Surfaces, tribologie et formage des matériaux
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Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Surfaces, tribologie et formage des matériaux Mélanges offerts à François Delamare pour son 60 e anniversaire Textes coordonnés par Éric Felder, enseignant-chercheur à l’École des Mines de Paris Les Presses de l’École des Mines Paris, 2001 © École des Mines de Paris, 60, boulevard Saint-Michel, 75272 Paris CEDEX 06 FRANCE e-mail : [email protected] http://www.ensmp.fr/Presses ISBN : 2-911762-25-8 Dépôt légal : février 2001 Achevé d’imprimer en février 2001 (Reprotechnique, Paris) Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et d’exécution réservés pour tous les pays SURFACES, TRIBOLOGIE ET FORMAGE DES MATÉRIAUX Mélanges offerts à François Delamare pour son 60e anniversaire Les soixante ans de François Delamare, J. Lévy 1 I - QUI EST DONC FRANÇOIS DELAMARE ? Melting at surfaces, G. E. Rhead Histoire d'un recrutement, P. Baqué François Delamare dans l'histoire du CEMEF, J.-F. Agassant Tribologie et simulation numérique, un dialogue fructueux, J.-L. Chenot La Tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité, E. Felder Un sociétaire, M. Armbruster A François Delamare numismate, C. Morrisson Mes amitiés de science et technologie : à mon ami François Delamare, J. de Bandt Bibliographie de François Delamare 5 9 15 17 21 57 59 65 77 II - CARACTÉRISATION ET RÉACTIVITÉ CHIMIQUE DES SURFACES La surface des verres : bases scientifiques pour la recherche industrielle, P. Chartier 87 La micro-analyse nucléaire : application à la science des surfaces et interfaces G. Béranger et D. David 107 Analyse non destructive de pigments et de colorants par des techniques microspectrométriques, B. Guineau 129 Apport de la spectrométrie de masse des ions secondaires à temps de vol (ToF-SIMS) à l'analyse des surfaces, M. Repoux, Y. de Puydt et R. Combarieu 143 Étude par ToF-SIMS des réactions thermiques et tribochimiques des additifs d’onctuosité de lubrifiant de laminage à froid avec des surfaces d’acier G. Dauchot, R. Combarieu et Y. de Puydt 171 III – DÉFORMATION ET RUPTURE DES INTERFACES Déformation de gouttelettes approchées d’un polymère polarisé E. Darque-Ceretti, S. Scotto-Sheriff et P. Cheyssac Le rôle de l'interface dans la mise en forme des mélanges de polymères immiscibles, D. Rusu, V. T. Tsakalos, P. Navard et E. Peuvrel-Disdier Couplage entre les propriétés superficielles et volumiques des matériaux caoutchoutiques. L'état de l'art, M. Barquins 195 207 233 Analyse mécanique de l’essai de clivage par le modèle de fondation D. Maugis Étude analytique et numérique de l'essai DCB de joints collés. Application au joint époxyde / PVD F. Bay, P.-O. Bouchard, E. Darque-Ceretti, E. Felder et S. Scotto-Sheriff 251 271 IV - TRIBOLOGIE Tribologue, J.-M. Georges 291 • CONTACTS BASSE PRESSION Évaluation des températures interfaciales dans un contact acier-céramique en frottement sec, J. Denape et O. Dalverny Le frottement des films polymères. Application à un moteur piézo-électrique E. Felder et L. Vanel Applications biomédicales des traitements de surface : nature des surfaces et propriétés mécaniques, P. Guiraldenq, J. Rieu, B. Forest et J.-L. Aurelle Paliers hydrodynamiques : aspects historiques et développements actuels J. Frêne, M. Fillon et D. Nicolas 299 317 331 351 • CONTACTS HAUTE PRESSION, MISE EN FORME DES MÉTAUX Couches de transfert et tribologie du laminage P. Montmitonnet, F. Delamare et B. Rizoulières Le bipoinçonnement : un essai rhéologique, tribologique et métallurgique Y. Chastel et P. Noat Modélisation de l'usure par abrasion des matrices de forgeage à chaud K. Mahjoub et E. Felder 377 395 413 V - LA MODÉLISATION NUMÉRIQUE DES SURFACES EN MISE EN FORME Modélisation numérique du contact et du frottement en mise en forme des métaux M. Bellet, L. Fourment, E. Massoni et J.-L. Chenot 435 Étude de la stabilité du procédé de co-extrusion R. Valette, L. Gavrus, P. Laure, B. Vergnes, Y. Demay et J.-F. Agassant 461 Une méthode simplifiée pour la simulation du profilage des tôles G. Néfussi et P. Gilormini 477 VI – ARCHÉOMATÉRIAUX ET MISE EN FORME Archéométallurgie et science des matériaux : une approche transdisciplinaire F. Montheillet et M. Pernot 497 Pourquoi et comment le sou d'or de Byzance est devenu concave P. Montmitonnet, F. Delamare et C. Morrisson 515 LES 60 ANS DE FRANÇOIS DELAMARE JACQUES LÉVY Directeur de l’École des Mines de Paris 1976, les «pionniers» essuient les plâtres à Sophia. Prenant mes fonctions à l’École des Mines de Paris, je rends visite à l’équipe en place pour voir comment aider à ce que l’installation se passe le mieux possible : tous les débuts sont difficiles ! Dire que, dans ce groupe, François Delamare passe inaperçu serait contraire à la vérité : sa compétence, son enthousiasme, et sa facilité d’expression en font un des éléments moteurs. Il serait excessif de dire que sa position de «lubrificateur» le place entre le marteau et l’enclume : il faut toutefois souligner que, grâce à sa vigilance, le difficile équilibre des activités du Centre de Mise en Forme des Matériaux fera toujours une place de choix à la Physique, en particulier à cette physique des surfaces aux techniques si coûteuses, dont les apports à la mécanique sont irremplaçables. Il sera aussi un des promoteurs d’un des grands projets du CEMEF, le laminoir à grande vitesse : expérience enrichissante à de multiples égards. Tout d’abord l’échelle des sommes à mobiliser change, et il faut convaincre des industriels de se joindre activement au projet. Ensuite il faut concevoir et construire (faire construire) une grosse machine qui, naturellement tombe en panne, comme tout prototype qui se respecte, dès que l’on veut faire une démonstration. Cela étant, c’est encore une machine très originale, comme doivent en concevoir les laboratoires de recherche, qui a donné des résultats nouveaux et intéressants. Mais ce ne sont là que quelques exemples des multiples contributions de l’équipe qu’il anime. Il serait dommage de ne pas insister sur la contribution de François Delamare aux activités de formation : le voici Grand Ordonnateur du DEA de Physique et Génie des Matériaux commun à l’UNSA et à l’EMP (tant que ceux-ci existent encore…) et de ses fastes, qu’il anime de main de maître. Mais François Delamare a bien d’autres cordes à son arc : grand collectionneur, historien de la métallurgie, numismate, que sais-je encore… Ses amis ont souhaité souligner avec quelque emphase son entrée dans le club des sexagénaires : ils ont eu raison et je les en félicite. C’est une occasion de démontrer, s’il en était besoin que, dans l’ordre de l’enthousiasme, le temps n’a pas de prise sur ceux qui font vivre l’École des Mines. Partie I QUI EST DONC FRANÇOIS DELAMARE ? Mélanges offerts à François Delamare pour son 60e anniversaire MELTING AT SURFACES GORDON E. RHEAD Directeur de recherches au CNRS To be in the right place at the right time. The answer to so many of the vicissitudes of life, it is, of course, only known with hindsight. To be a young man in Paris, in the Latin Quarter, in the 1960s, certainly looked like a good proposition. But when François Delamare (hereafter, FD) walked into the 'Laboratoire de Chimie Appliquée', as it was then called, in the École Nationale Supérieure de Chimie de Paris, and met the young Englishman who was to be his thesis supervisor, he probably had well justified doubts. As usual, things have to be seen in context, of which there are several layers. My own journey to Paris had started in Manchester where I had, much earlier, gone to be an undergraduate in physics. A high point of those impressionable student days had been a period of several months working at a bench where Rutherford had done the famous scattering experiments that demonstrated the existence of the atomic nucleus. A certain Dr Braddick, who had had an important role in the development of radar, was in charge of teaching 'The physics of the experimental method'. One of his practices was to make sure that every piece of equipment for our 3rd year experiments was broken before any student reached it. This so-called 'heuristic method' was claimed to be "good for research training". We were also made familiar with the 'string-and-sealing wax' approach to experimental innovation. Only later did I learn the French word 'bricoler'. This 'heuristic' ethos of the time did indeed go all the way up to research level, as I discovered later in Glasgow. There I met my first research tool in surface science, a razor blade ! This was used to make fine scratches on metal surfaces. The scratches were healed by annealing at high temperatures and in this way some of the first measurements were made of surface self-diffusion. Anyway, FD was certainly to suffer from my dubious background. The next contextual layer belongs to a broader history. The early 1960s were a turning point for surface science studies. It had long been understood that very high vacua are required for fundamental investigations of clean surfaces and adsorption phenomena. Methods for producing such vacua had existed since the 1930s, although the actual pressures were hard to measure and experiments generally involved cumbersome techniques with all-glass systems. The spin-off from efforts to reach the moon changed all that. In the early 60s, all-metal demountable (space-simulating) ultrahigh vacuum equipment was being manufactured, notably by the Varian company in California. Also, a collaboration between Lester Germer (co-discoverer of electron diffraction in the 1920s) and Bell Laboratories led to the manufacture of equipment for low-energy electron diffraction (LEED), which was soon to become a basic tool in the new surface science. Towards the end of the decade it was shown that LEED equipment could be modified to do Auger electron spectroscopy (AES). This consequently opened the way for quantitative analysis of surface composition. Soon a whole panoply of analytical 6 Surfaces, tribologie et formage des matériaux techniques and instrumentation (and a bewildering list of acronyms) would be released from the Pandora's box to the delight of both experimenters and funding agencies. Two other factors are pertinent to the story. Firstly, in order to understand surfaces one had to understand adsorption, structurally, atomistically, as well as thermodynamically. Secondly, it had become clear that the best information came from studying singlecrystal metal surfaces. In both these aspects Jacques Bénard's laboratory in Paris had already given an important lead. In fact when I went there in 1963 it was the foremost (virtually, the only) European laboratory in the field. So far, so good, for FD ! In the management terms of today, the major real problems encountered in the laboratory at that time would probably be called logistic. Things were in an exciting state of flux. Should we pursue old topics or new ? Atomistic or macroscopic or both ? Use the homemade equipment or wait for the new shiny stuff ? (Shiny, it literally was!). One huge piece of Varian equipment fell onto the tarmac at Orly and had to be sent back. Meanwhile, the glass ultrahigh vacuum system it was meant to replace consumed liquid nitrogen faster than the liquefying machine could produce the requirements of the whole École! Trials, tribulations and vicissitudes were the order of the day. This was definitely research as Dr Braddick had meant it to be. FD soldiered on through thick and thin. I have great pleasure in awarding him, here and now, the medal for heuristic bravery. Travelling across Paris daily on his Solex, lunching often on 'pain et chocolat' as he explored the galleries, museums, and literary world of the Quartier Latin, searching for coins or new discs to add to a fabulous music collection, writing a whole string of articles for a technical encyclopedia... FD was saved from the daily drama of broken thermocouples by his somewhat larger view of the universe... I think it all stood him in good stead. Never pronounce the word 'dilettante' in his earshot... this is not a dabbler but a true polymath (as time has shown!) - someone who is interested in so many things that one lifetime will not suffice... FD's thesis was in two distinct parts. The unifying theme was phase transitions at surfaces and, in particular, the experimental evidence for surface melting. It represented a bridge between the old and new surface science. Details will be found in Surface Science 28 (1971) 267-284 ; 35 (1973) 172-184 ; 35 (1973) 185-193. Work on surface self-diffusion of metal surfaces with various adsorbates showed sharp increases in mobility at temperatures that could be associated with a melting transition. The specific temperatures could be linked to a melting of a single atomic layer having the characteristics of a two-dimensional compound of the substrate and the adsorbate. This work led to the discovery of surface self-diffusion coefficients as high as 1 cm2 s-1 (I have thought about writing to the Guiness Book of Records, for which, incidentally, I was once, very briefly, their correspondent-in-France, but that's a different story). The results had implications for many topics in metallurgy (e.g. sintering), crystal growth, and corrosion science. At that time, surface phase transitions were just beginning to be studied by modern techniques. We had already, in the laboratory, made the first observations of the melting of 'two-dimensional' lead on copper substrates. FD extended this work to the more complex system, bismuth on copper. Here he not only found evidence for 2D melting but Melting at surfaces 7 was able to sketch out what appears to have been one of the first (perhaps, the first) phase diagram for a 2D metal monolayer. One image of FD stands out. I have the photograph ! It was taken during a tour of China where we were both lucky to be part of a small delegation of 'scientific missionaries'. We had been taken by our Chinese hosts to a kind of gala acrobatic performance the night before. The photograph shows FD entertaining our group the following lunchtime with an act of balancing on a tower of chairs while juggling (or pretending to juggle) with a whole collection of things. A telling picture that just about sums it up. François was not only a stimulating colleague but also a superb friend and both he and Marie-France helped make that time in the Quartier Latin, a very meaningful and memorable one. In many different ways it was the right place to be and it was the right time - and FD was the right man! HISTOIRE D'UN RECRUTEMENT PIERRE BAQUÉ Fondateur du CEMEF PB & A 37, avenue de Lowendal - 75015 Paris Les raisons pour lesquelles j'ai embauché François Delamare en mai 1973 n'ont jamais été démenties. Le fait mérite d'être cité, car, parmi les dizaines d'embauches que j'ai été conduit à conclure, cette caractéristique est rare. Je veux dire que je me suis souvent trompé. Non que la nature humaine soit décevante ou trompeuse, mais elle est souvent si complexe que les premiers entretiens, quelques soigneux qu'ils soient menés, et quelles que soient les précautions dont ils s'entourent, donnent du candidat une représentation qui tient davantage des a priori catégoriels du décideur, de ses projections, de ses souhaits implicites, ou de ses appréhensions, que d'une perception sereine et pondérée. Je disais donc que j'avais embauché François sur un faisceau de raisons, qui ont servi d'habit à une impulsion, impulsion qui, pour une fois, et grâce à lui, se révéla excellente. En outre, et là n'est pas le moindre attrait de cette relation, la perspective qui m'est donnée parfois, trop rarement, de passer un week-end avec lui, et son épouse MarieFrance, m'apporte, ainsi qu'à mon épouse Catherine, une grande joie. Je compte en ce récit aborder les circonstances amusantes de notre rencontre, l'impression qu'il me fit alors, et les raisons que je pus construire pour justifier mon désir de l'introduire au CEMEF. Ces raisons posent à leur tour la question du recrutement des chercheurs, que j'aborderai pour finir. LA RENCONTRE AVEC FRANÇOIS DELAMARE Nous sommes en 1973. Le regard que nous portons alors sur les opérations de mise en forme nous conduit, Eric Felder et moi, à considérer comme phénomènes souvent déterminants de l'interaction avec l'outil, les réactions physico-chimiques des surfaces, phénomènes auxquels les approches classiques du frottement, macroscopiques, voire plasto-hydrodynamiques, ne peuvent donner traduction correcte, explicative ou prédictive. La complexité et l'importance pratique des phénomènes de transfert, d'adhésion, d'usure, de mouillage, ou encore le rôle des additifs dans les lubrifiants, la nature des atmosphères qui entourent le lieu des interactions fortes outil / matière en cours de mise en forme... rendent selon nous indispensable la présence dans l'équipe d'un physicien des surfaces. Je m'en ouvre au Directeur Scientifique de l'École des Mines, le très brillant Michel Turpin, qui en convient immédiatement et m'encourage en ce sens, soulignant que ces outils conceptuels de décryptage nous manquent. Il pense aussi, c'est mon interprétation rétrospective, que la présence d'un tel homme parmi cette troupe de mécaniciens et thermiciens qu'est le CEMEF en gestation, à peine dégrossis à la physique des solides ou à la thermodynamique, apporterait un zeste opportun de cet esprit des sciences naturelles, qui est pétri d'observation, et rompu à la collecte soigneuse des faits expérimentaux, respectés en tant que tels, avant toute intervention des modèles interprétatifs. Le réseau de l'élite scientifique française joue. En faisant ses courses un dimanche matin 10 Surfaces, tribologie et formage des matériaux au marché d'Antony, ou quelque chose comme cela, Michel Turpin en touche deux mots à Jacques Bénard, Directeur de l'École de Chimie de Paris. Celui-ci dispose précisément dans ses équipes d'un thésard en fin de parcours, un certain François Delamare, en quête de débouché. A l'occasion d'une rencontre dans les lavabos de l'École de Chimie, Jacques Bénard en fait part à l'intéressé. La connexion est faite. Ainsi, je reçois François Delamare dans mon bureau étroit du boulevard Victor, au sol de béton peint, (en gris, quel raffinement !). Je signale que le bureau de Pierre Avenas était alors encore plus étroit, et sans fenêtres sur la rue, alors même que s'y déroulaient, sous nos yeux émerveillés, des pelotes polymériques au sein de tenseurs visco-élastiques plus complexes que les nôtres - tout plastifiés et sans mémoire - et que les bifurcations les plus fascinantes émergeaient des longues pages de calcul de Pierre, couvertes de son ruban graphique, si semblable aux écheveaux des polymères. (Vous remarquez que je m'acquitte ici du devoir d'édification donné aux plus anciens à destination des plus jeunes, en soulignant la précarité matérielle romantique et fondatrice de notre équipe de pionniers). François pousse la porte. Sans être le docteur Bern qui, dès l'entrée d'un client dans son bureau, percevait le scénario intérieur du quidam, ses origines, ses relations avec ses parents, les mécanismes de son être au monde, la façon dont il se comportait, et comment il mourrait, sans être Bern donc, je suis instantanément intéressé par François Delamare. Je ne doute pas que son expérience de l’adsorption d'atomes isolés sur la face (111) du cuivre ultra-pur nous sera rapidement d'une grande utilité pour résoudre les questions d'usure des filières à l'usine de filage de Givet, sous les agressions des alliages de cupronickels à 850 °C, et que sa mobilité intellectuelle, aisément perceptible, lui permettra de s'infiltrer dans nos équipes, dans nos raisonnements, et chez nos clients. Avant donc d'analyser les composantes de sa personnalité, ce dont je m'acquitterai ci-dessous, je suis enclin à l'intégrer dans notre équipe. Reste à le séduire. A l'époque, ma technique de séduction était la suivante. Elle se déroulait en trois temps : D'abord l'écoute attentive, et toujours fructueuse du candidat. Lui demander d'expliquer la teneur de ses travaux. Poser des questions nombreuses sur ses centres d'intérêt, sur les moments les plus excitants de sa vie de chercheur, les circonstances où il s'épanouit et celles où il se sent mal à l'aise, ses activités extra professionnelles, les liens, les cohérences qu'il peut y avoir entre tout cela... Rechercher des fragments de connivence intellectuelle, des analogies entre ses travaux et les miens, ou celles de chercheurs du centre. Bien entendu le mettre sur le terrain du projet personnel, sur sa vision du futur, ses aspirations, ses goûts, ses dégoûts... Bref, l'attitude technique et empathique du sélectionneur de candidatures. D'autres choisissent des techniques plus agressives, plus brutales, des techniques de déstabilisation pour découvrir les aptitudes réactionnelles de la personne, ou briser les attitudes convenues, arracher les masques, atteindre à cœur. Ce sont des approches que je ne maîtrise pas, que je n'aime pas, que je ne pratique jamais. De toute manière, on ne peut séduire dans cette approche que des tendances masochistes... Il y en a. Elles ne m'attirent pas. Je lui préfère cette méthode empathique, qui permet de faire au cours de l'entretien un petit voyage avec la personne et donc de sentir si, au-delà des expertises techniques du candidat, l'alchimie du travail en équipe conduira à un heureux développement de ce travail. A l'issue de ce parcours, les deux partenaires d'entretien perçoivent si un réglage relationnel ultérieur est possible. Histoire d’un recrutement 11 L'interviewer en sait déjà pas mal. L'interviewé, par la nature des questions qui lui ont été posées, de l'écoute qui lui a été accordée, des fragments de connivence qui ont été glanés, a noté le climat intellectuel et affectif dans lequel il serait inséré s'il venait à travailler en ce lieu. En second temps, il faut parler. Il faut décrire le projet d'ensemble qui se bâtit ici. La nature du discours n'est pas toujours la même. Certes, il ne s'agit pas de modifier la nature du projet de l'équipe, et d'en adapter la teneur aux aspirations du candidat. Ce serait bête, malhonnête et in fine déceptif. Mais, comme disait Pierre Lavenas (ne pas confondre avec Pierre Avenas), pourquoi mentir quand il y a tant de façons de dire la vérité ? C'est vrai pour l'exposé des projets collectifs. La longueur du discours, le style de son accent, plus ou moins appuyé sur certains aspects, les horizons dessinés, sont déterminants. Et là, le développement approfondi du premier temps ci-dessus est essentiel. Le réglage de communication interpersonnelle qui a pu se construire au cours du voyage co-explorateur précédent va jouer. Pour François, il est clair que la pulsion cognitive est importante, et il n'est pas opportun de présenter le CEMEF comme débouchant presque sûrement sur une embauche dans une société métallurgique de renom pour y effectuer une trajectoire de production brillante, la compléter par un cycle de gestion, et accéder par l'effort, la volonté et la technique aux responsabilités éminentes d'un Directeur Général. Il faut au contraire souligner l'intérêt de la pluridisciplinarité ambiante, l'ouverture à des regards multiples, à des approches différentes (lui parlai-je déjà de nos séances de poésie et d'expression orale avec Mytho Bourgoin, qu'il appréciera tant après ?). Donner à notre démarche un sens, une épistémologie propre. J'avais appris cela de Pierre Marie Fourt, qui précédemment m'avait attiré dans cette voie. Et elle correspondait bien à François. Il y a d'une part chaque étude isolée, spécifique, ponctuelle. Mais il y a aussi, comme une enveloppe à toutes ces études, une démarche, un sens, une attitude dans le monde, quelque attribut qui soutient l'action sur le long terme. En troisième lieu, arrive la légitimation de tout ce discours par la pratique et le vécu de ceux qui sont déjà dans notre aventure. Non pas moi, ni Pierre Avenas, mais Pierre Fernier, Bertrand Lapostolle, Eric Felder, Michel de Vathaire, Jérôme Hyafil... Et je l'invite à discuter de la vie du CEMEF avec les chercheurs, sans ma présence bien sûr, les incitant à parler de tout, de ce qui leur plaît, de ce qui ne va pas. L'authenticité de cette démarche sans filet, la volonté commune d'enrichir notre action, et l'attrait des personnalités de chacun, font le reste. Malgré certaines craintes de ne pas franchir la distance entre les surfaces pures des expérimentateurs fondamentaux et les surfaces industrielles des ateliers, malgré l'appréhension d'entrer dans un centre qui ne brillait pas à l'époque par le nombre des docteurs reconnus par l'Université (il était le premier), il accepta. UNE FIGURE Quelles étaient, rétrospectivement, ces raisons nombreuses qui m'avaient conduit à souhaiter la présence de François dans l'équipe du CEMEF ? C'est à un portrait que m'incite la question. François est un ressort. Un ressort fait homme, insaisissable, comme un diable qui sort 12 Surfaces, tribologie et formage des matériaux d'une boite. Je reviendrai sur le diable ci-dessous. Parlons d'abord du ressort. Cet homme dispose sans doute d'un temps de chronaxie plus faible que la moyenne de ses congénères, ou d'un rythme cérébral plus rapide. Sa pensée va, vient, rebondit. Plus rapide, il tomberait dans l'épilepsie. Il n'y tombe pas. Il avance sur la crête de ses explorations, poursuivant son idée, malgré des détours apparents, des discursions, des apartés, des clins d'œil (pas toujours saisis par ses partenaires). S'il était un Dieu grec, il serait Hermès. S'il était un métal, ce serait le vif argent. Derrière cette vivacité, il y a comme une angoisse existentielle, que dénonce aux autres ce profond accent aigu au milieu de son front, entre les sourcils, et qu'il avait en commun à l'époque avec Mytho. Cette angoisse est le moteur de son avidité cognitive, de son insatiable appétit de connaissances. Aller chez les Delamare, c'est entrer dans une grotte tapissée de bibliothèques, c'est, pour écouter Schubert, devoir hésiter entre les cinq interprétations majeures de chacune de ses œuvres, car il y a bien 5000 disques... ou encore l'interprétation qu'en donne le maître des lieux, pianiste depuis le plus jeune âge, c'est se confronter à des cartons à dessins pleins de lithographies, des collections de pièces de monnaies anciennes, et une immense culture historique qui confine à l'encyclopédisme, servie de surcroît par une fort grande mémoire. Ce flux intense s'épuiserait vite si une grande vitalité n'était au rendez-vous. François est de bonne souche semble-t-il. Un arbre bien venu. Un dolichocéphale qu'on remarque dans la meute. Il a l'œil malin, la narine franche, la mâchoire ferme, avec ce sourire entre guillemets qui lui donne aussi un air de Méphisto. Et Méphisto il est. Vous ne saurez jamais en quel lieu. Moi non plus. Lui, si. Un Méphisto qui ne se trahit que dans son humour permanent, non dénué de causticité, dans sa chaleur relationnelle un peu froide, distance, délicatesse peut-être, manière d'être-avec sans être-avec tout à fait. C'est François cela aussi, et seule peut-être Marie-France son épouse pourrait nous informer à ce sujet. Vous avez vu qu'on ne l'apprécie pas moins pour autant, malgré ce mystère, cet espace de lui qui nous échappe, et dont son avidité nous fait conclure qu'il ne peut être vide. Au-delà du caractère, les talents. Celui d'abord d'avoir reconnu son épouse Marie-France, exceptionnelle de solidité dans la turbulence, de vertus donatrices pour le foyer, de rigueur tutélaire pour les enfants, de qualités organisatrices pour le ménage, de dons culinaires, et de simplicité. Talents ensuite de séduction, ce qui est bien nécessaire pour obtenir des financements auprès des instances européennes. Talents de chercheur aussi je pense, mais seuls mes successeurs Pierre Avenas et Jean-Loup Chenot pourront le dire avec pertinence. Il y avait donc l'expertise de base. Il y avait la mobilité intellectuelle qui décoiffe. Il y avait l'humour pour supporter les jours de banalité et d'effort. Il y avait le désir d'ajouter au réseau neuronique du Centre, l'agitation et les connexions propres de François. Restait à savoir si les synapses résisteraient au temps. Je ne peux le dire. Les faits semblent le prouver, puisque le départ pour Antibes eut lieu, que de puissants et impressionnants appareils furent installés, auxquels je ne comprends plus rien, et qu'on fête aujourd'hui un anniversaire respectable et, à mon avis, invraisemblable (ne se trompe-t-on pas d'une décennie ?) Histoire d’un recrutement 13 EST-CE CELA RECRUTER UN CHERCHEUR ? François assurément est un chercheur. Mais qu'est-ce qu'un chercheur ? Et comment déceler en une personne, les caractères qui font de lui un bon chercheur ? Nous sommes ici confrontés à une question de ressource humaine spécifique. Dans un domaine différent, que j'ai eu l'occasion de fréquenter, le protocole expérimental permet d'apprécier de façon scientifique l'extrême dispersion des aptitudes humaines pour une fonction définie. Je vous en livre l'expérience. Il s'agit de la vente à domicile en porte à porte. Quand vous embrassez dans votre observation quelques dizaines voire quelques centaines de vendeurs, sur un même produit (assurances, matériels de cuisine, chaussures, produits amaigrissants, savons, ou vérandas...), avec les mêmes tarifs, et des répartitions géographiques équivalentes, dans un processus de vente dans le dur, vous observez, répétitivement, mois après mois, que certains vendent 10 fois plus que d'autres. Cette expérience quasi clinique à laquelle j'ai pu me livrer, donne une idée de l'échelle des performances humaines dans une prestation donnée. Dans la recherche, c'est évidemment la même chose, sauf qu'il est difficile de mesurer quantitativement l'échelle des performances. Le test est difficile. Il est donc nécessaire de trouver quelques critères, quelques dimensions, prédictives des qualités de chercheur. Sur quoi un Directeur de Centre de Recherche ou un DRH de laboratoire peut-il s'appuyer ? Il lui faut d'abord apprendre qu'il existe trois formes de recherche. On parle souvent des qualités d'observation et de rigueur liées aux aptitudes expérimentales, ou des aptitudes conceptuelles à théoriser, élaborer des modèles destinés à simuler le réel. Mais il y a aussi une autre modalité, la modalité visionnaire. Il est troublant de lire des textes de Pythagore vers -550 avant J-C centrant le monde autour du soleil, alors que Ptolémée au 2e siècle recentrait l'univers sur la Terre, puis que Copernic en 1600, retournait sur le soleil, avant que Kant ne situe le centre ailleurs encore... Le processus de recherche se situe entre ces trois pôles de l'expérience, du concept et de la vision. En cosmologie, Copernic s'est situé dans le mode vision. Après sa mort, Tycho Brahé s'est situé dans un mode résolument expérimental, puis Kepler dans un mode conceptuel, prédisant par le calcul des événements, comme le passage de Mercure entre Soleil et Terre, que Gassendi, son élève, observa dans l'émotion la plus grande dans la nuit du 7 novembre 1531, un an après la mort de son maître ! Einstein, souvent placé dans le mode conceptuel, et il l'est évidemment, a d'abord adopté, c'est selon moi son vrai génie, un mode de vision pure. Ce regard d'Einstein sur le monde donne un sens nouveau à des équations (Lorentz) qui ont été élaborées avant lui, et ne portent pas son nom, et qui pourtant n'ont pris sens et développement qu'après avoir été regardées par Einstein d'une façon totalement révolutionnaire. C'est de l'oscillation permanente entre les trois modes que le progrès scientifique se fait. Et chaque chercheur se situe plus spécifiquement dans un mode, qu'il importe de détecter. La possibilité de jouer alternativement sur chacun des modes peut représenter un atout. François est à mon sens dans le mode expérience et dans le mode vision. La seconde réflexion du recruteur pourrait porter sur la détermination à chercher. Une hypothèse est posée sur le virus de la recherche : il tiendrait à ce que l'individu cherche avant tout à extirper de lui quelque chose. Hawking, travaille sur les trous noirs tandis 14 Surfaces, tribologie et formage des matériaux que sa maladie l'éloigne des hommes. Pasteur craignait la rage folie. Champollion voulait décoder, Freud vaincre les tabous sexuels. François dans sa passion pour les surfaces et les pièces de monnaie poursuit-il une quête particulière et unique ? Quête des piles, faces et interfaces. Quête indéfinie du toucher, de la caresse. Car la pièce, à la différence du timbre ou du billet, qui se regardent, la pièce se touche, s'apprécie dans la subtilité de ses infimes reliefs. La pièce est aussi interface de l'échange entre les hommes. En second lieu, la pièce objet de collection, objet d'art, est aussi un objet à dater. Angoisse première existentielle qui cherche à se situer dans le temps. Histoire qu'on apprend, pour se situer soi-même dans le temps. Pièces qu'on cherche à dater, par tous les moyens de la technique, l'usure donnant un couplage élégant entre travail professionnel et travail personnel privé. Echappées dans l'imaginaire, pour se représenter ces hommes qui sortent la pièce de leur bourse, la déposent sur un comptoir, comme ces histoires qu'on imagine des molécules qui s'adsorbent sur les comptoirs des surfaces qu'on leur offre... La troisième réflexion du recruteur concerne la qualité de communication, d'échange, du chercheur potentiel. La découverte n'est jamais isolée. Le chaînage est toujours présent dans la grande communauté de la pensée. François à ce titre est bien pourvu, lui chez qui l'on trouve toujours un peintre américain de passage ou un colombien au long cours. Il y a encore quelque chose à apprécier dans les relations du chercheur avec le temps et avec l'argent. Pour ce qui est du temps, le chercheur se sait dans un processus qui met parfois 350 ans à percoler (théorème de Fermat par exemple), ce qui le légitime à ne guère planifier ses résultats et à se perdre parfois en arrière dans les profondeurs de l'histoire. Pour ce qui est de l'argent, le chercheur généralement répugne à planifier ses dépenses, mais s'il est jaloux de la propriété de ses idées, il n'est pas homme d'argent. Soros fait des milliards. François caresse de vieilles pièces qui n'ont plus cours depuis des millénaires. Deux approches du monde... L'observation, le sens spéculatif, la curiosité avide, l'intuition, le dynamisme intellectuel, la mobilité physique, intellectuelle, visuelle et auditive, la vigilance, l'ouverture, l'attention, sont des qualités qu'on trouve chez François, et qui contribuent à des aptitudes de recherche. Aura-t-il le prix Nobel ? Sinon pourquoi ? Sont-ce les chemins qui ne se sont pas présentés à lui au bon moment ? Est-ce sa persévérance qui est en cause, lui qui pourtant suit longtemps ses idées personnelles ? Est-ce la vision qui est encore trop timide ? Je ne sais, et le devant de la scène est souvent affaire de hasard. De toute manière, ce fut pour moi un plaisir de le rencontrer. Sa contribution au développement et au rayonnement du CEMEF ne fait pas de doute. Je crois avoir fait en 1973 ce qu'on appelle un bon recrutement. FRANÇOIS DELAMARE DANS L'HISTOIRE DU CEMEF JEAN-FRANÇOIS AGASSANT Professeur, Directeur Adjoint du CEMEF Directeur de l'Unité Mixte École des Mines de Paris / CNRS 7635 Le Centre de Mise en Forme des Matériaux a été officiellement créé en octobre 1974. Au cours des années précédentes, un petit groupe de chercheurs autour de Pierre Baqué et de Pierre Avenas s'est constitué pour répondre à la question suivante : comment, avec quelques bribes de mécanique, donner une lisibilité aux procédés de mise en forme des matériaux ? Cette approche que l'on qualifierait Outre-Atlantique de Mechanical Engineering a été d'une productivité incroyable pour analyser les grands procédés, le laminage, le filage, le calandrage, le gainage de câbles… C'est la grande époque des méthodes de tranches, bornes supérieures et autres lignes de glissement, c'est aussi l'époque de la simulation expérimentale par de la pâte à modeler. Les limites de cette approche sont pourtant apparues rapidement : (i) la matière ne reste pas neutre par rapport aux contraintes, aux déformations, à l'histoire thermique qu'on lui fait subir au cours de l'opération de formage et c'est de l'évolution ou du développement de la structure au cours de la mise en forme que vont dépendre les propriétés finales du matériau ; (ii) qui dit formage dit interaction entre un outil et le matériau que l'on déforme et cette interaction n'est qu'imparfaitement rendue par un coefficient de frottement déduit de la mécanique de l'écoulement d'un fluide lubrifiant. Les phénomènes chimiques et physiques qui se développent à cette interface sont dans bien des cas déterminants quant à l'état de surface du produit fabriqué et à la durée de vie de l'outil de formage. C'est pour répondre à ces nouveaux défis que Pierre Baqué et Pierre Avenas ont recherché les compétences de métallurgistes, de physiciens des polymères et des interfaces, respectivement Franck Montheillet, Jean-Marc Haudin et François Delamare. Pierre Baqué a raconté par le menu sa rencontre avec François Delamare et la fascination réciproque qui a abouti à son arrivée au CEMEF le 1er octobre 1974. Pour le jeune chercheur que j'étais à l'époque, encore incertain sur la nécessité d'une thèse et sur ma vocation de chercheur, François Delamare était impressionnant : le titre, Maître de Recherche ; l'âge, c'était déjà et c'est donc toujours notre aîné ; la maturité ; la reconnaissance académique (une Thèse d'État et déjà de nombreuses publications) dans un milieu (l'École des Mines de Paris) qui, à l'époque, défiait l'académisme ; une culture omniprésente et qu'il sait rendre vivante et accessible bien au-delà des domaines scientifiques qui nous rassemblaient. Autant dire que nos rapports étaient plutôt de type élève / maître dans une ambiance fort détendue autour du café institutionnel du CEMEF au dernier étage de l'ENSTA. En 1976 le CEMEF déménage à Sophia sous l'impulsion conjointe de Pierre Avenas et de Pierre Laffitte. Pourquoi nous ? Sans doute parce que nous étions tous jeunes, dynamiques, des pionniers donc … Déménager loin et ensemble, cela crée des liens d'autant plus que notre insertion sur une Côte d'Azur alors dédiée au tourisme et au 16 Surfaces, tribologie et formage des matériaux troisième âge, n'allait pas de soi. Il a fallu aménager ensemble un laboratoire, résoudre des problèmes ubuesques de sous-traitance, d'entretien, développer des filières de recrutement des thésards, un DEA … Devenu responsable d'un groupe de recherche sur les écoulements visco-élastiques, je suis donc maintenant le collègue de François et je trouve d'emblée chez lui un regard attentif à mes activités de recherche encore balbutiantes ainsi qu'une incitation ferme à achever et à soutenir ma thèse. Il était présent à l'ENSET de Cachan en juin 1980 lors de ma soutenance. La décennie 80 a été celle du développement du CEMEF. Jean-Loup Chenot, devenu directeur du laboratoire le 1er janvier 1979 après le départ de Pierre Avenas au Ministère de l'Industrie, lance le CEMEF dans l'aventure de la modélisation numérique par la méthode des éléments finis. François Delamare, devenu Directeur de Recherche restructure l'analyse des problèmes de surface et développe des techniques AUGER et ESCA, de la rugosimétrie. En dix ans le CEMEF double son effectif et étend largement ses relations scientifiques et industrielles. Il devient un laboratoire important, en France (et au-delà), dans le domaine de la mise en forme des matériaux. Le début des années 1990 est synonyme de turbulences : le laboratoire est successivement désassocié puis ré-associé au CNRS. Nos finances sont mises à mal par la crise économique. Le savant édifice de formation que nous avions conçu (une option du DEA Métallurgie Spéciale et Matériaux commune à l'Université d'Orsay et au Centre des Matériaux) est remis en cause. Un Mastère Matériaux et Mise en Forme est créé. Une formation d'ingénieurs dits "Decomps" est lancée … François Delamare est un facteur de stabilité dans la tempête. Sans fébrilité il reconstruit un DEA Physique et Génie des Matériaux avec l'Université de Nice et en prend la responsabilité quelques années plus tard ; il anime également la formation doctorale de l'École des Mines de Paris en Sciences et Génie des Matériaux sur Sophia et contribue à structurer le suivi de nos étudiants, préfigurant à lui tout seul cette "charte du doctorant" que l'École fait suivre aujourd'hui à toutes ses formations de 3ème cycle. C'est l'époque également où il réussit à fédérer au sein du CRAM 06 (Centre Régional d'Analyse des Matériaux des Alpes Maritimes) trois institutions impliquées dans les analyses de surface : le CNRS, l'École des Mines et l'Université de Nice. Par ce biais il contribue à abonder nos financements d'investissement en appareils de physique (spectrométrie TOF-SIMS) tout en rendant des services d'analyse éminents aux entreprises de la région et d'ailleurs. En 1999, le CEMEF a 25 ans. C'est devenu un laboratoire de référence au niveau international dans le domaine de la mise en forme. Les centaines de thésards et d'élèves Mastère qu'il a formés irriguent largement l'industrie française et au-delà ainsi que le milieu universitaire et de la recherche. François Delamare est, avec d'autres, au cœur de cette aventure. Que serait le CEMEF sans sa touche personnelle, à la fois scientifique et humaine : son attention de l'autre ; son humour dynamisant, son sens aigu de l'observation, son grand respect pour les techniques mécaniques et numériques complémentaires aux siennes. Merci François. TRIBOLOGIE ET SIMULATION NUMÉRIQUE, UN DIALOGUE FRUCTUEUX JEAN-LOUP CHENOT directeur du CEMEF École des Mines de Paris BP 207 – 06904 Sophia Antipolis Cedex A l’époque de sa gestation par mes deux brillants prédécesseurs Pierre Baqué et Pierre Avenas, la structure du CEMEF a été conçue avec une remarquable clairvoyance. Je les soupçonne d’avoir utilisé une boule de cristal pour décider, au début des années 70, que les équipes de mécanique et thermique, de physique des matériaux et de physico-chimie des surfaces pourraient coexister, dialoguer et même s’associer pour traiter les problèmes industriels de la mise en forme, et dispenser une formation pluridisciplinaire aux jeunes chercheurs. Le point de départ était donné, il suffisait alors de préciser la philosophie du laboratoire : observer les phénomènes, les modéliser et les simuler, acquérir les données caractérisant le comportement physique des matériaux mis en forme. Dans la pratique la convergence de ces différentes composantes n’a pas été immédiate. D’un côté les spécialistes de la Mécanique du contact et de la Physico-Chimie des surfaces, sous la houlette de François Delamare, avec la complicité d’Éric Felder, Evelyne Ceretti et Pierre Montmitonnet, s’ingéniaient à démontrer que leur domaine est l’un des plus complexes : les lois de frottement dépendent de paramètres nombreux et variés : rugosité, composition chimique superficielle, conditions mécaniques du contact, l'ensemble étant couplé par la température ; les moyens d’analyse physique sont délicats à mettre en œuvre, car ils cherchent à caractériser des matériaux présents en surface en quantité très faible, en général amorphes, et de composition extrêmement complexes, mélanges de produits organiques et minéraux1 ; les essais de frottement sont difficilement reproductibles et ne donnent accès qu’à des valeurs moyennes. Quant aux essais d'usure, il est difficile de s'y frotter, car une faible variation d'un seul paramètre opératoire peut engendrer une variation de plusieurs ordres de grandeur de la vitesse d'usure. De l'autre, la modélisation numérique se heurtait très rapidement au problème du contact unilatéral, délicat à formuler théoriquement et encore plus à résoudre après 1 Serais-je taxé de malice si j'avançais que, curieusement, le coût de ces appareils est inversement proportionnel à la quantité de matière analysée ? 18 Surfaces, tribologie et formage des matériaux discrétisation. L’introduction des lois de frottement les plus simples a posé immédiatement des difficultés de convergence des algorithmes. Historiquement, c'est dans Forge2, dédié à la simulation numérique du forgeage à chaud des métaux, que fut introduite la première formulation du frottement. Il s'agissait d'une formulation en vitesse, dite de Norton Hoff, dérivée directement de celle du comportement en volume (viscoplasticité de type loi puissance), et dont la loi de Tresca est un cas limite. Cette formulation était particulièrement utilisable pour le numéricien puisque le champ de vitesse solution pouvait s'obtenir par minimisation d'une fonctionnelle. On était loin de la loi de Coulomb qui nécessite des approches numériques beaucoup plus complexes. En dépit de ces difficultés, les années 1980 virent les tribologues utiliser de plus en plus la simulation numérique (étude de la dureté et de l'usure des matrices en forgeage à chaud). Une décision stratégique fut prise en 1986 pour accélérer le mouvement, celle de demander à P. Montmitonnet (jusqu'alors purement tribologue) de partager désormais ses activités avec la modélisation numérique. Grâce à ce rapprochement des disciplines, de nombreuses avancées ont ainsi pu voir le jour, parmi lesquelles on peut citer : la modélisation du couplage thermo-mécanique pièce-outil, en particulier pour prévoir le transfert thermique ; la modélisation du couplage entre l’écoulement d’un fluide sous très faible épaisseur (lubrifiant) et la déformation plastique de la pièce ; la caractérisation expérimentale et la modélisation théorique d’un frottement anisotrope ; l’introduction du concept de TAO (Tribologie Assistée par Ordinateur) dont l’objectif est d’analyser plus finement un essai de frottement grâce à une approche inverse par éléments finis ; la prévision de l’usure des outils grâce à un modèle local ; l’utilisation de modèles numériques pour la déformation plastique à l'échelle du micromètre (indentation, rayure) ; l'optimisation de l’adhérence des joints collés, associant l'analyse chimique des surfaces antagonistes et la modélisation mécanique des essais d'adhérence. Depuis quelques années on assiste à une floraison particulièrement dense de résultats, due à la pleine maturité des disciplines sollicitées. D'un coté, le couplage de deux techniques d'analyse de surface (XPS et ToF-SIMS) permet de caractériser efficacement sur les surfaces les composés organiques responsables du niveau de frottement2. De l'autre, les équipes numériciennes ont amélioré la gestion du contact, introduit la description de la géométrie des surfaces libres et pris en compte la loi de frottement de Coulomb3. Ajoutons à cela que les tribomètres et les machines pilotes instrumentées se sont multipliés, de même que des machines de simulation de l'usure. Ainsi est rendue encore plus efficace la synergie entre les analyses physiques, les résultats numériques, les données acquises lors des essais et les mesures sur machine pilote. 2 Cf. ci-après l'article de G. Dauchot et al. 3 Cf. ci-après l'article de M. Bellet et al. Tribologie et simulation numérique : un dialogue fructueux 19 Pour autant, il n’est pas temps d’annoncer la « fin de l’histoire de la tribologie en mise en forme », et les résultats des études coordonnées par François Delamare et son équipe permettent, sans boule de cristal cette fois, de prévoir les thèmes de recherche des années futures : description de la surface à l’aide de modèle de type micro, à l’échelle des rugosités et des grains ; amélioration des lois de frottement pour tenir compte explicitement des paramètres locaux : rugosité, température, composition chimique… intégration dans les modèles numériques de loi d’évolution des paramètres décrivant finement les caractéristiques physiques des couches superficielles afin de prévoir la micro géométrie, la dureté, la composition chimique, la structure des grains… enfin, l'utilisation de la dynamique moléculaire pour étudier la chimisorption des molécules d'additifs de lubrifiants sur les surfaces, et mieux interpréter les données obtenues à l'aide des différentes techniques d'analyse des surfaces. Bon vent… LA TRIBOLOGIE AU CEMEF LE CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ ÉRIC FELDER Surfaces et Tribologie, CEMEF, École des Mines de Paris, BP 207, 06904 Sophia-Antipolis Pierre Baqué a raconté comment, dès le début de son stage à Hayange sur le laminage à chaud de l’acier, le frottement s’était trouvé associé à ses interrogations sur la mise en forme du métal1. On lui avait parlé, à l’atelier de laminage, de l’influence importante du frottement sur l’élargissement du métal. Rétrécissement pour l’un, élargissement pour l’autre, les réponses contradictoires du contremaître de l’atelier et du directeur de l’usine l’avaient plongé dans une perplexité dont ses lectures savantes n’avaient pas réussi à le sortir. Il avait aussi découvert au cours d’un autre stage le filage à chaud des laitons. Ce procédé l’avait fasciné par l’influence importante qu’y prenaient non seulement le frottement laiton / filière mais aussi les transferts thermiques se faisant du métal vers les outillages sur l’écoulement plastique du métal. C’était une époque où les esprits les plus curieux, comme B. Jaoul, aux Mines de Paris, se lançaient à fond dans la visio-plasticité pour mieux comprendre l’écoulement du métal. Mais ils ne réalisaient pas que la lubrification était l’un des moyens de contrôle possible de l’écoulement, et que son étude serait utile. Dans ce domaine, Pierre Baqué innovait. Ainsi avait germé en son esprit l’idée de recherche sur le thème de la Mise en Forme des métaux avec ses trois grands axes, ainsi que la nécessité d’attaquer le problème du frottement à la fois par la mécanique et la thermique du contact, ainsi que par la physicochimie des surfaces. MES PREMIERS PAS EN TRIBOLOGIE Ces réflexions de P. Baqué ont eu une influence déterminante sur mon itinéraire personnel car il avait, cette année-là (1970), proposé comme sujet de stage d’optionnaire Métallurgie de l’École des Mines de Paris l’étude par visio-plasticité du filage à chaud des aciers lubrifié par les verres2 à l’usine Céfilac de Persan-Beaumont. Je ne sais plus trop pourquoi, mais le fait est que je sautais sur ce stage. J’y appris l’histoire fort instructive de l’invention du procédé. Après avoir racheté l’usine, J. Séjournet s’efforçait de filer à chaud des tubes en acier. Las ! Le lubrifiant utilisé (sans doute une graisse graphitée, le seul lubrifiant haute température connu à l’époque) ne protégeait pas suffisamment la filière des flux thermiques intenses provenant de l’acier filé à 1200°C. La filière se dégradant, il en sortait non pas des tubes, mais des produits longs aux formes étranges. On essayait donc d’améliorer le matériau de la filière en augmentant sa dureté à chaud. Mais aucun des candidats retenus n'améliorait 1 P. Baqué, Les débuts du CEMEF, in La mise en forme des matériaux : vingt ans de recherche au CEMEF, Presses de l’EMP, Paris, 1996. 2 Ce travail est décrit dans mon premier article : J. de Charsonville, E. Felder et P. Baqué, Filage à chaud des aciers lubrifié au verre. Étude de l’écoulement par une méthode de visualisation, Rev. Mét. (juin 1973) 497-505. 22 Surfaces, tribologie et formage des matériaux sensiblement les résultats. Jusqu’au jour où la lubrification se rappela au bon souvenir des ingénieurs. La Providence voulut qu’un ouvrier oublie dans le conteneur une canette de bière, laquelle à cette époque bienheureuse, était en verre. Elle fondit, enroba l’acier et joua grâce à sa viscosité le rôle de lubrifiant. Pour la première fois, le produit filé fut un tube ! C’est ainsi que les ingénieurs prirent conscience du rôle éminent que jouait le film lubrifiant dans le procédé. Il ne restait plus qu’à l’étudier. Les essais de diverses formulations de verres permirent de conclure que c’était la composition du verre à vitre qui donnait les meilleurs résultats. Sa mise en œuvre fut réalisée sous forme de gargousses de verre pilé. Curieusement, c’est à la même époque que la vocation tribologique de François Delamare (FD) trouve ses racines. A l’ENSCP, où il préparait sa thèse, le hasard fit qu’il repéra l’annonce d’une conférence de M. Caubet, fondateur d’Hydromécanique et Frottement (HEF), petite entreprise fort inventive. Il y assista. S’adressant aux élèves de troisième année, Caubet, «un ancien des chars» dynamique et incisif, expliqua l’importance du domaine et combien il était préjudiciable à l’industrie mécanique française qu’il soit aussi négligé par les scientifiques de bon niveau. Puis il se mit à brosser à grands traits le tableau des recherches à effectuer en tribologie, passant du monocristal (adsorption et contact) au comportement d’un revêtement mince en EHD. Je ne sais si l’orateur suscita beaucoup de vocations dans cette promotion, mais du coté de François, sans que personne ne le sache encore, il avait fait tilt3. Pour ma part, approché et bientôt séduit par P. Baqué pour venir travailler dans l’équipe de recherche qu’il était en train de fonder, je fus – c’était sa méthode - mis dans le bain dès la rentrée de septembre avec un stage dans l’usine de filage à chaud d’aluminium de Péchiney, à Crailsheim. J’y pus contempler pour la première fois les exploits des ouvriers régleurs de filières, véritables magiciens de la mise en forme, capables avec leurs limes de corriger les défauts de filage des profilés, ondulations, vrillages et différences de longueur. Problèmes que j’allais retrouver treize ans plus tard dans le cadre du projet Φ lancé par P. Baqué, alors chez Péchiney. FROTTEMENT, LUBRIFICATION : LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE Ce souci du frottement (le tout jeune mot Tribologie n’était pas encore employé en France) était prémonitoire et heureux, car il allait constituer d’emblée la majeure partie des sujets de préoccupation des chercheurs du groupe Mise en Forme, noyau précurseur du CEMEF4. Qu’on en juge : je travaillais sur la lubrification hydrodynamique (HD) en tréfilage des aciers inoxydables, en relation avec l’usine d’Imphy de Creusot-Loire. 3 Lors de la conférence A discussion on friction (Cambridge, 1951), F. P. Bowden, l’initiateur moderne de la Tribologie, rappelle qu’à côté de la physique nucléaire, discipline fort à la mode à l’époque, il existe d’autres problèmes passionnants pour ceux qui s’intéressent aux propriétés de la matière et qu’il espère que les travaux présentés lors de cette conférence sur le frottement vont le démontrer amplement. Nous ne pouvons que refaire le même constat : le frottement entre corps solides conserve beaucoup de ses mystères et a encore besoin de scientifiques issus des disciplines les plus variées. On peut en outre constater, en le déplorant, que la tribologie a du mal à attirer les jeunes scientifiques français, en partie à cause du manque d'enseignements tribologiques dans le secondaire et le supérieur. 4 Installé (après un bref séjour boulevard Saint-Michel) dans le laboratoire de Métallurgie de l’ENSTA, porte de Versailles, à Paris, entité quasi virtuelle à laquelle nous donnions une vie bien réelle. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 23 Pierre Fernier était aux prises avec le frottement et les transferts thermiques métal-outil en forge à chaud, et se demandait lequel de ces effets pouvait bien expliquer la dissymétrie d’écoulement entre le haut et le bas, la surface supérieure d’un lopin cylindrique forgé sur pilon s’étendant plus que la surface inférieure5. Par ailleurs, mon sujet de stage trouvait une suite avec les travaux de Jacques Pantin qui développait l’étude des écoulements en filage par visio-plasticité et la modélisation de la lubrification HD par un verre du filage à chaud des aciers. Quant à Bertrand Lapostolle, il démarrait une étude de la lubrification (par film épais, mais pas forcément HD) du tréfilage par les savons, et à son incidence sur l’usure des filière. Avec bon sens, Pierre Baqué n’avait donc initié que des études relatives au seul régime de lubrification justiciable de calculs de thermomécanique des fluides. Mais bientôt Michel de Vathaire allait se pencher sur le frottement en laminage à froid des aciers inoxydables, nous faisant toucher du doigt les limites de nos méthodes d’approche, lorsque la lubrification limite (qui est liée à la présence d’additifs dans le lubrifiant) prenait de l'importance. Ce furent des années passionnantes : à marches forcées, nous nous efforcions de combler nos lacunes scientifiques par des lectures, des discussions, des exposés et des visites. Ainsi, nous suivîmes, Pierre Baqué, Bertrand Lapostolle et moi-même un séminaire sur la lubrification, à l'INSA de Lyon. Nous fîmes ainsi connaissance de Maurice Godet qui y développait son laboratoire de Mécanique des Contacts. Le jour, nous suivions les cours ; le soir, nous visitions le vieux Lyon et ses traboules6. Pierre Baqué m'avait ensuite lancé dans la lecture de Elasto-hydrodynamic lubrication, the fundamental of rollers and gear lubrication de Dowson et Higginson, livre que j'avais décortiqué dans ses moindres détails, fasciné par la saga des premières études de la lubrification élastohydrodynamique des contacts non conformes. Puis il décida en 1972 d’élargir notre quête, et d'aller, en ma compagnie, visiter les principales équipes anglaises travaillant sur le frottement et la lubrification. Nous partîmes ainsi sur les routes, rencontrer les pères fondateurs de la discipline : W. Hirst et G. M. Hamilton à Reading, A. Cameron à l'Imperial College de Londres, J. F. Archard à Lancaster, G. W. Rowe à Birmingham, récupérant ainsi maints tirés à part qui allaient accélérer notre formation et alimenter nos écrits. Ironie du sort, notre parcours automobile se termina par une avarie tribologique ! Pierre ayant oublié de remettre le bouchon du réservoir d'huile après avoir refait le plein, nous tombâmes en panne sur l'autoroute lors du retour à Londres. Nous nous séparâmes : Pierre s'occupant du rapatriement du véhicule, moi-même prenant le train pour rencontrer K. L. Johnson à Cambridge. Je sortis de l'entrevue très impressionné par mon interlocuteur qui m'avait expliqué simplement, entre autres choses comment, sur une machine à disque spéciale, il avait réalisé une expérience de roulement avec ou sans spin permettant de montrer sans le moindre doute que les huiles se comportent sous haute 5 Cette dissymétrie d’écoulement haut-bas était couramment attribuée par les forgerons aux effets d’inertie. P. Fernier et P. Baqué démontrèrent que ces effets étaient en fait insignifiants, même pour un forgeage sous pilon, et purent ainsi attribuer la dissymétrie d’écoulement à une dissymétrie de frottement due à la différence de temps de contact du lopin avec les matrices supérieures et inférieure, résultat justifiant les études intensives des transferts thermiques que réalisèrent mes thésards, successeurs de P. Fernier. 6 Ces déambulation m'ont laissé des souvenirs douloureux, car j'avais commis l'erreur de partir à Lyon avec des chaussures neuves qui m'avaient donné des ampoules, m'initiant ainsi aux conséquences du frottement sec peau-cuir. Le troisième corps (la chaussette) - un concept qui allait naître dans le laboratoire dont nous étions les hôtes – ne semblait pas avoir joué son rôle de médiateur : je traînais la patte derrière Pierre et Bertrand. 24 Surfaces, tribologie et formage des matériaux pression et faible déformation comme des solides élastiques. Un résultat étonnant ! Depuis, mes diverses rencontres avec Johnson n'ont fait que confirmer mon admiration pour cet éminent mécanicien du contact 7. Comme pour P. Baqué, l’esprit d’équipe n’était pas un vain mot, à coté des thèmes Plasticité et Thermique, il fit réfléchir l’ensemble de son équipe sur le thème du Frottement. Il en résulta en 1972 Phénomènes de contact, un texte de séminaire de 231 pages. Puis, en 1974, un texte beaucoup plus élaboré, Phénomènes de contact II (538 pages), tous deux édités par l’ENSTA. L’ARRIVÉE DE FRANÇOIS DELAMARE P. Baqué essayait de trouver un candidat à sa convenance pour combler nos lacunes en physico-chimie des surfaces. Après un essai jugé malheureux avec un spécialiste de la mécanique quantique, la Providence intervint de nouveau. Pierre avait bien sûr l’aval de sa hiérarchie. Or le directeur des recherches de l’EMP, M. Turpin voisinait à Sceaux avec J. Bénard, directeur de l’ENSCP et du laboratoire de Métallurgie et PhysicoChimie des Surfaces dans lequel FD avait effectué sa thèse. Il lui demanda un soir s’il n’aurait pas quelqu’un à lui proposer. J. Bénard avait le souci d’assurer l’avenir de ses docteurs ; il proposa à FD de contacter P. Baqué. C’est ainsi que nous nous rencontrâmes pour la première fois. François m’a souvent raconté à quel point il avait été impressionné par la qualité des exposés que nous lui avions fait sur nos sujets de recherche. A la fin du premier entretien, il partit convaincu de l’intérêt de la proposition. Mais à la réflexion, ce passage des surfaces idéales aux surfaces réelles en train d’être déformées dans un laminoir Sendzimir lui parut extrêmement hasardeux. Chaque jour le vit douter un peu plus de ses compétences. Quand il vint nous voir pour le second rendez-vous, sa décision était prise : il refusait l’offre. Mais le charme joua de nouveau, et il accepta. Les dés étaient jetés. Son intégration à l’équipe (février 19748) se fit suivant le scénario que j’avais connu, mais perfectionné de façon à mieux l’apparenter à une course d’obstacles. Il fut immédiatement impliqué dans un séminaire dénommé Mise En Forme Tous Azimuts. L’une des conclusions fut qu’il rédigerait avec Alain Le Floc’h un rapport sur l’histoire et l’archéologie des procédés de Mise en Forme. Ce séminaire avait en effet révélé leur goût commun pour l’Histoire des Techniques, goût qui ne semble pas avoir pris une ride. FD suivit avec quelque méfiance au début, puis avec grand plaisir les séminaires d’expression orale de Mytho Bourgoin, une élève de Charles Dullin qui n’était pas pour rien dans le succès que remportaient nos séminaires. Je me souviens que le premier exposé qu’il nous fit portait sur la numismatique. Dans ce domaine aussi, il devait rester fidèle à ses passions. En juin, il fut envoyé en stage chez Creusot-Loire, la grande usine de l’Ondaine ayant besoin d’un œil expert pour déceler les causes malignes du vrillage des tubes rouléssoudés en acier inoxydable. Le problème s’étant (comme souvent) résolu de lui-même, François visita à fond ce vaste conglomérat d’ateliers, les uns modernes, et les autres n’ayant guère changé depuis le temps où Zola les avait décrits. Il s’étonna de la complexité du trajet qu’un lingot d’acier inoxydable en «Orion» pouvait effectuer à travers toute la France avant d’être transformé en un objet propre à la vente. Il y 7 Auteur, entre autres écrits, du très remarquable traité, Mechanics of Contact (1985). 8 Dans les circonstances narrées ici par Pierre Baqué dans l’article Histoire d’un recrutement. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 25 découvrit aussi le dialogue de sourds qui peut s’établir entre un atelier de laminage (ce matin, je sors de la tôle avec des taches bleues. Quels réglages dois-je modifier sur le laminoir ?) et le Centre de Recherches (ces taches sont dues à des anomalies locales de concentration en chrome…) et se promit d’en tirer parti. Il était logé dans la villa Holzer, demeure de grands bourgeois déchue de sa fonction d’habitation des Maître de Forges (ayant fourni le fer de la tour Eiffel) et assurant désormais celle de maison d’hôtes de marque. L'atmosphère y était un peu mélancolique et désuète. Il essayait d’aller aussi rarement que possible au Cercle des Ingénieurs, car il y était invariablement pris à témoin des qualités respectives des équipes de football de St Étienne et de Bastia, domaine où sa culture était plus que médiocre. Son retour à Paris lui permit d’apprendre qu’en plus des encadrements de travaux de recherche auxquels il avait souscrit, il était co-organisateur avec moi d’un séminaire sur la Mise en Forme destiné aux ingénieurs de l’Industrie qui aurait lieu l’année suivante à Fontainebleau. Il ne lui restait plus qu’à digérer nos textes de séminaires et à participer à l’élaboration d’une troisième mouture. En 1975 paraissait Mise en Forme des métaux. Frottement, lubrification, usure, texte de séminaire de 673 pages9. Ces 135 pages supplémentaires, à peu de choses près la contribution de FD, faisaient entrer dans le vocabulaire de l’équipe les mots de chimisorption et d’analyse de surface, mots qui n’ont pas fini de résonner au CEMEF, que ce soit dans les amphi et les labos, ou bien lors des discussions de budgets d’investissement… L’INVENTION DU FROTTEMENT DE TRESCA Nous en savions maintenant assez pour affirmer notre originalité dans le petit monde des spécialistes français du frottement. En particulier, en mise en forme des métaux, nous n’employions pas le même cœfficient de frottement que les autres ! Le frottement dépend de multiples facteurs, sensibles pour la plupart à la température. Ce que l’on appelle pompeusement loi de frottement n’est en fait qu’une schématisation (on n’ose parler de caricature) de loi qui n’explicite qu’un seul de ces facteurs, comme la contrainte normale (loi de Coulomb). En mise en forme à chaud, on utilisait couramment une loi de frottement explicitant plutôt la cission maximale du matériau le plus mou. Appelée par les anglo-saxons friction factor model, elle traduisait que la cission de frottement à l'interface métal-outil τ est une fraction m de la cission maximale du métal le plus mou impliqué dans le contact : τ =m σ0 3 avec 0 ≤ m ≤1 (1) Faute de mieux, nous avions baptisé cette loi de frottement modèle de couche limite, la cission τ pouvant s'interpréter comme la cission maximale d'un corps mince séparant le métal de l'outil. Cette schématisation du frottement présentait l’intérêt d'être caractérisé par un nombre au plus égal à l'unité et de ne pas introduire la contrainte normale, qui n’est pas toujours calculée, en particulier lorsque l’on ne s’intéresse qu’aux champs de vitesse. 9 Nous avons récidivé il y a dix ans en rédigeant à l'occasion d'un séminaire de formation permanente un ensemble de textes réactualisant la somme de nos connaissances en Le contact métal / outil en mise en forme des métaux. Frottement, lubrification, état de surfaces, usure (1989). 26 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Jean Mandel, alors conseiller scientifique du CEMEF, nous fit remarquer qu'une telle schématisation avait été proposée par le mécanicien français Henri Tresca au siècle dernier. Nous nous mîmes donc à utiliser le terme de loi et de cœfficient de frottement de Tresca. Cette appellation finit par faire école. Elle est actuellement adoptée en France non seulement par les équipes travaillant sur la mise en forme, mais aussi par diverses équipes de mécaniciens, et tend à se généraliser en Europe. Curieux de lire les textes originaux, François s'employa à commander à notre documentaliste tous les articles de Tresca dont nous avions les références. Nous y trouvâmes bien des choses intéressantes, en particulier, que Tresca était l'un des deux inventeurs de la simulation par pâte à modeler10 et qu’il s’était intéressé au filage11. Nulle part, nous ne découvrîmes trace de sa loi de frottement. DES JUMEAUX SANS PAREIL Ayant pris la décision de rester dans le Centre de Mise en Forme pour y prendre en charge la mécanique du contact, nous nous trouvâmes bientôt à travailler de concert, FD à la Physico-Chimie des Surfaces (PCS) et moi-même à la Thermo-Mécanique des Surfaces (TMS). C’était à l’époque une structure très novatrice. En effet, les laboratoires s’occupant de frottement et lubrification étaient peuplés soit de «mécaniciens», comme celui de M. Godet à l’INSA de Lyon, calculant des épaisseurs de films HD dans des situations de plus en plus complexes, soit de «physiciens» comme celui de J-M. Georges à l’École Centrale Lyonnaise, étudiant l’influence de monocouches chimisorbées sur le frottement. Ici, deux groupes de Recherche associaient les deux types de compétences. 10 Cf. La simulation physique de l’écoulement des solides. Application à la mise en forme, par A Le Floc’h et F. Delamare, dans La mise en forme des matériaux. Vingt ans de recherche au CEMEF, Presses de l’EMP, 1996, p. 18-29. 11 Tresca a publié dans les Mémoires Savants de l'Académie des Sciences une étude sur L'écoulement des corps solides (1868, 733-799 et 1872, 75-135) qui traite de l'effet des portées sur l'écoulement de filage. Filant deux barres de plomb à travers une filière percée de deux orifices cylindriques nominalement identiques, il s'aperçut que les deux barres avaient deux longueurs différentes ; un examen minutieux des orifices révéla que le conduit produisant la barre la plus courte présentait une légère conicité, le diamètre de sortie étant légèrement plus petit que le diamètre côté billette. Un ré-alésage de cet orifice permit de supprimer cette différence de longueur. Tresca venait de découvrir l'effet marqué de la conicité des portées sur le frottement et l'extrême sensibilité des écoulements multiples aux différences de frottement, problèmes toujours actuels dans les usines de filage de profilés ! La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 27 La communication entre nous ne posait guère de problème : nous étions dans le même bureau12. Et dès le début, nous avions essayé d’uniformiser nos savoirs, FD potassant la mécanique des milieux continus (imagine-t-on qu’il avait accepté de faire, au tableau bien sûr, les cours X1 de lubrification hydrodynamique aux Mines de Nancy ?) et moimême disséquant les différents types d’isothermes d’adsorption ? Nous allâmes jusqu’à reprendre les cours du Séminaire de 1975, et à les refaire en interne en inversant nos spécialités. Je me souviens encore de la surprise de François le jour où il arriva au bout du calcul de la colline de frottement en bipoinçonnement, par la méthode des tranches, sans se tromper une seule fois de signe pour les diverses contraintes. Des rapports très particuliers existaient entre FD et ses deux premiers chercheurs (B. Lapostolle et M. de Vathaire), puisque si le premier apportait ses compétences en physico-chimie, c’étaient eux qui lui apprenaient son métier en thermo-mécanique de la mise en forme appliquée à la lubrification par les films épais de savons (tréfilage de l’acier) ou à la modélisation du laminage au Sendzimir. Au dehors, FD commençait à tisser le réseau des relations sans lesquelles une vie professionnelle complète ne peut se dérouler. P. Baqué l’avait introduit à la DGRST (Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique), organisme dispensateur de crédits pour la recherche appliquée, et il faisait partie de deux commissions d’experts (Traitements de Surfaces et Action de Contact). Il y retrouva ou y découvrit de nombreux collègues. Un certain nombre d’entre eux, comme Michel Cantarel (ETCA), n’engendraient pas la mélancolie, ce qui égayait ces très longues journées peuplées d’auditions se succédant sans désemparer. En fait, ces séances se révélaient extrêmement instructives, et élargissaient ses horizons. Sa culture mécanicienne se renforça encore lors du voyage que nous fîmes de concert aux États-Unis pour visiter les équipes de recherche travaillant sur la Mise en Forme, à 12 Cette cohabitation dura quelques vingt années, agrémentées de maintes discussions et de quelques expériences de mécanique appliquée mises en pratique par François. Elles consistaient à réaliser, par poussée de ma table, un poinçonnement de mon dos par le radiateur à ailettes, voire un bipoinçonnement, histoire de se détendre un peu. Prémonitoires étaient aussi ses expériences d’adhésion dans lesquelles il collait (à mon insu) le combiné de mon téléphone sur son support, voire celui-ci aussi sur mon bureau, puis m’appelait sournoisement au téléphone. Une autre distraction de FD consistait à noter les lapsus linguae dont je le régalais involontairement, lors de mes entrevues avec mes thésards. Le manque de place (nous avons accumulé tous les deux au fil des années une foule d'articles, cours, notes, rapports...) nous a contraints, il y 5 ans environ, à rompre cette cohabitation. Cette séparation, à notre grand regret, a inévitablement diminué la fréquence de nos discussions et de nos échanges, si utiles à l'accouchement et à la mise au point de nos idées sur les sujets les plus variés, de l’usure des coins monétaires aux relations délicates à formuler existant entre tension superficielle et énergie de surface. 28 Surfaces, tribologie et formage des matériaux l’automne 197513. Je n’avais jamais voyagé avec François, mais je compris vite qu’il ne se contenterait pas des visites de laboratoires. Il dénichait toujours sur le chemin un parc où les teintes rouges de l’été indien étaient encore un peu plus somptueuses que celles admirées dans les forêts bordant la route. Quand aux musées, bien que les villes que nous visitions en parussent dépourvues, il en dénichait toujours quelques-uns, parfois des plus bizarres. A Bethleem, il alla même jusqu’à nous faire ouvrir spécialement une fondation privée tenue par des dames bon chic bon genre. Il réussit à les émouvoir en leur faisant croire avec un toupet infernal que nous arrivions de Paris (France) tout spécialement pour visiter leur musée, une gentille maison bourgeoise momifiée au début du siècle. C’est au cours de ce voyage que nous remarquâmes au Battelle Institute à Colombus un petit laminoir à froid de table, capable de laminer une bande étroite d'acier à la vitesse de 1 m/s. Il nous fit immédiatement rêver à un frère plus grand, qui atteindrait des vitesses proches de celles pratiquées par l’industrie. Mais la roue tournait. Pierre Baqué nous quittait, léguant son siège directorial à son complice polymériste Pierre Avenas. Un an après, nous quittions notre cocon de l’ENSTA, sa cantine calamiteuse et ses ordinateurs sensibles aux chocs de nos essais. Avec notre départ, un nouvel âge d’or s’annonçait pour les informaticiens de l’ENSTA. Quant à nous, nous allions peupler les solitudes de Sophia Antipolis. En compensation, ce déménagement s'accompagnait d'une dotation financière permettant non seulement notre installation dans les nouveaux locaux, mais aussi l'achat d'équipements semi-lourds. Nous nous équipions d'une spectrométrie Auger (AES) ainsi que d’un microscope à balayage doté d'un canon à émission de champ, merveille du genre, un Coates et Welter. Les faire fonctionner serait la première des tâches d’E. Darque-Ceretti que l’on recruterait sur place à cet effet. Elle ne soupçonnait pas que le système de micro-analyse élémentaire EDXS associé au MEB refuserait obstinément de vivre en symbiose avec cet engin avant-gardiste, et lui causerait une gamme d’ennuis singulièrement variés. C’était l’époque où, en dépit de la floraison des mini calculateurs, l’on avait ordre de notre ministère de tutelle de ne calculer que sur gros systèmes. En dépit des attraits des minis, il n’était donc pas question de passer commande de ces machines de rêve. L’arrivée de l’un d’entre eux (un Nova2), dissimulé à l’Administration dans la commande globale du système EDXS excitait les convoitises de l'un de nos voisins de bureau. C’était un jeune spécialiste du calcul des orbitales moléculaires récemment arrivé de l'IFP, qui ne rêvait que d’appliquer son savoir à la simulation numérique des écoulements. Il s'appelait J.-L. Chenot. Pour lui complaire, il fut décidé de gonfler ce 13 A Amherst, nous rencontrâmes B. Avitzur, champion de la méthode de la borne supérieure et de l’écoulement convergent en filage et tréfilage puis, au Battelle Institute T. Altan, éminent spécialiste turc de la simulation du forgeage fort heureusement polyglotte. Nous fîmes également connaissance de W. R. D. Wilson, sympathique barbu, alors spécialiste de la modélisation de la lubrification hydrodynamique en mise en forme, qui allait bientôt s'attaquer au régime mixte. Du fait d'une grande communauté de domaines d'intérêts, il est le scientifique avec lequel j'ai eu le plus d'atomes crochus. Car il ne faut pas se leurrer : s'intéresser à la lubrification en mise en forme des métaux vous classe en marge des spécialistes de la lubrification hydrodynamique, eux-mêmes tenus à l'écart par les mécaniciens des fluides, mécaniciens, et donc peu dans le vent de notre société plutôt physicienne… La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 29 mini et de prendre plutôt un Nova3 afin qu’il puisse y effectuer ses premiers calculs. Ainsi commença la saga des éléments finis au CEMEF. SOPHIA ANTIPOLIS : À LA RENCONTRE DE NOUVEAUX VOISINS Nous prenions possession de locaux bien à nous. La chose la plus frappante fut sans doute le contraste entre la minutie qui présida à l’attribution des pièces, à leur spécialisation en bureaux, salles d'expériences ou pour ordinateurs (pièces pour lesquelles on nous demanda de prévoir jusqu’à l’emplacement des prises électriques), et la désinvolture avec laquelle on nous bailla d’autres salles, soigneusement équipées pour un autre destin. Seuls des visiteurs impolis se seraient permis de demander à l’hôtesse d’accueil à quoi pouvait bien servir la tresse de cuivre à l’impressionnant diamètre qui sourdait du sol entre ses pieds. Là avait été prévue la salle de calcul ; elle en piétinait la prise de terre. Sophia – Pierre Laffitte oblige – se voulait aussi un lieu de communication entre équipes, laboratoires et organismes. Notre bureau était voisin de celui de Brigitte Anjubault ce qui, en dehors d’un charmant voisinage, simplifiait beaucoup les recherches bibliographiques. Au delà s’étendait le Centre de Mathématiques Appliquées, dirigé par Yves Rouchaleau. Le qualificatif d’appliqué ne devait pas faire illusion. Ce Centre était peuplé de dangereux hurluberlus ne fréquentant guère les industriels, utilisant des calculateurs sous Unix et faisant leur traitement de texte sous Troff. Mais à leur contact, nous apprenions les principes de base de l’automatique. Il en résultera plus tard une thèse dirigée par J-P. Marmorat ayant pour objet l’automatisation multivariable de notre laminoir pilote. Une des particularités d’Y. Rouchaleau était d’être grand connaisseur en machines parlantes mécaniques anciennes. Quel que pût être le sujet de nos recherches, il était toujours capable d’exhiber une étrange application du frottement à l’une de ses machines à parler ou à musiquer, tel l’amplificateur à frottement14. FD découvrit ainsi avec étonnement que les savons chargés qu’il étudiait en tant que lubrifiants de tréfilage avaient servi à réaliser en 1900 des cylindres de phonographe. S’il voulait se donner la peine de les analyser, ce ne seraient pas les échantillons qui lui manqueraient… Quel meilleur lieu de rencontre que le lieu du déjeuner ? Le premier restaurant d’entreprise, un baraquement rose fort bruyant, fut bientôt remplacé par celui du CERAM, fort proche de nos nouveaux voisins du CNRS. Sortant de nos préoccupations tribologiques, nous pouvions y discuter de la constitution d’un dictionnaire amarikfrançais avec M-J. et J. Tubiana, qui avaient fondé le laboratoire Peiresc, voué à l’étude des langues et des mœurs du Tchad et de l'Éthiopie, ou bien de la nature de l’objet archéologique et de la variété de ses substituts avec B. Helly, qui dirigeait le Centre de Recherche Archéologique. Nous entendîmes un jour discuter à la table voisine de la possibilité d’évaluer la température de surface d’un silex frotté avec une peau de chamois, le tout serré entre les genoux. FD par l’aventure évidemment alléché se permit d’intervenir en faisant 14 Brevet Higham, 1904 utilisé sur le 20th century Graphophone BC. Le saphir frottant sur le cylindre est relié à la membrane qui produit le son par un élément en caoutchouc durci (vulcanite) de forme semi-circulaire. A l’intérieur, coaxiale et passant très près, se trouve une roue d’ambre en rotation. Chaque mouvement vertical du saphir provoque un contact entre la vulcanite et la roue tantôt par le haut, tantôt par le bas. Le frottement induit entraîne la vulcanite dans un sens ou dans l’autre, ce qui déplace la membrane et augmente sa déflection. 30 Surfaces, tribologie et formage des matériaux remarquer qu’en dépit de la difficulté du problème, des méthodes de calcul existaient, et que des mesures étaient possibles. Puis, il demanda à ses interlocuteurs quelles étaient leur formation… Tous étaient littéraires ou historiens. C’est ainsi que nous fîmes la connaissance de l’équipe des tailleurs de silex et d’obsidienne de J. Tixier, avec laquelle nous mîmes bientôt sur pied un séminaire commun. Ils apportaient leur étonnante virtuosité pratique ainsi que des films tournés au grand ralenti. Nous apportions nos certitudes et notre connaissance de la mécanique du contact. D. Maugis15, que nous avions mis dans le coup, y ajoutait celle de la mécanique de la rupture. Nous nous rendîmes vite compte que nous avions lourdement sous-estimé la difficulté du problème. Nos contacts à nous étaient toujours supposés se faire sur des massifs infinis, de façon à éviter tout effet de bord. On nous démontra vite que l’art de la taille par percussion consistait justement à utiliser astucieusement ces effets de bord. JULIETTE Dieu sait si nous discutions ensemble François et moi. Mais il lui apparut vite qu’il nous manquait un forum plus étendu où l’on prendrait le temps de poser à d’autres les questions qui vous turlupinaient, et d’écouter les réponses. Il organisa à cet effet un séminaire informel périodique regroupant quelques amis, les lyonnais M. Godet, J-M. Georges et D. Berthe ; le parisien D. Maugis ; le mulhousien M. Brendlé et nous deux. Plagiant l’Histoire de France racontée à Juliette de Jean Duché, il le nomma la Tribologie racontée à Juliette ou, plus brièvement, les réunions Juliette. Ces rencontres mensuelles, placées sous le signe de l’amitié et du tonus, duraient 36 heures. Tour à tour dans chacune de ces villes, nous étions d’abord reçus à dîner par notre hôte à la table familiale. Ces agapes terriblement bavardes (et qui mettait notre hôtesse à dure épreuve) permettaient de réserver strictement la journée du lendemain aux exposés scientifiques qui étaient faits par l’un de nous, dans sa spécialité (lubrification limite pour JMG, lubrification élasto-hydrodynamique pour MG, chimisorption pour FD, adhésion pour DM et plasticité pour moi-même), ou bien à la discussion d'un projet de publication. Le conférencier ne partait pas tant que l’un d’entre nous n’avait pas tout compris. L’heure du déjeuner était consacrée à la visite d’un Musée16. Cette heureuse époque, où nous pouvions consacrer tant de temps à apprendre, dura trois années. C’est dans ce groupe 15 Nous avons, François et moi, fait la connaissance de Daniel Maugis à des moments différents. Mais notre première impression fut un peu la même… Encore thésard, François le découvrit au laboratoire de J. Bénard, à l’ENSCP vers 1971, lorsqu'il fut invité à donner un vendredi aprèsmidi un séminaire sur l’adhésion métal / métal. L'exposé fut brillant. Il faisait état de l'ensemble des disciplines physico-chimiques et mécaniques qu’il est devenu aujourd’hui si banal de considérer en ce domaine, mais qui ne l’était guère à l’époque. Il en laissa plus d’un rêveur. Pour ma part, je le rencontrai en 1975, lors de notre premier séminaire à Fontainebleau. Faisant référence au fameux modèle JKR (Johnson, Kendall, Roberts) généralisant le modèle de Hertz du contact élastique sans adhésion, il nous parla d'adhésion élastique, concept dont nous n’avions jamais entendu parler et qui ne fut pas sans nous inspirer de la méfiance. Ces contacts avec cet éveilleur fut le point de départ de nombreux échanges, ainsi qu’avec son complice Michel Barquins, échanges qui se sont poursuivis sans interruption jusqu'à maintenant. 16 On pouvait même en tirer des enseignements tribologiques. Ainsi de la visite des ateliers de la manufacture de Sèvres, où nous constatâmes que curieusement, mais conformément à la théorie, il fallait appuyer comme un sourd sur l’agate pour polir les films ultra-minces d’or fraîchement déposé et donc très mou. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 31 Juliette que prit naissance l’idée d’un GRECO du CNRS consacré à la Mécanique du Contact. D. Maugis accepta sa responsabilité. Cette action coordonnée nous permit d'élargir nos échanges à d'autres collègues, notamment avec Jean Frêne de l'université de Poitiers. C’est au cours d’une de ces réunions que le directeur du département des Sciences pour l’Ingénieur de l’époque proposa à FD d’associer nos deux groupes au CNRS, ainsi que l’étaient déjà les équipes lyonnaises. Cette proposition ne reçut pas l’aval de P. Avenas : l’École ne voyait pas ce qu’elle avait à gagner avec cette association. Elle changerait bientôt d’avis. Les années passant, chacun voyant croître inexorablement sa charge de travail, nos contacts avec les autres représentants de la communauté des tribologues français s'espacèrent, se restreignant aux soutenances de thèses, aux congrès (Leeds – Lyon, Eurotrib) et aux Journées de la Société Française de Tribologie. ÉTABLIR NOTRE MÉTHODE Une des particularités de la Tribologie est d’être un domaine extrêmement lié aux préoccupations de l’Industrie. Pour notre part, nous procédions de la manière suivante. Le problème soumis par l’industriel était analysé avec l’œil de l’ingénieur. Puis, se focalisant sur le contact produit / outils et utilisant la mesure de paramètres globaux (effort de laminage, couple…) sur une machine de production, le mécanicien du contact calculait les conditions thermomécaniques du contact. Une modélisation (méthode des tranches, borne supérieure, bientôt éléments finis) permettait d’approcher les répartitions de pressions, de contraintes et de température dans le contact. A partir de là, le mécanicien des fluides ou le physico-chimiste essayait de comprendre comment s'effectuait la lubrification. Et pour vérifier ses hypothèses, un essai tribologique était choisi ou imaginé pour son degré de similitude avec le procédé. N’allez pas voir là une démarche banale ! Loin de là. Car les laboratoires académiques s’occupant de frottement étaient de nouveaux venus dans le monde de la tribologie. Les laboratoires industriels, en particulier ceux des pétroliers, utilisaient des essais (quatre billes, Fallex et autres) qui avaient derrière eux un long passé. Ils avaient donc l’immense avantage de permettre des comparaisons. Nous retînmes le bipoinçonnement pour simuler le contact cylindre / tôle en laminage, et l’écrasement d’anneau pour le contact en forge. Pour le tréfilage, nous nous adressâmes au procédé lui-même, mais simplifié à l’extrême. La similitude portait aussi, bien sûr, sur les matériaux (outils, produit et lubrifiant). Pour pertinents qu’ils étaient censés être, les cœfficients ou cissions de frottement que nous en déduisions étaient ensuite comparés à ceux mesurés sur une machine pilote instrumentée, système présentant le plus grand degré de similitude possible avec le procédé. Le résultat de nos travaux était alors délivré à notre commanditaire industriel. Leur heureuse mise en œuvre en ses ateliers nous soulageait d’un grand poids. Bien sûr, nous étions convaincus des avantages d’une approche rationnelle des problèmes17. Mais, en tribologie, un paramètre important est si vite mal évalué… D’ailleurs, combien de fois François ne m’avait-il pas raillé pour ma capacité à 17 Ne pas l’employer pouvait amener à des déboires certains. Une PME spécialisée en tribologie des mécanismes proposa à un lamineur d’aciers inoxydables d’étudier les problèmes de frottement et d’état de surface en laminage à froid. Sans analyser les conditions de contact, ses chercheurs utilisèrent un «simulateur» à faible pression de contact qui donna des résultats opposés à la pratique industrielle. Que croyez-vous qu’il arriva ? Ils en conclurent que les observations faites sur le site industriel étaient erronées. 32 Surfaces, tribologie et formage des matériaux imaginer de «petits modèles» incapables de prédire, mais justifiant les résultats expérimentaux les plus contradictoires… TRÉFILAGE : LA LUBRIFICATION PAR FILM ÉPAIS Initiées grâce à des tréfileurs d'acier qui se plaignaient de devoir remplacer des filières trop vite usées, nos études avaient dès le début pris en compte le double aspect du problème : lubrification et usure du matériau de la filière. J'avais démarré l’étude de la lubrification en tréfilage à l'aide d'un montage expérimental particulièrement simple et efficace imaginé par P. Baqué. L’opération était assurée par la chute d'une hauteur de 2 m d'un poids de 50 kg dans un bac de sable. Chaque expérience faisait sauter les disques durs des ordinateurs du service de calcul de l'ENSTA situé dans la pièce au-dessous, mais ce montage permettait d'atteindre en un temps très court, et de manière très économique, des vitesses de tréfilage de quelques mètres par secondes. A chaque portion du fil pouvaient être associés la vitesse et l'effort de tréfilage, ainsi que la résistance électrique entre fil et filière (infinie en cas de film HD). En chaque point l'on pouvait aussi y mesurer l'épaisseur de film lubrifiant résiduel par pesées. J'accumulais suffisamment de données expérimentales pour pouvoir proposer une modélisation des effets thermiques responsables de l’évolution avec la vitesse de tréfilage de l’épaisseur des films lubrifiants formés par les paraffines chlorées. Je fis de même avec les savons chargés, étude qui proposait pour la première fois une interprétation des mesures effectuées par Tattersall en 1961 sur la lubrification par les savons grâce à un montage expérimental sophistiqué18. Côté matériau de filières, pour déterminer le mode de dégradation des carbures de tungstène liés au cobalt, B. Lapostolle imagina de tréfiler avec une filière activée. Une seconde tréfileuse fut réalisée. La mesure de la radioactivité locale du fil permettait de repérer les débris d'usure, et de suivre la dégradation de la filière par déchaussement des grains de carbure. Mais les précautions nécessaires s'avérèrent lourdes et la technique fut abandonnée. C'est pourquoi, vers 1974, avec Alain Le Floc'h, nous développâmes une machine pilote monopasse pouvant tréfiler des kilomètres de fil à des vitesses comprises entre 1 et 20 m/s. Dotée ensuite d'un système de trancanage, elle nous permit d'étudier de manière plus réaliste les conditions de travail des filières et de tester de nouveaux matériaux, carbures et nitrures diversement liés19. L'ennui avec les études d'usure est que l'on ne peut se permettre de reproduire les conditions industrielles. Il faut accélérer les phénomènes, mais sans en changer la nature. Nous essayâmes bien de remplacer le lubrifiant par des poudres abrasives. Rien n'y faisait, nos filières semblaient inusables et nous nous trouvions dans l'incapacité de les classer par ordre de mérite. Jusqu'au jour où nous nous aperçûmes qu'il suffisait de tréfiler un fil ayant subi un début de corrosion. J’avais abandonné l’étude de la lubrification du tréfilage par film épais pour passer à d’autres sujets, et François avait repris le flambeau. Mais dans le cas de la lubrification par les poudres de savons, comme l’avait montré B. Lapostolle, les choses se compliquaient. L’alimentation de la filière ne se faisait plus avec un lubrifiant liquide, mais avec un solide pulvérulent. En outre, des travaux russes suggéraient que les savons avaient un comportement non newtonien. Aux problèmes de l’alimentation de la filière, rarement optimale, s’ajoutaient donc ceux liés à la détermination des rhéologies. th 18 E. Felder & G. Breinlinger, Thermoviscous behaviour of wire drawing soaps, Proc. 4 North American Metalworking Research Conference, Columbus (1976) 158-164. 19 Ces travaux ont fait l'objet du mémoire CNAM d'A. Le Floc'h. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 33 Il fallait bien qu'un jour ou l'autre FD, sortant de sa culture CNRS, commençât à rencontrer des industriels et s'efforce de les séduire pour se faire financer les recherches qu'il comptait entreprendre. C'est dans cet esprit d'évangélisation qu'il persuada les responsables ad hoc de la CFPI (Cie Française de Phosphatation Industrielle) de l’intérêt qu'il y aurait à optimiser les phosphatations réalisées sur les fils d'acier avant leur tréfilage, et dont on pensait que le rôle était d'entraîner la poudre de savon lubrifiante. Un stage avait été décidé pour prouver notre savoir faire. Un stagiaire avait donc passé trois mois à l’ENSTA à tréfiler dans des conditions normées des gerbes de fils d’acier dont les phosphatations avaient été réalisées spécialement en faisant varier un par un les différents paramètres de l’opération. Le tréfilage devait être suivi d’examen au MEB des fils, et de détermination de l’épaisseur des diverses couches par pesées entrecoupées de dissolutions chimiques. Quelle ne fut pas la stupeur de FD en s’apercevant que le dernier jour, une fois les tréfilages terminés, le stagiaire avait fait place nette, et jeté les précieux fils à la poubelle, empêchant toute exploitation ultérieure. Les contacts avec la CFPI s'arrêtèrent là. D'autres furent beaucoup plus fructueux, et permirent une certaine continuité dans cet axe de recherche, qui devait se développer durant dix années. Ce furent d'abord les travaux de J-L. Wybo qui étudia l'alimentation de la filière en relation avec l'écoulement des poudres et leur granulométrie. Fort inventif, il mit au point le mire-trou, appareil qui, grâce à l'exploration laser du cône de travail de la filière permettait en une seule mesure de chiffrer son demi angle et l'état de surface du cône de travail, région particulièrement rebelle à l'observation. Nous eûmes tort de ne pas développer plus avant cet appareil. Son successeur M. Brison eut pour rôle de caractériser la qualité de la lubrification par un paramètre plus sensible que la valeur moyenne de l'effort de tréfilage, qui ne permettait pas de retrouver sur notre machine le jugement porté par la pratique industrielle sur les différents types de savons qui nous étaient soumis. Il enserra la filière instrumentée dans un calorimètre et mesura l'accroissement de température. En définitive, il adopta la mesure du bruit entachant l’effort de tréfilage, moins intégrateur et instantanément sensible aux aléas de l'opération. Bientôt ces recherches prirent une connotation plus chimique avec l’étude des propriétés lubrifiantes des savons purs (stéarates de sodium, de calcium, de lithium), phase par phase. Il fallait donc identifier les différentes phases, et déterminer leurs bizarres rhéologies. La tâche fut confiée à un jeune centralien, Pierre Montmitonnet, qui y consacra deux brillantes thèses et mit au point – sous l’œil réprobateur de l’ingénieur de la Société commanditaire qui estimait que nous perdions notre temps et l’argent de sa Société - l’interprétation rhéologique d’un essai dérivé du pénétromètre. Par un effet de la Justice immanente, ce travail rendit peu après les plus grands services à leur principal concurrent, plus confiant qu'eux en nos capacités. Hélas, le temps n’était plus où les découvreurs pouvaient attacher leur nom à la découverte de nouvelles phases. Celles décrites dans ce travail ne porteraient les noms ni de FD ni de P. Montmitonnet ! FORGEAGE Il était convenu entre nous que je me chargeais plus particulièrement des contacts dans les procédés à chaud. Comme l'avait déjà constaté P. Fernier, le thème présentait des difficultés spécifiques comme l'évaluation des températures de surface ou la réalisation des simulations expérimentales en laboratoire. D’où la nécessité de trouver un partenaire apportant de réelles capacités d'expérimentation. Je le trouvai avec la cellule Forge de l’établissement stéphanois du CETIM. Nous lançâmes alors les deux thèmes de recherche : lubrification-frottement et usure des matrices. Une de nos premières découvertes fut que l'amélioration de la lubrification des matrices pouvait augmenter 34 Surfaces, tribologie et formage des matériaux leur usure abrasive, ce qui s'explique par l'accroissement de la vitesse de glissement du métal contre les matrices. Cette situation paradoxale constitue - à ma connaissance - un cas unique en tribologie de la mise en forme des métaux. Notre approche des phénomènes de contact en forgeage à chaud des aciers se fit en trois étapes : - modélisation par L. Coutu des transferts thermiques et premières estimations de températures maximales de la peau de matrices. Nous pûmes nous convaincre que les fameuses couches blanches de haute dureté observées en surface des matrices résultaient d'une austénitisation suivie d'une transformation martensitique ; - modélisation par P. Bauduin de l'évolution de dureté de la peau des matrices, avec deux scénarios possibles : un revenu, décrit à l'aide du diagramme de revenu de l'acier, ou un durcissement, estimé par calcul de la diffusion du carbone dans une cellule élémentaire constituée d'austénite et de cémentite Fe3C20; - synthèse de ces divers aspects par Y. Thoré sous forme du calcul de la perte de cote ∆h en un point M de la surface d'une matrice, dérivé du modèle d'abrasion d'Archard sous la forme : ∆h( M ) = ò histoire en M K F0 KW p ∆u dt H vm (2) avec p, pression de contact et ∆u, vitesse de glissement. Ces grandeurs, ainsi que l’histoire thermique superficielle du point M, qui permettait d'estimer la dureté d'outil Hv, résultat d'un revenu ou d'une trempe martensitique, étaient estimées analytiquement. La comparaison avec des essais avaient permis de fixer à 2,1 environ la valeur de l'exposant m fixant l'influence de Hv21, de proposer une formule décrivant l'effet de la concentration en divers éléments d'alliage de l'acier à outil (facteur KW), qui est en relation avec le type de carbures présents dans l'acier, et d'estimer la vitesse d'usure KF, décrivant globalement l'effet des films superficiels (calamine du métal forgé plus ou moins refroidie par le contact, lubrifiant, films de transfert). Ce modèle fut très vite inclus par notre ami (et concurrent) Altan dans son code de simulation du forgeage Alpid. 20 Mes discussions avec Robert Lévêque, spécialiste des aciers à outils chez Creusot-Loire, m'ont fortement aidé dans la conception du modèle d'évolution structurale de la peau des matrices. Il fut en effet le seul des métallurgistes que je connaissais à l'époque capable d'expliquer rationnellement et simplement l'effet de l'histoire thermique sur l'évolution des structures des aciers à outils. Pour la plupart de ses collègues français, la métallurgie restait une sorte de science naturelle purement descriptive (et terriblement ennuyeuse !). Quant à calculer une structure, il n'en était pas du tout question en France à l'époque : un métallurgiste français bien connu m'avait même prédit l'échec ! 21 Avec A. Le Floc'h, nous avions déjà trouvé un exposant comparable pour décrire l'évolution de l'usure des filières de tréfilage avec la dureté du matériau de filière. Par ailleurs, pour rédiger mon cours sur l'usure, j'ai lu ou relu, il y a quelques années, avec grand intérêt les articles décrivant les travaux de l'équipe de tribologie d'Aldermaston, de l'Associated Electrical Industries, dirigée par Hirst avant 1965 ; j'y ai découvert que l'usure sévère (avec formation de débris métalliques) des alliages métalliques frottant à sec contre un antagoniste de dureté plus élevée évolue avec leur dureté de manière comparable. Il semble y avoir là une loi assez générale, chose rare en tribologie, mais son origine physique reste inconnue. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 35 Puis s'ouvrit alors une période de veille d'une dizaine d'années, pendant laquelle nos collègues numériciens du CEMEF travaillèrent de manière intensive à la mise au point des codes de simulation numérique par éléments finis du forgeage à chaud, Forge2, puis Forge3. Le calcul de l'index d'usure, version très simplifiée de notre modèle, fut inséré dans une version de Forge2 par Y. Tronel : I (M ) = ò histoire en M p ∆u dt (3) K. Mahjoub reprit le flambeau dans le cadre de l'ACR II22. L'objectif était de doter Forge2 d'un calcul automatique de l'usure aussi performant que possible. Bénéficiant du travail de M. Miles qui avait développé une version de Forge2 simulant l'écoulement plastique du métal forgé et de la chaleur dans la pièce ainsi que dans les matrices, il put développer une méthode de calcul rapide du régime thermique établi, puis de leur usure. Le modèle d'usure intègre maintenant l'effet des variations instantanées de dureté Hv de la peau de matrices en acier, brut ou nitruré, et de celles de la dureté de la calamine de l'acier forgé, Hvc, mélange des trois oxydes de fer23. En outre, K. Mahjoub mit au point avec le bureau d'études deux machines de laboratoire, l'une destinée à simuler la fatigue de contact d'indenteurs en aciers à outil, l'autre, à étudier leur résistance à l'abrasion. Ces machines sont destinées à terme à constituer une banque de données sur les performances de divers matériaux à outils et permettre la prévision de leur usure. Dernier maillon de la chaîne, F. Frascati renoue avec une étude plus axée sur la lubrification, ici par les verres. FILAGE À CHAUD Dans ce domaine, mon activité a surtout eu pour objet le filage à chaud des alliages légers24. J’ai déjà dit que P. Baqué s’était très tôt intéressé à ce procédé. Tout en encadrant les travaux de J. Pantin, il étudia l’effet du frottement et des transferts thermiques sur la morphologie des écoulements de filage des alliages cuivreux25. Il 22 Action Concertée de Recherches, stade II, rassemblant la plupart des forges françaises et soutenue financièrement par le Ministère de l'Industrie. 23 Cf. ci-après l’article Modélisation de l’usure par abrasion des matrices de forgeage à chaud des aciers. 24 Je n'ai guère abordé le filage à froid (en fait une variante du forgeage) qu'à propos des aciers. Ce fut la thèse de R. Blancon. A l'aide des concepts mis au point dans l'étude de la lubrification du tréfilage, il modélisa la lubrification. A l'aide d'essais de bipoinçonnement, méthode d'essai mise au point pour le laminage, nous avons commencé à préciser l'effet sur le frottement de l'épaisseur de lubrifiant et de la rugosité du métal et de l'outil, thème qui fut repris et développé par P. Montmitonnet et ses thésards. Des essais de filage sur notre presse hydraulique de 350 tonnes nous permirent de vérifier la principale conclusion de notre modèle de lubrification : les films formés dans une opération de filage mixte avant-arrière, le long des divers outils : conteneur, poinçon et filière, n'ont pas la même épaisseur. Cet effet est mis en évidence par la géométrie finale des pièces, qui est déterminée par les différences de frottement associées. Nous avons de la même manière testé avec succès le modèle de Wilson de lubrification du filage avant. Il avait en effet montré que le lubrifiant ne s’infiltre que progressivement le long de l’interface métal-filière et que ce défaut initial de lubrification est responsable du pic de pression de filage. 25 J. de Lépineau et P. Baqué, Filage à chaud non lubrifié : étude des écoulements plastiques par la méthode énergétique, Rev. Mét. (juin, 1973) 475-496. 36 Surfaces, tribologie et formage des matériaux chercha aussi à déterminer les conditions de filage isotherme propres à minimiser la durée de filage des alliages durs type duralumins, sujets au défaut de tronc de palmier26. Ces travaux furent à l’origine de ceux de D. Fenot qui, sous la direction de P. Avenas, développa une simulation thermomécanique par différences finies du filage à chaud. À partir de là, il essaya avec F. Montheillet, de comprendre les évolutions structurales des laitons et autres duralumins en filage. Il n’est donc pas étonnant de retrouver vers 1982 P. Baqué à la tête des usines de filage de Cégédur, filiale transformation de Péchiney, et de le voir lancer un projet de conception rationnelle de filières pour profilés, dit projet Φ. P. Baqué pensait en effet que la clé de la rentabilité des filages dans lequel les surfaces jouent un rôle très important était la filière. C'est dans sa conception que l'on gagne ou que l'on perd de l'argent. Il créa à l'usine de Ham un atelier de fabrication de filières et mit sur pied un programme d'études visant à élaborer rationnellement les règles de conception des filières. Fidèle à sa méthode rodée avec le groupe Mise en Forme, P. Baqué multiplia aussitôt les séminaires de formation pour les ingénieurs des usines de filage. Il confia à G. Leroy, du Centre de Recherches de Voreppe (CRV), le soin de mener une série de démonstrations sur une presse de filage et me contacta pour effectuer les commentaires scientifiques. Ce fut une semaine sans pareille : après une journée d'essais, je travaillais le soir à exploiter les mesures de pression de filage, de température de sortie des profilés et pour les filières multi-écoulements, des différences de longueur observées, de façon à commenter ces essais le lendemain matin. Le résultat fut extraordinaire. Il en sortit, entre autres, une loi de conception des filières de profilés ouverts (c-à-d. sans parties tubulaires). Pour chaque segment27 de profilé, de périmètre P et section S, la hauteur h de la portée28 doit vérifier : h . P / S = constante (4) En effet, ce terme, appelé frein portée, multiplié par la cission de frottement le long de la portée, est la contribution de la portée à la pression de filage du segment : tout écart entre segments doit être compensé par un écart opposé dans le travail d’allongement du métal, c’est-à-dire une différence de vitesse de sortie. Pour équilibrer les vitesses de sortie et supprimer les défauts, le fileur dispose, outre les portées, des préchambres, 26 P. Baqué, Filage à chaud non lubrifié des métaux : étude théorique et expérimentale ; application aux métaux légers, Rapport interne ENSTA n° 28 (septembre 1974). 27 Un segment est une partie de profilé réagissant « en bloc » à la portée et dont la vitesse de sortie peut être considérée comme uniforme pour tout choix «non pathologique» de jeu de portée. Si le concept est simple, il n'est pas facile de définir une règle de segmentation. Par ailleurs, la poursuite des études a montré qu'au second ordre, la viscoplasticité du métal filé, qui tend à assurer une adhésion parfaite du métal sur les outils, impose une modulation de la valeur du hP/S des segments ; cette modulation dépend de la géométrie du segment et de la proximité au conteneur de la partie de la billette assurant son alimentation, effet bien connu des fileurs et corrigé empiriquement. 28 La portée d’une filière est le conduit nominalement cylindrique par lequel chemine le métal avant de sortir de la filière. Les conditions de frottement le long de la portée sont mal connues. Comme l’a montré Tresca (cf. note 11), une légère conicité convergente tend à assurer un contact collant entre l’aluminium chaud et la portée. Mais la déformation de l’empilage des outils filière, contre-filière, cale d’appui, cale de fond - peut donner à la portée une conicité négative, la rendant divergente, ce qui réduit l’intensité du frottement, comme l’a démontré expérimentalement Akeret, vers 1985. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 37 cavités creusées dans la filière côté billette et de contour intermédiaire entre celui de la billette et celui des profilés. Chaque préchambre réalise une sorte de coalescence des parties du profilé avec suppression de ses détails. Ce degré de liberté supplémentaire est précieux, car une différence de hauteur de portée trop importante sur deux segments voisins peut entraîner des défauts de surface sur le profilé. Ce fait limite donc les possibilités de réglage des filières par la seule action sur la portée. Je poursuivis ce travail de conseil sur les règles de conception des filières tubulaires, en séjournant l'année 1985 au CRV. D. Fenot y travaillait à la CAO des filières et animait le Φ-Club qui réunissait les ingénieurs et les chefs-régleurs de filière des usines de filage de Cégédur. À l’aide d’essais effectués sur les presses industrielles, nous nous efforcions d’élucider les mystères des écoulements de profilés ; d’où des discussions interminables, sur tel ou tel effet de correction d’outillage. J’y eus le plaisir de retrouver un de nos anciens, L. Felgères, qui avait en charge l’atelier de filage de Ham. En parallèle, j'encadrais au CEMEF le travail de P. Ozanne, qui étudiait le frottement sur les portées : il pratiquait avec nos moyens des expertises de filières aux divers stades de leur utilisation pour élucider leur mode d'endommagement et le relier à l’intensité du frottement du métal filé sur les portées. Puis, l'atelier de Ham s'équipant d'une simulation plasticine pour tester la conception des filières, J.- F. Dupuis s'attacha à développer une simulation plasticine fiable. À l'aide d'essais sur le rhéoplast du CEMEF et d'essais de filage d'aluminium effectués au CRV sur le profil clé29, nous montrâmes la supériorité de la pâte Filia, d'origine danoise, sur la pâte utilisée jusque là. Des filières tests, comportant diverses géométries de portées et de préchambres, nous permirent en outre de vérifier la règle d'équivalence entre le frein portée et le frein préchambre. LE LAMINAGE Á FROID C'était l'un des domaines de FD. Côté laminage à froid des inox, prenant la suite de M. de Vathaire, J. Kubié étudia les différents facteurs influant sur le transfert de matière entre tôle et cylindre, dont les plus inattendus furent bien ceux liés à la métallurgie des cylindres (nature, dureté et dimensions des carbures superficiels). Avec l’aide d’A. Le Floc’h, il avait pour ce faire monté au CEMEF l’essai de bipoinçonnement, essai dont il tira merveilleusement parti. Passant en revue les différentes modélisations de cet essai disponibles, il imagina avec FD d'en tirer non seulement la détermination du cœfficient de frottement tôle-poinçon, mais aussi celle de la contrainte d'écoulement de la tôle. On se posait en effet le problème de savoir si elle ne variait pas suivant le mode de sollicitation. Était-ce vraiment la contrainte d'écoulement mesurée en traction qu'il fallait introduire dans la modélisation du laminage ? FD ayant décidé de publier ce travail assez rapidement, sous la forme d'une note aux Comptes-Rendus de l'Académie des Sciences, il demanda sur mes conseils l'avis de Jean Mandel. Celui-ci vint un beau matin, en chemise et en short kaki. Il refit posément au tableau, devant un FD mortellement inquiet, tous les calculs. Il les trouva exacts et donna son feu vert. En revanche, il déconseilla formellement d'y ajouter les mesures expérimentales que nous avions faites, comparées et critiquées. Pour lui, elles étaient de nul intérêt. La note parut30. 29 Profil constitué de deux segments de P/S très différents, un méplat fin et une barre ronde. 30 FD n'a pas abusé des notes aux Comptes-Rendus. Mais il les a toutes publiées dans des sections différentes. On trouve, dans l'ordre chronologique : Chimie Physique (1970), Électrochimie appliquée (1974), Mécanique des solides inélastiques (1980) et Géologie (1986). 38 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Par ailleurs se concrétisait progressivement ce projet fou, imaginé à Colombus, de réaliser un laminoir à froid à bande étroite pouvant laminer dix kilomètres de bande à 20 m/s. Fou, peut-être pas tout à fait. Mais son coût évalué à 1 MF avait été dénoncé comme tout à fait irréaliste par M. Maurice, le président de la commission Action de Contact de la DGRST à qui nous demandions une participation au financement. La commission n’accorda (1976) 150 kF pour financer son étude, qu’assortis de ce commentaire : "N’y revenez pas, ni pour sa construction, ni pour son fonctionnement". Un montage financier fut donc réalisé avec l’IRSID, la CFR et ARMINES. Avec l’aide d’un bureau d’études extérieur, le projet, mené par J. Duriau puis A. Le Floc’h, se concrétisa. J. Genna assura le câblage du laminoir, qui fut inauguré en grande pompe en présence de J. Lévy, directeur de l’EMP. Dans un bruit de réacteur, les grandes bobines se mirent à tourner lentement, puis de plus en plus vite. On laminait ! Et à une vitesse déjà respectable ! Quand tout à coup, la bande cassa et se mit à fouetter l’air, au grand dam des responsables fort marris. Il restait tout simplement à apprendre le métier de lamineur. Ce que J. Genna aurait amplement l’occasion de faire… G. Ayache eut ensuite pour tâche de démontrer la similitude existant entre notre tranche de laminoir et un laminoir industriel bien réel. Il y réussit pleinement, en particulier en reproduisant divers défauts liés au laminage de l'acier au carbone dans des conditions contrôlées. Puis la chimiste M-N. Gay se vit confier la tâche de formuler rationnellement une émulsion de laminage à froid des aciers. Axant son travail sur la nécessité de réaliser une émulsion qui soit stable dans le bac de stockage, mais instable dans l'emprise du laminoir, elle y réussit parfaitement : les performances de ce lubrifiant sur le laminoir-pilote furent tout à fait comparables à celles du produit le plus utilisé commercialement. Mesure du frottement dans des conditions de similitude contrôlée avec le procédé, caractérisation de la composition superficielle et de la microtopographie des surfaces avant et après le laminage, vingt ans après, la démarche reste toujours valable. Coté essais mécaniques, nous en sommes à la troisième génération de machine de bipoinçonnement, qui peut désormais fonctionner jusqu'à 200° C. Le laminoir-pilote fonctionne maintenant sous l’efficace autorité de P. Montmitonnet assisté de J. Genna (mais est-ce vraiment tout à fait le même, ayant été si constamment perfectionné ? Des inserts peuvent désormais être placés dans les cylindres et, après laminage, être soumis à l'analyse ; la bobine débitrice peut être chauffée afin de simuler du point de vue thermique une passe antérieure…). Il fait face à une demande continue à la fois pour des essais à façon et pour des travaux de recherche. Pour les services, on vient jusque de Corée et des Indes supplier le Grand Manitou du laminage à froid, PM, de bien vouloir prêter la main à des essais d’additifs, des optimisation de bases lubrifiantes ou bien d’émulsions. Coté recherches, PM a monté diverses thèses axées sur l'étude du régime de lubrification mixte en laminage à froid. Dans le domaine du laminage des inox, poursuivant le travail de M. de Vathaire et de Kubié, G. Hauret a étudié les conditions d'obtention d'un produit brillant, et B. Rizoulières, les transferts de matières entre tôle et cylindres. Quant à N. Marsault, après un séjour d'un an chez W. R. D. Wilson pendant lequel il s'est initié à la modélisation du régime de lubrification mixte, il s'est directement attaqué à celle du régime mixte en laminage à froid (hydrodynamique dans les vallées, limite sur les plateaux) en prenant en compte la rugosité des surfaces et l'existence d'un seuil de percolation au delà duquel la lubrification HD qui règne dans les vallées se mue en lubrification hydrostatique. Ces travaux ont été rattachés à un programme de travaux inter-laboratoires placé sous l’égide du CNRS et soigneusement encadré par des industriels de la partie. PM avait accepté la responsabilité générale de ce Contrat de Programme de Recherches sur la lubrification en laminage à froid, dans le cadre duquel entrait aussi la thèse de G. Dauchot dont je reparlerai. Année record, La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 39 l’année 1999 a donc vu se terminer trois thèses relatives à la lubrification en laminage à froid. DES LAMINAGES EXOTIQUES On n'en croit pas ses yeux de constater tout ce que l'imagination débridée des ingénieurs est arrivée à tirer du bon vieux laminoir à froid de Léonard de Vinci. Doté d'une témérité de conquistador, PM voulut bien prendre en main les études relatives à ces moutons à cinq pattes que l'on nous proposait. Ce fut d'abord le colaminage, en l'occurrence, celui de deux alliages peu courants, un ferronickel (invar) et un mangano-cupronickel, utilisé pour réaliser par adhésion métalmétal une tôle composite d'où sortiraient des bilames thermiques. F. Niang modélisa l'écoulement des deux alliages lors de ce laminage dissymétrique. En parallèle, F. Carpentier étudia les phénomènes métallurgiques se produisant à l'interface. Ils mirent clairement en évidence le rôle de la ductilité de la couche d'oxydes se trouvant à l'interface séparant les deux alliages et la nécessité de dépasser un seuil de déformation pour obtenir l'adhésion31. Ceci n'était rien à coté du laminage à pas de pèlerin, procédé bizarre qui consiste à laminer lentement, progressivement, des tubes sur mandrin. Le produit non seulement tourne autour de son axe, mais tantôt avance, tantôt recule par rapport aux outils, tels certains pèlerins de l'ancien temps qui s'imposaient d'avancer de trois pas et de reculer de deux. Il ne s'agissait pas moins que d'améliorer l'état de surface interne des tubes, et donc de reconstituer l'histoire mécanique d'un élément de surface interne durant la déformation, lequel passait successivement par tous les régimes de lubrification. Sous film épais, la rugosité augmentait. Sous film mince, l'outil imposait son état de surface très lisse. Nous manquions tellement de connaissances sur le procédé que l'instrumentation d'une machine de production s'imposait. Ce fut le travail de D. Farrugia et d'A. Le Floc'h, qui fournit une série de résultats déjà intéressants. FD, qui suivait cette phase du travail à Paimbœuf, commentait avec émotion les repas de fruits de mer de midi et les beurres blancs qui accompagnaient les poissons. S. Mulot poursuivant l'effort, la cinématique de ce diabolique procédé finit par être le secret de Polichinelle, et les états de surfaces internes des tubes, mieux maîtrisés. EMBOUTISSAGE La démarche mise en place par FD pour le laminage fut développée dans ce domaine par nos efforts conjoints. L’emboutissage des tôles pose des problèmes assez différents de ceux observés en laminage, et les situations y sont plus diverses. Les caractéristiques des contacts sont exactement contraires à celles que l’on rencontre en laminage à froid : faibles pressions et grandes longueurs de glissement. Il fallait donc se doter d’une nouvelle gamme d’essais. Vers 1980 l’atelier réalisa pour J-C. Quantin un banc d'essai Inland (contact cylindre / plan), transformé vers 1989 par V. Sampers en un tribomètre plan / plan simulant le contact serre-flan / flan / matrice, sur lequel on pouvait monter des joncs de retenue. Puis fut fabriquée par notre bureau d’études une presse à emboutir pilote, 31 Ils retrouvaient ainsi un phénomène déjà observé par J. Mstowski lors de l'étude du filage arrière d'un lopin bimétallique, étude effectuée sous la direction de PM. La modélisation en avait été publiée par Bay. 40 Surfaces, tribologie et formage des matériaux remarquable par la possibilité de faire varier la vitesse du poinçon entre 0,01 et 1 m/s. Elle a été abondamment utilisée durant leur thèse par I. Devine, puis de D. Delarbre32. En 1996, était réalisé un tribomètre plan / plan de deuxième génération permettant une meilleure maîtrise des conditions d'application de la force normale. En parallèle, les études s'enrichissaient et se diversifiaient : influence de la microtopographie des tôles sur leur grippage, étude expérimentale du frottement, formulation de la loi de frottement permettant une bonne simulation numérique de l'emboutissage des tôles nues et revêtues et rôle des additifs du lubrifiant face à divers matériaux de surface de tôles33. Dernier venu de cette lignée de chercheurs, G. Steinmetz dispose donc de moyens conséquents pour poursuivre, à la suite d’I. Devine, la formulation de la loi de frottement des tôles basée sur des modèles microplastiques d’interaction entre outil et tôle. De son coté, P. Monmitonnet, toujours risque-tout, conduisait une étude réalisée par D. Delarbre sur l'emboutissage profond des inox, leur étirage et leur repoussage, procédé presque vierge d'études. Fidèle à sa méthode, il instrumentait d'abord une machine de production, puis interprétait les résultats à l'aide de la simulation numérique. PLASTICITÉ ET DURETÉ Côtoyant quotidiennement la théorie de la plasticité dans le cadre de la mise en forme des métaux, il était normal que nous essayons d'en tirer le maximum dans celui de la tribologie. C'est pourquoi nous fûmes nombreux à nous intéresser à l'essai de dureté. Est-il vraiment étonnant de voir des tribologues s'intéresser à l'essai de dureté, banal essai mécanique à vocation technologique qui consiste à utiliser un indenteur de forme géométrique simple pour déformer plastiquement un matériau ? N'est-ce pas l'un des fondateurs de la Tribologie, D. Tabor qui a songé à en proposer une interprétation mécanique ? Dans un beau livre34, il a montré que la force d'indentation était liée à la contrainte d'écoulement du matériau indenté. Ne clamez pas que c'est une évidence ! Il y a tant de gens qui n'en sont pas encore persuadés ! Observant qu'à l'échelle microscopique, un contact entre solides était le plus souvent constitué de microindentations, Tabor put ainsi proposer la première interprétation satisfaisante de la loi de frottement de Coulomb. C’est B. Lapostolle qui, sous la direction de P. Baqué, avait le premier exploré le thème de l’indentation comme essai rhéologique : il l’appliquait aux poudres de savons compactées. Puis l’essai fut repris et largement perfectionné par P. Montmitonnet dans le cadre de l’étude de la rhéologie des différentes phases des savons. Il fit d’ailleurs l’objet d’un contrat avec l'ANVAR qui permit à A. Le Floc’h de construire une superbe machine, toute de plexiglas fumé vêtue. L’essai fut adapté par PM et B. Monasse aux polymères solides. Je fis plus tard moi-même construire une machine d’indentation à 32 Ne dit-on pas que l'Histoire bégaye parfois ? Lors de la visite officielle du CEMEF par le ministre de la Recherche, H. Curien, A. Le Floc’h et J. Genna effectuèrent une démonstration de cette presse. Impressionnés par la présence du ministre, ils commandèrent la remontée du serreflan alors que les pinces de serrage, que personne n’avait pensé à enlever, l'interdisaient. Que pensez-vous qu'il arriva ? Ce fut le serre-flan qui cassa. 33 Le Frottement des films polymères : Application à un moteur piézo-électrique (thèse de L. Vanel) implique d’autres développements des moyens expérimentaux du CEMEF dans le domaine des frottements statique et dynamique. 34 D. Tabor, The hardness of metals, Oxford, Clarendon Press, 1951. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 41 chaud pour déterminer des rhéologies dans les conditions de la forge à chaud. Elle eut une certaine célébrité au CEMEF car elle réunissait tant de conditions d’insécurité diverses, que la charmante optionnaire Matériaux qui l’utilisait (avec une abnégation digne d’une martyre des premiers temps de la Foi) ne savait jamais si elle allait se brûler, s’électrocuter, ou bien les deux à la fois. Une autre machine, conforme aux dernières normes de sécurité en vigueur, est aujourd’hui en service. En ce qui me concerne, ce sont les travaux de M. de Vathaire qui initièrent cette voie de recherche encore aujourd’hui si féconde. FD se souvint un jour que Michel avait modélisé avec P. Baqué le labourage plastique d’une tôle par une aspérité du cylindre de laminoir. Il décida de publier ce calcul original qui dormait dans un rapport, et sollicita mon concours. Ce modèle cinématique par blocs rigides de formation d'une rayure fut le départ d’une longue aventure. Publié dans Wear35, il a connu une certaine notoriété et a inspiré divers travaux dans des laboratoires étrangers. Le problème m'apparaissant intéressant, je repris le flambeau. Dans le cadre du GRECO Mécanique du Contact, P. Gilormini généralisa ce modèle cinématique pour décrire la transition labourageusinage, et effectua des simulations plasticine pour tester le modèle, travail que nous publiâmes36. Puis nous essayâmes de nous attaquer au labourage des produits revêtus. Mais le problème était trop ardu. Nous dûmes nous rabattre sur un thème voisin plus simple, celui de l'analyse mécanique de l'indentation normale de matériaux revêtus (bicouches). La méthode devait permettre de déterminer la rhéologie (module d’Young E, cœfficient de Poisson ν et contrainte d’écoulement σ0) réelle du matériau de revêtement. Elle couvrait aussi bien l'échelle macroscopique que les échelles micro (microdureté) et surtout nano (nanodureté), domaine en pleine expansion, dans lequel l'exploitation des résultats expérimentaux ne peut se faire qu'au travers d'un modèle. Encore fallait-il disposer d'une modélisation de l'indentation d'un matériau homogène suffisamment performante, ce qui, en dépit des travaux de Hill et de quelques autres, était loin d'être le cas. La thèse de doctorat d'État de PM l'avait bien montré. Nous nous attaquâmes au problème avec la méthode cinématique incrémentale (thèse de D. Lebouvier), puis dès que cela fut possible, avec celle des éléments finis grâce au code Forge2 mis au point par nos collègues numériciens (thèses de M.-L. Edlinger et P. Laval). Ce travail a trouvé son aboutissement avec la thèse de C. Ramond-Angélélis37. Elle permit d’étudier systématiquement l’effet de l’index d’indentation X sur l’indentation des corps élastiques parfaitement plastiques par un cône de demi-angle θ, soit : X = E (1 −ν )σ 2 cotgθ (5) 0 35 M. de Vathaire, F. Delamare and E. Felder, An upper bound model of ploughing by a pyramidal indenter, Wear, 55 (1981) 55-64. 36 P. Gilormini and E. Felder, Theoretical and experimental study of the ploughing of a rigidplastic demi-infinite body by a rigid pyramidal indenter, Wear, 88 (1983) 195-206. 37 Ce travail a permis d'interpréter les mesures effectuées sur nano indenteurs par les différentes équipes participant au CPR du CNRS Optimisation de revêtements durs et adhérents par voie chimique, dirigé par M. Ducarroir. 42 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Pour θ fixé à la valeur38 de 70,3°, une augmentation de X de 1 à 103 traduit une augmentation de la composante plastique de la déformation du matériau, avec passage progressif d’un contact élastique en dépression à un contact plastique produisant la formation d’un bourrelet. L'utilisation de Forge3 a permis de simuler directement des indentations tridimensionnelles comme celles obtenues avec des indenteurs pyramidaux Berkovich et Vickers, justifiant ainsi les schématisations bidimensionnelles des pyramides. La montée en puissance de Forge3 a permis un retour récent à la modélisation de la rayure, phénomène non seulement tridimensionnel, mais affligé d’une très importante surface libre. C’est l’objet du travail de J.-L. Bucaille, actuellement en cours, qui analyse avec succès la formation de rayures sur divers types de polymères homogènes, revenant ainsi à notre thème de départ. Enfin le travail débutant de P. de Coligny sur la découpe par des abrasifs de plaques de silicium va sans doute être l’occasion d’une synthèse entre ce thème et celui de l’abrasion. FORMULATION THERMODYNAMIQUE DU FROTTEMENT SOLIDE Occupé à temps plein par la direction des travaux de mes doctorants, j'avais négligé de passer moi-même une thèse. FD s'en préoccupait et m'adjurait de prendre le temps de penser à moi. Mais en supposant que j'arrive à dégager le temps nécessaire (ce qui fut fait grâce à l'aide de J.-L. Chenot), quel thème de recherche choisir ? J’avais engagé une réflexion personnelle sur le thème de la rayure, fasciné par les modèles de labourage plastique de Tabor et de Goddart et Wilmann, modèles qui proposent une interprétation purement géométrique du frottement entre deux corps solides. Le corps le plus dur comportant des aspérités de forme géométrique simple, sphère ou cône de révolution, l’hypothèse d’une pression réelle de contact uniforme permettait d’exprimer le cœfficient de frottement de Coulomb comme le rapport de deux aires, celle de la surface de contact projetée sur le plan normal à la direction de glissement et celle de sa projection sur le plan normal. Je généralisai facilement ces modèles en considérant des aspérités coniques de section quelconque, proposant ainsi un modèle simple de frottement solide anisotrope. P. Avenas me conseilla d'en discuter avec Jean Mandel, alors Conseiller scientifique du CEMEF. Celui-ci vit aussitôt une généralisation possible grâce au formalisme de la dissipation normale introduit initialement par Lord Rayleigh et devenu depuis une vingtaine d’années l’outil permettant de formuler les lois de comportement des solides. Il m’aida à rédiger une note pour les Comptes Rendus39. Après sa disparition en 1985, ce travail s'infléchit suite à une discussion avec G. Duvaut, notre nouveau Conseiller scientifique. Il s’agissait de reprendre sur une base plus générale et plus abstraite la formulation du frottement entre deux corps solides. En outre, compte tenu de mes nombreux échanges avec D. Maugis et M. Barquins, j’entrepris de formuler sur une base 38 Valeur assurant l’équivalence, au sens du volume de matière nominalement déplacé, avec les deux pyramides classiques : la pyramide Vickers à base carrée utilisée en micro et macro dureté, et la pyramide Berkovich, ayant pour base un triangle équilatéral, utilisée pour la nano indentation. 39 E. Felder, Un modèle de frottement solide anisotrope, C. R. Acad. Sc. Paris, t. 303, 8 (1986) 643-646. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 43 thermodynamique les interactions superficielles entre deux corps. Ce travail devait faire l'objet de ma thèse d’État soutenue à Lyon en 1988. L’objectif était de fournir, avec les outils de la mécanique des milieux continus, une description générale de l’interface intégrant énergie de surface, tension superficielle, échange de matière entre volume et surface, et frottement. Ce travail assez théorique fut assez difficile à assimiler par le pur physicien qu’était resté François. En effet, la thermodynamique classique est le domaine des physiciens, peu familiers des solides déformables et de la notion de tenseur des contraintes : leurs solides ne sont, le plus souvent, que le siège d’une simple pression hydrostatique ! François avait du mal à retrouver dans ce formalisme les paramètres physiques des divers phénomènes auxquels il était habitué. Mais j'avais moi-même bien du mal à faire le trajet inverse ! Il m'encouragea à mettre en évidence les bases communes de diverses lois physiques classiques en ce domaine. Elles n'avaient été démontrées qu'indépendamment les unes des autres, et les bases des démonstrations n'étaient pas toujours très claires. Ainsi en allait-il de la relation de Shuttleworth qui lie tension et énergie superficielles, de la loi de Gibbs qui permet de calculer les compositions superficielles, ou bien de celle de Herring, qui relie le potentiel chimique d'une surface à sa courbure. Mes efforts furent couronnés de succès. Ainsi naquit peu à peu un cours assez original. Je voulus vérifier si, à la suite d'une forte déformation (en l'occurrence, une bi-expansion isotrope), l'énergie superficielle d'un élastomère variait de façon mesurable. Alain Le Floc'h, sollicité, réalisa une machine dans laquelle une série de pinces disposées à la périphérie de la feuille de caoutchouc réalisait la déformation souhaitée. Au centre de la feuille était réalisé un contact bille plan. De l'observation de l'aire de contact devait être déduite l'énergie superficielle. En fait, les choses étaient plus complexes, car on modifiait aussi le module d'Young. Les résultats obtenus suggéraient quand même une décroissance de l'énergie de surface lorsque la déformation croissait, résultat qui fut confirmé plus tard par M. Barquins. Mais mon travail était très riche d'applications potentielles. En particulier, en ce qui concerne la modélisation de l'adhérence. Je réussis ainsi à résoudre le problème du roulement avec adhésion d’un cylindre sur un corps élastique, bien abordé expérimentalement par Kendall, mais mal interprété sur le plan thermodynamique. M. Barquins a vérifié expérimentalement avec brio mon calcul reliant aire de contact et force de roulement40. Dans le cadre des colloques Mechanics of Contact41 de 1992 et de JADH 9542, j’ai poursuivi partiellement mes réflexions sur ces deux thèmes, intégrant l’effet de l’orientation sur l’énergie de surface, et précisant l’effet de la viscoélasticité en volume sur les essais de pelage et de décollement hertzien (dit expérience JKR). 40 E. Felder & M. Barquins, Adhérence, frottement et géométrie de contact d’un cylindre rigide roulant sur la surface plane et lisse d’un massif élastique, C. R. Acad. Sci. Paris, t.309, série II (1989) 1101-1104. 41 E. Felder Thermodynamics of surface interactions with special emphasis on anisotropic effects, Proc. Contact Mechanics Int. Symp. , A. Curnier (Ed.), Presses Polytechniques et Universitaires Romandes (1992) 91-110. 42 E. Felder, Pelage de films minces et indentation : analyse mécanique des effets viscoélastiques, Suppl. Revue « Le Vide, Science, Technique et Applications », 277 (1995) 66-74. 44 Surfaces, tribologie et formage des matériaux L'ÉTUDE DE L'ABRASION SERAIT-ELLE CONTAGIEUSE ? Depuis le temps que nous étions dans le même bureau, les préoccupations qui étaient miennes touchant l’usure abrasive des matériaux ne pouvaient pas ne pas contaminer FD. J’aurais dû m'en apercevoir lorsque je le surpris étudiant au MEB et par rugosimétrie tridimensionnelle des surfaces usées d’outils lithiques préhistoriques. Il s’agissait de mettre en évidence des faciès d’usure spécifiques du type de matériau avec lequel l’outil avait été en contact (cuirs et peaux, tiges de céréales, etc.) en se fondant sur la comparaison avec des tranchants d’outils lithiques expérimentaux. J’appris qu’il s’agissait de Tracéologie43. La nouveauté était de tenter de mieux cerner, de chiffrer les microtopographies par rugosimétrie tridimensionnelle. Ce ne fut qu’un feu de paille. Une atteinte beaucoup plus grave survint lorsque le thème «usure» rejoignit le thème «numismatique». De rares articles traitant de l’usure des monnaies paraissaient de temps en temps dans la revue Wear. Leur contenu scientifique assez pauvre n'aurait jamais retenu l'attention de FD s'il ne se fût agi de pièces de monnaies. Là, il fulminait contre la manière dont les données expérimentales étaient interprétées. La publication d’un article de D. Dowson44 analysant l'extraordinaire travail effectué à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre par deux membres de la Royal Society, Cavendish et Hatchett, mit le feu aux poudres. FD creusa la question et discuta ferme avec moi. C’était maintenant le sujet de nos entretiens du matin autour du traditionnel café. Il mit au point une modélisation de la perte de poids par usure, et testa le résultat de ses idées au cours d’un séminaire de numismatique à Louvain-la-Neuve. Lors de l’école européenne Vie, circulation et survie des monnaies organisée à Ravello par son ami T. Hackens, FD fut frappé par l’extraordinaire intérêt montré par son auditoire pour ce sujet, qui passionnait nettement plus que les études techniques sur la frappe. Au Congrès International de Numismatique de Bruxelles de 1991, FD allait se trouver en face des spécialistes mondiaux de la question (dont certains statisticiens peu commodes) qui traitaient du sujet depuis des décennies. Il n’était pas sans inquiétudes pour savoir comment serait accueillie sa méthode permettant de caractériser quantitativement une circulation monétaire métallique par la puissance dissipée par le frottement entre les pièces. Tout alla comme sur des roulettes, et sa communication fut élue par la suite la plus novatrice des cinq dernières années sur ce thème. Désormais, les numismates en quête de collaboration ne manquèrent pas. FD publia un livre aux éditions du CNRS qui semble faire autorité sur la question. Il en résulta un prix de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et des conférences invitées à l'École Pratique des Hautes Études et au Collège de France. Juste retour des choses, je ne me suis pas privé de puiser dans ce livre pour illustrer mes cours. TRÉFILAGE : LA LUBRIFICATION PAR FILM MINCE FD se devait de s’attaquer à la lubrification limite. Ses lectures lui avaient appris que les conditions de tréfilage du steelcord45 (en particulier la vitesse de tréfilage) influaient sur son adhésion à la matrice caoutchoutique. Il avait sa petite idée sur le problème, et 43 S. Beyries, F. Delamare et J-C. Quantin, Tracéologie et rugosimétrie tridimensionnelle, in Industries lithiques : Tracéologie et Technologie, BAR, S 411, 1988, 115-131. 44 45 D. Dowson, Wear oh where ?, Wear, 103, 1983, 189-203. Fil d’acier à très haute résistance, laitonné en surface, qui constitue l'armature des pneus à carcasse radiale. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 45 proposa début 1976 une étude à Rhône Poulenc. Le hasard voulut qu'il tombât à pic. Il s’agissait d'observer si le passage dans une série de filières modifiait vraiment la composition chimique des premiers nanomètres à la surface du fil, et d'en comprendre les causes thermomécaniques. Qui dit nanomètre dit analyse de surface. FD retournait à ses anciennes amours. Cette fois, impossible de profiter du spectromètre d'électrons Auger (AES) de Michel Guttmann46, au Centre des Matériaux de l’EMP à Corbeil, l'éloignement et le volume de travail impliquaient d'avoir au CEMEF des moyens d’analyse en propre. Désormais, à Sophia Antipolis, nous les avions. Ou presque. En tous cas, pas vraiment en état de marche. Car les camionneurs qui avaient livré l'enceinte à ultra-vide de l'AES avaient trouvé plus simple de la faire tomber du camion. Non seulement l'ensemble des filaments de tungstène des divers canons à électrons et à ions avaient été cassés, mais certains piquages (sur lesquels étaient fixés les divers canons) avaient été faussés. Les divers flux de particules ne convergeaient plus sur le point de l'échantillon qu'examinait le spectromètre, ce qui causa des ennuis innombrables. Nous fûmes étonnés de constater que les spécialistes appelés à la rescousse corrigeaient délicatement ces divergences en tordant ces piquages avec une barre d'acier, prenant robustement appui d'une jambe contre l'enceinte. Le travail de recherche fit l'objet de la thèse d'E. Darque-Ceretti. Après avoir soigneusement mis au point la détermination quantitative de la composition élémentaire de la surface des laitons α et étudié l'effet de la pulvérisation ionique, en associant AES (à Sophia) et spectrométrie dynamique d'ions secondaires (à Orsay), elle s'attaqua au problème du tréfilage. Le résultat fut d'une simplicité évangélique. Oui, le passage dans une filière modifiait la composition superficielle du steelcord, ce qui expliquait les différences constatées en adhérence fil-caoutchouc. Le phénomène était d'autant plus prononcé que la vitesse de tréfilage (donc la composante HD de la lubrification) était faible. Les contacts avec la filière, pour polie qu'elle soit, ne se faisaient pas sans quelques micro usinages (abrasion). La composition superficielle du fil prenait donc successivement toutes les valeurs du gradient initial de composition dû au mode de dépôt du laiton47. Ce travail fut repris en 1988 sous une autre forme, et sous notre direction conjointe, par C. Desliens. Il s'agissait cette fois d'approcher le mode de fonctionnement des additifs du lubrifiant, ces molécules organiques qui, nonobstant leur faible quantité, assurent une lubrification chimique. On comparerait des formulations contenant soit des molécules différentes, soit des concentrations variées d'une même molécule. Le problème d'analyse des surfaces était donc beaucoup plus difficile à résoudre, puisqu'il s'agissait cette fois de détecter non le cuivre ou le zinc à la surface du laiton, mais des quantités infimes de molécules organiques chimisorbées. Touchée par la limite d'âge, l'AES avait laissé place à une spectroscopie de photoélectrons ESCA-XPS (méthode quantitative !) sur laquelle veillait Robert Combarieu. Nous comptions l'utiliser à cet effet. Une autre difficulté que nous eûmes bien du mal à surmonter consistait à débarrasser le fil du lubrifiant industriel qui s'y trouvait avant que nous ne tréfilions nous-mêmes. Un bijou de petite tréfileuse de 46 M. Guttmann avait amicalement assuré l’analyse des premières couches de transfert observées en laminage à froid des inox par FD et M. de Vathaire. Il partageait – et partage toujours - avec FD un goût immodéré pour l’opéra et les visites d'expositions de peintures. 47 Au passage, était aussi étudiée l'instabilité plastique de l'interface acier-laiton. Une autre étude eut pour but de diminuer, toutes choses égales par ailleurs, la quantité de laiton déposée sur le fil. Dans ce tréfilage de matériau bicouche acier-laiton, PM modélisa la compétition existant entre ces deux écoulements, et calcula l'épaisseur passante de laiton en fonction du demi-angle de la filière. 46 Surfaces, tribologie et formage des matériaux table monopasse, instrumentée, fut réalisée à l'atelier, avec dévidage et trancanage. Les vitesses utilisées étaient très lentes de façon à minimiser les calories créées dans le volume du fil par déformation plastique. Un four enserrait la filière et permettait d'imposer la température à l'interface fil-filière. Nous avions l'espoir de détecter des variations d'effort de tréfilage pour des températures critiques. Ce travail ne fut qu'un demi succès, mais il nous fit toucher du doigt deux évidences. L'XPS n'était pas assez sensible pour ce genre d'étude, il nous faudrait avoir recours à une autre méthode. D'autre part, l'étape de nettoyage précédent l'application du lubrifiant étudié était essentielle. Il faudrait l'étudier de près. Mais par quelle technique ? CHIMISORPTION ET LUBRIFICATION FD gardait toujours dans un coin de sa mémoire l’ambition de mettre en évidence expérimentalement le rôle des couches chimisorbées organiques en lubrification limite. En fait, il avait été embauché pour cela et n'avait d'ailleurs pas autre chose en tête lorsqu'il avait écrit les soixante-dix pages de The influence of chemisorption on adhesion and friction, sa contribution au livre rédigé sous la direction de son maître Jacques Bénard48. De même qu’il fallut patienter des années pour que les moyens de calcul numérique mis au point par nos collègues pussent nous aider à résoudre nos problèmes spécifiques, de même FD attendait (sans grand espoir) la technique d’analyse de surface miracle. La spectrométrie des électrons Auger n’était capable de détecter que des éléments (fer, oxygène...) présents sur une surface. Encore fallait-il qu’elle fut conductrice. De plus, il était difficile d’obtenir des résultats quantitatifs. C’est pourquoi il s'était démené comme un beau diable pour obtenir les crédits nécessaires à l'achat d'un ESCA-XPS. Non seulement cette spectroscopie de photoélectrons ne renâclait pas à analyser les surfaces isolantes (et l’on voyait bien que les problèmes s'étaient déplacés de la surface des métaux propres vers celles des oxydes, puis des polymères), elle était raisonnablement quantitative et, cerise sur le gâteau, elle identifiait le type de liaisons dans lesquels les éléments détectés étaient engagés. Elle fut bientôt de toutes les études. En 1985, à la suite d’une réorganisation d’un laboratoire du CNRS voisin, étaient venus se joindre à nous deux spécialistes de la spectroscopie de masse, Robert Combarieu et Monique Repoux. Ils nous apportaient une bonne volonté à toute épreuve, un solide sens critique et une large panoplie de compétences expérimentales qui étaient les bienvenues dans notre équipe. MR prit en main le nouveau microscope électronique à balayage JEOL muni de son nouveau système EDXS Tracor49. RC se chargea de l’XPS. On n’imagine pas l’incessant travail qu’il faut faire pour maintenir un équipement milourd, forcément complexe, en état de fonctionnement. Passé la période de garantie (et quelque fois, avant), l’état stable du système est celui d’avarie(s). Tel un pilote automatique maintenant à chaque instant un avion de chasse sur sa trajectoire nominale, l’Ingénieur Responsable intervient sans cesse pour maintenir le système en état de marche. Que ces interventions cessent, et la panne suit presque immédiatement. De cet effort permanent, l’observateur ne perçoit que la fuite d’eau qui se produit le week-end et oblige les collègues travaillant à l’étage à patauger dans l’eau le lundi matin. Ou bien un goût étrange pour la reptation au milieu d’une forêt de fils et de branchements 48 Adsorption on metal surfaces. An integrated approach, Studies in Surface Science and Catalysis, 13, Elsevier, 1983. 49 On en était à la seconde génération, notre Coates et Welter étant, comme par sympathie, tombé en léthargie à la disparition de la Société qui l’avait construit. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 47 électriques, ce qui peut d’ailleurs amener le passant de rang hiérarchique suffisamment élevé pour avoir le sens des responsabilités, à demander s’il est bien conforme aux normes de laisser ainsi traîner des fils véhiculant de la haute tension sur un sol susceptible d’inondations. La Physico-Chimie des Surfaces avait bien de la chance car – hors laminage - nous manquions cruellement de permanents capables d’en faire autant pour nos divers essais mécaniques. Pendant que MR effectuait des recherches sur les aspects quantitatifs de l'XPS et y consacrait une thèse dans laquelle elle comparait les différentes méthodes de soustraction du bruit de fond des spectres, RC et FD testaient la technique. Il s'agissait d'en finir avec un vieux problème50, l’adhésion du caoutchouc au laiton. Ils en étudièrent les premières étapes, gouvernées par la croissance d'interphases minérales (sulfures de cuivre et de zinc, oxyde de zinc), en relation avec la force de pelage et la détermination du milieu dans lequel se propageait la fissure. Les résultats obtenus recoupaient bien ceux de la littérature. C’est en allant les présenter à Louvain-la-Neuve, université où il faisait des séminaires chaque année, que FD rencontra Yves de Puydt et qu’il entendit parler de la technique ToF-SIMS. Yves avait fait sa thèse sur l’adhésion aluminium / PET, et avait scruté ces interfaces par toute une série de techniques. Il cherchait un point de chute et s'intégra dans l’équipe où il devait rester quatre ans. De plus, il connaissait le ToF-SIMS, dont son laboratoire avait été l’un des premiers dotés en Europe. Les avantages de cette technique d'analyse sur l’XPS étaient écrasants51. C’était bien celle dont nous avions besoin, mais son prix (qui, en MF, ne pouvait se compter sur les doigts d’une seule main) la mettait bien au delà de ce que le plus talentueux des chefs de groupe, persuasif et rompu aux rouages de la mécanique du pouvoir pouvait (même exceptionnellement) obtenir d’un budget d’investissement au CEMEF. Il fallait un miracle. DEUS EX MACHINA : LE CRAM 06 Une fois de plus, la Providence se manifesta. Yves arrivait à un moment très particulier. FD avait été sollicité pour prendre la direction d'un Centre Régional d’Analyse des Alpes-Maritimes (CRAM 06), un ancien projet ajourné, que le CNRS (en la personne de Jacques de Bandt) essayait de remettre sur pieds, car des crédits importants lui avaient été alloués et se trouvaient encore disponibles. Si FD acceptait, il pourrait acheter la merveille des merveilles, ce ToF-SIMS si convoité, et le placer au CEMEF. Revers de la médaille, les spécialistes de l’analyse devraient désormais consacrer une partie de leur temps à faire du service pour les entreprises du voisinage (ce qu’ils faisaient déjà, d’ailleurs). Cette servitude fut acceptée par tous. Après de longs essais, un agréable voyage à San Francisco et un autre plus strictement confiné dans les champs de maïs du Minnesota, le système TRIFT de Charles Evans fut choisi. François subit stoïquement les injures téléphoniques du concurrent européen évincé. Même si presque tous étaient de vieux routiers de la détection de molécules non légères par spectroscopie de masse, c’était la première fois que cette possibilité s’ouvrait devant FD. Le rêve commençait à prendre corps. On commença par évaluer les possibilités de 50 Peu de temps après son arrivée dans l'équipe de P. Baqué, FD avait été contacté par un de ses oncles, J. Baratte, industriel du caoutchouc à Puteaux, qui lui avait fait visiter de fond en comble son entreprise et avait insisté sur l'importance qu'il y aurait à améliorer l'adhésion du caoutchouc au laiton, intermédiaire obligé de l'adhésion à l'acier. 51 Cf. plus loin l’article de M. Repoux, Y. de Puydt et R. Combarieu. 48 Surfaces, tribologie et formage des matériaux la technique en l’appliquant aux problèmes les plus divers. L’essai de détection de la diffusion des liposomes dispensés par les crèmes de beauté ad hoc dans l’épaisseur de la peau humaine fut un échec pour cause de manque de sensibilité. En revanche, la détection de la cocaïne dans la moelle de cheveux fut un franc succès. On put même, grâce au laboratoire de la Police pour lequel s'effectuait le travail, étalonner la méthode avec des séries de cheveux ayant mariné au contact de doses diverses mais connues de cocaïne. Il s'en suivit une pollution de l’enceinte par cette molécule, ce qui ne manqua pas de chagriner les propriétaires des échantillons qui y furent analysés les jours suivants. M. Repoux décida donc de ne plus identifier clairement le pic si souvent présent, ces jours là, à la masse 304. LE MODE D'ACTION DES ADDITIFS DE LUBRIFIANTS La maîtrise de cette technique, peu à peu acquise, permit de s'attaquer de nouveau au problème du mode de fonctionnement des additifs de lubrification. Cette fois, pour les raisons déjà exposées, il s'agissait de laminage à froid (thèse de G. Dauchot). Le ToFSIMS fut d'abord utilisé pour mettre au point la technique de nettoyage des surfaces de tôles, ce qui permit d'obtenir un état initial oxydé reproductible presque exempt de molécules organiques. La sensibilité de la méthode était telle qu'il n'y avait aucun problème de détection des additifs sur les surfaces. Les deux problèmes majeurs soulevés par l'étude préliminaire effectuée par C. Desliens étaient donc résolus. Une fois sélectionnées les quatre molécules type représentant les diverses familles d'additifs utilisés, il restait à étudier leur chimisorption sur les oxydes sélectionnés, ou sur les métaux atomiquement propres, et à mettre en évidence leurs conséquences tribologiques par bipoinçonnement et laminage sur le laminoir-pilote. Pour chacune, on détermina la température au-delà de laquelle la molécule cessait d'être présente sur la surface. Un intérêt spécial fut porté aux cinétiques de chimisorption de chaque type de molécules, puis aux compétitions de chimisorption lors des mélanges. Les résultats furent sans ambiguïté : chaque type d'additif jouait son rôle dans une plage de température déterminée, complémentaire de celle des autres52. Une autre conclusion s'imposait aussi : en dépit des différences qui existent entre un contact produit - outil en mise en forme et les contacts existant dans les moteurs d'automobile, les mêmes concepts (chimisorption, désorption, décomposition thermique) déjà utilisés pour l'optimisation des huiles moteurs se révélaient pertinents. C'est pourquoi E. De Castro continue ce travail dans le cadre de l’emboutissage. ADHÉSION, ADHÉRENCE L’adhésion et son corollaire, l’adhérence, avaient été, depuis le début, dans les préoccupations de réactivité des surfaces métalliques de François. Ayant observé la forme d'équilibre de joints de grains après attaque thermique pendant des années, il n'avait pas été long à reconnaître que le joint de grain constituait le système modèle idéal pour étudier l'adhésion. Et puis, comme je l'ai dit, l’infatigable apôtre de ces disciplines naissantes en France, D. Maugis, nous y avait sensibilisé de bonne heure. L'axe de recherche adhésion métal-métal avait été officialisé par un cours (mai 1975) et, en 1976, le stage d'un mineur de Nancy. Centré sur l’adhésion du cuivre au carbure de 52 Voir ci-après G. Dauchot, R. Combarieu et Yves de Puydt, Étude par ToF-SIMS des réactions thermiques et tribochimiques des additifs d’onctuosité de lubrifiant de laminage à froid avec des surfaces d’acier. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 49 tungstène lié au cobalt, il se déroula au laboratoire Courtel (CNRS), sous l'égide de D. Maugis. Il avait pour but de nous éclairer sur un des modes possibles de dégradation des filières de tréfilage. Il s'agissait de réaliser un contact bille-plan sous ultra-vide à haute température, et mit en jeu un des montages expérimentaux les plus délicats que j’aie jamais vu, à qui il arrivait parfois d'être opérationnel. Lorsque E. Darque-Ceretti eut passé sa thèse (1986), FD lui proposa d'étudier l'adhésion métal-polymère. Elle se chargerait de la partie adhésion, c’est à dire de l'établissement de liaisons chimiques entre surfaces antagonistes ; nous collaborerions pour l’adhérence, domaine un peu particulier de la mécanique de la rupture. C'est presque une gageure que de vouloir mettre en rapport la caractérisation physicochimique d'une interface (par nature enfouie et donc, inaccessible à la plupart des techniques d'analyse) et l'énergie nécessaire à sa rupture. EDC s’attaqua à la fois aux problèmes posés par la caractérisation des surfaces d’oxydes et de polymères, et à la mise au point au CEMEF d'essais d'adhérence. C'était là que j'intervenais. Convaincue de l'importance du caractère acido-basique des surfaces d'oxydes pour la création de liaisons de surfaces, elle se mit aux techniques classiques de mouillage de surfaces53 (gouttes à pH constant), puis usa de gouttes à pH variable. Elle les coupla à l'XPS et aux mesures de potentiels de repos obtenus en électrochimie, domaine qui était loin d'être classique dans l'équipe. Le post-doc russe Kurbatov étudia les surfaces d'oxydes de fer. Simultanément, M. Casamassima montra que l'XPS pouvait mesurer globalement le caractère acido-basique sur des surfaces d'alumines et de silices. Partant de là, J. Pascal explora la chimie des primaires d'adhésion à base de silanes sur le verre. V. Zwilling étudia l'influence des paramètres de croissance des oxydes poreux de titane sur le collage. Ainsi fut d'abord pratiqué, puis modélisé au mieux par nous l'essai de cisaillement. Côté surfaces de polymères, une série de thèses étudia l'effet des traitements de surfaces sur la composition superficielle et sur le taux de restitution de l'énergie mesurable à la rupture du joint collé. Ce furent les thèses de F. Georgi (effet du flammage et de la mise en forme sur l’adhésion des peintures sur les polymères), V. Legois (adhésion d'un dépôt de cuivre sur un polyimide), S. Scotto (au cours de laquelle fut mis au point l'essai de clivage et sa modélisation numérique par P.-O. Bouchard54), et actuellement A. Schmitt et F. Chopinez. Cette série de travaux me donna l'occasion de «revisiter» les modélisations de deux essais d’adhérence, le pelage et le clivage, et de les améliorer55. In fine, je pus décrire avec le même formalisme ces deux essais, montrant que le pelage n’est que la forme ultime d’un essai de clivage. On peut ainsi délimiter le domaine de validité des expressions classiques du taux de restitution de l’énergie G responsable de la propagation de la rupture interfaciale. Ainsi, avons-nous pu comprendre avec M. 53 Voir ci-après E. Darque-Ceretti, S. Scotto-Shériff et P. Cheyssac, Déformation de gouttelettes approchées d’un polymère polarisé. 54 Sous la direction de F. Bay. Cf. plus loin l’article Etude analytique et numérique de l’essai DCB de joints collés. Application au joint époxyde/PVDF par F. Bay, P.-O. Bouchard, E. Darque-Ceretti, E. Felder, S. Scotto-Shériff. 55 Ces études trouvent leur source dans le travail effectué pour ma thèse d’État dont j’ai déjà exposé la genèse à l’aide des discussions avec J. Mandel, puis G. Duvaut. Á la demande de FD, une partie de ce travail devint l’objet du cours de DEA Énergie et tension superficielles. 50 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Barquins pourquoi le pelage à 90° de bandes trop courtes tend à surestimer G : la force de pelage F servant à plier élastiquement la bande tout en assurant son décollement, G < F/b où b est la largeur de la bande. Ce formalisme permit de corriger avec succès cet artefact expérimental. Une de mes dernières tâches dans ce domaine fut de tirer parti de l’excellente revue critique effectuée par D. Maugis56 des modèles mécaniques de clivage. Ceci me permit de bien dégager l’intérêt des essais avec mesure simultanée de la force et du déplacement de son point d’application mis en œuvre par S. Scotto pour caractériser l’adhérence PVDF-colle époxy. E. Darque-Ceretti me décida à m'associer à elle pour répondre à la demande d'un éditeur, et mettre par écrit nos réflexions dans ce domaine. C'est presque chose faite57. L’ENSEIGNEMENT Nous l’avons dit, la tribologie ne fait l’objet de cours ni dans l'enseignement secondaire, ni dans le supérieur. La situation n’est pas très différente en ce qui concerne la physicochimie des surfaces. Annoncez à quelqu’un que les propriétés chimiques d’un solide sont en fait celles de sa surface surprend un peu. Mais si vous ajoutez que la tension de vapeur et la réactivité chimique d'un corps varient avec le rayon de courbure, alors vous passerez pour un vrai farceur. Dans ces deux domaines, il y avait donc de sérieuses lacunes à combler dans le savoir de nos étudiants. Ce fut l'objet des cours que nous dispensâmes dans le cadre de l'option Mise en Forme du DEA Métallurgie Spéciale et Matériaux de l’Université de Paris Sud - Orsay, organisée à Sophia par J.-L. Chenot. Nous organisâmes deux cours, l’un sur les Surfaces cristallines et leur réactivité, l’autre sur la Tribologie de la Mise en Forme. FD devint assez vite officieusement responsable de cette option. Ces cours furent enrichis lorsque fut fondé le mastère Matériaux et Mise en Forme par J-M. Haudin et continuèrent à évoluer lorsque FD organisa (1993) en partenariat avec l’UNSA l’actuel DEA de Physique et Génie des Matériaux dont il est le responsable. C'est ainsi qu'à son instigation, et parce qu'il était plus d’une fois revenu sur l’idée qu’il fallait établir proprement la dualité énergie de surface – tension superficielle, doublet si maltraité par la littérature internationale, je rédigeais un gros chapitre sur cette question58. En guise de bilan, on peut dire que cet enseignement a actuellement été dispensé à environ 260 étudiants de DEA et 140 étudiants en Mastère. On peut y rajouter la centaine d'ingénieurs de l'industrie qui a assisté aux séminaires Adhésion et adhérence organisés chaque année par E. Darque-Ceretti dans le cadre de la formation continue. 56 Cf. ci-après Analyse mécanique des essais de clivage (DCB) par un modèle de fondation de D. Maugis. 57 58 E. Darque-Ceretti et E. Felder, Adhésion, adhérence (à paraître). Ce sujet semble une préoccupation héréditaire chez les Delamare. Le docteur Jean Delamare, père de FD, a soutenu une thèse intitulée Sécrétion rénale et tension superficielle. Une bonne partie de la thèse de FD, Structure, mobilité et fusion de couches d'halogènes ou de bismuth chimisorbées sur le cuivre, effectuée sous la direction de G. E. Rhead traite des liens existant entre énergie de surface et diffusion superficielle. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 51 TEXTES DE SÉMINAIRES • Phénomènes de contact, P. Baqué, G. Verchery, E. Felder et B. Lapostolle, 1 vol., 231 p., 1972, éd. de l'ENSTA, Paris. • Mise en forme des métaux. Applications de la plasticité, P. Baqué, Y. d'Escatha, E. Felder et J. Hyafil, 2 vol., 717 p., 1973, éd. de l'ENSTA, Paris. • Phénomènes de contact II, P. Avenas, P. Baqué, A. Corvaisier, E. Felder, B. Lapostolle et J. du Parquet, 2 vol., 538 p., 1974, éd. de l'ENSTA, Paris. • Mise en forme des métaux. Frottement, lubrification, usure, P. Baqué, E. Felder, F. Delamare, P. Fernier, F. Keck, B. Lapostolle, M. de Vathaire et J-L. Wybo, 3 vol., 673 p., 1975, éd. de l'ENSTA, Paris. • Interactions cylindres / métal en laminage, E. Felder, 1 vol., 166 p., 1985, éd. du CESSID. • Le contact métal / outil en mise en forme des métaux. Frottement, lubrification, état de surface, usure, E. Felder, F. Delamare, P. Montmitonnet, J.-P. Cescutti et E. DarqueCeretti, 3 vol., 761 p., 1989, CEMEF. • Approches scientifiques des procédés de mise en forme des métaux, E. Felder, A. Le Floc'h, P. Montmitonnet, L. Fourment et E. Massoni, 3 vol., 790 p., 1994, CEMEF. • Adhésion - Adhérence, E. Darque-Ceretti, F. Delamare, E. Felder, E. Peuvrel-Disdier, Y. de Puydt, M. Aucouturier et M. Repoux, 2 vol., 428 p., 1994, CEMEF. DES PRIX 1981 F. Delamare, médaille de vermeil de la Société d'Encouragement à l'Industrie Nationale. 1992 E. Felder, premier Prix Coulomb décerné par la Société Tribologique de France (STF). 1992 P. Montmitonnet, Prix Rist de la Société Française de Métallurgie et Matériaux (SF2M). 1993 V. Samper, Prix Hirn de thèse de la STF. 1995 F. Delamare, Prix Allier de Hauteroche de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres pour le livre Le frai. 1996 P. Montmitonnet, Prix Ugine - René Castro de la SF2M. 1998 F. Delamare, Prix Coulomb de la Société Tribologique de France. 52 Surfaces, tribologie et formage des matériaux THÈSES PRÉPARÉES EN TRIBOLOGIE AU CEMEF Les directeurs de thèses sont indiqués entre parenthèses. E 1 – LES PRÉCURSEURS (TRAVAUX EFFECTUÉS AVANT L’ORGANISATION DE 3 CYCLES À L’EMP) 1-LAPOSTOLLE Bertrand, La lubrification par les savons de tréfilage chargés (P. Baqué puis F. Delamare). 2-VATHAIRE Michel de, La lubrification en laminage à froid des aciers inoxydables (P. Baqué puis F. Delamare). 3-FERNIER Pierre, Le frottement et l’analyse thermique du forgeage à chaud de l’acier (P. Baqué). 4-PANTIN Jacques, Modélisation de la lubrification au verre du filage à chaud des aciers (P. Baqué). 5-FELDER Éric, La lubrification hydrodynamique en tréfilage des aciers inoxydables (P. Baqué). 6-QUOIX Philippe, Usure des filières de tréfilage (F. Delamare). 7-KECK François, Conditions thermomécaniques de fonctionnement des filières de tréfilage (E. Felder). 8-WYBO Jean-Luc, La lubrification par les savons chargés en tréfilage (F. Delamare). 9-LE FLOC’H Alain, Conditions de travail des filières de tréfilage. Application au choix du matériau de filière pour le tréfilage de l’acier (É. Felder), Mémoire CNAM, 1978. 2 – THÈSES (LES DOCTORATS ÈS SCIENCES SONT EN CARACTÈRES GRAS) 1-COUTU Lucien, Échauffement et usure des matrices en forgeage à chaud de l'acier (E. Felder), Université de Paris VI, mai 1979. 2-BRISON Michel, La lubrification par les savons de tréfilage chargés (F. Delamare), thèse non soutenue, 1980. 3-KUBIÉ Jan, Le test de bipoinçonnement : étude théorique. Application à l'étude du transfert de matière dans un contact frottant (F. Delamare), EMP, juin 1980. 4-BLANCON Rémi, Contribution à l'étude du frottement et des mécanismes de lubrification en forgeage à froid d'acier (E. Felder), EMP, sept. 1981. 5-GILORMINI Pierre, Contribution à la modélisation de la formation du copeau en usinage des métaux (E. Felder), janv. 1982. 6-BAUDUIN Pascal, Analyse thermique et endommagement des matrices de forgeage à chaud des aciers (E. Felder), thèse non soutenue 1982. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 53 7-MONTMITONNET Pierre, Contribution à l'étude de la lubrification par les savons métalliques en tréfilage (F. Delamare), EMP, janv. 1983. 8-THORÉ Yves, Étude théorique et expérimentale du frottement et de l'usure par abrasion des matrices en forgeage à chaud des aciers. Influence d'une nitruration (E. Felder), EMP, juin 1984. 9-AYACHE Gil, Contribution à l'étude de la lubrification en laminage à froid des produits plats (F. Delamare), EMP, nov. 1984. 10-MSTOWSKI Janusz, Étude théorique et expérimentale de la déformation plastique d'un solide bimétallique. Application à la réalisation par filage arrière d'un palier revêtu (P. Montmitonnet), EMP, oct. 1985. 11-MONTMITONNET Pierre, Étude théorique et expérimentale de l'indentation de matériaux visco-élasto-plastiques. Application aux polymères et aux savons métalliques (F. Delamare), Université de Franche Comté - Besançon, nov. 1985. 12-QUANTIN Jean-Christophe, Application de la rugosimétrie tridimensionnelle à l'étude des surfaces (F. Delamare), EMP, janv. 1986. 13-DARQUE-CERETTI Évelyne, De la composition superficielle des laitons α et de son évolution sous bombardement ionique. Application à l'étude des surfaces de fils d'acier laitonné (F. Delamare), Université de Franche Comté – Besançon, oct. 1986. 14-LEBOUVIER Daniel, L'essai de dureté sur les matériaux revêtus. Approche théorique en plasticité et étude expérimentale (E. Felder), EMP, oct. 1987. 15-FELDER Éric, Approche thermodynamique de l'adhésion et du frottement entre corps solides : étude des films minces interfaciaux et de l'anisotropie de frottement, Université de Lyon I, mars 1988. 16-OZANNE Pierre, Étude des interactions métal / outil dans le filage à chaud des alliages doux d'aluminium (E. Felder), EMP, nov. 1988. 17-FARRUGIA Didier, Étude mécanique et tribologique du laminage à pas de pèlerin. Vers la maîtrise de l'état des surface interne des tubes de zircaloy (P. Montmitonnet), EMP, mars 1990. 18-GAY Marie-Noëlle, Contribution à l'étude de la tribologie du laminage (VI). Formulation rationnelle d'une émulsion et maîtrise du frottement en laminage à froid des aciers au carbone (F. Delamare), EMP, mai 1990. 19-EDLINGER Marie-Louise, Indentation élasto-plastique de matériaux homogènes et revêtus. Étude théorique et confrontation à l'expérience (E. Felder), EMP, juil. 1991. 20-NOILLE-REPOUX Monique, Spectrométrie d'électrons et analyse quantitative. Application à l'XPS. Cas des alliages nickel-chrome (F. Delamare), EMP, nov. 1991. 21-CASAMASSIMA Marc, Caractérisation des propriétés acide / base des surfaces d'oxydes d'aluminium et de silicium en vue de la compréhension des mécanismes d'adhésion avec un mastic silicone (E. Darque-Ceretti), EMP, déc. 1991. 22-DUPUIS Jean-François, Approche théorique et expérimentale de la conception et du réglage des filières par la portée et la préchambre. Application au filage des profilés complexes en alliages doux d'aluminium de type AGS (E. Felder), EMP, nov. 1992. 54 Surfaces, tribologie et formage des matériaux 23-SAMPER Valérie, Étude théorique et expérimentale du frottement et des forces de retenue en emboutissage des tôles d'acier nues et galvanisées (E. Felder), EMP, juin 1993. 24-CARPENTIER Frédéric, Étude des mécanismes d'adhésion de bimatériaux métalliques obtenus par colaminage à froid (P. Montmitonnet), EMP, juil. 1993. 25-DESLIENS Catherine, Rôle des additifs dans la lubrification par émulsion en tréfilage du steel-cord (E. Felder, F. Delamare) (thèse non soutenue, 1993). 26-HAURET Guy, Lubrification et état de surface en laminage à froid des aciers inoxydables (P. Montmitonnet), EMP, déc. 1993. 27-NIANG Fadel, Contribution à l'étude du placage de matériaux métalliques par colaminage (P. Montmitonnet), EMP, déc. 1994. 28-LAVAL Philippe, Étude théorique et expérimentale de l'indentation des matériaux élastoplastiques homogènes ou revêtus. Application à la mesure de la rhéologie et à l'adhérence des films minces (E. Felder), EMP, mai 1995. 29-PASCAL Jérôme, Vers la conception d'interphases modèles en adhésion : élaboration de films de primaires et caractérisation de l'adhérence pour le système "aluminium / organosilane / élastomère silicone" (E. Darque-Ceretti), EMP, juin 1995. 30-DEVINE Isabelle, Apports de la tribométrie et des essais sur presse pilote pour la simulation numérique de l'emboutissage des tôles d'acier nues et revêtues de zinc pur (E. Felder), EMP, juin 1996. 31-VANEL Luc, Le contact stator-rotor dans un moteur piézoélectrique. Modélisation mécanique et étude du frottement métal-polymère en vue de l'optimisation du choix de la couche de frottement (E. Felder), EMP, oct. 1996. 32-MULOT Sandrine, Étude théorique et expérimentale du laminage à pas de pèlerin de tubes en zircaloy 4 (P. Montmitonnet), EMP, févr. 1997. 33-GEORGI Frédéric, De la mise en forme à l'adhésion. Application à la mise en peinture de pièces injectées en polypropylène-EPR (E. Darque-Ceretti, B. Monasse), Université de Haute Alsace, mars 1997. 34-DELARBRE Daniel, Conception de la gamme de fabrication d'un bidon monobloc en acier inoxydable (P. Montmitonnet), EMP, sept. 1997. 35-LEGOIS Vincent, Élaboration de couches minces et mécanismes d'adhésion sur substrats organique (E. Darque-Ceretti), Université de Paris XI - Orsay, juil. 1997 36-ZWILLING-GRAND CLÉMENT Valérie, Mécanismes de croissance de films anodiques compacts et poreux sur titane et alliages en milieu chromique (E. DarqueCeretti), EMP, mars 1998. 37-MARSAULT Nicolas, Modélisation du régime de lubrification mixte en laminage à froid (P. Montmitonnet), EMP, mai 1998. 38-RAMOND-ANGÉLÉLIS Céline, Analyse mécanique des essais d'indentation sur matériaux élasto-plastiques homogènes ou multicouches. Application à la caractérisation de la rhéologie et de la tenue mécanique des films minces (E. Felder), EMP, juin 1998. La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité 55 39-SCOTTO-SHÉRIFF Sandra, Influence des traitements de surfaces de métal et de polymère sur l'adhérence de joints collés. Cas de l'assemblage du polyfluorure de vinylidène (PVF2) collé par un adhésif époxyde sur un alliage d'aluminium (E. DarqueCeretti), EMP, nov. 1998. 40-MAHJOUB Karim, Usure des matrices de forgeage à chaud des aciers. Phénomènes physiques et modélisation (E. Felder), EMP, janv. 1999. 41-DOUALE Philippe, Fatigue thermique des revêtements à base de chrome et de tungstène (E. Felder), EMP, sept. 1999. 42-DAUCHOT Gilles, Tribochimie du laminage à froid des aciers bas carbone et des alliages d’aluminium. Étude par ToF-SIMS de la chimisorption des additifs de lubrification (R. Combarieu), EMP, nov. 1999. 3 – en cours : SCHMITT Agnès, Collage de polymères (E. Darque-Ceretti), EMP, prévue en 2000. RIZOULIÈRES Bruno, Tribologie du laminage à froid des aciers inoxydables. Le transfert tôle – cylindres (P. Montmitonnet), EMP, prévue en 2000. CHOPINEZ Fabrice, Adhérence de peintures au polypropylène (B. Monasse, E. Darque-Ceretti), EMP. BUCAILLE Jean-Luc, Modélisation de l’essai de rayure sur polymères (E. Felder), EMP. DE CASTRO Emmanuelle, Étude par ToF-SIMS du mode d’action des additifs de lubrification en emboutissage (M. Repoux), EMP. COLIGNY Pierre de, Découpe de lames ultra fines de silicium (E. Felder), EMP. FRASCATI François, Lubrification par les verres en matriçage à chaud d’alliages de titane (E. Felder), EMP. STEINMETZ Gérard, Modélisation du frottement en emboutissage (E. Felder), EMP. HÉLARY Doriane, Adhésion or / verre (E. Darque-Ceretti), EMP. UN SOCIÉTAIRE… MICHEL ARMBRUSTER Président de la Société Tribologique de France C’est en 1975 que François Delamare est entré au Club Français de Tribologie fondé deux ans avant, précurseur de l’actuelle Société Tribologique de France. Assez restreint en nombre, ce club était riche en fortes personnalités, aussi bien du coté des «industriels» (Jean-Jacques Caubet, fondateur d’Hydromécanique et Frottement, M. Blanc, d’Alcatel ou Michel Cantarel, de l’ETCA), que du coté des «universitaires» (Maurice Godet de l’INSA de Lyon, Jean-Marie Georges de l’ECL et Daniel Maugis du CNRS). Il s’y inséra tout de suite et y noua de solides amitiés. C’est donc tout naturellement que, lorsqu’en 1977 ce club s’est transformé en Société Française de Tribologie, il en fut un des premiers membres. Il l’était toujours lorsque, pour se distinguer d’une autre SFT, notre société devint Société Tribologique de France. Changement de nom, mais pérennité des hommes. Car non content de participer aux activités de sa Société comme membre, en 1983 François Delamare postule à un poste d’administrateur et il est élu. Il sera réélu cinq fois consécutives, la dernière réélection ayant eu lieu en 1998, ce qui montre la confiance que lui portent la grande majorité des tribologues francophones. Je pense qu’il continuera à œuvrer encore quelques temps pour le bon fonctionnement du groupe Scientifique et Technique «Tribologie» de l’Association Française de Mécanique qui, le 1er janvier 1999, a pris la succession de la Société Tribologique de France, sans en changer fondamentalement les objectifs. S’il est un trait à faire ressortir de cette vie associative, faisons remarquer qu’à la création du Prix Hirn réservé à un jeune chercheur en Tribologie, François Delamare fut le premier à considérer l’importance de cette reconnaissance d’un bon travail de recherche d’un jeune par ses pairs ; en effet, cette année là, son laboratoire fut le seul à présenter une candidate pour le Prix, rendant la tâche du Jury plus facile, d’autant plus que le travail présenté par Valérie Samper était excellent. François Delamare avait – vous le reconnaîtrez bien là – demandé à choisir lui-même la médaille d’argent qui serait remise, médaille qui fit l’objet d’une méticuleuse sélection parmi le vaste choix offert par la Monnaie de Paris. François Delamare a participé ou fait participer ses collaborateurs aux manifestations organisées par la Société Tribologique de France, chaque fois que le sujet était en rapport avec les activités de son équipe. Ainsi a-t-il organisé en juin 1992 à Sophia Antipolis les Journées Scientifiques annuelles de la Société sur le thème : La tribologie de la mise en forme et en a publié les Actes. Il a fait en sorte que ces Journées se pérennisent par leur qualité, conduisant depuis 1995 à la publication des Actes sous forme d’ouvrages reliés qui sont achetés par les bibliothèques de nombreux laboratoires universitaires et industriels. Pour conclure, je pense que François Delamare a bien mérité la reconnaissance des tribologues. C’est la raison pour laquelle la Société Tribologique de France lui a attribué en 1998 le Prix Coulomb qui récompense l’ensemble d’une carrière vouée à la Tribologie. A l’occasion de cet ouvrage élaboré pour ses 60 ans, je l’en félicite de nouveau et l’en remercie sincèrement. À FRANÇOIS DELAMARE NUMISMATE CÉCILE MORRISSON Ancien Président de la Commission Internationale de Numismatique Directeur du Centre d'Histoire et Civilisation de Byzance CNRS - Collège de France Si la modernité de son approche scientifique n'était pas là pour nous prouver le contraire, on pourrait croire que François Delamare s'est trompé de siècle tant sa culture, la diversité de ses talents, de ses lectures et de ses centres d'intérêt est plus caractéristique d'un savant ou d'un «honnête homme» du Siècle des Lumières que du chercheur trop spécialisé de notre vingtième siècle finissant. De ses multiples et brillantes facettes, aussi séduisantes les unes que les autres, le tribologue, l'enseignant, le «semeur et producteur d'idées1», il me revient, en raison d'une collaboration féconde de longue date, devenue amitié, d'évoquer le numismate et les résultats auxquels il est parvenu. Comment devient-on numismate et attrape-t-on le virus de la passion des monnaies ? À cette question, posée lors d'un forum du dernier Congrès international de numismatique à Berlin en septembre 1997, plusieurs intervenants, aussi bien conservateurs des plus grands Cabinets du monde que modestes collectionneurs ont répondu : souvent dès le plus jeune âge. François Delamare n'est pas tout à fait conforme à la règle, bien que le terme convienne encore en partie au lycéen de math élem, converti à cette marotte par son camarade de Janson. Alain Weil, c'est son nom, entrera comme lui dans une ENS de Chimie, mais passera tout entier du côté de sa passion en devenant un numismateprofessionnel, expert réputé de la place de Paris, et dont la formation scientifique n'est pas l'un des moindres atouts. François Delamare «arrivant, comme tant d'autres, trop tard pour acheter à des prix raisonnables les chefs d'œuvre de la frappe grecque» s'efforce alors de «matérialiser» les «diverses dénominations», s'émouvant à juste titre de «voir un liard, manipuler un thaler ou un gros de Saint Louis». Il s'oriente ensuite vers le domaine du billet, moins fréquenté que celui de la monnaie métallique, «où l'on trouvait encore [dans les années soixantedix] à des prix raisonnables des objets d'une insigne rareté». On admirera ici le billet de 1000 F bleu aux têtes accolées de Minerve et d'Hercule mis en circulation en juillet 1945, ou bien celui de 300 F «Cérès» également dû à Clément Serveau (1938), beau témoignage de la qualité graphique et de la survivance près de nous des allégories antiques. À son propos, je ne résiste pas au plaisir de rapporter comment il avait fallu à notre ami montrer ce dernier achat à sa famille pour parvenir à convaincre de l'existence de cette dénomination, il est vrai inusitée, et qui fut sans doute pour cette raison peu populaire2. Deux facteurs vont ramener François Delamare à la monnaie métallique dans une perspective différente : son arrivée au Centre de recherche de l'École des Mines de Paris 1 - C'est ainsi que je crois comprendre la "fertilisation croisée" chère à Pierre Laffitte. 2 - Cette coupure avait été mise en circulation en 1945, avec celles de 5000 et 1000 francs, lors de l'échange des billets qui suivit la fin de la guerre. L'Académie des Sciences avait alors élevé une protestation contre «le nouveau billet de 300 F qui s'écarte des règles du système métrique décimal, puisque le chiffre 3 n'est pas un sous-multiple de 10.» (Le Monde du 11 juin 1945). Cf. S. Peyret, Les billets de la Banque de France. Deux siècles de confiance, Paris, 1994, p. 140-141. 60 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 1 : Banque de France. Recto du billet de 1000 F (Minerve et Hercule) type 1945, peinture de Clément Serveau, gravure de Marliat Figure 2 : Banque de France, billet de 300 F Cérès, type 1938. Peinture de Clément Serveau ; gravure par Émile Deloche. Recto d'un specimen. Coll. FD Septembre 1938, la France mobilise. Les retraits de fonds dans les banques sont si importants que la Banque de France commence à manquer de billets. Pour la première fois en pareilles circonstances, ce n'est pas d'or que l'on manque, mais de papiermonnaie ! Dans un climat d'urgence, la Banque décide d'émettre de nouveaux billets. Personne ne sait plus pourquoi fut choisie la valeur faciale de 300 F, qui n'a pour précédent qu'un assignat de 300 livres émis en 1790, mais trouve son pendant dans un projet de billet de 3000 F réalisé à la même époque. Créé le 6 octobre 1938, le nouveau billet est imprimé à 7 500 000 exemplaires que la défaite empêche la Banque d'émettre. A François Delamare numismate 61 qui deviendra le CEMEF et l'insistance de son ami Alain Weil à lui poser des questions techniques sur les problèmes de frappe monétaire (existe-t-il un critère objectif permettant de distinguer une frappe moderne d'une frappe ancienne par examen non destructif du métal ?). L'étude des problèmes de contact outil-produit en formage des métaux qu'il y pratique, bref la tribologie de la forge ou de la frappe à froid n'offrait-elle pas en effet des méthodes parfaitement applicables à la numismatique ? C'est ainsi que fut élaboré dès 1980 un «projet de recherche sur la frappe des monnaies anciennes» à mener en collaboration avec Jean-Noël Barrandon et le Centre ErnestBabelon (CNRS, Orléans) qui développait alors les méthodes d'analyse par activation et leur application à la caractérisation des alliages monétaires. Les travaux réalisés dans le cadre de ce projet, en collaboration avec Pierre Montmitonnet, constituent la première approche approfondie et véritablement «mécanique» des conditions de la frappe monétaire. L'étude technique, associant mécanique des solides et théorie de la plasticité, analyse et modélise les données (déformation, contraintes d'écoulement et énergie consommée)3. La monnaie y est traitée comme un objet axisymétrique comportant des reliefs. On choisit d'appliquer cette méthode à la monnaie d'or byzantine des Ve-XIe siècles, matériel abondant et relativement homogène dans le temps et dans l'espace. Le monnayage byzantin présentait en outre l'avantage d'être le plus souvent d'un alliage presque pur et en tout cas bien connu puisqu'il faisait l'objet au même moment d'une recherche du Centre Babelon fondée sur plus de deux cents analyses par activation protonique4. La modélisation mécanique permit à François Delamare d'interpréter l’évolution de la géométrie du solidus / nomisma comme une série de solutions techniques destinées, souvent en fonction des changements de composition de l'alliage, à économiser l'énergie nécessaire à la frappe et à réduire l'usure des coins. Il montre notamment que le diamètre de plus en plus petit et la forme finalement «globulaire» des solidi de Carthage au VIIe siècle vise à diminuer le nombre de coups de marteau donnés par les monnayeurs, pour des raisons encore inexpliquées (peut-être la nécessité d'un renouvellement accéléré de ces émissions qui présentent la particularité d'être datées annuellement). Surtout il parvient à expliquer le mystère de l'origine de la concavité des monnaies d'or du XIe siècle, une forme très rare en numismatique et jusque là attribuée, en ce qui concerne Byzance, soit à la volonté de signaler ainsi qu'il s'agissait de monnaies altérées (Grierson), soit au désir de rendre les flans amincis de cette époque plus résistants 3 - F. Delamare et P. Monmitonnet, Introduction à une étude mécanique de la frappe des monnaies, Actes des Journées de Paléométallurgie de Compiègne, 1983, 239-258. F. Delamare and P. Monmitonnet, A mechanical analysis of coin striking: application to the study of byzantine gold solidi minted in Constantinople and Carthage, J. of Mechanical Working Tech., 10 (1984) 253-271. F. Delamare and P. Monmitonnet, Evolution of coin striking processes: a mechanical survey. I - Hammer striking, J. of Mechanical Working Tech., 11 (1985) 37-52. 4 - C. Morrisson, J.-N. Barrandon, C. Brenot, J.-P. Callu, R. Halleux et J. Poirier, L'or monnayé I. De Rome à Byzance. Purification et altérations, Cahiers Ernest-Babelon 2, Paris, CNRS, 1985. 62 Surfaces, tribologie et formage des matériaux (Bertelè)5. Pour schématiser, disons qu'il est démontré dans cet article que la concavité est due au fait que la surface des coins est nettement inférieure à celle des flans. Lorsque le rapport des deux surfaces (ou diamètres respectifs) dépasse un certain seuil, l’écoulement plastique de la partie centrale, fretté par un anneau extérieur qui ne se déforme qu’élastiquement provoque le gauchissement de la pièce6. Mais une pièce de monnaie ancienne est un objet fortement tridimensionnel. De plus, la majeure partie de l'information portant sur l'énergie dépensée au cours de la frappe réside dans la façon dont se forment les gravures constituant le type du monnayage, infime fraction du métal, mais qui est de première importance pour la lisibilité de la pièce. La simulation numérique des écoulements en 3D ne se faisant pas encore, François Delamare poursuit encore la recherche sur la modélisation de la frappe en simulant l'alliage monétaire par une pâte à modeler. La frappe a lieu entre coins de chêne, sur une machine de compression instrumentée, à l'échelle 4:1 et au ralenti ; on peut ainsi observer l'écoulement du matériau du flan et relier l'évolution de sa géométrie à l'énergie dépensée. On peut, de plus, réaliser un maillage coloré dont les coupes autorisent l'observation des écoulements internes et le calcul des déformations locales. T. Hackens voyait dans les changements de forme inexpliqués des monnayages grecs archaïques d'Égine les tâtonnements de la technique naissante de la frappe au marteau. A son instigation et avec l'aide de S. Jacomet et de F. van der Mersch-Michaux, François Delamare applique la simulation sur pâte à modeler aux statères archaïques d'argent d'Égine, monnaies d'argent portant au droit une tortue de mer et au revers l'empreinte d'un poinçon dit «carré creux» de diverses formes (lignes entrecroisées irrégulières, drapeau britannique - Union Jack - ou ailes de moulin à vent). Parmi les résultats de cette étude exemplaire7, on trouve la mise en évidence de deux innovations remarquables. La première, vers 500-470 av. J.-C., concerne l’outillage. Il s’agit de l’adoption d’un coin (qui recouvre l’ensemble du flan) à la place d’un poinçon pour la frappe du revers. Non seulement on réalise ainsi une économie de 20 % de l'énergie de frappe (si chichement disponible dans ce procédé de formage), mais on pourra obtenir l'impression d'une inscription et d'un grènetis au droit, impossible avec la technique antérieure. La deuxième innovation, plus tardive, porte sur la géométrie du flan. Après une période de tâtonnements où sont utilisées des formes ovoïdes ou lenticulaires, on adopte la forme cylindrique, qui économise encore 25 % d'énergie. Ainsi le numismate voit-il se dessiner les raisons techniques sous-jacentes à l'évolution du monnayage 5 - F. Delamare, P. Monmitonnet et C. Morrisson, Une approche mécanique de la frappe des monnaies. Application à l'étude de l'évolution de la forme du solidus byzantin, Revue Numismatique, 6e série, 26 (1984) 7-39. Bien que rédigé postérieurement et sous une forme complétée par l'étude des monnaies d'or de Sicile, cet article parut bien avant la version anglaise présentée au colloque de Londres (F. Delamare, P. Monmitonnet and C. Morrisson, A mechanical approach to coin striking: application to the study of byzantine gold solidi, in Metallurgy in Numismatics 2, ed. by Oddy, R.N.S., Londres, 1988, 41-53). 6 Cf. ci-après l'article de P. Montmitonnet, F. Delamare et C. Morrisson. 7 - F. Michaux-van der Mersch et F. Delamare, Evolution de la technique de frappe des statères éginétiques, Revue belge de Numismatique, 133 (1987) 5-38 ter. F. Delamare et F. Michaux-van der Mersch, Etude mécanique de la frappe des monnaies. Une méthode: la simulation sur pâte à modeler et son application à la frappe du statère éginétique, Revue d'Archéométrie, 12 (1988) 81-91. F. Delamare et P. Montmitonnet, Mécanique et frappe des monnaies: mesure et calcul de la déformation, Revue d'Archéométrie, 12 (1988) 93-99. A François Delamare numismate 63 antique vers les formes encore actuelles de nos pièces de monnaie (deux coins frappant des flans cylindriques d'une empreinte comprenant un type, une légende et un cercle de points, dit grènetis). François Delamare répond aussi, tout au moins pour cette série, à la question, longtemps débattue de la température de la frappe. Bien que de nombreux auteurs aient affirmé que la frappe des monnaies grecques anciennes s’effectuait à chaud, l’étude montre que les statères éginétiques se frappent à froid en un nombre réduit de coups de marteau. L'avantage de la frappe à chaud n'apparaît donc pas clairement ; celle-ci est donc peu probable. Il en va de même de la lubrification, qui n'apparaît qu’à l'époque de la frappe au balancier (XVIIe siècle). La puissance disponible permet alors d'augmenter les cadences de production ainsi que la durée de vie des coins. Figure 3 : Statère d'Égine frappé sur flan lenticulaire (Ve s. av. J.-C.). Contrairement aux monnayages perses en or, les monnaies grecques sont frappées en argent. Le statère d'Égine fut la première monnaie grecque. La stabilité de son titre et de son poids (12,2 g) en fit une monnaie internationale, précédant en cette fonction la drachme athénienne. Véritable dollar de l'Antiquité, elle fut utilisée plusieurs siècles après la fin de l'hégémonie d'Égine, vaincue par Athènes vers 457 avant J-C Si François Delamare n'a pas encore réalisé l'étude de l'usure des coins qu'il avait mise à son programme, il a en revanche offert aux numismates une monographie remarquable et originale sur celle des monnaies : Le frai et ses lois, sujet aux implications historiques d'ailleurs plus vastes. En 224 pages et 151 figures - fruit des «loisirs» (soirées et fins de semaine) de trois années tolérés par une famille indulgente - se trouvent exposées les lois physiques du frai et résumées les données bibliographiques du XVIIIe siècle à nos jours, tandis que les résultats des enquêtes statistiques ou des expériences des banques centrales sur l'usure des monnaies de tous métaux au XIXe et au XXe siècle sont illustrés de diagrammes nouveaux plus parlants que bien des tableaux des publications originales, d'accès en outre souvent difficile. Sont ainsi clairement distingués les rôles respectifs des différentes usures, abrasive (le processus prépondérant) ou corrosive, de la composition de l'alliage monétaire et de l'intensité de la circulation. Bien des idées reçues y sont mises à mal, comme la prétendue proportionnalité du frai au poids, à la surface ou au 64 Surfaces, tribologie et formage des matériaux relief de la pièce. On notera que François Delamare confirme ici les travaux menés à la Monnaie de Paris sous la direction de son arrière grand-père Alfred Riche, directeur des Essais et membre de l'Institut. La dernière partie du livre propose des applications de la méthode aux monnayages anciens et tente de tirer quelques enseignements sur la circulation monétaire à partir des données pondérales fournies par certains trésors8. L'écart d'usure (dans le rapport de 3:1) des tétradrachmes ptolémaïques et des tétradrachmes séleucides au type d'Alexandre dans le grand trésor turc de Meydancikkale est ainsi corrélé avec la circulation plus active et plus intense en Égypte qu'en Syrie au IIIe siècle avant J.-C. De même l'usure de l'aureus romain du IIe siècle de notre ère se révèle - une fois corrigée des différences d'alliage - inférieure environ de moitié à celle du napoléon, signe évident d'une intensité d'autant plus grande de la circulation à la fin du XIXe siècle. La tribologie est ainsi susceptible d'apporter une indication quantitative sur V, la vitesse de circulation de la monnaie, un agrégat de l'équation comptable9 définissant les conditions de l'équilibre général et dont la mesure statistique reste encore aujourd'hui très difficile. Compte tenu des contraintes et des limites de la documentation, la réflexion n'est ici qu'amorcée avec la prudence qui s'impose. 'François Delamare numismate' a gardé, comme dans ses précédents travaux, toute la rigueur du scientifique et une grande mesure dans ses conclusions. Néanmoins, ou précisément pour cette raison, il est certain que son application des "Arts mécaniques" à la science des monnaies fera date. 8 - Sous réserve que ceux-ci constituent un échantillon statistiquement représentatif, qu'ils comprennent des pièces ayant conservé le même alliage et le même poids droit (poids théorique d'émission). On conçoit que de tels échantillons ne soient pas nombreux. 9 Dite aussi «équation d'Irving Fisher» du nom de l'économiste américain qui vérifia statistiquement la relation (M V = P T) entre la variable endogène P (niveaux des prix) et M, la quantité de monnaie, V la vitesse de circulation (M/Y soit M/PNB), et T le volume des transactions (I. Fisher, The Purchasing Power of Money, New York, 1911). Sur la mesure de la vitesse de circulation, voir J. Schumpeter, A History of Economic Analysis, New York, 1954, p. 1098 et suivantes. MES AMITIÉS DE SCIENCE ET TECHNOLOGIE À MON AMI FRANÇOIS DELAMARE JACQUES DE BANDT CNRS - IDEFI - Sophia Antipolis Je voudrais ici dire mon amitié et, plus particulièrement, comme le dit le titre, mon «amitié de science et technologie» 1. Mais qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Et une amitié cela se dit comment ? Je me souviens de quelques belles définitions de l’amitié : par exemple, regarder ensemble dans la même direction. Ce n’est pas si mal : le CRAM2 n’était-il pas essentiellement une manière de regarder ensemble, dans la même direction ? Il est vrai que j’étais plutôt instrumental dans cette opération, aidant plutôt les autres à regarder ensemble dans cette même direction. Mais l’amitié n’est-elle pas faite d’abord d’un sentiment de proximité ? Je voudrais ici essayer de décrire cette proximité, qui fonde l’amitié. Je voudrais en fait essayer d’expliquer à François Delamare pourquoi, en ce qui me concerne, je me sens proche de lui, et cela grâce à la «caractérisation des matériaux». Car c’est, il faut insister, autour des matériaux que nous nous sommes rencontrés. En apparence tout nous sépare, voire nous éloigne. Le monde auquel j’appartiens est étranger au sien, pour ne pas dire étrange. Celui de la recherche technologique, de la production et des ingénieurs me fascine, mais je me sens en opposition constante avec sa rationalité. C’est pourtant celle-ci qui est à la base de tous ces artefacts, autour de nous, qui sont prodigieux (du mot «prodige»). Mais là où ils voient des techniques, je vois principalement des acteurs. Et je pourrais ainsi continuer à aligner toutes nos différences. Mais, s’il en est ainsi, comment rendre compte du fait que, alors que tant de choses nous séparent, nous nous rejoignons sur tant de points ? Voilà, n’est-il pas vrai, un cas intéressant d’«atomes crochus» entre le monde de la physique et des matériaux et celui des sciences sociales ? On pourrait évidemment dire que François appartient en réalité (l’École des Mines s’en doutait un peu, mais pas trop) au monde des sciences de l’Homme et de la Société, où je pourrais avouer mon penchant pour les matériaux que l’on forme et transforme et ma fascination pour toutes les machines ou installations qui transforment le fruit en alcool, l’arbre en meuble, la pâte en papier, ou encore la vache en corned beef. Tout cela est vrai, mais ne peut suffire et n’explique pas grand chose, sinon peut-être en apparence. C’est en fait terriblement compliqué à expliquer, à supposer que l’on puisse expliquer ce genre de choses. C’est pourtant ce que je voudrais essayer de faire. D’abord expliquer d’où je pars, en fait de très loin (par rapport à la caractérisation des matériaux). Ensuite, mes parcours dans les sphères de la production et mes relations d’«amour-haine» avec le monde des techniques. Enfin, nos rencontres dans l’«espace cognitif». (1) Selon le Littré, on dit ami de table, de jeu... , d’où ami de science et de technologie. 2 Le Centre Régional d’Analyse des Matériaux des Alpes Maritimes. 66 Surfaces, tribologie et formage des matériaux DE LÀ-BAS, TRÈS LOIN. Je n’appartiens pas au monde de la tribologie ou des multicouches. J’appartiens au monde des sciences sociales, et donc à un monde qui est bien éloigné de celui des sciences de la nature. J’ai toujours été de l’«autre côté». Et, de par les fonctions que j’ai exercées, j’ai souvent été en première ligne pour défendre les sciences sociales contre les vilaines attaques des scientifiques contre ces sciences dites molles, inexactes, littéraires... voire des non-sciences. Un petit souvenir : je me souviens d’une réunion - tout ce qu’il y a de sérieux - de la Direction du CNRS au château de Gif sur Yvette, au cours de laquelle Maurice Godelier (alors directeur scientifique en SHS) et moi-même sommes sortis, très dignement, parce qu’un Directeur Scientifique avait refusé de retirer le terme de science molle qu’il nous avait un peu méchamment lancé à la tête. Je me souviens aussi d’une réunion de la Direction de l’INRA au cours de laquelle les Directeurs Scientifiques me sont tombés dessus à bras raccourcis parce que je représentais ces sciences molles dont les critères de scientificité leur paraissaient aussi douteux. Plus insidieusement, j’ai souvent fait l’expérience que l’image que des scientifiques «exacts» avaient de moi était celle d’un beau parleur ou d’un écrivailleur. Cela ne me gêne pas outre mesure. Cela me chagrine un peu pour eux. J’ai toujours répondu que j’aurais pu aussi bien choisir la chimie ou la biologie (j’y ai pensé, étant jeune), ou devenir ingénieur (je l’ai envisagé). J’aurais évidemment aussi bien pu être jésuite ou compagnon ébéniste ! Et si j’avais opté pour les sciences sociales, c’est que j’avais de bonnes raisons pour le faire. J’ai toujours considéré en effet, qu’elles étaient d’un ordre de valeur supérieur, par rapport aux sciences dites exactes (rien que cela !). D’une part parce plus nécessaires et d’une certaine manière, potentiellement en tout cas, beaucoup plus utiles3. D’autre part, parce que, traitant de réalités plus complexes, elles sont aussi plus exigeantes et demandent plus d’efforts, mais aussi (au moins en principe) plus de modestie. N’est-il pas effarant de voir à quel point le «racisme scientifique» est étendu, pire de voir à quel point des scientifiques, qui en tout cas se prétendent tels, peuvent avoir du mal, sinon être totalement incapables, d’imaginer des réalités et des modes de pensée différents des leurs. Voilà pour la réponse du berger à la bergère. Il n’empêche, je suis de l’autre côté ! (3) Parlant d’utilité, tout dépend évidemment de ce que l’on entend par là : utile pour quoi, utile pour qui ? Tant que l’on en reste à la connaissance en tant que telle ou à la science pour la science, toutes les disciplines se valent. Les différences apparaissent à partir du moment où nous voulons utiliser les connaissances pour faire des choses. Tout dépend dès lors de la représentation que l’on a d’une part de la contribution que ces connaissances apportent pour faire ces choses et d’autre part et surtout de l’importance de ces choses. Dans ma représentation du monde, les êtres humains et la vie des hommes en société priment. Mes amitiés de science et technologie : à mon ami François Delamare 67 A l’intérieur de ces sciences sociales, j’ai l’avantage ou l’inconvénient supplémentaire d’être économiste (4). L’avantage : car la science économique est, de toute les sciences sociales, la plus exacte. C’est en tout cas, ce que nous disons. Et une partie de la discipline, celle précisément qui se dit être «la» science économique, non seulement utilise les mathématiques, ou emprunte à la physique ou la biologie, mais se prétend être ou en tout cas a l’ambition d’être en quelque sorte l’équivalent de la physique. Ces grandes ambitions ont commencé avec les «physiocrates» (le bon docteur Quesnay étaient lui un vrai scientifique). Pour cette raison, je crois, on nous disait autrefois, nous économistes, «distingués» ? L’inconvénient : car le prix que paie cette science économique axiomatique pour être rigoureuse est d’être très éloignée, pour ne pas dire plus, des réalités économiques ; car, pour cette raison, et sauf à suivre quelque peu l’actualité et la pression des évènements, cette science économique décide, de manière arbitraire, quel est son objet ; car il n’y a pas une mais des sciences économiques. Pour reprendre une boutade souvent attribuée à Churchill, on dit parfois que si vous interrogez trois économistes sur une question, vous obtenez quatre avis différents. Force est de constater que la science économique contribue peu à la prévision comme à la solution des grands problèmes économiques de nos société ou du monde (5). Je ne prends pas trop ces avantages comme ces inconvénients à mon compte. Où suis-je en effet par rapport à cela ? Je serais plutôt du côté de l’hétérodoxie, mais de celle qui s’éloignant de l’axiomatique qui est éloignée des réalités tendraient à me rapprocher de celles-ci. Je ne sais si vous suivez mon raisonnement : étant loin de ce qui est loin de la réalité, je suis proche de celle-ci. Tout ceci me conduit plutôt du côté de l’induction, de l’économie politique, de l’incontournable pluridisciplinarité (6), de la prospective, de l’application. Et dois-je l’avouer, je ne dédaigne guère un peu de littérature (7). Pour brouiller encore un peu plus les pistes, j’ajouterais qu’il faut d’ailleurs être hétérodoxe aujourd’hui, en économie, pour s’intéresser aux problèmes économiques les plus fondamentaux, qui concernent les processus par lesquels d’une part on produit des produits et des valeurs et d’autre part on les répartit entre les hommes. (4) Economiste, mais de formation «hybride» : un diplôme en philosophie, un certificat en mathématique, un doctorat en droit, un doctorat en sciences économiques. (5) L’actualité a donné récemment une illustration poussée jusqu’à l’absurde de cette incapacité : alors que le FMI est dit (en particulier par Monsieur Camdessus, son Président) avoir les meilleurs économistes du monde, les économistes avertis considèrent que le FMI n’a pas prévu, a mal géré, voire provoqué la crise des pays du Sud-Est asiatique. (6) Par exemple, Jacques De Bandt, Christophe Dejours et Claude Dubar, La France malade du travail, Bayard Editions, 1995. Le premier des co-auteurs est psychiatre, le second sociologue. 7 Dans un ouvrage récent (Jacques et Françoise De Bandt, La descente aux enfers du travail : ou l’économie sens dessus-dessous, ADST, 1996), de très larges emprunts à la Divine Comédie de Dante n’entament en rien, au contraire, le sérieux de l’analyse et du raisonnement, si l’on en juge d’après les commentaires reçus. 68 Surfaces, tribologie et formage des matériaux LES SPHÈRES DE LA PRODUCTION ET DE LA TECHNOLOGIE. A partir de là, il me devient possible de décrire ceux de mes intérêts qui me rapprochent de François Delamare. Certes le chemin qui m’y conduit n’est pas linéaire, mais il m’y conduit. A l’intérieur du domaine de l’économie, je m’intéresse en particulier, en tant qu’économiste industriel, à tout ce qui concerne la production : aux travailleurs et aux compétences, aux entreprises, à la recherche et à l’innovation, à la technologie, à l’ingénierie, à l’organisation,....etc. Parmi les industries, je me suis toujours intéressés plus particulièrement aux industries dites de biens intermédiaires : d’abord celles produisant et traitant les matières naturelles : les textiles (laine, lin, coton, chanvre, jute...), le papier, le fer et l’acier, ... ensuite celles produisant et traitant les matières organiques : fibres textiles, résines, caoutchouc synthétique et j’ai toujours voulu voir et essayer de comprendre à la fois les qualités des matières et les technologies pour les travailler et leurs évolutions ... J’ai voulu voir les champs de coton ou d’agaves, les mines de fer, j’ai voulu comprendre l’action des catalyseurs…J’ai fait des travaux sur la coulée continue, comme sur le métier sans navette ou l’urée. Et j’ai besoin de voir - et je devrais même dire : toucher - ce dont je parle. J’ai visité des usines textiles dans plus de trente pays et comparé les équipements, l’organisation du travail, les matières utilisées, les produits, les déchets... et participé, sur le terrain à tant de discussions sur des problèmes très techniques. Quelques souvenirs «matériaux» : la participation aux premières réflexions sur la «Woolmark» ; une intervention réussissant à démontrer que les analyses de la qualité du coton Malgache faites par un bureau d’étude européen étaient faussées, les défauts observés étant dus non à la qualité intrinsèque du coton, mais à des défauts d’organisation de la filière ; une intervention dans une usine de jute au Vietnam débouchant, par le nettoyage et graissage d’un engrenage, sur la remise en route d’une chaîne de fabrication ; l’invitation par le Ministre de l’Industrie Malgache à participer à la remise des médailles du travail aux ouvriers de l’industrie cotonnière à Antsirabé. Premier élément de rapprochement : toutes ces industries travaillant la matière. Et puis les entreprises, les petites comme les grandes, les dynamiques comme les inefficaces – les «chasseurs de primes» comme les «canards boiteux». J’ai visité des entreprises dans une cinquantaine de pays, et dans certaines régions ou pays (par exemple en Yougoslavie ou au Vietnam), pratiquement toutes les entreprises existantes. L’entreprise est un être curieux, passionnant à étudier : les comportements du patron, l’organisation du travail, les décisions, les clans, le système d’information, les conflits.... Une petite parenthèse : certains économistes développent de grandes théories de la firme et certains technocrates traitent des questions relatives aux entreprises, sans avoir jamais vu ces réalités ni de près ni de loin. Est-ce bien raisonnable ? Un souvenir : un haut fonctionnaire, chargé de négocier avec de grandes entreprises, réalisant qu’il ne savait pas ce qu’était une entreprises, n’en ayant jamais vu, demandait à quoi cela se reconnaissait : est-ce grand, lisse ou couvert d’écailles, rouge vif, profond, avec des pieds fourchus.... ? Certains n’ont-ils pas dit que l’entreprise était une contradiction ? Mes amitiés de science et technologie : à mon ami François Delamare 69 Deuxième élément de rapprochement : tous ces lieux concrets de la transformation des matériaux. Mais l’entreprise est aussi le lieu par excellence où la technologie – toutes les technologies - est mise en œuvre. Et la technologie est un objet de recherche passionnant. Je suis fasciné et béat d’admiration devant la technologie : devant toutes les technologies déployant leurs possibilités, devant les technologies qui transforment, forment et donnent leur forme à la matière. Je suis comme un enfant devant une vitrine de confiseur, lorsque je vois le rythme de la navette qui construit son tissu, ou une coulée d’acier, ou un automate de peinture. Cela relève presque de la prestidigitation. Parfois, il est vrai, tout en admirant la pâte qui, à un rythme impressionnant, s’enroule sous forme de papier, je ne puis m’empêcher de trouver la continue un peu monstrueuse. Je me met à rêver de nos anciens moulins à papier, mais je m’interroge aussi : est-ce bien la même technologie ? Et puis, que dire de toutes ces nouvelles technologies qui se démultiplient dans toutes les directions : les matériaux composites, les puces, le laser, les micro-controlleurs, les hybrides, les résines.... Troisième élément de rapprochement : la technologie, C’est peut-être cette fascination qui m’a conduit à considérer que la technologie était un objet d’analyse important pour les sciences sociales. Une petite parenthèse : est-ce qu’un chercheur peut étudier un objet – j’entends : bien étudier, de manière efficace – s’il ne l’aime pas ? Je pense que non. Mon expérience me convainc que l’amour de l’objet de ses analyses est une condition nécessaire, si pas suffisante, de l’existence d’un vrai et bon chercheur (8). La seule différence, je dirais est entre ceux qui aiment avant, et ceux qui aiment chemin faisant, progressivement. On peut en juger d’après la manière dont ils en parlent. N’est-il pas merveilleux d’entendre des (vrais) chercheurs parler de leur objet, avec passion, même lorsque cet objet n’est pas particulièrement sympathique ou ragoûtant (des cloportes, des rats, des ulcères…) ? D’accord, il y a des exceptions, mais elles sont, selon moi, rarissimes. Par ailleurs, c’est évidemment plus difficile à percevoir lorsque l’objet est abstrait ou invisible (encore que l’on puisse être amoureux d’un concept ou d’un algorithme, ou d’une molécule). Comment pourrait-on par contre aimer ce qui ne serait que l’image que l’on a construite d’un objet que l’on n’a jamais vu ou appréhendé : on ne peut dans ce cas aimer que le moi qui a fabriqué cette image. Les recherches sur la technologie - la technologie en général ou des technologies particulières – visent d’abord à essayer de décrypter et décrire les technologies : comment définit-on ou caractérise-t-on une technologie ? comment différencie-t-on deux (8) Certains diront évidemment que cela n’a rien à voir. Et pourtant ! C’est du même ordre que ce que me disait un de mes professeurs en mathématiques, qui m’a beaucoup marqué (étudiant en science économique, j’avais décidé de m’inscrire aussi en mathématique). Il disait, pour illustrer ce qu’il considérait être des cohérences d’un ordre supérieur, qu’un pont ne pouvait être bon que s’il était beau. Il avait été jusqu’à collectionner des photos de ponts qui avaient cédé ou s’étaient effondrés, pour en souligner le manque d’esthétique. 70 Surfaces, tribologie et formage des matériaux technologies, dans le temps et dans l’espace ? (9) Elles visent en ensuite à analyser la technologie, ses origines, sa diffusion, ses applications, ses transformations, son obsolescence… Elles s’intéressent aussi, cela va de soi, à l’ensemble des acteurs, institutions et organismes qui sont concernés par la technologie ou l’innovation et aux relations entre eux. Tout cela fait partie d’un système assez complexe. On l’appelait autrefois le Système Scientifique et Technique ou, en jargon, le SST (c’était une invention française, non brevetée), on l’appelle aujourd’hui le Système National d’Innovation. Elles s’intéressent donc également aux politiques dites scientifiques et techniques (ou technologiques). Curieusement, (au delà des grands programmes du général De Gaulle, qui ont fortement marqué notre histoire dans l’ordre de la technologie), la France n’est jamais parvenue, jusqu’ici, à concevoir une véritable politique ou stratégie technologique à la hauteur des enjeux. Sans doute , parce que faisait défaut une représentation cohérente de la technologie. Mais pourquoi donc ?(10) Il faut ouvrir ici une autre parenthèse. Il est beaucoup question de technologie, disons depuis 30 ou 35 ans : depuis le «défi technologique» de J.J. Servan Schreiber dans les années 1960, en passant par les discours sur la «course-poursuite technologique» dans les années 1970, puis par les «retards technologiques» des années 1980, jusqu’au «paradoxe (technologique) européen» dans les années 1990. Alors donc que tout le monde parle de la technologie – constamment, dans toutes les sphères, y compris dans la vie quotidienne – comment se peut-il que si peu de gens - non seulement Monsieur ou Madame tout le monde, mais même des personnes à des niveaux de compétence et de responsabilité élevés - savent ce qu’est cette technologie. Même la plupart des gens qui sont directement engagés dans des activités technologiques (recherche, développement, création, transfert, diffusions…) n’en perçoivent le plus souvent que des aspects très partiels et n’ont guère de vision d’ensemble de ce qu’est la technologie. Après de nombreuses tentatives infructueuses, depuis la fin des années 1960, le Commissariat du Plan (voir le rapport FARGE) s’est efforcé, en 1989, de donner une définition de la technologie, considérée (enfin !) comme un enjeu important. En réalité, faute d’arriver à en donner une définition directe, il s’est contenté d’en donner une définition indirecte, par la définition de la recherche technologique. Mais celle-ci n’est définie que comme une petite zone de recouvrement de trois sous-ensembles : la (9)Une encyclopédie, dite systémique, de la technologie est ainsi en construction, en vue d’organiser les connaissances sur les artefacts et les technologies, dans le cadre de «systèmes techniques» faits d’ensembles complémentaires d’éléments technologiques permettant de remplir un certain nombre de fonctions. (10) On pourrait poser des questions analogues, encore plus concrètes : pourquoi la France n’a –telle jamais réussi à développer des industries mécaniques à la hauteur de ses ambitions industrielles (disons tant soit peu comparables à celles de l’Allemagne ou la Suisse ?). Ou encore : pourquoi la France n’a-t-elle jamais réussi à concevoir et mettre en œuvre des politiques industrielles d’une certaine envergure et efficaces dans les domaines de la mécanique ? Mes amitiés de science et technologie : à mon ami François Delamare 71 recherche scientifique de base, la recherche et développement industriels, la recherche et développement à des fins collectives et sociales. S’il était évidemment intéressant de souligner les besoins collectifs et sociaux, cette présentation, assez maladroite, souligne fortement l’absence de représentation claire de ce qu’est la technologie. Mais que font donc nos sciences de l’ingénieur ? A ce stade de mon périple, je dois à la vérité de dire que si tout ceci me rapproche extraordinairement du monde de la production, des matériaux, de la technologie, des ingénieurs... ceci constitue aussi, par contrecoup, un facteur de distanciation important par rapport à ce monde. Etre amené à discuter des réalités de la production avec des ingénieurs, cela conduit aussi à faire ressortir tout ce qui nous sépare. C’est le côté nonlinéaire du périple. Une boutade : ayant eu l’occasion, dans ma carrière, d’enseigner aux publics les plus différents, je dis souvent que les publics les plus difficiles (j’entends pour un enseignement d’économie politique) sont les curés et les ingénieurs, les uns et les autres ayant les systèmes ou schémas de pensée les plus construits et cohérents, mais totalement étrangers à ceux de l’économiste. Bien entendu, certains d’entre eux ont eu des formations complémentaires, par exemple en économie ou en gestion : la tendance générale est quand même de n’en prendre que la partie la plus assimilable dans leur propre système de pensée. Mon Dieu, que de dialogues de sourds avec des ingénieurs, dont si je n’oserais dire qu’ils étaient bornés, je crois pouvoir affirmer qu’ils étaient enfermés dans leur logique purement technique ou technicienne ! Que de difficultés à faire comprendre que la technologie n’est pas seulement technique, que la technologie à des dimensions multiples, qu’elle est aussi processus et produit social. Elle est produit de la société par ses origines, dans son émergence et sa diffusion, par les besoins, les usages et les règles qui la conditionnent, par les processus de sélection, dans ses transformations... A vouloir ignorer cela, on s’interdit de comprendre la technologie et de pouvoir prendre des décisions ou agir à bon escient en ces domaines. Puisqu’il faut tout dire, je dois faire des aveux. Dieu me pardonne ! Il m’est arrivé, dans des circonstances particulières, de traiter des ingénieurs, les uns de bornés, les autres d’incompétents, d’autres encore d’être dépassés ou obsolètes ou d’essayer de le leur démontrer. La pire injure est évidemment celle d’incompétence. Si les bornés sont faciles à identifier, les incompétents constituent une catégorie beaucoup plus difficile à démasquer. Ce n’est pas ou pas principalement le niveau absolu de qualification ou de compétence qui est en jeu, mais le type de compétence et son adaptation au type de problème à traiter ou à résoudre. De ce point de vue, il n’y a pas incompatibilité entre d’une part le constat du niveau élevé de compétence d’un individu (par définition dans son «domaine de compétence») et d’autre part le constat de son incompétence pour résoudre tel ou tel type de problème (ou de son incompétence à réunir et faire travailler ensemble les diverses compétences complémentaires qui sont nécessaires). Les défauts technocratiques les plus fréquents sont de ce type. Les cas les plus flagrants de ce que les économistes appellent des «échecs de gouvernement» (government failures) sont dus à ce type d’«incompétence». 72 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Tout ceci pour dire, par différence, tout le respect et, il faut le dire, l’admiration que j’ai pour les ingénieurs. Ils représentent ce que j’aime le plus en matières professionnelles, à savoir précisément le professionalisme. Leur rationalité technicienne a quelque chose de rassurant, mais ce sont leurs performances qui m’impressionnent. AU PAYS DE LA COGNITION Mais il me faut poursuivre mon périple et décrire les dernières étapes de mon rapprochement. L’avant-dernière étape, en liaison directe avec la précédente, concerne le nouveau système technique en voie d’émergence, comportant le passage d’activités à forts contenus en ressources naturelles et énergétiques à des activités à forts contenus informationnels. On sait, depuis les travaux de B. Gille que, à travers toute l’histoire (depuis la plus haute Antiquité), les périodes de grande prospérité ont été dépendantes de la mise en place d’un système technique cohérent, déployant sur la base de la complémentarité de ses éléments des potentialités insoupçonnées. L’un des enjeux économiques centraux de l’époque en cours est celui de l’émergence d’un nouveau système technique (11), susceptible de permettre de nouveaux processus de croissance et d’accumulation (12). Mais rien n’est plus difficile que de comprendre ce système technique en voie d’émergence. Ou bien, on se situe en un endroit particulier du système et, le nez dessus, il est difficile d’avoir une vision d’ensemble. Ou bien, on est en dehors et on ne comprend pas grand chose de ce qui se passe. Comment en particulier comprendre l’importance des matériaux (13), au sein de ce système technique, c’est-àdire la nature des liens et interactions des matériaux avec les autres éléments de base qui constituent le nouveau système technique ? Ce sont les discussions autour et alentour du CRAM - autour de l’arséniure de gallium, des biomatériaux, de la caractérisation des matériaux, des informations et de la mémoire dans les matériaux… qui, me permettant d’être à la fois dehors et dedans (avec un guide), m’ont fait comprendre certaines dimensions essentielles du système technique en voie d’émergence. On retrouve toujours cette nécessaire alliance des sciences exactes et des sciences sociales pour comprendre la technologie : en l’occurrence la compréhension du système technique au travers du rôle qu’y jouent les matériaux. Et que vive le CRAM ! (11) Nous avons tendance, sur le plan économique, à parler de l’économie de l’information ou de la connaissance (learning economy) (12) Aujourd’hui, aux Etats-Unis, ce nouveau système semble en effet alimenter de tels processus de croissance et d’accumulation : en 1998, les nouveaux secteurs, liés à l’information, ont assuré 38% de la croissance. (13) Qu’il s’agisse des matériaux de structure ou des matériaux dits de fonction (P. Cohendet, et al., Les matériaux nouveaux : dynamique économique et stratégie européenne, Economica 1987) Mes amitiés de science et technologie : à mon ami François Delamare 73 Quatrième élément de rapprochement : les matériaux dans le nouveau système technique. Mais on ne peut s’arrêter là. La recherche aussi est un objet de recherche fascinant (14). La «recherche sur la recherche» (généralement intitulée «Science, Technologie et Société»), de type très pluridisciplinaire, s’est beaucoup développée (15). Elle a, il est vrai, eu beaucoup de mal à se développer en France, sinon assez récemment. Je me dois quand même de signaler au moins une exception notoire : celle de l’Ecole des Mines, qui démontre que la Recherche, en tant qu’objet de recherche, est un lieu privilégié de rencontre entre les ingénieurs et les sciences sociales. J’en profite ici - c’est l’occasion toute trouvée – pour rendre hommage au Centre de Sociologie de l’Innovation. Une petite parenthèse : comment fait-on pour dire tout le bien (+++) et le petit peu de mal (-) que l’on pense du CSI ? Beaucoup de bien : ils ont en effet développé la recherche sur la recherche : il est vrai qu’ils bénéficiaient d’une base privilégiée pour le faire ; ils l’ont bien fait : ce qu’ils font est intéressant et imaginatif. Leurs travaux sont très cités et reconnus internationalement ; ils n’ont pas hésité à intervenir sur le terrain, démontrant ainsi, d’une certaine manière, la validité et l’utilité de ces travaux. On pourrait aussi dire un peu de mal (personne n’est heureusement parfait !), mais si peu : le principal reproche étant qu’ils ont largement monopolisé le marché ! Mais revenons à la «recherche sur la recherche». Au départ , j’avais été profondément choqué par la phrase, souvent citée, du général De Gaulle disant à peu près que si l’on trouve des chercheurs, on cherche des trouveurs. Cette phrase, inutilement méprisante (mais le mépris peut-il être utile ?), me paraissait révéler surtout une très grande ignorance. C’est choquant, non ? Je n’ai entendu pire que dans la bouche de Madame Thatcher. Aussi choquantes, sinon plus, sont deux types d’attitudes, contrastées, que l’on observe fréquemment, dans le contexte français. Assez choquantes sont les certitudes fortes et définitives qu’on en général les «personnes compétentes» ayant des responsabilités en matière d’administration de la recherche. Ils ont tendance à considérer, presque unanimement, que la recherche n’est pas un objet de recherche et que, de toute manière, eux ils savent. En fait, en règle générale, ces responsables ne font en réalité que généraliser et extrapoler une expérience localisée et datée, qu’elle soit d’ailleurs bonne ou mauvaise. Et, ce qui est le plus grave évidemment, les certitudes justifient ou résultent de l’absence de curiosité. Un souvenir ? Un scientifique chinois de très haut rang, de passage à Paris, il y a quelques années de cela, ayant rencontré nombre de responsables français en matières scientifiques demandait, avec un sourire narquois, d’où les directeurs scientifiques (les (14) J’ai consacré une partie importante de mes activités à étudier la recherche : par curiosité d’abord, par intérêt professionnel ensuite, par intérêt scientifique enfin. (15) Voir l’Euroguide sur l’innovation : the European Guide of Science, Technology and Innovation Studies, 1998). 74 Surfaces, tribologie et formage des matériaux D.S., qu’il prononçait subtilement «déesses») des grands organismes tenaient leur «vérité infuse». A croire que la première qualité d’un vrai scientifique n’est pas «de savoir qu’il ne sait pas». C’est vrai que cet aphorisme est devenu bien ringard. Les exigences de la vie (du marché ?) ne veulent-elles pas que l’on paraisse très sûr, y compris de ce que l’on ignore ? Aussi choquante est d’autre part, l’ignorance et, j’ose le dire, l’ignorance «crasse» qu’ont, des réalités de la recherche, de nombreux administrateurs (non scientifiques) de la recherche. Je pense en particulier aux hauts fonctionnaires qui, chez nous comme ailleurs, décident et gèrent les budgets. Ils ignorent superbement ce qu’est la recherche, qu’il gère par conséquent par référence à la représentation qu’ils se sont donnée arbitrairement, le plus souvent pour se simplifier la tâche. Et, de manière symétrique, on pourrait dire que l’ignorance fonde ou résulte de l’absence de curiosité. J’ai donc voulu comprendre ce qu’est et fait un chercheur, une formation de recherche ou un processus de recherche, comment cela s’organise et travaille. Et là aussi, j’ai voulu voir et, si je puis dire, toucher. J’ai vu et observé la recherche sous toutes ses facettes. On dit aussi : sous toutes ses coutures, ou sous toutes ses couleurs (16). A une certaine époque de ma carrière, j’ai surtout servi à gérer des conflits, et si possible à les résoudre (parfois, il est vrai par le vide). C’est fou ce qu’on peut apprendre de choses dans des conflits dans ou entre des formations de recherche (comme par ailleurs dans ou entre des entreprises). Le conflit est particulièrement révélateur des contraintes et exigences des activités concernées, comme des processus en cours ou difficultés rencontrées. C’est bien connu. Certains mauvais esprits recommandent d’ailleurs ouvertement – on trouve cela dans de bons ( !) manuels – de déclencher des conflits en vue à la fois d’obtenir des informations et d’augmenter le pouvoir de la direction. En ai-je vu des choses ? J’ai mon petit musée des curiosités et perles que j’ai pu ramasser en chemin. Il en est de différentes sortes. Il y a toutes les apparentes anomalies du système, c’est-à-dire des situations en contradiction avec sa rationalité ou logique, mais qui a l’examen révèle certaines particularités de fonctionnement. Il y aussi tous les cas dans lesquels les chercheurs (individus, groupes ou communautés) ont des stratégies opportunistes visant à exploiter voir à dévoyer le système en leur faveur. Il y a enfin – mais ceci relève davantage du «bêtisier» - toutes les situations un peu loufoques ou extrêmes que la complexité du système concerné laisse exister ou subsister. (16)J’ai visité des quantités importantes d’unités de recherche, dans toutes les disciplines, en France et à l’étranger. J’ai fait partie de tant de conseils scientifique ou structures analogues. J’ai évalué (avant) ou audité (après) des candidatures, des projets, des programmes, scientifiques et appliqués, des transferts, des grands équipements scientifiques. J’ai participé à la négociation d’accords internationaux, et étudié des cas de coopération internationale. Mes amitiés de science et technologie : à mon ami François Delamare 75 Exemple de la 1ère catégorie : des travaux réalisés au Royaume Uni. (commandés par Mme Thatcher) avaient fait découvrir l’existence dans le plus grand nombre de laboratoires d’un chercheur «inutile», ne respectant aucune des normes habituelles de fonctionnement de la recherche. Mais une recherche ultérieure en faisait le «chercheur de dernier recours». Ayant tout vu et observé et conservant la mémoire, il était le personnage auprès duquel, en désespoir de cause, on pouvait trouver des éléments de solution. Exemple de la 2° catégorie (de nombreux exemples existent en sociologie de la science.) : la constitution d’une association de chercheurs dont le seul objectif et la seule activité consistaient à se citer systématiquement les uns les autres, pour faire grimper leur citation index. Arsène, écrit la Bruyère, «loué, exalté, et porté jusqu’aux cieux par de certaines gens qui se sont promis de s’admirer réciproquement». Exemple de la 3°catégorie : la coopération internationale dont s’enorgueillissait un chercheur consistait à échanger son appartement pour quelques semaines avec celui d’un londonien, qu’il ne rencontrait guère, mais dont l’épouse tenait beaucoup à faire les soldes du blanc à Paris. Dans un ouvrage que j’envisage toujours d’écrire sur le sujet (n’était l’ampleur du travail et le risque de mettre des personnes en cause), ces perles feraient l’objet du troisième volume. Le premier volume (17) serait consacré aux «success stories» : à tout ce que j’ai pu voir en matières de dynamiques de recherche réelles. Ces dynamiques sont, selon les cas, le fait principalement d’un individu, d’une équipe, d’une forte impulsion ou incitation, d’un réseau, de l’organisation, de l’environnement… Il s’agirait dans, dans chaque cas, de déterminer d’une part quelles sont les raisons principales de la réussite et d’autre part dans quelle mesure on peut transposer ou généraliser. Qu’est-ce qui fait ces dynamiques et ces succès ? Il est toujours extrêmement difficile de le dire, même lorsque, directement engagé dans le processus, on possède toute l’information que l’on peu souhaiter. Les vrais raisons des dynamiques observées sont impalpables. Par exemple, on sait que, un peu partout, dans le monde, des dynamiques locales d’innovations se développent (dans des technopoles, des districts industriels, des routes 128 et autres Silicon Valley, des milieux innovants, des systèmes locaux d’innovation…). Mais on ne sait pas comment ces dynamiques ou ces sous-systèmes locaux ont réellement émergé (18). Et on ne sait pas par conséquent comment on pourrait en faire émerger d’autres. (17)Le deuxième volume présenterait au contraire toutes les difficultés : les contraintes, blocages, manques de ressource, dysfonctionnements, défauts d’organisation, règles et statuts… qui font que la recherche est une activité difficile, très aléatoire. On pourrait presque dire : un jeu impossible, sauf dans des circonstances privilégiées. (18) Ayant joué un rôle actif dans l’émergence d’un sous-système «jouet», devenu particulièrement innovant et dynamique, en Thaïlande, je serais bien en peine (sauf bien entendu à dire que c’est grâce à nous) de dire «comment la mayonnaise à pu prendre» 76 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Il y a évidemment toujours des conditions nécessaires : il faut des compétences, généralement un ensemble de compétences complémentaires, il faut des ressources ou des moyens, il faut des objectifs suffisamment précis, il faut une organisation… Ces conditions nécessaires permettent de concevoir rationnellement des processus - par exemple des processus et cheminements conduisant à des résultats : des processus de production de connaissances, d’apprentissage organisationnel, de «fertilisation croisée» »… Mais ce n’est pas suffisant. Il y a en effet tout le reste, et ce reste est essentiel : il faut de la vision, de l’ouverture et de la compréhension des systèmes de connaissances, il faut des motivations et/ou des incitations, il y faut du leadership, il faut de la coopération, réelle… Et puis il y a le reste du reste, qui est encore plus essentiel : c’est de la communication, ce sont des interactions cognitives. On dit vulgairement qu’il faut que les esprits se rencontrent. t c’est ainsi que je raconterais la belle histoire du CRAM06 : quelque part, dans les allées de l’École des Mines ou dans la Pinède, nos esprits se sont rencontrés. Et le CRAM a été conçu et enfanté dans un espace lamellé (19) et interactif à n dimensions. François Delamare faisait le lien – on devrait dire l’interface - entre les n dimensions : entre le passé, le présent et le futur, entre les matériaux et leurs usages, entre la technologie et l’économie, entre la production et la mise en forme, entre les surfaces et les architectures internes, entre la recherche et l’enseignement, entre l’ENSMP, le CNRS et l’Université, entre la physique, la chimie et la biologie, entre les chercheurs et les entreprises, entre le plastic et sa bouteille, entre le métal et ses monnaies… Je pourrais peut-être ajouter : entre le ciel et la terre, entre le physique et le métaphysique… Je me contentais de parler, et François mettait en forme. Voilà comment se termine l’histoire de l’idylle de la physique des surfaces et de l’économie politique. Dis, tu me racontes encore une belle histoire ? (19) J’ignore absolument ce que peut être un espace lamellé. Un de mes amis mathématiciens, décédé, travaillait dans cet espace et j’ai gardé cette belle image en souvenir. BIBLIOGRAPHIE DE F. DELAMARE 1 - CHIMISORPTION SUR SURFACES MODÈLES F. DELAMARE and G. E. RHEAD, Augmentation de l'autodiffusion superficielle du cuivre en présence de chlore chimisorbé, C. R. Acad. Sci., t. 270, série C (1970) 249. F. DELAMARE and G. E. RHEAD, Increase in the surface self-diffusion of copper due to the chemisorption of halogens, Surface Science, 28 (1971) 267-284. F. DELAMARE, Étude par diffraction d'électrons lents de l'adsorption du chlore sur la face (100) du cuivre et sur des faces vicinales, C. R. Acad. Sci., t. 275, série C (1972) 753-756. F. DELAMARE and G. E. RHEAD, First stages of the deposition of bismuth on copper examined by LEED. I - The (100) substrate, Surface Science, 35 (1973) 172-184. F. DELAMARE and G. E. RHEAD, First stages of the deposition of bismuth on copper examined by LEED. 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MORRISSON, L'apparition de la concavité des monnaies d'or frappées à Constantinople du VIe au XIIe siècle, Revue belge de Numismatique, CXLV (1999), 249-259. 6 - CONTRIBUTION À L'HISTOIRE DES TECHNIQUES : MISE EN FORME DES MÉTAUX F. DELAMARE, G. NICOLAS et E. MENCARELLI, Étude du forgeage d'un lingot de fer protohistorique, Mém. Ét. Sci. Rev. Mét., 2 (1982) 97-104. B. GUINEAU, F. DELAMARE, J-N. BARRANDON, L. BECK et C. FORRIÈRES, Le casque de Charles VI. Une étude technique, Mém. Ét. Sci. Rev. Mét., 9 (1991) 616. F. DELAMARE, E. DARQUE-CERETTI et W. MOUREY, Le trésor d'argenterie romaine de Béziers, Mém. Ét. Sci. Rev. Mét., 9 (1991) 621. F. DELAMARE, B. GUINEAU et J-N. BARRANDON, Le "chapel de fer doré" de Charles VI. Mise en forme, gravure et dorure, Cahiers de la Rotonde, 16 (1995) 31-73. F. DELAMARE, E. DARQUE-CERETTI, J. CHEVALIER et W. MOUREY, Étude technique du trésor d'argenterie gallo-romaine de Béziers, Bull. de la Sté Nle des Antiquaires de France (1996) 73-90. 7 - VARIA F. DELAMARE, rédacteur de la discipline Chimie du Dictionnaire Encyclopédique Quillet, 8 volumes, Paris, 1968. F. DELAMARE, rédacteur de la Physique et la Chimie du Dictionnaire des Termes de Médecine, Garnier-Delamare, Maloine, Paris. F. DELAMARE, Petite histoire des billets payables au porteur en France, 350 pages, 1997. Inédit. Partie II CARACTÉRISATION ET RÉACTIVITÉ CHIMIQUE DES SURFACES LA SURFACE DU VERRE BASES SCIENTIFIQUES POUR LA RECHERCHE INDUSTRIELLE PASCAL CHARTIER Saint Gobain Vitrages Les Miroirs- Cedex 27 92096 Paris La Défense RÉSUMÉ Sans négliger l'importance du volume, la surface influe sur certaines propriétés de base du verre, en particulier sa résistance mécanique, ses propriétés optiques et son interaction physico-chimique avec l'environnement. Ces trois classes de propriétés sont évidemment au cœur de la plupart des cahiers des charges des applications du verre, ce qui explique que la maîtrise de la surface du verre soit devenue en quelques années un enjeu de grande importance pour les industriels du secteur. En particulier, utiliser au mieux la surface du verre constitue un moyen de maintenir la compétitivité du verre vis-à-vis des autres matériaux. En réalité, le verre, et donc sa surface, présente des caractéristiques différentes selon qu'il s'agit d'un rouleau de laine de verre, d'un pot alimentaire, d'une fibre optique ou d'un écran de télévision. Il faut en outre garder à l'esprit que de petites variations de composition du verre peuvent engendrer de grandes modifications de sa surface. Dans cet article, l'accent est mis sur les propriétés physico-chimiques de la surface des verres de silicates, en décrivant les sites de surface et leur réactivité, l'énergie de surface du verre et sa mouillabilité, les caractéristiques d'une surface "réelle" de verre, ainsi que le rôle de l'eau sur les propriétés mécaniques du verre. INTRODUCTION Les fabricants de matériaux technologiques s'interrogent de plus en plus sur la surface des matériaux qui sortent de leurs usines et sur les moyens de mieux la maîtriser. Ainsi, le monde verrier n'a pas échappé à cette évolution, l'amélioration des propriétés des produits verriers existants et l'apport de nouvelles fonctions au verre s'effectuant pour une large part aujourd'hui en agissant sur la surface du verre. En effet, sans négliger l'importance du volume, la surface influe sur certaines propriétés de base du verre, en particulier sa résistance mécanique, ses propriétés optiques et son interaction physico-chimique avec son environnement. Ces trois classes de propriétés Cet article est le texte de la conférence présentée par l'auteur aux 3e Rencontres Technologiques USCV: "La maîtrise de la surface du verre" . Il a été publié dans la revue "Verre" (vol. 3, n°3, juin 1997, p. 5-13). L'auteur remercie la revue "Verre" pour leur aimable autorisation de reproduire ce texte. 88 Surfaces, tribologie et formage des matériaux sont bien évidemment au cœur de la plupart des cahiers des charges des produits verriers dans leurs multiples applications, ce qui explique que la maîtrise de la surface du verre est devenue en quelques années un enjeu de grande importance pour les industriels du secteur. En particulier, utiliser au mieux la surface du verre constitue un moyen de maintenir la compétitivité du verre vis-à-vis des autres matériaux. En réalité, il faut parler du verre au pluriel, tellement est large la palette de ses applications, et donc de ses compositions et de ses procédés d'élaboration et de formage. Ainsi, le verre, et donc sa surface, présente des caractéristiques sensiblement différentes selon qu'il s'agit d'un rouleau de laine de verre, d'un pot alimentaire, d'une fibre optique ou d'un écran de télévision. Néanmoins, les constituants de base des principaux verres industriels sont assez limités en nombre, si bien qu'il est envisageable de décrire certaines données de base de leurs propriétés de surface, tout en gardant à l'esprit que de petites variations de composition du verre peuvent néanmoins engendrer de grandes modifications à sa surface. Dans cet article, je mettrai l'accent sur les propriétés physico-chimiques de la surface des verres de silicates, en décrivant les sites de surface et leur réactivité, l'énergie de surface du verre et sa mouillabilité, les caractéristiques d'une surface "réelle" de verre, ainsi que le rôle de l'eau sur les propriétés mécaniques du verre. LES SITES DE SURFACE ET LEUR RÉACTIVITÉ LA SURFACE DE LA SILICE Les principaux verres industriels sont composés d'un mélange d'oxydes dont le composant majoritaire est la silice SiO2, qui constitue le squelette du réseau vitreux. Il est donc assez naturel de considérer en première approximation que la surface d'un verre de silicates peut être assimilée à la surface de la silice amorphe, qui commence à être maintenant bien connue grâce aux nombreuses études scientifiques menées sur des silices divisées. Ainsi, on sait aujourd'hui que, au cours du refroidissement de la silice fondue, les liaisons siloxanes Si-O-Si présentes à l'extrême surface de ce matériau peuvent réagir avec les molécules d'eau présentes dans l'atmosphère ambiante, pour conduire à la création de groupements silanols Si-O-H. En réagissant avec la surface, les molécules d'eau subissent une adsorption dissociative selon le mécanisme suivant : ≡ Si-O-Si ≡ + H2O → ≡ Si-O-H + H-O-Si ≡ L'énergie d'adsorption de l'eau sur la liaison siloxane étant très élevée, de l'ordre de 80 kJ/mol, la surface de la silice native est très vite recouverte d'un grand nombre de sites silanols, dont la densité peut atteindre 4,6 sites par nanomètre carré [1]. Selon la distance qui sépare deux sites silanols voisins, ceux-ci pourront rester "isolés", sans interaction avec leurs proches voisins, ou au contraire liés entre eux par une liaison hydrogène, pour former des sites silanols vicinaux [2]. Par ailleurs, ces sites silanols pourront également subir une nouvelle adsorption de molécules d'eau, sans dissociation (physisorption), par liaison hydrogène. Ainsi la surface peut-elle se recouvrir de une à quelques monocouches d'eau adsorbée, en fonction de la La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle 89 pression partielle d'eau dans l'atmosphère environnant la surface. La figure 1 montre une représentation schématique de la surface de la silice ainsi formée. Figure 1 : Représentation d'une surface de silice hydratée Un simple traitement thermique autour de 100°C suffit à désorber la couche d'eau physisorbée, tandis qu'un traitement poussé à très haute température est nécessaire pour éliminer les groupements silanols et reformer les liaisons siloxanes. NATURE DES SITES DE LA SURFACE DU VERRE Les verres industriels incluent dans leur composition d'autres oxydes, afin de faciliter leur élaboration, diminuer leur coût et satisfaire aux exigences des applications. Les plus importants sont les oxydes alcalins R2O (Na2O, K2O), alcalino-terreux RO (CaO, MgO, BaO), ainsi que B2O3, Al2O3, ZnO, ZrO2 et TiO2. Les cations de ces oxydes sont donc présents à la surface du verre, sous la forme de sites Si-O-R+ qui, comme nous le verrons, vont modifier la réactivité de la surface du verre par rapport à la silice pure. Les échantillons de verres présentant généralement des surfaces spécifiques faibles, même sous forme broyée, la caractérisation des sites de surface se heurte encore aujourd'hui à un problème de sensibilité des techniques d'analyse. Parmi celles-ci, la spectroscopie de photoélectrons (XPS : X Photoelectron Spectroscopy), même si elle n'informe pas sur la nature exacte des sites d'extrême surface, conduit à la connaissance de la composition élémentaire des premiers nanomètres du verre, et suggère ainsi la nature de certains sites, en particulier les sites Si-OR. Ainsi, la figure 2 montre le pic d'énergie des photoélectrons émis par l'oxygène O1s d'une surface de silice vitreuse pure (2a) et d'une face atmosphère d'un échantillon de verre flotté, constitué principalement de silice et d'oxydes de sodium, calcium et magnésium (2b). L'allure gaussienne du pic O1s de la silice indique l'existence d'une famille unique de liaisons, à savoir O-Si, mais ne permet pas de distinguer les sites siloxanes et silanols. En revanche, le pic O1s du verre flotté présente plusieurs autres composantes, en plus de la liaison O-Si, qu'il est possible par déconvolution d'attribuer aux liaisons O-Na, O-Ca et O-Mg, et de quantifier. 90 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 2 : Pic O1s de la silice vitreuse (2a) et du verre flotté face atmosphère (2b) [3] La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle 91 PRINCIPALES INTERACTIONS DE LA SURFACE DU VERRE AVEC SON ENVIRONNEMENT Le caractère polaire et la variété des sites de surface du verre rendent possibles des interactions multiples du verre avec son environnement. La surface du verre n'est donc absolument pas une surface inerte. On peut classer ces interactions en fonction de la nature des forces mises en jeu : - Interaction physique ou de Van der Waals (effets de Keesom, Debye et London) Les dipôles permanents de volume et de surface etc… sont susceptibles d’attirer des dipôles permanents de molécules polaires qui se trouvent proches de la surface (interaction de Keesom), mais également de créer des dipôles induits chez des molécules polarisables (interactions de Debye), qui vont en conséquence subir une attraction électrostatique vers la surface du verre. L’effet de dispersion de London (interactions entre dipôles instantanés) explique le phénomène de contamination du verre par physisorption de molécules gazeuses d'hydrocarbures atmosphériques. - Liaison hydrogène Les sites silanols et siloxanes de la surface du verre peuvent établir très aisément des liaisons hydrogène avec une grande variété de composés susceptibles d'engager ce type de liaison. C'est bien sûr le cas avec l'eau, mais aussi avec les alcools, les amines, les acides carboxyliques, les acides aminés, les mercaptans, etc. Avec l'eau et l'éthanol, on a donc : Comme nous l'avons déjà mentionné dans le cas de la silice, l'établissement de ces liaisons hydrogène avec les molécules d'eau environnantes conduit à la formation de la couche d'eau adsorbée toujours présente à la surface du verre si celui-ci se trouve dans l'atmosphère ambiante. Par ailleurs, le caractère polarisable des cations alcalins et alcalino-terreux a tendance à augmenter l'interaction du verre avec l'eau. Ces liaisons hydrogène sont également à l'origine de la difficulté à éliminer les dernières traces de solvant adsorbé lorsque le verre est nettoyé avec un alcool comme l'éthanol. - Attaque électrophile L'atome d'oxygène du site Si-O-R+ étant de charge nettement négative, une attaque électrophile par un cation R'+ peut se produire, conduisant à un échange ionique: ≡ Si-O- R+ + R'+ → ≡ Si-O- R'+ + R+ R'+ peut être un cation métallique ou un proton H+. En particulier, les cations de valence multiple sont connus pour s'adsorber fortement sur les sites de surface, en prenant la place par exemple des ions sodium, plus labiles. 92 Surfaces, tribologie et formage des matériaux - Attaque nucléophile L'atome de silicium étant de charge positive peut subir une attaque nucléophile par une espèce X- riche en doublet : ≡ Si-O-Si ≡ + X- → Si-X + -O-Si ≡ L'ion hydroxyle OH- peut notamment attaquer l'atome de silicium et ouvrir ainsi le réseau de silice. Une attaque nucléophile est également possible sur un cation R+ : ≡ Si-O-R+ + X- → ≡ Si-O- + RX Un exemple de ce type de réaction est donné par l'action de SnCl4 sur le verre chaud, pour revêtir les emballages en verre d'une fine couche d'oxyde d'étain qui assure une fonction de protection mécanique. Lors de ce traitement de surface, il se forme en effet des microcristaux de chlorure de sodium par réaction entre SnCl4 et les sites SiO-Na+ de la surface du verre. La figure 3 montre un cliché de microscopie électronique à balayage de la surface du verre recouvert de sa fine couche d'oxyde d'étain, et on peut facilement observer la présence de nombreuses empreintes de forme majoritairement cubique, que l'on attribue sans ambiguïté à des cristaux de NaCl ultérieurement dissous par l'humidité atmosphérique. Ces trous dans la couche peuvent constituer des défauts préjudiciables à la qualité du revêtement. Figure 3 : Cliché de microscopie électronique à balayage d'une couche d'oxyde d'étain déposée sur verre, comportant des empreintes de cristaux de chlorure de sodium (SaintGobain Recherche) Les groupements silanols sont également le siège d'attaque nucléophile conduisant à une substitution du groupement hydroxyle -OH par un nouveau groupement chimique. C'est notamment le cas lorsqu'un organosilane alcoxydé rencontre la surface du verre. On parle alors de greffage de la molécule d'organosilane [4]: ≡ Si-O-H + R'O-Si-R3 → ≡ Si-O-Si-R3 + R'OH R et OR' sont ici respectivement des groupements organique et alcoxyde. La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle 93 Remarque sur l'acido-basicité de la surface du verre : En solution aqueuse, les sites silanols Si-OH présentent une acidité de Brönsted relativement marquée. Le point de charge nulle de la silice se situe vers pH 2 [5, 6], si bien que, au-delà de simples liaisons hydrogène, de véritables réactions acide-base avec départ du proton des sites silanols peuvent se produire au contact de composés basiques, tels que les amines. La figure 4 représente la nature des groupements silanols en milieu aqueux, en fonction du pH du milieu, et les interactions possibles d'une fonction amine avec ces groupements. silanol ≡ Si-OH2+ ≡ Si-O- ≡ Si-O-H ----------------------------------------I-------------------------------I-------------------------------> 2 amine interaction 10 -NH3+ répulsive -NH3+ PH -NH2 attractive répulsive (réaction acide-base) Figure 4 : Interaction acido-basique des sites silanols et d'une fonction amine en fonction du pH du milieu Les sites Si-O-R+, plutôt basiques, ne contribuent pas beaucoup à augmenter le point de charge nulle du verre, car les cations R+ s'échangent rapidement avec les protons de l'eau (cf. plus loin). En revanche, dans l'air, ces sites peuvent être le siège de réactions acidebase, en particulier avec le dioxyde de carbone atmosphérique. Il s'ensuit la formation de carbonates, qui peuvent cristalliser à la surface du verre : ≡ Si-O Ca2+ + CO2 + H2O → 2 ≡ Si-O-H + CaCO3 ≡ Si-Overre atmosphère verre cristallisations La figure 5 montre un cliché de microscopie électronique à balayage de cristallisations de carbonate de calcium (de taille quelques microns) formées in situ à la surface d'une bouteille de verre. On constate que la surface peut être recouverte par un nombre très élevé de ces cristallisations. 94 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 5 : Cristallisations de carbonate de calcium à la surface d'une bouteille de verre (cliché Saint-Gobain Recherche) L'ATTAQUABILITÉ DU VERRE PAR L'EAU Nous avons vu précédemment que la surface du verre peut établir différents types d'interaction avec les molécules d'eau. Interdiffusion Na+/H3O+ Dans un verre contenant une teneur importante en cation alcalin, comme le sodium, cette interaction ne se limite pas à l'extrême surface du verre, mais concerne également le volume du verre sous la surface. En effet, un mécanisme de diffusion supplémentaire permet aux molécules d'eau de pénétrer dans le réseau du verre, par un processus rapide d'interdiffusion entre les ions sodium Na+ du verre et les protons hydratés H3O+ de l'eau [7]. La réaction est la suivante : ≡ Si-O-Na+ + H3 O+ → ≡ Si-O-H + H2O + Na+ (1) verre solution verre solution Le verre superficiel s'appauvrit donc en élément sodium sur une certaine profondeur, fonction de la racine carrée du temps, ce mécanisme étant régi par une loi de diffusion de Fick, et s'enrichit en eau et en groupement silanol. Ce mécanisme est également valable avec les autres cations alcalins, si bien que la surface du verre se transforme peu à peu en une surface de silice fortement hydratée et poreuse, que l'on qualifie souvent de gel microporeux de silice. La figure 6 montre le profil en profondeur à partir de la surface, déterminé par SIMS, des espèces représentatives de cette couche hydratée, SiOH, OH et H, pour un échantillon de verre flotté ayant été mis en contact avec de l'eau. Dans cet exemple, on constate que l'eau a pénétré jusqu'à environ 0,1 micron dans le verre. L'adsorption de l'eau à la surface du verre et l'échange sodium / proton se produit très rapidement dans l'air ambiant. En effet, il est possible de suivre par réflectivité des rayons La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle 95 X l'évolution de la surface d'un échantillon de verre plat qui vient d'être fraîchement nettoyé [8]. Figure 6: Profil SIMS des espèces protonées d'un verre flotté après contact avec l'eau (Saint-Gobain Recherche) La figure 7 montre les courbes de réflectivité X enregistrées juste après nettoyage, et 48 heures après, pour cet échantillon de verre (7a) et pour un échantillon de silice vitreuse (7b) ayant subi le même nettoyage. On observe que la surface de la silice n'évolue quasiment pas en 48h, tandis que la surface du verre subit une évolution mesurable par cette technique, et qui conduit à détecter la présence d'une couche superficielle de densité 2,28 g.cm-3 et d'épaisseur 2,8 nm (la densité du verre sain est de 2,45 g.cm-3 mesuré par cette même technique). La réaction de l'eau sur la surface du verre induit donc un abaissement de la densité à la surface du verre, et peut être suivie cinétiquement, même sur des durées courtes. La technique de réflectivité des rayons X permet, dans le cas d'un matériau très plan et lisse comme le verre plat, de mesurer très précisément l'évolution de la densité et l'épaisseur du verre affectée par ce mécanisme. 96 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 7 : Courbes de réflectivité des rayons X de la silice vitreuse (7a) et du verre flotté (7b), juste après nettoyage et après stockage 48h à l'air ambiant [8] Ce processus d'interdiffusion Na+ / H3O+ peut être suivi d'une seconde étape, bien plus nocive pour l'intégrité du matériau. En effet, l'avancement de la réaction (1), qui consomme des ions hydronium H3O+ de la solution, a pour conséquence l'augmentation du pH de cette solution, par formation concomitante d'ions hydroxyles OH-. Dans certains cas, assez fréquents dans la pratique, le pH augmente suffisamment pour déclencher l'attaque nucléophile des sites siloxanes Si-O-Si par les ions OH- [7]: ≡ Si-O-Si ≡ + OH- → ≡ Si-OH + -O-Si ≡ Cette attaque démarre vers pH 9, et conduit à la solubilisation de la surface, ce qui peut avoir des conséquences très importantes sur la pérennité du produit. C'est ce que les verriers appellent la corrosion des verres. Les paramètres du premier ordre gouvernant la corrosion des verres par l'eau sont le pH, la température, le temps, la composition du verre, la composition de la solution et le rapport surface / volume. Les verriers connaissent le phénomène de corrosion des verres depuis longtemps, et savent maintenant assez bien le contrôler. Le premier moyen de maîtriser ces réactions La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle 97 consiste à optimiser la formulation, en jouant avec les oxydes qui amplifient ces réactions (Na20, K2O, CaO...) ou avec ceux qui les limitent (Al2O3, ZrO2, TiO2...) ; le second moyen consiste à réaliser des traitements de surface protecteurs acides de façon à neutraliser la soude relâchée, ou bien des revêtements à effet barrière vis-à-vis de l'eau. Néanmoins, il arrive encore que des produits verriers soient endommagés par la corrosion, notamment dans des situations de condensation d'eau sur des produits présentant un rapport surface / volume élevé (laine de verre, verres plats empilés). Corrosion des verres Figure 8 : Fibre de verre biodégradable corrodée (Saint-Gobain Recherche) Les verriers se servent également de ces phénomènes pour exalter volontairement la solubilité de certains verres. C'est le cas par exemple des fibres de verre biodégradables qui subissent une attaque rapide en présence de solution aqueuse. La figure 8 montre un cliché de microscopie électronique à balayage d'une telle fibre, après un test de corrosion. On observe que la majeure partie de la fibre a été attaquée, la périphérie n'étant plus constituée que d'un gel très poreux à base de silice, tandis que le cœur est encore composé du verre sain. C'est en ajustant la formulation du verre de cette fibre qu'il est possible de concilier une vitesse d'attaque élevée par l'eau, et les propriétés de durabilité demandées par l'application. ENERGIE DE SURFACE ET MOUILLABILITÉ Le verre fait partie de la famille des matériaux de haute énergie de surface, comme beaucoup de minéraux, à l'inverse des composés organiques comme les polymères. Comme tous les solides de haute énergie de surface, le verre subit un phénomène d'adsorption à sa surface de molécules présentes dans le gaz environnant. Dans l'air ambiant, la vapeur d'eau et les espèces organiques présentes vont donc rapidement s'adsorber à la surface du verre, conduisant à une réduction significative de l'énergie de surface du verre natif. De ce fait, il est quasiment impossible de connaître l'énergie de surface d'un solide comme le verre, et les techniques disponibles ne permettent que de mesurer l'énergie de surface du solide en présence de la phase vapeur (ou liquide) qui l'entoure. 98 Surfaces, tribologie et formage des matériaux La mesure de l'énergie de surface par la méthode de mouillage par un liquide est la plus classique, et présente l'avantage de représenter certaines situations rencontrées dans la pratique. Quand une goutte de liquide est déposée sur une surface solide, deux situations peuvent se présenter : soit la goutte s'étale, c'est le cas du mouillage total (figure 9a), soit la goutte reste posée sans s'étaler, et forme une calotte sphérique (figure 9b), c'est le cas du mouillage partiel. Le bilan énergétique fixe la situation de mouillage total ou partiel. Ce bilan est défini par le paramètre d'étalement S : S avec : = γsv - (γsl + γlv) γsv : énergie de surface du solide s en présence de la vapeur v γsl : énergie de surface du solide s en présence du liquide l γlv : énergie de surface du liquide l en présence de la vapeur v Quand S est positif, la situation de mouillage total est favorisée. Quand S est négatif, le liquide refuse de mouiller totalement le solide, le bilan d'énergie s'écrivant alors par la relation de Young : γsv = γsl + γlv . cos θ θ désignant l'angle de contact à l'équilibre. Figure 9 : Mouillage total (9a) et partiel (9b) d'un solide par un liquide Dans le cas du verre, le tableau 1 donne des valeurs moyennes d'énergie de surface apparente (en présence de la vapeur environnante). Alors que l'énergie de la surface native du verre peut être assimilée en première approximation à la tension superficielle du verre liquide, soit plusieurs centaines de millijoules par mètre carré, la situation est très différente dans l'atmosphère ambiante, où l'on constate que l'énergie de surface γsv d'un verre fraîchement élaboré ou nettoyé, à température ambiante, est très proche de l'énergie de surface de la couche d'eau adsorbée (toujours présente) soit environ 70 mJ/m2. Au fur et à mesure de l'adsorption d'autres molécules, telles que les polluants atmosphériques, cette énergie de surface s'abaisse, pour atteindre celle du verre pollué, typique d'une surface de basse énergie. La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle 99 Le mouillage partiel de l'eau sur une surface de verre contaminée est notamment responsable de la formation de la buée, constituée de très fines gouttelettes d'eau faisant un angle de contact non nul avec la surface, et provoquant du fait de leur taille la diffusion de la lumière visible. Un verre très propre, hydrophile, sera donc anti-buée, mais ne le restera malheureusement que brièvement à cause de la contamination progressive de sa surface. TABLEAU 1 : ÉNERGIE DE SURFACE ET ANGLE DE CONTACT DE L'EAU SUR DIFFÉRENTES SURFACES DE VERRE (SAINT-GOBAIN RECHERCHE) Surface de verre native Surface de verre propre Surface de verre polluée énergie de surface γsv (mJ/m2) 400-1000 70 20 - 40 angle de contact de l'eau θ (°) ≈0 20 – 60 Dans la plupart des applications où l'on souhaite revêtir la surface du verre (dépôt de couches sous vide, argenture, collage...), il s'avère nécessaire de rendre mouillable la surface. Il faut donc agir sur le paramètre d'étalement S afin de le rendre à nouveau positif. Comme S = γsv - (γsl + γlv), deux voies sont possibles : soit augmenter γsv, ce qui peut être obtenu en régénérant la surface et en éliminant les contaminations présentes, par exemple par polissage ou bombardement ionique (effluve), soit diminuer γsl, en ayant recours à un agent tensioactif dont le rôle est précisément d'abaisser la tension interfaciale solide / liquide. Noter que le tensio-actif abaisse non seulement la tension interfaciale solide-liquide, mais aussi la tension interfaciale liquide-vapeur ; l’abaissement de la tension interfaciale liquide-vapeur contribue à rendre positif le coefficient d’étalement. Cependant, des molécules de tensioactif peuvent rester adsorbées à la surface du verre et poser ultérieurement des problèmes d'adhésion. Le tensioactif doit donc être judicieusement choisi afin d'éviter sa trop grande adsorption et permettre son élimination ultérieure, par exemple par rinçage de la surface. LA SURFACE RÉELLE COMPOSITION Compte tenu des possibilités d'évolution de la surface du verre expliquées dans les chapitres précédents, la surface réelle d'un échantillon de verre va présenter des caractéristiques diverses selon son histoire. Qualitativement, on peut cependant considérer que sa surface sera différente de son volume, et peut se décrire de la manière suivante : verre sain / verre hydraté et modifié / couche d'eau, cristallisations / couche de contamination Une représentation schématique de la surface réelle d'un verre silico-sodo-calcique est proposée sur la figure 10. 100 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 10 : Représentation schématique d'une surface de verre silico-sodo-calcique réelle Sur le plan quantitatif, une composition typique de surface de verre représentative de la réalité est détaillée dans le tableau 2, qui présente les résultats d'une analyse XPS de la surface d'un échantillon de verre flotté, représentatif de la production d'une usine de verre plat. On a porté sur le même tableau la composition de volume du verre, pour comparaison. On peut faire les deux constatations suivantes sur l'échantillon brut : - la teneur en carbone est très élevée, signe de la présence d'une forte contamination hydrocarbonée, et probablement d'espèces carbonatées ; - des éléments minéraux étrangers à la composition du verre (Zn, Cl, S) sont présents en surface; ceux-ci proviennent de l'atmosphère ou des traitements de surface appliqués sur le verre en usine. TABLEAU 2 : ANALYSE XPS D'UN ÉCHANTILLON DE VERRE FLOTTÉ BRUT D'USINE ; COMPARAISON AVEC LA COMPOSITION THÉORIQUE Échantillon C 0 Si Na Ca Mg Al Sn Zn S Cl Brut 37 40 11,8 5,2 1,6 0,7 0 0,2 1,2 1,1 0,4 Théorique 0 60 25 9,1 3,5 2,1 0,3 0 0 0 0 Sur le tableau 3, où sont reportées les teneurs des différents éléments analysés, rapportées au silicium, on constate à propos de l'élément sodium, d'une part une teneur supérieure en cet élément à la surface de l'échantillon brut par rapport à la composition théorique, ce qui semble indiquer que le sodium s'est accumulé à la surface, d'autre part une chute très forte de la teneur en cet élément après un simple lavage à l'eau désionisée, preuve que le sodium accumulé en surface n'était plus lié au réseau vitreux, mais probablement se trouvait plutôt sous forme de sel (carbonate, sulfate...). On constate également que l'efficacité du lavage varie selon l'élément considéré : le lavage fait fortement baisser le carbone superficiel, mais pas le zinc, qui est connu pour sa forte affinité pour les sites SiO-, ni le chlore. La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle 101 TABLEAU 3 : ANALYSE XPS D'UN ÉCHANTILLON DE VERRE FLOTTÉ BRUT D'USINE ; RAPPORT ENTRE LES ÉLÉMENTS ; INFLUENCES DU LAVAGE A L'EAU Échantillon C/Si 0/Si Na/Si CaSi Mg/Si Zn/Si S/Si Cl/Si Brut 3,14 3,39 0,44 0,14 0,06 0,10 0,09 0,03 Brut lavé 0,31 2,55 0,09 0,14 0,03 0,08 0,00 0,03 Théorique 0,00 2,40 0,36 0,14 0,09 0,00 0,00 0,00 Figure 11 : Profils en profondeur de la surface des verres flottés récent (11a) et âgé de 20 années (11b) (Saint-Gobain Recherche) La spectrométrie SIMS est une technique précieuse pour étudier l'ampleur des modifications de composition du verre dans la couche superficielle. La figure 11 montre 102 Surfaces, tribologie et formage des matériaux les profils de concentration des différents cations du verre dans le cas d'un verre flotté "jeune", sorti récemment de production (11a), et d'un verre flotté vieux de 20 années (11b), prélevé sur un vitrage installé à l'intérieur d'un bâtiment (donc à l'abri des intempéries). On observe une nette désalcalinisation de la surface du verre ancien, sur une profondeur de l'ordre de 50 nm, preuve de l'échange entre le sodium et l'eau (sous forme de vapeur d'eau atmosphérique ou d'eau liquide lors des nettoyages). Appliquée aux échantillons de verre plat jeune et vieux, la réflectivité des rayons X a permis de mesurer une densité de la couche superficielle hydratée du verre vieux de l'ordre de 1,8 g.cm-3, ce qui est nettement plus faible que la densité du verre sain, égale à 2,45 g.cm-3. Ainsi, grâce aux résultats de ces deux techniques de caractérisation, il apparaît raisonnable d'assimiler la couche superficielle d'un verre ancien ou attaqué à un gel micro poreux de silice. INFLUENCE DU VIEILLISSEMENT DU VERRE SUR SA TOPOGRAPHIE DE SURFACE Figure 12 : Images de microscopie à force atomique de la surface de verres flottés, récent (12a) et âgé de 20 années (12b) (Saint-Gobain Recherche) La topographie de la surface du verre dépend en premier lieu de son procédé d'élaboration et de formage. Le procédé de flottation actuel pour la fabrication du verre plat, ou le procédé d'étirage des fibres de verre, conduit à une surface extrêmement lisse, dont la rugosité à petite échelle est de l'ordre du dixième de nanomètre, soit l'équivalent La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle 103 d'une distance interatomique. La figure 12a montre l'image par microscopie à force atomique de l'échantillon précédent de verre flotté "jeune" : la rugosité moyenne est ici de 0,3 nm. En revanche, le contact avec un matériau de formage (moule...) est susceptible de conduire à une surface moins lisse. Le second facteur influençant la topographie de la surface du verre est son vieillissement, qui va entraîner une augmentation de sa rugosité moyenne, comme le montre la figure 12b, dans le cas du verre âgé de 20 années. Sa rugosité moyenne atteint 0,7 nm, celle-ci pouvant augmenter beaucoup plus si le verre est soumis à de plus fortes agressions. Dans la pratique, il est cependant très rare d'atteindre une rugosité telle qu'elle engendre une altération des propriétés optiques, par exemple de vitrages. RÔLE DE L'EAU SUR LES PROPRIÉTÉS MÉCANIQUES L'eau joue un rôle également très important sur les propriétés mécaniques du verre à partir de son interaction avec la surface. En effet, la rupture du verre est souvent initiée à partir de défauts présents à sa surface, sous forme de fissures dont la propagation soudaine engendre la fracture du matériau. T. Michalske et B. Bunker ont montré [9,10] le rôle de l'eau à l'échelle moléculaire sur la propagation de ces fissures superficielles. La figure 13 résume les principales étapes de ce processus. Tout d'abord, une molécule d'eau pénètre dans une fissure (13a), puis va s'adsorber en fond de fissure (13b), où les liaisons Si-O sont plus réactives que leurs voisines du fait de l'intensité élevée de la contrainte mécanique à cet endroit. De ce fait, cette molécule d'eau déclenche aisément une réaction d'ouverture de la liaison siloxane du fond de fissure, faisant ainsi apparaître deux groupements silanols. La conséquence de ce mécanisme est donc l'allongement de la fissure initiale d'une longueur de liaison chimique. Les auteurs soulignent que la réaction avec l'eau abaisse d'un facteur 20 l'énergie nécessaire à la rupture d'une liaison oxygène silicium en absence d'eau, l'eau jouant donc le rôle de catalyseur de la propagation de fissure. Figure 13 : Réactions de l'eau avec le réseau du verre en fond de fissure [10] Par ailleurs, T. Michalske et B. Bunker [10] montrent l'influence de l'encombrement de la molécule pénétrant dans la fissure sur la vitesse de propagation de celle-ci, dans le cas de molécules susceptibles de casser une liaison siloxane. Ainsi, la figure 14 montre que la fissure se propage d'autant plus rapidement que la molécule est plus petite : la molécule d'eau accède rapidement au fond de la fissure, la molécule de méthanol, plus grosse, 104 Surfaces, tribologie et formage des matériaux diffuse plus lentement, tandis que la molécule d'aniline, de trop grande taille, ne peut pas y accéder. Cet exemple illustre très bien la relation qui existe entre la chimie de la surface du verre à l'échelle atomique ou moléculaire, et les propriétés macroscopiques du verre, comme ses propriétés mécaniques. Figure 14 : Influence de l'encombrement de la molécule sur la vitesse de propagation des fissures superficielles [10] CONCLUSIONS La surface du verre, qui est restée longtemps une énigme, est maintenant mieux connue, grâce notamment aux progrès réalisés par les techniques de caractérisation des surfaces et par les importants travaux réalisés sur la silice. L'existence des sites silanols et leur réactivité, la présence d'une couche d'eau adsorbée, le rôle des cations alcalins ainsi que le mécanisme général de corrosion des verres sont maintenant des données établies solidement, que les industriels verriers ont intégrées dans leur activité, et qui constituent des données de base dans leurs actions d'amélioration de la qualité et de développement de nouveaux produits. Des questions sans réponses subsistent cependant sur le plan scientifique, parmi lesquelles l'énergie des sites de surface, la structure précise de la couche d'eau adsorbée, le rôle des cations sur la propagation des fissures etc., qui nécessitent sans aucun doute la poursuite de travaux de compréhension sur la surface des verres industriels. L'amélioration des techniques expérimentales d'investigation des surfaces, ainsi que la modélisation par dynamique moléculaire de la surface de la silice et des verres simples, sont certainement des voies à tracer pour l'avenir. La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle 105 REMERCIEMENTS Je remercie J. Appriou-Marciano et P. Lehuédé de Saint-Gobain Recherche pour les clichés de microscopie électronique, les images de microscopie à force atomique et les profils SIMS. RÉFÉRENCES [1 ] J.-M. Bather, R. A. C. Gray, J. Chromatogr., 122 (1976), 159. [2 ] M. L. Hair, J. Non-crystalline Solids, 19 (1975), 299. [3 ] I. Berthelot, Mémoire CNAM, (1993). [4 ] E.D. Plueddemann, in : Silane Coupling Agents, E.D. Plueddemann (ed.), Plenum Press, New York (1982). [5 ] G. A. Parks, Chem. Rev., 65 (1965), 177. [6 ] X. Y. Lin, F. Creuzet, H. Arribart, J. Phys. Chem., 97 (28) (1993). [7 ] L. L. Hench, J. Non-crystalline Solids, 19 (1975), 27. [8 ] J.-M. Grimal, P. Chartier, P. Lehuédé, J. Non-crystalline Solids, 196 (1996), 128. [9 ] T. A. Michalske, B. C. Bunker, J. Am. Ceram. Soc., 76 (10) (1993), 2613. [10] T. A. Michalske, B. C. Bunker, Pour la Science, février 1988, 52. LA MICRO-ANALYSE NUCLÉAIRE. APPLICATION À LA SCIENCE DES SURFACES ET INTERFACES GÉRARD BÉRANGER & DANIEL DAVID LG2MS - UPRES A 6066 du CNRS Université de Technologie de Compiégne B.P. 20529 – 60206 Compiégne Cédex 1. INTRODUCTION Les propriétés des surfaces et interfaces dépendent en partie de leur composition. Il suffit, pour s'en convaincre, de citer quelques exemples : la résistance à la corrosion, l'aspect, l'aptitude au collage, l'adhérence, la diffusion superficielle et interfaciale, la résistance à l'usure, le frottement… En dehors des caractéristiques analytiques, d'autres paramètres sont à prendre en compte tels que : la rugosité, la structure et la texture, les contraintes résiduelles. Pour toutes ces raisons, la caractérisation des surfaces et interfaces a connu un grand essor en ingénierie des matériaux, au cours des dernières décennies. De nouvelles méthodes, analytiques notamment, ont été conçues, mises au point, développées et appliquées. En plus des déterminations qualitatives et quantitatives, la résolution latérale et en profondeur, la sensibilité et la nature chimique et électronique sont aussi à prendre en compte. Certaines de ces méthodes sont sensibles à la masse de l'élément analysé, ou à la structure de son noyau atomique, et permettent le traçage isotopique. On voit quelles sont la souplesse et la richesse des méthodes de caractérisation. Leur complémentarité permet d’accéder à l’ensemble des paramètres qui définissent un échantillon. Dans leur principe, toutes les méthodes physiques d'analyse sont identiques. Un faisceau primaire rencontre une surface, et interagit avec la matière. Il y a émission d'un faisceau ou d'un rayonnement secondaire, porteur de l’information analytique (figure 1). Ces méthodes diffèrent par la nature des faisceaux primaire et secondaire, donc par celle de l'interaction. Selon la surface et le volume analysés, ainsi que la résolution, il est parfois possible d’établir la cartographie d’un élément, ou son profil de concentration en fonction de la profondeur. 2. PRINCIPES ET MÉTHODOLOGIE 2.1 MICROANALYSE NUCLÉAIRE Parmi les méthodes physiques de caractérisation, la microanalyse nucléaire (Nuclear Reaction Analysis : NRA) tient son originalité de la nature du faisceau primaire, d’où résulte celle du faisceau secondaire. En effet, on utilise un faisceau de particules chargées, le plus souvent des deuterons ou deutons (noyaux de deutérium), des protons 108 Surfaces, tribologie et formage des matériaux (noyaux d'hydrogène), des hélions 3. Ils sont accélérés sous des tensions de l’ordre du mégavolt. Généralement, on utilise un accélérateur électrostatique de type Van de Graaff, parfois monté en tandem pour augmenter la tension (figure 2). Figure 1 : Diverses configurations de l’analyse par faisceaux d’ions (documentation Laboratoire Pierre Süe, CNRS-CEA, Saclay, France) Figure 2 : Schéma de principe de l’accélérateur et de la chaîne de traitement du signal (d’après T.G. Finstad et Wei-Kan Chu, dans Analytical Techniques for Thin Films, K.N. Tu et R. Rosenberg Eds., Academic Press, New-York, 1988 La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces 109 La nature du faisceau incident et l'énergie mise en jeu conditionnent les caractéristiques de l'émission. En utilisant des particules chargées incidentes d’une énergie de l'ordre du MeV, il est possible d'induire des réactions avec les noyaux des éléments légers (tableau 1). L'énergie des particules détectées est spécifique du noyau bombardé, ce qui permet de déterminer la nature des éléments présents à la surface du matériau ou à son voisinage. TABLEAU 1 : NATURE DES PARTICULES INCIDENTES UTILISÉES EN MICROANALYSE NUCLÉAIRE (D’APRÈS B. AGIUS ET AL. IN « SURFACES, INTERFACES ET FILMS MINCES », OP. CITÉ) Elément Protons Particules incidentes deutérons 1 H(11B,a)αα H(15N,αγ)12C 1 H(19N,αγ)16O Hydrogène 1 3 He(d,p)4He Hélium Lithium 7 Li(p,α)4He Li(d,α)4He Be(d,α)7Li 11 B(p,α)αα 12 C(d,p)13C C(d,p)14C Carbone 13 Azote 15 Oxygène 18 Fluor 19 Sodium 23 Aluminium 27 Silicium 30 Phosphore 31 Soufre 6 9 Bérillium Bore ions lourds N(p,αγ)12C O(p,α)15N 14 N(d,α)12C N(d,p)15N 14 16 O(d,p)17O F(p,αγ)16O Na(p,α)20Ne Al(p,γ)28Si Si(p,γ)31Si P(p,α)28Si 32 S(d,p)33S 110 Surfaces, tribologie et formage des matériaux La profondeur accessible est de quelques micromètres. Les mesures sont quantitatives par comparaison à des étalons, avec une bonne précision et une haute sensibilité. Ainsi, dans le cas de l'oxygène, l’incertitude sur la mesure des concentrations est inférieure à 1 %, avec des durées d'analyse de quelques minutes. La sensibilité est de l’ordre de 10-12 mg/cm2 , soit 2.1014 atomes/cm2, ce qui, en théorie, correspond à une fraction de monocouche. La profilométrie de concentration est possible. En effet, dans de nombreux cas (traitements de surface, réactivité, diffusion...), il est nécessaire de déterminer la répartition des éléments en fonction de la profondeur. Les méthodes indirectes sont à cet égard peu satisfaisantes (microdureté, paramètres cristallins...). 2.1.1 Principe Une réaction nucléaire peut être décrite schématiquement de la façon suivante. Une particule incidente a interagit avec un noyau N1; il en résulte un noyau composé, qui est dans un état transitoire instable. En un temps très court, de l'ordre de 10-17 à 10-20 seconde, il émet une nouvelle particule b (ou un rayonnement γ) et devient un noyau résiduel N2. La particule b est porteuse des informations, le noyau résiduel N2 étant sans intérêt sur le plan analytique. Toutefois, celui-ci peut être dans un état excité, et revenir à un état stable en émettant de nouveau un rayonnement γ ou une particule β, également utilisables. Une telle réaction nucléaire peut donc s'écrire en termes de bilan : a + N1 ➔ N2 + b que l'on note N1 (a, b) N2, ou éventuellement N1 (a, b γ) N2. En terme de cinématique, le principe de conservation de l'énergie conduit à appeler énergie de réaction Q la différence entre l'énergie cinétique des produits de la réaction (particule émise et noyau résiduel) et l'énergie cinétique de la particule incidente. Cette énergie Q (en anglais "reaction Q-value") est négative pour les réactions endoénergétiques, positive pour les réactions exoénergétiques. Si Q = 0, il y a diffusion élastique des particules incidentes. Les valeurs de Q pour différentes réactions nucléaires, parmi les plus utilisées, sont rassemblées dans le tableau 2. A titre d’exemple, considérons le cas du dosage de l'oxygène à l'aide de la réaction p)17O*. Cette réaction, où le noyau résiduel 17O est dans le premier état excité (noté conventionnellement *), est préférable à celle où ce noyau est dans l'état fondamental, car son rendement est plus élevé. Ce rendement est exprimé par la section efficace différentielle σ de la réaction. Des considérations expérimentales interviennent également, comme l’absence de réactions parasites, voisines dans l’échelle des énergies. 16O(d, Considérons un deuton incident qui vient frapper la surface de l'échantillon. Au cours de sa pénétration dans le matériau, il subit une perte d'énergie jusqu'à la profondeur x où la réaction nucléaire 16O(d,p)17O* se produit; un proton est émis, que l'on va détecter et dont on va mesurer l'énergie à la sortie du matériau. La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces 111 TABLEAU 2 : VALEURS DES ENERGIES Q (MeV) DE RÉACTIONS NUCLÉAIRES INDUITES PAR DES PROTONS, DES DEUTONS ET DES 3HE+ SUR CERTAINS ISOTOPES (D’APRÈS B. AGIUS ET AL. IN « SURFACES, INTERFACES ET FILMS MINCES », OP. CITÉ) Réactions (p,α) 7 Li 17,347 11 B 8,582 19 F 8,119 15 N 4,964 6 Li 4,020 18 O 3,970 37 Cl 3,030 23 Na 2,379 9 Be 2,125 31 P 1,917 27 Al 1,594 17 O 1,197 10 B 1,147 16 O - 5,2 Réactions (d,α) ,10 B 17,819 6 Li 22,36 7 Li 14,163 14 N(α0) 13,579 19 F 10,038 17 O 9,812 14 N(α1) 9,146 31 P 8,170 11 B 8,022 15 N 7,683 9 Be 7,152 25 Mg 7,047 23 Na 6,909 27 Al 6,701 29 S 6,012 13 C 5,167 32 S 4,890 18 O 4,237 30 Si 3,121 16 O 3,116 26 Mg 2,909 24 Mg 1,964 28 Si 1,421 12 C <0 Réactions (d,p) B 9,237 25 Mg 8,873 14 N(p0) 8,615 29 Si 8,390 32 S 6,418 28 Si 6,253 13 C 5,947 31 P 5,712 17 O 5,842 27 Al 5,499 24 Mg 5,106 6 Li 5,027 23 Na 4,734 9 Be 4,585 19 F 4,379 30 Si 4,367 26 Mg 4,212 12 C 2,719 16 O 1,919 18 O 1,731 14 N(p5) 1,305 11 B 1,138 15 N 0,267 7 Li <0 10 Réactions (3He+, p) 9 Be 10,33 16 O 2,045 11 B 13,184 14 N 15,235 Réactions (3He+,α) 9 Be O 11 B 14 N 16 18,911 4,923 9,114 10,027 112 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Cette énergie Ep dépend (en supposant le milieu homogène) de différents paramètres : l'énergie du deuton incident ; la perte d'énergie du deuton pour atteindre la profondeur x ; la perte d'énergie subie par le proton depuis son lieu d'émission jusqu'à la surface, dans la direction de détection définie par l’angle θ ; son parcours est : x cosθ la perte d'énergie subie par le proton lors de la traversée du film mince (mylar), placé devant le détecteur, pour arrêter les deutons rétrodiffusés. Pour des deutons incidents d'énergie donnée, l'énergie d'un proton détecté est d'autant plus faible que la profondeur où il est émis est grande. Quant au nombre de protons ayant l'énergie Ep(x), il dépend de plusieurs facteurs : la concentration C(x) en oxygène à la profondeur x ; la section efficace différentielle de la réaction nucléaire, en fonction de l'énergie des particules incidentes ; les caractéristiques du système de détection (angle de détection par rapport au faisceau incident, angle solide et résolution du détecteur, fluctuation statistique de la perte d'énergie lors de la traversée du mylar) ; la fluctuation statistique de la perte d'énergie des particules lors de la traversée du matériau. Dans le cas d'un système de détection à résolution parfaite, et si on négligeait les phénomènes de fluctuations statistiques (« straggling »), il y aurait une relation biunivoque entre l'énergie du proton détecté et sa profondeur d'émission. La distribution en énergie des protons émis serait alors la transposition exacte de la distribution en profondeur des noyaux d’oxygène. Celle-ci pourrait être déterminée, connaissant la cinématique de la réaction, sa section efficace et les relations parcours-énergie des particules mises en jeu. En pratique, le spectre expérimental résulte de la convolution de ce spectre théorique par la fonction d'instrument. L'opération mathématique d'exploitation du spectre expérimental est cependant possible, si on connaît : les relations parcours-énergie ; très souvent, il suffit de se référer à des tables ; sinon on procède par interpolation logarithmique en fonction du numéro atomique ; la section efficace de la réaction, qui peut être déterminée à l'aide d'une cible mince bien définie, contenant l'élément à analyser. C’est le cas, par exemple, d’un film mince d'oxyde de tantale Ta2O5 (figure 3). La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces 113 Figure 3 : Section efficace différentielle de la réaction nucléaire 16O(d,p)17O* (d’après G. Amsel, G. Béranger, B. de Gélas et P. Lacombe, J. Appl. Phys., 39, 5 (1968)) 2.1.2 Analyse des résultats Dans ces conditions, on peut distinguer trois cas différents pour l’interprétation des résultats expérimentaux : - phénomènes de surface : films minces, contamination, adsorption. Dans ce cas, on suppose qu'il n'y a pas de perte d'énergie. Le spectre d'énergie est voisin de celui définissant la fonction d'instrument, et l'exploitation est simple en partant de son intégrale, c'est-à-dire du nombre des particules émises. Cette intégrale est comparée à celle fournie par un échantillon de référence, dans les mêmes conditions (figure 4-a). Figure 4 : Évolution de la forme d’un pic en fonction de la profondeur analysée (d’après D. David, R. Caplain et G. Demortier, dans Méthodes usuelles de caractérisation des surfaces, op. cit.) 114 Surfaces, tribologie et formage des matériaux - diffusion peu profonde : elle s'étend sur une profondeur inférieure à 2 ou 3 micromètres. Un seul spectre suffit pour déterminer les caractéristiques de diffusion, en se référant à un réseau de spectres théoriques calculés, moyennant certaines hypothèses sur le phénomène de diffusion (figure 4-b). - diffusion profonde : dans ce cas, on effectue des dosages à différentes profondeurs, atteintes par abrasion ou attaques chimiques successives. On admet que le gradient est suffisamment faible, sur la profondeur analysée, pour que la concentration puisse y être considérée comme constante pour chacune de ces analyses partielles (figure 4-c). 2.1.3 Les réactions (p,γ) Ces réactions relèvent, comme les précédentes, de la physique nucléaire de faible énergie. Leur dénomination englobe des variantes, telles que (p,p’γ) et (p,αγ); elle est parfois désignée par les sigles PIGE ou PIGME. L’utilisation de ces réactions à des fins d’analyse est fortement tributaire de l’épaisseur des échantillons. Pour des couches minces, tous les noyaux atomiques susceptibles de réagir contribuent à la formation du spectre, et celui-ci est comparable à un spectre NRA. En revanche, pour des échantillons épais, les formes diffèrent sensiblement. En effet, les pics γ ne s’élargissent pas quand la profondeur de réaction augmente. Pour cette raison, la profilométrie de concentration n’est pas réalisable au moyen d’un seul spectre. Il est nécessaire d’en obtenir une série, pour différentes énergies de bombardement. Cette technique, dite du balayage en énergie, consiste à utiliser les résonances fines des réactions, quand elles existent. En fixant l’énergie des particules incidentes à une valeur variable, mais supérieure à celle de la résonance, il est possible de déplacer en profondeur la tranche de matériau concernée par celle-ci. Le signal correspondant se trouve exalté par la forte augmentation locale du rendement de la réaction, d’où un effet de loupe sélective. La résolution en profondeur des profils ainsi déterminés est classiquement améliorée d’un facteur 10. L’interprétation quantitative des spectres (p,γ) peut être délicate. En revanche, la faible absorption du rayonnement gamma par la matière confère à cette technique une possibilité d’excursion en énergie plus élevée qu’en NRA. Il est possible d’utiliser des protons d’une énergie de 4 à 5 MeV. Dans ces conditions, des profondeurs de l’ordre de 10 µm sont accessibles. 2.2 LA RÉTRODIFFUSION ÉLASTIQUE (RBS) 2.2.1 Principe Cette configuration particulière de la microanalyse nucléaire, qui était relativement secondaire à l’origine, a pris maintenant une grande extension. Elle s’applique essentiellement à la caractérisation des atomes lourds, et tout particulièrement à celle des métaux. Ses avantages spécifiques sont un rendement d’émission plus élevé que celui des réactions nucléaires, et une calibration plus aisée pour les mesures en absolu. Le principe, ainsi que le nom l’indique (Rutherford Back Scattering :RBS) est celui d’une collision élastique entre une particule incidente, porteuse d’une charge électrique, et un atome de l’échantillon. Dans ces conditions, le transfert d’énergie peut être calculé La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces 115 au moyen des lois de cinématique traduisant le processus physique mis en jeu. Le spectre énergétique des particules émises est fonction, entre autres paramètres, de la masse des atomes de la cible. Leur probabilité de collision avec les particules incidentes est une section efficace, qui peut être calculée dans la plupart des cas au moyen de la loi de Rutherford. La perte d’énergie des particules lors de la traversée du matériau permet, comme en NRA, d’accéder à la concentration des atomes-cibles en fonction de la profondeur. Les configurations NRA et RBS peuvent donc être considérées comme deux aspects d’un même processus expérimental, et les résultats qu’elles permettent d’obtenir sont complémentaires. 2.2.2 Relations fondamentales Considérons une particule incidente dont la masse, le numéro atomique et l’énergie soient respectivement M1, Z1 et E0. L’atome avec lequel elle est susceptible d’entrer en collision est défini par les paramètres M2 et Z2. L’angle de rétrodiffusion est θ, mesuré dans le repère du laboratoire (par opposition au repère du centre de masse). L’énergie de la particule rétrodiffusée étant E1, on peut définir un coefficient cinématique K par le rapport : K(M1,M2,θ) = E1/E0 L’expression détaillée de ce coefficient est la suivante : 1 1 é 2 ù2 2 2 2 + M cosθ M − M sin θ 1 1 ú K =ê 2 ê ú M1 + M 2 ë û ( ) Pour des valeurs déterminées de θ, M1 et E0, l’énergie de la particule rétrodiffusée ne dépend que de la masse de l’atome cible. Dans ces conditions, quand des atomes de masses (M2)i sont présents simultanément dans l’échantillon-cible, il est possible de les discerner en fonction de l’énergie des particules rétrodiffusées. Il existe donc une possibilité d’analyse qualitative. Si cet échantillon est une couche mince, le spectre en énergie des particules rétrodiffusées est un ensemble de raies, dont les énergies respectives sont Ei = KiE0. L’analyse quantitative est également possible, car la section efficace de rétrodiffusion peut être calculée sans difficulté. En pratique, elle est tabulée, et peut s’écrire sous la forme approchée : é ù dσ ê Z1Z 2e 2 ú =ê ú dΩ ê 4 E sin 2 θ ú 0 ë 2û 2 Le taux de comptage des particules rétrodiffusées est alors : A= dσ ΩQN ∆x dΩ 116 Surfaces, tribologie et formage des matériaux où Ω est l’angle solide de détection, Q la charge électrique de l’ensemble des particules incidentes, N la concentration des atomes dans la cible, et ∆x l’épaisseur de celle-ci. Une conséquence de ces expressions est la possibilité d’effectuer des mesures absolues sans utiliser d’étalons, alors que ceux-ci permettent d’améliorer sensiblement la précision dans le cas des analyses nucléaires. 2.2.3 Champ d’application La configuration RBS permet, dans d’excellentes conditions, de caractériser des films minces métalliques d’une épaisseur inférieure à une centaine de nanomètres. Si ces films sont déposés sur un support léger, tel que le silicium, la précision s’en trouve accrue, du fait de l’absence de bruit de fond. Les spectres comptage/énergie des particules émises présentent alors des pics bien définis, dont la position sur l’échelle des énergies est fonction de la masse atomique des atomes de l’échantillon. L’intégrale des pics est proportionnelle à la concentration des atomes, en application des relations ci-dessus (figure 5). Figure 5 : Spectre RBS obtenu sur un échantillon de GaAs, avec un faisceau incident d’ions 4He de 8 MeV. Les lignes verticales, dans l’ordre des énergies décroissantes (de la droite vers la gauche) correspondent aux isotopes 75As, 71Ga et 69Ga (d’après T.G. Finstad, dans Analytical Techniques for Thin Films, K.N. Tu et R. Rosenberg Eds., Academic Press, New-York, 1988, citant Thomas et al., 1983) Des logiciels de simulation du processus physique permettent de déterminer des profils de concentration en profondeur, sur quelques micromètres, à partir des spectres comptage/énergie des particules rétrodiffusées. La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces 117 2.3 TECHNIQUE DES NOYAUX DE RECUL (ERDA) Cette configuration peut être considérée comme un cas particulier de la rétrodiffusion élastique. Le sigle ERDA signifie Elastic Recoil Detection Analysis. Le faisceau des particules incidentes rencontre la cible sous une incidence rasante, de l’ordre de 75° par rapport à la normale. Les atomes légers sont alors susceptibles d’être éjectés, et sont détectés en avant de l’échantillon. On peut ainsi accéder à la détection d’éléments de faible masse atomique, les plus classiques étant les isotopes de l’hydrogène. De ce point de vue, la configuration ERDA peut également être considérée comme une solution alternative à la NRA (figure 6). Figure 6 : Configuration géométrique ERDA pour l’analyse d’un échantillon comportant un film superficiel. Le dessin met en évidence les pertes d’énergie successives des particules (d’après B.L. Doyle et D.K. Brice, Nucl. Instr. Meth., B35 (1988) 301) La détection d’éléments de masse atomique supérieure à l’unité est facilitée si les particules incidentes sont des ions lourds d’une énergie E0 élevée, par exemple des Ar4+ de 16 MeV ou des Si6+ de 28 MeV. Les atomes du matériau reçoivent alors une énergie E2 : E2 = E0[4M1M2 / (M1 + M2)2] cos2ϕ 118 Surfaces, tribologie et formage des matériaux où ϕ est l’angle de recul, compris entre -90° et +90°. Cette configuration a été améliorée par l’adjonction de divers perfectionnements, tels que la mise en œuvre simultanée de la RBS en utilisant des faisceaux d’hélium, ou encore des mesures de temps de vol (TOF) dans le but d’accroître la résolution en profondeur. Elle reste cependant d’un usage relativement limité. 2.4 LE RAYONNEMENT X INDUIT PAR LES PROTONS (PIXE) Cette technique, plus récente que les configurations NRA et RBS, a de nombreux champs d’application. Elle a été développée, notamment, dans le domaine des sciences de la vie, ainsi que pour l’étude des objets archéologiques et des œuvres d’art. Le plus souvent, des faisceaux de protons d’une énergie inférieure à 4 MeV conviennent, et le sigle PIXE est bien justifié : Proton Induced X-ray Emission. Des faisceaux d’ions plus lourds sont parfois utilisés, et le signe devient alors HIXE (Heavy Ion induced X-ray Emission). La technique PIXE procure une bonne sensibilité, avec un seuil de détection de l’ordre de 10-8 en masse. Le bruit de fond des protons rétrodiffusés est pratiquement négligeable. C’est l’un des avantages de cette technique, comparée à la microsonde électronique. En outre, il est possible de laisser les échantillons hors de l’enceinte sous vide, le faisceau de protons passant à l’atmosphère à travers une fenêtre mince (figure 7). Figure 7 : Configuration schématique de l’analyse PIXE (d’après PIXE - A Novel Technique for Elemental Analysis, op. cit.) 2.4.1 Principe Le processus réactionnel intervient au niveau atomique. Les atomes de la cible sont ionisés jusqu’au niveau K par les ions incidents, et leur relaxation engendre une émission X dont le spectre énergétique dépend de la nature de ces atomes. La section efficace σx d’émission X est proportionnelle à la section efficace d’ionisation σ et à la probabilité de La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces 119 la transition électronique mise en jeu. Cette section diminue rapidement quand le numéro atomique de l’atome-cible augmente, mais elle reste élevée. En outre, le bruit de fond peut être minimisé par les techniques de filtrage habituelles. Dans ces conditions, la sensibilité du PIXE est bonne, et se situe classiquement dans la gamme des 10-6. 2.4.2 Champ d’application La technique PIXE a été développée sur certains accélérateurs, utilisés pour des analyses bien spécifiques. En France, citons celui du Laboratoire de Recherche et Restauration des Musées de France (LR2MF), pour l’étude des œuvres d’art. En effet, il est possible d’extraire le faisceau incident de l’enceinte sous vide, au moyen d’une fenêtre étanche appropriée, de sorte que l’échantillon à étudier demeure à l’atmosphère. Il ne risque donc aucune altération, et ses dimensions ne sont pas limitées. On peut ainsi caractériser, par exemple, les pigments des peintures. Le PIXE convient bien à l’étude des matériaux organiques. Les éléments majeurs (K, Cl, P, Ca) sont analysés avec des énergies de protons inférieures à 1 MeV, ce qui concilie une section efficace acceptable et une limitation de la profondeur de pénétration, ainsi que de l’absorption des rayons X de basse énergie. Pour les éléments mineurs et les traces, il faut utiliser des énergies incidentes plus élevées. Pour rechercher des éléments à faible teneur dans des matrices de masse atomique moyenne, par exemple du palladium dans du cuivre, il est nécessaire de réaliser un filtrage en énergie, au moyen d’absorbants judicieusement choisis. Le but est d’isoler les raies d’intérêt analytique, en supprimant au niveau du spectre toutes celles qui les masqueraient. Il est également possible, moyennant des montages adaptés et un choix judicieux des conditions expérimentales, d’étudier des échantillons ne contenant que des éléments de masses atomiques moyennes ou élevées. On a pu ainsi obtenir des informations remarquables sur des pièces d’orfèvrerie antiques. 3. EXEMPLES D'APPLICATIONS 3.1 ANALYSE NUCLÉAIRE (NRA) De nombreuses applications de l'analyse par faisceaux d'ions ont été rapportées dans le passé. Nous nous limiterons ici à quelques exemples, afin d’illustrer les larges possibilités offertes par ces techniques, tout particulièrement dans le cas de la science des surfaces et des interfaces. 3.1.1 Caractérisation analytique et état de surface Les surfaces doivent être préparées, qu'elles soient idéales, conditionnées ou industrielles. Toute surface ainsi préparée doit être caractérisée de différents points de vue : analytique, structural et textural, microgéométrique, mécanique (déformations et contraintes). C'est au premier cas que nous nous intéresserons ici. Un matériau métallique, soumis à un polissage mécanique à l'aide d'un papier abrasif (carbure de silicium par exemple), subit une contamination de surface. En effet, de petits fragments résultant du cisaillement du produit abrasif s'incorporent dans la surface. On peut ainsi mettre en évidence la présence de carbone et de silicium, sous la forme des isotopes naturels 29Si et 30Si. Même si, à chaque atome de carbone incorporé, est associé un atome de silicium, les variations des hauteurs de pics correspondant aux réactions 12C(d,p)13C , 29Si(d,α)27Al* et 30Si(d,α)28Al traduisent des différences dans les 120 Surfaces, tribologie et formage des matériaux sections efficaces. En outre, la surface ainsi abrasée est très réactive. Son énergie moyenne est élevée ; de plus, sa microgéométrie est telle qu’il existe des sites actifs favorables à la germination. Il se produit une oxydation superficielle. Ce phénomène, thermiquement activé, est favorisé durant l’abrasion par l'élévation locale de température due au contact entre la surface et la particule abrasive. La présence d'oxygène est bien mise en évidence par les pics des réactions 16O(d,p)17O* et 16O(d,p)17O. Plus le grain du papier abrasif est fin, plus la contamination en oxygène, carbone et silicium, est faible. Ces deux derniers éléments peuvent d'ailleurs être éliminés par un traitement chimique dans un bain de décapage. Ce point est important quand on s'intéresse à la réactivité d'une surface, car la phase de germination peut être aussi profondément affectée par la présence de ces débris de carbure de silicium. Pour cette raison, une surface doit être préparée avec soin pour certaines applications, et dans un souci d'optimisation. Dans de nombreux cas, les bains de décapage contiennent de l'acide fluorhydrique (les fluorures formés sont en général assez solubles) ; on retrouve alors du fluor en surface, signalé par le pic de la réaction 19F(p,αγ)16O. Le fluor agit négativement sur l'adhérence d'une couche de conversion, par anodisation par exemple, car cet élément a tendance à se rassembler ou à ségréger à l'interface couche-substrat. Il convient donc au préalable de l'éliminer par un traitement à l'eau chaude (ce qui favorise la solubilité des fluorures). Examinons le spectre de distribution en énergie des protons émis dans la réaction induite à la surface du zirconium, du titane, ou encore du niobium, après un polissage chimique dans un bain fluonitrique ; on peut distinguer deux parties : 16O(d,p)17O* un pic étroit, aux énergies élevées de protons ; ce pic est identique à celui obtenu sur une couche mince d'oxyde prise comme référence (Ta2O5 par exemple) ; un épaulement vers la partie des plus faibles énergies, correspondant à un nombre de protons plus faible. Le pic étroit traduit la présence d'un mince film d'oxyde (ou d'hydroxyde) superficiel, formé lors du polissage et du contact à l’air. Selon le métal, la composition du bain de polissage, les conditions de mise en œuvre, ce film est plus ou moins épais. Il est possible de déterminer son épaisseur et d'optimiser dans chaque cas le traitement. En fait, l'information quantitative obtenue est la masse d’oxygène par unité de surface. Pour la traduire en épaisseur, il est nécessaire de connaître la structure du film superficiel. On voit l'intérêt, parfois la nécessité, d'utiliser des méthodes complémentaires. La seconde partie du spectre traduit la présence d'oxygène dissous dans le métal sous forme de solution solide d'insertion. La présence de cet élément est liée à la technique d'élaboration industrielle du métal (procédé Kroll pour le zirconium et le titane). On peut procéder à une décomposition du spectre global, traduisant cette dualité. Si on effectue, après polissage, un traitement thermique sous vide, l’analyse du spectre est plus complexe. On observe en effet une troisième composante, due à la dissolution et à la diffusion du film d'oxyde, qui se reconstitue spontanément par contact à l'air libre. 3.1.2 Réactivité des surfaces Une surface métallique, placée dans une atmosphère agressive, donne naissance à une couche de produits de corrosion plus ou moins protectrice. Les caractéristiques de cette couche dépendent des conditions d'environnement (nature de l'atmosphère, température, La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces 121 durée...). Les méthodes analytiques sont nécessaires pour identifier les éléments fixés en surface, par exemple en corrosion atmosphérique. Compte tenu de sa spécificité, de sa sensibilité, de sa souplesse et de son caractère non-destructif, la microanalyse nucléaire se révèle intéressante, notamment en ce qui concerne le soufre. Dans un domaine très différent, celui de la production ou de la transformation d'énergie, ou bien du traitement des déchets (incinération), les matériaux sont souvent soumis à des températures élevées et à des atmosphères oxydantes, voire très agressives. Les phénomènes impliqués étant activés thermiquement (création de défauts ponctuels, diffusion ionique...), l’épaisseur de la couche corrodée croît avec la température. On cherche à réduire cette réactivité par le choix d'un matériau résistant, voire par l'emploi d'éléments actifs comme l'yttrium. L'action de celui-ci est bénéfique vis-à-vis de plusieurs phénomènes élémentaires : amélioration de l'adhérence de la couche, annihilation partielle ou totale du rôle du soufre. A titre d'illustration, citons l’analyse comparative d’échantillons de nickel ayant subi des traitements d'implantation de soufre et d'yttrium, avec des séquences différentes, puis une oxydation dans des conditions identiques. Le simple examen du spectre de la réaction 16O(d, p)17O* montre l'effet de l'yttrium (figure 8). d Figure 8 : Analyse de l'oxygène 16O(d,p)17O* ( E o = 850 keV) : influence de l'implantation d'yttrium et/ou de soufre sur l'oxydation du nickel (850°C ; 2,5 min ; air) (doses d'implantation Y : 1016 at/cm2 ; S : 1015 at/cm2) 3.1.3 Autres applications Les propriétés de certains matériaux de haute pureté, dans le domaine de l'électronique par exemple, sont conditionnées par les éléments résiduels. Il est donc important de les analyser par des méthodes très sensibles, comme l'analyse par activation. La recherche d’une grande précision conduit à effectuer une correction de conditions aux limites, en tenant compte de la concentration superficielle pour chacun des éléments dosés. La microanalyse nucléaire est très bien adaptée à ces mesures de surface. 122 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Des travaux de certification de matériaux de référence ont été effectués dans le passé dans un cadre européen, à partir d'analyses comparatives effectuées dans différents laboratoires (Bureau Communautaire des Références). Il est souvent utile, en pratique, de mettre en oeuvre plusieurs techniques d’analyse, afin de procéder à une approche comparative. Celle-ci peut être profitable, comme en témoignent deux études réalisées sur le molybdène et sur le titane. On a utilisé la spectrophotométrie, la microanalyse nucléaire et la microgravimétrie. TABLEAU 3 : EVOLUTION AVEC LA DURÉE D’OXYDATION, SELON DIVERSES TECHNIQUES D’ANALYSE, DE L’ÉPAISSEUR DU FILM D’OXYDE FORMÉ SUR DEUX MÉTAUX Oxydation du molybdène à 368 °C Durée d’oxydation Microgravimétrie Ép. (nm) Analyse nucléaire Écarts Spectrophotométrie Ép. (nm) 1015 Atomes/cm2 Ép. (nm) (%) 1 42 220-225 37-38 - 10 33 3 55 295-340 50-58 +5 47-50 6 66-69 430-445 73-76 + 10 74-78 9 87 505 85 -2 - 15 127 630-720 107-122 -4 101-119 Oxydation du titane à 402 °C Durée d’oxydation Microgravimétrie Ép. (nm) Analyse nucléaire Ecarts (1015 at/cm2) Ép.(nm) Spectrophotométrie (%) Ép.(nm) 30 min 51 310-330 52-56 + 10 52-57 1h 79-85 380-495 64-84 -1/- 3 80-82 1 h 45 min 83-114 490-670 83-114 3 125-137 700-865 119-147 - 6/+7 155-165 5 187-204 1045-1120 177-190 -6 - 0 112-117 La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces 123 Le but était d’étudier la cinétique de croissance des films d'oxydes formés dans l'air, respectivement à 368°C sur le molybdène et à 402°C sur le titane, pour des durées maximales de quelques heures. Les déterminations de structure des oxydes, indispensables pour convertir en épaisseur les quantités d'oxygène mesurées par analyse nucléaire, ont été réalisées par diffraction électronique en réflexion. Les oxydes formés sont respectivement MoO3 et TiO2. Le tableau 3 présente les résultats. On constate des écarts qui illustrent la dispersion expérimentale, donc le manque de reproductibilité des méthodes. De plus, si on caractérise par NRA et par ellipsométrie les films formés sur le titane, après une oxydation isochrone (3 h) à température croissante de 300 à 360°C, on observe un écart systématique de même signe, et de valeur assez constante (tableau 4). TABLEAU 4 : EVOLUTION AVEC LA TEMPÉRATURE SELON DIVERSES TECHNIQUES DE MESURE DE L’ÉPAISSEUR DU FILM D’OXYDE FORMÉ DURANT 3 H SUR DU TITANE Température d’oxydation (°C) Ellipsométrie (nm) Analyse nucléaire (1015 at/cm2) (nm) Écarts (nm) 300 320 325 360 9 15 32 105-110 16-18 7-9 145 275 23 43 11 Cette différence tient au fait que l'analyse nucléaire appréhende la totalité de l’épaisseur du film, tandis que l'ellipsométrie n’est sensible qu’à sa variation rapportée à un état de référence (métal revêtu d'un film d'oxyde naturel). Le résultat est identique dans le cas du molybdène. On voit l'intérêt des comparaisons, chaque méthode ayant ses avantages, ses inconvénients, ses limites, qu'il convient de bien connaître. 3.2 RAYONNEMENT X (PIXE) Nous avons mentionné plus haut les études effectuées sur des pièces d’orfèvrerie antiques. A partir d’un échantillon de référence, contenant tous les éléments recherchés à des teneurs relatives connues, on détermine les teneurs réelles par des itérations successives, intégrant les sections efficaces et les coefficients d’absorption dans l’échantillon inconnu. On a pu ainsi caractériser, après 5 itérations et avec une incertitude de l’ordre de 10 %, des objets contenant du cuivre, de l’argent, de l’or et du cadmium. L’or étant l’élément prédominant, on réduit le taux de comptage dans les raies L de cet élément par l’interposition d’un filtre de zinc. Les signaux du cuivre, de l’argent et du cadmium sont alors renforcés, ce qui augmente la sensibilité du dosage de ces éléments. Un faisceau de protons de 3 MeV est extrait de l’enceinte sous vide à travers une fenêtre de 12 µm d’aluminium, ce qui permet de laisser l’objet étudié à l’atmosphère. La figure 9 illustre le résultat d’une soustraction du bruit de fond, lors de l’analyse d’une soudure de bijou, sur une aire de surface de 0,5 mm2. 124 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 9 : Spectre PIXE obtenu sur un échantillon archéologique, comportant les éléments Au, Cu, Ag et Cd. Le signal de l’or est réduit par l’interposition d’un filtre en zinc, ce qui augmente la sensibilité de détection pour les autres éléments (d’après D. David, R. Caplain et G. Demortier, dans Méthodes usuelles de caractérisation des surfaces, op. cit.) 3.3 RÉTRODIFFUSION ÉLASTIQUE (RBS) 3.3.1 Profilométrie de concentration La mesure des concentrations en fonction de la profondeur est l’une des principales applications de la microanalyse nucléaire. En effet, un spectre d’émission, aussi bien en NRA qu’en RBS, n’est autre que la transposition d’un profil de concentration. Celle-ci résulte de processus physiques connus et quantifiables. Il s’ensuit que la restitution d’un profil à partir d’un spectre est théoriquement réalisable. Cette transformation doit tenir compte, en l’inversant, du produit de convolution du profil par la fonction d’instrument. En pratique, les logiciels de simulation procèdent par itérations successives, afin d’ajuster un spectre calculé au spectre expérimental. Le point de départ de ce spectre calculé est le profil de concentration, supposé connu à partir d’hypothèses raisonnables. Nous présentons ci-dessous un exemple de profilométrie pour des interfaces enterrées. En effet, la RBS est bien adaptée à la profilométrie de concentration, au niveau des interfaces enfouies. La profondeur de pénétration des particules incidentes permet de traverser la couche superficielle du matériau étudié, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer une abrasion. Celle-ci est toujours plus ou moins perturbatrice, et elle augmente l’incertitude expérimentale sur la mesure des profondeurs. Nous présentons ici, à titre d’exemple, le résumé d’un travail effectué dans le cadre du Groupement de Recherche 1108 du CNRS « Caractérisation des interfaces dans les multimatériaux ». Un ensemble cohérent de résultats a été obtenu lors de l’étude d’échantillons modèles, constitués d’une couche de quelques dizaines de nanomètres d’un alliage (A,B), incluse entre deux couches de A pur. La caractérisation porte ainsi sur les interfaces A/(A,B) ou (A,B)/A, La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces 125 en excluant les effets perturbateurs de la surface. Le support était du silicium parfaitement plan, pour réduire les effets de la rugosité initiale. Le couple Fe-Co est l’un de ceux pour lesquels la dégradation de la résolution en profondeur est minimisée : rendements de pulvérisation voisins dans le cas des analyses SIMS, menées conjointement, faibles vitesses de diffusion. Il n’en est pas de même pour des systèmes tels que Cu-Co, qui ont été également étudiés. La figure 10 montre l’ajustement, obtenu au moyen du logiciel RUMP, d’un spectre théorique simulé et d’un spectre expérimental, ainsi que les valeurs d’épaisseur qui en résultent. L’interprétation rigoureuse de ces données est complexe. Une approche simplifiée conduit à des conclusions significatives. Elles sont basées sur l’hypothèse que les résultats des mesures suivent la loi de probabilité normale, l’intervalle de confiance retenu étant de 95%. D’après l’exploitation statistique, la dispersion des mesures autour de la moyenne est inférieure à l’écart entre celle-ci et la valeur nominale des épaisseurs de couches. La profilométrie RBS permet donc de corriger utilement cette valeur nominale, ce qui permet de certifier les échantillons comme étalons. Figure 10 : Spectre RBS calculé au moyen du logiciel RUMP (trait continu), ajusté au spectre expérimental (pointillé). Les contributions des éléments Fe et Co figurent également en trait continu. Echantillon multicouches sur support de silicium, comportant successivement, d’après cet ajustement : Si / 96,8 nm Fe / 45,1 nm Fe0,26 Co0,74 / 34,8 nm Fe / 4,5 nm d’oxyde (d’après A. Benyagoub, dans le cadre du Groupement de Recherche 1108 du CNRS « Caractérisation des interfaces dans les multimatériaux » (1996)) 126 Surfaces, tribologie et formage des matériaux 3.3.2 Paléométallurgie et analogues naturels La paléométallurgie offre un large champ d’application à la microanalyse nucléaire, à la frontière de la science des matériaux et de l’archéologie. Citons l’étude des analogues naturels, dans le cadre du programme de stockage des déchets radioactifs piloté par l’ANDRA. Les processus de corrosion des objets métalliques antiques, retrouvés dans le sol, donnent en effet des informations irremplaçables sur l’influence du temps, à l’échelle du millénaire. L’idée directrice est de prélever d’un seul tenant des objets archéologiques en fer, avec leur gangue minérale et le sol avoisinant. Il peut s’agir aussi bien de maçonnerie, mais cette configuration est plus rare. Il est alors possible de faire porter l’effort de caractérisation sur l’interphase matériau-milieu, qui est la zone la plus significative du point de vue de la corrosion. Ce mode opératoire, sans être nouveau, est inhabituel en archéologie (figure 11). Diverses méthodes de caractérisation sont utilisées, leur conjonction améliorant les résultats d’ensemble bien au delà d’une simple addition d’informations. Figure 11 : Cartographie de l’élément Fe, obtenu par RBS sur un échantillon archéologique de fer inclus dans une maçonnerie gallo-romaine. La coupe de l’échantillon montre le fer métallique subsistant, l’interphase de produits de corrosion et le matériau (mortier hydraulique). L’élément Fe est inégalement réparti, mais on l’observe même au-delà de la partie visible de l’interphase (d’après D. David et L. Uran, fouilles de L. Cholet à Eu, étude ANDRA en cours de publication, 1998) 4. TECHNIQUES PARTICULIÈRES 4.1 LA MICROSONDE NUCLÉAIRE Dans tout système d'analyse, on doit prendre en compte la résolution, qu'elle soit en profondeur ou latérale. Selon cette approche, on est alors confronté à la focalisation du faisceau incident, donc au caractère plus ou moins ponctuel de l'analyse. Dans des systèmes biphasés dans lesquels on a une phase majoritaire, comportant en outre des particules de secondes phases (des inclusions et/ou des précipités), il est nécessaire de procéder à une analyse locale de celles-ci. Le même problème d'analyse ponctuelle est La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces 127 posé lors de l'étude de phénomènes de ségrégation ou de diffusion latérales. C'est la raison pour laquelle des accélérateurs à micro-faisceaux ont été développés. Associés à des dispositifs micrométriques pour l’observation des impacts et le déplacement des échantillons, ils sont désignés par le terme de microsonde nucléaire (figure 12). Figure 12 : Schéma comparatif de formation d’un faisceau ponctuel, pour des radiations lumineuses (a), des électrons (b) et des ions (c). Dans chaque cas, la source émissive est située à gauche de la figure, et le faisceau est focalisé sur un premier diaphragme D1 par un condenseur. Une optique appropriée L forme alors une image finale réduite de D1. L’ouverture angulaire du faisceau à l’entrée de L, qui est génératrice d’aberrations, est limitée par un diaphragme D2. L’optique L est formée de lentilles en verre pour la lumière, de bobines déflectrices pour les électrons et de quadrupôles pour les ions. (d’après F. Watt et G. W. Grim, Principles and Applications of High-Energy Ion Microbeams, op. cit.) D'autres types de sondes ont montré le bien fondé de la démarche. Citons, par exemple, la microsonde électronique, qu'elle soit utilisée en dispersion de longueur d'onde ou en dispersion d'énergie. Toutefois, un des avantages de la microsonde nucléaire est d’utiliser les trajectoires des protons, plus linéaires dans la matière que celles des électrons. Ainsi, dans le cuivre, leur divergence angulaire est seulement de quelques degrés après un parcours de cinq micromètres. Cette propriété augmente la résolution latérale. 4.2 LE SUIVI EN CONTINU La microanalyse nucléaire permet de caractériser des échantillons en cours de transformation à la condition que la vitesse de celle-ci soit faible en regard du temps d’acquisition d’un spectre. L’ordre de grandeur de celui-ci est d’une minute. Cette aptitude a permis de suivre en continu des processus d’oxydation et de diffusion, à température élevée. L’enceinte de traitement doit alors être isolée de l’enceinte sous vide de l’accélérateur, par une fenêtre permettant le passage du faisceau. 128 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Il est souvent nécessaire de prévoir des dispositifs annexes, assurant par exemple le refroidissement du détecteur à semi-conducteur, qui capte les particules émises. L’isolation électrique de l’enceinte de mesure, nécessitée par l’intégration du courant porté par le faisceau incident, s’en trouve compliquée. Mais, ce courant incident peut être mesuré par d’autres dispositifs, tels que des obturateurs travaillant par échantillonnage. En fait, les possibilités sont très étendues, et la microanalyse nucléaire a de ce fait un large champ d’applications dans les laboratoires de recherche. 5. CONCLUSION Dans cet article de revue à caractère général, nous avons montré les possibilités offertes par l'utilisation des faisceaux d'ions, particulièrement en microanalyse nucléaire. Cette méthode permet d'analyser aussi bien les éléments légers que les éléments lourds. Elle est particulièrement bien adaptée à la caractérisation des films minces, ainsi qu’à celle des surfaces et des interfaces. La possibilité de doser l’hydrogène, notamment, est d’un grand intérêt pratique. L’emploi conjoint de la microanalyse nucléaire et de méthodes complémentaires, telles que la spectrométrie de photoélectrons (XPS) pour accéder aux liaisons chimiques, offre un large champ d’investigations à la science des matériaux. BIBLIOGRAPHIE D. Halliday, Introduction à la physique nucléaire Dunod, Paris (1957) 466 p. F. Watt et G.W. Grim, Principles and Applications of High-Energy Ion Microbeams Adam Hilger, Bristol (1987) 399 p. D. David et R. Caplain, Méthodes usuelles de caractérisation des surfaces, Eyrolles, Paris (1988) 374 p. S.A.E. Johansson et J.L. Campbell, PIXE :A Novel Technique for Elemental Analysis , John Wiley & Sons, Chichester (1988) 347 p. B. Agius, M. Froment et al., Surfaces, interfaces et films minces, Dunod, Paris (1990) 469 p. D. David, Méthodes avancées de caractérisation des surfaces, Eyrolles, Paris (1991) 277 p. D. David, New trends in ion-beam analysis, Surface Science Reports 16 (1992) 333-375 ANALYSE NON DESTRUCTIVE DE PIGMENTS ET DE COLORANTS PAR LES TECHNIQUES MICROSPECTROMÉTRIQUES microspectrométries d'absorption, de fluorescence et Raman BERNARD GUINEAU Institut de Recherches sur les Archéomatériaux, CNRS 3d, rue de la Férollerie, 45071 - Orléans Cedex 02 NDLR : Si la micro-analyse élémentaire est pratique courante sur les matériaux massifs conducteurs depuis la mise au point de la microsonde électronique par Castaing, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’identifier des composés organiques. La difficulté s’accroît considérablement lorsque l’on ne peut travailler que sur des échantillons dont au moins une des dimensions est de l’ordre du micromètre, comme les fragments de films minces (couches picturales) ou bien des substrats de colorants et mordants chimisorbés (fibres textiles). Les méthodes ci-dessous présentées intéressent principalement les industries des peintures, des encres, et des textiles. Elles sont également pratiquées par les laboratoires de police scientifique. Une de leurs tâches consiste à identifier les véhicules impliqués dans des accidents de la circulation et coupables du délit de fuite. Les tôles de carrosseries étant peintes, des fragments de peinture se transfèrent par contact lors des chocs. On attend de leur analyse non seulement l'identité du constructeur, mais aussi l'année de mise en circulation. L'importance de ce problème est telle qu’une entente entre les constructeurs d’automobiles permet de différencier, à couleur identique, les peintures utilisées. Ces méthodes sont aussi bien adaptées à l'étude des matériaux anciens, qu'ils constituent des œuvres d'art ou bien de simples objets archéologiques. Elles permettent d'en retirer de nombreuses informations et de les communiquer à la communauté scientifique intéressée, historiens confrontés à des problèmes d'attribution, conservateurs de musées et de bibliothèques ou restaurateurs d'œuvres d'art. Celle-ci n'est pas uniquement constituée par les archéologues et les historiens, mais aussi par les spécialistes du vieillissement des matériaux. La caractérisation des matériaux anciens est en effet la seule possibilité d'étudier les effets d'un vieillissement naturel sur les matériaux, vieillissement qu'aucune accélération artificiellement créée en laboratoire ne saurait totalement remplacer. INTRODUCTION En mesurant dans un échantillon solide, liquide ou gazeux soumis à une excitation lumineuse les fréquences de transitions électroniques ou celles correspondant aux oscillations de groupements d'atomes, les spectrométries électronique ou vibrationnelle 130 Surfaces, tribologie et formage des matériaux permettent de déterminer la nature et parfois la structure des édifices poly-atomiques (ions, molécules, cristaux) constitutifs de cet échantillon. Ces moyens d'analyse qui peuvent être employés à l'étude de composés organiques ou minéraux ont vu étendre récemment le champ de leur application à d'infimes fractions grâce aux progrès d'une nouvelle instrumentation plus performante : sondes à fibres optiques, filtres réjecteurs très étroits, détecteurs multicanaux extrêmement sensibles, logiciels informatiques spécialisés dans l'acquisition et le traitement des données. Ces progrès ont ainsi favorisé le développement des méthodes spectrométriques de microanalyse telles que la microspectrophotométrie d'absorption dans les domaines visible et proche infrarouge [1], la microspectrométrie de fluorescence et la microspectrométrie de diffusion Raman [2]. Dans leur principe, ces investigations mettent en œuvre soit un capteur à fibres optiques, soit un microscope à fort grossissement, lesquels sont reliés par un couplage optique adapté à la fente d'entrée d'un spectromètre. De tels dispositifs instrumentaux autorisent des analyses très ponctuelles, sans contact, et généralement non destructives. Ces nouvelles possibilités analytiques n'ont pas manqué d'intéresser le domaine de l'archéologie et celui de la conservation des œuvres d'art. Elles sont en effet particulièrement bien adaptées à l'étude des matériaux anciens qui les composent et pour lesquels les examens sont toujours limités du fait des très petites quantités d'échantillons disponibles pour les analyses. Les prélèvements sur les œuvres, quand ils sont autorisés, se doivent en effet d'être aussi réduits que possible et sans danger pour leur conservation. Grâce à la mise en œuvre de ces techniques de micro-analyse, de nombreux pigments et colorants ont pu être identifiés. Par exemple, de minuscules prélèvements invisibles à l'œil nu, effectués sur des peintures de l'Antiquité ou du Moyen Âge ont pu être analysés. Pour chaque microprélèvement peuvent être obtenus un spectre de diffusion Raman, un spectre d'absorption et un spectre d'émission de fluorescence. Chacun sera plus ou moins facile à obtenir et plus ou moins caractéristique, selon la nature des composés en présence, c'est-à-dire selon leur structure chimique et selon les transitions d'énergie attendues. En spectrométrie Raman, par exemple, le choix d'une longueur d'onde particulière pour l'excitation lumineuse, en rendant possibles des conditions de résonance (ou de prérésonance), peut largement aider à l'obtention de spectres significatifs. De leur côté, les métaux de transition qui entrent dans la composition de nombreux pigments minéraux offrent en spectrométrie de réflexion diffuse de remarquables absorptions correspondant aux transitions électroniques qui les caractérisent. Dans le cas des couleurs organiques d'origine naturelle ou artificielle, l'obtention de spectres significatifs pour des composés organiques réputés fragiles est généralement délicate. Il est plus facile, par exemple, d'obtenir un spectre Raman d'une particule minérale bien cristallisée, convenablement orientée sous le faisceau du laser employé comme source ponctuelle, que d'un colorant organique adsorbé sur un support, et de surcroît faiblement abondant du fait de sa dilution. Dans certains cas, une extraction préalable du colorant suivie d'une reconcentration s'avère indispensable. Heureusement, les mesures peuvent être réalisées sur d'infimes fractions, notamment en fluorescence ou en Raman grâce à l'effet de résonance S.E.R.S. (Surface Enhance Raman Spectroscopy)[3]. On peut s'attendre ainsi dans le domaine de l'archéologie ou dans celui des "Sciences auxiliaires de l'Histoire" au développement de ces techniques de micro-analyse d'autant plus que sont prévisibles de nouveaux perfectionnements des capteurs à fibres optiques, Analyse non destructive de pigments et de colorants 131 des détecteurs à semi-conducteurs et des systèmes interférométriques susceptibles d'accroître notablement l'étendue du domaine spectral qui est actuellement couvert. L'objet de cet article est de montrer à l'aide d'un petit nombre d'exemples, les perspectives offertes et notamment ce que l'on peut attendre de l'examen de minuscules échantillons si l'on tente d'additionner les résultats obtenus à l'aide de différents microspectromètres, par exemple en réflexion diffuse [4], en fluorescence [5] et en diffusion Raman [6 à 9]. MICRO-ANALYSE RAMAN Avec les mesures en diffusion Raman, obtenir un spectre significatif constitue une difficulté majeure. L'intensité de l'effet Raman qui est à mesurer est hélas extrêmement faible au regard notamment du phénomène de diffusion Rayleigh dont l'intensité est en moyenne 109 fois plus grande. Il faut donc disposer d'un spectromètre très performant ayant à la fois une grande sensibilité et une excellente résolution capable de distinguer, au milieu d'un bruit de fond ambiant qui peut être important, des raies Raman de très faible intensité et surtout à proximité immédiate (à peine 10 nm) d'une raie Rayleigh très intense. Une telle performance instrumentale exige des alignements optiques précis et l'élimination implacable de toutes sortes de lumières parasites réentrantes. Dans une microsonde Raman, la source d'excitation est fournie par un laser. Son faisceau est focalisé sur l'échantillon à travers l'objectif d'un microscope. Au point d'impact, l'énergie lumineuse est ainsi très concentrée. Il convient donc, dans le cas d'échantillons fragiles, de n'utiliser que de faibles puissances et pendant un temps très court, de manière à minimiser tout risque d'altération thermique ou photochimique de l'échantillon. Heureusement, la plupart des composés, lorsqu'ils sont soumis à une excitation laser raisonnable, sont suffisamment stables pour autoriser l'acquisition de spectres Raman sans altération. En outre, l'emploi dans les nouvelles microsondes, de détecteurs multicanaux à la fois très rapides et très sensibles a largement réduit les temps d'éclairement et les puissances d'excitation nécessaires à l'acquisition des spectres [10]. On présente ici quelques exemples de mesures mettant en œuvre ces nouveaux microspectromètres Raman et montrant les possibilités qu'ils offrent d'identifier colorants anciens ou modernes dans des échantillons microscopiques. IDENTIFICATION DE COLORANTS ORGANIQUES DE SYNTHÈSE La figure 1 montre le spectre Raman d'un bleu de méthyle ou Acid blue 93, un colorant de synthèse répertorié au Colour Index sous le code CI 42780 [11]. Ce composé du triarylméthane a pu être identifié dans l'encre bleue d'un document manuscrit contemporain soumis à une expertise. Pour cette analyse, un très petit échantillon d'encre a été prélevé sous la loupe binoculaire à l'aide d'une fine pointe métallique. Posé ensuite sur une lame de verre, sans aucune autre préparation, son examen a été réalisé sans contact par microspectrométrie Raman. Le spectre obtenu en utilisant la raie 514,5 nm d'un laser à argon ionisé à puissance réduite (courbe 1B) comparé au spectre standard d'un bleu de méthyle (courbe 1A) montre une grande similitude des raies Raman, à la fois dans leur position en nombre d'ondes et en intensité. Un tel résultat permet de conclure sans ambiguïté à la présence de ce colorant dans la composition de l'encre bleue du document. 132 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 1 : Spectres Raman du colorant Acid blue 93 employé dans la fabrication des encres bleues. Courbe A : étalon de référence de bleu de méthyle. Courbe B : microéchantillon d'encre bleue prélevé sur un trait d'écriture d'un document contemporain soumis à expertise Dans des conditions analogues, on a pu identifier la présence d'un violet de méthyle dans un grain de craie violette prélevé sur un dessin au pastel du peintre James Ensor. L'observation préalable de ce micro-échantillon au microscope optique, en dépit de l'utilisation de diaphragmes et d'objectifs "fond noir", montre une très faible coloration, le violet est très pâle et la couleur translucide. Néanmoins, au plus fort grandissement, on observe que le grain contient de très petites inclusions violettes aux dimensions inférieures à 10 micromètres. En outre, une particule jaune est accolée à l'un des côtés de l'échantillon. En focalisant successivement le faisceau laser sur une inclusion violette puis sur la particule jaune, les mesures ont permis d'identifier la présence de violet de méthyle pour cette inclusion et de jaune de chrome (un pigment minéral) pour la particule jaune. Pour ces mesures, les temps d'éclairement ont dû être fortement réduits car, après quelques minutes, on pouvait observer un début d'altération des inclusions violettes sous l'impact du faisceau laser, instabilité révélant combien étaient fragiles les couleurs employées par Ensor. Le fait d'avoir à réduire la puissance de l'excitation lumineuse diminue aussi le rapport signal sur bruit et de ce fait, quelques-unes des raies Raman obtenues se distinguent à peine du bruit de fond ambiant. En revanche, à faible puissance, on diminue aussi l'intense fluorescence qu’engendre cette couleur et qui gêne sérieusement les observations en Raman. Le spectre obtenu (Figure 2) présente un ensemble de raies caractéristique d'un violet de méthyle. Il ressemble à celui que donne le bleu de méthyle précédent, mais son empreinte est cependant différente. Cette couleur, appelée "violet de Paris" (CI 42535) [11], est réputée pour son manque de solidité à la lumière ; le violet de méthyle a pourtant longtemps été utilisé dans la Analyse non destructive de pigments et de colorants 133 coloration des papiers, comme colorant des encres d'imprimerie, dans la fabrication des crayons de couleur ou celle de craies pour le dessin au pastel. Sur l'un des spectres, on observe en outre la présence d'une autre raie. Son intensité, qui est grande, et sa position en nombre d'ondes mesurée à 842 cm-1 montrent que cette raie n'appartient pas au même composé. Cette raie Raman correspond en réalité à la fréquence de vibration d'un ion CrO4- présent dans un chromate de plomb PbCrO4. On confirme ainsi sans trop de difficultés la présence de jaune de chrome dans la particule jaune qui avait été observée accolée à l'un des côtés de l'échantillon. Au reste, la grande intensité de cette raie à 842 cm-1 résulte pour une bonne part d'un effet de résonance qui amplifie considérablement dans ce cas l'effet Raman. Nous aurons l'occasion de revenir un peu plus loin sur cet effet. Figure 2 : Spectre Raman d'un microprélèvement violet clair identifiant l'emploi de violet de méthyle dans un dessin au pastel du peintre James Ensor Heureusement, la plupart des pigments organiques qui sont utilisés de nos jours sont beaucoup moins fragiles que les premiers colorants de synthèse découverts au XIXe siècle ; ils offrent une solidité à la lumière et une stabilité en température bien supérieures et, de ce fait, peuvent supporter sans précautions spéciales, un examen Raman. C'est ainsi qu'ont pu être obtenus, sans aucune altération, les "empreintes Raman" caractéristiques de pigments organiques actuels tels que les orangés et les rouges de pérylène. Ces pigments, qui sont des dérivés de l'acide pérylène 3,4,9,10 tétracarboxylique, sont de type polycycle à noyaux condensés ; leur structure chimique leur confère de remarquables propriétés : force colorante élevée, bonne solidité à la lumière, excellente tenue à la chaleur et une bonne résistance à de nombreux agents chimiques. Par changement de substituants sur le polycycle, différentes teintes dominantes peuvent être obtenues, variant de l'orangé jaune au rouge vif et au rouge violacé. 134 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 3 : Spectres Raman de pigments rouges de pérylène. Courbe A : rouge de pérylène PR 179. Courbe B : rouge de pérylène PR 224. Courbe C : identification de rouge de pérylène PR 224 dans une écaille de peinture automobile La figure 3 montre les spectres Raman caractéristiques de deux rouges de pérylène répertoriés au Colour Index sous les codes PR 179 et PR 224 [11]. Le premier est rouge foncé et légèrement violacé, le second rouge vif. Leurs spectres Raman obtenus à partir d'agrégats pulvérulents d'environ 20 micromètres de diamètre montrent une grande similitude dans la position et l'intensité des raies ; ces raies correspondent à des vibrations de cycle. On identifie ainsi l'appartenance à une même famille chimique de ces deux composés [8, 9]. Dans le domaine compris entre 1300 et 1600 cm-1, c'est à peine si on note un faible écart en nombres d'ondes de l'ordre de 10 cm-1. Compte-tenu de la précision des spectromètres, une telle différence ne peut suffire à distinguer ces deux rouges dans un but analytique. Heureusement, cet écart est double dans le domaine compris entre 2600 et 3200 cm-1, c'est-à-dire pour des positions harmoniques, écart qui permet alors de différencier ces pigments l'un de l'autre. En outre, le spectre du rouge PR 224 présente une raie supplémentaire à 628 cm-1. Cette raie Raman toujours présente dans les anhydrides cycliques permet de distinguer le PR 224 sans ambiguïté possible. C'est ainsi qu'une mesure réalisée sur une écaille de peinture rouge de composition inconnue a permis d'identifier la présence de rouge de pérylène PR 224 dans cet échantillon (Figure 3, courbe C). Analyse non destructive de pigments et de colorants 135 APPORT DE L'EFFET RAMAN DE RÉSONANCE À L'ANALYSE D'UN MÉLANGE DE PIGMENTS La plupart des peintures soumises à l'analyse sont en réalité constituées d'un mélange de plusieurs pigments. Pour nombre d'entre eux, un effet de résonance Raman spécifique peut être provoqué par un choix approprié de la longueur d'onde de la source servant à l'excitation lumineuse. En effet, lorsque cette longueur d'onde est la même ou lorsqu'elle est au voisinage d'une bande d'absorption du chromophore, une exaltation de l'effet Raman peut être obtenue. Cette résonance Raman résulte d'un couplage de transitions électroniques et vibrationnelles [12, 13]. Figure 4 : Spectres Raman d'un grain de safran pulvérisé. Courbe A : raie excitatrice laser 514,5 nm. Courbe B : raie excitatrice laser 457,9 nm. La pente qui est observée sur les courbes résulte de la fluorescence du colorant La figure 4 montre un exemple de mesures Raman résonantes et non résonantes obtenues sur un échantillon de jaune de safran, un colorant naturel dont la structure chimique est celle d'un caroténoïde. Le spectre de réflexion diffuse de cet échantillon présente une large bande d'absorption dans le domaine 400-500 nm, avec la présence de deux petites absorptions autour de 500 nm (Figure 5). En spectrométrie Raman, si on utilise une raie excitatrice à 514,5 nm, c'est-à-dire au delà de cette bande d'absorption, le spectre présente des raies de faible intensité difficilement discernables du bruit de fond, d'autant plus que se superpose en plus aux mesures Raman une intense fluorescence parasite (Figure 4, courbe A). En revanche, si on utilise une raie excitatrice à 457,9 nm, on observe une forte exaltation des raies Raman, particulièrement à 1166 et à 1540 cm-1 ; cette exaltation est due à un effet de résonance (Figure 4, courbe B). 136 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 5 : Spectre d'absorption obtenu en réflexion diffuse d'un grain de safran pulvérisé (provenance Iran) Dans des conditions semblables, le pigment rouge d’hématite α-Fe2O3 présente un effet de résonance lorsqu'on utilise une raie excitatrice à 632 nm, alors qu'on ne peut observer que des raies de faible intensité si on utilise une raie excitatrice à 457,9 nm ou à 514,5 nm. De ce fait, l'emploi d'une excitation lumineuse de longueur d'onde appropriée, c'està-dire choisie en fonction de l'absorption spécifique d'un composé peut grandement favoriser une identification sélective. Ainsi, pour un mélange supposé être formé de deux pigments ou d'un pigment et d'un colorant (ocre rouge et jaune de safran, par exemple), au moins deux raies excitatrices (632 nm et 457,9 nm) devraient être employées. La longueur d'onde de chacune devra être choisie en fonction des bandes d'absorption des composés supposés être présents de manière à provoquer un effet de résonance distinct pour chacun des composés. MICRO-ANALYSE PAR SPECTROMÉTRIE DE RÉFLEXION DIFFUSE Les mesures en diffusion Raman pour de nombreux pigments ou colorants nécessitent donc de connaître au préalable leur spectre d'absorption. Quelques-uns de ces spectres présentent par eux-mêmes des bandes d'absorption caractéristiques. Cette information spécifique est souvent suffisante pour identifier un pigment ou un colorant supposé être présent, d'autant plus que le spectre d'absorption d'un très petit échantillon peut être obtenu rapidement en utilisant un microspectrophotomètre à détection multicanale. De tels équipements peuvent être utilisés soit en transmission, soit en réflexion. Faciles d'emploi, ils ont aussi l'avantage de permettre d'obtenir un spectre en un temps très court (quelques dizaines de secondes), même pour des échantillons de quelques micromètres de diamètre grâce à l'emploi d'objectifs de fort grossissement (x 100 ou même x 200) [7 et 14]. La figure 6 présente les spectres comparés, obtenus en réflexion diffuse, d'un rouge de cinabre HgS (courbe A) et d'un grain rouge d'hématite (courbe B). Le spectre du grain de cinabre montre une plus grande absorption que celui de l'hématite dans le domaine des jaunes ainsi qu'une pente plus prononcée autour de 600 nm, pente dont le point d'inflexion peut être précisé au moyen de la courbe dérivée. Ces différences ont permis Analyse non destructive de pigments et de colorants 137 de mettre en évidence l'emploi de rouge cinabre dans une peinture murale d'Aix-enProvence d'époque gallo-romaine (courbe C). La rapidité avec laquelle peut être menée une telle investigation autorise ainsi un contrôle systématique et une classification rapide d'un grand nombre de peintures, par exemple de fragments de peintures murales recueillis lors de fouilles archéologiques. Seuls, quelques résultats paraissant ambigus nécessiteront un complément d'analyse par d'autres moyens. Par exemple, si l'on suppose que deux couleurs sont intimement mêlées, une analyse élémentaire peut s'avérer indispensable, de même qu'en Raman, imposer le choix d'une raie excitatrice appropriée [7]. Figure 6 : Spectres comparés, mesurés en réflexion diffuse, de trois micro-échantillons de pigments rouges. Courbe A : échantillon de cinabre naturel (provenance Almaden, Espagne). Courbe B : échantillon d'ocre rouge naturelle (réf. 5.01.1, Forbes Collection). Courbe C : micro-échantillon rouge prélevé sur une peinture murale d'Aixen-Provence d'époque gallo-romaine L'identification du bleu de smalt, un verre coloré au cobalt, est parfois difficile du fait qu'étant un composé amorphe, la diffraction des rayons X n'est d'aucun secours ; en outre, son spectre Raman ne présente qu'une ou deux raies de faible intensité. En revanche, en réflexion diffuse, on observe pour ce pigment un ensemble de bandes d'absorption caractéristiques constitué d’un triplet 545 / 595 / 645 nm correspondant à des transitions électroniques Co2+ (Figure 7, courbe A). D'autres bandes d'absorption peuvent être observées dans le proche infrarouge, à condition de bien les distinguer d'harmoniques d'ordre 2 ou 3. Ainsi a-t-on pu identifier très rapidement, à l’aide d’un objectif x100 un bleu de smalt dans un prélèvement microscopique effectué sur la peinture d'un ivoire du XIIIe siècle conservé au Musée du Louvre (Figure 7, courbe B). Ce résultat a permis de conclure qu'il s'agissait vraisemblablement d'un repeint tardif, l'emploi de ce pigment n'apparaissant pas avant l'extrême fin du XVe siècle. Dans le cas de mélanges de colorants, en s’inspirant des travaux de Fuller [15], nous avons tenté d'obtenir des spectres d'absorption à partir des fractions obtenues par chromatographie en couches minces (TLC) sur gel de silice. Grâce à l'emploi d'un nanoapplicateur, on a pu effectuer des dépôts très ponctuels sur les plaques chromatographiques qui ont permis d'obtenir une bonne séparation des constituants destinés aux mesures. La figure 8 montre un exemple de spectres mesurés en réflexion 138 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 7 : Spectres de réflexion diffuse de deux pigments bleus de cobalt. Courbe A : étalon de référence de bleu de smalt (réf. 7.01.3, Forbes Collection). Courbe B : microéchantillon bleu prélevé sur un ivoire peint de la fin du XIIIe siècle (Louvre, inv. OA 9443) diffuse sur la fraction bleue, puis sur la fraction rose d'un chromatogramme de bleu d'indigo. Les spectres permettent d'identifier pour le bleu la présence d'indigotine (courbe A) et celle d'indirubine pour le rose (courbe B). Ces résultats ont été ensuite confirmés par d'autres examens, également réalisés in situ sur les mêmes fractions, soit par spectrométrie Raman, soit par spectrométrie de fluorescence. Figure 8 : Spectres de réflexion diffuse mesurés sur des fractions recristallisées de bleu indigo après séparation chromatographique sur gel de silice (T.L.C.). Courbe A : fraction bleue d'indigo (indigotine). Courbe B : fraction rose bleuâtre d'indirubine MICROANALYSE PAR SPECTROMÉTRIE DE FLUORESCENCE VISIBLE S'il est vrai que l'investigation de micro-échantillons colorés peut être entreprise par la mise en œuvre de différentes méthodes d'analyse non destructives, le choix de la méthode la plus appropriée dépend largement de la réponse spectrométrique des composés étudiés. Par exemple, le spectre d'absorption d'un jaune ou d'un orangé apporte souvent des résultats ambigus. D'autre part, l'acquisition de spectres Raman à Analyse non destructive de pigments et de colorants 139 partir de composés dispersés ou fragiles nécessite des procédures particulières, ainsi que de grandes précautions. Ces particularités augmentent généralement les temps nécessaires aux analyses dont les résultats risquent en outre, de ne pas être totalement satisfaisants. Un cas souvent rencontré est celui de l'identification d'un colorant largement dispersé au sein d'un composé organique ou minéral servant de support à la couleur. Néanmoins, des spectres Raman caractéristiques ont pu être obtenus à partir de fractions recristallisées des solutions extraites. Malheureusement aussi, de nombreux colorants organiques, qu'ils soient naturels ou de synthèse, sont très fluorescents. Dans ce cas, le bénéfice apporté dans les mesures Raman par l'effet de résonance est fortement diminué du fait que l'émission de fluorescence est largement plus intense que l'effet Raman que l'on cherche à mesurer. De nombreux moyens ont été proposés pour tenter de s'affranchir de cette fluorescence parasite et la méthode Raman S.E.R.S. constitue l'un d'entre eux [16]. Son principe repose sur l'exaltation du signal Raman lorsque certains composés sont adsorbés sur une surface métallique rugueuse. Les propriétés optiques de la surface métallique ainsi que des interactions spécifiques entre l'adsorbat et cette surface favorisent des transferts d'énergie qui donnent lieu à l'exaltation du signal Raman en même temps qu'ils s'accompagnent d'une baisse importante des rendements de fluorescence. De telles mesures sont néanmoins délicates à mettre en œuvre. Leur succès dépend beaucoup de la stabilité photochimique des extraits ; ces derniers, une fois sortis de leur support d'origine, sont en effet rendus plus fragiles. Un autre moyen de s'affranchir de cette fluorescence consiste à faire le choix, pour la source excitatrice, d'une longueur d'onde pour laquelle le rendement de fluorescence est le plus faible possible, mais en général, à cette longueur d'onde aussi, l'effet de résonance Raman n'a plus lieu non plus. Une approche radicalement opposée consiste à mesurer au contraire cette fluorescence, un spectre de fluorescence étant souvent caractéristique d'un composé. C'est ainsi qu'en utilisant une microsonde Raman, nous avons pu obtenir les spectres de fluorescence de très petits échantillons solides. De tels spectres offrent ainsi une possibilité d'identification simple et rapide pour certains composés. Les spectres obtenus montrent généralement de larges bandes d'émission, mais les maxima sont suffisamment caractéristiques pour satisfaire aux objectifs d'analyse. En outre, les mesures sont rapides et ne nécessitent que de faibles puissances d'excitation permettant ainsi l'examen d'échantillons fragiles. A nouveau, il est utile d'avoir au préalable une bonne connaissance des spectres d'absorption de manière à pouvoir choisir pour la raie excitatrice, la longueur d'onde la plus appropriée. La figure 9 présente un exemple de spectres de fluorescence mesurés pour deux micro-échantillons d'indigo en employant la raie excitatrice 632 nm d'un laser He/Ne. L'échantillon A est un étalon standard d'indigo ; l'échantillon B est un microprélèvement effectué sur une initiale peinte en bleu d'un manuscrit du IXe siècle ayant pour origine le nord de l'Espagne. La comparaison des deux spectres (les écarts observés peuvent être considérés comme négligeables) permet d'identifier la présence d'indigo dans ce microprélèvement aux dimensions voisines de 5 micromètres. Les mesures ont duré quelques minutes et les risques d'altération photochimique de cet échantillon ont été fortement réduits. Dans des conditions analogues ont été obtenus les spectres de fluorescence de nombreux pigments organiques. De nombreux jaunes, par exemple, qu'ils soient d'origine naturelle (flavoniques) ou artificielle (azoïques) présentent une fluorescence non négligeable. Cette méthode d'analyse soulève cependant quelques difficultés. La principale d'entre 140 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 9 : Spectres de fluorescence de deux bleus d'indigo. Courbe A : étalon de référence d'indigo naturel. Courbe B : micro-échantillon bleu prélevé sur une lettre peinte d'un manuscrit du IXe siècle du Nord de l'Espagne (B.n.F., Nouv. Acq. lat. 260) elles est, s'agissant de composés solides, le manque de données disponibles publiées à ce jour. Une autre difficulté vient de la présence toujours possible d'impuretés fluorescentes susceptibles de contaminer les échantillons analysés, surtout s'agissant d'objets archéologiques passablement altérés. Enfin, concernant les séparations chromatographiques T.L.C., les mesures en fluorescence exigent l'emploi de supports et de solvants exempts de toute impureté fluorescente. Cette précaution étant prise, on a obtenu les spectres de fluorescence caractéristiques de différentes fractions. Leurs résultats peuvent être ensuite utilement comparés aux résultats de l'absorption. On additionne ainsi, pour un même échantillon, des informations complémentaires parfois très utiles. En conclusion, on retiendra les possibilités nouvellement offertes d'entreprendre par des méthodes spectrométriques traditionnelles l'analyse de très petits échantillons. La majorité de ces méthodes permettent des mesures sans contact et ne sont pas destructives. Il n'est donc pas exclu de soumettre le même micro-échantillon à plusieurs examens successifs. Les mesures étant le plus souvent comparatives, il est important de disposer au préalable d'un grand nombre de spectres de référence. Une telle banque de données nécessite de disposer aussi d'une collection bien documentée d'échantillons de référence. Dans la perspective que nous avions d'étudier des peintures de l'Antiquité et du Moyen Âge, nous avons rassemblé, au fil des années, un tel référentiel constitué à la fois de pigments et de colorants anciens et de leurs données d'analyse. Cette collection baptisée "chromothèque" s'enrichit un peu plus au fur et à mesure de chaque nouvelle étude entreprise. Analyse non destructive de pigments et de colorants 141 REMERCIEMENTS L'auteur remercie les responsables de la revue "Studies in Conservation" éditée par l'International Institute for Conservation of Historic and Artistic Works (I.I.C.) pour leur accord d'une nouvelle parution réactualisée de son article de 1989 (vol. 34, 38-44) intitulé : "Non-destructive analysis of organic pigments and dyes using Raman microprobe, microfluorometer or absorption microspectrophotometer" et tout particulièrement Mr. D. Bomford de la National Gallery qui, en acceptant en 1989 de mettre en forme ce premier article, a largement contribué à son succès. Mes remerciements s'adressent aussi à tous ceux qui, depuis de nombreuses années, ont participé directement ou indirectement à ces recherches, soit dans la mise au point et l'application des méthodes mises en œuvre, soit dans l'acquisition et l'interprétation de leurs résultats : Mr. le Professeur M. Delhaye, ancien Directeur du Laboratoire de Spectrochimie Infrarouge et Raman du CNRS, Mr. J-N. Barrandon, Directeur de l'Institut de Recherches sur les Archéomatériaux du CNRS, Mr. le Professeur J. Vezin, Correspondant de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Directeur d'Etudes à la IVe section de l'École Pratique des Hautes Études [21], Mlle. H. Cherpin, Directrice du Laboratoire de Police Scientifique de l'Identité Judiciaire de Paris, Mr. E. Da Silva, Président-Directeur-Général de la Société Dilor, sans oublier naturellement mon ami et complice de longue date, F. Delamare, partenaire et co-auteur de nombreux travaux menés en commun [7, 14, 17, 18, 19 et 20], en raison de son intérêt pour l'archéométrie et pour tout ce qui touche, de près ou de loin, aux innombrables problèmes de surfaces qui se posent dans ce domaine à l'analyste. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Cousins D.R., Platoni C.R. & Russel L.W., The use of microspectrophotometry for the identification of pigments in small paint samples , Forensic Science International, 24, (1984), 183-196. [2] Delhaye M. & Dhamelincourt P., Raman, Microprobe and Microscope with laser excitation, J. Raman Spectroscopy, 3, (1975), 33-43. [3] Guineau B. & Guichard V., Identification de colorants organiques naturels par microspectrométrie Raman de résonance et par effet Raman exalté de surface (S.E.R.S.) ; exemple d'application à l'étude des tranchefiles de reliures anciennes teintes à la garance, in ICOM, Committee for Conservation, 8th Triennal Meeting, Sidney, (1987), 659-666. [4] Guineau B., Dulin L., Vezin J. & Gousset, M.-T., Analyse, à l'aide de méthodes spectrophotométriques, des couleurs de deux manuscrits du XVe siècle enluminés par Francesco Antonio del Chierico, in Ancient and Medieval Book Materials and Techniques, Actes du Coll Intern. d'Erice, 18-25 sept. 1992, Studi e Testi, 358, Bibl. Apostolica Vaticana, (1993), 121-155. [5] Wallert A., Fluorescent assay of quinone, lichen and redwood dyestuffs, Studies in Conservation, 31 (1986), 145-155. [6] Guineau B., Analyse non destructive des pigments par microsonde Raman laser: exemples de l'azurite et de la malachite, Studies in Conservation, 29 (1984), 35-41. [7] Guineau B., L'étude des pigments par les moyens de la microspectrométrie Raman, in Datation-Caractérisation des peintures pariétales et murales, éd. par T. Hackens, F. Delamare et B. Helly, P.A.C.T., 17, Louvain, (1987), 259-294. 142 Surfaces, tribologie et formage des matériaux [8] Binant C., Guineau B. & Lautie A., Spectres de vibration de pigments rouges de la famille des quinacridones, Spectrochimica Acta, 45A, 12, (1989), 1279-1287. [9] Binant C., Guineau B. & Lautie A., The application of electronic and vibrational spectroscopic techniques to the identification of quinacridones pigments in vehicle painted systems, J. Soc. of Dyers and Colourists, 106 (1990) 187-192. [10] Barbillat J., Étude d'une seconde génération de microsonde optique à effet Raman mettant à profit les avantages de la détection multicanale, Thèse de Doctorat, Faculté des Sciences, Université de Lille I, (1983). [11] Colour Index, 3rd edition, The Society of Dyers and Colourists, Bradford, (1975). [12] Merlin J.C., La microspectrométrie Raman de résonance : méthode d'investigation in vivo des systèmes pigmentaires, Spectros. Int. J., 2, (1983), 52-61. [13] Attala R.H. & Agarwal U.P., Recording Raman spectra from plant cell walls, J. Raman Spectroscopy, 17, (1986), 229-231. [14] Guineau B., Le folium des enlumineurs, une couleur aujourd’hui disparue. Ce que nous rapportent les textes sur l'origine de cette couleur, son procédé d'emmagasinage sur un morceau d'étoffe et son emploi dans l'enluminure médiévale. Identification de folium dans des peintures du IXe, Xe et XIe siècles, Revue d'archéologie médiévale, 26, CNRS éditions, (1996), 23-44. [15] Fuller N.A., Analysis of thin-layer chromatograms of paint pigments and dyes by direct microspectrophotometry, Forensic Science International, 27 (1985), 189-204. [16] Guichard V. & Guineau B., Identification de colorants organiques naturels dans des fragments de peinture murales de l'Antiquité ; exemples de l'emploi d'une laque rose de garance à Stabies et à Vaison-la-Romaine, in Pigments et Colorants de l'Antiquité et du Moyen Âge, éd. du CNRS, (1990), 245-254. [17] Delamare F., Delamare L., Guineau B. & Odin G.S., Couleur, nature et origine des pigments verts employés en peinture murale gallo-romaine, dans Pigments et Colorants de l'Antiquité et du Moyen Âge, éd. du CNRS, (1990), 103-116. [18] Blet M., Guineau B. & Gratuze B., Caractérisation de boules de bleu égyptien : analyse par absorption visible et par activation avec des neutrons rapides de cyclotron, Revue d'Archéométrie, 21, (1997), 121-130. [19] Delamare F., Guineau B. & Barrandon J.-N., Le chapel de fer doré de Charles VI. Mise en forme, gravure et dorure, Les Cahiers de la Rotonde, 16, Paris, (1995), 31-73. [20] Delamare F., Guineau B., Les matériaux de la couleur, Découvertes Gallimard, 1999, 160 p. [21] Guineau B., Villela-Petit I., Vezin J. and Akrich R., Painting techniques in the Boucicaut Hours and in Jacques Cœne's recipes as found in Jean Lebègue's Libri Colorum, I.I.C. 17th Int. Congress, Dublin, 7-11 sept. 1998, p. 51-54. APPORT DE LA SPECTROMÉTRIE DE MASSE DES IONS SECONDAIRES À TEMPS DE VOL (TOF-SIMS) À L'ANALYSE DES SURFACES MONIQUE REPOUX*, ROBERT COMBARIEU* et YVES de PUYDT** * École des Mines de Paris, CEMEF, UMR CNRS 7635 BP 207, F - 06904 Sophia Antipolis ** PIRELLI, 222 Viale Sarca, 20126 Milano, Italia RÉSUMÉ De par la grande diversité de ses champs d'applications, la spectrométrie de masse ToFSIMS s’est révélée une technique extrêmement féconde. Le mode statique de la spectrométrie de masse des ions secondaires (SIMS statique) s'est considérablement développé depuis plusieurs années et s'est révélé être un excellent outil d'analyse de surfaces de composés organiques ou biologiques. Les faibles doses d'ions utilisées pour la pulvérisation des surfaces permettent l'émission d'ions moléculaires "parents et fragments" caractéristiques des espèces atomiques et moléculaires présentes dans la première couche atomique (environ 1 nm). Par rapport au SIMS statique conventionnel, l'analyse des ions secondaires par temps de vol offre une plus grande sensibilité, une plus grande résolution en masse ainsi que l'accès à un domaine de masses théoriquement illimité. L'utilisation de sources d'ions à métal liquide micro focalisées (<0,2 µm) permet d'obtenir une imagerie moléculaire de la surface. De plus, un faisceau pulsé d'électrons de faible énergie, neutralisant les charges de surface, rend possible l'analyse des échantillons isolants. Ces particularités font du ToF-SIMS une technique très performante pour caractériser la surface des matériaux les plus divers. Adsorption de molécules organiques ou siliciées sur différents substrats, modification de surfaces de polymères pour améliorer leurs propriétés adhésives, suivi de synthèses peptidiques, ou caractérisation d’encres noires sur document écrit, nous allons en donner divers exemples. INTRODUCTION Le développement d'outils analytiques de caractérisation physico-chimique de surfaces est nécessaire pour déterminer et améliorer les propriétés des matériaux dans le cadre d'applications diverses telles que l'usure, la corrosion, l'adhésion et la biocompatibilité. Pour un matériau, l'importance des propriétés de la surface par rapport à celles du volume lui-même provient du fait que ce sont les atomes de la surface qui sont les premiers en contact lors de ces opérations tant d'un point de vue électrique que chimique ou mécanique. Il existe un grand nombre de techniques analytiques utilisables pour l'étude des surfaces [1-3]. Ces techniques sont toutes dirigées vers le même but : obtenir une meilleure compréhension de ce qui se passe dans les premiers nanomètres par une analyse chimique et structurale des espèces. Comme pour la plupart des problèmes scientifiques, la complémentarité des techniques est toujours nécessaire dans le monde de l'analyse. Chaque technique a ses spécificités, ses limitations et ses artefacts ; e.g. 144 Surfaces, tribologie et formage des matériaux manque de sensibilité (Infra-Rouge), spécificité moléculaire limitée (Auger, XPS), information limitée (angle de contact), caractère destructif (SIMS dynamique). Mais, ensemble, ces techniques peuvent apporter l'information appropriée pour résoudre un problème donné. Cela demande à l'analyste non seulement une bonne définition du problème (quel type d'information est nécessaire, sur quelle profondeur et à quelle échelle (mm, µm ou nm)) mais aussi une bonne compréhension des différentes techniques utilisées. Nous allons ici essayer de répondre à ces questions pour la technique ToF-SIMS (Time of Flight Secondary Ion Mass Spectrometry). Le potentiel du SIMS dans l'étude des polymères a été bien déterminé depuis le début des années 1980 [2]. Le développement principal de cette technique vise à obtenir une identification moléculaire et une répartition des espèces détectées en surface plus précises [4,5] que celles obtenues par XPS. En dépit du manque de compréhension des phénomènes physiques se produisant lors de la pulvérisation de la surface par un faisceau de particules et lors de la formation des ions secondaires, la technique SIMS a rapidement progressé tant dans le domaine de l'instrumentation que dans celui de la méthodologie expérimentale. L'utilisation de spectromètres à temps de vol a permis de s'affranchir des limitations inhérentes aux quadrupoles : meilleure transmission, meilleure résolution en masse, détection parallèle et domaine de détection en masse illimité. La combinaison de ce type de spectromètres (qui nécessite un faisceau d'ions primaires pulsé), avec les techniques de comptage, a rendu possible l'utilisation de très faibles doses d'ions primaires, et de ce fait a considérablement abaissé le caractère destructif de cette technique. Les principes de base de cette méthode d'analyse sont ici présentés ainsi qu'un certain nombre d'applications illustrant son apport à la résolution de quelques problèmes. PRINCIPE DE BASE En spectrométrie de masse des ions secondaires (SIMS), l'échantillon solide (compatible à l'ultra-vide) est bombardé par des ions primaires dont l'énergie peut être fixée entre 5 et 25 keV. L'interaction de ces particules primaires énergétiques avec les atomes de la surface du solide se fait par un processus de collision du type "boule de billard". Une partie de l'énergie des ions primaires est transmise aux atomes de la surface donnant lieu à l'émission de particules secondaires : électrons, ions et neutres provenant des couches atomiques les plus externes de l'échantillon. Les ions secondaires, positifs ou négatifs, sont alors extraits, accélérés et analysés en masse. Malheureusement, le mécanisme exact de la formation des ions secondaires n'est pas encore clairement défini, particulièrement dans le cas de matériaux organiques. SIMS STATIQUE Du fait de l'existence de collisions entre les ions primaires et les atomes de la surface, le SIMS est une technique destructrice par nature. Lorsqu'une surface reçoit des doses d'ions élevées (supérieures à 1017 ions/cm2), il y a érosion et formation de cratères ; l'analyse en masse des ions secondaires émis permet d'identifier les espèces présentes dans l'échantillon sur une épaisseur de quelques centaines de nanomètres et des profils de concentration en profondeur sont obtenus par la mesure des intensités de chaque espèce en fonction du temps : on parle alors de SIMS dynamique. Cette technique donne donc des informations sur la composition de volume de l'échantillon, et est très utilisée pour l'étude des minéraux, des métaux et des semiconducteurs. Pour les matériaux organiques, Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques 145 très sensibles au bombardement des particules, les doses d'ions primaires employées doivent être beaucoup plus faibles (inférieures à 1013 ions/cm2) afin de minimiser les effets de la pulvérisation et de dégradation de la surface : on fait alors du SIMS statique. Dans de telles conditions, statistiquement, aucun point de la surface ne peut être atteint par des ions primaires plus d'une fois pendant la durée de l'analyse. La zone perturbée latéralement est d'environ 10 nm à partir du point d'impact. Elle est fonction de l'énergie et de la masse des particules primaires. L'utilisation de doses d'ions primaires aussi faibles réduit le nombre d'ions secondaires formés et demande donc des détecteurs performants et une transmission élevée pour les systèmes de séparation en masse : les spectromètres à temps de vol répondent à ces critères. PROCESSUS D'IONISATION Une meilleure connaissance des processus d'ionisation des particules secondaires faciliterait considérablement l'interprétation et la quantification des spectres de masse en SIMS. On constate en effet que les rendements d'ionisation peuvent être très différents selon les espèces et selon leur environnement. Plusieurs modèles ont été proposés : alors que pour les halogènes ou les alcalins, l'ionisation peut se faire directement sous l'impact de l'ion incident, dans la plupart des matériaux, l'émission et l'ionisation sont deux processus consécutifs [6]. Dans ce cas, on considère que l'énergie totale de l'ion incident est transmise au fragment secondaire au cours de la collision. Cette énergie totale est distribuée en énergie cinétique et énergie interne, la fraction énergie interne (vibrationrotation) croissant avec la masse du fragment. La majorité des espèces désorbées le sont sous forme de particules neutres possédant un excès d'énergie interne et l'ionisation intervient lors du processus de relaxation, soit dans la zone frontière matière-vide (selvedge) via une interaction rapide ion-molécule et transfert de charge électronique, soit après leur sortie dans le vide via une dissociation non adiabatique. Ces processus de relaxation dépendent, bien sûr, du type de liaison (ionique ou covalente) et de l'état électronique des molécules dans le matériau étudié : c'est ce qui est communément décrit comme "effet de matrice". Une façon de s'affranchir de cet effet est d'accroître le rendement ionique secondaire en envoyant par exemple un rayonnement laser ou un faisceau d'électrons tangentiellement à la surface pour post-ioniser les particules neutres émises. PROFONDEUR D'ANALYSE Lorsqu'on s'intéresse à des phénomènes de ségrégation en surface ou à des problèmes de contamination, il est important d'avoir une idée de l'épaisseur de la couche d'où provient l'information chimique. Les principaux facteurs influençant sont la masse et l'énergie à la fois des ions primaires et des ions secondaires (les ions atomiques ont une distribution en énergie plus large que les ions moléculaires). Cependant ces influences n'ont jamais été étudiées de façon systématique. Une valeur généralement admise pour la profondeur analysée en SIMS statique est de l'ordre du nanomètre, ce qui correspond aux toutes premières couches atomiques de la surface [7-9]. Cette notion est cependant difficile à conceptualiser pour des matériaux organiques ou polymères. INSTRUMENTATION TOF-SIMS Puisque c'est l'extrême surface des échantillons qui est étudiée en SIMS statique, les 146 Surfaces, tribologie et formage des matériaux analyses doivent être effectuées sous ultravide (pression inférieure à 10-8 Pa), afin de s'assurer que l'information chimique recueillie provient bien de la surface étudiée et non des espèces environnantes adsorbées. Il faut cependant garder à l'esprit que la mise sous ultravide peut entraîner la désorption de produits volatils qui ne pourront donc jamais être analysés par cette méthode. Les principales composantes spécifiques d'un spectromètre ToF-SIMS sont la source d'ions primaires et le système de séparation en masse. SOURCES D'IONS PRIMAIRES Les mesures de temps de vol nécessitent un faisceau d'ions primaire pulsé et mono isotopique. Différents types de sources d'ions peuvent être utilisés : à impact électronique de gaz nobles (Ar, Xe) ou réactifs (O2) suivi d'une séparation en masse, à ionisation de surface (Cs) ou à métal liquide (69Ga, 115In). Ces dernières, basées sur l'ionisation par effet de champ du métal liquide venant mouiller une pointe de tungstène, permettent d'obtenir des faisceaux très fins (100 à 200 nm de diamètre). Les ions créés sont accélérés pour atteindre une énergie comprise entre 5 et 25 keV. Pour obtenir une haute résolution en masse, un paramètre important est la durée du pulse d'ions primaires. Les largeurs de pulse utilisées sont de l'ordre de la nanoseconde avec une fréquence de répétition de 10 à 20 kHz. Le nombre d'ions par pulse est inférieur à 100. Des images à haute résolution latérale peuvent être obtenues par balayage de la surface avec un faisceau focalisé : le signal reçu par le détecteur d'ions secondaires est alors enregistré en fonction de la position du faisceau primaire sur l'échantillon. Les sources d'ions à métal liquide (LMIG), sont utilisées dans ce but. Le problème majeur rencontré dans l'imagerie est d'obtenir des signaux suffisamment intenses tout en conservant des conditions statiques de bombardement. SPECTROMÉTRE À TEMPS DE VOL Un schéma de principe de cette technique est présenté sur la figure 1. La séquence d'analyse est la suivante : un faisceau d'ions primaires pulsé est envoyé sur la surface de l'échantillon. Entre deux pulses consécutifs, les ions secondaires, soit positifs, soit négatifs, sont extraits et accélérés sous plusieurs kilovolts de telle façon qu'ils aient tous, à l'énergie initiale près, la même énergie cinétique. Ils conservent cette énergie sur un trajet d'environ 2 mètres, jusqu'à leur arrivée sur le détecteur. Tous les ions parcourant ce trajet avec la même énergie, le temps qui leur est nécessaire pour atteindre le détecteur est proportionnel la racine carrée de leur masse (il est d'environ 80 µsec pour un ion de masse 1000). La dispersion en temps due à la distribution en énergie initiale est corrigée par la géométrie du spectromètre : secteurs ou miroir électrostatiques sont utilisés dans le but d'allonger ou de raccourcir le trajet des ions ayant un excès ou un défaut d'énergie par rapport à l'énergie moyenne. Pour terminer, un convertisseur digital (TDC) permet la détection quasi-parallèle de 1 ou plusieurs (8 à 256) ions secondaires par pulse primaire. Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques 147 TDC s on d’i e n urc tio so sa i l a foc lse pu ge ya a l ba détecteur m1 zone à énergie constante m2 pulse d’ions primaires zone d’accélération échantillon Figure 1 : Schéma de principe de la spectrométrie de masse d'ions secondaires par mesure de temps de vol Les spectres obtenus représentent le nombre d'ions arrivant sur le détecteur en fonction du temps et donc de la masse (l'affichage se fait en général directement en fonction de la masse). La mesure précise de la masse de ces ions résulte d'une procédure de calibration par rapport à la masse exacte d'un certain nombre d'ions connus et systématiquement présents en surface de tous les échantillons comme par exemple H, CH3 et C2H3 pour les spectres d'ions positifs. Ce type de calibration est simplifié du fait de la détection quasiparallèle des ions : contrairement aux spectromètres utilisant une rampe de balayage pour obtenir un spectre (quadrupoles, secteurs magnétiques), ici, statistiquement, tous les ions sont extraits de l'échantillon au même instant et voient donc strictement les mêmes champs. COMPENSATION DE CHARGE La plupart des matériaux organiques étant isolant électrique, il va y avoir accumulation de charges positives en surface (charges positives apportées par le faisceau incident d'une part, et éventuellement départ d'ions négatifs et d'électrons secondaires d'autre part). Le potentiel de la surface de l'échantillon va donc s'accroître d'une tension pouvant aller jusqu'à plusieurs centaines de volts, décalant l'énergie cinétique des ions secondaires formés hors de la fenêtre d'énergie acceptée par le spectromètre. Ce problème, bien que limité sur les ToF-SIMS du fait des sources d'ions pulsées et des très faibles doses utilisées, est cependant crucial et il est nécessaire de compenser les charges produites pour analyser des échantillons épais isolants. Le contrôle du potentiel de surface durant l'analyse apparaît donc comme primordial pour obtenir des spectres d'ions secondaires significatifs [10-12]. Deux techniques permettent de résoudre ce problème : utiliser des faisceaux primaires de 148 Surfaces, tribologie et formage des matériaux particules neutres (atomes au lieu d'ions) [10,11] mais malgré cela, le bilan des charges électriques peut rester positif en raison des ions et des électrons extraits de la surface. L'autre solution, la plus utilisée, consiste à inonder la surface avec des électrons de faible énergie. Cette technique est facilitée dans les spectromètres à temps de vol, puisque dans ce cas, les électrons sont envoyés entre deux pulses d'ions, en l'absence de champ électrique au voisinage de la surface. Ce procédé peut parfois induire des phénomènes de désorption ou de dégradation de la surface. CAPACITÉS ANALYTIQUES ET LIMITATIONS Comparé aux autres techniques généralement utilisées en analyse de surface, le ToFSIMS présente un certain nombre d'avantages : 1- Le premier est inhérent à la spectrométrie SIMS : détection de l'hydrogène et des isotopes avec d'excellentes limites de détection (ppm). 2- Le mode statique permet l'identification directe du composé par la détection des ions secondaires moléculaires présents dans les toutes premières couches atomiques de la surface. 3- La combinaison avec un système de séparation des masses à temps de vol permet d'obtenir une très haute résolution en masse (M/∆M pouvant atteindre 10000 à la masse 28) et de détecter des ions dans un domaine de masses théoriquement illimité. 4- La détection parallèle des ions permet une calibration en masse plus aisée et donc la détermination de la masse exacte des ions secondaires. Elle permet aussi la superposition parfaite des images de répartition. 5- L'utilisation de faisceaux d'ions de taille submicronique donne des capacités d'imagerie de surface de haute résolution latérale aussi bien pour des espèces atomiques que pour des espèces moléculaires. Cependant comme nous l'avons déjà mentionné, la technique ToF-SIMS souffre de quelques limitations : 1- En premier lieu, son incapacité à détecter des produits trop volatils qui désorbent aisément de la surface lors de la mise sous ultra-vide des échantillons. 2- L'interprétation quantitative des spectres est difficile et nécessite des étalonnages soigneux et la combinaison avec d'autres techniques d'analyse telles que les spectroscopies d'électrons. 3- Les excellents seuils de détection couplés à l'extrême sensibilité aux espèces présentes en surface, si utiles pour la résolution de certains problèmes, peuvent parfois se révéler être une limitation, principalement lors de contaminations externes non désirées. Aussi, bien que l'étude de surfaces "réelles" soit tout à fait possible, des préparations et des manipulations très soignées des échantillons s'avèrent nécessaires. Malgré ces quelques limitations et le fait que l'on soit toujours à la recherche d'une meilleure compréhension des mécanismes de formation des ions secondaires, la technique reste tout particulièrement utile lorsqu'on aborde des problèmes dans lesquels la surface joue le premier rôle (adhésion, impuretés et contamination de surfaces par Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques 149 exemple). INTERPRÉTATION DES SPECTRES A l'heure actuelle, les mécanismes d'émission et d'ionisation des ions ne peuvent que difficilement prévoir qualitativement et encore moins quantitativement les spectres de SIMS statique à partir de la structure chimique de la surface. Aussi d'un point de vue pratique, la stratégie des premiers groupes travaillant sur SIMS a été d'étudier des surfaces dont la chimie était bien caractérisée par d'autres techniques et de les utiliser comme des références [2]. Des bibliothèques de spectres de SIMS statique obtenus avec des spectromètres de masse quadrupolaires [13,14] ont déjà été constituées sur une grande variété de surfaces de polymères et d'additifs. Wiley vient de compléter ce Handbook par des spectres obtenus en ToF-SIMS [15]. Ces bibliothèques donnent ce qui est appelé "l'empreinte digitale" d'une grande variété de composés. Cette partie des spectres est souvent la plus intéressante pour l'identification de polymères. L'interprétation de ces spectres est très semblable à celles des spectres obtenus par des méthodes dites conventionnelles (EIMS ou Electron Impact Mass Spectrometry), cependant la fragmentation est en général plus importante sur les spectres de SIMS statique. Des travaux plus fondamentaux sont aussi effectués avec des spectromètres de masse "tandem" dans le but de comprendre les mécanismes de fragmentation se produisant lors du bombardement [16,17]. Une interprétation plus détaillée des spectres sera décrite dans la section réservée aux applications. APPLICATIONS DU SIMS STATIQUE La technique ToF-SIMS peut être utilisée dans des domaines très divers aussi bien sur des matériaux inorganiques (métaux, semiconducteurs, verres) qu'organiques, polymères ou biologiques, conducteurs ou isolants. Nous reportons ici un certain nombre d'applications montrant les capacités de cette technique. MATÉRIAUX INORGANIQUES Quelques articles dans la littérature [2-18] sont consacrés à son utilisation dans la chimie de surface de matériaux inorganiques, les principaux portent sur des réactions de surface en corrosion, lubrification, électrochimie, catalyse hétérogène et dans l'élaboration de circuits intégrés, de semiconducteurs et de films en couches minces. Les exemples qui suivent sont pris parmi les études effectuées au CEMEF avec un spectromètre Charles Evans & Associates TRIFT de la première génération [19]. Interfaces dans des multicouches Fe/Co Les interfaces dans les multicouches ont largement été étudiées en SIMS dynamique : cependant, des corrections restent à faire car la forme des profils obtenus aux interfaces peut être perturbée par la rugosité induite par le faisceau incident, par les phénomènes de poussage dû au faisceau primaire et par les éventuelles différences de vitesses de pulvérisation des matériaux. Dans le cas du multicouche Fe/Co présenté ici, fer et cobalt ont des taux de pulvérisation très voisins, néanmoins, il est très visible sur les profils d'érosion du système "Fe(30 nm)/Co(50 nm)/Fe(100 nm)" que l'interface inférieur Co/Fe est beaucoup plus large que l'interface supérieur Fe/Co. 150 Surfaces, tribologie et formage des matériaux (a) (b) Image α Fe (30 nm) Co (50 nm) Fe (100 nm) Si 250 µm image Fe+ Intensité relative (d) (c) 1 0,8 0,6 SIMS dyn. 0,4 TOF 0,2 0 0 40 80 120 profondeur (nm) image Co + Figure 2 : a) Schéma d'une coupe d'un cratère d'érosion ionique dans un système Fe/Co/Fe sur silicium - b) Image ionique du bord de cratère : répartition de Fe+ - c) Répartition de Co+ - d) Profil d'intensité du Co+ mesuré à partir de l'image comparé au profil obtenu en SIMS dynamique Ces échantillons ont été observés en SIMS statique. Ici, ce ne sont donc plus des profils d'érosion qui sont réalisés mais des images ioniques des bords de cratères obtenus au préalable dans un SIMS dynamique conventionnel pendant l'enregistrement des profils. Ces bords forment des biseaux avec un angle très faible de quelques milliradians [20]. Les images ioniques des bords de cratères (Figure 2) montrent clairement le cobalt au centre du fer. Connaissant l'épaisseur globale de la couche de cobalt, il est facile de traduire en épaisseur les mesures faites sur l'image et donc en particulier l'épaisseur des interfaces. Les profils obtenus à partir des images sont comparés aux profils obtenus en SIMS dynamique : alors que sur les profils de SIMS dynamique, obtenus avec un faisceau d'ions O2+ de 5,5keV, sans apport auxiliaire d'oxygène sur la surface, on mesure une largeur de 10 nm pour l'interface supérieure Fe/Co et 30 nm pour l'interface inférieure Co/Fe, les valeurs obtenues à partir des images en SIMS statique sont respectivement de 20 et 22 nm. La plus forte valeur obtenue pour l'interface supérieure peut s'expliquer par une focalisation insuffisante du faisceau utilisé pour obtenir les images ioniques, par contre, la symétrie du profil obtenu et la valeur plus faible pour l'interface Co/Fe semble montrer Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques 151 que l'imagerie en SIMS statique permette de s'affranchir des effets de la rugosité induite. Mélanges d'oxydes Sb2O4 - (VO)2P2O7 Les oxydes du type VPO sont utilisés dans les réactions d'oxydation du type : C4H10 + O2 -→ anhydride maléique. L'addition d'oxydes de type Sb-O aux V-P-O améliore leurs propriétés catalytiques. Le but de cette étude est de trouver une explication aux changements du comportement en catalyse de ces matériaux. Les deux types d'oxydes ainsi que leur mélange avant et après catalyse à 400°C ont été analysés en TOF-SIMS. Malgré une certaine hétérogénéité, les spectres obtenus sur les mélanges (Figure 3) montrent clairement que, en plus des oxydes initiaux, des clusters de type SbxVyOz, sont présents en surface et par conséquent qu'il y a bien réaction entre ces 2 types d'oxydes. Ce sont ces produits de réaction qui pourraient être précurseurs dans le processus de catalyse. Nbre de coups SbVO3 VPO2 SbVO4H VPO SbVO2 200 220 240 Sb2O2 260 280 Sb2O3H 300 masse (uma) Figure 3 : Spectre d'ions positifs du mélange d'oxydes Sb2O4 - (VO)2P2O7 montrant les espèces créées lors du mélange Contamination d'une surface de verre Par du polypropylène Une lame de verre de microscope nettoyée aux ultrasons dans un bain d'hexane puis de méthanol a été mise en contact avec un film de polypropylène alimentaire. Des analyses ToF SIMS sont réalisées sur cet échantillon avant et après contact avec le polymère. Les spectres en ions positifs de la figure 4 montrent qu'un simple contact peut modifier totalement l'extrême surface d'un échantillon : alors que les pics majoritaires sur la surface initiale étaient le magnésium et le silicium caractéristiques du verre, les pics dominant le spectre de la surface obtenue après contact sont ceux du polypropylène soit : C3H5, C4H7, C5H9, respectivement aux masses 41, 55 et 69. De plus, on observe des 152 Surfaces, tribologie et formage des matériaux ions moléculaires à des masses plus élevées : 265 et 339 uma correspondant respectivement à C18H33O et C21H39O3, caractéristiques d'un oléate de glycérol. Figure 4 : Spectres d'ions secondaires positifs (a) d'une surface de verre nettoyée à l'hexane et au méthanol, (b) après contact avec un film de polypropylène alimentaire Par des résidus minéraux L'étude menée a pour but de déterminer l'origine de défauts de surface visibles en milieu industriel sur des pièces moulées de polycarbonate. A l'endroit de ces défauts, on constate que le polycarbonate n'adhère pas parfaitement à la paroi du moule de verre. Il en résulte des défauts de planéité sur la pièce en polymère obtenue après démoulage. Des analyses en SIMS statique sont effectuées après démoulage sur les parois des moules en verre incriminés afin de comparer la composition de surface des zones avec défaut et des zones sans défaut. Hors du défaut (figure 5a) on constate qu'un film de polymère est resté en surface du moule. Au contraire, dans la zone avec défaut (figure 5b), les espèces majoritaires sont inorganiques, avec notamment la présence de plomb, d'indium, de potassium, de fer et d'aluminium. Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques 153 Ces moules sont utilisés de nombreuses fois et subissent à chaque cycle différents types de nettoyage. Des analyses ToF-SIMS complémentaires effectuées sur les moules aux différentes étapes du processus de nettoyage, ont permis de trouver l'origine de la contamination. Figure 5 : Spectre d'ions positifs de la paroi interne du moule en verre (a) d'une zone sans défaut (b) d'une zone avec défaut MATÉRIAUX ORGANIQUES Une partie importante de la littérature sur les applications ToF-SIMS est dédiée à des matériaux organiques : détection, identification et analyse structurale de biomolécules, produits pharmaceutiques, polymères synthétiques ou autres molécules organiques non volatiles et thermiquement stables [21-23]. La modification de surfaces de polymères par des traitements aussi bien chimique que physique a aussi été largement étudiée par SIMS statique. Reed et Vickerman [24] présentent une très bonne revue sur les applications du SIMS statique à l'analyse de surface des polymères. Pour notre part, nous avons utilisé cette technique pour différentes applications : détection d'additifs sur des surfaces de polymères, ségrégation en surface et analyse de fracture de copolymères chargés, modification de la surface de polymères par différents types de traitement plasma, adsorption de molécules organiques sur métaux, nettoyage de surface de matériaux, réactivité des additifs de lubrifiant en laminage à froid, contrôle de synthèses peptidiques en chimie combinatoire, analyse de surface de composés organo-siliciés et 154 Surfaces, tribologie et formage des matériaux caractérisation d'encres anciennes. Monocouche de PDMS sur Ag Le premier exemple porte sur l'interprétation de spectres obtenus sur une monocouche de polydiméthylsiloxane (PDMS) déposée sur un substrat d'argent. Généralement, les spectres ToF-SIMS obtenus sur des couches minces de polymère déposées sur métal noble peuvent être divisés arbitrairement en trois régions : La première appelée fingerprint (Figure 6a) couvre le domaine de masses 0-100. Cette région contient les ions issus de la fragmentation des unités monomères. C'est la plus utile pour l'identification des polymères, sa comparaison avec des spectres de référence publiés dans des bases de données donne en général l'identification directe de la plupart des ions détectés. La deuxième région appelée "région fragment" contient des ions formés à partir de plusieurs unités monomères avec ou sans groupements terminaux. Ces fragments sont principalement engendrés par des scissions statistiques de la chaîne principale, ou bien proviennent directement de la déprotonation de chaînes oligomères de faible poids présentes initialement à la surface de l'échantillon. Dans la troisième région, appelée "région oligomère", des oligomères intacts de plus haut poids moléculaire peuvent être identifiés. Ils sont généralement désorbés comme particules neutres et leur détection se fait sous la forme de molécules neutres cationisées par les ions métalliques provenant du substrat. Comme conséquence directe, la "région oligomère" n'est pas observée sur des échantillons polymères épais. L'information contenue dans cette région n'est cependant pas dénuée d'intérêt car elle permet d'avoir accès à des renseignements d'une part sur l'unité moléculaire par la différence de masse entre deux ions oligomères successifs et, d'autre part, sur la distribution en poids moléculaire à la surface du polymère. Si l'interprétation des spectres ToF-SIMS de surfaces de polymères purs peut paraître plutôt simple, il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit d'étudier les spectres de surfaces "réelles" dont la chimie de surface est très souvent altérée par la contamination, par la présence d'additifs ou d'agents de démoulage industriel ou encore par des phénomènes de ségrégation de surface comme cela peut être le cas dans les copolymères ou les mélanges de polymères. Certains groupements chimiques ayant des rendements d'ionisation plus importants en négatif qu'en positif (halogènes) ou inversement (métaux), l'obtention des spectres d'ions secondaires positifs et négatifs est souvent d'un grand intérêt, les informations obtenues par l'examen des deux spectres pouvant être complémentaires. La comparaison des spectres obtenus en mode positif et négatif avec les spectres de référence des différents constituants ainsi que la haute résolution en masse des spectres ToF-SIMS sont alors d'un grand secours. Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques 155 masse (uma) Figure 6 : Spectre d'une monocouche de polydiméthylsiloxane sur un substrat d'argent : (a) région "fingerprint", (b) région "fragments", (c) région "oligomère" Adsorption du benzotriazole sur divers substrats Une bonne façon de protéger les métaux des attaques chimiques consiste à bloquer de 156 Surfaces, tribologie et formage des matériaux façon durable les sites réactionnels présents sur leur surface. Utiliser pour cela un réactant qui provoque la formation d'un film ultra-mince de quelques centaines de nanomètres d'épaisseur, voire une simple couche adsorbée offre l'avantage de ne pas changer l'aspect de surface du métal. Dans ce domaine comme dans celui des additifs réducteurs de frottement en lubrification non-hydrodynamique, le caractère spécifique des réactions substrat-adsorbat et la médiocre compréhension que l'on a de l'adsorption chimique des molécules organiques ont laissé sans guide les expérimentateurs. Procédant par tâtonnements, on a rapidement remarqué que certains groupements chimiques montraient de remarquables affinités avec des substrats particuliers. C'est le cas du groupement triazole avec le cuivre et les sels de ce métal. L'efficacité du pouvoir inhibiteur de corrosion du benzotriazole (BTA) C6H5N3 a été exploitée dès les années 1960 pour traiter les bronzes. Depuis lors, de nombreux travaux ont été publiés s'appuyant sur de nombreuses méthodes d'analyse (IRAS, XPS, UPS, LAMMA, SIMS statique-désorption thermique), s'efforçant de percer à jour les raisons de ce comportement singulier en déterminant l'épaisseur, la composition chimique et la structure de la couche protectrice formée. Selon les méthodes d'investigations utilisées, les auteurs présentent différents modèles pour la représentation de la structure de la couche de benzotriazole adsorbée. Ceux qui utilisent des méthodes vibrationnelles (UPS, IRAS) assurent que les molécules de BTA planes s'adsorbent non pas à plat, mais en épi sur le substrat [25] Ceux qui s'intéressent aux éléments présents à la surface (AES, XPS, SIMS statique, LAMMA, ToF-SIMS) penchent en faveur d'adsorption de la molécule à plat sur la surface [26-28]. Nous avons repris cette étude [29] en combinant les techniques XPS et ToF-SIMS et en comparant les résultats obtenus sur différents substrats Cu, Si, Fe, laiton et argent. Ils confirment tout à fait les données de la littérature : la réactivité du benzotriazole envers le cuivre constitue un cas particulier. Les résultats obtenus par XPS montrent aussi que les molécules de BTA ont remplacé toutes les molécules hydrocarbonées présentes initialement à la surface du cuivre, que les rapports entre Cu/N/C sont bien dans le rapport 1/3/6 comme pour un polymère organocuivreux possédant une structure bidimensionnelle couvrant la surface du cuivre confirmant ainsi le modèle de Cotton. Les résultats obtenus sur des surfaces de laiton α 65/35 sont analogues, ce qui peut s'expliquer par le fait que les premières couches de la surface d'un laiton sont exemptes de zinc. La figure 7 montre les spectres ToF-SIMS obtenus en mode positif et négatif sur cette surface : non seulement les ions caractéristiques de la molécule de benzotriazole à m/z= 120 (M+H)+ et m/z=118 (M-H)- sont observés mais, en plus, des séries d'ions du type CuxBTAy et Cux BTAxCN sont aussi identifiées aussi bien en positif qu'en négatif. En spectrométrie de masse, ce type d'ions est souvent associé à un processus de cationisation de la molécule organique par certains substrats (Ag, Cu), cependant les spectres obtenus avec l'argent, bien connu pour être le meilleur agent cationisant, ne montrent jamais des espèces AgxBTAy aussi abondantes qu'avec le cuivre. De plus, l'observation de ces pics, en ions positifs comme en ions négatifs sont des preuves supplémentaires de la présence d'un polymère organo-cuivreux. Des expériences complémentaires sont en cours pour tenter de différencier plus directement les ions issus de cationisation de ces ions moléculaires issus du polymère organo-cuivreux formés en surface du cuivre. La figure 8 Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques 157 illustre les hétérogénéités de composition obtenues après 10 minutes de trempage de cuivre dans une solution de BTA : les régions initialement riches en chlorure de sodium empêchent l'adsorption du BTA, il est peu probable que le chlore participe à la structure du film adsorbé. 2 x 103 23Na a+ 1 Nombre de coups (unités arbitraires) 63Cu+ 0 0 100 200 300 400 x 103 3 63 + C H NCu + 6 4 2 218 Cu 216 MCu2+ 2 244 (M+2H)+ 120 1 152 500 600 700 800 b+ + 369 M2Cu3 M3Cu4+ 606 M4Cu5+ 787 426 0 0 100 x 103 M- CHN 200 300 400 M2Cu2CN388 6 4 3 690 118 MCuCN- M2Cu 4 600 700 M3Cu2- 800 b- C18H12N9Cu2 480 C7H4N4Cu C12H8N6Cu 207 299 2 0 500 100 200 300 400 500 600 700 800 masse/charge (Dalton) Figure 7 : Comparaison des spectres de masse d'une surface de cuivre avant (a+) et après trempage dans une solution à 3% de BTA dans du méthanol (b+ et b-) 158 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 8 : Images de répartition en ions BTA-, Cu+, Na+ et Cl- sur une surface de cuivre trempé 10 minutes dans une solution de BTA dans du méthanol Traitement plasma de surfaces de polypropylène La technique ToF-SIMS s'est souvent révélée comme un outil analytique puissant pour l'étude de modification de surfaces de polymères dans le but d'accroître leurs propriétés adhésives : identification de nouveaux groupements chimiques, scissions de chaînes ou des changements plus subtils tels que des ramifications de chaînes ou des insaturations. Des traitements plasma sont souvent utilisés mais leur efficacité varie en fonction du gaz utilisé (oxygène, air, ammoniac...). La figure 9 présente un spectre de masse à haute résolution obtenu sur une surface de polypropylène (PP) oxydée dans l'air par une décharge plasma [30,31]. Pour une même masse nominale (m/z = 43), on observe, en plus d'un ion caractéristique du PP (C3H7), l'espèce oxydée (C2OH3) et azotée (C2H5N) correspondant à des greffages sur la chaîne du polypropylène en fonction des conditions du traitement plasma ; de plus, le pic identifié comme SiCH3 indique clairement que la surface de l'échantillon a été contaminée par une huile siliconée provenant du réacteur. Cet exemple montre que des résolutions en masse de l'ordre de 5000 peuvent facilement être obtenues même sur des échantillons isolants, ce qui est souvent suffisant dans la plupart des problèmes rencontrés dans l'analyse de matériaux organiques. Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques 159 Figure 9 : Spectre de masse à haute résolution obtenu sur une surface de polypropylène oxydée dans une décharge plasma montrant la contribution des différentes espèces ioniques à la masse 43 Peptides Les synthèses sur support polymère sont communément utilisées pour la préparation de bio molécules, de nucléotides et de peptides ; ainsi dans ce cas, le peptide désiré peut être obtenu après une succession de cycles de couplage d'un amino-acide puis déprotection (schéma ci-dessous). R1 Linker AA1 P déprotection du N-terminal R1 Linker Linker AA1 H R1 R2 AA1 AA2 R1 Linker AAn Rn P AA1 couplage du second aminoacide P R2 AA2 Cycles multiples de déprotection/couplage Rn AAn P Support polymère Aminoacide en position n Groupement protecteur si nécessaire Groupement protecteur N-terminal La détermination de la structure des composés formés ne peut être effectuée qu'après le 160 Surfaces, tribologie et formage des matériaux clivage du composé de son support polymère et sa solubilisation dans des solvants organiques avant analyse par des méthodes spectroscopiques standards telles que les RMN et les spectroscopies de masse (Fast Atom Bombardment - Electrospray Ionisation et Matrix Assisted Laser Desorption). Ce contrôle prend énormément de temps et ne peut se faire que sur quelques étapes réactionnelles intermédiaires ou à la fin de la synthèse. Par ToF-SIMS, toutes ces procédures d'isolation ou de solvatation ne sont pas nécessaires et le contrôle pas à pas de synthèses peptidiques par voie solide sur support Merrifield [32] et Sheppard [33] a pu être ainsi réalisé, que le peptide soit lié au support de façon covalente ou ionique [34]. 57 Boc Ion total In 70 Pro II III IV 120 Phe Phe-Pro: bleu ; Boc: rouge 30 µm PS-Ala-Phe-Pro-Boc PS-Ala-Phe-Pro-H Figure 10 : Images de répartitions des ions In+, Boc (57), Pro(70) et Phe (77+91+120) et superposition des images en 57 Boc (rouge) et Phe-Pro (bleu) d'un mélange de billes après réaction de déprotection du peptide La figure 10 montre les distributions spatiales en ions 70(Pro), en ions 57(Boc), en ions 77+91+120 (Phe) ainsi que la superposition des images en 57Boc (rouge) et dipeptide Phe-Pro (bleu) d'un mélange de billes consécutif à la réaction de déprotection du dipeptide par l'acide trifluoroacétique. On constate que le peptide Ala-Phe-Pro est bien présent à la surface des 3 billes et que le groupement protecteur Boc reste présent sur une seule bille, le traitement de déprotection n'a donc pas été complet. Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques x 103 C2H3O 43 55 2 1 50 x 104 C4H9 57 2941 4 4 2 C4H9 57 2 1 50 250 77 87 Lys 20 x Phe 120 (b) 5x 200 300 250 166 Rink 227 (c) 243 255 259 91 100 120 43 Pro 87 70 91 77 107 Phe 27 120 15 150 Fmoc 200 0 100 250 300 (d) 179 165 227 233 0 50 300 165 150 100 87 200 Fmoc 179 91 Phe 120 130 84 15 29 150 87 50 0 x 104 5x 100 15 0 x 104 (a) C3H7O2 87 15 27 0 2 69 161 150 200 250 masse (uma) 5x 300 Figure 11 : Spectres en ions positifs d'une série de composés (a) : HEMA-βAla ; (b) : HEMA-βAla-HMPA-Glu(OtBu)-Phe-Fmoc ; (c) : HEMA-βAla-Rink-Phe-Lys(Z)-Boc ; (d) : HEMA-βAla-Kiso-Pro-Phe-Fmoc Le ToF-SIMS permet de suivre étape par étape l'avancement des synthèses et de mettre en évidence les réactions parasites [33]. Les méthodes de synthèses en chimie combinatoire font appel à des séries de réactions chimiques avec des choix multiples de réactifs pour chaque étape, ce qui entraîne la formation d'un très grand nombre de composés de complexité croissante. Le développement toujours plus rapide de ces 162 Surfaces, tribologie et formage des matériaux méthodes fait maintenant appel à des approches MultipinTM dont la stratégie est particulièrement bien adaptée pour l'optimisation des conditions de réaction. Nous avons montré que la technique ToF-SIMS pouvait être appliquée à une grande variété de pins chargés de différents dipeptides. Ainsi un grand nombre de composés du type : Résine Spacer - Linker - Peptides - Protecteur ont été analysés par cette méthode. Résine = polystyrène (PS), polyamide (PA), hydroxyl éthyl acrylate (HEMA), acide méthacrylique /diméthyl acrylamide (MA/MDA). Spacer= β-Ala. Linker= acide 4hydroxy méthyl phénoxy acétique (HMPA), groupement amide (Rink), ou groupement à fort encombrement stérique (Kiso). Peptides= Alanine (Ala), Phényl alanine (Phe), Proline (Pro), Leucine (Leu), Lysine (Lys), acide glutamique (Glu). Groupe protecteur = tert-butoxy carbonyle (Boc), 9-fluorényl oxy carbonyle (Fmoc), phtalyle (Pht), benzyl oxy-carbonyle (Z), trifluoro acétyle (CF3COO). Sur la figure 11, on peut constater que toute modification d'une partie du pin se traduit sur les spectres par la présence des pics caractéristiques du groupement modifié (peptide, protecteur, linker ou support polymère) : ainsi sur (a), les pics 87 et 43 sont caractéristiques du support polymère ; sur (b), les pics 77/91/120 sont caractéristiques de Phe et 165/179 de Fmoc, le pic 57 étant caractéristique de tBu ; sur (c), le groupement Boc est caractérisé par 57, Phe par 77/91/120, Lys par 84, et Rink par 166/227/243/255/259, sur (d), Pro est caractérisé par 70 et Phe par 77/91/120. Cette étude a permis de montrer que la technique ToF-SIMS était bien adaptée à l'analyse in situ de synthèses peptidiques en phase solide, tant sur support résine (billes) que sur support plastique (pins). Cette technique qui ne nécessite aucun traitement chimique préalable donne des résultats reproductibles. De plus, si aucune étude quantitative n'a encore été entreprise dans le cas de mélanges, des réactions de déprotection incomplète ou de réactions dérivées ont déjà été mises en évidence. Organosiliciés Des matériaux hybrides organiques-inorganiques.du type R-SiO1,5 et 1,5OSi-R-SiO1,5 sont obtenus par des procédés sol-gel : hydrolyse et polycondensation à partir de précurseurs du type RSi(OR')3 avec R= groupement hydrogène, méthyle, éthyle, alkyle, halogéno alkyle, aromatique et ferrocényle. Les poly organo silesquioxanes formés sont tous des gels amorphes, non hydrolysables et pratiquement insolubles, se présentant sous la forme de réseaux tridimensionnels. Leur analyse chimique ainsi qu'un certain nombre de méthodes spectroscopiques (IR, RMN) montrent qu'en volume, le radical R reste lié au Si de façon covalente. La localisation de ce radical, à cœur ou en surface du solide, est cependant d'un grand intérêt, influençant les propriétés de surface du matériau dans de nombreuses applications (adhésion, mouillage, stabilité à long terme et en température, biocompatibilité). Ces informations ne peuvent être obtenues par les méthodes spectroscopiques précédemment citées qui ne donnent des renseignements que sur la composition globale en volume, c'est pourquoi une investigation par ToF-SIMS de l'émission d'ions secondaires de ces composés hybrides a été entreprise. Les spectres de masse obtenus sur ces composés (figure 12) nous ont permis, d'une part, de vérifier leur état de propreté en surface et, en particulier, l'absence des pics caractéristiques des précurseurs correspondants R-Si(OR')3 et, d'autre part, de constater la présence du radical organique Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques 27 15 10 69 41 39 43 45 20 30 40 Si 28 50 60 163 (a) 71 70 80 90 100 SiOH 45 (b) 15 Nombre de coups (unités arbitraires) 10 20 15 30 20 60 40 55 50 CH4N 30 30 28 39 40 Fe 43 56 15 100 56 60 40 70 80 90 100 (d) 70 80 C5H5Fe 121 80 100 Fe * 120 140 90 100 C10H10Fe 186 160 (e) 180 * 121 56 45 40 60 * 60 * 50 C5H5 65 45 4 20 90 56 20 20 80 45 SiOH 18 10 70 (c) 45 30 15 50 41 39 43 30 NH4 18 10 40 (f) * 60 80 100 120 140 140 160 180 masse (uma) Figure 12 : Spectres de masse en ions positifs de gels mono et bisiliciés : (a) gel [CH2=CH-SiO1.5] n ; (b) gel [1.5OSi-CH2=CH-SiO1.5] n ; (c) gel [NH2(CH2)3-SiO1.5] n ; (d) gel [NH[(CH2)3-SiO1.5] 2] n ; (e) gel [C5H5FeC5H4-SiO1.5] n ; (f) gel [1.5OSiC5H4FeC5H4-SiO1.5] n (Les pics marqués par * correspondent à une contamination) 164 Surfaces, tribologie et formage des matériaux R sur les seuls composés monosiliciés : ainsi les pics 69 C2HOSi et 71 CH3Si2 sont présents sur le monosilicié (a) et absents sur le bisilicié (b) ; de même, les pics 65 C5H5, 121 C5H5Fe et 186 C5H5FeC5H5 sont présents sur (e) et absents sur le bisilicié (f). En fait, la caractéristique commune à tous les composés bisiliciés étudiés est l'absence de pics caractéristiques du radical organique et la présence toujours plus abondante du pic 45 SiOH. La figure 13 montre aussi une comparaison plus systématique entre composés mono RSiO1.5 et bisiliciés 1.5OSi-R-SiO1.5 avec R= CH2 , CH2-(CH2)n-, CH2=CH2 , C6H5 , C6H5-CH2 , C5H5FeC5H5. Pour chaque radical R, des pics caractéristiques sont choisis : 15 CH3 pour (CH2)n, 77 C6H5 / 91 C7H7 / 105 C8H9 pour C6H5-CH2 et 121 pour C5H5FeC5H5. On constate alors que, pour chaque couple mono-bisilicié, le rapport entre pics caractéristiques de R et des liaisons SiO est beaucoup plus grand pour les composés monosiliciés que pour les bisiliciés. Les rapports 4 et 5, correspondants à des bisiliciés à chaînes aliphatiques plus longues, semblent indiquer que plus la chaîne (CH2)n est longue, plus elle aura tendance à émerger à la surface. La surface de Matériaux Hybrides Organique-Inorganique Monophasiques a été analysée par ToF-SIMS. Les spectres de masse obtenus tant en ions positifs qu'en ions négatifs montrent que la partie organique est toujours détectée à la surface des monosiliciés [36] et, au contraire, que les liaisons Si-O-Si sont seules présentes à la surface des composés bi ou trisiliciés [37] confirmant ainsi les résultats de travaux précédents sur la réactivité chimique de silices hybrides. Pour de tels composés amorphes et pratiquement insolubles, cette technique apparaît comme la seule capable de localiser le radical organique. Figure 13 : Comparaison entre gels mono (barres blanches) et bisiliciés (barres noires) : rapport entre les intensités de R et de SiO avec R= CH2 (1,2), CH2-(CH2)n (3,4,5), CH2=CH2 (6,7), C5H5FeC5H5 (8,9), C6H5 (10,11), C6H5-CH2 (12,13) Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques 165 Caractérisation d'encres noires anciennes La composition des encres a depuis longtemps été étudiée pour tenter de résoudre certains problèmes posés par les conservateurs de manuscrits, par les historiens ou bien encore par la police scientifique. La complexité des mélanges de matières organiques et minérales, ajoutée à la pollution laissée par le temps et au peu de matière que représente un tracé font de ces études un véritable défi. C'est dans ce cadre que la technique ToFSIMS a été testée dans ce domaine au CEMEF [38] pour tenter de caractériser l'encre, aujourd'hui de couleur brune, utilisée dans la rédaction sur parchemin d'un acte notarié, daté de 1643, ainsi que celle, très noire, utilisée pour des commentaires faits deux siècles plus tard sur le même support. La littérature fournit des recettes d'encres noires appartenant à trois familles : - les encres à base de noir de carbone (en fait des peintures), suspension de noirs de carbone utilisant des glucides ou des protéines comme dispersant. Inventées par les Égyptiens 3000 ans avant les Chinois, elles sont actuellement connues sous le nom générique d’encre de Chine. - les encres métallo-galliques (en fait des teintures), utilisées au moins depuis le Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle, dont la recette ancienne type consiste à mélanger un extrait tannant (noix de galle) avec un sel métallique (sulfate ferreux ou cuivreux), ce qui donne une teinture noire, puis d’y ajouter un liant (gomme arabique) et un solvant (vin blanc) ; - depuis le milieu du XIXe siècle, les encres utilisant des noirs de synthèse (noirs d’aniline…). Les spectres obtenus sur les deux types de tracés mettent facilement en évidence les espèces minérales : alors que le tracé du XIXe siècle ne renferme que du fer, du sodium et du potassium celui du XVIIe contient en plus du zinc, du cuivre et du manganèse. L'identification des espèces organiques est par contre bien plus complexe et l'établissement préalable d'une bibliothèque de spectres de référence est indispensable. L'analyse d'encres reconstituées à partir de divers composants est également utile car non seulement des espèces nouvelles peuvent être créées lors des mélanges, mais il peut aussi y avoir des modification de ces substances avec le temps. Les spectres d'ions négatifs présentés figure 14 ont été obtenus sur deux encres reconstituées à partir de noix de galle, de sulfates (ferreux pour la première, ferreux et cuivreux pour la seconde), de vin blanc, d'eau et de gomme arabique. Les proportions utilisées sont différentes pour ces deux échantillons. Les encres ainsi réalisées sont déposées sur papier Canson. Les spectres de référence obtenus au préalable sur les différents composés permettent de mettre en évidence sur ces deux encres la présence de gomme arabique (pics de masse 183, 311, 325 et 339) et/ou d'arabinose (masses 163 et 255), sucre résultant de l'évolution chimique de la gomme arabique, ainsi que de noix de galle (pics 124 et 169) ou d'acide gallique (dans ce cas, le pic 124 est beaucoup moins intense que le 169). L'analyse des tracés sur parchemin (figure 15) est par contre plus difficile. Si la différence de nature des encres est évidente, il est délicat de se prononcer sur la présence 166 Surfaces, tribologie et formage des matériaux Figure 14 : Spectres de masse d'ions négatifs (masses 100 à 350) d’encres sur papier Canson : (a) encre ferro-gallique et (b) encre cupro-ferro-gallique utilisant la gomme arabique comme liant Figure 15 : Spectres de masse d'ions négatifs (masses 100 à 350) de tracés sur parchemin : (a) tracé brun du XVIIe siècle, (b) tracé noir du XIXe Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques 167 de noix de galle ou d'acide gallique. Par contre, le liant utilisé semble être, là encore, de la gomme arabique : en effet les pics caractéristiques sont visibles sur le tracé du XVIIe, et on note la prédominance, dans cet intervalle de masses, des pics 163 et 255, pouvant correspondre à l'arabinose. Quant au tracé du XIXe, la présence d'arabinose semble probable mais on détecte en plus des ions de masse 220 et 288, correspondant vraisemblablement à des espèces azotées, ce qui laisse supposer la présence supplémentaire d'un liant protéique. Notons que ceci est en accord avec des observations en microscopie électronique qui montrent que, contrairement au tracé du XVIIe qui laisse visibles les fibres du parchemin (encreteinture), le tracé du XIXe est épais et les recouvre complètement (encre-peinture). CONCLUSION Ces quelques exemples d'applications de la technique ToF-SIMS à des domaines très divers (micro-électronique, organique ou biologique) montrent bien la grande diversité de son champ d'investigation. Au laboratoire, la technique ToF-SIMS a aussi été utilisée pour mettre en évidence la formation de produits tribochimiques se produisant pendant des opérations de mise en forme des matériaux entre l'acier et les additifs spécifiques contenus dans les huiles de laminage (cf. article G. Dauchot du présent ouvrage). Cette technique présente toutefois quelques inconvénients non encore résolus, le principal étant la grande complexité des spectres de masse obtenus : leur interprétation fait souvent appel non seulement à des bibliothèques de spectres, de plus en plus fournies, de surfaces de référence, mais aussi à la connaissance la plus complète possible de l'histoire de ces surfaces. Autre inconvénient inhérent à cette technique : sa très grande sensibilité aux contaminations extérieures avec pour conséquence la nécessité de prendre de grandes précautions dans la manipulation et le conditionnement des échantillons avant analyse. Le principal atout de cette technique est sa capacité à fournir des informations sur les toutes premières couches atomiques de la surface. Chaque fois qu'un problème se pose dans un domaine tel que la propreté, la contamination, la ségrégation, l'adhésion, l'adsorption ou la réactivité chimique de surface, la spectrométrie ToF-SIMS devrait être utilisée. Cependant, comme on n'est jamais sûrs de l'épaisseur des couches concernées dans ces procédés, il sera nécessaire d'étudier aussi ces surfaces par des techniques complémentaires faisant appel à d'autres mécanismes d'interactions avec la matière. Ces techniques peuvent être, entre autres, les spectroscopies d'électrons, les mesures d'angles de contact, les spectroscopies infrarouge et Raman ou RMN. Ainsi les informations apportées par la spectroscopie XPS porteront non seulement sur la nature et les concentrations des éléments atomiques présents sur une épaisseur d'une dizaine de couches atomiques mais aussi sur le type de liaisons dans lesquelles ces atomes sont engagés. L'interprétation des spectres ToF-SIMS sera grandement facilitée par la connaissance de ces informations. C'est la complémentarité des informations fournies par plusieurs techniques qui apporte le plus souvent la solution aux problèmes posés à l'analyste. REMERCIEMENTS Tous nos remerciements vont bien sûr à François Delamare qui a été l'élément moteur dans l'acquisition et le développement de la technique ToF-SIMS au laboratoire, ainsi 168 Surfaces, tribologie et formage des matériaux que pour les discussions fructueuses que nous avons eues lors des diverses études. Certaines ont été effectuées avec des laboratoires lyonnais, à l'INSA (C. Dubois) et à l'Institut de la Catalyse (L. Leonardos). Celles sur les protéines ont été développées en collaboration avec les professeurs J.L. Aubagnac, R. Corriu et G. Cerveau de l'Université de Montpellier II. L’étude sur les encres a été réalisée en contact étroit avec B. Guineau, de l'Institut de Recherches sur les Archéomatériaux du CNRS à Orléans. RÉFÉRENCES [1] D. Briggs, M.P. Seah ed., Auger and X-ray photoelectron Spectroscopy, in Practical Surface Analysis (2nd edition), vol.1, John Wiley & Sons, Chichester U.K., 1990. [2] D. Briggs, M.P. Seah ed., Ion and Neutral Spectroscopy, in Practical Surface Analysis (2nd edition), vol.2, John Wiley & Sons, Chichester, U.K., 1992. [3] J.C. Rivière, Materials Science Technology, 9, 365, 1994. [4] J.C. Vickerman, Analyst, 119, 513, 1994. [5] A. Benninghoven, Surface Science, 299-300, 246,1994. [6] S.J. Pachuta and R.G. Cooks, Chemical Review, 87, 647, 1987. [7] M.J. Hearn, B.D. Ratner and D. Briggs, Macromolecules,21, 2950, 1988. [8] P.A Cornelio-Clark and J.A. 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