13. Le récit du quatrième adolescent, seul survivant (Werner Epstein), est reproduit dans IM HOF-PIGUET, Anne-Marie, La filière, op. cit., pp. 145-150. L es J u s t es s u isses Anne-Marie Piguet fit alors passer huit jeunes de La Hille et la mère de l’un d’eux, la cuisinière de la colonie dont le mari avait été déporté. En Suisse, les fugitifs étaient pris en charge par ses parents et par des amis, puis envoyés à l’intérieur du pays, le plus souvent à Zurich chez le pasteur Paul Vogt. Walter Giannini Même si la filière était bien organisée, l’accompagnement ininterrompu et le Risoux un terrain connu, la traversée de la zone interdite, puis de la frontière restait dangereuse. Le dernier passage – en mai 1944 – allait le rappeler. Avec Anne-Marie, ils étaient trois au départ de La Hille: Paul Schlesinger, sa mère Flora – à qui Mme Schmutz voulut donner sa pièce d’identité suisse – et Walter Kamlet – à qui Sebastian Steiger donna finalement la sienne. Trajet habituel pour le quatuor: Toulouse, Montluel, Champagnole où les rejoignirent deux jeunes devant passer en Suisse et enfin Chapelle-des-Bois. Avec Victoria et Madeleine Cordier, la petite équipe passa la frontière, mais elle tomba sur un policier vaudois qui voulait la refouler… 14. Madeleine Cordier parvient à éviter le refoulement «Fier de sa trouvaille [le gendarme Adrien Goy] se fait sévère. Madeleine, il veut l’emmener en Suisse, et refouler les autres. Le règlement, c’est le règlement. Madeleine, courageuse, éloquente, plaide: «Moi, descendre en Suisse? C’est impossible. On m’attend à la maison. Non, non! – Et refouler ces pauvres personnes qui viennent du fond de l’Ariège, qui sont en danger, qui sont mortes de fatigue, qui comptent sur vous. Vous ne pouvez pas faire ça, c’est trop cruel.» Le gendarme n’est pas long à sentir sa résolution vaciller. «Bon, retournez sur France et moi je les descends au Brassus. Mais attention! Qu’ils ne disent à personne que je les ai trouvés près de la frontière!»» En 2003, une plaque a été déposée dans ce lieu: l’Hôtel d’Italie, en fait une cabane forestière. «Ici, de septembre 1943 à mai 1944, quatorze femmes, enfants, adolescents, Israélites pour la plupart, traqués en France occupée, ont trouvé refuge grâce à Fred Reymond, Anne-Marie Piguet, Madeleine et Victoria Cordier et au gendarme Adrien Goy en poste au Brassus». Alors que la Vaudoise faisait passer plusieurs groupes par le Risoux, entre septembre 1943 et mai 1944, la Zurichoise Gret Tobler emmena deux jeunes filles en décembre 1943 jusqu’en Suisse, sans le secours de personne. Les filles avaient des visas d’entrée en Suisse, bientôt échus, mais bien sûr aucun visa de sortie. Après plusieurs tentatives infructueuses de passer à travers les barbelés et un interrogatoire par des douaniers français, le trio atteignit le sol suisse. 30 L es J u s t es s u isses II.2.5. D’autres colonies de la CRS, SE: Faverges et Le Chambon-sur-Lignon En Haute-Savoie, la CRS, SE disposait aussi d’une autre colonie, à Faverges. Le Zurichois Walter Giannini y travaillait comme enseignant, de même que sa future épouse, Suisse elle aussi, Emma Aeppli. La colonie comptait plusieurs dizaines d’enfants 15. Sauvetage de Rose Spiegel dont une quinzaine de Juifs, et Berta Silber lesquels partirent peu à peu «En août 1943, il ne restait plus que moi et une autre fille chercher refuge ailleurs, comjuive, Rose Spiegel. C’est alors qu’on nous dit que, étant me Paul Bairoch, le futur proles plus anciennes […], nous étions toutes deux invitées fesseur d’histoire économià une fête dans une autre maison d’enfants de la région. que. En août 1943, il ne restait M. Giannini et Mlle Aeppli devaient nous accompagner. que deux petites filles juives. Nous avons pris le bus pour Annecy et ensuite le train L’une d’elle, dont les parents avaient été déportés, raconte jusqu’à Annemasse. Mais au lieu d’arriver à une autre leur sauvetage. colonie comme annoncé, nous avons marché le long de la frontière suisse, tous les quatre, avec interdiction de parler. Depuis mai 1941, la CRS, SE […] Subitement, M. Giannini s’est arrêté, montrant un possédait une colonie au trou dans la clôture. Soulevant les barbelés, il nous a orChambon-sur-Lignon. En donné, à Rose et à moi, de passer en dessous et de courir plein cœur du pays hugueaussi vite que nous pouvions. Après quelques minutes, M. not, Le Chambon a joué un Giannini et Mlle Aeppli nous rejoignirent – nous étions rôle très important dans le en Suisse». sauvetage de Juifs de France, principalement en offrant des caches dans des institutions et chez des particuliers, mais aussi comme point de départ de filières d’évasion vers la Suisse, notamment via Collonges-sous-Salève chez le curé Marius Jolivet. A l’invitation d’André Trocmé, le Secours aux enfants ouvrit une première colonie au Chambon le 16 mai 1941: La Guespy. Elle accueillit aussitôt 16 enfants sortis des camps d’internement du Sud de la France, de Gurs en particulier. Comme celle d’autres œuvres humanitaires représentées dans le Comité de Nîmes, la présence du Secours suisse aux enfants s’étendit progressivement, sous la direction du jeune instituteur Bâlois August Bohny. Une deuxième maison d’enfants (L’Abric) s’ouvrit en novembre 1941, une troisième (Faidoli) plus éloignée du village, une année plus tard. Une partie des enfants pouvait suivre une instruction dans des «fermesécoles» et quelques-uns pratiquer – en compagnie d’enfants hébergés par d’autres institutions – la menuiserie et le bricolage dans l’Atelier cévenol, généralement le samedi ou pendant les vacances. 31 L es J u s t es s u isses 16. Le Chambon-sur-Lignon A ce jour, Yad Vashem a dérogé deux fois à sa règle de n’attribuer la médaille des Justes qu’à des particuliers: pour la commune néerlandaise de Niewlande et pour Le Chambon et les communes avoisinantes. Le nombre exact de Juifs qui y ont trouvé refuge n’est pas connu. Le chiffre symbolique de 5’000, équivalant à celui des habitants et qu’un film a popularisé, est assurément exagéré. La mairie du Chambon a compté «chaque rescapé, chaque réfugié qui apparaît sur un document» et en dénombre près de 3’500; quant à l’historienne Limore Yagil, elle parvient au chiffre de 900 Juifs. Le nom du Chambon est d’abord associé à celui d’André Trocmé, pasteur de la communauté; avec l’aide notamment de son confrère Edouard Theis, il a exhorté ses paroissiens, dès le lendemain de l’armistice, à résister avec les armes de l’esprit. Néanmoins, au-delà de ces grandes figures, c’est bien toute une population, jusque dans les fermes retirées de ce plateau à 1’000 mètres d’altitude, qui a refusé de se plier à la politique antijuive de Vichy. Septante personnes qui résidaient dans la région du Chambon ont été honorées par Yad Vashem. Parmi elles, on trouve trois Suisses: le pasteur Daniel Curtet, son épouse Suzanne et le directeur des colonies de la CRS, SE, August Bohny. Fils d’un pasteur de Château d’Oex, Daniel Curtet exerça son ministère pastoral au Fay-sur-Lignon. Avec son épouse Suzanne, il hébergea temporairement des réfugiés avant de les placer dans la communauté protestante du Chambon. Il aida également des fugitifs cherchant à passer clandestinement en Suisse. Daniel Curtet envoyait aussi des lettres codées à ses parents à Lausanne. Ainsi, en février 1943, avec le décodage qu’en a fait Lucien Lazare: ««Ces jours, je suis un peu bousculé, surtout par le placement des livres de la bibliothèque du Chambon sur l’éternel sujet pour lequel la région se passionne bon gré mal gré (Mathieu, 15/24). […] Je suis tout fier que mes paroissiens se soient montrés si pleins d’intérêt pour se genre de lecture.» Dans Mathieu 15/24, on lit: Je n’ai été envoyé qu’aux brebis égarées de la Maison d’Israël. Chacun aura compris que la lecture de livres est l’hébergement de juifs arrivés au Chambon à la recherche d’un refuge». Jusqu’à l’été 1943, tous les enfants de la CRS, SE fréquentèrent les établissements scolaires du Chambon. August Bohny évalue entre 800 et 1’000 le nombre d’enfants qui ont été hébergés dans ces institutions de la CRS, SE pendant la guerre et à environ 10% la proportion de Juifs parmi eux. Il s’agissait pourtant presque toujours de courts séjours, généralement de trois à six mois. Les trois colonies offraient environ 100 places, auxquelles s’ajoutent les 45 d’une colonie de l’Armée du salut dans laquelle la CRS, SE avait aussi placé ses protégés. Aucun des enfants juifs des établissements dirigés par August Bohny ne fut réellement inquiété. Mais l’angoisse des rafles restait quotidienne. Parmi les enfants que le Bâlois a accueillis se trouvaient ceux que lui envoyait depuis 32 L es J u s t es s u isses le camp de Rivesaltes Friedel Reiter, qui, une fois le camp vidé de ses internés fin 1942, rejoignit Le Chambon et y dirigea Faidoli, puis L’Abric. August et Friedel unirent leurs destinées en octobre 1944, le couple s’établit à Bâle après la guerre. II.2.6. Filières et passages clandestins en Suisse Les passages clandestins et les filières constituent sans doute le domaine de l’histoire des Justes, et plus généralement de l’histoire des secours apportés aux persécutés du nazisme, qui soulève les problèmes d’interprétation les plus délicats. Difficultés liées aux sources d’abord: les traces écrites contemporaines sont rares, sauf en cas d’arrestation, et les journaux intimes exceptionnels; parmi les Suisses, nous ne connaissons que celui de Laure Francken, rédigé en 1946. Deuxième difficulté: l’étude des motivations des passeurs. Durant la guerre déjà, on connaissait l’existence de profiteurs, qui exigent un prix exorbitant mais peuvent aller jusqu’à dépouiller les persécutés et les abandonner avant la frontière. S’y ajoutent aussi les délateurs – on l’a vu avec des jeunes de La Hille tentant de passer en Espagne. Et pour les autres, comment faire la part du goût du risque et de l’altruisme? Lorsqu’il reçoit une proposition visant à décerner le titre de Juste à un passeur, l’institut Yad Vashem examine soigneusement les motivations de celui-ci, notamment sur la base du témoignage d’une ou de plusieurs personnes sauvées. Enfin, même si on peut reconstituer les grandes filières à la frontière franco-genevoise – la principale concernée ici –, il reste difficile de dépasser le stade de l’alignement d’actions individuelles et parfois collectives, bref de dégager un tableau d’ensemble cohérent, ainsi que des chiffres précis et fiables. 33 Laure et William Francken L es J u s t es s u isses Lucien Lazare évalue à plus de 2’000 le nombre de Juifs sauvés par des filières de passage clandestin en Suisse, Limore Yagil à environ 3’00014. La liste des passeurs honorés comme Justes suisses par Yad Vashem est longue. Aux noms déjà rencontrés, il faut ajouter ceux de Laure et William Francken, Emile et Lina Marclay, Marguerite Constantin-Marclay15, Jean Bovet, Ernest Wittwer, Emile Barras, René Nodot, Arthur et Jeanne Lavergnat, Maria Junker-Kissling et Fred Reymond. Pour les six derniers, des activités liées à la Résistance complétaient celles de passeurs. Ainsi, Emile Barras et René Nodot participaient à la Résistance française, Arthur et Jeanne Lavergnat lui étaient liés et Fred Reymond glanait sur territoire fran17. Les trois principales filières de passage à la frontière franco-genevoise reconstituées par l’historienne Ruth Fivaz-Silbermann «La première est la filière des «non-refoulables», mise en place par des organisations confessionnelles avec l’appui de la Division de police en septembre 1942, en un geste de conciliation des autorités helvétiques face à la protestation des Eglises et de l’opinion publique. […] Selon nos recherches, au moins 173 personnes inscrites sur la liste «ouest» des non-refoulables, sont arrivées en Suisse, la plupart par Genève. […] La seconde filière, extrêmement active, est le fait de quelques organisations juives ayant basculé dans la clandestinité. Il s’agit de l’OSE (Œuvre de secours aux enfants) qui gérait de nombreuses maisons d’enfants en France où étaient hébergés des enfants de parents déportés ou menacés et qui dès 1943 s’employa à les mettre en sécurité en les camouflant dans des institutions religieuses ou des familles («réseau Garel»), ou en les faisant passer en Suisse ou en Espagne; les Eclaireurs Israélites de France (EIF), dont l’organisation clandestine était connue sous le nom de code «La Sixième» […]; enfin le Mouvement de la Jeunesse Sioniste, dont la branche clandestine s’appelait «Education physique». Ces trois filières, très bien organisées, ont étroitement collaboré pour faire passer des convois d’enfants en Suisse, notamment sous la responsabilité de Georges Loinger, dont le QG était à Aix-les-Bains. Environ 1’100 enfants juifs passèrent la frontière genevoise entre février 1943 et juillet 1944, sans qu’aucun convoi ne soit refoulé. Leur accueil avait été négocié avec les autorités fédérales. […] Ces organisations, actives en zone sud et en zone occupée, ont été admirablement secondées par certains milieux chrétiens, tant protestants que catholiques. […] Enfin, jouxtant Genève […] on trouve des prêtres et des passeurs au dévouement exemplaire: l’abbé Jolivet, curé de Collonges-sous-Salève, l’abbé Rosay, curé de Douvaine, l’abbé Louis-Adrien Favre, père salésien du Juvénat de Ville-la-Grand; un peu plus loin, l’aumônier Folliet, d’Annecy. Tous collaboraient avec la Résistance et les services secrets alliés. […] La troisième filière enfin, [la filière Weinberger], organisée par un réseau proche de la Résistance juive de Belgique, a permis le sauvetage en Suisse, en plusieurs convois organisés, d’au moins 120 personnes venues directement de Belgique [en 1944]». 34 L es J u s t es s u isses çais des informations pour les services suisses de renseignements. Quant à Maria Junker-Kissling – à propos de qui les seules informations en notre possession sont celles de la brève notice du Dictionnaire des Justes de France –, elle a eu manifestement de multiples activités, remarquables mais méconnues. Employée de maison chez Marcel Blum à Belfort avant la guerre, la Suissesse Maria Junker-Kissling accompagna la famille Blum lorsqu’elle partit pour Béziers en juin 1940, puis en Indre où elle se mit au service de la Résistance. A Béziers, elle travailla activement pour l’OSE, plaçant de nombreux orphelins dans des familles d’accueil après les rafles de 1942. Elle procura de faux papiers à un jeune Juif et le fit porter sur son passeport suisse. De plus, nous indique le Dictionnaire des Justes de France, elle «escorta 18 jeunes de 13 à 16 ans, pensionnaires d’une maison d’enfants à Limoges, et leur fit passer clandestinement la frontière suisse». Marguerite Constantin Nous disposons heureusement de davantage d’informations pour les autres Justes cités, à commencer par le couple Francken dont l’action est intervenue en septembre 1942 entre la Savoie et le Valais. Après les rafles d’août au Nord comme au Sud de la France, des groupes de fugitifs tentaient de franchir la frontière que la Suisse avait entièrement fermée aux Juifs le 13 août. Désespoir et crainte permanente se lisaient sur tous les visages. Quelques fugitifs parvinrent à passer clandestinement la frontière. D’autres se virent refoulés, ce qui entraîna pour certains la déportation et la mort. 14. LAZARE, Lucien, «Introduction» au Dictionnaire des Justes de France, op. cit, p. 28; YAGIL, Limore, Chrétiens et Juifs sous Vichy (19401944). Sauvetage et désobéissance civile. Paris, Cerf, 2005, p. 185. William Francken, médecin à Begnins près de Nyon, et sa femme Laure possédaient un chalet au-dessus du petit village de Novel, véritable balcon au-dessus du lac Léman et de Saint-Gingolph. Le couple y passait ses étés avec des voisins français, Ernest et Germaine Brouze. En septembre 1942, le chalet des Vaudois, Le Clou, devint une étape pour de nombreux fugitifs. 15. Le couple Marclay et leur fille ont offert un abri à des réfugiés juifs sur territoire suisse – sans lequel ils auraient été refoulés. S’ils ne sont pas des passeurs à proprement parler, ils relèvent de la thématique du passage. En dépit de l’interdiction formelle de loger des Juifs, le couple Francken non seulement ne leur ferma pas la porte de son chalet, mais, avec l’aide des Brouze, leur procura souvent gîte et couvert, 35 L es J u s t es 18. Extraits du «Livre de bord du Clou» de Laure Francken «Autour de la fontaine, un spectacle extraordinaire s’offre à nos yeux. Une cinquantaine de misérables sont là, affalés sur des cailloux. Plusieurs ont les pieds en sang, leurs pauvres chaussures de ville n’ayant pas résisté aux pierres du col de Neuve qu’ils viennent de franchir. […] On entend toutes les langues possibles: l’allemand, le hongrois, le tchèque, le polonais, le hollandais. […] Nous leur offrons de leur faire passer la frontière. Le matin même j’ai passé sur Suisse sans encombre, entre deux tournées des douaniers. Comme elles sont régulières, selon mes renseignements du Chalet de la Morge, il suffit de choisir le bon moment. Dans une heure précisément, ce sera l’instant idéal. Une dizaine de Juifs acceptent, dont ceux d’Amsterdam mis en confiance par leur langue maternelle. Les autres se regardent avec méfiance. La vie leur a appris à terriblement se méfier. […] Je découvre toute la bande tapie derrière un buisson. […] Alors que nous nous retournons, nous nous trouvons nez à nez avec un douanier français qui contemple tranquillement la scène. «Eh bien, ça y est», pensons-nous. Et nous attendons, muets, la suite des événements. Alors le douanier secouant la tête, nous dit avec un bon accent alsacien: «Faites ça! Mais faites-le avec plus de discrétion!» Et au bout d’un moment, il ajoute: «J’aimerais mieux faire votre métier que le mien»». s u isses et même des soins médicaux. Il en accompagna aussi jusqu’à la frontière, au col Le Haut de la Morge. Combien y en eutil? Selon des témoignages, William Francken aurait aidé à franchir la frontière dans 37 cas. Quoi qu’il en soit, la fréquence des passages au Clou augmenta au point d’alerter la police française, qui planifia une intervention. Les Francken en eurent vent et fermèrent précipitamment leur chalet le 6 octobre 1942. A la fin de la guerre, Laure Francken a fait le récit de ces journées tragiques de septembre et octobre 1942 dans le «Livre de bord du Clou» que Micha Grin a intégré dans la biographie qu’il a consacrée récemment au docteur Francken. Franchir la frontière était une chose, éviter le refoulement depuis le territoire suisse en était une autre, surtout là où patrouillaient les garde-frontières. En juillet 1997, la commune de Champéry dans le Val d’Illiez diffusa un avis à la population (encadré 19) Marguerite Constantin-Marclay se manifesta. Il apparut que ses parents, Emile et Lina Marclay, et elle-même, alors âgée de quinze ans, avaient secouru non seulement Jesha Shapir et les six personnes qui l’accompagnaient. Quelques semaines plus tard, la famille Marclay était encore venue en aide à un autre groupe de sept personnes, relié au premier par des liens de parenté ou de connaissance. En septembre 1942, le jeune Bernhard Blumenkranz franchit la frontière grâce au curé d’Archamps, le Fribourgeois Jean Bovet. Un passage hors filière, où fugitif et futur sauveur ne se connaissaient 36 L es J u s t es s u isses pas. Dans de tels cas, identifier et quantifier les passages se révèle très difficile. S’agissant de Jean Bovet, Bernhard Blumenkranz assura avoir entendu que le curé «avait aidé à sauver beaucoup d’autres Juifs». Tous les autres Justes suisses ou honorés comme tels par Yad Vashem qui ont favorisé le passage clandestin de réfugiés juifs près de Genève – hors des filières de la CRS, SE – étaient liés à la Résistance française. René Nodot possédait la nationalité suisse par son père, secrétaire de la colonie suisse de l’Ain, et la nationalité française par sa mère. Né à Bourg-en-Bresse (Ain), influencé très jeune par le protestantisme social, il se lia au pasteur de la ville, qui cachait des Juifs et des résistants dans le clocher de son temple. Il s’établit à Lyon en 1941 et y découvrit d’autres activités de secours aux persécutés et de résistance, notamment en tant que «homme de confiance» du consulat de Suisse. A ce titre, il devait apporter une aide aux ressortissants des Etats en guerre contre la France dont la Suisse protégeait les intérêts, en premier lieu la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et plusieurs Etats d’Amérique latine. 19. Jesha Sapir retrouve en 1997 ses sauveurs valaisans «Avis de la commune de Champéry Nous communiquons ci-après une lettre de lecteur, parue dans le magazine américain «TIME» […]. Le but est de favoriser la recherche de la famille champérolaine concernée. […] Administration communale. […] Ma famille et moi avions commencé notre fuite d’Amsterdam qui était occupé par les Nazis en juillet 1942. Nous avions voyagé à travers la Hollande, la Belgique, la France – notamment Vichy – et les Alpes. Après avoir gravi des montagnes un jour de septembre à midi, sans savoir que des garde-frontières suisses étaient en observation avec leurs jumelles afin d’attraper des réfugiés, nous avons atterri en Suisse. Juste là, une famille suisse de Champéry nous a rencontrés par hasard. Les membres de cette famille nous ont informés du va-et-vient des garde-frontières; ils nous ont cachés dans les bois; ils sont venus nous chercher quand il faisait nuit; ils nous ont donné à manger; ils nous ont habillés pour nous donner l’air de gens respectables. [Après un voyage en train] comme une famille suisse qui s’apprêtait à rentrer à Zurich […], nous nous sommes enregistrés au Consulat hollandais et, de la sorte, nous n’avons pas pu être refoulés. J’ai honte de devoir admettre que je ne peux pas me souvenir du nom de cette famille. Je ne les ai plus jamais revus. Maintenant en contraste tranchant des révélations des actes et attitudes du gouvernement suisse, j’aimerais remercier et saluer cette merveilleuse famille suisse, pour son comportement courageux qui a sauvé un groupe de misérables réfugiés d’être jeté dans le noir de la «Solution finale». Jesha Shapir – Tel Aviv» 37 L es J u s t es 20. René Nodot organise un passage en Suisse «Toutes mes communications téléphoniques ayant trait à une action illégale sont établies par une postière de l’interurbain de Lyon-Franklin qui n’est autre que ma femme. Elle s’assure chaque fois que la ligne n’est pas écoutée, et bien entendu elle ne laisse aucune trace de la relation qu’elle a établie. C’est toujours elle qui m’appelle, soit à mon bureau à Lyon […], soit au domicile de mes parents à Bourg[-en-Bresse], soit dans n’importe quel bureau de poste de l’Ain, du Jura, ou de la Saône-et-Loire. […] J’entre dans la cabine. Alors s’établit la banale conversation suivante: - C’est toi? - Oui, ne quitte pas. Je te passe Jeannot. - Bonjour Jeannot. Comment ça va? - Très bien Christian. J’ai donné ton petit livre à l’ami Potot. - Merci beaucoup. A part ça? - Tu peux venir mardi prochain avec ton neveu. - Entendu. A mardi. Il faut maintenant traduire. Jeannot est le curé de Collonges-sous-Salève, en Haute-Savoie. Le petit livre représente un enfant passé en Suisse (un dictionnaire serait un homme, une brochure une femme). L’ami Potot? J’ai eu l’idée de traduire ainsi tout passage clandestin en Suisse. La frontière suisse était bordée d’une haie serrée de fils de fer barbelés tendus entre de solides poteaux de bois. Le neveu est un homme à «passer» prochainement.» 16 NODOT, René, Résistance non violente 1940 – 1944. Mémoires de René Nodot, titulaire du diplôme de «Passeur bénévole de frontière». Lyon, Faculté des lettres, 1978, p. 49. s u isses Pour René Nodot, l’expérience la plus décisive fut toutefois sa désignation comme délégué pour l’Ain et le Jura du Service social des étrangers (SSE). Dirigé par Gilbert Lesage, que Yad Vashem allait honorer en 1985, le SSE s’attachait au regroupement familial des étrangers incorporés dans les Compagnies de travailleurs étrangers et à la libération des étrangers internés dans le Sud de la France. Une partie des étrangers auxquels il portait secours, René Nodot les fit passer en Suisse entre janvier et octobre 1943. Il en a conduit lui-même à la frontière, près d’Annemasse. Mais il a surtout utilisé la filière de Marius Jolivet, curé de Collonges-sousSalève. Prudence et langage codé s’imposaient. Dans un cas, celui du passage en Suisse de la petite Eva Stein par cette filière en avril 1943, la préparation demanda deux mois, incluant l’apprentissage rudimentaire du français pour passer pour une réfugiée de Lorraine et la fabrication de faux papiers. René Nodot précise: «J’avais même prévu des bonbons (rarissime friandise en 43) pour occuper la bouche de la fillette au moment des contrôles allemands à Ambérieu et à Bellegarde. La petite, j’en suis persuadé, saisissait la gravité de la situation. Mais un mot d’enfant s’envole si vite d’une petite bouche»16. Lors des rafles à Bourg-en-Bresse les 24 et 25 août 1943, il protesta contre l’arrestation de personnes dont le consulat de Suisse à Lyon assurait la protection. Après son intervention, toutes les personnes arrêtées et rassemblées dans une école – au moins 30 Juifs étrangers – furent libérées. En automne 1943, suspecté par la Gestapo, 38 L es J u s t es s u isses René Nodot, par ailleurs jeune père de famille, décida de quitter le SSE, conscient qu’il ne pourrait s’abstenir d’activités illégales s’il y restait. L’un des relais du curé Marius Jolivet était un couple de maraîchers de Troinex (Genève) dont la ferme jouxtait la frontière française. A travers un trou dans les barbelés qu’ils avaient creusé, Arthur et Jeanne Lavergnat firent passer en douce la frontière à des Juifs, parfois en les hébergeant. La manœuvre restait très délicate à chaque fois car les soldats allemands avaient un poste avancé non loin de là et pouvaient observer directement les barbelés que les Lavergnat faisaient franchir aux persécutés. Autre maillon d’une autre chaîne de sauvetage: Emile Barras, ouvrier agricole à Viry près de la frontière genevoise, né dans le canton de Fribourg. Il faisait passer en Suisse des enfants juifs convoyés par des organisations juives jusqu’à la gare de Viry. L’un de ces convois, fin mai 1944, connut une fin tragique. La gare de Viry s’était avérée dangereuse car voisine d’un château occupé par les Allemands. La Résistance juive opta alors pour un transport par camion pour un groupe de 26 enfants et adolescents, d’Annecy jusqu’à proximité de la frontière, sous la conduite d’une jeune Allemande, membre de la Jeunesse sioniste: Marianne Cohn de l’OSE. Mais des militaires allemands surgirent au moment où les enfants descendaient du camion, près de Viry. Tandis qu’Emile Barras, qui devait les prendre en charge, parvenait à s’enfuir, Marianne Cohn, le chauffeur Joseph Fournier et tous les enfants furent arrêtés et emmenés à la prison de la Gestapo à Annemasse. Joseph Fournier fut relâché après quelques jours, non sans avoir été sévèrement battu. Le 8 juillet 1944, des militaires – ou des policiers – allemands venus d’ailleurs (peut-être de Lyon) s’emparèrent de Marianne Cohn et de plusieurs autres résistants prisonniers, qu’ils emmenèrent avec eux. Après la Libération, on découvrit près de Ville-la-Grand six corps sommairement enterrés, dont celui, méconnaissable, de Marianne, identifié seulement grâce à une chaussure. Elle avait subi d’affreuses violences avant d’être assassinée. Quant aux enfants, tous furent sauvés grâce au maire d’Annemasse, Jean Deffaugt, proche de la Résistance bien que nommé par Vichy. Intervenant auprès des Allemands, il 39 Arthur et Jeanne Lavergnat L es J u s t es s u isses obtint qu’ils renoncent à déporter les enfants, moyennant quoi la Résistance leur permettrait de s’échapper vers la Suisse lors de la Libération d’Annemasse. C’est ce qui se produisit le 18 août 1944. Promesse tenue. Depuis le château de La Hille, une des filières de la CRS, SE aboutissait, on l’a vu, à la Vallée de Joux. Victoria Cordier et sa sœur Madeleine y jouaient un rôle crucial. De plus, il fallait, à l’image d’AnneMarie Piguet, bien connaître le Risoux et avoir de la famille ou des amis dans la Vallée de Joux pour que la filière soit efficace. Ces atouts, un autre enfant de la vallée les possédait: Fred Reymond, un horloger recruté par les services suisses de renseignements. Pour couvrir ses activités, il se faisait passer pour un contrebandier et possédait une fausse carte d’identité française qui faisait de lui un cultivateur de Treffay dans le Département du Jura. Il créa un petit 21. Fred Reymond et les passages réseau dès 1941, avec des jeunes de réfugiés juifs passeurs français habitant de «Parmi les dizaines de poursuil’autre côté du Risoux, comme vis qui ont transité sur l’hospiVictoria Cordier, Bernard Bouvetalière moquette de la [maison ret et Achille Griffon. de Fred Reymond] entre 40 et 45, il s’en est trouvé pluA partir de 1942, ses personnes sieurs frappés de l’étoile jaune de contact en France arrivaient de David. Fred, lui, n’a jamais presque toujours avec quelques songé un instant à séparer le personnes recherchées par la bon grain de l’ivraie, «paraGestapo: des membres de la Rébolement» parlant. Le Juif sistance, des Juifs, des réfractairestait strictement un homme, res ou des officiers britanniques. une femme, un enfant comme les autres, hormis le fait de Il s’agissait de les emmener en son appartenance à un peuple livré à la vindicte par les Suisse. Fred Reymond connaistenants d’une hérésie abominable qui avaient décidé son sait rarement leur identité. S’il éradication pure et simple des territoires occupés. Dans ces savait que la plus jeune avait conditions bien évidemment, les descendre du sommet du quatre mois et la plus âgée 70 Risoud, les héberger avant de les conduire vers la gare salans, il ne compta pas les pervatrice du Pont-Brassus relevait de l’évidence même.» sonnes convoyées. En général, il effectuait deux missions par semaine, mais il en fit jusqu’à 22 par mois. Il franchit plus de 300 fois la frontière. L’après-guerre fut amer pour Fred Reymond, qui traîna longtemps une réputation d’ancien contrebandier: il avait été jeté en prison pour de supposées activités de contrebande durant la guerre. En 1998, une année avant sa mort, il a reçu la médaille des Justes, puis la Bourgeoisie d’honneur de la commune du Chenit dans la vallée de Joux. 40 L es J u s t es s u isses Dans le cas d’Ernest Wittwer, 22. Un tribunal militaire condamne on a affaire à un passage uniErnest Wittwer que de deux enfants. Tardif (avril 1944), il intervenait à la Extraits des considérants du tribunal militaire: demande expresse d’un compa«Le passage de la frontière dans la nuit du 26.4.44 au triote qui cachait Frédy et René 27.4.44 ayant pour but de favoriser l’entrée en Suisse de Lévy, mais tremblait d’être dédeux jeunes réfugiés constitue une infraction grave, eu égard couvert. Il s’adressa à son ami aux inconvénients que ces entrées illicites présentent pour la Suisse. […] Wittwer, agriculteur à Véreux Le tribunal a cependant admis, au bénéfice de l’accusé, qu’il (Haute-Saône), dont le fils acn’a pas agi par esprit de lucre et qu’il a voulu rendre service cepta de les convoyer en Suisse. au nommé Wyss […]. Au surplus, il poursuivait un but Ernest Wittwer emmena donc humanitaire en cherchant à mettre à l’abri les deux enfants les frères Lévy en train jusqu’à menacés dans leur personne par la police allemande après Montbéliard, en car jusqu’à avoir perdu leurs parents par la mort et la captivité.» Saint-Hippolyte, puis à pied. Le trio fut cependant arrêté en gare de Porrentruy, alors qu’il prenait le train pour Bâle où l’attendait une connaissance. Un tribunal militaire infligea à Ernest Wittwer une peine de 60 jours d’emprisonnement, tenant compte du fait qu’il avait franchi clandestinement la frontière au moins à cinq reprises. La Commission de réhabilitation du parlement a constaté en 2004 que ce jugement était annulé. II.2.7. Caches institutionnelles et caches privées En France, les caches ont constitué une composante importante du sauvetage. Les cas où des Suisses ont offert des abris temporaires ou plus durables sont mal documentés, souvent limités à une notice du Dictionnaire des Justes de France. Ils font apparaître deux grands types de caches: les caches institutionnelles, souvent religieuses, dans lesquelles viennent généralement se réfugier des inconnus; les caches privées offertes à des persécutés rencontrés dans un cadre professionnel ou familial. Comme toute typologie, elle connaît des exceptions, à savoir des caches privées offertes à des inconnus. Ces exceptions ont ici un point commun qui rapproche ce sauvetage de la cache institutionnelle. En effet, il s’agit, dans deux cas de pasteurs et dans le dernier cas – époux Beertschen – de sauveurs hébergeant des inconnus amenés par un curé. Paris excepté, avec Ernest et Yannick Ischy, les caches se trouvent en zone sud. Elles offrent une dispersion géographique remarquable. On en trouve près de la ligne de démarcation (Roanne), à Marseille, dans les Cévennes, en Rouergue, dans le Lot-et-Garonne et 41 L es J u s t es s u isses en Savoie. Dans le cas de gouvernantes, on a vu avec Maria Junker-Kissling que les activités peuvent suivre l’itinéraire des persécutés; on le vérifiera à nouveau avec Martha Schmidt. Paul et Marguerite Tzaut 17. Les notices du Dictionnaire des Justes de France sont ambiguës: «Sœur Jeanne-Françoise Zufferey était affectée à l’hospice de vieillards de Rhule et en assumait la direction» (p. 579); «Sœur Antoinette Masserey était la supérieure de la maison de retraite de Rhule» (p. 400); le nom de la commune est Rulhe. L’ambiguïté subsiste chez Limore YAGIL, (op. cit., p. 342). Germaine Muehlenthaler dirigeait la filiale marseillaise de l’Union chrétienne des jeunes gens (YMCA). Elle aida plusieurs jeunes Juifs en difficulté, dont Esther Strauss, une Allemande à qui les EtatsUnis venaient de refuser le visa d’immigration. Germaine Muehlenthaler confia la jeune fille à une amie, Suzelly Leenhardt, qui la fit passer pour sa bonne. Elle lui procura ensuite de faux papiers pour franchir la frontière suisse, ce qu’elle put faire à la deuxième tentative. La congrégation de la Sainte-Famille possédait à Rulhe (Aveyron) un ou deux établissements pour personnes âgées. Une dizaine de sœurs y travaillaient, dont deux Suissesses: Jeanne-Françoise Zufferey et Antoinette Masserey, qui y exerçaient manifestement des fonctions dirigeantes17. En 1943 et 1944, la congrégation y a hébergé 24 Juifs envoyés par l’Œuvre de secours aux enfants; quatre adolescentes purent travailler à la cuisine et à la blanchisserie. Dès qu’une descente de police menaçait, les jeunes cherchaient refuge dans une forêt voisine, tandis que les plus âgés restaient cachés parmi les pensionnaires. Le Suisse Paul Tzaut et son épouse Marguerite se sont engagés très tôt dans l’Armée du salut. En mai 1942, ils furent nommés directeurs d’une de ses maisons de retraite, à Escoutet, près de Tonneins (Lot-et-Garonne). Une quinzaine de Juifs y ont trouvé refuge, dont le couple Hercock d’origine polonaise et le couple Gunzburg d’origine allemande. Le 26 août 1942, la famille Hercock avait été prise dans la rafle qui frappait plusieurs localités du département qui les accueillait depuis leur fuite de Lille. Avant de s’adresser aux 42 L es J u s t es s u isses époux Tzaut, qui allaient les héberger jusqu’à la fin de la guerre, la famille connut la fuite en pleine nuit, racontée par l’une des filles. Les deux exemples suivants 23. La fuite de la famille Hercock montrent combien la distinction entre caches institution«[Vers quatre heures du matin, les gendarmes français nelles et caches privées peut tapent des poings sur les volets]. Mon cœur s’est arrêté. Par une fenêtre basse située à l’arrière de la maison, pieds se révéler poreuse. Dans les nus, chaussures à la main pour ne pas laisser de trace, ma filières de passage d’enfants mère, ma sœur et moi nous sommes sorties de la maison mises en place par les orgapendant que mon père essayait de «parler» avec les gennisations clandestines juives, darmes, mais en vain… Mon père fut arrêté, emmené, un des maillons les plus impendant que nous marchions dans la campagne à travers portants près de la frontière les champs sans savoir où nous allions. […] Au loin se suisse était le père Jean-Joprofilait un champ de maïs et nous y sommes allées car les seph Rosay, curé de Doutiges étaient hautes et nous pourrions nous cacher. Là penvaine (Haute-Savoie) qui n’a dant toute la journée, nous sommes restées tapies à même pas survécu à la déportation la terre sans bouger. La nuit tombante, la cultivatrice nous qui suivit son arrestation par a vues et ma mère s’est jetée à ses genoux la suppliant de nous cacher. Cette femme a été bouleversée par ma mère et la Gestapo. Début 1944, le a bien voulu nous cacher dans une cabane qui se trouvait à père Rosay demanda à Sœur proximité. Cette femme s’appelait Madame Montastruc.» Jeanne Berchmans – née Marie Meienhofer – de cacher trois membres d’une famille juive de Vienne dans le couvent de la congrégation du Sacré-Cœur à Thonon-les-Bains. Les Wittels y restèrent jusqu’à la Libération. Sœur Berchmans, enseignante au pensionnat du couvent, les fit passer pour des Alsaciens forcés de fuir en mai 1940. Lorsque les Allemands perquisitionnèrent le couvent, elle parvint à empêcher une inspection de la chambre des Wittels en affirmant que leurs occupants avaient la scarlatine…. Louis-Maxime et Léontine Beetschen, un couple de cultivateurs suisses, possédaient une ferme à Douvaine, qui jouxtait le presbytère catholique. Lorsque ce dernier débordait de Juifs accueillis par le père Rosay, le trop plein s’écoulait naturellement vers la maison hospitalière des Beetschen. Ces derniers ont offert un toit à plusieurs familles juives avant leur passage en Suisse. Ils ont aussi hébergé de manière permanente une fillette juive, Tania Meller, qui avait été prise en charge par l’OSE. Les rencontres fortuites entre persécuté et futur sauveur – comme celle de Jesha Shapir et des Marclay ou celle de la famille Hercock et de Madame Montastruc avant l’hébergement chez le couple Tzaut – ne constituent assurément qu’une minorité des actions de sauvetage honorées par Yad Vashem. Et pour une rencontre fortuite 43 L es J u s t es s u isses ayant débouché sur un sauvetage, combien d’appels à l’aide ayant suscité l’indifférence, le rejet, voire la dénonciation? Les rencontres fortuites entre persécuté et futur sauveur ont pourtant valeur d’exemple: elles montrent que le sauvetage est à la portée de tous, parce que chacun peut, un jour, être amené à décider subitement entre l’accueil et le rejet du persécuté. Il existe bien sûr des facteurs qui influencent la prise de décision au moment de la rencontre, notamment celui de la place disponible pour héberger des persécutés. Sœur Antoinette Masserey Dans les deux cas que nous allons examiner de rencontres fortuites ayant débouché sur un hébergement durable, les futurs sauveurs disposaient d’une habitation indépendante. Ancien pasteur, August Rutschi partageait avec son épouse Cécile, sa fille Agnès et le mari de celle-ci, Laurent Gilardino, une maison à Monnetier-Mornex près du Salève (Haute-Savoie). En 1942, Agnès rencontra deux inconnus lors d’une promenade, Leib Rudenski et sa femme, des Juifs de Belgique qui venaient d’être refoulés à la frontière suisse. Epuisés et terrorisés, ils lui demandèrent de leur indiquer un chemin détourné pour éviter la capture. Agnès les invita chez elle. Les Rudenski racontèrent leur fuite et leur refoulement à August Rutschi et à Laurent Gilardino. Ceux-ci leur offrirent une chambre. En janvier 1943, il fallut les transférer dans une autre cachette par crainte de dénonciation, mais les Gilardino et les Rutschi continuèrent à les ravitailler. Par la suite, la Résistance française procura de faux papiers aux Rudenski, ce qui leur permit de trouver travail et logement. A Lassalle (Gard) en février 1943, le jeune Jacques Rojtenberg frappa à la porte d’un pasteur suisse qu’il ne connaissait pas, Edgar Wasserfallen. Septante ans plus tard, lors de la remise de la médaille des Justes, il raconte son sauvetage en présence des enfants Wasserfallen (encadré 24). Avec l’aide de ses parents à Neuchâtel, le pasteur Wasserfallen assura également la transmission du courrier entre les Rojtenberg et leurs deux fils aînés qui avaient trouvé refuge en Suisse. Le couple Schneeberger à Roanne et le couple Ischy à Paris ont hébergé, quant à eux, des Juifs dont la profession les avaient amenés à faire la connaissance. L’Argovien Arthur Schneeberger s’était installé dans les années 1920 comme artisan bonnetier à Roanne (Loire) après avoir appris le métier à Lille. Il s’était lié d’amitié avec un de ses fournisseurs, M. Wolkowicz, un Juif d’origine polonaise. 44 L es J u s t es s u isses Celui-ci décida de cacher sa famille, mais en la dispersant pour augmenter ses chances de survie. Il demanda à Arthur Schneeberger et à sa femme Anne de prendre soin de l’aîné de ses deux fils. Les Schneeberger l’hébergèrent jusqu’à la fin de la guerre en le faisant passer pour un neveu. Le risque était d’autant plus grand que la maison des Suisses ne se trouvait qu’à une centaine de mètres d’une caserne occupée par des soldats allemands. La famille Wolkowicz se retrouva à nouveau réunie à la fin de la guerre. Yannick Ischy vivait à Paris avec son mari Ernest, entrepreneur en bâtiment. Elle-même était infirmière dans un hôpital à Beauvais. Le Dictionnaire des Justes de France ajoute: «Elle y fit la connaissance du docteur Pierre Moyse, un chirurgien juif. Sachant qu’il courait de graves dangers, Ernest et Yannick l’invitèrent à venir se réfugier chez eux avec sa mère, Aline Moyse. […] Lorsque le médecin et sa mère s’installèrent chez eux vers la fin de 1942, ils expliquèrent aux Soeur voisins qu’il s’agissait de parents éloignés venus effectuer un court Jeanne-Françoise Zufferey séjour». Ils y sont manifestement restés jusqu’à la Libération. Les Ischy et les Moyse, comme les Schneeberger et les Wolkowicz, sont restés liés après la guerre et se rencontraient régulière24. Le sauvetage de la famille Rojtenberg par le couple Wasserfallen «Je me revois, en ce jour de février 1943, frappant à la porte du presbytère de Lassalle, demander de l’aide pour ma famille, qui se trouvait entre Barre des Cévennes et Florac, cachée depuis huit jours dans une grange. Inutile de vous dire les dangers pour cette famille jetée sur les routes en plein hiver, risquant à chaque instant des contrôles de gendarmerie. Au presbytère vos parents ont logé mes parents et mon frère Roger, le temps de leur trouver une famille d’accueil. Quant à moi, M. Wasserfallen, le même jour, m’accompagnait dans une famille d’accueil […]. M. Wasserfallen s’occupait de ma famille mais également d’autres réfugiés juifs. En plus, il organisa les premiers maquis de la région de Lassalle. Il m’est arrivé de l’accompagner à plusieurs reprises dans cette tâche. Le danger étant plus pressant, il trouva pour mes parents, qui furent séparés, deux autres familles d’accueil. […] Entre temps, M. Wasserfallen, nous avait procuré de «vrais faux» papiers d’identité enregistrés à la mairie de Lassalle. […] En février 1944, une lettre de dénonciation ayant été interceptée par les postiers résistants de Lassalle, je fus obligé de partir du jour au lendemain. Ce fut le pasteur qui m’accompagna jusque dans le Tarn. [Dans un car, ils tombèrent sur quatre Miliciens, qui étaient par ailleurs d’anciennes ouailles du pasteur]. Les Miliciens lui demandèrent: «Où allez-vous avec ce grand jeune homme?» Il répondit: «Ce garçon est muet et nous allons consulter un médecin à Montpellier»». 45 L es Martha Schmidt J u s t es s u isses ment. Pourtant, s’il y a une Juste qui illustre la permanence du lien entre persécuté et sauveur, c’est bien Martha Schmidt, une nurse restée au service de la même famille de 1937 à 1960. Les Cohen, des Juifs de Salonique propriétaires à Montpellier d’un commerce de textile, avaient engagé la Zurichoise pour s’occuper de leur troisième fille. En novembre 1942, la famille partit pour Monaco où naquit une quatrième fille. L’occupation de la région par les Allemands à l’automne 1943 obligea la famille à se disperser. Martha Schmidt accepta de s’occuper des quatre filles. Elle les emmena en Savoie, puis à SaintAnthène (Puy-de-Dôme), dans la propriété d’un ami de la famille, qui tenta de les faire passer pour ses filles. Les sœurs Cohen ne sortaient quasiment jamais, mais plus d’un villageois avait des soupçons. Elles survécurent toutes à la guerre, de même que leurs parents. II.2.8. Les pasteurs de Pury à Lyon et Pasche à Lille Roland de Pury Le spécialiste des Justes de France, Lucien Lazare, résume ainsi l’engagement du pasteur de Pury: «Suisses l’un et l’autre, Roland et Jacqueline de Pury ont animé avec une audace stupéfiante la résistance spirituelle et humanitaire des protestants lyonnais. Leur foyer du quartier de la Croix-Rousse abritait non seulement leurs huit enfants, mais un cortège toujours renouvelé de fugitifs, juifs pour la plupart. […] Avec Pierre Chaillet, à la tête de l’Amitié Chrétienne, Roland de Pury a favorisé la symbiose entre les résistants des deux communautés chrétiennes lancées dans l’aventure du sauvetage de juifs»18. La résistance a commencé très tôt. Lyon avait été occupée par l’armée allemande du 19 juin au 6 juillet 1940. La Wehrmacht partie, la population lyonnaise était surtout soulagée de ne pas faire partie de la zone occupée. Dans ce contexte, le pasteur de Pury allait tenir, le dimanche 14 juillet 1940 dans son temple de la 46 L es J u s t es s u isses rue Lanterne, un sermon d’une rare audace, dont des phrases circuleraient rapidement dans la communauté protestante de Lyon. 25. Sermon du pasteur de Pury du 14 juillet 1940 «[…] Je sais bien qu’après un tel carnage, la France peut bien se reposer et dire: j’ai fait ce que je pouvais. Oui, elle avait le droit de déposer les armes. Mais non pas, non jamais de consentir intérieurement à l’injustice. Et il y en a beaucoup qui, pour souffrir un peu moins, sont prêts à ce consentement. […] Mieux vaudrait la France morte que vendue, défaite que voleuse. La France morte, on pourrait pleurer sur elle, mais la France qui trahirait l’espoir que les opprimés mettent en elle, mais la France qui aurait vendu son âme et renoncé à sa mission, nous aurait dérobé jusqu’à nos larmes. Elle ne serait plus la France. […] Déjà les gens ne se demandent plus si cette guerre était juste. Ils regrettent de l’avoir faite parce qu’ils l’ont perdue. […]. Mais alors c’est la victoire qui donne raison? Et la défaite qui donne tort? C’est le succès qui détermine la vérité? Est-ce là ce que vingt siècles de christianisme ont enseigné à la France? Est-ce là ce que la vérité clouée sur une croix nous enseigne? Si la France, parce qu’elle est défaite, se met à douter de la justice de cette lutte qu’elle a menée, et si par conséquent elle étouffe sa mission de justice, alors elle est pis que morte, elle est décomposée, elle est prête pour toutes les infamies. […] Est-ce que toute la repentance de ce pays va consister à regretter la seule chose qu’il n’ait pas à regretter? […]» Roland de Pury a continué à tenir des sermons très courageux. Dès octobre 1940, il prit en outre des initiatives de sauvetage avec le concours des mouvements de jeunesse d’inspiration protestante, regroupés dans la CIMADE, pour lesquels il assurait aussi un lien avec la Suisse. De plus, le pasteur offrit sa maison, son temple, sa paroisse pour héberger des membres de la Résistance, des Juifs ou des passeurs qui convoyaient des enfants du Chambon vers la Suisse. De Paris, on envoyait aussi au couple des enfants pour qu’ils passent en Suisse. Le 30 mai 1943, dimanche de la confirmation, deux agents de la Gestapo arrêtèrent Roland de Pury et l’emmenèrent au fort de Montluc, prison de la Gestapo. Il apprendrait plus tard que son arrestation était motivée par l’aide qu’il apportait à la Résistance, en l’occurrence au mouvement Combat. Il fut enfermé. Le cardinal 18. LAZARE, Lucien, Le Livre des Justes, op. cit., pp. 156-157. L’Amitié chrétienne était une œuvre de secours interconfessionnelle, fondée à Lyon en 1941 et patronnée par le cardinal Gerlier et le pasteur Boegner, qui désignèrent Pierre Chaillet et Roland de Pury pour les représenter. L’Amitié chrétienne servit toujours plus de paravent à un important service clandestin en faveur des persécutés raciaux. Le local de l’association mettait aussi des faux papiers à disposition. 47 L es J u s t es s u isses Gerlier et le pasteur Boegner demandèrent en vain sa libération. Avec des petits bouts de crayons conservés au risque de se faire fusiller, le pasteur écrivit un Journal de cellule dont une première édition parut en Suisse avant la Libération de la France; une édition complète fut publiée en 1981. 26. Journal de cellule du pasteur de Pury «Vers le 20 juin. Ah! Tu me fais durement saisir que c’est là justement tout le problème de notre destinée: esclavage ou liberté. […] 31 juillet. Quand, à 7 heures, le sergent a passé avec sa main pleine de crayons rendus, j’ai eu la force de ne lui donner que le centimètre inutilisable qu’une jeune femme m’avait passé à l’interrogatoire, et de garder les autres. […] Depuis cet instant, j’écris sous menace de mort, et j’ai la mort cachée dans ma cellule. […] Plus que mes crayons cachés, c’est cette vision de l’après-midi, cette espèce de tableau dantesque qui me donne une sensation épouvantable de la captivité. Est-ce que j’y suis vraiment? Est-ce que je suis, moi, pris là-dedans, ou suis-je envoûté par la lecture de Dostoïevski? L’horreur de la situation me tombe dessus. J’étouffe. O Seigneur, quand m’ouvrirastu la porte ? […] Jeudi 9 septembre. On perd de vue le rivage. On s’installe dans l’absence. On meurt lentement à cette douleur qui vous fait crier les premiers temps. Le sens même de la vie s’endort. On est comme une matière plastique qu’il faut forcer dans un moule. Cela fait mal à hurler. Et puis, peu à peu, on prend la forme: la forme du prisonnier. Rien à signaler. Je suis de plus en plus replié sur moimême. Tellement surveillé qu’il m’est impossible d’échanger quelques paroles et de renouer quelques liens. […] Dimanche 3 octobre. Le garçon d’à côté a pleuré, gémi, appelé, frappé toute la nuit. L’étage entier n’a pas dormi. En ouvrant la porte ce matin, on l’a trouvé gisant, presque hors de sens. Il a fallu se mettre à trois pour le faire sortir. Beau travail! «O Homme que fais-tu de ton frère?»» En définitive, Roland de Pury et d’autres Suisses capturés par les Allemands furent échangés fin octobre 1943 contre des espions nazis faits prisonniers sur territoire suisse. Il ne retourna à Lyon qu’après la Libération. Autre pasteur suisse grandement influencé par Karl Barth, Marcel Pasche partit à Lille en 1937 pour un stage pastoral. Il fut consacré pasteur de l’Eglise réformée de Roubaix quatre ans plus tard. La situation de Lille et de Roubaix était particulière. Avec l’occupation, les départements du Nord et du Pas-de-Calais avaient été détachés de la France et dépendaient de l’administration militaire allemande de Bruxelles. Forte d’environ 4’000 personnes, la communauté juive de Lille fit l’objet d’une rafle le 11 septembre 1942. Les activités de secours de Marcel Pasche présentent une diversité aussi grande que celles de son collègue Roland de Pury. Avec 48 L es J u s t es le policier Léon Coghe, il fit passer la frontière suisse via Besançon à Joseph Winischki et à son fils Léon, des Juifs allemands réfugiés en Belgique et que Coghe avait accueillis à Roubaix. En revanche, Sonia Winischki et ses deux filles, qui avaient voulu rejoindre leur famille ne parvinrent pas à franchir la frontière; elles revinrent à Roubaix où Marcel Pasche et Léon Coghe s’occupèrent d’elles jusqu’à la Libération. s u isses 27. «Auguste Matringe (1894-1984). Humaniste Franco-Suisse. Juste parmi les nations» Cette inscription figure sur une stèle inaugurée en 2003 à Saint-Fons dans la banlieue sud de Lyon. Bien que né à Rolle de mère suisse et y étant mort après y avoir passé sa retraite, Auguste Matringe possédait uniquement la nationalité française de son père savoyard. Chrétien très engagé dans la vie sociale et associative, il a dirigé, de 1936 à 1959, deux importantes usines chimiques de la compagnie Saint-Gobain. Il a notamment organisé l’hébergement des employés juifs au sein même de l’usine. On estime qu’il a sauvé de la déportation 37 adultes juifs, qu’il a fait héberger 50 de leurs enfants à la campagne et qu’il a favorisé la dissimulation de 250 personnes réfractaires au Service du travail obligatoire. Arrêté par la Milice française en août 1944, il ne dut sa libération au bout d’un mois qu’à l’intervention du vice-président de Saint-Gobain. Au-delà de ces activités qu’on pourrait appeler classiques, le pasteur suisse créa, avec un groupe d’amis, le Secrétariat d’assistance judiciaire devant les tribunaux allemands du Nord et du Pas-de-Calais. Grâce à des complicités allemandes19, ce secrétariat put fonctionner sans autorisation officielle, laquelle n’aurait bien entendu jamais été accordée. Cet organisme privé, à la dénomination apparemment officielle, offrit aux familles de personnes inculpées pour infraction réelle ou supposée contre l’occupant nazi une protection que les deux seuls avocats germanophones de la place ne voulaient pas procurer. De 1942 à 1944, les familles de 430 inculpés eurent recours au secrétariat et 70 d’entre eux obtinrent ainsi une libération. Marcel Pasche s’engagea aussi, cette fois avec Fred Huber, le consul honoraire de Suisse à Lille, pour le sort des prisonniers de Loos, la grande prison de la région où les Allemands avaient entassé toutes les personnes accusées de résistance. Les deux Suisses jouèrent aussi un rôle dans un des épisodes les plus dramatiques de la Libération, auquel un mémorial a été consacré: la déportation de 870 prisonniers de Loos par les Allemands, alors en déroute, le 1er septembre 1944. Seuls 250 d’entre eux survécurent. Ayant appris, 49 19. En contournant la censure, les initiants parvinrent à publier dans la presse un communiqué annonçant l’existence de ce secrétariat. Le principal allié du pasteur était Carlo Schmid, conseiller juridique auprès du commandement militaire allemand et une des grandes figures du parti social-démocrate allemand de l’après-guerre. L es J u s t es s u isses à la Libération de Paris, que le consul de Suède à Paris et la CroixRouge française avaient obtenu la responsabilité de tous les détenus politiques se trouvant dans des camps et prisons de la région parisienne, Marcel Pasche eut l’idée d’obtenir la même chose pour la Suisse et la prison de Loos. La réouverture du consulat de Suisse fut acceptée par le commandement militaire à Bruxelles, et, le 1er septembre, il se présenta à la prison avec Fred Huber... 28. Marcel Pasche, le consul de Suisse et la prison de Loos «Le capitaine Siebler [directeur de la prison] – nous l’apprîmes après coup – venait de faire charger sur des camions plusieurs centaines de «terroristes» à destination de la gare de Tourcoing où ils devaient être «enwagonnés» pour la déportation. Débarrassé des détenus les plus dangereux, il se montra favorable à suivre les instructions de l’Oberfeldkommandantur et à envisager la mise en liberté. […] On convint de les libérer par groupes de 20 […]. Le consul fit aussi transporter à la clinique Ambroise-Paré quelques malades et blessés. […] Au sujet du train de déportés, nous étions plutôt rassurés. Le Dr [Carlo] Schmid avait agi sur les cheminots allemands et la résistance ferait dérailler le train s’il se mettait en marche. La résistance belge était aussi alertée. Pendant la nuit – je logeais chez le consul avec ma famille –, on nous informa que le train avait quitté Tourcoing. Forts de notre succès de la veille, et misant sur le sabotage de la résistance belge, nous décidâmes de partir à la recherche de ce convoi que nous imaginions bloqué quelque part. Dans ce cas, notre offre de prise en charge aurait quelque chance de succès. […] Nous arrivâmes finalement à Gand où [on] nous renseigna: le train avait passé normalement et il n’était peut-être déjà plus sur le réseau belge.» Marcel Pasche revint en Suisse quelques années après la fin de la guerre et y poursuivit son activité pastorale. En 1992, la Mairie de Roubaix lui décerna la Médaille d’honneur de la ville, et l’année suivante Yad Vashem le titre de Juste. 50 L es J u s t es s u isses II.3. En Belgique Invasion allemande et déportation des Juifs vers l’Est intervinrent en Belgique en même temps qu’en France et aux Pays-Bas. Les forces armées allemandes envahirent les trois pays en mai 1940, la Belgique capitula le 28 et une organisation militaire fut mise en place. Les déportations, dont le service d’Adolf Eichmann avait assuré les préparatifs, débutèrent en été 1942, en Belgique deux à trois semaines après les deux autres pays. La population juive de Belgique s’élevait à plus de 65’000 personnes à la veille de l’invasion. Plus de la moitié vivait à Anvers et un peu moins de 40% dans la capitale Bruxelles. Sa principale caractéristique était une proportion très élevée d’étrangers (plus de 90 %). De nombreux Juifs étaient arrivés d’Europe de l’Est, en particulier de Pologne, après la Première Guerre mondiale, puis la Belgique avait aussi accueilli des Juifs fuyant le Reich. Avant et pendant les déportations, des Juifs résidant en Belgique poursuivirent leur émigration ou leur fuite en direction de la France – comme les enfants du château de La Hille (voir supra, II.2.3), certains tentant de trouver refuge en Espagne ou en Suisse. Les déportations touchèrent d’abord les Juifs étrangers; elles s’achevèrent avec les belges en septembre 1943. Les déportés furent réunis dans un camp de transit, à Malines entre Anvers et Bruxelles, puis envoyés à l’Est, généralement à Auschwitz-Birkenau. Le 20 avril 1943, la résistance clandestine juive attaqua le vingtième convoi de déportés qui quittait Malines – seule opération du genre durant la Shoah. Environ 25’000 Juifs et quelques centaines de Roms et Sinti subirent la déportation depuis Malines. La majorité d’entre eux n’avaient pas été arrêtés lors des rafles (août et septembre 1942), mais capturés par hasard lors de contrôles ou de tentatives de fuite, ou encore lors de la découverte de leur cache. On estime que 24 à 25’000 les Juifs ont bénéficié d’une cache, un nombre important si on se souvient que l’écrasante majorité des Juifs de Belgique étaient des immigrés. Mais l’ampleur du sauvetage est à rattacher à un autre phénomène d’envergure: la résistance, à laquelle auraient participé environ 70’000 personnes. II. 3.1. Sauvetage et résistance: Paul et May Calame-Rosset Seuls Suisses à avoir été honorés par Yad Vashem pour des actions sur territoire belge, Paul Calame-Rosset et son épouse May, d’origine britannique, illustrent le lien étroit qui a uni en Belgique 51 L es J u s t es 29. Les motivations de Paul Calame-Rosset Il n’a pas laissé de trace écrite de ses actions de sauvetage. Interrogé en 1998 par le délégué de Yad Vashem pour la Suisse, il a répondu: «Ce que j’ai fait, ce que nous avons fait, c’était par DEVOIR. Il fallait dire NON à l’ennemi et lui ravir ses proies. Et cela avec l’aide de Dieu. […] Vous m’avez demandé: pourquoi avoir logé et caché des Israélites alors que vous vous exposiez à de terribles représailles? C’est fort simple… quand on frappe à votre porte à minuit, implorant secours et accueil. Si j’avais fermé ma porte en repoussant des êtres terrassés, affalés, voués à l’extermination indescriptible! Jamais, un seul jour de ma vie, je n’aurais pu justifier mon acte odieux». s u isses caches et résistance. Né en 1905 à Tavannes, dans la partie jurassienne du canton de Berne, Paul Calame-Rosset a suivi une formation d’architecte avant de partir pour le plat pays. Durant la guerre, la couple Calame-Rosset possédait une villa à Uccle, commune de l’agglomération bruxelloise, sur laquelle il avait dressé le panneau «propriété suisse». Au total, le couple CalameRosset a hébergé deux aviateurs britanniques, un aviateur russe ainsi que trois groupes de Juifs. Le premier groupe était la famille Cywié: le père horloger, son épouse et leur fille Golda, tandis que leur fils trouvait une cache ailleurs. Le deuxième groupe, la famille Lemberg, y chercha refuge fin 1942, après avoir été dénoncée à la Gestapo par la famille qui les hébergeait; le fils Kurt resta chez les Calame-Rosset, sa sœur rejoignit bientôt des amis, les parents repartirent rapidement, ce qui se solda par une nouvelle dénonciation et la déportation. Enfin, début 1944, une jeune fille dont on ne connaît que le prénom (Sarah) fut hébergée par les Calame-Rosset. Ceux-ci la confièrent ensuite à une famille suisse de Bruxelles, qui lui procura une identité suisse. 20. Archives Herbert Herz, copie de l’attestation de Marcel Franckson, professeur honoraire de l’Université de Bruxelles, à Yad Vashem du 14 avril 1998. Lorsqu’il reçut la médaille des Justes en septembre 1998, Paul Calame-Rosset avait déjà la médaille de la Résistance belge et la King’s Medal for Courage in the Course of Freedom britannique. Sous le nom de code de Ted, il avait été actif dans la résistance belge dès le début de 1942, d’abord dans un réseau de renseignements. A partir de 1943, il participait à une filière d’évasion d’aviateurs alliés vers la Grande-Bretagne, ainsi qu’au Service Hotton spécialisé dans le sabotage militaire. L’un des dirigeants de ce service, Marcel Franckson, a témoigné en 1998: il avait séjourné six à huit semaines en été 1943 chez Paul Calame-Rosset qui remplissait les fonctions de responsable logistique pour le secteur de Bruxelles20. Selon Meir Wagner, la maison du Suisse a servi d’abri temporaire à environ 70 membres de la résistance belge. 52 L es J u s t es s u isses II.4. Dans le Reich allemand Les actions des Justes suisses sur territoire du Reich sont intervenues relativement tardivement, en 1943. Bien que les ouvrages sur la Shoah abordent le Reich avant les pays occupés, il est logique d’examiner maintenant les actions de sauvetage de 1943, soit après celles de la France et de la Belgique, souvent antérieures, et avant celles de Budapest qui, elles, concernent 1944 et 1945. La situation des Juifs du Reich s’est détériorée progressivement depuis l’arrivée de Hitler au pouvoir en 1933. Lorsque l’émigration leur fut interdite, à l’automne 1941, environ 170’000 Juifs demeuraient sur son territoire, contre 500’000 en 1933. Nombre d’entre eux avaient émigré en Europe ou outre-Atlantique, ce que le Reich avait favorisé dans une première phase, non sans les dépouiller largement de leurs biens. Dès l’automne 1941, il ne leur restait d’autre choix que la vie clandestine ou la fuite. Dans les deux cas, disposer d’un réseau de relations et de papiers d’identité (falsifiés) augmentait les chances de survie ou d’une fuite réussie. Ainsi, dans plus de 40% des actions de sauvetage examinées par le dictionnaire allemand des Justes, le persécuté et son futur sauveur se connaissaient personnellement avant-guerre déjà21. II.4.1. Les maillons d’une longue chaîne de sauvetage: Jean-Edouard Friedrich et Elise Höfler-Brütsch Il y a peu de sauvetages qui soient aussi bien documentés que celui d’Herbert Strauss et de son amie, et future épouse, Lotte SchlossKahle. Les deux Berlinois, l’un né à Würzburg, l’autre à Wolfenbüttel, ont écrit leurs souvenirs sur leur jeunesse en Allemagne, leur vie clandestine et leur fuite en Suisse. Deux études récentes, qui exploitent également des documents d’archives et des interviews, reconstruisent dans le détail la filière de passage empruntée par le couple et par près de 30 de leurs coreligionnaires. La Berlinoise Luise Meier et le couple Höfler de Gottmadingen près de la frontière schaffhousoise ne constituaient que les derniers maillons d’une chaîne qui a permis à Lotte et à Herbert de quitter Berlin après y avoir vécu clandestinement. Depuis l’automne 1941, l’étau s’était progressivement resserré sur leurs familles, leurs amis et leurs voisins dont la Gestapo avait arrêté plusieurs membres. Le 24 octobre 1942 vint le tour des parents de Lotte, ce qui entraîna la décision d’entrer dans la clandestinité. Par dessus 53 21. FRAENKEL, Daniel, «Die deutschen Gerechten unter den Völkern» in Lexikon der Gerechten unter den Völkern. Deutsche und Österreicher. Yad Vashem et Wallstein, 2005, p. 28. L es J u s t es s u isses tout, ils s’en rendirent vite compte, il leur fallait éviter la répétition et la routine: varier les lieux de rendez-vous, changer fréquemment de cachette – leurs hôtes risquant dénonciation et envoi dans un camp de concentration. La plupart de leurs hôtes durant la demi-année de vie clandestine, ils ne les connaissaient pas auparavant. Parmi eux, on trouve le peintre communiste August Sapandowski, mort dans un camp de concentration, et le journaliste Friedrich Strindberg, fils de l’écrivain August Strindberg. C’est de lui qu’ils apprirent en janvier 1943, avec incrédulité, que les nazis avaient construit des camps où ils gazaient les déportés. Jean-Edouard Friedrich Lotte avait un oncle à Lausanne, Ludwig Schöneberg, qui lui avait indiqué un ami à joindre en cas de problème: Jean-Edouard Friedrich, qui faisait partie depuis juillet 1942 de la délégation berlinoise du Comité international de la Croix-Rouge. Lotte envoya à son oncle, par l’intermédiaire de Friedrich, un rapport détaillé sur la situation désespérée des Juifs à Berlin après la grande rafle de février 1943. Schöneberg se décida à faire venir clandestinement sa nièce en Suisse. Il trouva les deux personnes qui pouvaient assurer le succès de l’opération, à savoir organiser la fuite depuis Berlin, puis le passage de la frontière. Par l’entremise sur place de Friedrich, il mit sa nièce en contact avec Luise Meier. Veuve approchant la soixantaine, elle avait déjà aidé à la fuite en Suisse d’une voisine, propriétaire d’une pension contrainte à fermer ses portes, ainsi qu’une pensionnaire de celleci, qui se révéla être l’ancienne secrétaire de Schöneberg. Leur passage de la frontière s’était toutefois réalisé dans des circonstances toutes particulières; on ne pouvait répéter l’opération. Schöneberg trouva aussi des passeurs, par l’intermédiaire d’un médecin résidant à Stein am Rhein. Une de patientes de celui-ci, Elise Höfler-Brütsch, une Suissesse qui avait épousé un Allemand, vivait à dix minutes à pied de la frontière suisse. Elle se laissa convaincre de faciliter le passage en Suisse de Lotte Schloss-Kahle. Jean-Edouard Friedrich prit une photo de Lotte et la transmit au médecin, afin que les personnes qui l’accueilleraient puissent la 54 L es J u s t es s u isses reconnaître: les contacts directs dans un lieu aussi exposé qu’une gare proche de la frontière devaient être limités au strict minimum. Le voyage en train depuis Berlin fut fixé au 1er mai 1943, de façon à ce que Lotte, même munie de faux papiers et voyageant sans bagage, passe plus inaperçue dans l’effervescence des déplacements d’un jour de fête. Les Höfler l’hébergèrent, mais attendirent le dimanche pour organiser une “promenade familiale” à proximité de la frontière avec leur fille de cinq ans et Lotte. Ils indiquèrent le chemin à la jeune fugitive, qui parvint en Suisse et ne fut pas refoulée. A l’origine, le dispositif mis en place par Schöneberg, avec l’aide de Friedrich, n’était destiné qu’à sa nièce, Lotte Schloss. Ils parvinrent cependant à convaincre Luise Meier et les Höfler de faciliter le passage de Herbert Strauss, entreprise qui s’annonçait beaucoup plus délicate. Il devait impérativement avoir des documents d’identité au-dessus de tout soupçon de falsification. Il put se les procurer grâce à des amis. Le voyage en train fut fixé au week-end de la Pentecôte, et Herbert Strauss parvint lui aussi en Suisse. Il poursuivit des études à Berne jusqu’en 1945, puis une belle carrière d’enseignant aux Etats-Unis avant de fonder en 1982 le Centre de recherches sur l’antisémitisme à Berlin, actuellement une référence internationale en matière de recherches sur la Shoah. Luise Meier et Josef Höfler, ainsi mis en contact, poursuivirent leurs activités. Au total, ce réseau fit passer près de 30 Juifs en Suisse jusqu’au printemps 1944. Luise Meier et Josef Höfler furent ensuite arrêtés et emprisonnés, alors que Elise Höfler trouvait refuge chez son père, à Ramsen en Suisse. Tous trois reçurent la médaille des Justes. Luise Meier, veuve aisée, n’a pas touché d’argent pour son aide, à l’inverse des époux Höfler, plus pauvres, mais dont les motivations religieuses ont été prédominantes; du reste, les risques encourus justifiaient une certaine contrepartie. Jean-Edouard Friedrich avait lui aussi été arrêté temporairement, mais dans d’autres circonstances. Deux semaines avant le passage de Lotte Schloss et dans le cadre d’une mission du CICR, il avait accompagné une jeune fille juive jusqu’à Singen pour la confier à des passeurs. La police allemande les surprit. Le Suisse attira l’attention sur lui, ce qui permit aux autres de passer la frontière. Dépourvu d’autorisation pour se déplacer si près de la frontière, il fut arrêté et dut fournir des explications deux jours durant. Cet incident fragilisa la position de Friedrich au sein du CICR. Fin juillet 1943, il quittait la délégation de Berlin pour la Division des secours 55 L es J u s t es 30. Jean-Edouard Friedrich, Werner von Braun, les Américains et les Russes «Juste après la chute de Berlin, Jean-Edouard Friedrich est à Ravensbourg, dans le sud de l’Allemagne, où défilent des dizaines de milliers de réfugiés et d’anciens déportés. C’est alors qu’un certain Werner von Braun, avec des plans de fusées sous le bras, arrive avec ses collaborateurs au bureau du CICR et demande à passer en Suisse. Le délégué a juste le temps de les installer dans une usine désaffectée avant l’arrivée des Russes. Ceux-ci recherchent fébrilement le savant allemand, mais Friedrich leur assure qu’il n’a vu personne. Il prévient ensuite les Américains qui s’empressent d’embarquer Werner von Braun, son équipe, ses plans. Avoir tenu le sort de la NASA entre ses mains: l’idée amuse Jean-Edouard Friedrich. D’autant plus qu’il ne connaissait pas Werner von Braun ni ses projets de fusées. C’est en une fraction de seconde qu’il a décidé de mentir aux Russes. Mais il aime bien se rappeler que lorsque les hommes ont foulé le sol lunaire, c’était un tout petit peu grâce à lui…» s u isses à Genève. De mai à octobre 1945, il a dirigé la délégation du CICR à Ravensbourg, avant de quitter définitivement l’organisation l’année suivante. Survivre clandestinement dans Berlin en 1942-1943 n’avait rien d’évident. Passer en Suisse depuis la capitale du Reich l’était encore moins. Il fallait éviter toute improvisation, penser aux moindres détails, du voyage organisé un jour de fête à la photo transmise pour identification. Le nombre de personnes qui se sont mobilisées, certes à des degrés divers et avec des motivations variées, est impressionnant, surtout si on songe qu’au départ, il fallait assurer un seul passage. Initialement, il n’y avait pas de réseau structuré mais diverses personnes qui, chacune, décidèrent d’agir courageusement et de manière complémentaire. Que Herbert Strauss, puis une vingtaine d’autres Juifs aient pu ensuite utiliser cette même chaîne en dit long sur les besoins de sauvetage mais témoigne aussi que tous n’avaient pas abdiqué face au nazisme. II.4.2. Une cache à Francfort: Frieda Impekoven-Tobler Ville à la réputation libérale et ouverte, Francfort abritait en 1933 la deuxième communauté juive d’Allemagne (26’000 personnes) après Berlin, mais proportionnellement la plus importante du pays (4,7 %). En revanche et surtout en comparaison avec Berlin, on y recense peu d’efforts de sauvetage et également peu de Justes. Une des explications avancées tient à la précocité de la déportation de masse vers l’Est: elle était achevée en septembre 1942, soit au moment où débutait celle de Berlin. La Zurichoise d’origine Frieda Impekoven-Tobler était l’épouse de Toni Impekoven, acteur, écrivain et directeur du théâtre de Franc- 56 L es J u s t es s u isses fort, dont l’opposition résolue au nazisme allait lui coûter la place; elle était aussi la mère de Nikki Impekoven, célèbre danseuse et actrice. En 1943, elle répondit à l’appel à l’aide de deux Juives. D’une part, elle procura à plusieurs reprises de la nourriture à une veuve âgée logée dans une pension, ce qui lui valut un interrogatoire de la Gestapo; la renommée de sa fille permit toutefois sa libération rapide. De plus, elle mit son appartement à la disposition d’une ancienne élève de l’école de théâtre locale pendant qu’elle-même rejoignait son mari en tournée à Strasbourg. A son retour, sa protégée avait trouvé une nouvelle planque. 57 L es J u s t es s u isses II.5. A Budapest Les actions de sauvetage de Justes suisses en Hongrie se déroulèrent à Budapest dans les derniers mois de la guerre. Et dans des circonstances particulièrement tragiques. Alliée au Reich allemand dès 1940, la Hongrie avait récupéré des territoires perdus au lendemain de la Première Guerre mondiale, notamment une partie de la Ruthénie et la moitié septentrionale de la Transylvanie. Si elle adopta des lois antijuives à partir de 1938, la Hongrie ne participa toutefois pas aux déportations, si bien qu’elle représenta un abri pour les rares Juifs des pays environnants (Pologne et surtout Slovaquie) qui pouvaient tenter d’échapper aux déportations. En 1944, la Hongrie constituait le dernier espace sous domination ou influence de l’Axe dans lequel la «solution finale» n’avait pas encore été appliquée. Quelque 750’000 Juifs vivaient dans ses frontières. Ils connurent une sécurité physique, certes relative, jusqu’au 19 mars 1944. Face à l’avancée inexorable des troupes soviétiques et à la volonté toujours plus manifeste du gouvernement hongrois de rejoindre le camp des Alliés, Hitler imposa alors deux séries de mesures au régent Horthy: un gouvernement de collaboration (dirigé par Döme Sztójay) et une armada de superviseurs et de conseillers, emmenée par Edmund Veesenmayer, plénipotentiaire du Führer; Adolf Eichmann arriva à la tête d’un commando spécial pour organiser les déportations. L’hégémonie allemande était donc claire mais il fallait maintenir la fiction d’une souveraineté hongroise: Horthy restait à la tête de l’Etat. Cette situation complexe allait tantôt freiner tantôt faciliter les efforts de sauvetage. 22. HILBERG, Raul, La destruction des Juifs d’Europe. Paris, Gallimard, 2006, (coll. Folio), volume II, p. 1483. Eichmann et son équipe se mirent immédiatement au travail. Un calendrier de la concentration des Juifs de Hongrie, suivie rapidement de leur déportation fut établi. Les premiers touchés seraient les Juifs de l’Est, du Sud-Est et du Nord, territoires les plus proches des troupes soviétiques et les plus récemment acquis par la Hongrie. L’opération devait s’achever, au plus tard trois mois après, avec les Juifs de la capitale. Le 15 mai 1944, le premier train partit pour Auschwitz-Birkenau, accompagné jusqu’à la frontière slovaque par des Hongrois. Au total, plus de 430’000 Juifs de la province hongroise furent ainsi déportés en quelques semaines. «La Hongrie – nous rappelle Raul Hilberg22 – fut le seul pays où les auteurs du crime savaient la guerre perdue lorsqu’ils passèrent à l’action.» 58 L es J u s t es s u isses En outre, les déportations se déroulèrent au vu et au su du monde entier. Deux jeunes Juifs slovaques, Rudolf Vrba et Alfred Wetzler, qui avaient réussi à s’échapper d’Auschwitz-Birkenau en avril 1944, apportèrent le premier témoignage complet sur le camp de la mort; également connu sous le nom de protocoles d’Auschwitz, ce témoignage gagna Budapest, puis la Suisse23 et le Vatican. Des protestations – en particulier du pape, du président Roosevelt et des pays neutres24 – affluèrent auprès du régent Horthy et du gouvernement hongrois; en Suisse, plus de 200 articles parurent dans la presse. Le Conseil fédéral fut lui aussi pressé d’intervenir, en particulier par les représentants des Eglises protestantes. La position officielle, défendue depuis 1933 malgré des pressions toujours plus fortes visant à refuser aux Juifs le statut de réfugiés politiques fut abandonnée le 12 juillet 1944. Désormais les Juifs pouvaient prétendre à l’asile parce qu’ils fuyaient des persécutions. Changement important, mais combien tardif. Budapest subit de violents bombardements alliés le 3 juillet. Le 7, le régent Horthy ordonna l’arrêt des déportations. Il obtint plus tard le départ du commando Eichmann. La province hongroise avait été vidée de sa population juive. Restait la communauté de Budapest. L’évolution militaire offrait l’espoir d’une délivrance prochaine de la Hongrie du joug nazi: l’armée Rouge pénétra en territoire hongrois en octobre et le même mois la Roumanie signait un armistice avec les Alliés. Toutefois, les situations désespérées poussent souvent les plus fanatiques à des comportements jusqu’au-boutistes. Il y avait de tels fanatiques en Hongrie: les Croix-fléchées, de farouches antisémites qui procéderaient encore à des rafles de Juifs sous les tirs de l’artillerie soviétique dans Budapest encerclée; on estime à plus de 60’000 le nombre de Juifs qu’ils ont tués25. Leur chef, Ferenc Szálasi, parvint au pouvoir le 16 octobre 1944. Eichmann revint le lendemain. A Budapest, deux ghettos furent créés en novembre: le ghetto international et le grand ghetto. Le premier regroupait les Juifs au bénéfice d’une protection des pays neutres, l’autre ceux qui en étaient dépourvus. Les rafles se poursuivirent. Des dizaines de milliers de Juifs se virent contraints à des marches forcées en direction de l’Autriche; beaucoup moururent en chemin. L’armée Rouge avait totalement encerclé la ville à Noël, elle libéra le quartier de Pest le 18 janvier, celui de Buda un mois plus tard. Quelque 130’000 Juifs avaient survécu dans Budapest dévastée. 59 23. La version de ce document transmise au Conseil fédéral est accessible sous www. dodis.ch, Document DoDiS 11979. 24. Le Roi de Suède protesta le 30 juin, alors que les protestations suisses – Conseil fédéral et CICR – ne parviendraient à Horthy qu’après l’arrêt des déportations. 25. TSCHUY, Theo, Carl Lutz und die Juden von Budapest. Zurich, NZZ Verlag, 1995, p. 334. L es J u s t es s u isses Dans les actions de sauvetage menées par des Suisses à Budapest, deux noms occupent une place prééminente, celui de Carl Lutz, chef de la Division des intérêts étrangers à la légation de Suisse, et celui de Friedrich Born, délégué du CICR. Ils furent aussi, avec Gertrud Lutz, les premiers à avoir reçu la médaille des Justes. Plus récemment toutefois, Yad Vashem a honoré d’autres Suisses. Peter Zürcher et son adjoint Ernst Vonrufs ont poursuivi l’action de Carl Lutz dans Pest assiégée durant les dernières semaines de la guerre. Avec tout autant de courage, Harald Feller assuma durant ces mêmes semaines la lourde tâche de diriger la légation de Suisse; il cacha en outre plusieurs Juifs dans sa résidence. Des caches, Sœur Hildegard Gutzwiller et l’industriel Otto Haggenmacher en procurèrent eux aussi à des dizaines d’enfants persécutés. Par ailleurs, une proposition de nomination d’un collaborateur de Born a été soumise en 2006 à Yad Vashem. II.5.1. Carl Lutz: lettres, passeports et maisons de protection Carl Lutz Carl Lutz arriva à Budapest avec son épouse Gertrud le 2 janvier 1942. Le couple s’était connu aux Etats-Unis et fut envoyé en 1935 au consulat de Suisse en Palestine. Lutz rejoignit la capitale hongroise pour une mission précise, déjà remplie en Palestine depuis 1939: assurer la protection d’intérêts étrangers. Des pays en guerre n’entretiennent plus de relations diplomatiques, mais la nécessité de protéger des biens et des citoyens se trouvant sur territoire ennemi demeure. Cette mission est confiée à un Etat tiers, appelé dès lors Puissance protectrice. Durant la guerre, la Suisse assura quelque 200 mandats de représentation d’intérêts étrangers. Dans le cas de Budapest, Lutz eut à protéger les intérêts d’une dizaine d’Etats, parmi lesquels la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, deux Etats en guerre avec la Hongrie depuis décembre 1941. Carl Lutz établit son bureau dans le bâtiment de l’ancienne légation des Etats-Unis, situé place de la Liberté (Szabadság tér) à Pest; il fit du bâtiment de l’ancienne légation de Grande-Bretagne, sur la colline de Buda, sa résidence privée. Dans le contexte de la Shoah, la représentation des intérêts britanniques prenait une importance toute particulière. En effet, la Grande-Bretagne exerçait un mandat sur la Palestine, territoire qui constituait de fait pour les Juifs une des rares possibilités d’im- 60 L es J u s t es s u isses migration, et surtout la plus attrayante dans une perspective sioniste. Une possibilité pourtant tragiquement limitée: en 1939, les Britanniques avaient fixé à 75’000 le quota de Juifs autorisés à y immigrer dans les cinq ans. L’Agence juive pour la Palestine, qui disposait de bureaux dans plusieurs pays, organisait cette immigration. Avec Carl Lutz, elle parvint à envoyer environ 10’000 enfants juifs vers la Palestine de 1942 à mars 1944, en majorité des enfants dont les parents avaient été déportés. Lutz contribua à obtenir pour eux les autorisations nécessaires des Britanniques, des Hongrois et des pays de transit. Gertrud Lutz A leur arrivée en mars 1944, les Allemands ordonnèrent la fermeture des frontières. Lutz protesta auprès de Veesenmayer contre l’impossibilité faite aux détenteurs d’une autorisation d’immigration en Palestine (certificat palestinien) de quitter le pays. Environ 8’000 Juifs26 se trouvaient dans cette situation. En attendant leur départ, Lutz leur avait remis des lettres de protection (Schutzbriefe) attestant leur statut et destinées à prévenir toute mesure contre eux, comme la déportation ou le travail forcé. Veesenmayer déclara qu’il acceptait le principe de les laisser partir. Il demanda à Lutz de régler les aspects pratiques avec son adjoint Eichmann, qu’il présenta comme le responsable des questions d’ordre technique, telles que transports et horaires. De longues négociations débutaient. Avec Eichmann qui déclara qu’il n’avait pas d’instruction de Berlin. Avec les Hongrois dont Lutz obtint finalement, fin juillet, les autorisations d’émigration. Une nouvelle fois avec Eichmann ensuite, à qui il demanda d’organiser le transport des 8’000. L’Allemand lui proposa un marché diabolique: les 8’000 pourraient partir à la condition que Lutz renonce à porter secours à d’autres Juifs en leur distribuant des lettres de protection. Le Suisse demanda à réfléchir, ce qui signifiait un refus. En fin de compte, les 8’000 ne sont jamais partis. 61 26. Plusieurs chiffres ont circulé et circulent encore (7’000, 7800, 8’000, 8’234). 8’000 est celui que Lutz donna à Veesenmayer, selon Theo Tschuy (op. cit., p. 146). L es 27. Archives fédérales suisses, E 2001 (D) 1968/74, vol. 14 (B.55.45.28 Ho), Note d’entretien, 28.07.1944. J u s t es s u isses En effet, la fabrication et la distribution des lettres de protection avaient considérablement augmenté. Des dizaines, voire des centaines de Juifs se pressaient chaque jour devant les bureaux de Lutz dans l’espoir d’obtenir ces précieux documents. Fin juillet, lors d’une visite à Berne, Gertrud Lutz rapporta que 40’000 lettres de protection avaient été délivrées, les déportations ayant conduit son mari à étendre aux familles les effets des documents initiaux27. En effet, Carl Lutz négociait alors avec les Allemands le départ non plus de 8’000, mais de 40’000 personnes, tentant de faire admettre que le chiffre communiqué à Veesenmayer se référait à des familles 31. D’autres lettres de protection: Milorad Tosic et Eduard Hürlimann Parmi la dizaine de pays dont la Suisse représentait les intérêts à Budapest figurait la Yougoslavie. A la légation, la personne qui défendait ces intérêts au quotidien était, depuis novembre 1944, Eduard Hürlimann, jusqu’alors responsable de l’enregistrement. Le Suisse a entretenu des contacts réguliers avec un ressortissant yougoslave, Milorad Tosic, allant jusqu’à la distribution de lettres de protection falsifiées. L’industriel Milorad Tosic vivait à Belgrade lorsque l’Allemagne envahit son pays en avril 1941. Il se rallia au mouvement de résistance des chetniks du colonel serbe Mihaïlovitch, favorable au roi Pierre II – l’autre mouvement de résistance était dirigé par Tito, un Croate procommuniste. Arrêté par la Gestapo en juillet 1943, Tosic put toutefois s’enfuir avec son épouse, également engagée dans la Résistance, grâce à l’intervention d’un parent. Les chetniks les firent immédiatement passer en Hongrie en les cachant dans un wagon-lit. Le couple résida dès lors dans le grand hôtel Gellert, dont le directeur était un ami des Serbes; à Noël 1944, Hürlimann proposa de les héberger dans sa maison, mais Tosic préféra rester à l’hôtel. Milorad Tosic porta secours à de nombreux Juifs yougoslaves, mais aussi hongrois. Il put compter en particulier sur la collaboration d’Eduard Hürlimann, qui lui remettait des lettres de protection en lui précisant que les numéros étaient faux. Milorad Tosic évalue aujourd’hui à une quarantaine le nombre de documents qu’il a ainsi distribués à ses compatriotes. Cela lui a aussi permis de sortir des Juifs du grand ghetto pour les placer dans des maisons protégées. Parmi les personnes sauvées figuraient ses beaux-parents Julius et Klara Gutmann. Milorad Tosic resta à Budapest après l’arrivée des troupes soviétiques. Il fut capturé le 27 avril 1945 par les partisans de Tito, qui contrôlaient le pouvoir en Yougoslavie, et transféré à Belgrade. Son fils naquit quatre jours plus tard à Budapest mais il dut attendre onze ans avant de le rencontrer, ayant été contraint à une peine de neuf ans de travaux forcés. En 1960, il arriva en Suisse comme réfugié politique. Yad Vashem l’honora en 1978, à Berne, en même temps que Gertrud Lutz. Il acquit la nationalité suisse peu après. Sa plaque à Yad Vashem porte l’inscription «Yougoslavia (Switzerland)». Milorad Tosic vit aujourd’hui à Lausanne. Quant à Eduard Hürlimann, il faillit mourir lors de l’arrivée des troupes soviétiques. En effet, des soldats russes, ivres, firent irruption dans sa maison, pourtant au bénéfice d’une protection diplomatique, et violèrent les filles d’une famille amie du diplomate suisse qui y avaient trouvé abri. Tentant de s’interposer, Eduard Hürlimann fut grièvement blessé par les tirs des soldats. 62 L es J u s t es s u isses et non à des personnes (les certificats palestiniens étaient effectivement établis pour tous les membres d’une même famille). Autre idée ingénieuse développée par Lutz, les passeports de protection suisses (Schutzpässe). Il s’agissait à l’origine d’une banale mesure administrative, ces documents collectifs étant établis pour assurer le transit par la Roumanie des titulaires d’un certificat palestinien. Ces passeports contenaient les noms et photos des porteurs d’une lettre de protection, alors que la lettre précisait que les coordonnées de son titulaire avaient été intégrées dans un passeport collectif. Le premier passeport fut établi le 29 juillet. Avec la fabrication de lettres de protection qui n’étaient plus couvertes par les certificats palestiniens, les passeports allaient offrir une sécurité supplémentaire aux personnes munies de lettres. En effet, ces lettres portaient toujours un numéro entre 1 et 8’000 pour ne pas éveiller les soupçons des Allemands et Hongrois. Le texte restait inchangé et rappelait que son titulaire avait été inscrit dans un passeport collectif, ce qui indiquait qu’il était destiné à rejoindre la Palestine. Les passeports collectifs ne quittant jamais le bureau de Lutz, Allemands et Hongrois ne pouvaient pas procéder aux vérifications28. Milorad Tosic Combien y eut-il de lettres de protection suisses? On n’en connaîtra jamais le nombre exact. Le 28 août 1945, un article de la Basler Nationalzeitung avança le chiffre de 80’000, chiffre que Lutz confirma peu après et que son biographe Theo Tschuy a finalement retenu. En juillet, Lutz parvint à faire accepter aux Hongrois une autre mesure, plus audacieuse et décisive encore que les passeports de protection: les maisons protégées (Schutzhäuser). A Budapest, la concentration des Juifs, prélude à leur déportation, avait été engagée. Porteurs ou non de lettres de protection, ils avaient été placés dans des maisons à étoile jaune, cibles évidentes en cas de rafles. Lutz s’adressa au ministère hongrois des Affaires étrangères. Il demanda des maisons pour y loger les titulaires de lettres de protection suisses. Il en obtint 72 aux alentours de l’avenue Pozsonyi, qui pouvaient abriter environ 15’000 personnes, chiffres élevés plus tard à 76 maisons et 17’000 personnes. Restait bien sûr à assurer le maintien de l’immunité diplomatique. De jeunes Juifs (des Chalutzim, ou pionniers) surveillaient jour et nuit les entrées des immeubles, avertissaient Lutz ou ses collaborateurs aussitôt que 63 28. Aujourd’hui deux volumes sont conservés aux Archives fédérales suisses, un troisième à Zurich (Archiv für Zeitgeschichte), un dernier aux Archives nationales hongroises. L es J u s t es s u isses des nazis ou leurs complices hongrois menaçaient de s’en prendre à leurs habitants. Des diplomates d’autres pays neutres multiplièrent aussi les efforts de sauvetage. Suédois, Espagnols et Portugais reprirent l’idée des lettres de protection29. Raoul Wallenberg arriva à Budapest le 9 juillet 1944. Sur insistance américaine, Stockholm l’avait envoyé en Hongrie avec la mission de sauver le plus de Juifs possible. Wallenberg entra en contact avec Lutz. Peu après, il obtint 31 ou 32 maisons protégées pour la Suède, à proximité des maisons suisses. Quelques maisons furent aussi octroyées aux Portugais, aux Espagnols et au nonce apostolique, Angelo Rotta, le plus résolu des chefs des missions diplomatiques à Budapest. 29. La Division des intérêts étrangers de la légation suisse a également établi des passeports individuels de protection (entre 300 et 400), essentiellement à l’attention de ressortissants américains et britanniques. A partir d’août 1944, les Suédois établirent aussi des passeports de protection (Schutzpässe). La Hongrie en avait autorisé 4’500. Contrairement aux suisses, il s’agissait de documents individuels et non pas collectifs. GANN, Christoph, Raoul Wallenberg. So viele Menschen retten wie möglich. Munich, Beck, 1999, pp. 56 sq. Après l’arrivée au pouvoir des Croix-fléchées et le retour d’Eichmann, la sécurité que pouvaient procurer les lettres de protection se trouva encore plus incertaine. Le 18 octobre déjà, le nouveau ministre hongrois de l’Intérieur, Vajna, annonça que les lettres et autres documents de protection n’étaient plus reconnus par la Hongrie et que tous les Juifs devaient rejoindre immédiatement les maisons à étoile jaune. Les neutres et le CICR protestèrent. Le 29 octobre, grâce semble-t-il au ministre des Affaires étrangères, les documents furent à nouveau reconnus, à la condition toutefois que tous les porteurs de lettres soient regroupés dans des maisons protégées avant le 15 novembre; dès cette date, ces maisons constituèrent le ghetto international. A partir du 18 novembre, Gertrud Lutz apporta quotidiennement du thé et d’autres formes de soutien aux habitants de ce ghetto. Au vu du nombre de documents distribués et des faux qui n’avaient pas manqué de faire leur apparition, le nombre de porteurs de lettres dépassait celui des places disponibles. La police hongroise organisa des rafles à partir du 21 novembre et évacua des centaines de Juifs. Autre menace, les rafles opérées pour alimenter le contingent de travailleurs forcés obtenu par les Allemands pour des travaux de défense de Vienne. Ces rafles jetèrent des milliers de personnes affamées vers une briqueterie au Nord-Ouest de la ville, camp provisoire d’où elles étaient envoyées en direction de l’Autriche en colonnes de 1’000 personnes. C’est alors que Lutz reçut un ordre machiavélique du ministre hongrois de l’Intérieur. Dans cette briqueterie, il devrait identifier les lettres de protection falsifiées dont les détenteurs seraient contraints à la marche forcée. L’existence de ces falsifications était 64 L es J u s t es s u isses 32. Carl et Gertrud Lutz dans la briqueterie d’Óbuda «Des centaines de détenteurs de sauf-conduits avaient déjà été amenés à la briqueterie et il fallait contrôler d’innombrables papiers d’identité. Pour nous, c’était indubitablement la tâche la plus pénible jamais entreprise. Un jour, ma femme et moi nous restâmes debout quatre heures dans la neige et la glace, à l’intérieur de la briqueterie infâme d’Óbuda, à accomplir la triste tâche de trier les sauf-conduits. Nous assistâmes à des scènes déchirantes. Cinq mille malheureux étaient debout, en colonne, grelottants, tremblants, affamés, portant des petits baluchons d’effets personnels, et me montraient leurs papiers. Je n’oublierai jamais leurs visages épouvantés. La police devait intervenir constamment parce que les gens déchiraient presque mes vêtements en plaidant leur cause. C’était le dernier sursaut de leur volonté de vivre, avant de céder à une résignation qui se terminait habituellement par la mort. Pour nous, nous étions torturés mentalement de devoir trier ces documents. Nous vîmes des êtres humains frappés avec des fouets à chiens. Nous-mêmes étions menacés ouvertement si nous intervenions.» d’autant moins un secret de polichinelle que, sur certaines lettres, le mot «Suisse» contenait une faute d’orthographe. Ceux qui possédaient une lettre non falsifiée pourraient retourner à Budapest. Dans le cas où Lutz refusait, tous seraient déportés. C’est avec son épouse Gertrud qu’il dut exécuter cette tâche inhumaine. Cette marche forcée en plein hiver fit des milliers de morts, tombant d’épuisement au bord de la route ou froidement abattus, malgré les efforts redoublés de Raoul Wallenberg, de Friedrich Born, le délégué du CICR, et de Carl Lutz, qui distribuaient secours et lettres de protection. II. 5.2. Le Bureau d’émigration de la légation de Suisse et la Maison de verre A l’origine, les lettres de protection délivrées par Lutz étaient destinées aux détenteurs d’un certificat palestinien. Ces documents étaient établis par l’Agence juive pour la Palestine et devaient être contresignés par les autorités britanniques. Le bureau de Budapest de l’Agence et son directeur exécutif, Moshe (ou Miklos) Krausz, collaboraient donc étroitement avec Lutz et sa Division des intérêts étrangers. Après le 19 mars 1944, ce bureau se vit contraint à fermer ses portes. Selon un arrangement passé avec Lutz, le bureau fut hébergé dans les locaux mêmes de l’ancienne légation des Etats-Unis et ses quelque 30 collaborateurs reçurent des laissezpasser suisses. L’office prit le nom de Bureau d’émigration30. A côté des collaborateurs de Lutz et de Krausz, des jeunes Juifs ont joué un rôle indispensable et souvent décisif dans le sauvetage de 65 30. Nous reprenons ici le terme utilisé par Lutz dans des rapports d’après-guerre. D’autres appellations ont circulé. L es 66 J u s t es s u isses L es J u s t es s u isses dizaines de milliers de Juifs de Hongrie. Ces jeunes pionniers – ou Chalutzim – ont rempli les fonctions d’informateurs, d’agents de liaison, de surveillants des maisons protégées et, enfin, de ravitailleurs. Environ 200 d’entre eux tombèrent sous les coups ou les balles des nazis et des Croix-fléchées. Maillons indispensables, les Chalutzim avaient leur quartier général dans la cave de l’ancienne légation des Etats-Unis et Lutz leur donna des papiers d’identité suisses. L’un de ces pionniers – Alexander Grossman – s’établit en Suisse après la guerre; il allait rédiger la première biographie de Lutz. La foule qui se pressait chaque jour devant le Bureau d’émigration de la légation de Suisse pour tenter d’obtenir des lettres de protection obligea à explorer de nouvelles voies pour éviter des représailles allemandes à l’égard d’un bâtiment américain que la Suisse s’était engagée à protéger. La solution s’appela Maison de verre. Ce bâtiment avec de larges vitres se trouvait dans le même quartier, rue Vadász, et appartenait à Arthur Weisz. Lutz lui proposa de travailler dans le Bureau d’émigration et de reloger celui-ci dans la Maison de verre, qui deviendrait une annexe de la légation de Suisse, bénéficiant de son immunité diplomatique. L’industriel Weisz, qui n’avait plus d’emploi, accepta avec reconnaissance. Le ministère hongrois donna son feu vert à la solution. 67 La Maison de Verre à Budapest L es J u s t es s u isses Le 24 juillet, le Bureau d’émigration déménagea à la Maison de verre. Après la prise du pouvoir par les Croix-fléchées, ce bâtiment de trois étages avec cour intérieure devint rapidement un abri pour persécutés. A la fin du mois d’octobre, ils étaient déjà 800 à s’y entasser. Un immeuble adjacent ainsi qu’un troisième bâtiment dans le même quartier (rue Wekerle) s’ajoutèrent à la Maison de verre et plus de 4’000 personnes y trouvèrent refuge. La situation était effroyable: les Chalutzim tentaient de ravitailler les milliers de locataires de la Maison de verre et à l’origine il n’y avait qu’un cabinet de toilettes. Quant à l’ancienne légation des Etats-Unis, place de la Liberté, elle a abrité jusqu’à 130 personnes, y compris des chefs de la communauté juive de Budapest et des Juifs américains. II.5.3. Achever le sauvetage dans Pest assiégée: Peter Zürcher et Ernst Vonrufs Résidence à Buda et bureau à Pest, dans les bâtiments des deux principales puissances dont il devait protéger les intérêts: des choix s’imposaient pour Carl Lutz en cas de rupture des communications entre les deux quartiers de la ville. Il anticipa ce moment et, avec l’aval de Berne, désigna pour le représenter à Pest deux Suisses qui avaient rejoint son service peu auparavant: Peter Zürcher et Ernst Vonrufs, actifs depuis plusieurs années dans l’industrie textile de la capitale hongroise. Ils “succédèrent” à Lutz fin 1944. Peter Zürcher Leur engagement se révéla de courte durée, Pest étant libérée du joug des nazis et des Croix-fléchées le 18 janvier 1945. Mais combien important, puisque le quartier abritait les 76 maisons protégées suisses du ghetto international, la Maison de verre et le grand ghetto où s’entassaient quelque 70’000 Juifs, dont des porteurs de lettres de protection de la Suisse et du CICR. Des bandes de Croix-fléchées multipliaient les attaques contre ces trois îlots dont l’existence venait leur rappeler l’échec des maîtres qu’ils avaient suivis aveuglément. La nuit de la Saint-Sylvestre, les bandes Croix-fléchées attaquèrent la Maison de verre, tirant des coups de feu et lançant une grenade. 800 personnes furent mises à la rue. Alertés, Zürcher et Vonrufs intervinrent. Le calme revint finalement, mais Arthur Weisz y perdit la vie. La situation devenait toujours plus chaotique. Tirs et incendies rythmaient les jours et les nuits d’un hiver particulièrement froid. 68 L es J u s t es s u isses Le gouvernement était replié à Sopron, près de la frontière autrichienne. Des bandes de Croix-fléchées toutes-puissantes poursuivaient les rafles; elles avaient ainsi capturé près de 300 Juifs dans les maisons protégées suédoises, puis les avaient abattus sur les rives du Danube et jeté leurs cadavres à l’eau. Zürcher et Vonrufs avaient encore deux interlocuteurs chez les Croix-fléchées: le maire de Budapest et le représentant à Budapest du gouvernement, Ernö Vajna, le frère du ministre de l’Intérieur. Le premier leur déclara qu’il respecterait l’immunité diplomatique des bâtiments, mais pas de leurs occupants juifs. Début janvier 1945, toute l’œuvre de sauvetage mise sur pied par Lutz et son équipe se trouvait donc menacée. Les deux Suisses obtinrent du commandant militaire de Pest que les SS protègent l’ancienne légation américaine. Dans les maisons protégées du ghetto international, des bandes de Croix-fléchées capturèrent 5’000 Juifs, puis les placèrent dans le grand ghetto, surpeuplé et objet d’attaques incessantes. Un sort identique menaçait les 12’000 Juifs protégés par la Suisse qui se trouvaient encore dans le ghetto international. Mais Zürcher et Vonrufs négocièrent avec Ernö Vajna et cherchèrent surtout à gagner du temps avant l’arrivée de l’armée Rouge. La dernière alerte eut lieu le 15 janvier. Zürcher et Vonrufs eurent vent de préparatifs d’une attaque d’envergure contre le grand ghetto. Ils coururent avertir l’adjoint au maire, qu’ils savaient sensible à des arguments humanitaires. L’arrivée des Suisses semble avoir achevé de convaincre Pál Szalay de réagir, en sortant le grand jeu: il menaça le général allemand Schmidthuber de le traduire en justice aprèsguerre s’il ne protégeait pas le grand ghetto avec ses hommes. Schmidthuber acquiesça, l’attaque n’eut pas lieu. II.5.4. Friedrich Born et la protection des enfants A côté de l’armée Rouge, des acteurs diplomatiques, des pionniers et autres résistants juifs, les acteurs humanitaires ont également joué un rôle très important dans le sauvetage des Juifs de Budapest. Dans le domaine humanitaire, si une institution pouvait se doter de moyens d’envergure en raison de son statut, c’était bien le Comité international de la Croix-Rouge. Certes, le rôle traditionnel de délégué du CICR, celui que lui conféraient les Conventions de Genève de 1929, consistait à protéger et à assister les prisonniers 69 Ernst Vonrufs L es Friedrich Born J u s t es s u isses de guerre et les civils ennemis internés. Au sens strict, cette mission excluait les victimes de la Shoah, persécutés raciaux. Il y a près de vingt ans déjà, l’historien Jean-Claude Favez a consacré une brillante étude au dilemme auquel le CICR fut confronté durant la Seconde Guerre mondiale: dans une Europe longtemps dominée par le Reich, apporter un soutien trop visible aux victimes qui en avaient le plus besoin – les Juifs – n’empêcherait-il pas de secourir d’autres victimes, pas nécessairement menacées dans leur vie mais auxquelles des conventions internationales exigeaient qu’il apporte un secours? Le Reich ne tirerait-il pas prétexte que le CICR s’occupe trop des Juifs pour lui interdire de s’occuper des prisonniers de guerre et des réfugiés civils sur les vastes territoires qu’ils contrôlait, entraînant des représailles alliées, réduisant le CICR à l’impuissance et minant durablement sa crédibilité? Longtemps, l’institution genevoise s’est attachée à ne pas sortir de sa mission stricte. Et les instructions données au premier délégué envoyé en Hongrie, Jean de Bavier en octobre 1943, allaient encore dans ce sens. Sur place, de Bavier prit toutefois clairement conscience des menaces qui pesaient sur la grande communauté juive. Le 18 février 1944, il écrivait à la Centrale: «Un problème d’une extrême gravité risque de se poser ici en cas d’occupation allemande. Il s’agit du sort des huit cent mille israélites hongrois qui vivent en Hongrie. En ayant à l’esprit ce qui se passe en Allemagne et dans les territoires occupés, il serait urgent que vous m’indiquiez sous quelle forme une protection pourrait leur être offerte afin d’atténuer les maux qui les menacent. Je vous serais reconnaissant de toutes les instructions à cet égard afin de ne pas abandonner cette population.» 31 Le message ne parvint toutefois à Genève que le 14 mars 1944. 31. Cité in BEN-TOV, Arieh, Face au génocide. La Croix-Rouge et les Juifs de Hongrie, 1941-1945. Lausanne, Payot, 1997, p. 63. 32. Cité ibidem, p. 90. L’occupation allemande, le 19 mars, entraîna un changement de délégué. Le Bernois Friedrich Born, très bon connaisseur de la Hongrie où il représentait depuis plusieurs années l’Office suisse d’expansion commerciale, succéda à un Jean de Bavier qui ne maîtrisait pas l’allemand. Arrivé à Budapest en mai, il réclama lui aussi des directives nouvelles: «L’idée d’assister impuissant et désarmé à ces événements funestes m’est presque insupportable»32. De fait, Born allait beaucoup s’engager en faveur des Juifs de Budapest, particulièrement après l’arrivée au pouvoir des Croix-flé- 70 L es J u s t es s u isses cheés. Sa délégation compterait jusqu’à 250 personnes, pour l’essentiel du personnel local. La synthèse de ses activités, un rapport de juin 1945, comporte 68 pages bien serrées. On peut toutefois dégager trois actions principales: les secours matériels, les lettres de protection et surtout les foyers et hôpitaux. Et une attention toute particulière portée aux enfants. Avec l’accord, âprement négocié, du gouvernement hongrois, Born et ses collaborateurs portèrent secours aux Juifs déportés dans les camps de concentration de Kistarcsa et de Szarvar, ainsi que dans les ghettos de la capitale. Des organisations de secours, principalement américaines, fournirent les fonds nécessaires à l’achat de vivres, de vêtements et de médicaments qu’il s’agissait ensuite de distribuer. Cette tâche revint en particulier à la section A de la délégation du CICR, section créée en septembre 1944 et dont le seul mandat consistait à protéger et à secourir les Juifs persécutés. Born plaça à sa tête Otto Komoly, président de l’Organisation sioniste hongroise; les Croix-fléchées allaient l’abattre début 1945. Friedrich Born et son équipe vouèrent une attention toute particulière au sauvetage des enfants dont les parents avaient été déportés ou restaient introuvables. Contre les bandes de Croix-fléchées et contre les Allemands, il ne suffisait pas de leur porter secours dans les ghettos, les camps, les foyers ou les hôpitaux. Il fallait encore leur assurer une protection aussi solide que possible. La solution la plus fiable, que Born réussit à obtenir après de nombreuses démarches, consista à faire reconnaître par les autorités hongroises un statut d’exterritorialité pour les établissements où ces enfants se trouvaient regroupés. Toute personne souhaitant y entrer devait présenter un laissez-passer délivré par la délégation du CICR. Born obtint la reconnaissance de ce statut non seulement pour des établissements existants mais aussi pour ceux que lui et son équipe mettraient sur pied. Il installa ainsi un hôpital pédiatrique de fortune dans un collège abandonné et lui annexa une petite maternité. Des familles mirent gratuitement à disposition des maisons pour créer des foyers pour enfants. En juin 1945, Born fit état de plus de 150 établissements placés sous la protection du CICR: foyers, hôpitaux, cantines populaires, dépôts de vivres, appartements de Juifs travaillant en collaboration avec la délégation. Parmi eux, on comptait 60 foyers hébergeant 7’000 enfants. Cette protection restait malgré tout précaire. Lors de la création du grand ghetto en novembre 1944, ordre fut donné d’y confiner 71 L es J u s t es s u isses également les Juifs des foyers et hôpitaux placés sous la protection du CICR. Born parvint à éviter que la mesure s’applique à certains de ses protégés. Il réussit également à faire ressortir 500 enfants du grand ghetto. Victoires certes partielles, mais combien importantes. Des bandes de Croix-fléchées s’attaquèrent aussi à des hôpitaux protégés. Born dut intervenir personnellement pour faire respecter le statut d’exterritorialité de ces bâtiments. Malheureusement, et quelques jours seulement avant l’arrivée des troupes soviétiques, il ne put empêcher le pire. Une bande massacra sauvagement les malades et le personnel soignant de l’hôpital juif situé rue Varosmajor. Le carnage fit 154 morts. A partir de septembre 1944, Born délivra également des lettres de protection du CICR, 30’000 au total selon son rapport. Il les distribua à ses collaborateurs juifs, puis à tous ceux qui pouvaient se prévaloir d’un lien quelconque avec la délégation du CICR, ainsi qu’à des détenteurs d’un certificat palestinien. II.5.5. Les caches: résidences diplomatiques, couvent, maison privée Avec celui procuré par le consul de Suisse à Bratislava33, les abris offerts par Harald Feller d’une part, par Gertrud et Carl Lutz d’autre part constituent les seuls exemples connus de caches dans des résidences de diplomates suisses durant la guerre. 33. Max Grässli et sa femme ont caché des Juifs dans leur demeure. FAVEZ, Jean-Claude, Une mission impossible? Le CICR, les déportations et les camps de concentration nazis. Lausanne, Payot, 1989, p. 280. L’avocat bernois Harald Feller avait rejoint la légation de Suisse à Budapest en 1943 avant d’en assumer la direction effective à partir du 12 décembre 1944. Après l’arrivée au pouvoir des Croix-fléchées, le ministre Maximilian Jaeger était parti sans retour – manière pour Berne de prendre ses distances avec le nouveau régime. Son adjoint, Anton Kilchmann, fut rapidement rapatrié pour raisons de santé. Dès lors, Feller, supérieur hiérarchique de Lutz, puis de Zürcher et de Vonrufs, se dépensa sans compter, prenant souvent de grands risques. Sur ordre de Berne, il avait dû évacuer quatre Suissesses d’origine juive qui avaient perdu leur nationalité en raison de leur mariage avec des Hongrois. L’une d’elles était la Saint-Galloise Berta Rottenberg-Passweg, accompagnée ses deux filles: Eva, sept ans, et Vera, six semaines, qui deviendrait la première femme à exercer la fonction de juge fédéral. Harald Feller se démena pour organiser le voyage à travers la Hongrie, puis l’Autriche. Fin 1944, Feller fut arrêté par des Croix-fléchées et soumis à un interrogatoire musclé de plusieurs heures à leur quartier général. Les 72 L es J u s t es services secrets soviétiques le capturèrent le 16 février 1945 pour des raisons qui restent en partie obscures. Il passa une année dans les geôles moscovites avant de bénéficier d’un échange de diplomates suisses capturés par Moscou contre des Soviétiques internés dans notre pays durant la guerre. Harald Feller organisa deux caches, l’une dans sa résidence privée, l’autre dans la chancellerie de la légation suisse, qui se trouvait depuis mi-novembre dans le palais Esterházy à Buda. s u isses 34. Le voyage de Berta Rottenberg et ses filles de Budapest à Saint-Gall ««Nous avions été installées dans une maison, le Swiss Home, en attendant notre départ. Ma mère, enceinte, tremblait de devoir partir avant d’avoir accouché. Ma sœur est née le 15 août, nous avons quitté Budapest début octobre. Monsieur Feller, qui s’était occupé de nous et avait organisé le voyage, avait cependant averti ma mère qu’une fois hors de Hongrie, il ne pourrait plus rien pour nous et que nous voyagions sous notre responsabilité. Je n’oublierai jamais la nuit que nous avons dû passer à Vienne». Eva Koralnik[-Rottenberg] évoque avec effroi rétroactif le scénario incroyable que le diplomate Feller avait réussi à mettre sur pied dans la Vienne nazie […]. «Des officiers SS sont venus nous chercher sur le quai. Ma mère qui était terrorisée, souhaitait rester à la gare pour attendre le train pour la Suisse qui devait partir tôt le lendemain matin. Mais on nous a dit que nous devions être protégées et qu’il était impensable de laisser quatre femmes suisses avec enfants seules à la gare. On nous a emmenées au quartier général des SS». […] Les quatre femmes ont dû déposer leurs bagages à la réception. Le lendemain matin, tout avait disparu. «Les SS nous ont ramenées à la gare. J’avais reçu pour consigne de ne jamais dire que j’étais juive et, si on me demandait où était mon père, de répondre qu’il était soldat au front». Interné dans un camp de travail en Hongrie, Willi Rottenberg a pu rejoindre, non sans difficulté, sa famille en Suisse après la guerre»». Dans sa résidence privée, il cacha au total neuf Juifs pendant plusieurs mois, assurant également leur entretien à ses propres frais. L’un d’eux était le poète Gábor Devecseri, traducteur hongrois de Carl Spitteler et de Gottfried Keller, que sa femme et ses deux fils allaient rejoindre; fin décembre, prenant de gros risques, Feller sortit du ghetto les beaux-parents de Devecseri et les emmena chez lui. Après l’arrivée au pouvoir des Croix-fléchées, il accorda aussi l’asile à Gyula Molnar, un Juif qui avait épousé la Suissesse Viola Goldberger dont il facilita le départ pour la Suisse, ainsi qu’à un ami de Molnar. Dans le bâtiment de la chancellerie de la légation, palais Esterházy, Feller cacha une cinquantaine de personnes dont près de 40 étrangers. Parmi eux se trouvaient le ministre de Suède, Danielsson, et la plupart de ses collaborateurs, sauf Wallenberg qui poursuivait avec détermination et courage son action de sauvetage sous les tirs allemands et soviétiques. Les Suédois représentaient les intérêts soviétiques et, la veille de Noël, des bandes de Croix-fléchées 73 L es J u s t es s u isses avaient attaqué leur légation. Pour des raisons de sécurité, à la même époque, Feller avait conduit dans l’abri antiaérien du palais les personnes qui avaient trouvé refuge dans sa résidence privée. Six ou sept bombes étaient tombées sur le palais, une bombe de 1’000 kilos se trouvait dans le jardin sans avoir explosé34. Les personnes ayant trouvé refuge dans l’ancienne légation de GrandeBretagne, dont Carl Lutz (sur la droite avec un chapeau), Gertrud Lutz (au milieu) et, devant elle, la petite Agnes et, à sa gauche, la mère de celle-ci Magda Csányi 34. Sur ceci, Archives fédérales suisses, E 2001 (D) 7, vol. 15, Zwischenbericht von Oberrichter Kehrli vom 14. Mai 1946, pp. 60-62 et Bericht von Oberrichter Kehrli vom 27. Juli 1945, p. 82. 35. Récit publié in KANYAR BECKER, Helena (Ed.), Gertrud Lutz-Fankhauser: Diplomatin und Humanistin. Bâle et Berne, 2006, pp. 18-29. Enfin, troisième cache diplomatique importante située à quelques centaines de mètres des deux autres, la résidence de Carl et Gertrud Lutz dans le bâtiment de l’ancienne légation de Grande-Bretagne. Plus petit et moins bien protégé que celui de la chancellerie au palais Esterházy, l’abri antiaérien servit tout de même de refuge à une vingtaine de personnes entre Noël et le 12 févier 1945. Au personnel de maison de la légation suisse s’ajoutaient une famille britannique et quelques Hongrois, dont une mère et sa jeune fille; Carl Lutz allait épouser Magda Csányi en 1949 et adopter sa fille Agnes. Dans des circonstances là aussi très difficiles (il n’y eut très vite ni lumière ni nourriture), Gertrud Lutz se dépensa sans compter. En 1978, elle a fait le récit de ces six semaines d’angoisse quotidienne, mais aussi de compassion et d’entraide35. Des couvents servirent aussi de refuge. Sœur Hildegard Gutzwiller, une Bâloise, était depuis 1934 la Mère supérieure du couvent du Sacré-Cœur à Budapest. Plusieurs bâtiments appartenaient au couvent: le collège du Sophianum, place Mikszath Kalman, un autre collège, le Philippineum, et une maison de retraite. Dans ses souvenirs rédigés en février-mars 1945 et publiés par son neveu en 1998, Sœur Gutzwiller indique que les bâtiments du Sacré-Cœur ont offert un refuge à 250 personnes. Les bâtiments bénéficiaient certes de la protection diplomatique de la Suisse et du Vatican, mais ils manquaient d’abris antiaériens: que les 250 réfugiés et les religieuses survécurent au siège de Budapest et aux bombardements tient donc du miracle. Parmi les réfugiés se trouvaient près de 40 femmes et enfants juifs qui avaient demandé de l’aide à Sœur Gutzwiller. La Bâloise, dont le nom figure sur la plaque honorifique de la grande synagogue de Budapest, devint Mère supé- 74 L es J u s t es s u isses rieure d’un couvent du Sacré-Cœur en Autriche, puis en Allemagne où elle s’éteignit en 1957. Les caches dans des maisons présentaient de plus grands risques. Des dénonciations pouvaient survenir au moindre mouvement suspect. A cet égard, la villa que l’industriel suisse Otto Haggenmacher possédait près de la colline Gellert à Buda offrait deux avantages. Elle était éloignée de la rue et disposait de grandes pièces à l’abri des regards. Haggenmacher entretenait des contacts réguliers avec le pasteur hongrois Gábor Szethlo, responsable de la section B de la délégation du CICR, qui gérait une partie des foyers pour enfants. Il accepta d’héberger dans sa villa une trentaine d’enfants juifs, dont de nombreux orphelins. Haggenmacher fit plus: pendant plusieurs mois, il paya de sa poche l’entretien de ces enfants qui ont tous survécu à la guerre. Sœur Hildegard Gutzwiller II.5.6. Bilans et destins On estime à 565’000 le nombre de Juifs de Hongrie ayant péri durant la Shoah, dont 60’000 avant l’occupation allemande. Un Juif sur cinq ayant péri venait de la capitale, qui comptait en 1945 environ 130’000 survivants. Déterminer qui a sauvé les Juifs de Budapest a été une question controversée depuis la guerre, et le reste36. Habituellement, Carl Lutz est crédité du sauvetage de 62’000 Juifs. Ce chiffre a été avancé en décembre 1948 par l’ancien président de l’Organisation sioniste hongroise, Michael Salamon, dans une lettre à Carl Lutz37. Les pionniers juifs (Chalutzim) ont joué un rôle décisif dans la défense de la Maison de verre et du ghetto international, ainsi que dans la distribution de documents de protection falsifiés. Il ne faut pas sous-estimer leur rôle, ni celui de Peter Zürcher et de son adjoint Ernst Vonrufs. Depuis Noël 1944, alors que Carl Lutz restait à Buda, ils ont repris son flambeau à Pest, avec détermination et courage – qualités dont ont aussi fait preuve alors Raoul Wallenberg, Friedrich Born et Harald Feller. Capturé par les Soviétiques en 1945, comme le Suédois Wallenberg, Harald Feller revint en Suisse après une année passée dans les geôles moscovites. Il quitta la diplomatie peu après et fit carrière dans la justice bernoise. Carl Lutz acheva sa carrière consulaire à Bregenz dans un poste qu’il voulait proche de la Suisse pour raisons de santé. Friedrich Born quitta le CICR. 75 36. Sur cette controverse, voir en particulier BRAHAM, Randolph L., «Rettungsaktionen: Mythos und Realität» in MIHOK, Brigitte (Ed.), Ungarn und der Holocaust. Kollaboration, Rettung und Trauma. Berlin, Metropol, 2006, pp. 15-40. Les chiffres utilisés ici proviennent de cet article. 37. Lettre Salamon du 24.12.1948, Archiv für Zeitgeschichte (Zurich), Nachlass Lutz. Il s’agit bien de Salamon et de 1948, et non de Salomon et de 1949 comme l’indique Theo TSCHUY (op. cit, p. 335). L es J u s t es s u isses 35. Bilan des sauvetages selon l’historien Yehuda Bauer «Ce tableau des événements diffère de celui qu’on a présenté jusqu’ici. D’abord, les mouvements de jeunesse sionistes eurent un rôle décisif. Certes, ils n’auraient rien accompli sans le soutien des neutres – mais l’inverse est également vrai. Ils ont sauvé des dizaines de milliers de personnes. On a célébré les non-Juifs héroïques qui ont fait de grands sacrifices – y compris celui de leur vie dans le cas de Wallenberg – pour arracher des Juifs à la mort, et cela est compréhensible. Mais le fait est qu’il n’y eut pas seulement des «Gentils justes» à Budapest – Wallenberg, Lutz, Born, Rotta (le nonce apostolique), Perlasca: il y eut aussi des «justes juifs». Ils ne recherchaient pas plus la gloire que leurs homologues non juifs, et ils nouèrent des amitiés durables avec ceux-ci; mais lorsque vint le moment d’écrire l’histoire, après la guerre, ils furent tout simplement oubliés. Après tout, n’étaitil pas tout à fait normal, de leur part, de s’être portés au secours de leurs coreligionnaires? […] Une seconde rectification est nécessaire, quelque délicate qu’elle soit, puisqu’elle touche Wallenberg, ce banquier suédois effacé qui fut un héros authentique. Mais s’il était resté des nôtres, il aurait été le premier à démentir certains récits, et surtout les chiffres énormes qui ont circulé. Il aurait dit que s’il avait sauvé 4’500 Juifs avec ses passeports et permis d’en fabriquer quelques milliers de plus, pourquoi fallait-il qu’on lui attribuât le salut de 100’000 Juifs comme d’aucuns l’ont fait38? Y a-t-il beaucoup de gens, durant le Génocide, pour sauver, à eux seuls, 4’500 personnes? Parce que les Suisses accomplirent bien plus, Wallenberg en est-il moins admirable? Pour récapituler, Lutz et les Suisses protégèrent les 21’000 personnes déjà mentionnées [ceux du ghetto international et de la Maison de verre], plus 26’000 Juifs des ghettos qui détenaient des documents officiels ou fabriqués, 10’000 membres des bataillons de travail qui en reçurent par diverses voies, et ils recommandèrent à d’autres légations neutres encore 5’000 Juifs – soit au total, 62’000 personnes sauvées.» 38. Par exemple son ancien collègue, le diplomate Per Anger. Voir son avant-propos in LARSSON, Jan, Raoul Wallenberg. Stockholm, the Swedish Institute, 1995, pp. 3-4. Ni les actions des Suisses à Budapest, ni les acteurs eux-mêmes n’attirèrent beaucoup l’attention dans notre pays après la guerre, que ce soit auprès des autorités ou dans le public. Certes, le conseiller fédéral Markus Feldmann a vanté les mérites de Lutz devant le Conseil des Etats en mars 1948 et le journaliste Werner Rings a réalisé dans les années 1960 une série télévisée puis un ouvrage (Advokaten des Feindes) thématisant les activités de délégués du CICR et de diplomates suisses à l’étranger durant la guerre (dont celles de Lutz, Zürcher et Vonrufs). Il fallut néanmoins attendre la fin des années 1980 et le début des années 1990 pour que leurs actions deviennent mieux connues et reconnues: deux ouvrages sur Carl Lutz, un sur Born, un monument érigé à Budapest. Le mouvement ne ralentit guère: en décembre 2006, les Américains ont inauguré un monument Carl Lutz à Budapest, place de la Liberté, devant leur ambassade. Mais les Justes suisses restent méconnus. Cela vaut aussi pour ceux qui étaient actifs à Budapest: bien que son nom soit inscrit sur une plaque de la grande synagogue de Budapest, qui, dans notre pays, connaît Sœur Hildegard Gutzwiller et son action de sauvetage? 76 L es J u s t es s u isses II.6. Prague et la Pologne, lieux d’action de Justes fameux ayant un lien étroit avec la Suisse Un descendant de famille noble autrichienne qui a aidé l’amie de Franz Kafka, le «Schindler de Prague» et une artiste peintre polonaise: tous trois ont été honorés par Yad Vashem et ont un lien étroit avec la Suisse. Sans présenter ici de manière détaillée leurs actions ni le contexte de celles-ci – tant on peut contester leur statut de «Juste suisse» – les évoquer en guise de conclusion présente toutefois un intérêt indéniable. On parlera aussi de deux autres Polonaises qui s’établirent en Suisse une vingtaine d’années avant d’être honorées par Yad Vashem. Gardons à l’esprit que porter secours à des Juifs en Pologne était extrêmement risqué et se soldait par la peine de mort en cas de découverte. Depuis l’occupation de la Bohême et de la Moravie en mars 1939, Milena Jesenska, l’amie de Franz Kafka, organisait à partir de sa maison de Prague la fuite à l’étranger d’opposants au nazisme, pour la plupart des Juifs. Un de ses principaux soutiens fut le descendant d’une famille noble autrichienne, Joachim von Zedtwitz, que son opposition au nazisme avait conduit à Prague après l’Anschluss. Von Zedtwitz emmena plusieurs persécutés dans sa voiture jusqu’à la frontière. Milena Jesenska fut arrêtée en 1939 et mourut au camp de Ravensbrück. Joachim von Zedtwitz fut arrêté en mars 1940, maintenu en détention quinze mois. Il quitta la Tchécoslovaquie en 1948 et arriva en Suisse comme apatride. Il acquit la nationalité suisse dans les années 1980. Yad Vashem l’honora en 1994. Le peu que nous savons du destin de Bill Barazetti a tout du roman d’aventure. Il est né en Suisse en 1914 en portant le prénom de Werner Theodor. Deux ans plus tard, son père quittait le pays, renonçait à la nationalité suisse et germanisait son nom de Barazetti en Freyenried. Après des études à Hambourg, le jeune Werner Freyenried partait pour Prague, poussé par son opposition au nazisme, et semble y avoir exercé des activités de renseignements. Il devenait tchécoslovaque par mariage en 1936. L’année suivante, il tentait en vain de recouvrer la nationalité suisse. C’est à Prague qu’il a organisé en 1939 et avec Nicholas Winton le départ en train vers la Grande-Bretagne de plus de 660 enfants Juifs. La Gestapo l’arrêta, mais un oncle, colonel de l’armée suisse, obtint sa libération à la condition qu’il cesse ses activités de renseignements pour les Tchèques et rejoigne la Suisse; Freyenried parvint à s’enfuir et à 77 L es J u s t es s u isses rallier Londres. Il devint citoyen britannique, travailla notamment dans des organisations internationales. Il reprit son premier nom de famille, Barazetti, et changea son prénom. Honoré par Yad Vashem en 1993, on peut lire sur la plaque qui lui est dédiée: «Bill Barazetti Le Monnier Switzerland». Il avait ainsi souhaité ajouter le nom de son arrière-grand-mère et celui du pays où il est né. En octobre 2000, le Times lui a consacré une longue notice nécrologique sous le titre: «Bill Barazetti. The Schindler of Prague». Irena Zadarnowska Anna Paszkiewicz C’est en décembre 1964 déjà que Yad Vashem a honoré Irena Zadarnowska. Artiste peintre de formation, elle vivait avec son mari à Zoludek dans l’Est de la Pologne (aujourd’hui Zheludok en Biélorussie), localité qu’elle quitta pour Vilnius en Lituanie à l’arrivée des Russes en septembre 1939. A Vilnius, elle fit la connaissance de Miriam (Masha) Pereworska et de sa jeune fille. En lançant l’attaque contre l’Union soviétique en juin 1941, les Allemands occupèrent rapidement la Lituanie, commencèrent à ériger le ghetto de Vilnius en septembre déjà. Les Zadarnowska, qui étaient retournés à Zoludek à l’arrivée des Allemands, firent venir Miriam et sa fille et les logèrent dans leur maison. Le mari d’Irena fut arrêté et mourut au camp de Dachau. Elle-même et les deux Pereworska finirent par passer la frontière suisse en avril 1945. De 1945 à sa mort en mars 1986, Irena Zadarnowska a vécu à Zurich. Elle a poursuivi une carrière d’artiste peintre dont les œuvres accordent une large place à la Toscane. En été 1981, le Musée polonais de Rapperswil a consacré une exposition à sa vie et à son œuvre. La famille Paszkiewicz vivait dans l’Est de la Pologne et possédait une petite maison de campagne à Wysokie Litwewskie. Le père fut arrêté à l’arrivée des Soviétiques en 1939, puis envoyé en Sibérie. Sous l’occupation allemande, dès 1941, Anna Paszkiewicz et ses trois enfants hébergèrent pourtant dans leur petite maison de campagne de nombreuses personnes persécutées. Sa fille se souvient aujourd’hui qu’il y avait une famille par chambre, mais sa mère ne lui en a jamais révélé l’identité, ni à l’époque ni ultérieurement. L’une des familles – la fille l’apprit en lisant la notice biographique de sa mère publiée en 2004 par Yad Vashem – était Eugenia Wirszubska et ses deux filles Regina et Ada, emprisonnées dans le ghetto de Pruzana. 78 L es J u s t es s u isses En octobre 1942, alors que des rumeurs circulaient sur la liquidation du ghetto, elles contactèrent une amie, Anna Paszkiewicz. Celle-ci parvint à les faire sortir, les hébergea trois mois et obtint pour elles de faux papiers, ce qui leur permit de survivre jusqu’à la libération. Anna Paszkiewicz arriva en Suisse vers 1970 et épousa un Bernois, M. Margulies. Elle habita à Baden jusqu’à son décès en 1993. Alicja Seipp partageait avec sa mère un tout petit appartement d’un quartier de Varsovie. Elles y hébergèrent toutefois Aleksander Bronowski pendant plusieurs mois de 1943, ainsi que, pour des périodes plus courtes, sa femme et sa fille, ce qui permit à ceux-ci de survivre à la Shoa. De forts liens d’amitié se nouèrent entre les deux familles. Alors que les Bronowski immigraient en Israël après la guerre, Alicja Seipp gagna l’Allemagne, puis les Etats-Unis. Avec son mari, Oldrich Cerny, elle s’établit en Suisse dans les années 1960. Le couple, qui possède la citoyenneté américaine, vit à Genève. 79 Alicja Cerny-Seipp III. Notices biographiques Les informations relatives à la nationalité ont été établies sur la base des archives de M. Herbert Herz39, d’entretiens avec M. Milorad Tosic (25 novembre 2006), Mme Alicja Cerny-Seipp (21 mai 2007) et Mme Wanda Brysz (21 mai 2007), ainsi que d’échanges de courriels avec Mmes Irena Steinfeldt de Yad Vashem (22 août 2006), Limore Yagil (2 septembre 2006), Ruth FivazSilbermann (31 octobre 2006). La date de la nomination comme Juste est celle de la décision de Yad Vashem. Elle n’est suivie de la date de remise de la médaille que lorsque celle-ci nous est connue. Le renvoi en fin de notice indique la section de la partie II de l’ouvrage dans laquelle l’action du Juste est présentée de manière plus détaillée. III.1. Justes possédant la nationalité suisse au moment de leur action BARRAS, Emile (1921 – 1996) 39. Depuis lors, M. Herbert Herz a déposé ses archives à Archiv für Zeitgeschichte à Zurich (www.afz.ethz.ch). 40. Selon courriel de Yad Vashem à l’auteur du 16 août 2006, il a été honoré en même temps que Joseph Fournier. Le Dictionnaire des Justes de France indique le 3 mars 1996. Double-national né à Avry-devant-Pont (Fribourg), il est ouvrier agricole à Viry (Haute-Savoie). Il fait passer la frontière à des militaires d’armées alliées ainsi qu’à plusieurs groupes d’enfants juifs convoyés jusqu’en Savoie par des organisations clandestines juives. Dans ce cadre, il travaille avec Joseph Fournier et Marianne Cohn, laquelle meurt sauvagement torturée et assassinée par des Allemands. Honoré par Yad Vashem en septembre 199540. Médaille remise, à titre posthume, le 30 juin 1996 à Viry (France). • 2.6 BEETSCHEN, Louis-Maxime (1898 – 1958) Cultivateur à Douvaine (Haute-Savoie), il accueille temporairement dans sa ferme plusieurs familles juives à la demande du père Jean-Joseph Rosay, et cela avant leur passage en Suisse. Il héberge également une fillette juive de façon permanente. Honoré par Yad Vashem en 1987. Médaille remise, à titre posthume, • 2.7 le 7 mai 1990 à Douvaine (France). 80 L es J u s t es s u isses BEETSCHEN née BULLAT, Léontine (1898 – ?) Epouse de Louis-Maxime Beetschen, cultivateur à Douvaine (Haute-Savoie) qui accueille temporairement plusieurs familles juives. Honorée par Yad Vashem en 1987. Médaille remise, en mains propres, le 7 mai 1990 à Douvaine (France). • 2.7 BERCHMANS, Sœur Jeanne (Marie MEIENHOFER) (1897 – ?) Née à Bremgarten (Argovie), elle entre en 1924 dans la congrégation du SacréCœur. Durant la guerre, elle est enseignante au pensionnat du couvent de la congrégation à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie). A la demande du père JeanJoseph Rosay, curé de Douvaine, elle y cache jusqu’à la Libération trois Juifs de Vienne. Honorée par Yad Vashem en 1991. Médaille remise, en mains propres, le 9 décembre 1991 dans la maison de retraite des religieuses de Givisiez (Fribourg). • 2.7 BOHNY née REITER, Friedel (1912 – 2001) Née à Vienne, elle arrive en Suisse en 1920 avec un train d’enfants. Suissesse depuis 1932, infirmière de formation, elle arrive en novembre 1941 au camp d’internement de Rivesaltes (France) pour le compte de la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE). En août 1942, elle sauve plusieurs enfants en les extrayant d’une file d’attente d’un train de déportation, puis en les cachant dans des entrepôts. Après la fermeture du camp en novembre 1942, elle dirige un foyer pour enfants de la CRS, SE au Chambon-sur-Lignon et épouse le responsable de la CRS, SE au Chambon, August Bohny. Son journal est édité en 1993 par l’historienne Michèle Fleury-Seemuller (Journal de Rivesaltes 19411942, Zoé), et la cinéaste Jacqueline Veuve en tire un film en 1997. Honorée par Yad Vashem en 1990. Médaille remise, en mains propres, en octobre 1990 au Chambon-sur-Lignon (France). • 2.2 BOHNY, August (1919 – ) Instituteur bâlois responsable des maisons d’enfants de la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants au Chambon-sur-Lignon (France). Ces établissements accueillent entre 800 et 1’000 enfants dont un dixième de juifs. Fin 1944, il s’établit à Bâle avec son épouse, Friedel Bohny-Reiter. Son témoignage le plus récent est reproduit dans l’ouvrage édité par Helena Kanyar Becker, Die Humanitäre Schweiz 1933-1945 (Berne et Bâle, 2005), pp. 84-86. August Bohny vit à Bâle. Honoré par Yad Vashem en 1990, médaille remise, en mains propres, en octobre 1990 au Chambon-sur-Lignon (France). •2.5 BORN, Friedrich (1903 – 1963) Né à Langenthal, il est responsable d’une entreprise d’importation de céréales à Budapest depuis 1936. Parallèlement, il y représente l’Office suisse d’expansion commerciale. En avril 1944, le CICR le nomme délégué à Budapest, où il succède à Jean de Bavier. Sa délégation compte jusqu’à 250 collaborateurs et 81 L es J u s t es s u isses veille sur plus de 150 institutions. Born s’engage en particulier pour les enfants juifs dont les parents ont été déportés. Il parvient notamment à obtenir la libération de 500 de ses protégés emmenés dans le grand ghetto. Ayant quitté le CICR après la guerre, il fonde en Suisse une entreprise d’import-export. Honoré par Yad Vashem en 1987. Médaille remise, à titre posthume, le 5 juin 1987 à Yad Vashem (Israël). • 5.4 BOVET, Jean (1900 – 1952) Né à Villaz-Saint-Pierre (Fribourg), il est ordonné prêtre à Fribourg en 1924. Curé à Archamps (Haute-Savoie) de 1942 à novembre 1944, il fait passer la frontière à au moins un Juif après l’avoir hébergé dans la cure. Il succède ensuite à SaintGingolph (France) à un curé fusillé par les Allemands. Il meurt à Dijon. Honoré par Yad Vashem en 1989. • 2.6 BÜHLER, Anton (1890 – 1973) Juriste grison, secrétaire du département cantonal de Justice et Police, il autorise l’entrée de quatre Juifs de Vienne le 30 septembre 1938, soit après la fermeture de la frontière. Des parents les rejoignent et une petite filière se met en place. Contrairement à Paul Grüninger, Anton Bühler n’est pas sanctionné pour ses actions de sauvetage. Honoré par Yad Vashem en 2001. Médaille remise, à titre posthume, le 23 octobre 2001 à Berne. • 1.3 CALAME-ROSSET née WHITE, May D’origine britannique, elle épouse l’architecte suisse Paul Calame-Rosset. Etabli à Bruxelles, le couple héberge dans sa maison des Juifs et des aviateurs alliés. Honorée par Yad Vashem en 1998. Médaille remise, à titre posthume, le 16 septembre 1998 à Thônex (Genève). • 3.1 CALAME-ROSSET, Paul (1905 – 2003) Né à Tavannes (Jura bernois), architecte de formation, il s’établit à Bruxelles où il demeure jusqu’en 1966. Il est actif dans la résistance belge dès le début de 1942 et sa maison est utilisée par les résistants comme cache et boîte aux lettres. Il y héberge des aviateurs alliés ainsi que des Juifs: des membres de deux familles (les Cywié et les Lemberg), ainsi qu’une jeune fille. Celle-ci est ensuite confiée à une autre famille suisse. Honoré par la Belgique et la Grande-Bretagne pour ses activités de résistance, il passe sa retraite dans le canton de Genève. Honoré par Yad Vashem en 1998. Médaille remise, en mains propres, • 3.1 le 16 septembre 1998 à Thônex (Genève). CONSTANTIN née MARCLAY, Marguerite (1927 – ) Ses parents et elle recueillent dans leur chalet de Champéry deux groupes de sept Juifs en septembre-octobre 1942, avant de les acheminer à l’intérieur du pays. Honorée par Yad Vashem en 2001. Médaille remise, en mains propres, le 23 octobre 2001 à Berne. • 2.6 82 L es J u s t es s u isses CURTET, Daniel Fils d’un pasteur de Château d’Oex, il officie comme pasteur à Fay-sur-Lignon (France) pendant la guerre. Il héberge temporairement des réfugiés, puis les place dans la communauté protestante du Chambon-sur-Lignon. Il assiste en outre les fugitifs cherchant à passer clandestinement en Suisse. Dans les années 1980, il exerce son ministère à Luc-en-Diois dans la Drôme. Honoré par Yad Vashem en 1987. • 2.5 CURTET, Suzanne Epouse de Daniel Curtet, pasteur à Fay-sur-Lignon. Le couple héberge et assiste des réfugiés. Honorée par Yad Vashem en 1987. • 2.5 DE PURY née DE MONTMOLLIN, Jacqueline (1909 – 1973) Née à Neuchâtel, épouse du pasteur Roland de Pury, elle soutient celui-ci dans ses activités clandestines de sauvetage et de résistance. Elle demande au cardinal Gerlier d’intervenir pour obtenir la libération de son mari emprisonné par la Gestapo; l’intervention de l’archevêque de Lyon et primat des Gaules reste toutefois sans effet. Honorée par Yad Vashem en 1976. • 2.8 DE PURY, Roland (1907 – 1979) Né à Genève, il étudie la théologie à Neuchâtel, à Paris, enfin à Bonn où il prépare une thèse auprès de Karl Barth. Pasteur dès 1934, il est nommé à Lyon en 1938 où il reste près de 20 ans. Le 14 juillet 1940 déjà, dans son temple, il lance un appel à la résistance, à obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Dans sa maison et dans son temple, il héberge temporairement de nombreux Juifs avant qu’ils ne tentent de passer en Suisse. Il collabore aussi à la Résistance, ce qui lui vaut d’être arrêté par la Gestapo en mai 1943. Il passe près de cinq mois en prison avant de retourner en Suisse grâce à un échange de prisonniers. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages théologiques. Honoré par Yad Vashem en 1976. • 2.8 DUBOIS, Maurice (1905 – 1997) Né à Bienne, fourreur de formation, il milite très tôt dans les mouvements socialistes chrétiens et dans le Service civil international. Après un engagement humanitaire en Espagne, il devient le délégué de la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE) pour le Sud de la France, avec siège à Toulouse. Il intervient en particulier auprès de Vichy au moment des rafles d’août 1942 et obtient la libération des enfants et du personnel juifs de la CRS, SE, en premier lieu ceux de La Hille internés dans le camp du Vernet et voués à la déportation. Devant se rapprocher de la Suisse pour raisons de santé, il est nommé délégué du Don Suisse pour la France, puis directeur d’un foyer pour enfants à Adelboden. De 1952 à sa retraite, il dirige l’orphelinat du Locle. Honoré par Yad Vashem en 1985. • 2.3 83 L es J u s t es s u isses EIDENBENZ, Elisabeth (1913 – ) Née à Zurich, institutrice de formation, elle ouvre une maternité à Elne près de Perpignan en novembre 1939, après un engagement humanitaire en Espagne. Elle y accueille des mères et bébés des camps d’internement voisins, surtout espagnols, juifs, roms et sinti. Environ 600 enfants voient le jour à la maternité jusqu’à sa fermeture à Pâques 1944. Après la guerre, elle s’installe en Autriche et s’occupe d’enfants de réfugiés d’Europe de l’Est. Elle a été honorée de la Croix de San Jordi (Espagne) et de la Légion d’honneur (France). Elisabeth Eidenbenz vit aujourd’hui en Autriche. Honorée par Yad Vashem en 2001. Médaille remise, en mains propres, le 22 mars 2002 à Elne (France). • 2.2 FARNY, Renée (1919 – ?) Née en Indre-et-Loire, elle s’installe rapidement à Paris et devient assistante sociale. Collaboratrice du Secours aux enfants dès 1940, elle travaille notamment à la colonie de La Hille, à la maternité d’Elne, puis à la colonie des Feux-Follets où elle devient l’adjointe de la directrice, la Française Germaine Hommel. Avec un jeune du village, elle fait passer la frontière à une dizaine d’enfants juifs jusqu’à son arrestation début janvier 1943. En décembre de cette année-là, elle franchit une dernière fois la frontière clandestinement pour rejoindre son père, un officier suisse hospitalisé à Leysin. Honorée par Yad Vashem en 1992. Médaille remise, à titre posthume, le 4 octobre 1992 à Saint-Cergues-les-Voirons (France). • 2.4 FELLER, Harald (1913 – 2003) Né à Berne, ce fils d’historien poursuit des études de droit à Berne et à Paris avant d’entrer en 1939 au Département politique fédéral (aujourd’hui Département fédéral des affaires étrangères). Arrivé à Budapest en 1943, il est en charge de la légation de Suisse – et donc le supérieur de Carl Lutz – à partir du 12 décembre 1944. Il héberge clandestinement et à ses frais plusieurs Juifs à son domicile à Buda, avant de les déplacer dans un lieu plus sûr, l’abri antiaérien de la chancellerie de la légation suisse. Au total, plus de 50 personnes y trouvent refuge, dont le ministre de Suède. Capturé par les Soviétiques en février 1945, il revient en Suisse une année plus tard. Il quitte la diplomatie pour une carrière dans la justice qu’il achève comme procureur de l’arrondissement du Mittelland. Honoré par Yad Vashem en 1999. Médaille remise, en mains propres, le 6 septembre 1999 à Berne. • 5.5 FRANCKEN, William (1889 – 1962) Né à Rotterdam, il s’installe en 1914 à Begnins (Vaud), après des études de médecine à Lausanne; il y réside jusqu’à sa mort. Il s’engage activement dans la lutte contre la tuberculose et fonde le Pavillon de La Côte. Sa femme et lui possèdent un chalet, Le Clou, au-dessus de Novel en Haute-Savoie, à quelques kilomètres de la frontière valaisanne. En septembre 1942, le couple y abrite plusieurs groupes de Juifs qui tentent de passer en Suisse. Souvent, il leur donne aussi de la nourriture, leur procure des soins médicaux et les ac- 84 L es J u s t es s u isses compagne jusqu’à la frontière. Devenu suspect aux yeux de la police française et apprenant qu’elle veut l’arrêter, le couple ferme son chalet le 6 octobre 1942. Un monument a été érigé à Novel à la mémoire de William Francken et une plaque commémorative apposée à Begnins. Honoré par Yad Vashem en 1997. Médaille remise, à titre posthume, le 27 avril 1998 à Berne. • 2.6 FRANCKEN née FIAUX, Laure (Loly) Première femme ingénieur de Romandie, elle épouse William Francken et sauve avec lui plusieurs groupes de Juifs à Novel en Haute-Savoie en 1942. En 1946, elle rédige «Séjour de cauchemar», les pages d’un journal tenu dans leur chalet et reproduites dans Micha Grin, William Francken, médecin de campagne (Cabédita, 1996), pp. 26-47. Honorée par Yad Vashem en 1997. Médaille remise, à titre posthume, le 27 avril 1998 à Berne. • 2.6 FRIEDRICH, Jean-Edouard (1912 – 1999) Né à Shanghai dans une famille de négociants suisses, il est collaborateur du CICR de mai 1942 à juin 1946. Membre de la délégation de Berlin, il favorise le passage en Suisse de Lotte Schloss-Kahle, la nièce d’un ami qui vit à Lausanne. Il achemine en Suisse courrier et photographie d’identité, convainc une Berlinoise, Luise Meier, d’accompagner Lotte. Il accompagne lui-même une autre fille juive jusqu’à Singen. Il décède peu de temps après la remise de la médaille des Justes. Honoré par Yad Vashem en 1999. Médaille remise, en mains propres, le 6 septembre 1999 à Berne. • 4.1 GIANNINI, Walter (1914 – 2003) Enseignant à la colonie pour enfants de la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE) à Faverges en Haute-Savoie, il manifeste beaucoup de dévouement pour la dizaine d’enfants juifs qui y séjournent, dont le futur historien Paul Bairoch. Avec sa collaboratrice Emma Aeppli, il fait passer clandestinement la frontière suisse en août 1943 aux deux derniers enfants juifs de la colonie. Il épouse Emma Aeppli à Faverges et le couple s’installe à Zurich. Honoré par Yad Vashem en 2000. Médaille remise, en mains propres, le 15 février 2001 à Berne. • 2.6 GIANNINI née AEPPLI, Emma La Zurichoise travaille pendant la guerre à la colonie pour enfants de la CroixRouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE) à Faverges en Haute-Savoie avec son futur mari, Walter Giannini. Ensemble, ils font passer clandestinement la frontière suisse à deux enfants juifs en août 1943. Honorée par Yad Vashem en 2000, médaille remise, à titre posthume, le 15 février 2001 à Berne. • 2.6 85 L es J u s t es s u isses GROSS, Albert (1904 – 1975) Né à Lausanne, ordonné prêtre en 1934, il dirige le Foyer Saint-Justin à Fribourg. En 1942-1943, il est envoyé comme aumônier catholique dans le camp d’internement de Gurs (France). Il y cache une quarantaine de Juifs, leur évitant ainsi la déportation, puis revient clandestinement en Suisse. Il poursuit son ministère notamment à Moudon et à Lucens et meurt accidentellement en Bretagne. Honoré par Yad Vashem en 1989. • 2.1 GRÜNINGER, Paul (1891 – 1972) Né à Saint-Gall, instituteur de formation, il entre dans la police cantonale en 1919 et en devient le commandant en 1925. Après l’Anschluss de l’Autriche et surtout après la fermeture de la frontière suisse (19 août 1938), il aide plusieurs centaines de Juifs à entrer en Suisse ou à y rester. En plus de l’octroi d’autorisations de séjours, il falsifie des documents et ferme les yeux sur des entrées illégales. Licencié en mai 1939, il est condamné l’année suivante par le tribunal du district de Saint-Gall pour falsification de documents (la réhabilitation intervient en 1995). Il éprouve de grandes difficultés à retrouver un emploi stable. Le gouvernement saint-gallois le réhabilite politiquement, à titre posthume, en 1993. Stefan Keller lui a consacré un livre et Richard Dindo un film. Une Fondation Paul Grüninger a été créée à Saint-Gall. Honoré par Yad Vashem en 1971. • 1.2 GUTZWILLER, Hildegard (1897 – 1957) Membre de l’Ordre du Sacré-Cœur, la Bâloise entre dans le Sophianum à Budapest en 1927 et en devient sept ans plus tard la Mère supérieure. En 19441945, les bâtiments de l’Ordre abritent quelque 250 personnes, dont près de 40 femmes et enfants juifs. Après la guerre, elle poursuit sa carrière ecclésiastique en Autriche et à Munich. Son nom figure sur la plaque honorifique de la grande synagogue de Budapest. Honorée par Yad Vashem en 1995. Médaille remise, à titre posthume, en avril 1996 à Yad Vashem (Israël). • 5.5 HAGGENMACHER, Otto Industriel à Budapest, il cache pendant plusieurs mois et pour l’essentiel à ses frais plus de 30 enfants juifs dans sa maison proche de la colline de Gellert. Il entretient des liens étroits avec le pasteur hongrois Gábor Szethlo (1909-1974) qui dirige la section de la délégation du CICR chargée des homes et foyers pour enfants. Honoré par Yad Vashem en 2003, médaille remise, à titre posthume, le 25 novembre 2003 à Berne. • 5.5 IM HOF née Piguet, Anne-Marie (1916 – ) Née au Sentier (Vaud), elle étudie les lettres à Lausanne et s’engage en 1942 dans la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE). Après un passage à la colonie de Montluel, elle arrive au château de la Hille en mai 1943. De 86 L es J u s t es s u isses septembre 1943 à mai 1944, elle fait passer neuf de ses protégés en Suisse, à travers le Risoux et avec l’aide de la Française Victoria Cordier. En 1959, elle participe à la fondation de Swisscontact, Fondation suisse de coopération au développement technique dans le tiers-monde. Elle relate son engagement dans la CRS, SE dans l’ouvrage La Filière – en France occupée 1942-1944 (Ed. de la Thièle, 1985) dont la cinéaste Jacqueline Veuve a tiré un film. Anne Marie Im Hof-Piguet vit à Köniz près de Berne. Honorée par Yad Vashem en 1990, médaille remise, en mains propres, • 2.4 le 28 novembre 1991, à Berne. ISCHY, Ernest Entrepreneur en bâtiment établi à Paris, il héberge avec sa femme Yannick le chirurgien Pierre Moyse et sa mère depuis fin 1942. Honoré par Yad Vashem en 1991. • 2.7 ISCHY, Yannick Infirmière à Beauvais, elle fait la connaissance du chirurgien Pierre Moyse. Avec son mari Ernest, elle héberge à Paris le chirurgien et sa mère. Honorée par Yad Vashem en 1991. • 2.7 JUNKER-KISSLING, Maria Gouvernante, elle suit la famille de Marcel Blum de Belfort à Béziers, puis à Saint-Benoît-du-Sault (Indre) dès 1942. Elle apporte un soutien à l’organisation juive OSE (Œuvre de secours aux enfants), place des enfants dans des familles lors des rafles de 1942 et procure de faux papiers d’identité. En Indre, elle travaille pour la Résistance et elle escorte depuis Limoges 18 jeunes à qui elle fait passer la frontière suisse. Honorée par Yad Vashem en 1973. • 2.6 LUTZ, Carl (1895 – 1975) Né à Walzenhausen (Appenzell Rhodes-Extérieures) dans une famille de dix enfants, il émigre aux Etats-Unis en 1913. Entré dans le service consulaire suisse, il rencontre Gertrud Fankhauser et l’épouse. Le couple est envoyé en Palestine (1935-1940) puis à Budapest (1942-1945) où Carl Lutz dirige la Division des intérêts étrangers à la légation de Suisse. Dans le cadre de la défense des intérêts britanniques, il participe à l’émigration de 10’000 enfants juifs vers la Palestine sous mandat britannique. Après l’occupation allemande (19 mars 1944), il étend les activités de protection en faveur d’environ 8’000 détenteurs d’une autorisation d’immigrer en Palestine et de leur famille, en distribuant des lettres de protection, en inscrivant leurs noms dans des passeports collectifs, puis en les plaçant dans des maisons protégées. Le dispositif permet la fabrication et la distribution de dizaines de milliers de lettres de protection. Il héberge également les bureaux de l’Agence juive, à la légation des Etats-Unis d’abord, puis dans la Maison de verre où plus de 4’000 Juifs peuvent trouver refuge. Un leader de la communauté juive de Hongrie, puis des historiens ont crédité Lutz du sauvetage de 62’000 Juifs de Budapest après l’occupation allemande. Il poursuit une carrière consulaire jusqu’à sa retraite et meurt à Berne. 87 L es J u s t es s u isses Ses mérites ne commencent à être véritablement reconnus en Suisse et à l’étranger que depuis une dizaine d’années. Deux monuments commémoratifs lui sont dédiés à Budapest, une rue à Haïfa et un chemin à Berne. Il est aussi citoyen d’honneur de l’Etat d’Israël. Deux livres (Alexander Grossman et Theo Tschuy) et un film documentaire (Télévision suisse italienne) lui ont été consacrés. Honoré par Yad Vashem en mars 1964. • 5.1 et 5.2 LUTZ née FANKHAUSER, Gertrud (1911 – 1995) Née à Rechthalten (Fribourg), elle est employée au consulat de Suisse à SaintLouis (Etats-Unis) où elle rencontre Carl Lutz. De 1942 à 1945, elle soutient activement son mari dans ses fonctions à la légation de Suisse à Budapest. En particulier, elle ravitaille les habitants du ghetto international et, depuis Noël 1944, elle apporte de l’aide à plus de 25 personnes réfugiées dans l’abri antiaérien de la légation de Grande-Bretagne à Buda. Après la guerre et son divorce, elle entame une brillante carrière à l’UNICEF: déléguée au Brésil et en Turquie, finalement vice-directrice d’UNICEF-Europe à Paris. Honorée par Yad Vashem en 1978. Médaille remise, en mains propres, le 17 août 1978 à Berne. • 5.1 et 5.2 MARCLAY, Emile (1897 – 1987) Propriétaire d’un chalet à Champéry, il y recueille deux groupes de sept Juifs chacun en septembre-octobre 1942. Il trouve le premier groupe lors d’une promenade dominicale près de la frontière. Le second groupe a des liens de parenté ou de connaissance avec le premier. Il fait ensuite acheminer les deux groupes à Zurich. Honoré par Yad Vashem en 2001. Médaille remise, à titre posthume, le 23 octobre 2001 à Berne. • 2.6 MARCLAY née STUDER, Lina (1903 – 1992) Née dans la région d’Olten, elle recueille avec son mari Emile Marclay deux groupes de sept Juifs en automne 1942 dans son chalet de Champéry. Honorée par Yad Vashem en 2001. Médaille remise, à titre posthume, le 23 octobre 2001 à Berne. • 2.6 MASSEREY, Antoinette Sœur de la congrégation de la Sainte-Famille, elle exerce pendant la guerre une fonction dirigeante dans un établissement de la congrégation à Rulhe. Dans cette localité de l’Aveyron, la congrégation héberge 24 Juifs en 1943 et 1944, y compris des adolescentes qui finissent par passer en Espagne. Honorée par Yad Vashem en 1979. • 2.7 MUEHLENTHALER, Germaine Directrice de la filiale marseillaise de l’Union chrétienne des jeunes gens, elle aide plusieurs jeunes Juifs dont Esther Strauss. Elle cache celle-ci chez une amie, puis lui procure de faux papiers pour franchir la frontière suisse. Honorée par Yad Vashem en 1967. • 2.7 88 L es J u s t es s u isses NÄF, Rosa (Rösli) (1911 – 1996) Infirmière née à Glaris, elle rejoint le docteur Albert Schweitzer à Lambaréné, puis s’engage dans le Secours suisse aux enfants. Directrice de la colonie de La Hille (Ariège), elle s’oppose en vain aux arrestations des enfants juifs de plus de 16 ans par la gendarmerie française, le 26 août 1942, mais parvient toutefois à les rejoindre dans le camp du Vernet. Après la libération des enfants grâce à l’intervention de Maurice Dubois, elle organise des passages clandestins en Suisse via les Feux-Follets, une autre colonie du Secours aux enfants. Le passage d’un premier groupe réussit à Noël 1942, un second groupe est toutefois bientôt arrêté. Rosa Näf doit abandonner la direction de La Hille en mai 1943. Elle s’établit au Danemark après la guerre et s’éteint à Glaris. Honorée par Yad Vashem en 1989, elle refuse la médaille; la remise intervient le 4 octobre 1992 à Saint-Cergues-les-Voirons (France) pour elle en même temps que pour l’équipe des Feux-Follets. • 2.4 NODOT, René (1916 – ~1999) Double national, né à Bourg-en-Bresse (Ain), il exerce plusieurs activités liées à la Résistance et au sauvetage entre 1941 et 1943. Délégué du Service social des étrangers pour l’Ain et le Jura, il participe au regroupement familial et à la cache de Juifs. Il prévient les Juifs étrangers des mesures de déportation. En 1943, il fait lui-même passer la frontière à des personnes recherchées par la Gestapo et en oriente d’autres vers la filière du curé de Collonges-sous-Salève. Il contribue au sauvetage d’au moins 30 Juifs étrangers lors des rafles à Bourgen-Bresse en août 1943. Après la guerre, il fait carrière dans l’Education nationale française. Il est honoré du titre de «Passeur bénévole de frontière» en 1955 par le ministère français de la Défense nationale et de la Légion d’honneur en 1957. Il écrit ses mémoires en 1978 (Résistance non violente 1940-1944). Honoré par Yad Vashem en 1974. • 2.6 PASCHE, Marcel (1911 – 2006) Né à Berne, il suit des études de théologie à Lausanne, puis à Bâle avec Karl Barth. Après un stage pastoral à Lille, il est nommé pasteur de l’Eglise réformée de Roubaix en août 1941. Il fait passer la frontière suisse à un Juif allemand, et prend en charge la famille de celui-ci. Il développe aussi une activité importante en faveur des prisonniers politiques et des personnes que les Allemands traduisent devant leurs tribunaux. Pasteur à Château d’Oex dès 1950, aumônier des chantiers des grands barrages valaisans cinq ans plus tard, il s’engage pour le développement des liens entre les protestants de Suisse et d’Europe de l’Est. En 1992, la Mairie de Roubaix lui décerne la Médaille d’honneur de la ville. Honoré par Yad Vashem en 1992. Médaille remise, en mains propres, le 7 mars 1993 à Roubaix (France). • 2.8 PRODOLLIET, Ernest (1905 – 1984) Né à Amriswil (Thurgovie), il est responsable du bureau des passeports de l’agence consulaire de Suisse à Bregenz dès le 1er avril 1938, date à laquelle les visas sont rendus obligatoires pour les détenteurs de passeports autrichiens. 89 L es J u s t es s u isses Il accorde environ 300 visas de transit à des Juifs fuyant l’Autriche, il convainc des douaniers d’en laisser entrer même s’ils ne possèdent pas de visa. En décembre 1938, il fait l’objet d’une enquête disciplinaire et est rappelé à Berne. De 1939 à fin 1942, il est vice-consul de Suisse à Amsterdam où il semble qu’il délivre aussi des documents de complaisance à des Juifs. Il poursuit une carrière consulaire jusqu’à la retraite. Honoré par Yad Vashem en 1982. Médaille remise, en mains propres, le 18 novembre 1983 à la maison de retraite d’Amriswil (Thurgovie). • 1.1 REYMOND, Frédéric (Fred) (1907 – 1999) Horloger né au Sentier (Vaud), il travaille pour les services suisses de renseignements en recueillant des informations sur territoire français. Il fait passer en Suisse plusieurs dizaines de personnes recherchées par la Gestapo, notamment des membres de la Résistance française et des Juifs. Après les avoir hébergés dans sa maison de la Vallée de Joux, il les achemine vers l’intérieur du pays. Après la guerre, il devient un des directeurs de la Fabrique de balanciers réunis et s’installe à Saint-Aubin (Neuchâtel). En 1991, il témoigne dans une série d’émissions de la télévision française, Les passeurs du clair de lune. Il est honoré par Yad Vashem, puis par la commune du Chenit (Vaud) qui lui décerne, ainsi qu’à sa femme Lilette, la Bourgeoisie d’honneur en juillet 1998. Un ami, Daniel Capt, lui consacre un bel hommage avec l’ouvrage Fred (L’Aire, 2005). Honoré par Yad Vashem en 1998. Médaille remise, en mains propres, le 27 avril 1998 à Berne. • 2.6 RUTSCHI, August Ancien pasteur, il possède une maison à Monnetier-Mornex (Haute-Savoie) dans laquelle sont recueillis en 1942 les époux Rudenski, des Juifs belges refoulés à la frontière suisse. Honoré par Yad Vashem en 1977. • 2.7 RUTSCHI, Cécile Avec son mari August, elle possède une maison à Monnetier-Mornex (HauteSavoie) dans laquelle les époux Rudenski trouvent refuge en 1942. Honorée par Yad Vashem en 1977. • 2.7 SCHAFFERT, Hans (1918 – 2003) Théologien suisse, élève de Karl Barth, il est envoyé en 1942 pour un stage de six mois au camp d’internement de Gurs (France), où il organise des fuites des prisonniers vers l’Espagne et la Suisse. De retour en Suisse, il devient le principal collaborateur du pasteur Paul Vogt, puis le deuxième directeur de l’Entraide protestante suisse. Honoré par Yad Vashem en 1967. • 2.1 90 L es J u s t es s u isses SCHMIDT, Martha (1900 – ?) Nurse née à Zurich, elle est engagée en 1937 dans une famille juive en France, les Cohen. Dès 1943, elle s’occupe des quatre filles de la famille en les emmenant de Monaco dans un petit village du centre de la France. Les cinq femmes peuvent loger dans la propriété d’un ami et survivent ainsi à la guerre. Honorée par Yad Vashem en 1993. Médaille remise, en mains propres, le 21 février 1994 dans une maison de retraite à Zurich. • 2.7 SCHNEEBERGER, Anne Avec son mari Arthur, elle héberge un jeune Juif d’origine polonaise de fin 1942 à la Libération. Honorée par Yad Vashem en 1999. Médaille remise, à titre posthume, en novembre 1999 à Roanne (France). • 2.7 SCHNEEBERGER, Arthur Bonnetier argovien établi à Roanne (Loire), il héberge avec son épouse le jeune fils d’un collègue, Benjamin Wolkowicz. Honoré par Yad Vashem en 1999. Médaille remise, à titre posthume, en novembre 1999 à Roanne (France). • 2.7 STEIGER, Sebastian (1918 – ) Fils de pasteur né à Oltingen (Bâle-Campagne), il obtient le brevet pédagogique en 1940. Il rejoint la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants comme enseignant à la colonie de La Hille (Ariège) à partir d’août 1943. Il donne sa carte d’identité à Walter Kamlet qu’Anne-Marie Piguet conduira à la frontière du Risoux en mai 1944. Sans papier d’identité, il entre clandestinement en Suisse en février 1945 et poursuit sa carrière d’enseignant à Bâle et dans la région de Bâle. Publié en allemand en 1992, son récit des mois passés à La Hille est traduit en français sous le titre Les enfants du château de La Hille, (Brunnen Verlag, 1999). Sebastian Steiger vit à Bâle. Honoré par Yad Vashem en 1993. Médaille remise, en mains propres, le 29 août 1993 à Bâle. • 2.4 TOBLER, Margaretha (Gret) (1915 – ?) Fille de pasteur, née à Zurich, jardinière d’enfants de formation, elle s’engage en 1942 à la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants. Depuis janvier 1943, elle est responsable des plus jeunes à La Hille (Ariège). Le 10 décembre 1943, elle quitte la colonie avec deux jeunes filles juives et franchit clandestinement avec elles la frontière suisse en Savoie. Le récit de ce passage est reproduit dans La Filière – en France occupée 1942-1944 d’Anne-Marie Im Hof-Piguet (Ed. de la Thièle, 1985, pp. 124-127). Honorée par Yad Vashem en 2000. Médaille remise, en mains propres, le 15 février 2001 à Berne. • 2.4 91 L es J u s t es s u isses TZAUT, Marguerite Avec son mari Paul, elle héberge une quinzaine de Juifs dans la maison de retraite de l’Armée du salut qu’ils dirigent près de Tonneins (Lot-et-Garonne). Honorée par Yad Vashem en 1973. Médaille remise, en mains propres, le 27 mai 1975 à Paris (France). • 2.7 TZAUT, Paul (~1901 – 1994) Membre de l’Armée du salut depuis 1921, il dirige dès mai 1942 une maison de retraite près de Tonneins (Lot-et-Garonne) qui hébergera une quinzaine de Juifs, dont un couple d’origine polonaise de 1942 à la fin de la guerre. Honoré par Yad Vashem en 1973. Médaille remise, en mains propres, le 27 mai 1975 à Paris (France). • 2.7 VONRUFS, Ernst (1906-1972) Travaillant dans l’industrie textile à Budapest depuis 1935, il est désigné en 1944 pour poursuivre avec Peter Zürcher les activités de Carl Lutz (protection des intérêts étrangers par la légation de Suisse à Budapest) si l’évolution de la guerre l’exige. De Noël 1944 à l’arrivée des Soviétiques à Pest, il aide Peter Zürcher à protéger le ghetto international et la Maison de verre contre les attaques des Croix-fléchées. Il revient en Suisse en 1947. Honoré par Yad Vashem en 2001. Médaille remise, à titre posthume, le 23 octobre 2001 à Berne. • 5.3 WASSERFALLEN, Edgar (1908 – 1974) Né en Suisse, il s’installe en France après ses études. Pasteur à Lassalle (Gard), il héberge en 1943 le couple Rojtenberg venu frapper à la porte du presbytère. Il trouve des familles d’accueil pour leurs deux enfants. Il est aussi actif très tôt dans la Résistance. Les Rojtenberg peuvent être sauvés malgré des dénonciations et la perquisition au presbytère. Après la guerre, il poursuit son ministère dans les Cévennes. Honoré par Yad Vashem en 2000. Médaille remise, à titre posthume, le 15 février 2001 à Berne. • 2.7 WASSERFALLEN, Elise (1898 – 1997) Née à Alès, elle héberge en 1943, avec son mari Edgar, pasteur à Lassalle (Gard), le couple Rojtenberg venu frapper à la porte du presbytère. Honorée par Yad Vashem en 2000, médaille remise, à titre posthume, le 15 février 2001 à Berne. • 2.7 WITTWER, Ernest (1922 – 1976) Il est né à Alblingen (Berne) dans une famille d’agriculteurs qui s’installe en France en 1939, à Montency d’abord, puis à Véreux (Haute-Saône). En 1944, un ami suisse de la famille demande de prendre en charge deux enfants juifs qui lui avaient été confiés. Ernest Wittwer qui avait déjà franchi plusieurs fois la frontière clandestinement accepte de les convoyer jusqu’à Bâle. Le trio se fait 92 L es J u s t es s u isses arrêter à la gare de Porrentruy le 27 avril 1944 et le Suisse est condamné à 60 jours de prison. Il a été réhabilité, à titre posthume, en 2004. Honoré par Yad Vashem en 1998. Médaille remise, à titre posthume, • 2.6 le 6 septembre 1999 à Berne. ZUFFEREY, Jeanne-Françoise Sœur de la congrégation de la Sainte-Famille, elle exerce pendant la guerre une fonction dirigeante dans un établissement de la congrégation à Rulhe Dans cette localité de l’Aveyron, la congrégation héberge 24 Juifs en 1943 et 1944, y compris des adolescentes qui finissent par passer en Espagne. Honorée par Yad Vashem en 1993. • 2.7 ZÜRCHER, Peter (1914 – 1975) Juriste zurichois, il dirige depuis 1940 une usine de textiles à Budapest. En 1944, il est désigné pour poursuivre les activités de Carl Lutz (protection des intérêts étrangers par la légation de Suisse à Budapest) si l’évolution de la guerre l’exige. C’est ainsi que de Noël 1944 à l’arrivée des Soviétiques à Pest, il lui revient de protéger, avec son adjoint Ernst Vonrufs, le ghetto international et la Maison de verre contre les attaques des Croix-fléchées. La ténacité des deux Suisses permet de sauvegarder l’œuvre bâtie par Carl Lutz et les jeunes sionistes. Honoré par Yad Vashem en 1998. Médaille remise, à titre posthume, le 6 septembre 1999 à Berne • 5.3 93 L es J u s t es s u isses III.2. Justes possédant la nationalité suisse au moment de leur nomination LAVERGNAT, Arthur (1914 – 1980) Maraîcher né à Bossey, commune de Haute-Savoie dont son père était le maire, il exploite au lieu-dit Pierre-Grand dans la commune de Troinex (Genève) une ferme située en bordure de la frontière. Il participe à la filière de l’abbé Jolivet et de Rolande Birgy. Avec son épouse, il fait passer de nombreux Juifs, ainsi que des militaires alliés. Le gouvernement des Etats-Unis lui décerne un certificat de reconnaissance pour services rendus à l’OSS (Office of Strategic Services, ancêtre de la CIA). Après la guerre, il acquiert la nationalité suisse. Honoré par Yad Vashem en 1990. Médaille remise, à titre posthume, le 27 avril 1998 à Berne. • 2.6 LAVERGNAT, Jeanne (1920 – ) Avec son époux Arthur, elle accueille dans sa ferme de nombreux Juifs franchissant clandestinement la frontière. Elle obtient la nationalité suisse après la guerre. Jeanne Lavergnat vit aujourd’hui à Troinex (Genève). Honorée par Yad Vashem en 1997. Médaille remise, en mains propres, le 27 avril 1998 à Berne. • 2.6 PASZKIEWICZ, Anna (1906 – 1993) Habitant l’Est de la Pologne, elle héberge dans sa petite maison de campagne à Wysokie Litewskie plusieurs familles fuyant les persécutions. Pour l’une de ces familles, les Wirszubska, elle parvient à les faire sortir du ghetto de Pruzana et à leur fournir de faux papiers après les avoir hébergés trois mois. Anna Paszkiewicz s’établit à Baden (Argovie) vers 1970 et épouse un Bernois. Honorée à titre posthume par Yad Vashem en 1998. •6 VON ZEDTWITZ, Joachim Né à Vienne, cet opposant au nazisme quitte l’Autriche pour Prague après l’Anschluss. Avec Milena Jesenska, l’amie de Franz Kafka, il organise la fuite à l’étranger d’opposants au nazisme et de Juifs. Arrêté en 1940, il survit à la guerre. Il quitte Prague pour la Suisse en 1948 et acquiert la nationalité suisse dans les années 1980. Honoré par Yad Vashem en 1994. •6 ZADARNOWSKA, Irena (1916 – 1986) Née dans une localité polonaise (aujourd’hui biélorusse), elle abrite dans sa maison une jeune Juive et sa fille. Elles passent toutes trois la frontière suisse en avril 1945. Jusqu’à sa mort, Irena Zadarnowska vit à Zurich et mène une carrière d’artiste peintre. Honorée par Yad Vashem en décembre 1964. •6 94 L es J u s t es s u isses III.3. Justes ayant perdu la nationalité suisse par mariage GILARDINO née RUTSCHI, Agnès Fille de August et Cécile Rutschi, elle rencontre les époux Rudelski, Juifs de Belgique refoulés à la frontière suisse en 1942, lors d’une promenade avec son petit garçon. Les Rudelski sont ensuite hébergés dans la maison des Rutschi et des Gilardino. Honorée par Yad Vashem en 1977. • 2.7 HÖFLER née BRÜTSCH, Elise Née à Ramsen (Schaffhouse), elle s’établit en Allemagne avec son époux Josef Höfler. Elle accepte la proposition de son dentiste de favoriser le passage de Lotte Schloss-Kahle, une jeune Berlinoise. Le dispositif de sauvetage ainsi mis en place permet ensuite de faire passer près de 30 Juifs en Suisse. Honorée par Yad Vashem en 2001. • 4.1 IMPEKOVEN née KOBLER, Frieda (1880 – ?) Née à Zurich, elle épouse l’acteur et écrivain Toni Impekoven. A Francfort, où elle réside, elle porte secours à deux Juives en mettant son appartement à disposition pendant son absence et en procurant de la nourriture. Elle revient en Suisse après la mort de son mari en 1947. Honorée par Yad Vashem en 1966. • 4.2 95 L es J u s t es s u isses III.4. Justes ayant un lien étroit avec la Suisse BARAZETTI, Bill (1914 – 2000) Né en Suisse, il la quitte en 1916, accompagnant en Allemagne son père qui renonce aussi à la nationalité suisse. A Prague en 1939, il organise avec Nicholas Warton le départ en train de plus de 660 enfants juifs pour la Grande-Bretagne, pays qu’il rejoint la même année. Honoré par Yad Vashem en 1993. La plaque portant son nom indique «Switzerland» comme pays. •6 CERNY née SEIPP, Alicja (1923 – ) Avec sa mère, Waclawa Seipp, elle héberge pendant plusieurs mois Aleksander Bronowski dans son tout petit appartement de Varsovie. Elle offre également un abri provisoire à la femme et à la fille de Bronowski. Après l’Allemagne et les Etats-Unis, Alicja Seipp s’établit en Suisse, avec son mari, dans les années 1960. Citoyenne américaine, elle vit actuellement à Genève. Honorée par Yad Vashem en 1982. Médaille remise, en mains propres, à Yad Vashem. •6 MATRINGE, Auguste (1894 – 1984) Né à Rolle (Vaud) d’un père Français et d’une mère Suisse, possédant donc uniquement la nationalité française, il poursuit en France une carrière d’ingénieur dans l’industrie chimique. De 1936 à sa retraite en 1959 – après laquelle il s’installe en Suisse –, il dirige deux usines Saint-Gobain dans la banlieue de Lyon. Il y héberge des Juifs, place leurs enfants dans des familles à la campagne et soustrait de nombreux Français au Service du travail obligatoire en Allemagne. Le 18 avril 2003, une stèle est érigé à Saint-Fons, dans la banlieue de Lyon, avec l’inscription: «Auguste Matringe (1894-1984). Humaniste Franco-Suisse. Juste parmi les nations». Honoré par Yad Vashem en 2000. Médaille remise, à titre posthume, le 18 avril 2001. • 2.8 (encadré 28) TOSIC, Milorad (1909 – ) Industriel yougoslave propriétaire d’une fabrique de meubles à Maribor, il réside à Belgrade au moment de l’invasion allemande, en avril 1941. Il rallie la résistance royaliste et doit s’enfuir avec son épouse en Hongrie en juillet 1943 pour échapper à la Gestapo. A Budapest, il distribue à des compatriotes d’origine juive une quarantaine de lettres de protection, des documents falsifiés que lui remet Eduard Hürlimann de la légation suisse. Il porte également secours à des Juifs hongrois. Il fait sortir des compatriotes du grand ghetto pour les placer dans des maisons protégées. Capturé en mai 1945 par les partisans de Tito, il est condamné à Belgrade à douze ans de travaux forcés. Il arrive en Suisse en 1960 comme réfugié politique. La plaque à Yad Vashem indique: «Milorad Tosic Yougoslavia (Switzerland)». Milorad Tosic vit aujourd’hui à Lausanne. Honoré par Yad Vashem en 1978. Médaille remise, en mains propres, le 17 août 1978 à Berne. • 5.1 (encadré 31) 96 L es J u s t es s u isses IV. Sélection bibliographique La sélection bibliographique est destinée à • offrir un aperçu des sources utilisées; sa structure est donc calquée sur celle du volet thématique; • permettre l’approfondissement de certains thèmes ou de la vie de certains Justes, notamment dans un cadre scolaire; des commentaires complètent généralement les références bibliographiques. La priorité a été donnée aux ouvrages et aux articles • portant sur des thèmes directement traités; le lecteur trouvera ailleurs des indications bibliographiques sur la Shoah, ou sur la politique suisse à l’égard des réfugiés; • en langue française. A. Sur les Justes Ouvrages généraux sur les Justes Yad Vashem a entrepris la publication systématique des notices biographiques des personnes honorées du titre de Juste, sous le titre: The Encyclopedia of the Righteous Among the Nations. Rescuers of Jews during the Holocaust. Les volumes concernant la Pologne (2 tomes, 2004, 1018 p.), les Pays-Bas (2 tomes, 2004, 944 p.) et la Belgique (2005, 296 p.) ont été publiés en langue anglaise. Le volume sur la France a été publié sous le titre Dictionnaire des Justes de France (Yad Vashem et Fayard, 2003, 596 p.), le volume sur l’Allemagne et l’Autriche, sous le titre Lexikon der Gerechten unter den Völkern (Yad Vashem et Wallstein, 2005, 371 p.). Basées sur les dossiers personnels conservés à Yad Vashem, augmentées de références bibliographiques pour le volume germano-autrichien, ces notices biographiques sont centrées sur le moment du sauvetage. Elles constituent une mine incontournable d’informations. Les volumes s’ouvrent par des introductions substantielles. 97 L es J u s t es s u isses GILBERT, Martin, Les Justes. Les héros méconnus de la Shoah. Paris, CalmannLévy, 2004, 530 p. Ouvrage traduit de l’anglais d’un grand historien britannique, basé sur une littérature abondante et des centaines de témoignages. Offre une excellente vue d’ensemble, dans un style clair et accessible. Aspects méthodologiques et pédagogiques BENZ, Wolfgang, «Juden im Hintergrund und ihre Helfer» in BENZ, Wolfgang (Hg.), Überleben im Dritten Reich. Juden im Hintergrund und ihre Helfer. Munich, Beck, 2003, pp. 11-48, en particulier pp. 41-48. KOSMALA, Beate et LUDEWIG-KEDMI, Revital, Verbotene Hilfe. Deutsche Retterinnen und Retter während des Holocaust. Zurich, Verlag Pestalozzianum et Donauwörth, Auer Verlag, 2003, 124 p. (+ CD-Rom), en particulier pp. 13-30. Ce dernier ouvrage, complété par un CD-Rom, constitue un remarquable outil pédagogique pour les derniers degrés scolaires d’Allemagne et de Suisse alémanique. Il est centré sur neuf actions de sauvetage retenues pour leur diversité et illustrées par des études et des témoignages recueillis à partir des années 1960. Deux de ces actions de sauvetage se sont achevées par une fuite en Suisse (pp. 43-49 et 69-74). Sur les Justes suisses L’encyclopédie en ligne Wikipédia offre une liste des Justes suisses. Ces informations sont fragmentaires. Surtout, la liste contient une erreur grossière: le célèbre théologien Karl Barth figure dans la liste. Or il n’a jamais été honoré par Yad Vashem (courriel de Yad Vashem à l’auteur du 29 août 2006). Cela n’enlève bien sûr rien à la valeur de son engagement contre le nazisme. WAGNER, Meir, Die Gerechten der Schweiz. Tel-Aviv, 1999, 153 p. L’ouvrage édité par Meier Wagner est basé sur les dossiers personnels de Yad Vashem et introduit par six préfaces. Il contient plusieurs erreurs (par exemple, le couple Brouze qui n’a aucun lien avec la Suisse) et passablement de coquilles (notamment pp. 106, 151-152). WAGNER, Meir, The Righteous of Switzerland. Heroes of the Holocaust. Hoboken (USA), Ktav Publishing, 2001, 269 p. Version consolidée et richement illustrée de l’ouvrage précédent avec cinq préfaces. L’ouvrage édité par Wagner aborde aussi les actions d’aide de Suisses non honorés du titre de Juste. Comme les dictionnaires édités par Yad Vashem, il reproduit de larges extraits de témoignages des Juifs secourus. Aussi bien dans la version allemande que dans la version anglaise, l’ordre des notices biographiques est impénétrable: il n’est ni alphabétique, ni thématique, ni géographique, ni chronologique. L’ordre de préfaces est plus clair. SALVI, Manuela et AUBERT, Raphaël, Ces Justes qui sont l’honneur de la Suisse. CD-Rom produit par Radio Suisse Romande La Première et les Editions de l’Aire, 1998 [No RSR 6114]. Série de quatre émissions radiophoniques avec des témoignages de Justes vaudois (Anne-Marie Im Hof-Piguet, Fred Reymond) et des commentaires 98 L es J u s t es s u isses d’historiens et de Herbert Herz, délégué de Yad Vashem pour la Suisse. Les émissions portent principalement sur le château de La Hille, les passages par le Risoux et Carl Lutz. WISARD, François, «Qui sont au juste les Justes suisses?» in Politorbis. Publication du Département fédéral des affaires étrangères, 17, mars-avril 1999, pp. 31-33. A notre connaissance, le premier article de synthèse sur les Justes suisses. Le Dictionnaire des Justes de France consacre des notices aux Justes suisses suivants, mais sans préciser toujours qu’ils possèdent la nationalité suisse: Emile Barras, Louis-Maxime et Léontine Beetschen, sœur Jeanne Berchmans (Marie Meienhofer), August Bohny, Friedel Bohny-Reiter, Jean Bovet, Daniel et Suzanne Curtet, Roland et Jacqueline de Pury, Renée Farny, Agnès Gilardino et August et Cécile Rutschi, Albert Gross, Anne-Marie Im Hof-Piguet, Ernest et Yannick Ischy, Maria Junker-Kissling, Arthur et Jeanne Lavergnat, sœur Antoinette Masserey, Germaine Muehlenthaler, René Nodot, Marcel Pasche, Martha Schmidt, Sebastian Steiger, Paul et Marguerite Tzaut, Ernest Wittwer, sœur Jeanne-Françoise Zufferey. Certaines notices contiennent des erreurs. Le Dictionnaire historique de la Suisse (www.hls.ch) consacre ou a prévu de consacrer des notices biographiques à Maurice Dubois, Albert Gross, Paul Grüninger, Hildegard Gutzwiller, Anne-Marie Im Hof-Piguet, Carl Lutz, Gertrud Lutz-Fankhauser et Hans Schaffert. Sur les Justes, en particulier sur Friedel Bohny-Reiter et Carl Lutz, on se référera aussi à l’article de Michèle FLEURY, «Résister là où on se trouve» dans les Actes du Séminaire de Budapest organisé par le Conseil de l’Europe (15-17 avril 2005), pp. 58-68. B. Sur les actions des Justes suisses 1. Frontière suisse après l’Anschluss de l’Autriche Parmi la littérature abondante sur la politique à l’égard des réfugiés, on signalera pour l’année 1938, un excellent article: BOURGEOIS, Daniel, «La porte se ferme: la Suisse et le problème de l’immigration juive en 1938» in Business helvétique et Troisième Reich. Milieux d’affaires, politique étrangère, antisémitisme. Lausanne, Ed. Page Deux, 1998, 269 p., pp. 167-194. Le rapport Ludwig de 1957, qui reste une œuvre de référence, est désormais disponible en ligne: www.dodis.ch, DoDiS No 17417. Sur Paul Grüninger, l’œuvre de référence reste: KELLER, Stefan, Délit d’humanité. L’affaire Grüninger. Lausanne, Ed. d’en bas, 1994, 291 p. Traduction française, avec une préface de la conseillère fédérale Ruth Dreifuss, d’un livre publié en 1993, malheureusement sans que les notes aient été re- 99 L es J u s t es s u isses prises. Sur la base de ce livre, Richard Dindo a tourné un film documentaire: Grüninger’s Fall, 1997, 98 min. Deux controverses ont surgi ces dernières années, mais les interprétations de Stefan Keller restent largement admises parmi les historiens: L’une autour du rôle de Sydney Dreifuss, dont la fille siégeait alors au Conseil fédéral: Christoph Blocher, alors conseiller national, a affirmé qu’il avait dénoncé Paul Grüninger, interprétation que Stefan Keller a contestée fermement (voir Weltwoche des 06.03.1997 et 17.04.1997). L’autre à propos des liens entre Grüninger et les nazis: Shraga Elam a soutenu notamment que Grüninger était membre d’un parti pro-nazi interdit par le Conseil fédéral (Nationale Bewegung der Schweiz); Stefan Keller, entre autres, a contesté cette interprétation (voir SonntagsBlick du 24.05.1998 et Wochenzeitung du 28.05.1998; puis Shraga ELAM, Paul Grüninger – Held oder korrupter Polizist und Nazi-Agent? (Berne, Pro Libertate, 2003), NZZ am Sonntag du 08.02.2004, Der Bund du 17.02.2004 et 24 heures du 06.09.2004). Une Fondation Paul Grüninger a été créée à Saint-Gall: www.paul-grueninger.ch. Pour une étude plus englobante, sur le canton de Saint-Gall: KRUMENACHER, Jörg, Flüchtiges Glück. Die Flüchtlinge im Grenzkanton St.Gallen zur Zeit des Nationalsozialismus. Zurich, Limmat Verlag, 2005, 415 p. (en particulier pp. 149-194). Il n’existe pas d’étude sur Ernest Prodolliet, mais on trouvera de bonnes indications dans les ouvrages cités de Stefan Keller (pp. 74-78) et de Jörg Krummenacher (pp. 158-168). Les informations sur Anton Bühler sont encore plus rares. On trouve des indications dans l’ouvrage de Martin BUNDI, Bedrohung, Anpassung und Widerstand. Die Grenzregion Graubünden 1933-1946 (Desertina, Bündner Monatsblatt, 1996, pp. 44-45) et dans un article de la Neue Zürcher Zeitung du 27 octobre 2001 (Fünf «Gerechte» in der israelischen Botschaft geehrt). Les informations utilisées par nous proviennent des archives de M. Herbert Herz. Avec deux autres Grisons, Anton Bühler a fait en 2002 l’objet d’un documentaire de Ruedi Bruderer et Bertilla Giossi pour la télévision romanche (Curashi civil: Reto Caratsch – Gaudenz Canova – Anton Bühler, 26 min.). 2. France 2.1 Ouvrages généraux sur le sauvetage de Juifs en France LAZARE, Lucien, Le Livre des Justes. Histoire du sauvetage des juifs par des non juifs en France, 1940-1944. Paris, J.-C. Lattès, 1993, 262 p. Ouvrage de synthèse par un ancien résistant qui travaille au département des Justes de Yad Vashem et éditerait en 2003 le Dictionnaire des Justes de France. S’appuyant non seulement sur les témoignages récoltés par Yad Vashem mais aussi sur la littérature, il montre dans un style clair et captivant toute la diversité des actions de sauvetage. 100 L es J u s t es s u isses YAGIL, Limore, Chrétiens et Juifs sous Vichy (1940-1944). Sauvetage et désobéissance civile. Paris, Cerf, 2005, 765 p. Après une introduction substantielle qui présente un tableau d’ensemble, l’ouvrage examine, département par département, les actes individuels et collectifs qui ont permis que trois quarts des Juifs présents sur sol français échappent à la déportation. L’étude très fouillée se base sur des documents des Archives nationales à Paris, des dossiers de Yad Vashem et sur une littérature abondante. On y découvre bien sûr des Justes, mais aussi des personnes qui ont secouru des Juifs ou se sont opposées à la politique antisémite de Vichy. Mémorial de la Shoah, les Justes de France. Paris, 2006, 252 p. Catalogue de l’exposition du même nom, l’ouvrage contient en particulier des textes sur Maurice Dubois, Elisabeth Eidenbenz, Friedel Reiter, Rosa Näf, Sebastian Steiger, August Bohny et le couple de Pury (pp. 27, 28, 34, 121, 122, 200). 2.2. Camps d’internement, Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE) Sur les camps d’internement PESCHANSKI, Denis, La France des camps: l’internement 1938-1946. Paris, Gallimard, 2002, 549 p. L’ouvrage le plus complet sur les camps, qui participent de la logique d’exclusion sociale de Vichy avant de devenir la pierre angulaire du dispositif de déportation. GRYNBERG, Anne, «Les camps de la honte»: les internés juifs dans les camps français 1939-1944. Paris, La Découverte, 1991, 400 p. Ouvrage pionnier centré sur les internés juifs. Sur la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE) SCHMIDLIN, Antonia, Eine andere Schweiz. Helferinnen, Kriegskinder und humanitäre Politik 1933-1942. Zurich, Chronos, 1999, 432 p. Contrairement à son sous-titre, cette étude examine le secours aux enfants jusqu’à la fin de la guerre, après avoir montré, dans ses origines, l’importance de l’engagement humanitaire durant la guerre d’Espagne. L’ouvrage fait une synthèse de la littérature existante et repose aussi sur une série d’entretiens réalisés en 1993. Il est complété par d’utiles notices biographiques. KANYAR BECKER, Helena, «Texte zur Ausstellung» in KANYAR BECKER, Helena (Ed.), Die Humanitäre Schweiz 1933-1945. Kinder auf der Flucht. Bâle et Berne, Universitätsbibliothek Basel, 2004, pp. 9-36. Aperçu clair et concis du secours suisse aux enfants, en particulier dans le Sud de la France et enrichi d’une belle iconographie. Dans le même ouvrage, on trouvera des témoignages sur les foyers de la CRS, SE au Chambon-surLignon et sur la maternité d’Elne. 101 L es J u s t es s u isses FLEURY-SEEMULLER, Michèle, «Introduction» in BOHNY-REITER, Friedel, Journal de Rivesaltes 1941-1942 (édité par Michèle Fleury-Seemüller). Genève, Zoé, 1993, pp. 5-28. Très bon aperçu en langue française. Sur la colonie de La Hille Deux anciens de La Hille ont publié leurs mémoires, actuellement disponibles aussi bien en français qu’en allemand, et deux films documentaires ont été tournés: IM HOF-PIGUET, Anne-Marie, La Filière – en France occupée 1942-1944. Yverdon-les-Bains, Editions de la Thièle, 1985, 165 p. En allemand: Fluchtweg durch die Hintertür. Eine Rotkreuz-Helferin im besetzten Frankreich 1942-1944. Frauenfeld, Verlag im Waldgut, 1987, 156 p. Premier témoignage, écrit dans un style vif mais sobre, sur La Hille et ses deux filières, vers la Savoie et vers le Risoux. Il contient aussi les récits de Rösli Näf sur la rafle du 26 août 1942 et celui de Gret Tobler sur son passage clandestin en Suisse avec deux jeunes filles juives. En annexe, on trouve sept témoignages d’enfants de La Hille, dont celui de Werner Epstein, survivant d’AuschwitzBirkenau. Une liste des enfants et de leurs destins complète l’ouvrage. Celui-ci a été réédité en 2001 avec une préface de l’historienne Michèle Fleury. STEIGER, Sebastian, Les enfants du château de La Hille. Bâle, Brunnen-Verlag, 1999, 359 p. En allemand: Die Kinder von Schloss La Hille. Bâle, Brunnen-Verlag, 1992, 379 p. Notablement plus long que celui de Anne-Marie Im Hof-Piguet, ce récit offre des compléments avec des témoignages d’enfants (il reproduit ainsi le journal d’Edith Goldapper) mais apporte peu d’éléments nouveaux au plan factuel. Des noms ont été modifiés, dont celui de la directrice Emmi Ott. La filière. Film documentaire réalisé par Jacqueline Veuve en 1987, sur la base de l’ouvrage d’Anne-Marie Im Hof-Piguet (37 min.) www.jacquelineveuve.ch/lg_fr/index.html. Avec des interviews de Anne-Marie Im Hof-Piguet, Maurice Dubois, Rösli Näf, Emmi Ott, des sœurs Victoria et Madeleine Cordier et d’un ancien enfant de La Hille. Un îlot dans la tempête. Film documentaire de Neus Viala en 2005 (52 min.) www.cultures-et-communication.com. Avec plusieurs interviews d’anciens enfants de La Hille, ainsi que d’AnneMarie Im Hof-Piguet et Sebastian Steiger. VALSANGIACOMO, Enrico, «Les Français en train et les juifs… par la filière» et «Qui pourra jamais écrire cela?» in Actio 8/9, 1988, pp. 14-15 et 27. Compte rendu substantiel de l’ouvrage d’Anne-Marie Im Hof-Piguet et unique interview publié de Maurice Dubois. 102 L es J u s t es s u isses IM HOF-PIGUET, Anne-Marie, «Engagement sur un autre front» in L’Histoire, c’est (aussi) nous, Intervalles. Revue culturelle du Jura bernois et de Bienne, 71, hiver 2005, pp. 67-70. Résumé de son engagement en faveur de la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants, en particulier de la filière à travers le Risoux. Theo Tschuy, auteur d’une étude sur Carl Lutz (voir infra, 5), a réuni une abondante documentation dans la perspective de rédiger une étude. La mort l’a malheureusement emporté avant, mais sa documentation a été versée à Archiv für Zeitgeschichte à Zurich (Forschungsdokumentation Theo Tschuy). Cette documentation est en principe exploitée par Walter Reed, un ancien de La Hille qui a le projet de mener à bien une histoire complète de ce groupe d’enfants. Deux études universitaires sur la CRS, SE n’ont malheureusement pas été publiées: Esther SCHÄRER, Croix-Rouge Suisse, Secours aux enfants, 19421945. Sa formation, son activité, ses relations avec le gouvernement suisse, son rôle (mémoire de licence de l’Université de Genève, 1986) et Vanessa HORESNYI, Les maisons d’enfants du secours suisse au Chambon-sur-Lignon 1939-1945 (maîtrise d’histoire de l’Université Jean Moulin Lyon III, année 1996-1997). Autres monographies BOHNY-REITER, Friedel, Journal de Rivesaltes 1941-1942 (édité par Michèle Fleury-Seemuller). Genève, Zoé, 1993, 156 p. Journal de Rivesaltes 1941-1942. Film documentaire réalisé par Jacqueline Veuve en 1997 (77 min.). Prix du cinéma suisse: Meilleur documentaire en 1998. La Maternité d’Elne. Film documentaire réalisé par Frédéric Goldbronn en 2002 (56 min.) http://f.rosolato.free.fr/elne.html. LEGRAIS, Hélène, Les enfants d’Elisabeth. Paris, Presses de la Cité, 2007. Sur Elisabeth Eidenbenz et la Maternité d’Elne. FIVAZ-SILBERMANN, Ruth, «Un prêtre suisse contre le pouvoir de Vichy. L’abbé Albert Gross auprès des Juifs internés (1942-1943)» in Traverse. Revue d’histoire, 2000/3, pp. 90-99. Sur l’abbé Gross, on pourra aussi se référer au témoignage du grand rabbin de Lausanne: VADNAI, Georges, Jamais la lumière ne s’est éteinte. Un destin juif dans les ténèbres du siècle. Lausanne, L’Age d’Homme, 1999, pp. 103-111. BOHNY, Auguste, «Le Secours suisse 1941-1944» (24 p.) in BOLLE, Pierre (dir.), Le Plateau Vivarais. Accueil et résistance 1939-1944. Actes du colloque du Chambon-sur-Lignon. Le Chambon-sur-Lignon, Société d’histoire de la Montagne, 1992. 103 L es J u s t es s u isses On trouvera d’utiles informations sur des sites Internet consacrés au camp de Rivesaltes (www.cg66.fr/culture/memorial), au camp de Gurs (http://gurs.free. fr/liens.html#) et à la Maternité d’Elne (www.elne.fr/maternite). 2.3. Passages et caches Etudes à caractère général FIVAZ-SILBERMANN, Ruth, «Refoulement, accueil, filières: les fugitifs juifs à la frontière franco-genevoise entre 1942 et 1944. Pour un nouveau modèle du refuge» in Revue suisse d’histoire, 2001/3, pp. 296-316. Synthèse claire et précise d’une problématique compliquée dont l’auteure poursuit depuis plusieurs années l’examen, tant dans les archives suisses que dans les archives françaises. De la même auteure, on relèvera: Le refoulement des réfugiés civils juifs à la frontière franco-genevoise durant la Seconde Guerre mondiale, suivi du Mémorial de ceux parmi eux qui ont été déportés ou fusillés. Paris, Beate Klarsfeld Foundation, 2000. «Filières de passages en Suisse» in Archives d’Etat de Genève, Les Réfugiés civils et la frontière genevoise durant la Deuxième Guerre mondiale. Fichiers et archives. Genève, Archives d’Etat de Genève, 2000, pp. 135-136. Sur les passages et les passeurs, on signalera également: CROQUET, Jean-Claude, Chemins de passage. Les passages clandestins entre la Haute-Savoie et la Suisse de 1940 à 1944. Saint-Julien-en-Genevois, La Salévienne, 1996, 127 p. MUNOS-DU PELOUX, Odile, Passer en Suisse. Les passages clandestins entre la Haute-Savoie et la Suisse 1940-1944. Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2002, 135 p. YAGIL, Limore, Chrétiens et Juifs…, op. cit., pp. 170-194. NEURY, Laurent, «La banalité du bien: devenir passeur de Juifs à la frontière franco-suisse (1939-1945)» in Relations internationales, 118, été 2004, pp. 169-184. L’auteur a constitué une base de données regroupant 397 anciens passeurs, dont 49 pour lesquels il a recueilli un témoignage direct. Il a dénombré 52 filières de 3 à 26 membres. BELOT, Robert (dir.), Guerre et frontières. La frontière franco-suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Panazol (France), Lavauzelle, 2006, 366 p. Actes d’un colloque tenu en avril 2005 dans le cadre du projet «Une frontière entre la guerre et la paix: contacts, échanges et représentations de l’arc jurassien (1939-1950)» présenté par les universités de Fribourg, Neuchâtel et BelfortMontbéliard et soutenu par le Fonds national de la recherche scientifique. Même si aucune contribution n’est consacrée au sauvetage des Juifs, ces actes témoignent de la diversité et de la richesse des approches de la frontière par les historiens. Sur le Chambon-sur-Lignon et toute sa région, on signalera le récent ouvrage collectif suivant, basé sur les actes d’un colloque: Les Résistances sur le Plateau Vivarais-Lignon, 1938-1945. Témoins, témoignages et lieux de mémoire. Les oubliés de l’histoire parlent. Polignac, Ed. du Roure, 2005, 208 p. 104 L es J u s t es s u isses Monographies concernant des Justes suisses NODOT, René, Résistance non violente 1940 – 1944. Mémoires de René Nodot, titulaire du diplôme de «Passeur bénévole de frontière». Lyon, Faculté des lettres, 1978, 93 p. + annexes. Au-delà du récit brut, René Nodot cherche toujours à mettre ses actions en contexte et reste très attentif aux témoignages qui ont pu, depuis la guerre, confirmer ou infirmer tel ou tel point de son récit. CAPT, Daniel, Fred. Vevey, L’Aire, 2005, 180 p. La vie d’un agent des services suisses de renseignements, qui a aussi convoyé des fugitifs à travers le Risoux, racontée par un ami. Témoignage affectueux et coloré sur Fred Reymond, qui nous fait aussi rencontrer Anne-Marie Piguet et Victoria Cordier, enrichi de nombreuses photographies. GRIN, Micha, William Francken, médecin de campagne. Yens, Cabédita, 1996, 158 p. Les pages 26-47 reproduisent le témoignage de Laure Francken rédigé en 1946. LAREYNIE, Bernard, «Marguerite et Paul Tzaut, deux Justes des Nations» in La mémoire du fleuve. Bulletin d’étude et de recherche sur l’histoire de Tonneins et du Tonneinquais, No 39, 2006, pp. 14-16. Article bref, basé principalement sur les témoignages de Yad Vashem. 2.4. Pasteurs Roland de Pury et Marcel Pasche Roland DE PURY a publié une trentaine d’ouvrages, dont un Journal de cellule (30.5.1943 – 29.10.1943). La troisième édition du Journal a été publiée en 1981 dans l’ouvrage Evangile et Droits de l’homme, qui comporte également plusieurs textes inédits dont le fameux sermon du 14 juillet 1940 (Genève, Labor et Fides, 1981, 269 p.). Marcel PASCHE a publié ses souvenirs en 1995: Années de guerre et de fraternité. Evocations sinistres et lumineuses d’un pasteur (Le Mont-sur-Lausanne, Ed. Ouvertures, 191 p.). L’ouvrage contient aussi le texte de l’allocution qu’il a prononcée lors de la réception de la médaille des Justes à Roubaix. Sur Roland de Pury, en plus d’indications dans les ouvrages de Lucien Lazare (pp. 156-159) et de Limore Yagil (en part. pp. 140-142), une excellente présentation générale a été donnée par son ami René Nodot: NODOT, René, Le pasteur Roland de Pury et les protestants de la Région Lyonnaise dans la Résistance. Conférence prononcée le 15 décembre 1981 au Rectorat de l’Université de Lyon (Commission d’histoire de la Seconde guerre mondiale) (tapuscrit de 28 p., Bibliothèque nationale, Berne). Dans ses mémoires, Carlo Schmid a abordé les activités de Marcel Pasche à Roubaix: SCHMID, Carlo, Erinnerungen. Berne, Munich, Vienne, Scherz 1979, 866 p., pp. 190-191. 105 L es J u s t es s u isses 3. Belgique Les informations générales sont tirées de l’introduction au volume belge de l’encyclopédie des Justes, ainsi que de deux dictionnaires: BENZ, Wolfgang (Ed.), Lexikon des Holocaust (Munich, Beck, 2002, 264 p.) et JÄCKEL, Eberhard, e.a., (Ed.), Enzyklopädie des Holocaust (Munich, Piper, 1995, 4 volumes). Sur Paul Calame-Rosset, les informations proviennent des Archives Herbert Herz. 4. Reich allemand La chaîne de sauvetage autour de Luise Meier (à Berlin) et Josef Höfler (à Gottmadingen), et à laquelle Jean-Edouard Friedrich et Elise Höfler ont participé, est très bien documentée, par des témoignages et des études basées sur des documents d’archives: STRAUSS, Herbert, Über dem Abgrund. Eine jüdische Jugend in Deutschland 1918-1943. Francfort, New York, Campus Verlag, 1997, 309 p. (pp. 265-297 pour la fuite en Suisse). STRAUSS, Lotte, Über den grünen Hügel. Erinnerungen an Deutschland. Berlin, Metropol, 1997 (pp. 131-198 pour la fuite en Suisse). Il existe également une version anglaise de ces deux témoignages, celui de Herbert Strauss et de Lotte Strauss, née Lotte Schloss-Kahle. BATTEL, Franco, «Ein Netz von Helferinnen und Helfer: Die Fluchthilfe um Luise Meier und Josef Höfler» in «Wo es hell ist, dort ist die Schweiz». Flüchtlinge und Fluchthilfe an der Schaffhauser Grenze zur Zeit des Nationalsozialismus. Zurich, Chronos, 2000, pp. 204-229. SCHOPPMANN, Claudia, «Fluchtziel Schweiz: Das Hilfsnetz um Luise Meier und Josef Höfler» in BENZ, Wolfgang (Ed.), Überleben im Dritten Reich. Juden im Hintergrund und Ihre Helfer. Munich, dtv, 2006, pp. 205-219. L’étude de Franco Battel est très complète et se base notamment sur des documents suisses et des interviews. Plus récente (2003), celle de Claudia Schoppmann s’intéresse d’abord aux motivations des sauveurs. Le rôle de JeanEdouard Friedrich est surtout examiné par Franco Battel. Le dictionnaire des Justes allemands et autrichiens (Lexikon der Gerechten unter den Völkern, Yad Vashem et Wallstein, 2005) comporte des notices biographiques sur Frieda Impekoven et Elise Höfler (entrée: Meier, Luise). 5. Hongrie et Budapest Les deux ouvrages de référence sont TSCHUY, Theo, Diplomatie dangereuse. Carl Lutz, l’homme qui a sauvé les juifs de Budapest. Genève, Georg, 2004, 277 p. (préface de Simon Wiesenthal). Version plus centrée sur Lutz mais aussi actualisée de l’original allemand (Carl Lutz und die Juden von Budapest. Zurich, NZZ, 1995, 446 p.) Fouillé et très accessible, malheureusement sans références ni bibliographie. 106 L es J u s t es s u isses BEN-TOV, Arieh, Face au génocide. La Croix-Rouge et les Juifs de Hongrie, 1941-1945. Lausanne, Payot, 1997, 232 p. Version originale anglaise de 1988, traduction allemande en 1990. Aucun des Justes n’a publié ses mémoires ou souvenirs. Signalons le film «La Casa di vetro» de la Télévision suisse italienne (2005, 87 min). Disponible en DVD, avec un sous-titrage anglais, réalisé par Aldo Sofia, le traducteur italien de l’ouvrage de Tschuy. Autres publications consacrées à des Justes suisses GROSSMAN, Alexander, Nur das Gewissen. Carl Lutz und seine Budapester Aktion. Geschichte und Porträt. Wald, Im Waldgut, 1988, 284 p. Ancien pionnier juif ayant travaillé avec Lutz, Grossman accorde une large place aux témoignages et documents. Il n’existe pas de version française de l’ouvrage. GUTZWILLER, Jörg, Sanfte Macht. Hildegard Gutzwiller, eine mutige Christin die Juden rettete. Fribourg, Kasinius Verlag, 1998, 55 p. L’auteur a réuni le peu d’informations disponibles sur sa tante, dont le journal qu’elle a tenu entre Noël 1944 et Pâques 1945. KANYAR BECKER, Helena (Ed.), Gertrud Lutz-Fankhauser: Diplomatin und Humanistin. Bâle et Berne, 2006, 47 p. Catalogue de l’exposition temporaire sur Gertrud Lutz, avec de nombreuses photos et documents dont le récit des six semaines passées dans l’abri antiaérien de la légation britannique (pp. 18-29). VAMOS, György, 1944. Glasshouse. Memorial Room. Budapest, [2006], 63 p. Catalogue de la petite exposition permanente à la Maison de verre à Budapest, avec notamment des témoignages. HABER, Peter, «Die Aufnahme der Schweizer Gesandtschaft» in LÜTGENAU, Stefan August (Ed.), Paul Esterházy 1901-1989. Ein Leben im Zeitalter der Extreme. Innsbruck, e.a., Studien Verlag, 2005, pp. 39-59. Met l’accent sur la cache offerte par Harald Feller dans la chancellerie de la légation de Suisse, alors située dans le palais Esterházy. Deux personnes, Eva Koralnik et Vera Rottenberg, que Harald Feller a fait sortir de Hongrie avec leur mère témoignent dans PRUSCHY, Eva (dir.), Survivre et témoigner. Rescapés de la Shoah en Suisse. Genève et Zurich, Haute école de travail social et Pestalozzianum, 2007. Sur d’autres aspects des actions de sauvetage des Juifs de Budapest (négociations menées avec des nazis par des leaders de la communauté juive de Budapest, certificats salvadoriens de complaisance, vie et destin de Raoul Wallenberg): BAUER, Yehuda, Juifs à vendre? Les négociations entre nazis et Juifs, 19331945. Paris, Liana Levi, 1996, 415 p. (traduit de l’anglais). 107 L es J u s t es s u isses FAVEZ, Jean-Claude, Une mission impossible? Le CICR, les déportations et les camps de concentration nazis. Lausanne, Payot, 1988, 429 p. (pp. 315-337 sur la Hongrie). GANN, Christoph, Raoul Wallenberg. So viele Menschen retten wie möglich. Munich, C.H. Beck, 1999, 274 p. KRANZLER, David, The Man Who Stopped the Trains to Auschwitz. George Mantello, El Salvador, and Switzerland’s Finest Hour. Syracuse (New York), Syracuse University Press, 2000, 341 p. MIHOK, Brigitte (Ed.), Ungarn und der Holocaust. Kollaboration, Rettung und Trauma. Berlin, Metropol, 2006, 175 p. En particulier BRAHAM, Randolph L., «Rettungsaktionen: Mythos und Realität» (pp. 15-40). SZITA, Szabolcs, Trading in Lives? Operations of the Relief and Rescue Committee in Budapest, 1941-1945. Budapest, New York, Central European University Press, 2005, 237 p. (traduit du hongrois). Quelques documents provenant des Archives fédérales suisses sont disponibles en ligne sur le site des Documents diplomatiques suisses (www.dodis.ch). La base de données DoDiS permet des recherches par mots clés (personnes, noms géographiques) et par périodes. S’agissant de la Hongrie, presque tous les documents sont en allemand. 6. Prague et la Pologne Les dictionnaires de Yad Vashem (voir la rubrique «Ouvrages généraux») contiennent les notices biographiques de Joachim von Zedtwitz (volume sur l’Allemagne et l’Autriche), de Alicja Cerny-Seipp, Anna Paszkiewicz et Irena Zadarnowska (volume sur la Pologne). Pour cette dernière, la date de nomination indiquée (22 décembre 1962) est erronée – ne serait-ce que parce que la Commission de nomination des Justes a tenu sa première séance en 1963. Mme Anna Piotrowska du Musée polonais de Rapperswil a aimablement transmis à l’auteur une série de documents sur Irena Zadarnowska, dont un article substantiel publié dans le journal Die Linth le 8 mai 1981. La documentation transmise permet d’indiquer la date exacte de nomination: 22 décembre 1964. Grâce à M. Jacek Sygnarski, président de la Fondation Archivum Helveto-Polonicum, nous avons pu entrer en contact avec Mme Alicja Cerny-Seipp et avec la fille de Mme Anna Paszkiewicz, qui habitent toutes deux à Genève. Sur Bill Barazetti, un article intéressant est la notice nécrologique du Times dans son édition du 9 octobre 2000. Les informations citées proviennent de cet article ainsi que d’un dossier des Archives fédérales suisses (E 4264 1989/146/45: K 2535). Sur Nicholas Winton: www.powerofgood.net/story.php. 108 L es J u s t es s u isses Liste des encadrés et de leurs sources 1. Yad Vashem. Sources: «Introduction» au Dictionnaire des Justes de France, Yad Vashem et Fayard, 2003, pp. 17-21; site Internet de Yad Vashem: www.yadvashem.org. 2. Pour un (futur) Juste, témoigner n’a rien d’habituel. Source: Archives Herbert Herz. 3. Le destin tragique d’un Juste de Lituanie. Source: GILBERT, Martin, Les Justes. Les héros méconnus de la Shoah. Paris, Calmann-Lévy, 2004, p. 109. 4. Les excuses du président de la Confédération, Kaspar Villiger, en 1995. Source: «Réflexions à l’occasion du 50e anniversaire de la fin de la Guerre». Le président de la Confédération Kaspar Villiger devant les Chambres fédérales, le 7 mai 1995. 5. Rothmund se plaint des milliers de visas délivrés dans les consulats de Suisse en Italie. Sources: lettre de Heinrich Rothmund au chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique fédéral, du 23 novembre 1938; reproduite in Documents diplomatiques suisses, volume 14, doc. 454 ; dossier personnel de Pio Perucchi (Archives fédérales suisses, E 2500 1 vol. 39) et dossier E 2001 (D) 2, vol. 115. 6. Récit de Hellmut R. de Vienne, arrivé peu avant Noël 1938 au camp de Diepoldsau. Source: KELLER, Stefan, Délit d’humanité. L’affaire Grüninger. Lausanne, Ed. d’en bas, 1994, pp. 103-104. 7. Le Comité de Nîmes. Source: PESCHANSKI, Denis, La France des camps: l’internement 1938-1946. Paris, Gallimard, 2002, pp. 246-254 et 364. 8. L’abbé Gross sauve le futur grand rabbin de Lausanne. Source: VADNAI, Georges, Jamais la lumière ne s’est éteinte. Un destin juif dans les ténèbres du siècle. Lausanne, L’Age d’homme, 1999, pp. 108-109. 9. Vers la Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE). Source: SCHMIDLIN, Antonia, Eine andere Schweiz. Helferinnen, Kriegskinder und humanitäre Politik 1933-1942. Zurich, Chronos, 1999, pp. 63, 127, 176, 211-220, 295. 10. Friedel Reiter témoin des déportations. Source: BOHNY-REITER, Friedel, Journal de Rivesaltes 1941-1942 (édité par Michèle Fleury-Seemuller). Genève, Zoé, 1993, pp. 133-135. 11. Activités de la CRS, SE en zone sud. Sources: SCHMIDLIN, Antonia, Eine andere Schweiz. Helferinnen, Kriegskinder und humanitäre Politik 109 L es J u s t es s u isses 1933-1942. Zurich, Chronos, 1999; Archives Herbert Herz, liste du personnel de la délégation de la CRS, SE dans la zone Sud établie par la CRS en novembre 1986; Journal de Genève, 30 décembre 1995 – 2 janvier 1996; KANYAR BECKER, Helena, «Texte zur Ausstellung» in KANYAR BECKER, Helena (Ed.), Die Humanitäre Schweiz 1933-1945. Kinder auf der Flucht. Bâle et Berne, Universitätsbibliothek Basel, 2004, p. 25. 12. La rafle du 26 août 1942 au château de La Hille. Source: IM HOF-PIGUET, Anne-Marie, La Filière – en France occupée 1942-1944. Yverdonles-Bains, Editions de la Thièle, 1985, pp. 73-74, qui rapporte le récit de Rösli Näf; la date du 26 août vient de Schmidlin, op. cit., pp. 267-270. Anne-Marie Piguet est arrivée à La Hille au printemps 1943. 13. Jacques Roth passe la frontière. Source: Archives Herbert Herz, témoignage de M. Jacques Roth établi le 12 janvier 1992. 14. Madeleine Cordier parvient à éviter le refoulement. Sources: IM HOFPIGUET, Anne-Marie, La Filière – en France occupée 1942-1944. Yverdonles-Bains, Editions de la Thièle, 1985, p. 138; CAPT, Daniel, Fred. Vevey, L’Aire, 2005, p. 52. 15. Sauvetage de Rose Spiegel et Berta Silber. Source: Archives Herbert Herz, témoignage de Bracha Scheinman, née Berta Silber, lu à Berne le 15 février 2001. 16. Le Chambon-sur-Lignon. Sources: Dictionnaire des Justes de France, Yad Vashem et Fayard, 2003, en particulier les articles «Chambon-sur-Lignon» et «Trocmé André»; YAGIL, Limore, Chrétiens et Juifs sous Vichy (19401944). Sauvetage et désobéissance civile. Paris, Cerf, 2005, p. 492; LAZARE, Lucien, Le Livre des Justes. Histoire du sauvetage des juifs par des non juifs en France, 1940-1944. Paris, J.-C. Lattès, pp. 204-205; «La Montagne protestante, terre d’accueil et de résistance pendant la seconde guerre mondiale (1939-1945) (www.ville-lechambonsurlignon.fr)». 17. Les trois principales filières de passage à la frontière franco-genevoise reconstituées par l’historienne Ruth Fivaz-Silbermann. Sources: FIVAZ-SILBERMANN, Ruth, «Filières de passages en Suisse» in Archives d’Etat de Genève, Les Réfugiés civils et la frontière genevoise durant la Deuxième Guerre mondiale. Fichiers et archives. Genève, Archives d’Etat de Genève, 2000, pp. 135-136; FIVAZ-SILBERMANN, Ruth, «Refoulement, accueil, filières: les fugitifs juifs à la frontière franco-genevoise entre 1942 et 1944. Pour un nouveau modèle du refuge» in Revue suisse d’histoire, 2001/3, pp. 296-316, ici pp. 307 et 315; courriel de Ruth Fivaz-Silbermann a l’auteur du 14 mars 2007. 18. Extraits du «Livre de bord du Clou» de Laure Francken. Source: GRIN, Micha, William Francken, médecin de campagne. Yens, Cabédita, 1996, pp. 27-28 et 33. 19. Jesha Sapir retrouve en 1997 ses sauveurs valaisans. Source: Archives Herbert Herz. 20. René Nodot organise un passage en Suisse. Source: NODOT, René, Résistance non violente 1940 – 1944. Mémoires de René Nodot, titulaire du diplôme de «Passeur bénévole de frontière». Lyon, Faculté des lettres, 1978, pp. 30-31. 110 L es J u s t es s u isses 21. Fred Reymond et les passages de réfugiés juifs. Source: CAPT, Daniel, Fred. Vevey, L’Aire, 2005, p. 64. 22. Un tribunal militaire condamne Ernest Wittwer. Source: Archives Herbert Herz, procès-verbal de l’audience du 31 mai 1944 du Tribunal territorial I. 23. La fuite de la famille Hercock. Source: témoignage de Claire Hercock, cité in LAREYNIE, Bernard, «Marguerite et Paul Tzaut, deux Justes des Nations» in La mémoire du fleuve. Bulletin d’étude et de recherche sur l’histoire de Tonneins et du Tonneinquais, No 39, 2006, p. 15. 24. Le sauvetage de la famille Rojtenberg par le couple Wasserfallen. Source: Le Journal des Cévennes, 2 avril 2001 (Archives Herbert Herz). 25. Sermon du pasteur de Pury du 14 juillet 1940. Source: DE PURY, Roland, Journal de cellule (30.5.1943 – 29.10.1943). Genève, Labor et Fides, 1981, pp. 20-22. 26. Journal de cellule du pasteur de Pury. Source: DE PURY, Roland, Journal de cellule (30.5.1943 – 29.10.1943). Genève, Labor et Fides, 1981, pp. 58, 88, 105-106, 114-115. 27. Marcel Pasche, le consul de Suisse et la prison de Loos. Source: PASCHE, Marcel, Années de guerre et de fraternité. Evocations sinistres et lumineuses d’un pasteur. Le Mont-sur-Lausanne, Ed. Ouvertures, 1995, pp. 35-37. 28. «Auguste Matringe (1894-1984). Humaniste Franco-Suisse. Juste parmi les nations». Sources: YAGIL, Limore, Chrétiens et Juifs sous Vichy (1940-1944). Sauvetage et désobéissance civile. Paris, Cerf, 2005, p. 144; Le Progrès (Lyon), 21 avril 2003. 29. Les motivations de l’architecte Paul Calame-Rosset. Sources : Archives Herbert Herz, lettres du 1er mars et du 14 avril 1998 de Paul Calame-Rosset à Herbert Herz. 30. Jean-Edouard Friedrich, Werner von Braun, les Américains et les Russes. Source: La Liberté, 6 septembre 1999. 31. D’autres lettres de protection: Milorad Tosic et Eduard Hürlimann. Sources: entretien de Milorad Tosic avec l’auteur le 25 novembre 2006; Berner Tagblatt, 19 août 1978; Bericht von Oberrichter Kehrli vom 27. Juli 1945, pp. 6-7 (Archives fédérales suisses, E 2001 (D) 7, vol. 15). 32. Carl et Gertrud Lutz dans la briqueterie d’Óbuda. Source: TSCHUY, Theo, Diplomatie dangereuse. Carl Lutz, l’homme qui a sauvé les juifs de Budapest. Genève, Georg, 2004, pp. 208-209. 33. Plan de la ville de Budapest, 1944-1945. Etabli par le Service historique du DFAE en 2006. 34. Le voyage de Berta Rottenberg et ses filles de Budapest à Saint-Gall. Source: 24 heures, 23 août 1999 (témoignage d’Eva Koralnik-Rottenberg recueilli par Francine Brunschwig). 35. Bilan des sauvetages selon l’historien Yehuda Bauer. Source: BAUER, Yehuda, Juifs à vendre? Les négociations entre nazis et Juifs, 1933-1945. Paris, Liana Levi, 1996, pp. 325-326. 111 L es J u s t es s u isses Table des matières Introduction 3 I. I.1. I.2. I.3. I.4. Les Justes Qu’est-ce qu’un Juste? Pourquoi un ouvrage sur les Justes? Comment écrire l’histoire des Justes suisses? Qui sont les Justes suisses? 5 5 7 9 10 II. Les actions des Justes suisses 12 II.1. A la frontière suisse après l’Anschluss de l’Autriche II.1.1. Des visas généreusement délivrés à Bregenz: Ernest Prodolliet II.1.2. Le commandant de la police saint-galloise licencié: Paul Grüninger II.1.3. Un Juste grison: Anton Bühler 12 14 15 17 II.2. En France 18 II.2.1. Le camp de Gurs 19 II.2.2. Le Secours aux enfants et les camps d’internés 21 II.2.3. La colonie pour enfants de La Hille, la rafle d’août 1942 et l’intervention de Maurice Dubois à Vichy 24 II.2.4. Les passages clandestins organisés depuis La Hille (1942-1944): Rösli Näf, Renée Farny, Anne-Marie Piguet, Gret Tobler, Sebastian Steiger 27 II.2.5. D’autres colonies de la CRS, SE: Faverges et Le Chambon-sur-Lignon 31 II.2.6. Filières et passages clandestins en Suisse 33 II.2.7. Caches institutionnelles et caches privées 41 II.2.8. Les pasteurs de Pury à Lyon et Pasche à Lille 46 II.3. En Belgique II.3.1. Sauvetage et résistance: Paul et May Calame-Rosset 51 51 II.4. Dans le Reich allemand II.4.1. Les maillons d’une longue chaîne de sauvetage: Jean-Edouard Friedrich et Elise Höfler-Brütsch II.4.2. Une cache à Francfort: Frieda Impekoven-Tobler 53 112 53 56 L es J u s t es s u isses II.5. A Budapest II.5.1. Carl Lutz: lettres, passeports et maisons de protection II.5.2. Le Bureau d’émigration de la légation de Suisse et la Maison de verre II.5.3. Achever le sauvetage dans Pest assiégée: Peter Zürcher et Ernst Vonrufs II.5.4. Friedrich Born et la protection des enfants II.5.5. Les caches: résidences diplomatiques, couvent, maison privée II.5.6. Bilans et destins II.6. Prague et la Pologne, lieux d’action de Justes fameux ayant un lien étroit avec la Suisse III. III.1. III.2. III.3. III.4. Notices biographiques Justes possédant la nationalité suisse au moment de leur action Justes possédant la nationalité suisse au moment de leur nomination Justes ayant perdu la nationalité suisse par mariage Justes ayant un lien étroit avec la Suisse IV. A. B. 1. 2. 2.1. 2.2. 2.3. 2.4. 3. 4. 5. 6. Sélection bibliographique Sur les Justes Sur les actions des Justes suisses Frontière suisse après l’Anschluss de l’Autriche France Ouvrages généraux sur le sauvetage de Juifs en France Camps d’internement, Croix-Rouge suisse, Secours aux enfants (CRS, SE) Passages et caches Pasteurs Roland de Pury et Marcel Pasche Belgique Reich allemand Hongrie et Budapest Prague et la Pologne 58 60 65 68 69 72 75 77 80 80 94 95 96 97 97 99 99 100 100 101 104 105 105 106 106 108 Liste des encadrés et de leurs sources 109 Remerciements 115 113 L es J u s t es s u isses Impressum Rédaction de l’ouvrage François Wisard Supervision, coordination et iconographie CICAD Genève, Johanne Gurfinkiel, Lili Dardashti, Sandra Hadjedz. Maquette et mise en page Imagic Genève, Daniel Hostettler Impression Imprimerie Genevoise, Genève Crédits photographiques M. Stefan Keller: p.17; p. 86, haut M. Jacques Lavilunière: p.22; p. 84, haut Fonds Friedel Bohny-Reiter: p. 23; p. 81, milieu; p. 81, bas Archives fédérales suisses1: p. 25; p. 67; p. 68; p. 84, milieu; p. 89; p. 93, bas ETH Zürich, Archiv für Zeitgeschichte: p. 27; p. 30; p. 46, haut; p. 85, bas; p. 91, haut M. Sebastian Steiger: p. 29; p. 91, bas Archives cantonales vaudoises: p. 33; p. 50; p. 84, bas; p. 85, haut Mme Marguerite Constantin-Marclay: p. 35; p. 82, bas Mme Jeanne Lavergnat: p. 39; p. 94, haut; p. 94, 2e position M. Alain Rouèche/Edipresse – 24 Heures: p. 40; p. 90 Mme Irène Westthal-Tzaut: p. 42; p. 92, haut; p. 92, 2e position Yad Vashem, France: p. 44; p. 46, bas; p. 83, haut; p. 83, bas; p. 88, bas Mme Lise Poletti-Wasserfallen: p. 45; p. 92, 4e position; p. 92, bas DFAE, Service historique: p. 49 M. François Grobet: p. 52; p. 82, 3e position M. Pablo Fernandez: p. 54; p. 85, milieu Archives Agnes Hirschi: p. 60; p. 87, bas M. Milorad Tosic: p. 63; p. 96, bas M. Hans-Jörg Vonrufs: p. 69; p. 92, 3e position Dr. Friedrich Born: p. 70; p. 82, haut M. Jörg Gutzwiller: p. 75; p. 86, bas Polenmuseum Rapperswil: p. 78, haut; p. 94, bas Mme Wanda Brysz: p. 78, bas; p. 94, 3e position Mme Alicja Cerny: p. 79; p. 96, haut Archives des Sœurs de la Charité, à La Roche sur Foron: p. 81, haut Mme Anne-Marie Im Hof-Piguet: p. 87, haut 1. Photos mises gracieusement à disposition. 114 L es J u s t es s u isses Remerciements de l’auteur L’auteur tient à adresser ses plus vifs remerciements à M. Herbert Herz, délégué de Yad Vashem pour la Suisse et la Savoie, qui lui a ouvert ses archives. Depuis lors, M. Herz a déposé ses archives au centre de documentation juive contemporaine de Zurich (Archiv für Zeitgeschichte). Il vient de relater ses années de guerre et de résistance dans l’ouvrage Mon combat dans la Résistance FTP-MOI. Souvenirs d’un jeune Juif allemand (édité par Muriel Spierer, Genève, 2006). L’auteur exprime aussi sa gratitude aux personnes qui l’ont aidé dans la collecte d’informations: Mmes Richelle Budd-Kaplan et Irena Steinfeldt de l’institut Yad Vashem à Jérusalem, Mme Anna Piotrowska du Musée polonais de Rapperswil, M. Jacek Sygnarski de la Fondation Archivum Helveto-Polonicum de Fribourg, ainsi que Mmes Alicja Cerny-Seipp, Ruth Fivaz-Silbermann, Helena Kanyar Becker, Lise Poletti, Anne Weill-Levy et Limore Yagil. M. Milorad Tosic et Mme Wanda Brysz ont accordé des entretiens à l’auteur, qui en conserve un souvenir ému et leur adresse ses vifs remerciements. L’auteur remercie Ruth Fivaz-Silbermann, Herbert Herz, Agnes Hirschi et Marc Perrenoud pour la relecture, partielle ou complète, du manuscrit et leurs précieuses observations. L’auteur Né en 1963 dans le Jura, François Wisard est docteur ès sciences politiques et licencié ès lettres de l’Université de Lausanne. Auteur de plusieurs ouvrages et articles sur divers aspects de l’histoire politique de la Suisse au XXe siècle, il dirige depuis 1999 le Service historique du Département fédéral des affaires étrangères. Il est également membre de la délégation suisse auprès de la Task Force for International Cooperation on Holocaust Education, Remembrance and Research (ITF). 115